î The John Carter Brown Library | Brown University % Purchased from the & f LouisaD. Sharpe Metcalf Fund 4, 5®*®*^»*®*®*®'*'®'**®* A M AIN, SUR L'HISTOIRE NATURELLE de M. db B«rpon , & JarkyObShS^ tions microfcopjques de M. Néedham. Q U A T R I E ME PART I £ HAMBOURG. LETTR E S A UN A MÊRIQUA IN9 Sur rHifroire Naturelle de M. de Buffon* Se fur les Obfervations microfcopique$ de M. NÉedham. QUATRIEME PARTIE. L E T T RE X Idée de la Defcription du Cabinet du Roi par M. (TAubenton. E conviens ? Monfieur , que pour vous donner une idée completre des trois vol. de PHilioire naturelle , il me reftoit à vous entretenir de la partie que M. A ij [4] . d'Aubenton y a fournie & qui commence la defcrtption du Ca- binet du Roi; vous exigez avec empreffement que je vous en parle, moins pour vous procu- rer une connoifcnoe entière de l'Hiftoire générale de laNature, nue par un motif qui vous interef- ?ç perfonnellement. Vous avez défa fait des collions de plu- Ss morceaux d'Hiftoire na- turelle propres à votre nouveau Monde; il eft très-raifonnabie de fouhaiter, comme vous laites, fn modèle de méthode pour les arranger,&desavispourles.con- foverg Vous efpérez trouver ces deux avantages & dans la ma- nière dont le cabmet du Ro eit o donné, & dans les réM lu. d'Aubenton fur lespro- cldésqu on doit employer pou préferver de tout accident tant d'objets fouvent fi délicats; f mais, je vous préviens 5 vos ef- pérances ne feront pas remplies: l'examen que je ferai de la partie de l'ouvrage de M, d' Aubenton, qui eil relative à l'intérêt que vous y prenez r ne vous le prou- vera que trop. Je me borne à préfent à cette partie : fi? dans k fuite, vous exigiez de moi que je difeutaffe ce qui auroit été omis , j'y reviendrai volontiers. Vous ne trouverez donc y ni modèle ni préceptes dans le travail de $L d' Aubenton 5,ni pour ordon- ner un cabinet , ni pour confer- ver ce qui le compofe ; mais en réfléchilTant fur un plan d'ar- rangement que vous ne goûterez certainement pas, vous vous don- nerez à vous même les leçons que vous compteriez trouves? ^aans la defcription du cabinet A iij du Roi ; ainfi, le premier objet de votre lettre fera rempli. Le lecond m'embarrafferoit bien d'avantage, li je n'avois pas déjà pris les devants. Le feul projet d'analyfer l'ouvrage de M. Néedham, je vous l'avoue penfa me décourager ; mais heu- reufement cette analyfe eft faite, & elle eft faite pour vous, c'eft- à-dire , que j'en ai voulu dévorer toutes les difficultés. Je ne com- pris rien , mais abfolument rien à la première leâure du fyftême de M. Néedham ; j'en fus piqué : je réfolus de faire des extraits de l'on livre , peur en réduire , s'il étoit poflible la dodrine , & en rapprocher les pièces éparfes. Ce travail me réuflit , & après avoir écrit mes réflexions fans deffein , je repris mes matériaux, je leur donnai une forme , & [71, j'en compofai deux lettres quô je vous deflinois f 8c qui étoiënt finies vers la fin de 1750. Il y a des chofes dont on vient à bout infenfiblement , fans avoir de but bien marqué , 8c dont on n'auroit ofé former le defFein* Lorfque ces lettres furent ache- vées , je trouvai que la féconde exigeoit trop d'application 5 par- ce qu'elle mené à la plus profon- de métaphy tique ; je craignis* quelle ne vous fatiguât; je ne penfois pas d'ailleurs que vouâ eufllez connoiffance de cet ou- vrage fi énigmatique 8c fi inac- cefiible. Par cette raifon même y certains efprits le trouvent ad- mirable, je réfolus donc de laif- fer mes deux lettres dans mon cabinet; mais pui£que l'extrait que vous avez vu dans le Jour- nal de Verdun a piqué votre cite A iv îiofité , je change d'avis & vous envoyé mes deux lettres ; fi elles vous ennuyent > vous vous en prendrez, s'il vous plaît v à vo- tre curiofité. Au refte, l'ouvrage de M. Néedham tient plus à la do&rine de M. Buffon qu'au travail de M. d' Aubenton ; ce- pendant r pour fuivre vos vues , j'examinerai d'abord l'ouvrage de ce dernier. Il commence l'Hiftoire du ca- binet du Roi par la defeription des pièces anatomiques qui y font confervées : cette collection dans laquelle on a fait entrer celles que l'Académie des Scien- ces avoit raflemblées, eft-elle au (îi complette qu'on s'atten- droit à la trouver dans un pays où l'anatomie eft parvenue à un fi haut point de perfection ? On y fait entrer plufieurs fquelettes depuis la hauteur de deux pou- ces & demi, jufquà celle du fquelette d'un homme formé ; on y décrit aufli certains os dif- formes, plufieurs parties foit in- jectées y foit defféchées ; enfin des concrétions pierreufes. Les defcriptions de chacune de ces fuites font précédées de différens mémoires. Par exemple > avant de présenter les fquelettes % on fait Thiftoire de Part de blanchir les os 5, de ks» joindre pour en faire des fqeelettes. On prépare à la description des pièces injec- tées , en expofant les progrès de Part des inje£tions; on détail- le les procédés qu'il faut fuivre pour y réufllr 5 s&c. Ces mémoi- res renferment des objets ihté- reffans. La defcription des pièces d'à- Eatomie inje&ées eft coupée A ¥ par l'énumération de celles qui font repréfentées en bois , en cire , &c. Cette efpèce de ca- talogue occupe plus de cent pa- ges , & ceft un vrai hors- d'œuvre. Je ne me fais point à voir au haut de chacune de ces pages , Hifioire naturelle , tandis que je ne vois au deffous que d'admirables effets de l'art. On m'occupe d'un œil artificiel, de tout l'appareil de l'organe de l'ouie exécuté en bois, tan- dis que je fçais que toutes ces parties repréfentées par ces ma- chines , ont été fi bien dilféquées par de très-habiles anatomiftes , tels que Mrs du Vernei,Valfalva, &c. l'Imitation me déplaît où je devrois trouver la chofe imi- tée. Le commun des leûeurs eft , je crois , de mon avis , & penfe que cette fuite de pièces exécutées avec tant d'art, efî une vraie digreiïion dans une Hit- toire naturelle. Je pourrois me borner , Mon- fieur, au compte abrégé que je viens de vous rendre du travail de M. d'Aubenton ; mais un ob- jet m'y a frappé % 8c il nous in- térefle également l'un & l'autre ^ c'eft l'arrangement qu'on a fuivî dans le cabinet du Roi. Mà d'Aubenton en donne l'idée dans un efpèce d'avant-propos qui a mérité d'être inféré pref- qu'en entier dans le Dictionnai- re encyclopédique: cette diflinc- tion e(l fîatteufe pour M, d'Au- benton 3 car les Auteurs r dont on a inféré les recherches dans cette vaile compilation r n'ont pas tous l'honneur d'y être cites. J'ai été affez heureux pour voir les feuilles du fécond vol, de Avj M rEnyclopédie où fe trouve l'ar- ticle. Cabinet, avant que l'ouvra- ge fût diflribué. » Le Cabinet * du Roi ( y dit- » on ) a commencé à intérefler » le Public par fa propreté & par » fon élégance; on a pris dans la » fuite tant de foins pour le corn- 3> pletter , que les acquittions * qu'il a faites en tout genre, font » furprenantes , fur-tout fi on les » compare avec le peu d'années » que Ton compte depuis fon inf- » titution. Les chofes les plus » belles & les plus rares y ont af- » flué de tous les coins du Mon- » de ; & elles y ont heureufe- » ment rencontré des mains ca- y> pables de les réunir avec tant » de convenance , & de les met- » tre enfemble avec tant d'ordre y p qu'on n'auroit aucune peine à * Di&, Ençyc. T. 2.CAB. p. 490. col. %. m'y rendre à la Nature un compte » clair & fidèle de fes richefles. On ne doit rien rabattre de Téloge qu'on fait ici de la pro- preté & de l'élégance du cabinet du Roi ; armoires y bureaux, gla- ces, tout annonce la grandeur & la magnificence j mais les louan- ges qu'on donne à Monfieur d' Aubenton doivent être un peu reftreintes. Il eft vrai que M, d' Aubenton connoît l'étendue & le prix de l'ordre ; il eft vrai qu'il efl très-verfé dans ce qu'on appelle élégance de fymetrie; il eft encore vrai qu'il eft très-ca- pable de lier enfemble & l'ordre qui inftruit Fefprit , & le goût qui plaît aux yeux ; il eft digne de remplir la place qu'il occupe : mais c'eft pour cela même qu'on a droit de fe plaindre de cequ'ii refferre Magede fes talens, par trop de déférence à des avis va*- gués , plus propres à faire défef- pérer de trouver Tordre, qu'à apprendre à le fuivre.. L'affer^* viflement aux vues d'autrui dé- grade un génie heureux i celui de^ M. d'Àubenton eft tellement re- froidi par de pareils égards, quer dans l'arrangement qu'il a donné au cabinet au Roi , il feroit pref- que impofTible de rendre à la Na- dire un compte clair & fidèle de fes richejfes*. voyez les Vous avez vu , Moniteur * les Lettres giÊcédemes. quels font ces avis vagues , dont je me plains, dans l'examen que j'ai fait de la nouvelle méthode d'étudier THifloire naturelle; on en voit quelques traits dans l'En- cyclopédie, mais adoucis & con- fondus avec des maximes très- Encyd. fages fur la nécefllté de l'ordre. £C « Un Cabinet d'Hifloire natu- i> relie eft fait ( dit-on) pour in£~ 5> truire. Ceft-là que nous de- » vons trouver en détail & par » ordre ce que l'univers nous » préfente en bloc. Il s'agit d'y » expofer les tréfors de la Nature* » félon quelque diftribution re~ » lative foit au plus ou au moins; » d'importance des êtres y foit à r> l'intérêt que nous y devons » prendre 3 foit à d'autres con— » îidérations moins fçavantes èc y> plus raifonnables peut-être ; ( it » eft difficile de les deviner : ) » entre lefquelles il faut préférer » celle qui donne un arrange- » ment qui plaît aux gens de » goût y qui intéreffe les curieux*» » qui inftruit les amateurs5 & qui » infpire des vues aux fçavans »• Dans ces derniers mots on voit le vrai but qu'on fe doit propo- fer dans l'arrangement d'un ca~ binet d'Hiftoire naturelle : mai* qu'il eft dificile d'y atteindre , Ci l'on s'en rapporte à celui qui propofe un deflein fi louable L » Mais fatisfaire à ces differens » objets (continue l'Encyclopé- » die) fans les facrifkr trop les. » uns aux autres , accorder aux » diftribution$fcientifiques,fans, 3J éloigner des voyes de la Na- » ture, n'eft pas une entreprife » facile ». Cette réflexion eft obfeure & enveloppée : on ne fçait ce que c'eft que les voyes de la Nature ,. & on le fçait d'autant moins que l'Auteur 'de ce morceau de l'En- cyclopédie avoir dit plus haut en ftyle d'oracle : » l'ordre d'un ca- » binet ne peut être celui de la n Nature ; la Nature affede en i> tout un défordre fublime ». Si cela eft", l'arrangement qu'on a donné au cabinet du Roi efl: une copie aflez fidèle de la Nature : le bel ordre fymétrique que les yeux y admirent , pourroit peut- être être ap pellé dans un certain langage r un défordre fublime. Enfin y T Auteur de cette par- tie du Di&ionnaire encyclopé* dique r revient aux idées claires qu'il a propofées ; il fait une apoftrophe vive , qu'affurément je n'adreflerai point à Monfieur d' Aubenton , mais qui convient parfaitement à ceux qui aur oient fuivi les principes de la nouvelle méthode d'étudier l'Hifloire na- turelle. » Qu'eft-ce qu'une col- *> le&ion d'êtres naturels fans le j> mérite de l'ordre ? A quoi bon r> avoir rafFemblé dans des édifi- 3 ces v à grande peine , à grands » frais y une multitude de pro- » du&ions y pour me les offrir » confondues pêle-mêle > & fans » aucun égardrfoità la Nature , » foitaux principes de l'Hiftoire » naturelle? Je dirois volontiers à » ces naturaliftes qui n'ont ni goût « ni génie : renvoyez toutes vos » coquilles à la mer y rendez à la » terre fes plantes & fes engrais y » nettoyez votre appartement de y> cette foulé de cadavres d'oi- » féaux y de poilTons Se d'infec- » tes y ft vous n'en pouvez faire » qu'un cahos, où je n'apper- » çois rien de diftinft , qu'un » amas où lesobjets5épars ou en- » taffés y ne me donnent aucune » idée nette & précife. Vous ne » fçavez pas faire valoir Popu- » lence de la Nature , & fa ri- î> cheife dépérit entre vos mains : » reliez au fond de la carrière ; » taillez des pierres , mais laif- » fez à d'autres le foin d'ordorf* » ner l'édifice Cette fortie fi véhémente efl digne du zèle le plus déclaré pour Tordre. Le jugement que Ton porte de celui qu'on a éta- bli dans le cabinet du Roi efl: ex- primé, i°. par le témoignage que Ton rend que toutes les col- lerions renfermées dans ce ca- binet » font rangées par ordre » méthodique r diftribuées de la y> façon la plus favorable à l'Hif- *> toire naturelle ? » 2Q.. par le foin que Ton prend d'inférer les obfervations de Monfieur d'Aubenton , » fur la manière % de ranger & d'entretenir en » général un cabinet d^Hiftoire » naturelle ; elles ne font point » au deffous d'un auffi grand ob- » jet » r nous dit-on. Comparez, ce jugement y Monfieur r avec les réflexions dont je vais vcu$ faire part» M Un des plus beaux points de Vue que préfentoit le projet de îa description du Cabinet du Roi, c'étoit un modèle de collec- tions de diverfes produ£Uons de la Nature. On efpéroit y trouver les moyens de donner un bel or- dre à ces collerions r les pré- cautions néceffaires pour les con- ferver , enfin les reffources pour iescompletter. Le premier objet eft traité fujet d'ailleurs a un inconvénient confidérable. Je vais difcuter ces trois points féparément. I. J'examine d'abord queï eft l'arrangement que Monfieur d' Aubenton a mis dans le cabi- net du Roi, & qu'il propofe pour modèle aux perfonnes jaloufes de donner la meilleure difpofî- . rion aux curiofités qu'ils raffem- blent. Il faut d'abord rendre juf- tice à T Auteur; il connoît Tor- dre , il en fçait le prix ; vous ^n jugerez, Monfieur, par cet extrait. » L'arrangement le plus favo- n rable à l'étude de cette feience n ( l'Hiftoire naturelle ) feroit p l'ordre méthodique qui dif-^ n tribue les chofes qu'elle corn- » prend y en claffes , en genres *> & en efpèces.. Ainfi les ani- ?> maux j les végétaux & les mi- *> néraux feroient exa&ement fé- » parés les uns des autres. Cha- que règne auroit un quartier ai à part. Le même ordre fubfif- n teroit entre les genres & les ef- m pèces ; on placeroit les indivi- *> dus d'une même efpèce les uns ^auprès des autres, fans qu'il i) fût jamais permis de les éloï-* *> gner. On verroit les efpèees » dans leur genres , & les gen- *> res dans leurs clafles. Tel eft » l'arrangement qu indiquent les a> principes que Ton a imaginés *> pour faciliter l'étude de FHif- r> toire naturelle ; tel eft l'ordre î> qui feul peut les réalifer ». Voilà des notions très-précifes, fi l'on excepte pourtant le trait par lequel cette citation eft ter- minée , qui décelé un difciplede M. de Buffon , qui emprunte le langage de fon Maître, & qui en prend fouvent le ton* Voulez - vous connoître les avantages de l'ordre méthodi- que ? f Auteur vous l'apprendra dans les termes les plus énergi- ques. » Tout en effet y devient tt inftruâif à chaque coup d'œih n non-feuleifaent on prend um » connoiffance réelle de Tobjet « que l'on confidere j mais on y » aécouvre encore les rapports >* qu'il peut avoir avec ceux qui » l'environnent. Les reffemblan- » ces indiquent le genre , les dif- » férences marquent Tefpèce.Ces » cara&ères plus ou moins ref- » femblans , plus ou moins dif- » férens j & tous comparés en- » femble, préfentent à l^efprit & gravent dans la mémoire Ti- » mage de la Nature. Enlafuivant » ainfi dans la variété de fes pro- » du&ions, on pafle infenfible- 3) ment dun règne à un autre ; 3) les dégradations nous prépa- ie rent peu à peu à ce grand chan- j> ion entier, que par la corn- » paraifon des extrêmes. Lesob- » jets de THiftoire naturelle étant » préfentés dans cet ordre 5 mous *> nous occupent affe\ pour nous » intéreffer par leurs rapports , » fans nous fatiguer y & même » fans nous donner le dégoût qui » vient ordinairement delà confw* » fion & du défordre ». Quels avantages ! Qu ils font favorables au progrès des fcien- ces ! Plus on y eft feniible , plus on a de déplaifir lors qu'on lit à la fuite de ce bel éloge : » Cet » arrangement paroît fi a vanta- » geux, que l'onxlevroit naturel- » lement s'attendre à le voir daW » tous les Cabinets. Cependant » il n'y en a aucun où l'on ait » pu le fuivre exa&ement , 8c » j'avoue que le cabinet du Roi » a bien des irrégularités à cet » égard. Mon deffein avoit été » de ne m'en permettre aucune ; » mais il ne m'a pas été poflible » de l'exécuter »; L'aveu ne peut IV. Partie, B [2(5] être plus précis , & je ne fçais comment le concilier avec le té- moignage que l'Encyclopédie rend auCabinet du Roi »que tou- *> tes ces colle&ions (y) font ran- » gées par Tordre méthodique » . Bien des irrégularités dans le Cabinet du Roi! Dans un Cabinet: confié aux foins d'un fçavant qui connoît fi bien l'ordre., qui en décrit fi bien les avantages, & cela , parce qu'avec la meilleure volonté du monde , on n'a pu faire autrement ; encore s'il ne s'agiffoit que de quelques irré- gularités fauvées avec adreffe , &r dont le fpe&ateur fentiroit lané- ceffité ! D'où naît donc cette ef- pèce d'impofllbilité de mainte- nir l'ordre dans les collerions d'Hiftoire naturelle ? Monfieur d' Aubenton la croit voir dans la difproportion du voulume , dans l>7] k convenance des places , dans les inconvéniens de Tordre mé- thodique : voyons comment il développe les défavantagesque, félon lui , ces trois confidéra- tions entraînent. » II y a des efpèces & même » des individus qui , quoique dé- » pendans du même genre ou » de la même efpèce , font fi dit» 5> proportionnés pour le volume^ » que Ton ne peut pas les mettre » les uns à côté des autres ; ileneji & de même pour le s genres, & quel- s> que fois aujjl pour les claffes. Voilà ce que Ton peut appela 1er des irrégularités en grand : des clafTes qu'on ne peut mettre dans un ordre méthodique , des genres diflribués d'une manière contraire à cet ordre , des efpè- ces tirées de leur place. On ne voit point certainement pour- [28] quoi la difproportion des volu- mes empêchera que deux clafles ou deux genres ne foient mis dans leur rang : les Bibliothè- ques donnent des exemples de l'ordre qu'on peut fuivre malgré les difproportions de grandeurs: mais on a bien d'autres facilités par rapport aux objets dont il s'agit ici. L'Auteur d'ailleurs , en nous donnant quelqu'exemple de ces clafles , de ces genres , de ces efpèces fi difficiles à réduire à l'ordre méthodique , auroit pu nous mettre plus à la portée ou de lui applaudir ou de le réfuter. Le fécond inconvénient dont M. d'Aubenton eft frappé , eft apparemment relatif au premier. » On cft fouvent obligé ( conti- » nue-t-il) d'interrompre l'ordre » des fuites , parce qu'on ne peut » pas concilier l'arrangement de » la méthode avec la convenance ?> des places ». Peut-être qu'un particulier y qui trouveroit dans famaifonun Ca- binet garni par fes ancêtres d'ar- moires & de rangs de tiroirs def- tinés à d'autres uiages , aimerok mieux s en fervir pour y placer fes colle&ionsd'Hiftoire naturel- le , que de faire la dépenfe d'une nouvelle boiferie ; il feroit alors effeâivement gêné par la conve- nance des places ; il feroit forcé de troubler l'ordre méthodique dans T arrangement de fes acqui- ttions y une économie néceifaire rendroit ce défordre pardonna- ble.Mais dans leCabinet du Roi y y auroit-ii de la décence à fac ri- fier l'ordre & la crainte de la dé- penfe qu'entraîneroit la réforme de quelques armoires ? de quel- ques rangs de tiroirs y de i'or- Biij donnance de boiferies même en* tières dans quelques Sales. Dans un Cabinet cTHiftoire naturelle , les places doivent être réglées par le rang qu'exigent les chofes précieufes qu'on a à placer : l'é- légance du travail ne doit être d'aucune coniïdération 5 quand on l'oppofe aux avantages de l'ordre ; elle dépend même de cet ordre. Le troifième inconvénient * & celui qui détermine M. d'Au- benton 5 efl que » Tordre mé- 5> thodique qui y dans ce genre » d'étude plaît fi fort à l'efprit , ?> n'eft prefque jamais celui qui » eft le plus agréable aux yeux Cette réflexion pourra toucher tous ceux qui ne portent que des yeux au Cabinet du Roi ; il ne s'agira plus que de fçavoir fi ces rares colle&ons n'ont été faites que pour ces curieux de -l'un & de l'autre fexe qui préfèrent la très- vaine fatisfa&ion d'être éblbuis à celle de s'inftruire : ils font le plus grand nombre, & cette con- sidération , fans doute , aura tou- ché M. d' Aubenton ; mais il n'a pas penfé que le plus grand nom- bre ne fe décide fur les objets qui fe rapportent aux fciences , que fur le fuffrage du petit nom- bre des fçavans. En voyant une fymétrie qui flatte les yeux , mais dont l'ordre eft condamné par les connoifTeurs % celui qui le fçait, quoique Tes lumières foient aufîi bornées que celles du plus grand nombre , fe retire avec le double p'laifir& d'avoir été ré- créé par le fpe&acle , & de cen- Turer celui qui a eu l'art de l'amu- fer d'objets qui ne font faits que pour l'efprit , par une ordonnan- B iv ce qui ne convient qu'à des coli- fichets y ou tout au plus à des porcelaines de Saxe qui relèvent un defïert. Il n'arrive que trop fouvent que ceux même qui ont le plus de génie , fe laiffant em- porter par la multitude , facri- fïent l'inflru&ion à l'amufement, parce que les hommes ont plus de pente à fe décider par le fen- timent que par la lumière. Telle eft ? je penfe , la caufe de Tillu- fion de M. d'Aubenton , lors- qu'il a fubordonné la méthode à la fymétrie. A cette occafion ne vous récrie- rez vous pas , Monfieur: » Qu'efl » donc devenue cette belle chaî- n ne d'être célébrée avec tant s> d'enthoufiafme par M. de Buf- n fon y où un règne paffe au fui- » vant par des fucceflions de n nuances imperceptibles ?N'eft- *> ce pas le plus beau Coup d'œil » qu'on puiffe préfenter aux i> yeux y & le feul capable de » leur plaire , & à Fefprit » ? Ne devoit-elle pas être tendue , cet- te belle chaîne y dans le Cabinet du Roi? où pouvoit-^lle être préfentée avecplus d'avantage ? » Eft-il donc impofïible de la ?> mettre fous les yeux » ? Oui 9 Monfieur r je le crois un peu', parce que j'ai quelques doute fur fa réalité y & j'ai eu l'honneur de vous les communiquer. Mais on pourra être dédomma- gé de cette perte par unfpe&acle plus vrai ; l'ordre pourra fervir de guide à l'art r & écarter tout ce qui peut bleffer les yeux, Car 9 quoiqu'il ne foit pas queflion de les enchanter dans la forme d'un Cabinet d'Hiftoire naturelle 3 il eft important 3 je L'avoue r de ne les pas choque** B v C34I Il y a réellement un Cabinet , ou plutôt une fuite de Cabinet , où tous les inconvéniens qui ont arrêté M. d'Aubenton , ont été prévenus. Ce font ceux où M. de Ileaumur a raffemblé de fi nom- treufe collettions. Les yeux de ceux qui les viennent voir font aufli fatisfaits du fpeaacle qu'ils leur donnent , que l'efprit l'eft de l'arrangement des objets. Dans les voyages que j'ai faits à Paris, j'ai eu plulleurs fois le plaifxr de les admirer dans ces purs où l'affluencedes étrangers y eft fi grande. Tous étoient auf- fi touchés que moi de l'enfemble qui réfulte d'une immenfe quan- tité d'objets différens , & étoient également frappés de l'ordre dans lequel ils font placés. Ils difoient qu'ils en fortoient avec des connouTancesque l'arrange- ur 1 ment leur avoit procurées , aif lieu qu'ils n'avoient rien rem- porté des Cabinets où Ton avoit négligé de difpofer tout avec ordre. Les boëtes dans -lefquel- les le Maître de ces tréfors de la Nature a imaginé de loger les oifeaux , les quadrupèdes 5 les infe&es, lèvent prefque toutes les difficultés que M» d'Àub'enton a cru être des obftacles infurmon- tables à un arrangement métho- dique.Si quelques pièces^par leur énorme grandeur y demandent à être mifes hors des rangs , on n'en eil point choqué , parce que le nombre en eft très petit* Une autruche qui fe trouve éloi- gnée des oifeaux avec lefquels elle a plus de rapport y ne tire pas à conféquence. Il n'eft per- îbnne qui puifle être infenlible au coup - d' œil que donnent les Bvj [3*1 fuites d'oifeaux de ces riches Ca- binets. On y a trouvé l'art de placer les infeâes , de manière à donner , quoique moins en grand , un fpedacle aufli agréa- ble. Enfin ces Cabinets font aufli renommés dans toute l'Europe , par la méthode &. l'ordre qui y régnent , que par les fuites d'ani- maux & de minéraux qui y font raffemblés ; car ce n'eft pas le petit nombre des pièces que M. de Reaumur avoit à placer , qui lui a donné la facilité de les af- îuiettir à un aufli grand ordre. On fçait qu'il a des collections de pièces qui font les plus diffici- les à arranger , telle que celle des oifeaux, aduellement unique & qui eft fi nombreufe , qu'on fe- ?oit tenté de la juger complette , fi lui-même n'avertifîbit qu'elle ne l'eft pas, Deux colleaions qui font des fuites de celles des oî- feaux , & qu'on ne paroît pas avoir fongé à faire pour le Jardin duRoi,ne manquent pas d'attirer les regards de ceux qui font in- troduits dans les Cabinets de M. de Reaumur; l'une eft celle des œufs des oifeaux de différens genre , elle offre plus de variétés qu'on ne s'y attendoit , & pour la couleur & pour la figure ; l'autre eft la collection de toutes les dif- férentes efpèces de nids , qui fait admirer la multiplicité des arts que la nature a appris à des oi- feaux de tant d'efpèces , pour ve- nir à bout d'exécuter des ouvra- ges fi réguliers. Ceux qui ont préfidé jufqu'ici au Jardin duRoi, ne nous ont pas paru fort occupés de l'étude fi in- téreflante dés infectes , ni du foin d'en former une faite un peu complette. Il n'efl: donc pas étonnant fi la colle&ion des in- fe&es du Cabinet du Roi n'ap- proche pas de celle que les re- cherches de M. de Reaumur lui ont procurées. On voit dans fes Cabinets , non-feulement ceux qu'il a fçufi bien voir , mais en- core un très-grand nombre qui lui ont été envoyés à l'envi par les fçavans de toutes les parties du monde. On voit encore un beau monument de la tendrefle & de Peftime qu'il s'efl acquife dans le cœur des fçavans , dans fa belle colle£lion de minéraux , dont les échantillons lui ont été adreffés de toutes parts. Il eft parvenu , par ce moyen fi flat- teur , pour un cœur aufll noble- ment fenfible que le fien , à for- mer une collection de minéraux tout autre 7 pour le nombre des pièces , que celle du Jardin du Roi , qui en a des morceaux beau- coup plus chers , fans en avoir pourtant aucun du prix de ce morceau unique d'or de M. d'Onzembrai. Or fi Ton a pu mettre dans un fi grand ordre des collections d'oi- feaux , d'infeaes , de matières minérales , & conferver cet or- dre , malgré les objets nouveaux qui furviennent journellement 3 il n'eft donc pas impoflible 9 comme il l'a paruà M. d'Auben- ton , de ranger fous un ordre fatisfaifant,les amas les plus confi- dérables de curiofités naturelles. On fent aufii dans les Cabinets de M. de Reaumur , que l'ordre a des agrémens réels , & qu'il n'eft point aufli intraitable que M» d' Aubenton fe l'eft figuré. Car cet Auteur prétend qu'il a des E4o] défauts effentiels. » Quoique l'or- » dre méthodique ( nous dit-il ) » ait bien des avantages , il ne » laiffe pas d'avoir plufieurs in- » convéniens ; on croit fouvent » connoître les chofes > tandis » que l'on n'en connoît que les » numéros , ou les places : il eft » bon de s'éprouver quelquefois 3> fur des collerions qui ne fui- *> vent que l'ordre de la fymétrie » & du contrafte ». J'ofe dire que dans l'ordre fymétrique , on ne démêle ni les chofes y ni les numéros , ni les places. On eft précifément à cet égard y comme un homme qui regarde un par- terre y où les fleurs ne font dis- tribuées que pour préfenter un émail gracieux. Ce neft pas pour ceux qui n'ont de goût que pour l'émail % qu'un fleurifte difpofe fon parterre, ( il fçait trop que l'i- magiriation féduite par un amas éclatant de couleurs ? ne peut fe fixer à confidérer un objet par- ticulier 9 fans le diftraire fur l'en- chantement du coup-d'œil ; ) de même un fçavant n'arrange pas un Cabinet pour ceux qui fe con- tentent du coup-d'œil. M. d' Aubenton fait une remar- que très-judicieufe , que pour s'affermir dans k connoiffance de l'Hiftoire -naturelle 5 il faut quelquefois en chercher les dif- férents objets dans les lieux où ils font mêlés ; mais ce ne peut être dans la vue d'éviter l'inconvé- nient de l'ordre ; c'eft aucontrai- re^pour s'aifurer qu'on le poffede & pour le graver plus profondé- ment dans la mémoire. Ainfi un élevé ayant pris les fçavantes le- çons de botanique que l'on don- ne au Jardin du Roi y&c ayant été conduit dans ce jardin où les plantes font difpofées en très-bel ordre par les foins de ce fçavant li éclairé , fi modefte y & dont les connoiiïances prodigieufes femblent couler de fource , & être à la difcrétion de tous ceux ui fe préfentent pour lui deman- er des inftructions , cet élevé y dis-je 5 prend une idée de Tor- dre $ lorfqu il va à la campagne à la fuite de ce grand Maître» ( J'ai eu le plaifir de faire une de ces promenades aufli agréables qu'utiles. ) Il fçait démêler dans la confufion , où les plantes font diftribuées dans la Nature, celles dont on lui a expliqué les carac- tères y il les rapporte au genre 8c à Tefpèce où la méthode les a fixées ; fi la mémoire ne le fert pas fidèlement, il interroge fon Maître & reçoit une nouvelle leçon. Il apprend de plus à sln- téreffer à tous les objets de l'Hit- toire naturelle : les infe£tes % les pierres & tout ce que la Nature peut offrir eft ramaffé dans les herborilktions. Les étudians ap- prennent à connoître les pro- ductions de ces différens règnes. Ils prennent y fans s'en apperce- voir & fans fe fatiguer ^ le vrai goût de PHiftoire naturelle en- tière , quoique les plantes foient leur principal objet. Mais afin qu'on puifle faire la même épreuve fur les autres par- ties de l'Hifloire naturelle 5 eft-ii donc néceffaire qu'il y ait du dé- fordre dans le Cabinet du Roi ? N'en trouve-t-on pas affez dans les Cabinets de tant de perfonnes plus curieufes que fçavantes, quk>. comme des enfans qui font tout entrer fans choix & fans intelli- gence dans la conftru&ion de leurs Chapelles , facrifient à un goût aufïi puérile , des matériaux précieux deftinés à élever le pa- lais augufte de la Sçience y où Ton ne devroit trouver que la plus noble , la plus fage & la plus jufle proportion. Ne pourroit-on pas employer utilement Fàbondance du Cabi- net du Roi ? après avoir donné à Tordre méthodique tout ce qu'il exige , en abandonnant y puifqu on le veut y les pièces doubles à la fymétrie y dans des Cabinets particuliers , afin que , dans la confufion qui en réful- teroit y on pût s'exercer à rap- porter chaque objet à Tefpèce, au genre , à la claffe où on les avoit vus dans Tordre méthodi- que. Jecomparerois cçtte idée à celle d'un homme qui , ayant une bibliothèque dans le plus bel or- dre , choifiroit une autre Salle pour y mettre fes doubles , mais pêle-mêle , occupé feulement du coup-d'œil que peut former Fé- galité des volumes , la reifem- blance des relieures & des for- mats , afin de donner au Spe&a- teur le plaifir , quoique fatigant , de les reconnoitre & de les raf- fembler. M. d' Aubenton a eu cette idée ; mais il Fa eue d'une façon encore plus finguliere , quoiqu'on ait peine à croire qu'il Fait propofée férieufement ; car ce ne font pas les doubles qu'il deftine à un or- dre fymétrique , ce font desefpè- ces & des genres qu'il exclut de l'ordre méthodique ; c'eft par fyftême , c'eft de propos délibéré qu'il le fait. Ecoutons-le. » Le Cabinet du Roiétoitaffez » abondant pour fournir à Pun » & à l'autre de ces arrangemens; 2> (au méthodique & au lymétri- a> que : ) ainfi , dans chacun des 3> genres qui en étoit fufceptible * j'ai commencé par choisir une a> fuite d'efpèces , & même de plufieurs individus de chaque 3> efpèce , pour faire voir les va- î> riétés auiïi-bien que les efpèces î> confiantes , & je les ai rangées » méthodiquement par genres & s> par clalTes. Le furplus de cha- que collerions a été diftribué dans les endroits les plus fa- 5> vorables , pour en faire un en- 3> femble agréable à l'œil5& varié 3> par la différence des formes & des couleurs ». A prendre cet énoncé dans le fens qu'il préfente , on jugeroit qu'il y a des genres qui ne font pas fufceptibles de l'ordre mé- thodique; que fous les genres mêmes qui peuvent être fournis à la méthode , il y à des efpèces qui ne peuvent y entrer , & que d'autres ne font bonsqu à mettre* pêle-mêle , mais avec quelque fymétrie. Seroit-ce là fon idée ? Elle eft bien étrange. Quelles pourroient donc être ces efpèces malheur eufes q«i font féparées de celles de leur genre ? M. d'Aubenton ne dit point ce qui décide fon choix : leur beau- té 5 leur prix en un mot ? feroit- t-il contrelles ? Leur importan- ce le détermineroit- elle à les confondre dans le défordre élé- gant qu'il prépare pour charmer les yeux ? Il femble Pinfinuer. » Ceft-là que les objets les plus » importans de PHiftoire natu- » relie font préfentés à leur avan- » tage ; on peut les juger fans C48] ■ j » être contraints par 1 ordre mé~ » thodique , parce qu'au moyen » de cet arrangement , on ne j> s'occupe que des qualités réel- » les de l'individu , fans avoir 3> égard aux caractères arbitrai- » res de genre & d'efpèces ». Connoît-on bien un objet qu on ne compare à rien de con- nu ? Gomment eft-il préfenté avec avantage , fi Ton ne fait attention ni en quoi il diffère des chofes dont il eft envi- ronné , ni en quoi il leur ref- femble ; fi y en un mot , il n'y a autour de lui aucune pièce de comparaifon ? » Si on avoit toujours fous les » yeux , (pourfuit l'Auteur ,) des » fuites rangées métho^ique- » ment , il feroit à craindre » qu on ne fe laifsât prévenir par v la méthode , & qu'on ne vînt » a négliger l'ordre de laNature,» » pour fe livrer à des conven- » tions auxquelles elle n'a fou- *> vent que très-peu de rapport »* ïl n'eft pas facile de concevoir ce qui effraye ici M. d'Aubenton , & encore moins de concilier la réflexion qu'il vient de faire y avec les éloges qu'il a donnés à à la méthode. Vous les avez vus./ Monfieur , & je les tranfcrirai encore , parce qu'ils réfutaient d'avance ce que M . d'Aubenton nous dit préfentement. Dans l'ordre méthodique » les reffem- » blances indiquent le genre, les 2> différences marquent Pefpè- ce;cescara£lèresplus ou moins *> reffemblans , plus ou moins » différens , & tous comparés en- femble , préfentent à l'efprit # & gravent dans la mémoire l'i- » mage de la Nature ». Ce qui 'G [50] prélente à Tefprit , ce qui grâve dans la mémoire l'image de la Nature , conduit-il à négliger la Nature ? On fent néanmoins ce qui fait de la peine à Y Auteur , lorfquil parle de conventions , auxquel- les laNature n'a fouvent que très- peu de part , lorfqu il dit , que les principes fur lefquels Tordre méthodique a été établi , ont été imaginés , qu ils font arbitraires & fautifs pour la plupart. Il y a un équivoque à démêler dans fon efprit. M. d'Aubenton confond les principes de Tordre avec leur application.il iVyapoint d'ar- bitraire dans les principes en eux- mêmes y il y en a dans Tufage qu on en fait.Quelsfont les prin- cipes ? Que les chofes qui ont les reffemblances les plus frappan- tes , doivent être mifes dans les mêmes clafles. Le fimple coup- d'œil , par exemple , fait une clafle à part des quadrupèdes, «Se lesdiftingue, malgré toutes les différences qu'ils ont entr'eux des oifeaux, des reptiles, &c. Le principe vient de la Nature elle- même, & n'eft point arbitraire. Parmi les quadrupèdes , ( nous nous bornerons , s'il vous plaît , à cet exemple ; ) on voit des dif- férens qui indiquent une fou- divifion : les uns vivent d'herbes, les autres de fruits , d'autres de carnage : plufieùrs , comme les furets , &c. femblent aimer par préférence à fe nourrir de fang : les uns ruminent , d'autres ne ru- minent point : les uns font do- meftiques , d'autres font fauva- ges : les uns ont dés cornes , d'autres n'en ont point. Il y a des quadrupèdes qui ont le pied ter- t5»3 miné en fabot ; il y en a qui ont M corne du pied fendue ; il y en a qui ont des doigts aux pieds , .&c. & plufieurs de ces différen- ces peuvent être réunies dans une même forte d'animaux. Ces fé- condes différences prifes une à une , ou combinés , font , pour ainfidire ,les élémens d'une di- vifion de quadrupèdes en genre; & ces élémens ne font point arbi- traires. Dans un troifième ordre de différences très-réelles , lef- quelles prifes une à une , ou com- binées, feront des élémens , on aura les principes non-arbitrai- res d'une féconde foudivifion en efpèces. Peut-être mêmetrouve- roit-on un quatrième ordre de différences pour fonder une fou- divifion dans les efpèces, & cet ordre , on l'appellera comme on voudra. Peut-être encore ne pouffons-nous pas affez loin ce9 ioudivillons ; car il arrive fou- vent que nous trouvons des qua- drupèdes équivoques T qu'on ne fçait à quelle efpèce rapporter f faute d'avoir affez analiîë les dif- férences 5 ou parce qu il falloir multiplier les foudivifions. Dans la Nature , tout eft métho- dique les fuites d'êtres ne font ni équivoques ni confondues , puifque leurs différences & leurs points dereffemblance font très- bien déterminés* A la vérité r la diftribution des êtres eft fort mê- lée r fort confufe fur la furfacede laterre5 par rapport au local affi- gnéaux produàionsdelaNature. Tout eft fans ordre 3 mais la gra- duation des êtres ? & c'eft ce 4ont jeparle , les différences qui les caraâérifent dans chaque de- gré yxo\xi celaeil très-fixé 5 & n& [54] dépend nullement de notre fa- çon de concevoir les chofes : nous ignorons cette graduation, ce , que nous trouvons de l'arbi- traire , lorfque nous voulons imiter la fage économie de la Na- ture. Nous connoiffons les élé- mens de cette graduation ; mais nous pouvons nous tromper , & dans le choix & dans lescombi- naifons de ces élémens. Nous pouvons ne pas fuivre la marche de la nature ; cette marche efl un objet très-digne des recherches d'un Philofophe : nous efpérions que M. d'Aubenton nous met- trait fur les voyes. Il efl: vrai que la connoiflance de l'ordre de la Nature n'eft pas 1" ouvrage d'un fiécle. Nos fuites de productions naturelles auront fans doute des défauts j mais nous & c'efl: à caufe de [553, aurons beaucoup tait pour nos neveux , fi nous commençons ce grand ouvrage. lis verront nos fautes , & ils les réformeront. Ils ne fe contenteront pas comme nous de quatre ou cinq ordres de diflributions; ils ne chercheront peut-être pas cette chaîne d'êtres non - interrompue qu'on fait beaucoup valoir par le difcours 5 &dont on n'ofepas même ten- ter de faire voir Tordre des chaî- nons fenfibles , lorfqu on a def- fein de préfenter en petit le fpec- tacle de laNatare. Peut-être ver- ront-ils des branches , des ra- meaux, où nous ne voulons voir qu'une ligne droite. Mais en at- tendant , le plus mauvais ordre méthodique fût-il alphabétique , comme celui des Dictionnaires , eft préférable au plus bel arrange- ment fymétrique. En un mot ? le Civ manque d'ordre effentiel à la fy- métrie eft un vice infiniment plus nuifible aux progrès des Sciences , que ne Teft un défaut , 3uelqu'énorme qu'il puifle être ans Tordre méthodique* Puifque M. d'Aubenton a été fi bleffé de ce qu'il voyoit d'ar- bitraire dans Tordre méthodi- que 5 comment n'a-t-il pas apper- çu combien la fymétrie elle-mê- me eft arbitraire ? Que dis-je ! il Ta bien fenti : » Par rapport à la ^ manière de placer & de préfen- » ter avantageufement les diffé- 3> rentes pièces de THiftoire na- » turelle , je crois que Von a tou- 3> jours à choijir ; il y en a plu- 2> lieurs qui peuvent être auflicon- » venables les unes que les autres 3> pour le même ob j et: c eft au bon » goût à fervir de règle ». Vous voyez l'arbitraire bien marqué* Ajoutons que fi c'eft au goût à- décider , on auroit bien fait de prendre l'avis de quelques Da- mes, car dans les chofes du goût,, elles remportent fur tous les hommes , & plus encore fur les- fçavans que fur ceux pour les- quels le coup-d'œil efiune règle infaillible. Si M. d'Aubenton ne fait pas^ affez cas de Tordre , en revanche il fçait ménager le terrein. IL veut que le plafond foit garni de curiofités » : c'eft 5 nous dit-il 5 le 7% feul moyen de faire un enfem— » ble qui ne foit pas interrompu ; ; ■m & même il :.y a des chofes qui j> font mieux en place étant fuf- » pendues que par-tout ailleurs» ; Pourquoi le parquet ne fera-iL > pas aufli garni ? d'où vient ne le mettroit- on pas à profit aufii bien que le plafond ï ce feroit - . Cv- alors qu'on auroit réellement un enfemble qui n'auroit aucun vui- de. En fuivant cette vue ,jepro- poferois d'incrufter le parquet d écailles de tortues les plus ra- res , de nacres , de bezoars , de pétrifications , &c. on pourroit encore , félon la faifon , y éten- dre des peaux d'animaux , mou- chetées 5 tachetées fmguliére- ment r on ménageroit par-là un ornement qui imiteroit les tapis de Turquie , dont on couvre en hyver le parquet des fales de converfations 3 ou les carreaux des falons. Quant aux pièces qu'il croît mieux en place étant fuipendues, il entend apparemment les oi- feaux ; car les quadrupèdes , ou des reptiles fufpendus ne fe- roient pas un effet bien agréable : au Heu que des oifeaux en l'air > [5Pl les ailes déployées ( ceffc leur place naturelle 5 quoi qu'alors la beauté de leur forme & celle des plumes fût en pure perte , ) fe- roient un fpe&acie affez amu- fant : mais il faudroit pour en jouir 5 prendre des attitudes de tête très - gênantes 5 & peu de perfonnes trouveraient du goût dans un arrangement qu'ils ne Il falloit que M. a Aubento'n fe défiât un peu de l'élégance de l'ordre qu'il a mis dans leCabmet du Roi ; car dans la defcription qu'il en donne y il ne fait aucune mention du local de lapojîtion des pièces 5 ni delà distribution re« lative aux différentes falles qu'el- les occupent. L'auteur s'objeâe 3 & l'objection efl affez folide ; » J'avoue que cette indication donnerok la facilité de trouver pourroient admi Cvj [ on pourroit y être trompé ; car » les chofes ne reftent pas tou- » jours dans la même place , (ni » dans la même falle apparem- » ment ; ) on eft obligé de les » déplacer toutes les fois qu'on en apporte de nouvelles pour 2> completter les colle&ions ». Si lesconnoiffances de M. d'Àu- benton étoient bornées aux ob- jets raffemblés dans le Cabinet du Roi 5 on concevroit qu'àmé- fure qu'il feroit de nouvelles ac- quittions, il faudroittout boule- verfer ; mais inftruit autant qu'il l'efl , il fçait ce qui manque en chaque genre dans le Cabinet. 11 peut laiffer des places vuides pour ce qu'il fe propofe d'acqué- rir ; ces vuides feroient honneur àla prévoyance de celui qui dé- cide de Tordre. Comment fait- on dans les Bibliothèques où les vuides font moins fuportables ? Tout cela fe fait aifément dans les collerions de M. de Reau- mur : il a fçu y ménager des vui- des qui n'ont rien de choquant ni de defagréable* L'Auteur continue: » Il n'effc » donc pas pofïible d'avoir un » ordre fuivi dans les numéros » qui font au Cabinet ; mais ces » mêmes numéros font rappôr- » tés par ordre dans cet ouvrage* » de forte qu'il fera très-facile de » trouver dans le livre ceux que » l'on aura vus dans le Cabinet ». Comment ne peut-il pas y avoir de numéros fuivis dans le Cabi- net , tandis qu'ils le feront dans la defcription qu'on en fait ? Je n'entens abfolument point la penfée de l'Auteur- Je conçois- r*2] très -bien qu'une perfonne qui vifiteroit ces Cabinets , ayant fous les yeux la defcription qu'on en donne, pourroit prendre af- fez d'exercice en paffant d'une pièce à l'autre , pour en décou- vrir les numéros : niais que cet exercice feroit très-peu amufant! N'eft-ce pas d'ailleurs un grand inconvénient qu'il foit inutile de fe préparer par la ledure de la defcription du Cabinet y à le voir avec plus d'ordre , & par conféquent, avec plus de fruit ? Tout ce que je vous ai rapporté jufqu'ici de M. d'Aubentcn , vous aura prouvé , Monfieur % qu'il ne fournit que des inllruc- . rions vagues à ceux qui veulent donner de Tordre à leurs collec- tions. Il leur fait naître une hau- te idée de Tordre méthodique ; il prononce enfuite qu'il eft im- praticable. Il dit que certains genres, que certaines efpèces ne font point fufceptibles d'ordre ; il ne les nomme point. Il préfère Tordre fy métrique comme le plus avantageux y & non - feulement il laifTe le choix de ce genre de diftribution au goût de ceux qui ont des colle&ions à arranger mais la defcription qu'il donne du Cabinet du Roieft telle^qu'el- le ne fourrtit aucun modèle dont on puiffe faire ufage. Voyons s'il fera plus précis dans fes avis fur la confervation des pièces de l'Hiftoire naturelle. II . Par rapport à celles que l'on a fait delfccher pour les confer- ver dans les Cabinets y l'Auteur nous fait obferver qu'il y ' a de grandes précautions à prendre pour empêcher que l'intempérie des faifons ne leur nuife 3 & que plufieurs fortes d'infe£tes ne les* rongent. Mais il réduit ces pré- cautions à empêcher l'air humi- de y ou les rayons du foleil , de pénétrer dans fa falle où elles font placées , & à examiner fi on n'apperçoit point quelques débris fous le corps defleghé v qui annonce que les infe£les s'y font déjà fixés. Il n'a pas même penfé à prévenir l'approche de ces infedes : on a pourtant befoin de leçons claires & détaillées fur cet article. Il borne enfin la vi- gilance contre iesentreprifes des infe£tes, à cinq mois de l'année ; & je ne fçais fi l'on ne doit point en ufer dans tous les tems , quoi- qu'il y en ait où elle peut - être moins foutenue que dans d'au- tres. Il s'étend beaupoup plus fur les moyens d'empêcher que Pefprit de vin , où plulieurs animaux font confervés y ne s'affoibliffe en s'exhalant. Mais ce qu'il pro- pofe déplus détaillé eft pris d'un mémoire que M. de R eau mur a- voit lu en partie dans une féan- ce publique, & en partie dans des affemblées particulières deP Aca- démie : il en avoit obtenu une copiecollationnée|M. deReau- mur, s'ell plaint modeflement de ce petit larcin littéraire. Vous verrez le Mémoire dont je vous parle dans ceux de F Académie de Tannée 1 746 ; vous y admirerez, & dans Faddition qui le fuit , l'attention, de M. de Reaumur à épargner des dépenfes aux cu- rieux , & à leur procurer les moyens de conferver leurs acqui- fitionsen fait de productions na- turelles. Il eft à propos de vous faire connoître l'extrait que M> 166] d'Aubentonafait de ce Mémoi- re y que fon Auteur ne jugeoit pas alfez détaillé , ni confirmé par uneaffez longue expérience. Cet extrait eft fidèle & bien fait \ je ne vous en rapporterai qu'un morceau : » L'huile n'étant pas » capable d'intercepter l'évapo- » ration de l'efprit devin, lorf- » qu'elle le couvre, M. de Reau- » mur à trouvé le moyen d'ar- » rêter cette évaporation y en la » couvrant elle-même par l'ef- » prit de vin ; pour cet effet , on » verfe dans un bocal de l'huile » de la hauteurd'environ un pôu- » ce , on le remplit d'efprit de » vin allez bien déflegmé , pour » qu'il foit fpécifiquement moins » pefant que l'huile , & enfuite » on ferme le vaiffeau ; alors on » le retourne , c'elt-à-dire , on a> le pofe fur fon couvercle. » L'huile tombe par ce renver- » femencfur le couvercle qui eft » devenu le fond du vafe , & par » conféquent , l'efprit de vin eft » au-deffus de Fhuile : dans cette » pofition 5 les vapeurs font re- » tenues comme dans un vaiffeau » fcélé hermédiquement , puif- » qu'elles font arrêtées par le » fond du bocal qui fe trouve à » l'endroit où devoit être fon » ouverture , s'il n'avok pas été 3> renverfé* Et cette liqueur ne » peut s'échapper au travers de » l'huile qui la foutient , car M. » de Reaumur a éprouvé qu'il » n'y avoit eu aucune diminution » fenfible dans plufïeurs bocaux » où il avoit gardé de î'efprit de » vin félon ce procédé pendant » dix à onze mois ». M. d' Aubenton rend compte enfuite des différens çffais que mi M. de Reaumur a faits pour arri- ver au même but,en employant le vif - argent r au lieu de l'huile, Pour rendre Tufage du mercure moins difpendieux, M. de Reau- mur applique fur l'ouverture du bocal » un couvercle de verre convexe^dont la convexité en- » tre dans le vaiffeau ; alors il » fuffit pour arrêter Fefprit de » vin y qu'il y ait feulement un » limbe de mercure fur le joint qui fe trouve entre le couver- *> cle& les bords du vaiffeau. Le » même joint doit-être recou- *. vert en dehors par un maftic » qui retienne le mercure , & qui puiffe aufll retenir l'efprit de » vin »• Ces deux procédés , de faire re- pofer le vafe où Pefprit de vin eft contenu fur fon couvercle , & d'employer le vif- argent poun prévenir Pévaporation de Pëf* prit de vin avec très-peu de dë- penfe , font très-ingénieux , par- ce qu'ils font très- fimples. Un troiiîème moyen donc M. d' Au- ;benton dit quelque chofe , mais ,dontl'ufage eft plus détaillé dans l'addition que M. de Reaumura faite à fon Mémoire , n'eft pas .moins ingénieux & paroît méri- ter la préférence , ceft d'em- ployer l'huile épaifïie au point qu'elle foit fpécifiquement plus pefante qu'un mélange de deux tiers d'ëfprit de vin & d'un tiers d'eau ; mais il faut voir ce détail dans les Mémoires de PAcadé- .mie. Décrire les travaux de M. de Reaumur , c'eft le louer , & le public fçaura ungré infini à M. d'Aubenton de la tournure dé- licate qu'il a prife pour faire l'é- loge de ce grand homme. Mais Jui pardonnera- 1- on le filence qu 'il garde fur l'ufage de ces pro- cédés fi utiles. A-t-il effayé de profiter de la méthode de M. de Reaumur , voit-on qu'il Tait mi- fe en pratique dans le Cabinet du Roi ? Non. Suffit-ildonc de bien décrire les découvertes heureu- fes , ne vaudroit-il pas mieux fe les rendre propres en les rendant ufuelles ? Eft-ce que M. d'Au- bonton l'auroit tenté fansfuccés? Peut-être n'a-t-il parlé de ce Mé- moire de M. de Reaumur , que comme de ces chofes à la vérité ingénieufes , mais dont l'utilité eft affez bornée dans la pratique: c'eft ce qu'il fembieinfinuerdans les réflexions fuivantes. » Tou- » tes ces recherches de détail ne » valent pas la peine qu'elles » donnent , ni le tems qu'elles 2> prennent 7 fur-tout lorfqu'on *>travailledansun Cabinet fourni » à un certain point. Il faut que » Ton puiffe employer tous les vafes qui peuvent fe trouver *? » quelque forme qu'ils ayent ; 3> car on a des choies de toute » forte de figure à y mettre ; & il » faut de plus , pour que la com- » modité foit entière , que Ton » puiffe les tenir debout ou ren- verfés , couchés , ou inclinés » dans tous les fens ». Que les découvertes de M. de Reaumur ne vaillent pas la peine qu'elles donnent , ni le tems qu'elles prennent , qu'on puiffe les méttre au rang de ces petites pratiques dont parle l'Encyclo- pédie dans l'article que j'ai cité , que tout le monde trouveroit ai- fément , li l'on vouloit s'y appli- quer , c'efl: un point dont le pu- blic ne conviendra ni en Fran- ce rni dans les autres parties de l'Europe. On ne voit point pourquoi lanécefïité d'employer des vafes de toute forte de figure & de capacité , exclut les pré- cautions que M . de Reaumur in- dique. Tout au contraire , cette néceflité exige qu'on prenne la peine & le tems de varier les pro- cédés , pour bien boucher ces dififérens vaiffeaux. On ne voit pas nonplus aucun cas où il foit plus avantageux de tenir les vafes debout ou appuyés fur leur fond , plutôt que fur leur couvercle. Et s'il eft néceffaire de tenir quel- ques-uns de ces vafes inclinés ou couchés , il faudra apporter en- core plus d'attention dans la ma- nière de les boucher. M. d'Aubenton eft peu d'ac- cord avec lui-même. D'abord il parle de la manière d'empêcher l'évaporation îcvaporation de l'efprit de vin , comme d'un objet important : il Peft auffi. Cette évaporation caufe des dépenfes , & engagea des foins bien capables d'éteindre le goût de faire des collections qui exi- gent qu'on employé un grand nombre de bocaux remplis de li* queur. Etdans la fuite , il nous ait , que les précautions qu'on prend pour empêcher cette éva- poration , ne valent pas la pei- ne qu'elles donnent. La peine qu'elles donnent 5 qui efl très- petite , fi l'on fuit les procédés de M. de Reaurnur , difpenfe de <:elle de déboucher & reboucher les bocaux toutes les années, plu- fieurs fois même dans une année ; il épargne des dépenfes réitérées de beaucoup d'efprit de vin à ceux qui ne trouvent déjà que trop grande celle qu'ils font obli- gés de faire au moins une fois. Il n y auroit pas de mal à dimi- nuer cette dépenfe dans le cabi- net du Roi , par rapport à un ufa- ge qu'on y fait de l'efprit de vin. LeDiaionnaire encyclopédique apprend qu'ony conferve des oi- feaux. Comment M. d'Aubcn- ton , à qui despoiiTons qui. ne fe trouvent pas pofés horifontale- ment dans des bocaux , déplai- fent , peut-il tenir des oiieaux dans un élément Ci différent de celui qui leur eft naturel , & où ils font une fi mauvaife figure , qu'ils font entièrement mécon- noiifables. Mais il veut les con- ferver ; il n'en fçait pas apparem- ment d'autre moyen. Il peutauf- fi io-norer ceux de rendre un air dévie à des oifeaux qu'on a ap-r porté de loin dans des vafcs pleins d'efprit de vin. On doit au refte excufer dans M. d'Aubcnton , le peu d 'em- preffement qu'il témoigne à é- prouver long-tems les procédés inventés par les autres , puifqu'il en marque fi peu à vérifier fes propres découvertes. Il a imagi- né un amalgame de mercure 6c de plomb a très -peu de frais. »> Ayant mis fur chaque bocal » une plaque de verre qui en- » troitd uneligneau-deïTous des » bords de- fon ouverture ( du » bocal-) & ayant appliqué un ' limbe d'amalgame fur le j oint qui étoit entre la lame de verre h les bords du vafe , j'ai ren- verfé ( dit-il ) & retourné ces 6> bocaux , & je les ai laine plu- » fieurs i jours dans cet état , fans » que le poids de la liqueur l'ait » fait fuinter au dehors , ni mê- » me ait dérangé le verre qui les » fermoir», d L7UJ Te ne fcais pourquoi on n a pas &m gercés les bo eaux après les avoir bouches ie- Ccetxernétkodeaimelemble cîily aungrand avantage ^P; JofeAefondduvaCealaforce VaVefpntdevin,poursexha lerpar enhaut Aurefte, iltaut que fes épreuves ne Ion pas ab Umentaffurédufucces On croiroit lire *}*™*™ cette découverte , qu on 1 a em Xvée pour lutter tous les bo- £ du Cabinet du Roi, qu ils k qu'on ne s'eftapperçu d aucune pour en faire l'expérience; peut- être , dans le tems qu'on rendît compte de cette découverte, h'a- voit-on pas eu le tems de la bien conftater : que fçai-je ? ce qui arrive à nos glaces que Ton gar- nit d'un amalgame femblable , & que l'humidité altère très -fou- vent, aurok dû engager à multi- plier les épreuves & à lès conti- nuer long-tems. M. de Reaumur au contraire , toujours aufli at- tentif à inftruire le public , à lui épargner le tems & les dépenfes des épreuves r qu'à travailler à perfeâionner fes cabinets , na pas oublié de parler dans les Mé- moires de l'Académie d'un grand nombre de bocaux bouchés à fa manière , qui ont foutenu les é- preuvesde plufieurs années. J abrége,pour fatisfaire l'impa- tience où vous devez être , de [78] voir les deux lettres que je vous ai annoncées fur le très-fingulier ouvrage deM. V AbbéNéedham : pour cette raifon , je ne vous di- rai qu'un mot drun des meilleurs moyens que M. d'Aubenton a imaginés pour compléter des ca- binets d'Hiftoire naturelle. III. Ce moyen eft très-fimple. Le voici. Ceft» de recueillir a- » avec foin les débris des collec- » tions particulières , lojfque le » moment de leur difperfion ar- rive». Ceft -à-dire, en bon françois , lorfquon en fait la vente publique après la mort du propriétaire. Ce moyen d'augmenter des col- leftions eft aflurément le plus commode qu'on puiffe trouver , quand on peut difpofer des fem- mes que fournit la libéralité d'un grand Roi. Mais ce moyen qui n'eft que rarement un de ceux • que les Sçavans puiflent em- ployer , ne ferait faire, même au Cabinet du Roi, que des pro- grès très-lents.-'Les occafions de faire des acquittions en ce gen- re , ne font rien moins que fré- quentes; elles ne peuvent pro- curer pour l'ordinaire que cer- taines pièces remarquables. Il me femble qu'on doit s'y prendre tout autrement pour parvenir à faire des fuites très- nombreufes en chaque règne , & auffi cbm- plettes qu'on peut les avoir. Ce- lui qui y travaille doit par lui-mê- me faire des recherches dans le pays où il fe trouve , rafFembler tout ce que la nature peut y offrir, & elle offre prodigieusement dans chaque pays à des yeux qui içavent voir. Mais c'efï de les coxrefpondances qu'il doit at- Div [8o] tendre plus de richeffes ; il auroit befoin d'intéreffer à l'accroiiTe- ment de fon cabinet , tous les amateurs de THiftoire naturelle qui fe trouvent difperfés dans toutes les contrées de la terre. Ce n'eft point à prix d'argent qu'on parvient à multiplier à ce point les correfpondans , c'eft en fe faifant généralement air- mer par tous ceux qui font fenfi- blesaux progrès de l'Hiftoire na- turelle , en méritant leur eftime, en les convainquant du bon ufa^ ge que l'on fera des matériaux qu'ils nous adrefferont , & en leur en faifant honneur. C'eft par ces différens moyens, dont M . de Reaumur a fait un Ci heureux ufage , qu'il a pu être en état de faire des colkaions il complettes & fi renommées. De toutes les parties de l'Europe , dë tous les pays du monde où des Naturalises ont pénétré , on lui envoyé à Penvi. Il doit fe fça- voir gré de ce qu'aucune des piè- ces de fes cabinets n'y eft entrée à prix d'argent ; loin de le ca- cher , il le dit volontiers à tous ceux qui viennent le vifiter , & quand il ne le diroit pas, des éti- quettes attachées à chaque pièce,» . apprendroient afle2 à qui elles* font dues. Ce n'eft pas la recon- noiffance feule qui l'a engagé & avoir cette attention , il prétend^ & avec raifon ? qu'on ne doit fai- re cas que des morceaux dont on fçait Phiftoire , dont le pays mm taPçft au moins certainement connu ; le nom de celui qui les a donnés en eft un garant, 8c cet avantage ne fe trouve que très- rarement dans les pièces qu'on acquiert aux ventes publiques ^ ou que l'on n'achette que 3e quelque voyageur , fouvent plus heureux qu'intelligent.Le grand art de former des cabinets & de les rendre parfaits , eft donc d'a- nimer le zèle des amateurs de l'Hiftoire naturelle. En voilà beaucoup plus , M on- fieur ,que j e ne m'étois propofé de* vous en écrire en commençant cette lettre. Je me hâte de vous donner une idée des expériences de M. Néedham ; elles forment quelques difficultés contre l'opi- nion établie fur le concours de tant d'expériences , que les ani- maux naiffent généralement de mères ovipares ou vivipares. Je n'ai pu vous rendre un compte bien exa& des obfervations de M. Néedham , qu'en oppofant des fuppofitions intelligibles à £on inintelligible do&rine , & m aptes avoir vérifié avec Tour te foin néceffaire :% les faits fur fefquds il i établit. Depuis mon: examen , dont les deux lettres; fuivantes fontle réfultat , j'ai fait encore pluiieurs expériences que je vais mettre inceifamment en- ordre ,s& où vous trouverez des; réponfes auflî précifes aux pré- tentions dé M. Néedham. Que de travaux j'éntreprens pour vous ! mais quelle difficultépour- roit me décourager ,; puifque je ferai toujours dans la difpoiltion de vous prouver toute l'étendue de mon zèle , St du; refpeâueux dévouement avec lefqueis je fuis. Moniteur , votre &c.. m II LETTRE- Idée des nouvelles obfervations faitespar M. Néedham de con- cert avec M. de Buffon. Ous ne connoiflez pasr Monfieur , toute Té- tendue des principes de M . de Buffon; quoi- que je n'aye rien négligé de ce qui pouvoir contribuer à vous rendre fidèlement Tefprit de fon livre ; je ne la connoiflbis pas moi-même affez ; je n'avois d'au- tre reffource , pour bien faifir fa façon de philofopher , que fon Hiftpiçe naturelle : M.Néedham eiï venu à mon iecourspar le-Vo- lume qu'il vient de nous donner.. Cet Auteur eft fort connu par des obfervations mïcrofcopiques r comme il les appelle , qui paru- rent en françoisen 1747 r & qui furent bien reçues du public: il s'étoit lié très-étroitement à Pa- ris avec M. deBuffon ; il y avoit: entr'eux une communication très-intime d'études & d'expé- riences* Dans fon nouveau livre, il rend compte des obfervations qu'il a faites de concert avec M., de Buffon % & dont celui-ci a ti- ré beaucoup de conféquences dans fon Hilloire du cabinet du Roi* Àinfi nous trouvons dans les nouvelles obfervations de M. Néedham , un fuppiément à l'ouvrage de fon ami , & de plus Forigine de plufieurs paradoxes; avancés par l'Intendant du, Jter- ain du Roi y & que nous ne fça^ vions à quoi rapporter. Tels font ces deux-ci que nous fommes; créateurs des mathématiques ;: aue certains animaux qui font: lormés de végétaux y redevien- nent enfuite des plantes,, puis des> animaux d'une féconde efpëce.. Ce qui refte en propre à M. de Buffon % & dont: il ne doit par- tager ta gloire avec perfonne , fe réduit à peu près à fon fyftême* fur la formation des planettes % fur la conflru£tion du globe ter- reftre,&: à l'invention des petits; moules où fe façonnent les ger- mes des plantes & des animaux^ On peut dire même que r fur k manière dont les animaux & les végétaux perpétuent leur efpéce^ M. Néedham^ qui paroît serre tracé une route nouvelle r tend au même turque M. de Buffon [88] s'ëtoit propofé, & que îe fyftê- me du premier n' eft que le déve- loppement de celui du fécond ? du moinsM.Néedham le prend ainfi. » lime femble , dit-il r » dans une note , par l'examen » des deux théories , joint à la » connoiflance que j'ai des idées » particulières de M. de Buffon , j> que mes obfervations & ma » théorie commencent précifé- » ment où il a jugé à propos que » les Tiennes finirent. S'il eût » raifonné fur mes découvertes » & fur toutes les circonftances » particulières que j'ai obfervées 3> autant qu'il a fait furies fien-. » nés , je ne doute pas qu'il n eût » porté la théorie aufïi loin, Se » peut-être avec plus defucès & » defagacitéjetâchedelerem- » placer dans cette partie, mais t> avec toute la déférence que je » dois a une perfonne à qui ïe » mérite & la réputation don- » nent tant de fupériorité fur » moi. . . . . .. . .. Soi que j'aye » raifonné jufte ou non , cela ne » diminuera rien de la beauté 8c » de l'étendue de fa théorie , ni » de l'importance de fes ob- » fervations fur la femence ani~ » maie r qui feront avec juftice » un fu jet d'admiration pour les j> fiécles à venir i & même fans » fes expériences , je ne fer ois » pas parvenu à établir ma thé o- » rie dans toute l'étendue & le » degré de certitude dont elle eft » fufceptible. ...... Sa théorie » ejh antérieure à tout: mais nos » découvertes font à peu près de » la même date. En gé- » néral j'afïiftai comme ami 8c » comme curieux à la plûpart de » fes obfervations r mais je n'ai » aucune part à celles qui ont été » faites fur la femence animale. ( Cette exception eft très-fage. ) » Je me bornerai tiennent en particulier , quoi- 3) que j e raifonne d'après les fien- » nés indifféremment , lorfque » l'occafion s'en préfente ,eom- » me il a fait à 1 égard des mien- » nés ». Cet aveu ne peut être plus pré- cis 5 & il vous donne le droit , Monfieur y d'exiger de moi que je vous rende compte dun ou- vrage, qu'on peut regarder com- me le commentaire ou comme la fuite de celui de M. de Buffon., Je préviens vos defirs& ie vais tâcher de vous donner l'idée des nouvelles obfervations microfi- copiques. On peut fort bien les lire deux ou trois fois de fui- té 9 fans y rien comprendre ; car 4ï y règne peu d'ordre & beau- coup d'oblcurité. Selon toutes les apparences, l'Auteur voy oit trop de chofes à la fois y pour les voir diflin&ement ; & il n avoir pas affez de teras à donner à un projet pour kquel dix ans de mé- ditations profondes ùf fumes avec ordre ne Juffirontpas : il fe plaint effe&ivement affez. fouvent que le loilir néceffaire'lui manque* Jj ne faut donc pas s'étonner qu'il ait j etté fur le papier fes pen- fees telles qu'elles lui venoient * fans s'occuper autrement de l'en- lemble qu elles pouvoient for- mer. Au refte il n'a point cher- ché à prévenir fes lecteurs par un ftyl.e trop châtié , ils doivent lui en fçavoir gré j ç'eft une marque qu'il ne les a pas jugés capables de prendre des mots pour des chofes. Il mérite encore des élo- ges pour lamodeftie avec laquel- le il propofe fes fentimens; je la crois telle , qu'il feroit porté à témoigner beaucoup de recon- noiffance à quiconque effaieroit de le détromper ; j'uferai de ces difpolîtions d'autant plus loua- bles5 qu'elles font plus rares dans les gens de lettres. Les Matérialiftes ne pourront pas revendiquer M . Néedham ; mais fon livre , quoique plus fa- vorable à rimmatérialifme qu'au matérialifme , pourroit néan- moins ne pas déplaire à ceux qui font profeflion de ce dernier fy- ftême. Ils font de très-bonne compofition : leur fentiment efl: que tout eft matière , que rien n'eû fimple ils en concluent C.P3] N que Tame eft lu jette à la defîxuo' tion comme le corps* On crmt éviter ce funefte terme, ens'ëloi- gnant^ le plus qu'il eft poiïible^ de leur façon de penfer fur la matière ; on fe trompe , on eft furpris de fe retrouver avec eux* Vous fpirkualife^la matière^ di- ront-ils à ceux qui penfent com- me M .Néedham ; fi vous le voule% nous dirons avec vous ? que tout ejl fpirituel & jimple jufquaux élémens de la matière. Mais le corps dont les élémens font fpiri~ tuels r félon vous , ejl détruit par la mort ; il en ejl do ne ainji de Va- me ? Fous diftingue\^ il ejl vrai , les élémens de la matière de V élé- ment de l'ame ; mais il faut bien que vous donniez une dijlinêlion ji gratuite & fi peu digne d'un Philofopke conféquent à la reli- gion que vousprofeJfëiJe miçdâs par avance ce que M. Néedham nous apprend , que la théorie de M. de Buffon eft antérieure à fes obfervations , parce que je ne concevois pas comment il a- voit pu déduire fa théorie de fes obfervations , & je concevois au contraire très -bien qu'il avoir affez d'cfprit pour forcer fes ob- fervations de fe rapprocher des principes qu'il fe feroit fait ; & tre combien je fuis redevable à » la pénétration de M, de Buf- » fon , qui m'a le premier enga- » gé dans cette recherche , par » Ton fiftême ingénieux qu'il m a eu la bonté de me commu- ê* moi-même la moindre idée , ou que j'eufle fait aucune ^expérience». Je vous cite, Monfreur , ce témoignage^ de M. Néedham , comme étant à fa décharge. Venons au fond du livre. No- tre Auteur » n'a , dit-il , que p deux vérités générales à éta- *> blir dans fon eflai , d'après » l'obfervation. La première, » qu'il y a une force produc- *> trice dans la Nature. La fe- w conde y que tout corps or- » niquer , avant eufle :ganifé , depuis le plus corn- pofé « pofé jufqu'au plus fimple , efl » formé par végétation. » Il doit le premier de ces princi- pes , qu'il appelle vérités , à M. de Buflfon. Il l'avoue quand il parle de plufieurs conféquen- ces que ion ami a 'tirées ; il avoue , dis-je , qu'elles fe font trouvées d'accord avec » fes dé- » couvertes , & qu'elles ont » paru en réfulter , quoiqu'el- '» les ne fufient pas déduites en » effet d'une connoifTance cir- » conftanciée de ces nouveaux i> phénomènes , mais de ce prin- » ripe.: qu'il y a une force réel- * le produarice dans la Na- » ture ». Et il ajoute,: » Nous » nous fommes tous deux ac- » cordé en cela il y a foalong- » tems , quoi que nous ayons *> pris différentes méthodes , » pour expliquer cette a&Lon ». Vous voyez , Monfieur , que dans le livre dont je vous rends compte , ce principe n'eft pas tiré des expériences , mais que les expériences font accommo- dées à ce principe. Par cette force productrice que l'Auteur reconnoît dans la Nature , il entend une force in- née dans un élément immaté- riel ; en forte que tout corps ani- mal, par exemple, fe forme par la vertu intrinfeque de cet élé- ment. Car M. Néedham , com- me M. de Buffon , rejette les germes préexiftans adoptés par le commun des NaturaMes. Ainli dans fon idée , les germes des animaux & des plantes ne font point l'effet d'une organi- fation opérée dès le commence- ment par le Créateur ; mais ils font formés par une » force vé- » gétative exiftante dans cha» » que point microfcopique de » matière, & dans chaque fila- » ment ». Quelle eft cette for- ce ? Elle réfide dans deux prin- cipes : l'expenfion & laréniîan- ce. Ne penfez pas , Monfieur , 3ue ce foit la force plaftique es anciens & de quelques mo- dernes ; il en parle trop mal pour vouloir l'adopter. » Cudworth , » dit - il, Grev , le Clerc & » quelques autres Philofophes » avoient fait des réflexions trop » profondes fur la Nature, pour »> admettre aucune hypothefe , » quelque plaufide qu'elle fût , » qui expliquât moins que tou- »> te la fcène qui fe découvre à » un obfervateur attentif. Ils « paroiffent cependant avoir » donné dans l'autre extrémité , [ioo] •v & leur fiftême des formes plaftî- »> ques , quoiqu'annonçant dans » les détails une imagination » fort étendue & de profondes « réflexions , déroge autant à la « toute-puuTance du Créateur , » &n'eftpeut être pas moins ex- » traordinaire que l'opinion où » l'on attribuoit la régularité a> & le mouvement des planet- 3> tes au miniftère des Anges ». Cela eft précis. Cependant , comment nommerons-nous cet- te force qui eft intrinfeque à la nourriture excédante rejettée , dans les animaux, dans certains xéfervoirs qui , n'ayant pas le moindre degré d'intelligence , fuivant MelTieurs Néedham &: de Buffon , a cependant l'art de .combiner le fujet où elle réfide , de manière qu'il puiife compo- fer l'admirable machine du cor ps [ioiJ d'un animal ? N'eft-ce pas une forme plaftique ? Quelle réful- te de la force d'expenfion & de la réiiftance , peu importe 5 fi fon emploi eft celui des formes plaftiques : gBiSquoi^n'auroit^ elle pas le npmé np^g w^ffi Mais peut-être que la diffé- rence entre ces formes plaftiques & la force ]%oduâriee WnùÊ^ en ce que les premiex^sJbîit jj& pur effet de l^k§j^j^f& que la féconde efl un réful- tat nécelfaire de l'expérience* Voyons donc fur quelles décou^ vertes M. Néedham fonde fa thoerie. Elle efl: à la vérité fort- ténébreufe , mais la nature a fes miftères ; fes miftères font des faits : l'on ne raifonnepoint con* tre des faits* Dans fes premières expérien-» jeçSjJMU Néedham fait un rnélan^ Eiij [102] ge de quatre infulions 5 dans lefquelles il y en a une de ger- mes d'amandes féparés avec loin de leurs lobes. » Je les mis , nous » dit-il y dans des bouteilles » bouchées avec du linge » huit jours après je ?> commençai à appercevoir un » petit mouvement dans quel- ?> ques particules de ces femen- *> ces Ilétoit vifibleque » le mouvement , quoiqu'il » n'eût alors aucune marque de » fpontanéité , venoit cepen- 7) dant d'un effort de quelque » chofe qui agiffoit à l'intérieur » de la particule , & non d'au- » cune fermentation dans le li- » quide , ou de quelque autre j> caufe extérieure ». Vous admettrez la conféquen- ce , Monfieur , mais vous y mettrez une reftrin&ion, Vous penferez comme moi r que ce mouvement qu'on ne peut at- tribuer à aucune caufe extérieu- re y eft de la même nature que celui qu'on croit être dans les bêtes un a£te de fponpanéké. Car fi une boule en repos fur un plan uni venoit à fe mouvoir fu- bitement par une force intérieu- re , & fans être mife en mouve- ment par aucune caufe du de- hors , ne diriez - vous pas que ce mouvement eft fpontané ? De même ne croiriez-vous pas que lorfqu'une des particules dont P Auteur parle , fe meut par une aftivité intérieure vers quelque point, préférablement à tout au- tre y elle le fait par un mouve- ment fpontané ? L'Auteur ne le croit pas 5 & vous allez voir pourquoi. Il continue. » Il fe » détachoit fouvent un atome Eiv qui etoit auiïi gros , ou me- 3> me plus gros que ceux qu'il » abandonnoit , & tandis que » ces derniers reftoient abfolu- » ment immobiles , celui-là s'a- » vançoit d'un mouvement pro- » greffi£>en parcourant un ef^ » pace égal à huit ou dix fois ?> fon diamètre , où il décrivok » une petite orbite ; alors fon *> mouvement fe ralentiffoit : il » s'arrêtoit enfuite entre deux » autres atomes , & fe détachok 3> de nouveau avec les mêmes circonftances que ci-devant* » Les conféquences de ces ob- » fervations font évidentes. Le » mouvement n'étoit pas fpon- » tané , car ces atomes n'évi*- » toient aucun obftacle > & nV » voient aucun caradère de 3> fpontanéité »♦ Mais ces ato- mes pouvoient-ils donner plua de marques de fpontanéité qu'en< fe mettant en mouvement f qu'en s'arrêtant , qu'en- fe déta- chant des autres y par une acti- vité qui partoit vifîblement de leur intérieur ,& qu'on ne pou- voit rapporter ni aux loix du choe des corps , ni a celles de la communication du mouvements » Ces corps mouvâns 5 pourfuit 5> M# Néedham , ne pouvoient* » pas être des animalcules naif- » fans , qui euffent été produits » par quelqu'infeâe y les phio- » les ayant été bouchées exa£te- »* ment avec du liège ; c étoient » les particules mêmes des ger~ » mes d'amande » . J'arrête l'Auteur fur cette der- nière confequence. Comment, auroit-il pu s'affurer qu'il n'y avoit point d'animaux répandus dans L'air que contenoient lea Et- ■ [io Monfieur , par cette dernière queftion : vous comprendrez cependant qu'elle naît de l'ex- pofé de M* Néedham. Les mo- lécules font des atomes , elles font des particules de l'aman- P°7l de , elles n'ont point été trans- formées , elles n'ont point ac- quis de nouvelles parties orga- niques , elles font abfolument de la nature de germes d'aman- des. A la vérité , il leur a vu faire des mouvemens qu'on ne pou- yoit attribuer, à fonavis^ à aucu- ne caufe extérieure, & qui ve- noient d'un effort de quelque chofe qui agiffoit à l'intérieur de la particule. Qu'eft-ce que ce quelque chofe ? Dirons — nous que quoique la particule ait con- fervé tous les dehors de l'aman- de , l'intérieur a été organifé à notre infçu , & que c'eft à cet- te organifation intérieure , que l'on devine , qu'il faut rappor- ter les mouvemens de la parti- cule ? Ce feroit nous renvoyer à l'idée confufe d'un je ne fçaîs quoi 7 8c il paroît que relie eH Evj [io8] celle de M. Néedham , quoi qu'il ne s'explique point. Mais ne pourroit-on pas dire auffï que quelqu effein d'ani- maux , imperceptibles même à l'œil aidé du mifcrocope , s'effc introduit dans cette particule % & en a fait comme une loge r comme un bateau , où il trou- ve peut-être , & avec tout ce qu'il lui faut pour fubfifter , la facilité & l'agrément de* man- œuvrer dans l'eau ? Ce fécond parti n'eft-il pas plus vrai-fem- blable que le premier ? Quand j'entensraifonner Mef- fieurs de Buffon & Néedham , i fur la caufe des mouvemens des particules du germe d'amande , mon imagination me tranfporte au tems où les Sauvages du con- tinent , dont je regrette tou- jours que vous loyez fi voifin , ■virent pour la première foîsfe vaiffeaux Efpagnols abordeF fur leurs côtes : je m'imagine 9, dis-je r être avec deux de ces Sauvages , derrière un rocher ? d'où ils obfervent ces étonnan- tes machines. Je fuppofe qu'ik ne font point prévenus des fauf- fes idées de l'idolâtrie ; ainfi, au lieu de penfer que les enfans du Soleil irrités contr'eux y fe font jettes fur leurs bords , ils cher- chent dans la Nature l'explica^ tion dé ces phénomènes fi nou«* veaux pour eux. L'un d'eux , ayant vu des Baleines d'une pro- digieufe groffeur r s'écrie : C'efl un de ces monftres marins ani- mé d une chaleur Ci vive r qu'il jette du feu ; voyez ces aîlés* énormes r il les prête au vent pour avancer vers nous , il fem- * Ily a des poisons vôlàiis^ ! ble qu il nage le ventre en haut fur fon vafte dos. Appercevez- vous ces trous par lefquels il vomit la flame & la fumée ; ce font peut-être les organes de fa refpiration , tels que ceux que nous voyons aux chenilles ; voyés-vous comme il tourne adroitement pour nous prêter fon autre flanc , c'eft - à - nous qu'il en veut ; quel épouvanta- ble bruit fuccéde à fes feux ; c'eft affurément un animal dirigé par des mouvemens fpontanés. L'au- tre Américain penfe bien dif- féremment. Ce n'eft point là un animal , dit-il ; c'eft une ma- chine naturelle qui s'eft formée dans la mer , elle me paroît être du bois ; n'appercevez-vous pas ces grands arbres , où ce que vous appellés des ailes , eft atta- ché • Après avoir ri de leur fim- plicité y je leurs dis ce que c'eft : une machine où des hommes font cachés , & où ils manœu- vrent fans être vus. Nos deux Américains r les an- ciens pofTefTeurs de votre pays y euffent philofophé fur les vaif- féaux Efpagnols , à peu - près, comme Meflieurs de Buffon & Néedham raifonnent fur leurs molécules d'amande ; encore les apparences feroient-elles pour nos Sauvages ; elles rendoient leurs inductions fuportables; ils voyoient dans les vaifTeaux Ef- pagnols des parties que Fui! pouvoit prendre pour des orga- nes , & Fautre pour des machi- nes ; au lieu que nos deux Au- teurs ne voyent rien de fembla- ble dans le fujet de leur expé- rience. Ne pourroit -qn point parler ainfi à ces Meilleurs ; Vos molécules ne font pas des ani- maux , ce font des habitations d'animaux qui y exécutent des travaux convenables f & à leur inftin£t & à leurs mœurs. Où voyez-vous ces animaux , répli- quer oient-ils ? Où vous voyez ? répondrois-je 2 ces refforts pra- tiqués fecrettement dans Tinté- rieur de la molécule. Quoi ! fi ces Meilleurs euf- fent vu le claveffin de la Rai- fin qui jouoit avec tant de juf- tefle les airs qu'on lui deman- doit ; s'ils n'eufîent point apper- çu la petite fille , qui 9 cachée dans cet infiniment y le rendoit ©béiflant ; fi y dis-je , ils n euf~ fent pas été témoins de l'acci- dent qui trahit le fecret , euf- £ent-ils donc cru que ce clavef- fin étoit une machine animée h J'avoue qu'il faut fuppofer des C"3l , mouvemens concertés entre les animaux du même effein : mais fur qu'elle raifon affurerions- nous que ces infedes manquent d'induftrie , & qu'ils n'ont pas un inftinâ particulier ? Tout eil prodigieufement diverfifié dans la Nature ; les merveilles que nous y découvrons r en faifant valoir toute: l'aâivité de nos fens r en l'augmentant même par toutes les reffources de l'art ^ ne font peut-être pas une millioniè- me partie de celles dont la con- noilTance nous fera toujours re~ fufée. Combien de procédés ad- mirables n'obferve-t- on pas dans les polipes à bouquets % qu'on n'auroit jamais foupçon- nés & dont on n'a eu aucune idée pendant tant de liéclesqui ont précédé le notre ? La figure de cet animal échappe; cepen^ [H4l dant aux meilleurs yeux. La difficulté du concert entre des animalcules ne doit point nous arrêter , dès que nous fçavons que celui qui en a conçu & exé- cuté le plan , eft infiniment fa- ge & infiniment puiffant. Au lieu qu'en fuppofant que cha- que molécule eft un animal qui s'eft formé lui-même , il eft im- pofTible de comprendre com- ment tous les refforts , tous les mufcles , les aftions réunies de ces petites machines , comment tout cela a été produit par une puiffance aveugle & incapable r ni de concevoir , ni de fuivre aucun deffein. L'air a peut-être fes caftors , fes abeilles , & peut- être encore des animaux plus induftrieux. Je ne voudrois pas qu'on gé- néralisât ce iyftême , qu'on en fît la clef de tôus les phénomè- nes que nous préfente le mi- crofcope. Je fouhaiterois qu on n'en fît ufage que dans les cas où Ton voit que des molécules de végétaux ou d'autres matiè- res , en confervant leur nature & leur figure , comme les dé- bris des germes d'amandes dans P expérience de M. Néedham , deviennent animées & fponta- nées.Mon fy ftême paroîtra peut- être fingulier , mais au moins eft-il intelligible : celui des deux amis ne Teft pas , & eft pour le moins auffi fingulier que le mien. On pourra dire que mon fyftême n'eft point dans la Na- ture , qu il eft idéal ; mais on ne peut dire qu'il foit impoffible ; & Ton peut nier y & la réalité, & la poflîbilité de celui de ces Meilleurs. M. Néedham ne peut le foutenir qu'en détruifant rou- tes les notions que nous avons de la matière & de l'étendue i qu'en reduifant l'univers au néant , comme vous verrez qu'il le fait, lorfque je difcuterai l'é- trange métaphiiique qu'il a bâ- tie fur fes obfervations microf- eopiques. Enfin vous verrez 5 Monlieur , dans peu , lorfqu'iî fera queftion des expériences de Leeuwenhoeck repétées par ces Meilleurs , que ft les vues que je propofe ne font qu'un pur fyf- terne, elles expliquent au moins alfez clairement des phénomè- nes fur lefquels tous les raifon- nemens des deux amis ne jet* tent qu'une obfcurité impéné- trable : & peut-être regardera- t-on ces mêmes phénomènes comme des preuves de fait d'u- ne idée que je ne donne que [ii7] comme iroè conjecture vraifem- blable , lorfqu'on fe fera don- né la peine de l'approfondir. Je n'ofe allurer qu'on eût pu faire l'application à l'expérien- ce des germes d'amandes ; j'ai fait cette expérience 9 & en comparant les réfultats de mes obfervations avec la narration de M. Néedham , je ne trouve point qu'ils s'accordent avec les fiens. J'ai même lieu de préfu- mer que quelques circonftances qui fe feroat préfentées d'une manière favorable au fyftême des deux amis, & que , par cette raifon , ils auront adoptées fans trop d'examen 5 auront pu leur faire illufion ; mais je réfervece détail à l'Eté * prochain , où je compte repéter les expériences * Cette Lettre efl du iy Novembre 1750* Je la fuivante du 13 Décembre même .aanéfi» [né] de M. Néedham , en fuivant fidèlement le peu qu'il nous en dit ; car il femble avoir voulu fe referver le fecret des détails ; il faut prefque toujours le de- viner ; je vous rendrai compte dans le tems de mes fuccès ; ce- pendant je vais continuer de vous rapporter les expériences de notre Auteur , & à vous fai- re part des réflexions qu'elles m'ont fait naître. Après fes épreuves fur les germes d'amandes, M. Néed- ham examina quinze infufions que M. de Buffon avoit faites* Il nous en apprend le fuccès ; » Quoique les phioles euffent » été bouchées exa&ement & » qu'on eût empêché toute corn- î> munication avec l'air exté- » rieur , cependant en quinze » jours ou environ , les infu- » fions furent remplies d'une » quantité prodigieufe datô- » mes mouvans. lis étoient fi 3> petits & fi a&ifs , que quoique » nous nous ferviflions d'une » lentille dont le foyer n'étoit » que d'une demie ligne , il y a » toute apparence que ee n'é-« toit que leur multitude qui „ les rendoit vifibles. Il fem^ „ bloit donc que ces particules „ languiflantes que nous avions „ obfervées auparavant , ( Je ne fçais ce que font ici ces par- ticules languiflantes : les avoit-? ils vues dans les quinze irïfii- fions , ou dans les infufions de germes d'amandes ? ) & qui „ étoient très-groflfes y refpec-^ „ tivement à celles que nous „ voyons alors , s'étoient bri-* „ fées & divifées en cette mul-* „ titude immenfe d'atomes mi-* [120] crocoipiques aâifs. Ce fut dans ce tems-là quenous com- mençâmes à établir une dif- ftin&ion entre les corps ani- més & ceux qui font pure- ment méchaniques. Nous crûmes que cescorpuf- cules & les animaux ( obfer- vés par Leeuwenhoeck ) étoient de la dernière efpè- ce , & qu'ils étoient produits dans leurs fluides refpe&ifs , par une coalition de principes a£tifs ; tandis que nous pen- dons au contraire, que les ani- malcules microcolpiques or- dinaires , où Ton remarquoit des caractères d'animation & de mouvement fpontané , dé- voient être rangés parmi les animaux 5 & qu'ils étoient produits par des individus de z même efpèce qu'eux* Quelque [121] Quelque tems après . ; ;> . je 9 , reconnus que tous les animaux s, microfcopiques communs j f • ( fans en excepter ceux que 3, Leeuwenhoek a obfervés ) „ dévoient être rangés dans la 9, même clafle^ & que leurgé- nération étoit fort différente de celle de tous les autres 3, êtres animés. C'eft ici où commence le par- tage d'opinions entre M. Néed- ham & M. de Buffon. Celui- ci diftinguoit dans les infufions qu'il avoit faites de vrais ani- maux & d'autres molécules qu'il mettoit au rang de fimplesma- chines naturelles. Ij appelloit animaux ceux qui paroiffent avoir des mouvemens fponta- nés ; & machines , ceux en qui ni lui y ni fon ami , ne vouloient pas reconnoître de tels mouve- V Partie* F [122] mens , comme fi le cœur dont le mouvement n'eft pas volon- taire 9 avok une vie différente de celle des mufcles des bras , dont rextenfion ou le gonfle- ment dépend de la volonté. M* JMcedham abandonna cette fri- vole diftinâion , en fe fondant fur ce principe : » Que la force n des machines ^ ( fuffent-elles î) naturelles ^ fuffent -elles les î> plus compofées ) » qui vient n dune a&ivité intime , qui pé- -» netre leur propre fubflance , » efl bien fupérieure au mécha- » nifme commun : & fi on re- î> monte à la fource , on trou- » vera qu elle eft indépendante » de la configuration , ou de tou- î> tes caufes matérielles , quoi- » qu elles puiffent l'exciter , la » diriger & la diftribuer. Si 5; donc nous youlons avoir une CI23l » jufte idée de ces êtres , nous » devons confidérer le principe » qui leur donne l'aâ:ivité,com- » me un principe vital & un »> degré d'animation , ce qui eft « fort différent de ce que je » penfois autrefois ». Nous fçavons donc mainte- nant en quoi confifte le partage d'opinions entre ces deux amis au fujet des molécules vivantes , qu'ils ne veulent mettre ni l'un ni l'autre au rang des animaux. JVÎ. de BufFon prétend que ces molécules fe tranforment natu- rellement en machines ; qu'elles fe donnent de? parties organi- ques, & qu'elles les arrangent de la manière la plus propre à pro- duire les mouvemens qu'il leur voit exécuter. M. Néedham ne compte pour rien le méchanif- «ne qu'on pourroit fuppofer « Fij \ \ dans ces molécules. Selon lui , le vrai principe de leur mouve- ment eft une activité indépen- dante de la figure & de k configuration intérieure des parties de ces corps , une acti- vité immatérielle , qu'on ne peut regarder comme une propriété de l'étendue & la matière. C'eft un principe vital , une anima- tion. Voilà desexpreflions gran- des & miftérieufes! Ne vous en impoferoient-elles point, Mon- fieur ? J'en doute fort. La cau- i'c à laquelle Monfieur de Buf- fon attribue l'organifation des molécules, n'eft non-feulement ni vue , ni connue , mais eft inintelligible ; & celle à laquel- le M. Néedham s'attache , eft vifiblement une chimère ; car quel autre nom peut-on donner à un être qui n'eft ni efprit , 05l ni matière y ni étendue ; à \m être animé % dont les mouve- mens ne dépendent m de la configuration de fes parties y ni du jeu qu'elles peuvent avoir. M. Néedham étend le pou- voir de fon principe vital juf- qu'aux prétendus animalcules eians lefqueis il reconnoît des adions volontaires -% ou comme il s'exprime r fpont^nées. Il fe détermine à prendre ce parti fur une expérience qu'il a faite fur du jus de viande chaud ver- fé dans une bouteille avec une fixième partie d'eau bouillante. La bouteille où il l'avoit mis avoit été placée pendant quel- que teins de fur la cendre chau-r de , afin de purger la liqueur de tout air groffier ^ qui auxoit pu receler quelques infe&es ; le vafe enfuite avoit été bouché E iij & fcelé très-exa£tement. Après que ce jus eût éprou- vé pendant quatre jours une chaleur d'Eté , » la phiole fe » trouva remplie d'animaux mi- » crofcopiques vivans , de dif- 3> férentes dimenfions , depuis » les plus grands jufqu'aux plus » petits qu'il eût jamais vus ». Voilà un fait dont M. Néed- ham me permettra de lui dire que je doute très-fort. Il ne dit point de quel moyen il s'étoit fervi pour examiner ce jus ( qui devoit être allez épais ) au tra- vers du verre de la bouteille ; mais après l'avoir ouverte , il en tira quelques gouttes pour les obferver au microfeope ; & comme il y vit des molécules animées y il en conclut que ce qu'il avoit apperçu d'animé , étoit auparavant dans la bou- [il;] teille. Ce raifonnement efl d'au- tant plus hazardé , que , comme vous le verrez bien -tôt r M. Néedham fuppofe lui-même que le tems néeeffaire pour préparer le microfcope , luffiroit pour introduire les animaux de l'air dans une goutte de liqueur. Je ne tenterai donc point d'expli- quer comment on pouvoit foup* çonner que des infeâes ont pu pafler dans le jus , malgré la manière dont la bouteille étoit fcelée y jufqifà-ce que le fait foit conftaté ; je dirai feulement que l'air ayant été expulfé , les petits animaux ou leurs œufs ont pu relier attachés aux parois du verre , ou demeurer embarraffés dans le jus en abandonnant: l'air* Nous ne fçavons pas quel de- gré de chaleur peuvent foutenir les animaux aériens ; nous igno* F iy 1>8] rons fi leurs œufs n'ont pas befoin pour éclore , d'une cha- leur fort fupérieure à celle qui fait éclore les œufs de nos vo- latilles. M. Néedham continue la narration : » La première » goûte que je pris y m'en fit » voir plufieurs ( animaux ) qui » étoient très-bien formés , ani- » més & fpontanés dans leurs 5> mouvemens ». N'avoit-on point fait adroitement quelque mélange , en débouchant les bouteilles, à l'infçu de l'Auteur? Car pour un fait aufli impor- tant , peut-on pouffer trop loin la défiance ? M. Néedham confirme fon fyftême par une autre expérien- ce ; il la doit à fon ami : avant d'en rendre compte , il nous donne des avis fur le choix de la liqueur qu'on met en obier- vation, la même que LeeUTen- fioeck a tant examiné. » Il faut » qu'elle foie vifqueufe 9 autre- » ment cette liqueur s'altérera » dans Pàtmofphere- par une » évaporation de fes parties vo- » latilles ; elle fe liquéfiera % vé^< » gétera , le ramifira en fila- » mens y qui fe changeront en ?> globes mouvans ? fur-tout 5 fi » le.temse.fl: chaud^ avant qu'ont 5> ait pu en ajufter une goûte au-.* n microfeope » ♦ Vous voyez Monfieur r tout ce qui fe paffe 5 pendant le tems qu'on emploie; à préparer le microfeope : c'eft à cet aveu que je fais allufion 5 en parlant de Tobfervation fur le jus de viande;, » Les deux amis virent d*abord ^ quelques goûtes fè dévelop— 5> per $ & fe liquéfier ^ & fe ra~* ?>■■ mifîer aufTi-tôt de tous côtés r Mm » en formant de longs filamens. a> Ces filamens s'ouvrirent & fe » diviferent en globules mou- *> vans , ( voilà ce que je n'en- » tens point ) qui traînoient » après eux quelque chofe de » femblable à de longues queues; » mais ces efpèces de queues » étoient fi éloignées d'être des » parties deftinées à les faire na- „ ger , qu'elles leurs caufoient „ évidemment un mouvement „ ofcillatoire irrégulier , & n'é- „ toient en effet que de longs „ filamens de fubftance vif- „ queufe. Elles fe trouvoient „ de différentes longueurs dans 3, différens animaux ; mais in- „ fenfiblement,par leurmouve- „ ment progreffif continuel y „ elles fe racourcirent de plus „ en plus , jufqu' à-ce que nous „ apperçûmes quelques-uns de ces animaux abfolument fans yj queue , nageant uniformé- „ ment dans le fluide. On f, voyoit alors évidemment à 7y quelle clafle on devoir les & réduire , puifqu il étoit clair qu'ils tiroient leur origine de 5, principes contenus danscet^- yj matière-?*.» Il n'eft pas auffi clair que l'Âu- teur le prononce 5 que ces ani- malcules du lient leur origine à des principes contenus dans cet-*- te matière. Pour que ce fait paffât pour confiant, il faudroit qu'il eût été bien prouvé auparavant , que des animaux n'ont pu quitter l'air pour entrer dans cette ma- tière qui étoit propre aies nour- rir ; & je ne crois : pas qu'on trouve aucune impofïibilité dans cette fuppofition. M. Néedhamj ! appelle végétation , l'opération par laquelle ces molécules étant drabord de iimples filets y fe met- tent en boule : mais quelle ap- parence de végétation trouve- t-on dans tout ce procédé ? Chaque molécule eft formée d'un filament r on ne lui voit point prendre d'accroiffement par Tintus-fufception dune ma- tière étrangère» Vît-on même ces molécules fe gonfler , on devroit penfer que ce gonfle- ment eft une fuite de quelques vuides difféminés. Tout ce que rapporte M- Néedham donne au contraire l'idée de différen- tes manœuvres , exécutées par différens animaux , qui , s'étanr d abord diftribués dans les filets de la liqueur , donnent à la ma- tière oùilsfe font introduits une nouvelle forme, J'apperçois mê« me affez diftindement la fpon- tanéité de ces animalcules dans la matière dont ils forment leurs globes. Il refte une queue, une partie du filet furabondante, par rapport au logement dont ils ont befoin; ils font des ofcilla- tions pour fe dégager de cette queue importune ; ils s'en dé- détachent y ou ils la retirent peu à peu dans leur boule. Cette queue tient-elle au fond du va- fe 9 ils continuent leurs o folia- tions. Les figures variées des molé- cules j prouvent encore qu elles font F ouvrage de plufieurs ani- maux v& non une vraie géné- ration faite par le concours aveu- gle de plufieurs particules. De l'aveu de M. Néedham, con~ firme par le témoignage de LeeuTenbLoeck %\m filet le ter- mine quelquefois en une maffe compofée de trois globules. Or on conçoit aifément que fi un de ces filets a reçu trois effeins d'animaux r chaque eflein fait fon globe ; & comme il le for- me à l'extrémité du filet , les trois globes doivent être con- tigus. Il peut arriver encore que plufieurs effeins venus de l'air, s'emparent d'une portion de matière difpofée comme du fil en écheveau ; que ces effeins faifant chacun leur globe, les uns au - defibus des autres , le fila- ment prenne la forme d'un chap- pelet ; que chaque effein pre- Prenant ces mouvemens d'of- citation, dont nous avons par- le , pour fe dégager de fon voi- fin, il en réfulte que les deux côtés du fil fe rapprochent , & s'écartent alternativement , & faffent des ellipfes, tantôt plus T. tantôt moins allongées. Cefl auflî ce que M. Néedhamavu. Il eft vrai qu'il prétend que le fil s'eft fendu , mais il ne dit pas l'avoir vu fe fendre ; & quand il l'auroit vu, ils'enfui- vroit feulement que deux fi là d'elfeins étant entrés de front dans un filament , l'avoient par- tagé dans ùl longueur , tandis que ceux qui en occupoient les extrémités ? & qui y avoient fa- çonné chacun un globule 5 ar- rctoient de part & d'autre les progrès de la fé|>aration du fila- ment.. Cette explication fe foutien- droit , quoique les elfeins d'ani- malcules euifent fubfifté dans cette matière avant qu'elle fût tirée de l'animal. *" Mais j'ai de * M, NéedHam foutiear que ces animaux fortes raifons de préfumer qulls viennent de Pair : mespréfomp- tions font fondées fur un fait ; c'efl que Ton voit des molécu- les fe former & s'animer de la même manière dans des infu- fiôns y comme dans celle de fa- rine de bled broyé dans un mor- tier: je tiens ce fait de M. Néed- ham. Voici comme il le rap- porte 5 en parlant de fon expé- rience fur le bled broyé : » IL » paroiJToit évidemment qu'a- » près avoir lailïé quelque tems » Teau attirer les fels & lespar- ties volatiles qui s'évapo- » roient en quantité y la fubf- » tance devenoit plus molle y plus divifée & plus atténuée : 3> à l'œil nud ou au toucher r n'ont point prééxifté dans le réfervoir ou étoit la matière employée par Leeuwen- lioeck. Il eft donc confiant qu'ils commen- cent à naître daas Pair.» fy elle fembloit être une matië- ry re gélatineufe ; mais avec le yy microfcope r on voyoitqu'el- 5 y le étoit compofée d'un nom* yy bre infini de filamens y & c'eft „ alors que la fubftance étoit yy à fon plus haut point d'exal- yy tation y & quelle étoit prête yy à s'animer , pour ainfi dire ; yy ces filamens fe gonfloient par y y une force intérieure, fi a£ti- y y ve & fi productive y quemê- yy me avant que de fe divifer en y y globules mouvans , ils ét oient yy de parfaits zoophites pleins yy de vie y & fe mouvant d'eux- -mêmes 'yy. Des zoophites ne reffemblent-ils pas bien aux ani- maux dont nous venons de par- ler ? La feule différence qu'on y remarque y eft que les fila- mens mêmes étoient mobiles dans l'infufion du bled broyé % MI & vraifemblablement, parce que les petits infeftes venus de l'air y trou voient un milieu propre à rendre fenfibles les mouvemens qu'ils fe donnoient dans Tinté- rieur des filets. Par la même raifon, il y avait plus de variété dans la manière dont les différens infeâes aé- riens modifîoient la fubftance dont ils s'étoient emparés. En voici un trait lingulier que l'Au- teur nous raconte en ces ter- mes : » Si quelque particule yj étoit originairement très-pe- „ tite & fphérique comme il 3, s'en trouve plufieurs dans les „ femences broyées y il étoit „ fort amufant d'obferver fa pe- 3, tite figure en forme d'étoile r „ avec des rayons divergensde 5> tout côtés , & chaque rayoa f 7 fe mouvant avec une grande %y vivacité ; les extrémités de >y cette fubftance gélatineufe yr faifoient paroître aufli les 2, mêmes phénomènes ; elles y y étoient avives au-delà de {ou- yy te expreflîon , & fournif- yy foient continuellement des yy particules mouvantes de dif- y y ferentes formes , fphériques,. yy ovales y oblongues & cilin- yy driques , qui avançoient en y y toute diredioji avec fponta- y y néité , & qui étoient les vrais yy animaux microscopiques lî ry fouvent obfervés par les Na- yy turalifîes ». Tant de formes différentes dans ces particules mouvantes , ne feroient - elles point une fuite de la variété du génie & du caraâere. des ani- maux qui les occafionnent , 8c ne pourroient - elles pas fervir àdiftinguer différentes efpèces^ & différentes claffes d'animaux aériens ? M. Néedham donne une fé- conde hiftoire de la même ex- périence i elle s'écarte un peu de la première ; mais cette fé- conde narration eft très-propre à faire juger que les animalcu- les qui animent les petites maf- fes de farine r ne différent que très - peu de ceux qui s'empa- rent de la liqueur obfervée par Leeuwenhoeck : r> Les premiè- %, res apparences , dit M. Néed- r, ham y dans Tinfufion du bled %y broyé r après une diflipa- %r tion des parties volatiles . . • & ...... étoient le fécond ou le ry troifième jour des nuages d'à- „ tomes mou vans r que j'ima- 99 gine avoir été produits par 3, une prompte végétation des n parties les plus petites & pref- ^ que infenfibles , qui ne de-» ^ mandoient pas à digérer aufll 9, long-tems que les plus grof- „ frères. Ces apparences difpa- 9, rurent entièrement en un jour ^ ou deux. Tout étoit alors tran- 7 , quille, & on ne voy oit que des particules formées irrégulie- „ rement ? abfolument ina£ti* 7y ves y jufqu'à environ 14 ou r| jours après. De ces particu- „ les réunies en une feule maf- 9, fe 5 il fortoit des filamëns £j tous zoophites 9 qui fe gon- „ floient par une force logée 3, dans chaque fibre. Ces fila- ^ mens étoient en différens „ états 3 félon que cette force 79 les avoit diverfifiés. Les uns r, reffembloient à des côliersde „ perles, & formoient uneef- ^ pèce de corolloïde microf- copique; d'autres étoient uni- P9 formes dans toute leur lon-« ty gueur , excepté l'extrémité a> qui fe gonfloit en une tête „ femblable à celle de cette et- f9 pèce de rofeau qu'on appel- ry le la maffe $ fi la force avoit p9 ag* également de tous côtés ; >y ou bien à la tête d'un os à n fon articulation, fi la matière, n dans fon expanlion , n'avoit „ porté que d'un côté. Ces fi- „ lamens étoient tous tellement 9, zoophites , que toutes les fois ?? que, prenant une goutte de la fur face de cette infufion , j'a- 35 vois feparé une partie d'un „ filament fi court , qu'il n'é- „ toit compofé que d'environ jy 4 ou 5 globules en la maniè- ,? re de chapelet : ils s'avan- v çoient progreffivement & de 2, concert , avec une forte de 23 mouvement vermiculaire ; & '[143] ^ après avoir parcouru un fort „ petit efpace , ils alloient ir- >y régulièrement de côté , corn- ^ me n'étant plus capables de >? mouvemens progreflifs,tour- r> noient langui Ifamment leurs ï> extrémités , & reft oient en- r, fuite en repos pendant un pe- „ tit tems ». Tant de traits de refTemblan- ce ne prouvent-ils pas que les animaux obfervés par Leeuwen- hoeck & la plûpart de ceux dont on admire ici les procé- dés , font de la même efpèce ? Les petites différences qu'on peut appercevoir dans ceux - ci ne viennent peut-être que de celles des matières dans lefquel- les ils fe font introduits, Ainfi on ne fer oit point obligé de fup- pofer , comme je l'ai fait plus ïiaut^ que les différentes man- tH4l . 1 œuvres des eflains indiquent cliverfes efpèces d'animalcules aériens. Ce n'eft pas feulement dans ces infufions de bled qu'il a trouvé ces chapelets animés 7 qu'il a vu auffi dans la matière examinée par Leeuwenhoeck * -il en a obfervé dans plufieurs autres infufions » plus petits à » la vérité , mais entièrement *> réguliers , conftans dans leur » mouvement vermiculaire ». On a vu dans le long extrait que je viens de tranferire, que les premiers jours , on ap perce- voit une infinité de molécules dans un très-grand mouvement. On peut conje&urer que les ani- maux aériens s'y étoient retirés pour fe multiplier ; que l'inter- vale des 14 ou 1 5 jours pendant îefquels le mouvement celTa, fut employé à faire éclore les œufs. M. Néedham fr453 M. Néedham rappelle ici une de fes obfervations microfeopi- 3ues qu'il avoit publiées à Lon- resen 1745, & qui avoient été traduites en François par un Profeffeurde Leyde en 174/0 Voici le précis de cette obferva- tion. La farine niellée paroît^ étant au microfcope , une fubf- tance blanche toute compofée de longues fibres , Empaquetées enfemble , & qui ne donnent aucun figne de vie ou de mou- vement , fi on ne les met pas dans de l'eau ; mais dans cet éle* ment, elles fe meuveht régu- lièrement, non d'un mouve- ment progrefllf , mais en tortil- lant chacune de leurs extrémi- tés. Lorfque les grains ont été cueillis récemment , il fuffitd en tirer les animalcules , & de leur appliquer de l'eau pour les faire G remuer ; mais loriqu ils ont ete gardés quelque tems y il faut les macérer dans l'eau pendant quel- ques heures , & alors on lesvoit s'animer peu-à-peu. Les deux extrémités de ces anguilles , font tout- à -fait femblables , fans qu on y remarque aucune appa- rence , ni de tête , ni de bou- che. M. Néedham * a gardé du bled niellé , ceuilli en Angle- terre y pendant plus de deux ans. Il le tranfporta. en Portu- gal , & après y avoir paffé^ un Eté y ce bled a donné le même fpeaacle. M. Bradley ** a ob- iervé 5 » qu entre autres caufes, * Voyez la Note entière de la page 107 qui eft du Traducteur de M. Néedham: elle eft judicieufe. ** Evêque de Cloyne en Irlande, Au- teur du Dialogue fingulier fur l'Immatéria- lifme , entre Hylas Se Philcnaiis, . EH7] » ce qui occafionne la nielle » dans les bleds, eft que parmi » les grains qu'on feme , il y en » a qui font infeétés de la niel- » le. Si l'on fuppofe que des » animalcules trouvent dans la »> terre une humidité fuffifan- *> te pour leur donner la vie , » fi je puis m'exprimer ainfi , »> eux ou leurs œufs peuvent ai- » lement s'infinuer dans le jeu- » ne bled & croître en lui ». Ainfi parloit encore M. Néed- ham en 1745 , & réfutoit d'a- vance la prétention de M. de Buffon , qu'on ne peut trouver l'origine de ces anguilles. Il eft vrai que M. Néedham a changé d'avis. Dans fon dernier ouvrage, il rapporte la forma- tion de ces anguilles aux mêmes principes que fon imagination a donnés aux animalcules des in~ G ij fufions. Cependant fon habile Tradu&eur lui avoit ouvert la voie de foupçonner que ces an- guilles ou ces animalcules ne iont pas des individus d'animaux; mais des familles entières da- -nimaux : *> Quoique le mouve- *> ment de ces anguilles , dit ce » Tradu&eur fçavant dans une » note 9 foit très-fenfible , je *> n'oferois cependant pas affu- rer que ce font des animaux ; peut-être ne font-elles que des w étuis qui renferment de petits 3> animalcules Il arri- i» ve affez fouvent à ces anguil- 3> les defe rompre , & alors on » voit fortir de leurs corps plu- s> fieurs petits globules noirâ- très, enveloppés dans une fine » membrane ; or j'ai obfervé 2> plufieurs fois que de ces pa- a> quets de globules ? il fortok r> de petits corps qui nageoîent v avec beaucoup de vite lie. Ces v> globules qu'on peut même dé- » couvrir dans le corps de Fan^ » guille à caufe de fa tranfpa- » rence \ font-ils donc de pe~ » tits animaux renfermés dans » l'anguille comme dans un étui? M. Néedham eft d'autant plus blâmable d'avoir négligé un avis fi fage5 qu'on ne peut pas dire qu'il n'y ait pas fait atten- tion , puifqu'il le confirme par une de fes propres expériences. Il nous apprend à lar fuite de cette même note r que non-feu- lement fes anguilles de la pâte y mais encore celles du vinaigre y lorfquelles celïent de vivre fous, ces formes , fe réfolvent en glo- bules nouveaux , » pourvu qu'el- î> les fe décompofent dans l'eau T n & non dans le vinaigre qui ^ [i5o] a dit-il, comme je lai obfervê » ailleurs , eft un aftringeant » qui s'oppofe à cette efpèce de » génération ». Au lieu d'ima- giner que ces globules font une nouvelle génération d animaux d'une autre efpèce que leur mere, comme il le fuppofe ici 3 il auroit mieux fait de foupçon- ner,comme fonTradu&eur le lui fuggeroit , que la mere préten- due n eft qu'un fourreau. Mais il prend une toute autre route depuis qu'il a trouvé fon prin- cipe univerfel : » Qu'il y a une » force végétative dans chaque » point microfcopique de ma- 3> tière », Bongré, malgré , il faut que tout y relfortiffe. Pour- quoi^ par exemple , le bled niellé ayant été confervé deux ans , 8c n'ayant fait voir aucun animal , quand on la obfervé fec - [I5I] au microfcope ; pourquoi, dis- je, y voit-on des filamens ani- més, dès qu'on le laiffe macé- rer dans l'eau ? C'eft que la for- ce végétative réfidant toujours dans ces fibres , a été fufpen- due pendant deux ans , & que l'eau eft propre à la mettre en a&ion. Quelle Phyfique ! Les formes fubftantieliès des an- ciens ne font-eîlès pas âûffirai- fonnables ? Si M. Néedhâm n'a pas été heureux jufqu'ici en nous ex- pliquant fes expériences , il faut convenir qu'il fçait en imagi-x ner d'aflez délicates. En voici une de cette efpèce , où il y a certainement de l'invention» Il prit des morceaux de liège ex- trêmement minces , il y infera des grains de bled ou d'orge ou quelqu'autre femence fari- neufe > le germe étant tourné en haut, ou emporté avec foin avec la pointe d'un canif, pour les empêcher de germer àla manière ordinaire. Il laifla nager ces liè- ges fur la furface de i'eau fraî- che contenue dans un verre ex- pofé au Soleil, » afin quetou- » te la force végétative pût être » déterminée en en-bas vers la » moitié inférieure de chaque » grain qui , dans ce cas , pou- » voit feule s'imbiber &fe faou- » 1er d'humidité : je réuffis , » dit-il , parfaitement dans mon » delfein ; mes plantes crurent « en en-bas comme des coraux » . • . . quelques jours après 9 » elles devinrent Ci groffes & fi » fortes , que je pouvois aifé- » ment les diftinguer à la vue » fimple ». Il ne nous apprend point fi cette végétation donnoit des fimptômes dé vie animale. Je ne fçais pourquoi il compare fes plantes aux coraux % qu'on fçait maintenant être l'ouvrage & les dépouille de plufieurs familles d'animaux ? Ce font ces mêmes animaux des coraux qui m'ont fait foupçonner que parmi les animalcules aériens* il pouvoir y en avoir de capables de faire des ouvrages en commun ? Quoi qu'il en foitr j'ai tout lieu de penfer que fa végétation étoit une efpèce de moififlure fem- blable à celle que j^obfervai il y a environ 7 ans, fur le ca- davre d'une araignée i^on l'avoit prife , je ne fçais par quel Ba~ fard , en péchant des infeâes ^ & la jugeant araignée aquati- que* je Pavois mife dansl'eau^ ©lie y mourut. Quatre ou cinq^ jours après, je vis qu'il fortoït de fon corps une aigrette de de très-beaux filets clairs com- me du criftal ; ils s'élevèrent du fond d'un poudrier haut déplus de trois pouces & prefque plein d'eau , jufqu'à quelques lignes de fa furface , & ils étoient ter- minés par des globules tout auf- fi trafparens que les filets mê- mes. Cela étoit très-curieux à obferver à la forte loupe , quoi- que la vue fimple pût fuffire pour jouir de ce beau fpeda- cle. Je foupçonnois que cette végétation pouvoit-être du gen- re des polypes ; mais après l'a- voir obfervée long-tems , je n'y découvris rien qui dût me por- ter à penfer qu'elle appartînt au règne animal. Je ne m'avifai point de ten- ter l'opération que M, Néed- . ham imagina de faire fur la pro- duction dont il parle. Il coupa l'extrémité végétante d'un de fes grains & la mit dans un ver- re objectif concave avec de l'eau : ». Les plantes prirent alors » une nouvelle direction , fui- » vant retendue du fluide , & » continuèrent à végéter ? tan- » dis que j'avois foin y dit-ily » de leur fournir de Peau de » tems en tems, en obfervant » toujours de les couvrir 7 pour » empêcher le fluide de s'éva- » porer trop -tôt. Àinfi 5 con~ » tinue-t-il y j'eus pour le fujet » de mes ob fer varions ce que je » puis appeller une iflû microf- » copique f dont les plantes & r> les animaux me devinrent fi » familiers y que j'en eonnoif- 3> fois toutes les différentes ef- pèces », Dès-lors l'Auteur ne' G v| fît plus ufage des grandes infu- fions : il fe pourvut d'un cer- tain nombre de criftaux démon- tres , ou de verres obje&ifs con- caves y pour chaque portion de fubftance animale ou végétale qu'il fe propofoit d'examiner. » On a ainfi r dit-il , plufieurs » petites ifles fertiles de diflfé- » rens genres , en faifant macé- j> rer les fubftances végétantes » dans ces petits verres y & c'efl *» la méthode que je recomman— » derois à tous ceux qui fe- 3> roient curieux de répéter mes * expériences, ou de les pouf- 1er plus loin. M. Néedham ne détaille pas allez fes expériences pour qu'on le puiffe promettre de réufliren les répétant. Il ne nous dit point y par exemple 5 d'où vien- nent ces colonies dont fes ifles font habitées , ni comment ces. animalcules paroiffent s'être produits. Il en donne à la vé- rité deux figures, mais il n'y. joint aucune explication. J'i- maginerois, en les voyant , que les boutons des végétaux de ces. ifles donnent ces animaux : ce qui me le fait penfer , c'eft que je ne puis donner un autre fens au difcours que je vais tranfcri- re. » Je crois être en état ( c'eft » M. Néedham qui parle ) par » mes obfervatrons de l'année » dernière , de donner une in- » finité d'exemples d'une nou- » velleclaffe d'êtres dont Tori- » gine a été inconnue jufqu'ici, ». dans laquelle les animaux » croiffent , font produits , & » dans la plus étroite fignifica- » tion du mot , engendrés par * des plantes ; alors par une » étrange viciffitude, ils devîen- » nent de nouveau des plantes » d'un autre genre; celles-ci des » animaux d'une nouvelle efpèce » & ainii de fuite : mais ces pro- » greffions échapent bien-tôt au » plus habile obiervateur, aidé » des meilleurs microfcopes ». Un fait fi nouveau méritoit bien d'être détaillé, & d'autant plus que M. de Buffon s'en eïî fervi pour appuyer fon fyftême fur la génération , en nous faifant myftère du fond même de l'ex- périence. M. Néedham s'étant engagé dans l'ouvrage dont tel tache de vous donner une idée, de nous donner le fupplément du fyftême de fon ami , âuroit bien dû y ajouter les preuves qui y manquent par-tout ; & ce qui étoit encore bien nécefiai- re? nous développer le beau phénomène de fes ifles enchan- tées : mais il fe contente de nous promettre un grand nombre d'autres obfèrvations qu'il a fai- tes fur desinfufions & autres ifles végétantes ; & en lui témoignant remprefTement que nous avons d'être inftruits de tant de mer- veilles y nous le prierons inf- tamment de rendre un compté exa£t de la méthode qu'il a em- ployée pour réufïir dans fes ex- périences j & d'en bien déve- lopper tous les effets. On doit beaucoup regretter qu'ayant au- tant de goût & de fagacité qu'il en a pour Pobfervation % il foit cependant fi peu curieux de nous donner une hiïloire plus cir- conftanciée de fes travaux & de fes fuccès. Nous fommes donc forcés , eft attendant mieux y de nous en tenir, à Ce que repréfentent fe$. figures. Dans la quatrième de la fèptième planche % on voit for- tir de fon ifle des filets tels que ceux qu'on apperçoit dans les infulions , terminés par des glo- bules fimples ou compofés de deux ou trois autres 5 dont l'ex- trémité imite la partie d'un os, faite pour être emboitée. Enfin on en voit d'autres terminés par des efpèces de capfules dont la fe&ion repréfenteroit une feuil- le. Ces derniers % fi je ne me trompe , fourniffent le point de vue auquel l'Auteur s'efï arrêté • De quelques-unes de ces cap- fules fortent des globules , & ce font apparemment les animaux dont il parle. Si c'eft là , comme je le préfume , toute la preuve de fon étonnante prétention y 8c de celle de M, de Buffon % elle ne fait certainement pas une dé- monftration. Un homme qui verroit fortir des infe&es d'une galle , auroit tout autant de droit d'en conclure que l'arbre ou la plante d'où naît la galle , en- gendre ( dans laplus étroite Si- gnification du met) des infeâes* D'où cet obfervateur tireroit-il fa conféquence. De ce qu'il au- roit vu , & de ce qu'il n'auroit point vu. JU n'auroit point vu dépofer d'œufs fur la feuille de l'arbre ou de la plante ; donc au- cuns n'y ont été dépofés. Il a vu une galle fe former , il en a vu fortir de&infeâes; donc ces in- feâes font un fruit de l'arbre» Le parallèle eft très-exa£L M* Néedham obfervant la formation des boutons des filets , n'a point apperçu qu'aucun animal^ qu'au- cun œuf ait été introduit dans [1^1 la nouvelle produ&ion ; donc aucun animal ne s'y eft fixé ; donc il n'y a dépoié aucun œuf. Il a vu fortir des animaux de ces efpèces de fruits ; donc ces ani- maux font engendres , dans la plus étroite Signification du ter- me , par des végétaux. Lescon- léquences de mon obfervateur de galles , ne font-elles pas tout aufli légitimes ? Et li de la mouf- fe fournit un fuc néceffaire au développement des- œufs de cer- tains animalcules aériens ; fi les vers éclos y font de petites gal- les qu'on ne peut voir qu'au moyen du microfcope , on ne pourra plus trouver de différen- ce entre la manière de raifon- ner de mon obfervateur , & la façon de philofopher de M. Néedham. Si j'euife vu de petits ani-* maux s'éhapper d'un bouton de la moififfurede l'araignée dont je vous ai parlé , j'avoue , Mon- lieur, que j'aurois raifonnétout autrement. J'en euffe conclu qu'il y a dans l'air des animaux fi petits , qu'un filet de moifif- fure eft à leur égard ce qu'une plante ou même un arbre eft pour les mouches qui y dépo- nent leurs œufs : j'aurois cru que des œufs ayant été dépofés dans le petit bouton qui termine une tige de la moififlure, la nourri- ture y a voit été portée plus abon- damment , & que les verséclos l'y attirant de plus en plus , avoient donné une forme nou- velle au globule. En voyant de petits globuks fortir du bou- ton , j'aurois dit que ces ani- malcules étant de nature à vi- vre en famille, chaque elfem [i*4l s'etoit formé de la fubftance du bouton une petite loge. Si j'a- vois vu tomber au fond du pou- drier ces globules comme de petites maffes fans a£lion ; fi une nouvelle végétation m'avoit pa- ru en fortie , j'aurois foupçon- né que les loges auroient végé- té , & que les petits cadavres des animalcules fufceptibles de la femence d'une autre efpèce de moififïure , auroit produit de nouvelle moififfure. Si j'eufie vu fortir de celle-ci de petits ani- maux d'une figure particulière, j'aurois penfé que des animalcu- les aériens d'un autre genre y auroient trouvé une nourriture convenable,, ou à eux, ou à leurs petits. Enfin , Moniteur , il n'eft point d'hypothefe phyfi- que à laquelle jen'euffe eu re- cours , plutôt que d'employer des explications metaphyiiques $ qui ne m'auroient certainement rien appris, & qui fe réduifent à ceci ; qu'il y a dans ces moi- liflures une caufe de génération que j'ignore. Je fçais, Monfieur ? combien les dénoûmens que je propo- fe déplairont aux deux amis 9 & ce que M. Néedham en par- ticulier peut y oppofer ; mais les difficultés ne font pas info- lubles. Il eft bon que je les met- te fous vos yeux. Les voici dans les termes de M. Néedham. Les Naturaliftes 7 dit-il , ont généralement cru que les ani- » maux microfcopiques étoient *> engendrés par des œufs tranf- » portés dans l'air , ou dépofés » dans des eaux dormantes par 9> des infè&es volans ». Je l'in- terromps ici. Je crois que l£S Naturaliftes ont eu tort , s'ils ont penfé que les animaux aériens ne dépofoient que des œufs. Pourquoi quelques-uns de ces animaux ne fe plongeroient-ils pas eux-mêmes dans un liquide propre à les nourrir , comme font tant de fcarabés vifibles? » Il eft cependant étrange , » pourfuit l'Auteur , qu'aucun « d'eux n'ait encore vu cesin- » fedes s'ils font réellement fi » nombreux ; puifqu'ils doivent » naturellement tomber fur la » furface de toutes ces eaux ». J e réponds qu'ils peuvent fe prér cipiter avec tant derapidité, que l'œil ne peut les furprendre dans leur palfage : peut-être auffi eft- il néceffaire que pour fe préci- pite^ de l'air dans l'eau , ilsfaf- lent le contraire de ce que font les pohTons pour s'élever dans leur élément; qu'ils fe contrac- tent pour diminuer leur volu- me , & augmenter leur denfité j Si qu'étant dans l'eau, ils, rem?- pliflent leurs canaux d'une fub.f* tance tout autrement denfe que celle dont ils étoient pleins dans l'air. La première opération «, leur contraâion , doit les reti- dre invifibles dans leur pafiao;e de l'air dans l'eau ; quand mê- me on pourroit fuppofer qu'ils étoient vifibles auparavant. La féconde opération , diftendant leurs canaux , les rempliiTant de fucs plus folides: y leur doit donr ner plus de volume y diminuer leur tranfparence y & les rendre vifibles par conféquent. Quant àceseffeins d'animaux que nous fuppofoni habiter les molécules mouvantes r Qbfervées par Le-> wenhoeck y ils ne font vifibles [1*8] ni dans leur habitation , ni dans leur paflage de l'air dans l'eau ^ à caufe de leur extrême petitef- fe. L'objection de M. Need- ham difparoît donc & s'éva- nouit. Il continue: » Par quelle eau- $, fe finguliere pouvoit-il arri- „ ver dans ces petits océans des ?, révolutions aufli furprenan- 5> tes d'une difparition totale d'une efpèce remplacée pref- 5, qu'immédiatement par une au- >? tre , & cela d'une manière 9> fi fubite & fi innattendue , ?, qu'on ne fçait û ces animaux font retirés , ou quelle for- me nouvelle ils peuvent avoir 5, prife ». Cette caufe n'eft ni iinguliere ni unique. Combien d'infe£tes paroiffent fous trois formes différentes y après être ibrtis de l'œuf , que l'on peut regarder regarder comme leur premier état ; & fous chacune de ces trois formes , plufieurs ont non-feu- lement des figures , mais des manières de vivre différentes , des procédés tout autres dans Pétat de nymphe que dans ce- lui de ver , de mouche ou de fcarabé. Pourquoi nren feroit- il pas de même de plufieurs ef- pèces d'animaux aériens ? Nous ne voyons de quelques-uns que leurs loges. Les effeins , enpaf- fant par les trois états dont nous venons de parler 7 pourront auf- fi avoir différentes manières de feconftruire leurs habitations. Comme ils ont des figures dif- férentes dans leurs loges fous ces trois états , il faudra qu'elle foit ou tantôt plus urnple , ou tantôt plus férrée pour une de leur forme que pour l'autre. Pre- V Partie. H [170] mière caufe qui n'eft pas fingu- liere. , Outre les différences detat par où chaque efpèce de ces ani- maux ( je parle de ceux qui font réunis en effeins ) peut paffer , ils font peut-être diftribués en plufieurs claffes , fous lefquelles il y a diverfité de genre & d'ef- pèces. Il y en a probablement de voraces qui tuent ceux d'un autre genre. Les polypes à bou- quets n'ont-ils pas leurs enne- mis? Ces derniers ne paroiffent qu'un point au microfcope. D'autres peuvent trouver leur fubfi fiance dans les cadavres des animalcules d'une autre efpece , s'infinuer dans la loge de ceux- ci , fe l'approprier & l'arranger à leur façon , la divifer même entre eux , s'il leur convient mieux que chacun n'en ait qu'u- ne portion ; & ces efpèces vo- races entreront feulement dans l'eau , lorfque les premiers hôtes feront morts, parce que rien ne les y attiroit auparavant. Secon- de caufe qui n'a encore rien de iingulier. Il peut s'élever des diffenfions dans un eflein , comme parmi les abeilles : on fe divife, on fe partage en petits groupes; cha- ue parti emporte ce qu'il peut u bien commun. Il fuffit que la famille foit devenue trop nombreufe , ou que quelques transfuges , quelques marau- deurs d'un autre elfein , fe foient introduits dans une maifon étrangère , pour que tout ce pe- tit peuple foit en rumeur. Le fpe&ateur croit voir de nou- veaux animaux plus petits , & ce ne font que les fragmens des molécules plus grofles qu'il avoit obiervés. Troifième cau- fe qui n eft point finguliere. Dans le cas où la famille eft trop nombreufe , & où la mo- lécule eft trop lourde pour lui donner autant de mouvement qu'il feroit néceffaire pour aller chercher de la fubfiftance , c'eft encore une raifon de fe divifer , & de donner même de nouvel- les formes aux petites loges , afin qu'étant plus propres à être tranfportées , les animaux faf- fent plus de chemin , & mul- tiplient les hafards qui leur pro- curent de la nourriture. Qua- trième caufe quin'eft point fin- guliere. Mais , » s'ils meurent , dit M. w Néedham , comment périf- fent-ils tous fans aucune caufe î> connue » ? On répond à cette queftion par l'exemple des mou- ches éphémères. Comment pé~ riffent-elles toutes le même jour qu'elles ont pris leur forme d'a- nimal ailé , fans aucune caufe connue ? D'ailleurs cette quef- tion tombe plus particulière- ment fur ces efpèces de corps animés auxquels M. Néedhâm refufe la fpontanéité , & que je crois habités par des elfeins d'infe&es invifibles : or le mi- crofcope ne nous fait pas voir les animalcules ; comment la caufe de leur mort feroit-elle plus fenfible ? » Ou s'ils ont pris la forme » d'infe&es volans , comment » fe fait-il que je ne voie pas le p le progrès des changemens » qu'ils éprouvent ? Comment » ne les apperçois-je pas éten- » dre leurs petites ailes fur ces Hiij CI743 » eaux , après y en avoir vu » tant de millions dans un état » aquatique » l Comment ? Par- ce qu'au partage de l'eau dans l'air , il faut qu'ils vuident leurs canaux des lues qui font trop greffiers , pour leur permettre de parvenir à la légèreté équi- valente à un volume d'air égal au leur. Ils deviennent par-là 11 diaphanes , qu'ils font invifi- bles. Ils étoientdéja fort tranf- parens dans l'eau : ainfi un corps humain qui deviendroit aufïï léger & auflî tranfparent que l'air , difparoîtroit totalement. D'ailleurs ces infedes fe dépouil- lent de la forme qu'ils avoient dans l'eau, pour paffer dans l'air. Cette réponfe eft pour les corps animés qu'on ne peut fuppofer l'être par un eifein d'animalcu- les. Pour ceux-ci ,1a réponfe eft plus facile. Si on ne les voit point paffer de Peau dans l'air # c'efl qu'ils font invifibles 5 & que je n'apperçois que leurs loges. Maison voit fouvent ces loges précipitées en forme de fédimens au fond du badin. » S'il leur eft poffible rajou~ 5> te M. ■"Néedham, .de devenir » des infeâes volans d'une ma- » nière totalement invifible 5 » pourquoi ne dépofent-ils pas » alors leurs œufs dans les me- » mes eaux r & ne donnent-ils » pas une fucceffion de la der~ 3> niere efpèce qui a difparu ». Je répons à la première que£~ tion , que ces eaux peuvent-être épuilees r n'avoir plus de prin- cipes propres à la nourriture d'une nouvelle génération 5 ou bien avoir acquis quelque qua- lité nuifible à ces animaux: à la Hiv féconde , que ceux des animal- cules aériens , qui dépofent leurs œufs dans l'eau , peuvent venir originairement de vers , & qu'ainfi leurs petits pafleront comme eux fous trois formes différentes. Ils peuvent aufïï être d'une autre efpèce , com- me je viens de l'infinuer. Mais pourquoi fuppofer des ailes à tous les infeétes aériens ; ne pourroient-ils pas être pour Pair ce que les poilfons font pour l'eau ; & avoir befoin , non d'ai- les pour fe foutenir en l'air , mais d'autres petites parties in- vifibles propres à diriger leurs mouvemens dans cet élément. »Mais(c'eft ici la matière des triomphes de M. de Buf- fon , ) il y a encore une plus » grande difficulté , à laquelle » les anguilles de la colle de » farine donnent lieu. Nous » avons eu le plaifir d'obferver » M. Jacques Sherwood & moi 5 » dit M. Néedham , en faifant » fur ces animaux une efpèce t> d'opération céfarienne , qu ils » étoient vivipares ; & laSocié- » té Royale , à la fin de 1745 * »ou au commencement de 1 7463 » nous fit l'honneur de faire at- » tention à cette découverte r » lorfque le Mémoire de M, » Sher^ood fut lu 5 & que les » expériences furent répétées à » une de fes Affemblées.Iln'efl: » pas befoin de rapporter les » obfervations qui ont été fai- » tes alors ( il eût été fort à pro- » pos de les rapporter , ) ou » même depuis , fui vant lefquel- » les la multiplication d'une feu- » le anguille alloit jufqu à 106. » Ilfuffit d'obferver que cesani- [i78] malcules doivent par confé- » quent avoir atteint leur der- 3> nier degré de perfe&ion. Us » ne font plus fujets à changer y » ou à prendre un autre état 5 » ils font trop pefans-, même le » moindre d'entre eux 5 pour » être tranfporté dans l'air , & » ils font trop aquatiques pour » fubfifter hors de l'eau r ou » pour parcourir la terre fe- » che ». Les araignées d'eau qui font autant aquatiques pour le moins, puifqu'elles ne1 vivent pas dans la colle , mais dans l'eau pure , fçavent fort bien vivre fur la terre feche. L'Auteur conti- nue : » C'eft ce que j'ai éprou- » vé & que tout le monde peut » remarquer en laiffanr évapo— » rer l'eau. Laqueftionefldonc » d'expliquer comment dans » une mafle compofée d'eau de » fontaine la plus claire , & de » fleur de farine la plus pure , échauffée autant qu'il eft né- » celfaire pour la préparer 5 ces » animalcules peuvent être en- » gendrés». Cette expérience eft donc une difficulté pour M. Néedham , auffi bien que pour ceux qui foutiennent que les animaux viennent de germes préexiftans , puifqu il en réfulte deux quef— tions différentes y Tune pour MefTieurs Néedham & de Buf- fon , l'autre pour tous les Natu- ralises. Celle qui regarde ceux- ci , fe réduit à ces termes : com- ment des œufs ou des anguilles ont-ils été introduits dans cette maffe , fans qu'on s'en foit ap- perçu ? La queftion que les deux amis ont à réfoudre , eft , fup— pofé quil foit confiant > que nâ [i8o] aucune anguille , ni aucun œuf d'anguille , ne foit entré dans la maffe , comment quelque par- tie de cette mafle s'eft-elle or- ganifée en anguille féconde & pleine. Cette dernière queftion fuppofe néceflairement qu'on a décidé négativement l'autre ; mais comment s'alfureroit - on que nul œuf d'anguille , qu'au- cune anguille ne s'eft: placée dans la colle ? On a découvert l'ori- gine des vers qu'on trouve dans les fruits , près de 2000 ans après que les Philofophes entraînés par des idées populaires Pa- voient rapporté à la corruption : l'opinion des anciens étoit-elle plus vraie , parce qu'on n'en connoifToit point la fauïïeté ? Le tems nous apprendra peut- être , fi les œufs de ces anguilles étoient préexiftans dans la fari- [i8i] ne , fi la chaleur néceffaïre pour cuire la colle , n'eft pas à un de- gré propre à développer le ger- me de ces œufs , d'une façon ex- traordinaire ; fi ces anguilles n'acquièrent pas de volume , par br nourriture qu'elles trou- vent dans la colle , beaucoup plus qu'elles n'en auroient dans toute autre matière , enforte quelles deviennent des monf- tres en groffeur dans la colle , en comparaison de celle qu'el- les ont par tout ailleurs; fi tou- tes ces anguilles qu'on obferve font des femelles , & s'il n'y a point quelque mâle ; fi les mâ- les n'ont point une figure & un volume fort différent du volu- me & de la figure des femelles ; s'ils ne font point ailés comme le mâle du ver luifant ? &c. Mais ne dût-on jamais trouver de ces Cl82] heureux liafards propres à fixer l'efpritfur toutes ces queftions, il s'enfuivroit que la poftérité feroit comme nous dans une parfaite ignorance de l'origine de ces anguilles , & non pas que des molécules de farine détrem- pées dans l'eau , fçavent s'orga- nifer en anguilles vivipares , & portans des petits. Ce feroit conclure de ce qu'une caufe eft inconnue , qu'on peut lui en fubftituer une aulîi inintelligible que celle qu'aflignent ces Mef- fieurs. C'eft tout ce que je puis dire fur une expérience qu'on nous donne feulement en gros , fans nous rendre compte d'aucun des procédés qu'on y a fuivis ; comme du degré de chaleur employé dans la cuifion de la colle ; de la quantité delà farine [183] & de Veau ; du tems après le- quel les anguilles fe font multi- pliées ;du lieu où ces expérien- ces ont été faites : on ne peut aller qu en tâtonnant , quand on ne marche qu à la lueur d'u- ne lumière aufli fombre. En voilà affez pour une lettre. Je laiffe celle-ci en Ville , en par- tant pour la campagne , afin qu on vous l'envoyé par la pre- mière occafion. Je crois vous avoir affez prouvé , Monfieur^ que les expériences de MLNéed- ham , ne démontrent nulle- ment qu'il y ait dans la nature des animaux qui n'ayent ni pere ni mere ; c eft-à-dïre , qui doi- vent leur être à une certaine force proçtaâtrice indépendante de l'étendue & de la matière* Pendant mon féjourà la cam- pagne, je tâcherai devousfai- . Ci84] re connoitre la Métaphyfique de l'Auteur. Les obfervations nouvelles fur les animalcules de Leuwenhoeck & ceux des in- fufions, lui ont donné naiflan- ce; jugez par-là de la folidité de cet édifice , elle ne cède en rien à celle de M. Buffon : c'eft un commentaire parfaitement afTorti à fon texte , tout aufïï obfcur que lui. Je m'engage à débruoiller un vrai cahos. Je fens toute la peine & le défagrément qui accompagneront un pareil travail. Mais vous fçavez que l7l »&âvoit quelque connoiffance » indépendante de tous rap- » ports r n*auroit - elle pas au » moins un fentiment vif de fa » propre exiftence 5 lors qu'au- » cun objet extérieur ne Taffeo » teroit l Mais elle, ne s'apperçoit » même de fone3&ftence,que par » comparaifon * & par des rap- » ports qui n'ont lieu que lorf- » qu'elle corrdpond intellect » tuellement avec le -fyftême cor- » porel ; & ïaÛion des objets ex- » térieurs lui a donné la première* ?> idée de fon exijlence ; Elle em- » prunteun millier de cara&ères » du dehors , pour s'exprimer ^ elle-même ; elle modèle r elle y> retranche tout ce qui lui paroît » contraire : elle srappelle lef- » prit & le fouffle du Créateur ; » elle fait des efforts continuels , *> pour parvenir à le connoître ; A w » & après tout cela , que con- » noît-elle d'elle-même , finon » qu'elle eft quelque choie de » très différent de tous ces êtres » qui l'environnent , & de fort » fupéneur; quelque chofe de =» ftmple & de naturellement in- » deftruaibie ; enfin elle fçait » par pure comparaifon , * ce » qu'elle n'eft pas , mais fçait- » elle ce qu'elle eft » ? Vous n'imagineriez jamais , Monlîeur , fur quels fondemens l'Auteur élevé une philofophie fi bizare , car votre imagination eft affez heureufe pour n'embraf- fer que le vrai. Les états d'un fommeil profond, de la léthargie ou de l'apoplexie , font autant d'appuis pour fon paradoxe. En fortant de ces fituations , on ne fe rappelle rien de bien diflina , on ne fçait fi l'on a penfé , ou fi l'on a éprouvé quelque fentî-' ment. Et comme M. Néedhanr- conclut de ce qu'on n'a point \w d'anguilles s*introduireni dépo-' fer d'œufs dans la colle de fari^ ne , que , ni anguilles ni œufs n'ont pu y entrer 5 il conclud avec la même jufteffe de ce que l'on ne fe fouvient plus de l'état* où Ton étoit en dormant 5 on dans la léthargie , ou dans l'apo-* plexie 5 que notre ame ne fe fen^ toit pas alors exiffante. Mais ne fe rappelle-t-on ab~* folumenc rien de ces états ? Je me réveille d'un profond fom- meil , je ne me regarde pas pour cela comme un être nouvelle- ment créé ; je fçais fort bien que je fois la même; perfonne^ que j'étois hier , 81 qu'entre le mo- ment qui a précédé monfommeil & celui ou je me réveille y il s'efi Do] écoulé un tems de mon exigen- ce , que je ne puis à la vérité déterminer. Mon réveil même efl: le fentiment vif du paffage d'un état où j'étois dans l'inaâion N à celui où je fuis rendu à moi- même ; & je ne fentirois pas ce paffage , s'il ne reftoit dans mon ame une imprefïïon de l'état d'où je fors , ni rien que je puffe com- parer à celui où je rentre. Il eft: donc vifible que je fentois l'être en dormant ,& que je manquois Amplement de termes fucceiïifs pour e (limer ma durée y pendant ce tems d'inaâion. Il me fer oit iîppofîibie de me fentir le même être que j'étois la veille r fi je pouvois douter que j'euffe exifté durant le fommeih Mais marné- moire retient fort bien que mon ame avoit été affe£lée de telle ou telle manière avant mon fom- f"Tr îïiejl , qu'elle a cefle d'agir & de penfer pendant un certain tems & qu'enfuiteelle a repris fa liber- té : & cette lacune même , dans fa vie y qui elï. une époque que la mémoire conferve ^ apprend que mon ame a été réduite à ne fentif que fon être y & à n'éprouver aucune viciïïitude de fenfation r, d'imagination & de penféè.,, fur laquelle elle pût juger du tems qu'elle a paffé dans ce profond repos. m L'ïmpoffîbilité où efî notre ame d'eftimer le tems qu'elle a? paffe dans' le fertimeii 5 elï-elle' donc une preuve qu elle n'a point fenti ion exifîence ? Il arrive fcu^ vent à ceux qui méditent profon- dément , d'employer des trois*: Beures de fuite dans des fpécula^ sions qui leur font oublier toute îknature &leur propre cor-ps ^ijfe eroyent à peine y avoir donné un quart d'heure : n'ont -ils donc point fenti leur éxiftence pen- dant le refte du tems , parce que la fucceïïion n'en eft pas exa&e- ment gravée dans leur mémoire ? Reprenons le difcours de M» Néedham. » L'ame , dit-il , ne 3> s'apperçoit de fon éxiftence » que par comparaifon ». Quels font les termes de cette compa- raifon ? Mais au moins elle en eft; un : c'eft elle-même qui fe com- pare ; & comment peut-elle fe comparer à quelque chofe , S elle ne fe fent pas exifter ? » L'ac- 3> tion des objets lui a donné la » première idée de fon éxiften- ce ». Qu'occafionne donc en elle la&ion des objets? Des façons d'être.. Or comment peut- elle fentir ces façons d être , & ne fe pas fentir exifter elle-même l Sont-ce les objets qui M ap%- prennent qu'elle a la faculté dé comparer ? Sont-ce les objets qui lui donnent le fentiment in- time de fon individualité, par lequel elle fe diftingue non-feu- lement de tout être matériel y mais même de tout autre intelli- gence ? Ces objets ne lui font pas connoître leur propre in^- aividualité^ Sont-ce les objets qui lui apprennent quelle peut aouter de leur exiflence 5 & qu'el- le ne peut douter de là fienne propre l » Que connoît-elîe » d'elle-même , finon qu elle efl » quelque choie de très-différent »de tous ces êtres qui 1 environ- » nent , & de fort fupérieur^ » quelque chofe de fimple 8c » de naturellement indeftru&i- ble ». Quelque chofe ! M. Méed- kam y penle-t~ii ? voudroit-il dire qu'elle efl: pour elle-mêmey un je ne fçais quoi y un être in- déterminé , qu'elle ne fe fent pas tel être en particulier ? Le fens intime reclame contre une- telle imagination. Je voudrois bien3 que l'Auteur nous apprît com- ment les impreffions que lame reçoit des objets extérieurs r lui difent qu'elle leur efl fupérieure y, u'elle efl: fimple y quelle efl: in- eftru&ible. » Mais fçait-elle ce » qu'elle efl: » l Oui , puifqu elle Be peut prendre aucun être» y foit corporel , foit intelligent pour elle-même. On efl bien afiuré qu'on connoit un être lorsqu'on efl certain qu'il n'eft aucun objet qu'on puiffe confondre avec iuL M. Néedham paroît s'être ap- proprié de la d'oârine du P* Mallebranche r qui prétend que nous n'avons aucune idée deno^ treame. Le peu que je viens de répondre à M. Néedham , fuf- firoit pour vous faire entrevoir combien l'opinion du P. Malle- branche efl infoutenable r8ç vous vous rappeliez ce que je vous ai communiqué autrefois fur cette matière» Joppoferai néanmoins encore deux reflexions au principe qui attribue toutes nos connoiffances à lufage que nous faifons de nos fens % & même celle que nous avons des facultés de notre ame qui ont pour objet les idées mo- rales y les notions de Tordre par-* mi les efprits r le fentiment de la liberté r en un mot % les connoif- fances purement intellectuelles» Il efl: certain quon ne peut re- cevoir aucune de ces idées % ni des objets extérieurs 9 ni par le piniftère des fens*. Quoique Ta?- M' ftïe n'ait aucune fenfation a£hiéfc le occafionnée par le corps r lorfqu'elle penfé quelle a de l'at- trait pour la perfe&ion ; que le fond de fa volonté eftPamourdu bien être ; quelle efl libre ; qu'il y a des chofes pofïibles qui n exis- tent point & qui n exigeront ja- mais ; qu'elle le doit toute entière au Créateur ; fous toutes ces dif- férentes penfées , elle fe fentexif- ter 5 & ne reçoit point ce fenti- ment du commerce des corps, j'at- telle fur tout cela le fens intime de chacun. Il faut donc abandonner abfolument fur ce .point la doc* trine de M. Néedham. Peut-être ne Fa-t-il embrafîee que parce qiùl a fènti quelque ehofe de vicieux dans ce fameux argument de M. Defcartes : Js penfe , donc que je fuis. Mais pourquoi cet argument efl-il yi^ [i7l deux ? En ce qu'il prouve une vérité limple- qui ne peut-être conféquence d'aucun autre prin- cipe, Ceft même une pure péti- tion de principe' y comme on s'exprime dans l'école., puifque lé premier mot delà phrafe ,je , renferme le fentiment de mon exiftence numérique , Se que l'argument fe réduit à ceci : Je me fens exïfter penfant ; donc j'exifle1. Ge n'eft point par rai- sonnement que nous fçavons que nous exilions ; donc le fen- timent de l'exïftence n'eft fondé fur aucun5 rapport ; mais il efl dans la nature de notre ame r dont l'effenee conflits à être fimple & à fe fentir exifler, Ainfi le défaut que M. Néedham aura pu trouver dans l'argument de M. Defcartes , au lieu de lui faire juger que l'ame tient là. connoiflance de fon exiftence 9 de fon commerce avec le corps T auroit dû au contraire le porter à conclure que le fentiment de Texiftence efl en nous antérieur à toute connoiflance & à tout raifonnement. Dans un enfant d'un jour > incapable de raifon- ner , Famé fe fent exifter ; Cefl là ma première réflexion. La féconde que je vous prie 3 Monfieur y de penfer fcrupu- îeufement , & que jrai fait entre- voir 5 c'eft que le fentiment de notre exiftence renferme l'in- dividualité ; Rationem numeri- cam. Or je voudrois fçavoir comment la prétendue a£tion des corps donneroit à notre ame cette notion d'individualité , & ce fentiment fixe par lequel elle apprend qu elle efl: le même être fous plufieurs modifications ac~ melîes & fucceffives. I/amevoït quatre objets à la fois : quel eft celui des objets qui lui apprend que c eft le même être qui les voit tous quatre ? Un moment après , elle voit un cinquième corps x elle a perdu de vue les quatre autres ; comment pour- roit-elle apprendre de ce cin- quième corps ? qu elle eft la mê- me intelligence qui a vu les qua- tre premiers ? Vous jugez bien , Monfieur P que F Auteur ne peut fe foutenir fur des principes aufïi ruineux* Vous allez, voir comment il fe contredit 5 & comment le fens intime le ramené inienfiblement au vrai r & lui fait oublier Ja, propre Métaphysique s dont voici le précis. » Nos connoiffances *> viennent entièrement des fen~ > fations • elles réfukent de di£*- M » férens effets produits fur cette » combinaifon pfryfique que a> nous appelions notre corps 5 5> auquel- l'agent intelligent efl » naturellement uni. Cette com- binaifon efl donc fufteptible 2> de toute forte d'imprefïîons » des plus variables , auffi bien » que des plus confiantes > parce » que c'eft un fyflême fi bien combiné rqu il correfpond par » fa propre activité , à toutes|le3 » impreffions variables ou çonf- » tantes des agens extérieurs : . * » F Ame perçoit ces changemens » & ces impreffions , elle les » compare > les fépare & les? » combine ». Tout cela va bien à fon fyflême ; mais ce qu il ajou- te ne peut y être afforti. » Ceft » une faculté qui lui efl innée & » qui efl indépendante de tout » agent extérieur ? par laquelle *- berté ». Il eft impoftible de lier ce difcours qui eft très-vrai avec ce qu il a dit auparavant. Car fi la faculté par laquelle l'a* me diftingue Jes propres opé- rations & fa liberté', eft innée & indépendante de tout objet extérieur , notre ame a donc une connoiffance intime de fes op- -pérations & de fa liberté ; elle fent donc fon exiftence dans fes opérations^ dans fa liberté , indépendemment de tous les ob- jets extérieurs. Autre contradiction aufli pal- pable. Pour en bien juger ., il faut fçavoir que M, Néedham xeconnoît des idées pofitives 8c des idées négatives. Je ne puis trop décider ce qu il entend par les dernières 9 je loupçonne qu'il ï>3 prend pour idée la négation ou l'exercice du pouvoir de rejetter ie faux. » De cette, divifion d'i- *> dées en pofitives & en négati- *> ves , il fuit dire&ement , nous &> dit-il , que Famé intelligente % *> ou l'agent qui a la faculté de » comparer , eft évidemment *> quelque chofe de fort diffé- » rent ; un être fimple totale- & ment diftinci dans foneflence *> & fa nature du fyftême corpo- » rel qu il anime. Car fi *> l'agent qui a la faculté de com- » parer , rietoit pas un être to- s» talement différent du fyftême » corporel 9 il feroit impoflible » que nous euflîons des idées » négatives ; parce que rien ne $> peut affeâer le fyftême cor- 5> porel qu'une impreflionpofiti- a> ve , & de fimple négations ne pourroient pas engendrer de *> nouvelles idées. Toutes les » idées, donc dans ce cas,feroient *> néceffairement pofitives ; & *> rien ne prouve mieux Pèxif- î> tence réelle d'un principe li- » bre & indépendant dans fes j> aftions que les idées négati- a> ves » , ou plutôt que le pou- voir de nier ou d'affirmer. Voi- là donc encore une forte de con- noiffance que nous ne recevons point de fens. Voilà la meilleure preuve qu'on puifle ( félon T Au- teur ) avoir de la Spiritualité de Tame , indépendante de Talion .extérieure des objets fur nos fens« Et il eft très-vrai que nous ne pouvons recevoir aes impref- fions que les corps font fur nos fens , ni le pouvoir de nier ce que nous trouvons faux , ni la connoiffance de ce pouvoir* Mais k f entiment que nous avons M de Y intimité de ce pouvoir , fi je puis parler ainfi , renferme celui de notre exiftence ; il n'eft donc pas vrai que nous n'apprenions que des corps que nous exilions, 2Q. Si M. Néedham avance avec tant de confiance des prin- cipes fi hafardés fur la connoif- fance que nous avons de nous- mêmes , il n'eft pas plus heureux à cara£térifer la matière. Voici la définition qu'il en donne* » La matière telle que nous fom- » mes portés à la concevoir 9 » n'efL qu'un pure phénomène , & un réfultat complexe & un concours de plufieurs effets » différens». Vous devez être fans doute , Monfieur 5 d'autant plus étonné &furpris d'une dé- finition fi bizarre , que vous ne pouvez l'appliquer à aucun des corps qui vous environnent. VOBS 2? Vous me demanderez d'où l'Au- teur a pu la tirer. Ici il faut de- viner ; car il s'en faut bien qu'ii s'explique nettement. Mais à la quatrième lefture de fon livre , je crois avoir enfin compris ce qui a pu l'engager dans une rou- te aufli obfcure. Les corps exté- rieurs nous font connus par le témoignage de nos yeux & des quatre autres fens. Voilà pour- quoi il appelle la matière un ré- fultat complexe Se un concours 4e plusieurs effets différens. Nos yeux nous font connoître les corps fous le fentiment de cou- leur , auquel l'idée de 1 étendue eft liée fi intimement, que M. Néedham ne l'en a pu feparer. Or les couleurs ne font pas dans les objets , les limites de ces couleurs ; les dimenfions n'y font •donc pas non plus les couleurs B font des phénomènes ,Tétendue quelles repréfentent en eft donc auiïi un , & comme la matière ne nous eft connue que fous Timpreflion d'étendue , c'eft pour cela qu'il dit que la matiè- re telle que nous la connoiffons, n'eft qu un pure phénomène* Enfin 5 parce que lefprit après quelques réflexions , eft obligé de détacher les couleurs des corps , & de reconnoître qu'el- les ne font que la manière dont l'ame apperçoit les objets ma- tériels , rétendue fuit le fort des couleurs dans l'idée de M. Néed- ham ; ce n'eft aufli félon lui qu'u- ne manière d'appercevoir la ma- tière. Voilà y ou je me trompe fort , la vraie fource de tous les paralogifmes que vous allez voir* L'Auteur fe les fer oit épargnés , s'il avoit fait attention que l'ef- prit, en re&ifiant le témoignage de nos yeux , en s'appropriant les couleurs , comme des maniè- res de fon être , les détache de Tétendue qu'il ne peut confidé- rer comme un des modes de fon être. UnPhilofophe,en voyant un cube blanc , en détache la blancheur , qu'il regarde comme une de fes façons d'appercevoir ; mais il laiffe au cube fes dimen- ilons ; s'il les retranchoit , s'il penfoitque ces dimenfions font une façon d'apercevoir , il en conclueroit légitimement qu'il n'apperçoit rien par fes fens , qu'il ne connoît que fes façons d'appercevoir, fans que rien foit apperçu. Paradoxe révoltant qui eft cependant l'ame du livre de M. Néedham. Il s'en faut bien que l'Auteur s'explique d'une façon aulfi in- Bij telligible que je viens de le faire ; néanmoins en appréciant fes ter- mes , on y trouve le fens que je viens cTexpofer. Voici quelques textes qui vous en convaincront* » L'étendue & la figure font des 5> modes relatifs de pure corn- >> binaifon , elles font en nous le 3> réfultat de la coa£tivité de plu- » fieurs agens fimples ». Il ap- pelle cette prétention , un étran- ge paradoxe , & en cela il a rai- fon , il croit la foufhraire au gen- re des paradoxes , en la compa- rant à fa do&rine fur la manière dont lame fe connoît elle-même, » Si Pâme ne connoît fa propre » exiftence que par comparai- » fon , G* cejfe de fe connoître dès 3> quelle rtapperçoit plus le con- » trajle qui ejl entr elle & les au- 3> très objets qui V environnent : v Eit-il étonnant qu elle ne con* 3> noifle aucun objet que fousîe j> même voile , & que toutes fes » idées ne foientque de purs rap- » ports , qui y comme ces carac- 4> tères , repréfentent quelque » chofe dont Teflence confit- » te en a&ion , mais dont la Na- 3> ture y telle qu'elle eft elle-mê- » me , nous eft inconnue » ? Où font ces rapports d'adivi- té ? font-ils dans notre ame ? Il le dit expreffément en parlant du mouvement qui, devant fuivre naturellement le fort de l'éten- due & des figures, » n'eft , félon » lui j à notre égard .... qu'un » modèle relatif d'a&ivité ..... » Nous le voyons donc , ajoûte- t— il , fous un voile de purs rap- 3> ports , & Faction qui produit » en nous ces rapports , ou ces » modes tfaffivité , eft quelque » chofe en elle-même d'abfolu ^ B iij » & cependant d'inconnu > en » ce fens , quelle ne peut être *> eftimée que par comparaifon» . Vous comprenez maintenant , Monfieur,ce qu'il veut dire, lorf- qu'il enfeigne que l'étendue & la figure font en nous le réfultat de la coaïtivité de plujieurs agens fimples , c'efl-à-dire , de l'im- preflion que ces agens font ou occafionnent dans lame. Ceft entre ces impreflïons quelle voit ces rapports , où les idées de l'é- tendue , de la figure & du mouve- ment font comprifes. Quant aux agens auxquels elle doit ces im- preflïons , ils ne font point pour elle des termes de comparaifon y ils font totalement inconnus. Vous entrevoyez ici fur quel principe M. deBufFon a avancé qu'il n'y avoit rien dans les ma- thématiques & dans les méchani- Biv ques , que ce que Mpnt humain y a mis. Dès-que l'étendue , les figures y le mouvement ne font rien d'appartenant à la matière , 3uece font , comme les couleurs, es façons d'être de lame ; tout ce que nous avons imaginé fur l'étendue & fur la figure eft chimérique , & ne convient ni au corps , ni à la matière dont les corps font compofés: ce font de vaines fpéculations fur les erreurs de notre ame , telles que celles d'un homme qui , croyant que les couleurs font des quali- tés elfentielles aux corps , fe per- droit en raifonnemens fans fin qui ne feroient que les confé- quences de cette fauife idée. Ainfi , M. de Buffon & M. Néedham doivent être bien amu- fés enfemble aux dépens des deux fociétés de Scavans que le Roi a B iv envoyés au Nord & fous la Li- gne pour déterminer la figure de la terre. Ceux-ci ont mefuré des bafes avec la plus fcrupuleufe exaditude , des étendues qu'ils croyent réelles & hors d'eux- mêmes , & ce n'eft qu'à des mo- des de leur ame qu'ils ont ap- pliqué leurs mefures , qui d'ail- leurs n etoient que des modes d'aftivité que leur ame recevoir de je ne fçais quels agens non étendus. J'avoue que M. Néedham pour- ra taxer ce que je viens de dire ' de mauvaife pJaifanterie , & mac- cufer de le confondre fort mal- à-propos, avec les Immatérialif- tes , puifqu'il prétend bien dé- montrer Pexiftence de la matiè- re. Mais pefez , s'il vous plaît , fa démonftration , & jugez Ci elle n'a pas dû faire naître la réfle- xion que j'ai faite fur le juge- ment que ces deux Meilleurs ont dû porter des voyages de laLa- ponie & du Pérou. Voici donc cette démonftration. A près avoir diftingué les idées en politives & en négatives y il examine com- ment elles peuvent être produites au dedans de nous par lés agens extérieurs : » Si toute idée poft- » tive ? nous dit -il r qui peut » être engendrée au dedans de » nous y eft conféquente à quel- » qu impreflîon 5iur cette com- i; binaifon Phyfique 5 ( lecorps) » auquel le principe intelligent » eft immédiatement & naturel- » lement uni , alors chaque idée » pofitive eft le réfultat d'une » a&ion extérieure. Par confé- » quent y fans entrer dans la » queftion fi la matière , telle v au oa la coacoit commune- Bv » ment , efl étendue & divifible » à l'infini , c'eft au moins une » vérité inconteftable qu'il y a » des multitudes d'agens hors de » nous qui produifent ces im- » preffions, & qui font diftinds » en nombre & en qualité , fi » nous pouvons juger des caufes »> par les effets , & par confé- » quent autant d'êtres fécondai- » res, intermédiaires très, diffé- » rens de Dieu , ou de l'ame pen- » fante ». Jeconviendraiquel'amevoyant des objets, foit dans lefommeil > foit dant la veille , eft très inti- mement perfuadée qu'elle ne pro- duit point en elle , ni les cou- leurs, ni les figures fous lefquel- les elle les apperçoit ; elle fe fent purement paflive à cet égard : elle eft donc obligée de recon- noître que cette perception eft opérée en elle par une caufe étrangère. Cela n'eft: pas dou- teux. Mais cette caufe eft - elle une multitude d'agens fécondai- res , comme le dit M. Néedham , ou eft-ce Dieu même , la feule caufe capable d'opérer immédia- tement fur notre ame ? M. Néed- ham prend le premier parti. Quelles raifons en donne-t-il ? Mais eût-il effayé d'en donner, fa caufe ne feroit pas encore bien féparée de celle des Immatéria- lités, ils auroierar encore droit de le revendiquer , & c'efi le point dont il efl maintenant queftion. Si ces agens n'ont point une étendue réelle , fi nous ne les connoiffons point du tout , l'univers que nous voyons ne peut être diflingué des phantô- mes de la nuit ; & fi nous pou- vons foupçonner qu'il y a hors Bvj de notre ame une multitude d'ê- tres , ce ne feront certainement aucun de ceux que nous voyons , qui tous ont les trois dimenlions. Que penfera M. Néedham de l'impénétrabilité ? Sera- 1- elle aufïï une partie du phénomène dans lequel il fait confifter la matière telle que nous la con- noiffons ? Après vous avoir dit que ces êtres fecondaires incon- nus , dont la coadivité opère en nous les idées d'étendues & de fi- gures, ne font pas tous homogè- nes, mais qu'au contraire, ils font non feulement numériquement mais fpécifiquement oppofées , il vous répondra & définira ainfi l'impénétrabilité : »Le réfultat de » Faâion & de l'oppofition mu- ?> tuelles rendues fenfibles à des » êtres fufceptibles de leurs im- m » preïïîons ». Et comme cette définition neft certainement pas trop lumineufe , il ajoûte pour plus grand éclairciffement : » Les » imprefïions font les effets de » Ta&ion extérieure y & non pas » de l'impénétrabilité ; car l'im- » pénétrabilité telle que nous la » (entons y neft qu'une impref- » fion conféquente & non an- » térieure à l'a&ion mutuelle »* On a grand befoin d un exemple pour entrer dans cette do&rine : il nous donne celui de deux bou- les d y voire qui rejailliffent après leur choc; » Nousdifons qu'ai- » les font impénétrable , Tune à » l'autre ; fi leur différence d'ao » tion , que ce rejailiiffement » rend encore plus diftind: * r> coincidoient lorfqu elles fe » rencontrent , nous ne • les » aurions pas appellées impéné- » trahies; donc l'impénétrabilité » efl un effet dans la Nature & » une idée excitée en nous con- » féquemment & non antérieure- » ment à la différente adivité de » ces deux boules ». Eft-ce un Phyficien qui nous parle ? qu'en- tend-il par la coïncidence de ces deux boules ? Veut-il dire que fi elles venoient à fe confondre , enforte qu'elles ne fiflent qu'un corps égal en dimenfion à ce qu'étoit chacune des boules avant leur concours , nous ne les au- rions pas appellées impénétra- bles ? Non affurément , puifqu'el- les fe feroient pénétrées. Mais que font ici les aftions contrai- res de ces deux boules ? Eft- ce donc cette contrariété de mouvement qui les rend im- pénétrables ? Deux corps mois pouffés en fens contraire l'un vers l'autre , s^uniflent dans le choc , en font-ils moins impénétrables ? Et n'eft-ce pas au contraire y par- ce qu'ils font impénétrables y qu'ils deviennent un corps dou- ble de chacun des deux premiers P ii ceux-ci étoient égaux ? Il diftingue l'impénétrabilité de la folidité. Mais queft-ce que la folidité dans la matière ? C'eft ce qu'il ne nous dit point , & vous verrez dans la fuite y Monfieur ^ qu'il n'en peut donner d'idée* Pour établir cette frivole diflinc* tion y il tourne en ridicule ce au'il appelle les idées communes e la matière. » Dans toute au- » tre vue y nous dit-il y & félon » l'ordre des idées établies dans » les écoles , les fubftances phy fi- » ques font folidement étendues* j> parce qu'elles font impénétra- » bies y & elles font impénetra* » bles , parce quelles font fohV » dément étendues ». L'Auteur me permettra de lui dire que ce n'eft point ainfï qu'on établit l'impénétrabilité des parties de la matière. On raifonne fur ce principe : que deux êtres diffé- rens , font numériquement dis- tingués. L'un n'eft pas l'autre t & l'un ne peut être l'autre. Or fi deux lignes cubiques fe péné- traient y fi toutes deux ne far- foient plus qu'une ligne cubique* l'une deviendroit l'autre , cha- cune auroit perdu fon exiftence propre , & par là elle feroit anéantie ; & cependant dans la fuppofition de la pénétration > l'une & l'autre devroit conferver fon exiftence. Il eft donc clair que cette fuppofition renferme unecontradiaionmanifefte : Pér Kiftence numérique & la non- exiftence numérique dans le mê- me fujet ; outre que la partie deviendroit égale au tout , & que le double feroit égal à fa moitié , ce qui eft une autre contradic- tion. Tout cela n'arrête point F Au- teur : il continue ainfi en plai- gnant toujours les Philofophes prévenus des idées de l'école : n La matière ? difent-ils f eft ef- » fentiellement un compofé , Se 3> cependant la matière eft effen- » tiellement impénétrable» Ont- » ils bien confideré ces deux » idées : un compofé impénétra- » ble » ? Fort-bien , lui répon- drois-je ; & A bien ^ qu on eft très convaincu que tout compofé fuppofe l'impénétrabilité. Un mur eft compofé de pierres , de chaux & de fable , parce que la pierre f la chaux & le fable de- , m meurent des êtres fubfiftans les uns hors des autres. Si par impof- fible ces matériaux étoient iden- tifiés , ils ne formeroient plus un compofé. Quant à ce que M. Néedham fait dire aux phylofo- phes , que la matière eft effen- tiellement un compofé , s'il en- tend un compofé phyfique il fe trompe beaucoup , à moins qu'il n'ait en vue les commentateurs d' Ariftote , qu'on ne lui aban- donne pas cependant fur tout au- tre point ; mais les modernes établiffent l'effence de la matière dans des principes de métaphifi- que , je veux dire , dans les trois dimenfions : aucun de ces principes n'eft la matière , tous trois en condiment inféparable- ment Peflence. La longueur ne peut réellement fubfifler fans épaifleur ; & nul de ces deux [43l . dimenfions ne peut être conçue exifter fans l'autre. Il femble que l'Auteur ignore parfaitement cette doarine de M. Defcartes , à laquelle le monde entier étoit revenu. Je fçais qu'on l'a atta- quée. On a prétendu que la matière pouvoit être conçue fans aucunes dimenfion ; mais fur quoi a-t-on appuyé ce paradoxe ? Si la matière peut être conçue exif- ter fans dimenfions , je deman- de qu'elle idée on en a quand on la conïïdére dans cet état de pri- vation ? mais un feul mot décide : Puifque la matière peut perdre les trois dimenfions , pourquoi ne pourroit-elle pas être privée d'une feule en confervant les deux autres ? Quand les difciples de s'Gravefande auront répondu à cette queftion fi fimple , on pourra penfer à difcuter leur fen- timent. II eft bien vrai que M. Néed- ham, détachant de fait l'étendue de la matière , & failant de l'é- tendue une manière d'apper- çevoir appartenante à notre ame, je ne puis employer ce raifonne- ment contre lui ; il s'efi afligné pour pofte , le vafte pays des chimères , lui feul en connoît les ifïiies , comment efpérer de pouvoir l'y forcer ? Mais quelles que foient fes penfées, s'il veut attaquer les autres Philofophes , il faut qu'il attaque leur doctrine, & qu'il ne leur prête pas des idées folles. Il pourfuit toujours fur le mê- me ton : » Analifons ces idées » & exprimons-les d'une autre » manière. Les principes com- » pofés, en d'autres termes , un » compofé fans principes ; une » multitude infinie de multitu- » des , fans un feul être ifolé ; un » nombre immenfe fans unité ; a> une combinaifon de combinai- » fons fans aucune fouirce , ou » fans commencement ; . . . . un i> eompoféfubftantiel infiniment » complexe , exiftant fans une » feule fubftance individuelle ; » en un mot , on veut que jecon- » çoive la matière continuelle- » ment divifible contenant une 3> infinité de parties , & que je as conçoive qu'elle eft impéné- » trable , fans m'aiïigner feule- » ment un point où je puilfe fixer » cette impénétrabilité univer- » felle ». On voit bien que M. Néed- ham en veut à la divifibilité de la matière à l'infini. Onfçait que auelque parti que Ton prenne ans cette queftion , on oppofe de part & d'autre des raifonne- m mens auxquels l'adverfaire ne peut donner de réponfes fatisfai* ceux qui foutiennent la divifi- bilité de la matière à l'infini , c'eft qu'ils établiffent leur fenti- ment fur des idées claires & in- conteftables , & que ceux qui cmbraflent le parti contraire r prennent la chofe du côté téné- breux , & fe retranchent dans les dfficultés. La pofition oùs'eft mis M. Néedham , eft la plus sûre ; dès que l'étendue n'eft pour lui qu'une manière d'appercevoir la matière qui , félon lui , n'eft point apperçue , il peut plaifan- ter impunément ceux qui tien- nent la divifibilité de la matière à l'infini , & il eft à l'abri des dé- monftrations dont ils accablent leurs adverfaires. Mt Néedham s'appuye encore lantes. Tout l'avantage far une vérité enfeignée par le P. Mallebranche : que nous ne connoiffons les corps que par des rapports ; il la générafife , & en conclut que notre ame ne con- noît rien que par des rapports* Pour le prouver , il prend pour exemple les couleurs , & parmi les couleurs il choifit le verd. Il prétend qu un homme qui n'au- roit vu que du verd , n'en auroit aucune idée. Je penfe qu'il veut que l'on raifonne des couleurs comme de la Mufique. Un hom- me qui n'auroit jamais entendu de fon qu'un Ut par exemple * 3u un feul fon , n'auroit pas d'i- ée du degré que ce ton occupe dans le fyftême de la Mufique. Si ce n'eftpas là fa penfée , je ne fçais ce qui pourra rendre intel- ligible ce qu il dit ailleurs: » Au- » rions-nous connu le verd ? *> comme nous le faifons , finous » n'euiïions eu aucune autre cou- leur à comparer avec lui. Ce » n'eft ni du rouge , ni du violer, » c'eft quelque chofe qui affe&e « nos yeux plus fortement que le » violet 5 & moins vivement que *> le rouge ; il eft plus refrangible » que Tun , moins que l'autre L'Auteur ne pourroit choilir un exemple moins heureufement af- forti à la Théfe : que nous ne connoiffbns que des rapports* Car la fenfation de couleur eft très abfolue dans notre ame , & ne renferme aucune comparaifon. L'œil ne diftingue pas même de rapport entre deux couleurs dif- férentes y telles que le jaune & le bleu , il ne foupçonne pas , iî l'expérience ne le lui avoit ap- pris , que le jaune a du rapport avec le verd. Ainfi 9 fuppofé qu'ua qu'unhomme ne vît que du verd , il auroit une fenfation très-déter- minée, qui, certainement, ne fe« roit pas un rapport. Mais , dira l'Auteur , les couleurs ont des rapports de refrangibilité , & différens rayons ont auffi des rapports dans la mefure de leurs vibrations. Cela eft vrai ; mais ces rapports ne font pas fentis, ils font comme s'ils n'ëtoient point à l'égard de famé . On les a connus par les obfervations qu'on a faites fur le prifme ; ( des- quelles , foit dit en paffant , com- me je pourrai le montrer quel- que jour , on a tiré autant d'er- reurs que de vérités. ) Mais ces rapports que le prifme nous fait entrevoir , font entre les diffé- rentes molécules propres à cha- que rayon , & non entre les fen- lations que ces rayons occafion- g* Partie* C nent. Il y a même beaucoup a ap~ parence que c'efl: Tordre des vi- brations , faites dans une certai- ne mefure y qui cara&érife cha- 3ue couleur. Qu'on imagine que eux Régimensont leur maniè- re de battre le tambour dans une telle mefure , que fi deux tam- bours pris dans chaque Régi- ment battent enfemble , l'un la marche , l'autre le drapeau , les mouvemens des deux pièces de tambour 5 ou plutôt l'effet de Penfemble des coups de baguet- tes entremêlés de l'un & de l'au- tre 5 fera la Générale d'un troi- fième Régiment , & l'on con- cevra par cet exemple, comment les rayons jaunes & les rayons bleus tombans mélangés fur la rétine , font un troifième ordre , une troifième mefure de pulfa- tion , laquelle n'eft ni propre au E5i] jaune , ni propre au bleu , & oc* cafionnera la même fenfation que produifent les rayons verds , lorfqu'ilsfontfeuls , parce qu'ils; forment le jeu propre aux rayons verds homogènes. Il en fera de même du mélange des rayons primitifs d'où réfùlte la couleur du pourpre. M. Néedham ne peut donc dire que l'ame éprouvant la fen- fation d'une couleur , voye un rapport , qu'autant qu'il confon- dra le méchanifme de la lumiè- re fur nos yeux , avec les fenfa-* tions que les rayons occafion- nent dans l'ame ; & il efl d'au- tant moins excufable de confon- dre ces chofes ^ qu'il ne peut ignorer qu'il n'y a aucun rapport entre la fenfation de couleur ver- te, & l'imprefïïon que les rayons verds homogènes § ou le mélan- ge des bleus & des jaunes opè- rent fur la rétine. Le plus ou le moins de force , la diverlité plus ou moins grande entre les jeux des différens rayons , décident de la fenfation de couleur; mais on ne peut pas dire que la fenfa- tion de couleur diffère dune au- tre, que la fenfation du rouge diffère de celle du bleu par le plus ou le moins. Cette feule obfervatîon y dont vous fentcz toute la vérité > fuffit; pour détruire de fond en comble ce faux préjugé fur lequel M. Néedham fonde tous ces raifon- nemens ; c^fl que les impreflions faites fur nos organes corporels paffent immédiatement à notre ame 9 enforte que ces impref- fions font comme lescaufes pro- ductrices de nos fenfations. Car dès qu'il n'y a que du plus ou du moins dans les effets de dîvér^ fes avions de la lumière for te ré* line y & qu'au contraire les fenfa- par rinftitution dii Créateur dif- férent effentiellemeftt * elles ne peuvent - êtres des effets de lâ lumière. Le principe même , que nous ne connoiffons point les dimenfîons d^fokes^ des côrps y mais Amplement leûf grandeur relative ^généràlifePebfervatiori que nous faifdns 5 & Tétend fur toutes les connoifîance^ que nous devons à nos fens. Prenons urï exemple très-commun. Je vois à la même diflance deux hommes de taille inégale % leurs images font peintes au fond de mes yeux y & leur dimenfions font très déterminées ; car il implique que deux images exiflent d'une manière indéterminéee , 8c qu'el* € iii tions de couleur répondent les n'ayent pas entr'elles ou le rapport d'égalité , ou un rap- port certain & fixe d'inégalité. Les images de ces deux hommes ont donc un rapport fixe au fond de mon œil. Si la connoiffance que j'ai de l'inégalité de ces deux hommes étoit l'effet de ces ima- ges y cet effet feroit fixe & déter- miné , & le rapport connu ré- pondroit au rapport réel qui eft entre les tailles de ces deux hom- mes. Car il implique encore qu'une caufe déterminée eft un effet déterminé , puifque ce fe- roit n'en point avoir. Il eft pour- tant certain par l'expérience , que la connoiffance occafionné par ma vue , kiffe le rapport de ces deux hommes indéterminée pour moi , entre certaines limi- tes, comme je crois l'avoir dit en examinant les paradoxes de L55l , 2 M. de Buffon , fur le fondement des mathématiques. Je fçais bien 3u un de ces hommes n'a pas un emi pied de hauteur plus que l'autre ; mais combien de pouces, combien de lignes , je n'en fçais rien. N'ai- je donc pas droit de conclure que la connoiffance qui me vient par le fens de la vue ri'efl; point un effet proprement dit de la difpolition de ma rétine ou des images qui y font peintes ? Et n'eft- il pas bien prouvé confor- mément à la do&rine du P. Ma- lebranche ,qu une telle connoif- fance ne peut être que l'effet d'u- ne forte de révélation naturelle , communiquéê par un être très- fage , qui fçait que jai befoin de ne pas connoître les corps avec précifion , de peur que je ne leur attribue une efficace proprement dite 7 fur mon ame , telle que C iv celle que M. Néedham recon- noît par-tout en eux. Tout ce que je viens de vous dire , Monlieur , vous paroît vic- torieux contre M. Néedham , cependant rien n'eft plus foible ; vous allez voir dans quel fens. J'y fuppofe par-tout que. réten- due eil une fubftanee ou du moins une propriété réelle & exiftante dans les objets ; que Pi- mage des corps a des dimenfions fixes fur notre rétine ; mais dans f efprit du fyftême de l'Auteur , toutes ces dimenfions fixes dont je fais tant d'ufage , ne font dans Famé que des effets de principes a&ifs inconnus ; l'étendue n'eft que la manière dont l'ame reçoit les a&ions combinées de ces mê- mes principes ; ce fyftême phyfi- que que nous appelions not^e corps , n'a pas plus de dimenfions réelles que les autres objets dont: nous fommes environnés, Dans le vrai, tous mes raifonnemens ne peuvent rien contre des idées fi neuves ; car comme je vous l'ai déjà dit , M, Néedhams'eft ehoi- lî un porte où il eft difficile de ïe forcer, parce que ce; pofte efl au-delà de la portée de la raifon ^ , & c'dl pour cela même y comme vous 1er verrez dans la fuite de cette lettre , que tout ce que je produirai de plus fort contre lui ^ , fera pure pétition de principe ^ parce que je fuppoferai toujours malgré moi que M. Néedkam a des4ens comme nous > qu'il vok les objets étendus comme nous f . que le mouvement efl: pour lui comme pour nous \m déplace- ment fucceflif defùbftanceséten^ dues y c'ëft précifement lai çhofe en queflion entre tous te$ hommes d'une part , & Mefïîeurs Néedham & de Buffon de l'autre. Pour vous en convaincre , écou- le de rétendue : » Je dis donc 3> que rétendue de la matière , »> confidérée comme étendue , » la figure comme figure , la ré- » fiftence comme réfiftance , ou » le mouvement comme le mou- *> vement , font des modes d'ac- » tivité en eux-mêmes , dont les » différences abfolues font réel- *> les , permanentes & effentielles » à la nature d'agens extérieurs, » quoi quils nous foient inconnus *> ces modes , & que comme nous » les appercevons , ils ne nous î> paroiffent que de purs rap- 3> ports ». L'idée de l'étendue n'eft qu'un rapport! Et quel rapport? Un tons-le , lorfqu'il prononce le plus affirmativement ce qu'il pen- rapport de nombres abftraits ? Ser oit-il pofïible que ce fût-là fa penfée. Si ce neft pas elle , fices rapports font concrets , ( per- mettez-moi ces termes de Féco- le , ) Tefprit voit donc deux cho- fes , & le.rapport Arithmétique ou Géométrique , & la matière des objets entre lefquels font ces rapports. Je compare un corps de 27 pouces cubiques , à un pou- ce cubique. Jry vois le rapport de 27 à 1 ; je vois de plus le gen- re de l'unité de ces nombres ; c'eil un pouce cubique ; ce n'eft point l'unité prife univerfelle- ment . Quand je fais cette propor- tion, 27 lignes font à une ligne comme 27 lignes cubiques font à une ligne cubique ; la première raifon a pour unité des lignes fimples , la féconde des cubes. Que la ligne fimple , que le cube Cyj [66] ne foient que des points de vue de Pâme , je le veux bien ; mais ces points de vue ont des objets pour termes y ou ce ne font pas des points de vue- Ne cherchons point à entendre M. Néedham r ce fer oit entre- prendre l'impoflible \ mais tâ- chons de découvrir par quels fentiers ou par quels égaremens il eft arrivé à une Philofophie Ci extraordinaire. Il dit quelque part y & il dit très-vrai , qu'on ne fçait pas combien d'étendue réelle eft employée dans ce mon- de. Il fe fonde fur un problême de mathématiques dans lequel on voit y qu'en prenant une porr tion de matière déterminée , ne fût-ce qu'un pied cubique y on en pouvoit faire un corps égal en volume 7 à celui de l'univers entier > en ne laiffant entre des parties faîtes comme des ballons vuides que des intervalles plus petits r que toute capacité ali- gnée. Ailleurs T M. Néedham luppofe que le Roman de Guil- liver eft réalifé: » La hauteur » des habitans , une fois déter- » minée y tout doit s arranger » félon kurs proportions- relatif » ves » ; c'eft- à-dire r que non feulement leurs mefures-, lènrs pieds y leurs pouces y leurs mai^ fons y . leurs terres y leurs ci eux feront déterminées ; mais encore leur fyftême de vue fera fixe. Ce 3u'il dit fur: ces difFérensfyftêmes e vue eft alfez oblcur ; mais je crois pouvoir rendre fa penfée. Il fuppofe qu entre ks Lillipur- tiens & ceux de Brodingnag y il peut y avoir une fuite de pro- portions de grandeur dans une échelle aufli étendue qpe celle qui le trouve entre l'Eléphant & le plus petit animal qu'on puifle appercevoir au microfcope. 11 demande fi dans ce cas , la quan- tité d'étendue ? dans quelque ob- jet déterminé , préfentée à ces deux Nations & à toutes celles auxquelles elles ferviroient de limites , fer oit un objet invaria- blement fixe y ou fi elle ne pren- droit pas fuccefli vement plufieurs millions de différens rapports. Il réfout plus bas cette queftion : » En un mot , il eft certain que » fi le même agent intelle&uel & pouvoit animer cette fuite fup- * pofée de corps , depuis l'Ele- » phant jufqu'au plus petit ani- & mal microfcopique ^ il y auroit j> un point dans cette échelle > » où un globe de trois pieds de » diamètre 5 de la même ftru£tu- » re que notre globe terreftre , » paroîtroit un objet auffi dif- » férent de lui-même dans un au- » tre point de vue , que le feroit » a&uellement le globe de trois » pieds de diamètre comparé à » notre terre ». Ceft-à-dire , car tout ceci demande un com- mentaire , que ces différens peu- ples auroient un fyftême de vue proportionnel à leurs tailles ; que ceux de Brodingnag feroient obligés d'avoir recours au mi- crofcope pour voir un objet qui paroîtroit aux hommes dont la claffe feroit le dernier & le plus petit terme de l'échelle , auffi grand que notre globe terreflre. Il avoit dit auparavant : » Il j» feroit inutile de répondre que » danscecaslachofeeft toujours » invariable en elle-même ; nous » le fçavons parfaitement bien ( Il revient ici à la façon depen- fM fer des autres hommes ) » Scritrv » n'eft changé que le point de » vue ; mais alors l'étendue ejl ce » point de vue général fous lequel » nous y voyons des objets dont » la nature abfolue eft entière^ » ment inconnue. » L'étendue , dit-il encore * confidérée mé- » taphyfiquement comme éten- » due r eft un mode de percep- *> tion *r-j Je ne me fuis pas trompé , com- me vous voyez Monfieur , quand i'a t dit que l'étendue n'étoit fé- lon lui que la façon dont notre ame apperçoit la matière. C'eft on point de vue ; mais qu'embraf- fe-t-il ?. Des objets dont la natu- re nous eft entièrement incon- nue y & qui ne renferme rien de femblable à l'étendue, au mouve- ment y à l'impénétrabilité r tels que nous h connoiffons ; car félon l'Auteur , » les qualités » que nous appelions premières » ne font précifément comme les » fecondaires , que de purs ef- » fets relatifs , dont le modèle » d'évaluation ne fe trouve que » dans les fenfations » • Demandons à M. Néedham où il voit k vérité des fuppofi- tions qu'il vient de nous faire. Efl-ce dans le témoignage defes fens deftinés à lui faire connoi- tre ce qui efla&uel % & non ce qui eft poffible ? Je lui demande encore où fon efprit voit que le globe dont le diamètre feroit de trois de nos pieds , quoi qu'un point imperceptible aux microf- copes propres aux habitans d$ Brodingnag r feroit un globe énorme pour les Lilliputiens ; où il apprend que ce globe connu fous des rapports fi différens ^ eff: m v ... invariablement le même être nu- mérique. Je l'ai foutenu contre M. de Buffon ; que les fens ne nous découvrent point le numé- rique des objets; ce n'eft point par eux que nous apprenons que nul être ne peut exifter fous une grandeur indéterminée ; ils nous apprendroient tout le contraire fi nous nous en tenions unique- ment à leur témoignage. L'Au- teur fe contredit donc ici vifible- ment.Jl reconnoît néceflaire- ment une grandeur abfolue dans le globe de trois pieds de diamè- tre. Chez ceux de Brodingnag , ce globe comparé au corps des habitans feroit le plus petit terme, chez ceux de Lilliput , comparé à leur corps , feroit le plus grand terme , & n'augmenteroit ni ne diminueroit fou^ ces différens point de vue. * Accordons à M. Néedham , que nous ne connoifïbns les corps par des rapports. Mais les termes de ces rapports font des portions réelles de rétendue exiftante hors de nous. Si je compare le volume de mon corps à celui de la lune , les termes de ma com- paraifon ne font point d'une part la façon dont je vois mon corps , & de l'autre , celle dont je vois la lune ; c eft mon corps , c eft la lune , ce font deux objets que jediftingue très-bien de ma penfée & de mes fenfations , & que je crois exifter indépendem- ment de ma propre exiftence par conféquent de mes penfées. Que M. Néedham pouffe fa fuppofition à l'extrême ; qu il me^ dife que la nuit dernière il a plu au Créateur de réduire mon corps au même volume qu étoit hier le plus petit des animalcules vifî- bles au microfcope ; qu'il a réduit proportionnellement , mon lit , mes meubles , ma chambre , la maifon , la ville où je demeure y la terre entière ,.fes plantes & fes habitans , les deux & les aftres * les globules de la lumière ; qu'il me défie de lui donner une dé- monftration contre ce fait r & 3u'il en conclue que l'étendue eli onc un point de vue y un mode de perception fous lequel nous voyons des objets dont la Nature eft abfoiument inconnue je ne nierai point la fuppofïtion , mais j'en tirerai une conféquence dia- métralement oppoféeàlafienne. Dans cette fuppofïtion, lui dirois* je , mon point de vue d'aujour- d'hui feroit invariablement lemê* me que j'avois hier. Mon corps déduit cette nuit à un très-petit volume , feroit à légard de moa lit , de mes meubles , de ma cham- bre , ce que mon corps d'hier me paroiffoit être vis-à-vis des mê- mes objets ; & c'eft précifément parce que ma façon de voir fe- roit la même, que je ne puis rien oppofer à la vérité de la fuppofi- tion. Mon efprit voit néanmoins très-clairemeht que les objets de fa vue , les termes de fesconnoif- fances auroîent prodigieufement changé ; que les termes de fes connoifïances d'hier étoient des objets énormes, par rapport à ceux d'aujourd'hui , que tout au- roit été réduit dans la proportion qu'il y avoir hier entre le corps que j'avois & urïciron de ce mon- de qui n'efl: plus : que la différen- ce de mon corps d'hier d'avec celui d'aujourd'hui eft réelle & indépendante de ma façon de penfer : donc mon efprit connoît très -clairement deux portions d'étendue > lefquelles font réel- les , hors de moi 7 indépendantes de ma façon de les connoître par les fens , & qui ne font point des manières de recevoir des impref- fions d'agens , dont la Nature lui eft totalement inconnue. Je demande à M. Néedham, ce que j'ai demandé à M. deBuf- fon , qu'il étudie l'Hifloire Na- turelle de l'efprit humain : cha- cun la porte & toute complette au dedans de foi ; pour la con- fulter , il ne faut ni procédés dé- licats , ni dépenfe ; qu'il fe don- ne la peine de réfléchir fur ce qui fe pafle en lui, & il entrera de lui-même dans la démonftration que je viens de lui oppofer , & il démêlera aifément toutes les con- tradictions dont fon livre four- mille. Quelle contradiftion que de diftinguer, comme il le fait , l'é- tendue de la folidité ! v II faut , » dit-il ^ féparer l'idée d'éten- » due de celle de folidité ; & il » eft clair que ces deux idées font ?> différentes & que Tune n'eft 3> pas néceffairement jointe avec » l'autre ; car il y a une étendue » fans folidité , que nous attri- » buons au pur efpace , du même » genre précifément que la pure » étendue dans la matière , fi » nous faifons abftraâtion de la » folidité. Il femble , ajoûte-t-il , » qu'on conlidere toujours cette » étendue foit d'efpace , foit de » matière, comme une vraie qua- » litéPhyfique également pofiti- » ve dans les deux cas , quoi qu'en j> effet , l'une ne foit qu'un vuide 3> ina&if ànotre égard , un pur » rien , & l'autre une combinai- » fon d'êtres a&ifs »• 1 [72} Vous deviez vous attendre y Monfieur^ que M. Néedham ^ non feulement dillingueroit , mais féparerok même la folidité de l'étendue : celle - ci n'étant qu'une manière dont l'ame reçoit les impreflions d'agens dont la Nature lui efl: absolument incon- nue , ne peut pas être appellée lolide. Mais ce qui détermine principalement M. Néedham à faire cette réparation ^ c'eft que l'étendue convient à î^fpace au- quel on ne peut reconnoître de folidité , parce que c'eft un pur rien; or celaniêmerenfermeune contradi£lion que vous ne pou- vez bien fentir qu'après que l'Au- teur aura développé fa penfée* ?> Par le pouvoir , nous dit-il » ailleurs, que nous avons de for- » mer par comparaifon des idées m négatives , & même de mefurer des • des quantités négatives qui, » parconféquent,paroïlîêntauf- » fi réelles que les pofitives , par- »> ce que nous ne connoiffons » rien tel qu'il eft en lui-même , » nous tranfportons ce rapport » d'étendue au pur efpace ». Je fuis obligé de l'interrompre par- ce que ion difcours eft très obf- cur. Ce qu'il dit des idées néga- tives eft tiré des mathématiques ; mais n'en eft pas tiré philofophi- quement. On connoît par ex- emple , qu'en appliquant fuçcef- fivement à droite de la ligne des abfciiïes les ordonnées , & re- montant vers le fommet d'une courbe , on arrive jufqu'à con- fondre l'ordonnée avec le fom- met, elle n'eft plus alors qu'un point: les Mathématiciens l'ap- pellent zero.Defcendant du fom- met, ils décriront à gauche des Y* Partie. O [74] ordonnées négatives , qui iront toujours en croiffant & forme- ront une autre branche de la courbe ; & ces dernières ordon- nées non feulement paroiffent , mais font auflï réelles que les pofitives. Car les mêmes chofes font négatives ou pofitives, fui- vant la façon dont nous les con- fidérons. On me doit mille livres: c'eft un bien pofitif pour moi , c'eft un bien négatif pour mon débiteur. Les élevés de deux jours en mathématique fçavent cela: mais je fuis obligé de vous le rappeller pour vous faire fentir la méprife de l'Auteur. Il conti- nue : » Une propriété phyfique » réelle peut-elle être imaginée » fubfifter dans un pur vuide , » ou Vidée de dix pouces cubi- » ques, par exemple,que nous at- » tachons à ce corps détermine, *> efl-elle rien de plus qu'un rap- î> port qui nous fait diftinguer » ce corps de tout autre ? Le *> corps difparoît , l'idée négati- *> ve a lieu ; & le même rapport refte ». Vous voyez mainte- nant la contradiction. Le corps difparoît : N a-t-il pas emporté les dimenfions? A-t-il laifle der- rière lui ces dimenfions qui font toute fa réalité ? M, Néedham ne le dit point 9 & il ne peut le dire* Il n'efi donc pas vrai que l'éten- due ait été féparée du corps ; il n'a lailfé derrière lui que le néant de l'étendue ; or détendue & le néant de l'étendue peuvent-ils être deux étendues du même gen- re, comme le dit expreffément l'Auteur : » Autrement , ajoute- » t-il , cette idée ne feroitpas la » négative de la pofitive qui nous » répréfentoit le corps abfoln [7<0 » lui-même». Nouvelle contra- diftion. L'idée ■pofitivç de ce- corps étoit toute -à- l'heure , non la repréfentation du corps abfolus mais un rapport qui nous k faifoit diftinguer de tout au- tre , & qu'il nous plaifoit d'at- tacher à ce corps ; c'eft mainte- nant la repréfentation du corps abfolu. ^termine ainfi fon rai- fonnement obfcur & embarraffé : » L'idée de toute efpace fini » n'eft-elle donc pas ainfi en- » gendrée ? Aurions-nous l'idée » de ces efpaces finis fans l'abfen- » ce & la préfence fucceflive des » corps finis ; ou l'idée d'efpace » infini eft-elle quelque chofe » de plus qu'une idée négative «engendrée par une autre » ? Il épaiflit encore ces ténèbres par un prétendu éclairciflement qui vient àla fuite des textes que nous [77] venons de rapporter ; » Si nous appercevions immédiatement » la préfence de Dieu par une » connoiflance continuelle in- » tuitive ; lî nous pouvions ref- » fentir au dedans de nous ce » qu'il eft en effet , Quod in ipfo » vivimus movemur & fumus 5 il » eft très clair que l'idée du pur 5> efpace avec tous fes attributs » s'évanouiroit à l'inftant ». Ici j'entens mieux F Auteur qu'il ne s'entend lui-même ; mais je me garderai bien de rendre fapen- Qui a pu l'engager à foutenir que le pur efpace étant félon lui déjà indiqué. Les ordonnées né- gatives d'une courbe font du même genre que les poiîtives \ & c'eft ce qui fait illulion à F Au- un pur rien , a le même genre d'étendue que les corps ? Je l'ai Diil ; « • r » îeur. Mais pourquoi font-elles du même genre? Ceft que les unes & les autres font également réelles ; au lieu que , ioit qu'il conlidere l'étendue comme une façon de connoître les corps Ioit qu il la regarde comme une propriété eifentieile aux corps mêmes , l'abfence de l'étendue d'un corps fera ou le néant d'impreffion dans l'ame , ou le néant dans l'été adue du corps. Or le néant eft-il du même genre que la réalité ? Après avoir détaché l'étendue de la matière y l'impénétrabilité de l'étendue &; de la folidité , M. Néedham croit être en état d'expliquer le myflère de la tran- fubftantiation , qu'il détruit du même coup dont il anéantit l'u- nivers. Il ne fçait pas affez que quoique nos myftères ne foient pas contraires , dans la vérité f ni à la Phylique ni à la Meta- phylique > ils ne font pas liés au peu de connoiflancés que nous avons dans ce monde , par rap- port à ces deux fciences. Nous fommes bien certains qu'il nous manque bien des principes de Phylique & de Métaphysique 5 c'en eflfaflez pour nous perfua- der que les lumières naturelles nous manquent pour expliquer les myftères. Il fuffit que Dieu: même nous les ait tranfmis par les écritures & par ta tradition y pour que nous les croyons , fans içavoir comment les concilier avec nos connoiffances naturel- les que nous ne pouvons fou- vent accorder, entr'elies* Ceft une folie de rejetter un fait qu'on nous annonce de la part de Dieu f fur ce que l'on ne le croit pa& D'w m pofïïble. Il eft arrivé paruntrart bien iingulier de la providence ? que les mêmes hommes qui trou- vent de rimpoflibilité dans le dogme de la tranfubftantiation y décident qu'il ne répugne pas que la matière puiffe penfer ; croyent qu'on peut dépouiller la matière de l'étendue , & tirent de laToute-Puiffance , les preu- ves prétendues de tous ces dog- mes inconcevables , pour ne rien dire de plus : n'eft-il pas bien remarquable que ceux qui rejet- tent la tranfubftantiation admet- tent des principes à la faveur des- quels on pourroit hafarder tout ce qu'il y a de plus incompréhen- fible 5 pendant que les Catholi- ques retiennent également & le myftère de la tranfubftantiation & les vraies notions de l'étendue: c'eft que ceux-ci fçavent qu on îie doit ni réformer la Nature fur les myftéres , ni les myflères fur la Nature. Au refte , il efl plus facile qu'on ne penfe de tirer même des notions naturelles du corps humain , certains princi- pes qui démontreroient que le dogme de la tranfubftantiation n'eft point un dogme ftupide f comme a ofé Pavancer un fça- vant* dont je pleurerai toujours la défe&ion malheureufe. Une hypothèfe qui expliqueroit phy- fiquementtout ce qui paroît dans la tranfubfbntiation de plus in- compatible avec la notion des corps y pourroit bien ne pas ren^ dre le plan fur lequel le Tout-- Puiffant a formé PEuchariftie ; mais elle ne démontreroit pas moins Pinconféquence des rai- fonnemens dont s'eft appuyé ce *■ Le P. Couray^r : trad. de Fra-Pàol^ ; Dy [82] Sçavant infortuné. Par cette hy- pothèfe on ne préfenteroit pas d'une main facrilége le flambeau au myftère ; on ne prétendroit pas même l'expliquer ; mais on prouveroit que , fi l'homme peut lier les connoiffances qu'il a de la Nature avec le dogme révélé j l'Auteur fouverain de la Phyfi- que a dans la partie immenfe de la Phyfique & de la Métaphyfi- que qu'il ne lui a pas plu de nous révéler , bien d'autres moyens d'éffe&uer ce qu'il prononce* C'en efl: affez pour juftifïer la créance de FEglife contre les imputations du nouveau Traduc- teur de Fra-Paolo , & pour con- ferver la fimplicitë de la Foi ; je pourrai dans la fuite 5 R l'oc- cafion s'en préfente % vous dé- velopper Thypothèfe dont je viens de vous parler. E*3Ï 3°. Qu'eft-ce donc que la ma- tière ? Lesfens de M. Néedham vont vous l'apprendre , car lés vôtres ne vous donnent certai- nement pas de pareilles leçons* » Je dis donc % fi la matière eft *> eflentiellement un compofé r *> comme nous fçavons- qu'elle » l'eft en effet r la feule manière » dé nous exprimer intelligible- » ment & conformément à la* » vérité y qû de la réfoudre, eo » principes Amples; ces pririci— *> pesne font pas de la matière ^ » parce qu'il ne font pas eux- & mêmes compofés ; ils ne font 5> pas non plus étendus Se divifi- bles ? parce qu'il n'ont point > dé parties ; ce font des fubflan- » ces dans lefquelles TefTence ^ & Texifïence & Paâi6nfe ter mï*r nent en dernière raifon ; par & conféqucntâls font abfolument a> individuels. Ils le combinent y> pour former des compotes » Phyiïques qui , par leurs for- » ces réunies , produifent des » impreflions fenfibles. Il y a *> donc une alternative conti- » nuelle d'a&ion & deréaftioru » l'étendue , l'impénétrabilité , » la cohélion y &c. font des idées » conféquentes à des impreflions » phyfiques produites fur ce fyf- » terne que nous appelions notre » corps r & par conféquent ré- » latives à la quantité & à la qua- » lité de l'aftion extérieure qui » les engendre 5 aufli bien qu'aux » forces du fy ftême qui les reçoit. » Tout compofé phyfique eft i> donc une combinaifon d'agens y> Amples d'une nature différente » & même oppofée. Si plufieurs » agens contraires fe réuaiflent a> enfemble pour produire en [»5] » nous l'idée d'impénétrabilité * » parce quils font effentielle5- » ment a&ifs & réa&ifs , alors » plufieurs agens peuvent con- » courir à donner l'idée d'éten- » due folide 7 phyliquement une ^> fphere folide , ou une maffe » fenfiblej &métaphyfiquement » une quantité d'a&ion complu » xe , fenfible & divifible.- • Les » premiers principes . * . doivent » être de nature très-différente j> & même oppofée ; non feuk- » ment leurs a&ions & réa&ions » mutuelles f qui > fuivant notre » manière de penfer , font autant » de point d'union & de cohé- » fion , l'exigent ; mais les effets a> diffimilaires & même contrai- » res . . . / le démontrent. Des » puiffances , par exemple -> aufli » pofées que celle d'adivité mo- * trice & de réfifhnce ^ne peu- 186] * vent peut-être pas être imagi- ^ nées fubfifter dans le même *> fujet ; mais avons-nous pour » cela pénétré intimement dans 3> la nature abfolue de ces agens ^ naturels l Rien moins que s> cela ». » Nous difons donc que cet agent eft réfiftant r ou que cet nagent eft moteur ; non que 25 nous prétendions par-là avoir » pénétré leur nature abfolue r s» ce qui ejl impojjiblc à une puif- *> fance qui ne juge que par corn- s> paraifon ; mais parce que ce » font les effets primitifs & les * plus immédiats d'une caufalité » dont nous ne pouvons abfolu- & ment avoir aucune idéedirec- » te. Il paroîtque tel eft Tordre *>■. aftuel de nos connoiffancçs r » que nous ne pouvons conce- «p voir l'agent réfiftanc comme- m » réfiftanty.fans l'agent moteur*. » ni l'agent moteur comme mo- » teur y fans, le refiftant, . . . L'i- » dée directe de réfiflanee ou » d'adivité motrice , n'eft gue~ » res plus à notre égard qu'une » idée purement négative de fort » alternative Il me femble Monfieur * qu'en vous rapportant ce très-long paf-~ fage y j'ai bien rempli mes enga«- gemens à votre égard % qui étoient de vous démontrer com- bien le fyftême de M > Néedham étoit inintelligible. Vous êtes maintenant bien convaincu par ce texte my ftérieux, que c'efl: tout ce que vous pouviez vous pro- mettre raifonnablement de moi. Faifons-en cependant une cour- te analyfe. Voilà donc à quoi fe réduit lado&rine de M. Néed- kam fur la nature des corps* [88] Leurs élémens y ceux delà matiè^ re font des fub (lances fimples dont chacun n'a ni étendue nî parties ; leurs diverfes combinai- fons forment des compofés phy~ fiques ; ces combinaifons ne font ni étendues % ni figurées y comme nous croyons les voir ? puifqu'el- ks ne font que des modes de per- ception ; mais les forces contrai- res & réunies de ces^agens dans chaque combinaifon , produi- fent des imprellîons fenfibles qui font les idées d'étendue 9 de li- gure y d'impénétrabilité , de co- kéfion. Nous appelions un corps phyfique une fphère , non pas àcaufeque, danslacombinaifon^ un des élémens étant centre , eft également diflant de tous les élé- mens par îefquels le corps eft terminé : il n'y a rien de tout cela dans la combinaifon du corps que nous appelions globe ; mais cette combinaifon eft telle 7 3u'elle excite en nous une façon 'appercevoir , laquelle eft là figure fphérique , ou une maffe fenfible. Je fçais bien que tout cela ne vous paroîtra pas fort clair , auffi ne vous le donnai- je pas pour tel. Vous ne comprenez gueres comment la cohéfion qui fait la foiidité des élémens dans la combinaifon 5 nreft cependant qu'une façon de penfer , non plus que la foiidité qui en réful- te : mais c'eft la penfée de Y Au- teur ; & pour vous en convain- cre , il fuffit que vous vous rap- pelliez que la Nature decesagens élémentaires nous eft parfaite- ment inconnue : or fi la figure , fi la cohéfion de ces mêmes élé- mens appartenoit réellement à leur combinaifon ^ nous connoî^ crions quelques-unes de leurs pro- priétés ? & ce qu'ils peuvent faire îorfqu ils font combinés ; ils for- meraient une étendue réelle , une figure déterminée ; l'idée que nous avons de telle figure en par- ticulier auroit un modèle hors de notre ame dans quelque corn- binaifon de ces élémens; l'idée de Fétendue auroit hors de notre ame un modèle dans toute com- binaifon de ces mêmes élémens fimples ; & vous avez vu , Mon- fieur y que l'Auteur eft bien éloi- gné d'admettre aucune de ces conféquences. Enfin ? ces agens nous font fi inconnus 5 qu'étant tous diftri- bués en moteurs & en réfiflans > l'idée direéte de ces deux pro- priétés 5 laréfiftance& l'a&ivité motrice ne font gueres plus à notre égard qu'une idée pure- ment négative de fon alternati- ve. Ainfi la réfiftance eft une idée négative de la force motri- ce, laquelle eft en même-tems Fidée négative de la réfiftance. Voilà certainement une idée bien bifarre & bien obfcùre. Il eft vrai que M. Néedham la ref- traint un peu % en difant que l'i- dée de réfiftance n*eft guère? que la négative de l'idée de force motrice ; mais qui devinera fur quoi eft fondée cette reftri&ion ? La réfiftance de ces élémens ne reffemble donc à rien de ce que nous voyons dans le choc des corps , la force motrice n'agit point par un mouvement inter- ne ; car le mouvement n'eft en- core qu un mode de perception % comme vous Pavez déjà vu tant de fois 5 Monfieur. - Vous ne concevez pas mieux ce qu'il dit : que V étendue , V im- pénétrabilité j la cohèjîmi y &c. font des idées conféquentes à des impreiïions phyfiques produites fur ce fyftême que nous appel- Ions notre corps. Comme nous n'avons aucune idée des combi- naifons des élémens ? qui félon lui font les corps , que ce qu'il appelle fyftême de notre corps eft une autre forte de combinai- fon qui nous eft inconnue ; nous ignorons auffi qu elles peuvent être ces impreflions auxquelles les idées qui en découlent ne ref- femblent en rien : ie ne fçais mê- me comment l'Auteur pourroit nous expliquer l'idée que nous avons de l'étendue , de l'impéné- trabilité , de la folidîté , de la cohéfion des parties de notre propre corps. Et dans le vrai , c'eft cependant danslefentiment que nous en avons que nous trou- vons un des fondemens de nos connoiflances fur l'étendue , fur la divifibilité , fur les nombres mêmes. Mais ne nous laffons pas de marcher dans des routes fi téné- breufes , & voyons fi la fuitedes nouvelles leçons de M. Néed- ham nous procurera enfin quel- que efpèce de lumière. » Il eft néceffaire maintenant , » dit-il, de tâcher de détermi- » ner ce que c'eft que la matière , » & de fixer l'idée précife qu'on » doit en avoir dans les princi- » pes de génération univerfelle » que j'ai établis. Il paroît par « ces principes , cjue la matière » eft un compoie dans lequel » un nombre d'agens fimples fe » combinent enfemble,enunif- » fant leurs différentes forces , y* non feulement pour coexif- » ter , mais pour agir conjointe- 3> ment , ce qui rend le compofé v comme une feule fubftance. De-là vient toute notion de corporéité , même la plus gé- *> nérale , ou toute l'idée que g nous y attachons : & c'eft le 4 réfultat de cette combinaifon 2> que nous appelions matière, »> Les agens fimples , lorfqu'ils » font féparés , occupent une 3> place par une a&ivité limple ; 9, mais la matière compofée oc- ?y cupe une place par la coaâivi- ^ té intimement combinée de ^ plufieurs agens , une réiiftan- 9> ce mêlée qui , en même-tems „ qu elle excite en nous une idée „ de parties exiftantes , hors ^ d'autres parties , lui ajoute cel- 3, le de folidité , d'où réfulte $2 cette idée combinée que nous >53 „ appelions étendue folide. * » • ♦ „ Difons donc y pour parler avec „ précifion , que la matière efi „ étendue parce que c efl; une L combinaifon de parties y & les „ agens réfiftans ne le font pas t „ parce qu'ils font fimples. Mais 5, quoique les agens réfijlans Jim-* , y pies n occupent point de place en „ ce fens y cependant on ne doit „ pas dire qu ils n'en occupent 1, en aucun iens ; car il y a une j7 place occupée par une (impie 5, aâivité y & il y en a auffi une „ d'occupée par une a&ivité fy combinée , & c'eft cette der- „ niere feule qui excite en nous 5> l'idée de corporéité y telle que 7y nous l'avons y & celle d'éten- ?y due matérielle. Les agens fim- 7y pies y dans notre état préfent , 3, & dans le rapport que nous 9 j avons maintenant avec l'uni- n vers , font infenfibles pour w nous , s'ils font féparés l'un „ de l'autre, parce quel'aftion & d'un feul , ou d'un petit nom* 5, bre eft trop foible pour ex- n citer en nous l'idée de leur 9, préfence ; mais Paâivité com- „ binée d'un nombre fuffifant ^excite l'idée d'étendue foli- 3, de ». Plus nous avançons , plus l'obfcurité redouble , plus les phantômes fe multiplient. Il vous femble que l'Auteur reconnoît encore ici une éten- due fubftantielle dans la matière, puifqu'en la définiffant, il y trou- ve une efpèce d'étendue ; mais quand on approfondit le paffage que vous venez de lire , on juge au contraire que M. Néedham fe tient ferme dans les principes que j'ai cru voir dans fon livre. Car enfin , les agens éléxnens de h la matière , félon M. Néedham ,: font limples , fans parties & fans étendue ; leur fubftance eft fans volume , & n'occupe point dépla- ce : leur a&ivité en occupe à la vérité , non dans l'efpace qui n'eft rien félon l'Auteur 5 mais dans le mode de perception de notre ame. Il nous a dit que l'é- tendue n eft que l'effet des ac- tions fimultanees5 & ces aâions fimultanées font celles des agens limples fur notre ame. Il nous a dit que la matière telle que nous la connoiflons ^ n'eft qu'un pur phénomène , un réfultat com- plexe & un concours de plufieurs effets différens ; parce que la con- noiffance que nos fens nous don- nent de la matière eft la même que celle qu'ils nous donnent de 1 étendue, & comme lacaufede cette fenfation > de ce mode de V* Partie, £ perception eft la combinaifon de Tadion des êtres limples ? il ap- pelle cette combinaifon matière & étendue. En effet , ces élémens ne peu- vent faire une étendue hors de nous 5 qu'ils ne foient unis , qu'il n'y ait de la cohéiîon entr'eux , qu'ils ne faffent ce qu'on appelle dans l'école , un continu. Mais ils n'ont point de furface ni fu- périeure , ni inférieure , ni laté- rale. Il implique donc qu'ils ■foient contigus ; qu'un feul étant entre deux autres , les fépare ; qu'il touche le premier par un de les côtés , & le fécond par un autre. Trois de ces élémens ne peuvent donc faire ni une ligne , ni partie d'une ligne : neuf ne peuvent faire un quarré ; 27 ne peuvent faire un cube ; multi- pliez tant d'efprits qu'il vous plaira , vous n'en ferez jamais une ligne cubique ; les élémens de M, Néedham font des êtres fimples qui équivalent à des ef- ter cette réponfe. Mais fi yl. Néedham peut fe dérober ai$ï coups que Ton por- te dans les écoles 5 aux Sénateurs des atomes , fa façon de penfer a des difficultés qui lui font pro- pres , & elles me paroiffent in- furmontables. Il reconnoît dans fes élémens fimples& inétendus 5 de la matière 3 de l'activité &' de la réli fiance. On lui dira que des êtres Amples font incapables d'a- gir les uns fur les autres. Nous ne connoiffons que deux fortes d'ac- EiiJ [102] tivité : celle de la liberté qui ne confiée que dans un choix de foi - même , inefficace dans les créatures, & réalifant infaillible- ment fes termes dans le Créateur. M. Néedham ne reconnoît ni l'un ni l'autre dans fes élémens , ainfî il ne doit point en être quef- tion. La féconde efpèce d'activi- té ne ccnfifle que dans les ïoix de la communication des mouve- mens , ou fi l'on veut , dans celles de l'attradion. Cette forte d'ac- tivité ne peut avoir lieu dans des élémens fimples : il implique qu'ils puiiTent s'entr'heurter , puifqu'il implique qu'ils fe tou- chent par différens côtés qu'ils n'ont pas : ils ne peuvent donc fe communiquer de mouvement en aucune direftion ; ils ne font fuf- ceptibles ni de lenteur , ni de viteffe , ni de repos ; car le repos ilippofe une iltuation fixe d'un de ces êtres Amples par rapport à d'autres , & le mouvement une variation fuccefiive de fituations. Or , ni un de ces êtres iimples , ni un certain nombre de ces êtres ne peut être conçu dans une fi- tuation , puifqu'on ne peut dire fans contradiction que tel de ces êtres a ceux-ci à fa droite , ceux- là à fa gauche , ceux-ci devant, ceux-là derrière, ceux-ci au delTus , ceux-là au 'de (Tous : rien ne peut les féparer , comme rien ne peut les rendre contigus ; ils font donc totalement hors de prife , par rapport aux loix de la communication des mouvemens, ou à celles de l'attraction. Il faut cependant que ces êtres combi- nés faffent une impreflion fur ce que M. Néedham appelle le fyftême de notre corps ; mais ce E iv corps même auquel nous fommes unis eft compoié d'élémens iné- tendus , indivifïbles , n'ayant ni volume ni fuperficie ; il ne peut donc être touché , ni pouffé , ni preffé par aucun des élémens des combinaifons qui lui font étrangères; fes parties ne font pas plus fufceptibles d'ébranle- ment , de mouvement , que tout le refte de la matière. Portât-on la liberté de tout imaginer & de tout avancer juf- qu'à attribuer à ces êtres fimples , l'activité propre à notre volon- té , celle-même qui ne convient qu'à Dieu feul , une aftivité qui réalife fes termes , elle ne fervi- roit de rien à ces élémens. La Toute-Puiffance même leur fe- roit inutile , puifqu'ils ne gar- dent entr'eux , ni un état fixe , ni un état fuccefïïvement varié ; puifqu'en un mot ils , n'occupent ni ne peuvent occuper aucune place les uns à l'égard des autres. Fuffent-ils tout-puiffans , ils ne pourroient ni s'approcher , ni s éloigner les uns des autres , m fuivre line ligne droite , ni dé- crire une courbe quelconque. Que devient donc cette préten- due a&ivité intrinfeque au corps dont M. Néedham & deBufïbm croient convenus antérieurement à toutes leurs obfervatioris phy- fiques ? Quelle efpèce d'aâivité pourroit être dans les corps? De: quel ufage fer oit' cette activité k des êtres qui ignorent parfaite- ment & les circonftances^ oh ils; fe trouvent r & la loi précife fur laquelle ils doivent fe régkr en. employant leur aftivité ? Toute loi humaine fuppofe une intelli- gence &■ dans celui qui rétablit ^ O<0 & dans celui qui y obéit. Mais celles de la Nature étant les vo- lontés abfolues du Tout-Puif- fant , produifent par elles-même les mouvemens quelles détermi- nent , & ne fuppofent ni con- noiffance ni volonté dans les corps qui leur font fournis. 11 paroît d'abord que M. Néed- ham pourroit aifément éluder toutes les difficultés que je viens de faire entrevoir , en fe retran- chant dans les myflères de fon fyfteme , efl une fource intarifTa- ble. Il nous diroit que Paâivité qu'il attribue à fesélémens , n'efl; ni de Tordre de celle qu'on re- connoît dans les corps , ni de l'ordre que nous fentons en nous- mêmes ; que c'eft une 3 e. efpèce d'a&ivité très éloignée de nos connoiffances ; qu'il réduit l'ac- tivité de la matière à deux force s 5 l'un expanfive ou motrice , 8c l'autre réiiftante ; qu'il ne faut pas s'imaginer que la force ex- panfive confifte dans le. „ pou- voir qu'auroient ces êtres fimpies d'étendre leurs volumes , & k force réfiftante le pouvoir de s'oppofer à cette expanfi on ; c'eil un je-ne-fçais-quoi qu'il nous efl par conséquent impoflible de définir 5 & auquel cependant nous devons attribuer comme à fa caufe tout ce que nous con~ noiifons dans les perceptions que nous devons à nos fens. Mais vous allez voir , Monfieur , qu'il ne peut avoir recours à ces faux-fuyans, puifqu'il reconnoît un vrai mouvement dans les élé- mens inétendus , en quoi il fe contrarie vifiblement. Dans un des réfultats de fou ouvrage $ car fon livre finit en E v j [io8] plus d'un endroit , il fait le pré- cis de fa doêtrine fur les élémens du monde : » Il réfulte , ( ceft à ainfi qu'il s'explique,) de tout » ce que nous avons dit. i°, Quil Ma des principes a£tifs dans » lunivers,qui produifent de leur » propre nature v cet effet que » nous appelions mouvement », Par ce premier point capital de fon fyftême , l'Auteur diftingue le mouvement du principe a£Hf 9 comme l'effet de fa caufe. Mais où le principe aâif produit-il le mouvement ? Eft-ce dans fa fubf- tance , dans l'être fimple auquel il appartient ? Eft-ce dans les autres agens de même nature que cet être fimple ? Eft-ce dans les agens réfiftans ? Nous avons prouvé que le mouvement eft impoftible entre tous ces préten- dus êtres , parce que nul être fi m- b°9Ï pie ne peut avoir aucune efpèce de fituation ; il ne peut être mu ni en ligne droite ni en ligne courbe , & n'ayant point de côté, il ne peut être dirigé vers aucun point. Il faudroit donc , afin que M. Néedham fe foutînt , qu'il regardât le mouvement , non comme réfident dans les corps , mais comme un mode de perception produit dans l'ame par les corps : Et il femble que ce foit fon idée ; car après rénu- mération de fes principes , il nous dit : » La Nature de l'agent » primitif & fa force innée , telle » qu'elle eft en elle-même , nous » font entièrement cachées ; & » les premières caufes phyfiques » dont nous pouvons avoir quel- » que idée , ne font que les pre- » miers effets des principes ac- » tifs fur nous »> Cependant il reconnoîtra bien-tôt du mouve- ment dans les principes fimples qu'il donne à la matière. Ecoutons-le : » Il y a un mi- » lieu parfaitement élaflique , & » qui n'apporte prefque aucune » réfiftance , qui eft doué d'un » mouvement inteftin continuel , » & qui, par conféquent, eft ex- » panfif en tout fens ». Un mou- vement étranger à nos modes de perception. Il explique ce milieu élaftique dans un endroit où il détermine quel eft le fujet fur le- quel l'activité innée d'un des élé- mens s'exerce. » i°- La force par » laquelle les agens moteurs & » réfiftans agiffent l'un fur l'au- » tre eft innée à chacun d'eux ; » mais pour qu'il l'exercent il » faut un fujet convenable ; & » par leur nature & leur confti- » tution, ils font feuls l'un à l'é- [III] . » gard de l'autre ce iujet convena. » bie: par conféquent, toute la » force des agens moteurs qui » environnent la fphère , (voilà » ion milieu élaftique ) eft né- » ceflairement déterminée à agir » en en-bas fur les réfiftans ; & » chaque combinaifon réfiftan- „ te prendra fa place fuivant » l'ordre de fa réfiftance ; c'eft- » à- dire , les plus expanfifs & » les moins réfiftans feront tou- » jours les plus élevés 3 tandis » que les plus réfiftans & les » moins expeniifs font repouffés » le plus loin en en-bas dans une » ligne droite, parce qu'ils obéif- » feht le moins à la force qui les » pouffe ». Par ces derniers mots il infinue que dans fon milieu élaftique, les combinaifons diffé- rentes , faites prefqu'uniquement d'élémens expenfifs , ont des [112] mouvemens en ligne courbe. En même-tems que l'Auteur attri- bue du mouvement à ces êtres iîmples , il leur reconnoît du haut & du bas , il leur reconnoît une fuperficie , puifque les expaniîfs font mus en tout fens : Or il n'y a des mouvemens en aucun fens pour un être qui n'a point de côtés différens , & dont les limi- tes ne répondent point à divers points. Il reconnoît du' choc au moins d'une combinaifon expan- ffVe à une combinaifon réfiftan- t|r, puifque celle-ci eft pouffée en en-bas par la première. Il reconnoît contre ce qu'il a pro- noncé expreflement , que cesélé- mens inétendus occupent une place , puifqu'iis en changent. Il reconnoît que l'étendue & la figure , qui ne font félon lui que des modes de perception ap- ["33 J partienent réellement, & dans un lensabfolu , aux combinaifons de ces diverfes fubftances fimples* Ce font-là tout autant de contra- dictions où T Auteur fe perd. » 3°- Il y a des principes de ré- » fiftance dans la Nature qui , » par leur propre force , s'oppo-^ » fent au mouvement , ou qui » lùfpendent cette efpèce d'ac- » tion qui le produit. Cette for- » ce eft très-grande , puifqu on » peut appliquer à fon antago- » nifte , à la force expanlive , ce » qu'on lit daris FEcrkure fur les » limites de la mer : Hue ufquè » venies , hic confringes tumen- » tes ftuEtus tuos ». On ne voit pas ce que fait ici ce palfage de l'Ecriture. On croiroit que la réfiftance confifteroit dans une contrariété de mouvement , mais on fe tromperoit ; c'eft une op-* C"4] polition au mouvement, c'eft la force d'inertie. Le moteur & le réfiftant ne feroient pas effen- tiellement différens,fi, étant tous deux également mobiles , ils ne- toient diftingués que par Pop- pofition de leurs diredions. Le caradère de 1 élément expanfif eft l'aâion , celui de l'élément réfiftant eft la réaâion. Mais ac- tion & réaâion ne lignifient point que ces élémens fe pouffent & fe repouffent mutuellement , comme on pourroit fe l'imagi- ner ; la combinaifon de ces deux forces efE toute la nature : » Que » lesagensmoteurs&réfiftans... „ viennent à fe rencontrer, alors Taélion qui étoit auparavant 3, fimple , clans chacune féparé- „ ment , & inte rieure 5 devient 9, compofée & extérieure » ; ( Vous le voyez ; bien loin de 'entre -repouffer , les deux ac- ivités oppofées des agens effen- iellemenc différens le eombi- îent ) , » ce qui eft fi néceffaire ,, pour produire des opérations h feniibles, que, fans cette inter- „ vention mutuelle , leurs diffc- „ rentes activités n'auroient au- >, cun effet: delà s'en fuivra une „ union phyfique entre les deux „ agens , ou à prendre la choie „ métaphyiiquement , une alter- ,, native perpétuelle d'a&ion & „ de réaction La figure, „ la denfité , la cohéiion des „ parties & toute différence fub- „ ftantielle r fecondaire , entre „ compofé , s'enfuivent naturel- „lement ». Si les fens difent tout cela à M. Néedham , il faut que les fiens ayent des propriétés que n'ont pas les nôtres. » 4°- ( L'Auteur continue Ion réfultat. ) „ Tous les compofés „ phyiiques de quelque elpèce qu'ils foient , ne font que des „ différentes combinaifons des ?, principes oppofés ». » 5°- Tout fe fait par grada- » tion dans la Nature ». Que conclure du réfultat de M. Néed- ham ? Que fes fens le ramènent malgré lui à la façon de penfer de tous les hommes. Qu'il admet dans chacun de fes élémens , qu'il fuppofe fimples & fans par- ties , différens côtés qui répon- dent à des points en haut, en bas', à l'orient , à l'occident ; une fuperficie , en un mot , une étendue réelle , une figure. Qu'il fuppofe que chaque élément oc- cupe par la fubftance une place , peut changer , être preffé , heur- té , chaffé , fuivant différentes diredions par d'autres élémens. C"7l Impies comme lui ; qu'enfin les nouvemens font réellement dans es corps , & ne font point feule- ment dans l'ame des façons de recevoir les impreffions de ces mêmes corps. Peut-on être plus contraire à foi-même ? Vous le fentirez encore mieux en lifant ce qui fuit : » Silacom- „ binaifon expanfive tombe fur le-corpsréfiftantenunequan- „ tité fuffifante , ou elle le re- pouffera par un mouvement „ direct , comme une balle, de „ moufquet eft repouffée par „ l'expanfion de la poudre à canon , ou elle s'infinue- „ ra peu-àpeu dans ce même „ corps, & enfin le réduira „ en fufion ; ou elle pénétrera „ dans le corps réfiftant tout-à- „ coup , avec tant de rapidité & „ en fi grande quantité / qu'elle [u8] 9, le difperfera dans un inftant 9, en un nombre infini d'ato- mes ». C'eft dans le dernier article du réfultat que fe trouve le vrai but de la doârine de M. Néedham, & Tunique fin où elle tend. De toutes les combinaifons poflibles des principes oppofés de la Natu- re , il forme une échelle d'êtres dont il eft extrêmement préoccu- pé ; c'eft cette échelle qui l'a pro- bablement engagé dans la route obfcure qu'il a fuivi. Mais les deux efpèces d elémens moteurs & réliftans ne lui fuffifent pas pour en former tous les degrés ; il établit d'autres élémens fur les- quels il infifte peu , mais qu'il gliffe fort adroitement. Voici comme il s'explique lui-même : » Toute combinaifon Phyjîque „ peut fe réduire en dernière ["$>] ?, raifon à un certain nombre d'agens fimples , dont la diffé- rente caufaflite produit ces dif- „ férens effets que nous appel- „ Ions réfijlance , mouvemens » „ fenfation , ou penfée , fuivant „ leurs différentes combinai- fons». Vous êtes fans doute furpris , Monfieur , de trouver au rang des combinaisons phyfiques , les agens fimples dont la différente caufalité a pour effet la fenfation ou la penfée. Cependant ff le fyftême de M. Néedham étoit vrai , il faudroit bien convenir que l'ame même peut entrer dans ces combinaifons ; car fx ces for- tes de combinaifons n'ont rien qui ferve de modèle aux idées que nous avons d'étendue , d'im- pénétrabilité , de figure , de di- vifibilité , de folidité ; pourquoi [120] Pame de l'homme ne pourroit- elle pas être combinée avec des êtres fimples comme elle , & avec lefquels elle ne compoferoit rien de folide ? Et fi ces élémenstout fimples qu'ils font, peuvent être contigus , près ou loin les uns des autres , s ils font capables de mouvemens , quel privilège au- roit notre ame pour fe difpenfer de s'unir à eux, & d'être afTujettie aux viciffitudes qu'ils éprouvent. Voici comment M. Néedham a imaginé fon échelle ; » Je pen- „ fois , dit-il qu'il étoit très- 5, raifonnable d'admettre une „ échelle qui s'étendroit fur toute la Nature. Les lignes d'intelligence , d^fenfation, s, de vitalité, de fîmple mouve- „ ment fe fuivent l'une l'autre 3, dans une gradation naturelle ; car li on doit croire que Por- & ganifation „ ganifation fe termine en in-» „ telligence , en fenfation ou en „ vitalité , non feulement pri- „ fes génériquement y mais con- „ fidérées dans toutes les diffé- „ rences les plus délicates, en- „ forte que chaque ligne lepa- „ rée puifîe être variée dans 9> chaque partie infenjible , au- „ tant qu'il efl poflible ; il fuit „ évidemment qu'il y a une li- „ gne dans la Nature où la fpon- „ tanéité abandonneTorganifa- „ tion? & laiffe une pure machi- 5> ne naturelle qui n'a aucune fpontanéité ». Lorfque nous parlerons du rang que les animaux occupent dans cette échelle , nous revien- drons à ce qui vous bleffe in- failliblement dans une dofîtrine auiïi monflrueufe. Il fuffit que vous conceviez maintenant que V. Partie, F [122] l'échelle des combinaifons phy- fiques renferme la réfiflance , le mouvement , la fenfation , la penfée. L'échelle de la Nature , fuivant M. Néedham , a plufieurs degrés d'exaltation : » Une échelle d'e- » xaltation , nous dit-il , graduée » avec la dernière délicatefle , » beaucoup plus exadement qu'il 3> n'efl poffible de le concevoir , » donneroit des combinaifons innombrables dans chaque » proportion requife d'expan- ^> fion & de réfiftance ». Qu'eft-ce que cette exaltation ? Vous allez l'entrevoir confufé- ment : » Les principesi d'une » combinaifon phyfique dans le » fyftême qui efl ici établi ; peu- » vent s'élever à un plus haut de- gré d'exaltation , ou s'abaifler à un état moins exalté : s'ils î> s'élèvent , l'élément engendre z> une plus grande proportion » d'aâivité motrice , & moins ?> de réfiftance ; & les parties » intégrantes ont des vibrations *> plus promptes dans de petits arcs ». On ne fçait fi dans cer- taines combinaisons l'élément expanfi f acquiert des degrés d'ex- panfion , ou s'il veut dire que dans les combinaifons où il y a plus d'élémens expanfifs que de réfiftans , la combinaifon eft plus exaltée, à proportion de lafu- périorité du nombre des pre- miers fur les féconds. Cependant il femble qu'il s'en tiendroit à la dernière explication. Il explique ailleurs plus au long les effets de l'exaltation : » L'e- é xaltation des combinaifons i> Phyfiques , ou la force dijfol-* * vante de la Nature , s'arrête- F ij 11 , t-elle preciiément à ces degrés » d'atténuation néceflaire pour » ne donner des parties analo- » gues dans chaque circonflan- » ce , que pour la flrufture des ? corps organifés ? C'eft ce que » ni la raiion , ni l'expérience » ne nous permettront de croire» » Cet atmofphère de particules » tranfpirées qui environnent » chaque corps organifé , ces ex- » halaifons qui s'élèvent des fub- » fiances animales & végétales » infufées, & qui s'atténuent de » plus en plus , à mefure qu'elles » s'en éloignent , font voir évi- demment que les particules font » fufceptibles d'une plus grande » exaltation que celle qui 'eft né- » ceiTaire pour qu'elles foient » affimilées dans quelque partie » fpécifique d'un corps organi- » fé , ou pour qu'elles pénètrent C»5] » auffi loin que les parties înte- » grantes d'une fubftance moins » exaltée. Ceft donc dans cette » échelle que font contenues les, » puiffances de chaque combi- » naifon phyfique ; car les com- » pofés matériels peuvent -être » confédérés, ou lorfqu ils séle- » vent 9 par une décompofition » continuelle , à la puilîance la » plus exaltée , ou Torfquilsdef- » cendent , par la compofition , » à celle qui Pefl le moins , corn- » me paffant perpétuellement » d'un état à un autre , & con- » tenant une gradation d'élé- » mens ou de combinaifons. Les différens degrés de cette échel- » le peuvent donner les qualités » de chaque efpèce d'aliment ; ... » en un mot , tous les élémens » qui jufquici ont été obfervés » dans la Nature , Téther éiafti- F iij » que lui-même , où fe trouve » peut-être la plus grande pro- portion d'aftivité motrice » avec le moins de réiîftance. » Danscet élément, la combinai- » Ion elt probablement lîmpli- » fiée autant qu'elle peut l'être » par les puiffances de la Nature , « & la matière prefque réduite à » les premiers principes. Il y a » heu de croire qu'il en eil de „ même dans lemicrofeope , où „ le corps animal , où cette gra- „ dation doit -être nécefïaire , 9, pour qu'il puiffe naturelle- „ ment s'unir à cet agent par- „ faitement fimple , le principe „ fenfitif ou intelligent ». Je ne yous ai pas cité ce texte un peu long pour vous l'expliquer , mais pour vous convaincre de toute l'obfcurité dont le fyftême de M, Néedham elt enveloppé. dans les endroits même ou il s'eft plu d'avantage à l'expliquer. Tout ce. que je puis recueillir de ces détails de M. Néedham , c'eft qu'une combinaifon phyfi- que eft caraftérifée par les dofes d'élémens expanfifs & réfiftans qui y entrent. Chaque combinai- fon produit dans chaque partie un genre particulier d'ofcilla- tions. » Les combinaifons dont » les parties intégrantes font » leurs vibrations avec une égale » vitelTe dans des arcs égaux » , ou à peu-près , font fimilaires ou aflimilablea. «Car, dit-il, elles » tendront naturellement à fe » réunir par l'harmonie de leur » adion mutuelle l'une fur l'au- » tre ». Il paroît confondre ici l'harmonie avec l'uniffon , ce qu'un muficien ne lui palTeroit pas. 5>i vous voulez vous former une idée de cette dernière doctrine , n Allez pas vous repréfenter plu- fieurs pendules iïmples faifant leurs vibrations avec une viteffe arcs égaux. Car s ils venoient à fe rencontrer , ils le repoufferoient & leurs mouve- mens feroient troubIés. à moins qu ils ne s'uniffent au point pré- cis où lesarcs de leurs ofcillations hmffent. Et fi au contraire , l'un d eux décrivant la partie de fon arc a gauche , l'autre décrivoit ja partie du Tien auflî à gauche leurs mouvemens fubfifteroient en paix ; mais dans aucun cas on ne concevroit point comment l'é- galité de leurs ofcillations les obligeroit de fe mêler, défaire un tout. Vous pouviez vous faire une image plus convenable , en comparant aux mouvemens du I>9l cœur , en concevant toutes les parties intégrantes d un corps , comme ayant le même genre de fiftole & de diaftole. Mais cette image qui eft la feule à mon avis qui puiffe exprimer la penfée de M. Néedham , ne vous aideroir point encore à comprendre com- ment il réfulteroit de ce mouve- ment de fiftole & de diaftole , que les parties fe rencontrant , pufie fe mêler enfemblent. Et d'ailleurs comment concevoir un mouvement de fiftole & de diaftole dans un élément qui , étant fans fuperficie , & dans l'impoflibilité de fe raréfier ou de fe condenfer. Dans un autre endroit , il rap- porte rajfimilation , non à l'har- monie , mais à une proportion ; & ce paflage eft très-important , puifqu'il nous apprend ce que- F v M. de Buffon enrend par ajfimi- lation. » Pour entendre parfaite- » ment cette conféquence » ( le mélange de deux combinaifons prévue femblables , ) » d'où „ dépend la nature de la nutri- „ tion & de l'affimilation de fubftance , confidérons une gradation de iîx conbinaifons „ qui foient entr'elles en une parfaite proportion , la moins „ exaltée , de cohéfion & de ré- „ fiftence prédominante ; la plus exaltée , de fubtilité & dadivi- „ té motrice : Je dis que fî la fixième & la plus exaltée , efl à la cinquième en activité mo- „ trice , ce que celle-ci lui eft en ,., réfiftance ; elles s'incorpore- „ ront par leur aclion & réac- „ tion mutuelle, & engendre- „ ront une nouvelle combinai- 5, fon dans laquelle chaque par- „ ticule , par exemple , n'aura „ que la moitié de réfiftance , ou „ la moitié d'adivité motrice „ que les deux fubftances avoient „ auparavant ». C'eft-à-dire : quelles auront une nouvelle ef- pèce de fiftole & diaftole. Con- cevez maintenant , fi vous le pouvez , comment cela fe peut faire phyfiquement. Je ne le fui- vrai pas plus loin de peur de vous ennuyer ; ce peu fuffit pour vous faire entrevoir ce qu'il entend par ajfimilation , foit dans la nu- trition, foitdans la génération des animaux. 4°. Nous fommes arrivés in- fenfiblement à la dodrine de l'Auteur fur les animaux. Il les diftribue , comme vous l'avez vu, en deuxclaifes. En machines na- turelles, ( ce font les animaux obfervés par Leuvenhoek , & d autres venus de la corruption , qu'on voit au microfcope , & qui n'ont point de fpontanéité , ) & en animaux proprement dits. Ceux-ci ont , fuivant M. Néed- ham , une ame diftinguée de la machine. Il faut l'entendre lui- même : » Le Lecteur peut fe rap- 5, peller que parmi plufieurs au- & très obfervations que j'ai rap- portées dans cet effai fur les „ infufîons animales & végéta- les , quelques fubftances fui- „ vant les puifîances & les pro- portions de leurs principes , ^ donnoient des décompofitions ?, d'une nature plus exaltée que d'autres ; que les fubftances originaires elles-mêmes diffé- „ r oient les unes des autres, fui- „ vant les différentes propor- tions de réMance & d'aftivi- „ té motrice j que leurs différai- , tes produaions , raffemblées , fous un point de vue >don- , noient une échelle d'êtres , , dans laquelle les fpontanés qui „ font à la tête de cette échelle , ^ defcendoient jufqu'à de pures „ machines naturelles ; que la „ faculté qu'avoient ces êtres de fe mouvoir en toute dire&ion „ fe réduifoit peu-à-peu au mou- vement ofcillatoire , & que par „ conféquent , l'organifation fe fimplitioit continuellement : „ enfin, les plus fimples dans leur faculté de fe mouvoir , à „ mefure qu'ils décroiffoient en ,,'maffe , croiffoienten viteffe ». Concevez-vous , Monfieur , comment des machines naturel- les produites par la décompofi- tion & l'exaltation des parties des animaux , étant des machi- nes plus fimples &c moins combt- nées , doivent pourtant occuper dans cette merveilleufe échelle un rang au defïbus des animaux. Suivant l'Auteur , c'elt l'exalta- tion qui régie le degrés en mon- tant ; la décompofition d'un ani- mal par la corruption donnant des combinaifons plus jfimples , ces combinaifons devroient-être à des degrés plus élevés que le rang des animaux , fi j'entens bien les principes de M. Néed- ham. Ces idées d'échelle , de nuances imperceptibles de la na- ture frappent par leur nouveauté, elles font riantes , mais elles ne font pas heureufes ; quand on les approfondit & qu'on les compa- re aux objets que l'on voit dans l'univers, on s'apperçoit qu'au lieu d'y mettre de l'ordre , elles brouillent tout. L Les machines naturelles n'ont , t>353 \ . félon M. Néedham , que la vi- talité animale. Cette vitalité eft toujours fupérieure d'un degré à la végétation. Mais cette diffé- rence n'eft guère fenfible, quand on a faifi la définition de la vita- lité telle qu'il la donne en géné- ral & en ces termes : » La (impie »> vitalité , dans la plus grande » proportion imaginable , telle » qu'on Fobferve dans les végé- » taux , ou dans les animaux du » dernier ordre , dont la combi- » naifon vitale eft divifible fans » deftruaion , peut-être le ré- » fultat de la feule ftrufture , - » fuivant les principes que nous » avons établis , & une propriété » phy fique de la matière aâive » . En admettant cette définition , on eft fort porté à penfer que la vitalité dans une anémone fimple eft bien fupérieure à ! ce qu'elle eft , dans ces petites ma- chines naturelles que M. Néed- ham a vu au microfcope , & dont toute la vitalité fe réduit , félon lui , au mouvement d'of- cillation. Que de mouvemens ad- mirables pour produire les feuil- les , la fleur , les graines , les étamines ! On ne peut donc s'em- pêcher dé juger que la vitalité dans l'anémone fimple , quoique réduite à opérer la feule végéta- tion , doit occuper un rang fort au deifus de la vitalité des ma- chines naturelles, dont M. Néed* ham fait une clafle à part dans le genre animal , & au deffus du fimple Végétal. Il donne aux vrais animaux un principe fupérieur à la vitali- té : » Il y a , dit-il , un degré » d'organifation , ou de combi- *> naifons fi complexes y qu'il » faut un agent fpontane pour » gouverner & diriger leurs » mouvemens ». Et plus bas : »La même échelle d'aaivité » fimple établie par Dieu , d'où » nous tirons les premiers prin- s) cipes de cette combinaifonvi- » taie , l'agent moteur & le ré- » fi liant , renferme & préfente » l'agent fenfitif& intelligent , » comme naturellement uni au » moteur , par tout où les loix » établies par le Créateur deman- » dent cette union naturelle ». Voilà , Monfieur , comment tou- te combinaifon phyfique peut fe réduire en agens jimples dont la différente caufalité produit la réfiftance , le mouvement , la fenfation, la penfée ; comment Vorganifationfe termine en intel- ligence , en fenfation , en vitali- té. Quel jargon ! N'eft-ce pas 1 vouloir replonger la Philofo- phie dans les ténèbres , d'où tant de Sçavans modernes ont elfayé par leurs veilles de la tirer. Sufpendez encore votre juge- ment. L'Auteur diftingue Pame , de fes principes agens & mo- teurs ; & quoiqu'il appuyé cette diftin&ion fur des fondemens bien foibles , & même très-dan- gereux , il fuppofe néanmoins. Voici ce qu'il en dit dans une note : » Quoique les principes „ d'un compofé matériel foient ?> en eux-mêmes des agens fim- jp> pies , auiïi-bien que les fenfi- „ tifs ou les intelligens , ils font „ d'un ordre inférieur. Ils font „ aftifs chacun dans leur genre : mais leur a&ivité diffère effen- tiellement de celle qui eft fen- „ fation ou penfée , O ne fuppofe il pas k moindre degré de con- Î*$9Î „ noijfance. Combinez a votre „ gré des puiffances inférieures , „ la réfiftance & l'adivité mo- trice , il n'en réfultera jamais ni penfée , ni fenfation „ La fenfation & la penfée qui „ renferment néceffairement la Spontanéité & la réflexion , ne peuvent dépendre que d'un „ agent fimple indivifiBle , & „ d'une nature bien fupérieure „ à la limple activité motrice. „ Si l'agent réfiftant & le mo- „ teur différent effentiellement „ l'un de l'autre , & font d'une nature entièrement oppofée , „ le fenfitif & l'intelligent font encore à plus forte raifon d'u- ne toute autre effence. Dans . . les générations phyfiques , la „ vitalité , la fenfation , la pen- „ fée , fe fuccédent Tune l'autre régulièrement , & paroiffent [140] „ fuivre dans le même ordre , j> comme une conféquence im- 9, médiate de la fimple organi- „ fation. La raifon en eft évi- dente. Aucun agent foit fen- •t, fitif ou intelligent ne peut dans „ kfyjlême prefent de la Provi- ?, dence , exercer aucune facul- 9, té que d'une manière dépen- 5, dante de la combinaifon ma- „ térielle , à laquelle il eft uni ». Il avoitditexpreffémentaucom- cencement de cette note : » Le „ compofé naturel ne peut in- ?, fluer fur la penfée ni fur la fen- „ fation, qu'autant qu'il fertoc- ?, cafionnellement à l'exciter j, dans des agens qui font d'une s, toute autre nature que la fien- ne ». Ailleurs, en expliquant favo- rablement le fyftême de M. Po- pe , il fe demandoit : » Qu'eft-ce „ donc que l'homme confideré , , fous le rapport qu'il a avec tous „ les êtres ? C'eft une combinai- ri fon de différentes puiffances •h rationnelles, fenfitives & vé- „ gétales ; un certain fyftême „ d'efprit & de matière combi- „ nés fi diverfement , qu'il n'y a , r pas deux hommes parfaitement „ femblables ; cependant ces dif- „ férencesn'affe&entpasl'efTen- „ ce humaine oui > dans tous les „ individus, eft toujours la mê- ?> me »• Au premier coup d'œil , la doârine que l'Auteur vient d'ex- pofer paroît irrépréhenfible. La diftin£tion de lame & du corps > à la vérité , n'y eft pas prouvée , mais elle y eft clairement énon- cée- On eft difpofé à penfer qu'il faut rabattre des exprefïions dont on a été alarmé , & que [142] lorfqu'il a dit que l'organifation le termine en intelligence , en fenfation , en vitalité , il a voulu dire qu'une certaine organifa- tionfert occafionnellement à ex- citer l'intelligence & la fenfation dans desagens bien difFérensde ceux dont le corps organifé efl compofé. Après avoir pris ces difpofitions favorables pour lui , on ne le fuit pas de fort près dans ce qu'il enfeigne fur la Na- ture des ames des bêtes : c'eft une opinion philofophique. D'ail- leurs, il diftingue l'ame des bêtes de celle des hommes , de la même manière que le faifoient tous les Philofophes avant M. Defcartes. Il oppofe l'état de notre ame après la mort à celui de l'ame des bêtes. Il fe fait cette objection : 3> Si nous leur accordons ( aux „ bêtes) un principe fenfitif , „ quoique fort inférieur à la raî- „ ion, ils ( les Cartéfiens) nous „ demanderont peut-être ce que „ devient ce principe après la „ mort ; ne fer oit-il pas immor- „ tel comme notre ame ? Point „ du-tout ; il eft indeftruâible , „ comme les parties & les prin« „ cipes de la matière , jufqu à-ce 5, qu il plaifeà Dieu de les anéan- „ tir , mais non pas immortel : l'immortalité à leur égard , „ fuppofe une continuation de „ la vie fenfitive , & cette vie ?, une connoiffance fenfitive ; „ mais une fimple connoiffance " „ fenfitive ne peut être fuppofée „ fubfifler après la mort & une „ totale deftruëtion du fenfo- „ riurti j tandis que Famé intel- „ le&uelle acquiert des connoif- „ fances entièrement nouvelles , „ s'exerce fur des objets tout au* , 0443 » très qu auparavant , & procède » dans fes opérations d'un ma- »» niere différente. La raifon & » la Religion le prouvent ; & il » eft de la dernière évidence que » notre état n'eft ici qu'un état » paflager , un état d'épreuve. . . » Lesanimauxaucontraire,n'ont » rien en eux qui indique la » moindre élévation au defïus » d'une, vie purement fenfitive, » par conféquent , leurs ames , » quoiqu'indeftruaibles , meu- » rent en devenant infenfîbles , » lorfque le corps fe diûout ; & » fe mêlent avec les principes « communs de la matière » . Quel rang y tiennent-elles ? Je fuis très-intimement perfua- dé que la nouveauté de la doc- trine du Philofophe n'altère en rien la fimplicité de la foi de M. Néedham ; il n'eft pas poffible de de méconnoitre dans fon livre un cara&ère de probité & de bonne foi , qui doit écarter juf- qu'au moindre foupçon: cepen- dant quelque porté que je fois à croire fes intentions très-bon- nes , je ne puis me difïïmuler que les Matérialiftes peuvent abufer de fes expreflions 9 fi on les dif- cute à fond. Si j'avois lieu de pen- fer que ces Meilleurs n'y prif- fent pas garde 9 je fer ois bien fâché de le leur faire apperce- voir ; mais il font trop attentifs à tout ce qui favorife leur manière de penfer , pour négliger plu- fleurs traits deja do&rine de l' Auteur , dont ils peuvent tirer parti. Ainfi je préviendrai le mauvais ufage que ces Meilleurs fer oient des principes de M. Néedham ; peut-être même les empêcherai- je de s'en prévaloir j ¥* Partie, G l*¥3 . & de la manière dont j'ai rendu ces principes , je ne crains point .que les Matérialiftes foient tentés de les adopter. Le premier reproche que je fais à M. Néedham , c'eft que quelque différence qu'il mette entre notre ame & les immaté- riels de la matière , il ne peut prévenir que notre ame elle-mê- me ne puiffe être conçue dans fon fyftême comme un élément du corps ; car 3 fuppofé que la matière ait une vraie étendue compofée d'élémens inétendus r des ames feront aufïi propres à faire un pied cubique de matiè- re , que ces élémens ; & fuppofé que la matière n'ait aucune éten- due , & qu'elle foit limplement la caufe d'une façon de penfer qui efï l'étendue , comme je pré- iume que l'Auteur le croit 7 les oames 'humaines peuvent-être des élémens de la matière. M. Néed- ham convient que Famefenfitive des bêtes eft d une nature très- différente des élémens de la ma- tière ; cependant il dit que leurs ames , après leur mort , le kêlent avec les principes communs de la matière. Or lî ces principes en- trent dans une combinaifon d'à- gens réfiftans & moteurs , n'eft- il pas vifible que la combinaifon en fera augmentée 5 & comme cette combinaifon eft le corps , félon M. Néedham 5 le corps fera donc plus grand 7 il aura plus de réalité. L'ame de l'homme eft , félon M. Néedham , privée du fenti- mzixt de fon être , dans un fom- meil profond, dans la léthargie^ fi celle des bêtes , privée de, fen- fibilité 5 eft par cela même fenfée G ij . [148] mourir 5 comme le dit expreffé- ment M. J\Téedham , notre ame eft donc morte dans le profond fommeil & dans la léthargie. Elle eft alors parmi les éiémens de fon corps ce qu'eft lame de la bête parmi les éiémens de la matière. Elle ne fert plus qu'à grofïir la çombinaifon des éié- mens fimples & immatériels dont fon corps eft formé. Auffi appelle-t-il une combi^ naifon , l'union de Famé & du corps: Vous l'avez vu dans la définition qu'il donne de Thom- me. Ceft , félon lui > un fyjléme fîefprit & de madère combinés diversement. Et cette çombinai- fon eft fi diverfifiée f, qu'il n'y a pas deux hommes qui fe reffem- blent. Comme la dofe différente de principes réfiftans & de prin- cipes moteurs > fait toute la diver- fité des corps , de même fembîe- rok-il à l'entendre , que des dofës diverfes de puiffances inteliec- tuelles,fenfitives&végétales,caù~ feroient toutel adiverfké qu'on en apperçoit entre les hommes , par rapport à leurs degrés d'intelli- gence & de fenfibilité. Sans dou- te , il ne prend ces différences entre les hommes que du côté de celle des organes, occafions des développemens des puilïances intellectuelles ; auquel cas il n'eil repréheniible que fur la manière dont il s'eft exprimé. Il s'expli- que fur ce point dans un texte que j'ai cité , de façon à lever toute équivoque ; mais on pour- roit tirer de fon fyftême toute au- tres iriduâions. Car dès qu'il éta- blit que les élémens de là matière font tout auffi immatériels , tout aufli fimples que l'ame de l'hom- G iij «le , & qu'il dit que la combi- naifon de ces principes fimples font la matière , on ne voit pas pourquoi lame humaine ne pour- roit pas être combinée avec ces principes inétendus , ni pourquoi elle naugmenteroit pas la com- bmaifon matérielle , & ne feroit pas pour quelque chofe dans la machine du corps humain. Son fyftême conduit donc à prendre à la lettre ce qu'il a dit , que rorganifation fe termine en in- telligence , en fenfation , en vitalité. Je lui reproche en fécond lieu de fuppofer la préexiftence de nos ames à nos corps , Porfqu'il dit ce que j'ai déjà rapporté » .La » même échelle d'activité fimple » établie par Dieu renferme « & préfente l'agent fenfitif & » intelligent , comme naturelle- » ment uni au moteur , par-tour » où les toix du Créateur deman- » dent cette union naturelle », Puifque l'échelle des êtres ren- ferme l'agent fenfitif & intelli- gent, l'agent intelligent n'efl donc pas créé > non plus que-i'a-- gent ieniïtif , au moment^ où le fœtus p^rend vie. L'un & l'autre- exiftoit dans les élérjiens du mon- de ; il en étoit donc un élément.- Je fuis bien perfaadé qu'en cette occafion , comme en une infinité d'autres , l' Auteur n'a pas pefé fes termes ,.& qu'il eft fort éloi- gné de croire la préexiftence de nos ames ; mais ce qu'il n'a pas penfé , fon texte femble le dire trop formellement. Je lui reproche en troifième lieu d'autorifer le dogme favori des Matérialiftes : que tout périt à la mort. Ces MefTieurs, je l'ai G ht deja obfervé , ne fe fatiguent point à rechercher quelle eft: précifément la nature de lame : qu'elle foit matérielle ou fpiri- tuelle , peut leur importe , pour- vu qu'il n'y ait ni biens à regret- ter , ni miferes à fouffrir après la mort. Ainfi M. Néedham , en s éloignant des Matérialiftes le plus qu'il lui étoit poflîble , favo- rife contre fon intention leurs funeftes intérêts. Mais heureufe- ment il tombe dans une contra- didion évidente , en établiffant d'une part , que l'ame des bêtes indeftruaible de fa nature , dif- fère des principes immatériels de la matière , en ce qu'elle eft ef- fentiellementfenfible ; & de l'au- tre , qu'après la deftruaion de la machine , cette même ame eft: incapable de fentiment. N'eft-ce pas dire qu'elle eft effentielle- mentr& par fon propre fond, ca- pable de fentiment ; & cme par elle-même , par l'aâivité de fon principe intérieur , elle eft inca- pable de fe fentir exifter ? N'eft- ce pas dire le pour & le contre ? Cette ame , après la mort, du corps, meurt ; elle eft confondue avec les élémens de la matière: ; elle n'en diffère donc pas effen- tiellement , ou elle a perdu fon effence. M. Néedham répliquera que cette ame peut recevoir du Créa- teur le fentiment de l'être , & - qu'un élément de la matière ne peut recevoir ce don précieux.. Ce dernier point eft très-vrai ?, & démontré en rigueur y comme vous l'avez vu , Monfieur ,.fi cet élément eft effentiellement com- pofé de parties : mais s'il n'en a point , s'il eft tout auffi fimple que notre ame , de quel droit l'autre prétendra-t-il que Dieu même ne peutpas lui faire fentir fon exiftence ? Cet être a fon in- dividualité indépendemment de tout autre , pourquoi feroit-il néceffaire qu'il fût joint à un au- tre être pour fentir cette indivi- dualité ? Seroit-ce que Dieu ne pourroit agir fur lui fans Tinter- pofition d'un autre agent créé l Cette fuppofition feroit égale- ment déraifonnable & injurieufe au Créateur. Que M. Néedham diftingue donc autrement l'ame des bêtes des élémens qu'il prête à la matière ; qu'il dife , s'il le peut , que l'ame des bêtes fe fent effentiellement exifter , mais que différens modes d'exiftence font occafionnées en elle , par Pétat de ce qu'il appelle le fenforium* Après la deftruâion du corps > Ci 551 ; elle pourra, faute d'erré unie à des organes r ne recevoir aucu- ne façon d'être du dehors ; mais elle fentira fon individualité pri- vée de tout commerce % fon état aduel d'inanition» Voilà ce qu'il auroit pu dire de plus raifonna- ble. Si la prétention de l'auteur fur l'état de l'ame des bêtes après h mort 5 étoit tant foit peu fou- tenable T. les Materialifles ne manqueroient pas de l'étendre m l'ame dès hommes. Ils réuni- fient les prïncipesde M. Néed-- ham. L'homme 5 diroient-ils r efl unecombinaifon de plufieurs puiffances rationnelles r fenfi- rives & végétatives. La derniè- re de ces puiffances étant innée dans les principes aâifs de la matière 7 feroit détruite avec la Biachiae i la.puiflance fenfirive [i5*3 feroit inutile & fans fonaions, par la deftru&ion du fenforium* La première puiffance ne feroir non plus d aucun ufage , puif- que les connoiffances en font l'objet , qu elles viennent des fens , & que le fenforium étant détruit , il n'y auroit plus de fens. D'ailleurs y ajouteroient- ils , l'ame de l'homme doit - être après la mort , ce qu'elle étoit dans l'échelle des êtres , avant la formation de la machine à laquelle elle efl unie ; car aucun agent fènjitif ou intelligent ne peut, dans le fyftémepréfent , ( le feul , diroient-ils , dont nous ayons naturellement connoif- fance ) exercer aucune faculté , que d'une manière dépendante de ta combinaison matérielle à la- quelle il ejl uni. La foi parle autrement j il eft vrai \ mais il s'agit ici de pur raifonnement y c'eft affez pour nous qu'on ait befoin d'une révélation , pour établir que nos ames ont des fentimens & des connoiffances après la mort ; & qu'elles y font fufceptîbles de bien & de mal. Il pourroit relier une reffource à: M. Néedham qui y à la vé- rité, ne ferviroit pas à juftifier Ses idées , mais accableroit pour- tant les Matérialiftes ; qui fe- roit de dire : il eft vrai que dans mon fyftême on a befoin d'une révélation pour nous prou- ver que nos ames font fufcepti- bles & de mifere & de bonheur après la mort ; mais il en fau- droit auffi une pour nous dé- montrer que cela n'eft pas , 8s pour nous procurer une parfai- te fécurité fur les fuites de la mort. Cette fécurité fait tout no~ sre intérêt. Vous devez rougir de cet intérêt ; fi votre conf- eience dont vous voudriez pou- voir étouffer les remords ,. ne vous reprochoit rien vous ne feriez pas tant flattés de cette infenfibilité à tout bien & à tout mal %. en perdant votre corps. Mais nous fommes dans cette vie ce que Dieu veut , 8c dans l'autre ce que Dieu voudra. Si vous avez befoin d'un fenforium pour être fenfibles, ne méritez- vous pas qu'il vous en donne un t M vous faut des démonltrations pour vous déterminer à vous mettre dans la voie de pofféder Dieu ; vous font-elles donc inu- tiles pour vous prouver à vous- même qu'il n'y a aucun rifque à vivre comme vous vivez , & qu'un malheur éternel ne fuivra pas l'abus qm. vous avez fait du / tems cTépreuve qui vous a été donné ? M. Néedham a abandonné le fyftême de M. [de Buffon fuir l'ame des bêtes ; car celui-ci ne leur donne pojnt d'ame, & le premier croit Qu'elles en ont mais il la fuppôfe telle qu elle ne leur fert de rien. Il en ex- plique ainfi la Nature i » Les » Péripatéticiens qui ont eu juf- » qua ces derniers tems > un em~ » pire abfolu dans les écoles*. » foutenoient que Famé désbê- » tes étoit matérielle , mais non » pas matière. Si ces mots ont n quelque Cens y ils fignifient \> que rame des bâtes eft imma- » térielle dans fon efîence % » mais totalement dépendante » de la matière pour fes opéra- rions 5 comme absolument 8c, & effentielîement incapable c^e s'élever jamais au moindre » aâe de connoiflance intellec- » tuelle ». Il eft étonnant que cette opinion ait encore quel- que crédit dans notre fiécle. Elle naît vraifemblablement d'un préjugé auffi enraciné dans notre ame , que la créance de Pexiftence des couleurs fur les objets & de la douleur dans les parties affligées de- notre corps. Mais quand on vient à exami- ner ce préjugé y on voit qu'une ame néceffitée & purement paf- five y eft une propriété fort inu- tile dans la machine ; on fe trouve donc tenté daller au-de- là 5 & de donner aux bêtes une ame auffi libre & auffi intelli- gente que la nôtre. Mais le mê- me préjugé qui nous a conduit là, réclame fortement contre ce que nous y avons ajouté 7 Sç [x6i] / nous voyons que l'étendue que nous lui avons donné , bleffe également & le fens intime & la religion* M. Néedham- appelle cette ame des bêtes qui eft purement paiïive, un agent , & par-là , il entend qu'elle eft active par un principe intérieur : or ces deux chofes impliquent ; car fi elle eft purement paflive , fon pré- tendu principe d'aâivité eft tou- jours employé par une caufe ex- térieure ; il eft donc en même tems aftif & inaâif. Il la carac- térife encore en difant qu'elle eft incapable de s* élever jamais au moindre degré de connoijjan- ce intellectuelle ; cequieft enco- re abfolument infoutenable : car dès quun être fent fon exiften- ce , il peut alors avoir des con- noiffances intellectuelles 5 il eonnoît l'être, il aime le bien- être ; il hait la douleur ; il ef£ indifférent pour tout eequi ne contribue ni aie rendre heureux y ni à le rendre malheureux. Les objets de toutes ces circonftan- ces ne font-ils pas intellectuels ? Ne trouvera-t-on pas même le germe de la liberté dans cette indifférence où feront les bêtes pour tout ce- qui les affe&e fans les intéreffer ? N'ont-elles pas des connoif- fances abflraites ; fî elles ont une ame l Non % difent les Péripa- téticiens ; elles n'ont de con- noiffances que de leur état par- ticulier , que des objets parti- ticuliers. Quoi ! Si la bête a faim % elle defire telle nourriture par- ticulière. Le chien affamé defi- re ou du pain blanc ou du pain bis r tel pain numériquement, j; le loup délire r non en général de trouver un agneau tel qu'il foit , mais tel agneau en par- ticulier. Elles n'ont point de connoif- fances abftraites ; mais tous leurs defirs fe terminent ( diront- ils ) à tels objets en particulier* Voyent-elles donc le numéri- que des corps que nous ne con— noiffons point î Auroient - el- les un fi grand avantage fur nous ? Ceft ce qu on ne peut- dire. Si elles voyent comme nous r tout ce qui leur paroit exis- ter ne leur eft donc connu que précifion faite de l'état numéri- que & individuel de l'objet ; elles ont rpar conféquent, lesfonde- mens de toutes nos abflxa&ionSe Leurs fens , par conféquent , ne repréfentent les chofes que d'une manière arbitraire t générale & eoniequemment fpirituelle. Elles voyeht les corps comme nous , fuppofé qu'elles ayent une ame ; c'eft-à-dire , quelles n'en voyent point les grandeurs ab- solues y mais les limples gran- deurs relatives. Or la connoif- fance des rapports n'eft-elle pas fpirituelle ? On fera donc forcé de reconnoître que ces ames ef- fentiellement incapables de con- noiffances fpirituelles y ont néan- moins de telles connoilfances. Tout ce qu'on pourra dire de mieux rc'eft quelles font, par leur nature , incapables de réfle- xion. Mais qu'eft-ce que réfle- xion ? Cefl une attention telle- ment fixée à un objet , qu'on en faififle tous les rapports ; c'eft une vue de cet objet foutenue pendant un certain teins; Or ces ames ont des idées univerfelles ; ces ames connoiflent les rap- ports , & vous voudriez que Dieu leur eût donné une telle manière d'être , qu il ne pût lui-même les rendre attentives à leurs connoif- fancesfpirituelles , & qu elles ne puffent fentir les rapports? Elles connoiflent le numérique de leur ame., & ne connoilfent pas le numérique de leur corps; & vous voulez que Dieu ne puiffe les ren- dre attentives à deux connoif- fances fi différentes , ni leur faire diftinguer leur amedeieur corps; en un mot , vous prétendez qu'il a créé des efprits qui n'ont aucune des propriétés effentiel- les à des efprits ? Le préjugé nous porte à croire , que les bêtes ont des ames qui différent totalement des nôtres* J^a raifon démontre que ce pré*- jugé eft faux. Nous ferions ten- tés de leur donner des ames telles que ks nôtres ; ce fécond préju- gé révolte. Or, ces deux préjugés à l'écart, il ne refte plus rien qui ■piaffe prouver que les bêtes ont des ames. Une ame intelligente & libre dans les bêtes n'y pourroit fervir qu'à fournir au Créateur des occafions de produire des mouvemens libres dans la machi- ne: or ces occafions pourroient êtres prifes immédiatement de la machine. Dieu eût pu mettre des occafi ons dans le plan de leur cer- veau , fur lefquelles il devoir pro- duire tel mouvement libre , quoi- que ces occafions n'euffent pas plus de rapport avec ce mouve- ment libre , que les lettres en ont par elles-mêmes avec nos idées , ou que certains coups de baguet- tes fur un tambour en ont avec des évolutions Militaires. Il faudroit prouver Fimpoflibilité de cette fuppofition , ce qui n'eft pas à craindre 9 pour juger ii Ton ne peut pas dire dans ce fens que les bêtes ont des ames libres» Vous pardonnerez cette digref- fion , Monfieur 5 à la crainte que j'ai que les Matérialiftes ne con- cluent , de ce que les Péripatéti- ciens ne peuvent donner une ame aux bêtes qui foit effentiellement différente de la nôtre^ils en con- cluent , dis-jé , quelles en ont une de même efpèce. Je reviens à mon objet, M. Néedham trou- ve que les cervaux des animaux font des machines très compli- quées , qu elles ont befoin d'une ame pour les gouverner , & ap- paremment d une ame plus inf- truite du plan du cerveau auquel elle eft unie , que les nôtres ne le font du méchanifme de leur corps* Ce befoin eft bien plus preffant 9 puifqu'il s'agit de conftruire la machine ; car ces machines font des chefs-dœuvres de fageffe. Selon M. Néed- ham y elles font l'ouvrage du con- cert des agens moteurs & refit- tans combinés. Ces agens n'ont pas le moindre degré de con- noiflance ; ils ignorent totale- ment les vues fur lefquelles la machine doit être formée , à quoi elle fera propre , & pour quelle part chacune doit être dans fa conftruftion. Ainfi cet Auteur , qui ne peut comprendre com- ment la fouveraine fageffe auroit pu renfermer dans Adam toute la poftérité de ce premier hom- me ^ me , conçoit fort aifement qu$- des êtres non feulement defti- tués , mais même incapables de tout degré de fageffe , concou- rent à former des machines fupé- rieures à toute la fagacité humai- ne , le corps même de l'homme. Il efl: vrai 9 fi Ton en croit croit M. Néedham ^ que les agens mo- teurs & réfiftans rifquent moins de ce méprendre dans la conf- truâion des corps organifés les plus compofés, que dans celles des corps plus iimples. » Je re- » marquerai , dit-il & tous les » Naturalises en conviendront j » que plus les corps organifés *> font compofés f. moins il y a *> lieu de craindre une généra- « tion équivoque dans leur pro-« » du&ion; car les agens immé- » diats qui concourent à les ^ former , les combinaifons de V Parti?. H * ces agens & plufieurs autres » circonftances , doivent être » plus variés que dans les corps » plus limples,& en même-tems, » plus éloignés de cet élément » univerfei dans lequel ils peu- j> vent tous à la fin le confondre* Il craint beaucoup , & avec raifon , qu on ne lui obje&e que tous ces agens aveugles doivent former des individus tous dififércns , & ne peuvent donner aucune efpèce; cet in- convénient eft ce qu'il appelle une génération équivoque ;mais le raifonnement très-obfcur qu il vient de faire , ne levé affuré- ment pas la difficulté. Il a une ferme confiance que tous les Na- turalises adopteront la maxime que je viens de tranfcrire : mais furquoi eft-elle fondée cette con- fiance? Qui recevra jamais un paradoxe aufli contraire à Pex- périence ? Il n'eft pas plus heureux lorf- qu il reconnoît par-tout y non des moules d animaux 8t de ma- chines vitales , comme M. de Buffon , ( quoiqu'il dife quelque part que la nourriture eft moulée dans les endroits où elle eft in- troduite pour laccroiflement ou la réparation du corps ) mais des matrices. On ne fçait quel- le idée il attache à ce mot ; è'ii entend que ces matrices font capables de déterminer le con- cours de l'agent moteur & du rendant à former , par exem- ple , un de ces êtres mitoyens en- tre I animal & le végétal , de ces êtres qui fe meuvent deux- mêmes , mais fans fpontanéité , ou bien de ces anguilles de la colle de farine qui naiffent plei- Hij nés & portantes une nombreule famille. Qui a donc rendu ces matrices propres à fuppléer à la fageffe qui manque aux agens naturels ? Que font-elles ? Sont- ce des élémens préparés félon cette vues , dès le commence- ment du monde? Cela doit être; xar autrement.^ ces matrices font «auffi formées par certaines corn- binaifons harmoniques d'agens moteurs Se réfiftans il feroit tout auffi facile de dire que ces mêmes agens font propres à faire des machines fans modèle ; on leur épargneront la moitié du tra- vail. Mais fi ces matrices font des œuvres du Créateur , ce font donc des germes ; ou du moins il eft aufli facile de penfer que Dieu à créé dès le commence- ment des germes pour fournir à .toutes les générations d'animaux futurs & au-delà , que d'imagi- ner qu'il a préparé des matrices ; & qui comprend que Dieu a pu faire des matrices pour toutes leâ races futures d'animaux , com- prend aufïi comment il auroit pu* créer les germes de tout ce qui devoir être dans le genre animal. - Au relie % nous n'avons pu con- cevoir de quel ufage les moules de M. de Buffon feroient pour la produâion des animaux ; & fi les matrices de M. Néedham ne font pas des moules , on con- çoit encore moins comment elles pourroient fervir à déterminer les agens expanfifs & réfiflans à fuivre un certain plan à produire? plutôt un ver qu'une chenille : quelque foit la forme d'un creu- fet , elle ne déterminera jamais le métal qui y fera jetté en fLr— fi on , à former un tel médaillon , H iij [x74] fi elle n'efl pas le moule de ce médaillon. M, Néedham imagine un autre moyen pour nous faire compren- dre comment les animaux font produits fans germes préexif- tans 5 fans moules. » Jugeons » donc , dit- il , du corps de 5> l'animal le plus parfait , corn- » me nous lé ferions d'un arbre » qui s étend en un nombre infî- » ni de branches. Il eft certain » que l'analogie eflaffez fenfi- » ble », Très-fenfible , & d'au- tant plus fenfible que je n'ai pas moins de peine à comprendre qu'un arbre puiiTe naître fans avoir été dans un germe pré- exiftant , que j'en ai à penfer que tout animal foit conftruit par_ le concours aveugle d'agens mo- teurs & réfiftans. Mais jeconfens à m'en tenir à cette analogie. Je voiseffe&ivement partir du cœur deux très-beaux arbres r deux ar~ bulles 9 Ci vous le voulez ; le tronc commun efl le cœur ; ces végétaux croiffent bien différem- ment de nos arbres. Le nombre & la diftribution débranches ne font point déterminés dans les arbres ordinaires ; dans le fyftê-' me des vaines & des artères ? la quantité des branches , leurs di- visons , leurs fous-divifions , tout efl: fixe. Un de ces arbres a un mouvement d'ofcillation con- tinuel 5 l'autre n'en a point. Tous deux font formés de tuyaux nailfans les uns des autres ; & dans les tuyaux des veines y il y a des val vules ménagées avec tout Fart poffible ; il y en a aufii au tronc des artères. Voilà des vé- gétaux bien différens des arbres ordinaires» Jettez les yeux , Hiv Monfieur, furcesEftampesana- tomiques , où l'on a repréfenté le fyftêmedes artères & des vei- nes ; à la fimple vue , vous pou- vez penfer que ces arbuftes ont poufle fucceffî vement leurs bran- ches ; mais la réflexion vous em- pêchera d'adopter ce premier fentiment ; vous concevrez au contraire , que ces deux fyftêmes ont été faits tout à la fois & non pas fucceffivement. Gar dès-que le coeur eft formé , il darde du fâng : or fuppofé que le tronc commun des artères n'eût pouffé par exemple que de deux lignes, le fang feroit dardé , mais s'épan- cheroit ; il ne trouveroit point de retour vers le cœur , n'y ayant point déveines pour le recevoir , ou le tronc des veines n'ayant encore végété que de deux li- gnes. Les artères & les veines, font donc formées avant la cir- culation du fang. Vous pouvez , Monfieur y étendre ces vues fur toutes les veines & tous les artè- res , nulle branche d'artère n'a dû porter du fang qu'autant què; la veine où il devoit être reçu a été prête à le recevoir. Conftdérons maintenant le cœur en particulier. Cefl un double mufcle > il eft compofé; pour la plus grande partie de veines , d'artères , de ramules , de nerfs ; ce mufele doit donc être de même date que la pro— du£tion des* veines 8k des artè- res. Quant au fyftême des nerfs r- on ne peut pas en mettre le tronc3 dans le cœur. On connoît les ra- meaux nerveux qui fe diffribuent dans le cœur ; mais Forigine dé tout ce fyftême efî parfaitement marquée parmi ies différentes 'iiv [i78] parties qui compolent le cer- veau : Voilà un nouvel arbre qui a une toute autre racine que les arbres des artères & des .veines. Celui-ci eft encore plus admira- ble r fi je Pofe dire y que les deux autres ; fes ramules forment une infinité de houppes éparfes fous toute Phabitude de la peau 5 dans routes les parties fcnfibles du :orps ; ces ramules entrent mè- ne dans le tiffu des parois desar- ères ; & cette dernière circonf- tance prouve que les nerfs y les artères & les veines ont été for- més en. même-tems. Les nerfs entrent dans la composition du cœur & des artères. Le cœur met en jeu les artères : les nerfs ont donc été faits avant que le fang exiftât & qu'il pût circuler., L'on ne peut attribuer à la nour- riture 5 que le fang porte avec lui la formation de ces trois fyf- têmes y puifqu'il ne circule que parleur moyen 7 & qu'ils font fes canaux néceffaires. Mais ces trois fyflêmes y dont aucun n'a été formé fucceffive- ment par l'emploi de la matière végétative que porte le fang r nront pu être conflxuits que dans le même teins où le relie de la machine Ta été. Car , peut-on fuppofer par exemple y que le fyîiême des os foit poflérieur aux trois autres ? Les os font cou- verts d'une pellicule tiffue d'ar- tères de veines r de nerfs ; ils font percés en divers endroits, pour donner pàflage à cesartè- resr à ces veines y à ces nerfs. Les vertèbres fourniffent un long; canal où efl renfermé le tronc des nerfs qui font deftinés à obéir à la volonté \ je veux dire % h [i8o] moelle allongée. On ne peut di- re , ni qu'après la conftru&ion parfaite des os ? les branches des artères , des veines & des nerfs , ont été chercher ceux qui leur convenoient pour entrer dans le tiflu de leurs périolies ; ni que les os ayant été poftérieurs à ces trois fyftêmes , ils n'ayent pu oc- cuper en végétant que les vuides y que les branches artérielles y vei- neufes r nerveufes , avoient eu l'intelligence de leur ménager* Quiconque comparera les figu- res de T Angiologie & de la Ne- vrologie avec un fquelette , fera convaincu de tout ce que je dis. Il faut donc que le fyrtême des os ait été complet au même-tems précis que les autres ont eu leur perfe&ion. On ne peut pas dire du fyftême des os que ce foit un arbre 3 un [i8i] feul végétal : chaque os particu- lier chaque vertèbre , chaque phalange eft un végétal à part» Il en eft de même des os dont le crâne eft compofé ; l'engraine- ment fi jufte de leurs futures ^ prouve à un obfervateur judi- cieux qu'ils n'ont: pas été faits l'un après l'autre > qu'ils ne font pas nés les uns des autres ; & il n*eft pas néceffaire que je vous faffe obferver que les tendons 8é les cartillages y qui unifient tous les os ne peuvent pas être d'une conftruâion pofterieure à celle des os. Enfin , on voit claire- ment qu'on ne peut dire que chaque nerf ait faifi tel os pré- eifément plutôt que tout autre pour remplir fa deftination. Généralement parlant, les muf- eles , lès glandes , , les membranes ne paroïfTent être que dès tifius [l82] ui réfuirent de l'entrelaflement es ramules des branches des trois premiers fyilêrnes ; enforte que lorfqu on a démontré que ces trois fyPcêmes n'ont pas été formés lucceffivement par les reffources du faog y mais anté- rieurement à fa produ£hon dans le germe , on a prouvé en même 'tems que toutes les parties du corps humain y ont coexifté fans qu'on puiffe imaginer aucune fucceflion de Tune à l'autre ; & que comme les vaiffeaux fervans à la pneumatiqye des poumons, étoient confbuits avant que l'air y fût introduit ; que l'eftomac , les vicères ? les canaux admira- bles du mefentère y les veines la£tées , le réfervoir du péquet ? &c. que toutes ces différentes parties étoient faites avant de pouvoir exercer leurs fondions j aînfi les veines & les artères étoient complettes avant qu il j eût du fang à déférer. Pour nous prouver que ranimai ne naît pas par développement d'une machine préexiflante T mais qu'il fe forme peu-à-peu r M. Néedham nous renvoyé avec complaifance aux obfervations; faites fur les œufs couvés par une poule y & veut que nous fuivions les diîférens progrès de la for- mation du poulet.. Nous- ne re- fufons pas de les étudier : Mais; qu apprendrons-nous de cesob-- fei: varions ? À-t-on vu dans les- premiers jours un cœur ébauché T a-t-on vu naître le tronc de Taor- te 5 celui d'un nerfr & croître l'un & l'autre ? On n'a rien ap- perçu de tout cela. On a vu un; cœur comme un point qui faifoit £es mouvemens ; & qui par fes mouvemens injeâoit du fang; dans des vaiffeaux préparés , qui rendoit ces vaiffeaux fenfibles par Pinje£tion. On a vu que ce fang ,au fortir de Partëre y étoit renvoyé vers le cœur par les vei- nes y qu il rendoit aufiï fenfibles en s'y infmuant ; que les pre- mières injeâions ne faifoient d'abord appercevoir que quel- ques artères & quelques veines r que les injeâions fuivantes en ouvraient de nouvelles ; que par la répétition de ces injections r un fyftême déjà formé de veines & d'artères , acquéroit un par- tit développement : enfin 3 que k fang en circulant rendoit très ' apparens tous les lacis de ces dif- férens vaiffeaux : voilà ce que verra conflamment un obferva— teur impartial & attentif :..enfor— te que je ne vois rien qui démen- te davantage le fyftême de ceux qui prétendent que le poulet fë forme peu-à-peu , en recevant toujours de nouveaux accroiffe- mens de la chaleur que lui com- munique la mere , que les expé- rience faites fur Pincubation des œufs : je m'en rapporte à qui- conque voudra les renouvellera H en: très-certain qu'il ne trou- vera jamais de vaifleaux ébau- chés ; & que dès qu'une artère fera fenfible , la veine qui doit reporter le fâng le fera auflî. M. Néedham appellera ici l'harmonie à fon fecours ; il nous dira que de deux cordes raon^ tées à l'unilfon , l'une étant pin- cée ^ l'autre lui répond par des vibrations de même efpèce ; qu'il en eft de même dans la formation des animaux; que par exemple^ lès parties propres à entrer dans. la conitruâion d'une artère font au même ton , ou au moins ont des tons harmoniques. Que s'en- fuit-il ? deux cordes à FunifTon fe joignent-elles , parce que lune eft comme l'écho de l'autre , s'u- niffent-eiles en un feul corps ? S'il luffilbit de rendre confufé- ment dans une chambre , des fils dont les longueurs fi fient une proportion harmonique , & de leur faire rendre des fons pour que ces fils s'étourdiflent d'eux- mêmes & formaffent une pièce de toile , ce phénomène me fe- roit comprendre comment l'har- monie de différentes parties a pu les faire concourir à produire un arbre de tuyaux tel que le fyftê- me des veines ou celui des artè- res ; en voyant un os , une vertè- bre dont la figure fi bifarre à l'œil eft fi parfaite aux yeux de 1'efprit^ .m ,, . je pourrois peut-être découvrir à quelle pièce d'harmonie cet os ou cette vertèbre devroient être rapportés. L'Auteur nous dira encore , que les parties dont le nouvel animal eil formé ont été ajfnni- lées dans un autre animal de mê- me efpèce. Je le veux bien : ce font des matériaux tout taillés f les uns pour entrer dans la com- pofition d'une artère y d'autres dans celle d'une veine , ou d'un nerf ; mais fuffit-il donc que les pierres d'un bâtiment foient tail- lées y que la chaux foit prête , que le fable foit raffemblé , que l'eau foit à portée , que la me- nuiferie , la charpente , la fer- rurerie , les vitres y que tout cela foit préparé y pour que l'on puif- fe concevoir que toutes ces piè- ces abandonnées à l'harmonie % [i88] ou fi vous voulez à une certaine aflîmilation , formeront un Pa- lais. D'ailleurs , dans quel endroit ces parties , qui doivent con- courir as la conftruction de l'a- nimal , ont-elles été aflimilées : elles ne font point entrées dans la compolltion ni du pere ni de la mere ; elles ont été rejettées comme un fuperfiu dans un lieu qui leur étoit deftiné; mais elles n'ont pu prendre ni la forme T ni l'empreinte dans des parties organiques où elles n'ont point été reçues. Harmonie ! Que cette expref- fîon eft riante , qu'elle flatte agréablement l'imagination ! L'harmonie ! Ce mot rapelle le plaifir touchant qu'elle ocalion- ne , lorfqu'elle eft mife en œu- vre par les grands maîtres félon toutes les règles de leur art. Ce- pendant ce mot ne me préfen- te aucune image , aucun reffort * aucun mouvement ^ rien qui puiffe m'aider à comprendre comment des parties en propor- tion harmonique , formeroient J'aîle d'une mouche l'antenne d un papillon ; .comment elles conftruiroient ces deux admira- bles organes deftinés à contri- buer à l'harmonie & à la rece- voir , je veux dire la trachée-ar- tère 5 & la lame fpirale de l'o- teille. Ces deux pièces font cer- tainement formées fur lesloix de l'harmonie; mais qu'elle les ait conftruites , c'eft ce dont on ne peut avoir aucune idée. De mê- me on ne me fera jamais con- cevoir comment les principaux fyftêmes du corps humain , ce- lui des veines^ celui des artères, [ipo] celui des nerfs , celui des os , tous formés avant que le corps eût été animé , auront été corn-* binés comme ils le font , pour former le fyftême général du corps , & dans ce corps chaque organe , chaque membre , par une harmonie qu'on ne fuppo-* fera jamais entre des chofes auf» fi diffemblables qu'un os eftune veine , qu'un nerf eft une veine , qu'un tendon eft un os. Rien n'eft cependant plus ai- fé à comprendre , fi nous en croyons M. Néedham. a On *> peut donc dire que cet indi- 2> vidu s'eft reproduit tout - à- s> coup , comme un feu en allu- » me un autre ; 8c que la fe- » mence a£tive a pris une cer- 2) taine forme , un arrangement 3> de parties , qui la détermine dans fa végétation future. Car » dans une combinaifon de prin<« » cipes a£tifs entièrement ana- 5> logues à ceux de l'individu » qui fe reproduit , les parties « de la femence font dans notre » ordre de fenfation &• fuivant » notre manière de concevoir y » fpécifiquement arrangée s rlorf- » que l'aâion qui leur a été im- » primée & qui les anime , eft » parfaitement & conftamment » harmonieufe ». Si nous ne fommes pas con- tens de cette explication , fi nous la trouvons plus qu'obfcure rpn nous dira nettement que nous fommes des efprits bornés , ou au moins que nous l'entendrions aifément , fi nous étions des an- ges, des efprits purs. » Dans un » fyftême , nous dit-on , qui fe î> réfout en dernière raifon en 3> une activité fimple , ce qui eft *> pour nous dans le point de » vue où Dieu nous a placés , un i> fimple arrangement de parties » étendues , efl pour des efprits » fupérieurs ( les anges , Mef- » fieurs Néedham & de Buffon ) *> pénètrent la Nature de chaque agens fimples qui entrent dans » le compofé , & qui connoif- » fent leurs nombre , leur for- 3> ces & leurs combinaifons , un 2> fyftême invariable d'a&ion ^complexe , par- tout où les »> principes qui fe combinent 9 » font fpécifiquement les mê- & mes Ce feul texte prouve que c'efl en pure perte que j'ai employé tant de tems & tant de peines à faire fentir Pimpolfibilité de concevoir que des machines auf- fi compofées, que Feft le corps îiumain > foyent l'effet des con- cours cours harmonique des agens moteurs & réfiitans. Ce mécha- nifme fi varié , fi confiant , fi merveilleux dans nos corps , n'eft point tel au dehors que nous le voyons y chimère que tout cela. Des modes de percep- tion % un ordre de fenfations , une manière de concevoir , c'efl à quoi il faut s'en tenir invaria- blement. Les ëlemens dont no- tre corps eflcompofé étant Am- ples y n'admettent aucun arran- gement , ne peuvent être ni liés ni féparés y n'ont réellement , ni mouvement % ni figure y ni cor- refpondance ^ ni harmonie* Il n'y a ni tuyaux % ni fibres foli- des ; toutes ces beautés de mé- chanifme , ne font que nos ma- nières de recevoir y je ne fçais comment , les effets d'une affi- nité indéfiniffable dTagens au£~ V* P'artk* I fî peu capables de toucher notre ame que notre corps , parce que ni notre corps ni notre ame n'ont aucune fur-face. Fini/Tons , Monfieur , & ne difputons ni avec les anges , ni avec les efprits fupérieurs. Je n'avois qu'un but , c'étoit de vous expofer la confufion & îobfcurité impénétrable des fyf- têmes de M. Néedham ; jecrois l'avoir atteint : vous fçavez que ce qu'il penfe eft inintelligible , mais vous fçavez ce qu'il penfe» Vous avez vu aufli qu'on trouve parmi les dogmes de M. Néed- ham , certaines clefs très - pro- pres à faciliter l'intelligence de tant de principes nouveaux , de certains traits prophétiques fe- rlés dans l'Hiftoire naturelle de M. de BufFon ; comment les Mathématiques & les Méchani- 0P5] ques font des fuppofîtions de refprit ; ce que c'eft que Taffi- milation que M. Néedham ré- duit à l'harmonie ; ce qu'il faut penfer de l'a£tivité propre aux principes des corps , laquelle ne felfemble en rien aux idées que nous avons du mouvement & du reffort; pourquoi cette aâivité fuffit tellement à la conftru£tion du monde y que Dieu peut la lait- ier agir , ou tout-au-plus la mo- dérer. Tout ces myftères font fortis, toutes ces merveilles font nées y je ne fçais comment , des obfervations microfcopiques de M. Néedham ; obfervations d'ailleurs très-inutiles, puifqu el- les ne nous font connoître que des façons d'appercevoir , que des modes de perception. Enfin$ Phyfique y Mathématiques, Mé- chanique y Métaphyfique y toute fcience s'évanouit devant nos nouveaux maîtres , le monde n'efl: plus rien. Plaignons ces Meffieurs , & ne leur envions point leur imagina- tion li féconde ; c'eft elle qui leur a fait enfanter tant d'étran- ges fyftêmes ; c'eft-eïïe qui les a jettés vraifemblablement con- tre leur intention y dans tant d'écarts dont les malintention- nés peuvent abufer au préjudice de la Religion : déplorons leur facilité à tout hafarder en gen- re de raïfonnement , en matière de philofophie ; efforçons-nous: de connoître quelles font les bornes qui ont été fixées à la raifon humaine y & ne les fran- chiffons jamais. Je fuis très-ref- pedueufement % Monfieur % vo- tre ^ &c* SUITE DES LETTRES A UN AMÉRIQUAIN, Sur les IVe. & Ve. Volumes DE L'HISTOIRE NATURELLE de M. de Buffon; E T SUR LE TRAITÉ DES ANIMAUX de M. l'Abbé DE CONDILLAC, Sixième Partie. A HAMBOURG: C 3 T AFERT1SSMENT. LE cinquième volume de l'Hiftoire Naturelle , Générale & particu- lière de M. de BufFon, eft déjà débité , •& je n'ai pas encore fait part au public de mes obfervations fur le quatrième j n'ai-je pas donné lieu de penfer que je Pavois trouvé irrépréhenfible , & que f étois perfuadé qu'après les éclair- ciffemens que Fauteur avoit donné à laSorbonne, fa métaphifique s5étoit enfin épurée , & ne fourmilloit plus de tant de paradoxes éblouiffans aufïi funeftes aux premiers élémens de toutes les fciences que Feft une mine pratiquée par un ennemi habile aux fortifications les plus folides. J'ai lieu de craindre que mon filence n'ait au- torifé une pareille interprétation. Plu- sieurs difcours qui me font revenus de divers endroits , m'ont fait affez en- a 11 143 tendre que ma crainte étoit fondée ; cependant toutes ces conjectures font bien éloignées des véritables raifons qui m'ont empêché de publier plutôt la fuite de mes lettres à un Américain. Elle auroit dû paroître huit ou àix mois après l'impreffion du quatrième volume de M. de Buffon. Je l'avois envoyée d'Italie, où fétois, dès le mois de Février 1754- mais le pa- quet fut intercepté , &je n'ofe appro- fondir, ni comment, ni par quels mo- tifs on m'a rendu ce mauvais office ; je ne m'en fuis affuré qu'à mon retour en France , où les affaires qu'accur mule néceffairement une abfence de deux années , ont exigé mes premiers foins & m'ont pris un tems confide- rable. J'«vois brûlé tous mes papiers comme un poidsinutile dans levoyage. Je n'ai donc pû réprendre &eompor fer de nouveau qu'un peu tard ,1 ou- vrage que j'avois perdu. J ofe ei- perer qu'il paroîtra d'autant plus digne d'attention , qu'il aura ete lait avec plus de foin & moins de préci- pitation. , tr> J Mais eft-il encore neceflaire de Csl faire paroître mes lettres , après l'ou- vrage que le célébré Abbé de Con- dillac vient de donner > qui a mérité Fapplaudiffement du Public , ou il attaque avec tant de force M, de Buf- fon ? Je ne devrois pas regrêter qu'un Auteur glus habile que moi , m'eût prévenu dans le fer vice que je voulois fendre à ma patrie , & dans le vrai , peu m'importe par qui le bien fe faffe 5 pourvu qu'il fe faffe,. ayant tout lieu de préfumer que tout autre Ecrivain réuffiroit mieux que moi; il me femble ue je ne ferois pas mortifié de retenir ans l'obfcurité de mon cabinet , un ouvrage que j'aurois le mieux travail- lé; comment penfai-je donc à publier fe fuite des Lettres Américaines , en voici les raifons qui ne paroîtront point hazardées ? Le but de M. l'Abbé de Condîî- lac,n'étoit pas précifément de réfu- ter la doélrine de M, de BufFon ; il a entrepris , furtout dans la première partie de fon- Traité des Animaux *de prouver que l'idée du Traité des Sen- îations, qu'il donna l'année paffée , n'eft point prife de la Métaphilrque T 6 1 de M. de Buffon, Il s'éforce de mon- trer en combien de manières fon fy£- terne , fur les fens , eft différent de ce- lui de M. de BufFon. A cette occa- fîon il parcourt légèrement plufieurs contradictions , plufieurs faux raifon- nemens de fon prétendu modèle , je dis légèrement, parce qu'effectivement il n'a fait qu'éfleurer fa critique, & il a dû s'en tenir là; fajoûterois même négligemment, s'il fe fût propofé de réfuter férieufement cet Académicien* car il omet de relever beaucoup de paradoxes , fur lefquels un Philofophe qui voit & qui remarque tout, ne fçau-* roit être indifférent* Le dernier ouvrage de M. l'Abbé de Condillac , ne remplit donc pas les vœux de ceux qui s'intéreflent à la défenfe & au rétabliffement de la faine > Philofophie, il les met feulement fur Içs voies de defirer que la dodrine du quatrième volume de M. de Buffbn , foit difcutée & approfondie , & à cet égard je dois mille remercimens à l'Auteur , & je les lui fais très-fincé- rement , de ce qu'il a bien voulu ré- veiller la curiofité fur un examen fi •ifl important , & réchauffer l'intérêt du Public , que çies délais , tout nécef- faires qu'ils étoient , avoient proba- blement refroidi. En général, il eft certain que le psu qu'il relève , comme en courant, des paradoxes defon ad» verfaire , eft très-folidement & très- juftement critiqué, & qu-il fait très- bien fentir le faux de quelques raifon- nemens que j'avois crû devoir épar- gner ou qui m'avoient échappé. Ce n'eft pas aflfez de montrer des erreurs , il faut encore leur oppofer les vérités qu'elles combattent , il ne fuffit -pas de vaincre fon adverfaire pour prouver qu'on à plus de raifon que lui ; malheureufement le fyftême fur les Animaux que M. l'Abbé de Condillac nous expofe , n'eft ni plus folide ni plus lumineux que cekirdont il relève fi bien les contradi&ioiîs & les défauts. Il eft lié au Traité des Senfations , où fi M. de Buffon n'a pas dû reconnoître fes principes , du moins n'a-t'il pû méconnoître fa façon de philofopher. J'ai déjà montré ce qu'on doit penfer de ce Traité des -Senfations, dans un ouvrage qui pa- a iiij I 8 ) roîtra inceffament, & qui donnera m* nouveau jour aux Elémens Métaphi- fiques tirés de l'expérience. Il eft de la dernière importance , à tous égards f de difcuter ce livre profond, où l'Au- teur y dont la pénétration eft fupérieu- re , a pouffé Fanalyfe de nos fens , bien au-delà de fes juftes termes. Il s'y écarte le plus qu'il eftpoffiblè du ma- térialifme , ce qui prouve la droiture de fes vues & fon zélé contre l'im- piété ; mais ilnefent pas affez que les deux extrémités font également vi- cieufes & qu'il eft peut être plus ,dangéreux jour ceux qui s'obftinent à méconnaître la nature de leur ame , de les pouffer dans le fpiritualifme uni- verfel, que de leur laiffer le dogme ftupide du matériaiifme : au refte°cet Auteur paroit aimer très-fincérement la vérité, s'il eft paffionné pour Locke, c'eft parce qu'il croit rendre un fer- ,vice important à la Religion, en lui confervant la Philofophie de cet An- glois , en l'expliquant de manière que les Matérialiftes n'en puiffent abufer : d'ailleurs il n'eft point jaloux de fes ^|i&ioi*,s , il a déjà fait fes preuves etc. l9l côté-là, j'efpere qu'il regardera comme un bon office , le foin que je prends de le détromper, il fçait que je ne lui donnerai' rien du mien , en lui montrant la vérité $ j'eftime fon gé- nie , fes travaux & fes bonnes inten- tions, & c'eft parce que je l'eftime , que je dis avec franchife ce que je penfe des opinions de l'Auteur, comme je recevrais avec docilité & avec recon- noiflance,les avis qu'il voudroit bienr me donner fur les miennes. La liaifon intime du Traité des Senfations avec celui des- Animaux , n'eft pas Punique défaut que je repro- che à l'Abbé de Condillac, Dans le premier Traité , l'Auteur avoit trop pouffé l'analyfe de nos fens , dans le fécond il ne porte pas affez foin celle de la queftion de l'ame des bêtes ou dit principe qui lès fait agir. Il n'examine que trois opinions , cellede Defcartes, celle des Scholaftiques & ie Préjugé Commun ; par lequel tout homme qui lie philofophe pas , accorde des Sen- fations & quelques connoiffances aux Animaux. Il fuprime le dénouement jpropofé par le Cardinal de Polignac* t io] dans l'excellent Poëmç de FAnti-Lu* crece , que j'avois imaginé & appro- fondi long-tems avant Fimpreffion de l'ouvrage de Filluftre Cardinal; c'eil le feul x à mon avis 9 qui mérite de balancer Fopinion vulgaire , F Auteur foutient cette opinion , mais au lieu de s'envelopper dans Fobfcurité du préjugé , pofte où je ne m'aviferois pas de l'inquiéter, il veut éclaircir ce préjugé en Philofophe & le rend méconnoilfable & peut-être odieux à ceux qui s'y attachent le plus opi- niâtrement : car après avoir plutôt fuppofé que démontré Fexiftence 'd'une ame lenfible & intelligente dans les Animaux 9 il nous oblige de croire qu'elles font effentiellement différen- tes des nôtres,fans en apporter la moin- dre preuve & qu'elles font anéanties lorfque les corps aufquels il les prétend unies font détruits. On verra la difcuf- fion de cette opinion dans les lettres que je donne aujourd'hui , & qui étoient achevées avant que j'eulfe en- tendu parler de ceTraité des Animaux; mais comme l'Abbé de Condiliac dé- veloppe fon fentiment d'une manière qui lui efl propre & que je n'avoïs pu prévoir , j'en rends compte à mon ami dans quelques lettres que je joins à celles quç je lui avois déjà écrites & qui étoient prêtes à mettre fous la preffe3 avant que le Livre de l'Abbé de Condillac me fût tombé entre les mains* J'ai quelque confiance que cette fuite des lettres à un Américain , fera reçue favorablement du Public , non- feulement parce qu'elle remplit l'ob- jet ébauché fimplement par 1 Abbé de Condillac* mais encore parce qu'on y trouvera des recherches & des dé- tails qui y jettent de Fintérêt. L'ou- vrage même de cet Ab.bé Fa rendue îiéceifaire , puifqu'on y trouve la ré» futation de fon opinion fmguliere * qui certainement n'eft ni plus appuyée ni moins redoutable dans les confe- quences que celles de M. de BufFon ; & cette réfutation eft rendue corn- plette par les lettres ou j'attaque ex- preifément tous les raifonnemens de FAbbé de Condillac. Peut-être re- marquera-t'on que je fuis en cela IV :pologifte de M. de Buffon , que je E ** J le défens de la feule manière dontiî le pourroit faire vis-à-vis de l'Abbé de Condillac , c'eft-à-dire , en récrimi- nant. Quand on aime la vérité, on aime ceux qui ne s'en éloignent que par méprife , qui ne l'ababandonnent pour courir après des phantômes, que parce qu'ils croyent y reconnoître les traits Se la reflemblance de la vérité, & que ces rapports , quoique faux , les inté- reflent dans l'erreur même qui les fé~ duit. Ils font à plaindre, la compaffion qu'ils excitent les rends plus chers , ce font mes véritables difpofitions à l'é- gard de M. de BufFbn, &c de tous ceux que je fuis obligé de réfuter , toujours difpofé à les défendre avec le même zèle contre tous ceux qui les attaque- joient mal à propos. ' J'ai un mot à dire au fujet de la cinquième partie de mes lettres à un Américain , de celle ou je réfute un Livre de M. Néedham , il m'a paru qu'elle avoit fait alfez peu d'impref- fion, qu'on y avoit été plus qu'indif- férent, on ne m'en a donné d'autre raifon que l'obfcurité de la douzième lettre & l'application qu'elle exige. t x3 1 J'avoue qu'elle demande de "l'étude; qu'il y a de l'obfcurité ; mais l'étude qu'elle exige eft-elle importante, & l'obfcurité dont on fe plaint eft-elle à moi ? Ne fait-elle pas le caraétere du Livre que je réfutois ? N'en avois- je pas averti f Mon objet n'étoit-ii pas de prouver que la doébrine de cet An- glois étoit inintelligible , & n'ai-je pas réufli ? Quant à l'importance de cette diP cuffion profonde, on la doit fentir mieux que jamais. Dans combien d'ouvrages voit-on diverfifié de tant de manières le fond de la dofitrine d$ FEvêque Anglican , M. Berkley dont M. Néed'ham a prétendu prendre le bon & écarter le mauvais ; on femble fe réunir de toutes parts pour établir des principes qui tendent à rendre douteufe la certitude de lexiftence des_ corps, à détruire toutes les no- tions communes , à fapper les fonde- mens de tout raifonnement , enfin à fubftituer au Matérialifme le fpiritua-* lifme univerfel. Je n*ài certainement pas le moindre çtaute fur la pureté des intentions de? I H] F Abbé Néedham & de ceux qui phi- lofophent à peu près dans, le même goût ; en a-créditant le doute de l'e- xiftence des corps, ils croyentterraC- fer les Matérialiftes, & ce fut proba- blement le detfein de FEvêque de Sloane , en oppofant Fimpoffibilité où nous fommes de douter de notre propre exiftence , à la poffibilité de douter de F exiftence de toute portion de matière , ils ont cri établir une dé- monftration contre les prétentions de ceux qui matérialifent leur ame : j'a- voue que moi même , j'ai été tenté «durant plufieurs années , de faire va- loir le même raifonnement , & que j'ai eu beaucoup de peine à me défabufer ; mais le principe d'où ils font partis, que rien de ce qui eft au dehors ne reffembie à nos Tentations , c'eft-à- dire, aux trois dimenilons que ces mêmes fenfations nous préfentent comme leur objet , m'a déflillé les yeux; cependant ceux qui tâchent d'établir cette efpéce de fpiritualifme font flattés , au lieu qu'ils ne devroient être que furpris des applaudffTemens t^ue leur donnant les Matérialiftes , C i5 1 peut-être même s'imagineftt-ils les avoir convaincus de la fauffeté de leurs principes ; un petit difcours d'un des plus redoutables Matérialiftes que j'aie connu, diminuera leur triomphe & juftifiera, comme je l'efpére,les loins que je me donne pour réfuter les prin- 1 cipes qui mènent au doute de l'exit tence des corps. s» Que tout {bit matière , ou que tout » foit efprit, me difoit-il, cela m'efl w égal , il fera toujours démontré que » je vois dans mon ame les trois di~ r> mentions. Si tout eft matière , je » les verrai en moi & ailleurs > s'il n'e- » xifte aucun corps , je ne les verrai » que dans mon ame , elles feront les » manières de fe fentir exifter, &puis i » ajoutoit-il avec un fouris amer, 33 en admettant le fpiritualifme univer- » fel i je fuis tout ce que je vois , tout » ce que je touche,&c. Je fuis Jupiter, » * cette idée me plaît, parce qu'elle 30 étend mon ame & qu'elle Fannoblit. Je laifle ce raifonnement à méditer à ceux qui s'obftinent à rendre dou- * Jupiter , efi quoàcumque twris. Lucrèce» teufe l'exiftence des corps , & à ceux qui me reprochent d'abandonner les intérêts de la Religion , pour me li- vrer à des difputes purement Philo-: fophiques. SUITE 4& P^&WWM'W&x I SUITE DES LETTRES A UN AMÉRICAIN, SIXIÈME PARTIE, XIIIe. LETTRE, M On s I E U R j Depuis que le quatrième volume de l'Hiftoire Naturelle, Univerfelle & Particulière de M. deBufFon a paru, cette nou- velle produaion auroit .pu, j'en VI. Partie^ A ? il t ! conviens > franchir deux ou trois fois l'intervalle qui fépare votre continent du notre* Pourquoi , me direz-vous donc > malgré les engagemens fi folemnels que vous aviez contraâés , & envers moi & envers le Public > de fui- vre conftamment M. de Buffon dans fes fonges métaphifiques 9 différez-vous toujours à me faire part des réflexions que fon nou- veau volume vous aura fans doute fait naître ? Dans l'éloi- gnement où vous faviez que j'é- tois, Monfieur, cette fuite de FHiftoke Naturelle, malgré l'at- tention de mes amis , n'a pu par- venir jufqu'à moi auffi prompte- ment que je Teuffe fouhairé ; ôc ces réflexions que vous devez attendre avec tant d'impatience^ \ elles font venues en foule dès que j'ai été en état de les faire : mais il falloit y mettre un ordre convenable ; ôc vous vous repré- Tentez allez lès dilkaâions & les embarras inévitables d'un voya- ge tel que celui que jj5 avois en- trepris , & fur-tout les diiîipa- tions d'un long retour peu com- patibles avec des études auffi philofophiques que celles dont vous me demandez compte. Maintenant que je fuis rendu à ma Patrie , êcauloifïr après le- quel je foupirois depuis long- tems , je me hâte de remplir mes promelfes, & je continue d'exa- miner avec vous les nouvelles faces fous lefquelleâ AL deBuf- fbn nous fait envifaget la Logi- que 9 fa Phifique ôc fa Métaphi* i C43 fique : mais avant d'entrer dans cet examen > vous trouverez bon que je fatisfaffe à quelques ob~ jeâions & à quelques plaintes que mes Lettres précédentes ont ©ccafionnées : je dois cette dé- férence à l'acceuil que le Public a bien voulu leur faire ; & c'eft en diffipant , avec impartialité , tous les nuages qu'on s'eft effor- cé de répandre fur ces Lettres , que je puis mieux lui témoigner ma -reconnoiflance : ce fera le fujet de cette Lettre. Une réponfe générale à toutes ces clameurs 9 eft que les parti- fans de M. de Buffon ont paru plus délicats & plus touchés que lui-même : H n'a point été bleffé des contradi£lions que j'ai rele- vées dans fes différens fyftêmeS; du défaut de Logique que je lui ai reproché tant de fois , des écarts ou jeTai furpris dans un très-grand nombre de points de Phifique , de Métaphifique & de Mathématique : tout autre Philofophe moins tranquille ne m'auroit pas pardonné d avoir eu raifon vis-à-vis de lui : il paffe condamnation fur tous ces points > ou au moins fon filence obftiné annonce qu'il n en eft point offenfé. Il n'a paru fenfî- ble que fur l'article de fa Reli- gion, qu'il prétend avec fes amis que j'ai rendue fufpe&e : or > il m'a fermé la bouche fur ce point, par fa déférence aux avis de la Sorbonne 9 -qui penfoit que fon Livre renferme » des principes « & des maximes qui ne font « pas conformes à ceux de là » Religion (a) La déclara- tion qu'il a mife au commence- ment de fon quatrième volume*, détruiroit mes foupçons contre fa foi, fi j'en avois jamais conçu, comme elle diflipe ceux -aufquek la Sorbonne avoit cru devoir fe prêter. Je le félicite fincérement d une démarche fi glorieufe à la Religion & à lui-même. Combien de traits de malignité les amis de M. de Buffon n'ont-ils pas cru entrevoir dans mes Let- tres ! Eft-ce férieufement r di- foient-ils, que l'Auteur y protefte: tant de fois qu'il eft perfuadé du refpeâ dé M. de Buffon pour la Religion^tatidis qu'il s'efforce de O) Lettre des Députés & Syndic de Sorbonne , du if. Janvier iffi*. r-7i prouver que le fyftême de l'Hifi* rorien général & particulier de la nature , eft incompatible avec la révélation? Oui, f ai démon- tré cette incompatibilité ; laSor- bonne l'a vue, & M. de Buffon en convient, puifqu'il lui aban- donne fon fyftême de la forma- tion du monde. Mais ai- je tenté de prouver > qu'ayant apperçû cette conmdidioi* , il bravok de gaïté de cœur l'autorité de Moïfe? Voilà ce qu'il auroit faliis confiât er pour donner atteinte à fa Religion. Les pièces de fbn fyftême^ bien-loin de s'aider & de fe foutenir , s'entredétruifent r f ai mis ce fait fous les yeux> mais il n'a pas vu l'oppcfition; réciproque des divers membres de fpn hypothèfe^ j'en ai conclu [8] qu'il n'avoit pas mieux fenti là contrariété qui eft entre cette même hypothéfe & la narration de Moïfe. L'erreur n' eft un cri- me que lorfque celui qui en eft prévenu y joint la révolte con- tre l'autorité de rEglife. L'irré- ligion n'eft pas un vice de l'ef- prit , c'eft un vice du cœur. C'eft donc très-férieufement que j'ai cherché a écarter tout foupçon d'irréligion , en atta- quant les opinions philofophi- ques de M. de Buffon ; on le voit bien dans le défi que je fais quel- que part aux matérialiftes de ré- pondre aux argumens maniés avec force par cet Auteur, pout prouver la diftinclion de lame &du corps. Pourquoi donc, re- prennent les amis de M, de B\iè fon j tout le Public indiftin£te* ment, amis & ennemis, a-t-il pris pour des ironies vos protefta* tions à cet égard ? Je n'en faî rien , & je répons Amplement que ce n'eft pas ma faute r puis- que je n'ai pu prévoir cette dit pofition générale des efprits. Je ne connoiffcis M. de Buffon que par fonHiftoire Naturelle, & pat les tentatives qu'il a faites poun nous donner quelque idée du fa- meux miroir ardent d'Ârchiméde* Quoi qu il en foit y je prie M. de BufFon d'être très~perfuadé*que les mauvaifes impreffions qu'on a pu prendre contre fa Religion en lifant mes Lettres y font ab-* folument contre mon intention; mais heureufement la bonne foi avec laquelle il a déféré aux in^ c m quiétudes de la Sorbonne 3 Se celle avec laquelle j'en ai agi à fon égard > nous met déformais à couvert , lui du foupçon d m- difpofition contre la révélation , moi de celui de jetter des nua- ges fur fa foi. Je dois donc être maintenant bien tranquille , quand je penfe qu'on n'aura plus le moindre prétexte de me prê- ter d'autre vûe que celle de dé- fendre les droits de la raifon , lorfque je continuerai mes atta- ques contre la. nouvelle Philo- fopHie. On ne peut douter , pourfuî- voient les amis de M. de BufTon, que l'Auteur des Lettres à l'A* méricain , n'ait été bleffé du crédit de M. de Buffon dans le monde philofophe. J'avoue que Je n*aî rien négligé pour le faire tomber , parce que fa façon de rajeunir des opinions anciennes très-décriées ; fon ftyle aifé , har- di y harmonieux ; fon ton abfoïu & décifif, forment une efpéce de preftige qui éblouit les lec- teurs > les diftrait fur le fond des chofes , & ne les occupe que du talent de rEcrivain , parce que la manière de philofopher qui lui efî propre > met une confufiort dans le raifontlement qui tend à la fu.bverfîon totale des fcien- ces, & nous prépare une nou- velle génération de Rhéteurs fo- phiftes. Combien M; de Buibn^ lui- même, montre- 1- il d'adreffe * quand il entreprend de déprimer mm de. célèbres Auteurs éïran- gers Ôc François , Wodward; Burnet , Linœus , Defcartes j Malbranche, &c. & plufieurs de fes illuftres confrères qu'il ne nomme point ? Pourquoi en par- le-t-il d'un air fi dédaigneux , & en même tems fi peu décent ? Seroit-ce qu'il croit ne pouvoir prendre place au Temple de la Cïloire, s'il faut y être avec quel- qu'un? Ilefttrop.modefte: mais il s'imagine ne pouvoir faire pré- valoir fes fentimens , qu'il n'ait porté auparavant quelque at- teinte à la réputation des Philo- fophes les plus diftingués. Il eil néceflaire qu'il éteigne toute au- tre lumière , & qu'il réduife l'é- cole de l'Univers à lui-mêjne & àquelques-uns de fes échos , afin que tous les hommes nepenfenc 1 13 5 que d'après lui , parce qu'il pen- fe mieux qu'on n'a jamais penfé, qu'on ne penfe & qu'on ne pen- fera. Ainfi c'eft le bonheur des hommes, auquel il rapporte tous fes foins , quand il veut détruire toute dodtrine philofophique * pour y fubftituer la Tienne. Je prens a cœur autant que lui, j'ofeledire^ les intérêts du genre humain, & ceux de ma Patrie. Je fais tous mes efforts pour préferver les le&eurs de Pyvreffe que caufe le ityle en- chanteur de M. de Buffon : je me propofe moins de les préve- nir contre fes opinions que con- tre fa manière de philofopher , plus dangereufe encore que fes fyftêmes : je tâche de leur faire fentir que la diftion, fût-elle la lai plus pure & la plus élégante , ne concourt pas mieux que le jar- gon de l'Ecole à l'avancement des Sciences ; que lè Péripaté- tifme enluminé du coloris le plus vif , eft toujours ce qu'il étoit dans fon obfcurité la plus bar- bare. Enfin , je défens de tout mon pouvoir le fens commun contre le fens très-particulier de AL de Buffoo ; & l'ordre dans les objets des Sciences , contre îe défordre fimétrifé : & je crois en cela fervir ma Patrie & toute l'Europe* a> Que ne montriez-vous po- » liment les écarts de l'Auteur *> que vous vouliez réfuter ? « C'eft letroifiéme reproche qu'on m'a fait faire de la paît de fes amis : je l'ai tenté , mais fans ftîî pouvoir y réuffir. La critique peut être affaifonnée de politeffe quand elle ne roule que fur cinq ou fix méprifes ; mais quand elles font fans nombre ? comment trouver l'art de diverfifier tous ces affaifonnemens > de manière à en fournir un nouveau pouc chaque erreur : or > répéter cinq à fix politeffes trois ou quatre cens fois chacune > m'a paru un® fadeur monotone , très-propre à rebuter le le£leur. D'ailleurs % comment dire à quelqu'un, avec politeffe j qu'il ne raifonne pas* qu'il fe contredit continuelle- nient ? Ne feroit-cepas une in- fulte , quelque ingénieufement qu'elle pût être exprimée ? J'ai été obligé de faire des plaies que l'huile auroit envenimées. Ii5] M. de Buffon m'a mis d'ail- leurs très à l'aife ; il m'a épar- gné tant de précautions. Peut-il me reprocher d'en afer avec lui comme il en ufe avec des Sa- vans 3 que perfonne que lui ne nomme qu'avec refpeft. Il af- fe£te du mépris pour ces hom- mes illuftres 6c pour leurs ou- vrages ; c'eft toute fa manière de les réfuter : voilà ce que j'ap- pelle un procédé peu décent : mais s'il détruifoit leur doârine, s'il y faifoit reconnoître des ab- furdités , des contradictions , des paralogifmes > de faufles lueurs, ilfe comporterait très-obligeam- ment à l'égard du Public qu'il défabuferoit ; il ne pourroit bief- fer qu'une fauffe délieateffe dans fes adverfaires : 6c je ne fai fi la févérité de fa cenfure pourroit paffer alors pour uae impoliteffe. Ge qui eft bien certain* ç'eft que les plaintes qu'on en feroit au- raient tout l'air de celles de Cha- pelain contre les critiques um ppu mordantes de Defpréaux,; elles feroient tout aufïi ridicu- les. Le Public fe divertit beau- coup des lamentations de l'Au- teur de la Pu celle , fut- tout lors - que fes amis prétendirent faire un crime. d'Etat à Boileau d'a- voir ofé attaquer un Poëte que le feu RoLhonoroit de: fa pro— teâion ; mais le Prince* dont 1& jugement ét oit droite rit des cla- meurs &r du prétendu crime -d'E- tat .y comme du Poëme de la Pu* - celle ; continua fes bonnes quoi- que je fuffe très -difpofé à prendre hautement fa défenfe r je ne fus point engagé par mes fentimens pour lui y vous le favez très-bien* Monfieur y à réfuter la Phiïofo- phie de M, de Buffon, Le Soleil réduit à un fourneau de verre détrempé d'eau ; fou écornement par une Cornette venue.de je ne Em ; les écla- ÎDouffures réfuîtantes du? ehoe r 4iftribuéès en planettes ; le verrez dont la nôtre eft compofé y re- froidi en fe dégageant par Fé— vaporation de Feau dont il étok mifaculeufement imprégné : ce même verre devenu foiide, noyé: dans fa propre fueur, ou dans une mer dont la profondeur égaloir autour du globe la hauteur de: B 2* fibs plus énormes montagnésl LesPoiffons-, premiers habitans du monde ; le frottement de l'eau agitée par le flux & le re- flux > creufant la maffe de verre> accumulant les débris dé cette maffe en monceaux, qui font nos montagnes ; l'écoulement fur- naturel d'une quantité inconce- vable d'eau pour laifFer les mon* tagnes & la terre à fec ; les dé- bris de verre dont notre terre étoit compofée , devenus ferti- les y & produisant les plantes ôc les arbres fans aucune femence préexistante ; l'Homme & les Animaux paroiffant formés tout* à- coup par le concours de petits atomes plus ingénieux que Mv. de Buffon lui-même^ ôcagiffant dk^^cert pour faire;; parleur timoii> ces machines admirables/ fans l'efficace d'un feul mot du Créateur. Les vérités mathéma* tiques > pures fiûions de l'efprit Humain , &c. ôcc. Tous ces fyfe têmes monûrueux^ dis-je, m& firent rire d'abord , puis mexho-v querent m'allarmerent enfuite* Voilà tout uniment ce qui me détermina à prendre la pluma pour vous les faire connoître.; ce qui valoît mieux > je penfef que de vous envoyer le livre qui les contenoit; Voilà vMonfieur 5 toute Fhift toiredeTimpreflionde mes Let? très : c'ejtdonc unlbupçon très-s- injufte que ce: qu'on a hafardé> en publiant par-tout> même dans ks.Pays étrangers >^(car jefaî îrès-bien jufqaoù on a |u 1W t'a*]* cîrefle de faire pénétrer ces bruits ) que ce f&vant m'avoit apofté pour fe venger, comme fi perfonne le pouvoir faire avec plus de fupériorité que lui s'il en avoit eu le moindre defin J'ai cependant relevé , en pa£ fant y le mépris que M. de Buf- fon affe&e pour les ouvrages de ce Savant ; mais avec tant de fo- briété, que le lefteurattentif s'eft bien apperçu que je ne parlois pas comme un homme chargé d'une apologie > mais comme le fimple écho du Public y qui eft toujours indigné iorfqu on traite avec fi peu d'égards & il indé- cemment ceux qui confacrent toutes leurs veilles à î'inftruire: fi utilement & fi. foli dément.. Tous ces différens griefs ; au£ quels je crois avoir fatîsfait * les femoit dans les compagnies* on les communiquoit aux Etran- gers par des lettres : perfonne n'avoit encore pris fur lui le foim de les rendre publics par la voie de rimpreffion ; M. Deflandes a bien voulu s'en charger daim la Préface du troifiéme volume, de fes Obfervations Phifiques;. J'ai l'honneur d'être un peu con* nu de ce Phificien^ M je ne puis comprendre ce qui Fa mis de iï mauvaife humeur contre moi ; car j'aime mieux taxer de mau- vaife humeur que de malignité^ les réflexions qu'il s'elt permife fur mon compte. « Le meilleur ouvrage> dit-il^ » que nous ayons fur la Phifîqûe m depuis le commencement .des- * ce fiécle eû^fans doute,YHi{- » toire naturelle générale & par-^ ti-culiere > avec la Defcriptionu » du Cabinet du Roi. Le penfe^ t'il réellement y ,M. Deflandes % lui qui certainement fçait ce que c'eft que Phifique ? Je dois Yen croire puifqu'ii le dit. Mais il faut fuppofer qu il ignoroir la retra&ation.que M* de Buffon a donnée à la Sorbonne > où il dé- favoue fa finguliere théorie de la formation de la Terre & des Elanettes y Tunique chofe qui ait quelque air de phifique dans l'Hiftoire naturelle générale & •particulière ; car je ne crois pas que M, Deflandes hazarde ja- mais d'appeller Phifique le fiftê— nre de la. reprodudion des ani- maux inventé par fon ami, II m 3 Il continue. «Le Jbiïde Au* » teur de cette hiftoire , niéritoit * par l'uni verfalité de fes con- * noiflances & par la manière «ingénieufe dont il les rappro- che, les applaudifïemens des « Gens de Lettres » non pas des * Phiiiciens : » maisaumilieucte « ces applaudiffemens non man- » diés y ni donnés par complai*» * fance; ont paru des Lettres à » un Américain, & imprimées » à Hambourg. » Eft-ce que ces Lettres ont étouffe ces applau- diffemens non mandiés, ni don- nés par complaifance ? » Mais » d'où viennent ces fi&ions ri- » dicules? D'où vientce dégui- sa fement qui ne trompe pedon- *> nef D'où vient cette impoflurc *> dans le titre & dans les carac- V h Partie* Ç 126 3 « teres ? » Qae penfer de toutes! ces queftlons , fi M. des Landes eft au fait? Mais il eft trop hon- nête homme, pour les faire avec connoiffancede caufe. J'avoue qu'il ne m'eft pas permis de ré- pondre àtoutes ; c'eft lui en dire affez pour lui prouver ma mode- ration , & l'indifcrétion de l'in- terrogatoire qu'il me fait fubir. Je puis néanmoins lui donner quelques éclaircuTemens. Je ne fat ce qu'il veut dire par dégui- fement ridicule ; il s'expliquera quand il voudra. Par impofture de titre , il entend apparemment que mes Lettres n'étoient point réellement adreiTées à un Amé- ricain : quand ce feroit une pure fiaion , pourroit-on l'appel- ier une impofture ? Les Lettres t*7l de contra- dictions ^ de traits d'imagination; îiafardés : M. des Landes répond à tout cela que j'en ai impofé au Public par le frontifpiee > les ca- ractères & le lieud'impreflion de mon Livrer M» de Bufïbn n'eft- il pas bien vengé 3 1 n'eft-il pas Sbien jùftifié ? Plaifante apologie î Il termine fon incurfionfur moi y par unç leçon importante* . ^ Il falloit dire naïvement. » Je n'ai pu le faire avec plus de naï- veté "y 3> mais avec politeffe^ »*, ce qu'on vouîoit dire } fans jet- * tpr des nuages fur la religion de ^ quelqu'un^ dont la conduite &>ite réfpire que l'honneur y la w vertu, la probité » & la foi qu il faut fous-enteildre > pour trouver ici un peu de Logique. Quant à la politeffe, je rten ai manqué que dans le cas où elle eût été une infulte. Er il les le- vons que M. des Landes me donne , font des pièces de com- paraifon en genre de politefîe r je ne l'ai bleffée nulle part. J'ai déjà répondu aux reproches con- cernant la religion de M. de Bu£> fon. Je n'ai rien dit contre l'hon- neur y la vertu y la probité de mon adverfaire ; je ne pourrois fbutenir les reproches que j' au- rois à nie faire à cet égard* Je me fais une vraye peine d'être obligé cte répondre à M, des Landes far le même ton qu'il lui a plu de £22j prendre avec moi; car je -fais- cas de fes études > 6c je voudrais de tout mon cœur mériter foa eftime* On ne me reproche pas an moins d avoir manqué de rendre jufticeà refprit de M. de Buffon & à la majefté de fon ftyle acadé- mique. J'appelle ainfi fon ftyle brillant ,, parce qu'en lifant le difcours de l'Auteur à l'Acadé- mie Françoife 9 à la fuite de ce- lui qu'il nous a donné fur la natu- re des Animaux , j'ai trouvé dans l'un & dans l'autre Funiiïon le plus parfait. Je fuis trop fincere pour diflimuler > que c'eft précis fément parce que M. de BufFon efttrop difert & trop éloquent y qu'il doit peu compter fur fes rai* fonnemens. Son imagination dl I3ïl éloquente pour lui-même ; ellâ déclame dans fon cerveau d'une façon harmonieufe , ce qu'elle lui préfente j elle ne lui montre jamais les idées feule à feule 9 ni dans leur fîmplicité> mais tou* jours faftueufement parées > ton* jours combinées de façon qu'el- les forment pour kii un fpe&acle éblouilfant. Aulïi eft-il le feul qui ait découvert entre les idées une coneJpoàdance^karmoniqueilj^Yéi rité difparoît: pour lui milieu d'une lumière d'emprunt ; com-j me une image environnée d'un trop grand éclat , efl: dérobée aux yeux du fpe£tateui par un joui trop fort , ou comme la fimpho^ nie fait perdre les paroles dans un concert. Laftyle * dansxeux qui ont les r?4i cîîfpofitions les plus avantagea- is , eft le fruit de la réflexion , du travail & du goût : mais il eft tout formé dans l'imagination r fous la di&ée de laquelle M. de Buffon écrit , avant qu'il ait pris îa plume* Eft-il furprenant qu'il foit lui-même féduit par une har- monie qui a charmé le Public Jono^é durant plus d une année , & qu'il ladémÛ"^itcîansle cas de ces hommes 85 qui ont fcû commander aux au- tres par la puiflance de la pa- s> rôle » qui,» Tentent vivement^ s'aftedent de même, le mar- » quent fortement au dehors y&c *>par une impreïlîon purement *>méchanique> tranfmettent aux t» autres leur enthoufiafme ôc ^ leurs affe&ions. » Il fuit la rè- gle qu'il donne .y il écrit comme: ilpenfe; quels ouvrages feroient les fiens , s'il penfoit juft e ! Aufïi ne fe promet~ill-immor- Ru* talith que de la beauté de fon flyle. « Les ouvrages bien-écrits,, w nous dit41 > feront les feuls qui » paflerontà la pofterité. La mul- 3>titude des connoiffances la fin- » gularité des faits >, la nouveauté: » même des découvertes ne font & pas de fûrs garans de l'immorta- v lité , fi les ouvrages qu ils con- *> tiennent ne roulent que fur de «petits objets; s'ils font écrits o> fans goût, fans nobleffe , fans* » génie, ils périront, parce que s> les connoiffances , les faits fie: «*> les découvertes , s'enlèvent aU ^Jéinent -* par quelque plagiaire : qui ne- fait que mettre en œu- we ne peut, rie& inventer*. *> Mais lejlyle efl l'homme même « & l'on ne dérobe pas un Auteur comme on lui vole fes découver- tes. » Le ftyle ne peut donc ni » s'enlever , ni fetranfporter, ni s'altérer. » Cette conféquence, qui n'eft* certainement pas dans Tordre philofophique, par cette raifon, n*eft pas facile à faifir.» «S il eft( le ftyle) élevé > noble , » fublime^l'Auteurfera également ^ admiré dans tous lestems. Car »< (rendez- vous attentif, Mon- » (leur , ) il n'y a que la vérité qui foit durable & même éternelle; or , un beau ftyle n eft tel en » effet ^ que par le nombre infini de vérités qu'il préfenre. *è Les deux dernières conféquea- ces qui terminent cet extrait, jaae.. fer oient héliter fux lefuccàs durable des oeuvres de M. dd Buffon y car elles nous porte- roient à croire > qu'un ouvrage bien écrit, qui ne contiendrait point une infinité de vérités > n'auroit point cette beauté de ftyle. Que deviendrait celui de Lucrèce , dont le poëme au lieu d'une infinité de vérités, four- mille de fophifmes , de fauffes id^es & de dogmes impies > quoique fa manière d'écrire foit élevée^ noble , fublime ? Mais que deviendroit le ftyle de M. de Buffon * qui fe donnant pour rHiftorijen dp la Nature^ne nous décrit que fes fonges & fes fic- tions ) ;& ne nous apprend aucu- ne vérité phifique ? Peut-être notre Auteur en* tend-il par ces vérités qui font le tm •mérite du ftyle, les vérités ©è images & de fentimens , & la pro- priété dans le choix des Tropes* Ceft ce que la réflexion fuivan- £«**-te femble dire, » Toutes les » beautés intelle&uelles qui s'y y trouvent ( dans le ftyle ) tous *> les rapports dont il eft compo- *> fé y font autant de vérités auffi « utiles / & peut-être plus pré- ¥ cieufes pour refprit humain f ^ que celles qui peuvent faire le « fond dufujet. » Selon cette interprétation très-adoucie > que je propofe , on concevroit que la beauté du fty- le confifte , non feulement dans - la jufte proportion des phrafes & des périodes 5 & dans un af- fortimentde ces différentes par- ties^ d'où réfulte uivgenre d5har- Î39l monie , mais encore dans la vert? té des images bien choifiesy .dans le langage naturel des paf- fions,dans les Tropes propres an lu jet que l'on traite > ou à la fi- tuation de FEcrivain & des Lec- teurs. Alors on trouverait dans Lucrèce des images vrayes ôc riantes , Texpreffion naïve de la corruption du cœur humain 9 telle qu'on aime à la fentir en foi-même; des figures agréables^ adroitement ménagées > pour diftraire fur le fond du raifonne- ment , & tout cela peut être auflî amufant que l'objet du Poëme eftfaux & déteftable. Mais tou- tes ces beautés peuvent - elles être appellées intelleâuelles , & peut-on dire qu elles contribuent à perfectionner Telpr.it humain f t4°] SI on ne confond pas l'agréable avec l'utile , ôc le coloris avec le deflein ? J'obferverai de pks,que dans les ouvrages où il s'agit d'opérer la convi&ion , tels que font les Livres de Philofophie , ceux oà les beautés de goût l'emportent fiir le fond de l'ouvrage, font très-mauvais. Si M. de Fonte- nelle lui-même , eût écrit le der- nier ouvrage ^ où il tâche de réta- blir, contre les Newtoniens, ïe fyftême du méchanifme dans le mouvement des Cieux, comme il a écrit fes mondes , j'ofe dire qu'il eût fait une tache à fa gloi- re. Vous voulez me convaincre de certains dogmes , & vous ne faites que m'amufer & me dif- rraire ; vous ne m'inûruifez ni me perfuadezj perfuadez ; vous ne remplifféfc donc pas votre objet ; vous ne répondez pas à monr attente. Je vais au Sermon; & le Prédicat teur me fait rire ; je fors indigné, parce que je m'étois monté fur le ton ferieuxj & l'on me pro*» cure un genre de plaifir auquel je n afpirois pas : je laifle vonx livre comme j'ai quitté > le fëo- mon. Que ne m'annonciez^vous que vous travailliez dans le goût de Cirano-de Bergerac > &T que yotre unique but étoit de touiv ner en ridicule & les Bhilofo- phes Ôda Philofophie j.voes êtes plus éloquent fans doute que cet efpece de fol, vou^ écrwez mieux : vous m'auriez < diverti i plus décemment» . J^-:convieBsqae;M:.de BufP- îon » dans le difcouts même fe- lequel je viens de faire quelques réflexions, nous donne des eho- fes très-bien penféès & très-uti- les pour la compofitiom J'avoue que fa manière d'écrire eft élé- gante ; mais je penfe qu'elle l'eft trop, pour les matières philofo- phiques qu'il traite. Il eft capa-* ble d'embelHr la vérité ; fon hif- toire du Cheval , de l'Afne & du Bœuf, le prouve; il y intérefle & yinftruit; mais je lui demande grâce pour fa Métapkifique ; c eft un facrifiee qu'il fera à fa, gloire, mais qui me réduira à l'admirer uniquement, On m'a demandé pourquoi uri grand nombre de Lefteurs trou- ve l'Hiftoire Naturelle fi facile à fai£k?Elle Vous méne?.me; di- fbit-on , par un chemin dont la, pente eft douce & impercepti- ble; on y court à perte d'haleine,, fans s epuifer ; tout ce que l'Au- teur dit ,eftfaifi dès qu'il eft lû.- J'ai répondu qu'il eft très com- mun de confondre la netteté & Kéclat duftyie avec la clarté des idées & la lumière de l'évidence^ Je me défie de tout Livre de1 Philofophie , pour lequel le Lec- teur fe paffionne, comme un Amateur pour un Concerto-, L'enthoufialme qu'on y prend , m peut être que l'effet de l ex- preflion , jamais de la vérité ; cel- le-ci eft belle , mais fans affecîa- tt(ïn;fon commerce eft toucliantj, mais il eft férteux. Au contraire^ , le ftyle fleuri eft toujours une ce* guetterie dans unsPhilofopEe a £% " C44 3 qurle rend rival de la vérité'. Où prendra ma penfée fi l'on exami-* ne la foule fortant d'un Sermon.1 Voyez-vous des yeux guais , des vifages ouverts ; entendez-vous mille clameurs ? Cet homme eil divin : ! Ses difeours font * enle* vans ; c'eft un Rhéteur qui a prêché > il a réuffi > fon âettem étoit de fe faire admirer* Voyez- vous $ au contraire $ des phifion-». nomies fombres & penfives rdes gens dont l'air annonce qu?ils font, mécontens d'eux-mêmes ï G'eft unPrédicateurqu'on viens d'entendre ; il a voulu occuper delà vérité, &> n'occuper que d'elle. Le vrai moyen de diiïl^ per l'enchantement du ftyle, ês dediftinguer fi les faillies d'ad^ miration naiffe&t de l'agrément Se la compofition , ou delà fol& éité des principes qu'on a lûs; e'eft i°. d'examiner fi cette ad- miration tombe fur PAuteur , ou far les objets qu'il préfente % a?, de rendre h doftrine en flyli familier , & comme on en ren^ droit compte à un ami. Ces deux épreuves fuffiront pour fe garant tk de ces illulîons pafFâgeres 9 dont le Public eft quelquefois là dupe* quoique pendant un tems afTez.court* Il arrive encore trës-fôuvent q*i'un Philofophe parok clair en débitant fes principes^ les plus obfcurs y & qu'il femblê que feé leçons ne font que celles de la nature. Gela arrive quand il ne rend que ce fond dobfcurM: €|u'on trouve chez foi^& ^'arrêtant à lafurface , on ne pé- nètre pas plus avant : on recon- noîtalors dans la defcription que Ton lit rœ qu'on trouve toujours en foi-même > faut e de s'être ap- jprofondi, ce même fond d'obfcu- - ïité. Ainfi on donne le fentiment aux organes de lamachine : n'eft> ce pas là où vous fèntez ? Et à l'âme la réflexion ? Votre doigt qu'ils n'en font pas même entrevoir , Ôc qu'ils ne font point goûter au LeÊleur le plaifir de partager avec l'Auteur 1-faonneur de fes propres décou- vertes y par l'application ôc la méditation* Souvent l'Auteut neft qu'un ; pédant qui débite avecppmpe * les petites erreurs que nous avons confervées de notre première ignorance. La Ehiiofophe n'enfeigne pas 5 ,ii; étudie avec fon Le&eur > au Tri- bunal duquel il foumet fes re- cherches ; il le fatigue > mais il; fântérefie en faroiflant le con-* fulter*. Voilà , Mônfieur > tout cè g»ejHerûjdevoi£ àma jpftifiçfe tïon vis-à-vis du Public & ÊSt" vous-même > à qui je voudrois plaire autant par ma droiture & par ma modération , que par les fentimens avec lefquels> ôcc. XIVe. LETTRE, M On sieur* 1 1* eft quelquefois très-utik ' à l'homme de fe tromper , parcs qu'il lui importe de - connoîtrè les bornes étroites de Ton efprit '% & de fentir qu'il neft pas in faillit Me. Mais il eft toujours très* glorieux de, faire l'aveu de fes erreurs ; c'eftle moyen le moins équivoque de prouver que/ l'a» mour delà vérité l'emporte fur l'amour I4P3 •l'amour de nous-mêmes. M. de Buffon nous en a donné un exem*- pie précieux par les explications qu ilenvoya à la Sorbonne dès le 12 Mars 17; 1 , & qu il fe fe- roitprobablement hâté de pu- blier j s'il eût été perfuadé com- me fes amis le répandoient , que -mes Lettres euffent jetté des nuages fur fa Religion. Somkt ^ Jiumble déclaration eft la démar- T* che la plus philofophique & la plus chrétienne que nous put fions attendre de lui Dans cette déclaration , ïî abandonne tout ce qui , dans fou Livre, regarde la formation de la terre , &en général, tout ce qui pourroit être contraire à h narration de Moïfe, comme la pré-exiftence des Poiflbns avant VL Partie* E tous les autres Animaux , les ter- reurs frivoles d'Adam, &c. Il protefte qu il n a préfenté fon hy- pothèfe fur la formation des Pla- nètes , que comme une pure fuppofition philofophique* Il s'explique d'une façon convena- ble fur ce qu il a dit de la vérité , & ne fe réferve que le droit fin- gulier de regarder les Théorè- mes de Mathématique , comme des vérités de fimple définition , 6c qui ne font pas des vérités dé- finies. Il fait un afte de foi très- précis , fur Fexiftence de fon corps , & donne par-là un défa- y eu formel de toute la métaphi- fique qu ilavoit tirée de fes ex- périences microfcopiques , & fe purge très-bien du foupçon de foutenir PImmaterialifme miver- $1 Enfin , il s explique fur cù <}ull avoit avancé , que rame eft impaffible de fa nature, & prétend, que par impaffible , ô& a dû entendre indeftru£fible. Il ne dit pas quelle éprouve la douleur en cette vie, vous ver*, ?ez même dans la fuite , Mon- sieur, qu i! n'a pu le dire , mais il n'a pas cru » que par lâpuif- fance de Dieu elle ne pût être *> fufceptible des fentimens dep< » douleur que la Foi nous ap- » prend devoir faire dans l'autre *> vie, la peine du péché & le «tourment desméchans.» Ainfi, félon lui , lame n'eft fufcepti- ble de douleur, après la mort, que par un miracle ; cette fut fceptibilité n eft pas de fa na- ture. Etrange paradoxe , de- -menti par notre expérience jour naliere , & que la Sorbonne a laifTé probablement pafîer, com- me une erreur purement philo^ fophique. Après ces Préliminaires j M; de BufFon nous invite à étudier i'Hiftoire des Animaux fur un p- principe affez furprenant. SUl « n'exiftoit ;point d'animaux * » nous dit-il , la nature de Thom- » me feroit encore plus inco'm- *> préhenfible. *> Vons ne lui pat ferez pas , Monfieur , ce para- doxe ; vous favez trop que rien n'eft moins clair pour nous que la nature des animaux , dont nous ne voyons que les dehors , & qu'aucune des connoiflances qu elle nous procure 5 n'équi- vaut à l'étendue de celles que no? En 1 î?re fens intime nous donne de nous-mêmes. L'Auteur veut au contraire , » en nous faifant dif* *>tinguer nettement les pririci- •> paux effets de'l&mêehàftiqae vi- p. 4. '» vtâiteâ (quelle expreflion!) nous p conduire à la fcience impor^ V tante dont l'Homme même e& » l'objet. C'eft ainfî qu'il débute^ dans fon ampledifcours fur les: Animaux , où l'on Voit bien qu'il n'a pas abjuré fa méthaphifique* Pour entrer ea? matière, il écarté d abord fagement les 3 propriétés qui appartiennent *»■■ l'Animal , parce quelles appar- tiennent à toute matière; « ré- tendue^ la pefanteur , Timpé- nétrabilité, la figure , la capaci- té de mouvement Ôc de repos. Il thidt rejette encore les facultés com^ irarnes à l'Animal & au végétale Mais il veut de plus « éloigner de nos confidérations cette ef- ^ pece de nature animale parti- » culiere 3 « dont l'organifation eft très-différente de la nôtre r pour s'attacher à ceux des Ani- maux qui nous reffemblent le f - 5 plus. »L'œconomie animale d'u- « ne Huitre , par exemple, dit-il^ ™ ne doit pas faire partie de celle » dont nous avons à traiter. » I1 s'engage enfuite à établir par des preuves claires & folides > le de- gré précis de l'infériorité' des ibià. Animaux y » afin de diftinguer •» ce qui n'appartient qu'à l'Hom- « me y de; ce qui lui appartient ea » commun avec l'Animal. » \ Ainfij il circonfcrit fonfu jet % ôc en a retranché toutes les ex^ tïrT trèmités excédentes , comme il Je dit. Il le divife enfuite ; mais par grandes maffes. p Avant » d'examiner en détail les parties »> de la machine animale , & les * fondions de chacune de les tà parties > voyons en général le *k réfultat de cette méchanique ; > &jfans vouloir d'abord raifon- »>ner fur les caufes, bornons- &> nous à conftater les effets. » Il diftingue dans FAnimal deux manières d'être y quife fuo- eédent alternativement , la veil- le & le fommeil. » Dans le pre- ?• 7* »>mieréta£, tous les refforts de » la machine animale font en » a&ion : dàns le fécond, il n'y » en a quune partie > ôc cette » partie qui eft en a£tîon pendant ?*le fommeil } eft auffi en a&ion E iiijt ^pendant la veille : cette partie- at eftdonc d'une néceffité abfo- » lue , puifque F Animal ne peut «exifter d'aucune façon fans ocelle. Cette partie eft indépen- sé dante de l'autre , puifqu'elle » agit feule : l'autre au contraire » dépend de celle-ci > puifqu'elle » ne peut feule exercer fon ac~ 9- » tion...... L'aftion du cœur & «des poulmons dans l'Animal *»qui refpire, l'a£tion du cœur sxdans le Fœtus , paroîffent être sucette première partie de l'œ- é conomie animale ; l'a&ion des » fens & le mouvement du corps ».& des membres, femblent * conftituer la féconde. "Tout- ceci eft clair & méthodique, les indu&ons que l'on en va tirer ne- h. font pas. Jugez-en, Monfieujv 35 Si nous imaginions donc des5M4 ^Etres auxquels la Nature n'eût » accordé ,que cette première ^-partie de Toeconomie animale r » ces Etres qui feraient néceflai- » rement privés de fens & de » mouvement progreflîf ^ ne laif- *> feraient pas d'être des Etres i a> animés , qui ne différeraient »t en rien des Animaux qui dor- as ment. Une Huitre > un Zoo- « phite , qui ne paraît avoir m « mouvement extérieur fenfible* »ni fens externe , eflr un Etre: » «formé- pour dormir toujours* »-Uh végétal ( écoutez ce que nous ne favions point ) » n'eft » dans ce fens qu-un Animal qui » dort, px Quand on écrit avec enthou- fiafme y, on. outre également le? grand & le petit, & l'on oublie ce qu'on vient d'établir un mo- ment auparavant. Il a reconnu une partie dune nécefllté abfo- lue pour l'Animal y qui ne peut exifter d'aucune façon fans elle : il a décidé , très-légerement à la vérité , que cette partie étoit le cœur en a&ion ; & il veut que le végétal, qm n'a ni cœur, ni rien d'analogue au cœur, foit un Ani- mal qui dort A comme le Fœtus animé * ou comme une Huitre. Il auroit pu faire encore cette autre obfervarion , que la plupart des végétaux ■> comme nos Chê- nes > font comparables à la Mar- mote , qu'ils dorment pendant fîx mois dePannée dans l'hiver, du- rant lefquelsils ne donnent au- cun figne de vie i & qu'ils veii- im lent pendant la belle faifon. Cet- te précifion vaudroit afliirément fa définition du végétal. J'ai dit qu'il avoit réduit très-légere- ment au cœur en a£tion y la par- tie abfolument effentielle à FA- nimal. Combien d'Infe&es > en effet y font regardés comme de vrais Animaux > dans lefquels on ne foupçonne pas même de cœur* tels que les Chenilles ? &c. Il le reconnoît lui-même* *>Dans la&^* a plupart des Infe&es , par exem- «pie* rbrganifation de cette » principale partie de Fœcono- » mie animale eft finguliere ; au lieu de. cœur & de poulinons* w on y trouve des parties qui fer- ^ vent de mâme aux fondions vl- fé taies , & que par cette raifon * j« on a regardé comme analogues £6ej à cesvifceres y mais qui réelle- * ment en font très-différente$r » -tant par la ftru£ture que par le » réfultat de leur aéHon* » Tou- tes ces inattentions échappent à un Le&eur emporté par le même enthoufiafme qui a diftrait l'Au* teun* \% La principale différence qu'il remarque entre les Animaux , effe prife de leur enveloppe exté- rieure y ôc il obferve que c'efl aux extrémités de ces envelop- pes y que font les plus grandes l8# différences* Il dit enfuite que *> le cerveau ôc les fens forment » une féconde partie effentielle y à Pœconomie animale > ( ôc » que ) le cerveau, eû le centre ^ de l'enveloppe y comme le $> cœur eftle centre de la partie ■b intérieure de V Animal » Après ces préparatifs , il ébaiH chefon fyftêrne de fœconomie animale , par rapport aux mou- vement qui fuivent Fimpreffion des fens : & fa doârine en ce point aura paru claire à beaucoup de Le&eurs ; & cependant rien n'eft plus obfcur ni moins phifî~ que. Ecoutons-le > mais ne tron- quons point les textes > il eft né- eeffaire d'en rapporter d'affez longs pour n'être pas foupçon* nés d'exténuer les principes de l'Auteur, *> Le cœur & toute la partie p- » intérieure > agiffent continuel- a> lement , fans interruption , & » pour ainfi dire* méchanique- »jment & indépendamment P d'aucune caufe extérieure ; les » fens au contraire & toute l'en* « veloppe , n agiflent que par des ^intervales alternatifs, & par n des ébranlemens fucceŒfs , ^caufés par les objets exte- *> rieurs- » Je ne fçai ce que ligni- fie là toute l'enveloppe. Les ob- m jets exercent leur a£lion fur les fens : » il veut dire fur les orga- nes des fens , comme fax la ré- tine y &c. » Les fens modifient » cette aûion des objets. » Je ne reconnois point ici le Phyficien» L'appareil intérieur de l'oreille, reçoit les vibrations du fon telles qu'elles lui fonttranfmifes parla corde d un infiniment ; elle ne 3es modifie pas. Les rayons fouf- frent des réfraâions > en traver- fant les humeurs de l'œil, qui aepeuventêtre âppelléesle fens t*3] de la vite ; mais les rayons com3 îiiuniquent à la rétine le genre d'ofcillation qui leur eft propre * & la rétine reçoit , & ne modifie point ces ofcillations. Il ajoute* »> Les fens en portent l'impret +> fion modifiée dans le cerveau $ *> où cette impreffion devient ce a> qu'on appelle fenfation. ^ C'eft p- donc le point du cerveau , ou rimpreffion , où une image, par exemple , peinte fur la rétine , eft reçue, qui voit. Cette image eft tranfînife dans quelque endroit du cerveau ; là, elle devient, non apperçûe , mais la vifion même de l'objet qu'elle repréfente^ fans aucune nouvelle modifica« tion ; par une opération magique Tefpece impreffè devient exprejjè, comme s'exprimoient nos vieux Icholaftiques , fans l'interpolé tiond*un i»^/fe^^»r. Ce n'eft tplus mon ame qui voit les ob jets? c'eft un point de mon cerveau * que mon amené connoît point ^ & qui feule a la fenfation de vi* lion ; comme elle efc impajfible de fa nature , elle eft aveugle. En vérité peut-on dire que tout cela foit clair; combien de Le&eurs cependant auront trouvé & très- précis & conforme à leur expé- rience, ce que je viens de rap- porter ? Il continue , toujours fur le même ton & de précifion & ibid.de lumière. «Le cerveau, en » conféquenee de cette impref- *> fion , agit furies nerfs , & leur m communique l'ébranlement qu il vient de recevoir , &c c'eft » cet ébranlement qui produit le mouvement & mouvement progreflîf & tôu- *>tes les autres aftions extérieu- res du corps ôc des membres de «d'AnimaL «Ceft donc Fébran- lement % le genre d'ofcillation que le cerveau a reçu des diffé*- rens traits de lumière^ qui com- muniqué aux nerf&> fait allonger le bras ? ferrer la main y là retirer enfuite , faifir le fruit d'où les traits de lumière avoient été ré- fléchis dans notfe œil. Quelle merveille! Des rayons rouges y par un ton d'ofcillation propre^ tranfmettent leur ton de vibra- tion aux nerfs des jambes ô£ des bras ; & en conféquence dé cette îtanfîniflion , mes jambes fe rés- ument alternativement? r pour approcher d'une Pèche ; mon liras fait tout ce qu'il faut pour la m Partie, R" 166 y faifîr. Ceft un effet delà lumië* re qui a échappé au grand New* ton. D'où tire-t'on donc cet étran- ge., phifique ? De ce principe. * Toutes les fois qu'une caufe agit fur un corps , on fait que »> ce corps agit lui-même par fa. réà£l;ion fur cette caufe. Ici les * objets agiffent fur F Animal par ?»le moyen des fens, & l'Afîfc « mal réagit fur ies objets parfes » mouvemens extérieurs. En gé- néral ^laOtion eft la caufe,& la Mà. » réà&ion l'effet. « Axiome in* foutenable en bonne Phifique,. lia pereufïïon bande les reffprts de deux corps qui fe choquept , & fon effet fe termine-là, ceft l'a£3tion : enfuite les refforts fe débandent > & les deux corps fe 1 67 1 rérabliflèm, voilà la téaaion : fécond effet, lequel doit être rapporté à une force intérieure aux deux corps , & non pas à la. caufe du choc Combien de fois avez-vous reconnu , Monfieur, dans les Ouvrages de M. de Buf- £on, de ces exprefllons hafar- ceux-ci les traits de lu- mière qui les avoient mis en. ac-v tion. Ainfi ^les rayons lumineux feroient repercutés fur l'objet d'où ils avoient été réfléchis. Ne voudroit-il point nous dire, que daas r.efpece que je viens depropofer,ks efprits du rigés par la lumière , , en frappant quelque endroit du centre pré- tendu des fens> y détendent quelque rçffprt pouffent quel- que foûpape , font quelque chofa d?analpgueau.méchanifme > qui ftit fonner les. heures dans , un^: 09% Horloge; ou aux, jeux que tïrd l'Organifte , fuivant le caraÉlera de Pair qu'il veut jouer; enforte que par ce -moyen-, des efprit& font déterminés à enfiler les nerfs, néeeffaires pour faire agir tel ou tel de nos membres* J'âurois bien des queftions int^reffantes, à faire fur cette explication. Mais* comme elle.revient aux idées da M. Defcartes , fur.Pœeonomie: des Animaux 5 & que Mi de Buf- fon ne fe donne pas pour un Dif- ciple, qui daigne penfer d'après ce grand Maître : je fuis difpen- fé de les faire. ïln'eft pas proba-r jble que M, de Bufïon ait adopté cette opinion* fon raifonnementc a'y port e point du tout* Ils'obje&e que l'effet n'eft" ..n* ^ point proportionnel à la cmfek [70j S que dans les corps folides qu£ *>fuiventles loix de la Mécha- •■nique, la réa&ion eft toujours »> égale à Faction ; mais que dans »-le corps animal x il paraît que » le mouvement extérieur , ou la 3>réaâion r eft incomparable- ornent plus grande que l'a&ion *> & que -, par conféquent le mou*-- 9> vement progreflif & les autres s» mouvemens extérieurs, ne doi- » vent pas être regardés comme » de (impies effets de l'impref- ^fion des objets fur les fens. « Il répond « qu'il y a dans la nature ^ un grand nombre de cas 6c de: circonftances, où les effets ne *» font en aucune façon propor- tionnels à leurs cmfes apparen- ftid. » m. » H donne pour exemple *, l'étincelle avec laquelle on en- C.7*T flamme un Magafin à Poudres* les terribles effets de l'Ele&rici- te y dûs au feul frotteilient léger d'un globe de verre; . Mais Pao tion de l'étincelle & le frotte- ment du verre :> font caufes non feulement apparentes, mais réel- les des phénomènes qu'il rappor- te. Au lieu que Fimprefllon des^ fens y n'eft caufe ni réelle ni ap- parente du mouvement progre£ fif des Animaux. Car fi les prin- cipes de M., de Bùffon étoient folides, toute impreffion de Im, lumière fur nos yeux r cauferokr toujours uneréââiôn dtrcerveau qui nous* ferok approcher de îf ob jet > ce quii effc. très-contraire àrexpérience. De deuxhommesi qui voyenfc un fruit % Fun le faifk: ayee avidité^ l'autre ne fait gasi ïe moindre mouvement pour le prendre. Ua million d'objets frappent par jour les yeux d'un Animal , qui ne fera pas le moindre pas vers eux. 22. Aufli nous avertit-il qu'il » ne prétend point aflurer comme » une vérité démontrée , que le ^mouvement progreflif , & les ^ autres mouvements exérieurs r » ayent pourcaufe, & pour eau* ^fe unique, l'impreflîon des ob^ » jets fur lés féns « mais on s'at> tendoit pourtant à une démons- tration y puifque l'on partoit d'un principe de méchanique préten du. Pafïbns à TAuteuncette inat- tention, «je le dis feulement **■ comme- unexhofe vraifembla*- k ble, & qui me paroît fondée : -5 fur de; bonnes, analogies**» Quelles : truelles font-elles f Voici la pre- mière.» Tous les Eftres organi- sa fés qui font privés de fens, » font aufli privés de mouvement ^progrejGTif^&tous ceux qui en » font pourvus , ont tous auflï ** cette qualité a&i ve de mouvoir *> leurs membres & de changer « de lieu. «Ces Eftres organifés dénués de fens , font apparem- ment les végétaux, car je ne connois point d'animaux de cet- te efpece. Seconde Analogie. Je vois de plus qu'il arrive fou- » vent que cette a&ion des ob- » jets fur les fens > met à i 'irritant ^l'Animal en mouvement, fans « même que la. volonté paroifle » y avoir part. » Afin que l'opi- nion de M. de Buffon fût vraye > il faudroit que cela arrivât totp VL Partie, Q [74] jours > dans le cas où la volonté ne s'y oppofe point > » & qu'il ar- rive toujours , lorfque c'eft la » volonté qui détermine le mou- » vement > qu'elle a été elle-mê- » me excitée par la fenfation qui » réfulte de Timpreffion aftuelle * des objets fur les fens> ou de « la réminifcenc^ d'une impref- » lion antérieure, * Ce fécond phénomène contredit la dodrine de F Auteur > puifque la volonté détermine alors les mouvemens pour rechercher l'objet > ou pour le fuir : ce n'efl: donc pas la fen- fation qui les caufe. Je l'ai fouvent obfervé quand M, de BufFon rapporte quelque phénomène > c'eft toujours con- tre ce qu'il entreprend de prou- ver. Il nous invite ici à analyfer le phifîque de nos actions. H vaut mieux effectivement partir des connoiffances que nous avons de nous- mêmes > pour nous former quelque idée du principe qui fait agir les Ani- maux , que d'attendre pour nous connoître ^ que nous ayions dé- couvert la fouree d'a£tivité dans les Bêtes. Il nous dit que »le p. 2^ • défir que fait naître fimpreflïon *> fur quelque fens, ne peut être » que relatif à quelques-unes de ■» nos qualités , & à quelques unes de nos manières de 33 jouir ♦ Nous ne délirons *> ( l'objet apperçû ) que pour ïa~ ■«» tisfaire plus pleinement le fens » avec lequel nous l'avons ap- » perçu ^ ou pour fatisfaire quel- «? ques uns de nos autres fens en G ij encore plus agréable j ou pour o> en exciter une autre j qui eft » -une nouvelle manière de jouir » de cet objet.. ... Le deïïr ne » vient donc que de ce que *» nous fournies mal fitués par » rapport à l'objet que nous ve- inons d'appercevoir , nous en ^ fommes trop loin ou trop près-: *» nous changeons donc naturel- élément de fituation, parce » qu'en même tems que nous m avons apperçû l'objet > nous * avons auffi apperçû la diftance «ou la proximité, qui fait Fin- v commodité de cette fituation, » & qui nous empêche d'en jouir « pleinement. Le mouvement p ijiiQ nous faifons en conféquen* £77] S ce du defir , & le defir luî-mê - «* me ,ne viennent donc que de » l'impreflion qu'a fait cet objet *»fur nos fens. - Et moi j je me crois autoriféà conclure , des principes mêmes de M. de BufFon x que l'impref- fion de l'objet fur une partie de notre cerveau % quelque foit la partie où les images font feçûesj n'eftcaufe efficiente ni du défirr m desmouvemens qui fuivent le defir : car le defir naît de la con- noiffance que. nous avons du rapport > non le rapport de l'em- preinte ou de l'image repréfen- tée dans le cerveau > laquelle ne s'apperçqit point elle-même y & n'eft point apperçûe par l'âme* mais du rapport de l'objet peint, avec notre bien être. Il naît de là Giij; mi eonnoiÏÏance que cet objet pré- fent eft propre à fatisfaire quel- quebefoin y comme la faim , ou a nous procurer quelque agré- ment ; & cette connoiffance n'eft & ne fauroit être aucun ef- fet méchanique. M. de Buffon ne nous dit-il pas lui-même avec plus de miftére , mais moins d'exa&itude > que le defir eft re- latif à quelques unes de nos qua* lités y & à quelques unes de nos manières de jouir. Or> je vou- drais bien favoir, quelque foit Tordre des rayons réfléchis d'un objet y quelque foit le ton de vi- bration de chacun de fesrayons* s'ils impriment philïquement ce rapport purement fpirituel, ou la connoiffance de ce rapport fur l'image qu'ils peignent au foixd [79] rdu cerveau. Cependant le defir naît de ce rapport connu > il n a donc point pour caufe efficiente, l'impreffion de la lumière. M. de Buffontire de fa doc- trine, une conféquence contre les Huitres > car elles ne lui plai- fent point > & je ne fai pourquoi. *> Un Eftre organifé^qui n'a point p. te de fens ; une Huître , par exem- ple, qui probablement n'a qu'un toucher fort imparfait , » quelqu'imparfait qu'il fut ce feroit un fens *> eft donc un » Eftre privé non feulement du » mouvement progrefTif , mais encore de fentiment & d'inteî- »ligence , puifque l'un ou l'autre » produiroient également le defir, *>& fe manifefteroient par le m mouvement extérieur. » Avec G iiij C T quelle confiance l'Auteur nous débite-t~ii ici des faits démentis par l'expérience ! Quoi ! l'Huitre ne donne aucuns fignes de de- 1 firs , ni d'averfion > ni de befoin ? Pourquoi ouvre- 1- elle donc fa j coquille pour rejetter l'eau dont I elle a ufé , & en prendre de nou^ velle ? Pourquoi paraît - elle fa plaire à la tenir ouverte dans le beau tems en s'épanouiflant ? Quand elle pince le doigt placé imprudemment entre fes écailles ouvertes , elle ne donne aucune ^ marque de vengeance ? Quand elle ferre le couteau introduit j dans fon ouverture , elle ne fem^; ble pas occupée de fa conferva* tion ? Quarid elle fe, ferme > pouï peu qu'un corps la heurte > elle ne donne pas des fignes d'un ta£i [813 trës-fîh ? Le mouvement qu elle donne > (toute molle .qu'ellaeft* quelque peu propre qu'elle pa* roiiïe à agir de force) aux niuf- cles qui fervent à ouvrir ou à fermer fes écailles > fi pefantes par rapport à fon volume & à la eonfiftance de fa chair , n'a au- cune analogie aux mouvemens de nos membres ? Que ces mou- vemens de l'Huitre font admi- rables, aux yeux d'un homme qui obferve en Philofophe ! On ne remarque aucun art, aucune me^ veille de méchanique dans la produdionde fes petits ; aucune indultrie dans fa manière de trou- ver les parties délicates donè elle fe nourrit , & d'enlever à l'eau de la Mer ce fel acre & ce bitume, dont nous ne fornmes C82j point encore parvenus à la dé-* pouiller ? Si M. de Buffon veut nous donner quelque idée des Animaux dénués totalement de fens, qu'il cherche d'autres exemples ; les procédés de l'Hui- tre lui font trop contraires* Pourquoi revient -il fi fouvent fur des faits qu'il a fi peu étudiés ? Que les Huîtres foient indignes de fes obfervations > je le veux bien ; mais leur condition ne dé- pend en aucune forte de fa façon de penfer. 6m « Je n'affurerai pas , ajoute- » t-il , que ces Eftres privés de v fens y foient auffi privés du fen- » timent même de leur exiftence; & mais au moins peut - on croire & qu'ils ne la fentent que très- » imparfaitement > puifquils ne [83 3 » peuvent appercevoir 9 ni fen- »tir Texiftence des autresEftres.^ Je ne l'affurerai pas non plus : mais je trouve très-lingulier que l'on conclue , qu'un Etre ne fe fent qu'imparfaitement exifter , lorfqu'il ne fent point Fexiftan- ce des autres individus de la mê- me efpece^ ou d'une autre. L'exiftance eft une chofe pofiti- ve 6c non relative * & le fens in- time que Ton en a > eft indépen- dant de tous les autres Eftres. D'ailleurs les phénomènes que je viens de rapporter , donnent des indices très-forts de la fenfi* bilité de? Huitres à l'égard des imprefllons que les objets font fur elles y & fort femblables aux: fignes de fenfibilité que nous voyons dans les autres Anir; mauxA C?4] md. De l'idée qu il s'eft faîte des" Huitres y il tire cette conféquen- ce. » C'eft donc Faâion des ob- . o> jets furies fens qui fait naître » le defir , & c'eft le défit qui pro- » duit le mouvement progrefïïf.» Defirer & effeâuer ce que l'on defire > font des chofes très dif- férentes. .■ Vouloir remuer fon bras , & le remuer, l'un & l'au- tre ne vont pas toujours enfemr ble.Leparalitique le fait bien* Le létargique entend qu'on lui dit de ferrer h main ; il veut le faire , mais inutilement ; la vo- lonté feule du Créateur porte nécelfairement fon exécution. Vous obfervez fans doute; Monfieury.( ôc le trait eft fingur lier) que Monfieur de. Buffoa ayant choifî deux analogies , pour prouver qu'il eft. très- tm vraifembable quelempuvement progreflif, ôcles autres mouve- mens extérieurs ont pour caufe > & pour caufe unique , Fimpref- fion des objets fur les fens ; il nous conduit au contraire à cet- te conféquence , que Fa&ion des objets fait naître le defir, & que c'eft le defir qui produit le mou- vement progrefiif. Il généralife encore davantage cette confé- quence dans la fuite , *> la caufe , p. m » le principe, Faâion, la déter- » mination du mouvement & des » membres de l'Animal , vien- nent uniquement du -defir oc- » cafionné. » Pefez ce terme , je vous prie, * par FimprefTion des » objets fur ies fens. » N'ya-t-il pas une contradiction bien mar- quée dans la do6trine de notre Auteur ? 126 J Non , Monfieur , quelque Fa- tniliarifé qu'on foit avec les con- traditions, on ne fe contredit pas toujours ; & vous n'en voyez ici, que parce que vous regardez un defir comme une affeâion effen- tiellement particulière à la fubf- tance fpirituelle ; au lieu que dans Tefprit de M. de BufFon, creft une afFeâion purement ma- chinale y un phénomène mécha- nique , félon lui, vous le verrez dans la fuite; le cerveau dans la bête i fent fon exiftance , aime le bien être , & defire l'objet qui peut le rendre heureux. Ainfî un defir dans le fyftême que nous examinons, eft une façon d'Eftre machinale du cerveau* Vous al- lez vous récrier que vous ne con- aoifTez d'Efixes dans la matière , [87] de quelque façon qu'elle puîfle être modifiée > que dans le mou- vement &: le repos , dans la con^ figuration & dans Tordre des parties ; ôc que nulle figure > nulle contexture, nul mouvement , nulleofcillation ne peut être un delîr. Je le crois comme vous : mais il n'eft pas ici queftion de ce que nous croyons vous & moi , & tout Eftre penfant avec nous ; mais du fyftême de M. de BufFon. Or , fi un defir eft un phénomène méchanique & ma- tériel , îorfque nous verrons un Chien fe jetter fur un Lièvre 9 nous dirons que la couleur & l'odeur du Lièvre > affe£lent les yeux & le nez du Chien ; que Timpreffion faite fur la rétine & fur l'odorat du Chien eft tranft 188] • trnfe à fon cerveau , y devient unë fenfation agréable ; qu'à l'occa- fion de cette fenfation > l'amour du bien être eft réveillé dans l'or- gane fenfible ; il délire de fe jet- ter fur fa proye, voilà la caufe des mouvemens que fe donne r Animal. Et toute cette doc- trine étant admife > vous direz également fans vous contredire , & que les impreffions faites fur les fens de l'Animal font la caufe médiate des procédés que nous voyons ; .& que les defirs du Chien* -en. font la caufe immé- diate. Vous voyez, Monfieur, quelle peine je me donne pour fauver des contradiâionsànotre Auteur , pour peu que j'y entre- yoye le moindre jour Je fuis,&c* XV*. LETTRE. On siEUR de Buffon eflaye de nous fixer fur la nature des Animaux* Comme FAnL- p. 3 mal eft un Eftre purement ma^ a> tériel , nous dit - il y qui ne »-penfe ni ne réfléchit r ôc qui ^ cependant agit & femble £b ^déterminer > nous ne pouvons & pas douter que le principe de »>4a détermination du mouve-* » ment ne foit dans l'Animal un 5> effet purement méchanique^Sc «-abfolument dépendant de forra * organifation. *> Sufpen dez vo- tre jugement ^Monfreur ^ .n'al- lez vpas imaginer que Monfieur Kh Partie. H le Buffon fuir Cartéfîen* » Je » conçois donc y continue-t-il » que dans l'Animal, Tadion des » objets fur les fens en produit p-, 3i» M une autre fur le cerveau r que » je regarde comme un fens in- férieur ôc général qui reçoit » toutes les imprefllons que les » fens extérieurs lui tranfînet- » tent. Ce fens interne eft non- ». feulement fufeeptible d'être o> ébranlé par Tadion des fens & » des organes extérieurs , mais ^ il eft encore f par fa nature * ^ capable de conferver long- » tems l'ébranlement que pro- » duit cette a£tion. Et c'eft dans «■la- continuité de cet ébranle- 3> ment que confifte l'inipref- » fion qui eft plus ou moins pro-- * fonde :> à proportion que cet [pi] * ébranlement dure plus ou « moins de tems. » Ne vous im- patientez 'point,. Monfieur^ de la longueur de ce texte. Je fuis obligé de donner de l'étendue à mes Extràits ; je ne veux pas qu'on ait le moindre prétexte de m'accufer d'affoiblir la doc- trinede Y Auteur , en ne la ren- dant que par des citations déta- chées. Lifez donc la fuite de; l'expofition de cette do£irïne* » Le fens intérieur diffère p. & *> donc des fens extérieurs ; d'à- » bord par la propriété qu'il a de »• recevoir généralement toutes » les impreffions r dé quelque ^ nature qu'elles foient ; c'eft- à-dire- r celles de la lumière * ou limage des objets qu'elle porte £ celles du fon ^ du goût r du tou- cher, 6tc. On ne nous dît pas> fi ce fens univerfel eft tout le cerveau, ou feulement- une de fes parties : fi chaque partie du cerveau peut recevoir les divers ébranlemens dont chaque or- gane extérieur des fens eft fu£ ceptible > ou fi cet organe géné- raLa des parties affe&ées y pout* recevoir les effets de la lumière * d'autres pour les fens, pour Jes odeurs , &c. Ces détails appe- fantiroient l'éloquence de Mon- fieur de Buffoa, ils difïiperoienfc cependant un nuage dont fa doc- trine .eft enveloppée ; maispeut- être lui eft-il néceffaire. » Secondement r. ce fens % in~ ^térieur diffère des , fens exté- rieurs par la durée de Pébranle- » nient que produiç rââtion des*, s* caufes extérieures; maïs poun^. * tout le refte , il eft de la même «nature que les fens extérieurs. Le fens intérieur de l'Animal » eft, aufli-bien que fes fens ex- térieurs, un organe , un réful- » tat de méchanique , un fens purement matériel.Nous avons =» comme l'Animal , ce fens inté- » rieur matériel , ôc nous poffé- * dons de plus un fens d'une na- ture fupérieure ôc bien différ » rente qui réfute dans la fubf- * tance fpirituelle qui nous ani- ».me & nous conduit, » H faut que vous reteniez bien , Mon- fieur , que ce fens intérieur a la perception même des objets ,\ fuivantrMonfieur de Buffon, ôc que cette perception eft un effet - purement méchanique. Et ç'çflû par la que l'Auteur rapportant toutes les actions des Bêtes à ces effets purement méchaniques ? diffère prefquautant de Mon- fieur Defcartes que l'intelligen- ce pure diffère de la fubftance matérielle. Je fupprime , Monfîeur, beau- coup des menus détails > ôc fort prolixes fur les différences qu'il trouve entre le fens intérieur ôc les organes extérieurs des. fens 33, très-réels. On eft bien le maître d'établir celles que l'on veut en- tre des objets de pure fiâion > Ôc les productions de la Nature.. Cesv différences font fort bizar- res font autant de paradoxes diamétralemant oppofés aux phé- nomènes les mieux connus. Par exemple/elon luvl'ébranleaienr que produit la lumière dansFœiî<> fubfiâe plus long-tems que Fé- branlement de l'oreille par le fon. Qui ne fçait pas que d'un clin d'œil à Fautre , le premier objet eft totalement difparu, tan- dis que le fécond fe montre fans aucun mélange avec le premier*. Que feroit la Mufique 5 ..fi cha- que fon s'év.anouiffoit au Ai- prompt ement dans Foreille ? Autre prétention tout auffi in- foutenable. Il veut que l'œilt puiffe être regardé comme une continuation de fon fens inté- rieur organique > à caufe de îa durée prétendue de fes ébranle- mens x & encore parce qu'il eft aâi£>, parce qu'il rend au-dehors les imprefllons intérieures. Il ex* frime le defir que Fobjet agréât- t>*f Me, qui vient de le frapper, a faic naître. Quelle Phyfique ! Quand l'œil fait l'effet- d'un miroir -, eft-il plus adif.que le miroir? Dans les teintes qu'il prend des paflîons, n?eft-il pas paffif , auf- ft-bien que les jouës, lorfque la pudeur les décore d'un incarnat ingénu .? Ces jeux méchaniques, qui, loin d'être des effets de la volonté , la trahiffent malgré elle , peuvent-ils être rapportés à l'impreflion de la lumière par un Phyficien ? Mais , faifons- !ui grâce fur tous ces petits dér tails qu'il met adroitement ea oeuvre pour diftraire fur la fuite de fon fyftême , & dont une difcufi- fion approfondie nous diftraL- roit nous - mêmes , qui cher- chons à rapprocher les pièces de ce : I ^7 3 %Ê même fyftême, pour en faîrô mieux fehtir la différence. '» Le fens intérieur de l'Àni- p. mal non feulement confèrve 30 les impreffions qu'il a reçues > « mais il en propage l'a&ion, en » communiquant aux nerfs les » ébranlemens , « les vibrations de la lumière, les ondulations deTair, &c. * Les organes des » fens extérieurs , le cerveau qui organe du fens intérieur, k « moelle épiniere 6c les nerfs qui » fe répandent dans toutes les ^ parties du corps animal, dou » vent être regardes comme fai- ■> fant un corps continu , comme »une machine organique, une » .multitude de leviers dans la- ^ quelle les fens font les parties *>fur Jefquelles s appliquent les Vh Partie. I [PS] o> forces , ou les puiffances exté- * rieures. Le cerveau eft l'hipo- » moclion, ou la mafle d'appui; « & les nerfs font les parties > que 05 l'a&ion des puiffances met en » mouvement, » Cette do£frine peut-elle être plus fimple ? Un Chat voit une Souris ; il fe tapit > attend qu'elle fe mette à portée d'être furprife , il fe jette deffus , en badine avec fes griffes, la laiffe échapper pour la reprendre, la porte dans fa gueule aux pieds de fa maîtreffe ; effets du levier , dont l'appui eft entre les deux extrémités , & dont la puiffance eft l'ébranlement de la lumière. L'hipomoclion > ou point d'ap- pui , eft la volonté , façon d'être du cerveau , & qui defire de tuer impitoyablement la Souris. » Mais ce qui rend cette ma- p. « chine différente des autres ma- * chines , c'eft que l'hipomoc- « lion eft non feulement capable » de réfiftance & de réadion , » mais qu'il eft lui-même actif , » parce qu'il conferve longtems a> l'ébranlement qu'il a reçu; ÔC *> comme cet organe intérieur , » le cerveau eft d'une grande ca- pacité, & d'une très grande « fenfibilité. « Ce vifcere très- certainement ne fent rien . »H =»peut recevoir un très -grand * nombre d'ébranlemens fuccef- » fifs & contemporains , & les => conferver dans l'ordre où il les «a reçus , par ce que chaque im- » prertiôn n'ébranle qu'une par- » tie du cerveau , ôcque les im- » prenions fucceffives ébranlent Il 00] « différemment la. même partie^ »& peuvent aufïï ébranler des =» .parties voifines & contigues. En vérité, ceux qui compren- nent ce difcours , font bienheu- reux;;pour;moije n'y trouve que depahTes ténèbres, & j'aurois une infinité d 'éclairciflemens à demander, avant de pouvoir y rien entendre. Quand j'imagine que tous lespoints apperçûs d'un objet , frappent chacun un coup particulier fur la rétine, par les rayons réunis au fond de l'œil ; que je penfe qu'enfuite .chacun de ces petits coups retentit à un point particulier au dedans du cerveau , & que j'entens pronon- cer que de tous ces petits chocs, il en réfulte encore que leurs ef- forts réunis font remuer les bras C roi ] & les jambes , par la propagation de rébranlement qu ils ont caufé au cerveau > je ne fai plus ce que ç eft que phifique. Une fuppofition que l'Auteur employé , apparemment pour éclaircir fa doârine, confond encore plus mes idées. C'eft fon fort que les fuppôfitions. Com- prenez y M onfieur, fi vous pou- vez: ^ Si nous fuppofions unP o> Animal qui n'eût point de cer- o> veau , mais qui eût un fens er- o> térieur fort fenfible & fort * étendu ; un œil > par exemple , or dont la rétine eût une aufiî ^ grande étendue que- celle du *> cerveau > ôt eût entoême tems cette propriété du cerveau , de » conférver longtems les impref- « fions q a'elle auroit * reçûes , il liij llG2 J » efî Certain qu'avec un tel fens> « FAnimal verroit en-même temsr * non feulement les objets qui » le frapperoient a&uellement , « mais encore tous ceux qui Tau- » roient frappé auparavant ; par- » ce que dans cette fuppofition > * lesébranlemens fubfiftant tou- M jours , & la capacité de la réti- » ne étant affezgrande pour les »> recevoir dans des parties difFé- « rentes r il appercevroit égale- •* nient & en même tems, les pre- ». mieres & les dernières images ; * & voyant ainfi le paffé & le » préfent du même coup d'œil 5 » il feroit déterminé méchani- » queme.ntà faire telle ou telle » adion y en conféquenee du ^> degré de force , ôc du nombre ? plus ou moins grand des ébim? 1 103] «lemens produits par les images • relatives ou contraires à cette détermination. » QuandM.de BufTon m'aura fait comprendre comment une toile fur laquelle on a peint un fu- jet ,ou le papier fur lequel on l'a defliné, pouroient voir les ima- ges qu'ils nous représentent , il me fera concevoir comment cet- te rétine, verroit les objets qui y feroient peints ; & comment le cerveau matériel des Ani- maux, voit les objets dont il porte l'image. 11 pourroit fuppo- ferque chaque partie fenfible de la toile colorée , fentiroit la cou- leur dont elle feroit couverte, ôc je ne comprendrois pas enco- re , que ni la toile en total, ni aucune de fes parties eût la vi- I Hij [KHI ton du tableau entier. Il eft encore extrêmement cu- rieux de voir notre Phificien ap- pliquer la doarine du levier aux effets des fenfations, Dans celui dont il parle , l'appui érant entre la puiffance , Ôcla partie mife en mouvement par la puiffance; l'équilibre, ou le non équilibre devrait être entre les deux bran- ches : ici il le veut entre l'hipo nioçiion même, & la puiffance. » Si le nombre des images pro- » près à faire naître l'appétit, fur- =>paffe celui des'images propres à »> faire naître la'répugnance, l'A- » nimal fera néceffairement dé- « terminé à faire un mouvement: « pour fàtisfaire cet appétit.» Cet appétit & ces répugnances font des effets méchaniques JSTe vous y méprenez pas > s'il vous plaît j, Monfieur ; » & fi le nombre oa o, la force des images d'appétit «font égaux au nombre ou à la » force des images de répugnan- « ce , l'Animal ne fera pas déter- » miné , il demeurera en équili- bre entre ces deux puilTances » égales , & il ne fera aucun mou- »>vement , ni pour atteindre, ni » pour éviter.- Je dis que ceci fb 3> fera mécaniquement, Se fans » que la mémoire y ait aucune «part ; car l'Animal voyant ea » même tems toutes les images , » elles agiffent par conféquent » en même tems : celles qui font «.relatives à l'appétit > fe réunit » -fent> & s'oppofent à celles qui «font-relatiVes à la répugnance, 4Jc ç'eft par- la. prépondérance -h [1061 »ou plutôt par l'excès de la force » & du nombre des unes & des autres , que l'Animal feroit, » dans cette fappolîtion, nécef- > fairement déterminé à agir de telle ou telle façon. » Pour fentir combien tout ceci eft inintelligible , il faut rappro- cher de ces explications , d'au- tres éclairciffemens que M. de BufFon donne ailleurs. L'ébran- lement durable caufé dans le cerveau par quelque fens exté* rieur , » communique du mou- p. 52. » vement à l'Animal ; ce mouve- 35 ment fera déterminé, fi ttm- preffion vient des fens de l'ap- ~3 pétit : ce mouvement peut » aulTi être incertain } lorfqu'ii «fera produit par les fens, qui ne font pas relatifs à. l'appétit* 1. 107 1 • comme l'oeil & l'oreille.» Qu'eft-ce qu'un mouvement in- certain ? Celui dont la vîtefle 6c la dire&ionne font pas détermi- nées, &c'eft un mouvement nul, ou bien c'eft un mouvement qui follicite tellement tous les nerfs , qu'il n'en détermine aucun à agir. « L'Animal qui voit ou qui I entend pour la première fois , „eft à la vérité ébranlé par la lu- „miere ou par le fon ; mais ce » mouvement ne produira d a- » bord qu'un mouvement incer- tain, parce que l'impreflion » de la lumiere ou du fon , n eft », nullement relative à l'appétit ; «cen'eftquepardesaaesrépétes ,6ck>rfque l'Animal aura joint «auximpreffions du fens de la . vue ou de l'ouie celles comme vous le verrez dans la fuite , Monfieur de Buflfon enlevé ces trois cho- fes aux purs Animaux. 53- » Pour nous faire mieux en- » tendre , ajoûte-t-il > confidé- rons un Animal inftruit ; un & Chien , par exemple , qui 9 a* quoique preffé d'un violent ap- » petit , femble n'ofer toucher , » &ne touche point en effet, à « ce qui pourroit le fatisfaire; » mais en même tems,fait beau- coup de mouvemens pour Fob- a> tenir de la main de fon maître. « Cet Animal ne paroît-il pas « combiner des idées f Ne pa~ *? roît-il pas defirer & craindre $ « en un mot raifonner à peu près 9) comme un Homme qui veut » s'emparer du bien d'autrui , & »qui , quoique violemment » tenté , eft retenu par la crainte » du châtiment ? Voilà l'inter- « prétation vulgaire de la con- « duite de l'Animal ; » mais voici l'interprétation du Philo- fophe : o> Tout ce qui eft relatif à leur p. h* » appétit ( des Animaux ) ébran- » le très-vivement leur fens in- o> tétieur , & le Chien fe jette- » roit àTinflant fur l'objet de cet » appétit, fi ce même fens inté- *> rieur ne confervoit pas les im- ?> preflions antérieures de dou- » leur dont cette aftion a été pré- p. ss. « cédemment accompagnée. » Ces pauvres Animaux font bien arplaîndre ! Aucune douleur n'eft paffée pour eux , tout le mal qu'ils ont fouffert leur eft toujours préfent. * Les impref- cc fions extérieures ont modifié ™ l'Animal ; cette proie qu'on * lui préfente n'eft pas offerte à » un Chien Amplement, mais à * un Chien battu ; & comme il a » été frappé y toutes les fois qu'il » s'eft livré à ce mouvement » d'appétit. » Ce n'eft pas qu'il s'en fouvienne * mais l'ébranle- ment du cerveau caufé par les coups , & qui produit un mou- vement de répugnance , fubfifte toujours. » Les ébranlemens de « douleur fe renouvellent. » L'Auteur ne fe fuit pas > car, félon ce qu'il nous a enfeigné , ces ébranlemens durent tou- jours. » '* • . . L'Animal étant «•donc pouffé tour à la fois pat: w deux impul fions qui fe détrui- se fent mutuellement*, « -. . cëft-à-dire £ tes nerfs des jambes ébranlés dans cet Animal le follicitant en mêilie- tems à fuk ôr à avancer , » il demeure en » équilibre entre ces deux puit fances égales .... mais . . . . il » fe renouvelle en même tems o> dans le cerveau de l'Animal un ? or troifiéme ébranlement , qui a fouvent accompagné les deux ^ premiers : c'eft l'ébranlement *» caufé par fa£tion de fon mar- » tre , de la main duquel il a » reçu fouvent ce morceau qui »-eft Fobjët de fon appétit ; ôc comme ce troifiéme ébranle*- ?> ment n?eft contrebalancé pac KL Partie, K [ii4Î syrien de contraire , il devient » la caufe déterminante du mou- » vement. Le Chien fera donc i » déterminé à fe mouvoir vers »i fon maître > & à s'agiter juf- *> qu'à ce que fon appétit foit fa- o> tisfait en entier. « Vous n'attendez pas de moi* Monfieur, que je me donne la peine de réfuter une telle explica tion^qu'on ri employeroit pas plus heureufement que celles des Mà< Cartéfiens. * On peut expliquer * de la même façon & par les » mêmes principes y toutes les 9> aftions des Animaux., quelque: compliquées qu elles puiffent » paroître, fans qu'il foit befoin *> de leur accorder > ni la penfée r » ni la réflexion , leur fens inté~ * rieur fuffit pour produire tous tua sy leurs mouveniens. ■» Par exem- ple, il expliquerait avec la mê- me facilité les badinages cruels du Chat par rapport à la Sou- ris y dont je vous ai dit un mot en paffant* Au refte , la par- tie du Difcours que je vous ana- lyfe a&uellement eft très-fati- guante, &nerefïembleguéres à ce qui fort ordinairement de la plume deMonfieur de Buffon. Je fouhaiterois fort que l'ennui que mon récit a pu vous çaufer > fût compenfé par les aflurances très-finceres du tendre & refpec- tueux attachement avec lequel fuis } &a m X V Ie. L ET T RE, Enfin 1* Auteur va fe dévelop^ per, Monfieur, il va faire fortk Ton fyftême du cahos qui nous lavoit caché jufqu'ici. » XI » ne refte plus qu une chofe à. ^ éclairck ; c'eft la nature dé » leurs fenfations (des Animaux^ » qui doivent être, fuivant ce » que nous venons d'établir, bien ». différentes dés nôtres. » Je ne vois point où M. de Buffon a établi cette différence * fi ce n5eft dans un endroit que }M laiffé tï* arrière , Ôc qu ileft jufte de vous rapporter. Il commence par une ; obfervation très-délicate & très- r*vf fpirituel ", pour avoir beaucoup » exercé fon oreille & fes yeux-. « On ne voit pas que lès perfon- » nes qui ont les fens obtus , là »-vûe courte, l'oreille dure ,l'o* «dorât détruit ou infenfituei rayent moins d'efprit que les « autres ; preuve évidente qu'il~y =>,a dans l'Homme quelque cho* » fe de plus qu'un fens intérieur ■ » animal icehtUi n'efi qu'un- or ga- matériel, fembtable à l'organe «> âes fens extérieurs , & qui n'en «diffère, que parte- qu'il a la fro» =>priétédeconferver les ébranlemens ?.,qdilareçû. L'âme deJ'Homt » me y au contraire , eft un fens »fupérieur, une fubftance fpiri- » tuelle intérieurement différen- * te par fon effence & par fon ? adion , de la nature des fens ex- teneurs* » Tout cela ne prou- ve pas que dans le Même de M. deBuffonyla nature des fenfa- tions des Animaux, foit bien différente de la nature des no* très. Pour vous en convaincre, H- fez r Monfieur y ce qui fuit in> médiatement le paffage que je • 45. viens de tranfcrire. » ce n'eft pas a> qu'on puifle nier pour cela^ qu'il y ait dans l'Homme un fens intérieur > matériel , rela- s» tif , comme dans l'Animal aux » fens extérieurs : la conformité: des organes dans l'un & dans* « l'autre , le cerveau qui eft dans » l'Homme comme dans FAtu- »mal, ôc qui même eft d'une- «plus grande étendue, relative- * ment au volume du corps , fuf- » fifent pour aûurer dans l'Hom- » mêj l'exiftanee de ce fensinté- rieur matériel; mais ce que je „ prêtons , c'eft que c#e fens^ eft >■> infiniment fubordonné à l'au- » tre. La fubftance fpirituelle le » commande , elle en détruit ou 9> en fait naître l'adion : ce fens > »enunmot,qui fait tout dans; «l'Animal, ne fait dans l'Hoir^ » me que cequele fensfupérieur » n'empêche pas ; il fait aùffi ce * que le fens fupérieur ordonne. « Dans l'Animal, ce fens eft le: «principe de la détermination, » du mouvement & de toutes C 120 3 «les a£Uons ; dans l'Homme- ce n'en eft que le moyen ou la » caufe fécondaire. » Trouvez- vous rien , Monfieur, dans ce Î6ng extrait , qui vous porte à penfer que lès fenfations des Ani- maux foient fort différentes des nôtres ? Vous y voyez, au con- traire , qug le fens intérieur eft le même dans l'Homme & dans les Animaux , quoiqu'il foit en nous plus étendu;maisennous il eft fournis à l'ordre de Pâme. Nous difcuterons ailleurs ce point im- portant ; bornons-nous mainte- nant à celui que M. de Buffon veut éclaircir touchant la nature des Animaux. 6. » Les Animaux, nous dira- it-on , n'ont-ils donc aucune p-GonnoifTance.? Leur ôtez-vous ■& la confcience de leur eaiftâïr- * ce-, le fentiment ? Puifque vous prétendez expliquer mé- *> chaniquement toutes leurs ao » tions , ne les réduifez-vous pas *> à n'être que de fimples machi^ *> nés , que d'infenfibles auto- » mates ? Si je me fuis bien efc- ^pliqué. w Beaucoup trop dans un certain fens , pas affez dans un autre. » Bien loin de tout ôter aux Animaux , ;je leur accoirde • tout-, à l'exception de la pen- sa fée 6c de la réflexion. » La vo^ lonté j par conféquent , eftamffi un méchanifme dans les Ani- maux, p lis ont le fentiment , ils » l'ont même à un plus haut dé* &> gré que nous nel'avons y ils ont w auffi la confcience de leur exi£ « tance aâuelle ; mais ils n'ont VI. Partie* IL [ 122 j » pas celle de leur exiftance pat » fée. * C'eft ce point que nous examinerons en particulier. ■» Ils » ont desfenfations ;mais il leur » manque la faculté de les corn- « parer , c'eft-à-dire , la puiffance » qui produit les idées; car les » idées ne font que des fenfations » comparées , ou pour mieux di- » re ^ des affo dations de fenfa- » tions. » Arrêtons-nous, Monfieur, à cette double prétention de M. de BufFon. Les Animaux ont des fentimens, & n'ont point d'i- dées. C'eft par l'organe intérieur que P Animal efl fenfibk ; c'eft ainfi que penfe M. de Buifon : .& comme tout ce qui fe paffe dans cet organe eft purement mécha- nique , il faut dire dans les prin- cîpes je l'Auteur, que le ïenà . de l'exiftance , la vue des corps , la perception des fens eft un effet méchanique. Or, quel eft l'effet méchanique que F Auteur nous fait reconnoître dans l'organe ■fenfible? Ceft par exemple, k communication de Timpreflion que les rayons ont faite fur là ré- tine ; un certain ébranlement* Mais cet ébranlement n'eft point une fenfation fur la rétine ; JVL de Buffon ne le veut pas , on ne fait pas pourquoi. La fenfation eft donc dans l'organe intérieur quelque effet méchanique , qui n'eft pas dans la rétine. Or, l'or- gane intérieur ne diffère, com- me vous venez devoir , de la ré- tine, qu'en ce que les ébranle- mens caufés par la lumière fur la L ij [124] rétine , y font paffagers , & que communiqués à l'organe inté- rieur, ils deviennent perféve- rans. Nous pouvons donc con- clure que la fenfation qu'on éprouve dans la vifion eft, non l'ébranlement caufé , en premier lieu , par la lumière , mais la per- -févérance de cet ébranlement. Cette perfévérance dépend de la conftruaion particulière du cerveau. Nous voilà donc bien au fait du méchanifme dans le- quel confifte la fenfation de la vifion ou de couleur ; ce n'eft pas l'ébranlement communiqué parla lumière :fî cela étoit , la rétine verroit; mais c'eft la per- févérance de cet ébranlement. Ne vous récriez-vous pas, Monfieur, fur cette précifion fi lias J peu intelligible ? La perfévéran*' ce d'un Eftreyeft la continua- tion de ce même être & rien de plus. Un ébranlement perfé vê- tant n'eft rien de plus en conti- nuant d'être > que ce qu'il étoir dans fon origine. Cet ébranle- ment étoit un certain otdre d'of* cillations dans la rétine : voilà l'effet méchanique de là lumière;, il perfévere dans l'organe inté- rieur, c'eft-à-dire que les mê- mes ofciilations fe fuceedenÊ* contintielleftient. A la bonne heure : mais la continuation de ces mouvemens alternatifs n'ea fera autre chofe que des ofcilla- tions perfévérântes; Cela eft (i évident, qu'il eft inutile d'infif- ter. Dans les traits de rayons y^rds renvoyés par des feuilles r îa molécule de lumière qui frap- pe la rétine dans un point , a per- feveré dans le ton d^fcillatioa qu'elle communique depuis fon départ jufqu'à nous. Dira-t-on férieufement qu'elle avoit lafen- fation de la couleur verte ? No- tre œil demeure fixé un quart d'heure fur le même objet, les ébranlemens caufés par la lu- mière envoyée par cet objet* ont perféveré durant un quart d'heure fur la rétine ; cette per- féverance des mêmes ofcilla- tions dans la rétine , y deviendra- t-elle la fenfation ? Diflipons toutes ces ténèbres par un fait d'expérience. Ce fait eft que le cerveau eft infenfible. Qu aucune de fes parties ne fent tes ébranlement caufés parla Uti E 127 j miere , par les ondulations de 1 air , &c. Je prie M. de BufFon de confiderer quelque mignatu- re, en petits points, un portrait fur du vélin; ces points & les vuides blancs qui fervent égale- ment à repréfenter la figure qu'on a voulu peindre , font ren- dus à la rétine par de petits chocs de traits lumineux , Ôc une troi- fiéme copie très-fidéle eft encore portée par les efprits animaux , qui tiennent lieu de différens pin- ceaux, en quelque endroit ' de notre cerveau. Probablement tout cela eft ainfi, ôc ce n'eft point auffi ce que Je contefte à notre Auteur. Qu'il nous dife bonnement quelle eft lapartie de fon cerveau , qui eft frappée pat les efprits animaux ;s'il fent les [ 128 3 petits coups que les efprits por- tent à cette partie ; les efpeces d'ébranlemens & d'oibillations que chaque trait d'efprits, cor- refpondans à chaque point de la miniature y a caufé. S'il peut nous répondre, il nous fera con- noître les différens tons d'ofcil- lation propres à chaque rayon rouge ou blanc ou bleu , &c. Et il ajoutera de nouvelles décou* vertes à celles de M. Newton ; ilirla nature delà lumière. Mais il garde le filence , ou s'il parler il conviendra, qui! ne fent rien de tout cela; qu il ne fent pas plus les ébranlement perfé vérans dans fon cerveau > que les ébran-* îemens inftantanés. Sur cet aveu nous lui dirons que FAnimal pur^ QQmme un Chien > ayant le pm^ firïùm , ou le fens intérieur, com- me l'appelle M. de Buffon^ conftruit comme le nôtre , nous n'avons aucune raifon de penfer * que quelque patrie du cerveau de cet Animal fente les ébranle? mens qui lui font communiqués de la rétine ,,lorfqu'il voit un Lièvres Quand même nous lui accor- derions que les Bêtes voyent autrement que nous , & qu'elles fentent les petits coups des traits des efprits renvoyés de la rétine, s'en trouveroit-il plus à l'aifel Nous lui dirions : c'eft donc dans fon cerveau que: le Chien voir le Lièvre , & non au dehors de lui ? C'eft l'image duXievre qui voitleLievre , ôcnon le Chiens Nous irions plus loin encore* [i30] Nous lui foutiendrions qu'il eft impoflible que l'endroit du cer- veau où eft le portrait du- Lièvre,: voye ce portrait; j'ai déjà fait ailleurs une obfervation fembla- ble; mais elle aura plus de force en nous fervant du portrait d'un Lièvre en miniature, peint auffi fur du vélin en petits points ; & nous demanderons à M. deBuf- fon , s'il eft pofîible de concev oir que le vélin voye l'image qu'on a peinte furfafurface. Les points colorés qui y demeurent atta- chés j, valent bien la perfévéran- ce des ébranlemens qui repré- fentent le vrai Lièvre dans une partie du cerveau du Chien, Je. veux bien que chaque point du velin couvert par un point colo- ré* fente la couleur ; je ne le con- çoîs pas : mais pour faire plaifir à M. de Buffon , je fuppoferois vo- lontiers l'impoflible. Qui verra toute l'image? Chaque point co- loré ? Mais il ne fent que fa cou- leur ; ôc les intervalles blancs 9, qui concourent à former les nuances de la couleur de chaque partie , ne fentent rien que la. couleur blanche qui leur eft na- turelle. Nefera-ce point toute la fuperficie du vélin ? Mais cette fuperficie n'étant rien de plus que toutes fes parties , fi aucune n'a la perception de l'image to- tale, rien de cette furface ne l'apperçoit. Il n'eftpasnéceffai- re de faire l'application de cet exemple à la partie du cerveau du Chien , où l'image du Lièvre eft tEacéeielle eft fi naturelle h que ce feroit faire injure à votre pénétration-, Monfieur , de vou- loir vous en prouver la juftefle. Il eft donc très-conftant que dans le fait , l'organe où reten- dirent les impreflîons des fens extérieurs, n'a aucune percep- tion des ébranlemens qu'il re- çoit en nous ; qye par analo- gie , il ne peut avoir dans les Bê- tes aucune connoilfance des ima- ges, empreintes fur le cerveau. Les Animaux voyent , comme nous , les objets au dehors de leur cerveau , à certaines distan- ces de leur corps : leur oreille eft frappée comme la nôtre , ceft-à- dire, que le fon leur paroît ve- nir de corps hors de leur cerveau^ Gr , fi la vifion ; fi l'oùie, ,&c. .n'itoit que la perceptio n de Yé- t 133 D braillement que reçoit "le cet- veau , il eft évident que la par- tie ébranlée de ce vifcere, ne ^connoîtroit , même dans l'hy- pothèfe de M. de BufFon , que fa ^propre modification > ôc qu'elle n'auroit aucune connoiffance d'objets qui lui feroient étran- gers; à moins quefe regardant comme paflive , elle n'eût l'idée d'une caufe, qui auroit produit cette impreffion ; & de la reflem- blance de la figure de cette cau- fe , à celle de l'empteinte qu elle auroit reçue. Mais notre Auteur prendroit- ilce parti-là , tout diftrait qu'il eft fur les contradictions? Non , il ne veut pas que les Animaux ayent des idées. Il faut pourtant qu'il leur en accorde bon gré* mal gré, s'il reconnoît des fen- fations dans leur fens intérieur; & pour le lui prouver , je me fers de la définition qu'il nous donne de l'idée, non pas que je l'ad- mette , j'en fuis bien éloigné ; niais feulement pour lui faire voir que fes vues fe croifent, & qu'elles ne fe réunifient jamais. Les idées ne font , félon lui , que de fenfations comparées, ou four mieux dire > que des ajjbciations des fenfations. Tenons-nous en à cequiefile ipienx dit, c'eft le parti le plus iage ; & puifquil re- connoît que le fens intérieur d'un Animal voit fon objet, qu'un Chien voit fon Maître* montrons-lui que dans cette vi- fion eft renfermée une aflbcia- don de fenfations. Que ce Chien ne voye que le vifage de fort Maître, chaque point fenfible de ce vifage eft peint dans fon cerveau ; c eft donc une fenfa- tion particulière ; l'enfemble de plufieurs de ces points , eft l'i- mage du nez , celui d'une multi- tude d'autres, eft l'image des yeux. Mais ce n'eft pas à un trait particulier que le Chien recon- noît fon Maître , c'eft à la réu- nion de tous fes traits , à fa phi- fionomie. Il eft donc clair qu'il reconnoît fon Maître , par l'affo- dation de fenfations particulier res, qui en défignent chaque trait. Donc , félon la définition que M. de Buffon donne de l'i- dée , la connoiffance de la phi- fionomie de fon Maître , eft pour le Chien une idée , ôc une idée proprement dite. 1 13*3 De plus , quand le Chien volt ïbn Maître dans l'éloignement , ne voit-il pas une diftance, & la diftance n'eft-elle pas apperçûe par la vue de tous les points fen- fibles interpofés entre fon Maî- tre & lui. Nouvelle aflbciation de fenfations, nouvelle idée par conféquent. Et de plus aflbcia- tion de l'idée de fon Maître , & je ne ferois pas fentir à Mi de Buffon, tout le vice de fon fyftême ; il faut en- core lui faire voir des affocia- tions de fenfations d'efpeces dif* férentes. Un Chien voit un Liè- vre , il : reçoit par le nez Codeur des piftes de cet Animal. A qûi eft rapportée cette odeur ? N'eft- ce pas au Lièvre que le Chien pourfuit ? Le Chien voit un m or-* ceau friand que fon Maître lui préfente , l'odeur l'affede & le tente, il fende rapport de cette odeur, avec la fènfation de faim qu'il éprouve ; il voir le^maktieiv compofé de fon Maître qui veut l'arrêter ;il entend cette formir dable parole - ^ tout* beau ? qui le tient ;en refpçft. Ceft Penfemble KLPank^ JML de ces différentes fenfations > s'il en a r qui l'arrêtent. Voilât donc une grande affociation de fenfations d'un ordre différent $ ôcpar conféquent, félon la doc- trine de Monfieur de, Buffon>. une idée complexe. J'avois fait obferver quelque ehofe de plus dans mes pre- mières Lettres ; mais j'ai tout lieu de croire que Monfieur de Buffon les a parcourues bien ra- pidement.. Je lui avois fait re- marquer y que fi les Animaux ont des fenfations > elles renfer- ment même des abftraâions. J'avois dit qu'ils ne voyent point autrement que nous > dans cette hypothèfe y qu'ils ne voyent point les grandeurs abfolues r spais les grandeurs relatives 5 qu'ils ne conndiflent pas précifé- ment entre deux objets iné- gaux , l'excès de l'un fur l'autre , mais feulement que Pun eft plus grand que l'autre. Or > cette in- détermination renferme une idée générale , parce que l'objet en eft vague. Je lui av.ois fait en- core obferver , que l'Animal cherchant fa fubilftance , ne cherche pas une nourriture dé- terminée & numérique ; mais quoique ce foit , qui eft propre à le^ibutenir, & que dans ce cas on ne ■ pouvoir pas douter que fon defir de repaître •> n'eût pour objet une nourriture indétermi- née y & par conféquent ne fur lié à 'une idée générale. Mais toutes ces obfervations ne mé- ditent pas l'attention; de notre: f 140 r Fhilôfophe , quoiqu'elles ayenf frappé plus d'un Leëteut. p. S8e Il reconnoît dans les Animaux «4 une faculté qu'ils ont bien fu^ « périeurement à;nous 5 ,de difi tinguer fur le champ & fans au? w cune incertitude , ce qui leuf » ...convient > de ce qui leur eft » nuifible. .» Et il ne veut pas qu'ils ayent l'idée de convenant ce, » Les Animaux 9 conclut-il> 3> ont donc , comme nous , de » la douleut & du plaifir. » Pla? cent - ils la douleur dans les njembres Méfiés , ou dans le fens intérieur^ dans le cerveau $ Comment cette partie attri- bueroit - elle le défagrément de fes ébranlemens au pied qui eft à une fi grande diftance d'elle l L'erreur, feroit-elle aulli uo effef \ snéchanique , le réfultat d'uni choc ? -Ils ne connoiffent pas n* bien ôç le mal , dit-il , mais- » ils le fentent. » Cette préci- fion vous éclaire -t- elle beau- coup, Monfieur? « Ce qui leur =>-eft agréable eft bon , ce qui- »leur eft défagréable eft mau- vais. L'un Ôc l'autre ne font » .que des rapports convenables « ou contraires à leur nature , à » leur organifation; » Mais l'A- nimal fent l'agrément ou le défa- grément , il fent la convenance ou la difconvenance des ébran- lemens qu'il éprouve par rapport à. fon organifation. Or , fentk des rapports ôc les connoître » fQnt- ce deux chofes différentes ? » Le plaifir que le chatouille- ment nous donne , la. doyleus r 142 1 ^ que nous caufe une blelîure> *> font des douleurs ôc des plaifirs » qui nous font communs avec s> les Animaux , puifqu'ils dé- ^pendent abfolument d'une =» caufe extérieure matérielle, c'eli à-dire, d'une aâion plus » ou moins forte fur les nerfs r » qui font les organes du fenti-- «■ment; Tout ce qui agit molle- ^ ment fur ces organes, tout ce: qui les remue délicatement r »* eft une caufe de plaifir. » Cedh n eft- pas fort exaft ; les viandes infipides ne font défagréables au goût , queparce qu'elles ont peu de fels , & que ces fels agiffent trop mollement fur les houppes nerveufes , deftinées à l'ufage du goût. Mais.,: ne laiffons pas échapper l'aveu précis qu'il fait £ que nos fenfations font de la mê- me nature que celles des Ani- maux. » Tout ce qui les ébranle ( les organes ) » violemment » tout ce qui les agite forte- » ment , eft une caufe de dou- =>leur. Toutes les fenfations =» font donc des fources de plai- » fir 5 tant qu'elles font douces + ^tempérées & naturelles. Mais , , » dès quelles deviennent trop » fortes , elles produifent la dou- » leur , qui , dans le phyfique , efi » l'extrême plutôt que le contraire » du plaifir. » Motif confoiant pour un goûteux ; confolez- vous , lui dira-t-on > vous avez atteint l'extrême du plaifir. Le P. Malebranche avoir ob- fervé, fort judicieufement, que- »qs fenfations de plaifir &.de; ï>44 7 'dôuleur différent effentlelle- ment ; mais qu'il a en eft pas de même de Tébranlement gu^ de 1 état dea nerfs qui les occa- cafionnent. Cette .différence eft encore plus marquée entre les fenfations de divers ordres. Quel rapport y a-t41 entre la fënfatioa de couleur & le fon ; entre une de ces fenfations & le goût ; en- tre le taft y le chatouillement y une douleur vive &: la vûe d'un œillet ? Mais dans la do&rkie de Monfieur deBuffon > toutes ces fenfations ne doivent différer que du plus ou du moins , parce que ce font des ébranlemens^ ( différens à la vérité > mais cer pendant comparables entr'eux ) des fibres médullaires du cer- yem II fe fuit doue ici , ce qui tie lui eft pas ordinaire , dans fa manière de Philofopher , lorf- qu' il foutient contre le P. Male- branche & l'expérience de tous fes hommes > que les fenfations me différent que du plus au moins, par la promptitude des vibrations > & par la dire£tion des mouvemens. Si nous pou- vions connoître une molécule du rayon rouge , & l'ondulation, de lair d'où réfulte un ton de Mufique y nous pourrions com- parer la célérité > la direction , la force & la fenfation du choc de l'un & de l'autre. Or , les fenfa- tions n'étant > félon notre Au- teur* que les ébranlemens con- tinus tels qu'ils ont été imprimés fur l'organe de l'œil ou de l'o- reil, &afi le cerveau les fent en- VI. Partie. N [i4*] ; femble , il fent la différence du plus au moins dans la force du choc ) de la lumière & du fon ; il fent la différence du ton des vibrations > & la manière dont il en eft frappé. Ainfi , ces fen- fations ne peuvent être pour le cerveau ,fuppofé fenfible , des fenfations elïentiellement diffé- rentes > mais de fimples mouve- niens. Il eft fâcheux pour Mon- fieur de Buffon que l'expérience dépofe le contraire > & que nous éprouvions autant de différence entre une couleur , un fon > une faveur y une douleur , qu'entre le mouvement & le repos. Cette doâxine fi extraordi- naire de Monfieur de Buffon > entraîne > de fa part ^ des réfle- xions encore plus étonnantes. H 1 147 3 prétend , & généralement par- lant , cela eftvrai, que dans les Animaux la fomme desplaifirs eft plus grande que celle de la douleur. L'amour de l'exiftence contrebalance ordinairement le défagrément ou le pénible de nos fituations. Le plus fou vent on aime mieux fouffrir que mourir. Mais l'Auteur conclut de cette vérité d'expérience , & je ne fçai de quel principe naît fa con- féquence. » Ce n'eft donc que & » par le plaifir qu'un Elire fen- » tant , peut continuer d'exifter ; & Ci la fomme des fenfations » flatteufes , c'eft-à-dire , des » effets convenables à fa natu- « re , ne furpaffe pas celles des «fenfations douloureufes , ou « des effets qui lui font contrai- re ij « res , privé de plaifir , il langui- » roit d'abord , faute de bien ; » chargé de douleur., il périroit enfuite , par 1 abondance du « mal. » Cette réflexion, fi elle avok quelque folidité, feroit bien au- trement efficace pour raflurer les impies fur les peines éternelles, que ne le feroit favis charitable qu'on donneront à un goûteux 5 de penfer que fa douleur n'eft que l'extrême du plaifir. C'eft peut- être cette finguliere idée qui lui a fait dire dans fa déclaration à la Sorbonne, qu'il regardoit com- me un miracle, les douleurs des réprouvés. Quoiqu'il en foit , je conçois très-bien, qu'une ma- chine qui éprouvera une fbmme de mouvemens contraires à fon C 149 J aftion , plus grande que la fom- me des mouvemens qui la favo • rifent, doit être détruite ;mais je ne conçois pas de même qu'un Eftrefenfible, doive périr en ceflant d'exifter agréable- ment , ou à force d'éprouver une fituation pénible. Nous fommes dédommagés^ des incompatibilités que nous venons de trouver dans le fyftê- me de M, de BufFon fur les fen- fations, par de très-beaux mor- ceaux de morale qui les fuivenf. Le malheur de l'homme fenfuel y eft peint de main de Maître. Le bonheur du Sage y eft pré- fenté de manière à infpirer du goût pour la fageffe. On y infifte un peu trop fur l'intempérance del'Homme , en l'oppofant à Xk N iij fobridté des Animaux dans Tu- fage du plaifir. Les Chiens en particulier } font gourmands & voraces > abufent de la permif- fion qu'on leur donne de cou- rir y &c. Adieu , Monfieur^ ? aurai en- core occafion de revenir fur le parti que M. de Buffbn a pris de refufer aux Animaux toute con- noifTance , quoiqu'il leur accor- de des fenfations. Mais j'exami- nerai auparavant ce qu'il enfei- gne touchant la confcience de l'exiftenee qu'il leur donne. Je fuis avec zélé > ôrc» XVIIe. LETTRE. OUandM. de Buffon vous a appris, Monfieur, que les Animaux , quoique purement matériels dans tout ce qu'ils font, ont des fenfations, vous vous êtes probablement attendu qu'il leur accorderoit auffi la confcience de leur exiftance : fouffrir, c'eft fe fentir exifter avec douleur; éprouver du plai-, d c'eft goûter fon exiftance ; voir, c'eft fe fentir apperçevant des objets, &c. Toute percep- tion eft un mode fenti de notre propre exiftance. M. deBuffon a faifl toutes ces confluences jii a fenti que, comme il implique qu'une manière d'Eftre numeri- n N iiij " que, réelle, aduelle , n'appar- tienne à aucun Eftre caftant j il implique qu'une fùbftance ait la confcience de fa. manière d'exifter, fans avoir celle de fon exiftence. Mais ici -, il fe fert d'une ex5 "preffion trop générale. Quand il donne à l'Animal la confcience de fon exiftance, on ne fait s'il l'accorde à toute la colleaion des membres de l'Animal; en- forte que la machine entière fen- te fon exiftance totale , & cha- que membre particulier la fien- ne, ou bien a une feule partie, à ce qu'il appelle lefens intérieur. Il eft vrai qu'ayant d'abord avan* cé que les fens extérieurs , com- me l'œil, l'oreille, l'organe du toueherrépandufous toute l'ha- bitude de la peau , dans les muf- cles mêmes intérieurs , n'ont au- cune fenfation joneft déterminé à juger qu'il a voulu attacher au cerveau feul, la confcience de l'exiftance. Mais cette générali- té dans les termes eft un seffour* cepourM-deBufifonv Cependant nelui prêtons pas le ridïcufe de déferer au préjugé naturel, qui nous fait placer la douleur dans nos membres mal- affedés, & penfons que e'eft à ce qu'il appelle le fens univer- fel , qu'il attribue la confcience etel'exiftencedansles Animaux, Nous aurons encore bien, des chofes à éclaîrcir. Car dans le cerveau font des plexus àe vei- nes jd^rteres^devauTeaux lim- çhatiques, &les liqueurs qui les, remplirent, en font certaine- ment Japattieia plus confidéra- ble. Ce ne fera néanmoins à au- cune de ces chofes, que M. de Buffon accordera la confcience delexiflence. Ce fera probable- ment à des parties totalement imperceptibles , à de petites fi- bres , à de petits filets nerveux , que les Anatomiftes fuppofent être l'origine de la fubftance ren- fermée dans la tunique d'un nerf. Ainfi, l'organe qui eft fen- fibleàfonexiftence, n'eft point un volume compris fous une feu- le furface ; c eft un entrelalTe- ment de fibres invifibles, dont lesvuidesôc les intervalles font remplis par tous les vaiffeaux fer- vans à la végétation , à la nourri- ture, aux circulations , & aux féctetionsdcs.Hqueors, tole vifceretotal.Dela mie de pain extrêmement levé, dont les trous, que l'on appelle commu- nément des yeux , facaent «es- grands , & la fubftance même delamie,qmferokun compo- fé de filets imperceptibles, ne repréfenteroit pas mal la partie du cerveau formée de filets ner- veux 6c dégagée de tout ce qui lui feroit étranger, comme des vaiffeauxptoptesàlavégétation, &c. une quantité de crins fniés, comme on les prépare pour les employer dans différens meu- bles , exerçant tous leur ■ reffort, entrelaffés & laiffant de grands vuides entre eux à en fuppofant que le diamètre de chacun de ces crins neferoit que la millie. me partie de celui d'un fil d'Arai- gnée, exprimeroit encore mieux cet organefenfible. Ces images repréfentent fort groffietement le réfultat de tous les filets ner- veux, dont le tiffu forme ce que Ai de Buffon appelle le fe„s intérieur ; mais elles ne donnent pas la moindre idée de l'art ad- mirable avec lequel il eft conf- fruit. Maintenant que notre objet eft débarrafTédetoutcequinousle eachoit, nous pouvons faire quelques queftionsà M. de Buf- fon. C'eft donc ce rifTu lâche , mais dont la conftrucïion mer- veilleufe nous eft totalement in- connue , qui fent fon exiftence, & dans notre cerveau-, & dans celui de l'Animal. L'Animal ne peut nous en inftruire; le fcalpeî dans la main du plus habile Ana- tomifte, ne dépouillera pas cet organe de pe qui lui eft étranger; mais vous , Monfieur , chez qui cet organe fefent , vous pouvez certainement nous le dépeindre : puifqu'ilfent fon exiftence , ilfe démêle de tout ce qui eft autout -de lui , de tout ce qui remplit les vuides que forment les entre- laffemens de ces différens ra- meaux ; ôt comme la conftruc- tion de chacun de ces filets, ôç la manière dont ils font croifés , noués > entortillés , eft ce qui en fait telle machine, tel organe; que cette conftruaion organique eft ce qui le rend fenfible àl'exif- tence, félon vous , il nous dé- voilera, par votre bouche, tout Part qui y eft -employé > dont nous autres hommes, pires en cela que les Bêtes , n'avons ni la moindre idée , ni la moindre fenfation. Quand l'Auteur voudrait a- dopter les foupçons de tous les Phifiologiftes , & reconnoître qu'il eft une feule partie du cer- veau } ou tous les filets dont cha- que nerf eft compofé > & ceux de tous les nerfs font réunis , pour y compofer ce que quelques uns appellent le fenforium > l'organe , occafion immédiate de toutes les fenfations; il pourrait le dé~ barraffer d'une partie de ces vaif- feaux étrangers^nutritifs & fecre- toires&non de tous ; puifque cet organe, à quelque petiteffe qu'on voulût le réduire , aùroit befoinde nourriture ; mais Pem- barrasferoit toujours le même. Le plexus , ce tiffu de fibres mé- dullaires nerveufes , n'eft le fen- forium que par la manière dont il eft formé, puifque * félon M. deBuffon, l'arrangement orga- nique eft ce qui le rend un fens intérieur* S'ilfent fonexiftence, il fent non-feulement la quantité de matière individuelle qui lui eft propre (Infiftez ? je vous prie, Monfieur , fur cette obfervation) mais encore la façon d'être , qui le rend fenfible, fa propre conf- tru&ion , en un mot ; ôc il peut s'en rendre compte à lui-même. Cependant le notre ne nous ap- prendrien de tout cela. En nous, cet organe ne le diftingue d'au- cune autre partie de la ma(Te du cerveau -, il ne fent ni la quantité de fa matière individuelle, ni le . nombre de fes fils > ni leurs lon- gueurs refpeâives , ni leurs dia- mètres y ni leurs contours , ni leurs cntrelaflemensj ni leurs courbures &c. rien , en un mot , de ce qu'il eft. Il ne fent ni ëbran- lemens,ni ofcillations^ni percuf- fions de la part des efprits qui y fontrenvoyés des organes exté- rieurs. Ces faits tirés de l'expérience, fuffifent affurément pour démon- trer à M, de BufFon > qu'il n'eft aucun organe dans notre cerveau qui fente fon exiftence , ôc au- quel onpuiïfe rapporter les fen- fations. Ceux qui voudraient re- partir le fens de Texiftence fur tout le corps ; n'auroient pas plus d avantage davantage que ceux qui le con- centrent eri quelque point du cerveau , en confondant le fenS de là coexiftence de notre corps , avec celui de l'exiftence de no- tre ame. C'eft le parti défefperé des Matérialiftes ; lorfque privés de toutes les reffour- ces qu'ilsfe prornettoient de 1 a- natomie, ils fe trouvent réduits- à faire valoir les préjugés de no- tre enfance. J'ai la goutte au pied gauche, difent-ils ; ce pied ne fent-il pas alors que l'exiften- ce lui eft à 'charge ? Mais fr c& piedfentfon exiftenee, ce n'eft ni la chair , ni la peau , ni les' veines, ni les artères , ni les os; qui la fentent. Voilà le pied : ce' font les nerfs qu'une hunreur m©rdicante picotte. Ces nerfs fe J?L. Partie^ Q en refu- fantla penfée àla matière; Mais ils fentent trop bien (les Maté* lialiftes) que j'ai eu raifon de foutenir à M. de Buffon que fi l'on donne le fens de l'exiftence à une molécule de matière, elle deviendra dès - lors fufceptible- de toutes les propriétés des ef-, prits» Ils regarderont comme une excellente découverte* le fond de k doârine de M, de BufFon ,& fe moqueront de lès teftriaions. Je leur prouve que dans le fait , M. de BufFon fè trompe ; qu'il ne fent en aucune façon ces petits rameaux, qu'on; peut regarder comme les racines des nerfs, & dont l'entrelaflV ment fait probablement l'organe de la fenfation. Au moins, di* ront-ils, on n'a pas démontré: quelaprétention^de. M. de Buf- fon implique contradiction. Je crois l'avoir fait dans les élément de la métaphifique je le répète*, parce qu'on ne peut trop le ré^ péter , vu la multitude que l'hi- pothèfede M. Looke a féduite. Non , ce. compofé des racines des nerfs ne peut fentir fon exif- tence , tut-il même vrai que cha~ c|j& fibrille du tiffu dont nous. parions ,fentît la fienne particu- lière. Car alors tous ces petits fi- lets fentant l'exiftence & combi- nés , reffembleroient à une ar- mée ; chaque filet repréfenteroit un foldat. Or, chaque foldat dans une armée, fent fon exif tance d'une manière qui exclut tout motif de doute ; & c'eft en cela que conflue la confcience de l'exiftence, qu'elle exclut même la poffibilirédu doute : ce foldat pourroit bien favoir qu'il y 3100000 hommes dans l'armée, & qu'il en eft un. Mais cette çonnoiffancede tous les autres foldats,n 'eft pas plus une conf- cience de leurexiftence, que la Tûe d'une armée navale eft la confcience de l'exiftence des Vaifleawc qui la compofent : > "pourrois exifter , voir des Vaif- féaux , quoiqu'il n'y en eût pas , car cette connoiffance n'exclut pas tout motif de doute ; je ne pourrois dire l'une de ces deux chofes,ouje fens l'exiftence de ces Vaiffeaux comme la mienne, ou bien il eft auffi impoflïble que ces Vaiffeaux n'exiftent point , quandj'en ai l'image tracée fut ma rétine, qu'il eft impoffible que je me fente exifter , ôc que je n'exifte pas. Ceci étant bien conçu , il eft donc vrai que chaque foldat dans une armée, auroit la cons- cience de fa propre exiftence , ôc qu'aucun n'auroit la confcience de l'exiftence de l'armée. Donc dire qu'une armée ala confcien- ce de fon exiftence, c'eft dire ^ue c'eft une multitude dont au- cun des individus qui la compo- fent, ne fent Texiftënce totale par eonfcience , & qui fent cepen- dant fon exiftenee totale par eonlcience. Or, comme cette multitude n'eft rien air de-là du nombre de ceux qui la compo* fent 5 ce fer oit donc le néant qui auroit la confcience de l'exiften- cè de toute l'armée; Que chaque fibrille du fens intérieur repréfente un foldaty que le total de ces fibrilles, V or- gane entier repréfente l'armée , & vous verrez , Monfieur, qu'il eft impoffible qu'un organey qu'une machine combinée com* me on voudra , fente fon exiften* ce. Ajoutons, contre Mv Looke^ qu'il eft: impoffible de penfer^. qu'om I itfp 3 -qu'on ne fe fente penfant , qu'on ne fe fente exifter ; & vous con- viendrez, Monfieur r qu'un amas de matière ne peut être combi- né de manière à pouvoir penfer* Mais de plus chaque fibrille du cerveau eft une machine , elle eft compoféc de points phifïcs ; elle repréfente encore une ar- mée dont les 'points phifics re- préfentent les foldats. Le raifon- nement que je viens de faire , fera donc encore une démonf- tration contre lafuppoiitionque j'ai faite $ que chaque fibrille avoitla confcience de fon exi£ tance- Vous ferez donc contraint de réduire la matière à un point mathématique , n'ayant réelle- ment ni parties ni afpeâs quel- conques ,nifuperficie > pour lui VL Partie. P I 17° ] fuppofer le fentiment de Fexif- tance 5 ce fera alors la pure unité indivifible , qui ne fera ni machi- ne ni matière. M. de Buffon a pu voir ce rai- fonnement dans les Elémens Aîétaphifiques, penfe - t'il qu'il eftaûdefîbus de lui de s'y ren^ dre fEft-ce qu'il eft moins hono- rable de céder àlaraifon qu'à la Sorbonne ; la déclaration qu'il lui a envoyée > eft fans-doute édi- fiante ; mais je voudrais qu'il fît cette réflexion , que cette dé- claration ne fera jamais tant de favorables impreffions fur lès Matérialiftes , pour les ramener, que fa doârine des fenfations & de la confcience de l'exiftence réduites à de pures combinaifons méchaniques > leur en fera de Ii7il âangëreufes, dont ils pourront tirer avantage, C'eft une confi- dération que je ne .poufferai pas plus loin. Vous vous appercevez > Mon- fieur y que je n'ai cite aucun tex- te de notre Auteur 5 dans lequel il effaye au moins de prouver que les Animaux ont le fens de l'exiftence , c'efl: que réellement il n'en donne aucune raifon. Peut-être croit-il que le fimple préjugé qui nous porte à recon- iioître des fenfations dans les Animaux fur les" figues qu'ils en donnent , fuffit pour établir fon opinion. Mais ce préjugé même le méneroit plus loin qu'il ne voudrait ; car fi les Animaux donnent des flgnes de fentiment, on en conciliera bien plus légitl- mement qu'ils ont une âme* que non pas qu'une certaine maniè- re y dont les filets médullaires & nerveux font tiflus, tendus, ébranlés , eft la confcience de leur exiftence > ou une vraye fenfation. Mais il s'attache à prouver un tout autre paradoxe , & qu'il ne dok certainement à aucun Fhi- 71. lofophe. L e voici. Les Animaux » ont la confcience de leur exif « tence actuelle; mais ils n'ont » pas celle de leur exiftence pat " fée. C'eft-à-dire qu'un .Chien, par exemple, eft toujours un nou- vel Eftre pour lui-même. Cette propofition eft .complexe , nous en avons réfuté la première par- tie , favoir , que l'organe fenfible a la confcience d5 exiftence ; il [«73 3 n'eft pas néceuaire de démon- trer le faux de la féconde ; puis- qu'elle ne peut être vraye, qu'autant qu'il feroit prouvé que le cerveau a la confcience de fon exiftence. Je ne ferai donc qu e vous expofer, pour vous dé- Mer , (Ôt vous devez en avoir befoin, Monfieuc,) la manière dont ilfouïient fon paradoxe. H commence ainfi. » La conf- ii»4- » cience de fon exiftence, cefen- riment intérieur qui conftitue » le moi , eft compofé, chez nous, » de la fenfation de notre exiftett- »r ce actuelle, & du fouvenir de », notre exiftence pafTée. » Cette eompofitionme paroîr ftngulie- re : fi elle éroit effentielle à la confcience de l'exiftence , Adam au premier inftant de- fa vie , ne P iij r i74j fa voit pas ; il ne pouvoir pas dire moi. Mais la confcience de notre individualité eft telle, que nous nous fentons le même être, qui a fubfifté durant une certaine fui- te a années. » Cefouvenir, ajou- "tc-t-il, eft une fenfation tout fi awflî préfente que la première... » Et comme ces deux efpeces de «fénfationsfont différentes, &r f que notre ame ala faculté de les « comparer, «Se d'en former des « idées ; notre confcience d'exif- *> tence eft d'autant plus certai- »ne, ôc d'autant plus étendue» » que nous nous repréfentons «plusfouvent & en plus grand »nombte les chofes paffées;& « que par nos réflexions,nous les * comparons & les combinons ft davantage entre elles ,. ôc avec . D7n « les chofes préfentes. » Les an- nées écoulées augmentent notre durée paffée , mais qu'elles nous rendent plus certains de notre exiftanee actuelle , c'eft ce qu'on ne pafleroit pas même dans une déclamation» H continue. » Chacun confer- *■ fH * ye dans foi-même un certain » nombre de fenfations relatives »aux différentes exiftences, *c'eft-à-dire,aux différens états » où l'on feft trouvé , ce nombre s de fenfations eft devenu une » fucceiïion, & a formé une fuite » d'idées, par la comparaifon «que notre ame a faite de fes » fenfations entre elles. C'eft »dans cette comparaifon de * fenfations que confifle l'idée dutems. » Qui ne croyoit pas, avant M, de Buffon , que l'amé n'étoit que fïmpîe fpeaatrice du paffé, quand elle le rappeiloit dans fa mémoire ; qu'elle voyoit ( étant en cela purement paiïive) la fuite des fenfations, dans l'or- dre qu'elle les avoir éprouvées, & qu'èlfene difpofoit pas de cet ordre. L'idée du tems, une com- paraifon de fenfations ! La durée de notre être, l'ouvrage de nos réflexions ! Cependant quelle peine n'avons-nous pas , lorfque nous rappellant quelque événe^ ment qui nous eû arrivé, nous nous efforçons de le rapporter à fbn époque précife ? Si nous étions faits comme M. de Buf- fon le fuppofe , l'ame maîtreffe de l'ordre: des événemens aux- quels elle a eu part, leur mai?: [177 3 queroit fans embarras la place qui leur convient. Il étale enfuite des réflexions fort peu philofophiques fur la variété des efprits , qu'il rapporte non à la différence des organes du cerveau, mais à des qualités diverfes de ces mêmes efprits 9 aux trempes différentes des ames, comme il s'exprime : il p' conclut. » Il eft évident que plus »on a d'idées ,. » c'eft-à-dire* fe. Ion M , « plus on a= comparé de » fenfations, Ôcplus on eft fût » de fon exiftence ; que plus on » a d'efprit, plus on exifte; qu'en- » fin, e'eftpar lapuiffance de ré- » fléphir qu'a notre ame, & par «cette feule puiffance, que « nousfommes certains de nos «exiûences paffées, & que nous C I78J » voyons nos exigences futures.» Mais fur quoi tombent les ré- flexions dont il parie ? Sur des événement paffés f C'eft donc fur l'idée du pafle. Ainfi il impli- que que ces mêmes réflexions forment l'idée du paffé Quelle fatisfa&ion ne fenti- riez-vous pas , Monfieur , fi vous pouviez vous approprier les pen- fées dont M. de Buifon vient de nous faire part , lorfque vous vous compareriez à un de vos nègres , que le pauvre miférabie vous paroîtroit peu fûr de fon exiftence, qu'il exifteroit peu. Parlons plus fériêufement. Le fens de l'exiltence ne renferme- t il pas une certitude toute auflî pleine que celle qui nous vient de l'évidence ? Y a-t-il du plus [179 3 ou du moins , quoiqu'il y en aït dans la manière de fe fentir exif- ter ? Quelle Philofophie ! Je ne fuis plus furpris de trouver des ames Ci fieres & Ci vaines ; elles penfent que leur fubftance eft d'une autre nature que les ames ordinaires ; elles fe croyent fon- dées à regarder les autres hom- mes comme des Eftres nuls visr à-vis d'elles. Comment penfez-vous > Mon- fîeur , que notre ame immortelle de fa nature , voit fes inftans fu- turs d'exiftence ? C'eft -encore p- ts~ l'effet de la force qu'elle a de comparer. ?* L'idée de l'avenir » n'étant que la comparaifon in- m verfe du préfent au paffé > puif- * que dans cette vue de l'efprit 9 « le préfent eft paffé y & l'avenir [rSo-J =» eft préfent. * Que penfez-votrs de ce raifonnement , Monfietir ? G'eft-à-dire , je prévois qu il y aura un Jubilé en 1 8co, parce que je regarde Imitant préfent comme pafle > & l'an 1 8 oo com- me préfent. Vous avez beaucoup d'efprit, Monfieur ; mais con- venerque vous n'auriez jamais rien imaginéde fi lumineux. Mais y infiftons fur la con- noiflance que nous avons du paffé ; l'Auteur ne prouve point que ce foit h réfultat de la eom^ paraifon des idées , mais il Faf- firme r & fans le moindre fonde- ment: car, nous avons l'idée du paffé dans le fommeil ( je vous en parlerai dans peu ) & dans ces momens d'inertie oùrien ne mm ocpjpeyoù nous ne réflé- chiffons fur rien , où nous écar- tons toute forte de connohTan- ce, où n'étant affe&és d'aucune fenfation, nous nous préparons à dormir ou à méditer , dans ce qu'on appelle les rêves à la Suiffe , dans les létargies , dans les tranfports au cerveau. De- mandez à ceux qui ont éprouvé ces différens états , fi la dernière penfée qu'ils fe rappellent de celles qu'ils ont eue, avant leur accident , précède immédiate- ment Imitant où vous leur par- lez ? Ils vous répondront tous que non , quoiqu'ils ne puiflent déterminer la durée de l'inter- valle. Donc il leur telle de leur état même l'idée du paûe , celle de tems écoulé ; & ce tems ne peut être la comparaifon de fen- lations qu'ils n ont pas éprou- vées , ou qu'ils ont totalement oubliées. Monfieur de Buffon nous ra- $>,7s. mené aux Animaux. » Cette - puiffance de réfléchir ayant « été refufée aux Animaux , » s'ils fentent leur exiftence, ils fe fendront les mêmes individus qu'ils étoient Imitant précé- dent; ils nefe fendront pas nou- vellement créés. » Il eft donc » certain qu'ils ne peuvent for- » mer d'idées, & que par con- » féquent leur confcience d'e- «xiftence eft moins fûre & « moins étendue que la nôtre. » Ceft-à-dire , qu'il eft un peu douteux pour eux qu'ils exiftent; que leur exiftence eft Ample- ment un peu vraifemblabk rour [i8M eux. » Car ils ne peuvent avoir m aucune idée du tems," aucune connoiffance du paffé, aucune o, notion de l'avenir : leur conf- » cience d'exiftence eft fimple , « elle dépend uniquement des o> fenfations qui les affeftent ac- » tuellement , & confifte dans le «fentiment intérieur que ces » fenfations produifent. » Voici une apparence de preu- ve dans une comparaifon , comparaifon néanmoins qui é- tant bien approfondie , décide contre laprétention de l'Auteur. 03 Ne pouvons-nous pas conce- » voir ce que c'eft que cette * confcience d'exiftence dans les » Animaux, en faifant réflexion » fur l'état, où nous nous trou- «vons y lorfque nous fommes *> Fortement occupés d'un objet, «ou -violemment-agités par une « paflîon P qui ne nous permet de *> faire aucune réflexion fur nous- -mêmes ? On exprime l'idée de «•cet état y en difant qu'on eft « hors de foi, & Ton eft en effet « hors de foi, dès que Ton n'eft « occupé que des fenfations ac- » tuelles. » Comparez , Mon- iteur, cette obfervation avec le ififtême de l'Auteur , vous conce- vrez que les fenfations apparte- nant au corps , notre ame eft nul- le pour nous - mêmes , lorfque nous ne réfléchiffons point. Et » Ton eft d'autant plus hors de -foi, que ces fenfations font -plus vives , plus rapides, & ^qu'elles donnent moins de tems »à l'ame pour les confiderer. » Dans m Dans cet état, nous nous fea- » tons, nous fentons même le «plaifir&k douleur dans tou- » tes leurs nuancés , nous avons » donc alors le fentiment , la ?* confcience de notre exiftence , => fans que notre ame femble y o> participer.» Dans l'opinion de M. de Buffon , elle n'y participe nullement. C'eft le fens intérieur machinal qui éprouve tout cela-. E'amene fe déployé que quand elle approuve- ou condamne, commande ou retient ces mou- vemens , comme il nous l'a-dit ; c'eft pour cela qu'il fixe l'objet defacomparaifon, par les paro- les fuivantes. » Cet état où- nous ne nous trouvons que par ink »tans, eft l'état habituel des ^Animaux privés d'idées* ôt UL Partie.- Q ^pourvus de fenfations ; ils né « favent- point qu ils exiftent* » mais ilslefentent. =>> Précifioa particulière à M. deBuffon. J'y confens tenons-nous em à l'exemple qu il nous propofe. Dans cet état , nous fentons ces* nuances de plaifir ou de douleur fe fucceder; nous avons non- feu- lement notre exiftence préfente r mais fa durée que nous trouvons fort longue > fi nous fommes* mal affeâés ; fort courte y fi nous le fommes agréablement» Iln'eft. au monde que M. de Buffon qui puifTénier ce fait. Donc, pui£ que félon lui r cet état paflager pour nous reft l'image naïve de l'état confiant des Animaux , il; faut convenir qu'ils ont non-feu- tement la ccnfcïence de leur [1373 exigence > mais celle même de fa durée. Car il faut bien obfervex qu'alors notre ame étant nulle pour elle-même , comme l'elprit l'eft pour les imbécilles* ainfi que nous l'enfeignera l'Auteur, notre ame ne fe fent point exif- ter , e'eft la machine. Combien d'expériences dépo~ fent que fi les Animaux ont la confcience de leur exiftence , ils ont celle du rems , du pafîé ôc du futur ; ôc que cette confcience pe peut être celle d'un inftant m* divifible. Les Chiens entendent comme nous , fuivant ladoârine dfe M, de Buffon ; s'ils n'ont ia confcience de l' exiftence que durant un inftant , ils n?enten* dent donc jamais qu'une fillabe^ àk a entendent jamais: un mot: Ci 88 3 entier. Leurs noms mêmes , qui font affez longs pour certaines elpeces , ne les frappent point y parce qu'en prononçant Soliman, la première fillabe ni la féconde y ne peut décider le Chien auquel on a donné ce nom, & que quand la troifiéme eft articulée4, il aeft frappé que de celle-là y les deux autres impreffions étant jpafTées. Mais , dira M- de Bu£ fùït, n'ai -je pas enfeigné que leurs fenfations étoient durables y comme les ébranlemens reçus dans le fens intérieur , vous Pa- vez dit. Ainfi , que trois perfon- nes articulent en même tems chacune des fillabes de ce^ mot* Soliman, elles: cauferont trois ébranlemens enfemble ; mais éprouvez^ le Chien recornioîtra. C i% 3 fon nom. Et ce nom-même? comment lé Chien lVt-il M k la confcience de fon exiftencey lui qui ne peut aflbcier deux idées f M. de BufFon accorde aux Animauxledefir ~, mais le defir renferme la connoiuance' d'un bien qu'on n'a pas , & ce ne peut être un méchanifine que; cette idée de privation , non plus que la volonté dé l'obtenir dans l'a- venir : où il n'y a point d'idée de futur , il n y a point de defir. Ce- j>i7si pendant iîprontet , -non de prou- ver, mais de démonter que les Animaux n'ont point d'idées* quoique- fenfibles au bonheur d'exifter, ôc par conféquent point de connohTanee ni du paffé ni dta futur ; ôulfe flatted'y téufTît ? en nous faifant confiderer en détail leurs facultés & les nôtres, & en comparant nos a&ions & les leurs. Rendons-nous attentifs , 77- la chofe le mérite bien. » Ils ont comme nous , des fens. « Re- tenez bien ce mot , Moniteur ,, » nous en aurons befoin ailleurs». » Et par conféquent ils reçoi- =» vent les imprefïions des objets «extérieurs, ils ont, comme ■» nous," un fens intérieur pure- ment matériel , » un organe =° qui conferve les ébranlemens » caufésparces imprefïïons , ôc » par conféquent ils ont des fen- «■fations, qui comme les ne- utres, peuvent fe renouveller , » & font plus ou moins fortes âe «plus ou moins durables. Ce- ••.pendant ils nont m i'efprit ri * r entendement ni la mémoire w comme nous l'avons , parce » qu'ils n'ont pas la puiflance de s» comparer leurs fenfations r »•& que ces trois facultés dé- » pendent de cette puiflance. .» . Il commence d'abord par leur Ibi^ enlever la mémoire. Il avoue que le contraire paroît démon- tré ; cependant il allure 5 que toutes les apparences, de mé- moire qu'elles donnent font trompeufes. Entendons-le par- ler lui-même.. Si je ne donnois que le précis defes penfées, gm pourroit m'aecufer de vouloir tourner fa Philofophie en ridi- cule. Chez nous, la mémoire^ 7 * émane de la puiflance de réflé- chir. » On lui niera d'abord cette ptôpofitiôn : nous nous lîôus rappelions malgré ndus une infinité de chofes que nous voudrions de tout notre cœut avoir oubliées > & auxquelles nous ne voulons pas réfléchir: *y Car le fouvenirquenous avons «-des chofes paffées > fuppofe & non-feulement la durée des ébranlemens de notre fens m* « térieur matériel , \rejî-â-dire > le ^ renouvellement de nos fenfa- » tions antérieures > mais encore 3>les comparaifons que notre » ame a faites de ces fenfations ; ™ c'eft-à-dire y les* idéës qu'elle » en a formées.. ... C'eft elle qui » forme la liaifon de nos fenfa- « tions , & qui ourdit k trame de 35 nos exiftences par un fil conte- * nu dUdées. La- mémoire eon~ t ii>?3 •*> fifte donc dans une fuccefïïoft -*» d'idées , 6c fuppofe néceffai*- « rement la puifîance qui les pn> s* duit. * Quel étrange boulverfemerit M. de BufFon ne caufe^t-il point dans laPhilofophiel II donne au corps ce qui appartient à lame, en prétendant que des -ébranle- mens des fibres du cerveau, ayent des fenfations ôc la per- ception de l'exigence ; ôcil don- à Famé ce qui ne convient qu'au corps ? je veux dire Tordre des faits Ôc des chofes dépofées dans l'organe > oceafion de la mémoi- re. Il ignore donc que l'ordre de la mémoire eft dans la machine ôc dans les fignes qui font con- fervés dans le cerveau , où font les archives de l'âme : que quoi- VL Partie, R [ IP4 3 que Famé ufe de fon a&ivité , en. cherchant à fe rappeller certai- nes chofes, elle eft paffive dans lefuccès, c'eft-à-dire, dans le fouvenir : que la mémoire prodi- gieufe, commune, médiocre, fautive , dépend abfolument, dans l'homme même > de la per- fection ou de l'imperfeâion de certaines parties du cerveau ; puifquele trépan la fait perdre totalemenr , aufîi bien que d'au- tres accidens , comme- l'imbécil- lité y laparalifie > &c. L'Homme qui a le plus d'efprit, qui fait mettre le plus bel ordre dans fes idées, eft fouvent celui qui a le moins de mémoire ; il ne pourra réciter par cœur un difcours qu'il aura fait avec beaucoup de foin & de tems ; il faut que les Pré- tïicateurs répètent plufieurs foïs leurs fermons > & ils ne les favent jamais mieux 5 que lorfqu'ils les favent machinalement. D'ailleurs , ce feroit contre toute vérité > que l'ame s'attri- bueroit Tordre avec lequel cer- taines produ&ions de l'art re- paffent devant elle> foit qu'elle le délire ou qu'elle ne le délire pas- Les cinq ou fix premières nôtres d'un air bien compofé * nous reviennent dans l'efprit^ nous le chantons > fi je puis par- ler ainfi, dans notre cerveau, tout aufli bien que nous l'avons en*- tendu chanter à un Muficien ha- bile. Notre ame compofe-t-elle j combine-t-elle alors des tons? Elle le fait fi peu , qu'il lui fem- bleque c'eft encore le Muficiea qui chante, elle entend fa voix fonore ; ôc fi elle tentoit de xen- ,dre cet air au dehors en chan- tant y elle trouveroit que fa voix n'eft point celle qui chante dans fa tête. Il eft donc bien étonnant que contre des expériences fi com- munes &fi univerfelles, on nous affirme que la mémoire eft Tor- dre que lame met entre fes idées , & que les cemparaifons qu elle en a formées , ourdiflent la trame de nos exiftences paf- féesparunfil continu. Mettons quel ordre il nous plaira dans les idées que nous avons re.çûes , dans celles qui nous font venûes, dans les faits dont nous avons été témoins ; jamais cet ordre ne repréfentera ce qui s eft écoulé [I97J de notre vie, qu'autant que les chofes feront rapportées au* époques précifes du tems auquel elles fe font pafîees. »Si la mémoire , dit notre p- » Auteur , ne confiftoit que dans o, le renouvellement des fenfa- tions paflees , » ou des ébranle- mens des lignes occafions de- nos fenfations & de nos idées , «ces fenfations fe repréfente- » roient à notre fens intérieur, » fans y laifferune imprefliondé- » terminée ; elles fe préfente- «roient fans aucun ordre, fans o>liaifon entre elles, à peu près » comme, elle* fe préfentent dans » l'ivrefTe , ou dans certains rê- » ves où tout eftft découfu , fi » peufuivi , fi peu ordonné , que » nous ne pouvons en conferver Riii Dp8j »îefouvenir. » Voilà ce qu'on appelle un raifonnement qu'il n'eft pas poffible de réfuter, parce qu'il eft inintelligible. Il eft réellement très - admirable qu'une infinité de lignes d'idées , foient confervés dans notre cer- veau, parmi les veftiges d'une multitude prodigieufe de fenfa- îions , & qu'au milieu de cette confufion, les fcénes de notre vie fe renouvellent Ôc fe fuccé- dent avec ordre, quand nous voulons nous en occuper. Mais cette merveille nous annonce, qu'il eft un ordre dans notre cer- veau , un méchanifme fort propre à nous élever à la méditation de iafagefle de celui qui l'a cons- truit : que nous ne pourrons ja- mais bien faifix cet ordre, ce mé- chanifme, dont nous favons très-bien que nous ne fommes point les auteurs. M. de BufTon , Monfieur, ne vous a-t-il pas perfuadé fon para- doxe fingulier, que l'ordre que la mémoire nous fait trouver dans les événement de notre vie, eft telui que lame a mis dans les idées ; il s'en flatte , & fi bien , qu'il n'aura plus que quelques doutes légers à diffiper. » Mais p- » pour ne laiffer, s'il eft poflible, » aucun doute fur ce point im- ?> portant , voyons qu'elle eft »l'efpece defouvenir que nous «laHTent nos fenfations , lorf- » qu'elles n'ont point été ac- compagnies d'idées. » H ap- *• porte pour exemple une dou- leur vive ôc palfagere. » Nous Riiij » n'avons qu'une foible réminif. » cence. de la fenfation même, » tandis que nous avons une mé- » moire nette des circonftances » qui l aecompagnoient , & du » rems où elle nous eft arrivée. » Il eft vrai que par un trait admi- rable de la- Providence, les oc- casions du fouvenir de nos dou- leurs, ne confervent point un: ton de vivacité propre à les re- nouveller dans notre ame, com- me les images de certains objets qui nous ont vivement frappé r & que nous croyons voir enco- re , quand ils fe préfentent à no- tre mémoire. Il eft encore très- vrai que les objets qui nous ont peu frappé, laiflcnt des emprein- tes foièles fur le cerveau, &; qu'elles fe perdent bientôt [201 J que fi nous n'avons pas obfervd avec attention un objet , fon image ne fera pas gravée profon- de ment. # D'autres phénomènes qu'il rapporte,.. rue font pas plus favo- rables à fon opinion. « Pourquoi p- « tout ce qui s'eft pafle dans notre *> enfance , eft-il prefqu5 entier e- » ment oublié ?Et pourquoi les ** vieillards ont-ils un fouvenir plus préfent de ce qui leur eft: o> arrivé dans le moyen âge -, que »de ce qui leur eft arrivé dans ~ leur vieilleffefY a-t-il une. o> meilleure preuve ? » Il n'y en a m de bonnes ni de mauvaifes o>que les fenfations toutes feules o>,ne fuffifent pas pour produire la: «.mémoire; » Non> il faut dans le cerveau une difpofition. au re- [ 202 J nouvellement des ébranlement qui l'ont occafionnée, » & qu'el- » le n'exifte en effet, que dans la » fuite des idées que notre ame » peut tirer de ces fenfationsf Car «dans l'enfance... lapuiffancede » réfléchir, qui feule peut for- « mer des idées » ou plutôt des raifonnemens , des comparai- fonds d'idées, » eft dans une «inaction totale.=»D'où vient cet- te inadion ? De ce que les im- preflions faites Yur un cerveau mol ôc fans confiftance, font aulîitdt détruites, & ne donnent pas à l'amele tems de fe rendre attentive à fon objet. Et par la même raifon , il ne relie plus de traces quipuiffent fetvir d'occa- fion à la mémoire; bien entendu cependant qu'il n'eft queflion C 203 J quede la première enfance : car dès que les enfans prononcent quelques mots, ils donnent des. fignes de mémoire , reconnoif- fent les chofes par les noms qu'on leur donne, diftinguent très-bienlepaffé,lepréfent&le futur ;ôc les tems mêmes des verbes qui fuppofent plus de pre- cifion dans l'efprit , quoiquils. ne fâchent pas ce que c'eft que conjuguer;retiennentles contes qu'on leur fait, les règles des petits jeux qu'on leur apprend, &c Plus avancés quelques uns donnent des preuves d'une mé- moire prodigieufe, longtemps avant qu'ils ayent la faculté de comparer au dégré le plus corn- mun- j p « Dans l'âge mûr , reprend Oo4j «* M. de Euffon , où la raifon eft » entièrement développée, par- ce que la puiffance de réfléchit « eft en entier exercice , nous tK ^ronsde nos fenfations tout le » fruit qu'elles peuvent produire, & nous nous formons pluïïeurs ordres d'idées ôcplufieurs chai- ^nesde penfées,. dont chacune » fait une trace durable. » Où? Dans-fe cerveau apparemment. Car , quelqu heur eufes qu'ayënt été des idées que nous ayons eu, dans quelque ordre que nous les ayons combinées ; s'il ne refte pas une chaîne de fignes dans le cerveau, où nous ayionsl'occa- fton de retrou ver le fil de ces mê- mes idées, elles font perdues- four nous. *> Nous repaffons Ch « fouvent fur cette trace durable,. i qu'elle devient profonde, inef- » façable, & que plufieurs an- « nées après, dans le ttenas.de » notre vieillefle, ces mêmes » idées fe préfentent avec plus de « force , que celle que nouspou- « vons tirer immédiatement des » fenfations aduelles ; parce .» qu'alors ces fenfations font foi- «bles, lentes, émouITées, & » qu'à cet âge, l'aroe même par- » ticipe à la langueur du corps. » Et voilà la bonne ôcla véritable raifon } 6c qui ne tient point du tout au pouvoir de comparer les fenfations. Dans l'âge viril , aux chaînes d'idées que nous avons méditées , répondoient des chaî- nes de fignes, oceaftons de ces idées : le cerveau étoit alors ca- pable de les recevoir. Pans la vîeilleffe > le cerveau comme of» fifië ,fe refufe à ces empreintes i le magafin de la mémoire ne re- çoit plus rien. Le troifiéme exemple dont M. de Buffon cherche à fe préva- loir y & qui ne lui eft pas plus fa- vorable que les deux autres , eft l'état d'imbécillité. Mais en nous le propofant , il ajoute de nouveaux traits à fon fyftême , fort propres à le caraâérifer. g*. » Un imbécille , dont les fens & » les organes corporels > nouspa*" » roiflent fains & bien difpofés y «a comme nous des fenfations de » toutes efpéces ; il les aura auffi î» dans le même ordre,s'il vit en » fociétéj & qu'on l'oblige à faire « ce que font les autres hommes; « cependant > comme ces fenfa- [207] «tions ne lui font point naître »- d'idées ;» où eneft la preuve? » Qu'il n'y apoint de corre/pondan- » ce entre fin ame &. fin corps. » Ne perdez point ce mot , il eft lié au fiftême de M. de Buf- fon. » Et qu'il ne peut réfléchir * fur rien , il eft en conféquence » privé de la mémoire , & de la » connoijfance de foi-même. Cet » Homme ne diffère en rien de » l'Animal , quant aux facultés » extérieures ; car , quoiqu'il ait m une ame, & que par conféquent. « Upofledeenlui le principe de » la raifon ; comme ce principe « demeure dans i'inaâion, & » qu'il ne reçoit rien des organes » corporels , avec le/quels il n'a au- » cune correfpondance , il ne peut « influer fur les adions de cet 1208^ - homme, qUi dèsJors, ne peut - agir que comme un animai 35 uniquement déterminé pat fes -fenfations, &par lefentiment » de fon exiftence aduelle, & de - fes befoins préfens. » L'ame de J'imbécille^neft, comme vous voyez, Monrieur^niaaive ni paf- iive dans cet étrange fiftême. «.Ainfî, l'Homme imbécille &c * l'Animal, font des Eftres, dont - les réfultats & les opérations « fon des mêmes à tous égards , « parce que l'un n'a point d'ame , ».&que l'autre ne s'en fert point. « Tous deux manquent de la *> puifiancederéfléchir,&nont ^par conféquent ni entendement ■? ni efprit -, ni mémoire ; mais & tous deux ont des fenfations du wfentiment & du mouvement. « J'aurai [>°9 3 J'aurai occafion de vous parler ailleurs, Monfieur, de IHnertie parfaire à laquelle M. de Buffbn réduit l'ame de l'imbé- cille. Mais j'obferverai qu'il n'eft tel , que par le dërangemenr de fon cerveau , qui l'empêche non pas d'avoir des idées, mais de les lier enfemble, de raifon- ner. Car il parle cet imbécille , il? parle de paffé , de préfent- fit de futur. On lui dira de revenir à une heure marquée,pour diner,il y viendra; on lui dira que fon potage eft trop chaud, qu'il faut qu'il attende, il attendra; On ïaccufera d'avoir fait quelque chofe, il le niera fie mentira quelque fois , ôcc. M. de Buffon affirme toujours au lieu de prou- ver, ,c'eft ià méthode rn'^n exi- VI. Partie.- S* gezpas plus de lui. Il ne veut- pas que les Animaux ayent de la. mémoke , parce qu'il veut que la mémoire foit l'adion de i ame par laquelle elle met de l'ordre dans les idées, & fe les rappelle,, & qu'il ne veut pas que les Ani- maux ayent des ames ; c'eft fon Même , auquel il faut, bon gré. malgré ,, qu'il ramené tout le règne animal. Tels font tous les faifeurs de fiâêmes , ils donnent des leçons à la Nature, au lieu- d'en recevoir d'elle.. Tous les démentis que M. de.Buffon don- ne à l'expérience, il les appelle des démonftrations. s. 84. w Cependant merépetera-t-on » toujours , l'Homme imbécille l'Animal n'agUTent-ils pas ® fouvent, comme s'ils étoient [211] » déterminés par les chofes paf- * fées ? Ne reconnoiflent-ils pas «> les perfonnes avec lefquelles m ils ont vécu , les lieux qu'ils » ont habité ? &c. Ces actions ^ne fuppofent-elles pas nécef- » fairement la mémoire ? Et cela » ne prouveroit- il pas au con- » traire r qu'elle n'émane point » de lapuiflance de réfléchir. ? » Ilfe tire de l'obje&ion par la diftinâion de l'école. Mémoire, Non y Réminifcence , je l'ac- corde. Mais laiffons-le parler lui-même. ^ Si l'on a donné p, » quelque attention à ce que je » viens de dire , on aura déjà fen- » ti que je diftingue deuxefpeces »• de mémoires infiniment diffe- »■ rentes l'une de l'autre par leur » caufe >; & qui peuvent cepen- V2J2J S dànt fe reffembler en quelque *> forte par leurs effets ; la pre~ * miere eft la trace de nos idées r ™ &la féconde ,. que j'appelle- rois volontiers réminifcence5, » plutôt que mémoire > n'efl: que « le renouvellement de nos fen- «fations, ou plutôt les ébranle- » mens qui les. ont caufées, » Ce- la veut dire , dans mon ftftême , les traits de mémoire que vous appercevez de lapart des imbé- cilles & des animaux , ne font point une reconnoilfance dans Famé fpirituelle^ des fenfations qu'elle a éprouvées : car félon moi* famé de l'imbécille n'a point de fenfations ; & les bêtes n'ont point d'ames. Mais c'eft le même jeu méchanique de l'or* gane. intérieur , renouvelle pas tm principe intérieur à la machi- ne, 6c non pas aucune impul- fton nouvelle delà part des ob- jets extérieurs, (ôc ce jeu média- nique ne fe fent point renouvel- lé , parce qu'il ne fefouvient pas ; Savoir exifté.) Et cela , je- l'ap- pellerais volontiers réminifcen- ce. Lobjeaion n'eft - elle pas; heureufenvent réfolue ? : H développe cette réponfe. » 3> Leurs fenfations antérieurs it » font renouvellées par les fen- » fàtions aduelles, elles fe réveil- • lent avec toutes les circonnan- «ces qui les accompagnoient ï » l'image principale ôc préfente y «appelle les images- anciennes *> ôc acceffoires ; ils fentent corn- «me Us ont fenti, ils agiflene màsma comme, ils ont agi i^â C.2I4 1 » voyeut enfemble lepréfem &fe 05 ftffé, mais fans les diftinguer, » fans les comparer, & par con- séquent fans les connoître. »■ Et voilà la rémînifcence. Des fenfations intérieures font re- nouvellées dans i'imbëçilîe on dans l'animal ; mais elles ne font point fendes comme renouvel- les; les circonftances font ré- veillées avec les autres images; mais ce réveil n'eft point apper- çû. L'un & l'autre voyent en- femble le préfent & le paffé,, mais fans les diftinguer. Qu'en- conclure ? Que ce n'eft ni mé- moire ni réminifcence ; que riens n'eft, pour ces efpeces d'Eftres , ni nouveau ni ancien : qu'un Chien auquel on préfente un bâ- ton, fent les coups qu'on lui ai donnés laveille, & cent autres; chofesaumingénieufes dans ce: genre-là. M. de Buffon fe propofe une: féconde objeaion, qui n'eft* dit-il , qu'une conféquence de la première, ôc qui pourtant efc- d'une toute autre efpece ; parce qu'il s'agit d'un état que nous éprouvons régulièrement plu- fieurs heures de fuite par jour * dont chacun peut fe rappelles: bien des circondances , au lieu: qu'on ne fait pas par une expé- rience perfonnelle , ce qui fe paûe dans latêre des imbécilles. .Voici cette objection. » H eftP » certain que les Animaux fe re- » préfentent dans le fommeil , les « chofes dont ils ont été occupés » pendant la veille ; les Chiens ^jappent fouvent en dormant 9 ^6c quoique cet aboyement foit »> fourd fit foibleytfn y reconnoît ~> cependant la voix de là chaffe y *>les accens de la colère, les fon$: *>du dfefir y ou du murmure, ôcc. -On ne peut donc pas douter qu'ils n'ayent, des chofes paf- » fées , un fou venir très vif, très ^a&ifôc différent de celui donr s>nous venons de parler ; puif- qu'il fe renouvelle indépen- sé damment d'aucune caufe'exté- * rieure , qui puiffey être relati- ez ve. *> L'objeûion eft affez bien pré- fentée, ôceft d'autant plus im- portante y qu'elle a trait ^comme- je viens de dite , à une efpece- d imbécillité périodique: pom nous .y où. par conféxjuent, dans les principes de M. de BuffonV notre ame n'eft ni a£tive ni pafïi- ve. On voit bien que c'eft du fommeil dont je parle. Il répond toujours à fa manière, c'eft-à- dire, en expliquant les phénomè- nes par fon fiftême. Mais il fait plus encore, il nie tout ce qui Fembarraffe quoiqu'il s'agiffe de faits dont tout le monde ren- tra un témoignage uniforme, » Pour éclaircir cette difficulté , a». » &C y répondre d'une manière fatisfaifante , il faut examiner «» la nature de nos rêves , & cher- té cher s'ils viennent de notre »~ame-j ou s'ils dépendent feu- » ment de notre fens intérieur » matériel.» Il n'y a point de queftion à faire , tout le monde conviendra que nos rêves font VL Partie, T [2X8]^ dûs au jeu méchaniqne de l'or gane qui répond à la mémoire y & à l'imagination. =»Si nous 03 pouvions pro uver qu'ils y réfi* » dent en entier, ce feroit non » feulement une réponfe à l'ob- « je£tion , mais une nouvelle dé- * monftration. » Où font les au- tres , » contre l'entendement * &c la mémoire des Animaux f » fans doute , fi ce n'étoit pas Famé qui vît alors des objets fantafti- ques y qui entendît > &c. Ce fe- roientles fignes de la mémoire & de Timagination qui. feroient vus par la partie du cerveau où ils feroient tracés ; ■& comme ce font des modifications de cette même partie , & qu elle eft pure- ment matérielle , elle ne peut fe rappeller fes modifications paf- T>î£] Fées, fi elle n'eftaffe&ée que pat fes modifications actuelles» Il feroit donc prouvé que les Ani- maux n'ont point de mémoire, mais ne le feroit-il pas auffi qu'ils n'ont point, de t éminifcence ? Il n'eft pas néceiïaire que ]& vous fafie obferver , Monfieur, donc des rêves , » c'eft-à-dîrëj des phantômes dans le cer- veau « indépendamment de Fa~ me $ puifque dans les imb&- » cilles > l'ame ne produit rien ; » mais elle voit pafl^vement des objets à rocçafion des phantô- mes : » les Animaux qui n'ont *» point d'ame ^ peuvent donc rè- «? ver aufli ? » Oui , les lignes des phantômespeuvent être dans leur cerveau , mais non la perception 7# 4e ces phantômes. Et non-feu- s> lement il fe produit des rêves » indépendamment de l'ame ; $ mais je ferois fort porté à croire » que tous les rêves en font in- » dépendans. » Ici ( & c'eft ce que vous .admirerez en palTant) il eft porte à penfer comme le refte des hommes, » Je demande ^êÊÊL £ feulement que chacun réflé- 2 chiffe fur fes rêves , & tâche à «reconnoître pourquoi les par- » tiesenfontfi mal liées, ôc les -» événemens fi bifarres ? » Ç'eft que lame n'ayant plus d'inf- pe£Uon fur la machine, les mou- yemens des efprits font ca- fiiels , 6c renouvellent telle ou telle image.» Il m'a paru que »> c'étoit principalement , parce- » qu'ils ne roulent que fur des »fenfations,ôc point du tout fur «des idées.- L'idée du tems, » par exemple,n'y entre jamais.» Ceci heurte de front l'exçé- rience. » On fe repréfente bien »lesperfonnes que l'on n'a pas » vues. » Cela feroit merveil- leux ; il veut dire des images .d'hommes qui ne reffemblent à? £222 J p. ss. aucun de ceux qu'on a vû ; » Se *> même celles qui font mortes » depuis plufîeurs années , oa *> les voit vivantes & telles qu'el- » les étoient ; ^ 6c on les recon- noît. Mais on les joint à des » choies a&uelles & aux perfon- » nés préfentes > » c'eft-à-dire , qui vivent encore, & que Ton reconnoît aufli. » Ou à des » choies & des perfonnes d'un » autre tems. Il eneft de même » de Fidée du lieu , on ne voit pas les chofes où elles étoient* M on les voit ailleurs , où elles » ne pou voient être, » Mais on les voit quelque part, La fcêne eft ou une chambre > ou une campagne > ou une Eglîfe , ovk toutes ces chofes pourraient être. On a donc l'idée du lieu; & l'on compare les chofes au lieu où elles font. » Si lame agiffoit ,. il ne kci «faudrait qu'un inftant pour » mettre de l'ordre dans cette » fuite découfuë. » Il n'arrive que trop fouvent que certains Hommes bien éveillés & très- libres , penfent , écrivent mê- me comme les autres rêvent ; leur ame peu attentive à l'ordre, laifle aller le cerveau comme il iroit durant la nuit. Monfieur de Buffon décrit très-bien une fituation paflagere pour nous , & habituelle pour ceux dont je parle : & fa Defcription eâtrès- propre à nous expliquer com- ment certains efprits prennent pour des méditations , des rê- ves de la veille. Ce morceau eft £ 224 1 précieux, non - feulement paf- l'ufageque je viens d'indiquer , mais parce qu'il nous dévoile une partie très-délicate du fyf- tême de Y Auteur, en nous ap- prenant que lame de l'Homme; même dans la veille & fans im- bécillité , fe trouve dans une pleine inertie, & devient corn-: &"!me nuIle* * 11 n eft Pas même » néceflaire que les fens exté- » rieurs foient abfolument afïbu- » pis , pour que le fens intérieur » matériel puifle agir defon pro- » pre mouvement, il fuffit qu'ils " foient fans exercice. Dans =» l'habitude où nous fommes de » nous livrer régulièrement à un » repos anticipé, on ne s'endort »> pas toujours aifément ; le « corps & les- membres molle- J »ment étendus font fans mott^ » vement; les yeux doublement » voilés par la paupière ôc les » ténèbres > ne peuvent s'exér- » cer 5 la tranquillité du lieu Ôc » le filence de la nuit , rendent » l'oreille inutile ; les autres fens » font également ina£tifs ; tout » eft en repos & rien neft en- core affoupi; dans cet état $ * lorfqu'on ne s'occupe pas d'i~ o> dées, & qael'arneeft aujfidam *> rinaïïion , fempire appartient * au féns intérieur matériel ; il » eft alors la feule puijjance qui „ ^g^. C'eft là le tems des ima- ges chimériques , des ombres o> voltigeantes ; on veille , ôt ce*» » pendant on éprouve les effets » du fbmmeil : fi Ton eft en plei- *> ne fente > e'eâ une faite d3i- «mages agréables , d'illufions » charmantes ; mais pour peu *> que le corps foit fouffrant ou 01 affaiiTé , les tableaux'font bien » différens y on voit des ligures * grimaçantes > des vifages de » vieilles , des phantômes hi- » deux qui femblent s'adreffer à o? nous avec autant de bizarrerie » que de rapidité ; c eft la Lan- » terne magique , c eft une fcêne » de chimères qui rempliflent le » cerveau vuide alors de toute » fenfation. » Quoi donc ! ces phantômes > ne font-ce pas * dans fon fyftême > des ébranle- ments renouvellés ou reproduits dans les fibres du cerveau ? N'infiftons point fur cette pré- tendue ina&ion de Tame , qui ne laiffe pas de fe rendre très- [227 'j s fouvent coupable en s amufanc trop de ces icênes , que les paf- fions , dont elle eft éprife , jouent quelquefois devant elle. Sup- pofons qu'elle eft effeaivement alors dans la pure inertie, & que c eft la méchanique du cerveau qui eft en même tems a&rice & fpaatrice : au moins cet organe intérieur matériel , qui , félon Monfieur de Buftbn , fent fon exiftence , voit cette faire d'i- mages agréables ou fatigantes ; il les voit fe fuccéder ; il a donc l'idée du paffé & de l'ordre des événemens. Lesades ôdesfcê- nés de la petite Comédie ou de la Tragédie , fe trouvent confi- gnés, félon leut fuite, dans ce même organe intérieur , 6c la mémoire les retrouvera quand l'ame voudra y réfléchir. C 228 3 lien arrive de même dans nos fcnges ; notre ame s'en rappelle ie commencement , le milieu & la fin-, & tous les événemens intermédiaires. Ce n'eft pas elle qui ordonne cette fuite , elle veut fe la repréfenter telle qu'el- étoit ; ôc fouvent elle fe fatigue extrêmement pour en retrouver quelque partie échappée. N'eft- ce pas là ce que l'expérience- irons apprend à tous ? Ce n'eft pas celle de notre Auteur, car il rêve fîngulierement. En vou- lez-vous, Monfieur, une nou- as, velle preuve. « Dans les rêves on » voit beaucoup, on entend rare- » ment, on ne raifonne point, on »fent vivement, les images fe » fui vent. » Et l'on en fent la fiiite. » Les fenfations fe fuç- [ 22p ] S» cèdent , »■.& F on connoït cetfë fuceeflion. Vraifemblablement dans les fonges de M. de Buffon/ les perfonnages font muets ; & il ne lui arriva jamais dans cet état d'être interrogé & de répondre* J'ai bien entendu raconter des fo nges 9 car le nombre de ceux qui aiment à occuper les autres de leurs rêveries > n'eftpas petit j Tony mêle fouvent des récits de conventions. Souvent ce font des raifonnemens extravagans; mais enfin on fe les rappelle tout entiers. Il n'eft pas vrai non plus qu'on ne raifonne jamais dans les rêves , plus d'une perfonne y a trouvé des fokitions qu elle cherchoit depuis longtcms > & fi je puis me citer , cela m'eft ar- rivé à moi-même. Enfin $ foit qu'orvait raifonnéou déraifonné, il eft confiant qu'on fe rappelle la fucceffion de fon être, pen- dant tout le tems qu'on a rêvé , & que c'eft la raifon pour laquel- le on ne croit avoir dormi que quelques heures , quand le fom- meil étoit profond : quoiqu'on ait bien employé toute la nuit d on eft furpris de voir le jour 5 & Ton n'eft point dans le même étonnement, lorfqu'on a été occupé d'un long rêve fuivi, ou de plufieurs fonges dilparates qui fe font fuccedé* C'eft encore très gratuitement que M. de Buffon nous foutient qu'on n'a point d'idées pendant le fommeiL Celles dont on a été fort occupé durant le jour, fe réveillent pendant que l'on [231] dort. On a les idées de pere , de mere , de frère , d'amis , de de* voirs , de fautes. On fe croit pré- venu d'un crime, 6c on fe défa- bufe avec plaifir à fon réveil ; ont eft emporté par différentes paf- fions, on arrange des moyens pour arriver à un but fouvent in- fenfé y quelque fois raifonnable. Peut-on nier qu'alors l'ame n'ait la perception de quelques id^es? Dormai-je , dit-on quelquefois? Non > je veille. On a donc alors idée de fommeil & de veille , d'affirmation & de négation. On combine mal ces idées, mais on fefouvient de les avoir eu. On diftingue les difcôurs qu'on a en- tendus de ceux qu'on a proféré foi-même ; on s'attribue les der- niers, & l'on donne les autres auxperfonnages qu'on a vus* M- de Buffon fe débarraffe très-mal des phénomènes éton- nans des fomnambules, & de ceux qui répondent aroc quef- tions qu'on leur fait pendant • qu'ils dorment. *» Quand même » on voudroit foutenir qi* il y a » quelquefois des rêves d'idées , * quand on citer oit pour le prou- verlesfomnambules, les gens ?> qui parlent en dormant & di- fent des chofes fuivies , qui ré- » pondent à des queftions, &c. « & que l'on en inférerait queles aidées ne font pas exclues des <» rêvesj du moins aulïï abfolu- « ment que je le prétens , il me « fuffiroit pour ce que j 'a vois à «■prouver, que le renouvelle- *> ment des fenfations puilTe les 1>3 3T ^produire. « Les idées ou les a>rêves> » Lequivoque eft ici im- portante > » car dès-lors les Ani- «maux n'auront que des rêves * de cette efpece ; & ces rêves, »bien loin de fuppofer la mé- ox moire, n'indiquent au con- traire que la réminifcence. >> Gonféquence peu jufte r car * fvivant 3VL de Buffon y l'homme p-^ qui rêve eft plus ftupide que l'im- bécille qui difpofe de tous fes fensr ôc jouit du fentiment dans toute fon étendue. Or y dans l'imbécille Pâme eft commenul- le ; elle n eft ni aftive- ni paflive > félon JVLdeBufFon;elle eft dans k même état de pleine inertie durant le fommeil. Or > fi la ma- chine feule forme y ou fe repré- fente: des idées r; fi elle connoit^ m. Partie. V* le paffé & le préfent ; donc coït- cluerons-nous, les bêtes peu- vent avoir le même avantage, ôc plût à Dieu que les Metérialiftes ne poufïent pas la conféquence aude-là! Vous ignorez peut r être f Monfieur, la différence qu'il y a entre nos rêves & ceux des Animaux ; M. de Buffon va vous ^p. 94. lapprendre. *> Ceft que nous 33 diftinguons parfaitement ce * qui appartient à nos rêves , de » ce qui appartient à nos idées & » à nos fenfations réelles ; & ce- »ci eft une comparaifon, une » opération de la mémoire , dans » laquelle entre Pidée du tems. m De quel tems ? Du préfent appa- remment ; car la durée du fonge étant nulle pour l'ame > comme le foutient M. de Buffon , l'âme n'en a aucune idée, » Les Ani- filiaux au contraire > qui font » privés de la mémoire > & de cette puiflance de comparer les o>tems,ne peuvent diftinguet » leurs rêves de leurs fenfations *> réelles ; & Ton peut dire que » ce qu ils ont rêvé , leur eft ef- ^fe&ivement arrivé.» Il van~ droit autant dire que l'Animal eft Un végétal qui dort toujours, qui rêve fouvent &: qui eft fou- vent fomnambule > & Ton rec~ tifieroit la définition qu on a don- née du végétal* en difant que e eft un Animal qui dort toujours & qui ne rêve jamais* J'ajouterai encore un motsr pour prouver que les Animaux ont ridé e de fucceiïion 5 & par Vif 03 ils verront, comme nous, des corps en mouvement ; un Chien verra la courfe dû Lièvre , ôc le verra parcourir fucceflivement une certaine lignes Si le Chien n'alafenfation de la vue du Liè- vre > que dans le moment que remplit un coup d'œil, , s'il n'a point de fouvenir du lieu où. le Lièvre étoit Imitant précédent^ donc il ne voit pas^ de mouve- ment dans le Lièvre, il lé voit toujours en repos , puifqu'il ne compare jamais le lieu a£tuel de fa proye à celui qu'elle vient dW iîandonner^ Réunifiez , Moniteur > toutes £ 2371 , . •' Tes preuves prétendues que- M- de'Buffon.a entaffées pour éta- blir que l'animal par fon organe intérieur matériel , fent fon exif- tence aftuelle , ôc non fon exif- tence paflce, ôc vous convien- drez qu'à moins que le ton aflu- ré , ne vaille de la part de M. de Buffon, une démonftration i . vous n'aurez trouvé fon opinion appuyée fur aucune vraifemblan* ce. Vous aurez aufliobfervé que ce n'eft qu'en altérant ou en combattant les expériences les, plus reconnues, qu'il pouvoife féduire tant de Ledeurs ; féduc- tion à laquelle on ne peut être cxpofé pour peu qu'on s'étudie foi-même. Qu'enfin tout ce que nous avons vu jufqu'à préfent, î^eft qu'un tiffu.de paradoxes. C 258 J C'eft encore en partant de cette fuite de paradoxes , que M. de Buffon va nous donner des lu- mières très nouvelles fur la natu- re de l'homme. Il eft temps de prendre haleine , & de vous re- nouveler les fentimens tendres & refpeflueux avec lefquels je fuis , &c, fin de iafixiéme Partie, ■ Fautes à corriger dans la Çxxxèmè Partie. Page ?o. Tous les autres animaux , tifit la réparation de la terre & dù l'eau. 53. ligne 9. l'objet , Uf. l'objet. » ligne 10. effacez les guillemets» 77. ligne 1 f . non le rapport de l'empreinte* lif. non de l'empreinte. 8 6. ligne dernière , d'Eftres , ///èz de modes; 91. ftgwe 1 1 .pour les fens , lif. pour les fons. î 8 8. lig. 1 f . intérieur , vous , intérieur Vous 191. ligne 1 1 . conte , lif» conti- a©4. ligne 13. été des idées que nous ayons eu, Uf. été les idées aue nous ayons eues» FI. PArtie. ~~KJPm .. i JET "7a- 2£ i 7