3ljïtîit (Carier ïjàroiün jCütrurç

jurant IRuitm-shhr

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© Boters, lü-BABCEL0NA-2-(Espaiia) ®

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LES

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LA NA TU RE-

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LES

SINGULARITÉS

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LA NA TU RE.

PAR

Un Académicien de Londres , de

Boulogne , de Petersbourgi de y

Berlin , &c.

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1768.

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DES CHAPITRES

CONTENUS

dans ce volume.

iDes Singularités de la Nature. Pag. r. Chapitre I. Des pierres figurées. <5,

Chapitre II. Du corail. . . g

Chapitre III. Des polipes. . . <;’

Chapitre IV. Des limaçons. . . , 2.

Chapitre V. Des huîtres à l'écaille. j ,

Chapitre VI. Des abeilles. . . j

Chapitre VII. De la pierre. . , _

Chapitre VIII. Z>a fa///*»,/. . . i;_*

^hapitre IX. pocÆe . .

-ha pitre X. Des montagnes , de leur nécejfi- te 3 <5* ^5 caufies finales . 2 4

Chapitre XI. De la formation des monta- gnes.

Chapitre XII. pétrifications d’animlux

marins . .

hapitre XIII. mas de coquilles. . » ,

)0

.

Vf T A B l I

Chapitre XIV. Obfervation très importante fur la formation des pierres & des coquillages. . P3»1 *fi’

Chapitre XV. De la grotte des Fées. 4*; Chapitre XVI. Du fallun de Touraine. 5 1. Chapitre XVII. De Bernard Paliffu _ 5 7-

Chapitre XVIII. Du fipme de Maillet qui fait les poiffons les premiers pires dei

hommes. fj0

Chapitre XIX. Des germes. . 62

Chapitre XX. la prétendue race d’an

guilles formées de farine & de ju de mouton. * » * “5

Chapitre XXI. D'une femme qui accouch d'un lapin. ...

Chapitre XXII. Des anciennes erreurs e phyfique. . - 7

Chapitre XXIII. D'un homme qui faifoit e

falpêtre. * *

Chapitre XXIV. D’un bateau du Maréch

8

de Saxe . * c

Chapitre XXV. Des méprifes en Mathétr,

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tiques . .

Chapitre XXVI. Vérités condamnées. i Chapitre XXVII. Digrefion. . *

Chaftre XXVIII. Des Elémtns. '

» B S C h a.p I T X I s.- VI*'

Chapitre XXIX. De U une. pag. ?I.

Chapitre XXX. De l'eau , nj,

Caapitre XXXI. De l'air .

_ / J/ 4*

Chapitre XXXII. Du feu élémentaire Û de la lumière. . . . I02>

Chapitre XXXIII, Des loix inconnues. 107, Chapitre XXXI V. Ignorances éternelles 109» Chapitre XXXV. Incertitudes en anato-

mu . ni.

Chapitre XXXVI. Des monftres & des ra .

us diverfes. . . .

Chapitre XXXVII. De la population, m;

Chapitre XXXVIII. Ignorances ftupides , &

méprifes funejles . , I2j.

Fin de la Table.

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DES

SINGULARITÉS

DE LA NATURE.

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ÿ'jfiïvPft’yç ^ ^e ProP°^e ici d'examiner plu- *? O If fleurs obiets de notre curiohté avec

Sjît^tSEftf ^ ^anGe <lu’on doit avoir de tout 5*ifcMMir* fyftême, jufqua ce qu’il foit dé¬ montré aux yeux ou à la raifon. Il faut ban¬ nir autant qu’on le pourra toutes plaifanteries dans cette recherche. Les railleries ne font pas des convictions j les injures encore moins» Un médecin plus connu par fon imagination impétueufe que par fa pratique, en écrivant

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i DES SINGULARITÉS

contre le célébré Linnæus qui range dans la même claffe l’hipopotame, le porc & le che¬ val , lui dit : cheval toi-même . Je l’interrom-

» »

pis Jorfqu’ii lifait cette phrafe , &: je lui dis : « vous m’avouerez que fi Mr. Linnæus eft un cheval , c’eft le premier des chevaux. « Il n’eft pas adroit de débuter par de telles épi¬ thètes de il n’eft pas honnête de conclure par elles* . * ... - . - - -

~v i ^

L'examen de la nature n’eft pas ilne fatirè. Tenons-nous feulement en garde contre les ap¬ parences qui trompent (i fouvent , contre l’au¬ torité magiftrale qui veut fubjuguer , contre le charlatanifme qui- accompagne de qui cor¬ rompt ft fouvent les fciences } contre la foule cré¬ dule qui eft pour un temps 1 écho d’un feul

homme.

Souvenons-nous que les tourbillons de Def- cattes fe font évanouis \ qu’il ne refte rien de fes* trois élémens , prefque rien de fa def-

cription de l’homme, que deux de fes loix du

-

mouvement font fauftes , que fon fyftême fur la lumière eft erroné, que fes idées innées font re- jettées , dec. &c. &c.

Songeons que lès fyftêmes de ' Burnet , de Wood\Vard, de Whifton fur la formation de

•'V ' (,

I 5 * 1 . \ *

DE LA NATURE 3

la terre n’ont pas aujourd’hui un partifan , qu’on commence en Allemagne même a re- garde{ les monades , l’harmonie préétablie , 8c la théodicée de l’ingénieux 8c profond Leibnitz comme des jeux d’efprit oubliés en n ai (Ta nt dans tout le refte de l’Europe. Plus on a découvert de vérités dans le fiècle de Newton , plus on doit bannir les erreurs qui fouil¬ leraient ces vérités. On a fait une ample moif- fon y mais il faut cribler le froment 8c rejetter l’ivraie.

Jy- ^ «

Dans la phyfique comme dans routés les affaires du monde 5 commençons par dou¬ ter.

Examinons par nos yeux 8c par ceux des autres. Craignons enfuite d’établir des régies générales. Celui qui n’ayant vu que des bipè¬ des 8c des quadrupèdes enfeignerait que la génération ne s’opère que par P union d’un mâle 8c d’une femele fe tromperait lourde-

. . . ' f

ment.

Celui qui avant l’invention de la greffe aurait affirmé que les arbres ne peuvent jamais porter que des fruits de leur efpèce s n’aurait avancé qu’une erreur.

Il y a près d’un fiècle quon crut avoir déeou-

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*

4 DES SINGULARITÉS

vert un fatellite de Venus. Depuis, un célébra obfervateur Anglais vit ou crut voir ce fatellite £ on a cru aufli le voir en France : cependant les aftronomes en doutent. Il eft probable qu’il exifte ; mais on a befoin de perfectionner les télefcopes pour s’en alïurer.

L’analogie pourrait attribuer à plus forte rai-

*

fon un fatellite à Mars , qui eft beaucoup plus éloigné du foleii que nous. Ce fatellite ferait plus aifé à découvrir } cependant on ne l’a ja¬ mais apperçu. Le plus fur eft donc toujours de n’être fur de rien, ni dans le ciel ni fur la terre, jufqu’à -ce qu’on en ait des 'nouvelles bien cons¬ tatées.

Caïïginofd nocie premlt Deus : Dieu couvre, dit Horace , fes fecrets d’une nuit profonde.

M’apprendra-t on jamais par quels fubtils reports L’Eternel artifan fait végéter les corps ?

Pourquoi l’afpic affreux , le tigre, la panthère N’ont jamais dépouillé leur cruel caraéière ,

Et que reconnaiffant la main qui le nourrit ,

Le chien meurt en léchant le maître qu’il chérit ;

D’oii vient qu’avec cent pieds qui femblent inutiles Cet infeéfe tremblant traine fes pas débiles ? Comment ce vers changeant fe bâtit un tombeau. S’enterre & reffufeite avec un corps nouveau ,

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1.

de la nature; 5

It le front couronné, tout brillant d’étincelles,

S élancé dans les airs en déployant fes ailes ? le fage Duféy, parmi fes plans divers.

Végétaux raflembles des bouts de l’univers.

Me dira-t-il pourquoi la tendre fenfitive Se flétrit fous nos mains honteufe & fugitive ?

. .

Demandez a Silva par quel fecrct miftère Ce pain, cet aliment, dans mon corps fe digère.

Se transforme en un lait doucement préparé ? Comment toujours filtré dans fes routes certaines,

£n longs ruifleaux de pourpre il court enfler mes veines ?

A mon corps languiflant rend un pouvoir nouveau. Fait palpiter mon cœur, & penfer mon cerveau 2 Il leve au ciel les yeux , il s’incline, il s’écrie : Demandez-le a ce Dieu, qui nous donna la vie.

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Ce n’eft point ce qu’on appelle la raifon pa- refieufe j c eft la raifon eclairee & foumife qui fait qu’un être chétif ne peuti pénétrer l’infini. Un fétu fufifit pour nous démontrer notre impuif* fance. 11 nous eft donné de mefurer, calculer, péfer & faire des expériences $ mais fouvenons- «ous toujours que le fage Hjpocrate commença fes aphorifmes par dire que V expérience eji trom - prnfe $c qu Ariftote commença fa métaphifique

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é DES PIERRES

par ces mots qui cherche à s’injîruiu doit /avoir , douter.

Pour voir de quels effets étdnnans la nature eft capable , examinons quelques-unes de fes pro¬ duirions qui font fous nos mains, & cherchons (en doutant) quels réfultats évidents nous en

polirions former.

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CHAPITRE PREMIER,

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DES PIERRES

figurées.

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C“^Es pierres foit agathes, foit efpeces de mar- i fores &: de cailloux , font fort communes } on j les appelle dendrites quand elles reprefentent des ? arbres , herborifées ou arborifées lorfqu elles i figurent que de petites plantes, zoomorfites quand i le jeu de la nature leur a imprimé la reffemblance ) imparfaite de quelques animaux. On pourait i nommer domatiftes celles qui reprefentent desi maifons. Il y en a quelques-unes de très-éton-ti nantes de cette efpèce. j en ai vu une fur laquelle ij on difcernait un arbre chargé de fruits, & une face ]

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M G U R É E S. f

d homme tres-mal dedînée j mais reconnaif- fable. (

Il eft clair que ce n’eft ni un arbre , ni une maifon qui a laide l’empreinte de fon image fur ces pentes pierres dans le tems qu elles pouvaient avoir de la mollefte & de la fluidité. Il eft évi¬ dent qu’un homme n’a pas laide fon vifage fur une agathe. Cela feul démontre que la nature exerce dans le genre des fodilles , comme dans les autres , un empire dont nous ne pouvons ré¬ voquer en doute la puiftance, ni demêler les j redorts. i

Direqu on a vu fur ces dendrites des empreintes de feuilles d arbres qui ne croiftent qu’aux Indes , eft-ce pas avancer une chofe peu prouvée ? Une j telle délion n’eft-elle pas la fuite du roman ima¬ gine par quelques uns , que la mer des Indes eft | venue autrefois en Allemagne, dans les Gaules ôc dans l’Efpagne ? Les Huns & les Goths y font bien venus : oui , mais la mer ne voyage pas | comme les hommes. Elle gravite éternellement vers le centre du globe : Elle obéit aux loix de ia nature. Et quand elle aurait fait ce voyage , com¬ ment aurait-elle apporté des feuilles des Indes : pour les depofer fur des agathes de Bohême ?

; Nous commençons par cette obfervation ^paree

A 4

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$ DUCORAIL.

qu’elle nous fervira plus qu’aucune autre à. nous défier de l’opinion que les petits pôiftons des mers les plus éloignées font venus habiter les carrières de Montmartre &: les fommets des Alpes & des Pyrénées. Il y a eu fans doute ç}e grandes révolu¬ tions fur ce globe : mais on aime a les augmen¬ ter : on traite la nature comme l’hiftoire ancienne, dans laquelle tout eft prodige,

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CHAPITRE SECOND. ,

DU CORAIL.

ESt-on bien sur que le corail foit une produc¬ tion d’infeétes , comme il eft indubitable que la cire eft l’ouvrage des abeilles ? On a trouvé de petits infeâres dans les pores du corail \ mais i n’en trouve- t on pas? Les creux de tous les arbres en fourmillent, les vieilles murailles font tapif- fées de républiques ; mais ces petits animaux n’ont pas formé les murailles & les arbres ? On ferait bien mieux fondé fi on voyait un vieux fro- mage de Safenage pour la première fois , à fup- » pofer que les mites innombrables qu’il renferme, 1 ont produit ce fromage.

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DES P O L I P E $. y

Un de ceux qui ont dit que les coraux étaient compofés de petits vers , prétendit en même tems que le lapis était fait d ollemens de morts, parce qu on avait découvert quelques lapis imparfaits auprès d un ancien cadavre. Il fe pourait bien que les coraux ne fufient pas plus l’ouvrage d’un ver , que le lapis n’eft l’ouvrage d’un os de mort.

Mille infeétes viennent fe loger dans les épongés fur le bord de la mer ; mais ces infe&es ont-ils produit les éponges ? De très-habiles na¬ turalises croyent le corail un logement que des infeéfces fe font bâti. D’autres s’en tiennent à l’an¬ cienne opinion que c’eft un végétal , & le té- moignage des yeux eft en leur faveur.

CHAPITRE TROISIEME .

DES POUPES.

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P kien avéré que les lentilles d’eau qu’on JLi a nommées Polipes d’eau douce, foient de vrais animaux ? Je me défie beaucoup de mes yeux êc de mes lumières^ mais je n’ai jamais pu

v. - 1 ! '

10 DES POLIPES,

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apercevoir jufques à préfent dans ces Polipes que ?

des efpèces de petits joncs très-fins qui femblent i tenir de la nature des fenfitives. L’héliotrope ou , la fleur au foleil qui fouvent fe tourne d’elle- \ même du coté de cet afl:re , a pu paraître d’abord , un phénomène aufll extraordinaire que celui des ) Polipes. La mimofe des Indes qui fembie imiter ; le mouvement des animaux, n’efi: pourtant point i dans le genre animal. La petite progreflîon très- lente & très-faible qu’on remarque dans les Po- i lipes nageant dans un gobelet d’eau , n’approche pas de la progreflîon beaucoup plus rapide & plus i vifible des petites pierres plates qui defcendent des bords d’un plat dans le milieu , quand ce plat [ eft rempli de vinaigre. Les bras du Polipe pou- ; raient bien n’être que des ramifications , fes têtes | de Amples boutons , fon eflomac des fibres i creufes , fes mouvemens des ondulations de ces j fibres. Les petits infeébes que cette plante fembie I quelquefois avaler, peuvent entrer dans fa fubf- vi tance pour s’y nourrir y périr , aufli bien j qu’être attirés par cette fubftance pour être man¬ gés par elle. Le Polipe fubfifte très-bien fans que I ces petits infeéles tombent dans fes fibres, il n’a donc pas befoin d’aliments : on peut donc crpire i

DES t> O L I P E S.

qu’il n’eft qu’une plante. Ce qu’on a pris pour fes œufs peut n’être que de la graine. Sa repro- du&ion par bouture paraît indiquer que c’eft une fimple plante. Enfin elle jette des rameaux quand on l’a retournée comme on retourne un gant : Certainement la nature ne l’a pas faite pour être ainû retournée par nos mains, 8c il n’y a rien qui fente l’animalité.

Feu Mr. Duféy avoir fur fa cheminée une belle garniture de Polipes de la grande efpèce dans des vafes. Ses parens 8c moi nous regardions de tous nos yeux , 8c nous lui difions que nous ref- femblions à Sancho Panfa qui ne voyait que des moulins à vent fon maître voyait des géans armés. Notre incrédulité ne doit pourtant pas dé¬ pouiller ces Polipes de la dignité d’animaux. Des expériences frapantes dépofent pour eux. Je ne prétends pas leur ravir leurs titres ; mais ont-ils la fenfibilité &c la perception qui diftinguent le règne animai du végétal ? Reconnoifions-nous pour nos confrères des gens qui n’ont pas avec nous la moindre refiembîance ? Certainement le Auteur de Mr. Vaucanfon a plus l’air d’un homme qu’un Polipe n’a l’air d’un animal. Peut-être de¬ vrait-on n’accorder la qualité d’animal qu’aux

12 DES LIMAÇONS.

O J

êtres qui feraient toutes les fondions de la vie , j

qui manifefteraient du fentiment , des defirs , des \

volontés & des idées. 3

Il eft bon de douter encore jufqu’à ce qu’un (J

nombre fufïifant d’expériences réitérées nous ait ]

convaincus que ces plantes aquatiques font des j

êtres doués de fentiment , de perception , & des 1

organes qui conftituent l’animal réel. La vérité '

ne peut que gagner à attendre. . c

CHAPIT. QUATRIEME. 1

I

DES LIMAÇON

LA reprodudion de ces Polipes , qui fe fait s comme celle des peupliers &c des faules eft r bien moins merveilleufe que la renaifïance des jt tètes des Limaçons incoques. Qu’il revienne une tête à un animai allez gros , vifiblement vivant ,

6c dont le genre n’eft point équivoque ( * ) , c’eft 1 1

un prodige inoui j mais un prodige qu’on ne

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(*) J*ai coupé la tête entière à quinze Limaffes in- i coques, toutes ont repris des têtes en moins delixis-

DES LIMAÇONS. ,,

peut concerter. II n’y a point de fuppofition à faire , point de microfcope à employer , point d’erreurs à craindre. La raifon humaine, & far- tout la raifon de l’école , eft confondue par le té¬ moignage des yeux. On croit la tête dans tous les êtres vivaris le principe , la caufe de tous les mouvemens, de toutes les fenfations, de toutes , les perceptions : ici c’eft tout le contraire. La tête qui va renaître reçoit du refte du corps en quinze J ou vingt jours des fibres , des nerfs , une liqueur circulante qui tient lieu de fang, une bouche, ides dents, des télefcopes, des yeux, un cerveau, des fenfations, des idées, je dis des idées, car !°n ne peut fentir fans avoir une idée au moins confufe que l’on fent. fera donc déformais Fe PtinciPe de l’animal ? Sera-t-on forcé de re¬ venir à l'harmonie des Grecs ? Et dix mille vo¬ lumes de métaphifique deviendront-ils abfolu- ment inutiles ?

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H . .

«laines, les unes plutôt les autres plus tard. Aucun li¬ maçon à coquille n’a reproduit de tête. Un feul à qui je «avais coupé la tête qu'entre les quatre antennes a re¬ produit la partie de tête coupée. Les expériences fur les

^imaflcs font les plus étonnantes qu'on ait jamais faites k on n cil pas au bout.

,4 DES HÜ1T S.

Si du moins la reproduction de ces têtes pou- vait forcer certains hommes à douter , les coli¬ maçons auraient rendu un grand fervice au genre >

, 1

humain*

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CHAPITRE- CINQUIEME'

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DES HUITRES

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L’ E C A I L L E.

T Es huîtres l-o * n

J -J nous , non pas pour la nature. n ant

mal toujours immobile , toujours foliaire , emprifonné entre deux murs suffi durs qui eft mou, qui fait naître fes femblab es fans copulation , & qui Ptodmt des perles ^ fans qu’on fâche comment , qui femble prive de la vue , de l’ouie, de l’odorat & des organes

ordinaires de la nourriture: Qu® e ®m°n . j On les mange par -centaines fans faire a moin-s dre réflexion fur leurs fingulières propriétés. Il faudrait faire fut eux les mêmes tentatives que fur les limaçons , leur couper fur eu

/

A L’ÉCAILLÈ."

rdcherce qui leur fert de tête, refermer en- fuite leur écaille , Sc voir au bout d’un mois « qui leur fera arrivé. Sont- ils des Zoophi- tes? Quelles bornes divifent le végétal & l'ani- mal? commence un autre ordre de chofes? Quelle chaîne lie l’Univers ? Mais y a-t-il une chaîne ? Ne voit-on pas une difproportion mar¬ quée entre les planètes & leurs diftances? Entre la nature brute & l’organifée ? Entre la matière végétante & la fenfible, entre lafenh'ble & la pen- fante ? Qui fait fi elles fe touchent ? Qui fait s’il n’y a pas entr’elles un infini qui les fépare? Qui faura jamais feulement ce que c’eft qUe la mariera ?

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CHAPITRÉ SIXIEME.

des abeilles.

I 1 C ' . . * * ' * * 5 i

T E ne ùis Pas <3ui a dit le premier que le abeilles avaient un Roi. Ce n’eft pas proba

Renient un Républicain à qui cette idée vin sans la tête.

Je ne fais pas qui feur donna enfuite uni

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DES ABEILLES.

reine au lieu d’un roi , nt qui fuppofa le premier que cette reine étoit une Meflaline qui avoit un ferrai! prodigieux , qui partait fa vie à faire l’amour & à faire fes couches , qui pondait & logeait environ quarante mille œufs par an. On a été bien loin , on a prétendu quelle pondait trois efpèces différentes , des reines * des efclaves , nommes bourdons , êc des fervantes nommées ouvrières , ce qui n’eft pas trop d’accord avec les loix ordinaires de

la nature.

On a cru qu’un Phyficien , d’ailleurs grand obfervateur y inventa , il y a quelques années* les fours à poulets , inventés depuis environ cinq mille ans par les Egyptiens > ne eonfi- dérant pas l’extrême différence de notre climat & de celui d’Egypte ; on a dit encore que ce Phyficien , inventa de même le royaume des abeilles fous une reine , mère de trois

efpèces.

Tous les naturaliftes ont répété cette in-' vention. Enfin il eft venu un homme qui étant pofTefleur de fix cens ruches , a mieux exa- miné fon bien que ' ceux qui n’ayant point d’abeilles ont copié des volumes fur cette re-

publique induflrieufe qu’on ne connaît guères

mieux

DES ABEILLES. ' ï7 mieux que celles des fourmis. Cet homme eft Mr. Simon qui ne fe pique de rien , qui écrit très- Amplement } mais qui recueille comme moi du miel ôc de la cire. Il a de meilleurs yeux que moi , il en fçait plus que Mr. le Prieur de Jonval , 3c que Mr. le Comte du Speéta- cîe de la nature, il a examiné fes abeilles pen¬ dant vingt années ; il nous allure quon s’eft

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mocqué de nous, 3c qu’il n’y a pas un mot de vrai dans tout ce qu’on a répété dans tant de livres.

Il prétend qu’en effet il y a dans chaque ru¬ che une efpèce de roi 3c de reine qui perpé¬ tuent cette race royale 3>c qui préfident aux ouvrages , il les a vus, il les a dedînés , ôc il renvoie aux mille 8c une nuits ôc a l’hiftoire de la Reine d’Achem , la prétendue reine abeille | avec fon ferrail. Il y a enfuite la race des bour¬ dons qui n’a aucune relation avec la première , i ôc enfin la grande famille des abeilles ouvrières qui font males ôc femeles , ôc qui forment le | corps de la république. Ce font les abeilles fe- ; meles qui dépofent leurs œufs dans les cellules qu’elles ont formées*

Comment en effet la reine feule pourroiV | elle pondre ôc loger quarante mille œufs l’un

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/

,8 DES ABEILLES, après l’autre ? Il eft très - vraifemblaole cjuô Mr. Simon a raifon. Le fiftème le plus Ample eft prefque toujours le véritable. Je me foucie d’ailleurs fort peu du roi 6c de la reine. J’aurais mieux aimé que tous ces raifonneurs ni eu fient appris à guérir mes abeilles 9 donc la plupart moururent il y a deux ans pour avoir trop fucé des fleurs de tilleul.

On nous a trompés fur tous les objets de notre curiofiié 9 depuis les eléphans jufquaux abeilles & aux fourmis , comme on nous a donné des contes arabes pour 1 hiftoire depuis Sefoftris * jufqu a la donation de Conflantin , 6c depuis Conftantin & fon labarum , jufqu’au pa de que le Maréchal Fabert fit avec le Diable. Prefque tout eft obfcurité dans les origines des animaux , aînfi que dans celles des peuples \ mais quel¬ que opinion qu’on embrafie fur les abeilles 6c fur les fourmis , ces deux républiques auront toujours de quoi nous étonner 6c de quoi humi¬ lier notre raifon. Il n’y a point d infecte qui ne foit une merveille inexplicable.

On trouve dans les proverbes attribues a Sa¬ lomon qu77 y a quatre chofes qui font Us plus petites de la terre , & qui font plus fages que les fages . Les fourmis > petit peuple qui fe pre -

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DES ABEILLES- t9

pare unt nourriture pendant la moijjon ; le lièvre , peuple faible qui couche fur des pierres ; la faute - ter elle , qui n ayant pas de rois , voyage par

0

troupes ; le Ibqard qui travaille de fes mains & qui demeure dans Us palais des rois. J’ignore pourquoi Salomon a oublié Iss abeilles qui pa¬ rai (Ten t avoir un inftinét bien fupérieur a celui des lièvres, qui ne couchent point fur la pierre, $c des lézards dont j’L'nore le çénie. Au fur- plus je préférerai toujours une abeille à une fauterelie.

*4,

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CHAPITRE SEPTIEME.

DE LA PIE

A nature fe joue à former aurant de for¬ tes de pierres que d’animaux. Elle pro¬ duit des pierres qui relfemblent à des len-* tilles & qu’on appelle lenticulaires , des cu¬ bes , des cailloux ronds , des pierres un peu relfemblantes à des langues , ôc qu’on a nom¬ mées glolTopètres , d’autres qui ont la for¬ me approchante d’un œuf, d’autres dont la

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I

20 de LA PIERRE, figure eft celle de 1 ourfin de mer. Il y en a beaucoup de tournées en fpiraies. On leur a donné très-improprement le nom de cornes d’ammoh : car dans toutes les fciences on a eu , , la petite vanité d’impofer des noms faftueux aux chofes les plus communes. Ainfi les Chy- miftes ont appelle une préparation de plomb, du fucre de Saturne , comme un Bourgeois ayant acheté une charge 9 prend le titre de' Haut & de Puifianc Seigneur chez fon No¬ taire.

J’ai vu de ces cornes d’ammon qui paraif- fent nouvellement formées & qui ne font pas plus grandes que l’ongle du petit doigt. J en ai vu d’à demi formées & qui pefenc vingt livres. J’en ai vu qui font une volute par¬ faite > d’autres qui ont la forme d’un ferpent entortillé fur lui-même, aucune qui ait 1 air d’une corne, On a dit que ces pierres font l’ancien logement d’un poilfon qui ne fe trouve qu’aux Indes , que par conféquent la mer des Indes a couvert nos campagnes ^ nous en avons déjà parlé & nous demandons encore , fi cette maniéré d’expliquer la nature eft bien na- uirelle.

Il y a des coquilles nommées ccnckœ V eneris y

*

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DE LA PIERRE zi

conques de Venus , parce qu’elles ont une fente oblongue doucement arrondie aux deux bouts. L’imagination galante de quelques Phi— ficiens leur a donné un beau titre ; mais cette dénomination ne prouve pas que ces coquilles foient les dépouilles des Dames.

- - 5$^==^==^

CHAPITRE HUITIÈME.

DU CAILLOU.

QUel fuc pierreux forme ces cailloux de mille efpèces différentes ? Pourquoi dans plusieurs de nos campagnes ne voit -on pas un feul caillou , & que d’autres à peu de dis¬ tance en font couvertes ? Pourquoi en Amé¬ rique vers la rivière des Amazones n’en trouve -t- on pas un feul dans l’efpace de cinq cens lieues ?

Au milieu de nos champs nous décou¬ vrons fouvent des cailloux énormes , depuis trois pieds jufqu’à vingt de diamètre , 8c à coté il y en a qui parodient aufïï anciens 8c qui n’ont pas un demi -pouce d’épailleur. D’autres n’ont que deux ou trois lignes de

12. DU CAILLOU,

diamètre. Leur pefanteur fpécifique eft iné¬ gale ; elle approche dans les uns de celle du fer , dans d’autres elle eft moindre , Sc

dans quelques-uns plus forte.

Quelque pefant , quelque opaque , quel¬ que lilTe qu’un caillou puiffe être , il eft percé comme un crible. Si 1 oc de les dia- inans onc autant 6c plus de pores que de fuhftance, à plus forte raifon le caillou eft -il percé dans toutes fes dimenftons > 6c un mil¬ lion d’ouvertures dans un caillou peut fournir autant d’afyles a des infectes imperceptibles. C’eft un aflemblage de parties homogènes dont fuite fouvent une ma fie inébranlable au marteau, il eft vittifiable a la longue a un feu de fournaife ? 6c on voit alors que Les parties conftituantes font une efpece de criftal j mais quelle terce avait joint ces petits criftaux ? D’ou réfultait ce corps fi dur que le feu a divifé ? Eft-ce l’attraction qui rendait toutes fes parties fi unies entre elles Sw fi com¬ pactes ? Cette attraction démontrée entre le foleil 6c les planètes 5 entre ia terre ôc fou fatellite 3 agit - elle entre routes les parties du globe j tandis qu’elle pénètre au centre du globe entier ? Eft -elle le premier principe de

?

DU CAILLOU. 23

la cohéhon des corps ? eft-elle avec le mou¬ vement la première loi de la nature ? C’eft ce qui paroît le plus probable *, mais que cette probabilité e£l encore loin d’une con- viétion lumineufe î

:!e

- - : : . -

CHAPITRE NEUVIEME .

DE LA ROCHE.

L y a plufieurs fortes de roches qui for¬ ment la chaîne des Alpes & des autres montagnes par lefquelles les Alpes fe rejoi¬ gnent aux Pyrénées. Je ne parlerai dans cet article que de la fameufe opération d’Anni- bal fur le haut des Alpes. Une pointe de roche efcarpée lai fermait le palfage. Il la rendit calcinable , ou du moins facile à di- vifer par le fer en réchauffant par un grand feu en y verfant du vinaigre.

Les fiècles fuivans ont douté de la poifi- bilité du fait. Tout ce que je fais , c eft qu’a¬ yant pris des éclats d’une de ces roches à grains qui compofent la plus grande partie des Alpes > je la mis dans un vafe rempli

B 4

;

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24 U & A- A W Tl £.

d’un vinaigre bouillant , elle devint en peu de minutes prefque friable comme du fable. Elle fe pulvérifa entre mes do grs. Il n’y a point d’enfant qui ne puilfe faire l’expéfience d’Annibal.

CHAPITRE DIXIÉME.

DES MONTAGNES

DE LEUR NÉCESSITÉ

ET DES

CAUSES FINALES.

IL y a une très -grande différence entre les petites montagnes ifolées 8c cette chaîne continue fde rochers qui régnent fur Tun 8c fur l’autre hémifphère* Les ilolées font des amas hétérogènes compofés de matières étran¬ gères entaffées fans ordre , fans couches régu¬ lières. On y trouve des reftes de végétaux» d'animaux terreftres 8c aquatiques ou pétri¬ fiés , ou friables , des bitumes , des débris, de minéraux. Ce font pour la plupart dçs voL-

K

des montagnes,^; 2j

cans , des éruptions de la terre , des excref- fenfes caufées par des convulfions , leurs fom- mets font rarement en pointes ; leurs fiâmes contiennent des foufres qui s allument.

La grande chaîne au contraire, efl; formée d’un roc continu , tantôt reffemblant au cail¬ lou , tantôt a la roche â grains , tantôt au grès. Elle s’élève & s’abaifle par intervales. Ses fondemens font probablement aufïi profonds que fes cimes font élevées. Elle paraît une piece effentielle à la machine du monde , comme les os le font aux quadrupèdes ëc aux bipèdes. C’efl: autour de leurs faîtes que s’af- fembîent les nuages & les neiges, qui de , fe répandant fans celle, forment tous les fleuves, ôc toutes les fontaines dont on a fi long - teins & fi fauffement attribué la fource à la mer.

Sur ces hautes montagnes dont la terre eft couronnée , point de coquilles , point d’amas confus de végétaux pétrifiées , excepté dans quelques crévaffes profondes le hazard a jetté des corps étrangers.

Les chaînes de ces montagnes qui couvrent 1 un Sc 1 autre hemifphere ont une utilité plus fenfible. Elles affermiffent la terre ; elles fer¬ vent à l’arrofer , elles renferment à leurs ba-

des MONTAGNES.'

»

fes tous les métaux , tous les minéraux*

Qu’il foie permis de remarquer à cette oe- cafiou , que toutes les pièces de la machine de ce monde femblent faites lune pour l’autre. Quelques Philofophes afteéfcent de fe moquer des caufes fi uales rejettees par Epicure 8c par Lucrèce. Ce ft plutôt , ce me femble , d’E* picure 6c de Lucrèce qu’il faudrait fe moquer.

Ils vous difent que 1 œil n eft point fait pour voir , mais qu’on s’en eft fervi pour cet ufage , quand on s’eft apperçu que les yeux y pou¬ vaient fervir. Selon eux la bouche n eft point faire pour parler > pour manger , l eftomac pour digérer , le cœur pour recevoir le fang : des veines 8c l’envoyer dans les arreres , les 1 pieds pour marcher , les oreilles pour en-lj tendre. Ces gens * U pourtant avouaient que i les Tailleurs leur faifaient des habits pour les 5 vêtir , & les Maçons des maifons pour les lo- 1 per y 8c ils ofaient nier a la nature , au grand ] Etre, à l’intelligence univerfelie ce qu’ils ac- ] cordaient tous à leurs moindres ouvriers. ?

11 ne faut pas fans doute abufer des cau« n fes finales y on ne doit pas dire, comme Mr. le Prieur dans le Speétacle de la nature , que ! les marées font données à l’Océan pour que. :

DES MONTAGNES. i7

les vaiffeaux entrent plus aifément dans les ports 9 8c pour empêcher que l’eau de la mer ne fe corrompe : car la Méditerranée n’a point de flux 8c de reflux , 8c fes eaux ne Ce cor¬ rompent point.

Pour qu’on puifle s’affurer de la fin véri¬ table pour laquelle une caufe agit , il faut que cet effet foit de tous les temps 8c de tous les lieux. Il n’y a pas eu des vaifleaux en tout temps 8c fur toutes les mers ; ainfi l’on ne peut pas dire que l’Océan ait été fait pour les vaiffeaux. Nous avons remarqué ailleurs que les nez n’avaient pas été faits pour por¬ ter des lunettes , ni les mains pour être gan¬ tées ; on fent combien il ferait ridicule de prétendre que la nature eût travaillé de tout rems pour s’ajufter aux inventions de nos arts arbitraires , qui tous ont paru fi tard 5 mais il eft bien évident que fi les nez n'ont pas ete faits pour les béficles , ils l’ont été pour 1 odorat , 8c qu’il y a des nez depuis qu’il y a des hommes. De même les mains n’ayant pas été données en faveur des gan¬ tiers , elles font visiblement deftinées à tous les ufages que le métacarpe 8c les phalanges de nos doigts , 8c les mouyemens du mufcle

I

,s DES MONTAGNES.

circulaire du poignet nous procurent.

Cicéron qui doutait de tout , ne doutait pas

pourtant des caufes finales.

Il paroit bien difficile fur- tout , que les or¬ ganes de la génération ne foient pàs deftinées à perpétuer les efpèces. Ce méchanifme eft bien admirable , mais la fenfation que la na¬ ture a jointe à ce mcchanifme eft plus ad¬ mirable encore. Epicure devait avouer que le plaifir eft divin , & que ce plaifîr eft une caufe finale , par laquelle font produits fans celle ces être fenfibles qui n’ont pu fe donner la fenfation.

Cec Epicure était un grand homme pont fon temps ^ il vit ce que Defcartes a nié , ce que Gaflendi a affirmé , ce que Newton a démontré , qu’il n’y a point de mouvement fans vuide. Il conçut la neceffite des atomes pour fervir de parties continuantes aux efn pèces invariables. Ce font des idées très- philofophîques. Rien n’était fur- tout plus refpe&abie que la morale des vrais Epicu¬ riens ; elle confiait dans l’éloignement des affaires publiques incompatibles avec la iagvlfe3 & dans l’amitié , fans laquelle la vie eft un fardeau. Mais pour le refte de la phifique

n m

DES MONTAGNES. 2*

d’Epicure , elle ne paraît pas plus admiflible que la matière caneiée de Defcartes.

Enfin les chaînes des montagnes qui couron¬ nent les deux hémifphères , 8c plus de fix cens fleuves qui coulent jufqu’aux mers du pied de ces rochers , toutes les rivières qui dépendent de ces memes réfervoirs , & qui groflîiïent les fleuves après avoir fertilifé les campagnes; des milliers de fontaines qui partent de la même fource, 8c qui abreuvent le genre animal 8c le végétal , tout cela ne paraît pas plus 1 effet d’un cas fortuit 8c d’une déclinaifon d’atomes, que la rétine qui reçoit les rayons de la lumière le criftalin qui les réfraéte , l’enclume, le mar¬ teau, l’étrier , le tambour de l’oreille qui re¬ çoit les fons, les routes du fang dans nos veines, la fiftole 8c la diaftole du cœur, ce balancier de la machine qui fait la vie.

CHAPITRE ON Z I E ME.

DE LA FORMATION

>

DES MONTAGNES.

/

ON ne s’eft pas contenté de dire que no¬ tre terre avait été originairement de verre. Maillet a imaginé que nos montagnes avaient

été faites par le flux , le reflux & les courans de '

* ! 1

la mer. | t

Cette étrange imagination a été fortifiée j

dans YHiJloire naturelle , imprimée au Lou¬ vre, comme un enfant inconnu & expofé eft

quelquefois recueilli , par un grand Seigneur j

mais le public philofophe n’a pas adopté cet J enfant , 8c il eft difficile à élever, il eft trop vifible que la mer ne fait point une chaîne de roches fur la terre. Le flux peut amonceler un peu de fable, mais le reflux l’emporte. ? Des courans d’eau ne peuvent produire lente¬ ment dans des fiécles innombrables une fuite immenfe de rochers neceflaires dans tous le

des MONTAGNES. ji

temps. L océan ne peuc avoir quitté Ton iit creuié par la nature , pour aller élever au-deilus des nues les rochers de l’Immaiis Si du Caucafe. L’Océan une fois formé , une fois placé , ne peut pas plus quitter la moitié du globe pour fe jetter

fur l’autre , qu’une pierre ne peut quitter la terre pour aller dans la Lune.

Sur quelles raifons apparences appuye-t-on ce paradoxe? Sur ce qu’on prérend que dans les vallées des Alpes les angles faiiians d une mon- tagne à l’occident, répondent aux angles rentrais ! dW montagne d l’orient. Il faut bien, dit on, que les courans de la mer ayenc produit ces s angles. La conclufion eft hazardée. Le fait peuc etre vrai dans quelques vallons étroits ; il ne left pas dans le grand baffin de la Savoye Scda lac de Genève ; il ne l’eft pas dans la grande vallee ne 1 Arno autour de Florence j mais à quelles branches ne fe prend - on pas quand on fe noyé dans les hftêmes !

; Il feroit auffi permis, on la déjà dit , d’avan¬ cer que les montagnes ont produit les mers, que de prétendre que les mers ont produit les I montagnes. Car du moins les neiges donc font couverts continuellement les fommets de ces éminences du globe 3 ces neiges qu’on fuppofe-

>

■5* DE LA FORMATION

rait produites , avec lui , fe fondant toujours en rivières , feraient à la longue un vafte amas, d’eau raflemblée dans la partie la plus cteufe. Ce fiftême ne vaut rien fans doute \ mais il eft moins révoltant que Eautre*

Quel eft donc le véritable fiftème? Celui du Grand Etre qui a tout fait , & qui a donné à chaque élément , à chaque efpece > a chaque genre fa forme , fa place , fes fondions éternelles. Le grand Etre qui a formé l’or & le fer , les arbres , l’herbe , l’homme & la fourmi, a fait l’océan & les monragnes. Les hommes nont pas été des poiffons , comme le dit Maillet ; tout a été probablement ce qu il eft par des loix immuables. Je ne puis trop répéter que nous ne fommes pas des dieux qui puiflions cteer un

univers avec la parole*

Il eft très -vrai que d’anciens ports font comblés, que la mer s’eft retirée de Carthage , de Rofette , des deux Sirtes , de Ravenne , de Fréjus , d’Aiguemottes , &c. Elle a en¬ glouti des terrains * elle en a laide à autres a découvert. On triomphe de ces phénomènes on conclud que l’océan a caché pendant des fiècles le mont Taurus 6c les Alpes fous Tes flots. Quoi ! parce que des atterriflements

auront

DES MONTAGNES, 53

auront reculé la mer de plufieurs lieues , &c qu elle aura inonde d’un autre côté quelques terrains bas * on nous perfuadera qu elle a inondé le continent pepdant des milliers do fîècles ? Nous voyons des volcans ; donc tout le globe a ete en feu ! des tremblemens de terre ont englouti des villes : dore tout i’u- nivers a été la proie des flammes ! Ne doit- on pas le defier d une telle conclufion ? Les i accidens ne font pas des réglés générales.

L iliuftre &c favant auteur de I hiftoire na-

rturelle dit a la fin de la théorie de la ter¬ re , page 124. Ce font les eaux raJJlm

I blets dans la vafle étendue des mers , qui par le mouvement continuel du flux & du reflux f I Qnt produit les montagnes , les vallées , &c.

Mais aulli voici comme il s’exprime pag. 1 39.

I » 11 y a fur la furface de la terre des cun- » trées élevées qui paraiflent être des points | » de partage marqués par la nature pour la ! fl diftribution des eaux. Les environs da | » mont St Godard font un de ces points » en Europe 3 un autre point , eft le pays fi- »> tué entre les provinces de Belozera &: de Volgoda en Ruflle 9 d’où defeendent des » rivières dont les unes vont à la Mer noi-

H DE LA FORMATION

» re , & d’autres à la mer Cafpienne , &c.

11 enfeigne donc ici que cette grande chaî¬ ne de montagnes prolongée d Efpagne en Tartarie , eft une pièce eflfentielle à la ma¬ chine du monde. Il femble fe contredire dans ces deux aliénions -, il ne fe contredit pour¬ tant pas ; car en avouant la néceflité des mon¬ tagnes pour entretenir la vie des animaux & des végétaux , il fuppofe que les taux du Ciel détruifent peu- à-peu L'ouvrage de la mer , ÔC ramenant tout au niveau , rendront un jour no¬ tre terre à la mer , qui s en emparera fuccef- fivement , en laijfant à découvert de nouveaux

continents , &c.

Voilà donc, félon lui , notre Europe privée des Alpes & des Pyrénées & de toutes leurs branches. Mais en iuppofanc cette chaîne de montagne écroulée , difperfée fur notre con- tinent , n’en élevera- t«elle*pas la furface ? Cette furface ne fera-t elle pas toujours au-detfus du niveau de la mer ? Comment la mer en vic¬ iant les loix de la gravitation &: celle des \ fluides > viendra-t-elle fe placer chez les Baf- , ques fur les débris des Pyrénées ? Que de- ( viendront les habitans hommes & animaux , quand l’Océan fe fera emparé de l’Europe ?

DES MONTAGNES. M

11 faudra donc qu’ils s’embarquent pour aller ■chercher les terreins que les mers auront aban¬ donnés vers l’Amérique. Car fi l’Océan prend chaque jour quelque chofe de nos habita¬ tions , il faudra bien qu’à la fin nous allions tous demeurer ailleurs. Defcendrons - nous dans les profondeurs de l’Océan qui font en beaucoup d’endroits de plus de mille pieds?

IMais quelle puilïance * contraire à la nature , commandera aux eaux de quitter ces profon¬ des vallées pour nous recevoir?

Prenons la chofe d’un autre biais. Prefque tous les naturalises font perfuadés aujourd’hui que les dépôts de coquilles au milieu de nos terres , font des monuments du long fe jour de l’Océan dans les provinces ces dépouil¬ les fe font trouvées. 11 y en a en France à quarante , à cinquante lieues des côtes de la mer* On en trouve en Allemagne , en Efpa- gne, & fur -tout en Afrique. C’eft donc ici im événement tout contraire à celui qu’on a fuppofé d’abord , ce ne font plus les eaux du ciel qui détruifent peu - à- peu l'ouvrage de la mer , qui ramènent tout au niveau , & qui rendent notre terre à la mert C’efi; au con¬ traire la mer qui s’eft retirée infenfiblement

C a

i

DE LA' FORMATION

dans la fuite des Cèdes , de la Bourgogne , de la Champagne , de la Touraine , de la Bretagne elle demeurait ? 5c qui s en ek allée vers le nord de l’Amérique. Laquelle de ces deux fuppofitions prendrons- nous ? D’un côté on nous dit que l’Océan vient peu- à- peu couvrir les Pyrénées 5c les Alpes 9 de 1 au¬ tre on nous allure qu il s en retourne tout entier par degrés. Il eft évident que 1 un des deux fyftèmes eft faux : 5c il n’eft pas im¬ probable qu’ils le foient tous deux.

J’ai fait ce que j’ai pu jufqu ici pour con¬ cilier avec lui - meme le favant 5c éloquent Académicien , auteur aufti ingénieux qu’utile de l’hiftoire naturelle. J’ai voulu rapprocher fes idées pour en tirer de nouvelles inftruc- tions * mais comment pourrai je accorder avec fon fyftême ce que je trouve au Tome X1L page xo dans fon difeours intitulé : Première vue de la Nature ? La mer irritée , dit - il , s'élève vers le Ciel & vient en mugijjant fe brifer contre des digues inébranlables , qu avec tous fes efforts elle ne peut ni détruire ni furmonter . La terre élevée au-deffus du niveau delà mer ejl a la * bride fs irruptions. Sa furface émaillée de fleurs , parée d'une verdure toujours renouveliée * peuplé *

DES MONTAGNES. 37

de mille & mille efpeces d? animaux différens , ejl un lieu de repos , un Jejour de délices , &c.

Ce morceau dérobé à la poëfie lemble être de Mafîîllon ou de Fénelon , qui fe permirent fi fou-, vent d’êire poetes en proie j mais certainement fi la mer irritée en s’élevant vers le Ciel fe brife en ! mugiflant contre des digues inébranlables , fi elle ne peut furmonter ces digues avec tous fes efforts ^ elle n’a donc jamais quitté Ton lit pour s’emparer de nos rivages ? elle efl bien loin de fe mettre à la p’ace des Pirénées & des Al¬ pes. C efl non - feulement contredire ce fille¬ ule qu on a eu tant de peine à étayer par tant de fuppofitions j mais c’efl contredire une vé¬ rité reconnue de tout le monde } &c cette vé*

| rite , efl que la mer s’efl retirée à piufieurs milles de fes anciens rivages , & qu’elle en a couvert d autres } vérité dont on a étrangement abufé.

| Quelque parti qu’on prenne , dans quel-

| que luppofition que l’efprit humain fe perde , i ü efl poffible , il efl vraisemblable , il efl même prouvé que piufieurs parties de la terre ! ont fouffeit de grandes révolutions. On pré¬ tend qu’une comete peut heurter notre globe en fon chemin ; ôç Triffotin dans les fem-

C 3

;8 DE LA FORMATION, &c; mes favantes n’a peut-être pas tant de tort de dire*

\ y '

Je vien,s vous annoncer une grande nouvelle.

Nous l’avons en dormant , Madame, échappé belle»

Un inonde près de nous a pallé tout du long 3 Eft chu tout au travers de notre tourbillon 3 Et s’il eût en chemin rencontré notre terre ,

Elle eut été brilëe en morceaux comme verre.

La théôrie des cometes n’était pas encore con¬ nue , lorfque la Comédie des femmes favantes fut jouée à la Cou en 1671. Il eft certain que le concours de ces deux globes qui roulent dans 1 ef- pace avec tant de rapidité , aurait des fuites effroyables , mais d’une toute autre nature que l’acheminement infenfihle de l’Océan à l’endroit eft aujourd’hui le mont St. Godard , ou fon départ de Breft , 6c de St. Malo pour fe retirer vers le pôle & vers le détroit de Hudfon. Heureu- fement il fe p aller a du temps , avant que notre Europe foit fracaiïee par une comete , ou en¬ gloutie par l’Océan,

I

*5*

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CHAPITRE DOUZIEME.

DES PÉTRIFICATIONS

D’ ANIMAUX MARINS.

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1

MAis , difent les défenfeurs de ce Même , on a trouve des pierres lenticulaires d P a (Ji & cl Villers-Cotterets. Et Shaw raporte qu'en Plié* nicit il y a des coquilles & des madrépores fur U bord de la mer . ( * ) .

Eh bien , parce qu’il y a des pierres à Paf- û , & des coquilles & du corail au bord de la mer de Sirie , les Alpes auront été le lie de FOcéan pendant des fiecles innombra¬ bles !

On voit des coquillages auprès de Maftricht . Cette ville n’eft pas bien loin de la mer. Je n’y ai pourtant point vu de coquillages de mer ; mais s’il y en a , quelle preuve en peut - on tirer.

On trouve en France non- feulement des coquilles

(*) Théorie de la terre, Toro. I , pag. 183.

C 4

40 DES PETRIFICATIONS

fur nos cotes , mais encor des coquilles qu'on n a jamais vues dans nos mers . Qu’on montre ces prérendues coquilles étrangères, Sc quand on les aura bien examinées , qu’on juge s’il n’eft pas très-vraifemblable qu’on les ait raportéesde mille voyages d’outre mer.

Il n’y en a pas une feule fur la chaîne des hau¬ tes montagnes depuis la Sierra Morena julqu’à la derniere cime de l’Apennin. J’en ai fait chercher fur le mont Sr. Godard , fur le St. Bernard, dans les montagnes de la Tarentaife , on n’en a pas découvert.

? i.

Un feul Phyfîcien m’a écrit qu’il a trouvé f une écaille d huître pétrifiée vers le mont Ce- nis. Je dois le croire , & je fuis très - étonné qu’on n’y en ait pas vu des centaines. Les lacs voifîns nouriffent de groffes moules dont l’é¬ caille refTemble parfaitement aux huîtres; on les appelle m:me petites huîtres dans plus d’un canton

Eft-ce d’ailleurs une idée tout-à-fait romanef- que de faire réflexion à la foule innombrable de pèlerins qui partaient à pied de St. Jaques en Ga¬ lice , & de toutes les provinces pour aller à Ro¬ me par le mont Cenis chargés de coquilles à leurs bonnets ? Il en venait de Strie , d’Egypte, de

/

D’ANIMAUX MARINS. 41

Cïrece , coramè de Pologne & d’Autriche. Le nombre des Romipetes a été mille fois plus confi- dérable que celui des Hagî qui ont vifité la Mec¬ que & Médine ? parce que tes chemins c!e Rome font plus faciles , & qu’on n’était pas Forcé d’alier par caravanes. En un mot une huître près du mont Cenis ne prouve pas que l’Océan Indien | ait envelop'é toutes les terres de notre hémif- phere.

La chaîne des montagnes du continent Amé¬ ricain n’eft pas plus chargée d’huîtres que la nôtre > 6c la réponfe , quon en trouvera un jour , n’eft pas une réponfe bien fatisfaifante.

Mais il y a des fragments de coquillages à Mont¬ martre & a Courtagnon auprès de Rheims .

| . Il y en a par-tout excepté fur les montagnes qui

. devraient en être remplies dans le fîflême de Maillet. Oui , fans doute , on l’a dit , & ii faut le redire , on rencontre quelquefois en fouillant la terre des pétriheationsétrangeres , comme on ren- j contre dans l’Autriche des médailles frappées à Rome. Mais pour une pétrification étrangère il y I en a mille de nos climats.

Quelqu'un a dit qu’il aimerait autant croire le marbre compofé de plumes d’autruches que de croire le porphirecompolé de pointes d’ourfrmCe

4i DES PETRIFICATIONS, ôrc.

quelqu’un avait grande raifon , fi je ne me trompe.

On découvrit , ou l’on crut découvrir il y a quelques années, les olTemens d’un Renne & d’un Hippopotame près d’Etampes , & de on con¬ clut que le Nil & la Laponie avoient été autrefois fur le chemin de Paris à Orléans. Mais on aurait plutôt foupçonner qu’un curieux avait eu autre¬ fois dans fon cabinet le fquelette d’un Renne & celui d’un hippopotame. Cent exemples pareils invitent à examiner long-tems avant que de croire.

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CHAPITRE TREIZIEME.

AMAS

DE COQUILLES.

Mille endroits font remplis de mille débris de teftacées, de cruflacées, de pétrifications. Mais remarquons encore une fois , que ce n’efl prefque jamais ni fur la croupe , ni dans les

AMAS DE COQUILLES.

flancs de cette continuité de montagnes dont

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la furface du globe eft traverfée ; c’eft à quel¬ ques lieues de ces grands corps , c’eft au milieu des terres , c’eft dans des cavernes , dans des lieux il efl: très-vraifemblable qu’il y avait de pe- tits lacs qui ont difparu , de petites rivières dont le cours efl: changé des ruifieaux confidé- rables dont la fource eft tarie. Vous y voyez des débris de tortues , d’écrévices , de mou¬ les , de colimaçons , de petits cruftacées de riviere , de petites huîtres femblables à celles J de Lorraine. Mais de véritables corps marins , c’eft ce que vous ne voyez jamais. S’il y eu avait

, pourquoi n y aurait - on jamais vu

d’os de chiens marins , de requins , de ba¬ leines ?

Vous prétendez que la mer a kiffé dans nos terres des marques d’un très - long fé- jour. Le monument le plus sûr ferait affuré- ment quelques amas de marfouins au milieu de l’Allemagne. Car vous en voyez des mi- liers fe jouer fur la furface de la mer Ger¬ manique dans un temps ferein. Quand vous les aurez découverts , & que je les aurai vus à Nuremberg & à Francfort 5 je vous croi-

!

rai : mais en attendant , permettez - moi de

(

44 AMAS

ranger la plupart de ces fupofitions avec celle du vaiffeau pétrifié trouvé dans le Canton de Berne, à cent pieds fous terre; tandis qu’un de Tes ancres écait fur le mont St. Bernard. J’ai vu quelquefois des débris de moules 6c c!e colima¬ çons qu’on prenait pour des coquilles de mer.

Si on fongeait feulement que dans une année pluvieule il y a plus de limaçons dans dix lieues de pays que d’hommes fur la terre , on pourait fe difpenfer de chercher ailleurs l’origine de ces fragments de coquillages dont le bord du Rhône & ceux d’autres ri¬ vières lonc tapiffés dans i’efpace de plufieurs milles. Il y a beaucoup - de ces limaçons dont le diamètre eft de plus d’un pouce. Leur multitude détruit quelquefois les vignes 8c les arbres fruitiers. Les fragments de leurs coques endurcies font par - tout. Pourquoi donc imaginer que des coqudlages des In¬ des font venus s’amonceler dans nos climats , quand nous en avons chez nous par mil¬ lions ? Tous ces petits fragmens de coquil¬ les dont on fait tant de bruit pour accréd ter un fiftême , font pour la plupart fi infor¬

mes , fi ufés ? fi méconnaiflables , qu’on pou-*

DE CO QUI L LES 45

ralt également parier que ce font des débris d’écrévices ou de crocodiles , ou des ongles d’autres animaux. Si on trouve une coquil¬ le bien confervée dans le cabinet d’un cu¬ rieux , on ne fait doù elle vient ; & je dou¬ te qu’elle puifife fervir de fondement à un fvf-

J

tême de l’Univers.

Je ne nie pas , encore une fois , qu’on ne rencontre â cent milles de la mer des huîtres pétrifiées , des conques > des univalves , des pro¬ ductions qui refiemblent parfaitement aux pro¬ ductions marines ; mais eft-on bien fur que le fol de la terre ne peut enfanter ces foflîles ? La formation des agathes arborifées ou herborfifées , ne doit-elle pas nous faire fufpendre notre ju¬ gement ? Un arbre n’a point produit l’agathe qui repréfente parfaitement un arbre; la mer peut n avoir point produit ces coquilles aufii fofliles qui reflembient à des habitations de petits ani¬ maux marins. L’expérience fuivante en peut rendre témoignage.

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CHAPITRE QUATORZIÈME.

OBSERVATION

TRES-IMPORTANTE

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DES PIERRES ET DES COQUILLES.

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MOnfieur Le Royer de la Sauvagère , In¬ génieur en Chef, & de l’Académie des Belles-Lettres de la Rochelle , Seigneur de k terre de Places en Touraine auprès de Chinon , actefte qu auprès de Ton Château une partie du fol s’eft méramorphofée deux fois en un lit de pierre tendre dans l’elpace de quatre-vingt ans. Il a été témoin lui-meme de ce changement. Tous fes va {Taux , de tous fes voifins l’ont vu. Il a bâti avec cette pierre qui eft devenue très- dure étant employée. La petite carrière dont ou l’a tirée recommence à fe former de nouveau. 11 y renaît des coquilles qui d’abord ne fe dif- ringuent qu’avec un microfcope , de qui croif-

1 . . . I

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OBSERVATION A7

fent avec la pierre. Ces coquilles font de dif¬ ferentes efpeces j il y a des oftracites , des gri- phites qui ne fe trouvent dans aucune de nos mers j des cames , des telines, des cœurs donc les germes fe développent infenfiblement , 8c ( s etendent jufqu’à lix lignes d’épaifTeur.

N y a-t-il pas de quoi étonner , du moins ceux qui affirment que tous les coquillages qu’on rencontre dans quelques endroits de la terre y ont été dépofés par la mer ?

Si on ajoute à tout ce que nous avons déjà dit, ce phénomène de la terre de Places , fi d’un autre côté on confidère que le fleuve de Gam¬ bie 8c la rivierè de BifTao font remplis d’huî¬ tres , que plufîeurs lacs en ont fourni autrefois, & en ont encore, ne fera-t-on pas porté à fuf- pendre fon jugement ? Notre fiécle commence à bien obferver; il appartiendra aux fiécles fui- vants de décider , mais probablement on fera «n jour aflTez favant pour ne décider pas.

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de la grotte

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CHAPITRE QUINZIÉME.

DE LA GROTTE

des fées.

tt Es grottes fe forment les ftaia&ites &

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JL-j les ftalagmites font communes. Il y en a dans prefque toutes les provinces. Celle duCha- blaiseft peut être la moins connue des phificiens* & qui mérite le plus de l’être. Elle eft fîcuée dans des rochers affreux au milieu d’une forêt d’épines a deux petites lieues de Ripaille dans la paroi fle de Féterne. Ce font trois grottes en voûte l’une fut l’autre taillées à pic par la na¬ ture dans un roc inabordable. On n’y peut mon¬ ter que par une échelle , & il faut s’élancer en- fuite dans ces cavités en fe tenant à des bran¬ ches d’arbres. Cet endroit eft appelle par les gens du lieu Les grottes des Fées . Chacune' a dans fou fond un badin dont l’eau pade pour avoir la meme vertu que celle de Ste. Rei¬ ne. L’eau qui diftile dans la fupérieure à

travers le rocher , ya formé dans la voûte la

figure

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DES FÉES. 49

figure d’une poule qui couve des pouffins. Auprès de cette poule efi une autre concrétion qui re Sem¬ ble parfaitement à un morceau de lard avec fa couenne , delà longueur de près de trois pieds.

Dans le bafîin de cette même grotte l’on fe baigne, on trouve des figures de pralines , telles qu’on les vend chez des confifeurs ; & à côté la forme d’un rouet ou tour à filer avec la que¬ nouille. Les femmes des environs prétendent avoir vu dans l’enfoncement une femme pétrifiée au- defïbus du rouet. Mais les obfervateurs n’ont point vu en dernier lieu cette femme. Peut-être les concrétions flalaélites avaient deffiné autrefois une figure informe de femme ; & c’efi: ce qui fie nommer cette caverne la Grotte des Fées. Il fut un tems qu’on n’ofait en approcher; mais depuis que la figure de la femme a difparu , on efi: devenu moins timide.

Maintenant , qu’un Philofophe à fiflême rai- i fonne fur ce jeu de la nature , ne pourait-il pas dire , voilà des pétrifications véritables ! Cette grotte était habitée fans doute autrefois par une femme , elle filait au rouet , fon lard était pendu ; au plancher , elle avait auprès d’elle fa poule avec fes poufiins , elle mangeait des pralines , lorf- qu’elle fut changée en rocher elle & fes poulets ,

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5o DE LA GROTTE DES FÉES.

& Ton lard, & Ton rouet , & fa quenouille, 6c les pralines , comme Edith femme de Loth fut chan¬ gée en ffatue de fel. L’antiquité fourmille de ces exemples.

Il ferait bien plus raifonnable de dire , cette femme fut pétrifiée , que de dire , ces petites co¬ quilles viennent de la merdes Indes j cette écaille fut îailfée ici par la mer il y a cinquante mille fié— clés. Ces glolfopètres font des langues de Mar- fouins qui s’aflTemblèrent un tour fur cette colline pour n’ylaifler que leurs goziers j ces pierres en fpirale renfermoient autrefois le poifïon Nautilus , que perfonne n’a jamais vu.

CHAPITRE SEIZIEME.

DU FALLUN

DE TOURAINE.

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ON regarde enfin le Fallun de Touraine com¬ me le monument: le plus inconteftable de ce féjour de l’Océan fur notre continent dans une multitude prodigieufe defiècles.

Certainement fi à trente-fix lieues de la mer il eft d’immenfes bancs de coquillages marins r s’ils font pofés à plat par couches régulières, il eft dé¬ montré que ces bancs ont été le rivage de la mer , & il eft d’ailleurs trè$-vraifemb!able que des terrains bas 5c plats ont été tour à tour couverts 5c dégagés des eaux jufqu’à trente & quarante lieues ; c’eft l’opinion de toute l’antiquité. Une mé¬ moire confufe s’en eft confervée, & c’eft ce quia

donné lieu à tant de fables.

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Nil equidem dur are diu fub imagine eadem Crediderim . Sic ad ferrum venijlis ab auro Secula. Sic loties ÿerfa ejl fortuna locorum.

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Vidi ego quod fuerat quondam folidijftma tellus EJJe fretum. Vidifaftas ex eequore terras :

Et procul à pelago conchcz jacuere marinez :

DU FALLUN

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Et vêtus inventa eft in montibus anchora fumrnis . (*) Quoique fuit campus , vallem decurfus aquarum Fecit : & eluvie mons eft deduHus in cequor :

Eque paludofa ftccïs humus aretarenis :

Quœque Jititn tulerant , ftagnata paludibus hument.

C’efl ainfi que Pithagore s’explique dans On¬ de. Voici une imitation de ces vers qui en donnera

Le tems qui donne à tous le mouvement & l’étre. Produit , accroît , détruit , fait mourir , fait renaître , Change tout dans les cieux , fur la terre & dans l’air. L’âge d’or à fon tour fuivra l’âge de fer.

Llore embellit des champs l’aridité fauvage.

La mer change fon lit , (on flux & fon rivage.

Le limon qui nous porte eft du fein des eaux.

croiflent les moiflons , voguèrent les vaiifeaux.

La main lente du tems aplanit les montagnes ;

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Il creule les vallons ; il étend les campagnes ? Tandis que l’Eternel , le Souverain des temps, Demeure inébranlable en ces grands changemens.

(*) Cela reffemble un peu à l’ancre de vaifleau qu’on prétendoit avoir trouvé fur le grand St. Bernard 5 auflî s’eft-

onbien gardé d’inférer cette chimère dans la uaduétion.

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DE TOURAINE. 55

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Mais pourquoi cet Océan n’a-t-il formé au¬ cune montagne fur tant de côtes plattes li¬ vrées à fcs marées ? Et pourquoi s’il a dé- pofé des amas prodigieux de coquilles en Tou¬ raine , n’a r t - il pas laiffé les mêmes monu- mens dans les autres provinces à la même dif- tance ? , x

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D’un côté je vois plufîeurs lieues de riva¬ ges au niveau de la mer dans la baffe Norman¬ die : Je traverfe la Picardie , la Flandre , la Hollande , la baffe Allemagne , la Poméranie ,1a Pruffe , la Pologne , la Rufîîe , uae grande partie de la Tartarie jufqu’au Thibet , fans qu’une feule haute montagne , faifant partie de la grande chaîne , fe préfente à mes yeux. Je puis franchir ainfî l’efpace de deux mille lieues dans un terrain affez uni , à quelques collines près. Si la mer répandue originairement fur no¬ tre continent avait fait les montagnes, comment n’en a-t-elle pas fait une feule dans cette vaile étendue ? -

De l’autre côté ces bancs de coquilles à trente à quarante lieues de la mer , méritent le plus férieux examen. J’ai fait venir de cette province dont je fuis éloigné de cent 'cinquante lieues ? une caiffe de ce fallun. Le

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54 DUFALLUN

fond de cette minière eft évidemment une efpèce de terre calcaire & marneufe , dans laquelle une grande quantité de coquillages fe trouve mêlée. Les morceaux purs de cette ferré pierreufe font fallés au goût. Les labou¬ reurs l’emploient pour féconder leurs terres , & il eft très - vrai femblable que fon fel les fertilife. Si ce n’étoit qu’un amas de coquil¬ les , je ne vois pas qu’il pût fumer la terre. J’aurais beau jetter dans mon champ toutes les coques deflechées des limaçons & des moules de ma province , ce ferait comme fi j’avais femé fur des pierres. Un naturalise prétend que rien n’efi meilleur pour faire croître du bled , qu’un cabinet de coquilles , au lieu de fumier, il a plus de connaiffiance de la phifique que moi ; mais j’ofe dire que je fuis meilleur laboureur que lui ; (k quoi¬ que je fois sûr de peu de chofcs , je puis affir¬ mer que je mourrais de faim , fi je n’avais pour vivre qu’un champ de vieilles coquilles caf- fées. ( * ) J’ajouterai même que fi je voulais

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(*) Tout ce que ces coquillages pouraient opérer, ce ferait de divifer une terre trop compare. On en fait autant avec du gravier. Des coquilles ftaiches & pilées pouraient fervir par leur huile. Mais des coquillages defléchés ne font bons à rien.

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DE TOURAINE. 55

railler comme lui , \t pourais être aufïi plai- fant.

En un mot > il eft certain ? de la plus grande certitude , que cette marne eft une efpèce de terre , Si non pas uniquement un afïemblage d’a¬ nimaux marins qui feraient au nombre de plus de cent mille miiliars. Je ne fais pourquoi l’académi¬ cien qui le premier après Paliffi fit connoitre cette Angularité de la nature , a pu dire , ce ne font que de petits fragmens de coquilles très- reconnoijfables pour en être des fragînetits ; car ils ont leurs canne¬ lures tris bien marquées , feulement ils ont perdu leur luifant & leur vernis.

J’ai 7 été étonné de trouver dans la boéte qu’on m’a envoyée , de petites univalves Sc un coquillage qu’on nomme vis de mer 9 ou piramide à cannelures , aufifi frais , aufïi bril - lants , Sc d’un aufïi beau vernis qu’on puiffe en trouver fur le bord de la mer de nouvel" lement formés. Mais ce qui m’a le plus fur- pris , c’efl d’y voir une coque de limaçon qui parait être de l’année pafïee , <Sc trois dents qui refïemblent parfaitement à des dents de brochet. Les curieux qui voudront les ve¬ nir examiner en jugeront beaucoup mieux que moi*

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5 6 DU F AL LU N, &c.

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Si les petites coquilles mêlées dans ma boe- te à la terre marneufe font réellement des co¬ quilles de mer , il faut avouer qu’elles font dans cette falluniére depuis des tems reculés qui épouvantent l’imagination , de que c’efî: un des plus anciens monuments des révolutions de no¬ tre globe. Mais aufiTi , comment une produc- tion enfouie quinze pieds en terre pendant tant de fiècles , peut - elle avoir l’air nou¬ veau ? Comment y a - t - on trouvé la coquille . d’un limaçon à côté de petites univalves ma¬ rines ? Ces Univalves dont la dimenlion n’efl pas le quart du petit doigt , paroident n’avoir pas une date plus ancienne que la coquille du limaçon qui était mêlée avec la terre. L’expé- rience de M. De La Sauvagere qui a vu des coquillages femblahles fe former dans une pierre tendre , & qui en rend témoignage avec fes voifins , ne doit-elle pas au moins nous infpirer quelques doutes fur l’origine de ce failun ?

Enfin ? fi ce falîun a été produit à la longue dans la mer , ce qui efl très-vraifemhlable , elle efl donc venue à prés de quarante lieues dan» en pays plat , & elle n’y a point formé de montagnes. 11 n’efl: donc nullement proba»

i

DE BERNARD PALISSI. 57

ble que les montagnes foient des productions

de l’Océan

CHAPITRE DIX - SEPTIEME.

DE BERNARD

P A L I S S I.

VAN T que Bernard Paîifll eût prononcé

•*- -*■ que cette mine de marne de trois lieues d’étendue n’était précifément qu’un amas de coquilles , les agriculteurs étaient dans Pufa- ge de le fervir de cet engrais , & ne foup- çonnaient pas que ce fufTent uniquement des coquilles qu’ils employaffent. N’avaient - ils pas des yeux ? Pourquoi ne crut - on pas Pa- lifTi fur fa parole ? Ce Palifli d’ailleurs était un peu vilionnaire. Il fit imprimer le livre intitulé : Le moyen de devenir riche & la ma¬ niéré véritable par laquelle tous les hommes de France pouront apprendre N à multiplier & à, aug¬ menter leur tréfor & pojfejfions , par Maître Bernard Falijjl inventeur des rujiiques figulines du roi. Il tint à Paris une école 9 il fit

58 DE BERNARD

afficher qu’il rendrait l’argent à ceux qui lui prouveraient la faufifeté de les opinions. En un mot Palifii crut avoir trouvé la pierre philofo- phale. Son grand œuvre décrédita Tes coquilles jufqu’au tems elles furent remifes en honneur par un Académicien célébré qui enrichit les dé¬ couvertes des Swammerdam , des Leuvenhock , par l'ordre dans lequel il les [plaça , & qui rendit de grands fervices à la phyfique. L’expérience , comme on l’a déjà dit , efi trompeufe ; il faut donc examiner encore ce fallun. Il efi certain qu’il pique la langue par une légère acreté , c’efl un effet que des coquilles ne produiront pas. Il efi: indubitable que le fallun efi: une terre calcaire &c marneufe. Il efi indubitable aufii qu’elle renferme un nombre étonnant de co¬ quilles à dix à quinze pieds de profondeur. D viennent - elles ? C’efl l’objet de la recherche , objet afifurément digne de la cu- riofité de tous les hommes. Il refiera toujours à favoir fi de ce que la mer a couvert la Bre¬ tagne , la Normandie , la Touraine : on peut conclure qu’elle a formé les montagnes des deux hemifphères. L’auteur efiimabîe de l’hif- toire naturelle , auffi profond dans fes vues , qu’attrayant par fon flile , dit expreffement :

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P ALI S S I. 59

Je prétends que les coquilles font Û intermède que la nature emploie pour former la plupart des pierres Je prétends que les Cray es , les marnes , & les pierres à chaux ne font compofécs que de pouffère & de dètrimens de coquilles .

On peut aller trop loin quelque habile phy- fkien que l’on Toit. J’avoue que j’ai examiné pen¬ dant douze ails de fuite la pierre à chaux que j’ai employée 3, & que ni moi ni aucun des afîilîans n’y avons apperçu le moindre veflige de co¬ quilles.

A - 1 - on donc befoin de toutes ces fup- polîtions pour prouver les révolutions que notre globe a effuyées dans des temps pro- digieufement reculés P Quand la mer n’aurait abandonné couvert tour à tour les ter¬ rains bas de fes rivages que le long de deux mille lieues fur quarante de large dans les terres , ce ferait un, changement fur la furfa- ce du globe de quatre - vingt mille lieues quarréès.

Les éruptions des volcans , les tremblemens , les affaiiremens des terrains doivent avoir bou- îeverfé une allez grande quantité de la furface du globe* ; des lacs , des rivières ont difparu , des villes ont été englouties ; des îles fe font

éo DE BERNARD PALISSE

formées ; des terres ont été féparées : les mers intérieures ont pu opérer des révolutions beau¬ coup plus confidérables. N’en voilà - t - il pas aflfez ? Si l’imagination aime à repréfenter ces grandes vicifïitudes de la nature > elle doit être contente.

CHAPITRE DIX - HUITIEME.

I

DU SISTEME

DE MAILLET

\ V 1

QUI FAIT LES POISSONS

LES PREMIERS PERES

DES HOMMES.

* *

MOnfieur Maillet , dont nous avons déjà parlé , crut s’appercevoir au grand Cai¬ re que notre continent n’avait été qu’une mer dans l’éternité paflfée-: 6 c de- il conclut que la race des hommes & des finges venait incontes¬ tablement des poilïons marins. Les nageoires avec le tems devinrent des bras ; la queue

/

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DU SISTEME DE MAILLET. 61

fourchue fe changea infenfibiement en cuiflês & en jambes.

Les anciens habitans des bords de l’Euphrate ! ne s’éloignaient pas beaucoup de cette idée , quand ils débitèrent que le fameux poiffon Oannès fortait tous les jours du fleuve pour les venir caté- chifer fur le rivage. Dercéto qui efl la même que Vénus , avait une queue de poiflon. La Vénus d’Héfiode naquit de l’écume de la mer. i C’ell peut être fui vant cette cofmogonie qu’Ho-

mere dit que l’Océan eft le pere de toutes chofes; mais par ce mot d’Océan, il n’entend , dit- on ,

que le Nil & non notre mer Océane qu’il ne con- naiftait pas.

Thaïes apprit aux Grecs que l’eau eft le pre¬ mier principe de la nature. Ses raifons font, que la femence de tous les animaux eft aqueufe , qu’il ! faut de l’humidité à toutes les plantes , & qu’enfin les étoiles font nourries des exhalaifons humides de notre globe. Cette derniere raifon eft merveil- leufe : <k il eft plaifant qu’on parle encore de Tha- lès & qu’on veuille (avoir ce qu’Athénée & Plu¬ tarque en penfaient.

| Cette nourriture des étoiles n’auroit pas réufli | dans notre teins ; & malgré les fermons du poiflon Oannès, les argumens de Thalès , les imagina-

éiDU SISTEME DE MAILLET.

tions de Maillet, il y a peu de gens aujourd’hui qui croyent defcendre d’un turbot ou d’une mo¬ rue , malgré l’extrême paflion qu’on a depuis peu pour les généalogies. Pour étayer ce Même il , fallait abfolument que toutes les efpèces & tous les élémens Te changeaient les uns en les autres. Les métamorphofes d’Ovide devenaient le meil¬ leur livre de phyfique qu’on ait jamais écrit.

CHAPITRE DIX- NEUVIEME.

DES GERMES.

DES Philofophes tâchèrent donc d’établir quelque fiftème qui bannit les germes par lefquelsles générations des hommes, des animaux St des plantes s’étaient perpétuéesjufqu’ànos jours. C’eft en vain que nos yeux voyent , & que nos mains manient les femences que nous jettons en terre ; c’eft en vain que les animaux font tous évidemment produits par un germe. On s’eft plu à démentir la nature pour établir d’autres Mêmes que le lien.

Celui des animaux fpermatiques ne femblait point contredire la phyfique , cependant on s en

DES GERMES., 6j

ert dégoûté comme d’une mode. II était très-com- ; mun alors que tous les Philofophes, excepté ceux de quatre-vingt ans , dérobaffent à l’union des deux fexes la liqueur féminale produarice du gen¬ re humain , & que dans cette liqueur on vît à l’aide du microfcope nager les petits vers qui devaient devenir hommes , comme on voit dans les étangs gli/Ter les tétarts deftinés à être grenouilles.

! , Dans ce firtéme les mâles étaient les principaux

dépofitaires de l’efpece : au lieu que dans le ûflême des œufs qui avait prévalu jufqu’alors , c’étaienc lesfemellés qui contenaient en elles toutes les gé¬ nérations , & qui étaient véritablement meres. Le mâle ne fervait qu a féconder les œufs , comme les coqs fécondent les poules. Ce Même des œufs I avait un prodigieux avantage , celui de l’expé¬ rience journalière & inconteftable dans plufieurs | efpèces. Cependant on a fini par douter de l’un & de l’autre ; mais foit que le mâle contienne en lui l’animal qui doit naître , foit que la femelle le ren¬ ferme dans fon ovaire , & que la liqueur du mâle ferve à fon dévelopement , il eft certain que dans les deux cas il y a un germe ; & c’eft ce germe que [ l’amour de la nouveauté , la fureur des fiftêmes &

| encor plus celle de 1 amour propre^ entreprirent de détruire.

DES GERMES.

L’auteur d’un petit livre intitulé La Venus phyjique imagina que le tout fe faifait par attrac¬ tion dans la matrice , que la jambe droite attirait à elle la jambe gauche, que l’humeur vitrée d’un œil , fa rétine , fa cornée, fa conjon&ive étaient attirées par de femblables parties de l’autre œil. Perfonne n’avait jamais corrompu à cet inconce¬ vable excès l’attraéhon démontrée par Newton dans des cas abfolument différens j une telle chi¬ mère était digne de l’idée de diflequer des têtes de géans , pour connaître la nature de l’ame , & d’exalter cette ame pour prédire l’avenir. Cette folie ne fervit pas peu à décréditer l’efprit fiftê- matique qui eft pourtant fi néceffaire au progrès des fciences , quand il n’eftque l’efprit d’ordre , <k qu’il eft réglé par la raifon.

CHAPITRE

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CHAPITRE VINGTIEME:

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DE LA PRÉTENDUE

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RACE D’ANGUILLES

FORMÉES DE FARINE

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ET DE JUS DE MOUTON.

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PRécifément dans le même tems un Jéfuite Ir- landais nommé Néedham qui voyageait dans l’Europe en habit féculier, fit des expériences à 1 aide de plufieurs microfcopes. Il crut apper* cevoir dans de la farine de bled ergoté mife au four 6c laifiée dans un vafe purgé d’air 6c bien bouché, il crut appercevoir , dis je, des anguil¬ les qui accouchoient bientôt d’autres anguil¬ les. Il s’imagina voir le mèm^ phénomène dans du jus de mouton bouilli. Aufiitôt plud fleurs Philofophes s’efforcèrent de crier merveille, 6c de dire: Il n’y a point de germes , tout fe fait,

tour fe régénère par une force vive de la nature.

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C’eft l’arrraétion , dilait î’un * Veft la matière organifée, difait l’autre ; ce font des molécules

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66 DE LA PRÉTENDUE

organiques vivantes qui ont trouvé leurs moules.

De bons Phyficiens furent trompés par un Jéfuite.

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C’eft ainfi ( comme nous l’avons dit ailleurs ) qu’un Commis des Fermes en Baffe-Bretagne , fit accroire à tous les beaux efprits de Paris qu’il étoit une jolie femme , laquelle faifaic très-bien des vers,

L’erreur accréditée jette quelquefois de fi profondes racines que bien des gens la fou- tiennent encore , lorfquelle eft reconnue Sc tom¬ bée dans le mépris , comme quelques jour¬ naux hiftoriques répètent de fauffes nouvelles inférées dans les gazettes , lors meme qu’elles ont été rétraétées. Un nouvel Auteur d’une tra- du&ion élégante Sc exaéle de Lucrèce , enrichie de notes favantes , s’efforce dans les notes du troifiéme livre , de combattre Lucrèce même à l’apui des malheureufes expériences de Néed- ' ham , fi bien convaincues de fauffeté par Mr,

Spalanzani , St rejettées de quiconque a un peu étudié la nature. L’ancienne erreur que la cor¬ ruption eft mère de la génération allait rsffufci- ter , il n’y avait plus de germe ; Sc ce que Lu¬ crèce avec toute l’antiquité jugeait impaffible , allait s’accomplir.

RAGE D’ ANGUILLE S. èf

r Ex omnibus ....

Omne gtnus nafci pojfet , nil femine egeret.

Ex un dis homines , ex terra poffet oriri Squammiferum genus , 6* volucres ; erumpere Cœlo Armenta & pecudes .... ferre omnes omnia pojfent .

Le hazard incertain de tout alors difpofe.

L’animal eft fans germe , & l’effet eft fans eau Ce.

On verra les humains fortir du fond des mers.

Les troupeaux bondiffans tomber du haut des air s.

Les poiffons dans les bois naiffant fur la verdure ;

Tout poura tout produire, il n ’eft plus de natuÂ.

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Lucrèce avoir affuremenc raifon en ce point de phyfîque , quelque ignorant qu’il fût bail¬ leurs. Er il eft démontré aujourd’hui aux yeux & a la raifon , qu’il n eft ni de végétal , ni d’animal qui n’ait fon germe. On le trouve dans l'œuf d’une poule comrru dans le gland d’un chêne. Une puifîance formarrice prélide à tous ces dévelopements d’un bout de l’Univers à l’autre.

Il faut bien reconnaître des germes puif- qu on les voit & qu on les feme , ôc que le chêne eft en petit contenu dans le gland. On fait bien que ce n eft pas un chêne de foixante pieds de haut qui eft dans ce fruit j mais c’eft un embrioh qui croîtra par le fecours de la terre

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i

6 8 DE LA PRÉTENDUE RACE, $tc.

& de l’eâu comme un enfant croît par une autre nourriture.

Nier l’exiftence de cet embrion , parce qu^on ne conçoit pas comment il en contient d’autres à fin fini , c’eft nier l’exiftence de la matière par¬ ce qu’elle eft: divifible à l’infini. Je ne comprends pas ; donc cela n’efi: pas! Ce raifonnement ne peut être admis contre les choies que nous voyons & que nous touchons. 11 efi: excellent contre des fuppoficions; mais non pas contre les faits.

Quelque fiftême qu’on fubftirue , il fera tout auiTi inconcevable 6c il aura par delTus celui des germes le malheur d’être fondé fur un principe qu’on ne connaît pas, à la place d’un principe pal¬ pable dont tout le monde efi; témoin. Tous les fiftêmes fur la caufe de la génération , de la vé¬ gétation, de la nutrition , de la fenfibilité, de la penfée, font également inexplicables. Som¬ mes-nous à jamais condamnés à nous ignorer ? Oui.

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CHAPITRE VIN G T- UNIEME.

D’UNE FEMME

QUI ACCOUCHE,

D'UN LAPIN.

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A Quoi ne porte point l’envie de fe fignaler par un fifteme ! Cette dourine des généra* tions fortuites avait déjà pris tant de crédit dès le commencement du fiécle , que plusieurs perfonnes etoient perfuadeesqu une foie pouvait engendrer une grenouille. Il ne faut pour cela , difait-on y que des parties organiques de gre-* nouilles dans des moules de foies. Un chirurgien de Londres, allez fameux, nommé St. André, publiait cette doctrine de toutes fes forces en

1726, 5c il avait renthouHafme des nouvelles feâes.

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Une de fes voifines pauvre & hardie réfolut de profiter de la doéhine du Chirurgien. Elle lui fit confiance qu elle étoit accouchée d’un la- preau, & que la honte l’avoit forcée de fe dé-

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7o D’UNE fEMME

faire de fon enfant; mais que la tendreffe ma¬ ternelle l'avait empêchée de le manger.

St. André trouvant dans l’aveu de cette femme l'a confirmation de fon fiftême ne douta pas de cette aventure & en triompha avec fes adhérans. Au bout de huit jours cette femme le fait prier de venir dans fon galetas, elle lui dit qu’elle reflent des tranchées comme fi elle étoit prête d’accoucher encore ; Sc. André d’affure que c’eft une fuperfétation, Il la délivre lui-même en pré¬ sence de deux témoins. Elle accouche d’un petit lapin qui étoit encore en vie. St. André montre “par tout le fils de fa voifine. Les opinions fe par¬ tagent , quelques-uns crient miracle; les parti- fans de St. André difent que fuivant les loix do ,1a nature il eft étonnant que la chofe n’arrive pas plus fouvent.' Les gens cerifés rient; mais ^tous donnent de l’argent à la mère des lapins. t Elle trouva le métier fi bon qu’elle accoucha ^tous les huit jours. Enfin la juftice fe mêla des affaires de fa famille , on la tint enfermée, on

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la veilla , on furprit un petit lapreau qu’elle avait fait venir & qu’elle s’enfonçoit dans yn -orifice qui n’étoit pas fait pour lui. Elle fut punie , St. André fe cacha. Les papiers publics

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s’égayèrent fur^cette garenne comme ils font

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v^ui ACCOUCHE DW LAPIN. 7i

égayés depuis fur l’homme qui devait fe mettre dans une bouteille de deux pintes & fur le public qui vint en foule à ce fpeéfcacle.

La faine phyfique détruit toutes ces impof- tures , ainfi qu’elle a chafié les poifédés & les forciers.

Il réfulte de tout ce que nous avons vu qu’il faut fe méfier des lapreaux de St. André , des anguilles de Néedham , des générations fortui¬ tes , de l’harmonie préétablie qui eft très-ingé- nieufe & des modécules organiques qui font plus ingénieufes encore.

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EN PHYSIQUE.

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*1" Es erreurs de !a fauîTe phyfique font en bien plus grand nombre que les vérités décou¬ vertes. Preiquè tout eO: abfurde dans Lucrèce j voyez feulement le quatrième &C le cinquième livre, vous y trouverez que des Emulacres éma¬ nent des corps pour venir frapper notre vue & notre odorat.

Qjiàrri primîim nofcas rcrurn Jïmulacra va- gart y &c .

r * .

Ergo multa brcvi fpatio Jïmulacra geruntur. Les voix s’engendrent mutuellement.

Ex aliis al a yioniam gignuntur .

Le Lion tremble & s’enfuir à la vue d’un coq. Nequc qucunt rapidi corurd conjlart Icônes .

Les animaux fe livrent au fommeil quand des

/

ERREURS EN PHYSIQUE 7j

trois parties de l’ame , une eft chaflfée au dehors, une autre fe retire dans l’intérieur , & une troi¬ sième éparfe dans les membres ne peut fe r éunir. . . ;

. . Ut pars in de animai

Ejiciatur & introrfum pars abdita cédât ,

Pars etiam difperja per artùs non queat ejje Conjuncia inter fe * me motu mutua fungi.

Le foleii & les autres feux s’abreuvent des eaux de la terre.

. Cum fol & vapor omnis

Omnibus epotis humoribus exfuperarunt «

' * r * V ' ,

Le foleii & la lune ne font pas plus grands au’ils le paraiflent.

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Nec nimio folis major rota , nec minor ar -

dor> &c.

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Lunaque . . . nihilo fertür majore figura .

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Nous n’avons la nuit que parce que le foleii a epuifé fes feux durant le jour.

« . . . . Ejflavit langui dus ignés

Ou parce qu’il fe cache fous la terre.

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-U - . .r «fc. W . , ...

... Quia fub terras curfum convertere cogit .

Il ne faut pas croire qu’on trouve plus de vérités dans les Géorgiques de Virgile \ fes

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n : DES ANCIENNES

çbfervations fur la nature ne font pas plus vraies que fatrifte apothéofe d’O&ave furnotmné Au- gufte , auquel il dit , quon ne fait pas encore s’il voudra bien être Dieu de la terre ou de la mer , 8c que le fcorpion fe retire pour lui laiffec une place dans le Ciel. Ce fcorpion aurait mieux fait de s’allonger pour percer de fon aiguillon l’auteur des profcriptions 8c l’affafïin des citoyens de Péroufe.

Il commence par dire que le lin 8c 1 avoine, brûlent la terre.

l/rit enim Uni campum fégçs , uni avcnce»

Selon lui les peuples qui habitent *es climats de lourfe font plongés dans une nuit éternelle, ou bien l’étoile du foir. luit pour eux quand

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nous avons l’aurore.

lllic ( ut perhibent ) aut intempefta filet nox *

Semper , & obtentâ denfantur noble tenebrA :

Aut redit à ne bis aurora , diemque reducit.

Nofque ubi primus equis oriens efflavit ankelis , lllic fera rub eus accendit lumina vefper.

On fait aflfez que ce font nos antipodes de l’o¬ rient chez qui la nuit arrive quand le fol eil com¬ mence à luire pour nous » 8c non pas les peu¬ ples du Nord qui peuvent être fous le meme méridien que nous.

ERREURS EN PHYSIQUE. n

N’entreprenez rien , dit-il , le cinquième jour de la lupe : car c’eft le jour que les Titans com¬ battirent contre les Dieux.

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Quintam fuge 9 &c .

« « *

Le dix-feptiéme jour de la lune efl: très-heu¬ reux pour planter la vigne &: pour dompter les bœufs.

Siptima, poft duimam fdîx , &c.

Les étoiles tombent du ciel dans un grand

vent.

*

Sape ttiam Jîellas vcqto impcndentc vidcbii Prctcîpïtcs cxlo labi ,

* '•

Les cavales font fécondées par le zéphir , leur matrice diftile le poifon de l’hyppoma-

ne.

Tous les fleuves fortent du fein de la terre \ 8c enfin les Géorgiques Unifient par faire naître des abeilles du cuir d’un taureau.

Quiconque en un mot croirait connaître la nature en lifant Lucrèce & Virgile, meublerait fa tête d’autant d’erreurs qu’il y en a dans les fecrets du petit Albert , ou dans les anciens al¬ manachs de Liege. D’où vient donc que ces poëmes font fi eftimés? Pourquoi font-ils lûs

7^ DES ANCIENNES ERREURS, Sec.

avec tant d’avidité par tous ceux qui favenc bien la langue latine ? C’eft à caufe de leurs belles deferiptions , de leur faine morale , de leurs tableaux admirables de la vie humaine. Le charme de la poche fait pardonner toutes les erreurs, & l’eforit pénétré de la beauté du ftile ne fonge pas feulement h on le trompe.

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CH API T. VINGT-TROISIEME.

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D’UN HOMME

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FAISAIT DU SALPETRE.

T L faudrait avoir toujours devant les yeux ce X Proverbe Efpagnol : De las cofas mas figu¬ ras , la mas fegura es dudar. Qand on a fait une expérience le meilleur parti eft de douter long¬ temps dp ce qu’on a vu & de ce qu’on a fait. ° En 175 5 un Chymifte allemand d’une petite province voiltpe de l’Aiface, crut avec apparence de raifon avoir trouvé le fecret de faire aifémenc du falpêtre avec lequel on compoferait la pou¬ dre à canon à vingt fois meilleur marché & beaucoup plus promptement. Il fit en effet de cette poudre, il en donna au Prince fon Sou¬ verain , qui en fie ufage à la chafle. Elle fut ju¬ gée plus fine Se plus agi (Tante que toute autre,' Le Prince dans un voyage â Verfailles donna, de la meme poudre au Roi, qui l’éprouva fou-

78 D’UN HOMME QUI

vent & en fut toujours également fatisfait. Le Chymifte était fi fur de fon fecret qu’il ne vou¬ lut pas le donnera moins de dix-fept cent mille francs payés comptant , & le quart du profit pendant vingt années. Le marché fut figné , le chef de la compagnie des poudres , depuis garde du tréfor royal, vint en Alface de la part du Roi , accompagné d’un des plus favans chymiftes de France. L’Allemand opéra devant eux auprès de Colmar , & il opéra à fes propres dépens. C’était une nouvelle preuve de fa bonne foi. Je ne vis point les travaux; mais le garde du tréfor royal étant venu chez moi avec fon chymifte , je lui dis que s’il ne payoit les dix- fept cent mille livres qu’après avoir fait du fal- pëtre il garderoit toujours fon argent. Le chy- , mifte m’afiura que le falpêtre fe ferait. Je lui répétai que je ne le croyais pas. Il me demanda pourquoi. C’eft que les hommes ne font rien, lui dis-je. Ils unifient Ôc ils défuniftent; mais il n’appartient qu’à la nature de faire.

L’Allemand travailla trois mois entiers , au bouc defquels il avoua fon irnpuifiance. Je ne peux changer la terre en falpêtre, dit- il , je m’en retourne chez moi changer du cuivre en or ; il partit , & fit de l’or comme il ayait fait du fal¬ pêtre.

FAISAIT DO SALPETRE. n

Quelle fauflfe expérience avait trompé ce pau¬ vre Allemand , & le Duc fon maître , & les gardes du tréfor royal, & le chy mille de Paris, & le Roi ? La voici.

Le tranfmutateur Allemand avait vu un mor¬ ceau de terre imprégnée de falpêtre , & il en avait tire d excellent, avec lequel il avait compofé la meilleure poudre à tirer ; mais il ne s’apper- çuc pas que ce petit terrain était mêlé de débris d'anciennes caves , d’anciennes écuries Sc des relies du mortier des murs. Il ne confi¬ era que la terre , & il crut qu’il fuffifoit de

cuire une terre pareille pour faire le falpêtre le meilleur.

D’U N B A T EAU

CH JP- VINGT-QUATRIEME.

D’U N B ATEAU

DU

maréchal de saxe

E Maréchal de Saxe avait fans doute l’ef-

JLj i prit de combinaifon , de pénétration , de vi¬ gilance qui forme un grand Capitaine. Cepen¬ dant en 171 9 il imagina de conftruire une galère fans rames & fans voiles qui remonterait la riviè¬ re de Seine de Rouen à Paris en vingt quatre heures dans l’efpace de quatre-vingt dix lieues : car il n’y en a pas moins par les finuofités de la riviere. On a confluât de pareilles machines dans lefquelles on peut fe promener fur une eau dor¬ mante au moyen de deux roues a larges aubes auxquelles une manivelle donne le mouvement. 11 ne faifait pas réflexion que fou bateau ne pour¬ rait réfifter au courant de l eau , que ce que 1 on gagne en temps on le perd en force , & au contraire. 11 eut pourtant des certificats de deux membres de l’académie des Sciences ,

&

DU MARECHAL DE SAXE, S s

& il obtint un privilège exclulif pour fa machi¬ ne. Il l’efTaya , on croira bien qu’il ne réufllc pas. Mademoifelle le Couvreur difair alors comme Geronte : Q_tte diable allait - il faire dans cette galère ? Cette tentative lui coûta dix mille écus-; il netoit pas riche alors. Il répara bien depuis fur terre fôn erreur fur la rivière de Seine. Il fut ménager plus a propos la force &c le temps en faifant les plus favantes manœuvres de guerre.

Ces mécomptes en fait d’hydraulique & de forces mouvantes arrivent tous les jours à plus

d’un artifte.

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CH AP. VIN G T - CINQ UIÊME.

DES MÉPRISES

MATHÉMATIQUES

£ fut le fcandalede la géométrie , lorfque ~ vers le commencement de ce fiéele, les ma¬ thématiciens français $c allemands difputèrent fur la force des corps en mouvement. Les dif-

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U DES MÉPRISÉS cj pies de Leibnitz prétendaient que cette force écoit en raifon compofée de la vîtelfe & de la pefanteur des corps. Les français au contraire ne mefuraient cette force que par la vîtelTe multi¬ pliée par la malfe. Mr. de Mairan expofa le mal-entendu avec beaucoup de clarté. La vic¬ toire demeura à. l’ancienne philofophie j & il eft à remarquer que jamais aucun géomètre anglais ne voulut entendre parler de la nouvelle mefu- ie introduite en Allemagne par Leibnitz.

L’académie des fciences de Paris fut trompée quelque temps fur une matière plus importante: Voici le fait tel qu’il eft rapporté dans les Ele~

mens de Newton , page 1 3 8 .

, Louis XI F avait fignalé fon Règne par *> cette Méridienne > qui traverfe la France , 3, l’illuftre Dominique Cajjini l’avait commencée avec Moniteur fon fils ^ il avait 9 en lyoi ? « tiré du pied des Pyrénées à l’Obfervatoire une ,, ligne aulïi droite qu’on le pouvait , a travers les obftacles prefque infurmontables que les « hauteurs des montagnes , les changemens de » la réfradion dans Pair , & les altérations des inflrumens oppofaient fans celle a cette vafte délicate entreprife ; il avait donc en 1701

EN MATHEMATIQUES. Sj

*> mefuré Ex degrés dix-huit minutes de cette » Méridienne. Mais de quelque endroit que » vînt l’erreur , il avait trouvé les degrés vers » Paris, c’eft-à-dire , vers le Nord, plus petits » que ceux qui allaient aux Pyrénées vers le » Midi ; cette mefure démentait & celle de Norvood Ôc la nouvelle théorie de la Terre n applatie aux Pôles. Cependant cette nouvelle » théorie commençait à être tellement reçue, « que le Secrétaire de l’Académie n’héfita point, » dans fon Hiftoirede 1701, à dire que les me* fures nouvelles, prifes en France, prouvaient n que la Terre efi un fphéroide dont les pôles font n applatis. Les mefures de Dominique Cajjîni %9 entraînaient â la vérité une conclufion toute »> contraire ; mais comme la figure de la Terre m ne faifait pas encore en France une queftion, $9 perfonne ne releva pour lors cette conclufion » faufle. Les degrés du Méridien de Colliou- re à Paris paflérent pour exa&ement mefu- *> rés j & le Pôle , qui par ces mefutes devait néceffairement être allongé , pafia pour ap- 9t plati.

Un Ingénieur nommé Mr. des Roubais ,

»> étonné de la conclufion , démontra que par

F x

s4 DES MEPRISES

,, les mefures prifes en France, la Tetre devais » être un fphéroïde oblong , dont le Méridien 35 qui va d’un Pôle à; l’autre, eft plus long que l’Equateur, & dont les Pôles font allongés (*). 35 Mais de tous les Phyficiens à qui il adrelTa •>Ta didertation, aucun ne voulue la faire im- »» primer : parce qu’il femblait que l’Académie 3> eût prononcé , & qu’il paraidait trop hardi as à un particulier de réclamer. Quelque temps f3 après , l’erreur de 1701 fut reconnue -, on. fe * dédit , & la Terre fut allongée , par une juf* 33 te concludon tirée d’un faux principe. » Enfin l’erreur fut entièrement corrigée.

Une fociété favante revient bientôt à la vé¬ rité. Tout le monde convient aujourd’hui que la planète de la terre eft un fphéroïde inégal , un peu applati vers les pôles & cela eft plus démontré par la théorie d’Hugens & de New- ton que par toutes les mefures qu’on pourrait prendre , mefures trop fujettes à dés' erreurs inévitables.

Audi les Anglois qui' aiment tant à voyager n’ont- ils jamais fait aucun voyage pour vérifier

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(*) Son mémoire'tft dans le Journal littéraire.

EN MATHEMATIQUES. s$,

d’une manière toujours un peu incertaine ce qui leur parailïait démontré par les loix de ,1a nature.

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CHAPITRE VINGT -SIXIÈME:

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"V T Ôilà bien des mèprifes dans iefquellès les * plus grands hommes ôc les corps les plus favans fontsombés 5 parce que les meilleurs gé-? nies ôc les plus eftimables tiennent toujours quelque çhofe de la fragilité hümainp.- On pourrait ajouter à. cette lifte les fenreti* ces portées contre Galilée. Deux congrégation^ de Cardinaux le condamnèrent pour avoir fou* tenu le mouvement de la terre autour du foleili mouvement qui était ptefque déjà démontre en rigueur; 11 'fut forcé de demander pardon à ge* noux , d’avouer qu’il avait annoncé ame doo trine abfatdecLzs Cardinaux lui remontrèrent * d’après 'tous leurs Théologiens, que Jofué avoir

U V É R' I T É S

arrêté le foleil fur le chemin de Gabaon. Gali¬ lée n’avait qu’à leur répondre que c’était aufïi depuis ce temps -là que le foleil était immo¬ bile. Mais enfin il fut condamné à la honte de ïa raifon ; & comme on l’a déjà dit , ce juge¬ ment aurair couvert l’Italie d’un opprobre éter¬ nel , fi Galilée ne l’avait couverte de gloire par fa philofophie même que Ton profcrivait.

On fait allez qu’il y a un corps confidéra- ble qui profcrivit les idées innées de Defçartes, & qui enfuite a condamné ceux qui combat¬ taient les idées innées. Cela prouvé afïez que les Théologiens ne doivent point fe mêler de philofophie. Il y a l’infini entre ces deux Sciences. r; . .

On a prononcé dans plus d’un pays des ju- gemens encore plus étranges fur des points de phyfique qui ne font nullement du relTort de Cujas & de Bartholde. On fait à quel point le favant Rarous fut perfécuté pour n’avoir pas été de l’avis d’Ariftote qui n’était entendu ni de fes adverfaires ni de fes juges. Er enfin il lui en coûta la vie à la journée de la St. Banhelemi.

Les médecins qui tenaient pour les anciens » intentèrent un procès à ceux qui démontraient

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C O N D A M N EE S. Î7

la circulation* Les maîtres d’erreur ont toujours eu recours à 1 autorité quand il s’agiffait de rai- fon. Les exemples de ceux qui ont été con¬ damnés pour avoir inftruit le genre humain font prefque aufli nombreux en phyfique quen mo¬ rale.

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CHAPITRE VINGT-SEPTIÈME.

DIGRESSION.

SI tant d’erreurs phyfiques ont aveuglé des nations entières , fi on a ignoré pendant tant de fiécles la dire&ion de l’aimant , la cir¬ culation du fang , la pefanteur de l’atmofphè- re , quelles prodigieufes erreurs les hommes ont-ils du commettre dahs le gouvernement ?• Quand il s’agit d’une loi phyfique on l’exami¬ ne du moins aujourd’hui avec quelque impar¬ tialité , 8c ce n eft pas en recherchant les prin¬ cipes de la nature que la fureur des pafïions 8c la néceffité prenante de fe déterminer aveuglent l’efprit ; mais en fait de gouvernement on n’a «té fou vent conduit que par les pallions , Lesr

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8 S

DIGRESSION.

préjugés & le befoin du moment. Ce font la les trois caufes de la mauvaife adminifiration qui a fait le malheur de tant de peuples.

C’eft ce qui a produit tant de guerres entre¬ prises par témérité 5 Soutenues fans conduite * terminées par le malheur êc par la honte. C’eft ce qui a donne cours a tant de loix pires que la difette de toute loi , c*eft ce qui a ruiné tant de familles par une jurifprudence inventée dans des temps d’ignorance , & conSacrée par i’ufa- ge. C’eft ce qui a fait des finances publiques un jeu de hazard dangereux.

C’eft ce qui a introduit dans le cuire de la

Divinité tant d énormes abus , tant de fureurs

*

plus abominables peut-être que la Sauvage igno¬ rance de tout culte. L’erreur dans tous ces points capitaux Se conSacua de père en fils, de livre en livre , de chaire en chaire , Ôc rendit quel¬ quefois les hommes plus malheureux que s’ils fe disputaient encore du gland dans les forêts.

Il eft très-ajSé de réformer la phyfique quand le vrai eft enfin découvert. Peu d’années fuf-

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firent pour faire tourner la terre autour du fa- leil malgré les décrets de Rome , pour établir les loix de la gravitation en dépit des uni ver-

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DIGRESSION. 89

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fîtes 9 & pour affigner les routes de la lumière. Les Légifiateurs de la nature font bientôt obéis ôc refpe&és d’un bout du monde à l’autre : mais il n’en eft pas de même dans la légiflarion po¬ litique. Elle a été 8c .elle eft encore un chaos prefque par - tout j les hommes fe font conduits â l’aventure dans tout ce qui regarde leur vie, leurs biens > 8c tout leur être préfent 8c à

venir.

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CHAPITRE VINGT-HUITIÈME.

D E S , £ L É M E N S.

À c - il des élemens ? Les trois 9 imagi¬ nés par Defcartes que j’ai vu dans mon enfance enfeignés par la plupart des écoles , étaient infiniment au-defious des contes des mille 8c une nuits ; car aucun de ces contes ne répugne aux loix delà nature , 8c font d’ail¬ leurs très-agréables. Les cinq principes des chy- miftes étaient fi peu reconnus qu’ils les réduifi- rent eux - mêmes à trois , puis à deux. Ils re¬ vinrent enfuite au feu , à l’eau , 5c à la terre.

90 DES ELEMENS.

Il a bien fallu enfin admettre l’air. Ainfï les quatre élémens d’Ariftote font rentrés dans tout leur honneur. Mais ces élémens , de quoi font*ils faits eux-mêmes ? S’ils font compofés de parties , ils ne font pas élémens. L’air , le feu > 1’ eau 8c la terre fe changent - ils les uns dans les autres ? fubiflent-ils des métamorpho- fes ? Qu’eft - ce à la rigueur qu’une métamor- phofe ? C’eft un être changé en un autre être; c’eft au fond l’anéantiflement du premier & la création du fécond. Pour que Peau devienne abfolument terre , il faut que cette eau périffe 3c que la terre fe forme. Car fi Peau contenai® en elle -même les principes de terre dans la¬ quelle elle s’eft changée , ce n’eft plus une tranfmutation ; c’eft l’eau qui contenait en elle un peu de terre , 3c qui s’étant évaporée a à laif- cette terre à découvert.

Le célèbre Robert Boyle s’y trompa 3c en¬ traîna Newton dans fa méprife. Ayant long,- temps tenu de l’eau dans une cornue à un feu égal , le chymifte qui opéroit avec lui , crut que l’eau s’était au bout de quelques mois chan* gée en terre ; le fait était faux ; mais New¬ ton le croyant vrai > fuppofa que les quatre

DES

E M E N S.

élémens pouvaient fe changer les uns dans les autres. Boerhaave fit voir depuis quelle avait été la méprife de Boyle. Cette erreur avoit con¬ duit Newton à un fyftême qui paraît faux. Si de grands hommes tels que Boyle & Newton fe font trompés, quel homme pourra fe flattée d’être à 1 abri de ierrèur ? Et quelle extrême défiance ne doit-on pas avoir des opinions re¬ çues & de fes idées propres ?

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CHAUT. VINGT - NEUVIÈME.

DE LA TERRE.

QU’eft-ce que la terre ? Son effence eft- elle d’être de l’argile , de la boue ? Non fans doute , puifque de la marne , de ia craie de la glaife , du fable , du plâtre , de la pier¬ re calcaire , font appelles terre. Auflî Becker diftinguait entre terre vitrifiable , inflammable, 8c mercuriale. La terre eft - elle un aflemblage de tout ce que contient notre globe ? Y entre- r-il de 1 eau , du feu 8c de l’air ? En ce cas comment peut-on l’appeller un élément ?

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jQrç.4 long-temps imaginé ;.qu il y avait unè terre première, une tei$e vierge qui n’eft rien de ce que nous voyons ; [&c qui eft capable dm recevoir cour ce que notre globe renferme ; mais cette terre eft apparemment dans le paradis ter- reftre dont perfonne ne peut approcher. Nous ne connaîtrons plus que différentes foires de fubftances terreufes % fans que nous publions dire d’aucune : Voilà le principe des autres , voilà la matrice dans laquelle tout fe forme , & le tombeau dans lequel tout rentre.

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CHAPITRE TRENTIÈME.

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DE L’EAU.

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U’eft-ce que l’eau ? Eft-elle fluide ou fo- ^ lide de fa nature ? Ne faut -il pas pour quelle coule' qu’un feu fecret en défunifte les parties ? Otez une grande quantité de ce feu * elle devient glace. Orv qu’eft*-ce qu’un élément qui a befoin d’un autre élément pour exifter ?

L’eau de la mer eft+eile de même nature que nos eaux de fontaines de rivières ? Y a-t-il

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Dtit'EJffi *

dans l’Océan de dans la Méditerranée de grands bancs de Tel de des mines de bitume qui don¬ nent à leurs eaux un goût différent de celui de notre eau ordinaire quand nous lavons chargée de Tel marin ? Perfonne na jamais vu ces pré¬ tendues mines de fei , perfonne n’a jamais ex¬ trait du birume de l’eau de la mer.

Pourquoi l’eau eft-elle incompréhenfible ? pourquoi n’a- 1- elle aucun refTort ? de queft-ce que le irefTort ? Pourquoi de l’eau enfermée dans un globe d’or s’échappera-t-elle à travers les po¬ res de l’or quand on frappera fur ce globe avec un marteau 9 quoique lor foit près de vingt fois plus denfe que l’eau ? Et pourquoi ne peut- elle palier à travers des pores du verte , touC diaphane qu’eft ce verre ? Comment l’eau en vapeurs fait-elle un effet deux fois plus confidé- rable que celui de la poudre à canon ? on ferait bien embaraffé de répondre. On ne fait pas en¬ core même précifémenc pourquoi l’eau éteint le feu. r

CHAPITRE TREN TE- UNIEME

DE U A I R.

Quelques philofophes ont nié quil y eue de l’air. Ils difenc qu’il eft inutile d’ad¬ mettre un être qu’on ne voit jamais & donc tous les effets s’expliquent fi aifément par les vapeurs qui fortent du fein de la terre» New¬ ton a démontré que le corps le plus dur a moins de matière que de pores. Des exhalaifons con¬ tinuelles échappent en foule de toutes les par¬ ties de notre globe. Un cheval jeune & vi¬ goureux ramené tout en fueur dans fon ecune en temps d’hiver eft entouré d’un atmofphère mille fois moins confidérable que notre globe ne l’eft de la matière de fa propre tranfpira-

tion.

Cette tranfpiration , ces exhalaifons , ces vapeurs innombrables s échappent fans cefle par des pores innombrables > & ont elles -memes des pores. C’eft ce mouvement continu en touc fens, qui forme & qui détruit fans cefle végé-

DE L’ A I R. 5S

taux , minéraux , métaux , animaux. C’eft ce qui a fait penfec à plulîeurs que le mouvement eft eflentiel à la madère-; puifqu’il n’y a pas une particule dans laquelle il n’y ait un mouve¬ ment continu. Et fi la puiflànce formatrice éter¬ nelle qui préfide à tous les globes , eft l’auteur de tout mouvement , elle a voulu du moins que ce mouvement ne pérît jamais. Or ce qui eft toujours indeftruéfible a pu paraître eflentiel, comme l’étendue & la folidité ont paru eflen- tielles. Si cette idée eft une erreur elle eft par¬ donnable , car il n’y a que l’erreur malicieufe

& de mauvaife foi qui ne mérite pas d’indul¬ gence.

Mais quon regarde le mouvement comme eflentiel ou non , il eft indubitable que les ex- halaifons de notre globe s’élèvent & retom¬ bent fans aucun relâche à un mille, i deux mil¬ les , à trois milles au-deflus de nos têtes. Du mont Atlas a 1 extrémité du Tautus , tout hom¬ me peut voir tous les jours les nuages fe for¬ mer fous fes pieds. Il eft arrivé mille fois à des voyageurs d’être au-defliis de l’arc-en-ciel , des éclairs 8c du tonnerre.

Le feu répandu dans rintcneur du globe ; «e feu , qui , caché dans l’eau & dans la glace

DE L’ À î ït

même , eft probablement la fource impériflâ- ble de ces exhalaifons , de ces vapeurs , dont nous fommes continuellement environnés. El¬ les forment un ciel bleu dans un temps ferein quand elle font allez hautes ôc alTez atténuées pour ne nous envoyer que des rayons bleus ; comme les feuilles de lor amincies , expofées aux rayons du foleil dans la chambre obfcure. Ces vapeurs imprégnées de foufre forment les tonnerres ôc les éclairs» Comprimées Ôc enfuite dilatées par cette comprefiion dans les entrailles de la terre , elles s’échappent en volcans, for¬ ment ôc détruifent de petites montagnes , ren- verfent des villes , ébranlent quelquefois une grande partie du globe.

Cette met de vapeurs dans laquelle nous na¬ geons , qui nous menace fans celle , Ôc fans la¬ quelle nous ne pourrions vivre , comprime de tous cotés notre globe Ôc fes habitans avec la même force que fi nous avions fur notre tête un Océan de trente -deux pieds de hauteur : ôc chaque homme en porte environ quarante mille

livres» 'y- - -

Tout ceci pofé , les Philofophes qui nient

l’air , difent pourquoi attribuerons nous à un

élément

DE L? A I R. 5,7

élément inconnu & invifible , des effets que l’on voit continuellement produits par ces exhalaifons vifibles tte palpables ?

Je vois au coucher du foleil s’élèver du pied des montagnes, Sc du fond des prairies, un nuage blanc qui couvre toute l’étendue du terrain , au¬ tant que ma vue peut porter. Ce nuage s epaifÇc peu à peu , cache infenfiblement les montagnes , ôc s’élève au delïus d’elles. Comment, fi l’air exiftait, cet air dont chaque colonne équivaut à trente-deux pieds d’eau , ne ferait-il pas rentrer ce nuage dans le fein de la terre dont il eft forti ? Chaque pied cube de ce nuage eft preffé par trente-deux pieds cubes , donc ; ii ne pourait ja¬ mais fortir de terre que par un effort prodigieux, & beaucoup plus grand que celui des. vents qui foulèvent les mers. Puifque ces mers ne montent jamais à la trentième partie de la hauteur de ces nuages dans la plus grande effervefcence des tempêtes.

L’air eft élaftique , nous dit-on : mais les va¬ peurs de l’eau feule le font fouvent bien d avan¬ tage. Ce que vous appeliez l’élément de l’air prefte dans une canne à vent, ne porte une balle qu a une tres-petite diftance j mais dans îa pompe

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5>$ DE L'AIR.

à feu des bâtiments d’Yorck à Londres, les va¬ peurs font un effet cent fois plus violent.

On ne dit rien de l’air , continuent-ils , qu’on , ne puiffe dire de meme des vapeurs du globe ; elles pèfent comme lui , s’infinuent comme lui , allument le feu par leur foufle , fe dilatent , fe condenfent de meme.

Ce fiftême fernble avoir un grand avantage fur celui de l’air , en ce qu’il rend parfaitement rai- fon de ce que ratmofphère ne s’étend qu’environ à trois ou quatre milles tout au plus ; au lieu que fi on admet l’air , on ne trouve nulle raifon pour laquelle il ne s’étendrait pas beaucoup plus loin, 8c n’embraflerait pas l’orbite de la lune.

La plus grande objection que l’on fade contre les fiftêmesdes exhalaifons du globe, eft, qu’elles perdent leur élafticité dans la pompe à feu quand elles font refroidies, au lieu que l’air eft , dit- on , toujours élaft ique } mais premièrement il n’eft pas vrai que l’élailicité de l’air agiffe tou¬ jours } fon élafticité eft nulle quand on le fuppofe en équilibre, 8c fans cela il n*y a point de végé¬ taux 8c d’animaux qui ne crevaftent & n’écîataf- fent en cent morceaux , fi cet air qu’on fuppofe être dans eux , confervait fon élafticité. Les va-

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DE V A I R. 59

peurs n’agiffent point quand elles font en équi¬ libre ; c’eft leur dilatation qui fait leurs grands effets. En un mot, tout ce qu’on attribue à i’air femble appartenir fenfibîement , félon ces philo- fophes, aux exhalaifons de notre globe.

Si on leur objecte que l’air effc quelquefois peftilentiel , c’eft bien plutôt des exhalaifons qu’on doit le dire. Elles portent avec elles des parties de foufre , de vitriol , d’arfenic Sc toutes les plantes nuifibles. On dit : l’air eft pur dans ce Canton , cela fignifie : ce Canton n’eft point marécageux } il n’a ni plantes ni minières pernicieufes dont les parties s’exhalent conti¬ nuellement dans les corps des animaux. Ce n’eft point l’élément prétendu de l’air qui rend la campagne de Rome fi mal laine, ce font les eaux croupiffantes , ce font les anciens canaux qui creufés fous terre de tous côtés font devenus le réceptacle de toutes les bêtes vénimeufes. C’eft de que s’exhale continuellement un poifon mortel. Allez à Frefcati , ce n’eft plus le même terrain, ce ne font plus les mêmes exhalaifons. Mais pourquoi l’élément fuppofé de l’air chan- gerait-ii de nature à Frefcati? 11 fe chargera, dit- on; dans la campagne de Rome de ces exhalai¬ fons funeftes , & n’en trouvant pas à Frefcati i

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de V A I R.

deviendra plus falutaire. Mais encore une fois* puifque ces exhalaifons exiftent , puifqu’on les voit vifiblement s’élever le foir en nuages , quelle néceflité de les attribuer à une autre caufe ? Elles montent dans l’athmofphère, elles s’y diflipent, elles changent de forme , le vent dont elles font la première caufe, les emporte, les fépare j elles s’atténuent, elles deviennent falutaires, de mor¬ telles qu’elles étaient.

Une autre objection, c’effc que ces vapeurs, ces exhalaifons renfermées dans un vafe de verre s’attachent aux parois 8c tombent , ce qui n’ar- xive jamais à l’air. Mais qui vous a dit que fi les exhalaifons humides tombent au fond de ce crif- tal , il n’y a pas incomparablement plus de va¬ peurs féches 8c élaftiques qui fe foutiennent dans l’intérieur de ce vafe ? L’air , dites-vous , eft pu¬ rifié après une pluie. Mais nous fommesen droit de vous foutenir que ce font les exhalaifons ter- reftres qui fe font purifiées, que les plus grof- fières , les plus aqueufes rendues à la terre , lailfent les plus féches 8c les plus fines au defîus de nos tètes , &c que c’eft cette afcenfion 8c cette defcente alternative qui entretient le jeu conti¬ nuel de la nature.

Voilà une partie des raifons qu’on peut allé-

' DE L’ A Î R. Iot

guet en faveur de l’opinion que Pélément de Pair n’exifte pas. Il y en a de très fpécieufes & qui peuvent au moins faire naître des doutes j mais ces doutes céderont toujours à l’opinion com¬ mune qui paraît établie fur des principes fupc> rieurs à ceux qui n’admettent au lieu d’air qué les exhalaifons du globe.

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loi

DU FEU ELEMENTAIRE,

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CB AP. TRENTE- DEUXIEME.

DU FEU ELEMENTAIRE

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LA LUMIERE.

ON trouve clans les éléments de la phiîofo- phie de Newton donnée en 1 7 5 S , ces pa¬ roles : » Newton , pour avoir anatomifé la 'lu- » mière , n’en a pas découvert la nature intime. » Il fa v ait bien 'qu’il y a dans le feu élémentaire » des propriétés qui ne font point dans les autres éléments.

Il parcourt cent trente millions de lieues en » moins d’un quart d’heure de Jupiter à notre >3 globe; Il ne paraît pas tendre vers un centre » comme les corps;, mais il fe répand uniformé- >j ment également en tout fens , au contraire des autres éléments. Son atrra&ion vers les ob- jets qu’il touche & fur la furface defquels ils rejaillit, n’a nulle proportion avec la gravita- >9 tion univerfelle de la matière.

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ET DE LA LUMIERE. 103

Il n’eft pas même prouvé que les rayons du » feu élémentaire ne fe pénétrent pas en quelque » forte les uns les autres j fi on ofe le dire. C’eft s? pourquoi Newton , -frappé de toutes ces fingu- >3 larités, femble toujours douter fi la lumière eft » un corps. Pour moi, fi j’ofe hazarder mes. »j doutes, j’avoue que je ne crois pas impoiïible, a? que le feu élémentaire foit un être à part , qui jj anime la nature , de qui tient le milieu entre jj les corps ôc quelque autre être que nous ne jj connailfons pas ; de même que certaines plantes » fervent de palTage du régne végétai au régné jj animal, >j

Voici les queftions qu’on peut faire fur le feu élémentaire & les rayons de la lumière , dont Newton dit fi fouvent, Corpora Jznt nec ne.

Ce feu eft-il abfolument une matière comme

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les autres éléments , Peau , la terre , de ce qu’on diftingue par le terme d’air ou d'œther? Tout corps quel qu’il foit tend vers un centre j mais la

lumière êc le feu s’en échappent également de

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tous cotés. Elle n’eft donc pas foumife a la loi de gravitation qui caraétérife toute matière.

Tout corps eft impénétrable ; mais les rayons de lumière femblent fe pénétrer. Mettez un corps qui aura reçu la couleur rouge à quelque diftance

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ie4 DU FEU ELEMENTAIRE

d’un corps qui aura reçu des rayons verds $ que cent millions d’hommes regardent ce point verd 6c ce point rouge , ils les voyent tous deux égale¬ ment. Cependant, il eft d’une néceffité abfoîue que les rayons verds 6c les rayons rouges fe tra- verfent en angles égaux. Or comment peuvent- ils fe traverfer fans fe pénétrer ? on a propofé cette difficulté à plufieurs Fhilofophes , aucun n’y a jamais répondu.

Il eft vrai que l’on a prétendu que la lumière pèfe. Mais n’a-t-on pas confondu quelquefois les corpufcules joints à la flamme avec la flamme elle-même ?

Qui ne connaît ces expériences par lefqueîles le plomb calciné pèfe plus étant réduit en chaux qu’auparavant. L’on a foupçonné que cette addi¬ tion de poids était l’effet feul du feu introduit dans le plomb. Mais n’eft-il pas plus vraifem- blable que mille petits corps répandus dans l’at- mofphère raréfié, fe font jettés en foule fur ce métal en fufion , 6c en ont ainfi augmenté le poids ?

Ce feu néceflaire à tous les corps 6c qui leur donne la vie , peut il être de la nature de ces corps mêmes , 6c n’eft-il pas bien probable que le vivifiant a quelque chofe au-deffiis du vivifié ?

ET DE LA LUMIERE. 105

Conçoit-on bien qu’un être qui fe meut feize cens mille fois plus vite qu un boulet de canon dans notre atmofphère, & dont la vîtefie eft peut-être incomparablement plus rapide dans l’ef- pace non refilant , foit ce que nous appelions matière ?

N’efi-on pas obligé d’avouer aujourd’hui avec Mufchembrock, quil n'y a rien qui nous foit moins connu que la caufe de l'émanation de la lumière ? il faut avouer que l'efprit humain ne faurait jamais concevoir un phénomène f fur - prenant .

Ce feu élémentaire n’efi-il pas un principe de 1 eleélricite , puifqu au meme infant , au même clin d’œil le coup éîeélrique fe fait fentir à trois cens perfonn es à la fois rangées a la file ? Le pre¬ mier ef frappé , le dernier fent le coup dans l’inf- tant même. f

N’ef-il pas dans les animaux le principe de la fenfation infantanee qui fait que la moindre pi- quure aux extrémités du corps ébranle fans au¬ cun intervalle de tems ce qu’on appelle le Sen- forium ? En un mot, cet être agitfant, fi uni- verfellement, fi finguliérement fur tous les corps, n ef-il pas un etre intermédiaire entre la ma¬ tière dont il a des propriétés , & d’autres êtres

I0(S DU FEU ELEMENTAIRE qui touchent encore à d’autres , 8c qui en dif¬ fèrent ?

Cette idée que le feu élémentaire eil quelque chofe qui tient d’un côté à la matière connue > 8c qui de l’autre s’en éloigne , peut être rejettée , mais ne doit pas être méprifée.

Dans l’ignorance profonde croupit le vul¬ gaire gouverné , 8c le vulgaire gouvernant fur ces quatre éléments dont nous tenons la vie , a quoi nous ont fervi les découvertes en phyfique 8c les inventions du génie ? au lieu de bien cul¬ tiver la terre nous l’enfanglantons ; nous em¬ ployons le feu 8c l’air à mettre les villes en cendres : les eaux de la mer nous fervent à por¬ ter la deftrucHon fur tout le globe. La métallur¬ gie inventée d’abord pour i’ulage de la charrue y a fait périr mille millions d’hommes. La théorie des forces mouvantes employée ü abord a nous foulager dans nos travaux , devint bientôt fé-

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coude en machines meurtrières. Enfin 1 inven¬ tion d’un bénédi&in chimifte amenant un nou¬ vel art de la guerre chez toutes les nations , ren¬ dant le courage 8c la force inutiles s a fait que Guftave 8c Turenne ont été tués par des poltrons. Il y a maintenant en Europe en comptant les Turcs 8c les Tartares quinze cens mille foldats

ET DE LA LUMIERE. ie7

portant des fulils. Aucun ne fait qu’il eft armé par un moine mathématicien.

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CH AP. TRENTE- TROISIEME.

DES LOIX

INCONNUES.

Çl Newton a découvert cette clef de la nature **** par laquelle une pierre, une bombe retombe en cherchant le centre de la terre , & les pla- nettes marchent dans leurs orbites , fi cette loi de 1 attraction agit non en raifon des furfaces com¬ me les loix de Fimpulfion , mais en raifon des fohdes j fi ehe pénétré au centre de la matière en railon inverfe du quatre de îdifiances, pourquoi cette loi n agit-elle pas fuivant les mêmes pro¬ portions dans les phénomènes de l’aimant , dans ceux de 1 eleétricite , dans i afcenfion des liqueurs a travers les tuyaux capillaires , dans la cohéfion des corps , dans les rayons du foleil qui rebon- dififent d’une furface de criftal fans toucher réel¬ lement cette furface ? On ne peut dans aucun ces cas avoir recours aux loix du mouvement, à

Xè8 ÔES LÔ15C INCONNUES.

l’impulfion des corpufcules intermédiaires. 11 y à donc certainement des loix éternelles , incon¬ nues , fuivant lefquelles tout s'opère , fans quon puifTe les expliquer par la matière Sc par le mouvement.

Ces loix reflemblent à celles par lefquelles tous les animaux font agir leurs membres à leur volonté. Qui découvrira le raport de la volonté d’un animal & du mouvement de fes jambes ? 11 y a donc des loix qui ne tiennent en rien à la matière connue. La philofophie corpufculaire ne peut donc rendre aucune raifon des premiers principes des chofes. Defcartes , en paraiffant s’ex¬ pliquer en philo fophe , prononçait donc l’alTertion la moins philofophique quand il difait , donnez- moi de la matière & du mouvement, & je vais faire un monde.

Il y a dans toutes les Académies une chaire vacante pour les vérités inconnues , comme Athènes avait un autel pour les Dieux ignores.

CHAP. TRENTE-QUATRIEME.

IGNORANCES

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ETERNELLES.

LA nature de nos fenfations , de nos idées de notre inconnue

ne nous elt-eile pas plus encore ? Comment fe peut-il faire qu un animal fente ? Quel raport y a-t-il entre la ma? tière connue & le fentiment ?

Comment une idée fe place-t-elle dans notre cervelle ? peut-on avoir une fenfation fans avoir l’idée , la confcience , le témoignage interne a qu’on éprouve cette fenfation ?

Comment cet animal à qui j’ai coupé la tête a- t-il encore des fenfations , privé du cerveau d’où partent les nerfs qui font l’origine de tout fen- îiment ?

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Pourquoi vivant fans tête des années entières fenc-il encore les piquures que je lui fais ? pour¬ quoi' fe réfugie-t-il dans fon enveloppe à la moindre fenfation défagréable que je lui caufe ?

Qu’elf-ce que la mémoire? ôc dans quel ma*

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IGNORANCES &e.

gazin retrouve-t-on , quelquefois fans le vouloir* une fouie d’idées &c de mots dont on n avait plus aucun fouvenir.

Comment les animaux ont* ils en fonge des fenfations & des idées qu’ils n’avaient point eues

en veillant ?

Par quel accord incompréhenfible la volonté fait elle obéir incontinent certains mufcles, cer¬ tains vifcères , tandis qu’il y en a d autres fur lefquels elle n’aura jamais le moindre empire? Enfin , pourquoi a-t-on l’exiftence? pourquoi eft- il quelque chofe ?

Si après ces réflexions on ne fait pas douter , il faut qu'on foit bien fier.

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CH AP. T RE N TE - CINQ UIE ME.

incertitudes

EN ANATOMIE.

î\/f AI2fé tous( Recours que le microfcope p-«- a donnés à l’anatomie; malgré les grandes découvertes de tant d’habiles chirurgiens , de tant de médecins célèbres , que de difputes intermi¬ nables fe font élevées, & dans quelle incertitude fomrnes-nous encore!

Interrogez Borelli fur la force exercée par le cœur dans fa dilatation, dans fa diaftole; il vous aiïiire qu elle eft égale à un poids de cent quatre- vingt mille livres. AdrelTez-vous à Keil , il vous certifie que cette force n’eft que de cinq onces. Junn vient qui décide qu’ils fe font trompés ; & il fait un nouveau calcul ; mais un quatrième furvenant prétend que Jurin s’eft trompé auffi. La nature fe moque d’eux tous, & pendant qu’ils difputent , elle a foin de notre vie ; elle fait con¬ trarier & dilater le cœur par des voies que l’ef- piit humain na pas encore pénétrées.

Iix incertitudes On difpute depuis Hipocrate fur la manière dont fe fait la digeftion ; les uns accordent à l’ef- tomac des fucs digeftifs ; d’autres les lui refufent. Les Chimiftes font de l’eftomac un laboratoire. Hequet en fait un moulin. Heureufement la nature nous fait digérer fans qu’il foit nécedaire que nous fâchions fon fecret. Elle nous donne des apetits, des goûts & des averfions pour cer¬ tains aliments dont nous ne pourons jamais favoir

la caufe.

On dit que notre cliile fe trouve déjà tout formé dans les aliments mêmes , dans une perdrix rôtie. Mais que tous les chimiftes en- femble mettent des perdrix dans une cornue, ils n’en retireront rien qui relfemble ni a une perdrix ni au chiie. 11 faut avouer que nous digérons aind que nous recevons la vie 9 que nous la donnons, que nous dormons , que nous fentons, que nous penfons ; fans favoir comment.

Nous avons des bibliothèques entières fur la génération , mais perfonne ne fait encore feule¬ ment quel relfort produit i’intumeicence dans la partie mafculine.

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£ ANATOMIE. nj

Ôn parle d’un fuc nerveux qui donne la fen^ ïîbilité à nos nerfs , mais ce fuc n’a pu être dé¬ couvert par aucun anatomifte.

Les efprits animaux qui ont une fi grande ré¬ putation , font encore a découvrir.

Votre médecin vous fera prendre une mé¬ decine, & ne fait pas comment elle vous purge* La maniéré dont fe forment nos cheveux 8c nos ongles , nous eft auiïi inconnue que la ma¬ niéré dont nous avons des idées. Le plus vil ex¬ crément confond tous les philofophes.

Vinflow & l’Emeri entafient mémoire fur mé¬ moire fur la génération des mulets ; les favans 4 partagent : 1 ane fier èc tranquille fans fe mê¬ ler de la difptue, fùbjugue cependant fa cavale qui lui donne un beau mulet. La nature agit * nous difputons.

Moniteur Ulloa fi célèbre par les fervices qu’îl a rendus à la phyfique,& par l’hiftoire philofo- jphiqüe de fes voyages , affûte que dans un can¬ ton de l’Amérique méridionale il a vu plufieurs fois, obfervé , mangé des écréviffes qui routes étaient conftamment plus charnues dans îa pleine lune , 8c plus chétives dans les quadratures. Il a vu 8c employé de gros rofeaux qui éprouvaient les memes influences, étant plus nourris d’eau

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114 INCERTITUDES EN ANAT.

quand la lune était dans fon plein que dans le temps du ctoiflant & du décours. Il eût été à fouhaiter qu’il eût donné plus de détails de ce^ étonnantes fingularités. Ni les écré vides , ni les rofeaux de nos climats ne fubitfent de pareils changements. Pourquoi la lune agirait -elle fur les écrévifles du Pérou, & négligerait-elle celles de notre continent? Pourquoi ne ferait-ce que dans un feul canton du Pérou que les rofeaux & ]es écrévifles feraient fournis a l empire de la lune ? Je ferais un trop gros livre fi je voulois dé- tailler tout ce que je n’ai jamais pu comprendre.

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CH API T. TRENTE-SIXIEME.

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DES MONSTRES,

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ET DES

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RACES DIVERSES.

N ne s’accorde point fur l’origine des mont ^-^- tres. Comment s’accorderoit- on , puis¬ qu’on ne convient pas encore de la formation des animaux réguliers?

Natura eft ftbi femper confond 9 dit Newton; la nature eft par-tout Semblable à elle- même. Oui, les corps tendent vers le centre en tout pays. Le feu brûlera par tout , mais la nature agit très -différemment dans les générations, puifque parmi les animaux les uns jettent des œufs , les autres font vivipares, ceux-ci n’ont qu’un fexe , ceux - en ont deux , plufieurs engendrent fans copulation.

Quo teneam vultus mutantcm Frothca nodo ?

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La race des nègres n’eft-elle pas abfolument

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*iS Ï>ÏS MONSTRES

différente de la nôtre ? Il y a encore des îgnorans qui impriment que des nègres & des ncgreffes transportés dans nos climats engendrent des blancs. Il n’y a rien de plus faux , SC tous nos colons. d’Amérique qui ont des nègres font té¬ moins du contraire.

Comment peut-on imprimer encore aujour¬ d’hui que les noirs font une race de blancs noir¬ cis par le climat , tandis qu’on fait que fous le même climat il n’y avait aucun noir en Améri¬ que iorfqu’elle fut découverte , tandis qu’il n’y a de nègres que ceux qu’on y a tranfpiantes *d’ Afrique, tandis que ces nègres engendrent tou¬ jours des nègres comme eux ? La maladie des fiftêmes peut- elle troubler l’efprit au point de faire dire qu’un Suédois & un Nubien font de la même efpèce , lorfqu’on a fous les yeux le réticulum mucofum des nègres qui eft abfolu- tnent noir ^ Sc qui eft la caufe évidente de leur noirceur inhérente & fpécifique ? Je fais que dabsla même carrière on trouve du marbre noie & du marbre blanc, mais certainement le blanc c’a pas produit le noir , & los races negres ne viennent pas plus de races blanches que l’ébéne ne vient d’un orme , &c que les mures ne vien¬ nent des abricots.

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Et DES RACES DIVERSES. 117.

compilateur du journal (Economique » qui neft jamais forri de la rue St. Jacques , me dit d’un ton de maître que les Caraïbes ri etaierrc point rouges y que les mères fe plaifaient feule¬ ment à teindre en rouge leurs enfans. Et voilà mes voifins qui arrivent de la Guadeloupe , 8c qui me donnent une atteftation, qu'il y a encore €.inq a fix familles C dr cubes dans V ünfe Bertrand ^ leur peau, ejl de la couleur de notre cuivre rouge 9 ils font bienfaits y ils ont de longs cheveux & point de barbe.

Ils ne font pas les féuls peuples de cette cou¬ leur. J ai parle a 1 Indien infulaire qui vint en France demander juftice vers l’an 1720 , au C011- feil du Roi , contre Mr. Hebert, ci-devant Gou¬ verneur de Pondicheri , & qui l’obtint. Il était: rouge, & d’ailleurs un très-bel homme.

Maillet a raifon quelquefois. Il avait beau^- coup vu & beaucoup examiné. Les Américains dit-il , page 125 du premier Volante ,Jhr-tàù& les Canadiens y excepte les Efquimaux , n'ont ni poil ni barbe , Ere. Son éditeur qui a fait impri¬ mer le manufcric de Maillet chez la veuve Du- chêne, fait une note fur ce texte , 8c dit fière¬ ment: ># Telliamed fe trompe; les fauvages de ** 1 Amérique ne font point fans poil 8c fans

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1 18 DES MONSTRES

barbe ; ils n’en ont point , parce que s’arra- chant le poil , ou le faifant tombera mefure quii paraît , ils fe frotent enfuite du jus de » certaines herbes pour l’empêcher de croître de « nouveau.

Avec quelle confiance , avec quelle ignoran¬ ce intrépide ce badaut de Paris prérend-il que les Braziliens, &c les Canadiens , Sc les Patagons fe font donnés le mot de s’arracher le poil fans avoir des pinces , quel fecret fe font- ils communiqués du fleuve St. Laurent au cap de Horn pour empêcher la barbe de croître ? Quel eft le voyageur, le Colon Américain qui ne f⬠che que ces peuples n’ont jamais eu de poil en aucune partie de leur corps ?

Les hommes dans le nouveau monde en font privés comme les Lions y font privés de crins (*)j

(*) Voicida lettre qu’un ingénieur en chef qui a com¬ mandé long -tems en Canada , me fait l’honneur de m’écrire du premier Décembre 1768.

M JJai vu au Canada trente -deux nations différentes « raffemblées à la fois pendant deux campagnes de fuite « dans notre armée, & je les ai vues avec des yeux affez » curieux pour vous alfurer qu’ils font imberbes. Leurs 33 femmes le font auffi , & ccft un fait fur lequel vous

pouvez également compter. Enfin , Monfieur , non-

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IT DES RACES DIVERSES. n*

toute la nature étoit différente de la nôtre en Amérique quand nous la découvrîmes j de meme que fur les bords méridionaux de l’Afrique il n’y avait rien qui raflTemblit aux production de notre Europe, ni hommes, ni quadrupèdes , ni oifeaux , ni plantes.

Croira-t-on de bonne foi qu’un Lapon & un Samoyede , foient de la race des anciens habitans» des bords de l’Euphrate? Leurs Rangifères ouRen- nés, animaux qui aefe trouvent point ailleurs & qui ne peuvent vivre ailleurs, defcendenc-ils des cerfs de la foret de Senlis ? Il n a pas certainement ét^plus difficile â la nature de faire desLapons 8c des Rangifères que des nègres & des éléphans.

Les nègres blancs que j’ai vus ; ces petits hom¬ mes qui ont des yeux de perdrix , 8c la foie la plus fine 8c la plus blanche fur la tête, 8c qui ne reffemblent aux nègres que par leur nez épaté , & par la rondeur de la conjonctive, ne me pa¬ rai (lent pas plus defeendre d’une race noire dé¬ générée que d’une race de perroquets. L’auteur

» feulement les Américains n-’ont point de poil.au men- » ton , mais ils n’çn ont dans aucune partie du corps. Ils * en on* lobligation à la nature , & non à la prétendue 33 herbe dont le favant Auteur de la rue St. Jacques prétend qu’ils fe frottent 3».

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ïlo DES MONSTRES,

de rhiftoire naturelle les croit d’une race noire* parce qu’ils font blancs & qu’ils habitent tous à peu près la même latitude, au Darien, au Sud du Zaïr , & à Ceïlan. Et moi , c’eft parce qu’ils habitent la même latitude, que je les crois tous

d’une race particulière.

Eft-il bien vrai que dans quelques îles des Philipines & des Matiannes , il y ait quelques familles qui ont des queues comme on peint les fatyres & les faunes? Des millionnaires Jetuues l’ont affuré j plufieurs voyageurs n’en doutent pas Maillet dit qu’il en a vu. Des domeftiques nègres de feu Mr. de la Bourdonnais , le vain¬ queur de Madras & la vidime de fes fervices ,, m’ont juré qu’ils en avoient vu plufieurs. Il ne ferait pas plus étrange que le croupion fe fût allongé & relevé dans quelques races d hom¬ mes T qu’il ne l’eft de voir des familles qui ont fix doigts aux mains. Mais qu’il y ait eu quelques hommes à queue ou non , cela eft fort peu important , & il faut ranger ces queues dan*

la cl a (Te des monflruofués.

Y a-t-il eu en effet des efpèces de fatyres * c’eft-à- dire, des filles ont- elles pu être enceintes de la façon des finges, ôc enfanter des animaux métis, comme les jumens font des mulets &

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ET DES RACES DIVERSES. 1*1

des jumares ? Toute l’antiquité attelle ces fait* Singuliers. Plufîeurs faints ont vu des fatyres , ce n’eft pas un article de foi. La chofe eft très-pof- fible , mais elle a du. être rare , il eft vrai que les finges aiment fort les filles : mais nos filles ont de l’horreur pour eux , elles les craignent , elles les fuient. Cependant on ne peut douter de plufieurs unions mpnftrueufes, arrivées quelque¬ fois dans les pays chauds. La peine prononcée dans, les loix Juives contre de tels accouplements eft une preuve inconteftable de leur réalité , & il eft fort probable qu’il eft des animaux de ces mélanges ignorés dans nos villes, mais dont on voit des exemples dans les campagnes.

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CHAPIT TRENTE-SEPTIEME.

DE LA POPULATION.

LA population a-t-elle toujours été abondan¬ te? Non fans doute; les peuples parefleux comme la plupart des Américains, ont tou¬ jours être en petit nombre; ils laiflent leurs ter¬ res en friche; les fleuves les inondent, des ma¬ rais immenfes infectent 1 air ; on refpire des poifons. La paucité de la race humaine rend la terre inhabitable , & cette terre abandonnes contribue a fon tour à la dépopulation. Notre continent eft tantôt plus , tantôt moins peuple. Le nombre des citoyens romains diminua fen- flblement depuis les horribles fceleratefles de Silla & de Marius , jufqu’à celles du lâche Oéfca- ve furnommé Augulte,& de Leffrene Antoine.

L’efpèce diminua beaucoup en France dans les guerres civiles jufqu’aux belles années du divin Henri IV- J’ai lu, dans je ne fais quels li¬ vres , que fous Charles IX , au tems de la S. Bar- thelemi , la France avait vingt-neuf millions d’habitans. Une pareille erreur ne mérite pas d’être réfutée.

DE LA POPULATION. 123

Il eft certain que la pcfte , la guerre , la fa¬ mine , l’inquifition ont dépeuple des royaumes entiers. D’un autre côté il y a des provinces trop peuplées , comme la balle Allemagne , dont il eft forti plus de vingt mille familles pour aller chercher des terres dans les colonies anglaifes. Le pays du Pape manque d’hommes , celui des Provinces-Unies en regorge ,1a raifon eneftaf- fez connue j l’un eft habité par des prêtres qui immolent les races futures à l’efpérance d’un pe¬ tit bénéfice , l’autre eft peuplé des fadeurs des deux mondes. Si on avoit dit àTrajan dans fon beau forum , Londres fera un jour Jix fois plus peuple que voire Rome , on l’auroit bien étonné.

L’Europe eft~elle plus peuplée qu’elle ne l’était du tems de Charlemagne? Oui , malgré les moi¬ nes. Regardez, Amfterdam, Venife, Paris,

| Londres , Milan , Naples , Hambourg Sc tant d’autres villes qui n’éraient alors que des villa- ges très-chétifs, ou qui n’exiftaient pas.

La plus grande partie de la forêt Hercinie eft couverte de villes, de villages Sc de moiftbns. Le bois commence a manquer de nos jours pref- que par tout : nôtre Europe eft fi peuplée qu’il : eft impoftible que chacun ait du pain blanc 6c

mange quatre livres de viande par mois. Voila

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i*4 DE LA POPULATION

nous en Tommes avons-nous trop de mors* de? N’en avons-nous. pas allez?

Au refte , ne négligeons jamais l’occafion de remarquer l’épouvantable ridicule de ceux qui donnent à chaque enfant de Noé descentaines de milliards de dêfcendans au bout de quelques, armées.

Un célèbre EcolTois ( Mr. Templeman ) a cal¬ culé que fi toute la terre habitée étoit peuplée comme la Hollande * elle .contiendrait 34710 millions d’habicans. Si comme la Ruflie, 455 millions feulement. L’auteur de l’edai fur l’hif- toire générale & fur les mœurs des nations * af- ligne autour de neuf cens millions de têtes au genre humain. Je crois qu’il ne s’éloigne pas beaucoup de la vérité. Quand on ne fe trompe que d’un million dans de tels calculs, le mai n’eiY pas grand. Je ne fais fi la, terre manque d’hommes , niais certainement elle manque d’hommes heureux.

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CHAP . TRENTE-HUITIEME.

IGNORANCES STUPIDES,

ET

MÉPRISES FUNESTES.

QUoique les physiciens parairtenr condam¬ nés à une ignorance éternelle fur les prin¬ cipes des chofes, cependant la diftance eft pro- tügieufe entre eux & le vulgaire. Quelle diffé¬ rence , par exemple , des connoiftances d’un grand artifte en horlogerie & d’une dame qui acheté fa montre? Elle ne s’informe pas feule¬ ment de Part qui a divifé également les heures du jour. Il y a cent mille âmes dans Paris qui en fondant le feu de leurs cheminées, n’ont ja¬ mais feulement penfé à la mécanique par laquelle l’air entrant dans leur fquflet ferme enfuite la foupape qui lui eft attachée. Les Dames, les Princeftes , les Reines , partent une partie du matin a leur miroir, fans imaginer qu’il y a des traits de lumière qui forment un angle d’inci^

ïiS IGNORANCES stupides.

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denceégal à l’angle de réflexion. On mange tous les jours des membres , des entrailles d’animaux , en n’ayant pas même la curiolité de favoir ce qu’on mange. Le nombre eft très* petit de ceux qui cherchent à s’inftruire des reports de leur corps & de leur penfée. De-là vient qu’ils met¬ tent fouvent l*un & l’autre entre les mains des charlatants.

Le gros des hommes eft dans ce cas pour les chofes qui l’intéreflent le plus. La routine les conduit dans toutes les avions de leur vie j on ne réfléchit que dans les grandes occafions, ôc quand il n’eft plus tems. C’eft ce qui a rendu prefque toutes les adminiftrations vicieufes; c’eft ce qui a produit autant d’erreurs dans le gouvernement que dans la philofophie. En voici un exemple palpable tiré de l’arithmétique.

Le gouvernement de Suède eut autrefois befoin d’argent ; le miniftre emprunta Sc créa des rentes perpétuelles à cinq pour cent com¬ me avaient fait fes predccefleurs. L argent valait alors vingt-cinq livres idéales le marc ; ainfi le citoyen & l’étranger qui prêtèrent chacun quarante marcs 9 durent recevoir a cinq pour cent chacun deux marcs de rente 9 c’eft -à- dire , cinquante livres idéales , l’écu

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ET MEPRISES FUNESTES. 1 27

«tait alors à deux livres chimériques & demi ; quon nommait cinquante fous chimériques. Ces deux marcs réels compofaient au rentier, vingt écus de rente , qu’on appellait cinquante livres.

Cependant les dépenfes augmentèrent, l’état s obéra de plus en plus ; l’argent manqua. On confeilla au miniftre de faire valoir le marc cin¬ quante livres au lieu de vingt-cinq de par con- féquent de donner la dénomination de cinq livres a ce meme ecu qui n en valait que deux de demi. Par la vertu de cette parole , il payera , difait-on , toutes les rentes en idée , & il ne don- liera réellement que la moitié de ce qu’il doit. On promulgue l’édit, l’écu en vaut deux tout d un coup. Cinquante fous numéraires font chan¬ gés en cent fous numéraires. Le fot peuple a qui on dit que fon argent a doublé de valeur dans fa poche , fe croit du double plus riche , de celui qui a prête fon argent a perdu en un moment s pour jamais la moine de fon bien. Mais qu’ar¬ rive-t-il de cette opération aufli injufte qu’ab- furdc ? Le gouvernement ne reçoit plus que la moitié des impôts ^ le cultivateur qui devait, un ecu, ou deux livres 8c demi idéales de taille, ne

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tit ignorances stüpïdêS

«îonne plus que la moitié réelle d’un écu , & îé gouvernement, en fruftrant fes créanciers , eft bien plus fruftré par fes débiteurs. Il n a d autre ref- fource que de doubler les impôts , & cette ref- fource eft une ruine. Rien n’eft plus fenfible que

cet exemple.

On voit mille autres abus non moins perni¬ cieux dans plus d’un état. On n y remedie pas ; on étaye comme on peut la maifon prete a crouler, & on laide le foin de la rebâtir à fon fuccefteur

qui n’en poura venir â bout.

Il y a des vices d’adminiftration qui font plus contagieux que la pefte , & qui portent necef- fairement la défolation d’un bout de l’Europe â l’autre. Un prince veut faire la guerre , & croyant que Dieu eft toujours pour les gros bataillons * il double le nombre de fes troupes ; le voilà d’a¬ bord ruiné dans l’efpérance d’être vainqueur; cette ruine qui était auparavant la fuite de la ouerre , commence chez lui avant le premier coup de canon. Son voifin en fait autant pour lui re¬ filer ; chaque prince de proche en proche dou¬ ble aufli fes armées ; les campagnes font donc du double, le cultivateur double¬ ment

ravagées

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tT MEPRISES FUNESTES. 1 29

frient foulé a néceftairement la moitié moins de beftiaux pour engrailfer fes terres , la moitié moins de manœuvres pour l’aider a les cultiver. Ainlî tout le monde fouffre à peu près également , quand même les avan¬ tages feraient égaux de chaque coté.

Les loix qui concernent la juftice diftrî- butive ont été fouvent aullî mal conçues que les relïources dune adminiftration obérée. Les hommes ayant tous les mêmes pallions, le même amour pour la liberté , chaque homme étant à peu près un cotfrpofé d’or¬ gueil , de cupidité 8c d’intérêt , d’un grand goût pour une vie douce, 8c d’une inquié¬ tude qui exige une vie aétive, ne devraient- ils pas avoir les mêmes loix , comme dans un hôpital on fait prendre le même quin- quina a tous ceux qui ont la lièvre tierce?

On répond à cela que dans un hôpital bien policé , chaque maladie a fon traitement particulier. Mais c’eft ce qui n’arrive pas* tous les peuples font malades en morale , 8c il n’y a pas deux régimes qui fe relfembient.

Les loix de toute efpèce qui font la mé¬ decine des âmes , ont donc été compofées prefque par-tout par des charlatans, qui

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ont

,3o ignorances stupides

donné des palliatifs , & quelques uns même

ont prefcrit des poifons.

Si la maladie eft la même dans le monde

entier , fi un Bafqne a tout autant de cupi¬ dité qu’un Chinois , il eft évident qu il faut un régime uniforme pour le Chinois & pour le Bafque. La différence du climat na ici aucune influence. Ce qui eft jufte à Bilbao doit être jufte à Pékin , par la raifon qu’un triangle reâangle eft la moitié de fon quarté fur le rivage Atlantique comme fur le riva¬ ge Indien; la vérité eft une, toutes les loix différent ; donc la plupart des loix ne va¬ lent rien.

Un Jurifconfulte un peu philofophe me dira les loix font comme les régies du jeu , chaque nation joue aux échecs différemment. Chez les unes le Roi peut faire deux pas , chez d’autres il n’en fait qu’un ; ici on va à dame, on n’y va pas. Mais dans chaque pays tous les joueurs fe foutnettent à la loi établie.

Je lui réponds, cela eft fort bien quand il ne s’agit que de jouer. Je joue mon bien en Hollande en le plaçant à deux & demi pour cent , en France j’en aurai cinq. Cer¬ taines dentées payeront plus de droits en An-

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ET MEPRISES FUNESTES. ni

gleterre qu’en Efpagne. Ce font vérita¬ blement des jeux dont les règles font arbi¬ traires. Mais il y a des jeux il va de la liberté , de l’honneur Ôc de la vie.

Celui qui voudrait calculer les malheurs attachés à l’adminiftration vicieufe , ferait obligé de faire l’hiftoire du genre humain. 11 réfulte de tout ceci , que h les hommes fe trompent en phyfique , ils fe trompent encor plus en morale ; de que nous fommes livrés à l’ignorance 6e au malheur , dans une vie qui , tout bien calculé , n’a pas l’une por¬ tant l’autre trois années de fenfations agréables.

Mais quoi! nous répondra un homme à routine, était -on mieux du tems des Goths, des Huns , des Vandales , des Francs , de du grand Schifme d’Occident?

Je réponds que nous étions beaucoup plus mal. Mais je dis que les hommes qui font aujourd’hui à la tête des Gouvernements étant beaucoup plus inftruits qu’on ne l’était alors , il eft honteux que la fociété ne fe foit pas perfectionnée en proportion des lumières ac- quifes. Je dis que ces lumières ne font encore qu’un crépufcule. Nous fortons d’une nuit profonde, & nous attendons le grand jour.

F I N.