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LES SCRUPULES DE SGANARELLE

DU MEME AUTEUR: Poésie

PREMIERS POÈMES ... I VOl .

POÈMES . I vol .

LES JEUX RUSTIQUES ET DIVINS l VOl,

LES MÉDAILLES d'aRGILE I VOl .

LA CITÉ DES EAUX . . I VOl .

LA SANDALE AILEE. ....... I YO)

Roman

LA CANNE DE JASPE . . . I VOl .

LA DOUBLE MAITRESSE , . . I VOl.

LE TRÈFLE BLANC .... I VOl .

LES AMANTS SINGULIERS I VOl .

LE BON PLAISIR I VOl .

LE MARIAGE DE MINUIT I VOl.

LES VACANCES d'uN JEUNE HOMME SAGE I VOl.

LES RENCONTRES DE M. DE BRÉOT . . I Vol .

LE PASSÉ VIVANT I VOl .

LA PEUR DE l'amour. I VOl.

Littérature

FIGURES ET CARACTERES I VOl .

SUJETS ET PAYSAGES . . I VOl.

ESQUISSES VÉNITIENNES (lUustratioDs de Maxime Dethomas).

A LA MÊME LIBRAIRIE HENRI DE RÉGNIER ET SON CEUVRE (CollcClion a LcS

Hommes et les Idées », par Jean de Goiirmont. Por- trait et autographe. Vol. in-i8 0.7.5

LE THÉÂTRE AUX CHANDELLES

Les

Scrupules de Sganarelle

PAR

HENRI DE RÉGNIER

PARIS SOCIÉTÉ DV MERGVRE DE FRANGE

XXVI, RVE DE CONDÉ, XXVI

M CM VIII

IL A ETE TIRE DE CET OUVRAGE I

Quinze exemplaires sur Japon impérial, numérotés de i ù jj, cinquante-neuf exemplaires sur papier de Hollande,

numérotés de i6 à y 4- et trois exemplaires sur Chine, marqués A. B.C.

JUSTIFICATION DU TIUAGfi

Droits de traductioa et de reproduction réservés pour tous pays.

AVERTISSEMExNT

Je souhaiterais assez, je Tavoue, que l'on n'attribuât pas la publication de ce petit livre au mauvais vouloir des directeurs de théâtre. Ils n'y sont pour rien. Ce n'est point à eux que la pièce que l'on pourra lire ici doit d'y être imprimée. La vérité est que je n'ai ja- mais pensé à la faire représenter. Non qu'elle n'eût pu, au besoin, subir le feu de la rampe, car il me semble, au contraire, qu'elle y aurait pris un certain relief, encore qu'elle fût peut-être de nature à laisser le public actuel quelque peu indifférent. On y parle en effet un langage qui ne lui est plus guère familier,

LES SCUUPULtS DE SGANARELLE

et Ton y parle un peu trop par tirades et par à-partés, sans compter que l'intrigue qui s'y exprime n'a point par ailleurs de quoi intéres- ser beaucoup des esprits de notre temps.

Néanmoins, ce n'est pas uniquement pour ces raisons que j'ai jugé bon de confier plutôt au papier qu'au tréteau ces Scrupules de Sganarelle. Il m'a paru, en agissant de la sorte, me mieux conformer au caractère et à l'origine de ce petit ouvrage, qui se rap- porte à un projet j'étais, il y a quelques années, d'intercaler, dans un roman dont l'action se devait placer au xvii^™^ siècle, quel- ques scènes de comédie.

Ce fut alors et à cette fin que je composai une courte esquisse de ce qui est devenu par la suite quelque chose, sinon de plus consi- dérable, au moins de plus développé, et que j'offre aujourd'hui au lecteur à défaut du roman il le devait trouver incorporé.

AVERTISSEMENT

Il me serait agréable d'espérer que Ton reconnaîtra non sans plaisir dans cet essai, avec certains procédés d'usage et certaines facéties de tradition, quelques-uns des person- nages qui sont de rigueur sur notre vieux théâtre. A ceux des Géronte, des Anselme, des Léandre, des Angélique et des Dorine, je n'ai ajouté que celui deLeporello. N'est-il pas, avec Sganarelle, l'acolyte obligé de Don Juan ? Pour ce qui est de ce dernier, je me suis borné à le représenter à peu près pareil à la figure que Molière en a donnée, et je n'ai fait que profiter de ce que la présence du séducteur apporte partout avec elle de désor- dre, de passion et, si l'on peut dire, de roman- tisme.

Tels sont à peu près les éléments de cette comédie, il ne faut pas voir davantage qu'un jeu et un amusement littéraires... Si <•!!(' iio te divertit que médiocrement, Ami

LKS SCRUPULES DE SGANARELLE

Lecteur, je n'aurai du moins pas le chagrin de l'avoir trop indiscrètement importuné. Tu n'auras pas même,comme au théâtre, à quitter ton fauteuil, et il te suffira de t'y endormir, pour que mes gens continuent sans toi, sur la page, à échanger entre eux leurs muettes tirades et leurs silencieuses répliques.

H. R.

I

GERONIMO

Comment, que veut dire cela? est l'ardeur que vous mon- triez tout à l'heure?

SGANABELLE

Il m'est venu, depuis un mo- mentjde petits scrupules...

Molière. Le Mariage forcé, scÈXE rv

PERSONNAGES :

DON JUAN, gentilhomme espag-nol.

SGANARELLE, valet de Don Juan.

GÉRONTE, bourgeois.

ANSELME, frère de Géronte.

LÉANDRE, gentilhomme, amoureux d'Ang-élique.

LEPORELLO, autre valet de Don Juan.

UN PETIT PATISSIER.

ANGÉLIQUE, fille de Géronte.

DORiNE, femme de Sganarelle et suivante d'An- g-élique.

Gens de la ville, hommes, femmes, enfants et chiens.

Le Guet.

La scène est à Verricrcs,petite ville du centre de la France, sur une place plantée d'arbres, devant la maison de Géronte.

ACTE PREMIER

SCÈNE PREMIÈRE DON JUAN, SGANARELLE

SGANARELLE

Eh bien, Monsieur, qu'en pensez-vous, et n'est-ce point un endroit agréable ? Est-il rien de plus pur et de plus léger que Tair que Ton y respire ?

Il respire largement.

Cette petite ville n'est-elle pas à souhait pour s'y reposer, et connaissez-vous rien de plus propre et de plus coquet ? Ces maisons bien construites, ces rues pavées, ces places de verdure, ce mail avec ces ormes robustes, et ces boutiques l'on a tout au plus juste

10 LES SCRUPULES DE SGANARELLE

prix et Ton vous vend, ma foi, un excellent tabac.

Il puise dans sa queue de rat, fait le geste de la tendre à Don Juan, mais se ravise et en tire une seconde pincée. A part.

Hum! Hum! mon maître n'est pas d'hu- meur communicative. {Haut.) Allons, Monsieur, tout cela ne vous paraît-il pas du meilleur goût, sans compter cette belle église devant laquelle nous avons passé tout à rheure et à qui l'on a envie de tirer son chapeau? Je ne sais, mais il rate^semble, à moi, que je renoncerais de bon cœur à courir le monde pour demeurer en ces lieux-ci, et si ce n'est point, Monsieur, votre sentiment, avouez que vous devez du moins remercier Sganarellc de vous avoir amené pour y attendre l'arrivée de ce courrier qui vous doit venir de Paris ?

DON JUAN, distrait.

Oui, oui, Sganarelle... Cette petite servante de tout à l'heure ne m'a point paru laide... 11 faudra que je m'en assure puisque mon mauvais destin me force àséiourner dans celle

\

ACt£ f A£Ml£ll t i

auberge... A propos, Sganarelle, quel nom donnes-tu à cet endroit nous sommes et d'où il me tarde d'être sorti?

SGANARELLE, vexé.

Cet endroit, Monsieur, s'appelle Verrières, et il s'y compte près de trois mille âmes de bons chrétiens. Monsieur, soit dit sans vous offenser.

DON JUAN

Tu ne m'offenses pas, Sganarelle, mais te voilà bien dévot aujourd'hui. Tu parles d'ôter Ion chapeau aux églises que tu rencontres... Mordieu 1

SGANARELLE

Là, là, tout doux, ne vous fâchez pas. C'est une vieille habitude à laquelle je ne puis rien et qu'il me faut passer, car, quoique j'aie l'honneur de vous servir depuis long- temps déjà, je n'ai jamais pu me faire à votre mode d'enfoncer son feutre devant les crucifix du chemin et de ne croire exactement ni à Dieu, ni à Diable... Il est vrai qu'un

12 LES SCRUPULES DE SGANARELLE

valet n'est point tenu à égaler son maître et, s'il lui faut obéir à ses ordres, il n'est pas chargé d'imiter ses façons. Il y a, du reste, dans l'impiété, quelque chose d'indépendant qui ne convient guère à notre état. Souffrez donc. Monsieur, que j'enlève mon chapeau à qui je veux.

DON JUAN

Ouais ! Vous êtes bien hardi, monsieur Sga- narelle, mais si votre mauvais cara^ère vous porte à l'insolence, je pourrais bien...

Il lève sa canne. SGANARELLE

Ah! Monsieur, baissez ce bâton, de grâce I Ces arguments ne valent rien. On en est vite attrapé, et il suffît d'un faux mouvement pour qu'on en ait dans l'œil ou sur le nez. Et je suis douillet, Monsieur. Ah ! je me connais bien, voyez-vous. Je crierai. On s'attroupera. On s'enquerra... et vous avez, en ce moment, grand intérêt à passer inaperçu... Là, là, vous voici tout amadoué. Mais qu'il est donc difficile avec vous de maintenir une con-

AGiii l'IlJiMlEK

i3

versalion sur son sujet. Vous en étiez déjà aux moulinets, alors que je voulais tout sim- plement, dans le principe, vous faire con- venir des agréments de cette petite ville et que...

DON JUAN

C'est bon, Sg-anarelle, mais souviens-toi que tu as risqué, par Taudace raisonneuse de ta lang-ue, de recevoir une volée bien appli- quée... Eh bien oui, j'en conviens, cet endroit a je ne sais quoi de frais et de tranquille... Que les passions y sembleraient donc dépla- cées et inutiles... Hélas ! Sg-anarelle, ne le sont-elles pas toujours! A quels inconvénients n'exposent- elles pas? Ah ! que les hommes sont donc fous! Pourquoi songer à autre chose qu'à manger et à dormir? Crois-tu au moins que le lit et le dîner seront suppor- tables à cette auberge?

SGANARELLE

J'ai parlé au cuisinier ; il m'a paru une forte tête. Quant au sommeil, j'en réponds... A Verrières, pas un bruit, passé le couvre-

l4 LES SCRUPULES DE SGANARELLE

feu... Avouez, Monsieur, que vous commen- cez à vous y plaire I

DON JUAN

Soit, Sganarelle, pour ne pas te désobliger!

SGANARELLE

Avouez encore que Tendroit est riant.

DON JUAN

Assurément.

SGANARELLE ^

Propre et coquet.

DON JUAN

Ouï.

SGANARELLE

Tranquille.

DON JUAN

Oui.

SGANARELLE

Silencieux.

DON JUAN

Oui, là...

ACTE PREMIER

l5

SGANARELLE

Et que le moindre coup de bâton qu'on y entendrait ferait mettre tout le monde aux fenêtres...

DON JUAN, levant sa canne.

Maraud I !

SGANARELLE

Paix, Monsieur, j'ai fini... et qu'il vaut bien ces mauvaises bicoques d'Espagne et d'Italie, comme nous en avons tant traversé, nous étions mang-és de puces, dévorés de punaises et nourris de pois chiches ou de macaroni !

DON JUAN

Vous êtes difficile, monsieur Sganarellel

SGANARELLE

Je ne dis trop rien de l'Espagne, car c'est le pays vous êtes né, encore que vos Séville et vos Salamanque ne me reviennent ^ère avec leurs maisons de couleurs et leurs cours à fontaines, mais vous serez de mon avis sur l'Italie. Ah ! les vilains lieux et les

|6 LES SCRUPULES DE SGANARELLE

méchants gîtes ! Et savez-voas, Monsieur, rien de plus laid que cette grande villasse de Naples, avec ses rues sales, ses gens en gue- nilles et son gros volcan qui crache sa fumée ?. . .

DON JUAN

Ehl malheureux, mais tu oublies ces filles adorables, aux yeux de velours et de feu, qui cachent sous leur crasse et leurs haillons une beauté brûlante, ces courtisanesinstruites au plaisir, ces grandes dames qui, dans leurs palais de marbre, au bord de la mer bleue, font connaître la volupté d'aimer... Mais, je suis bon de raisonner et qu'est-ce que tout cela peut bien faire à une vieille carcasse comme la tienne, qui ne pense qu'à s'emplir le nez de tabac! ...

SGANARELLE J

Tout de même, aous aurez beau dire, Monsieur, et me donneriez-vous cent coups de bâton, que je ne démordrais point de mon sentiment.

ACTE PREMIER I7

DON JUAN

Vraiment, et d'où te vient donc ce singulier courag-e, Sg-anarelle ?

SGANARELLE

Ah Monsieur 1 et comment voulez-vous qu'on pense autrement d'une ville à laquelle nous devons un Leporello, un gueux, un fri- pon, un pendard, dont la compagnie me rend souvent votre service insupportable et qui me voudrait voir loin de vous pour vous duper tout à son aise... N'est-ce pas à Naples, vous l'avez trouvé, dormant les pieds au soleil sur les dalles du quai, couvert encore de la vermine attrapée aux galères dont il sortait? N'est-ce point de que, lavé, décrotté, vêtu, vous l'avez emmené avec vous, sans crainte de donner à un honnête serviteur comme moi la société dégoûtante d'un pareil drôle?.. Oui, et vous pouvez m'en croire, car vous ne savez pas ce que c'est que Leporello !

Il s'approche de Don Juan et baisse la voix.

Il n'est pas que gourmand, infidèle, perfide, sanguinaire, prompt à jouer du lacet et du

a.

l8 LES SCRUPULES DE SGANARELLE

couteau, expert en stratagèmes et en ruses de toutes sortes, habile à se grimer et à se com- poser toutes les figures, —il est... Mais à quoi sert de vous avertir, puisque vous avez sur ce forban un parti-pris à ne rien enten - dre? Eh quoi! ne riez-vous pas de ses facé- ties, ne lui passez-vous pas ses insolences en faveur de la platitude par laquelle il les rachète ? Vous croyez à ses mensonges, vous suivez ses conseils et il s'en est bien peu fallu qu'à cause de lui nous n'allassions^ à Saint- Girin,qui n'est qu'un mauvais village, au lieu de venir ici nous avons tout ce qu'il nous faut... M. Leporello le voulaitainsi pour faire l'important et l'entendu et sans s'inquiéter que, de ce côté-là, vous auriez eu grande chance de rencontrer ceux qui vous cher- chent, avant l'arrivée de ce courrier que vous attendez et qui vous doit mettre à l'abri de leurs poursuites et au-dessus de leurs entre- prises, lesquelles, par l'imprudence de ce faquin, eussent bien pu vous devenir fatales .

ACTE PREMIER IQ

DON JUAN

Ah ! voilà justement Leporello, tu vas pouvoir continuer devant lui le discours de tes griefs... Je serais curieux d'entendre sa défense. Ici, Leporello 1 . . .

SGANARELLE

Pour Dieu, Monsieur, n'allez pas lui rap- porter ce que je vous ai dit de lui. Il est si méchant qu'il serait capable de me tuer. Il porte toujours des armes cachées.

DON JUAN

Ahî il nous a \tis... je l'ai envoyé ce matin faire un tour de ville afin de savoir si l'on y rencontre quelques figures intéressantes.

SGANARELLE

Quoi, toujours les femmes. Seigneur Don Juan!... Oui, je sais bien que vous êtes ici incognito, que Valère est votre nom d'em- prunt et qu'il ne faut pas prononcer le véri- table, mais la précaution sera bien superflue si, à peine arrivé, vous révenez à vos façons habituelles I Cependant, vous aviez l'air, ces

20 LES SCRUPULES DE SGANARELLE

jours-ci, bien désabusé. Allons, soyez raison- nable, Monsieur, je vous en conjure. Si vous m'aviez cru, vous auriez quitté cet habit trop riche qui attire Toeil dans cette petite ville de bourgeoisie. Mais, au moins, point de ces aventures qui font jaser, pas de ces intri- gues dont on parle; pas de billets doux, Monsieur, pas de rendez-vous, de guitares et de galanteries. Pas d'escalades : voyez-moi ces honnêtes balcons et jugez du mauvais effet qu'y feraient la sérénade et l^chelle de soie.

Il montre la maison de Géronte. Leporello, qui s'est approché, l'a écouté avec des grimaces. Leporello porte le bonnet et la cape rayée à l'italienne.

SCÈNE II LES MÊMES, LEPORELLO

DON JUAN

Eh bien, Leporello?

ACTE PREMIER 21

P

LEPORELLO

C'est fait, Monseigneur.

SGANARELLE, bas.

Monseigneur, Monseigneur, il lui donne du Monseigneur ; c'est avec cela qu'il le prend.

DON JUAN

Aurai-je de quoi m'occuper, Leporello?

LEPORELLO, faisant la moue.

^ Penh! peuh !

DON JUAN

As-tu fait exactement ce que je t'ai com- mandé? Es-tu allé à la sortie de la messe te planter devant le portail?

LEPORELLO

Oui, Monseigneur.

DON JUAN

As-tu regardé soigneusement au visage des femmes?

»

LEPORELLO

Oui, Monseigneur.

22 LES SCRUPULES DE SGANARELLE

DON JUAN

T'es-tu promené sur le mail ?

LEPORELLO

D'un bout à Tautre, mais je n'y ai remar- qué que deux chiens qui se battaient et un cul- de-jatte qui les regardait faire!

DON JUAN

As-tu visité le marché?

LEPORELL O

Comme vous me l'avez ordonné.

DON JUAN

Es-tu entré dans différentes boutiques ?

LEPORELLO

Oui, Monseigneur, j'ai suivi vos ordres de point en point. Dans les boutiques, j'ai exa- miné les [figures des acheteuses et des mar- chandes. Il n'y en avait pas une au niveau de l'ordinaire. Au marché, les paysannes et les servantes ne valaient pas mieux. Ah ! le fâ- cheux spectacle que ces gros nez, ces vilains yeux, ces tailles épaisses, ces gorges plates ou débordantes, ces longs pieds... Pouah!

ACTE PREMIER

DON JUAN

Tu railles, Leporello. Tu hc me feras pas croire que dans une ville de trois mille âmes... Ma parole, si j'avais envoyé Sganarelle à ta place, il s'en serait mieux tiré que toi, car enfin c'est lui qui, à Avig-non, m'a déniché cette petite fille qui avait de si beaux yeux et qui demeurait rue Filonarde...

SGANARELLE, modeste.

Ne parlons pas de cela. Monsieur... [Hypo- critement.) Peut-être que ce pauvre Lepo- rello...

DON JUAN

Leporello est un drôle.

LEPORELLO

Eh, Monseigneur, ne vous fâchez pas, mais je ne me sens pas trop bien, ces temps-ci... Votre service n'apointété fort commode. Sou- Tcnez-vous de notre fuite à travers champs, parmi le cliquetis des pertuisanes et la fumée des torches. Tout cela m'a troublé la tête et j'ai un peu perdu la mémoire... Tenez, vous

9.[\ LES SCRUPULES DE SGANARELLE

me demanderiez combien il j a de temps que vous ne m'avez payé mes gag-es que je ne serais peut-être bien pas capable de vous répondre... Cependant il me semble qu'il me revient quelque chose qui pourrait vous inté- resser.., mais il faudrait m'aider un peu.

DON JUAN, faisant tinter des écus dans sa poche.

Eh bien, Leporello ?

Il lui donne de l'argent. LEPORELLO

Merci, Monseigneur, il me seTïïl3le que je me sens mieux.

DON JUAN

J'en suis heureux, eh bien ! parle alors.

LEPORELLO

Voici, Monseigneur 1 Gomme je remontais la rue qui va du marché à l'église, j'ai croisé une jeune fdle qui venait dans mon chemin . Elle pouvait bien avoir seize ans et son visage m'a paru fort agréable, relevé par un air innocent et naïf...

DON JUAN

Continue, mon enfant.

i

ACTE PREMIER 25

I

LEPORELLO

Elle marchait accompagnée d'une suivante qui portait sous le bras un gros paroissien relié.

DON JUAN

Bien, bien... Etait-elle blonde ou brune, châtaine ou rousse? Comment était-elle vêtue? As-tu vu sa bouche, ses yeux ? C'est qu'on apprend le mieux, Leporello, la nature des filles et qu'on devine le plus aisément leur caractère et leur disposition.

LEPORELLO

Elle doit être blonde. Monseigneur, certai- nement... Mais c'est tout ce que je puis vous

dire...

DON JUAN

Comment c'est tout ! Et tu ne sais pas qui elle est, elle habite? Tu ne l'as donc pas suivie ?

LEPORELLO

Monseigneur m'avait recommandé de ne me point faire remarquer, et il m'a paru que les

3

a6 les scrupules de sganarelle

petits galopins en voulaient suffisamment déjà à ma cape. Sans quelques bons coups de pied au derrière, j'en aurais un troupeau à mes trousses...

DON JUAN

Aussi, imbécile, a-t-on idée de se promener en habit de perroquet? Vois Sg-anarelle, comme il sait s'accoutrer avec modestie. N'a- t-il pas remplacé ma livrée par cet honnête habit brun. Va te changer...

LEPORELLO, met à l'envers sa cape bariolée, qui est doublée d'une étoffe sombre, et retourne son bonnet.

Voilà qui est fait, Monseigneur. Qu'en dites-vous?

DON JUAN, riant.

Regarde-le, Sganarelle, il est vraiment méconnaissable... Et maintenant, Leporello, dis-moi pour de bon ce que tu sais de cette mignonne. loge-t-elle? Quels sont les moyens de parvenir jusqu'à elle? en es- tu avec la suivante ?

LEPORELLO

Mais, Monseigneur...

ACTE PREMIER ^

DON JUAN

Comment, tu rencontres une jolie fille, tu n'ig-nores pas que depuis plus de cinq jours je n'ai rien à me mettre sous la dent et tu laisses le gibier te g-lisser entre les doig-ts... Et tu crois que je t'aurai amené de Naples jusqu'ici, vêtu, nourri, payé... {Leporello fait un geste), oui, payé {Leoorello évite la canne levée), pendard, car, enfin, ne viens-je pas de te donner dix écus sur ce que je te dois, et tu oses...

SGANARELLE, recevant le coup de canne destiné à Leporello.

Aïe, aïe. Ah, mon dos! ah, mon échine ! Ah, mes côtes 1

DON JUAN

Ma foi, Sganarelle, je ne Tai pas fait exprès !

SGANARELLE, geignant.

Ah, Monsieur, je suis mort... Un homme de mon âge... Aussi, voilà bien vos façons d'avoir toujours la canne en Tair.

28 LES SCRUPULES DE SGANARELLE

DON JUAN

Bah! cela ne sera rien, Sg-anarellel Songe donc que j'aurais pu très bien te crever un œil ou te casser le nez, et tu en seras quitte avec un emplâtre ou un peu d'onguent.

SGANARELLE

Ah que je soufFre! Ah! Monsieur, je crois que je vais crier.

DON JUAN

Allons, tais-toi... je vais te dédommager.

Il met la main à sa poche. SGANARELLE, redoublant.

Aïe, aïe, aïe !

DON JUAN, se ravisant.

Mais, j'y pense, Leporello, c'est toi qui es la cause des souffrances de ce pauvre Sgana- relle et n'est-il pas juste que je te laisse le plaisir de panser ses plaies? Oui, noble cœur, bénis un maître qui sait te comprendre. Leporello, je te permets de donner à Sgana- relle ces dix écus que je t'ai remis. Puisqu'il a reçu le coup de bâton qui t'était destiné,

ACTE PREMIER 29

qu'il ait l'argent que je t'ai compté et qu'il m'aurait pu réclamer aussi bien que toi.

SGANARELLE

Alors, Monsieur, faites qu'il me le donne devant vous, sans quoi je n'en verrai jamais rien... et mon dos me fait bien mal.

DON JUAN

Il ferait beau que Leporello se dérobât à mes ordres. Allons Leporello !

Leporello présente un écu à Sganarelle, qui le prend, l'empoche et tend la main.

Eh bien, va donc, Leporello. Tu as fort bonne mine ainsi. Courag'e, mon garçon!

Leporello remet à Sganarelle un second écu, puis un troisième.

LEPORELLO

Trois, quatre, cinq.

11 s'arrête. DON JUAN

Finis donc...

LEPORELLO

Ail, Monseigneur, cela vous est facile à

30 LES SCRUPULES DE SGANAHELLE

dire... Six... qu'il est joli, celui-là... Sept... Jamais le Roi n'eut plus noble figure que sur cette pièce neuve... Huit, neuf. Ah voleur! misérable !

11 lance le dixième écu au nez de Sganarelle, qui le rattrape au vol.

SGANARELLE

Grand merci, Mons Leporello.

Il recompte l'argent, bruit de métal. Leporello grince des dents et roule des yeux furieux,

DON JUAN, à lui-même.

Ces deux drôles me répugnent presque également... A quoi sert d'avoir l'âme ardente et hautaine, le cœur plein de désirs, l'esprit habité de chimères délicieuses et brûlantes, la mémoire riche de noms de femmes dont chacune est un souvenir de caresses et de voluptés, à quoi bon être Don Juan, n'avoir voulu supporter aucun délai à ses souhaits, f aucune règle à ses caprices, aucune borne à ses volontés ? Fallait-il passer à travers les obs- tacles, l'or et le fer à la main, pour en être réduit à s'occuper d'accommoder, entre deux

ACTE PREMIER 3l

valets, des querelles ridicules ? Que de choses inexplicables dans la vie, et qui me dira seu- lement pourquoi j'ai compté à Leporello ces dix écus qui appartiennent maintenant à Sga- narelle ? Morbleu, comment ces faquins osent- ils bien se faire payer l'honneur de me ser- vir? N'est-ce point assez que je les nourrisse et les habille, que je les promène avec moi, et que je leur fasse voir le monde à mes dépens? Quel besoin ont-ils d'une part de cet arg-ent dont le tout ne m'est point de trop et dont je ferais meilleur usage à m'acheter des gants et des parfums, des dentelles et des rubans, à soudoyer des duègnes et des suivantes ou à offrir aux femmes de ces petits cadeaux qui aident à en obtenir du re- tour?...

LEPORELLO, qui a écouté ce que dit Don Juan.

Bravo, Monseigneur, voici ce qui s'appelle I parler, et je suis bien de votre avis que nous reprenions à ce gros ladre ces écus dont il n'a que faire...

Il bouscule Sganareile .

32 LES SCRUPULES DE SGANARELLE

SGANARELLE

Au secours, Monsieur, au secours, ou je me vais réfug-ier chez monsieur Géronte.

DON JUAN

Que dit-il ? Qui est-ce que ce Géronte dont lu nous rebats les oreilles ?

SGANARELLE

C'est le propriétaire, Monsieur, de la belle maison qui est là...

DON JUAN

Mais d'où vient que tu sois si familier avec les lieux et les g"ens d'ici, jusqu'à savoir leur nom et leur demeure ?

SGANARELLE

Eh, vous n'en seriez pas étonné si vous m'aviez jamais interrog-é sur mon existence, mais cela vous importe bien? S'enquiert-on d'un valet? Que lui demande-t-on, sinon d'ê- tre ponctuel, empressé et robuste ? Le reste n'est rien à son maître. Qu'il soit heureux, triste ou gai, c'est à son choix! A plus forte raison ne s'occupe-t-on pas des menus détails

ACTE PREMIER

33

de son passé ! Si vous m'aviez témoig-né quelque intérêt à ce sujet, je vous eusse répondu sans détours, et plus d'un n'en eût pu faire autant, et pour cause... (// regar- de Leporello.) Je suis natif de Verrières, Monsieur, et j'y ai coulé la meilleure part de ma vie, au service de ce monsieur Géronte. C'est chez lui que j'ai appris ce que je sais, et les qualités que vous voulez bien me recon- naître me viennent de cet excellent maître. Ah ! la digne maison ! Que tout y était donc propre et luisant, du grenier à la cave, le vin ne manquait pas, et quelle table. Monsieur, si abondante en volailles et en viandes que la desserte en faisait de l'office un lieu de délices, car monsieur Anselme, le frère de monsieur Géronte, était fort porté sur sa bouche ! Quel bon convive et comme il disait : « Sganarelle, repasse-moi donc de ce coulis et redonne- moi de ce rôt ! »

DON JQAN

Et pourquoi donc, maître Sganarelle, avez- vous quitté ce paradis, d'autant que vous

34 LES SCRUPULES DE SGANARELLE

VOUS plaignez avec moi de risquer Tenfer à chaque pas? Vous étiez fort dégraissé des bombances de chez monsieur Géronte, quand je vous rencontrai en Avignon, le corps efflan- qué et les dents longues... Il y a quelque obscurité que je serais curieux que vous m'éclaircissiez.

SGANARELLE

Aïe, aïe, Monsieur, voici ma douleur qui me reprend.

DON JUAN

Cela ne sera rien... Répondez, maître Sganarelle.

SGANARELLE, à part.

Aïe, que dire?...

DON JUAN

Voulez-vous que j'aille interroger là-dessus ce bon monsieur Géronte?

SGANARELLE

Il ne faut pas. Monsieur, mais que vous importent tout à coup les affaires d'un pauvre valet î

ACTE PREMIER 35

DON JUAN

Gomment? tu me reprochais tout à Theure mon indifférence et, maintenant, tu ne peux souffrir ma curiosité. Voilà qui est surpre- nant. Monsieur Géronte me renseignera.. .

SGANARELLE

Restez, Monsieur.

DON JUAN

Mais non, je serai ravi de faire la connais- sance de ce Géronte. Je lui veux présenter mes civilités et le remercier de ce qu'il a fait pour moi. Ne lui dois-je point la perle des serviteurs?

SGANARELLE

Monsieur, demeurez.

DON JUAN

Alors, parle.

SGANARELLE

Je parlerai, mais commandez à Leporello de s'éloigner. {Leporello recule de quelques pas,) Encore! encore, là...

Sgauarelle s'approche de Don Juan et lui parle bas à l'oreille.

30 LES SCRUPULES DE SGANAHELLE

DON JUAN

Je n'entends pas.

SGANARELLE, à mi-voix.

J'ai été marié, Monsieur!...

DON JUAN

Tu as été marié. Mes compliments, Sgana- relle, mais c'était une raison pour ne pas courir les chemins... A moins que... Aurais- tu perdu ta femme ? ^^

Sganarelle fait si|Sfûe que non. SGANARELLE, piteusement.

Vous allez comprendre. Monsieur. Il y avait chez monsieur Géronte une chambrière qui s'appelait Dorine. Elle était sage, fraîche, jolie. Je l'épousai.

DON JUAN, lui prenant le menton.

Voyez-vous, le paillard !

SGANARELLE

Je l'épousai, mais une fois époux... {il hésité) nous ne nous accordâmes pas et nous prîmes le parti de nous séparer. Voilà tout...

ACTE PREMIER 87

DON JUAN

Tu mens, Sganarelle !

SGANARELLE

Je mens, moi!

DON JUAN

Avoue donc.

SGANARELLE

Quoi? {Leporello, avec ses doigts, figure deux cornes et rit.) Tu ris, pourquoi ris-tu? Monsieur, Leporello nous écoute.

DON JUAN

Leporello !

LEPORELLO

Monseigneur m'a ordonné de m'éloigner, mais il ne m'a pas défendu d'entendre. J'ai l'oreille fine.

DON JUAN

C'est vrai, et c'est parfois, j'en conviens, une i\ qualité qui peut être utile ; mais il se vante ; continue, Sganarelle.

4

38 LES SCRUPULES DE SGANARELLE

SGANARELLE

Alors, pourquoi fait-il des signes avec ses doigts ?

LEPORELLO

C'est une habitude de mon pays.

DON JUAN

Allons, finissons-en. . . Eh ! Sganarelle, pour- quoi tous ces ambages? Cela se voit du reste, mon pauvre garçon! {Leporello rit.) Cela crève les yeux. N'est-ce pas, Leporello ?

LEPORELLO

Per Bacco I

DON JUAN

Tu Tétais, Sganarelle.

SGANARELLE

J'étais quoi? Ah! par exemple, voilà qui est fort !

DON JUAN

Que tu l'aies été ?

SGANARELLE

Non! Mais que vous vous en aperceviez.

Leporello lui désigne son front, que Sgaoarelie tâte machinalement.

ACTE PREMIER Sq

DON JUAN

Ecoute, mon pauvre Sganarelle, et retiens bien cela pour ta gouverne. Quand on voit à un homme la figure jaune et longue, le nez bas, les sourcils rejoints et les pieds en dedans, on peut dire à coup sûr qu'il est cocu ; mais eût-il la figure ronde et vermeille, le nez re- levé, et les pieds droits, on ne peut pas assu- rer qu'il ne le soit point, parce que, retiens bien ceci, Sganarelle, les femmes sont si perfides, si dangereuses et si lâches qu'il n'en est aucune qui ne soit capable de trom- per aussi bien l'homme qu'elle aime le mieux que celui qu'elle aime le moins. C'est pour- quoi il importe d'agir en tout avec elles sans ménagements, sans scrupules et sans remords et de ne prendre d'elles que son plaisir, y dussent-elles perdre l'honneur, la beauté ou la vie... Mais au fait, Sganarelle, raconte-moi comment cela t'est arrivé ?

SGAN.VRELLE

Ma foi, Monsieur, c'est bien simple. Mon- sieur Géronte trouvait sans doute ma femme

40 LES SCRUPULES DE SGANARELLE

jolie, car je le surpris, un beau jour, à la serrer de fort près.

DON JUAN, ironique.

Quoi, un si bon maître? un si digne homme? et tu t'osas fâcher contre lui?

SGANARELLE

Non pas, Monsieur, mais contre Dorine.

DON JUAN

A la bonne heure, Sganarelle [/Aux gens de votre espèce ces choses-là ne tirent pas à conséquence et sont tout bonnement un des usages de votre condition. Le lien entre les serviteurs et le maître s'en trouve comme renforcé, et tout est ainsi pour le mieux.

SGANARELLE

Ah! si je n'avais eu que cela à reprocher à Dorine je me fusse tenu coi. Monsieur... Monsieur, quelle heure est-il?

DON JUAN, tirant sa montre.

Il est une heure de relevée, mais pourquoi, diantre, ne portes-tu pas une montre, Sga- narelle?

ACTE PREMIER l\l

SGANARELLE

Parce que je déteste les horlogers.

DON JUAN

Ce sont pourtant des gens utiles et minu- tieux. Tu fais la moue?

SGANARELLE

Il y en avait un qui venait, chaque semaine, chez monsieur Géronte remonter et régler les horloges. Je le vois encore. Monsieur, et ce fut, comme midi sonnait à tous les cadrans, que je le découvris avec Dorine.

DON JUAN

Diantre, mais, outre les horlogers, il devait venir encore bien d'autres personnes chez ce Géronte. Est-ce que? {Sganarelle baisse la tête et la remue,)

SGANARELLE, avec un soupir.

Oh! oui. Monsieur. (// compte sur ses doigts,) Tenez, je ne peux pas vous dire le nombre exact, mais je l'ai, à l'auberge, dans mes papiers... et pensez que tout ce monde

42 LES SCRUPULES DE SfiANARELLE

n'était pas aussi discret que monsieur Gé- ronte. Bref, on jasa; on clabauda... Avez- vous jamais été chansonné, Monsieur?

DON JUAN

Je ne crois pas, Sg-anarelle.

SGANARELLE

Eh bien, je ne vous le souhaite point. Ah! les chansons î Cela vous suit et vous poursuit, vous guette au coin des rues, entre par la serrure, pénètre en votre oreillel Ouf! la tête me bourdonne encore de tous ces cou- plets qui se fredonnaient à Verrières, de la bouche du passant au fausset du galopin...

DON JUAN

Ah, ah, ah! Sganarelle, tu m'amuses. Gag-eons que tu les sais encore, ces chansons ! Mon petit Sg-anarelle, chante-les-moi. J'adore la musique. Leporello me chante des airs napolitains, tu ne peux faire moins que lui. Je suis sûr que tu as de la voix!

SGANARELLE, vexé.

Vous ne voudriez pas. Monsieur.

ACTE PREMIER 4^

DON JUAN

Tâche au moins de te souvenir de Taccom- pagnement...

Un petit pâtissier, portant une corbeille, passe au fond de la place, en sifflant un air. Sganarelle , s'agite et se trouble.

Dis donc, Sg-anarelle, n'est-ce pas cela? Ah, ah, ah! Elles courent encore la ville, tes chansons. Ah, ah, ah!

Sganarelle se bouche les oreilles.

Ici, petit mitron, icil!

SCÈNE III 'les mêmes. LE PETIT PATISSIER

DON JUAN Que sifflais-tu là, petit?

LE PETIT PATISSIER

Une chanson, mon bon Monsieur.

DON JUAN

Et tu en sais les paroles? Dis-les-nous.

44 LES SCRUPULES DE SGANARELLE

LE PETIT PATISSIER

Oh que non, Monsieur, elles sont trop vilaines !

DON JUAN

Pourquoi les chantes-tu?

LE PETIT PATISSIER

Dame, Monsieur, tout le monde les chante ici.

DON JUAN y

Alors tu ne veux pas les répéter?

LE PETIT PATISSIER

Monsieur, j'aurais trop de honte.

SGANARELLE, tirant Doa Juaa par la manche.

Finissez-en, Monsieur, je vous en supplie. Vous voyez bien qu'il est tout roug-e.

DON JUAN

C'est bon, donne-lui un écu,

LEPORELLO

Tiens bien ta corbeille, marmot I

II met la main dans la corbeille et en profite pour dérober deux des tourtes qu'elle contient.

ACTE PREMIER ^5

LE PETIT PATISSIER

Merci, mes bons Messisurs.

On l'entend qui siffle en s'éloi- gnant.

SCÈNE IV LES MÊMES, moins LE PETIT PATISSIER

DON JUAN Bravo ! Sganarelle ! tu es populaire en ce pays.

SGANARELLE

Ils ont une chienne de mémoire en cette chienne de ville, et l'on dirait vraiment que je suis le seul cocu de France!

DON JUAN

Rassure-toi, Sganarelle ; mais n'as-tu point envie d'aller saluer monsieur Géronte et de causer avec lui du bon temps ? Tu aurais raison, car tous ces accidents n'ont guère d'importance et je suis certain que le brave Géronte ne se souvient plus de ces bagatelles. Va donc faire un tour chez lui.

4.

46 LES SCRUPULES DE SGANARELLE

SGANARELLE

Je ne dis pas non, Monsieur, puisque vous n'y voyez pas d'inconvénients, et je ne serais pas fâché de savoir ce qu'est devenue ma gueuse de femme.

DON JUAN

Aurais-tu, malgré, tout conservé pour elle quelque faiblesse de cœur? Cela se trouve, paraît-il.

SGANARELLE

Que non. Monsieur! Mais depuis plus de douze ans que je ne l'ai vue, je serais curieux d'éprouver si je reconnais encore la pendarde. Ah! le temps a la rendre moins fière et moins faraude, et j'aurais plaisir à me mon- trer à elle dans un équipage qui lui prouvera que Sganarelle a su faire son chemin dans le monde.

DON JUAN

Je gage que voilà un gaillard qui croit que les années passées loin d'elle n'ont compté que pour cette Dorine... Sganarelle!

ACTE PREMIER 4?

SGANARELLE

Monsieur !

DON JUAN

Te trouves-tu beau?

SGANARELLE

Ah, Monsieur, je n'ai jamais prétendu cela, mais il en est de plus disgraciés que moi par la nature. J'ai encore mes cheveux, mes dents et...

DON JUAN

Je t'entends. Et, toi, Leporello, que penses- tu de ta figure ?

LEPORELLO, prend un air extasié et modeste.

Je n'ai pas à m'en plaindre. Monseigneur, quand je vois certaines de celles que le ciel a données à certains.

Il regarde Sganarelle et crache par-dessus son épaule. Sganarelle lui montre le poing.

DON JUAN

Voilà bien les hommes ! PaLx, faquins, allez à vos affaires; moi, je vais réfléchir aux mien- nes... Leporello, va m'attendra à l'auberge, et

48 LES SCRUPULES DE SGANARELLE

si ce courrier arrivait, viens me prévenir im- médiatement... Tu me trouveras sur le mail... Cette mort du Commandeur me tourmente un peu et j'en voudrais les suites terminées. Ce n'est pas que ce soit le premier homme que je tue, mais celui-là est d'importance... Les ennuis que nous causent les vivants sont tou- jours supportables, maisjje n'aime guère ceux que nous valent les morts : leur état natu- rel est d'être en repos et de nous jjaisser... Mais tout cela ne peut manquer de finir bien- tôt et, au lieu de réfléchir à ces soucis, je ferais mieux de m'en distraire..

Il fait quelques pas, puis, se ravise,

Sganarelle! LeporelloI

LEPORELLO

Monseigneur !

SGANARELLE

Monsieur

II se plante devant eux, la main sur la garde de son épée, l'air arrogant et hautain.

DON JUAN

Coquins! regardez-moi.

ACTE PREMIER 4 9

SGANARELLE

Voilà, Monsieur.

LEPORELLO

Voilà, Monseigneur.

DON JUAN, haussant les épaules, à part.

Qu'allais-je faire... Quoi, Don Juan, vas-tu consulter cette canaille ! N'as-tu pas toujours le jarret nerveux, la main fine, le corps souple et robuste, le visage beau, les yeux ardents et sombres, cet air de force, de har- diesse et de volupté qui attire à toi les cœurs? Pardieu, Don Juan n'est-il pas toujours Don Juan, et tant pis pour ceux et pour celles que le destin place au-devant de mes fantaisies ou en travers de mes désirs !

Il pivote sur ses talons et tourne brusquement le dos à Sganarelle et à Leporello, interloqués.

SCÈNE V LES MÊMES, moins DON JUAN

SGANARELLE, à part.

Hum ! hum 1 mon maître a quelque chose aujourd'hui!...

LES SCaUPULES DE SGANARELLE

LEPORELLO, de même.

Le Seigneur Don Juan ne me paraît pas comme à son ordinaire!...

SGANARELLE, de même.

Cette affaire du Commandeur le préoccupe plus qu'il ne voudrait Favouer. Tout cela pourrait tourner mal, et j'en serais fâché pour lui.

LEPORELLO, de même. _y

Il y a du Commandeur sous roche. Qui sait comment tout cela finira? Il sera prudent de se mettre à l'abri. Je n'aime g^ère les ren- contres avec Dame Justice... mais taisons- nous devant cet imbécile.

Il observe Sganarelle. SGANARELLE, inquiet.

Pourquoi ce maudit Italien me regarde-t-il en dessous?

Ils s'examinent tous les deux avec défiance.

LEPORELLO, haut.

Sganarelle ! . . . Sg-anarelle I

ACTE PREMIER ^I

SGANARELLE, prisant, à part.

Voyons il veut en venir!

LEPORELLO

Mon petit Sganarelle! Es-tu sourd?

SGANARELLE

Non,maisj'ai Toreille moins fine que vous, Monsieur l'écouteur.

LEPORELLO

Tu es fâché... Faisons la paix, Sganarelle.

SGANARELLE, bougon.

La paix!... la paix.(yl part. )Ou\Tons Toeil.

LEPORELLO

Sganarelle, je puis te dire maintenant que cela ne se voit pas tant... C'était pour t'a- gacer.

SGANARELLE

Ne se voit pas tant... quoi?

LEPORELLO

Tu sais bien...

Il lui fait les cornes.

52 LES SCRUPULES DE SGANARELLE

SGANARELLE

Ahl je n'y songeais déjà plus.

LEPORELLO

Et tu as raison... Tu as malgré cela très bonne tournure et tout à fait Tair d'un hon- nête homme. Ah ! si j'avais ta mine ! Tu me plais beaucoup, au fond, Sganarelle... Tu ne réponds rien... {S ganar elle prise. )ieit trouve doux, simple, bon... Là, es-tu content? Eh bien oui, je n'ai peut-être pas toujours pensé ainsi, je l'avoue... Je te trouvais bête.

SGANARELLE

Grand merci !

Poltron...

Fort bien ! Avare...

LEPORELLO

SGANARELLE

LEPORELLO

SGANARELLE

Allons, ferme! poussez, mons Leporello.

LEPORELLO

Oui... tout cela, je l'ai pensé de toi et le

ACTE PREMIER

53

reste que je te passe. Quant à ta figure, je ne pouvais pas m'y habituer, mais cela n'a pas tenu... En peut-on vouloir à quelqu'un d'ê- tre laid, si on le sait patient, ser^dable, déli- cat?

SGANARELLE

Je suis, en effet, un peu tout cela, mais moins que tu veux bien le dire, mon pauvre Leporello, et toi-même pour être franc, je commence à croire que je t'ai bien mal jugé. Je te croyais fourbe, insolent, plat, mais je m'aperçois que mon erreur tenait à la couleur olivâtre de ta peau, à la bassesse de ta mine...

LEPORELLO, bas.

Ah, pendard!

SGANARELLE

Oui, mon ami, ce nez retroussé, ces yeux louches ne préviennent pas en ta faveur, mais je reconnais volontiers que j'avais tort.

LEPORELLO

Bah! Embrassons-nous, Sganarelle, et met- tons fin à nos inimitiés. Unissons-nous pour servir Don Juan, un si bon maître...

54 LES SCRUPULES DE SGANARELLE

SGANARELLE

Tu dis vrai, Leporello, et bon gentilhomme par-dessus le marché î

LEPORELLO

Et bon cœur, sous ses dehors légers 1

SGANARELLE

Et qui sait se faire respecter des hommes !

LEPORELLO

Et écouter des femmes!

SGANARELLE

Et des filles!

LEPORELLO

Et qui ne redoute personne au monde, pas même... car, Sganarelle, il est impie.

SGANARELLE

Athée même.

LEPORELLO

Il doute du diable.

II se signe. SGANARELLE, de même.

Il ne croit pas à Dieu.

ACTE PREMIER 00

LEPORELLO

Vois-tu, Sganarelle, Don Juan est Don Juan, et il n'est pas tenu aux usages du commun.

SGANARELLE

Certes !

LEPORELLO

Et quel homme ! Ce n'est point du sang", mais du feu qu'il a dans les veines. Avec lui, jamais un moment de repos! Un jour, ici; un jour, ! Partout, des aventures, des intri- gues ! A peine arrivé quelque part, il y fait des siennes. Il a toujours en tête quelque projet nouveau qu'il exécute en dépit de tous les obstacles et au mépris de tous les dangers. Aussi ne peut-il jamais demeurer en place. On dirait que le pavé lui brûle les talons. Preste ! en route ! Et encore tout est bien quand on peut déguerpir dans un bon carrosse et qu'on n'en est pas réduit à décamper à franc étrier, en laissant derrière soi des créanciers qui glapissent, des dupes qui se lamentent... Ah ! les beaux tours, Sganarelle, les belles tromperies, les beaux stratagèmes !...

56 LES SCRUPULES DE SGANAHELLE

SGANARELLE

Les beaux enterrements I

LEPORELLO

Et les rapts !

SGANARELLE

Et ces simples petites séductions qui n'ont Tair de rien...

LEPORELLO

Et qui finissent sur le pré... Ah, Sganarelle, quel spectacle ! Est-il rien de plus noble à voir que le seigneur Don Juan, Tépée à la main ! Quel poignet de fer, et ce froissement des lames et ce magnifique coup, quand il a tué le Commandeur! La pointe lui sortait d'un pouce entre les deux épaules..

SGANARELLE

Oui, oui... n'empêche que je crains bien qu'il ne lui arrive malheur quelque jour, et à nous aussi. Ce n'est pas en vain, Leporello, qu'on outrage ainsi les lois humaines et divi- nes. Il vient un moment tout se paye et qui sait si ce terme est bien éloigné. Le Gomman-

ACTE PREMIER O'J

deurî il me semble que j'entends encore sa voix forte ! Don Juan a-t-il assez ri à ses remontrances ! Je sais bien que le sort, cette fois encore, a favorisé notre maître et que l'autre repose maintenant sous la dalle... Mais crois-moi, Leporello, cette affaire-là n'est pas finie... D'ailleurs, que Don Juan obtienne de ce crime la grâce qu'il sollicite, penses-tu que cela mette un terme à ses exploits?... D'autres occasions viendront, et qui nous assure que nous ne tomberons pas avec lui en des embar- ras d'où il saura sans doute sortir, mais d'où il ne fera rien pour nous tirer?

LEPORELLO goguenard.

Il y a du vrai dans ce que tu dis, Sgana- relle, d'autant que, pour tous les risques que nous courons, le seigneur Don Juan ne nous donne que des gages misérables et qu'il fait difficultés à nous payer. A ce propos, pour- rais-tu, puisque la paix est faite entre nous et que nous voilà comme les doigts de la main, pourrais-tu, Sganarelle, me prêter un petit écu?

58

LES SCRUPULES DE SGANARELLE

SGANAHELLE, faisant un saut en arrière et à part.

Morbleu, la peste soit^ des raccommode- ments! {Haut.) Me prenez-vous pour un sot, si^nor Leporello ! Ah ! c'était que vous en vouliez venir?... c'était que tendaient vos flatteries, et vos paroles mielleuses? Ah, vous en aviez à mes écus, monsieur l'Italien ! Arrière, arrière, et à bas les pattes, s'il vous plaît !

LEPORELLO

Supposais-tu donc, imbécile, que j'en eusse à tes beaux yeux ? Quoi, tu as plus de quarante ans, et tu es demeuré naïf comme tu le mon- tres? Cela ne m'étonne plus que ta femme t'ait fait porter des cornes.

Il marche sur Sganarelle qui recule.

Cocu! val

SGANARELLE

Cocu, cocu, n'est pas cocu qui veut! As- tu seulement, toi, trouvé une guenon qui con- sentît à épouser ton museau de singe! Cocu, si cela vous plaît à dire, mais mon argent restera dans ma poche, il est...

ACTE PREMIER î)^

LEPORELLO

Etj si j e te serrais le cou avec mes deux mains , crois-tu que je ne te ferais pas rendre gorge?

SGANARELLE

Oh! que nenni, monsieur l'étrangleur ! Nous ne sommes point ici àNaples, dans votre pays, Ton coupe les bourses en plein midi, sans que personne y prenne garde, et Ton assas- sine les gens en pleine rue, sans que nul ne s'en soucie... Ici, nous sommes en royaume de France et dans la bonne ville de Verrières, il y a des juges et un Guet. Touche-moi donc, et tu verras comme j'appellerai au secours. J'ai la voix forte, Leporello, quoique d'ordinaire je parle bas par modestie et par politesse... Me vois-tu, appelé en témoignage et en demeure de dire ce que peut bien être cette espèce de moresque venu on ne sait d'où? Comment pourrais-je faire autrement que de parler? Te rappelles-tu, Leporello, cette petite affaire de Lyon, tu escroquas si galamment le dépôt confié à tes soins?...

6o LES SCRUPULES DE SGANA.RELLE

LEPORELLO, inquiet.

Chut!

SGANARELLE

Et quel est donc le nom de cet honnête drapier de Dijon? Ah oui, il me revient...

LEPORELLO

Tu plaisantes, Sg-anarelle.

SGANARELLE

Je plaisante, et ce jeune garçon de Montpel- lier?

LEPORELLO, haut.

Eh! tu m'excèdes, vieux radoteur, garde tes souvenirs, tes écus et tes cornes. Adieu, coquin I

SGANARELLE

Adieu, coupeur de bourse, filou, bardachc !

LEPORELLO, à part.

Adieu, Sganarelle !

Il lui donne une bourrade. SGANARELLE

Je vais me plaindre au seigneur Don Juan.

à

ACTE PREMIER 6l

LEPORELLO

Vas-y donc, rapporteur, cafard, poule mouil- lée!

Ils sortent en se gourmant et heurtent au passage Anselme, qui entre en scène.

i

SCENE Vl ANSELME, seul.

ANSELME

Ah ! ça, prenez donc garde de ne pas bous- culer ainsi les gens... Je n'ai jamais vu en- geance moins civile. Ah! je ne reconnais plus le Verrières du temps de ma jeunesse ! Chacun y marchait par les rues posément. On s'évitait avec des façons courtoises, et, s'il arrivait qu'on s'abordât, on ne manquait pas de s'en excu- ser le chapeau à la main. Maintenant, tout est changé et on rencontre sur les places d'étran- ges figures... Il me semble qu'une de ces deux- ne me soit pas tout à fait inconnue, mais

5

02 LES SCRUPULES DE SGANARELLE

Tautre a un aspect hétéroclite qui n'est point d'ici, ni de ce pays. Il en est d'elle comme de cette sorte de gentilhomme que j'ai croisé en allant chez Léandre et qui, si j'en juge par son habit et par son teint, pourrait assez bien être espagnol... Ouais! ces présences d'étran- gers n'apportent rien de bon ici et n'annon- cent rien de meilleur de là-bas, d'où ils vien- nent, car c'est une marque de désordre, dans ses affaires comme dans son esprit, que de courir ainsi le monde... Mais les^coutumes d'à présent ne sont plus celles de jadis. Tout change, hélas ! et le changement s'introduit aussi dans nos maisons et dans les mœurs qui les gouvernent. Il y a telles choses des nou- veaux usages auxquelles je ne m'accoutume- rai jamais, ne serait-ce qu'à voir, comme ce matin, ma nièce Angélique seule par les rues et les boutiques, en compagnie de Dorine, qui n'est certes point un chaperon suffisant, sur- tout maintenant que l'on peut faire à Verriè- res de fâcheuses rencontres comme celle de ces deux hommes de tout à l'heure... Mais il faut que je touche un mot à mon frère sur ce

ACTE PREMIER 63

sujet. Il doit être chez lui en ce moment, et je ne me retiendrai pas de lui dire mon avis sur ce point, dût-il en jeter les hauts cris.

Il se dirisre vers la maisoii de Géronte. -

ACTE II

SCÈNE PREMIÈRE

ANSELME, GÉRONTE. Us sortent ensemble de la maison de Géronte.

i

■^ ANSELME

Je ne veux pas vous retenir, mon frère, puisque vous étiez au moment de sortir, et je peux vous accompagner dehors, si ma compa- gnie ne vous incommode pas et si je ne vous suis pas importun.

GÉRONTE

Bien au contraire, et j'ai grand plaisir à vous voir. L'occasion en est rare, car vos visi- tes ne sont pas fréquentes, mon frère...

ANSELME, modestement.

C'est que celles que j'ai le devoir de rendre

5.

C6 LES SCRUPULES DE SGANARELLE

aux pauvres me prennent beaucoup de mon temps.

GÉRONTE

Je ne vous en blâme pas, mon frère; je me plains seulement qu'elles me privent de vous. Je ne vous aperçois plus guère qu'à la messe, le dimanche, et encore y êtes-vous si absorbé que je distingue à peine votre visage. Certes, Anselme, j'ai trop de religion pour vous re- procher d'être dévot, mais votre nièee Angé- lique vous réclame souvent. Ne trouvez- vous donc pas qu'elle est jolie et qu'il y a plaisir à la regarder?

ANSELME, avec fermeté.

Il y a aussi du plaisir, mon frère, à obser- ver, sur le visage des malheureux, la joie du bien qu'on leur fait.

GÉRONTE

! Je n'en doute pas, mais je vous avoue, à ma honte, que je ne suis guère capable de supporter la vue de ces misères. Sans être plus mauvais qu'un autre, le spectacle de ces

ACTE H 67

fioures souffreteuses et faméliques me rompt les bras et les jambes et me tire l'estomac dans le ventre. Cela est plus fort que moi, et, quand je rencontre un mendiant, je lui donne mon obole sans le regarder. Pensez à la mine que je ferais dans leurs taudis et leurs galetas. Je ne saurais me retenir de leur montrer mon dégoût, et ma présence, au lieu de les encou- rager à supporter leur sort, le leur rendrait plus odieux par cette répugnance que je ne pourrais leur cacher qu'ils m'inspirent. .. Ah, je ne prétends pas, mon frère, opposer ma faiblesse à votre fermeté . Je vous la dis seule- ment, telle que je l'éprouve et j'accepterai l'opinion qu'il vous plaira d'en prendre...

ANSELME

Loin de moi, mon frère, l'idée de vous ju- ger, mais je constate avec chagrin que vous êtes encore bien engagé dans les voies du monde. Fasse le ciel que quelque malheur par- ticulier ne vous rende jamais plus compatis- sant à celui des autres ! Les fortunes humaines sont diverses et changeantes, et personne n'est à l'abri des traverses et des chagrins.

68

LES SCRUPULES DE SGANARELLE

GÉRONTE, inquiet.

Que voulez-vous dire, Anselme? Sauriez- vous quelque chose qui me concernât et dont je n'eusse point à me 'réjouir?

ANSELME

Mais, non... mais non...

GÉRONTE

Voyons, parlez, Anselme, pourquoi cet air de réticence. J'ai du courag^e dans letaractère, et je saurais, tout comme un autre, suppor- ter une fâcheuse nouvelle.

ANSELME, faiblement.

Je vous assure.

GÉRONTE

Là, vous voyez bien... x\llez,je vous écoute, Anselme, je vous écoute... cependant, s'il n'est pas tout à fait nécessaire que je sois informé de ce que vous semblez hésiter à m'apprendre, je vous rendrai grâce de le garder pour vous. Ce sont des choses que l'on sait toujours assez tôt et...

ACTE II 69

ANSELME

Vous avez une fausse impression, Géronte, et je n'ai rien de fâcheux à vous annoncer. D'ailleurs, que pouvez-vous redouter ? N'êtes- vous pas le plus heureux des hommes? Votre corps est robuste et sain.

GÉRONTE, se déridant.

Ma foi!

ANSELME

Vous avez l'estomac puissant et le ventre ponctuel, la mine rubiconde.

GÉRONTE, épanoui.

C'est vrai.

ANSELME

La bourse pleine.

GÉRONTE, méfiant.

Eh I cela vous plaît à dire.

ANSELME

Une maison fournie de tout ce qu'il faut pour y vivre commodément : bons meubles, l)eau linge, fine table...

I

70 LES SCRUPULES DE SGANARELLE

GÉRONTE

Votre place y est marquée, mon frère.

ANSELME

Et, enfin, à toutes vos prospérités s'ajoute, pour réjouir vos yeux, Taimable sourire de l'aimable Angélique...

GÉRONTE

Oui, Anselme, cette enfant est la joie et la consolation de ma vie, et, si sa naissance m'a causé plus d'un pleur, elle en a bien effacé les traces. Ah 1 que ma pauvre Bélise serait donc aise de cette fille qui lui a coûté la vie ! Quant à moi, Anselme, s'il m'arrive de regretter ma chère défunte, je me ravise en regardant mon Angélique : même visage, même teint, même taille... C'est ma pauvre Bélise en per- sonne, et avec une jeunesse qu'elle n'aurait plus à cette heure sa figure me rappelle- rait à moi-même que mon bel âge est passé depuis longtemps, tandis que le spectacle de cette petite me regaillardit gentiment. Enfin, mon cher Anselme, ajouterai-je que cette fille adorable, quijoue du luth comme un Ange du

ACTE II "7 I

ciel et danse comme une Nymphe de la fable, est, de plus, une ménag^ère accomplie? Elle s'occupe de notre maison avec une prudence et une habileté au-dessus de l'éloge. Elle a Tœil au moindre détail. Et adroite, et éco- nome... Elle va elle-même chez les fournis- seurs et en obtient tout, au plus juste prix . Aussi, necrains-je point d'affirmer, Anselme, que votre nièce est sans rivale au monde et qu'il n'y a personne qui ne m'envierait un pareil trésor.

ANSELME

Eh ! c'est justement, que j'en serais venu si vous n'y étiez arrivé de vous-même . Croyez-vous donc qu'il soit si sage que vous le pensez de laisser votre fille battre le pavé, en- trer dans les boutiques, discuter aux comp- toirs, parler librement avec toutes sortes de gens, courir la rue et le marché, comme elle fait, en butte aux regards et aux propos, et exposée aux rencontres de toute espèce...?

GÉRONTE

Mais, mon frère, quelle mouche vous pique

LES SCRUPULICS DE SGANAKELLK

et voici du nouveau!.. Qui donc serait si hardi et si méchant que de faire injure à la fille de Géronte? Que diable 1 Vivons-nous chez les Hurons et...

ANSELME

Aussi, n'est-ce point d'injures qu'il s'agit, mais, tout au contraire, de ces compliments de la langue et des yeux qui ne sont point sans danger. Oui, ces regards agaçants et doucereux, ces paroles équivoques...

GÉRONTE, riant.

Ah 1 ah! mon frère, vous perdez l'esprit. Ah! ahl ahl la belle idée que vous avez là. Ah ! ah ! ah ! Laissez-m'en rire tout mon saoul, comme vous en ririez avec moi si vous con- naissiez mieux votre nièce. Rassurez-vous, mon bon Anselme. Angélique, à son âge, est l'innocence même, et tous ces beaux manèges dont vous parlez seraient perdus avec elle. Elle ne comprendrait pas ce qu'on lui veut et les galants en seraient pour leurs frais.

ANSELME

Fort bien, fort bien, mon frère, restons-en

ACTE II 78

là, puisque vous le prenez ainsi, mais, si quel- que événement fâcheux se produisait jamais, n'oubliez pas que je vous aurai averti. Les filles, quoi que vous en puissiez penser, sont mieux à la maison que dans la rue...

GÉRONTE

Pour le coup, Anselme, je vous comprends de moins en moins. Quoi, vous auriez souhaité que j'enfermasse Angélique entre quatre murs? Vrai Dieu, votre prudence m'étonne et je ne vous ai pas connu toujours d'une humeur aussi farouche...

ANSELME

Poussez, poussez, la raillerie vous est fa- cile, mais qui vous assure qu'il ne soit point sans m'en coûter d'être sévère aux autres, quand j'aurais tant de raisons de l'être à moi- même? Cependant, ce que je vous ai dit n'est que pour votre bien, et, tenez, laissez-moi, puisque nous sommes sur ce chapitre, l'a- chever par quelque chose que j'ai sur le cœur...

6

74 LES SCRUPULES DE SGANARELLK

GÉROiNTE

Eh! faites donc, mon frère, je vous prie et ne vous g-ênez point.

ANSELME

Eh bien ! Géronte, je vous dirai donc fran- chement que cela me fâche de voir notre Angélique accompagnée partout par Dorine et que...

GÉRONTE

Halte là, mon frère, cessons ce propos, si vous le voulez bien. Que vous blâmiez ma conduite au sujet d'Angélique, passe encore ! mais cette pauvre Dorine qu'avez-vous donc à lui reprocher? N'est-elle pas fidèle, dévouée et depuis longtemps à mon service? Ai-je jamais eu lieu d'être mécontent de ses soins ? Demandez à votre nièce si elle n'a pas tou- jours eu à se louer d'elle? Ah I je sais bien d'où vient votre prévention à son ég'ard ! Vous en êtes encore aux visions de cet imbécile de Sganarelle! Ehl qu'importe que ce niais ait pris la mouche et soit parti de Verrières sur des ragots et des billevesées I

AGT;:; II

ANSELME

, , comme vous vous échauffez !

GÉRONTE

Je ne m'échauffe pas, mais enfin...

. ANSELME

Enfin, mon frère, n'est-il pas au moins sin- gulier qu'ayant g-ardé cette fille chez vous, malgré la rumeur publique, vous Tayez choi- sie comme suivante à votre Angélique? Car Dorine, quoi qu'il en puisse être réellement, est cependant une personne dont le mari dé- clarait son malheur à qui voulait l'entendre et dont le nom orne les couplets de chan- sons gaillardes que sifflent encore aujour- d'hui tous les petits polissons d'ici.

GÉRONTE

Peste, mon frère, il me semble que vous vous animez bien, à votre tour! Je ne vous ai pas toujours connu si farouche et n'avez- vous pas vous-même à vous reprocher quel- ques écarts de jeunesse?

ANSELME

Je ne les nie pas, mon frère, mais, vous,

7^ LES SCRUPULES DE SGANARELLE

n'est-il pas honteux que vous conserviez en- core,pour certaine personne, des attachements qui ne sont plus de votre âg-e...

GÉRONTE

Eh bien, et quand cela serait ? Tout g-rison que je suis, j'ai de la bonne humeur et de la santé et il ne me déplaît pas...

ANSELME

Fort bien, Géronte... et Ang-élique ?

GÉRONTE, inquiet.

Angélique ? mais pouvez-vous penser qu'elle se puisse douter de quelque chose I C'est une enfant ; je vous le dis et vous le répète. . .

ANSELME

Une enfant... une enfant... mais vous ne vous rendez point compte que les enfants grandissent. Tenez, mon frère, quittons ce sujet de Dorine et revenons-en à Ang-élique. Vous me vantiez tout à l'heure sa figure. Oui, ce visage délicat et charmant, ce regard doux et tendre... Vous ne me ferez pas croire, Géronte, qu'une fdle de cet air et de cette com-

ACTE II 77

plexion ne s'intéresse qu'au ménage et n'ait en tête que le menu de vos repas. Allons donc, pensez-vous qu'elle n'ait pas lu quelques ro- mans et qu'elle s'en tienne à l'almanach !

GÉRONTE

Euh ! Euh ! attendez... il me semble que je lui vois souvent un livre entre les mains... Il faudra que je regarde par-dessus son épaule.

ANSELME

Et dans la rue, êtes-vous certain qu'elle n'ait jamais rencontré quelque beau garçon ? Un billet doux est bien vite glissé.

GÉRONTE, à part.

D ian tre , il a peu t-être raison . . . J'ai rem arqué en effet qu'elle écrit souvent. Je pensais que ce fussent des recettes de petits plats. Il fau- dra que je m'en assure.

ANSELME

Franchement, Géronte, convenez de votre imprudence. Vos yeux s'ouvrent, mon frère. Que dites-vous maintenant de ce vieux rado- teur d'Anselme ?

78 LES SGRUPULliS DS fcGANAHELLE

GÉRONTE, le prenant par le bras.

Il me semble que la tête me tourne, An- selme. Ma fille !...

ANSELME

Que feriez-vous, si un homme parlait à votre fille ?

GÉRONTE

Ah I Anselme !

ANSELME

S'il lui remettait un poulet ?

GÉRONTE

Anselme I

ANSELME

S'il lui donnait un rendez-vous ?

GÉRONTE, agité.

Et Ang-élique qui n'était pas rentrée tout à l'heure... Je vais voir à la maison.

ANSELME, le retenant.

Et un rendez-vous en amène un autre...

GÉRONTE

Anselme I

ACiE II 79

ANSELME

Et les promesses veulent des gages.

GÉRONTE

Anselme !

- ANSELME

On voit, mon frère, des filles séduites .. .

GÉRONTE

Anselme, Anselme, sauvez-moi. Que faut- il faire ?

ANSELME

Réfléchir à votre conduite et à votre cou- pable négligence. Voyez-vous votre fille per- due, Géronte, enlevée.

GÉRONTE, affolé.

Ma fille Angélique, ma fille ! est-elle ? Qu'on me la rende !

ANSELME

Calmez-vous, mon frère, tout cela n'est pas encore fait, mais ce n'en sont pas moins des choses assez communes et qui arrivent tous les jours... Léandre, que vous connaissez, et

8o LES SCRUPULES DE SGANARELLE

qui est un gentilhomme de grand mérite, m'entretenait récemment de l'histoire de la nièce de ce Commandeur qui fut séduite par un seigneur espagnol nommé Don Juan. Les cho- ses prirent un tel tour que le Commandeur appela Don Juan sur le terrain et trouva la mort en cette rencontre...

GÉRONTE

Le Commandeur a été tué, Anselme? C'était l'oncle de la jeune fdle, comme vous êtes l'on- cle d'Angélique. Ah, je suis certain, Anselme, que vous donneriez votre vie de bien bon cœur pour défendre l'honneur de votre nièce. Vous vous êtes toujours montré bon parent.

ANSELME

Je suis aise que vous le reconnaissiez, Géronte. Aussi ne me repens-je pas de vous avoir parlé. Il me semble que vous voilà plus raisonnable.

GÉRONTE

Raisonnable, vous allez voir, mon frère, que

ACTE II 8l

je le suis. D'abord plus de sorties, plus de promenades, plus de visites, plus de séances aux boutiques, plus de messes et plus de vê- pres. Ensuite, jeVais, de ce pas, mander le ser- rurier qui posera aux portes de bons verrous d'un pied de long- et de bons petits judas gril- lés, en même temps qu'on garnira les fenêtres de bons volets pleins avec de bons gros cade- nas. Et enfin, je ferai venir de chez l'armu- rier une paire de pistolets, quatre mousquets et une rondache. Après quoi monsieur le Su- borneur pourra se présenter chez moi, il y sera reçu de belle manière, non point à la pointe de l'épée ce qui expose aux mauvaises ripos- tes — mais par de bonnes balles de plomb qui font leur ouvrage à distance. Sans compter que je vais avertir le Guet de surveiller les abords de la maison. Le Serg-ent est de mes amis.

Il se gralte la te te. A part.

Ouais, et même il parle assez souvent avec Dorine. Je n'aime pas cela, (//a?/^) Que dites- vous, mon frère, de mes projets? Ne vous paraissent-ils point sages ?

6.

82 LES SCRUPULES DE SGANARELLE

ANSELME, réservé.

Certes.

GÉRONTE

Judicieux ?

ANSELME

Oui, oui... cependant...

GÉRONTE

Mais...

ANSELME -^

Euhl

GÉRONTE

Voyons, il y a quelque chose. Dites.

ANSELME

Eh bien I mon frère, pour être franc sur ce que vous vous proposez, j'y vois un inconvé- nient .

GÉRONTE

Lequel?

ANSELME

C'est que toutes ces belles réformes ne seront peut-être pas au goût d'Angélique. Elle

k

ACTE II 83

est habituée à beaucoup de liberté. Elle se plaindra.

GÉRONTE, perplexe.

Je voudrais bien voir !

ANSELME

Elle récriminera.

GÉRONTE

Suis-je son père, ou non ?

ANSELME

Elle pleurera.

GÉRONTE, ébranlé.

Vous croyez ?

ANSELME

Vous aurez à supporter des reproches, des scènes, des larmes.

GÉRONTE, soucieux.

Ah!

ANSELME

Elle vous traitera de tyran, de bourreau. Que sais-je encore...

84 LES SCRUPULES DE SGANARELLE

GÉRONTE

Il est vrai qu'il est bien affreux de n'avoir qu'une fille, la plus douce, la plus aimable, la plus innocente des créatures et d'être forcé de la tenir prisonnière. Ah! cruelle nécessité I Mon frère, conseillez-moi.

ANSEl^ME, après un silence et hésitant.

Je vois bien un moyen, mais je crains qu'il ne vous plaise guère.

GÉRONTE

Enseignez-le-moi toujours.

ANSELME

Eh ! Géronte, que ne mariez-vous votre fille?

GÉRONTE

J'avoue, mon frère, que je n'y avais pas pensé et qu'un pareil parti me coûterait fort. Marier ma fille, Anselme, et qui donc me ren- dra à sa place les petits soins dont elle me gâte? N'est-il pas juste que je profite de ses petites gentillesses et ne concevez-vous pas que j'éprouve quelque répugnance à me séparer de cette enfant?

ACTli II

85

ANSELME

Fort bien, mon frère, n'en parlons plus, mais vous voilà tout rembruni et je gage qu'à présent la surveillance d'une fille ne vous paraît pas la chose du monde la plus aisée. sont maintenant les verrous «, les cadenas et les mousquets?

GÉRONTE

Pardieu, monsieur mon frère, me croyez- vous une girouette! Certes, je ferai tout ce que j'ai dit et il faudra bien qu'Angélique s'en accommode.

ANSELME

Comme vous voudrez... mais ne craignez- vous pas qu'Angélique, à se voir ainsi envi- ronnée de barrières, ne prenne d'elle-même une idée qu'elle n'a peut-être point? Et quand, plus tard, vous lui voudrez faire épouser quelque honnête homme, elle ne lui trouvera point cette figure de héros de roman qui con- vient à délivrer les belles enfermées.

GÉRONTE

Il faudra bien qu'elle en passe par je

86

LES SCRUPULES DE SGANARELLE

voudrai et vous ne prétendez pas que je con- sente jamais à donner ma fille à quelque fat?

ANSELME

Non, mon frère, non, et je suis en cela de votre avis. Le mari qui convient à Angélique doit être à la fois raisonnable et tendre, savoir la guider et la conduire, cultiver son esprit et satisfaire son cœur. Je verrais même volon- tiers qu'il ne fût plus de cette première jeu- nesse où le caractère n'est pas formé.

GÉRONTE

Vous avez raison.

ANSELME

Je souhaiterais un homme sérieux.

GÉRONTE

C'est cela.

ANSELME

Honnête.

GÉRONTE

Oui, oui.

ANSELME

Pieux.

ACTE II 87

GÉRONTE

Oui, mais le trouver?

ANSELME

Que vous importe, puisque vous ne voulez pas marier Angélique?

GÉRONTE

Je n'ai pas dit cela... Tenez, Anselme, à vous parler franc, il me semble que si vous me proposiez ce mari dont vous me faites la peinture... oui, sage, honnête, pieux...

ANSELME

Eh, mon frère, qu'y aurait-il donc de si surprenant à ce que vous en découvrissiez un pareil?

GÉRONTE

Eh, mon frère, voulez-vous que je le prenne, cet oiseau rare, à moins que vous ne sachiez il niche ?

ANSELME

Comment, Géronte, ce portrait que je vous traçais tout à l'heure ne vous fait donc songer

88 LES SCRUPULES DE SGANARELLE

à personne? Réfléchissez un peu, mon frère, et ne conviendrez-vous point qu'il s'applique trait pour trait à Léandre?

GÉRONTE

Léandre! mais il est gentilhomme.

ANSELME

Certes, et de fort bonne maison.

GÉRONTE

Je ne nierais pas, en efl"et, que ce ne fût un fort bon parti et dont nous fussions tous honorés, mais avez-vous songé à ces diff'éren- ces de conditions qui rendent mal assorties des unions les plus faites autrement pour l'être le mieux ?

ANSELME

Léandre, mon frère, n'est pas un de ces pe- tits esprits entichés de noblesse. S'il n'est pas indiff'érent à l'avantage de sa naissance, il est sensible au mérite et à la vertu. Il connaît An- gélique depuis son enfance, et la beauté de votre fille lui cause une vive impression. J'ai démêlé à ses conversations ce qui se passe dans

ACTE II 89

son cœur. Ce serait entièrement la sorte de gendre qu'il vous faudrait. Il doit venir vous voir aujourd'hui et cherchera entre tenir Angé- lique. Favorisez cet entretien. Surtout, quand vous verrez Léandre, n'ayez point l'air de soupçonner ses projets. Avant de vous parler de rien, il veut consulter le cœur d'Angélique. Je ne doute pas qu'elle ne lui réponde favora- blement. Sans être beau,Léandre est de figure douce et agréable. Ce mariage se fera, mon frère, et ce sera la fin de vos tracas et le terme de vos soucis.

GÉRONTE

Puissiez-vous dire vrai, Anselme, et venez que je vous embrasse. Vous êtes un bon frère et il faut bien que j e vous pardonne le tracas vous m'avez mis. Tout cela m'a ému, et je ne me sens point à mon ordinaire. J'ai let:œur tout barbouillé.

ANSELME

Allons, Géronte, remettez-vous... Moi, je vous quitte pour quelques visites à faire à mes

90 L!iS SCaUPULES DE SGANARELLE

pauvres. Ne me donne rez-vous rien à leur distribuer en l'honneur de cette belle journée ?

GÉRONTE, tirant sa bourse.

Diable d'Anselme qui me prend ma fille pour la donner à Léandre et mes écus pour en faire largesse aux gueux î . . Mais quelle est cette bizarre figure ?...

SCÈNE II y

LES MÊMES, SGANARELLE. Il a un emplâtre sur l'œil et s'approche de Géronte.

GÉRONTE, sa bourse à la main.

Passez, mon ami, passez. Je n'ai rien avons donner. [A Anselme,) Il vaut mieux garder ses aumônes pour les gens d'ici. Ces vagabonds les empochent, n'en disent mot, et personne ne sait rien de ce qu'on a fait pour eux.

SGANARELLE

Ahl monsieur Géronte.

GÉRONTE, à Anselme.

Et d'où donc me connaît-il?

ACTK II 01

SGANARELLE

Bonjour, monsieur Géronte.

ANSELME

Cette voix, cette fig-ure longue, ce nez tom- bant, ces gros sourcils, mais c'est l'homme de tout à l'heure. Il me semblait bien que je l'a- vais \u déjà quelque part. Et vous, Géronte, ne le reconnaissez-vous pas ? Comment, c'est toi, Sganarelle?

GERONTE

Sganarelle !

SGANARELLE

C'est bien moi, monsieur Géronte; moi- même, monsieur Anselme.

GÉRONTE

Et qui, diable, t'amène ici, Sganarelle ? Je te croyais mort, mon garçon.

SGANARELLE

Ah, monsieur Géronte, eussiez-vous pu croire que j'eusse quitté cette vie sans avoir pris congé d'un si bon maître?

9^ LES SCRUPULES DE RGANARELLE

GERONTE

Alors, c'est pour moi que tu es venu ici? (A Anselme.) Il y a chez ces g"ens du commun des délicatesses qui les mettent parfois au- dessus de leur condition et qui auraient de quoi toucher les cœurs les plus endurcis. {A Sganarelle.) Et tu viens de loin, sans doute? si j'en juge par le temps que tu as été absent? Mais, Sg-anarelle, serais-tu allé à la guerre que tu as l'œil couvert d'un emplâtre? .

SGANARELLE

Oh! que non, monsieur Géronte, mais j'a- vais tant d'empressement à vous revoir que le pied m'a glissé sur le mauvais petit pavé d'ici.

GÉRONTE

Pauvre Sganarelle, viens que je t'embrasse. {A Anselme.) N'y a-t-il pas certaines circons- tances qui rapprochent les gens les uns des autres et qui effacent ce qui sépare les condi- , tions ? Et n'avez-vous pas remarqué aussi que certains hommes ont le pouvoir d'inspirer aux autres un attachement particulier ?

ACTE II 93

ANSELME

Mais, mon frère, Sganarelle se moque avec son emplâtre. (^ Sganarelle.) N'est-ce point bien plutôt tout à Theure que tu as reçu ce horion en te gourmant avec ce drôle qui porte une cape doublée de soie bariolée et dont le visage ne me revient pas? Vous étiez si occu- pés à vous houspiller que vous m'avez pres- que renversé en passant.

SGANARELLE, penaud.

Aïe ! Imbécile de Leporello !

ANSELME

Qui était donc ce malappris qui se col- letait avec toi ? Il m'a semblé quelqu'un de ces valets maures, comme il est de mode, pa- raît-il, d'en faire monter derrière les carros- ses. Seriez-vous au même maître? Je ne t'en fais pas mon compliment; et lui-même ne serait-il pas ce gentilhomme au teint basané, vêtu d'un habit rouge, que j'ai aperçu, ce matin, à la porte de l'hôtellerie?

94 LES SGUUPULES DE SGANARELLE

GÉRONTE

Mais, alors, Sganarelle, que disais-tu donc? Tu n'es pas venu ici exprès pour me voir, si tu n'as fait qu'y suivre ton maître. Bah! ne prends pas cette mine contrite,je suis content tout de même que tu sois là. Apprends-nous plutôt quel est le seigneur que tu sers.

ANSELME

Oui, d'autant que sa figure ne me prévient pas en sa faveur. Il m'a paru hautain, arro- gant et fat, à la façon recherchée dont il s'ha- bille et à l'air dont il toise ceux qu'il regarde. Il est étranger, n'est-ce pas, et je lui donne- rais volontiers quelque chose d'espagnol.

SGANARELLE, se forçant à rire.

Espagnol, Espagnol, voilà qui divertirait fort le seigneur Valère! Mais, monsieur An- selme, mon maître, est tout bonnement un gentilhomme de Picardie. Si vous l'entendiez parler vous lui en reconnaîtriez l'accent...

ANSELME

Ah, Sganarclle, tu nous la bailles belle,

I

ACTE II 95

mon g-arçon! Picard, ce teint foncé ! Ces yeux sombres, Picards I

SGANARELLE

Picards, monsieur Anselme, Picards, quoi que vous en ayez, mais je ne disconviens pas que le visage du seigneur Vaîère puisse prê- ter à quelque équivoque . La nature a de ces jeux-là. Tenez, monsieur Géronte, moi qui ai voyagé, j'ai observé souvent de ces bizarre- ries qui déconcertent ; ainsi j'ai connu à Val- ladolid un usurier qui ressemblait à monsieur Anselme comme un écu ressemble à un écu, et, à Milan, j'ai rencontré un prince italien qui était tout juste votre portrait, à vous, mon- sieur Géronte.

GÉRONTE, natté.

Cela peut très bien être et on a vu des choses plus surprenantes...

ANSELME

Eh, eh ! Sganarelle, les voyages vous ont donné bien de la faconde, mais tout Picard que vous le prétendiez, ce seigneur Valère ne me dit rien de bon.

f)6 LES SCRUPULES DE SGANARELLB

SGANARELLE

Ah! monsieur Anselme, quelle injustice et comme vous en reviendriez si vous connaissiez le seig-neur Valère ! Avec sa mine basanée et ses yeux vifs, il est le plus doux et le plus timide des hommes, toujours poli à qui lui parle, et rang-é et rég-ulier et modeste ! Oui, Monsieur,son habit est brillant et riche, mais, dessous, il porte une haire, car il est pieux et dévot comme un ange.

GÉRONTE, bas à Anselme. ,

Ma foi, mon frère, que diriez-vous si Dieu nous envoyait un parti pour Angélique en la personne de ce Valère? Comme Léandre, il est gentilhomme et il se pourrait en plus qu'il eût du bien, tandis que Léandre n'en a pas, ce qui, entre nous, me chiffonne un peu... (^1 Sganarelle.) Ne pourrais-tu, Sganarelle, me procurer la connaissance de ton maître ? Etranger dans cette ville, n'aurait-il pas besoin de mes services?

SGANARELLE, inquiet.

Impossible, monsieur Géronte, impossible.

ACTE II 97

Il a fait vœu de ne parler à âme qui vive avant d'avoir accompli certain pèlerinage à la Vierge. C'est même pour cela que nous sommes en chemin.

GÉRONTE

Ah! le brave homme, et voilà, Anselme, qui vous doit plaire.

ANSELME, narquois.

J'avoue que tout ceci a de quoi changer mon sentiment, mais dis-moi, Sganarelle, comment ton maître, avec son mérite, se peut-il accom- moder d'un valet pareil à celui avec qui tu te gourmais tout à l'heure ?

SGANARELLE

Vous avez bien raison, monsieur Anselme, mais ce garçon n'est autre qu'un ancien for- çat que mon maître a racheté aux galères de Naples, il ramait, et qu'il tente de ramener au bien. (Bas.) Attrape, Leporello !

k

ANSELME, à part.

Il nous conte des bourdes.

gS LES SCRUPULES DE SGANARELLE

SCÈNE m

LES MÊMES, LE PETIT PATISSIER LE PETIT PATISSIER, courant à Sganarelle.

Monsieur, monsieur, donnez-moi l'argent des deux Iourtes que vous m'avez prises tout à l'heure dans ma corbeille. Mon patron me veut battre. _y

GÉRONTE

Eh! que veux-tu dire avec tes tourtes, g-alopin?

LE PETIT PATISSIER

Oh, ce n'est pas à vous que j'en ai, mon- sieur Géronte, mais à ce monsieur qui est là.

Il tire Sganarelle par le pan de de son habit.

SGANARELLE

Veux-tu bien me laisser tranquille 1 Monsieur Géronte, chassez-le.

ANSELME

Voyons, parle, mon enfant.

ACTE II 99

LE PETIT PATISSIER

Oui, monsieur Anselme. Ce monsieur était tout à riieure avec deux autres drôles de messieurs. Alors, ils m'ont arrêté pour que je leur chante les paroles d'un air que je sifflais. J'ai posé ma corbeille à terre et, quand j'ai remis les tourtes à la femme du Sergent du Guet, il en manquait deux. (A Sganarelle.) Payez-les-moi.

ANSELME

Et qu'est-ce que c'était que cet air que tu sifflais ?

LE PETIT PATISSIER

Vous savez bien, monsieur Anselme. (// siffle,) D'ailleurs je n'ai pas voulu dire les paroles... et le grand monsieur en habit rouge m'a tout de même donné un écu...mais celui- m'a volé mes tourtes . . .

ANSELME

Allons, paye, Sganarelle ... tu n'as pas honte î

SGANARELLE

Mais, monsieur Anselme, ce n'est pas moi, c'est Leporello !...

100 LES SCRUPULES DE SGANARELLE

ANSELME

Qui est-ce, Leporello ?

SGANARELLE

Mais le grand drôle qui me gourmait, le valet de Don J... de Valère, Thomme à la cape.

ANSELME

Tant pis, paye toujours, cela t'apprendra à fréquenter des coquins.

Sganajpelle paye. LE PETIT PATISSIER

Merci, monsieur Anselme.

Il s'en va en sifflant. Anselme le menace du doigt.

SCÈNE IV LES MÊMES, moins LE PETIT PATISSIER

ANSELME

Ne conviendrez-vous pas, monsSganarelle, que votre jeune maître, pour un dévot, a d(* singulières occupations ? Quoi ! vouloir faire chanter à un enfant... Fi donc!

ACTE II lOl

GÉRONTE

Laissons cela, mon frère, je vous prie.... Sganarelle !

SGANARELLE

Monsieur?

GÉRONTE, à part.

Le compère a avoir certaines intentions en venant ici... Aurait-il des vues sur Dorine? Je m'en veux assurer. (Haut.) Il me semble que le plaisir de me revoir, mon pauvre Sg-a- narelle, te trouble un peu Fesprit, ou bien les voyag-es t'auraient-ils rendu oublieux que tu ne me demandes point les nouvelles d'ici? Oui vit? Qui est mort? Et celui-ci? et celui-là? toutes ces petites questions que l'on fait d'or- dinaire, au retour? Ne serais-tu pas content de savoir' ce qui en est de cette petite Angé- lique que tu faisais sauter sur tes genoux et à qui tu fabriquais des moulins àvent en papier? Te souviens-tu, Sganarelle?

SGANARELLE

Si je me souviens, monsieur Géronte ! Ah

102 LES SCRUPULES DE SGANARELLE

qu'elle était gentille et mig-nonne avec son air sérieux et son petit bonnet! est-elle, mon- sieur Géronte, que je la baise?

GÉRONTE

Halte là, mon garçon. Sais-tu depuis com- bien de temps tu es parti d'ici ?

SGANARELLE

Ma foi, monsieur Géronte, il y aura bien douze ans, à la Chandeleur. _y

GÉRONTE

Et quel âge avait Angélique? Cinq ans, n'est- ce pas ? Penses-tu, maintenant, qu'elle est bonne à marier?

SGANARELLE

C'est pardieu vrai !

GÉRONTE

Que c'est une demoiselle, que tu lui dois du respect?

SGANARELLE

J'en aurai, monsieur Géronte, mais au nom du ciel, montrez-moi mademoiselle Angélique.

ACTE II

io3

GÉRONTE

Tu la verras, S^anarelle. Sais-tu bien que je lui donnerai bientôt un époux?

SGANARELLE

Comme le temps passe! Elle se soucierait bien à présent de mes moulins !

GÉRONTE

Et que cet époux sera gentilhomme?

SGANARELLE

Rien que cela!

GÉRONTE

Et que je veux Taire la noce bientôt?

SGANARELLE

Vous la ferez, monsieur Géronte.

GÉRONTE

Te rappelles-tu, Sganarelle, ce jeune Léan- dre qui allait sur ses quatorze ans, à ton dé- part, et qui venait souvent à la maison ?

SGANARELLE

Oh! que oui.

I04 LES SCKUPULES DE SGANARELLE

GÉRONTE

C'est maintenant un homme fait.

SGANARELLE

Est-ce que?... Compliments, monsieur Gé- ronte. Un homme fait et qui est gentilhomme, peste!

GÉRONTE

Eh que vas-tu penser, Sganarelle? J'ai dit ce nom-là en l'air... Mais, tu me laisses parler, tu me laisses parler... (^ part.) J^ voudrais l'amener sur le chapitre de Dorine. {Haut,) Ne te gêne pas, mon g-arçon, pour me deman- der ce que tu veux savoir, je te répondrai bien volontiers. Tiens, la vieille Marinette,qui venait autrefois filer le chanvre et surveiller le tourne-broche, eh bien, elle est morte.

SGANARELLE, tirant son mouchoir.

Ah ! pauvre Marinette, ce que c'est que do nous.

GÉRONTE

Ah ! il y en a bien d'autres, que tu as connus] et que tu ne retrouveras pas, Sganarellel Enj douze ans, il se fait du changement.

ACTE II lOD

SGANARELLE, à part.

Hum ! hum ! est-ce que Dorine ?

GÉRONTE

Que veux-tu, Sg-anarelle, c'est la loi com- mune. Compte un peu sur tes doig-ts les gens qui, de ton temps, composaient la maison.

SGANARELLE

Il y avait vous, monsieur Géronte, et mademoiselle Angélique, puis Marinette !

GÉRONTE

Et tu ne te souviens pas de Benoîte, la cui- 'sinière ?

SGANARELLE

Que si, monsieur Géronte !

GÉRONTE

Eh bien, elle est maintenant chez mon frère inselme... et puis... tu ne te rappelles plus ïrsonne d'autre?

SGANARELLE

Ma foi non, monsieur Géronte I

GÉRONTE

Cherche bien.

I06 LES SCRUPULES DE SGANARELLE

SGANARELLE

Je ne trouve pas.

GÉRONTE

Cherche encore.

SGANARELLE

Ah ! il y avait Rustaud, vous savez, le chien Rustaud, à qui monsieur Léandre marchait sur la queue pour amuser mademoiselle Angé- lique.

GÉRONTE

Eh bien, Rustaud, il est mort d'indigestion pour avoir dérobé la viande du pot-au-feu. Entre nous, Sganarelle, je crois que Dorine Tavait corrigée trop durement, la pauvre bétel...

Il attend sur Sganarelle l'effet du nom de Dorine. Sganarelle fait comme s'il n'avait pas entendu.

SGANARELLE

Tenez, monsieur Géronte, je me sens tout rajeuni à ces vieilles histoires, et je ne puis me persuader que ce Sganarelle qui est est le même qui a couru tant de pays. Il me paraît

ACTE II 107

que je n'ai jamais quitté votre maison et que e vais aller, de ce pas, comme autrefois, mettre le couvert et tirer les courtes-pointes. Et quand je pense, monsieur Géronte, qu'au lieu de finir tranquillement mes jours dans ma YiWe nat^ile, comme la vieille Marinette ou le chien Rustaud, je mourrai sans doute au loin sur quelque grabat d'auberge, j'en ai une larme au coin de l'œil et un petit frisson dans le dos.

GÉRONTE

Chasse donc ces idées noires, mon pauvre Sganarelle. (A Anselme.) Voici justement Léandre qui vient par ici. Il est vrai qu'il a bonne mine.

SCÈNE V LES MÊMES, LÉANDRE

GÉRONTE

Bonjour, Léandre. Quel heureux hasard vous amène?

I08 LES SCRUPULES DE SGANARELLR

LÉANDRE

Le projet de vous présenter mes civilités, monsieur Géronte... J^avoue aussi que le beau temps qu'il fait aujourd'hui m'a fait sortir de chez moi, et vous-même [n'étes-vous pas à prendre l'air sur la place?

GÉRONTE

Oui, mon frère Anselme et moi, nous nous y entretenions de choses sérieuses^ et vous arrivez à point pour nous distraire. Eh bien, Léandre, que se dit-il de nouveau dans Ver- rières ?

LÉANDRE

Excusez-moi, Monsieur, mais je ne suis guère nouvelliste.

GÉRONTE

Gomment , Léandre , vous qui lisez les : gazettes, vous êtes au fait de ce qui se passe à la cour et dans les provinces ! Anselme m'a rapporté ce que vous lui aviez conté récem- ment de la mort du Gommandeur. Savez-vous quelque chose de cette affaire ?

ACTE II 109

SGANARELLE, à part.

Diable, je vois que les hauts faits du sei- gueur Don Juan sont parvenus jusqu'ici!

LÉANDRE

Non, monsieur Géronte, mais je pense que le Roi punira sévèrement le crime et que Tin- nocence sera vengée . Je voudrais que tous ces séducteurs de filles fussent pendus haut et court. N'est-il pas affreux qu'ils abusent la confiance et la naïveté, qu'ils répandent des promesses mensongères, qu'ils tendent à la vertu des pièges déloyaux et, cela fait, qu'ils puissent continuer à se promener par la ville, le jarret tendu et le poing sur la hanche ?

GÉRONTE

C'est mon avis,Léaudre, et j'aime que vous pensiez ainsi.

LÉANDRE, s'animant.

Si le Roi permet à ses gentilshommes de porter l'épée, c'est pour qu'ils défendent leur honneur et leur vie et non pour soutenir les abus de leur conduite ni pour ajouter à leur tort un tort plus grand... Mais laissons cela,

8

IIO LES SCRUPULES DE SGANARELLE

monsieur Géronte, et revenons à des sujets plus agréables. Mademoiselle votre fille est- elle en bonne santé, et n*aurai-je point Toc- casion de lui rendre mes hommages?

GÉRONTE

Vous le pourrez faire, Léandre, sans doute bientôt. Elle est sortie avec Dorine et elle ne tardera point de rentrer. Je m'étonne même que vous ne Tayez pas rencontrée par la ville. --^

LÉANDRE

Je suis venu jusqu'ici en suivant le mail et je n'ai vu personne sur mon chemin qu'un homme à cheval qui arrivait à bride adjattue. J'ai jugé par sa tenue qu'il était de la Maison du Roi. Il faut qu'il se trouve en ce moment à Verrières quelque seigneur d'importance pour que Sa Majesté lui dépêche quelqu'un de ses propres courriers.

SGANARELLE, à part.

Voilà qui concerne le seigneur Don Juan et qui va décider s'il sera pendu ou non.

ACTE II III

ANDRE

Mais, j'y songe, ce pourrait bien être cet étranger que j'ai rencontré ce matin, dont la vue m'a frappé et qui justement se promenait avec Monsieur.

Il salue Sganarelle.

GÉRONTE, riant.

Monsieur, monsieur, ehl quoi, Léandre, vous ne reconnaissez donc pas Sganarelle, mon ancien valet et qui est à présent au service d'un certain seigneur Valère...

LÉANDRE

Mais oui, c'est bien Sganarelle. Ah 1 Sgana- relle... Mais voici votre fille Angélique, mon- sieur Géronte. {Bas à Anselme.) Mon cœur bat et je me sens défaillir.

SCÈNE VI LES xMÊMES, ANGÉLIQUE

ANGÉLIQUE

Ahl mon papa, je vous cherchais par toute

112 LES SCRUPULES DE SGANAIVELLE

la maison. {Elle l'embrasse.) Bonjour, mon oncle Anselme.

ANSELME

Bonjour, mig^nonne.

ANGÉLIQUE

Bonjour, Lëandre. {A Géronte.) Mon papa, qui est cet homme-ci ?

GÉRONTE

Regarde-le bien. Son visage ne te rappelle rien ? -^

ANGÉLIQUE

Attendez, mon papa, mais oui... il me sem- ble... je crois... {Elle rougit.) C'est Sgana- relle.

GÉRONTE

Cette enfant a une mémoire étonnante. Elle n'avait que cinq ans, lorsque tu partis. Cela tient du sortilège.

SGANARELLE

Elle m'a reconnu ! Ah ! mademoiselle An- gélique, comment se peut-il? Tenez, je pleure de joie.

Il se mouche violemment. Son emplâtre tombe.

AGîE 11 Il3

Tant pis, je suis guéri !

ANGÉLIQUE

Bon Sganarelle, comme tu étais bon pour moi ! Tu me défendais quand Rustaud voulait me lécher la figure avec sa grande langue rose; tu me portais sur ton épaule pour que je pusse atteindre les pots de confitures sur le rayon ; tu me faisais des moulins en papier et tu soufflais dessus en gonflant tes joues. Quel vent t'a donc traversé la cervelle que tu aies été absent si longtemps ? Mais aussi quel plai- sir de te revoir !

Elle bat des mains. » SGANARELLE

Ecoutez-la, monsieur Géronte, est-il rien de plus touchant?

ANSELME, à part.

Ma nièce a bien de la vivacité aujourd'hui. Tout cela est-il pour Sganarelle?

ANGÉLIQUE, à son père.

Maintenant que le voilà, mon papa, il ne faut plus qu'il nous quitte.

Il4 LES SCRUPULES DE SGANAUELLE

GÉRONTE

Comment?

ANGÉLIQUE

Oui, mon papa, dites-lui qu'il faut qu'il reste avec nous. Je veux Sganarelle.

GERONTE

Tu veux Sg-anarelle! et pour quoi faire?

ANGÉLIQUE

Je ne peux plus m'en passer, mpn papa chéri.

GÉRONTE, à part.

Que dit^elle? garder ici Sganarelle... et Dorine !

ANGÉLIQUE

Il demeurera à la maison comme aupara- vant.

GÉRONTE

Sga?...

ANGÉLIQUE

Oui, mon papa. N'avons-nous pas besoin de quelqu'un qui remplace Pierrot, votre petit laquais, et sur qui je puisse me décharger de

ACTE II Il5

bien des soins dont il faut que je m'occupe et qui, parfois, me paraissent un peu pesants I Est-ce bien ce qui me convient que d'aller, comme je le fais, marchander dans les bouti- ques, courir le marché à goûter le beurre et à tâter le ventre aux volailles ? N'est-il pas des soins plus relevés et qui siéraient mieux à la fille de Géronte?

ANSELME

Elle a raison, mon frère, et n'est-ce point ce que je vous disais ? (A part.) Cette délica- tesse est bien subite.

ANGÉLIQUE

Ne me refusez pas ce que je vous demande, mon petit papa, et donnez-moi Sganarelle.

GÉRONTE

Mais, ma fille, Sganarelle n'est point du tout le serviteur qu'il faudrait. Ce n'est pas un mauvais sujet, mais il a d'assez vilains défauts. Il est paresseux, négligent.

SGANARELLE

Ah I monsieur Géronte, épargnez-moi ; les

Il6 LES SCRUPULES DK SGANAREI LE

voyages m'ont bien changé. Cela forme les caractères.

GÉRONTE

Laisse donc, petite, nous trouverons mieux que lui. (A part.) Eh bien ! Dorine pousserait de beaux cris ! (Haut.) D'ailleurs, il y a cer- taines choses que -je ne puis t'expliquer au sujet de Sganarelle.

ANGÉLIQUE

Quoi, mon papa, est-ce que c'est que Sga- narelle était le mari de Dorine? Mais Dorine ne cesse de m'entretenir de lui à tout propos.

SGANARELLE

Par exemple, voilà qui est fort !

ANGÉLIQUE

Tellement que c'est au portrait qu'elle m'en a fait cent fois que je l'ai reconnu tout à l'heure. Oh, papa, elle sera si contente de le revoir! Accordez-moi ce que je vousdemande. Je vous aimerai hien.{E lie F embrasse.) Je vais prévenir Dorine. {Elle va en courant vers la maison et en criant:) Dorine ! Dorine I

ACTE II 117

SCÈNE VII LES MÊxMES, moins ANGÉLIQUE

- GÉRONTE Angélique ! Angélique 1 Elle n'écoute rien. Petite masque !

ANSELME, riant.

Allons, mon frère, il faut en passer par elle veut. Et toi, Sg-anarelle, que dis-tu de cette affaire ?

SGANARELLE

Ma foi, monsieur Anselme, pour ma part, je vous avouerai que je suis bien un peu fati- gué de vagabonder et de courir les chemins à la suite de maîtres divers, et la pensée d'un bon lit, d'une bonne table et de bons gages a quelque chose qui me flatte assez.

GÉRONTE

Peste I tu oublies, Sganarelle, que je n'ai pas coutume de donner beaucoup aux gens qui me servent. Tu es habitué à gagner gros, et

8.

Il8 LES SCRUPULES DE SGANARELLE

le seigneur Valère doit te payer en consé- quence. Tu quitterais un pareil maître? Sans compter que cela ne serait guère bien, Sgana- relle 1

SGANARELLE

Certes, monsieur Géronte, le seigneur Valère a de quoi retenir à lui, mais il n'est pas sans avoir de certains petits défauts, comme ne vouloir rien entendre à propos de ce scélérat de valet nommé Leporello, qui le sui^partout et à qui je ne serais pas fâché de fausser com- pagnie.

ANSELME

Allons, Sganarelle, avoue-nous qui est ton maître et ce qu'il cache sous ce nom emprunté de Valère.

SGANARELLE

Je ne sais rien de plus du seigneur Valère que ce que je vous en ai dit. (A part.) Si Don Juan apprenait que j'ai bavardé, il me ferait étrangler par Leporello, qui serait enchanté de la besogne. Motus, Sganarelle î

ACTE II

"9

GÉRONTE

Voyons, Sganarelle, parlons franc. Si tu quittais le seig-neur Valère et si tu rentrais à mon service... il faudrait que tu te remisses bien avec Dorine.

SGANARELLE

Pourquoi pas ?

GÉRONTE

Tu dis ?

SGANARELLE

Je dis : pourquoi pas.

GÉRONTE

Tu railles, Sg-anarelle.

'^SGANARELLE

Je ne raille pas, monsieur Géronte.

GÉaONTE

Mais Dorine t'a fait cornard, imbécile !

ANSELME

Tout doux, mon frère, comme vous lui jettez cela au nez !

GÉRONTE

Elle t'a trompé.

120 LES SCRUPULES DE SGANARELLE

SGANARELLE

Eh bien, et après ?

GÉRONTE

Tu n'y semblais pourtant pas si indiflerent !

SGANARELLE

Je conviens que j'en eus jadis un peu d'hu- meur, mais cela m'a bien passé.

ANSELME

Tu es un brave g-arçon, Sganarelle>^

SGANARELLE

Et je vous jure, monsieur Géronte, que je n'en veux guère à Dorine.

GÉRONTE

Et comment s'est faite cette douceur et pro- duit ce beau changement ?

SGANARELLE

C'est d'avoir vu que ce que je regardais comme une injure exceptionnelle est, de par le monde, un procédé assez commun. Les grands mêmes n'y échappent pas. Et puis si je suis cornard, Dorine est cornette.

ACTE II 121

GÉRONTE

Tu as trompé Dorine, toi?

SGANARELLE

Oui, monsieur Géronte, tel que vous me voyez.

GÉRONTE

Tu as eu des maîtresses ?

SGANARELLE

Gomme je vous le dis.

GÉRONTE

Et jolies ?

SGANARELLE

Oui.

GÉRONTE

Comment as-tu fait ?

SGANARELLE

Je me laissais faire.

Anselme et Léandre rient. GÉRONTE

st le monde renversé... Enfin tu wrais Dorine en bon accord ?

122 LES SCRUPULES DE SGANARELLE

SGANARELLE

Oui, monsieur Géronte, pour vous servir.

GÉRONTE

Tu ne serais ni insolent, ni importun ?

SGANARELLE

Oh, monsieur Géronte !

GÉRONTE

Pas jaloux?

SGANARELLE

Pas jaloux.

GÉRONTE

Et tu te contenterais de ton gage d'autre- fois ?

SGANARELLE

Avec le vin, monsieur Géronte.

GÉRONTE

Oui, la 'piquette qui est dans le petit ton- neau.

SGANARELLE

Et la viande, chaque dimanche.

ACTE II

123

GÉRONTE

Allons, tope là, S^anarelle.

ANSELME

Bravo, mon frère. Venez, Léandre, annon- cer cette bonne nouvelle à Ang-élique.

Ils entrent dans la maison de Géronte.

SCÈNE VIIl GÉRONTE, SGANARELLE

GÉRONTE, à part.

Voici, ma foi, un arrangement admirable. Dorine devient, grâce à Sganarelle, un chape- ron respectable, sans compter que la présence de ce <irôle me met à l'abri de ces petits acci- dents de paternité auxquels on est toujours sujet et dont je n'aurai plus, grâce à lui, à me préoccuper. De plus le gaillard semble avoir vu le monde. Il doit être au fait des stratagè- mes propres aux amants et je le dresserai à en garantir les abords de la maison. De cette façon, je ne suis plus obligé de marier Ange-

I2/[ LES SCRUPULES DE SGANARELLE

lique... Certes, ce Léandre est bon g-entil- homme... Enfin rien ne presse. Quant à tout ce que m'a débité Anselme, il faut en rabat- tre une bonne moitié. Séductions, enlèvements, ce sont peut-être des choses qui arrivent, mais aux autres.

SGANARELLE, à part.

Il marmonne entre ses dents. Voudrait-il revenir sur la viande et la piquette?

GÉRONTE -^

Sganarelle, sais-tu manier une épée et tirer d'un pistolet?

SGANARELLE

Ma foi, monsieur Géronte, je ne suis pas spadassin, mais il m'est parfois arrivé aux foires de mettre la balle dans le mannequin et de toucher le papegai.

GÉRONTE

Fort bien, tu auras, outre ton ouvrage, une paire de gros pistolets à tenir propres.

SGANARELLE

Pour quoi faire, monsieur Géronte?

ACTE II

125

GÉRONTE

Pour rien. Si la nuit lu entendais quelque briiit, si tu voyais rôder quelque personne sus- pecte autour de la maison, tu ferais feu en Tair pour appeler le Guet. J'ai confiance en toi, Sga- narelle. A la première alerte, pif, paf !

SGANARELLE

Pif, paf ! c'est compris.

GÉRONTE

Suis-moi. Je vais parler à Angélique. {A part,) Je ne voudrais pas qu'elle s'engageât avec Léandre et je me veux mettre en tiers dans leur conversation.

Il rentre.

SCÈNE IX SGANARELLE, seul.

SGANARELLE

Que veut-il dire avec son Guet, ses pistolets, ses pif, pafi Moi qui croyais, une fois chez monsieur Géronte, n'avoir plus qu'à dormir

120 LES SCRUPULES DE SGANARELLE

sur les deux oreilles. Ai-je raison de quitter le seigneur Don Juan, d'autant plus qu'il va fal- loir lui annoncer la chose et qu'il est capable de vouloir me retenir ou se refuser à me payer mes gages? Cependant, je voudrais bien acheter quelques colifichets pour Dorine.

SCÈNE X SGANARELLE, DON JUAN^

DON JUAN, il tient ùq papier à la main.

Qu'as-tu donc à parler ainsi tout haut, Sga- narelle ?

SGANARELLE

Ah ! vous m'avez fait peur I

DON JUAN

Réjouis-toi, Sganarelle,j'ai enfin les lettres du Roi. Elles sont conçues dans les termes i les plus bienveillants et m'accordent une grâce] pleine et entière au sujet de la mort du Com- mandeur. SaMajesté défend que je sois pour-1 suivi ni inquiété en aucune façon pour cette

ACTE II 127

affaire. Elle m'enjoint seulement de faire éle- ver un tombeau au Commandeur. Il Taura, Sg-anarelle, dig'ne de moi et digne de lui. Je nV épargnerai le marbre ni le bronze. Je veux qu^ on y voie la figure de ce vaillant hom- me, tel qu'il fut de son vivant. Nous en détermi- nerons nous-mêmela structure et nous en choi- sirons remplacement. Ce sera un beau monu- ment de la justice humaine, Sganarelle I

SGANARELLE

Ah, seigneur Valère, cette moquerie...

DON JUAN

Appelle-moi Don Juan, tu peux dire mon nom tout haut, c'est celui d'un homme heu- reux.

SGANARELLE

Ah, seigneur Don Juan I

DON JUAN

Oui, Sganarelle.Qui donc disait que le bon- heur est une récompense de la vertu? Com- ment les hommes ne cessent-ils pas de le ré- péter quand tout en démontre à chaque pas la

128 LES SCRUPULES DE SGANARELLE

niaiserie et la fausseté ? Raisonnons un peu, Sganarelle, et tu conviendras toi-même que j'ai quelque sujet à penser de la sorte. Si je n'avais pas, contrairement aux lois de ce qu'on nomme vulg-airement l'honneur, séduit la nièce du Commandeur et abusé de sa cré- dulité, je n'aurais pas non plus tué son bon- homme d'oncle et j'aurais ainsi ig'noré le cas que le Roi fait de ma naissance et de ma per- sonne, ce dont il vient de me donneiyun té- moignage éclatant et public. Et ce n'est pas tout, suis-moi bien, Sganarelle... Si, en atten- dant l'arrêt de cegrand Prince, je n'étais pas, caché sous le nom de Valère, venu dans cette petite ville, je n'aurais pas rencontré cette jeune fille dont Leporello m'avait parlé, et...

SGANARELLE

Bon I nous y revoilà I

DON JUAN

Oui, Sganarelle, pour une fois, ce coquin disait vrai. C'est un bijou que cette petite I

ACTE H 129

SGANARELLE

Ah, Monsieur, que je vous ai donc souvent entendu dire cela !

DON JUAN

Peut-être, mais aujourd'hui je me sens vé- ritablement transporté. Je Tai vue, cette mer- veille 1 et j'en suis tout enflammé...

SGANARELLE

Feu de paille, Monsieur, feu de paille !

DON JUAN

Et, quand cela serait, la flamme n'en est- elle pas que plus vive! Mais non, Sganarelle, c'est de l'amour que j'éprouve et non une de ces fantaisies du regard qui se dissipent avec la vue de l'objet qui les a provoquées. Non, Sganarelle, impossible d'imaginer rien de plus frais et de plus gracieux : une taille char- mante, un visage àl'avenant, je ne sais quoi de tendre et de gracieux, relevé d'un air de co- quetterie naturelle. Elle marchait dans la rue accompagnée d'une manière de suivante. Entre nous, il m'a semblé qu'elle répondait assez bien âmes œillades, et quand, au sortir

l3o LES SCRUPULES DE SGANARELLE

de Tég-lise elle était entrée dire sa prière, je lui offris deTeau bénite, il m'a paru qu'elle me reg-ardait avec intérêt. Comment, Sg-ana- relle, peut-elle être née en cet endroit? Quels lourdauds, quels ânes, on y rencontre, qui écarquillent les yeux à votre passage comme s'ils n'avaient jamais vu de canons bien taillés et de rubans à la mode, et jusqu'à une sorte de gentilhomme râpé qui porte l'épée et qui, j'y repense, m'a considéré avec une Mention q ui ne me plaît point... J'aurais lui couper les oreilles.

SGANARELLE

De grâce, Monsieur, laissez votre lame au fourreau, en voilà assez pour quelque temps. Quittez votre gentilhomme et revenez-vous- en à votre conquête.

DON JUAN

Tu as raison, Sganarelle, car je suis certain que, maintenant, elle ne songe qu'à moi. Oh, Sg^anarelle, il faut que je lui parle ou que je lui fasse au moins passer un billet. Je l'ai per- due de vue au sortir de régUse^parle contre-

ACTE II loi

temps de ce maudit courrier qui est venu me relancer dans la rue pour me remettre ces lettres... Il faut que j'achève cette aventure avant que je m'occupe du tombeau du Com- mandeur et que j'aille me jeter aux pieds du Roi. Cette fille est la perle du Royaume !

SGANARELLE

Vous avez dit, n'est-ce pas, Monsieur, qu'elle a le visage plein et frais?

DON JUAN

C'est cela.

sganarelij: Une taille à ravir et des cheveux blonds qui frisent naturellement.

DON JUAN

Tu la peins on ne peut mieux.

SGANARELLE

La démarche souple et vive. DON JUAN

Je la crois voir.

SGANARELLE

Et la personne qui l'accompagne est une

l32 LES SCRUPULES DE SGANARELLE

brunelte entre deux âges qui a un signe sur la joue gauche.

DON JUAN

Il se pourrait.

SGANARELLE

Et, en sortant de Téglise, elles ont pris la petite ruelle à droite.

DON JUAN

Pardieu, Sganarelle, tu es sorcier ou bien connaîtrais-tu la donzelle ? Ah I j^on et pré- cieux serviteur, je ne me séparerai jamais de toi et à partir d'aujourd'hui, je double tes gages.

SGANARELLE

Cela ne vous coûte guère, et j'aimerais mieux que vous me payassiez mon dû.

DON JUAN Mais achève donc, je brûle.

SGANARELLE, entre ses dents.

Déjà!

DON JUAN

Que dis-tu ?

ACTE II

35

SGANARELLE

Je dis, Monsieur, qu'il est bien dommage que cette figure, cette taille, cette démarche vous aient fait une si forte impression, car vous n'en aurez jamais rien de plus que ce que vous en avez eu aujourd'hui et que, Mon- sieur, tout Don Juan que vous soyez, un pareil morceau ne sera pas pour vous.

DON JUAN

Que dit-il là? Il perd l'esprit.

SGANARELLE

Non, Monsieur, je parle sérieusement et je vous avertis que cette jeune fille est la plus vertueuse personne du monde, que ses mœurs et sa conduite sont irréprochables et le de- meureront quoi que vous fassiez, qu'il n'y a rien pour vous à espérer et qu'il vaudrait mieux que vous portassiez ailleurs vos entre- prises. J'ajouterai qu'elle est née d'honnêtes gens qui sauraient vous recevoir comme il convient, qu'elle se nomme Angélique, et que je sais d'autant mieux ce que j'avance

9

l34 LES SCRUPULES DE SGANARELLE

que je Tai connue lorsqu'elle n'était pas plus haute que celai

BOxN JUAN, riant.

Ahlahlah!

SGANARELLE

Vous avez beau rire, Monsieur, et vous aurez beau faire, il en sera comme je vous le dis. Mais pourquoi vous obstiner à cette fan- taisie qui vous passera dès que le vent de votre humeur aura tourné ? N'est-il pas a^ez d'au- tres filles qui ne demandent qu'à se laisser abuser? Laissez donc celle-là en repos, Mon- sieur, et songez plutôt à vous mettre en règle avec les ordres du Roi.

DON JUAN

De quoi te mêles-tu, maraud, de censurer ma conduite et de vouloir régenter mon cœur? C'est la première fois que tu montres une pareille audace. D'ordinaire, tu te contentais au moins de murmurer tes remontrances entre tes dents, et aujourd'hui...

SGANAHELLE

C'est qu'aujourd'hui, Monsieur, il s'agit

ACTE II I 35

d'une enfant que j'ai ^Tie toute petite. Cette Angélique, Monsieur, est la fille de Géronte, mon ancien maître, que j'allais voir toute à l'heure avec votre permission. Vous ne vous doutez pas, Monsieur, de l'accueil qu'on m'a fait. Ce n'étaient qu'embrassements et cares- ses. Sganarelle par-ci; Sg-anarelle par-là 1 Toutes sortes de questions! Ah! Monsieur, rien de plus touchant, j'en suis encore ému et je me sens aujourd'hui tout singulier. Est- ce l'air du pays natal, le revenez-y du passé, mais je me trouve tout bête et tout changé?

DON JUAN

C'est le printemps, Sganarelle. Il travaille ta vieille carcasse, comme il émeut mon jeune sang. Respire l'air de ce ciel bleu, Fodeur de ces ormeaux ? N'est-il pas le moment de vivre et d'aimer. Ah I Sganarelle, baiser une bouche fraîche et pure, dénouer des cheveux blonds, toucher la rondeur d'un sein, empor- ter dans ses bras un corps tiède et souple qui résiste à l'étreinte pour mieux s'abandonner à la caresse... Il me semble que j'entends déjà

l36 LES SCRUPULES DE SGANARELLE

les chevaux piaffer et hennir. En selle, en selle, Don Juan! Elle saute en croupe avec toi, vous êtes la Jeunesse et l'Amour et vous dis- paraissez au galop, laissant derrière vous les pères, les oncles, les tuteurs qui se désolent et se lamentent, tandis que vous monte à la gorg-e, irrésistible et triomphant, le rire de la victoire et de la liberté !

SGANARELLE

Ah ! Monsieur, de grâce, arrêtez-vous ! J'en perds le souffle et je suis rompu. Eh bien! Monsieur, à moi, le printemps ne me produit pas de ces effets. Je me sens le corps pares- seux et l'esprit enclin au repos. Ah ! Mon- sieur! se coucher tôt et se lever tard, mener son petit train, boire sec et bien manger, regarder les hirondelles qui font leur nid et le soleil qui s'abaisse derrière les toits, c'est cette vie modeste qui est le vœu de Sgana- relle. Plus d'aventures, plus de soucis, plus de créanciers, plus de filles abusées qui vien- nent pleurer derrière les portes, plus de maris trompés, plus de pères au désespoir, plus de

ACTE II 187

ruses, plus d'intrigues, plus d'embuscades, plus de duels et plus de Commandeurs !

DON JUAN

Tu m'amuses, Sg-anarelle, et j'avoue que tu es mal tombé' avec moi. Jamais je ne me suis senti autant de désirs, d'audace et de hardiesse.

SGANARELLE

C'est que vous êtes jeune, Monsieur, et que je commence à devenir vieux. Tenez, ce ma- tin, en passant devant l'église, il m'a semblé entendre une voix qui me disait : Sganarelle, Sganarelle, il est temps de t'amender. Change de vie, mon garçon, change de vie.

DON JUAN

Tu as toujours eu de la religion et tu finiras sacristain...

SGANARELLE

Ne plaisantez pas, Monsieur, et écoutez- moi plutôt. Je ne prétends pas vous sermon- ner et vous reprendre, et ce que je pourrais vous dire ne prévaudrait pas contre votre

9.

l38 LES SCRUPULES DE SGANARELLE

endurcissement, mais, permettez-moi, à moi, de cesser cette vie que j'ai menée trop long- temps et pour laquelle je ne me sens point fait. Je suis las d'être le témoin et comme le complice de vos désordres. Laissez-moi pro- fiter d'une occasion qui se présente à rentrer dans une voie meilleure que celle je n'ai plus guère le cœur de persévérer à vos côtés. Monsieur Géronte, mon ancien maître, m'of- fre de me reprendre à son service. J'ai fait de mon mieux au vôtre, il me tarde de goûter un repos bien gagné et de tâcher, loin de vous, Monsieur, à redevenir un honnête homme.

DON JUAN, à part.

Eh, mais, le voilà qui vient de lui-même au- devant de mes projets. {Haut.) Alors, Sgana- relle, tu veux me quitter?

SGANARELLE

Il vous reste Leporello, Monsieur.

DON JUAN

C'est vrai, mais je te regretterai, Sganarelle.

ACTE II ) 39

SGANARELLE

C'est trop d'honneur.

DON JUAN

J'aurai 'grand'peine à me passer de toi.

SGANARELLE

Vous VOUS y ferez, Monsieur.

DON JUAN

Avoir un valet comme Sganarelle et pour fille une Angélique ! Ce Géronte est un heu- reux gaillard.

SGANARELLE

Bon I et moi qui croyais que vous ne pen- siez plus à vos folies de tout à l'heure ! Ah I Monsieur, comme ce tombeau du Commandeur sera un beau monument de votre gloire, une belle marque de votre passage en nos contrées et comme le Roi va être aise de voir à ses genoux un héros tel que vous !

DON JUAN

Tu crois, Sganarelle?

SGANARELLE

N'en doutez pas, et, à votre place, je me

l4o LES SCRUPULES DE SGANARELLE

mettrais en devoir de lui donner ce plaisir au plus tôt.

DON JUAN

Tu as raison, Sganarelle.

SGANARELLE

Alors, je puis annoncer à monsieur Géronte que j'accepte ses propositions?

DON JUAN

Certainement, Sg-anarelle, certaim^ment.

SGANARELLE

Merci, Monsieur...

DON JUAN

Tu remarqueras, Sganarelle, que je suis un maître accommodant.

SGANARELLE

Et qui n'a pas son pareil.

DON JUAN

Tu conviendras qu'en échange de ma faci- lité il est bien juste que tu me rendes un petit service.

ACTE II l4l

SGANARELLE

S'il est en mon pouvoir, comptez-y.

DON JUAN

Je n'attendais pas moins de toi. Eh! bien, Sganarelle, voici.

SGANARELLE

Je suis tout oreilles.

DON JUAN

Chez Géronte, tu auras toutes occasions pour entretenir Angélique.

SGANARELLE

Aïe I

DON JUAN

Eh bien, tu lui demanderas si elle n'a pas remarqué un cavalier en habit rouge, et ce qu'elle pense de lui.

SGANARELLE

Mais àquoi cela vous servira-t-il, Monsieur?

DON JUAN

Tu lui diras que ce cavalier, depuis qu'il Ta vue, brûle d'amour pour elle, qu'il n'est rien qu'il ne fasse pour mériter un de ses regards,

l42 LES SCRUPULES DE SGANARELLE

qu'il donnerait sa vie pour le bonheur de Ten- tretenir un instant; tu lui diras, Sganarelle, qu'il faut queje lui parle et qu'elle m'entende, que de grands intérêts en dépendent, enfin tu feras si bien qu'avant la fin de cette journée j'aurai pu avouer à Angélique l'amour qui me consume pour elle et la passion ardente qu'elle m'a inspirée.

SGANARELLE

Mais, Monsieur, vous êtes fou.

DON JUAN

Oui, Sganarelle, fou de l'adorable Angé- lique et résolu à tout tenter pour me faire aimer d'elle. Déplus tu me procureras une clé de la maison et une de la chambre d'Angéli- que, en même temps que le détail exact de son appartement.

SGANARELLE

Mais, Monsieur...

DON JUAN

Pas de réplique, sinon, Sganarelle, je ne réponds pas de moi. Eh malheureux ! veux-tu

ACTE II 143

donc que je force les serrures, que j'enfonce portes, que j'escalade les fenêtres, que je mette le feu à la maison et aux quatre coins de la ville? Ne sais-tu pas que rien n'a jamais arrêté mon désir et que, s'il y a pour lui des obstacles, il n'en est point que je ne sois capa- ble de surmonter ? Obéis donc, Sganarelle, et mets-toi en mesure d'accomplir ce que je t'or- donne sans perdre ton temps à en vouloir raisonner.

SGANARELLE

Eh bien ! non. Monsieur, à la fin, c'en est trop et je me refuse à vous aider en cette abo- minable machination. A d'autres, Monsieur, et ne comptez plus sur Sganarelle pour une pareille besogne. Mais j'aime mieux croire que vous voulez rire et que ce n'est qu'une façon de m'éprouver.

DON JUAN, les sourcils froncés.

Regarde-moi, Sganarellle. As-tu jamais vu rire Don Juan quand il s'agit de sa passion ? C'est toi qui railles, Sganarelle, et prends garde que...

l44 LES SCRUPULES DE SGANARELLE

SGANARELLE

Ah, Monsieur, laissez donc, il n'est point beau de vouloir faire peurà un pauvre homme comme je suis.

DON JUAN, le saisissant à l'épaule.

Tu parleras à Angélique ainsi que je te l'ai dit et tu feras ce que je t'ai ordonné. Obéis, maraud, et tu n'auras pas à t'en repentir, autrement...

SGANARELLE ^

Obéir, obéir, mais ce n'est plus à vous que je dois obéissance. Suis-je à votre service ou à celui de Géronte? Vous savez le proverbe, Monsieur : « On ne peut servir deux maîtres. » Eh quoi, seigneur Don Juan, rentrez en vous- même. Géronte m'a accueilli comme l'enfant prodigue et vous voudriez qu'en récompense de sa bonté j'aille introduire le déshonneur à son foyer et répéter à la douce Angélique des paroles qu'elle ne saurait entendre?

DON JUAN

Mais, imbécile, situ es si assuré de laverlu de cette fdle, comment crains-tu d'accom-

ACTE II 145

plir mon messag-e et de lui rapporter mes pro- pos? Si elle est telle que tu la dépeins, elle re- poussera avec horreur mes entreprises!... Tu ne réponds rienjSg-anarelle, et te voilà inter- loqué! Mais va, je connais les femmes! C'est pourquoi je veux- que tu parles à Angélique. Quelque chose me dit qu'elle sera à moi. Tu ne sais pas quel feu et quelle ivresse répand dans toute Tâme la certitude d'un bon- heur prochain ! Et tu penses que je vais me laisser berner par tes ^subterfuges et que je renoncerai sottement à un plaisir dont tres- saille déjà mon ardeur et dont jouit d'avance mon désir? Allons, va vite, Sg-anarelle, cours, vole et me rapporte une réponse favorable à mon impatience et à mes vœux.

SGANARELLE

Monsieur, encore une fois, je ne bougerai point.

DON JUAN

Mais qu'est-ce qui prend soudain à ce bé- htre et àce cornard ? Que veut dire cette déli- catesse subite ? Que signifient ces scrupules?

10

l46 LES SCRUPULES DE SGANARELLE

Et tout cela, Sg-anarelle, pour ne pas faire tort à ce bourgeois stupide qui se moque de toi et qui t'a fait cocu.

SGANARELLE

Cocu î c'est possible, Monsieur, et c'est même certain, mais vous n'obtiendrez rien de moi.

DON JUAN va à Sganarelle, qui recule devant lui et il le regarde fixement.

Sganarelle se trouble et recule toujours. Il bute daoà un arbre et tombe à quatre pattes.

DON JUAN, d'une voix terrible.

Sganarelle !

SGANARELLE

Pitié, grâce! Ah, Monsieur, vous avez Ten- fer dans les yeux ! Ne me regardez pas comme cela. Monsieur, j'en sue à grosses gouttes... J'obéirai, Monsieur.

DON JUAN, le relevant par le collet. Enfin !

Il va vivement vers le fond du théâtre.

Ah ! défenseur des tendrons, avocat des

ACTE II l47

foyers, ne sais-tu donc pas, triple sot, ce que sont les femmes ! Avoir pitié d'elles, quelle duperie ! Ont-elles donc pitié de nous ? En est-il une qui hésite à déchirer un cœur, à satisfaire sa vanité aux dépens de notre tendresse? Et nous, nous leur devrions tous les respects et tous les ménagements ! Qu e les hommes vulg^aires se conduisent, s'ils veulent, d'après ces principes, je ne serai jamais de ceux qui en acceptent la fausse obli- gation ! Tant pis. Que tous ces vils esclaves d'un sexe perfide et dangereux me flétris- sent à leur gré du vain nom de suborneur ! Qu'ils m'appellent, s'il leur plaît, menteur et débauché ! Qu'ils me montrentdu doigt ou me poursuivent de leurs huées, mon orgueil est au-dessus de leur clameur. Ils font semblant de me mépriser, ces hypocrites, mais, au fond d'eux-mêmes, ils me jalousent et ils m'envient. Ah, ah ! Messieurs, je vous connais et sais le visage de vos masques de vertu ! Taisez-vous, faibles jouets de l'amour. Chapeau bas devant Don Juan! Ne suis-je pas le vivant reproche de votre lâcheté, le cri de vos sourdes haines,

l48 LES SCRUPULES DE SGANARELLE

la victoire de vos défaites, et c'est moi, dont vous évoquez, en vos désespoirs et en vos larmes, Timage armée et vengeresse.

Il revient brusquement vers Sganarelle.

Ainsi tu es résolu à ce que je veux et tu accompliras de point en point ce que je t'ai ordonné ?

SGANARELLE, d'une voix basse.

Oui, Monsieur.

DON JUAN

Je suis aise, Sg-anarelle, de te voir plus rai- sonnable, car j'eusse été bien au reg^ret d'être forcé à te passer cette épée au travers du corps ou réduit à te faire étrangler par ton ami Leporello. Donc, tu rapporteras fidèle- ment mes paroles à Angélique ? Veux-tu que je te les répète ?

SGANARELLE

Inutile, Monsieur, je les sais par cœur : que vous l'aimez, que votre vœu le plus ardent est de l'entretenir de votre amour. Est-ce bien cela ?

ACTE II l49

DON JUAN

Exactement. Tu as beaucoup d'esprit, Sga- narelle. Ah ! tu penseras aussi à la clé...

SGANARELLE

Oui, Monsieur, mais, croyez-m'en, encore une fois, il n'est point bon d'accumuler tant d'iniquités sur votre tête et d'y appeler le châtiment du ciel. Ah, je sais bien que vous savez à merveille éviter celui des hommes et que vous n'avez point votre pareil pour vous tirer d'un mauvais pas, mais, prenez garde, Monsieur, car s'il se peut que vous viviez impuni, je crains bien que vous mourriez impénitent et que vous payiez en l'autre monde ce que vous aurez gagné en celui-ci !

Don Juan fait un mouvement d'impatience.

Attendez, Monsieur, j'ai fini à l'instant, et je sens qu'il est bien vain de vouloir con- vaincre quelqu'un comme vous par le rebâ- chage dont je vous importune. Du reste, le Commandeur vous a déjà dit les mêmes cho- ses. 11 parlait haut, comme il sied à un grand

l5o LES SCRUPULES DE SGANARELLE

personnage. Aujourd'hui, ce n'est qu'un pau- vre valet qui vous supplie. Ah ! seigneur Don Juan, ne repoussez pas ma prière. Soyez géné- reux pour une fois, épargnez une fille inno- cente qui ne sait rien du monde et dont vous allez troubler l'esprit et émouvoir le cœur. C'est une agnelle, Monsieur, une colombe. Je l'ai fait sauter sur mes genoux lorsqu'elle était petite. Qu'en ferez-vous par les chemins? Elle n'aura pas seulement la force de vous suivre. Ah, Monsieur, laissez-la elle est I Quittez cette ville. Renoncez à vos desseins. Ah, seigneur Don Juan, seigneur Don Juan, j'ai vu tout à l'heure le diable dans vos yeux ! Qui sait si ma voix n'est pas un avertissement d'en haut? D'où me viendrait, sans cela, la hardiesse de vous avoir résisté et l'audace de vous implo- rer au risque de votre colère et au danger de votre courroux?... Il y a quelque chose qui n'est point naturel. Fuyez, Monsieur, retour- nez en Espagne. N'y avez-vous point des palais et des châteaux ? N'avez-vous pas goûté, tout votre saoul, à nos filles de France? Lais- sez celle-ci dans sa petite ville, dans sa vieille

ACTE II

i5i

maison, près de son vieux père, avec son oncle Anselme et son pauvre Sg-anarelle. Grâce, seig-neur Don Juan, grâce!

Il se jette à genoux, DON JUAN, à part.

Il est bien exalté et il vaut mieux peut-être ne le pas pousser à bout. {Haut,) Eh, Sgana- relle, qui te dit que je n'y veuille pas revenir, en cette Espagne ? Oui, je rentrerai dans mon domaine d'Andalousie, mais ce sera avec la belle Angélique. Elle y sera Fornement de ma maison et la compagne de ma vie. Tu as rai- son, Sganarelle^ assez de tromperies et d'a- ventures. Celle-ci sera la dernière et, si tu fais bien ce que t'ai commandé, tu auras la gloire d'avoir contribué à ce beau dénouement.

SGANARELLE, se relevant.

Bravo, Monsieur, bravo I Mais alors que n'allez-vous tout bonnement demander la main d'Angélique à son père Géronte? Je crois bien qu'il pense faire épouser à sa fille un gentilhomme nommé Léandre, mais,

l52 LES SCRUPULES Dlî SGANARELLE

comme il est pauvre, Géronte vous donnerait sûrement la préférence.

DON JUAN

Tout beau, Sganarelle, tu voudrais que j'agisse aussi platement? Non, non, mon ami. Je ne veux tenir Angélique que d'elle-même et du consentement de son cœur. . . Mais le temps presse, exécute ce que tu m'as promis. Ne seras-tu pas fier de voir grande Dame d'Es- pagne une personne que tu as connue en bourrelet et au maillot ?

SGANARELLE

Vous avez réponse à tout. {A part,) Avec ce diable d'homme on ne sait jamais au juste ce qu'il en faut penser.

DON JUAN, à part.

Je vais dire à Leporello qu'il m'ait deux bons chevaux tout sellés, ici, à l'angle de cette place. Le lieu est solitaire et dissi- mulé... Le soir vient encore assez vite en cette saison et son heure sera propice aux événements. Moi, je rôderai alentour et je ne perdrai pas de vue la maison de Géronte.

ACTE II l53

J'ai mon épée et mes pistolets... {Haut.) Eh bien, Sganarelle, tu es encore ! Va et fais vite.

SGANARELLE

Hélas ! Monsieur, que me faites-vous faire ?

DON JUAN, lui pinçant amicalement l'oreille.

Nous verrons bien, que t'importe ?

Il met la main sur la poignée de son épée .

Pas de faiblesse, Sganarelle, et à la grâce de Dieu !

Il ôte son chapeau et salue par dérision. Il sort.

SGANARELLE, lui montrant le poing par derrière.

Diable d'homme

lO.

ACTE III

SCÈNE PREMIÈRE SGANARELLE

SGANARELLE

Ah ! pauvre Sganarelle, connais-tu rien de plus à plaindre que le pauvre Sganarelle! Voilà donc aboutit mon projet de rede- venir honnête homme ! et je vois maintenant qu'il n'est pas si facile de s'amender qu'on le croit communément. Que je voudrais donc que tous ces beaux parleurs de vertu se trouvas- sent dans une situation pareille à celle je suis! Si je rapporte à Angélique les propos dont je suis chargé pour elle, je me conduis comme le plus vil des coquins ; si je me tais

i56

LES SCRUPULES DE SGANARELLE

et si je n'accomplis pas le message qu'il m'a confié, Don Juan me tuera de sa main ou me fera étrangler par ce maudit Leporello. D'ail- leurs,furieux de ma trahison, sais-je à quelles entreprises peut se porter son funeste génie ? J'ai vu, tout à l'heure, briller dans son re- gard une flamme infernale. Que faire, hélas I et que devenir? J'ai envie d'aller jusqu'à l'église faire brûler un cierge... Mais que vois-je, Dorine? Oui, c'est bien elle^ toujours vive et brunette. Comment va-t-elle m'ac- cueillir? Attention, Sganarelle, de la réserve, de la dignité! C'est que la pendarde n'a pas pris une ride ni un cheveu gris. Ah! elle m'a aperçu! Composons-nous un maintien.

SCÈNE H SGANARELLE, DOmNE

DORINE. Elle vient vivement vers Sganarelle et s'arrête devant lui, les poings aux hanches.

Ah! vous voilà donc. Monsieur mon mari! Eh bien! Sganarelle, il t'a fallu du temps

ACTE HT 107

pour que tu t'en revinsses au logis. Bonnes gens! N'as-tu pas honte de te présenter à moi avec ces habits trop larges pour ton corps, ces bas qui plissent sur tes mollets, cet air de chien battu et ce nez allongé? Mais quelle vie as- tu donc menée, vieux pendard? Ah! ces messieurs avaient raison. Ce sont donc les femmes qui t'ont mis en cet état?

SGANARELLE

Quoi, Dorine, c'est tout ce que tu trouves à me dire après douze années de séparation? N'es-tu pas, au moins, un peu contente de me revoir?

DORINE

Contente de te revoir! Il faudrait peut-être que je fusse contente de revoir un maraud qui m'a plantée depuis douze ans, qui, après avoir décampé sans crier gare, est demeuré tout ce temps sans s'enquérir de mes nou- velles ! Ah! le beau mari, qui abandonne sa femme pour s'en aller courir le monde ! pensiez-vous qu'était monsieur Sganarelle ? A Verrières, comme un honnête époux ? Eh

l58 LES SCRUPULES DE SGANARELLE

bien, ouiche! A Paris, en France, en Italie, en Espagne, chez les Mauresques, chez les Turcs, que sais-je, au Diable vert... Monsieur se donnait de l'air, pendant que la pauvre Dorine gardait le logis!... {Elle fait sem- blant d'essuyer ses yeux avec son tablier.) Et, quand monsieur est las de vagabonder et qu'il lui plaît de rentrer à la maison, il faudrait qu'on lui sautât au cou, qu'on le cajolât, qu'on le dorlotât et qu'on^ tuât le veau gras !

SGANARELLE

Je n'en demande pas tant, Dorine ! Cepen- dant il me semble que tu oublies un peu pourquoi je suis parti de chez monsieur Gé- ronte... Ecoute, mon enfant, je ne suis pas revenu dans l'idée de te faire des reproches, mais il serait juste que tu convinsses que tous les torts n'étaient pas de mon côté et que je n'ai pas toujours eu, Dorine, à me louer de toi.

DORINE

Tous les torts ! Ah I l'impertinent ! Quand il m'a abandonnée, trompée, il voudrait...

ACTE III I0(

SGANARELLE

Tu avoueras bien au moins, Dorine, que tu as été quelquefois légère, coquette.

DORINE

Légère, coquette ! Répète un peu ! {Elle lève la main.)

SGANARELLE

C'est trop fort I Et ces chansons qui cou- raient la ville et que je viens d'entendre qu'on siffle encore dans la rue?...

DORINE

Des chansons I Les oreilles vous ont tinté, Sganarelle ! Personne n'est chanteur ici, excepté les chantres de l'église et l'aveugle à qui ce bon monsieur Anselme, qui est la pro- vidence des pauvres, a donné un chien et une clarinette.

SGANARELLE

Ta, ta, ta, ta ! je sais ce que je dis, peut- être... Voyons, Dorine, sois raisonnable. Tu ne nieras pas que je n'aie eu quelque sujet de me fâcher. Tu vois bien que tu ne réponds plus rien, Dorine?

l6o LES SCRUPULES DE SGANARELLE

DORINE, faisant semblant de pleurer.

Ah ! mon Dieu, que je suis donc malheu- reuse. Pourquoi fallait-il que je revisse mon pauvre Sg-anarelle pour que je le retrouvasse en Tétat il est? Ah mon pauvre mari! Ah Sganarelle ! [Elle sanglote.) Aussi je me di- sais bien, tout à Theure : il y a quelque chose de bizarre dans sa physionomie I Cette mine- n'est point naturelle et son air ne m'annonce rien de bon. Donne-moi ta main, S^narelle.

SGANARELLE

Ma main!... La voilà. Eh bien!

DORINE

Comme elle est chaude ! Et l'autre ?

SGANARELLE

Tiens donc.

DORINE

Aïe, aïe! j'en suis comme brûlée.

SGANARELLE, inquiet, tàtant ses deux mains plusieurs fois l'une avec l'autre.

C'est vrai, Dorine?

DORINE, avec autorité.

Tire ta langue. Plus longue, plus longue.

ACTE m i6t

Comme elle est jaune et chargée. Et voilà ce que tu rapportes au logis, malheureux Sgana- relle, un corps détruit et un esprit dérangé.

SGANARELLE, effrayé.

Il est vrai que je ne me sens pas entière- ment bien,Dorine. Si je te montrais mon ven- tre, je crois qu'il est un peu ballonné.

Il fait le ^este de défaire ses chausses.

DORINE

C'est inutile, Sganarelle. Alors, répète un peu ce que tu disais. Tu t'imagines que je t'ai trompé. {Sganarelle fait signe que oui.) Tu crois que toutes les chansons qu'on siffle te concernent? {Même jeu.) Tu penses, mon pauvre garçon, que tu es...?

SGANARELLE, piteusement.

Oui.

DORL^E

C'est cela! Te voilà dans un bien grand désordre de tête, mon ami, et il est grand temps d'y porter remède. Avec du régime je me fais fort de te débarrasser de ces

102 LES SCRUPULES DE SGANARKLLE

sottes visions qui t'ont gâté l'esprit. C'est un secret que je tiens du médecin qui a soi- gné Angélique de la rougeole et qui est un savant homme. Allons, Sganarelle, je veux que tu redeviennes en peu de jours le Sgana- relle que j'ai connu : gai, heureux, confiant.

SGANARELLE

Et que faut-il que je fasse, Dorine?

DORLNE -^

Te mettre au lit et prendre médecine, puis je te ferai saigner par le barbier. Mais, d'a- bord, promène-toi un peu encore sur la place, en marchant toujours vers la droite, pendant que je vais bassiner tes draps et en attendant que je revienne te chercher.

SGANARELLE

Et tu crois que, moyennant cela, je perdrai les idées qui me travaillent et cette chaleur qui m'irrite le corps ?

DORINE

J'en suis sûre.

ACTE III IÔ3

SGANARELLE

Est-ce que je ne me guérirais pas tout aussi bien, Dorine, si, au lieu de me promener en rond, j'allais à l'auberg-e chercher mon bagage, qui est avec ceux du seigneur Ya- lère, mon ancien maître?

DORTNE

Vas-y, si tu veux, Sganarelle, mais ne t'attarde pas. Les soirées sont fraîches, et le jour commence à diminuer. Tu passeras chez Tapothicaire et tu achèteras quatre grains d'ellébore.

SGANARELLE

Allons, à bientôt. Bonnette ; au revoir, mon enfant.

SCÈNE m DORINE, seule.

DORINE

Si ce seigneur Valère n'est autre que le cavalier que nous avons rencontré, Angélique

l64 LES SCRUPULES DE SGANARELLE

et moi, en sortant de Tég-lise, Sganarelle doit posséder un bon magot, car son maître est généreux, à en juger par la pièce d'or qu'il m'a glissée dans la main... Mais voici Angéli- que. Gageons qu'elle vient m'entretenir du bel inconnu !...

SCÈNE IV DORINE, ANGÉLIQUE

ANGÉLIQUE

Ah, Dorine, je te cherchais... Je voudrais te demander quelque chose, à toi qui as été mariée, Dorine.

DORINE

Vous pouvez même dire que j'ai été comme veuve, puisque Sganarelle m'a laissée sans lui pendant douze ans. Mais le voici de retour et je crois qu'il en a dans l'aile. {Elle rit.)

ANGÉLIQUE

Tu semblés toute joyeuse, Dorine. Tu l'aimes donc toujours, ton Sganarelle?

ACTE III l65

DORINE

Que voulez-vous, Mademoiselle, ce n'est pas un méchant homme, et il est mon mari.

AISGÉLIQUE

11 est donc bien agréable d'être mariée ?

DORINE

Cela dépend.

ANGÉLIQUE

Et moi, si je me mariais, crois-tu que cela me ferait bien plaisir ?

DORINE

. Eh! Eh!

ANGÉLIQUE

Mon oncle Anselme me disait tout à Theure qu'il n'y a pas pour une fille d'état préférable.

DORINE

Et qu'en pensez-vous?

ANGÉLIQUE

Cela pourrait bien être, Dorine. 11 doit être délicieux de vivre tout le jour avec quelqu'un qu'on aime.

l66 LES SCRUPULES DE SGANAUELLK

DORINE

Peste! comme vous dites cela!

ANGÉLIQUE

Gomment trouves-tu Léandre ?

DORINE

La belle question! Vous le connaissez de- puis que vous êtes petite et vous avez eu le temps de vous former de lui une opinion sans vous embarrasser de la mienne. Que sig-nifie cette nouvelle curiosité à^n sujet?

ANGÉLIQUE

C'est que mon oncle Anselme m'a dit que Léandre est dans l'intention de me deman- der que je l'épouse, et il m'a fort conseillé d'agréer sa recherche.

DORINE

Alors votre oncle Anselme sait mieux que vous-même ce qui vous convient ?

ANGÉLIQUE

Tu n'aimes guère mon oncle Anselme?

DORINE

Et que voulez-vous que j'aime quelqu'un qui

ACTE III 167

se mêle toujours ou de reprendre ou de diri- ger lesautres, quinelrouvejamaisriendebon à ce que Ton fait et qui, depuis qu'il s'adonne aux bonnes œuvres, ne nous marque aucune considération, parce qu'on n'a ni le visage lamentable, ni le vêtement en guenille, ni la main tendue à son aumône.

ANGÉLIQUE

Tu es injuste, Dorine. Mon oncle Anselme est pieux, bienfaisant et charitable, et les œuvres qu'il accomplit sont méritoires.

DORINE

Oui, oui, j'en conviens. Il a même convaincu Léandre de le seconder en ses charités. Ainsi le voit-on avec une gravité et un sérieux qui ne sont pas de son âge.

ANGÉLIQUE

Léandre, pourtant, n'est point mal, mais il me semble qu'il y a du vrai en ce que tu dis. Il a quelque chose de sévère qui m'intimide et j'aurais, Dorine, quelque peine à l'aimer.

l68 LES SCRUPULES DE SGANARELLE

DORINE, moqueuse.

Vous êtes difficile, Mademoiselle. Léandre est g-entilhomme et je n'ai rien dit de lui que vous puissiez me reprocher, si vous veniez à vous mariei" ensemble.

ANGÉLIQUE

Hélas ! Dorine, quand je songe au mariag-e, ce n'est pas à Léandre que je pense.

DORINE

Et à qui donc? -^

ANGÉLIQUE, vivement.

A personne, Dorine. Tout cela n'est que des propos en l'air.

DORINE

Eh bien ! puisque nous badinons^ dites-moi un peu comment devrait être un fiancé à votre souhait.

ANGÉLIQUE, avec feu.

Il faudrait, Dorine, qu'il ait le visage ovale et le teint brun, des yeux sombres et ardents, le nez hardi et la bouche vermeille, la taille bien prise et l'œil audacieux. Il vous saurait

ACTE III 169

regarder avec un regard si tendre et si vif que l'on s'en sentirait toute troublée et qu'on ne pourrait oublier, vécût-on cent ans, l'instant on l'a vu.

DORINE

Je ne sais si je me trompe, mais il me sem- ble qu'il y a bien dans le portrait que vous faites quelque chose de ce cavalier que nous avons rencontré aujourd'hui, avec cette diffé- rence que notre oiseau bleu portait un plu- mage du plus beau rouge et dont vous parais- sez, Mademoiselle, garder un reflet aux joues.

ANGÉLIQUE

Oh! tais-toi, Dorine !

DORINE

Bon ! bon ! voilà justement Léandre qui vient voir l'effet qu'ont produit sur vous les conseils de votre oncle Anselme.

ANGÉLIQUE

Ne nous laisse pas, je t'en conjure, Dorine.

DORINE

Bah! vous ne seriez guère aise si j'empè-

11

170 LES SCRUPULES DE SGANARELLE

chais Léandre de vous confier ce qu'il a àvous dire. D'ailleurs il faut que j'aille bassiner le lil de mon coquin de mari. Ne faites donc pas cette mine d'une aune. Il est toujours agréa- ble d'entendre parler d'amour, et c'est un exercice utile aux filles.

SCÈNE V ANGÉLIQUE, LÉANDRE^

LÉANDRE

lime semble, Angélique, que vous ne parais- sez guère contente de ma venue et j'ai cru voir que vous reteniez Dorine auprès de vous.

ANGÉLIQUE

Vous vous méprenez, Léandre, votre pré- sence n'a rien qui me fâche, d'autant que vous en êtes assez avare depuis quelque temps.

LÉANDRE

Quoi, Angélique, vous vous seriez donc aperçue de mon absence? Et dois-je vous

ACTE III 171

avouer qu'il n'est guère des jours elle a duré je ne me sois entretenu de vous avec votre oncle Anselme? Il vous chérit ten- drement.

ANGÉLIQUE

J'en suis certaine, comme je Je suis aussi qu'il vous veut beaucoup de bien, Léandre.

LÉANDRE

Oui, Anselme m'a toujours montré les sen- timents d'un père. Il était l'ami du mien, qui Tétait également du vôtre. Nos familles sont liées de longue date, Angélique, et je rends grâce au ciel de ces anciennes amitiés qui ont rapproché ma jeunesse de votre enfance. Aussi est-ce votre oncle Anselme qui m'a encouragé à la requête que je veux vous présenter au- jourd'hui. Ne vous doutez-vous pas un peu de son sujet ?

ANGÉLIQUE

Eh ! comment le saurais-je ? Quelque pau- vre à qui mon oncle voudrait intéresser mon père ? Il a eu quelquefois recours à mon entremise, et mes petits succès en ces démar-

172 LES SCRUPULES DE SGANARELLE

ches m'ont rendue toute fière. Bon oncle Anselme. Son cœur est tout aux malheureux î

LÉANDRE

Vous ne pourriez mieux dire , Angélique, aussi est-ce d'un malheureux qu'il s'agit.

ANGÉLIQUE

Quel est-il, Léandre, et que faut-il que Ton fasse pour lui ?

LÉANDRE

Il est devant vous, belle Angélique, et vous pouvez d'autant mieux le secourir que vous êtes la cause de son malheur.

ANGÉLIQUE

Vous m'étonnez, Léandre, en quoi ai-je pu vous nuire ?

LÉANDRE

Hélas! Angélique, n'est-ce pas nuire à quel- qu'un que d'avoir troublé la paix de ses jours et le repos de ses nuits, de l'avoir rendu dis- trait, solitaire, languissant, incapable d'au- cune occupation suivie, indifférent à tout ce

ACTE III 173

qui n'est pas l'idée et la chimère qu'il pour- suit ?

ANGÉLIQUE

Et c'est moi, Léandre, qui vous aurais réduit à cet état ?

LÉANDRE

Vous-même, belle Ang"élique, mais à quoi bon feindre ainsi et ne point vouloir com- prendre ce que ma conduite, mes regards, mes actions, mes soupirs n'ont pas pu vous laisser ignorer ? N'avez-vous pas su y lire la passion que vous m'inspirez? N'éclate-t-elle pas à vos yeux? Ah, charmante Angélique, pourquoi les détourner de celui qui vous im- plore à genoux et qu'un mot pourrait rendre l'égal des mortels les plus fortunés ? . . .

ANGÉLIQUE

Relevez-Yous, Monsieur, de grâce.

LÉANDRE

Ecoutez-moi, Angélique, vous le pouvez sans crainte, car nul amant ne fut jamais plus respectueux. Aucun amour n'eut jamais

11.

174 LES SCRUPULES DE SGANARELLE

de vues plus pures que les miennes. Vous n'entendrez sortir de ma bouche rien qui vous puisse offenser. Je suis timide, Angéli- que, et j'ai à vous demander la grâce la plus insensée et la plus audacieuse, celle de con- sentir à faire le bonheur de ma vie I

ANGÉLIQUE

Léandre, Monsieur !...

LÉANDRE y

Oui, Angélique, consentez à devenir ma femme. Oh ! je sais bien ce que vous me don- neriez et le peu que j'aurais à vous offrir en retour! Dites un mot, belle Angélique : mon cœur, ma vie, mon nom sont à vous. Venez prendre place à mon foyer. Vous y serez res- pectée [de tous et de moi-même, et notre bonheur se continuera dans les enfants qui naîtront de nous. Je n'ajouterai rien, Angé- lique. L'honnête homme ne doit ni se louer ni se rabaisser, et vous me connaissez assez pour que je ne fasse pas miroiter devant vous des qualités que je n'ai point, ni pour que je tente de vous cacher des défauts qui

ACTE m 175

ne me manquent pas. Acceptez-moi tel que la nature m'a formé. L'amour corrigera ce qu^elle a placé en moi de défectueux. Belle Angélique, mon sort est entre vos mains, et j'attends Tarrêt qui le rendra, à votre gré, enviable ou digne de pitié.

ANGÉLIQUE

Ah 1 Léandre, dans quel embarras cruel vous me mettez !

LÉANDRE

Vous est-il donc si difficile, Angélique, de faire un heureux ?

ANGÉLIQUE

Mais quoi, Léandre, ne pouvez-vous donc point penser que je puisse ressentir quelque aversion pour le mariage? N'y a-t-il pas des filles qui le demeurent par goût, par principe ou par devoir? Que deviendrait mon père si je me mariais ? Non, Léandre, renoncez à cette chimère dont j'estime tout le prix, restons- en à l'amitié que je garde pour vous et à celle que je serai toujours aise que vous conserviez pour moi et...

176 LES SCRUPULES DE SGANARELLE

LÉANDRE

C'est à cette amitié que j'en appelle, belle Angélique ! Pourquoi cherchez-vous de vains prétextes et de vaines raisons à votre éloig-ne- ment d'un projet qui me remplissait d'un si tendre espoir et d'un si délicieux désir ? Ah 1 cruelle Angélique, puisse le ciel...

ANGÉLIQUE

Arrêtez, Léandre, arrêtez et écoutez l'aveu véritable auquel mon orgueil cherchait un subterfuge indigne de moi et de vous. Non, Léandre, je ne mérite pas d'accepter l'hon- neur que vous m'offrez. Oh I comme nous nous trompons étrangement au sujet des personnes que nous pensons connaître le mieux! Hélas! Léandre, vous croyiez Angé- lique raisonnable, sage, ménagère et renfer- mée, heureuse de conduire la maison de Gé- ronte, contente des menus soins s'occupe d'ordinaire une fille de son âge et de sa con- dition, douce, soumise, patiente, que sais-je encore? Eh bien, non, Léandre ! La véritable Angélique est fantasque, chimérique, capri-

ACTE III 177

cieuse, évaporée, et c'est à celle-là, Léandre, à qui vous eussiez eu affaire et dont j'ai voulu vous éviter la rencontre et la surprise.

LÉANDRE

Non, Angélique, vous vous calomniez ! Mais fussiez-vous telle que vous vous dépeignez, pensez-vous qu'il j ait de quoi rebuter mon amour? Cette Angélique dont vous parlez, comme je mettrais tout mon cœur à la gui- der, doucement et tendrement, loin d'elle- même! Non! non, ne cherchez point à me détourner de vous, en vous représentant à moi sous les fausses couleurs d'une image mensongère ! Cessez ce stratagème inutile, il ne m'égare point et ne fait que me rendre plus cruelle la force de votre éloignement pour moi. Bien plus, hélas î il me fait entre- voir la vérité !

Léandre cache sa tète dans ses mains et se tait un instant.

La voici qui m'apparaît maintenant. Oui, Angélique, il y a une autre raison à vos refus que celle que vous dites, et celle-là, je sens bien que ni mes prières, ni mes supplications

178 LES SCRUPULES DE SGANARELLE

ne prévaudront contre elle. Adieu donc, espoir de bonheur si longuement caressé 1 Adieu, cher désir de ma vie auquel il faut que je renonce I Angélique ne sera pas à Léan- dre. Malheureux, elle n'écoute même pas la plainte de ton regret ! Pendant que tu lui parles de ton vain amour, ses yeux cherchent une image séduisante. Ah ! quel peut être le mortel fortuné qui a su toucher le cœur d'Angéhque ? Hélas î Léandre, Angélique aime, et ce n'est pas toi qui es aime I

Léandre se dirige vers le fond du théâtre ; tout à coup, il s'arrête devant Don Juan qui vient à lui. Les deux hommes se considèrent, se croisent et tous deux se retour- nent pour se regarder encore, puis sortent chacun dans une direction différente. Angélique n'a pas vu ce jeu de scène.

SCÈNE VI ANGÉLIQUE

ANGÉLIQUE

Que disait-il donc ? Léandre I {Elle passe

ACTE III 179

sa main sur son front,) Ah! il me semble qu'un voile qui couvrait mes yeux se déchire. . .

■SCÈNE VII ANGÉLIQUE, SGANARELLE

SGANARELLE

Ouf 1 voilà qui est fait ! L'hôtelier va m'en- voyer mon bagage. J'ai évité ce gueux de Leporello, qui était en train de choisir des chevaux à l'écurie. J'ai passé aussi chez l'a- pothicaire, voici de quoi mettre dans la médecine que m'aura préparée Dorine. (// tire une fiole de sa poche.) Chez l'apothicaire, il a fallu que je tombasse juste sur le seigneur Don Juan, qui achetait un narcotique. Ah ! c'est un homme qui son^e à tout, et qui n'ou- blie rien ! Il m'a rappelé ma promesse. Ah ! Sganarelle, je ne souhaite à personne d'être à ta place î Bon, voilà la jeune Angélique. Elle ne me voit pas. Elle semble songeuse et préoccupée... Non! je n'oserai jamais... Gom-

l80 LES SCRUPULES DE SGANARELLE

ment m' échapper de ce pas? Brrr!! Hum! hum ! (// tousse. Angélique se retourne.)

ANGÉLIQUE

Ah ! c'est toi, bon Sganarelle !

SGANARELLE

Oui, Mademoiselle.

ANGÉLIQUE

Eh bien, Sganarelle, es-tu, au moins, con- tent de ta nouvelle position? Te voil^à revenu au logis, mais ne crains-tu pas qu'il te pa- raisse bien petit et bien étroit à toi qui as tant couru le monde? Tu as voir des pays étranges. Tu me raconteras tes voyages. J'aurai plaisir à t'entendre. Tu me peindras les villes tu as passé, les contrées que tu as traversées...

SGANARELLE

Oui, oui, Mademoiselle.

ANGÉLIQUE

Comme cela doit être amusant, Sganarelle, d'être ainsi continuellement en chemin parmi tant de nouveautés étonnantes, comme cela

ACTE III Ibl

doit exercer Tesprit et les yeux ! Tandis qu'ici il faut vivre toujours parmi les mêmes choses et les mêmes gens. Tu ne peux pas savoir, Sganarelle, lorsque, chaque matin, on ouvre sa fenêtre, la pensée encore toute pleine des rêves de la nuit, quelle déception on éprouve à revoir chaque fois cette petite place avec ses ormeaux sous lesquels il ne passe jamais personne ! Encore si nous habitions au milieu de la ville, mais nous n'avons pas même de voisins et, au bout du mail, on est tout de suite dans les champs !... Dis-moi donc, So;^anarelle, le maître que tu servais aime beaucoup les voyages puisque le hasard des siens l'a amené jusqu'ici? Gomment se nomme ce seigneur à qui tu appartenais ?

SGANARELLE

Valère, Mademoiselle.

ANGÉLIQUE

Est-il âgé, Sganarelle?

SGANARELLE

Non, Mademoiselle, encore que son teint

l82 LES SCRUPULES DE SGANARELLE

un peu brun lui donne moins de jeunesse qu'il n'en a.

ANGÉLIQUE

Peut-être, Sg-anarelle, mais ces sortes de visages prêtent aux yeux un éclat particulier . GeValère,ne serait-il pas d'une taille ordinaire avec beaucoup de fierté dans sa façon ?

SGANARELLE

C'est bien cela. y

ANGÉLIQUE

Ne porte-t-il un habit de velours rouge et une épée?

SGANARELLE

Oui, Mademoiselle, le seigneur Valère aime les couleurs éclatantes elles belles armes.

ANGÉLIQUE, vivement.

C'est qu'il est, sans doute, d'un caractère hardi et audacieux.

SGANARELLE

Vous le décrivez à merveille. Le connaî- triez-vous donc?

ACTE III

l83

ANGÉLIQUE

Et comment veux-tu, Sganarelle, que je connaisse un gentilhomme qui vient pour la première fois à Verrières ?

SGANARELLE

C'est vrai !

ANGÉLIQUE

Cependant il se pourrait bien que je Teusse rencontré. Ne s'est-il pas promené par la ville?

SGANARELLE

Cela est bien probable.

ANGÉLIQUE

C'est donc bien lui que j'aurai aperçu près, sortant de Téglise, Un homme à cheval lui a remis une lettre qu'il a prise avec beaucoup d'empressement .

SGANARELLE

Oui, mais, auparavant, comme vous sortiez, n'avez-vous pas trouvé le ditValère debout au bénitier pour vous offrir de l'eau bénite?

l84 LES SCRUPULES DE SGANARELLE

ANGÉLIQUE

Gomment sais-tu cela, Sg-anarelle?

SGANARELLE

Mais par le seigneur Valère lui-même.

ANGÉLIQUE

Par Valère ! mais je croyais, Sganarellejque ton maître n'avait fait qu'une action de politesse. Cela s'oublie vite et la première ve- nue mérite ces petites prévenances. Gomment se fait-il qu'il s'en souvienne?

SGANARELLE

Tout doux, Mademoiselle, tout doux. Pen- seriez-vous me faire croire que le seigneur Valère ne vous ait pas regardée avec admira- tion et que vous ne vous êtes pas aperçue delà vive impression que vous produisiez sur lui?

ANGÉLIQUE

Tu veux rire, Sganarelle ! Une petite bour- geoise comme moi retenir l'attention d'un élé- gant seigneur comme est ton maître !

SGANARELLE

En êtes-vous donc si fâchée ?

ACTE III

i85

ANGELIQUE

Et pourquoi le serais-je, Sganarelle? Gela est du reste sans importance et je ne voudrais pas que tu me jugeasses mal sur un pareil enfantillage. D'ailleurs, j'étais avec Dorine qui te dira elle-même... Ce qui n'empêche que je ne me repente d'avoir mis à cette ren- contre quelque coquetterie...

SGANARELLE

Vous repentir , vous auriez grand tort , Mademoiselle!

ANGÉLIQUE

Et pourquoi donc ?

SGANARELLE

Parce que la coquetterie convient à votre visage et qu'elle lui doit donner un feu tout particulier.

ANGELIQUE

Méchant Sganarelle !

SGANARELLE

Tenez, vous voilà rouge comme une fleur de pivoine.

l86 LES SCRUPULES DE SGANARELLE

ANGÉLIQUE

Je vais te battre, Sganarelle !

SGANARELLE

Ma foi, j'ai bien envie de profiter de votre rougeur pour m'acquitter de la commission dont Valère m'a chargé pour vous.

ANGÉLIQUE

Pour moil Et quelle est-elle donc?

SGANARELLE

D'abord il faut que vous me promettiez de n'en rien dire à monsieur Géronte.

ANGÉLIQUE

Certainement. Cela ne l'intéresse point.

SGANARELLE

Ni à votre oncle Anselme.

ANGÉLIQUE

Mais cela ne le regarde pas, Sganarelle.

SGANARELLE

Ni à Dorine, ni à personne... Promettez- vous ?

ACTE m 187

ANGÉLIQUE

Eh oui! Parle.

SGANARELLE

Le seig-neur Valère m'a donné un billet à vous remettre.

ANGÉLIQUE

Un billet I à moi !

SGANARELLE

A VOUS seule.

ANGÉLIQUE

Sais-tu, Sganarelle, qu'il est très mal de recevoir un billet d'un homme que l'on ne connaît pas, et qu'il n'est guère beau de ta part d'accepter un pareil emploi?

SGANARELLE, à part.

Voici nous allons voir si Don Juan a raison ou tort en ce qu'il fait profession de penser de toutes les femmes... Elle rêve.

ANGÉLIQUE

Tu ne réponds rien, Sg-anarelle.

LES SCRUPULES DE SGANARELLE

SGANARELLE

Ma foi, Mademoiselle, mettons que je n'aie rien dit. Ne trouvez-vous pas que ces hiron- delles crient à vous étourdir? Je crois qu'il fera du vent demain, et le ciel est rouge der- rière les arbres.

ANGÉLIQUE

Pardonne-moi, Sganarelle, je t'ai parlé un peu rudement.

SGANARELLE

Mais, non. Mademoiselle. (A part.) Ah ! la brave enfant ! Comme elle nous a bien écon- duits, moi et mon billet!

ANGÉLIQUE

Si, Sg-anarelle, je t'ai parlé rudement; j'ai été surprise, irritée... mais, j'y pense, ce Valère est étranger et les usages de chez lui ne sont peut-être pas ceux d'ici ; j'ai lu qu'ils différaient fort selon les endroits, et il se peut que sa façon d'agir n'ait dans son esprit rien d'ofTensant... L'as-tu toujours, ce billet ?

ACTE III 189

SGANARELLE

Il est là, dans ma poche. (A part.) Oh l la petite sainte nitouche !

ANGELIQUE

Tire-le donc et donne-le-moi.

SGANARELLE, à part.

Ah ! Don Juan, tu ne te vantais pas en vain de connaître à fond le cœur des femmes.

Il fouille dans sa poche. ANGÉLIQUE

Donne.

SGANARELLE

Ma foi, je ne le trouve pas, il faut croire que je Taurai perdu.

ANGÉLIQUE

Tu as perdu le billet de Valère! Cherche bien, Sganarelle, tu dois Tavoir. Dans cette poche, là...

SGANARELLE

Rien.

la.

igO LES SCRUPULES DE SGANARELLE

ANGÉLIQUE

Oh, Sganarelle, quel ennui! Comme tu es néglig"ent, sans soins...

Elle fait la moue. SGANARELLE '

Attendez...

ANGÉLIQUE

Tu Tas?

SGANARELLE

Non, mais consolez-vous; si je Tai perdu je sais par cœur ce qu'il contenait. Le sei- gneur Valère m'en a répété vingt fois les termes, au cas je ne trouvasse pas l'occa- sion de vous remettre ce papier.

ANGÉLIQUE

Je respire... Mais, Sganarelle, es-tu bien sûr de ta mémoire? Tu n'omettras rien ?

SGANARELLE

N'ayez crainte.

ANGÉLIQUE

J'écoute.

SGANARELLE

Le seigneur Valère vous disait donc que,

ACTE III igi

depuis qu'il vous a aperçue, il ne Vit plus qu'avec votre image devant les y eux, qu'il vous trouve la plus belle du monde, que votre visage, votre taille, votre air le ratissent; qu'il meurt du désir d'entendre votre voix et de vous parler; enfin qu'il vous aime pas- sionnément et que son seul souhait est de con- sacrer sa vie à vous adorer et à vous servir.

ANGÉLIQUE, émue.

Continue, Sganarelle, continue. (A part.) Il me semble qu'une main de feu m'étreint la gorge et que je respire une flamme délicieuse qui me pénètre et me brûle !

SGANARELLE

Il ajoutait encore qu'il a le plus grand besoin de vous entretenir aujourd'hui même, qu'il faut que vous entendiez de sa bouche les serments qu'il veut vous faire de son amour et qu'il faut que vous lui donniez le moyen de parvenir jusqu'à vos pieds, soit chez vous, soit ailleurs, selon qu'il vous sera possible de lui en ménager la facilité. (^4 part.) Ouï l Don Juan ne se plaindra pas que je n'aie pas bien

192 LES SCRUPULES DE SGANARELLE

fait les choses. Mais d'honneur est-ce que la pauvrette se laisserait pour de bon prendre à mes paroles? Elle est si pâle qu'on la dirait prête à défaillir. {Haut,) Que faudra-t-il que je réponde de votre part au seigneur Valère?

ANGÉLIQUE, avec élan.

Dis-lui, Sg-anarelle, que je m'échapperai de la maison après le couvre-feu. Chacun monte se coucher de bonne heure et on laisse la clé à la serrure de la petite porte. Dis-lui qu'il m'attende ici même. Ah, Valère ! qu'il me tarde d'être auprès de vous ?

SGANARELLE, effrayé.

Ah! Mademoiselle, qu'allez-vous faire et qu'ai-je fait avec mes discours ! (// s^ arrache les cheveux et marche avec agitation.) Ah! misé- rable Sganarelle, dût-il t'en coûter la vie, il faut avertir cette enfant du danger qui la menace et réparer le mal que tu as causé.

ANGÉLIQUE

Te voilà Ijien agité ; rassure-toi, Sganarelle. Oui, il me tarde d'être en face de Valère, mais

ACTE III 190

pour le punir de son audace et confondre ses projets. Ah! Monsieur Tétrang-er, est-ce ainsi que l'on traite une personne que Ton prétend aimer? Ces petites bourgeoises méri- tent-elles donc autre chose qu'un pareil sans- façon, et ne les' honore-t-on point encore assez en se comportant avec elles de la sorte? On les voit dans les rues elles plaisent aux yeux et l'on ne doute point d'en être remarqué. Ne suffit-il pas, pour qu'elles vous distinguent, de porter un habit rouge et une belle épée, et ne se croit-on pas tout permis envers elles? Compter une minute avec leur vertu et leur honnêteté ! Fi donc ! On leur dépêche un fripon de valet...

SGANARELLE

Oui! oui, c'est bien vrai... Attrape, Sgana- relle.

ANGÉLIQUE

Avec quelques belles paroles et des pro- messes séduisantes. En faut-il davantage pour que ces petites pécores soient trop heureuses de se laisser prendre au piège? Oui, Valère,

194 LES SCRUPULES DE SGANARELLE

j'irai à votre rendez-vous, mais ce sera pour vous dire ce que je pense de votre conduite. Vous saurez qu'il est, de par le monde, des filles sages et hardies qui ne craignent pas d'affronter en face l'insolent qui ose s'atta- quer à elles... Oui, Sganarelle, j'irai à ce ren- dez-vous... (Bas.) Et Angélique entendra au moins une fois la voix de celui qu'elle aime en vain et dont la pensée fait battre son cœur...

SGANARELLE

Ah I Mademoiselle, bravo! voilà qui est par- ler ! Quelle bonne leçon va recevoir le seigneur Valère! Figurez-vous qu'il m*a menacé de m'étrangler si je refusais de vous faire tenir son message et d'accomplir sa volonté. Aussi je vous serais bien reconnaissant que vous lui disiez que je vous ai fidèlement rapporté ses propos et que j'ai exécuté ses ordres.

ANGÉLIQUE

T'étrangler, Sganarelle I (A part,) Hélas I comme il m'aimel (Haut.) Celait, sans doute,

ACTE III

95

par plaisanterie qu'il le faisait cette menace et pour stimuler ton zèle.

SGANARELLE

On voit bien que vous ne connaissez pas le seigneur Valère, et puisque vous êtes envers lui dans les sentiments que vous dites, laissez- moi vous apprendre ce que je n'aurais pas manqué de vous confier, même au risque de ma tête, si vous aviez manifesté pour lui un goût véritable...

ANGÉLIQUE

Eh quoi! Sganarelle, ton maître?...

SGANARELLE, avec force.

Mon maître, mais sachez qu'il n'est pas sous le ciel de pire menteur et de trompeur plus dangereux. Ah I les promesses, les belles paroles, les serments ne lui coûtent rien et il sait les prodiguer et les parer de toutes les apparences de la vérité. Il les enduit d'une glu doucereuse et perfide. Ah ! que j'en ai vu se prendre à ses feintes empoisonnées ! Et pensez-vous encore que la ruse lui suffise! Si elle vient à lui manquer, il aura recours à

iq{> les scrupules de sganarelle

la force, car il n'est rien qu'il ne fasse por arriver à ses fins. Il ne recule ni devant i violence, ni devant le crime. Il n'a jamais e pitié d'une femme, ni peur d'un homme, ii crainte de Dieu, car il est à la fois séducteur spadassin et impie.

Pendant que So^anarelle parle, le jour a baissé et la scène s'obscur cit. Don Juan est entré sans être vu et s'est caché derrière un des arbres de la place.

DON JQAN, à part. ^

Voyons comment le drôle s'acquitte de sa mission... Angélique est bien belle. Le soir vient. Les chevaux sont là, avec Leporello. Tout est prêt. L'amour me favorise. Ecou- tons.

SGANARELLE, s'animant.

C'est ainsi que cet homme, riche, intel- ligent et beau, est devenu un fléau véritable. Que de familles il a désespérées! Que de filles et de femmes il a séduites et perdues! Que de perfidies, de mensonges et de cruautés! Car c'est à mal faire et à nuire qu'il occupe toutes les forces et toutes les ressources de

ACTE III 197

son esprit, avec une affreuse obstination, fondée sur je ne sais quels principes auxquels je ne comprends rien, mais dont j'ai vu les effets épouvantables. Malheur à celle qui tombe sous sa main ! Il n'aura de cesse qu'il ne l'ait réduite à être son esclave. Tout lui est bon. Il a, pour jurer un amour éternel, une facilité merveilleuse.il offre le mariage et sait se dérober comme personne à ses engage- ments. Que vous dirais-je encore? Je n'en finirais pas si je voulais vous énumérer tous ses vices et ses crimes, et pour le noircir il faudrait inventer des méfaits inconnus.

ANGÉLIQUE, d'une voix plaintive.

Assez, Sganarelle, assez I

SGANARELLE

Je n'en dirai jamais assez pour vous mettre en garde contre ce fourbe et ce méchant. Je voudrais que les paroles du pauvre Sganarelle fussent affichées en lettres d'or aux quatre coins du Royaume. Ah ! remerciez le ciel d'a- voir échappé au péril qu'il vous préparait... Et, tenez, il se fait tard et nous ferions mieux

198 LES SCRUPULES DE SGANARELLE

de rentrer. Cette petite place déserte ne me dit rien à cette heure avec ces gros arbres qui y font de Fombre. Et surtout ne vous avisez pas d'y revenir une fois le couvre-feu sonné. Il n'est pas bon de se trouver, seul à seul, avec un pareil homme ! Quand on a votre visag-e et votre corps, c'est risquer tout bon- nement un de ces enlèvements il excelle et dont il ne se fait qu'un jeu. {On entend le bruit d'un cheval qui s'ébroue, Sganarelle se retourne, inquiet.) Allons, Mademoiselle, à la maison. Vous écrirez au seigneur Valère un billet je lui porterai son congé et vous l'assurerez que j'ai bien défendu ses intérêts. Puis je reviendrai me mettre au lit, d'où je ne bougerai que notre homme n'ait quitté la ville, car je ne me sens pas bien et je crains d'avoir pris froid sous les arbres. Brrr! mais vous-même, qu'avez-vous?

ANGELIQUE

Je défaille, Sganarelle, mes jambes ne peu- vent plus me porter. Quoi, tout ce que tu m'as dit de Valère était-ce donc vrai?...

ACTE III 199

SCENE VIII ANGÉLIQUE, SGANARELLE, DON JUAN

DON JUAN. Il est couvert d'un long manteau et s'élance vivement vers Angélique,

Non, belle Ang-élique, il menti et toi, hon- nête serviteur, reçois le prix de tes services!

Il donne un coup de pied à Sgana- relle, qui tombe le nez contre terre.

SGANARELLE

C'est lui; fuyez, Mademoiselle!

DON JUAN

Ne fuyez pas, divine Ang"élique. J'étais là, caché derrière cet arbre, quand ce maraud, dont le Diable ait Tâme {il pousse du pied Sganarelle, qui gémit sourdement), vous parlait de moi en si bons termes. Malgré l'obs- curité je suivais sur votre visage la charmante révolte de votre âme pendant que ce miséra- ble bavait ses ragots d'office et ses calomnies. Ah ! Angélique, quelle joie profonde m'em- plissait le cœur à voir que vous vous refusiez à

200 LES SCRUPULES DE SGANARELLE

croire les sottises et les billevesées qu'il vous débitait ! J'aurais voulu vous crier mon amour, mais il me répugnait de châtier devant vous ce colporteur d'infamies dont je me borne à repousser du pied Foutre flasque, fétide et dégonflée.

Il frappe Sganarelle du talon et pendant toute la scène, chaque fois que Sganarelle fera mine de bouger de terre, il en sera de même.

Le voici donc sous vos yeux, adorable Angé- lique, ce suborneur, ce perfide, ces^ menteur, cet impie... oui, cet impie, qui est prêt à ren- dre grâce à Dieu d'avoir créé un être tel que vous. (// ôte son chapeau.) Regardez bien, Angélique, le visage de ce traître. Fixez vos yeux sur les siens et voyez s'ils expriment le mensonge et la perfidie. Hélas! ce que vous y verrez plutôt ce sont des larmes de douleur. Est-il rien de plus cruel que d'être calomnié auprès de celle qu'on aime? Certes, mais ne me dois-je pas à moi-même de ne point me laisser abattre par un pareil traitement? Je saurai bien eff*acer de votre esprit l'affreuse impression qu'on y a voulu graver. Ma vie

ACTE III 201

entière n'aura d'autre but et d'autre désir. Elle est à vous, Ang-élique, si vous la voulez bien accepter. Disposez-en à votre gré. Ne repoussez pas quelqu'un qui vous aime d'un amour éperdu. C'est pour vous en faire l'aveu que j'ai franchi si hardiment les obstacles qui me séparaient de vous. Pardonnez-moi les moyens que j'ai employés et n'y voyez qu'une marque de la folle violence de ma passion. (// lui prend la main.) Eh quoi, Angélique, votre main tremble ! Ne craignez rien. Oui donc s'aviserait de desserrer le nœud que forment nos doigts enlacés ? Angélique, An- gélique, je sais, je sens que vous m'aimez. Votre silence même est le consentement de votre âme et de votre cœur; ajoutez-y celui de vos lèvres, et je croirai à mon bonheur.

ANGÉLIQUE, d'une voix faible.

Oh! Valère, Valère!...

DON JUAN

Adorable Angélique, soyez à moi. Venez, je connais un vieux prêtre du voisinage qui bénira notre amour. Des chevaux sont qui

202 LES SCRUPULES OE SGANARELLE

nous attendent. Je vous emporterai, serrée contre ma poitrine. Suivez-moi, Ang-élique. Fuyons, et que Taurore de demain nous voie loin d'ici. Un amour comme le nôtre a besoin de solitude et de liberté. Quittons ces lieux et cherchons un abri pour nos baisers. {Il l'enlace et veut l'embrasser.) Eh quoi, Angélique , vous pleurez! Oui, abandonner le toit sous lequel vous êtes née, la maison vous avez grandi ! Je comprends votre émj^ion, mais séchez ces larmes, accordez-moi quelques jours de folie et d'ivresse partagées, et ensuite nous reviendrons demander le pardon de votre père. Oui, divine Angélique, vous rentrerez au foyer de votre jeunesse, mais vous y ren- trerez à mon bras, fière d'un bonheur que vous m'aurez donné et qui sera le souvenir délicieux de notre vie, et le gage de notre iné- puisable félicité.

ANGÉLIQUE

Ah! Valère, Valère !

DON JUAN, riant.

Valère ! 0 charmante Angélique, ne m'ap-

ACTE III 203

)elez plus de ce nom qui n'est pas le mien, ^elui que je porte et dont je veux que vous ne nommiez désormais est plus sonore et plus lautain. Je ne suis pas Valère, Ang-élique, je )uis...

SCÈNE IX LES MÊMES, LÉANDRE

LÉANDRE, derrière eux.

Don Juan l

DON JUAN, se retournant brusquement.

Oui donc ose ici parler pour moi !

SGANARELLE, toujours à terre.

Ah ! le brave Léandre î

Il profite de l'inattention de Don Juan pour se relever et s'aller cacher derrière un arbre.

ANGÉUQUE

Léandre !

LÉANDRE

Angélique! folle et malheureuse Angélique, vous ne savez donc pas qui est cet homme?

204 LES SCRUPULES DE SGANARELLE

(A Don Juan,) Je le sais moi, Monsieur. J'ai pénétré votre mystère et levé votre masque.

DON JUAN, hautain et menaçant.

Je ne me cache pas, Monsieur.

11 ouvre son manteau et pose la main fièrement sur la poignée de son épée.

LÉANDRE

Ecoutez-moi, Angélique. Il existe un homme dont le nom maudit est en horreur à tous les honnêtes gens, car celui qu'il désigne est suivi partout il passe d'une rumeur de haine et de malédiction. Pour cet homme, il n'y a rien de pur, d'innocent et de sacré. Il ne connaît ni scrupules, ni remords. Les lois mêmes ne l'arrêtent pas et son astuce les sait déjouer. La foi jurée ne compte pas pour lui. Un ser- ment ne lui coûte pas plus qu'une parole vaine. Il répond aux bienfaits par l'ingrati- tude, à la confiance par la tromperie. Il es! impie, et, pour mieux dire, idolâtre, car il n'a d'autre Dieu que lui-même.

ACTE III 205

DON JUAN

Fort bien, Monsieur, fort bien, voilà qui débute à merveille.

•LÉANDRE

C'est à lui, à son plaisir, à son org-ueil, à* sa vanité qu'il immole tout ce qu'il rencontre, et c'est à cet org-ueil et à cette vanité qu'il finira par s'immoler aussi dans l'endurcissement de son impénitence. En attendant le jour ven- geur, il poursuit impunément le cours de ses forfaits. Partout il signale sa présence. Ici, une fille séduite , , une femme perdue, ailleurs une famille déshonorée, un mari ou un père réduits au désespoir. Tels sont ses œuvres, ses loisirs, ses délices et c'est lui, ô Angélique, que je trouve aujourd'hui, occupé à son exécrable besog^ne et en train de vous chuchoter à l'oreille ses faux serments et ses promesses mensongères, car je sais ce qu'il vous murmurait dans l'ombre qu'il croit propice à ses desseins et favorable à ses entreprises.

i3

2o6 LES SCRUPULES DE SGANARELLE

DON JUAN

Mais, c'est un sermon, mon bon Monsieur, que vous nous débitez là.

LÉANDRE

Angélique! Angélique! il en est temps en- core, ayez pitié de vous-même. Cette main qui serre la vôtre est celle d'un scélérat.

DON JUAN

Grand merci. Monsieur le p/édicateur, mais cessons ce débat ridicule.

LÉANDKE

Angélique, Angélique, cet homme a menti, cet homme a trompé, cet homme a trahi. Angélique, cet homme a tué.

DON JUAN, riant.

Eh, oui, le Commandeur! Je vous racon- terai quelque jour cette vieille histoire, belle Angélique, et elle vous divertira à la veillée.. . Mais, Monsieur, pour l'instant je suis pressé, et tous ces discours ne servent de rien. Angé- lique m'aime et je ne souffrirai pas davantage

ACTE III 207

devant elle des propos qui m'offensent et qui n'ont que trop duré.

LÉANDRE

Il faudra pourtant bien que vous m'enten- diez jusqu'au bout, seigneur Don Juan. Per- sonne» ne pourra m'empêcher de dénoncer tout haut vos vilenies et vos méfaits. Ils m'em- plissent d'indignation et je veux vous crier tout haut le dégoût qu'ils me causent et l'hor- reur qu'ils m'inspirent.

DON JUAN

Monsieur !

LÉANDRE

Eh quoi, Don Juan, ne pouvez-vous donc souffrir qu'on vous mette une fois en face de vous-même et ne pouvez-vous supporter le miroir de votre propre image? Si encore vous vous borniez au mal que vous faites, mais ne faut-il pas qu'avec l'exemple que vous en donnez vous en propag-iez les principes! Ne niez pas, Don Juan ; je sais, aussi bien que la bassesse de vos actes, l'audace de vos paroles. Hélas î leur détestable artifice a gâté bien des

208 LES SCRUPULES DE SGANARELLE

esprits. Elles se répètent et se colportent, et il y a, dans la jeunesse d'à présent, des têtes assez folles et assez faibles pour croire à ces principes et en appliquer à leur conduite la funeste fausseté. Leurs déclamations ne sont que Técho stupide de votre voix pernicieuse. Us disent, comme vous, que les femmes sont res- ponsables, les premières, des façons que vous avez adoptées envers elles; que leur ruse et leur coquetterie sont l'excuse de votre mé- chanceté ; qu'elles ont d'abord donné le branle d'être perfides et lég-ères, et que les traiter, comme vous faites, en adversaires et en enne- mies, ce n'est que prendre les devants avec elles, et qu'il y a, à ce qu'elles en souffrent, une sorte de justice féroce qui prévient par leurs maux ceux qu'elles ne manqueraient pas de causer... Et quand il y aurait du vrai à ce que vous dites, quand il y aurait des femmes perverses, des filles ing-rates et mauvaises, serait votre droit de les punir et de les châtier? Etes-vous donc Dieu lui-même pour vous substituer à sa Providence et pour pré- venir ses jugements? Encore, si ce n'étaient

ACTE III 209

que celles-là que vous attaquassiez. Mais vous ne faites entre toutes ni choix, ni différence. Quel tort a-t-elle jamais eu envers vous, Don Juan, cette enfant qui est devant vous? Elle est pure, douce, tendre. Pourquoi êtes- vous venu troubler son repos? Avant de vous avoir vu, elle était contente de son existence simple et tranquille et elle eût accepté de la continuer avec quelque honnête homme qui l'eût aimée. Elle aurait vécu heureuse et respectée, à son foyer dont elle n'aurait connu que les joies simples, mais durables. Au lieu de cela, il a suffi que vous parus- siez. Il lui a suffi d'entrevoir, au coin d'une rue, votre visage maudit et cet habit rouge qui est sur vous, moins l'accoutrement d'un gentilhomme que la livrée même de Satan, pour lui pervertir l'esprit et lui tourmenter le cœur. Dès lors, rien de ce qui composait son existence ordinaire n'a plus compté pour elle. Elle a tout oublié, et vous avez détruit en elle l'édifice de la paix pour y substituer l'autel brûlant de l'amour. La couleur de feu que vous portez lui a communiqué sa dangereuse

i3.

210 LES SCRUPULES DE SGANARELLE

flamme dont il ne restera un jour en elle que des cendres amères et empoisonnées. Vous êtes parvenu jusqu'à elle, je ne sais par quels moyens, mais avec une rapidité qui stupéfie, et la voici devant vous, Don Juan, fascinée et presque perdue, prête à augmenter la suite de ces misérables dont vous tramez après vous les ombres gémissantes et accusatrices. Gomme celles-là, Don Juan, vous la mènerez à sa perte et vous l'abandonnerez à sa douleur, comme celles-là vous la quitterez, car il vous quittera, Angélique, il vous délaissera, il vous oubliera...

ANGÉLIQUE

0 Don Juan, depuis que j'ai entendu ta voix, je sais qu'elle est trompeuse et menson- gère! 0 cher amant, oui, je sais que par toi je souffrirai et que je pleurerai, que je con- naîtrai Tangoisse, le désespoir et l'abandon, mais aussi je connaîtrai l'ivresse du cœur, je connaîtrai l'amour. .. Léandre, Léandre, éloi- gnez-vous...

ACTE IIÏ 1! I I

LÉANDRE

Oh ! Angélique, écoutez-moi, ayez pitié de vous-même !

AKGÉLigUlt

Hélas ! Léandre, je l'aime. (A Don Juan,) Je vous aime, Don Juan, et je veux être à vous. Je n'ai ni force, ni courage, mais je vous suivrai au bout du monde, dussé-je m'y traîner sur les genoux.

Leporello, qui s'est glissé jusqu'à Don Juan, le tire par le pan de son manteau.

LEPORELLO, bas.

Hâtons-nous, Monseigneur. Le Guet fait sa ronde et rôde par ici. Il y a quatre hommes et un sergent ; nous aurions à faire à forte partie.

DON JUAN

C'est bien.

A Léandre, qui lui barre le che- min et se relève du banc sur le- quel il s'est laissé tomber, assis la tête dans ses mains.

Allons, Monsieur, laissez-moi passer, vous voyez bien que je ne fais aucune violence à

212 LÉS SCRUPULES DE SGANARELLE

mademoiselle et vous serez témoin que c'est bien de son plein gré qu'elle m'accompagne.

ANDRE

Angélique, revenez à vous, il en est temps encore.

ANGÉLIQUE

Je l'aime, Léandre. Adieu.

DON JUAN, écartant Léandre.

Au diable, Monsieur, faites-nou^lace.

LÉANDRE

Eh bien, non ! Angélique vous aime, soit, mais j'aime Angélique.

DON JUAN

Eh! voilà donc la raison de vos belles mo- rales !

LÉANDRE

Oui, j'aime Angélique et je la défendrai contre elle-même et contre vous.

DON JUAN

Ne me forcez pas, Monsieur, à faire un malheur.

ACTE III

2l3

LÉANDRE

Renoncez donc à causer celui d'Angélique.

DON JUAN

Ah ça, vous voulez rire, Monsieur !

LÉANDRE, tirant son épée.

Je n'en ai aucune envie, Monsieur !!

DON JUAN, repoussant Angélique, et l'épée à la main.

Alors, Monsieur, vous voulez tout bonne- ment me tuer ! Il n'est guère convenable de prétendre ainsi enlever à Dieu le privilège de sa justice.

LÉANDRE

Tais-toi, impénitent !

Ils engagent le fer. Sganarelle, au bruit des épées, sort de derrière son arbre et s'enfuit. Angélique se jette entre les combattants.

ANGÉLIQUE

Don Juan ! Léandre !

DON JUAN

Laissez-nous, ma belle amie. Leporello, écarte cette femme.

2l4 LES SCRUPULES DE SGANARELLE

i

LEPORELLO, maintenant Angélique.

Voilà une répétition de TafFaire du Com- mandeur... Quel homme! à peine la grâce du Roi obtenue, il recommence. II finira sur le billot... Mais donc a passé Sganarelle? Puisqu'on se bat, j'en aurais profité pour lui régler son compte. Pourvu qu'il n'ait pas couru ameuter les gens et donner l'alarme. Bravo, Monseigneur !

Don Juan et Léandpe se battent. LÉANDRE

Ah ! je meurs !

Il s'affaisse lourdement. Angéli- que pousse un cri d'horreur et s'é- vanouit. Leporello se penche sur le corps de Léandre et fouille dans les poches du mort.

LEPORELLO

Il a son compte. Maintenant, Monseigneur, à cheval et filons... Le même coup que le Commandeur. Voyons s'il n'a rien dans ses poches.

DON JUAN, jetant son cpée.

Bah ! Leporello, le Roi est bon. Nous en

i

ACTE III 2l5

serons quittes pour deux tombeaux au lieu d'un ! Mais que veut dire ce vacarme ?

On entend une rumeur de voix. Des lumières s'allument aux fenê- tres de la maison de Géronte. On crie : Au meurtre !

LEPORELLO

Gela veut dire qu'on est à nos trousses et qu'il faut décamper. Oust I

DON JUAN

Aide-moi, Leporello.

Il charge sur son épaule Angéli- que évanouie, en lui relevant sa robe d'un geste indiscret.

Elle est belle, et elle a la jambe fine pour une bourg"eoise. Leporello, sont les che- vaux ?

LEPORELLO

Par ici, Monseigneur, par ici...

Ils sortent en courant. La nuit est tout à fait venue.

2l6 LES SCRUPULES DE SGANARELLE

SCENE X SGANARELLE

SGANARELLE. Il entre essoufflé et s'arrête derrière un arbre.

Au meurtre, au meurtre ! Personne ! (// s'avance et heurte le corps étendu de Léan- dre.) Oh ! (// se baisse et tâte le cadavre.) Si cela pouvait être Don Juan. On n'y voit goutte. ... Ah, cette moustache... C'est Léandre... Il est mort... j'ai les mains pleines de sang. (// ramasse une des épées.) Brrr ! il y en a jusqu'à la poignée... Ah pauvre Léandre !... et Angélique I

11 s'adosse à un arbre, comme hébété.

SCÈNE XI

SGANARELLE, GÉRONTE, ANSELME, DORINE gens de la ville, le Guet.

GÉRONTE, sortant de sa maison, un flambeau éteint à la main.

Qu'y-a-t-il ?

ACTE III 217

ANSELME

Eh ! mon frère, ne criez pas tant. Dorine^ la lanterne ! {Il fait quelques pas.) On a tué quelqu'un ici.

Il recule. LE SERGENT DU GUET

Donnez, Monsieur. (//a/)/)roc^^ la lanterne.) Mais c'est le seigneur Léandre !

TOUS

Léandre !

UN HOMME DU GUET

Il est encore chaud, le meurtrier n'est pas. loin.

Le sergent élève la lanterne, dont le rayon éclaire le visage hébété de Sganarelle.

LE SERGENT

Le voilà. Désarmez-le.

On arrache à Sganarelle l'épée qu'il tient encore à la main.

Qui es-tu ?

Géronte et Anselme s'appro- chent.

GÉRONTE ET ANSELME

Sganarelle I

14

2l8 LES SCRUPULES DE SGANARELLE

TOUS

Sg-anarelle !

DORINE

Sganarelle, mon mari !

GÉRONTE

Tu as tué Léandre, toi, Sg-anarelle, mais c'était donc pour le voler, misérable I

VOIX DIVERSES ^

Gomment, Sg"anarelle, l'ancien valet de monsieur Géronte, Sg-anarelle !

UN HOMME DU GUET

En effet, la poche du seigneur Léandre est coupée !

GÉRONTE

Tenez-le bien, monsieur le Sergent. (// le menace du poing.) Ah ! canaille, tu as tué Léandre, Léandre le fiancé de ma fille, car, enfin, il aurait pu Tépouser si j'y avais con- senti. Brigand, assassin! Que dites-vous de cela, Ansehne ?

ACTE III 219

ANSELME, pleurant à geooux auprès du cadavre .

Ah ! Léandre ! 0 mon fils d'adoption, con- solation de ma vieillesse !

GÉRONTE, furieux.

Il a tué Léandre, tout comme il aurait pu m'en faire aussi bien autant, car, enfin, Léan- dre était pauvre et je suis riche. J'en tremble rien qu'à cette idée ! Ah, malheureux, voilà ce que tu es devenu à courir le monde . . . C'est pour cela que tu as cherché à t'introduire chez moi! C'est qu'il faisait le petit saint et le bon apôtre. Il n'en voulait plus à Dorine de l'avoir trompé. Il ne parlait que de repos; il cajolait ma fille Angélique.

SGANARELLE, d'une voix faible.

Angélique !

GÉRONTE

Angélique, Angélique! Il n'y a pas d'An- gélique. TonafFaire est bonne. Tu seras pendu, pendard, voleur, assassin.

DORINE

Mais laissez-le donc, vous voyez bien que vous l'étranglez à le tenir au collet. Voyons,

220 LES SCRUPULES DE SGANARELLE

parle, Sg-anarelle... Ce n'est pas possible... Ce n'est pas un méchant homme, que mon pau- vre Sg^anarelle. Il ne ferait pas mal à une mouche... Ecoutez-le, monsieur le Sergent I

LE SERGENT

Allons, paix, la belle 1 Nous allons l'em- mener en prison. Il paraît touthébété et comme ivre de son meurtre.

SCÈNE XII LES MÊMES, LE PETIT PATISSIER

LE PETIT PATISSIER

Monsieur Géronte, monsieur Géronte, on enlève votre fille... oui, deux hommes à che- val... avec des torches... Je viens de les voir qui passaient la porte de la ville... Ah, je les ai très bien reconnus, monsieur Géronte; vous savez, ce valet qui m'a volé les tourtes et le seigneur en habit rouge qui voulait me faire chanter les couplets sur Sganarelle. Je les ai vus distinctement.

ACTE m 221

GERONTE

Au secours, à Taide, arrêtez-les, arrêtez- les î

II saisit S^anarelle à la gorge. LE SERGENT DU GUET, à Sganarelle.

Dis-nous le nom du ravisseur.

GÉRONTE

Il s'appelle Valère, monsieur le Sergent, Valère, c'est un g-entilhomme de Picardie...

SGANARELLE

Eh non, Monsieur, il se nomme Don Juan, et c'est lui qui a tué Léandre, comme il a tué le Commandeur, comme il aurait tué quicon- que se serait opposé à ses desseins et vous- même, monsieur Géronte, si vous vous étiez trouvé devant ses pas. Ahl vous ne savez pas quel homme c'est que Don Juan. Dieu vous ('pargne devons trouver jamais en sa présence, hormis au jour du jugement dernier, il faudra bien qu'il paie le prix de ses forfaits, à

222 LES SCRUPULES DE SGANARELL3

moins qu'il ne trouve encore un moyen d'évi- ter la vengeance divine par quelque tour de sa façon qui le sauvera de la colère et de la justice du ciel.

La Bau]e-sur-Mer-i9o4 Pari s- 1905.

FIN

ACHEVÉ D'IMPRIMER le vingt février rail neuf cent huit

PAR

BLAIS & ROY

A POITIERS

pour le

MERGVRE

DB

FRANCE

EXTRAIT DU CATALOGUE

DES ÉDITIONS DV MERCVRE DE FRANCE

Collection de Romans

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oui simple

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ie la Flamme. . .. arcel Batilliat

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Le Peuple du Pôle 3.50 Un Cœur virginal 3.5(

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Louis Dumur

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our d'ube Fem-

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A. Coulangheou

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Georges Eelihoud

L'Autre Vue 3.50

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La Faneuse d'amour 3 . "'fî

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Les Sangsues

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3.51

D'un Pays lointain 3.5(

Le Pèlerin du Silence.... Le Songe d'une. lemme. . .

Thomas Hardy

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Frank llarris

.Montés le .ALitador

A -Ferdinand Herold

L'Abbaye de Saiii*r\phro.

dise r '■'■'•

Les Contes du "Vampire

Maurice Hewlett

La Duchesse de Nona 3

Charles-Henry Hirsch

La Possession -^

La Vierge aux tulipes.

Kdmond Jaloux

'.agonie de l'Aiiiour 3

L'Kcole des .Mariages 3

3.5(

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3.i

3.50

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sentimentale.. . i.v .ic la Préfecture. .

iGaston Danville

du Miroir

<iues Daureiie

e Iléloïse. . . .

I Albert Delacour

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Paradis des Vierges sa ges.

Laurent Evrard

Le Danger 3.50

Gabriel Faure La dernière Journée de Sapphô 3.50

André Fontainas

L'Indécis

L*Oraement de la SoliluJe. - >>

André Gide

L'Immoraliste 3.50

Les Nouriitiires ierrestres. 3.50 Le Prométhée mal enchaîné t m Le Voyage d'Urien, suivi

Alma'ide d'Etremont -

Pensée des Jardins 2

Pomme d'Anis 2

Le Roman du Lièvre 3 .

Alfred Jai ry

Les Jours et les Nuits 3

Albert Juhellô

,.<: ..lise virile

Gustave Kahn

Le Conl<i de l'Or et du Si-

lence.

)tils Delattre

Péché

I azia Deledda

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lène Demolder

M. Cheunus. . . ler de la Pompa-

wis de la Reine de

d'RmArniirlp

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3.50

3.50

3.50 3.50

de Pâludes 3.50

A. Gilbert de Voisins

La Petite Angoisse 3.50

Ginku et Bilub;; Le Voluptueux Voyage > les Pèlerines de \'eiù>

!VIaxime Gorki

L'Angoisse 3

L'Annonciateur de la Tem- pêté

Let Déchus . .

50

Les

Viir.

o.oO 3.50

Rudyard Kipling

Les Bâtisseurs de Ponts... 3

L'Histoire des Gadsby . '■i

L'Homme qui voulut être roi 2

Kim r

Le Livre de la JungL

Le Second Livre de la J i:

gle ;

La plus belle Histoire >

monde

Le Retour d'Imray

Stalky etCie

Sur le Mur delà Ville

Hubert Kraius

.\mours rustiques. . Le Pain noir

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-a Force du Désir 3.50

Laclos

^es Liaisons dangereuses (édition collationnée sur le manuscrit) 3.50

A. Lacoin de Villemorin et D-^ Khalil-Khan

.e Jardin des Délices 3.50

Jules Laforgue

loralités légendaires, sui- vies des D.ux Pigeons. 3.50

Camille Lemonnier

.a Petite Femme de la Mer 3.50

Paul Léautaud

,e Petit Ami 3.50

Jean Lorrain

ionles pour lire à la chan- delle 2 >3

He- ri Malo

es Messieu -, {la Cabinet.. 3 5Q es Dauphins du jour 3.50

Raymond Marivalj

hair d'Ambre 3.50

e Çof, Mœurs kabyles 3.50

Max-Anély

es Immémoriaux 3.50

Charles MerkI argot d'Eté 3.50

Eugène Morel

ss Boers 2 »

Jean Moréas

jntes de la Vieille France. 3.50

Alain Morsang et Jean Ueslière

i Mouette 3.50

Marie et Jacques Nervat

îlina Landrol 3.50

Walter Pater Ttrails Imaginaires 3.50

Péladan

L Licorne 3.50

jdeslic et Vanité 3.50

; Nimbe noir 3.50

♦régrine et Pérégrui 3 . 50

Plepre de Querlon

Boule, de Vermeil 3.50

line, fille des cliHinps. .. . 3.50

s Joues d'Ilélcric 3,5C

Liaison fàchoiiso 3 ,50

Maison de la Petite Livia 3.50

Pierre de Querlon et Charles Verrier

Les Amours de Leucippe et de Ciitophon. 3.50

Pierre Quillard

Les Mimes dHérondas 2 »

Thomas de Quincey

. De l'Assassinat considéré

comme un des Beaux-Arts 3.50

Rachilde

Contes et Nouvelles 3.50

Le Dessous 3 . 50

L'Heure sexuelle 3.50

Les Hors nature 3.50

L'Imitation de la Mort .. 3 . 50

La Jongleuse 3.50

Le Meneur de Louves 3.50

La Sanglante Ironie 3.&0

La Tour d'Amour 3.60

Hugues Rebell

Le Diable est à table 3.50

Henri de Régnier

Les Amants Singuliers 3.50

Le Bon Plaisir 3.50

La Canne de Jaspe '. . 3.50

La Double Maître^^se 3.50

Le Mariage de Minuit 3.50

Le Passé vivant 3.50

La Peur de l'Amour 3.50

Les Rencontres de M. de

Bréot , 3.50

Les Vacances d'un Jeune

Homme sage 3.50

I Jules Renard

Le Vigneron dans sa Vigne. 3.50

AVilIiamRilter

Fillette slovaque 3.50

Leurs Lys et leurs Roses . . 3.50 La Passante des Quatre Sai- sons 3 . 50

Lucien Rolmer

Madame Fornoul et ses Hé- ritiers 2

Jean Rodes

Adolescents 3.50

J. H. Rosny

Les Xipéhuz 2 »

Eugène Rouart

La Villa sans Maître 3.50

Saint PolrRoux

De la Colombe au Corbeau

par le Paon 3 . 50

Les Féeries intérieures... . . 3.50 La Rose et ics Epiiu^s du Chemin. . .'tO

Albert Sama

Contes '

Robert Schell

Lès Frissonnantes. . Les Loisirs de Bertbi Le Péché mutuel.

Marcel Schw<g

La Lampe de Psyché. . .

R.-L. Stevens^

La Flèche noire .■

Ivan Stranni

L'Appel de l'Eau ;

Auguste Strindj

Axel Borg

Inferno ^

Jean de Tina

Aimienne ou la Détouri mpnt de mineure

L'Exemple de Ninon de L clos amoureuse

Penses-tu réussir?

P -J. Toulel

Mon amie Nane

Les Tendres Ménages ^. . ,

Mark Twain

Contes choisis

Exploits de Toin Saw; déïective et autres ne veiles

Un Pari de Milliardaires.

Plus^ort que Siierlock H mes

Le Prétendant américain.

Eugèpe Verno

Gisèle Chevreuse

Jean Viollis

Petit Cœur.

H. -G. Wells

L'Amour et M. Lewisham Ias. Guerre des Mondes,. . Une Histoire des Tempt

venir

L'Ile du Doclt'ur Moreau La Machine à explorer

Temps

La Merveilleuse yisii

Miss Walers

Les Pirates de la

Place aux Géants

Les Premiers Ilommos da

la Lune

Quand le dormeur s'éveille

Willy

Claudine en ménage.

Colette Willy

La Retraite senlimcntaic. Sept Dialog-ues de Bètcs.

Léon Uocquet

Poé.sie

Marie Danguet

o en n... ii 1 .

Emile Despax

- n f » f -

3

uard Ducoté

en fleurs 3 50

ax Elskamp

de la Vie 3.50

é Fontainas.

Paul Fort

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de Louis XI. . . .

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3.50

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solitaire 3.50

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3.50

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aux Destinées. . .

Ilenrik Ibsen

3.50

rancis Jammes

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I Gustave Kahn

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uèmes ''-'^

Klingsor

Schéhérazade

Marc Lalartjue L'Age d'Or

Jules Lalorgue Poésies complètes

Léo Larguier Jacques

Louis le Cardonnel

Poèmes ••• ^'^^

Sébastien Charles Leconte

Le Sang de Méduse 3. 50

La Tentation de IHomme. . 3.o0

Charles Van Lerberghe

La Chanson d'Eve 3.50

Entrevisions 3.50

Grégoire le Roy

La Chanson du Pauvre. . .

Sluart Merrill

Poèmes, 18S7-18y7

Les Quatre Saisons

Victor-Emile Michelet L'Espoir merveilleux 3.50

Albert Mockel

Clartés 3 »

Jean Moréas

Poèmes et S vives 3.50

Premières Poésies 3.oO

Les Stances ^ . 50

Marie et Jacques Nervat

Les Rêves unis

François Porche

A chaque jour

Pierre Quillard La Lyre héroïque et dolente.

Ernest Raynaud

La Couronne des Jours

Hugues Rebell Chants de la Pluie et di;

Soleil

Henri de Régnier

La Cité des Eaux ••;••

Les Jeux rustiques et divins. Les Médailles d'Argile

3.50

3.50

Poèmes, 1887-1892 3.50

Premiers Poèmes à.ov

La Sandale ailée **-»0

Lionel des Rieux

Le Chœur des Muses

Arthur Rimbaud Œuvres de Jean-Arthur

Rimbaud

p.-N. Roinard

La Mort du Rêve 3.50

Ronsard

Le Livret de Folastries 3.50

Sainte-Beuve

Le Livre d'.\mour

Albert Saraain

Le Chariot d'Or -.

Aux Flancs du Vase, suivi de Polyphème et de Poè- mes inachevés . . 3 . 5i

Au Jardin de l'Infante 3.o<

Fernand Séverin

Poèmes

Paul Souchon

La Beauté de Paris

André Spire

Versets

Laurent Tailhade Poèmes aristophanesques..

Poèmes élégiaques

R.-H. de Vandelbourg

3.5(

3.5(

3.5

3.5

3.

3.;

3.;

3.i

3.50

3.50

3.50

3,50

3.50 3.50 3.50

3.i

3.1

3.

La Chaîne des Heures

Emile Verhaeren

Les Forces tumultueuses...

La Multiple Splendeur 3

Poèmes **

Poèmes, nouvelle série.

Poèmes, 111" série

Les Villes Tenlaculaires, pré- cédées des Campagnes Hallucinées 3-

Les visages de la Vie 3 .

Francis Vielé-Grillin

i.larlé de Vie 3,

La Légende ailée de Wieland

le Forgeron 3 .

Phocas le Jardinier 3

Plus loin

3.

Poèmes et Poésies 3

Tliéâtre

ary Bataille

, précédé de la

■mi Claudel

.Marcel ColUère

racusiiiae-i

Idouard Dujardln

3.50

3.50 3.50

André Gide

SaQl. Le KoiCaiidaule

3.5^ Maxime Gorki

Dans les Bas-Fonds

3.50 Les Petits Bourgeois

Remy de Gourmoni

\ a Lililh, suivi de Théodat 3.50

Gerhart Hauptmann r. Cliirhe engloutie 3-50

A.-Ferdinand Herold

L'Anneau de Çakuntalà 3

Les Hérétiques J

Sâvilri ••• *

Une jeune femme bien gardée S

Virgile Josz et Louis Dun

Rembrandt "^

Jean Lorrain et A. Ferdinand H«m-o1

Prométhés

Marie Krysinska

La Force du Désir 3.50

Laclos

Les Liaisons dangereuses (édition collationnée sur le manuscrit) 3.50

A. Lacoin de ViJlemorin et D' Khalil Khau

L,e Jardin des Délices 3.50

Jules Laforgue Iforalités légendaires, sui- vies des D.ux Pigeons. 3.50

Camille Lemonnier

.a Petite Femme de la Mer 3.50

Paul Léautaud

.e Petit Ami 3 . 50

Jean Lorrain

lonles pour lire à la chan- delle 2 «

Hf "i Malo

ies Messieii •. ôa Cabinet.. 3 50 ,es Dauphins du jour 3. 50

Raymond Marivalj

hair d^Ambre 5. 50

e Çof, Mœurs kabyles. . . 3.50

Max-Anély

es Immémoriaux 3.50

Charles Merki

argot d'Eté 3.50

Eugène Morel

ss Boers 2 »

Jean Moréas

întes de la Vieille France. 3.50

Alain Morsang et Jean beslière

i Mouette 3.50

Marie et Jacques Nerval

îlina Landrol 3.50

AValter Pater •rtraits Imaginaires 3 . 50

Péladan

i Licorne 3.50

sdeslie et Vanité 3.50

Nimbe noir , 3.50

irégrine et i'érégrin 3 . 50

Plepre de Querlon

Boule de Vermeil 3.50

line, fille des champs. .. . 3.50

s Joues d'IléliTic 3.50

Liaison fâchouse 3.50

Maison de la Petite Livia 3.50

Pierre de Querlon et Cliarles Verrier

Les Amours de Leucippe et de Clifophon. 350

Pierre Qu il lard

Les Mimes d'Hérondas 2 »

Thomas de Quincey

De i'Assassinat considéré comme un des Beaux-Arts 3.30

Rachilde

Contes et Nouvelles 3.50

Le Dessous 3.50

L'Heure sexuelle . . 3 . 50

Les Hors natuie 3.50

L'Imitation de la Mort . . . .. 3 . 50

La Jongleuse 3. 50

Le Meneur de Louves 3.50

La Sanglante Ironie 3.{)w

La Tour d'Amour 3.50

Hugues Rebell

Le Diable est à table. ..... 3.50

Henri de Régnier

Les Amants Singuliers 3.50

Le Bon Plaisir 3.50

La Canne de Jaspe. 3.50

La Double Maîtresse 3 . 50

Le Mariage (ie Minuit 3.50

Le Passé vivant 3.50

La Peur de l'Amour 3.50

Les Rencontres de M. de

Bréot 3.50

Les Vacances d'un Jeune

Homme sage 3.50

' Jules Renard

Le Vigneron dans sa Vigne. 3.50

William Ritter

Fillette slovaque 3. 50

Leurs Lys et leurs Boses .. 3.50 La Passante des Quatre Sai- sons.. 3.50

Lucien Rolmer

Madame Fornoul et ses Hé- ritiers 2 »

Jean Rodes

Adolescents 3 . 50

J. IL Rosny

Les Xipéhuz 2 »

Eugène Rouart

La Villa sans Maître 3.50

Saint PolrRoux

De la Colombe au Corbeau

par le Pat»n 3 . ÔO

Les Féeries intérieures 3.50

La Bose et ics Epims du Chemin. . .»0

Albert Sama

Contes

Robert S chelJ

Les Frissonnantes y

Lek Loisirs de BertheLivl Le Péché mutuel '<

Marcel Schw<

La Lampe de Psyché. . J

R.-L. Steven»

La Flèche noire .;

Ivan Stranni

L'Appel de l'Eau

Auguste Strind)

Axel Borg

Inferno '

Jean de Tinî

Aimienne ou la Détour mpnt de mineure

L'Exemple de Ninon de L clos amoureuse

Penses-tu réussir?

P.-J. Toulel

Mon amie Nane

Les Tendres Ménages ... .;

Mark Twain

Contes choisis

Exploit^»/ de Toin Saw; détective et autres n< velles

Un Pari de Milliardaires.

Plus^ort que Suerloclc H mes

Le Prétendant américain!

Eugène Verno

Gisèle Chevreuse

Jean Viollis

Petit Cœur.

H. -G. Wells

L'Amour et M. Lewishain La Guerre des Mondes. . . Une Histoire des ïenipi

venir

L'Ile du !)oct(5ur Morcau La Machine à e.\piorcr

Temps

La Merveilleuse yisi'

Miss Walers

Les Pirates de la

Place aux Géants

Les Premiers Hommes da

la Lune

Quand le dormeur s'éveille

Willy

Claudine en ménage.

Colette Wllly

La Retraite senliinentak*. Sept Dialogues do Bctcs.

Léon itocquet

Poésie

Marie Danguet

1 «t n.. - Il /

Emile Despax

__ 3

uard Ducoté

m fleurs 3 50

IX Elskamp

de la Vie 3.50

•é Fontainas.

3.50

Paul Fort

arin 3 . 50

■an<;aises 3.50

m l'homme tout

du Paradis 3.50

s de Jeu., précé-

ucienne 3.50

ques 3.50

3.50

i m entai ou le

e nos vinjït ans. 3.50

de Louis XI 3.50

lui Gérardy

,. 3.50

.ouïs Payen

lancbes 3.50

rice Pottecher

du Repos 3 »

enri Ghéon

3 de lÉté 3.50

larles Guérin

îolitaiie 3.50

intérieur 3.50

r de Cendres. . . . 3.50

irdinand Herold

des chemins 2 »

ndres et merveil-

3.50

»ert d'Humlères

aux Desiinées .... 3 . 50

ieurik Ibsen

3.50

aocis Jammes

' de l'Aube à

1 Soir 3.50

,^ le Ciel 3.50

des Primevères.. 3.50

phe de la Vie 3 50

ï U.Slave KahD

d'Ima^'Cs 3.50

Poéiiiêâ 3.50

Klingsor

Schéhérazade 3.50

Marc Lalargue

L'Age d'Or 3.50

Jules Laforgue

Poésies complètes 3.50

Léo Larguier Jacques 3.50

Louis le Cardonnel Poèmes.... : . . 3.50

Sébastien Charles Leconte

Le Sang de Méduse 3. 50

La Tentation de l'Homme. . 3.50

Charles Van Lerberghe

La Chanson d'Eve 3.50

Entrevisions 3.50

Grégoire le Roy

La Chanson du Pauvre. ... 3.50

Stuart Merrill

Poèmes, 18S7-1897 3.50

Les Quatre Saisons.. .... . 3.50

Victor-Emile Michelet L'Espoir merveilleux 3.50

Albert Mockel

Clartés 3 »

Jean Moréas

Poèmes et S vives 3.50

Premières Poésies 3.50

Les Stances 3 . 50

Marie et Jacques Nervat

Les Rêves unis 3.50

François Porche

X chaque jour 3 . 50

Pierre Quillard

La Lyre héroïque et dolente. 3 . 50

Ernest Raynaud

La Couronne des Jours 3 . 50

Hugues Rebell

Chants de la Pluie et du

Soleil 'io^J

Henri de Régnier

LaCi'.é des Eaux......... 3.50

Les Jeux rustiques et divins. 3.50 Les Médailles d'Argile 3 . 50

Poèmes, 1887-1892 3.50

Premiers Poèmes 3 . 50

La Sandale ailée 3.50

Lionel des Rieux

Le Chœur des Muses 3.50

Arthur Rimbaud Œuvres de Jean-.-Vrthur

Rimbaud 3.50

P.-N. Roinard

La Mort du Rêve 3.50

Ronsard

Le Livret de Folastries 3.50

Sainte-Beuve Le Livre d'Amour 3..'>C

Albert Samain

Le Chariot d'Or 3.ôC

Aux Flancs du Vase, suivi de Polyphème et de Poè- mes inachevés. . 3.5C

Au Jardin de l'Infante 3.5C

Fernand Séverin

Poèmes 3 . 5(

Paul Souchon

La Beauté de Paris 3.5(

André Spire

Versets 3 . 5(

Laurent Tailhade

Poèmes aristophanesques. . 3.5(

Poèmes élégiaques 3.5(

R.-H. de Vandelbourg

La Chaîne des Heures 3.5(

Emile Verhaeren

Les Forces tumultueuses... 3.5<

La Multiple Splendeur 3.5(

Poèmes 3 . 5<

Poèmes, nouvelle série.... 3.5<

Poèmes, 111° série 3.5<

LesV^illesTenlaculaires, pré- cédées des Campagnes

Hallucinées. 3.5

Les visages de la Vie 3.5'

Francis Vlelé-Grlllin

>.larlé de Vie 3.5

La Légende ailée de Wieland

le Forgeron 3.5!

Phocas le Jardinier 3.5

Plus loin 3.5

Poèmes et Poésies 3.5

Théâtre

lenry Bataille

précédé de la

il Claudel

Marcel CoUière

acusaiues

louard Dujardin

3.50

3.50

r^ .=in

André Gide A.-Ferdinand Herold

Saii!. LeRoiCaudauIe 8.50 L'Anneau de Çakuntalà. .. . 3.5

^ . . Les Hérétiques 1

Maxime Gorki Silvilri 1

Dans les Ras-Fonds 3.50 Uncjeuneremme bien gardée i

Les Petits Rourgeo.s 3.50 ^j^^jn^jos^ et Louis DumH

Remy de Gourmonl Remimindt ^' •"

I =lilh, suivi de Théudat 3.50 Jean Lorrain

Gerhart Hauptmann ^^ A. Ferdinand Herold

I 1 r.Wulip. p.ni^loulie 3.50 Prométhée 1

Charles Van Lerberghe

Les Flaireurs i y>

Pan ;;;; 3.50

Emerich Madach

La Tragédie de l'Homme ... 3 . 50

F.-T. Marinetli

Le Roi Bombance 3 . 50

Jean Moréas

[phigénie, tragédie en 5 ac- <es 3.50

Péladan

CEdipe et le Sphinx 1 »

Sémiramis * «„,.«. j ^,

^ " Henri de Rég

René Peler Les Scrupules de Sganaj

La Tragédie de la Mort. ... 3.50 Albert Sama

Georges Polti Polyphèmc, 2 actes

Les Cuirs de neuf 3.0O Saint-Pol-Rq

Rachilde La Dame à la faulx j

Théâtre 3 50

«„..,„ Paul Souche

Paul Ranson t n-

VAhhé Prout,Gingnol pour ^^ ^^V^ nouveau, tragi

Ipx vieux enfants. Pré- nu^u- ^^^^^z-

face de Georges Ancey. 1 hyllis, tragédie en 5 au

Illustrations de Paul Ran- Emile Verhaei

so" 3.50 Philippe II.

Histoire Critique -^ Littérature

Hortense-Allartde Méritens

^ettres inédites à Sainte- Beuve (in-8) 7 . 50

Pierre D'Alheim

ioussorgski 3 50

sur les pointes (mœurs russes) 3.50

J. Barbey d'Aurevilly

-ettres à Léon Bloy 3.50

.étires à une Amie 3.50

J.-M. Barrle

largaret Ogilvy 3.50

Charles Baudelaire

.ettres, 1841-1866 3.50

Euvres posthumes 7 . 50

André Beaunier •a Poésie nouvelle 3 . 50

Dimitri de Benckendorll

■a Favorite d'un Tzar 3.50

Paterne Berrichon

.a Vie de Jean-Arthur Rim- baud 3.50

Ad. Van Bever et Paul Léautaud

*oètes d'aujourd'hui, 1880- 1900. Morceaux cftoisis. 3.50

^d. Van Bever et Ed. Sansot- Orland

Euvres galantes des Con- teurs italiens 3.50

Kuvres galantes des Con- teurs italiens, lU série. . . 3.50

Léon Bloy a Chevalière de la .Mort. . . -2 t c^ Dornièrcs Colonnes de

lise 3.50

0 des Lieux Communs 3 . 60

e i'ils de Louis XVI :>.5()

ion Journal (pr)ur faire suite &o Mendiant Jîigrat)... 3.50

«fr^s choisies ;t . .'0

Ans de Captivité .

iriim-.iiiir.Mnrna

Léon Bocquet

Albei t Samain 3 . 50

Thomas Carlyle

Lettres de Thomas Carlvle à

sa mère " . . . 3.50

Eugène Carrière

Ecrits et Lettres choisies.. 3.50

Fernand Caussv

Laclos '. 3.50

Chamforl

Les plus belles pages de

Chamfort 3 50

Paul Claudel

Connaissance de l'filst 3.50

Art poétique 3.50

Jules Delassus

Les Incubes et les Succubes i «

Eugène Demolder

L'Espagne en auto 3 . 50

Henry Detouche

De Montmartre à Montser-

rat (illustré) 3.50

Dostoïevski

Correspondance et \'uy«ge

à l'étranger 7.50

Edouard Dujardin

La Source du Fleuve chré- tien .€. 3.50

Georges Duviquet

lléliogabalc 3.50

Edmond Fazy et Abdul Ilalim IVlemdouh

Anthologie de l'amour turc 3.50 André Pontainas

Histoire delà Peinture fran- çaise au X1X« siècle 3.50

André Gido

Prétextes, Jit'/Ita'ious tvr quelque» point» de Lit-

A. Gilbert V<

Sentiments

<:omte de Goblc

Pages choisies

Jean de Gouru

Henri de Régnier

Remy de Gourn

Le Chemin de Velours, /V4

oelles Dissociations t

déest

La Culture des Idée^ Dialogues des Annu-ji

(Epilogues, IVo série). , Epilogues. Réflexions s

la vie (1595-1598).... Epilogues. Réflexions s

la vie (1899-1901)

Epilogues, fi è flexions '\

la vie (190^-1904).... Esthétique de lalani^uefn

çaise '

Le Livre des Ma.sques, /»i

traits symbolistes^. . . . Le Ilo Livre des .Masquei Lerroblèmedi) sf^^. Promenades lii Promenades lit'

Ch.-M des Grau

La Presse littéraire sous Restauration. .-

Henri Heine

Les plus beli.'< .''-^ Henri Heine.

A.-Ferdiuaud

Le Livre do la Nai.«s ia Vie et de la M< Bienheureuse Viei . rie

Robert dllumièi

i 'lie et l'Empire de Grand»

5

Virgile Josz

, Mœurs du

siècle... 3.5Ô

Mœurs du X VII h

3..50

dyard Kipling

japon

i

3.50

Albert Mockel

Un Héros : Stéphane Mallar

Emile Werhaeren 2 »

Propos de Littérature 3 »

Charles Morice

Eugène Carrière 3 . 50

Jacques Morland Enquête sur l'Influence al- lemande 3.50

lues Lalorgue AUred de Musset

posthumes. Por- Correspondance 3.30

lauteur^par Iheo L^^ ,^5 l^eHes p^ges d'AI-

sselberphe 3 . 5U f ^.^^^ ^^ Musset 3 . 50

ierre Lasserre Gérard de Nerval

tisme français (in-S) 7.50 Les plus belles pages de Gé- antisme français

Laclos

édites 3.50

3.50

•ius-Ary Leblond

le Lisle 3 .

50

rdonnelet Ch. Vellay

ature contemporai-

)5) 3.50

ïiond Lepelletier

•laine, sa Vie, son

3.50

Loyson-Bridet

esDiurnales. Trai- Journalisme 3.50

Emile Magne

; de la Suze 3. 50

de Villedieu 3.50

et son milieu 3.50

lené Martineau

Corbière 3 »

rdinand de Martino

)gicder3niour arabe. 3.50

Camille Mauclair

,aforgue - ..->0

Henri Mazel

il faut lire dans sa vie.

3.30

Edouard Maynial

î et l'(Jliuvre de Guy lau passant 3

George MerT^"''

sur la Comédi' »

len Milliuuard

i.t de l'Unité 3.50

rard de Nerval 3.50

Péladan __

Réfutation esthétique de Tai-

ne 1 »

Camille Piton

Paris sous Louis XV 3 . 50

Henri de Régnier

Figures et Caractères 3.50

Sujets et Paysages 3.50

Kétil de la Bretonne

Les plus belles pages de Ré- tif de la Bretonne, 3.50

Arthur Rimbaud

Lettres de Jean-.\rthur Rim- baud 3 . 50

William Ritter

Etudes d'.Art étranger 3.50

Rivarol

Les plus belles pages de Ri- varol 3.50

John Ruskiu

La Bible d'Amiens 3 :iU

Sésame et les Lys 3 . 5o

Jules Sagerot

Les Grands Convertis

Saint-Amanl

Les plus belles pages de

^linl-.Vmant 3 »

Sainte-Beuve

i.ctires inédites ù ^' •• M"« Juste Olivier.

MarceLSchwol)

Spicilège

Léon Séché

Alfred de Musset. 1 . L'Hom- me et l'Œuvre, les Cama- rades ; 11. Les Femmes.

2 vol .-. "^

Hortense Allart de Méritens

(in-8) "■»

Lamartine (181 6-1S30) 3.0

Sainte-Beuve. I. Son Esprit, ses' Idées ; II . Ses Mœurs .

2. vol 7

Alphonse Séché et Jules Bertaut L'Évolution du Théâtre con- temporain 3.5

Robert de Souza La Poésie populaire et le Lyrisme sentimental 3.2

Stendhal

Les pins belles pages de

Stendhal 3.;

Casimir Slryienskl

Soirées du Stendhal-Club. . 3.i

Tallemant des Réaux

Les plus belles pages de Tallemant des Réaux 3.

Archag Tchobanian

Les Trouvères arméniens.. 3.

Tei-Saa Notes sur l'Art japonais : La

Peinture et la Gravure ... 3 . Notes sur r.A.rt japonais : La

Sculpture et la Ciselure.. 3.

Adolphe Thalasso

Anthologie de l'Amour asia-

tique "^

Théophile

Les plus belles pages de Théophile 3

Tolstoï

Vie et CEuvre. Mémulre-

2 vol.

E. VIgié-Lecof*!

La Poésie contemporain>

1884-1890

Léonard de Vli: Textes choisis

Oscar Wilde

De Profundis; précédé de Lettres écrites de la prison et suivi de la Ballade de !- Geôle de Reading

I>liiloj»op1)ie Science Sociologie

ond Barthélémy Thomas Carlyle >ariur iu sartus.

"■'^■''^ -^-'^ Estais choisis de Critique . Frédéric Charp in

H.-B. Brewster de Murale. .......... . 'i.f

__.. o \n Dnn.nhiota Hii nffrnipr Jnnf. 3.50 La Question rcuirieuse

J.-A. Dulaure

)es Divinités génératrices [LeCulte du Phallus).. 3.50

Jules de Gaultier

.e Bovarysme 3 5q

a Dépendance de la Morale

et l'Indépendance des

Mœurs 3 gQ

a Fiction universelle 3 50

e Kant à Nietzsche. . . 3 50

ieizsche et la Réforme

philosophique 3 50

es Raisons de l'Idéalisme'. 3.' 50

Remy de Gourmont aysique de l'amour. Essai

si'J' Pinstinct sexuel 3 50

•omenades Philosophiques. 3.50

Pierre Lasserre !s Idées de Nietzsche sur la Musique 3 50

Morale de Nietzsche! .. 3 *50

6

Maurice Maeterlinck

Le Trésor des Humbles .3 . 50

D. Mérejkowsky

Le Tsar et la Révolution. . . 3.50

Multatuli

Pages choisies 3 50

Frédéric Nietzsche .

Ainsi parlait Zarathoustra. 3 50 Aurore 350

Considérations inactuelles ' 3 50 Le Crépuscule des Idoles, le Cas Wagner, Nietzsche contre Wagner, l'Anté-

. christ.... 3 j,Q

Le liai savoir 3 5^

La Généalogie de la Morale". 3' 50 Humain, trop Humain (1"

L Origine de la Tragédie. . . 3 50

liages choisies 3 50

Par delà le bien et le mal! 3 50

La Volonté de \'ii.,.,,^i 2 volumes

Le Voyageur et son Om [Humain, trop Hume 2e partie)

Péladan

Supplique h S. S. le P) Pie X pour la réforme* canons en matière de vorce

Marcel Iléja

L'Art chez les fous

Cari Siger

Essai sur la Colonisation.

Léon Tolstoï

Dernières Paroles

H.-G. Wells

Anticipations

La Découverte de l'Avenii Une Utopie moderne

Envoi franco sur demande

du Catalogue complet

des Éditions

du

Mercvre de France

ViERGVRE DE FRANGE

26, RVE DE GONDÉ. PARIS

ercure de France occupe dans la presse du monde entier une place : il est établi sur un plan très différent de ce qu'on a coutume d'ap- ae revue, et cependant plus que tout autre périodique il est la chose nifie ce mot. Alors que les autres publications ne sont, à proprement le des recueils peu variés et d'une utilité contestable, puisque tout les impriment paraît le lendemain en volumes, il g-arde une inap- le valeur documentaire, car les deux tiers au moins des matières voit ne seront jamais réimprimées. Et comme il est attentif à tout se passe, à l'étrang-er aussi bien qu'en France, dans presque tous les es, et qu'aucun événement de quelque importance ne lui échappe, nte un caractère encyclopédique du plus haut intérêt. II fait en ine large place aux œuvres d'imagination. D'ailleurs, pour juger de ondance et de sa diversité, il suffit de parcourir quelques-uns de ses ires et la liste des chroniques de sa « Revue de la Quinzaine» (Voj. erture du présent volume).

berté d esprit du Mercure de France^ qui ne demande à ses rédac-

ue du savoir et du talent, est trop connue pour que nous y insistions :

nions les plus contradictoires s'y rencontrent. Nous ajouterons qu'il

xpression multiple de plusieurs générations d'écrivains ; qu'il a con-

tout le mouvement poétique des vingt-cinq dernières années ; que

es idées aujourd'hui admises ne l'étaient point lorsque, le premier, il

>rima ; que beaucoup d'esprits dont l'inlluence sur les contemporains

nifeste sont de chez lui ; qu'enfin il a contribué plus que toute autre

•ation à faire connaître en France les littératures, la pensée et l'art

çers.

'os\. peut-6tre pas inutile de signaler qu'il est celui des grands pério- inçais qui coûte le moins cher, puisque le prix de son abonne- ode à peine celui des journaux à un sou.

is envoyons gratuite.aentàtoute personne qui nous en fait la demande écimen du Mprcnre de France.

TABLES

DV MERCVRE DE FRANCE

L'abondance et l'universalité des documents recueillis et des sujet! dans le Mercure de France font de nos Tables un instrument de ches incomparable, et dont l'utilité s'exerce au delà de leur but outre les investigations rapides qu'elles permettent dans les textes de la revue, elles conduisent immédiatement à un grand nombre d' tions de dates, de lieux, de noms de personnes, de titres d'ouvrag-es, et d'événements de toutes sortes, au moyen desquelles, si la revue tel cas insuffisante ou incomplète, il devient facile de s'orienter e renseigner dans les écrits contemporains, en France ou àl'étrang-ei Ces tables se divisent en trois parties.

La première partie : Tabte par noms d'auteurs des Articles dans la Revue, est alphabétique seulement par noms d'auteurs ; te matières publiées sous un titre y fig-urent en ordre cbrdnologique. férences aux chroniques viennent à la suite, sous chaque nom d' les matières des chroniques ne sont pas analysées, et seul est inc titre de la rubrique.

La deuxième partie : J'able systématique ^des Matières, préseï classification qui ne correspond pas tout à fait à celle qui a été adop les rubriques dans la revue, mais elle est précédée d'un index qui de trouver immédiatement les matières cherchées. Chaque divisio prend, par ordre alphabétique, d'abord les articles publiés sous u puis l'analyse des rubriques qui se réfèrentà la division.

La troisième partie : Table des principaux Noms cités, don dre alphabétique, les noms d'écrivains, d'artistes, de philosoplu , vants, etc., dont une œuvre a été analysée, les noms de persou font le sujet d'un ouvra'^e, enfin tous les noms dont la mention vue n'est pas une simple citation sans intérêt.

On a placé en tôte de ces trois tables une Table de concorda les années, les tomes, les mois, les numéros et la pagination.^

PRIX DES TABLES :

Tables des tomes I à XX (1890-189C), i vol. in-8 de viii-88^ pau Tables des tomes XXI à LU (1897-1904), 1 vol. in-8 de viii-168. . . pages

MERCVRE DE FRANCE

XXVI, RVE DE CONDÉ PARIS-VI*

Paraît le i«' et le de chaque mois, et forme dans Tannée six volume

Littérature, Poésie, Théâtre, Musique, Peinture, SoulDtur Philosophie, Histoire, Sociologie, Sciences, Voyages Bibliophilie, Sciences occultes Grltigne, Littératures étrangères, Revue de la Quinzaine

La Revue de la Quinzaine s'alimente à l'étranger autant qu'en Fran< elle oflFre un nombre considérable de documents, et constitue une sorte d' « < cyclopédie au jour le jour » du mouvement universel des idées. Elle se comoc des rubriques suivantes :

Epilogues (actualité) : Remy de Gour-

monl. Les Poèmes : Pierre Ouillard. Les Romans: Rachilde. Liiiéraiure : Jean de Gourmont. Littérature dramatique : Georges

Polti. Littéralares antiques : A.-Ferdinand

Herold. Histoire: Edmond Barthélémy. Philosophie: Jules de Gaultier. Psychologie : Gaston Danville. Le Mouvement scientifique: Georges

Bohn. Psychiatrie et Sciences médicales :

Docteur Albert Prieur. Science sociale : Henri Mazel. Ethnographie, Folklore : A. van

Gennep . Archéologie, Voyages : ChArles Merki. Questions juridiques : José Théry. Questions militaires et maritimes :

Jean Norel. Questions coloniales : Cari Signer. Questions morales et religieuses :

Louis Le Cardonnel. Esotirisme et Spiritisme : Jacques

Brieu. Les Bibliothèques : Gabriel Renaudé. Les Revues: Charles-Henry Hirsch. Les Journaux: R. de Bury. Les r/ieâ/rtfs ; Maurice Boissard. LcB abonnements partent du premier des

juillet et octobre

France

Un numéro 1 .25

Un an 25 fr.

Six mois 14 d

Trois mois 8 i

Musique : Jean Mamold. Art moderne: Charles Moricc. Art ancien: Tristan Leclère. Musées et Collections : Auguste Mi

guillier. Chronique du Midi : Paul Soucho Chronique de Bruxelles : G. Eekhoï Lettres allemandesi Henri Albert.. Lettres anglaises :Henry.-D. Davra Lettres italiennes : Ricciotto Canuc Lettres espagnoles : Marcel Robin. Lettres portugaises : PhiléasLebesgi Lettres hisnano-américaines : Euj

nio Diaz Romero. Lettres néo-grecques : Demctrius i

teriotis. Lettres roumaines : Marcel Monti

don. Lettres russes: E, Séménoff. Lettres polonaises : Michel Mutermil< Lettres néerlandaises : H. Messet. Lettres Scandinaves : P. -G. La Ghi

nais. Lettres hongroises : Félix de Geram Lettres tchèques : William Ritter. La France jugée à l'Etranger : Luc

Dubois. Variétés: X...

La Curiosité : Jacques Daurelle. Publications récentes : Mercure. Echos : Mercure.

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Poitiers. Imprimerie du Mercure de France. BLAIS et UOY, 7, rue Victor-Hn :

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PQ Régnier, Henri François Joseph

2635 de

E3^S35 Les scrupules de Sganarelle

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