ii p«&S V.'t K *^ LES V O Y'A G E S D E LIONNEL WAFFER. » CONTENANT UNE DESCRIPTION j très-exa£te de riftlïme de l'A- mérique & de toute la nouvelle Efpagne. Traduits de t Anglois far Monficur De Montira i^nterprete des Langues.' Avec des Cartes Géographiques très-exa&es ôc très-curieufes. *&&? A V A R I 5, Chez ClabdeCellier, rue S. Jacques ^ à la Toifon d'or. M. D. • C C V I. AVEC PRIVILEGE DV ROT* 94 ¥■ AVERTISSEMENT. E croi que les François me fçauront quelque gré d avoir traduit en leur Langue les Voyages de Lionnel Vvafter natif de Lon- dres , & compagnon de Mon- fieur Dampier , ce voyageur célèbre. M. Vvafter les a écrits lui-même & les a publiez en Angleterre où ion en a fait pluiieurs éditions, &c je ne m'é- tonne point que les Anglois les ayent reçus favorablement. De fameux Géographes après avoir bien examiné la defcription quil y fait de llfthme de l'A- mérique , Font trouvée fi exa- cte, que cela feul doit donner du prix à cet ouvrage* Mais ce AVERTISSEMENT. qui le rend encore plus digne de la curiofite' du Ledteur, c'eft ce qu'il contient de la nouvelle Efpagne ; c'eft ce nombre pres- que infini de Villes qui y font nommées > ce détail des char- ges & des emplois que le Vi- ceroy a droit de donner ou de faire remplir par intérim , & de ceux dont la Cour d'Efpagne seft refervee la diftribution. Enfin il me paroît que notre Auteur nous fait mieux con- noître ce Royaume que les au- tres Auteurs qui en ont parle. Ce que j'en dis n'eft pas pour faire valoir fon Livre > je nau- rois pas pris la peine de le tra- duire , h je ne l'avois pas cru utile au public. mMÈttÊUÈm TABLE DES MATIERES. I. /^t Omment les Indiens V^y fauvages de l'hle de T)a- rien guérirent M. W affer de fa bleffure page 7 I I. Pourquoi W affer & [es cama- rades f en ferent être brûlez^ tout vifs , & comment ils furent dé- livrez^ de ce péril. p. I r III. De quelle manière ils fail- lirent à être noyez^fur une pe- tite montagne où ils avoient établi leur logement. p. 18 I V. D e fer ip tien du C bateau de Lacenta Chef des Indiens de ï Islc de Darien. p. 27 y . Comment ils furent reçus che\ Lacenta, p. 15) ë TABLE V I . Manière defaigner de ces In- diens, p. 30 VII. Des fuites queut la faignée que Waffer fit à une des fm- mes de Lacenta. p. 31 VIII. De quelle, manière les Efpa- gnols tirent de l'or d'une rivière qui efi dans £ Isle vers la par^ tie du pais du Midi. p. 35 I X. C baffe de ces Indiens, p. 36 X. De la cérémonie que font leurs devins quand ils veulent fca- voir l'avenir. P- 45 XI . Defcription de Flfthme de l'A- meyique. p. 53 XI L Defcription de Portobelo, p. 76 XIII. Defcription de Panama. p. 87 XIV. Des Arbres , des Fruits & des Plantes qui font dans r/Jihme de l'Amérique, p. 95 XV. Des Reptiles , & de tous Us Animaux qu'on voit dans DES MATIERES. F Ifibme de T Amérique, p. n^ XVI. Des G i féaux & des Infetles volans. p. 130 XVII. Des Poiffons. p. 142 XVIII. Des Mœurs & des Cou- tumes des Indiens habitans de tlfthme. p. 151 XIX. Etrange effet d'un tremble- ment de terre. p. 236 X X. Naufrage. p. ij& XXI. Defcription de la nouvelle Effagne. p. 315 XXII. La Province de Nicara- gua, p. 315? XXIII. La Province de Tegufi- galpa. p. 312 XXIV. VAudiance de Guati- mala. p. 323, XXV. La Province de Chiapa. P- 3M~ XXVI. La Province de Tabafco. XXVII. La Province de Yucatan, P* 3^5 TABLE DES MATIERES. XXVIII. La Province de Te- guantepeque. p. u£ XXIX. JCicayan & la Ville- haute. p. 327 XXX. Guaxaca. p. 328 XXXI. Le Theguacan. p. 318 XXXII. Le Mechoacan. p. 330 XXXIII. Xalïfco. p. 331 XXXIV. La Province de Cina- loa & Flsle de Californie. 335 XXXV. Le nouveau Mexique. p. 33e XXXVI. JDefcriptionde la Ville de Mexique. p. 367 Fin de la Table des Matières,. LES LES VOYAGES D E LIONNEL WAFFER. E fortis pour la premiè- re fois d' Angleterre en 911 1677. dans le Vaifleau appelle la grande Anne de Londres . Il écrit commandé par leCapitaine Zacarie Brônw- ne frété pour Bantam dans rifle de Java aux Indes Orientales. Après un mois de féjour à Ban- tam, nous prîmes la route d'Iam- bi, dans l'Ifle de Sumatra. La Ville d'Iambi eft à cent mille au A ï Les Voyages deflfus de l'embouchure de la ri- vière qui porte fon nom, & à qua- tre ou cinq de la mer. On voit fur cette rivière un Port de Ville qui coniîfte en quinze ou vingt maifons feulement , bâties fur des piliers à la façon du païs. Ce Port s'appelle guplla i mais je croi quec'eft plutôt unnomappella- tif qu'un nom propre , car nos Anglois marins, en ces endroits, pour dire qu'ils ont pris terre , difent qu'ils ont été à Quolla 5 de même que les Portugais pour dire qu'ils ont débarqué, difent qu'ils ont été à Bctrcadero. Si-tôt que nous eûmes pris notre charge de Poivre à Iarnbi , nous retour- nâmes a Bantam pour y achever notre cargaifon. Ainfi quelque defir que j'euffe de faire desob- fervations dans les Indes , je n'en eus pas le tems, & je m'en re- tournai en Angleterre fort peu de Lionnel Waffer. 3 content de mon voyage. L'efperance de mieux fatis- faire ma curiofité m'en fit entre- prendre un fécond en Tannée 1675?. Je m'embarquai , comme la prenîiere fois en qualité de Chirurgien , dans un VaifTeau commandé par le Capitaine Bu- kenham, frété pour les Indes Oc- cidentales. Lors que nous fûmes arrivez à la Jamaïque , la faifon n'étant pas encore propre pour les fucres , le Capitaine pendant ce tems~là voulut faire un petit voyage à la Baye deCampeiche pour y prendre du bois. Je re- fufai d'être de cette expédi- tion, je reftai à la Jamaïque , de je n'eus pas lieu de m'en repen- tir 5 car le malheureux Buken- ham fut pris par les Efpagnols de conduit à Mexique où on l'a vu depuis, une pièce de bois atta- chée à (es jambes 6c un pannier Aij 4 Les P'oyages fur Ton dos , crier du pain dans les rues pour un boulanger donc il étoit efclave. Les Espagnols n'ont jamais voulu confentir à fa rançon , quoiqu'il fut Gentil- homme, 6c que la famille eût pu donner une orofTe fomme d'ar- gent pour le racheter. Je demeurai quelque tems dans la Jamaïque , 6c j'exerçai la Chi- rurgie au Port Roval julqu'à ce que je rencontrai les Capitaines Cook 6c Link, deux Armateurs qui en (orcoient pour aller vers la côte de Cartagene. Je m'em- barquai avec eux. Nous trouvâ- mes à Baftimentos plufieurs au- tres Armateurs qui avoient été à laprifedePortobello*, 6c qui s'é- toient donné rendez-vous en cet çndro;t. Ce fut là que je vis pour la première fois Monfieur Dam- pier. Nous allâmes enfemble en l'Ille dorée palier montre de nos de Lionne l Waffer. 5 forces 3 nous prîmes terre à l'Ifth- me, & j'étois avec lui à l'expé- dition de Sainte Marie comme à ces irruptions dans la mer du Midi que Monfieur Ringrofle ra- porte dans la quatrième partie de h & un Nègre qui me fervoit ayant emporté mes drogues avec mes hardes , je me vis par là privé des chofes dont j'avois befoin pour panferma playe. Ainfimonmal augmenta & me mit bien-tôt hors d'état de fuivre les autres. Nous avions déjà perdu deux perfon- nzs , Robert Spratlin & Guillau- me Bowman : Us nous avoient quittez à la rivière de Congo > 6c de Lionnel Waffer. y toute la compagnie étoit fi fati- guée du chemin qu'elle avoit fait, que pour s'encourager les uns les autres , on fit une ordonnance , qu'à la première defcente à terre on tuëroit ceux qui ne pourroient pas marcher , de peur que les Ef- pagnols , s'ils venoient à les pren- dre , n'arrachafient par les iup- plices le fecret de notre marche i mais cette rigoureufe ordonnance ne rut point exécutée, &: la com- pagnie fe contenta de m 'aban- donner dans Tlfle de Darien à la merci des Indiens fauvages avec M. Gobfon & un matelot appelle Jean Hingfon qui a voient fuc- combé à la fatigue du chemin. Cependant les Indiens de l'Ule à qui nous fumes obligez d'avoir recours entreprirent de me gué- rir. Ils mâchèrent quelques her- bes , en firent une elpece de pâte qu'ils étendirent fur une feuille A iiij t Les* Voyages de plantain , &; ils appliquèrent ce cataplafme fur la partie affli- gée. Au bout de deux jours je m'en trouvai fort foulage. Mais iî j'eus fujet de me loiier en cela de ces Indiens, nous étions d'ail- leurs mal fatisfaits des alimens qu'ils nous donnoient. Ils ne nous faifoient manger que des plata- nes verds y &c encore ne nous les prodiguoient-ils pas. Il eft vrai que pour nous dédommager de cette defagreable nourriture , un jeune Indien chez qui nous é- tions logez, nous apportoit quel- quefois ,. à l'infçû de fes voifins , des platanes murs 5 nous en man- gions avec plailir 5 car ce fruit eft auffi excellent dans fa maturité, qu'il eft mauvais quand il eft verd. Ce charitable Indien dansfon en- fance avoit été pris par les Espa- gnols, &: avoit demeuré long- tems parmi eux. Il avoit appris de Lionnel Waffer. y paflablement leur Langue chez î'Evêque de Panama qu'il avoit fervi, &: il étoit revenu dans fon païs après avoir trouvé moyen de te fauver. Comme nous fçavions un peu d'Efpagnol & quelques mots de là Langue des Indiens , pour avoir déjà pafTé par leur païs j nous n'avions pas de peine à entendre notre hofte. Il nous fit fort bien comprendre que fes compatriotes n'étoient pas fi mé- dians que nous nous l'imaçi- nions : qu ils etoient bons natu- rellement, & que s'ils nous trai- toient avec tant de rigueur > c'é- toit à caufe que nos camarades en paffant avoient pris par force des Indiens pour leur fervir de guides , &L qu'ils les avoient fait marcher dans un temps où les pluyes avoient rendu les chemins impraticables. Quoiqu'ils fuflent fort mal- io Les Voyages intentionnez pour nous, ils ne cef- ferent pas toutefois de panfer ma playe tous les jours avec les mê- mes herbes êc de la manière dont j'ai parlé, Se ce remède me gue- riûoit à veiie d'œiL "J'ëtois déjà en état de me promener, lors que Spratlin & Bowman que nous a- vions laiiïez à la rivière deCongo, arrivèrent dans l'Ifle de Darien. Us nous dirent que fatiguez de traverfer fans guides des bois &: des rivières, 8c de nefubfifler que de quelques platanes que le ha- zard leur faifoit rencontrer , ils avoient pris le parti de venir de- meurer en cette plantation * mal- gré l'inquiétude du traitement que leur feroient les Indiens. Meffîeurs , leur dis-je , vous ne devez pas vous fçavoir trop bon gré de vous être venu réfugier ici : vous n'y aurez pour tout aliment que des platanes verds, de Lionnel Waffer. . 1 1 êc je vous apprens que votre vie non plus que la nôtre n'y eft pas enfeureté, parce qu'on n'y a point encore eu de nouvelles des gui- des que nos camarades en paffant par cette Ifle ont emmenez par force. En effet les Indiens ne voyant pas revenir leurs amis dans le tems qu'ils attendoient leur re- tour j perdirent patience , ôc tin- rent plufieurs fois confeil pour délibérer de quelle forte ils fe vengeroient fur nous de la vio- lence qui leur avoit été faite. Les uns opinoient à nous faire mou- rir , les autres à nous garder par- mi eux , & d'autres enfin à nous livrer aux Efpagnols pour acqué- rir par là leur amitié 5 comme la plufpartde c^s Indiens haïlfoient mortellement les Efpagnols , ce dernier avis fut rejette, &lere- fultat de leurs délibérations fut : ii Les Voyages qu'on nous accorderoit encore dix jours 5 mais que fi dans ce tems-là leurs compatriotes ne- toient pas de retour, ils nous brû- lèrent tous cinq. Peu s'en fallut que cela n'arrivât 5 car neuf jours s'étant écoulez fans qu'ils eufTent oui parler d'eux , ils ne doutèrent pas que notre compagnie ne les eût aflaflînez > & le dixième jour ils préparèrent un bûcher. Ils dévoient l'allumer après le coucher du Soleil &: nous jetter tacenu dedans 5 mais par bonheur pour «s'in nous Lacenta leur Chef paffa par diens' le lieu du fupplice ôc les détour- na de cette cruauté. Il leur re- prefenta qu'il valloit mieux nous faire defcendre vers la côte du Nord avec deux Indiens qui s'in- formeroient de ceux de la côte ce qu'écoient devenus les guides. Ce fentiment fut approuvé $ on nous donna deux hommes pour de Lionnel Waffer. 15 nous conduire , &: dés le lende- main nous nous mîmes en. che- min avec joye , parce que nous étions bien perluadez que nos compagnons n'avoient fait aucun mal à leurs guides. Nous ne fîmes pendant trois jours que traverfer des maréca- ges , èi il plut continuellement 5 nous parlâmes les deux premières nuits fous des arbres qui degou- toient fur nous , &: le troifiéme, fur une petite montagne qui nous {>arut une ïfle le lendemain par a grande quantité d'eau qui étoit tombée dans tout le païs-bas des environs. Nous nous ferions con- , folez denos peines fi nous avions eu des vivres $ mais nous n'avions pas d'autre provifion qu'une poi- gnée de mays que^ps guides nous avoient donnée le premier jour. Cela étant confumé dès le troi- fiéme , ils s en retournèrent che£ 14 Les Voyages eux & nous abandonnèrent à la Providence , Tans fe foucier d'ap- prendre le deftin de leurs com- patriotes. Nous demeurâmes fur la mon- tagne le quatrième jour ; il cefla de pleuvoir , & le lendemain les eaux s'étant écoulées, nous mar- châmes vers le Nord jufqu'à fix heures du foir que nous arrivâ- mes à une rivière très - profon- de & large d'environ quarante pieds. Nous aperçûmes en un en- droit un gros & long arbre qui paroifloit avoir étéabbatu à coups de haches , £c qui s'étendant fur la rivière de l'un à l'autre bord formoit une efpece de pont pour la traverfer. Nous jugeâmes que c'étoit un ouvrage de nos cama- rades, ou que 4^i moins ils avoient pafTé par là. C'efl pourquoi nous nous afsîmes à terre pour nous confulter fur la route que nous de Lionnel Waffer. 15 prendrions & après avoir long- tems délibéré fur cela , il fut ar- rêté que nous traverferions la ri- vière , 6c que pour marcher fur les pas de nos compagnons, nous en chercherions la trace. Nous paffâmes donc la rivière fur l'ar- bre que les pluyes avoient rendu fi gliffant , que nous eûmes bien de la peine à nous foûtenir def- fus 5 mais nous cherchâmes vai- nement quelques vertiges de la marche de notre compagnie 5 car nous trouvâmes le paï's rempli de boue & tout inondé du dernier déluge. Nous demeurâmes en cet endroit jufqu'au lendemain ma- tin. Alors nous reparlâmes la ri- vière 6c nous en fuivîmes le cours en la côtoyant, perfuadez qu'elle alloit fe décharger dans la mer du Nord. Nous marchâmes par des bocages de bambos creux 6c de ronces , 6c fur la fin de la jour- ï6 Les Voyages née nous nous trouvâmes telle- ment accablez de laffitude 5c de faim , que nous y aurions indu- bitablement fuccombé, fi le Ciel qui ne vouloit pas que nous perif- fions , ne nous eût pas fait ren- contrer un arbre de Macaw char- gé -de fruits. Nous en mangeâ- mes avec avidité 5 Se quand nous nous en fumes raflafiez, nous en fîmes un paquet que nous em- portâmes le jour fuivant. Nous arrivâmes fur les quatre heures après midi à une autre rivière qui recevoit les eaux de celle que nous avions côtoyée, £c qui étoit encore plus large 6c plus profonde. Comme elle cou- loir auffi vers le Nord nous refo- lùmes de faire deux radeaux pour la defcendre. Nous avions autour de nous des Bambos creux très- propres pour notre deflein 5 nous en coupâmes 3 ôc les laiflant dans leut de LionnelWaffer. 17 leur propre longueur , nous les attachâmes avec une grande quantité de branchés d'arbril- feauxfemblablesàlaviçne. Nous n avions pas encore fini nos ra- beaux lors que la nuit vint. Nous établîmes notre loçement fur une petite montagne couverte d'ar- bres à cotton d'une grofieur Se d'une hauteur prodigieufe. Nous amaflames environ une charetée de bois & fîmes du feu 5 mais il furvint un orage fi terrible , qu'il fembloit que le ciel 6c la terre youluffent fe confondre. Il tom- ba une pluye épaifie accompa- gnée de coups de tonnerre 6c d'é- clairs d'une odeur fi fulfureufe , que nous en fumes prefqueétou- tez. Il y avoitdéja long-tems que cela duroit , lors que nous enten- dîmes de tous cotez un bruit ef- froyable comme de rivières qui . B iS Les Voyages roulaient leurs eaux avec impe- tuofitéj & ce qui acheva de nous remplir de crainte , nous décou- vrîmes à la faveur des éclairs que ces eaux s'approchoient de nous &: que nous en étions entourez. Effectivement en moins d'une demie heure elles emportèrent le bois que nous avions allumé. Chacun alors fonge à fe fauver ôc cherche de petits arbres pour en gagner le haut 5 mais comme il n'y avoit fur la montagne que de gros arbres à cotton ïans aucu- ne branche , l'efperance d'y mon- ter nous étoit interdite. Pour moi j'eus le bonheur d'en rencontrer un qui par hazard ou par le tems étoit creux d'un côté. Il y avoit une ouverture à quatre pieds de terre ou environ. J'entrai dedans èc m'aflîs fur un nœud qui s'y trouva. Là je fis mille reflexions toutes plus trilles les unes que les de Llonnel Waffer. 15) autres. Je me repentis cent fois d'être forti de Londres &; d'avoir quitté le repos do;it j'y joùiflbis pour faire un voyage fi périlleux > & il me parut que c'étoit une grande folie aux hommes de s'é- loigner de leur païs pour fatis- faire leur avarice ou leur curio- fité. J'attendois le jour avec im- patience , & j'avois de tems en tems des frayeurs mortelles , par- ce que j'entendois le bruit que faifoient en tombant de grands- arbres qui ne pouvoient refifter à la fureur de l'eau qui les empor- toit &; qui venoit donner avec tant de violence contre celui ou j'étois, qu'elle le faifoit trembler. J'implorois le fecours du Ciel par les plus ardentes prières que ma peur me pouvoit fuggerer,lors que j'apperçûs l'étoile du matin. J'en eus beaucoup de joye, & je commençai à concevoir quelque Bïj 20 Les Voyages efperance que je ne periroïs pas., En effet, dès que le jour parut, la pluye & les éclairs ceffer eut , ks eaux s'écoulèrent afTez vilte, & le Soleil fe leva. Je fortis alors de mon arbre , 6c cherchai Pèndroit ou nous avions fait du feu , dans la penfée que j'y pourrois trouver quelqu'un de nos camarades,mais je ne vis perfonne , & j'eus beau les appeller de toute ma force, les échos leuls répondirent à ma voix. Il n'eft pas poffible de fentir une plus vive douleur que celle que j'eus en ce moment. J'enviay le fort de mes compagnons que je croyois noyez, & potTedé de mon defefpoir , je me laiflay tomber par terre comme un homme mort. Cependant Gobfon &: les autres qui avoient auffi - bien que moi trouvé leur falut dans des arbres creux, & qui en avoient été quit- tes pour les mêmes allarmes , vin- de LionnelWaffer. ir rent me joindre Se me rappeller à la vie. Nous nous faluâmes les larmes aux yeux 5 nous rendîmes grâces au Ciel de nous avoir con- servez i & après avoir raifonné fur la. caufe de cette inondation furieufe, nous conclûmes que c'é- toît la pente des montagnes voi- fines qui faiioit tout à coup en- fler les rivières après de groffes pluyes , & que les eaux s ecou- loient en peu de tems par la me* nie raifon. Nous allâmes chercher nos ra- deaux que nous avions lai fie at- tachez à un arbre. Nous les trou- vâmes enfoncez 5 l'eau étoit en- trée dans les Bambos creux &£ avoit rempli les veffies. Nous vî- mes bien que nous les avions mal conftruits : car il eft certain que les radeaux faits de Bambos creux fe foùtiennent ordinairement fur l'eau. Cela nous cauia un nou- îz Les Voyages veau chagrin , & au-lieu de fon- ger à faire d'autres radeaux pour defcendre , comme nous l'avions projette , cette rivière que nous nous imaginions être celle qui alloit fe décharger dans la rivière de Cheapo vers la Baye de Pana- ma dans la mer du Midi j nous refolûmes de retourner chez les Indiens. Ce fut fans doute le Ciel qui nous infpira cette refolution > car fi nous eu fiions exécuté l'au- tre, nous aurions été nous jetter au milieu des Efpagnols qui ne nous anroient fait aucun quartier. Nous reprîmes donc le chemin par où. nous étions venus 5 ôc com- me il y avoit fept jours que nous ne vivions que de ces fruits de Macaw dont j'ai parlé > & de la moùelle d'un arbre appelle Bibby, notre faim nous faifoit chercher des yeux tout ce qui pouvoit la foulager, Nous appergiimes ua de Lionne! Waffer. 23 Dain qui dormoit d'an profond fommeil. Tout le monde s'en ré- jouie , & fe promettait bien de le faire rôtir fur les charbons. Un de nos camarades fut détaché pour l'aller tuer. Il s'approcha fort près de la bête & la coucha en joue 5 mais il fît un faux pas en la tirant & la manqua. Elle fe leva légèrement au bruit du coup , gagna la rivière en deux faults , la pafla à la nage & s'é- loigna de nous, Dans le defTein qu'on avoit de chercher les ha- bitations des Indiens , il falut s'é- carter de la rivière , & cette ne- ceflîté nous mit en danger de nous perdre. Heureufement nous fui- vîmes la trace d'un Pecary ou Cochon fauvage , qui nous con- duifit à une vieille plantation. Avant que de nous montrer aux Indiens de qui nous craignions d'être mal reçus > nous nous ar- 24 %es Voyages rétames pour tenir confeil for c& la. Après une longue délibéra- tion,, il fut refolu qu'on envoye- roit un hbmtne de la compagnie à leur habitation , & que le refte demeureroit là jufqu*a ce qu'on fût inftruit de l'événement. On tira au fort , il tomba fur moi , & je m'en allay trouver les In- diens fort inquiet de la réception qu'ils me feroient. Mais ils dif- férent bien-tôt mes allarmes par un accueil obligeant. Ils me donnèrent de la viande , me fi- rent mille queftîons , me deman- dèrent ce qu'étoient devenus mes compagnons 5 & fi-tôt que j*eus fatisfait leur curiofité, ils leur en- voyèrent P Indien qui parloir Ef- pagnol. Il les amena tous à la plantation ou ils furent parfaite- ment bien recalez. Il ne nous fut pas bien difficile de comprendre la raifon d'un fi grand change- ment ? de LionnelWafer. 25 ment. Les Guides étôîent reve- nus de la cote du Nord , & fe loûoient fort de notre compa- gnie j qui par des manières hon- nêtes & genereufes leur avoit fait oublier la violence qu elle leur avoit faite. Nous demeurâmes fix ou fept jours à nous repofer dans cette plantation 3 après quoi nous re- prîmes notre marche 5 car nous avions beaucoup d'impatience de nous approcher de la mer du Nord. Les Indiens qui étoienc alors remplis de bonne volonté pour nous , chargèrent quatre jeunes hommes des plus robuftes de nous conduire le long de la rivière fur laquelle étoit étendu l'arbre dont j'ay parlé; Nos gui- des qui marchoient avec affe- ction , nous menèrent en un jour dans un endroit où nous en avions été trois à nous rendre la pre- C i6 Les Voyages miere fois. Nous trouvâmes la féconde journée fur le bord de la rivière un canot dans lequel nous nous embarquâmes. Les guides ramèrent contre le courant jus- qu'à la nuit. Alors ils nous mi- rent à terre & nous firent loger clans une maifon où nous entendî- mes donner de orandes loiïano-es a nos compagnons qui y avoient paiTé. Le Maître du logis fur tout ne cefloit d'en parler , 6c il nous traita d'une manière qui nous per- fuada que tous les hommes font fenfibles à l'honnêteté. Nous par- tîmes le lendemain avec deux nouveaux rameurs qu'il nous don- na pour foulager ceux que nous avions. De forte qu'à force de ramer contre le courant ils nous rendirent en fix jours au pied du Château de Lacenta à qui nous avions tant d'obligation. T>cfai. Ce Château eft fitué fur une de Lionnel Waffer. 17 montagne fur laquelle il croît des Sj" arbres dont les troncs ont fix;fept, de La< r ' r » \ • 1 1 \\* cenu. neur & julqu a onze pieds de dia- mètre. On yvoitauffi une grande allée de Platanes & un bocage de petits arbres, &: Ton peut dire que ce lieu (eroit le plus agréable du monde, fi l'art y avoit perfection- né l'ouvrage de la nature. La circonférence de la montagne contient environ cent arpens de terre 5 c'eft une peninfule d'une forme ovale , preiqu'environnée de deux grandes rivières , dont l'une vient de l'Orient &: l'autre de l'Occident, &; il n'y a entr'- elles que quarante pieds "de di- ftance. On ne peut aller au Châ- teau que par ce terrain qui divi- fe ces deux rivières , & qui eft tellement embarafle de Bambos creux , d'arbrifleaux appeliez par les Indiens Têtes de Papes, ôc d'autres plantes épaiffes, qu'il eft Cij zS Les Voyages inacceflîble à l'ennemi. Il demeure fur cette monta- gne cinquante des principaux du païs , ils vivent fous le comman- dement de Lacentaj 6c tous les Indiens de la côte duNord auffi- bien que ceux qui font au Midi de l'ifthme de D arien, lui obéïd fent comme à leur Souverain. C'eft donc fur cette montagne que Lacenta a établi fon féjonr ordinaire , 6c il n'y a qu'un ieul canot pour le paflèr lui 6c tous ceux qui habitent le même lieu. Dès que nous y fûmes arrivez, il renvoya nos guides chez eux , Se nous pria de nous arrêter dans fon Château 6c d'y vouloir atten- dre une faifbn plus propre à con- tinuer notre voyage $ parce que les pluyes , difoit-il, avoient ren- du les chemins fi mauvais, qu'il n'étoit pas poffible alors de ga- gner la côte du Nord. Il ajouta de Lionnel Waffer. 29 que fi nous acceptions l'offre qu'il nous faifoit de nous loger en (on Château jufqu'à ce tems-là , il ne negligeroit rien de tout ce qui pourroit nous amnler. Véritable- ment il chercha tous les moyens de nous divertir , & nous éprou- vâmes avec plaifir qu'il fçavoic parfaitement obferver les loix de Phofpitalité. Peu de jours après notre ar- rivée, il arriva une avanturequi augmenta la bonne opinion que les Indiens avoient conçue de nous, & qui me mit en grande ré- putation parmi eux. Une des wanîe- remmes de Lacenta avant la ne- g"" des dA r ' d ' f* indicés. evoit être laignee. Cette opération ne le fait point là com- me en Europe. C'eft une céré- monie myfterieufe &, qui deman- de beaucoup de préparatifs. Elle fe fait en public. Premièrement le malade s'aflied tout nud fur une C iij 30 Les Voyages pierre dans la rivière devant un homme armé d'un petit arc , qui tire de petites flèches fur fon corps , 6c qui les tire le plus promptement qu'il lui eft poiïible fur toutes les parties , fans en ou- blier une feule ; mais les flèches font arrêtées, afin qu'elles ne puif- fent pas pénétrer fort avant , 6c fi par hazard elles viennent à per- cer une veine & que le fang forte goutte à goutte , tous les Indiens applaudiiîent a un fi beau coup , & fautent pour marquer leur joye. Comme j'étois témoin de cqs ridicules apprêts qu'on faifoic pour faigner la malheureufe fem- me de Lacenta , qui me parut moins accablée de fon mal, qu'ef- fravée de la faignée qu'on lui al- k)it faire, je fus choqué de l'igno- rance de ce peuple , 6c m'appro- chantde Lacenta : Voulez-vous, lui dis-je, que je vous fafle voir de lionnel Waffer. 31 une meilleure manière de faigner qui eft en ufage parmi nous , qui fera moins dangereufe, 6c qui fera moins foufFrir la malade ? J'y con- fens ^ répondit Lacenta 5 voyons comme Ton faigne en vôtre païsé A ces mots, je tirai de ma poche une boëte d'inftrumens qui étoit la feule chofe que mon Nègre ne m'eût point emportée 5 je fis une bande d ecorce d'arbre, j'en ban- dai le bras de la femme 6c lui ou- vris la veine avec ma lancette. Je croyois que Lacenta feroit char- mé d'une manière de faigner fi prompte 6c fi différente de la fien- ne 5 mais au-lieu de m'en féliciter, voyant que le fang fortoit avec violence, il jugea que j'avois blef fé fa femme, il le mit à jurer entre fes dents, il prit fa lance 6c fut ten- té de me la paffer au travers du corps. Comme je ne lui parus pas fort emeu de (es menaces, que je C iiij $i Les Voyages lui difois de prendre patience , & que je répondois de l'événement, il s'appaifa enfin de me laifla ache- ver mon ouvrage. Je tirai à la ma- lade environ douze onces de fang> & après lui avoir encore bandé le bras , je la priai de fe tenir en re- pos jufqu'aû lendemain. Elle fit exactement ce que je lui avois re- commandé &: la fièvre la quitta fans retour. Le fuccés d'une opération fi nouvelle pour les Indiens me fit pafler dans leur efprit pour un homme qu*on ne pou voit affez honorer. Lacenta vint à leur tête 5 s'abaiffa devant moi & me baifa la main avant que je pufle l'en empefeher. Les autres à fon exemple m'environnèrent & ni'embraflerent à l'envi les ge- noux. Ils me mirent enfuitedans un Hamok , & quelques-uns me portèrent en triomphe fur leurs de Lionnel Waffer. 33 épaules. Lacenta même pour m'en donner de toutes les façons , fit une harangue dans laquelle il m'élevoit au-deflus de tous leurs Docteurs. Je parus fort confus de cette louange qui ne flatoit pourtant guère ma vamte. hnrin ils me promenèrent de plantation en plantation , me montrant à tout le monde comme un Méde- cin admirable. Nous nous diverti fiions en par- ticulier .nies camarades Se moi de la {implicite de cqs Indiens, qui, pour ainil dire, m'adoroient. Ce- pendant pour ne pas trop abuier de leur amitié & en mériter au- moins une partie , j'exerçai la chirurgie & prêtai mon lecours à tous" ceux qui en eurent beloin. Quelques- uns de ces Indiens avoient été efclaves au Mexique & s'étoient échapez des fers des ••Efpagnols. Ce que je regardai 34 Les Voyages comme la caufe de l'envie qu'ils ont d'avoir le Baptefme5 en efFet je croi que c'eft plutôt pour por- ter un nom Européen que pour aucune connoiflance qu'ils ayent du Chriftianifme. J'allois fouvent à la chaffe avec Lacenta. C'étoit une de fes plus fortes paffions. Je l'accompagnai une fois au commencement de la belle faifon vers la partie du pars du Midi. Nous paflames près d'u- ne rivière d'où les Efpagnols ti- rent de l'or. Je la pris pour une de celles qui viennent du Sud-Eft & qui vont fe décharger dans le Golfe de S. Michel. Quand nous fumes auprès de la rivière , nous aperçeumes quelques Efpagnols ?|iii travailloient. Nous nous glif- âmes auilî- tôt dans le bois &nous cachâmes derrière de gros arbres pour les obferver. Nous les regar- dâmes long-tems fans qu'ils nous de Lionnel Waffer. 3^ pnflent voir, 6c voici de quelle manière ils amaffent l'or. Ils ont de petits plats de bois creux, qu'ils enfoncent dans l'eau 6c qu'ils re- tirent pleins d'or, d'eau ôc de fa- ble. Ilsfecoiientleplat. Le fable comme plus léger , s eleve de lui- même au-deflus de l'eau 6c l'or demeure au fond. Cela étant fait, ils font lécher l'or au Soleil , 6c puis le brovent dans un mortier, Enfuite ils retendent fur du pa- pier, de après avoir parle deffus une pierre d'aimant pour en atti- rer tout le fer 6c le nettoyer , ils le mettent dans une bouteille ou calebaffe. Ils ne travaillent que l'Efté, £c encore ne travaillent-ils que trois moisi car dès que le tems eft humide , la rivière devient très-profonde, au-lieu qu'en une autre faifon , elle n'a pas plus d'un pied de profondeur. Enfin après qu'ils ont employé les plus $6 Les Voyages beaux jours de Tannée à tirer de l'or, ils l'embarquent fur de pe- tits VaiiTeaux pour la Ville de Sainte Marie. Quand nous prî- mes cette Ville fous le Capitaine Scharp, nous en emportâmes dix- huit ou vingt mille livres pefant. Après que nous eûmes vu tra- vailler les Efpagnols , nous con- tinuâmes notre chafle & parlâ- mes la plus grande partie du jour à pourfuivre un Pecary que nous ne pûmes prendre. Les Indiens & leurs chiens fatiguez d'avoir couru fans relâche furent obligez de s'arrêter pour prendre halei- ne , tandis que Lâcenta piqué du mauvais fuccçz de fa chaire , la maudiffbit en jurant. Comme je m'étois aperçeu qu'il avoit def- fein de me retenir auprès de lui pour toujours , je pris ce tems-là pour eflayer fi je ne pourrois pas obtenir la permiilîon de m'en re- de Lionnel Waffer. 37 tourner en Angleterre. Je lui vantai fort la viteffe de nos chiens Anglois, & l'afTurai qu'il n'y avoit point de Pecary qui leur pût échaper 5 que s'il vouloit con- fentir que je fifle un tour en mon pais, je lui en amenerois des meil- leurs. Il demeura quelques mo- mens incertain de ce qu'il me ré- pondroit. Enfin il jura par fes dents en mettait (es doigts deflus qu'il me donnoit la liberté &: à mes compagnons pour l'amour de moi , pourveu que je lai promifle & jurafle de la même manière qu'il avoit juré, que je reviendrons éc me marierois avec fa lceur qu'il m'accordoit. Je fis fans ba- lancer le ferment qu'il exigeoit de moi, & alors pour mieux m'en- gager à le garder , il me dit qu'à mon retour il le propofoit de faire des chofes en ma faveur qui fur- jpajGTeroient mon attente. 3 8 Les Voyages Je ne manquai pas de le remer- cier de toutes fes promettes , 6c dès le lendemain il commença d'exécuter nos conventions. Il me .congédia fous Pefcorte de fept jeunes hommes qu'il choihV, 6c me donna quatre femmes pour porter nos provifions 6c mes har- des, qui confiftoientenun fimple habit èc un haut-de-chauiïe de toile que je vonlois conferver pour paroître avec plus de dé- cence aux yeux des Chrétiens, fi jamais je les revoiois : car j'étois alors tout nud comme les Sauva- ges, 5c j'avois été obligé de me laifler peindre le corps par leurs femmes. Il eft vrai que je n'avois pu me refoudre à (buffrir qu'elles me piquaffent la peau pour faire entrer plus avant leur peinture , comme elles en avoient envie. Je leur permis feulement de me cou* vrir de petites taches , ainfi que de Lionne l W~affer. 39 les gens du païs. Je partis donc du voiilnage de la mer du Sud, où je laifiai Lacenta achever fa chaf- fe , & quinze jours après j'arrivai à fon Château, où j'appris à mes camarades comment 6c à quelles conditions j'avois obtenu de lui leur liberté & la mienne. Ils fu- rent tranfporcez de joye à cette heureufe nouvelle. Ils me louè- rent de n'avoir fait nulle difficulté de lui prometre de revenir en ce païs fauvage , £c me dirent en riant, que quand je violerois lé ferment que j'avois fait, le Ciel me pardon neroit aifément ce parjure , fans qu'il m'en coûtât une dent. Je me repofai quelques jçurs avec mes compagnons dans le Château de Lacenta. Nous mar- châmes enfuite vers la mer du Nord efcortez par un aflez grand nombre d'Indiens armez qui nous 40 Les Voyages menèrent par des chemins très-* rudes. Ils nous firent monter plu- fleurs montagnes fort élevées , 6c une entr'autres fi haute & fi efear- pée, que nous fumes quatre jours à en gagner le fommet. Dès que j'y fus arrivé, je lentis tout à coup lin étourdifïement dont les In- diens m'aiTurerent qu'il ne faloit imputer la caufe qu'à la hauteur de la montagne & qu'à la fubtilité de l'air. Je regardai cette partie comme la plus haute de celles que nous avions paflees avec le Capitaine Scharp, & par où Mon- fieur Dampier & le refte de notre compagnie paiTerent en s'en re- tournant. La cime des autres montagnes nous paroifibit -bien au-defious de celle-là , qui étoit tellement élevée , que quoique nous regarda (fions d'un côté de la montagne qui étoit perpendicu- laire, nous n'en pouvions voir le pied de Lionnel Waffer. 4.1 pied à caufe des nuées qui étoient entre nous & la terre. Nous eû- mes aiïez de peine à defcendre cette montagne , tant elle étoit roide. Mais à mefure que nous defcendions , je fentois que mon cerveau fe dégageoit des vapeurs qui Favoient étourdi. Nous trouvâmes en bas une ri- vière qui couloit dans la mer du Nord , & nous aperceûmes quel- ques maifons d'Indiens. Nous y allâmes, & ils nous firent un très- bon accueil. Nous y paiïames la nuit plus commodément que nous n'avions fait depuis fix jours, par* ce que nous avions été obligez de coucher chacun dans un hamok attaché à deux arbres & n'ayant pour toute couverture qu'une Feuille de platane. Le jour fui- vant nous nous remîmes en mar- che, 6c la t.roifiéme nous arrivâ- mes fur la côte de lamer, où nous D 4i Les Voyages rencontrâmes quarante des prin- cipaux Indiens du païs qui nous félicitèrent fur notre arrivée. Ils avoient tous de belles robes blan- ches qui leur defcendoient juf- qu'à la cheville du pied avec de la frange au bas, & ils portoient à la main des demi-piques. Mais je parlerai plus amplement de ces Indiens dans la defcription que je me propofe de faire de leur païs dans la fuite de cet ouvrage. Nous leur demandâmes d'a- bord s'ils ne fçavpient pas quand il arriveroit là quelque Vaiffeau. Us répondirent que non > mais que fi nous fouhaitions d'en être inftruits , il n'y avoit rien de plus aiféquedenousfatisfaire. Ils en- voyèrent auffi-tôt chercher quel- ques-uns de leurs devins 5 car il y en a parmi eux un grand nombre qui s'attachent à la magie noire &: qui fe piquent de fçavoir forcer le de Lionnel Waffer. 43 Diable à obeïr à leurs conjura- tions 6c à répondre à leurs de- mandes. Il en arriva trois ou qua- tre, & on ne leur eut pas plutôt dit qu'on fouhaitoit d'apprendre par leur miniftere dans quel tems il viendroit quelque VaifTeaUjqu'ils fe préparèrent à conjurer le dé- mon. Ils commencèrent par s'en- fermer dans un endroit du logis où nous étions , afin de pouvoir faire en liberté leur cérémonie magique... Si nousn'eûmes pas le plaifir de les voir 3 nous eûmes du moins celui de les entendre. Tan- tôt ils pouflbient de grands cris en contrefaifant les voix de tous leurs animaux, & tantôt ils cho- quoient des pierres , & des co- quilles l'une contre l'autre. Ils joignoient à cela le fon d'une mauvaife efpece de tambour faic de bambos creux qu'ils accompa- gnoient d'un bruit horrible de Dij 44 Les Voyages gros os de bêtes attachez avec des cordes. Des cris effroyables fuc- cedoient à ce bruit parreprifes» &: de tems en tems un profond lîlence interrompoit tout à coup ces cris. Ce fabat dura plus d'une heure , mais les Pawawers , c eft ainfique fe nomment ces devins > voyant qu'ils conjuroient vaine- ment le Diable & qu'ils n'en pou- voient tirer aucune réponfe , s en prirent à nous, 6c conclurent que c etoit à caufe que nous étions dans la même maifon. C'eftpour- quoy ils vinrent nous en faire for- tir comme des profanes 5 après cela y étant retournez au même endroit, ils recommencèrent la cérémonie. Lefuccezn'enfutpas plus heureux que la première foisj l'efprit malin ne daigna pas leur parler encore. Ce qui les obligea de faire une nouvelle recherche dans ie logis. Ils jugèrent qu'il de Lionne! Waffer. 45 faloit que quelqu'un de notre compagnie y fut demeuré caché, & que cela caufoit fans doute l'obftination du Diable dont ils avoient tant de fois éprouvé la docilité. Us ne trouvèrent néan- moins perfonne, mais ayant aper- çeu quelques-unes de nos hardes pendues contre la muraille , ils les jetèrent brufquement dehors, ne doutant pas qu'elles n'euffent empêché l'effet de leur opéra- tion. Alors rien ne s'oppofant plus au charme, Je Diable leur donna contentement , car nous les vîmes bien-tôt fortir tous en fueur & fort agitez. Ils allèrent d'abord fe laver dans la rivière & enfuite ils vinrent à nous. Us nous dirent que le Démon leur avoit répondu: que dans dix jours il arriveroit deux VaifTeaux : que nous entendrions tirer deux coups de canon , & qu'un de nos 46 Les Voyages camarades perdroit la vie. Effe- ctivement le dixième jour , nous entendîmes tirer deux coups de canon &: nous découvrîmes deux Vaifleaux qui s'arrêtèrent au quai de la fonde. Nous nous mî- mes auiîî-tôt dans un canot pour aller à eux > & comme nous tra- versions la barre de la rivière , le canot fe renverfa, & M. Gobfon tomba dans Peau. Nous l'en tirâ- mes , quoi qu'avec beaucoup de peine, ôc nous elperâmes qu'à fon égard la prédi&ion de l'efprit ma- lin ne s'accompliroit pas. Nous gagnâmes enfin le quai de la Sonde 5 les deux Vaifleaux étoient une chaloupe Angloife & uneTartane Efpagnole,que les Anglois avoient prife depuis deux ou trois jours: avant que de les aborder , nous jugeâmes bien à la manière dont la Tartane étoit conftruite^que c etoitunYaifleau. de Lionnel Waffer. 4.J E fpagnol . Ce qui effraya fort un Indien qui étoit dans notre canot5 car comme je l'ai déjà dit, les Ef- pagnols font les plus grands en- nemis des Indiens j mais quoi qu ils ne fuflent pas moins les nô- tres , de que nous euiïïons fujet de craindre que la chaloupe An- gloife ne fût foumife à la Tartane Efpagnole , nous ne laiflfâmes pas d'avoir Taflurance d'aller au Vaifleau Anglois avec notre ami l'Indien. On nous y reçeut avec de grandes démonflrations de joye. Mes compagnons furent reconnus dans le moment , & on leur fit toutes fortes de carefTes. Pour moi, jem'affisfurmes jarets à la façon des Indiens, peint & tout nud comme eux , excepté que j'avois mon haut-de-chaufle* et fur le nez certaine pièce dont je parlerai ci après. Je voulus me donner le plaifir de voir fi mes, 48 Les Voyages compatriotes pourraient me re- connoître fous ce déguifement. Us n'en purent venir à bout , & il y avoit près d'une heure qu'ils me confideroient fans me remet- tre, lors qu'un d'entre eux qui me regardoit avec plus d'atten- tion que les autres , s'écria : Eh ceft notre Docleur Lionnel! c'effc lui-même. A ces mots, je me re- levai, Se me découvris à tout l'E- quipage dont je fus amplement embrafle. Je me lavai & fis toux mon poffible pour effacer les ta- ches de peinture que j'avois fur le corps y mais il y avoit fi long- temps que le Soleil les avoit lé- chées, que je perdis ma leflive, & je ne pus les ôter entièrement qu'avec une partie de ma peau. Pour M. Gobfoa, quoique nous l'euflions empêché de fe noyer , 51 avoit avalé une fi grande quan- tité d'eau , & nous l'avions tant tour- de Lionnel Wajfcr. 45* tourmenté en lui donnant du fe- cours, que nous ne pûmes lui fau- ver la vie. Après avoir langui trois ou quatre jours, il mourut au quay de la Sonde , comme fi le Diable n'eût pas voulu en avoir le démenti. Cependant les Indiens vinrent plu fleurs fois à bord où ils furent bien reçus & bien recalez. La- centa même étant revenu de la chaflèj nousvifita tous les jours pendant trois femaines*. Enfin nous prîmes congé d'eux en nous faifant de part &: d'autre mille proteftations de fervice. Il n'eft pas concevable combien ces In- diens nous marquèrent d'amitié. Il y en eut même deux ou trois qui ne pouvant fe ï-efoudre à nous quitter voulurent à toute force f nous accompagner. Nous mîmes I à la voile avec la Tartane Efpa- gnole vers l'Orient des Ifles de ^o Les Voyages Sambaloés fur la cote de Carta-» gène. Comme M." Dampîer écoit dans notre VaifTeau , &; qu'il a fait le détail de notre voyage, je me con- tenterai de dire que j'allai croi- fer avec lui fur les côtes des Indes d'Occident & fur une partie des Ifles fous le Capitaine \rright , $t fur l'autre partie fous le Ca- pitaine Yanky jufquau temps que ce dernier lailïa M. Dampitr fous le Capitaine w right à Tlilc de Sal-tortuga , ainfi que le rap- porte M. Dampierdansletroifié- me Chapitre de (oit Voyage au- tour du monde, page j8. J'allai donc avec le Capitaine Yanky à l'Iile des Cendres. Nous y fumes pris par un François nom- mé le Capitaine Triftian qui nous mena prefque jufqu'à l'Iile de Petit Guaves 5 mais pendant qu'il écoit à Terre , nous nous empa- de Lionnel Wœffer. ^r rames du Vaifleau Se le ramenâ- mes deriere Tlfle des Cendres ,. où nous prîmes le refte de notre troupe &: fîmes voile vers la Vir- ginie avec le Vaifleau François qui étoit chargé de Vins, & avec celui du Capitaine Cook qui fe joignit à nous. I Ly avoit déjà huit ou neuf mors- que nous étions à la Virginia-, quand M. Dainpier y arriva. Je partis avec lui pour cette nouvel- le expédition de la mer du Midi •fous le Capitaine Cook dont il fait un détail, dans lequel il n'a rien oublié que de faire mention de moi. Nous tournâmes autour de la terre du feu 3 nous allâmes fur la côte de la mer du Midi > le long du Chili , du Pérou , & du Mexique , ainfi qu'il le racon- te dans fon 4. 5. G. 7. & huitiè- me Chapitres. Il y explique auffi de quelle forte le Capitaine Da- E ii 52 Les Voyages vis qui avoit fuccedé au Capitai- ne Cook après fa mort , rompit fa focieté avec le Capitaine Sw an que nous avions rencontré dans la mer du Sud. Et il dit que lui- même étant bien aife de s'arrê- ter aux Indes Orientales, il s'em- barqua avec ce dernier Capitai- ne. Pour moi, je demeurai dans le Vaifleau du Capitaine Davis avec lequel je m'en retournai par le même chemin que j etois venu. Je fis dans ce retour quelques or>- fervations affez curieufes , mais je n'en parlerai qu'à la fin de ce Livre, Se lorsque je reprendrai la fuite de mes" Voyages que je vais interrompre pour Faire une Def- cription particulière de Flfthme de l'Amérique , qui eft le princi- pal objet que j'aye enviiagé dans la relation que je donne aujour* d'hui au Public. /«,£. de LîcMel WaffeK 5.3 DESCRIPTION DE L'ISTHME DE L'AMERIQUE. LE Paï's que je vais décrire eft la plus étroite partie de l'Ifthme de l'Amérique , & s'ap- elle l'Ifthme de Darien proba- lement à caufe de la grande ri- iere qui porte ce nom. Il bor- e la côte du Nord jufqu' À l'Eft 5 car au- delà de cette rivière la terre s'étend auffi à PEft & Nord- Eft , comme elle fait fur l'autre |:ôte au Sud & Sud-Eft, ce qui ne peut être appelle plus loin un [fthme. 11 eft compris entre la .atitude de huit à dix degrez dci E îîj '54 Les Voyages Nord, mais fa largeur dans la plus étroite partie eft d'un degré ou environ. Pour ce qui eft de fa longueur vers l'Occident fous lo nom de Hfthme de Darien, je ne puis aflurer s'il va plus loin que Honduras ou Nicaragua, oit s'il ne paflfe pas la rivière de Cha- gre ou les Villes de Portobelo 5c de Panama. Cette dernière Vil- le fert de bornes à la partie donc j'entreprens de faire la defcri- ption. Je ferai plus exad quand je parlerai de la partie du milieu pareille à celle-ci , parce que j'y ay demeuré. On peut pourtant appliquer à la terre même au- delà de la Panama ce que j'au- rai occafion de dire touchant cet- te étroite partie de l'Ifthme de l'Amérique. Pour en fixer precifément les limites , je marquerai pour fon Occident une ligne depuis Ten> de Lionnel Waffer. 55 bouchure de la rivière de Cha- gre où elle tombe dans la mer du Nord 3 jufqu'à la partie la plus proche de la fner du Sud 5 le Cou- chant de Panama renfermant par ce moyen cette Ville avec Porto - belo £c les rivières de Cheapo Se •de Chagre. Pour les limites du Midi , je tirerai une autre ligne du point de Garachina, de la par- tie du Sud du Golfe de S. Mi- chel directement à l'Eft à la par- tie la plus voifine de la grande ri- vière de Darien. Ainfi , comme pour prendre la Baye de Caret dans rifthme fur le Nord & le Sud., il eft fuffifamment borné par ces deux vaftes mers : Il faut don.c confiderer que ce païseft le ter- rain le plus étroit qui les Sépare, 6c que la circonvallation eft telle- ment grande, qu'elle ne peut être prife d'un rivage à l'autre par mer , puisqu'elle a pour extre- JE iiij 5 il n'y a point de montagnes 5 ce font feulement de douces décentes qui viennent plutôt de la hauteur du fommet, que de celle de quelques collines étrangères. En récom- penfe il y a beaucoup de bois. Que dis- je ? C'eft une forefl: con- tinuelle, mais qui ne dérobe point à la vûë la beauté des rivages les moins éloignez du Nord. Le fommet n'eft pas d'une hau- teur uniforme , ou pour parier plus jufte, ce n'eft pas la cime d'une feule montagne > mais ur^ de Lionnel Waffer. 52 chaîne de plufieurs jointes en- funble. C'eit pourquoi il ne faut pas s'étonner fi d'une infinité d'é- minences qui compofent fa lon- gueur , on apperçoit de grandes vallées feparées. Ces vallées ren- dent le fommet plus uni ôc plus habitable. Il y en a quelques- unes fi profondes , qu'elles em- barraflent le paffage des rivières 5 de cela eft fi vrai, que la rivière de Chagre qui prend fa fourc© de quelques montagnes près de la mer du Sud, eft obligée de faire des détours au Nord-Oueft avant que de pouvoir fe décharger dans la mer du Nord , quoique, fi je ne me trompe pas, la chaîne des montagnes s'étende plus loin à l'Oiieit & même jufqu'au lac de Nicaragua. Les rivières qui arrofent le païs que je décris font prefque toutes aflez larges, mais peu navigables. 66 Les Voyages parce qu'elles ont des barres & & les eaux baffes à Fembouchure. Sur la côte de la mer du Nord les rivières font pour la plupart fort petites 5 car comme elles pren- nent leurs four ces du Haut fom- met qui eft auprès de ce rivage, leur cours eft fort borné. Celle de Bafien eft une des plus gran- des 5 mais la profondeur de fon entrée ne répond pas à la largeur de fon embouchure. Je conviens qu'elle eft aiïez profonde à quel- que défiance de fon entrée 5 mais de là jufqu'à Chagre, tout le long de cette côte , les rivières ne font que des ruiffeaux, Se je n'excepte pas même celle de la Conception qui fort vis-à-vis le quay de la Sonde dans les Sambaloés. La ri- vière de Chagre eft à la vérité aflez confiderable , puifqif elle fait un circuit le long de la côte, & qu elle vient de la partie du de LionnelWajfeh Ct Sud & de l'Eft de 1" Ifthme 5 mais il eft certain que la côte du Nord qui eft fi abondamment arrofée , l'eft principalement par des four- ces & par des ruiiîeaux qui des- cendent des montagnes voifines. Le terrain fur cette côte eft allez mêlé j mais en gênerai la terre eft bonne. Il s'eleve en monta- gnes jufqu'auprès de la mer où l'on voit çà 6c là des marais qui n'ont qu'un demi mille de lar- geur. Depuis la Baye de Caret , qui eft le feul Port qu'ait la rivière de Darien , jufqu'au Cap près de rifle Dorée, le rivage de F Ifth- me eft aflez fertile. Il y a une Ba} e fablonneufe , mais dont une partie eft pleine de marécages, 8c Ja terre tellement remplie d'ar- bres de Mangroue, qu'on n'y peut aborder fans avoir de la boue juC qu'à la ceinture. Le rivage d$ 6^ Les Voyages cette ç&te eft à cinq ou fix mille-- du Haut fcmimet > de la Baye de Caret a deux ou trois ruifïeaux d'eau douce qu'on y voit couler; Cette Baye eu petite , à ce que j'ai oui dire, car je n'y ay point été. Elle a deux Ifles devant elle qui font un bon Port , & fon ter- rain eft propre à l'ancrage , parce qu'on n'y trouve aucun rocher. Ces Ifles font hautes & ombra- gées de plu fleurs fortes d'arbres. A l'Occident du Cap , à l'en- trée de la rivière de Darien , il y a une autre belle Baye fablon- neule dans le cou de laquelle eft une petite Ifle marécage ufe. Les eaux qui l'entourent font baffes &L la terre fî boiieufe, qu'elle n'eft pas propre pour les Vaifîeaux. Le rivage de l'Ifthme, de quel- que cote que vous le preniez, elt un païs marécageaux 6c couvert de Mangroucs pendant trois ou de Lioniul Waffer. 65 quatre mille qu'il monte au plus liaut Commet 5 mais quoique le cou de la Baye foie comme je l'ai dit, néanmoins l'eau eft profon- de à Tentrée, & il v a au fond un fable ferme &: bon pour l'encra- ge. Il y a trois Ifles devant elle qui font un Porc , & à l'Orient deCquclles eft Plfle dorée qui eft la plus petite. Elle a un beau canal profond entre elle & le Haut Commet , & le rivage de flfthme a des Bayes fabloneufès & des païs de Mangrouës jufqu'à la pointe de Sambalos. Les montagnes font à la même diftance , c'eft-à-dire à fix ou fept mille du rivage. Mais aux environs de la rivière de la Conception qui fort à un mille ou deux à l'Orient du quai de la Son- ài> le Haut. du fommec eft un peu plus loin. Plufieurs petits ruif- ieaux tombent dans la mer de chaque coté de cette rivière Se 'de Lionnel Waffer. 69 les ruifleaux font les uns dans des Bayes fabloneufes 6c les autres parmi des terres de Mahgrouës. Les marécages ou font les Man- grouës fur cette côte font formez par des eaux falées , de forte que les ruifleaux qui en fortent font aigres, au-lieu que ceux de laBaye fabloneufe ont une eau fort dou- ce. Nul de ces ruifTeaux, ni même la rivière de la Conception n'eft pas aflez profonde pour qu'il y puifle entrer des Vaifleaux. Il n'y entre que des canots. La ter- re aux environs eft excellente ^ elle s'élève doucement jufqu'au plus haut fommet & eft remplie de grands arbres propres pour la charpente. La pointe de Sambalos eft un roc pointu , bas, aflez long & fi gardé de rochers qui s'avancent un mille dans la mer , qu'il eft dangereux de s'en aprocher de i 70 Les Voyages trop près. Au-delà du rivage i l'Occident & un peu au Nord a lieues de cette pointe, on voit e Port de Scrivan 5 la côte qui efl: entre eux efl: toute pleine de ro- chers & la terre couverte de bois. Le Port Scrivan efl: un bon Port , mais comme (on entrée qui efl: à peine de cinquante pas fe trouve entourée de rochers par- ticulièrement àTEfl:, on ne peut s'y prefenter fans péril. Il ne pa- roîfl: pas aflez profond pour recevoir aucun VaifTeau chargé, n'ayant en plufîeurs endroits que huit ou neuf pieds d'eau. C'eft un pais fertile & un lieu commo- de pour y defcendre à l'Eft & au Sud où le terrain efl: bas &: très- ferme pendant deux ou trois mil- le. Mais du côté de l'Oueft c'eflr un marécage de Mangroues rou- ges. Ce fut dans ce defagreable endroit que le Capitaine Coxon* de Lionncl Waffer: 71 la Sonde, & les autres Armateurs mirent pied à terre en Tannée 1(378. lors qu'ils allèrent pren- dre Portobelo. Ainfi leur mar- che fut fatigante & ennuieufe. Mais ils aimèrent mieux descen- dre loin de la Ville, qu'aux Bafti- mentosou dans un autre lieu plus proche , afin de pouvoir éviter d'être découverts par les fenti- nelles que les Efpagnols ont tou- jours dans leurs voifinage. Effe- ctivement par ce moyen ils cachè- rent leur marche durant cinq ou fix jours qu'ils mirent à traverfer tout le païs , &: ils arrivèrent à une heure de chemin de Portobe- lo avant qu'on les eût aperçus. Les Efpagnols ne fe fervent plus du Port de Scrivan, 6c depuis plu- fieurs années on n'y voit aucun Vaiffeau , excepté quelque Ar- mateur qui s'y arrête parhazard en paflant. jz Les Voyages L'endroit où étoit autrefois Nombre de Dios eft environ à fept ou huit lieues plus loin vers l'Occident. Le païs d'entre-deux eft fort inégal, & Tony voit de petites montagnes qui penchent vers la mer. Le terrain des coli- nes eft plein de rochers, il ne pro- duit que des arbrifleaux> & les vallées ne font arroféesque par de mauvaifes petites rivières. Le plus hautfommet paroît être à une grande diftance de la mer , puifqu'il ne fut point aperçeu dans la marche des Armateurs le long du rivage de Portobelo. La, place oïi étoit Nombre de Dios eft le fond d'une Baye fort près de la mer toute remplie d'une ef- pece de cannes fauvages fembla- blés à celles dont nos pefcheurs à la liene fe fervent en Angleterre. Il ne femble pas qu'il y ait jamais eu là de VîHe. H n'en refte aucun veftige, de Lionnel Waffer. 75 Veftige. La iituation n'eft pas fort agréable. La Baye offre un petic abri aux Vaifleaux & eft toute ouverte du côté de la mer. Ce qui joint au mauvais air du ter- rain qui eft bas 6c marécageux, a étécaufe vrai-femblablement que tes Efpagnols ont abandonné cet- te place, qui n'eft pas en feureté, quoiqu'il y ait au devant, deux ou trois petits quais ou rochers. Ils ont eu raifon de la quiter pour aller s'établir à Portobelo donc le Port eft beaucoup meilleur & plus aifé à défendre. A un ou deux mille vers l'Oc- cident de ces petites Ifles à l'em- bouchure de la Baye de Nombre de Dios & à un demi mille du ri- vage, paroiflent quelques Ifles appellées les Baftïmentos. Elles font pour la plufpart aflez hautes & couvertes de bois. Il y en a jine dont une partie eft une Bay^ G 74 %es Voyages fabîoneufe 6c d'un facile abord. On y trouve une fource d'une eau excellente à boire. Elles font toutes enlemble entre elles 6c l'Ifthme un fort bon Port dont la profondeur eft propre pour l'ancrage. On y entreaveclevent de mer entre Plflè du côté d'O- rient Se la plus voifine , 6c on en fort avec le vent de terre par le même endroit. Plus loin vers l'Occident, avant que vous arri- viez à Portobelo , vous trouvez deux petites Ifles plates, fans bois & fans eau douce , & qui ne font prefque pas feparées l'une de l'au- tre. J'y ay été. Le terrain en eft fabloneux. Elles font entourées de rochers vers la mer , &TIfth- me en eft fi proche , qu'il n'y a qu'un canal entre-deux, mais un canal trop étroit pour qu'il y puifc fe entrer des Vaifleaux. Le rivage de l'Ifthme aux en* de Lionnel Waffer. 75 rirons eft compofë de Bayes fa- bloneufes après qu'on a paffé une chaîne de rochers qui fort de la Baye de Nombre de Dios vers les Baftimentos , & au-delà juf- qu'à Porcobelo la côte eft géné- ralement pleine de rochers , &£ le Continent rempli de hautes montagnes efearpées. C'eft un fort bon païs. La plus grande par- tie eft couverte de bois, &: l'autre a été défrichée par les Indiens Es- pagnols tributaires de Portobelo, qui en ont fait des plantations. Ce font les premiers établiflc- mens qui foient fur cette côte fous le gouvernement Efpagnol. Sur tout le refte de la côte du Norddel'Ifthme, les Efpagnols, dans le tems que j'y étois, n'a- voient 'aucun pouvoir fur les In- diens , ny même aucun commer- ce avec eux, quoiqu'il y ait des Indiens par tout le Continent, Gij j6 Les Voyages Toutefois on m'a die depuis qu6 les Eipagnols avoient gagné leurs ei pries Se s'en étoient rendus maî- tres. . E c< • Le Port de Portobelo eft très- pjitcbc beau, grand, & commode pour les Vaiiîeaux. Son embouchure eft étroite, mais elle s'élargit en dedans. Les Gallions d'Efpagne y trouvent un bon abri quand ils viennent en cette Ville chercher les Tréibrs du Pérou que l'on y apporte de Panama par terre. L'entrée du Port eft défendue par un Fort à main gauche en en- trant. Ce Fort eft Èien fortifié Se le pailage eft plus facile par la droite ou il y a un autre Fort à U vérité, mais beaucoup plus foible. La Ville eft au bas du Port. Elle s'étend le long du rivage en for- me de croiiiant. On voit au mi- lieu un Fort allez bas Se environ- né de maiibns, excepté du côté dfc de Lionne! Wajjer. ~>y Iamerj &àl'Occidentde la Ville environ à cinquante pas du riva- ge, il v a fur une petice élévation encore un autre Fort plus grand &: plus fortifié que les autres , mais il eft commandé par une montagne voifine, dont M. Mor- gan le fervit pour le prendre. Ik peut y avoir dans tous ces Forts deux ou trois cens Soldats Efpa- gnols en garniion. La Ville eft longue de étroite ; les Egliies £c les maifons paroiiTent allez belles & font bâties à la manière des Efpagnols. Elle n'eft défendue du cèté de la campagne par au- cune muraille ni même par au- cun ouvrage ; 6c du côté de l'Eft, on eft obligé de forcir par le che- min qui conduit à Panama, à caii- fe des montagnes qui bouchent le paffage vers le Midi. On ren- contre de longues Ecuries qui vont du Nord au Sud de la Ville G iij •?8 , Les Voyages à laquelle elles le joignent. Ce font les Ecuries du Roy deftinées pour les mules qu'on employé fur le grand chemin de Portobelo à Panama. La maifon du Gouver- neur communique au grand Fort à l'extrémité de la Ville vers l'Occident. On voit une petite Bave avec ifn pont defïiis 5 ôc du côté de l'Eft près des Ecuries > il y a un ruiffeau d'eau douce. C'effc un endroit fort mal fain : Car ou- tre qu'il eft bas 6c marécageux, la mer en le retirant laifle dans le Port le rivage à fec 5 6c comme c'eft une boiie noire 6c puante^dès qu'elle eft échauffée par la cha- leur du climat, elle exhale des va- peurs empoifonnées. Vers le Midi &, rOrient,le pais s'élève en peti- tes montagnes dont les unes font pleines de bois, 6c les autres d'une terre nommée Savannach. On ne trouve pas une grande quantité ae Lionnel Waffer. y<) d'arbres fruitiers , non plus que de plantations auprès de la Ville. Je tiens cette defcription que je viens de faire de Portobelo , de quelques Armateurs bien in- ftruits. Pour moi, je n'y ay point été. J'ay bien vu étant en mer le païs qui eft au-delà à l'Occident de l'embouchure de la rivière de Chagre , mais je n'y ay jamais abordé 5 6c je n'en puis dire au- tre chofe 3 finon qu'il eft plein de montagnes de de marécages près de la mer, comme je l'ay déjà dit , & plufieurs perfonnes m'ont allu- re qu'il n'y a aucune communi- cation entre Portobelo 6c cette rivière. * J'ay été encore plus loin vers l'Occident fur cette côte , avant que d'aller au-delà de l'Ifthme avec le Capitaine Scharp. Nous courûmes çà 6c là &c carénâmes à Bocca Toro ôc à Eocca Draso y G.... o Hlj go les Voyages mais comme cela eft hors des botv ries que je me fuis prefcrites , c'eft un détail qu'il faut palier ici fous filence. Après avoir ainfi parlé de la côteduNord de l'Ifthme, il faut que je parle auffî de la côte du Midi 5 mais je m'étendrai moins > parce que M. Dampier en a fait en quelque manière la description dans (on Voyage autour du mon- de. Je commencerai par la pointe de Garachina , qui eft à l'Occi- dent de l'embouchure de la riviè- re de Sambo. Cette pointe eft haute & fur une terre ferme, mais au dedans vers la rivière elle eft baffe & iemplie de Mangrouës comme toutes les autres pointes du païs , jufqu'au Cap de S , Lau- rent. La rivière de Sambo eft affez grande. Son embouchure eft ouverte au Nord , &: de là la feôte va au Nord-Eft vers le Golfe de Lionnel Waffer. ti de S. Michel. Ce Golfe eft formé par une infinité de ruifleaux 6c de rivières , defcit les deux principa- les font les rivières de Sainte Ma- rie & celle de Congo. Il y en a pluheurs autres jufqu'au Midi , 6e particulièrement une appellée la rivière d'Or , parce qu'elle fournit de la poudre d'or en quan- tité. Les Efpagnols y envoyent de Panama 6c de Sainte Marie leurs Eiclaves pour en amafter. La rivière la plus voifine de la rivière d'Or eft celle de Sainte Marie, ainfi appellée à caufe de la Ville qui porte ce nom. Elle eft afiez éloignée de la mer. Ce fut tout le long de cette rivière que nous vînmes, lors que nous entrâ- mes pour la première fois dans la mer du Sud avec le Capitaine Scharp. Nous prîmes chemin fai- fant Sainte Marie, qui avoit deux cens foldats de garnifon , mais qui Si Les Voyages n'étoit point fortifiée. Elle n'avoit point de muraille, &c le Fort mê- me n'étoit défendu tjue par" des Paliflades. C'eft. une nouvelle Ville que les Efpagnols de Pana- ma ont fait bâtir, tant pour y met- tre une earnifon 8c des magazins, que pour ailurer une retraite a leurs travailleurs dans la rivière d'Or. Le païs d'alentour eft bas , plein de bois 5 & la rivière eft Ç\ remplie de boue, que la puanteur en infe&e Pair. Mais le petit V il- làge-de Schuchadero qu'on voit au côté droit de la rivière près de fon embouchure, eft fituéfur une terre ferme, élevée, & ouverte au Golfe de S. Michel. Comme il re- çoit des vents frais de la mer & qu'il eft aflez fain, il fert de place derafraîchifîement. Il a un beau ruifleau d'eau douce 5 ce qui eft d'autant plus extraordinaire que les rivières font fort noires vers le Haut païs. de Lionnel Waffer. 85 Eatre Schuchadero & le Cap de S. Laurent, qui fait le côté du Nord du Golfe de S. Michel , la rivière de Congo fe décharge dans le Golfe. Elle eft compoiee de plusieurs petits ruifleaux qui tombent des montagnes voifines bc qui fe joignent pour la former. Son embouchure eft boueufe bc découverte en bafle marée pen- dantplufieurs lieues 5 il n'y a de l'eau que dans le fond du canal qui conduit a un endroit aflez commode pour débarquer 5 mais plus loin en dedans la rivière eft profonde. De force que fi les Vaif- îeaux y viennent dans la haute marée, ils y trouvent un fort bon Port. Le Golfe même eft fort navigable , car la plus grande partie eft dans une terre fan- geufe auflî-bien que les Ifles dont il eft environné 5 & il a af- fez d'étendue pour contenir ua §4 Z>es Voyages bon nombre de Vaifleaux. Au Nord de ce Golfe *eft une petite Baye où nous mîmes pied à terre en fortant de la mer. Le païs d'entre-deux eft partie de Mangrouës 6c partie de Bayes fa- bloneufes , & même toute cette cô:e jufqua la rivière de Cheapo n'a pas un autre terrain. Je ne connois qu'une rivière confidera- ble entre Cheapo & Congo. A la vérité il y a plufieurs petites Ba- y;,s & dès ruiffeaûx 3 mais on m'^ àlïliré que dans la faifon feche on n'y trouvoit de l'eau fraîche en aucun endroit. Pour dans la fav fon humide, lafituation du ter- rain qui eft penchant &: les ar- bres qui dégoûtent n'y laiflenc point manquer d'eau. Cheapo eft une belle rivière qui prend fa fource auprès de la mer du Nord. La Ville de ce nom eft fit uée du côté de l'Oueft à de Lionnel Waffer. S^ Quelque diftance de la mer. C'eft une très-petite Ville 5 mais elle a d'excellens pâturages pour le gros bétail , car le païs eft rem- Jjli de Savanahs. Ces Savanahs ont fur de petites collines ou dans des vallées entremêlées de terre , &: c'eft de quelqu'une de ces col- Jines.que prend fa lource la riviè- re de Chagre qui va tomber dans la mer du Nord, après avoir coulé quelque temps vers l'Occident. A côté de cette rivière afTez près de Panama'eft Venta de Crufés. C'eft un petit Village plein d'hô- telleries èc de magazins oix les marchandifes qui defeendent la civière de Chagre font portées de Panama fur des Mules, & là em- barquées dans des canots. Pour l'argent , on le porte par terre à Portobelo. Entre la rivière de Cheapo & jPanania vers l'Oùeft , il y a trois 86 " f 'Les Voyages rivières peu confiderables. La. terre qui eft entre-elles eft bafle, unie, prefque toute (éche, Se cou- verte de petits buiflbns. Auprès de celle qui eft la plus expoiëe à l'Occident étoit fi tuée la vieille Ville de Panama. C etoit autre- fois une grande Ville, mais il n'en refte plus rien à l'heure qu'il eil que quelques maifons ruinées 6c quelques chaumières habitées par de pauvres gens. Avant que le Chevalier Henry Morgan l'eut brûlée , les Efpagnols avoient re- folu de l'abandonner à caufe qu'- elle n'avoit pas un Port commode pour débarquer. Ainfiau-lieude la rebâtir, ils en firent une autre, qui eft celle qu'on voit aujour- d'hui. La rivière de la vieille cou- le entre-deux 5 mais plus près de la nouvelle , où de petits bateaux peuvent entrer. La nouvelle Panama a un grand de Lionnel Waffar. $f avantage fur la vieille : Elle a une rade aufîî bonne qu'un Porc pour les petits bateaux. Elle en eft redevable aux trois Ifles de Perica qui font devant elle 6c qui lui fervent d'abri. Il y a entre- deux un bon ancrage allez écarté de la Ville, entre laquelle 6c la rade eft un morceau de terre où. les eaux (ont baffes 5 fi bien que les Vaifleaux font obligez de s'ar- rêter près de Perica , ne pouvant s'approcher de la Ville , qui par ce moyen eft moins commandée. Panama eft fur un terrain Defcri- uni > & elle eft entourée de |£™n£ hautes murailles principalement du côté de la mer. Elle n'a point d'autres fortifications que les murs. La mer les lave à cha- que marée 6c les bat quelquefois fi rudement , qu'elle en renverfe une partie. Lorfquon la regarde •de la mer, ceft une très-belle >88 Zes Voyages perfpecYive. Les Eglifes Se te& maiions des perfonnes de qualité s'élèvent au-deiïiisdes autres bâ- timens , 6c les logis étant bâtis de pierre 6c couverts de tuiles creufes, cela fait un mélange de blanc 6c de rouge qui réjouit la vue. Les tuiles font fort en ufage chez les Efpagnols par toutes les Indes Occidentales. Bailleurs cette Ville eft environnée de Sa- vanahs , de montagnes plates 6c de bois taillis , ce qui ajoute de grandes beautez à la perf pective. Vous voyez auffi des fermes dif- perfées dans la campagne où fe nourrit une prodigieufe quantité de Bœufs, de Chevaux £c de Mu- les. Enfin , Panama eft le ren- dez-vous de toute cette partie de la côte de la mer du Sud : Elle eft dépofitaire des trefors de Lima & des autres Ports de mer du Pé- rou y & com.rn.erce avec le Mexi- que, de tionnel Waffcr. #5> que , mais fort peu au-delà du Golfe de Nicaragua. Le Roy d'Efpagne y a un Prefident qui agit dé concert avec fon Confeil. Le Gouverneur de Portobelo lui obéît , 6c fa Jurifdiction s'étend . depuis Nata, l'Avelia > Léon, Realeja, 6cc. jufqu'au Gouver- nement de Guatimala vers l'O- rient 5 il n'a pas moins d'autorité au-delà de l'Ifbhme fur les deux mers, comme étant foumifes aux Efpagnols. L'air de Panama n'eft *pas fi mauvais que celui de Por- tobelo y mais il ne laiffe pas d'ê* tre mal-fain , 6c Ton a remarqué que les gens qui arrivent du Pe- ; rou où. Pair eft kc & pur, y tom- Ibent malades ordinairement 5c font obligez de faire couper leurs cheveux. Il y a une autre rivière à rOùeft à une Jieuë de Panama > appçllée par quelques - uns Rio H po 'Les Voyages grande. A Feutrée les eaux {ont baffes , & elle coule avec beau- coup de rapidité. Il y a fur fon rivage à l'Occident des fermes & des plantations de fucre $ mais delà elle s'éloigne & reprend fou cours vers le Midi. Je bornerai en cet endroit les côtes de la mer du Sud de r Ifthme & bifferai là cette rivière. Entre elle 6c la pointe de Ga- rachina le rivage forme une Baye en demi cercle qui eft fort régu- lière. On l'appelle la Baye de Pa- nama. Il y a dedans plusieurs bel- les Ifles & de bonnes rades pour les Vaiffeaux > mais comme Mon- fieur Dampier dans le feptié- me Chapitre de fon Voyage au- tour du monde en fait une ample defeription, je n'en parlerai point, & je me contenterai de dire que ces Ifles produifent en abondance du bois j de l'eau 5 des fruits & du de lionne! IVaffer. 51 gibier pour rafraîchir^j^p qui y vont defcendre. Le terrain de rifle & de la plus grande partie du pais eft une terre noire trés-fertile. Du Golfe de S. Michel jufqu'à la chaîne des montagnes , qui eft dans la Baye de Caret , c'eft un païs de vallées arrofées par des rivières qui tom- bent dans le Golfe, fi marécageux &: fi rompu, qu'il eft impoffible de voyager le long du rivage & aux environs. A l'Occident de la ri- vière de Gongo , le païs devient plus montagneux & plus fec. On y trouve d'agréables vallées juf- qu a ce qu on ait pâlie la rivière de Cheapo, au-delà de laquelle on ne rencontre que des bois. Là commence le païs des Savanahs qui eft fec , plein d'herbe & de petites montagnes entremêlées de bois 5 ces montagnes font fertiles jufques à leurs lommets qui font Hij $1 les Voyages couvytS^de très - beaux arbres fruitiers. Pour les montagnes d'où tombe la rivière d'Or , elles font plus fteriles vers le fommet f elles ne produifent feulement que de petits arbrifleaux : mais je croi que ce n'eft pas la faute du ter- rain qui paroît capable de pro- duire tout ce qui croît dans la- Jamaïque. Toutefois il faut ob- ierver que les bois de ce païs fur la cime ou fur les cotez des mon- tagnes dans le dedans du païs ne reflemblent point à ceux qui font près de la mer > dans les lieux fecs & élevez les bois font grands , fort gros, & n'ont prefque pas de branches, au-lieu que fur la côte de la mer où le terrain eft d'ordi- jiaire bas & marécageux , ce font^ plutôt des arbrifleaux que des ar- bres, desMangrouës, des ronces pu des Bambos. kes faifons en cet endroit fons de Lionnel Wajfer. 5*5 de même que dans les autres de la Zone Torride en cette latitu- de, c'eft-a-dire, approchant plus de l'humide que du fec. Le tems des pluyes commence en Avril ou en May, elles continuent les mois de Juin Se de Juillet, & dans le mois d'Aouft elles font très-vio- lentes. Il fait auflï fort chaud alors par tout où le foleil perce la nue. L'air eft étouffant , car il n'y a point de vents pour le ra- fraîchir. Les pluyes commencent à cefler dans le mois de Septem- bre , mais elles durent fouvent, jufqu'au mois de Janvier. De ma- nière que c'eft un païs fort hu- mide , puifqu'il y pleut pendant les trois quarts de Tannée 5 & les premières pluyes y tombent com- . me nos grandes pluyes d'Avril 5 ou comme des orages mêlez de tonnerre & d'éclairs. L'air y a ibûvent une odeur fulphureufe & 5>4 Les Voyages étoufFante qui fe répand dans les bois. Quand l'orage eft pafle, vous entendez le croaflement des grenouilles & des crapaux , le bourdonnement des mouches Se des moucherons , les fiflemens 6c les cris des ferpens & des au- tres infectes qui font enfemble un concert fort defagreable. Les pluyes en tombant dans les bois rendent un fon creux 5 mais elles font quelquefois fi grofles , qu - une plaine qu'elles inondent > devient femblable à un lac 5 &C les orages, ainfi que je l'ai mar- qué dans la relation de mon paf- fage , déracinent fouvent les ar- bres & les entraînent jufques dans les rivières. de Lionne! "Wa fer. 95 — Des Arbres.* des Fruit s ^ & des Plantes qui font dans l'ifth- me de [Amérique. CO m m e tout ce pats eft plein de bois, il contient une grande quantité d'arbres > de plantes & 'de fruits dont l'ef- pece eft inconnue en Europe. L'arbre qui porte le Coton eft Je plus gros de tous , & croît enbrL^, abondance dans la plus grande* ton, partie de PIftme. Il n 'y en a pas, ou du moins je ne me fouviens pas d'en avoir vu dans les Sam- baloès ni dans aucune autre des Ifles voifines. Cet arbre porte une goufle de la grofleur d'une noix Mufcade pleine d'un duvet 011 laine courte, laquelle étant meu- re crevé la goufle 6c eft empor- tée par le vent. Le plus grand 96 Zes Voyages avantage qu'on tire de cette forte d'arbre , c'eft qu'on en fait des canots ou des pirogues. Les pi- rogues différent autant des ca- nots, que les bateaux de voitures êc les petites barques différent des bateaux légers. Les Indiens brûlent les arbres creux 5 mais les Efpagnols les coupent 6c les ouvragent 5 le bois en étant fort tendre & aifé à travailler. Les ce- Les Cèdres de ce païs font fort eftimez pour leur hauteur £c leur groffeur. Il y en a de très-beaux- iur le Continent. Ils croiflent fur toutes les côtes de la mer, particulièrement vers le Nord. Le bois en eft fort rouge , a de belles veines^ & eft trés-odorant» Mais ils ne font pas d'un meilleur ufage que l'arbre à Cotton, & on ne s'en fert guère non plus que pour faire des canots 6c des piro- gues. Il y a une grande abon- dance de Lhnnel Waffet. } $-} idance de ces deux eipeces d ar- bres. On en voit fur le Continent plufieurs autres , 6c fur tout l'ar- bre de Macaw. Il n'eft pas haut. ,VAlhT' Le tronc s eleve droit oc a envi- caw. ron dix pieds. Il eft enttftiré de guirlandes épaifles avec de longs piquans. Le milieu de l'arbre en- Ferme une moelle femblable à celle du Sureau. Le çjonc eft nud jufques vers le haut i mais * de là il fort des branches de dcu-. ze à quatorze pieds de long &: larges d'un pied 6c demi qui di- minuent infenfiblement jufqu'à l'extrémité. Ces branches font par tout couvertes de pointes , entre lefquelles croît le fruit qui eft une efpece de grappe, pas plus grande qu'une petite poire j mais il y en a plufieurs enfemble. Ces grappes font d'une figure ova- le, leur couleur eft jaune avanc l 9$ les Voyages quelles foient meures , au-lieuf qu'elles deviennent rougeâtres dans leur maturité. Le fruit a un noyau 5 & quoiqu'il fçit un peu aigre , il ne laifTe pas d'être bon à manger. Les Indiens coupent l'arbre fort fouvent pour avoir ce fruit. Le bois de l'arbre eft fore dur, noir, pefant, ôc d'un grand ufage. Il fe fend fort aifément, & les Indiens s'en fervent d'ordinai- re pour bâtir leurs maifons. Les hommes en font des têtes de flè- ches, &; les femmes des navettes pour travailler à leur cotton. i'Arb;e L'Arbre de Bibby , ainfi ap- fcBibbj pej j^ ^une liqueur qui en diftille, & que nos Ànglois nomment Bib- by, croît auffi fur le Continent. Cet arbre a le tronc droit &: (I menu , qu'il n'eft pas plus gfbs que la cuiffe , quoiqu'il s'élève jufqu à lbixante ou foixante-dix pieds. Il eft nud & plein de pU de Lionnel Waffer. $>$ tquâns comme celui du Macaw. Les branches forcent de même du haut de l'arbre , 6c portent abon- damment des fruits ronds , d'une couleur blanchâtre , & pas plus gros que des noix. Ils font remplis d'huile. Les Indiens les pilent dans un mortier $ après quoi ils les font bouillir & les prefïent. A mefure que la liqueur le refroi- dit , ils l'écument & en tirent le defllis qui eft une huile très-claire &: d'une extrême amertume. Ils la mêlent avec les couleurs dont ils veulent fe peindre. Quand l'arbre eft jeune 3 ils le percent & mettent une feuille dans le trou par oii le Bibby coule à groffes gouttes. C'eft une liqueur pe- lante &i d'un goût affez agréable, quoiqu'un peu aigre. Us la boi- vent après l'avoir gardée un jour ou deux. Il y a des arbres de Coco dans ioo Les Voyages les Ifles , mais il n'y en a pas dans rifthme. On voit fur le Conti- nent un certain arbre qui porte un fruit femblable à la cerifej mais il eft plein de petits noyaux, & il rfeft jamais mou. Lena- On y voit auffi des Platanes en abondance. Leur tronc a -plu- sieurs longues & groffes feuilles qui croiffentles unes fur les autres, éc qui forment une efpece de pen- nache , en s'étendant autour du tronc. Les fruits s'éleve-nt en îong vers le haut. Il ne croît point de Platanes fauvages , fi ce* n'en: quand les rivières les entraînent dans le tems des pluyes 5 car alors demeurant fur la terre , ils fe fe- ment d'eux-mêmes. Les Indiens les plantent en allées j & quoi- que ces arbres n'ayent point d'au- tres bois que leurs troncs, pourvu, que leurs troncs foient verds &C en fève, ils en fon; de très-beaux Jx>cages. Lf5 M «m - es. de 1 ionnel Waffer. i o i Il y a des Bonanos en grande n^sBa" quantité. C'eft une efpece de Pla- tanes. Le fruit eft court 6c épais, doux 6c farineux 5 mais on les mange crus, au-lieu qu'on fait bouillir le Platane. J'ay vu dans les Mes des ar bres appeliez Mammées. Leurré tronc eft droit sk fans branches , £c a plus de foixante pieds de hau- teur. Le fruit en eft fort fa in. 6c délicieux. Sa forme eft femblable à celle d'une poire 5 mais il eft beaucoup plus gros , 6c il a un petit noyau ou deux dans le mi- lieu. Là Mammée Sapota diffère des autres en quelque chofe. Son fruit eft plus petit 6c plus ferme , 6c fa couleur plus belle. -Elle eft fort rare dans les Ifles. Elle ne vient pas même fur le Continent. Les Sapadillos n'y croiïîent pas non plus, mais il y en a beaucoup dans les Ifles. Les Sapadillos font iiij "îoz Les Voyages des arbres faits à peu près comme lesChefnes. Le fruit en eft agréa- ble. Il eft de la grandeur d'une poire de Bergamotte , 6c fa peau eft femblable à, celle de la pom- me de Reinette. *£mes ji croîc dans pifthrne le meil- leur fruit du monde, qu'on appel- le la Pomme de Pin. Elle a toute la figure d'un Artichaut , elle eft grofle comme la tête d'un homrhe 6c montée fur Une tige d'un pied 6c demi de hauteur. Ce fruit pefe ordinairement près de fix livres. Il eft enfermé dans des feuilles courtes 6c piquantes de même que l'Artichaut 5 mais pour le trouver, il n'eft pas befoin de le dépouiller , il ne faut feulement que peler les feuilles. Il n'a ni pierre ni noyau , 6c il femble qu'il ait tout cnfemble le goût de tous les plus délicieux fruits qu'on puifle jamais goûter. Il y en- a de de Lionnel Waffer. 103 mûrs pendant toute Tannée. On trouve encore fur le Con- La p™r« tinent un fruit nomme la Poire te. piquante. C'en; un£ plante de quatre pieds de haut ou environ, pleine de piquans tout autour. Elle a une feuille épaifle, à l'ex- trémité de laquelle efl: la Poire , qui eft un bon fruit , dont les In- diens ôc les autres mandent beau- coup. Il y a des arbrifïeaux appeliez TCae, Teftes de Papes. Ils ont des pi- dePapC4- quans pareils à des éperons, longs* d'un pied , aigus , épais & durs avec une pointe noire qui leur fert de défenfe. On voit auffi des Cannes de dccs"n^ Sucre j mais les Indiens n'en font point d'autre ufage que de les mâ- cher 6c d'en fuccer le jus. Il croit dans les Ifles un arbre à qui l'on a donné le nom de Manchinet, .Mm* & celui de Pomme de ManchL camcl' I iiij î04 îes Voyages nel à Ton fruit. Elle a l'odeur & la couleur d'une belle Pomme odorante , mais c'en: un poifon. Cet arbre funefte croît dans des morceaux de terre pleins de ver- dure. Il en: bas, rempli de feuil- les, 6c Ion tronc eft fort gros. J'ay oui dire qu'on en employoit le bois A faire des pièces de raport dans des ouvrages de marquete- rie^ car il eft bien graine. Maison ne le peut couper fans péril, puis- qu'il eft fi venimeux, qu'il fe for- me une veffie dans la partie cou- pée. Un Français de notre com- pagnie s'étant mis pour prendre le frais fous un de ces arbres dans unedes Iflesde Sambaloës, com- me il avoit fait de la pluye , l'ar- bre dégoûta fur fa tête &: fur (on eftomachj 6c ces goûtes d'eau y formèrent des puftules fi dange- reufes, qu'on eut de la peine à lui fauver la vie. Il lui en eft refte de LionnelWaffer. lof des marques femblables à celles de la petite vérole. Il croît dans Tlfthme un arbre £*** qu'on appelle Maho , qui eft de ho. lagroiïeurd'unFrefne. Il y a en- core une autre forte de Maho plus commun 6c plus petit qui vient dans des marécages 6c lieux humides auprès des rivières ou de la mer. Son écorce eft claire comme le Canavas 5 fi vous en voulez ' prendre un morceau , il fe de'chirera en lanières jufqu'au haut de l'arbre. Ces lanières font minces, mais fi fortes, qu'on en fait des cables 6c des cordages pour les petits ^aifleaux. Voici de quelle manière les Indiens en font des cordes : ils-ôtent pre- ' mierement toute Pécorce de l'ar- bre d<. la mettent en pièces plus ou moins longues , félon qu'ils le jugent à propos. Il battent ces pièces > les nettoyent , les tordent ïoé les Voyages enfemble 6c les roulent enfuite entre leurs mains ou fur leurs cuifles, comme nos Cordoniers font leur fil , mais beaucoup plus vite. Ils en font aufli des filets pour pefcher le gros poiflbn. rArbre . L'arbre qui porte laCalebafTe STSE eft petit & fort épais. La Cale- bafle. baffe croîr hauc & Das parmi les branches de même que nos Pom- mes. Ce fruit eft rond 6c entou- ré d'une coquille dure qui peut contenir depuis deux jufqu'à cinq pintes. Les Indiens s'en fer- vent comme de vaifleaux à plus d'un ufage., Mais il faut obferver qu'il y a de deux fortes de Cale- baffes 3 des douces 5c des ameres s quoique les aifcres qui les pro- duifent, foient tout-à- fait fembla- 'blés. La fubftance de l'un & de l'autre de cqs fruits eft fpongieufe 6c pleine de jus. La Caleballe douce a le gçût d'une tartre 'de Lîonnel Wafiet. • 107 aigre , les Indiens toutefois en mangent ordinairement quand ils voyagent, c'eft-à-iiire, qu'ils en fuccent feulement le jus Se qu'ils ' crachent le refte : pour la Cale- bafTe amere > il n'eft pas poffible d'en manger > mais en récom- penfe elle effc fort medecinale. Elle cft -admirable fur tout pour les fièvres tierces , & on en fait d'excellentes décodions pour la colique. Les coquilles des Cale- bafles fontprefque aufîi dures que celles du Coco, mais elles ne font pas à beaucoup près fi épailTes. Les Calebaffes de Darien font peintes Se fort eftimées des Es- pagnols. Il y a auflî des Gourdes qui Gcurd«» rampent fur la terre comme la vi- gne , ou qui s'élèvent jufqu'au haut des arbres. Il en eft encore de deux fortes , d'arjneres Se de douces 5 les douces (ont bonnes à ic8 Les Voyaget manger , & les antres ont les mê- mes qualitez que les CalebafTes ameres. Les 'Indiens font grand état de leurs coques dont ils fe# fervent pour puiier de l'eau, & celles des CalebafTes leur tien- nent lieu de plats & de vaiffeaux pour boire. Ils ont une plante qu'ils ap- pellent Silkgrafl. C'eftune efpe- ce de Jonc qui croît en abondan- ce dans des endroits humides. Sa racine effc pleine de noeuds Se pouffe des feuilles femblables à une lamed'épée. Ces feuilles ont jufqu'à deux aulnes de long êc font déchiquetées fur les bords comme une feie. Les Indiens les coupent, les font'bien fécher au Soleil , puis les battent dans un €!iorceau d ecorce ; 6c quand il ne refte plus que des filets , ils Us tordent comme ceux des arbres de Maho, en font des cordes pour rie Lion fiel Waffer. 105 les hammoks 6c tontes fortes de cordages, mais particulièrement des filets pour prendre de petits poiflons. Dans la Jamaïque , les Cordoniers fe fervent de Silk- graff pour faire leur fil , car il eft pins fort que nos Chanvres & que toute ^iutre chofe. Les femmes Efpagnales en font des bas, qu'on appelle, Bas defoye d'herbe, qu'- elles vendent fort cher. Elles en font aufli une forte de lacets jau- nes que portent les femmes Mo- refles dans les plantations des In- des Occidentales. • Le Bois léger, ainfl nommé à l«boî* caufe de fa légèreté, eft un arbre le£er* de la grofleur d'un ormeau. Il eft droit , & fa feuille refTemble afTez à celle du Noyer. Un homme en peut porter une grande quantité, îl eft blanc, mais plus raboteux que le Sapin. Je ne fçai s'il eft fpongieux comme le Liège 3 mais fio les Toyagei il eft fi léger, que quatre Touches jointes enfemble vont foûtenir fur l'eau deux ou trois hommes. Les Indiens en liant les pius petites louches avec des cordes de Maho en font des planchers. Us en font encore des chevrons , qu'ils croi- . fent de diftance en diftanqe , & qu'ils chevillent avec de longues chevilles de bois deMacaw 5 de ils le fervent de cette efpece de bateaux dans les endroits où. les canots manquent, pour paderou croifer une grande rivière , ou pour pefcher. Ils ont un autre arbre appelle Bois blanc, dont le tronc eft d'en- viron.dix-huit ou vingt pieds de Ions: , & reflemble à un grand Saule. Sa feuille eft très-petite , ôc en la voyant on croit voir du Séné. Le bois en eft fort dur, * ferré, pefant, 8c plus blanc qu'- aucun bois d'Europe que j'aye de LionnelWaffer. iïr jamais vu. Outre cela il efl: d'un fi beau grain , qu'il feroit fort bon pour des ouvrages de mar- | queterie. Je n'ay point vu de cet- te forte d'arbre ailleurs que dans l'Ifthme. Les Tamarins bruns font lonçs Les rs* & gros. Cet arbre vient ordinai- rement près des rivières dans un terroir {ablonneux. L'arbre qui porte le fruit appelléLocuft,croîc fur le Continents le fauvage fur tout s'y trouve en abondance. Il n'eft pas fort différent des Tama- rins. On y voit auflî un arbre bâ- tard qui produit la Canelle. Il a J^™^ une goufle plus courte que celle d'une fève, mais plus épaifle. Il y a par tout l'Ilthme des Bambos en quantité. Ils font fem- BAmbéjn blables à des ronces ou à des bois taillis. Iliort d'une même racine vingt ou trente branches à la fois défendues par des piquans. Ils m Les Voyages rendent impraticables les en- droits où ils croiflent , qui font ordinairement des terres maréca- geufes uo des cotez de rivières. On en voit fort peu dans les Ifles. cfcuxh.°s Mais pour des Bambos creux , il ne s'en trouve que fur le Conti- nent. Ceux-ci font hauts de tren- te ou quarante pieds & auffi gros que la cuiiïe. Us ont des nœuds' tout du long à un pied ôc demi de diftancel'unde l'autre, 6c de la capacité de quatre quartes d'Angleterre pour le moins. Us fervent à plnfieurs ufages. Les feuilles de ces arbriffeaux ne ref- femblent point niai a celles du Sureau. **£' Les arbres de Mangrouës croif- fent hors de l'eau , dans les Ifles & fur le Continent. Us s'élèvent de leurs fouches &; font entortil- lez les uns avec les autres > & eh montant ils s'unifient tous enfem- ble de Lionne! Waffer,* 1 13 bleenformedeberceai?. L'arbre eft plein de fève. Il eft ordinai- rement fort haut &; a deux pieds de diamètre. On a de la peine à pafl'er par les lieux où font ces ar- bres, à caufe qu'étant mêlez com- me je l'ay dit, ils embarrafTent le partage. L'écorce des Mangrouës qui viennent dans l'eau falée, eft rouge &fert à teindre le cuir. Ce n'efl pas fans raifon que je croi que l'arbre qui produit le Peru- vian , ou écorce de Jefuite , eft de l'efpece de Mangrouë 5 car la dernière fois que j'étois à# Arica dans le Pérou , je vis arriver une Caravane d'environ vingt rnules chargées de cette écorce , 8c lors qu'elles furent déchargées, un homme de notre compagnie ayant demandé à un Efpagnol qui con- duisit la Caravane , d'où il ap- portoit cette écorce , FEfpagnol nous montrant du do'm de hau- 5 K H4 '£** Voyages tes montagnes fort éloignées de la mer & de nous, répondit que c'é- toit d'un grand lac d'eau douce qui etoit derrière une montagne aflez loin dans le païs. J'exami- nai 1 ecorce avec attention, Se dis à PEfpagnol : C'eft un arbre de Mangrouë. Il me repartit en fa Langue , que c'étoit une Man- grouë d'eau douce. Néanmoins il ajouta que c'étoit un petit ar- bre nain de la même efpece. Nous emportâmes quelques paquets de cette écorce, & j'ay éprouvé en Virginie que c'étoit effe&ive^ ment»de l'écorce de Mangrouë. givres. Us ont dans Tlfthme de deux fortes de Poivre $ l'une appellée Poivre à la cloche, & l'autre, Poi- vre à Toifeau 5 6c il y en a des deux , en abondance. Une herbe fau- vage ou arbrifleau d'une aulne de haut les produit. Les Indiens en -condiment beaucoup j maisprin- de Lionnel Waffer. 115 cipalement du Poivre à l'oifeau qu'ils eftiment plus que l'autre. Ils ont auffi une forte de boisBoisrou. ronge qui pourroit être très-pro- ^ pre pour les Teinturiers. Il croît en grande quantité vers la côte du Nord fur une rivière qui coule du côté des Sambaloës à deux mille du rivage de la mer. J'ay vu là une infinité de ces arbres. Us ont trente ou quarante pieds de hauteur & font plus gros que la cuiiïe. L'écorce eft pleine d'en- tailles & de concavitez. Quand le bois eft coupé il paroît d'un i'aune rouge. Les Indiens le mê- ant avec une forte de terre qu'ils ont dans le païs, en teignent leurs cotons pour leurs hamoks & pour leurs robes. En faifant bouillir de ce bois & de cette terre enfemble pendant deux heures dans de l'eau claire, elle de- vient rouge comme du fang. T'en Kij ii& Les Voyages ay fait l'épreuve. Je trempai dans cette eau une pièce de cotton qui devint trés-rouge. Il eft vrai qu'- elle pâlit un peu quand je l'eus lavée. Mais je m'en imputai la faute , 6c je jugeay qu'il falloir que j'enfle manqué à quelque chofe pour fixer la couleur 5 car il eft certain que l'eau ne fçauroit effacer cette teinture. foutes. Les Indiens ont encore plu- fieurs racines qu'ils plantent * Uns. comme des Potates 6c des îams> Ils les font rôtir 6c les mangent. Il y a de deux fortes d'Iams , de blancs 6c de couleur de pourpre. Ils ont une autre racine appelles Satava. Caflava , qui refîemble à des pa- nais i mais il y en a de deux ef- peces 5 une douce 6c une empoi- fonnée. Ils ratifient .la douce 6c la mangent de même que les Po- tates. A l'égard de l'empoifon- née, ils la prefîent; 8w aprçs en de Lionne l Waffer. 1 17 avoir ôté le jus , qui eft fort dan- gereux , ils râpent une partie de ce qui refte , 6c la reduifent en poudre. Us font une pâte de l'au- tre qu'ils étendent fur une pierre fous laquelle il y a du feu. Ils jet- tent enluite de cette poudre fur la pierre, qui venant a s'échauf- fer , cuit la pâte qui eft ferme 6c brune. Puis il's les pendent fur les maifons 6c fur les hayes pour les faire fécher. On s'en fert com- munément au-lieu de pain dans la Jamaïque 6c dans les autres Ifles Occidentales. II croît fur le Continent du *&*# Tabac comme dans la Virginie j mais il'n'a pas tant de force 3 à caufe peut-être que les Indiens de rifthme ne le travaillent 6c ne le tranfplantent point. Ce qu'ils n'entendent pas bien. Ils fe con- tentent de le femer dans leurs plantations j 6c quand il eft fec & n8 Les Voyages nettoyé , ils le dépouillent de fes feuilles, les mettent l'une fur l'au- tre , les roulent toutes enfemble 6c en font un rouleau long de deux ou trois pieds, au milieu du- quel ils laiflent un petit trou. Lors qu'ils font en compagnie de qu'ils veulent fumer , un petit garçon allume un bout du rou- . leau , mouille l'autre pour l'em- pêcher de brûler trop vite. Cela étant fait , le fumeur met le rou- leau dans fa. bouche comme une pipe, & fouffle au travers du trou la fumée au vifage de toute l'af-» femblée, dont chaque perfonne a autour du nez une efpece d'en- tonnoir pour mieux recevoir 1$ fumée qu'ils refpirent voluptueu> fement. • ÛBfSk 9 de L ionnel Wajfer. 1 1 £ Des Reptilesy & de tous les Ani- maux qu'on voit dans Vlfthmt% de l'Amérique. IL n'y a pas dans Tlfthme une grande diverfité d'Animaux, ^ais il eft fi fertile, que fi Ton en défrichoit une partie confide- rable qui confifte en bois > on en feroit d'excellens pâturages pour les troupeaux noirs y gour les Pourceaux , & pouf toutes les autres bêtes qu'on y voudroit ap-' porter d'Europe. On y voit une efpece de Co- chon que les Indiens appellent Pecary. Il eft fait à peu près comme les Cochons de Virginie; Il eft noir & a de petites jambes courtes. Il ne laine pas toutefois de courir fort vite. La partie de Chafle que je fis avec Lacenta ïio tes Voyages en peut faire foy. Ce qu'il y â de fingulier dans le Pecary : c'eft qu'au-lieu d'avoir le nombril fous •le ventre, il Ta fur le dos j 6c ce qu'il y a de plus furprenant en- core : c eft que fi vous en tuez un ôc que vous ne lui coupiez pas le nombrii , en moins de deux ou trois heures fa chair fe corrompra de manière que vous ne la pour- manger 5 mais fi au-contraire vous le coupez, elle fe confervera fraî- che pendant plufieurs jours. Au .refte, c'eft une viande très-nour- | riffante, fort faine & de bon goût» Ces animaux s'atroupent d'ordi* naire , 6c les Indiens les chaflent avec leurs Chiens , les frappent avec leurs lances ou leur tirent des fle'ches. Us ont encore une autre efpece de Cochon fauvage Ccvvar- qu'Us nomment le carrée. Il a de petites oreilles Se de grandes défenîes» Il eft tout couvert de poil de Lionnel Waffer. i il poil ou d'une foye fort épaifle. C'en: un animal féroce & qui at- taque toutes les autres bêtes qu'il rencontre en chemin. Onlechak fe de la même façon que le Peca- ry. Il n'eft pas moins bon à man- ger 5 mais il n'a pas le nombril iurledos & il n'eft pas befoin de le lui ôter pour conferver la chair fraîche. . On y rencontre auflî une affez DaIn*< grande quantité de bêtes fauves iemblables à nos Dains. Les In- diens ne les chaflent jamais. Ils n'en tuent pas un & n'en veulent pas manger, quoy que la chair en foit très-bonne. Pour nous, c etoit ce que nous mangions le plus volontiers. Je ne içai s'ils enuient ainfi par fuperftition ou autrement 5 mais il eft certain que quand ils nous en voyoient manger , ils enparoiflbient tout fâchez. Cependant ils attachent; L lit Les Voyages dans leurs maifons & confer- vent foigneufement les cornes de Dains, c'eft-à-dire, celles que cqs animaux laiflent tomber , car ils courent trop vite pour que les tarées les puiflent atteindre , & les Indiens, comme je l'ay déjà dit , n'en tuent aucun. Les Chiens de ce païs-là font fort petits & mal faits. Leur poil eft rude & long > & ils ne fervent guère qu'à aboyer & à faire lever le gibier. Ils font fi mauvais, que de deux ou trois cens bêtes qu'ils feront lever en un jour , ils n'en prendront pas quelquefois qua- tre , & encore ne fera-ce point à la courfe. Mais ils font entrer la bête dans une baye ou ils la tien- dront bloquée jufqu'à ce que les Chafleursloient arrivez. De gros chiens conviendraient beaucoup mieux aux Indiens , & on leur fe- rait plaifir de leur en mener d'Eu* de Lionnel Waffer. 1 15 rope 5 mais comme ils feroient obligez de les tenir enfermez dans leurs maifons pour les empêcher de devenir fauvages en ce païs-là, ils n'aimeroient pas à prendre tant de peine. Les Lapins , appeliez par les W**- Anglois Lapins des Indes, font gros comme nos Lièvres 5 mais ils n'ont point de queue , n'ont que des oreilles fort courtes , & les ongles de leurs pieds font très- longs. Ils fe fourrent dans les ra- cines des arbres & ne font point de terriers. Il n'y en a pas une grande quantité. Les Indiens h& chaflent. Leur viande eft excel- lente. Je ne fçai s'il y a des Liè- vres , mais je n'y en ay point vu. Pour des Guenons , on en voit Guenon* par troupeaux. Ilyenadeblancsi mais ils (ont noirs pour la pluf- part. Il en eft de barbus , il en eft qui n ont point de barbe. Ils font Lij 124 Zes Voyages d'une taille médiocre , fore gras dans la faifon féche lors que les fruits font mûrs. Nous en man- gions beaucoup 5c nous les trou- vions allez bons. Dans la faifon des pluyes > ils ont fouvent des vers dans les boyaux. Nous ou- vrîmes un jours une Guenuche , & nous lui trouvâmes dans le corps une poignée de vers donc quelques-uns avoient fept à huîl pieds de long. Ces Guenons font fort malins , nous les avons vu quelquefois en marchant dans les bois iauter de branches en bran- ches avec leurs petits fur le dos, nous faire mille grimaces , ôc quelquefois nous piller fur la tête. Rats & Les habitans de l'Ifthme n'ont **U'1S' point de Taureaux, de Chevaux , de Moutons , ni toutes ces autres bêtes que nous avons pour notre fervice & notre nourrirure , & ils font extrêmement incommodez de Lionnel Waffer. T25 des Rats 6c des Souris qui font pour la plufpart gris 6c fort gros. Une race de Chats feroit le plus beau prefent qu'on leur pût faire. Quand les Indiens qui s etoient embarquez avec nous aux Sam- baloës nous quiterent pour s'en retourner chez eux , nous nous difpofâmes à les charger de pre- fens , mais ils n'en voulurent point d'autre qu'un chat que nous avions fur notre bord. Ils l'em- portèrent avec la plus grande joye du monde, ayant apris de jsous à quoy il étoit propre. On m'a amure qu'il y a dans s«rF««i rifthmedes Serpens à fonnette 5 mais je n'y en ay point vu ni en- tendu. Il y a de greffes Arraignées qui ne font pas venimeufes. Les Indiens ont des Poux à la tête > qu'ils prennent avec leurs doigts 6c qu'ilsmangent. Il y a une for- te d'inlecte parmi les Sambaloës L iij 3i6 Les Voyage qui eft femblable au Limaçon. Ori 1 appelle llnfe&e foldat. Je n'en ay point vu fur le Continent. La partie fuperieure de fon corps fort de la coquille. Il a de petites griffes & entre-autres, deux prin- cipales comme TEcrevifle de mer. La partie qui eft dans la coquille eft bonne à manger & particulièrement la queue , qui a -le goût d'une moelle fucrée. Ces infectes fe nouriffent fur la terre de ce qui tombe des arbres , & ils ont fur le cou un petit fac dans lequel ils ferrent de la nourritu- re. Ils en ont un fécond en de- dans qui eft rempli de fable & qu'il faut vuider lors qu'on les veut manger. Ils ont encore du fable le long du corps. Si vous ne l'ôtiez pas ils xroqueroient fous les dents. Si par hazard ils vien- nent à trouver en leur chemin des Pommes de Manchinel & qu'ils de Lianneî Waffer. 117, en mangent, leur chair en eft tel- lement infe&ée^u'elleempoifon- ne ceux qui en mangent. Quel- ques personnes de notre compa- gnie en furent malades , mais ils n'en moururent ^>as. L'huile de ces infeftes eft un remède fbuve- rain pour les décorfes & les con- tufîons. Les Indiens nous l'apri- -rentj nous en faifionsaflez fou- vent l'expérience , & nous cher- chions ces bêtes moins pour les manger que pour en tirer l'huile qui eft jaune comme de la cire, & qui a la même confiftance que l'huile de Palme. Je croi qu'on voit aux Samba- loës des EcrevifTes de terre , fort peu à la vérité 5 mais dans les IflesCaribbes oix j*ai étécroifer & dans Anguila , il y en a d'auflî grofles que les plus grandes Ecre- viflesdemer, &en quantité. Il y en a fur tout une iî prodigieufô . L iii] n8 IL es Voyages quantité dans une petite Ifle voî- iined'Anguila, qu'on lui a don- né le nom d'Ifle des EcrevifTes, Elles font excellentes & font la principale nourriture des gens qui vont en aroafler. Après un grand orage, elles fortent de leurs trous ou elles s'étoient retirées , & alors on les prend fans peine. Les habitans de ces Ifles les met- tent trois ou quatre jours dans une pièce de terre de Potates pour les engraiflerj on dit qu'elles en font plus délicates. L'Alligator & le Guano font de fort bonnes viandes 5 fur tout la queue de l'Alligator eft délicieu- fe. J'en ay mangé en plufieurs en- droits des Indes Occidentales > mais je ne me fouviens pas d'en avoir vu dans l'Ifthme. Le Gua- no vaut mieux que le Poulet de grain & que les Chapons tant pour le goût que pour les potages de Lionnel Waffer. 129 de famé. Ses œufs font auiïî très- bons , mais ceux de l'Alligator ont une odeur de mufc fi forte , qu'elle empêche quelquefois d'en pouvoir manger. Il y a dansTlfthme beaucoup de Lézards verds 6c rouges 5 mais ceux qui font dans les bois taillis & dans les marécages font noirs. Il n'y en a pas u*i qui foit gros ni qui ait plus d'un pied de long. Je n'ai pas remarqué que les Indiens .mangeafTent de ces animaux qui font aflez familiers. On fouflre patiemment qu'ils grimpent au haut des maifons & qu'ils en def- cendent 5 on ne leur fait aucun mal. Il y a auffi des Greqpùilles & des Crapaux, mais ils ne font pas difterens des nôtres 130 Les Voyages Des Ojftaux > & des Infeéïes njolans. T Ls ont plusieurs efpeces d 01- 'ûcaiy * féaux dont quelques unes nous acaly' font inconnues. Ils en ont un qui eft très-beau , & fort commun dans le bois de l'Ifthme. Ils le nomment ChLcaly Chicaly. Son chant eft àpeu près comme celui du Coucou > mais plus aigu Se )>lus perçant. C'eft un gros 5c ong oifeau qui a une longue queue qu'il porte droite. Ses plu- mes font mêlées de rouge, de bleu & deilanci & les Indiens s*en font une manière de tablier. Ces oifeaux fe tiennent ordinaire- ment fur des arbres. Ils volent de l'un à l'autre , & font rarement à terre. Ils fe nourriffent de fruit. Leur chair eft noirâtre, mais d'un goût aflez agréable. Le QUAOJj de Lionnel Waffer. 131 Le Quam eft encore un gros & long oifeau de terre qui fe nour- rit auflï de fruit & qui vole d'ar- bre en arbre. Ses aifles ont la cou- leur brune 3 mais les plumes de fa queue font noires , courtes & droites. Cet oifeau eft meilleur à manger que l'autre. On voit un autre oifeau rouflâ- tre aflez femblable à la Perdrixa Il a les jambes plus longues 5 la queue petite. Il court fur la ter- re &: ne vole que rarement. Sa chair eft excellente. Le Corrofbu eft un grand oi- Le c (pau de terre, noir, pelant*, & gros comme une Poule d'index mais la femelle n'eft pas fi noire que le mafle , lequel a fur fa tête une belle houppe de plumes jau- nes qu'il fait mouvoir quand il lui plaît. Il a la gorge d'un Cocq alnde 5 mais la femelle ne l'a pas de même , & n'a pas non plus de rozou. I3z tes Voyages Î>lumes far la tète. Ils vivent fur es arbres & fe nourri fient de fruits. Ils chantent ou du moins font du gozier un bruit qui pa- roît agréable aux Indiens qui s'é- tudient à le contrefaire. Ils y reiïflîffent fi bien, que ces oifeaux y fontfouvent trompez & leur ré- pondent. Par ce moyen on décou- vre où ils font &; on les tue. Leur thair eft un peu dure , 5c n'eft pas d'un fore bon goût. Ilfautobfer- ver que les Indiens font un trou 8c y enterrent les os du Corrofou, ou bien les jettent dans la rivière, de peur, que leurs chiens n'en man- gent 5 parce que, difent-ils, files chiens en avoient mangé ils de- viendraient enragez. II faut que celafoit abfolument vrai , car les Anglois, non plus que les Indiens dans les Ifles Occidentales, ne veulent pas que les chiens en man- gent pour cette même railon. On de Lîonnel Waffer. , 133 tue le Corrofou à coups de flè- ches. Il y a des Peroquets bleus & *«** verds en grande abondance. Pour la figure 6c la taille, ils font gé- néralement femblables aux Pe- roquets de la Jamaïque > & font fort bons à manger. On voit auf- lî plufieurs Paraquites qui font p«s. verds pour la plufpart. Ils volent qu" 5' en troupe 6c ne (e mêlent point parmi les Peroquets. On trouve encore dans PIfth- P[!*[-x ,r .. qc Ma- ine des oileaux qu'on appelle Ma- ^w. ca^. Ils font faits à peu près corn.' me les Peroquets , mais bien plus grands 5 &: ils ont une queue fort \ épaifïe avec deux ou trois longues plumes rouges ou blanches qu'ils traînent après eux. Les plumes de leurs corps (ont blanches , rouges & vertes. Quelques-uns ont les ailles bleues , & les autres rouges. Ils ont avec cela un bec jaune ôc 134 Les Voyages fait comme celui dun Oye. Ils font le matin un grand bruit, mais ce bruit eft fi lugubre , qu'on ne peut l'entendre pour la pre- mière fois , fans frémir. Les In- diens gardent chez eux ces oi- feaux , &; les aprivoifent comme nous faifons les Peroquets & les Pies. Après qu'ils les ont tenus enfermez quelque tems & qu'ils leur ont apris à prononcer quel- ques mots de leur langage, ils leur donnent la liberté de fortir pen- dant le jour. Ces animaux vont dans le bois chercher les oifeaux fauvages de leur efpece , qu'ils amènent avec eux le foir dans les maifons des Indiens où ils ne man- quent pas de revenir. Je n'ai ja- mais vu un plus bel oifeau que celui-là , & fa chair quoyque du- re & noire eft d'un affez bon goût. J'ai remarqué une forte doi- feaux qu'on appelle dans le païs. de Lionnel Waffer. 135 car les Indiens leur donnent quantité de Mays , ce qui efj capable dé les engraifler. Outre les oifeaux dont je viens de parler, je fçai bien qu'il y en a dans l'Ifthme plufieurs pe- tits qui fbnt très-jolis, & dont le ramage eft mélodieux 5 mais je n'en ferai pas mention dans ce Li- vre , parce que je me fuis peu at- taché à les obferver. Tout autour des Sambaloè's , des autres Ifles , Se fur la côte de la de Lionne l Wdffer. 137 la mer > particulièrement du côté du Nord, ilv aune infinité d'oi- féaux de mer. Il n'y en a pas moins oifeau* à l'Occident fur la côte de la mer du Sud 5 mais il y en a peu fur la côte du Sud de Tlfthme , en com- paraifon de la côte du Nord, à eau- le fans doute que la Baye de Pa- nama n'eft pas aflez poiflfonneufe pour les attirer 5 car elle n'eft pas, à beaucoup près , aulîî-bien four- nie de poiflbn que la côte des Sambaloës, fur laquelle on voit quantité de Pélicans, ainfî que tout le long de la côte des Indes Occidentales. Mais je ne me fou- viens pas d'en avoir vu en aucun endroit dans la mer du Midi. Le Pélican eft un gros oifeau LePe- qui a un grand bec & de petites lican* jambes pareilles à celles dune Oye. Il a un long cou comme un Cigne ; ks plumes font d'un gris brun 3 & les pieds. font larges &> M 1$ Les Voyages patus. Sous la gorge il lui pend unfacqui, quand iïeft plein, eft plus gros que les deux poings. Ce lac eft une membrane fine & dé- liée, d\me couleur cendrée, qui eft fouvent caufe de fa mort 5 car les matelots ne tuent les Pélicans que pour avoir ces facs. Ils en font des poches à Tabac. Ces oi- feaux volent pefamment & fore bas. Ils ne fe nourriflent que de poiffon , & ils ne font bons a man- ger que quand ils font jeunes, itcoi- On voit auffi des Cormorans parmi les Sambaloës. Us feflem- olent à des Canards j mais ils font bien moins gros. Ils font noirs Se marquetez de blanc fur l'eftomac Quoyquils ayent les pieds faits comme le gibier des rivières, ils ne laiflent pas de fe percher fur les arbres & fur les arorifleaux le long de la côte. Je n'ay jamais oui dire qu'on aie mangé de ces de Liomiel Waffer. 139 oifeaux dont la chair eft de très- mauvais goût. Il y a des Pies de mer & des Moo«a Mouetes en quantité fur la côte. &*c$* Ces Pies font plus petites que les nôtres , maisc'eft la même figure. Quand il nous arrivoit d'en tuer auffi-bien que des Mouetes, nous les enterrions avec leurs plumes & leurs entrailles pendant huit jours 5 après quoi nous les plu- mions & les faifions rôtir. Nous en trouvions la chair plus tendre , & elle ne fentoit pas tant le poif- fon/ ■ Il y a dans Tlfthme des Chau- chau^ ve-fouris aufli groffes que des Pi- fourU% geons. Leurs ailles font larges & longues à proportion de leurs corps , & ont aux jointures des griffes fort aiguës. Elles fréquen- tent les vieilles maifons & les plantations defertes. Outre les infca« Mouches & les Moucherons on V( Mi] Àbeii 140 Les Voyages voitjdes Bourdons & des Mouches guefpes de plufieurs fortes, & par- ticulièrement des Mouches qui brillent la nuit comme des vers luifans. Quand il y en a un grand flombre enfemble , on les pren- droit pour des étincelles de feu. Ils ont auiïi dans l'Ifthme des Abeilles , & par confequent dit « es miel & de la cire i mais il y a de deux efpeces d'Abeilles : les unes font épaifles & courtes & d'une couleur tirant fur le rouge , 5c les autres font noirâtres, longues & déliées. Elles font leur miel dans des trous d'arbres. Les Indiens y enfoncent leurs bras pour en prendre les gâteaux , & leurs bras quand ils les retirent font tout couverts d'Abeilles j mais elles ne piquent point. Ce qui me* feroit croire qu'elles n'ont point d'ai- guillon. Néanmoins je ne les ay pas examinées avec allez d'atten- tle Lionnel Waffer. 1 41 tion pour ofer l'aflurer. Les In- diens mêlent le miel avec l'eau , & avalent cette mixtion fade. Pour la cire, je ne fçache pas qu'ils en faflent quelque ufage. Ils ont dans leurs maifons un forte de bois léger qui leur fert de chandelles & qui les éclaire. Ils n'y manquent pas non plus de Fourmis. Elles ont des aifles &; volent près des coteaux. Elles font grofTes & longues. Elles pi- quent & font fort incommodes , particulièrement lorsqu'elles font entrées dans les maifons 5 ce qu'el- les font aflez fouvent. On n'ofe- roit fe coucher pour fe.repofer fur la terre dans les endroits où il y en a j & quand les Indiens atta- chent leurs Hamocks à des arbres auprès des montagnes à Fourmis, ces animaux volent aufli-tôt fur ces arbres Se entrent dans les Ha- mocks. 14* Les Voyages DES POISSONS. T L y a, comme je Pay dit > fur •*- la côte du Nord du Poiflbn en abondance : En voici les efpeces, te Tar- Le Tarpon eft un gros poiflbn **tt* ferme, On le coupe par tranches» de même que le Saumon & la Mo- rue. Il y en a qui pefent cinquan- te ou fbixante livres. Dansletems que nous croifîons fur les côtes de Cartagene , on nous en fervit un jour un à dîner. Quoique nous fuffions dix à table , nous ne pû- mes le manger tout entier , Se nous tirâmes de fa graiffe une bonne quantité d'huile. On trou- ve aufli du Sharks ou Goulu dans ces mers j mais non pas fi com- munément aux environs des Sam- baloës que fur les côtes des Indes Occidentales. On voit auffi un poi ffon ailes de Lionne l Waffer. 14.J femblable au Sharks, maïs beau- J^ coup plus petit. Sa bouche eft plus longue & plus étroite, & il eft tien meilleur à manger. Nos ma- telots les appellent ordinairement Chiens de mer. lis n ont qu'une rangée de dents. Le Cavalîy fe trouve parmi les vaj£ f* Sambaloës. C'eft un poiflbn long & menu qui reflemble fort au Ma- quereau. Il eft d'un goût excel» lent , ainfi qu'un autre poiflbn nommé Vieille -femme qui eft vieiii*? d'une forme plate. fcmm* Les Paracoods font des poiflbns lcs p* ronds & de la groffeur d'un Bro- MCOod* chet bien nourri $ mais ils font d'ordinaire plus longs. Ils ont la chair très-bonne, principalement ceux de la mer du Nord. Mais il faut remarquer une chofe aflez fmguliere 5 ceft qu'il y a quel- ques endroits dans cette même mer où vous ne fçauriez pefcher 144 Z-M Voyages de Paracoods qui ne foient em- poifonnez , foie que cela vienne de la nourriture particulière qu'ils ont là, ou d'une. autre caufe, il eft certain que j'ai connu plu- sieurs perfonnes qui ont éiè\ telle- ment malades pour en avoir man- gé, que les uns en font morts, & que les cheveux & les ongles en font tombez aux autres. Il eft vrai que le Paracood porte avec lui fon contrepoifon. C'eft l'épine de fon dos. On la fait fecher au foleil> on la réduit en poudre 5 & s'il ar- rive qu'on fe trouve mal après avoir mangé de ce poiflbn , il ne faut que prendre une pincée de cette poudre , dont on a foin de faire provifion , de l'avaler dans quelque liqueur , on eft guéri. J'en ay fait l'épreuve , & bien des gens m'ont afllire l'avoir fait auiîi avec fuccès. Quelques-uns prétendent que pour diitinguer un de Lionne l Vfaffer. 145 nn Paracood empoifonné d'un autre qui ne Teft pas , il ne fauc qu'examiner le foye & le goûter j s'il eft doux , il n'y a rien à crain- dre 5 & s'il eft amer , c'eft une marque infaillible , difent-ils, que le poiflbn eft empoifonné. Il eft encore une autre forte de poiflbn fur la côte de la mer du Nord, que nos matelots appellent Gar . Il a deux pieds de long, &: on u car. lui voit fur le mufeau un grand os qui a la longueur de la troifiéme partie de fon corps. Ces poiflbns vont à fleur d'eau prefqu'auflï vite que des Hirondelles, bondiflantà tous momensj & comme l'os qu'il s ont au mufeau eft fi pointu & fi dur, qu'ils en percent quelquefois des Canots, il eft fort dangereux pour un homme qui nage, de fe trouver à leur rencontre. Son dos paroît bleuâtre , & fa chair eft trés-bon- ïie à manger. Il y a auffi des Soûl- souipin*. N id.6 Les Voyages pins qui ne font pas moins excel- lens. C'eft un poiflbn long d'un pied & environné de piquans. Outre les poiflbns que je viens de nommer, il y en a plufieurs au- tres dans la mer du Nord 5 com- me les Sting-rays> des Parrot-fish, des Knooks, des Anguilles , &c quelques autres encore que je n'ay jamais vus 5 car c'eft une mer très- abondante en poiflbn. Il y a tout le long des Sambaloës des poiflbns à coquille. On y voit des Conchs en quantité. La coquille de ce poiflbn eft fort grande , & torfe en dedans comme celle du Lima- çon. Elle a l'ouverture plate & proportionnée à fa grofleur. En dedans elle a la couleur de la Na- cre de Perle s mais en dehors elle eft raboteufe , &; le poiflbn eft fi limoneux , qu'il faut bien le ne- toyer avec du fable avant que de le faire rôtir. Lakrhair en eft fer- de Lionntl Waffer. 147 me Se dure, & c'eft pour cela qu'on le bat après qu'on Ta vuidé j mais elleeftdélicieufe. On trouve auflî parmi les rochers des Perinwin- cles tant qu'on en veut. C'eft un petit poiiïbn qui n'eft pas mau- vais 5 nous le tirions hors de fa co- quille avec un poinçon. LesLim- pits s'attachent aurfi aux rochers & font beaucoup meilleurs que tes Perinwincles. Il n'y a ni Huîtres , ni Ecre- *<**& viiTes dé mer fur la côte de l'Ifth- fc$* me. On voit feulement quelques Ecrevifles auflî grottes que celles de mer parmi les rochers de Sam* baioës > mais il leur manque les deux grandes griffes. Elles font en récompenfe auffi délicieufes que les EcrevilTes de mer font mauvaifes. Il y a auffi du poiflba dans les rivières de llfthme * je ne dirai pas de combien de fortes $ mais je içai qu'il y en a d'une efc Nij 148 Les Voyages pece femblable à nos Roches, noi- râtre & pleine d'arrêtés, longue d'un pied , fort douce , ferme Se de bon goût. J'ai vu auflî un au- tre poiflbn qui reffemble au Para- cood , mais beaucoup plus petit. Et un autre encore de la taille de nos Brochets, qui a la tête d'un Lapin , les dents enfoncées , & les lèvres pleines de cartilages. La chair de ces deux derniers poif- fons effc excellente. pcKhd. tention , c'eft l'addrefle des In- diens à la pefche. Ils ne pefchent pas toujours de la même manière, ils le font différemment luivant les endroits. Dans les embouchu- res des rivières, fur les côtes de la mer , 6c d^ns les bayes fablo- neufes où il n'y a point de ro- chers , ils fe fervent de filets fem- blables à nos tiraffes, faits d ecor- ce de Maho ou de foye d'herbe , de Lionnel Waffer. 14.9 qu'ils apportent dans leurs canots* mais dans les pais des montagnes, dans les courans rapides & dans I les bancs où il y a des rochers , ! ils vont le long des bancs en mon- tant la rivière 5 ils regardent attentivement dans l'eau pour voir le poiflbn i & quand ils en voyent quelqu'un à leur gré , ils fe jettent dans l'eau &. le pour- fuivent à la nage. Si le poiffon effrayé fe retire dans les trous des bancs , ce qu'il fait prefque tou- jours 5 ils y enfoncent leursmains, les cherchent & les prennent comme nous faifons nos Chabots ou Ecreviffes dans nos rivières. La nuit ils fe fervent de torches de bois léger, & avec cela ils font le même manège que le jour. Lors qu'ils veulent aprêter leur Be°* -rr -\ f\ • manière pojilon, ils en otent premièrement d'aprct« les boyaux , après quoi ils le font &n,poi^ bouillir dans un pot de terre , ou Nui Ifo Les Voyages bien ils le font griller fur des char- bons. Ils font leur fel de l'eau de la mer. Ils en mettent plufieurs pintes dans des pots de tere , les font bouillir & évaporer jufques à ce que le fel demeure au fond comme une croûte. Alors ils la prennent & s'en fervent quand ils en ont befoin. Le fel étant affez long à faire de cette forte, ils le ménagent , & en font fort avares» Us falent feulement le poiffbn qu'ils veulent garder > mais pour celuiNju'ils mangent frais , ils ne l'aflaifonnent qu'avec du poivre» dont en récompenfe ils font fi pro- digues* qu'ils en mettent toujours trop dans tout ce qu'ils mangent^ Je parlerai ailleurs de leur ma- nière de faire la cuifine. de Lionnel Waffer. 151 Des Mœurs & des Coutumes des Indiens Habitans de lîftbme. LE s Indiens Habitans de Plfthme ne font pas en fort grand nombre 5 le côté de la mer du Nord , ôc particulièrement les bords des rivières font plus peu- plez que tout le refte. Les' In- diens Sauvages de la cote du Sud habitent plus vers le Pérou > mais il y a des Indiens difperfez dans toutes les parties de Plfthme. La taille ordinaire des hom- i**»ïjl mes eft de cinq ou fix pieds. Ils mes ° & font droits, bien membrus & très- C£J^ bien faits. Ils ont les os fort gros, & la poitrine large. Je n'ai ja- mais vu parmi é^i^uQ perfonne bofTnë ou difforme, ils font fou- pies, vifs, & courent très-lege- N iiij ïji Les Voyages rement. Pour les femmes , elles font petites & épaifles ; les jeu- nes font grafTes, mais bien faites, car leur embonpoint ne défait point leur taille. Elles ont l'œil vif, & le regard afTez flateur. Les vieilles ont la gorge 6c le ventre pendans 6c ridez. Les hommes Se les femmes en gênerai ont le vi- fage rond 5 le nez court 6c écra- zé 5 les yeux gros 6c fort brillans , quoy qu'ils foient gris i le front élevé 5 les dents blanches 6c bien rangées, les lèvres fines j la bou- che pas trop fendue, & le men- ton bien proportionné. Les perfonnes de l'un 6c de l'au- tre fexe ont des cheveux noirs , très-forts, 6c fi longs , qu'ils leur defeendent ordinairement jufqu'- au milieu du dos. Les femmes fêles attachent avec un cordon fur la nuque du cou , 6c les hommes les UiiTent pendre de toute leur Ion* de Lionnel Waffer. 153' gueur . Les uns & les au très les de- méfient avec leurs doigts ou les paignent avec une forte de pai- gne qu'ils font de bois de Macaw, Ce paigne eft compofé de plu- fieurs petits bâtons longs de cinq ou fix pouces, & pointus des deux cotez comme les bâtons de nos Gantiers. Ils en lient di£ ou dou- ze enfemble par le milieu où ils font plus épais , & les extrémitez étant efcarrées, chaque côté leur fert de paigne. Ils font fort long- tems à le paigner , tant ils y pren- nent de plaifir 5 mais ils s'arra- chent la barbe, et tout autre poil, excepté celui des paupières êc des fonrcils. Ce font les femmes qui font cette opération : elles fe fer- vent pour cela de deux petits bâ- tons entre lefquels elles prennent les cheveux, & puis elles les arra- chent. Il y a des occafions où les hommes fe font aufîi couper les 154 Les Voyages cheveux 5 c'eft lors qu'ils ont faic quelque a&ion qui leur paroît mériter une gloire immortelle : comme quand ils ont tué un Efpa- gnol ou quelque autre ennemi. Ils ne fe contentent pas même quelquefois de fe faire couper les cheveux. Leur vanité n'eft pas fatisfaite d'une fi belle marque d'honneur, ils fe peignent tout le corps de noir -x de manière qu'un homme ainfi barbouillé & fans cheveux eft, regardé parmi eux comme un Héros. Ils ne demeu- rent pourtant point en cet état toute leur vie 5 car ils ne fe bar- bouillent que depuis le jour qif ils ont fait quelque bel exploit juf- qu'à la première lune. Après cela ces grands hommes effacent eux- mêmes les glorieufes marques de leur vi&oire & laifTent croître leurs cheveux. Leur teint naturel eft de la cou- de Lionnel Waffer. 155 leur du cuivre ou d'une orange tannée, & leurs (ourcils noirs com- me du jayet. Ils ne les teignent point non plus que leurs cheveux^ ils les frottent feulement avec de l'huile pour lesrendre plus luifans> de même que les autres Indiens s'en oignent le corps pour ren- dre leur peau plus douce & plus unie , & pour l'empêcher de fécher. Il y a dans Tlfthmeun peuple d'une efpece très-finguliere. Ce que j'en vais dire paroîtra fans doute fort étrange > mais tous les Armateurs qui ont été dans ce païs peuvent le certifier. Ce font des Indiens blancs. Leur nom- \n^eju bre eft petit en comparaifon de blanc$* celui des Indiens couleur de cui- vre. Leur peau n'eft pas d'un fi beau blanc que celle des An- elois , c'eft plutôt un blanc de lait i Se ce qu'il y a de plus re- 156 Les Voyages marquable, c'eft que leur corps eft couvert d'un duvet de la mê- me blancheur ; mais ce duvet efl fi fin , qu'on voit la peau au tra- vers. Les hommes auroient la bar- be blanche , s'ils la laiffbient croî- tre 5 mais ils fe l'arrachent. Pour le duvet , ils n'efTayent point de fe l'ôter. Us ont les fourcils & les cheveux auffi blancs que la peau , Se leurs cheveux longs d'environ fix à huit pouces , paroiffent fri- zez. Ils ne font pas fi gros que les autres Indiens. Et ce qui eft en- core fort extraordinaire, c'eft que leurs fourcils fe courbent en arc & forment un croifïant qui a la poin- te en bas. Je ne fçai fi c'eft à caufe de cela qu'ils voyent fi clair pen- dant la nuit quand il y a de la lune y mais il eft confiant qu'ils ont alors la veuë fi bonne, qu'ils diftin- guent un objet de fort loin. Auffi Jes gens du païs les appellent-ils , de Lionnel Waffer. 1 57 Teux de lune. Ils ne voyent pas fi bien durant le jour. Leurs yeux font trop foibies pour pouvoir foûtenir la lumière , 6c l'eau qui en coule lors que le foleil paroît, les oblige à demeurer enfermez dans leurs maifons, d'où, ils ne for- cent pas, à moins que le jour ne devienne fombre. Ils ne font pas fi forts , ni fi robuftes que les au- tres, auffi ne s'addonent-ils point à la'chaffe ni à aucun autre exer- cice violent ôc pénible 5 mais quoy qu'ils foient pefans & parefleux pendant le jour, dès que la nuit aproche , ils le montrent légers & difpos 6c vont courir dans les bois où ils fautent comme des Dains fauvages. Ils paroiflent mon- ftrueux aux Indiens couleur de cuivre, qui ne font pas tant d'état d'eux que de ceux qui ont leur teint 5 mais ils leur rendent le change , car chacun n'eftime qus 158 Les Voyages fonefpece. Ils ne laiffbnt pas tou- tefois les uns & les autres d'a- voir commerce eniemble, &; quel- quefois un de cqs Indiens blancs fera fils d'un père ou d'une mère couleur de cuivre. J'ay vu un en- fant de cette forte. On pourra peut-être foupçonner que c'étoit la production de quelque Euro- pean 5 mais outre qu'on voit peu d'Europeans en cet endroit & qu'ils fréquentent peu les femmes îors qu'ils y font , la blancheur de ce peuple eft auffi différente de la leur que du teint deslndienscou- leur de cuivre. J'ajouterai encore que lors qu'un European a connu une Indienne blanche , l'enfant qui en vient efl: toujours d'un brun tanné 5 ce que fçavent bien tous ceux qui ont e'té dans les In- des Occidentales. Les Indiens couleur de cuivre 8c les autres fe peignent le corps Se de Lionne! Waffer. 159 feignent même auffi quelquefois eurs enfans dès qu'ils font nez > ils deffinent fur toutes les parties & principalement fur le vifage , des figures d'oifeaux , d'hommes, d'arbres , ou de tout ce qui leur vient dans la fantaifie. Mais ces figures ne font ni bien deffinées ni fort reflemblantes aux chofes qu'elles reprefentent. Ce font les femmes qui font c^s ouvrages , de l'on peut dire que fi elles ne pei- gnent pas avec beaucoup d'habi- leté, ce n'eft pas leur faute 5 car elles prennent un plaifir extrême à peindre & s'en acquirent le mieux qu'elles peuvent. Les cou- leurs dont elles fe fervent le plus fouvent font du rouge, du j aune &; du bleu. Elles les délayent avec une forte d'huile qu'elles gardent dans des calebaffes exprès pour cet ufage, & les mettent fur la peau avec des pinceaux qui font ï6o Les Voyages faits comme ceux de nos barboiïl- leurs de plancher. Cette peinture ne s'efface point durant quelques femaines, Se on la rafraîchit dès qu'elle commence à fe ternir. Ce fut de cette manière que je fus peint quand Raccompagnai La- centa dans cette chatte dont j'ai parlé. Mais les plus belles figures qui font faites par leurs plus habiles Peintres , fe peignent autrement. Ils font d'abord fur la peau une ébauche de la figure qu'ils ont envie de faire avec le pinceau ôc la couleur, après quoi ils piquent tout autour avec une pointe d'é- pine > jufqu'à ce que le fang en coule. Ils frottent enfuite l'en- droit avec les mains qu'ils ont trempées dans la couleur qu'ils veulent employer. Cette peinture eft ineffaçable 5 mais peu de gens fe font peindre de cette forte. Un jour - 'ie Uonnel Waffer. 161 jour un de mes compagnons qui avoir été pein* ainfi par les Nè- gres, me pria de lui ôter une fi- gure qu'il avoit à la joue , j'eus beau lui emporter toute la peau qui la couvroit, je n'en pus ve- nir à bout. Lors que les hommes vont à la guerre ils fe peignent le vifage entièrement de rouge , les épau- les & Feftomach de noir, & le refte du corps de jaune ou de quelqu'autre couleur. Ils fe la- vent le foir dans la rivière avant que de s'aller coucher. Ils ne portent point d'habits ordinaire- ment 5 les femmes feulement ont à la ceinture un morceau de toile ou une pièce de drap attachée der- rière avec du fil qui tombe juf- qu'aux genoux, & quelquefois à la chevill^du pied. Elles font de cotton cette manière de Juppé* jnais elles aimeront mieux quel- o 164- f*es' Voyager que vieux morceau de drap con- tre lequel elles troqueront quel- qu'antre chofe avec les Indiens leurs voifins qui font fous la do- mination des Efpagnols. Celles ?[ui fontaffez heureufespour avoir ait un pareil troc, en font fi fieres, que ce n'eft pas fans raifon que M. Dampiera rapporté comment nous gagnâmes un Indien farou- che & de très-mauvaifè humeur» en faifant prefent à fa femme d'une juppe de drap couleur de bleucelefte. Effectivement on ne peut faire plus de plaïfir à ces In- diennes que de leur donner quel, que morceau de dr^p. Les hommes vont ordinaire- ment tout nuds > ils ont feulement un petit vaifleau d'or ou d'ar- gent > ou du moins une feuille de Platane faite en forme d'enton- noir qui leur couvre les parties honteufes. Cette efpece d'enton- de Lionne l Waffer. 1 6 5 noir eft attaché à un cordon qu'ils fe lient autour du corps 5 mais ils laiflent tout le derrière décou- vert : à cela près ils font très- modeftes, &: ils ont une atten- tion toute particulière à fe cacher les uns aux autres ce que la bien- féance ne permet pas de montrer» Quoique cqs Indiens aillent d'or- dinaire tout nuds , comme je f ai dit , ils ne laiflent pas d'eftimer les habits 5 & fi quelqu'un a une vieille chemife qui lui ait été donnée par un European , il la; portera & paroîtra plus fier que de coutume. Us ont même de longs habillemens faits de cot- ton, les uns blancs, & les au- tres d'un noir enfoncé. Rien ne reflemble mieux aux frocs que portent noschartiers, Ces habits tombent fur leurs talons, Il y a une large frange tout autour Se une petite aux manches qui fout i^4 Z*s Voyages fi courtes, quelles ne vont qu'a la moitié du bras 5 mais elles font larges & ouvertes. Ils ne mettent néanmoins ces habillemens que dans les grandes occafions, com- me quand ils accompagnent leur Chef, foit à une Fête , foit à des noces, ou bien quand ils affilient à quelque Confeil. Ils ne les met- tent point chez eux , mais ils les font porter par leurs femmes dans àes corbeilles jufqu'à l'endroit de leur Aflemblée ou ils s'habillent & fe parent le mieux qu'il leur efl poffible pour paroître propres & magnifiques. Dès qu'ils font ainli tous aflemblez , ils fè promènent gravement autour d'une planta- tion. J'ai vu une fois Lacentafe promener de la forte à la tête de deux ou trois cens Indiens , & je remarquai qu'ils avoient des lan- ces de la couleur de leur robe.. Pour leur vifage , outre qu'ils de Lionne! Waffer. 165 fe le peignent de rouge lors qu'ils vont à la guerre, les hommes por- tent en tout tems une plaque d'or ou d'argent fur leurs bouches. Ces plaques font d'une figure ovale =, & defcendent fi bas, qu'elles cou- vrent la lèvre de deflbus. Elles font échancrées au - deffus , de manière qu'elles forment un croif- fant dont les pointes vont abou- tir au nez. Elles font pofées fur la bouche de forte qu'elles bran- lent toujours. Elles ont au milieu l'épaifTeur d'un Louis d'or 5 mais elles font plus minces aux extre- mitez. Ces plaques leur fervent les jours de Fêtes ou de Confeil -y mais celles qu'ils portent à la cam- pagne ou à la chafle font plus pe- tites j elles ne couvrent point leurs lèvres. Au-lieu de cette plaque, les femmes portent un anneau qui leur pend de la même façon , & \6% Les Voyages dont le métal & la grandeur font fuivant le rang que leurs maris tiennent j mais les plus grands de ces anneaux ne font pas plus lar- ges ni plus épais qu'une plume a oye. Us ne font point ovales comme les plaques des hommes > ils font ronds 3 & elles fe les at- tachent fur le nez > qui ne pou- vant en foûtenir le poids > s'ab- baifTe infenfiblement : ce qui eft caufe que la plupart des femmes & fur tout des vieilles , ont un jiez qui leur defcend fur la bou- che. Les hommes & les femmes 7 quand ils vont à quelque feftin y portent leurs plaques & leurs an- neaux , & les ôtent jufqu à ce qu'ils ayent mangé. Ils les re- mettent auffi- tôt & s'entretien- nent les uns avec les autres > car ces machines ne les empê- chent pas de parler, quoiquel- de LionnelWaffer. ié? hs branlent fur leurs lèvres. J'ay encore obfèrvé une chofe , c'eft qu'ils fe fervent toujours de Ix main droite , & que je n'ai ja- mais vu de gauchers parmi eux.. Leur Chef & les plus confîde- râbles du païs portent à chaque oreille » les jours de cérémonie > un anneau attaché, & deux gran- des plaques d'or, l'une fur l'efto- mac , & Pautre au dos. Ces pla- ques ont un pied & demi de long & la figure d'un cœur. Elles font percées par le haut , & ils paffent par le trou des fils Qu'ils attachent aux anneaux qui font aux oreil- les, J?ai vu un jour de Confeiî Lacenta porter autour de fa tête un Diadème fait d'une plaque d'or femblable à une bande large de huit ou neuf pouces , dente- lée par le haut comme une fcie* & d'un côté doublé de rezeaux: de petites cannes. Tous ceux qui i6S Les Voyages l'accompagnoient portoient fur leurs têtes de pareilles bandes 5 mais elles reflembloient à une corbeille de cannes, elles étoient auffi dentelées , bien travail- lées , peintes de rouge , & ornées tout autour de longues plumes de diverfes couleurs 3 mais elles n'étoient pas couvertes d'une pla- que d'or comme le Diadème de Lacenta, qui n'avoit pas de plu- mes. Outre ces ornemens particu- liers, il y en a de généraux qui font communs aux hommes , aux femmes & aux enfans audeffus de fept ans. Ce font des cordons > ou chaînes de dents, des coquil- les & des chapelets qu'ils atta- chent à leur cou & qui leur det cendent fur la poitrine. Les chaî- nes di1 dents font très - bien fai- tes9 & les dents en font fi bien ran- gées y qu'elles paroifTerit une fo- Iide de Lionncl Wa-ffer. 169 lide mafte d'os. Je ne fçai pour- quov on les appelle dents de ti- gres , car je n'ai point vu de ces animaux dans l'ifthme. Cepen- dant quelques-uns de nos hommes qui l'avoient croiie, m'afllirerent qu'ils y en avoient tué un. J'ai oui dire auffi qu'il y en a d'une petite efpece dans la Baye de Campeche. Il n'y a que les plus confidera- bles des Indiens qui portent de ces chaînes, le refte du peuple fe contente de porter des cordons , des chapelets ou des coquilles > mais ils en auront quelquefois trois ou quatre cens autour Hil cou. Ils fêles mettent ordinaire- ment fans ordre les uns fur les au- tres, Se les femmes en gênerai ont les leurs pendus tous en un mon- ceau. Lors qu'ils font dans leurs maifons, ou qu'ils vont à la chaf- feou à la guerre, ils ne portent point de chaînes ni de cordons 5 P 170 Les Voyages ce 11 eft feulement xjue quand ils veulent paroître maninques dans une Fête ou dans un jour de Confeil. Les femmes alors por- tent leurs babioles avec leurs ha- bits au lieu de l'afTemblée dans des paniers fur leurs épaules. Pour les enfans, ils n'ont que deux cor- dons ou chapelets 5 mais les fem- mes , outre qu'elles en font char- gées, ont quelquefois autour de leurs bras des bracelets de la mê- me matière, & ce n'en: pas une chofe défagreable à voir : lors qu'elles fortent de leurs maifons avec tous leurs ajuftëmens. Leurs maifons pour ta plufpart font écartées les unes des autres , particulièrement dans les nou- velles plantations , & font tou- jours fur le côté d'une rivière. Il y en a pourtant dans quelques en- droits plufieurs enfemble, Se allez pour former de petites Villes , fi de LicnnelWctfer. 171 elles n etoient pas innées con- iufément , mais elles font difper- fécs dans la campagne fans être Séparées par des rnës. Ils ont des plantations fort voifines, & refer- vent toujours une place pour bâtir un magazin commun. Ils ne changent jamais de maifons , à moins qu'ils n'apprennent que les Efpagnols co nnoiflent trop cel- les qu'ils habitent 5 ou qu'il foie befoin de reparer leurs commu- nes quand la terre eft ufée , car ils ne la travaillent jamais. Lors qu'ils bâtiflent, ils ne jettent point de fondemens. Ils font feulement dans la terre des trous de deux ou trois pieds de diftance dans les- quels ils enfoncent des pieux de fept à huit pieds de haut. Les mu- railles font compofëes de bâtons enduits de terre , &: les toits de ces bâtimens font faits de pe- tits chevrons bien rangez & qui a foin de le con- Piij 3 74 ^es v°yages ferver toujours propre , paree- qu'il leur ferc pour tenir leurs con- ieils ou leurs autres A Semblées générales. Ils fement ou plantent autour de leurs maîlons beaucoup de pla- tanes ou de maiz. La première chofe qu'ils font quand ils vont setablir dans un endroit , c?eft de défricher groffierement une pièce de terre & d'abatre des arbres, qu'ils laifleront fonvent couchez fur la place pendant deux ou trois ans. après quoi ils les brûlent. Ils attendent que les racines foient pourries fous la terre pour en ti- rer les fouches , n'ayant pas Pa- drefle de les déraciner. Lors que la terre eft défrichée , ils y foni des trous avec leurs doigts & met- tent dedans deux ou trois grains de maiz , comme nous faifons les fèves dans nos jardins. Ils fement dans le mois d'Avril pour recueil- de LionnelWaffer. 175 lir dans le mois de Septembre. En Octobre ils arrachent les épies de maiz avec leurs mains. Ils font fècher ce bled , & le reduifent en poudre. Us n'en font pas de pain ni de gâteaux , mais ils em- plovent cette farine à plufieurs ufagesj &; entr'autres, ils la mê- lent avec de l'eau dans une cale- bafle & avalent cette boifïbn qui ne doit pas être excellente. Aufli n'en boivent-ils guère lors qu'ils voyagent & qu'ils n'ont pas d'au- tres provisions. Ils appellent cet- te mixtion Chicka, qui ne ligni- fie rien autre chofeque maiz. Us font encore une autre boif- fon de ce bled qu'ils nomment Chicka co-pah. Co-pah en leur langage, veut dire, boire. Ils jet- tent environ vingt ou trente boif- feaux de maiz moulu dans une au- ge où il y a de l'eau. Ils y laif- ient tremper le bled jufqu a ce P iiij i j6 Les Voyages qu'il foit bien imbibé & qu'il com- mence à devenir aigre. Alors ils ôtent l'eau jufqu'à la lie & la ver- fent dans des vaiffeaux. Ce breu- vage a le goût de la petite bierre aigre. C'eft la meilleure boiffon des Indiens, qui la trouvent déli- cieufe en comparaifon du Miflaw ou de l'eau pure qu'ils boivent or- dinairement. Le Miflaw eft une boiflbn fai- te de platanes meurs. Il y en a de deux fortes. L'une faite de platanes fraîchement cueillis, 6c l'autre de fecs. On fait rôtir les premiers dans leurs gouttes qu'on ratifTe & qu'on pelé. Ils écrafent enfuite le fruit avec leurs mains en le mettant dans une gourde y & lors qu'ils font bien mêlé avec de l'eau > ils boivent cette liqueur. L'autre eft faite de gâ- teaux de platanes fecs : je dis de gâteaux > car les platanes quand 'de Lionnel Wajfer. 177 ils font meurs & frais cueillis ne fe peuvent garder, 6c le corrom- pent fi on les laiiïe dans leurs goui- fes. C'eft pourquoi ils font fecher à petit feu une malle de platanes meurs fur une machine de bois faite comme nos grils , 6c ils en font des gâteaux qu'ils gardent pour s'en fervir dans le befoin. Ils en rompent un morceau , le mâchent 6c en font du Miflaw en le mêlant avec de Peau. Ib portent de ces gâteaux avec eux lors qu'ils voyagent principale- ment dans des endroits oii ils n'efperent point trouver des Pla- tanes meurs à cueillir, 6c ils en mangent au-lieu de pain avec de la viande , après les avoir fait bouillir auparavant. Ils mangent auflî quelquefois de cette lorte leurs yams 6c leurs potates, mais ils les font rôtir le plus fonvent de même que la racine de CaHa- iy8 Les Voyages va. Il y a toujours bonne provi- fion de ces chofes dans les Plan- tations &; fur tout dans les vieil- les. Je n'y ay jamais vu d'her- bes. Ils n'en mangent d'aucune forte 5 mais ils prodiguent le poi- vre dans tous leurs ragoûts 5 ils en font toujours bien fournis auffi- bien que de Pommes de pin. Ce font les hommes qui net- toyent les Plantations & les met- tent en ordre , & qui abatent les arbres 5 voila toute leur oc- cupation. Les femmes ont plus de peine. Elles bêchent la terre, plantent le maiz > le netoyent > préparent les yams , & font char- gées de tout Tembaras du ména- ge. Elle font la eu i fine, la.lef- iive & tous les ouvrages les plus ferviles. Elles portent les uftan- ciîes & les vivres de la famille dans les voyages , & lors qu'on eft arrivé dans l'endroit où l'on de Zionnel Waffer. 179 doit loger , elles aprêcent le Cou- per , pendant que le mari atta- ■ che les Hamocks , car chacun couche danslefien. Mais quoy- que les femmes faiTent les plus vi- les fondions du logis , elles n'en font pas pour cela méprifées de leurs maris, qui bien loin de les traiter comme des efclaves , les aiment 6c les confiderent fort. Je n'ai jamais vu a-ucun Indien batre fa femme ny même lui dire aucune parole dure , quoyqu'ils foient querelleurs quand ils font yvres. Leurs femmes de leur cô- té les fervent de fi bon cœur, qu'il femble que ce foit plutôt par in- clination que par neceffité. Elles font en gênerai d'un très-bon na- turel. Elles ont de l'honnêteté les unes pour les autres , & font toujours prêtes à rendre fervi- ce à tout le monde > & partiçu- ment aux étrangers. 1S0 Les Voyages Lors qu'une femme eft accou- chée , une de ks amies ou de fes voifines la prend auffi-tôt furfon dos 6c l'enfant entre fes bras , & va les laver tous deux dans la ri- vière. L'enfant durant le pre- mier mois eft enveloppé dans une écorce d'arbre de Macaw fen- du, qui lui fert de lange. Quand il faut le nettoyer, la mère ôte l'écorce 6c le lave avec de l'eau froide. Après cela elle l'emmail- lote de nouveau , lui donne à té- ter, de le couche dans un petit hammock fait exprès. On apprend aux garçons fur toutes chofes à tirer de l'arc 6c à jetter la lance>6c ils font fi adroits dans c^s deux exercices , que cela n'eft pas concevable. J'ai vu un garçon de huit ans planter une .canne dans la terre, s'en éloigner de vingt pas, 6c la fendre d'un coup de Réchc Dès qu'ils onc de Lonnel Waffet. i S r dix ou douze ans & qu'ils font aflez forts pour porter leurs pro- vi fions , ils accompagnent leurs pères à la chaflfe &c vont voya- ger avec eux, mais les filles de- meurent aux logis avec les vieil- les femmes. Les pères &; mères font idolâ- tres de leurs enfans. Ils leur font rarement feveres. Au- contraire ils leur laiffent la liberté de faire tout ce qu'ils veulent. Le diver- tiiïement le plus ordinaire des petits garçons & des petites filles, eft de nager dans les rivières & de prendre du poiflon. Ils vont tout nuds les uns 6c les autres juiqifà lJâge de treize ou quator- ze ans. Alors les filles mettent leur morceau de toille & les gar- çons leur entonnoir. Les filles font élevées dans les emplois domeftiques. Elles ai- dent à leurs mères à apprêter les ïSi Les Voyages viandes > travaillent avec elles, ti- rent des cordons d'écorce de Ma- ho , abbatent de la foye que l'on fait d'herbe , épluchent le cotton & le filent pour leurs mères qui en font de la toile. Les femmes lors qu'elles veulent treffer , font un rouleau de bois de trois pieds de long qui tourne entre deux poteaux. Autour du rouleau font les cordons de cotton de la gran- deur de la toile qu'elles ont en- vié de faire > car elles ne tref- fent jamais dans le deflein de la couper. Elles tordent le cotton filé autour d'une petite pièce de bois de Macaw qui eft entaillé de chaque côté j & prenant d'une main tous les autres fils de la trame* elles travaillent de l'au- tre 5 & afin que les fils foient fer- rez elles frappent le métier à cha- que tour avec une longue pièce de bois mince 6c faite eq rouleau de Lionnel Waffer. 1 83 qui croife entre les fflets de la trame. Les filles treiTent aufli le fil de cotton pour faire des fran- ges , préparent les cannes ou les rofeaux pour faire des paniers , mais elles en demeurent là. Ce font les hommes qui font les pan- niers. Ils teignent premièrement les matières en diverfes couleurs , les mêlent & les trefïent fort pro- prement. Ils en font des couppes fi bien travaillées Se fi fermes qu'- elles peuvent tenir toutes fortes de liqueurs , fans qu'elles foieiit en- duites de laque ni de vernis. Ils boivent dans ces couppes comme dans leurs calebaffes. Enfin ils font des panniers de toute forte de grandeur , fi forts & fi fermes , qu'on ne fçauroit les écrafer. Dès que les filles font nubi- les leurs parens les tiennent en- fermées éc perionne ne les voit en face. Elles ont une pièce de (84 L:s V:\_?+:s >n en forme cU voiieiur leur filage , qu'elles mètrent me devant leurs pères. Elles foiit il iimples & G innocentes, qu'elles .lient affez vivement avec les hommes (ans penier a aucun mil. Les Indiens o ieuri fem- mes. Lacenta en avqit fept ; «S: . alloit a la guerre ou qu'il igeoic , il prenoh G bien ies mefuress qu'il trouvai: une de les aie dans tons les endroits ou il devoir coucher. Mais G ta permife sn cç païs-là , altère y eft puni. On fait mou- rir les deux coupables. Néan- moins h la femme conteiîe le fait i mari 3 & qu'elle jure qu'elle a eite forcée, on lui pardonne 5 mais G elle nie fan crime , & qu'on rouve 5 on la brûle coûte vive. Ils on: encore d'autres loix ieve- res. Un voleur , par exemple, eft condamne ians miiericorde j & G un de Lionne! Waffi iî^ km homme débauche une fille , ils Jlui enfoncent dans le trou de la verge un petit bâton plein d'épi- nes qu'ils tournent 6c retournent : ou douze fois. Ce n'eft pas feulement un tourment horrible, h péri m meurt ordi- nairement. On lui lahTe toute- fois la liberté de fe guérir s'il lui ; poiîîble. Comme le fupplice ef: ires -cruel, ils ne le font pas iouffrir à un homme que fon cri- me ne foit bien avéré. Quand ils fe marient ils obfer- vent une coutume aûez extraor- dinaire. Le père , ou à fon défai: : le plus proche parent de la mariée la tient enfermée dans ion apar- temenr r.îeres nuits, foit pour lui marquer le re- ; rei qu'il a de la quitter, foit pour b d . ^.utre raiion qu e çai pas* Apre: ; teqas-là on la livre à ion mari. Lors qu'un père mari. CL ïSé Zes Voyages fille y il invice tous les Indiens de vingt mille à la ronde à une gran- de Fête qu'il leur prépare, Les hommes qui viennent aux noces apportent des haches pour tra- vailler, & les femmes chacune environ un demi boifleau de maiz > les garçons apportent des fruits & des racines, & les filles du gibier Se des œufs > car perfonne n'ofe- roit venir fans apporter quelque chofe. Ils mettent tous leurs pre- fens à la porte de la maifon nup- tiale & s'en écartent jufqu'à ce que tous les conviez foient arri- vez. Alors les hommesentrenttes premiers dans la maifon. Le Ma* rié leur prefente à chacun une ca- iebaffe d'une boiflbn force & les conduit l'un après l'autre dans une grande fale fur le derrière, Les femmes viennent immédiate- ment après j elles reçoivent auflî une calebaffe de liqueur, &. vont de LionnelWaffer. 1S7 fe placer parmi les hommes. Les garçons fe prefentent enfuite à la porte s on les fait boire comme les autres, & après que les filles ont été reçues de la même maniè- re , 6c que tout le monde eft dans la fale , on y voit entrer les jeu- nes mariez conduits par leurs pè- res. Celui du garçon fait un allez long difcours à la compagnie , £c dés qu'il a cefTé de parler , il com- mence à danfer en faisant mille contorfions, & cela dure jufqu'à ce qu'il foit tout en fueur & hors d'haleine. Alors il fe met à ge- noux de prefente fon fils à la Ma- riée de qui le père eft auflt à ge- noux tenant la fille par la main.. Celui-ci fe levé & danfe comme l'autre jufqu'à ce qu'il foit hors de lui , & cette danfe achevée, les nouveaux mariez fe prennent par la main , & puis l'Epoux rend la. Mariée à fon père. Aufîî-tôt tous ■i88 Zes Voyages les hommes avec leurs haches cou- rent en fautant dans un petit boi* qui a été marqué pour la planta- tion des jeunes Epoux , 6c com- mencent à travailler. Ils abba- tent Jes arbres &c défrichent la terre le plus promtement qu'il leur eft. poffibls. Ils continuent pendant iept jours à travailler avec une vigueur extrême, 6c dans la terre qu'ils défrichent les fem- mes 6c tes enfans plantent du maia ou d'autres chofes convenables à la faifon. Ils batiflent auffi une maifonpour fervirde demeure aux Mariez y qui n'y font pas plutôt établis , que toute la compagnie pourfe divertir (e met à faire du Chika-copah. Ils en font beau- coup , 6c ils en boivent fans mo- dération y mais avant qu'ils foient échauffez, le Marié prend fort ju- dicieufement leurs haches Secou- res leurs autres armes offenfives* de LionnelW ajfer. i%f ôc les pend au plus haut chevron de la maifan 5 car ils font , ainfi que je l'ay déjà dit, fort querel- leurs quand ils font yvres. Ils boi- vent tant qu'ils ont de quoi boire7 & ils en ont ordinairement pour trois ou quatre jours. Après cela ils s'en retournent dans leurs mai» fcns. Ils fe régalent auflî dans d'au- tres occafions , comme iorfqu'ita ont tenu quelque grand confeil j quelquefois même ils s'affemble- ront exprès pour fe réjouir. Us parlent peu durant le repas. I1j boivent fouvent les uns aux autres êc fe préfentent la couppe aprè3 qu'ils ont bit. Mais il eft à remar- quer qu'ils ne boivent jamais à leurs femmes qui fe tiennent tou- jours debout éc les fervent peu- dant qu'ils mangent. Elles pren- nent la couppe des mains de ce- lui qui vient de boire pour larin- 15)0 Les Voyages cer Se la donner aufîi-tôt à celui à qui an a bû. Les femmes donc fervent leurs maris dans toutes les Fêtes & dans leurs maifons , & mangent enfuite en particulier,, ou bien avec les autres femmes. Les hommes, lors qu'ils font au logis ,. ne font pas fort labo- rieux ; néanmoins pour éviter l'oi- fiveté, ils s'occuperont à faire des couppes* des panniers, des flè- ches ou des lances. Ils font auiïi quelquefois une efpece de flûte de bambos creux > dont ils jouent d'ordinaire s mais le fon de ces flûtes n'eft pas fort agréable, ôc quand ils font plufieurs enfem- ble qui en jouent , cela fait un fort mauvais concert. Cependant comme ils aiment fort le bruit, & que ces inftrumens en font beau, coup, ils y trouvent leur compte. ils daniènt auffi aflez fouvent au ion de ces flûtes, Vous les voyez is Lionnel Wajfer. î *)i trente ou quarante qui danfent en rond 3 étendant les mains & les mettant fur leurs épaules , & fc tournant de tous cotez avec une furieufe agitation, Lors qu'ils ont danfé quelque temps en rond , un des danfeurs fe détachera des au- tres pour faire des fauts périlleux & des tours d'adrefle avec autant d'a&ivité que nos danfeurs de cor- de , mais avec moins d'art. D'a- bord qu'il fera fatigué d'avoir danfé, deux ou trois autres dan- feurs quitteront atifli le rond ce fe jetteront dans la rivière pour s'y baigner. Cependant la danfe en rond 3 pour peu que l'aflemblée foit nombreuie , durera tout un jour.. Le plus grand divertifTemerit 3 eft la chafle. Ils aiment tant à tirer , que les hommes ôc les gar- çons ne içauroient voir voler au- cun oifeau, qu'ils n'y tirent x ce ifz Les Voyage? qu'ils font avec tant d'adreiTe T 1 qu'ils nen manquent prefqus point.. J'ay oublié de dire que les fem- mes danfent £c. fe divertiffent en particulier , car elles ne danfent point avec les hommes 5 mais elles ne fe réjouiffent qu'après avoir couché leurs maris r dont elles prennent un très - grand foin quand ils ont bu. Si- tôt qu'une femme s'apperçoit que ion mari eft dans un état à ne pouvoir fe foûtenir , elle le porte dans fon hammock à l'aide de deux ou trois autres femmes. Elles jettent de l'eau fur fon corps pour le rafraî- chir, &; ne le quittent point qu'il ne foit bien endormi. Alors. elles vont fe réjouir enfemble , &: boi- re jufqu'à ce qu'elles foient yvres^ Les hommes ne s'écartent ja- mais de leurs maiions fans être, armez de leur arc , d'une lance , ou de Lionne l Waffer. 15)5 ou d'une hache. Ils vont chai- fer toutes les fois qu'ils veulent renouveller leur provifion de chair. Ils ont fou vent des chafTes folemnelles où ils vont en grand inombre, &; ils tiennent rarement confeil fans faire une partie de chafTe dont ils fixent le jour. Ces parties durent deux , trois , huit, vingt jours, fuivant la quantité de gibier qui fe rencontre. Les fem- mes en font prefque toujours , 6c lorsque j'alloisa la chafle ils me donnoient une femme pour me fervir 8c porter mon pannier de provifions. Les femmes portent dans leurs panniers des platanes , Bonanos , yams , potates , & des racines de cafïara bien rôties 5 mais dans les bois parmi les plantations ruinées, elies-trouvent fouvent des plata- nes verds qu'elles apprêtent fur le champ avec les racines. Elles por- R 1^4 c qu'ils les voyent prêts à tirer fur la bête. Alors ils fe reti- rent tous pour éviter les flèches. Auffi-tôt qu'un Indien a déban- dé fon arbalefte 6c blefle un Pe- cary , il court à lui pour l'ache- ver à coups de lances. Dès qu'il l'a tué il l'éventre, jette fes en- trailles , lui coupe le nombril, lui croife les jambes entre lefquel- Rij iS)6 Les Voyages les il pafle un bâton qu'il met fur les épaules , & le porte ainfi au rendez - vous où il a or- donné à fa femme de fe trou- ver. Quand ils ont pris une bê- te ou un oifeau tout vif , ils le percent à coups de flèches, ou avec la pointe de leurs lances pour en tirer tout le fang , après quoi ils le mettent en quartiers. Pre- mièrement ils lui coupent la tête. Si c'eft un Pecary, ils l'échaudent avec de l'eau bouillante $ &; fi c'eft un warrée ils l'écorchent. S'ils ont envie d'en conferver la chair, ils font un gril de bâtons croifez l'un fur l'autre, ils mettent la vian- de defïus , & deflbus il y a un fort petit feu qu'ils entretiennent pen- dant trois ou quatre jours , & qui deflfeche infenfiblement la chair & la rend comme notre bœuf fu- mé. Cette venaifon fe garde long- tems y & quand il n'y en a plus , de LionnelWaffer. 15)7 ils retournent à la challe. Ils coupent des tranches de cette viande feche, qu'ils mettent dans un petit pot de terre avec des racines de platanes verds , des bananos , ou d'autres chofes fem« blables & quantité de poivre. Ils font cuire le tout enfemble à pe- tit feu fans jamais le faire bouil- lir, le pot demeurant couvert pen- dant fept ou huit heures fur la cendre chaude. Ils ne mangent de la viande qu'une fois le jour, c'eft-à-dire , à midi 5 mais pour des bonanos & des platanes, ils en mangent à toutes les heures de la journée. Ils font cuire cette chair dans une calebaffe qu'ils po- fent fur un gros billot de bois qui leur fert de table, & ils s'afleyenc tout autour fur de petits billots , comme fur des felles. Mais le jour d'un confeil ou d'une grande Fête, quand il y a beaucoup de monde , Riij 15? 8 Les Voyages ils font un gril de douze &; quel- quefois de vingt pieds de long 6c large à proportion 5 ils e'tendent demis de grandes feuilles de pla- tanes pour fervir de nappe, 6c cha- cun a près de lui par terre à fa main droite une calebafle pleine d'eau. Ils avancent le pouce 6c l'index de la main droite , les portent au plat , de à chaque mor- ceau qu'ils mangent , ils trempent ces deux doigts dans la calebafle d'eau , foit par propreté, foit pour une autre raifon. Ils ne mangent pas de pain avec leur viande 5 mais quand ils ont une mafle de fel, ce que leur parefle rend aflez rare , ils en frottent leur langue de tems en tems pour donner plus de goût à leurs morceaux. Le foleil fert de guide aux In- diens lors qu'ils voyagent. Il les conduit vers l'endroit où ils veu- lent aller. Mais fi par hazard ils de Lionne! Waffer. 199 perdent leur route ôc ie trouvent deforientez , ils ont recours aux arbres , ils en obfervent l'écorce , 6c du côté qu'elle eft plus épaifTe, c'eft leMidi. Ils vont ordinaire- ment par les bois , les marécages 6c les rivières , 6c rarement par des chemins battus. Les hommes, les femmes £c les enfans traver- fent les rivières à la nage , fans avoir befoin d'abbattre les arbres pour les pafTer 5 mais ils fe fervent de canots ou de radeaux pour les defcendre. Lors que quelqu'un leur de- mande le chemin , ce qui nous ell arrivé plufienrs fois en paflant 6c repaflant llfthme, leur manière de l'enfeigner eftaiïez extraordi- naire. Dès que vous leur avez dit l'endroit où vous fouhaitez d'al- ler, ils vous tournent de ce côté- là ; 6c pour fçavoir quand vous y arriverez , ils marquent à quelque R iiij 20O Les Voyages partie de l'arc que le foleil décrit dans leur Hemifphere , félon qu'il eft haut ou bas , foit à l'Orient , foit à l'Occident du Méridien, ils vous diront non feulement le jour que vous pourrez être où vous voulez vous rendre, mais mê- me fi ce fera le matin ou Taprès- dînée du jour qu'ils vous mar- quent. Ils ne distinguent les Semaines, les jours, ni les heures que par des fignes , & ils fe font fort bien en- tendre des Europeans mêmes qui ne fçavent pas leur langage. Ils ne comptent pas non plus le tems paffé autrement que par les lu- nes : Car je me fouviens que m'entretenant avec Lacenta des ravages faits au Midi par les Es- pagnols 5 il y a tant de lunes, me dit-il , que cela eft arrivé. Ils comptent par un , par dix, & par vingt jufqua cent > je ne de Lionnel Waffer. 20 ï les ay jamais entendu compter au- delà. Pour exprimer les nombres, ils tiennent une poignée de leurs cheveux de la main gauche, & la feparent avec les doigts de la droi- te 5 & lors qu'ils veulent faire en- tendre que des chofes font innom- brables , ils prennent tous leurs cheveux & les remuent. Quand nous allâmes dans les mers du Sud fous le Capitaine Scharp , nous étions trois cens trente-fix fans compter plufieurs Indiens de I'Ifthme qui nous ac- compagnoient 5 ils voulurent fça- voir combien nous étions 5 & pour cet effet un de ces Indiens saiïït fur notre paffage tenant deux poi- gnées de grains de maiz, dont il mettoit un dans fon pannier à cha- que homme qui pafToit devant lui. Il en avoit déjà compté un grand nombre 3 lors qu'une perfonne de notre compagnie venant à palier a02 Les Voyages tout près de lui , affecta de ren- verfer fon pannier 8c fit tomber fon bled. L'Indien parut fâché qu'on eût brouillé fbn calcul 5 néanmoins un de fes camarades s'écartant un peu d'un chemin écroit par lequel il nous faloit pafler l'un après l'autre, nous compta tous avec des grains de maiz , de crut avoir fait des mer- veilles 5 mais quand les autres In- diens lui demandèrent combien nous étions, il ne put le leur dire 5 car quelques jours après, comme nous arrivions chez les Indiens du Midi., vingt ou trente des plus vé- nérables femirentànous compter, &. notre nombre fans doute excé- dant leur Aritmetique, ils ne pu- rent en venir à bout. Ils fe mirent à difputer les uns contre les au- tres avec beaucoup de chaleur , jufqu'à ce qu'un d'entr'eux vou- lant finir la difpuce > prit en une de Lionnel Waffer. 203 poignée tous les cheveux & les remua devant la compagnie, pour leur faire entendre qu'il étoit im- I)oflîble de nous compter, Ce qui es mit tous d'accord. Us nomment ainfi les nombres > deux, trois, &c. un 1. Lonjugo. 2. Poquah. 3. Pauquah. 4. Pakequah. 5. Eterrah. 6. Indricah. 7. Coogolah. 8. Paukopah. Cf. . . . 10. Anivega u. Anivego 12.. Anivego . 1 3. Anivego 20. Toola 40. Toola Et ainfi Conjugo. Poquah. Pauquah. Pakequah. Eterrah. Indricach. Coogolah. Paukopah. Anivego. Conjugo, Poquah. Pauquah. Boquah, &c, Guannah. du refte* 104 Les Voyages Au defïbus de dix ils comptent en nommant une fois feulement le nombre particulier 5 mais quand ils difent : Anivego , ou dix , ils frappent des mains une fois 5 6c pour exprimer douze , treize, &c. jufqu'à vingt, ils difent, Anive- go Conjugo, Anivego Poquah, Anivego Pauquah , &c. Lors qu'ils veulent exprimer vingt, ils battent deux fois des mains, en di- fant : Toola Boquah. Et pour dire vingt-un : Toola Boquah Con- jugo. Pour exprimer trente , ils diront en battant trois fois des mains : Toola Boquah anivego ; c'eft-à-dire, à la lettre, vingt & dix j ils continuent de cette ma- nière jufqu'à cent , battant des mains autant de fois qu'il y a de dizaines. Dans le tems que j'étois parmi les Indiens de Darien, j'avois peu de peine à les entendre, parce de Lionnel Waffer. 205 fue je fçavois aflez la Langue du fiaut-païs. Il y a quelque rap- port entre ces deux langages , non Uns la fignification des termes , lais dans la prononciation. J'ap- pris donc beaucoup de mots de :elui des Dariens j j'en ay depuis >ublié la plus grande partie 5 j'en [veux dire quelques-uns, le Le- cteur ne fera peut-être pas fâché de les lire. Tautah. Père. 2Taunah. Mère. Poonah. Femme. Roopah. Frère. Bidama Soquah Comment vous Roof oh l portez- vous ? Kfeenah. Une fille. Née. La lune. Chaunah, Aller. Chaunah Wee- Dépêchez-vous macah. courez. Shennorung. Gros, une gran- de chofe. Eechah Pacecha. Eechah maloo- quah. Cotchah. Caupah. Eftchah pah ? Les Voyages Laid. C au- Pa poonah eetah caupah ? Doolah. Doolah Copah ? ChichaCopah. Marnaubah. Cah. Aupah eenah ? Laid. Une expreffion fort mauvaife. Dormir. Un hammock. Voulez - vous aller dormir dans le ham- mock? Femme, avez- vous apprêté le hammock ? De l'eau. Voulez - vous boire de l'eau? BohTondemaiz. Fine, ou belle. Poivre. Comment ap - peliez - vous ceci ? Après avoir parlé de l'Ifthnie de Lionnel Waffer. 207 & de toutes les choies que j'y ay remarquées en le traverfant, je vais reprendre la fuite de mon voyage dans la mer du Sud de Realeja fur la côte du Mexique , ou M. Dampier 5c moi nous nous féparâmes pour la féconde fois dans cette «mer. Il accompagna le Capitaine Sevan qui comman- doit le Vaiiïeau le figne qui fai- foit voile vers TOueft , 6c je re- ftai fur le bord du VaiiTeau nom- jpé le Plaifir du garçon comman- dé par le Capitaine Davis qui s'en alloit vers le Sud. Ainfi nous les laiiTàmes au port de Realeja , d'où nous fortîmes le 27. Aouft 1685. avec trois autres VaifTeaux de notre compagnie j mais nous ne fûmes pas plutôt en mer que la fièvre pourprée (émit dans nos quatre VaifTeaux 5 ce qui nous obligea d'entrer promptemenc dans le golfe d'Amapalla. Nous 2.o8 Les Voyages nous arrêtâmes pluiieurs iemames dans une petite Iile oii nous def- cendîmes. Nous y fîmes des bara- ques pour nos malades qui étoient au nombre de cent trente. Il en mourut plufieurs. Pour moi , quoyqu'obligé par mon minifte- re de leur donner mes foins Se d'être avec eux à tous momens , j'eus le bonheur d'échapper à la contagion. Comme je n'ai pas fait un Journal de ce voyage , je ne rendrai pas compte de tout ce que nous faifions chaque jour. Je ne parlerai feulement que de ce qui peut inftruire ou divertir mes Lecteurs. Je dirai donc que pendant no- tre féjour dans l'Ifle les provi- sions venant à nous manquer , nous allâmes en terre ferme vers le côté du Sud de la baye où nous mîmes pied à terre. Nous marchâmes jufqua une rivière chaude de Lionne! Waffer. 109 chaude qu'il nous fallut pafler dans un Savanah. Elle fort de deflbus une petite montagne qui n'eft pourtant pas un volcan , quoyqu'il y en ait plusieurs fur cette côte. J'eus la curiofité de fuivre cette rivière en montant pendant toute une journée. L'eau en étoit claire & profonde. Les exhalaifons qui fortoient de def- fous la montagne étoient fembla- blés à la fumée d'un pot qui bout, & mes cheveux.en étoient mouil- lez. La rivière continua à fu- mer fort loin de la montagne , ôc quelques perfonnes de notre équi- page , qui avoient la gratelle, s'y étant baignez en furent guéris , ce que nous attribuâmes à la qua- lité (ulphureufe de cette eau. Il va dans cet endroit une infinité de Loups. Ce font les plus hardis que j'aye jamais vus. Ilss'appro- choient de nous de fi près, qu'ils S no Les Voyages nous arrachoient la viande des mains. Ce qu'ils faifoient impu- liémenti car quoyque nous euf- fions des armes à feu , nous n'o- fions tirer deffus de peur que le bruit des coups n'en fît venir d'au- tres à leurs fecours. Outre que nous étions là en fort petit nom- bre. Nos malades étant guéris , nous pourfuivîmes notre route vers fe Sud, 6c nous arrivâmes à Tlfle de Cocos au 5. degré 15. minutes de latitude du Nord. On l'appelle ainfi à caufe de la quantité Je noix de Cocos qu'elle produit. Cette Ifle eft petite, mais fore agréable. Il y a au milieu une mon- tagne efearpée , mais très-haute & environnée d'une plaine toute* remplie d'arbres de Cocos. Ils y croiflent parfaitement bien , par- ce que le terrain eft riche & fer- tile. On en voit auffi fur le pen- de Licnnel Waffer. 211 chant des montagnes quelques- uns difperfez en petits bofquets 5 mais ce qui contribue le plus à l'agrément de cette Ifle, c'eft une rrès-grande quantité d'eaux fort claires & fort douces , qui dépen- dant par pîufieurs endroits du fommet de la montagne fe réunif- ient en un profond 6c large baffin de figure ronde qui eft dans le roc Cette eau n'ayant point de canal pour fortir du baffin , fe répand au dehors de forme des cafeades qui fe précipitent & tombent dans la plaine. Ce qui joint à la beau- té des veuès , à la quantité d'ar- bres de Cocos , & à la fraîcheur de l'eau qui tempère l'air de ce cli- mat chaud, rend le féjour de cette Ifle le plus agréable du monde. Tout notre équipage en étoit charmé. Nous y remplîmes tous nos tonneaux de cette belle eau douce qui rejaillit dans la plaine 5 Sij ni Les Voyages &c comme nos Vaitfeaux étoienr juftement à leurs embouchures dans la mer où il y a une bonne rade, c'étoit l'endroit le plus com- mode que j'aye jamais vu pour faire de l'eau. Nous y mangions des noix de Cocos tout notre faoul, & nous en buvions le laie avec plaifir. Mais un jour quelques-uns de nos gens ayant envie de fe réjouir , abbattirent une grande quantité d'arbres de Cocos. Us. en cueil- lirent le fruit & en tirèrent plus de quatre - vingt pintes de lait. Puis s'étant affis fur la terre, ils burent une fi grande quantité de cette liqueur, qu'ils en furent fort incommodez. Ce n'eft pas qu'elle enyvre 5 bien loin de leur monter à la têtQ & de les échauffer , elle leur glaça & engourdit les nerfs, de manière qu'ils ne pouvoient marcher;, ni même fe tenir debout. de Lionnel Wajfer. iï$ Il fallut que ceux qui n'avoienc point été de la Fête les portafTent à bord où cet engourdi (Ternent leur dura quatre ou cinq jours. De là nous continuâmes d'al- ler au Sud , 6c nous arrivâmes à une des Ifles de Gallopago qui eft limée juftement (bus la ligne^ Nous y defcendîmes , & nous y trouvâmes une quantité prodi- gieufe de Tortues de terre , de celles que nous appelions Hecca- tées. Il n'y a de l'eau douce en cette Ifle que dans un feul endroit où ces animaux vont boire. Là nous carénâmes nos Vaifleaux. Pendant les premiers jours, nous y vîmes une infinité de Tourte- relles Se d'autres oifeaux qui s'y afTembloient pour boire > & ils éxoient fi familiers avec * nous , qu'ils venoient fe repofer fur nos têtes 6c fur nos bras. De forte que fans nous tourmenter à les aller 214 Les Voyages chercher, nous les prenions fans peine & les faifions rôtir. Mais bien-tôt ces animaux s'apperce- vant que nous abu fions de leur familiarité , cefierent de s'appro- cher de nous , & devinrent fi fau- vages y qu'avec nos armes a feu même nous n'en pouvions tirer aucun. On voit dans cette Ifle beau- coup de Guanos, 8c il y croît une forte d'arbres qui a une odeur très-agreable 3 & qui reffemble un peu à nos Poiriers 5 il eft pour- tant plus gros & rempli d'une gomme très- douce. Nous reprî- mes aux Gallopagos cinq cens bal- lots de farine que nous y avions autrefois laiflez fur les rochers 5 mais comme les facs étoient expo- fez à l'air , nous trouvâmes que les Tourterelles 5c les autres oi- feaux avoient mangé une partie de ce qu'il y avoit dedans.. de Lionnel Waffer. 1 1 5- Après avoir quitté les Gallopa- gos nous allâmes eroifer les côtes du Pérou & des Ifles d'alentour. Je ne fatiguerai point mes Le- cteurs des particularitez de ce voyage. Je dirai feulement que nousaffiegeâmes Gaura, Guacha^ &: Pifca que nous prîmes, quoique nous n'eufiîons alors avec notre Vaifleau que celui du Capitaine Knight j car les deux autres qui étoient partis avec nous d'Ama- palla nous avoient quittez à rifle de Cotos. C'étoit dans le mois de Juillet i68 ils font ouverts par en haut & expofez à l'ardeur du fo* leil le long de la baye parmi les rochers. Chaque Marchand mar- que (es tonneaux. Nous prîmes une grande quantité de ce vin. Nous de Lionne l Wajfer. 217 Nous mîmes auili pied à terre à Coquimbo , qui eft une grande Ville qui a neuf Eglifes. Elle eft lltuée environ à 253. degrez de la- titude au Sud. Nous y jettâmes l'ancre fur un fable fort profond dans une vafte baye , laquelle a une petite rivière qui traverfe cet- te contrée 8t fe jette dans la mer à trois lieues au-deffous de la Vil- le. Les Efpagnols pefchent de lor dans cette rivière , dont le fable auffi-bien que celui de toute la baye eft parlemé de parcelles d'ors de manière que nos hommes en marchant le long des bayes furent couverts d'une pouffiere d'or , mais trop fine pour qu'ils en puf- fent tirer quelque profit , car ce feroit un travail infini que de la feparer du fable. J'ay remarqué la même chofe en plufieurs autres Places le long de ces côtes , où quelques-unes de ces rivières en- T 2i 8 Les Voyages trent dans la mer en traverfant des bayes fabloneufes. Le fable y eft doré par cette pouilîere : mais ce qu'il y a de plus confiderable, c'eft que plus haut vers les four- ees de ces rivières , on trouve de gros grains d'or. Nous arrivâmes enfuite à l'Ifle de Jean Fernando ou nous caré- nâmes, & où le Capitaine Knight nous laifla, parce qu'il faifoit le principal de fon voyage de dou- bler la terre du feu pour aller dans les Indes Occidentales : pour nous , avec une barque, que nous avions prife à Pifca , nous recô- tovâmes vers la lig;ne & retour- nâmes fur nos pas. Après avoir quité John Fer- nandos , nous pouffâmes encore vers le Sud pour nous approcher du Continent jufqu'à la latitude de 39. degrez au Sud tant pour gagner du vent que pour être à de Lionnel Wajfer. 219 la vcuë de la côte. Nous tombâ- mes d'abord fur rifle de Mocha laquelle eft fituée environ à 38. degrez 20. minutes au Sud , ou , manquant d'eau & de provifion , nous defcendimes dans le mois de Décembre 1686. nous y reftâmes cinq ou fix jours. Nous y trouvâ- mes de l'eau & tous les rafraîchit femens dont nous avions befoin. Le païs àjtd. vérité eft bas & plac & la côte iablonneiUe, mais le mi- lieu eft une bonne terre qui pro- duit du maiz , du bled , de l'orge, & toute lorte d'autres fruits. On y voit plufieurs maifons qui ap- partiennent aux Indiens Efpa- gnols , & elles étoient alors bien fournies de volaille. Il s'y trouve auffi des Chevaux : mais ce qu'il y a de plus remarquable, c'eft une forte de Mouton que les habitans appellent Cornera de terra. Cet animal a bien environ 4. pieds 6c Tij no Les Voyages demi de haut. Il elt fi utile & fi aprivoifé, qu'on le monte comme un Cheval. Il va toujours l'am- ble ou le petit galop , & jamais d'autre train lors qu'il porte fon Cavalier. Il a la gueule faite com- me un bec de lièvre, la lèvre fen- due deflus de deflous , Se la tête femblable à celle d'une Gazelle. Il broutte l'herbe de fort près. Ses cornes font torfes comme les coquilles d'un limaçon. Il a les oreilles d'un Afne , ôc le cou auflî menu que celui .d'un Chameau. Il porte la tête fièrement & de la même manière qu'un Cigne. Il a le poitrail d'un Cheval , les reins d'un Lévrier bien taillé, les ferles & la queue d'un Dain. Les pieds fort fourchez de même que ceux d'une Brebis 5 mais en dedans de chaque pied on voit un ongle plus gros que le doigt, mais fort pointu & pareil à celui d'un Aigle. Ces de L ionnel Waffer. m ongles font environ à deux pou- ces au-deilus de la jointure du pied , & lui fervent à monter les rochers. Outre cela fa chair eft auffi bonne à manger que celle du Mouton y il fournit beaucoup de laine. 1 1 en a fur le dos de dou- ze à quatorze pouces de long j mais celle qui couvre fon dos eft plus courte, fort épaiiïe 6c peu rrizée. C'eft un animal fort doux , & qui rend bien du fervice, ainfî que je l'ay déjà dit. J'ajouterai même que quelques parties de fon corps font utiles à la Médecine. Nous en tuâmes un que j'ouvris > je trouvai dans fon eftomac treize pierres de bezoar , dont il y en avoit de rayées & de différentes figures. Les unes étoient longues comme du coral > d'autres rondes, & d'autres enfin ovales, mais el- les étoient toutes de couleur vertô en fortant de l'animai, & enfuite elles devinrent couleur de cendre. 221 tes Voyages J'en ay encore quelques-unes que je conferve foigneufement. Les Efpagnols nous dirent > que ces animaux leur étoienc d'une grande utilité aux mines de Po- tofi, pour porter l'argent de là aux Villes Maritimes , entre les- quelles elles font 5 parce que les chemins font fi rudes & fi remplis de précipices , qu'il feroit abfolu- ment impoffible à toute autre bê- te & aux hommes même de le tranfporter : mais lors que ces Moutons chargez arrivent aux précipices , les hommes qui les conduifent les laiflent là & les abandonnent à leur propre con- duite pendant environ 16. lieues de traverfe , & ne les rencontrent qu'après avoir fait un tour de 53. lieues. Ces animaux fe crampo- nent avec les ongles dont j'ai par- lé & fe tiennent fi fermes dans les endroits les plus efearpez, qu'ils peuvent marcher feurement oii de Lionnel Waffer. 223 les Mules &. les Chevaux ne pour- roient fe foûtenir. Les Efpagnols nous dirent aufli que dans une Ville qu'ils nous nommèrent , où il n'y a point d'eau , ces Moutons qu'on char- ge de deux elpeces de boucs, vont en chercher tous feuls à une lieuë de la Ville, à une rivière dans la- quelle ils entrent, fe couchent & s'agitent jufqu a ce qu'ils Tentent que les boucs font pleins. Après quoi ils s'en retournent comme s'ils étoient conduits. On les ac- coutume à cela fans peine. Mais les Efpagnols ajoutèrent , qu'on ne pouvoit contraindre ces ani- maux à travailler quand il nV(t pas jour. Lors qu'ils font une fois couchez , on a beau les battre, on ne peut les faire relever. Ils crient &: fe plaignent du mal que vous leur faites fans fe mettre en fureur. T înj 224 Zes Voyages Nous allâmes de rifle de Mo- cha au Continent en voguant le long de la côte de Chily , & en- voyant fouvent notre canot à ter- re , jufqu'à ce que nous arrivâmes à Copajapo , qui eft environ à 16. degrez de latitude au Sud. Là manquant d'eau , nous dépendî- mes pour voir fi nous pourrions trouver cette rivière que Ton nomme la rivière de Copajapo. Auifi-tôt que nous fûmes à terre nous montâmes une montagne dans l'efperance de la découvrir de deiïus le fommet 5 mais contre notre attente nous ne vîmes qu - une autre montagne fort haute, & après celle-là nous en trouvâ- mes encore une autre , enforte qu'avant que nous pu (fions gagner la cime de la troifiéme montagne, les forces me manquèrent , & je fus obligé de boire de mon urine pour foulager un peu l'ardente de Lionnel Waffer. 22$ foif qui me confumoit. Quand nous y fumes arrivez , nous nous affîmes pour nous repofer à l'om- bre d'un rocher efcarpé. L'en- droit où nous étions affis , e'toit couvert de fable & de coquilles de mer de diverfes figures. Néan- moins il eft confiant qu'il n'y a point de poifïbns à coquille fur toute cette côte 5 ce qui nous cau- fa d'abord une extrême furprife 5 mais regardant autour de nous pour voir ii nous n appercevrions pas la rivière > qu'à notre grand regret nous ne découvrîmes point* nous remarquâmes une prodigieu- fe quantité de coquilles au bas de tous les rochers 5 nous jugeâmes que les vents les avoient jettées d'en- haut 5 & ce qui nous con- firma dans cette opinion > c'en: que parmi les mafles de pierre & fur les rochers nous en trouvâmes une infinité de pareilles. zi6 Les Voyages A l'égard de la rivière de Co- pajapo, que nous étions tort éton- nez de ne pas découvrir, les Es- pagnols nous aprirent que dans un certain tems de Tannée le fo- leil en fondant les neiges des mon- tagnes qui font fort avant dans le pais , formoit cette rivière. Ce qui eft très-poffible 3 car je n'ay jamais vu pleuvoir fur toute la cô- te de Chily & du Pérou. Nous avons bien vu quelquefois àcs nua- ges fur les (ommets des montagnes pendant que nous allions le long des côtes 5 ôc il me fouvient qu'- une fois écant à Arica, des nuées qui environnoient les montagnes nous empêchèrent d'en apperce- voir le fommet qu'on découvre fort bien en d'autres tems. Il pleut apparemment dans les montagnes; mais à Arica Se fur toutes les cô- tes voifines , les Efpagnols qui y demeurent nous?ont aflïïré qu'il de Lionnel Waffer. 227 n'y pleuvoir jamais. Je fuis auiïi defcendu à la rivière d'Ylo. Nous n'y trouvâmes que très- peu ou point d'eau, ce que nous attribuâ- mes au tems où nous étions 5 car dans d'autres faifons il y en a beau- coup, quoiqu'il n'y tombe pas plus de pluyes qu'à Arica. Il ne pleut que fort avant dans le païs 5 mais en récompenfe ils ont de très-for* tes rofées. La cote de Copajapo eft nuë & fterile , 6c n'eft pas autrement le long du Pérou & de Chili. On n'y découvre rien que du fable & des rochers tous nuds 5 & il n'y a ni arbres, ni herbe, ni aucune verdure , fi ce n'eft dans quelque valée. Nous n'y avons remarqué non plus aucune forte d'oifeaux , ni d'animaux 5 pas même aucuns veftiges d'hommes , fi ce n'eft quelque petit Village, ou quelque mauvais Port qui n'a pas affez il 8 Les Voyages d'eau, à moins que ce ne foit dans la haute marée , pour porter une petite barque. D'ailleurs on n'y trouve point de rafraîchiflemens , ni rien dont on pourroit avoir befoin. Comme il n'y avoit point d'eau à Copajapo , nous fumes obligez de nous remettre en mer & d'aller le long de la côte jufqu'à Arica qui eft une Ville du Pérou commo- dément fituée, & entre 18. & 19. degrez de latitude au Sud. On y porte l'argent de Potofi , & on l'y ^embarque pour Panama , parce que le Port en eft affez bon. Il a une rade & une petite Ifle devant lui qui le défendent contre la fu- reur de la mer qui s'enfle là hor- riblement , & qui roulant fans cefle des flots impétueux, va frap- per violemment la côte qui eft efearpée & fort haute , mais plus baffe que les montagnes qui (bat de Lidnneï W affer. 219 [plus avant dans le pais. On ne fçauroit aborder nulle part autour d' Arica , il faut aller defcendre à Arica même, qui eft bâtie fur le bord d'une petite rivière 5 mais on n'y peut pas prendre de l'eau, par- ce qu'outre que fon embouchure eft embarraffëe de rochers poin- tus , la mer monte dedans & cor- rompt par (es eaux fallées la dou- ceur des fiennes. Nous fîmes une deicente à Ari- ca. Nous pillâmes la Ville où nous rencontrâmes peu de refiftance. Nous y prîmes quelques Cochons, de la volaille , du fucre &; du vin. J'y étois defeendu autrefois avec le Capitaine Scharp 5 mais on nous y reçût alors fort mal , Se nous y perdîmes beaucoup de nos gens. Nous fûmes plus heureux cette dernière fois, car on ne nous tua perfonne , & nous eûmes le tems de piller à notre aife. Je me 230 Les Voyages fouviens que nous entrâmes dans une maifon que nous trouvâmes pleine d ecorce de Quinquina > mais je croi l'avoir déjà dit ail- leurs. Nous allâmes prendre de l'eau fraîche dans la rivière d'Ylo, & nous nous avançâmes dans la va- lee qui porte fon nom, où il y a de l'huile d'olive, des figues, du fiicre & des oranges douces , 6c je ne fçai combien d'autres fruits d'efpecesdiferentes. On y voit un moulin à huile, & deux ou trois à fucre. C'eft la plus belle vallée que j'aye vue fur les côtes du Pé- rou, 6c la plus fertile , quoiqu'elle ne ioit humectée que par les ro- {écs qui y tombent toutes les nuits, de que par les eaux de la petite rivière d'Ylo , que les habitans font couler dans leurs terres par quelques canaux. £n faifant voile le long de cet- de Lionne l Waffer. 23 r [te cote nous y avons fouvent re- flâché pour faire de l'eau & pour Chercher d'autres provifions. Un jour que la faim nous prefloit , !M. Smallbones rencontrant fur le rivage quelques Ecreviiïes de mer les mangea toutes crues , avec de certaines herbes noires qui croif- fent dans la mer. Mais lés autres perfonnes de notre compagnie , quoiqu'auffi affamées que lui , ne furent pas tentées d'en faire au- tant. Nous nous avançâmes dans le païs pour chercher quelque nourriture moins mauvaife 5 fk le Ciel nous la fit trouver. Nous apperçûmes au bas d'une monta- gne, dans un endroit oii il y avoit un peu d'herbe , un Cheval mai- ère & malade. Nous le tuâmes promptement, le mimes en pie- ce s & après avoir fait du feu avec des herbes de la mer , nous com- mençâmes à le faire rôtir s mais 232 Les Voyages nous n'eûmes pas la patience cTat- tendre qu'il le fut , 6c il étoit à peine échauffé, que nous le man- geâmes tout entier , à la referve des boyaux que nous emportâmes : dans le Vaifleau pour en faire un fécond feftin, quand le cœur nous en diroit. Je ne prétens pas faire mention de tous les lieux où j'ay abordé le long de ces rivages, pendant que j'étois avec le Capitaine Davis s mais je ne veux point obmettre deux cbofes qui paroîtront fort particulières au Lecteur. La pre- mière, c'eft qu'étant defcendus à Vermejo à 10. degrez de latitude au Sud avec trente hommes d'é- quipage pour chercher des rafraî- chiiTemens , nous montâmes une baye fablonneufe , & vîmes avec épouvante qu'elle étoit durant quatre lieues toute jonchée de corps morts d'hommes , de fem- mes de Li'nnel Waffer. 233 mes 6c d'enfans. Tous ces cada- vres paroifïoient frais 5 mais lors qu'on venoit à les toucher, on les trouvoit auffi fecs & auffi légers qu'une éponge ou qu'un morceau de liège. Nous apperçûmes bien- tôt une fumée , vers laquelle nous étant avancez , nous rencontrâ- mes un vieillard Efpagnol qui cherchoit quelques herbes feches Îxnir cuire quelques poiflons que a compagnie avoit pefchez > car il étoit d'une barque de pefcheurs que nous remarquâmes afiez près de là. Nous lui fîmes plufieurs queftions en Elpagnol fur les lieux ou nous étions 6c fur les corps morts qui couvroient une fi gran- de étendue de païs. Il nous ré- pondit dans ces termes : Ce ter- roir où vous êtes bc qui ne pro- duit rien prefentement , a été au- trefois bien vert , très-fertile 6c fort cultivé. La Ville de Vormia V ?54 ■£** Voyages a été habitée par des Indiens qui étoienten fi grand nombre , qu'ils auroient pu ië donner un poiflbn de main en main durant vingt lieues depuis la mer jufqu'au ié- jour de l'Incas leur Rov. La riviè- re a été fort profonde ôde courant très-rapide 5 S: puilque vous fou- haitez d'apprendre pourquoi cet- te terre eft couverte de cadavres : Vous fçaurez que les Efpagnols étant venu mettre le Sieçe de- vant la Ville de Vormia, les In- diens plutôt que de demeurer à leur merci , aimèrent mieux fe donner eux-mêmes la mort. C'eft pourquoi ils vinrent dans cette bave fe creufer des tombeaux dans le fable où ils s'enterrèrent tout vifs. Les hommes ont encore des morceaux d'arcs rompus > & les femmes leurs quenouilles, fur lef- quelles il paroît du lîl de cotton. Voilà ce que nous dit ce vieil- de Lionnel Waffer. 235 lard & ce que nous écoutâmes avec éronnement. Je portai dans notre Vai fléau un de ces corps morts. C'étoit celui d'un garçon de neuf ou dix ans 5 j'avois def- fein de l'emporter en Angleterre par curiofité 5 mais le pilote ôc tous les matelots m'obligèrent de le jetter à la mer, me difant par un efprit defuperftition ridicule, que tant qu'il y anroit un cadavre dans le VaifTeau > la bouiTole ne montreroit pas jufte. Cet endroit eft un fond rempli de collines & de vallées de fable. Nous y vîmes le lit d'une petite rivière , mais il étoit alors {ans eau. La féconde chofe finguliere que j'ai à rapporter 5 c'eft ce que nous remarquâmes auprès de Santa , petite Ville au huitième degré 40. minutes de latitude au Sud . Ayant mis pied à terre pour marcher vers y ij 2} 6 Les Voyages Santa qui eft environ à trois mil- les de la mer, nous paflames fur une montagne & dans la vallée qui eft entre elle & la Ville , nous apperçûmes trois Vaifleaux de cent tonneaux chacun, à quelque diftance l'un de l'autre, & entiè- rement ruinez. Notre furprife ne fut pas médiocre à cette veuë , & nous ne pouvions nous imaginer comment cqs Navires pouvoient le trouver là : mais quand nous fûmes près de la Ville, un Indien que nous rencontrâmes & à qui nous fîmes des queftions > nous » dit , qu'il y avoit environ neuf » ans que cqs trois Vaifleaux étoient » à l'ancre dans la baye , qui eft un » lieu fort ouvert & qui peut avoir » cinq ou fix lieues détendue d'un *» pointa l'autre : qu'il étoit furve- » nu un tremblement de terre qui *> avoit poufle les eaux &♦ les avoit « éloignées du rivage à perte de de lionnclWaffer. 137 veuëj mais que vingt-quatre heu- « res après ces mêmes eaux étoient « revenues en roulant avec tant de * violence vers le rivage , qu'elles « avoient emporté ces Vaifleaux « par-deflus la Ville, qui étoit « alors fnuée fur cette montagne « que nous avions traverfée , & les « avoient jettez dans la vallée. Il « ajouta même que ce tremble- « ment avoit détruit la meilleure « partie de la Province le long de „ cette côte. Le rapport de cet In- « dien nous fut confirmé dans Santa par le Curé & par plufieurs au- tres habitans. De Santa nous allâmes en quel- ques autres endroits que je pafle fous filence , parce que je n'y ay rien remarqué qui mérite d'être raconté, & nous regagnâmes en- fin les Galiopagos fous la ligne où nous refolûmes de faire tous nos efforts pour fortir de ces mers, 2-8 Les Voyages Pour cet effet nous retournâmes vers le Sud, déterminez à ne relâ- cher nulle part qu'à X I lie de Jean Fernando. Pendant que nous en prenions la route , un jour iur les quatre heures du matin, que nous étions a la latitude de n. degrez 50. minutes au Sud , & environ à 150. lieues de la terre ferme d'Amérique , notre Vaiffeau &: notre barque ientirent une fe- couffe fi terrible que tout 1 équi- page en fut confterné. Nous crû- mes avoir donné contre un ro- cher, &: notre perte nous paroil- fant certaine, chacun déjà corn, mençoit à le préparer à ia mort. Effectivement la fecouffe avoit été fi violente , qu'elle avoit fait iauter les canons de leurs affufts &: jette plufieurs perionnes hors de leurs bran fies. Le Capitaine Davis même qui avoit la tête iur un canon en fut culbuté. La mer de Lionnel Waffer. 239 qui paroît verte ordinairement écoit alors d'une couleur blanchâ- tre 5 & l'eau que nous pnifâmes pour l'ufage du VaifTeau3étoit mê- lée d'un peu de fable , ce qui nous fit croire d'abord que nous étions proche de quelque baye fablo- neufe 5 mais après avoir fondé , nous jugeâmes que c'étoit quel- que tremblement de terre. Nous n'avions pas tort de faire ce juge- ment i car peu de tems après nous apprîmes qu'il y avoit eu un hor- rible tremblement de terre à Cai- lao, qui eftlelieu d'ancrage de- vant Lima , que la mer s etoit re- tirée fi loin du rivage , que pen- dant quelques momens l'eau avoit difparu, & que bien-tôt elle étoit revenue avec tant de rapidité, qu'- elle avoit emporté à une bonne lieuë dans le païs les Vaifieaux qui s etoient trouvez à la rade de Callao j qu'elle avoic fubmergé la 24^ Les Voyages Ville de Callao avec le fort quoi- que bâti fur une colline, & noyé les hommes & les animaux pen- dant cinquante lieues le long du rivage , qu'elle avoit même en- dommagé la Ville de Lima , quoi qu'elle {oit à fix mille dans le paï's & éloignée d'autant de la Ville de Callao. La nouvelle de cet étran- ge tremblement de terre acheva de nous faire croire tout ce qu on nous avoit raconté de celui de Santa. Après nous être remis de no- tre frayeur , nous pou rfui vîmes notre chemin vers le Sud , tirant Sud-Eft vers l'Eft jufqu'à 27 de- grez 20. minutes au Sud. Envi- ron deux heures avant le jour , nous nous trouvâmes auprès d'une petite Ifle baffe & fabloneufe > nous nous en apperçûmes par le bruit que faifoient les eaux en bat- tant le rivage. Lesmetelots crai- gnant de Lionnel Waffer. 241 gtiant d'échouer fur la côte, de- mandèrent au Capitaine permif- iîon de tourner le Vaifleau 6c de s'éloigner de terre jufqu'à ce qu'il fut jour. Le Capitaine, qui en voyoit auffi-bien qu'eux les conle- quences, y consentit. Ainfi. nous nous tînmes en pleine mer, 6c lors que le jour parut nous nous appro- châmes du rivage. Nous trouvâ- mes en effet que cetoit une Ifle plate 6c fabloneufe, ainfi que nous l'avions penié la nuit 5 6c comme l'air n'étoitobfcurci d'aucun nua- ge , nous la vîmes à notre aife. Du côté de l'Oued, à 12. lieues de nous ou environ , nous décou- vrîmes une fuite de terre ferme que nous primes pour des Ifles, parce qu'elle nous fembloit de tems en tems interrompue. EI- Iq pouvoit contenir' k. ou 16. lieues de long. Il en venoit quan- tité d'oifeaux vers nous, &c j'au- X 241 Les Voyages rois ibuhaité de m'avancer dans le paï's en les pourfuivant 5 mais le Capitaine ne voulut pas le permettre. Cette Ifle baffe eft éloignée de Copajapo de 500. lieues du côté de YEit 6c de 600. des Gallopagos lous la ligne. Eftant revenus delà dans rifle de Jean Fernando fur la fin de l'année 1687. nous y nettoyâmes notre Vaîfleâu , 6c après avoir lâ- ché notre barque , nous allâmes à Môcha dans le deflein d'y prendre quelques Moutons pour le voya- ge que nous voulions faire autour de la terre du feu 5 mais nous n'en vîmes aucun, les Efpagnols ayant tout détruit 6c enlevé les Mou- tons, les Chevreaux 6c tous les au- tres animaux de Mocha. Nous fî- mes voile auffi- tôt vers Sainte Ma- rie pour y chercher des provisions. C'eft une Ifle à 37. degrez au Sud. Nous fumes aflfez maiheu- de Lionnel Waffer. 2.43 r eux pour trouver cette Ifle rui- née comme la précédente 5 en- forte que nous fumes obligez de nous contenter des provifions que nous avions apportées des Gallo- pagos, lefquelles confiiïoient en farine , maiz, hecatée ou chair de Tortues faiée , avec la graifîe que nous en avions tirée & mife en lard, Se en 60 jars d'huile. Les Efpagnols avoient même envoyé des chiens dans Tlde de Jean Fer- nando pour en détruire les Chè- vres, afin de nous faire manquer de provifions. Trois ou quatre perfonnes de notre VaiiTeau ayant perdu au jeu tout ce qu'ils avoient d'ar- gent, Se ne voulant pas s'en re- tourner de ces mers auflî pauvres qu'ils y éroient venus , résolu- rent de refter dans Plfle de Jean Fernando , Se d'y attendre que quelques autres pirates paflaflent Xij x44 Les Voyages par-là. Nous leur laiflames une petite barque, une marmite, des haches, de grands couteaux, du maiz, & d'autres chofes qui leur étoient neceflaires. J'ay appris depuis ce tems là qu'ils ont planté de ce maiz , qu'ils ont apprivoifé des chèvres, &; qu'ils ont vécu de poiflon & d'une forte d'oifeau gris & de la figure de nos poulets , qui fait des trous en terre com- me les lapins , pour s'y cacher pendant la nuit , & qui va le jour à la chafle aux poiifons 5 car cet animal eft un oifeau d'eau , qui a le goût de poiflon 5 mais qui eft très - délicat après avoir été un peu enterré. Etant prêts à fortir de cette mer pour doubler la terre du feu, environ trois femaines avant que d'avoir pa(Té le Cap Horn, que nous ne vîmes point, attendu que nous étions montez vers le Sud de Lionnel Waffer. 245 jufqu'à 61. degrez 45. minutes, nous fûmes battus d'une tempête horrible. Nous ne fçavions pas trop bien quelle route nous de- vions tenir 5 parce que nous n'a- vions pas de fort bons pilotes, c'étoit dans le plus haut de Tété de ce païs5 car , autant que je m'en puis fouvenir, ce fut le jour de Noël 1687. lors que nous fu- mes à la hauteur du Cap Horn , nous fortîmes de la mer du Sud, &: pointant vers le Nord , nous aperçûmes plufieurs Ifles de glace les unes d'une demie lieue , les autres d'une, &de deux lieues 5 mais un jour côtoyant la plus grot fe , nous jettâmes la fonde 5 & ne trouvant point de fonds, nous jugeâmes avecraifon qu'elle étoit à flot, & qu'elle étoit peut-être autant enfoncée dans l'eau, qu'el- le paroiflbit au dehors. Je n'ay point vu de ces fortes d' Ifles dans Xiij 34-6 £es Voyages la mer du Sud 5 elles étoient fi claires pendant la nuit , que nous pouvions nous en écarter fans pei- ne i mais il y en avoit auffi fous l'eau >w & il ne nous étoit pas poffible d'éviter celles - là qui heurtèrent fouvent notre Vaif- feau. Il n'en fut pas pourtant en- dommagé. Nous ne pouvions nous tenir long-tems fur le tillac , parce qu'il nous venoit de ces monta- gnes de glace un vent que nous trouvions d'autant pins froid que nous venions d'un païs fort chaud. Pendant tros femaines que nous fûmes au Sud du Cap Horn , le tems fut fi orageux , le foleil & les étoiles fi obfcurcies , que nous ne pouvions obferver notre latitude. Cependant il nous fembla que nous étions à 63. degrez ou envi- ron au Sud > ce qui eft l'endroit le plus éloigné où. ayent jamais été les Europeansau Sud, 6c peut- de Lionne! Waffer. 247 être perfonne. Quand nous nous vîmes à 61. degrez 30. minutes, nous crûmes devoir retourner au Nord vers les mers Ethiopique de Atlantique, & nous nous mîmes auffi-tôt au Nord-Eft 5 nous tîn- mes cette route pendant plufieurs jours. Par ce moyen étant venus dans la latitude de la rivière de la Plata vers laquelle nous croyons faire voile , nous comptâmes que nous étions environ à 100. lieues de terre 5 mais dans le tems que nous avions cette penfée, nous en étions encore éloignez de plus de 500. lieues. Après en avoir fait près de 200. vers l'Oueftdans la même latitude , fans trouver ter- re, nous en fûmes allarmez. Nous crûmes avoir pris une faufle rou- te 5 & comme nous manquions de provifion & principalement d'eau , nous comprîmes tout le danger que nous courions. Heu- X iiij. 248 Les Voyages reufe raient il furvint une grofle pluye qui dura tout un jour. Nous ne perdîmes pas une goutte de l'eau qui tomba fur notre Vaif- feau , & nous en remplîmes pla- ceurs tonneaux ; ce qui ranima notre efperance & nous donna un peu de courage 5 mais lorfque nous eûmes fait environ 450. lieues dans cette latitude fans découvrir la terre > nous perdîmes patien- ce , Se nous fumes prêts à nous battre les uns contre les autres. La plufpart des matelots vou- loient qu'on changeât de route , difant que celle que nous tenions étoit abfolument fauflfej mais le Capitaine Davis &: M. Knott Pa- tron du Vaifleau s'oppofans à cet avis demandèrent avec iniïance qu'on la gardât encore deux jours. Les matelots > quoyque naturelle- ment fort opiniâtres, cédèrent au Capitaine & au Patron Se n eu- s de Lionnel Waffer. 14.9 rent pas lieu de s'en repentir 5 car le lendemain un petit vent d'Oùeft attira fur notre Vaiffeau quelques fauterelles & autres in- jectes volansj ce qui nous fit ju- ger que la terre ne devoit pas être fort loin de nous. On pafla dans un moment de la douleur à la joye, Se on regarda les fauterelles com- me une marque affurée de la bon- té de Dieu , qui nous les avoit en- voyées pour prévenir notre perte. Effectivement fans cela nous au- rions changé de route , prefque tout 1 équipage croyant ferme- ment être dans la mer du Sud s &: nous nous ferions perdus indubi- tablement. Mais nous fuivîmes le petit vent qui nous avoit amené les infectes, ôc nous découvrîmes terre un peu au Nord de l'embouchure de la Plata. Nous y allâmes defeendre pour faire de Peau & chercher des 150 Les Voyages provifions, dont il y en a de toutes fortes dans cette contrée. Nous y rencontrâmes un aflez grand trou- peau de Cochons de mer. Quel- ques-uns d'entre nous fe portèrent en haye avec leurs fufils fur un paf fage qui conduifoit à une monta- gne , pendant que les autres allè- rent fondre avec leurs fabres fur ces bêtes que nous prenions pour des Cochons de terre 5 mais ces animaux s'enfuyant à leur appro- che, enfilèrent contre notre atten- te le chemin du rivage, fe jetterent tous dans la mer & difparurent. Nous fûmes fâchez d'avoir laifïe échapper une fi belle proye 5 nous tuâmes toutefois deux de ces Co- chons le lendemain & nous les por- tâmes à bord. Leur chair a le mê- me goût que celle des autres Co- chons, excepté qu'elle fent un peu le poiflbn , 6c leur poil eft plus rude que celui des Veaux Marins, de Lionne! Waffer. 251 Ils ont des nageoires écaillées êc font tous noirs. Il y a dans le païs de fort bonne eau, point d'hom- mes , beaucoup de bêtes fauves , de Cerfs & d'Autruches. Nous y avons vu une très-gran- de quantité d'animaux de la der- nière efpece, Se trouvé une infi- nité de leurs œufs fur le fable i car elles les laifTent à terre, & on dit qu'elles n'en prennent aucun foin. Elles font couvées par le foleilj & les petits , dès qu'ils font éclos3 fui vent le premier animal qu'ils rencontrent. J'ay vu une troupe de jeunes Autruches fuivreun de nos camarades. Les vieilles Au- truches font fort grafles en cet en* droit , leurs cuifles font groiïes comme celles d'un homme. Leur chair eft dégoûtante. C'eft une nourriture groffiere & fort mau- vaife. Il y a des gens qui croyenc que l'Autruche fe nourrit de fer. 2<2 Les Voyages Mais pour moi , je m'imagine qu' elle n'avale du fer que comme nos pigeons qui mangent de petits cailloux feulement pour faire la digeftion > 6c afin qu'ils fervent de meules pour broyer la nourriture dans leurs eftomacs. Les Autru- ches avalent à la vérité des doux, des pierres , ou quelques autres chofes dures qu'on leur jette > mais elles rendent ces chofes comme elles les ont avalées. Après nous être remis en mer, nous côtoyâmes le Brefil , Se delà nous allâmes vers les Ifles des Ca~ ribes ou nous rencontrâmes Mon- fieur Edwin Carter dans une cha- loupe de Barbade. Il nous apprit la nouvelle de la Proclamation du Roy Jacques quirappelloit les Boucaniers &; leur pardonnoit* Nous prîmes enlemble le chemin de la rivière de la warre que nous montagnes jufques dans la PenfiL de Lionnel Waffer. 253 vanie à la Ville de Philadelphia où j'arrivai dans le mois de May 16S8. J'y demeurai pendant quelque tems , après quoi je defcendis la rivière de la \\rarre juiqu'au Porc d' Apokunnumy avec le Capitaine Davis & Jean Hingfon. Nous y chargeâmes nos coffres &: nos » r hardes iur des chariots , 2t pal- fames une petite langue de terre pour nous rendre à la rivière de Bohême qui fe décharge dans la grande baye de Chifapeck à la pointe de Confort dans la rivière de Jacques en Virginie. J'avois refolu de m'établir en cet endroits mais il s'y éleva des troubles qui m'obligèrent à m'en retourner en Angleterre en 1690. Peu de jours après mon retour, je rencontrai le Capitaine de la Tartane Eipagnole que j'avois vûë an Quay de la Sonde. II par- ij4 Z*s Voyages loit très-bien Anglois. Il me die que le Capitaine qui l'avoit pris , Pavoit amené à Londres , où il attendoit que fa famille qui étoit une des plus confiderables de Li- erai , Capitale du Pérou , lui en- voyât de quoi fe racheter. Com- me j'avois contra&é avec lui une amitié particulière au Quay de la Sonde , ou je Favois guéri d'une bleflùre très - dangereufe , nous fûmes bien-aife de nous revoir. Nous nous entretînmes de nos voyages , & s'il parut prendre quelque pîaifir à m'entendre, j'en eus bien davantage à l'écouter. Il me conta comment il avoit fait naufrage au Port de la Caldera > £c me fit une defeription de la nouvelle Efpagne. Je trouvai les chofes qu'il me dit fi curieufes & en même tems fi inftructives , que je le priai de me les donner par écrit. Il ne voulut pas me re- de Lionnel Waffer. 255 [Fufer cette iatisfa&ion 5 il les mit par ordre & en compofa un petit 1 ouvrage qu'il m'envoya. Je croi que le public ne me fcaura pas mauvais gré de lui en faire part. JE fortis de Los Rayes autre- ment de Lima, en 1678. pour me rendre à Calao Se m'y embar- quer fur une Frégate que je de vois commander. Elle étoit chargée de farines, de fruits, d'un grand nom- bre de caiflTes 6c de confitures fe- ches & liquides pour Panama, où nous arrivâmes fort heureufement le 6, May deux jours avant la Pen- tecôte. Delà voulant aller pren- dre d'autres marchandifes à la Caldera , Port fitué dans la Pro- vince de Cofta-rica Evêché de Nicaragua , j'en pris la route avec divers paflagers que j'avois fur mon bord. Nous mîmes à la voile i^6 Les Voyages le 10. May 5 & croyant arriver à l'ordinaire en moins de neuf I jours à la Caldera, nous nous trou- vâmes au bout de quinze obligez de jetter l'ancre à l'embouchure de la rivière de Manglarés, qui defcend de Chiriqui , haute mon- tagne fameufe par (es mines d'or. Là jedefeendis avec quelques per- fennes de l'équipage pour aller aux provifions qui commençoknt à nous manquer. Tout le monde convenoit , veu l'endroit où nous étions, qu'il liiffifoit d'en prendre pour huit jours, mais à tout évé- nement j'en pris fur mon compte pour un mois 5 & ces provifions confiftoient en veaux , cochons > volaille , en quelques fruits du païs , & en maiz. Nous étant remis en mer, nous fûmes extrêmement battus des flots durant les huit jours que nous avions compté devoir nous fuffire de Licnnel Wajfer. 257 fuffire pour arriver au Port où nous voulions nous rendre 5 6c le neuvième fur les quatre heures du foirnous fumes aflaillis d'une fu- rieufe bourafque 5 Se fans pouvoir nous en défendre, l'orage & la marée nous pouflerent fur une co- te fi remplie d'écueils, que jfi nous euflïons été jettez une portée de moufquet plus avant , le Vaifleau fe feroit indubitablement bnfé en mille pièces, & nous aurions tous péri) parce qu'il n'y avoit aucune plage fur cette côte qui étoit toute efearpée de rochers. Pour nous délivrer d'un danger fi preffant , nous jettâmes au plutôt la chalou- pe en mer , & tâchâmes de re- morquer en pleine mer la Frégate à l'aide de huit rameurs des plus vigoureux. Nous v travaillâmes avec tant de concert & de dili- gence, que nous en vinmes enfin à bout, Mais comme tout ce que Y 2<8 Les Voyages no/ls avions fouffert pendant la tempête , & l'effort que nous avions fait pour nous tirer de ce dernier péril , nous avoit fort fa- tiguez > nous tombâmes dans une fi grande nonchalance , que vers le minuit , fansfçavoir comment, le Vaifleau par la mauvaife garde qu'on y faifoit, pafla parmi des écueils , Se porta fur l'un d'entr'- eux en gliflant avec tant d*impe- tuofité, que tons les fabors du côté de Babor en furent brifez. Au bruit que nous en ouïmes 3. nous nous crûmes perdus 5 nous imaginant avec aflez de raifon que la quille avoit touché, mais nous ne pûmes nous en écïaircir far le champ , parce qu'il faifoit une obfcurité à ne pouvoir rien difcer- ner. C'en: pourquoi nous pafla- mes le refte de la nuit dans une étrange inquiétude , quoique Po- ragefefùcdiiïîpé. Heureuiemenc de Lionnel Waffer. 259 le jour étant venu , nous connû- mes que nous avions eu plus de peur que de mal 5 ôc le vent nous ayant paru favorable , je fis re- hauiïer les voiles. Néanmoins nous n'en jouîmes pas long-tems^ car dans les quatre jours fui vans il changea plus de fix fois. Enfin après avoir bien tournové de cô- té &£ d'autre , nous nous retrou- vâmes à l'embouchure de la mê- me rivière que l'autre fois. Tous les paflagers n'en furent pas fi fâchez qu'ils l'auroient été dans une autre conjon&ure , par- ce que les vivres leur ayant man- qué , il y avoit déjà trois jours qu'ils ne fe nourriffbient que de la petite part que je leur faifois de mes provifions. Il falut donc mettre pied à terre une féconde fois. De peur de retomber dans le même inconvénient, iîsfe mu- nirent pour quinze jours de 1& Yij i Terre Terre 5 mais le jour deve- nant plus clair, chacun reconncil- foit que cette terre étoit la pointe de Borica d'où nous étions partis à l'entrée de la nuit, ce qui nous mettoit au defefpoir. Cependant > comme nous ne pouvions remé- dier à ce malheur , nous tâchions de nous en confoler en nous oc- cupant à diverfes chofes : les uns à la pefche, les autres à la lectu- re 5 d'autres fe baignoient dans la mer,- mais nous pallions tous la plus grande partie de notre tems à nous entretenir de notre infor- tune, tantôt en lamentant outre mefure , &: tantôt ne pouvant nous empêcher d'en rire. Coin- z6z Les Voyages me nos vivres avoienc été confir- mez pendant un fi long calme y nous nous vîmes danslaneceffité de faire une troisième defcente. J'étois d'avis que nous retour- naffions à Panama 5 mais le pi- lote , 3c les mariniers afïurant qu'avec le moindre vent favora- ble , nous arriverions en quatre ou cinq jours à la Caldera, j'eus la complaifance de céder à leur fentiment. Nous revirâmes donc £c allâmes renouvelle* encore nos provifions à l'embouchure de no- tre fleuve de Chiriqui. Nous en prîmes plus que les autres fois j après quoi nous étant remis en mer, nous arrivâmes en huit jours de navigation à la veuë de rifle à.Zu'y du Cagno 5 d'où les matelots di- chï du rent quen deux jours nous nous rendrions au Port tant defiré de la Caldera. Mais comme les hom- mes font fujets à te tromper dans . de Lionne! Waffer. %6$ leurs jugemens 5 il arriva que le tems quiétoit clair 6c ferain chan- fgea tout-a-coup, Lefoleil venoir** de fe coucher , lorfque le pilote fit baifler les voiles, craignant la tempête dont nous menaçoit une petite nuée qui s'approchoit , 6c qui ne fut pas plûtôc fur nous > que détendant & ouvrant fon fein, elle verfa fur la Frégate des tor- rens de pluye , éclairant £c ton- nant d'une manière à caufer de l'é- pouvante aux plus intrépides. II fe faifoit un mélange de lumière & d'oblcurité qui nous frappant d'horreur, ne laiflbit pas de nous aider en quelque forte , parce que les éclairs qui nous environnoient de toutes parts nous éclairoient à faire notre manœuvre 5 mais cet- te manœuvre ne nous fervant pas beaucoup , nous prîmes le parti de laififer voguer au gré du vent Se des eaux notre miierable Bâ- % 264 Les Voyages riment, fans nous fatiguer d'uni travail inutile. L'orage cefla , ô£ \ le jour vint 5 mais comme il étoit encore trouble, & que la même nuée nouscouvroit toujours, nous ne pouvions nous promettre du beau tems. Le pilote voulut tâ- cher de découvrir à quelle hau- teur nous étions 5 niais quelques obfervations qu'il pût faire , fui— vant les règles de fon Art, il ne connut rien , pas même par con- jecture. Je le fis appeller dans ma chambre & lui demandai fi nous ne ferions pas mieux de chercher fur la côte quelque lieu feur & qui fût à couvert du vent & de la marée, pour nous y retirer juf- qu'au retour du beau tems , plu- tôt que de nous opiniâtrer à er- rer ainfi à l'aventure dans l'incer- titude & le danger d'un orage qui pourroit enfin caufer notre perte. Le pauvre homme les larmes aux yeux de Lionnel Waffer. 265 yeux ne put me répondre autre chofe , fi ce n'eft que ks péchez étoient fans doute la caufe du mau- vais fuccez de notre voyage , & qu'il ne fçavoit que faire , parce que les matelors ne vouloient plus lui obéïr. Je hs fis appeller , &C les ayant questionnez , ils répon- dirent tons qu'ils croyoient être fort proche de la Caldera , com- me on le pourroit reconnoître dès que le Cielfe découvriroit. Dans cette efperance , continuant de croifer de côté 6c d'autre fur la même hauteur durant cinq jours 3 le fixiéme , qui parut tel qu'on le pouvoit fouhaiter pour fa ferenité, le pilote obferva le foleil & fa bouflble, &: a Aura que nous étions fans faute à dix lieues du Port, & que bien-tôt nous découvri- rions la terre. Nous donnâmes aufTi-tôt toutes les voiles 5 néan- moins nous navigeames jufqu'à la Z 2.66 Les Voyages nuit fans l'appercevoir. Le len- demain matin il perfifta encore dans fon fentiment jufqu'a midi qu'il découvrit de hautes monta- gnes qu'il fut près de deux heu- res à pouvoir reconnoître. Enfin après les avoir bien obfervées, il dit avec beaucoup de trouble de d'altération , que c'etoient ks montagnes de Chiriqui où les cou- rans nous avoient encore rejettez. Il n'eft pas concevable quel fut le chagrin de tous les paflagers , quand ils apprirent cette déplai- fante nouvelle. Ils rirent des im- précations contre le pilote & con- tre moi , ôc nous eûmes allez de peine à calmer leur colère» Je leur propofai encore de retourner à Pa- nama où nous pouvions nous ren- dre en cinq jours 5 mais les paf- fagers dont la plulpart avoient des Charges ou des affaires importan- tes dans la Province de Coita-rica, de LionnclWaffer. 16 7 reprefenterent qu'il ne falloit pas fe rebuter, que nous n'avions qu'à nous repofer quatre ou cinq jours en cet endroit, qui malgré la quan- tité de moucherons qui s'y trou- voit, ne laifïbit pas d'être agréa- ble , de qu'enluite nous pourrions continuer notre navigation avec plus de bonheur. Le pilote ve- nant à l'appui de la boule , plus hardi ou plus effronté que jamais , jura qu'il arriveroit au Port de la Caldera avant qu'il fut cinq jours, ou qu'il y brûleroit tous les livres. Il fallut donc fe rendre à cela, Se nous allâmes nous repofer à Chi- riqui pour la quatrième fois. Nous y demeurâmes fix jours, pendant lefquels nous nous rafraîchîmes , &: mangeâmes force oranges tant aigres que douces que nous trou- vâmes fur la côte de la montagne. Puis nous étant encore munis de vivres, nous mîmes à la voile, Zij 168 Zes Voyages comptant déjà 81. jours depuis notre départ de Panama. Le lendemain il s'éleva un vent fi guay , qu'avec une partie des voiles feulement , nous crûmes avoir fait une des plus grandes journées de toute notre naviga- tion j mais le jour d'après, le ciel (e couvrit, le vent cefla, 6c le plai- fir que nous avions reflenti d'al- ler fi vite fut bien diminué, quand nous nous apperçûmes au bout de douze jours que nous n'avions pas fait beaucoup de chemin , parce que les courans contraires nous faifoient prefqu' autant reculer la nuit que nous avions avancé le jour. Cependant les provifions fe confumerent , &: nous n'étions plus à Chiriqui-pour en prendre de nouvelles. Enfin la neceflîté vint à un point , que n'ayant plus pour repaître qu'un peu de maiz qui étoit refté dans l'auge aux co- de Lionnel W affer. 169 chons, &; que ces vilains animaux avoient remplie de fiante & d'or- dures : ce defaçreable mets fut. partage entre nous a portions éga- les ; & cela étant confumé , il ra- llie compofer une capilotade des membres coriaces d'un vieux bar- bet qui avoit fait jufques-là mes délices. Tout l'équipage fe jetta avec avidité fur cette mauvaife galimafrée , & chacun n'en eut pas fa fuffilance. Le jour fuivant on prépara un nouveau repas d'un cuir de Taureau qui avoit fervi de couche à mon chien , 6c qui par fa mort étoit devenu un meu- ble inutile. On le fit bouillir long- tems à gros bouillons 3 jufqu'à ce qu'il fut converti en une efpece de colle noirâtre qui ne prevenoit pas fort les yeux en faveur du goût. Mais bien loin d'en être dégoûtez, notre faim étoit deve- nue fî dévorante > que nous en Z iij z^o tes Voyages mangeâmes avec autant d'appé- tit que fi c'eût été de la gelée for- mée du fuc fubftanciel des vian- des les plus exquiies. Ce même jour un matelot Nègre ouvrit fon coffre, & de deux platanes qu'il avoit ferrez > il en mangea un > pelure , coque & tout , & vint en grand fecret me prefenter l'autre* me priant de lui en donner feu- lement la coque , &. fi- tôt qu'il l'eut il la dévora avidement , de crainte que quelqu'un ne fur vînt pour la lui arracher. Pour du vin, l'équipage en étoit fuffiiamment pourveu , & l'ufage immodéré qu'on en avoit fait^ n'avoit pas peu contribué au mauvais gouverne- ment de la Frégate. Voyant que les principaux matelots , &; fur tout le pilote ne fçavoient plus que faire, & que tant de fautes avérées à leur dam leuravoient bien fait perdre de ces airs d'afTurance par de L ionnel Wajfer. 171 kfquels ils a voient prétendu m'im- pofer fur leur capacité , je les pris en particulier: je les confolai 6c encourageai dans les termes les plus affectueux que je pus choifir 5 je n'eus pas de peine à les porter cette fois là à chercher la terre de tons les cotez qu'ils croiroient la trouver > 6c ils y étoient déter- minez i de forte que fi nous euf- fions rencontré des terres peu- plées de Sauvages Indiens qui font ennemis irréconciliables de toute la nation Efpagnole , nous y fe- rions defeendus avec joye pour nous tirer de la cruelle extrémité où nous nous trouvions. Quel- ques-uns d'entre nous veillèrent toute la nuit pour obferver s'ils ne découvriroient point quelque montagne qui nous indiquât no- tre route. A la pointe du jour , par un bonheur inefperé, on nous cria de la hune: voile, voile ! Cette Z iiij i-jx Les Voyages voix répandit une fi grande joyer dans tout l'équipage , que fans fonger à rendre à Dieu les grâces que nous lui devions , nous nous mîmes tous à crier avec confu- sion : Arrive > arrive y haujfe les voiles , abaifje celle-ci , monte vite. Enfin , après nous être fait d'un Navire à l'autre tous les fignes qu'on a coutume de le faire quand on le veut joindre > nous vinmes à nous aborder. Le Capitaine du Vaiileau qui étoit un Mexiquain de ma connoiirance, n'eut pas plu- tôt fçeu que je commandois la Frégate, qu'il fît jetter l'efquif en mer pour me venir offrir tes fer- A ^ 1 * vices. Apres les premiers com- plimens > il m'apprit que nous étions auprès de rifle de Gagna, & nous con vinmes d'y relâcher enlemble pour nous y repofer. Dès que Don Louis de Legna- res (ainiî fe nommoit le Capital- de Lionnel Waffer. 273 ne Mexiquain ) fut informé de la preflânte neceffité où nous étions, il fit porter auffi-tôt dans la Fré- gate de la volaille , du pain, des fruits & autres rafraîchi {Terriens capables de rétablir nos forces épuilées &. de nous faire perdre le mauvais goût du vieux barbet & de fa couche. Nous defeendîmes enfin dans Tlfle, où nous dînâ- mes lous le frais ombrage de quel- ques platanes fituez fur les bords d'un agréable ruiffeau qui fe dé- chargeoit à quelques cent pas de Jà dans la mer. Le Bâtiment de Don Louis n'étant chargé que de vivres , de fruits & d'autres pro- vifions qu'ils alloient vendre à Pa- nama 5 les paffagers de la Frégate & mes matelots eurent de quoi choifir pour leur argent. Ils en prirent feulement pour quatre jours fur Taffurance qu'ils fe don- nèrent à eux-mêmes qu'en deux 274 ^cs Voyages ou trois ils arriveroient à la Cal- dera 5 mais pour moi, je fus pour- veu gratuitement par Don Loiiis de toute forte de volatile , de fruits j bifcuits , con(erves , cho- colat, bi d'autres choies de régale; &; quelques inftances que je pufle faire pour les lui payer , jamais il n'y voulut confentir , en me di- fant , que quelque jour je pour- rois bien lui rendre la pareille. Nous demeurâmes le refte du jour dans cette Ifie délicieufe où nous eûmes bien du plaiiir ; £c à Tentrée de la nuit chacun rentra dans fon Vaiffeau à la referve de Don Louis qui voulut paiTer la nuit dans le mien. Il me divertit infiniment par la douceur de fa voix qu'il fçavoit conduire avec beaucoup de méthode & d'agré- ment , & par l'enjouement de fa converfation. Comme nous ne pouvions pas toujours être enferâ- de Liovnel Waffer. 275 [ble, il faillie nous féparer le len- demain. Ce que nous fîmes hir'les dix heures du matin après bien des embrarTades & mille protefta- tions de fervice. Chaque VaifTeau ayant repris fa route, le mien navigea avec tant de bonheur, que le jour fuivant fur les fept heures du foir nous ap- perçumes ce Port tant défiré, qui jufqiiës-là fembloit ne devoir ja- mais paroitre à nos yeux. Ce ne fur- plus que réjouiilances dans l'équipage : chacun avoir peine à modérer fa joye. Pour moi , j'en fus fi tranfporté, que je fis pré- fent à mes matelots d'un quartauc de vin qui pefoit environ 570. li- vres , & un Marchand Génois qui étoit far mon bord, leur en don- na autant. Les matelots étoient dans une trop belle difpoiîtion pour remettre au lendemain à fai- re ufage d'un 'prélent il fort à leur ij6 Les Voyages goût 5 ils en firent l'efTai fur I< champ , & trouvant le vin excel- lent, ils commencèrent à faire le fervice de Bacchus. Le pilote quf étoit à leur tête les encourageoit par (on exemple. Ils s'en acquit- tèrent fi bien , que de brindes en brindes , & à force de fe faire rai- fon les uns aux autres , les quar- tauts furent mis fur le cul en peu de temps. Mais leur cervelle en fut troublée. Le Marchand Gé- nois craignant que la manœuvre n'allât pas bien, s'avifa fort pru- demment de s'aller pofter entre le pilote & celui qui tenoit le gou- vernail fous fes ordres , parce qu'il avoit remarqué que le pre- mier étendu fur fa chaife &: paf- fablement yvre , goûvernoit de mémoire /comme le trouvant à la vue d'un Port connu. Ce Mar- chand fe mit donc entre eux a égale diftance , pour repeter les de Lionnel Waffer. 277 rommandemens du Maître au va- et , ôc fervir comme de véhicule fa voix. Cet excès de précau- tion nous perdit : car le pilote iyant crié au Timonier, Au No- 'ouefte , au JSforouejle , qui étoic ffeclivement la route qu'il falloir, tenir pour aller au Port de la Cal- dera ; le Marchand Génois qui étoit bègue & qui ne parloit pas bon Efpagnol, au- lieu de dire , al Noroueftéy comme le pilote dit, en bégayant : al Nornorouefie , qui . eft un autre vent ; le Timonier entendant cette voix & la croyant de ion Maître , prit fans heiîter le chemin du Nornorouefte : ce qui l'éloignant du Port , l'appro- choit de la côte. Pendant ce tems-là, comme la nuit étoit venue , les paffagers &L moi nous dormions fans nous apercevoir de cette méprife. Néanmoins fur les deux heures %-]% Les Voyages après minuit m'étant réveillé en furfault au bruit des vagues qui frapoient avec impetuofité contre les rochers de la côte , je rn'écriai tout furpris : Qu'eft-ce donc ceci, Seigneur Pilote ? Entrons- nous déjà dans le Fort ? A cet avertif- fement deux ou trois fois réitéré , le Pilote fortit de fa vineufe le- targie, & s'étant levé de deiTus fa chaize pour s'en éclaicir , vit avec épouvante la Frégate fi mal conduite &: prête à heurter con- tre un roc qu'on avoit eu de la peine à d;fcerner jufques-là à caufe de FafFreufe obfcurité que répandoit aux environs l'ombre d'une haute montagne couverte d'arbres. Il cria auïïi-tôt aux ma- telots : Tourne arrière 5 mais il n'étoit plus tems , &; l'infortuné Bâtiment pouffé avec violence par le vent ôc la marée heurta pref- que dans le moment contre l'é- de Lionne l Waffer. 27^ Cueil d'une telle force , qu'un des cotez du VaifiTeau en fut fracafTé: une montagne de flots qui venoit de fe briier contre le rocher, s'é- levant au retour du côté de la Fré- gate , entra dans la chambre de poupe par les ouvertures des co- tez, & l'innonda toute entière. Alors ce ne fut dans tout le Vaif- feau que clameurs effroyables 2c que deiolation. Les lamentations fuccederent aux cris de joye &: d'emportement que les fumées Bachiques leur faifoient poufler quelques momens auparavant. Rien ne peut égaler le trouble Se la confufion qui regnoient par tout: quelques-uns réveillez en furfault crioient comme les au- tres , quoiqu'à demi endormis & fans fçavoir encore pourquoi. Le bruit 3 Pobfcurité , les hurlemens, tout augmentoit l'effroi. Ce qu'il y avoit de plus déplorable, c'eft que i8o Les Voyages nous voyions bien tous que nous étions perdus , & que nul ne pou- voit dire par quel étrange revers prêts à entrer dans le Port , nous étions engloutis par les eaux 5 de moi-même je n en içavois pas plus que les autres. Dans une fi gran- de confternation, les uns à genoux fur le tillac ponflbient des vœux au Ciel pour leur falut 5 d'autres les mains jointes demandoient à Dieu miiericorde. D'autres di- ioient à haute voix leurs péchez les plus fecrets. Pour moi , parmi ces gémiflTemens je confervai le fang froid que Dieu m'a donné ôc que j'ai le bonheur de ne jamais perdre en quelque péril que je me trouve j & voyant qu'ils alloient tous périr faute de prendre le feul parti qui leur convenoit dans l'ex- trémité où nous étions * j'encou- rageai ces malheureux à travailler utilement Se diligemment a fefau- ver. de Lionnel Waffer. 281 ver. Je leur periiudai d'abord de couper les mats , 6c de nous faifir de toutes les planches , poutres de autres chofes qui pouvoient nous foûtenir fur l'eau &: nous aider à çaçner en nageant quelque lieu du rivage qui tut propre a aborder. J'ordonnai enfuite qu'on jettâc dans la mer tout ce qui par fa pe- fanteur pouvoit faire iubmerger trop promptement le Vaiiieau r Se parce moven, auffî-bien que par celui des pompes je retardai le naufrage jufqu'aux premiers rayons de l'aurore. Mais ce qui nous fervit plus que tout le refte , fut i€ confeiL que je leur donnai de prendre à deux une longue &: menue corde qu'ils tenoient cha- cun par un bout. Cet expédient fauva la vie à plufieurs 5 car lors que la Frégate ouverte de tous cotez eut coule bas malgré le fe- cours des pompes > tout le mon- A a 1S1 Les Voyages de fe voyant obligé de fe jetcer à la nage fur les planches ou rou- leaux de bois dont il put fe faiiïr pour eflayer de gagner la terre , il arrivoit que le premier qui y abordoit, tirait après lui fur le ri- vage Ion compagnon qui tenoit l'autre bout de fa corde , & qui fort Couvent étoit fur le point de fe noyer. Je tirai de cette maniè- re le Pilote, quoiqu'il ne le mé- ritât point. Nous échapames prei- que tous de ce danger, à la refer- ve de cinq ou fix qui furent poui- fez avec violence par des coups de mer & qui périrent milerable- ment en donnant de la tête con- tre les écueils ôc contre le Vaif- feau même. Quelques heures après le nau- frage , la marée s'étant retirée, laifla la Frégate prefque à fec ; de forte qu'il nous fut ailé d'en reti- rer tout ce qu'il y avoit dedans & de LionnelWœffer. 183 de le traniporter à terre. Il n'y eut prefque rien de perdu , puis- que nous recueillîmes même la plus grande partie des chofesque j'avois fait jetter à l'eau. Nous rendîmes grâces à Dieu de nous avoir confervé la vie , après quoi nous brûlâmes le Bâtiment pour en tirer le fer, que nous am affa- mes en un endroit de la côte avec toutes les hardes fous des arbres feuillus que nous avions choifis four nous y mettre à couvert de ardeur du foleil. Comme nous n'avions pourtant pas deffein d'y demeurer long-tems , j'exhortai mes camarades à choifir quel- qu'un de la compagnie pour les gouverner, en leur reprefentant qu'autrement ce ne feroit que dé- fordre & que confufion. Ils me prièrent tous d'une commune voix & avec de grandes inftances , de vouloir bien prendre ce foin , ce A a ij 2 $4 Les Voyages que j'acceptai 5 6c pour commen- cer à exercer les droits de cette fouveraineté , je fis trois détache- mens, l'un pour aller chercher de l'eau dont nous avions un pref- faut befoin , l'autre pour aller à la provifion 5 car celles du Vaif- feau ayant été mouillées, ne pour- voient plus nous fervir , &: le troi- sième , pour reconnoître le païs , &; voir fi Ton ne découvriroit point quelque habitation , parce que le pilote affuroit que nous étions à trois ou quatre lieues de la Caldera. Le premier détache- ment ne fut pas long-tems à reve- nir, & il apporta de très-bonne eau qu'il a voit trouvée près de là. Le fécond revint quelques mo- mens après chargé de fruits fan- vages d aiiez mauvais goût , avec des œufs de Tortue , 6v die qu'il avoit vu un Porc-épi & des crotes de Poules de Nicaragua % de Lionnel Waffer. iZf qui font ce qu'on appelle en Fran- ce des Poules d'Indes. Satisfait de cette découverte , je renvoyai chercher une plus grande provi- sion d'eau 8c d'ceufs de Tortue,. Il y avoit une fi prodigieirfe quan- tité de ces œufs fur cette côte3 que clans chaque creux qui fe ren- controit fur les fables de cette pla- ge, an y en trouvoit jufqu'à deux ou trois cens. Nous en mangeâ- mes avec beaucoup d'appétit , quoiqu'ils enflent une certains odeur de marécage qui bleflbit l'odorat &: le goût. Nous pafla- mes le refte de la journée à nous fabriquer de petites loges ou feiïil- lées avec des branches de Palmier. Comme le foleilfe couchoit, nous vîmes revenir le troifiéme déta- chement 3 ce qui nous réjouit d'a- bord, comptant qu'il avoit ren- contré un fort grand fleuve iî pro- fond, fi rapide & fi plein de Cro- iSé les Voyages eodiies , qu'il lui avoir été impof- fible de le traverfer. Je les blâmai de s'en être revenus pour cet ob- ftacle qui ne devoit pas les arrê- ter , puifqu'en coupant du bois ils pouvoient en former un radeau fur lequel il n'auroit tenu qu'à eux de paifer le fleuve. De peur de quelque nouvelle bêtife de leur part , je refolus d'aller moi-même avec eux le jour luivant, Le lendemain donc après avoir laifléà un homme de la compagnie Je foin de conduire ceux qui re- ftoient , je les quitrai en les aver- tiflant que s'ils n'avoient pas de mes nouvelles dans huit jours , ils pourroient alors laifler les harV des Se marcher fur mes traces en cherchant fortune, pourvu qu'ils ne s'éloignalTent pas de la côte. Voici en quel équipage je partis : îemcm" J^vois un haut de chauffe de fa- des gew tin piqué plus ample que les Ef- de Lionnel Vfaffer. 287 pagnols ne les portent d'ordinai- fon fer, fa mèche & {es allumettes. Après deux heures d'un chemin fabloneux ôc très- pénible , nous arrivâmes au bord d'un fleuve que nous appellâmes le fleuve des Crocodiles , quoiqu'à la vérité il n'y en eût pas tant que le déta- chement l'avoit rapporté , &: pour le pafler , nous convinmes d'aller fur (es bords en le remontant jus- qu'au premier bofquet où nous pu (lions trouver du bois propre à faire des radeaux. Nous en trou- vâmes à deux lieues plus loin 3 nous en prîmes fur nos épaules autant qu'il nous en falloit , puis nous defeendîmes le fleuve par où nous étions venus , jufqu'au lieu que nous avions quitté ; car nous ne voulions pas nous éloigner de la côte y efperanc , fuivant l'opi- nion de LunneiWajfer. 185 rion du pilote gagner le Port de la Caldera. Ayant fabriqué un radeau le mieux qu'il nous fut pof- fibleavec nos haches-, notre bois & nos cordes , nous nous hazar- dâmes à nous abandonner- deffus au courant du fleuve qui étoit très-rapide. On y avoit fait une erpece de bancs de joncs pour moi qui y entrai le premier , après avoir pris mon harquebuze des mains de celui qui la portoit. Le pilote fe mit à l'un des bouts , &c un vigoureux matelot de l'autre , Yivec chacun une longue perche & deux rames pour le conduire. Comme nous n'y pouvions tous entrer (ans l'enfoncer fous l'eau par notre pefanteur , nous nous partageâmes 5 une partie refta fur le bord du fleuve, & l'on attacha feulement au radeau une longue corde, afin que ceux qui demeu- reroient, le pufTent retirer lorfque Bb 15)0 Les Voyages les premiers feroient pafïez. Cela étant fait, nous reprîmes les cor- des dont nous jugeâmes pouvoir encore avoir befoin , ôc je fis jet- ter à l'eau les bois du radeau pour ôter à la compagnie toute efpe- rance de retourner fur fes pas juf- qu'à ce que nous euffions trouvé quelque habitation, & reconnu fi nous étions en terre ferme ou dans une Ifle. Nous marchâmes en- core environ fix lieues, au bout defquelles nous paflames un autre fleuve de la même manière que le précédents & comme lefoleil fe couchoit , nous arrivâmes à une plage aflez étendue où nous fîmes alte tous bien fatiguez 5 mais moi particulièrement, parce qu'- ayant paffé par des endroits fort humides & marécageux, mes fou- liers s'étoient mouillez de telle forte , que le cuir s'en étoit éten. du 5 d'ailleurs le fable y entrant de Lionncl Waffer* 2.91 de tous cotez nrincommodoit beaucoup. Mes fouliers me cau- fant donc plus d'embaras qu'ils ne m etoient commodes, je les jet- tai. Comme nous cherchions de l'oeil un terrein plus élevé que les autres pour nous v repofer 6c v palier la nuit, nous entendîmes quelque bruit près d'un vieux ar- bre iec dont le tronc étoit creux de caducité. Nous en étant ap- prochez pour en découvrir la eau* le, nous en fîmes iortir une efpe- ce de gros Lézard que les habi- tans du pais nomment Yguana. !*eft bien le plus laid animal que la nature ait formé : mais en ré- compenie, la chair en eft fort déli- cate. Elle approche fort du goût d'une Poularde. Le pilote le fra- pa de la hache 6c le fendit en deux. Nous avions bien beloinde faire une fi bonne rencontre pour reparer nos forces qu'une longue Bb ij i$i Les Voyages &i pénible marche , & le défaut de nourriture avoient déjà pref- qu'épuifées. Il ne nous en fallut pas davantage pour notre fouper ëc pour un bon louper 5 car ce Lé- zard avoit trois quarts d'aunes de long-. L'ayant fait' rôtir fur les charbons , nous le mangeâmes , Se après ce repas nous nous en- dormîmes. Nous nous remîmes en chemin au point du jour. Sur les dix heures, il nous fallut monter une montagne fort pénible , 8c percer enfuite un bois des plus épais rempli d'épines Se de ron- ces, afin d éviter un Cap qui nous auroit obligé de faire un grand détour. Ce fut là que j'eus beau- coup à iouffrir. A force de mar- cher j'avois ufé la femelle de mes bas, & mes pieds nuds n'étant pas accoutumez à un chemin fi rude , furent en peu de tems pleins d'e- ftafilades Se d'écorchures. Ce fut de Lionnel Waffer. 293 encore pis , lors qu'au iortir de ce bois nous eûmes gagné le bord de la mer 5 le fable de la plage échauffé par l'ardeur du foleil , me fît venir fous la plante des pieds des ampoules au ilîgroiles que des œufs de pigeon 5 6c ces ampoules venant à fe crever , £c le lable y entrant jufqu'a la chair vive, y caufoit une cuhTon douloureufe. Le mal que j'en fouffrois rit pi- tié à tous mes compagnons qui m'obligèrent à m'arrêter fous une feiiillée qu'ils firent fur le bord d'un raiffeauj 2c fous laquelle nous nous mîmes à couvert 5 car le fo- leil étoit bien ardent. Pendant qu'une partie s'y repoloit , l'autre alla dénicher allez près de là dans les creux des rochers que la mer batoit , un grand nombre d'une efpece de limaçons de mer que les gens du païs appellent Burgados , èc dont ils mangent affez comrau- Bbiij 294 *-es v°ya%z$ nément. Il ne fut plus queftion que de les faire cuire. Nous au- rions fort fouhaicé de les manger bouillis, mais nous. n'avions pas de vaifleau où nous les pu (fions mettre , & il fallut nous conten- ter de les faire rôtir fur les char- bons. Nous en mangeâmes avec appétit, & après le dîner , la ne- ceffité d'avancer chemin nous obligea de nous remettre en mar- che. Je m'y difpofai malgré mes ampoules 5 on m'enveloppa les pieds le mieux qu'il fut poffible de linges déchirez & de vieux hail- lons , 8ç l'on me fit une efpece de chauffure comme on en voit aux pauvres Mandians. Cela me me- na jufqu'au coucher du foleil que nous arrivâmes fur les bords d'un étang ou nous fumes harcelez par une fi grande quantité de coufins, que quelque las que nous nous fentiffions, noifs n'y pûmes tenir > de Lionnel Waffer. 2^5 nous fûmes obligez pour les fuir de marcher jufqu'à dix heures de la nuit. Nous la paflames avec beau- coup d'inquiétude & d'autant plus de crainte de nous voir affaillir par une troupe d'Indiens Sau- vages , que nous avions apperçû une lumière à travers les arbres d'un bois voifin 5 mais nous n'en eûmes que la peur. Le lendemain continuant notre route, nous rencontrâmes un ruif- -feau aux bords duquel nous trou- vâmes du feu allumé '& un grand nombre de coquilles de platanes autour 5 ce qui nous fit croire d'a- bord qu'il dévoie y avoir là auprès quelques-uns des arbres qui por- tent ce fruit 5 mais nous en cher- châmes vainement aux environs , d'où nous conjedturâmes que les perfonnes qui en avoientnnangé en cet endroit, les y avoient appor- té d'ailleurs. Sur le midi , nous Bb iiij 25>o Les Voyages arrivâmes à un grand fleuve tous bordé de grands arbres de haute fuftaye qui formoient un fort bel ombrage. Comme la faim 110113 preiîbit, nous y jettâmes l'hame- çon &; péchâmes trois poiflbns d'une raifonnable grandeur que nous fîmes rôtir. Nous parlâmes ce fleuve fur un radeau à la ma- nière ordinaire , ôc pourfuivîmes notre chemin jufqu'à un autre plus grand encore , aux bords du- quel nous paiTâmes la nuit & dor- mîmes î un d'entre nous faifant la fentinelle pour n'être pas fur- pris des Indiens. Le jour venu , nous vîmes autour de nous un grand nombre de Palmiers dont nous coupâmes quelques bour- geons pour en manger le cœur qui eft tendre, mais infipide & fade_, & approchant du goût de la cire de bougie. Un peu plus loin nous trouvâmes une eïpece de de Zionneî Waffer. 197 fruit de la couleur de la mûre 6£ de la grofleur d'un abricot. Les habitans le nomment ïcacos. Il eft aigre- doux , & du refte d'un goût très-agreable. Nous nous en accommodâmes mieux que des bourgeons de Palmier. Nous re- gagnâmes enfuite le bord de la nier, après avoir traverfé un bois 6c une montagne Nousapperçû- mes fur la plage un grand nom- bre de Crabes ou Ecrevifles de mer. Nous fîmes d'abord notre compte d'en faire un bon repas 5 mais nous comptions (ans notre hôte 5 6c les gaillards avec leurs pattes crochues étoient fi bons coureurs, que les plus alertes de nos gens les pourfuivirent plus d'une demie heure fans en pouvoir attraper que quatre. Mais en ré- compenie ayant remarqué un grand nombre de Pape-gais fur quelques arbres voifin&j j'eus re- 2^8 les Voyages cours à mon harquebufe qui juf- qu'alors nous avoit été'inutile 5 & j'en tuai fix qui nous furent d'une grande reflburce. C'eft une efpe- ce de Perroquet , dont la chair , quoique dure & noire, ne laifle pas d'être délicate > & quand ils font jeunes & par confequent plus ten- dres , c'eft un manger de Roy. Nous nous remîmes en chemin 6c & allâmes pafler la nuit près d'un Cap où nous trouvâmes en abon- dance de ces fruits que j'ai nom- mé Icacos. Nous mangeâmes crus les plus meurs, Se fîmes rôtir les autres. A la pointe du jour nous com- mençâmes notre cinquième jour- née. Nous paflames deux rivières fur des radeaux fans avoir ren- contré aucune chofe à manger > jufquà fix heures du foir que je tuai un Pan. Il étoit venu fe po- fer pour fon malheur fur le hau: de Lionncl Waffer. i^y d'un arbre, au pied duquel je m e- tois alTis pour me repofer. Nous en fîmes un régal &c le mangeâ- mes comme le mecs le plus friand que nous euffions eu jufqu'alors. Le lendemain nous arrivâmes fur le midi à une cabane deferte où nous trouvâmes une grande quan- tité de platanes meurs. Nous en mangeâmes la moitié, 6c nous nous chargeâmes de l'autre en cas de befoin, non fans crainte d'être fur- pris en cet exercice ou pouriui- vis après le coup par le Maître de la cabane & toute fa iequelle. , Mais nous fûmes aflez heureux pour ne voir perfonne. Nous con- tinuâmes de marcher jufqu'à la nuit que nous paflames au bord d'un fleuve après avoir fait no- tre fouper des platanes que nous avions volez. Quoique nous en euffions mangé beaucoup durant le jour y Se que ce foit un aliment 3G0 ï-es Voyages fort pernicieux à caufe de Ton ex*, ceffive froideur , aucun de nous, n'en fut incommodé, Le jour fuivant , quatre per~ fonnes de notre compagnie allè- rent à deux lieues de là fur uner montagne v chercher du bois à radeau pour paiïer le fleuve , & me laiflerent accompagné d'un feul homme. Je ne pouvois pres- que plus me tenir fur mes pieds. Il fallut pourtant me lever un mo- ment après leur départ, &: l'occa- fion le méritait bien, puifqne ce- toic pour tirer fur une bande de Ramiers qui vinrent fe percher fur un arbre à cinquante pas de moi. Je me traînai prefque à quatre pattes jufques fous l'arbre avec au- tant de laffitude que de crainte de les effaroucher. Le Ciel bénit ma peine > car j'en tuai dix-huit d'un feul coup avec de la cendre de plomb 5 de forte que mes canu~ de Lionnel Waffer. 301 ïades à leur retour trouvèrent un banquet à quoi ils ne s'attendoient pas. La joye qu'ils en eurent, étoit ii grande , qu'ils ne s'apperce- voient prefque point que le vin leur manquoit pour faire chère entière. Les dattes qu'ils avoient apportez duBojs fervirent de pain. Après un fi bon repas, nous re- commençâmes à marcher. Je re- pris courage 6c fuivis les autres autant que mes forces me le pu- rent permettre s mais au bout de deux heures d£ chemin ne pou- vant plus me tenir fur mes pieds malades, je priai mes compagnons de continuer leur voyage fans moi, &: de me laifler en cet endroit, en leur reprefentant qu'il n'étoit pas jufte que pour rintereft d'un feul les autres s'expofaflent à fe per- dre : que je les fuivrois le mieux que je pourrois auffi-tôt que mes pieds feroient guéris : que s'ils 30i Les Voyages rencontroïent quelques habita- tions d'Efpagnols, je les conju- rois de me revenir trouver j mais que fi le païs étoit defert , ils pria- ient le parti qu'ils jugeroient le meilleur 5 &c que fur toute chofe je leur recommandois de demeu- rer toujours bien unis. Iln'eftpas concevable combien cette petite troupe parut touchée de ces paro- les. Ils ae purent retenir leurs larmes , & ils s'oppoferent tous à la refolution que je témoignois vouloir prendre* . Ils me jurè- rent qu'ils ne m'abandonneroient point, dûflent- ils mettre leur vie en péril , & ils s'offrirent à me porter fur leurs épaules. J'en re- jettai la propofition, comme une chofè trop pénible & qui les retar- deroit trop , ajoutant que le tems leur étoit cher , & qu'ils dévoient pourfuivre avec diligence leur def- fein, qui étoit de fe rendre au Port 1 de Lionnel Waffer. 303 de la Caldera. Mais quelque cho- fe que je leur pus dire , ils n'en voulurent point démordre , & je fus obligé de me biffer porter. Ce qu'ils firent tous en fe relayant l'un l'autre fucceffivement juiqu'à fept heures du foir. Alors ils s'arrê- tèrent autant pour fe repofer que pour manger , car ils avoient be- foin de ces deux chofes 6c encore plus de fe rafraîchir. Pourfubve- nir à l'une de ces neceffitez, ayant trouvé par bonheur de ces mêmes limaçons de roche que j'ai appel- iez Burgados , nous les fîmes rôtir fur les charbons , mais ce n'étoit pas contentement $ car la fatigue du chemin & l'ardeur extrême du foleil que nous avions foufferte pendant toute la journée , nous avoit outrageufement altérez , nous avions le gozier tout enflam- mé, & nous manquions d'eau dou- ce pour éteindre un fi grand feu > 304 Zts Voyages heureufement ayant pouffe notre marche une lieuë plus avant, nous rencontrâmes un des plus déli- cieux fleuves qu'on puifle voir. Le rivage en étoit bordé de part & d'autre de hauts platanes tout chargez de fruits & dont les bran- ches fe croifant au defliis de l'eau, formoient tant que la veuë fe pou* voit étendre, une efpece d'allée en berceau la plus agréable du mon- de. Nous rendions grâces à Dieu d'une fi bonne rencontre 5 nous appaifâmes notre foif avec avidité, & notre ioye fut encore àugmen-r tee, lors que le pilote après s être orienté, nous dit : qu'il reconnoif- foit le lieu? & que cette belle ri- vière que nous admirions , étoit celle de S. Antoine. Il nous af- fûra de plus qu'à quatre lieues de là étoit une riche Ferme abondan- te en troupeaux &: qui appartenoit à Alonfe Macotela Bourgeois de la de Lionnel Wajfer. 305 la Ville d'Efparza dans la Provin- ce de Cofta-rica. Un homme de la compagnie en futfitranfporté, qu'il tira ks tablettes pour mar- quer une fi heureufe journée. Le fruit de ces grands arbres dont nous ne pouvions nous laflTer d'ad- mirer le beau feuillage, nous fer- vit de fouper ce loir là 5 &; pour le diverfifier, nous en mangeâmes de crus , de rôtis , 6c de cuits fous la cendre. Nous paiTàmes enfuite le fleuve fur un radeau, Sclanuic étant venue , nous nous endor- mîmes avec plus de tranquilité que les nuits précédentes. Le lendemain trois de nos hom- mes furent détachez pour aller k la Ferme de Macotela , & moi je reftai avec les deux autres tout ce jour-la &: le fuivant , nous nour- riffant d'EcrevuTes que nous pef~ chions dans la rivière. J'avois pour compagnons- le Marchand Génois Ce 306 Les Voyages dont j'ai parlé, 8c un Religieux de la Merci. Ce dernier pendant que nous. dormions 3 l'autre 5c moi la nuit du (econd jour, écoit char- gé de faire la garde , afin de nous précautionner contre les furprifes, mais la fentinelle plus pratique des fonctions clauilrales que des militaires, s'endormit auffi-bien que nous, jufqu'à ce qu'environ fur les onze heures je me réveil- lai en furfaut au bruit d'une voix qui me fembloit avoir prononcé mon nom. J'appellai lafentinelle pour m'en éclaircir 5 mais la fen- tinelle ne répondant non plus qu'une fouche , je me levai fur mon feant, 6c en même-tems je m'entendis appeller diftincle- ment, quoique d'aflez loin. Je réveillai le Marchand Génois de le Religieux > & un moment après nous vîmes paroître fur la rivière un grand radeau fur lequel il y de Lionnel Waffer. 307 avoit pins de vingt perfonnes. Us étoient conduits par Don Do- mingo de Chavarria navarrois Curé de la Ville d'Efparza. Nos trois hommes qui s'étoient déta- chez pour aller à la Ferme de Ma- cotela l'y avoient rencontré & lui avoient dit dans quel état nous étions fur le bord du fleuve de S. Antoine, où nous attendions leur retour 5 & le bon Curé pouffe par un mouvement de charité venoit au-devant de nous avec des ra- fraîchiflemens pour rétablir nos forces perdues. Il s'étoit fait en- feigner l'endroit où nous pouvions être, & il étoit parti fur le champ avec tous (es domeftiques , quel- ques-uns de ks amis & toutes les provifions qu'il avoit pu ramaffer» Ayant fçeu qui il étoit & le def- fein qui l'amenoit, je courus î'em- braffer dès qu'il fut à terre, en lui faifant force complimens , que la C c i j *o8 Les Voyaves joye ou j etois rendoit tres-fince- res. Celle du Marchand & du Religieux de fe voir affranchis du péril de la faim & de la furprife des Sauvages Indiens, n'étoit pas moindre que la mienne, & Dca Domingo & fa compagnie n'en avoient pas moins que nous de nous avoirrencontrez. Ain fi tout, le monde e'toit content $ mais com- me il étoit heure indue , pour te- nir plus long-tems converfatien en cet endroit, nous paflarnes tous la rivière fur le radeau 5 & lors que nous fumes de l'autre côté , chacun monta a cheval , hors moi qui pour le foulagement de mes pieds & de mes autres membres fatiguez fus juché dans un de ces iits panfilesou fufpendus qui font fi fort en ufage dans tous ces païs Occidentaux. Six Indiens de re- lais , gens des plus robuftes , me portoien: alternativement à deux -de Lionne l Waffer. joy fur leurs épaules, mieux que n'au- roient pu faire les meilleurs mu- lets du païs. Nous arrivâmes en- cet équipage un peu devant le jour à la Ferme de Macotela 3 où nous nous repofâmes quelque tems. En- fuite nous étant remis en chemin », nous nous rendîmes à Efparza Ville très-petite. Il n'y a qu'une feule Paroifle 6c deux Conyents * Fun de Religieux de S. François, & l'antre de Flnftitution du Bien- heureux Jean de Dieu. Je fus por- té à la maifon de Don Domingo de Chavarria, où je trouvai ncs trois compagnons qui avoient pris les devants. Notre premier foin fut d'en- voyer un Courier à Carrage Ca- pitale de la Province de Cofta-rica pour donner avis de mon arrivée à Efparza à D.Juan de Salinas Gou^ verneur 6c Capitaine General ds cette Province , &; Chevalier, de I 3TO Les Voyages l'Ordre de Calacrava. Je le con- I noiffois pour l'avoir vu à Lima , I où j'avois contracté avec lui une I amitié particulière. Le Courier fie I tant de diligence, que vingt-qua- I tre heures après fon départ je vis I entrer D. Juan dans ma chambre, I Après les premiers complimens, I je lui racontai ce qui nous étoit I arrivé , & ce Gouverneur à ma I prière fit partir une Frégate pour aller guérir mes pauvres compa- gnons de naufrage qui fe dévoient laflTer d'attendre fi long- tems. Sur i hs enfeignemens qu'on donna à ] ceux qui la conduifoient , de la i hauteur & du lieu où ils dévoient les trouver, ils s'y tranfporterent ? mais ils revinrent deux jours après, rapportant qu'ils n'avoient rencontré perfonne. On fe per- fuada qu'ils n'avoiènt pas fait af- fez d'attention aux fignes' qu'on leur avoic marquez pour reçois- de Lionne l Waffer. 311 noître le lieu 5 c'eft pourquoi Doa Juan de Salinas y envoya un au- tre Bâtiment avec ordre à l'équi- page de defcendre à terre & de Faire leur poffible pour rapporter des nouvelles certaines de mes ca- marades. Ces féconds y étant ar- rivez dépendirent fur la plage, & n'y voyant rien , le Capitaine dé- tacha les plus alertes de ks mate- lots pour aller en quefte aux en- virons. Ils firent un circuit de plus de deux lieues fans rien ren- contrer 5 & voyant qu'ils y per- doient leurs peines , ils retournè- rent faire leur rapport. Comme ils étoient prêts à remonter dans leur barque, l'un d'entr'eux ap- perçut fur la grève un grand amas de feuilles qui paroiuoit n'avoir pas été mis là fans deflein 5 il s'a- viia de les aller ranger à droite & à gauche avec le pied , & trou- vant de flous des hardes, de la fer- 5*2 Zes Voyages raille, des coffres, des balots, cettôj découverte le furprit , (es camara- des 6c lui ne pouvoient comprend dre pourquoi on les avoit ainfî abandonnez r & ne fçachant rien de meilleur à faire , ils les embar- quèrent dans leur VaifiTeau , &i vinrent rendre compte de leur commiffion. Chacun crutàEfpar- za &. moi à la fin commeJes autres, que nos camarades avoient été furpris par les Sauvages qui les avoient menez à leurs habitations^ & je defefperois de les revoir ja- mais. Quatre jours après, le Gou- verneur mangeant avec moi chez le Curé , il arriva à la porte du lo- gis un Cavalier qui couroit à toute bride, & qui rapporta plein d'efV froi , qu'il avoit vu marcher entre le bois de la mer une puiffants Armée d' Anglois. On le fit entrer fur le champ dans la maiion du Curé > & il nous aflura la même chofe. de LionnelV/affer. - 313 chofe. Sa frayeur pcriiiadant en- core plus que [es paroles , cha- cun auffi-tôt fe leva 5 on courue Tonner l'alarme par tout avec af- fèz de chagrin 5 car tout ce qu'il y avoit de gens dans la Ville étoient trop mal armez pour fai- re une vigoureufè refiftance, & encore moins bien difeiplinez. Le Gouverneur monta à cheval , de tout incommodé que j'étois je le fuivis pour lui aider à ranger fes gens. Le bruit , le annuité , le defordre croiffoit à chaque in- ftant. Il venoit des gens de tous cotez qui difoient que l'ennemi s'approchoit. D. juan & moi nous fortunes de la Ville pour nous en éclaircir par nous-mêmes 5 6c à peine eûmes-nous fait cinquante pas dans la campagne, que nous vîmes approcher en un équipage fort délabré notre petite troupe qui compofoit elle feule cette for- Dd 314 ^eS Voyages midable armée dont on nous avoïc menacez. La crainte qu'ils ont en ces quartiers-là d'être aflaillis par les flibuftiers des Ifles qui font gens à tout entreprendre pour pil- ler , les trouble fi fort , qu'ils fe reprefentent des fantômes, & leur fit prendre en cette rencontre cin- quante hommes bien fatiguez & tous defarmez pour une puiflante armée d'ennemis. Je ris beaucoup de cette terreur panique lorfque j'en eus reconnu la cauie, & j'eus une joye extrême de voir mes compagnons échappez du péril que j'avois craint pour eux. Je les queftionnai fur leur avanture, 6c ils me répondirent : qu'ayant at- tendu trois jours plus que le tems marqué , ils avoient cherché for- tune fuivant mon confeil & mar- ché fur mes traces le long de la côte. Je demeurai près d'un mois à de Lionne 7 Waffcr. 315 Eiparza d'où je (ortis enfuite avec de bons guides après avoir reçeu tous les bons traitemens imagina- bles du charitable D. Domingo, Se de D. Juan de Salinasdes let- tres de recommandation pour le Viceroy de la nouvelle Efpagne dont il étoit un peu parent. J'a- vois bien de l'impatience d'aller voir un Royaume fi riche, fi fer- tile 6c fi étendu. Les peuples en font à peu près les mêmes que ceux du Pérou en ce qui concerne leurs coutumes. Ils ont le même teint & la même forme de corps. Le climat en eft prefque égal , quoique le Pérou ioit plus fous la ligne, & le terroir d'une pareille fertilité 5 avec cette différence, que la nouvelle Efp?gne n'eft pas fi remplie de montagnes , & que les habitans en font plus fociables à caufe du grand commerce qu'ils ont avec les Efpagnols naturels. Ddij 31 6 Les Voyages Leur Religion & leurs loix poli- tiques écoient peu différentes , &: voici quelles cérémonies ils em- ployoient anciennement en l'un &, l'autre de ces Royaumes pour l'inftallation de leurs Rois. Ils les élevoient fur une efpece de bran- card d'or orné de plumes de di- verfes couleurs , 6c de la forme à peu près de ceux où. l'on porte les Chaffes & Reliques de nos Saints. Là tous leurs iujets accouroient en foule leur baifer les pieds, & leur offroient en hommage de l'or, de l'argent, des plumes, mar- cbandifes, étoffes, animaux vifs ou morts ,, des fruits, des grains, &c. chacun félon fes moyens : après quoi ils les obligeoient à ju- rer, qu'ils n'opprimeroient jamais leurs peuples, mais qu'ils leur ad- miniftreroient la juftice avec zèle & intégrité 5 qu'ils feroient cou- rageux dans la guerre j qu'ils obli- de Lionnel Waffer. 317 geroient le Soleil à leur continuer ion cours 6c fa lumière , qu'ils for- ceraient les nuées à pleuvoir dans leurs befoins , la terre à fructifier , les fontaines & les rivières à faire couler leurs eaux , les animaux à le multiplier parla génération, Se en cela ceux du Pérou furent en- core plus fuperftitieux que les Mexiquains , puifque les Incas leurs Rois avoient confacré un Temple au Soleil dans rifle du lac de Tititaca. Ces deux riches Royaumes differoient ou diffé- rent en cinq chofes remarqua- bles : La première, c'eft que quoL que la nouvelle Efpagne produife dans les entrailles de fes monta- gnes tous les mêmes métaux que le Pérou , il ne s en tire point de vif-argent comme en l'autre , & il falloit qu'on y en apportât d'Ef- pagne ou d'Allemagne, pour qu'on pût travailler à fes mines. Ddiij ^i8 Les Voyages La féconde différence , c'eft que dans le Mexique les Rois fe fai- foient par élection , Se qu'au con- traire dans le Pérou ils parve- noient au Trône par droit de fuc- ceffion. La troifiéme 3 c'eft que leurs langues avoient fi peu de reflemblance entr'elles, tant la gé- nérale que les particulières, qu'il ne s'y rencontroit pas un feul ter- me qui eut du rapport avec un autre. La quatrième , eft qu'au Mexique leurs Chroniques, tra- ditions Scantiquitezfe confervent & fe manifeftent par des peintu- res^ &; dans le Pérou par des Qui- pos. Enfin la dernière, c'eft que le vin dont ils font ufage au Pé- rou & qu'ils appellent Chicha > fe tite du maiz , qui eft une efpe- ce de bled femblable à celui de Turquie, & dans la nouvelle Ef- pagne ils le nomment Pulque , de le tirent d'un arbre nommé Ma- guey. de Lionnel Waffer. 319 Le terme de Cofta rica , qui fi- gniiîe en Efpagnol côte riche, fem- bleroit donner une grande idée de la Province qui porte ce nom 5 mais la vérité eft qu'il lui a été donné par ironie , parce que c'eft un terroir pauvre 6c peu fertile, quoiqu'abondant en grand & me- nu bétail. Elle eft du Diocefe de Nicaragua 5 fa Capitale eft Car- tage 5 elle a fur la mer du Sud le Port de la Caldera, ôc elle en a d'autres fur celle du Nord. C'eft un Gouvernement 6c une Capi- tainerie Générale , à caufe que par fa fituation elle eft expoiëe aux infultes des flibuftiers des Ifles. La Province de Nicaragua la fuit 5 c'eft un Evêché 6c un Gou- vernement. La terre en eft fer- tile, l'air très-fain, 6c le païfage le plus agréable du monde , parce qu'il offre à la vue des plaines, des Dd iiij 3io Les Voyages rui fléaux , des prairies , & de dî- fiance en diftance des bofquets donc les arbres s'élèvent dans les nues 5 6c il s'y en trouve d'une fi prodigieufe grofleur , que douze hommes fe tenant par la main les peuvent à peine embrafler. Il y a dans cette Province un grand nombre de Villages, de Bourgs Se de Villes dont les principales font : Léon , Grenade , Segovie bc Nicaragua, A cinq mille de cette dernière eft une très-belle Iile fur le lac dont j'ai parlé j elle eft fertile en Cacao , Ouatte , Teinture d'éearlate & en fruits d'un goût délicieux. Ses Ports fur la mer du Sud font ceux de Nicoya, de Realexo 6c de Mafoya, ôc cette célèbre Habitation des Indiens du pais qu'on appelle le Vieux Bourg ^ il eft fi grand 6c fi peuplé, qu'on y compte vingt mil- le perfonnes y & l'on y voit dans de LionnelWaffer. 32? le Convent des Religieux de S. François une Image de Notre-Da- me y qui par fes Miracles frequens &: avérez le rend encore plus cé- lèbre que le nombre de fes habi- tans. Dans toute cette Province on y recueille en abondance du fucre , de la teinture d'écarlate > gome, poix-raifîne , du goudron, & des bois pour les Navires , du chanvre , du lin y 6c du meilleur Cacao de toutes les Indes > mais il ne fort gueres du pais à caufe que ce fruit eft le principal ingré- dient qui entre dans la compofi- tion du Chocolat dont ils y font un ufage exceflif. C'eft entre les ro- chers de fes cotes que Ton pef- che ce petit poifibn à écaille fi renommé, qui travaille la pour- pre dont on teint une fi grande quantité de toiles de foye* de cot- ton 6c de fil 5 6c cQttc teinture ne perd jamais fa couleur, quoique 312 Les Voyages vous la laviez dans la leffive la plus force. Après la Province de Nicara- gua eft celle de Tegufigalpa, ou il y a de riches mines d'argent : Honduras vient enfui te, c'en: un Evêché , un Gouvernement & une Capitainerie Générale. Cet- te Province eft fituée entre Nica- ragua & le Yucatan. C'effc un terroir fertile & pourvu de tou- tes les chofes neceifaires pour la vie i & fur tout de miel & de cire 5 fon Port le plus confiderablc eft Truxillo fur la mer du Nord. Vous trouvez après cela trois Gouvernemens , qui font : San Salvador ou Saint Sauveur , la Trinité, & S. Antoine de Sudû. tepeques , lieux très-ahondans en Cacao , cochenille, paftel, graine d'écarlatte & encotton. L'on arrive enfuite dans PAu- diance de Guatimala ; c eft un de LionnelV/affer. 323 Gouvernement 6c une Capitaine- rie Générale fort confiderable > car elle eft fans aucune dépendan- ce du Viceroy de la nouvelle Ef- pagne. Ce Gouvernement en a ïous lui quatre autres , qui font tout autant de Provinces. La Ca- pitale en eft S. Jacques 5 Ville li- mée dans la vallée de Panchoy , entre deux montagnes appellées dans le pais Volcanès , dont l'une jette de l'eau, 6c l'autre du feu. La première fe nomme Almolon- ca 5 elle a quatre lieues de hauteur Se dix-huit de tour. La Ville de S. Jacques avoit nom autrefois Zacualpa , & eft appellée prefen- tement la Vieille Ville 5 c'eft un féjour délicieux 5 elle abonde en toute forte de fruits 5 mais elle eft fujette à des tremblemens à canfe de la proximité des deux Volcans dont je viens de parler. Il y a Audiance> Evêché, Univerfité, 324 Les Voyages &; tous les autres Tribunaux qui font établis dans les Capitales des plus grands Royaumes. Elle a fix Convens de Religieux Mandians 9 & trois de Religieufes. Peu de Villes font plus peuplées , les ha- bitans y font très-polis, &: fur tout la nobïefle qui y eft fort nombreu- fe, s'y diftingue avec beaucoup d'éclat. Ils y font excellens hom- mes de cheval , quoique prefque tous à la ginette , & des plus ex- perts en fait de courfes de Tau- reaux. De la on vientàChiapa : C'eft une Prévôté Royale , qu'on ap- pelle dans le pa'ïs Alcadia mayorB On y voit les mêmes fruits qu'à S. Jacques de Guatimala &: en quantité 5 fa Ville Capitale eft Chiapa Ville Royale, c'eft-à-dire> ou il y a des Tribunaux Royaux, en quoi elle diffère de Chiapa des Indiens où il n'y en a point x de Lionnel Waffcr. 32.5 quoiqu'elle foie très grande. Cet- te dernière eft à dix lieues de cel- le des Efpagnols , & eft fîtuée fur un fleuve navigable, aux bords duquel fe rencontre des couleu- vres de trente-deux pieds de lon- gueur > comme celles de Porto- belo. A côté de la Province de Chia- pa vers la mer du Nord , eft celle de Tabafco , qui eft de la même fertilité que les autres , qui rap- porte les mêmes fruits 6c où les mêmes denrées fe débitent 5 mais fon Port pour être trop bon lui devient dangereux , parce qu'en toute faifon il offre un feur abord aux ennemis de la Nation. Plus avant eft le Yucatan, Evê- ché > Gouvernement, & Capi- tainerie Générale $ Merida en eft la Capitale. Cette Province eft moins connue par ce nom que par celui de Campefche > Port dan- ■ 316 Les Voyages gereux à la vérité , & fi rempli de bancs & dectieils, qu'on eft obligé de mouiller à quatre lieues avant en mer, mais fameux par fon bois qui eft fi neceffaire aux belles teintures. Le Yucatan eft des plus abondans en cire., coton, paftel , & autres marchandifes dont on fait trafic par toute l'A- mérique. Tabafco & le Yucatan font , comme je l'ai dit y à côté de Chiapa 5 mais en droite ligne après cette dernière Province eft celle de Teguantepeque > fertile en fruits & en graine cTécarlatte % les Indiens qui l'habitent y font fi peu faits à iobéifTance > & fi fedicieux y qu'en Tannée 1657. le Lundi de la Semaine Sainte , ils tuèrent à coups de pierre 6c de bâtons Don Juan de Avellano Gentil- homme du Duc d'Alhur- querque & Grand Prévôt de cet- •te Province avec deux de fes va- de tionnel Waffer. 327 lets : enfuite ils allèrent à la Mai- ion de Ville ou D. Juan logeoit, & qui écoic une des plus belles du Royaume 5 ils y mirent le feu 6c la brûlèrent entièrement avec . plus de quarante mille écus de meubles & de marchandifes. Mexapa fuit Teguantepeque , puis Xicayan & la Ville haute, qui font les plus riches de la nou- velle Efpagne , par l'abondance des graines d'écarlatte , de coche- nille , & des toiles de coton qui s'y débitent. A près elles on trou- ve Guaxaca Evêché & Prévôté Royale , dont la Capitale nom- Le f A A* J meilleur mee Antequera ou Guaxaca du Chogo- nom de la Province, eft une gran- \do\J* de Ville de commerce 6c qui abon- ljs Ji" de en toutes choies. C'eit la que ckkn»< fe fait le meilleur Chocolat de c toutes les Indes > auffi-bien que l'excellente poudre de Polville , la plus exquife de toutes les 3i 8 les Voyages odeurs. Elle eft tellement eftî- mée Se fi chère , que la livre en coûte autant que fix de Choco- lat. Il s'en débite une grande quantité dans toutes les Provin- ces du Mexique , & il en pafle beaucoup au Pérou , & même en Efpagne. Mais ce qui eft affez par- ticulier , c'eft qu'il n'y a que les Religieufes de Sainte Catherine établies dans Antequera qui en lâchent la compofuion. Les Re- ligieufes du Convent de la Con- ception , ni celles des autres Mo- nafteres de la Ville n'ont jamais pu y parvenir. De Guaxaca on entre dans le Theguacan ou l'on rencontre Tepeaca, Tlaxcala, Atrifco, & quelques autres Villes toutes grandes &c bien peuplées , & aux environs defquelles on fouille des mines d'argent. La puebla de los . Angeles vient enfui te 5 c'eft un Evêché de Lionnel Wajfer. 32.5? Evêché de foixante & dix mille écus &: la plus grande Ville de toute la nouvelle Efpagne après Mexique 5 elle eft: à cinq lieues de Tlaxcala î fa Métropole qui eft une agréable Ville pour le lé- jour, mais pas fi grande, ni à beau- coup près fi riche que fa fuffra- gante. Il y a dans la Puebla un nombre confiderable de fuperbes Eolifes & d'autres Edifices bâtis de pierre de taille > mais la Ca- thédrale efl: le plus beau de tous.. On y voit auflî des Manufactures établies de toute forte de draps fins & d'étoffe de laines-, de foyer &: d'or femblables à celles d'Eu- rope. C'eft là que fe travaillent Les meilleures armes de toute l'Amérique. A vingt lieues de cette grande &: célèbre Ville ert tirant au Noroueft eft Mexique y la merveille des Indes 5 mais je &'en ferai la defcription qu'après Ee 330 Les Voyages avoir parlé des autres. A côté de la Puebla à 80. lieues fur la mer du Nord eft fituée La vera Cruz , Port célèbre où l'on vient aborder d'Europe pour en- trer dans la nouvelle Efpagne j & à 80. lieues de l'autre côté fur la mer du Sud , eft Acapulco. A huit lieues de cette dernière eft une autre Ville nommée Pafqua- ro où l'on voit des Orgues de bois qui furent faites par un Indien adroit & induftrieux, ôc qui re- forment auiîi harmonieusement que les meilleures Orgues d'Eu-* rope. Tout le monde les va voir par curiofué. En fuivant le chemin vers le Couchant, on arrive au Mechoa- can5 dont la Capitale eft Vailla- dolid. C'eft un riche Evêché & une grande Prévôté. Le terroir en eft fertile, & il s'y rencontre des mines d'argent 2c de cuivre, de Liotmel Waffer. 331 Après Mechoacan eft Xalilco Evêché & Prefidence. On y voie de pareilles mines 6c les mêmes choies 5 la Capitale en eft Gua- dalaxara. Au-delà eft Sacatecas, Gouvernement fécond en riches mines d'argent autant qu'aucun autre de la nouvelle Efpagne. Je vais rapporter un fait qui donne- ra une ide'e jufte de fa richefle : En Tannée 1661. il y avoit dans Sacatecas un Cavalier nommé Barthelemi de Lagunas , lequel pour avoir fait la découverte de certaines mines, qu'il appella Las benitillas * s'étoit tellement enri- chi, qu'au- lieu qu'il ne fubfiftoit auparavant que de ce qu'il pou- voitgrapiller dans les maifons du jeu, à force de faire le comptai- fant & l'officieux auprès de ceux que la fortune du dé 61 des cartes favoriloit : Il commença par don- ner plus de quinze cens mille écus £e ij 33i Les Voyais de prefent à ceux qui Pavoïenr afïïfté dansfaneceflité. Enfuite il acheta la maifon fous le porche de laquelle , avec la permiffion fpe- ciale du Portier il avoit coutume de paffer les. puits enveloppé de fon feul manteau. Il la fit même rebâtir de/pierres de taille mêlée avec la brique , en quoi il dépenfa deux cens mille écus. Il n'en de- meura pas là : il fit bâtir à fes dé- pens. PEg.life.de S. Dominique à qui il avoit une fmguiiere dévo- tion , &. cette œuvre de pieté lui coûta encore autant. J'ai oui dire à Don Jofeph de Sanabria Gen- til- homme du Pérou , qu'étant à Sacatecas dans la maifon du Grand Prévôt de la Ville nommé Don Juan Hurtado de Mendoza de l'Ordre de S. Jacques , ce Bar- thelemi de Lagunas lui vint un, jour rendre vifite, & qu'ayant ex- trêmement loué, un Chapeau d& de Lionnel Waffer. 355 igogne qu'on avoit envoyé diî 'erou à Don Jofeph , celui-ci le lui offrit. L'autre l'accepta avec force remercimens , lui dilant 1 qu'il lui en rendroit deux de Ca- itor en échange. Après la vifite » Don Jofeph lui envoya le Vigo- gne avec deux fort beaux Pifto- Jets d'arçon richement & indu- ftrieufement travaillez 5 &: le Me- xiquain , pour ne pas demeurer en refte de generofité , lui envoya une Aiguière d'or , avec la Tafle de même métal, ce qui pouvoit valoir mille ducas , Se outre cela deux Fontaines de vermeil doré du poids d'environ douze marcs, dans chacune defquelles il y avoit cinq cens écus en patagons , &: par-deffus deux Chapeaux de Ca- ftor, comme il le lui avoit promis.. C'eft ainfi que les richeffes met- tent quelquefois en fon jour le courage d'un homme généreux > 334 Zes Voyages qui peut-être fans elle feroit refté | dans une honteufe oMcurité. D, Jofephde Sanabria lui demandant lc0 un jour par curiofité combien il |u avoit de revenu , le Mexiquain lui répondit : qu'il n'étoit pas fort expert en fait de calcul 5 mais que fans compter les dépenfes extraor- dinaires de fa maifon & celles de dehors qui écoient plus grandes , ni deux cens écus qu'il donnoit d'aumône aux pauvres en menue monnoye tous les Samedis , Se deux cens autres à divers Con- vents de la Ville , il donnoit mille écus chaque femaine pour les journées des ouvriers qui travail- Joient à fes mines 6c mille autres à fon Maître d'Hôtel pour la dé- penfe ordinaire de fa maiion. - Après Sacatecas eft la nouvelle Bifcaye. Ceft un Evêché & une Capitainerie générale , la Capi- tale eft Durango. Le païs eft pau- de Lionne l Waffer. 355 vre à caule de rexceifive abon- dance de bétail à Guan- camé , à Sonera, de dans d'autres ^endroits s on y trouve auflî des mines d'or qu'on fouille à S. Jac- ques à dôme lieues du ParraL II y a encore des mines de plomb à Sainte Barbe. A l'Occident de la nouvelle Bifcaye, font la Province de Ci- naloa & llfle de Californie, qui ne font féparées que par un bras de la mer du Sud, &: fur la côte defquelles on pefche des perles en abondance , mais peu grolïes, Ce font des Gouvernemens feparez 5 mais qui reconnoiffent le même Evêque, Après ces mines dont je viens de parler, on entre dans le nouveau Mexique qui eft éloigné jy> Les Voyages de 500. lieues de la Ville de Me- xique. C'eft un Evêché, Gou- vernement & Capitainerie géné- rale > la Capital- eft Sainte Foy de la nouvelle Marato. Dans re- tendue prodigieufe que contient ce nouveau Royaume , font dix- huit Provinces , dont voici les noms : Les Piros y Jfaeona* Gœ- liflkeo) Theguas , guéris 3 Pecos 3. J-Iemex 3 Las Salinas-, Thaxique-? Thanas , Sugni , Cibola , Acoma , Moqui^ & les fept Villes, Picu- ries > Thoas3 Marfos & Humanas\ C'eft un terroir froid & fitué au 37, degré & demi de latitude Sep- tentrionale, mais fertile &: abon- dant particulièrement en toutes eipeces de bétail grand &: petit r & en cotton dont on y fait une infinité de toiles, de tapifleries 5, &; mêmes de tapis. Il eft peuplé des Indiens qui y relièrent de ma- ladie & de iaffitude , lorique le premier de Lionnel Wœffer. 357 premier Mortegfuma fortit de Theguajo fa patrie pour aller conquérir le Royaume du Mexi- que , & de cela font foi non- feu- lement les traditions du païs>mais auflî le nom de la Province qu'ils appellent Theguas, de celui de leur patrie dont ils étoient fortis en armes , &i même la langue que parlent encore à prefent ceux du Faux-bourg S. Michel de la Ville •de Sainte- Foi , qui conftamment étoit la naturelle deMortegfuma> &: qu'il établit générale de fon tems dans toute l'étendue de fon Empire. Ces peuples tranfplantez s'arrêtèrent & s'établirent fur les bords du grand fleuve qu'on ap- pelle du Nord , ou autrement , Rio-bravo, à caufe de l'abondan- ce & de la rapidité de ks eaux. Il eft navigable & a de largeur dans les moindres endroits une portée de moufquet pour le inoins , & Ff 33$ Les Voyages quelquefois plus d'un quart de lieuë. Il s'y pefche de très-beaux poiflons , comme des Truites y Congres , Alofes , Dorades > 6c autres. Ce qu'il faut particulière- ment remarquer au fujet de ce fleuve , c'eft que prefque toutes les Cartes font venir fa fource d'un grand lac > mais c'eft: une opinion faufle , puifqu'il nefe trouve point d'étang ni de lac à plus de 300. lieues de lui 5 le lieu où il prend naiflance eft une des plus hautes montagnes & des plus inacceffi- bles qui foient dans le nouveau monde , à fix vingt lieues au-delà du Bourg de Los Tahos , vers le Nord. On ne fçauroit monter à cheval cette montagne, tant elle eft efearpée 5 ôc de l'autre côté eft le Teguajo , d'où, fortit , ainfi que je l'ai dit , le premier Mortegfu- ma, lorfqu'il entreprit la conquê- te du Mexique. Il defeend un de LionnelWaffer. 355 grand nombre de ruiflèaux des montagnes circonvoifînes. Ces ruifleaux joints à la fonte des nei- ges , quelques lieues avant que d'arriver au Bourg de Los Tahos, forment tous enfemble ce fleuve fameux , lequel acrû de toutes leurs eaux, coule un tems entre ces monts comme un canal, mais fi profond 6t fi étroit , qu'il n'a pas alors une aulne de large 3 Se l'on entend à peine le bruit de fon cou- rant 5 mais venant enfuite à s'éten- dre dans une des plus belles & des plus étendues pleines qui fe puif- fent voir , après qu'il a parlé le bourg que j'ai nommé , il fe mêle avec cinq ou fix rivières considé- rables qui paflent à Picuries , à Zama/Sainte-Foy, & autres lieux, ce qui l'augmente de telle forte, qu'on le voit s'enfler au prin- temps , & comme un fécond Nil inonder & fertilifer toutes les Ff ij 34° Let Voyages campagnes des environs. Après qu'il a continué fon cours fort long-temps vers le Midi, il tour- ne enfin à l'Orient s & par ce dé- tour perdant fon nom de fleuve du Nord, il acquiert celui de Rio- brava , ou du grand fleuve 5 il entre de là dans la Province des Patarabuyes, ou il fe joint au fleu- ve falé qui eft très-large 8c qu'il honore de fon nom. Palfant enfui- te au milieu du nouveau Royau- me de Léon , à près de trente lieues des mines de Quavila , il entraîne avec lui les rivières de Nombre de Dios, delà Floride, de S. Pierre & de Las Conchas, & tous enfemble fous le célèbre nom de Rio-bravo , vont (è dé- charger dans le Golfe de Mexique par une embouchure qui a plus de trois lieues de large , même avant que d'arriver à la Guafteca. Quelques autres Géographes de Zionnel Waffer. 341 prenant tout le contrepied , mar- quent ion embouchure de l'autre côté dans la mer rouge de Califor- nie ; ce qui eft contraire à ce qu'en a remarqué par lui-même Don André de Figueroa de la Province de Pectines, & à tout ce qu'il s'en €il fait rapporter par les gens du païs. Ce Gentilhomme pour s en éebtircir encore davantage auffi- bien que pour être en droit d'au- torifer cette vérité ôc de Faflurer à tous ceux qu'il appartiendroit pour le lervice de Sa Majefté Ca- tholique, forma le deffein en 1661. de faire conftruire à fes dépens 20. barques , afin de pouvoir achever avec elles de découvrir le païs , Se de foumettre à la Couronne d'Ei- pagne le refte de ces Indiens qui s'étoient établis fur le bord de ce fleuve. Mais le Marquis de La- drada Comte de Bagnos , qui écoit alors Yiceroy de la nouvelle Ffiij 34* ï-es Voyages Efpagne, s'oppofa à cette entre- priie, alléguant que fans une per- million fpeciale du Roy, il ne pou- voit pas donner les mains à cette expédition. Ce Seigneur étoit oc- cupé de plus grands foins dans ce temps-là. Ilavoitàfurmonterpar- une conduite délicate les traver- fes que fes ennemis lui fufcitoient, C'eft ce qui Pempèchade fournir à Don André les munitions de guerre 6c de bouche neceiîaires pour le fuccez d'une entreprife fi, importante, 6c fans lefquelles Don André ôc fes gens fe (eroient im- prudemment expofez à devenir les vi&imes des peuples qu'ils vou- loient fubj uguer. Les neceffitez du dedans étant préférables a cel- les du dehors , le Comte de Ba- gnos fe crut obligé de courir au plus preiïe , 6c il ne pouvoit alors faire autrement, puifqu*il lui fal- loit fonger avant toute chofe à de Lionnel Waffer. 343 diflîper l'orage qu avoient excité dans toute Pétenduë de fon Gou- vernement les emportemens de ks deux fils Don Pedro & D. Gaf- pard de Leyva. Ces jeunes Sei- gneurs fiers du pouvoir de leur père , & ne fuivant que Pimpe- tuofité d'un fans: bouillant , exer- çoient dans Mexique une efpece de Duumvirat par des excès que les mécontens qualifioient de cri- mes & de cruautez intolérables. Effectivement ils en firent tant, que les plaintes des peuples, 6c fur tout des perfonnes de diftin- ction- portées à la Cour, y mirent le Viceroy en fi mauvaife pofture, qu'il fut dépofledé de Ion emploi 5 & en attendant l'arrivée du Mar- quis de Manfera qui fut nommé pour lui fucceder , Padminiftra- tion des affaires fe donna par in* terim à Don Diego Oforio de Eicobar Yllamas , Evêque de la F f iiij 344 **es' Voyages Puebîa , qui par l'averfion qu'il avoit toujours eue par lejComte de Bagnos, avoit plus contribué queperfonneàfadëpoffeffion. Les ehofes néanmoins n'en allèrent guère mieux par ce changement y Don Diego ne fe fît pas plus aimer que le Comte -3 mais je m'apper- çois que je fors des bornes que je me fuis prefcrites. Dans la nouvelle Efpagne, &c toutes les Provinces qui font com- primes fous ce nom, il y a plus de quarante mille Eglifes, 85. Villes confiderables , ^8. petites, & un nombre infini de Bourgs & de Villages. On y compte trois Ar- chevêchez) qui font : S. Domin- gue, Primatie des Indes , 6c dont le revenu eft de dix mille pata- gons: Mexique qui en vaut tren- te mille, & Manilha fix mille. Il y a quinze Evêchez : La Puebla appellée Tlaxala de foixante &; 'de Lionnel Wajfer. 345 ' Six mille écus de revenu, Oaxaca de ii, Chiapa de 10, Guatimala de 13, Honduras de 5, Nicaragua de 8, Michoacan de 35 > Xalifco de 15, Durango de 8, le nouveau Mexique d'autant , laHavanaen l'Ifle de Cube de io, Puertorico3 Sibu , Cagayan , &: Camarines > chacun de trois mille. Il y a de plus dans ce Royau- me une inquintion générale éta- blie à Mexique , outre les particu- lières qui font répandues dans tou- tes les Villes , grandes ou medio- cres ; cinq Unryerfitez Royales, ou il y a des Compagnies de tou- tes les Facilitez des Sciences, & des Arts, fans compter plufieurs Collèges particuliers. On y voit les mêmes Tribunaux & Magi- ftratures que dans le Pérou j toute la différence qui s'y rencontre , ceft que les appointemens des Ma- giftrats & autres Officiers de Ju- 34-6 les Voyages ftice font plus forts dans ce der- f nier que dans le Mexique : on y -| compte cinq Audiances , celle de Mexique , celle de Guatimala , celle de Guadalacara , celle de S. Domingue & celle de Manille 5 les Gouverneurs ôc Capitaines Généraux en font les Preiîdens > & par leur mort ou en leur abfen- ce le plus ancien des Confeillers. Il y a un grand nombre d'Offi- ciers qui ne font nommez que par le Roy , comme certains Gouver- neurs, Grands Prévôts , Géné- raux de Flotes , ou Amiraux Co- lonels 3 Gouverneurs de Forteref- fes i mais le Viceroy ne laiflè pas d'y pourvoir par intérim , lorfque les places deviennent vacantes. Voici quels ils font : Le Gou- verneur & Capitaine gênerai de Guatimala* , des Filipines, d' Yu~ Les Villes après lefquelles il y a des * font telles dans le terroir defyiielhs il y a des mines d' 'argent. duras, de San Dommgo^eColto puerto-r co Plus 1 Qe_ ment fans titre de ^ y Nicara. ^"^'^aTo deNueva-vera- g^ dS^lesGouvernety le Efpagne.de San Ju«d & d' Acapulco 5 des "ols^ d i l, Havana : çavoir , ceux ou a la Ma\ana • ^ . vieux Morro , de la Punta , K Sacatula, Tucepec, Tequanre- pec, Tepeaca, Teguacan, Tu- îanfingo , Chichicapa , Oaxaca , Xilotepeque, Panuco, Itampico, la Ville de Los Vallès, Villa-rica, 6c l'ancienne Vera-Cruz, Xala- pa , Mexicalfingo , Tacubaya , Coantnavac, Teutitlan, Acatlan, Serrogqrdo , El Saltillo , Aqua- hzlcos , Sulcepec * , Tlafafalou , Yftepec, Izucar, Yapotlan, Gua- 3^0 Les Voyages fulco , Titzla, Chant la de la Sal, Tetela*, Itmiguilpa, Xiguilpa, la Ville de los Lagos , celle de Léon, Pachuca*, Totonicapa*, Guadalcazar*, Xiquipila, Teu- tila, Orifaha, Xalofingo, Papant- la , Quantitlan de los Jarros, Tef- euco , San Juan de los Llanos, S. Jacques de Tecaliautlan, Saint Antoine, Guatifco , Tulpa, Pe- taltepec, Zapotitlan, Cuiguacan, Xafoitrcniendo , Yurirapundaro, Topila, Teuficalco, Marabatio ., Taximaroa, Guaufacalco, Xito- tepec* , Zumpango * , Guauchi- nango*, Simatlan, Xiquipilco, O nimba 3 Saint Chriftophe, Cha- calhua, Compuala*, Yautitlan, La Mifteca , Teutitlan du che- min , Tepalotiflan , Culiacan , Sapotecas, Petatlan , compoftela, Quatagualpa, Co(amaluapa, 6c les autres dont je ne puis me fou- venir. de Lionne l Waffer. 351 Outre toutes ces Villes \ il y en [a fix autres où le Gouverneur & Capitaine gênerai nomme feul les Magiitrats & les autres Officiers qui font : El Parral , Sonora , In- dehen , Guancame, S. Jacques 5c Sainte Barbe 5 &; dans toutes cel- les-là, c'eft-à-dire, dans leur ter- ritoire, il y a de riches mines d'or $£ d argent. Au Gouvernement de chaque Province de la nouvelle Efpagne s'employe d'ordinaire un Noble fuivant (a naiflance &: le rang qu'il tient dans le monde 5 parce que tous les Gouvernemens ne font pas d'égale importance 3 ni de pa- reil revenu. Il y en a de fi lucra- tifs , qu'en moins de deux ans ils rapportent deux cens mille écus à celui qui a été allez heureux pour les obtenir. Il en eft de cent mille, de cinquante mille, de 40, de 30, de 20 , de 10 , de 6 , 8c d'autres fi 552. Les Voyages médiocres , qu'ils ne vont pas juf- qu'à quatre mille , 6c dans quel- ques-uns de ces derniers s'entre- tiennent quelquefois des gens de mérite , qui n'ayant ni rentes ni fonds, y demeurent pour fubfifter, 6c fouvent par leurs épargnes 8c par les petits profits cafuels que leur emploi leur procure , ils fe mettent peu à peu en équipage 6c en état d'afpirer à des Gouver- nemens plus confiderables. Ce Royaume n'eft pas moins abon- dant que le Pérou en chofes ne- ceflaires à la vie , à l'exception du vin qui ne fe fait que dans le Par- rai, encore eft-il mauvais 6c en petite quantité 5 mais on y en por- te d'Efpagne & du Perçu. Il man- que aufli d'huile. Il y a environ quarante ans qu'on commença d'y planter des oliviers j ils rapportent peu, mais le fruit en eft bon. Pour ce qui eft des mines, il s'y en trou- ve de Lionnel Waffer. 3 ^3 ve un grand nombre et de fort ri- ches : mais parce que le païs, com- me j'ai dit, manque de vif-argent qui ne s'y porte que d'Allemagne & d'Efpagne ; elles ne font pas d'un aufli grand rapport que cel- les du Pérou. Si SaMajeftéper- mettoit qu'on y en apportât de ce dernier Royaume , elle épargne- roit bien de la dépenfe , £c reti- reroit un plus grand profit 5 mais pour des raifons qu'il n'eft pas permis de pénétrer, tout le vif- argent qui vient du Pérou eft ar- rêté avant qu'il arrive au Mexi- que , & confifqué comme Mar- chandife de contrebande. En ver- tu d'une fomme de huit mille du- cats que la contraclation de Se- ville paye chaque année au Roy , elle a fermé la correfpondance des Ports du Pérou avec ceux de la nouvelle Efpagne. Ce qui fait per- dre à Sa Majeflé plus ds trois cens G 254 celui de Ca- racas qui eft plus gros eft le moins eftimé de toutes les Indes. Il y en a auflî dans le Pérou , mais il de Lionnel Waffer. tff fee croît que dans le Guyaquil > RI y eft fort gros & excellent tant [qu'il ne fort pas du Royaume 5 [mais lors qu'on le veut tranfpor- jter ailleurs, il change de goût en paflant la mer 6c fe moifit. C'eft ce qui fait que plufieurs perfonnes le recherchent avec plus d'em- preflement que les autres , parce qu'il fait plus de moufle 6c d'é- cume que celui du Mexique , ÔC il y a bien des gens qui n'aiment du Chocolat que l'écume, ôc n'en voudroient pas boire s'il n'étoit fort moufle. Le Maguey eft une plante de la forme de l'Artichaud 5 i1 croît dans les champs , & il y croît fans culture, mais femblable à la vigne, il n'a jamais tant de force ôc de qualité que quand il eft cultivé. Ses feuilles font beaucoup plus grandes que celles de l'Arti- chaud. Il y en a dune aulne de 360 Les Voyages longueur &: qui font larges à pro- portion 5 mais communément el- les ont trois quarts de long. Elb eft très- large par en bas & va en diminuant jufqu'au haut où. s'éle- ve une efpece de tuyau de la grof- feur & de la forme d'une plume à écrire & qui aboutit en épine. Cette feuille eft épaiffe de deux doigts , &; a une écorce allez dure qui peut fervir de papier dans un befoin , de même que fon tuyau taillé avec un canif peut fervir de plume. Le corps de la feuille qui eft deflbus cette écorce étant cuit au four a tout le même goût que des pâtes de Coin 5 lors qu'elle eft verte il en fort un fuc qui eft merveilleux pour les bleflures & pour ranimer la vigueur des che- vaux recrus de fatigue 5 & quand elle eft feche elle fert de thuile pour couvrir les maifons. Lors elle s'amollit de telle ïorte , qu'on en file du fil très- fin dont on fait toutes fortes de toiles 6c de cor- dages , fuivant la groffeur dont on le tire. La tige d'où fortent ces feuilles eftgroiïe comme la cuifle parle bas, 6c va en diminuant en pointe jufqu'à la hauteur d'envi- ron vingt pieds 5 elle pouffe des fleurs jaunes dont on fait des fy- rops dk des purgations fouverai- nes pour les maux vénériens &. pour toutes fortes de pullules. Le bois en eft pliant, mais d'une na- ture peu fujette à fe corrompre , &: pour cette raifon on s'en fert à couvrir les toits. On en faitauffi des fourreaux d'épées 6c de pifto- lets,desjaloufies pour les feneftres, des enclos de jardin 5 & le cœur qui eft plus tendre s'employe d'or- dinaire à faire des images 6c re- prefentations de Saints , à quoi il Hh 362 tes Voyages eft fort propre. C'eft de cette plante que les habitans du païs ti- rent le vin qu'on y boit. Voici de quelle manière : Ils y font une petite ouverture , laquelle néan- moins eft profonde , puifqu'elle va jufqu'au cœur du tronc > à Pen- droit ou les feuilles s'en féparent, 6c de cette ouverture coule une liqueur qu'ils recueillent quatre fois le jour, &: ils en tirent le poids <£e deux livres chaque fois. De cette liqueur fe fait d'excellent miel , de l'huile , du vinaigre , Se de cette efpece de vin que les In- diens nomment Pulqué , &: dont ils s'enivrent. Il eft fort bon pour plufieurs incommoditez 6c parti- culièrement pour la gravélle. L'u- fageen eft fi çxcelTiï par toute la nouvelle Efpagne , qu'un des plus confiderables emplois aufquels le Viceroy pourvoyoit autrefois , écoit celui de Juge du Pulqué j de Lionncl Waffer. 3^5 mais depuis quelques années on Ta mis en parti , & il rend aux cofres du Roy quarante mille écus par an dans la feule Ville de Me^ xique , fans compter une pareille fomme qui fe paye aux Gardes & Commis qui font continuellement par voye & par chemin pour em- pêcher qu'on ne fraude le droic des entrées , lequel toutefois n'eft que de fept fols pour chaque char- ge de cheval ou de mule 5 & il y a un profit fi confiderable à faire dans cet emploi , qu'un certain François de Cordoùe homme rond & de bonne confcience , ayant eu le bonheur d'y parvenir 3 de pe- tit Mercier qu'il étoit, courant par les marchez pour vendre fa mar- chandïfe, il y a amàfTé de fi pro- digieuses richeffes , qu'on l'a vu premier Juge de Police à Mexi- que. Il eft à prefent Treforier General dans la Chambre des H h ij 3^4 Les Voyages Comptes de cette Ville, c'eft-â- dire, un des hommes de confe- quence du Royaume & de ceux que les V icerois ménagent le plus. Il étoit fi bien avec le Comte de Bagnos , &: enfuite avec le Duc d'Alburquerque, que les femmes de ces Seigneurs alloient tous les ans chez lui prendre du Choco- lat Se voir paffer la Proceffion le jour de la Fête-Dieu. Le balcon qu'il leur faifoit préparer eft fi magnifique, & d'un travail fi pro- digieux, qu'il a coûté plus de vingt Ri i ^ »-f r . . - mule ecus 3 quoiqu il ne ioit que de fer. Sa maifon fituée dans la rue S. François , &C fans contredit la plus belle Se la mieux bâtie de tout Mexique,eft eftimée trois cens mi lie ducats, ce quia donnélieu à ce bon mot qu'on dit d'elle , que c'eft un édifice ifuicberrimo) à caufe qu'il doit fon origine au Pulqué. On fait auflî en plufieurs en- de Lionnel Waffer. 365 droits de ces Provinces, 6c fur touc dans celle de Colima, d'excellent vin blanc d'une efpece de Cocos que portent certains Palmiers qui reflemblent à ceux qui portent des dattes , quoiqu'ils ne foient pas tout-à-fait fi hauts. Les Efpagnols, Criolles 6c Indiens en font ufage. Ce vin pour la couleur 6c pour la faveur eft peu differét de celui qui croît en Allemagne fur les bords du Rhein , 6c on ne le croit pas moins bon que lui pour ceux qui lont fu jets à la gravelle. Les cannes de fucre font fort communes dans lepaïsj 6c il s'y trouve auffi un grad nombre d'eaux chaudes ^c mine- raies. Dans le Bourg de Guada- lupe on en voit une très-froide qui guérit de la fièvre lors qu'on en boit, de qui ne fort jamais de ion lit , quoiqu'elle bouillonne continuellement plus haut que fes bords , ce qui eft regardé com- H h iij ^66 "Les Voyages me une merveille. Il (e nourrit beaucoup de bé- tail dans toute la nouvelle Efpa- gne ? à caufe de la bonté & de l'é- tendue des pâturages. Il y a des particuliers qui font très-riches en cette nature de bien, comme Don Geronimo Magdaleno-de Andra- de, Chevalier de l'Ordre de S. Jacques , qui fortant de Mexique pour aller en fes Domaines de Gua- rachi fituez dans les Provinces de Xiquilpa & de Michoacan éloi- gnées de 8o. lieues de cette Capi- tale, pendant tout fon voyage ne dé- couche point de deffus fes terres y mais cei\ peu de chofe encore en comparaifon de D . Prudencio de Armentia, qui marche fans difcon- tinuation fur les fiennes l'efpace de deux cens lieues depuis Mexi- que jufqu'à Durangoj ôcl'abon- dance de (es haras eft fi prodi- gkufe , que pour ne pas confumer de Lionnel Wajfer. 367 fes pâturages , il eft obligé de fai- re précipiter toutes les années plus de quatre mille pièces de chevaux* de cavales ,- & de poulains. Cet homme peut fe vanter d'être le plus riche particulier de toute la nouvelle Efpagne. L/infigne &: célèbre Ville de Mexique fut fondée parMorteg- fuma Premier , lequel l'embellit de fuperbes édifices durant tout le cours de fon règne, ôc l'augmenta jufqu'à la grandeur de deux fois comme Seviile d' Andaloufie. Elle eft bâtie fur un terreplein fitué aux bords d'un lac, qui par fa vafte étendue forme une efpece de mer, & entouré des autres cotez de qua- tre autres plus petits qui ne font feparez les uns des autres que par de larges chauffées pavées & re- vêtues de pierre de taille. Fer- nand Cortez qui fut depuis Che- valier de l'Ordre de S. Jacques T H h iiij 3 &c les Au- teurs qui en ont écrit , convien- nent tous que les Mexiquains y perdirent plus de cent mille hom- mes. Ce que j'en ay oui dire aux gens du paï's fuivant la commune tradition , & ce que j'en ay vu. moi-même dans les tableaux qui re. prefentent cette infigne vi&oire $ c'eft que le canal qui coule entre Sainte Anne &: S. Jacques de Tla- tilulco l'un des Fauxbourgs de Me- xique , fervit ce jour-là de pont aux Efpagnols pour entrer dans la Ville par le grand nombre de corps- morts dont il étoit comblé , & fur lefquels pafla la Cavalerie auffi- bien que l'Infanterie. Ce qu'ils n'auroient jamais pu faire autre- ment,. Car on n'avoit point en- de Zionncl Waffer. 371 core trouvé alors , comme on a fait depuis , des moyens promts 6c faciles de faire paffer les plus grands fleuves aux armées les plus nombreufes. Beaucoup de "gens murmurèrent en ce tems-là con- tre Fernand Cortez : & quoique ce généreux Capitaine , iriftruit des mauvais offices qu'on lui ren- doit, s'efforçât par grandeur d'a- më d'honorer 6c de iervir ceux qui l'offenibient, au-lieu de s'en van- ger , comme il en avoit le pouvoir, on ne laifla pas d'entreprendre de le noircir à la Cour 6c de lui im- puter plufieurs crimes. Mais faut- il s'en étonner ? Quand eft-ce que le courage 6c la vertu ont manqué d'envieux ? Et ne fuffit-il pas pour en avoir, de s'élever au-deffus des autres par un mérite diftingué. Le pian de cette Babilone In- dienne eft uni : Elle a trois lieues de longueur à prendre depuis, ±yj Les Voyages Guadalupe jufqu'a S. Antoine , ] &: prefque autant de lar°;e depuis FArfenal & l'Hôpital deS. Laza- re jufqu'à Tacaba. Les rues fem- tient être tirées au cordeau, tant elles font droites 5 & elles font fi larges , que fix carrofles de front y peuvent palier fans embaras. Quelques - unes font divifées en trois parties égales, dont celle du milieu eft le lit d'un des cinq ca- naux qui (orient d'un des lacs , & quiarrofent par pin (leurs détours cette grande Ville dans (es diffe- rens quartiers. C'eit. par le moyen de tous ces canaux que (es habi- tans fe feurniflent en abondance de tous les vivres, munitions, mar- chandifes & denrées neceflaires pour l'établiflement d'un grand commerce, les voiturarit & tranf- portant dans des canots d'un lieu à l'autre , & chaque jour de la fe- maine a fes différentes marchaa- de Lionnel Waffer. 375 iiies 5 mais le Samedi fe fait di- fti nguer de tous les autres : Car on y voit arriver de tous cotez un printems portatif, fi j'ofemefer- vir de cette exprefliot^c'eft-à-di- re , une flotte de fruits & de fleurs qui ne font ce jour- là de tout Me- xique qu'un jardin continu. La grande Place y eft d'une fi gran- de étendue, que le peuple en peut à peine remplir la troifiéme par- tie les jours deftinez pour les cour- fes de Taureaux 8tjeux de Can- nes. La grande Egjife bâtie de pierre de taille mêlée avec la bri- que , & de la forme que je dirai en fon lieu , borne le milieu d'une de {qs faces du côté du Septen- trion , 6c à l'oppofite de celui du Midi , font la Maifon de Ville , celle du Juge de Police, &; celle des Greniers publics avec la Pri- lon. A chacune de ces Maifons eft un grand portail de pierre de tail- -374 %às Voyages le, foûtenu de deux piliers de mê- me matière & tout d'une pièce.. Enfuite font plufieurs grandes boutiques 6c magafîns de riches Marchands de draps. Du côté du Couchant on voit une grande quantité de maifons comme celles dont je viens de parler. Elles font à des particuliers , mais ce font les plus riches & les plus confidera- blesgensdu Royoume. Elles tien- nent prefque toute cette face , & après elle (ont cinq ou fix grands maeazins de riches étofes d'or tra- vaillées en Europe. Du côté du Soleil levant font le Palais du Vi- ceroi5 la Royale Audiance, l'U- niverfité , ôc le Collège des Reli- gieux de S. Dominique avec la Maifon de l'Inquifition ou Saint Office attenant ; 6c dans des en- coo-nures eft la mai(on de la Mon- noyé , de laquelle on peut dire par excellence qu'il ne s'y fit jamais rien de faux. de Lîonnel Waffer. 375 Le Palais du Viceroy fut bâti |)ar Fernand Cortezjtous ceux qui i'ont vu demeurent d'accord qu'il eft plus grand 6c plus magnifique que celui de Sa Majefté à Madrid, la cour en eft fort fpatieufe 6c toute ornée de riches balcons de fer , de même que la Place 5 6c il y a dans le milieu un Cheval de bronze pofé fur un large pied d'e- ftal 6c fort bien travaillé. Les cinq rues par où Ton entre dans la grande Place , font toutes lar- ges 6c bien pavées , un caroffe à fix chevaux y peut tourner fans peine. Sur le portail de la principa- le Eglife eft une efpece de petite tour où le Duc d'Alburquerque fît pofer un fanal de criftal , dans lequel on allume tous les jours à l'entrée de la nuit un flambeau de cire blanche pour la commodi- té de ceux qui parlent par la Pla- ce à des heures indues , 6c il y a ï-6 Les Voyages un fond établi pour ion entretien. Au milieu de la Place eft un très- beau pilier de marbre , fur lequel eft élevé un aigle de bronze que chacun admire pour la beauté de fon travail -, dix-fept Convens de Religieufes, un Col- lège pour élever la jeuneffe , avec suie prodigieufe quantité de grarv de Lionnel Waffer. yj<) des & fomptueufes Eglifes., toutes bâties de pierres de taille 6c de brique j j'en nommerois bien 89. iî je ne craignois d'ennuyer le Le- cteur , fans parler de celles des Religieux Mandians - qui font moins fuperbes, mais fort propres. La beauté des maifons eft incom- parable , tant pour l'étendue, que pour la matière , l'agréable figu- re 6c la commode difpofîtion des apartemens 5 les plus hautes n'ont pas plus de trois étages , & toutes* les murailles font incruftées par- dehors de petits cailloux de di- verfes couleurs, 6c taillez les uns en cœurs , d'autres en foleils , en étoiles, en roues, en fleurs de tou- tes les efpeces 6c autres figures dont la variété infinie eft très- agreable à la veuë. Les portes en. font fort grandes 6c fort hautes 5 on y voit des balcons de ferrure- rie çrefqu'à toutes les fenêtres. Li ii 3&o Les Voyages & ces balcons font quelquefois d'une telle étenduë,qu'ils tiennent- route la face du logis. Ils (ont ornez en tout tems d'un grand nombre de quaifles d'orangers &; pots de fleurs de toutes fortes 5 car il s'y en voit toute Tannée 5 ôc le climat y eft fi doux & ii tempéré , que la chaleur n'y de- vient jamais incommode , ni les rigueurs du froid n'y obligent en aucun tems d'y allumer du feu. On peut dire fans s'écarter de la vérité qu'on y jouit d'un printems perpétuel. L'eau y eft pure Se faine 5 elle y vient d'un village appelle Sainte-Foi, à trois lieues de Mexique, par le moyen d'un grand Aqueduc foûtenu de 365^ arcades de pierres détaille & qui pafTe au travers d'un des lacs dont la Ville eft entourée, ce qui for- me une très-belle perfpeclive. Il y a dans Mexique cinq Pa- de ' Lionne l Waffer. 5S1F roïfles d'Efpagnoîs, &: douze d'In- diens , douze mille Bourgeois Ef~ pagnols qui y font établis avec leurs familles, fans parler d'envi- ron vingt mille autres qui n'y font que pour un tems , &c trente mille Efpagnolles qui y font toutes gé- néralement belles & d'une magni- ficence à furprendre : car il n'y a pas une femme du commun qui ne porte des écofes d'or. On y com- pte quatre -vingt mille Indiens Bourgeois , outre les paflagers qui font en plus grand nombre, & plus de cent mille efclaves tant blancs: que noirs de l'un 6c de l'autre fexe , ce qui fait plus de quatre cens mille âmes , fans compter les enfans. Le licencié Pedro Ordo- nnez de Cevallos dans fon Livre du Voyage autour du monde , af- faire dans la page 241 qu'il y avoic de fon tems à Mexique deux cens- mille Indiens & un plus grand 3#2 tes Voyages nombre d'Indiennes 5 vingt mille- noirs 6c plus de noires > trente mille Efpagnols, &L plus d'Eipa- gnolles. Enfin cette belle Ville eft abon- damment fournie des plus riches marchandées , d'étofes d'or 6c de foye , de velours , de fatin tant, pleins 6c unis, que brodez au mé- tier, de damas, tafetas, écharpes> draps de laine , en un mot de tout ce qu'on peut fouhaiter pour la parure, 6c dont onfefertdansles autres païs pour entretenir le lu- xe. Joignez à cela toutes les cho- fes qui viennent d'Europe par le moyen de deux Galions d'Efpa- gne qui y arrivent régulièrement chaque année avec une efpece de Frégate légère qu'on appelle la Patache du Roy , & plus de qua- tre-vingt Yaifleaux Marchands qui la fourniflent en abondance de tout ce qui fe voit de plus pre- de LionnelWaffer. 385 eieux dans, cette partie du monde.. Ce n'eft. pas tout encore , une au- tre flote partie des Philipines lui apporte de l'autre côté par la mer du Sud, tout ce qu'on ëilime de plus rare dans la Chine, le Japon, la Perle , & dans les Indes qu'on nomme en Europe Orientales, &. que ceux du nouveau monde ap- pellent d'Occident. Les Mexiquains ont la taille belle , le vifage agréable , le na- turel doux 5 ils font dociles, très- bons Catholiques ôc preique tous riches , pareequ'ils s'appliquent extrêmement à trafiquer d'une Province dans l'autre. Il y en a plufieurs parmi eux pour qui l'on a la même confédération & les mêmes égards que pour les Efpa- gnols naturels. Il n'eft refté per- Tonne à Mexique du fang de Mor- tegfuma que Don Diego Cano Morte^fuma, Chevalier Ue l'Or.- 3S4 Zës Voyages dre de S. Jacques , Ton fils Dora j Juan , 6c fes deux neveux Don Diego & Dofia Leonorenfans de Don Antoine Morteçfuma. É lis joùiflent tous de pen lions a (li- gnées fur la Caifïe Royale 3 £c quoique ces penfions foient modi- ques par rapport au fan g ilîuftre dont ils font lortis , elles ne laif- fent pas de les faire fubfifter avec honneur, C'eft une tradition dans le païs-, qu'il y a eu autrefois des geanrs à Tefcuco petite Ville fituée à cinq lieues de Mexique. J'y ay vu du tems du Duc d'Alburquer- pue des offemens & des dents d'u- ne grandeur prodigieufe 5 entr- autres une dent de trois doiets de large 6c de quatre de long. Le Vi- ceroi fit faire fur elle une conful- tation Anatomique par les plus habiles Philofophes, Médecins 6c* Chirurgiens de toute la nouvelle Efpagne, de Lionnel Waffer. 35 Efpagne. Ils rapportèrent tous d'un commun avis, que fui van t la grandeur de la dent, la tête devoit avoir à proportion une aulne &c demi de large. Ce qui paroît fa- buleux à raconter, & néanmoins il ne falloit pas qu'elle fût plus pe- tite pour y pouvoir placer les feize dents dont chaque mâchoire doit être garnie. Le Duc rit faire deux portraits de cette énorme tête iuivant les proportions marquées par les Anatomiftes 5 il en envoya Tun au Roi 6c garda l'autre chez lui par curiofité. On a auffi trouvé en divers tems au Pérou des olTemens de Géant dans rifle appeilée Sainte Hélène. Plufieurs Auteurs en ont écrit 5 les uns ont Amplement rapporté la chofe , 6c les autres Font traitée en Phifickns. Pen- dant que le Comte de Chinchon y étoit Viceroi, on lui amena à Kk 386 Les Voyages Lima un Géant , jeune homme âgé de vingt-quatre ans , Mefti- ceCriolle de la Ville de Gua- mangà , r & nommé Juannico , c'eft-à-dire, Jeannot. Je l'ai vu, & je puis affurer qu'il étoit plus haut d'une coudée qu'Arnao Se- garra qui étoit le plus grand hom- me de toute la Ville , & qui paf- ioit fous fon bras étendu fans le toucher. Il mourut dans l'Hô- pital de S. André dans un lit ?[u'on avoit été obligé de lui faire aire exprès. Après fa mort les gens de l'Hôpital gagnoient de l'argent à montrer feulement un de les fouliers, tant on le trouvoit hors de la mefure ordinaire. Ce jeannot étoit afTurément très- grand, mais non pas de la hau- teur démefurée des Geans qu'on croit avoir été autrefois dans le Ï>aïs, & qui, félon qu'il paroît par eurs ofTemens, pafle toute exagé- ration. de Lionnel W affer. 3S7 Il y a encore plufieurs autres ehofes très-remarquables dans la nouvelle Efpagne , 8c très-fingu- lieres > comme les deux Volcans de Guatimala. J'ai déjà marqué la prodigieufe hauteur ôc la va- fte circonférence de celui qui ne jette que de l'eau. L'autre vomit ianscefle des tourbillonsde flam- mes jufqu'à la hauteur d'une pi- que. On les apperçoit de loin, & la fumée qui les furmonte femble avoir de la conrmuité avec les nues, tant elle s'élève dans les airs ; de quart d'heure en quart d'heure plus ou moins, il part de cette effrayante fournaife un bruit pareil à celui d'une conlevrine , ce qui caufe des étonnemens , & même quelque forte d'épouvante à ceux qui n'y font pas accoutu- mez. Le o-rand lac de Nicaragua a, comme je i'ay dit, quatre-vingt Kkij 3? 8 Les Voyages îieuës de circujt j les VaiiTeaux y peuvent naviger commode'ment 5 mais ce qu'il y a de merveilleux, c'eft qu'étant par tout d'une eau très- douce & bonne à boire, il ne laifle pas d'avoir fon fîus êc fon reflus comme la mer. Une chofe encore qui eft affez extraor- dinaire, c'eft que dans la grande Ifle qui le voit au milieu , & ou j'ay dit cy-delïiis qu'il y avoit un fi grand nombre de fruits déli- cieux de toutes les efpeces , eft un volcan de feu qui jette des flam- mes en quantité & prefque au- tant que celui de Guatimaia. Ainfi l'on peut dire qu'elles for- tent en quelque manière du iein des eaux , puifque ce volcan eft tout environné de celles du lac. Il y en a un autre à Colima qui jette des cendres de tems en tems avec une épaifle fumée , 6c ces cendres font poufTées fi loin quel- de Lionne i Waffer. 38^ les font du tore aux biens de la terre à plus de trente lieues aux environs. La nouvlle Efpagne voit cou- ler fur fes terres un grand nom- bre de fleuves navigables 5 les plus confiderables (ont ceux de Grikhalva , de la Chuluteca, d'Alvarade, delà Vera-Cruz , de Guafaqualco , de la Barca , de Panuco , de Conchos , 6c celui dont j'ay déjà fait mention , le grand fleuve du Nord. Les arbres y font d'une hauteur &C d'une grofîeur furprenante , mais ceux de la foreft d'Oaxaca iîtuée à un grand quart de Hêtre de la Ville qui porte ce nom, paflent de beaucoup tous ceux qu'on vou- drait faire entrer en comparaifon avec eux. Ils font extrêmement toufus &: toujours verds 5 la fleur en eft rouge comme du couleur de feu, le bois en eft trés-leger Kk iij 3?o Les Voyages & facile à travailler. La nature ou le temps en a creufé le tronc à quelques - uns , & lors qu'on coupe ceux-là par le pied , ce tronc creux forme une efpece de pavillon fous la concavité duquel peuvent contenir xo. hommes ar- mez de lances de d'écus. Dans Tannée 1654. Dom Juan de Ta- bora > jeune Gentilhomme qui étoit Grand Prevoft de la Ville de ce nom , ôc fils d'un Tabora qui avoit été Gouverneur des Philipines , donna un grand re- pas fous un femblable pavillon à Dom Juan Lazo de la Vega Evê- que de Guatimala &; à plufieurs autres Seigneurs & Chanoines de Guatimala qui accompagnoient TEvêque. Il y avoit defïbus une table où s'afîîrent dans des fau- teuils douze perfonnes fervies par autant de valets , & deux buf- fets garnis de toutes fortes de va- de Zionnel Waffer. 39 1 Tes d'argenterie 6c autres commo- ditez pour une pareille fête. On peut concevoir par là quelle eft la groffeur de ces fortes d'arbres, Depuis Guatimala jufqu'à Te- guantepeque s'obferve un ordre admirable établi pour la commo- dité des gens de confideration qui * voyagent. Les Officiers Royaux les Chevaliers des Ordres militai- res* 6c tous les Ecclefiaftiques tant feculiers que Reguliers5font pour- vus par les Communes des lieux ou ils paffent, de toutes bêtes de mon- ture &c de charge dont ils peuvent avoir befoin fuivant leur qualité, de valets même pour les fervir, de vivres 6c de rafraîchiflemens en abondance 5 6c le tout fans qu'il leur en coûte rien que ce qu'ils veulent bien donner de gratifica- tion aux muletiers 6c à ceux qui conduifent les radeaux fur les ri- vières qu'il faut pafler. Voici com- K k iiij 351 £es Voyages me la choie fe pratique. La pre- mière journée, vous préfentez au Gouverneur de la Province ou de Guatimala , ou de| Teguantepe- que, fuivant le côté d'où vous ve- nez 5 le mandement que vous avez obtenu de la Royale Audiance ou du Gouverneur de la Provin- ce que vous venez de quiter, & auffi-tôt en exécution de l'ordre vous êtes logez dans des mailons deftinées feulement à ces ufages, bien meublées , àc pourveuès de toutes les chofes necefTaires aux voyageurs. On prend foin de vos valets 6v de vos chevaux , fans que vous foyez chargé du moin- dre embaras 5 on vous donne da Chocolat & enfuite à fouper avec beaucoup de propreté. Ils s'in- forment de vous à quelle heure vous voulez partir le lendemain, de combien de chevaux, de mu- les > & de valets vous avez be~ de Lionnel Waffer. 3 95 foin , 6c fur le champ ils en- vovent au Bourç fuivant une ef- pece de courier y porter votre mandement , de donner avis de tout ce qu'il vous faut. Ainfi de l'un à l'autre jufqu'à ce que vous foyez forti de l'Audiance de Guatimala pour entrer en celle de Mexique , 6c avant que de partir de chaque lieu 3 on vous prélente un livre de compte où un de -vos valets écrit par votre ordre ; La Commune de ce Bourg a dépenfi pour la réception de Mon- peur tel la fomm: de . ce . . . jour du mois de . . . de cette fre fente année . . . Il li- gne enfuite , 6c le feing feul fiiffît pour la décharge de la Commune. Tout cela s'exécute avec le plus grand ordre 6: la plus exacte fidé- lité du monde. Grandeur cer- tes digne d'être admirée, 6c qui peut lervir de témoignage de la 35)4 Les Voyages richefle & de la fertilité de cet- te Province. Teguantepeque eft. une grande Ville également peuplée d'Efpa- gnols de d'Indiens ^mais ils y ont leurs quartiers (ëparez. Il s'y tient deux fois le jour un très-grand marché de toutes les marchandi- fes du païs, 6c principalement de fruits 6c de marées 5 il commen- ce depuis dix heures du matin juf- qu'à une heure après midi, 6c de- puis fix jufqu'à neuf heures du loir y èc il s'y trouve ordinaire- ment deux à trois mille perfon* nés. Ce climat eft le plus fécond de toute la nouvelle Efpagne en beaux vifages 5 car les femmes de cette Ville y parlent communé- ment pour les plus belles du Me- xique. Il s'y fait un grand tra- fic de chemiies, 6c on les teint de toutes fortes de couleurs fuivant la coutume du païs, de Lionnel Waffer. 35» On voit auprès de 'Mexique à Mexicalfingo un étang d'une va- fte étendue", & lur lequel on voit un grand nombre de maïfons &C de jardins flotans 5 ce qui caufe un excès d'amiration à ceux qui les vovent pour la première fois^ Voici de quelle manière les In- diens les fabriquent. Ils étendent fur trois ou quatre grofles cor- des une infinité d'oziers les uns fur les autres de la longueur de 60. pieds en carré 6c d'un demi pied de hauteur. Ils attachent en- fuite les bouts de ces cordes aux aulnes > faules , & autres arbres qui lont fur les bords de Pétang, pour aflurer davantage le fonde- ment de la machine, ils couvrent ces oziers de gazons fur lefquels ils répandent de la terre &; du fumier par deffus pour Pengraif- fer. Après quoi ils y fement tou- tes fortes de fleurs & de légu- mes qu'ils vont vendre à la ViU 3 5? 6 les Voyages le de Mexicalfingo. De toutes ces différentes matières jointes enfemble il fe fait un compofe qui devient avec le tems une raafle épaifle & folide fur laquelle ils bâtiflent de petites maifons qui fuffifent pour les loger eux & leurs familles , & dans la plupart des- quelles il y a des poulaillers &: d'autres endroits pour y élever des pigeons. Il arrive quelque- fois que le Maître d une de ces petites Ifles flotantes allant à la Ville dans fon canot avec fa fem- me ôc ks enfans pour y vendre f^s denrées, ne retrouve plus à fon retour fon habitation au même lieu où il l'avoit laifleej parce que les cordages qui l'arrêtoient venant à s'uier par le temps &: bc à fe pourrir par l'humidité, fe rompent enfin &; l'abandonnent au gré du vent & du courant. Alors le jardinier demande à ks voifins s'ils n'ont point vu par ha- de Lionnel Waffer. 35)7 lard palier Ton ifle de leur côté , .. pc fur leur rapport, l'ayant fuivie 11 pomme à la pille , ils la remor- e jquent avec des cordes dans le mê- e endroit d'où elle étoit partie > :e qu'ils font à l'aide de leurs amis qui les affilient en ce befoin à la charge d'autant. Je finis ce petit ouvrage par une obfervation que j'ai oublié de faire , lors que j'ai parlé des Gou- vernemens & des autres emplois. Il faut fçavoir que dans le Me- xique, ainfi que dans tous les au- tres Etats de la Couronne d'Ef- pagne , c'eft un ufage établi, que tous les Gouverneurs &: les Ju- ges tant grands que petits, tant Souverains que fubalternes , (ont obligez de refter dans les lieux de leur Jurifdiction un certain tems après que celui de leur em- ploi eft fini , pour répondre aux accufations de tous ceux qui vou- dront fe plaindre de leur admi- 398 Les Voyages niftration. Il s'en drefle des în-f formations qui font faites parde-1 Vant des Juges nommez fpeciale-1 ment pour cet effet. Ces Juges! qu on appelle Juges de refidence I cnvoyent ces informations à lai Cour, qui ilatuë des peines ou des ] récompenfesfuivant la nature du rapport. Cet ufage fe nomme com- munément la refidence , loi cer- tes très-prudemment établie , & qui produiroit des biens infinis, û elle étoit aufli exactement & fin- cerement exécutée qu'elle a été judicieufement preferite 5 mais les abus prefque infinis qui fe font gliflez dans l'exécution par la fa- cilité que les Juges commis- à cet -examen ont à fe laitier corrom- pre , en rendent l'effet entière- ment inutile pour le bien des peu- ples 5c pour l'honneur du Gou- vernement. F IN ° -27 o NOUVEAU MEXIQUE Est JpiDf lM7}ll> 'V LE MEXIQUE OU LA NOUVELLE ESPAGNE D resjee. 'po-ur ÙrUellipeiice. des de lionnel WELffer Par N. de Fer Geo^î. Je SaMajeste Catotujue- et de Monfeyneur Ce nauphiru — .. Cotjuart Sculp ERRATA. 'TpErraîn , îifez. terroir, pag. 210 Kg. %$* X rayes , lif Reyes , pag. 155 lig. 6. Calao, lif. Callao , pag. ijj. lig. 8. meurs & verts , lif meurs ; et verts , &c, p. 260 lig. 4. deCagno, Uf. du Cagno , pag. 272. lig. zo- fïibftanter, lif. fubftenter, pag. 287.11g. 22, fc titc , lif. fe tire > pag. 318, lig. 20. Lï APPROBATION. Î'Ay lu par ordre de Monfeigneur le. Chan- celier un Manufcrir intitulé , Les Voyage.? de Lionnel Vvaffer , & je n'y ay rien trouvé qui puifle en empêcher rimprefïïon. A Paris ce 1$. Avril 17 oj. POUCHARD, Privilège du Roy. T OUÏS PAR LA GRACE DE DIEU;, -" Roy de France & de Navarre : A nos Amez & Féaux Confeiîlers, les Gens tenans nos Cours de Parlement , Maître des Requêtes ordinaires de notre Hôtel , Grand Confeil, Prévôt de Pa- ris, Baillifs, Sénéchaux leurs Lieutenans Ci- vils & autres nos Jufticiers qu'il appartiendra y Salut. Claude Cellier Libraire à Pa- ris, Nous ayant fait expoièr qu'il deiireroit faire imprimer un Livre intitulé. Les Voyages de Lionnel Vvaffer traduits de V Anglais , s'il Nous plaifoit lui accorder nos Lettres de Pri- vilège fur ce neceffaires j- Nous avons permis & permettons par ces Prefentes audit Cellier de faire imprimer ledit Livre en telle forme, mar- ge , caractère & autant de fois que bon lui fem- blera , & de le vendre & faire vendre par tout notre Royaume pendant le temps de quatre an- nées confecutives , à compter de la datte déf- aites Prefentes 1 Failons défenfes à toutes per- Tonnes de quelque qualité & condition qu'elles puifïent être,d'tn introduire d'imprefïion étran- gère dans aucun lieu de notre obéïflance , & à tousIrnprjmeurs-Libraires & autres d'impri- mer 6cjËMttefair§4g^k Livre en tout ni en par- tie fans'll&permiition exprénreJ& par écrit du- dit Expofant ou de ceux qui auront droit de lui , à peine de confïfcation des exemplaires contrefaits , de quinze cens livres d'amende contre chacun des contrevenans , dont un tiers à Nous, un tiers à l'Hôtel-Dieu de Paris, l'au- tre tiers audit Expofant , & de tous dépens > dommages & intérêts ; à la charge que ces Prelentes feront enregiftrées tout an long fur le Regiftre de la Communauté des Imprimeurs & Libraires de Paris , & ce dans trois mois de la datte d'icelles -T que rimpreffion dudit Livre fera faite dans notre Royaume & non ailleurs , & ce en bon papier & en beaux caractères con- formément aux Reglemens de la Librairie 5 & qu'avant que de l'expo fer en vente il en fera: mis deux exemplaires dans notre Bibliothèque publique, un dans celle de notre Château du Louvre , & un dans celle de notre très-cher &: ïeal Chevalier Chancelier de France le Sieur Phelypeaux Comte de Pontchartrain Com- mandeur de nos Ordres ; le tout à peine de nul- lité des Prefentcs : du contenu defquelks vous mandons & enjoignons de faire jouir l'Expo- fant ou fes ayans caufe pleinement & paisible- ment, fansfoufFrir qu'il leur (bit fait aucun trouble ou empêchsmens. Voulons que la co- pie defdites Prefentes qui fera imprimée au commencement ou à la fin dudit Livre , foit te- nue pour deuement lignifiée } & qu'aux copies collarionnées par l'un de nos Amez &: ï Cenfciilcrs& Secrétaires toi (bit ajoutés com- me à l'Original : Commandons au premier no- rrirHuiiner ou, Sergent de faire pour l'exécu- tion d'iceljes tous a£e^^çmis& Agraires x fans ce:na£«^^guflVfBRffioTi, âKfffcbftanr : Haro^Cnarte Normande & Letues à ce contraires ; CAr tel eft notre plaiiîr. Donné à ^erfailîes le vingt- unième jour de Juin, Fan de grâce mil fept cens cinq : Et de notre Règne le foixante-troifiéme 3 Pau le Roy ei. ion en Ton ConCeil. Si^né , Lecomte. d Regiftré fur te Regiftre de la Communauté d?s lires & lmfrïm*itf$ de Paru, nombre <,. •y. conformément tutx Kegtemms * é tr.mrmnt a l'Arreft du Çmjéildu îj, Aou [efteens cin%. Sigr.é j Guirin , Syndic. E- • k . i • S*: ufllMl v ^ 335* 4é H m m i 1 f «A * W F ' ' ' ' C Wm WÊÈ I m