2d^
LES SCRUPULES DE SGANARELLE
DU MEME AUTEUR: Poésie
PREMIERS POÈMES ... I VOl .
POÈMES . I vol .
LES JEUX RUSTIQUES ET DIVINS l VOl,
LES MÉDAILLES d'aRGILE I VOl .
LA CITÉ DES EAUX . . I VOl .
LA SANDALE AILEE. ....... I YO)
Roman
LA CANNE DE JASPE . . . I VOl .
LA DOUBLE MAITRESSE , . . I VOl.
LE TRÈFLE BLANC .... I VOl .
LES AMANTS SINGULIERS I VOl .
LE BON PLAISIR I VOl .
LE MARIAGE DE MINUIT I VOl.
LES VACANCES d'uN JEUNE HOMME SAGE I VOl.
LES RENCONTRES DE M. DE BRÉOT . . I Vol .
LE PASSÉ VIVANT I VOl .
LA PEUR DE l'amour. I VOl.
Littérature
FIGURES ET CARACTERES I VOl .
SUJETS ET PAYSAGES . . I VOl.
ESQUISSES VÉNITIENNES (lUustratioDs de Maxime Dethomas).
A LA MÊME LIBRAIRIE HENRI DE RÉGNIER ET SON CEUVRE (CollcClion a LcS
Hommes et les Idées », par Jean de Goiirmont. Por- trait et autographe. Vol. in-i8 0.7.5
LE THÉÂTRE AUX CHANDELLES
Les
Scrupules de Sganarelle
PAR
HENRI DE RÉGNIER
PARIS SOCIÉTÉ DV MERGVRE DE FRANGE
XXVI, RVE DE CONDÉ, XXVI
M CM VIII
IL A ETE TIRE DE CET OUVRAGE I
Quinze exemplaires sur Japon impérial, numérotés de i ù jj, cinquante-neuf exemplaires sur papier de Hollande,
numérotés de i6 à y 4- et trois exemplaires sur Chine, marqués A. B.C.
JUSTIFICATION DU TIUAGfi
Droits de traductioa et de reproduction réservés pour tous pays.
AVERTISSEMExNT
Je souhaiterais assez, je Tavoue, que l'on n'attribuât pas la publication de ce petit livre au mauvais vouloir des directeurs de théâtre. Ils n'y sont pour rien. Ce n'est point à eux que la pièce que l'on pourra lire ici doit d'y être imprimée. La vérité est que je n'ai ja- mais pensé à la faire représenter. Non qu'elle n'eût pu, au besoin, subir le feu de la rampe, car il me semble, au contraire, qu'elle y aurait pris un certain relief, encore qu'elle fût peut-être de nature à laisser le public actuel quelque peu indifférent. On y parle en effet un langage qui ne lui est plus guère familier,
LES SCUUPULtS DE SGANARELLE
et Ton y parle un peu trop par tirades et par à-partés, sans compter que l'intrigue qui s'y exprime n'a point par ailleurs de quoi intéres- ser beaucoup des esprits de notre temps.
Néanmoins, ce n'est pas uniquement pour ces raisons que j'ai jugé bon de confier plutôt au papier qu'au tréteau ces Scrupules de Sganarelle. Il m'a paru, en agissant de la sorte, me mieux conformer au caractère et à l'origine de ce petit ouvrage, qui se rap- porte à un projet où j'étais, il y a quelques années, d'intercaler, dans un roman dont l'action se devait placer au xvii^™^ siècle, quel- ques scènes de comédie.
Ce fut alors et à cette fin que je composai une courte esquisse de ce qui est devenu par la suite quelque chose, sinon de plus consi- dérable, au moins de plus développé, et que j'offre aujourd'hui au lecteur à défaut du roman où il le devait trouver incorporé.
AVERTISSEMENT
Il me serait agréable d'espérer que Ton reconnaîtra non sans plaisir dans cet essai, avec certains procédés d'usage et certaines facéties de tradition, quelques-uns des person- nages qui sont de rigueur sur notre vieux théâtre. A ceux des Géronte, des Anselme, des Léandre, des Angélique et des Dorine, je n'ai ajouté que celui deLeporello. N'est-il pas, avec Sganarelle, l'acolyte obligé de Don Juan ? Pour ce qui est de ce dernier, je me suis borné à le représenter à peu près pareil à la figure que Molière en a donnée, et je n'ai fait que profiter de ce que la présence du séducteur apporte partout avec elle de désor- dre, de passion et, si l'on peut dire, de roman- tisme.
Tels sont à peu près les éléments de cette comédie, où il ne faut pas voir davantage qu'un jeu et un amusement littéraires... Si <•!!(' iio te divertit que médiocrement, Ami
LKS SCRUPULES DE SGANARELLE
Lecteur, je n'aurai du moins pas le chagrin de l'avoir trop indiscrètement importuné. Tu n'auras pas même,comme au théâtre, à quitter ton fauteuil, et il te suffira de t'y endormir, pour que mes gens continuent sans toi, sur la page, à échanger entre eux leurs muettes tirades et leurs silencieuses répliques.
H. R.
I
GERONIMO
Comment, que veut dire cela? Où est l'ardeur que vous mon- triez tout à l'heure?
SGANABELLE
Il m'est venu, depuis un mo- mentjde petits scrupules...
Molière. Le Mariage forcé, scÈXE rv
PERSONNAGES :
DON JUAN, gentilhomme espag-nol.
SGANARELLE, valet de Don Juan.
GÉRONTE, bourgeois.
ANSELME, frère de Géronte.
LÉANDRE, gentilhomme, amoureux d'Ang-élique.
LEPORELLO, autre valet de Don Juan.
UN PETIT PATISSIER.
ANGÉLIQUE, fille de Géronte.
DORiNE, femme de Sganarelle et suivante d'An- g-élique.
Gens de la ville, hommes, femmes, enfants et chiens.
Le Guet.
La scène est à Verricrcs,petite ville du centre de la France, sur une place plantée d'arbres, devant la maison de Géronte.
ACTE PREMIER
SCÈNE PREMIÈRE DON JUAN, SGANARELLE
SGANARELLE
Eh bien, Monsieur, qu'en pensez-vous, et n'est-ce point là un endroit agréable ? Est-il rien de plus pur et de plus léger que Tair que Ton y respire ?
Il respire largement.
Cette petite ville n'est-elle pas à souhait pour s'y reposer, et connaissez-vous rien de plus propre et de plus coquet ? Ces maisons bien construites, ces rues pavées, ces places de verdure, ce mail avec ces ormes robustes, et ces boutiques où l'on a tout au plus juste
10 LES SCRUPULES DE SGANARELLE
prix — et où Ton vous vend, ma foi, un excellent tabac.
Il puise dans sa queue de rat, fait le geste de la tendre à Don Juan, mais se ravise et en tire une seconde pincée. — A part.
Hum! Hum! mon maître n'est pas d'hu- meur communicative. — {Haut.) Allons, Monsieur, tout cela ne vous paraît-il pas du meilleur goût, sans compter cette belle église devant laquelle nous avons passé tout à rheure et à qui l'on a envie de tirer son chapeau? Je ne sais, mais il rate^semble, à moi, que je renoncerais de bon cœur à courir le monde pour demeurer en ces lieux-ci, et si ce n'est point, Monsieur, votre sentiment, avouez que vous devez du moins remercier Sganarellc de vous avoir amené là pour y attendre l'arrivée de ce courrier qui vous doit venir de Paris ?
DON JUAN, distrait.
Oui, oui, Sganarelle... Cette petite servante de tout à l'heure ne m'a point paru laide... 11 faudra que je m'en assure puisque mon mauvais destin me force àséiourner dans celle
\
ACt£ f A£Ml£ll t i
auberge... A propos, Sganarelle, quel nom donnes-tu à cet endroit où nous sommes et d'où il me tarde d'être sorti?
SGANARELLE, vexé.
Cet endroit, Monsieur, s'appelle Verrières, et il s'y compte près de trois mille âmes de bons chrétiens. Monsieur, soit dit sans vous offenser.
DON JUAN
Tu ne m'offenses pas, Sganarelle, mais te voilà bien dévot aujourd'hui. Tu parles d'ôter Ion chapeau aux églises que tu rencontres... Mordieu 1
SGANARELLE
Là, là, tout doux, ne vous fâchez pas. C'est une vieille habitude à laquelle je ne puis rien et qu'il me faut passer, car, quoique j'aie l'honneur de vous servir depuis long- temps déjà, je n'ai jamais pu me faire à votre mode d'enfoncer son feutre devant les crucifix du chemin et de ne croire exactement ni à Dieu, ni à Diable... Il est vrai qu'un
12 LES SCRUPULES DE SGANARELLE
valet n'est point tenu à égaler son maître et, s'il lui faut obéir à ses ordres, il n'est pas chargé d'imiter ses façons. Il y a, du reste, dans l'impiété, quelque chose d'indépendant qui ne convient guère à notre état. Souffrez donc. Monsieur, que j'enlève mon chapeau à qui je veux.
DON JUAN
Ouais ! Vous êtes bien hardi, monsieur Sga- narelle, mais si votre mauvais cara^ère vous porte à l'insolence, je pourrais bien...
Il lève sa canne. SGANARELLE
Ah! Monsieur, baissez ce bâton, de grâce I Ces arguments ne valent rien. On en est vite attrapé, et il suffît d'un faux mouvement pour qu'on en ait dans l'œil ou sur le nez. Et je suis douillet, Monsieur. Ah ! je me connais bien, voyez-vous. Je crierai. On s'attroupera. On s'enquerra... et vous avez, en ce moment, grand intérêt à passer inaperçu... Là, là, vous voici tout amadoué. Mais qu'il est donc difficile avec vous de maintenir une con-
AGiii l'IlJiMlEK
i3
versalion sur son sujet. Vous en étiez déjà aux moulinets, alors que je voulais tout sim- plement, dans le principe, vous faire con- venir des agréments de cette petite ville et que...
• DON JUAN
C'est bon, Sg-anarelle, mais souviens-toi que tu as risqué, par Taudace raisonneuse de ta lang-ue, de recevoir une volée bien appli- quée... Eh bien oui, j'en conviens, cet endroit a je ne sais quoi de frais et de tranquille... Que les passions y sembleraient donc dépla- cées et inutiles... Hélas ! Sg-anarelle, ne le sont-elles pas toujours! A quels inconvénients n'exposent- elles pas? Ah ! que les hommes sont donc fous! Pourquoi songer à autre chose qu'à manger et à dormir? Crois-tu au moins que le lit et le dîner seront suppor- tables à cette auberge?
SGANARELLE
J'ai parlé au cuisinier ; il m'a paru une forte tête. Quant au sommeil, j'en réponds... A Verrières, pas un bruit, passé le couvre-
l4 LES SCRUPULES DE SGANARELLE
feu... Avouez, Monsieur, que vous commen- cez à vous y plaire I
DON JUAN
Soit, Sganarelle, pour ne pas te désobliger!
SGANARELLE
Avouez encore que Tendroit est riant.
DON JUAN
Assurément.
SGANARELLE ^
Propre et coquet.
DON JUAN
Ouï.
SGANARELLE
Tranquille.
DON JUAN
Oui.
SGANARELLE
Silencieux.
DON JUAN
Oui, là...
ACTE PREMIER
l5
SGANARELLE
Et que le moindre coup de bâton qu'on y entendrait ferait mettre tout le monde aux fenêtres...
DON JUAN, levant sa canne.
Maraud I !
SGANARELLE
Paix, Monsieur, j'ai fini... et qu'il vaut bien ces mauvaises bicoques d'Espagne et d'Italie, comme nous en avons tant traversé, où nous étions mang-és de puces, dévorés de punaises et nourris de pois chiches ou de macaroni !
DON JUAN
Vous êtes difficile, monsieur Sganarellel
SGANARELLE
Je ne dis trop rien de l'Espagne, car c'est le pays où vous êtes né, encore que vos Séville et vos Salamanque ne me reviennent ^ère avec leurs maisons de couleurs et leurs cours à fontaines, mais vous serez de mon avis sur l'Italie. Ah ! les vilains lieux et les
|6 LES SCRUPULES DE SGANARELLE
méchants gîtes ! Et savez-voas, Monsieur, rien de plus laid que cette grande villasse de Naples, avec ses rues sales, ses gens en gue- nilles et son gros volcan qui crache sa fumée ?. . .
DON JUAN
Ehl malheureux, mais tu oublies ces filles adorables, aux yeux de velours et de feu, qui cachent sous leur crasse et leurs haillons une beauté brûlante, ces courtisanesinstruites au plaisir, ces grandes dames qui, dans leurs palais de marbre, au bord de la mer bleue, font connaître la volupté d'aimer... Mais, je suis bon de raisonner et qu'est-ce que tout cela peut bien faire à une vieille carcasse comme la tienne, qui ne pense qu'à s'emplir le nez de tabac! ...
SGANARELLE J
Tout de même, aous aurez beau dire, Monsieur, et me donneriez-vous cent coups de bâton, que je ne démordrais point de mon sentiment.
ACTE PREMIER I7
DON JUAN
Vraiment, et d'où te vient donc ce singulier courag-e, Sg-anarelle ?
SGANARELLE
Ah Monsieur 1 et comment voulez-vous qu'on pense autrement d'une ville à laquelle nous devons un Leporello, un gueux, un fri- pon, un pendard, dont la compagnie me rend souvent votre service insupportable et qui me voudrait voir loin de vous pour vous duper tout à son aise... N'est-ce pas à Naples, où vous l'avez trouvé, dormant les pieds au soleil sur les dalles du quai, couvert encore de la vermine attrapée aux galères dont il sortait? N'est-ce point de là que, lavé, décrotté, vêtu, vous l'avez emmené avec vous, sans crainte de donner à un honnête serviteur comme moi la société dégoûtante d'un pareil drôle?.. Oui, et vous pouvez m'en croire, car vous ne savez pas ce que c'est que Leporello !
Il s'approche de Don Juan et baisse la voix.
Il n'est pas que gourmand, infidèle, perfide, sanguinaire, prompt à jouer du lacet et du
a.
l8 LES SCRUPULES DE SGANARELLE
couteau, expert en stratagèmes et en ruses de toutes sortes, habile à se grimer et à se com- poser toutes les figures, —il est... Mais à quoi sert de vous avertir, puisque vous avez sur ce forban un parti-pris à ne rien enten - dre? Eh quoi! ne riez-vous pas de ses facé- ties, ne lui passez-vous pas ses insolences en faveur de la platitude par laquelle il les rachète ? Vous croyez à ses mensonges, vous suivez ses conseils et il s'en est bien peu fallu qu'à cause de lui nous n'allassions^ à Saint- Girin,qui n'est qu'un mauvais village, au lieu de venir ici où nous avons tout ce qu'il nous faut... M. Leporello le voulaitainsi pour faire l'important et l'entendu et sans s'inquiéter que, de ce côté-là, vous auriez eu grande chance de rencontrer ceux qui vous cher- chent, avant l'arrivée de ce courrier que vous attendez et qui vous doit mettre à l'abri de leurs poursuites et au-dessus de leurs entre- prises, lesquelles, par l'imprudence de ce faquin, eussent bien pu vous devenir fatales .
ACTE PREMIER IQ
DON JUAN
Ah ! voilà justement Leporello, tu vas pouvoir continuer devant lui le discours de tes griefs... Je serais curieux d'entendre sa défense. Ici, Leporello 1 . . .
SGANARELLE
Pour Dieu, Monsieur, n'allez pas lui rap- porter ce que je vous ai dit de lui. Il est si méchant qu'il serait capable de me tuer. Il porte toujours des armes cachées.
DON JUAN
Ahî il nous a \tis... je l'ai envoyé ce matin faire un tour de ville afin de savoir si l'on y rencontre quelques figures intéressantes.
SGANARELLE
Quoi, toujours les femmes. Seigneur Don Juan!... Oui, je sais bien que vous êtes ici incognito, que Valère est votre nom d'em- prunt et qu'il ne faut pas prononcer le véri- table, mais la précaution sera bien superflue si, à peine arrivé, vous révenez à vos façons habituelles I Cependant, vous aviez l'air, ces
20 LES SCRUPULES DE SGANARELLE
jours-ci, bien désabusé. Allons, soyez raison- nable, Monsieur, je vous en conjure. Si vous m'aviez cru, vous auriez quitté cet habit trop riche qui attire Toeil dans cette petite ville de bourgeoisie. Mais, au moins, point de ces aventures qui font jaser, pas de ces intri- gues dont on parle; pas de billets doux, Monsieur, pas de rendez-vous, de guitares et de galanteries. Pas d'escalades : voyez-moi ces honnêtes balcons et jugez du mauvais effet qu'y feraient la sérénade et l^chelle de soie.
Il montre la maison de Géronte. Leporello, qui s'est approché, l'a écouté avec des grimaces. Leporello porte le bonnet et la cape rayée à l'italienne.
SCÈNE II LES MÊMES, LEPORELLO
DON JUAN
Eh bien, Leporello?
ACTE PREMIER 21
P
LEPORELLO
C'est fait, Monseigneur.
SGANARELLE, bas.
Monseigneur, Monseigneur, il lui donne du Monseigneur ; c'est avec cela qu'il le prend.
DON JUAN
Aurai-je de quoi m'occuper, Leporello?
LEPORELLO, faisant la moue.
^ Penh! peuh !
DON JUAN
As-tu fait exactement ce que je t'ai com- mandé? Es-tu allé à la sortie de la messe te planter devant le portail?
LEPORELLO
Oui, Monseigneur.
DON JUAN
As-tu regardé soigneusement au visage des femmes?
»
LEPORELLO
Oui, Monseigneur.
22 LES SCRUPULES DE SGANARELLE
DON JUAN
T'es-tu promené sur le mail ?
LEPORELLO
D'un bout à Tautre, mais je n'y ai remar- qué que deux chiens qui se battaient et un cul- de-jatte qui les regardait faire!
DON JUAN
As-tu visité le marché?
LEPORELL O
Comme vous me l'avez ordonné.
DON JUAN
Es-tu entré dans différentes boutiques ?
LEPORELLO
Oui, Monseigneur, j'ai suivi vos ordres de point en point. Dans les boutiques, j'ai exa- miné les [figures des acheteuses et des mar- chandes. Il n'y en avait pas une au niveau de l'ordinaire. Au marché, les paysannes et les servantes ne valaient pas mieux. Ah ! le fâ- cheux spectacle que ces gros nez, ces vilains yeux, ces tailles épaisses, ces gorges plates ou débordantes, ces longs pieds... Pouah!
ACTE PREMIER
DON JUAN
Tu railles, Leporello. Tu hc me feras pas croire que dans une ville de trois mille âmes... Ma parole, si j'avais envoyé Sganarelle à ta place, il s'en serait mieux tiré que toi, car enfin c'est lui qui, à Avig-non, m'a déniché cette petite fille qui avait de si beaux yeux et qui demeurait rue Filonarde...
SGANARELLE, modeste.
Ne parlons pas de cela. Monsieur... [Hypo- critement.) Peut-être que ce pauvre Lepo- rello...
DON JUAN
Leporello est un drôle.
LEPORELLO
Eh, Monseigneur, ne vous fâchez pas, mais je ne me sens pas trop bien, ces temps-ci... Votre service n'apointété fort commode. Sou- Tcnez-vous de notre fuite à travers champs, parmi le cliquetis des pertuisanes et la fumée des torches. Tout cela m'a troublé la tête et j'ai un peu perdu la mémoire... Tenez, vous
9.[\ LES SCRUPULES DE SGANARELLE
me demanderiez combien il j a de temps que vous ne m'avez payé mes gag-es que je ne serais peut-être bien pas capable de vous répondre... Cependant il me semble qu'il me revient quelque chose qui pourrait vous inté- resser.., mais il faudrait m'aider un peu.
DON JUAN, faisant tinter des écus dans sa poche.
Eh bien, Leporello ?
Il lui donne de l'argent. LEPORELLO
Merci, Monseigneur, il me seTïïl3le que je me sens mieux.
DON JUAN
J'en suis heureux, eh bien ! parle alors.
LEPORELLO
Voici, Monseigneur 1 Gomme je remontais la rue qui va du marché à l'église, j'ai croisé une jeune fdle qui venait dans mon chemin . Elle pouvait bien avoir seize ans et son visage m'a paru fort agréable, relevé par un air innocent et naïf...
DON JUAN
Continue, mon enfant.
i
ACTE PREMIER 25
I
LEPORELLO
Elle marchait accompagnée d'une suivante qui portait sous le bras un gros paroissien relié.
DON JUAN
Bien, bien... Etait-elle blonde ou brune, châtaine ou rousse? Comment était-elle vêtue? As-tu vu sa bouche, ses yeux ? C'est là qu'on apprend le mieux, Leporello, la nature des filles et qu'on devine le plus aisément leur caractère et leur disposition.
LEPORELLO
Elle doit être blonde. Monseigneur, certai- nement... Mais c'est tout ce que je puis vous
dire...
DON JUAN
Comment c'est tout ! Et tu ne sais pas qui elle est, où elle habite? Tu ne l'as donc pas suivie ?
LEPORELLO
Monseigneur m'avait recommandé de ne me point faire remarquer, et il m'a paru que les
3
a6 les scrupules de sganarelle
petits galopins en voulaient suffisamment déjà à ma cape. Sans quelques bons coups de pied au derrière, j'en aurais un troupeau à mes trousses...
DON JUAN
Aussi, imbécile, a-t-on idée de se promener en habit de perroquet? Vois Sg-anarelle, comme il sait s'accoutrer avec modestie. N'a- t-il pas remplacé ma livrée par cet honnête habit brun. Va te changer...
LEPORELLO, met à l'envers sa cape bariolée, qui est doublée d'une étoffe sombre, et retourne son bonnet.
Voilà qui est fait, Monseigneur. Qu'en dites-vous?
DON JUAN, riant.
Regarde-le, Sganarelle, il est vraiment méconnaissable... Et maintenant, Leporello, dis-moi pour de bon ce que tu sais de cette mignonne. Où loge-t-elle? Quels sont les moyens de parvenir jusqu'à elle? Où en es- tu avec la suivante ?
LEPORELLO
Mais, Monseigneur...
ACTE PREMIER ^
DON JUAN
Comment, tu rencontres une jolie fille, tu n'ig-nores pas que depuis plus de cinq jours je n'ai rien à me mettre sous la dent et tu laisses le gibier te g-lisser entre les doig-ts... Et tu crois que je t'aurai amené de Naples jusqu'ici, vêtu, nourri, payé... {Leporello fait un geste), oui, payé {Leoorello évite la canne levée), pendard, car, enfin, ne viens-je pas de te donner dix écus sur ce que je te dois, et tu oses...
SGANARELLE, recevant le coup de canne destiné à Leporello.
Aïe, aïe. Ah, mon dos! ah, mon échine ! Ah, mes côtes 1
DON JUAN
Ma foi, Sganarelle, je ne Tai pas fait exprès !
SGANARELLE, geignant.
Ah, Monsieur, je suis mort... Un homme de mon âge... Aussi, voilà bien vos façons d'avoir toujours la canne en Tair.
28 LES SCRUPULES DE SGANARELLE
DON JUAN
Bah! cela ne sera rien, Sg-anarellel Songe donc que j'aurais pu très bien te crever un œil ou te casser le nez, et tu en seras quitte avec un emplâtre ou un peu d'onguent.
SGANARELLE
Ah que je soufFre! Ah! Monsieur, je crois que je vais crier.
DON JUAN
Allons, tais-toi... je vais te dédommager.
Il met la main à sa poche. SGANARELLE, redoublant.
Aïe, aïe, aïe !
DON JUAN, se ravisant.
Mais, j'y pense, Leporello, c'est toi qui es la cause des souffrances de ce pauvre Sgana- relle et n'est-il pas juste que je te laisse le plaisir de panser ses plaies? Oui, noble cœur, bénis un maître qui sait te comprendre. Leporello, je te permets de donner à Sgana- relle ces dix écus que je t'ai remis. Puisqu'il a reçu le coup de bâton qui t'était destiné,
ACTE PREMIER 29
qu'il ait l'argent que je t'ai compté et qu'il m'aurait pu réclamer aussi bien que toi.
SGANARELLE
Alors, Monsieur, faites qu'il me le donne devant vous, sans quoi je n'en verrai jamais rien... et mon dos me fait bien mal.
DON JUAN
Il ferait beau que Leporello se dérobât à mes ordres. Allons Leporello !
Leporello présente un écu à Sganarelle, qui le prend, l'empoche et tend la main.
Eh bien, va donc, Leporello. Tu as fort bonne mine ainsi. Courag'e, mon garçon!
Leporello remet à Sganarelle un second écu, puis un troisième.
LEPORELLO
Trois, quatre, cinq.
11 s'arrête. DON JUAN
Finis donc...
LEPORELLO
Ail, Monseigneur, cela vous est facile à
30 LES SCRUPULES DE SGANAHELLE
dire... Six... qu'il est joli, celui-là... Sept... Jamais le Roi n'eut plus noble figure que sur cette pièce neuve... Huit, neuf. Ah voleur! misérable !
11 lance le dixième écu au nez de Sganarelle, qui le rattrape au vol.
SGANARELLE
Grand merci, Mons Leporello.
Il recompte l'argent, bruit de métal. Leporello grince des dents et roule des yeux furieux,
DON JUAN, à lui-même.
Ces deux drôles me répugnent presque également... A quoi sert d'avoir l'âme ardente et hautaine, le cœur plein de désirs, l'esprit habité de chimères délicieuses et brûlantes, la mémoire riche de noms de femmes dont chacune est un souvenir de caresses et de voluptés, à quoi bon être Don Juan, n'avoir voulu supporter aucun délai à ses souhaits, f aucune règle à ses caprices, aucune borne à ses volontés ? Fallait-il passer à travers les obs- tacles, l'or et le fer à la main, pour en être réduit à s'occuper d'accommoder, entre deux
ACTE PREMIER 3l
valets, des querelles ridicules ? Que de choses inexplicables dans la vie, et qui me dira seu- lement pourquoi j'ai compté à Leporello ces dix écus qui appartiennent maintenant à Sga- narelle ? Morbleu, comment ces faquins osent- ils bien se faire payer l'honneur de me ser- vir? N'est-ce point assez que je les nourrisse et les habille, que je les promène avec moi, et que je leur fasse voir le monde à mes dépens? Quel besoin ont-ils d'une part de cet arg-ent dont le tout ne m'est point de trop et dont je ferais meilleur usage à m'acheter des gants et des parfums, des dentelles et des rubans, à soudoyer des duègnes et des suivantes ou à offrir aux femmes de ces petits cadeaux qui aident à en obtenir du re- tour?...
LEPORELLO, qui a écouté ce que dit Don Juan.
Bravo, Monseigneur, voici ce qui s'appelle I parler, et je suis bien de votre avis que nous reprenions à ce gros ladre ces écus dont il n'a que faire...
Il bouscule Sganareile .
32 LES SCRUPULES DE SGANARELLE
SGANARELLE
Au secours, Monsieur, au secours, ou je me vais réfug-ier chez monsieur Géronte.
DON JUAN
Que dit-il ? Qui est-ce que ce Géronte dont lu nous rebats les oreilles ?
SGANARELLE
C'est le propriétaire, Monsieur, de la belle maison qui est là...
DON JUAN
Mais d'où vient que tu sois si familier avec les lieux et les g"ens d'ici, jusqu'à savoir leur nom et leur demeure ?
SGANARELLE
Eh, vous n'en seriez pas étonné si vous m'aviez jamais interrog-é sur mon existence, mais cela vous importe bien? S'enquiert-on d'un valet? Que lui demande-t-on, sinon d'ê- tre ponctuel, empressé et robuste ? Le reste n'est rien à son maître. Qu'il soit heureux, triste ou gai, c'est à son choix! A plus forte raison ne s'occupe-t-on pas des menus détails
ACTE PREMIER
33
de son passé ! Si vous m'aviez témoig-né quelque intérêt à ce sujet, je vous eusse répondu sans détours, et plus d'un n'en eût pu faire autant, et pour cause... (// regar- de Leporello.) Je suis natif de Verrières, Monsieur, et j'y ai coulé la meilleure part de ma vie, au service de ce monsieur Géronte. C'est chez lui que j'ai appris ce que je sais, et les qualités que vous voulez bien me recon- naître me viennent de cet excellent maître. Ah ! la digne maison ! Que tout y était donc propre et luisant, du grenier à la cave, où le vin ne manquait pas, et quelle table. Monsieur, si abondante en volailles et en viandes que la desserte en faisait de l'office un lieu de délices, car monsieur Anselme, le frère de monsieur Géronte, était fort porté sur sa bouche ! Quel bon convive et comme il disait : « Sganarelle, repasse-moi donc de ce coulis et redonne- moi de ce rôt ! »
DON JQAN
Et pourquoi donc, maître Sganarelle, avez- vous quitté ce paradis, d'autant que vous
34 LES SCRUPULES DE SGANARELLE
VOUS plaignez avec moi de risquer Tenfer à chaque pas? Vous étiez fort dégraissé des bombances de chez monsieur Géronte, quand je vous rencontrai en Avignon, le corps efflan- qué et les dents longues... Il y a là quelque obscurité que je serais curieux que vous m'éclaircissiez.
SGANARELLE
Aïe, aïe, Monsieur, voici ma douleur qui me reprend.
DON JUAN
Cela ne sera rien... Répondez, maître Sganarelle.
SGANARELLE, à part.
Aïe, que dire?...
DON JUAN
Voulez-vous que j'aille interroger là-dessus ce bon monsieur Géronte?
SGANARELLE
Il ne faut pas. Monsieur, mais que vous importent tout à coup les affaires d'un pauvre valet î
ACTE PREMIER 35
DON JUAN
Gomment? tu me reprochais tout à Theure mon indifférence et, maintenant, tu ne peux souffrir ma curiosité. Voilà qui est surpre- nant. Monsieur Géronte me renseignera.. .
SGANARELLE
Restez, Monsieur.
DON JUAN
Mais non, je serai ravi de faire la connais- sance de ce Géronte. Je lui veux présenter mes civilités et le remercier de ce qu'il a fait pour moi. Ne lui dois-je point la perle des serviteurs?
SGANARELLE
Monsieur, demeurez.
DON JUAN
Alors, parle.
SGANARELLE
Je parlerai, mais commandez à Leporello de s'éloigner. {Leporello recule de quelques pas,) Encore! encore, là...
Sgauarelle s'approche de Don Juan et lui parle bas à l'oreille.
30 LES SCRUPULES DE SGANAHELLE
DON JUAN
Je n'entends pas.
SGANARELLE, à mi-voix.
J'ai été marié, Monsieur!...
DON JUAN
Tu as été marié. Mes compliments, Sgana- relle, mais c'était là une raison pour ne pas courir les chemins... A moins que... Aurais- tu perdu ta femme ? ^^
Sganarelle fait si|Sfûe que non. SGANARELLE, piteusement.
Vous allez comprendre. Monsieur. Il y avait chez monsieur Géronte une chambrière qui s'appelait Dorine. Elle était sage, fraîche, jolie. Je l'épousai.
DON JUAN, lui prenant le menton.
Voyez-vous, le paillard !
SGANARELLE
Je l'épousai, mais une fois époux... {il hésité) nous ne nous accordâmes pas et nous prîmes le parti de nous séparer. Voilà tout...
ACTE PREMIER 87
DON JUAN
Tu mens, Sganarelle !
SGANARELLE
Je mens, moi!
DON JUAN
Avoue donc.
SGANARELLE
Quoi? {Leporello, avec ses doigts, figure deux cornes et rit.) Tu ris, pourquoi ris-tu? Monsieur, Leporello nous écoute.
DON JUAN
Leporello !
LEPORELLO
Monseigneur m'a ordonné de m'éloigner, mais il ne m'a pas défendu d'entendre. J'ai l'oreille fine.
DON JUAN
C'est vrai, et c'est parfois, j'en conviens, une i\ qualité qui peut être utile ; mais il se vante ; continue, Sganarelle.
4
38 LES SCRUPULES DE SGANARELLE
SGANARELLE
Alors, pourquoi fait-il des signes avec ses doigts ?
LEPORELLO
C'est une habitude de mon pays.
DON JUAN
Allons, finissons-en. . . Eh ! Sganarelle, pour- quoi tous ces ambages? Cela se voit du reste, mon pauvre garçon! {Leporello rit.) Cela crève les yeux. N'est-ce pas, Leporello ?
LEPORELLO
Per Bacco I
DON JUAN
Tu Tétais, Sganarelle.
SGANARELLE
J'étais quoi? Ah! par exemple, voilà qui est fort !
DON JUAN
Que tu l'aies été ?
SGANARELLE
Non! Mais que vous vous en aperceviez.
Leporello lui désigne son front, que Sgaoarelie tâte machinalement.
ACTE PREMIER Sq
DON JUAN
Ecoute, mon pauvre Sganarelle, et retiens bien cela pour ta gouverne. Quand on voit à un homme la figure jaune et longue, le nez bas, les sourcils rejoints et les pieds en dedans, on peut dire à coup sûr qu'il est cocu ; mais eût-il la figure ronde et vermeille, le nez re- levé, et les pieds droits, on ne peut pas assu- rer qu'il ne le soit point, parce que, retiens bien ceci, Sganarelle, — les femmes sont si perfides, si dangereuses et si lâches qu'il n'en est aucune qui ne soit capable de trom- per aussi bien l'homme qu'elle aime le mieux que celui qu'elle aime le moins. C'est pour- quoi il importe d'agir en tout avec elles sans ménagements, sans scrupules et sans remords et de ne prendre d'elles que son plaisir, y dussent-elles perdre l'honneur, la beauté ou la vie... Mais au fait, Sganarelle, raconte-moi comment cela t'est arrivé ?
SGAN.VRELLE
Ma foi, Monsieur, c'est bien simple. Mon- sieur Géronte trouvait sans doute ma femme
40 LES SCRUPULES DE SGANARELLE
jolie, car je le surpris, un beau jour, à la serrer de fort près.
DON JUAN, ironique.
Quoi, un si bon maître? un si digne homme? et tu t'osas fâcher contre lui?
SGANARELLE
Non pas, Monsieur, mais contre Dorine.
DON JUAN
A la bonne heure, Sganarelle [/Aux gens de votre espèce ces choses-là ne tirent pas à conséquence et sont tout bonnement un des usages de votre condition. Le lien entre les serviteurs et le maître s'en trouve comme renforcé, et tout est ainsi pour le mieux.
SGANARELLE
Ah! si je n'avais eu que cela à reprocher à Dorine je me fusse tenu coi. Monsieur... Monsieur, quelle heure est-il?
DON JUAN, tirant sa montre.
Il est une heure de relevée, mais pourquoi, diantre, ne portes-tu pas une montre, Sga- narelle?
ACTE PREMIER l\l
SGANARELLE
Parce que je déteste les horlogers.
DON JUAN
Ce sont pourtant des gens utiles et minu- tieux. Tu fais la moue?
SGANARELLE
Il y en avait un qui venait, chaque semaine, chez monsieur Géronte remonter et régler les horloges. Je le vois encore. Monsieur, et ce fut, comme midi sonnait à tous les cadrans, que je le découvris avec Dorine.
DON JUAN
Diantre, mais, outre les horlogers, il devait venir encore bien d'autres personnes chez ce Géronte. Est-ce que? {Sganarelle baisse la tête et la remue,)
SGANARELLE, avec un soupir.
Oh! oui. Monsieur. (// compte sur ses doigts,) Tenez, je ne peux pas vous dire le nombre exact, mais je l'ai, à l'auberge, dans mes papiers... et pensez que tout ce monde
42 LES SCRUPULES DE SfiANARELLE
n'était pas aussi discret que monsieur Gé- ronte. Bref, on jasa; on clabauda... Avez- vous jamais été chansonné, Monsieur?
DON JUAN
Je ne crois pas, Sg-anarelle.
SGANARELLE
Eh bien, je ne vous le souhaite point. Ah! les chansons î Cela vous suit et vous poursuit, vous guette au coin des rues, entre par la serrure, pénètre en votre oreillel Ouf! la tête me bourdonne encore de tous ces cou- plets qui se fredonnaient à Verrières, de la bouche du passant au fausset du galopin...
DON JUAN
Ah, ah, ah! Sganarelle, tu m'amuses. Gag-eons que tu les sais encore, ces chansons ! Mon petit Sg-anarelle, chante-les-moi. J'adore la musique. Leporello me chante des airs napolitains, tu ne peux faire moins que lui. Je suis sûr que tu as de la voix!
SGANARELLE, vexé.
Vous ne voudriez pas. Monsieur.
ACTE PREMIER 4^
DON JUAN
Tâche au moins de te souvenir de Taccom- pagnement...
Un petit pâtissier, portant une corbeille, passe au fond de la place, en sifflant un air. Sganarelle , s'agite et se trouble.
Dis donc, Sg-anarelle, n'est-ce pas cela? Ah, ah, ah! Elles courent encore la ville, tes chansons. Ah, ah, ah!
Sganarelle se bouche les oreilles.
Ici, petit mitron, icil!
SCÈNE III 'les mêmes. — LE PETIT PATISSIER
DON JUAN Que sifflais-tu là, petit?
LE PETIT PATISSIER
Une chanson, mon bon Monsieur.
DON JUAN
Et tu en sais les paroles? Dis-les-nous.
44 LES SCRUPULES DE SGANARELLE
LE PETIT PATISSIER
Oh que non, Monsieur, elles sont trop vilaines !
DON JUAN
Pourquoi les chantes-tu?
LE PETIT PATISSIER
Dame, Monsieur, tout le monde les chante ici.
DON JUAN y
Alors tu ne veux pas les répéter?
LE PETIT PATISSIER
Monsieur, j'aurais trop de honte.
SGANARELLE, tirant Doa Juaa par la manche.
Finissez-en, Monsieur, je vous en supplie. Vous voyez bien qu'il est tout roug-e.
DON JUAN
C'est bon, donne-lui un écu,
LEPORELLO
Tiens bien ta corbeille, marmot I
II met la main dans la corbeille et en profite pour dérober deux des tourtes qu'elle contient.
ACTE PREMIER ^5
LE PETIT PATISSIER
Merci, mes bons Messisurs.
On l'entend qui siffle en s'éloi- gnant.
SCÈNE IV LES MÊMES, moins LE PETIT PATISSIER
DON JUAN Bravo ! Sganarelle ! tu es populaire en ce pays.
SGANARELLE
Ils ont une chienne de mémoire en cette chienne de ville, et l'on dirait vraiment que je suis le seul cocu de France!
DON JUAN
Rassure-toi, Sganarelle ; mais n'as-tu point envie d'aller saluer monsieur Géronte et de causer avec lui du bon temps ? Tu aurais raison, car tous ces accidents n'ont guère d'importance et je suis certain que le brave Géronte ne se souvient plus de ces bagatelles. Va donc faire un tour chez lui.
4.
46 LES SCRUPULES DE SGANARELLE
SGANARELLE
Je ne dis pas non, Monsieur, puisque vous n'y voyez pas d'inconvénients, et je ne serais pas fâché de savoir ce qu'est devenue ma gueuse de femme.
DON JUAN
Aurais-tu, malgré, tout conservé pour elle quelque faiblesse de cœur? Cela se trouve, paraît-il.
SGANARELLE
Que non. Monsieur! Mais depuis plus de douze ans que je ne l'ai vue, je serais curieux d'éprouver si je reconnais encore la pendarde. Ah! le temps a dû la rendre moins fière et moins faraude, et j'aurais plaisir à me mon- trer à elle dans un équipage qui lui prouvera que Sganarelle a su faire son chemin dans le monde.
DON JUAN
Je gage que voilà un gaillard qui croit que les années passées loin d'elle n'ont compté que pour cette Dorine... Sganarelle!
ACTE PREMIER 4?
SGANARELLE
Monsieur !
DON JUAN
Te trouves-tu beau?
SGANARELLE
Ah, Monsieur, je n'ai jamais prétendu cela, mais il en est de plus disgraciés que moi par la nature. J'ai encore mes cheveux, mes dents et...
DON JUAN
Je t'entends. Et, toi, Leporello, que penses- tu de ta figure ?
LEPORELLO, prend un air extasié et modeste.
Je n'ai pas à m'en plaindre. Monseigneur, quand je vois certaines de celles que le ciel a données à certains.
Il regarde Sganarelle et crache par-dessus son épaule. Sganarelle lui montre le poing.
DON JUAN
Voilà bien les hommes ! PaLx, faquins, allez à vos affaires; moi, je vais réfléchir aux mien- nes... Leporello, va m'attendra à l'auberge, et
48 LES SCRUPULES DE SGANARELLE
si ce courrier arrivait, viens me prévenir im- médiatement... Tu me trouveras sur le mail... Cette mort du Commandeur me tourmente un peu et j'en voudrais les suites terminées. Ce n'est pas que ce soit le premier homme que je tue, mais celui-là est d'importance... Les ennuis que nous causent les vivants sont tou- jours supportables, maisjje n'aime guère ceux que nous valent les morts : leur état natu- rel est d'être en repos et de nous jjaisser... Mais tout cela ne peut manquer de finir bien- tôt et, au lieu de réfléchir à ces soucis, je ferais mieux de m'en distraire..
Il fait quelques pas, puis, se ravise,
Sganarelle! LeporelloI
LEPORELLO
Monseigneur !
SGANARELLE
Monsieur
II se plante devant eux, la main sur la garde de son épée, l'air arrogant et hautain.
DON JUAN
Coquins! regardez-moi.
ACTE PREMIER 4 9
SGANARELLE
Voilà, Monsieur.
LEPORELLO
Voilà, Monseigneur.
DON JUAN, haussant les épaules, à part.
Qu'allais-je faire... Quoi, Don Juan, vas-tu consulter cette canaille ! N'as-tu pas toujours le jarret nerveux, la main fine, le corps souple et robuste, le visage beau, les yeux ardents et sombres, cet air de force, de har- diesse et de volupté qui attire à toi les cœurs? Pardieu, Don Juan n'est-il pas toujours Don Juan, et tant pis pour ceux et pour celles que le destin place au-devant de mes fantaisies ou en travers de mes désirs !
Il pivote sur ses talons et tourne brusquement le dos à Sganarelle et à Leporello, interloqués.
SCÈNE V LES MÊMES, moins DON JUAN
SGANARELLE, à part.
Hum ! hum 1 mon maître a quelque chose aujourd'hui!...
LES SCaUPULES DE SGANARELLE
LEPORELLO, de même.
Le Seigneur Don Juan ne me paraît pas comme à son ordinaire!...
SGANARELLE, de même.
Cette affaire du Commandeur le préoccupe plus qu'il ne voudrait Favouer. Tout cela pourrait tourner mal, et j'en serais fâché pour lui.
LEPORELLO, de même. _y
Il y a du Commandeur sous roche. Qui sait comment tout cela finira? Il sera prudent de se mettre à l'abri. Je n'aime g^ère les ren- contres avec Dame Justice... mais taisons- nous devant cet imbécile.
Il observe Sganarelle. SGANARELLE, inquiet.
Pourquoi ce maudit Italien me regarde-t-il en dessous?
Ils s'examinent tous les deux avec défiance.
LEPORELLO, haut.
Sganarelle ! . . . Sg-anarelle I
ACTE PREMIER ^I
SGANARELLE, prisant, à part.
Voyons où il veut en venir!
LEPORELLO
Mon petit Sganarelle! Es-tu sourd?
SGANARELLE
Non,maisj'ai Toreille moins fine que vous, Monsieur l'écouteur.
LEPORELLO
Tu es fâché... Faisons la paix, Sganarelle.
SGANARELLE, bougon.
La paix!... la paix.(yl part. )Ou\Tons Toeil.
LEPORELLO
Sganarelle, je puis te dire maintenant que cela ne se voit pas tant... C'était pour t'a- gacer.
SGANARELLE
Ne se voit pas tant... quoi?
LEPORELLO
Tu sais bien...
Il lui fait les cornes.
52 LES SCRUPULES DE SGANARELLE
SGANARELLE
Ahl je n'y songeais déjà plus.
LEPORELLO
Et tu as raison... Tu as malgré cela très bonne tournure et tout à fait Tair d'un hon- nête homme. Ah ! si j'avais ta mine ! Tu me plais beaucoup, au fond, Sganarelle... Tu ne réponds rien... {S ganar elle prise. )ieit trouve doux, simple, bon... Là, es-tu content? Eh bien oui, je n'ai peut-être pas toujours pensé ainsi, je l'avoue... Je te trouvais bête.
SGANARELLE
Grand merci !
Poltron...
Fort bien ! Avare...
LEPORELLO
SGANARELLE
LEPORELLO
SGANARELLE
Allons, ferme! poussez, mons Leporello.
LEPORELLO
Oui... tout cela, je l'ai pensé de toi — et le
ACTE PREMIER
53
reste que je te passe. Quant à ta figure, je ne pouvais pas m'y habituer, mais cela n'a pas tenu... En peut-on vouloir à quelqu'un d'ê- tre laid, si on le sait patient, ser^dable, déli- cat?
SGANARELLE
Je suis, en effet, un peu tout cela, mais moins que tu veux bien le dire, mon pauvre Leporello, et toi-même pour être franc, je commence à croire que je t'ai bien mal jugé. Je te croyais fourbe, insolent, plat, mais je m'aperçois que mon erreur tenait à la couleur olivâtre de ta peau, à la bassesse de ta mine...
LEPORELLO, bas.
Ah, pendard!
SGANARELLE
Oui, mon ami, ce nez retroussé, ces yeux louches ne préviennent pas en ta faveur, mais je reconnais volontiers que j'avais tort.
LEPORELLO
Bah! Embrassons-nous, Sganarelle, et met- tons fin à nos inimitiés. Unissons-nous pour servir Don Juan, un si bon maître...
54 LES SCRUPULES DE SGANARELLE
SGANARELLE
Tu dis vrai, Leporello, et bon gentilhomme par-dessus le marché î
LEPORELLO
Et bon cœur, sous ses dehors légers 1
SGANARELLE
Et qui sait se faire respecter des hommes !
LEPORELLO
Et écouter des femmes!
SGANARELLE
Et des filles!
LEPORELLO
Et qui ne redoute personne au monde, pas même... car, Sganarelle, il est impie.
SGANARELLE
Athée même.
LEPORELLO
Il doute du diable.
II se signe. SGANARELLE, de même.
Il ne croit pas à Dieu.
ACTE PREMIER 00
LEPORELLO
Vois-tu, Sganarelle, Don Juan est Don Juan, et il n'est pas tenu aux usages du commun.
SGANARELLE
Certes !
LEPORELLO
Et quel homme ! Ce n'est point du sang", mais du feu qu'il a dans les veines. Avec lui, jamais un moment de repos! Un jour, ici; un jour, là ! Partout, des aventures, des intri- gues ! A peine arrivé quelque part, il y fait des siennes. Il a toujours en tête quelque projet nouveau qu'il exécute en dépit de tous les obstacles et au mépris de tous les dangers. Aussi ne peut-il jamais demeurer en place. On dirait que le pavé lui brûle les talons. Preste ! en route ! Et encore tout est bien quand on peut déguerpir dans un bon carrosse et qu'on n'en est pas réduit à décamper à franc étrier, en laissant derrière soi des créanciers qui glapissent, des dupes qui se lamentent... Ah ! les beaux tours, Sganarelle, les belles tromperies, les beaux stratagèmes !...
56 LES SCRUPULES DE SGANAHELLE
SGANARELLE
Les beaux enterrements I
LEPORELLO
Et les rapts !
SGANARELLE
Et ces simples petites séductions qui n'ont Tair de rien...
LEPORELLO
Et qui finissent sur le pré... Ah, Sganarelle, quel spectacle ! Est-il rien de plus noble à voir que le seigneur Don Juan, Tépée à la main ! Quel poignet de fer, et ce froissement des lames et ce magnifique coup, quand il a tué le Commandeur! La pointe lui sortait d'un pouce entre les deux épaules..
SGANARELLE
Oui, oui... n'empêche que je crains bien qu'il ne lui arrive malheur quelque jour, et à nous aussi. Ce n'est pas en vain, Leporello, qu'on outrage ainsi les lois humaines et divi- nes. Il vient un moment où tout se paye et qui sait si ce terme est bien éloigné. Le Gomman-
ACTE PREMIER O'J
deurî il me semble que j'entends encore sa voix forte ! Don Juan a-t-il assez ri à ses remontrances ! Je sais bien que le sort, cette fois encore, a favorisé notre maître et que l'autre repose maintenant sous la dalle... Mais crois-moi, Leporello, cette affaire-là n'est pas finie... D'ailleurs, que Don Juan obtienne de ce crime la grâce qu'il sollicite, penses-tu que cela mette un terme à ses exploits?... D'autres occasions viendront, et qui nous assure que nous ne tomberons pas avec lui en des embar- ras d'où il saura sans doute sortir, mais d'où il ne fera rien pour nous tirer?
LEPORELLO goguenard.
Il y a du vrai dans ce que tu dis, Sgana- relle, d'autant que, pour tous les risques que nous courons, le seigneur Don Juan ne nous donne que des gages misérables et qu'il fait difficultés à nous payer. A ce propos, pour- rais-tu, puisque la paix est faite entre nous et que nous voilà comme les doigts de la main, pourrais-tu, Sganarelle, me prêter un petit écu?
58
LES SCRUPULES DE SGANARELLE
SGANAHELLE, faisant un saut en arrière et à part.
Morbleu, la peste soit^ des raccommode- ments! {Haut.) Me prenez-vous pour un sot, si^nor Leporello ! Ah ! c'était là que vous en vouliez venir?... c'était là que tendaient vos flatteries, et vos paroles mielleuses? Ah, vous en aviez à mes écus, monsieur l'Italien ! Arrière, arrière, et à bas les pattes, s'il vous plaît !
LEPORELLO
Supposais-tu donc, imbécile, que j'en eusse à tes beaux yeux ? Quoi, tu as plus de quarante ans, et tu es demeuré naïf comme tu le mon- tres? Cela ne m'étonne plus que ta femme t'ait fait porter des cornes.
Il marche sur Sganarelle qui recule.
Cocu! val
SGANARELLE
Cocu, cocu, n'est pas cocu qui veut! As- tu seulement, toi, trouvé une guenon qui con- sentît à épouser ton museau de singe! Cocu, si cela vous plaît à dire, mais mon argent restera dans ma poche, où il est...
ACTE PREMIER î)^
LEPORELLO
Etj si j e te serrais le cou avec mes deux mains , crois-tu que je ne te ferais pas rendre gorge?
SGANARELLE
Oh! que nenni, monsieur l'étrangleur ! Nous ne sommes point ici àNaples, dans votre pays, où Ton coupe les bourses en plein midi, sans que personne y prenne garde, et où Ton assas- sine les gens en pleine rue, sans que nul ne s'en soucie... Ici, nous sommes en royaume de France et dans la bonne ville de Verrières, où il y a des juges et un Guet. Touche-moi donc, et tu verras comme j'appellerai au secours. J'ai la voix forte, Leporello, quoique d'ordinaire je parle bas par modestie et par politesse... Me vois-tu, appelé en témoignage et en demeure de dire ce que peut bien être cette espèce de moresque venu on ne sait d'où? Comment pourrais-je faire autrement que de parler? Te rappelles-tu, Leporello, cette petite affaire de Lyon, où tu escroquas si galamment le dépôt confié à tes soins?...
6o LES SCRUPULES DE SGANA.RELLE
LEPORELLO, inquiet.
Chut!
SGANARELLE
Et quel est donc le nom de cet honnête drapier de Dijon? Ah oui, il me revient...
LEPORELLO
Tu plaisantes, Sg-anarelle.
SGANARELLE
Je plaisante, et ce jeune garçon de Montpel- lier?
LEPORELLO, haut.
Eh! tu m'excèdes, vieux radoteur, garde tes souvenirs, tes écus et tes cornes. Adieu, coquin I
SGANARELLE
Adieu, coupeur de bourse, filou, bardachc !
LEPORELLO, à part.
Adieu, Sganarelle !
Il lui donne une bourrade. SGANARELLE
Je vais me plaindre au seigneur Don Juan.
à
ACTE PREMIER 6l
LEPORELLO
Vas-y donc, rapporteur, cafard, poule mouil- lée!
Ils sortent en se gourmant et heurtent au passage Anselme, qui entre en scène.
i
SCENE Vl ANSELME, seul.
ANSELME
Ah ! ça, prenez donc garde de ne pas bous- culer ainsi les gens... Je n'ai jamais vu en- geance moins civile. Ah! je ne reconnais plus le Verrières du temps de ma jeunesse ! Chacun y marchait par les rues posément. On s'évitait avec des façons courtoises, et, s'il arrivait qu'on s'abordât, on ne manquait pas de s'en excu- ser le chapeau à la main. Maintenant, tout est changé et on rencontre sur les places d'étran- ges figures... Il me semble qu'une de ces deux- là ne me soit pas tout à fait inconnue, mais
5
02 LES SCRUPULES DE SGANARELLE
Tautre a un aspect hétéroclite qui n'est point d'ici, ni de ce pays. Il en est d'elle comme de cette sorte de gentilhomme que j'ai croisé en allant chez Léandre et qui, si j'en juge par son habit et par son teint, pourrait assez bien être espagnol... Ouais! ces présences d'étran- gers n'apportent rien de bon ici et n'annon- cent rien de meilleur de là-bas, d'où ils vien- nent, car c'est une marque de désordre, dans ses affaires comme dans son esprit, que de courir ainsi le monde... Mais les^coutumes d'à présent ne sont plus celles de jadis. Tout change, hélas ! et le changement s'introduit aussi dans nos maisons et dans les mœurs qui les gouvernent. Il y a telles choses des nou- veaux usages auxquelles je ne m'accoutume- rai jamais, ne serait-ce qu'à voir, comme ce matin, ma nièce Angélique seule par les rues et les boutiques, en compagnie de Dorine, qui n'est certes point un chaperon suffisant, sur- tout maintenant que l'on peut faire à Verriè- res de fâcheuses rencontres comme celle de ces deux hommes de tout à l'heure... Mais il faut que je touche un mot à mon frère sur ce
ACTE PREMIER 63
sujet. Il doit être chez lui en ce moment, et je ne me retiendrai pas de lui dire mon avis sur ce point, dût-il en jeter les hauts cris.
Il se dirisre vers la maisoii de Géronte. -
ACTE II
SCÈNE PREMIÈRE
ANSELME, GÉRONTE. Us sortent ensemble de la maison de Géronte.
i
■^ ANSELME
Je ne veux pas vous retenir, mon frère, puisque vous étiez au moment de sortir, et je peux vous accompagner dehors, si ma compa- gnie ne vous incommode pas et si je ne vous suis pas importun.
GÉRONTE
Bien au contraire, et j'ai grand plaisir à vous voir. L'occasion en est rare, car vos visi- tes ne sont pas fréquentes, mon frère...
ANSELME, modestement.
C'est que celles que j'ai le devoir de rendre
5.
C6 LES SCRUPULES DE SGANARELLE
aux pauvres me prennent beaucoup de mon temps.
GÉRONTE
Je ne vous en blâme pas, mon frère; je me plains seulement qu'elles me privent de vous. Je ne vous aperçois plus guère qu'à la messe, le dimanche, et encore y êtes-vous si absorbé que je distingue à peine votre visage. Certes, Anselme, j'ai trop de religion pour vous re- procher d'être dévot, mais votre nièee Angé- lique vous réclame souvent. Ne trouvez- vous donc pas qu'elle est jolie et qu'il y a plaisir à la regarder?
ANSELME, avec fermeté.
Il y a aussi du plaisir, mon frère, à obser- ver, sur le visage des malheureux, la joie du bien qu'on leur fait.
GÉRONTE
Hé ! Je n'en doute pas, mais je vous avoue, à ma honte, que je ne suis guère capable de supporter la vue de ces misères. Sans être plus mauvais qu'un autre, le spectacle de ces
ACTE H 67
fioures souffreteuses et faméliques me rompt les bras et les jambes et me tire l'estomac dans le ventre. Cela est plus fort que moi, et, quand je rencontre un mendiant, je lui donne mon obole sans le regarder. Pensez à la mine que je ferais dans leurs taudis et leurs galetas. Je ne saurais me retenir de leur montrer mon dégoût, et ma présence, au lieu de les encou- rager à supporter leur sort, le leur rendrait plus odieux par cette répugnance que je ne pourrais leur cacher qu'ils m'inspirent. .. Ah, je ne prétends pas, mon frère, opposer ma faiblesse à votre fermeté . Je vous la dis seule- ment, telle que je l'éprouve et j'accepterai l'opinion qu'il vous plaira d'en prendre...
ANSELME
Loin de moi, mon frère, l'idée de vous ju- ger, mais je constate avec chagrin que vous êtes encore bien engagé dans les voies du monde. Fasse le ciel que quelque malheur par- ticulier ne vous rende jamais plus compatis- sant à celui des autres ! Les fortunes humaines sont diverses et changeantes, et personne n'est à l'abri des traverses et des chagrins.
68
LES SCRUPULES DE SGANARELLE
GÉRONTE, inquiet.
Que voulez-vous dire, Anselme? Sauriez- vous quelque chose qui me concernât et dont je n'eusse point à me 'réjouir?
ANSELME
Mais, non... mais non...
GÉRONTE
Voyons, parlez, Anselme, pourquoi cet air de réticence. J'ai du courag^e dans letaractère, et je saurais, tout comme un autre, suppor- ter une fâcheuse nouvelle.
ANSELME, faiblement.
Je vous assure.
GÉRONTE
Là, vous voyez bien... x\llez,je vous écoute, Anselme, je vous écoute... cependant, s'il n'est pas tout à fait nécessaire que je sois informé de ce que vous semblez hésiter à m'apprendre, je vous rendrai grâce de le garder pour vous. Ce sont des choses que l'on sait toujours assez tôt et...
ACTE II 69
ANSELME
Vous avez là une fausse impression, Géronte, et je n'ai rien de fâcheux à vous annoncer. D'ailleurs, que pouvez-vous redouter ? N'êtes- vous pas le plus heureux des hommes? Votre corps est robuste et sain.
GÉRONTE, se déridant.
Ma foi!
ANSELME
Vous avez l'estomac puissant et le ventre ponctuel, la mine rubiconde.
GÉRONTE, épanoui.
C'est vrai.
ANSELME
La bourse pleine.
GÉRONTE, méfiant.
Eh I cela vous plaît à dire.
ANSELME
Une maison fournie de tout ce qu'il faut pour y vivre commodément : bons meubles, l)eau linge, fine table...
I
70 LES SCRUPULES DE SGANARELLE
GÉRONTE
Votre place y est marquée, mon frère.
ANSELME
Et, enfin, à toutes vos prospérités s'ajoute, pour réjouir vos yeux, Taimable sourire de l'aimable Angélique...
GÉRONTE
Oui, Anselme, cette enfant est la joie et la consolation de ma vie, et, si sa naissance m'a causé plus d'un pleur, elle en a bien effacé les traces. Ah 1 que ma pauvre Bélise serait donc aise de cette fille qui lui a coûté la vie ! Quant à moi, Anselme, s'il m'arrive de regretter ma chère défunte, je me ravise en regardant mon Angélique : même visage, même teint, même taille... C'est ma pauvre Bélise en per- sonne, et avec une jeunesse qu'elle n'aurait plus à cette heure où sa figure me rappelle- rait à moi-même que mon bel âge est passé depuis longtemps, tandis que le spectacle de cette petite me regaillardit gentiment. Enfin, mon cher Anselme, ajouterai-je que cette fille adorable, quijoue du luth comme un Ange du
ACTE II "7 I
ciel et danse comme une Nymphe de la fable, est, de plus, une ménag^ère accomplie? Elle s'occupe de notre maison avec une prudence et une habileté au-dessus de l'éloge. Elle a Tœil au moindre détail. Et adroite, et éco- nome... Elle va elle-même chez les fournis- seurs et en obtient tout, au plus juste prix . Aussi, necrains-je point d'affirmer, Anselme, que votre nièce est sans rivale au monde et qu'il n'y a personne qui ne m'envierait un pareil trésor.
ANSELME
Eh ! c'est là justement, que j'en serais venu si vous n'y étiez arrivé de vous-même . Croyez-vous donc qu'il soit si sage que vous le pensez de laisser votre fille battre le pavé, en- trer dans les boutiques, discuter aux comp- toirs, parler librement avec toutes sortes de gens, courir la rue et le marché, comme elle fait, en butte aux regards et aux propos, et exposée aux rencontres de toute espèce...?
GÉRONTE
Mais, mon frère, quelle mouche vous pique
LES SCRUPULICS DE SGANAKELLK
et voici du nouveau!.. Qui donc serait si hardi et si méchant que de faire injure à la fille de Géronte? Que diable 1 Vivons-nous chez les Hurons et...
ANSELME
Aussi, n'est-ce point d'injures qu'il s'agit, mais, tout au contraire, de ces compliments de la langue et des yeux qui ne sont point sans danger. Oui, ces regards agaçants et doucereux, ces paroles équivoques...
GÉRONTE, riant.
Ah 1 ah! mon frère, vous perdez l'esprit. Ah! ahl ahl la belle idée que vous avez là. Ah ! ah ! ah ! Laissez-m'en rire tout mon saoul, comme vous en ririez avec moi si vous con- naissiez mieux votre nièce. Rassurez-vous, mon bon Anselme. Angélique, à son âge, est l'innocence même, et tous ces beaux manèges dont vous parlez seraient perdus avec elle. Elle ne comprendrait pas ce qu'on lui veut et les galants en seraient pour leurs frais.
ANSELME
Fort bien, fort bien, mon frère, restons-en
ACTE II 78
là, puisque vous le prenez ainsi, mais, si quel- que événement fâcheux se produisait jamais, n'oubliez pas que je vous aurai averti. Les filles, quoi que vous en puissiez penser, sont mieux à la maison que dans la rue...
GÉRONTE
Pour le coup, Anselme, je vous comprends de moins en moins. Quoi, vous auriez souhaité que j'enfermasse Angélique entre quatre murs? Vrai Dieu, votre prudence m'étonne et je ne vous ai pas connu toujours d'une humeur aussi farouche...
ANSELME
Poussez, poussez, la raillerie vous est fa- cile, mais qui vous assure qu'il ne soit point sans m'en coûter d'être sévère aux autres, quand j'aurais tant de raisons de l'être à moi- même? Cependant, ce que je vous ai dit n'est que pour votre bien, et, tenez, laissez-moi, puisque nous sommes sur ce chapitre, l'a- chever par quelque chose que j'ai sur le cœur...
6
74 LES SCRUPULES DE SGANARELLK
GÉROiNTE
Eh! faites donc, mon frère, je vous prie et ne vous g-ênez point.
ANSELME
Eh bien ! Géronte, je vous dirai donc fran- chement que cela me fâche de voir notre Angélique accompagnée partout par Dorine et que...
GÉRONTE
Halte là, mon frère, cessons ce propos, si vous le voulez bien. Que vous blâmiez ma conduite au sujet d'Angélique, passe encore ! mais cette pauvre Dorine qu'avez-vous donc à lui reprocher? N'est-elle pas fidèle, dévouée et depuis longtemps à mon service? Ai-je jamais eu lieu d'être mécontent de ses soins ? Demandez à votre nièce si elle n'a pas tou- jours eu à se louer d'elle? Ah I je sais bien d'où vient votre prévention à son ég'ard ! Vous en êtes encore aux visions de cet imbécile de Sganarelle! Ehl qu'importe que ce niais ait pris la mouche et soit parti de Verrières sur des ragots et des billevesées I
AGT;:; II
ANSELME
Là , là , comme vous vous échauffez !
GÉRONTE
Je ne m'échauffe pas, mais enfin...
. ANSELME
Enfin, mon frère, n'est-il pas au moins sin- gulier qu'ayant g-ardé cette fille chez vous, malgré la rumeur publique, vous Tayez choi- sie comme suivante à votre Angélique? Car Dorine, quoi qu'il en puisse être réellement, est cependant une personne dont le mari dé- clarait son malheur à qui voulait l'entendre et dont le nom orne les couplets de chan- sons gaillardes que sifflent encore aujour- d'hui tous les petits polissons d'ici.
GÉRONTE
Peste, mon frère, il me semble que vous vous animez bien, à votre tour! Je ne vous ai pas toujours connu si farouche et n'avez- vous pas vous-même à vous reprocher quel- ques écarts de jeunesse?
ANSELME
Je ne les nie pas, mon frère, mais, vous,
7^ LES SCRUPULES DE SGANARELLE
n'est-il pas honteux que vous conserviez en- core,pour certaine personne, des attachements qui ne sont plus de votre âg-e...
GÉRONTE
Eh bien, et quand cela serait ? Tout g-rison que je suis, j'ai de la bonne humeur et de la santé et il ne me déplaît pas...
ANSELME
Fort bien, Géronte... et Ang-élique ?
GÉRONTE, inquiet.
Angélique ? mais pouvez-vous penser qu'elle se puisse douter de quelque chose I C'est une enfant ; je vous le dis et vous le répète. . .
ANSELME
Une enfant... une enfant... mais vous ne vous rendez point compte que les enfants grandissent. Tenez, mon frère, quittons ce sujet de Dorine et revenons-en à Ang-élique. Vous me vantiez tout à l'heure sa figure. Oui, ce visage délicat et charmant, ce regard doux et tendre... Vous ne me ferez pas croire, Géronte, qu'une fdle de cet air et de cette com-
ACTE II 77
plexion ne s'intéresse qu'au ménage et n'ait en tête que le menu de vos repas. Allons donc, pensez-vous qu'elle n'ait pas lu quelques ro- mans et qu'elle s'en tienne à l'almanach !
GÉRONTE
Euh ! Euh ! attendez... il me semble que je lui vois souvent un livre entre les mains... Il faudra que je regarde par-dessus son épaule.
ANSELME
Et dans la rue, êtes-vous certain qu'elle n'ait jamais rencontré quelque beau garçon ? Un billet doux est bien vite glissé.
GÉRONTE, à part.
D ian tre , il a peu t-être raison . . . J'ai rem arqué en effet qu'elle écrit souvent. Je pensais que ce fussent des recettes de petits plats. Il fau- dra que je m'en assure.
ANSELME
Franchement, Géronte, convenez de votre imprudence. Vos yeux s'ouvrent, mon frère. Que dites-vous maintenant de ce vieux rado- teur d'Anselme ?
78 LES SGRUPULliS DS fcGANAHELLE
GÉRONTE, le prenant par le bras.
Il me semble que la tête me tourne, An- selme. Ma fille !...
ANSELME
Que feriez-vous, si un homme parlait à votre fille ?
GÉRONTE
Ah I Anselme !
ANSELME
S'il lui remettait un poulet ?
GÉRONTE
Anselme I
ANSELME
S'il lui donnait un rendez-vous ?
GÉRONTE, agité.
Et Ang-élique qui n'était pas rentrée tout à l'heure... Je vais voir à la maison.
ANSELME, le retenant.
Et un rendez-vous en amène un autre...
GÉRONTE
Anselme I
ACiE II 79
ANSELME
Et les promesses veulent des gages.
GÉRONTE
Anselme !
- ANSELME
On voit, mon frère, des filles séduites .. .
GÉRONTE
Anselme, Anselme, sauvez-moi. Que faut- il faire ?
ANSELME
Réfléchir à votre conduite et à votre cou- pable négligence. Voyez-vous votre fille per- due, Géronte, enlevée.
GÉRONTE, affolé.
Ma fille Angélique, ma fille ! Où est-elle ? Qu'on me la rende !
ANSELME
Calmez-vous, mon frère, tout cela n'est pas encore fait, mais ce n'en sont pas moins des choses assez communes et qui arrivent tous les jours... Léandre, que vous connaissez, et
8o LES SCRUPULES DE SGANARELLE
qui est un gentilhomme de grand mérite, m'entretenait récemment de l'histoire de la nièce de ce Commandeur qui fut séduite par un seigneur espagnol nommé Don Juan. Les cho- ses prirent un tel tour que le Commandeur appela Don Juan sur le terrain et trouva la mort en cette rencontre...
GÉRONTE
Le Commandeur a été tué, Anselme? C'était l'oncle de la jeune fdle, comme vous êtes l'on- cle d'Angélique. Ah, je suis certain, Anselme, que vous donneriez votre vie de bien bon cœur pour défendre l'honneur de votre nièce. Vous vous êtes toujours montré bon parent.
ANSELME
Je suis aise que vous le reconnaissiez, Géronte. Aussi ne me repens-je pas de vous avoir parlé. Il me semble que vous voilà plus raisonnable.
GÉRONTE
Raisonnable, vous allez voir, mon frère, que
ACTE II 8l
je le suis. D'abord plus de sorties, plus de promenades, plus de visites, plus de séances aux boutiques, plus de messes et plus de vê- pres. Ensuite, jeVais, de ce pas, mander le ser- rurier qui posera aux portes de bons verrous d'un pied de long- et de bons petits judas gril- lés, en même temps qu'on garnira les fenêtres de bons volets pleins avec de bons gros cade- nas. Et enfin, je ferai venir de chez l'armu- rier une paire de pistolets, quatre mousquets et une rondache. Après quoi monsieur le Su- borneur pourra se présenter chez moi, il y sera reçu de belle manière, non point à la pointe de l'épée — ce qui expose aux mauvaises ripos- tes — mais par de bonnes balles de plomb qui font leur ouvrage à distance. Sans compter que je vais avertir le Guet de surveiller les abords de la maison. Le Serg-ent est de mes amis.
Il se gralte la te te. A part.
Ouais, et même il parle assez souvent avec Dorine. Je n'aime pas cela, (//a?/^) Que dites- vous, mon frère, de mes projets? Ne vous paraissent-ils point sages ?
6.
82 LES SCRUPULES DE SGANARELLE
ANSELME, réservé.
Certes.
GÉRONTE
Judicieux ?
ANSELME
Oui, oui... cependant...
GÉRONTE
Mais...
ANSELME -^
Euhl
GÉRONTE
Voyons, il y a quelque chose. Dites.
ANSELME
Eh bien I mon frère, pour être franc sur ce que vous vous proposez, j'y vois un inconvé- nient .
GÉRONTE
Lequel?
ANSELME
C'est que toutes ces belles réformes ne seront peut-être pas au goût d'Angélique. Elle
k
ACTE II 83
est habituée à beaucoup de liberté. Elle se plaindra.
GÉRONTE, perplexe.
Je voudrais bien voir !
ANSELME
Elle récriminera.
GÉRONTE
Suis-je son père, ou non ?
ANSELME
Elle pleurera.
GÉRONTE, ébranlé.
Vous croyez ?
ANSELME
Vous aurez à supporter des reproches, des scènes, des larmes.
GÉRONTE, soucieux.
Ah!
ANSELME
Elle vous traitera de tyran, de bourreau. Que sais-je encore...
84 LES SCRUPULES DE SGANARELLE
GÉRONTE
Il est vrai qu'il est bien affreux de n'avoir qu'une fille, la plus douce, la plus aimable, la plus innocente des créatures et d'être forcé de la tenir prisonnière. Ah! cruelle nécessité I Mon frère, conseillez-moi.
ANSEl^ME, après un silence et hésitant.
Je vois bien un moyen, mais je crains qu'il ne vous plaise guère.
GÉRONTE
Enseignez-le-moi toujours.
ANSELME
Eh ! Géronte, que ne mariez-vous votre fille?
GÉRONTE
J'avoue, mon frère, que je n'y avais pas pensé et qu'un pareil parti me coûterait fort. Marier ma fille, Anselme, et qui donc me ren- dra à sa place les petits soins dont elle me gâte? N'est-il pas juste que je profite de ses petites gentillesses et ne concevez-vous pas que j'éprouve quelque répugnance à me séparer de cette enfant?
ACTli II
85
ANSELME
Fort bien, mon frère, n'en parlons plus, mais vous voilà tout rembruni et je gage qu'à présent la surveillance d'une fille ne vous paraît pas la chose du monde la plus aisée. Où sont maintenant les verrous «, les cadenas et les mousquets?
GÉRONTE
Pardieu, monsieur mon frère, me croyez- vous une girouette! Certes, je ferai tout ce que j'ai dit et il faudra bien qu'Angélique s'en accommode.
ANSELME
Comme vous voudrez... mais ne craignez- vous pas qu'Angélique, à se voir ainsi envi- ronnée de barrières, ne prenne d'elle-même une idée qu'elle n'a peut-être point? Et quand, plus tard, vous lui voudrez faire épouser quelque honnête homme, elle ne lui trouvera point cette figure de héros de roman qui con- vient à délivrer les belles enfermées.
GÉRONTE
Il faudra bien qu'elle en passe par où je
86
LES SCRUPULES DE SGANARELLE
voudrai et vous ne prétendez pas que je con- sente jamais à donner ma fille à quelque fat?
ANSELME
Non, mon frère, non, et je suis en cela de votre avis. Le mari qui convient à Angélique doit être à la fois raisonnable et tendre, savoir la guider et la conduire, cultiver son esprit et satisfaire son cœur. Je verrais même volon- tiers qu'il ne fût plus de cette première jeu- nesse où le caractère n'est pas formé.
GÉRONTE
Vous avez raison.
ANSELME
Je souhaiterais un homme sérieux.
GÉRONTE
C'est cela.
ANSELME
Honnête.
GÉRONTE
Oui, oui.
ANSELME
Pieux.
ACTE II 87
GÉRONTE
Oui, mais où le trouver?
ANSELME
Que vous importe, puisque vous ne voulez pas marier Angélique?
GÉRONTE
Je n'ai pas dit cela... Tenez, Anselme, à vous parler franc, il me semble que si vous me proposiez ce mari dont vous me faites la peinture... oui, sage, honnête, pieux...
ANSELME
Eh, mon frère, qu'y aurait-il donc de si surprenant à ce que vous en découvrissiez un pareil?
GÉRONTE
Eh, mon frère, où voulez-vous que je le prenne, cet oiseau rare, à moins que vous ne sachiez où il niche ?
ANSELME
Comment, Géronte, ce portrait que je vous traçais tout à l'heure ne vous fait donc songer
88 LES SCRUPULES DE SGANARELLE
à personne? Réfléchissez un peu, mon frère, et ne conviendrez-vous point qu'il s'applique trait pour trait à Léandre?
GÉRONTE
Léandre! mais il est gentilhomme.
ANSELME
Certes, et de fort bonne maison.
GÉRONTE
Je ne nierais pas, en efl"et, que ce ne fût là un fort bon parti et dont nous fussions tous honorés, mais avez-vous songé à ces diff'éren- ces de conditions qui rendent mal assorties des unions les plus faites autrement pour l'être le mieux ?
ANSELME
Léandre, mon frère, n'est pas un de ces pe- tits esprits entichés de noblesse. S'il n'est pas indiff'érent à l'avantage de sa naissance, il est sensible au mérite et à la vertu. Il connaît An- gélique depuis son enfance, et la beauté de votre fille lui cause une vive impression. J'ai démêlé à ses conversations ce qui se passe dans
ACTE II 89
son cœur. Ce serait entièrement la sorte de gendre qu'il vous faudrait. Il doit venir vous voir aujourd'hui et cherchera entre tenir Angé- lique. Favorisez cet entretien. Surtout, quand vous verrez Léandre, n'ayez point l'air de soupçonner ses projets. Avant de vous parler de rien, il veut consulter le cœur d'Angélique. Je ne doute pas qu'elle ne lui réponde favora- blement. Sans être beau,Léandre est de figure douce et agréable. Ce mariage se fera, mon frère, et ce sera la fin de vos tracas et le terme de vos soucis.
GÉRONTE
Puissiez-vous dire vrai, Anselme, et venez là que je vous embrasse. Vous êtes un bon frère et il faut bien que j e vous pardonne le tracas où vous m'avez mis. Tout cela m'a ému, et je ne me sens point à mon ordinaire. J'ai let:œur tout barbouillé.
ANSELME
Allons, Géronte, remettez-vous... Moi, je vous quitte pour quelques visites à faire à mes
90 L!iS SCaUPULES DE SGANARELLE
pauvres. Ne me donne rez-vous rien à leur distribuer en l'honneur de cette belle journée ?
GÉRONTE, tirant sa bourse.
Diable d'Anselme qui me prend ma fille pour la donner à Léandre et mes écus pour en faire largesse aux gueux î . . Mais quelle est cette bizarre figure ?...
SCÈNE II y
LES MÊMES, SGANARELLE. Il a un emplâtre sur l'œil et s'approche de Géronte.
GÉRONTE, sa bourse à la main.
Passez, mon ami, passez. Je n'ai rien avons donner. [A Anselme,) Il vaut mieux garder ses aumônes pour les gens d'ici. Ces vagabonds les empochent, n'en disent mot, et personne ne sait rien de ce qu'on a fait pour eux.
SGANARELLE
Ahl monsieur Géronte.
GÉRONTE, à Anselme.
Et d'où donc me connaît-il?
ACTK II 01
SGANARELLE
Bonjour, monsieur Géronte.
ANSELME
Cette voix, cette fig-ure longue, ce nez tom- bant, ces gros sourcils, mais c'est l'homme de tout à l'heure. Il me semblait bien que je l'a- vais \u déjà quelque part. Et vous, Géronte, ne le reconnaissez-vous pas ? Comment, c'est toi, Sganarelle?
GERONTE
Sganarelle !
SGANARELLE
C'est bien moi, monsieur Géronte; moi- même, monsieur Anselme.
GÉRONTE
Et qui, diable, t'amène ici, Sganarelle ? Je te croyais mort, mon garçon.
SGANARELLE
Ah, monsieur Géronte, eussiez-vous pu croire que j'eusse quitté cette vie sans avoir pris congé d'un si bon maître?
9^ LES SCRUPULES DE RGANARELLE
GERONTE
Alors, c'est pour moi que tu es venu ici? (A Anselme.) Il y a chez ces g"ens du commun des délicatesses qui les mettent parfois au- dessus de leur condition et qui auraient de quoi toucher les cœurs les plus endurcis. {A Sganarelle.) Et tu viens de loin, sans doute? si j'en juge par le temps que tu as été absent? Mais, Sg-anarelle, serais-tu allé à la guerre que tu as l'œil couvert d'un emplâtre? .
SGANARELLE
Oh! que non, monsieur Géronte, mais j'a- vais tant d'empressement à vous revoir que le pied m'a glissé sur le mauvais petit pavé d'ici.
GÉRONTE
Pauvre Sganarelle, viens que je t'embrasse. {A Anselme.) N'y a-t-il pas certaines circons- tances qui rapprochent les gens les uns des autres et qui effacent ce qui sépare les condi- , tions ? Et n'avez-vous pas remarqué aussi que certains hommes ont le pouvoir d'inspirer aux autres un attachement particulier ?
ACTE II 93
ANSELME
Mais, mon frère, Sganarelle se moque avec son emplâtre. (^ Sganarelle.) N'est-ce point bien plutôt tout à Theure que tu as reçu ce horion en te gourmant avec ce drôle qui porte une cape doublée de soie bariolée et dont le visage ne me revient pas? Vous étiez si occu- pés à vous houspiller que vous m'avez pres- que renversé en passant.
SGANARELLE, penaud.
Aïe ! Imbécile de Leporello !
ANSELME
Qui était donc ce malappris qui se col- letait avec toi ? Il m'a semblé quelqu'un de ces valets maures, comme il est de mode, pa- raît-il, d'en faire monter derrière les carros- ses. Seriez-vous au même maître? Je ne t'en fais pas mon compliment; et lui-même ne serait-il pas ce gentilhomme au teint basané, vêtu d'un habit rouge, que j'ai aperçu, ce matin, à la porte de l'hôtellerie?
94 LES SGUUPULES DE SGANARELLE
GÉRONTE
Mais, alors, Sganarelle, que disais-tu donc? Tu n'es pas venu ici exprès pour me voir, si tu n'as fait qu'y suivre ton maître. Bah! ne prends pas cette mine contrite,je suis content tout de même que tu sois là. Apprends-nous plutôt quel est le seigneur que tu sers.
ANSELME
Oui, d'autant que sa figure ne me prévient pas en sa faveur. Il m'a paru hautain, arro- gant et fat, à la façon recherchée dont il s'ha- bille et à l'air dont il toise ceux qu'il regarde. Il est étranger, n'est-ce pas, et je lui donne- rais volontiers quelque chose d'espagnol.
SGANARELLE, se forçant à rire.
Espagnol, Espagnol, voilà qui divertirait fort le seigneur Valère! Mais, monsieur An- selme, mon maître, est tout bonnement un gentilhomme de Picardie. Si vous l'entendiez parler vous lui en reconnaîtriez l'accent...
ANSELME
Ah, Sganarclle, tu nous la bailles belle,
I
ACTE II 95
mon g-arçon! Picard, ce teint foncé ! Ces yeux sombres, Picards I
SGANARELLE
Picards, monsieur Anselme, Picards, quoi que vous en ayez, mais je ne disconviens pas que le visage du seigneur Vaîère puisse prê- ter à quelque équivoque . La nature a de ces jeux-là. Tenez, monsieur Géronte, moi qui ai voyagé, j'ai observé souvent de ces bizarre- ries qui déconcertent ; ainsi j'ai connu à Val- ladolid un usurier qui ressemblait à monsieur Anselme comme un écu ressemble à un écu, et, à Milan, j'ai rencontré un prince italien qui était tout juste votre portrait, à vous, mon- sieur Géronte.
GÉRONTE, natté.
Cela peut très bien être et on a vu des choses plus surprenantes...
ANSELME
Eh, eh ! Sganarelle, les voyages vous ont donné bien de la faconde, mais tout Picard que vous le prétendiez, ce seigneur Valère ne me dit rien de bon.
f)6 LES SCRUPULES DE SGANARELLB
SGANARELLE
Ah! monsieur Anselme, quelle injustice et comme vous en reviendriez si vous connaissiez le seig-neur Valère ! Avec sa mine basanée et ses yeux vifs, il est le plus doux et le plus timide des hommes, toujours poli à qui lui parle, et rang-é et rég-ulier et modeste ! Oui, Monsieur,son habit est brillant et riche, mais, dessous, il porte une haire, car il est pieux et dévot comme un ange.
GÉRONTE, bas à Anselme. ,
Ma foi, mon frère, que diriez-vous si Dieu nous envoyait là un parti pour Angélique en la personne de ce Valère? Comme Léandre, il est gentilhomme et il se pourrait en plus qu'il eût du bien, tandis que Léandre n'en a pas, ce qui, entre nous, me chiffonne un peu... (^1 Sganarelle.) Ne pourrais-tu, Sganarelle, me procurer la connaissance de ton maître ? Etranger dans cette ville, n'aurait-il pas besoin de mes services?
SGANARELLE, inquiet.
Impossible, monsieur Géronte, impossible.
ACTE II 97
Il a fait vœu de ne parler à âme qui vive avant d'avoir accompli certain pèlerinage à la Vierge. C'est même pour cela que nous sommes en chemin.
GÉRONTE
Ah! le brave homme, et voilà, Anselme, qui vous doit plaire.
ANSELME, narquois.
J'avoue que tout ceci a de quoi changer mon sentiment, mais dis-moi, Sganarelle, comment ton maître, avec son mérite, se peut-il accom- moder d'un valet pareil à celui avec qui tu te gourmais tout à l'heure ?
SGANARELLE
Vous avez bien raison, monsieur Anselme, mais ce garçon n'est autre qu'un ancien for- çat que mon maître a racheté aux galères de Naples, où il ramait, et qu'il tente de ramener au bien. (Bas.) Attrape, Leporello !
k
ANSELME, à part.
Il nous conte des bourdes.
gS LES SCRUPULES DE SGANARELLE
SCÈNE m
LES MÊMES, LE PETIT PATISSIER LE PETIT PATISSIER, courant à Sganarelle.
Monsieur, monsieur, donnez-moi l'argent des deux Iourtes que vous m'avez prises tout à l'heure dans ma corbeille. Mon patron me veut battre. _y
GÉRONTE
Eh! que veux-tu dire avec tes tourtes, g-alopin?
LE PETIT PATISSIER
Oh, ce n'est pas à vous que j'en ai, mon- sieur Géronte, mais à ce monsieur qui est là.
Il tire Sganarelle par le pan de de son habit.
SGANARELLE
Veux-tu bien me laisser tranquille 1 Monsieur Géronte, chassez-le.
ANSELME
Voyons, parle, mon enfant.
ACTE II 99
LE PETIT PATISSIER
Oui, monsieur Anselme. Ce monsieur était là tout à riieure avec deux autres drôles de messieurs. Alors, ils m'ont arrêté pour que je leur chante les paroles d'un air que je sifflais. J'ai posé ma corbeille à terre et, quand j'ai remis les tourtes à la femme du Sergent du Guet, il en manquait deux. (A Sganarelle.) Payez-les-moi.
ANSELME
Et qu'est-ce que c'était que cet air que tu sifflais ?
LE PETIT PATISSIER
Vous savez bien, monsieur Anselme. (// siffle,) D'ailleurs je n'ai pas voulu dire les paroles... et le grand monsieur en habit rouge m'a tout de même donné un écu...mais celui- là m'a volé mes tourtes . . .
ANSELME
Allons, paye, Sganarelle ... tu n'as pas honte î
SGANARELLE
Mais, monsieur Anselme, ce n'est pas moi, c'est Leporello !...
100 LES SCRUPULES DE SGANARELLE
ANSELME
Qui est-ce, Leporello ?
SGANARELLE
Mais le grand drôle qui me gourmait, le valet de Don J... de Valère, Thomme à la cape.
ANSELME
Tant pis, paye toujours, cela t'apprendra à fréquenter des coquins.
Sganajpelle paye. LE PETIT PATISSIER
Merci, monsieur Anselme.
Il s'en va en sifflant. Anselme le menace du doigt.
SCÈNE IV LES MÊMES, moins LE PETIT PATISSIER
ANSELME
Ne conviendrez-vous pas, monsSganarelle, que votre jeune maître, pour un dévot, a d(* singulières occupations ? Quoi ! vouloir faire chanter à un enfant... Fi donc!
ACTE II lOl
GÉRONTE
Laissons cela, mon frère, je vous prie.... Sganarelle !
SGANARELLE
Monsieur?
GÉRONTE, à part.
Le compère a dû avoir certaines intentions en venant ici... Aurait-il des vues sur Dorine? Je m'en veux assurer. (Haut.) Il me semble que le plaisir de me revoir, mon pauvre Sg-a- narelle, te trouble un peu Fesprit, ou bien les voyag-es t'auraient-ils rendu oublieux que tu ne me demandes point les nouvelles d'ici? Oui vit? Qui est mort? Et celui-ci? et celui-là? toutes ces petites questions que l'on fait d'or- dinaire, au retour? Ne serais-tu pas content de savoir' ce qui en est de cette petite Angé- lique que tu faisais sauter sur tes genoux et à qui tu fabriquais des moulins àvent en papier? Te souviens-tu, Sganarelle?
SGANARELLE
Si je me souviens, monsieur Géronte ! Ah
102 LES SCRUPULES DE SGANARELLE
qu'elle était gentille et mig-nonne avec son air sérieux et son petit bonnet! Où est-elle, mon- sieur Géronte, que je la baise?
GÉRONTE
Halte là, mon garçon. Sais-tu depuis com- bien de temps tu es parti d'ici ?
SGANARELLE
Ma foi, monsieur Géronte, il y aura bien douze ans, à la Chandeleur. _y
GÉRONTE
Et quel âge avait Angélique? Cinq ans, n'est- ce pas ? Penses-tu, maintenant, qu'elle est bonne à marier?
SGANARELLE
C'est pardieu vrai !
GÉRONTE
Que c'est une demoiselle, que tu lui dois du respect?
SGANARELLE
J'en aurai, monsieur Géronte, mais au nom du ciel, montrez-moi mademoiselle Angélique.
ACTE II
io3
GÉRONTE
Tu la verras, S^anarelle. Sais-tu bien que je lui donnerai bientôt un époux?
SGANARELLE
Comme le temps passe! Elle se soucierait bien à présent de mes moulins !
GÉRONTE
Et que cet époux sera gentilhomme?
SGANARELLE
Rien que cela!
GÉRONTE
Et que je veux Taire la noce bientôt?
SGANARELLE
Vous la ferez, monsieur Géronte.
GÉRONTE
Te rappelles-tu, Sganarelle, ce jeune Léan- dre qui allait sur ses quatorze ans, à ton dé- part, et qui venait souvent à la maison ?
SGANARELLE
Oh! que oui.
I04 LES SCKUPULES DE SGANARELLE
GÉRONTE
C'est maintenant un homme fait.
SGANARELLE
Est-ce que?... Compliments, monsieur Gé- ronte. Un homme fait et qui est gentilhomme, peste!
GÉRONTE
Eh que vas-tu penser, Sganarelle? J'ai dit ce nom-là en l'air... Mais, tu me laisses parler, tu me laisses parler... (^ part.) J^ voudrais l'amener sur le chapitre de Dorine. {Haut,) Ne te gêne pas, mon g-arçon, pour me deman- der ce que tu veux savoir, je te répondrai bien volontiers. Tiens, la vieille Marinette,qui venait autrefois filer le chanvre et surveiller le tourne-broche, eh bien, elle est morte.
SGANARELLE, tirant son mouchoir.
Ah ! pauvre Marinette, ce que c'est que do nous.
GÉRONTE
Ah ! il y en a bien d'autres, que tu as connus] et que tu ne retrouveras pas, Sganarellel Enj douze ans, il se fait du changement.
ACTE II lOD
SGANARELLE, à part.
Hum ! hum ! est-ce que Dorine ?
GÉRONTE
Que veux-tu, Sg-anarelle, c'est la loi com- mune. Compte un peu sur tes doig-ts les gens qui, de ton temps, composaient la maison.
SGANARELLE
Il y avait vous, monsieur Géronte, et mademoiselle Angélique, puis Marinette !
GÉRONTE
Et tu ne te souviens pas de Benoîte, la cui- 'sinière ?
SGANARELLE
Que si, monsieur Géronte !
GÉRONTE
Eh bien, elle est maintenant chez mon frère inselme... et puis... tu ne te rappelles plus ïrsonne d'autre?
SGANARELLE
Ma foi non, monsieur Géronte I
GÉRONTE
Cherche bien.
I06 LES SCRUPULES DE SGANARELLE
SGANARELLE
Je ne trouve pas.
GÉRONTE
Cherche encore.
SGANARELLE
Ah ! il y avait Rustaud, vous savez, le chien Rustaud, à qui monsieur Léandre marchait sur la queue pour amuser mademoiselle Angé- lique.
GÉRONTE
Eh bien, Rustaud, il est mort d'indigestion pour avoir dérobé la viande du pot-au-feu. Entre nous, Sganarelle, je crois que Dorine Tavait corrigée trop durement, la pauvre bétel...
Il attend sur Sganarelle l'effet du nom de Dorine. Sganarelle fait comme s'il n'avait pas entendu.
SGANARELLE
Tenez, monsieur Géronte, je me sens tout rajeuni à ces vieilles histoires, et je ne puis me persuader que ce Sganarelle qui est là est le même qui a couru tant de pays. Il me paraît
ACTE II 107
que je n'ai jamais quitté votre maison et que e vais aller, de ce pas, comme autrefois, mettre le couvert et tirer les courtes-pointes. Et quand je pense, monsieur Géronte, qu'au lieu de finir tranquillement mes jours dans ma YiWe nat^ile, comme la vieille Marinette ou le chien Rustaud, je mourrai sans doute au loin sur quelque grabat d'auberge, j'en ai une larme au coin de l'œil et un petit frisson dans le dos.
GÉRONTE
Chasse donc ces idées noires, mon pauvre Sganarelle. (A Anselme.) Voici justement Léandre qui vient par ici. Il est vrai qu'il a bonne mine.
SCÈNE V LES MÊMES, LÉANDRE
GÉRONTE
Bonjour, Léandre. Quel heureux hasard vous amène?
I08 LES SCRUPULES DE SGANARELLR
LÉANDRE
Le projet de vous présenter mes civilités, monsieur Géronte... J^avoue aussi que le beau temps qu'il fait aujourd'hui m'a fait sortir de chez moi, et vous-même [n'étes-vous pas à prendre l'air sur la place?
GÉRONTE
Oui, mon frère Anselme et moi, nous nous y entretenions de choses sérieuses^ et vous arrivez à point pour nous distraire. Eh bien, Léandre, que se dit-il de nouveau dans Ver- rières ?
LÉANDRE
Excusez-moi, Monsieur, mais je ne suis guère nouvelliste.
GÉRONTE
Gomment , Léandre , vous qui lisez les : gazettes, vous êtes au fait de ce qui se passe à la cour et dans les provinces ! Anselme m'a rapporté ce que vous lui aviez conté récem- ment de la mort du Gommandeur. Savez-vous quelque chose de cette affaire ?
ACTE II 109
SGANARELLE, à part.
Diable, je vois que les hauts faits du sei- gueur Don Juan sont parvenus jusqu'ici!
LÉANDRE
Non, monsieur Géronte, mais je pense que le Roi punira sévèrement le crime et que Tin- nocence sera vengée . Je voudrais que tous ces séducteurs de filles fussent pendus haut et court. N'est-il pas affreux qu'ils abusent la confiance et la naïveté, qu'ils répandent des promesses mensongères, qu'ils tendent à la vertu des pièges déloyaux et, cela fait, qu'ils puissent continuer à se promener par la ville, le jarret tendu et le poing sur la hanche ?
GÉRONTE
C'est mon avis,Léaudre, et j'aime que vous pensiez ainsi.
LÉANDRE, s'animant.
Si le Roi permet à ses gentilshommes de porter l'épée, c'est pour qu'ils défendent leur honneur et leur vie et non pour soutenir les abus de leur conduite ni pour ajouter à leur tort un tort plus grand... Mais laissons cela,
8
IIO LES SCRUPULES DE SGANARELLE
monsieur Géronte, et revenons à des sujets plus agréables. Mademoiselle votre fille est- elle en bonne santé, et n*aurai-je point Toc- casion de lui rendre mes hommages?
GÉRONTE
Vous le pourrez faire, Léandre, sans doute bientôt. Elle est sortie avec Dorine et elle ne tardera point de rentrer. Je m'étonne même que vous ne Tayez pas rencontrée par la ville. --^
LÉANDRE
Je suis venu jusqu'ici en suivant le mail et je n'ai vu personne sur mon chemin qu'un homme à cheval qui arrivait à bride adjattue. J'ai jugé par sa tenue qu'il était de la Maison du Roi. Il faut qu'il se trouve en ce moment à Verrières quelque seigneur d'importance pour que Sa Majesté lui dépêche quelqu'un de ses propres courriers.
SGANARELLE, à part.
Voilà qui concerne le seigneur Don Juan et qui va décider s'il sera pendu ou non.
ACTE II III
LÉ ANDRE
Mais, j'y songe, ce pourrait bien être cet étranger que j'ai rencontré ce matin, dont la vue m'a frappé et qui justement se promenait avec Monsieur.
Il salue Sganarelle.
GÉRONTE, riant.
Monsieur, monsieur, ehl quoi, Léandre, vous ne reconnaissez donc pas Sganarelle, mon ancien valet et qui est à présent au service d'un certain seigneur Valère...
LÉANDRE
Mais oui, c'est bien Sganarelle. Ah 1 Sgana- relle... Mais voici votre fille Angélique, mon- sieur Géronte. {Bas à Anselme.) Mon cœur bat et je me sens défaillir.
SCÈNE VI LES xMÊMES, ANGÉLIQUE
ANGÉLIQUE
Ahl mon papa, je vous cherchais par toute
112 LES SCRUPULES DE SGANAIVELLE
la maison. {Elle l'embrasse.) Bonjour, mon oncle Anselme.
ANSELME
Bonjour, mig^nonne.
ANGÉLIQUE
Bonjour, Lëandre. {A Géronte.) Mon papa, qui est cet homme-ci ?
GÉRONTE
Regarde-le bien. Son visage ne te rappelle rien ? -^
ANGÉLIQUE
Attendez, mon papa, mais oui... il me sem- ble... je crois... {Elle rougit.) C'est Sgana- relle.
GÉRONTE
Cette enfant a une mémoire étonnante. Elle n'avait que cinq ans, lorsque tu partis. Cela tient du sortilège.
SGANARELLE
Elle m'a reconnu ! Ah ! mademoiselle An- gélique, comment se peut-il? Tenez, je pleure de joie.
Il se mouche violemment. Son emplâtre tombe.
AGîE 11 Il3
Tant pis, je suis guéri !
ANGÉLIQUE
Bon Sganarelle, comme tu étais bon pour moi ! Tu me défendais quand Rustaud voulait me lécher la figure avec sa grande langue rose; tu me portais sur ton épaule pour que je pusse atteindre les pots de confitures sur le rayon ; tu me faisais des moulins en papier et tu soufflais dessus en gonflant tes joues. Quel vent t'a donc traversé la cervelle que tu aies été absent si longtemps ? Mais aussi quel plai- sir de te revoir !
Elle bat des mains. » SGANARELLE
Ecoutez-la, monsieur Géronte, est-il rien de plus touchant?
ANSELME, à part.
Ma nièce a bien de la vivacité aujourd'hui. Tout cela est-il pour Sganarelle?
ANGÉLIQUE, à son père.
Maintenant que le voilà, mon papa, il ne faut plus qu'il nous quitte.
Il4 LES SCRUPULES DE SGANAUELLE
GÉRONTE
Comment?
ANGÉLIQUE
Oui, mon papa, dites-lui qu'il faut qu'il reste avec nous. Je veux Sganarelle.
GERONTE
Tu veux Sg-anarelle! et pour quoi faire?
ANGÉLIQUE
Je ne peux plus m'en passer, mpn papa chéri.
GÉRONTE, à part.
Que dit^elle? garder ici Sganarelle... et Dorine !
ANGÉLIQUE
Il demeurera à la maison comme aupara- vant.
GÉRONTE
Sga?...
ANGÉLIQUE
Oui, mon papa. N'avons-nous pas besoin de quelqu'un qui remplace Pierrot, votre petit laquais, et sur qui je puisse me décharger de
ACTE II Il5
bien des soins dont il faut que je m'occupe et qui, parfois, me paraissent un peu pesants I Est-ce bien ce qui me convient que d'aller, comme je le fais, marchander dans les bouti- ques, courir le marché à goûter le beurre et à tâter le ventre aux volailles ? N'est-il pas des soins plus relevés et qui siéraient mieux à la fille de Géronte?
ANSELME
Elle a raison, mon frère, et n'est-ce point ce que je vous disais ? (A part.) Cette délica- tesse est bien subite.
ANGÉLIQUE
Ne me refusez pas ce que je vous demande, mon petit papa, et donnez-moi Sganarelle.
GÉRONTE
Mais, ma fille, Sganarelle n'est point du tout le serviteur qu'il faudrait. Ce n'est pas un mauvais sujet, mais il a d'assez vilains défauts. Il est paresseux, négligent.
SGANARELLE
Ah I monsieur Géronte, épargnez-moi ; les
Il6 LES SCRUPULES DK SGANAREI LE
voyages m'ont bien changé. Cela forme les caractères.
GÉRONTE
Laisse donc, petite, nous trouverons mieux que lui. (A part.) Eh bien ! Dorine pousserait de beaux cris ! (Haut.) D'ailleurs, il y a cer- taines choses que -je ne puis t'expliquer au sujet de Sganarelle.
ANGÉLIQUE
Quoi, mon papa, est-ce que c'est que Sga- narelle était le mari de Dorine? Mais Dorine ne cesse de m'entretenir de lui à tout propos.
SGANARELLE
Par exemple, voilà qui est fort !
ANGÉLIQUE
Tellement que c'est au portrait qu'elle m'en a fait cent fois que je l'ai reconnu tout à l'heure. Oh, papa, elle sera si contente de le revoir! Accordez-moi ce que je vousdemande. Je vous aimerai hien.{E lie F embrasse.) Je vais prévenir Dorine. {Elle va en courant vers la maison et en criant:) Dorine ! Dorine I
ACTE II 117
SCÈNE VII LES MÊxMES, moins ANGÉLIQUE
- GÉRONTE Angélique ! Angélique 1 Elle n'écoute rien. Petite masque !
ANSELME, riant.
Allons, mon frère, il faut en passer par où elle veut. Et toi, Sg-anarelle, que dis-tu de cette affaire ?
SGANARELLE
Ma foi, monsieur Anselme, pour ma part, je vous avouerai que je suis bien un peu fati- gué de vagabonder et de courir les chemins à la suite de maîtres divers, et la pensée d'un bon lit, d'une bonne table et de bons gages a quelque chose qui me flatte assez.
GÉRONTE
Peste I tu oublies, Sganarelle, que je n'ai pas coutume de donner beaucoup aux gens qui me servent. Tu es habitué à gagner gros, et
8.
Il8 LES SCRUPULES DE SGANARELLE
le seigneur Valère doit te payer en consé- quence. Tu quitterais un pareil maître? Sans compter que cela ne serait guère bien, Sgana- relle 1
SGANARELLE
Certes, monsieur Géronte, le seigneur Valère a de quoi retenir à lui, mais il n'est pas sans avoir de certains petits défauts, comme ne vouloir rien entendre à propos de ce scélérat de valet nommé Leporello, qui le sui^partout et à qui je ne serais pas fâché de fausser com- pagnie.
ANSELME
Allons, Sganarelle, avoue-nous qui est ton maître et ce qu'il cache sous ce nom emprunté de Valère.
SGANARELLE
Je ne sais rien de plus du seigneur Valère que ce que je vous en ai dit. (A part.) Si Don Juan apprenait que j'ai bavardé, il me ferait étrangler par Leporello, qui serait enchanté de la besogne. Motus, Sganarelle î
ACTE II
"9
GÉRONTE
Voyons, Sganarelle, parlons franc. Si tu quittais le seig-neur Valère et si tu rentrais à mon service... il faudrait que tu te remisses bien avec Dorine.
SGANARELLE
Pourquoi pas ?
GÉRONTE
Tu dis ?
SGANARELLE
Je dis : pourquoi pas.
GÉRONTE
Tu railles, Sg-anarelle.
'^SGANARELLE
Je ne raille pas, monsieur Géronte.
GÉaONTE
Mais Dorine t'a fait cornard, imbécile !
ANSELME
Tout doux, mon frère, comme vous lui jettez cela au nez !
GÉRONTE
Elle t'a trompé.
120 LES SCRUPULES DE SGANARELLE
SGANARELLE
Eh bien, et après ?
GÉRONTE
Tu n'y semblais pourtant pas si indiflerent !
SGANARELLE
Je conviens que j'en eus jadis un peu d'hu- meur, mais cela m'a bien passé.
ANSELME
Tu es un brave g-arçon, Sganarelle>^
SGANARELLE
Et je vous jure, monsieur Géronte, que je n'en veux guère à Dorine.
GÉRONTE
Et comment s'est faite cette douceur et pro- duit ce beau changement ?
SGANARELLE
C'est d'avoir vu que ce que je regardais comme une injure exceptionnelle est, de par le monde, un procédé assez commun. Les grands mêmes n'y échappent pas. Et puis si je suis cornard, Dorine est cornette.
ACTE II 121
GÉRONTE
Tu as trompé Dorine, toi?
SGANARELLE
Oui, monsieur Géronte, tel que vous me voyez.
GÉRONTE
Tu as eu des maîtresses ?
SGANARELLE
Gomme je vous le dis.
GÉRONTE
Et jolies ?
SGANARELLE
Oui.
GÉRONTE
Comment as-tu fait ?
SGANARELLE
Je me laissais faire.
Anselme et Léandre rient. GÉRONTE
st le monde renversé... Enfin tu wrais Dorine en bon accord ?
122 LES SCRUPULES DE SGANARELLE
SGANARELLE
Oui, monsieur Géronte, pour vous servir.
GÉRONTE
Tu ne serais ni insolent, ni importun ?
SGANARELLE
Oh, monsieur Géronte !
GÉRONTE
Pas jaloux?
SGANARELLE
Pas jaloux.
GÉRONTE
Et tu te contenterais de ton gage d'autre- fois ?
SGANARELLE
Avec le vin, monsieur Géronte.
GÉRONTE
Oui, la 'piquette qui est dans le petit ton- neau.
SGANARELLE
Et la viande, chaque dimanche.
ACTE II
123
GÉRONTE
Allons, tope là, S^anarelle.
ANSELME
Bravo, mon frère. Venez, Léandre, annon- cer cette bonne nouvelle à Ang-élique.
Ils entrent dans la maison de Géronte.
SCÈNE VIIl GÉRONTE, SGANARELLE
GÉRONTE, à part.
Voici, ma foi, un arrangement admirable. Dorine devient, grâce à Sganarelle, un chape- ron respectable, sans compter que la présence de ce <irôle me met à l'abri de ces petits acci- dents de paternité auxquels on est toujours sujet et dont je n'aurai plus, grâce à lui, à me préoccuper. De plus le gaillard semble avoir vu le monde. Il doit être au fait des stratagè- mes propres aux amants et je le dresserai à en garantir les abords de la maison. De cette façon, je ne suis plus obligé de marier Ange-
I2/[ LES SCRUPULES DE SGANARELLE
lique... Certes, ce Léandre est bon g-entil- homme... Enfin rien ne presse. Quant à tout ce que m'a débité Anselme, il faut en rabat- tre une bonne moitié. Séductions, enlèvements, ce sont peut-être des choses qui arrivent, mais aux autres.
SGANARELLE, à part.
Il marmonne entre ses dents. Voudrait-il revenir sur la viande et la piquette?
GÉRONTE -^
Sganarelle, sais-tu manier une épée et tirer d'un pistolet?
SGANARELLE
Ma foi, monsieur Géronte, je ne suis pas spadassin, mais il m'est parfois arrivé aux foires de mettre la balle dans le mannequin et de toucher le papegai.
GÉRONTE
Fort bien, tu auras, outre ton ouvrage, une paire de gros pistolets à tenir propres.
SGANARELLE
Pour quoi faire, monsieur Géronte?
ACTE II
125
GÉRONTE
Pour rien. Si la nuit lu entendais quelque briiit, si tu voyais rôder quelque personne sus- pecte autour de la maison, tu ferais feu en Tair pour appeler le Guet. J'ai confiance en toi, Sga- narelle. A la première alerte, pif, paf !
SGANARELLE
Pif, paf ! c'est compris.
GÉRONTE
Suis-moi. Je vais parler à Angélique. {A part,) Je ne voudrais pas qu'elle s'engageât avec Léandre et je me veux mettre en tiers dans leur conversation.
Il rentre.
SCÈNE IX SGANARELLE, seul.
SGANARELLE
Que veut-il dire avec son Guet, ses pistolets, ses pif, pafi Moi qui croyais, une fois chez monsieur Géronte, n'avoir plus qu'à dormir
120 LES SCRUPULES DE SGANARELLE
sur les deux oreilles. Ai-je raison de quitter le seigneur Don Juan, d'autant plus qu'il va fal- loir lui annoncer la chose et qu'il est capable de vouloir me retenir ou se refuser à me payer mes gages? Cependant, je voudrais bien acheter quelques colifichets pour Dorine.
SCÈNE X SGANARELLE, DON JUAN^
DON JUAN, il tient ùq papier à la main.
Qu'as-tu donc à parler ainsi tout haut, Sga- narelle ?
SGANARELLE
Ah ! vous m'avez fait peur I
DON JUAN
Réjouis-toi, Sganarelle,j'ai enfin les lettres du Roi. Elles sont conçues dans les termes i les plus bienveillants et m'accordent une grâce] pleine et entière au sujet de la mort du Com- mandeur. SaMajesté défend que je sois pour-1 suivi ni inquiété en aucune façon pour cette
ACTE II 127
affaire. Elle m'enjoint seulement de faire éle- ver un tombeau au Commandeur. Il Taura, Sg-anarelle, dig'ne de moi et digne de lui. Je nV épargnerai le marbre ni le bronze. Je veux qu^ on y voie la figure de ce vaillant hom- me, tel qu'il fut de son vivant. Nous en détermi- nerons nous-mêmela structure et nous en choi- sirons remplacement. Ce sera un beau monu- ment de la justice humaine, Sganarelle I
SGANARELLE
Ah, seigneur Valère, cette moquerie...
DON JUAN
Appelle-moi Don Juan, tu peux dire mon nom tout haut, c'est celui d'un homme heu- reux.
SGANARELLE
Ah, seigneur Don Juan I
DON JUAN
Oui, Sganarelle.Qui donc disait que le bon- heur est une récompense de la vertu? Com- ment les hommes ne cessent-ils pas de le ré- péter quand tout en démontre à chaque pas la
128 LES SCRUPULES DE SGANARELLE
niaiserie et la fausseté ? Raisonnons un peu, Sganarelle, et tu conviendras toi-même que j'ai quelque sujet à penser de la sorte. Si je n'avais pas, contrairement aux lois de ce qu'on nomme vulg-airement l'honneur, séduit la nièce du Commandeur et abusé de sa cré- dulité, je n'aurais pas non plus tué son bon- homme d'oncle et j'aurais ainsi ig'noré le cas que le Roi fait de ma naissance et de ma per- sonne, ce dont il vient de me donneiyun té- moignage éclatant et public. Et ce n'est pas tout, suis-moi bien, Sganarelle... Si, en atten- dant l'arrêt de cegrand Prince, je n'étais pas, caché sous le nom de Valère, venu dans cette petite ville, je n'aurais pas rencontré cette jeune fille dont Leporello m'avait parlé, et...
SGANARELLE
Bon I nous y revoilà I
DON JUAN
Oui, Sganarelle, pour une fois, ce coquin disait vrai. C'est un bijou que cette petite I
ACTE H 129
SGANARELLE
Ah, Monsieur, que je vous ai donc souvent entendu dire cela !
DON JUAN
Peut-être, mais aujourd'hui je me sens vé- ritablement transporté. Je Tai vue, cette mer- veille 1 et j'en suis tout enflammé...
SGANARELLE
Feu de paille, Monsieur, feu de paille !
DON JUAN
Et, quand cela serait, la flamme n'en est- elle pas que plus vive! Mais non, Sganarelle, c'est de l'amour que j'éprouve et non une de ces fantaisies du regard qui se dissipent avec la vue de l'objet qui les a provoquées. Non, Sganarelle, impossible d'imaginer rien de plus frais et de plus gracieux : une taille char- mante, un visage àl'avenant, je ne sais quoi de tendre et de gracieux, relevé d'un air de co- quetterie naturelle. Elle marchait dans la rue accompagnée d'une manière de suivante. Entre nous, il m'a semblé qu'elle répondait assez bien âmes œillades, et quand, au sortir
l3o LES SCRUPULES DE SGANARELLE
de Tég-lise où elle était entrée dire sa prière, je lui offris deTeau bénite, il m'a paru qu'elle me reg-ardait avec intérêt. Comment, Sg-ana- relle, peut-elle être née en cet endroit? Quels lourdauds, quels ânes, on y rencontre, qui écarquillent les yeux à votre passage comme s'ils n'avaient jamais vu de canons bien taillés et de rubans à la mode, et jusqu'à une sorte de gentilhomme râpé qui porte l'épée et qui, j'y repense, m'a considéré avec une Mention q ui ne me plaît point... J'aurais dû lui couper les oreilles.
SGANARELLE
De grâce, Monsieur, laissez votre lame au fourreau, en voilà assez pour quelque temps. Quittez votre gentilhomme et revenez-vous- en à votre conquête.
DON JUAN
Tu as raison, Sganarelle, car je suis certain que, maintenant, elle ne songe qu'à moi. Oh, Sg^anarelle, il faut que je lui parle ou que je lui fasse au moins passer un billet. Je l'ai per- due de vue au sortir de régUse^parle contre-
ACTE II loi
temps de ce maudit courrier qui est venu me relancer dans la rue pour me remettre ces lettres... Il faut que j'achève cette aventure avant que je m'occupe du tombeau du Com- mandeur et que j'aille me jeter aux pieds du Roi. Cette fille est la perle du Royaume !
SGANARELLE
Vous avez dit, n'est-ce pas, Monsieur, qu'elle a le visage plein et frais?
DON JUAN
C'est cela.
sganarelij: Une taille à ravir et des cheveux blonds qui frisent naturellement.
DON JUAN
Tu la peins on ne peut mieux.
SGANARELLE
La démarche souple et vive. DON JUAN
Je la crois voir.
SGANARELLE
Et la personne qui l'accompagne est une
l32 LES SCRUPULES DE SGANARELLE
brunelte entre deux âges qui a un signe sur la joue gauche.
DON JUAN
Il se pourrait.
SGANARELLE
Et, en sortant de Téglise, elles ont pris la petite ruelle à droite.
DON JUAN
Pardieu, Sganarelle, tu es sorcier ou bien connaîtrais-tu la donzelle ? Ah I j^on et pré- cieux serviteur, je ne me séparerai jamais de toi et à partir d'aujourd'hui, je double tes gages.
SGANARELLE
Cela ne vous coûte guère, et j'aimerais mieux que vous me payassiez mon dû.
DON JUAN Mais achève donc, je brûle.
SGANARELLE, entre ses dents.
Déjà!
DON JUAN
Que dis-tu ?
ACTE II
35
SGANARELLE
Je dis, Monsieur, qu'il est bien dommage que cette figure, cette taille, cette démarche vous aient fait une si forte impression, car vous n'en aurez jamais rien de plus que ce que vous en avez eu aujourd'hui et que, Mon- sieur, tout Don Juan que vous soyez, un pareil morceau ne sera pas pour vous.
DON JUAN
Que dit-il là? Il perd l'esprit.
SGANARELLE
Non, Monsieur, je parle sérieusement et je vous avertis que cette jeune fille est la plus vertueuse personne du monde, que ses mœurs et sa conduite sont irréprochables et le de- meureront quoi que vous fassiez, qu'il n'y a rien pour vous à espérer là et qu'il vaudrait mieux que vous portassiez ailleurs vos entre- prises. J'ajouterai qu'elle est née d'honnêtes gens qui sauraient vous recevoir comme il convient, qu'elle se nomme Angélique, et que je sais d'autant mieux ce que j'avance
9
l34 LES SCRUPULES DE SGANARELLE
que je Tai connue lorsqu'elle n'était pas plus haute que celai
BOxN JUAN, riant.
Ahlahlah!
SGANARELLE
Vous avez beau rire, Monsieur, et vous aurez beau faire, il en sera comme je vous le dis. Mais pourquoi vous obstiner à cette fan- taisie qui vous passera dès que le vent de votre humeur aura tourné ? N'est-il pas a^ez d'au- tres filles qui ne demandent qu'à se laisser abuser? Laissez donc celle-là en repos, Mon- sieur, et songez plutôt à vous mettre en règle avec les ordres du Roi.
DON JUAN
De quoi te mêles-tu, maraud, de censurer ma conduite et de vouloir régenter mon cœur? C'est la première fois que tu montres une pareille audace. D'ordinaire, tu te contentais au moins de murmurer tes remontrances entre tes dents, et aujourd'hui...
SGANAHELLE
C'est qu'aujourd'hui, Monsieur, il s'agit
ACTE II I 35
d'une enfant que j'ai ^Tie toute petite. Cette Angélique, Monsieur, est la fille de Géronte, mon ancien maître, que j'allais voir toute à l'heure avec votre permission. Vous ne vous doutez pas, Monsieur, de l'accueil qu'on m'a fait. Ce n'étaient qu'embrassements et cares- ses. Sganarelle par-ci; Sg-anarelle par-là 1 Toutes sortes de questions! Ah! Monsieur, rien de plus touchant, j'en suis encore ému et je me sens aujourd'hui tout singulier. Est- ce l'air du pays natal, le revenez-y du passé, mais je me trouve tout bête et tout changé?
DON JUAN
C'est le printemps, Sganarelle. Il travaille ta vieille carcasse, comme il émeut mon jeune sang. Respire l'air de ce ciel bleu, Fodeur de ces ormeaux ? N'est-il pas le moment de vivre et d'aimer. Ah I Sganarelle, baiser une bouche fraîche et pure, dénouer des cheveux blonds, toucher la rondeur d'un sein, empor- ter dans ses bras un corps tiède et souple qui résiste à l'étreinte pour mieux s'abandonner à la caresse... Il me semble que j'entends déjà
l36 LES SCRUPULES DE SGANARELLE
les chevaux piaffer et hennir. En selle, en selle, Don Juan! Elle saute en croupe avec toi, vous êtes la Jeunesse et l'Amour et vous dis- paraissez au galop, laissant derrière vous les pères, les oncles, les tuteurs qui se désolent et se lamentent, tandis que vous monte à la gorg-e, irrésistible et triomphant, le rire de la victoire et de la liberté !
•
SGANARELLE
Ah ! Monsieur, de grâce, arrêtez-vous ! J'en perds le souffle et je suis rompu. Eh bien! Monsieur, à moi, le printemps ne me produit pas de ces effets. Je me sens le corps pares- seux et l'esprit enclin au repos. Ah ! Mon- sieur! se coucher tôt et se lever tard, mener son petit train, boire sec et bien manger, regarder les hirondelles qui font leur nid et le soleil qui s'abaisse derrière les toits, c'est cette vie modeste qui est le vœu de Sgana- relle. Plus d'aventures, plus de soucis, plus de créanciers, plus de filles abusées qui vien- nent pleurer derrière les portes, plus de maris trompés, plus de pères au désespoir, plus de
ACTE II 187
ruses, plus d'intrigues, plus d'embuscades, plus de duels et plus de Commandeurs !
DON JUAN
Tu m'amuses, Sg-anarelle, et j'avoue que tu es mal tombé' avec moi. Jamais je ne me suis senti autant de désirs, d'audace et de hardiesse.
SGANARELLE
C'est que vous êtes jeune, Monsieur, et que je commence à devenir vieux. Tenez, ce ma- tin, en passant devant l'église, il m'a semblé entendre une voix qui me disait : Sganarelle, Sganarelle, il est temps de t'amender. Change de vie, mon garçon, change de vie.
DON JUAN
Tu as toujours eu de la religion et tu finiras sacristain...
SGANARELLE
Ne plaisantez pas, Monsieur, et écoutez- moi plutôt. Je ne prétends pas vous sermon- ner et vous reprendre, et ce que je pourrais vous dire ne prévaudrait pas contre votre
9.
l38 LES SCRUPULES DE SGANARELLE
endurcissement, mais, permettez-moi, à moi, de cesser cette vie que j'ai menée trop long- temps et pour laquelle je ne me sens point fait. Je suis las d'être le témoin et comme le complice de vos désordres. Laissez-moi pro- fiter d'une occasion qui se présente à rentrer dans une voie meilleure que celle où je n'ai plus guère le cœur de persévérer à vos côtés. Monsieur Géronte, mon ancien maître, m'of- fre de me reprendre à son service. J'ai fait de mon mieux au vôtre, il me tarde de goûter un repos bien gagné et de tâcher, loin de vous, Monsieur, à redevenir un honnête homme.
DON JUAN, à part.
Eh, mais, le voilà qui vient de lui-même au- devant de mes projets. {Haut.) Alors, Sgana- relle, tu veux me quitter?
SGANARELLE
Il vous reste Leporello, Monsieur.
DON JUAN
C'est vrai, mais je te regretterai, Sganarelle.
ACTE II ) 39
SGANARELLE
C'est trop d'honneur.
DON JUAN
J'aurai 'grand'peine à me passer de toi.
SGANARELLE
Vous VOUS y ferez, Monsieur.
DON JUAN
Avoir un valet comme Sganarelle et pour fille une Angélique ! Ce Géronte est un heu- reux gaillard.
SGANARELLE
Bon I et moi qui croyais que vous ne pen- siez plus à vos folies de tout à l'heure ! Ah I Monsieur, comme ce tombeau du Commandeur sera un beau monument de votre gloire, une belle marque de votre passage en nos contrées et comme le Roi va être aise de voir à ses genoux un héros tel que vous !
DON JUAN
Tu crois, Sganarelle?
SGANARELLE
N'en doutez pas, et, à votre place, je me
l4o LES SCRUPULES DE SGANARELLE
mettrais en devoir de lui donner ce plaisir au plus tôt.
DON JUAN
Tu as raison, Sganarelle.
SGANARELLE
Alors, je puis annoncer à monsieur Géronte que j'accepte ses propositions?
DON JUAN
Certainement, Sg-anarelle, certaim^ment.
SGANARELLE
Merci, Monsieur...
DON JUAN
Tu remarqueras, Sganarelle, que je suis un maître accommodant.
SGANARELLE
Et qui n'a pas son pareil.
DON JUAN
Tu conviendras qu'en échange de ma faci- lité il est bien juste que tu me rendes un petit service.
ACTE II l4l
SGANARELLE
S'il est en mon pouvoir, comptez-y.
DON JUAN
Je n'attendais pas moins de toi. Eh! bien, Sganarelle, voici.
SGANARELLE
Je suis tout oreilles.
DON JUAN
Chez Géronte, tu auras toutes occasions pour entretenir Angélique.
SGANARELLE
Aïe I
DON JUAN
Eh bien, tu lui demanderas si elle n'a pas remarqué un cavalier en habit rouge, et ce qu'elle pense de lui.
SGANARELLE
Mais àquoi cela vous servira-t-il, Monsieur?
DON JUAN
Tu lui diras que ce cavalier, depuis qu'il Ta vue, brûle d'amour pour elle, qu'il n'est rien qu'il ne fasse pour mériter un de ses regards,
l42 LES SCRUPULES DE SGANARELLE
qu'il donnerait sa vie pour le bonheur de Ten- tretenir un instant; tu lui diras, Sganarelle, qu'il faut queje lui parle et qu'elle m'entende, que de grands intérêts en dépendent, enfin tu feras si bien qu'avant la fin de cette journée j'aurai pu avouer à Angélique l'amour qui me consume pour elle et la passion ardente qu'elle m'a inspirée.
SGANARELLE
Mais, Monsieur, vous êtes fou.
DON JUAN
Oui, Sganarelle, fou de l'adorable Angé- lique et résolu à tout tenter pour me faire aimer d'elle. Déplus tu me procureras une clé de la maison et une de la chambre d'Angéli- que, en même temps que le détail exact de son appartement.
SGANARELLE
Mais, Monsieur...
DON JUAN
Pas de réplique, sinon, Sganarelle, je ne réponds pas de moi. Eh malheureux ! veux-tu
ACTE II 143
donc que je force les serrures, que j'enfonce portes, que j'escalade les fenêtres, que je mette le feu à la maison et aux quatre coins de la ville? Ne sais-tu pas que rien n'a jamais arrêté mon désir et que, s'il y a pour lui des obstacles, il n'en est point que je ne sois capa- ble de surmonter ? Obéis donc, Sganarelle, et mets-toi en mesure d'accomplir ce que je t'or- donne sans perdre ton temps à en vouloir raisonner.
SGANARELLE
Eh bien ! non. Monsieur, à la fin, c'en est trop et je me refuse à vous aider en cette abo- minable machination. A d'autres, Monsieur, et ne comptez plus sur Sganarelle pour une pareille besogne. Mais j'aime mieux croire que vous voulez rire et que ce n'est qu'une façon de m'éprouver.
DON JUAN, les sourcils froncés.
Regarde-moi, Sganarellle. As-tu jamais vu rire Don Juan quand il s'agit de sa passion ? C'est toi qui railles, Sganarelle, et prends garde que...
l44 LES SCRUPULES DE SGANARELLE
SGANARELLE
Ah, Monsieur, laissez donc, il n'est point beau de vouloir faire peurà un pauvre homme comme je suis.
DON JUAN, le saisissant à l'épaule.
Tu parleras à Angélique ainsi que je te l'ai dit et tu feras ce que je t'ai ordonné. Obéis, maraud, et tu n'auras pas à t'en repentir, autrement...
SGANARELLE ^
Obéir, obéir, mais ce n'est plus à vous que je dois obéissance. Suis-je à votre service ou à celui de Géronte? Vous savez le proverbe, Monsieur : « On ne peut servir deux maîtres. » Eh quoi, seigneur Don Juan, rentrez en vous- même. Géronte m'a accueilli comme l'enfant prodigue et vous voudriez qu'en récompense de sa bonté j'aille introduire le déshonneur à son foyer et répéter à la douce Angélique des paroles qu'elle ne saurait entendre?
DON JUAN
Mais, imbécile, situ es si assuré de laverlu de cette fdle, comment crains-tu d'accom-
ACTE II 145
plir mon messag-e et de lui rapporter mes pro- pos? Si elle est telle que tu la dépeins, elle re- poussera avec horreur mes entreprises!... Tu ne réponds rienjSg-anarelle, et te voilà inter- loqué! Mais va, je connais les femmes! C'est pourquoi je veux- que tu parles à Angélique. Quelque chose me dit qu'elle sera à moi. Tu ne sais pas quel feu et quelle ivresse répand dans toute Tâme la certitude d'un bon- heur prochain ! Et tu penses que je vais me laisser berner par tes ^subterfuges et que je renoncerai sottement à un plaisir dont tres- saille déjà mon ardeur et dont jouit d'avance mon désir? Allons, va vite, Sg-anarelle, cours, vole et me rapporte une réponse favorable à mon impatience et à mes vœux.
SGANARELLE
Monsieur, encore une fois, je ne bougerai point.
DON JUAN
Mais qu'est-ce qui prend soudain à ce bé- htre et àce cornard ? Que veut dire cette déli- catesse subite ? Que signifient ces scrupules?
10
l46 LES SCRUPULES DE SGANARELLE
Et tout cela, Sg-anarelle, pour ne pas faire tort à ce bourgeois stupide qui se moque de toi et qui t'a fait cocu.
SGANARELLE
Cocu î c'est possible, Monsieur, et c'est même certain, mais vous n'obtiendrez rien de moi.
DON JUAN va à Sganarelle, qui recule devant lui et il le regarde fixement.
Sganarelle se trouble et recule toujours. Il bute daoà un arbre et tombe à quatre pattes.
DON JUAN, d'une voix terrible.
Sganarelle !
SGANARELLE
Pitié, grâce! Ah, Monsieur, vous avez Ten- fer dans les yeux ! Ne me regardez pas comme cela. Monsieur, j'en sue à grosses gouttes... J'obéirai, Monsieur.
DON JUAN, le relevant par le collet. Enfin !
Il va vivement vers le fond du théâtre.
Ah ! défenseur des tendrons, avocat des
ACTE II l47
foyers, ne sais-tu donc pas, triple sot, ce que sont les femmes ! Avoir pitié d'elles, quelle duperie ! Ont-elles donc pitié de nous ? En est-il une qui hésite à déchirer un cœur, à satisfaire sa vanité aux dépens de notre tendresse? Et nous, nous leur devrions tous les respects et tous les ménagements ! Qu e les hommes vulg^aires se conduisent, s'ils veulent, d'après ces principes, je ne serai jamais de ceux qui en acceptent la fausse obli- gation ! Tant pis. Que tous ces vils esclaves d'un sexe perfide et dangereux me flétris- sent à leur gré du vain nom de suborneur ! Qu'ils m'appellent, s'il leur plaît, menteur et débauché ! Qu'ils me montrentdu doigt ou me poursuivent de leurs huées, mon orgueil est au-dessus de leur clameur. Ils font semblant de me mépriser, ces hypocrites, mais, au fond d'eux-mêmes, ils me jalousent et ils m'envient. Ah, ah ! Messieurs, je vous connais et sais le visage de vos masques de vertu ! Taisez-vous, faibles jouets de l'amour. Chapeau bas devant Don Juan! Ne suis-je pas le vivant reproche de votre lâcheté, le cri de vos sourdes haines,
l48 LES SCRUPULES DE SGANARELLE
la victoire de vos défaites, et c'est moi, dont vous évoquez, en vos désespoirs et en vos larmes, Timage armée et vengeresse.
Il revient brusquement vers Sganarelle.
Ainsi tu es résolu à ce que je veux et tu accompliras de point en point ce que je t'ai ordonné ?
SGANARELLE, d'une voix basse.
Oui, Monsieur.
DON JUAN
Je suis aise, Sg-anarelle, de te voir plus rai- sonnable, car j'eusse été bien au reg^ret d'être forcé à te passer cette épée au travers du corps ou réduit à te faire étrangler par ton ami Leporello. Donc, tu rapporteras fidèle- ment mes paroles à Angélique ? Veux-tu que je te les répète ?
SGANARELLE
Inutile, Monsieur, je les sais par cœur : que vous l'aimez, que votre vœu le plus ardent est de l'entretenir de votre amour. Est-ce bien cela ?
ACTE II l49
DON JUAN
Exactement. Tu as beaucoup d'esprit, Sga- narelle. Ah ! tu penseras aussi à la clé...
SGANARELLE
Oui, Monsieur, mais, croyez-m'en, encore une fois, il n'est point bon d'accumuler tant d'iniquités sur votre tête et d'y appeler le châtiment du ciel. Ah, je sais bien que vous savez à merveille éviter celui des hommes et que vous n'avez point votre pareil pour vous tirer d'un mauvais pas, mais, prenez garde, Monsieur, car s'il se peut que vous viviez impuni, je crains bien que vous mourriez impénitent et que vous payiez en l'autre monde ce que vous aurez gagné en celui-ci !
Don Juan fait un mouvement d'impatience.
Attendez, Monsieur, j'ai fini à l'instant, et je sens qu'il est bien vain de vouloir con- vaincre quelqu'un comme vous par le rebâ- chage dont je vous importune. Du reste, le Commandeur vous a déjà dit les mêmes cho- ses. 11 parlait haut, comme il sied à un grand
l5o LES SCRUPULES DE SGANARELLE
personnage. Aujourd'hui, ce n'est qu'un pau- vre valet qui vous supplie. Ah ! seigneur Don Juan, ne repoussez pas ma prière. Soyez géné- reux pour une fois, épargnez une fille inno- cente qui ne sait rien du monde et dont vous allez troubler l'esprit et émouvoir le cœur. C'est une agnelle, Monsieur, une colombe. Je l'ai fait sauter sur mes genoux lorsqu'elle était petite. Qu'en ferez-vous par les chemins? Elle n'aura pas seulement la force de vous suivre. Ah, Monsieur, laissez-la où elle est I Quittez cette ville. Renoncez à vos desseins. Ah, seigneur Don Juan, seigneur Don Juan, j'ai vu tout à l'heure le diable dans vos yeux ! Qui sait si ma voix n'est pas un avertissement d'en haut? D'où me viendrait, sans cela, la hardiesse de vous avoir résisté et l'audace de vous implo- rer au risque de votre colère et au danger de votre courroux?... Il y a là quelque chose qui n'est point naturel. Fuyez, Monsieur, retour- nez en Espagne. N'y avez-vous point des palais et des châteaux ? N'avez-vous pas goûté, tout votre saoul, à nos filles de France? Lais- sez celle-ci dans sa petite ville, dans sa vieille
ACTE II
i5i
maison, près de son vieux père, avec son oncle Anselme et son pauvre Sg-anarelle. Grâce, seig-neur Don Juan, grâce!
Il se jette à genoux, DON JUAN, à part.
Il est bien exalté et il vaut mieux peut-être ne le pas pousser à bout. {Haut,) Eh, Sgana- relle, qui te dit que je n'y veuille pas revenir, en cette Espagne ? Oui, je rentrerai dans mon domaine d'Andalousie, mais ce sera avec la belle Angélique. Elle y sera Fornement de ma maison et la compagne de ma vie. Tu as rai- son, Sganarelle^ assez de tromperies et d'a- ventures. Celle-ci sera la dernière et, si tu fais bien ce que t'ai commandé, tu auras la gloire d'avoir contribué à ce beau dénouement.
SGANARELLE, se relevant.
Bravo, Monsieur, bravo I Mais alors que n'allez-vous tout bonnement demander la main d'Angélique à son père Géronte? Je crois bien qu'il pense faire épouser à sa fille un gentilhomme nommé Léandre, mais,
l52 LES SCRUPULES Dlî SGANARELLE
comme il est pauvre, Géronte vous donnerait sûrement la préférence.
DON JUAN
Tout beau, Sganarelle, tu voudrais que j'agisse aussi platement? Non, non, mon ami. Je ne veux tenir Angélique que d'elle-même et du consentement de son cœur. . . Mais le temps presse, exécute ce que tu m'as promis. Ne seras-tu pas fier de voir grande Dame d'Es- pagne une personne que tu as connue en bourrelet et au maillot ?
SGANARELLE
Vous avez réponse à tout. {A part,) Avec ce diable d'homme on ne sait jamais au juste ce qu'il en faut penser.
DON JUAN, à part.
Je vais dire à Leporello qu'il m'ait deux bons chevaux tout sellés, ici, à l'angle de cette place. Le lieu est solitaire et dissi- mulé... Le soir vient encore assez vite en cette saison et son heure sera propice aux événements. Moi, je rôderai alentour et je ne perdrai pas de vue la maison de Géronte.
ACTE II l53
J'ai mon épée et mes pistolets... {Haut.) Eh bien, Sganarelle, tu es encore là ! Va et fais vite.
SGANARELLE
Hélas ! Monsieur, que me faites-vous faire ?
DON JUAN, lui pinçant amicalement l'oreille.
Nous verrons bien, que t'importe ?
Il met la main sur la poignée de son épée .
Pas de faiblesse, Sganarelle, et à la grâce de Dieu !
Il ôte son chapeau et salue par dérision. Il sort.
SGANARELLE, lui montrant le poing par derrière.
Diable d'homme !î
lO.
ACTE III
SCÈNE PREMIÈRE SGANARELLE
SGANARELLE
Ah ! pauvre Sganarelle, connais-tu rien de plus à plaindre que le pauvre Sganarelle! Voilà donc où aboutit mon projet de rede- venir honnête homme ! et je vois maintenant qu'il n'est pas si facile de s'amender qu'on le croit communément. Que je voudrais donc que tous ces beaux parleurs de vertu se trouvas- sent dans une situation pareille à celle où je suis! Si je rapporte à Angélique les propos dont je suis chargé pour elle, je me conduis comme le plus vil des coquins ; si je me tais
i56
LES SCRUPULES DE SGANARELLE
et si je n'accomplis pas le message qu'il m'a confié, Don Juan me tuera de sa main ou me fera étrangler par ce maudit Leporello. D'ail- leurs,furieux de ma trahison, sais-je à quelles entreprises peut se porter son funeste génie ? J'ai vu, tout à l'heure, briller dans son re- gard une flamme infernale. Que faire, hélas I et que devenir? J'ai envie d'aller jusqu'à l'église faire brûler un cierge... Mais que vois-je, Dorine? Oui, c'est bien elle^ toujours vive et brunette. Comment va-t-elle m'ac- cueillir? Attention, Sganarelle, de la réserve, de la dignité! C'est que la pendarde n'a pas pris une ride ni un cheveu gris. Ah! elle m'a aperçu! Composons-nous un maintien.
SCÈNE H SGANARELLE, DOmNE
DORINE. Elle vient vivement vers Sganarelle et s'arrête devant lui, les poings aux hanches.
Ah! vous voilà donc. Monsieur mon mari! Eh bien! Sganarelle, il t'a fallu du temps
ACTE HT 107
pour que tu t'en revinsses au logis. Bonnes gens! N'as-tu pas honte de te présenter à moi avec ces habits trop larges pour ton corps, ces bas qui plissent sur tes mollets, cet air de chien battu et ce nez allongé? Mais quelle vie as- tu donc menée, vieux pendard? Ah! ces messieurs avaient raison. Ce sont donc les femmes qui t'ont mis en cet état?
SGANARELLE
Quoi, Dorine, c'est tout ce que tu trouves à me dire après douze années de séparation? N'es-tu pas, au moins, un peu contente de me revoir?
DORINE
Contente de te revoir! Il faudrait peut-être que je fusse contente de revoir un maraud qui m'a plantée là depuis douze ans, qui, après avoir décampé sans crier gare, est demeuré tout ce temps sans s'enquérir de mes nou- velles ! Ah! le beau mari, qui abandonne sa femme pour s'en aller courir le monde ! Où pensiez-vous qu'était monsieur Sganarelle ? A Verrières, comme un honnête époux ? Eh
l58 LES SCRUPULES DE SGANARELLE
bien, ouiche! A Paris, en France, en Italie, en Espagne, chez les Mauresques, chez les Turcs, que sais-je, au Diable vert... Monsieur se donnait de l'air, pendant que la pauvre Dorine gardait le logis!... {Elle fait sem- blant d'essuyer ses yeux avec son tablier.) Et, quand monsieur est las de vagabonder et qu'il lui plaît de rentrer à la maison, il faudrait qu'on lui sautât au cou, qu'on le cajolât, qu'on le dorlotât et qu'on^ tuât le veau gras !
SGANARELLE
Je n'en demande pas tant, Dorine ! Cepen- dant il me semble que tu oublies un peu pourquoi je suis parti de chez monsieur Gé- ronte... Ecoute, mon enfant, je ne suis pas revenu dans l'idée de te faire des reproches, mais il serait juste que tu convinsses que tous les torts n'étaient pas de mon côté et que je n'ai pas toujours eu, Dorine, à me louer de toi.
DORINE
Tous les torts ! Ah I l'impertinent ! Quand il m'a abandonnée, trompée, il voudrait...
ACTE III I0(
SGANARELLE
Tu avoueras bien au moins, Dorine, que tu as été quelquefois légère, coquette.
DORINE
Légère, coquette ! Répète un peu ! {Elle lève la main.)
SGANARELLE
C'est trop fort I Et ces chansons qui cou- raient la ville et que je viens d'entendre qu'on siffle encore dans la rue?...
DORINE
Des chansons I Les oreilles vous ont tinté, Sganarelle ! Personne n'est chanteur ici, excepté les chantres de l'église et l'aveugle à qui ce bon monsieur Anselme, qui est la pro- vidence des pauvres, a donné un chien et une clarinette.
SGANARELLE
Ta, ta, ta, ta ! je sais ce que je dis, peut- être... Voyons, Dorine, sois raisonnable. Tu ne nieras pas que je n'aie eu quelque sujet de me fâcher. Tu vois bien que tu ne réponds plus rien, Dorine?
l6o LES SCRUPULES DE SGANARELLE
DORINE, faisant semblant de pleurer.
Ah ! mon Dieu, que je suis donc malheu- reuse. Pourquoi fallait-il que je revisse mon pauvre Sg-anarelle pour que je le retrouvasse en Tétat où il est? Ah mon pauvre mari! Ah Sganarelle ! [Elle sanglote.) Aussi je me di- sais bien, tout à Theure : il y a quelque chose de bizarre dans sa physionomie I Cette mine- là n'est point naturelle et son air ne m'annonce rien de bon. Donne-moi ta main, S^narelle.
SGANARELLE
Ma main!... La voilà. Eh bien!
DORINE
Comme elle est chaude ! Et l'autre ?
SGANARELLE
Tiens donc.
DORINE
Aïe, aïe! j'en suis comme brûlée.
SGANARELLE, inquiet, tàtant ses deux mains plusieurs fois l'une avec l'autre.
C'est vrai, Dorine?
DORINE, avec autorité.
Tire ta langue. Plus longue, plus longue.
ACTE m i6t
Comme elle est jaune et chargée. Et voilà ce que tu rapportes au logis, malheureux Sgana- relle, un corps détruit et un esprit dérangé.
SGANARELLE, effrayé.
Il est vrai que je ne me sens pas entière- ment bien,Dorine. Si je te montrais mon ven- tre, je crois qu'il est un peu ballonné.
Il fait le ^este de défaire ses chausses.
DORINE
C'est inutile, Sganarelle. Alors, répète un peu ce que tu disais. Tu t'imagines que je t'ai trompé. {Sganarelle fait signe que oui.) Tu crois que toutes les chansons qu'on siffle te concernent? {Même jeu.) Tu penses, mon pauvre garçon, que tu es...?
SGANARELLE, piteusement.
Oui.
DORL^E
C'est cela! Te voilà dans un bien grand désordre de tête, mon ami, et il est grand temps d'y porter remède. Avec du régime je me fais fort de te débarrasser de ces
102 LES SCRUPULES DE SGANARKLLE
sottes visions qui t'ont gâté l'esprit. C'est un secret que je tiens du médecin qui a soi- gné Angélique de la rougeole et qui est un savant homme. Allons, Sganarelle, je veux que tu redeviennes en peu de jours le Sgana- relle que j'ai connu : gai, heureux, confiant.
SGANARELLE
Et que faut-il que je fasse, Dorine?
DORLNE -^
Te mettre au lit et prendre médecine, puis je te ferai saigner par le barbier. Mais, d'a- bord, promène-toi un peu encore sur la place, en marchant toujours vers la droite, pendant que je vais bassiner tes draps et en attendant que je revienne te chercher.
SGANARELLE
Et tu crois que, moyennant cela, je perdrai les idées qui me travaillent et cette chaleur qui m'irrite le corps ?
DORINE
J'en suis sûre.
ACTE III IÔ3
SGANARELLE
Est-ce que je ne me guérirais pas tout aussi bien, Dorine, si, au lieu de me promener en rond, j'allais à l'auberg-e chercher mon bagage, qui est avec ceux du seigneur Ya- lère, mon ancien maître?
DORTNE
Vas-y, si tu veux, Sganarelle, mais ne t'attarde pas. Les soirées sont fraîches, et le jour commence à diminuer. Tu passeras chez Tapothicaire et tu achèteras quatre grains d'ellébore.
SGANARELLE
Allons, à bientôt. Bonnette ; au revoir, mon enfant.
SCÈNE m DORINE, seule.
DORINE
Si ce seigneur Valère n'est autre que le cavalier que nous avons rencontré, Angélique
l64 LES SCRUPULES DE SGANARELLE
et moi, en sortant de Tég-lise, Sganarelle doit posséder un bon magot, car son maître est généreux, à en juger par la pièce d'or qu'il m'a glissée dans la main... Mais voici Angéli- que. Gageons qu'elle vient m'entretenir du bel inconnu !...
SCÈNE IV DORINE, ANGÉLIQUE
ANGÉLIQUE
Ah, Dorine, je te cherchais... Je voudrais te demander quelque chose, à toi qui as été mariée, Dorine.
DORINE
Vous pouvez même dire que j'ai été comme veuve, puisque Sganarelle m'a laissée sans lui pendant douze ans. Mais le voici de retour et je crois qu'il en a dans l'aile. {Elle rit.)
ANGÉLIQUE
Tu semblés toute joyeuse, Dorine. Tu l'aimes donc toujours, ton Sganarelle?
ACTE III l65
DORINE
Que voulez-vous, Mademoiselle, ce n'est pas un méchant homme, et il est mon mari.
AISGÉLIQUE
11 est donc bien agréable d'être mariée ?
DORINE
Cela dépend.
ANGÉLIQUE
Et moi, si je me mariais, crois-tu que cela me ferait bien plaisir ?
DORINE
. Eh! Eh!
ANGÉLIQUE
Mon oncle Anselme me disait tout à Theure qu'il n'y a pas pour une fille d'état préférable.
DORINE
Et qu'en pensez-vous?
ANGÉLIQUE
Cela pourrait bien être, Dorine. 11 doit être délicieux de vivre tout le jour avec quelqu'un qu'on aime.
l66 LES SCRUPULES DE SGANAUELLK
DORINE
Peste! comme vous dites cela!
ANGÉLIQUE
Gomment trouves-tu Léandre ?
DORINE
La belle question! Vous le connaissez de- puis que vous êtes petite et vous avez eu le temps de vous former de lui une opinion sans vous embarrasser de la mienne. Que sig-nifie cette nouvelle curiosité à^n sujet?
ANGÉLIQUE
C'est que mon oncle Anselme m'a dit que Léandre est dans l'intention de me deman- der que je l'épouse, et il m'a fort conseillé d'agréer sa recherche.
DORINE
Alors votre oncle Anselme sait mieux que vous-même ce qui vous convient ?
ANGÉLIQUE
Tu n'aimes guère mon oncle Anselme?
DORINE
Et que voulez-vous que j'aime quelqu'un qui
ACTE III 167
se mêle toujours ou de reprendre ou de diri- ger lesautres, quinelrouvejamaisriendebon à ce que Ton fait et qui, depuis qu'il s'adonne aux bonnes œuvres, ne nous marque aucune considération, parce qu'on n'a ni le visage lamentable, ni le vêtement en guenille, ni la main tendue à son aumône.
ANGÉLIQUE
Tu es injuste, Dorine. Mon oncle Anselme est pieux, bienfaisant et charitable, et les œuvres qu'il accomplit sont méritoires.
DORINE
Oui, oui, j'en conviens. Il a même convaincu Léandre de le seconder en ses charités. Ainsi le voit-on avec une gravité et un sérieux qui ne sont pas de son âge.
ANGÉLIQUE
Léandre, pourtant, n'est point mal, mais il me semble qu'il y a du vrai en ce que tu dis. Il a quelque chose de sévère qui m'intimide et j'aurais, Dorine, quelque peine à l'aimer.
l68 LES SCRUPULES DE SGANARELLE
DORINE, moqueuse.
Vous êtes difficile, Mademoiselle. Léandre est g-entilhomme et je n'ai rien dit de lui que vous puissiez me reprocher, si vous veniez à vous mariei" ensemble.
ANGÉLIQUE
Hélas ! Dorine, quand je songe au mariag-e, ce n'est pas à Léandre que je pense.
DORINE
Et à qui donc? -^
ANGÉLIQUE, vivement.
A personne, Dorine. Tout cela n'est que des propos en l'air.
DORINE
Eh bien ! puisque nous badinons^ dites-moi un peu comment devrait être un fiancé à votre souhait.
ANGÉLIQUE, avec feu.
Il faudrait, Dorine, qu'il ait le visage ovale et le teint brun, des yeux sombres et ardents, le nez hardi et la bouche vermeille, la taille bien prise et l'œil audacieux. Il vous saurait
ACTE III 169
regarder avec un regard si tendre et si vif que l'on s'en sentirait toute troublée et qu'on ne pourrait oublier, vécût-on cent ans, l'instant où on l'a vu.
DORINE
Je ne sais si je me trompe, mais il me sem- ble qu'il y a bien dans le portrait que vous faites quelque chose de ce cavalier que nous avons rencontré aujourd'hui, avec cette diffé- rence que notre oiseau bleu portait un plu- mage du plus beau rouge et dont vous parais- sez, Mademoiselle, garder un reflet aux joues.
ANGÉLIQUE
Oh! tais-toi, Dorine !
DORINE
Bon ! bon ! voilà justement Léandre qui vient voir l'effet qu'ont produit sur vous les conseils de votre oncle Anselme.
ANGÉLIQUE
Ne nous laisse pas, je t'en conjure, Dorine.
DORINE
Bah! vous ne seriez guère aise si j'empè-
11
170 LES SCRUPULES DE SGANARELLE
chais Léandre de vous confier ce qu'il a àvous dire. D'ailleurs il faut que j'aille bassiner le lil de mon coquin de mari. Ne faites donc pas cette mine d'une aune. Il est toujours agréa- ble d'entendre parler d'amour, et c'est un exercice utile aux filles.
SCÈNE V ANGÉLIQUE, LÉANDRE^
LÉANDRE
lime semble, Angélique, que vous ne parais- sez guère contente de ma venue et j'ai cru voir que vous reteniez Dorine auprès de vous.
ANGÉLIQUE
Vous vous méprenez, Léandre, votre pré- sence n'a rien qui me fâche, d'autant que vous en êtes assez avare depuis quelque temps.
LÉANDRE
Quoi, Angélique, vous vous seriez donc aperçue de mon absence? Et dois-je vous
ACTE III 171
avouer qu'il n'est guère des jours où elle a duré où je ne me sois entretenu de vous avec votre oncle Anselme? Il vous chérit ten- drement.
ANGÉLIQUE
J'en suis certaine, comme je Je suis aussi qu'il vous veut beaucoup de bien, Léandre.
LÉANDRE
Oui, Anselme m'a toujours montré les sen- timents d'un père. Il était l'ami du mien, qui Tétait également du vôtre. Nos familles sont liées de longue date, Angélique, et je rends grâce au ciel de ces anciennes amitiés qui ont rapproché ma jeunesse de votre enfance. Aussi est-ce votre oncle Anselme qui m'a encouragé à la requête que je veux vous présenter au- jourd'hui. Ne vous doutez-vous pas un peu de son sujet ?
ANGÉLIQUE
Eh ! comment le saurais-je ? Quelque pau- vre à qui mon oncle voudrait intéresser mon père ? Il a eu quelquefois recours à mon entremise, et mes petits succès en ces démar-
172 LES SCRUPULES DE SGANARELLE
ches m'ont rendue toute fière. Bon oncle Anselme. Son cœur est tout aux malheureux î
LÉANDRE
Vous ne pourriez mieux dire , Angélique, aussi est-ce d'un malheureux qu'il s'agit.
ANGÉLIQUE
Quel est-il, Léandre, et que faut-il que Ton fasse pour lui ?
LÉANDRE
Il est devant vous, belle Angélique, et vous pouvez d'autant mieux le secourir que vous êtes la cause de son malheur.
ANGÉLIQUE
Vous m'étonnez, Léandre, en quoi ai-je pu vous nuire ?
LÉANDRE
Hélas! Angélique, n'est-ce pas nuire à quel- qu'un que d'avoir troublé la paix de ses jours et le repos de ses nuits, de l'avoir rendu dis- trait, solitaire, languissant, incapable d'au- cune occupation suivie, indifférent à tout ce
ACTE III 173
qui n'est pas l'idée et la chimère qu'il pour- suit ?
ANGÉLIQUE
Et c'est moi, Léandre, qui vous aurais réduit à cet état ?
LÉANDRE
Vous-même, belle Ang"élique, mais à quoi bon feindre ainsi et ne point vouloir com- prendre ce que ma conduite, mes regards, mes actions, mes soupirs n'ont pas pu vous laisser ignorer ? N'avez-vous pas su y lire la passion que vous m'inspirez? N'éclate-t-elle pas à vos yeux? Ah, charmante Angélique, pourquoi les détourner de celui qui vous im- plore à genoux et qu'un mot pourrait rendre l'égal des mortels les plus fortunés ? . . .
ANGÉLIQUE
Relevez-Yous, Monsieur, de grâce.
LÉANDRE
Ecoutez-moi, Angélique, vous le pouvez sans crainte, car nul amant ne fut jamais plus respectueux. Aucun amour n'eut jamais
11.
174 LES SCRUPULES DE SGANARELLE
de vues plus pures que les miennes. Vous n'entendrez sortir de ma bouche rien qui vous puisse offenser. Je suis timide, Angéli- que, et j'ai à vous demander la grâce la plus insensée et la plus audacieuse, celle de con- sentir à faire le bonheur de ma vie I
ANGÉLIQUE
Léandre, Monsieur !...
LÉANDRE y
Oui, Angélique, consentez à devenir ma femme. Oh ! je sais bien ce que vous me don- neriez et le peu que j'aurais à vous offrir en retour! Dites un mot, belle Angélique : mon cœur, ma vie, mon nom sont à vous. Venez prendre place à mon foyer. Vous y serez res- pectée [de tous et de moi-même, et notre bonheur se continuera dans les enfants qui naîtront de nous. Je n'ajouterai rien, Angé- lique. L'honnête homme ne doit ni se louer ni se rabaisser, et vous me connaissez assez pour que je ne fasse pas miroiter devant vous des qualités que je n'ai point, ni pour que je tente de vous cacher des défauts qui
ACTE m 175
ne me manquent pas. Acceptez-moi tel que la nature m'a formé. L'amour corrigera ce qu^elle a placé en moi de défectueux. Belle Angélique, mon sort est entre vos mains, et j'attends Tarrêt qui le rendra, à votre gré, enviable ou digne de pitié.
ANGÉLIQUE
Ah 1 Léandre, dans quel embarras cruel vous me mettez !
LÉANDRE
Vous est-il donc si difficile, Angélique, de faire un heureux ?
ANGÉLIQUE
Mais quoi, Léandre, ne pouvez-vous donc point penser que je puisse ressentir quelque aversion pour le mariage? N'y a-t-il pas des filles qui le demeurent par goût, par principe ou par devoir? Que deviendrait mon père si je me mariais ? Non, Léandre, renoncez à cette chimère dont j'estime tout le prix, restons- en à l'amitié que je garde pour vous et à celle que je serai toujours aise que vous conserviez pour moi et...
176 LES SCRUPULES DE SGANARELLE
LÉANDRE
C'est à cette amitié que j'en appelle, belle Angélique ! Pourquoi cherchez-vous de vains prétextes et de vaines raisons à votre éloig-ne- ment d'un projet qui me remplissait d'un si tendre espoir et d'un si délicieux désir ? Ah 1 cruelle Angélique, puisse le ciel...
ANGÉLIQUE
Arrêtez, Léandre, arrêtez et écoutez l'aveu véritable auquel mon orgueil cherchait un subterfuge indigne de moi et de vous. Non, Léandre, je ne mérite pas d'accepter l'hon- neur que vous m'offrez. Oh I comme nous nous trompons étrangement au sujet des personnes que nous pensons connaître le mieux! Hélas! Léandre, vous croyiez Angé- lique raisonnable, sage, ménagère et renfer- mée, heureuse de conduire la maison de Gé- ronte, contente des menus soins où s'occupe d'ordinaire une fille de son âge et de sa con- dition, douce, soumise, patiente, que sais-je encore? Eh bien, non, Léandre ! La véritable Angélique est fantasque, chimérique, capri-
ACTE III 177
cieuse, évaporée, et c'est à celle-là, Léandre, à qui vous eussiez eu affaire et dont j'ai voulu vous éviter la rencontre et la surprise.
LÉANDRE
Non, Angélique, vous vous calomniez ! Mais fussiez-vous telle que vous vous dépeignez, pensez-vous qu'il j ait là de quoi rebuter mon amour? Cette Angélique dont vous parlez, comme je mettrais tout mon cœur à la gui- der, doucement et tendrement, loin d'elle- même! Non! non, ne cherchez point à me détourner de vous, en vous représentant à moi sous les fausses couleurs d'une image mensongère ! Cessez ce stratagème inutile, il ne m'égare point et ne fait que me rendre plus cruelle la force de votre éloignement pour moi. Bien plus, hélas î il me fait entre- voir la vérité !
Léandre cache sa tète dans ses mains et se tait un instant.
La voici qui m'apparaît maintenant. Oui, Angélique, il y a une autre raison à vos refus que celle que vous dites, et celle-là, je sens bien que ni mes prières, ni mes supplications
178 LES SCRUPULES DE SGANARELLE
ne prévaudront contre elle. Adieu donc, espoir de bonheur si longuement caressé 1 Adieu, cher désir de ma vie auquel il faut que je renonce I Angélique ne sera pas à Léan- dre. Malheureux, elle n'écoute même pas la plainte de ton regret ! Pendant que tu lui parles de ton vain amour, ses yeux cherchent une image séduisante. Ah ! quel peut être le mortel fortuné qui a su toucher le cœur d'Angéhque ? Hélas î Léandre, Angélique aime, et ce n'est pas toi qui es aime I
Léandre se dirige vers le fond du théâtre ; tout à coup, il s'arrête devant Don Juan qui vient à lui. Les deux hommes se considèrent, se croisent et tous deux se retour- nent pour se regarder encore, puis sortent chacun dans une direction différente. Angélique n'a pas vu ce jeu de scène.
SCÈNE VI ANGÉLIQUE
ANGÉLIQUE
Que disait-il donc ? Léandre I {Elle passe
ACTE III 179
sa main sur son front,) Ah! il me semble qu'un voile qui couvrait mes yeux se déchire. . .
■SCÈNE VII ANGÉLIQUE, SGANARELLE
SGANARELLE
Ouf 1 voilà qui est fait ! L'hôtelier va m'en- voyer mon bagage. J'ai évité ce gueux de Leporello, qui était en train de choisir des chevaux à l'écurie. J'ai passé aussi chez l'a- pothicaire, voici de quoi mettre dans la médecine que m'aura préparée Dorine. (// tire une fiole de sa poche.) Chez l'apothicaire, il a fallu que je tombasse juste sur le seigneur Don Juan, qui achetait un narcotique. Ah ! c'est un homme qui son^e à tout, et qui n'ou- blie rien ! Il m'a rappelé ma promesse. Ah ! Sganarelle, je ne souhaite à personne d'être à ta place î Bon, voilà la jeune Angélique. Elle ne me voit pas. Elle semble songeuse et préoccupée... Non! je n'oserai jamais... Gom-
l80 LES SCRUPULES DE SGANARELLE
ment m' échapper de ce pas? Brrr!! Hum! hum ! (// tousse. Angélique se retourne.)
ANGÉLIQUE
Ah ! c'est toi, bon Sganarelle !
SGANARELLE
Oui, Mademoiselle.
ANGÉLIQUE
Eh bien, Sganarelle, es-tu, au moins, con- tent de ta nouvelle position? Te voil^à revenu au logis, mais ne crains-tu pas qu'il te pa- raisse bien petit et bien étroit à toi qui as tant couru le monde? Tu as dû voir des pays étranges. Tu me raconteras tes voyages. J'aurai plaisir à t'entendre. Tu me peindras les villes où tu as passé, les contrées que tu as traversées...
SGANARELLE
Oui, oui, Mademoiselle.
ANGÉLIQUE
Comme cela doit être amusant, Sganarelle, d'être ainsi continuellement en chemin parmi tant de nouveautés étonnantes, comme cela
ACTE III Ibl
doit exercer Tesprit et les yeux ! Tandis qu'ici il faut vivre toujours parmi les mêmes choses et les mêmes gens. Tu ne peux pas savoir, Sganarelle, lorsque, chaque matin, on ouvre sa fenêtre, la pensée encore toute pleine des rêves de la nuit, quelle déception on éprouve à revoir chaque fois cette petite place avec ses ormeaux sous lesquels il ne passe jamais personne ! Encore si nous habitions au milieu de la ville, mais nous n'avons pas même de voisins et, au bout du mail, on est tout de suite dans les champs !... Dis-moi donc, So;^anarelle, le maître que tu servais aime beaucoup les voyages puisque le hasard des siens l'a amené jusqu'ici? Gomment se nomme ce seigneur à qui tu appartenais ?
SGANARELLE
Valère, Mademoiselle.
ANGÉLIQUE
Est-il âgé, Sganarelle?
SGANARELLE
Non, Mademoiselle, encore que son teint
l82 LES SCRUPULES DE SGANARELLE
un peu brun lui donne moins de jeunesse qu'il n'en a.
ANGÉLIQUE
Peut-être, Sg-anarelle, mais ces sortes de visages prêtent aux yeux un éclat particulier . GeValère,ne serait-il pas d'une taille ordinaire avec beaucoup de fierté dans sa façon ?
SGANARELLE
C'est bien cela. y
ANGÉLIQUE
Ne porte-t-il un habit de velours rouge et une épée?
SGANARELLE
Oui, Mademoiselle, le seigneur Valère aime les couleurs éclatantes elles belles armes.
ANGÉLIQUE, vivement.
C'est qu'il est, sans doute, d'un caractère hardi et audacieux.
SGANARELLE
Vous le décrivez à merveille. Le connaî- triez-vous donc?
ACTE III
l83
ANGÉLIQUE
Et comment veux-tu, Sganarelle, que je connaisse un gentilhomme qui vient pour la première fois à Verrières ?
SGANARELLE
C'est vrai !
ANGÉLIQUE
Cependant il se pourrait bien que je Teusse rencontré. Ne s'est-il pas promené par la ville?
SGANARELLE
Cela est bien probable.
ANGÉLIQUE
C'est donc bien lui que j'aurai aperçu près, sortant de Téglise, Un homme à cheval lui a remis une lettre qu'il a prise avec beaucoup d'empressement .
SGANARELLE
Oui, mais, auparavant, comme vous sortiez, n'avez-vous pas trouvé le ditValère debout au bénitier pour vous offrir de l'eau bénite?
l84 LES SCRUPULES DE SGANARELLE
ANGÉLIQUE
Gomment sais-tu cela, Sg-anarelle?
SGANARELLE
Mais par le seigneur Valère lui-même.
ANGÉLIQUE
Par Valère ! mais je croyais, Sganarellejque ton maître n'avait fait là qu'une action de politesse. Cela s'oublie vite et la première ve- nue mérite ces petites prévenances. Gomment se fait-il qu'il s'en souvienne?
SGANARELLE
Tout doux, Mademoiselle, tout doux. Pen- seriez-vous me faire croire que le seigneur Valère ne vous ait pas regardée avec admira- tion et que vous ne vous êtes pas aperçue delà vive impression que vous produisiez sur lui?
ANGÉLIQUE
Tu veux rire, Sganarelle ! Une petite bour- geoise comme moi retenir l'attention d'un élé- gant seigneur comme est ton maître !
SGANARELLE
En êtes-vous donc si fâchée ?
ACTE III
i85
ANGELIQUE
Et pourquoi le serais-je, Sganarelle? Gela est du reste sans importance et je ne voudrais pas que tu me jugeasses mal sur un pareil enfantillage. D'ailleurs, j'étais avec Dorine qui te dira elle-même... Ce qui n'empêche que je ne me repente d'avoir mis à cette ren- contre quelque coquetterie...
SGANARELLE
Vous repentir , vous auriez grand tort , Mademoiselle!
ANGÉLIQUE
Et pourquoi donc ?
SGANARELLE
Parce que la coquetterie convient à votre visage et qu'elle lui doit donner un feu tout particulier.
ANGELIQUE
Méchant Sganarelle !
SGANARELLE
Tenez, vous voilà rouge comme une fleur de pivoine.
l86 LES SCRUPULES DE SGANARELLE
ANGÉLIQUE
Je vais te battre, Sganarelle !
SGANARELLE
Ma foi, j'ai bien envie de profiter de votre rougeur pour m'acquitter de la commission dont Valère m'a chargé pour vous.
ANGÉLIQUE
Pour moil Et quelle est-elle donc?
SGANARELLE
D'abord il faut que vous me promettiez de n'en rien dire à monsieur Géronte.
ANGÉLIQUE
Certainement. Cela ne l'intéresse point.
SGANARELLE
Ni à votre oncle Anselme.
ANGÉLIQUE
Mais cela ne le regarde pas, Sganarelle.
SGANARELLE
Ni à Dorine, ni à personne... Promettez- vous ?
ACTE m 187
ANGÉLIQUE
Eh oui! Parle.
SGANARELLE
Le seig-neur Valère m'a donné un billet à vous remettre.
ANGÉLIQUE
Un billet I à moi !
SGANARELLE
A VOUS seule.
ANGÉLIQUE
Sais-tu, Sganarelle, qu'il est très mal de recevoir un billet d'un homme que l'on ne connaît pas, et qu'il n'est guère beau de ta part d'accepter un pareil emploi?
SGANARELLE, à part.
Voici où nous allons voir si Don Juan a raison ou tort en ce qu'il fait profession de penser de toutes les femmes... Elle rêve.
ANGÉLIQUE
Tu ne réponds rien, Sg-anarelle.
LES SCRUPULES DE SGANARELLE
SGANARELLE
Ma foi, Mademoiselle, mettons que je n'aie rien dit. Ne trouvez-vous pas que ces hiron- delles crient à vous étourdir? Je crois qu'il fera du vent demain, et le ciel est rouge der- rière les arbres.
ANGÉLIQUE
Pardonne-moi, Sganarelle, je t'ai parlé un peu rudement.
SGANARELLE
Mais, non. Mademoiselle. (A part.) Ah ! la brave enfant ! Comme elle nous a bien écon- duits, moi et mon billet!
ANGÉLIQUE
Si, Sg-anarelle, je t'ai parlé rudement; j'ai été surprise, irritée... mais, j'y pense, ce Valère est étranger et les usages de chez lui ne sont peut-être pas ceux d'ici ; j'ai lu qu'ils différaient fort selon les endroits, et il se peut que sa façon d'agir n'ait dans son esprit rien d'ofTensant... L'as-tu toujours, ce billet ?
ACTE III 189
SGANARELLE
Il est là, dans ma poche. (A part.) Oh l la petite sainte nitouche !
ANGELIQUE
Tire-le donc et donne-le-moi.
SGANARELLE, à part.
Ah ! Don Juan, tu ne te vantais pas en vain de connaître à fond le cœur des femmes.
Il fouille dans sa poche. ANGÉLIQUE
Donne.
SGANARELLE
Ma foi, je ne le trouve pas, il faut croire que je Taurai perdu.
ANGÉLIQUE
Tu as perdu le billet de Valère! Cherche bien, Sganarelle, tu dois Tavoir. Dans cette poche, là...
SGANARELLE
Rien.
la.
igO LES SCRUPULES DE SGANARELLE
ANGÉLIQUE
Oh, Sganarelle, quel ennui! Comme tu es néglig"ent, sans soins...
Elle fait la moue. SGANARELLE '
Attendez...
ANGÉLIQUE
Tu Tas?
SGANARELLE
Non, mais consolez-vous; si je Tai perdu je sais par cœur ce qu'il contenait. Le sei- gneur Valère m'en a répété vingt fois les termes, au cas où je ne trouvasse pas l'occa- sion de vous remettre ce papier.
ANGÉLIQUE
Je respire... Mais, Sganarelle, es-tu bien sûr de ta mémoire? Tu n'omettras rien ?
SGANARELLE
N'ayez crainte.
ANGÉLIQUE
J'écoute.
SGANARELLE
Le seigneur Valère vous disait donc que,
ACTE III igi
depuis qu'il vous a aperçue, il ne Vit plus qu'avec votre image devant les y eux, qu'il vous trouve la plus belle du monde, que votre visage, votre taille, votre air le ratissent; qu'il meurt du désir d'entendre votre voix et de vous parler; enfin qu'il vous aime pas- sionnément et que son seul souhait est de con- sacrer sa vie à vous adorer et à vous servir.
ANGÉLIQUE, émue.
Continue, Sganarelle, continue. (A part.) Il me semble qu'une main de feu m'étreint la gorge et que je respire une flamme délicieuse qui me pénètre et me brûle !
SGANARELLE
Il ajoutait encore qu'il a le plus grand besoin de vous entretenir aujourd'hui même, qu'il faut que vous entendiez de sa bouche les serments qu'il veut vous faire de son amour et qu'il faut que vous lui donniez le moyen de parvenir jusqu'à vos pieds, soit chez vous, soit ailleurs, selon qu'il vous sera possible de lui en ménager la facilité. (^4 part.) Ouï l Don Juan ne se plaindra pas que je n'aie pas bien
192 LES SCRUPULES DE SGANARELLE
fait les choses. Mais d'honneur est-ce que la pauvrette se laisserait pour de bon prendre à mes paroles? Elle est si pâle qu'on la dirait prête à défaillir. {Haut,) Que faudra-t-il que je réponde de votre part au seigneur Valère?
ANGÉLIQUE, avec élan.
Dis-lui, Sg-anarelle, que je m'échapperai de la maison après le couvre-feu. Chacun monte se coucher de bonne heure et on laisse la clé à la serrure de la petite porte. Dis-lui qu'il m'attende ici même. Ah, Valère ! qu'il me tarde d'être auprès de vous ?
SGANARELLE, effrayé.
Ah! Mademoiselle, qu'allez-vous faire et qu'ai-je fait avec mes discours ! (// s^ arrache les cheveux et marche avec agitation.) Ah! misé- rable Sganarelle, dût-il t'en coûter la vie, il faut avertir cette enfant du danger qui la menace et réparer le mal que tu as causé.
ANGÉLIQUE
Te voilà Ijien agité ; rassure-toi, Sganarelle. Oui, il me tarde d'être en face de Valère, mais
ACTE III 190
pour le punir de son audace et confondre ses projets. Ah! Monsieur Tétrang-er, est-ce ainsi que l'on traite une personne que Ton prétend aimer? Ces petites bourgeoises méri- tent-elles donc autre chose qu'un pareil sans- façon, et ne les' honore-t-on point encore assez en se comportant avec elles de la sorte? On les voit dans les rues où elles plaisent aux yeux et l'on ne doute point d'en être remarqué. Ne suffit-il pas, pour qu'elles vous distinguent, de porter un habit rouge et une belle épée, et ne se croit-on pas tout permis envers elles? Compter une minute avec leur vertu et leur honnêteté ! Fi donc ! On leur dépêche un fripon de valet...
SGANARELLE
Oui! oui, c'est bien vrai... Attrape, Sgana- relle.
ANGÉLIQUE
Avec quelques belles paroles et des pro- messes séduisantes. En faut-il davantage pour que ces petites pécores soient trop heureuses de se laisser prendre au piège? Oui, Valère,
194 LES SCRUPULES DE SGANARELLE
j'irai à votre rendez-vous, mais ce sera pour vous dire ce que je pense de votre conduite. Vous saurez qu'il est, de par le monde, des filles sages et hardies qui ne craignent pas d'affronter en face l'insolent qui ose s'atta- quer à elles... Oui, Sganarelle, j'irai à ce ren- dez-vous... (Bas.) Et Angélique entendra au moins une fois la voix de celui qu'elle aime en vain et dont la pensée fait battre son cœur...
SGANARELLE
Ah I Mademoiselle, bravo! voilà qui est par- ler ! Quelle bonne leçon va recevoir le seigneur Valère! Figurez-vous qu'il m*a menacé de m'étrangler si je refusais de vous faire tenir son message et d'accomplir sa volonté. Aussi je vous serais bien reconnaissant que vous lui disiez que je vous ai fidèlement rapporté ses propos et que j'ai exécuté ses ordres.
ANGÉLIQUE
T'étrangler, Sganarelle I (A part,) Hélas I comme il m'aimel (Haut.) Celait, sans doute,
ACTE III
95
par plaisanterie qu'il le faisait cette menace et pour stimuler ton zèle.
SGANARELLE
On voit bien que vous ne connaissez pas le seigneur Valère, et puisque vous êtes envers lui dans les sentiments que vous dites, laissez- moi vous apprendre ce que je n'aurais pas manqué de vous confier, même au risque de ma tête, si vous aviez manifesté pour lui un goût véritable...
ANGÉLIQUE
Eh quoi! Sganarelle, ton maître?...
SGANARELLE, avec force.
Mon maître, mais sachez qu'il n'est pas sous le ciel de pire menteur et de trompeur plus dangereux. Ah I les promesses, les belles paroles, les serments ne lui coûtent rien et il sait les prodiguer et les parer de toutes les apparences de la vérité. Il les enduit d'une glu doucereuse et perfide. Ah ! que j'en ai vu se prendre à ses feintes empoisonnées ! Et pensez-vous encore que la ruse lui suffise! Si elle vient à lui manquer, il aura recours à
iq{> les scrupules de sganarelle
la force, car il n'est rien qu'il ne fasse por arriver à ses fins. Il ne recule ni devant i violence, ni devant le crime. Il n'a jamais e pitié d'une femme, ni peur d'un homme, ii crainte de Dieu, car il est à la fois séducteur spadassin et impie.
Pendant que So^anarelle parle, le jour a baissé et la scène s'obscur cit. Don Juan est entré sans être vu et s'est caché derrière un des arbres de la place.
DON JQAN, à part. ^
Voyons comment le drôle s'acquitte de sa mission... Angélique est bien belle. Le soir vient. Les chevaux sont là, avec Leporello. Tout est prêt. L'amour me favorise. Ecou- tons.
SGANARELLE, s'animant.
C'est ainsi que cet homme, né riche, intel- ligent et beau, est devenu un fléau véritable. Que de familles il a désespérées! Que de filles et de femmes il a séduites et perdues! Que de perfidies, de mensonges et de cruautés! Car c'est à mal faire et à nuire qu'il occupe toutes les forces et toutes les ressources de
ACTE III 197
son esprit, avec une affreuse obstination, fondée sur je ne sais quels principes auxquels je ne comprends rien, mais dont j'ai vu les effets épouvantables. Malheur à celle qui tombe sous sa main ! Il n'aura de cesse qu'il ne l'ait réduite à être son esclave. Tout lui est bon. Il a, pour jurer un amour éternel, une facilité merveilleuse.il offre le mariage et sait se dérober comme personne à ses engage- ments. Que vous dirais-je encore? Je n'en finirais pas si je voulais vous énumérer tous ses vices et ses crimes, et pour le noircir il faudrait inventer des méfaits inconnus.
ANGÉLIQUE, d'une voix plaintive.
Assez, Sganarelle, assez I
SGANARELLE
Je n'en dirai jamais assez pour vous mettre en garde contre ce fourbe et ce méchant. Je voudrais que les paroles du pauvre Sganarelle fussent affichées en lettres d'or aux quatre coins du Royaume. Ah ! remerciez le ciel d'a- voir échappé au péril qu'il vous préparait... Et, tenez, il se fait tard et nous ferions mieux
198 LES SCRUPULES DE SGANARELLE
de rentrer. Cette petite place déserte ne me dit rien à cette heure avec ces gros arbres qui y font de Fombre. Et surtout ne vous avisez pas d'y revenir une fois le couvre-feu sonné. Il n'est pas bon de se trouver, seul à seul, avec un pareil homme ! Quand on a votre visag-e et votre corps, c'est risquer tout bon- nement un de ces enlèvements où il excelle et dont il ne se fait qu'un jeu. {On entend le bruit d'un cheval qui s'ébroue, Sganarelle se retourne, inquiet.) Allons, Mademoiselle, à la maison. Vous écrirez au seigneur Valère un billet où je lui porterai son congé et où vous l'assurerez que j'ai bien défendu ses intérêts. Puis je reviendrai me mettre au lit, d'où je ne bougerai que notre homme n'ait quitté la ville, car je ne me sens pas bien et je crains d'avoir pris froid sous les arbres. Brrr! mais vous-même, qu'avez-vous?
ANGELIQUE
Je défaille, Sganarelle, mes jambes ne peu- vent plus me porter. Quoi, tout ce que tu m'as dit de Valère était-ce donc vrai?...
ACTE III 199
SCENE VIII ANGÉLIQUE, SGANARELLE, DON JUAN
DON JUAN. Il est couvert d'un long manteau et s'élance vivement vers Angélique,
Non, belle Ang-élique, il menti et toi, hon- nête serviteur, reçois le prix de tes services!
Il donne un coup de pied à Sgana- relle, qui tombe le nez contre terre.
SGANARELLE
C'est lui; fuyez, Mademoiselle!
DON JUAN
Ne fuyez pas, divine Ang"élique. J'étais là, caché derrière cet arbre, quand ce maraud, — dont le Diable ait Tâme {il pousse du pied Sganarelle, qui gémit sourdement), — vous parlait de moi en si bons termes. Malgré l'obs- curité je suivais sur votre visage la charmante révolte de votre âme pendant que ce miséra- ble bavait ses ragots d'office et ses calomnies. Ah ! Angélique, quelle joie profonde m'em- plissait le cœur à voir que vous vous refusiez à
200 LES SCRUPULES DE SGANARELLE
croire les sottises et les billevesées qu'il vous débitait ! J'aurais voulu vous crier mon amour, mais il me répugnait de châtier devant vous ce colporteur d'infamies dont je me borne à repousser du pied Foutre flasque, fétide et dégonflée.
Il frappe Sganarelle du talon et pendant toute la scène, chaque fois que Sganarelle fera mine de bouger de terre, il en sera de même.
Le voici donc sous vos yeux, adorable Angé- lique, ce suborneur, ce perfide, ces^ menteur, cet impie... oui, cet impie, qui est prêt à ren- dre grâce à Dieu d'avoir créé un être tel que vous. (// ôte son chapeau.) Regardez bien, Angélique, le visage de ce traître. Fixez vos yeux sur les siens et voyez s'ils expriment le mensonge et la perfidie. Hélas! ce que vous y verrez plutôt ce sont des larmes de douleur. Est-il rien de plus cruel que d'être calomnié auprès de celle qu'on aime? Certes, mais ne me dois-je pas à moi-même de ne point me laisser abattre par un pareil traitement? Je saurai bien eff*acer de votre esprit l'affreuse impression qu'on y a voulu graver. Ma vie
ACTE III 201
entière n'aura d'autre but et d'autre désir. Elle est à vous, Ang-élique, si vous la voulez bien accepter. Disposez-en à votre gré. Ne repoussez pas quelqu'un qui vous aime d'un amour éperdu. C'est pour vous en faire l'aveu que j'ai franchi si hardiment les obstacles qui me séparaient de vous. Pardonnez-moi les moyens que j'ai employés et n'y voyez qu'une marque de la folle violence de ma passion. (// lui prend la main.) Eh quoi, Angélique, votre main tremble ! Ne craignez rien. Oui donc s'aviserait de desserrer le nœud que forment nos doigts enlacés ? Angélique, An- gélique, je sais, je sens que vous m'aimez. Votre silence même est le consentement de votre âme et de votre cœur; ajoutez-y celui de vos lèvres, et je croirai à mon bonheur.
ANGÉLIQUE, d'une voix faible.
Oh! Valère, Valère!...
DON JUAN
Adorable Angélique, soyez à moi. Venez, je connais un vieux prêtre du voisinage qui bénira notre amour. Des chevaux sont là qui
202 LES SCRUPULES OE SGANARELLE
nous attendent. Je vous emporterai, serrée contre ma poitrine. Suivez-moi, Ang-élique. Fuyons, et que Taurore de demain nous voie loin d'ici. Un amour comme le nôtre a besoin de solitude et de liberté. Quittons ces lieux et cherchons un abri pour nos baisers. {Il l'enlace et veut l'embrasser.) Eh quoi, Angélique , vous pleurez! Oui, abandonner le toit sous lequel vous êtes née, la maison où vous avez grandi ! Je comprends votre émj^ion, mais séchez ces larmes, accordez-moi quelques jours de folie et d'ivresse partagées, et ensuite nous reviendrons demander le pardon de votre père. Oui, divine Angélique, vous rentrerez au foyer de votre jeunesse, mais vous y ren- trerez à mon bras, fière d'un bonheur que vous m'aurez donné et qui sera le souvenir délicieux de notre vie, et le gage de notre iné- puisable félicité.
ANGÉLIQUE
Ah! Valère, Valère !
DON JUAN, riant.
Valère ! 0 charmante Angélique, ne m'ap-
ACTE III 203
)elez plus de ce nom qui n'est pas le mien, ^elui que je porte et dont je veux que vous ne nommiez désormais est plus sonore et plus lautain. Je ne suis pas Valère, Ang-élique, je )uis...
SCÈNE IX LES MÊMES, LÉANDRE
LÉANDRE, derrière eux.
Don Juan l
DON JUAN, se retournant brusquement.
Oui donc ose ici parler pour moi !
SGANARELLE, toujours à terre.
Ah ! le brave Léandre î
Il profite de l'inattention de Don Juan pour se relever et s'aller cacher derrière un arbre.
ANGÉUQUE
Léandre !
LÉANDRE
Angélique! folle et malheureuse Angélique, vous ne savez donc pas qui est cet homme?
204 LES SCRUPULES DE SGANARELLE
(A Don Juan,) Je le sais moi, Monsieur. J'ai pénétré votre mystère et levé votre masque.
DON JUAN, hautain et menaçant.
Je ne me cache pas, Monsieur.
11 ouvre son manteau et pose la main fièrement sur la poignée de son épée.
LÉANDRE
Ecoutez-moi, Angélique. Il existe un homme dont le nom maudit est en horreur à tous les honnêtes gens, car celui qu'il désigne est suivi partout où il passe d'une rumeur de haine et de malédiction. Pour cet homme, il n'y a rien de pur, d'innocent et de sacré. Il ne connaît ni scrupules, ni remords. Les lois mêmes ne l'arrêtent pas et son astuce les sait déjouer. La foi jurée ne compte pas pour lui. Un ser- ment ne lui coûte pas plus qu'une parole vaine. Il répond aux bienfaits par l'ingrati- tude, à la confiance par la tromperie. Il es! impie, et, pour mieux dire, idolâtre, car il n'a d'autre Dieu que lui-même.
ACTE III 205
DON JUAN
Fort bien, Monsieur, fort bien, voilà qui débute à merveille.
•LÉANDRE
C'est à lui, à son plaisir, à son org-ueil, à* sa vanité qu'il immole tout ce qu'il rencontre, et c'est à cet org-ueil et à cette vanité qu'il finira par s'immoler aussi dans l'endurcissement de son impénitence. En attendant le jour ven- geur, il poursuit impunément le cours de ses forfaits. Partout il signale sa présence. Ici, une fille séduite , là , une femme perdue, ailleurs une famille déshonorée, un mari ou un père réduits au désespoir. Tels sont ses œuvres, ses loisirs, ses délices et c'est lui, ô Angélique, que je trouve aujourd'hui, occupé à son exécrable besog^ne et en train de vous chuchoter à l'oreille ses faux serments et ses promesses mensongères, car je sais ce qu'il vous murmurait dans l'ombre qu'il croit propice à ses desseins et favorable à ses entreprises.
i3
2o6 LES SCRUPULES DE SGANARELLE
DON JUAN
Mais, c'est un sermon, mon bon Monsieur, que vous nous débitez là.
LÉANDRE
Angélique! Angélique! il en est temps en- core, ayez pitié de vous-même. Cette main qui serre la vôtre est celle d'un scélérat.
DON JUAN
Grand merci. Monsieur le p/édicateur, mais cessons ce débat ridicule.
LÉANDKE
Angélique, Angélique, cet homme a menti, cet homme a trompé, cet homme a trahi. Angélique, cet homme a tué.
DON JUAN, riant.
Eh, oui, le Commandeur! Je vous racon- terai quelque jour cette vieille histoire, belle Angélique, et elle vous divertira à la veillée.. . Mais, Monsieur, pour l'instant je suis pressé, et tous ces discours ne servent de rien. Angé- lique m'aime et je ne souffrirai pas davantage
ACTE III 207
devant elle des propos qui m'offensent et qui n'ont que trop duré.
LÉANDRE
Il faudra pourtant bien que vous m'enten- diez jusqu'au bout, seigneur Don Juan. Per- sonne» ne pourra m'empêcher de dénoncer tout haut vos vilenies et vos méfaits. Ils m'em- plissent d'indignation et je veux vous crier tout haut le dégoût qu'ils me causent et l'hor- reur qu'ils m'inspirent.
DON JUAN
Monsieur !
LÉANDRE
Eh quoi, Don Juan, ne pouvez-vous donc souffrir qu'on vous mette une fois en face de vous-même et ne pouvez-vous supporter le miroir de votre propre image? Si encore vous vous borniez au mal que vous faites, mais ne faut-il pas qu'avec l'exemple que vous en donnez vous en propag-iez les principes! Ne niez pas, Don Juan ; je sais, aussi bien que la bassesse de vos actes, l'audace de vos paroles. Hélas î leur détestable artifice a gâté bien des
208 LES SCRUPULES DE SGANARELLE
esprits. Elles se répètent et se colportent, et il y a, dans la jeunesse d'à présent, des têtes assez folles et assez faibles pour croire à ces principes et en appliquer à leur conduite la funeste fausseté. Leurs déclamations ne sont que Técho stupide de votre voix pernicieuse. Us disent, comme vous, que les femmes sont res- ponsables, les premières, des façons que vous avez adoptées envers elles; que leur ruse et leur coquetterie sont l'excuse de votre mé- chanceté ; qu'elles ont d'abord donné le branle d'être perfides et lég-ères, et que les traiter, comme vous faites, en adversaires et en enne- mies, ce n'est que prendre les devants avec elles, et qu'il y a, à ce qu'elles en souffrent, une sorte de justice féroce qui prévient par leurs maux ceux qu'elles ne manqueraient pas de causer... Et quand il y aurait du vrai à ce que vous dites, quand il y aurait des femmes perverses, des filles ing-rates et mauvaises, où serait votre droit de les punir et de les châtier? Etes-vous donc Dieu lui-même pour vous substituer à sa Providence et pour pré- venir ses jugements? Encore, si ce n'étaient
ACTE III 209
que celles-là que vous attaquassiez. Mais vous ne faites entre toutes ni choix, ni différence. Quel tort a-t-elle jamais eu envers vous, Don Juan, cette enfant qui est devant vous? Elle est pure, douce, tendre. Pourquoi êtes- vous venu troubler son repos? Avant de vous avoir vu, elle était contente de son existence simple et tranquille et elle eût accepté de la continuer avec quelque honnête homme qui l'eût aimée. Elle aurait vécu heureuse et respectée, à son foyer dont elle n'aurait connu que les joies simples, mais durables. Au lieu de cela, il a suffi que vous parus- siez. Il lui a suffi d'entrevoir, au coin d'une rue, votre visage maudit et cet habit rouge qui est sur vous, moins l'accoutrement d'un gentilhomme que la livrée même de Satan, pour lui pervertir l'esprit et lui tourmenter le cœur. Dès lors, rien de ce qui composait son existence ordinaire n'a plus compté pour elle. Elle a tout oublié, et vous avez détruit en elle l'édifice de la paix pour y substituer l'autel brûlant de l'amour. La couleur de feu que vous portez lui a communiqué sa dangereuse
i3.
210 LES SCRUPULES DE SGANARELLE
flamme dont il ne restera un jour en elle que des cendres amères et empoisonnées. Vous êtes parvenu jusqu'à elle, je ne sais par quels moyens, mais avec une rapidité qui stupéfie, et la voici devant vous, Don Juan, fascinée et presque perdue, prête à augmenter la suite de ces misérables dont vous tramez après vous les ombres gémissantes et accusatrices. Gomme celles-là, Don Juan, vous la mènerez à sa perte et vous l'abandonnerez à sa douleur, comme celles-là vous la quitterez, car il vous quittera, Angélique, il vous délaissera, il vous oubliera...
ANGÉLIQUE
0 Don Juan, depuis que j'ai entendu ta voix, je sais qu'elle est trompeuse et menson- gère! 0 cher amant, oui, je sais que par toi je souffrirai et que je pleurerai, que je con- naîtrai Tangoisse, le désespoir et l'abandon, mais aussi je connaîtrai l'ivresse du cœur, je connaîtrai l'amour. .. Léandre, Léandre, éloi- gnez-vous...
ACTE IIÏ 1! I I
LÉANDRE
Oh ! Angélique, écoutez-moi, ayez pitié de vous-même !
AKGÉLigUlt
Hélas ! Léandre, je l'aime. (A Don Juan,) Je vous aime, Don Juan, et je veux être à vous. Je n'ai ni force, ni courage, mais je vous suivrai au bout du monde, dussé-je m'y traîner sur les genoux.
Leporello, qui s'est glissé jusqu'à Don Juan, le tire par le pan de son manteau.
LEPORELLO, bas.
Hâtons-nous, Monseigneur. Le Guet fait sa ronde et rôde par ici. Il y a quatre hommes et un sergent ; nous aurions à faire à forte partie.
DON JUAN
C'est bien.
A Léandre, qui lui barre le che- min et se relève du banc sur le- quel il s'est laissé tomber, assis la tête dans ses mains.
Allons, Monsieur, laissez-moi passer, vous voyez bien que je ne fais aucune violence à
212 LÉS SCRUPULES DE SGANARELLE
mademoiselle et vous serez témoin que c'est bien de son plein gré qu'elle m'accompagne.
LÉ ANDRE
Angélique, revenez à vous, il en est temps encore.
ANGÉLIQUE
Je l'aime, Léandre. Adieu.
DON JUAN, écartant Léandre.
Au diable, Monsieur, faites-nou^lace.
LÉANDRE
Eh bien, non ! Angélique vous aime, soit, mais j'aime Angélique.
DON JUAN
Eh! voilà donc la raison de vos belles mo- rales !
LÉANDRE
Oui, j'aime Angélique et je la défendrai contre elle-même et contre vous.
DON JUAN
Ne me forcez pas, Monsieur, à faire un malheur.
ACTE III
2l3
LÉANDRE
Renoncez donc à causer celui d'Angélique.
DON JUAN
Ah ça, vous voulez rire, Monsieur !
LÉANDRE, tirant son épée.
Je n'en ai aucune envie, Monsieur !!
DON JUAN, repoussant Angélique, et l'épée à la main.
Alors, Monsieur, vous voulez tout bonne- ment me tuer ! Il n'est guère convenable de prétendre ainsi enlever à Dieu le privilège de sa justice.
LÉANDRE
Tais-toi, impénitent !
Ils engagent le fer. Sganarelle, au bruit des épées, sort de derrière son arbre et s'enfuit. Angélique se jette entre les combattants.
ANGÉLIQUE
Don Juan ! Léandre !
DON JUAN
Laissez-nous, ma belle amie. — Leporello, écarte cette femme.
2l4 LES SCRUPULES DE SGANARELLE
— i
LEPORELLO, maintenant Angélique.
Voilà une répétition de TafFaire du Com- mandeur... Quel homme! à peine la grâce du Roi obtenue, il recommence. II finira sur le billot... Mais où donc a passé Sganarelle? Puisqu'on se bat, j'en aurais profité pour lui régler son compte. Pourvu qu'il n'ait pas couru ameuter les gens et donner l'alarme. Bravo, Monseigneur !
Don Juan et Léandpe se battent. LÉANDRE
Ah ! je meurs !
Il s'affaisse lourdement. Angéli- que pousse un cri d'horreur et s'é- vanouit. Leporello se penche sur le corps de Léandre et fouille dans les poches du mort.
LEPORELLO
Il a son compte. Maintenant, Monseigneur, à cheval et filons... Le même coup que le Commandeur. Voyons s'il n'a rien dans ses poches.
DON JUAN, jetant son cpée.
Bah ! Leporello, le Roi est bon. Nous en
i
ACTE III 2l5
serons quittes pour deux tombeaux au lieu d'un ! Mais que veut dire ce vacarme ?
On entend une rumeur de voix. Des lumières s'allument aux fenê- tres de la maison de Géronte. On crie : Au meurtre !
LEPORELLO
Gela veut dire qu'on est à nos trousses et qu'il faut décamper. Oust I
DON JUAN
Aide-moi, Leporello.
Il charge sur son épaule Angéli- que évanouie, en lui relevant sa robe d'un geste indiscret.
Elle est belle, et elle a la jambe fine pour une bourg"eoise. Leporello, où sont les che- vaux ?
LEPORELLO
Par ici, Monseigneur, par ici...
Ils sortent en courant. La nuit est tout à fait venue.
2l6 LES SCRUPULES DE SGANARELLE
SCENE X SGANARELLE
SGANARELLE. Il entre essoufflé et s'arrête derrière un arbre.
Au meurtre, au meurtre ! Personne ! (// s'avance et heurte le corps étendu de Léan- dre.) Oh ! (// se baisse et tâte le cadavre.) Si cela pouvait être Don Juan. On n'y voit goutte. ... Ah, cette moustache... C'est Léandre... Il est mort... j'ai les mains pleines de sang. (// ramasse une des épées.) Brrr ! il y en a jusqu'à la poignée... Ah pauvre Léandre !... et Angélique I
11 s'adosse à un arbre, comme hébété.
SCÈNE XI
SGANARELLE, GÉRONTE, ANSELME, DORINE gens de la ville, le Guet.
GÉRONTE, sortant de sa maison, un flambeau éteint à la main.
Qu'y-a-t-il ?
ACTE III 217
ANSELME
Eh ! mon frère, ne criez pas tant. Dorine^ la lanterne ! {Il fait quelques pas.) On a tué quelqu'un ici.
Il recule. LE SERGENT DU GUET
Donnez, Monsieur. (//a/)/)roc^^ la lanterne.) Mais c'est le seigneur Léandre !
TOUS
Léandre !
UN HOMME DU GUET
Il est encore chaud, le meurtrier n'est pas. loin.
Le sergent élève la lanterne, dont le rayon éclaire le visage hébété de Sganarelle.
LE SERGENT
Le voilà. Désarmez-le.
On arrache à Sganarelle l'épée qu'il tient encore à la main.
Qui es-tu ?
Géronte et Anselme s'appro- chent.
GÉRONTE ET ANSELME
Sganarelle I
14
2l8 LES SCRUPULES DE SGANARELLE
TOUS
Sg-anarelle !
DORINE
Sganarelle, mon mari !
GÉRONTE
Tu as tué Léandre, toi, Sg-anarelle, mais c'était donc pour le voler, misérable I
VOIX DIVERSES ^
Gomment, Sg"anarelle, l'ancien valet de monsieur Géronte, Sg-anarelle !
UN HOMME DU GUET
En effet, la poche du seigneur Léandre est coupée !
GÉRONTE
Tenez-le bien, monsieur le Sergent. (// le menace du poing.) Ah ! canaille, tu as tué Léandre, Léandre le fiancé de ma fille, car, enfin, il aurait pu Tépouser si j'y avais con- senti. Brigand, assassin! Que dites-vous de cela, Ansehne ?
ACTE III 219
ANSELME, pleurant à geooux auprès du cadavre .
Ah ! Léandre ! 0 mon fils d'adoption, con- solation de ma vieillesse !
GÉRONTE, furieux.
Il a tué Léandre, tout comme il aurait pu m'en faire aussi bien autant, car, enfin, Léan- dre était pauvre et je suis riche. J'en tremble rien qu'à cette idée ! Ah, malheureux, voilà ce que tu es devenu à courir le monde . . . C'est pour cela que tu as cherché à t'introduire chez moi! C'est qu'il faisait le petit saint et le bon apôtre. Il n'en voulait plus à Dorine de l'avoir trompé. Il ne parlait que de repos; il cajolait ma fille Angélique.
SGANARELLE, d'une voix faible.
Angélique !
GÉRONTE
Angélique, Angélique! Il n'y a pas d'An- gélique. TonafFaire est bonne. Tu seras pendu, pendard, voleur, assassin.
DORINE
Mais laissez-le donc, vous voyez bien que vous l'étranglez à le tenir au collet. Voyons,
220 LES SCRUPULES DE SGANARELLE
parle, Sg-anarelle... Ce n'est pas possible... Ce n'est pas un méchant homme, que mon pau- vre Sg^anarelle. Il ne ferait pas mal à une mouche... Ecoutez-le, monsieur le Sergent I
LE SERGENT
Allons, paix, la belle 1 Nous allons l'em- mener en prison. Il paraît touthébété et comme ivre de son meurtre.
SCÈNE XII LES MÊMES, LE PETIT PATISSIER
LE PETIT PATISSIER
Monsieur Géronte, monsieur Géronte, on enlève votre fille... oui, deux hommes à che- val... avec des torches... Je viens de les voir qui passaient la porte de la ville... Ah, je les ai très bien reconnus, monsieur Géronte; vous savez, ce valet qui m'a volé les tourtes et le seigneur en habit rouge qui voulait me faire chanter les couplets sur Sganarelle. Je les ai vus distinctement.
ACTE m 221
GERONTE
Au secours, à Taide, arrêtez-les, arrêtez- les î
II saisit S^anarelle à la gorge. LE SERGENT DU GUET, à Sganarelle.
Dis-nous le nom du ravisseur.
GÉRONTE
Il s'appelle Valère, monsieur le Sergent, Valère, c'est un g-entilhomme de Picardie...
SGANARELLE
Eh non, Monsieur, il se nomme Don Juan, et c'est lui qui a tué Léandre, comme il a tué le Commandeur, comme il aurait tué quicon- que se serait opposé à ses desseins et vous- même, monsieur Géronte, si vous vous étiez trouvé devant ses pas. Ahl vous ne savez pas quel homme c'est que Don Juan. Dieu vous ('pargne devons trouver jamais en sa présence, hormis au jour du jugement dernier, où il faudra bien qu'il paie le prix de ses forfaits, à
222 LES SCRUPULES DE SGANARELL3
moins qu'il ne trouve encore un moyen d'évi- ter la vengeance divine par quelque tour de sa façon qui le sauvera de la colère et de la justice du ciel.
La Bau]e-sur-Mer-i9o4 Pari s- 1905.
FIN
ACHEVÉ D'IMPRIMER le vingt février rail neuf cent huit
PAR
BLAIS & ROY
A POITIERS
pour le
MERGVRE
DB
FRANCE
EXTRAIT DU CATALOGUE
DES ÉDITIONS DV MERCVRE DE FRANCE
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André Gide
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Alma'ide d'Etremont -
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Pomme d'Anis 2
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lence.
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3.50 3.50
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50
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Le Retour d'Imray
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Max-Anély
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line, fille des cliHinps. .. . 3.50
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Thomas de Quincey
. De l'Assassinat considéré
comme un des Beaux-Arts 3.50
Rachilde
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Le Dessous 3 . 50
L'Heure sexuelle 3.50
Les Hors nature 3.50
L'Imitation de la Mort .. 3 . 50
La Jongleuse 3.50
Le Meneur de Louves 3.50
La Sanglante Ironie 3.&0
La Tour d'Amour 3.60
Hugues Rebell
Le Diable est à table 3.50
Henri de Régnier
Les Amants Singuliers 3.50
Le Bon Plaisir 3.50
La Canne de Jaspe '. . 3.50
La Double Maître^^se 3.50
Le Mariage de Minuit 3.50
Le Passé vivant 3.50
La Peur de l'Amour 3.50
Les Rencontres de M. de
Bréot , 3.50
Les Vacances d'un Jeune
Homme sage 3.50
I Jules Renard
Le Vigneron dans sa Vigne. 3.50
AVilIiamRilter
Fillette slovaque 3.50
Leurs Lys et leurs Roses . . 3.50 La Passante des Quatre Sai- sons 3 . 50
Lucien Rolmer
Madame Fornoul et ses Hé- ritiers 2 )»
Jean Rodes
Adolescents 3.50
J. H. Rosny
Les Xipéhuz 2 »
Eugène Rouart
La Villa sans Maître 3.50
Saint PolrRoux
De la Colombe au Corbeau
par le Paon 3 . 50
Les Féeries intérieures... . . 3.50 La Rose et ics Epiiu^s du Chemin. . .'tO
Albert Sama
Contes '
Robert Schell
Lès Frissonnantes. . Les Loisirs de Bertbi Le Péché mutuel.
Marcel Schw<g
La Lampe de Psyché. . .
R.-L. Stevens^
La Flèche noire .■
Ivan Stranni
L'Appel de l'Eau ;
Auguste Strindj
Axel Borg
Inferno ^
Jean de Tina
Aimienne ou la Détouri mpnt de mineure
L'Exemple de Ninon de L clos amoureuse
Penses-tu réussir?
P -J. Toulel
Mon amie Nane
Les Tendres Ménages ^. . ,
Mark Twain
Contes choisis
Exploits de Toin Saw; déïective et autres ne veiles
Un Pari de Milliardaires.
Plus^ort que Siierlock H mes
Le Prétendant américain.
Eugèpe Verno
Gisèle Chevreuse
Jean Viollis
Petit Cœur.
H. -G. Wells
L'Amour et M. Lewisham Ias. Guerre des Mondes,. . Une Histoire des Tempt
venir
L'Ile du Doclt'ur Moreau La Machine à explorer
Temps
La Merveilleuse yisii
Miss Walers
Les Pirates de la M»
Place aux Géants
Les Premiers Ilommos da
la Lune
Quand le dormeur s'éveille
Willy
Claudine en ménage.
Colette Willy
La Retraite senlimcntaic. Sept Dialog-ues de Bètcs.
Léon Uocquet
Poé.sie
Marie Danguet
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Emile Despax
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Le Sang de Méduse 3. 50
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Poèmes, 18S7-18y7
Les Quatre Saisons
Victor-Emile Michelet L'Espoir merveilleux 3.50
Albert Mockel
Clartés 3 »
Jean Moréas
Poèmes et S vives 3.50
Premières Poésies 3.oO
Les Stances ^ . 50
Marie et Jacques Nervat
Les Rêves unis
François Porche
A chaque jour
Pierre Quillard La Lyre héroïque et dolente.
Ernest Raynaud
La Couronne des Jours
Hugues Rebell Chants de la Pluie et di;
Soleil
Henri de Régnier
La Cité des Eaux ••;••
Les Jeux rustiques et divins. Les Médailles d'Argile
3.50
3.50
Poèmes, 1887-1892 3.50
Premiers Poèmes à.ov
La Sandale ailée **-»0
Lionel des Rieux
Le Chœur des Muses
Arthur Rimbaud Œuvres de Jean-Arthur
Rimbaud
p.-N. Roinard
La Mort du Rêve 3.50
Ronsard
Le Livret de Folastries 3.50
Sainte-Beuve
Le Livre d'.\mour
Albert Saraain
Le Chariot d'Or -.
Aux Flancs du Vase, suivi de Polyphème et de Poè- mes inachevés . . • 3 . 5i
Au Jardin de l'Infante 3.o<
Fernand Séverin
Poèmes
Paul Souchon
La Beauté de Paris
André Spire
Versets
Laurent Tailhade Poèmes aristophanesques..
Poèmes élégiaques
R.-H. de Vandelbourg
3.5(
3.5(
3.5
3.5
3.
3.;
3.;
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3.50
3.50
3.50
3,50
3.50 3.50 3.50
3.i
3.1
3.
La Chaîne des Heures
Emile Verhaeren
Les Forces tumultueuses...
La Multiple Splendeur 3
Poèmes • • • • **
Poèmes, nouvelle série.
Poèmes, 111" série
Les Villes Tenlaculaires, pré- cédées des Campagnes Hallucinées ■ 3-
Les visages de la Vie 3 .
Francis Vielé-Grillin
i.larlé de Vie • 3,
La Légende ailée de Wieland
le Forgeron 3 .
Phocas le Jardinier 3
Plus loin
3.
Poèmes et Poésies 3
Tliéâtre
ary Bataille
, précédé de la
■mi Claudel
.Marcel ColUère
racusiiiae-i
Idouard Dujardln
3.50
3.50 3.50
André Gide
SaQl. Le KoiCaiidaule
3.5^ Maxime Gorki
Dans les Bas-Fonds
3.50 Les Petits Bourgeois
Remy de Gourmoni
\ a Lililh, suivi de Théodat 3.50
Gerhart Hauptmann r. Cliirhe engloutie 3-50
A.-Ferdinand Herold
L'Anneau de Çakuntalà 3
Les Hérétiques J
Sâvilri ••• *
Une jeune femme bien gardée S
Virgile Josz et Louis Dun
Rembrandt "^
Jean Lorrain et A. Ferdinand H«m-o1
Prométhés
Marie Krysinska
La Force du Désir 3.50
Laclos
Les Liaisons dangereuses (édition collationnée sur le manuscrit) 3.50
A. Lacoin de ViJlemorin et D' Khalil Khau
L,e Jardin des Délices 3.50
Jules Laforgue Iforalités légendaires, sui- vies des D.ux Pigeons. 3.50
Camille Lemonnier
.a Petite Femme de la Mer 3.50
Paul Léautaud
.e Petit Ami 3 . 50
Jean Lorrain
lonles pour lire à la chan- delle 2 «
Hf "i Malo
ies Messieii •. ôa Cabinet.. 3 50 ,es Dauphins du jour 3. 50
Raymond Marivalj
hair d^Ambre 5. 50
e Çof, Mœurs kabyles. . . 3.50
Max-Anély
es Immémoriaux 3.50
Charles Merki
argot d'Eté 3.50
Eugène Morel
ss Boers 2 »
Jean Moréas
întes de la Vieille France. 3.50
Alain Morsang et Jean beslière
i Mouette 3.50
Marie et Jacques Nerval
îlina Landrol 3.50
AValter Pater •rtraits Imaginaires 3 . 50
Péladan
i Licorne 3.50
sdeslie et Vanité 3.50
Nimbe noir , 3.50
irégrine et i'érégrin 3 . 50
Plepre de Querlon
Boule de Vermeil 3.50
line, fille des champs. .. . 3.50
s Joues d'IléliTic 3.50
Liaison fâchouse 3.50
Maison de la Petite Livia 3.50
Pierre de Querlon et Cliarles Verrier
Les Amours de Leucippe et de Clifophon. 350
Pierre Qu il lard
Les Mimes d'Hérondas 2 »
Thomas de Quincey
De i'Assassinat considéré comme un des Beaux-Arts 3.30
Rachilde
Contes et Nouvelles 3.50
Le Dessous 3.50
L'Heure sexuelle . . 3 . 50
Les Hors natuie 3.50
L'Imitation de la Mort . . . .. 3 . 50
La Jongleuse 3. 50
Le Meneur de Louves 3.50
La Sanglante Ironie 3.{)w
La Tour d'Amour 3.50
Hugues Rebell
Le Diable est à table. ..... 3.50
Henri de Régnier
Les Amants Singuliers 3.50
Le Bon Plaisir 3.50
La Canne de Jaspe. 3.50
La Double Maîtresse 3 . 50
Le Mariage (ie Minuit 3.50
Le Passé vivant 3.50
La Peur de l'Amour 3.50
Les Rencontres de M. de
Bréot 3.50
Les Vacances d'un Jeune
Homme sage 3.50
' Jules Renard
Le Vigneron dans sa Vigne. 3.50
William Ritter
Fillette slovaque 3. 50
Leurs Lys et leurs Boses .. 3.50 La Passante des Quatre Sai- sons.. 3.50
Lucien Rolmer
Madame Fornoul et ses Hé- ritiers 2 »
Jean Rodes
Adolescents 3 . 50
J. IL Rosny
Les Xipéhuz 2 »
Eugène Rouart
La Villa sans Maître 3.50
Saint PolrRoux
De la Colombe au Corbeau
par le Pat»n 3 . ÔO
Les Féeries intérieures 3.50
La Bose et ics Epims du Chemin. . .»0
Albert Sama
Contes
Robert S chelJ
Les Frissonnantes y
Lek Loisirs de BertheLivl Le Péché mutuel '<
Marcel Schw<
La Lampe de Psyché. . J
R.-L. Steven»
La Flèche noire .;
Ivan Stranni
L'Appel de l'Eau
Auguste Strind)
Axel Borg
Inferno '
Jean de Tinî
Aimienne ou la Détour mpnt de mineure
L'Exemple de Ninon de L clos amoureuse
Penses-tu réussir?
P.-J. Toulel
Mon amie Nane
Les Tendres Ménages ... .;
Mark Twain
Contes choisis
Exploit^»/ de Toin Saw; détective et autres n< velles
Un Pari de Milliardaires.
Plus^ort que Suerloclc H mes
Le Prétendant américain!
Eugène Verno
Gisèle Chevreuse
Jean Viollis
Petit Cœur.
H. -G. Wells
L'Amour et M. Lewishain La Guerre des Mondes. . . Une Histoire des ïenipi
venir
L'Ile du !)oct(5ur Morcau La Machine à e.\piorcr
Temps
La Merveilleuse yisi'
Miss Walers
Les Pirates de la M»
Place aux Géants
Les Premiers Hommes da
la Lune
Quand le dormeur s'éveille
Willy
Claudine en ménage.
Colette Wllly
La Retraite senliinentak*. Sept Dialogues do Bctcs.
Léon itocquet
Poésie
Marie Danguet
1 «t n.. - Il /
Emile Despax
__ 3 —
uard Ducoté
m fleurs 3 50
IX Elskamp
de la Vie 3.50
•é Fontainas.
3.50
Paul Fort
arin 3 . 50
■an<;aises 3.50
m l'homme tout
du Paradis 3.50
s de Jeu., précé-
ucienne 3.50
ques 3.50
3.50
i m entai ou le
e nos vinjït ans. 3.50
de Louis XI 3.50
lui Gérardy
,. 3.50
.ouïs Payen
lancbes 3.50
rice Pottecher
du Repos 3 »
enri Ghéon
3 de lÉté 3.50
larles Guérin
îolitaiie 3.50
intérieur 3.50
r de Cendres. . . . 3.50
irdinand Herold
des chemins 2 »
ndres et merveil-
3.50
»ert d'Humlères
aux Desiinées .... 3 . 50
ieurik Ibsen
3.50
aocis Jammes
' de l'Aube à
1 Soir 3.50
,^ le Ciel 3.50
des Primevères.. 3.50
phe de la Vie 3 50
ï U.Slave KahD
d'Ima^'Cs 3.50
Poéiiiêâ 3.50
Klingsor
Schéhérazade 3.50
Marc Lalargue
L'Age d'Or 3.50
Jules Laforgue
Poésies complètes 3.50
Léo Larguier Jacques 3.50
Louis le Cardonnel Poèmes.... : . . 3.50
Sébastien Charles Leconte
Le Sang de Méduse 3. 50
La Tentation de l'Homme. . 3.50
Charles Van Lerberghe
La Chanson d'Eve 3.50
Entrevisions 3.50
Grégoire le Roy
La Chanson du Pauvre. ... 3.50
Stuart Merrill
Poèmes, 18S7-1897 3.50
Les Quatre Saisons.. .... . 3.50
Victor-Emile Michelet L'Espoir merveilleux 3.50
Albert Mockel
Clartés 3 »
Jean Moréas
Poèmes et S vives 3.50
Premières Poésies 3.50
Les Stances 3 . 50
Marie et Jacques Nervat
Les Rêves unis 3.50
François Porche
X chaque jour 3 . 50
Pierre Quillard
La Lyre héroïque et dolente. 3 . 50
Ernest Raynaud
La Couronne des Jours 3 . 50
Hugues Rebell
Chants de la Pluie et du
Soleil 'io^J
Henri de Régnier
LaCi'.é des Eaux......... 3.50
Les Jeux rustiques et divins. 3.50 Les Médailles d'Argile 3 . 50
Poèmes, 1887-1892 3.50
Premiers Poèmes 3 . 50
La Sandale ailée 3.50
Lionel des Rieux
Le Chœur des Muses 3.50
Arthur Rimbaud Œuvres de Jean-.-Vrthur
Rimbaud 3.50
P.-N. Roinard
La Mort du Rêve 3.50
Ronsard
Le Livret de Folastries 3.50
Sainte-Beuve Le Livre d'Amour 3..'>C
Albert Samain
Le Chariot d'Or 3.ôC
Aux Flancs du Vase, suivi de Polyphème et de Poè- mes inachevés. . • 3.5C
Au Jardin de l'Infante 3.5C
Fernand Séverin
Poèmes 3 . 5(
Paul Souchon
La Beauté de Paris 3.5(
André Spire
Versets 3 . 5(
Laurent Tailhade
Poèmes aristophanesques. . 3.5(
Poèmes élégiaques 3.5(
R.-H. de Vandelbourg
La Chaîne des Heures 3.5(
Emile Verhaeren
Les Forces tumultueuses... 3.5<
La Multiple Splendeur 3.5(
Poèmes 3 . 5<
Poèmes, nouvelle série.... 3.5<
Poèmes, 111° série 3.5<
LesV^illesTenlaculaires, pré- cédées des Campagnes
Hallucinées. 3.5
Les visages de la Vie 3.5'
Francis Vlelé-Grlllin
>.larlé de Vie 3.5
La Légende ailée de Wieland
le Forgeron 3.5!
Phocas le Jardinier 3.5
Plus loin 3.5
Poèmes et Poésies 3.5
Théâtre
lenry Bataille
précédé de la
il Claudel
Marcel CoUière
acusaiues
louard Dujardin
3.50
3.50
r^ .=in
André Gide A.-Ferdinand Herold
Saii!. LeRoiCaudauIe 8.50 L'Anneau de Çakuntalà. .. . 3.5
^ . . Les Hérétiques 1
Maxime Gorki Silvilri 1
Dans les Ras-Fonds 3.50 Uncjeuneremme bien gardée i
Les Petits Rourgeo.s 3.50 ^j^^jn^jos^ et Louis DumH
Remy de Gourmonl Remimindt ^' •"
I =lilh, suivi de Théudat 3.50 Jean Lorrain
Gerhart Hauptmann ^^ A. Ferdinand Herold
I 1 r.Wulip. p.ni^loulie 3.50 Prométhée 1
Charles Van Lerberghe
Les Flaireurs i y>
Pan ;;;; 3.50
Emerich Madach
La Tragédie de l'Homme ... 3 . 50
F.-T. Marinetli
Le Roi Bombance 3 . 50
Jean Moréas
[phigénie, tragédie en 5 ac- <es 3.50
Péladan
CEdipe et le Sphinx 1 »
Sémiramis * „ «„,.«. j ^,
^ " Henri de Rég
René Peler Les Scrupules de Sganaj
La Tragédie de la Mort. ... 3.50 Albert Sama
Georges Polti Polyphèmc, 2 actes
Les Cuirs de neuf 3.0O Saint-Pol-Rq
• Rachilde La Dame à la faulx j
Théâtre 3 50
«„..,„ Paul Souche
Paul Ranson t n-
VAhhé Prout,Gingnol pour ^^ ^^V^ nouveau, tragi
Ipx vieux enfants. Pré- nu^u- ^^^^^z-
face de Georges Ancey. 1 hyllis, tragédie en 5 au
Illustrations de Paul Ran- Emile Verhaei
so" 3.50 Philippe II.
Histoire — Critique -^ Littérature
Hortense-Allartde Méritens
^ettres inédites à Sainte- Beuve (in-8) 7 . 50
Pierre D'Alheim
ioussorgski 3 50
sur les pointes (mœurs russes) 3.50
J. Barbey d'Aurevilly
-ettres à Léon Bloy 3.50
.étires à une Amie 3.50
J.-M. Barrle
largaret Ogilvy 3.50
Charles Baudelaire
.ettres, 1841-1866 3.50
Euvres posthumes 7 . 50
André Beaunier •a Poésie nouvelle 3 . 50
Dimitri de Benckendorll
■a Favorite d'un Tzar 3.50
Paterne Berrichon
.a Vie de Jean-Arthur Rim- baud 3.50
Ad. Van Bever et Paul Léautaud
*oètes d'aujourd'hui, 1880- 1900. Morceaux cftoisis. 3.50
^d. Van Bever et Ed. Sansot- Orland
Euvres galantes des Con- teurs italiens 3.50
Kuvres galantes des Con- teurs italiens, lU série. . . 3.50
Léon Bloy a Chevalière de la .Mort. . . -2 t c^ Dornièrcs Colonnes de
lise 3.50
0 des Lieux Communs 3 . 60
e i'ils de Louis XVI :>.5()
ion Journal (pr)ur faire suite &o Mendiant Jîigrat)... 3.50
«fr^s choisies ;t . .'0
• Ans de Captivité .
iriim-.iiiir.Mnrna
Léon Bocquet
Albei t Samain 3 . 50
Thomas Carlyle
Lettres de Thomas Carlvle à
sa mère " . . . 3.50
Eugène Carrière
Ecrits et Lettres choisies.. 3.50
Fernand Caussv
Laclos '. 3.50
Chamforl
Les plus belles pages de
Chamfort 3 50
Paul Claudel
Connaissance de l'filst 3.50
Art poétique 3.50
Jules Delassus
Les Incubes et les Succubes i «
Eugène Demolder
L'Espagne en auto 3 . 50
Henry Detouche
De Montmartre à Montser-
rat (illustré) 3.50
Dostoïevski
Correspondance et \'uy«ge
à l'étranger 7.50
Edouard Dujardin
La Source du Fleuve chré- tien .€. 3.50
Georges Duviquet
lléliogabalc 3.50
Edmond Fazy et Abdul Ilalim IVlemdouh
Anthologie de l'amour turc 3.50 André Pontainas
Histoire delà Peinture fran- çaise au X1X« siècle 3.50
André Gido
Prétextes, Jit'/Ita'ious tvr quelque» point» de Lit-
A. Gilbert dé V<
Sentiments
<:omte de Goblc
Pages choisies
Jean de Gouru
Henri de Régnier
Remy de Gourn
Le Chemin de Velours, /V4
oelles Dissociations t
déest
La Culture des Idée^ Dialogues des Annu-ji
(Epilogues, IVo série). , Epilogues. Réflexions s
la vie (1595-1598).... Epilogues. Réflexions s
la vie (1899-1901)
Epilogues, fi è flexions '\
la vie (190^-1904).... Esthétique de lalani^uefn
çaise '
Le Livre des Ma.sques, /»i
traits symbolistes^. . . . Le Ilo Livre des .Masquei Lerroblèmedi) sf^^. Promenades lii Promenades lit'
Ch.-M des Grau
La Presse littéraire sous Restauration. .-
Henri Heine
Les plus beli.'< .''-^ Henri Heine.
A.-Ferdiuaud
Le Livre do la Nai.«s ia Vie et de la M< Bienheureuse Viei . rie
Robert dllumièi
i 'lie et l'Empire de Grand»
— 5 —
Virgile Josz
, Mœurs du
siècle... 3.5Ô
Mœurs du X VII h
3..50
dyard Kipling
japon
i
3.50
Albert Mockel
Un Héros : Stéphane Mallar
mé
Emile Werhaeren 2 »
Propos de Littérature 3 »
Charles Morice
Eugène Carrière 3 . 50
Jacques Morland Enquête sur l'Influence al- lemande 3.50
lues Lalorgue AUred de Musset
posthumes. Por- Correspondance 3.30
lauteur^par Iheo L^^ ,^5 l^eHes p^ges d'AI-
sselberphe 3 . 5U f ^.^^^ ^^ Musset 3 . 50
ierre Lasserre Gérard de Nerval
tisme français (in-S) 7.50 Les plus belles pages de Gé- antisme français
Laclos
édites 3.50
3.50
•ius-Ary Leblond
le Lisle 3 .
50
rdonnelet Ch. Vellay
ature contemporai-
)5) 3.50
ïiond Lepelletier
•laine, sa Vie, son
3.50
Loyson-Bridet
esDiurnales. Trai- Journalisme 3.50
Emile Magne
; de la Suze 3. 50
de Villedieu 3.50
et son milieu 3.50
lené Martineau
Corbière 3 »
rdinand de Martino
)gicder3niour arabe. 3.50
Camille Mauclair
,aforgue - ..->0
Henri Mazel
il faut lire dans sa vie.
3.30
Edouard Maynial
î et l'(Jliuvre de Guy lau passant 3
George MerT^"''
sur la Comédi' »
len Milliuuard
i.t de l'Unité 3.50
rard de Nerval 3.50
Péladan __
Réfutation esthétique de Tai-
ne 1 »
Camille Piton
Paris sous Louis XV 3 . 50
Henri de Régnier
Figures et Caractères 3.50
Sujets et Paysages 3.50
Kétil de la Bretonne
Les plus belles pages de Ré- tif de la Bretonne, 3.50
Arthur Rimbaud
Lettres de Jean-.\rthur Rim- baud 3 . 50
William Ritter
Etudes d'.Art étranger 3.50
Rivarol
Les plus belles pages de Ri- varol 3.50
John Ruskiu
La Bible d'Amiens 3 :iU
Sésame et les Lys 3 . 5o
Jules Sagerot
Les Grands Convertis
Saint-Amanl
Les plus belles pages de
^linl-.Vmant 3 »
Sainte-Beuve
i.ctires inédites ù ^' •• M"« Juste Olivier.
MarceLSchwol)
Spicilège
Léon Séché
Alfred de Musset. 1 . L'Hom- me et l'Œuvre, les Cama- rades ; 11. Les Femmes.
2 vol .-. "^
Hortense Allart de Méritens
(in-8) "■»
Lamartine (181 6-1S30) 3.0
Sainte-Beuve. I. Son Esprit, ses' Idées ; II . Ses Mœurs .
2. vol 7
Alphonse Séché et Jules Bertaut L'Évolution du Théâtre con- temporain 3.5
Robert de Souza La Poésie populaire et le Lyrisme sentimental 3.2
Stendhal
Les pins belles pages de
Stendhal 3.;
Casimir Slryienskl
Soirées du Stendhal-Club. . 3.i
Tallemant des Réaux
Les plus belles pages de Tallemant des Réaux 3.
Archag Tchobanian
Les Trouvères arméniens.. 3.
Tei-Saa Notes sur l'Art japonais : La
Peinture et la Gravure ... 3 . Notes sur r.A.rt japonais : La
Sculpture et la Ciselure.. 3.
Adolphe Thalasso
Anthologie de l'Amour asia-
tique "^
Théophile
Les plus belles pages de Théophile 3
Tolstoï
Vie et CEuvre. Mémulre-
2 vol.
E. VIgié-Lecof*!
La Poésie contemporain>
1884-1890
Léonard de Vli: Textes choisis
Oscar Wilde
De Profundis; précédé de Lettres écrites de la prison et suivi de la Ballade de !- Geôle de Reading
I>liiloj»op1)ie — Science — Sociologie
ond Barthélémy Thomas Carlyle >ariur iu sartus.
"■'^■''^ -^-'^ Estais choisis de Critique . Frédéric Charp in
H.-B. Brewster de Murale. .......... . 'i.f
__.. o \n Dnn.nhiota Hii nffrnipr Jnnf. 3.50 La Question rcuirieuse
J.-A. Dulaure
)es Divinités génératrices [LeCulte du Phallus).. 3.50
Jules de Gaultier
.e Bovarysme 3 5q
a Dépendance de la Morale
et l'Indépendance des
Mœurs 3 gQ
a Fiction universelle 3 50
e Kant à Nietzsche. . . 3 50
ieizsche et la Réforme
philosophique 3 50
es Raisons de l'Idéalisme'. 3.' 50
Remy de Gourmont aysique de l'amour. Essai
si'J' Pinstinct sexuel 3 50
•omenades Philosophiques. 3.50
Pierre Lasserre !s Idées de Nietzsche sur la Musique 3 50
Morale de Nietzsche! .. 3 *50
— 6 —
Maurice Maeterlinck
Le Trésor des Humbles .3 . 50
D. Mérejkowsky
Le Tsar et la Révolution. . . 3.50
Multatuli
Pages choisies 3 50
Frédéric Nietzsche .
Ainsi parlait Zarathoustra. 3 50 Aurore 350
Considérations inactuelles ' 3 50 Le Crépuscule des Idoles, le Cas Wagner, Nietzsche contre Wagner, l'Anté-
. christ.... 3 j,Q
Le liai savoir 3 5^
La Généalogie de la Morale". 3' 50 Humain, trop Humain (1"
L Origine de la Tragédie. . . 3 50
liages choisies 3 50
Par delà le bien et le mal! 3 50
La Volonté de \'ii.,.,,^i 2 volumes
Le Voyageur et son Om [Humain, trop Hume 2e partie)
Péladan
Supplique h S. S. le P) Pie X pour la réforme* canons en matière de vorce
Marcel Iléja
L'Art chez les fous
Cari Siger
Essai sur la Colonisation.
Léon Tolstoï
Dernières Paroles
H.-G. Wells
Anticipations
La Découverte de l'Avenii Une Utopie moderne
Envoi franco sur demande
du Catalogue complet
des Éditions
du
Mercvre de France
ViERGVRE DE FRANGE
26, RVE DE GONDÉ. PARIS
ercure de France occupe dans la presse du monde entier une place : il est établi sur un plan très différent de ce qu'on a coutume d'ap- ae revue, et cependant plus que tout autre périodique il est la chose nifie ce mot. Alors que les autres publications ne sont, à proprement le des recueils peu variés et d'une utilité contestable, puisque tout les impriment paraît le lendemain en volumes, il g-arde une inap- le valeur documentaire, car les deux tiers au moins des matières voit ne seront jamais réimprimées. Et comme il est attentif à tout se passe, à l'étrang-er aussi bien qu'en France, dans presque tous les es, et qu'aucun événement de quelque importance ne lui échappe, nte un caractère encyclopédique du plus haut intérêt. II fait en ine large place aux œuvres d'imagination. D'ailleurs, pour juger de ondance et de sa diversité, il suffit de parcourir quelques-uns de ses ires et la liste des chroniques de sa « Revue de la Quinzaine» (Voj. erture du présent volume).
berté d esprit du Mercure de France^ qui ne demande à ses rédac-
ue du savoir et du talent, est trop connue pour que nous y insistions :
nions les plus contradictoires s'y rencontrent. Nous ajouterons qu'il
xpression multiple de plusieurs générations d'écrivains ; qu'il a con-
tout le mouvement poétique des vingt-cinq dernières années ; que
es idées aujourd'hui admises ne l'étaient point lorsque, le premier, il
>rima ; que beaucoup d'esprits dont l'inlluence sur les contemporains
nifeste sont de chez lui ; qu'enfin il a contribué plus que toute autre
•ation à faire connaître en France les littératures, la pensée et l'art
çers.
'os\. peut-6tre pas inutile de signaler qu'il est celui des grands pério- inçais qui coûte le moins cher, puisque le prix de son abonne- ode à peine celui des journaux à un sou.
is envoyons gratuite.aentàtoute personne qui nous en fait la demande écimen du Mprcnre de France.
TABLES
DV MERCVRE DE FRANCE
L'abondance et l'universalité des documents recueillis et des sujet! dans le Mercure de France font de nos Tables un instrument de ches incomparable, et dont l'utilité s'exerce au delà de leur but outre les investigations rapides qu'elles permettent dans les textes de la revue, elles conduisent immédiatement à un grand nombre d' tions de dates, de lieux, de noms de personnes, de titres d'ouvrag-es, et d'événements de toutes sortes, au moyen desquelles, si la revue € tel cas insuffisante ou incomplète, il devient facile de s'orienter e renseigner dans les écrits contemporains, en France ou àl'étrang-ei Ces tables se divisent en trois parties.
La première partie : Tabte par noms d'auteurs des Articles dans la Revue, est alphabétique seulement par noms d'auteurs ; te matières publiées sous un titre y fig-urent en ordre cbrdnologique. férences aux chroniques viennent à la suite, sous chaque nom d' les matières des chroniques ne sont pas analysées, et seul est inc titre de la rubrique.
La deuxième partie : J'able systématique ^des Matières, préseï classification qui ne correspond pas tout à fait à celle qui a été adop les rubriques dans la revue, mais elle est précédée d'un index qui de trouver immédiatement les matières cherchées. Chaque divisio prend, par ordre alphabétique, d'abord les articles publiés sous u puis l'analyse des rubriques qui se réfèrentà la division.
La troisième partie : Table des principaux Noms cités, don dre alphabétique, les noms d'écrivains, d'artistes, de philosoplu , vants, etc., dont une œuvre a été analysée, les noms de persou ■ font le sujet d'un ouvra'^e, enfin tous les noms dont la mention vue n'est pas une simple citation sans intérêt.
On a placé en tôte de ces trois tables une Table de concorda les années, les tomes, les mois, les numéros et la pagination.^
PRIX DES TABLES :
Tables des tomes I à XX (1890-189C), i vol. in-8 de viii-88^ pau Tables des tomes XXI à LU (1897-1904), 1 vol. in-8 de viii-168. . . pages
MERCVRE DE FRANCE
XXVI, RVE DE CONDÉ PARIS-VI*
Paraît le i«' et le lô de chaque mois, et forme dans Tannée six volume
Littérature, Poésie, Théâtre, Musique, Peinture, SoulDtur Philosophie, Histoire, Sociologie, Sciences, Voyages Bibliophilie, Sciences occultes Grltigne, Littératures étrangères, Revue de la Quinzaine
La Revue de la Quinzaine s'alimente à l'étranger autant qu'en Fran< elle oflFre un nombre considérable de documents, et constitue une sorte d' « < cyclopédie au jour le jour » du mouvement universel des idées. Elle se comoc des rubriques suivantes :
Epilogues (actualité) : Remy de Gour-
monl. Les Poèmes : Pierre Ouillard. Les Romans: Rachilde. Liiiéraiure : Jean de Gourmont. Littérature dramatique : Georges
Polti. Littéralares antiques : A.-Ferdinand
Herold. Histoire: Edmond Barthélémy. Philosophie: Jules de Gaultier. Psychologie : Gaston Danville. Le Mouvement scientifique: Georges
Bohn. Psychiatrie et Sciences médicales :
Docteur Albert Prieur. Science sociale : Henri Mazel. Ethnographie, Folklore : A. van
Gennep . Archéologie, Voyages : ChArles Merki. Questions juridiques : José Théry. Questions militaires et maritimes :
Jean Norel. Questions coloniales : Cari Signer. Questions morales et religieuses :
Louis Le Cardonnel. Esotirisme et Spiritisme : Jacques
Brieu. Les Bibliothèques : Gabriel Renaudé. Les Revues: Charles-Henry Hirsch. Les Journaux: R. de Bury. Les r/ieâ/rtfs ; Maurice Boissard. LcB abonnements partent du premier des
juillet et octobre
France
Un numéro 1 .25
Un an 25 fr.
Six mois 14 d
Trois mois 8 i
Musique : Jean Mamold. Art moderne: Charles Moricc. Art ancien: Tristan Leclère. Musées et Collections : Auguste Mi
guillier. Chronique du Midi : Paul Soucho Chronique de Bruxelles : G. Eekhoï Lettres allemandesi Henri Albert.. Lettres anglaises :Henry.-D. Davra Lettres italiennes : Ricciotto Canuc Lettres espagnoles : Marcel Robin. Lettres portugaises : PhiléasLebesgi Lettres hisnano-américaines : Euj
nio Diaz Romero. Lettres néo-grecques : Demctrius i
teriotis. Lettres roumaines : Marcel Monti
don. Lettres russes: E, Séménoff. Lettres polonaises : Michel Mutermil< Lettres néerlandaises : H. Messet. Lettres Scandinaves : P. -G. La Ghi
nais. Lettres hongroises : Félix de Geram Lettres tchèques : William Ritter. La France jugée à l'Etranger : Luc
Dubois. Variétés: X...
La Curiosité : Jacques Daurelle. Publications récentes : Mercure. Echos : Mercure.
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Poitiers. — Imprimerie du Mercure de France. BLAIS et UOY, 7, rue Victor-Hn :
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PQ Régnier, Henri François Joseph
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E3^S35 Les scrupules de Sganarelle
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