Ps m «v «r* i fti é&Sz-^ '< Les Syndicats agricoles Tous droits de reproduction, de traduction et d'adaptation réservés pour tous pays. Copyright by J. Gabalda, i9i3. TYPOGRAPHIE FIRMIN-DIDOT ET Cie, — MESNIL (EURE), ECONOMIE SOCIALE Mîs de MàrcilUc Président de l'Union des Syndicats Agricoles du Périgord et du Limousin Membre du Conseil de la Société des Agriculteurs de France Correspondant de la Société nationale d'Agriculture Les Syndicats Agricoles Leur action économique et sociale PARIS LIBRAIRIE VICTOR LECOFFRE J. GABALDA, Éditeur RUE BONAPARTE, 90 1913 HV AVANT-PROPOS En acceptant d'écrire cet ouvrage, nous n'avons pas eu la pensée de faire une œuvre complète. Si nombreuses en effet sont les manifestations aux- quelles peuvent donner lieu les syndicats agricoles que plusieurs volumes seraient nécessaires pour en épuiser la matière. Au surplus d'autres avant nous ont déjà traité ces sujets ; M. de Gailhard-Bancel dans ses « Quinze années d'action syndicale » a montré la naissance, le développement, la vie de l'association professionnelle rurale. M. le Gt0 de Rocquigny en a été depuis lors l'historiographe autorisé et nous renverrons plus d'une fois le lecteur à son ouvrage : « Les syndi- cats agricoles et leur œuvre t ». Nous n'avons pas eu la prétention d'y suppléer 1. Consulter notamment la :*" édition et sa préface publiée en 1900 par la Bibliothèque «lu Musée social. vi AVANT-PROPOS. non plus que d'étudier ici le régime juridique de ces institutions. Nous nous sommes borné à décrire les princi- paux caractères de leur action, et d'une façon sommaire leur fonctionnement. Si nous avons essayé d'ajouter quelques pages à l'histoire des syndicats agricoles en signalant leurs manifesta- tions nouvelles, les difficultés qu'ils ont rencontrées au cours de ces dernières années, notre objectif a été surtout de chercher à dégager la philosophie du. mouvement social auquel ils ont participé, l'ac- tion qu'ils ont exercée dans révolution économi- que de notre temps, les bases de l'organisation sociale nouvelle qu'ils contribuent à édifier. On ignore généralement les syndicats ou plutôt on les méconnaît, les considérant comme des as- sociations simplement aptes à procurer au cul- tivateur des engrais et des semences de meilleure qualité à de meilleurs prix. Un procès retentissant, plaidé en 1907 et 1908 devant la cour d'appel de Nancy et la Cour de Cassation, les projets de loi qui en furent la con- séquence, loin de faire dévier l'action des syndi- cats agricoles, leur fournit au contraire l'occasion de développer leur doctrine sociale et d'affirmer par des faits l'objectif vers lequel ils tendent. Par leur nombre, par leurs organes, par les institutions de toutes natures : coopération, crédit, AVANT-PROPOS. vu assurance, prévoyance etc., qu'ils ont créées, par leur organisation même, leur indépendance qui n'est pas dépourvue d'une certaine hiérarchie, ils se présentent comme un vivant exemple des ré- sultats auxquels peut atteindre l'initiative privée dans le cadre de la profession. Ils ont en outre tracé l'ébauche d'une organisa- tion sociale professionnelle, avec représentation des intérêts et décentralisation régionale, et pro- voqué au cours de ces dernières années un mou- vement profond dans les milieux commerciaux et industriels pourtant si attachés à la conception de l'individualisme et à la centralisation administra- tive. Tout en différant, quant aux conditions de milieu et de forme, l'organisation syndicale agricole peut servir d'exemple aux associations ouvrières, et préparer les voies de cette modification de l'état social du pays que réclament presque toutes les branches de l'activité nationale. . Mais pour y parvenir, les syndicats agricoles et surtout leurs Unions, doivent se garder des influences extérieures, politiques ou autres, quelle qu'en soit l'origine ; jaloux de leur indépendance, ils doivent rester fidèles aux principes sur lesquels ils reposent, fermement attachés à leur drapeau : l'étude, la défense et la représentation des iuté- professionnels. viii AVANT-PROPOS. Nous avons cherché au cours de cet ouvrage à faire ressortir cette idée maîtresse qui domine le mouvement syndical rural et que les faits révèlent avec d'autant plus de force que ce mouvement est presque exclusivement l'œuvre du dévouement et de l'initiative privée. Il n'entre pas dans notre pensée d'étudier ici les raisons pour lesquelles nous croyons que dans l'organisation nouvelle du travail qui se prépare, les corps de métiers doivent avoir une représen- tation légale et que la circonscription provinciale en sera le berceau. Nous ne prétendons pas non plus assimiler les syndicats agricoles et moins encore les syndicats en général aux anciennes corporations. Si ces associations possèdent entre elles quel- que ressemblance, c'est qu'elles découlent d'une origine commune, du principe delà liberté d'asso- ciation qui est de droit naturel. Le syndicat n'est pas davantage à nos yeux une panacée, ou d'une essence telle qu'il puisse être rendu obligatoire, ce qui serait méconnaître l'es- prit français, aimant l'ordre, mais plus amoureux encore de liberté ; ce serait également ignorer qu'il ne peut y avoir de système absolu dans les ques- tions sociales, que les sociétés sont en évolution constante, que les lois doivent enregistrer les faits, non les précéder. AVANT-PROPOS. ix Mais nous pensons que dans ce cadre nouveau de l'organisation du travail les syndicats libres doivent avoir une place prépondérante, les syndi- cats agricoles surtout, parce que leur milieu s'y prête plus que tous les autres, parce qu'ils ont déjà partiellement réalisé ce programme, parce que sortant de la terre de France ils sont comme l'émanation de la race. Ils représentent la patrie. Mellet. — Avril 1913. LES SYNDICATS AGRICOLES CHAPITRE PREMIER l'origine du mouvement syndical Aussi loin que l'on remonte en arrière dans l'his- toire du passé, on constate le besoin des hommes de s'associer entre eux, de mettre en commun leurs com- munes faiblesses, ou de placer leur personne, leurs fa- milles, leurs biens sous la protection de ceux qui, par leur situation, sont capables de les défendre. Ainsi dans la Gaule antique, le chef gaulois proté- geait la famille, le bren défendait le clan et y assurait le règne de la justice. Plus tard la civilisation romaine apporte avec elle ses collèges qui, aux yeux d'un grand nombre, sont encore considérés comme le berceau de la corporation du moyen âge. Mais les Barbares viennent s'implanter dans notre pays et balaient ce qui reste de ces associations écra- sées par la fiscalité et la centralisation impériale. Plusieurs siècles se passent sur lesquels l'histoire ne nous a laissé que de rares documents. LES SYNDICATS AGRICOLES. 1 2 LES SYNDICATS AGRICOLES. C'est auprès de la grande propriété foncière, des monastères, des villae que viennent se réfugier les der- niers vestiges des groupements d'artisans, tandis que ici et là se forment des guildes, associations d'assistance mutuelle ou de commerçants désireux de mettre en commun les risques de leur industrie, dans un temps où, l'état anarchique du pays ne permettant pas à l'es- prit d'association de se donner libre essor, le désordre et la misère régnent là où l'autorité et la force protec- trice font défaut ou manquent à leur mission. Tel était,. à peu de choses près, l'état de la France au sortir des affres troublantes de l'an mille. Les individualités isolées étaient fatalement vaincues et n'avaient d'autres ressources que de se lier au sei- gneur. La féodalité puissante, si elle avait quelquefois la main lourde pour les humbles, était aussi pour eux leur unique protecteur, et si le souvenir du seigneur haut justicier est resté vivant dans la masse, celle-ci a peut- être oublié un peu trop vite la fonction protectrice qu'il exerçait en sa faveur. Nous disons qu'il « exerçait ». Comment expliquerait-on, en effet, si cette protection n'avait été ni réelle ni efficace, si elle avait été partout tyrannique, la présence de ces agglomérations que le touriste observateur, que l'habitant des campagnes rencontre étroitement serrées autour du manoir féodal ? Ce sont des villages, quelquefois des villes, d'humbles chaumières dont les vestiges disparaissent chaque jour, de riches maisons aux fenêtres ornementées, aux por- tiques gracieux et sculptés, rassemblés dans une sorte d'intimité au pied du donjon que gardent les archers L'ORIGINE DU MOUVEMENT SYNDICAL. 3 et qui étend sur elles son ombre, d'apparence sévère, mais en réalité tutélaire. Plus loin, c'est une église, église fortifiée le plus souvent et pourvue d'une enceinte, dont le clocher go- thique s'élance vers le ciel, ancien oratoire de ces moines bénédictins ou trappistes qui défrichaient landes, forêts et marais, tout en conservant le patri- moine intellectuel du passé, qui étaient alors les seuls éducateurs du peuple et préparaient dans le silence et le travail les progrès merveilleux des lettres, des scien- ces et des arts. Quel sentiment a donc poussé ces hommes à se rap- procher les uns des autres? Pourquoi cette union du puissant et du faible, du riche et du pauvre, du lettré et de l'ignorant, si ce n'est l'instinct impérieux de la nature humaine qui pousse les hommes à s'associer entre eux en vue de s'assurer la sécurité du lendemain, de perpétuer la race, d'assurer à leurs descendants le legs de ces biens moraux, maté- riels et intellectuels, accumulés par des années et des siècles d'efforts, de travail, de sacrifices, dans chacun des membres de la grande famille humaine? Ces facultés de travail, cet esprit d'épargne, cet atta- chement aux traditions du passé, ce désir de léguer aux générations futures le patrimoine familial, si caracté- ristique dans la race française, furent peut-être un des mobiles les plus puissants de cette union du peuple et des seigneurs terriens, delà multiplication des guildes, des corporations de toutes natures qui fleurirent au moyen âge et contribuèrent si grandement à la renom- mée et à la grandeur de la France. Car les villes s'étaient étendues, le commerce l'était développé ; entre le peuple et la noblesse, une nouvelle 4 LES SYNDICATS AGRICOLES. classe s'était formée ; les artisans et les négociants s'é- taient groupés entre eux. Devenus plus puissants, leur indépendance s'accroît, les droits du seigneur se trouvent limités, les com- munes prennent leurs franchises, favorisées d'ailleurs dans ce sens par le pouvoir royal; les Parlements, les corps de métiers apportent au Pouvoir central les con- cours nécessaires aux besoins du pays tout entier ; ils savent aussi modérer ses excès, défendre les droits économiques de la province. Et dans le recul de l'histoire apparaissent, sous les yeux de l'observateur impartial dégagé des préoccu- pations de parti, l'équilibre existant entre ces divers organismes ; l'association du travail et des efforts in- dividuels en vue d'un progrès constant, l'association des corps de métiers, de tous les corps sociaux qui constituent l'État, coopérant sans cesse au bien et à la prospérité du pays. Mais bientôt l'équilibre se rompt. Le pouvoir central accroît sa puissance, absorbant celle du seigneur qui va à la Cour et manque à sa mis- sion protectrice, absorbant encore le pouvoir des Par- lements qui eux-mêmes, comme le seigneur local, ab- diquent en quelque sorte leurs droits. C'est aussi la corporation dont les règlements plus étroits, l'intervention de l'autorité centrale, une fiscalité excessive enrayent le développement, qui devient chaque jour plus fermée, envisage moins la fonction qu'elle exerçait dans l'Etat que les intérêts de ses membres, et en restreignant la liberté des individus, abdique sa propre indépendance. Dans la société plus centralisée, l'individu ne trouve plus la place adaptée à ses facultés et à ses besoins que L'ORIGINE DU MOUVEMENT SYNDICAL. 5 l'ancienne corporation élargie pouvait lui garantir. Il retombe dans son isolement n'ayant plus à proxi- mité de lui ses protecteurs naturels, des forces aux- quelles il pourra associer sa faiblesse. Les doctrines philosophiques viendront enfin exalter l'individualisme, proclamer la suprématie de la Raison, affirmer le principe de la Liberté, sans définir les moyens d'user de cette même liberté, sans comprendre que la liberté n'est qu'un mot vide de sens, s'il n'est pas donné à chaque individu la faculté d'en user propor- tionnellement à ses facultés. Dans son « Histoire des corporations de métiers » M. Martin Saint-Léon a montré la vie de ces corpora- tions, leurs avantages et leurs défauts, leur prospérité et leur décadence, les services qu'elles ont rendus au pays 1 . Ainsi l'a fait aussi M. H. Fagniez dans son ouvrage Corporations et Syndicats2 où il établit une compa- raison instructive entre les anciennes associations pro- fessionnelles et les nouvelles. 11 fait ressortir la grande pensée de Colbert qui voulait élargir leur action, et leur donner les moyens de donner au régime économique du pays une nouvelle ère de prospérité. « Il faut, disait en 1653 le grand plébéien héritier des vertus professionnelles de plusieurs générations de commerçants, il faut organiser les producteurs et les commerçants en corporations. » 1. * Histoire des corporations de métiers depuis leurs origines jusqu'à leur suppression en 1791, suivie d'une étude sur l'Évolution de l'idée corporative de 1791 jusqu'à n<>s jours et sur le mouvement syndical contemporain », par Martin Saint -Léon, bibliothécaire do. Mu^ee Social, Paris, Alcan, 1909. 2. H. Fagniez, membre de l'institut, Corporation* <■/ Syndicatst Paris, LecofJ're, Bibliothèque d'Economie sociale, 1905. 6 LES SYNDICATS AGRICOLES. Mais si Colbert était « aussi passionné pour le bien- être des travailleurs que pour le développement de l'industrie nationale », il était aussi trop « peu confiant dans les aptitudes d'organisation de la population la- borieuse » et trop « convaincu de l'efficacité du patro- nage et de la direction de l'État » . De là une série de réglementations trop étroites que vinrent renforcer encore les besoins d'une fiscalité que des grandes entreprises, des guerres prolongées rendaient plus urgents. « Le Colbertisme survécut à Colbert, ajoute M. Fa- gniez, mais il perdit avec lui ce dévouement à l'intérêt public, cet amour du peuple qui rachètent chez son fon- dateur l'excès de l'autoritarisme. » Combattu par l'esprit individualiste, tour à tour soutenu et abandonné par le pouvoir, le régime corpo- ratif reçut un coup mortel avec les Édits de janvier et février 1775 par lesquels Turgot, devançant l'œuvre de la Révolution, supprimait le droit de réunion et d'association entre gens de même métier. Une réorganisation empirique, tentée par Necker en août 1776 et janvier 1777, ne réussit pas à sauver l'as- sociation professionnelle jusqu'au jour où, la crise atteignant son apogée, les liens séculaires se rompirent. Dansles séances des 14-17 juin 1791, la Constituante, sur la proposition de Lechapelier, décida d'interdire à tous les citoyens d'une même profession de se con- certer, de s'unir et de « former des règlements sur leurs prétendus intérêts communs » . « L'anéantissement de toute espèce de corporation, de même état ou profession, ajoute l'article 2, étant l'une des bases de la Constitution, il est défendu de les rétablir sous quelque prétexte que ce soit. » L'ORIGINE DU MOUVEMENT SYNDICAL. 7 Défense vaine, contre laquelle s'élève la loi naturelle et que les faits ne tarderont pas à démentir. Si le code civil porte l'empreinte napoléonienne, ja- louse de l'ordre public et de l'autorité du pouvoir cen- tral, il n'en est pas moins vrai que Napoléon n'aurait pas été éloigné de restaurer ces organismes corpora- tifs du travail s'il avait pu les adapter à son système administratif et s'assurer de leur dépendance. Au surplus le spectacle de l'anarchie industrielle et commerciale issue de la Révolution provoqua la res- tauration et la réglementation de certaines corpora- tions considérées comme des institutions nécessaires, afin d'enrayer les abus et de sauvegarder les intérêts généraux du pays. On vit alors se constituer des groupes professionnels de la boulangerie parisienne qui reçut un monopole, celle de la boucherie qui dans certaines villes, notam- ment à Limoges, avait conservé ses coutumes et règle- ments auxquels elle est encore fidèle. « En matière industrielle de nombreuses pétitions réclamaient le rétablissement des corps de métiers, invoquant la nécessité de mettre un frein à la concur- rence, d'empêcher les faillites causées par l'incapacité ou la mauvaise foi, de surveiller et de prévenir la fraude, d'assurer la bonne qualité des produits *. » Plus tard sous le 2e Empire, d'autres corporations se constituèrent, mais, il faut le reconnaître, elles étaient 1. Levassent1, Hiëtoin det elaaet auvrièrei et de l'industrie en France, 17HU à 1870, p. 340. 8 LES SYNDICATS AGRICOLES. surtout des associations patronales qui, dans une so- ciété dominée parles intérêts du capitalisme industriel, paraissaient peu redoutables. Elles n'offraient qu'un danger : le monopole ; ce danger ne compromettait pas nécessairement la paix publique, l'État pouvait y parer en lui concédant des privilèges et en l'organisant, c'est-à-dire en gardant sur ces groupements toute son influence. Plus redoutables apparaissaient les associations ou- vrières, suspectes de receler des forces aveugles dan- gereuses pour la paix publique, menaçantes pour le pouvoir. Jusqu'en 1848 elles furent impitoyablement poursuivies. Au surplus la société tenait leur existence comme sans objet, ayant conservé du contrat de travail une conception individualiste, l'assimilant au contrat de louage à côté des animaux et des choses. Pourtant, le besoin de grouper ces intérêts communs que reniait la loi de 1791, est si conforme aux aspi- rations naturelles des individus, la nécessité pour la classe ouvrière de développer entre ses membres l'esprit de solidarité et d'améliorer leur vie précaire en face du développement de l'industrie, était si impérieuse que les intéressés ne tardèrent pas à créer des institutions susceptibles de leur procurer un ap- pui et les moyens de défense. Ces dispositions provoquèrent la création des com- pagnonnages et des sociétés de secours mutuels bien avant que le pouvoir reconnaisse la légitimité des as- sociations ouvrières. Cependant, après 1848, une détente marquée se pro- duit à leur égard. La tolérance s'accroît avec le 2e Em- pire; la loi de 1864 sur les ententes ou coalitions sup- L'ORIGINE DU MOUVEMENT SYNDICAL. 9 primant l'amende et la prison dont étaient frappées les associations ouvrières, marque le point de départ de leur émancipation. Après 1870, les associations ouvrières se multiplient, des projets de loi sont déposés et, à la suite de longs débats, la loi du 21 mars 1884, contredisant à la loi de 1791, vient donner une sanction légale aux groupements de travailleurs, instituant en même temps une forme d'association corporative nouvelle dont la portée im- prévue provoquera une évolution profonde de la so- ciété moderne. L'agriculture n'avait pas participé directement à ce mouvement dont elle est devenue aujourd'hui la béné- ficiaire, et nul alors ne songeait que c'était elle qui tirerait de cette loi de 1884 les effets les plus pacifiques et les plus féconds. Pourtant l'esprit d'association ne perdait pas ses droits parmi ces cultivateurs qui pour être quelque peu jaloux parfois les uds des autres n'en pratiquent pas moins chaque jour les principes de charité et d'assis- tance mutuelle. C'étaient les Cotises ou Consorses des Landes, asso- ciations de prévoyance ayant pour objet de couvrir par la mutualité les pertes résultant de la mortalité acci- dentelle des animaux, les Fruitières de Franche-Comté connues dès le xvne siècle dont les sociétaires mettaient le lait en commun pour la fabrication du fromage de Gruyère, qui continuaient en marge de la loi à réaliser leur mission. Cotaient d'autre part les Sociétés d'agriculture qui 10 LES SYNDICATS AGRICOLES. exercèrent une influence considérable sur le dévelop- pement de l'industrie agricole. Quelques-unes aujourd'hui plus que centenaires fu- rent reconnues par le pouvoir, et le besoin d'association continuant à se manifester malgré la défense de la loi de 1791, on voit apparaître vers 1830 un nouveau type d'association : le Comice agricole, réglementé plus tard par la loi du 20 mars 1851. Moins académiques que les Sociétés d'agriculture, les Comices contribuèrent avec elles à multiplier les concours, à distribuer des récompenses aux anciens serviteurs, à provoquer, à encourager par des expé- riences, par leurs Bulletins, l'amélioration des mé- thodes de cultures, celle de l'élevage, à introduire l'emploi des machines et des engrais, jusqu'au jour où la loi de 1884 vient ouvrir à l'agriculture des horizons nouveaux. C'était en effet l'élite du monde rural, des agro- nomes plutôt que la masse des exploitants du sol et moins encore les simples ouvriers, que l'esprit d'asso- ciation avait amenés dans ces groupements, tandis que dans les classes moyennes de la culture, l'associa- tion était réalisée par le régime du métayage et du colonat partiaire. On médit beaucoup aujourd'hui ce dernier régime qui fut pourtant un modèle d'association du capital et du travail et qui contribua si puissamment à transporter dans le domaine pratique les expériences coûteuses tentées par la grande propriété. Là le propriétaire détenteur du sol apporte avec la terre le crédit, c'est-à-dire le capital et des con- naissances supérieures tandis que le métayer, le colon apporte son travail, son expérience du sol, sa L'ORIGINE DU MOUVEMENT SYNDICAL. 11 compétence dans les soins journaliers des animaux. C'est au régime du métayage, c'est-à-dire à l'asso- ciation, que certaines provinces comme le Limousin durent l'amélioration de leur race et leur prospérité, car l'association des intérêts matériels entraîne avec elle l'association des intérêts moraux, développe l'es- prit d'épargne, assure la protection du foyer, effets qui rejaillissent sur la nation toute entière et que nous verrons découler de l'institution des syndicats agricoles1. Mais après une période de prospérité l'agriculture traversait une crise redoutable ; le caractère acadé- mique des Sociétés d'agriculture et des Comices était impuissant à la conjurer. Une situation économique nouvelle exigeant rabais- sement des prix de revient, l'augmentation des ren- dements, la recherche de nouveaux débouchés, la nécessité de se protéger contre les accidents, contre la fraude, contre les aléas, de perfectionner les mé- thodes de la petite culture, nécessitait une autre forme d'association plus étendue, plus ouverte, rendant des services économiques plus immédiats, ne restant pas étrangère aux problèmes sociaux qui de l'industrie s étendaient directement ou par voie d'incidence jus- qu'à l'agriculture. Les Syndicats agricoles prirent naissance au moment même où la loi de 1884 était promulguée. \. C'est encore à l'esprit d'association, mais sous une forme moins étroite, que la Rretagne est en partie redevable de sa prospérité. Le bail à domaine oongéable si vivement critiqué par certains parlemen- taires socialistes et qui d'ailleurs est sur le point de disparaître, ne fut pourtant pas autre chose qu'un bail à forme dans lequel le fermier se trou\ait indemnisé de toutes les améliorations qu'il avait apportée! au fond. Ce régime a permis à l'agriculture bretonne au cours du sic cle dernier de mettre en valeur des étendues considérables de landes. 12 LES SYNDICATS AGRICOLES. Ils commencèrent à remplir la fonction bienfaisante d'union et de paix sociale que Waldeck-Rousseau en- trevoyait pour les associations professionnelles et qu'il définissait dans une circulaire adressée le 25 août 1884 aux Préfets. « Pénétré de l'idée que l'association des individus, suivant leurs affinités professionnelles, est moins une arme de combat qu'un instrument de progrès matériel, moral et intellectuel, le législateur a donné aux syn- dicats la personnalité civile, pour leur permettre de porter au plus haut degré de puissance leur bienfai- sante activité. Grâce à la liberté complète d'une part, à la personnalité civile de l'autre, les syndicats, sûrs de l'avenir, pourront réunir les ressources nécessaires pour créer et multiplier les utiles institutions qui ont produit chez d'autres peuples de précieux résultats. » La plus vaste carrière est ouverte par la loi, ajoutait- il, devant l'activité des associations professionnelles et leur fécondité ne doit pas rencontrer de limites légales. Les difficultés qui pourront surgir devront toujours être tranchées dans le sens le plus favorable au déve- loppement de la liberté. C'est surtout l'agriculture qui a réalisé ce pro- gramme, c'est parce qu'ils ont pris ces libertés, parce qu'ils ont élargi les cadres de la loi que les Syn- dicats agricoles ont pu rendre la loi de 1884 aussi fé- conde, si bien que le 31 octobre 1897 lorsque furent proclamés au Musée Social les résultats du concours institué par M. le Comte de Chambrun entre les syn- dicats agricoles, M. Méline qui représentait le gou- vernement comme président du Conseil et ministre de l'agriculture pouvait leur rendre hommage en ces termes : L'ORIGINE DU MOUVEMENT SYNDICAL. 13 « Chose curieuse et bien digne de remarque, vous n'avez rien eu à apprendre à ceux que vous appeliez ici ; c'est de ce monde agricole qu'on avait cru pen- dant si longtemps voué à l'esprit de routine invétérée et dépourvu de toute initiative qu'est partie l'étincelle qui doit régénérer le monde moderne. » CHAPITRE II LA LOI DU 21 MARS 1884. — SES CONSEQUENCES La loi du 21 mars 1884 consacra donc un état de choses qui existait en puissance dans le pays en même temps qu'elle rétablissait dans la législation le droit naturel de l'homme de former des associations. Après 29 années, il est permis de dire que cette loi a reçu une application rapide si l'on tient compte des modifications profondes qu'elle a apportées dans l'état social de notre pays. Et pourtant la législation nouvelle n'a pu détruire le vieil esprit individualiste ; des tentatives de cen- tralisation se réveillent chaque jour et se manifestent chez ceux-là même parfois qui se déclarent les plus dégagés de cette tendance. La lutte entre ces deux éléments : individualisme et centralisation d'une part, libertés syndicales et décen- tralisation de l'autre, semble atteindre en ce moment son apogée; mais l'idée de l'organisation sociale corporative fait chaque jour de nouveaux progrès, elle aurait déjà triomphé s'il y avait eu plus de cohé- sion parmi les syndicalistes, moins de préventions LA LOI DU 21 MARS. — SES CONSÉQUENCES. 15 entre eux et surtout si la fâcheuse politique exploitée au profit d'intérêts privés n'était venue mettre la divi- sion là où un commun effort aurait dû unir toutes les bonnes volontés. Dès le lendemain de la loi de 1884 — on pourrait même dire « dès la veille » — deux courants se sont accusés procédant d'idées, de tendances, de doctrines absolument différentes. Nous allons essayer de les dégager rapidement en tenant compte uniquement des faits selon la méthode chère à l'illustre maître Le Play. Nous verrons que ces courants présentent certaines analogies d'organisation, souvent même d'aspirations. LE SYNDICALISME INDUSTRIEL. Nous avons dit que longtemps avant le vote de la loi la classe ouvrière s'organisait en vue de lutter contre le pouvoir, contre la société bourgeoise et capitaliste à laquelle elle attribuait ses souffrances. En fait, en dehors des doctrinaires, la grande masse des travailleurs était plutôt attirée par l'idée de mettre en commun les efforts de chacun de ses membres, alin d'obtenir de meilleurs salaires, de défendre leurs intérêts, d'améliorer leur bien-être. La loi du 21 mars 1884 allait-elle leur donner sa- tisfaction? répondait-elle à leurs aspirations? A voir l'accueil qui lui fut fait par les militants du parti socialiste, la réponse est nettement négative. Le parti socialiste manifesta une extrême déliance à l'égard de la loi de 1884, redoutant l'intrusion du pouvoir, redoutant surtout qu'au sein de l'association 16 LES SYNDICATS AGRICOLES. corporative , l'ouvrier s'affranchisse de l'influence des chefs, se montre moins docile aux excitations, plus réfractaire à cette lutte de classe qui fait le fond de la doctrine socialiste h . D'autre part les ouvriers pacifiques, timorés ou mal renseignés, habitués à l'isolement, ignorant les avan- tages de l'association et n'ayant pas le loisir de s'a- donner aux soins d'une gestion qui leur paraissait délicate, s'abstinrent généralement de former ces associations contre lesquelles d'ailleurs le patronat les mettait en garde. Cette abstention fut néfaste; il n'est pire tactique que l'abstention des hommes de travail et de devoir. Aussi, revenant sur leurs hésitations premières, comprenant de quelle utilité pouvait être pour eux l'or- ganisation syndicale en attendant... « le grand soir », les dirigeants du parti socialiste formèrent des associations professionnelles et s'emparèrent du mou- vement en le dirigeant résolument à l'assaut du pa- tronat. L'attitude de ce dernier justifiait dans une certaine mesure la position prise à son égard par la classe ouvrière. Pénétré de l'esprit individualiste et du principe d'autorité, — nous l'avons vu dans le précédent cha- pitre, — le patronat commerçant et industriel s'était en grande majorité déclaré dès la première heure hostile aux syndicats professionnels. 11 voyait dans ces organisations des germes révolu- tionnaires qu'il eût été nécessaire à son avis d'étouffer 1. Nous retrouvons les mêmes craintes à l'égard des projets de loi accordant une capacité civile plus complète aux syndicats profession- nels (voir chap. xi, page 219). LA LOI DU 21 MARS. — SES CONSÉQUENCES. 17 dans l'œuf, des forces avec lesquelles il lui faudrait compter, il voulut empêcher les bons ouvriers d'y pénétrer. Il ne comprenait pas que ce mouvement de la classe ouvrière vers l'association était la conséquence d'une poussée de l'instinct même de l'homme, corres- pondait à des aspirations légitimes que ni la léga- lité, ni la violence ne sont capables de comprimer, mais qu'il était possible d'utiliser pour le bien du pays, en lui donnant un objectif concret, en réalisant en- suite une organisation corporative légale. Développant leur action, se rendant compte de leur puissance, les syndicats ouvriers se multiplièrent sous l'égide d'organismes fédératifs appelés à dé- fendre soit les intérêts d'une même profession, soit les intérêts de la masse ouvrière. D'une part dans les villes les syndicats de pro- fessions diverses se réunirent en des Bourses du travail qui dans l'esprit des dirigeants sont appelées un jour à se substituer aux municipalités *. D'autre part ces mêmes syndicats ou bien les groupes professionnels locaux s'unirent à leur tour en Unions régionales ou Fédérations corporatives qu'engloba dans son sein la Confédération Générale du Travail. « L'organisme confédéral, écrit Pouget, dans son opuscule sur la Confédération Générale du Travail2, est essentiellement fédéraliste. A la base, il y a le Syndicat, qui est un agglomérat de travailleurs; au 4. « La Confédération Générale du Travail », Em. Pouget, p. li. Paris, Marcel Rivière. Nous retrouvons ici une idée déjà ancienne; n'est-ce pas là <• la cit. telle qu'elle existait au moyen âge? Les villes, les communes n'étaient- elles pas représentées par les membres des corporations ou leurs élus? 5. Bibliothèque du mouvement prolétarien, Paris, Michel Rivière, 31, rue Jacob. 18 LES SYNDICATS AGRICOLES. 2e degré, il y a la Fédération de Syndicats et l'Union de Syndicats, qui sont des agglomérats de Syndicats; au 3e et dernier degré, il y a la Confédération Géné- rale du Travail, qui est un agglomérat de Fédérations et d'Unions de Syndicats 1 . » Cette organisation des forces ouvrières mérite d'être retenue, car nous la retrouverons presque identique dans l'organisation des syndicats agricoles qui s'inspi- rent pourtant d'un principe social tout opposé. Mais tandis que les dirigeants de la Confédération Générale du Travail, fidèles au principe de la lutte de classes, se servaient du syndicat comme d'un instrument provisoire de combat en attendant la destruction de la Société Capitaliste, une partie de ses adhérents le consi- déraient au contraire comme une institution corpora- tive susceptible de créer un ordre social nouveau et de rendre des services plus immédiats et plus durables à la classe ouvrière. Il ne faudrait pas croire en effet que tous les syndicats ouvriers font partie de' la C. G. T., moins encore que tous les membres de la C. G. T. partagent les idées destructrices et de lutte de cette Confédération. Des incidents encore récents montrent combien les esprits sont divisés dans son sein, les échecs de nom- breuses grèves et principalement des grèves ayant un caractère politique ont révélé sa faiblesse et il est per- mis de dire que si un grand nombre d'associations se sont rattachées à la C. G. T., c'était surtout pour 4. La légalité de cette dernière est discutée, nous verrons plus loin que pour avoir adopté une organisation analogue, l'agriculture, tout en restant soumise aux trois degrés à la loi syndicale de 1884, n'a pas ac- cepté la Fédération du 3e degré sous cette forme d'une Union d'Unions qui, en l'état actuel de la législation, paraît d'ailleurs illégale. LA LOI DU 21 MARS. — SES CONSÉQUENCES. !9 bénéficier, en ce qui concerne les salaires, des avantages d'une solidarité corporative qui jusqu'ici n'a pas trouvé d'autre expression. Depuis plusieurs années déjà un mouvement de ré- probation s'est manifesté au sein de la Confédération du Travail contre les théories extrêmes des révolu- tionnaires. Un parti s'est formé qui sous le nom de parti Réfor- miste, tout en ayant pour objectif un véritable boule- versement du régime de la Société actuelle, prétend y parvenir, par la légalité et par le corporatisme, oppo- sant au principe de « la lutte pour la vie » celui de 1' « entente pour la vie », « basée sur la contrainte à laquelle nous assujettirait la solidarité' ». Le parti réformiste n'est sans doute pas en majorité au sein delà Confédération Générale du Travail. Il fut sur le point de triompher il y a peu d'années et réussit à faire nommer un de ses représentants, Louis Niel, au secrétariat général de la Confédération, mais ce dernier ne pût arriver au terme de son mandat. Aucune majorité positive ne semble se dégager au- jourd'hui au sein de cette association tiraillée par des mouvements contraires et souvent divisée par des pro- blèmes d'ordre politique qui n'ont qu'un lointain rap- port avec une œuvre de défense professionnelle. Mais à coté de ces éléments, se trouvent tous ceux qui, sans faire partie des associations affiliées à la C. G. T., aspirent en connaissance de cause (ou sans s'en douter) à une organisation sociale du travail qui ne laisse pas l'individu isolé en face du patronat capitaliste ou ano- nyme, ou en face d'un pouvoir centralisateur omni- potent. 1. Louis Niel, Deux principes de vie $oeiale% Parts, i;i\i<-re, M0& 20 LES SYNDICATS AGRICOLES. Ces derniers ne se comptent pas, ce ne sont ni les bruyants ni même peut-être les agissants, mais ils sont légion. Or, il n'est pas inutile de faire observer ici encore que les aspirations de ces groupes se rencontrent dans une large mesure avec celles des syndicats agricoles qui considèrent, eux aussi, comme une nécessité sociale et économique : la représentation des intérêts généraux des professions en tenant compte des conditions d'a- daptation propres à chaque province. De son côté le patronat que nous avions laissé hos- tile aux organisations syndicales ouvrières, finit par reconnaître qu'elles s'imposaient comme un fait auquel il n'était plus possible de se soustraire. Il envisagea les moyens d'utiliser lui-même la loi de 1884 pour défendre ses propres intérêts. De là la formation au cours de ces dernières années de nombreux syndicats patronaux dont les associa- tions nées au milieu du siècle dernier leur fournis- saient l'exemple : groupements d'ordre économique, plutôt que social, cartells plutôt que syndicats, par- fois même organisations de résistance à l'égard des organisations ouvrières. L'esprit qui animait trop souvent ces associations patronales, la mauvaise grâce avec laquelle leurs membres avaient accueilli la loi de 1884, les rendait forcément suspectes aux associations ouvrières qui virent dans les syndicats patronaux des organismes n'ayant d'autre but que de faire échec à leurs reven- dications. De là une défiance réciproque, des conflits, des grèves entretenues par les agitateurs de profession, LA LOI DU 21 MARS. - SES COiNSÉQUENCES. 21 préventions et défiances que favorise une législation incomplète, mais qu'une organisation véritable du tra- vail ne tarderait pas à atténuer sinon à faire dispa- raître. La lutte des classes ne saurait profiter à aucune d'elles; dans le pays elle ne peut que susciter des ruines. Compter uniquement sur la force et la puissance du pouvoir, comme le réclamaient certains membres du patronat industriel, pour maintenir l'ordre, réclamer pour le patronat capitaliste l'autorité exclusive en face de la faiblesse ouvrière désorganisée, comme le fait Bourget dans « la Barricade », c'est livrer la Société à des luttes intestines sans cesse renouvelées, c'est s'ex- poser à des revanches de solidarité du corps social dont l'histoire nous a donné maint exemple. C'est vouer le pays au despotisme, despotisme d'un seul ou despotisme du nombre. Le patronat doit accepter résolument certaines ré- formes sociales et appeler l'ouvrier à collaborer avec lui pour les appliquer. Hâtons-nous de dire qu'un grand progrès a été réalisé dans cet ordre d'idées au cours de ces der- nières années. Les associations patronales ont provoqué elles- mêmes dans leur sein des institutions sociales et établi des rapprochements fréquents avec les associations ouvrières. Si, il y a 4 ans, certaines fédérations ont lancé l'idée de former une Confédération générale du patronat en réponse aux prétentions de la Confédération du travail, elles avaient pour excuse le sentiment de la conserva- tion nationale compromise par la grève des grands services publics et celte tentative même était une 22 LES SYNDICATS AGRICOLES. démonstration de la nécessité d'une organisation des forces productives de la nation et d'une entente entre elles. C'est à ce moment que des incidents que nous rela- terons plus loin i fournirent aux syndicats agricoles l'occasion d'affirmer leur doctrine sociale au grand jour de la discussion publique. Le syndicalisme agricole avait en effet parcouru sa marche silencieuse, il se faisait le défenseur de la loi de 1884, devenue la charte des associations ouvrières. Son développement rapide et fécond lui permettait de soutenir que l'organisation corporative du travail était une nécessité sociale, de prouver qu'elle était réalisable. LE SYNDICALISME AGRICOLE. Cette doctrine sociale n'était pas nouvelle. Tandis que les Karl Marx, les Lassalle, se faisaient les apôtres de « la lutte de classes » et de l'expropria- tion de la propriété, l'École catholique, les de Mun, les La Tour du Pin, les Delalande, Milcent, Kergall, de Gailhard-Bancel, etc., s'inspirant du précepte évangélique, leur opposaient la maxime de « l'Union pour la Vie » 2. 4. Voir chap. x, page 195. 2. Dans son discours d'ouverture au Congrès International des syn- dicats agricoles qui se tint à Paris en juillet 4900, M. le M,s de Vogué, président de la Société des Agriculteurs de France, parlant du mouve- ment syndical qui alors s'éveillait sur toute l'étendue du territoire, s'exprimait en ces termes : t Mal dirigé, le mouvement qui naît peut aboutir aux erreurs du col- lectivisme, c'est-à-dire à la ruine par la destruction de l'effort indivi- duel, et à la pire des tyrannies, celle des organismes anonymes et ir- responsables. « Bien dirigé, au contraire, le mouvement doit aboutir non à l'ab- sorption de l'individu mais à son plein développement, en lui assurant LA LOI DU 21 MARS. — SES CONSÉQUENCES. 23 Ils soutenaient qu'une organisation professionnelle du travail décentralisée devait précéder l'application des lois sociales, que seule une telle organisation pou- vait donner satisfaction aux revendications ouvrières sans compromettre la paix et la prospérité du pays. C'est l'agriculture qui devait donner à ces principes une réalité concrète en s'appropriant les facultés que la loi de 1884 avait concédées au prolétariat, au prolé- tariat industriel surtout, en élargissant les cadres de cette loi sans attendre l'intervention du législateur. Waldeck-Rousseau la considérait comme une ébauche destinée à tenter un essai d'organisation ouvrière, devant être remaniée avant peu. Sa circulaire citée plus haut ' , avait prédit un bril- lant avenir à cette législation nouvelle. 11 est toutefois permis de supposer que la surprise de son auteur eût été grande s'il avait pu entrevoir que l'agriculture en tirerait Ta meilleure part et qu'a- près 29 ans, seule de toutes les lois sociales pourtant plus d'assistance et de sécurité : il doit aboutir à plus de richesse, en ajoutant à l'effort individuel l'appoint de l'effort collectif; à plus de liberté en fortifiant les éléments isolés; à plus d'apaisement en déve- loppant les sentiments de solidarité et de mutuel dévouement. Il por- tera tous ses fruits si à la formule impitoyable : la lutte pour la vie, il sait substituer la formule encourageante, compatissante et chré- tienne : l'Union jiour la vie. « Cette formule est la devise des Syndicats Agricoles ; dès le début elle a été proposée par l'un des promoteurs les plus convaincus et les plus dévoués de l'idée nouvelle; proclamée avec éclat du haut de la tribune parlementaire, elle a été adoptée par tous les syndicats groupés dans nos grandes unions . Elle suffit à caractériser leur œuvre, à dé- signer le but qu'ils poursuivent, à faire juger leurs tendances ; depuis quinze ans à peine qu'ils existent, ils lui sont restés (idoles; le succès a récompense leur fidélité; il a eonsacré la forme qu'ils ont donnée a l'association professionnelle. Les syndicats agricoles ont la cons- cience d'avoir engagé, dans la meilleure voie, le mouvement qui se produit et qui, nous le croyons du moins, marquera le xx" siècle d'un ère particulier. • 1. V. page 12 (Circul. du *5 août 1884). 24 LES SYNDICATS AGRICOLES. si nombreuses, la loi de 1884 ne serait pas remaniée '. On sait que cette loi quand elle fut présentée au Sé- nat ne faisait pas allusion à l'agriculture, non que l'au- teur et le rapporteur aient jamais songé à en exclure les ouvriers agricoles, mais le prolétariat agricole n'é- tait pas alors turbulent; ses membres étaient, et ils sont encore, peu nombreux; et aux yeux du législa- teur, leurs intérêts se trouvaient implicitement com- pris dans les intérêts économiques que les associations étaient chargées de défendre. Sur l'intervention d'un sénateur du Doubs , M . Oudet, l'article 3 fut complété parle mot « agricole » et rédigé comme suit. « Art. 3. — Les syndicats ont exclusivement pour objet l'étude et la défense des intérêts économiques industriels, commer- ciaux et agricoles. » C'est par cette petite porte que l'agriculture est entrée dans la loi de 1884. Elle arrivait à une heure favorable : l'agriculture, mal protégée par les conventions douanières, subissait une crise douloureuse ; un de ses plus beaux fleu- rons, la production viticole, venait d'être anéantie par le phylloxéra. Les importations de blés d'Amérique, la concurrence étrangère, l'instabilité de la situation commerciale mettaient le cultivateur dans un état d'in- fériorité manifeste. Le besoin de triompher des obstacles, la nécessité de vivre suscitèrent des initiatives non pas tant parmi les rares représentants du prolétariat rural que parmi les producteurs eux-mêmes qui trouvèrent dans la 1. En octobre 1899, Waldeck-Rousseau avait déposé un projet de loi étendant les facultés des syndicats et de leurs unions. LA LOI DU 21 MARS. — SES CONSÉQUENCES. 25 loi de 1884 le moyen de se grouper, de donner de la force à leurs revendications, de se protéger contre les fraudes, en un mot de s'organiser pour la défense de leurs intérêts économiques. Au même moment des hommes que le souci de rester fidèles à leurs convictions avait amenés à aban- donner la toge ou l'épée, se trouvaient rendus à la vie privée. Ne pouvant plus servir leur pays dans les fonc- tions publiques, leur activité, leur intelligence les portèrent vers l'action sociale que la loi de 1884 leur permettait de remplir. Ils apportaient à ces institutions les loisirs dont ils disposaient, dispensant ainsi le simple cultivateur de remplir la tâche ingrate que procurent les débuts de toutes les associations ; ils y apportèrent une cer- taine pratique des affaires, une doctrine à laquelle ils étaient fermement attachés, doctrine basée sur l'esprit de charité et d'amour du prochain, et par- dessus tout un esprit de dévouement qui devait as- surer le succès de leurs œuvres et servir d'exemple à leurs continuateurs. C'est ainsi que dans les milieux agricoles, dès le lendemain de la loi de 1884, des syndicats agricoles se formèrent d'un bout à l'autre du territoire, les uns avec une doctrine sociale bien arrêtée et des cadres presque formés, des institutions annexes appelées à les compléter, les autres dus à des initiatives d'origines dilïérentes mais aussi généreuses, toujours dévouées, et se dirigeant d'instinct vers une organisation sociale telle que l'avait conçue le comité des études de l'œuvro des Cercles catholiques. 26 LES SYNDICATS AGRICOLES. Les incidents auxquels nous avons déjà fait al- lusion soulignèrent récemment cette conformité de vues et d'intérêts. Le caractère qui distingue donc d'une façon particu- lière les syndicats agricoles des syndicats urbains et industriels, c'est que dès la première heure le patronat — ou pour mieux dire les propriétaires — loin de se désintéresser de ce mouvement social, lui apporta au contraire son concours actif et réfléchi ; c'est qu'au lieu de partir d'un principe social aussi faux, aussi troublant que celui de la guerre de classes, les syn- dicats agricoles furent tous fondés sur le principe de l'union des classes et de la paix sociale. A vrai dire la situation était différente dans l'agri- culture que dans l'industrie. II n'existe pas à proprement parler un patronat distinct du prolétariat agricole. Certes, dans certaines régions de cultures industria- lisées comme le Midi, dans le Nord, dans les coupes forestières, il y a évidemment un prolétariat analo- gue à celui du prolétariat industriel. Mais ce sont là des cas isolés et plutôt excep- tionnels qui tiennent surtout au fait de cultures spé- ciales, sinon de cultures industrialisées. En réalité, dans presque toute la France, l'ouvrier agricole ren- ferme en puissance un petit patron, car il n'est pas un ouvrier de terre qui n'aspire à acheter un lopin et à s'y établir. La population rurale de la France est composée en grande majorité de petits cultivateurs. Il est permis d'ajouter que les syndicats agricoles ont puissamment contribué à les multiplier. LA LOI DU 21 MARS. — SES CONSÉQUENCES. 27 Dans un discours prononcé le 14 mars 1909 au Musée Social, M. Ruau, ministre de l'Agriculture, pou- vait dire ' : « En résumé, si on la compare à la grande culture, la petite culture, en France, se trouve actuellement en état de supériorité marquée vis-à-vis d'elle. Les renseignements obtenus prouvent qu'elle ne souffre pas de cette pénurie et de cette cherté de la main- d'œuvre dont pâtit de tous les côtés la grande cul- ture et ils établissent qu'elle a fait mieux que se défen- dre par l'emploi de l'outillage, des engrais; par l'association, par l'amour du travail2. » Un autre facteur non moins important qu'il convient de retenir c'est l'intimité qui existe le plus souvent entre le propriétaire et l'ouvrier agricole ou, pour mieux dire, entre ce dernier et le chef d'exploitation. L'ouvrier n'est plus là comme une unité perdue dans la masse des employés d'une société anonyme, il vit en contact presque journalier avec son employeur, il voit et sent les répercussions que les intempéries, l^ fait la gerbe, mais sans les brins chargés d'épis, le lien est sans valeur. Nous pourrions reproduire ici les mêmes critiques que nous formulions à l'égard de l'infériorité de la cotisation syndicale au lei degré2. Qu'il nous suffise de rappeler que les associations i. lin. l'ouget, La C" n générale du Travail, t. II. Librairie enc( s politique! icob. iir plus haut, LES SYNDICATS v 11 5 74 LES SYNDICATS AGRICOLES. ux divers degrés de l'échelle sont solidaires les unes des autres. C'est dans l'Union que les syndicats locaux puiseront leur force et trouveront les services qui leur sont nécessaires, c'est par la réunion des syndicats, parleur esprit de solidarité, la communauté des efforts et de sacrifices que l'Union remplira son objet. Que peut faire une Union régionale avec une cotisa- tion aussi minime que celle qui est généralement pré- vue dans ses statuts : 0 fr. 10 par membre et par an avec des maximums de 25 francs, de 50 francs et de 100 francs pour les syndicats cantonaux, d'arrondis- sements ou de départements'? Il serait au moins utile que l'Union régionale dispose d'une certaine avance, tout au moins des res- sources nécessaires pour assurer sa propagande, déve- lopper autour d'elle syndicats et mutualités, dispenser l'enseignement et exercer sa fonction de représentation professionnelle, créer ses organes de coopération et de mutualité au 2e degré indispensables au développe- ment des institutions locales, jusqu'au jour où toutes ces institutions à leur tour lui prêteront leur concours et assureront les appuis nécessaires au développement de son action sociale. C'est ainsi que les choses se sont passées dans l'U- nion du Sud-Est et celle des Alpes et Provence. On connaît la puissance de ces Unions, les services qu'elles rendent chaque jour, leur prospérité croissante. Nous relevons aussi une initiative de même genre qui donne la vie à l'Union des S. A. du Plateau Central. 1. Les réflexions que nous présentons ici s'appliquent à plus forte raison aux Sous-Unions, qu'elles aient pour objet des intérêts spéciaux ou des intérêts départementaux d'ordre général, lorsque ces Sous-Unions partagent la cotisation précitée avec l'Union régionale. LES UNIONS DE SYNDICATS AGRICOLES. 75 La « Société d'Encouragement aux Institutions ru- rales du Plateau Central » créée en 1904 et 1905, pré- sidée par M. Fenaille avec M. Maur. Anglade comme secrétaire général, a réuni des subventions impor- tantes de personnes appartenant à toutes les profes- sions et à toutes les classes sociales qui lui ont permis de créer une école d'agriculture, des œuvres de rapa- triement, des sociétés d'habitation à bon marché, en ou- tre des conférences, des Écoles ménagères, des Caisses de réassurances gravitant autour de l'Union syndicale. Dans les chapitres suivants, nous verrons la place importante occupée par les Unions régionales dans la vie syndicale. Si , en effet, le syndicat est la cellule sociale de la profession agricole, l'Union régionale en est le centre économique. Elle constitue le grand moteur de la vie syndicale dans sa circonscription, elle est le véritable représentant de la profession rurale dans la province à laquelle elle donnera la vie en y faisant ileurir les traditions et le patriotisme *. Quelque restreintes qu'aient été les ressources et l'action des Unions régionales, celles-ci n'en ont pas moins ébauché un programme de décentralisation digne de retenir l'attention. Quelques-unes ont prouvé qu'il était possible de le réaliser. Les unes et les autres par l'action latente qu'elles ont exercée, sinon par des services directs qu'elles ont rendus, ont puissamment contribué à développer le mouvement de mutualité et l'esprit d'association. Elles ont permis en même temps de donner aux l. La destruction de nos anciennes provinces a été, de la part des constituants, iiinaitt: de barbarie sans exe mplc », dit bePIay; «c'est un des pires, ajoute Taine, car il a tué du premier coup le patriotisme locai ». {La Réforme sociale, m, 76 LES SYNDICATS AGRICOLES. syndicats agricoles une véritable cohésion, qui s'est manifestée dans des circonstances récentes d'une façon éclatante, elles leur ont fait aimer la province et ont développé dans les populations rurales cet esprit régionaliste dont elles gardent d'ailleurs la tradition. Les Unions régionales ont donné en même temps à l'Union centrale une plus grande force pour la dé- fense des intérêts généraux dont elle a la garde. Fondée le 1er mars 1886, presque au lendemain de la loi de 1884, Y Union Centrale des syndicats des agriculteurs de France a eu surtout pour but de coor- donner les efforts des Unions régionales et des syn- dicats locaux. Son importance, son action se sont accrues avec le temps. Elle constitue, ainsi que l'écrivait en 1900 M. de Rocquigny, une sorte de conseil supérieur de l'agriculture. Depuis lors, depuis 1905 surtout, sa fonction s'est complétée par la création d'institutions annexes : telle que coopératives, caisses de réassurance au 2e ou 3e degré qui apportent aux syndicats isolés ou aux Unions régionales vivantes, les véritables services d'ordre purement professionnel ou social, mais aussi d'ordre économique ou de prévoyance. Placée sous le patronage de la Société des agricul- teurs de France, qui l'abrite \ et ne lui a jamais mar- chandé son concours, quoique avec une organisation indépendante et complètement distincte, l'Union cen- trale eut pour président M. Le Trésor de la Rocque. 1. Paris, 8, rue d'Athènes. LES UNIONS DE SYNDICATS AGRICOLES. 77 M. Delalande lui succéda en 1904 et s'attacha à conser- ver à l'institution une direction et un caractère nette- ment professionnels. L'influence de cette doctrine est considérable, car les syndicats unis sont profondément attachés à cet organisme qu'ils considèrent comme la synthèse de la profession agricole et qu'ils voudraient trouver encore plus puissante et plus prospère. 2.405 syndicats étaient affiliés à l'Union centrale au 31 décembre 1912. La coopérative centrale ven dehors de l'office de commission qu'elle s'est annexé) qui ne travaille qu'au profit des syndicats unis, a fait en 1912 un chiffre d'affaires total de plus de 3 millions de francs dont 2.500.000 en superphosphates pour un tonnage de près de 50.000 tonnes. La caisse de réassurance bétail se développe lente- ment mais la caisse centrale incendie réassure 2.392 mu- tualités locales (sur 2.662 annoncées par les statis- tiques ministérielles) représentant un capital assuré strictement agricole de 501 millions de francs. Il n'est pas téméraire d'évaluer à plus de un million le nombre des familles de cultivateurs ainsi groupées. L'Union centrale a cherché à créer une caisse auto- nome de retraites, elle étudie le moyen de créer un ser- vice de compensation entre caisses régionales de crédit. Nous ne parlons ici que pour mémoire des services rendus au point de vue enseignement, conférences, congrès, consultations juridiques, de l'action exercée par elle sur l'agriculture aussi bien que sur la légis- lation touchant les questions économiques et sociales1. racoup de i rééa par PUnioo centrale, d'au- 78 LES SYNDICATS AGRICOLES. Nous l'exposerons au cours des chapitres" suivants et notamment au cours des chapitres v, vi.vn, vin. Une nouvelle Fédération s'est formée depuis peu à la suite notamment des incidents provoqués par un arrêt de la Cour de Cassation dont nous parlons plus loin (chap. x) et de l'assimilation probable des Syn- dicats agricoles à des Coopératives au petit pied pré- vue par le projet de loi sur les Syndicats économiques \ Nous avons eu beaucoup de peine à nous procurer des documents précis sur le fonctionnement de cette fédération; il nous a même été impossible d'obtenir à son siège social des renseignements sur les résultais qu'elle a obtenus et le nombre des membres qui y ont adhéré. Nous n'avons pu nous documenter qu'en nous référant à ses notices, aux comptes rendus de Congrès et à ses Annales. Il semble bien d ailleurs que la Fédération natio- nale de la Mutualité et de la Coopération agricole? dont le siège vient d'être transféré 18, rue de Gre- nelle, à Paris, et qui est présidée par M. Viger, ancien ministre, ne prétend à aucun rôle d'ordre corporatif, se bornant à grouper les associations qui viennent à elle et à soutenir leurs desiderata, quand ils ne con- tredisent pas trop aux vues de l'administration, sans chercher à établir aucune distinction entre ces groupe;, ni à déterminer aucune prééminence de la fonc' sociale sur la fonction purement économique. très comme le laboratoire, le Comité de jurisconsultes, etc., sont fournis par la Société aVs Agriculteurs de France. 4. Voir chap. x page 199. LES UNIONS DE SYNDICATS AGRICOLES. Dans la préface du compte rendu sommaire des travaux du VIe Congrès national de la Mutualité et de- là Coopération agricoles tenu à Paris les 25-30 octo- bre 1912', M. A. Viger lui-même signale qu'à la suite de plusieurs Congrès, diverses fédérations se formèrent : celle des Caisses régionales de Crédit agricole sous la présidence de M. J. Bénard en 1907; celle des Syndicats agricoles sous la présidence de M. Poisson (1908); celle des Coopératives de production et de vente fondée par M. de Rocquigny et présidée par M. K. Tisserand; enfin en septembre 1910 la Fédération Nationale de la Mutualité et de la Coopération qui réunit les unes et les autres. Cette Fédération, écrit M. Viger, « comprend quatre sections : « Ie Section : Caisses de Crédit mutuel agricole. « 2° — : Syndicats agricoles. « 3' — : Coopératives agricoles de production et de vente. « 4e — : Associations d'assurances et de pré- voyance mutuelle agricoles ». Cette simple énumération et l'ordre qui leur est donné suffit à démontrer que ces diverses institutions sont considérées comme indépendantes, sans lien entre elles et que le crédit agricole, — ou pour mieux dire les Caisses Régionales (devenues aujourd'hui départemen- tales), subventionnées par l'Etat, dirigées et contrôlées p;u l'administration du ministère de l'Agriculture, — est considéré par la Fédération Nationale en quelque i. Annales de la M ■ Coopération agricoles, n bre v.)\-2. 80 LES SYNDICATS AGRICOLES. sorte comme l'organisme principal, sinon supérieur, de ces diverses institutions rurales. Le titre seul de la Fédération indique bien son objet — son but est précisé d'ailleurs comme suit par son président : « Le but de cette Fédération est non seulement d'étudier toutes les questions intéressant les institu- tions de crédit, de coopération et de mutualité agri- coles, mais encore de favoriser le développement de ces institutions en provoquant la création d'organis- mes centraux nécessaires à leur bon fonctionnement. » Il n'est plus question ici des Syndicats agricoles, ou plutôt nous avons tout lieu de supposer que ces organismes, très peu nombreux d'ailleurs dans la Fédération, sont considérés surtout comme des or- ganismes coopératifs sans fonction corporative spé- ciale. En dehors des Congrès Nationaux de la Coopération et de la Mutualité, la Fédération a fondé une Caisse Nationale de Réassurance des Mutuelles agricoles qui est entrée en fonctionnement le 1er juillet 1912, six ans après que la Caisse de réassurance de l'Union Centrale des Syndicats des Agriculteurs de France avait fait ses preuves h . Ajoutons que la Fédération est régie par la loi du 1er juillet 1901, — elle ne se réclame donc pas de la charte des associations professionnelles, — et qu'elle admet dans son sein : « toutes les associations agri- coles régulièrement constituées » (Notice), avec des l. Les premières caisses-incendie ont été fondées en 1902 peu après la loi de 1900. La Caisse Centrale de réassurance à la rue d'Athènes a été créée au commencement de 1905 pour réassurer les Caisses régio- gionales déjà en fonctionnement. LES UNIONS DE SYNDICATS AGRICOLES. 81 cotisations variables suivant leur nature et le nombre de leurs membres. Elle admet même des individus isolés qui peuvent bénéficier de certains avantages de l'association. 11 n'est donc pas possible d'établir une comparaison quelconque entre cette Fédération et l'Union Centrale des Syndicats des Agriculteurs de France. La première groupe dans son sein et centralise sans objectif déterminé et sans ordre des associations de toute nature et des individualités ; la seconde au con- traire établit les distinctions nécessaires entre ces diverses institutions, s'efforce de décentraliser en don- nant de la vie et de l'indépendance aux différentes ré- gions de la France et s'applique avant tout à faire prédominer l'esprit d'association dans le cadre d'une organisation corporative comportant un ordre et une harmonie indispensables à la prospérité des institu- tions comme à celle des individus. CHAPITRE V SERVICES RENDUS PAK LES SYNDICATS AGRICOLES Nombreux sont les services que peuvent rendre les syndicats agricoles puisque leur objet est l'étude et la défense de tous les intérêts de la profession. La nature même des intérêts si complexes, si multi- ples de la profession agricole fait que ce champ d'action est pour eux d'autant plus vaste. Il faudrait plusieurs volumes pour les décrire tous ; nous ne pourrons en passer ici qu'une revue rapide, nous atta- chant seulement à quelques-uns d'entre eux. Ces services d'ailleurs, les syndicats pourraient les compléter et les étendre davantage s'ils disposaient de plus de ressources en hommes et en argent, s'ils étaient plus attachés encore qu'ils ne le sont à leurs unions régionales et centrale, si celles-ci étaient plus fortement organisées. En tenant compte de la suprématie du but social auquel sont attachés les syndicats agricoles, nous devrions tout d'abord traiter de leur action sociale et de certains services qu'ils sont appelés à créer et ne parler que dans un dernier chapitre de leur ac- tion économique. Cette action économique doit en effet être considérée beaucoup moins comme le but SERVICES ECONOMIQUES. 83 de l'association que eomme un moyen de remplir sa fonction sociale. Mais il nous paraît plus pratique de traiter tout d'abord des services matériels que les syndicats peu- vent rendre parce que ce sont les premiers qui ont été rendus dans le passé et qui sont encore rendus aujour- d'hui par les syndicats naissants. Il importe en effet que les syndicats, avant d'accomplir leur fonction sociale, connaissent et possèdent les moyens pratiques de la remplir. Au surplus, les services rendus au point de vue éco- nomique ont, en ces matières, une répercussion directe dans le domaine social, la compénétration des deux fonctions augmente chaque jour. Mais les syndicats agricoles ont le devoir de se pénétrer de cette pensée que tout en rendant des services matériels à leurs membres, ils coopèrent à l'organisation professionnelle du travail et à la décentralisation régionale. I. — SERVICES ÉCONOMIQUES ET DE COOPERATION. Nous avons dit plus haut que les syndicats agri- coles avaient exercé une influence féconde sur le développement de l'agriculture française en instruisant le cultivateur et en le protégeant contre la fraude, influence à la fois sociale et économique qui rentrait bien dans la fonction prévue par le législateur de 1884. Tandis que les dirigeants du syndicalisme ou- vrier et urbain concentraient l'action syndicale dans la seule défense des intérêts immédiats de la classe ou- vrière, c'est-à-dire l'amélioration des salaires, sans se soucier des r ^ions inévitables de certaines loU 84 LES SYNDICATS AGRICOLES. sociales ; tandis que plus tard, sous l'influence de théo- riciens, le syndicalisme ouvrier se perdait dans des discussions dont la phraséologie creuse leurrait le monde des travailleurs ou l'entretenait dans une agita- tion constante préjudiciable à ses propres intérêts, le syndicalisme agraire au contraire se donnait dès le premier jour un objectif concret et se préoccupait de rendre à ses membres des services économiques immé- diatement tangibles. Jamais le vieux proverbe n'a reçu une application plus féconde : primo vivere, deinde philosophare. « Les syndicats professionnels ont exclusivement pour objet, dit l'article 3 de la loi, l'étude et la défense des intérêts économiques, industriels, commerciaux et agricoles. » — Défense des intérêts économiques, ont répondu les syndicats agricoles, c'est, pour l'agricul- ture, améliorer les conditions d'achat des denrées qui lui sont nécessaires, c'est améliorer les conditions de vente de ses produits. De cette amélioration écono- mique découlera une amélioration de l'état social des membres de la profession, fussent-ils de simples tra- vailleurs. Sur ces fondements solides, on édifiera la maison syndicale dans laquelle tous les agriculteurs, depuis le grand propriétaire jusqu'au plus humble salarié, coopéreront au mieux-être général et dans laquelle tous trouveront les institutions sociales, d'éducation, de prévoyance et d'assistance appropriées à leurs besoins l . 4. « A leur manière, les syndicats agricoles ont fait de l'action directe, écrit M. J.-H. Ricard. Ils se sont défendus vis-à-vis du commerce des engrais et contre l'élévation abusive du prix des denrées utiles à l'agri culture, en groupant les commandes de leurs membres afin de béné- ficier des avantages des achats en gros et de s'affranchir des intermé- diaires inutiles. .. » Revue Politique et Parlementaire, 1909, Les syndicats agricoles et leurs revendications. SERVICES ÉCONOMIQUES. 85 C'est cette formule donnée aux syndicats agricoles qui les empêcha de tomber dans l'idéologie, c'est cette formule qui leur permit de prendre dès le premier jour un si rapide essor et de remplir cette fonction de paix sociale dont leurs promoteurs avaient adopté les principes. Il eût été vain en effet de proposer au cultivateur français la poursuite d'un programme social dont il n'aurait pu mesurer dès la première heure les réalités tangibles. Laborieux et patient, le paysan français ne com- prend pas la grève, parce que pour lui la grève, c'est la terre qui chôme et c'est à ses yeux la misère, presque un crime de lèse-patrie. Il connaît la valeur de l'argent pour l'avoir gagné péniblement et il ne comprendra les bienfaits de l'as- sociation au point de vue général et social, que s'il a pu tout d'abord en mesurer les avantages matériels. D'autre part, ainsi que nous l'avons vu, la masse ou- vrière de la profession rurale est faite surtout de petits cultivateurs ; le véritable prolétariat rural constitue une exception et en grande partie aspire à devenir mé- tayer, fermier, sinon petit propriétaire. C'est pourquoi dès la première heure les syndicats agricoles s'appliquèrent à rendre des services matériels à leurs membres, et pour atteindre efficacement ce but, donnèrent à leur activité le champ étendu d'un canton, d'un arrondissement ou même d'un département. Ce n'est que plus tard, après avoir rempli la mission éducatrice qu'ils s'étaient proposée et envisageant le but éminent qu'ils voulaient atteindre, que les syndicats agricoles franchirent la seconde étape et s'occupèrent de créer des institutions de prévoyance, en s'appuyant l6 LES SYNDICATS AGRICOLES. sur les unions régionales et sur les coopératives qui permirent aux petits syndicats locaux de se multiplier. Mais de l'exercice même de leur fonction économique, des services matériels qu'ils ontrendus à leurs membres, se dégage une véritable action sociale dont les effets bienfaisants se sont fait sentir dans toutes les classes de la profession rurale. On trouvera dans le livre 11 de l'excellent ouvrage de M. le comte de Rocquigny 1 les détails sur la plu- part des services d'ordre matériel rendus par les syn- dicats agricoles. L'achat en commun. Leur effort s'est porté naturellement sur l'achat des matières fertilisantes et sur l'achat de l'outillage agri- cole ou des semences. Nul ne contredira qu'à cet égard les syndicats ont exercé une influence heureuse, non seulement au profit de leurs propres syndiqués, mais au profit de tous les agriculteurs, heureuse même pour les intérêts du com- merce et de l'industrie dont ils ont développé la produc- tion et le trafic. Différentes méthodes sont suivies par les syndicats agricoles pour réaliser le but proposé. Les uns se contentent d'être de simples boîtes aux lettres. Après s'être abouchés avec tels et tels fournis-, seurs, ils s'efforcent d'obtenir pour leurs membres des remises spéciales, en même temps qu'une légère com- mission pour la caisse syndicale, en vue de couvrir leurs 4. Op. cih SERVICES ÉCONOMIQUES. 87 frais généraux et d'alimenter leurs services de contrôle, d'enseignement ou de prévoyance. Dans ce cas, chaque adhérent adresse sa commande au siège du syndicat qui la transmet au fournisseur, lequel se couvre auprès du syndiqué, le syndicat n'en- courant aucune responsabilité et agissant ici comme simple intermédiaire. Mais avec ce système il est rare d'obtenir du four- nisseur des avantages bien marqués ; le plus souvent, ceux-ci font l'année suivante des offres directes au cul- tivateur et lui consentent exceptionnellement la même remise qu'au syndicat, sinon même une remise supé- rieure. Le motif est facile à comprendre : l'organisation syn- dicale pèse comme un contrôle, comme un régulateur du marché sur les ventes du commerce, elle tend sur- tout à supprimer les couches superposées d'intermé- diaires et ceux-ci, plus encore que les industriels eux- mêmes ou les maisons de commerce, chercheront à désunir le faisceau syndical, à en détacher quelques-uns de ses membres, à jeter le discrédit sur l'association, même au prix de sacrifices pécuniaires momentanés et d'ailleurs limités. A quoi sert le syndicat ? entendra-t-on à travers la campagne ; on obtient de meilleurs prix en dehors de lui! Ces meilleurs prix pourtant n'existeraient p le syndicat n'existait pas lui-même; il est justement idien du bon prix et de la bonne qualité. D'autres synd seul de méthodes différentes. Convaincus que Beul un gros tonnage peut inté- resser les foin ialoinent les maisons 88 LES SYNDICATS AGRICOLES. sérieuses, persuadés que la mise en concurrence de ces maisons les amènerait à abaisser leurs prix et à accroître les garanties de qualité, ils ont recours à l'adjudication, au moins pour certaines fournitu- res. Les premiers syndicats convièrent leurs adhérents à inscrire d'avance leurs commandes, afin de déter- miner le tonnage offert aux adjudicataires, mais bien- tôt un nouvel usage s'établit et l'adjudication se fait en général aujourd'hui « pour les besoins d'un semestre ou d'une année » en prenant comme élément d'ap- préciation le tonnage des années ou des semestres antérieurs correspondants. Avec ce système il n'est plus besoin de recourir aux commandes préalables, le syndicat se trouve plus libre de ses mouvements et le fournisseur est lui-même incité à mieux servir les syndiqués, à con- céder au syndicat le maximum d'avantages afin de s'attacher sa clientèle. Cette méthode, tout en rendant de grands services à l'agriculture, présente pourtant de graves incon- vénients, par suite des ententes établies entre cer- tains producteurs industriels. Nous avons dit plus haut que le patronat industriel et commercial était venu tard à l'esprit d'association, mais en raison même de sa situation, du petit nom- bre de ses membres, de sa puissance économique, il lui fut très facile de réaliser, même en dehors de toute forme légale, sinon des associations, au moins des ententes de fait, en vue de diminuer ses frais généraux, de limiter la concurrence et de régula- riser la production et les cours. Vainement protesterait-on contre ces tendances SERVICES ÉCONOMIQUES. 89 quand elles ne sortent pas des limites normales des lois économiques. L'association ne peut être le monopole des cégé- tistes ou des agriculteurs, le commerce et l'industrie ont le droit d'y recourir comme l'agriculture, le ca- pitaliste comme le travailleur; mais le groupement syn- dical ne doit pas favoriser la spéculation qui fausse les cours, qui lèse les intérêts généraux ou risque de com- promettre l'harmonie des forces productives du pays. Il se forma donc, pour certains produits nécessaires à l'agriculture, des ententes d'intermédiaires ou de producteurs qui eurent parfois pour conséquence de rendre illusoires les effets des adjudications des syn- dicats agricoles en supprimant la concurrence. On tend aujourd'hui à abandonner ce système pour revenir à des négociations de gré à gré en vue des besoins du syndicat, ces besoins étant le plus souvent déduits de commandes préalables ou plutôt des ton- nages du semestre précédent. Par ce moyen, quel- ques-uns obtiennent, en outre de garanties certaines pour leurs membres, des avantages particuliers qui leur permirent de se constituer un avoir suffisant pour doter largement leurs œuvres sociales; en même temps ils réussissent à s'attacher des fournisseurs régionaux en leur assurant un débouché, mettant ainsi maisons à même de triompher des tentatives de concurrence et d'absorption de maisons similaires plus puissantes. D'autres syndicats enfin, plus hardis, ont abordé l'achat ferme et direct, soit pour les besoins de la campagne, soit plus souvent pour un tonnage déter- miné à livrer à certaines dates et selon certaines modalités. 90 LES SYNDICATS AGRICOLES. Dans ce cas le syndicat achète ferme pour son compte, comme un simple commerçant, non pour revendre, mais pour répartir entre ses adhérents selon leurs besoins habituels. Nous verrons au chapitre ix les critiques adressées à ce système par la Cour de Cassation qui y voit un procédé dépassant la fonction d'étude et de défense des intérêts économiques professionnels attribuée au syndicat par l'article premier de la loi du 21 mars 1884. Dans ces différents systèmes, même dans le der- nier, le règlement des fournitures peut se faire direc- tement au fournisseur par le syndiqué lui-même sans que le syndicat endosse une véritable responsabilité à l'égard des paiements. Mais cette méthode n'est que rarement employée en raison des inconvénients qu'elle présente. En effet, le fournisseur obligé de se préoccuper de la solvabilité de chacun et du recouvrement des factures, fait naturellement au syndicat des concessions infé- rieures. Aussi, au fur et à mesure que se développent les syndicats agricoles et surtout dans les grands syndi- cats qui ont subsisté, le syndicat se porte garant du paiement des factures et les acquitte lui-même auprès des fournisseurs, tandis qu'il les recouvre auprès de ses syndiqués. Soit que là encore le syndicat agisse comme simple intermédiaire, soit qu'il agisse sous sa propre res- ponsabilité ou sous celle de l'un de ses administra- teurs ou d'un gérant, il peut obtenir du fournisseur des avantages appréciables sur le prix de ses achats. S'il possède des réserves ou une caisse de crédit SERVICES ÉCONOMIQUES. 01 agricole, il peut bénéficier de l'escompte dont il fera profiter surtout ses œuvres sociales. Le syndicat constituant une sélection et écartant les indignes, le fait de faire partie d'un syndicat constitue un gage de moralité et de solvabilité hautement prisée par le commerce. Quant au crédit des syndicats eux-mêmes, il est considéré comme étant d'une valeur morale de pre- mier ordre, dont on ne constate presque jamais les défaillances1. L'achat ferme et le paiement direct sont des métho- des qui s'imposent quand le syndicat possède un dé- pôt, de même que le paiement au comptant par les syndiqués doit être la règle, quitte à ce qu'ils obtien- nent des avances ou l'escompte de la Caisse de crédit agricole. Nous avons envisagé en effet jusqu'ici le cas d'en- vois directs faits par le fournisseur à des syndiqués, ou de l'envoi à un groupe de syndiqués qui se le répar- tissent à l'arrivée en gare, mais il est évident que ces envois présentent de nombreux inconvénients en raison des conditions de tonnage imposées par les Compagnies de transport, ils ne permettent pas tou- jours d'obtenir les tarifs les plus réduits et même les meilleurs cours2. 1. Cette opinion a été contestée, dans les sphères ofliciellcs, en ce qui concerne certaines institutions de crédit agricole; mais il est bien en- tendu que nous ne parlons ici que de véritables syndicats profession- nels ayant une vie réelle, non de certains syndicats plus administratifs que professionnels ne figurant guère que sur le papier. ±. C'est ainsi que dans la région du sud ouest la tonne de scories de osphoration vaut 3 ir. Ni déplus, si la livraison est faite par 50 sac-, au lieu de 10!). l.es h liâtes sont faites aux acheteur î.ooo. "2.ooo.io.ooo sacs. 92 LES SYNDICATS AGRICOLES. Les syndicats qui avaient pour but de servir surtout les intérêts des petits cultivateurs eurent tôt fait de tourner la difficulté en groupant par exemple tous les syndiqués d'un même village, en confiant à l'un d'eux le soin de recevoir le wagon d'engrais, de le répartir, de recueillir les fonds et d'acquitter à échéance la traite du fournisseur. Méthode excellente, véritable mutualité, mais qui demandait la présence d'un homme dévoué, qui néces- sitait surtout des qualités de prévoyance souvent in- connues du petit cultivateur. Ne pouvant toujours exiger de celui-ci la prévision à longue échéance, les besoins étant d'ailleurs variables suivant la situation du temps et des récoltes, la cons- titution de dépôts s'imposait. La plupart des syndicats constituèrent ces dépôts et se rendirent directement acquéreurs auprès de leurs fournisseurs, alors même que par ailleurs ils pratiquaient le système des expé- ditions directes en wagons complets à des syndiqués isolés ou à des groupes de syndiqués. « Directement acquéreurs », avons-nous dit, n'est peut-être pas là l'expression qui convient, car elle im- plique lidée de l'achat en vue d'une revente, idée qui en suscite une autre : la réalisation d'un bénéfice. Or, il n'en est rien. De par la constitution même du syndicat professionnel, le syndicat est un mandataire de ses adhérents, chargé par eux de l'étude et delà dé- fense de leurs intérêts économiques. Or il est utile — il est même indispensable — à la défense de ces intérêts économiques, que des achats soient faits d'avance en prévision des besoins; ces achats, le syndicat doit les accomplir non pas pour son propre compte puisqu'il ne pourrait les céder à per- SERVICES ÉCONOMIQUES. 93 sonne, mais pour le compte de ses adhérents, mandat tacite qu'il doit exécuter au mieux de leurs intérêts, et qui résulte de la fonction de défense qui lui est dé- volue par la loi. En fait, les syndicats qui ont constitué des dépôts, qui ont eu le courage de négocier des achats soit ferme, soit pour leurs besoins pour une période donnée, et qui, soit sur leurs réserves, soit avec l'ap- pui d'une caisse de crédit, se sont portés garants, vis-à-vis de leurs fournisseurs, sont ceux qui sont devenus les plus prospères et ceux qui ont rendu les plus grands services à l'agriculture. Us ont agi dans la plénitude des droits et des res- ponsabilités d'une personne morale jouissant de la ca- pacité civile, ils ont conféré cette capacité au syndica- lisme agraire, montrant ainsi les avantages qui peuvent résulter d'une action concrète économique, fonction qui n'enlève rien à l'efficacité de l'action so- ciale, et à l'idéal de l'association professionnelle. On comprend sans peine que des achats du genre de ceux dont nous venons de nous entretenir ne peuvent être pratiquement réalisés que par une asso- ciation importante à circonscription assez étendue afin d'avoir un nombre de membres suffisant lui assu- rant un tonnage important. Comment donc feront les petits syndicats commu- naux dont nous avons reconnu au point de vue social, la nécessité? Quelques-uns se grouperont autourd'une même gare, et chargeront l'un d'eux de faire un achat ou une com- 94 LES SYNDICATS AGRICOLES. mande pour le compte des autres ; mais ce procédé présente des difficultés pratiques ; il est d'ailleurs con- traire à la loi, puisque trois ou quatre syndicats grou- pés ensemble forment une union et qu'une union est frappée d'une incapacité civile presque complète. Au surplus pratiquement ces trois ou quatre petites faiblesses ne sauraient constituer une grande force, elles ne sauraient peser d'un poids suffisant dans laba- S lance de l'offre et de la demande. Comme nous l'avons vu, autant il est nécessaire que l'institution locale ait une circonscription restreinte, autant il est indispensable que l'institution au 2° degré, l'Union, ait une circons- cription très étendue ; le syndicat local devra donc s'affilier à l'Union régionale. C'est cette union régio- nale qui procurera au petit syndicat local les services qai lui sont nécessaires non par elle:même en raison de son incapacité légale, mais par l'office d'une Coo- pérative syndicale qu'elle constituera auprès d'elle. La fonction des unions en ce qui concerne les ser- vices matériels est en effet très restreinte *. Il leur est bien permis d'éclairer leurs syndicats adhérents sur les cours des diverses denrées, de les guider dans le choix des fournisseurs ou de leurs débouchés, d'assu- rer un contrôle par le prélèvement d'échantillons, d'analyses, la vérification des factures, des lettres de voiture, etc., mais ces fonctions, quoique utiles, ne peu- vent satisfaire aux besoins des associations locales, non plus qu'aux exigences commerciales modernes. 1. Nous croyons que c'est à tort que l'on envisasetant de restrictions à la capacité des Unions régionales. La loi leur interdit d'ester en jus- tice et de posséder des immeubles, mais en dehors de ces prohibitions il n'existe aucune disposition légale leur interdisant de remplir le rôle d'intermédiaire. Le projet de loi déposé en mai 1913 par le gouvernement donne aux Unions les mêmes droits qu'aux syndicats professionnels. SERVICES ÉCONOMIQUES. 95 C'est aux gros tonnages que vont les avantages accordés par les fournisseurs, aux marchés passés d'avance sous des modalités particulières, avec des conditions de paiement parfois très spéciales, comme pour le nitrate qui doit se payer d'avance ; il faut donc avoir à sa disposition une institution véritablement commerciale offrant un capital, des garanties de cré- dit, connaissant les usages commerciaux pour traiter avec le commerce et obtenir les avantages concédés seulement aux gros acheteurs. Quand les fabricants, les commerçants forment des ententes, seules des ententes de consommateurs, des groupements puissants peuvent contrebalancer la hausse exagérée des prix. C'est ainsi que les unions importantes ont été ame- nées à réaliser le problème sous leur égide mais en dehors d'elles, par l'intermédiaire d'un organisme coopératif mis au service exclusif de l'institution syn- dicale. Cet organisme est une coopérative dont la circons- cription correspond le plus souvent à celle de l'union et dont chacun des syndicats affiliés à cette union peut devenir membre coopérateur moyennant la sous- cription d'au moins une part ' . Cette coopérative fonctionnant sous la surveillance et le contrôle de l'Union doit borner ses services aux intérêts de la profession rurale et au seul profit des syndicats unis. Sous aucun prétexte la Coopérative syndicale ne doit vendre à des syndiqués non eoopérateurs pas '•■ ^es c la loi de ih(,7 sous lu forme de les an'wiyinus à capital \anahU-. J. («s parts sont de -.>;; lianes c-ntir rement libérées ou de 100 francs Libérées du i '<. LES SYNDICATS AGRICOLES. et les meilleurs; ceux-ci, il cherche à les produire selon son goût et non comme il le faudrait selon le goût de l'acheteur; il considère, souvent à tort, les produits de ses voisins inférieurs aux siens, il ne cherche pas avant tout l'uniformité du produit, indis- pensable pour réaliser une vente régulière et obtenir un débouché assuré. Le second obstacle réside dans la difficulté de satis- faire aux besoins d'un marché, d'une fourniture ou d'un tonnage avec les seuls produits des membres do l'association. On voit immédiatement que sur ce dernier point un syndicat agricole n'a pas l'organisation nécessaire pour remplir une condition qui est essentielle de la réussite dans le domaine commercial. 11 ne Fa pas davantage pour résoudre la troisième difficulté qui est la suivante : rarement les produits peuvent être vendus au consommateur sans subir sinon certaines transformations, au moins certaines prépa- rations, indispensables pour la présentation sur un marché. Comment le syndicat utilisera- t-il les 2e choix, les déchets? comment répartira-t-il le produit de la vente entre les syndiqués? A part le blé et quelques produits spécialisés, l'organisation de la vente en commun exigt au moins une opération de triage, de mélange ou de transformation surtout lorsque l'esprit de mutualité et de solidarité parmi les adhérents n'est pas encore très développé. Ceci est du domaine commercial, non syn- dical, et c'est pourquoi la présence d'une coopérative de production, de transformation ou de vente est néces- saire. Elle ne l'est pas moins au point de vue légal, le syn- SERVICES ÉCONOMIQUES. 107 dicat, organisme spécial de défense professionnelle et simple mandataire de ses adhérents, ne peut se livrer lui-même à de telles opérations qui ressortent d'un organisme commercial, d'une coopérative, parce que la fonction d'acheter, de transformer ou d'approprier et de vendre, constitue la fonction propre de cette dernière institution ' . La Coopérative pourra au contraire acheter ferme à ses membres syndiqués leurs produits suivant le cours, suivant les qualités, espèces ou catégories, elle pourra les approprier au goût de l'acheteur, utiliser les déchets et le profit général sera réparti entre les membres pro- ducteurs au prorata du montant de leurs ventes 2. Encore cet organe pourra-t-il rarement s'affranchir entièrement du commerçant, mais il diminuera le nombre des intermédiaires et rapprochera tout au moins dans une certaine mesure le producteur du con- sommateur. Plusieurs syndicats ont ébauché ce problème, quel- ques-uns l'ont réalisé, l'heure est venue pour eux de s'employer à cette mission en constituant des coopé- ratives afin d'assurer un débouché rémunérateur aux produits de la culture. La tâche leur est facilitée par la loi du 29 décembre 1906 sur le crédit à long terme qui permet aux coopé- 1. Le projet de loi du 19 mai 1913 cité plus haut n'accorderait qu'une l'acuité restreinte aux syndicats et à leurs Unions pour la vente des produits des membres de l'association professionnelle (voir l'appen- dice, p. 229 et l'annexe II 1, p. 285. 2. Voir à cet égard les merveilleux résultats obtenus par les coopé- ratives des Charentes et du Poitou qui grâce à l'esprit de cotiésiou de leurs membres et à leur importance croissante, ont su d'abord utiliser le petit lait dans des porcheries modèles, puis aujourd'hui en tirent un meilleur profit en extrayant industriellement ce qui leur reste de caséine. (Communication faite en avril-mai 1913 à la Société Nationale d'Agriculture de France et au Musée Social.] 108 LES SYNDICATS AGRICOLES. ratives agricoles de production de recevoir de l'Etat sur les fonds mis à sa disposition par la Banque de France des avances correspondant au double de leur capital. Encore convient-il d'être prudent, de ne pas se laisser entraîner à perdre une indépendance nécessaire sous le spécieux prétexte d'obtenir une avance rem- boursable qui n'est pas exclusive du contrôle de l'État. Citons parmi les principales coopératives de pro- duction agricole qui ont fait leurs preuves en France : toutes les organisations de fruits, de lait, de fromages fondées parles syndicats affiliés à l'Union des Alpes et Provence, notamment celle de Roquevaire, utilisant les pulpes d'abricots, de Cuges et Lascœurs pour les câpres, la laiterie de Guillaume qui alimente Nice, la coopérative de producteurs d'orangers de Vallauris qui fait 2 millions d'affaires par an, celle de la Colle pour les essences de jasmin et de roses, celle d'Aiguës pour la vente des raisins, enfin plus de 30 caves coopéra- tives répandues dans l'Hérault, l'Aude, le Gard et plus de 20 moulins coopératifs. Ailleurs en dehors des nombreuses fruitières froma- geries de la région de l'Est, de l'organisation des coopératives de Surgères en Poitou, qui constitue un modèle du genre et qui compte environ 230 associa- tions traitant le lait, le beurre et les œufs, nous devons signaler la coopérative de vente de violettes de Tou- louse, celle de vente de pêches de Millery (Rhône), les coopératives de fruits de Gaillon (Eure), de Groslay, celle des S. A. de Seine-et-Oise qui s'est préoccupée de la conservation des fruits par le froid, celle de vente des œufs de Champagne dans la Sarthe, etc. Toutes ces institutions sont prospères, mais elles le sont surtout parce qu'elles reposent sur le syndicat SERVICES ÉCONOMIQUES. 109 professionnel, car le syndicat est nécessaire à la base de ces institutions. Sans lui elles perdraient une partie de leurs qualités morales, un guide éclairé, une base solide. Le syndicat les empêchera de devenir « des affaires », en dehors de l'objectif professionnel et so- cial poursuivi, il leur assurera à elles-mêmes le re- crutement et la fidélité aussi bien que la moralité de leurs adhérents. Dès à présent les syndicats agricoles ont commencé l'éducation du cultivateur, ils doivent la poursuivre en l'habituant à sélectionner les semences et les espèces, à mieux soigner ses cultures, à les récolter dans des conditions meilleures et surtout à les présenter avec plus de soin, selon le goût de l'acheteur, dans des em- ballages appropriés, sans mélanges ni des variétés, ni des qualités. Le syndicat agricole doit entreprendre de moraliser l'agriculteur vendeur de produits agricoles comme il a moralisé l'industriel ou le commerçant vendeur d'en- grais chimiques ou de produits anticryptogamiques. Conférences, tracts, conseils, champs d'expériences, distribution de semences, concours ou même fourniture et prêts d'emballages etc., autant de moyens d'action appropriés, dont le syndicat disposera avec efficacité. Mais dès à présent et même sans coopérative de vente , il pourra provoquer des échanges entre ses membres, et grouper leurs envois, ainsi que le font les syndicats groupeurs du Gard et du Var, de TU. des Alpes et Pro- vence qui réunissent les produits de leurs adhérents pour former des wagons complets que reçoivent à Paris des agents spéciaux chargés de la répartition. Leur chiffre d'affaires est considérable. C'est ici encore l Bfl LGBI4 01 I >. 7 110 LES SYNDICATS AGRICOLES. qu'apparaissent les avantages du groupement ré- gional. L'Union par son Bulletin, par des offres directes favorise les échanges entre syndicats éloignés les uns des autres, elle fait connaître les produits de la région aux acheteurs, les renseigne sur les centres où ils peuvent se ravitailler, établit des contacts, crée des débouchés, facilite des transports. La Coopérative de l'Union régionale elle-même dont nous avons parlé plus haut peut être une coopérative de vente en même temps que d'achat, elle peut acheter les produits des membres de ses syndicats coopéra- teurs, elle peut même remplir cette fonction soit en achetant le produit et en l'expédiant directement ou au commerçant ou au consommateur, soit même en utilisant les dépôts des syndicats locaux pour y établir un atelier d'appropriation ou de transformation. Dans ce cas, l'agent de la coopérative se transporte au milieu des syndiqués et achète ferme soit sur échantillon, soit sur place; le syndicat assure le con- trôle, la bonne livraison, surveille même s'il y a lieu la transformation, si elle est sommaire, joue son rôle de défenseur des intérêts économiques, d'intermédiaire entre les acheteurs et le producteur, sans que sa res- ponsabilité en tant que personne morale soit directe- ment engagée puisque alors il joue le simple rôle d'a- gent intermédiaire de la coopérative syndicale dont il est l'adhérent. C'est d'ailleurs ce que font aujourd'hui plusieurs syndicats, notamment là où l'intendance procède à des achats directs au cultivateur. Le syndicat renseigne l'intendance sur les disponi- bilités, sur les jours de foire; ou bien la visite de Fof- SERVICES ÉCONOMIQUES. 111 ficier acheteur dans la commune est fixée, publiée par ses soins, et au jour fixé les cultivateurs syndiqués pré- sentent leur blé, avoine ou fourrages disponibles. Pour la livraison, le syndicat la surveille, groupe les envois s'il y a lieu, afin de diminuer les frais de port, fournit ou prête les sacs pour les grains, délègue parfois un de ses membres pour assister à l'agrément final, encaisser les fonds sur délégation de chacun de ses membres vendeurs. On voit par là les services multiples que peuvent ren- dre dans cet ordre d'idée les syndicats agricoles et leurs unions, môme en agissant comme simples repré- sentants des intérêts professionnels de leurs adhérents. Signalons en terminant qu'une Fédération Natio- nale des Coopératives de production et de vente a été fondée vers 1909. Elle a obtenu notamment dans la vente des vins quelques résultats satisfaisants, sans pourtant avoir réussi à s'imposer à l'attention des syndicats agricoles. Utilisation du matériel agricole. Les réflexions que nous avons faites plus haut sur la distinction à établir entre la fonction économique des coopératives et les syndicats dans l'organisation de la vente, s'appliquent souvent aussi en ce qui con- cerne l'utilisation en commun du matériel agricole. Les instruments de transformation tels que bat- teuses, scieurs, moulins ou boulangeries, tous ceux qui nécessitent un capital, une immobilisation un peu importante ou qui ne peuvent rendre des services qu'à une catégorie, un petit nombre de syndiqués, devront en général faire l'objet d'une organisation coopérative 112 LES SYNDICATS AGRICOLES. spéciale sous l'égide et le contrôle du syndicat ou d'une union syndicale. Pourtant certains syndicats ont pu réaliser à eux seuls ce problème au moyen de règlements intérieurs spéciaux. Mais à côté de ces instruments, nécessitant des immobilisations et des forces, nombre de syndicats ont puissamment contribué à l'amélioration de la cul- ture par des concours d'instruments, par la mise aux enchères de certains outils à des prix inférieurs, le syndicat supportant la différence entre le prix d'ad- judication et le prix d'achat. D'autres ont utilisé leurs réserves en achetant des instruments très utiles mais non d'usage constant et ne nécessitant pas une immobilisation de capital, tels que trieurs, défonceuses, rouleaux plombeurs, mou- lins, qu'ils ont mis à la disposition de leurs membres soit gratuitement soit moyennant une redevance des- tinée à couvrir l'amortissement. À défaut de réserves suffisantes les caisses de crédit peuvent apporter un concours efficace aux syn- dicats en mettant à leur disposition les avances né- cessaires. Les syndicats ont encore un autre rôle à remplir aujourd'hui que l'emploi du moteur à pétrole ou de la houille blanche se vulgarise. Ils pourront créer dans certaines communes ou transporter dans cer- tains villages de véritables petits ateliers d'outils variés actionnés par un moteur, tels que scieries, concasseurs, coupe-racines, pompes, voire même des moulins et blutoirs etc., mis à la disposition des syn- diqués, susceptibles d'améliorer les méthodes de cul- ture et la production du petit cultivateur, pouvant SERVICES ÉCONOMIQUES. 113 même contribuer à l'amélioration de la demeure, de la nourriture des salariés agricoles, ce qui permettrait en améliorant leur sort de les retenir à la campagne. Il reste encore beaucoup à faire dans cette voie et les syndicats agricoles peuvent utilement y diriger leur activité, car l'outillage agricole, surtout dans les régions de petite culture, est encore bien défectueux : cela tient moins peut-être aux syndicats agricoles qu'aux faibles connaissances des forgerons et maré- chaux des campagnes. Un cours spécial de maréchalerie et de mécanique pratique créé par des Unions importantes rendrait de grands services à cette corporation si intéressante, l'auxiliaire indispensable du cultivateur. D'autre part les syndicats agricoles pourraient par- fois réaliser le groupement nécessaire soit pour uti- liser une chute, soit pour rattacher un village à un secteur électrique voisin et obtenir le courant et la force qui actionneraient l'outillage de ferme. Les secteurs électriques oublient trop souvent que l'agriculture peut être un de leurs clients les plus sérieux et celle-ci se trouve souvent à cet égard mieux partagée à l'Etranger qu'elle ne l'est en France. Les syndicats d'élevage. 11 reste moins de progrès à réaliser du côté de l'élevage. C'est que dans ce domaine les agriculteurs sont les seuls artisans de l'amélioration du bétail et qui premières années de leur constitution, les syndicats agricol at consacrés à cette tache, Dans ce1 ordre d'idées point D'est besoin d'orga- nisme spécial; il ne s'agit pas en effel de vendre les 114 LES SYNDICATS AGRICOLES. produits de la culture mais de procurer à ces produits des débouchés nouveaux après avoir perfectionné la race, ou de créer des races sinon nouvelles au moins plus hâtives dans leur développement. Ici les syndicats ont acheté des reproducteurs de choix, des étalons qu'ils mettaient à la disposition de leurs membres ; là ils ont donné des primes impor- tantes aux cultivateurs qui organisaient de véritables stations de monte avec des animaux agréés par une commission spéciale; ailleurs ce sont des adjudica- tions de taurillons ou de génisses qui engagent les cultivateurs à porter leur attention sur les avantages de la sélection des produits. Des syndicats spéciaux d'élevage ou de races ont créé des herd-books, des concours cherchant des dé- bouchés à l'Étranger comme le fit le syndicat de la Race bovine limousine. Un décret du 8 mars 1912 prévoit l'allocation de subventions aux syndicats d'élevage constitués sous l'empire de la loi du 21 mars 1884, en vue : 1° de l'acquisition et la production de bons reproducteurs ; 2° de leur entretien; 3° de leur conservation et de celle des bonnes reproductrices ; 4° du contrôle laitier. Mais le décret visant ces syndicats les soumet au contrôle des agents de l'État et exige que leurs statuts soient approuvés par le Ministre de l'Agriculture. Ce ne seront donc pas de véritables associations syndicales dans l'esprit de la loi de 1884, c'est-à-dire se constituant en pleine indépendance et on peut regretter de voir ici, sous prétexte de subventions, se produire une brèche dans la charte syndicale, car nous estimons que l'initiative privée a donné assez de preuves de sa fécondité sans qu'il soit besoin de SERVICES ÉCONOMIQ' 115 mêler les agents de l'État à la gestion d'institutions rurales dans lesquelles, en dehors des professeuos d'agriculture, ils sont parfaitement incompétents. Nous rencontrerons plus d'une fois dans la suite la manifestation de cette tendance à placer sous le con- trôle de l'État toutes les associations qui devraient rester indépendantes ' . Les races françaises ont aujourd'hui atteint un degré de perfectionnement déjà avancé, mais un autre problème se dresse : la nécessité d'accroître la production et la précocité. Par des moyens appropriés, des achats de four- rages, de tourteaux, les syndicats ont pu protéger le bétail contre les périodes de sécheresse trop accen- tuées comme en 1893, ils ont permis ainsi au culti- vateur, secondé par les institutions de crédit agricole, de traverser des périodes difficiles, en conservant les animaux de travail, en obtenant d'eux un meilleur rendement. Sous l'influence de l'élévation des salaires, la con- sommation de la viande a pris un développement considérable, elle se porte surtout sur les morceaux de choix, et l'élevage comme l'agriculture en général qui a pu se développer à l'abri des tarifs douaniers de 1802, se trouve menacée de voir supprimer ces tarifs ou les mesures sanitaires qui en sont le corol- laire par suite de la hausse de la viande 2. i. J.a Société «les Agriculteurs de l l un bureau spécial <|UI I ■2. Chaque arm radiation «Iut moment de l'association. La Cour de caasatfon \ient de confirmer «pie cet engagement était va- lable. 150 LES SYNDICATS AGRICOLES. clies : risque-bétail et risque-incendie; son fonction- nement est analogue dans les grandes lignes au fonc- tionnement de la Caisse Centrale des Agriculteurs de France, du moins quant aux risques d'incendie. Mais tandis que cette Caisse de réassurance de l'Union Centrale réassurait la presque totalité des Caisses locales (2.622 mutuelles au 31 décembre 1912 avec 76.285 fr. 51 de réserves), la Caisse de la Fédé- ration n'en réassurait sans doute que quelques-unes à la même date puisqu'elle n'avait commencé à fonc- tionner que le 1er juillet 1912. Le rapport du Ministre de l'Agriculture du 12 sep- tembre 1912 sur les Mutualités agricoles ne mentionne même pas son existence et il nous a été impossible d'obtenir au siège de la Fédération, 18, rue de Gre- nelle, le moindre renseignement sur les résultats qu'elle a obtenus. C'est pourtant à elle que le Ministère se proposerait de confier la gestion d'une Caisse d'Etat soi-disant autonome, mais largement subventionnée. En effet à la page 424 du rapport sur le Budget de l'Agriculture pour 1913, M. Métin, rapporteur à la Chambre des députés, signale la réponse du Ministre à une question posée par lui ayant trait à la constitu- tion d'une Caisse Centrale. Le Ministre envisage « qu'auparavant de créer une Caisse d'Etat, il y avait lieu d'examiner s'il ne serait . pas possible de constituer l'organisme de réassu- rance au 3e degré sur la même base que ses filiales, c'est-à-dire sur le principe de la liberté contrôlée et subsidiée par l'État » ; et le Ministre ajoute, comme si la Caisse Centrale des Agriculteurs de France n'exis- tait pas, que la Fédération Nationale de la Mutualité INSTITUTIONS DE PRÉVOYANCE. 151 et de la Coopération fondée en 1910 se préoccupait de constituer cet organisme et serait subventionnée par le Ministère grâce à un crédit de 1.800.000 francs. Qu'il nous suffise d'ajouter que ce projet ne paraît pas très favorablement accueilli dans les milieux par- lementaires et que la Caisse Centrale des Agriculteurs de France fonctionne et prospère sans avoir jamais eu recours à aucune subvention, ristournant déjà aux Caisses régionales et locales, ainsi que nous l'avons dit, une part des cotisations perçues. L'assurance contre la grêle. Il n'a pas été encore possible de réaliser quelque chose de pratique pour I'assurànce contre la grêle par la mutualité. Le risque est ici si considérable, si concentré sur certains points qu'il ne semble pas pos- sible de mettre la mutualité locale à son service K . Dans ce domaine d'ailleurs l'action moralisatrice n'a pas à s'exercer d'une façon constante et si une intervention quelconque est nécessaire pour le contrat d'assurance ou le règlement d'un sinistre avec une grande compagnie, le syndicat agricole en est l'agent tout désigné. Il peut en effet servir d'intermédiaire avec une grande compagnie, procurer à ses membres des avan- tages spéciaux en raison des garanties de contrôle qu'il apporte à l'assureur, les représenter lors d'un sinistre, syndicats se sont d'ailleurs suri nul préoccupés i. D'apn-s !<• rapport du Htototre <\<- l'Agriculture du ttdécembre iîm-j, le nombre de outre 1* grêle était eu 31 décembre uni de -27, dont 9 de planteurt de tabac h société! départementale!, lé! d'arrond <'t 3 communale* la Caisse des planteur! du Lot qal comprenaii 9.010 membre! venait ndre. 152 LES SYNDICATS AGRICOLES. de prévenir ces sinistres : dans le Beaujolais, le Bor- delais notamment où les associations agricoles ont créé de véritables organismes de défense au moyen de bombes ou de canons. Plus récemment en 1912, l'Union du Périgord et du Limousin avec les syndicats de Monbazillac et de Laforce provoquait la création de barrages de para- tonnerres spéciaux, dits « niagaras électriques », en vue de diminuer la tension électrique des nuages et les dégâts de la grêle selon le système préconisé par le général de Négrier et M. de Beauchamp. En même temps des barrages étaient établis dans le Beaujolais sur l'initiative de l'Union régionale, dans le Lot-et-Garonne sur l'initiative de l'Union garon- naise. Quant à la Gironde, les études entreprises par l'Union girondine furent appliquées par le conseil général qui se substitua à elle. C'est aux syndicats et aux unions qui ont réalisé ces entreprises et sur leur intervention pressante que l'État et les conseils généraux ont attribué des subventions assez importantes à l'établissement de ces appareils automatiques et permanents. Caisses de chômage et accidents du travail. Les mutuelles bétail, incendie et grêle ne semblent pas profiter directement à l'ouvrier agricole, elles lui sont pourtant très profitables du jour où petit mé- tayer, petit propriétaire, il a part dans les risques qui atteignent les animaux, les instruments de travail, la récolte du domaine si modestes qu'ils soient. L'ouvrier, simple prolétaire, est d'ailleurs directe- ment intéressé à la protection contre tout sinistre du INSTITUTIONS DE PRÉVOYANCE. 153 domaine où il travaille, en pays de grande culture qui implique nécessairement un prolétariat rural plus encore qu'en pays de petite culture. Dans tous les cas, l'action d'un syndicat en vue de protéger les récoltes, notamment contre la grêle ou la gelée, est une action d'apparence économique et en réalité sociale, dont le simple ouvrier profite d'une façon effective, puisque cette protection le garantit contre l'abaissement de son salaire ou contre le chô- mage, conséquence inévitable d'une perte de récolte, notamment dans les pays vignobles et de monoculture . Des caisses de chômage ont d'ailleurs été consti- tuées soit sous forme de secours en annexe des offices de placements, soit sous forme de mutualités vérita- bles; alimentées par des abandons volontaires des salariés et des cotisations patronales proportionnelle- ment en général à la surface cultivée. Elles ont fonctionné dans les régions où le proléta- riat agricole est développé : dans l'Oise, le Centre et sur- tout dans le Midi. Dans certains groupes de cette dernière région, les syndicats mixtes établissent un roulement pour assurer l'emploi des salariés entre les divers propriétaires adhérents pendant un certain nombre de jours par semaine. Mais s'il est nécessaire de donner à l'ouvrier le moyen de trouver du travail, il n'est pas moins néces- saire de protéger ses bras, c'est-à-dire l'instrument indispensable de ce travail contre les accidents pouvant l'atteindre, en même temps que le patron, en ce qui le concerne lui, sa famille, ou la responsabilité qu'il encourt en tant qu'employeur. Aucune législation spéciale n'a encore réglementé 9. 154 LES SYNDICATS AGRICOLES. les risques découlant des accidents du travail agri- cole, il n'en est pas moins vrai que par l'art. 1382 du Gode civil, le droit commun est applicable, et qu'il est appliqué le plus souvent par les tribunaux en s'inspi- rant de la législation nouvelle touchant les ouvriers de l'industrie, c'est-à-dire en mettant à la charge du pa- tron « le risque professionnel ». Ce risque, tel qu'il est compris par le législateur de 1898, est très rare en agriculture et quelques personnes le considèrent même comme nul, hormis le cas d'em- ploi de moteur mécanique qui est soumis à la loi du 30 juin 1899, estimant que la plupart des accidents sur- venant en agriculture sont beaucoup plus le fait de l'homme que du métier lui-même. Néanmoins il n'estpas douteux qu'une législation spéciale interviendra tôt ou tard, elle est même dans une certaine mesure désira- ble ' ; et déjà en l'état actuel des choses, il est indispen- sable de se couvrir contre les actions en responsabilité qui peuvent se produire par application de l'art. 1382 du Code civil. Aussi plusieurs associations agricoles locales ou régionales se sont préoccupées de la question : des caisses spéciales ont été fondées notamment par les syndicats delà Sarthe, del'Ille-et-Yilaine, des caisses mutuelles locales par l'Union Réolaise; 28 caisses se sont également constituées en 1911 dans l'Indre-et- l. Un projet de loi est depuis longtemps en préparation pour appliquer le principe du risque professionnel de la loi de 1898 à l'agriculture : projet de loi rapporté dans le cours de la précédente législature par M. le député Chauvin, repris au cours de la présente législature par M. le député Mauger. Ce risque étant dans cette profession très différent du risque industriel, toutes les associations réclament un statut spécial et l'on voit par là encore combien les institutions de prévoyance ne peuvent trouver une application pratique s'adaptant aux véritables besoins du travailleur qu'en prenant une base essentiellement profes- sionnelle. INSTITUTIONS DE PME VOYANCE. 155 Loire se réassurant à une caisse départementale, por- tant à 35 le nombre des Caisses mutuelles d'assuran- ces contre les accidents du travail au 31 décembre 1911 d'après le rapport du Ministère. Le nombre de ces mu- tuelles s'est accru en 1912. Dès 1899, l'Union Centrale des Syndicats des Agri- culteurs de France donnait son patronage à la Caisse syndicale d'assurance mutuelle contre les accidents du travail agricole1 qui, sous la forme des grandes mutuelles incendie, assure tous les risques concernant les accidents de l'industrie agricole. L'Union centrale a également élaboré des statuts de caisses mutuelles locales avec réassurance à la Caisse Syndicale précitée, qui joue ainsi le rôle de caisse centrale avec quelque chose de plus en ce qui concerne certains risques. L'organisation est analogue à celle des caisses in- cendie, mais seulement pour les risques d'invalidité temporaire. Les risques de mort ou d'incapacité totale de travail ne sauraient en effet incomber aux petites mutuelles locales en raison des charges très lourdes et de l'immobilisation des capitaux qu'ils entraînent, aussi bien qu'en raison du chiffre minimum de fonds de garantie exigé par la loi pour l'assurance de ces risques. Mais les mutuelles locales agricoles peuvent, même à l'égard de ces derniers risques, remplir le rôle d'a- gents de moralisation et de contrôle et par là même i. La cuisse Syndical lutteurs de France contre les accidents «ht travail Ancienne Solidarité Orléanais*) dont le siège est à Paris, 8, rue d'Ailienes, s'est transformée la îojuin 1808 sous les auspices de l'Union Centrale et s'est rapidement développée sous l'habile direction de H. EL Bagot. Bile comptait an 18 Février 1818 : 15.651 sociétaires cou- vrant 756.00 1.008.100 cotisation* anaueJlea et avait constitué 710.000 de rés< n 156 LES SYNDICATS AGRICOLES. favoriser le fonctionnement de la grande mutualité. Les mutuelles locales contre les accidents du tra- vail se constituent comme les mutuelles bétail et in- cendie et doivent toujours réassurer la majeure partie de leurs risques temporaires, tant qu'elles n'ont pas constitué des réserves. Elles sont de nature à entraîner un abaissement des primes d'assurance si lourdement grevées par la fraude et par les exigences du corps médical. Par des ententes avec les médecins locaux, par une surveillance de leurs soins et surtout par le contrôle exercé sur les accidentés tant en ce qui concerne l'im- portance du risque que la durée de l'incapacité de travail, les mutuelles locales et les syndicats sont à même de diminuer les charges agricoles qui sont im- posées au cultivateur. Caisses de secours contre la maladie; la vieillesse; œuvres diverses. Après avoir protégé le cultivateur contre les acci- dents et les sinistres de toute nature, il faut aussi le protéger contre les risques de maladie. Ici, c'est la loi de 1898 qui intervient après avoir rem- placé la loi du 15 juillet 1850 complétée par le décret du 26 mars 1852. Les sociétés de secours mutuels ont préexisté pour la plupart aux syndicats agricoles et rares sont les so- ciétés ayant un caractère nettement professionnel fonctionnant au seul profit des adhérents d'un syndicat agricole. Les syndicats se sont efforcés d'atténuer le carac- INSTITUTIONS DE PREVOYANCE. 157 tère individualiste masculin de ces caisses en s'effor- çant d'y introduire les femmes et les enfants. De nos jours l'homme n'est pas le seul à gagner le pain de la famille, la ménagère a un rôle tout aussi actif que lui : chez les prolétaires elle gagne sa journée ; chez le métayer, le fermier, le petit cultivateur, elle assure la bonne marche du domaine, c'est toujours à elle que l'on doit les profits utiles de la basse-cour. Il est juste qu'elle puisse être protégée elle aussi contre les risques de maladie, il est non moins utile que l'enfant apprenne dès son jeune âge à connaître la mutualité et à la pratiquer. En donnant aux sociétés de secours mutuels ce ca- ractère familial sinon professionnel, on développe chez leurs membres l'esprit d'association et on prépare les voies d'une organisation plus complète de la profession. D'ailleurs, si les syndicats agricoles n'ont pas con- couru d'une façon très directe au développement des sociétés de secours mutuels, ils se sont préoccupés dès la première heure de créer dans leur sein certains ser- vices d'assistance. Ici une consultation hebdomadaire ou bi-mensuelle était donnée aux frais du syndicat par un médecin dans certains villages éloignés. Là les syndiqués avaient labouré le champ de leur confrère malade; des tombolas, une caisse spéciale étaient organisées au profit de ceux que le sort avait frappés * . Ailleurs le syndicat prenait à sa charge les frais fu- 1. Les affiches apposées par les sociétés de secours mutuels sont dis- pensées du droit de timbre pour le compte rendu des opérations morales ou financières de ces sociétés, aussi bien que pour l'annoncé des fêtes de bienfaisance organisées au profit de la Société de pré- voyance (décret du 26 mars 1852 . 158 LES SYNDICATS AGRICOLES. néraires des simples ouvriers ses adhérents, ou bien comme au syndicat agricole de Belleville présidé par Em. Duport, il adoptait la fille orpheline d'un syndiqué décédé. Dans le même ordre d'idées, rentrent une foule d'or- ganisations suggérées par le dévouement et l'esprit de charité : telles que les secours de maternité de l'Union mutualiste des françaises, les caisses de dotation pré- conisées par l'Union lorraine, les œuvres du trousseau, dont le titre indique l'objet, certaines industries ressor- tant du programme de l'œuvre des petites industries rurales : telles que la fabrication de la dentelle, la confection d'emballages, etc., qui permettent de rete- nir la femme à la campagne, de l'occuper l'hiver, de lui donner du travail à domicile en élevant ses enfants tandis que le père travaille aux champs. Il appartient au syndicat agricole d'accomplir son apostolat social en développant de plus en plus les di- verses formes de la mutualité qui rattacheront la mère et l'enfant au groupement professionnel et prépareront ainsi à ce dernier des générations nouvelles. Les groupements féminins attachés au syndicat, les cercles de fermières peuvent développer rapidement cette branche de la prévoyance sociale *. Mais le rôle du syndicat eût été incomplet s'il n'avait songé à assurer la vieillesse de ces ouvriers de la terre constamment exposés aux intempéries. Les Unions syndicales n'ont pas attendu la loi de 1910 pour prendre les dispositions nécessaires à cet égard. Dès 1899, mettant en œuvre la loi du 1er avril 1898 i. Voir p. 35 et plus loin p. 176 le rôle que peut exercer la femme dans ces institutions. INSTITUTIONS DE PRÉVOYANCE. 159 sur les sociétés de secours mutuels, elles créaient sur le principe de la mutualité locale et professionnelle des caisses mutuelles de retraites rurales, qui avec le con- cours des membres honoraires et celui de FÉtat per- mettaient à l'ouvrier de s'assurer tout au moins du pain pour ses vieux jours. Les caisses mutuelles de retraites du type de l'Union du Sud-Est prévoient une cotisation annuelle variable payée par le syndiqué adhérent à la caisse (en général 9 à 24 francs, suivant âge). Cette cotisation n'est pas perdue pour lui, il en garde le bénéfice au moment de la retraite, même s'il quitte le syndicat. 11 peut la verser à capital aliéné ou au contraire à capital réservé. Cette dernière modalité diminue le montant de la retraite mais permet aussi d'assurer les enfants dès l'âge de 3 ans sans risque, puisqu'en cas de mort le capital est réservé aux ayants droit. Cette cotisation est versée à la Caisse nationale des Retraites qui en garantit l'arrérage à l'âge (55, 60 ou 65 ans) fixé par les statuts de la mutuelle par un livret délivré par elle. Elle se trouve maj orée du quart de son montant par une subvention de l'Etat définie par la loi, il s'y ajoute une subvention de capitation de 0 fr. 50 ou 1 franc par tête * . Cette subvention est inscrite à capital réservé au prolit de la Société dont l'avoir se trouve grossi d'au- tant au décès du titulaire lequel d'ailleurs peut obtenir la liquidation anticipée de sa pension de retraite en cas d'accident ou d'incapacité de travail. I. Cette subvention ne peut être arbitrairement accordée ou refusée comme dans les mutuel:, s bétail, Incendie, etc. Ici c'est un décret ministériel qui l'accorde, c'est la loi au contraire qui la définit poul- ies sociétés de secours mutuels maladie OU retraite approuvées, basées sur la loi de 1«G8. 160 LES SYNDICATS AGRICOLES. La société elle-même reçoit des cotisations de mem- bres honoraires, des dons et legs qui lui permettent de constituer un fonds social placé soit en fonds disponible soit en fonds inaliénable ; le capital permet de servir des secours aux veuves ou aux participants en cas de ma- ladies graves, mais surtout d'augmenter la pension de retraites de ceux qui sont restés fidèles à l'association, c'est-à-dire à la terre. D'autres sociétés sont constituées avec un système un peu différent, les cotisations formant masse dans un fonds de retraite inaliénable, telles les caisses de l'Union lorraine. Les unes et les autres complètent leur action par certains secours de maladies. Elles auraient donné aux ouvriers de l'industrie agricole tous les moyens nécessaires de constituer à leur gré des retraites si l'Etat avait voulu les encou- rager et accepter le principe de la mutualité et de la retraite facultative au lieu d'imposer le principe de l'obligation à la base de la nouvelle législation. Quand parut la loi du 5 avril 1910, les syndicats et unions agricoles s'employèrent de leur mieux à la faire connaître et à chercher à l'appliquer malgré les erreurs et les difficultés qu'elle soulevait. C'est que la loi malgré tout renfermait cette idée de l'assurance retraite qui avait toujours paru juste aux protagonistes des syndicats agricoles, et surtout qu'elle entrevoyait la possibilité de créer des caisses profes- sionnelles, qui rentraient dans le programme de l'or- ganisation syndicale rurale. L'Union Centrale des syndicats des agriculteurs de France résolut donc, malgré les aléas, de créer une caisse centrale de retraites pour tous les membres des INSTITUTIONS DE PREVOYANCE. 161 syndicats agricoles, avec la pensée de la régionaliser dans l'avenir. Malheureusement le succès ne paraît pas avoir ré- pondu à ses efforts. Rebelles à ce principe de l'obliga- tion et au jeu de cartes et de timbres qui en est la con- séquence, défiants à l'égard de l'État absorbant et gérant la masse formidable des cotisations des travail- leurs, n'entrevoyant que d'une manière imparfaite la distinction existant entre une caisse autonome et la caisse d'État, les cultivateurs semblent se refuser à adhérer à la loi de 1910 même appliquée par les syn- dicats agricoles ^. il n'en reste pas moins que ceux-ci auront eu l'hon- neur d'avoir soutenu leur doctrine jusqu'au bout et d'avoir montré au législateur et au pays ce que pou- vait produire l'initiative privée, le dévouement et la mutualité dans le cadre de l'organisation profession- nelle. Le plan de cet ouvrage ne nous permet pas de nous étendre sur une foule de modalités qui ont per- mis aux syndicats de développer leur action sociale et de rendre de véritables services d'assistance et de pré- voyance à leurs membres. On trouvera dans l'ouvrage de M. le Comte de Rocquigny de nombreux exemples de l'ingéniosité des syndicats agricoles en cette matière. 1. Nous devons signaler l'existence décaisses autonomes créées par- lois sous l'égide des Unions syndicales, telle la Caisse de Lorraine, mais ces Caisses n'ont pas le caractère strictement professionnel réclame par les associations rurales et nous craignons qu'au lieu de favoriser l'organisation professionnelle elles ne la retardent, tout en s'exposant à de très grosses difficultés d'administration. Peut-être cependant pourront-elles servir de no\au aux futures caisses professionnelles régionales, qui seules permettront l'application ration • nelle des lois sociales i ment des retraites ouvrières et paysan- nes, si le Parlement finit par reconnaître un jour la nécessité de l'or- ganisation professionnelle. CHAPITRE VIII ACTION ECONOMIQUE ET SOCIALE. — ENSEIGNEMENT. Nous avons montré dans les précédents chapitres les deux faces sous lesquelles les syndicats agricoles ont exercé leur action d'une manière tangible. En s'occupant des intérêts matériels de leurs mem- bres, ils se sont tenus dans les réalités concrètes et ont fait toucher du doigt au cultivateur les bienfaits de l'association. En môme temps ils ont développé ses facultés d'épargne et de prévoyance et mis à sa portée les institutions d'assurance et de prévoyance appelées à le protéger. Cette double action s'est exercée sans heurt, sans léser aucun intérêt respectable ; les syndicats agri- coles ont montré par là l'excellence de leur méthode, sa supériorité sur d'autres systèmes plus spéculatifs, prêtant plus à la déclamation, mais dont les effets paraissent jusqu'ici moins féconds. Cette action a eu d'ailleurs une répercussion qui dé- passe les limites des seuls intérêts professionnels de l'agriculture et qui s'est étendue sur l'industrie et sur le commerce dont les syndicats agricoles ont accru le trafic, en même temps que sur la nation toute entière, ACTION ÉCONOMIQUE ET SOCIALE. 163 en raison des effets moraux et sociaux découlant di- rectement ou indirectement de ces institutions rurales. Il nous reste à faire ressortir ces conséquences et Faction exercée par les syndicats agricoles par voie d'incidence, action moralisatrice au premier chef sur les individus, sur le commerce, sur les pouvoirs publics. Nous avons vu, en étudiant l'organisation et le fonctionnement des syndicats et de leurs mutualités, comment le syndicat local avait déterminé le rappro- chement des individus, favorisé les facultés d'épargne et de prévoyance, créé entre les agriculteurs un esprit de solidarité et de mutuel dévouement. Au point de vue du commerce, l'action des syndi- cats agricoles découle naturellement des services rendus dans le domaine économique soit par la vul- garisation des engrais, par le développement de la production, soit par le contrôle exercé sur la qualité des marchandises. Enfin par leur propagande, par renseignement, par la presse, par leurs comités de consultations et d'arbi- trage, ils ont rempli une mission de paix sociale qui a fort heureusement préparé les voies à une action efficace sur la législation et les pouvoirs publics. La régularisation des cours. syndicats agricoles ont kégulakisk lis cocus : en effet, à la fois producteurs et consommateurs, iei syn- dicats ont compris «ju ils ne devaient pas •' attacher système du bon marché quand même, car le produit vendu à perte ne peut forcément présenter des garan- ties de qualité. 164 LES SYNDICATS AGRICOLES. L'excessif bon marché entraîne la disparition des maisons trop faibles pour supporter une crise passa- gère ou s'outiller de façon à diminuer le prix de revient ; par suite la concurrence se trouve restreinte et l'excessif bon marché en diminuant la production amène fatalement une réaction qui provoque à son tour le plus souvent une hausse exagérée. Les syndicats agricoles se sont donc attachés à pra- tiquer la théorie du « juste prix » qui, respectant les intérêts légitimes du producteur et du commerce hon- nête, ne lèse en aucune façon les intérêts du consom- mateur. L'objectif social qui domine les associations pro- fessionnelles rurales trouvait là une application heureuse et l'on est en droit de s'étonner qu'après avoir respecté d'une façon aussi constante les intérêts du commerce et de l'industrie, après avoir contribué si puissamment au développement de certaines branches industrielles, telles que la production des engrais chi- miques, les syndicats agricoles aient été parfois si vivement attaqués dans ces milieux. Il faut reconnaître d'ailleurs que ces attaques sont venues beaucoup plus de certains intermédiaires que des commerçants et des industriels eux-mêmes. Seuls auraient le droit de se plaindre les spéculateurs, le commerce malhonnête qui ne recule pas devant la fraude. Les syndicats agricoles ont en effet dressé une bar- rière devant la spéculation et spécialement la spécula- tion des produits de la terre en renseignant leurs membres sur les cours et sur la production des diverses denrées. Aux statistiques intéressées de la spéculation, ils ont opposé les statistiques des producteurs. ACTION ÉCONOMIQUE ET SOCIALE. 165 Ils ont obtenu des législations protectrices, régle- menté les apports de leurs membres sur les marchés; ils ont montré qu'ils étaient de force à organiser eux- mêmes la vente aux consommateurs si les cours venaient à être préjudiciables à leurs intérêts. Enfin, ils ont mis les producteurs en contact direct parfois avec les consommateurs eux-mêmes, plus sou- vent avec les maisons de commerce, dont parfois les syndicats agricoles auraient pu devenir les véritables agents, si le commerce n'avait pas éprouvé tant de défiance à leur égard. L'incidence de cette action économique a une portée sociale indiscutable, puisqu'elle influe sur le prix de revient des denrées agricoles, sur le prix de la vie et la qualité des produits offerts au consommateur; nous voyons cette action se réaliser dans les achats de ma- chines et d'engrais de toute nature, dans la vente des produits de la terre, notamment du vin, du blé, quel- quefois des fruits et demain peut-être de la viande. Depuis dix ans le blé n'est plus à la merci de la fluc- tuation des cours, ce sont les syndicats et leurs unions aidés par le Comité de la vente du blé qui ont obtenu l'abrogation du régime des admissions temporaires, qui ont combattu et empêché depuis 1910 la suspen- sion des droits de douane, qui ont amené leurs adhé- rents à faire des apports échelonnés sur le marché, qui, par le crédit et le warrantage, leur ont procuré les moyens de pratiquer cet échelonnement des offres indispensable à la régularité des cours. Ce sont eux qui ont mis le producteur en contact avec l'armée, qui ont préparé les bases de coopératives de vente de blé et de vin, de caves et de magasins 166 LES SYNDICATS AGRICOLES. coopératifs; ce sont eux qui, pour le vin, ont envoyé durant la crise de 1901 à 1905 des courtiers jusque dans le Nord pour faire connaître le jus de la vigne et lui procurer des débouchés, eux encore qui demain devront songer à améliorer le commerce de la viande et à l'arracher aux fantaisies d'intermédiaires trop nombreux. Les syndicats agricoles ont nui à la spéculation et à une certaine catégorie de courtiers, le fait est sans •conteste. Mais ils n'ont j amais voulu se substituer ni directement ni par leurs coopératives syndicales au commerce hon- nête dont la fonction est nécessaire ; ils ne lui ont pas nui en restreignant la spéculation et en se substituant à certains intermédiaires, pas plus qu'ils ne lui nuisent en poursuivant la fraude. La répression de la fraude et l'action en justice des syndicats agricoles. La poursuite de la fraude est en effet une des fonc- tions premières des syndicats agricoles. Elle fut autrefois une des premières préoccupations des corporations qui avaient créé un véritable service d'agents de contrôle, de maîtres-jurés, etc. *. La fraude s'exerce sur tous les produits et a sévi intensivement au cours des dernières années ; — dans le commerce des engrais et des produits anticryptoga- miques elle nuisait singulièrement aux intérêts du cultivateur et aux progrès de la culture. 1. Les anciennes corporations de Métiers et la lutte contre la fraude, par Maurice de Gailhard-Bancel, Paris, Bloud, 1913. ACTION ÉCONOMIQUE ET SOCIALE. 167 Quand on songe que certains courtiers parcouraient il y a encore quelques années les campagnes en offrant aux cultivateurs des engrais à 25 francs les cent kilos qui en réalité ne valaient pas 3 francs j , on est en droit de dire que les syndicats avaient une large mission à remplir et que cette mission devait profiter à tous : consommateurs aussi bien que pro- ducteurs. Il ne suffisait pas de faire l'éducation du cultivateur, il était nécessaire aussi de le mettre à l'abri de la fraude d'une façon quasi automatique. Le fait seul de commander ses engrais par le syndicat est déjà une garantie pour le cultivateur. Si en effet un fabricant , un vendeur d'engrais , était tenté de frauder ses produits, il hésiterait sans doute à le faire à l'égard des livraisons effectuées à un syn- dicat agricole et cela pour plusieurs motifs : c'est d'abord que le plus souvent les contrats qui lient le syndicat acheteur au fournisseur prévoient des réfactions et des amendes pour les manquants dans le titrage des engrais ; c'est aussi en dehors de tout contrat, que le vendeur sait l'attention du syndicat éveillée, il sait le syndicat lui-même, grâce à ses unions régionales ou centrale, outillé pour effectuer utilement des prélèvements d'é- chantillons et obtenir des analyses sérieuses par l'in- termédiaire des laboratoires dont il dispose. Le vendeur sait enfin que si des analyses défec- i. Ftita relevés dans la Dordegne el la Corrèze en i2. Bu 1911, «les Tentes de produits anticrypto^amiques d'une valeur à peu piï's nulle et. d'une t- •unir de cuivre infinie ont pu être faites par un courtier «le Marseille dans une partie du sud-Ouest, non san- «pi'ii se fût expose; a des poursuites qui aurah-n! abouti avec la nouvelle mi ;'i une c 168 LES SYNDICATS AGRICOLES. tueuses répétées ont révélé l'altération fréquente de ses produits, il ne s'expose pas seulement à perdre un client, mais le syndicat peut le mettre à l'index par des avertissements secrets à ses confrères ou à son Union, sinon même par des circulaires publiques comme le fait s'est produit en 1901 dans le dépar- tement de la Vienne. Enfin le fabricant ou le courtier malhonnête sont menacés d'être poursuivis devant les tribunaux et de tomber sous le coup d'une législation aujourd'hui plus sévère et dont l'application dépend largement de la vigilance des syndicats agricoles * . A la faveur du développement de la consommation, la fraude s'était étendue à une foule de produits de la terre, présentés frais ou sous forme de conserves. Il est reconnu que la mévente dont le vin fut l'objet de 1901 et 1905 et qui compromit si gravement les intérêts des régions viticoles fut due en grande partie à la fraude. Aussi des associations puissantes telles que la Con- fédération générale des vignerons2, le Syndicat na- 4. La loi du 8 juillet 1907 notamment donne des droits à une action en réduction de prix et en dommages-intérêts à l'acheteur lésé de plus d'un quart dans l'achat des engrais ou amendements et des subs- tances destinées à l'alimentation des animaux de la ferme. Celle du 4 août 1903 concède également des garanties aux acheteurs de produits cupriques anticryptogamiques. 2. La Confédération Générale des Vignerons fondée à la suite des troubles d'Argeliers et de Cette de 1907 groupe aujourd'hui 70.000 mem- bres sous la présidence du Dr Ferroul, répartis dans 423 sections communales formant ensemble cinq grandes associations régionales. Elle réunit dans son sein la plupart des groupements viticoles régio- naux et son action s'exerce sur toute la France dans les lieux de con- sommation comme dans les pays de production, notamment au moyen de 36 agents commissionnaires. 3.042 échantillons ont été prélevés aucours de la dernière année dont 777 ont donné lieu à des poursuites et 691 à des condamnations. Pour 27B d'entre elles, la C.G.V. s'est portée partie civile. C'est grâce à l'importance de ses cotisations basées sur les surfaces ACTION ECONOMIQUE ET SOCIALE. 169 tional de défense de la viticulture furent constituées à la suite des troubles de 1907, avec comme objectif général la défense de la viticulture et comme objectif spécial la poursuite et la répression de la fraude, tandis que les syndicats agricoles, tels que certains syndicats de l'Union du Sud-Est, celui de Cadillac dans la Gironde, poursuivaient eux-mêmes la fraude et réclamaient avec succès des dommages-intérêts en tant qu'association professionnelle usant des facultés d'ester en justice conférées par l'art. 6 de la loi de 1884 et s'appuyant sur le rôle de défense assigné par cet article. Aujourd'hui grâce à ces associations, grâce à la loi du 4 août 1905 1 relative à la fraude sur les vins, sanc- tionnée par la jurisprudence, les syndicats agricoles ont étendu le champ de leurs capacités juridiques comme ils avaient étendu le champ de leurs capacités économiques. Ils sont appelés à exercer un contrôle de plus en plus actif sur la qualité et l'origine des produits, ils sont même habilités à posséder une mar- que et à la faire respecter. plantées, que la C. G. V. a pu exercer cette action. Elle a recueilli au cours de l'année écoulée 412.000 francs pour la seule défense du vin, tandis que l'Etat ne disposait que de 1.137.000 francs pour les produits les plus divers (Compte rendu du congrès viticole de Narbonne du 22 décembre 1912). Son action persévérante a permis d'obtenir une législation plus com- plète, une application méthodique des règlements et un ensemble de mesures qui ont rendu la confiance au consommateur, donné au pro- ducteur la possibilité d'exploiter avec profit et assuré au travailleur des salaires très rémunérateurs. Il est bon de retenir que la C. G. V. repose sur une base strictement corporative et régionale, avec un objet nettement déterminé. 4. Cette loi fut complétée par le décret du 34 juillet 4906, élargi par le circulaire du 23 déc. 1907 et la loi de finances du 27 févr. 1912. On consultera avec fruit la thèse de doctorat de M. Pierre de Fontgalland Bur «l'Action en justice des syndicats professionnels », Paris, Laveur, mil. Ainsi que la collection du Droit rural, Paris, 8, r. d'Athènes. 10 c 170 LES SYNDICATS AGRICOLES. Ni le commerce ni le consommateur ne peuvent se plaindre de cette action moralisatrice du syndicat agricole qui a rempli par là une action sociale des plus fécondes *. Ainsi que l'écrivait M. Maurice de Gailhard-Bancel à la fin de son étude : « Tenir en respect le fraudeur et le concurrent déloyal, donner au producteur honnête et au consommateur la sécurité et la confiance, ce sera l'un des éminents services que rendra à la société mo- derne le régime organique du travail, dont le désir se retrouve sous les aspirations imprécises de la classe ouvrière et dont l'avènement facilitera l'œuvre de re- construction sociale entreprise par tant de bons servi- teurs du pays. » Office de placement et Comité d'arbitrage. Cette action moralisatrice, éducatrice, exercée par les syndicats agricoles au moyen de renseignement, des conférences et de la presse, se complète encore par des institutions dont il est peu parlé mais qui rendent des services sociaux indéniables au cultivateur et qu'on ne saurait trop recommander : L'office de placement ou bureau de travail qui per- met à l'ouvrier de trouver un emploi et au cultivateur de se procurer les bras qui lui manquent est un de ces services. 1. Pendant l'impression de cet ouvrage un l'ait important est venu confirmer la capacité juridique des syndicats professionnels, notam- ment des syndicats agricoles. L'arrêt rendu le ï> avril 1913 par la Cour de Cassation toutes chambres réunies, leur confère définitivement en effet le droit de se porter partie civile en police correctionnelle à l'effet de défendre les intérêts écono- miques collectifs et professionnels de la corporation qu'ils représentent. (Voir Droit Rural, n° de mai 1913. Hôtel de la Société des Agri- culteurs de France, Paris, 8, rue d'Athènes). ACTION ÉCONOMIQUE ET SOCIALE. 171 Ces bureaux, lorsqu'ils sont créés par une Union ré- gionale avec le Bulletin comme organe, rendent de vé- ritables services, car les besoins ne sont pas les mêmes en toute saison dans chacune des parties de la province et il est possible ainsi d'éviter des chômages. Les syndicats agricoles n'ont peut-être pas fait tout ce qui était nécessaire pour conjurer la crise de la main- d'œuvre et créer des offices de placement gratuit au profit de leurs membres dans un large esprit de solidarité '. Un autre organisme non moins intéressant et que l'on rencontre constamment annexé au syndicat pro- fessionnel, C'est LE COMITÉ D'ARBITRAGE. Beaucoup de syndicats ont créé dans leur sein un comité de cette nature, devant lequel les syndiqués peuvent présenter leurs litiges et régler leurs diffé- rends. Nombreuses sont les querelles qui à la campa- gne sont causées par l'ignorance de la loi, des difficul- tés de peu d'importance : bornage, mur mitoyen^ règlement démarché, etc.; un Comité d'arbitrage évite souvent de coûteux procès et des rivalités fâcheuses. Ce comité est généralement constitué par le syndicat local entre quelques-uns de ces adhérents réputés par leur droiture et la connaissance des usages du pays. Ce sont des solutions amiables et non juridiques qui lui sont demandées. Mais il exercera une action plus complète si pour les cas difficiles, il s'appuie sur le comité de consulta- 1. Kappelons qu'.iuv tenues p|>eiit sous son égide. 132 LES SYiNDICATS AGRICOLES. En outre du comité de la Mutualité, et de ses diverses branches : crédit, assurance, bétail, incendie, retraites, etc., en outre du Comité de dames, du Comité de conférences et du Comité de jurisconsultes, les di- verses sections techniques de la Société, notamment les sections de législation, d'enseignement, de génie rural, de transports, secondent l'Union Centrale, dans sa tâche. Celle-ci s'applique à servir de guide aux unions régionales tout en appuyant leurs desiderata. Elle suscite les mouvements d'opinion, les éclaire, ou au contraire les contient lorsqu'ils font fausse route. En contact permanent avec les commissions parle- mentaires, les ministères, les administrations publi- ques, les Compagnies de transport, l'Union Centrale se trouve en quelque sorte le correspondant né des Unions régionales, lorsque celles-ci ont à intervenir en haut lieu. En même temps elle intervient directement elle- même lorsqu'elle le juge nécessaire au nom de la pro- fession agricole toute entière dont elle est la syn- thèse, soit personnellement par sa propre initiative, soit en accord avec la Société des Agriculteurs de France. Ainsi organisée, l'Union Centrale constitue avec les Unions régionales, une véritable représentation professionnelle de l'agriculture. L'organisation corporative rurale telle que l'ont réalisée la grande majorité des syndicats agricoles nous apparaît ainsi dans un cadre extrêmement souple, cadre qui rappelle singulièrement celui que se sont donné les associations groupées dans la Confédération L'ORGANISATION PROFESSIONNELLE RURALE. 193 Générale du Travail f, à part les divers organismes que celle-ci n'a pas su créer- : L'individu et sa famille libre dans le syndicat profes- sionnel local, mixte, cellule de la vie économique et so- ciale ; Le syndicat local libre lui-même dans l'Union régio- nale qui apporte tous les services nécessaires aux groupes locaux, coordonnant leur action, représentant leurs intérêts; Les Unions régionales, indépendantes aussi dans l'Union centrale ; cette Union représentant des inté- rêts du corps professionnel rural auprès des pouvoirs publics, provoquant des initiatives et des institutions nouvelles, suppléant aux Unions régionales insuffisam- ment organisées, complétant par ses services spéciaux les institutions du 1er et 2e degré, gardienne de ladoc- trine, préoccupée uniquement des intérêts généraux de la profession agricole si intimement liés en France à la prospérité économique et au progrès social du pays tout entier. Ces institutions à trois échelons concourent har- monieusement au développement de cette prospérité, avec le concours de ces trois organismes répartis eux- mêmes à trois degrés : 1 "Le groupement syndical, monade sociale avec sa fonction représentative, ses organes de propagande, i. « A chaque degré, l'autonomie de l'organisation est complète : les Fédérations et Unions de syndicats sont autonomes dans la Confédé- ration; les syndicats sont autonomes dans les Fédérations et t nions des syndicats, les syndiqués sont autonomes dans les syndicats. » (Pouget, op. cit.) 2. « La caractéristique du syndicalisme agricole est d'être ci Il ne revendique pas; il crée, il organise. » (j.-ii. Ricard, Revue Syndicaliste: Le Syndicalisme agricole •. mal 1909, p. 17.) 194 . LES SYNDICATS AGRICOLES. d'enseignement, comités d'arbitrage, bureaux de pla- cement, etc. 2° Le groupement coopératif avec ses organismes commerciaux : achat et vente, bureaux de consulta- tion, service de révision de tarifs, répression des frau- des, analyses, etc., et ses organismes de crédit, tous étroitement subordonnés au groupement syndical, et ne travaillant qu'à son profit. 3° Le groupement d'assurance, d'assistance, de pré- voyance avec ses organismes de mutualité de toute nature, évoluant dans le cadre professionnel, parache- vant l'action sociale de l'association professionnelle. Ces divers organismes se complètent les uns les autres au profit de l'individu, de l'association, de la province et du pays. CHAPITRE X LA PATENTE. — L'ARRET DE CASSATION DE 1908. LES DANGERS QUI MENACENT LES ASSOCIATIONS PROFESSIONNELLES. 11 n'est pas surprenant que Faction considérable exercée par les syndicats, leur activité, leur indépen- dance, ait suscité à leur égard des défiances et des hostilités. Nous avons fait allusion plus haut à des incidents qu'ils ont rencontrés récemment sur leur route, il est nécessaire de les mettre en évidence, de faire con- naître quels peuvent être encore les dangers qui mena- cent les associations corporatives. LES SYNDICATS ET LA PATENTE. L action syndicale des groupements agricoles s'élanl constamment exercée dans le domaine économique, c'est sur ce terrain que les attaques furent dirigées contre elle. Les commerçants — le petit commerce influencé par la politique locale, le moyen commerce aussi — avaient vu dans les syndicats agricoles aussi bien que 196 LES SYNDICATS AGRICOLES. dans les coopératives de consommation, des concur- rents susceptibles de se substituer à eux et déjà avaient réclamé que la patente fût appliquée aux syndicats agricoles comme elle l'est aux commerçants eux- mêmes. Mais on oubliait que tout commerce suppose une spéculation d'achat et de vente susceptible de produire un bénéfice ; or, le syndicat ne réalise pas de « béné- fices ». Il n'achète pas pour revendre, il achète ou vend pour compte de chacun de ses adhérents dont il groupe les commandes ou les produits, et s'il détient des marchandises en dépôt, c'est encore à titre de man- dataire de ceux-ci et dans l'attente qu'ils en aient l'emploi. 11 en est de même des coopératives dont le capital reçoit un intérêt fixé et dont tous les bénéfices sont répartis entre les seuls coopérateurs au prorata de leur chiffre d'affaires. Cette thèse se trouve confirmée par l'art. 9 de la loi du 19 avril 1905 sur la contribution des patentes qui assujettit toutes les coopératives de consomma- tion ou économats ayant en quelque sorte boutique sur rue, mais qui ajoute : « Toutefois les syndicats agricoles et les sociétés coopératives de consommation qui se bornent à grou- per les commandes de leurs adhérents et à distribuer dans leurs magasins de dépôt des denrées, produits ou marchandises qui ont fait l'objet de ces commandes, ne sont pas soumis à la patente ' . » 1. Les coopératives de production ou de vente qui ne traitent que les seuls produits de leurs adhérents ne sont pas assujetties à la patente. Un arrêt du conseil de préfecture de la Sarthe de février 1909 déchargeant de la patente le S. des agriculteurs de la Sarthe présente LES SYNDICATS ET LA PATENTE. 197 Dans l'un et l'autre cas l'association ne peut délivrer des marchandises q^à ses seuls adhérents ; au reste si elle agissait autrement, elle ne serait plus un syn- dicat professionnel ni une coopérative. Afin de prouver que les marchandises en magasin sont bien le résultat de commandes préalables des adhérents, il est conseillé d'ouvrir un registre spécial à cet effet. Ce registre permettra d'établir que les achats n'ont été effectués que pour les seuls besoins des adhérents. Néanmoins les tracasseries du fisc, les ennuis résul- tant de la tenue de ce registre, la nécessité pour cer- tains syndicats importants de tenir toujours en dépôt des quantités suffisantes à la disposition de leurs adhé- rents, ont déterminé certains syndicats à s'acquitter de la patente dont ils avaient été affranchis dans leurs débuts. Mais cette victoire du commerce sur les syndicats et les coopératives nous fait l'effet d'une victoire à la Pyr- rhus, car si la patente appliquée aux uns et aux autres, égalise les charges, elle n'est pas sans inciter les des considérants topiques à cet égard. Il reconnaît le droit pour le s. A. de s'approvisionner à l'avance • et dès lors de disposer d'un dépôt central et de plusieurs sous-dépôts » pourvu qu'il n'entrepose que des denrées prévues par ses statuts, qu'il ne recueille aucun bénéfice et« que les commandes laites en bloc par le directeur, mandataire des syndiqués, représentent réellement le groupement des commandes de chacun d'eux »... (Droit rural, KM)1», p, 9 Même opinion émise par M. becharme en réponse à une question posée par un député (Droit rural, 1909, |>. no). Mémo opinion du conseil de préfecture des basses-Alpes du 9 avril 1908 {Droit rural, 4910, p.60 , du cons. de prôf. de l'Isère du 13 mai 1910 {Dr. rur., 1910, p. 166). ces deu\ arrêta visent notamment le fait que si les syndicats incriminés du Valensole et de Grenoble ont un dépôt, ce dépôt n'est qu'un lieu de passage des marchandises l aux besoins des syndiqués, non on magasin. 198 LES SYNDICATS AGRICOLES. associations à s'affranchir de la réserve qu'elles s'im- posent et à se mettre en mesure d'accomplir tous actes de commerce. Il s'ensuit que telle association syndicale, ou plutôt telle coopérative qui es qualités ne possède que des droits très restreints en matière d'échange, peut, du jour où elle se trouve atteinte par la patente, aban- donner sa forme légale, élargir son champ d'action, tenir boutique et devenir pour ceux-là même qui re- doutaient son action pourtant bien modeste, un concur- rent d'autant plus sérieux qu'elle peut se contenter de frais généraux et de bénéfices réduits au minimum * . Fort heureusement, les syndicats agricoles et leurs Unions pénétrés des principes de paix sociale, dési- reux d'y travailler dans un esprit d ordre, et convain- cus que le commerce est un rouage aussi indispensa- ble à la prospérité d'un pays que l'agriculture elle-même, se refusèrent à succomber à cette ten- tation. Ils considéraient qu'une action strictement coopéra- tive n'était pas sans danger au point de vue écono- mique et social, qu'au surplus leur fonction était avant l tout d'ordre social, d'une nature plus élevée et plus féconde que leur action économique proprement dite. L'objectif éminent qu'ils s'étaient assigné n'était-il I pas d'ailleurs de travailler à l'organisation et à la représentation des intérêts généraux de la profession aie, objectif que la coopération ne pouvait atteindre. Tout en étant le plus souvent patentées pour s'éviter 1. Si la loi de 1884 interdit au syndicat agricole d'aller jusque-là. Au- cun obstacle juridique ne semble s'opposer à ce qu'une coopérative, même une coopérative d'union régionale, patentée, se livre à cesopéra- tions et crée des dépôts ouverts à tous dans les différents centres, se substituant ainsi aux syndicats locaux ou les doublant. L'ARRÊT DE CASSATION DE 1908 ET SES SUITES. 199 des ennuis, les coopératives des unions régionales res- tèrent fidèles au principe syndical ; il en fut de même des syndicats petits ou grands, même lorsqu'ils possé- daient des dépôts. LES ARRETS DE NANCY ET DE CASSATION. PROJET DE LOI SUR LES SYNDICATS ÉCONOMIQUES. LES CONTRE-PROJETS DE GAILHARD-BANCEL ET MILLERAND-DUBIEF. Mais le simple droit pour les syndicats agricoles de remplir cette fonction économique, de procurer à leurs adhérents des denrées même agricoles nécessaires à leur profession leur fut contesté. Prétextant les abus auxquels s'étaient livrées sur ce terrain de rares associations, on allait dans certains mi- lieux jusqu'à soutenir que les syndicats agricoles étaient des boutiques, des coopératives de consommation dé- guisées. Certains syndicats prêtaient, il faut le reconnaître, le flanc à ces critiques, ils abusaient de la marge que leur donnait la plus large interprétation de la loi et ne crai- gnaient pas d'assurer à leurs membres des services d'épicerie, de vêtements, etc. ; quelques autres, plus rares encore, contrevenaient directement à la loi elle- même en vendant à des non syndiqués. 11 eût suffi de frapper ces derniers, d'avertir les uns et les autres sans pour cela les dissoudre, sans englo- ber dans une commune condamnation de leur œuvre tous les syndicats agricoles, sans risquer de briser leurs cadres et d'anéantir leur idéal. Deux syndicats de la région lorraine furent poursui- vis en 1907 pour avoir contrevenu à la loi, et frappés en 200 LES SYNDICATS AGRICOLES. première instance des peines de dissolution et d'amende s hors de proportion avec les fautes commises. L'un d'eux ayant une baladeuse livrant épicerie et autres produits dans les villages, n'avait de syndicat que le nom. Pourtant au point de vue de l'organisation de la vente en commun et notamment de la vente à l'armée, il avait obtenu des résultats si satisfaisants pour la culture et pour le Trésor, qu'il avait été cité comme exemple à la tribune de la Chambre ; c'était le Syndicat Agricole de Chaumont-sur-Aire. L'autre était un syndicat prospère, œuvre profession- nelle toute de dévouement qui avait pu constituer un fonds de réserve important mis au service d'œuvres sociales : c'était le Syndicat Agricole de Consenvoye. Le grief soulevé contre ce dernier était d'avoir an- nexé au syndicat « un magasin où les adhérents étaient admis à acheter en détail des marchandises, telles que vêtements, produits alimentaires et objets d'utilisation ménagère ». On l'accusait de « s'approvisionner de ces marchandises, sans qiïil y ait eu au préalable de com- mandes ou de groupements de commandes de ses adhé- rents et de les revendre à ceux-ci en prélevant une bonification de 5 ^destinée à assurer le salaire du gérant et à couvrir ses frais généraux...1 ». En fait il s'agissait d'un syndicat épicier ainsi qu'on dénomme vulgairement les syndicats qui ne bornent pas strictement leurs opérations d'achat et de vente aux denrées agricoles. Une amende double du minimum, la dissolution, ap- parurent néanmoins des peines excessives à l'Union 4. Arrêt de Cassation, Ch. criminelle, 29 mai 1908. — Bull, de l'Union centrale des S. A., suppl. du 12 juillet 1908, p. 2. L'ARRÊT DE CASSATION DE 1908 ET SES SUITES. 201 Centrale auprès de laquelle ce syndicat vint implorer assistance et conseil, quoique jusque-là il ne lui fût pas encore affilié. Après avoir infligé un blâme de principe pour s'être écarté de la règle sévère que les syndicats doivent s'imposer à eux-mêmes, l'Union Centrale, sentant qu'il y avait là une occasion de faire préciser les droits dont les syndicats agricoles usaient depuis 23 ans et malgré que l'espèce ne fût pas très heureuse, résolut de porter l'affaire en appel afin d'obtenir un arrêt de principe sur les droits dévolus aux associations professionnelles en matière d'achat et de vente, droits constamment contes- tés. La cour de Nancy, pas plus que la cour de Cassation ne voulurent admettre la thèse soutenue par l'Union Centrale en faveur du droit pour les syndicats de pro- curer à leurs membres les denrées nécessaires aux besoins de leur profession. Tout en rendant hommage à l'œuvre accomplie par le syndicat agricole de Consenvoye — seule espèce retenue — , en rapportant la peine de la dissolution et en abaissant l'amende au minimum avec sursis, la Cour de Nancy malgré l'habile et scientifique plai doirie de Me Ducurtyl, président du Comité de con- tentieux de l'Union du Sud-Est, rendit le 27 novem- bre 1907 un arrêt fortement motivé dont les considérants semblaient compromettre, au lieu de les confirmer, les droits des syndicats agricoles. Il leur contestait le droit d'acheter et de vendre, même des denrées purement agricoles, pour le compte de leurs adhérents, condamnant aussi lés méthodes appli- quées depuis l'origine et l'interprétation élargie que les syndicats ruraux avaient donnée à la loi de 1884. 202 LES SYNDICATS AGRICOLES. La Cour de Cassation sur rapport de M. le conseiller Atthalin, et malgré les observations de Me Le Marois, confirma l'arrêt de Nancy par son arrêt du 29 mai 1908 où, invoquant de nouveaux motifs, elle rejetait le pourvoi formé par les demandeurs « prévenus d'avoir contrevenu à l'art. 8 de la loi du 21 mars 1884 en ne limitant pas l'objet du syndicat à l'étude et à la défense de ses intérêts, notamment en créant un établissement commercial ». Cet arrêt manquait de clarté et souleva des interpré- tations en sens divers \ mais il apparut à quelques- uns que l'œuvre des syndicats agricoles, cette œuvre dans laquelle les services sociaux s'appuyaient sur les services matériels, avait vécu si le législateur n'inter- venait promptement. Cette intervention pouvait se produire dans des sens très différents, soit au profit de tous les syndicats pro- fessionnels, en confirmant l'œuvre des syndicats agri- coles, c'est-à-dire en élargissant cette loi de 1884 que Waldeck-Rousseau avait considérée comme une ébauche et qui depuis lors n'avait pas été retouchée, soit en ac- cordant seulement quelques droits spéciaux aux seuls syndicats agricoles concernant les actes de commerce. C'est à cette dernière mesure que se rangea l'adminis- tration du ministère de l'Agriculture. En effet le 19 juin 1908, moins de trois semaines après que l'arrêt de cassation avait été rendu — 4. Voir les consultations de M. G. Ducurtyl, avocat à la Cour d'appel de Lyon, près du comité de Contentieux et de Législation de l'Union des S. A. du Sud-Est, Droit rural, avril 1908, p. 1H et août 1908, p. 241; celles de MM. rs'aquet et Salmon-Legagneur : Recueil Sirey, 1908, lr(J partie. Voir aussi l'opinion de M. J. Hitier, professeur agrégé de la Fa- culté de Droit de Paris, Le Régime légal des Syndicats agricoles. L'ARRÊT DE CASSATION DE 1908 ET SES SUITES. 203 promptitude à laquelle on n'est pas habitué ' — le mi- nistère de l'Agriculture déposait un projet de loi sur « les syndicats économïques », destiné dans sa pensée à sauvegarder l'existence des syndicats agricoles en leur permettant de constituer dans leur sein un autre organisme économique, chargé de présider à certaines fonctions commerciales restreintes. En réalité, c'était couper en deux l'organisation syn- dicale. Que serait en effet le syndicat agricole, cette « per- sonne à deux têtes » suivant la très juste expression de M. Decharme lui-même2, dont l'un aurait eu un objectif social, dont l'autre n'aurait eu que le droit d'acheter et de vendre des engrais, des instruments sous certaines conditions restrictives, des semences, du bétail? N'était-il pas clair que c'était d'une part stériliser l'action sociale du syndicat agricole professionnel, le transformer en une sorte d'académie, ou le rejeter dans la phraséologie cégétiste par la discussion de problèmes saus solution concrète? Les centaines de mille adhérents des syndicats agri- coles allaient-ils accepter un tel amoindrissement de leurs institutions, renoncer à cette fonction économique qui, en rendant des services à chacun d'eux, était un gage de l'avenir et de la prospérité de leurs institutions mutualistes? et créer cette dualité d'organismes, source de confusion et de difficultés? i. Au Congrès de la Mutualité .et de la Coopération tenu à Mois, I. Decharme, chef du service du crédit agricole au ministère et délé- gué ofliciel, reconnut lui-même que le projet avait été redire bien ivant que lut rendu l'arrêt de Cassation (Le Régime légal des S. A.). discussion du Rapport de M. Tardy, |>. -2. Le Régime légal des S. A. le Mois, i'J08, p. ;«H). 204 LES SYNDICATS AGRICOLES. Les agriculteurs allaient-ils se contenter de ces syndicats économiques aux fonctions si restreintes? N'allaient-ils pas recourir à l'institution coopéra- tive malgré les formalités imposées à sa constitu- tion? Et l'organisation coopérative grossie de la masse de ces cultivateurs syndiqués — qui ne sont pas seule- ment des producteurs, mais constituent aussi les clients les plus sérieux du commerce dans les campagnes, — n'allait-elle pas, à la faveur des droits que lui conférait l'imposition de la patente, s'étendre comme un vaste réseau dans toute la France, par des magasins régio- naux reliés à une coopérative centrale, établissant des succursales dans les moindres villages et créant au commerce local une concurrence des plus dangereuses, sous le couvert de la plus stricte légalité? La question fut posée dans les milieux agricoles, on envisagea même son application dont quelques essais furent tentés avec fruit, mais à la faveur des discussions, la véritable doctrine des syndicats agri- coles fut dégagée et pénétra dans les masses au- près desquelles on n'avait pas jusque-là osé l'affir- mer. Tandis que le commerce commençait à découvrir le danger qui le menaçait et combattait à son tour le projet des Syndicats Économiques déjà adopté par la commission de l'agriculture de la Chambre des députés, les syndicats agricoles eux-mêmes, qui au premier abord avaient été hésitants, comprenaient qu'à se soumettre à de telles éventualités, c'était abdiquer tout rôle social, s'exposer à perdre toute indépendance, renoncer au but éminent qu'ils poursuivaient : la dé- fense des intérêts supérieurs delà profession, lorgani- L'ARRÊT DE CASSATION DE 1908 ET SES SUITES. 205 sation corporative, sa décentralisation et sa représen- tation légale *.. Dans une assemblée extraordinaire, tenue les 20 et 21 novembre 1908 au siège de l'Union centrale des syndicats des Agriculteurs de France, plus de 300 dé- légués venus de tous les doints de la France, man- datés par leurs associations locales et régionales 2, affir- mèrent à l'unanimité la volonté de poursuivre cette tâche, de ne rien changer à l'objectif et au fonctionne- ment des syndicats agricoles, de garder intacte la charte syndicale définie par la loi du 21 mars 1884 et de s'opposer à « une dualité de nature à jeter le trouble dans le fonctionnement des syndicats agricoles qui sont et entendent rester des associations profes- sionnelles jouissant de tous les droits qui leur ont été expressément reconnus par les lois ». Dans un vœu fortement motivé, l'assemblée récla- mait que la loi de 1884 fût complétée dans le sens d'une confirmation des droits pratiqués et d'une extension de la faculté de posséder. Cette assemblée 3 eut un retentissement d'autant plus grand que de très nombreux députés et sénateurs spé- cialement convoqués comme simples auditeurs étaient présents. M. Millerand notamment, alors président de la commission du travail de la Chambre, déclara qu'il partageait entièrement l'opinion de l'assemblée, que 1. Voir opinion de M. Delalande, président de l'Union centrale des S. A. {Bull, de l'Union du 1er décembre 1908, p. 1 à 8). Voir même Bull., à la suite, le texte du projet de loi sur les Syndi- cats Économiques et son exposé des motifs. 2. Bull, de l'Union centrale des S. A., suppl. du 1er décembre 1908, p. 1 à 3. 3. L'Union Centrale comptait à cette époque, non compris les mutua- listes, 1.000 syndicats agricoles représentant 600.000 familles de cultiva- teurs. 12 206 LES SYNDICATS AGRICOLES. le syndicalisme devait rester un et ne pas être divisé, que les syndicats agricoles avaient sauvé le syndica- lisme français d'un véritable échec, qu'ils devaient être donnés comme exemple, que non seulement il ne fallait pas amoindrir leur action, restreindre leur pouvoir, mais au contraire élargir les cadres de la loi et permettre à tous les syndicats, ouvriers ou au- tres, de faire ce que les syndicats agricoles avaient fait, c'est-à-dire d'unir à une action théorique ou pu- rement sociale, une action concrète et matérielle, de se constituer des réserves et de se conférer par là même le droit de posséder, le moyen de développer leurs ins- titutions sociales * . Sur ces entrefaites, en présence de l'émotion gé- nérale, le gouvernement, sollicité par la plupart des as- sociations agricoles et répondant à une question de M. Noulens, député, dans la séance du 17 décembre 1908, fit connaître qu'il arrêterait les poursuites engagées contre de nombreux syndicats, sous réserve qu'ils se tiendraient dans les sages limites de leur fonction pro- fessionnelle2. Au surplus depuis l'arrêt de cassation, d'autres jugements étaient rendus dans un sens différent : témoin l'acquittement prononcé par le tribunal cor- rectionnel d'Angoulême en faveur du S. A. de la Ro- chefoucauld qui se limitait aux opérations d'ordre pro- fessionnel et se bornait au rôle de mandataire. Mais les vœux formels des assemblées agricoles de- vaient avoir un écho au Parlement. Le premier, M. de Gailhard-Bancel leur donna une expression parlemen- 1. Bull. Union Centrale, Supplément 1er décembre 1908. 2. Droit rural, janvier 1909, p. 18, compte rendu de cette séance. L'ARRÊT DE CASSATION DE 1908 ET SES SUITES. 207 taire en déposant le 18 décembre 1908 sur le bureau de la Chambre un projet de loi repris quelques mois après sous une forme un peu différente par MM. Mille- rand et Dubief. Ce dernier projet fut adopté à la fin de 1909 par la Commission du travail de la Chambre qui l'opposa au projet de loi sur les Syndicats Economiques que cette commission avait évoqué devant elle pour le re- jeter. Il accordait à toutes les associations profession- nelles le droit d'accomplir tous les actes effectués jusqu'ici par les syndicats agricoles. Il leur conférait également, ainsi qu'à leurs Unions, le droit « d'acquérir les immeubles nécessaires aux opérations spécifiées à l'article 1er », c'est-à-dire néces- saires à l'accomplissement de leur fonction profes- sionnelle1. Mais la discussion de la loi du 21 mars 1884 soulève de tels problèmes que personne n'ose l'abor- der-. De telle sorte que les syndicats agricoles conti- nuent à vivre dans le statu quo ante, abrités par la déclaration du 17 décembre 1908, de M. Ruau, ministre de l'Agriculture, déclaration confirmée ultérieurement par le ministre de la justice à la tribune de la Cham- bre et garantissant que des poursuites ne seraient pas intentées contre les syndicats qui ne sortiraient pas du cadre que le projet de loi sur les syndicats éco- nomiques leur avait tracé ; — autrement dit qui reste- raient sur le terrain des stricts intérêts professionnels. 1. Voir le texte aux km 2. ce chapitre eiait écrit Ionique, i<; 19 mai ioi;{, m. Baothoa dépota jr le bureau de, la Chambre un projet de !'>i ,lont noua exposons plus lin l'économie (Voir annexe III . 208 LES SYNDICATS AGRICOLES. En réalité, il semble qu'on s'est un peu trop ému des décisions de la Cour de Cassation. Au lieu d'y voir l'anéantissement de l'organisation syndicale rurale, il convenait peut-être de n'en retenir que ce simple fait : à savoir que cet arrêt rappelait, non sans rai- son, les syndicats à la prudence en matière d'achat et de vente, et à la sage observation de leur rôle cor- poratif. En attendant que les compléments nécessaires soient apportés à la loi de 1884 conférant de nouveaux droits aux associations professionnelles, les syndicats agricoles n'ont qu'à remplir leur fonction comme ils la remplissent depuis vingt-huit ans, en s'attachant néanmoins à ne pas s'écarter de leur véritable action corporative, c'est-à-dire en ne procurant que des denrées d'intérêt purement agricole à leurs adhérents et à eux seuls. Les arrêts de Nancy et de Cassation, les discussions et les projets qui en furent la conséquence auront eu au moins le bon côté de préciser les positions, d'é- clairer les autres corps de métiers, de mettre en évi- dence la fonction éminemment sociale des syndicats agricoles, le but de défense et d'organisation corpo- rative auquel ils veulent atteindre. LE DANGER DE VERSER DANS LA COOPERATION. Si les syndicats agricoles ont su résister à la ten- tation d'abandonner leur objectif corporatif pour verser dans la coopération, s'ils ont su également résister LES DANGERS QUI MENACENT LES SYNDICATS. 209 aux sollicitations dont ils furent l'objet de la part des coopératives de consommation et des théoriciens des doctrines coopératives, ils restent néanmoins sous la menace d'être assimilés de près ou de loin à des orga- nismes de cette nature et cette menace ne tendrait à rien moins qu'à compromettre l'avenir du syndicalisme français, si les syndicats agricoles n'avaient donné des preuves certaines de leur attachement au principe cor- poratif. Dans des observations publiées par le Bulletin de l'Union Centrale du l'r août 1908 à l'occasion du pro- jet de loi sur les Syndicats Économiques, M. Dela- lande, président de l'Union Centrale, signalait « l'in- vite adressée à ces nouvelles associations à se grouper autour des caisses régionales de crédit ». Et il ajou- tait : « Il appartient à nos amis de choisir entre le mouvement syndical professionnel qui s'est développé en ses différentes manifestations autour de nos Unions centrale et régionales, dans l'indépendance et la li- berté, et un mouvement coopératif bâtard, sans portée véritable, instauré à l'ombre des Caisses régionales de crédit, sous la main de l'administration. » Quel que soit en effet l'idéal social que se propose telle ou telle coopérative, la coopération n'en reste pas moinsun organisme économique uniquementpréoccupé de procurer la marchandise à bas prix au consomma- teur et trop souvent oublieux des intérêts du produc- teur et de la nécessité des organismes commerciaux. Cet idéal social lui-même ne s'écarte guère de l'ordre de la mutualité simple, il se borne au point de vue économique, il ne peut envisager comme h> fait te syndicat : la défense et la représentation des intérêts divers de la profession, puisque le plus souvent « la 12. 210 LES SYNDICATS AGRICOLES. coopération » ne reconnaît pas « la profession » et se préoccupe surtout de l'intérêt du coopérateur, qui en France est presque toujours avant tout consomma- teur, les coopératives de vente et de production étant en définitive assez rares. Avec les tendances actuelles à recourir sans cesse 1 aux subventions de l'Etat, l'abus de la coopération entraîne fatalement ses partisans sur les pentes collec- \ tivistes. « L'individu isolé n'est qu'un grain de poussière que le moindre souffle disperse et emporte; c'est l'erreur collectiviste de croire qu'il suffît d'agglo- mérer cette poussière pour lui donner la force agis- sante. » La Coopération elle aussi ne fait qu'agglomérer cette poussière ; elle ne l'anime pas, elle ne l'organise pas. Mais elle la met sous la tutelle de l'Etat du jour où en acceptant des subventions, des avances, du crédit, elle se place sous son contrôle. Il suffît de voir ce qui se passe dans le domaine des mutualités et surtout dans celui du crédit agricole, \ pour se rendre compte que l'État cherche à noyer le mouvement syndical et à annihiler son indépendance en lui substituant des organismes de coopération, de mutualité, ou de crédit, placés sous le contrôle de ses agents sans autre lien entre eux, sinon celui de la Caisse régionale de crédit, dispensatrice de la manne, émanation de l'administration centrale qui la tient chaque jour davantage en lisière. Il y a là une menace permanente qui apparaîtra prochainement aux syndicats du commerce et de l'industrie, le jour où le crédit sera organisé à leur profit, s'ils ne savent pas s'affranchir dès l'abord LES DANGERS QUI MENACENT LES SYNDICATS. 211 du contrôle de l'État et se suffire à eux-mêmes'. Ce péril causé par l'abus du crédit officiel sur le terrain agricole est aggravé du fait que d'autres esprits se réclamant d'une école toute différente, où pourtant les idées d'ordre et de hiérarchie sont en honneur — créent eux aussi des mutualités, des coopératives, des caisses de crédit, avec des objectifs autres que l'objectif professionnel, sans lien effectif entre elles, sans ce lien puissant du groupement syndical qui en les rattachant les unes aux autres, les fait rentrer toutes dans la grande famille du syndicalisme agraire. Que les syndicats agricoles y veillent! que syndi- cats ouvriers, syndicats du commerce et de l'industrie apportent l'appui de leur solidarité pour la défense de la charte corporative et l'indépendance des associations professionnelles, car voici les conséquences auxquelles on pourrait aboutir. danger de voir dispah.vItke la loi de 1884 sur les syndicats professionnels. On se plaît à dire que depuis l'arrêt de Cassation, les droits des syndicats de faire des opérations d'achat et de vente au profit de leurs membres, restent incer- tains et on ajoute que le projet de loi sur les syndicats économiques ayant été mal accueilli, il convient de trouver une autre formule, mais qu'il est nécessaire de faire cesser l'incertitude actuelle et de doter les syndicats agricoles d'une législation spéciale <;t»'ii- I. Voir l'avis donne pa< do Centre MAératil du crédit po- laire tenu à Limoyes en 1912. (tapport de M. Dufouiman i 212 LES SYNDICATS AGRICOLES. dant leurs facultés, précisant leurs droits économiques. Une telle mesure aurait des conséquences sociales incalculables, car du jour où on aura spécialisé la loi de 1884 pour une profession, on la spécialisera pour les autres, on la spécialisera à l'infini afin d'a- moindrir l'autorité et la force des groupements et d'ac- croître au contraire l'influence du pouvoir central par l'émiettement des individus. Ou bien encore le jour où on aura spécialisé la charte syndicale pour l'agriculture, on fera rentrer dans le droit commun de la loi 1901 sur les associa- tions, les autres groupes professionnels du commerce et de l'industrie et le résultat sera le même. La loi de 1884 aura vécu et avec elle son principe qui en accordant la liberté aux associations profes- sionnelles, leur permettait de se concerter pour la défense de leurs intérêts généraux, en décongestion- nant le centre, en stimulant les initiatives, en permet- tant l'adaptation des lois du travail selon les conditions de chaque profession, en organisant la profession dans la province et dans le pays 4. Nous avons montré les tendances du pouvoir dans le domaine agricole : le projet de loi sur les Syndi- cats Économiques, l'envahissement du crédit officiel, 1. « Il n'y a qu'un seul droit syndical, disait à la tribune de la Cham- bre M. le député Dubarle, à l'occasion des projets de loi sur l'arbitrage obligatoire dans les entreprises de chemin de fer, syndicalisme ou- vrier, syndicalisme rural; expression d'une seule et même pensée.» Et M. le Cte de Mun commentant ces paroles dans un article de VÉcho de Paris ajoutait : « Si cette pensée, non pas seulement dans la vie agricole, comme le disent les socialistes, mais dans toute la vie des travailleurs, se tra- duit presque toujours par des conceptions opposées, l'une aspirant à la paix sociale, l'autre bornant à la guerre de classe son effort rudi- mentaire, n'est-ce pas toujours la même et profonde transformation qui s'accomplit sous des formes diverses? » LES DANGERS QUI MENACENT LES SYNDICATS. 213 en sont un exemple. Nous retrouvons ces mêmes ten- dances dans les milieux industriels en consultant cer- taines délibérations de syndicats patronaux, certains projets sur le crédit au commerce, les avis donnés dans certaines assemblées. Il n'est pas indifférent de lire dans cet ordre d'idées les procès-verbaux de la 19e session du Conseil supé- rieur du travail (novembre 1909). Consulté sur les modifications à apporter à la loi sur les syndicats professionnels, le Conseil supérieur du travail, qui d'ailleurs ne compte aucun représentant des syndicats agricoles, se prononça en définitive pour la suppression de la loi de 1884 et sa fusion dans la légis- lation concernant les associations de droit commun. La discussion des plus confuses montre bien l'es- prit général du groupe patronal aussi bien que celui de quelques représentants ouvriers; les uns et les au- tres ne comprennent ni l'importance de l'organisation purement corporative, ni la protection tutélaire que leur procure la charte professionnelle. Tous les corps de métier sont ici solidaires les uns des autres et doivent se prêter sur ce terrain un mutuel concours, car c'est l'existence même des institutions professionnelles, l'organisation corporative du travail et la décentralisation qui en est la conséquence, qui sont en jeu. 11 importe que l'esprit de solidarité ne leur fasse pas défaut et que leur vigilance ne soit pas surprise pour le jour inévitable et peut-être prochain où seront dis- cutées au Parlement les modifications à apporter à la législation sur les associations professionnelles. Reconnaissons d'ailleurs qu'une évolution profonde est en voie de se produire dans la masse aussi bien que 214 LES SYNDICATS AGRICOLES. dans l'élite intellectuelle du pays en faveur des idées que nous défendons. Le syndicalisme ouvrier s'est quelque peu assagi et se préoccupe moins de la politique, plus de ses intérêts corporatifs; les associations patronales de leur côté ont discuté utilement avec les associations ouvrières. Sans grèves ni intervention brutale de la C. G. T., les unes et les autres ont pu parfois s'entendre au plus grand profit du prolétariat *. Les milieux commerçants, impressionnés comme beaucoup d'autres par les succès et la prospérité des syndicats agricoles, ont renoncé à leur hostilité à leur égard et se rallient à leurs doctrines. Ils semblent com- prendre les avantages de l'organisation corporative au profit de la paix sociale, et à maintes reprises ils ont affirmé publiquement dans leurs Congrès leur dé- sir d'assurer légalement la représentation des intérêts de la profession. Nous pouvons citer dans cet ordre d'idée les dis- cours prononcés et les résolutions votées en 1912 dans les assemblées générales de la Confédération des groupes commerciaux et industriels présidée par M. de Palomera, et de l'Association des classes moyennes présidée par M. Colrat 2. NI POLITIQUE NI ŒUVRE. A côté des dangers que nous venons d'énumérer et 1. Témoin l'entente qui vient de se réaliser dans les groupes miniers du nord (janvier 1913). 2. En 1913, ces idées s'affirment d'une façon encore plus positive, notamment dans les Charentes et le Poitou où des réunions succes- sives auxquelles prennent part un grand nombre de représentants de l'agriculture, du commerce, de l'industrie et de professions libérales, déterminent le dépôt d'un projet de loi et la formation d'une Ligu ?ont nous parlons plus loin (Voir p. 237, Appendice II). LES DANGERS QUI MENACENT LES SYNDICATS. qui semblent s'éloigner, il en est deux autres communs à tous les syndicats que nous ne pouvons éviter de mentionner, car ils sont permanents. C'est d'abord le danger de verser dans la politique. On sait les effets désastreux de cette influence sur les syndicats ouvriers. Ce n'est pas au moment où un grand nombre de ces derniers cherchent à s'en affran- chir que les syndicats agricoles doivent s'y exposer. A la porte de la maison syndicale, chacun doil abandonner ses préférences politiques et ses préten- tions pour ne se souvenir que des seuls intérêts de la profession qui, en agriculture surtout, sont si intime- ment liés à ceux du pays. Que demande le syndicat à ses adhérents? d'être des hommes loyaux, honnêtes, droits, de bons français, des vaillants prêts à s'entr'aider ; arrière les ambitions per- sonnelles ou de parti î Les syndicats agricoles en particulier ne peuvent se rallier à aucune bannière, ils ne peuvent avoir qu'un drapeau : celui de la France. Ils représentent les in- térêts de la terre qui sont ceux de la nation entière, car selon leur belle devise « le sol, c'est la patrie ! » Rappelons aussi que les syndicats prétendent à devenir des institutions — s'ils ne le sont déjà ; — ils ne sont pas des œuvres. La distinction est importante à une heure où cer- taines écoles — comme nous le disions plus haut — veulent considérer les syndicats, les coopératives, les ses de crédit, les mutualités, comme des œuvres humanitaires ou philanthropiques, d autres des œuvres religieuses. Interpréter de la sortn n'\ un contre pas ce triple organisme de l'association locale, régionale et centrale non plus que ce triple échelon dans la fonction : corporative, économique, mutualiste. Cette seule différence suliit pour rendre inopérant!' toute comparaison. -2. Discours prononcé à. l'assemblée générale du 18 mari l!»"- l'Union centrale {Bulletinde l'Union centrale, supplément 7 avril l!»0s, p. 11). LES BYNDICA M IGRK l 13 218 LES SYNDICATS AGRICOLES. et se développent les vertus qui font l'honneur de l'hu- manité... » Les exemples fournis par maints syndicats sont la preuve vivante du bien moral accompli par l'associa- tion professionnelle rurale. CHAPITRE XI LES REVENDICATIONS DES SYNDICATS AGRICOLES Nous croyons avoir indiqué au courant des différents chapitres de cet ouvrage quelles réformes réclamaient les syndicats agricoles, le but éminent vers lequel ils tendent. Dans un article très remarqué publié en 1910 parla/?m. Discours prononcé à Casse nblée générale mars 4908 [Buli.de VU. C, supplément d'avril I90«, p. 11 . 13. 226 LES SYNDICATS AGRICOLES. De nombreux milieux ouvriers se rallieraient encore davantage à cette thèse si les chefs des associations existantes n'y étaient eux-mêmes souvent opposés dans la crainte de voir diminuer leur influence poli- tique. Dans. la fièvre de travail qui absorbe le monde en- tier et qui constitue en quelque sorte la vie de toutes les nations, à la tête desquelles se trouve la France, l'idée de la représentation des intérêts généraux par des assemblées de corps de métiers, accompagnée d'une décentralisation tenant compte du climat, des mœurs, des besoins, des spécialités de chaque région, se fait jour et s'affirme de plus en plus. On commence à comprendre que certaines lois so- ciales ne peuvent trouver leur expression et une ap- plication équitable qu'en tenant compte des modalités propres à chaque corps professionnel et à chaque ré- gion. Les syndicats agricoles, leurs doctrines, leur orga- nisation n'auront pas peu contribué à cette évolution, ils ont montré que la loi de 1884 était susceptible de porter d'excellents fruits. Si la loi de 1884 sur les syndicats professionnels est encore debout, s'il est question d'étendre son action, n'est-ce pas un peu à cause d'eux, parce qu'ils ont été les premiers « le syn- dicat honnête homme » * et que les agriculteurs ont montré les conséquences fécondes qui pouvaient dé- couler de la loi de 1884. Les syndicats agricoles ont par le fait sauvé le syndicalisme français des excès par lesquels les syndicats révolutionnaires de la G.G.T. l'avaient compromis. 1. Discours prononcé par M. Briand à Périgueux. LES REVENDICATIONS DES SYNDICATS AGRICOLES. 227 Ce n'est pas que les S. A. considèrent l'organisation syndicale comme une panacée, moins encore que le syndicat puisse être rendu obligatoire. Les agriculteurs sont trop amoureux de la liberté pour accepter eux-mêmes le principe de l'obligation ou l'imposer aux autres. Mais les Syndicats Agricoles estiment que le grou- pement syndical constitue en quelque sorte la base de l'organisation du travail parce qu'il est la cellule de la profession et qu'il est le premier organe de la repré- sentation des corps de métiers, sans laquelle il ne peut y avoir d'ordre social et de prospérité économique. Cette organisation et cette représentation du tra- vail peut se trouver concrétée dans ces formules : L'individu libre dans la profession organisée. La profession organisée et représentée dans la ré- gion organisée. A la fin de cet ouvrage où nous avons passé en revue rapidement, non sans de nombreuses lacunes, la vaste tâche accomplie par les syndicats agricoles, nous sommes heureux de saluer cet idéal qu'ils poursuivent et nous sommes porté à croire que sa réalisation est plus proche que beaucoup le supposaient encore hier. Ainsi que l'écrivait Le Play \ « l'Agriculture est pour les sociétés humaines le principal moyen de multipli- cation, d'indépendance et de progrès moral. Plus que toute autre branche d'activité, elle caractérise la vie nationale. Elle est, dans l'ordre matériel et dans le régime du travail, la force qui complète le mieux l'œuvre de la Création ». 1. « Le Play d'après lui-même. » Notice et travaux choisis par F. Au- burtin, p. 404. APPENDICES Au cours de l'impression de cet ouvrage, des faits importants se sont produits. Nous nous sommes ef- forcé de les signaler en note au cours des différents chapitres auxquels ils se rapportent. L'arrêt du 5 avril 1913 rendu par la Cour de Cassa- tion toutes chambres réunies dans une affaire de fraude est du nombre. Elle affirme définitivement la recevabilité des Syndicats professionnels à ester en justice et à se porter partie civile en justice correc- tionnelle à l'effet de défendre les intérêts économiques collectifs et professionnels de la corporation qu'ils re- présentent. Mais il est deux autres faits auxquels nous devons une mention spéciale, car ils démontrent mieux que des écrits combien la réalisation de l'Idéal poursuivi par les syndicats agricoles est plus proche qu'on ne le suppose. C'est d'abord le dépôt par MM. Barthou président du Conseil et Chéron ministre du Travail, le 19 mai 1913, d'un projet de loi modifiant, ou pour mieux dire, com- plétant la loi du 21 mars 1884. C'est ensuite le dépôt par M. Jean Hennessy et plu- APPENDICES. 229 sieurs de ses collègues, le 9 mai 1913, d'une proposition de loi et la formation d'une Ligue tendant à réaliser tout au moins en partie une représentation profession- nelle. I. — Projet de loi sur les syndicats professionnels '. Nombreux sont les projets de loi qui furent déposés en vue de modifier la législation des syndicats profes- sionnels. Nous avons cité la proposition récente de M. de Gailhard-Bancel d'une part et d'autre part celle de MM. Millerand et Dubief, qui fut adoptée par la Commission du travail de la Chambre ; nous pourrions citer également le projet de loi d'octobre 1899 de Waldeck-Rousseau qui accordait la capacité civile et commerciale aux syndicats et aux Unions, mais exi- geait d'eux comme contre-partie la possession d'ac- tions nominatives. C'est sous l'empire des inquiétudes causées par les armements étrangers et des troubles provoqués par le dépôt du projet de la loi de 3 ans, que fut déposé par le gouvernement de M. Barthou le projet de loi modifiant et complétant la loi du 21 mars 1884. Plus soucieuse de questions politiques que de ques- tions professionnelles d'ordre pratique, la Confédé- ration Générale du Travail a pris nettement position durant ces derniers mois contre les charges militaires reconnues nécessaires par le gouvernement. Sans souci de l'opinion de compétences telles que le conseil supérieur de la guerre, non plus que du 1. Voir le texte aux Annexes, p. 230 APPENDICES. revirement d'opinion d'hommes politiques jadis at- tachés à la loi de 2 ans, comprenant aujourd'hui l'intérêt supérieur de la patrie, la Confédération Gé- nérale du Travail se refusait de reconnaître l'antériorité des armements allemands que les socialistes d'outre- Rhin eux-mêmes ont fini par approuver. Elle prétendait défendre les intérêts immédiats de la classe ouvrière et lui épargner toutes les charges, y compris celle du sang, en laissant les frontières ouvertes à l'Etranger jusqu'au jour du rassemblement des réserves. Tandis que les syndicats agricoles affirmaient l'é- troite solidarité qui existe entre le travail et la défense nationale aussi bien qu'entre toutes les pro- vinces, la Confédération Générale, se plaçant au-des- sus des intérêts du pays et de l'avis éclairé des conseils du gouvernement, prétendait rester seule juge des nécessités de la défense nationale se substituant ainsi aux professionnels de la matière. Pour arriver à ses fins elle n'a pas craint de re- courir à une agitation générale jusque dans l'armée, allant nettement à Fencontre des fonctions pouvant lui être dévolues du fait qu'elle était appelée à servir d'or- gane de défense aux intérêts professionnels. De là les déclarations du chef du gouvernement et le dépôt d'un projet de loi comportant des sanctions plus efficaces que celles que renfermait la loi de 1884. Or, il était à craindre — et les Syndicats agricoles l'avaient redouté — que du jour où la loi de 1884 se- rait modifiée dans un sens coercitif, la liberté des as- sociations professionnelles aurait vécu. Les discussions qui se sont déroulées à la fin de 1909 au Conseil supérieur du Travail nous ont éclairé à ce sujet. APPENDICES. 231 Fort heureusement en ce moment ces craintes sont vaines, et si le projet de loi du 19 mai 1913 applique les mesures coercitives de la législation de 1901 aux Syndicats et aux Unions déjà dissoutes qui veulent se reconstituer, il étend par contre leur capacité dans les conditions aussi satisfaisantes qu'il était possible de le désirer. Tout d'abord ce projet maintient l'unité syndicale et c'est un fait considérable qu'il importe de retenir, car il sanctionne la thèse soutenue par les syndicats agricoles, celle de la Commission du travail de la Chambre. En fait, le projet de loi confirme la charte corpora- tive de 1884 et la complète. Dès lors, il n'est plus question de statut spécial pour les syndicats agricoles qui restent des associa- tions professionnelles avant tout et ne sont pas sé- parées de la grande famille syndicale; il n'est plus question de les transformer en associations coopéra- tives au petit pied. D'autre part, leur action économique immédiate, la faculté d'acheter et de vendre, qu'ils ont prati- quée depuis l'origine et qui a fait leur force, est con- firmée. Certes cette faculté est restreinte et il sera permis de discuter sur l'étendue du pouvoir qui leur est spécia- lement reconnu, de réclamer des précisions sur la na- ture des denrées qu'ils auront le droit de fournir, sur les droits un peu trop limités qui leur sont accordés quant à la vente des produits de leurs adhérents qu'il leur serait interdit d'effectuer par eux~mômes. Mais pour nous qui avons tOUJOUl Lgé que la 232 APPENDICES. fonction d'intermédiaire entre le commerce et les cultivateurs exercée par le syndicat agricole devait être limitée strictement aux besoins de la profession, nous apprécions vivement le fait que la loi leur recon- naisse formellement ce droit. Il y a lieu aussi de remarquer que ce droit se trou- verait désormais conféré à tous les syndicats profes- sionnels. Il est donc nécessaire d'envisager la question non plus seulement au point de vue agricole mais encore au point de vue des syndicats du commerce et de l'industrie et de n'arrêter son jugement qu'après avoir examiné les conséquences que peut avoir pour ces professions l'usage d'une telle faculté dont les agricul- teurs ont été à peu près seuls à user jusqu'ici. En tout état de cause les associations qui voudraient, à tort, selon nous, étendre leur action au delà du cadre de l'intérêt professionnel pourront toujours le faire au moyen d'un organe coopératif annexe , aux fonctions plus ou moins étendues. Au moins le principe supé- rieur corporatif de l'organisme professionnel ne sera pas atteint avec la nouvelle législation, unique pour tous les syndicats et accordant à tous les mêmes droits aussi bien que les mêmes devoirs. Une telle extension des facultés d'ordre matériel reconnues par la loi à tous les syndicats ne saurait déplaire au commerce et plus particulièrement au petit commerce et à la petite industrie. C'est qu'en effet ils seront les premiers à pouvoir user des facultés dont ont usé jusqu'ici les syndicats agricoles et d'autre part ils n'auront pas à redouter la concurrence de ces derniers qui constitueront pour eux des clients groupés et non des revendeurs, puis- APPENDICES. 233 que la loi ne permet aux syndicats « d'acheter pour les louer, prêter ou répartir entre leurs membres tous les objets nécessaires à l'exercice de leur profession... » qu' « à la condition de ne pas distribuer de bénéfices même sous forme de ristournes à leurs membres ». Cette prescription sera sans doute très discutée; pour notre part nous n'hésitons pas à nous y rallier, car nous voyons ici s'affirmer le principe corporatif. Le fait d'acheter et de revendre avec bénéfice cons- titue en réalité un acte commercial, il n'est pas d'ordre corporatif; si le bénéfice est réparti sous forme de ris- tournes aux adhérents , l'acte commercial prend la forme coopérative mais il n'en reste pas moins un acte commercial, contre lequel s'élèveront toujours avec juste raison les représentants du petit commerce. Nous avons dit plus haut la fonction sociale néces- saire du commerce mais aussi (chap. ix) tous les incon- vénients du coopératisme, et à quels dangers les syn- dicats agricoles seraient soumis s'ils s'exposaient à être considérés comme des coopératives au petit pied. Leur intérêt se confond ici avec l'intérêt général : intérêt social et intérêt corporatif. C'est pour ce motif que sur ce point l'immense majo- rité des syndicats agricoles se rallieront au projet Barthou, comme ils se sont ralliés au projet Millerand- Dubief qui interdisait la réalisation de bénéfices, de préférence au projet de Gailhard-Bancel qui prévoyait leur répartition sous forme de ristournes entre les adhérents. L'extension de la capacité civile accordée aux syndi- cats professionnels n'est pas moins appréciable. Ainsi que nous le disions plus haut, ces syndicats 234 APPENDICES. avaient un droit de posséder beaucoup plus étendu qu'on ne le suppose, puisque au point de vue mobilier il était illimité. Mais il était restrictif quant aux biens immobiliers et il est permis de regretter que le légis- lateur de 1884 ne se soit pas résolu à l'étendre, dans la crainte sans doute de voir reconstituer des biens de main-morte. Le caractère pacifique des syndicats agricoles, leur action féconde en grande partie due à la constitution d'un patrimoine corporatif, ont sans aucun doute lar- gement contribué à faire pénétrer dans les esprits cette vérité qu'à une action sociale théorique doit s'allier un objectif positif et concret et une capacité civile complète. Or, le nouveau projet déclare expressément : « Les syndicats professionnels jouissent de la personnalité civile » (art. 5). Il ajoute qu' « ils ont le droit d'ester en justice et d'acquérir sans autorisation à titre gratuit ou à titre onéreux, des biens meubles ou immeu- bles ». Une telle disposition permettrait à tous les syn- dicats de se constituer un patrimoine, de fournir des garanties positives aux grandes administrations, de réaliser des contrats collectifs de travail et de créer un grand nombre d'ententes que l'absence de surface d'un syndicat professionnel, peut-être éphémère, rendait difficilement réalisables. Par ailleurs la liberté syndicale est maintenue comme dans le passé, chacun resterait libre de se re- tirer de l'association comme bon lui semblerait, tou- tefois il serait tenu non seulement au paiement de la cotisation due pour la demi-année en cours, mais en- core le syndiqué qui se retire serait tenu de participer APPENDICES. 235 aux engagements pris par son association durant le temps qu'il en faisait partie. En fait, le projet Barthou est assez analogue au projet Millerand-Dubief adopté en 1909 par la com- mission du travail de la Chambre, mais il va plus loin quant aux Unions de syndicats agricoles. Il leur confère en effet les mêmes droits qu'aux syn- dicats agricoles eux-mêmes et ceci est un fait impor- tant qui serait de nature à donner aux Unions agri- coles cette vie véritable qui leur manquait jusqu'ici et qu'elles empruntaient dans les Unions prospères aux institutions secondaires : coopératives, mutualités, groupements d'études, etc., qu'elles s'étaient an- nexées. Jouissant de la personnalité civile et capables de re- cevoir, les Unions trouveraient le moyen de se consti- tuer un patrimoine et de doter, d'encourager toutes les institutions d'enseignement, de prévoyance et d'assis- tance qui sont appelées à graviter autour d'elles. Leur action sociale en serait rendue d'autant plus féconde. Ces associations professionnelles auraient-elles à se plaindre des mesures qui sont imposées aux Unions pour l'élection de leur bureau et des mesures coerci- tives prévues par l'article 6 ? Certes la liberté serait préférable à l'intervention lé- gislative dans une question de votation qui après tout est d'ordre intérieur; mais il faut bien reconnaître que dans des institutions du genre de celles qui nous occu- pent, — institutions pouvant à tout moment se cons- tituer sans un minimum de membres imposé et par la simple formalité du dépôt des statuts à la mairie, — il est légitime de protéger les associations déjà anciennes 236 APPENDICES. et nombreuses contre l'intrusion de groupements sans mandat. En précisant que les associations dans leurs fédéra- tions et Unions devront disposer d'un nombre de voix proportionné au nombre de leurs membres, il ne nous semble pas que le projet de loi ait stipulé une mesure restrictive exagérée et que cette mesure puisse être de nature à entraver l'indépendance et le déve- loppement du groupement professionnel. Les mêmes réflexions s'imposent en ce qui concerne l'application aux syndicats professionnels des sanc- tions prévues par les §§ 2 et 3 de l'article 8 de la loi du 1er juillet 1901. Ces sanctions ont été souvent réclamées dans cer- tains milieux contre des associations ouvrières affiliées à la C. G. T. plus soucieuses d'agitation que de dé- fense professionnelle. Nous les avons toujours combattues et les combat- trions encore si elles s'appliquaient directement aux syndicats et aux Unions, car nous y voyons un grave danger pour la liberté syndicale. Notre sentiment est différent lorsque la sanction n'est appliquée que dans le cas de reconstitution d'un syndicat dissous après débats contradictoires. Il n'est pas douteux que la dissolution prononcée contre un syndicat qui ne possède rien est inopérante si le lendemain les mêmes hommes peuvent le recons- tituer sans s'exposer à une sanction. Les vrais amis de l'organisation professionnelle ne peuvent que désirer l'élimination d'éléments turbulents qui compromettent plutôt qu'ils ne servent la cause syndicale. L'adoption du projet de loi déposé le 19 mai 1913 APPENDICES. 237 par le gouvernement serait donc de nature à donner satisfaction aux revendications des syndicats agricoles si nettement exprimées en 1909. Les syndicats feront néanmoins une réserve expresse à l'égard du dernier § du nouvel article G qui prévoit un règlement d'administration publique pour « déter- miner les règles applicables à la composition (?) et au fonctionnement (?) des Unions et à l'élection de leur conseil d'administration ». C'est à la loi à fixer ces règles, sinon même aux sta- tuts de chaque union, mais non à un règlement d'ad- ministration publique qui laisse la porte ouverte à l'arbitraire et à une nouvelle intervention du pouvoir central. II. — Projet de représentation professionnelle et de décentralisa tion régiona le. Un autre fait est venu encore souligner combien toutes les tentatives destinées à développer l'organisa- tion corporative et la représentation des compétences émeuvent l'opinion publique et sont favorablement accueillies par elle '. Il réside dans le dépôt d'une proposition de loi effec- tué le 9 mai 1913 sur le bureau de la Chambre par M. Jean Hennessy et plusieurs de ses collègues 2 et dans la constitution d'une Ligue s'étendant à toute la France, projet de loi et Ligue ayant pour objet de réa- 1. La question de la représentation professionnelle préoccupe depuis longtemps de bons esprits. Signalons dans l'ordre législatif la propo- sition de loi déposée le 6 juillet 190G par MM. de Castelnau, de Gailhard- Bancel, etc., visant une véritable organisation professionnelle avec constitution de corps de métiers obligatoirement consultés pour toute la législation du travail. 2. il est signé de MM. Jean Hennessy, de Lanessan, James Hennessy, Voyer, Paul Mairat, R. David, de Montjou, Beauchamp, tous députés ap- partenant à la région des Charcutes, du Poitou et de la bordogne. 238 APPENDICES. liser la division de la France en régions et la cons- titution d'assemblées régionales ayant un recrute- ment à base professionnelle. Ce qui est particulier dans la circonstance c'est que cette Ligue, de même que le projet de loi, ne sont pas le fait de l'initiative individuelle, mais la résultante d'une série de manifestations qui se sont déroulées en 1912 et au printemps de 1913, dans les Charentes et le Poitou — manifestations accompagnées de discussions dont le projet de loi a en quelque sorte condensé les conclusions. Ces conclusions se trouvent résumées dans cette formule dont la Ligue a fait sa devise : « La profession représentée dans la région orga- nisée. » L'intérêt apporté à l'élaboration de ce programme par les membres des professions les plus diverses au cours des réunions successives tenues à Poitiers, Niort, la Rochelle, Angoulême etc., l'accueil qui lui est fait depuis lors par la presse de tous les partis, les groupements de l'agriculture, du commerce, de l'industrie, les sociétés d'études économiques et so- ciales, prouvent à l'évidence combien ce mouvement répond à un sentiment général du monde qui travaille et qui se lasse de la stérilité des discussions politiques et parlementaires. La « Ligue de Représentation professionnelle et d'action régionaliste »< a un très large objectif. 1. Le Comité qui dans les Charentes et le Poitou ainsi qu'en Dordo- gne avait présidé à l'élaboration du projet de loi et enregistré les débuts de ce mouvement, était composé d'un grand nombre de per- sonnalités et comprenait notamment un Comité de patronage où fi- guraient plusieurs personnalités politiques de la région adhérant à ce programme. Au contraire, la Ligue de Représentation professionnelle et d'Action APPENDICES. 239 L'art. 1er de ses statuts précise qu'elle a pour objet « d'étudier toutes les idées se rapportant à la repré- sentation professionnelle et à la division de la France en régions, et de les propager par tous les moyens légaux ». Elle résume son programme dans la devise citée plus haut. Son objectif est de parvenir à élargir le cadre dé- partemental trop archaïque, complexe, onéreux, para- lysant la vie économique de la nation, donnant au pou- voir central le moyen excessif de tenir étroitement dans sa main les individus et les associations, les écrasant sous une réglementation uniforme étendue à toute la France, stérilisant tout progrès et toute ini- tiative. Par le groupement régional, on donnerait plus de vie à la province, on allégerait les ressorts trop com- plexes de l'administration centrale, on assurerait une solution plus rapide et plus pratique à une multitude de problèmes économiques que le Parlement laisse en suspens au grand dommage du travail national. Ces résultats seraient obtenus d'une façon d'autant plus certaine qu'à côté d'un pouvoir administratif régional se trouverait une assemblée qui en modére- rait les excès ou le seconderait dans sa tâche, que cette assemblée au lieu d'être élue par des électeurs groupés seulement par la communauté de résidence serait élue au scrutin de liste par des électeurs groupés par la communauté d'intérêts professionnels. Ce sont là les idées directrices de la « Ligue de re- régionaliste ne comprend aucun Comité et se trouve provisoirement administrée par deux secrétaires généraux — MM. Jean Hennessy et A. de Marcillac. Son siège est à Paris, 52, rue des Acacias. 240 APPENDICES. présentation professionnelle et d'action régionaliste », ce sont elles aussi qui dominent l'exposé des motifs de la proposition de loi de M. Jean Hennessy. Ce projet de loi n'est pas présenté comme intangible mais si les modalités peuvent en être discutées, il n'en présente pas moins un instrument parlementaire et un terrain de discussion qui a d'autant plus de valeur que ses principales dispositions ont fait l'objet de discus- sions suivies dans les assemblées professionnelles de l'Ouest de la France. Tout en maintenant les conseils d'arrondissement avec des pouvoirs légèrement étendus pour assurer la représentation des intérêts locaux, le projet prévoit la suppression des conseils généraux et des préfets dont les pouvoirs et les attributions respectives seraient simplement transférés à un préfet régional et à une assemblée également régionale. Mais pour élire cette assemblée, les électeurs se raient appelés à se faire inscrire s'ils le désirent sur une des cinq listes professionnelles d'agriculteurs, de commerçants, d'industriels, de professions, libérales ou de fonctionnaires, à moins qu'ils ne préfèrent rester inscrits sur la 6e liste ouverte à tous. Chaque groupe élirait au scrutin de liste, dans le cadre de sa profession, ses délégués au conseil régio- nal. Afin d'éviter l'écrasement de groupes professionnels peu importants par la prédominance des autres, ce projet prévoit également que la moitié des sièges est dévolue aux classes prévues par parts égales entre chacune d'elles, l'autre moitié étant élue au prorata du nombre d'électeurs inscrits dans chaque liste. APPENDICES. 2il Nous n'avons pas à entrer ici dans les autres détails de ce projet qui unit à l'idée d'une décentralisation régionale l'idée d'une représentation professionnelle tout au moins partielle et qui par le fait de cette alliance, à l'encontre des programmes régionalistes jusqu'ici un peu théoriques, permet d'envisager une solution posi- tive, pratique et réalisable. C'est la simultanéité de ces deux idées qui a séduit les représentants des diverses corporations et spé- cialement les syndicats agricoles de la Charente affi- liés à l'Union du Périgord et ceux du Poitou qui ont pris part aux discussions préparatoires, c'est cette simultanéité qui séduit, au moment où nous écrivons ces lignes, les représentants des groupements profes- sionnels du Midi et spécialement les militants de la Confédération Générale des Vignerons. C'est également le caractère de réalisation pratique sans toucher aux lois constitutionnelles qui a fait que la Société d'Economie Sociale a immédiatement ouvert les colonnes de son Bulletin i à l'exposé de ces idées. Décentralisation, régionalisme, représentation des compétences, c'est-à-dire formation et influence des autorités sociales, n'étaient-ce pas là d'ailleurs des formules chères à l'école de Le Play? La maison ne pouvait qu'être largement ouverte à ceux qui les préconisaient et qui envisageaient une application prochaine de ces formules en les réunis- sant les unes aux autres. On peut discuter sur le maintien de l'arrondisse- ment qui correspond cependant à un état de fait, sur l'établissement d'une sixième liste de non profession- I. La Reforme sociale, :ii, rue de seine, Paris, n° du 1er niai RH3. 14 242 APPENDICES. nels qui évidemment ne répond pas très bien à l'idée maîtresse du projet et semble l'affaiblir; on peut ré- clamer pour les conseils régionaux des pouvoirs diffé- rents que ceux des conseils généraux actuels, pouvoirs étendus dont ces derniers n'usent pas toujours. Mais quelles que soient les opinions personnelles sur les modalités, quel que soit le parti auquel on appar- tienne, on sera d'accord pour déclarer qu'il y aurait intérêt à ce que les professions fussent admises à faire entendre leur voix dans des assemblées électives. De même on reconnaîtra que la région constitue un cadre économique dans lequel la représentation des intérêts professionnels peut être réalisée, sans pré- senter certains inconvénients d'une représentation pro- fessionnelle immédiatement étendue aux assemblées nationales, inconvénients qui effrayent non sans raison certains esprits, sans compromettre enfin l'objectif d'une organisation corporativesi désirée par certaines écoles. En tout état de cause, une telle réforme est plus im- médiatement réalisable que toute autre. Ces diverses considérations ont amené à la Ligue dès la première heure un grand nombre d'adhésions de grands groupements agricoles, aussi bien que d'hommes d'études et de groupements commerciaux très importants. . La presse fit un accueil unanimement sympathique à ces idées auxquelles de nombreux présidents d'U- nions régionales rurales apportèrent leur adhésion ; dès le premier jour l'Union Centrale des syndicats des agriculteurs de France les mit à son ordre du jour. La Chambre syndicale de l'Union sur le rapport du APPENDICES. 2i3 Cte L. de Vogué { vient de donner son adhésion for- melle à la devise de la Ligue, tout en faisant des ré- serves sur les modalités du projet de loi, envisageant plutôt comme première étape la création de groupe- ments consultatifs réunissant les délégués des diverses professions sous une forme analogue aux chambres de commerce. Les syndicalistes fervents semblent redouter en effet que la réforme proposée amoindrisse l'action des groupements professionnels et ne considèrent pas comme une véritable représentation corporative une assemblée régionale simplement recrutée sur une base professionnelle. Les uns voudraient que seuls les syndicats, les groupements corporatifs assurassent l'élection aux assemblées professionnelles par des mandataires spé- cialement choisis par eux-mêmes. Mais une telle méthode ne conduirait-elle pas au syn- dicat obligatoire y et une telle éventualité est-elle désirable? Nous ne l'avons jamais pensé. En France une pareille conception n'est pas réalisable. D'autres redoutent de voir la politique se mêler à la profession, ils craignent que ses mandataires une fois munis d'un pouvoir d'exécution, aspirent à trans- 1. Voir Bulletin de l'Union centrale du 1"' juin 1013. Séance de la Chambre syndicale des 4, 2-2 mai 1913. En réalité les réserves contenues dans le rapport de M. L. de Vogué visent beaucoup moins les modalités elles-mêmes que la crainte de voir ajournée à une époque Indéfinie la réalisation «lu programme de la Ligue et de ses idées directrices qui sont aussi celles des syndicats agricoles. Notre aimaide et distingué collègue croit qu'il est nécessaire — Nécessité d'une cir- conscription restreinte. L'assurance contre la mortalité du bétail. — Considérations générales sur le fonctionnement des mutualités rurales. — Les guildes. — Statistique des mutuelles-bétail à la Dn de 1911. — Constitution des mutualités locales. — Nécessité d'une prime suffisante. — Nature des subventions. — Leurs abus. Assurance au second degré. — Deux méthodes en présence. — L'assurance du 3e degré. — Le projet d'une Caisse d'État L*assurance-Incendie. — Constitution. — Statistique. — Taux des primes. — Système adopté pour la division des risques. — L'assurance au i" et 3e degré. — Résultats obtenus par les Caisses réassurées par la Caisse (Uni ml.- «if France. — La Caisse de la fédération ndicats ainsi qu'à leurs Unions le droit de procurer à leurs membres les denréei nécessaires à leur profes- sion. — Interdiction de répartir des bénéfices. Il étend la capacité juridique des Syndicats et la confère aux Unions. — Celles-ci seront soumises à certaines règles, notam- ment en ce qui concerne l'élection des délégués des syndicats affiliés. L'application des sanctions prévues par l'article VIII de la loi du 1er juillet 1901 pourra leur être faite. Nécessité de compléter et d'amender le projet. II. Projet de Représentation Professionnelle et de décentralisation régionale . . 237 La genèse de la iientation profet (i m (innrégionaliste. — Son luit. La formule : • I dans la i sée ». — Lasiuiuii - permettrait d'en 264 TABLE DES MATIERES. assurer la réalisation. — Proposition de loi du 9 mai 1913 de M. Jean Hennessy. Opinion de l'Union Centrale des Syndicats Agricoles. — Les uns craignent l'ajournement de la réforme, les autres craignent d'ébranler le régime centralisateur et parlementaire actuel. — Nécessité de parvenir à des réalisations positives. — Nécessité de donner aux Associations Professionnelles la possibilité de faire entendre leurs voix dans des Assemblées électives ayant surtout pour objet la défense d'intérêts économiques, c'est-à- dire dans des assemblés régionales. ANNEXES 1. —Loi du 21 mars 1884 sur les Syndicats Profession- nels 250 2. — Proposition de loi Millerand-Dubief 253 3. — • Proposition de loi sur les Syndicats Professionnels du 19 mai 1913 de MM. Chéron et Barthou 255 TYPOGRAPHIE FIRMIN-DIDOT ET Cle. — MESNIL (EURE). PLEASE DO NOT REMOVE CARDS OR SLIPS FROM THIS POCKET UNIVERSITY OF TORONTO LIBRARY HD Marcillac de Cayro de i486 Combret, André F8M3 Les syndicats agricoles