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ST0RAGE-IT7 ,i ^AIN LI3RARY

LP9-P29G

U.B.C. LIBRARY

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University of British Columbia Library

http://www.archive.org/details/leversfranaiOOgram

Ho.NORii CHAMPION, libraihe-éditkur. 5, Quai Malaquais

COLLECTION LINGUISTIQUE, publiée par la Société de linguistique de Paris, in-8.

I. A. Meillet. Les dialectes indo-européens, 1907. 4 l'r. 50

II. Mélanges linguistiques offerts à M. F. de Saussure,

1908 lOfr. 50

III. A. Ernout. Les éléments dialectaux du vocabulaire latin,

1909 7 fr. 50

l\. Cohen. Le parler arabe des Juifs d'Alger, i9[3 . 25 fr. »

(IL\11AGI-S DU M1-:ME AUTEUR

LE PATOIS DE LA FRANCHE-MONTAGNE ET EN PARTICULIER DE DAMPRICHARD. l'uris, l'.HIl Ouvi-ago coiiroinu' ]).nr l' Académie do I5cs;iih;oii. \)v'\\ Marinier; prrs(/u(' ('puiR(-) 15 »

LA DISSIMILATION CONSONANTIQUE DANS LES LANGUES INDO- EUROPÉENNES ET DANS LES LANGUES ROMANES, Dijon, 1895 ()u\ra<;'(' rotironni'' [)ar riiisliliil, |ii'ix \'()liu'y; ('-jnii^é).

DE LIQUIDIS SONANTIEUS INDAGATIONES ALIQUOT, Dijnn, 1895

'l)n'f;'/in' rpui:<i'). . 2 »

ONOMATOPÉES ET MOTS EXPRESSIFS, Montpellier, 1901 [épuisé i^oh'nK'nl ', figure dans le Trentcnni/'e de la Société des langues roninnes 5 »

OBSERVATIONS SUR LE LANGAGE DES ENFANTS, Paris, 1902 [épuisé isolénicnl ; li^iiri» dans les Mélani/cs Meillet 5 »

« RAGOTIN » ET LE VERS ROMANTIQUE, Montpellier, 1903 [épuisé isolénicnl ; Uguie dans la lirvue des Langues romanes, tome xLvi. ..: ' 3 »

LA MÉTATHÈSE DANS LE PARLER DE BAGNÈRES-DE-LUCHON, Paris, l'.MJi [épuisé isolément) ; figure dans les Mémoires de la Société de Linguistique de Paris, tome XIII 6 »

LA SIMPLIFICATION DE L'ORTOGRAFE FRANÇAISE, Montpellier, 1904 y épuisé).

LA MÉTATÈSE EN BRETON ARMORICAIN, Paris, 1906 ; dans les Mélanges IL d'ArLois de JuLainrille »

LES NOMS DE FAMILLE DES HABITANTS DE LA FRANCE, Montpel- lier, I9(lli éfiuisé .

LA MÉTATHÈSE DE A E EN BRETON ARMORICAIN, L^aris, 190G ; dans Mémoires de In Société de Linguisli(]ue de Pui-is, Lomé XIV... 6 »

NOTES SUR LA DISSIMILATION, Montpellier, 1907 ; dans Revue des Langues roman/'s, lonie L . . . 3 »

LA MÉTATÈSE A PLÉCHATEL, Erlangen, 1907 [Mélanges Chabaneau).

LA MÉTATÈSE EN ARMÉNIEN, Paris, 1908 [épuisé isolément) ; fig-ure dans les Mélanges de Linguislit/ue offerts à M. F. de Saussure. 10,50

UNE LOI FONÉTIQUE GÉNÉRALE, Paris, 1909 ; dans les Mélanges L. Ilnret »

RECHERCHES EXPÉRIMENTALES SUR LA PRONONCIATION DU CO- CHINCHINOIS, Paris, 1910; dans les Mémoires de la Société de Lin- guisli(/iie de l'aris, tome XVI 6 »

LA MÉTATÈSE EN PALI, Paris, 1911 ; dans les Mélanges S. Lévi 15 »

ÉTUDES SUR LA LANGUE ANNAMITE, en collaboration avec M. Le

(hiang- Trinh, Paris, 1911 [épuisé isolément) ; figure dans les Mémoires

de la Société de Linguistique de Paris, tome X\'II, 2 fascicules. 12 »

PETIT TRAITÉ DE VERSIFICATION FRANÇAISE, 2'^ édition, Paris, Colin. \'.)\[ . .' 2 »

PHONÉTIQUE HISTORIQUE ET PHONÉTIQUE EXPÉRIMENTALE,

P>ologne, 1912 ; extrait de « Scienlia », tome XII... 1,50

PC Z,ô05- Gin

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LE VERS FRANÇAIS

COLLECTION LINGUISTIQUE

PUBLIÉE PAR

LA SOCIÉTÉ DE LINGUISTIQUE DE PARIS 5

LE VERS FRANÇAIS

Maurice GRAMMONT

PARIS LIBRAIRIE Edouard CHAMPION, ÉDITEUR

5, QUAI MALAQUAIS, 5

Téléphone Gobelins 28-20. 1913

COLLECTIOiN LliNGUISTIQUE

l'CBLIKE PAR

LA SOCIÉTI-: DE LINGUISTIQUE DE PARIS —5

LE YERS FRANÇAIS

SES MOYKNS D^KXPRESSION SON HARMONIE

Deuxième édition refondue et augmentée

PA,I{, . ^

Maurice GRAMMONÏ

PARIS

LIBRAIRIE ANCIENNE HONORÉ CHAMPION

Edouard CHAMPION, Éditeur

5, QUAI MALAQUAIS, 5

Téléphone Gobelins 28-20. 1913

INTRODUCTION

Un vers français peut être parfaitement correct, c'est-à-dire conforme aux règles, et pourtant mauvais. « Quun vers ait une bonne forme, dit V. Hugo [Lit t. et phil. mêlées), cela n'est pas tout ; il faut absolument, pour qu'il ait parfum, couleur et saveur, qu'il contienne une idée, une image ou un sentiment. Labeille construit artistement les six pans de son alvéole de cire, et puis elle l'emplit de miel. L'alvéole cest le vers ; le miel, c'est la poésie ». Il y a en effet deux choses à distinguer dans le vers, le contenu et le contenant, le fond et la forme ; et un vers ne saurait être parfait que si ces deux éléments sont irréprochables. Ce sont des banalités qu'il est bon de répéter quelquefois. Quand l'idée réunit les quali- tés désirables et que la forme n'est que strictement correcte, on ne peut pas dire que le vers soit mauvais, mais il est permis de souhaiter mieux. Un bon tableau se contente à la rigueur du cadre le plus modeste : une simple latte de bois blanc peut lui suffire, mais non pas le mettre en valeur. Cha- cun sait combien un cadre artistement orné donne parfois de relief à l'œuvre qu'il entoure. Mais il faut pour cela qu'il remplisse certaines conditions ; ce n'est pas assez qu'il soit beau en lui-même, en tant que cadre, il faut qu'il soit appro- prié au tableau. Le même cadre ne pourra pas servir indiiïé- remment pour une nature morte et pour un paysage l'on voit le ciel se confondre à l'horizon avec les flots d'une mer immense ou avec les ondulations d'une campagne illimitée. Dans les deux cas il pourra être très simple, la simplicité n'excluant pas la beauté, mais dans le second il devra en M. Grammont. Le vers français. 1

INTRODUCTION

g-énéral avoir plus de moulures et plus de relief afin d'accu- ser davantage les plans successifs et de faire reculer le dernier jusqu'à l'infini.

Les vers qui se bornent à être corrects sont comme ces cadres appelés passe-partout. qui, s'adaptant indistinctement à tous les tableaux, ne conviennent en réalité à aucun. Pour (piun vers soit parfaitement bon comme forme, il faut en outre qu'il soit beau, c'est-à-dire harmonieux, et que tous ses éléments, son rvthme, sa rime, les sons de ses voyelles et de ses consonnes soient appropriés à l'idée de telle sorte (|u ils se moulent sur elle comme un maillot bien juste sur les muscles d'un athlète et concourent chacun ])our leui- part à l'exprimer d'une manière plus frappante. La correction c'est dans la forme du vers la partie mécanique, tandis que l'har- monie et 1 expression représentent la partie artistique.

C'est cette seconde partie que nous nous proposons d étudier ici. (juels sont les moyens d'expression dont O'ispose la poésie française, quelle est la valeur sémantique des diffé- rents rythmes et celle des différents sons, telles sont les pre- mières questions auxquelles nous essaierons de réjiondre. Puis, passant à un autre ordre d'idées, nous rechercherons ce qui fait qu'un vers donné est ou n'est pas harmonieux, ou qu'il est plus ou moins harmonieux, (juels que puissent être d'ailleurs ses défauts ou ses qualités à d'autres points de vue.

Notre entreprise est neuve. Sans doute il est arrivé aux critiques de déclarer au cours d'une étude qu un vers était harmonieux ou expressif, quelquefois avec raison, souvent à tort, mais comme ils n'ont jamais justifié ces appréciations, leurs jugements restent des opinions en l'air.

Ce sont uniquement ces deux problèmes d'esthétique que nous essayons de résoudre. Au surplus ils embrassent à eux deux tout ce qui constitue I'Art dans la versification.

Ce livre n'est donc pas un traité de versification française.

LA MÉTHODE ^

quoiqu'on y trouve à l'occasion des préceptes ou, comme on dit couramment, des règles de facture. Ce n'est pas non plus une histoire du vers français et de son développement, bien (lu à différents endroits certaines phases de son évolution y soient exposées ou au moins indiquées. 11 est bien évident que nous ne pouvons pas pénétrer dans les détails les plus déli- cats, dans les secrets les plus intimes de la versification sans toucher à toutes les questions qu'exposent généralement les manuels et les traités. Mais nous supposons connus du lec- teur celui de Quicherat et toutes les études qui ont paru depuis cet ouvrage sur le vers français. Aussi ne faisons-nous allusion aux points déjà étudiés, aux théories déjà dévelop- pées que lorsque c'est utile pour la clarté de notre exposition ou que nous avons à rectifier les idées émises.

Un mot, en terminant, sur la méthode emplo^^ée. Dans l'étude des moyens d'expression nous n'avons jamais pris des vers pour point de départ de nos recherches parce que nous n'aurions pu éviter de tourner dans un cercle ni d'être accusé ou coupable d'auto-suggestion, comme on dit aujourd'hui. Nous parlions un jour des mots expressifs de la langue fran- çaise devant une personne qui paraissait enthousiasmée des exemples que nous lui signalions et du commentaire qui les accompagnait; tout à coup elle nous dit : « Et le mot table! voyez comme il donne bien l'impression d'une surface plane reposant sur quatre pieds ». Ces paroles prouvaient si bien qu'elle n'avait rien compris et même qu'elle n'était pas apte à comprendre, que nous nous gardâmes de la détromper ; à quoi bon lui oter brutalement des illusions qui la rendaient heu- reuse ? '< Sans doute, lui avons-nous répondu ; c'est de toute évidence ; et voyez comme c'est curieux, vous avez le mot càhle f{ui ne diffère guère de fable que par la substitution d'un c à un ^ et qui donne tout au contraire l'impression d'un corps cylindrique, long, souple et torse ». Notre interlocu-

4 INTRODUniO.N

teur était enchanté : en nous quittant il essaya d'expliquer à ses amis la vertu d un / remplacé par un c et fut amené à conclure qu'ils n'étaient « pas intellio-ents ». Le mot table. comme tous les noms, sug'gère l'idée de rohjet qu il nomme, mais ce mot n'est qu'une étiquette dont les sons ne peignent en rien cet objet ; s'il était remplacé par un chiffre et qu'il fût admis que le 2o désigne une table, il n'y aurait lien de perdu pour l'expression : le n*^' 25 suggérerait l'idée d iiiic surface plane supportée par trois ou quatre pieds ; ou bien s'il était convenu que le mot table désigne un encrier, le nu t table suggérerait l'idée d'un récipient dune certaine forme contenant un liquide dans lequel on trempe sa plume pour écrire. La même erreur a été commise pour les vers, comme nous le verrons plus loin. Le plus sûr moyen d'éviter cet écueil, de ne pas croire que, parce qu un vers contient une idée, il la peint, était d'établir des principes généraux d'après des notions étrangères à la versification, et de n'introduire les vers que comme exemples destinés à illustrer la théorie et h. la confirmer. Il était nécessaire aussi de citer ces exemples en grand nombre et en les tirant d'auteurs très divers, sans quoi nous risquions de décrire la poétique de tel poète et nous ne pouvions pas arriver à des conclusions généi-ales.

Dans l'étude sur J'harmonie du vers français le même dan- ger n'était pas à craindre, aussi n'avons-nous pas eu recours pour ce chapitre à cette méthode détournée, que l'on poui rail appeler prophylactique.

PREMIÈRE PARTIE

LE RYTHME

CUNSIDKHK COMME MuYEN 1) EXPIJESSIUX

« Lu pncto a pour première loi, poui- cuiiditions indispensables, le rhytlime et la mesure ».

(A. DE MlSSEl:.

L ALEXANDRIN CLASSIQUE

L'alexandrin était à Tof i^ine un vers syllabique composé de deux membres ég-aux ou hémistiches, séparés par une césure. Chaque hémistiche comptait six syllabes dont la dernière était obligatoirement accentuée ; mais chacun était susceptible de contenir une septième syllabe, ayant pour voyelle un e atone et terminant le mot qui fournissait la sixième syl- labe. Cette septième syllabe ne comptait pas dans le mètre et sa prononciation trouvait place dans la pause qui séparait un vers du suivant ou dans celle que comportait la césure. Aucune de ces deux pauses ne pouvait être purement artifi- cielle ; la syntaxe devait les demander ou tout au moins les permettre. Voici deux vers empruntés au Voyage de Char- lenifDjne en Orient fxu'" siècle), dont le premier n'a (jue les dou7.e syllabes qui comptent, tandis que dans le second chaque hémistiche en a une septième qui ne compte pas :

L'emperere le vit, || hastivemenl il disl. || '

Et |)renget une cu|ve \ que seil grande et parfoiijde. | ^

Mais la pause de la césure a toujours été un peu plus faible que celle de la fin de vers, qui seule admettait la reprise de la respiration, et de très bonne heure sa faiblesse tendit à saccroître. Dès le xii'' siècle on trouve des vers comme le suivant, dans lesquels la syntaxe ne permet pas de pause :

En sa destre main tint chascuns s'espee nue ■*

I Garnier de Pont-Sainte-Maxe?<ce .

1. " I/empereur le vit, il lui dil aussitôl ».

2. u Et qu'il prenne une cuve qui soit grande et profonde ».

3. I' lin sa main droite chacun tenait sou épée nue ».

8 l"alexandhi> classique

Dans les vers du xV siècle on peut parfois hésiter sur la place de la césure, et si une syllabe posttonique continue à apparaître entre les deux hémistiches, il ne faut y voir qu'une observance archaïque, qui devient de plus en plus choquante. Ce n'est pourtant qu'au milieu du xv!*" siècle que cet usage fut définitivement interdit. 11 était encore licite à cette époque de faire une lég-ère pause à la césure, mais ce n'était plus obli- gatoire et même selon toute apparence on passait le plus souvent sans arrêt du premier hémistiche au second. La césure tendait de plus en plus à devenir une simple coupe, c'est-à- dire que la fin du premier hémistiche n'était marquée que par la présence nécessaire d'un accent tonique sur la sixième et dernière syllabe.

Jusqu'à cette période chacun des deux hémistiches était rem- pli presque au hasard. On avait « l'habitude de prendre 1 hé- mistiche en bloc, sans aucune considération d'accent intérieur assez marquée pour y faire sentir une mesure en le subdivisant lui-même, et y introduisant des cadences variées suivant la place de cet accent » (Renouvier, Viclor Hugo). Or un vers syllabique de douze syllabes avec une seule division est un mètre singulier ; les éléments sont trop longs pour être nets, et c'est probablement pour cette raison que Ronsard trouvait que les alexandrins sentent trop la prose très facile, sont trop énervés et flasques, si ce n'est pour les traductions, auxquelles, à cause de leur longueur, ils servent de beaucoup pour interpréter le sens de l'auteur ». C'était sans doute le sentiment général à cette époque, car jusqu'au xvu'' siècle l'alexandrin n'eut pas grand succès. La liberté était trop grande dans l'intérieur de l'hémistiche et le remj)lissage avait beau jeu. Ceux qui avaient de l'oreille n'y sentaient pas un vers. On s'est étonné que Ronsard, qui était un chercheur et un novateur, n'ait pas compris le parti qu'il y avait à en tirer. Rien n'est plus natu- rel au contraire ; Ronsard ne connaissait l'alexandrin que tel qu'il était de son temps et ne pouvait ni prévoir ni créer la forme qu'il aurait plus tard; les évolutions ne se devancent pas.

ACCENTS SECONDAIRES y

Mais du temps niènu' do llonsard. ^làce ;i lui-même, (juoi- quil ait relativement peu employé ce mètre, grâce à Agrippa d'Aubigné. grâce surtout à Régnier et un peu h Malherbe, sans quils s'en doutassent, l'alexandrin évoluait. Le vers classique se préparait. Il était extrêmement rare qu'un alexan- drin neùt pas d'autre accent tonique important que celui de la sixième et celui de la douzième s^dlabes. La plupart du temps il y en avait un autre dans l'intérieur de chaque hémis- tiche. Ceux qui terminaient les hémistiches recevaient un l'elief" particulier de la pause dont ils pouvaient être suivis ; mais il arrivait fréquemment que la pause de la césure fût très faible ou nulle parce que le dernier mot du premier hémistiche était étroitement uni par la syntaxe au premier du suivant ; dans ces conditions et pour les mêmes raisons l'accent de la sixième syllabe était relativement faible. Il n'était pas rare dès lors qu'un accent secondaire fût aussi fort que celui de la sixième et même qu il fût suivi d'un arrêt syntaxique plus marqué que celui de la césure. En voici quelques exemples empruntés à Agrippa d'Aubigné :

Toi Seigneur, qui abats, qui blesses, qui guéris ;

l'accent tonique de blesses est évidemment aussi fort que celui de abats, et celui de Seigneur est même plus fort.

Sous toi, Hiérusalem meuiirière, révoltée, Hiérusalem, qui es Babel ensanglantée ;

l'accent tonique de /oi dans le premier vers est au moins aussi fort que celui de Hiérusalem, et dans le second celui de Hid- rusalenî est certainement plus fort que celui de es.

Venez, célestes feux 1 Gourez, feux étemels 1 \'olez ! Ceux de Sodonie oncque ne lurent tels :

il est clair que l'accent tonique de rolez est plus fort que celui de Sodome, et que ce mot est suivi d'un arrêt syntaxique plus considérable que celui de la césure. .

10 l'alexandrin classique

Petit à petit les poètes se rendirent compte de lexistence de ces accents secondaires ; ils comprirent l'importance qu'ils pouvaient avoir et n'abandonnèrent plus leur place au hasard. Si bien que les accents secondaires, étant souvent aussi forts que celui de la sixième syllabe, finirent par s'élever à la hau- teur d'un accent rythmique, et l'alexandrin devint un vers à rythme fixe. Ce rythme est constitué par ses quatre accents toniques, dont le deuxième occupe une place immuable sur la sixième syllabe, tandis que le premier et le troisième tombent sur Tune quelconque des cinq premières syllabes de chaque hémistiche.

Les trois premiers accents sont suivis d'une coupe, et le vers est ainsi partagé en quatre éléments ou mesures. De césure à proprement parler il n'y en a plus, car la césure est une pause, et le vers classique reste suivi d'une pause qui le sépare du vers suivant, mais n'en comporte aucune à l'inté- rieur. Une coupe n'est pas un repos ni un arrêt, c'est sim- plement le passage d'une mesure à la suivante. Malgré le précepte de Boileau :

Que toujours dtms vos vers le sens coupant les mots, Suspende rhémistiche, en marque le repos.

il n'y a ni suspension ni repos de l'hémistiche dans ce vers du même Boileau :

- Derrière elle l'aisoil dire Argumenla])Oi'

[Satire X),

mais il y aune coupe après f< faisoit ». Dansée A^ers de lîacine [Athalie) :

Je viens, selon l'usage antique et solennel,

il y a une coupe après <■ usage », comme il y en a une après I' je viens » et une autre après « antique», mais il n'y a de

LES COITES H

pause après aucune des trois. Il n'y en a pas davantage après « perdre » dans ce vers (ÏAndromaque :

Mais il me l'aul loiil perdre, et loujours par vos coups,

puis({u "on prononce ppr\dr et. avec le <>roupe dr appartenant k la même syllabe que et . La coupe vient en ellet toujours immédiatement après une syllabe tonique et peut par con- séquent tomber dans l'intérieur d'un mot comme dans le cas précédent. Voici un exemple encore plus Frappant :

Je coiinois l'assassin. VA qui, Mada|me ? \'ous

(Racine, Brilnnnicus] ;

dans ce vers il y aune coupe après Mar/a-, et -me appartient à la mesure suivante. C'est de la même manière qu'en grec dans ce vers trochaïque :

(Eschyle, Perses),

la première mesure finit avec la syllabe Zep- et la troisième avec la syllabe -pv- de ùapîbj. Les divisions rythmiques se superposent aux divisions grammaticales, mais ne coïncident pas nécessairement avec elles. Dans l'alexandrin classique une coupe intérieure est marquée d'ordinaire par un changement d'intensité puisqu'elle est le passage d'une tonique à une atone, fréquemment par une coupure syntaxique, souvent par un changement d intonation, les trois choses pouvant coexister, mais par une pause jamais.

La division de l'alexandrin en quatre mesures est le point capital de l'étape classique. Les poètes classiques n'ont jamais eu nettement conscience de cette structure ; mais ils^araissent en avoir eu le sentiment k partir d'une certaine époque. Malherbe ne l'a jamais eu. mais il semble s'être développé chez Corneille U partir île Pol//euc(e et chez llacine k partir

12 l'alexandrin classique

à' Andromaq ue . Gela est évidemment indémoiitrahle ; mais un examen attentif de la versification de leurs œuvres est en faveur de cette opinion. Leur vers n'est plus alors ni « énervé ni flasque » ; ses quatre divisions lui donnent une netteté et une fermeté remarquables.

C'est cet état que Becq de Fouquières a supérieurement exposé dans son Traité général de versification française ' mais il a eu le grand tort de croire que ce type était jirimitif ; ce n'est que par évolution qu on y est arrivé. Il a eu tort éga- lement de dire que le type du vers classique se compose de quatre mesures égales contenant chacune trois syllabes et que tous les vers qui ne reproduisent pas ce type en sont des dérivés. Le type du vers classique est bien tel qu'il le décrit, mais c'est un type idéal, et non pas un point de départ his- torique ; c est l'étalon auquel on peut comparer et ramener théoriquement tous les Aers classiques '.

Cette forme type n'est d ailleurs pas étrangère à la réalité : on la trouve 22 fois parmi les lllO premiers vers d'Athalie^ c est-à-dire en moyenne et approximativement une fois sur cinq. On ne l'obtient pas par une statistique, puisqu'elle n'est pas plus fréquemment représentée que les autres; on la trouve, comme toute forme idéale, par comparaison et par élimination des cas particuliers.

Il y a donc dans le vers classique certains éléments fixes et immuables, certains éléments susceptibles de variété. La coupe qui sépare les deux hémistiches ne peut pas être déplacée : elle tombe obligatoirement après les six premières syllabes et par- tage le vers en deux moitiés rigoureusement égales, égales comme nombre de syllabes et égales comme durée. La durée de chaque hémistiche est la moitié de la durée totale. Chaque demi-vers est également divisé en deux parties ou mesures, se terminant chacune sous un temps marqué ou accent rvthmi([ue.

1. Voir en outre poui' le rvHime le chapitre ci-dessous intitulé : La variété du jnoiivement ri/lhiuique, p. 84 à 102, et la Table anali/lii/w au mot : Rythme.

LES DURKFS 13

Il est tro^ évident que si chacune des quatre mesures a trois syllabes, sa durée est rigoureusement égale au quart du temps total ; mais le nombre des syllabes de chaque mesure peut varier de im à cinq.

Quel que soit le nombre des syllabes d une des quatre mesures, sa durée est égale au quart du temps total. Ce point a besoin d'une démonstration : Becq de Fouquières nous la donnée. Le rythme est produit par le retour à intervalles égaux des quatre temps marqués ; si lun des intervalles était plus court ou plus long- que les autres, le rythme serait détruit. C'est ce qui montre bien que le vers idéal dont nous parlions tout à l'heure est en elFet le vers type, parce que cest le seul .dans lequel des intervalles égaux soient remplis par des nombres de syllabes égaux.

Quelles sont les conséquences de ce retour à intervalles égaux des accents rythmiques ?

Si la durée d'une mesure reste immuable alors que le nombre de ses syllabes varie, il est évident que le débit devra varier avec le nombre des syllabes, devenant plus rapide si ce nombre est plus grand, plus lent s'il est plus petit. Une mesure de deux syllabes doit être prononcée avec un accrois- sement de lenteur d'un tiers, une mesure d'une syllabe avec un accroissement de lenteur de deux tiers : une mesure de cinq avec un accroissement de vitesse de deux cinquièmes, une mesure de quatre avec un accroissement de vitesse d un quart.

Telles sont les conclusions auxquelles on arrive fatalement ; mais ce n'est que de la théorie. Dans la pratique, l'accélération ou le ralentissement du débit nest pas mathématiquement celui que nous venons de dire ; les vers ne se récitent pas au métronome. Dans un vers trochaïque grec, un spondée n'est pas exactement l'équivalent du trochée qu'il remplace ; ce n'est qu'en trichant légèrement sur la quantité de ses syllabes que l'on arrive à lui faire produire sur l'oreille à peu près la même impression que ferait un trochée et à ne pas détruire le rythme. Toute versification contient des approximations de

14 l'alexandrin CLASSTQL'E

ce genre. Dans un vers français une mesure d'une syllabe n'est pas exactement l'équivalent de sa jumelle qui a cinq syllabes, et toutes deux ne sont pas exactement l'équivalent de la mesure normale de trois syllabes ou étalon de durée ; elles tendent seulement à s'en rapprocher. Quand une syllabe est prononcée plus lentement qu'une autre, l'oreille ne sent pas exactement si c'est de deux tiers ou d'une autre quantité que la lenteur est accrue. Elle sent qu il y a accroissement de lenteur et cela lui sutTit.

Il est des cas d'aillevirs il serait absolument impossible d'obtenir cet accroissement théorique de deux tiers. Il y a des monosyllabes qui sont si peu étoffés et dont la voyelle est si brève que l'on peut presque les considérer comme rebelles à tout allongement. On arrive pourtant à leur faire remplir une mesure. Comment y parvient-on ? Un exemple fera mieux comprendre ce phénomène que" toute une discussion générale. Soit le mot nu qui est certainement 1 un des plus brefs de la langue française. Dans ce vers :

Il était nu comme Eve à son premier péché,

il est la quatrième et dernière syllabe d'une mesure, il porte à la fois un accent tonique et un accent rythmique, mais cela ne l'empêche en rien d'être extrêmement bref, et il ne possède aucun relief particulier. Dans cet autre vers :

Nu comme un plat d'argent, nu comme un mur d'église,

il est devenu tout autre. Lu s'est légèrement allongé, fort peu sans doute, car sa nature ne lui permet pas de le faire beaucoup ; il a pris plus d'intensité ; Vn est devenu plus énergique et même sensiblement plus long ; entîn le mot s'est fait suivre et précéder d'un léger repos. Tous ces éléments réunis l'ont rendu capable de remplir une mesure et de trom- per l'oreille au point qu'elle fût satisfaite, et que le rythme, qui n'existe pas en dehors de l'oreille qui le perçoit, fût sauf.

AI'.SRNCH d'effet 1S

Cet exemple présente du reste un cas rare et extrême, et la plupart du temps il n'v a aucune difliculté à donner à chaque mesure une diu'ée peu près ég-ale à celle que demande la théorie.

Au point de vue de Vc.fpression, qui nous occupe particu- lièrement ici. la belle rc'gularité du vers type, exigeant un débit absolument uniforme, ne peut que contribuer, comme nous le verrons plus loin, à produire un ettet de régularité ou de monotonie. La plupart du temps même, l'effet sera nul, comme dans les vers suivants :

Oui je viens | dans sou temple | adorer | rEternel

(Racine, Athalie).

Cette nuit | je l'ai vue | arriver | en ces lieux

(Id., lirilnnnicas;.

Un destin | plus lieureux | vous conduit | en l']pire

(In., Anilrof}ia(fue).

Chacun sait | aujnurdhui | quand il fait | fie la prose

iMrssET, f ne bonne fortune).

Colof,''ne I et Strasbourg;, j Notre-Dame | et Saint-Pierre

(Id., BoUa).

Mais lorsqu'il y a discordance entre le nombre et la durée des syllabes, on peut s'attendre à sentir des etîets très nets. L'apparition d'une mesure plus lente ou au contraire d'une mesure plus rapide ne saurait passer inaperçue, et la réunion dans un même hémistiche d'une mesure lente avec une mesure rapide produit forcément un contraste. On ne remarque pas deux personnes de même taille qui se promènent ensemble ; mais tout le monde est frappé à la vue d'un homme très grand a côté d'un homme très petit. Le rapprochement les met tous deux en relief, mais très souvent c'est l'un d'eux seulement que l'on remarque, et l'esprit, absorbé par la considération de

1t) l'alexandrin classique

celui-là, ne fait pas plus attention à l'autre qui le met en évidence que s'il était de taille moyenne. Leiî'et produit par le voisinage d'une mesure lente et dune mesure rapide est tout ti lait analogue et peut évidemment être employé comme moyen d'expression. Il l'a été en réalité d'une manière très heureuse par nos grands poètes.

\ quel ordre d'idées peuvent s'appliquer le ralentissement ou l'accélération des mesures comme moyen d'expression ? 11 est facile de le déterminer d'avance. Ils sont évidemment propres à peindre la lenteur ou la rapidité et les idées qui se rapprochent de celles-là :

1" Des mesures de moins de 3 syllabes expriment la lenteur, peignent une action qui dure, qui s'accomplit lentement ou mollement :

Alors elle se couche, et ses farauds yeux s'éteignent, Fa le pâle désert | roi/ |le sur son enfant Les flots silencieux de son linceul mouvant

(Musset, Bol la).

La mesure lente constituée par la syllabe rou- peint le mou- vement lent et sourd du sable qui recouvre peu à peu la cavale ; la lenteur seule est exprimée par la durée de la syl- labe, l'autre qualité l'est par la couleur de la voyelle (cf.

p. 271).

Et le char de Tautonme, au penchant de l'année, nnii\\e, déjà poussé par la main des hivers !

(Lamartine, A Elrire).

Le soleil est de plomb, les palmiers en silence

Sous leur ciel embrasé | /je/}|chent leurs longs cheveux

(Musset, Rolla).

Mouvement lent et mou. L'impression de mollesse déjà donnée par la lenteur de la mesure est accentuée par la nasa- lité qui voile la voyelle (cf. p. 282).

KXPUESSIUN Dli LA LLKTELH 17

Et le char vaporeux de la reine des ombres Mon\[,e, et blanchil déjà les bords de l'horizon

(Lamartine, L'isolement).

Même elfet. Dans les deux exemples suivants le mouvement n'existe que dans l'imagination du poète, mais le procédé et retîet sont les mêmes :

Ce sommeil qui d'en haut | tombe | avec la rosée

(Id., L'infini dans les cieux).

Et dans ces noirs sapins, et dans ces rocs sauvages Qui pen\àeni sur tes eaux

(Id., Le lac).

Dans le dernier cas il s'ag-it d'un petit vers de six syllabes, mais il a deux mesures comme un hémitische d'alexandrin, et la première n'a que deux syllabes tandis que la seconde en a quatre : l'effet est le même.

Souvent la lenteur est seule en cause et la couleur des voyelles ne joue aucun rôle :

Et l'empereur au fond | /)a|sse par intervalles

(Hugo, Feuilles d'automne).

Croit que c'est une armée, iuA'isible et sans nombre, Qui fait cette poussière et ce bruit pour son ombre. Et sous l'horizon gris | passe \ éternellement

(Id., Bounaherdi).

Il voit ; sur les Hébreux ] étend \ sa grande main

(Vigny, Moïse).

Sur le vaste horizon | promène \ un long coup d'œil

(Id., Ihid.}. Action d'embrasser lentement l'espace.

La mélodie encor quelques instants | se traîne

(Hugo, Eviradnus). M. Gkammo.nt. Le vers français. 2

18 l'alexandrin classique

Limbécile Ibrahim, sans craindre sa naissance, Traîne, \ exempt de péril, une éternelle enfance

(Racine, Bnjnzel).

Ici c'est plutôt la langueur et la mollesse que la lenteur pro- prement dite. Voir infra, p. 282 et 297, ce qui est dit des voyelles nasales et des consonnes nasales.

La lenteur, c'est la durée dans le temps ; le même procédé peut évidemment servir à exprimer la durée dans l'espace ou l'étendue, l'immensité, une étendue que l'on ne conçoit tout entière que lentement, une hypothèse que l'esprit examine en l'énonçant ou en la soulevant :

à son faîte vermeil

Rayonne un diamant | (jros \ comme le soleil

(Hugo, Aymerillot).

Plus livide et plus froid dans son cercueil | immense Pour la seconde fois Lazare est étendu

(Musset [Rolla).

Puis au delà des monts que ses regards parcourent S'étend \ tout Galaad, Ephraïm, Manassé

(Vigny, Moïse).

C'est votre vieille g-arde | au loin | jonchant la plaine

(Hugo, Napoléon II).

S'agenouillant | au loin | dans leur robe de pierre

(Musset, Bolla).

Dans ces deux derniers exemples le poète s'attarde légè- rement sur cette expression « au loin » comme s'il considérait l'étendue qu'elle suppose.

Dans le suivant un effet analogue est produit deux fois de suite :

Et de Chanibord | là-has | au loin | les cent tourelles

(Hugo, Feuilles cVaulomne).

EXPRESSION DE LA RAPIDITÉ 19

Le peuple saint | en foule \ inondoit les portiques

(Racine, Athalie).

La deuxième mesure attire l'attention et dure le temps qu'il faut pour se représenter cette foule*

Hélas ! qui peut savoir pour quelle destinée,

En lui donnant du pain, | peut-être \ elle était née

(MussKT, Rolla).

Le poète semble examiner en prononçant ce pcut-clre le changement que sa supposition réalisée aurait pu produire dans la destinée de Marion.

Dans cet autre exemple c'est le lion qui envisage les chances de succès du sacritice qu'il demande :

Peut-être \ il obtiendra la guérison commune

(La Fontaine, VII, 1).

Une question est quelque chose de très analogue à une hypothèse : celui qui la pose examine en quelque sorte en l'énonçant la réponse que l'on peut y faire :

Q»'e*^-|ce que cet enfant? et que faites-vous là?

(Hlgo, Le petit roi de Galice).

Qu'es t-\ce que tout cela fait à Therbe des plaines, Aux oiseaux, à la fleur, au nuage, aux fontaines ? Qu^est-\ce que tout cela fait aux arbres des bois, Que le peuple ait des jougs et que Thomme ait des rois ?

(Hlgo, Eviradnus).

Des mesures de plus de trois syllabes expriment la rapidité.

Quelquefois le poète utilise le rapprochement d'une mesure lente et d'une mesure rapide pour peindre par l'une un mou- vement lent et par l'autre un mouvement rapide :

20 l'alexandrin classique

Le Parnasse où, le soir, las d'un vol immorlel, Se po\se, et d'où s'envole, \ à Taurore, Pégase

(Heredia, Sur l'Othrys).

La première mesure, se .po[se), peint un mouvement lent et aboutissant à la cessation de ce mouvement ; la seconde, ef cfoù s'envol{e), exprime au contraire un élan suivi d'un mouvement rapide.

Mais ce phénomène est rare. Le plus souvent le poète n'emploie que l'vine des deux mesures comme moyen d'expres- sion et lui sacrifie sa jumelle ; l'attention de l'auditeur se portant tout entière sur la mesure expressive, il ne s'aperçoit pas que l'autre n'a pas la vitesse normale et ne la remarque pas plus c[ue si elle avait la forme et l'allure ordinaires :

A travers les rochers la peur | les précipite

(Racine, Phèdre).

Les deux mots la peur n'ont ici qu'une importance très secondaire ; ce serait « la douleur » que l'intérêt du récit ne serait pas changé. Toute lattention se porte sur la course folle des chevaux d'Hippolvte et l'on remarque surtout les mots qui la décrivent, à savoir les précipite. Le fait que les deux syllabes la peur sont un peu plus lentes que la normale ne leur donne aucune importance particulière ; c'est la mesure sacrifiée. 11 n'y a d'effet que celui qui est senti (en général indistinctement) et qui est soutenu par l'idée exprimée :

J'en|/re : le peuple fuit, | le sacrilice cesse

(Id., Athalie).

Il accouroit, \ un mont en chemin Tarrêta

(La Fontaine, IX, 7).

Le vautour s'en alloit le lier, quand des nues Fond à son tour \ un aigle aux ailes étendues

(Id., IX, 2).

EXPRESSION DE l/iMMENSITÉ 21

Il ouvre un large bec, | laisse tomber \ sa proie

(Id., I, 2).

Ce vers est de nouveau fort instructif : la mesure laisse tom- ber peint la rapidité de la chute ; mais pourquoi la mesure précédente un large hec, qui a la même vitesse, ne peint-elle rien d'analog'ue ? Parce que l'idée qu'elle exprime ne met pas en lumière sa rapidité, parce que la mesure il ouvre qui répond à l'attente du renard contient le mot important et que la structure de la suivante lui est sacrifiée.

Ils se disent, causant, quand les nuits sont tombées, Que cet homme si doux, dans des temps plus hardis. Fut terrible, et, géant, faisait | des enjambées Des tours de Pampelune aux clochers de Cadix

(Hugo, Le Ciel exilé).

Ce dernier exemple appelle une observation. Nous avons montré plus haut que l'idée d'immensité s'exprime par des mesures lentes et nous la trouvons rendue ici par une mesure rapide. Il n'y a pas contradiction ; l'immensité peut être exprimée tout aussi bien par la lenteur que par la rapidité. Ce n'est pas objectivement, mais subjectivement que l'on exprime l'immensité ; c'est-à-dire qu'en somme ce que l'on peint c'est le mouvement de notre esprit. Il s'agit uniquement de savoir si notre esprit embrasse cette immensité lentement en la parcourant en quelque sorte d'un bout à l'autre ou s'il la saisit d'un coup d'œil. Dans l'exemple cité plus haut :

Puis, au delà des monts que ses regards parcourent, S'étend \ tout Galaad, Ephraïm, Manassé

ce n'est que successivement que l'esprit du lecteur, comme Moïse lui-même, entrevoit toute cette étendue de pays. Une observation analogue s'applique au vers :

C'est votre vieille garde ] au loin | jonchant la plaine

22 l'alexandrin classioue

et à quantité d'autres. Mais lorsqu'il s'ag-it d'enjambées qui vont des tours de Pampelune aux clochers de Cadix, l'esprit fait en quelque sorte l'enjambée avec le Gid et conçoit tout l'espace d'un seul coup.

Le mouvement rapide n'est pas nécessairement physique ; il peut être moral ; il y a des bonds, des chutes, des élans intellectuels, des élans d'admiration ou d'enthousiasme :

Mon ai|/e me soulh''e \ au souffle du printemps.

Le vent | va in emporter ; | je vais | quitter la terre

(Musset, Nuit de mai).

Dans ces deux vers le poète peint trois fois par le même procédé ce mouvement tout imaginaire de la muse, cet élan, ce désir irrésistible. Quelque lecteur se demandera peut-être pourquoi la quatrième mesure du premier vers, qui est égale- ment constituée par quatre syllabes, ne produit pas un effet analogue. Bien que nous tenions à isoler et à étudier à part chaque moyen d'expression nous ne croyons pas pouvoir attendre jusqu'à la fin du volume pour calmer cette inquiétude. Nous avons déjà répondu plus haut : l'idée exprimée ne peut pas permettre à un effet de ce genre de se produire ; mais il y a autre chose. Les dilférents procédés que peut employer un poète ne sont pas séparés dans son vers comme les livres rangés sur un rayon de bibliothèque. Il ne les emploie pas successivement, mais simultanément. D'ordinaire plusieurs concourent à un même effet et se combinent entre eux de différentes manières, pour rendre les nuances de la pensée de l'auteur. Dans tous les exemples, sauf un, nous venons de signaler des mesures exprimant la rapidité, il y a un vocalisme particulier qui donne l'impression de la légèreté (cf. p. 251 à 253) : toutes les voyelles toniques et parfois en outre quelques voyelles atones sont des voyelles claires. Gomme l'idée de rapidité et celle de légèreté sont le plus souvent associées, ce vocalisme avertit de la pensée intime de l'auteur. Rien de semblable dans la voyelle tonique de printemps.

EXPRESSION DE l'ADMIRATION 23

Mais pourquoi dans l'un des exemples cités ne trouvons-nous pas de voyelles toniques claires ? C'est que l'idée de légèreté n'est pas dans l'esprit du poète à cet endroit :

...Quand des nues Fond à son tour \ un aigle aux ailes étendues.

Dans ce récit il se place au point de vue du pauvre pigeon, fait corps avec lui et se met en communication avec son âme. Or ce qui frappe le malheureux oiseau ce nest pas la légèreté, c'est la rapidité de la chute et la sombre rnensice de mort qu'elle est pour lui ; rapidité peinte par le rythme, idée sombre exprimée par le vocalisme (cf. p. 280). On le voit par ces observations, quelques-uns ne trouveront que des subtilités, nos remarques portent sur des questions tellement ténues et délicates, qu'elles ne sauraient, si méthodiques soient-elles, être utiles qu'à ceux qui sont aptes à saisir les moindres nuances de la poésie, nous allions dire, à ceux qui n'en ont pas besoin..

Que vous êtes joli ! | que vous me senihlez \ beau !

(La Fontaine, I, 2).

Les trois premières mesures ont même vocalisme : voyelle tonique claire, mais c'est seulement dans la troisième que l'admiration devient par l'accroissement de vitesse un élan, comme un bond qui aboutit à la contemplation lente et recueil- lie peinte par la quatrième mesure.

Un caprice étant quelque chose d'instantané, d'inconsidéré, se manifestera aussi par un mouvement rapide :

Entre dans un ciron, ou dans telle autre bête Qu'il plaît au Sort : | c'est l'un des points de leur loi

(Id., IX, 7).

Es-tu pour ma fille? Hélas ! non; car le vent Me chasse | à son plaisir \ de contrée en contrée

(Id., Ihid.).

24 l'alexandrin classique

Dans le premier exemple c'est le caprice du sort, ici celui du vent.

Tous les vers ne sont pas descriptifs et l'on n'a pas seu- lement des mouvements à peindre. La lenteur ou la rapidité des éléments rythmiques sont employées à des usages variés. Chacun sait que, dans la conversation ordinaire, lorsqu'on veut insister sur un mot, le mettre particulièrement en relief, on le détache du reste de la phrase soit par une intonation spéciale ou une accentuation plus forte, soit par une pronon- ciation plus lente. Or dans un vers une mesure qui contient moins de trois syllabes se prononce plus lentement que la normale, on s'attarde sur les mots qui la constituent; ce ralentissement est donc tout indiqué pour faire ressortir un mot essentiel, celui qui résume une tirade ou une idée :

Je regardais d'en haut cette herbe; en comparant, Je méprisais linsecte et je me trouvais | grand

(Lamartine, L'infini dans les deux).

On le voyait le soir, devant l'Académie, Poser sa large main sur sa tête blanchie, A Tombre du smilax et du peuplier blanc. Le siècle qui Ta \u s'en est appelé | grand

(Musset, La loi sur la presse).

Noter que dans lavant-dernier vers, aucun effet n'étant appelé par le sens, peuplier blanc n'est qu'un mot métrique, avec un accent secondaire sur peu-.

Le fabricateur souverain Nous créa besaciers | tous \ de même manière

(La Fontaine, I, 7).

Il a tué les lois et le g'ouvernement,

La justice, l'honneur, | tout, | jusqu'à l'espérance

(Hugo, Chûtimenls).

EXPRESSION DE l/lNSlSTANCE 25

Fier de votre valeur, | tou(, \ si je vous en crois, Doit marcher, doit fléchir, doit trembler sous vos lois

(Racine, Iphigénie).

Regrettez-vous le temps nos vieilles romances Ouvraient leurs ailes d'or vers leur monde enchanté ; tous nos monuments et toutes nos croyances Portaient le manteau blanc de leur virginité; Où, sous la main du Christ, | tout \ venait de renaître?

(Musset, Bolla).

Qui lirait « tout venait \ de renaître » ferait un contresens.

Du plus pur de ton sang tu Tavais rajeunie;

Jésus, ce que tu fis, | qui jamais | le fera?

Nous, vieillards nés d'hier, | qui \ nous rajeunira ?

(Id., Ihid.).

L'opposition de la mesure « qui jamais » avec la mesure « qui » montre nettement par quel moyen le poète concentre dans le dernier vers toute l'énergie de son développement.

Même \ il avoit perdu sa queue à la bataille

(La Fontaine, IH, 18).

On s'endormait | dix mille ^ | on se réveillait | cent

(Hugo, Vexpi<aiion).

Et comptez-vous pour rien | Dieu \ qui combat pour nous ? Dieu I qui de l'orphelin protège l'innocence?

(Racine, Athalie).

Jéhu, le fier Jéhu, | lrem\h\e dans Samarie

(Id., Ihid.).

C'est le dernier ennemi qu'Athalie a eu à combattre, c'était peut-être le plus redoutable, et en montrant que maintenant il tremble, elle résume toutes ses victoires et fait comprendre par ce seul mot toute l'étendue de sa puissance.

26 l'alexandrin classique

Que vous pourriez le soir amener dans mes grottes La Vénus avec qui | fous \ vous vous mariez

(Hugo, Le Géant, aux dieux).

Ce mot tous ainsi placé résume et accentue de la façon la plus nette l'ironie insultante du Géant.

Ici I l'on te retient, | Jk-has \ on te désire. Fille, épouse, ange, enfant, fais ton double devoir. Donne-nous un regret, donne-leur un espoir. Sors I avec une larme ! | entre \ avec un sourire !

(Id., Contemplations).

Ten I dre pour son enfant, | dur \ pour l'enfant d'une autre

(lu.. Petit Paul).

Dans un si grand revers que vous reste-t-il ? ] Moi

(Corneille, Médée).

Je connois l'assassin. Et qui, Mada|me? Vous

(Racine, Britannicus, V, 6).

Saints du ciel ! ce repaire

Est-il donc si profond, si sourd et si perdu,

Qu'il n'ait entendu | rien? \ Je n'ai rien entendu

(Hugo, llernani).

Que je meure au combat, ou meure de tristesse. Je rendrai mon sang | pur \ comme je l'ai reçu

(Corneille, Le Cid).

Un roi qu'on avilit | tombe; \ on le destitue.

Bien \ quand on le méprise | et mal \ quand on le tue

(Hugo, Le petit roi de Galice).

Lynx I envers nos pareils, | et tau\pes envers nous. Nous nous pardonnons | tout, \ et rien \ aux autres hommes

(La Fontaine, I, 7).

EXPRESvSION DE l'iNSISTANCE 27

Est-ce le châ liment cette l'ois, Dieu sévère ? Alors parmi les cris, les rumeurs, le canon, Il entendit la voix qui lui répondait | : Non!

(Hugo, L'expiation).

Veii I ve du jeune Crasse, | et veu \ ve de Pompée, Fi I lie de Scipion, et, pour dire encor plus, Bornai \ ne, mon courage est encore au-dessus

(Corneille, Pompée).

Votre fille me plut, je prétendis lui plaire; Elle est de mes serments | sewlle dépositaire

(Racine, Iphigénie),

Mais vous qui me parlez d'une voix menaçante. Oubliez-vous ici | qui \ vous interrogez?

(Id., Ihid.).

Il a couru sur vous, mon fils, des bruits étranges;

Je veux les ignorer; votre fidélité,

Si vous fûtes un jour | faible^ \ a tout racheté

(Lamartine, Jocelyn).

Peut-être il obtiendra la guérison | commune

(La Fontaine, Vil, 1).

Commune est un mot d'importance capitale dans le discours du lion ; si le sacrifice ne devait procurer que la g-uérison de quelques-uns, on ne pourrait pas y intéresser tout le monde.

Ma funeste amitié | pèse \ à tous mes amis

(Racine, Mithridaté).

Phè\àve depuis longtemps ne craint plus de rivale

(Id., Phèdre y vers 26).

Pourquoi ce mot Phèdre a-t-il ici tant de relief? parce que c'est la première fois qu'on la nomme et qu'elle est l'héroïne de la pièce.

28 l'alexandrin classique

Oui, c'est Joas ; je cherche | en vaui \ à me tromper

(Id., Alhalie).

Je m'en retournerai | seule \ et désespérée

(Id., Iphigénie).

Ce roi, fils de David, | oh | le chercherons-nous ?

(Id., Alhalie).

Nous empruntons maintenant plusieurs exemples à une même pièce, et nous agirons souvent ainsi au cours de cet ouvrage, parce que c'est le meilleur moyen de montrer que les elfets que nous signalons ne sont pas une vaine apparence résultant d'un choix arbitraire, mais que le poète, puisqu'il les reprend plusieurs fois dans des situations analogues, les a sentis comme nous, et, ne les ayant pas écartés, les a voulus :

Et comme il s'asseyait, il vit dans les cieux mornes Vœil 1 à la même place au fond de l'horizon...

Et lui restait lugubre et hagard. 0 mon père ! L'œil 1 a-t-il disparu, dit en tremblant Tsilla...

Et Gain dit : | Cet œil \ me regarde toujours !... Rien | ne me verra plus, je ne verrai plus ( rien...

Vœil I était dans la tombe et regardait Gain

(Hugo, La Conscience).

Qu'on ne vienne pas nous objecter que le mot œil ou le mot rien étant un monosyllabe amenait forcément des mesures monosyllabiques; si ce monosyllabisme avait gêné le poète rien n'était plus aisé pour lui que de faire précéder ce substan- tif de deux proclitiques, pronoms, prépositions, conjonctions, etc..

La pièce de Hugo intitulée Première rencontre du Christ avec le tombeau n'est pas beaucoup plus longue que La Con- science : nous lui emprunterons aussi plusieurs exemples très remarquables :

MISE EN RELIEF 29

Puis il siulcrrompil, et dit à ses disciples :

Lazare, notre ami, | dort; \ je vais réveiller.

Eux dirent : Nous irons, | maître, \ tu veux aller.

Dort, c'est la parole capitale qui annonce ce qui va arriver : Jésus sait qu'il dort, les autres croient qu'il est mort. Maître ainsi placé et constituant à lui seul une mesure exprime toute l'admiration et toute la foi des disciples. Il a une valeur analogue dans la bouche de Marthe au dernier des trois vers suivants :

Quand Jésus arriva, Marthe vint la première, Et tombant à ses pieds, s'écria tout d'abord :

Si nous t'avions eu, | maître, \ il ne serait pas mort.

On rencontre le mot mère à une place équivalente, avec la même valeur et la même expression admirative et confiante, dans ce vers de La Fontaine (IV, 22) :

Il a dit ses parents, | mè^ve ! c'est à cette heure...

Trois vers plus loin dans la même pièce de Hugo nous retrou- vons le même mot maître en relief :

Puis reprit en pleurant : Mais il a rendu l'âme.

Tu viens trop tard. Jésus lui dit : Qu'en sais-tu, femme?

Le moissonneur | est seul \ maî|tre de la moisson.

L'idée n'est plus la même, mais l'importance du mot n'est pas moindre et elle a pour effet d'annoncer qu'il va se passer quelque chose d'extraordinaire. Plus loin encore on lit les vers suivants :

Jésus dit : Déliez cet homme, et qu'il s'en aille. Ceux qui virent cela | cri/|rent en Jésus-Christ,

le mot crurent doit son importance k ce qu'il marque une

30 l'alexandrin classique

conclusion et oppose la conduite de la foule à celle des prêtres.

Voici pour terminer un passage plus étendu et plus suivi. Après les explications données dans ce chapitre tout commen- taire est inutile :

Pauvreté ! Pauvreté ! | cesl loi \ la courtisane.

C'est toi I qui dans ce lit as poussé cet enfant

Que la Grèce eût jeté sur Tautel de Diane.

Regarde; \ elle a prié | ce soir | en s'endormant...

Prié ! I Qui donc, grand Dieu ! | C'est toi \ qu'en cette vie

// faut I qu'à deux genoux elle conjure | et prie;

C'est toi \ qui, chuchotant dans le souffle du vent,

Au milieu des sanglots d'une insomnie | arrière,

Es venue un beau soir murmurer à sa mère :

(( Ta fille est belle | et vierge, \ et tout cela | se vendl »

Pour aller au sabbat, | c'est toi | qui l'as lavée.

Gomme on lave les morts pour les mettre au tombeau;

C'est loi I qui, cette nuit, quand elle est arrivée,

Aux lueurs des éclairs, | courais | sous son manteau !

Hélas! I qui peut savoir | pour quelle destinée.

En lui donnant | du pain, | peut-être \ elle était née?

Pauvre fille ! à quinze ans | ses sens \ dormaient encore; Son nom \ était Marie, et non pas Marion.

(Musset, Rolla).

On trouverait sans peine dans les œuvres de chacun de nos grands poètes quantité de pages qui se prêtent d'un bout à l'autre à une pareille dissection. Mais il ne serait pas moins aisé de recueillir chez les mêmes poètes nombre de vers plus ou moins isolés, dans lesquels apparaissent des mesures de deux ou de quatre syllabes, même de une ou de cinq, sans qu'il soit possible d'y découvrir ni licite d'y chercher la moindre intention de la part de l'auteur. En voici quelques exemples :

Oîi Vénus Astarté, | fi\[\e de l'onde amère

(Id., Ihid.).

tl

LE REJET

Tout moyen d'expression consiste essentiellement en un contraste qui éveille l'attention. Mais il y a deux points que l'on ne doit jamais oublier. C'est d'abord que le poète emploie souvent plusieurs moyens d'expression en même temps pour concourir à un même but. Ainsi on a vu plus haut des elîets produits à la fois par le ralentissement ou l'accélération de l'allure et le vocalisme (p. 16, 21, 22, 23), Ailleurs, comme dans ce passage de V, Hugo (Le Détroit de CEuripe), c'est le ralentissement de la mesure et en même temps la position des mots dans le vers :

Les deux mille vaisseaux qu'on voit à l'horizon

Ne me l'ont pas peur. 1 .rai \ nos quatre cents g-alères,

L'onde, l'ombre, l'écueil, le vent el nos colères.

Le mot « J'ai » constitue une mesure lente, et cela sufïît pour le mettre en évidence, mais ce qui contribue surtout à le faire ressortir c'est qu'il est placé entre la lin dune phrase qui cesse brusquement dans le corps même de l'hémistiche, et la coupe fixe du milieu du vers.

Le second point, qui est d'une importance capitale, c'est que l'attention mise en éveil par les moyens dexpression se porte sur ce qui le mérite. Dans le dernier exemple Thémis- tocle déclare que les deux mille vaisseaux des Perses ne lui font pas peur; pourquoi? parce qu'il a quelque chose qui le rassure. Le mot par lequel il l'annonce et qui est destiné à faire impression sur les auditeurs, arrive violent, insistant quoique bref, détaché par les deux coupes qui l'entourent, et il excite l'attention avec autant de puissance qu'il est pos- M. Grammont. Le vers français . 3

34

I.E P.E.IF.T

sible. Mais sui- quoi s'apjjlique ti'tle attention? Essentielle ment sur ce qui suit. Ce qui importe n'est pas (( J'ai », car Thémistocle pourrait dire par exemple : « J'ai tous mes biens à labri ». Ce « J'ai », c'est le coup de poing- qu'emploient certains orateurs pour forcer leur auditoire à les écouter, et l'attention ainsi mise en éveil se soutient tant qu'elle trouve une matière dig-ne d'elle, c'est-à-dire ici tant ([ue dure 1 énu- mération des ressources sur lesquelles tous les Grecs peuvent compter :

. . . J"ai j nos quatre cents galères. L'onde, l'ombre, l'écueil, le vent et nos colères.

Dans l'exemple de Napoléon II :

C'est votre vieille j.;arcle 1 au loin ( jonchant la plaine,

la mesure lente « au loin » donne le temps d'envisager une immense étendue de terrain, et surtout de se demander ce que la vieille garde fait au loin ; l'attention reste soutenue tant que durent les mots ([ui donnent la réponse à cette ques- tion.

Dans les trois vers de Pompée, p. 27, il importe peu que Cornélie soit <( veuve », même deux fois, mais ce qui frappe, c'est qu'elle l'est « du jeune Crasse », c'est qu'elle l'est « de Pompée », c'est qu'elle est fille « de Scipion ». Seule, au troisième vers, la mesure lente « Romaine » g-arde pour elle- même toute l'attention qu'elle suscite, attention qui avait déjà été préparée parce que le vers précédent avait fini avant (jue la phrase fût terminée. La pause qui suit ce vers détache la fin de la proposition et la met en évidence. Il y a quelque chose d'analogue dans l'exemple du Détroit de VEuripc : la phrase, à peine commencée et annoncée à g-rand fracas par le mot « J'ai », se heurte à la coupe fixe du milieu du vers ; c'est un obstacle qui l'arrête ou la fait hésiter et qu'elle doit franchir avant de poursuivre sa marche régulière. Dans les deux cas il y a enjambement ou rejet.

DKFINÎTIONS 35

Le rejet est un effet de contraste produit par le fait que la phrase syntaxique ne cadre pas avec le mètre. Il y a discor- dance entre les deux. Quand le mètre est fini, la phrase ne l'est pas et déborde en partie sur le mètre suivant ; ou bien la phrase est terminée avant que le mètre le soit, et alors une nouvelle phrase commence avec la fin d un mètre pour se dérouler dans le suivant.

Dans le premier cas on dit qu'il y a rejet, dans le second qu'il y a contre-rejet.

Certains ont essayé d'établir des distinctions subtiles entre le rejet et l'enjambement. En réalité c'est une seule et même chose ; il y a rejet lorsqu une partie de la phrase grammati- cale est rejetée sur le vers suivant, et 1 on peut dire dans le même cas qu'il y a enjambement parce que la phrase gram- maticale enjambe sur le vers suivant.

Qu'est-ce qui résulte de cette discordance entre la syntaxe et le mètre au point de vue de la diction ? Doit-on dire la pro- position d'un trait, comme font la plupart de nos acteurs, jus- qu'à ce qu'elle soit terminée? Jamais. G est par une véritable aberration qu'on enseigne aux comédiens à dire les vers comme de la prose; le maître de philosophie de M. Jourdain savait déjà que les vers ne sont pas de la prose, et l'on n'au- rait pas laisser perdre son enseignement. Quand il y a conflit entre le mètre et la syntaxe, c'est toujours le mètre qui l'emporte, et la phrase doit se plier à ses exigences. Tout vers, sans aucune exception possible, est suivi d'une pause plus ou moins longue. Si le sens finit avec le vers, on laisse tomber la voix avec la dernière syllabe :

Tout à coup la nuit vint et lajune apparut.

Si l'on maintient la voix haute et intense sur la dernière syllabe, on suscite ainsi l'attente de l'auditeur qui comprend que la phrase n'est pas finie. La pause qui vient après, et qu'il n'y a pas à craindre de prolonger, rend cette attente plus pressante ; aussi les mots qui suivent et sur lesquels cette attente se repose, ont le maximum de relief :

l38 t\: RKIET

Tout à coup la nuil vint el la lune apparut ||

Sanglante.

(Hugo, Les châtiments).

La voix, qui était haute avant la pause, devient plus grave pour le rejet.

En résumé il y a donc contraste entre le mètre et la syn- taxe, contraste entre cette fin de vers qui est haute et les autres qui sont basses, contraste entre l'intonation (hauteur musicale de la voix) de la fin de vers et celle du commence- ment du vers suivant. Au surplus ces efîets de pause et de diction ne sont pas étrangers à la prose : o Ayant terrassé son adversaire, il Tétouffa de ses mains vigoureuses, puis il se releva ». Chute de la voix avec « leleva » ; mais si le texte donne : «. puis il se releva... souriant », la voix restera haute sur (( releva », et se suspendra un instant pour reprendre plus g'rave avec « souriant ". Mais TefTet sera toujours plus considérable en vers parce qu'il y a en outre le contraste entre le mètre et la syntaxe.

La Harpe, digne précurseur de nos critiques modernes qui ont enseigné aux acteurs à éviter de laisser sentir les fins de vers, prétendait que nos vers ne peuvent pas enjamber parce qu'ils riment. Au contraire ; la rime marque la fin du vers, et plus cette fin sera marquée, plus le rejet sera possible et sen- sible. La Harpe ne pouvait pas prévoir tout le parti que 1 on tirerait au xix*^ siècle de l'enjambement, mais il aurait pu savoir que chez les Grecs et les Latins on n'avait pu enjam- ber que parce que les fins de vers étaient toujours très nettes, et il aurait dii sentir les rejets si artistiques que l'on ren- contre chez nos poètes du xv!!*" siècle. En voici quelques- uns :

Mais tout n'est pas détruit, et vous en laissez vivre Un... ^'oire tils, seigneur, me détend de poursuivre

(Racine. Phèdre .

Voici en quels termes la vache se plaint, dans Lliomme et

REJKTS Di: XVll* SII-.CLf: 37

in. couleuvre, de la méchanceté et de 1 ingratitude de l'homme :

Enlin me voilà vieille; il me laisse en un coin Sans herbe : s'il vouloil encor me laisser paître ! Mais je suis attachée; et si j'eusse eu pour maître Hn serpent, eût-il su jamais pousser si loin LincfraliUide? Adieu : j ai dit (;e que je pense

(La FoNTAiNii, X, -2).

Mais après certain temps soutirez qu on vous propose l^ n époux beau, bien fait, jeune et tout autre chose Que le défunt. Ah ! dit-elle aussitôt, Un cloître est l'époux qu'il me faut.

(Id., VI, -21).

Morne il m'est arri\é quelquefois de manger Le berger

(Id., VII, t).

La femme est toujours femme, et ne sera jamais Que femme, tant qu'entier le monde durera

(MoLiîiRii, Le dépit nmoureux).

Au XIX'" siècle les exemples sont extrêmement nombreux. Quelques-uns nous sufïîront :

Devant cette impassible et morne chevauchée, L âme tremble et se sent des spectres approchée, Comme si l'on voyait la halte des marcheurs Mystérieux que l'aube ellace en ses blancheurs

(Hugo, Lviradnus).

lit nous ne savons plus ce que nous avons l'ail /Je notre àme, l'ayant derrière nous laissée Au hasard.

(In., Toute la lyre).

Le crédit mobilier est une bonne affaire Pour les banques.

Id., Années funestes)

38 LE REJET

Un (les enfants revint apportant un pavé Pesant, mais pour le mal aisément soulevé

(lu.. Le crupuud).

Les balles sacharnaient, et son puissant dédain Souriail ; il levait son sabre nu... Soudain

I lu. , Jean Chouan.

Comme ils parlaient, la nue éclatante et profonde S'enlr ouvrit, et Ion vit se dresser sur le monde

(Id., Napoléon II).

C'est le sceau de TÉlat. Oui, le grand sceau de cire Bouffe.

(Id., Marion de Lornie,.

Il nest pas hors de propos de rappeler qu'ici le mot « rouge » évoque l'idée du sang- qui sera versé par les ordres du cardinal et que la pièce se termine par ce vers :

Regardez tous 1 voilà lliomme rouge qui passe.

Sans le rejet il n'y aurait pas d évocation.

Nous terminerons par un exemple cVIIernani qui a fait couler beaucoup dencre. On a dit que dans ce cas du moins le rejet n'était justifiable par rien, que dans cette pièce qui était en quelque sorte le manifeste du romantisme, ^^ Hugo avait voulu dès le second vers étonner le spectateur, et lui faire comprendre que l'on allait violer toutes les règles, même sans motif, pour le simple plaisir. Voici le début de la pièce avec l'indication des jeux de scène :

On frappe à une petite porte dérobée à droite. Elle écoule. On frappe un second coup.

Serait-ce déjà lui ?

Un nouveau coup.

C'est bien à Tescalier Dérobe.

RIME ET ENJAMBEMENT 39

f'n fjua/rièrnc coup. Vite ouvrons...

La duègne attend llernaiii, (|ui doit venir par lescalier dérobé ; si c'est à la porte du grand escalier que l'on frappe, ce n'est pas lui : elle écoute donc avec attention pour se rendre compte si c'est bien à l'escalier dérobé que Ion frappe ; elle est un peu surprise, car elle n attendait pas le visiteur si tôt : mais au troisième couj) elle est bien certaine que c'est à 1 escalier dérobé, et elle s'empresse d'aller ouvrir, pendant que l'on frappe un quatrième coup. Le mot « dérobé » a donc ici une importance capitale et mérite bien le relief que lui donne sa position en rejet. V. Hugo était trop artiste pour sacrifier la facture d'un vers à des questions de polémique, et dès l'époque d'Hernani il était trop maître de son art pour ne pas donner à son vers la forme qu'il jugeait la plus propre à rendre les nuances de son idée.

Loin que la rime nuise à ces enjambements, elle leur four- nit un appui qui n'est pas à dédaigner. Les romantiques l'ont si bien compris que c'est le jour ils se donnèrent pleine liberté pour l'emploi de l'enjambement, qu'ils éprouvèrent le besoin de renforcer leurs rimes et réclamèrent la rime riche '.

Puisque la pause qui suit le vers contribue à mettre en relief le rejet en le détachant de ce qui précède, il va de soi que si la syntaxe comporte k cette place une coupure qui faci- lite la pause, l'effet de ce dernier n'en est nullement alfaibli.

1. (l'est ce que n"oiit pas vu les décMclents. E. Raynaud écrivait dans Le décadent du l"^'-!") janvier 1888 : « Les sectaires de la rime riclie oui été dans la nécessité d'à huser des rejets et de lenjambement afin qu'elle se fit moins sentir. Aussi voyez cette anomalie ; les mêmes gens qui ont tout fait pour rendre la rime distinguée ont également tout fait pour qu'on ne la distinguât point n. Au surplus il est très clair pour qui con- naît bien 1 école décadente et les autres écoles analogues, que la princi- pale raison qui a fait éprouver à leurs adeptes un besoin si impérieux de renoncer à la versification de leurs devanciers, c'est que, faute d'une culture littéraire sutlisante, ils n'en saisissaient ni les nuances, ni les effets, ni la variété, et qu'en un mot ils ne la comprenaient pas.

iO LE REJET

En voici quelques cas :

D'un érable noueux il va fendre sa tête. Lorsque le lils cVEgée, invincible, sanglant, L'aperçoit, à l'autel prend un chêne brùlanl, Sur sa croupe indomptée, avec un cri terrible. S'élance, va saisir sa chevelure horrible. L'entraîne, et quand sa bouche, ouverte avec etl'ort, Crie, il y plonge ensemble et la llamme et la mort

(CnÉMER, L'aveugle).

Et j'ai tout bonnement couru dans les offices Chercher la boîte au poivre ; et lui, pendant cela. Est disparu.

(Racine, Les plaideurs).

L'astre baisse, il s'arrête au sommet des montaenes, Jette un dernier regard aux cimes des forêts, Et meurt. Les nuits d'hiver suivent les soirs de [)rès

(Musset, Le saule).

Zini-Zizimi, soudan d'Egypte, commandeur Des croyants, padischah qui dépasse en g-randeur Le César d'Allemagne et le sultan d'Asie, Maître que la splendeur énorme rassasie. Svnc/e.

(Hugo, Zini-Zizimi).

Mais il vieillit enfin, et, lorsque vient la mort, L'âme, vers la lumière éclatante et dorée. S'envole, de ce monstre horrible délivrée

(Id,, Contemplations).

Quand il n y a pas de coupure syntaxique avant le rejet, la meilleure diction consiste d'ordinaire à prendre pour le rejet un ton plus ^rave que pour le dernier mot du vers précédent. Lorsqu'il y a une coupure, comme elle est précédée le ])lus souvent d'une proposition incidente ou parenthétique qui

l'intonation des rejets il

demande un ton plus grave que la movenne. le rejet appelle g-énéralement une élévation de la voix. Un rejet ne peut pas être dit correctement sans un changement notable de hauteur; mais en somme il importe assez peu que la modification ait lieu dans un sens ou dans l'autre. Dans les calculs que nous avons faits à ce point de vue sur des exemples variés, voici quelques-uns des cas les plus frappants que nous avons notés :

...et la lune ;ip pa rut ;| San glaute

.sr./:: fa:: /.î

/■é> réC

c'est-à-dire que la voix, qui était h fa C sur la syllabe tonique du mot « lune ». baisse dun demi-ton sur l'atone qui vient ai)rt's. mais reg-agne aussitôt ce demi-ton sur l'atone suivante pour arri- ver à son maximum de hauteur sur la tonique « -rut ». La montée se fait sans secousses, par prog-ressions régulières de un demi-ton ou un ton. Après « apparut ». pause de la fin du vers, pendant laquelle la voix baisse pour attaquer le rejet une quarte plus bas. en r<?>. Dans daufres lectures, la voix n'était montée qu'à /'a? sur " -rut » et n'était retombée qu à mi sur (' Sanglante » ; l'efTet est du même ordre, mais beaucoup plus faible.

Dans l'exemple de Racine :

...et vous eu laissez vivre !| Un...

la contexture de Ihémisticlie. ({ui n'a pas d'accent net dans l'intérieur, permet une montée plus considérable et presque continue depuis «et » en i/^Jjusqu à << vivre » (jui commence en sol et continue à monter jusqu'à en passant par tous les inter- médiaires. D'autre part le monosyllabisme du rejet facilite une

42 LE REJET

baisse de la voix beaucoup plus sensible : en fait nous avons trouvé le début de « Un » en la de 1 octave au-dessous, note siu- laquelle la voyelle ne s'arrête pas ; elle monte rapidement jusquà /Y'^pour rebaisser d'un ton et finir sur ut^. Cettechute d une octave produit un etTet d'une puissance énorme. Des lectures plus modérées n'ont accusé qu une baisse dune quinte: c'est déjà un changement d'intonation très frappant. Dans l'exemple de Chénier :

...et quand sa bouche, ouverte avec elFoi'l, Ij Crie...

« ellbrt )K appartenant à une proposition parenthétique, c'est- à-dire grave par nature, ne monte que jusquà fat, et, au lieu de baisser ensuite, la voix prend la pause pour point d appui afin de monter plus haut et d attaquer sur soli^ le mot « Crie », (jui l'entraîne jusqu à lu %. En somme un écart d une tierce majeure en deux syllabes. La marche est inverse des précé- dentes, mais n'est pas moins sensible, et l'effet produit est analogue.

Le cas de La Fontaine :

...et si jeusse eu pour maître |j Ln serpent...

est plus complexe, parce que le rejet a trois syllabes, ce qui ne permet guère de les garder sur la même note comme les deux de " Sanglante », et surtout parce que la phrase n'est pas finie avec le rejet, ce qui oblige à relever la voix sur la finale, comme on a déjà pu le remarquer sur la fin de « Crie ». Il va plusieurs effets à combiner : pour les préparer la syl- labe « mai- » finira plus bas qu'elle n'a commencé, et d'autre part la baisse de « Un » sera peu considérable pour permettre à u ser- » de baisser sensiblement atin de ménager un effet de montée sur '< -pent ». Donc « mai-» commence en sol et finit en sol\y ; puis vient la pause et « Un » est attaqué en fat et monte rapidement à sol ; mais « ser- » tombe à mi et « -pent »

REJET A l'hémistiche 43

commence sur /a pour monter juscju'îi si. Dans levers suivant, le rejet a quatre syllabes :

...eùl-il su jamais pousser si loin I/in^ralilude ?...

la phrase est Unie, mais cest linterrogation (|ui demande une montée sur la dernière syllabe. Le vers linit avec « loin " sur niihf ; la première syllabe du rejet ne baisse que jusqu'à /'e, mais la deuxième, comme dans le cas précédent, est plus bas (ré b) ; seulement la troisième prépare lintonation interrog-a- live et remonte déjà jusqu'à f;i 7 ; enfin la dernière débute par soliy et va jusqu'à si 7.

Ces exemples suffisent pour indiquer les grands traits de la question, pour en faire entrevoir l'intérêt et pour montrer ([u elle est d une variété presque illimitée.

La césure, on l'a vu plus haut, est devenue à l'époque clas- sique une simple coupe, mais une coupe attendue à une place déterminée, un point de repère fixe comme la fin de vers. N'étant plus qu'une coupe, sans pause, elle n'exige plus une coupure syntaxique très forte, mais elle appelle du moins un fléchissement sensible de la cohésion syntaxique. Elle divise le vers en deux hémistiches et pour que la phrase remplisse exactement le cadre qui lui est fourni par le mètre, il faut qu'elle aussi soit composée de deux groupes syntaxiques dont la séparation coïncide avec le milieu du vers. Si le premier groupe syntaxique déborde sur le second hémistiche, il y a rejet ou enjambement à l'hémistiche, et ce rejet est tout à fait comparable à ceux que nous venons de constater au com- mencement d'un vers. Gomme eux il a pour effet de mettre en relief le mot ou les mots qui le constituent, et comme eux il comporte un changement d'intonation.

Voici quelques exemples qui fournissent à la fois les deux espèces de rejet et qui montrent bien qu'elles ont une valeur équivalente :

...comme un cèdre au milieu des palmiers Fiècjne, el comme Pathmos | brille entre les Sporades (Hugo, Le travail des captifs \.

44 LE REJET

Puis tremble, puis expire, el la voix qui chantait S'cteinl comme un oiseau | se pose ; tout se tait

(Id., Evirudnus .

Il fit scier son oncle Achmet entre deux planches De cèdre, afin défaire | honneur à ce vieillard

(In., Sultan Mourad).

Lus en ne tenant compte que de la syntaxe et sans changement d'intonation, ces deux vers n'olFrent aucun sens ; on ne com- prend pas quel honneur il peut y avoir à être scié entre deux planches. Mais « honneur » mis en rejet à l'hémistiche explique le rejet du commencement du vers et fait entendre que l'hon- neur consistait dans l'emploi d'un bois précieux. Bien dit, ce vers produit un merveilleux elfet.

Je veux, tout obéit, la matière intlexible (^ède ; je suis égal | presque au grand Invisible

(Id., Légende des siècles).

Tu t'es fait de ^ alet j brigand, et de bandit Courtisan.

(h)., Torquemada].

Farce qu'un est jaloux | des aulres., et honteux De soi

(Id., Hernani).

A Toulon le lourgon | les quille, le ponton Les prend.

(Id., Les châtiments).

Racine dit dans Les plaideurs, avec un rejet piquant ;

Mais j"aper(,'ois venir madame la comtesse

])e l^inihcsche. l'J le vient pour aU'airc qui presse.

REJET A I.'llÉMISTlCHi; 45

Molière produit exactement le même eifot dans Tartuffe par un rejet à l'hémistiche :

. . . Dites-lui seulement que je vien De la part de monsieur | Tartuffe, pour son bien,

et de même V. Hug'o dans I.ea cJi aliment s :

l"]n ntlaquanl monsieiu- ' Bonaparte, on nie fâche.

Cette question du rejet à Ihémistiche est fort importante, comme on le verra au chapitre suivant, aussi nous paraît-il bon d'y insister et de multiplier les exemples :

Et je nai pu trouver | de place pnur frapper

Racine, Androinaque).

De quel front immolant tout IMlat à ma Mlle. Fioi sans gloire. j"irois | rieillir dans ma famille 1

In.. Iphi(fénie).

. . .Lui dire qu'un cœur n"aime point par autrui. Que vous vous mariez | pour rous, non pas pour lui

tMoi.iKRE, Tartuffe.

bien I vous le voyez, ma mère, si j ai droit: Et vdus pouvez juger | du reste par lexploit

(Id., Tartuffe .

On pourroit bien punir ces paroles infâmes,

Ma mie; et l'on décrète | aussi contre les femmes

Id., Ihid.).

Ce n'est rien seulement qu'une sommation. Un ordre de vider ; d'ici, vous et les vôtres

Id., Ibid.,.

46 l'^- REJKt

El tous font éclater un si puissant courroux Qu'ils semblent tous venger | an pèr'e comme vous

(GoRNEU-LE, Cinna).

\'ous ? Mon Dieu! mêlez-vous | de boire, je vous prie

(BoiEEAi', Siilire III).

\'irent que le Satan [ de pierre souriait

(Hugo, Balherl).

Non. Voilà notre nuit | de noces commencée

(in., lie ma ni).

Dieu jeune, viens aider ] sa jeunesse. Assoupis

(CuÉMER. Le malade).

La mort derrière lui ] surgit., pendant qu'il chante

(IIiMio, Contemplations).

Mais au lieu de trouver | sa belle., il surprendra Le Destin séduisant | sa fille. A ce spectacle

(La Fontaine, Bagotin).

Et la perruque alors | ruffil et fui crinière

1 IIlgo, diinleinplations).

Princes, votre façon | d'être lâches me gêne

ili).. Eriradnus].

Mais tu ne prendras pas | demain h ri^'lernel

(In., \;ipoléi>n II).

Un ennemi qu'on porte | en terre n'est pas lourd

iId., Le roi s'amuse).

Et vous n'avez rien au | de pins dans cette ville ? Davenant. Non, milord.

Gromaveel. souriant. Pas rendu de \isite civile, Par exemple, à certain | Sluart^?

Davenant, atterré, à part. Coup imprévu !

(Id., Cromwell).

f:FFET l'AB DlSr.ORDANCE 47

Puisque lefïet est au désaccord entre le mètre e( la syn- taxe, il est évident ([ue plus la cohésion orammaticale sera forte au milieu du vers, plus la discordance sera accusée et plus l'elîet sera sensible. Dans tous les exemples précédem- ment cités il y aurait ou au moins il pourrait y avoir en prose un accent tonique sur la sixième syllabe. Dans les suivants il n'y en aurait pas, et le changement d'intonation sera d'au- tant plus considérable, Tellet sera d'autant plus puissant que le mot qui termine le premier hémistiche sera plus faible, plus insig-nitiant, plus vide :

\'oilà longtemps qu'il n'a j lue quelqa un ; il ijàille

(HiGo, L'uicfle ilu cas(/ae).

Mais qu'un traître qui n'est | hardi quii moirenser

Racim;, Milhridate).

El près de vous ce sont | des sols que tous les hommes

MoLiKRE, Tarluffe).

Plus de salaire, el moins | de peine: j'en conviens

I Hugo, Le pape .

Us sont maudits. Quel est | leur crime'! Ils ont aimé

(Id., Conlemplalions).

Je jure de quitter | loul pour le satisfaire

(GHÉ^'IER, LOarislijs .

Que tu me serviras | mieux, étant plus méchant

(Hugo, 7 o rq u e m a da ) .

Qu'on me laisse et qu'Asalph ] sew/ demeure avec moi

[Racine, Esl/ien.

Seigneur, si j'ai trouvé | grâce devant vos yeux

(Id., Ibid.).

48

LE RKJET

Le char plonge. La mer, de son soupir puissant, l'^mplil le ciel sonore la pourpre se traîne, Et, plus clair en lazur [ noir de la nuit sereine, Silencieusement s'argente le croissant

(Heredia, Nymphée).

. . .L'usage, il faut que je le dise, \'euf que ce soit d'abord | moi qui l'ouvre et la lise

HiGO, Huij-Blas).

Une reine n'est pas | reine sans la beauté

(lu., EviniJnus).

Sachez que nous n'avons ] rien au-dessus de nous

(1d., QueU/ii'un met le holà).

Car la défunte étoit | hude , et, de bonne foi

(La Fontaine, Baf/otin).

Seigneur, je ne rends point | compte de mes desseins

( R ACiNK , Iph i(/én ie ) .

Toi, mon maître? Oui, coquin. m"oses-tu méconnoitre? Je n'en reconnois point | iVaulre qu'Amphitryon

(MoLiKRi:, Amphitryon .

Ces vers ont tous un accent sur la sixième syllabe. Gom- ment un mot qui n'aurait pas d'accent en prose peul-il en avoir en vers? Par l'efïet du rythme. Le rythme des vers n'est pas le même que celui de la prose, et c'est )e rythme seule- ment qui peut appeler un accent sur une syllabe la prose n'en admet pas. C'est ainsi qu'il y a un accent tonique sur la onzième syllabe de ce vers de La Fontaine :

Que vous êtes joli 1 Que vous me sem/;/ec beau ! et de celui-ci de Musset :

Le siècle qui l'a vu s'en est appe/é grand.

REJETS LONGS 49

Il n'y en aurait pas dans la prose ordinaire. Un mot comme pas» dans :

Une reine n'est pas l'eine sans la beauté

a donc un accent rythmique, et il en résulte que ce mot, dont le traitement contraste si fort avec celui qu'il aurait en prose, attire l'attention avec une intensité vraiment extraor- dinaire sur le rejet qui le suit.

Dans les exemples que nous avons examinés jusqu'à présent le rejet n'est que d'une mesure et souvent il est renforcé encore par le fait que c'est une mesure lente, inférieure à trois syllabes. Mais le rejet peut être plus long et remplir tout un hémistiche ou davantage :

Non, non, je ne veux rien. Je vois que vous voulez Etre à Monsieur Tartuffe.

(Molière, Tartuffe).

Regarde dans ma chambre et dans ma garde-robe Les portraits des Dandins.

(Racine. Les plaideurs).

N'a-t-on point de présent à faire, Point de pourpre à donner : c'est en vain qu'on espère Quelque refuge aux lois; encor leur ministère A-t-il mille longueurs.

(La Fontaine, XI, 7).

Soit que je n'ose encor démentir le pouvoir De ces yeux j'ai lu si longtemps mon devoir

(Racine, Britannicus).

Mais plus le rejet s'allonge, plus sa force diminue. Le rejet long est plus intéressant et plus fort après le premier hémis-

M. Gmammont. Le vers frai^çais . 1

50 LE REJET

tiche qu'après le vers complet, à cause du peu d'importance sémantique du mot qui le précède, soit que ce dernier ait peu de signification par lui-même, soit que sa valeur propre soit affaiblie par le rejet. On a vu au chapitre précédent qu'un bon moyen de mettre un mot en relief consiste à lui faire remplir à lui seul une mesure ayant moins de syllabes que la inoyenne et sur laquelle par suite le rythme oblige à traîner et à insister. Mais si le mot à mettre en relief a trois syllabes ou davantage ou si c'est une locution constituée par un groupe de mots, ce moyen est évidemment inutilisable. C'est alors qu'intervient le rejet long à l'hémistiche; c'est même son principal emploi. Quand Boileau dit dans VArf poétique :

La nature est en nous plus diverse et plus sage; Chaque passion parle | un dilîérent langage,

ce n'est pas le mot « parle » qui est important ; sa mise en relief surprend et serait même choquante, car on n'a pas coutume d'entendre les passions parler. Le mot principal c'est « différent » ; ce qui est intéressant c'est que les passions s'expriment chacune en un langage différent \ mais le mot (( différent » a trois syllabes, et l'expression complète « un différent langage » en a six. Le mot « parle », placé comme il est, ne fait qu'attirer fortement l'attention, qui se porte tout entière sur le rejet; lui-même est etTacé par le rejet et ne garde de sa valeur propre que juste assez pour annoncer la métaphore. Même observation sur les exemples suivants :

Le plus vil artisan eut ses dogmes à soi. Et chaque chrétien | fut \ de différente loi

(Boileau, Satire XII).

A la fin sur quelqu'un de nos vices couverts Le public malin ] jette | un œil inévitable

(Id., Satire XI).

Ce procédé, d'un emploi courant au xvu"^ siècle, est d'ordi-

REJETS DU XVIl" SIÈCLE 51

naire encore un peu gauche chez Boileau; il est souvent plus habile chez ses contemporains :

Je veux croire en aveugle, étant sous votre empire, Tout ce que vous aurez j la honte de me dire

(Molière, Les fâcheux).

Crois-tu qu'un juge n'ait | qu'à faire bonne chère ?

(Racine, Les plaideurs).

Quand ma partie a-t-elle | été réprimandée'?

(Id., IJnd.).

On s'étonne, on la presse; elle dit bonnement Que son hymen se va | conclure au firmament

(La Fontaine, Le fleuve Scamandre).

Comme l'esclave avoit ] plus de sens que la dame

(Id., La matrone cVEphèse).

Et pour moi dont Tâme est | ronde comme un cerceau

(Id., Ragotin).

Un petit homme veuf | d'une petite femme

(Id., Ihid.).

Ce n'est pas « veuf » qui est important pour La Fontaine, mais « d'une petite femme », car c'est avant tout la petitesse qu'il veut faire ressortir dans le portrait de Ragotin,

Qui, dans une petite et proche élection. Petitement possède une petite charge.

Chez V, Hugo le procédé atteint à la virtuosité :

Comme si de ces fleurs ayant toutes une âme, La plus belle s'était | épanouie en femme

(Hugo, Le sacre de la femme).

Et la lumière était ] faite de vérité

(Id., Ihid.).

52 LE REJET

Mais est-ce qu'on peut être [ offensé par son père ?

(Id., La paternilé).

Puissé-je encor ne pas | me réveiller pendu

(Id., Cromwell).

Donc je suis, c'est un titre à n'en point vouloir d'autres, Fils de pères qui font | choir la tête des vôtres

(Id., Ilernani).

Or ce lion était | gêné par cette ville

(Id., Les lions).

Avec ton dévouement, ta fureur, ta fierté. Et ton courag-e, ils ont | fait de la lâcheté

(Id., L'année terrible).

Et ces êtres n'ayant | presque plus face d'homme

(Id., Contemplations).

Il vit le brin de paille à ses pieds, qui semblait N'avoir pas même été | touché par la fumée

(Id.. Suprématie) .

Sachez qu'on ne doit pas pendre un bon gentilhomme ;

Et qu'il n'est dans ce monde, tous droits nous sont dus,

Que les vilains qui soient | faits pour être pendus

(Id., Marion de Lorme).

De ces divers types de rejets il n'y a pas lieu de séparer les contre-rejets. On dit qu'il y a rejet quand un élément syntaxique dépasse l'élément rythmique dans lequel il est contenu pour la plus grande partie, et l'on dit qu'il y a contre- rejet quand un élément syntaxique commence dans le vers ou dans l'hémistiche qui précède celui il est contenu pour la plus grande j)artie. Ce dernier aussi peut se produire tant au milieu du vers qu'à la fin, et à peu près avec la même valeur :

... Je médite Sur la terre bénie \ au fond des cieux, maudite Au fond des temples noirs par le fakir sanglant

(Hugo, Toute la li/re).

LE CONTRE-REJET

53

Or le nouveau marquis doit faire une visite

A l'histoire qu'il va continuer. La loi

Veut qu'il soit seul pendant la nuit qui le fait roi

(Id., Eviradnus).

Vient de s'enfuir, chargé \ de sa seule misère

(BoiLEAu, Satire I).

Toi-même tu te fais ton procès. Je me fonde

Sur tes propres leçons.

(La Fontaine, X, 2).

Ce n'est point le serpent, c'est l'homme. Ces paroles

Firent arrêter l'autre.

{\D.,Ih{d.).

Mes jours sont en tes mains, tranche-les; ta justice^

C'est ton utilité, ton plaisir, ton caprice

(In., Ihid.).

Le Sauveur a veillé | pour tous les yeux, pleuré

Pour tous les pleurs, saiqné \ pour toutes les blessures

(Hugo, Dieu).

Sans doute dans plusieurs de ces citations le mot ou les mots qui constituent le contre-rejet ne sont pas dénués d'importance, mais on trouverait aussi nombre des exemples que nous avons donnés pour le rejet les mots qui précèdent le rejet ne sont pas sans valeur. En réalité le contre-rejet n'est qu'une forme particulière du rejet, employée surtout quand la partie à reje- ter doit être longue ; si la partie qui précède la fin de vers ou la coupe et celle qui suit sont l'une et l'autre dignes d'inté- rêt, l'attention se porte sur toutes deux ; mais à j regarder de près c'est toujours la partie rejetée qui a le plus d'importance ; souvent même la première n'en a aucune, comme on le verra dans beaucoup des exemples suivants ; elle ne sert qu'à annon- cer le rejet. Quand Charles-Quint dit dans Hernani :

Oui, trois de mes cités de Castille ou de Filandre,

Je les donnerais ! sauf, | plus tard, à les reprendre

54 LE REJET

le mot « sauf », à lui seul, par la restriction qu'il annonce, peint tout le caractère du personnage ; mais cette restriction il ne l'énonce ni ne l'explique; si «sauf» est important, le rejet « plus tard, à les reprendre » est capital. Et quelle diffé- rence essentielle notera-t-on entre le dernier vers et celui-ci de Crornirell :

Je ne vois rien en vous qui soit à dédaigner

Et vous estime enfin | trop pour vous épargner.

Y a-t-il rejet ou contre-rejet dans ce vers de Marion de Larme :

C'était charmant ! Un jour | a fout perdu. Chère âme ! ou dans celui-ci de La confiance du marc/iiis Fabrice :

Fais-toi belle; un seigneur \ va renir ; il est bon.

En fait chacune des deux parties mises en italique a même importance.

Voici d'autres exemples tant du xv!!*" que du xix*" siècle :

On m'y hait, et je vol

Qu'on cherche à vous donner des soupçons de ma foi

(Molière, Tartuffe).

Oui, mon hère, je suis, \ un méchant, un coupable, Un malheureux pécheur tout plein d'iniquité. Le plus grand scélérat qui jamais ait été

(Id., Ibid.).

C'est un rejet de deux vers et demi.

Désormais c'est la partie rejetée que nous mettrons en ita- lique :

Je me dévouerai donc, s'il le faut; mais je pense | Qu'il est bon que chacun s'accuse ainsi que moi

(La Fontaine, VII, 1).

LE CONTRK-REJET I;T LE REJET 55

Par ma barbe, dit l'autre, il est bon ; et je loue | Les gens bien sensés comme loi

fl»., III, 5.)

Attendez les zéphyrs ; qui vous presse ? un corbeau j Toul à l'heure annonçoil malheur à quelque oiseau

(Id., IX, 2).

L'Etoile, oui, oui, ri']toile ; à ses regards la moelle Bout dans mes os, ainsi | qu'un feu bien apprêté Fait bouillir un bouillon. . .

(Id., Ragotin).

N'y souffrant rien, il a | gambadé de plus belle

{Id. Jbid.).

Je vous aime. Ce mot | me coûte à prononcer

(Corneille, Attila).

A tout prendre, ce n'est | la tromper quà demi

(Id., La place royale).

Ah ! Mon père, êtes-vous | content de raudience?

1 Racine, Les plaideurs).

\'ovez cet autre avec | sa face de carême

(Id., Ihid.).

Je meurs plus tard : voilà ] toul le fruit de ma feinte

(Id., Bajazet).

. . .Ah 1 mon frère, une femme | Aisément d'un mari peut bien surprendre Vàme

(MoLiÈKE, Tartuffe).

Vous me feriez damner, ma mère. Je vous di | Que fai vu de mes yeux un crime si hardi

(Id., Ibid.).

Un klephte a pour tous biens l'air du ciel, Teau des puits, Un bon fusil bronzé par la fumée, et puis | La liberté sur la montagne

(Hugo, Les orientales).

56 LE KEJET

Car tu m'as supporté trop longtemps, Ciir je suis | Mauvais, je noircirais ] les jours avec mes nuits

(Id., llernani).

Elle Tembrasse, et moi | je suis dans mon tombeau

(Id., Contemplations).

L'heure a sonné. Le bras | se lève pour punir

(Id., Cronnvell).

Hernani ! je vous aime et vous pardonne, et n'ai | Que de l'amour pour vous.

(Id., llernani).

Nous autres gens de cour, on nous croit têtes folles, Médisants, curieux, indiscrets, brouillons ; mais | Nous bavardons toujours et ne parlons jamais

(^Id., Marion de Lorme).

. . . Vous êtes brusque, mais | Je vous dois d'être en vie., et, s'il vous faut jamais

(Id., Ibid.).

Il ne croit à rien ; mais quel chaos d^âme obscur !

1 Id., Torquemada).

Il ne sera pas inutile pour tout le monde de noter que dans ce vers le tiret après « mais » est de V. Hugo.

Dénoncer, c'est mal ; mais | être rôti, cest pire

(Id., Ibid.).

Ce burg- les gêne. Ils ont | résolu de Vabattre

(Id., Welf, castellan d'Osbor).

Qu'il vive ! au couvent ! Mais ] s'il reparaît plus tard

(Id., Le petit roi de Galice).

Le gouffre attend. Il faut | que Vun des deux y tombe

(Id., Eviradnus).

REJETS A SUSPENSION 57

Tu le vantes. Tu n'es | que Vemneux de Dieu

(1d., Le satyre).

C'est le destin. Il faut | une proie au trépas

(Id., Orientales).

Alors tremblante, ainsi | que ceux qui font te m,il

(Id., Les pauvres gens).

Sûr. Sûr de tout hormis | cVavoir demain sa tête

(Id., Cronnvell).

Il reprit : Enjambez le mur et le fossé, Et restez ; ce point | est un peu menacé.^ Ce cimetière étant I la clef de la bataille. Gardez-le. Bien. Ayez | quelques hottes de paille. On n'en a point. Dormez | par terre. On dormira

(Id., Le cimetière d'Eylau).

Avons-nous, avec ces nombreux exemples, épuisé tous les types de rejet, signalé toutes les nuances délicates dont ils sont susceptibles? Nullement ; mais nous pensons en avoir suffisamment expliqué les principes et le mécanisme, pour que tous lescas particuliers deviennent facilement intelligibles. On comprendra par exemple que dans le passage suivant le rejet à l'hémistiche du mot «surtout » constitue une sorte de repos qui renforce le mot précédent en renvoyant sur lui l'at- tention :

On parle, on cause, on rit \ surtout ; - j'aime le rire. Non le rire ironique aux sarcasmes moqueurs. Mais le doux rire honnête.

(Id., Contemplations).

On ne sera pas embarrassé non plus par les rejets à suspen- sion dans lesquels les éléments attendus sont retardés par une proposition incidente :

Il en fait des dieux ; quitte, \ et je l'aime ainsi mieux, A faire des liards ensuite avec ces dieux

(Id., La colère du bronze).

58 LE REJET

Ce phénomène n'est pas étranger à la prose ; mais le rvthme des vers en double la valeur.

' On ne le peut pas ; mais, \ comme l'on sait son rôle, Qu'on peut ainsi que lui le jouer, si l'on veut Que Ton le représente à sa place, on le peut

(La Fontaine, Bagotin).

Qu'on le livre, ou ma main | va, sans que rien l'arrête, Avecque ce chenet, fendre plus d'une tête

(Id., IJnd.).

Il y a même dans ce genre des rejets à rebondissement, si l'on peut s'exprimer ainsi, le membre de phrase rejeté est interrompu par une proposition parenthétique qui ravive l'at- tente et donne lieu en quelque sorte à un nouveau rejet :

. J'ai tant de joie au cœur que maintenant j'ignore Si ce n'est pas heureux je ris, moi qui pleurais ! De te perdre un moment pour te ravoir après !

(Hugo, Le roi s'amuse].

III

LES VERS DE DOUZE SYLLABES AUTRES QUE L ALEXANDRIN CLASSIQUE A QUATRE MESURES.

A. Levers romantique.

A l'époque classique la coupe du milieu du vers est d'ordi- naire encore marquée à la fois par le rythme et par la syntaxe ; le mot qui fournit la sixième syllabe et celui qui fournit la septième n'appartiennent pas au même groupe grammatical. Quand ces deux mots sont étroitement unis par la syntaxe et que la coupe n'est plus marquée que par le rythme, il y a rejet à l'hémistiche ; c'est une des catégories de vers qui ont été étudiées au chapitre précédent. Quand, avec la même cohé- sion syntaxique, le rythme aussi cesse de marquer la coupe, il n'y a plus de coupe du tout ; c'est le vers romantique.

Le vers classique avait ordinairement trois coupes, qui répartissaient ses douze syllabes en quatre groupes ; le vers romantique, n'ayant plus la coupe du milieu, n'en a en général que deux, et ses syllabes sont groupées en trois mesures. On peut donc, pour éviter les périphrases, désigner ces deux vers de douze syllabes l'un par le nom de télramètre et l'autre par celui de trimètre.

Ce dernier a reçu le nom de vers romantique parce qu'il a été employé surtout par Victor Hugo et depuis lui. Sur son origine, on peut consulter Revue des lariff lies romanes, t. XL VI, p. 5 et suiv.

Le vers romantique n'est pas une transformation du vers classique, sans quoi ce dernier n'aurait pu réapparaître qu'ar- tificiellement à côté de lui. La chrysalide n'existe plus quand elle est devenue papillon. Loin d'être issus l'un de l'autre, ces deux types de vers sont la double postérité de l'ancien alexan-

60 LE VEKS ROMANTIQUE

drin, auquel ils remontent directement chacun de leur côté. Leur coexistence est donc toute naturelle, et en réalité le vers romantique n'a guère pris place à côté du vers classique que comme vers à effet.

Becq de Fouquières a parfaitement exposé les rapports théo- riques de ce mètre avec l'alexandrin classique ordinaire. Ayant d'une part le même nombre de syllabes que le tétra- mètre et d'autre part une mesure de moins, il est plus rapide approximativement d'un quart que le vers classique et sa durée totale est moindre approximativement d'un quart. On a rarement composé des pièces entières en trimètres roman- tiques. En somme « le vers romantique, comme le dit Becq de Fouquières, p. 102, n"a pas remplacé le vers classique, il s'est glissé dans ses rangs ; car, ce qu'il ne faut pas oublier, dans les œuvres des poètes modernes, les trois quarts des vers pour le moins sont assujettis aux rythmes classiques ».

L'arrivée d'un trimètre, c'est-à-dire d'un vers d'un autre type, après une série de tétramètres, produit forcément un cer- tain effet, tandis que dans une pièce tout entière en trimètres aucun d'eux ne pourrait être remarqué pour le fait d'être un trimètre.

L'introduction d'un trimètre dans une série de tétramètres constitue un changement de mètre. Tout changement de mètre, produisant un contraste, frappe et éveille l'attention qui se porte aussitôt sur ce mètre nouveau, c'est-à-dire sur les idées qu'il exprime. Ce n'est qu'un côté de la question : En quoi consiste ce changement de mètre ? en la substitution d'un mètre plus rapide à un mètre plus lent.

Voilà donc deux éléments que nous avons pu déterminer a priori : accroissement de vitesse et éveil de l'attention. Ils vont nous permettre de comprendre tous les efforts produits par l'introduction du rj^thme romantique dans le rythme clas- sique :

Nous avons vu plus haut, lorsque nous avons étudié la structure intérieure du vers, que l'emploi d'une mesure plus rapide était propre à exprimer la rapidité ; il est clair qu'il en

EXPRESSION DE LA RAPIDITÉ 61

est de même d'un vers plus rapide et que l'augmentation de vitesse qu'il apporte correspondra bien à la représentation d'un mouvement rapide, physique ou moral. En voici quelques exemples. La plupart des vers romantiques que nous citerons sont empruntés à V. Hugo ; il est à peu près le seul poète qui en ait fait un emploi judicieux et déterminé par l'idée à expri- mer. Chez les autres poètes modernes ils viennent le plus sou- vent au hasard et ne peuvent guère être considérés que comme des négligences, autorisées par un grand exemple mal compris. Dans ce cas ce sont de véritables vers faux.

De moment en moment le sort est moins obscur, Et l'on sent bien | qu'on est emporté | vers l'azur

(Hugo, Contemplations).

Le cheval | galopait toujours | à perdre haleine

(Id., Le petit roi de Galice).

Et souvent il avait dans le turf ébloui, Senti courir | les cœurs defemlmes après lui

(Id., Les trois chevaux).

Eniin, clans l'air brûlant et qu'il embrase encor, Sous le pistil géant qui s'érige, il éclate, Et rétami|ne lance au loin | le pollen d'or

(^Heredia, Fleur séculaire).

Ce trimètre est tout à fait justifié par le sens; malheureu- sement le vers se trouve dans un sonnet et le rend faux. Gomme l'a montré Becq de Fouquières, chapitre XVH, dans une strophe, et à plus forte raison dans un sonnet, qui ne repose que sur le parallélisme, les vers qui se correspondent doivent être isométriques.

D'autres, d'un vol plus bas croisant leurs noirs réseaux, Frôlaient le front baisé par les lèvres d'Omphale, Quand, ajustant au nerf la flèche triomphale, L'Archer superibe fît un pas | dans les roseaux

(II)., Styniphale).

62 LE VERS ROMANTIQUE

Le changement de rythme marqué par le trimètre est par- faitement propre à peindre le mouvement du héros ; mais il rend le sonnet faux comme le précédent.

Leur bouche, d'un seul cri, dit: Vive l'empereur ! Puis, à pas lents, | musique en tê|te, sans fureur, Tranquille, souriant à la mitraille anglaise, La garde impériale entra dans la fournaise

(Hugo, L'expiation).

Le mouvement de la garde est peint par le trimètre ; c'est un mouvement lent comme celui de l'exemple précédent. Si l'on nous objectait que nous avons annoncé tout à l'heure des mouvements rapides, on nous ferait une querelle de mots. Lorsqu'on a des scrupules, il faut toujours remonter aux prin- cipes. Or l'arrivée d'un trimètre après un tétramètre constitue une accélération, et est par conséquent propre à exprimer une aug-mentation de vitesse, c'est-à-dire le passage d'un mou- vement lent à un mouvement plus rapide, ou bien, comme ici, le passage de l'immobilité à un mouvement lent, à un mou- vement quelconque. Un trimètre succédant à un tétramètre peint un changement, par contraste ; c'est pourquoi dans ce dernier exemple le mouvement n'est pas exprimé par le vers qui contient le mot « entra», mais par celui qui nous montre que la garde s'ébranle, se met en marche ; au moment elle entre dans la fournaise, elle ne fait que continuer son mou- vement, elle ne le commence pas.

Le mouvement peut être en outre, comme nous l'avons vu plus haut dans notre étude sur l'emploi des mesures rapides, purement imaginaire ou moral :

Hélas ! vers le passé tournant un (i?il d'envie, Sans que rien ici-bas puisse m'en consoler. Je regarde toujours ce moment de ma vie je l'ai vue | ouvrir son aile | et s'envoler

Id., a Villequier).

GROUPEMENT SYNTHÉTIQUE 63

Et des vents inconnus viennent me caresser, Et je voudrais [ saisir le monde | et l'embrasser

(Leconte de Lisle, (il/iucé).

Faut-il que tant d'objets si doux et si charmants Me laissent vivre au gré de mon âme inquiète ! Ah ! si mon cœur | osoit encor | se rentlammer !

(La Fontaine, IX, 2).

2" « Toute augmentation de vitesse détermine une présen- tation plus rapide des idées et des images... D'autre part le temps pendant lequel nous pouvons considérer chaque élément d'idée ou chaque idée composante est devenu proportionnel- lement plus court... Une accélération nous fera donc sentir, par le resserrement des sons, le groupement plus étroit des idées ou des faits : en rapprochant les unités, elle nous fait éprouver la sensation de la collectivité » (B. de Fouquières, 337, 340). Le trimètre est donc particulièrement propre à con- tenir une énumération à trois termes qui envisage une question sous toutes ses faces, en épuise les aspects ; grâce au rappro- chement synthétique à l'accélération, il fait de ces trois termes un tout, une unité qui résume la question:

Et quel plaisir de voir, sans masque ni lisières, A travers le chaos de nos folles misères, Courir en souriant tes beaux vers ingénus. Tantôt légers, | tantôt boiteux, | toujours pieds nus !

(Mjjsset, Sur la paresse).

« Le dernier vers est délicieux de légèreté et de vivacité », dit Arvède Barine dans son étude sur A. de Musset. Noter que les trimètres sont extrêmement rares dans les Poésies nouvelles.

Faisait sortir l'essaim des êtres fabuleux

Tantôt des bois, | tantôt des mers, | tantôt des nues

(HiGo, Le sacre de la femme).

64 LE VERS ROMANTIQUE

el tous ces morts, saignant

Au loin, d'un continent à l'autre continent, Pendant aux pals, | cloués aux croix, } nus sur les claies

(Id., Sultan Moiirad).

Il est sans peur, | il est sans feinte, | il est sans tache

(Id. , La paternité).

Il est cynique, | il est infâme, | il est horrible

(Id., La pitié suprême) .

Rois, je sens que tout ment, demain trompe aujourd'hui, Le jour est lou/che, l'air est fuyant, | l'onde est lâche

(Id., Le détroit de VEuripe).

Avoir du combattant l'éternelle attitude, Vivre casqué, | suer l'été, | geler l'hiver

(Id., Le petit roi de Galice).

Je jure de garder ce souvenir, et d"être

Doux au faijble, loyal au bon, | terrible au traître

(lD.,//)ic/.).

Toujours la nuit! | jamais l'azur ! | jamais l'aurore !

(Id., Contemplations).

Elle est la terre, | elle est la plaine, | elle est le champ

(Id., La Terre).

Ah ! les oaristys ! les premières maîtresses ! L'or des cheveux, | lazur des yeux, | la fleur des chairs (Verlaine, Poèmes saturniens).

Heureux d'ê|tre, joyeux d'aimer, | ivres de voir

(Hugo, Le sacre de la femme).

Ne plus penser, | ne plus aimer, | ne plus haïr

(Th. Gautier, Théhaïde).

A la très belle, à la très bonne, à la très chère

f Baudelaire') .

MIS?: EIN RELIEF 65

Si nous nous rappelons en outre que Tarrivée d'un tri- mètre après une série de tétramètres, surprend l'esprit par le contraste qui en résulte, éveille l'attention et l'obligea s'appli- quer sur ce trimètre même, nous comprendrons que le trimètre, mettant en un relief singulier l'idée qu'il exprime, est tout désigné pour contenir l'idée la plus importante d'une tirade, celle qui la résume, qui la conclut, l'idée la plus grandiose ou la plus inattendue, l'élément qui contient la quintessence de l'idée, le fait ou l'image qui produit une antithèse avec ce qui précède, en un mot l'idée destinée à frapper l'esprit du lecteur ou de l'auditeur. En voici des exemples variés :

Aimer est le grand point, quimporte la maîtresse? Qu'importe le flacon, pourvu qu'on ait l'ivresse : Faites-vous de ce monde un songe sans réveil. S'il est vrai que Schiller n'ait aimé qu'Amélie, Gœthe que Marguerite, et Rousseau que Julie, Que la tejrre leur soit légère ! | Ils ont aimé

(Musset, La coupe et les lèvres).

Ils ont bouleversé la mer, troublé ses flots. Et dispersé si loin devant eux les écumes Que l'eau de THellespont va se briser à Gumes, Je sais cela. | Je sais aussi | qu'on peut mourir

(Hugo, Le délroit de VEuripe).

C'est la fin du discours de Thémistocle.

Une fraternité vénérable germait ;

L'astre était sans orgueil et le ver sans envie ;

On s'adorait | d'un bout à rau|tre de la vie

(Id., Le sacre de la femme).

Et viennent opposer au passage d'un crime Le Christ immense | ouvrant ses bras | au genre humain

(Id., L'aigle du casque) ;

M. GitAMMONr. Le vers français. b

66 LE VERS ROMANTIQUE

idée grandiose et contraste.

Ayant levé la tête au fond des cieux funèbres

Il vit un œil, | tout g'rand ouvert | dans les ténèbres,

Et qui le regardait dans l'ombre lixement

(Id., La conscience).

C'est le sujet même de la pièce.

Que l'homme ait le repos et le bœuf le sommeil ! Vivez ! croissez ! \ semez le grain | à l'aventure ! Qu'on sente frissonner dans toute la nature, Sous la feuille des nids, au seuil blanc des maisons, Dans l'obscur ti'emblement des profonds horizons, Un vaste emportement iVaimer., dans l'herbe verte, Dans l'antre, dans l'étang, dans la clairière ouverte, D'aimer sansfin, | d'aimer toujours, | d'aimer encor. Sous la sérénité des sombres astres d'or

(Id., Contemplations).

L'idée essentielle est croissez et multipliez, aimez ; c'est celle qui est exprimée dans les deux trimètres ; le second rentre d'ailleurs dans notre deuxième catégorie.

Les croyants dévorés dans les cirques sonores, Râlaient un chant, | aux pieds des bèltes étouffés

(Id., Ihid.).

Idée frappante destinée à montrer que les martyrs ne se sont pas trouvés malheureux.

Dans la pièce de Hugo intitulée Suprématie, le trimètre apparaît plusieurs fois dans des situations analogues : le puis- sant dieu Vàyou ayant dit à la « clarté » que rien ne pouvait lui résister, qu'il pouvait tout emporter,

L'appai'ition prit un brin de paille et dit:

Emporte ceci, Puis, avant qu'il répondît.

Elle posa | devant le dieu | le brin de paille.

LKS IRIMÈTRES DE V. HUfiO 67

Le premier de ces trois vers n'est pas un trimètre, mais il demande une observation. Le mot « prit » y remplit une mesure et a par conséquent une importance considérable ; est- ce pour mettre en relief ce qu'il y a d'extraordinaire à voir une « clarté » prendre ([uelque chose ? ce serait un elTet du plus mauvais g-oût. La valeur exceptionnelle donnée à ce mot par le rythme et la faiblesse de la coupe qui le suit, est destinée simplement à attirer l'attention sur l'objet que l'apparition va opposer aux efforts monstrueux du dieu: « un brin de paille ». Mais le troisième vers est un trimètre parce qu'il énonce le fait quinoue le sujet. Après la description des effortsde Vâyou, cet autre trimètre :

Le brin de paille | aux pieds du dieu | ne bougea pas

est une conclusion.

Il est donc possible, à notre avis, de distinguer trois caté- gories de trimètres. Il serait facile de multiplier les exemples de la deuxième catégorie ; il n'en est pas de même des deux autres ; elles ne sauraient être enrichies d'exemples assez peu nombreux qu'au prix de lectures étendues et minutieuses. Nous sommes loin d'être d'accord sur ce point avec Becq de Fou- quières, Renouvier et quelques autres, qui trouvaient des tri- mètres en si grande abondance. La cause de leur erreur n'est pas mystérieuse ; ils ont pris pour des trimètres tous les alexandrins qui ont un rejet àl'hémistiche. Cette classe, qui a été étudiée au chapitre précédent, est ancienne et très lar- gement représentée. Lorsqu'on l'a mise à part, il reste parmi les alexandrins chez lesquels la sixième et la septième syllabes sont étroitement unies par la syntaxe, relativement peu de chose pour les trimètres. Certains ont même pu croire qu'il ne restait rien, du moins chez V. Hugo (A. Rochette, L'alexan- drin chez V. Hugo). C'est une autre erreur. Un de leurs prin- cipaux arguments, c'est que V. Hugo s'est toujours élevé vio- lemment contre ceux qui supprimaient la coupe après la sixième svllabe. Diverses anecdotes nous font connaître son

6S LE VERS ROMANTIQUE

opinion sur ce point. Telle la suivante : « J'ai souvenir, dit Lesclide dans ses Propos de Table, d'une sorte d'épouvante qui s'empara de lui, quand je lui montrai, dans un de ses poèmes, un vers ternaire, qui n'avait cependant rien d'effrayant. Il était à peu près construit ainsi :

Dans les palais, dans les châteaux, dans les chaumières.

Non seulement il changea le vers, mais il me fit des remer- ciements très vifs de lui avoir signalé cette négligence » .

Ces faits vont à l'encontre de la démonstration qu'on en veut tirer. Si V. Hugo a jamais laissé échapper un trimètre comme celui-là, s'il a pu écrire dans un premier mouvement :

Moi pas. Par exemple il j faudra travailler ferme \

il est bien certain que pareille mésaventure ne serait pas arrivée à Racine, par exemple. S'il a corrigé ces vers, c'est qu'il était l'ennemi conscient du trimètre, mais s'il a pu les produire, c'est qu'il en était l'ami inconscient. Qu'il n'ait pas voulu ou pas cru faire de trimètres, il n'y a aucune raison de le contester ; mais lorsqu'on étudie théoriquement les vers d'un poète, bien que Ton ne doive jamais négliger ce que l'on peut savoir de ses opinions et de ses intentions, la principale chose à considérer en définitive, c'est ce qu'il a fait en réalité. Or des vers tels que celui de Lesclide, V. Hugo en a fait beaucoup, comme celui-ci qui est le type même du trimètre :

Mon bien aimé, mon bien aimé, mon bien aimé!

[Fin de Satan).

S'il a toujours gardé scrupuleusement une séparation de mots après la sixième syllabe, c'est de sa part une simple observance matérielle à laquelle il n'a pas cru pouvoir se sous-

1. Corrigé ensuite en :

Moi pas. Ah ! par exemple, il faudra travailler

(Les quatre vents de Vesprit).

TRIMÈTRES ANNONCÉS 60

traire. Il n'a jamais supprimé carrément la coupe de l'hémis- tiche, mais il l'a réduite à zéro, ce qui théoriquement n'est pas la même chose ; il g-arde une trace de cette coupe par le fait qu'il en laisse subsister la place. C'est dire qu'il a été dupe d une illusion au point de vue théorique ; mais, et c'est le seul point qui vraiment nous importe, il ne s'est jamais trompé sur la valeur pratique de ces vers que nous appelons des trimètres. Au reste le contraire serait surprenant de la part d'un artiste qui a manié avec tant de maîtrise les efï'ets de versification. La preuve qu'il a bien senti que ces vers avaient une vertu particulière et produisaient une impression spéciale, c'est qu'il ne les a jamais laissés apparaître au hasard dans son œuvre. Ils ne se présentent que lorsque le poète a une intention^ et toujours ils sont annoncés, préparés, décelés par leur entourage. On a noté par exemple qu'ils sont d'ordi- naire précédés devers rythmés d'une manière particulièrement ferme selon le mode classique. Nous ajouterons qu'il se sert assez souvent pour les annoncer, surtout lorsqu'il arrive à la fin d'un développement, d'un contre-rejet qu'il place dans le vers précédent. C'est le plus frappant des procédés qu'il emploie à cet usage :

Je jure de garder ce souvenir, et d'être

Doux au faijble, loyal au bon, ] terrible au traître

[Le petit roi de Galice).

Ayant reçu de Dieu des créneaux le soir L'homme peut, d'embrasure en embrasure, voir Etinceler | le fer de lanjce des étoiles

[Le régiment du baron Madruce).

L'apparition prit un brin de paille et dit :

Emporte ceci, Puis, avant qu'il répondît,

Elle posa | devant le dieu | le brin de paille

(Suprématie).

Or le nouveau marquis doit faire une visite

A l'histoire qu'il va continuer. La loi

Veut qu'il soit seul [ pendant la nuit | qui le fait roi

[Eviradnus).

70 LE VERS ROMANTIQUE

Mais on n'a pas toujours une indication aussi nette, et d'autre part beaucoup de contre-rejets n'annoncent aucun trimètre. Dès lors la question se pose : Parmi les vers qui n'ont pas de coupure syntaxique après la sixième syllabe à quoi reconnaît-on les trimètres ? Simplement et uniquement à ce qu'ils n'ont pas de rejet à l'hémistiche. Dans les vers qui ont un rejet après la sixième syllabe, les mots qui commencent le second hémistiche ou cet hémistiche tout entier ont un relief particulier et par conséquent une importance spéciale. Ce n'est pas le cas dans les trimètres. Dans celui-ci :

Pendant aux pals, cloués aux croix, nus sur les claies,

« aux croix » n'a pas plus et ne mérite pas plus de relief que « aux pals » ou « sur les claies » . Observation analogue sur :

Vivre casqué, suer Tété, geler Thiver.

Si dans quelques-uns des trimètres à trois termes parallèles on peut saisir une progression, elle tient aux idées exprimées, non à la nature du vers, et il y a gradation du deuxième terme au troisième comme du premier au deuxième, mais non pas mise en évidence du deuxième :

Il est cynique, il est infâme, il est horrible.

On a donc à compter d'abord parmi les trimètres tous les vers sans coupure syntaxique à l'hémistiche qui contiennent une énumération à trois termes parallèles. Toutefois il y a lieu de mettre à part, comme on le fera plus loin, ceux dans lesquels chacun des trois termes se subdivise en deux mesures, et qui par suite sont des hexamètres.

Pour les deux autres catégories de trimètres que nous avons distinguées, la détermination est beaucoup plus difficile. Gomme la forme n'indique rien, on ne peut s'en rapporter qu'à l'étude attentive du fond. Il faut, pour chaque cas, exa- miner de très près le texte et le contexte, voir quel est le

DÉTERMINATION DES TRIMÈTRES 71

genre d'effet qui s'adapte le mieux à l'idée exprimée, et si le poète a voulu mettre en relief un mot, une expression, ou le vers tout entier :

A Toulon, le fourgon les quitte, le ponton

Les prend; sans vêtements, sans pain, sous le bâton

[Les chàtimenls).

Les deux propositions « le fourg-on les quitte » et « le pon- ton les prend » sont rig-oureusement parallèles ; dans la seconde « les prend » est un rejet du premier vers, donc dans la première « les quitte » est un rejet du premier hémistiche, et le premier de ces deux vers n'est pas un trimètre. Si on lit en trimètre le second de ces deux vers :

Ils mettent l'aiFreux bât de la bête de somme A des esprits, | comme eux pensant, | comme eux vivant

[Les quatre vents de Vesprit),

on le met en relief par le fait, puisqu'il vient après un tétra- mètre. Mais c'est une lecture brutale qui supprime toutes les nuances, et qui apporte à ce vers une allure rapide en désac- cord avec les idées qu'il exprime. Si l'on veut donner à chaque mot sa valeur réelle, on le lira en cinq mesures :

A des esprits, | comme eux | pensant, | comme eux | vivant ;

alors (( pensant » et « vivant » auront toute la signification dont ils sont susceptibles, et non seulement ces deux mots, mais aussi l'expression « comme eux » ; et cet effet sera bien moins au ralentissement du débit obtenu par cette nou- velle division qu'à l'attente suscitée par l'accent rythmique du mot « eux » et au changement d'intonation sur les mots « pensant » et « vivant » qu'exige la faiblesse de la coupure syntaxique placée devant eux.

Mais en tout cas qu'il fût tout ce qu'il pouvait être, C'était I un garnement | de dieu | fort mal famé

[Le satyre).

72

LE VERS ROMANTIQUE

C'est une conclusion, et nous savons qu'un trimètre convien- drait parfaitement ; mais l'expression « un garnement de dieu » en une seule mesure serait vulgaire et passerait inaperçue. Le tétramètre la détaille et en faisant un rejet des deux mots « de dieu » met parfaitement en relief tout ce qu'il v a de pitto- resque et de hardi dans cette alliance de mots. Et puis, en trimètre, la première mesure « C'était » serait sans importance; or, tandis que dans le vers à rejet à l'hémistiche ce n'est qu'un mot ou quelques mots qui ont une importance particulière, dans le trimètre c'est le vers tout entier qui est important, c'est chacune des trois mesures qui le composent.

Qu'après avoir dompté l'Athos, quelque Alexaudre Aille donc | relever | sa robe | à la Jun^frau 1

[Le régiment du baron Madruce).

En trimètre c'est presque une inconvenance; en tétramètre c'est une idée inattendue et une image grandiose qui s'accorde bien avec le reste de la pièce.

Parfois l'hésitation est permise et les deux lectures sont à la rigueur possibles :

Un crapaud | regardait le ciel, | bête éblouie

{Le crapaud).

C'est une idée surprenante, la forme du trimètre lui convient. Mais celle du tétramètre

Un crapaud | regardait | le ciel, j bête éblouie

n'ôte rien à l'inattendu de l'idée et annonce bien mieux le sujet de la pièce par le relief qu'elle donne aux mots « le ciel » ; le ciel c'est la pureté, lui c'est l'être immonde, le ciel c'est l'espérance, lui c'est le paria, le ciel c'est la charité, lui c'est le réprouvé qui va être en butte k la haine.

Si l'on veut bien relire maintenant les vers que nous avons cités comme trimètres dans notre première et notre troisième catégories, on reconnaîtra aisément que pour la plupart cette

TRI M ÊTRES DU XVU'" SIÈCLE 73

lecture se justifie par d'excellentes raisons tandis que parfois la lecture en tétramètres fausserait le sens :

L'Archer superbe lit | un pas \ dans les roseaux.

Ce rejet ferait tellement ressortir « un pas » qu'il semblerait que le poète a voulu insister sur ce fait que l'archer n'a pas fait « deux » pas. Ce serait un contresens. Dans le vers :

Puis à pas lents, musique | en ^elte, sans fureur,

cette décomposition d'une expression toute faite et la mise en relief du mot a en tête » sug'gérerait par antithèse l'idée tri- viale d'une position contraire.

Y a-t-il des trimètres avant les poètes romantiques ? Cer- tainement; en voici deux de d'Aubig-né :

Traîner les pieds, | mener les bras, | hocher la teste

[Les tragiques).

Jamais le bien, | jamais rançon, | jamais la vie

( Vengeances).

En voici un de Corneille, dans Suréna :

Toujours aimer, | toujours souffrir, | toujours mourir.

Plus haut, p. 63, on en a vu un de La Fontaine; en voici deux autres :

Que de portes ! | quel bruit de clefs ! | quel tintamarre !

(Le Florentin).

Maudit château ! | maudit amour ! | maudit voyage !

[Ragotin).

Mais au xvii'' siècle ils sont à peu près exclus des genres nobles. Racine en a peut-être quelques-uns dans Les plaideurs, c'est-à-dire dans sa comédie ; mais il n'en a sûrement aucun

74

LE VERS ROMANTIQUE

dans ses trag-édies. Ceux que certains ont cru y reconnaître ne résistent pas à un examen attentif. Ce sont tous des tétra- mètres à césure faible, ayant pour etîet de mettre en relief les premiers mots du second hémistiche ou le second hémistiche tout entier, comme ceux que nous avons cités aux p. 28, 45, i-7, 48 .Dans son livre sur L'évolution du vers français au XVII'^ siècle, M. Souriau a essayé de démontrer qu'il y a des trimètres dans les tragédies de Racine, mais il n'y a nullement réussi. Les lectures qu'il propose n'ont pour effet que de supprimer toutes les nuances. Même levers du rôle de Monime qu'il cite avec les commentaires si caractéristiques de Brossette et de Du Bos, vient à l'encontre de sa thèse. Racine, rapporte Du Bos, avait appris à la Champmeslé « à baisser la voix en pronon- çant les vers suivants, et cela encore plus qu« le sens ne semble le demander :

Si le sort ne m'eût donnée à vous. Mon bonheur dépendoit de l'avoir pour époux. Avant que votre amour m'eût envoyé ce gage, Nous nous aimions,

afin qu'elle pût prendre facilement un ton à l'octave au-dessus de celui sur lequel elle avait dit ces paroles :

Nous nous aimions,

pour prononcer à l'octave :

Seigneur, vous changez de visage.

Ce port de voix extraordinaire dans la déclamation étoit excellent pour marquer le désordre d'esprit Monime doit être dans l'instant qu'elle aperçoit que sa facilité à croire Mithridate, qui ne cherchoit qu'à tirer son secret, vient de jeter elle et son amant dans un péril extrême ». M. Souriau ajoute (p. 440) : « On remarquera que dans ce passage l'hémis- tiche disparaît à cause de cet artifice de diction». En aucune manière; il n'y a pas d'arrêt après (( nous nous aimions », il y a

TRIMKTRES INJUSTIFIÉS 75

seulement un brusque changement de ton. Ce mot « Seij^neur » vient comme un cri couper et interrompre son récit jusque paisible, et s'il y a un léger repos, une légère suspension de la voix dans ce vers, c'est après ce mot « Seigneur », c'est-à- dire à la coupe de l'hémistiche. En prononçant les mots (( nous nous aimions» elle remarque dans la physionomie de Mithri- date un mouvement subit qui lui arrache instantanément et comme malgré elle ce cri « Seigneur», et c'est en poussant ce cri, quelle comprend la ruse dont elle a été dupe et embrasse les conséquences de sa crédulité ; d'où l'arrêt, extrêmement court d'ailleurs, qui peut séparer ce mot « Seigneur » des sui- vants.

Chez les contemporains et surtout chez les successeurs de V. Hugo les trimètres ne sont pas rares; mais aucun n'a su manier cet instrument avec autant de virtuosité. Leurs tri- mètres sont rarement justifiables par le sens, et trop souvent ils ne peuvent être considérés que comme des négligences, voire comme de simples vers faux. En voici quelques exemples :

Respecte, ô Voyageur, si tu crains ma colère, Cal humble toit | de joncs tressés | et de glaïeul

(Heredia, Hor forum deus).

Cet andalou | de race arabe, | et mal dompté, Qui mâche en se cabrant son mors ensanglanté

(Id., Les conquérants de Vor).

Et le beau carnassier qui ne va que par couples Et qui I par dessus tous les félins | est cité

(Id., IJnd.).

J'ai forcé ce ragot; je t'en offre la hure ! Ruyz dit, et tend le chef livide et hérissé Qu'il tient empoigné par l'horrible chevelure

(Id., La revanche de Diego Laynez) ;

76 LE VERS ROMANTIQUE

on ne sait comment couper ce dernier vers. Le suivant n'est pas meilleur :

En Tan mil et cinq cent vingt-quatre, avec cent hommes

(Id., Les conquérants de Vor).

Le premier vers de Cromicell est peut-être pire :

Demain, vingt-cinq juin mil six cent cinquante sept.

Ces derniers exemples, à proprement parler, ne sont pas des vers. Il ne sufïit pas pour faire un vers d'aligner douze syllabes l'une après l'autre; il faut que ces douze syllabes soient rythmées et même que le rythme soit net. Ces vers n'ont pas de rythme.

Mais il n'est nullement nécessaire pour qu'un trimètre soit bon qu'il soit construit exactement comme ceux que nous avons cités. Le trimètre romantique n'est qu'une étape dans l'évolution de l'alexandrin classique. V. Hugo s'est astreint à y conserver toujours une séparation de mots après la sixième syllabe, et à ne pas mettre devant cette séparation un mot essentiellement atone, comme un article, ou surtout un e posttonique. D'autres poètes ont renoncé à ces observances, qui n'étaient qu'un reste et un rappel d'une phase antérieure. Voici cinq exemples qui sont aussi bien rythmés que n'im- porte lesquels de V. Hugo :

Sur les murailles, | sur les arbres, | sur les toits

(Leconte de Lisle).

Serait-ce point | quelque jugement | sans merci?

(ID.).

C'est maintenant | que j'aime mieux, | que j'aime bien !

(E. Rostand, Cyrano).

Que tous ceux | qui veulent mourir | lèvent le doigt

(lD.,//j/ty.).

PENTAMÈTRES 77

Mais je marche sans rien sur moi ([ui ne reluise, Empanaché | d'indépendance | et de franchise

(1d., IhicL).

B. Pentamètres et hexamètres.

Les tétramètres et les trimètres ne sont pas les seules formes rythmiques que puisse prendre l'alexandrin. On doit recon- naître aussi des pentamètres et des hexamètres. Ce sont des vers de douze syllabes avant les premiers cinq mesures et les seconds six. Tandis que le trimètre est plus court et plus rapide que le tétramètre, ceux-ci sont plus long-s et plus lents. Les effets que Ton obtient par leur emploi sont exactement le contraire de ceux qui sont dus au trimètre. Avec le trimètre nous avions augmentation de vitesse et par conséquent présen- tation plus rapide des idées et des images ; ici nous avons diminution de vitesse correspondant à une présentation plus lente des idées et des images ; en même temps il y a accrois- sement proportionnel du temps pendant lequel nous pouvons considérer chaque idée partielle ; en se desserrant dans l'espace, chaque élément de l'idée croît en importance, les détails se précisent. En un mot le trimètre rapproche les idées en une sorte de synthèse, le pentamètre et l'hexamètre les écartent et les analysent.

Voici d'abord des exemples de pentamètres ; après ce que nous venons de dire, ils se passeront aisément de commen- taire. Ils sont d'un usage courant à la période classique, mais pourtant beaucoup plus fréquents chez les modernes :

L'heuire, le lieu, | le bras | se choisit | aujourd'hui

(Corneille, Cinna).

Ton nom | demeurera | grand, | illusltre, fameux

(Id., Horace).

Le lait tombe ; | adieu veau, | va[che, cochon, | couvée

(La Fontaine, VII, 10).

78 PENTAMÈTRES ET HEXAMÈTRES

Le hibou repartit : Mes petits sont mignons, Beaux, | bien faits, | et jolis | sur tous | leurs compagnons

(Id., V, 18).

Buvez, I mangez, | dormez, | el faisons | feu qui dure

(Racine, Les plaideurs).

Beauté, | gloi|re, vertu, | je ti'ouve tout | en elle

(Id., Bérénice).

Content | de son hymen, | vaisseaux, | arjmes, soldats. Ma foi lui promit tout, et rien à Ménélas

(Id., Iphigénie).

Femmes, | vieillards, | enfants, | s'embrassant | avec joie. Bénissent le Seigneur et celui qu'il envoie

(Id., Afhalie).

Les hojmmes sont ingrats, | méchants, | menteurs | jaloux (Hugo, Les rayons et les ombres).

Huit jours encore | onéreuse, | on sape, | on fouille, | on sonde

( Id. , Gai/fer-Jorge) .

Le faune, haletant parmi ces grandes dames. Cornu, I boiteux, | difforme, | alla droit | à Vénus

(Id., Le satyre).

Et pas à pas, ] Roland, | sanglant, | terri|ble, las, Les chassait devant lui parmi les fondrières

(Id., Le petit roi de Galice).

Le porc et le sultan étaient seuls tous les deux ; L'un torturé, j mourant, | maudit, | infect, | immonde ; L'autre, | empereur, | puissant, | vainqueur, | maître du monde

(Id., Sultan Mourad).

Celui qu'en bégayant nous appelons Esprit, Bonté, I Force, | Equité, | Perfection, | Sagesse, Regarjde devant lui, ] toujours, | sans fin, | sans cesse

(Id., Ihid.).

HEXAMÈTRES 79

Voici quelques exemples d hexamètres ; ils sont d'un emploi plus rare :

Roi, I prè|tres, peuple, | allons, | pleins | de reconnoissance De Jacob avec Dieu confirmer lalliance

(Racine, Athalie).

Je ne dirai qu'un mot. La fille qui m'enchante,

No|ble, sa|f^e, modeste, | humble, | honnê|te, touchante,

N'a pas un des défauts que vous m'avez fait voir

(BoiLEAu, Satire X).

Triste, I à pied, | sans laquais, | maijgre, sec, | ruiné

(1d., Ibid.),

Debout sur le tréteau qu'assiège une cohue

Qui rit, I bâille, | applaudit, | tempe] te, si|ffle, hue

(Hugo, Châtiments).

Fuyards. 1 blessés, ) mourants, ) caissons, | brancards, | civières, On s'écrasait aux ponts pour passer les rivières

(Id., V expiation).

Il pense, | il règle, j il mène, | il pèse | il juge, | il aime

(Id., Légende des siècles).

Charge, | emplois, | honneurs, | tout | en un instant | s'écroule

(Id., Buy-Blas).

Pâle, I éploré, | sanglant, | fouetté, | percé, ' meurtri

(Id., Fin de Satan).

Errant, | roulant, | brisant, | sapant, | taillant, | courbant

(Id., Dieu).

Jalouse, I avare, | impure, | avide, | lâche, | vaine

(Id., Toute la lyre)-

Santé, I bonheur, | beauté, | grandeur, | victoi|re, joie

l'In., Zim-Zizimi).

80 PENTAMÈTRES ET HEXAMÈTRES

Aujourd'hui le voilà dans cette Forêt-Xoire, Le dogme ! Ignace ordonne ; il est prêt à tout boire, Le faux, | le vrai, | le bien, | le mal, | l'erreur, | le sang !

(Id., Uart d'être grand-père).

Ah ! rè|gle-t-il pas tout ? | paix, | guerre, | états, | finances?

(Id., Marion de Lorme).

Il m'appelait | princesse, | objet, | nymjphe, reine, | ange

(Id., Cromwell).

Haine, | amour, | fange, | esprit, | fièvre, | elle participe

{\d., Toute la lyre).

Griffo|nne, va, | vient, | court, | boit l'enjcre, rend du fiel

(Id., Les châtiments).

Il y a même des heptamètres et des octomètres ; ils sont rarement heureux ; ce sont des vers trop longs, sur lesquels le lecteur peine et s'essouffle :

Haine, | hiver, | guelrre, deuil, | pes|te, famine, | ennui

(Id., Vannée terrible).

Amours, | vertus, | fureurs, | hym| nés, cris, | plaisirs, | peines (Id., La trompette du jugement).

Vrai, I faux, | pourpre | et haillon, | le carcan, ] Tauréole, Jour I et nuit, ] vie [ et mort, | oui, | non, | navette folle

(Id., Dieu).

Plaisir, I Tourment, | Enfer] et Ciel, | Bien, | Mal, | Oui, | Non (Id., Les quatre vents de V esprit).

Nais, I grandis, ( rêlve, souffre, | ai|me, vis, | vieillis, | tombe

( I d . , Conte mp lations).

Parmi les hexamètres il en est certains (auxquels nous avons fait allusion plus haut, p. 70), qu'il est bon de signaler à part. Nous les appellerions volontiers des trimètres-hexamètres.

TRIMÈTRES-HKXAM ÊTRES 81

Ce sont des trimètres par la syntaxe et des hexamètres par le rythme. Ils appartiennent à notre deuxième catégorie de tri- mètres en ce qu'ils contiennent une énumération à trois termes parallèles, mais au lieu d'être synthétiques, ils sont analytiques. Chacun des trois membres se divise en deux parties qu'il y a lieu de mettre en relief en donnant à chacune un accent ryth- mique et en constituant avec chacune une mesure :

Dormez, | vertus, || dormez, | soufTran || ces, dormez, | crimes

(Hugo, Le pape).

Il faut I qu'il marche 1 I| Il faut | qu'il roule I || Il faut | qu'il

[aille I (Id., Cromwell,.

Le haut, | le bas, || le vrai, | le faux, || le mal, | le bien

(Id., Toute la lyre).

Ni beau I ni laid, || ni haut | ni bas, || ni chaud | ni froid

(Id., L'année terrible).

De blanc, | de noir, || de faits, | de vents, || de vieux, | de neuf

(Id., L'âne).

Dieu I c'est la raison, || Dieu | c'est lamour, || Dieu | c'est l'être (Id., Les quatre vents de l'esprit).

Va-t'en, | bourreau ! || va-t'en, ( juge! || fuyez, | démons!

(Id., Contemplations).

Mourez, I vivants ! |i croulez, | murs ! || séchez-vous, | sillons !

(Id., Fin de Satan).

Satan | |1 gne, le mal | fait loi, || l'enfer | c'est l'ordre

(Id., Le pape).

Descends, \ Char||les, descends, | Frédéric, || descends, | Pierre (Id., La pitié suprême).

Le savant | brait, || le roi | rugit, || le manant | beugle

(Id., Dernière gerhe). M. GiiA>i.Mi)\T. Le rers français. G

82 PENTAMÈTRES ET HEXAMÈTRES

Les fleurs | au frout, || la boue | aux pieds, || la haine | au cœur

[Id., Chants du crépuscule).

Le siècle | ingrat, || le siècle | alTreux, |] le siècle | immonde

(Id., Légende des siècles).

^'oyez I le roi. || Voyez | Colys. || Voyez | mon père ; Fléchissez, triomphez, bravez

(Corneille, Agésilas).

Gardiens | des monts, |1 gardiens | des lois, || gardiens | des villes

(Hugo, Les trois cents).

Reprends | ce corps, ]] reprends] ce sein, || reprends) ces lèvres

(Id., V épopée du ver] .

Sauvant | les lois, || gardant | les murs, || vengeant | les droits (Id., La confiance du marquis Fabrice).

Il bri|se Rome, || il tue | Athène, || il détruit | Sparte

(Id., Religions et religion).

Le sceptre | est vain, || le trône | est noir, || la pourpre | est vile

(Id., Le pape).

L'amour | qui veut, 1| l'espoir | qui luit, || la foi | qui fonde

(Id., Uart d'être grand-père).

Il y a aussi des vers qui ne sont pas des hexamètres, dans lesquels certaines expressions peuvent être groupées deux à deux ; mais c'est sans importance :

Va, I vient, || mon|te, descend, || féconde, | enflamme, | emplit

(Id., Fin de Satan).

Veille I ou dors, || viens | ou fuis, || nie | ou crois, || prends |

[ou laisse (Id., Dieuj.

TRIMÈTRES 01" IIEXAMKTRES 83

Durandal flamboyant semble un sinistre esprit ; l'allé va, I vient, || remonte | et tom||be, se relève, Sabal, et lait la fêle elïrayante du glaive

(Id., Le petit roi de Galice).

Ce qui par contre est capital, c'est, lorsqu'on est en face d'un trimètre syntaxique, de savoir s'il faut le rythmer en tri- mètre ou en hexamètre. L'une ou l'autre lecture en chang-e complètement l'efPet et la valeur. Seul un examen très attentif du contexte permet de trancher la question. Lorsque Dona Sol supplie Hernani delà laisser le suivre, il rassemble comme en un faisceau pour les lui présenter toutes en même temps les raisons qu'il croit capables de lui faire comprendre qu'elle doit le laisser fuir seul. C'est un trimètre synthétique :

Je suis banni ! | je suis proscrit ! ] je suis funeste !

{Acte II, scène 4).

Quand, dans Le parricide, le poète a rappelé en 25 vers tous les hauts faits de Kanut, il résume vivement le tout et le syn- thétise dans ce trimètre :

11 fut héros, I il fut géant, | il fut génie.

Mais quand, dans Le petit roi de Galice, Pacheco énumère les fatigues incessantes du prince g-uerroyeur, qui doit toujours aller de l'avant sans trêve ni répit, c'est par un hexamètre qu'il met en relief tous les détails, toutes les circonstances :

Marcher ] à jeun, | marcher | vaincu, j| marcher | malade,

et qu'il insiste sur cette idée de marcher sans cesse, qui est pour lui une nécessité et comme une obsession.

IV

LA VARIETE DU MOUVEMENT RYTHMIQUE

Beaucoup de personnes s'imaginent que nos vers du mode classique sont dune intolérable monotonie et qu'ils sont tous rythmés dune manière uniforme, si bien que ce serait pour y introduire un peu de diversité qu'on aurait été obligé, au xix^ siècle, de recourir à renjambement et au rythme ternaire. Ce sont des jugements superficiels et erronés, qui n'ont pu naître que dans le cerveau de gens qui comprennent mal et ne savent pas dire nos alexandrins. L'enjambement et le rythme ternaire sont destinés uniquement à produire des eifets parti- culiers, qui ont été étudiés aux chapitres précédents ; quant au mouvement rythmique, il est, chez les bons versificateurs, d'une variété presque sans limites.

Nous avons montré que dès le xvii"^ siècle nos poètes con- naissaient l'alexandrin non seulement sous forme de tétra- mètres, mais aussi sous forme de trimètres, de pentamètres et d'hexamètres ; mais les vers de ces trois dernières catégories sont rares, exceptionnels même. Ils apparaissent dans la proportion de un pour mille, ce qui est évidemment insuffisant pour empêcher la monotonie du type dominant. La critique resterait donc entière en ce qui concerne l'alexandrin tétra- mètre si ce mètre n'obtenait, comme nous l'avons fait voir au premier chapitre, une variété incessante en répartissant diver- sement ses douze syllabes dans ses quatre mesures. C'est moins de une fois sur cinq en moyenne que les quatre mesures contiennent le même nombre de syllabes, et il est rare que les douze syllabes soient groupées en mesures de la même manière dans deux vers consécutifs.

C'est d'une manière analogue que dans lancienne poésie

INÉGALITÉ DES MESURES 85

grecque, sans parler de la diversité des coupes, la variété était obtenue dans les mètres dactyliques par le mélange des spondées avec les dactyles, et dans les vers iambiques et tro- chaïques par le mélange des spondées, des dactyles, des ana- pestes avec les iambes et les trochées. De même en allemand dans une pièce comme la poésie bien connue de Goethe intitu- lée £'r/Ao«f^, où. les pieds sont d'une manière générale du type une atone -\- une tonique, la variété est due à l'apparition fré- quente au milieu de ces pieds d'autres qui sont composés de deux atones -\- une tonique.

Le rythme, on le sait, est constitué par le retour des temps marqués à intervalles théoriquement égaux. Dans la réalité les intervalles ne sont pas rigoureusement les mêmes ; ils tendent seulement à se rapprocher de l'égalité ; pour cela, comme on l'a vu plus haut, p. 13 et suiv., les syllabes de certaines mesures s'allon"-ent et celles de certaines autres se raccourcissent, et c'est une des principales sources d'effets pour les poètes. La différence de durée qui peut exister en faitentre deux mesures d'un même vers est d'ordinaire une fraction de seconde; dans les cas extrêmes elle peut atteindre une seconde entière, et il n'est pas impossible qu'une mesure dure le double d'uneautre. Maisl oreille, seul juge du rythme, se soucie fortpeu de ces inégalités qui ne portent jamais que sur de très petites quantités ; pourvu qu'elle sente qu'il y a eu allongement des syllabes dans lesmesures qui en ont moins que la moyenne ou raccourcissement dans celles qui en ont plus, elle ne cherche pas à se rendre compte si ces changements de vitesse ont eu pour effet d'aboutir toujours à des durées rigoureusement égales; elle en serait d'ailleurs incapable. Pourvu qu'elle trouve la régularité dans la variété, elle est satisfaite.

Mais si l'oreille n'est pas à même d'apprécier exactement les différences de durée, pas plus qu'elle ne peut à l'audition d'un vers définir avec précision les variations de hauteur ou d'intensité, une science récente, la phonétique expérimentale, permet aujourd'hui d'isoler et de mesurer avec certitude chacun de ces éléments et d'en calculer les variations infini- tésimales.

86 VARIÉTÉ RYTHMIQUE

Nous ne faisons pas allusion ici aux travaux qui ont été publiés jusqu'à présent sur ces questions ; ils sont tous sans A'aleuret plusieurs même sont ridicules. Leurs défauts viennent de ce que ceux qui les ont faits ignoraient ce que c'est qu'un vers français et ne savaient pas se servir des appareils qu'ils avaient entre les mains. D'aucuns se sont imaginé qu'en faisant enregistrer par un instrument des vers dits par des personnes absolument incompétentes, et en analysant ensuite les tracés, ils arriveraient à savoir ce que c'est qu'vin vers ; comme si, en calculant combien de grammesde chaque couleur la fille de mon concierg'e a mis dans les horreurs dont elle tapisse la loge de son père, je pensais découvrir le secret des chefs-d'œuvre d'un Rembrandt. D'autres, partant de cette idée que les temps marqués devaient tomber à des intervalles mathématiquement ég^aux, ont voulu les réduire de force à cette ég-alité ; après avoir amputé le commencement du vers sous couleur d'anacruse ' et la fin sous quelque autre prétexte, ils ont divisé ce qui restait en tranches arbitraires et barbares qu'ils ont décorées du nom de pieds et qu'ils se sont efforcés, mais en vain, de rendre égales. D'autres enfin, nous en pas- sons, — ayant voulu mesurer les variations de l'intensité au cours dun même vers, ont édifié une méthode qui les a con- duits à trouver d'ordinaire la plus forte intensité dans les syl- labes qui sont le plus notoirement faibles, en particulier dans celles qui nont pas d'autre voyelle qu'un e muet ! C'est vraiment pitié de voir des g-ens qui disposent d'appareils de précision en faire un si piètre usage. De pareilles élucubrations ne doivent pas être discutées dans ce livre ; nous ne pensons même pas qu'elles méritent de l'être nulle part.

Nous donnerons pour quelques exemples les rensei- gnements qui nous ont été fournis par la phonétique expéri-

1. L'anacruse est une invention saugrenue d'un philologue allemand du siècle dernier, qui eut recours à cet artifice pour scander certains vers grecs dont il ne pouvait venir à bout sans ce subterfuge ; les Grecs n'en avaient jamais eu besoin.

l'intensité 87

mentale. Il ne sera pas inutile de faire observer que loin de confier la diction des vers que nous avons étudiés au premier venu, comme l'ont fait quelques-uns, voire à des illettrés, nous n'avons jamais eu recours qu'à des personnes soigneusement choisies parmi les plus compétentes et les plus expérimentées; d'autre part elles n'ont jamais dit ces vers avec aucune idée préconçue, ne sachant pas d'avance à l'étude de quel point particulier ils devaient servir; elles se sont seulement efforcées de les dire avec le plus de perfection possible, en se conformant aux intentions du poète telles qu'elles ressortent du détail de la facture.

Voici d'abord six vers de V. Hugo [Napoléon II), avec trois indications sous chaque syllabe. Les chiffres de la première ligne indiquent la durée des syllabes en centièmes de seconde ; la deuxième ligne concerne l'intonation ; elle donne les notes sur lesquelles ont été dites chacune des voyelles ; les chiffres de la troisième ligne font connaître l'intensité relative de chaque syllabe ^ :

1. Les durées ont été comptées au 1 400 de seconde; il nous a paru plus clair de présenter les résultats en centisecondes.

Les chiffres indiquant l'intensité ont élé divisés uniformément par 25, parce que les rapports sont plus frappants entre de petits chiffres qu'entre de grands chiffres ; on saisit tout de suite quel rapport il y a entre 1 et 5, tandis qu'on ne voit pas bien le même rapport entre 26 et 130.

L'intensité a été calculée suivant une méthode qui n'a pas encore été publiée, et qui ne saurait être exposée ici en détail, car elle est extrê- mement complexe. On se contentera de dire brièvement en quoi elle con- siste. 11 est connu que l'intensité d'un son est proportionnelle au carré de l'amplitude des vibrations qui le produisent ; il est connu également que l'amplitude est inversement proportionnelle à la hauteur musicale du son. Il faut donc égaliser les amplitudes au point de vue delà hauteur avant de les élever au carré pour les comparer entre elles. Mais auparavant plusieurs opérations délicates sont nécessaires. Les vibrations telles que nous les voyons sur nos tracés ne sont pas les vibrations réelles de notre voix. Elles ont été transmises par l'intermédiaire d'une membrane au stylet qui les a enregistrées. Cette membrane, quelle qu'en soit la nature, caoutchouc, papier, ébonite, lamelle d'acier, d'or, de verre, de mica, les

88 VARIÉTÉ RYTHMIQUE

Courbés comme un cheval qui sent venir son maîlre,

27 36 16 20 26 51 18 24 10 26 26 56 | 23 mi.2 sol^2 f'^2 sol'$f.2Sol\).2la\).^la\)^sol2 sol.^la^ré.^ la.^ {s 18 n U 19 3 8 9 16 12 36

Ils se disaient entre eux : Quelqu'un de grand va naître,

19 19 18 30 42 69 26 28 11 61 26 104 | 21 mi.^fa%^ la.2 la\}.i fa., la^., fa^., sol\;)^ la^^ ^^t-i ^^^2 «o/j;^ 4 8' 16 25" 6 31' 8' 10" 19 36" 1 21

L'immense empire attend un héritier demain ;

20 30 26 56 20 68 24 16 19 54 38 7 7

fa2 la\).2 so]%^ la.^ ré.^ fa., sol\).2 sol\).2snl.,fa%, mi.^ fa^

2 5 8 14 2 6 2 6 7 9 2 8

Qu'est-ce que le Seigneur va donner à cet ho | mme,

97 22 18 15 34 93 27 30 35 18 17 37 54 si.2 sol\f 2 sol\^2^ol.2 fa^.2 ^^^2 ''^ita /^S2 ^^^2 ''^01^1^2 S0/J2 36 2 2i 3 5 11 3 5 18 5 8 23

a déformées. Toute membrane est complaisante pour certaines notes et résistante pour certaines autres, c'est-à-dire qu'à intensité égale elle donne des vibrations très amples ou au contraire très réduites suivant la note. 11 faut donc calculer le coefïïcient, positif ou négatif, de la mem- brane à ce point de vue. 11 faut calculer aussi le coefficient de la mem- brane suivant le timbre. Cette question se confond dans une certaine mesure avec la précédente, mais en est pourtant nettement distincte, car il ne s'agit plus de la note fondamentale, mais de certains sons har- moniques. Il faut calculer également, lorsqu'on mesure l'intensité d'une voyelle, le lancement de la membrane par un élémentconsonantiquequi la précède ou son lancement régressif par un élément consonantique qui la suit, ou même tous les deux en même temps quand la voyelle est très brève. 11 ne faut pas oublier décompter l'inertie de la membrane, car une membrane donne des vibrations beaucoup plus amples lorsqu'elle est déjà en mouvement que lorsqu'elle part du repos, et de même lorsqu'elle est soutenue par un mouvement suivant que lorsqu'elle retombe au repos. Enfin il faut faire état de toute circonstance qui pourrait agir sur la membrane et en troubler le mouvement normal, comme par exemple le bruit d'un diapason chronométreur vibrantdans le voisinage. C'est du moins ainsi que nous avons procédé.

LES MESURES

89

Qui plus grand que César, plus faraud même que Ro | me,

20 34 51 30 50 71 24 41 40 18 20 42 5(> sol\p., /aifo soli.^ soly., fa^soU^ fui-, fay., lay., sol.,sol^.2si\y., r 1 i 6 11^6 1 2 ^ 13 4 5 19

Absorbe dans son sort le sort du j,'-enre humain? 19 70 17 21 27 94 37 98 26 37 13 93 -

fa.2 S0l.2S0t\y2 SO/So S0I2 la\}2 ^^^2 ^^b2 *^^2 '"'#2 A2 f^2

4 16^ 3 6 8 18 8 25 3 4 4 10

Ces vers, qui sont tous les six des tétramètres, ne contiennent aucun phénomème rythmique qui ne soit d'usage courant k l'époque classique. Leur variété au point de vue rythmique provient uniquement de ce que leurs mesures sont constituées tantôt par trois syllabes, tantôt par deux, tantôt par quatre, et que l'un d'eux même présente côte à côte une mesure d'une syllabeet une mesure de cinq. Deux vers de suite, le deuxième et le troisième fournissent la même répartition rythmique des syllabes (4, 2, 4, 2) ; mais il n'en résulte aucune monotonie, car ils n'ont jamais deux mesures consécutives du même nombre de syllabes. La monotonie ne risquerait d'apparaître que s'il y avait deux vers de suite ayant 3 syllabes dans chacune de leurs mesures (3, 3, 3, 3) ; ce passag'C n'offre qu'un vers de ce type, le cinquième. Le premier est du type 2, 4, 4, 2, le dernier est du type 2, 4, 2, 4. C'est le quatrième qui offre le contraste le plus violent, avec 1,5, 3, 3.

Les mensurations auxquelles nous avons soumis ces vers nous apprennent-elles quelque chose ? Sur la manière dont ils sont rythmés, non ; car ils appartiennent tous les six à des types si simples et si nets, qu'il n'y a pas un de leurs temps marqués sur la place duquel eût pu hésiter quiconque a l'habi- tude du rythme des vers . C'est plutôt des observations géné- rales qu'elles provoquent.

Les mesures, on l'a déjà vu, finissent toutes avec une syl- labe tonique, qui fournit le temps marqué ; elles vont d'un

90 VARIÉTÉ RYTHMIQUE

temps marqué au suivant, et, sauf celles qui sont monosylla- biques comme la première du quatrième vers,ellescommencent toutes par un temps faible. La première mesure d'un versn'est pas précédée immédiatement d'un temps marqué ; mais sa limite initiale n'est pas moins nette, c'est le silence qui la pré- cède; elle commence au moment son premier temps faible rompt ce silence. Les mesures de nos vers sont donc ascen- dantes, comme les mots mêmes de notre langue.

Les chiffres de la troisième ligne montrent que leur inten- sité reste la même pour toutes les syllabes atones, comme dans la deuxième mesure du premier vers « comme un che- val » = 11, 11, 11, 19; ou bien, ce qui est beaucoup plus fréquent, l'intensité croît sans défaillance du commencement à la fin de la mesure, comme dans la troisième du même vers, « qui sent venir» = 3, 8, 9, 16. En tout cas jamais de dimi- nution d'intensité au cours d'une même mesure; l'accentuation binaire n'est qu'un rêve germanique, que certains Français ont eu le tort de prendre pour une réalité.

La syllabe qui porte le temps marqué est toujours la plus longue de la mesure à laquelle elle appartient, même lorsqu'elle contient une voyelle naturellement brève, comme Yo ouvert de homme ou de Rome. Il est évident qu'à l'audi- tion cette longueur s'unit à l'intensité pour marquer le rythme.

Il n'en faudrait pas conclure que l'intensité et la durée sont proportionnelles. Dans la troisième mesure du premier vers la syllabe « ve- » est un peu plus intense que la syllabe « sent », mais elle est beaucoup plus brève ; dans la deuxième mesure du même vers, la syllabe « che- » est de plus d'un tiers plus longue que la syllabe « co- », mais elles ont même intensité.

Le maximum de hauteur coïncide le plus souvent avec le maximum d'intensité et de durée, et il va de soi que dans ce cas ce troisième élément vient renforcer l'impression totale. Mais cette coïncidence n'est nullement nécessaire ; il arrive que la syllabe la plus intense d'une mesure est plus grave

LES DURÉES 91

que la précédente, comme on le voit au deuxième vers (!'"'' et 4" mesures), au troisième (S*^ mesure), au quatrième (4^ mesure). 11 n'est pas rare, dans les mesures à plusieurs syllabes, que la hauteur ondule, aussi bien que la durée, mais toutes deux indépendamment. Les deux mouvements sont parallèles dans la première mesure du troisième vers, mais ils diversrent dans la troisième mesure du même vers. On remarquera que dans les quatre mesures à 3 syllabes du cinquième vers, qui toutes présentent un accroissement paral- lèle de la durée et de l'intensité, il y a fléchissement de la hauteur avec la syllabe du milieu ; mais il faut se garder d'y voir la règle des mesures à trois syllabes ; elle est démen- tie par les deux mesures qui constituent le second hémistiche du vers précédent. En somme, la hauteur, la durée et l'inten- sité ne sont pas forcément liées l'une à l'autre aux temps forts, et sont très indépendantes l'une de l'autre aux temps faibles.

Les vers d'une même tirade ont-ils même durée ? Ce n'est nullement obligatoire ; le deuxième et les trois suivants ont sensiblement même durée : 453, 448, 443 et 450 centise- condes ; mais le premier est plus court d'un quart, et le dernier est plus long- d'un cinquième. Les hémistiches sont quelquefois à peu près égaux, comme ceux du premier vers (176 et 160 cs.)i ou ceux du troisième (220 et 228 es.) ;

1 . Les mesures se comptent d'un temps marqué à l'autre, c'est-à- dire que dans l'intérieur d'un vers elles commencent imniédiatement après un temps marqué et se terminent avec le suivant, et qu'au début d'un vers elles commencent après le silence et se terminent avec le premier temps marqué. Le temps marqué p jrte sur toute la syllabe qu'il frappe, tant sur les éléments consonantiques que sur la partie vocalique. On pourrait s'en rendre compte par des expériences très simples, si Ton n'en était suffisamment averti par l'oreille. La syllabe l'ythmique comprend l'implosion de son premier phonème, qu'il soit consonantique ou vocalique ; elle se termine avec la dernière vibration de sa voyelle si cette dernière est suivie d'une pause (fin du vers) ou d'une consonne essentiellement explosive ; ainsi dans « courbés comme » l'implosion du c de comme appartient à la deuxième mesure.

92 VARIÉTÉ RYTHMIQUE

mais souvent ils dilTèrent dune quantité très notable, comme dans le dernier (248 et 30i es., c'est-à-dire 1/5 environ) et surtout dans le quatrième (279 et 16i es., c'est-à-dire envi- ron 2/5).

Les mesures aussi sont tantôt à peu près égales et tantôt plus ou moins inégales. x\insi la troisième et la quatrième mesures sont égales entre elles au premier vers, au deuxième et au troisième, et dans les trois cas il s'agit d'une mesure à quatre syllabes suivie d'une mesure à deux. Mais au premier vers la deuxième mesure a duré une demi-seconde de plus que la première ; au troisième vers, c'est la première qui a dépassé la deuxième de près d'une demi-seconde. Mais tout cela est sans importance puisqu'en définitive l'iné- galité n'est jamais assez considérable pour que le rythme soit rompu, et l'égalité n'est jamais assez continue pour engendrer la monotonie.

Ce qui est plus intéressant, c'est qu'au quatrième vers la première mesure, qui est monosyllabique, si elle est forte- ment dépassée en durée par la deuxième qui a cinq syllabes, dépasse à son tour légèrement la troisième et très sensible- ment (d'un quart) la quatrième, qui ont toutes deux trois syllabes. Ces phénomènes soulèvent une question : comment s'opèrent ces raccourcissements des syllabes dans les mesures qui en ont plus de trois et ces allongements dans les mesures qui en ont moins de trois ? Quels sont les éléments de la syllabe dont l'élasticité permet cet étirement ou cette

Si la voyelle est suivie d'une sonaute essentiellement implosive (cest- à-dire suivie d'une autre consonne) cette consonne implosive appartient à la syllabe rythmique ; ainsi dans » absorbe » 1'/' appartient à la syllabe rythmique, mais l'implosion du h de -Le appartient à la mesure suivante.

C'est pour ces raisons qu'aux deux premiers vers nous avons mis à part la syllabe sourde -Ir qui les termine ; elle est en dehors du rythme et tombe dans la pause. De même aux vers 4 et 5 nous avons mis à part l'm de « homme, Rome », parce que, même sans prononcer l'e, c'est une résonance essentiellement explosive.

ALLONGEMENT CONSONANTIQUE 93

contraction ? Est-ce uniquement la partie vocalique, ou aussi la partie consonantique? C'est l'une et l'autre, et souvent par parts à peu près égales ; mais dans les cas la voyelle est par nature très brève et en quelque sorte inallongeable, c'est la consonne qui fournit à peu près tout. Quelques exemples préciseront ce point. Voici d'abord un vers de La Fontaine, déjà étudié aux pages 23 et 48 :

Que vous ê| tes joli ! | Que vous me semblez | beau!

Les quatre mesures de ce vers ont duré respectivement 83, 91, 127 et 80 centisecondes. L'o fermé du monosyllabe « beau » est allongeable presque à volonté, et en effet il a occupé 53 centisecondes ; mais l'implosion sonore du b (que l'on appelle une momentanée lorsqu'on ne considère que son explosion) a duré 27 es., alors que celle du h de « semblez », qui n'est dans aucune condition spéciale, n'avait duré que

9 es. ; l'allongement de cette implosion l'a portée du simple au triple.

L'exemple de Musset, déjà examiné à la page 14, est plus frappant parce qu'il présente une voyelle difficile à allonger, et il est plus riche en enseignements parce qu'il est plus complexe :

Il était nu comme Eve à son premier péché...

Hassan était donc nu^ mais nu comme la main,

Nu comme un plat dargent, nu comme un mur d'église.

Nu comme le discours d'un académicien.

Au premier vers Vn du mot « nu » a duré 14 es. et Vu

10 es. ; c'est bref pour une syllabe qui porte le temps marqué. Au premier hémistiche du deuxième vers, le mot (( nu » a déjà une certaine importance, à cause de l'idée qu'il contient et de la place qu'il occupe : il rappelle en y insistant l'idée exprimée dans le premier vers et il constitue une syllabe rythmique devant une coupure syntaxique. Aussi, bien qu'il

94 VARIÉTÉ KYTHMIQUK

appartienne à une mesure à quatre syllabes, il sallong-e déjà d'une manière sensible : son n dure 17 es. et son u 22. Au deuxième hémistiche il est repris avec une insistance plus accu- sée et ilfait partie dune mesure àdeux syllabes; ce dernier fait l'oblige à s'allonger, mais \ n seul y pourvoit : il passe à 21 es. tandis que Vu reste à 22. La violence de l'insistance est marquée par l'aug-mentation de hauteur et d'intensité ; dans le premier hémistiche Vu et Vu avaient été dits tous deux sur re.,, dans le deuxième Yn est sur la.^ (une quinte) et lu est sur ré.^ (une octave). Dans le deuxième hémistiche Yn est deux foisplus intense que dans le premier, et 1 intensité de a triplé.

C'est dans ce deuxième hémistiche que la progression sémantique a donné à ce mot « nu » son maximum d'insis- tance ; les deux vers suivants ne font que reprendre la même idée sous des formes diverses, mais sans que la progression continue ; l'effet a été produit, on baisse un peu le ton ; l'insistance n'est plus que dans la triple l'épétition du mot <( nu )), qui est dit les trois fois de la même manière, mais avec une intensité moindre d'un tiers, tant pour Yn que pour l'u, etavec une hauteur qui a baissé pourl'n à /a,, et pour 1 u à ut.^ ; mais ici ce monosyllabe constitue à lui seul une mesure et compense en partie par son allongement ce qu'il perd en hauteur et en force : Vu trouve le moyen de gagner 3/100 de seconde (25 es.) et Yn gagne davantage encore ; il va jusqu'à 26 es.

Cette augmentation de durée et d'intensité des consonnes, à laquelle il ne semble pas qu'on ait pris garde jusqu'à présent, a une importance de premier ordre dans notre versi- fication. C'est elle qui joue le principal rôle dans la constitu- tion du rythme de certains hémistiches. Quand dans un hémistiche il n'y a pas d'autre mot apportant un accent tonique que celui qui fournit la sixième syllabe en doit-on conclure que cet hémistiche ne constitue qu'une mesure ? Ce serait choquant dans une série d alexandrins tous les autres hémistiches ont en principe deux mesures. En fait cet hémis-

IMPLOSION CONSON ANTIQUE 95

tiche aussi a deux mesures, et leur séparation est marquée par le prolongement d'une implosion consonantique. Voici quelques exemples empruntés aux deux pièces de Musset inti- tulées Xamouna et A Ninon ; ils sont tous dans le même ton badin et ont été dits dans la même série et à la même allure :

Nu comme le discours d'un académicien.

Dans le deuxième hémistiche l'implosion du c de <( académi- cien » a duré 38 es., tandis que celle du c de « comment » dans :

Mais comment se fait-il, madame, que Ton dise

^.^ n'a duré que 23 es. Dans:

\.

' ^e Ma lectrice rouvrit, et ie la scandalise

Ve.sest.

1^ <rès I""

j ^,^ ' 1 implosion du g-roupe consonantique se a duré 57 es. tandis

, ''.^'^ que celle du même groupe dans le mot (( discours » du vers:

Nu comme le discours d'uu académicien

n'avait duré que 34 es.

Dans les hémistiches ordinaires le rvthme est marqué par un accent d'intensité intérieur ; ici il Test par une durée d'implosion, qui constitue une véritable coupe et répartit les syllabes de Thémistiche en deux groupes. Durant cette coupe les organes vocaux ne restent pas inactifs, même si l'implosion est muette, et c'est précisément ce qui distingue une coupe d'une jDause ; durant une pause les organes vocaux restent inertes. L'élément habituel d'intensité est remplacé par un élément de durée. Mais la durée de l'implosion est-elle ici le seul agent du rythme ? L'intonation n'y joue aucun rôle ; les cinq premières syllabes de ces sortes d'hémistiches sont

96 VARIÉTÉ RYTHMIQUE

souvent dites sur la même note ou oscillent autour d'une même note sans guère s'en écarter de plus d'un quart de ton. L'intensité aussi est d'ordinaire assez uniforme ; pourtant il y a une syllabe qui l'emporte légèrement sur les autres; l'etTort fourni pour l'implosion rejaillit sur la voyelle qui suit, mais faiblement. Dans les deux exemples cités l'augmenta- tion n'est guère que d'un huitième ; c'est à peine sensible. Quoi qu'il en soit, au point de vue rythmique, l'oreille est satisfaite; mais, habituée à la syllabe intense intérieure, elle trouve le rythme de ces sortes d'hémistiches moins net que celui des autres. Ils lui font une impression particulière, qui les rend aptes à exprimer, suivant les cas, la légèreté, la rapidité ou l'ampleur.

La question est d'ailleurs fort complexe et variée ; nous n'essaierons pas ici de l'épuiser, mais d'autres exemples nous y feront pénétrer plus avant. Danj? le deuxième hémistiche de ce vers :

Peut-être cependant que vous m'en puniriez,

l'implosion du /> de « puniriez » a duré 40 es., tandis que celle du p de « cependant » n'avait duré que 19 es. L'intensité de 1'^/ qui suit le p est presque le double de celle des voyelles des syllabes précédentes ; c'est peu, mais c'est déjà sensible à l'oreille. Dans :

Si je vous ledisais, pourtant, que je vous aime,

l'implosion du d a duré 27 es., tandis que celle du d de « ce- pendant » au vers précédent n'avait duré que 9 es. L'j qui suit le d est deux fois plus long que celui de ni dans « puniriez », et son intensité est largement double de celle des voyelles des syllabes précédentes. Dans :

Gomment le dirait-on si l'on n'en savait rien,

l's de « savait » a duré 42 es., tandis que celui de « comment

PLACE DE LA CONSONNE ALLONGÉE 97

se fait-il » n'avait duré que 20. L'a ne dépasse que de I/o en intensité les voyelles avoisinantes.

Il résulte de ces exemples que la place de la consonne pro- longée ne dépend en rien de la syllabe tonique qui termine riiémistiche.Dans « si je vous le disais » cette consonne ouvre la cinquième syllabe, dans « que vous m'en puniriez » c'est la quatrième, dans « d'un académicien » c'est la troisième. Ici encore pas de système binaire.

La consonne qui fournit le prolongement est d'ordinaire la première consonne du mot qui contient la sixième syllabe. En voici d'autres exemples empruntés à V. Hugo :

Et les éGorgements et les éFentrements

(L'àne).

Le /?ajeunissenient de la Z)écrépitude

[Relie/ions el religion).

On ne sait quel sinistre aAéantissement

{Le titan).

Je suis le misérable à Perpétuité

[Fin de Satan).

Mais il arrive, soit à cause de la nature des consonnes, soit à cause du sens', que c'est une consonne de liaison qui se charge de fournir la durée nécessaire :

Les 7'héolog-iens, les (Z) universités

[Religions et religion).

Ses Prostitutions, ses (Z) avilissements

[Contemplations).

Que les /Rhinocéros et que les [Z ) éléphants

[Vart d'être grand-père).

1. Il ne faut jamais oublier qu'un vers n'est pas composé d'éléments morts, et que lorsqu'on le dissèque, on ne doit pas opérer comme sur un cadavre ; on fait de la vivisection.

^L GuAMMoxT. Le vers français. 7

98 VARIÉTÉ RYTHMIQUE

Il peut même se faire qu'il y ait plus d'une consonne pro- longée dans riiémistiche. Ceci n'a rien de surprenant; en somme ces augmentations de durée accompagnées de très faibles augmentations d'intensité sont un système de com- pensations qui remplacent un temps marqué constitué dans les hémistiches ordinaires par une intensité forte ; il n'est pas nécessaire que ces compensations apparaissent d'un coup. L'im- plosion la plus longue fournit la coupe et les autres com- plètent le total dont l'oreille a besoin pour trouver son compte :

Les GaliniaT'ias et les /?éQuisitoires 30 es. 24cs. 30CS.22 es.

{Années funestes] .

Les a/)ora7'ions de ces cuistres entre eux

34 29 (7o»/e la lyre).

Pui?ifica7'ion du feu, je te bénis

24 22 {Ihid.).

ILZ-uminaT'ions sous les grands arbres noirs 33 28 [Ihid.).

Il est Z)omeS7'iqué suPérieuremenl '

31 32 (Théâtre en liberté).

C'est le d qui fournit la .coupe parce que les 32 es. de si sont déjà un total \s entre pour L3 es. et le t pour 19. Observations analogues sur les exemples suivants :

Des MdédiCT'ions, des in/)ig-eS7'ions 30 43 34 39

(Les quatre vents de V esprit).

1. On notera que la consonne renforcée n'est jamais rinitiale d'un hémistiche.

EFFET d'attente 99

Je Que.ST'ionnerai les savants, ces apôtres

37 37 [Helicfinns et religion).

C'est par un prolong'einent, consonantique ou vocalique suivant les cas, que se produisent la plupart des effets d'attente. Il en est ainsi dans ce vers de La Fontaine [Bagotin), il y a un effet d'une puissance énorme :

... il m'a planté Un coude dans le creux de lestoniac, terrible ;

l'a de « estomac », bien que peu allongeable par nature, a duré 34 es. tandis que \ ou de coude n'en a duré que 22 et Veii de « creux » que 30 ; et surtout l'implosion du t de <( terrible », qui commence immédiatement après cet a, a duré aussi 3i- es., tandis que celle du / de « estomac » n'a duré que 15, celle du c de « creux » It, et celle du c de « coude » 19.

On a un effet analogue, quoique plus faible, dans ce vers de V. Hugo [Zim-Ziz-imi) :

Puis il a renvoyé ses esclaves, bâillant,

l'implosion du h a duré 35 es., tandis que celle des trois d du vers précédant avait varié entre 6 et 9. De même encore dans celui-ci :

Le jeta mort à terre, et s'envola terrible

{L'ai (fie du casque),

la de « s'envola » a duré 25 es., tandis que celui de « jeta » n'en a duré que 13, et le /de « terrible » a duré 28 es., tan- dis que celui de «jeta » n'en avait duré que 11.

L'effet qui introduit un rejet à l'hémistiche n'est au fond qu'un effet d'attente. Dans les rejets d'un vers sur l'autre l'effet est produit surtout par la pause entre deux mots unis grammaticalement et aussi par un changement d'intona- tion qui est d'ordinaire considérable, comme on l'a vu aux

100 VARIÉTÉ RYTHMIQUE

pages 41 et suiv. ; dans les rejets à rhéniistiche l'intonation joue d'ordinaire un rôle très effacé et l'intensité un rôle à peu près nég-lig-eable ; c'est la durée qui fait tout. Nous avons dit plus haut, p: 48, que dans les vers qui ont un rejet à Thémis- tiche et qui n'auraient pas d'accent sur la sixième syllabe s'ils taient de la prose, le rythme donne un accent à cette sixième syllabe. Il n'y avait pas lieu dans ce chapitre de préciser davantage ; mais c'est ici qu'il convient de voir au juste en quoi consiste cet accent. Est-ce un accent proprement dit, c'est- à-dire une augmentation notable d'intensité ? Non pas ; bien que l'oreille puisse aisément s'y tromper, ce n'est qu'une augmentation de durée. C'est un ou plusieurs prolongements, qui constituent un système de compensations tenant lieu de la coupure syntaxique absente et de l'accent d'intensité absent également.

Nous distinguerons deux cas : 1" la septième syllabe est tonique ; la septième syllabe est atone, et pour chacun de ces deux cas nous examinerons un exemple. Pour bien com- prendre l'effet du rythme sur la diction de ces vers, nous la comparerons à ce que serait leur diction en prose, c'est-à-dire sans effet de rejet.

Une reine n'est pas reine sans la beauté

(Hugo, Eviradnus).

L'intensité des quatre syllabes « rein(e) n'est pas rein(e) », éites comme de la prose, est proportionnelle aux chitïres 6, 2, 3, 8 ; en vers il y a une syllabe de plus (-ne du premier reine) et les chiffres deviennent 6, 3, 3, 2, 10. Ici l'intensité joue un rôle parce que la septième syllabe est tonique, et la par- ticularité qui distingue son allure dans les deux cas, c'est qu'en prose l'intensité augmente légèrement de la syllabe (' n'est » à la syllabe «pas », tandis qu'en vers la syllabe « pas » est plus faible d'un tiers que la syllabe « n'est » ; par le fait le contraste avec la syllabe tonique qui vient après est plus saisissant. D'accent d'intensité sur la sixième syllabe, pas trace.

VERS ET PROSL;

101

La hauteur, en prose, est la même sur les deux syllabes <( n'est pas » et monte d'un demi-ton avec le « reine » qui suit. En vers la hauteur baisse d'un demi-ton de <( n'est » à « pas » et remonte de deux tons avec « reine ».

Il y a donc dans ce cas une ditTérence et pour l'intensité et pour la hauteur entre la prose et le vers, mais en définitive pas très sensible. la différence est énorme, c'est en ce qui concerne la durée. D'une manière générale la durée des- pho- nèmes est d'un quart plus courte en prose qu'en vers (rap- port de 3 à 4). Ce sont exactement les différences que nous trouvons pour le p de « pas >. et pour la voyelle ei du premier (( reine » ; mais l'a de « pas », qui n'a duré que 11 es. en prose, en a duré 48 en vers ; il a plus que quadruplé. C'est ce prolongement qui accentue le mot « pas » et suscite l'attente. L'augmentation de durée se manifeste aussi sur d'autres syl- labes, mais beaucoup plus faiblement et d'une manière moins sensible : sur le mot « n'est » et sur le deuxième « reine » ; leur durée est presque deux fois plus longue dans le vers que dans la prose.

Voici un exemple du second cas :

La plus belle s'était épanouie en femme

(Id., Le sacre de la femme).

En prose l'intensité reste égale sur les quatre syllabes « s'était épa- » ; elle double presque avec « nou- » et atteint son maximum avec « -ie » (rapport : 4, 4, 4, 4, 7, 24). La hau- teur monte lentement, par demi-tons, de « s'é- » à « nou- » et rebaisse déjà sur(( ie » pour préparer la note plus grave de « en femme ».

En vers la hauteur et l'intensité vont la main dans la main, ou plutôt suivent une marche parallèle, car les variations ne sont pas exactement proportionnelles, ^'oici les chitfres de l'intensité vocalique pour « s'était épanouie » : 6, o, 3, 2 |, o, 8. Voici les notes : ré^.^, re'o, siy, la^, ui^, f^i- C'est évi- demment là une allure très différente de celle de la prose ;

102 VARIÉTÉ RYTHMIQUE

mais l'oreille ne peut pas s'en rendre compte avec précision. La dissemblance s'accentue et devient frappante si l'on consi- dère les durées. Le phénomène reste essentiellement le même que dans l'exemple précédent : la voyelle qui précède la coupe est devenue presque 8 fois plus longue. On notera que l'im- plosion du t qui suit cette voyelle a plus que doublé, ce ({ui s'explique de soi-même, et d'autre part que Vn n'a pas augmen- té de durée dans le vers, ce qui tient à la même cause qui a fait diminuer de hauteur et d'intensité l'a de « pas » devant « reine» et celui de « pa- » dans (( épanouie » : on se ramasse sur soi-même pour mieux bondir. Pour le reste lés durées sont sensiblement le double en vers, ce qui n'est pas le cas ordi- naire mais se comprend fort bien ici : en prose il y a, entre la syllabe tonique de (( belle» et celle de« épanouie », cinq syl- labes atones, ce qui les oblige à précipiter leur allure ; en vers il y en a six, mais elles sont réparties par la coupe en deux groupes, ce qui leur permet de s'étaler. Au surplus voici les chiffres, qui nous dispenseront d'un plus ample commentaire ; sous chaque phonème la première ligne donne en centisecondes les durées de la prose et la seconde celles du vers :

s

é

l

ai

t

é

P

a

n

ou

ie

11

6

()

(>

5

6

13

6

6

6

29

20

13

10

i7

13

13

•25

14

G

11

59

De ce chapitre sont esquissées des questions si com- plexes et si variées, on pourrait être tenté de tirer des conclu- sions multiples. Nous n'en indiquerons qu'une : c'est que dans l'étude du rythme il ne faut pas séparer de l'examen de l'inten- sité celui delà durée et même celui de la hauteur. L'intensité entraîne toujours avec elle la durée et souvent la hauteur ; la réciproque n'est pas vraie. Mais souvent l'une de ces trois qualités tient la place d'une autre par compensation, et l'oreille est toujours assez malhabile à discerner exactement la part qui revient à chacune. *

V

LES POÈMES A MOUVEMENTS VARIÉS

A. Poèmes en vers libres.

Quand un poème en dodécasyllabes contient çà et des vers rythmés autrement qu'en tétramètres, on peut dire qu'il est en vers libres, en se plaçant au point de vue du rythme. Quand ses rimes, au lieu d'être plates d'un bout à l'autre, comme dans la tragédie, sont tantôt plates, tantôt croisées, embrassées ou répétées, on peut dire qu il est en vers libres, en se plaçant au point de vue de la rime. Mais on réserve g-énéralement le nom de poèmes en vers libres à ceux qui joignent à l'emploi éventuel de ces deux libertés celle d'entre- mêler des vers n'ayant pas le même nombre de syllabes. Ces derniers poèmes sont appelés aussi poèmes à mouvements variés, parce que les différents mètres qu'ils juxtaposent levir donnent des mouvements tantôt accélérés, tantôt ralentis, que n'ont pas au même degré les autres poèmes.

Nous ne nous occupperons ici que de l'effet produit par la succession de mètres variés. Le chapitre précédent nous a parfaitement préparés à cette étude, car nous y avons trouvé, après des vers d'une certaine vitesse, des vers plus rapides ou plus lents, après des vers ayant un certain nombre de mesures des vers en ayant moins ou en ayant davantage. En somme nous ne rencontrerons rien d'autre dans celui-ci ; il ne sera en quelque sorte que la répétition du précédent, mais avec beaucoup plus de variété et de complexité.

Nous aurons à étudier l'effet produit par le changement de mètre sans changement de vitesse ; tel est le cas du vers de six syllabes venant après le vers de douze comme dans le Lac de Lamartine ; et le changement de mètre accompagné d'un

104 VERS LIBRES

changement de vitesse, comme lorsqu'un vers de huit syllabes vient après un vers de douze.

Pour la quantité d'accélération ou de ralentissement due à la jonction d'un vers plus rapide à un vers plus lent ou d'un vers plus lent à un vers plus rapide, nous ne saurions mieux faire que de renvoyer à Becq de Fouqviières qui a étudié la question en détail (p. 321).

Néanmoins, comme la plupart des personnes n'ont pas Iha- bitude de considérer les choses de ce point de vue, nous don- nerons quelques indications sur les combinaisons les plus fré- quentes, pour faciliter l'intelligence de ce qui va suivre.

Lorsqu'après un vers de 12 syllabes à 4 mesures vient un vers de 8 syllabes à 2 mesures, il y aexactement la même accé- lération que lorsqu'un vers romantique (12 syllabes et 3 mesures) vient après un vers classique (12 syllabes et 4 mesures), c'est-à-dire que la vitesse augmente d'un quart. Si le vers de 12 syllabes est un trimètre et le vers de 8 un dimètre il n'y a pas changement de vitesse, il n'y a que changement de mètre. Lorsqu'un vers de 7 syllabes à 2 mesures vient après un tétramètre de 12 syllabes, il y a accélération de un septième ; si le vers de 42 syllabesest un trimètre, il ya ralen- tissement de un huitième. Lorsqu'un vers de 10 syllabes à 3 me- sures vient après un tétramètre de 12, il y a augmentation de vitesse de un dixième; si levers de 12 syllabes est un trimètre, il y a diminution de vitesse de un sixième. Lorsqu'après un vers de 10 syllabes à 3 mesures, vient un vers de 8 syllabes à 2 mesures, il y a accélération de un sixième. Lorsqu'un vers de 7 syllabes à 2 mesures vient après un vers de 10 à 3 mesures, il y a accélération à peine notable, ce n'est que un vingt et unième ; lorsqu'il vient après un vers de 8 à 2 mesures, il y a ralentissement de un huitième.

Si c'est le vers qui a un plus grand nombre de syllabes qui vient après celui qui en a moins, il n'y a qu'à renverser ce que nous venons de dire pour savoir quel est le changement de vitesse produit.

Quelques-uns seront peut-être surpris de ces accélérations

ACCÉLÉRATIONS ET RALENTISSEMENTS 105

et de ces ralentissements continuels du débit ; ils seront tentés de nous dire ceci : Alors, d'après votre théorie, pour bien dire les vers, il faudra tantôt parler avec une lenteur désespé- rante, tantôt avec une rapidité qui amènera fatalement à bre- douiller. Il n'en est rien ; d'abord ces différences de vitesse n'ont la rigueur mathématique que nous leur avons attribuée qu'en théorie ; dans la pratique la quantité de l'accélération ou du ralentissement n'est qu'approximativement celle que nous avons indiquée. D'autre part nous avons vu que ces chan- gements étaient d'un cinquième, d'un huitième ; nous en avons même signalé un qui est d'un vingt et unième, c'est-à-dire presque nul. Mettons les choses au pis : supposons le cas extrême oii il y a ralentissement ou accélération de moitié ; c'est ce qui se produit par exemple lorsqu'un monomètre de 6 syllabes, vers très rare, précède ou suit un tétramètre de 12 syllabes. Chacun sait que la vitesse moyenne du débit de la poésie est moindre que celle du débit de la prose, c'est-à- dire du langage ordinaire lorsqu'il ne présente rien de parti- culier: personne n'en est choqué. Une accélération apportée dans le débit de la poésie le rapproche de celui de la prose ; dans le cas extrême l'accélération est du double, on passe du débit de la poésie au débit moyen d'une conversation familière. 11 ne faut pas oublier que dans un entretien très simple sur le moindre fait divers, il y a en quelques minutes des variations de vitesse, accélérations ou ralentissements, beaucoup plus considérables. Celles de la poésie sont géné- ralement suffisantes pour être sensibles ; elles ne sont jamais assez grandes pour être choquantes.

Avant de quitter ces questions de théorie nous devons signa- ler, pour l'écarter, un préjugé très généralement répandu encore aujourd'hui : c'est que les petits vers sont plus légers, plus vifs que les grands. Il en est sans doute ainsi quelquefois, mais pas toujours. La légèreté ou la vivacité d'un vers dépend de sa rapidité. Or le vers de 3 syllabes par exemple a exacte- ment la même vitesse que le vers classique de 12; il n'est ni plus léger, ni plus vif. Le monomètre de 4 syllabes a la même

106 VERS LIBRES

vitesse que le tétramètre de 16. La vitesse ne dépend pas du nombre des syllabes, mais du rapport qui existe entre ce nombre et celui des mesures. Les plus lents des vers français sont le dimètre de 4 syllabes, vers extrêmement rare, et l'hexamètre de 12, qui ont exactement la même vitesse. Puis vient le tri- mètre de 7 syllabes, vers très rare également, qui est un peu moins lent. En troisième ligne, le dimètre de 5 syllabes, vers rare, et le pentamètre de 12, dont la vitesse est à peine plus considérable que celle du vers précédemment cité.

Si nous passons à l'étude des poètes qui se sont particuliè- rement disting-ués dans le vers libre, nous rencontrons au pre- mier pas un nom qui éclipse tous les autres, celui de La Fontaine. Il est universellement reconnu pour le grand maître du vers libre. Un seul paraît avoir eu le génie nécessaire pour l'égaler dans cet art, Alfred de Musset..., malheureusement il s'y est rarement exercé.

On répète depuis longtemps que dans les fables de La Fon- taine les vers s'allongent ou se raccourcissent suivant l'idée exprimée par le vers. Cela ne veut pas dire grand'chose, ce n'est pas très clair ; aussi s'est-on empressé d'en faire un dogme, et de l'accepter sans examen.

Sans doute il est arrivé à certains critiques de faire une ou deux remarques sur les petits vers de La Fontaine, mais la plupart du temps ce n'a été que pour commettre de grossières erreurs que l'on répète cependant. Ainsi Chamfort à propos de ces deux vers :

Même il m'est arrivé quelquefois de manger Le berger,

dit : « Remarquons ce petit vers ; il semble qu'il voudrait bien escamoter un péché aussi énorme ». C'est un contresens absolu, comme nous le verrons en temps et lieu ; mais il paraît que c'est très spirituel ; aussi depuis cent années joint-on ce jugement à un nombre effrayant d'autres erreurs que l'on con- tinue à enseigner à nos jeunes gens sous prétexte d'en faire des humanistes et des hommes.

EXPRESSION DE LA K A PI DITE 107

Quand une observation ainsi faite se rencontre être juste, c est évidemment par hasard, puisqu'elle est presque toujours accompag-née de deux ou trois autres qui sont fausses. Quoi qu'il en soit, il n'y a rien à tirer de là, et il ne s'en dégage aucune idée générale.

Pour nous, puisqu'il est incontesté et incontestable que c'est La Fontaine quia fait l'usage le plus habile du vers libre, c'est sur ses Fables que nous ferons principalement porter notre étude dans ce chapitre ; ce qui ne nous dispensera pas de citer d'autres œuvres à l'occasion, soit pour les louer, soit pour les critiquer.

Notre point de vue est maintenant connu : il ne s'agit pas desavoir si un vers est plus long ou plus court qu'un autre, c'est-à-dire s'il a plus ou moins de syllabes, mais s'il est plus lent ou plus rapide, et quels sont les effets qui peuvent être produits par cette rapidité plus ou moins grande, quelles sont les catégories d'idées qu'elle peut servir à exprimer.

Un vers plus rapide venant après un vers plus lent exprime l'idée de rapidité et celles qui s'y rattachent :

La tempête s'éloig'ne et les vents sont calmés. La forêt qui l'rémit, pleure sur la bruyère ; Le phalène doré, dans sa course légère, Traverse les prés | embaumés

(Musset, Le saule).

Grâce à l'emploi du vers de 8 syllabes, le poète obtient une mesure à "3 syllabes, qui peint admirablement la rapidité et la légèreté de la course du phalène, sans être obligé pour cela de ralentir les mesures avoisinantes.

Un manant au miroir prenoit des oisillons. Le fantôme brillant attire une alouette : Aussitôt un autour, planant sur les sillons,

Descend des airs, fond et se jette Sur celle qui chantoit, quoique près du tombeau

(L.\ Fontaine, VI, 15);

iOS ^ERS LIBRES

le petit vers exprime la rapidité.

Et nous verrons soudain ces tigres ottomans Fuir I avec des pieds de gazelle !

(Hugo, Orientales).

Pour remploi des voyelles claires contribuant à donner l'impression de la légèreté et de la rapidité, cf. p. 254.

Un ravin tortueux conduit à la montagne. Le voyageur pensif prit ce sentier perdu : Puis il se retourna. La plaine et la campagne, Tout avait disparu

(Musset, Souvenir îles Alpes).

Ninon, Ninon, que fais-tu de la vie? L'heure s'enfuit, le jour succède au jour. Rose ce soir, demain flétrie

(Id., a quoi rêvent les jeunes filles).

Le vers de 8 syllabes est employé pour obtenir deux mesures de suite à 4 syllabes, destinées à peindre la rapidité du chan- gement. Ce mouvement est déjà annoncé dans le vers précé- dent par les deux mesures également rapides : « l'heure s'en- fuit » et « succède au jour »,

Et lui-même ayant fait grand fracas, chère lie, Mis beaucoup en plaisirs, en bâtiments beaucoup, Il devint pauvre tout d'un coup

(La Fontaine, VII, 14) ;

rapidité du changement.

L'autre vit tendoit cette feinte aventure : Il rendit le fer au marchand Qui lui rendit sa géniture

(lD.,IX, I);

MOUVEMENT RAPIDE 109

ces deux petits vers donnent des mesures k plus de trois syl- labes, peignant la rapidité des restitutions : aussitôt que les deux personnages se sont compris, il y a échange immédiat des deux objets, conclusion de leur différend et de la fable.

Pâle étoile du soir, messagère lointaine, Dont le front sort brillant des voiles du couchanl, De ton palais d'azur, au sein du firmament, Que regardes-tu [ dans la plaine?

(Musset, Le saule).

Le vers de 8 syllabes fournit à l'auteur, sans qu'il soit obligé de ralentir les autres, une mesure rapide peignant la vivacité de son interrogation. Ici le mouvement nest pas matériel, il est dans l'esprit du poète. La même idée se retrouve exprimée deux fois un peu plus loin dans le même morceau par un pro- cédé analogue :

Que cherches-tu \ sur la terre | endormie ?

Etoile, I fen vas-tu, \ dans cette nuit | immense ?

L homme au trésor caché, qu'Esope nous propose, Servira d'exemple à la chose

(La Fontaine, IV, 20).

Le petit vers est insignifiant ; c'est une manière de sortir des considérations qui précèdent et d'arriver vite au sujet particu- lier de la fable par un mouvement rapide qui n'est que dans l'esprit de Tauteur.

On sait que La Fontaine n'aime pas à se perdre au commen- cement de ses fables en des considérations vaines et étrangères au sujet, mais au contraire à introduire ses personnages et à entrer en matière le plus rapidement possible. Il avait pour cela un merveilleux auxiliaire dans l'emploi de vers rapides et il en a fréquemment tiré parti :

110 VERS LIBRES

Dans une ménagerie De volatiles remplie Vivoient le cygne et Toison

Un octog-énaii^e plantoit

Le chêne un jour dit au roseau

Un homme de moyen âge, Et tirant sur le grison, Jugea qu'il étoit saison De songer au mariag'e

Une grenouille vit un bœuf Qui lui sembla de belle taille

Une souris | tomba du bec | d'un chat-huant

:iu., III, V2). (Id., XI, 8). (Id., I, 22).

(Id., I, 17). ^Id.,I, 3).

;i»., IX, 7).

C'est un vers de 12 syllabes, mais un trimètre, c'est-à-dire un vers rapide.

Une fois que La Fontaine a exposé tous les événements de sa fable, qu'il n'a plus rien à nous dire, il la conclut brusque- ment. Ce sont souvent les petits vers qu'ilemploie pour attieindre ce but. Quelquefois c'est simplement la vitesse qui produit l'effet ; on passe vite sur cette fin qui est prévue à ce moment et par conséquent n'a plus qu'un intérêt secondaire. Mais le plus souvent il entre en jeu d'autres éléments que nous avons déjà rencontrés à propos du trimètre : la vitesse n'agit plus seulement comme rapidité, mais elle rapproche les idées en une sorte de synthèse qui convient parfaitement à un résumé, à une conclusion. Dans ce cas les vers de la fin ne sont pas des vers sur lesquels on passe légèrement, mais des vers que

CONCLUSIONS RAPIDES Hl

Ton met en relief: le changement de mètre y contribue consi- dérablement :

C'est ce coup qu'il est bon de partir, mes enfants ! Et les petits, en même temps, Voletants, se culebutants,

Délogèrent tous sans trompette

(Id., IV, 22).

C(mclusion rapide de la fable, une fois que tout a été exposé.

Vous n'en approchez point. La chétive pécore S'enlla si bien qu'elle creva

(Id., I, 3).

Ayant décrit toute la scène, l'auteur termine en énonçant brusquement révénement final.

Et pleures du vieillard, il grava sur leur marbre Ce que je viens de raconter

(Id., XI, 8).

La faim le prit : il fut tout heureux et tout aise De rencontrer un limaçon

(Id., VII, 4).

Se trouvant à la fm tout aise et tout heureuse De rencontrer un malotru

(Id., Vil, 5).

Cesse donc de te plaindre ; ou bien, pour te punir. Je t'ôterai ton plumage

(Id., II, 17, Le paon se plaignant à Junon).

A une menace formulée ainsi dans un petit vers qui la met de cette façon en relief, il n'y a rien à répondre ; aussi la fable est finie.

J'ai vu, dil-il, un chou plus grand qu'une maison. F^t moi, dit l'autre, un pot aussi grand qu'une église.

112 VERS LIBRES

Le premier se moquant, laulre reprit : Tout doux; On le fil pour cuire vos choux

(Id., IX, 1).

C'est le trait, qui conclut la discussion et la fable.

Tes coups n'ont point en moi fait de métamorphose ; Et tout le changement que je trouve à la chose, C'est d'être Sosie battu

(MouiîRE, Amphitryon).

La conclusion n'est pas obligatoirement celle de la fable ; elle peut être celle d'une période, d'un développement :

Enfin, quoique ignorante à vingt et trois carats, Elle passoit pour un oracle

(La Fontaine, VU, 15).

Le petit vers résume tout.

D'abord il s'y prit mal, puis un peu mieux, puis bien,

Puis enfin il n'y manqua rien

(lu., XII, 9).

C'est la dernière forme du développement.

Une autre la suivit, une autre en fit autant :

Il en vint une fourmilière

(Id., III, 4).

C'est tour de vieille guerre ; et vos cavernes creuses

Xe vous sauveront pas, je vous en avertis :

Vous viendrez toutes au logis

(Id., III, 18).

J'ai vu que c'étoit moi, sans aucun stratagème ; Des pieds jusqu'à la tête il est comme moi fait. Beau, l'air noble, bien pris, les manières charmantes ;

Enfin deux gouttes de lait

Xe sont pas plus ressemblantes

(Molière, Amphilri/on).

uÉsiMio d'un développemeint 113

Les petits vers sont la conclusion et la manière la plus frap- pante que trouve Sosie d'exprimer la ressemblance de Mer- cure avec lui.

Elle fait subsister Tartisan de ses peines, Enrichit le marchand, gage le magistrat, Maintient le laboureur, donné paye au soldat, Distribue en cent lieux ses grâces souveraines, Entretient seule tout l'Etat

(La Fontaine, III, 2).

Résumé d'une énumération.

Je me dévouerai donc, sil le faut : mais je pense Qu'il est bon que chacun s'accuse ainsi que moi ; Car on doit souhaiter, selon toute justice, Que le plus coupable périsse

(Id., VII, 1).

Le petit vers mis en relief est très important puisqu'il est la conclusion brusque du discours du lion et prépare le reste de la fable.

C'est pour des raisons analogues que lorsqu'une strophe se termine par un petit vers, il doit contenir l'idée essentielle de la strophe, celle qui résume tout ce qui précède ; il doit être la quintessence du développement :

0 lac I rochers muets I grottes 1 forêt obscure ! Vous que le temps épargne ou qu'il peut rajeunir. Gardez de cette nuit, gardez, belle nature. Au moins le souvenir

(Lamartine, Le lac),

Les voilà, ces coteaux, ces bruyères fleuries, Et ces pas argentins sur le sable muet, Ces sentiers amoureux, remplis de causeries, son bras m'enlaçait.

M. Grammont. Le vers /'rançais. 8

114 VERS LIBRES

Les voilà, ces sapins à la sombre verdure, Celte gorge profonde aux nonchalants détours, Ces sauvages amis, dont Tanlique murmure

A bercé mes beaux jours. Les voilà ces buissons toute ma jeunesse, Comme un essaim d'oiseaux chante au bruit de mes pas. Lieux charmants, beau désert passa ma maîtresse,

Ne m'attendiez-vous pas? Ah ! laissez-les couler, elles me sont bien chères. Ces larmes que soulève un cœur encor blessé ! Ne les essuyez pas, laissez sur mes paupières

Ce voile du passé !

(Musset, Souvenir

Dans ces strophes le petit vers contient toujours l'idée essen- tielle, ridée même de la pièce et la met en relief, non pas parce qu'il est le dernier vers d'un développement ou d'une strophe, mais parce qu'il constitue un chang-ement de mètre. Il peut donc j avoir plusieurs petits vers dans une strophe et ils peuvent y être à n'importe quelle place. Il en résultera tou- jours un contraste et un éveil de l'attention, et il ne faut pas que ce soit sans raison. Dans tous les cas, il faut que le chan- g-ement de mètre soit justifié par le sens ; mais les effets qu'il produit peuvent être extrêmement nombreux et variés. Nous avons vu le poète introduire un petit vers après un grand pour obtenir des mesures plus rapides sans être obligé de rendre les mesures voisines plus lentes, et par conséquent pour peindre la rapidité. Le mouvement rapide peut être un mouvement physique ou un mouvement moral, un mouvement qui n'est que dans l'esprit du poète ; dans cet ordre d'idées un vers rapide peut aussi lui servir pour exprimer quelque chose sur quoi il veut passer rapidement, ne pas insister. Souvent au contraire le petit vers venant après un grand lui fournit un moyen de mettre en un relief singulier l'idée principale. 11 semble qu'il y ait une contradiction, si le même procédé sert tantôt à diminuer, tantôt à augmenter l'importance de l'idée exprimée.

PETITS VEHS DANS LES STROPHES llo

En réalité, il n'y en a pas ; il y a seulement plusieurs faits en jeu. h\ rapidité dun vers n'a pas seulement pour effet d'ac- croître la vitesse du débit, mais en même temps de resserrer les éléments de ce vers ; c'est pourquoi elle peut servir pour exprimer une idée synthétique qui conclut et résume un déve- loppement. En outre le changement de mètre produit une surprise qui frappe l'esprit et met en relief l'idée exprimée. La réunion des deux moyens n'est pas nécessaire ; l'effet est plus considérable s'ils sont combinés, mais le chang-ement de mètre seul, sans changement de vitesse, annoncé par l'arrivée la rime, suffît. D'ailleurs même quand tous deux sont réu- nis, c'est, suivant l'idée exprimée, presque uniquement l'un qui produit son effet, l'autre restant en quelque sorte latent. Voici d'abord quelques strophes qui présentent des petits vers à des places régulières, mais aussi bien à l'intérieur de la strophe qu'à la fin :

Je dis que le tombeau qui sur les morts se ferme

Ouvre le iirmament, Et que ce qu'ici-bas nous prenons pour le terme

Est le commencement.

Quand on a vu, seize ans, de cet autre soi-même Croître la grâce aimable et la douce raison, Lorsqu'on a reconnu que cet enfant qu'on aime Fait le jour dans notre âme et dans notre maison; Que c'est la seule joie ici-bas qui persiste

De tout ce qu'on rêva, Considérez que c'est une chose bien triste

De le voir qui s'en va !

(^HuGo, A Villequier).

Je ne suis qu'au printemps, je veux voir la moisson, Et comme le soleil, de saison en saison,

Je veux achever mon année. Brillante sur ma tige et l'honneur du jardin, Je n'ai vu luire encor que les feux du matin,

Je veux achever ma journée

(A. Chénier, La jeune captive).

116 VERS LIBRES

Comme ils parlaient, la nue éclatante et profonde S'entr'ouvrit, et l'on vit se dresser sur le monde

L'homme prédestiné, Et les peuples béants ne purent que se taire, Car ses deux bras levés présentaient à la terre

Un enfant nouveau-né

(Hugo, Napoléon II).

Encor si ce banni n'eût rien aimé sur terre I

Mais les cœurs de lion sont les vrais cœurs de père.

Il aimaitson fils, ce vainqueur! Deux choses lui restaient dans sa cage inféconde, Le portrait d'un enfant et la carte du monde,

Tout son génie et tout son cœur !

(1d., Ihid.).

Vous armez contre Troie une puissance vaine, Si dans un sacrifice auguste et solennel

Une fille du sang d'Hélène De Diane en ces lieux n'ensanglante l'autel. Pour obtenir les vents que le ciel vous dénie,

Sacrifiez Iphigénie

(Racine, Iphigénie).

Les deux petits vers contiennent tout ce qui est important dans cet oracle ; ils sont d'autant plus remarquables ici qu'il n'y en a pas d'autres dans la pièce.

Enfin voici des changements de mèti^e apparaissant de façon absolument irrégulière et avec des valeurs diverses :

Du rapport d'un troupeau, dont il vivoit sans soins. Se contenta longtemps un voisin d'Amphitrite.

Si sa fortune étoit petite

Elleétoit sûre tout au moins. A la fin les trésors déchargés sur la plage Le tentèrent si bien qu'il vendit son troupeau. Trafiqua de l'argent, le mit entier sur l'eau.

PETITS VERS A RELIEF 117

Cet arj^ent périt par naufrage, Son maître l'ut réduit à garder les brebis, Non plus berger en chef comme il étoit jadis, Quand ses propres moutons paissoient sur le rivage. Celui qui sétoit vu Coridon ou Tircis,

Fut Pierrot et rien davantage. Au bout de quelque temps il fit quelques profits,

Racheta des bêtes à laine ; Et comme un jour les vents, retenant leur haleine. Laissoient paisiblement aborder les vaisseaux: Vous voulez de l'argent, ô mesdames les Eaux ! Dit-il ; adressez-vous, je vous prie, à quelqu'autre : Ma foi ! vous n'aurez pas le nôtre

(La Fontaine, IV, 2).

Les petits vers énoncent tous une idée caractéristique et cha- cun conclut le développement auquel il appartient : les deux premiers sont une sorte de moralité de la fable qui fait pres- sentir ce qui va suivre ; le troisième est une conclusion annoncée par le second ; le quatrième donne une autre forme de la même conclusion; le cinquième est fort important à cause de l'in- quiétude qu'il suscite dans notre esprit : le berger va-t-il céder de nouveau à la tentation ; le dernier nous rassure et nous montre que la leçon lui a profité.

Elle qui n'étoit pas grosse en tout comme un œuf, Envieuse, s'étend, et s'enfle, et se travaille Pour égaler l'animal en grosseur

(La Fontaine, 1,3).

Après les deux grands vers qui décrivent la grenouille et ses efforts, le vers de 10 vient mettre en évidence le but inattendu et insensé qu'elle se propose.

Deux mulets cheminoient, l'un d'avoine chargé, L'autre portant l'argent de la gabelle

(Id., 1,4).

118 VERS LIBRES

C'est l'introduction des personnages en deux vers ; le vers de 10 met dès ce moment la charge du second en relief et parla attire l'attention sur cette charge et annonce toute la fable.

Prit pour lui la première en qualité de sire : Elle doit être à moi, dit-il ; et la raison, C'est que je m'appelle lion

(Id., 1, 6).

La raison saugrenue exprimée par le petit vers, montre le caractère despotique du lion et prépare ce qui va suivre.

Le vieillard eut raison : l'un des ti'ois jouvenceaux Se noyades le port, allant à l'Amérique ; L'autre, afin de monter aux grandes dignités, Dans les emplois de Mars servant la république, Par un coup imprévu vit ses jours emportés :

Le troisième tomba d'un arbre

Que lui-même il voulut enter

- (Id.,XL8).

Pourquoi la mort du troisième n'est-elle pas exposée dans le même mètre que celle des deux premiers ? parce qu'il est mort en tombant d'un arbre et que ce fait est frappant puisqu'il rappelle le commencement de la fable et la conversation avec le vieillard.

Un avorton de mouche en cent lieux le harcèle , Tantôt pique Téchine, et tantôt le museau, Tantôt entre au fond du naseau

(Id., n,9).

Le petit vers énonce l'acte le plus redoutable du moucheron.

Guillot, le vrai Guillot, étendu sur l'herbette, Dormoit alors profondément

(Id., III, 3),

MISE EN RELIEF PAR LES PETITS VERS 119

chose capitale, puisque c'est la ce qui a permis au loup de faire tous ses préparatifs.

La plupart des brebis doriiioienl pareillement. L'hypocrite les laissa faire

[Ib., Ihid.).

Le petit vers contient l'idée inattendue et importante. Inat- tendue parce que le loup installé au milieu des brebis dormant n'avait qu'à les prendre, importante parce qu'elle prépare la suite.

Tout beau, charmante Nuit, daignez vous arrêter. Il est certain secours que de vous on désire ;

Et j'ai deux mots à vous dire

De la part de Jupiter

(Molière, Amphitryon).

C'est le début de la pièce ; les deux petits vers touchent déjà au sujet.

Perrette, sur sa tête ayant un pot au lait

Bien posé sur un coussinet, Prétendoit arriver sans encombre à la ville

(La Fontaine, VII, 10).

Le premier vers montre quel soin on avait pris du lait, et en outre qu'ainsi placé il ne risquait pas de tomber, et laissait à la laitière pleine liberté de mouvements et par suite de réflexions.

Il devint gros et gras : Dieu prodigue ses biens A ceux qui font vœu d'être siens

(Id., VII, 3),

120 VERS LIBRES

mise en relief de l'idée ironique.

L'âne vint à son tour, et dit: J'ai souvenance

Qu'en un pré de moines passant, La faim, l'occasion, l'herbe tendre, et, je pense,

Quelque diable aussi me poussant,

Je tondis de ce pré la lareeur de ma langue

(Id., VII, 1).

Les idées exprimées dans les petits vers sont mises en relief, la première parce que l'auteur

...suppose qu'un moine est toujours charitable ;

la seconde parce qu'il pense ironiquement que oîi il y a des moines le diable n'est pas loin.

Gomment ! Amphitryon est là-dedans ? Fort bien. Qui, couvert des laui'iei^s d'une victoire pleine. Est auprès de la belle Alcmène

(Molière, Amphitryon).

C'est le coup le plus terrible que Mercure porte à Amphi- tryon.

Et ce n'est pas partout un bon moyen de plaire,

Que la figure d'un mari

(Id., IbiJ.),

le petit vers contient le trait.

Lorsqu'une idée a été énoncée dans un grand vers, on en mettra les détails en relief en la développant dans des petits vers. On la précisera par des détails de plus en plus frappants qui la renforcent, grâce au resserrement synthétique des mesures rapides et grâce au relief au changement de mètre. V. Hugo obtient le même eifet par l'emploi du trimètre :

Dire : C'est bien ! je dors tout comme une autre bête, Gomme un léopard, | comme un chacal, | comme un loup !

(Hugo, Fin de Satan).

MISE EN RELIEF DES DÉTAILS 121

Chaque chambre a la forme utile à la torture; Ici Ton "èle ; 1 ici Ton brûle: 1 ici l'on meurt

"^ ' {\D.Jhid.).

Voici des exemples en vers de longueur inégale :

Il vous prend sa cognée, il vous tranche la bête, Il fait trois serpents de deux coups, Un tronçon, la queue et la tête

(La Fontaine, VI, 13).

...il veut avoir Un manchon de ma peau : tant elle est bigarrée, . Pleine de taches, marquetée. Et verg-etée, et mouchetée !

(Id.,IX, 3).

A demeurer chez soi l'une et l'autre s'obstine, Pour secourir les siens dedans l'occasion :

L'oiseau royal en cas de mine ;

La laie, en cas d'irruption

(Id.,III,6).

...A son réveil il treuve L'attirail de la mort à l'entourde son corps, Un luminaire, un drap des morts

{l^., 111,7]

Un roitelet pour vous est un pesant fardeau : Le moindre vent qui d'aventure Fait rider la face de l'eau Vous oblige à baisser la tète

:Id.,I,22).

Les petits vers développent et reprennent sous une autre forme lidée énoncée dans le grand.

Ainsi dit, ainsi fait. Les mains cessent de prendre, Les bras d'agir, les jambes de marcher

(Id., m, 2);

122 VERS LIBRES

le développement commencé dans un grand vers s'achève dans un petit.

Vous campez-vous jamais sur la tête d'un roi, D'un empereur ou d'une belle ?

(Id., IV, 3).

Un chang-ement de mètre produisant un contraste est évi- demment propre à traduire un contraste qui existe dans les idées exprimées :

La jeunesse se llatte et croit tout obtenir : La vieillesse est impitoyable

(Id., XII, 5).

Chose étrange ! on apprend la tempérance aux chiens. Et l'on ne peut l'apprendre aux hommes !

(1d.,VIII,7).

. . . A ses côtés sa femme Lui crioit : .Attends-moi, je te suis ; et mon âme. Aussi bien que la tienne, est prête à s'envoler. Le mari fait seul le voyage

(Id., VI, 21).

Nous faisons cas du beau, nous méprisons l'utile;

Et le beau souvent nous détruit. Ce cerf blâme ses pieds qui le rendent agile ;

Il estime un bois qui lui nuit

(Id., VI, 9).

Nous avons déjà vu un petit vers employé après un grand pour exprimer une idée sur laquelle on passe vite, sur laquelle on ne veut pas insister. C'est grâce à sa rapidité plus grande qu'il est susceptible de produire un effet de ce genre ; il en est incapable s'il a la même vitesse que le grand vers qui le pré- cède. Mais il peut se faire même dans ce cas que l'idée qu'il

ÉVEIL DE l'attention 123

contient n'ait aucune importance et que celle qui demande à être en lumière soit dans le vers suivant. Ceci ne constitue de nouveau aucune difficulté si l'on remonte aux principes géné- raux. Le passage d'un mètre à un autre n'exprime pas telle idée plutôt que telle autre : lorsqu'un petit vers plus rapide en suit un grand il y a accélération due à l'augmentation de vitesse, et éveil de l'attention au changement de mètre. Ce sont ces deux éléments que nous avons vus mettre en relief l'idée exprimée ; nous les retrouvons tous deux ici : la rapidi- té du petit vers permet de passer rapidement sur l'idée insi- gnifiante qu'il contient ; l'attention qu'il a éveillée se porte sur le vers suivant, surtout sur le commencement de ce vers '. Son but n'est pas en lui-même, il est hors de lui ; il n'a d'uti- lité que de rendre service à son voisin, comme le chat tirait les marrons du feu pour le singe son compère.

Médecins au lion viennent de toutes parts ;

De tous côtés lui vient des donneurs de recettes.

Dans les visites qui sont faites Le renard se dispense, et se tient clos et coi

(Id., VIII, 3).

Le petit vers est insignifiant par lui-même, mais il introduit, annonce et met en relief un événement inattendu, celui qui est exprimé dans le grand vers suivant.

Même il ébranchoit Tarbre ; il fit tant à la fin

Que le possesseur du jardin Envoya faire plainte au maître de la classe

(Id., IX, 5).

Peut-être a-t-il dans l'âme autant que moi de crainte,

Et que le drôle parle ainsi Pour me cacher sa peur sous une audace feinte

(Molière, Amphitryon).

i. Cf. p. 3.3, riO.

124 VERS LIBRES

Il se réjouissoit à Todeur de la viande Mise en menus morceaux, et qu'il croyait friande. On servit, pour l'embarrasser,

En un vase à long col et d'étroite embouchure

(La Fontaine, I, 18).

Le petit vers ne sert qu'à appeler rattention sur le grand qui rappelle :

Ce brouet fut par lui servi sur une assiette.

On se voit d'un autre œil qu'on ne voit son prochain. Le fabricateur souverain

Nous créa besaciers tous de même manière

(Id.,I, 7).

Nous sommes en mesure maintenant de comprendre les fameux monomètres de La Fontaine, ces petits vers de deux, trois ou quatre syllabes, dont on a tant parlé et qui ont donné lieu à tant d'erreurs. Ils sont quelquefois plus rapides, quel- quefois plus lents, souvent de même vitesse que le vers qui les précède. Mais, loin qu'ils servent à un « escamotage », ils tiennent du changement de mètre un relief singulier, plus accentué que lorsque c'est un petit vers plus long qui vient après un grand vers, parce que le changement de mètre est plus considérable, et que la rime arrive plus vite. Ils sont souvent comme un rejet du vers précédent, séparés de ce vers par la rime qui les précède et isolés du suivant par celle qui les termine. « Les mètres courts, les monomètres surtout, reçoivent de la rime un relief particulier ; c'est elle qui les détache des vers plus grands qui les entourent ; c'est elle qui les met en évidence et, avec une soudaineté inattendue, les jette sous nos yeux au premier plan du tableau, ils s'im- posent à notre attention » (B. de Fouquières, p. 344).

Voici ceux des fables :

J'ai dévoré force moutons.

Que m'avoient-ils fait ? nulle offense ;

Même \ il m'est arinvé quelquefois de manger

Le berfjer

(La Fontaine, \'II, 1).

LES :\l()iNO.MÈTHES DK LA FONTAINE 125

Non seulement le petit vers « Le berger » est en relief, mais le grand vers lui-même, venant après des petits vers rapides, attire déjà par sa lenteur l'attention sur l'idée exprimée. L'im- portance que le lion attache à la faute qu'il confesse ici est en outre annoncée parle premier mot du grand vers « Même », qui à lui seul constitue une mesure. Il n'y a rien dans tout cela qui ressemble à un escamotage.

La raison les olfense, ils se mettent en tête

Que tout est pour eux, quadrupèdes et gens,

Et serpents

(Id.,X,2).

C'est le sujet de la fable et en même temps une plaisanterie.

L'homme au trésor arrive, et trouve son argent Absent

(Id., IX, 16j,

c'est le mot important, le nœud de la fable, et la cause de toute la suite.

C'est promettre beaucoup : mais qu'en sort-il souvent ? Du vent

:id., V, 10),

c'est la conclusion et le mot comique.

Si bien qu'autrefois entre elles Il survint de grands débats Pour le pas. La tête avoit toujours marché devant la queue

(Id., VII, 17).

Le petit vers énonce le point de départ de l'aventure, le sujet de la fable. L'emploi du monomêtre donne, outre un relief vigoureux, l'impression d'une nuance d'ironie qui est dans l'esprit de l'auteur. Le grand vers lent et grave qui vient après explique l'origine du débat.

\2i') VEKS LIHRES

Mais pluLôl qu'elle considère Que je me vas désaltérant

Dans le coiiranl Plus de vingt pas au-dessous d'elle

;iD., 1, 10).

Le monomètre, très en lumière, contient la vraie justification de l'agneau, le fait qui donne du sens au vers suivant.

Deux beletles à peine auroienl passé de front Su?' ce pont

(Id., XII, 4),

c'est ce « pont » qui détermine tout le sujet de la fable.

La cigale ayant chanté Tout Vété

(Id., I, 1).

Ce petit vers par son relief fait sentir combien avait duré l'in- souciance de la cig-ale et nous empêche par suite de nous api- toyer sur son sort quand nous voyons la fourmi l'accueillir comme elle le mérite.

Ne t'attends qu'à toi seul ; c'est un commun proverbe. Voici comme Lsope le mit En crédit

(Id., IV, 2-2).

La moralité contenue dans le grand vers est peut-être un com- mun proverbe, mais il y a des dictons plus répandus qui la contredisent, qui déclarent au contraire que nous avons conti- nuellement besoin de notre prochain, quel qu'il soit, que souvent nous ne saurions nous passer de son aide et ne pou- vons rien à moins que d'être unis. Elle risquait donc fort de n'être point acceptée sans preuve ; aussi n'a-t-il fallu rien moins pour la mettre en « crédit » que la démonstration d'Esope telle que va l'exposer La Fontaine.

LES MONOMÈTRES DE LA FONTALNE 127

Lu jour il couleroiL à ses petits enfauts Les beautés de ces lieux, les mœurs des habitants, Et le gouvernement de la chose publique Aquatique

(Id., iV, 11),

idée bizarre et ironique, qui serait puérile et sans valeur si elle n'était pas mise en relief.

DilFérenles d'humeur, de langage et d'esprit, El d'habit

(Id., XII, 11).

Ce mot est surtout une plaisanterie du poète, mais en outre il prépare le trait final :

Quoique ainsi que la pie il faille dans ces lieux Porter habit de deux paroisses.

La queue au ciel se plaignit.

Et lui dit : Je fais mainte et mainte lieue Gomme il plait à celle-ci : Croit-elle que toujours j'en veuille user ainsi ?

(Id.,VII, 17).

Le petit vers n'est qu'une plaisanterie, le poète s'amuse de faire parler ime queue de serpent; il met en outre en un relief singulier la plainte saugrenue qu'il annonce.

Mon ami, disoit-il souvent

Au savant, Vous vous croyez considérable

(iD.,vin, 19).

Ce n'est pas le petit vers qui est important, c'est le suivant qu'il met en relief.

128 VERS LIBRES

Il avoit du coniplanl El pariant De quoi choisir ; toutes vouloient lui plaire

(Id., I, 17).

Le petit vers indique d'une façon plaisante la conséquence : ce n'est pas à proprement parler ce qu il contient qui est impor- tant, mais ce qu'il annonce et sur quoi il appelle l'attention.

Ami, reprit le coq, je ne [)ouvois jamais Apprendre une plus douce et meilleure nouvelle Que celle De cette paix

(Id., II, 15).

Les deux petits vers mettent puissamment en relief, avec un petit air d'ironie, ce qu'ils contiennent ; le rôle du premier est particulièrement d'attirer l'attention sur le second.

Au partir de ce lieu qu'elle remplit de crainte, La perfide descend tout droit

A Vendroit la laie étoiten gésine

(Id., III, 6).

Les petits vers sont justifiés parce qu'ils expriment le fait qui peint le mieux « la fourbe » annoncée de la chatte et prépare la suite. Le monomètre renforce les deux autres et accentue l'intérêt.

Nous n'avons encore parlé que des petits vers : quittons-les pour nous occuper des grands dont nous n'avons jusqu'à présent presque rien dit. Quand un grand vers vient après un plus petit, il y a en général ralentissement et en tout cas chan- gement de mètre. Un ralentissement, nous le savons déjà, pro- duit un écartement analytique des idées, qui permet d'en con- sidérer un à un les détails, et un changement de mètre éveille

VALEUR PROPRE DE l'aLEXANDRIN 129

l'attention. L'elîet produit est donc en partie le contraire de celui qui résulte de l'emploi d'un petit vers après un grand, en partie le même. Nous devons par suite nous attendre à voir souvent le grand vers constituer exactement le même moyen d'expression que le petit; nouvelle contradiction pour l'obser- vateur superficiel, mais pour nous nouvelle confirmation des principes.

Un effet du grand vers à sa nature même, à sa lenteur et à son ampleur, c'est de convenir parfaitement à l'expression d'une idée grave, noble ou grandiose :

Le moindre vent qui daventure

Fait rider la face de Teau

Vous oblii^e à baisser la tète ; Cependant que mon front au Caucase pareil, Non content d'arrêter les rayons du soleil,

Brave l'elTort de la tempête

(La Fontaine, I, '2'2).

Les deux grands vers api^ès les petits, ralentissant la mesure, introduisent un style pompeux destiné à peindre l'orgueil du chêne ; après ces deux alexandrins le vers de 8 syllabes met en relief l'idée importante qui s'oppose à la faiblesse du roseau et prépare le dénouement :

Et de me laisser à pied, moi,

Comme un messager de village ; Moi qui suis, comme on sait, en terre et dans les cieux, Le fameux messager du souverain des dieux

(Molière, Amphitryon),

même ton orgueilleux dans les deux grands vers.

La queue au ciel se plaignit,

Et lui dit : Je fais mainte et mainte lieue Comme il plaît à celle-ci : Croit-elle que toujours j'en veuille user ainsi?

La Fontaine. ^IL 17i. M. (iKAMMONT. Le cers f'runçais. 9

130 VERS LIBRES

Après avoir énoncé simplement la cause de ses plaintes, la queue recourt à l'alexandrin pour exprimer son indignation ; la noblesse du langage sied à l'orgueil blessé.

! bonjour, monsieur du corbeau. Que vous êtes joH I que vous me semblez beau !

Sans mentir, si votre ramage

Se rapporte à votre plumage, Vous êtes le phénix des hôtes de ces bois

(Id., I, 2).

Les grands vers après des petits sont plus lents et peignent l'admiration.

Cet effet de gravité imposante, le grand vers peut le pro- duire de lui-même, sans venir après un vers plus court ; aussi le trouvons-nous parfois avec ce sens au début d'une fable :

Jupiter dit un jour: Que tout ce qui respire

S'en vienne comparoître aux pieds de ma grandeur ;

Si dans son composé quelqu'un trouve à redire.

Il peut le déclarer sans peur ;

Je mettrai remède à la chose

(Id.,I, 7).

Début en vers épiques comme il convient étant donné le per- sonnage et la noblesse de ses paroles ; mais la fin de la période, qui expose le sujet de la fable, est en petits vers rapides.

Va-t'en, chétif insecte, excrément de la terre ! C'est en ces mots que le lion Parloit un jour au moucheron

(Id., II, 9).

C'est le roi des animaux qui s'exprime ainsi ; les deux petits vers explicatifs n'ont pas d'importance, bien qu'ils présentent les personnages ;ce n'est que le poète qui parle ; c'est pourquoi l'on baisse d'un ton.

EFFETS DUS AU CHANGEMENT DE RYTHME 131

La raisondu plus fort est toujours la meilleure. Nous Talions montrer tout à l'heure

(Id., I, 10).

Grand vers lent pour rélïexion morale ' ; le petit vers qui annonce la fable n'a pas d'importance : on passe vite.

Maître corbeau, sur un arbre perché,

Tenoit en son bec un fromage. Maître renard, par l'odeur alléché,

Lui tint à peu près ce lang-age

(h.., I, -2).

Dans cette exposition rapide en petits vers, il y a deux vers, les décasyllabes à trois mesures, qui sont plus lents parce qu'ils désignent et en quelque sorte dépeignent ces deux personnages importants. Les deux vers plus courts et plus rapides, octo- syllabes à deux mesures, se correspondent par la place et l'as- sonance de leurs trois voyelles toniques .

Passons aux effets dus surtout au changement de rythme.

Nous constatons tout d'abord la même mise en relief, parla venue d'un grand vers après un vers court que tout à l'heure par le contraire.

Voici dans la même fable deux effets analogues rendus par ces moyens opposés : un vers court après un vers long, puis un vers long après un vers court. En somme c'est toujours un effet de contraste :

L'autre, envers les souris de longtemps courroucée, Pour la dévorer accourut.

Deux jours après notre étourdie Aveuglément va se fourrer Chez une autre belette aux oiseaux ennemie

(Id , II, 5)

1. Cf. p. 276.

132 VERS LIBRES

Exemples isolés :

11 fait le partage lui-même, Et donne à chaque sœur un lot contre son gré

(Id.,1I, 20).

Le grand vers contient l'idée importante, frappante, puisqu'elle est en contradiction avec ce qu'ont fait tous les juges et approu- vé tous les Athéniens.

Il marchoit d'un pas relevé, Fa faisoit sonner sa sonnette ; Quand Tennemi se présentant. Gomme il en vouloit à l'argent, Sur le mulet du fisc une troupe se jette

(Id.,I, 4).

Après les petits vers le grand vers lent contient tout l'évé- nement qui est le nœud de la fable, annoncé par ce qui pré- cède et déterminant ce qui suit.

Un amateur du jardinage, Demi-bqurgeois, demi-manant, Possédoit en certain village, Un jardinasse/, propre, et le clos attenant

(Id., IV, 4).

Dans cette introduction vive en petit vers, l'alexandrin attire l'attention sur ce jardin et ce clos parce qu'ils vont jouer le principal rôle dans le récit.

Deux compagnons pressés d'argent. A leur voisin fourreur vendirent La peau d'un ours encor vivant. Mais qu'ils tueroient bientôt, du moins à ce qu'ils dirent

(Id., V, 20).

A ces mots l'animal pervers (C'est le serpent que je veux dire, Et non l'homme, on pourroit aisément s'y tromper)

(lo.,X. 2).

ÉCARÏEMKNT ANALYTIOUE

133

Laissez-moi carpe devenir: Je serai par vous repêchée ; Quehiue gros partisan m'achètera bien cher

(Id., V, 3).

Le grand vers est destiné à faire briller aux yeux du pêcheur Targ-ument décisif.

Mais j'étois en pèlerinage, Et m'acquittois d'un vfcu fait pour votre santé

(In., VIII, 3),

c'est la raison importante qui doit apaiser et convaincre le lion.

Il faudrait donc, avec votre agrément, L'éloigner par quelque voyage ; Il est jeune, la lille est sage, Elle l'oubliera sûrement. Et nous le marierons à quelque honnête femme

(Musset, Silvia) .

C'est la grande idée de la mère qui est exprimée dans l'alexan- drin ; c'est son idée de derrière la tête qu'elle réserve pour sa conclusion et pour la réalisation de laquelle elle fait toutes ses démarches.

Lorsqu'une idée a été énoncée ou annoncée dans un petit vers, si Ion veut en préciser les détails on aura recours à l'écartement analytique à la lenteur d'un grand vers :

Il étoil douteux, inquiet : Un souffle, | une ombre, | un rien, ] tout | lui donnoit la

l^fièvre (La Fontaine, II, 14).

Tout tire délie laliment. Elle fait subsister l'artisan de ses peines, Enrichit le marchand, gage le magistrat. Maintient le laboureur, donne paye au soldat

(Id., 111,2).

134

VERS LIBRES

De petits monstres fort hideux, Rechignes, un air triste, une voix de mégère

(Id., V, 18).

Nous avons vu plus haut un effet très analogue obtenu par la continuation en petits vers d'un développement annoncé dans un grand; voici ces deux cas réunis dans un même pas- sage :

Les planches qu'on suspend sur un léger appui,

La mort aux rats, les souricières,

N'étoient que jeux au prix de lui.

Comme il voit que dans leurs tanières

Les souris étoient prisonnières. Qu'elles n'osoient sortir, qu'il avoit beau chercher

(Id., III, 18).

Les deux premiers petits vers sont le développement de l'idée commencée dans un grand vers ; les deux suivants sont dans la même note parce qu'il n'y a pas lieu de changer ; le grand vers de la fin est le développement de l'idée commencée dans un petit.

Il en résulte que si l'on veut mettre en relief tous les détails d'un développement, tous les traits d'une énumération, on n'aura qu'à changer Je mètre à chaque fois, passant tantôt d'un grand vers à un petit, tantôt d'un petit à un grand :

Car il parle, on l'entend, il sait danser, baller.

Faire des tours de toute sorte. Passer en des cerceaux ; et le tout pour six blancs

(lD.,IX, 3).

Ils n'ont devant les yeux que des objets d'horreur.

De mépris d'eux et de leurs temples. D'avarice qui va jusques à la fui'eur

(Id.,XI, 7).

LES lAMBES 135

Gérés, commeuça-t-il, faisait voyage un jour

Avec ran<;uille et l'hirondelle : Un fleuve les arrête; et Tanguille en nageant,

Gomme Thirondelle en volant, Le traversa bientôt. L'assemblée à Tinstant

iId., VIII, 4).

Un d'eux, le plus hardi, mais non pas le plus sage, Promit d'en rendre tant, pourvu que Jupiter

Le laissât disposer de l'air,

Lui donnât saison à sa guise, Qu'il ait du chaud, du froid, du beau temps, de la bise,

Enfin du sec et du mouillé,

Aussitôt qu'il auroit baillé

(Id., VI, 4).

C'est moi qui suis Sosie enfin, de certitude.

Fils de Dave, honnête berger ; Frère d'Arpage, mort en pays étranger ;

Marie de Gléanthis la prude

Dont l'humeur me fait enrager ; Qui dans Thèbe ai reçu mille coups d'étrivière,

Sans en avoir jamais dit rien ; Et jadis, en public, fus marqué par derrière.

Pour être trop homme de bien

(Molière, Amphitryon).

Mercure voulant persuader à Sosie que c'est lui qui est Sosie met en relief chacun des faits qu'il signale, c'est-à-dire cha- cun de ses arguments en chang-eant de mètre chaque fois ; l'antépénultième est bien un fait de plus et fort important, puisqu'il n'y a que Sosie qui peut le connaître.

C'est pour ces raisons que les pièces en iambes ont une telle intensité de force ; le mètre changeant à chaque vers, tout y est mis en relief. Les plus saillants sont pourtant les petits vers parce que les idées y sont présentées plus rapidement. Ne pouvant pas citer ici des pièces trop longues et d'ailleurs très connues, nous renverrons le lecteur aux trois suivantes :

136 VERS LIBRES

A. Chémer, Jambes^ VII : Quand au mouton bêlant la sombre boucherie,,,

A. Barbier, ïambes, L^ idole.

V. Hugo, Châtiments, La reculade.

Ce qui fait la vigueur, rimpression puissante de l'iambe, n'est pas ce fait qu'il y a continuellement chang-ement de mètre,' mais que les deux mètres qui alternent sont d une part le plus lent et d'autre part le plus rapide de la versification française. Si les vers qui alternent sont d'autres vers, par exemple le vers de 10 etcelui de 8, le contraste est beaucoup moins grand. Tous les éléments sont bien encore mis en relief, mais la vig-ueur a disparu. Voici un exemple emprunté à la Nuit de décembre qui fera bien sentir dans quelle mesure l'impression est moins puissante :

Qui donc es-tu ? Tu n'es pas mon bon ange ;

Jamais tu ne viens m'avertir. Tu vois mes maux (c'est une chose étrange !)

Et tu me regardes souffrir. Depuis vingt ans tu marches dans ma voie.

Et je ne saurais l'appeler...

et plus loin :

Partez ! Partez ! la Nature immortelle,

N'a pas tout voulu vous donner. .4h ! pauvre enfant, qui voulez être belle.

Et ne savez pas pardonner ! Allez, allez, suivez la destinée ;

Qui vous perd n'a pas tout perdu

Enfin, pour compléter ces renseignements qui caractérisent les iambes, nous ajouterons que l'on peut avoir exactement le même mouvement rythmique et les mêmes rapports de vi- tesse si l'on fait alterner le vers de six syllabes avec le vers de

MAINTIEN D UN MÊME METRE

137

quatre ; tous les éléments seront en relief de la même manière, mais l'ampleur aura disparu parce que les rimes arrivent trop vite, et que les deux rythmes se succèdent également trop vite; d'où, au lieu de l'ampleur, une allure sautillante et sac- cadée :

Ni la \ ierye de Grèce,

Marbre vivant ; Ni la fauve négresse,

Toujours rêvant ; Ni la vive Française,

A l'air vainqueur ; Ni la plaintive Anglaise,

N'ont pris mon cœur ! Tous ces beaux corps sans âmes

Plaisent un jour... Hélas ! j'ai six cents femmes

Et pas d'amour!

(Th. Gautier, SuUan Mahmoud).

Une conséquence de ce que nous venons de dire, c'est que si tous les éléments d'un développement ou d'une énumération ont la même valeur, il faudra conserver le même mètre ; une fois un mètre adopté, si les vers qui suivent sont dans le même mètre, ils n'ont rien de saillant par l'effet du mètre :

Jean Lapin allégua la coutume et l'usage : Ce sont, dit-il, leurs lois qui m'ont de ce logis Rendu maître et seigneur, et qui, de père en fils. L'ont de Pierre à Simon, puis à moi Jean transmis. Le premier occupant, est-ce une loi plus sage?

(La Fontaine, VII, 16).

Pas de changement d'idée, pas de changement de mètre.

Nul mets n'excitoit leur envie : Ni loups ni renards n'épioient La douce et l'innocente proie; Les tourterelles se fuyoient ; Plus d'amour, partant plus de joie

(Id., vu, 1).

138 VERS LIBRES

Nous signalerons à ce sujet quelques erreurs de La Fon- taine, c'est-à-dire quelques points qui sont en contradiction avec les principes mêmes qu'il avait coutume d'appliquer; car il y a des erreurs, des fautes et des négligences chez les plus parfaits, et il y a autant de profit à les relever, qu'à recon- naître et à admirer leurs mérites :

Tous furent du dessein, chacun selon sa guise :

L'éléphant devoit sur son dos

Porter l'attirail nécessaire,

Et combattre à son ordinaire ;

L'ours, s'apprêter pour les assauts ; Le renard, ménager de secrètes pratiques ; Et le singe amuser Tennemi par ses tours. Renvoyez, dit quelqu'un, les ânes qui sont lourds

(Id.,V, 19).

Les quatre petits vers sont le développement de l'idée annon- cée dans le grand, mais il n'y a aucun motif pour que le mètre change pour parler du renard et du singe qui ne jouent pas de rôle spécial dans cette fable, et il en résulte que le dernier vers qui noue la fable n'a pas le relief qui lui conviendrait.

Quatre animaux divers, le chat grippe-fromage, Triste oiseau le hibou, ronge-maille le rat.

Dame belette au long corsage,

Toutes gens d'esprit scélérat

(Id., VIII, 22).

Il n'y a pas de raison pour mettre ainsi en évidence la belette qui ne joue pas de rôle particulier dans la fable. Tous les ani- maux devraient figurer dans des vers semblables ; il est pro- bable que La Fontaine a dérogé ici à ses habitudes pour ne pas renoncer à cette jolie expression :

Dame belette au long corsage.

Nous avons vu plus haut qu'un contraste était bien marqué

l:xPKEsslo^ d un contraste

139

par un changement de mètre. lien sera évidemment de même d'un changement quelconque dans les idées, dans la suite du développement, de l'arrivée d'un événement nouveau, de l'en- trée en scène d'un nouveau personnage :

Sous un sourcil é|)ais il avoit Fceil caché,

Le regard de travers, nez tortu, grosse lèvre,

Porloit savon de poil de chèvre,

Et ceinture de joncs marins

(Id., IX, 7),

changement de mètre parce qu'on passe de la personne à son vêtement.

Celui-ci glorieux d'une charge si belle. N'eût voulu pour beaucoup en être soulagé.

Il marchoit d'un pas relevé

Et faisoit sonner sa sonnette

(h.., I, 1).

...ses plus pi'oches voisins Ne s'en sentoient non plus que les Américains. Ce fut leur avantage : ils eurent bonne année.

Pleine moisson, pleine vinée : Monsieur le receveur fut très mal partagé.

L'an suivant, voilà tout changé :

Il ajuste d'une autre sorte

La température des cieux.

Son champ ne s'en trouve pas mieux ; Celui de ses voisins fructifie et rapporte

(Id., VI, 4).

Le premier petit vers développe l'idée indiquée dans le second hémistiche de l'alexandrin qui le précède. L'alexandrin qui le suit marque un contraste ; puis le ton change avec une autre série d^événements, et le dernier grand vers marque de nou- veau un contraste.

140 VERS LIIÎRES

Je la conduirai si bien Qu'on ne se plaindra de rien. Le ciel eut pour ses vœux une bonté cruelle

^Id., mi, 17).

Un nouveau personnage entre en action.

Daims et cerfs de climat chang-èrent, Chacun à s'en aller fut prompt. Un lièvre apercevant l'ombre de ses oreilles

(Id., V, 4).

...lassé de vivre Avec des gens muets, notre homme, un beau malin, Va chercher compag'nie et se met en campagne.

L'ours, porté d'un même dessein,

Venoit de quitter sa montag^ne.

Tous deux par un cas surprenant,

Se rencontrent en un tournant. L'homme eut peur : mais comment esquiver ? et que faire? Se tirer en gascon d'une semblable all'aire Est le mieux ; il sut donc dissimuler sa peur.

L'ours, très mauvais complimenteur, Lui dit : Viens t'en me voir. L'autre reprit : Seigneur

(Id., VIII, 10),

chang-ement de mètre chaque fois qu'il y a changement de personnage ou événement nouveau ; au troisième petit vers il n'y a pas de changement de mètre parce qu'il s'agit d'un événement prévu. Le dernier événement, préparé par l'avant- dernier vers, est un événement unique à deux personnages.

Des taillis les plus hauts mon front atteint le faîte ; Mes pieds ne me font point d'honneur, Tout en parlant de la sorte, Un limier le fait partir. Il tâche à se garantir ; Dans les forêts il s'emporte.

EMPLOI PARTICULIER DU DÉCASYLLARE 141

Son bois, donimaf^eable ornement,

L'arrêtant à chaque moment,

Nuit à Totrice que lui rendent

Ses pieds de qui ses jours dépendent

(lu., VI, 9).

Le premier chano-ement de mètre marque un contraste : il oppose les pieds au front. z\près ce vers de huit syllabes il survient un événement brusque et inattendu, l'arrivée du li- mier suivie de la fuite du cerf. Un changement de mètre était nécessaire, mais un vers d'un nombre de syllabes pair n'eût pas exprimé cette surprise et ce mouvement précipité ; d'où l'emploi du petit vers boiteux de sept syllabes. Après quatre vers, l'octosyllabe nous ramène pour le ton et l'idée au com- mencement de la fable.

Messire loup vous servira, S'il vous plaît, de robe de chambre. Le roi g'oûte cet avis-là. On écorche, on taille, on démembre Messire loup. Le monarque en soupa

(Id., VIII, 3).

Après les conseils du renard, et l'acquiescement du lion, on passe immédiatement aux actes, à l'exécution ; d'où nécessité d'un chang-ement de mètre. 11 y a changement de mètre bien que ce soit un octosyllabe, car il a trois mesures. En réalité c'est une sorte d'alexandrin qui arrive, mais un alexandrin dont la 4*' mesure est rejetée par la rime sur le vers suivant. Ce « messire loup » qui est ainsi mis en relief par le vers de 10 syllabes était bien inattendu au commencement de la fable.

Nous venons de rencontrer un vers dans lequel le commen- cement seul est important ; c'est pour ce commencement qu'a lieu le changement de mètre, le reste du vers est insignifiant. Ce phénomène n'est pas rare chez La Fontaine, c'est même le

142 VERS MBRES

cas le plus fréquent lorsqu'il emploie un vers de 10 syllabes isolé ; cela s'explique fort bien ; une fois qu'il a mis en relief ce qu'il voulait faire ressortir, qu'importe la fin du vers ? En voici d'autres exemples :

Mais après cerlaiii temps souffrez qu'on vous propose Un époux beau, bien fait, jeune, et tout autre chose Que le défunt. Ah ! dit-elle aussitôt

(II)., VI, 21).

Les mots en rejet dans le vers de 10 sont ce qu'il y a de plus saillant dans toute la fable. C'est en même temps le centre de la fable ; toute la première partie y aboutit, et c'est le point de départ de tout le reste. Le second hémistiche est sans intérêt ; le rythme n'a donc changé que pour ces mots, car le second hémistiche est celui d'un alexandrin.

Vous moquez-vous ? dit l'autre: ah ! vous ne savez guère Quelle je suis. Allez, ne craignez rien

(Id., VIII, 6),

ce « Quelle je suis » annonce tout le reste de la fable, étant donné qu'il va être immédiatement commenté par

L'autre grille déjà d'en conter la nouvelle ; Elle va la répandre en plus de dix endroits.

Il vendit son labac, sou sucre, sa cannelle,

Ce qu'il voulut, sa porcelaine encor : Le luxe et la folie enflèrent son trésor;

Bref, il plut dans son escarcelle

(Id., VII, 14);

« Ce qu'il voulut » est le mot important, le résumé de toute la première partie, la même idée que le vers de huit syllabes ; le deuxième hémistiche est presque du remplissag-e.

Il avoit dans la terre une somme enfouie, Son cœur avec, n'ayant autre déduit Que d'y ruminer jour et nuit

(1(1., \\\ 20),

<( LE GLAND ET LA CITROUILLE » H3

« Son c(eur avec » prépare les lamentations qui vont suivre.

Nous croyons avoir" examiné dans les exemples précédents tous les cas qui peuvent se présenter et comme ils s'expliquent tous parfaitement par les principes que nous avons posés au début, la justesse de nos explications est par démontrée. Néanmoins, comme dit le fabuliste :

Deux sûretés valent mieux qu'une, Et le trop en cela ne fut jamais perdu.

Nous allons donc vérifier les résultats obtenus et les faits constatés dans des exemples isolés, par l'étude détaillée de deux fables tout entières :

Le Gland et la Citrouille (IX, 4)

Dieu fait bien ce qu'il fait. Sans en chercher la preuve En tout cet univers, et l'aller parcourant, Dans les citrouilles je la treuve.

Ton noble pour la réflexion morale et parce qu'il est question de Dieu, cf. p. 130. La même mètre lent se continue pour peindre la durée qu'il faudrait pour parcourir tout l'univers en cherchant. Petit vers pour montrer la rapidité de la trouvaille et la singularité de cette trouvaille ; il y a dans ce changement de rythme non seulement l'expression d'un changement d'idées, mais aussi d une plaisanterie. C'est en même temps l'annonce du sujet.

Un villag^eois, considérant Combien ce fruit est gi^os et sa tige menue : A quoi songeoit, dit-il, l'auteur de tout cela? Il a bien mal placé cette citrouille-là !

Introduction rapide par un petit vers du principal person- nage ; mais aussitôt après, le vers s'allonge et se ralentit pour exposer les considérations du villageois, considérations fort

144 VERS LIBRES

importantes parce qu'elles déterminent l'existence de la fable, et lentes en même temps parce que les réflexions d'un villa- g-eois ne sont généralement pas rapides ; il ne comprend pas vite. L'idée et la situation ne changent pas durant ces trois vers, aussi n'y rencontrons-nous pas de changement de mètre. Mais dès qu'il a trouvé la solution, qu'il sait ce qu'il aurait fallu faire, il y a changement de mètre pour marquer le chan- gement de son état d'esprit, et adoption d un vers plus rapide pour peindre la vivacité avec laquelle il expose sa trouvaille :

Eh parbleu ! jeTaurois pendue A lun des chênes que voilà ; C'eût été justement l'alFaire: Tel fruit, tel arbre, pour bien faire.

Là-dessus changement d'idée complet; c'est en quelque sorte l'auteur qui prend la parole, quoique au fond ce soit toujours notre villageois qui poursuit ses réflexions, qui déplore de n'avoir pas été consulté par le Créateur, et tournant à cette idée ses regards vers le ciel, aperçoit un gland sur un chêne, le considère, l'examine et brusquement trouve ce que Dieu aurait faire. Voilà l'explication du changement de rythme qui nous amène quatre vers lents suivis d'un petit vers rapide :

C'est doramage. Gare, que tu n'es point entré Au conseil de celui que prêche ton curé ; Tout en eût été mieux : car pourquoi, par exemple. Le gland, qui n'est pas gros comme mon petit doigt. Ne pend-il pas en cet endroit ?

Non seulement il a trouvé qu'il fallait mettre le gland à la place de lacitrouille, mais encore que Dieu s'est trompé. Cette seconde découverte doit être énoncée avec la même vivacité et la même assurance que la précédente, aussi navons-nous pas de changement de mètre :

Dieu s'est mépris : plus je contemple...

« LE GLAND ET LA CITROUILLE » 145

Pourtant, au moment il vient de lancer cette hérésie, il é|)rouve un scrupule, il examine de nouveau la question, doù le vers lent, mais n'y trouve que la confirmation de sa précé- dente conclusion, qu'il repète en d'autres termes dans le même mètre vif que précédemment :

Dieu s'est mépris : plus je contemple Ces fruits ainsi placés, plus il semble à Garo Que Ton a fait un quiproquo.

Là-dessus l'auteur prend la parole pour nous raconter la suite de l'aventure, d'où changement de mètre et adoption d un mètre lent, parce qu'il n'y a pas de raison pour en prendre un qui soit vif. Nous avons une série de neuf tétra mètres de douze syllabes :

Cette réflexion embarrassant notre homme, On ne dort point, dit-il, quand on a tant d'esprit ; Sous un chêne aussitôt il va prendre son somme. Un gland tombe : le nez du dormeur en pâtit. Il s'éveille; et portant la main sur son visage. Il trouve encor le gland pris au poil du menton. Son nez meurtri le force à changer de langage : Oh ! oh ! dit-il, je saigne ! Et que seroit-ce donc S'il fût tombé de larbre une masse plus lourde...

Pourquoi l'auteur n'a-t-il pas changé de mètre dès le second vers de cette tirade, pour les paroles de Garo :

On ne dort point, dit-il, quand on a tant d'esprit,

parce que le villageois qui dort déjà à moitié ne les a sûre- ment pas prononcées d'un ton bien vif, mais surtout parce que placées ainsi au milieu de la narration et encadrées dans le récit fait par le poète, elles perdent en quelque sorte leur personnalité, bien quelles soient au style direct, et deviennent

^L Grammii.nt. Le vers français. 10

146 VERS LIBRES

simplement comme ce qui les précède et ce qui les suit un des événements que rapporte le fabuliste. Au huitième vers, le dormeur réveillé reprend la parole ; pourquoi n'y a-t-il pas changement mètre ? les paroles du paysan ne sont-elles pas une brusque explosion de surprise suivant les constatations qu'il a faites ? Non ; c'est en faisant ces constatations qu'il parle et qu'il se prend à réfléchir sur ce qui lui est arrivé et ce qui aurait pu lui arriver, et pas plus ici que précédemment ses réflexions ne sont rapides : la nature de son cerveau s'y oppose absolument :

Oh ' oh ! dit-il, je saigne ? el que seroit-ce donc S'il fût tombé de Tarbre une masse plus lourde, Et que ce gland eût été gourde!

Le petit vers rapide qui termine cette phrase est parce que au milieu de sa méditation il se rappelle soudain les réflexions qu'il avait faites avant son sommeil ; c'est comme plus haut la conclusion de ses réflexions, aussi avons-nous le même ton que précédemment ; notons dailleurs que ce vers est d'une importance capitale puisqu'il rappelle tout le sujet de la fable et amène le dénouement ; il était donc nécessaire de le mettre en relief.

En même temps le villageois se rappelle que non seulement il voulait mettre les citrouilles à la place des glands, mais qu'il accusait aussi le Créateur de s'être mépris; il envisage ce second point, doù le vers lent :

Dieu ne Ta pas voulu: sansdouie il eût raison,

et aussitôt qu'il a trouvé la solution de ce problème il le dit de nouveau vivement :

J'en vois bien à présent la cause. La fable estterminée, l'auteur en a exposé tous les événements,

« LES DEUX PIGEONS » 147

et n'a plus rien d'intéressant à nous dire, aussi la clôt-il brus- quement sans changer de rythme par deux petits vers rapides:

En louant Dieu de toute chose, Garo retourne à la maison.

Prenons une fable un peu plus compliquée : Les deux Pigeons (IX, 2).

Le poète introduit ses personnages et expose le sujet de la fable en petits vers rapides :

Deux pigeons s'aimoient d'amour tendre : L'un d'eux, sennuyant au logis, Fut assez fou pour entreprendre Un voyage en lointain pays. L'autre lui dit : Qu'allez-vous faire? V^oulez-vous quitter votre frère? L'absence est le plus grand des maux : Non pas pour vous, cruel ! Au moins que les travaux...

Pourquoi n'avons-nous pas changement de mètre pour la réflexion morale :

L'absence est le plus grand des maux?

parce qu'elle est ici un des arguments de l'un des deux pigeons, exactement au même titre que

Voulez-vous quitter votre frère,

et que par conséquent il la dit du même ton. Mais lorsque son discours devient un reproche personnel, le mètre change aussitôt :

Non pas pour vous, cruel ! \\i moins que les travaux...

148 VERS LIBRES

Dans ce vers, phénomène que nous avons rencontré plusieurs fois, c'est le premier hémistiche surtout qui est important, et c'est pour lui uniquement qu'a lieu le chang-ement de mètre. Le second hémistiche sert k introduire un développement nou- veau, un nouvel argument suscité au pigeon par son amour pour son frère, argument dont les éléments sont mis en relief par un changement de mètre immédiat, un retour au vers de 8 syllabes dès la fin de cet alexandrin :

Au moins, que les travaux,

Les dangers, les soins du voyage,

Changent un peu votre courage. Encor si la saison s'avançoit davantage 1

Nous voyons un nouveau changement de mètre parce que l'oiseau passe des possibilités générales aux faits particuliers, et une fois ce mètre déterminé tous les faits particuliers qui lui viennent à l'esprit, ils les énonce dans le même mètre:

Encor si la saison s'avançoit davantage !

Attendez les zéphyrs : qui vous presse ? un corbeau

Tout à l'heure annonçoit malheur à quelque oiseau .

Je ne songerai plus que rencontre funeste,

Que faucons, que réseaux. Hélas 1 dirai-je, il pleut.

Ces deux mots « que faucons, que réseaux » sont le dévelop- pement de cette expression plus générale « que rencontre funeste » ; ordinairement dans un cas pareil, nous l'avons vu, La Fontaine insiste sur les détails qui précisent une idée géné- rale en changeant de mètre ; il ne l'a pas fait ici, mais il leur a donné un relief équivalent en coupant le sens à Thémistiche. Il y a trouvé cet avantage d'avoir à sa disposition un second hémistiche pour introduire, comme tout à l'heure, une idée nouvelle. Le pigeon ne craint pas seulement pour son ami le danger accidentel et problématique d'être tué ou pris, mais sa sollicitude fraternelle va jusqu'à s'inquiéter des simples

« LES DEUX PIGEONS » 149

souffrances que lui causeront certainement les changements d'atmosphère ; cette idée était déjà comprise dans ce vers :

Encor si la saison s'avançoit davantage !

mais il la reprend ici sous un autre aspect, avec une allure plus vive en montrant à Fégoïste voyageur quelles seront ses con- tinuelles angoisses, les questions qu'il se posera avec inquié- tude, et il les présente en style direct, comme s'il se les faisait déjà. C'est pourquoi, aussitôt cette pensée introduite par le second hémistiche, le mètre change et redevient plus rapide :

Hélas ! dirai-je, il pleut :

Mon frère a-t-il tout ce qu'il veut, Bon soupe, bon gîte, et le reste ?

Cette expression « tout ce qu'il veut » se détaille et se précise dans le vers suivant ; c'est bien encore un octosyllabe, mais il est rythmé à trois mesures au lieu de deux ; il est donc nota- blement plus lent (il y a ralentissement d un tiers) et produit l'écartement analytique nécessaire.

Le pigeon cesse de parler et le poète nous indique l'effet produit sur son compagnon par ses paroles. Il faut un nouveau changement de mètre. La Fontaine l'obtient très simplement en rendant à l'octosyllabe son allure habituelle à deux mesures :

Ce discours ébranla le cœur

De notre imprudent voyageur ; Mais le désir de voir et l'humeur inquiète Lemportèrent entin. . .

Il semblait qu'il allait céder, mais il se produit soudain un revirement dans son opinion et il s'abandonne à son projet aventureux. Ce revirement est marqué par le retour à l'alexan- drin qui subsistera tant que l'idée se développera sans qu'aucun détail demande à être mis en relief:

150 VERS LIBRES

Mais le désir de voir et riiumeur inquiète L'emportèrent enfin. Il dit: Ne pleurez point ; Trois jours au plus rendront mon âme satisfaite. Je reviendrai dans peu conter de point en point

Mes aventures à mon frère ; Je le désennuierai. Quiconque ne voit guère, N'a guère à dire aussi. Mon voyage dépeint

Vous sera d'un plaisir extrême. Je dirai : j'étais ; telle chose m'avint ;

Vous y croirez être vous-même.

Le premier petit vers :

Mes aventures à mon frère,

contient dans les mots « à mon frère » Tunique marque de tendresse que le voyag-eur donne à son ami. 11 demandait pour cela seul à être mis en évidence, mais il sert surtout à atti- rer l'attention par le changement de mètre qu'il constitue, et elle se porte sur le commencement du vers suivant :

Je le désennuierai. . . .

C'est en effet le grand argument qu'il oppose aux bonnes rai- sons du pigeon casanier. Il est beaucoup moins sentimental que ce dernier, et ne trouve pas autre chose à dire. 11 s'efforce alors de mettre sa justification en valeur, mais il ne lui vient à l'esprit que des développements sans ampleur. C'est sec, c'est décousu, impression que le poète donne bien en brisant ses vers à la césure, en faisant commencer et finir les propo- sitions à cet endroit. 11 réussit pourtant, à force de retourner son argument sous toutes ses faces, à le mettre encore deux fois en relief, au moyen de ce petit vers :

Vous sera d'un plaisir extrême,

puis de ce dernier :

Vous y croirez être vous-même.

« LES DEUX PIGEONS )) 151

La discussion est terminée. Le poète prend la parole pour nous raconter le départ et les premiers événements qui le sui- virent, et naturellement pour cela il revient au grand vers de 1 2 syllabes :

A ces mots, en pleurant, ils se dirent adieu. Le voyageur s'éloigne ; et voilà qu'un nuage L'oblige de chercher retraite en quelque lieu. Un seul arbre s'ofîrit, tel encor que l'orage Maltraita le pigeon en dépit du feuillage. L'air devenu serein, il part tout morfondu, Sèche du mieux qu'il peut son corps chargé de pluie ; Dans un champ à l'écart voit du blé répandu, Voit un pigeon auprès : cela lui donne envie ; Il y vole, il est pris : ce blé couvroit d'un lacs Les menteurs et traîtres appâts.

Le petit vers qui termine cette période est fort important et le poète le met en relief parce qu'il rappelle un des malheurs annoncés par le pigeon demeuré au logis :

Je ne songerai plus. . . que réseaux.

Le fabuliste n'a pas cru devoir s'appesantir sur le premier événement, « l'orage », qui

Maltraita le pigeon endépitdu feuillage.

Le pigeon en a souffert sans doute, mais il n'en a pas fait grand cas : c'était prévu, il s'y attendait et ce n'est pas assez grave pour le faire renoncer à son projet. Nous ne devons pas nous y appesantir plus que lui ; mais cette fois c'est la seconde peine qu'il éprouve et beaucoup plus terrible : « il est pris » ; ce n'est plus un de ces événements qui sont dans l'ordre natu- rel des choses, c'est un accident. Gela lui donne à réfléchir et à nous aussi, grâce au petit vers qui attire notre attention. L'auteur reprend le même ton pour la suite de son récit :

132 VERS LIBRES

Le lacs étoit usé : si bien que, de son aile, De ses pieds, de son bec, l'oiseau le rompt enfin : Quelque plume y périt ; et le pis du destin Fut qu'un certain vautour à la serre cruelle Vit notre malheureux, qui, traînant la ficelle Et les morceaux du lacs qui Tavoit attrapé, Sembloit un forçat échappé.

Le petit vers est pour nous montrer le changement survenu dans l'état du voyageur : il n'est plus alerte et gai comme au départ, il s'enfuit, il a peur, il est même gêné dans son vol par les morceaux du lacs qui lui restent attachés, et un nouveau danger le menace, un autre des accidents annoncés je ne son- gerai plus... que faucons »), et c'est même surtout ce que le petit vers doit mettre en relief en attirant l'attention sur le commencement du grand vers suivant :

Le vautour s'en alloit le lier...

Le poète continue :

Le vautour s'en alloit le lier, quand des nues Fond à son tour un aigle auxailes étendues. Le pigeon profita du conflit des voleurs. S'envola, s'abattit auprès d'une masure,

Crut pour ce coup que ses malheurs

Finiroient par cette aventure.

Nous avons montré à plusieurs reprises que lorsqu'il survient un nouveau personnage, lorsqu'un nouvel événement seproduit, La Fontaine a coutume de changer de mètre. Ici, le vautour, l'aigle arrivent sans changement de rythme, et de l'aigle on passe de nouveau au pigeon en gardant le même vers. C'est qu'à cet endroit il n'y a en réalité qu'un seul personnage en jeu, le pigeon, et tout le reste n'est que la série des aventures qu'il éprouve.

Les deux petits vers qui terminent cette dernière phrase :

« LES DELX PIGEONS »

133

Crut pour ce coup que ses malheurs Finiroient par cette aventure,

prouvent bien ce que nous disions tout à l'heure que le lacs lui avait donné à réfléchir ; mais au moment Ton croit qu'il est complètement découragé, qu'il est convaincu que son frère avait raison, et ne va plus songer qu'à l'aller rejoindre, il se rassure soudain, pense que ses peines sont terminées et se dispose sans doute, tant est grande sa vanité, à poursuivre sa route pour avoir des événements plus gais à raconter à son frère. Cette idée demandait à être mise en relief ; les deux petits vers y pourvoient.

Mais un nouvel accident survient, un accident qui n'avait pas été annoncé par l'autre pigeon et qui fait contraste avec la quiétude que l'oiseau était en train de recouvrer. Un chan- gement de mètre exprime ce contraste :

Mais un fripon d'enfant (cet âge est sans pitié) Prit sa fronde, et du coup tua plus qu'à moitié

La volatile malheureuse, Qui, maudissant sa curiosité,

Traînant l'aile et tirant le pied,

Demi-morte, et demi-boiteuse,

Droit au logis s'en retourna :

Que bien, que mal, elle arriva

Sans autre aventure fâcheuse.

Le petit vers « la volatile malheureuse » n'a aucune impor- tance en lui-même, mais il sert à introduire et à mettre en relief le vers de dix syllabes « qui maudissant sa curiosité », dont le rôle est considérable : il nous oblige à faire un retour en arrière sur le commencement de la fable, s'oppose aux deux petits vers dont nous parlions tout à l'heure et nous montre le pauvre oiseau enfin convaincu et déplorant son funeste entêtement. Il y a changement de rythme pour le vers suivant parce que la description passe de l'état moral dupigeon

154 VERS LIBHES

à son état physique. Enfin l'auteur n'ayant plus de nouvel événement à relater clôt rapidement sa fable sans changer de mètre comme dans <( Le gland et la citrouille ».

La fable est terminée ; la joie qu'éprouvent les deux pigeons de se retrouver, nous l'imaginons aisément sans qu'il soit besoin de nous la décrire ; mais La Fontaine a voulu ajouter à ce récit une sorte de moralité sous forme de conseil, La meil- leure transition qu'il ait trouvée pour introduire ce nouveau développement a été précisément de nous dire, en prenant personnellement la parole, quel fut leur bonheur d'êtreréunis. Du moment qu'il parle en son nom le rythme doit changer :

Voilà nos gens rejoints ; et je laisseà juger

De combien de plaisir ils payèrent leurs peines.

Naturellement le conseil qui se rattache à cela et que cette phrase introduit doit débuter dans le même mètre :

Amants, heureux amants, voulez-vous voyager? Que ce soit aux rives prochaines.

Le second vers contient l'idée principale, il renferme le con- seil que donne le poète, conseil fondé sur les événements racontés dans la fable et évoque par conséquent le souvenir de toutes les tribulations de l'oiseau voyageur ; c'est pourquoi il est dans un mètre différent du précédent. Ce conseil, le fabuliste ne le donne pas en passant, il le développe, le reprend sous une autre forme pour y insister, d'où nouveau changement de mètre :

Soyez-vous l'un à l'autre un monde toujours beau. Gomment le même objet peut-il toujours plaire?

L'ennui naquit un jourde runiformité, a dit Voltaire ; mais Platon avait enseigné avant lui que le

« LES DEUX PIGEONS » 155

plaisir naît de la variété et du changement. Ce sera pour La Fontaine le moyen de développer son idée « un monde tou- jours beau » et d'en préciser les détails en un vers plus rapide ;

Toujours divers, toujours nouveau.

Mais comment une seule personne peut-elle être « un monde » pour une autre ? Voilà une autre idée à préciser et si Ton veut que son développement fasse quelque impression il faut de nouveau changer le mètre :

Tenez-vous lieu de tout, comptez pour rien le reste.

De même que tout à l'heure l'idée du bonheur des deux pigeons réunis avait suggéré à l'auteur le conseil qu'il vient de nous donner et qu'il y a joint sans changer de mètre, de même ici la dernière idée exprimée <( comptez pour rien le reste », lui fait faire un retour en arrière sur lui-même et lui remet en mémoire des souvenirs personnels qu'il y rattache de la même manière sans changer de mètre ; il change d'idée particulière, il ne change pas d'état d'esprit général, et c'est toujours lui qui parle, toujours lui qui est en scène :

J"ai quelquefois aimé : je naurois pas alors,

Contre le Louvre et ses trésors, Contre le firmament et sa voûte céleste.

Changé les bois, changé les lieux...

S'il veut pourtant que nous comprenions bien la haute estime qu'il faisait ne son bonheur, il faut qu'il prenne un mètre plus rapide pour nous dire :

Contre le Louvre et ses trésors,

et s il veut renchérir encore sur cette idée il faudra recourir au contraire au vers lent qui analyse les éléments d'idées qu'il contient :

156 VERS LIBRES

Gonti'e le firmament et sa voûte céleste.

Quant au petit vers suivant :

Changé les bois, chang'é les lieux,

il n'a pas grand intérêt par lui-même; ces bois et ces lieux le fabuliste ne pouvait les échanger contre rien puisqu'il ne les possédait même pas, et ils n'avaient pas pour lui une grande importance en eux-mêmes ; mais ce qui avait à son sentiment un prix uniqueet incomparable, c'étaient les souvenirs attachés à ces bois et à ces lieux. S'il a mis un petit vers à cet endroit, c'est donc pour introduire en lui donnant du relief le grand vers dans lequel il exprimera ces précieux souvenirs :

Honorés parles pas, éclairés par les yeux

de quelle divinité ? grand Dieu !

De l'aimable et jeune bergère Pour qui, sous le fils de Cythère, Je servis, engagé par mes premiers serments !

Nous ne nous attendions pas à cette aimable et jeune bergère ; mais nous avions tort : que peut-il y avoir au-dessus de l'ob- jet des premières amours? C'est bien ce que sent le poète ; il le met en relief par un changement de mètre et ne nous parle pas de ses autres amours. Il envisage un instant ce charmant souvenir, puis la mélancolie le prend et son ton devient grave et lent dès ce vers :

Je servis, engagé par mes premiers serments !

pour se maintenir dans la même note presque jusqu'à la fin:

Hélas ! quand reviendront de semblables moments ! Faut-il que tant d'objets si doux et si charmants Me laissent vivre au gré de mon âme inquiète!

OPINION DE LAMARTINE 157

Pourtant ici un élan d'enthousiasme et de désir l'oblig-e à prendre un mètre plus vif; il ne quitte pas le vers de douze syllabes, mais il le bat à trois mesures, phénomène assez rare chez lui :

Ah ! si mon cœur | osoit encor | se renllammer !

Mais il retombe aussitôt dans sa tristesse pour énoncer l'interrogation suivante qui est bien dans son esprit une affir- mation :

Ne sentirai-je plus de charme qui m'arrête ?

Enfin le dernier vers, sous forme interrogative, est bien une autre affirmation, et grâce au resserrement synthétique du petit vers qui l'exprime, une conclusion :

Ai-je passé le temps d'aimer ?

Nous venons de voir avec quelle perfection La Fontaine a manié le vers libre. Aussi quand nous trouvons au sujet de ses fables un jugement d'un grand poète absolument con- traire au nôtre, sommes-nous obligés de le prendre en consi- dération et de voir ce qui a pu le déterminer. Le grand poète qui a médit de La Fontaine, beaucoup plus grand poète que son critique à notre sens, c'est Lamartine qui a écrit dans la Préface des Méditations : « On me faisait bien apprendre aussi par cœur quelques fables de La Fontaine ; mais ces vers boi- teux, disloqués, inégaux, sans symétrie ni dans l'oreille ni sur la page, me rebutaient ». On sait d'autre part que Lamar- tine « traitait en enfant » Alfred de Musset, également plus grand poète que lui. Avait-il un orgueil qui le portât à se faire le détracteur de tous ses rivaux passés ou contemporains ? Non, il était orgueilleux sans doute, mais pas au delà de ce qui est permis à un homme de génie qui a conscience de sa valeur. Ce qui lui a fait prendre en aversion les fables de

158 VERS LIHRES

La Fontaine, c'est tout d'abord que, comme la plupart de nos jeunes gens, il avait été contraint, dans son enfance, de les apprendre par cœur, sans les comprendre, sans qu'on lui donnât les explications qui auraient fait de cette étude une jouissance au lieu dune corvée, et que, incapable de revenir sur cette première imjiression, il avait fait porter, comme il arrive trop souvent, sa rancune sur le poète qui n'en pouvait mais, au lieu de la laisser retomber sur ses mauvais maîtres, qui seuls la méritaient.

C'est une raison, mais une faible raison. Les véritables motifs de son dédain pour La Fontaine et Musset, c'est dans la nature même de son esprit qu'il faut les chercher. Lui- même nous donne involontairement une indication quelques lignes plus haut que le passage cité : « La Henriade, dit-il, toute sèche et toute déclamatoire qu'elle fût, me ravissait ». Celui qui a pu un jour dans sa vie s'enthousiasmer pour la poésie de Voltaire ne pouvait pas comprendre La Fontaine et Musset. La Henriade est écrite avec une grande facilité comme toutes les œuvres de Voltaire, mais les vers sont d'une mo- notonie désespérante, d'une facture invarial)lement banale, la langue est imprécise, redondante, émaillée de chevilles, et la poésie en est presque totalement absente. Lamartine avait comme Voltaire une étonnante facilité, et peu de poètes ont su comme lui développer et étaler avec aisance la période française. Mais il avait le défaut de cette qualité ; il était inca- pable de se corriger, de supprimer ou de refaire un vers mal venu, et s'il nous adonné quelques-unes des plus belles pages de notre poésie, il en a trop laissé qui ne sont que du verbiage, avec une pensée si peu précise qu'on la saisit à peine, dans des vers d'une uniformité fatigante, et au fond moins harmo- nieux réellement que simplement faciles. Le talent de Lamar- tine a toujours évolué dans un cercle d'idées extrêmement restreint, et ne lui permettait pas de comprendre les idées différentes des siennes ; voilà pourquoi La Fontaine et Musset devaient lui échapper pour une bonne part de leurs œuvres. Il faut ajouter, et c'est ce qui achèvera de nous expliquer son

« LA RETRAITE » 1.^9

jugement sur La Fontaine, qu'il najamais su se servir du vers libre. Nous allons nous en rendre compte par un exemple, que je ne prends pas au hasard, mais que je choisis parmi les meilleures pièces qu'il ait faites en ce genre. Lamartine a donc fait des vers libres ? Si on le lui :avait dit, il aurait sans doute protesté. Pourtant il faut bien le reconnaître, il a des pièces qui sont en vers libres exactement au même titre que V Amphitryon de Molière, c'est-à-dire que plus exacte- ment ce sont des stances libres, en ce sens que les rimes n'en- jambent pas, comme chez La Fontaine, d'une période sur l'autre ; mais comme il n'y a pas deux de ces stances qui soient semblablement construites, les changements de mètres sont abandonnés absolument au caprice du poète, et c'est par excellence ce qui constitue le vers libre. Pour cette pièce comme pour la plupart des suivantes il nous est impossible de citer le texte ; ce serait transformer notre livre en un recueil de morceaux choisis. Mais nous ne saurions trop recommander au lecteur de n'examiner nos analyses qu'avec les textes sous les yeux :

La Retraite (Premières méditations)

strophe : Pourquoi débuter par un petit vers rapide ? La Fontaine commence ainsi ses fables quand il veut présenter rapidement ses personnages. Les trois premiers vers peignent la situation de M. de Châtillon ; du moment que l'idée ne change pas, ils devraient être tous trois dans le même mètre, et ce mètre ne devrait pas être de 8 syllabes parce que l'idée exprimée ne demande nullement de la viv^acité. le mètre devait changer, c'est au 4*^ vers : « Le temps... », qui conclut cette description de la situation du vieillard, et en même temps contient l'idée importante, celle qui annonce tout le dévelop- pement et tout le sujet de la pièce. Pour les deux vers suivant il y avait lieu de changer de nouveau de mètre parce qu'ils reprennent l'idée exprimée dans le i'' en la présentant sous un autre aspect et en la précisant.

2*^ strophe : Le poète change de mètre et il a raison puis-

160 VERS LIBRES

qu'il y a changement d'idée : dans la strophe précédente il a parlé d'une personne en particulier et dans celle-ci il arrive à des considérations générales. Pour le second vers il change de nouveau de mètre et c'est de nouveau avec raison ; j'ajou- terai que le choix du mètre de ces deux premiers vers est très heureux, le petit vers ne contenant en somme que le sujet de la proposition et le grand vers qui suit étant parfaitement propre à dérouler en la mettant en relief l'opinion que le poète exprime sur la question. C'est le même procédé et les mêmes mètres qu'a employés La Fontaine lorsqu'il a dit :

Le fabricateur souverain Nous créa besaciers tous de même manière.

Après ce grand vers le poète change de nouveau de mètre et ce changement est encore justifiable parce qu'il y a de nouveau changement de point de vue, qu'après nous avoir exposé ce que sont à ses yeux nos beaux jours, il nous montre mainte- nant le casqu'ilen fj^ut faire, et qu'en même temps il ajoute une restriotion à l'indifférence que le sage doit avoir pour eux, lors- qu'il dit «excepté nos amours », restriction qui annonce un nouveau développement. Mais quand ce nouveau développe- ment arrive, un changement de mètre est nécessaire, et là, l'auteur ne l'a pas opéré ; il l'a fait attendre jusqu'au vers sui- vant ; c'est trop tard. Il fallait prendre le mètre de 12 syllabes dès le 5*^ vers et le garder pour tout le développement, sauf à le conclure, comme il l'a fait, dans un petit vers qui exprime son idée de la façon la plus nette et la résume.

strophe: Changement d'idée, d'où changement de mètre, et emploi du grand vers puisqu'il s'agit d'énoncer une sorte de maxime générale ; tout cela est fort bien, mais ne convient qu'aux deux premiers vers. Après, l'auteur quittant cette maxime générale pour revenir à son ami en particulier et la lui appliquer, un changement de mètre est nécessaire. Il fallait mettre en un petit vers à part l'idée exprimée par ces mots : « Tu le connais, ami ! » et comme ce qui vient immédiatement

« LA RETRAITE » 161

après développe en la précisant cette idée : «tu le connais », il fallait immédiatement reprendre le grand vers avec : « cet heureux coin de terre » et le garder pour tout ce développe- ment où il n'y a rien qui demande un relief particulier. Pour- tant dans la suite de ce développement Lamartine a introduit un petit vers :

Et, du monde embrassant la scène.

L'emploi de ce petit vers est justifiable, non qu il contienne une idée qui fasse contraste avec ce qui précède ou ce qui suit immédiatement, mais parce qu'il annonce l'idée développée dans la stance suivante ; c'est-à-dire que si la strophe suivante n'existait pas, ce petit vers ne serait pas justifiable et que sa raison d'être n'est pas en lui-même, mais hors de lui.

strophe: Cette sti'ophe ne faisant que développer et dé- tailler la dernière idée exprimée, il devait j avoir changement de mètre. D'ailleurs le vers de 8 syllabes, grâce à sa vivacité, aurait admirablement convenu pour présenter rapidement et accumuler toutes les situations envisagées par l'auteur. En somme on pouvait faire toute la strophe dans le même mètre, et c'est le même vers de 8 syllabes qui à notre sens se serait le mieux adapté aux idées exprimées. Mais si l'on avait voulu indiquer dans ce développement des nuances de sens et en dif- férencier les éléments par des changements de mètres, c'est au o*^ vers qu'il fallait changer :

Tu vois les nations s'éclipser tour à tour,

car ceci est le développement de la dernière idée exprimée : «tout passe et rien change», et il fallait garder le nouveau mètre adopté jusqu'à la fin de la strophe. Mais changer au 6^ vers, comme la fait Lamartine pour ce nouvel exemple pré- senté sous forme de comparaison :

Comme les astres dans l'espace, M. Ghammknt. Le vers fruncnis. Il

162 VERS LIBRES

ce n'est nullement justifiable. Pourquoi le l'avers :

De mains en mains le sceptre passe

est-il dans le même mètre que le précédent ? On ne le voit pas bien ; car si le poète a voulu introduire des nuances dans ce dernier développement, nous passons ici de 1 idée de la dis- parition à celle de la transmission et du remplacement, et un chang-ement de mètre était justiiîable. Enfin du moment que le vers ne fait que reprendre l'idée exprimée dans le 7*^, on peut admettre le chang-ement de mètre opéré par l'auteur; mais, nous le répétons, il eiit été bien préférable d'exprimer dans un même mètre les idées contenues dans ces 4 derniers vers, et ce mètre aurait été le vers de 12 syllabes alors que celui de 8 aurait mieux convenu à la première moitié de la strophe.

^^ strophe : Ici le poète semble avoir compris que le vers de 8 syllabes était le seul qui convînt pour exprimer la rapi- dité de la disparition des choses. Toute sa strophe est en vers de huit, sauf lavant-dernier qui est un alexandrin et qui n'est justifiable que par le désir du poète de mettre en relief le der- nier vers :

Osaient nommer la vérité !

sans être obligé pour cela d'en faire un vers de 12 syllabes.

strophe : L'idée change complètement ; l'auteur revient à son ami et lui demande ce que le sage doit faire au milieu du doute et de l'erreur ; mais il oublie de changer de mètre, et c'est une grave faute. Il en change deux fois dans la strophe, mais les deux fois c'est sans raison appréciable ; il n'y a que pour le dernier vers que l'on comprendrait un changement, et il n'y en a pas.

et 8" strophes : A ces deux strophes nous n'adresserons aucune critique. Dans la première il déclare que le sage c'est son ami, et pour cela il commence par changer de mètre, ce

LES vf:rslibristes 463

qui il est que léj^itime. Cette strophe contient deux petits vers à relief tout à fait justifiés par le sens.

La S*" strophe est une sorte de prière adressée à Dieu, qui demande un ton grave et lent, aussi est-elle composée de 4 alexandrins, ce qui est irréprochable.

La 9** strophe ne fait que développer et détailler le dernier vers de la précédente :

Donnez tout à celui qui vous demande peu.

Un changement de mètre était donc nécessaire, mais une fois un nouveau mètre adopté il devait être conservé jusqu'à la fin de la strophe. Le poète a bien opéré le changement de mètre, mais dès le second vers il a changé de nouveau, ce que rien ne saurait justifier.

Enfin dans la lO*" et dernière strophe le poète parle de lui- même pour opposer sa situation d'esprit à celle de son ami. Il y a changement de personnage et contraste d'idées. Un chan- gement de vers est indispensable : Lamartine n'a pas changé. Quant aux deux changements de mètres qu'il a faits dans cette strophe même, ils sont justifiables par le sens.

En somme, on le voit, si Lamartine dans ce morceau a été parfois heureux dans le choix de son mètre, il s'est fourvoyé si souvent, et plusieurs fois dans des cas si nets et si certains que l'on peut en conclure sans hésitation que le vers libre est un instrument délicat dont le maniement lui échappait. Etonnez- vous après cela qu'il n'ait pas compris, qu'il ait même haï le poète qui j a déployé une si prestigieuse maîtrise !

Nous ne pouvons pas terminer notre étude sur le vers libre sans parler de cette école moderne qui écrit en petites lignes inégales ; je dis lignes, parce que souvent à mon sens cène sont pas des vers. Laissant de côté toute considération générale, nous prendrons un morceau et l'examinerons : la critique doit toujours porter sur des faits précis et non sur des idées a priori. Il serait très facile de prendre une pièce absolument

164 VERS LIBRES

inintelligible, mais notre critique n'aurait pas de portée. Nous emprunterons donc notre exemple au meilleur poète de cette école, M. H. de Rég-nier, et nous choisirons la portion de pièce, je n'ose dire la strophe, car ce ne sont pas des strophes, qui en toute impartialité nous a paru la meilleure dans un des derniers livres que l'auteur ait publiés en ce g^enre. C'est dans la « Corbeille des Heures » :

Les Heures d'Amour sont jeunes et belles.

Les voici toutes,

Regarde-les !

Que leur importe l'ombre et les cieux éloilés,

Le doux soleil au fleuve el l'averse à la route,

Les roses d'autrefois, les épines d'alors,

Et les robes de pourpre et les couronnes d'or?

Que leur importe

Le miroir, la corbeille et la clef et la porte ?

Regarde-les.

Elles sont toutes là, couchées.

Chacune seule en sa pensée.

Aveugles, immobiles el belles ;

Mais l'Amour est au milieu d'elles,

Debout

Et mystérieux, tout à coup,

Dans l'enverg'ure de ses ailes ;

Il chante nu au milieu d'elles,

Et toujours

Chacune en sa pensée entend chanter l'Amour.

Je ne crois guère que cette école ait fait mieux ; mais est-ce bon? Voyons d'abord comment c'est construit. Laissons de côté l'idée qui est vague et symbolique, parfois obscure et ne nous occupons que de la facture matérielle. D'abord la rime : c'est tantôt une rime riche comme importe : porte ^ tantôt une rime simple comme toujours : amour, tantôt une asso- nance comme debout : tout à coup, tantôt rien du tout comme belles : regarde-les, à moins que le poète ne prononce -lès ce

« LA CORBEILLE DES IIErUES » 165

qui est français quoique -les soit plus courant et meilleur ; mais plus loin regarde-les semble accouplé avec couchées, pensées, c'est-à-dire avoir un e fermé. Il y a évidemment un des deux endroits l'assonance n'existe pas. D'ailleurs, quoiqu'il en soit de ce point un peu discutable, il y a dans d'autres morceaux quantité d'assonances sûrement fausses, une voyelle ouverte étant accouplée à une voyelle fermée. Maintenant comment sont réparties ces rimes et assonances de différentes qualités ; est- ce comme chez les grands classiques des xvii'^ et xix" siècles ridée et l'éloignement qui déterminent le plus ou moins de richesse, en ce sens que les rimes sont d'autant plus riches que les mots qui les portent ont plus besoin d'être mis en lumière et sont plus éloignés l'un de l'autre ? Nullement, les deux rimes riches se suivent :

Que leur importe

Le miroir, la corbeille et la clef et la porte ?

et l'on ne voit pas qu'il y ait rien qui demande un relief particulier. Nous avons une rime simj)le embrassée toutes : route, les autres étant plates ; je n'en saisis aucune raison. Les assonances sont aussi le plus souvent plates ; quelquefois croisées ou embrassées, sans que le motif en apparaisse. Enfin quand les rimes sont répétées et accompag-nées d'assonances dans l'intérieur des lignes, on peut quelquefois y trouver le procédé fréquent chez les classiques qui a pour but d'insister sur tous les éléments d'un même développement et de le mettre en relief. C'est le cas ici :

Les roses d'autrefois, les épines d'alors.

Et les robes de pourpre et les cou/'onaes d'or?

Que leur importe

Le miroir, la corheiUe et la clef et la porte ?

Mais il faut remarquer d'abord que ces assonances ne com- mencent qu'au milieu du développement, et d'autre part que

166 VERS LIBRES

le plus souvent on chercherait en vain une raison analogue ; en sorte que dans les pièces de ce genre les systèmes de rimes et d'assonances paraissent avoir été régis beaucoup plutôt par le hasard que par l'art et la volonté.

Passons au rythme. 11 y a dans ce morceau beaucou^a devers tels que les faisaient les classiques, et c'est sans doute ce qui laisse à cette pièce une certaine allure. 11 y a 6 vers de 12 syllabes qui sont rythmés à la classique ; mais il y a bien d'autres choses : il y a un vers de 10, un de 9,6 de 8, 4 de 4 syllabes, un de 3 et un de 2. Prenons le tout dans l'ordre l'auteur le présente et voyons si ces vers si différents sont bien rythmés et si leur emploi est justifié.

Le morceau débute par vm vers de 10 coupé au milieu, puis deux vers de 4. On peut justifier le changement de mètre en disant que ces deux petits vers contiennent l'annonce du sujet. Mais il y a ici une cassure dans le rythme : le mouvement a été donnépardeux mesures impaires à 5 syllabes non accompagnées dans le même vers démesures paires, et nous passons à deux mesures paires, ce qui est absolument choquant. Le choquant en poésie n'est ni rare ni à éviter ; c'est en choquant son audi- teur que l'on produit les effets les plus puissants, mais au moins faut-il que le sens l'exige, ce qui n'est point le cas.

Puis 4 vers classiques qui ne donnent lieu ;\ aucune obser- vation. Ils sont suivis d'un vers de 4 syllabes qui ne nous heurte en rien, puisqu'il vient ici après des vers auxquels les mesures paires ne sont pas étrangères ; le changement de mètre est d'autre part justifiable par le sens, puisque le poète veut mettre en relief l'idée de leur indifférence à quantité de choses. Le vers de 12 syllabes qui suit est aussi justifiable et également le vers de 4 qui vient après, puisque l'écrivain veut insister sur cette idée :

Regarde-les,

et qu'il annonce par le tableau qui doit les peindre. Cette description est essentiellement en vers de 8 syllabes et l'on

« LA COHIîKIM.K DKS llErUES )) 167

ne voit pas du tout comment ce mètre vif et rapide peut convenir à la description de personnes couchées, immobiles et absorbées dans leurs réflexions ; l'alexandrin s'imposait. Dans cette description en vers de 8 syllabes, entre le second et le troisième vient celui de 9 syllabes ; on pourrait sans doute justifier un changement de mètre à cause de l'accumulation des épithètes, mais un vers de 9 syllabes au milieu de vers de 8 doit sonner faux à la plupart des oreilles ; pourtant, s'il y a quelque chose qui puisse l'excuser, c'est la manière dont il est rythmé : 2, 4, 3, mesures qui toutes sont familières aux vers de 8 syllabes. S'il avait le rythme impair fixe : 3, 3,3, on aurait ici la même faute que nous avons relevée au début du morceau.

Ensuite vient un vers de 8, puis un vers de 2 : « Debout », justifiable par l'importance du mot, due à son opposition avec (( couchées », dans le premier des octosyllabes. Puis 3 vers de 8, un de 3 et un de 12 qui ne donnent lieu à aucune observa- tion.

Donc pour le rythme, nous avons des changements justi- fiables et d'autres qui sont fautifs ; mais presque tous ceux que l'on peut admettre sont trop marqués ; il y a discordance entre l'etfet à produire et la puissance du moyen employé.

Au point de vue des expressions, en passant sur ce fait, en somme étranger à notre sujet, que tout le passage est faible- ment écrit, il y a lieu de remarquer dans tout le morceau une certaine monotonie; cette monotonie est voulue, mais elle est obtenue en répétant les mêmes mots, parfois les mêmes lignes, procédé absolument enfantin, ici tout artificiel et qui n'appa- raît à l'état naturel que dans les littératures jeunes et primi- tives, on pourrait même dire sauvages, ce qui n'est en rien le cas de la nôtre. Voici ces répétitions :

Les Heures d'Amour sont jeunes cl belles Aveug-les, immobiles et belles Les voici toutes

168 VERS LIHRES

Elles sont toutes là, couchées

Regarde-les Regarde-les

Que leur importe l'ombre ou les cieux étoiles Que leur importe

Mais TAmour est au milieu d'elles Il chante nu au milieu d^elles

Chacune seule en sa pensée

Chacune en sa pensée entend chanter TAmour

ce qui fait six répétitions ou reproductions pour 20 vers. Nos grands poètes expriment la monotonie d'une fayon très diffé- rente et très artistique ; celle-ci ne l'est pas.

En somme, nous avons un morceau mal pensé, faiblement écrit, maladroitement rimé ou assonance, inhabilement rythmé et avec des répétitions indig-nes d'une littérature comme la nôtre. M. de Rég-nier nous dirait peut-être que tout cela est voulu, et que nous le mesurons à une aune qui n'est pas la sienne : c'est possible, mais ce n'est pas une excuse. Quelle impression fait en somme ce morceau si on le relit d'une traite ? celle de quelque chose qui n'est pas fait, qui n'est pas achevé ; on dirait un premier jet, une idée couchée sur le papier par l'auteur en attendant qu'il ait le loisir de la tra- vailler, de la fouiller, de la préciser, de l'exprimer définitive- ment ; il semble que ce ne soit que le canevas, le squelette, la carcasse d'un poème à faire. Quoi qu'il en soit, ce n'est sûrement pas la poésie de l'avenir, ce n'est même pas celle du présent ^.

1. Les verslibristes se font de plus en plus i-ares. Il n'est pas indiffé- rent de noter que parmi les adeptes les plus fervents et les plus remar- quables du verslibrisme d'il y a vingt ans la plupart de ceux qui ont survécu et continué à produire sontrevenus peu à peu au mode classique ou à quelque chose d'approchant. Verlaine, qui les connaissait bien, les avait de bonne heure jugés sévèrement : « OiJ sont-elles les nouveautés? disait-il. Est-ce que Rimbaud et je ne l'en félicite pas n'a pas fait tout cela avant eux? Et même Krysinska? Moi aussi, parbleu, je me suis amusé à faire des blagues dans le temps. Mais enfin je n'ai pas la

RÈGLE DES PIÈCES EN STROPHES LIBRES 169

B. Poèmes en strophes libres.

Après avoir étudié les pièces en vers libres, nous sommes amenés par la force même des choses et leur enchaînement logique à étudier les strophes libres. En somme, à part les strophes qui sont composées de vers tous semblables entre eux, tous les autres types de strophes sont des strophes libres. Ainsi une strophe composée de trois vers semblables suivis d'un vers plus court, comme celles du Souvenir d'A. de Musset par exemple, est une strophe libre. Une strophe qui contient deux vers ou davantage ditlerents des autres, est à plus forte raison une strophe libre ; telles les strophes paires de la pièce de V. Hug-o, A Vllleqiiier, qui contiennent 2 vers de 12 syllabes suivis chacun d'un vers plus court. Mais ces œuvres ne peuvent pas être dites des pièces en strophes libres ; nous avons appelé pièces en vers libres celles dans lesquelles'le vers, c'est-à-dire l'unité, chang'e fréquemment et d'une façon irrég-ulière. Ici l'unité c'est la strophe et sa forme reste invariable. Quelle est la loi des pièces de ce genre ? Le poète donne à la première strophe la forme qu'il veut et en varie librement les mètres, suivant l'idée exprimée. Mais une fois cette première strophe déterminée, comme toutes les autres doivent être semblables à celle-là, le poète n'a plus aucune liberté ; il n'a plus que des obligations. Elles peuvent se résumer ainsi : le poète doit modeler les idées qu'il exprime dans chaque strophe sur le moule qu'il a choisi. Il doit s'arranger de façon que dans chaque strophe prise isolément, tout changement de mètre soit justi-

prétention de les imposer en évangile. Certes je ne regrette pas mes vers de quatorze pieds, j'ai élargi la discipline du vers et cela est bon; mais je ne l'ai pas supprimée. Pour qu'il y ait vers, il faut qu'il y ait rythme. A présent on fait des vers à mille pattes. Ça n'est plus des vers, c'est de la prose, quelquefois même ce n'est que du charabia » J. Huret, Enquête sur l'évolution littéraire, p. 69). En fait, on relit quelquefois aujourd'hui par curiosité les œuvres des verslibristes, mais il faut avouer qu'il n'y a pas une seule de leurs pièces qui se soit réellement maintenue.

170 STROPHES LIBRES

fiable et même exigé par le sens. Lorsque la strophe ne con- tient qu'un seul vers d'un mètre différent des autres, la tâche est aisée. Le poète n'a qu'à lui faire exprimer l'idée essen- tielle de la strophe, et autant que possible, si la suite du développement le permet, la même idée, l'idée dominante de la pièce, présentée sous des formes différentes. Le Souvenir de Musset nous en a fourni un merveilleux exemple. S'il y a deux vers différant des autres, la chose est un peu plus compliquée, mais encore facile ; tel A Villequier de Hugo. Nous ne reviendrons pas sur ces deux pièces dont nous avons cité plu- sieurs passages. Si la strophe présente une grande variété de mètres, la difficulté devient très considérable. Nous en exa- minerons deux exemples ; d'abord la pièce de Musset intitulée Rappelle-toi.

Le poète invite la femme qu'il a aimée et qu'il aime encore à se rappeler sans cesse leurs amours, et le développement, très simple, consiste à énumérer les différents moments pen- dant lesquels il l'engage à retrouver ce souvenir et aussi les circonstances qui le lui rapporteront d'elles-mêmes. Le tout est adressé à cette femme, mais suivant les passages elle est plus ou moins directement en jeu. Il j a 3 strophes composées de 4 vers de 10 syllabes, 2 de 12, 2 de 6 et 1 de 4.

l'' strophe : Dans les 4 vers de 10 syllabes, vers, comme nous l'avons vu, un peu plus vifs que l'alexandrin, le poète signale deux circonstances purement extérieures et imper- sonnelles. Puis viennent deux circonstances personnelles à cette femme et qui la mettent directement en scène. For- cément elles demandent plus de relief que les précédentes ; pour leur donner la valeur qu'elles méritent, le poète les exprime en deux alexandrins, vers plus longs et un peu plus lents, qui lui permettent de mieux étaler les idées qii'il exprime et d'insister davantage. C'est à ce moment qu'un fait extérieur lui rapportera ce souvenir et qu'il lui conseille de ne pas rester sourde à cette invitation. Le rythme ne change pas, mais le mètre change : le conseil et l'événement extérieur ne peuvent pas être exprimés dans le même mètre qui a servi à exposer

« RAPPELLE-TOI » 171

les dispositions intimes de cette femme. Ce sont deux vers de 6 syllabes, puis un petit vers de i qui contient et met en relief la conclusion de la strophe et l'idée unique de toute la pièce. strophe : G est ainsi qu'est construite la première strophe; on peut dire qu'elle est très bien construite, mais en somme il n'y avait pas de grandes difficultés à vaincre puisque le poète n'était entravé par rien '. A partir de la seconde strophe l'auteur n'a plus aucune liberté ; il est enserré dans un moule rigide, et les difficultés commencent. Voyons comment il en a triomphé. Dans la 1^ strophe les 4 vers de 10 syllabes énoncent des circonstances étrangères à l'amante. Il en est de même ici : c'est de lui qu'il s'agit, non pas de celle qu il aime ; mais avec les grands vers comme dans la 1 '' strophe la femme entre en scène :

Songe à mon triste amour, songe à l'adieu suprême.

Dans le second grand vers nous avons une sorte de considéra- tion générale :

L'absence ni le temps ne sont rien quand on aime

et il semble à première vue qu'il y ait ici une tache et que le mètre devait changer. Supposons donc que cette strophe est isolée, que le poète est libre de changer de mètre et d'employer celui qui conviendra le mieux à l'expression de son idée. S'il emploie un autre mètre, quel qu'il soit, il mettra cette idée générale dans un relief tout particulier. Or ce serait une faute, car elle ne joue pas de rôle important dans le morceau. L'idée importante est celle-ci : Rappelle-toi, songe à nos amours. Ce grand vers ne fait qu'expliquer les idées exprimées dans les cinq premiers et annoncer les trois suivants; c'est une sorte

1. Il va de soi que la première strophe d'une pièce n'est pas toujours et nécessairement celle qu'il a faite la première et qui lui a servi de type pour toutes les autres.

172 STROPHES LIBRES

de transition, de trait d'union entre le commencement et la fin. Or La Fontaine nous a appris que l'on ne change de mètre que pour mettre quelque chose en lumière, pour marquer un contraste, et que garder le même mètre c'est éviter tout relief. Le maintien de l'alexandrin est donc parfaitement justifié. D'ailleurs, et c'est par que nous aurions pu com- mencer cette discussion, il n'y a changement d'idée entre le vers précédent et celui-ci que dans la forme ; en réalité, sous apparence de formule générale, il est la continuation du con- seil donné et veut dire en quelque sorte : Songe que l'absence ni le temps ne sont rien quand on aime.

Puis, avec les vers de 6 syllabes arrive, comme dans la 1" strophe, la circonstance extérieure qui doit rappeler le souvenir, et dans le petit vers de la fin la conclusion de la strophe et l'idée unique de toute la pièce.

3"^ strophe : La 3'' strophe est construite exactement de la même manière que les deux précédentes et ne nous retiendra pas longtemps. Dans les 4 vers de 10 syllabes sont énoncées des circonstances étrangères à l'amante, et concernant pro- prement le poète. Avec les grands vers, elle entre en scène dans l'imagination de l'auteur :

Tu ne me verras plus. . .

Dans la suite de ces deux grands vers, c'est le poète qui est en jeu :

. . .mais mon âme immortelle Reviendra près de loi comme une sœur fidèle ;

ce n'est que de lui qu'il est question, mais il n'apparaît que pour les rapports qu'il aura avec son amante ; au fond c'est toujours d'elle qu'il s'agit et par conséquent il n'y a pas de raison pour que le rythme change. Dans les deux vers de 6 syllabes arrive comme dans les autres strophes la circon- stance extérieure qui doit rappeler à la femme leurs amours, et en définitive dans le vers de 4 la conclusion de la strophe et du morceau.

UNE ODELETTE DE BANVILLE 173

On peut donc dire que cette pièce, malgré les difficultés qu'elle présentait, est irréprochable.

Voici maintenant une odelette de Th. de Banville, composée de 3 strophes contenant chacune un vers de 6 syllabes, un de 8, un de 12, un de 6, un de 8 et deux de 6, cest-à-dire cinq vers lents et exactement de la même lenteur, les quatre de 6 syllabes et celui de 12, et parmi eux deux plus rapides, ceux de 8 :

Aimons-nous et dormons Sans songer au reste du monde ! Ni le flot de la mer, ni Tourag-an des monts,

Tant que nous nous aimons Ne courbera ta tête blonde,

Car Tamour est plus fort

Que les Dieux et la Mort !

Le soleil s'éteindrait Pour laisser ta blancheur plus pure. Le vent cpii jusqu'à terre incline la forêt,

En passant n'oserait Jouer avec ta chevelure

Tant que tu cacheras

Ta tête entre mes bras !

Et lorsque nos deux cœurs S'en iront aux sphères heureuses les célestes lys écloront sous nos pleurs,

Alors comme deux fleurs, Joignons nos lèvres amoureuses.

Et tâchons d'épuiser

La Mort dans un baiser !

1" strophe :

Aimons-nous et dormons. . .

Le premier vers énonce tout le sujet ; il exprime une idée pleine de mollesse et de langueur, ce qui est admirablement rendu par son vocalisme. Le rythme de son côté y est parfai-

174 STROPHES LIBRES

te ment adapté : mètre lent et court, la lenteur et la langueur étant des idées du même ordre et la brièveté du vers obligeant à resserrer l'idée. Un mètre vif aurait fait contresens.

Sans songer au reste du monde !

voici le mètre rapide et il est destiné à peindre par son mou- vement une sorte de grand geste d'indifférence. Puis Fidée change, d'où changement de mètre ; il est question d'éléments puissants et grandioses : l'alexandrin s'impose :

Ni le flot de la mer, ni l'ouragan des monts ;

avant le verbe arrive une sorte de parenthèse, un complé- ment circonstanciel, d'une importance capitale car il énonce la condition même de ce qui doit se produire, et il répète en quelque sorte l'idée exprimée dans le premier vers, aussi est-ce le même mètre lent et court qui revient :

Tant que nous nous aimons,

puis vient le vers rapide comme pour écarter vivement la crainte que pourraient suggérer ces terribles éléments et comme pour rassurer son amante :

Ne courbera ta tête blonde.

Enfin la raison de cette confiance sans bornes est énoncée sous forme de sentence générale. C'est, nous l'avons vu, l'alexandrin que l'on emploie généralement en pareil cas ; seul, avec sa lenteur et son ampleur, il convient à ces sortes d'idées. Et c'est bien en effet une sorte d'alexandrin que nous avons ici, mais un alexandrin à rimes léonines, qui sous forme de deux vers de 6 syllabes a l'avantage sur l'alexandrin pro- prement dit de mettre plus en relief les éléments qu'il con- tient, grâce à sa rime intérieure et à sa coupure plus nette :

UNE ODELETTE DE BANVILLE 175

Car l'amour est plus fort Que les dieux et la Mort !

Telle est la première strophe et ron ne voit pas trop quelle critique on pourrait lui adresser au point de vue du rythme.

Voyons les autres. Dans les deux autres strophes les idées ne correspondent pas vers par vers à celles de la \^ strophe ; nous sommes donc obligés de les examiner en elles-mêmes, en ne nous occupant plus guère de la 1*^ strophe que pour le cadre qu'elle nous fournit.

Dans le premier vers il s'agit d'une sorte d'être puissant, comme dans l'alexandrin de la première strophe, et de l'action qu'on lui attribue. Nous n'avons pas ici un alexandrin, mais un vers de six syllabes qui a le même rythme, c'est-à-dire que le poète emploie le même ton, comme il convient :

Le soleil s'éteindrait,

puis vient, avec l'octosyllabe qui suit, une sorte d'élan d'admi- ration qui justifie parfaitement l'emploi d'un mètre rapide :

Pour laisser ta blancheur | plus pure ;

mais l'élan d'admiration n'existe et par conséquent le mètre n'est justifié qu'à condition de le couper après blancheur et pas après laisser. L'alexandrin qui suit contient une idée tout à fait analogue à celle qui est exprimée dans l'alexandrin de la première strophe, et son emploi se justifie par les mêmes rai- sons :

l^e vent qui jusqu'à terre incline la foret,

mais dans les deux vers suivants il semble qu'il y a une fai- blesse :

En passant n'oserait Jouer avec ta chevelure ;

176 STROPHES LIBRES

c'est le vers qui contient le mot « n'oserait » qui correspond pour ridée à celui-ci « ne courbera ta tête blonde » ; c'est celui qui est destiné à écarter la crainte, c'est dans celui-là qu'il faudrait le mouvement rapide. Quant au vers suivant, il ne contient que le complément direct de (( n'oserait », et si ce complément, par la nature de l'idée qu'il représente, demande de la légèreté, ce que l'on obtient par le choix des voyelles, et que le poète a en elïet obtenu ici de cette manière, il ne comporte nullement la rapidité. On pouvait mettre en relief cette idée pour bien établir le contraste entre la douceur de l'action supposée et la puissance de l'agent, mais pour cela un changement de mètre suffisait et c'est un vers lent qui aurait convenu. Quant aux deux vers qui suivent :

Tant que tu cacheras Ta tête entre mes bras,

ils ne font que reproduire la même idée que celui-ci de la 1^ strophe :

Tant que nous nous aimons. . .

C'est donc en toute justice que le poète reprend le même mètre et développe son idée en deux vers de six syllabes sous forme d'un faux alexandrin à rime léonine. 3'' strophe :

Et lorsque nos deux cœurs

ce petit vers qui ne signifie rien, qui ne contient, avec quelques mots sans valeur, que le sujet de la proposition développée postérieurement, détonne absolument à côté des vers corres- pondants et si pleins des deux autres strophes :

Aimons-nous et dormons. . . Le soleil s'éteindrait. . . .

UNE ODELETTE DE liAiNVlLLE 477

C'est une faute grave. Qu'est-ce qu'il fallait mettre ? cela ne nous regarde pas ; nous n'avons pas à refaire la pièce de Banville, mais seulement à l'examiner. Ensuite vient le vers rapide, le vers de 8 syllabes, absolument justifié par le mou- vement que suppose l'idée qu'il exprime :

S eu iront aux sphères heureuses,

puis nous avons l'alexandrin :

les célestes lys éclorout sous nos pleurs,

qui n'est pas bien remarquable, à tel point que l'on a le droit de se demander s'il n^est pas tout entier une cheville, mais dont l'emploi pourrait à la grande rigueur être à peu près excusé par la prétendue élévation de l'idée exprimée. Le petit vers lent qui suit n'est pas meilleur que le premier de la strophe ; alors qu'il devrait renfermer des idées impor- tantes, il contient un mot insignifiant, puis une comparaison sans intérêt et dont la justesse est extrêmement contestable :

Alors, comme deux fleurs. . .

Quant aux trois derniers vers, nous n'avons aucune critique à leur adresser, loin de là. D'abord un élan d'enthousiasme :

Joignons nos lè|vres amoureuses,

puis deux petits vers graves et lents, correspondant en quelque sorte à un alexandrin, qui mettent en relief l'aboutissement de toute la pièce et de tous les désirs du poète, en une idée qui rappelle celles qui ont été exprimées dans les vers correspon- dants des autres strophes, et les efface par la conclusion quelle comporte :

Et tâchons d'épuiser La Mort dans un baiser ! M. Ghammunt. Le vers fntnçitia. 12

178 STROPHES LIBRES

En somme une jolie et bonne pièce, contenant une première strophe excellente et deux autres qui ne sont pas mauvaises, malgré quelques taches.

Des pièces de ce g-enre, étant donné que c'est une strophe de forme invariable qui est lunité, sont absolument compa- rables aux poèmes dans lesquels on n'a qu'un seul et même vers du commencement à la fin.

Les pièces en vers libres étant celles dans lesquelles lunité, c'est-à-dire le vers, change fréquemment et irrégulièrement, les pièces en strophes libres sont celles dans lesquelles l'unité, c'est-à-dire la strophe, change de structure fréquemment et d'une façon plus ou moins irrégulière.

Il peut se faire que dans une pièce en strophes libres toutes les strophes soient différentes les unes des autres, de même que dans une pièce en vers libres le mètre peut à la rigueur changer à chaque fois. Telle est celle de Lamartine que nous avons critiquée tout à l'heure. Ne pouvant pas rester à ce sujet sur une impression plutôt mauvaise, nous signalerons comme exemple à peu près irréprochable dans ce genre, la pièce d'A. de Musset intitulée Souvenir des Alpes. Après les études que nous venons de faire, elle n'aura pas besoin de commentaire.

Le plus souvent, de même que dans les pièces en vers libres il v a d'ordinaire plusieurs vers du même type et sou- vent à la suite les uns des autres, de même les pièces en strophes libres contiennent plusieurs strophes du même type et souvent à la suite les unes des autres, par séries. Nous con- sidérerons d'abord un type qui est représenté par exemple par la Xuit cF octobre d'A. de Musset. Cette pièce est constituée par des tirades d'étendue variable, entremêlées de strophes de différents types, et il faut noter que dans les tirades, quel qu'en soit le mètre, les rimes sont croisées et le sens finit tous les 4 A^ers, en sorte que l'on pourrait à la rigueur, ce qui n'est nullement nécessaire, les considérer comme des agrégats de strophes de 4 vers.

(( MIT d'octohre » 179

Le poète, mélancolique et rêveur, commence par 4 vers il dit comment son amour et sa jalousie ont disparu et étant donné sa disposition d'esprit, c'est le mètre lent de 12 syl- labes qui convient. La muse, pleine d'intérêt pour son poète, vient l'interroger, non pas comme une personne indif- férente, mais poiu'tant comme une personne étrangère, c'est- à-dire d'un ton qui n'a pas de raison pour être grave et lent comme celui du poète ; elle emploie le vers vif de 8 syllabes. Le poète répond avec le ton grave de la mélancolie par 4 alexandrins. Puis la muse essaie de le consoler et se sert pour cela de phrases générales comme on fait d'ordinaire en s'adressant aux personnes affligées, et l'invite à lui raconter sa peine ; elle ne change pas de ton ; elle se sert toujours du mètre de 8 syllabes. Le poète dans sa réponse garde la même disposition d'esprit et par suite le même ton, il reprend l'alexandrin et se dispose à raconter ses malheurs. Alors la muse, qui ne veut que le consoler et qui craint que le récit de ses peines ne réveille sa colère, lui demande toujours du même air et dans le même ton, s'il pourra parler avec calme et s'il est vraiment guéri. Le poète la rassure ; il est bien guéri, dit-il, mais il s'exprime toujours dans le même ton grave et triste. Enfin la muse termine cette sorte de prélude en lui disant qu'elle est prête à l'écouter et qu'il n'a plus qu'à parler.

En somme cette première partie est un dialogue oîi l'atti- tude des deux personnages et leurs dispositions d'esprit restent les mêmes du commencement à la fin, le poète mélan- colique et grave, la muse délicatement empressée et affec- tueuse. Ils ont chacun leur ton et ne le changent pas.

Ici le poète commence son récit, non pas comme on fait une narration d'un ton lent et égal, mais comme une personne qui rêve en quelque sorte, qui rappelle ses souvenirs et les énonce 1 un après l'autre à mesure qu'ils se présentent à sa mémoire, d'un ton inégal, un peu saccadé et en les mettant tous en valeur. Or, nous l'avons vu, pour mettre en relief tous les détails d'un développement, il faut changer de mètre à chaque vers, il faut faire alterner un vers plus long et plus lent avec

ISO SIROPHES -LIimES

un vers plus court et plus vif. C'est ce qu'a fait l'auteur ; mais il n'a pas employé liambe qui, comme nous le savons, est une combinaison à etfet violent ; il n'y a ici aucune vio- lence : il n'y a que de la tristesse. Le poète a parfaitement senti que l'alternance du vers de 10 syllabes avec celui de 8 était celle qui convenait le mieux.

La muse qui l'écoute avec tendresse voit qu'il évite les souvenirs heureux et que sa tristesse tourne à l'aigreur et à la rancune ; elle s'empresse de l'interrompre ; elle essaie, toujours du même ton, de le faire parler davantage de ses moments heureux, pour absorber son esprit dans des idées gaies et lui faire oublier ses soulîrances.

Mais le poète ne se laisse pas persuader ; ce sont ses malheurs qu'il veut raconter. Cette fois c'est une véritable narration qu'il fait d'un ton calme et égal, aussi reprend-il son mètre du début, l'alexandrin, dont la lenteur et la gravité conviennent à la situation. Au cours du récit la note devient plus aiguë, à cause de la violence des événements et des sen- timents que l'on relate; mais il n'y a pas de raison pour que le mètre change. L'alexandrin est le mètre tragique aussi bien que cekii de la narration.

La muse qui sent que la passion du poète renaît au récit de ses malheurs et que sa blessure mal cicatrisée se rouvre, s'elforce de l'apaiser, toujours avec le même ton, avec celui d'un ami qui tâche de calmer une personne qui souffre et se révolte contre la douleur.

Mais comme il arrive trop souvent, les paroles de consola- tion et d'apaisement ne consolent ni n'apaisent, mais au contraire accroissent la douleur ou la colère. Le poète ne se maîtrise plus, et sa réponse n'est qu'une suite d'imprécations contre la femme qui l'a trahi. Il a pris pour l'exprimer le vers de 7 syllabes et ce choix est bien caractéristique de la part d'un poète qui n'a jamais employé ce mètre qu'une autre fois [Le rideau de ma voisine) dans toutes ses œuvres. Ce vers est merveilleusement propre à exprimer des imprécations ; pourquoi? parce qu'il est par excellence dans notre versifi-

« LE LAC » ISI

cation le vers boiteux et sautillant, et qu'il saccade les idées qu'on lui fait exprimer. Le vers de 5 syllabes ne produit pas du tout le même effet. Il y a deux vers de o syllabes, l'un qui a une coupe et l'autre qui n'en a pas. Celui qui a une coupe est généralement du type 2 -|- 3 ou 3 -|- 2 ; il est nettement boiteux, mais comme il est en même temps très lent, son allure est celle d "un boiteux qui marche très lentement, c'est- à-dire qu'elle n'est ni saccadée ni sautillante. Lorsqu'il n'a pas de coupe, il n'a qu'une mesure et il est alors extrêmement rapide; mais il n'est plus boiteux ; quelqu'un qui n'a qu'une jambe ou (jui saute sur un pied ne boite pas. Mais le vers de 7 syllabes divisé comme ici par la coupe en 4 -|- 3 ou 3 -|- 4, et quelquefois en o -|- 2 ou 2 -|- o est le type parfait de la boiterie. Je me rappelle que quand j'étais enfant (cet âge est sans pitié), il nous arrivait quelquefois, avec mes petits cama- rades, de poursuivre une femme assez méchante et qui boitait extrêmement bas, en lui criant : (( 4 et 3 sept, 4 et 3 sept » ; cela avait le don de l'exaspérer. Eh bien, notre vers boite exactement comme boitait cette femme, et comme il est rapide, qu'il court, forcément il sautille et son allure est saccadée.

Ici la muse 1 arrête et quitte absolument le ton qu'elle avait au commencement de la pièce ; elle prend le grand vers lent et grave pour le gourmander et lui faire un sermon en règle.

Le sermon a produit son etTet : le poète est complètement calmé, il oublie jalousie et souffrances, pardonne à son ancienne amante, et la mélancolie du commencement fait place aux idées riantes et à la gaîté. Le vers vif et léger de 8 syl- labes vient naturellement s'adapter à ses paroles.

Cette pièce, comme on le voit, est merveilleusement réussie, mais assez compliquée ; si nous passons à l'examen des pièces qui sont proprement et nettement en strophes, nous en pour- rons trouver de plus simples, mais également d'aussi com- pliquées. Le Lac de Lamartine est une des plus simples.

C'est tout d'abord le poète qui parle, et il se sert de strophes composées de trois alexandrins et d'un vers de 0 syllabes qui

182 STROPHES LIBRES

exprime en g-énéral l'idée la plus importante de la strophe ou du morceau.

Puis il entend une voix étrange ; les paroles de cette voix ne peuvent pas être dites du même ton que les siennes. Gomme d'autre part elles ont une importance capitale, étant Taboutissement de ce que le poète vient de dire et le point de départ de ce qu'il dira ensuite, qu'elles sont en quelque sorte le centre et le pivot de toute la pièce, le poète a choisi, pour les mettre en relief depuis le premier vers jusqu'au dernier, l'alternance continuelle du vers de 12 syllabes avec celui de 6.

Aussitôt que la voix s'est tue, le poète reprend la parole et il s'exprime de nouveau dans la même forme qu'au début.

Il n'y a donc que deux types de strophes dans ce morceau. Les pièces suivantes sont plus variées. Nous prendrons d'abord une pièce qui n'a pas une haute valeur poétique, mais qui est intéressante et curieuse : c'est une œuvre de virtuosité. Les Djinns dans les Orientales. On part du repos et du silence pour arriver progressivement à un vacarme infernal, et ce bruit épouvantable s'éloigne et petit à petit retombe à néant. Croissance, puis décroissance de bruit et de mouvement, tout cela exprimé par le rythme. L'auteur commence par le vers de 2 syllabes pour arriver progressivement au vers de 10, puis redescend graduellement au vers de 2. La seconde moitié recouvre la première en ordre inverse.

La première strophe est en vers de 2 syllabes, c'est-à-dire très lente, mais tous les mots y sont mis en relief par la rime. Elle est destinée à peindre par sa lenteur et sa monotonie le repos et le silence. La seconde strophe est en vers de 3 syl- labes ; c'est encore bien lent, mais pourtant plus rapide : le mou- vement ou le bruit commence. La troisième strophe est en vers de 4 syllabes à une mesure : c'est un mètre très vif. Le bruit augmente et suggère l'idée d'un mouvement rapide qui le produit et le rapproche. Dans la quatrième strophe le personnage qui parle décrit le bruit inégal qu'il entend. 11 emploie un mètre inégal comme ce bruit, mais lent parce que tout en parlant il écoute et apprécie (5 syllabes en deux mesures). Dans la cin-

(( LES DJINNS » 183

quièmo strophe il reconnaît la cause de ce bruit et prend une détermination relative à sa propre sécurité ; mètre lent de G syl- labes.^'Ge sont les Djinns; il les entend de très près, il se lîg-ure même qu'il les voit et il décrit leur vol rapide, tour- billonnant et sirtlant, au moyen du mètre rapide, boiteux et sautillant de 7 syllabes. Les démons approchent toujours. Il les reconnaît avec anxiété et songe précipitamment aux pré- cautions qu'il doit prendre en constatant les eiîets de leur passage sur sa demeure. C'est l'activité fébrile qu'il déploie en ce moment qui explique l'emploi du vers rapide de 8 syl- labes ; c'est aussi ce fait que le mouvement des Djinns lui semble d'autant plus rapide qu'il est plus rapproché. Il n'y a pas de strophe en vers de 9 syllabes. Ce vers coupé en 3, 3, 3, fournit un rythme berceur qui ferait ici contresens ; mais en le coupant autrement, par exemple 2, 4, 3, 4, 2, 3, etc., le poète aurait pu obtenir des effets tout à fait conformes à la situation. Il emploie le vers de 10 syllabes. Le personnage est à peu près en sécurité, tapi au fond de sa demeure; mais les esprits s'abattent sur elle. Il écoute plein d'angoisse et constate ce qu'il entend ; mais chacun de leurs cris, chacun de leurs coups le fait tressaillir. Ce sont ces tressaillements continuels que le poète a bien rendus par la première mesure rapide du vers de 10 syllabes suivie de deux mesures lentes. Cette strophe est le point central de la pièce, et le point culminant du vacarme des Djinns. Le malheureux se croit perdu et dans sa détresse il pousse vivement sa prière à Mahomet, d'où l'emploi du vers rapide de 8 syllabes ; il faut noter qu'en même temps le bruit est moins violent et la fuite rapide commence. Les vers de 7 syllabes qui viennent ensuite peignent cette fuite sautillante et saccadée. Le personnage se rassure, se calme, d'où le mètre lent de 6 syllabes pour cons- tater le départ des démons et le décroissement du bruit qu'ils font en passant. Il entend encore des bruits, mais inégaux et discontinus, d'où le mètre inégal de o syllabes; ce mètre est lent, ce qui concorde avec l'attitude attentive de l'auditeur qui apprécie ce qu'il entend. Le bruit de la troupe n'est plus

18t STROPHES LIBRES

qu'un sourd grondement ; il semble qu'elle fuit plus vite parce que le bruit est continu, d'où le mètre très vif de 4 syl- labes (en réalité c'est Téloignement qui empêche de distinguer les divers éléments du bourdonnement). Le bruit devient de plus en plus vag-ue et semble à chaque instant prêt à s'éteindre, d'où le mètre lent de 3 syllabes peig-nant un bruit qui dispa- raît comme il avait peint au début un bruit qui naît. Enfin avec la dernière strophe en vers de 2 syllabes, très lente, nous retombons au silence et au repos.

Nous terminerons par trois pièces d'un genre plus élevé : VOde à la Colonne, La prière pour fous et Napoléon II, la seconde empruntée aux Feuilles cFautomnc et les deux autres aux Chants du Crépuscule. V. Hugo a composé la première au moment il était question de faire transporter les cendres de Napoléon sous la colonne de la place Vendôme.

1. La pièce débute par un développement grandiose sur les origines de cette colonne de bronze et sur les hauts faits qui ont motivé son érection. Le ton épique, c'est-à-dire le rythme de l'alexandrin était tout indiqué. Le poète adopte en effet le vers de 12 syllabes, mais en l'intercalant, tous les deux vers, d'un petit vers de 6 syllabes qui ne change pas le rythme^ mais a pour effet de donner à l'ensemble plus de relief et de mettre particulièrement en évidence les idées qu'il exprime.

IL Les députés ont ajourné la question; Hugo d'un ton dégagé et ironique rapporte leurs arguments ou ceux qu'il leur prête ; le vers épique ne convient plus ; il emploie le vers léger et rapide de 8 syllabes.

IIL Puis il se mêle en quelque sorte à leur discussion et leur oppose l'énumération de tous les titres de Napoléon. Pour accumuler rapidement tous ces faits, il faut encore des petits vers rapides ; le vers de 8 syllabes convient seul, car celui de 6 a la même lenteur que l'alexandrin et celui de 10

« ODE A LA COLO-NNE » 183

est à peine plus rapide. D'autre part, un vers à noml)re impair de syllabes eût fait contresens par son allure sautillante. Aussi le poète g"arde le même mètre.

IV. Là-dessus il continue son artrumentation. En somme c'est toujours la même discussion, la même délibération : le ton ne chang-e pas, même si des idées différentes se succèdent. Ce sont deux strophes de vers de 8 syllabes; dans la première il demande si l'on craint que le despotisme de nouveau ne sur- gît et n opprimât la liberté ; dans la seconde il répond qu'en l'état actuel ce n'est plus à redouter. Entre les deux se trouve une strophe d'un type différent, qui prépare la suivante, mais qui ne fait pas partie à proprement parler de la discussion ; c'est en quelque sorte une parenthèse, une réflexion que fait le poète à part lui, qu'il ne lance pas au milieu de la délibération, mais qui l'amène à la strophe suivante contenant le dernier argument qu'il énonce. Dans cette strophe intermédiaire, l'auteur songe à la force actuelle de la liberté et à la quiétude que lui laisse la vue des trônes et des rois. Pour exprimer cette haute puissance, Hugo a employé le vers épique dans toute la strophe, sauf lavant-dernier vers qui a 8 syllabes et met en relief une antithèse frappante.

V. La délibération supposée est finie. Le poète ne s'adresse plus aux députés. Il s'adresse à tout le monde pour flageller ces avocats et dire quel eût été l'elTet grandiose et puissant de l'exécution du projet exprimé par les pétition- naires. Naturellement il reprend pour cela le ton épique dans des strophes construites comme celles du début : 2 alexandrins à rimes plates, un hexasyllabe, puis 2 alexandrins à rimes plates et un nouvel hexasyllabe rimant avec le premier.

VI. Donc la proposition est repoussée : on ne ramènera pas pour le moment les cendres du grand empereur sous sa colonne de bronze. Le poète alors se tourne vers ces cendres mêmes et s'adresse à elles. 11 leur conseille la patience en une sorte d hvnine vif et léyer.

186 STROPHES LIBRES

VII. Puis il song-e à l'avenir, il espère qu'un jour on sera plus juste, qu'on mettra les restes de Napoléon ils doivent être et qu'on leur fera les funérailles qu'ils méritent. C'est sur cet espoir qu'il termine et pour l'énoncer, pour le communiquer au grand empereur il prend le g-rand alexandrin en strophes de (i vers dont le dernier est un octosyllabe à relief.

La prière pour tous.

I. Nous sommes au moment le jour vient de dispa- raître faisant place à la nuit et les petits enfants font leur prière avant de s'endormir. Le poète décrit g-ravement cette heure crépusculaire et envoie sa fille prier. Il se sert, comme il est naturel, du mètre grave et lent de 42 syllabes.

II. Prier pour qui ? D'abord pour sa mère, puis surtout pour son père ; le poète donne les raisons de ce choix et il les expose gravement sans changer de mètre.

III. Après son père et sa mère il l'engage à prier pour tous ceux qui emploient mal l'heure de la prière, pour tous ceux qui ne prient pas, pour tous ceux qui sont morts et par conséquent ne peuvent pas prier mais ont besoin des prières d'autrui. Il y a une longue et rapide énumération ; et, comme nous l'avons vu, ce sont les vers vifs et en particulier celui de 8 syllabes qui expriment le mieux la synthèse et l'accumulation des faits et des idées qu'on énumère ; ce sont des strophes de 10 vers de 8 syllabes.

IV. Parmi les morts pour lesquels il convient de prier, c'est aux parents tout d'abord qu'il faut songer, avix grands parents, aux oncles, aux aïeux. Il n'y a plus ici une énumé- ration et une accumulation de personnages comme dans la partie précédente, mais il y a en quelque sorte la description de l'état de ces morts dans leur tombe ; aussi le poète reprend l'alexandrin grave et lent.

« LA PRIÈRE POIR TOUS )) 187

V. Là-dessus il semble supposer que sa fille lui fait une objection, qu'elle lui demande pourquoi ce n'est pas lui (jui va prier pour toutes ces personnes. Il y répond par une sorte d'hvmne gracieux et lég'er en l'honneur de la pureté et de 1 in- nocence des enfants, il montre que seuls les enfants n'ayant pas besoin de prier pour eux-mêmes peuvent se char- ger d'autrui. Il reprend pour cela le vers de 8 syllabes, mais non plus comme plus haut en strophes de dix vers destinées à accumuler les éléments d'une énumération ; ce sont des petites strophes de o vers.

VI. Puis l'auteur revient au vers grave et lent pour dire à sa tille comment elle doit faire sa prière, qu'elle doit la donner comme une consolation, comme une aumône, une charité, pour tous, pour Dieu lui-même.

Yll, Elle doit verser sa prière comme un parfum. Cette idée suggère au poète un hymne lyrique il montre que tous les parfums terrestres, toutes les offrandes ne sont rien auprès de celle de la prière d'un enfant. Il emploie pour cela de petites strophes de o vers en vers de o syllabes. L'allure de ces vers est lente mais inégale puisqu'ils ont deux mesures dont lune est plus rapide que l'autre ; et la strophe tout entière a aussi quelque chose d'inégal puisqu'elle contient un nombre impair de vers et que de ses deux rimes l'une est répétée trois fois. De cette allure inégale et variée résulte une impression gracieuse qui convient bien à l'idée exprimée.

VIII. Là-dessus l'auteur nous dépeint sa fille en prières avec son ange qui se tient auprès d'elle. Il reprend pour cela, comme il sied, le long vers grave.

IX. La pièce se termine par deux prières sous forme d'hymnes. Ce sont les deux prières du poète ; toutes deux sont graves et lentes, mais en des mètres différents. La pre- mière s'adresse à sa fille, il l'invite à rester toujours humble et pieuse, et pure comme les lacs des montagnes. Il se sert

188 STROPHES LIBRES

pour cela d'un vers aussi lent que l'alexandrin, le vers de 6 syllabes à deux mesures, mais sa disposition en petites strophes de S vers avec une rime répétée trois fois lui donne une grâce particulière.

X. Pour la prière adressée à l'ange auquel il recom- mande sa fdle, le ton s'élève et le vers devient plus ample. Ce sont des strophes de 6 vers composées de deux alexandrins k rimes plates suivis d'un hexasyllabe à relief, puis deux alexandrins à rimes plates suivis de nouveau d'un hexasyllabe qui rime avec le premier.

Napoléon //.

C'est en quelque sorte un fragment d'épopée, mais de l'épopée lyrique. La note dominante est bien le ton épique et le mètre le plus employé d'alexandrin ; mais tandis que l'épopée proprement dite ne comporte que l'alexandrin à rimes plates et en séries indéfinies, ici l'alexandrin est employé en strophes et il n'}' a nulle part i alexandrins de suite à rime plate. Ce sont des strophes de 6 vers dans lesquelles le S*" et le 6*^ riment toujours ensemble. En outre, le 6'' vers ou bien le et le 6" sont souvent remplacés par des mètres d'un autre type (6 ou 8 syllabes). Enfin il y a dans la pièce quelques strophes tout entières en vers de 8 syllabes. Voyons comment ces différents éléments sont répartis et adaptés au développement des idées. Dans la première partie nous avons deux strophes qui alternent régulièrement ; elles sont com- posées toutes deux de 6 vers ; dans la première, le troisième et le sixième sont des hexasyllabes, les autres vers étant des alexandrins ; dans la seconde d n'y a que des alexandrins. Cette espèce de ton épico-lyrique convient bien aux idées développées : la naissance de Napoléon 11 attendue par le monde entier, la puissance et l'orgueil de son père. Dans ces deux strophes le rythme ne change nulle part ; c'est partout le rythme épique, l'allure épique ; mais l'impression produite

c< NAPOLÉON II » 189

par ces deux strophes n'est pas la même. La première contient deux vers à relief, les hexasyllahes, la seconde n'en contient aucun ; mais par contre elle a beaucoup plus dampleur. On remarquera que dans cette première partie les idées exprimées par les vers de 6 syllabes méritent toutes le relief que ce mètre leur donne. Et d'autre part que dans les strophes impaires il est plutôt question de l'enfant ou d'autres per- sonnes par rapport à lui, tandis que dans les strophes paires, plus amples, c'est plutôt de son père qu'il s'ag-it, de sa puis- sance, de son org-ueil, ou d'autres objets, puissants aussi et grandioses, tels que le dôme des Invalides ou les monstrueux canons qui hurlent à sa base.

Dans la seconde partie nous retrouvons ces deux types de strophes, et en outre des strophes en vers de 8 syllabes. Il est curieux de voir comment ces diverses strophes sont distri- buées. L'idée est celle-ci : l'avenir n'est à personne, l'avenir est à Dieu. Chacun des développements commence par la strophe en vers de 8 s^'Uabes. Nous avons vu dans la Prière pour tous des strophes de ce mètre servir à accumuler les éléments d'une énumération. Ces strophes avaient 10 vers, celles-ci en ont 12 ; elles jouent exactement le même rôle et produisent cet effet d'accumulation avec plus de netteté encore parce qu'elles contiennent deux rimes qui sont répétées trois fois. Elles peignent en outre par leur vivacité la rapidité de la disparition des choses et de la succession des événements. Chacune est suivie dune strophe plus g-rave et plus lente de l'un des types de la première partie qui reprend, pour en conclure le développement, la même idée sous un autre aspect, moins impersonnel, soit qu'on nous montre l'homme directement en jeu comme dans la première, soit qu'on passe d'événements très généraux à ceux qui concernent Napoléon lui-même. Dans les deux cas le développement est parallèle et la strophe qui le conclut est celle qui contient 2 vers de 6 syllabes à relief. Dans le troisième développement l'auteur énumère tous les hauts faits qu'a pu accomplir Napoléon et y oppose linvincible pouvoir de Dieu ; pour cette dernière

190 ' STROPHES LIBRES

idée il faut la strophe la plus ample, celle qui ne contient que des alexandrins.

Dans la partie suivante nous revenons à l'enfant. Tout ce que son père a fait pour lui, toute la puissance qu'il a déployée autour de lui, rien n'a pu le protég-er. Il y a bien ici encore une énumération de faits nombreux ; mais l'auteur ne veut pas insister sur la rapidité de leur succession. Il veut simple- ment mettre en relief leur nombre et leur grandeur. Aussi il abandonne le vers de 8 syllabes et reprend l'alexandrin. 11 l'emploie en strophes de 6 vers dont le dernier est un octosyl- labe qui produit un relief extrêmement puissant, parce que son arrivée constitue non seulement un changement de mètre, mais encore un changement de rythme et la succession de l'un des rythmes les plus rapides à l'un des plus lents.

Dans la quatrième partie nous voyons Napoléon en exil, triste, accablé, oubliant sa grande épopée pour songer à son enfant. Le ton doit être aussi grave, aussi noble, aussi élevé que possible, c'est-à-dire que l'alexandrin doit être la note dominante. Mais la nature de la pièce interdit le développe- ment calme et égal d'un récit épique. Le cœur du poète a des soubresauts, des élans de colère ou d'admiration, comme celui de l'Empereur a des élans d'amour. Il faut peindre ces mouvements violents par des vers qui produisent un relief et un contraste puissant, comme ceux de 8 syllabes isolés au milieu de ceux de 12.

Nous avons trois fois de suite une strophe de G alexandrins suivie de 2 strophes dont le 3^ et le H*^ vers sont des octosyl- labes. Si l'on voulait entrer dans le détail, on reconnaîtrait que bien que ces deux types de strophes soient disposés dans un ordre parfaitement régulier, comme un cadre artificiel et préétabli, ce n'est pas au hasard que les idées sont venues remplir tel moule ou tel autre. Les strophes il y a des changements de mètres sont les seules qui comportent par les idées exprimées des mouvements violents. Des trois qui sont tout entières en alexandrins, les deux premières n'ex- priment rien à quoi ne convienne l'allure égale du récit épique ;

« NAPOLÉON II » 191

quant à la 3" il est bien vrai qu'elle contient des idées absolu- ment pareilles à celles qu'on trouve dans les deux précédentes, qui ont des vers de 8 syllabes. Mais précisément parce que c'est la (in d'un même développement le ton peut légèrement changer ; on a mis suffisamment de faits en relief dans les deux strophes précédentes pour qu'il ne soit plus utile d'y mettre ici d'autres faits absolument analogues. Enfin l'auteur a besoin de se réserver les strophes à relief pour le dévelop- pement qui vient immédiatement après et il va parler de l'enfant ; il a absolument le droit de changer la forme de sa strophe en vue d'un effet à venir, de même que nous avons vu souvent La Fontaine changer de mètre non pas pour pro- duire un effet dans le vers même qui constitue le changement, mais pour s'en réserver un dans le suivant.

Le développement suivant n'est que grave et mélancolique. Il ne comporte plus de mouvements violents ; aussi n'y a-t-il pas changement de rythme. Il y a des changements de mètres qui mettent certaines idées en relief, mais sans violence, et l'allure des deux strophes qui composent ce morceau reste toujours la même.

Pour terminer le poète se met en quelque sorte personnel- lement en scène, parle en son nom et nous expose des consi- dérations lyriques sur les révolutions et la disparition des choses. Le vers épique ne convient plus ; Hugo reprend sa strophe de 12 vers de 8 syllabes.

DEUXIÈME PARTIE

LES SONS

CONSIDÉRÉS COMME MOYENS D'EXPRESSION

« La versification peut se définir : l'art de faire bénéficier le plus possible le langage des qualités agréables et émi- nemment expressives du son ». (Sully Prudhomme, Réflexions sur Varl des vers].

M. GuAMMuNT. Le vers français. 13

On a de tout temps sig-nalé chez les poètes des vers faisant onomatopée, c'est-à-dire dans lesquels les auteurs avaient essayé de peindre certains bruits, d'en donner à l'oreille Tim- pression par les sons des mots qu'ils avaient employés. C est ce qu'on appelle Y harmonie iniitafive. L'existence de vers de ce genre, qu'on les blâme ou qu'on les admire, est incontes- table et incontestée. Mais ils sont en fort petit nombre et ce n'est pas sur eux que nous avons l'intention d'insister parti- culièrement ; nous n'aurions pas grand'chose à en dire qui ne soit connu. L'harmonie imitative ne fait que reproduire des bruits ou d'une manière plus générale des phénomènes phy- siques. Or il est relativement rare qu'un poète ait à exposer ces sortes de choses ; le plus souvent il raconte des événe- ments, exprime des sentiments ou développe des idées abstraites. Quel est le son dune idée abstraite ou d'un senti- ment ? Par quelles voyelles ou par quelles consonnes le poète peut-il les peindre ? La question même semble absurde. Elle ne l'est pas. Nous nous proposons précisément de montrer par une étude minutieuse des chefs-d'œuvre de nos plus grands poètes qu'ils ont presque toujours cherché à établir un certain rapport entre les sons des mots dont ils se servaient et les idées qu'ils exprimaient, qu'ils ont essayé de les peindre, si abstraites fussent-elles, et que la poésie descriptive n'est pas une chose exceptionnelle et à part, distincte de la poésie.

On peut peindre une idée par des sons : cliacun sait (ju'on le fait en musique, et la poésie, sans être de la musique, est, comme nous le verrons plus loin, dans une certaine mesure une musique ; les voyelles sont des sortes de notes.

Notre cerveau continuellement associe et compare ; il classe les idées, les met par groupes et range dans le même groupe des concepts purement intellectuels avec des impressions qui lui sont fournies par l'ouïe, par la vue, par le goût, par l'odorat, par le toucher. Il en résulte que les idées les plus abstraites sont

196 LES SONS EiN GÉNÉRAL

presque toujours associées à des idées de couleur, de son, d'odeur, de sécheresse, de dureté, de mollesse. On dit cou- ramment dans le langage le plus ordinaire : des idées graves, légères, des idées sombres, troubles, noires, grises, ou au contraire des idées lumineuses, claires, étincelantes, des idées larges, étroites, des idées élevées, profondes, des pensées douces, amères, insipides, on dit de quelqu'un qu'il broie du noir, qu'il a le cœur léger. Quand on dit : des idées sombres, c'est une comparaison ; il est évident que les idées n'ont pas de couleur par elks-mêmes, mais cette comparaison est parfai- tement claire et intelligible grâce à une série d'associations. Enoncer cette comparaison sans dire que l'on fait une compa- raison, c'est traduire ; nous traduisons une impression intel- lectuelle en une impression visuelle. Si la traduction est bien faite l'idée n'aura en rien perdu de sa clarté, pas plus qu'une phrase française traduite en allemand. Une fois notre phrase française traduite en allemand nous pouvons la traduire en russe ou en toute autre langue sans que l'idée soit en rien modifiée, pourvu que notre traduction soit exacte. On peut de même traduire une impression visuelle en une impression audible. Le langage ordinaire nous fournit les premiers élé- ments d'une traduction en impressions audibles de celles qui nous sont données par les autres sens : il distingue des sons clairs, des sons graves, des sons aigus, des sons éclatants, des sons secs, des sons mous, des sons doux, des sons aigres, des sons durs, etc. Il est évident qu'une idée grave pourra être traduite par des sons graves, une idée douce par des sons doux, c'est-à-dire que pour produire l'impression qu'il cherche le poète pourra accumuler dans ses vers des mots contenant tantôt des sons graves, tantôt des sons doux, ou d'autres encore. Les répétitions de voyelles sont connues sous le nom d'assonances et les répétitions de consonnes sous celui d'alli- térations.

Il ne s'agit pas pour nous d'échafauder une théorie indi- quant aux poètes ce qu'ils pourraient faire ; nous voulons simplement étudier ce qu'ils ont fait. Les règles d'un art ne

ASSONANCES ET ALLITÉRATIONS 197

peuvent pas être formulées arl)itrairemeiit ; elles ressortent de l'examen des chefs-d'œuvre, elles ne les suscitent pas. Comme l'a dit M. Saint-Saëns [Harmonie cl mélodie, 5" édit., p. XX vu), c'est une illusion « de croire que la critique peut diriger l'art. La critique analyse, la critique dissèque. Le passé, le présent lui appartiennent. L'avenir, jamais », Mais il suilit d'examiner une page d'un poète pour remarquer qu'en dehors des vers cités dès longtemps comme exemples d'har- monie imitative, elle est pleine d'assonances et d'allitérations. Ce n'est pas d'aujourd'hui que ce phénomène a été remarqué, mais il a été interprété diversement. D'après certains ces répétitions de sons seraient voulues, intentionnelles ; d'après d'autres elles seraient l'effet d'un pur hasard, et la simple juxtaposition des mots destinés à exprimer une idée les pro- duirait d'elle-même à l'insu ou même contre la volonté du poète. D'aucuns prétendent que elles se rencontrent elles sont des fautes de goût, des taches, des négligences ; selon d'autres, ce sont elles qui font la qualité et le charme des bons vers. « Ce sont ces détails, disait un connaisseur (Th. Gautier dans son étude sur Charles Baudelaire), qui rendent les vers bons ou mauvais et font qu on est ou qu'on n'est pas poète ». Diderot exprimait avec un jDeu plus de développement dans son « Salon » de 1767 une idée analogue sur ce qui constitue la beauté des vers : « C'est un choix parti- culier d'expressions ; c'est une certaine distinction de syllabes longues ou brèves, dures ou douces, sourdes ou aigres, légères ou pesantes, lentes ou rapides, plaintives ou gaies, ou un enchaînement de petites onomatopées analogues aux idées qu'on a et dont on est fortement occupé, aux sensations qu'on ressent et qu'on v«ut exciter ; aux phénomènes dont on cherche à rendre les accidents ; aux passions qu'on éprouve et au cri animal qu'elles arracheraient ; à la nature, au caractère, au mouvement des actions qu'on se propose de rendre ; et cet art n'est pas plus de convention que les effets de la lumière et les couleurs de l'arc-en-ciel ; il ne se prend point ; il ne se communique point ; il peut seulement se perfectionner. 11 est

198 LES SONS E^ GÉNÉKAL

inspiré par un goût naturel, par la mobilité de l'àme, par la sensibilité. C'est l'image même de lame rendue par les inflexions de la voix, les nuances successives, les passages, les tons d'un discoiu\s accéléré, ralenti, éclatant, étouffé, tempéré en cent manières... Sans ce mérite, un poète ne vaut presque pas la peine d'être lu, il est sans couleur ».

M. d'Eichtal n'est pas moins alTirmatif : « Il n'est pas de vers français bien frappé qui, en dehors de ses autres qualités dues à la pensée, k l'image, à l'expression, au nombre, ne contienne de ces rappels (allitérations et assonances), plus ou moins fréquents, plus ou moins saillants, et il suffît d'ouvrir un poète classique ou moderne qui ait survécu pour en trou- ver des exemples à chaque ligne. Une analyse un peu atten- tive permet de constater que ces effets dits autrefois « d'har- monie imitative », et qu'on considérait comme exceptionnel- lement usités, lorsque le poète voulait réaliser une sonorité particulière, sont très généraux, très répandus, et constituent l'élément principal de Y euphonie de nos vers » [Du rythme dans la versification française, p. 47 et suiv.).

Alfred de Musset avait dit, sans développer sa pensée : <( Dans tout vers remarquable d'un vrai poète, il y a deux ou trois fois plus que ce qui est dit ; c'est au lecteur à suppléer le reste selon ses idées, sa force, ses goûts ». 11 n'entendait pas par que c'est le lecteur qui rend les vers bons par ce qu'il y supplée ; sans quoi il n'y aurait pas de bons ou de mauvais vers, il n'y aurait que de bons ou de mauvais lecteurs, de bons ou de mauvais auditeurs. Musset a pris la précaution de dire « Dans tout vers remarquable d'un vrai poète », c'est- à-dire que le lecteur ne supplée à ce qu'a dit expressément le poète qu'à condition que ce dernier ait «rempli son vers à'indicatio s qui guident le lecteur ; et c'est précisément parce que les effets et les impressions ne sont qu'indiquées que le A^ers est bon ; si le poète avait tout dit ses vers seraient plats et ennuyeux. C'est ce qu'a développé un autre poète, Th. de Banville, dans le passage suivant :

« Ce n'est pas en décrivant les objets sous leurs aspects

LES SUGGESTIONS

199

les plus divers et dans le moindre détail que le poète les fait valoir ; ce n'est pas en exprimant les idées in extenso et dans leur ordre logique qu'il les communique k ses auditeurs ; mais il suscite dans leur esprit ces images ou ces idées, et pour les susciter il lui suffit d'un mot. De même, au moyen d'une touche juste, le peintre suscite dans la pensée du spec- tateur ridée du feuillage de hêtre ou du feuillage de chêne ; cependant, vous pouvez approcher du tableau et le scruter attentivement, le peintre n'a représenté en ell'et ni le contour ni la structure des feuilles de hêtre ou de chêne ; c'est dans notre esprit que se peint cette image, parce que le peintre l'a voulu. Ainsi le poète ».

Toutes ces opinions ont leur valeur, mais elles restent à l'état de jugements généraux ; elles ne touchent pas aux faits. Becq de Fouquières a essaj^é dans son remarquable Traité de versification d'entrer dans le détail de la question ; il y a consacré deux chapitres, l'un sur V assonance et l'autre sur \ allitération^ qu'il a nourris de remarques fines et judicieuses (voy., par exemple, le commentaire des paroles d'Oenone, p. 260-263) ; malheureusement elles sont entremêlées de subti- lités qui vont parfois jusqu'à l'erreur, et le tout est mal pré- senté ; en sorte que pour comprendre, il est nécessaire d'en savoir plus long que l'auteur n'en dit et de voir au delà. Ce sont des observations isolées, qu'aucun principe général ne réunit et qui parfois semblent se contredire. 11 aurait fallu entrer dans de plus longs développements et partir de notions sur la nature et la valeur des sons que Becq de Fouquières ignorait sans doute.

Aussi s'est-on généralement élevé contre les idées que l'auteur a exprimées à ce sujet. M. Combarieu, dans un livre intitulé Les rapports de la musique et de la poésie, l'a fait avec violence. S'occupant d'abord de la question en général, il déclare que les répétitions de sons appartiennent en propre aux langues primitives, qu'elles sont une marque de barbarie et que dans une langue et une littérature comme les nôtres elles ne peuvent être considérées que comme des cacophonies

200 LES SONS EN GÉNÉRAL

malheureuses et des puérilités. Sans doute les allitérations d'Ennius sont en général peu artistiques et quelques-unes seraient peut-être déplacées ailleurs que dans une littérature qui débute. Celles-ci de Verlaine décrivant une belle femme ne produisent qu'une horrible cacophonie :

Ton cher C07-ps rare, harmonieux...

Cet autre vers de l'école décadente :

Une suprême opale, opaline el pâlie...

n'est que puéril. Mais n'est pas la question ; il s'agit des répétitions et rappels de sons dont nos plus grands poètes, nos artistes les plus raffinés ont discrètement émaillé leurs meilleures pièces. On ne peut pas juger une théorie sur quelques exemples détestables choisis arbitrairement ; il faut avant de se prononcer prendre les plus belles pages de nos poètes et les passer au crible pour voir si elles laisseront quelque chose en faveur de telle ou telle opinion.

Quand il s'en prend aux idées de Becq de Fouquières voici de quelle manière argumente M. Combarieu ; il cite des vers « l'allitération de Y m est associée à l'expression de l'énergie, de la terreur, de la vengeance, de la soullVance », d'autres « les sifflantes sont associées à lexpression des idées les plus opposées : honte, fierté, menace, prière, estime, mépris, cha- leur, froideur, colère, pitié, bruit, silence, mouvement, rejDOS ». Il en conclut que si un même phonème peut exprimer des idées si différentes les unes des autres, c'est qu'en réalité il n'exprime rien du tout, et que c'est nous qui lui attribuons un pouvoir qu'il n'a pas. Cette façon de raisonner a du moins le mérite d'être originale ; elle revient à dire, pour prendre un autre exemple il s'agit également de sons du langage, que si le mot français exprime aussi bien la nécessité : // faut partir, que le manque : le cœur me faut, ou s'applique à ce qui est contraire à la vérité : cest faux, ou bien désigne

NOMBRE LIMITÉ DES MOYENS d'kXPUESSION 201

un instrument tranchant : une faux, c'est qu'en réalité il ne sig'nifie rien et qu'il ne doit ces valeurs diverses qu'aux géné- rosités de notre imagination. On nous objecterait peut-être' que ce mot ne remonte pas à la même origine dans les différents cas ; mais les m et les s que considère M. Comba- rieu ne remontent pas non plus tous à la même origine.

M. Combarieu paraît oublier d'ailleurs qu'il a dit lui-même, p. 51 : « Le même cri peut exprimer la peur, la colère, la surprise, le désespoir, la haine. Le même soupir peut être celui d'un malheureux vaincu par la douleur, d'un épicurien abîmé dans la volupté, d'un saint en extase, d'un fou, d'un malade qui renaît à l'espérance, d'un agonisant... ». Ne serait- ce pas que le nombre des nuances d'idées à exprimer est illimité tandis que celui des moyens d'expression est extrême- ment restreint ? Est-ce qu'un peintre qui aura peint la Médi- terranée en bleu n'aura pas le droit de se servir de la même couleur pour un ciel? « L'or est jaune, disait Diderot, la soie est jaune, le souci est jaune, la bile est jaune, la lumière est jaune, la paille est jaune... ». M. Combarieu nous répondrait certainement que la peinture n'est pas la poésie, ce que nous ne saurions contester, et il ajouterait avec Aubertin qui n'est ici que son interprète : « Se figure-t-on un génie inspiré, une âme saisie démotion et d'enthousiasme, débordant de passion et d'éloquence, qui se consumerait dans ce labeur philolo- gique, à peser la valeur propre ou combinée des dentales, des gutturales et des sifflantes, à concerter aux endroits sublimes ou pathétiques, des échos de voyelles et des rappels de sono- rités ? » ; ce qui signifie en définitive que le poète ne soigne la forme que lorsqu'il n'a rien à dire, et l'on ne voit pas pourquoi, lorsqu'il déborde d'idées, il prend la peine de rimer, de césurer, de versifier, au lieu d'écrire tout bonnement en prose. Avec une telle théorie on est obligé de proclamer que ce vers de Racine :

Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes,

est le plus mauvais que ce poète ait jamais fait (^ Clair Tisseur,

202 LES SONS EN GÉNÉRAL

p. 268) et Ton concentre toute son admiration sur celui-ci de La Fontaine :

L'onde étoit transparente ainsi qu'aux plus Idéaux jours

(Gombarieu, p. 372). Nous ne pensons pas que quelqu'un puisse admirer plus que nous et placer plus haut le génie de La Fontaine, mais il faut bien reconnaître que dans ce vers <( d'un art merveilleux )>, en laissant de côté le premier hémis- tiche qui est très discutable, le second n'est qu'une cheville banale et malvenue, appelée par la rime du vers suivant :

Ma commère la carpe y faisoit mille tours.

M. Gombarieu reconnaît pourtant l'existence d'un moyen d'expression, le rythme, et il cite un vers latin bien connu :

Quadrupedante putreni soaitu quatit ungula campum,

« cinq dactyles qui précipitent le mouvement du vers peignent le galop d'une troupe de cavaliers ». Pourquoi prendre son exemple, alors qu'il n'en manque pas en français, dans une langue morte, dont nous ne connaissons pas avec exactitude, dit-il, la prononciation, et dont nous ignorons, pourrait-il ajouter, comment se lisaient les vers? Quoi qu'il en soit nous lui répondrons par le genre d'arguments qu'il pré- fère : est-ce que le 30'' vers des Géorgiques, qui est rythmé de la même manière, peint le galop d'une troupe de cavaliers :

Numina sola colant, tibi seruiat ultima Thule ?

En réalité le rythme joue un rôle considérable dans la valeur expressive du vers cité par M. Gombarieu, mais celui des allitérations, qu'il n'y a pas vu, n'est pas moindre.

Ailleurs, p. 263, M. Gombarieu toujours à propos du

ONOMATOPÉES 203

rythme, signale des effets dus à la suppression du temps marqué à la 6'" syllabe dans les vers de 12. Ses observations n'ont rien qui soit particulièrement séduisant, mais ce qui est remarquable c'est qu'elles sont bien dans la méthode qu'il critique chez les autres ; elles vont même au delà. Ainsi cette suppression donne l'impression : « de la g-randeur » ; 2" « de coups de hache taillant im rocher à pic » ; 3" « de la conti- nuité » ; « de la force triomphante » ; « d'une adhérence étroite » ; 6" « de l'abandon, de la nonchalance » ; « d'un ensemble qui se détend et se disloque ».

Pour nous, afin d'écarter par avance le reproche d'attribuer à tel son telle valeur expressive, telle signification parce qu'il apparaît plusieurs fois dans un vers qui contient une idée dont s'accommoderait cette signification, nous ne pren- drons pas les vers pour point de départ de notre démonstra- tion, nous y aboutirons. Nous déterminerons la valeur expres- sive des sons par des considérations étrangères aux vers dans lesquels ils peuvent être employés, et relatives à la nature même de ces sons, et les vers ne viendront qu'après, comme des exemples destinés à illustrer la théorie.

Et tout d'abord voyons comment les sons se comportent dans les mots expressifs. 11 faut mettre dans une classe à part les mots qui sont proprement des onomatopées, c est-à-dire des imitations ou des reproductions plus ou moins exactes de bruits, de cris existant dans la nature. Tel est le nom de Toiseau coucou qui reproduit approximativement le cri de cet animal ; coasser qui désigne le cri de la grenouille, le reproduit aussi à peu près ; cri-cri est le nom familier du grillon dont il imite le cri ; glouglou désigne le bruit que fait un liquide en s'écoulant par saccades du goulot d'une bou- teille ; le même mot désigne aussi le cri du dindon qui diffère notablement du bruit produit par un liquide, d'où il apparaît clairement que ces imitations, tout onomatopéiques qu'elles soient, ne sont qu'approximatives ; tic-tac est une onomatopée désignant le bruit que fait le balancier d'une pendule. Si l'on se met en face d'un balancier et qu'on l'écoute en commen-

204 LES SONS EN GÉNÉRAL

çant au moment il bat à gauche on entend tic-tac, tic-tac ; si l'on cesse d'écouter et que l'on recommence au moment il bat à droite il semble que l'on doit entendre tac-tic, tac-tic. Il n'en est rien : le balancier fait toujours tic-tac, tic-tac, ce qui montre bien que par ce mot tic-tac nous ne reproduisons pas exactement le bruit du balancier ; nous croyons entendre tic-tac parce que c'est ce que nous nous attendons à entendre, et si nous essayons de changer l'ordre pour entendre tac-tic nous entendons encore tic-tac, parce que la force de l'habitude l'emporte sur notre oreille. Et pourtant tic-tac est une excel- lente onomatopée ; le balancier fait entendre en réalité deux petits bruits secs qui forcément diffèrent un peu l'un de l'autre ; c'est cette différence qui est indiquée par la modula- tion que produisent les deux voyelles i et a. La répétition de ces deux syllabes analogues qui commencent et finissent de même marque que le bruit est répété. Les deux voyelles, extrêmement brèves et sèches, peignent un bruit bref et sec. Cette qualité est encore accentuée par les deux occlusives sourdes qui ouvrent et ferment chaque syllabe. C'est donc une onomatopée parfaite, mais ce n'est pas une reproduction exacte des bruits qu'elle imite.

La plupart des onomatopées sont beaucoiqj moins exactes. Craquer, claquer, fracas, ail. klatschen, klappeii, klappeni, krachen, knarren, knallcn, knacken, contiennent tous deux éléments communs : une même occlusive sourde k, c, q, con- sonne momentanée, dure et sèche, et une voyelle éclatante a que sa brièveté rend sèche. Tous ces mots réunissent les conditions nécessaires pour peindre un bruit sec et éclatant, les différentes nuances de leur signification étant déterminées par la présence dans ces mots d'un /■, d'un /, ou d'un ii.

Le mot cri contient un c comme les exemples précédents et un r comme quelques-uns d'entre eux, mais sa voyelle, si elle est brève et sèche comme l'a, n'est plus éclatante comme lui, elle est aiguë ; il n'y a plus rien ici qui éclate, il y a quelque chose qui mord et à l'occasion qui grince.

Dans tous les mots qui expriment des bruits aigus nous

MOTS EXPRESSIFS 205

avons des voyelles aiguës comme dans le mot aifjii kii-même : cliquetis en est un exemple, ail. klirren en est un autre. Cli- quet ne ditfèi'e de claquet que par cette nuance, par sa voyelle aii^-uë au lieu d'éclatante, et cela suffît pour distinguer les bruits ([ue rendent ces deux objets dont le premier est en métal et le second en bois.

Les mots qui expriment un grincement^ un bruit aigre con- tiennent tous un /' et une voyelle claire ou aiguë comme les mots aigre et grincer eux-mêmes : tels ail. knirren « grincer (en parlant d'une porte) », ail. kritzeln « cracher (en parlant d'une plume), gratter avec une épingle sur un carreau », knirschen « grincer (des dents) », fr. crisser « grincer des dents ».

Les mots qui expriment des bruits sourds contiennent des voyelles sombres : fr. gronder, ail. knurren « gronder », raiique, ronfler, ronron, bourdon.

Les qualités expressives des consonnes ne sont pas moindres que celles des voyelles, et le plus souvent les deux catégories de phonèmes combinent leurs ell'ets dans le même mot. Siffler grâce à ses deux spirantes s et f peint un souffle et Vi nous indique que ce souffle est acompagné d'un bruit aigu. Dans le mot souffle il y a les mêmes éléments consonantiques, mais la voyelle sombre indique un bruit sourd ou à peine audible, en tout cas pas aigu. C'est la nuance du son que le souffle pro- duirait s'il en produisait un. De même gratter, ail. kratzen expriment un grattement accompagné de bruits secs et écla- tants, comme celui d'un chien qui gratte à une porte, d'un rat qui ronge une planche, mais ail. kritzeln « égratigner » indique un grattement dont le son serait grinçant s'il se faisait entendre. De même ritzen « égi-atigner, érailler ». La bise a un nom qui désigne un soutfle par sa sifflante sonore z et un souffle mordant, aigu, grâce à sa voyelle aiguë i. Ces derniers mots ne sont déjà plus des onomatopées ; ce sont des mots expressifs. Ils n'imitent plus un bruit, ils sus- citent l'idée du bruit qui pourrait être produit par l'action de ce qu'ils désignent. Il n'y a pas de ligne de démarcation bien

206 LES SONS EN OÉNÉRAL

nette entre les mots faisant onomatopée et les mots simple- ments expressifs, pas plus qu'entre les vers connus comme exemples d'harmonie imitative et les vers simplement expres- sifs.

Casser suscite l'idée de quelque chose qui se rompt avec un bruit sec et éclatant ; briser suppose un bruit aigu et grin- çant ; broyer un bruit modulé passant du son sourd 7c au son éclatant a (la syllabe ni se prononce en réalité ?ra) ; rompre simplement un bruit sourd. Dans casser le bruit est momen- tané, il ne dure pas ; dans briser, broyer, rompre, IV par son lég'er roulement, indique un bruit qui a une certaine durée. A propos de ces quatre derniers mots nous ferons une remarque qui s'applique à tous les mots expressifs et qui est d'une importance capitale pour le sujet (jui nous occupe : les sons ne sont jamais expressifs qu'en puissance '. Pour qu'ils deviennent expressifs en réalité il faut que le sens du mot dans lequel ils se trouvent se prête à l'expression dont ils sont susceptibles, et mette leurs qualités en lumière : casser est expressif, tasser ne l'est pas, briser est expressif, griser ne l'est pas, broyer est expressif, corroyer ne l'est pas, il rompt est expressif, un tronc ne l'est pas. Pour plus de détails sur les onomatopées et mots expressifs, voir l'article que nous avons publié sous ce titre dans la Revue des langues romanes, 1901, p. 97sqq.

En somme tous les sons du langage, A'Oyelles ou consonnes, peuvent prendre une valeur expressive lorsque le sens du mot dans lequel ils se trouvent s'y prête; si le sens n'est pas susceptible de les mettre en valeur, ils restent inexpressifs. Il est bien évident que de même dans un vers s'il y a accumu- lation de certains phonèmes, ces phonèmes deviendront expres- sifs ou resteront inertes selon l'idée exprimée. Le même son peut servir ou concourir à exprimer des idées assez ditTérentes l'une de l'autre, sans qu'il puisse toutefois sortir d'un certain cercle l'enferme sa nature propre. Il n'y a guère d'idée,

1. Cf. supra, p. 31, la même observation à propos du rythme.

[.ES KLK.MEN'IS DE l'eXPRESSITiN 207

si simple soit-elle, qui ne soit complexe, et nous avons vu que ses dill'érents éléments, ses dillerentes nuances peuvent être exprimées par le voisinage et le concours de sons diffé- rents ; de même évidemment dans un vers ; c'est-à-dire que dans un vers expressif il y a toujours plusieurs éléments variés qui entrent en jeu dans l'expression. Ce sont ces différents éléments que nous chercherons à isoler en déterminant le rôle et la valeur propre de chacun d'eux.

KEPETlTIOiNS DE PHONEMES QLELCOKQLES

Nous commencerons par un ordre d'idées la nature des phonèmes n'a aucune importance ; ce n'est que par leur répéti- tion qu ils jouent un rôle. 11 s'agit de l'expression d'un mou- vement ou d un bruit répété, que ce mouvement ou ce bruit soit régulier ou iiTégulier. Or dans les mots expressifs appar- tenant à cet ordre d'idées, l'expression est due à la répétition d'une syllabe : coucou^ d'une voyelle : cliquetis, monotone, ou d'une consonne : palpite. Il est évident que dans un vers, qui est un élément plus long- qu'un mot, on pourra obtenir des effets analogues par la répétition d'un mot ou de plusieurs mots, d'une ou de plusieurs syllabes, d'un ou de plusieurs sons.

Mais la question est complexe; nous avons déjà parlé d'un moyen d'exprimer un mouvement ou un bruit régulier ou irrégulier, à savoir le rythme. Nous avons vu comment le rythme peut devenir un moyen d'expression par ce fait qu'il rend plus lentes les syllabes d'une mesure qui en a moins de trois et plus rapides celles d'une mesure qui en a plus de trois.

Il va de soi que pour peindre un mouvement régulier, une allure éga'le, le rythme 3-3, 3-3 pourra contribuer à l'expres- sion :

Lui, gagnant | à pas lents | une roche | élevée

(Musset, Nuit de mai).

Elle va I dans les bois, [ se traînant | à pas lents

(Id., La servante du roi).

MESURKS KÉGIILIÈREMENT INÉGALES 200

Muletiers | qui poussez | de vallée | en vallée Vos mules sur les ponts que César éleva

(Hugo, Le petit roi de Galice).

Quatre bœufs attelés, d'un pas tranquille et lent, Promenoient | dans Paris | le monarque | indolent

(BoiLEAu, Lutrin).

Vinrent, le régiment après le régiment.

Et le long I des maisons | ils passaient | lentement

(HiGo, Chàtimenls).

Tu gagnais | lentement | la maison | solitaire

(Musset, La coupe et les lèvres).

On n'entendait au loin sur l'onde et sous les cieux Que le bruit | des rameurs | qui frappaient | en cadence Tes flots harmonieux

(Lamartine, Le lac).

De même un rythme à mesures régulièrement inégales pourra contribuer à produire d'autres ell'ets :

avait trouvé bon que cet antre

Bâti I pour les géants, | servît | pour les lions

(Hugo, Les lions).

Ceux d'Ascalon | du beurre, | et ceux d'Aser | du blé

(Id., Ihid.).

A mêlé dans le sang enfiévré de mes reins

Au rut I de l'étalon | l'amour | qui dompte l'homme

(Heredia, dessus).

(Le rapport des mesures 2,4, 2,4 marque ici régalité du mélange et de la valeur des choses mélangées).

Du pied I dans les enfers, | du front | dans les étoiles

(Hugo, Légende des siècles). M. Ghammo.nt. Le vers friDiçuis. 14

210 LES RÉPÉT[TIONS EN GÉNÉRAL

Tant la ravine | est fauve, | et tant la roche | est âpre

(Id., IhicL).

N'ayez d'autre souci

Que d'aplatir | vos cœurs, | et d'arrondir | vos ventres

(Id., Année terrible).

Mais il y a lieu de noter d'abord que, pour que le rythme devienne expressif, il faut que l'idée exprimée le rende expressif. Sinon le type 3-3, 3-3 est précisément celui qui n'exprime rien : tout y est égal et rien n'a de relief :

Chacun sait | aujourd'hui ] quand il fait | de la prose

(Musset).

Cologne 1 et Strasbourg, | Notre-Dame | et Saint-Pierre

(Id.).

Il en est de même du type 2-4, 2-4; il tend à mettre en relief les mesures qui n'ont que deux syllabes, mais pour qu'il peigne deux mouvements parallèles il faut qu'il en soit ques- tion dans le vers ; il n'y a aucune expression de ce genre dans les vers suivants :

Je viens | selon l'usage | antique | et solennel

(Racine).

Pourquoi ] vous imposer | la pei|ne de son crime?

(Id.).

Le rythme peut donc contribuer à peindre un mouvement, mais s'il est le seul moyen d'expression employé il ne le ren- dra pas très sensible. Tel ce vers de Lamartine :

Que le bruit | des rameurs | qui frappaient | en cadence.

Pour que le mouvement devienne très net, il faut en outre des rappels de sons, des répétitions de phonèmes, disposées

EXPRESSION DIN MOUVEMENT RÉPÉTÉ 211

de telle ou de telle muuière, suivunt ([uo le bruit ou le mou- vement à peindre est régulier ou irrcgulier.

Reprenons à ce point de vue les exemples précédemment cités : il nous suffira de mettre en relief typographiquement les sons répétés pour faire saisir sans commentaire l'effet qu'ils produisent :

Elle va dans les bois se trainan/ à pas lents. . . Lui gagnant à pa^ \ents une roche élevée. . . Muletie/'s qui poussez de vallée en vallée. . . El le lonff des maiso/i5 ils passaient lentement. . . Bâti pour les géants sevvit pour les lions. . . Ceux c/'Ascalon du Aeurre et ceux d'Aser du blé. . . Du pied dans les enfers, du front dans les étoiles. . . Tant la ravine est fauve et tant la roche est âpre. Que (/"aplatfr vos cceurs et d arrondir vos ventres. . .

Gomme on le voit les rappels de sons contribuent encore plus que le rythme à produire l'impression du mouvement demandée. Ils peuvent même suffire.

Le moyen le plus sensible de peindre un bruit ou un mou- vement répété' consiste simplement à répéter un mot ou quelques mots. Mais si ce moyen est le plus sensible, ce n'est pas le plus délicat :

Le flot sur le flot se replie

(Hugo, Napoléon H).

Ce vers ne veut pas dire qu'un flot se replie sur un autre une fois pour toutes, mais il fait sentir très nettement que les flots se succèdent et se replient les uns sur les autres continuelle- ment et d'une manière indéfinie. C'est ainsi que la répétition de la syllabe inur dans le mot murmure fait que ce mot désigne un bruit répété et continu.

Après la plaine blanche., une autre plaine blanche

[Id., L'expiation);

212 LES RÉPÉTITIONS EN GÉNÉRAL

ce vers suscite Tidée d une succession indéfinie de plaines blanches.

Les larmes du matin qui pleuvent goutte à goutte

(Heredia, Pan).

Dans le bruit de tes bords par tes bords répétés

(Lamartine, Le lac).

Et que le vent du nord porte de feuille en feuille

(Vigny, Le cor).

C'étoit ceci, cétoit cela

(La Fontaine, VII, 5).

On peut renforcer encore TefTet produit par la répétition de certains mots, au moyen de rappels de sons isolés qui sont déjà contenus dans ces mots ou ne le sont pas :

Et la source sans nom qui goutte à gou//e tombe ou ou^ ou ou ou'^

(Heredia, La source);

tous les accents toniques tombent sur la voyelle ou orale ou nasale.

Disloqué, de cailloux en cailloux cahoté ce ce

(Hugo, Le crapaud).

Et comme un noir poison qui va de veine en reme

V V V

(Id., Ruy-Blas)',

mouvements' successifs.

Le même procédé peut servir à exprimer le parallélisme de deux idées, de deux actions, dont la seconde suit rapidement la première et en est la conséquence :

KXPIIESSION DE l'aCCUMULATION 213

Tu mis à prix sa tète, il mit à prix la tienne

(Id,, Burgraves).

Il y a ici parallélisme en tout dans les deux hémistiches : rythme 4-2, 4-2, mots et sons :

mi[s) à prix a t ê mi{t) à prix a t è

vocalisme :

iiiai ii ai

Yii et Tf, étant des voyelles du même ordre, comme nous le verrons plus loin, se correspondent parfaitement.

Le loup le croit, le loup le laisse

(La Fontaine, IX, 10).

Il tendit un long rets. Voilà les poissons pris. Voilà les poissons m/s aux pieds de la bergère

(Id., X, 11).

voilà sa toile ourdf'e,

Voilà des moucherons de prfs

(Id., III, 8).

Les actions, les idées, les événements qui se suivent rapide- ment et dépendent dans une certaine mesure l'un de l'autre, peuvent n'être pas réduits à deux; ils sont parfois toute une série. Le procédé est le même; les mêmes répétitions de mots peindront l'accumidalion d'une suite d'événements :

' «

Le démon se remit à battre dans sa forge ; Il frappait du ciseau, du pilon, du maillet

(Hugo, Légende des siècles).

214 LES UÉPÉTITIOiNS EN GÉNÉRAL

Le pis fut que 1 on mit en piteux équipage Le pauvre potager : adieu planches, carreaux;

Adieu chicorée et poireaux;

Adieu de quoi mettre au potage

(La Fontaine, IV, 4).

Rien ne la contento/t, rien n'étoil comme il faut : On se levojt trop tard, on se couchoj't trop tôt ; Puis du blanc, puis du noir, puis encore autre chose. Les valets enrageo«ent, /Vpoux étoft à bout : Monsieur ne songe à rien, monsieur dépense tout. Monsieur court, monsieur se repose

(Id., Vil, 'J).

Nous avons montré, lorsque nous avons étudié le rythme, comment le trimètre par sa rapidité et le resserrement synthé- tique de ses syllabes pouvait servir à accumuler les idées, les événements, les faits. Les deux procédés peuvent se combiner et concourir au même but avec plus de force :

// fut héros, il fut géant, il fut génie

(Hugo, Le parricide).

La nuit se dissolvait dans les énormes cieux rien ne tremble, rien ne pleure, rien ne soulîre

(Id., Le sacre de la femme).

On peut aussi marquer Finsistance par la même répétition de mots avec le procédé rythmique contraire, celui qui con- siste à auo^menter le nombre des mesures et par à les ralen- tir. Le premier procédé met, nous l'avons vu, les faits en relief par le resserrement synthétique et le second par l'écar- tement anah tique :

Toute la dilFérence entre ce sombre roi,

Et ce sombre | empereur, | sans foi, | sans Dieu, | sans loi

(Id., Ei'iradnus).

EXPRESSION DE l'iNSISTANCE 215

Le poète insiste à la fois par le rythme lent et par la répéti- tion du même mot devant un monosyllabe.

On le voit par ces derniers exemples, ce même procédé peut servir pour insister sur des faits analogues. Et en effet le moyen le plus simple pour marquer l'insistance est de répé- ter un mot ou quel(|ues mots; c est même bien plus un procédé de style qu'un procédé de versification, ou plutôt la poésie en use comme la prose :

Que tardez-vous, Seigneur, à la répudier ? L'empire, votre cœur, tout condamne Octavie. Auguste, votre aïeul, soupiroit pour Livie : Par un double divorce ils s'unirent tous deux; Et vous devez l'empire à ce divorce heureux. Tibère, que Thymen plaça dans sa famille, Osa bien à ses yeux répudier sa fille. Vous seul, jusques ici contraire à vos désirs, N'osez par un divorce assurer vos plaisirs

(Racine, Brilannicus).

Ces tronçons déchirés, épars, près d'épuiser

Leurs forces languissantes, Se cherchaient^ se cherchaient, comme pour un baiser

Deux bouches frémissantes

(Hugo, Orientales).

C'est moi, Prince, c'est moi dont l'utile secours Vous eût du labyrinthe enseigné les détours

(Racine, Phèdre).

Moi-même devant vous, j'aurois voulu marcher Et Phèdre au labyrinthe avec vous descendue Se seroit avec vous retrouvée ou perdue

(Id., Ihid.).

Descends, Charles I Descends, Frédéric! Descends, Pierre! Deviens de plomb, deviens f/'acier, deviens de pierre !

216 LES RÉPÉTITIONS EN GÉNÉRAL

Le sang des bons après le sang des innocents ! Règ-ne 1 plus has 1 plus bas ! descends ! descends ! descends 1

(Hugo, La pitié suprême).

Le même procédé peut être accentué par des répétitions de phonèmes venant s'ajouter aux répétitions de mots :

Viens vite, viens iinir ma fortune cruelle V V 11 f f

(La Fontaine, L 15).

L'onde qui fuit, par l'onde incessamment suivie i i i i

(Hugo, Feuilles d'automne).

Descendez , descendez, lamentables victimes. Descendez | le chemin | de l'enfer | éternel,

é è è è

Plongez au /j/us /profond du gouffre tous les crimes F/agellés /jar un rent qui ne went/)as du ciel /bouillonnent pè\e-mè\e avec un Aruit d'orage

(Baudelaire, Femmes damnées);

insistance et indication de ditTérents mouvements continus.

Ce procédé qui consiste à répéter des mots tout entiers, s'il est le plus frappant, n^est pas le plus délicat, avons-nous dit. Le plus raffiné consiste à répéter uniquement des phonèmes isolés ; on peut obtenir encore par une très grande intensité d'expression. Nous reprendrons à ce nouveau point de \ue les mêmes catégories d'idées dans le même ordre :

Mouvement régulier :

Depuis ce jour fatal le pouvoir d'Agrippine Vers sa chute, | à grands pas. ] chaque jour | s'achemine r s ch ch j r s ch

a e a é

(Racine, Brilannicus).

EXPRESSION d'lN BRUIT RÉPÉTÉ 217

Un jour, I sur ses longs pieds, | alloit | je ne sais Le héron | au long bec | emmanché | d'un long cou ou ou" é è ou

ou'^ ou^^ è é ou

(La Fontaine, VII, 4).

Nos chevaux | galopaient | à travers | la clairière ,7 è a è ;t è

g P f f c

(Hugo, Contemplations).

lacchos I s'avancer | sur le sa|ble marin i é û e"^

a o" e a

b a a è

(Heredia, Ariane).

Ajouter à ce mouvement vocalique la quintuple répétition de s peignant le bruissement continu du cortège sur le sable.

Mouvement ou bruit répété indéfiniment, sans que l'idée de régularité soit exprimée :

Va, ment, fait l'empressée

(La Fontaine, Le coche et la mouche).

Avec des grondements que prolonge un long râle r r r

(Heredia, Bacchanale).

Et Pan, ralentissfl/K ou press.int la cade/ice

(Id., Nymphée).

Le mouvement est peint par le retour de la voyelle nasale an, revenant de 2 en 2 syllabes dans le premier hémistiche, de 3 en 3 dans le second, et se trouvant dans le premier 3 fois dans le même espace de temps que 2 fois dans le second.

218 LES RÉPÉTITIONS EN GÉNÉRAL

Et la mer elle-même, expirant sur sa rive, Rou/e à joeiae à h pla°;e une /ame /j/aintive ap ap

la la la la

(Lamartine, L'infini dans les deux).

Laisse, ami, Terrante chèvre,

Sourde aux chevrotements du chevreau quelle sèvre

s r ch vr

s r ch vr ch vr s vr

(Hereuia, La flùle).

Un essaim de corbeaux

Tourne éternellement autour de la montagne t t t l t

ou an ou a

(Hugo, Burgraves).

L'horloge d'un couvent s'ébranla lentement la lan

an an an an

(Musset, Don Paez).

Et sa voix sur l'écho de la voûte sonore Frappait comme le pas d'un hardi cavalier pait pas

c d d c

(Musset, (Jharles-Quint àSt-Just).

« Pour produire un effet puissant, les lettres allitérantes doivent frapper les syllabes rythmiques; tandis que, pour obtenir des effets dégradés, et si l'on peut parler ainsi, des demi-teintes, on devra éviter les attaques redoublées sur les syllabes de l'arsis, disposer au contraire les consonnes allité- rantes devant les syllabes atones de la thésis, et parfois même en amortir encore le choc au moyen de syllabes muettes. C'est ainsi, par le choix et l'emploi judicieux des consonnes allitérées gutturales, dentales, labiales, liquides ou nasales,

RÉPÉTITIONS EN SYLLARES ATONES 219

fortes ou faibles, (jue le poète parvient à exprimer jusqu'aux plus fugitives nuances du sentiment qui l'inspire, à amplifier ou à voiler la sonorité de son vers, qui devient à sa volonté facile, coulant, rapide ou languissant, clair, strident, rauque ou éclatant» (Becq de Fouquières, 236-237).

Dans les exemples qui précèdent les phonèmes que nous avons relevés appartiennent surtout aux syllabes toniques; dans les suivants ils sont plutôt dans des syllabes atones ; mais il n'est ni possible ni utile de faire à ce point de vue deux catégories bien nettes ; chaque exemple a son individualité et demanderait un commentaire particulier qvie le lecteur pourra faire aisément au moyen des éléments que nous mettons en relief :

La mer qui se /rimante en pleurant les sirènes an an an

(Heredia, L'oubli).

noter en outre le vocalisme : a è i la vague commence à s'élever, e a an an è an la vague gronde, e i è la vague meurt sur la rive.

Au dehors, tout autour du gra/jd antre muet, Hurla/t 1<? brouhaha de la foule indignée

(Hugo, L'épopée du lion).

Voici l'essentiel du vocalisme de ces deux vers : ou ou, an an, lié lié, è ou a a è a ou, c'est-à-dire dans les trois pre- miers cas répétition pure et simple, et dans le dernier reproduction approximative.

. . . .Daus ce moment, un pas Au penchant du coteau semble se faire entendre

(Musset, Le saule).

noter en outre les occlusives : t p

]J (I c f I. (1

220 LES KÉPÉTITIOISS EN GÉNÉRAL

qui peignent un bruit ou un mouvement saccadé.

Un écho /prolongé répétait chaf^rue pas

(Id., Porlia).

Sur l'Hymè/e, TAu/an /umulfueux <ourmen/e

(Hugo, Le Satyre).

.... L'intrépide Hippolyte Voit foler en éclats tout son char fracassé

(Racine, Phèdre).

Il marchoit d'un pas relevé Et faisoit sonner sa sonnette

(La Fontaine, I, 4) ;

sonner sa sonnette n'est pas de rharmonie imitative, ne peint pas le bruit, mais indique la répétition de l'action, et de son produit, le bruit.

Hideux ce spectre blanc passait; et, par instant, Une goutte de sang se détachaii de l'ombre, Implacable, et tombait sur cette blancheur sombre.

(Hugo, Le parricide).

Sentant à chaque pas qu'il fait vers la lumière. Une goutte de sang sur sa tète pleuvoir

(Id., Ibid.).

Durandal flamboyant semble un sinistre e.sprit : Elle l'a, i'ient, remonte et tombe, ^e relève, ou^ ou"

re re

.S'abat, et /"ait la fêle effrayante du glaive

(Id., Le petit roi de Galice);

les phonèmes répétés peignent les mouvements répétés, suc- cessifs et divers de l'épée de Roland.

EXPRESSION DE MOUVEMENTS RÉPÉTÉS 221

Trouvant les tremblemenls de terre trop fréqueats, / / tic

Les rois d'Espagne ont fait baptiser les volcans

(Id., Les raisons du Momotomho).

De toutes paris pressé par un puissant voisin,

Que j'ai su soulever contre cet assassin,

Il me laisse en ces lieux souveraine maîtresse

(Racine, A(halie).

Voir soudain des lions et des tigres, ô roi ! Sortir de toutes parts de l'ombre autour de toi f d t t p d h l d t

é ou é a é ou"^ é a

(Hugo, Burgraves).

Que des chiens f/évorants se Jispu/oient entve eux

(Racine, Athalie).

Elle veut voir le jour, et sa Jouleur profonc/e M'orf/onne ^ou/efois d'écavtev toui le monde

(Id., Phèdre);

on écarte chacun successivement; il y a par conséquent action répétée.

Dans le donte mortel t/ont je suis agi/é

(Id., lhid.)\

hésitations successives.

A V appel du plaisir lorsque ton sein paXpiie è i è i

(Musset, Rappelle-toi) ;

le mot palpite par lui-même et par lui seul exprime déjà la répétition parce qu'il a deux syllabes commençant par la même occlusive p ; pour mettre en un relief singulier et faire particulièrement sentir le mouvement de palpitation, le poète renforce l'élément essentiel de ce mot en le reproduisant dans

222

LKS RÉPÉTITIONS EN GÉNÉRAL

d'autres mots. Comme la dit Becq de Fouquières, p. 220 : « On peut souvent constater que le mot générateur de l'idée devient, au moyen de ses éléments phoniques, le générateur sonore du vers et soumet tous les mots secondaires qui l'ac- compagnent à une sorte de vassalité tonique». La majeure partie de nos exemples illustrent cette observation.

Sur mon œil ébloui palpïiah ma paupière

(Th. Gautier)

^es grelots

des troupeaux

palpitaient

vaguement

e ù

é 6

a

il

9 9''

d l p Ir

p p l

(Hugo, Booz)

Lesbos les baisers «ont comme les cascades

a n . c ce

Qui se jettent sans peur dans les gouffres sans fond c s,7/js f sans f

Et courent sanglotant et gloussant par saccades, an an an a a a

9' _ y'

Orageua; et secrets, fourmillants et profonds

(Baudelaire, Les hos).

7bujours l'in/érieur de la ferre ù^availle /• r r r r

(Hugo, Feuilles d'aulonine);

répétition continuelle.

Chaque fois qu'en tombant la /erre re/eu<it De la foule muette un sourd sanglot sortit

(I-AMAiiTiNE, Jocelyn) ;

EXPRESSION DE LA RÉPÉTITION 223

bruit répété; il s'agit des pelletées de terre qu'on jette sur la bière.

Mon père mille fois m'a dit dans mon enfance Qu'avec nous tu juras une sainte alliance

(Racine, Esther);

répétition de m correspondant à la répétition de l'action indi- quée; cf. en outre p. 297 et 298.

Les bonds capricieux de ce bouc indocile hou'^ c p d bouc cl

(Heredia, Le rhevrier);

ces occlusives saccadent le vers conformément à l'idée expri- mée.

L'esprit de minuit passe, et, répandant l'effroi, Douze fois | se balance | au battant | du /jeffroi a an a an

(Hi'GO, La ronde du suhhat).

Ses yeux, qui t'ainement i'ouloient t'ous éiùter, Déjà pleins de langueur, ne pouvoient t'ous quitter

(Racine, Phèdre) ;

cette répétition de v peint les efforts successifs.

Recommençant sans cessQ une ascension vaine an an an an

(Hugo, Ahime).

Ou d'une enseij^ne, au bout d'une tringle de fer. Que haXance le vent pendant les nuits d'hiver

(Baltoelaire, Les mélamorphoses du Vampire) ;

indication d'un mouvement répété ; mais la nature spéciale du mouvement n'est pas précisée.

224 LES KÉPÉTITIONS EN GÉNÉRAL

/a nuit sur /a pelouse

Balance le zéphyr dans son voile odorant

(Musset, Nuif de nini] ;

l'effet du balancement répété est produit par Talternance des groupes Is, l s, régulière de « pe/ouse » à « séphyr» ; les mêmes phonèmes apparaissent avant et après ces mots, mais en ordre irrégulier parce que avant le mouvement ne fait que s'an- noncer, et qu'après il cesse au moment Ton va passer à une autre idée.

S'éta/e un tapis vert sur lequel se balance Un grand /ustre b/afard au bout d'un oripeau

(Id., Une bonne fortune);

observation analogue.

La lune, à son lever, sur la cime des arbres // si sis z

Balançait mollement les ombres des saints marbres l s l l z s

(Id., Suzon);

effet analogue obtenu par des moyens analogues.

Tout est joie et chanson; la roulette commence : Ils lui donnent le branle, ils la mettent en danse. Et ratissant gaîment l'or qui scintille aux yeux. Ils jardment ainsi sur un r</thme joyeux

(Id., Une bonne fortune).

Les mouvements sont peints par l'assonance des syllabes toniques qui terminent les hémistiches ou les mesures.

Un bal est à deux pas; à travers la fenêtre,

On le vott çà et bondir et diaparaltve,

Comme un chevreau lascjf ^^n'uiie abeille poursuit

(Id., Ihid.);

KXIMIKSSION DU PARALLÉLISME 225

le premier hémistiche est prosaïque, mais semble annoncer le mouvement par son a terminant chaque dyade; dans le deuxième hémistiche, assonance des deux triades qui débutent d'ailleurs toutes deux par un a atone; dans le premier hémis- tiche du deuxième vers, assonance des deux triades; dans le deuxième hémistiche, effet saccadé des occlusives et répétition de la syllabe di; le troisième vers est une comparaison qui semble étendre le mouvement, Funité devenant au point de vue de ces correspondances, non plus la mesure, mais Ihémis- tiche : les deux hémistiches assonent si sui, et débutent par la même occlusive c. Tout cela pour peindre le mouvement rég-ulièrement irrégulier de la danse.

3'^ Deux actions parallèles dont la seconde suit régulière- ment la première et peut en être la conséquence :

Ou des fleurs au printemps, on d (l t

ou du fruit en automne ou (/ fr t

(La Fontaine, X, 2).

Une série d'événements qui se suivent rapidement, qui peuvent dépendre l'un de l'autre ou sont dans une certaine mesure parallèles :

Je le vts, je roug/s, je pâh's à sa vue

'Racine, Phèdre).

Mais ce lion. . .

Trouva moyen et manière et matière

è è è

Z)'ongles et dénis de rompre la ratière

(Marot, Le lion et (e rai).

Se cabre /brusquement, se retourne, l'egarde, è a è û è ()" è é u e è a Et rejoint d'un seul bond... e è e"

IIeredia, Fuite de Centaures). M. Gram.nkj.nt. Le vers français. 15

226 LES RÉPÉTITIONS EN GÉNÉRAL

La succession des mouvements brusques et saccadés est mar- quée par le vocalisme dont chaque ondulation commence de même; ce mouvement se perd au vers suivant. Ajouter les br et les re.

Après qu'il eut brou/é, trotté, fait ^ous ses /ours é é ou ou

(La Fontaine, VII, 16).

Elle qui n'étoit pas grosse en tout comme un œuf Envieuse^ s'étend, et s'enfle et se travaille

(Id., I, 3).

Efforts successifs marqués par l'allitération des sifflantes et la coupure syntaxique du sens après chaque accent tonique et rythmique.

Mettenlle nez à l'air, montrent un peu la tète è é è è

Puis rentrent dans leurs nids à rats

a a Puis ressor/ant font qua/re pas,

a a Puis, enfin se me//en/ en quête è è è

(Id., III, 18).

5** L'insistance. Nous avons vu le poète insister sur un mot, c'est-à-dire sur l'idée exprimée par ce mot, en le répétant. Une autre manière de le mettre en relief consiste à répéter au lieu du mot ses phonèines essentiels et caractéristiques :

Il réveilla ses fils dormant, sa femme lasse, Et se remît à iuiv sinistre dans l'espace

(Hltgo, La conscience)',

renforcement du mot « sinistre » par les répétitions d's et di.

Tu frémiras d'horreur si je romps le silence

(Racine, Phèdre) ;

EXPRESSION DE l'iNSISTANCE 227

renforcement du mot « horreur )>.

Quevois-je ? quelle horreur dans ces lieux répandue Fait fuir devant mes yeux ma /'amille éperdue ?

{iD.Jhid.).

renforcement du mot « fuir ».

Quatre méchants portraits pendus, représentant Das /"aces qui/eraient /"nir en en/er Satan

(Musset, Don Paez) ;

même renforcement un peu trop accentué, exag^éré.

On n'entendra jamais piaffer sur une route Le pieô. vi/'du chev./l sur les pavés en /eu

(\'iGXY. La maison du berger),

renforcement du mot onomatopéique " piaffer » par reproduc- tion et répétition des éléments qui le constituent.

Mais si l'on veut insister sur la phrase tout entière, sur ridée qu'elle contient et non pas sur un mot en particulier, on répète un phonème quelconque :

-Vais ce même .A/nurat ne me pro/jjit ja/?jais

(Racine, Bajazel).

De ce .sacré soleil dont je .suis de.scendue

(Id., Phèdre).

Maintenant ^^ue mon/emps décroM comme un tlambeau, an an an

Que mes fâches sont /erminées ; Maintenant que voici yue je touche au /ombeau Par les deuils el par les années

(Hlgo, Contemplations) .

Parcourant j .sans cesser \ ce long- cericle de peines è é è è

(La Fontaine, X, 2i ;

2'2S LES RÉPÉTITIONS EN GÉNÉRAL

régularité du mouvement et insistance : c'est le bœuf qui parle.

Hélas ! on voit que de tout temps Les pe/^ts ont pàti des sottises des grands

(In., II, 4).

Laissez-moi m'endormir du som/zieil de la terre

(Vigny, Moïse).

Regarde! je viens seul masseoir sur cette pierre tu la vis sasseoir !

Lamartine, Le lac).

Phèdre reut l'ousyj^rler ayant rotre départ

(Racine, Phèdre) ;

manière d'insister sur les mots pour bien préciser les paroles.

Envoyant un songe lui dire Quun tel trésor étoït en ^el lieu. L"homnie au vœu

(La Fontaine, IX, 13) ;

même observation.

Vous trahissez l'époux à qui la foi vous lie, Vous trahissez enfin vos enfanls malheureux, Que vous précipitez sous un joug rigoureux. Son^rez qu'un mêmeyour leur ravira leur mère r r r r r mer

leur ra l'a leur Et rendra l'espérance au fils de l'étrangère ran ra ran ran

(Racine, Phèdre).

Elle //îeurt dans mes bras d'un mal quelle me cache a a a

(Id., Ihid.);

RÉPÉTITIONS DÉFKCTUELSES

229

insistance d'une femme inquiète en quête de secours ; c'est Oenone qui parle de Phèdre, sa maîtresse ; cf. en outre p. 297.

Je mourrai, mais au moins ma mort //»e veng^era

(Kacine) ;

insistance due ii la colère.

Gomme plus haut nous pouvons avoir ce procédé joint au rytlime analytique :

Prelsse. /)leu|re, j^-émis ; | /jeins lui | Phèdre mourante,

i i

Ne rougis /joint de /^rendre une voix su/)/jliante è an è an

(Id., Phèdre).

Il l'appelle son fvève et l'aime clans son âme Cent /bis plus j qu'il ne /'ait | mè|re, /ils, } /"ille | et femme

(Molière, Tartuffe).

Je l'aime, non point tel que l'ont vu les enfers. Mais /"idèle, mais /"ier, et même un peu /arouche, Charmant, | jeune, | traînant | tous les cœurs j après soi

(Racine, Phèdre).

Nous avons dit en commençant que ces répétitions de sons n'étaient expressives qu'en puissance, c'est-à-dire qu'elles ne deviennent impressives que lorsque l'idée s'y prête. Sinon les répétitions peuvent passer inaperçues. Ainsi dans le nom de poisson barbeau la répétition passe inaperçue alors qu'il n'en est pas de même dans barboter. Si pourtant les répétitions sont trop nombreuses, trop marquées, bien que l'idée ne les demande en rien, on les sent forcément, elles deviennent impressives malgré l'idée par ce fait seul qu'on les sent, et alors elles sont choquantes parce qu'il y a discordance entre l'idée et l'expression :

230 LES RÉPÉTITIONS EN GÉiNÉRAL

Enfin, en forme cVanse arrontlissa/Jt leurs flancs

(Heredia, Le vase).

Les Bacchantes, d'un pampre à Tfl/jjple frondaison EnguirlfT/ident le jougdes taureau.v qu'on dételle

(Id., Ihid.).

Lorsf/i/e j'ai lu Péinirque étant encore enfant l l t

an an an an

(Musset, Le fils de Titien).

Quelle que soit sa mère et de^ui qn\\ soit fils

(Corneille).

Que quelque amour qu'elle ait et qu'elle ait pu donner

(Id.).

Je ne serai qu'à vous, qui que ce soil que j'aime

(Id.).

Elle [la rivière] roule sans un murmure Son onde oyjaque et /jourtanl/jure Par les faubourgs /pacifiés

(Verlaine, nomances sans paroles).

Terrible et dernier cri de l'âme évanouie,

Echo du coup qui fait écrouler une vie,

6 ou ou

Et yue jusqu'au tombeau j'entendrai ; puis glissant

o ô

(Lamartine, Jocelyn) ;

l'effet n'est probablement pas voulu, mais il est en tout cas désastreux ; l'idée aurait pu à la rigueur en supporter une vague indication ; mais une exagération de ce genre est tout ce qu'il y a de plus choquant.

V. Hugo a généralement corrigé les répétitions intempes- tives qui s'étaient d'abord présentées sous sa plume. De ce vers :

i:UKHECTl(hNS UK V. HUGO 231

L'omb/'e les voyant rire est /'adieuse et rit

il a fait :

Lombre les voyant rire a confiance et rit

( ThéAire en liber lé).

Dans cet autre :

Avec les Alti/c'î la nnit coïncidant

il a remplacé (( Attila » par (( Genséric » (La Pitié suprême). Mais quelques cas lui ont échappé :

je rêve, et rôdant dans le champ léthargique

(Les rayons et les ombres).

Madame, les garçons sont les soucis des mères

[Les voix intérieures).

Us appellent cela la majesté. C'est bête

[Les quatre vents de l'esprit).

La terre est belle, elle a la divine pudeur

[La terre).

Naigeon qui dit : Racd, Calmet cpii dit : Amen!

[L'âne).

II

LES VOYELLES

Nous arrivons à l'étude des vo^'elles en tant qu'elles ont une valeur propre et une signification particulière. 11 est bon de rappeler encore une fois que les phonèmes ne sont expres- sifs qu'en puissance et n'expriment réellement quelque chose que si l'idée qu'ils recouvrent est susceptible de mettre en lumière leur pouvoir expressif. Il ne faut pas oublier non plus qu'il n'y a pas d'idée simple; toute idée est complexe et comporte des nuances qui ne peuvent être rendues que par l'emploi simultané ou successif de moyens d'expression différents. Nous essaierons d'isoler chacun d'eux et de déter- ner sa valeur spéciale.

Pour cela il est nécessaire que nous prenions pour point de départ une classification des sons reposant sur leur nature même et indépendante de toute idée préconçue. On peut les grouper avec beaucoup de précision en se fondant à la fois sur leur point d'articulation et leur mode d'articulation. Les voyelles sont des notes variées dont le timbre et la qualité sont essentiellement déterminées par le point d'articulation. Or c'est par leur timbre et leur qualité qu'elles impressionnent diverse- ment notre oreille : les unes sont des notes aiguës, les autres des notes graves, les unes sont des notes claires, les autres des notes sombres, les unes sont voilées, les autres éclatantes. Ces distinctions déterminées par l'impression produite sont en quelque sorte populaires ; sous l'influence de la musique elles ont pénétré dans le langage courant ; mais elles ne donnent qu'une classification vague et flottante. En classant les voyelles d'après leur point d'articulation, on se trouvera les avoir rangées du même coup conformément à l'impression qu'elles exercent sur celui qui les entend, et cette méthode,

CLASSIFICATION DES VOYELLES 233

ne laissant rien à l'arbitraire, permettra d'apporter à la classi- (ication vulgaire plus de précision et de la rectifier au besoin.

Ondésig-ne généralement par le nom de painfales les voyelles dont le point d'articulation est situé vers la partie antérieure du palais et l'on peut appeler non palatales toutes les autres. Les palatales sont i, ii [u, comme dans le mot cru), é, è, ô [eu fermé, comme dans le mot feu). Ce sont en même temps les voyelles claires. Les deux d'entre elles qui sont le plus fermées et qui se prononcent le plus en avant, ïi et Vu, peuvent être mises à part sous le nom de voyelles aiguës. La catégorie des non palatales comprend toutes celles qui se pro- noncent vers la partie postérieure du palais, ou au niveau du voile du palais, ou même plus en arrière, à savoir : ^, ô (o ouvert, comme dans le mot corps), ' (eu ouvert, comme dans \e mot peur), 6 (o fermé, comme dans le mot clos), u (ou, comme dans le mot trou). Ce sont les voyelles (/raves. Il y a aussi lieu de distribuer ces dernières en deux groupes, et de désigner par le nom de sombres les deux qui sont le plus fer- mées : d et u, et par celui cVéclatantes les trois autres : a, ô, è.

Les voyelles nasales demandent une mention spéciale. Elles sont toutes comme voilées par la nasalité, mais appartiennent d'ailleurs chacune à la même classe que la voyelle orale qu'elles ont pour substratum. Il faut donc savoir quel est leur substratum oral, c'est-à-dire quelle est la voyelle non nasale dont elles sont la voyelle nasalisée. Nous avons montré ailleurs [MSL, VII, 472 sqq.) quel est ce substratum : la voyelle du mot vin est un è nasal, c'est du mot hrun est un è nasal, celle du mot temps est un a nasal (a extrêmement ouvert, son qui n'existe pas en français, mais qui est très voisin de d), celle du mot rond un d très fermé, qui n'existe pas non plus dans la langue, mais se rapproche infiniment de u. Un moyen très simple de s'en rendre compte est de faire prononcer ces mots par une personne ayant les fosses nasales obstruées près du voile du palais soit artificiellement, soit accidentellement, fût-ce par un gros rhume de cerveau. C'est

234 LES VOYELLES

un préjugé assez répandu que la voyelle nasale du mot temps ou du mot autant est un a nasal, et celle du mot rond un 6 nasal ; étymoloo^iquement c'est quelquefois vrai, mais nous n'avons que faire ici d'étymologie. L'expérience indiquée fera entendre à peu près fô, auto, ru et non ta, auta, ro. On peut faire une contre-épreuve qui n'est pas plus difficile, au moyen d'une personne parlant fortement du nez : elle prononcera les mots ta, rot non pas comme nous prononçons les mots temps, rond mais ^a", ro" avec l'a nasal etl'd nasal qui n'exis- tent pas en français : d'autre part elle prononcera les mots trotte et tout à peu près comme nous prononçons trente et ton. Nous nous servons pour la transcription des voyelles nasales, afin que leur valeur saute aux yeux, de la voyelle orale qui leur correspond avec un n en exposant, et, dans les deux cas nous n'avons pas le correspondant rigoureux, de celles de nos voyelles qui s'en rapprochent le plus, à et u, avec le même exposant.

Parmi les voyelles orales, il y en a deux qui demandent quelques explications complémentaires ; c'est Yeu fermé (ô) et Veu ouvert (è). Certains s'étonneront de les trouver dans deux classes différentes. On a une tendance, par suite d'habitudes dues à la pauvreté de notre alphabet, à considérer l'è etVé d'une part. Va et d'autre part comme des voyelles à peu près semblables. En réalité il y a plus de différence entre l'articulation de l'è et celle de l'e qu'entre celle de l'e et celle de 1'/, entre l'articulation de Vu et celle de l'o qu'entre celle de l'a et celle de Vô, qu'entre celle de et celle de {ou). Si dans notre classification l'è et l'è se trouvent dans la même catégorie, c'est qu'ils se prononcent tous deux sur la partie antérieure du palais ; si et l'o sont dans une même catégorie, quoique dans deux subdivisions différentes, c'est que tous deux s'articulent dans la partie postérieure de la bouche. Le domaine des deux eu est intermédiaire entre celui des deux e et celui des deux o, mais de telle sorte que l'un a son point d'articulation d'un côté et l'autre de l'autre côté de la limite qui sépare les claires des graves.

l7' dit mlet 235

L'o est la voyelle fermée qui termine le mot peureux ; l'e est la voyelle ouverte de la première syllabe de ce mot ; c'est aussi, mais avec plus d'ampleur et d'intensité, la voyelle du mot peur ; c'est la voyelle du mot fleuve] c'est la voyelle de la syllabe initiale du mot jeunesse dans la prononciation pro- prement française, car nous ne nous occupons pas ici, comme il est juste, des différentes prononciations dialectales ; enfin c'est l'e dit muet ; ce point est capital et on ne saurait trop y insister. Dans l'intérieur des vers français il n'y a pas d'e muet ; tous les e qui comptent dans le nombre des syllabes doivent se prononcer nettement, comme une voyelle affaiblie par l'atonie sans doute, mais absolument pleine, sans quoi les vers deviennent faux ; rien ne saurait les dispenser d'avoir leur compte juste de syllabes. L'e du mot je dans je n[e) sais pas se prononce en français exactement comme celui de la première syllabe du moi jeunesse ; tous les e qui se trouvent dans l'intérieur des vers doivent se prononcer ainsi. C'est la même voyelle que celle de la dernière syllabe du mot valeur, mais plus brève, plus faible et moins tendue.

Ce point pourra surprendre ceux qui ne sont pas rompus aux détails de la phonolog-ie et leur paraître un simple para- doxe : l'é dit muet est une voyelle éclatante. Ce qui fait qu'une voyelle est éclatante n'est pas le plus ou moins d'intensité avec laquelle on la prononce, mais la manière dont on l'arti- cule. Or les muscles de la bouche sont presque au repos pour la prononciation de l'é comme pour^celle de Va (le canal buccal est seulement un peu moins ouvert pour l'é) et ce sont ces deux voyelles qui emploient le moins de souffle. Ajoutons à ces considérations phonologiques un fait de phonétique qui les confirme ; tandis que l'é est la voyelle atone par excellence en français et dans plusieurs autres langues, en grand russe tout 0 placé dans la syllabe qui précède la tonique est devenu a; dans les deux cas l'affaiblissement à l'atonie s'est tra- duit par la diminution de l'effort musculaire des organes buccaux, et en même temps par l'emploi d'une quantité moindre de soufïle.

236 LES VOYELLES

A. Voyelles aiguës.

L'étude des mots expressifs nous montre que les voyelles aiguës, Vi et Vu, donnent seules l'impression de l'acuité : cri, cri-cri, siffler, pique, ail. spitz « aigu » ; mais les autres voyelles claires, étant en somme de même nature, peuvent préparer la note ou la soutenir une fois qu'elle a été donnée.

Les voyelles aiguës sont naturellement désignées pour peindre" les bruits aigus :

Avec un cvi sî'iif'slre, il tournoie, emporté

(Heredia, La mort de laigle).

L'essieu erre et se rompt...

( Racine) .

(( Je doute que Ton serve la gloire de l'auteur de Phèdre en supposant que dans une situation si pathétique, au milieu des larmes, du désespoir, des remords cuisants, il ait songé à peindre le bruit d'un essieu qui se rompt » (Combarieu, 206- 207). Ce jugement se passe de commentaire.

Le fffre aux cr/'s aigus, le hautbois au son clair

(Lamartine, Jocelyn).

Le bruit peut être imaginaire et simplement supposé par métaphore :

Le sang de vos rois | crie | et n'est point | écouté

(Racine, Athalie).

Dans l'ordre du langage ce qui est particvdièrement aigu, ce sont les cris, toute espèce de cris, quel que soit le senti- ment qui les suscite :

1" la douleur :

Tout m'affl/'ge et me nu/'t, et consp/re à me nuire

ili)., Phèdre).

EXPRESSION DE LA DOL'LEUR 237

« Sa voix s'élève, et sa plainte retentit, aiguë, prolongée et perçante, sur une note gémissante en / » (Stapfer, Racine et V. Hugo). Il y a en outre insistance sur une même idée; cf. le chapitre précédent, p. 225 à 229.

Dispensez-moi, je vous sHppl/e,

Tous plaisirs pour moi sont perdue.

J'aimois un (ïls plus que ma vie : Je nai que lut; que dts-je, hélas, je ne Tai plus ! On me Fa dérobé : plaigne- mon infortune

(La Fontaine, IX, 1).

. . .Ma fille! Ah ! Dieu ! ma f/lle ! Ma fille ! Terre et cieua: ! c'est ma f/'ile, à présent ! Dieu ! ma m;iin est mouillée ! A quj donc est ce sang?

Ma f/lle ! Oh! je m'y perds ! c'est un prodige horrible ! C'est une vision ! Oh ! non, c'est impossible,

Elle est partie, elle est en route pour Évreua;.

0 mon Dieu ! n'est-ce pas que c'est un rêve affreux,

Que vous avez gardé ma IVlle sous votre aile

Et que ce n'es/ pas elle, ô mon Dieu? Si ! c'est elle !

C'est bien elle! Ma fille ! enfant! réponds-moi, dis.

Ils t'ont assassinée ! oh ! réponds ! oh ! bandits !

Personne ici, grand Dieu ! que l'horrible famille !

Parle-moi ! parle-moi ! ma f/lle ! ô ciel ! ma fille !

(Hugo, Le Boi s'amuse),

paroles de Triboulet qui trouve le corps de sa fille dans le sac.

Madeleine l'aborde, et presque avec des cris

Lui parle et s'épouvante, et tord ses bras meurtris.

Mère, ouvre-moi. Je viens. Il s'agit de sa vie Me voici. J'ai couru de peur d'être suivie.

On creuse l'ombre autour de ton fils. Je te dis Que je sens fourmiller les serpents enhardi's

(Id., Fin de Satan);

cris de douleur et de crainte ; les deux premières rimes pré- parent la note.

238 LES VOYELLES

Les supplications :

Il tend les bras, il tombe à genoux : il lui crie Qu'au nom de tous les dieux il la conjure, il prie. Et qu'il n'estpomtà craindre, et quune ardente ïaim L'aiguillonne et le iue, et qu'il expire entïn

( Ghénier, Le mendiant).

Prends pitié de mon f/ls, de mon unique enfant 1 Prends pft/é de sa mère aux larmes condamnée. Qui ne \it que pour lui, qui meurt abandonnée ; Qui n'a pas rester pour voir mourir son fz'ls ; Dieu jeune, viens aider sa jeunesse. Assoupj^, Assoupf\? dans son seni cette ff'èvra brûlante

(Id., Le malade).

3" La joie, l'admiration, l'enthousiasme :

Quand il eût bien l'ail voir l'héritier de ses trônes Aux vieilles nations comme aux vieilles couronnes. Eperdu, l'œil lixé sur quiconque était roi, Comme un aigle arrivé sur une haute cime, Il cria tout joyeux avec una;r subl/me : L'avenfr! l'aven/r! l'aven/r est à moi !

( Hlgo, Napoléon If) ;

cris de joie et d'enthousiasme.

\ ainqueur, enthousiaste, éclatant de prestz'ges, Prodige, il étonna la terre des prod/ges. Les vieux scheiks vénéraient l'émir jeune et prudent ; Le peuple redoutait ses armes inouïes ; Sublime, il apparut aux tribus éblouies Comme un Mahomet dOccident

{In., Lui) ;

enthousiasme, admiration exprimée par des sortes de cris. La colère, lorsqu'elle arrive au parox\sme, qu'elle

EXPRESSION DE LA COLÈRE 239

touche à la fureur et se manifeste par des imprécations, des cris de' haine, de vengeance, de désespoir, d'indignation, de mépris, d'ironie amère. [Observation : les voyelles aiguës n'étant pas propres à exprimer la colère mais seulement les cris de la colère, on trouvera toujours dans les exemples que nous allons citer des voyelles éclatantes peignant les éclats de voix de la colère et des voyelles sombres qui en expriment les sourds grondements. Nous ne donnerons ici que des exemples de colère les voyelles aiguës dominent) :

Quel pla?s/r de venger mot'-méme mon in\Lre, De retirer mon bras tet;i^ du sang- du parj^'^re, Et, pour rendre sa pejne et mes phtislrs plus grands, De cacher ma rivale à ses regards mourants !

(éclats de voix de la colère dans ce dernier vers) Ah ! si du moins Oreste, en punissant son cr/me, Lut laiasoit le regre/ de mour/r ma vjct/me ! Va le trouver : dj's-lu/ qu'il apprenne à l'ingrat Qu'on l'immole à ma ha/ne, et non pas à l'Ktat.

(éclats de voix dans ce dernier vers) Chère Cléone, cours : ma vengeance est perdUE, "

S'il ignore en mourant que c'est \\\oi qui le iUE

Racine, Andromaque . W , 1, paroles d'Hermione).

. . .Ta /.s- toi', perf/de ! Et n'imp6te qu'à toi ton lâche parric/de. Va faire chez tes Grecs admirer ta fureur ; Va : je la désavoue et tu me fais horreur. Barbare, qu'as-tu fai'r.' avec quelle ïurlE As-t^^ tranche le cours d'une si belle \IE ? Avez-vous pL\ cruels, l'immoler aujourd'hu/, Sans que tout votre sang se soulevât pour lu/? Mais parle : de son sort qu/ t'a rend6' l'arb/tre? Pourquoi' l'assassiner? Qu'a-t-il ïail ? A quel t/tre ? Qu/ te l'a d/7' ?

(lu., ihid., V, 3/.

1. Eht-il besoin de rappeler qu'au xvii'^ siècle oi se prononçait ic<'

240 LES VOYELLES

Je sais bien quel mot/f à l'attaquer t'obl/ge. Vous le hai'ssec tous ; et je vo/s aujourd'hu/ Femme, enfants et vale/.s, déchaînes contre lu/. On met impudemment toute chose en usage Pour ôter de chez mot ce dévot personnage : Mais plus on ïait d'elîorts afm de Ten bann/r, Plus j'en veux employer à l'y mteua^reten/r ; Et je va/s me hâter de lui donner ma 1711e, Pour confondre l'orgueil de toute ma fam/lle

(Molière, Tartuffe)

.... Poursu/<S, Néron, avec de tels min/stres, Par des îaits glorieux tu te vas signaler, Poursuis. Tu n'as pas fait ce pas pour l'eculer. Ta main a commencé par le sang de ton frère ; Je prévois que tes coups viendront jusqu'à ta mère. Dans le fond de ton cœur je sa/s que tu me ha;s ; Tu voudras t'affranch/r du joug de mes hienîails. Mais je veux que ma mort te so(7 même inutile. Ne crois pas qu'en mourant je te laisse tranqu/lle. Rome, ce ciel, ce jour que tu reçUs de moi'. Partout, à tout moment, m'olfriront devant toi. Tes remords te suivront comme autant de îurlES; Tu croiras les calmer par d'autres barbar7£'5' ; Ta fureur s'irritant soi-même dans son cours. D'un sang toujours nouveau marquera tous tes jours. Mais j'espère qu'enfin le Ciel, las de tes cr/mes, Ajoutera ta perte à tant d'autres vi'ct/mes : Qu'après t'ètre couvert de leur sang et du mien, Tu te verras forcé de répandre le lien ; Et ton nom parottra dans la race futL^re; Aux plus cruels ti/rans une cruelle injZ/re

(Racine, Britannicus)

[Elle entre]. D'où viens-t^? qu'as-tu fai7 cette nu/7'? Réponds, que me veux-lU? qui t'amène à cette heure? Ce beau corps, jusqu'au jour, s'est-/l étend//? Tandis qu'à ce balcon, seul, je veille et je pleure, En quel lieu, dans quel Ut, à qu/ souriais-t// ?

IMPRÉCATIONS 241

Perf/dc ! auclac/c'Hse ! est-/l encor poss/ble Que lu vtennes olFr/r ta bouche à mes baisers? Que demandes-l» donc? par quelle soif horr/ble Oses-t^'^ m'att/rer dans tes bras épuisés ?

(Musset, Nuit d'octobre).

Vous ne démentez point une race funeste.

Oui vous êtes le sang- d'Atrêe et de Thyeste.

Bourreau de votre f/lle, il ne vous reste enfm

Que d'en fa/re à sa mère un horr/ble festm.

Barbare ! c'est donc cet heureujr sacrif/ce

Que vos soins préparoie/it avec tant d'artif/ce.

Quof ? l'horreur de souscr/re à cet ordre inhumam

N'a pas, en le traçant, arrête votre main ?

Pourquoi femdre à nos yeux une fausse tristesse ?

Pensez-vous par des pleurs prouver votre tendresse ?

sont-/ls ces combats que vous ave- rend^^S?

Quels flots de sang- pour elle avez-vous répand t^5?

Quel débr/5 parle ici de votre résistance?

[Quel champ couvert de morts me condamne au silence?]

Voilà par quels témoins il falloiV me prouve/",

Cruel, que votre amour a voulZ^^ la sauver.

Un oracle fatal ordonne qu'elle exp/re;

Un oracle, dit-/l, tout ce qu'il semble d/re?

Le cjel, le juste cjel, par le meurtre honore.

Du sang de l'innocence est-il donc altère ?

Si du cr/me d'Hélène on pun/7^ sa fam/Ue,

Faites chercher à Sparte Hermione sa f/lle :

Laissez à Ménélas racheter d'un tel prIX

Sa coupable moitfè dont il est trop éprIS.

Mais vous, quelles fureurs vous rendent sa vict/me ?

Pourquoi vous imposer la peùie de son cr/me?

(Racine, Iphixfénie).

Il fjiut rappeler ici, comme partout, que les phonèmes considérés ne deviennent expressifs que si l'idée qu'ils recouvrent s'y prête. Voici un passage du Misanthrope qui serait excellent comme sons pour peindre le paroxysme de la

M. GuAMM(i>T. Le vers français. ^ 16

242 LES VOYELLES

colère; mais il n'a pas ce sens et reste presque inexpressif. Ce sont des paroles de Philinte (V, I) :

Non, je tombe d'accord de tout ce qu'il vous plaît.

Tout marche par cabale et par pur intérêt ;

Ce n'est plus que la ruse aujourd'hui qui l'emporte,

Et les hommes devroient être faits d'autre sorte;

Mais est-ce une raison que leur peu d'équité

Pour vouloir se tirer de leur société?

Tous ces défauts humains nous donnent dans la vie

Des moyens d'exercer notre philosophie.

C'est le plus bel emploi que trouve la vertu ;

Et, si de probité tout étoit revêtu,

Si tous les cœurs étoient francs, justes et dociles,

La plupart des vertus nous seroient inutiles,

Puisqu'on en met l'usage à pouvoir, sans ennui.

Supporter dans nos droits l'injustice d'autrui,

5" Nous venons de voir, dans les exemples de colère précé- demment cités, les voyelles aiguës secondées par les autres voyelles claires contribuer à peindre non pas les éclats de la colère, mais ce qu'elle peut présenter d'aigre, de mordant, de mépris, d'ironie amère, incisive, sarcastique. 11 est donc bien évident que si dans un morceau la colère passe au second plan alors que le mépris ou l'ironie surgit au premier, les moyens d'expression ne changent pas : voyelles claires, surtout aiguës :

Père dénature! malheureuj* pob't/que, Esclave ambitieux d'une peur chtnier<que, [Polyeucte est donc mort!] et par vos cruautés Vous penses conserver vos trtstes dignités! La faveur que pour Iwi je vous mxois offerte, Au Ifeu de le sauver, précipite sa perte!

Eh hien ! à vos dépens vous verre- que Sévère

Ne se vante jamais que de ce qu'il peu/ îaire ;

Et par votre ruine il vous fera juger

Que qui peut bien vous perdre eùl pu aous protéger.

EXPRESSION DE l'iRONIE 243

Cont/nHe: aux dieux ce service tVdèle ;

Par de telles horreurs montrez-leur votre zèle.

(GoRNEiixE, Polyeucfe, V, 6).

Dans ce morceau, lindignation est dominée par le mépris (relevé par les occlusives labiales, cf. p. 312) surtout dans la première partie ; dans la seconde elle tourne à la menace. Dans le morceau suivant de Racine [Andromaque, IV, 5), Hermione s'adresse a Pyrrhus qui vient de lui déclarer qu'il est décidé à épouser Andromaque, l'ironie recouvre la colère d'un bout à l'autre :

Seig-neur, dans cet aveu dépouillé d'artifice, J'aime à voir que du moins vous vous rendie- justice, Et que voulant bien rompre un nceud si solennel, Vous vous abandonniez au crime en criminel. Est-il juste, après tout, qu'un conquérant s'abaisse Sous la servile loi de garder sa promesse? Non, non, la perfidie a de quoi vous tenter; Et vous ne me cherchiez que pour vous en vanter. Quoi! sans que ni serment ni devoir vous retienne, Rechercher une Grecque, amaut dune Troyenne ; Me quitter, me reprendre, et retourner encor De la tVlle d'Hélène à la veuve d'Hector; Couronner tour à tour l'esclave et la princesse ; Immoler Troie aux Grecs, au fils d'Hector la Grèce! Tout cela part dun cœur toujours maftre de soi. D'un héros qui n'est point esclave de sa foi. Pour plaire à votre épouse, il vous faudroi7 peut-être Prodiguer les doux noms de parjure et de traître. Vous veniez de mon front observer la pâleur, Pour aller dans ses bras rire de ma douleur. Pleurante, après son char vous voulez qu'on me voie; Mais, seigneur, en un jour, ce serait trop de joie : Et sans chercher ailleurs des titres empruntés, Ne vous sufFit-il pas de ceuj; que vous portes? Du vieux père d'Hector la valeur abattue Aux pieds de sa famille expirante à sa vue,

244 LES VOYELLES

Tand/s que dans son sein votre bras enfonce Cherche un reste de sang que l'âge avoit glacé; Dans des ruisseaux de sang Troie ardente plongée; De votre propre main Polyxéne égorgée Aux yeux de tous les Grecs indignés contre vous : Que peut-on refuser à ces généreux coups ?

Dans un autre passage d'Andromaque (V, 5) nous trouvons une ironie si amère qu'elle va presque jusqu'à la rage : c'est Oreste qui feint d applaudir aux dieux et à la destinée, faute d'expressions pour les maudire ; ce sont les j)lus beaux vers de son rôle :

Grâce aux (\ieux, mon malheur passe mon espérance !

Oui, je te loue, ô c/el, de ta persévérance !

Appliqué sans relâche au soin de me punir,

Au comble des douleurs tu m'as (ait parvenir.

Ta hanie a pri's plaisir à former ma misère ;

J'étois pour servir d'exemple à ta colère,

Pour être du malheur un modèle accompli.

bien 1 je meurs content, et mon sort est rempli.

Autres exemples d'ironie amére :

Je ne vous presse point, Madame, de nous suivre ; En de plus chères mains, ma retraite vous livre. De vos dessem.s secrets on est trop éclairci. Et ce n'est pas Calchas que vous cherchez ici

(Racine, Iphigénie),

paroles de Glytemnestre à Eriphile.

Je ne murmure poinV qu'une amitié commune Se range du parti que flatte la fortune, Que l'éclat d'un empire ait pu vous éblouir, Qu'aux dépens de ma sœur vous en vouh'er jouir

(II»., Brilannicus, III, 7).

EXPRESSION DE LA MOQUERIE 243

... Je tadmi^re ! sont tes gens? sont les [ouvriers de Temptre? Entendrons-nous bientôt tes trompettes sonner? Vas-tu, sur ce donjon que tu dois ramer, Semer, dans les débris sifflera la hise. Du sel comme à Lubeck, du chanvre comme à P/'se? Mais quoi ! je n'entends rien, i^erais-lu seul ;cf? ' Pas d'armée, ô César! Je sais que c'eit ainsf

Que tu ïais d'ordinture

(Hugo, Burgraves, II, 6).

6" Si l'on quitte l'ironie amère, méchante, le sarcasme, pour arriver au persifllage ou à la simple moquerie, les voyelles claires restent le moyen d'expression obligatoire, mais parmi elles les voyelles aiguës cessent de dominer, ou même disparaissent complètement :

Vous chantiez, j'en suis fort aise ; Eh hienl dansée maintenant

(La Fontaine, I, 1).

C'est dommage, Garo, que tu n'e* pomt entre Au conseil de celui que prêche ton cure

(Id.,IX,4).

Venec remercier un père qui vous aime,

Et qui veut à l'autel vous conduire lui-même

(Racine, Iphigénie).

Je vous entends, madame,

Vous voulez que ma fu/'te assure vos désfrs.

Que je lafsse un champ h'bre à vos nouveaux souptrs ;

Sans doute en me voyant, une pudeur secrète

Ne vous laisse goûter qu'une joz'e inquiète

(Id., Britannicus, III, 7),

246 LRS VOYELLES

On d/t plus; vous souffre- sans en être offensée, Qu'il vous ose, Madame, expliquer sa pensée. Car je ne croirai point que sans me consulter La sévère Junie ait voulu le flatter, Ni qu'elle ail consent?' d'aimer et d'être atmée, Sans que j'en sojs instruit que par la renommée

(Id., IhicL, II, 3).

Il n'y a pas lieu de multiplier les exemples à l'infini ; d'autre part, comme le nombre des nuances d'idées est illimité, il ne faut pas songer à donner une énumération complète de celles qui sont susceptibles d'être exprimées par telle catég^orie de phonèmes. Ce serait poursuivre limpossible et viser un but qu'en somme il n'importe pas à notre dessein d'atteindre. Il suftit en effet que nous ayons déterminé la nature et la valeur propre des phonèmes pour être capables de prévoir à quelles diverses nuances ils pourront s'appliquer comme moyens d'expression.

Voici un passage de Racine nous trouvons, en moins de quatre vers, trois sentiments pour l'expression desquels nous savons maintenant que les voyelles claires conviennent : l'aigreur, la colère et le mépris :

...maigre ses injustices, C'est ma mère, et je veux ignorer ses caprices. Mais je ne prétends plus ignorer ni souffrir Le ministre insolent qui les ose nourrir

{Ibid., II, 1).

Les voyelles claires se prononcent en serrant par un effort musculaire plus ou moins considérable différents organes buc- caux contre la partie antérieure du palais, ce qui donne aisé- ment un air pincé. C'est pour cela qu'elles contribuent si bien à l'expression de tout ce qui se dit d'un ton pincé, en particu- lier comme nous venons de le voir, à la moquerie, à l'ironie, et d'une manière générale à tout ce quiestmordant, méchant : tel ce passage de Britannicus (II, 3 ; toute la scène serait à

EXPRESSION DE l'iNQUIÉTUDE 247

citer) Néron, avec une méchanceté que nous pouvons qua- lifier d'aiguë, ordonne à Junie qu'il tient en son pouvoir de déclarer à son amant Britannicus

Qu'il doit porter ailleurs ses vœux et son espoir,

et cela sans explications qui puissent faire soupçonner qu'elle agit par contrainte, car Néron entendra et verra tout sans être vu :

V^ous n'aure:: point pour moi de langages secrets, J'entendrai des regards que vous croirez muets; Et sa. perte sera r/nfailhble salaire D'un geste ou d'un soupir échappe pour lui plaire.

Une inquiétude qui vous serre le cœur, qui vous serre les lèvres et les dents et vous contracte tous les muscles, exigera aussi des voyelles claires, car ce sont elles qui demandent l'effort musculaire le plus considérable et emploient le plus de souffle (la poitrine serrée par l'émotion n'en fournit que par des mouvements saccadés et violents) ; telles les paroles qu'Hermione adresse à Cléone lorsque, cette dernière lui racontant qu'elle vient de laisser P^^rrhus dans le temple il épouse Andromaque, elle craint qu'il ne l'ait tout à fait oubliée :

Mais as-tu bien, Cléone, observé son visage ? Goûte-t-il des plaisirs tranquilles et parfaiVs ? N'a-t-il point détourné ses yeux vers le palais ? Dis-moi, ne t'es-tu point présentée à sa vue? L'mgrat a-t-il rougi lorsqu'il t'a reconnue ? Son trouble avouoit-il son l'nfidélité ? A-t-i'l jusqu'à la fin soutenu sa fierté ?

[Andromaque, \', 2).

248 LES VOYELLES

B. Voyelles claires.

Nous n'avons considéré jusqu'à présent dans les voyelles palatales, qu'une qualité, Vacuité, et nous nous sommes sur- tout attaché aux deux voyelles les plus aiguës, Yi et Vii, les autres voyelles claires n'ayant le plus souvent joué dans nos exemples qu'un rôle secondaire. Si nous considérons mainte- nant Isurs autres qualités, si nous les prenons toutes ensemble, en nous arrêtant tout autant à l'e, à l'è, à l'è", ^ qu'à Yi et slYù, nous trouvons que les voyelles claires ou voyelles minces, comme on les appelle dans certaines lang-ues par op- position avec les voyelles larges qui sont les graves, s'expri- mant avec une ouverture buccale moindre sont plus ténues, plus douces, plus légères. Elles sont donc particulièrement propres à exprimer la ténuité, la légèreté, la douceur et les idées qui se rattachent à celles-là. Elles apparaissent dans la plupart des épithètes par lesquelles nous venons de les carac- tériser et dans quelques autres analogues : claires, légères, fines, ténues, menues. Elles sont très nettes dans quelques mots essentiellement expressifs comme tinter, murmurer .

Elles sont donc aptes à exprimer un bruit ténu, clair, un murmure doux et léger :

Yesnids

Muvmnvaienl Yhymne obscur de ceux quj' sont hénis

(Hugo, Petit-Paul).

Le murmure léger des abe/lles fidèles

(Leconte de LisLE, Poèmes antiques).

[Et la source sans nom qui goutte à goutte tombe] D'un son plamtif empbi la solitaire combe : C'est la Nymphe qui pleure un éternel oubli

(Heredia, La source).

EXPRESSION d'un liRLIT LÉGER 249

Il est doux crécouter les soupn-s, les hrails irais

(Id., Pan).

Et l'ombre ril le timbre argentm des fontames

(Id., La chasse).

Les cloches dans les airs, de leurs voix arg-entines, Appeloient à g-rand bru;7 les chanlres à matines

(BoiLEAu, Lulrin),

exemple signalé par Sainte-Beuve, Lundis, VI, 308.

et l'homme,

Chaque soir de marché, faiV tmter dans sa mai'n Les deniers d'argent clair qu'il rapporte de Rome

(Heredia, Horlorum cleus, IV).

mobiles roseaux

mi/rmiire Ze'phi/re au murmure des eaux

(CnÉNiER, Mnazile et Chloé).

Viens ! une flûte invisible Soupire dans les verg-ers

(Hugo, Contemplations) ;

remarquer en outre les spirantes v, f, s, cf. p. 315 à 319.

Les fontaines chantaient. Que disaient les fontaines ? Les chênes murmuraient Que murmuraient les chênes ?

(Id., Ibid.).

Et l'accent de sa voix divine était plus doux

Que l'incantation vag-ue et sombre des sphères.

« 0 toi ! je viens. Je pleure. Ici, dans les misères,

Dans le deuil, dans l'enfer l'astre se perdit,

Je viens te demander une grâce, ô maudit !

Ici, je ne suis plus qu'une larme qui brille.

Ce qui survif de toi, c'es^ moi. Je suis ta tïlle.

250 LKS VOYELLES

Sens-tu que je suis ? Mereconna/.s-t», dis ? M'eiilends-l» ? C^esl du fond des divins parad/s, C'est de la profondeur lumnieHse et sacrée, Cest de ce grand cjel clajr vit celui qui crée, Que je viens, éperdue, à toi, lange enfoui ! ,]'ai crié vers Dieu ; Dj'eu form/dable a dit : Oui

(Id., Fin de Satan).

Il va de soi que les phénomènes que nous venons d'observer dans des vers français ne sont pas spéciaux à notre langue, mais qu'ils apparaissent d'une manière générale dans toutes les poésies. Nous n'avons pas ici à insister sur ce point, mais nous croyons bon d'indiquer le fait, afin d'écarter les doutes du lecteur. Parmi les exemples que nous venons de citer, il n'y en a pas qui soient plus caractéristiques que le suivant, emprunté à la jolie pièce de Gœthe intitulée Erlkonig. L'enfant malade croit entendre le roi des aunes cherchant à l'attirer par des paroles mielleuses qui parviennent à lui comme un doux mur- mure :

Du hebes knid, komm, geA mil miv ! Gar schdne spiele sp/el' ic\\ n\ii dii\

Ces voyelles claires rendent le ton captivant, doucereux et charmant. En réalité c'est le bruissement du vent dans les feuilles :

lu durren blatlern siiuselt der wmd.

Nous ne nous attarderons pas non plus à donner après chaque question un recueil d'exemples mauvais, de vers l'effet est manqué ; ce serait sans intérêt. Mais nous en citerons quel- ques-uns chaque fois que nous jvigerons qu'ils peuvent contri- buer à faire mieux comprendre ce que nous exposons :

Ce n'était qu'un murmure ; on eût dit les coups d'aile D'un zéphyr éloigné glissant sur les roseaux Et craignant en passant d'éveiller les oiseaux

(Musset, Lucie).

EXPRESSION HE LA PETITESSE 2.^1

La première moitié est excellente, mais la seconde est bourrée de syllabes lourdes qui empêchent le lecteur d'adou- cir autant qu'il le faudrait sa voix en récitant ces vers.

Dans ces exemples nous ne sommes pas sorti en somme de l'ancien domaine de l'harmonie imitative puisqu'il y a dans chacun d'eux imitation de sons et de bruits physiques. Si nous passons à un autre ordre de phénomènes, parmi les objets qui ne rendent pas de son, ceux dont l'idée pourra être sug- gérée par l'emploi des voyelles claires sont ceux qui, s'ils rendaient un son, feraient entendre, semble-t-il, un petit bruit clair, ténu, doux et léger. Cest-à-dire que d'une manière générale les voyelles claires peuvent peindre à l'oreille tout objet ténu, petit, léger, mignon :

Ici g/t, Eiran^er, la verte sauterelle

.Que ch/rant àeiix safsons nouvvit la jeune Helle

Et dont VaiXe vibrant sous le \>ie(l dentelé

BrH/ssac't dans le p/n, le cytise ou ïaireWe.

EWe s'es/ tue, helas I la lyre naturelle,

La muse des guérefs, des stUons et du blé ;

De peur que son léger sommefl ne soit troublé,

Ah! passe vile, ami, ne pèse point sur elle

(Heredia, Epic/ramme funéraire);

toutes les rimes sont en è ou en e'.

Quand la demoiselle dorée S'envole au départ des hivers, Souvent sa robe d/aprée, Souvent son aiie est déchirée Aux m/lle dards des bui'ssons verts. Ainsi, jeunesse vive et frêle, Qui, t'égarant de tous côtés, A'oles ton instinct t'appelle, Souvent lu déchires ton aile Aux épmes des voluptés

(Hugo, La demoiselle) ;

252 LES VOYELLES

même observation.

Je suis Tenfant de Vair, un sylphe, moins qu'un rêve, Fils du printemps qui nait, du matm qui se lève, L'hôte du clair foyer durant les nuits d'hjver, L'esprtV que la lumière à la rosée enlève, Diaphane habitant de r/uv/s/ble éther

(Id., Le sylphe).

Il était très bi'eu pris, on eût dit que sa mère L'avriiV ïait tout petiV pour le frTire avec soin

(Musset, Namouna),

description d'un personnag^e très petit.

Je me la rappehifs quand elle était petite, Quand elle m'apportaiV des lys et des jasmms, Ou quand elle prenaiV ma plume dans ses mains

(Hugo, Contemplations).

J'aime vos pieds petits à tenir dans la mai'ii, Qui font un bruiV mignard et gai sur le chemi'/i

(Verlaine, Les uns et les autres).

Son pied rusait l'Aerbe fleurie

(Musset, A^uiV de mai),

impression de légèreté.

Cesl la frivolité

Mère du vain caprice et du lègei- presti'ge ; La fantaisie ailée autour d'elle voltige

(Chénier,, La Frivolité).

elle a passé sans bruiV,

Belle, candide, ainsi" qu'une plume de cygne

(Hugo, Contemplations).

EXl'KPJSSION iJi: LA RAPIDITÉ 253

Eolides, salut ! 0 fra/ches messagères,

C'est bien vous qui chanti'e- sizr le berceau de.v Dieux,

Et le clair /h'ssos d'un flot melod^'eua^

A baigné le duvet de vos ailes légères

(Leconte de Lisle, Poèmes antiques).

Le mal dont j'ai souffert s'est enhii comme un rêve, Je n'en puis comparer le lointain souvenir Qu'à ces brouillards légers que l'aurore soulève Et qu'avec la rosée on voit s'évanouir

(Musset, Nuit d' octobre).

L'inquiète gazelle, attentive à tout brjii^, VenaiV, di'sparaissrii7 comme le trait qui fiii^

(Leconte de Lisle, Dhagavat).

Exemple mauvais :

Un enfant sans couleur, sans regard et sans voix

(Hugo, Feuilles irautomne).

Ce vers bourré d'éclatantes, pour peindre un être frêle et débile, fait contresens. La note juste est dans le vers qui suit celui-là :

Si débile qu'il fut, ainsi qu'une chimère,

il n'y a que des palatales.

A l'idée de légèreté se rattache immédiatement, comme étant de même nature, l'idée de rapidité. Les voyelles claires sont donc propres à peindre un mouvement léger, rapide, un élan (physique ou moral) :

Oh ! si j'avais des ailes

, \ ers ce beau ciel si pur je voudrais les ouvrir !

(Musset, Rolla).

254 LES VOYELLES

Lorsque le jeune aiglon, voyant part/r sa mère, En la suivant des yeux s'avance au bord du nid, Qui donc lui dit alors qu'il peut qu/lter la terre Et sauter dans le cf'el déployé devant lut ?

(Id., Ihid.).

Mon ai\Q me soulève au souffle du prnjtemps, Le vent va memporter ; je rais qu/lter la terre

(Id., Nuit de mai).

(yéiait bien v/te iail de leur vider les mains

(Id., Une bonne fortune).

Je les tirai bien vue et je les 1»/ donnai

(Id., Ihid.).

De même, dans ma bourse, il ne faut qu'un écu Qui tourne les talons, el le reste est perd»

^lD.,//j/f/.).

Et nous verrons soudain ces tigres ottomans pHtravec des pieds de gazelles !

(Hugo, Orientales).

Celui qui subjugua l'Europe

Il est qui vous parle. // surfit devant vous !

(Id., Burcfraves) ;

le mouvement est pm^ement métaphorique.

...et voit d'un œil élargi par la crainte Surgir au bord des bois le grand fauve en arrêt

(Heredia, Némée).

sur le seuil redoutable.

Un homme, que poussaient d'horribles bras tremblants, Appar/^'l; il était velu de linceuls blancs

(^HuGo, Les lions)

EXPRESSION d'un ÉLAN 2S5

Voir les Gyclades dor de Vaziir émerger

(Heredia, Pour le vaisse.iii de \'irc/{le).

Le burj;-

Se dresse niaccess/ble au milieu des nuées

(Hugo, /hirç/raves) ;

tous ces mouvements sont imag-inaires.

La terre est aussi vieille

Que lorsque Jean parut sur le sable des mers,

Et que la moribonde

Sentît bond/r en elle un nouvel univers

[Musset, Rolla).

0 notre maître à tous ! si ta tombe est fermée, Laisse-moi, dans ta cendre un instant ranimée. Trouver une étinceUe, et je vais t'tmfter !

(Id., Une soirée perdue),

élan d'enthousiasme.

Voici quelques exemples défectueux :

A Tappel du héros s'enlevant d'un seul bond

(Heredia, Persée et Andromède).

Mais, d'un seul bond, le Dieu du noir taillis s'élance

(Id., Pan).

Elles s'élancent. Tel, lorsqu'un corbeau sinistre

(Id. ,Le bain des nymphes).

Le moment je parle est déjà loin de moi

(Boileau, Epître III) ;

ce vers peindrait parfaitement, avec ses trois mesures égales et ses voyelles éclatantes, un roulement de tambour ; c'est parce qu'il avait confondu l'idée avec l'expression de l'idée, que le grand Arnauld avait cru éprouver à sa lecture une impression de rapidité.

256 LES VOYELLES

Grâce à leur légèreté et à leur douceur les voyelles claires sont toutes désignées pour exprimer des idées légères, gaies, riantes, douces, gracieuses, idylliques. La gaîté, la douceur, la grâces ont des idées que l'on associe continuellement à celle de la légèreté :

Le5 n/ds chantA/ent, les eaux murmî;rA/ent dans les hisrbes, On voyA/t tout hriUEB, tout aimEH, tout tleur/r

(Hugo, L'aigle du casque).

Ce soir, tout va fleurir ; Timmortelle nature Se remph7 de parfums, d'amour, et de murmure

(Musset, Nui( de mai).

Le brume bleue errait aux pentes des ravmes ; El, de leurs becs pourpres lissant leurs ailes fines. Les blonds se'negah's, dans les yérofliers D'une eau pure trempes, s'éveillaient par milliers. La mer éta// sereine, et sur la houle claire L'aube vive dardai7 sa flèche de lumièi^e

(Leconte de Lisle, E aurore).

Un arôme léger d'Aerbe et de fleurs montait ; Un murmure infini dans l'air subtil flottait

(Id.,//)iW.).

L'éther plus ^Ur hiisAIt dans les ciEUx plus subi/mes

Hugo, Le sacre de la femme).

Les gazons sont tout pleins de voix harmonieuses L'aube fait un tapis de perles aux sentiers, Et Tabeille quittant les prochaines yeuses Suspend son aile d'or aux pâles églantiers

(Leconte de Lisle, Poèmes antiques),

peinture gracieuse.

Jersey rit, terre libre, au sei'n des sombres mers ; Les genêts sont en fleur, l'agneau pail les prés verts ;

PEINTURE GKACIEUSE 257

Lecume jette aux rocs ses blanches mousselines ; Par moments apparaît, au somme/ des collines, Livrant ses crms e'pars au vent âpre et joyeiij:, Un cheval elFare quf' henni7 clans les deux

(Hugo, Châlimenls).

}>l;i{s \'aldès, te conna;7, b/enheurei/se Sev/lle, De r/^spagne moresque ô la plus belle fille! Toi dont le petif pied trempe au Guadalquivir, Et qui reçus du ciel tout ce qui peut ravir

(Th. Gautier).

Dans /?o//t7, Musset nous montre la cavale qui vient de périr de soif au désert parce qu'elle n'a pas su qu'elle n'aurait eu qu'à suivre les caravanes,

Pour trouver à Ba}j;dad de frA/ches écurlEs, Des ratoliTTrs dor£'s, des luz^'rnes fleuri Es, Et des pulls dont le ci^"! n'a jamA/s vu le fond.

Un certain loup, dans la saison Que les t/èdes zéphirs ont l'Aerbe rajeunie

(La Fontaine, V, 8).

Que faire au mois d'avril à moins de s'adorer ?

(Hugo, Catulle).

C'est que satisfait de son destin borné, Gallus fi'niV de vivre jadis il est

(Heredia, V Ulula).

Des lapins qui sur la brui/ère, L'œil éveillé, Toreille au guef, S' égayaient, et de th^m parfumoienf leur banquet

(La Fontaine, X, 15),

Une chose peut-être Qui va vous étonner. C'est qu'à votre fenêtre Le vent vient frissonner, M. Gkammont. Le vers françiiis, 1"

258 LES VOYELLES

Qu'avi'fl commence à \uire, Que la mer s'aplan?7, El que cela veut dire : Fauvette, fais ton nid

(Hugo, Sommation irrespectueuse)

Vvaiche idyWe ! Un mat?'/» Laure s'en est allée, Mats son amant dvait la voix tendre et disait Des mots si langourej/o- qu'elle, tout affolée, Senti7 son pauvre cœur sauter dans son corset

(Baudelaire, Le Léthé) ;

noter en outre les s du dernier vers qui peignent un mouvement répété, cf. p. 217 à 225.

J'ai vu passer Ammthe au fond du chemm creux. Elle a setze ans, et tant d'aurore sur sa tête Qu'elle semble marcher au miheu d'une fête ; Elle est dans la prair/'e, elle est dans les forets La plus belle, et n'a pas Vaiv de le faire exprès ; C'est plus qu'une déesse et c'est plus qu'une fe'e, Cest la ber^a^re ; cest une fflle coiffée D'iris et de glaïeuls avec de grands yeua; bleus

(Hugo, Segrais).

Avec SI peu de lîvais tu serais si" jol/'e

(Musset, La coupe et les lèvres).

Elle me souriait avec ses yeua; divins,

Et moi je lui baisais ses deux petites mains

(Hugo, Le roi s'amuse).

Riant, les yeux en l'air, et la mam dans sa main. Elle allait en comptant les arbres du chemin. Pour cueillir une fleur demeurait en arrière, Puis revenait à lui, courant dans la poussière. L'arrêtait par l'habii pour l'embrasser, posait Un œillet sur sa tête, et chantai/, et \asail Sur les passants nombreux;, sur la riche vallée Comme un large tapis à ses pieds étalée

(Vigny, Les amants Je Montmorency).

PElMlllK (iHACIKl'SE 2o9

L'ombre de*- bois d'Asere.s/ loule parlt/mee. Quel est celui qui vient par le frais chemm vcrL ? Est-ce\e b/en-ti/'mé qu'alleiul la bien-aimée ? 71 es^ jeune, il est doux. Il monte du désert Comme de lencensoir s'élève «ne fumée. Est-ce le bieii-aimé qu'attend la bien-atmée ?

(Hugo, Fin de Satan).

Le vertcoh'br/', le roi des colh'nes. Voyant la rosée et le soleil clair LfiiVe dans son niW tressé d'herbes fmes, Comme un frais rayon s'échappe dans l'air

(Leconte deLisle, Le colibri).

Comme il es^ vif, joyeux ! avec quelle prestesse

71 sautille !

f Musset, Namouna).

Ou plutôt, fée au léj^er

V^oltiger, Habile, agile courrière Qui mène le char des vers

Dans les airs Par deiiJ" s/llons de lumière !

(Sainte-Beuve, La rime).

« Dans cette strophe, les vers ont le vol léger de la fée ; tous les mots sont ailés, habile, agile courrière ; et le triomphe aérien auquel aboutit cette strophe nous laisse en présence d'une vision lumineuse au plus haut des espaces » (Guyau, L'art au point de vue sociolofjir/ue, p. 318).

Ries, chantez, cueillez des j;rappes dans les treilles Pour les pendre, ô L^dé, derrière vos oreilles

(Hugo, /limée terrible).

Ce mati/i, quand le jour a frappé ta paupière, Quel séraphin pensif, courbé sur ton cheveu, Secouaif des Iilas dans sa robe légère, Et le contaiV tout bas les amours qu'il rêvait ?

(Musset, Nuit de mai).

260 LES VOYELLES

... .Cette nuit ]ai dormi", mais sans f/èvre; Son nom. sj' jat parlé, seul entrouvrait ma lèvre. Quel doux sommeil ! vraiment, non, je n'ai pas soulTert. Quand le soleil levant m'a réveillée, Otbert, Otbert ! il m'a semblé que je me sentai'.s naftre, Les passereaux joyeua; chantaient sous ma fenêtre. Les fleurs s'ouvraie/if, laissant leurs parfums fuir aux deux, Moi, j'avais l'âme en joie, et je cherchais des yeux Tout .ce qui m'envoyait une haleine si pure, Et tout ce qui chantait dans l'immense nature

(Hugo, Burgraves).

Vous partis, j'ai perdu le soleil, la gai'té. Le brui^ joyeiia: qui faiï qu'on rêve, le délire De voir le tout peti7 s'aider du doigt pour lire. Les fronts pleins de candeur quidisent toujours oui, L'éclat de rire franc, sincère, épanoui', Qui met subitement des perles sur les lèvres. Les beaux grands yeux naïfs admirant mon vieux Sèvres

(Id., Voix intérieures).

Eve laissait errEv sesyEUx sur la nature Et sous les v^rts palmi^'rs à la haute statZ^'re, Autour d'À've, au-dess6^s de sa t/ite^ l'œillEt Semblait songer, le bleu lot^^s se recueill/1/t, Le frA7s m?/osot/s se souvenA/t; les roses Cherchaient ses pi£'ds avec leurs 1/ivres demi-closes. Un souffle fratern^"! sortA/t du lys vermEll, Comme si ce doux ittre eut étZi leur parii'/l. Comme s/ de ces Heurs ai/ant toutes une âme, La plus b£'lle s'étA/t épanou/e en femme

(Hugo, Le sacre de la femme).

L'air sonore était frais et plein d'odeurs divines.

Les bengalis au bec de pourpre, aux ailes fines,

Et les verts colibris et les perroquets bleus.

Et l'oiseau diamant, flèche au vol merveilleua;,

Dans les buissons dorés, sur les figuiers superbes.

Passaient, sifflaieii/, chantaient. Au sein des grandes /lerbes

PEINTURES IDYLLIQUES 2()1

Vn murm?;re ioyeax s'exhaL-î// des hall/ers;

Autour (lu mie\ des fleurs, les essaims f'amilj'er.s,

Délaissant les vieux troncs aux ruches pacifiques,

S'empressfl/enY ; et partout, sous les deux magnifiques,

Avec l'arôme vif et pénétrant des bois,

Montai/ un chant immenseet paisible à la fois.

Sur son cœur enivre pressant sa bien-aime'e,

Réchaulfant de baise/'s sa lèvre parfumée,

Çunacépa sentait, en un rêve enchanté,

Déborder le torrent de sa félicité !

Et Çanta l'enchaînaiV d'une invincible éireiniel

Et n'en n'interrompaiV, durant cette heure sainte

le temps n'a plus dai'le, la vie est un jour,

Le silence divin et les pleurs de l'amour

(Leconte de Lisle, Çunacépa).

Les moissons miiri'ssai'en/, les granges étaient pleines. Et les riches cités, orgueil de nos aïeux, Fïorissaient dans la paia: sous la beauté des deux ; Et nous coulions, heureiij:-, nos jours e/ nos années. Et nos âmes vers Dieu montt7ient illuminées

(Id., La mort du moine).

Je VIS de ma fenêtre ouverte sur le Rêve,

Au cadre fabuleux d'un vieux site écarté

Un verger merveilleux; de rosée et de sève

Surgir en l'aurorale et candide clarté

De l'heure l'aube nait dans la nuit qui s'achève

(H. DE Régnier).

A vous, troupe légère. Qui d'aile passagère Par le monde voler. Et d'un sifflant murmure L'ombrageuse verdure Doucement ébranlez, J'offre ces violettes, Ces lis et ces fleurettes,

262 LES VOVELLES

Et ces roses ici, Ces verme/Uettes roses, Tout frafGhement écloses, Et ces œillets ausst. De votre douce haleine £'ventec cette plame, ^'ventes ce séjour, Cependant que j'ahanne A mon blé que je vanne A la chaleur du jour (J. DU Bellay, D'an raniieur de hlé aux vents);

à la fin l'idée change et la note aussi.

Hier ] étais à table avec ma chère belle, ~ Ses deux pieds sur les mi'eas, assis en face d'elle, Dans sa petite chambre, ainsi que dans leur nid Deux ramiers bie/iheureiij; que le bon Dieu bénit. C'était un bruit charmant de verres, de fourchettes, Gomme des becs d'oiseaux picotant les assiettes, De sonores baisers et de propos joyeux. L'enfant, pour être à Vaise et re'galer mes yeux, Avait ouvert sa robe, et sous la toile f/ne On voyait les trésors de sa blanche poitrine ; Gomme les seins d'/sis aux contours ronds et purs, Ses beaux se/ns se dressaient, étmcelants et durs. Et, comme sur des fleurs des abeilles posées, Sur leurs pointes tremblaien/ des lumières rosées

(Th. Gautier, Le premier rayon de mai).

Nous signalerons dans cet ordre d'idées trois pièces de Leconte de Lisle qui sont tout entières en rimes claires : Kléa- m^a dans \e& Poèmes antiques, et les deuxChansons écossaises intitulées Annie et La fille aux cheveux de lin.

Enfin voici quelques exemples défectueux :

Voilà six mille ans que les roses Gonseillent, en se prodiguant, L'amour aux cœurs les plus moroses. Avril est un vieil intrigant

(Hugo, Chansons des rues et des bois) ;

EXPRESSION DES BRUITS ÉCLATANTS 263

ces voyelles éclatantes et sombres délonnent dans cette idylle.

Celui qui, respirant son haleine adorée, Sentirait sescheveux, soulevés par les vents, Caresser en passant sa paupière eflleurée. Ou rouler sur son front leurs anneaux ondoyants

(Lamartine, Xoiivelles Méditations, Ischia) ;

« ce dernier vers compact et à gros fracas, exprime tout plutôt que la chose qu'il veut exprimer » (E. Fag-uet, AT A'" siècle, Lamartine).

G. Voyelles éclatantes.

Les voyelles éclatantes sont a,o,é, o", é"; leur emploi s'im- pose pour l'expression des bruits éclatants ; ce sont elles qui donnent son expression au mot éclatant lui-même, et en outre à fracas, craquer, sonore, cataracte, etc. Voici d'abord un vers qui dans ses deux hémistiches réunit les deux moyens d'expression opposés, voyelles éclatantes dans le premier et claires dans le second, pour peindre deux bruits de nature différente :

La harpe tremble encor | et la flfHe soup/re

(A'iGNv, Le hal).

Les exemples suivants ne peignent que des bruits éclatants :

Comme il sonna la charge, il sonne la victoire

(La Fontaine, II, 9).

Tout à coup, écrasant Tennemi qui s'eiîare, La victo/'re aux cent voix sonnera sa fanfare

(Hugo, A rare de triomphe).

La meute de Diane aboya sur l'Oeta

(Id., Le satyre).

264 LES VOYELLES

Ouvrait les deux halianls de sa porte sonore

(Id., Jhid.

Une brusque clameur épouvante le Ganj;e

(Heredia, Bacchanale).

Le vocalisme de ce vers est très remarquable ; s'il est per- mis d analyser l'impression qu'il produit, ce qui est toujours mauvais et inexact parce qu'il n'est pas possible de signaler des nuances aussi délicates sans les exagérer, on peut dire que les deux premières dvades Li é \ ù e font sentir comme des bruits analogues qui se répètent et s'entrechoquent, entre- choquement qui est nettement accusé par les deux c de « brusyue » et de « clameur » ; puis la note éclatante devient uniforme avec la dyade suivante a e « clameur » ; enfin les deux triades du second hémistiche, se terminant toutes deux par une éclatante voilée par la nasalité, et qui est la même voyelle nasale si bien que les deux triades assonent entre elles, peignent comme le retentissement et l'écho de cette clameur.

Au fracas des buccins qui sonnaient leur fanfare

(Id., Soir de bataille).

La grande âme d'airain qui haut se lamente

Hugo, Chants du crépuscule);

il s'agit d'une cloche ; l'impression presque onomatopéique de ce vers est surtout due à la triple répétition de deux couples de syllabes presque semblables : la-â"^ | la-ô \ /a-o°. Cette répétition est particulièrement sensible dans le second hémistiche à cause du rapprochement des deux mots /à-/iaM^ | lamente et de l'accentuation de leur dernière Syllabe.

Se débat, et l'airain sonne au choc des sahots

(Hebedia, Centaures et Lapithes).

BRUITS ÉCLATANTS

d'entendre les trois rimes

Sonner par ta voix d'or leur fanfare de fer à é n a a à è à° a è è è

265

(Heredia)

Est-ce un lourd vaisseau turc qui vient des eaux de Gos Battant Tarchipel grec de sa rame tartare? a 0" I a f I è è \ è a a\ é a a

(Hlgo, Orientales);

la seconde dyade commence en éclatante comme la première mais fmit en palatale pour amener la note claire qui va reten- tir deux fois dans deux toniques consécutives en é; puis les deux triades du second hémistiche sont tout entières en éclatantes et se reproduisent exactement.

Tandis que des taureaux

Sur leurs jarrets dressés, choquaient comme deux blocs Leur fro/it sonore et lourd, retentissant des chocs

(Lamartine, Jocelyn).

sur le rocher brûlant.

Les lions hérissés dorment en grommelant

(Musset, Rolla) ;

toutes les fois que parmi les voyelles éclatantes quelques- unes sont nasales, le bruit éclatant est un peu voilé par la nasalité.

Le lion qui jadis au bord des ^ots vôàant, Rugissait aussi hau^ que l'Océan ^vonàant

(Hugo, Les lions).

Il y a différentes idées et dilférents sentiments dont l'ex- pression suppose des éclats de voix. Telle la réclame d'un bateleur

266 LES VOYELLES

Gai I tapez sur la caisse et soufllez dans le lifre ; Braillez vos sahmm fac, messeigneurs ; en avant Des ég-lises, abri profond du Dieu vivant, On dressera des mâts avec des oriflammes, Victotre ! venez vofr les cadavres, mesdames

(Id., Châtiments);

les éclats de voix de la colère : Voici un exemple la colère commençant par le sarcasme avec voyelles claires finit en éclatantes par les éclats de voix de la menace :

Va profaner des dieux la majesté sacrée :

Ces dieux, ces justes dieux n'auront pas oublié

Que les mêmes serments avec moi t'ont lié.

Porte au pied des autels ce ccewr qui m'abandonne;

^'a, cojzrs ; mais crains encor d "y trouver Hermione

(Racine, Andi'omaque, TV, 5),

Il y a d'ailleurs presque toujours dans l'expression de la colère mélang-e avec les voyelles éclatantes de voyelles aiguës qui rappellent les cris et de quelques voyelles sombres dont nous étudierons la valeur au chapitre suivant :

Mais d'un aveu trompeur voir ma flamme applaudie. C'est une trahison, c'est une perfidie Qui ne sauroit trouver de trop grands châtiments ; Et je puis towt permettre à mes ressentiments. Oui, oui, redoutez font après un tel outrage. Je ne suis plus à moi, je suis tout à la rage. Percé du coup mortel dont vous m'assassinez. Mes sens par la raison ne sont plus gouvernés ; Je cède aux mouvements d'une juste colère. Et je ne réponds pas de ce que je puis faire

(MoLiiiRE, Misanthrope).

Voulez-vous que je dise? il faut qu'enfin j'éclate, Que je lève le masque, et décharge ma rate.

EXPRESSION DE LA COLÈRE 267

De folles on vous traite, et j'ai fort sur le cœur.

Le moindre solécisme en parlant vous irrite ; Mais vous en faites, vous, d'étranges en conduite. Vos livres éternels ne me contentent pas, Et, hors un gros Plutarque à mettre mes rabats, Vous devriez brûler tout ce meuble inutile, Et laisser la science aux docteurs de la ville ; M'ôter pour faire bien du grenier de céans, Cette longue lunette à faire peur aux gens. Et cent brimborions dont l'aspect importune ; Ne point aller chercher ce qu'on fait dans la lune, Et vous mêler un peu de ce qu'on fait chez vous, nous voyons aller tout sens dessus dessous

(Id., Femmes savanfes).

On rit de mo/, vraiment.

Fa Ton croit qu'on peut tout me faire impunément.

Soit. Essayez. Tâtez mon humeur endurante.

Combien de dards avait le serpent Stryx? Quarante.

Combien de pieds avait l'hydre Phluse? Trois cents.

J'ai broyé Stryx et Phluse entre mes poings puissants.

Osez donc! Ah ! je sens la colère hagarde

Battre de l'aile autour de mon front. Prenez garde!

Laissez-mot dans mon trou plein d'on?bre et de parfums.

Que les olympiens ne soient pas importuns.

Car il se pourrait bien qu'on vît de quelle sorte

On les chasse, et comment, pour leur fermer sa porte,

Un ténébreux s'y prend avec les radieux,

Si vous venez ici m'ennuyer, tas de dieux

(Hugo, Le géant aux dieux).

O ciel ! qui vit jamais une pareille rage'? Crois-tu donc que je sois insensible à l'outrage; Que je soufTre en mon sang ce mortel déshonneur? Aime, aime cette mort qui fait notre bonheur. Et préfère du moins au souvenir d'un homme Ce que doit ta naissance aux intérêts de Rome

(CoRNEHXE, Horace).

268 LES VOYELLES

Nous avons vu tout à l'heure la réclame exprimée par les voyelles éclatantes; Y orgueil n'est souvent en somme qu'une sorte de réclame personnelle; d'où même procédé :

Voix de l'orgueil : un cri puissa/it comme à\in cor, Des étoiles de sa/ig sur des cuirasses d'or

(Verlaine, Sagesse).

Nous sommes les neveux du gra/id Napoléon!

(Hugo, Châtiments).

Est-il quelque ennemi qu'à présentée ne dompte? Paraissez, Navarrois, Maures et Castillans, Et tout ce que l'Espagne a nourri de vailla/its !

(Corneille, Le Cid).

Moi, je suis Béhémot, léléphant, le colosse. Mon dos prodigieux, dans la plaine fait bosse

Comme le dos d'nn mont. Je suis une montagne animée et qui marche; Au déluge, je fis presque chavirer l'arche, Et quand j'y mis le pied, l'eaw monta jusqu'au pont.

Je porte en me jouant, des tonrs sur mon épaule, Les murs tombent l)royés sous mon lla/îc qui les frdle

Comme sous un bélier. Quel est le bataillon que d'nn choc je ne rompe? J'enlève cavaliers et chev^iux dans ma trompe. Et je les jette en l'air sans plus m'en soucier!

(Th. Gautier, Qui sera roi).

L'orgueil est la note dominante de ce morceau ; les voyelles sombres y ajoutent par endroits l'idée de lourdeur inséparable de celle de ce colosse; enfin c'est la lég-èreté qui est peinte dans le dernier vers par les voyelles claires.

Quand le ton de l'orgueil devient triomphant, il s'entremêle aux voyelles éclatantes un certain nombre de voyelles claires destinées à peindre l'allégresse :

EXPRESSION DE l'aLLÉGRESSE 269

Vous me reconnaissez, bupgTaves. C'est le ma?'tre. Celuj qui subiiif^ua l'Europe, et fît rent-j/tre L'Allemagne dOtho/j, renie au i"eg-ard serem ; Celui que choisissaient pour juge souvéram. Comme bon empert'j/r, comme hon gentilhomme, Tro/s rojs dans Mersebourg et deux papes dans Rome, Et qui donna, touchant leurs fronts du sceptre d'or, La couronne à Suénon, la tiare à ^'ictor; Celuf qui des Hermann renversa le vieux trdne; Qui vainquit tour à totzr, en Thrace et dans Icdne, L'empereur Isaac et le cah'fe Arslan ; Celui qui, comprimant Gênes, Pise, Milan, ,

Etouffant g-uerres, cris, fureurs, trahisons viles. Prit dans sa large main l'Italie aux cent villes; Il est qui vous parle. Il surgit devant vous!

(Hugo, Burgraves, II, 6).

Ma sœur, voici le bras qui venge nos deux frères. Le bras qui rompt le cours de nos destins contraires. Qui nous rend maîtres d'Albe; enfin voici le bras Qui seul fait aujourd'hui le sort de deux états; Vois ces marques d'honneur, ces témoins de ma gloire, Et rends ce que tu dois à l'heur de ma victoire

(Corneille, Horace^ IV, 5).

Nous avons vu les voyelles claires exprimer un léger bruit, un doux murmure et au contraire les voyelles graves peindre un bruit éclatant; nous avons vu d'autre part les voyelles claires peindre des objets petits, mignons, délicats ou des scènes gracieuses ; il est tout naturel que les voyelles graves et particulièrement les éclatantes s'appliquent aux idées con- traires, qu'elles conviennent à la description d'un objet ou d'un personnage ou d'une scène grande, majestueuse, susci- tant l'admiration :

Voyant ma petit£'sse et voyant vos mirAcles

(Hugo, Contemplations^ A Villequier)^

270 LES VOYELLES

opposition de la voyelle claire de « petitesse » avec la voyelle éclatante de « miracles », et devant l'un et Tautre de ces deux mots répétition des mêmes sons pour peindre deux actions semblables. Voici de simples désignations de personnages grandioses ou puissants, ou de leurs actions :

Frédéric de Souabe, empereur crAllemagne

(Id., Burgraves, II, 6).

Géantl pour piédestal avoir eu rAllemag-ne... Avoir été plus grand qu'Annibal, qu'Attila

(Id,, Hernani).

Ainsi Charles de France appelé Charleniagne. Exarque de Ravenne, empereur d'Allemag^ne, Parlait dans la montagne avec sa gra/ide vo/x

(Id., Aymerillot).

Plus tard une autre fots, je vis passer cet homme, Plus grand dans son Paris que César dans sa Rome

(Id., Feuilles d'automne).

Quoi, François de Valois, ce prince au cœur de feu. Rival de Charles-Quint, un roi de France, un dieu, A réternité près, un gagneur de batailles Dont le pas ébranlait les bases des murailles. L'homme de Marignan, lui qui, toute une nuit. Poussa des bataillons l'un sur l'autre à grand bruit...

(Id., Le roi s'amuse).

Qu'est-ce que le Seigneur va donner à cet homme

Qui, plus gra/Kl que César, plus grand même que Rome,

Absorbe dans son sort le sort du genre humain?

(Id., Napoléon II).

M'enveloppant alors de la colonne noire.

J'ai marché devant tous, triste et seul dans ma glo/re,

EXPRESSION d'un BRUIT SOURD 271

Kl j'ai dil dans mon cœur : « Que voulo/r à prése/it? Pour dormir sur un sein mon ïroni est trop pesant, Ma main laisse l'elTro/ sur la main qu'elle toj/che, L'orage est dans m<i voix, l'éclair est sur ma bouche; Aussi, loin de m'aimer, voilà qu'ils tremblent tous, Et quand j'ouvre les bras, on tombe à mes genoux

.(Vigny, Moïse).

Contempler le bras Tort, la poitrine féco/ide, Le talon qui douze ans, éperonna le monde,

Et, d'un œil filial, L'orbite du regard qui fascinait la l'onle, Ce front prodigieux, ce crâne fait au moule

Du globe impérial !

(Hugo, A la Colonne).

Car c'est lui qui, pareil à l'antique Encelade, Du trône universel essaya l'escalade.

Qui vingt ans entassa. Remuant terre et cieux avec une parole, W'agram sur Marengo, Champaubert sur Arcole,

Pélion sur Ossa!

(Id., ibid.)

D. Voyelles sombres.

Passons à Tautre catégorie de voyelles graves, les voyelles sombres : «, ô, u'\ Les voyelles claires servant à peindre un bruit clair, les voyelles éclatantes un bruit éclatant, les voyelles sombres peindront bien un bruit sourd, comme dans le mot sourd lui-même, et en outre dans ronron, bourdon, (jrondement, ronfler^ rauque, etc. :

Elle écoute. Un bruit sourc/ frappe les sourc/s échos

(Hugo, Orientales).

J'entendais en passant les coups sourds du marteau Qui clouait dans la nuit le bois de l'échafaud

(Lamartine, Jocelyn).

272 LES VOYELLES

Avec des gro/îdements que prolo/ige un loncf râle

(Heredia, Bacchanale).

Les voyelles sombres sont le plus souvent, dans ce cas, entremêlées comme ici de voyelles éclatantes ; il suffît que le nombre des sombres soit plus considérable que celui des éclatantes pour que la note reste sombre ; si les éclatantes sont voilées par la nasalité, comme dans l'exemple suivant, le voisinage des sombres leur fait prendre la valeur de sombres :

Tenfant peutcueillir la fleur, strophe vivante, Sans qu'une grosse voix ioiil à coup Vépoiivanle !

(Hugo, Voix inférieures).

Et là-bas, sous le pont, adossé contre une arche, Hannibal écoutait, pensif et triomphant, Le piétinement soizrd des légions en nicirche

(Heredia, La Trehhia).

Et font tousser la fondre en leurs r^nques poumons

(Hugo, Année terrible).

Un ranque grondement monte, roule et grandit

(Leconte de Lisle, Clairs de lune) ;

c'est un bruit sourd qui à la fin devient plus clair.

Légère, elle n'a pas ce bruit tonnant et sourd Qu'en se précipitant ronle un torrent plus lourd

(Lamartine, Jocelyn);

il s'agit d'une cascade.

Gomme j'aime le bruit de la foudre et des \enis Se mêlant dans l'orage à la \oix des iorrents !

(Id., L homme).

Gomme un vent orageux, des bruits rauques et sourds Roulent soudainement de faubourgs en faubourgs

! Barbikr, U émeute).

EXPRESSION DU COURROUX 273

Quels sont ces bruits sowrds ? Ecoutez vers lo/jcle Cette voix profonde Qui pleure toujours Et qui toujours gronde

(Hugo, Voix intérieures).

Et, sans même les voir, mêlé les deux dragons Au vAste écrasem£'A^t des verrO^'^s et des gOiVds

(Id., Les lions).

La note sombre annoncée dans l'exemple suivant n'y appa- raît pas :

Dans l'ombre des arceaux voici qu'il entendit Brusquement une voix très rauque qui lui dit: Vénérable Seigneur, soyez-moi pitoyable !

(Legonte de Lisle, Le corbeau) ;

ces paroles n'ont rien de rauque ; elles sont éclatantes.

Nous avons vu la colère changer de caractère suivant que, dans son expression, c'étaient les voyelles aiguës ou les voyelles éclatantes qui dominaient. Si parmi les voyelles éclatantes il y a un nombre sensible de voyelles sombres, l'effet est encore une fois modifié. Ce n'est plus l'imprécation ou l'ironie amère, ce ne sont plus les éclats de voix d'une colère toute en dehors, c'est une colère sourde, ce sont les sombres grondements d'un violent courroux .

Quelquefois un mot suffit pour donner cette note :

Adieu, tu peux partir. Je demeure en Epire : Je renonce à la Grèce, à Sparte, à son empire, A toute ma famille ; et c'est assez pour moi. Traître, qu'elle ait produit un monstre tel que toi

(Racine, Androniaque, V, 3).

Voici comme Charlemagne, furieux de la résistance des chefs de son armée, leur parlait dans la montagne

M. Ghammoxt. Le vers françitis. 18

274 LES VOYELLES

Avec un âpre accent plein de sourdes huées :

Je ne sais point comment on porte des affronts !

Je les jette à mes pieds, je n'en veux pas ! Barons !

Vous qui m'avez suivi jusqu'à cette montag-ne,

Normands, Lorrains, marquis des marches d'Allemagne,

Poitevins, bourguignons, gens du pays Pisan,

Bretons, picards, flam.^nds, français, allez-vous-en !

Guerriez, allez-vous-e/J d'auprès de ma personne,

Des camps l'on entend mon noir clairon qui sonne ;

Rentrez dans vos logis, allez-vous-en chez vous.

Allez- vous- en d'ici, car je vous chasse tons !

Je ne veux plus de vous ! Retournez chez vos femmes !

Allez vivre cachés, prudents, contents, infâmes !

(Hugo, Aymerillol) ;

nous avons souligné en même temps que les sombres toniques quelques éclatantes nasales auxquelles le voisinage des sombres donne la valeur de sombres.

Dans les imprécations qui suivent, après des cris aigus dans les quatre premiers vers, la colère devient sourde et sombre dans les quatre suivants :

Règne; de crime en crime enfin te voilà roi. Je t'ai défait d'un père, et d'un frère, et de moi : Puisse le ciel tous deux vous prendre pour victimes, Et laisser choir sur vous les peines de mes crimes ! Puissiez-vous ne trouver dedans votre union Qu'horreur, qne jalousie et que confusion ! Et, pour vous souhaiter tous les malheurs ensemble. Puisse naître de vous un fils qui me ressemble !

(Corneille, Rodogune).

La légèreté s'exprimant par des voyelles claires, la lourdeur sera bien rendue par des voyelles sombres, comme dans le mot lourd lui-même. Voici d'abord quelques exemples les deux idées opposées sont rendues par l'opposition des voyelles claires et des vovelles sombres :

EXPRESSION DE lA LOURDEUR 275

Combien ce fruit est gros | et sa tige menue

(La Fontaine, IX, 4).

Avant quatre-vingt-neul"

\'ous marchiez sur le peuple à pas légers | et lourds

(Hugo, Contemplations).

Un rof'tele/ 1 pour vous est un pesant fardeau

(La Fontaine, I, 22).

Mes baisers sont légers comme des éphémères Qui caressent le soir les grands lacs transparents, Et ceux de ton ama/it creuseront leurs ornières Comme des chariots ou des socs déchirants : Ils passeront sur loi comme un lourd attelage De chevaux et de bœufs aux sabots sans pitié

(Baudelaire, Femmes damnées) ;

le deuxième vers peint la langueur, cf. p. 282, nous n'avons pas à l'examiner ici ; mais le premier avec ses voyelles claires est un modèle de légèreté, et les quatre derniers expriment la lourdeur. Il faut ajouter que le mouvement de Tattelag-e est rendu par la correspondance de la première voyelle rythmique à la troisième et de la seconde à la quatrième dans le cinquième vers, et de la première à la troisième dans le sixième ; enfin dans le troisième, le quatrième et le cinquième les répétitions d'/* marquent l'effort du creusement.

Dans les exemples suivants la lourdeur seule est exprimée :

... ni le bruit cadencé D'un lourd vaisseau, rampant sur l'onde avec des rames

(Hugo, Orientales).

Ni les ans, fardeau sombre, accablement de l'homme

(Id., Burgraves, I, 7).

. . .et qu'on entend, la nuit, A l'heure le sommeil veut des moments tranquilles. Les lourds canons rouler sur le pavé des villes !

(Id., Chants du Crépuscule .

276 LES VOYELLES

La lourde artillerie et les ïouvgons pesants

Ne creusent plus la route en profondes ornières

(Th. Gautier, Fantaisies) ;

noter en outre neuf r qui expriment reffort du creusement.

Les voyelles claires convenant particulièrement à l'expres- sion d'une idée gaie ou gracieuse, une idée grave, un récit, une description, un discours graves demandent naturellement des voyelles graves, c'est-à-dire éclatantes et sombres mêlées.

Tout d'abord les sentences générales, les réflexions morales, les préceptes ou les maximes :

L'absence est le plus grand des maux

(La Fontaine, IX, 2).

Que le bon soit toujours camarade du beau

(Id., VII, 2).

Si tu veux qu'on t'épargne, épargne aussi les autres

(Id., VI, 15).

La raison du plus fort est toujours la meilleure

(Id., I, lOj.

Nous ne trouvons que trop de mangeurs ici-bas : Ceux-ci sont courtisans, ceux-là sont magistrats

(Id., XII, 13).

Patie/jce et longueur de temps

Font plus que force ni que rage

(Id., XII, 11).

Selon que vous serez puissant ou misérable.

Les jugeme/jts de cour vous rendront blanc ou notr

(Id., VII, 1).

Ne nous associons quavecque nos égaux

(Id., V, 2,,.

SENTENCES GÉNÉKALES 277

Chacu7i se trompe ici-bcïs. On voit courir après l'ombre Tant de fous qu'on n'en sait pas, La plupart du temps, le nombre

(Id., VI, 17).

Soyons bien hnvaiils, bien maiv^eanls, Nous devons à la mort de trois Vun en dix ans

(Id., VI, 19).

L'avare rarement finit ses jours sans pleurs

(Id., IX, 16).

Mal prend aux volereaux de faire les voleurs

(Id., II, 16),

. . . .être bon aux méchants, C'est être sot

(Id.,X, 2).

Rien ne nous rend si grands qu'une grande douleur

(Musset, Nuit de mai).

Il faut, bien entendu, mettre à part les préceptes qui sont dits d'un ton badin, comme le contexte l'indique en général; dans ceux-ci les voyelles claires dominent :

Rien ne sert de courir, il faut partir à point

(La Fontaine, VI, 10).

Deux sûretés valent mieux qu'une Et le trop en cela ne fut jamais perdu

Dieu prodig-ue ses biens

A ceux qui font vœu d'être siens

:id., IV, 15).

;id., VII, 3).

278 LES VOYELLES

xVprès les sentences générales nous pouvons prendre en bloc les autres catég-ories d'idées graves ; une division compli- quée serait sans profit et risquerait d'égarer l'attention. Voici d'abord un exemple l'idée riante en voyelles claires (deuxième vers, seconde moitié du quatrième, cinquième) s'oppose à l'idée grave en voyelles graves (premier et troi- sième vers, première moitié du quatrième) :

Aux champs, la nuit est vénérable Le jour rit d'un rire enfantin ; Le soir berce Forme et l'érable, Le soir est beau ; mais le malin, Le matin, c'est la grande fête

(Hugo, Chansons des rues et des bois).

Dans les exemples suivants l'idée grave ne s'oppose pas à une idée gaie :

Je le veux, je Tordonne ; et que la fin du jour Ne le retrouve p^s dans Rome ou dans ma cour

(Racine, Britannicus, II, 1);

ton grave et impérieux du commandement,

Et du haut de son trdne interroge les rois

;Id., Eslher);

note grave et majestueuse.

Paris, morne et farouche, Pousse des hurlements Et se tord sous la douche Des nojrs éyénements

(Hugo, Chatisojis des rues et des bois)

Un mal qui répand la terreur, Mal que le ciel en sa fureur

279

EXPRESSION DES IDÉES GRAVES

Inventa pour punir les crimes de la terre,

La peste (puisqu'il ïaut l'appeler par son nom),

Capable d'enrichir en un ']ouv l'Achéron

(La Fontaine, VU, 1).

Dans l'ombre, morne et \ent, le Thermodort charrie Cadavres, armes, chars que la mort y roula

(Heredia, Le Thermodon)

VA pourtant trouver plus d'épouvante immonde, Plus d'effroj', plus d'angotsse et plus de désespoir Que dans ce temps luj^ubre le ^enre humain nofr. . .

(Hugo, Contemplations)

Mais il y pend toujours quelque goutte de san^f

(Musset, Nuit de mai)

C'est pourquoi ce roi sombre. . .

Rode éternellement sous l'énorme ciel nojr

(Hugo, Le parricide).

Je sens fondre sur moi de lourdes épouvantes Et de notrs bataillons de fantômes épars Qui veulent me conduire en des routes mouvantes Qu'un horizon sanglant ferme de toutes parts

(Baudelaire, Femmes damnées).

Le brave mort dormait dans sa tombe hu/ïible et pure, Couché dans son serment comme dans son armure ; Et le temps, qui des morts ronge le vêlement. Parfois brisait l'armure, et jamais le serment

(Hugo, Bur graves, I, 6).

Nous avons cité plus haut, p. 250, quelques vers de YErlkônig de Gœthe les voyelles claires donnent au ton un caractère captivant qui doit charmer l'enfant. Voici dans la même pièce la réponse grave du père :

280

LES VOYELLES

Sei iv/hig', blej'be ruhig, mein kintl . . . Mein sohn, mein sohn. ich seh'es gêna» Es scheinen die alten We/clen so grau.

Si l'idée grave est particulièrement triste ^ ou sombre, les voyelles sombres seront plus nombreuses que les éclatantes, et les unes et les autres seront souvent voilées par la nasalité. Le sombre au moral se peint par les mêmes procédés que le sombre au physique, par ceux que nous trouvons dans les mots sombre, ombre, ail. dunkel, dumpf, etc. Voici des exemples dans lesquels une idée gaie et une idée sombre sont réunies et opposées :

Toute aile vers son but incessamment retombe : L'atgle vole au sole/I, | le vautojzr à la to7?ibe

(Hugo, Feuilles d'automne).

L'une s'élève, I et l'ai/tre rampe

(La Fontaine, IX, 7).

Des rtres elFrénés mêlés | au sombre pleur

(Baudelaire, Lesbos).

Dans les exemples suivants il n'y a plus d'idée g-aie ; c'est d'abord le sombre physique, puis le sombre moral :

La nuit comme un serpent se roule autour des dômes

(Musset, Don Paez).

ils rugissaient vers la grande nature

Qui prend soin de la brute au ïONd des autres sOUvds

(Hugo, Les lions).

1. Théophile Gautier écrivait de Verdi : » Il a eu l'idée en musique quand les paroles étaient tristes de faire trou trou trou au lieu de tra Ira Ira. » Observation ironique, mais caractéristique.

EXPRESSION DES IIJÉES SOMltRES 281

Mais la nuit aussilôl de ses ailes alTreuses Couvre des Bourguignons les campagnes vinenses

(BoiLEAU, Lutrin).

Nous ne citons cet exemple, médiocre en somme, que parce qu'il a été signalé par Sainte-Beuve, Lundis, VI, T^OS, et que Ton a attribué, à tort, à Boileau le talent des vers expressifs.

Quelle est To/nbre qui rend plus sombre encor mon antre ?

(Heredia, Sphinx).

Quand il monte de l'ombre, il tombe de la cendre

(Hugo, Conlernplafions).

A l'horizon sans borne Le grave Escurial Lève son dôme sombre Noir de l'ennui royal

(Th. Gautier, La petite fleur rose).

Tout élément remplit de citoyens

Le vaste enclos qu'ont les royanmes sornbres

(La Fontaine, VII, 8).

A ce noir horizon qu'on nomme le tombeau

(Hugo, Contemplations).

Et quand la tombe un jour, cette embûche profonde Qui s'ouvre tout à coup sous les choses du monde...

(Id., Chants du Crépuscule).

Crois-tu donc que je sois comme le vent d'automne, Qui se nourrit de pleurs jusque sur un tombeau. Et pour qui la douleur n'est qu'une goutte d'eau ?

(Musset, Nuit de mai).

Point d'amour ! et partout le spectre de l'amour !

(Id., Rolla).

282 LES VOYELLES

Et quand je dis en moi-même

« sont ceux que ton cœur aime ? »

Je reg-arde le gazon

(Lamartine, Pensée des morts).

Et lot, morne to/nbea», tu m'ojzvres ta machoj're

(Musset, La coupe el les lèvres^.

Il croirait que la mort à de certains moments, Rhabillan/ l'homme, ouvranY les sépulcres dormants. Ordonne hors du temps, de l'espace et du nombre, Des co/ifro;itatio/i.s de fantômes dans l'ombre

(Hugo, Eviradnus).

E. Voyelles nasales.

Nous avons rencontré jusqu'ici un peu partout les voyelles nasales mêlées aux voyelles orales, nous avons vu qu'il y en a de claires, d'éclatantes, de sombres et qu'elles jouent le même rôle que les voyelles orales du même ordre qu'elles; seulement leur note est moins nette parce que la nasalité la voile, et c'est ce qui explique que lorsque des nasales écla- tantes sont entremêlées à des voyelles sombres (orales ou nasales) elles prennent dans ce voisinage, comme nous l'avons vu, la valeur de sombres.

Mais lorsque les nasales sont plus nombreuses que les orales, le voilement du son par la nasalité devient la qualité dominante, et le timbre passe au second plan; si bien que l'ensemble devient propre, même si le substratum oral est clair, et surtout s'il est sombre, à exprimer la lenteur, la langueur, la mollesse, la nonchalance :

Elle penche vers moi son front p\ein de langueur

(Musset, Idylle).

Et du fond des boudoirs les belles indolentes, Balançant mollement leurs tailles no/jchalantes, Sous les vieux marronniers commencent à venir

(Id., a la mi-carême).

EXPRESSION DE LA LANGUEUR 283

la mort avait clos ses longs yeux lci/J};uissanls

Heredia, Le réveil d'un Dieu).

Ou quelque a/ige pe/jsif de candeur allemande

(Musset, l ne lionne fortune).

Je regardais le ciel, étendu sur un hanc

Et songeais dans mon âme, aux héros d'Ossian

(Id., ihid.).

Ils prennent en i^ongeani les nobles attitudes Des grands splnnx allongés au fond des solitudes. Qui semblent s'e/Klormir dans un rêve sans fm

* (Baudelaire, Les chats);

noter aussi le balancement de langueur indiqué par les trois syllabes so^^ du dernier vers.

Et si la chaste reine, au milieu du sommeil. Laisse vers lui tomber une ma m nonchalante, 11 y va promener sa la/Jgue caressante

(Ghénier, Diane).

Cependant, en silence,

[Comme Dalti parlait , sur l'Océan immense Longtemps elle sembla porter ses yeux erra/jts

(Musset, Poriia).

L'étendue est immense et les champs nont point d'ombre

(Leconte de Lisle, Midi).

L'horloge d'un couvent s'ébranla lentement

(Musset, Don Paez).

Le chemj'n étant long et partant ennuyeux

1 La Fontaine, IX, l4j.

Chantait bas, comme on chante aux enfants qu'on endort

CHuGo, Burgraves, I. 2).

284 LES VOYELLES

Penchant ton front qu'argenté une précoce neige

(Heredia, L'exilée).

En un calme enchanté sous Tanjple frondaison

(Id., Jason et Médée).

A l'heure dans les champs l'ombre des monts s'allonge

(Hugo, Aristophane).

Les ombres, à longs plis descendant des montagnes, Un moment à nos yeux dérobaient les campagnes

(Lamartine, L'immortalité).

Et Flaccus s'écriait : Puisque tout fuit, aimons, Vivons et regardons tomber l'ombre des monts

(Hugo, Année terrible).

Dans l'ombre transparente indolemment il rôde

(Heredia, Le récif de corail).

S'allonger jusqu'au seuil l'ombre du grand platane

(Id., Le huchier de Nazareth).

Aux pentes de l'Othrys l'ombre est plus lo/jgue. Reste

(Id., Sur l'Othrys).

L'horizon tout entier s'enveloppe dans l'ombre

(Id., Soleil couchant).

Et les chênes pensifs agiter en cadence

Leur hont d'où l'ombre au loin tombe sur le vallon

(Hugo, Toute la lyre).

Et déjà les vallons

Voyoient l'ombre en croissant tomber du haut des monts (La Fontaine, Philémon et Baucis).

EXPRESSION DE LA MOLLESSE 285

Que les pontifes

Appelés aux accents de Tairam le/it et sombre,

De leur chanl lamentable accompagnent mon ombre

(Chémer, Elégies).

A pas sourds, comme on voit les tigres dans les jongles Qui rampent sur le ventre en allongeant leurs ongles

(Hugo, Chàtimenls).

Et dans mon être, à qui le sang morne préside, L'impuissance s'étire en un long bâillement

(Mallarmé).

A la pâle clarté des lampes languissantes,

Sur de profonds coussms tout imprégnés d'odeur,

Hippolyte rêvait. . . .

(Baudelaire, Femmes damnées).

Pourtant je n'ai souci ni de la bise amère.

Ni des lampes d'argent dans le blanc firmament

(S.\înte-Beuve, poésies de J. Delorme).

On lit en note dans l'édition M. Lévy : « C'est sans doute à dessein que le poète a redoublé les sons en an, pour rendre l'effet du scintillement ». Cette observation n'est pas juste; d'abord il n'est pas question de scintillement dans ce vers, et pour le scintillement ce sont des voyelles claires qui con- viendraient. La répétition des an peut produire l'effet de mouvements successifs et monotones, mais ces voyelles nasales peignent bien plutôt la clarté molle et immobile des étoiles.

Avant de quitter l'étude des voyelles une observation est nécessaire : nous sommes dans toutes ces recherches parti de la nature des voyelles pour montrer à quelles catégories d'idées elles pouvaient s'appliquer comme moyen d'expression. Cette méthode présente de grands avantages, et tout d'abord

286 LES VOYELLES

elle écarte l'erreur qui consisterait à attribuer à un son telle valeur parce qu'il se rencontre plusieurs fois dans un vers qui exprime telle idée; mais elle présente un inconvénient, c'est que les idées dont l'expression demande l'emploi de ditïérentes catés^ories de phonèmes ne peuvent être étudiées d'un coup ; telle la colère que nous avons trouvée sous les voyelles aiguës, sous les voyelles éclatantes et sous les voyelles sombres, et que nous rencontrerons encore à propos des consonnes. La méthode inverse, consistant à partir d'une classification des idées pour rechercher quels sons peuvent convenir à l'expression de chacune, aurait des inconvénients plus graves. Nous n'en considérerons qu un : le dénombrement des diverses nuances d idées possibles serait forcément incomplet ; ce serait une énumération indéfinie et dont la classification rentrerait nécessairement dans le domaine de 1 arbitraire : en admettant que l'on arrive à déterminer quels sont les phonèmes qui conviennent à l'expression des diverses nuances d'idées consi- dérées, ce qui parait à peu près irréalisable, le résultat acquis pour une nuance ne pourrait en rien servir pour une autre ; ce serait chaque fois une recherche nouvelle à faire et l'on ne voit pas trop quel principe autre que le hasard pourrait diriger cette étude. Tandis que, connaissant d'avance la nature et la valeur de chaque phonème, on peut prévoir, étant donnée une nuance quelconque d idée, quels sont ceux qui convien- dront à son expression. Ainsi je suppose que l'on ait à expri- mer l'idée du silence. Il est évident qu il faudra employer les sons les plus mous, les plus voilés que fournit la langue, c'est-à-dire les voyelles nasales :

Et, plus clair en l'azur noir de la nuit sereine. Sile/icieusement s'argente le croissant

('Heredlv, Xymphée .

Disparaît. . . et les bois retombent au silence

Id., Pan .

EXPRESSION DE LA CONTEMPLATION 287

S'il s'agit du silence succédant à un bruit éclatant ou sourd, il faudra pour exprimer cette opposition un changement de catégorie de voyelles: des voyelles claires ou aiguës succé- dant à des voyelles éclatantes ou sombres suffiront par le contraste à faire sentir que le bruit a cessé, et si l'on a une voyelle aiguë terminant la phrase à la rime, elle pourra à cette place être chuchotée. ce qui peindra le silence par harmonie imitative :

Il détourna la rue à grands pas. et le bruit De ses éperons d'or se perdit dans la nuit

Mlssht, Don Paez .

Si l'on veut exprimer un élan d'enthousiasme aboutissant à une admiration qui dure un moment, ou bien une idée gaie, gracieuse, sereine, dans la contemplation de laquelle on se repose quelques instants, il est évident, d'après ce que nous savons, que pour le mouvement d'enthousiasme, pour l'idée sereine, il faudra dans toutes les syllabes toniques une voyelle claire, et pour marquer le repos admiratif une voyelle sombre ou une éclatante nasalisée faisant contraste par sa lourdeur avec les précédentes qui sont légères, et terminant la phrase à la rime :

Que vous êtes joli ! que vous me semblez beau I

(La Fontaine. 1. 2 .

Et la Grèce ma mère, le miel est si doux

(Musset).

De me faire chérir un souvenir si doax

(R\ciNE. Mithridate .

La lune était sereine et jouait sur les ûots

Hugo. Orientales, X .

Le ciel en est plus pur. et Tair en est plus doax

Musset. Songe d'Augastei.

288 LES VOYELLES

Mais, un jour,

Pour laver les pieds nus du maître plein d'amour

(Hugo, Première rencontre du Christ avec le tombeau).

Et parfois, je me prends, dans la nuit chaude et sombre A frémir à l'appel lointain des étalons

(Heredia, La Centauresse) .

Vêtu de probité candide et de lin blanc

(Hugo, Booz endormi).

portant sous sa paupière

La sereine clarté des paradis profo/jf/s

(Id., Contemplations).

Elle sent une joie immense en se disant :

Mon fils est Dieu ! mon iils sauve la vie au monde

(Id., ihid.).

. . .0 mon bon Dieu, ma bonne sainte Vierge, J'étais perdu ; j'étais le ver sous le pavé ; Mes oncles me tenaient ; mais vous m'avez sauvé ; Vous m'avez envoyé ce paladin de France,

Seigneur

(Id.. l.e petit roi de Galice).

Après un élan de reconnaissance marqué par voyelles claires le petit roi se repose dans la contemplation admirative de ce paladin au moyen de l'éclatante nasalisée du mot France ; cet effet est d'ailleurs accentué par le poète au moyen du rejet Seigneur au vers suivant.

m

LES CONSONNES

A, Momentanées.

Les explosives frappant l'air d'un coup sec sont propres à saccader le style par leur répétition. Les occlusives sourdes t, c, p étant plus fortes que les sonores (/, g^ h produiront cet efîet encore plus nettement. Elles peuvent contribuer à l'expression d'un bruit sec et répété comme dans les mots tinter, tintamarre^ clapotis, cliquetis, tic-tac, cric crac ^ claquet, cliquet, crépiter, gratter, etc :

et l'homme,

Chaque soir de marché, tait ^in^er c?ans sa main Les c/eniers c/'argent clair q\i'\\ rapjDorte de Rome

(Heredia, Horlorum deus, IV),

Et faisant à les bras qu'au/our de lui ^u jettes. Sonner tes bracelets ^in^ent des clochettes

(Leconte de Lisle, Çunacépa).

Ils g-ardaient sans soucis ces troupeaux dont la cloche, Comme un appel loin/ain, tintait de roche en roche

(Lamartine, Jocelyn).

On entendait muj,àr le semoun meurtrier, Et sur les cailloux blancs les écailles crier Sous le ventre des crocodiles

(Hugo, Le feu du ciel),

M. Ghammunt. Le vers français. 19

290 LES CONvSONNES

bruit sec et répété.

Les flèches font sur moi le pétillement grêle Que par un jour d'hiver font les </rains de la grêle Sui' les /uiles d'un lo'û

[Tu. Gautier, Qui sera roi ?).

Et la source sans nom çrui goutfea goutte tombe D'un son /)lain/if emplit la soli/aire combe

(Heredia, La source).

Il détourna la rue à grands pas, et le /jruit De ses éperons d"or se perdit dans la nuit

(MvssET, Don Paez).

Elle écoute en tremblant, dans Vécho du yjilier, Résonner l'éperon r/'un hardi cavalier

(Id., Nuit de mai).

Vous m'entendiez jadis marcher dans ces vallons, Lors^yue l'éperon d'or sonnai/ à mes Valons

(Hugo, Burgraves, II, 6).

Tel yu'un éclat de foudre en un ciel sans éclair Tout à coup retentit un hennissement clair

(Heredia, Andromède au monstre).

Car parfois sa pensée était sur la frontière,

Pendant ^u'il écou/ait les /am/>ours battre aux champs

(Musset, Le 13 juillet);

noter que trois fois de suite deux occlusives semblables sont séparées par une liquide de, tlt, hrb ; remarquer en outre les modulations du vocalisme.

En/endrons-nous bientôt tes /rompe//es sonner ?

(Hugo, Burgraves, II, 6).

EXPRESSION ni-; MOrVEMENTS SACCADÉS 291

0 Machiavel ! /es pus retentissent encore Dans les sentiers déserts de San Casciano

(Mdsset, Les vœux stériles).

Partout sonne Vappel rlair des buccina/eurs

(Heredia, La Trebhia).

Un grand drapeau de deuil

Que la ten\pète tord cluns son noir /ourAillon

(Hugo, Bunjraves., 1, 7) ;

les occlusives, surtout dentales, saccadant le vers, expriment le claquement du drapeau ; les trois /• vélaires de tord^ noir, tourbillon expriment le grondement de la tempête.

Les occlusives peuvent peindre non seulement des bruits secs, mais aussi des mouvements secs, saccadés, comme des coups, ou au contraire des mouvements beaucoup plus doux, mais toujours saccadés, comme dans les mois palpiter, barbo- ter, tâtonner, tituber, etc. :

Et se frayjyjant le cfcur avec un cri sauvage

(Musset, Nuit de mai).

D\x sac et d\x serpent aussi/ô/ il c/onna Contre les murs, <ant q\x\\ Iua la hète

(La Fontaine, X, 2) ;

noter en outre le sifflement du sac qui fend l'air, indiqué par les s.

Tandis que coups de noing /ro//oient

(Id., 1, 13).

Le passereau, peu circonspec,

S'ai/ira de tels coups de bec

(Id., X, V2).

A coups de serpe, autrefois un berger

M"a /aillé c/ans le /ronc f/'un dur figuier c/'Égine

(Heredia, Hortoruni deus, I).

292 LES CONSONNES

Ne irappe-t-on pas à ma porte ?

(Musset, Xuit de mai).

Je les ai vus penchés sur la bille d'ivoire, Ayanf à travers champs couru toute la nuit

(Id., Une bonne fortune);

le saccademenl des occlusives destiné à peindre cette course haletante est secondé par le vocalisme : assonance des deux toniques an dans le premier hémistiche et des deux atones ou dans le second.

Il est las; sur la ferre il /ombe haletant

(Hugo, Légende des siècles).

Je sens hallremon cœur lorsque le clairon sonne

(Musset, Songe d'Auguste).

Que ne TétoulTais-tu, cette llamme brûlante (^Aie ton sein /)al/)i^ant ne /)ouvait contenir !

(Id., a la Malihran) ;

le saccadement des occlusives peint le palpitement.

Ces mains vides, ces mains qui labouraient la terre. Il fallait les é/endre en renA^an/ au hameau, Pour trouver à tatous les murs de la chaumière. L'aïeule au coin du feu, les enfants au berceau !

(Id., Une bonne fortune) ;

les t peignent le tâtonnement par les saccades qu'ils produisent.

Ou que dun Aras tremblant je tende encor la corde

(Heredia, Epigramme votive).

Au point de vue moral la répétition des occlusives ayant pour effet de saccader les paroles peut contribuer à l'expression de différents sentiments tels que :

EXPRESSION DE l'iROME 293

l'ironie, qui devient alors âpre et sarcastique, car le morcellement aux occlusives détache chaque élément d'idée et martelle l'un après l'autre tous les traits qui frappent successivement comme des flèches qu'on décocherait sans interruption :

Dors-tu con/ent, Vol/aire, et /onhirfeux sourire Vol/ige-/-il encor sur ^es os c/écharnés ? Ton siècle éfait, di^-on, trop jeune pour te lire ; Le nôtre doit te plaire et tes hommes sont nés. Il est tombé sur nous, cet é(/i(ice immense Que de /es larges mains /u sapais nuit et jour. La mort devait l'attendre avec impatience. Penchant qua/re-vingts ans que tu lui fis ta cour

(Musset, Rolla).

7'oi-même tu te fais ton procès : je me fonde Sur tes propres leçons ; je//e les yeux sur toi. Aies jours son/ en /es mains, /ranche-les ; /ajus/ice, C'est ton u/ili/é, ton plaisir, ton caprice

(La Fontaine, X, 2).'

Vénus, par votre orgueil si longtemps méprisée, Vouf/roi/-elle à la fin jus/ifier Thésée! Et, vous me//an/ au rang du reste des mor/els. Vous a-/-elle forcé o^'encenser ses au/els ?

(Racine, Phèdre) ;

il faut noter dans cet exemple, outre les saccades, un sifflement ironique exprimé par les /", les v et les s.

La voix alors devint âpre, amère, stridente. Gomme le noir sarcasme et l'ironie ardente; C'était le rire amer mordant un demi-dieu : Sire ! on /'a retiré de ton Pan/Aéon bleu ! Sire ! on /'a descendu de ta haute colonne ! Regarde. Des brigands, dont l'essaim /ourbillonne.

294 LES CONSONNES

Z)'affreux bohémiens, des vainqueurs de charnier Te dennent dans leurs mains et t'oni fait prisonnier. A ton orteil c/'airain leur pa/^e infâme touche. Ils t'ont pris. Tu mourus, comme un astre se couche, Napoléon le Grand, empereur; tu renais Bonapar/e, écuyer du cirque Beauharnais. Te voilà f/ans leurs rangs, on /'a, Ton ^e harnache. Ils rappellent ^out haut grand homme, entre eux, ganache

(Hugo, Châtiments).

le halètement de la colère :

Elle entre. D'où viens-/u ? Qu as-tu fait celte nuit ? Ré/>onds, que me veux-/u ? qui /'amène à ce//e heure ? Ce beau corps jusqu'au jour s'es'-il étendu ? Tandis quk ce Aalcon, seul, je veille et je pleure, En quel lieu, dans quel lit, à qui souriais-/u ? Perïide I au(/acieuse ! es/-il encor possi/jle Que tu viennes offrir ta i)ouche à mes Aaisers ? Que deni.andes-tu donc 2 par quelle soif horrible Oses-/u m"a</irer dans tes hras é/juisés ?

(Musset, A'uit d'octobre).

Bajaze/ est un traître^ et n"a ^ue /rop vécu

(Racine, Bajazet).

7'u pleures, malheureuse ? Ah I tu dexois pleurer

Lorsque, d'un vain o^ésir à ta perte poussée^

Tu conçus de le voir la /crémière pensée.

7u pleures? et l'ingrat, tout prêt a te trahir,

Prépare les (/iscours doni il veut /"éblouir.

Pour plaire à ta rivale, il prend soin de sa vie.

Ah I traître^ tu mourras. Quoi ? tu nés point partie ?

Va. Mais nous-même, allons, préci/>i/ons nos pas.

Qu'il me voie, a//en/ive au soin de son trépas.

Lui mon/rer à la fois, et lort/re de son frère,

Et de sa /rahison ce gage trop sincère

(Id., IJml., IV, 5).

EXPRESSION DE l'iIÉSITATION 295

ou simplement Ihésitation, l'agitation intérieure, morale :

Que l'augure, appuyé sur son sceptre d'érable, Interroge le foie et le cœur des moutons Et /en(/e (/ans la nuit sesf/eux mains à Gâtons

(Hlgo, Le détroit de rEuri'pe).

Dans le doute nior/el (/ont je suisagi/é

(Racine, Phèdre) .

Elle cherchait d'un œil /rouble par la tempête De sa naïveté le ciel déjà loin/ain

(Baudelaire, Femmes damnées).

Bien que les moyens d'expression n'entrent généralement en valeur que si l'idée exprimée s'y prête, lorsque les mêmes phonèmes sont répétés avec trop de fréquence ils s'imposent forcément à l'attention, et dans ce cas, si l'idée ne demande pas ces répétitions, les vers sont choquants, parce qu'il y a discordance entre l'idée exprimée et les moyens employés :

Je crois dans tous les cas

Qu'ici dans les caveaux ils ont quelque cachette

(Hugo, Burqraves, I, 2).

Et, quand on a quelqu'un quon hai/ou qui (/épiait

(Molière, Misanthrope).

Comme un arbre au printemps que le ver pique au cœur

(Lamartine, Jocelyn).

Tout art fest é/ranger, comba/fre est ton par/age

(^'0LTAIRE).

Ingrat à tes bon/és, ingrat à ton amour

fiD.l.

296

LES CONSONNES

Tu te révoltes, tu firrïtes,

0 mon Ame, de ce que te\

Ne comprend pas ^ous tes méri/es

Et met ton /aient sous l'au/el.

7u fen aigris ! mais, Ame vaine, Pourquoi, d'un soin aussi profond, N'es-/u pas promp/e à tirer peine De ce que c/'autres te surfont ;

De ce que foui lec/eur sincère, Te prenant au mot de devoir, Te tient en son es/ime chère Bien plus que /u sais ne valoir?

B. Continues.

(Sainte-Bel've)

Les autres consonnes sont les nasnies, les liquides et les spirantes (fricatives, sifflantes et chuintantes). Elles font presque toutes onomatopée. Leurs noms mêmes sont pour ainsi dire des définitions et désignent assez bien la nature de cha- cune. Il est assez rare de trouver Tune d'elles employée à l'ex- clusion des autres, car en général on en réunit plusieurs pour exprimer simultanément différentes nuances concourant à un même but. Gela ne nous empêchera en rien de déterminer exactement leurs valeurs, puisque nous le faisons a priori. Nous pourrons d'ailleurs citer quelques exemples chacune est employée presque à l'exclusion des autres ou du moins avec une fréquence tellement supérieure qu'elle reste seule en lumière. Puis nous examinerons l'emploi combiné des unes et des autres en laissant dans le jeu son rôle à chacune.

Les nasales n et m sont pour ce qui est du point d'arti- culation dentales ou labiales ; mais ces qualités ne viennent en lumière que si le voisinage d'autres phonèmes dentaux ou labiaux les met en relief. Sinon c'est la qualité nasale qui res- sort particulièrement, et à ce point de vue les nasales sont des continues et des phonèmes mous. Nous avons déjà vu que les voyelles voilées par la nasalité sont propres à exprimer la

EXPRESSION DE LA MOLLESSE 297

lenteur, la mollesse, la langueur ; les consonnes nasales, soit employées seules, soit avec des voyelles nasales, peuvent exprimer de même la douceur, la mollesse, la langueur, la timidité :

Cette heure a pour nos sens des impressions douces Comme des pas muets qui marchent sur des mousses

(Lamartine).

Reposait mollement nue et surnaturelle

(Hugo, Le Satyre).

Elle meurt dans mes bras d'un mal qu'elle me cache,

« dit la nourrice de Phèdre, Œnone, dans un vers sans muscles pour ainsi dire, humide et amolli comme un sanglot, Fal- litération de la consonne m quatre fois répétée a une valeur musicale bien sensible pour toute oreille un peu délicate » (Stapfer, Racine et V. Hugo).

Hippolyte, ô ma sœur 1 tourne donc ton visage. Toi, mon àme et mon cœur, mon tout et ma moitié

(Baudelaire, Femmes damnées) ;

de la répétition des m et des voyelles nasales se dégage une impression de mollesse et de langueur, le ton devient caressant comme un baiser.

Une bouche mutine la petite moue D'Esméralda se mêle au sourire et se joue

(Th. Gautier, Alherius).

0 mon souverain Roi !

Me voici donc tremblante et seule devant toi. Mon père mille fois m"a dit dans mon enfance Qu'avec nous tu juras une sainte alliance

(Racine, Esfher)

298 LES CONSONNES

timidité et douceur due à l'union des m et des voyelles nasales, puis dans le vers suivant Esther hausse le ton parce qu'elle s'enhardit en rappelant à Dieu son alliance et ses promesses.

Les deux liquides / et r doivent être à notre point de vue soigneusement séparées. La première /est seule purement une liquide et propre à exprimer la liquidité :

Le f/euve en s'écou/ant nous Zaisse dans ses vases

(Lamartine, Recueillements).

L'immense Mer sommeille. E//e hausse et balance Ses hou/es le Ciel met d'éc/atants î/ots

(Leconte de Lisle) ;

dans ce dernier exemple le mélangée à peu près régulier des s avec les / peint le balancement, cf. p. 224.

Seul, et derrière /ui, dans les nuits éterneZ/es, Tombaient plus /entement /es p/umes de ses ai/es

(Hugo, Fin de Satan) ;

les/ peignentle glissement ; les occlusives dentales expriment les chutes successives.

La seconde, r, est une vibrante qui se prononce avec un roulement plus ou moins net et plus ou moins fort K Sa valeur n'est pas exactement la même selon qu'elle s'appuie sur des voyelles claires ou aiguës ou bien sur des voyelles éclatantes ou sombres. Dans le premier cas elle exprime plutôt un grin- cement comme dans les mots (/rincer, briser, crisser, etc. :

Mais la légère meu/'trissure Mordant le cristal chaque jour

(Sully-Pridhomme, Le vase brisé) ;

1. Nous avons surtout en vue ici Vr dental ; l'r grasseyé ne s'articule pas de la même manière, mais les différentes impressions qu'il produit au point de vue expressif, suivant la nature de la voyelle sur laquelle il s'appuie, sont tellement analogues à celles que produit Vr dental dans les mêmes conditions, qu'il n'y a pas lieu de le considérer à part.

EXPRESSION d'un GRONDEMENT 299

c'est le second r de /ucurtrissiire et celui de cristal qui déter- minent lu qualité expressive de tous les r de ces deux vers.

Mieux qu'aucun maître inscrit au livre de maîtrise, Qu'il ait nom /^uyz, A/'phé, Ximeniz, Hecerril, J'ai serti le rubis, la perle et le béryl, Tordu l'anse d'un vase et martelé sa frise. Dans l'argent, sur l'émail le paillon s'irise, J'ai peint et j'ai sculpté, mettant l'âme en péril. Au lieu du Christ en croix ou du Saint sur le gril, 0 honte I Bacchus ivre ou Danaé surprise

^^Heredia, Le vieil orfèvre) ;

M. J. Lemaître a fait sur ces deux strophes dans ses Con- temporains, II, 58, des remarques qui ne sont ni très exactes, ni très précises, mais au fond il a entrevu le phénomène et senti l'elfet produit.

LV peut exprimer aussi une sorte de g-rondement aig'u, un grondement qui ressemble à des cris :

Le perfide triomphe et se rit de ma rage

(Racine, Andromaque),

paroles d'Hermione au moment oii Pyrrhus est à Fautel épousant Andromaque ; c'est un grondement commençant en note aiguës.

Mais le plus souvent le grondement est sourd, et dans ce casl'r s'appuie sur des voyelles éclatantes comme dans ^rro^ner, grommeler, et surtout sur des voyelles sombres comme dans gronder, ronron, rauque, ronfler, bourdon, ou du moins les r ainsi placés sont plus nombreux que ceux qui s'appuient sur des voyelles claires et ils donnent la note générale :

d'éclairs et de tonnerres

Déjà grondant dans l'ombre à l'heure nous parlons

(Hugo, Burgraves, I, 7).

300 LES CONSONNES

Le camp s'éveille. En bas roule et gronde le fleuve

(Heredia, La Trehbia).

et jeté son corps

Au torrent qui rugit comme un tigre dehors

(Hugo, Burgraves, I, 4).

Au-dessus du toz-rent qui dans le ravin gronde

(Id„ Ibid., 1,2).

Au bruit de l'ouragan courbant les branches d'arbres

{li>.,Ihid.,\,i).

... .les flancs du noir nuage 7?oulaient et redoublaient les foudres de l'orage

(Vigny, Moïse).

Avec des grondements que prolonge un long râle

(Heredia, Bacchanale).

Et le peuple en rumeur gronde autour du prétoire

(Leconte deLisle, La Pas.sion).

LV appuyé sur voyelles graves peut peindre encore d'autres nuances, telles que l'écrasement comme dans les mots écraser, broyer :

Ecraser au dehors le tigre, et la couleuvre Au dedans

(Hugo, Châtiments) ;

un roulement bruyant :

On vous voit moins souvent orgueilleux et sauvage. Tantôt faire voler un char sur le rivage

(Racine, Phèdre).

Le murmure du tonnerre n'étant ni un doux murmure ni un cri aigu, mais un sourd grondement, l'exemple suivant

EXPRESSION d'l'N SOUFFLE 301

de Hugo est manqué, car ses r, ne s'appuyant que sur des voyelles claires, sont tous palataux :

Moi, dont souvent la vie impure et sanguinaire A fait aux pieds de Dieu murmurer le tonnerre

{Burg raves).

Les spirantes, comme leur nom lindique, sont toutes propres à exprimer un souffle. Mais les chuintantes ch et j conviennent pour un souffle accompagné de chuchotement :

Gar schone spiele spiel ich mit dir

(GœTHE, Erlkônig) ;

(c'est le chuchotement du roi des aunes) ; tandis que les spi- rantes labio-dentales / et u ne peuvent exprimer qu'un souffle (mou et sans bruitXou accompagné d'un bruit extrêmement sourd :

Sur leg'roupe endormi de ces chercheurs d'empires Flottait, crêpe rirant, le vo\ mou des vampires

(Heredia, Les conquérants de Vor).

Et la roile /lottoit aux l'enls abandonnée

(Racine, Phèdre).

Voilà le rent quis'élère Et gémit dans le i'allon

(Lamartine, Pensée des morts) ;

les l marquent en outre la liquidité .

L'ancien zépAyr/abuleux Souple avec sa joueen/"lée Au/bnd des nuages bleus

(HuGo^ Contemplations).

302 LES CONSONNEvS

Le moindre l'ent qui d'awenture Faitrider la /ace de Feau

(La Fontaine, I, !22).

Un souplement de /"orge emplit le /"irmament

(Hugo, Suprématie),

souffle accompagné de bruit sourd.

Une flamme quiflotte, qui successivement s'élance et s'abaisse peut être comparée dans une certaine mesure à un souffle et ses mouvements exprimés par le même moyen :

Ce soir je i-egardais Laurence à la clarté Du foyer /lamboyant sur son /ront reflété

(Lamartine, Jocelyn).

Par les /entes des murs des miasmes fiévreux i^'ilent en s'en/"lammant ainsi que des lanternes Et pénètrent vos corps de leurs par/*ums a//"reux

(Baudelaire, Femmes damnées).

Dansles exemples suivants l'accumulation des spirantes labiales fait entendre un souffle dont il n'est pas question dans le pas- sage :

Ave'i-vovi% VM V^énus à Irarers la /brêt ?

(Hugo, Contemplations).

Et le t;alloii, t'oilé de verdoyants rideaux,

Se creuse comme un lit pour l'ombre et pour les eaux

(Lamartine, L'infini dans les deux).

Les spirantes dentales ou sifflantes supposent un souffle accompagné d'un sifflement léger ou violent, ou inversement un sifflement accompagné de souffle ; le sifflement est plus intense avec les s qu'avec les z :

Et les vents ali::és inclinaient leurs antennes

(Heredia, Le Conquérant).

EXPRESSION DU SIFFLEMENT 303

on eût dit les coups d'aile

D'un zéphyr éloigné glis,sant sur des roseaux

(Musset, Lucie).

Jamais rien de leur sein ne soulève un soupir

(Lamartine, Jocelyn),

. . . .mais il n'a pas prévu Que je saurai souffler de sorte Qu'il n'est bouton qui tienne. . . .

(La Font.une, VI, 3).

Pour qui .sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes?

(Racine, Andromaque).

Quel serpent écrasé s'est dressé sous ses pas ?

(Musset, Songe d'Aucfusle).

Elles tracent dans l'air un cercle éblouissant

(Id., Nuit de mai).

. . . .Ainsi la cigale innocente. Sur un arbuste assise, et. se console et chante

(CiiÉMER, L'aveugle).

Dans les buissons sèches la bise va sifflant

(Sainte-Beuve).

Un bruissement suscitant l'idée d'un léger souffle demandera les mêmes moyens d'expression, et de même le glissement qui est susceptible d'être accompagné de bruissement :

L'Eumolpide vengeur n'a point dans 5amothrace 6'ecoué vers le seuil les longs manteaux sanglants

(Heredia, La magicienne) ;

à l'expression d'un mouvement répété s'ajoute Tidée de bruis- sement.

304 LES CONSONNES

Qui montre dans ^es eaua; le cygne se mire

(Musset, Nuil de mai),

g-lissement doux et régulier du cyg-ne.

Tircis, qui Taperfut, se glisse entre des saules

(La Fontaine, II, 1).

Vers Bubaste ou 5aïs rouler son onde grasse

(Heredia, Antoine et Cléopàtre),

glissement.

Le glissement ou le sifflement peuvent être imaginaires ou métaphoriques :

Les choses qui sortaient de son nocturne esprit Semblaient un glissement sinistre de vipères

(Hugo, La rose de iinfante).

Au point de vue moral l'emploi des sifflantes peut donner lieu à des impressions assez variées. Il y a divers sentiments qui nous causent comme une sorte de frisson et contractent nos organes phonateurs de telle manière que l'air ne peut passer entre eux qu'en produisant une espèce de sifflement. Les sifflantes sont donc propres à suggérer dans une certaine mesure l'idée de ces sentiments, et à devenir, de façon quasi onomatopéique, un de leurs moyens d'expression. C'est l'an- goisse causée par la peur ou la tristesse, le frisson produit par le froid moral comme par le froid physique :

J'ai revu Tennemi que j'avois éloigné : Ma blessure trop ^ive aussitôt a saigné

(Racine, Phèdre).

Je sentis sur ma main sa bouche de serpent !

(Hugo, Ruy-Blas).

Ses froids embrassements ont glacé ma tendresse

(Racine, Phèdre).

EXPRESSION DE I.A JALOUSIE 305

Jusqu'au fond de nos cœurs noire sa.ng s est glacé

(Id., Ihid.).

Mon sang" commence à 6'e glacer

La Fontaine, I, 12).

Héla5 ! il mourra donc. Il n'a pour sa défense Que les pleurs de sa mère et que son innocence

(Racine, Andromaque).

Hélas ! laissez les pleurs couler de ma paupière, Puisque vous avez fait les hommes pour cela ! Laissez-moi me pencher sur cette froide pierre Et dire à mon enfant : iSens-tu que je suis là?

(Hugo, Contemplations).

C'est tout ce qui se dit d'un « ton pincé » ou les dents serrées, c'est-à-dire les paroles qui manifestent l'ironie, le dédain, le mépris, la jalousie, la colère, la haine, divers sen- timents dont plusieurs ont des traits communs et dont cer- tains apparaissent d'ordinaire simultanément. En voici des exemples variés.

Sifflement de jalousie et de dépit :

Je suis le seul objet qu'il ne sauroit souffrir

(Racine, Phèdre).

Sifflement de jalousie et de colère :

Ce n'est pas tout. Il faut maintenant m'éclaircir Si dans sa perfidie elle a su réussir

(Id., Bajazel)^

paroles de Roxane qui vient de découvrir qu'Atalide est sa rivale.

Sifflement d'ironie, avec une nuance plus ou moins nette de dédain ou de mépris :

M. Gkammont. Le vers français. 20

306 LES CONSONNES

La Grèce en ma faveur est trop inquiétée. De soins plus importants je l'ai crue agitée, Seigneur ; et sur le nom de son ambassadeur, J'avois dans ses projets con^u de la grandeur

(Id., Andromaque),

paroles de Pyrrhus à Oreste au moment ce dernier vient de lui expliquer l'objet de son ambassade.

Vénus, par votre orgueil si longtemps méprisée, Voudroit-elle à la fin justifier Thésée? Et, vous mettant au rang du reste des mortels, ^ ous a-t-elle foi'cé d'encenser ses autels?

(Id., Phèdre).

... Je t'admire ! sont tes gens ? sont les fourriers de l'empire ? Entendrons-nous bientôt tes trompettes sonner ? Vas-tu, sur ce donjon que tu dois ruiner, Semer, dans les débris sifflera la bise, Du sel comme à Lubeck, du chanvre comme à Pise ?

(Hugo, Les Burgraves, II, 6) ;

on notera que dans ce dernier exemple le sifflement physique de la bise devient par le contexte un sifflement d'ironie, un sifflement moral.

Seigneur, dans cet aveu dépouillé d'artifice. J'aime à voir que du moins vous vous rendiez justice, Et que voulant bien l'ompre un nœud si solennel, Vous vous abandonniez au crime en criminel. Est-il juste, après tout, qu'un conquérant s'abaisse Sous la servile loi de garder sa promesse ?

(R.\ciNE, Andromaque).

Sifflement d'ironie et de colère :

De vos desseins secrets on est trop éclairci ; Et ce n'est pas Galchas que vous cherchez ici

(Id., Iphigènie).

EXPREISSION DU MÉPRIS 307

Et lorsqu'à sa fureur j'oppose ma tendresse, Le soin de son repos est le seul qui vous presse

(Id., Ihid.),

paroles d'Achille à Iphigénie qui essaie de justifier son père.

Voyons s'il soutiendra son indigne artifice

{\u.Jhid.).

paroles de Clytemnestre qui voit venir Agamemnon. Sifflement de colère et de mépris :

. . .malgré ses injustices, C'est ma mère, et je veua: ignorer ses caprices Mais je ne prétends plus ignorer ni souffrir Le ministre insolent qui les ose nourrir

(Id., Britannicus).

Je respire à la fois l'inceste et l'imposture. Mes homicides mains, promptes à me venger, Dans le sang innocent brûlent de se plonger. Misérable ! Et je vis ? Et je soutiens la vue De ce sacré soleil dont je suis descendue ?

(Id., Phèdre).

Père dénaturé 1 malheureux politique. Esclave ambitieux d'une peur chimérique, Polyeucte est donc mort ! et par vos cruautés Vous pensez conserver vos tristes dignités ! La faveur que pour lui je vous avois offerte, Au lieu de le sauver, précipite sa perte !

Eh bien ! à vos dépens vous verrez que Sévère Xe se vante jamais que de ce qu'il peut faire ;

Continue- aux dieux ce service fidèle

(CoRNEiLf.E, Polyeucte

Tandis qu'avec mon fils je vais, loin de vos yeux, Chercher au bout du monde un trépas glorieux ;

308 LES CONSONNES

V^ous cependant ici, serves avec son frère, Et vende:: aux Romains le sang' de votre père. Venez. Je ne saurois mieux punir vos dédains Qu'en vous mettant moi-même en ses serviles mains. Et, sans plus me charger du soin de votre gloire, Je veux laisser de vous jusqu'à votre mémoire

(Racine, Mithridale).

Et comment souffrez-vous que d'horribles discours D'une si belle vie osent noircir le cours ? Avez-vous de son cœur si peu de connoissance ? Discernez-vous si mal le crime et l'innocence?

(Id., Phèdre, V, 3),

paroles d'Aricie à Thésée.

Sifflement de colère et de dédain :

On veut sur vos soupçons que je vous satisfasse ?

(Id., Britannicus) ^

paroles d'Agrippine à Néron au début de la scène des fau- teuils.

Sifflement de colère et de haine :

Vous n'aurez point pour moi de langages secrets ; J'entendrai des regards que vous croirez muets ; Et sa perte sera l'infaillible salaire D'un <^es\.e ou d'un soupir échappé pour lui plaire

(Id., Ihid.).

Néron de vos discours commence à se lasser

(Id., Ihid.),

paroles de Néron à Britannicus qui lui reproche sa conduite.

. . .Moi, l'aimer? Une ingrate Qui me hait d'autant plus que mon amour la flatte ! 5ans parents, sans amis, sans espoir que sur moi! Je puis perdre son fils, peut-être je le doi.

VERS SIIÎILANTS 309

Étrang-ère. . . Que dis-je ? esclave dans ri<:pire, Je lui donne son fil,v, mon âme, mon empire ; Etje ne puis g-agner dans son perfide ccrur D'autre rang que celui de son persécuteur ? Non, non, je l'ai juré, ma vengeance est certaine Il faut bien une fois justifier sa haine

(Id., Andromaque).

Vous savez sa coutume, et sous quelles tendresses Sa haine sait cacher ses trompeuses adresses

(Id., Mithridale),

paroles de Pharnace apprenant le retour de Mithridate.

Nombreux sont les vers sibilants, le sifilement n'étant pas justifié par le sens est un défaut ;

Et me promettant bien de ne plus m'approcher De ces eaux ma soif s'accroît sans s'étancher

(Lamartine, Jocelyn).

Des baisers sont sur sa bouche

(Lamartine, Pensée des morts) ;

il s'agit d une mère morte qui tend les bras à ses enfants.

Que j'aimais ce temps g'ris, ces passants et la 5eine ^'ous ses mille falots assise en souveraine !

(Musset, Sonnet).

Ah ! ces baisers si vains ne sont pas sans douceur

(Ghénier, Loaristys).

Debout sur ses genoux, mon innocente main Parcourait ses cheveux, son visag-e, son sein

(Id., Un jeune homme).

Que son soleil soit doux, que son ciel soit d'asur

(Lamartine).

310 LES CONSONNES

Se voir le plus jDossible et s'aimer .seulement, 5ans ruse et sans détours, sans honte ni mensonge

(Musset, Sonnet).

Viens suis-moi. La Sultane en ce lieu se doit rendre

(Racine, Bajazet).

Sous vos seuls auspices ces vers

Seront jugés

(La Fontaine).

V. Hugo en a aussi laissé échapper quelques-uns:

Puis il descendit seul sous cette voûte sombre. Quand il se fut assis sur sa chaise dans l'ombre Et qu'on eut sur son front fermé le souterrain

(Hugo, La conscience] ;

mais toutes les fois qu'il a senti le défaut, il l'a corrig'é avec grand soin, fût-ce au détriment de l'idée. Ainsi ce premier jet des Contemplations :

II se dressa sur l'ombre et cria : Jéhovah ! est devenu :

Il se leva sur l'ombre et cria : Jéhovah !

Celui-ci de La fin de Satan :

Et c'est dans un tombeau que naissait cette aurore, est devenu :

Et c'est dans un tombeau que se levait l'aurore,

malgré l'antithèse qui était produite par " naissait » à côté de « tombeau ».

ARTICULATION DES LABIALES 311

G. Réunion de consonnes diverses.

Bien que nous nous soyons efforcé dans ce qui précède de déterminer la valeur de chaque phonème pris isolément et de ne fournir que des exemples caractéristiques à cet égard, on a remarqué que souvent d'autres phonèmes intervenaient à côté de ceux que nous mettions en évidence et jouaient aussi un rôle efficace, on a remarqué que le même sentiment, la colère par exemple, était exprimé par des phonèmes différents selon la nuance particulière que le poète avait en vue soit dans des passages différents, soit au cours d'un même développement, on a remarqué enfin que tel exemple qui avait été cité à pro- pos d'une certaine catégorie de voyelles l'était de nouveau dans un chapitre il n'était question que de consonnes, et l'on a pu en conclure, quand nous ne l'avons pas dit expres- sément, que l'impression produite par l'emploi d'une certaine espèce de phonèmes venait s'ajouter à celle qui était obtenue par le moyen de phonèmes d'une autre nature. C'est que les idées que l'auteur développe sont généralement complexes et demandent par suite pour leur expression l'emploi simultané de procédés divers.

Connaissant la valeur de chaque phonème pris individuel- lement il est facile d'analyser l'effet produit par l'emploi com- biné de phonèmes divers et de déterminer la part qui revient à chacun dans l'effet total. 11 n'y a donc pas lieu de s'étendre ici longuement sur une pareille question, qui est au surplus aussi illimitée que le nombre des nuances possibles d'idées qui peuvent surgir dans l'esprit de l'écrivain. Nous nous bor- nerons donc à quelques indications relatives aux consonnes, dans la mesure elles nous paraîtront propres à servir de fil conducteur dans des cas donnés ou à ajouter quelque chose à ce qui a été établi dans les pages précédentes.

Les labiales et les labio-dentales, p, h, m, /, v, ont ceci de particulier que leur articulation est en partie visible extérieu- rement. Elle exige un mouvement des lèvres qui peut être

312 LES CONSONNES

considéré dans une certaine mesure comme uno:este du visage, et qui rend ces consonnes aptes à exprimer le mépris et le dégoût. Qui a vu les bas-reliefs de Reims se souvient du gon- flement de la lèvre inférieure des vierges sages regardant avec mépris les vierges folles. On pourrait citer bien des passages nos écrivains ont noté ce jeu de physionomie et sa valeur. Celui-ci nous sufïira :

L'ange sans dire un mot regarda le fantôme Fixement, et gonfla sa lèvre avec dédain

{Hugo, Fin de Satan).

C'est un gonflement de ce genre qu'exige la prononciation des mots fî, pouah et autres analogues. L'effet peut être produit par la répétition d'une même labiale ou labio-dentale :

Je ne prends /joint pour juge un peuple téméraire

(Racine, Alhalie).

. . .Pour changer un deux en tyran c'est assez D'une Z)ouche Aavant une ha\e imbécile

(Hugo, L'âne) ;

ou bien Ton peut réunir un choix varié de labiales et de labio- dentales :

Tandis que l'ennemi, par ma fuite trompé, Tenoitayjrès son char un rain/jeu/jle occu/)é

(Racine, Milhridale).

Quoi ! toujours il me manquera Quelqu'un de ce peuple iniAécile !

(La Fontaine, IX, 19);

noter que le mot peuple pris isolément n'a absolument rien de méprisant ; il a suffi au poète d'en relever l'élément labial par le h de imbécile pour rendre tout le vers méprisant.

EXPRESSION DU MÉPRIS 313

A des /jartis /;liis hauts ce />eaii /ils doit /prétendre

(CoRMULLE, Le Cid);

ironie méprisante ; les deux / toniques de partis et pis ajoutent l'acuité.

La créature m'a tout à Iheure insulté. Petit! yoilà le mot qu'a dit cette femelle

(Hugo, Eviradnus).

Tout en vous partageant Tempire d'Alexandre, Von?, avez pewT d'une oniAre etyjeur d'un/jeu de cendre Oh ! rous êtes /petits !

(Hugo, A la Colonne).

Père dénaturé, malheureux yjolitique, Esclai'e am/jitieux d'une yjeur chi7?»érique, Polyeucteest donc mort ! et />ar dos cruautés Vous/jensez conseri'er vos tristes dignités ! La /aveur que /jour lui je yous az'ois offerle. Au lieu de le saurer, pYéc\p\ie sa periel etc.

(Corneille, Polyeucie).

C'est qu'ils ont penv d'aroir l'empereur sur leur tête, Et de roir s'écli/)ser leurs lampions de fêle Au soleil d'Austerlitz !

(Hugo, A la Colonne).

Ce n'est pas même unjui/! C'est un payen immonde, Un renégat, Vopprohve et le reAut du monde, Un /étide apostat, un o7jlique étranger

(Id., Chants du crépuscule).

Mon Dieu, que t'otre esprit est d'un étage /jas ! Que l'ous jouez au monde un petit personnage

(Molière, Femmes savantes).

Clouerons-nous au poteau d'une satire altière Le nom sept fois rendu d'un pkle pampAlétaii-e,

314 LES CONSOiNNES

Qui, poussé par la/aim, du fond de son ou/>li, S'en vient, tout grelottant d'enuie et d'impuissance. Sur le /"ront du génie insulter resjwérance, Et mordre le laurier que son souffle a sali ?

(Musset, Nuit de mai).

Et que nous ne puissions à rien nous divertir, Si ce beau monsieur-là n'y daigne consentir ?

(Molière, Tartuffe).

Daphné, notre l'oisine, et son petit épou\. Ne seroient-ils point ceux qui parlent mal de nous ? Ceux de qui la conduite o^re le plus à rire, Sont toujours sur autrui les premiers à 7?iédire

(Id., ihid.),

ironie méprisante, aiguisée par les voyelles aiguës.

Malgré tout son orgueil, ce monarque si lier

A son trône, à son lit daig'na l'associer.

Sans qu'elle eût d'autres droits au rang d'impératrice

Qu'unpeu d'attraits peut-être et beaucoup d'arti/ice

(Racine, Bajazel).

Prophète de malheur ! /jaAillarde ! dit-on.

Le bel emploi que tu nous donnes !

Il nous /'audroit mille personnes

Pour éplucher tout ce canton

(La Fontaine, I, 8).

. . . .Voudrois-tu qu'à mon âge Je fisse de l'amour le t'il apprentissage? Qu'un cœur qu'ont endurci la /"atigue et les ans Suint d'un vain plaisir les conseils im/jrudents ?

(Racine, Bajazel).

Il peut y avoir dans un vers tout autant de labiales que dans quelques-uns de ceux que nous venons de citer, sans quil devienne pour cela méprisant, si l'idée ne comporte pas cette nuance. Tel ce passage de Molière :

LES SPIRANTES 315

Quoi ! le beau nom de llUe esl un tilre ma sœur, Dont vous voulez quitter la charmante douceur ?

(Molière, Femmes savantes).

Pourtant si raccumulation des labiales est trop considérable elles frappent forcément l'attention et le vers est mauvais quand l'idée qu'il exprime ne s'accommode pas de cette répé- tition :

Humble, rus/i^ue et clos, ou fier du pavillon TriomyjAalement yjeint d'or et de vermillon

(Heredia, Le lit);

le premier hémistiche peindrait parfaitement les gambades d'une chèvre, et le reste le plus dédaigneux mépris.

Les spirantes ont, en tant que spirantes et quel que soit leur point d'articulation, une vertu spéciale ; les différentes espèces peuvent donc être employées simultanément, mais la valeur propre de chacune reste reconnaissable dans l'en- semble :

On marquait d'un fev cAaud le .sein /umant des /emmes

( Hugo) ;

ce vers donne une impression exacte de l'idée qu'il exprime ; il suggère nettement en nous le sentiment de quelque chose qui fume (J) avec un sifflement (s) chuintant (c/ij.

C'est toi, qui chncholant dans le souffle du i^ent

(Musset, JRolla).

Hier le l'ent du soir dont le souffle caresse

Nous apportait l'odeur des /"leurs qui s'ouvrent tard

(Hugo, Contemplations).

Nous sentons, frémissants, dans son théâtre sombre, Passer sur nous le rent de sa houche souciant

[\(\., Ibid.);

316 LES CONSONNES

le premier vers exprime le frissonnement ; le second peint un souffle sourd et lég-èrement chuintant.

Se trouva fort dépourvue Quand la hise fut venue

(^La Fontaine, I, 1),

souffle faisant entendre un sifllement aigu grâce aux voyelles aiguës.

Souciant de ses naseaua; élargis Tair qui /unie

(Heredia, Le ravissement cV Andromède) ;

ce souffle est légèrement chuintant : on voit qu'il suffit d'une chuintante [g] pour donner cette impression.

Notre sou^leur à gage

5e gorge de sapeurs, s'en/le comme un ballon, i^ait un l'acarme de démon,

Siffle, souffle, tempête

(La Fontaine, VI, 3).

Et voit sous les .sillets 5' en/"uir dans la coulisse Cet écuyer de Franconi !

(Hugo, La Reculade).

Le souple de Byron l'ous soule^'ait de terre

(Musset, Lettre à Lamartine).

Et t'oilà que le rent a soufflé, Dieu séi'ère,

Sur la rierge au /ront pur, sur le maître au bras fovl

(Hugo, Contemplations).

Que des souples de l'air de tous le plus léger. Que le doua; lapyx, redoublant son haleine, D'une brise embaumée enfle la yoile pleine Et pousse le na^;i^e au rirage étranger

(Heredia, Pour le vaisseau de Virgile)

EXPRESSION DU FLOTTEMENT 317

La i'oile oui'erle aux i'ents, s enfle et s'agite et /lotte

(Chénier, Dry as).

L'emploi combiné de la liquide / avec les spirantes ajou- tera aux diirérentes nuances de souffle ou de bruissement l'idée de liquidité :

L'hui/e et le p/omb /bndu ruisse/er sur /eurs casques

(Hugo, Burgraves^ I, 2).

Elle ajoutera au souffle quelque chose de mou et pourra par conséquent exprimer le flottement, ou le vol qui est un flotte- ment :

.... /a nuit sur /a pelouse Ba/ance le zéphyr dans son voile odorant

(Musset, Nuit de mai).

J'ai cru qu'une forme voilée Flottait /à-bas sur la forêt

(Id., Ibid.)

D'un vol silencieux, le grand Cheval ailé

(Heredia, Le ravissement d'Andromède).

Tu retournes, suivant le vol vernal des cygnes

(Id., L'esclave).

Nous entendons quelqu'un flotter, un souffle errer, Des robes e//Zeurer notre seuil so/itaire

(Hugo, Contemplations).

Mon ai/e me soulève au souffle du printemps. Le uent va m'emporter, je fais quitter la terre

(Musset, Nuit de mai) ;

le souffle devient de plus en plus fort.

Un/'rais par/'um sortait des touffes dWsphodèle Les souffles de la nuit /bottaient sur Ga/ga/a

(Hugo, Booz endormi).

318 LES CONSONNES

Le poète veut peindre dans ces deux vers les effluves par- fumés qui s'exhalent comme un vent léger et couvrent tout enfin comme une nappe liquide. A ne considérer que les / et les /, le poète commence par une répétition d'/" sans aucun l dans tout le premier vers moins la dernière syllabe : ce sont les souffles embaumés qui s'envolent. Puis il combine l'/avec 1'/, c'est-à-dire le souffle avec la liquidité, combinaison qui pro- duit une impression de fluidité et donne une idée du flotte- ment des parfums amassés comme des nuages. Dans cette com- binaison VI risque d'être un peu étouffé par 1'/"; le poète le relève en l'isolant dans asphodèle, les, la. Enfin ces nuages se fondent en une sorte de nappe fluide ; c'est ce calme d'une eau tranquille que le poète exprime par les deux liquides et le vocalisme uniforme de « Galgala ».

L'emploi combiné des spirantes, surtout de la labio-dentale /■, avec la vibrante r\ donnera l'impression d'un frottement, d'un frôlement, d'un froissement, d'un frémissement, d'un frisson :

i^7*ôled'ua pied crainti/' l'eau //•oide du bassin

(Heredia, Le hain des nymphes).

La viole que frôle encor sa frêle main

(Id., La. belle viole).

Il reconnut Gomère, et /es uents a/izés,

Gon/?ant d'un souffle frais lenr voilure plu>^ ronde

(Id., Les conquérants de l'or);

à l'expression du souffle (s, z, v, f) s'ajoute une idée de liqui- dité (/) et de frémissement (r). LV tout seul ne peut pas expri- mer le frémissement : il faut qu'il soit accompagné cYf et d's.

Et le l'ent, soupirant sous le /"rais sycomore, Allait tout pa//umé de Sodome à Gomorrhe

(Hugo, Le feu du ciel).

EXPRESSION DE LA TRISTESSE 319

L'ouragan libyen Soufflera sur ce sahle sont /es tentes frêles

(Id., Contemplations).

Kt, tandis qu'on pleurait dans les maisons en deuil, L'àpre bi^e souciait sur ces /"ronts sans cercueil

(Id,, Châtiments).

.... la Lombardie Trembla quand elle vit à ton souple d'enfer, Frissonner dans Milan Tarbre aux /euilles de fer

(Id., Burgraves, II, 6).

La /brêt, qui /"remit, pleure sur la bruyère

(Musset, Le saule).

Tout s'y mêle, depuis le chant de l'oiseleur Jusqu'au /"rémissement de la /euille froissée

(Hugo, Chants du crépuscule).

Souvent, jusquà mon cœur qui semble se glacer, Je sens en longs frissons courir son froid baiser!

(Id., Ruy-Blas).

D'une secrète horreur je me sens frissonner

(Racine, Iphigénie).

Et son sillage y laisse un par/*um d'encensoir Avec des sons de finie et des frissons de soie

(Heredia, Le Cydnus).

L'emploi combiné des dentales et particulièrement de l'occlusive sourde t avec la spirante sourde s et un /• quel- conque, donne l'impression d'une sorte d'afTriquée ts^ tr qui reproduit par onomatopée l'explosion interdentale qui pré- cède les sanglots. Cette combinaison est par conséquent propre à peindre la tristesse, la douleur. Le mot triste contient d'ailleurs ces trois éléments et en outre une voyelle aiguë qui en renforce l'expression :

320 LES CONSONNES

N'est-ce poin/ assez de la.nl de tristesse ?

(Musset).

C'est le plus triste jour de tons ; cest aujourd'hui. . .

(Th. G.\uTiER, Après le bal),

renforcement du mot triste.

C'est une dure loi, mais une loi suprême, Vieille comme le monde et la fatalité, Qu'il nous faut du malheur recevoir le baptême, Et qu'à ce triste prix tonl doit être acheté

(Musset, Nuit d'octobre).

La combinaison des occlusives palatales ou vélaires, c, g, avec r, produisant l'onomatopée qui est au commencement des mots craquer, gronder., est propre à exprimer un craque- ment ou un grondement :

Elle fait, sur son flanc qui ploie, Craquer son corset de satin

(Id., Vandaionse).

Et le peuple en /'umeur (/ronde autour du prétoire

(Leconte de Lisle, La Passion).

On vient de voir la combinaison d'une occlusive dentale avec une sifflante et un r exprimer la tristesse et la douleur. Mais les labiales sont encore bien plus aptes que les dentales à exprimer la douleur, car les spirantes labio-dentales repro- duisent par onomatopée les soupirs, et les occlusives labiales reproduisent les sanglots. On obtiendra d'ailleurs encore plus de variété dans l'expression en combinant les deux systèmes ; labiales et dentales, surtout la spirante s; toutes les spirantes peuvent même entrer en jeu : les labio-dentales, les den- tales et aussi les chuintantes. Ces dernières peignent par onomatopée les gémissements, comme dans les mots gémir, geindre :

EXPRKSSION l»K LA DOULEUR 321

. . .et lui dit en pleurunl : l)iAy>en5ez-moi, Je t'ous supplie ; Tous /)/aisirs pour moi sont /perdus. 7'ai/nois un fi\s plu^^ que ma ^'ie : Je n'ai que lui : que dis-/e, hélas! /e ne l'ai plu^ ! On me l'a dérobé, plaigne/, mon in/brtune

(La Fontaine, IX, 1).

Hélas ! il mourra donc. Il n'a pour sa défense Que les pleuv<. de sa mère, et que .son innocente. El peut-être y après tout, en l'état je suis, 5a mort avancera la fin de mes ennuis Je /jrolon^eois pour lui ma i-ie et ma misère ; .W.iis enfin sur ses pas j'irai re/oir son père

(R.\ciNE, Andromaque\

Mon père, au nom du ciel qui connoît ma douleur, Et par tout ce qui peut é/?jout'oir t'otre cœur, RelàcAez-rousun peu des droits de la naissance Va dispensez mes vœux de celte obéissance. Ne me réduisez /joint par celte dure loi, ./usqu'à me /)laindre au ciel de ce que je rous doi ; El cette vie, hélas ! que t'ous m'at-ez donnée, Ne me la rendez pas, mon père, in/br/unée. Si, contre un doua; espoir que /"arois pu /ormer, Tous me défendez d'être à ce quey'ose aimer. Au moins, par vos bontés qu'à t'os (genoux f implore. Sauvez-moi du ^lurment d'être à ce que f abhorre ; Et ne me porte/, /joint à quelque désespo'ir, En i'ûus seri'antsur moi de tout votre pouvo'\r

(Molière, Tartuffe .

Il pleure: lem/jereur pleure de la sou/Trance D'ai'oiryyerduses preux, ses douze/jairs de France

(Hl'go, Ay mer (Ilot).

Quoi, mortes', quoi, déjà, sous la pierre couchées] Quoi ! tant d"ê/res c/iarmants sans re^^ard et sansroix !

M. Grammont. Le vers français.

21

322 LLS CONSONNES

7'anl de flambeaux é/eints ! /ant de //eurs arracAées ! Oh ! lais*ez-moi /buler les /euilles desséchée». Et /n'égarer au /"ond des Aois !

(Id., Orienliiles).

Nous faut-'\\ perdve encore nos /ê<es les /j/us chères, El t-enir en y;/eurant leur fevmev les yjauyji ères

(Musset, A h'i Mali bran).

Et cela /'ait alors que nous /jouî'ons pleurer

(IIuGo, Contemplations) .

Vois, f embrasse ton urne et ye te ^arle en rain. J/es soupirs et les pleurs d'une /)au/>ière aimée yie peuvent réchauffer la cendre inani7??ée.

Por/es d'en/er, cessez de me le re/enir I

O dieux ! t/i'eux de la A?iort ennemis des é/)ou.ves, Que vous at'ais-je /ait ? A /)eineé<ais-/e à lui ! Trois mois coulaient à peine ! 0 solidaire ennui ! 0 tombe, ourre /es bras à la reure expirante '. Eh ! /puisqu'il ne vii plus, commenl suis-je invante ?

(Chénier, Clytie).

Remarquer dans les [jaroles de Monime [Mithridafe, acte II, 6) (jue la note des soupirs et des sanf^Iots apparaît chaque fois qu'elle s'abandonne à exprimer ses sentiments et disparaît chaque fois qu'elle réfléchit et parle de ce que sa situation 1 oblige à dire :

Oui, Prince, il n'est /j/us /enips de le (/i.^.viniuler :

.1/a (/ouleur, pour se taire, a /rop de ciolence.

[Un rigoureux devoir me condamne au silence;]

Mais il /"aul bien en/"in, malgré ses dures lois,]

Parler pour la première et la ^/ernière /'ois.

[Vous m'aimez dès longtemps^. Une égale tendresse

Pour ^'ous depuis long/emps, m'afflige et m'intéresse

toute la scène supporte une étude de ce genre.

k

FAWKKSSION DE ÎA DOIJLRÙR 323

./'en ai /ait pémfence ; et, le genou p/ié, y'ai i'ingt ans au désert pleuré, </énii, prié

(Hifio, Biirf/r.ives, 11,6).

Non, non. Je le dé/ends, Céph'ise de me .suii're. Je confie à /es .soins mon unique trésor : Si lu t'it'ois pour moi, l'is/jour le /"ils d'Hector. •Songea combien de rois /u deviens nécessaire, De Vespoïr des Troyens seule dépositaire, Teille auprès de Pyrrhus : /"ais-lui garder sa foi. .S'il le /aut, Je consens qu'on lui /jarle de moi. Fais-lui valoir l'hymen Je me suis rangée ; Dis-lui qu'arant ma mort ^e lui fus engagée ; Que ses re.^sentiments doii'en/ être effacés ; Qu'en lui laissant mon /ils c'est l'es/imer assez. Fais connoî/re à mon /ils les héros de sa race ; Au/ant que tu /courras, conduis-le sur leur Iruce : Dis-lui pur quels e.rp/oits leurs noms ont écla/é, Plutàl ce qu'ils ont /"ait, que ce qu'ils ont été ; /^arle-lui tous les y'ours des vertus de son père. Et quelque/ois aussi /jarle-lui de sa mère

(Racine, Andromaque, IV, 1).

Phaedime, si Je puis. Je ne le verrai plus. .1/algré tous les e/Torts que Je /^ourrois me /aire, ,/e ^"errois ses douleurs. Je ne /jourrois me /aire

(Id., Mithridale).

Je /^assois jusqu'aux lieux l'on garde mon /"ils. Puisqu'une /"oisle/our cous souffre?, que /et'oie Le seul bien qui me reste et t/'Hec/or et f/e Troie, ./ allois, Seigneur, pleurer un moment avec lui : ./e ne l'ai /x>int encore embrassé (/'au/ourt/'hui

(Id., Andromaque I.

./amais /"emme ne fui plus cVigne de pitié

(Id., Phèdre).

Et si 3/onime en pleurs ne cous />eu/ émoucoir. Si ^enai plus pour moi que //ion seul désespoir,

324 LES ^.o^soiNNEs

Au p\ed du même au/el je suis- a//enclue. Seigneur, t'ous me ferrez, à moi-//ïè/?je rendue, Percer ce triste cœur qu'on l'eut tyranniser, Et dont /amais encore je n'ai pu disposer

(Id., Mithridate),

Peut-être, ô mon en/ant, seul, sans nom, sans patrie, Gémis-tu, vaga/jond, pav la/j/uie et le l'ent, Sur la ferre Z?ar/)are ou sur le flot mouvant ; Ou,/)our <ou/ours, le long des trois Fleuves funèbres, Chère àme, ha/>i/es-/u les mue//es ténèbres, /"andis qu'un />/usheureux qui n'est pas de mon s.uiy, Prend ton sceptre et ./ouit du Jour é/j/ouissant I

(Leconte de Lisle, U Apollonide) .

Hélas ! on ne craint point qu'il cenge un jour son père ;

On craint qu'il n'essuyât les larmes de sa mère.

H m'auroit /enu lieu d'un père et d'un époux ;

Mais il me /aut toui perdre, et /ou/ours par l'OS coups

(Racine, Amlromaque).

Les labiales et labio-dentales peuvent aussi ajouter et com- muniquer aux spirantes la note méprisante qui leur est propre :

Prosternez-îJOus derant l'assassin tout-puissant, Et lécAez-lui les pieds pour effacer le sang-

(Hugo, Les Châtiments).

On reverra utilement à ce point de vue les exemples cités aux p. 304 et suivantes^

IV

L HIATUS

D'après la règle classique Vhiatus ou rencontre de deux voyelles quelconques est interdit entre deux mots dans l'in- térieur d'un vers, à moins que les deux voyelles ne soient séparées par un e féminin qui s'élide ou par une consonne quelconque qui ne se prononce pas. Cette règle n'est qu un tissu de contradictions. Du moment qu une consonne n'a pas besoin de se prononcer pour empêcher l'hiatus, c'est que la règle est faite pour les yeux ; c'est dire qu'il ne faut pas que deux voyelles se rencontrent sur le papier. A ce taux il y aurait deux hiatus dans le vers suivant :

Je viens selon l'usage antique et solennel.

ce qui est absurde.

Si nous voulons comprendre quelque chose à la question il est indispensable que nous remontions à la cause qui a déter- miné la proscription de l'hiatus. C'est, comme caacun sait, le désir d'éviter la suite de deux sons dont la rencontre eût pro- duit un effet désagréable sur l oreille. Il s'agit donc de pro- nonciation, non d'orthographe. On a proscrit la rencontre de deux voyelles prononcées. Il n'y a donc pas d'hiatus dans

l'usage antique

puisque le n'est pas prononcé. On en a conclu par une géné- ralisation imprudente que toutes les fois qu'un e était élidé devant une voyelle initiale il n'y avait pas d'hiatus, et que par conséquent il n'y en avait pas dans

la journée était belle.

326 LHIATLS

C est une fausse analogie. Du moment que le est élidé, il n'existe plus et les deux e sont en contact. Il y a donc hiatus. 11 faut ajouter qu'aujourd'hui dans la prononciation proprement française il n'y a pas la moindre différence entre

.Jai vu ma mère immolée à mes yeux et

Jai vu mon père immole à mes yeux.

Ce vers de Racine :

Seiy^ncur, vous m'avez vue rdlachee à vous nuire

ne perdrait absolument rien de sa beauté et se prononcerait exactement de la même manière s'il était au masculin :

Seigneur, vous m'avez vu attache à vous nuire.

Or, comme nous lavons mainte fois expliqué dans cet ouvrage et comme M. Saint-Saëns le proclame avec raison dans son Harmonie et Mélodie : « Les vers ne sont certaine- ment pas faits pour être lus seulement des yeux, en silence ; ils sont faits pour être dits ».

Quant aux consonnes que 1 on écrit bien qu on ne les pro- nonce pas, la plupart ont été prononcées à une époque plus ou moins ancienne ; ainsi on a prononcé la hache avec un h aspiré ; mais aujourd'hui 17? dit aspiré ne se prononce pas plus que celui du mot homme ^ qui ne s'est jamais prononcé. L .s final du mot souris s'est prononcé au Moyen Age ; on a dit la souris est prise en prononçant ïs ; mais Chifllet nous apprend qu'au xvii^ siècle il n'était déjà prononcé devant aucune voyelle. Dès le jour une consonne a cessé d'être pronon- cée elle a cessé d'empêcher la rencontre des deux voyelles qu'elle séparait et l'hiatus s'est produit. Pour ne pas faire l'histoire de la prononciation du français, nous ne nous occu- perons guère que de la prononciation actuelle et nous

CONSO>NF.S >0> t'RO>ONCÉES 'J'* '

devrons reconnaître quaucun A, quel qu'U soit, ne peut empêcher l'hiatus et que si la poésie doit éviter :

le roi en ril elle ne saurait tolérer ;

La chanson de ma mie et du bon mi Henri

(Musset) ;

que toute voyelle nasale non suivie d un n qui se prononce iait hiatus devant une autre voyelle :

un chem/n ùilerdit ;

enfin que toute vovelle suivie dune consonne qui ne se pro- nonce pas est exakement dans les mêmes conditions qu une vovelle finale. Il en résulte que les poètes qui ont ecnt nud de;ant voyelle n'ont pas supprimé Ihiatus et n ont ete que ridicules :

Cest hideux ! Satan nud et ses ailes roussies

(Hlgoj.

En outre, si la rencontre de deux voyelles est désagréable et doit être évitée entre deux mots, le même concours de voyelles produisant le même elîet à lintérieur d un mot doit fai;e rejeter de notre versification tous les mots dans lesquels il V a contact immédiat entre deux voyelles qui se prononcent. Pourtant les poètes semblent plutôt rechercher les mots de ce ^enre que de les fuir. Il y a entre ce fait et la règle de 1 hiatus une contradiction qui na pas échappé à certains critiques : « Quoi de plus doux que les mots camélia, miette, suave, fluide, ébloui, joyeux ? Ces mariages de voyelles dans le sein des mots ne donnent-ils pas lieu à de charmantes harmonies Qu'on m'explique donc alors comment, dès que les mots son séparés, ces rencontres deviennent cacophoniques, surtout

328 l'hiatus

lorsqa'en réalité, dans le débit, il y a très peu de séparations de mots absolues, et que le cours de la diction unit les termes les uns aux autres presque aussi étroitement que les syl- labes entr'elles » (E. Legouvé). D'Alembert avait déclaré auparavant cette proscription de Ihiatus assez bizarre « parce qu il y a une grande quantité de mots au milieu desquels il y a concours de deux voyelles, et qu'il faudrait donc aussi par la même raison interdire à la poésie ». Becq de Fouquières dis- tingue entre les cas, p. 290 et suiv. Il pense que l'on ne peut tolérer l'hiatus entre deux voyelles dont la première est tonique, parce que l'accent tonique allonge la voyelle qu'il frappe et qu'une voyelle tend à abréger une autre voyelle qui la précède immédiatement. C'est une erreur étayée de deux autres erreurs. Que l'hiatus est tolérable et même parfois agréable entre deux voyelles dont la première est tonique, la suite de cette étude va le montrer surabondamment. L'm du mot nu est aussi bref que possible même quand ce mot porte un accent rythmique. Une voyelle longue en hiatus s'abrège en grec, mais non pas en français ; dans l'écrou est tombé, Vou est aussi long que dans lécrou va tomber. Il est bon de ne pas attribuer à une langue la phonétique d'une autre ; encore faut-il noter qu'en grec il n'y a que dans les anapestiques qu'une voyelle longue en hiatus s'abrège lorsqu'elle porte le temps marqué. Il y a d'ail- leurs dans le chapitre de Becq de Fouquières sur l'hiatus quelques remarques excellentes, mais les principes sont faux.

Voici quelques exemples qui montreront par leur simple rapprochement que la rencontre de deux voyelles n'est nul- lement plus désagréable entre deux mots que dans l'intérieur d'un même mot.

La première voyelle est i :

Que la Grèce eût jeté sur l'autel de Drane

(Musset, Rollà).

Fit au ruisseau céleste uu lit de diamant

(In., Une bonne fortune).

i SUIVI DINE AUTRE VOYELLE 329

0 vent donc, puisque vent y h

(La Fontaine, IX, 7).

L n cheval ellaré qu; fiennii dans les cieux

(Hugo, Chà/imenls) ;

(ne pas oublier que hennit se prononce ani).

Au milieu des sanj;lots d'une insomn/e ^îmère

i Musset, Rolla].

L/onie est divine : heureux tout fils d'Homère

(Sainte-Beuve).

Avec des cris stridents plut une plu/e /horrible

'^Heredia, Sfyniphale).

Sur sa lèvre entrouverte oubha«t sa prière

(Musset, Nuit de mai).

Le scandale est de mode ; il se rehe en veau

Id., Une bonne forlune).

Inquiétait parfois ma course ou mon sommeil

(Heredia, Nessiis).

Reg^arde ; elle a prié ce soir en s'endormant

(Musset, Holla).

La souris étoit fort froissée

(La Fontaine, IX, 7j ;

« Vs ne se lie pas, ce que au xvii'" siècle note ChifTIet » (Littré).

Que les monts de Phrygte épanchent vers la plaine

(Heredia, Marsysis).

330 LÎIIATLS

la Pléiade avec Sir/us se confond

fHuGo)

J'entends les'chiens sacrés qui Awrlent sur ma trace

(Heredia, La maf/icienne).

Les tigres ont rompu leurs jouj^s et, m/aulant

(1d., BHcchnnale).

Vous, avec vos pensers qui hnus^eni votre front

(Hlgo, Feuilles d'automne).

Et flairent dans la nuit une odeur de Mon

(Heredia, Fuite de centaures).

De miel et d"ambrois/e oui doré cette histoire

{Musset, ine bonne fortune).

Que ce lien de fer que la nature a mis

(Id., Namouna).

Se ralhe fnquiet autour du père seul

{Hugo, Feuilles d'automne).

2" La première voyelle est ii :

L'auditoire étoit sourd aussi bien que muet

(La Fontaine, X, 11).

. . . Ah ! folle que tu es !

(Musset, Namouna).

Un chat-hwant s'en vint votre tils enlever

(La Fontaine, IX, 1).

La tortwe enlevée, on s'étonne partout

(Id., X, 3).

srivi d'ine autre voyelle 331

Car ton canir veut ;;oùler cette douceur cruelle

(Hereuia, Arfemifi).

Sentaut à sa chair nue errer lardent effluve

(h)., Le lepidariiiin).

Entin. le Soleil vil, à travers ces nuées

(Id., Stymphale).

A l'appel du //éros senlevant dun seul bond

Id., Persée el Andromède).

Oh 1 lalFreux sujcide 1 oh ! si javais des ailes

(Musset, Bolla).

Et sa bouche éperdue, iwe enfin d'ambroisie

(Heredl\, Ariane!.

Fit un jour sur sa cruauté

La Fontaine, X, 6i

Tomba, dit-on, jadis, du hmil du lirmament

(Musset, Ine bonne fortune .

bien 1 dit le bramin au nue7ge volant

(La Fontaine, IX, 7 .

Flairent un san^ plus rouge à travers Tor du haie

(Heredl\, Bacchanale).

Nue. allongée au dos dun grand tigre, la Reine

flo., Ariane).

Mais certains prétendent que lorsque la première des deux voyelles est un i ou un ii 1 hiatus peut être permis à cause de la nature même de ces voyelles qui sont très voisines des semi-voyelles, cest-à-dire des consonnes. La raison est évi- demment mauvaise puisque dans les cas considérés 1/ et 1 ii

332 l'hiatus

sont purement voyelles ; nous allons voir d'ailleurs que l'étude des autres voyelles donne pour le phénomène en ques- tion des résultats analogues : La première voyelle est a :

Avant tout, le Chaos enveloppait les mondes

(Id., La naissance d'Aphrodite).

C'est le peuple qui vient 1 c'est \a hau[e marée

(HiGo, Feuilles d' automne).

La fille de Minos et de Pasiphae

(Racine).

On le voit çà et bondir et disparaître

(Musset, Une bonne fortune).

L'œil était dans la tombe et regardait Gain

(Hugo).

Les cinq Emirs vêtus de soie ?ncarnadine

(Heheduv, Le triomphe du Cid).

Comme le roi Saûl lorsqu'apparut David

(Hugo).

Au mâle rugissant \a /iwrlante femelle

(Hereduv, Bacchanale).

Et de ressusciter la naivs, romance

(Musset, Nuit de mai).

Vous n'avez pas voulu qu'il eût la certitude Ni la jote îci-bas !

(Hugo, Contemplations).

En hiver Ispahan et Titlis en été

(Hugo).

P SUIVI DUNE AITRI'. VOYFXI.E 333

Le boulon colossal qui ("ail ployer sa hampe

(Heredia, Fleur séculaire).

La première voyelle est e :

Dérfiant le pauvre sire

(La Fontaine, IX, 15i.

La fumée y pourvut, ainsi que les bassets

(Id,, IX, lii.

Mon voisin léopard Ta sur soi seulement

(Id., IX, 3).

Balayer j'en réponds ! ces hordes devant vous

(Hi'Go, Burgraves).

Mon père vieux soldat, ma mère vendéenne

(Id., Feuilles d'automne).

La flûte aux accords champêtres Ne réjouit plus \es hêtres

(Lamartine, Pensée des nwrls .

Pourquoi moi-même à toi j'ose m'y réunir

(Hugo, Burgraves).

Et le glaive d'Enée eût épargné Didon

(A. Chénier, Elégies).

L'Océan était vide et la plage déserte

(Musset, Nuit de mai).

Que la ville étagée en long amphithéâtre

(Hugo, Feuilles d'automne).

A cheval et à pied en bataille rangée

(Desportks) ;

334 LttlATUS

Malherbe remarque avec raison que l'hiatus n'est pas empê- ché par la consonne puisqu'elle ne se prononce pas.

A rendre la brebis agréflble au bélier

iHi-REDiA. A Hermès cn'ophore).

Où, parfois, se débat et hennii un cheval

(Id., Le Thermodon).

Et qui, fermée /* peine aux regards étrangers

(Hlgo, Feuilles iCautomne).

Et lutte de clarté avec le météore

(Vigny, Eloa.

Chronos est prisonnier ; Géo tremble asservie

Voyoit sans s'étonner notre arnit^e riutour d'elle

(Racine, Bajazel]

Ils voient, irradiant du Béh'er au N'erseau

(Heredia, Le ravissement d'Andromède) ;

« Vr ne se lie jamais » (Littré).

^"oilà d'abord Le cerf donné aux chiens. J'appuie et sonne fort

(Molière).

Argos et Ptéléon, ville des hécatombes

(Musset).

La tortue enlevée, on s'étonne partout

(La Fontaine. X. 3).

U sriVl ij'lM-; ALTRK VOVKLI.t; 335

.*)" La première voyelle est u {ou :

11 {roua l'effrayant plaloiul torrentiel

[ H i GO . Supréma lie) .

Je pensai tout à coup à faire une conquête

(Ml'sset, f'ne bonne fortune) ;

(( \e p ne se lie pas » (Littré).

Sur les corps eonvulsil's les fauves ébloujs

(Hehedia, Bacchanale).

Mainte roue y tient lieu de tout l'esprit du monde

(La Fontaine, X, 1).

Secoue vers le seuil les longs manteaux sanglants

Heredia, La magicienne).

Le printemps sur la joue et le ciel dans le cœur

(Musset, Une bonne fortune).

En secouant leurs becs sur leurs goitres hideux

(Id., Nuit de mai).

Peindrons-nous une vierge à la joue empourprée

(Id., Ihid.).

Ktait duc de Souflbe et comte chef de guerre

(Hugo, Burgraves).

Le vieux Parmis les \oue h l'immortelle Rhée

Heredia, Le laboureur).

Ces exemples suffisent. On pourrait les multiplier à l'infini, mais ce serait sans utilité ; ceux que nous avons donnés valent pour ceux que nous avons omis. Ce que nous venons

33fi l'h[atus

d'établir pour a convient évidemment à toutes les voyelles éclatantes, ce qui est vrai de é l'est aussi de toutes les voyelles claires, ce qui s'applique à u peut être démontré pour toute voyelle sombre. Et quand nous disons toutes les voyelles éclatantes, toutes les voyelles claires, toutes les voyelles sombres, il ne faut pas oublier d'y comprendre les voyelles nasales :

L'Océa/ijetail vide et la plage déserte

(Mi'ssET, Nuif de mai).

Du goujon ! c'est bien le dîner d'un héron

(La Fontaine. VU. 4).

Leur prêta son grand sein aux mamelles fécondes

(Heredia, La naissance d Aphrodite).

\'oit un pigeo/J t'n/près : cela lui donne envie

(La Fontaine. IX, 2).

Ce qu'il est particulièrement important de remarquer ici, c'est que parmi tous les exemples que nous venons de citer il n'y en a pas un seul qui présente un hiatus désagréable. Plu- sieurs au contraire sont délicieux et quelques-uns même ont été souvent signalés comme tels. Notre règle se trouve donc en défaut encore sur ce point, si bien qu'il n'en reste rien, puisqu'elle avait pour but d'écarter des rencontres de sons disgracieuses et qu'elle en repousse de charmantes. Au xvi® siècle l'hiatus était permis sans restriction ; en voici quelques exemples irréprochables :

Tu en pourras dicter \oy ou epistre

(Marot).

Vous qui avez pour moi souffert peine et mjure, Qui à ma seiche soif et à mon aspre faim Donnastes de bon cœur votre eau et votre pain

(A. d'Albigné).

HIATUS Al- XVI'" SIÈCLE 337

/<lle7.-\ous, lilles du ciel ?

Q[ii ose a peu souvent la fortune contraire

Ronsard i

(Régmek

Désirerai-je un règne ou un empire?

Pour du loyer quelque beau iai écrire

Ne sais si Dieu les voudr^? employer

Amende-lo/, ô règne transitoire

(Maroï, Ballades .

Tu es des vieux et jeunes adorée

^'iens donc ic/, û source de tous biens

\'iens, fusses-tz; aux champs Élysiens

(II)., Cantique à la déesse Sanlé).

Qu'en voyant sa grâce niaise,

On n'étoit pas moins g-ai ni aise

Aussi en riant on le pleure, El en pleurant on rit à Theure

(Id., Épilaphe de Jean Serre

Il demeure en dang'er que lame, qui est née Pour ne mourir jamais, meure éternellement

La Garde, tes doctes écrits Montrent les soins que tu as pris

(Maijierbe)

:1d.

Mais souvent les poètes de cette époque usèrent maladroi- tement de cette licence. C'est pourquoi le xvii*" siècle pros- crivit l'hiatus en bloc ; c'était un autre excès. D'aucuns ont réagi plus ou moins timidement et toujours sans principe net- tement arrêté. Ne serait-il pas possible de formuler une règle précise qui conciliât tout, sauveg-ardant les hiatus agréables et maintenant le principe excellent qui a suscité la règle du M. Ghammùnt. Le vers français. 22

338 LHIATIS

XVII*' siècle et qui consiste à écarter les concours de sons désagréables ? C'est extrêmement facile si Ion part de la nature des sons qui entrent en jeu. Les hiatus agréables sont ceux qui présentent une modulation, les hiatus disgracieux sont ceux qui n'ont pas de modulation. Les hiatus ont une modula- tion quand les deux voyelles en contact ne se prononcent pas avec la même ouverture buccale, quand la première est plus fermée que la seconde ou au contraire plus ouverte ; les hiatus produisent l'effet d'un bégaiement, d'un ànonnement ou d'un bâillement quand les deux voyelles se prononcent avec la même ouverture buccale, pari hiatii^ selon l'expression de Quintilien, et ont le même point d'articulation, c'est-à-dire quand les deux voyelles sont la même répétée. Ces derniers seulement sont à éviter, mais aussi bien dans la prose que dans les vers ; c'est le type

il va à Avignon.

Kn voici des exemples :

Il est bien doux d'avoir dans sa vie /nnocente

(Ghkmer, Elégies) ;

Ne peut laisser son nzV/, y fait maint cl maint tour

(Desportes) ;

Malherbe note déjà que la consonne ne se prononce pas et par suite n'empêche pas l'hiatus.

Elle s'en attribue uniquement la gloire

(La Fontaine, VII, 9).

Mon âme est devenue une prison sonoi^e

(Heredia, La cuiique).

Dona Anna pleurait. Ils auraient bien un an

(Th. Gautier, AlherlAis).

(en

HIATl'S |{LA:\IAIîl,f:S '''''^

Et le glaive a tranché le lil tle s;« fun-aiv^ne

[Ueredix, Lu revanche (le niefi» Ln.i/nez).

.\'ulcain, le Dieu cagneux. Les emplo/f h sa lorge, a confiance en eux

(Huoo, Les lemjj.s puniques).

\:i)céan en créant Cypris voulut sabsoudre

(Id., Archdoque).

Dune coque de noix jai fait un abri sûr Pour un beau scarabée élincelant d'azur

(Chénier, Pannychisj.

Don Rodrigue est à la chasse Sans épée el sans cuirasse

(Hugo, Orienfales);

français proprement dit Ve du mot et est fermé).

El le soir, tout au fond de la vallée étroite

^Id., \'oix intérieures ).

Chaumière du foyer étincelait la flamme

(Lamartine, MiUy);

« !"/• ne se lie jamais » (Littré).

Son cimier /léraldique est ceint de feuilles d'ache

(Heredia, Les conquérants de l or) ;

(( Vr ne se lie pas » (Littré).

Calme, il forçait Vessaim divisible et hideux , ^^ ^ ^

(Hlgo, Fin de Satan).

VA que. suivant toujours le chemin mconnu

(Heredia, Les conquérants de l or).

340

L UrATLS

Le ciel n'est point pour l'homme un témo/« tmportun

(HiGo. Chaulieu).

Le temple est en ruine au haul du promontoire

(Heredia, L'oubli].

Depui? l'ndymion, on sait ce quelle vaut

(Musset, Une honne fortune .

Nous avons vu tout h l'heure que les hiatus qui ne sont pas désagréables ne le sont pas plus entre deux mots que dans l'intérieur d un même mot. La proposition contraire est éga- lement vraie : un hiatus qui est désagréable entre deux mots ne l'est pas moins dans l'intérieur d'un mot :

A tout être créé possédant équipage

Mlsset, i ne bonne fortune .

Il fut tout étonné d'ouïr cette co/iorte

La Fontaine. X. H .

c'est la loi féroce et dure: ici Baal

Hlgoj.

La blanche ( )loossone à la blanche Camyre '

Misset).

Voici ton heure, ô roi de Sennaar, ô chef

Leconte de Lisle. L'oasis,.

Les mots de ce genre sont ou des mots français d'origine savante comme créer, cohorte, ou des mots étrangers. Tous sont contraires au génie propre et populaire de notre langue. Cer- tains poètes recherchent les noms propres de ce genre à cause de leur étrangeté. C'est simplement de leur part un manque de

l. Il est curieux que le vers de Chénier dont celui-ci est un ressou- venir présente aussi un hiatus blâmable :

La blanche Galalee et la blanche Néère.

HlATl.S FAISANT ONOMATOPÉE 311

g^oùt. L'etVet bizarre ({ue ces mots produisent sui- notre oreille ne suffit pas pour leur donner droit de naturalisation dans la poésie française.

Donc il n'y a d'hiatus à éviter que 1 hiatus proprement dit. celui qui a lieu entre deux voyelles de même ouverture buc- cale, entre la même voyelle répétée deux fois.

11 en est de cette interdiction comme de la plupart des règles de la poésie : le poète a le droit de les violer en vue d'un certain etïet à produire.

L'hiatus peut faire onomatopée, peignant un bruit qui s'in- terrompt pour se reproduire, ou simplement se prolonge, telle hennissement d'un cheval :

. . .l'a fait à son retour punir Pour avoir entendu Babieça Aennir

{Hlgo, Le Cid exilé).

Dans l'exemple suivant :

.\ ces mots on cria havo sur le baudet

La Fontaine. VII, 1),

c est l'onomatopée que nous donnent les deux dernières syllabes du mot brouhaha.

Ce sont des bruits éclatants en a, en voici un clair en é :

Lii nuée éclate I La flamme écarlate Déchire ses flancs. . .

(Hugo, Le feu du ciel);

puis un autre en a" :

Doù vient qu'à Ihorizo» on entend ce j^rand bruit

(Id., Feuilles d'automne).

L hiatus peut encore exprimer un choc, une saccade, un mouvement répété et saccadé ou simplement prolongé (suivant

342 LHIATL'S

que l'hiatus ressemble plutôt à un bég-aiement ou à un bâille- ment) :

Puis malgré quelques Aeurts et quelques mauvais pas

(La Fontaine, X, 1).

Quand un poing monstrueux, de l'ombre oîi l'horreur flotte Sort, tenant aux cheveux la tête de Charlotte Pâle du coup de hache et rouge du soufflet, C'est la foule ; et ceci me heiirle et me déplaît

(Hugo, Année terrible].

Après bien du travail le coche arrive au haut

(La Fontaine, VII, 9);

nous avons critiqué plus haut l'hiatus de cette expression « au haut » ; il semble qu'ici elle donne bien l'impression du der- nier efFort de l'attelage et de l'arrêt qui le suit.

Et pendant qu'il parlait, à son bras Aasardeux La grande Durandal brillait toute joyeuse

(Hugo, Le petit roi de Galice),

mouvement prolongé.

El bondis à travers la /jaletante orgie

(Heredia, Arlémis).

Le désir me harcèle et /lérisse mes crins

(Id., Nessus),

frisson du désir.

Le bourreau vient, la foule eifarëe écoutait

(Hugo, Le marquis Fabrice),

état haletant de la foule.

Qu'une femme pour vous s'est tachée et honnie

(Musset, Le& marrons de feu) ;

HIATUS EXPRESSIFS 343

on peut considérer que l'hiatus peint ici le hoquet de la colère.

La balance inclinant son bass/n incertain.

Lamartine, L'infini dans les deux),

hésitation du plateau.

Enfin l'hiatus exprime bien toute espèce d'arrêt ou de pro- longement au sens le plus général de ces idées :

Là, le bruit de lorg/e ; /ci, le bruit des fers

Hugo, Burgraves) ;

séparation des deux idées pour marquer leur opposition. Après avoir exposé tous les supplices infligés aux géants. Hugo dit :

Et Prométhee '. //élas '. quels bandit? que ces dieux '.

[ÏD.f Le Tilan :

il V a une sorte d'arrêt équivalant à des points de suspen- sion.

Il s'écr/e. 71 a vu la terreur de Némée

(Heredl\, yéméc) ;

Ihiatus prolonge le cri et peint l'état haletant de la peur.

La houle >'enne

Ht déferle. Lui crie. 71 hennit, et sa queue

Id., Le bain :

les deux cris se succèdent, s'opposent et se correspondent.

L'entraîne, et quand sa i)ouehe. ouverte avec effort. Crie. i\ v plonge ensemble et la tlamme et la mort

^Ché.mer ;

l'hiatus prolonge la note déjà si intense de crie et marque l'opposition des deux actions.

344 L HIATUS

Vous savez, en été, comme on sennujc ici

(Musset, (ne bonne fortune);

lennui fait trouver le temps long ; c'est cette idée qu'exprime le prolongement à l'hiatus.

Aux yeux de 1 Allema};ne en proie à leur fureur

(IIlgo, Burfiraves);

l'hiatus marque le déploiement de leur fureur.

Si grands que soient les rois, les pharaons, les mages Qu'enloure une nuée éternelle d'hommages

I lu., Zim-Zizimi);

expression de l'immensité.

Regarde, avec l'Org/e /mniense quil entraine

(Heredi.\, Ariane).

... la mer ... Verdo/e à linfini comme un immense pré

(Id., Floridum mare).

Or, de Jérusalem, Salomon mit l'arche.

Pour gagner Béthante, i\ faut trois jours de marche

(Hlgo, Le Christ et le tombeau) ;

arrêt et prolongement qui suscite l'idée de la distance à par- courir.

Note sur les faux cas d'hiatus.

On se demande dans tous les manuels si l'on doit élider un c muet devant le mot oui ou au contraire le laisser en hiatus devant ce mot et le compter pour une syllabe. La question est tellement simple qu'il est vraiment étrange qu'elle n'ait

LE MOT « OUI » 34o

pas été résolue par tout le monde. Le mot oui est en réalité ?/•/ : il commence par une consonne, celle qu'on appelle le ic anglais. Par conséquent aucune voyelle ne peut sélider sur son initiale ni être en hiatus avec elle. Il n'y a pas plus d'hiatus dans le ou/ que dans le non. La prononciation que nous venons d'indiquer était déjà celle du xvii'' siècle comme le prouvent les exemples suivants, et elle remonte à l'époque ce mot est devenu monosyllabique :

quoii me vienne aujourd'hui

Demander : « Aimez-vous? » Je répondrai que oui

(L.\ Fontaine, Clymène).

Quoi 1 de ma lille ? Oui : Clitandre en est ch;irnié

(MoLn-:RE. Femmes savantes).

Moi, ma mère? Oui, vous. Faites la sotte un peu

(Id., Ibid.}.

Eh? c'est-à-dire oui? Jaloux à faire rire?

(Id., Ecole des femmes:.

Molière a quelquefois élidéun e devant ce mot; mais ce nest chez lui qu'un archaïsme conforme à lusag-e qui s'était établi alors que le mot était dissyllabe :

Toi. mon maître? Oui. coquin ! m'oses-lu méconnoître ?

(Id., Amphitryon).

Tu te dis Sosie I Oui. Quelque conte frivole

Id., Ihid.].

C'est vous, seigneur Arnolphe ? Oui. mais vous...?

C'est Horace (Id., Ecole des femmes).

Chez les poètes modernes cet archaïsme n'est plus excusable : ils se sont laissé tromper par lorthographe dans ce cas comme dans tant d'autres :

346 l'hiatus

Je voudrais à mon tour le dire, s'il te plaît,

Deux mots. A Tépée ? Oui. Veux-tu le pistolet?

(Hugo, Marion de Lornie).

Montfleury entre en scène? Oui, c'est lui qui commence

(E. Rostand, Cyrano).

Il n'y a pas non plus d'hiatus dans les exemples tels que le suivant :

Lui dit : Ce sont ici Ateroglyphes tout purs

(La Fontaine, IX, 8).

Le mot « hiéroglyphe » commence non par un / mais par un yod; Vh n'est pas aspiré : on dit déz-yérogUf.

V

LA RIME

La rime est comme l'hiatus un des chapitres sur lesquels on a le plus écrit et un de ceux sur lesquels on a publié le plus d'erreurs. Quelques-unes font autorité et ont passé dans l'usag-e courant.

En somme tout ce qui concerne la rime peut se ramener à quelques points ; nous résumerons en les précisant et en les rectifiant ceux que l'on traite généralement dans les manuels et nous y ajouterons nos observations personnelles :

1^ Il faut rimer pour l'oreille et non pour l'œil. Lancelot disait déjà au milieu du xvii'" siècle : « La rime n'est pas autre chose qu'un même son à la fin des mots : je dis même son et non pas mêmes lettres. Car la rime n'étant que pour l'oreille et non pour les yeux, on n'y regarde que le son et non l'écri- ture : ainsi constans et temps riment très bien ». Personne ne saurait plus aujourd'hui contester ce principe. L'idée de rimer pour les yeux, a dit un critique (Clair Tisseur, Observations sur Vart de versifier, p. 4), n'est pas moins plaisante que ne serait celle de peindre pour le nez.

2*' La première condition pour que deux mots puissent rimer ensemble, c'est que leurs voyelles toniqvies soient homophones, soient la même voyelle : l'exemple des grands poètes, auquel certains croient devoir se ranger dans les cas qui leur paraissent douteux, n'est souvent qu'un exemple d'erreur et ne saurait faire autorité. Ainsi les vers suivants ne riment pas parce que les voyelles placées à la rime n'ont pas le même timbre, l'une étant ouverte et l'autre fermée :

Ce pelit-lils tyran, ce grand-père opprime! Comme janvier cherchait à plaire au mois de mai

(HiGo, Petit Paul).

348 LA RIME

C'est la musique éparse au fond du mois de mai

Qui t'ail que l'un dit : J'aime, et l'autre, hélas : J'ai/naj

(Id., L'art d'être (frand- père).

Terre de la pairie, ô sol trois fois sacré.

Parlez tous ! Soyez tous témoins que je dis \rai

(Leconte de Lisle, Les Erinni/es).

Si bien qu'on croit entendre en sa voix claire et gaie Sonner allègrement les sequins de la paie

(Hugo, Légende des siècles).

Il s'était si crûment dans les excès plour/é Qu'il était dénoncé par la caille el le f/eai

^1d., Le satyre).

Quoi ! je vais donc mourir 1 0 Dieu, vers qui je vais, Je pardonne à tous ceux qui m'ont été maur^f*-

(Id., Le roi s'amuse) ;

la prononciation Je existe en français, mais la seule courante et bonne est je vé. Il faut noter d'ailleurs d une manière géné- rale que plusieurs des rimes condamnées ici reposent sur des prononciations dialectales.

Lorsqu il eut bien fait voir l'héritier de ses irôries Aux vieilles nations comme aux vieilles couronnes

(Id., Napoléon IL).

Par sa mère, autrefois, la Présidente de. . . : Mais sous cette rigueur faisant aimer son Dieu

(Sainte-Beuve, Pensées d'août s ;

ne rime pas, malgré la note par laquelle Tauteur a cru justi- fier cette rime.

Daigne protéger notre chasse.

Châsse De monseigneur saint Godefroi

(Hugo, La chasse du hurgrave).

LKS ASS(»NA.\(;i:S

349

11 est remarquable que dans cette pièce si souvent citée pour la richesse de ses rimes les deux i)remiers vers ne riment pas. Ce qui empêche chasse de rimer avec châsse n'est pas la légère ditlerence de (juantité quil y a entre les deux a\ c'est que ces mots mettent en présence un n ouvert et un n fermé :

Si je pouvais couvrir de tleur? mon ange pûle 1 Les fleurs sont l'or, l'azur, lémeraude, Vopale. . . Des étoiles éclore aux trous noirs de leurs crimes. Dieu juste! et par de.^rés devenant diaph;<n(.\s

Hugo).

Point de siècle ou de nom sur cette ag-reste \^fi(/e. Devant lèternité tout siècle est du même ;)ge

(Lamartine, Millij).

3" Cette condition, rhomophonie des voyelles, ne suffit pas : verre fïeau ne rime pas avec tombeau, ni pain avec main, ni tue avec venue ; ce ne sont ([ue des assonances et dans les poèmes rimes elles ne tloivent être tolérées que lorsque les vers riment deux à deux : mais dans cette condition elles sont préférables à une rime riche toutes les fois qu'il n'y a pas de raison pour mettre la rime particulièrement en relief. En voici quelques exemples que je prends au hasard dans RoUa :

Oh : maintenant, mon Dieu, qui lui rendra la vie ? Du plus. pur de ton sang tu lavais rajeunie. . . Tout ici, comme alors, est mort avec le temps.

Et Saturne est au bout du sang de ses enfants

Ainsi, mordant à même au peu qu'il possédait.

Il resta grand seigneur tel que Dieu l'avait fait

Son orgueil indolent, du palais au ruisseau, Traînait derrière lui comme un royal manteau. . .

Deux mots ne riment ensemble, à proprement parler, que s'ils présentent l'homophonie non seulement de la voyelle tonique, mais encore de toutes les consonnes prononcées qui

350 LA rdif:

suivent cette voyelle, ou. dans le cas cette voyelle est finale, de la consonne qui la précède. Ainsi tenir rime avec partir, banni avec fini, moi avec loi\ dans ce dernier exemple la rime est constituée par les deux phonèmes ica (écrits oi).

Quest-ce maintenant qu'une rime riche ? c'est toute rime qui présente l'homophonie d'un élément de plus que ceux que nous avons signalés comme indispensables dans les exemples précédents. On lit partout que la rime riche est constituée par l'homophonie de la consonne d'appui. c"est-k- dire de la consonne qui précède la voyelle tonique ; c'est une erreur : banni et fini ne riment pas richement, car on ne peut s'appeler riche si l'on ne possède que l'indispensable. Bannir et finir, parti et sorti, noir et soir (c'est-à-dire -n-ar , Danaé et Pasiphae sont des rimes riches.

6^ Parmi les consonnes venant après la voyelle tonique nous n'avons parlé que de celles qui se prononcent ; il faut dire un mot de celles qui s'écrivent sans se prononcer. Doit- on tenir compte de ces dernières en quelque façon ? En prin- cipe, NON. Etranger, rime parfaitement avec changé, changés, remords avec mort, cor, lord, etc. ^'oici une raison qui le mon- trera avec toute l'évidence désirable : il suftirait que l'on simplifiât un peu notre orthographe ( ce ({ui sans doute ne tar- dera guère, car l'orthographe française s'est toujours modifiée deux ou trois fois par siècle^ pour que toutes les prohibitions ineptes fondées sur les cpnsonnes finales qui ne se prononcent pas, aillent en bloc rejoindre leurs inventeurs. Voici des rimes qui sont irréprochables, bien qu'elles ne soient parfois aux yeux de leurs auteurs que des assonances :

Nager autour de hi curènc

C'était sur des mers loinl.<//Jt'N

11. nt Hégmkr. L'hiiiiinie et l;i sirî'iie .

Kl les grottes roses el mures

Qu'il est mieux (U- lu- pas y cvuirc

h... n,id.\

LA ICn: ET L ••«TWÎliiAPaE

^1

CkMjoe goatie de pi«te est «lae de se

Car j'esteads ton sai^lot dass k reai s'a£ara»r

Au métier je tisse ea flears q«i Iwh- ressesk^^»

Doot les fils foot trembler sa luia qm les ajact^ie

Musset fait rimer exc-elkflaœent dans BfelU : kérititr et mÊétier avec mtoitié.

Noa . Lrv.aneî-»'-'u:?. je vieos de le voir ea tocuita»/. Que Sirius- la nuit, s affuble d'un tor&ax ?

EL R*»sTA5», Cyra»d .

. . La si»e Péïkélope

\e fut pis demeurée à bcrJer sous ^r-r:

Si le ^ieigneur Ulvsse eût écrit L>--«mae :_ .

h.., IhH.

Ch^fx^èer «■ proteetear pussaxR, preikdre wa fairsm. Et coause «a lierre oëscmr qvi ctreoaTie&t am fr@«e

Non merci. Dédier, comme toas ils le /b«/. Des vers aui financiers ? se ciianger en bo-uj'iwt

Ib. liiJ. .

Noa. merci. Déjeuner, chaque jour d'un c«y»aW? Avoir un rentre usé par la marche ? une peAm

Dans les exemples suivants l'âuteur a cra devoir tricher sur iorthotrraphe pour rendre la rime bonne à la fois pour rœil et pour loreille. L'oreille suftit : s'il avait ortbo^rraphié eorrectement la rime n eût rien perdu :

Que tout lart d"H>-a£niis n'était que dans ce ba? : Qu'il a. irràce au destin^ des doi^rts to«t coBoioe /«;

Cbémxs^ Les sjiîifref .

3o2 LA RIME

Oui, Carlos. Seigneur duc. es-tu donc insensé ? Mon aïeul l'empereur est mort. Je ne le sai

Que de ce soir

(HiGo. Hernani).

\'otre gendre est alfreux, mal bâti, mal tourné, Marqué d'une verrue au beau milieu du

(In., Le roi s'amuse).

Enfin voici un exemple qui présente plusieurs cas et montre matériellement combien il est absurde de continuer à observer les règles classiques :

Plus d'un aveugle, au sommet du Parnasse,

Fit retentir de sublimes accords ;

On peut citer, parmi ceux qui s'y placent,

Milton, Homère, et puis d'autres encor.

Que font aux sourds les accents que soupirent

Le favori des immortelles sœurs ?

Juge éclairé des enfants de la lyre,

L'oreille seule en connait la valeur

( E. Debraix).

« Il est difficile, dit Quicherat, de faire avec plus d'esprit une critique plus fondée. Notre poésie a conservé, des règles méticuleuses de Malherbe, bien des entraves que la raison ne justifie pas. Si la logique avait présidé à l'établissement des règles de la rime, toutes les consonances que l'oreille aurait déclarées pareilles, quelle que fût leur orthographe, auraient pu être associées ».

Il y a pourtant lieu de distinguer entre les consonnes finales qui ne se prononcent jamais, quelle que soit la position et le rôle .syntaxique du mot, et celles qui peuvent se faire entendre si le mot est étroitement uni à ce qui suit, comme il arrive fréquemment dans les petits vers. En considération de ces cas, certains auteurs, tels que Becq de Fouquières, pensent qu on ne doit pas faire rimer un mot qui se termine par une

ftlMKS DÉFECTUEUSES 353

consonne susceptible de se prononcer avec un mot terminé par une voyelle ou par une consonne ne se prononçant pas. La conclusion dépasse les prémisses ; le théoricien aurait gardé la juste mesure s'il avait dit que lorsqu'un mot terminé par une consonne qui ne se prononce pas à la pause est lié de telle sorte avec le mot suivant qu'elle doive se prononcer, il ne peut rimer qu'avec un mot terminé par la même consonne se prononçant. Cette règle est évidemnnent justilîée : faute d'y obéir le versificateur ferait des vers sans rime, malgré l'autorité de nos plus grands poètes qui ont souvent cru rimer richement alors qu ils ne rimaient pas du tout, comme dans les exemples suivants :

On ne vit pins qu'i'^ssling', L'im, Arcole, Auster/Jz ; Gomme dans les tombeaux des romains abo//s

(Hugo, L'expi niions

Les jardinières, les iouvinis. Les demoiselles, chastes miss

(Id., L'église).

Le Phébus sacré dans Beiins

Des formes d'alexandr/'/js

(Id., Chansons des rues et des Lois).

Ils donnaient Chypre et ï*i\phos ; Et leurs cheveux étaient faux

;Id., Ihid.).

Le reste existait-il ? Le grand-père mou?-ul Quand Sem dit à Rachel, quand Booz dit à liulh

(Id., Petit Paul).

Deux verrous ont fermé sa porte pour jama/s, L'un qu'on nomme Strasbourg-, l'autre qu'on nomme Metz

(Id.. Le prisonnier) . M. Grammont. Le vers français. 23

35 i LA RIME

L'hiver a défleuri la lande et le courtil. . . Le pétale fané pend au dernier pis^i7 ;

(Heredia, Brise manne) ;

on prononce courti et pistil.

Dans la mare de pourpre leurs larges pieds gMssenl, Prenant à quatre bras les cadavres qui g/.çe/»/

(Lamartine, Chute d'un ange).

Sans doute ces vers assonent entre eux ; mais leur assonance est choquante au milieu des rimes, tandis que celle de deux vovelles finales ne l'est nullement. Dans l'exemple suivant il n'y a pas même assonance :

Ces arbres, ces rochers, ces astres, cette mer: VA toute notre vie était un seul aimer

(Lamartine, Novissima verha).

Nous avons indiqué tout à l'heure que dans nombre de cas la rime suffisante est préférable à la rime riche. 11 faut ajouter que dans aucun cas la rime ne doit être trop riche. Il est rare que les éléments homophones puissent dépasser deux syllabes sans que l'auteur ait l'air de jouer sur les mots, ce qui ôte à la poésie toute valeur artistique. L'art peut être gai, il ne doit pas cesser d'être sérieux et grave. Nous ne voulons pas parler ici d'exemples comme les suivants qui ne sont pour la plupart que des plaisanteries :

Tous les soldais qu Arçjanl tua

Ne valaient pas Gargantua . . .

Dans la bataille. Brada niante

Ne frappait pas d'un bras d'amante . . . On voit à l'hôpital maint prodigue alité Qui pleure amèrement sa prodigalité. . . La croissante cherté de ces locaux motive Notre départ prochain par la locomotive . . . Au fauteuil de Delille on place Campenon. A-t-il assez d'esprit pour qu'on l'y campe! \un.

LA RIME RICHR li^io

Nous song'eons à des exemples sérieux, mais les éléments homophones, fussent-ils monosyllabiques, fournissent une répétition qui semble piêter au jeu de mots, comme la répéti- tion malheureuse de la syllabe pai dans ce vers de Racine :

Hélas I si celle paix dont vous vous repai»se/. Gouvroil contre vos jours quelques pièg^es dressés

[Brilannicus, \', I).

A la rime l'effet est encore plus sensible et plus choquant que dans un même vers :

D'un portrait de Van Dyck ; puis sur le fin tapis Agacer en jouant ses petits pieds tapis

A l'ombre du jupon

(Th. Galtier, Elécjies\,

Assis sur ces rochers déserts, Je suis dans le vague des airs Le char de la nuit qui s'avance

(Lamartine, Le soir).

Si son ordre au palais vous a fait retenir. C'est peut-être à dessein de vous entretenir

(Racine, Britannicus, IV , Ij.

Heur et malheur ! On vit ces deux homme.s séfreindre Si fort que l'un et l'autre ils ïaWVivent s'éteindre

(Musset, Don Paez).

Qui le saura? Pour moi, j'estime qu'une tombe Est un asile sûr oîi l'espérance tombe

[Id. Jbid.).

Oui, c'est fini ; l'enfant a bu la coupe sombre; Sa débile raison s'évanouit et sombre

(Hugo, La pitié suprême).

Un ouvrier d'Egine a sculpté sur la plinthe Europe, dont un dieu n'écoute pas la plainte

(Hugo, Rouet d'Omphale).

H56 LA RIME

8" Reste la question complexe de la variété des rimes. Elle comprend deux points essentiels : l'alternance des rimes mas- culines et féminines et la non-assonance des rimes successives. Au moyen âge on ne voyait aucun inconvénient à faire des poésies tout entières en rimes masculines ou féminines, et l'on cultivait la laisse monorime la répétition de la même assonance n'était limitée que par l'épuisement du vocabulaire. (}n reconnut au bout d'un certain temps qu'il résultait de ces deux pratiques une monotonie désagréable et peu artistique. L'art vit de variété aussi bien que de renouvellement. Aussi depuis le xvi*^ siècle les poètes soigneux ont évité scrupuleu- sement la succession des rimes du même sexe et des rimes assonant entre elles. On ne saurait trop louer ceux qui ont introduit dans notre poésie cette observance délicate, et par contre on ne saurait trop blâmer ceux de nos modernes déca- dents qui y ont renoncé, constituant le hasard seul arbitre de la succession des rimes. C'est un retour non pas à l'enfance de l'art, mais à l'absence d'art, et chez la plupart de ceux qui s'en sont rendus coupables ce n'est pas l'indication d'une théorie réfléchie et arrêtée, ni d'une recherche, malheureuse peut-être, mais louable, ce n'est qu'une marque d'impuis- sance.

Pourtant on ne peut pas trancher ainsi la question en quelques mots. Nous ne saurions trop nous élever contre ceux qui disent : voici la règle ; tout ce qui s'en écarte est mauvais. L'art ne comporte pas de dogmes. Avant de se conformer à une règle il faut l'examiner et en peser soigneusement la valeur. Celle de l'alternance des rimes masculines et féminines était excellente à l'origine, elle est absurde aujourd'hui. Les poètes qui n'y ont pas obéi ont eu raison puisqu'elle est mau- vaise, mais ils ont eu le grand tort d'y substituer le hasard qui n'est pas un principe artistique. Cette règle était fondée sur la prononciation, comme il convient ; mais notre poésie a évolué et surtout notre langue a changé. La règle devait évo- luer en même temps que la prononciation dont elle était l'inter- prète. Sont réputées rimes féminines toutes les tînales ter-

LKS UIMKS FEMIMNKS

:vM

minées par un e muet et nuisculines toutes les autres. Cette ditTérence était très réelle et très nette à l'époque l'on pro- nonçait tous les 5. à la fin des mots. Aujourd'hui on n'en pro- nonce plus aucun à la pause ; ils ont disparu par évolution phonétique. En sorte qu'il n'y a plus la moindre ditTérence sensible pour la finale entre bagarre et hasard, entre un et une idée. Gomme le disait déjà l'abbé d'Olivet au xviu*' siècle : « Nous écrivons David et avide, un bal et une balle, un pic et une pique, le soninieil et il sommeille, mortel et mortelle, un froc et il croque, etc. Jamais un aveugle de naissance ne soupçonnerait qu'il y ait une orthographe ditTérente pour ces dernières syllabes, dont la désinence est absolument la même » .

La distinction établie par la règle n'existant plus aujourd'hui, cette règle est sans valeur. Mais l'évolution phonétique n^a- t-elle pas substitué une autre différence à celle-là ? Est-ce que toutes les finales sont aujourd'hui masculines? En aucune façon. La rime il chante était considérée comme féminine parce qu'elle se terminait par un e comme la plupart des mots féminins ; or la plupart des mots terminés par un e muet finissent dans la prononciation, après la chute totale de cet e, par une consonne. Ce sont aujourd'hui les vraies rimes féminines, et tous les mots dont la prononciation se termine par une voyelle sont des rimes masculines. Le sentiment de cette distinction est très net chez le peuple qui dit couram- ment l'air est fraîche, une centime, la moustique, la sulfate, une légume, parce que les mots air, centime, moustique, sulfate, légume se terminent par une consonne ; tandis qu'il fait masculins des mots tels que entrée, comme le montre entre autres choses l'orthographe entrer du cirque. Il en résulte que si je dis :

Jaime mieux y croire Que d'y aller voir,

je f?is deux vers de cinq syllabes qui riment richement, en

358 LA KIME

rimes féminines. Il en résulte qu une pièce comme celle-ci de Verlaine (Romances sans paroles est rimée :

C'est le chien de Jean de Nivelle Qui mord sous lœil même du guet Le chat de la mère Michel ; François-Ies-bas-bleus s'en égaie.

La lune à l'écrivain public Dispense sa lumière obscure Médor avec Angélique Verdissent sur le pauvre mur...

toute la pièce est ainsi ; ce sont d'excellentes rimes : il y en a quelques-unes dans le reste du morceau qui sont mauvaises par la faute du poète, mais cela note rien au principe. Seule- m.ent ralternance des rimes masculines et féminines que le poète a cru fonder sur l'orthographe n'a rien de réel. En fait il y a alternance dans la première strophe, non pas que les rimes féminines soient la première et la quatrième, mais la première et la troisième. La deuxième strophe est tout entière en rimes féminines, malgré l'orthographe. De même la strophe suivante de Lamartine [L'enthousiasme] est tout entière en rimes féminines, ce qui est une négligence désagréable :

Ainsi quand tu fonds sur mon àmc, Enlhousiame, aigle vainqueur, Au bruit de tes ailes de flamme Je fi émis d une sainte horreur ; Je me débats sous ta puissance, Je fuis, je crains que ta présence N'anéantisse un cteur uiortel. Comme un l'eu que la foudre allume. Qui ne s'étcinl plus, et consume Le bûcher, le temple et l'autel .

Voici deux strophes consécutives du même poète [La poésie sacrée) qui sont toutes en rimes masculines :

LES DKUX CLASSES DE RIMES

Sur mes os consumés ma peau sest desséchée ; Les enfants m'ont chanté dans leurs dérisions ;

Seul, au milieu des nations, Le Seigneur m'a jeté comme une herbe arrachée.

Il s'est enveloppé de son divin courroux ; Il a fermé ma route, il a troublé ma voie;

Mon sein n'a plus connu la joie, Et j'ai dit au Seigneur : Seigneur, souvenez-vous.

359

Ce qu'il y a de plus beau peut-être danfj les observances qui nous ont été léguées par l'usage, c'est que «7s essaient, ils paient constituent une rime féminine, tandis que ils s'élevaient, ils se mouvaient font une rime masculine, parce que ces der- niers sont des imparfaits ; cf. infra Conclusion, p. 463.

Les deux classes actuelles ne recouvrent donc qu'en partie les deux classes anciennes. Les anciennes rimes féminines ter-- minées par voyelle -\-e sont devenues masculines, les anciennes rimes masculines terminées par une consonne qui a continué à se •prononcer sont devenues féminines. Malgré cela, dans le plus grand nombre des cas il n y a rien de changé. Voici, par exemple, un passage de Rolla qui observait bien l'alternance avec l'ancienne classification et qui continue à l'observer de la même manière avec la nouvelle :

f

Regrettez-vous le temps dun siècle barbare Naquit un siècle d'or, plus fertile et plus beau ? le vieil univers fendit avec Lazare De son front rajeuni la pierre du tombeau ? Regrettez-vous le temps nos vieilles romances Ouvraient leurs ailes d'or vers leur monde enchanté ; tous nos monuments et toutes nos croyances Portaient le manteau blanc de leur virginité ; sous la main du Christ, tout venait de renaître ; le palais du prince et la maison du prêtre. Portant la même croix sur leur front radieux. Sortaient de la montagne en regardant les cieux ;

360 LA RIME

Cologne et Strasbourg, Notre-Dame et Saint-Pierre, S'agenouillant au loin dans leurs robes de pierre, Sur l'orgue universel des peuples prosternés Entonnaient l'hosanna des siècles nouveau-nés ; Le temps se faisait tout ce qu'a dit l'histoire ; sur les saints autels les crucifix d'ivoire Ouvraient des bras sans tache et blancs comme le lait ; la Vie était jeune, la Mort espérait ?

Cette alternance produit un charme délicieux. Il est donc avantageux de continuer à l'observer, mais avec les modifica- tions que nous avons indiquées, sans quoi elle disparaît en fait atout moment.

Il n'en faut pas conclure qu'on ne doive jamais faire de poésies tout entières en rimes masculines ou en rimes fémi- nines. Toutes les règles de la poésie peuvent et doivent être violées en vue d'un effet à produire. Le charme de Talternance " est à la variété qui en résulte, mais si l'on veut produire/ une impression d'uniformité, de monotonie, si l'on veut ? peindre un état ou une situation qui ne change pas, la non- alternance des rimes se recommande entre autres procédés. Voici un exemple Verlaine [Romances sans paroles) a cherché et obtenu cet effet ; le morceau est tout en rimes féminines ; il en résulte une impression de monotonie, d'uniformité^ à laquelle se joint, grâce au doux prolongement à la consonne finale de ces rimes, un effet de mélancolie qui concorde avec l'idée exprimée. La pièce est d'ailleurs mal écrite :

Je devine, à travers un murmure, Le contour subtil des voix anciennes Et dans les lueurs musiciennes, Amour pâle, une aurore future !

Et mon âme el mon cceuren délires Ne sont plus qu'une espèce deuil double tremblote à travers un jour trouble L'ariette, hélas ! de toutes lyres !

IMPRESSION DE DOLCEI'R 361

O mourir de cette mort seuletlo Que s'en vont, cher amour qui tépeures, lîalauvanl jeunes et vieilles heures ! <) mourir (le cette escarpolette?

Dans la pièce suivante le prolong^ementdes rimes féminines, semblable au bruit d un corde qui vibre et retentit encore après que l'archet l'a quittée, produit une impression de dou- ceur qui est parfaitement en concordance avec l'idée ; mais la troisième strophe, dont les rimes sont en réalité masculines, fait tache dans le tableau :

Les donneurs de sérénades Et les belles écouteuses Echangent des propos fades Sous les ramures chanteuses.

C'est Tircis et c'est Aminte, Et c'est réternel Clitandre, Et c'est Damis qui pour mainte Cruelle fait maint vers tendre.

Leurs courtes vestes de soie, Leurs longues robes à queues, Leur élégance, leur joie Et leur molles ombres bleues

Tourbillonnent dans lextase D'une lune rose et grise, Et la mandoline jase Parmi les frissons de brise

(Verlaine, Mandoline).

Il y a une chanson attribuée à Malherbe qu'il convient de rappeler ici. Ses rimes, toutes féminines, en font une sorte de berceuse. La présence de plusieurs vers de 9 syllabes rythmés à 3,3, 3 renforce encore cet effet :

362 LA RIME

L'air est plein d une haleine de roses

Tous les vents tiennent leurs bouches closes,

Et le soleil semble sortir de l'onde

Pour quelqu'amour plus que pour luire au monde.

On diroit à lui voir sur la tête

Ses rayons comme un chapeau de l'ete, Qu il s'en va suivre en si belle journée Encore un coup la fdle de Pénée.

Toute chose aux délices conspire,

Mettez-vous en votre humeur de rire ; Les soins profonds d'où les rides nous viennent, A d'autres ans qu'aux vôtres appartiennent.

Il fait chaud : mais un feuillage sombre Loin du bruit nous fournira quelque ombre

nous ferons parmi les violettes

Mépris de l'ambre et de ses cassolettes.

Il est bien évident qu'une pièce toute en rimes masculines produiraient un effet opposé. Verlaine paraît s'y être trompé dans la strophe suivante (Romances sans paroles) il semble avoir voulu peindre la langueur, la mélancolie et la monotonie ; il n'y a réussi en rien :

L'allée est sans lin Sous le ciel, divin D'être pâle ainsi ! Sais-tu qu'on serait Bien sous le secret De ces arbres-ci?

ces vers sautillants de cinq syllabes et ces rimes sèches pro- duisent le contraire de TefTet cherché.

L'autre point que nous avons à considérer, c'est l'assonance des rimes successives, que les poètes soigneux évitent métho-

ASSONANCE DES RIMES SITXESSIVES 363

diquement et avec raison, car elle engendre une nnonotonie désag-réable et antiartistique ; c'est le défaut des exemples suivants :

Une clarté den haut dans mon sein descendit, Me tenta de bénir ce que j'avais maudit: Et, cédant sans combattre au soufile qui m'inspire, L'àme de la raison s'élança de ma lyre

(Lamartine. L' homme).

On en trouverait une dizaine d'exemples dans la même pièce qui n a pas trois cents vers.

J'aurais dû, mais, sag'e ou l'on. A seize ans on est farouche. Voirie baiser sur sa bouche Plus que Tinsecte à son cou.

On eût dit un co([uillag"e ; Dos rose et taché de noir. Les fauvettes pour nous voir Se penchaient dans le feuillage

(Hugo, La. coccinelle ;

cette dernière strophe est la pire des deux parce que ses rimes sont à la fois assenantes et du même sexe. Il en est de même des exemples suivants :

L'Océan sentr'ouvrit, etdans sa nudité Radieuse, émergeant de l'écume embrasée. Dans le sang d'Ouranos fleurit Aphrodite

(Heredia, La naissance d'Aphrodite).

Jamais Iphigénie.en Aulide immolée, N'a coûté tant de pleurs à la Grèce assemblée Que dans l'heureux spectacle à nos yeux étalé En a fait sous son nom verser la Champmêlé

1 BoiLEAL'j.

364 LA rime'

La vie a dispersé, comme l'épi sur Taire, Loin du champ paternel les enfants et la mère, Et ce foyer chéri ressemble aux nids déserts D'oîi l'hirondelle a fui pendant de longs hivers

(Lamartine, Milli/ .

Quand de ses souvenirs la France dépouillée.

Hélas ! aura perdu sa vieille majesté.

Lui disputant encor quelque pourpre souillée

Us riront de sa nudité ! Nous, ne profanons point cette mère sacrée.

Consolons sa gloire éplorée.

Chantons ses astres éclipsés

(Hugo. Odes cl ballades: .

Mais cette règle est comme les précédentes, le poète a le droit et le devoir de la violer parfois en vue d'un effet. D'abord effet de monotonie :

Souvenir, souvenir, que me veux-tu ? L'automne Faisait voler la grive à travers l'air atone, El le soleil dardait un rayon monotone Sur le bois jaunissant la bise détone.

Nous étions seul à seule et marchions en rêvant. Elle et moi, les cheveux et la pensée au vent. Soudain, tournant vers moi son regard émouvant : « Quel fut ton plus beau jour ? > fit sa voix d'or vivant

X'erlaine, Poèmes salurniens).

Une impression analogue peut être obtenue parla répétition, non pas constante, mais seulement fréquente des mêmes rimes ou de rimes assonant entre elles. C'est le cas dans les deux pièces suivantes :

Une aube atfaiblie Verse par les champs La mélancolie Des soleils couchants.

EXPKFSSIO.N 1>F LA MKI.ANCOLIE 305

La mélancolie Berce de doux chants Mon cœur qui s'oublie Aux soleils couchauls. Et d'étranges rêves, Gomme des soleils Couchants sur les g-réves, Fantômes verme/ls, Délilent sans trêves, Défilent, pareds A des grands sole/ls Couchants sur les graves

(lu., Ibid.).

Les huit premiers vers sont sur deux rimes; les huit derniers assonent entre eux. L'etfet produit par les rimes est renforcé par la répétition à l'intérieur des vers des mêmes séries de sons ou des mêmes mots, c'est-à-dire par la répétition des mêmes impressions. De tout cela sort un elTet de monotonie, et par suite, dans le cas particulier, de tristesse et de mélan- colie .

L'autre pièce, bien connue, est dune facture plus compli- quée :

Il pleure dans mon cœur Comme il pleut sur la ville. Quelle est cette langueur Qui pénètre mon cieur ?

0 bruit doux de la pluie Par terre et sur les toits 1 Pour un cœur qui sennuie () le chant de la pluie.

Il pleure sans raison Dans ce cœur qui s'éca^ure. Quoi ! nulle trahison? Ce deuil est sans raison.

366 LA RIME

C'est bien la pire peine De ne savoir pourquoi. Sans amour et sans haine, Mon cœur a tant de peine

(1d., Romances sans paroles).

Sans entrer dans le détail de l'analyse, voici les principaux éléments qui entrent en jeu dans cette pièce. D'abord la répé- tition des mêmes voyelles dans l'intérieur des vers et à la rime, chaque strophe ayant le même mot comme première et dernière rime, renforcé par la troisième rime :

11 pleure dans mon cœur . . . langueur . . . cœiiv Je pleure sans raison Dans ce cœur qui s'écœure. . . C'est' bien la pire peine. . . elc.

De l'impression de monotonie. En outre le mouvement sac- cadé, sautillant et continu de la pluie est exprimé tout le long- de la pièce par la répétition des consonnes. La pluie physique est surtout peinte par la combinaison des occlusives et des liquides :

Il pleuve dans mon cœur

Comme il pleut sur la ville.

Quelle est celte /angueur

Qui pénètre mon eanir ?

Dans la troisième strophe, la pluie morale est surtout expri- mée par la combinaison des occlusives et des sifllantes :

11 pleure ians raison Dans ce cœur f/ui s'écifure Quoi ! nulle /rahi.son ? Ce c^euil est .vans raison ;

et de même dans la strophe suivante. Entin l'aftluence des

lîlMKS HÉPKTÉES .'{()7

labiales/^, /;, répand dans toute la pièce comme une note san- g-lotante, cf. p. 320 à 324 ; et la seconde rime de chaque strophe, qui n'a pas de correspondante, mais rtippelleen «géné- ral par sa voyelle une autre rime, une autre note de la pièce: ville-pluie, écceure-cfpiir, /oi/s-pourr/uoi, donne à tout le morceau quelque chose de va^ue et d'imprécis,

« La rime répétée multipliant ses consonances uniformes représente en quelque sorte les modulations ou les variations d'un thème unique », remarque M. Gh. Comte, Les stances libres clans Molière, p. o7, à propos d'Amphitryon. Les trois passages de cette pièce que nous citons ci-après sont indiqués par lui :

Ce ne sont point des badinages.

Le moi que j'ai trouvé tantôt Sur le moi qui vous parle a de grands avantages ;

il a le bras fort, le cœur haut:

J'en ai reçu des témoignages ; Et ce diable de moi ma rossé comme il faut :

C'est un drôle qui fait des rages.

MoijKRR, Amphitryon, II, 1).

C'est avec droit que mon abord vous chasse Et que de me fuir en tous lieux ^'olre colère me menace : Je dois vous être un objet odieux : ^'ous devez me vouloir un mal prodigieux ; Il n'est aucune horreur que mon forfait ne passe.

D'avoir offensé vos beaux yeux. C'est un crime à blesser les hommes et les Dieux. Et je mérite enfin, pour punir cette audace, Que contre moi votre haine ramasse Tous ses traits les plus furieux. Mais mon cœur vous demande grâce...

IJnd., II, 6j ;

« la rime a suivi jusqu'au bout les répétitions dune même idée » (Gh. Gomte.p. o7).

."^fiS LA RIME

La reproduction des mêmes rimes dans le même ordre peut servir à rehausser le parallélisme de deux développements :

Aniph. Est-ce que du retour que j'ai précipité Un songe, cette nuit, Alcmène, dans votre âme

A prévenu la vérité ? Et que mayanl peut-être en dormant bien traité,

Votre cœur se croit vers ma llamme

Assez amplement acquitté? Aie. Est-ce qu'une vapeur, par sa malignité,

Amphitryon, a dans votre âme Du retour d'hier au soir brouillé la vérité ? Et que du doux accueil duquel je m'acquittai

\"otrecœur prétend à ma llamme

Ravir toute Thonnêteté ?

[Ibid.Al, -2).

Même etîet produit par des rimes assonant toutes entre elles ou du moins se rappelant les unes les autres, car et le n'assonent pas puisqu'ils n'ont pas le même timbre, mais se rappellent nettement :

Nègres de Saint-Dom//?gue. après combie/j d'années

De farouche silence et de stupidité,

Vos peuplades sans nombre, au sole/1 enchaînées,

Se sont-elles de terre enfm déracinées

Au souffle de la h^/ne et de la liberté?

C'est ainsi qu"auj(jurd"hui s'éve/llent tes pensées,

0 RoUa ! c'est ainsi que bondissent tes fers,

Et que devant tes yeux des torches insensées

Courent à l'intini, traversant les déserts

(Musset, Rolla).

De même une accumulation de faits analogues, une énumé- ration d'idées parallèles sera bien mise en relief par des rimes assonant ou se rappelant ;

L'impie Achab détruit, et de son sang trempé Le champ que par le meurtre il avoit usurpé ;

EXPRESSION DE i/aCCLMCLATION 369

Près de ce chcimp fatal Jézabel immolée, Sous les pteds des chevaux cette reme foulée, Dans son san" inhum<î//i les chfens désaltéré*', Et de son corps hideux les membres déchirés ; Des prophètes menteurs la troupe confondue, Et la ilammo du ctel sur l'autel descendue; Elie aux éléments parlant en souveram, Les cieux par lui fermés et devenus d'aira//i, l'-t la terre trois ans sans pluie et sans rosée ; Les morts se ranimant à la voix d'Elisée

(Racine, Athalie, I, 11.

Fais-lui valoir l'hymen je me suis rangée : Dis-lui qu'avant ma mort je lui fus engagée : Que ses ressentiments doivent être elTacé.s; Qu'en lui laissant mon tîls c'est l'estimer asses. Fais connoftre à mon fils les héros de sa race ; Autant que tu pourras conduis-le sur leur trace : Dis-lui par quels explo/ts leurs noms ont éclaté, Plutôt ce qu'ils ont ïail que ce qu'ils ont été ; Parle-lui tous les jours des vertus de son père ; Et quelquefois aussi parle-lui de sa mère. Mais qu'il ne songe plus, Céphise, à nous venger : Nous lui laissons un nrjai'tre, il le doit ménager

(Id., Andromaque. l\', 1),

Je ne crois pas que sur la terre 11 soit un lieu d'arbres planté Plus célébré, plus visité, Mieux fait, plus joli, plus hanté, Mieux exercé dans l'art déplaire, Plus examiné, plus vanté, Plus décrit, plus lu, plus chanté. Que l'ennuyeux parc de Versailles

(Musset, Sur trois marches de marbre rose).

Quand il passait devant les vieillards assemblés, Sa présence éclairait ces sévères visages ; Par la chaîne des mœurs pures et des lois s^iges M. Grammuxt. Le vers français. 24

370 LA RIMR

A son cher Danemark natal il enchaîna \'ing:l îles, Fionie, Arnhout, Folster, Mona , Il bâtit un grand trône en pierres féodales; Il vainquit les saxons, les pietés, les vandales, Le celte, et le borusse, et le slave aux abojs. Et les peuples hag-ards qui hurlent dans les bo/s

{Hv GO, Le parricide).

Et maintenant que l'homme avait vidé son verre, Qu'il venaj't dans un bouge, à son heure dernière Chercher un lit de mort Ton pût blasphémer ; Quand tout était Uni, quand la nuit éternelle Attendaù de ses jours la dernière étincelle, Qui donc au moribond osait parler d'aimer ?

(Musset, Rolla).

La même impression d'insistance et d'accumulation peut être produite par les rimes léonines :

Le peuple est mutiné, nos amis assemblés, Le tyran eilVayé, ses confidents troublés

(Corneille).

Et quoi que nous dis/ons, et quoi que nous songions, Les euménides so/it dans les religio/is

(Hugo, Fraternité).

Les exemples suivants sont un peu plus compliqués. Ce ne sont plus toutes les rimes qui se rappellent, mais seulement la majorité des rimes; mais la note de leurs voyelles se réper- cute à l'intérieur des vers dans toute la tirade;

Sur quels pieds tombez-vous, parfums de Madeleine ?

donc vibre dans l'air une voix plus qu'humaine ?

Qui de nous, qui de nous va devenir un Dieu ?

La Terre est aussi vieille, aussi dégénérée,

Elle branle une tète aussi désespérée

Que lorsque Jean parut sur le sable des mers,

Et que la moribonde, à sa parole samte

Tressaillant tout à coup comme une femme enceinte.

EXPRESSION DK l'iNSISTANCK SI i

Sentil bondir en elle un nouvel univers. Les jours sont revenus de Claude et de Tibère ; Toul ici, comme alors, est mort avec le temps, l^t Saturne esl au bout du sanj^' de ses enfants: Mais l'espérance humanie esl lasse d'être nuM'e, l']l le se//i toul meurtri d"a\oir tanl allaité, b^lle IVtfl son repos de sa stérilité

(Mlsset, liolla).

L'idée d'accumulation appelle naturellement l'idée d'insis- tance ; on insiste sur une idée en la répétant sous des formes différentes, mais analogues, en accumulant les faits identiques, les arguments parallèles. Nous avons déjà vu que l'insistance se peint en accumulant les répétitions et les rappels des mêmes sons à l'intérieur des vers ; mais la rime est la place les sons sont le plus en relief ; c'est donc la meilleure place pour les mettre en lumière. Le moyen le plus élémentaire d'insister par la rime est d'y répéter le même mot :

On les fera passer pour cornes,

Dit l'animal craintif, etcornes de licornes

(La Fontaine).

Un moyen plus compliqué mais plus artistique d'insister est de mettre à la rime des rappels de sons et de les répercuter dans l'intérieur des vers :

Trois ans, les trois plus beaux de la belle jeunesse.

Trois ans de volupté, de délire et d'ivresse,

AUa/ent s'évanouir comme un songe lé^er.

Comme le chant lointa//? d'un oiseau passager.

Et celte triste nuit, - nuit de mort, la dernière,

Celle l'agonisant l'ait encor sa prière,

Quand sa lèvre esl muette, où, pour le condamné.

Tout est si près de Dieu, que tout est pardonné,

Il venaf't la passer chez une fille infâme

(Musset, Rolla).

372 LA RIME

Quand le développement a une certaine étendue, il peut y avoir plusieurs séries de rimes qui assonent entre elles ou se rappellent. Tel le passage suivant du discours de Thémistocle il n'y a guère que des rimes en é [è) et en /, ce qui est un moyen d'accumuler les arguments et de les rendre plus frap- pants, de les marquer chacun davantage. Il faut noter en outre que dans ce cas particulier les voyelles des rimes sont des voyelles claires, c'est-à-dire incisives :

Eurybiade, à qu/Pall;is conlYe Alhèiio,

Noble Adymanthe, lils d'Oci/re, capittv/iie

DeCornithe, et vous tous, pr//ices el chefs, saches

Que les dieux sont sur nous à cette heure penchés' ;

Tandis que ce conse/1 hés/te. attend, varie.

Je vois pomdre une larme aux yeux de la patr/e :

La Grèce en deuil chancelle et cherche un po/'/>t d'appu/'.

Rois, je sens que tout ment, denij-j/n trompe aujourd hu/.

Le jour est louche, Tarr est fuyant, l'onde est lâche ;

Le sort est une main qui nous t/e/jt, puis nous lâche :

J'estj'me peu la vague instable, mais je d/s

Qu'un gouffre est mo//Js mouvant sous des p/eds plus hard/.s

Et qu'il faut traiter l'eau comme on tra/te la vie.

Avec force et (\edain ; et. n'ayant d'autre envie

Que la bataille, ô grecs, je la voudrti/'s tente/' !

Il est temps (|ue les cœurs renoncent à douter.

Et tout sera perdu, peuple, si tu n'opposes

La fermeté de l'homme aux trahisons des choses.

Nous sommes de fort près par Xémésrs suiv/'s.

Tout penche, et c'est pourquoi je vous dis mon iwis.

Restons dans ce détroit. Ce qui me déterm/ne.

C'est de sauver Mégare. Egnie et Sala m/ne,

Et je trouve prudent en même temps que iVer

De protég-er la terre en défendant la mer

(HiGO, Le détroit de IKuripe .

Nous n'avons marqué parmi les toniques que les e [é, è, è") et les /. Mais à y regarder de plus près on trouve une série d'éclatantes a.qui préparent et entourent la rime lâche: Je vois

RAPPELS DK RIMES 373

poindre une Lirme. . . , la vague instable, - quelques o qui préparent la vime opposes, choses: Et qu'il îaut traiter l>a«..., enfin des répétitions plus isolées : je sens que tout ment..., Le jour est lowche. . . , prudent en même temps en défen- dant. . ., les deux premiers hémistiches rimant ensemble:

Tout penche, et cesl pourquo/

Heslons dans ce détroA . . . .

Dans l'exemple suivant il y a encore plus de variété parce qu'il est plus long- et que les idées y sont plus diverses. Nousy trouvons des rimes en voyelles claires et d'autre part en voyelles sombres suivant les nuances d'idées exprimées ; c'est dans la pièce de Hugo intitulée Quelqu'un met le holà:

1" Discours des lions aux rois :

Rois, rëchevèlemeiil que notre tète épa/sse

Secoue en sa colère est de la même espèce

Que l'avalanche énorme et le torrent des monts.

Vous, et vos légion. s, vous, et vos escadrons.

Quand nous y penserons et quand nous le voudrous,

O pnnces, nous leronsde cela des squelettes.

Lâches, vous frissonnez devant des amulettes ;

Mais nous les seuls puissants, nous m^/tres des sommets.

Nous rugissons toujours et ne prions jama/s ;

Car nous ne craignons rien. Puisqu'on nous a la/l bètes,

X'miporle qui peut bien exister sur nos tètes

Sans que nous le sachions el que nous v soneions

V ous les rois, le ciel noir. p\ein de religions,

Vous voit, ma/ns jo/ntes. vils, prosternes dans la poudre ;

Mais, (oui rempli qu'il esl de tempête el de foudre,

De rayous el d'écla/rs, il ne sait pas si nous.

Qui sommes les lio/js, nous avous des 'genoux.

Il y a dans ce morceau deux notes principales, l'une claire (è, è), et l'autre sombre {ou, on qui convient parfaitement à l'expression d'un sourd grondement. Il faut y ajouter quelques

374 LA RIME

répétitions d'éclatantes : Que l'avalanche énorme et le torrent... Vous les rois, le ciel noir. . . , Vous \oif . ... enlin des premiers hémistiches rimant ou assonant ensemble:

Vous, et vos légions. . . Quand nous y penserons. . . 0 princes, nous ferons. . . Car nous ne craignons rien. . . N'importe qui peut bien. . .

2" Discours de Dieu aux lions :

Vous êtes les lions, moi je suis Dieu. Crinières, Ne vous hérissez pas, je vous tiens prisonnières. Toutes vos griffes sont devant mon doigt levé. Ce qu'esl sous une meule un grain de sénevé ; Je tolère les rois comme je vous tolère ; La grande patience et la grande colère, C'est moi. J'ai mesdesseûis. Brutes et rois, tyrans, Tremblée, eux les mangeurs et vous les dévorants. Sachez que suis là. J'aba/'sse et j'humilie ; Je tiens, je tords, je courbe, et je lie et délie La vague adriatique et le vent syrien ; Je suis celui qui prouve à tons qu'ils ne sont rien ; Je suis toute l'aurore et je suis toute l'ombre ; Je suis celui qui sème au hasard et^sans nombre, Et qui, lorsqu'il lui plaît, donne des millions D'astres aulirmament et de poux aux lions.

Nous avons successivement toutes les notes : claire (^e, è), éclatante (a, an), aiguë (/), sombre (ow, on), cette dernière étant réservée comme il convient à la menace finale sous forme d'un sourd grondement. Nous n'avons marqué dans le texte, pour n'en pas compliquer l'aspect, que deux notes, la claire et la sombre. Le note éclatante apparaît surtout dans les vers:

La grande patience et la grande colère.

C'est moi. J'ai mes desseins. Brutes et ro/s, tyra/js,

Treuiblez, eux les mangeurs et vous les dévorants.

EXPRESSION DE l'IiNSISTANCE . 375

Sachez que je suis \à. J'abaisse et j'humilie ; Je tiens, je tords, je courbe, et je lie et délie La vague adrialique et le \'en[ syrien.

La note aiguë commence à :

J'abaisse et j'huniil/e ;

Je tiens, je tords, je courbe, et je lie et déh'e La vague adriat/que et le vent syrien,

et se poursuit presque jusqu'à la fin par : Je su/s... quatre fois répété, et par : Et qui. . . On pourrait relever enfin pour être complet (car cette observation rentre dans un chapitre précédent) les répétitions de consonnes qui contribuent aussi à insister sur chaque idée : Je tiens, Je tords, je courbe, etc.

TROISIEME PARTIE

L'HARMONIE

DU VERS FRANÇAIS

« Le caractère agréable ou désa- gréable des sensations est réglé par des lois scientifiques qu'il ne serait pas impossible de déterminer un .jour ».

M. GiYAi, L'art au point de vue sociologique .

Tout le monde parle de l'harmonie des vers en ce sens que chacun dit parfois : Ce vers est très harmonieux, ou ce vers n'est pas harmonieux. Demandez aux personnes qui paraissent être les plus compétentes en ces matières sur quoi elles fondent de pareils jugements. Elles vous répondront que c'est affaire de sentiment. Ce sentiment est-il précis? Non; car il diffère dune personne à une autre et chez la même personne suivant les circonstances ou les dispositions d'es- prit. Un vers dit d'une certaine manière paraîtra harmonieux à beaucoup de gens qui le trouveront inharmonieux s'il est dit autrement. Prenez deux vers au hasard et demandez lequel des deux est le plus harmonieux ; vous verrez la plupart de vos interlocuteurs fort embarrassés et parmi ceux qui se décideront à prendre parti, à peu près la moitié seront en faveur de l'un, et l'autre moitié en faveur de l'autre. Ce sen- timent est donc beaucoup trop vague pour pouvoir servir de critérium.

Les traités de versification française, quand ils parlent de l'harmonie, répètent en général le précepte de Boileau :

Fuyez des mauvais sons le concours odieux,

ce qui veut dire, en interprétant ce vers de la façon la plus favorable : faites des vers harmonieux. Mais en quoi cela consiste-t-il? Boileau ne paraît pas l'avoir bien su lui-même, car beaucoup de ses vers sont totalement dépourvus d'har- monie ; tel, sans aller chercher plus loin, le second de ÏArf poétique :

Pense de lart des vers atteindre la hauteur.

Il faut pourtant remarquer qu'il y a certains vers, en fort petit nombre, que l'on s accorde presque unanimement à trou- ver merveilleusement harmonieux :

380 l'harmomk en général

de quel amour blessée

Vous mourûtes aux bords vous fûtes laissée

(Racine).

Sur la plage sonore la mer de Sorreiile

Déroule ses flots bleus

(Lamartine).

On craint quil nessuyàl les larmes de sa mère

(Racine).

Un frais parfum sortait des touffes d'asphodèle

(HuGo\

Voici la verte Ecosse et la brune Italie

(Musset).

Booz ne savait point qu'une femme était là.

Et Ruth ne savait point ce que Dieu voulait d'elle.

(Hugo).

La généralité du sentiment qui considère ces vers comme particulièrement harmonieux doit reposer sur quelque chose de réel. En les examinant de près on doit pouvoir trouver en eux en quelque sorte le substratum de ce sentiment. Ce nest évidemment pas l'idée qu'ils expriment ; il n y a guère que le troisième que l'on pourrait déclarer beau à cet égard. Le second et surtout le cinquième, qui ne contient que des noms propres et leurs épithètes, ne signifient même à peu près rien. Ce n'est pas non plus que les poètes y aient évité la répétition des mêmes consonnes : le second contient 3 5, 4 r, et 3 / ; le troisième 3 /, 3 /•, 2 s, 2 m, 2 c ; le quatrième 4 /", 3 r, 'S d, 2 t. Ce n'est pas le rythme ; nous avons dans ces vers les principaux types rythmiques de l'alexandrin clas- sique, et la preuve que ce n'est pas ce qui rend un vers harmonieux, c'est qu'il y a un si grand nombre de vers ryth- més de la même manière qui n'exercent pas le moindre

URPROnrcTION DHS MÈMIvS VO YKI.LKS 381

charme sur notre oreille. Quel est doue le seul élément com- nmn à ces dillerents vers ? la musique ; une musique vag-ue et rudimentaire, mais pourtant délicieuse. Elle est produite évidemment par les voyelles, sons qui, nous l'avons déjà vu, peuvent dans une certaine mesure être considérés comme des notes.

Mais tous les vers de douze syllabes ont douze de ces sortes de notes ; comment se fait-il qu'ils ne soient pas tous égale- ment harmonieux? La réponse est évidente : c'est que c" ne sont pas les mêmes notes et qu'elles ne sont pas disposées de la même manière. Pour prendre une comparaison dans un art diirérent de la poésie, la musique proprement dite, choi- sissez dans un beau morceau une suite de douze notes, brouillez-les et mettez-les dans un ordre quelconque, vous obtiendrez la plupart du temps quelque chose de tout à fait incohérent.

11 faut que ces voyelles se suivent dans un certain ordre : voilà tout le secret de l'harmonie du vers français. Mais énoncer ce jugement, ce n'est pas dévoiler le secret. Les vers précédemment cités ne présentent pas les mêmes voyelles dans le même ordre. Les deux premiers ont cependant quelque chose de commun qu'il est bon d'examiner de près. Ils .sont tous deux divisés par le rythme en groupe de trois svllabes ; or dans le premier les trois voyelles du troisième" g-roupe sont la répétition dans le même ordre des trois voyelles du premier : u u ii \ u u ii. Dans le second vers les trois dernières voyelles du second hémistiche reproduisent à peu près les trois dernières voyelles du premier. La dernière est nasale, mais elle a à peu près le même substratum oral o que celle à laquelle elle correspond : è o ,j \ é à (l\ Gela suffit-il? évidemment non, puisque des vers qui présentent la même reproduction exacte ou à peu près de trois sons ne sont pas particulièrement harmonieux :

le, coteau poursuit le coteau qui recule

(L.\martine).

382 l'harmomr en générai.

D'ailleurs les cinq autres vers que nous avons cités ne pré- sentent pas le même phénomène ; et pour prendre de nouveau une comparaison k la musique, que penserait-on d'un frag- ment de douze notes dans lequel l'auteur, après avoir porté toute son attention sur le choix et la disposition de six notes, aurait laissé au hasard le soin de déterminer et d'ordonner les six autres? Il paraît donc nécessaire (jue les deux autres groupes de trois voyelles concourent pour une part égale à l'harmonie de l'ensemble. Pourtant ils ne se reproduisent pas de la même manière; mais nous avons vu dans le second vers que la reproduction n'était qu'approximative. Cela doit sug- gérer l'idée de rechercher si une simple correspondance de sons de même nature ou de même qualité ne produirait pas un elTet analogue à celui qui résulte de la reproduction pro- prement dite. Les deux mesures que nous avons laissées de côté dans le second vers paraissent confirmer cette hypothèse : sur la pla- \ la nier fournissent les voyelles ii a a \ u a â. Le premier groupe contient une voyelle palatale suivie de deux voyelles non palatales ; le second groupe contient une voyelle palatale précédée de deux voyelles non palatales. C'est bien ce que nous avait donné vous mourû- \ vous fû-, deux voyelles non palatales suivies d'une voyelle palatale. Seulement dans le cas que nous considérons maintenant l'ordre des phonèmes est renversé d'un groupe à l'autre. Dans les deux groupes -ge sonore \ de Sorrente il n'y avait pas de voyelle palatale, mais une certaine voyelle è suivie d'une autre voyelle 6 répétée; c'est quelque chose d'analogue évidem- ment. Il semble que ces constatations nous font pénétrer plus avant dans la nature de ces groupes de 3 voyelles, et qu'ils sont constitués en dernière analyse par un élément d'une certaine nature et deux éléments d'une certaine nature diffé- rente. Si nous examinons les deux groupes laissés de côté dans le premier vers : -tes aux bords | -fes laissée, nous y trouvons bien encore une voyelle commune è. mais les deux autres ne se correspondent pas, elles s'opposent, les unes n'étant point palatales tandis que les autres le sont : è ô ô \

CORRESPONDANCKS VOflAr.lOUES 383

e èé. Dans les tleiix groupes sur la pla | la met- nous avions trouvé opposition dans l'ordre des éléments, ici nous trou- vons opposition dans leur nature : ce second phénomène ne doit pas plus nous surprendre que le premier.

Voyons si les résultats obtenus s'appliquent aux autres vers que nous avons cités :

Ou craint qu'il n'essuyât les larmes de sa mère.

Les g-roupes de trois voyelles se correspondent bien deux à deux, l'ordre des éléments y étant renversé : w" è" / | è i a-^ é a e \ è a è.

Un frais parfum sortait des toutTes d'asphodèle.

Ici il y a une difficulté ; les deux derniers groupes é u è \ a ô è se correspondent bien en ordre inverse, mais les deux premiers ne se correspondent pas. Dans le premier la voyelle palatale est entre les deux autres, dans le second elle les suit.

\'oici la verte Ecosse et la brune Italie.

Difficulté analogue : a i a et è é à ne se correspondent pas.

Faut-il en conclure que nous nous sommes engagé sur une mauvaise voie et que les correspondances que nous avions relevées et qui semblaient expliquer ce que nous cherchons, étaient dues à un pur hasard? Avant d'abandonner la ques- tion, il sera prudent de l'examiner de plus près et de s'assu- rer que nous n'avons nég'ligé aucun de ses éléments.

Pourquoi, lorsque nous avons étudié les deux premiers vers, avons-nous considéré leurs voyelles par groupes de trois, plutôt que par groupes de quatre ou de deux ou de six? parce que nous nous sommes laissé guider par le rythme qui divise ces deux vers en quatre tranches égales et que nous avions été frappé de la correspondance vocalique de deux de

384 LFIARMONIE EN GÉNÉRAL

ces traucliés clans le second vers : -(je sonore | de Sorrenfe. Mais dans le premier vers nous avions quatre syllabes de suite se correspondant dans les deux hémistiches : vous mou- rûtes I vous fûtes. Ne pouvions-nous pas dire qu'il y a dans ce vers deux groupes de quatre syllabes se reproduisant et deux groupes de deux syllabes aux bords \ laissée se corres- pondant par opposition? Rien ne nous prouve en effet a priori que les voyelles doivent se grouper pour l'harmonie comme pour le rythme. Le second vers ne s'accommode pas de cette division en i, 2, 4, 2 car si sonore etSorrente se cor- respondent bien, sur la plage et la mer de ne se corres- pondent pas. Mais un groupe de quatre syllabes équivaut évidemment à deux groupes de deux syllabes. N'est-ce pas par groupes de deux que les voyelles se correspondent ?

Premier vers : a u \ ii u \\ û é \ ii c \\ ô n \ è é.

Le deuxième vers s'accommode aussi de cette division, mais les groupes qui se correspondent ne sont pas disposés dans le même ordre dans chaque hémistiche.

sur la \ mer de || plac/e \ la \\ sonore | Sorrenle;

cette correspondance n'est pas facile à saisir.

On craint qu'il n'essuyât les larmes de sa mère ;

ceci va bien : les deux divisions extrêmes de chaque hémis- tiche se correspondent entre elles et les deux divisions inter- médiaires s'opposent l'une à l'autre; le rapport est facile à saisir.

Un frais parfum sortait des toutfes d'asphodèle;

r.ROUPEM KNTS VOr.AT.IOlIES

38r,

même observation,

\'oici l;i \erle lù^osse et la brune Ilabe ;j / /* c é () é a ii i ,i i

Les quatre premières divisions et la sixième se reproduisent très bien, mais la cinquième est d'un type différent.

I"^l Rulh ne savait point ce que Dieu x'onlail d'elle : é il è il è è" e è <> " t' t^

même observation : la cinquième division ne correspond à aucune des cinq autres.

Résumons : la division en groupes de trois dont s'accom- modent bien les trois premiers vers ne convient pas au qua- trième, la division en groupes de deux dont peuvent s'accom- moder les quatre premiers ne convient ni au cinquième ni au septième. Inutile d'examiner les divisions en groupes de quatre ou en groupes de six, puisque ce sont des multiples de la division en groupes de deux.

Nous savons qu'au point de vue du rythme les vers ne sont pas tous divisés de la même manière ; pourquoi, en ce qui concerne l'harmonie, n'y aurait-il qu'un seul type? Le deuxième vers qui s'accommode si bien de la division en groupes de trois voyelles tandis que la correspondance des groupes de deux voyelles y est à peu près insaisissable est précisément divisé par le rythme en groupes de trois syllabes. Le quatrième vers n'est pas divisible en groupes de trois voyelles tandis que la correspondance des groupes de deux y est très claire ; or le rythme divise précisément ses syllabes en 4, 2, 2, 4, c'est-à-dire en groupes de deux ou en multiples de deux. Le cinquième vers n'est divisible ni en groupes de trois voyelles ni en groupes de deux; mais comment est-il rythmé? en 2, 4, 3, 3 :

Voici la verte Ecosse et la hrune Italie; u 1 H è é ù é a û i a i

M. Ghammont. Le vers français.

38(i ^ l/lIARMOME EN GÉISÉRAI.

or les trois premiers groupes de deux syllabes se corres- pondent parfaitement et il en est de même des deux groupes de trois voyelles du second hémistiche. Le même système très clair convient aussi très bien au sixième et au septième vers qui sont rythmés de la même manière.

Voilà le secret de l'harmonie du vers français : elle résulte de la correspondance des voyelles groupées par deux ou par trois, les deux systèmes pouvant se rencontrer dans le même vers. L'harmonie étant l'etfet produit sur l'oreille par cer- taines correspondances de sons groupés d'une certaine manière, n'existe pas en dehors de l'oreille qui la perçoit. S'il n'y a pas d'oreille pour entendre ces sons, les grouper et les com- parer, l'harmonie n'existe pas. Sans doute il en reste le subs- tratum, elle subsiste en puissance, mais elle n'a de réalité qu'à condition d'avoir une réalisation. Les deux principales opérations qu'exécutent l'oreille et l'esprit pour arriver à per- cevoir l'harmonie sont le groupement des voyelles et la com- paraison des groupes. Si les groupes qui se correspondent se suivent immédiatement ou sont disposés dune façon symé- trique, une oreille délicate et un peu exercée perçoit instan- tanément leur correspondance et par conséquent est satis- faite : c'est dire que le vers est harmonieux. Si la correspon- dance n existe pas, le vers n'a pas d'harmonie ; si les groupes qui se correspondent ne sont pas disposés d'une façon symé- tri([ue, l'oreille aura grand'peine à en percevoir les rapports et le vers sera peu harmonieux. Il résulte évidemment de que moins il y aura de groupes dans un vers plus il sera facile à l'oreille de saisir leurs rapports et leurs correspondances, et d'autre part que plus il y aura de groupements possibles, plus il y aura de chances pour que l'oreille saisisse au moins l'un d'entre eux. Mais qu'est-ce qui détermine les groupes? l'oreille ; et qu'est-ce qui la guide dans ce travail ? les divi- sions les plus marquées du vers, celles qui sont dues aux césures ou coupes, aux accents rythmiques ou toniques. Donc, puisque l'harmonie est d'autant plus grande qu'elle est plus facile à saisir, les vers les plus harmonieux sont ceux

I.ES TRIAUKS 'AHl

dans lesquels les groupements de voyelles coïncident avec les groupements de syllabes déterminés par le rythme ; ce ne sont que des oreilles très fines et très perfectionnées qui peuvent arriver à saisir les rapports de groupemente dilTé- rents.

La nature des voyelles nous est connue depuis la deuxième partie, et nous savons exactement quelles sont celles qui se correspondent et celles qui s'opposent. Mais, avant d'aborder l'étude des exemples, il est bon d'insister un peu sur la façon dont les voyelles se groupent au point de vue de l'harmonie et sur la structure des divers groupements.

Nous venons de voir quelles vont par trois, par deux, par quatre multiple de deux, ou par six multiple de deux et de trois. Nous appellerons les groupes de trois des triades, les groupes de deux des dyades, les groupes de quatre des tétrades et les groupes de six des he.rades.

La triade a un sens, une direction dont le point de départ est marqué par la place du son qui est seul de son espèce. Elle est progressive si ce son unique est le premier des trois, régressive s'il est le dernier, embrassée s'il est entre les deux autres. Dans ce vers de Heredia :

Tu revois ta jeunesse et ta chèra villa, û é a a é è é a è è i a

la première est progressive, la deuxième est régressive, et les deux autres embrassées.

Dans les triades composées de trois voyelles de la même classe, de trois voyelles claires par exemple, si l'une d'elles est aiguë elle est le point de départ de la triade et vice-versa ; si elles sont toutes trois aiguës, ou si aucune ne l'est, le sens de la triade risque de n'être pas net, [)ar absence de modula- tion, et aussitôt l'harmonie du vers court la chance d'être faible ou nulle. Pourtant si c'est la même voyelle qui est répétée trois fois, celle qui est tonique se distingue des autres par

388 i.HAR^roME r:.N (jknéral

son intensité particulière ; il en est de même si la vovelle tonique est nasale, les autres ne l'étant pas. Des observations analoo^ues s'appliquent aux triades composées de trois voyelles graves ; mais comme la distance est beaucoup moindre pour l'oreille entre une sombre et une éclatante qu'entre une claire et une aiguë, il faut pour que la triade soit constituée, que la sombre soit en même temps la tonique, ou que les deux atones soient sombres la tonique étant éclatante, ou que la tonique soit nasale les deux atones ne l'étant pas, ou vice- versa :

Je suis veuf, je suis seul, el sur moi le soir tombe è i è è i é é il u é a a"

_\

(Hugo, Booz) ;

la dernière triade est suftisamment déterminée parce que la nasale est tonique.

Les grelots des lroupe;iux palpitaient vaguement t* è n c un aie a è o"

{\u., Ihid.;

la dernière triade est suffisamment déterminée parce que la nasale est tonique.

S il y a deux fois la même voyelle accompagnée d'une autre voyelle de la même espèce, comme dans fu lui dis, -ge sonore, c'est évidemment cette dernière qui se distingue des autres. Enfin si une voyelle se trouve dans les deux triades qui se correspondent, les autres voyelles étant dilférentes, c'est cette voyelle répétée qui détermine la direction de la triade, comme dans -tes aux bords, -/os laissée.

Deux triades se correspondent en ordre direct :

LES DYADES

Nous mourûtes aux bords \-ous fûtes laissée u u (■/ é ô 6 u u ;■/ ê è é

389

ou en ordre inverse

Sur le marijre votit". . . a e a e o i

en se reproduisunt, comme dans l'exemple précédent, ou en s'opposanl, la voyelle unique étant claire dans lune et grave dans l'autre, les deux voyelles de même nature étant graves dans l'une et claires dans l'autre :

Ce nest plus votre fils, c'est le maître du monde, è c ii ô c I c c è c û a"

enfin en se reproduisant pour 1 un des éléments et s opposant pour l'autre :

-tes aux bords -les laissée

è 6 n é è é

Les triades se correspondent deux à deux comme les rimes plates, de deux en deux comme les rimes croisées, en chiasme comme les rimes embrassées.

Des observations analogues s'appliquent aux dyades. Elles sont dites égales quand leurs deux voyelles appartiennent à la même catégorie :

l'^t Ruth ne savait point. . . è ii i' H r e"

390 l'harmonie en général

et inégales dans le cas contraire :

Voici la verte l'xosse. . . a. i a. è é o

Les dyades inégales sont beaucoup plus harmonieuses que les égales, parce qu'elles possèdent une modulation qui fait défaut aux autres.

Li;s vi;rs kn triades '

L'harmonie de ces vers est d'autant plus facile à saisir, c'est-à-dire d'autant plus grande :

I" Que leurs triades se correspondent en ordre direct ;

2'' Qu'elles se correspondent deux à deux ;

Qu'elles se reproduisent au lieu de s'opposer :

Que l'harmonie est décomposable en un plus grand nombre de systèmes.

La correspondance des triades est tout à fait comparable à celle des rimes et produit sur l'oreille un etîet analogue. Il en résulte que, de même que les rimes plates n'ont nullement besoin d être riches, de même la ressemblance des triades doit être d'autant plus grande et leur correspondance d'au- tant plus facile à saisir que celles qui se correspondent sont plus éloignées l'une de l'autre :

Les triades se correspondent deux à deux, comme les rimes plates. 11 peut y a^oir quadruple répétition de la même :

La Floride apparut sous un ciel enchanté a n i n a û II é" è o" o" é

(Heredia, Jouvence' .

1. Nous devons prévenir le lecleur qu'un simple examen, môme atten- tif, de ce qui suit, ne sufïïra pas pour le mettre en état d'apprécier par lui-même l'harmonie dun vers. Il sera nécessaire qu'après s'être bien pénétré des définitions préliminaires il s'exerce sur mille ou deux mille vers de suite. Quand il aura étudié ainsi mille vers la plume à la main, puis mille vers par son oreille seule, l'éducation de celte dernière sera suffisante pour qu'il saisisse du premier coup le degré d'harmonie d'un vers.

392 VERS E>" TRIADES

OU en hexades ;

ou enfin en dyades :

a ô i a a il u é" c o" o" e

Mais moi, je ne verrai

Ni l'oiseaii revenir ni la leuille renaître i a 6 é é i i a è é é è

(Hugo, Burgraves). ou en hexades ;

ou enfin en dyades :

i a ô è è i I a è è ê è

^ L- ' lu '

Les deux exemples suivants présentent les mêmes systèmes de correspondances. Pour abréger nous nous contenterons de transcrire les voyelles sans répéter les combinaisons d'acco- lades et de traits, et dorénavant nous n'indiquerons plus en général qu'un système de correspondances.

C'est ma mère, et je veux ignorer ses Cci priées è a è é è ô i ù é é a i

(Racine, Britannicus).

L'étranger est en l'uile, et le juif est soumis é o" e è o" / é è i è u i

[lu., Athalie).

TRIADES SE rORRESPONDANT DEUX A DEUX 393

Mais ce phénomène est rare ; le plus souvent la seconde triade correspond à la première et la quatrième à la troisième, sans qu'il y ait correspondance d'un hémistiche à l'autre :

Tu n'es pas remonté comme l'aigle à son aire (' ,7 è u" é à c è a u" è

(Musset, Namouna],

Et par le génie est semblable à l'amour e a a é é i è o" a a a a

(Id., Ihid.).

Un poète est un monde enlermé dans un homme é" àè è é" u'i o" è é o" è" à

(Hugo, Légende).

Fatigués de porter leurs misères hautaines a i é é à à é i è é 6 è

(Heredia, Les coïK/iiéi-anls).

D'un côté le soleil et de l'autre la nuit é" 6 é è ù è é é o è a i

(Hugo, Le retour de Vempereur).

jamais un soupir ne resta sans écho u a c é" (/ / è c ;i d" é o

(Baudelaire, Leshos).

Un matin, dans la plaine il rencontre un berger é" a e" d" a è i o" u" 0" è c

(Hugo, Le roi de Perse).

Et leur source est profonde à donner le vertige é é a è I) u" a à é 0 è i

(Id., Eciradniis).

Vers sa chute à grands pas chaque jour s'achemine ^ ^ " a 0" a a ê u a é i

1^ Racine, Brilaiinicus).

394 VERS E> TRIADES

J'ai voulu que des cœurs vous lussiez liiiterprèle é u a é é è u l'i é e" c è

II).. Bérénice).

On ignore s'il voit, on ne sait s'il entend u"^ i ô è i a h" è é i o" n"

I HiGO, Pelii roi rie Galice).

Et reçoivent, la nuit, la visite des aigles é é a é a i a i i é é è

(Id., Les rayons et les ombres).

Chacun deux voit son crime, et le reste est chimère a é" o a u'^ i é é è é i è

In.. Inferi .

Et la ronce se mit à pousser là-dessus è a h" é è i a u é a è û

(Id.. La Coméle).

N'ayant pu l'éveiller il s'était endormi è « é é é I é è o /

iId.. Petit Paul .

Elle donne un baiser confiant et sans crainte

e e o e" e e «" f o" e o

n / nD /i n^i /j"

(Id., Segrais)

Une femme ne vit et ne meurt que d'amour û é a é é i é é é é au

(Musset, Les marrons du feu).

Labourer des champs d'ombre arrosés par TErèbe a u é é o" a ô é a é è

(Heredia. Le laboureur .

Sa parole semait la puissance des charmes a a à é é è a i o^ é é a

[Iv., Jason et Médée).

TFxIADKS SE CORRESPONDANT DEIX A DEUX 395

Il avait tout le jour travaillé dans son aire i a è u é a une o" »" è

I MtGo, Booz endornii .

Un serment

Dure autant qu'un pourpoint, parfois plus, souvent moins a 6 o" (■'" (/ e" ,-i H il u o" e"

llu., Burij raves ).

Les moissons, pour mûrir, ont besoin de rosée é a II" u il I II" c è" è ô é

(Musset, Auit d'oclobre).

Dioscures brillants, divins frères d'Hélène /(■> il é i o" f e" è è é è

(Heredia, Pour le vaisseau de Virgile).

Mes amis à présent me conseillent d'en rire é a i a é o" é u" è é o" i

(Musset, Namouna).

Les grands sphinx qui jamais n'ont baissé la paupière é o" i a è «° è é a 6 è

(Heredia, Vision de Khem).

Laisse tes moutons, viens conduire des hommes è é a è u u" e" / é é ô

I La Fontaine, X, 10).

Le vieillard souriant poursuivait son chemin è é a u i 6^ u i è u" é e"

(Hugo, Bu rg raves).

Et je suis le moins las, moi qui suis le plus vieux é é i é e" a a i i é ii (i

[ïv., Aymerillot).

Il commande au soleil d'animer la nature I n o" ô ô è a i é a a ii

(Racine, Alhalie).

396 VERS EN TRIADES

2" Les triades se correspondent de deux en deu.r^ comme les rimes croisées. Pour plusieurs des exemples cités dans la classe précédente on aurait pu song-er à ce second type de cor- respondance ; mais les correspondances les plus simples et les plus immédiates sont celles qui frappent le plus aisément Toreille et il convient de ne citer dans cette seconde classe que les vers qui visiblement ne rentrent pas dans la précé- dente :

Admirable portrait qu'il n'a point achevé a i a é à è f ,i e" a è é

(Musset, Namouna).

Sons l'azur triomphal, au soleil qui flamboie Il ,'/ ii i 11" ;i II à è i o" a

(Herepia. Le Cjjdnus).

Et ce tut là-dessus qu'il se fit musulman é é û H é il i c i ii ù o"

(MrssET, y,imouna).

Chez ces peuples dorés qu'a bénis le soleil é é é é 0 é H é i è i) è

(In., Ihid.j.

Le printemps sur la joue et le ciel dans le cœur é e" o" ('; a u é è è o" é é

(Id., f/ne bonne fortune).

J'écoutais cepeudant celte simple harmonie é II è ê o" o" é é e" a à i

(Id., Une soirée perdue).

Le linceul était rouge et Kanut frissonna é e" è é è u é a û i ô a

(Hugo, Le parricide).

TRlAIii:S SF. CORRESPriNDANT UF. UEL'X FN DEUX 397

Ne fais pas un t'urlail plus allreux que le mien I è è n é" n c l'i fi o è 0 e"

(II).. Les Bu ly raves).

Laisse-toi conseiller par le eiel radieux t" è !i u" è é ;i è è a i o

in.. Les rai/ons et les itnihresj.

La comtesse à son bras s"a|)puyait en silence a »" è ;t u" H u i è o" i o"

MissET, Pi ni in .

Cependant son visage était calme et serein è o" o" »" / ;( é è a é è e"

(Id., Ibid.).

Tout tremblait, tout l'uvait, d'épouvante saisi u è u i è é u o" è è i

(Hlgo, Ihircf raves).

Il s'en va dans Tabîme et s'en va dans la nuit / o" ft 0" ai é o" a o" a i

Id., Léqende).

La naissance et la mort sont deux coups de sonnette a è o" é a ù u" o u é à è

(Id., IJnd.].

C'est que l'un est la gritre et que l'autre est la serre è é é" è a i é è ô è a è

(Id., Eviradnusj.

Nous couchons sur la pierre et buvons aux ruisseaux u u u" V a è é ù u" n i n

lu., Légende).

Souviens-toi que Cybèle est la mère commune u e" a é i è è a è é à û

(CnÉMER. Idylles),

398 VERS EN TRtADi:S

Je le sais, mais enlin je vous aime, el je crains é é é è o" e" é II è é é e"

(Corneille, Polyeucte).

Sur sa lèvre entr'ouverte oubliant sa prière une o" ut- u i 0" a

(Mlsset, Xuit de mai).

Les petits el les grands sont égaux à leurs yeux é é i é é o" »" é o n è ô

(La Fontaine, XIL 21).

Les triades se correspondent en chiasme, comme les rimes embrassées, c'est-à-dire la première à la quatrième et la seconde à la troisième :

Tout m'afflige et me nuit et conspire à me nuire

(^Racine, Phèdre),

u ni é è i é h" / n è i

11 l'avait à son brick emportée en causant i a è a u^' i o" o é o" ô o"

(Mlsset, Namouna).

Pour savoir si son Christ est monté sur la croix Il a H /fi" / è »" é a a a

(lu., Jhid.).

Et le mien a pour lui qu'il n'est point historique é è e" a u i i è e" i à i

(1d., Ihid.).

. . .on eût dit que sa mère

L'avait fait tout petit pour le faire avec soin

a è è u é i u é è a è e"*

(Id., Ihid.).

rKiAiJi:s si: coRrucspoNrjAM kn ciiiasmk 399

Leur prètn son j^rand sein aux mamelles fécondes è i' H u" o" c" ('i ,7 è é é ii"

t Hereiua, Aphnx/ité '.

El le ciel l'ait l'airain comme il l'ail le héros é ê è è è e" à i è è é ù

HiGo, Lé(fende).

Hippolyle rêvait anx caresses puissantes i à i é è è II a è è i o"

Haidelairk, Femmes damnées,.

Cette tleiir avait mis dix-huit ans à s'ouvrir è ù é a è i i i i," ;i n i

(Musset, Porlia].

N'avait fait resplendir les soleils éclatants ci è è è 0" à è é a o"

( H EREDiA, Aphrodite) .

Baiserait sur son front la beauté de son cœur è è è û u^ u'^ a V é é u" é

(Mlsset, Xamoiina).

La raison du plus fort est toujours la meilleure a è «" (/ ('/ ù è u u a è é

(La Fontaine, L 10 .

Que de soins m'eût coûtés cette tète charmante é é e" u é è è è é a o"

(Racine, Phèdre).

Et nul n'a disputé. . .

Leur inerte poussière à l'oubli du cercueil é I è é u è a u i ii è é

IIereuia, .Sur le livre des amours\

II

LES VERS EN DYADES

En principe les vers en dyades sont moins harmonieux que les vers en triades, parce que le nombre des divisions étant plus grand, l'attention risque davantage de se disperser et de s'égarer. G est dire que les vers en dyades sont d'autant plus harmonieux (|ue leurs éléments se correspondent dans un ordre plus simple et plus régulier. Voici, par ordre d'harmonie décroissante, les ditïérents types que nous rencontrons; nous désig-nons les six dyades par les nombres 1,2, 3, 4, 5, 6,

Il peut y avoir sextuple reproduction de la même dyade :

Nos nuits, nos belles nuits ! nos belles insomnies ! 6 I 6 è é i ('» è é à i

[Mi'ssET, Don Paez)

ou en tétrades

ou en triades

o e e e" o I

ou en hexades

Avait dans ses g-rands yeux quelque mélancolie a è 0" e o" 6 è è é 6^ à i

(Id., Une bonne foiiune]

CORRESPO^JDANCE DES DYADES iOl

Il devenait tout miel, tout sucre el tout caresse / è è è u è u u é u a è

(Id., iWa/nouiiai.

Un vieux pirate ^rec l'avait trouvé gentille è" o i a é è a è u é o" i

(Id., Ibid.);

mais c'est un cas assez rare; voici les autres types : 1-2-3, 4-0-6 :

La langue de ton peuple, ô Grèce, peut mourir a o" é è é 6 è é ô u i

(Id., Les vœux stériles i.

\'ètu de probité candide el de lin blanc è u ù ù i é o" i é é e"

(Hugo, Booz).

Lorsque la fosse attend il faut qu'on y descende

0 é a ô a o" / ù u" / é o"

(Mlsset, Porlia).

Penchant ton front qu'argenté une précoce neige o" o" u" u" a 0^^ û é é ô é è

(Heredia, L'exilée).

Il n'en faut point douter, vous vous plaindrez toujours

1 o" 6 e" u é u u e" é au

Racine, Brilannicus).

1-2, 3-4, r)-6 :

Par quel serment d'enfer êtes-vous donc lié ? a è è 0" 0^ è è é u u" i é

(Musset, Don Paezj. M. Gi«AMMci:>T. Le vers français. '2n

402 VERS EN DYAIJRS

Si ce ii'esl |)as un fou, ce serait donc un dieu / é è a c" Il è ê c u" c" u

(HiGo, La \'érilé) .

Il lui donna lui-même un sac plein de pistoles ; / à ;i i c é" ,t t;" é i à

(Mlsset, Xamovna).

Les tièdes voluptés des nuits mélancoliques é è è ù ii é é i é o" ô i

(Id,, Lucie).

Mortelle, subissez le sort d'une mortelle ô è é a i é é à û é à è

(Racine, Phèdre).

Les larmes du matin qui pleuvent goutte à goutte é a è ù R e" / è è n a u

I Heridia, P/in).

Caria lumière est femme el se refuse aux vieux a a ii è è a é è è ii ù 0

(Hugo, Eviradnus).

1-2, .3-6, 4-0 :

Entre le pauvre et vous, vous prendrez Dieu pour juge o" é è (') é a u o" é ô u ii

iHacine, Athalie).

L'archange à son sommet vient aiguiser son glaive a o" a u" à c e" è i é u" è

(Hugo, Les monlaç/ncs).

Mais un précoce automne avait passé sur elle è é" é () û ù a è a é ii è

(Musset, Don I^aet .

COKURSPONDANCE DES DV.ADES i03

Les Faunes indolents couchés dans les roseaux e (1 é e" ô o" u é o" e ô (j

(Id., RoUa).

Fil au ruisseau céleste un lit de dianianl. i ù I u é è é" i è i a o"

i II)., (ne banne f()rlune\

Qui tous auroienl bri.nué riioiuieur de ra\ilir ' Il II è i é ù ù é a i i

^Racine, Brilannicus).

Four que l'agneau la broute il faut que Therbe pousse U i- u n ;i U i ù é è è u

(Hlgo, Arvhiluque).

i. 2-3, o-li :

Je sais que tout tlépiait aux yeux d'une captive è é ù u è c n ô il è a i

(Racine, Iphigénie).

Étineeler lazur des mers Adriatiques é e" é é au è è a i h i

(Heredia, La doçjaresse .

Fit son bûcher suprême et son premier autel i u" û è û è e è é ù è

(Id., Sur iOlhrys).

La peine d'acquérir, le soin de conserver a è é a é i è e" é u" è é

(La Fontaine, X, 5).

Tu dresses des autels aux Monts hospitaliers û è é é ù è ô u" à i a é

(Heredia, L exilée).

iOi VERS EN DYAUES

1-4, 2-0, 3-6 :

Cet homme au front serein ^•ient de la i)art de Dieu

è à û »" è e" e" é a a è u

IIiGii, Les lions

Le sabre est un vaillant, la bombe une traîtresse é a è ë" a o" a »" ù è è è

Jd., Le cimetière d'Eylau

1-3. 2-5. 4-6 :

Avec des sons de tlùte et des frissons de soie a è è zj" è ii é é i u" è a

( Heredia, Le Cydnus.

Debout dans sa montagne et dans sa volonté è 11 o" ,7 u" a é (>" a ù u" é

Htcfi. Bur(jraves).

Ses pins sont les plus verts, sa neiye la plus blanche é 6"° zj" é ii è a è é a ù o"

1d.. Les monlaqnes .

Rien n'appartient à rien, tout appartient à tous e" ,'( a e" a e" i; a a e" a u

,^Mlsset. .\ ainouna).

Essouillez-vous à faire un bœuf d une grenouille é u é u a è é" è ii ê eu

iId., Ibid.j.

1-6. 2-:;. 3-4 :

Et que le vent, la nuit, tordait au flanc des monts é ê é o'^ a I (I è ô o" é «"

Hlgu, Burgraues)

œRRLSIMt.NDANCi: DI> DVADKS 40?)

D'Anvers à Halisbonne, et de Lubeck à Spire o" è a H i ô c c ù è a i

(In., Ihid.).

On est si bien tout nu, dans une larj^e chaise fj" ('• / c" u il <»" ('; ù H é è

(MrssET, Xnmouna).

i (i. 2-:i i-:; :

Ah! passe \ ile. ami, ne pèse pdiiil mu- clic a H t' i a i c c c c" ii c

(Heri:dia, Epicjrunime funéraire).

L'attente d'èlre heureux devient une soullrance a o" t' (' c (") è t'" il c u o"

(^Mlsset, Don Paez).

1-3-0, 24-H :

C'était un bel enfant que cette jeune mère e è é" è 0^0'^ è è è è ù è

[in.. Une bonne forlune\.

Mais j'en veux dire un point qui fut ignoré d'eux è o" o I c" t'" / il { à é o

(Id., Ihid.).

Car sa beauté pour nous, c'est notre amour pour elle a a o c u II c à a u u è

(Id., Xanwuna).

Heureux qui peut dormir sans peur et sans remords é (' i ii ù I o" c é o" ê ù

^IIekedia, /.e lit).

406 VERS EN DYADES

1-6, 2-'k 3-:; :

Chansons, rêves d'amour, rires, propos denfant o" h" é è a a i é ô ô o" o"

(Musset, Lucie) l_2-4, 3-r3-6 :

J'emlirasse mon rival, mais c'est pour Télouller o" a è J7" / ;i è c u é u é

(Racine, Brilannicus).

Ne vaudrait-il pas mieux que nous devinssions frères é 6 è i a 6 é » é e" »" è

(Hugo, Mariage de Roland).

Us vont jusqu'à tuer ce\(ui n'a pas vécu i h" a û é è i a a é û

(Id., Comte Fèlibien).

C'est imiter quelqu'un que de planter des choux è i i é è é" è é o" é é u

(Musset, iWanwuna).

N'éclaircirez-vous point ce iront chargé d'ennuis? é è i é 11 e" é u" ci c o" /'

(Racine, Iphigénie)

1-4-5, 2-3-6 :

Ainsi notre espérance est bien souvent trompée e" i à è e o" è e" u o" u'^ é

[UiGv, Burgraves)

c()hresi'om)A.\(:k des dyades 1-2-6. 3-i-:5 (c'est-H-dire 1-2—6, 3—4-5 :

Le cliMinp qui les revul les rend avec usure é 0" é û i' <)" H c ii ii

407

[Racine, Alhalie .

III

LES VEHS EIS TÉTRADES ET EN HEXADES

Les vers en tétrades et en hexades ne nous arrêteront pas long-temps parce qu'en somme ce ne sont que des vers en dyades, dont les éléments remplissent certaines conditions de groupement et de correspondance. On pourrait appeler vers en tétrades tous les vers en dyades du type 1-2, 3-4, 5-6, puisque les dyades s'y correspondent deux à deux et forment des tétrades par cette correspondance :

Les lièdes voluptés des nuits inélaucoliques é è è à û è ê i é o" à i

(jVkJssEx).

Mais nous avons appelé vers en triades et en dyades ceux dans lesquels les triades et les dyades se correspondent entre elles; pour garder ici le même principe de dénomination, nous ne pourrons appeler vers en tétrades que ceux dans les- quels les trois tétrades se correspondent. Ils sont rares et cette manière de les diviser n'ofîre aucun intérêt particulier :

Nos nuits, nos belles nuits I nos belles insomnies! ô i ô è é i 6 è é e" n i

(ID.).

Il y a même cet inconvénient grave que la deuxième tétrade est à cheval dans les vers du mode classique sur la coupe de l'hémistiche, d'où discordance entre le rythme et l'harmonie. En somme ce mode de division ne convient bien qu'au vers romantique du type 4, i, 4 :

VERS EN IIEXADKS 409

J'ai vu le jour, j'ai vu la foi, j'ai vu l'honneur é il V II c il ;i ;i c ii <) c

(Hugo).

rien ne tremble, rien ne pleure, rien ne souHre " e" è o" Il e" ù è ii e" è u

(I...).

On peut appeler vers en hexades tous ceux dans lesquels les deux hémistiches se correspondent soit par reproduction, soit par opposition, soit en ordre direct, soit en ordre inverse :

Quelque croix de bois noir sur un tombeau sans nom t' i' H è ;t a ù e" a" n o" h"

J I I I

(Musset).

ht rapporter son cœur aux yeux qui lavaient pris é a ô e u" è 6 ô i a è i

(Id.).

Pei<;nant sur son col blanc sa chevelure brune è n" a u" n o" a è é û è û

(Id.).

Ni l'oiseau revenir, ni la feuille renaître i ii ô è è i i a è é è è

(Hugo).

Cette fleur avait mis dix-huit ans à s'ouvrir è è è a è i i i o" a u i

(Musset).

(Je qu'ici-bas j'écris, là-haut Dieu le copie é lia é i a 6 ô é ô i

(HUGOJ.

^^0 VEHS EN TETliADES EN EN HEXADES

Mais il est rare que cette division semble en quelque sorte s imposer et devoir être préférée à toute autre comme dans le second de ces deux vers de Musset {Lucie) :

Et toi, charme inconnu dont rien ne se détend, gui fis hésiter Faust au seuil de Marguerite

IV

LES VERS KS DYADES ET TRIADES COMRINÉES

Nous savons déjà dans quels vers ce type a sa place natu- relle ; c'est dans ceux qui sont rythmés à 2-4, 3-3, 4-2, 3-3, ou 3-3, 2-t, 3-3, 4-2. Ce système est très harmonieux, plus harmonieux (jue la plupart des systèmes en dyades. bien qu'il ait un lég-er défaut, à savoir que les dyades v sont en nombre impair. Ce défaut devient surtout sensible quand elles sont du type éi^al : l'oreille risque de s'ég-arer. Les trois dyades doivent se trouver dans le même hémistiche. Ainsi le vers de Musset cité plus haut :

^'oici la verte Ecosse el la brune Italie,

se divise de la manière suivante au point de vue de l'har- monie :

'' ' r'< è é à eu ù ?■ fi i

II se prêterait également bien à la suivante :

Cette division est même très séduisante sur le papier parce que tous les éléments commencent par une voyelle éclatante pour finir par une voyelle claire et que les deux triades séparent l'une de l'autre les trois dyades avec une régularité parfaite. Néanmoins ce système est dépourvu de toute exis- tence réelle, parce que le rythme et les séparations des mots empêcheront toujours toute oreille de le saisir.

412 VERS E> DVADO-TRIADES

Voici de beaux exemples de vers en dyado-triades

Ondoyaient au soleil jjarmi les fleurs des eaux H" a. è ô à è H i é è é 6

(xMussET, Rolla).

Sont allés chez Pallas pleurer leur impuissance a e é a a é é é e" / o"

(Racine Bnlannicus).

L omlire était nuptiale, auguste et solennelle é è l'i i a n u é à a è

(HiGo, Booz).

Jadis on j^uerroyait, maintenant on samuse a i u" è a è é u" a ii

(Id., Burgraves).

Le blé, riche présent de la blonde Cérès é été e o" ê a ii'^ é é è

(La Fontaine, IX, U).

Jouis, et te souviens qu on ne vit qu'une fois u i é é u e" u" ù i ii c a

(Chémer;.

Jamais auprès des fous ne te mets à portée a è 6 è é u é é è a o é

(La Fontaine, IX, 8i.

Vit dans ses larges veux étoiles de points d'or, t o" é a é (i é a é ë e" n

(Heredia).

Et vous avez soufflé sur le souflle de Dieu é u a é u é ù è u c è o

(Musset, La coupe el les lèvres j.

DVAUO-TIUAUKS 413

Quand il voyait passer (juelqne pauvre glaneuse 0" / a è f? é c c II c h ô

(Hl'go, Booz).

Va que ta main peuplait des oublis de ton cieur é c a e" é è é u i é h" é

, Musset, \ainouna) .

La rive est aux deux bords de guerrières jonchée a i è ('» u ù è è è è u" é

(Heredia, Le Thermodon).

Je les appelle gueux et voleurs, c'est leur nom è é a è è 6 é <) é è é u"

(Hugo, Paroles de géant).

La Bélisa passait sur sa mule au galop a é i a a è ii a ii 6 a ô

(Musset, Don Paez).

Ceux dans lesquels les dyades sont égales sont sensiblement moins harmonieux:

Qui nous vint d'Italie, et qui lui vint des cieux / (7 e" ; a i é i i e" é o

I ^1^

I I I

(Id., Lucie)

Mais la pauvre Espagnole au cœur était blessée è a 6 è a ô ô c é è è é

( Id., Xamouna).

Plus belle qu'Artémis aux forêts d'Orlygie u è è a é i (> ô è ô i i

(Leconte de Lisle).

Booz ne savait point ({u'une femme était là, ô ô è a i' e" ù è a é è a

41 4 VERS EN DYADO-TRIADES

Et Ruth ne savait poinl ce que Dieu voulait d'elle é a è a è e" é é ô u è è

(HiGo, Bnoz).

Noter que s'il y avait pas au lieu de point dans chacun de ces deux vers, le sens n'en serait nullement modifié; mais ils perdraient presque toute leur harmonie. Elle ne serait plus réductible qu'en dvades ne correspondant pas aux séparations des mots.

Pardonne, ù Donalo ! grâce avant que je meure a à 6 ô a ù a a o" è é è

(Id., Burg raves).

Nous sommes à peu près de stature pareille u ù è a ô è é a ù è a è

(Musset).

Gomme un soldat blessé que renverse une balle ô é" à a è é é o" è ù é a

(iD.).

Tu n'es que le mangeur de l'abjecte matière u è é é o" é é a è è a è

(Hlgo^ Légende).

Devant mon empereur que ramène mon Dieu é 0" u" o" é è é a è é u" d

(Id., Burr/raves).

Le Bœuf héréditaire armové sur la chappe é é é é I è a a é ù a a

' (Heredia, L'estoc).

.le vous dirais qu'Hassan racheta Namouna eu i è a 0" a è a a u a

( Musset j.

Li: RYTII^IE CONSONANTIQLIÎ

Dans les dillerents types de vers que nous avons passés en revue jus([u"à présent.' le rythme, et c'est de beaucoup le cas le plus fréquent, est marqué à l'intérieur des hémistiches par une syllabe intense. Mais nous savons (^cf. p. 94 et suiv.) qu'il v a des hémistiches à l'intérieur desquels le rythme est marqué par le prolongement et l'augmentation d'intensité d'un élément consonantique, et que la syllabe qui contient cet élément est d'ordinaire légèrement plus intense que les syllabes avoisi nantes. Il n'y a aucune raison pour que les vers qui con- tiennent de tels hémistiches soient moins harmonieux que les autres :

Pourquoi ce rhoix ? Pourquoi cel a/Ze/idrisseinent ?

Il

(Hugo).

u a e a u a e h o" ; e o"

Dans le /•«issellement formidable des ponts o" è i è é o i a è é u"

(ID.).

Ninon, vous êtes fine, et votre in.souciance / »" u è é i é ô e'^ u i o"

fMissET. A Sinon).

Je ne so/jgerai plus que rencontre funeste é é u" é é ù ê o" h" è û è

^L.\ Fontaine, IX, 2).

il() RYTHME CONSONAM'IQUE

Pour que le compagnon des Xaïades se plaise Il é è »" a J7" é a a é é è

Heredia)

Mois si vous ne régnez, vous vous plaignez toujours è i u è é é u u è é u n

(Racine, Bri(annicus)

les é</o/'gements et les érentrements ë é é ô ê 0^ é é é o é o'^

(Hugo)

Ces ajrj/jaritions. ces é/>/ouissenients é a a I i u" é é u i è o"

(1d., Varl délie grand-père)

,1e ry^uestionnerai les savants, ces apôtres è è i à è é é a o" é a ô

I I

Jd., Beligions et religion]

Et des collections qui n'amusent personne é é o è i h" i a è è ù

II)., Toule la lijre).

Les hémistiches à rythme consonantique oirrent même pour riiarmonie une facilité de plus que les autres. Tandis que dans les autres, pour que l'harmonie coïncide avec le rythme,

COUPR ('ONSONANTIOUE il7

il faut que les éléiueuts hniinoiiic^ues se terminent avec la syllabe intense qui clôt les éléments rythmiques, dans ceux-ci l'élément harmonique peut se terminer avec la syllabe légè- rement intense qui commence par la consonne prolongée, comme dans les exemples précédents, ou bien s'arrêter à la consonne dont le prolongement constitue une coupe, comme on l'a vu plus haut, p. 95. Voici des exemples de ce deuxième cas :

Ma lectrice rou[;it, et je hi scandalise ;i è i é u i é è h o" a i

l.;i //t'VdIation est une souveraine ,7 è ù il i II" è ii è née

'Musset, Namouna)

(IIuGi), L'année terrible).

\\i fais sa crosse en point d'in/erro^alion (■/ è a 0 o" e" e" è ô n i n"

II! I ,— I M I ',-

Id., LWne).

Il est t/omestiqué su/j<?rieurement / è à è i é il é i é è o"

^Id., Théâtre en liberté).

Va petit air de doute et de mélancolie ê" è i è ê u é è é o" ù i

I II I I I ^^ ,^

Musset, A Ninon).

M. Gi'.AMMovr. Le vers f'ntnçdis. 27

VI

VERS TMPARFATTE3IENT HARMOMEUX

Dans tous les types de vers cités jusqu'ici les divisions de riiarmonie coïncident avec celles du rythme. Ce sont les plus harmonieux de beaucoup ; mais on a noté au passage qu'ils ne le sont pas tous au même degré, que ceux des dernières classes en dyades, par exemple, le sont moins que ceux des premières.

Ce serait une erreur de croire que tous les vers qui ne rentrent pas dans ces diverses catégories sont totalement dépourvus d'harmonie. Ils en ont moins sans doute, mais nous pouvons les rang-er encore dans dilTérentes classes et arriver par des dég-radalions successives à ceux qui n'ont pas d'harmonie du tout.

Nous devons parler tout d'abord des hémistiches qui sont rythmés à 1-5 ou 5-1. Comme ils n'ont pas de point de repère à l'intérieur de la mesure à 5 syllabes, leur harmonie n'est pleinement satisfaisante que s'ils sont divisibles de deux manières ; dans ce cas en effet l'oreille s'arrête forcé- ment à l'une des deux :

Seul de ses nirranchis lu m'es loujours fidèle c ù é ;i o" / ('; c u u i c

Racine).

Aime pour sa jeunesse et pour sa /oyaulé è è II ;) c c é u ;i ;i ù é

(Hlgo, Biirgraves).

IIAlîMOMi; KAlItl.E 419

I/aube sur les j^rands monls se leva IVémissanle n é u é o" «" é é a é i o"

I I I l 1 I -|^ ---.^^

Id., Le Jour des rois).

Va ri"]uxin vit...

Fuir des étalons blancs rouges du sang des A'ierges / é é a u" o" {/ é ii o" é è

(Heredia).

Mais riiaraionie des vers, tels que les suivants, qui ne bénéficient pas de cet avantage, est particulièrement faible :

Pâle comme Morphée, el plus belle que lui a é o é ù é é û è é é i

I I

'Musset, Naniouna]

L'impatient Néron cesse de se contraindre e" a i o" eu" è é é é u" e"

Racine)

Etre dans le désert, c'est vivre en un linceul è é o" è é é è /" o" é" e" é

-^— I III II I --

Hugo, Uaicfle du casque).

420 VERS IMPAliFAIIEMEM' IIARMOMKUX

l^t SOUS mes pinceaux naît, vit, court et prend Tessor é u é e" o è i u é <>" è à

( IIf.hkdia).

Il n'y a pas lieu crinsister davantage sur les vers de ce type, car ils ne sont pas très fréquents. Ceux dans lescjuels les divisions du rythme sont nettes, mais ne coïncident pas avec celles de l'harmonie nous retiendront plus longtemps. La plupart d'entre eux ont une certaine harmonie, car il n'est pas indispensable que les divisions de l'harmonie concordent avec celle du rythme. Mais il va de soi que lorsqu'il y a discor- dance entre ces deux séries de divisions, l'oreille qui est dirigée par la plus forte, la plus nettement marquée, celle du rythme, risque fort de ne pas saisir l'autre. Il n'y a qu'une oreille délicate et très exercée qui y réussisse le plus souvent.

Nous classerons les vers dans lesquels il y a discordance entre les divisions du rythme et celles de l'harmonie, par ordre d'harmonie décroissante.

Les plus harmonieux sont ceux dans lesquels le rythme est du type 3-3-4-2, 3-3-2-4 ou 2-4-3-3, 4-2-3-3 et dans les- ([uels l'harmonie peut se diviser ;i la fois en dyades et en triades. Il y a toujours enelïetdans ces vers un hémistiche le rythme et l'harmonie concordent. Loreille choisit générale- ment le système de division qui fait coïncider l'harmonie avec le rythme dans le premier hémistiche :

C'est ainsi que ma muse, aux bords d'une ontle pure è e" i è a ù ù n ii u" è û

(La Fiintaine).

Pour les sept exemples suivants nous ne donnerons plus de schémas : le lecteur pourra aisément les constituer :

Qui! imite, s'il peut, Germanicus mon père

(Racine, Brilannicus).

Il AKMllMI. I.NCdMl'l.iriK

i21

Aux j)elils des oiseaux, il ddiiiie leur pâture

(Hacim;, Afhniic .

Hej;ar(ier dans ses yeux la/.ur du firmanienl

(Musset, Cne honiic fniiiiiiej.

11 était le faucheur, la terre était le pré

(IIiGii, Sull;ui Moiirudj.

Va 1 Aurore [)ieuse y l'ait cha(|ue matin

(IIeredia).

Gléopàtre debout eu la sj)lendeur du soir

(Id.\

Mais comment se l'ait-il. madame, que Ion dise

I Musset, yaDioiiiiu .

Dans les vers suixants le premier hémistiche est rythmé en dyades ; nous ne donnerons de schéma que pour le premier exemple :

l^a lune était sereine et jouait sur les tlots a û é è i' i' é II c ii é ô

( n UGO, Orieii Ui les) .

Combien de poux taut-il pour manger un lion ?

iId., Le pelil roi de Galice).

],a nuit fait le hibou si le jour l'ait le cygne

(Id., Légende .

Les lleuxes xont aux mers, les oiseaux x'ont au ciel

(Id., Paroles dans l'épreure).

Dieu seul peut nous voir tous quand sur terre il regarde

(Id., Légende).

422

VERS IMPARFAITKMKNT HARMONIEUX

Il meurl silencieux, tel que Dieu la fait naitre

(Musset, Namouna).

Il jette un drap mouillé sur son père qui râle

(Id.. Jhid.

Et lombrc ril le timbre argentin des lontaines

(Heredia).

2^* Les vers sont rythmés à 3-3- i-2, 3-3-2-4 ou 4-2-3-3, 2-4-3-3; leur harmonie n'est divisible qu en triades ou en dyades. (La possibilité d'une division supplémentaire en dyades asymétriques n'augmente pas l'harmonie).

a Ce système concorde avec le rythme du premier hémistiche :

Et le Persan superbe est aux pieds dune juive ê é é (1° u è è 6 é û è i

(Racine, Eslher

Je ne prends point pour juge une cour idolâtre

(Id,, Bérénice

Un cœur plus expansil", une jambe mieux l'aile

(Musset, Namouna

Lun sculptait l'idéal et l'autre le réel

'Hugo, Le lemple

J'ai cloué sur des croix tous les petits enfants

(Id., Inscription

Cette faucille d'or dans le champ des étoiles

Id., Booz

Semble un grand oiseau d'or qui guette au loin sa proie

fllEREDIA

iiAioioMi: niKFiciiJ: a saisih '(2^

rilvbla plein de miel mire ses bleus sommets

(Id.).

3 Ce système concorde avec le rythme du deuxième hémistiche ; harmonie très difïicile à saisir :

Comme eux vous fûtes pauvre, et comme eux orphelin n il II û c n (j <> <> <> c e"

(Racine, Athalie).

Sa réponse est dictée et même son silence

(Id., BritHiiniciis).

Hélène daif;'na suivre un berger ravisseur

(A. Chénier).

Le soleil était loin, la terre était voisine

(Musset ).

Je crois qu'une sottise est au bout de ma plume

(Id.).

Et les os des héros blanchissent dans les plaines

(Hugo, Ai/menllol)

Et la terre subit la sombre horreur fies vents

(Id. , Temps pa n iques) .

Soyez-lui, toi, légère, et toi. silencieuse,

(Hhrediaj.

Les vers ne sont rythmés qu'en mesures de trois syllabes, ou qu'en mesures de deux et quatre .syllabes, tandis que l'harmonie est une combinaison de triades et de dyades :

Ai-je mis dans sa main le timon de l'État é è I o" a e" ù i u" é é n

Racine, lirilannicus)

424 VERS IMPARFAITEMENT HAHMOMELX

El la chair marchandée au soleil se tordait

(Musset, I\'anwiina).

Le péril de Tenfant fait songer à la mère

(Hlgo, L'aigle du casque).

Sous la pourpre flottante et Tairain rutilant

(Heredia).

Cols abrupts, lacs, forêts pleines donibre et de nids !

(Jd.).

Mais vous avois-jc fait serment de le trahir?

i R AciNE , Bvila II meus) .

Le sphinx aux yeux perçants attend qu'on lui réponde

(Musset).

La rutilante ardeur de ses premiers éclats

(Heredia).

Vers rythmés en mesures de deux et quatre syllabes ; vers rythmés en mesures de trois syllabes ; vers rythmés moitié en mesures de trois et moitié en mesures de deux et de quatre. L'harmonie est divisée dans le système contraire :

a triades :

l*]l la chaleur des jours et la fraîcheur des nuits é a a é é u é a è è é i

(Racine, Athalie).

Kh bien, ne mangeons plus de chose ayant eu vie

(La Fontaine, X, 6),

Cet (jeil s'abaisse donc sur toute la nature

(Lamartine).

Tu parcourais Madrid, Paris, Naple et Florence

(Musset).

HARMOME TRi-8 FAIBLE 42o

L'esprit n'y voit pas clair avec les yeux du cduir

(Id.;.

Les soufïles de la nuit flottaient sur Galgala

(PIlGn, BOOZ).

S'éveillent en s^ursaut de l'éternel sommeil

(Heredia).

3 dyades symétriques :

^ os yeux seuls et les miens sont ouverts dans lAulide '' f> è é é /z" u è o" 6 {

(Racine, Iphiffénie .

El quel temps fui jamais si fertile en miracles?

(Id., Athalie).

Thraséas au Sénat, Corbulon dans l'armée

(Id., Brilannicus).

Sa petite médaille annonçait un bon coin"

(Musset, Xamouna).

La vestale songeait dans sa chaise de marbre

HiGo, Léf/ende).

InefFable lever du premier rayon d'or

(Id.. Sacre de la femme).

dyado-triades :

Ramènent tous les ans ses premières années '< è è u é o^ é é è è a é

'Racine, Brilannicus). Une vierge en or fin,d'un livre de lég^ende

i M us SET j.

426 VERS IMI'AKFAITEMEM HARMOMELX

Elle bais^sa son voile et se prit à pleurer

(Id.).

Et, couchée au soleil, elle rêvait dans l'herbe

(Hugo, Vhydre).

o^ Lharmonie n est divisible qu'en dyades qui se corres- pondent sans symétrie; dans ce cas elle est à peu près nulle. Pourtant une oreille extrêmement délicate et exercée peut encore saisir des degrés dans cette catégorie ; elle y distingue trois classes :

a le vers est rythmé en dyades : c'est le cas le moins désagréable à l'oreille :

Las de se l'aire aimer il veut se faire craindre a è è è è é i n è è c e"

Hacine , Brilan n iciis ;, .

\'ous le dirai-je enfin ? Rome le juslilie u è 0" c" n é ù ù i i

(Id., Ihid.] Et !e Flamine rouge avec son blanc cortège

Hereuia^.

'même schéma).

^ le vers est rythmé en dyades et triades

La racine du chêne entrouvre le granit a il i è û è o" u ê è a i

[Hugo, Les raisons et les ombres)

HARMUMK PRESQUE MLLE 427

Ils étaient dans le bruil. ils sont clans le silence i é è 0" è i { 11'^ (<n é { o"

Hlgo, Zim-Zizinii).

lît llairent dans la nuil une odeur de lion é è é o" a i il i) c c i u'^

( HliREDIA).

le vers est rythmé en triades :

Je crains Dieu, cher Abner, et n'ai point d'autre crainte c e" o è a è é é e" <> c e"

Racine, Athalie).

Qui ne livre son front qu'aux baisers des étoiles i é i é u" »" û è è è é a

^HuGo, Les montagnes).

D une blanche lueur la clairière est baignée " è é ù é a è è è è é

Id., Éviradnus)

VII

VERS DÉPOUKVUS d'hARMONIE

Ce sont ceux qui ne peuvent être ramenés à aucune for- mule. Aucun g^roupement des voyelles qui fournisse une cor- respondance n'est possible, et l'oreille reste désagréablement impressionnée par cette série de sons qui se succèdent sans ordre et sans lien. Néanmoins ici encore il y a des deg-rés; il peut se faire que le vers tout entier soit dépourvu d'harmonie, ou bien que l'un de ses hémistiches pris à part soit harmo- nieux; dans ce dernier cas l'oreille est moins fortement blessée, elle trouve une sorte de compensation, de soulagement. Mais pour qu'un hémistiche pris à part soit harmonieux, il faut que les divisions de son rythme et celles de cette harmonie coïn- cident strictement, et si elle est en triades, que ces triades aient une modulation nette ; si elle est en dyades, que ces dyades soient inégales :

a L vin des hémistiches pris à part est harmonieux :

C'est que lorsque Junon vit son beau sein d'ivoire

i h" () e" / a

(Musset)

Martial est en vente au prix de cinq deniers ') i c e" c é

(Heredia)

Quel que tu sois, issu d'Ancus ou d"un rustre

o" l'i 11 é 0" û

Salua d'un grand cri la chute du Soleil H ù 0 û ô ('■

:id.).

(Id.).

iiMuroMi. ii'iJN SKI I. iii'nrisTicnK 429

Ils savent compter Iheiire et que leur terre est ronde

c i' c è è u"

(Musset),

Sur le seuil de l^'table \eille saint Joseph » è ê c" ù è

Hereuia).

L'errant troupeau qui broute aux berces du (ialèse

o è è ii n è

(ID.).

Inscris un lier proiil tle guerrière dlJphir è è è è ô i

Le pontife Alexandre et le prince César é ù c" (■' é II

\'ous m\'n ez fie César confié la jeunesse u" a é è

Tu la reconnaîtras, car elle e~t toujours triste u ù è u u i

La ville s'est changée en un palais de fées aie è o" c

In.).

:Id.:

Racine 1.

IIerediai,

(Musset).

Partaient, ivres d'un rêve héroïque et brutal fi è i c è" è

(Heredia!.

Car il a vu la lune éblouissante el pleine a i a û a ii

(Td.).

430 VERS DÉPOUKVUS d" HARMONIE

Les volumes des morts et celui du vivant é 0 il é é 0

Id.

Id.

A Téclair d'un sourii-e a tressailli d'orgueil a é è é" u i

3 Aucun hémistiche nest harmonieux :

A lombre du platane nous nous allongeons

( Heredia).

Quel est le bon plaisir de votre courtoisie ?

(Musset).

Pour saluer l'entant qui rit et les admire

(Heredia).

Le maître de ce clos m'honore. Jen suis digne

Jd.).

Autour du sceptre noir que lè\e lihadamanthe

(Id.).

De ses bras familiers semble lui faire accueil

(Id.).

L'incorruptible cœur de la maîtresse branche

Id.).

Le camp s'éveille. En bas roule et gronde le tleuve

iId.).

chaque roi, gardant la pose hiératique

(Id.).

Nous avons essayé de faire passer notre oreille par-dessus la césure de riiémistiche de la manière suivante :

riArnioMF facticr 431

C-es( que, lorsque Junon vi( son be,.u sein du-oire

Pour saluer rKnlant qui rit et les admire " 'V i, c 0" o" i i é é H i

Mais cl abord plusieurs des vers que nous avons cités ne permettent pas de semblables combinaisons, et d'au Ipa dans les vers de coupe vraiment classique notre ore 1 e'n a jamais pu s habituer à faire un pareil saut, à admettre une teUe scor|,„ee; cette construction ne peut se faire que su

VIII

CLASSEMKNT DE QUELgUKS POÈTES Al' POINT DE YLE DE l'fIARMOME

D'après ce qui précède nous sommes en mesure de déter- miner exactement le deg^ré d'harmonie d'un vers ou d'une série de vers. Par conséquent nous pouvons comparer entre eux et classer à ce point de vue spécial de Tharmonie les différents poèmes d un même auteur ou d une manière générale l'en- semble des œuvres de nos divers poètes. Il suffit pour cela de faire des statistiques, d'additionner et de comparer ; c'est un travail purement matériel.

Nous donnerons quelques indications sur la manière dont ces statistiques doivent être faites et interprétées.

Il faut tout d'abord mettre à part les vers qui n'ont pas d'harmonie du tout. Mais leur compte ne suffit pas. Supposons qu en comparant deux poèmes de 100 vers chacun nous trou- vions dans 1 un o vers sans harmonie et 10 dans l'autre, il n'en résultera nullement que le second est deux fois moins harmonieux que le premier, car il peut se faire que dans celui- ci les 95 autres vers soient d'une manière g'énérale très peu harmonieux et qu'au contraire 1 autre contienne 90 vers très harmonieux. Il faut donc prendre en considération non seulement le nombre des vers harmonieux, mais aussi la qua- lité de leur harmonie.

Parmi les vers peu harmonieux, il faut faire le total de ceux dans lesquels l'harmonie est en discordance avec le rythme. Ceux dans lesquels le rythme et l'harmonie concordent four- niront un autre total, mais un autre total comprenant des élé- ments fort disparates qu'il est indispensable de disting-uer. Les plus harmonieux, nous l'avons vu. sont les vers en triades; au contraire l'harmonie de ceux qui ne se divisent qu'en dyades

i/harmonik cur;z racine 433

as3^métriques est presque nulle ; ces deux catégories ne peuvent évidemment pas figurer ensemble. Il faut aussi compter à part les vers en dyado-triades puisqu'ils sont presque aussi harmonieux que ceux en triades, et mettre dans une dernière classe les vers en dyades symétriques comprenant à la fois des vers très harmonieux et d'autres d'une harmonie moindre. 11 n'est pas utile de subdiviser cette dernière catégorie.

D'après ces principes nous avons examiné trois morceaux de 100 vers chacun dans six de nos poètes. Ces trois morceaux étant pris dans des œuvres diverses la combinaison des résultats qu'ils fournissent offre une certaine garantie et donne une espèce de moyenne pour chacun de ces poètes ; néanmoins nous ne pouvons considérer les conclusions qui en ressortent que comme des indications ; pour arriver à quelque chose de réellement précis et certain, il faudrait faire porter les statis- tiques sur des morceaux beaucoup plus nombreux et plus étendus.

Voici ce que nous avons obtenu et la classification qui en résulte :

Les 100 premiers vers de la scène des fauteuils (IV, 2) dans Britannicus se répartissent ainsi :

48 v^ers ont un système d'harmonie d'accord avec le rythme, à savoir :

14 en triades

8 en dyado-triades 23 en dyades symétriques

3 en dyades asymétriques ;

48 vers ont un système d'harmonie en désaccord avec le rythme ;

4 vers sont dénués d'harmonie.

Les 100 premiers vers de la scène de la déclaration de Phèdre (II, o) se répartissent ainsi :

M. Ghammont. Le vers français. 28

i3i CLASSEMENT DE OUELOIES POÈTES

50 vers ont un système d'harmonie d'accord avec le rythme, à savoir :

12 en triades

8 en dyado-triades

24 en dyades symétriques 6 en dyades asymétriques; 48 vers ont un système d'harmonie en désaccord avec le rytme ;

2 vers sont dénués d'harmonie.

Les 100 premiers vers de la 4'' scène de l'acte IV d'Iphigô- nie se répartissent ainsi :

44 vers ont un système d'harmonie d'accord avec le rythme, à savoir :

i 1 en triades

9 en dyado-triades

18 en dyades symétriques ; 0 en dyades asymétriques ; 54 vers ont un système en désaccord avec le rythme ; 2 vers sont dénués d'harmonie.

La combinaison de ces trois produits donne la moyenne suivante pour Racine :

41 vers concordent avec le rythme, dont : j^2 en triades

8 en dyado-triades ^!^ en dyades symétriques. 5 en dyades asymétriques ; 50 sont en discordance ; S n'ont pas d'harmonie.

Pour savoir combien de vers ont une harmonie de bonne qualité, il suffit de retrancher du total des vers présentant concordance entre le rythme et l'harmonie le nombre de ceux (jui sont en dyades asymétriques, ce qui donne un total de 42 pour 100.

Les 100 premiers vers de chacune des trois œuvres sui-

MARMOMK r.UE/. DIVERS l'OKTES 43.^)

vantes de V. Hug-o : L Année terrible, Ai/rnerillot, Petit Paul, fournissent les chilïVes suivants ; le quatrième chiflVe, en ita- lique, représente la moyenne produite par la conil)inaison des trois autres :

Concordants 58, 46, 49, 49

Triades 11, 10, (i, .'/

Dyado-triades 7, 2, iS, 0

Dyades symétriques .... 29, 28, 24, t^7

Dyades asymétriques ... 0, i), H, 7

Discordants 4o, 30, 49, 48

Sans harmonie 2, 4, 2, 3

Il }■ a donc en moyenne 42 vers qui présentent une bonne

harmonie.

Les 100 premiers vers des trois pièces suivantes de Musset : Namouna, Xiiit de mai, A la Malibran, donnent les chillVes suivants :

Concordants 50, 43, 39, 44

Triades 14, 9, 7, 10

Dyado-triades 7, 9, 8, 8

Dyades symétriques . ... 24, 18, 18, W

Dyades asymétriques. ... 5, 7, 6, 6

Discordants 47, 53, 55, j^2

Sans harmonie 3, 4, G, 4

Bonne harmonie 38

Les 100 premiers vers des trois pièces suivantes de Leconte de Liste : Le Runoïa, Glaiicé, Les Erinnyes, donnent :

Concordants 46, 42, 38, i'>

Triades 9, 12, 2, S

Dyado-triades 7, i, H, 7

Dyades symétriques.... 25, 22. 20, ^^

Dyades asymétriques. ... 5,4,5, 5

Discordants 50, 56, 59, 55

Sans harmonie 4, 2, 3, S

Bonne harmonie 37

430 CLASSEMKNT DE QUELQUES l'OÈTES

Les 100 premiers vers des trois pièces suivantes de Boi- leau : A mon esprit^ Art poétique^ Lutrin, donnent :

Concordants ;:{9, 38. 32, :U}

Triades H, 13. 12, /i?

Dy ado-triades 7, G, 12 .S^

Dyades-symétriques .... 19, 18, 6. i 4

Djades asymétriques ... 2, 1, 2, t^

Discordants aT, 53, 64, 58

Sans harmonie 4, 9, i, C)

Bonne harmonie 34

Les 100 premiers alexandrins des trois pièces suivantes de Lamartine : L'Immortalité, Les laboureurs dans Joceli/n, La chute diin ange, donnent :

Concordants 4(1, 42, 39. 40

Triades 8, 8, 8, S

Dyado-triades 4, 8, 7. 6

Dyades-symétriques 2i, 18, V\, 19

Dyades asymétriques. ... 4, 8, 9, 7

Discordants 54, 51, 53, oS

Sans harmonie 6, 7, 8. 7

Bonne harmonie 33

Ces statistiques placent donc nos six poètes au point de vue de Tharmonie dans Tordre suivant : Racine, Hugo, Musset, Leçon te de Lisle, Boileau, Lamartine.

Racine et V. Hugo viennent nettement au premier rang- avec chacun 42 vers sur 100. Si l'on s'en tenait à ce total il faudrait les placer ex aequo ; c'est ici que le détail de ces 42 vers est instructif : Racine est très sensiblement plus har- monieux que Hugo parce qu'il présente 20 vers sur 100 en triades et dyado-triades tandis que Hugo n'en a que 15.

Musset et Leconte de Lisle viennent après, l'un avec 38 et 1 autre avec 37. Il y a de même une différence sensible entre les deux parce que le premier présente \i^ vers sur 100 en triades ou dvado-triades et le second seulement 15.

CLASSAIENT

Ï'M

Boileau se place notablement plus bas avec 34 vers sur 100; mais il ne faut pas oublier que s'il n'avait pas tant de vers discordants, il figurerait au premier rang avec Racine puisqu'il a comme lui 20 vers sur 100 en triades ou djado-triades.

Quant à Lamartine, il est nettement le dernier, non pas tant parce qu'il ne donne que 33 vers ayant une bonne har- monie (c'est en somme le même chiffre que Boileau), que parce que sur ces 33 vers il n'en a que 14 en triades ou dyado- triades.

Certains s'étonneront peut-être de trouver l'harmonieux Lamartine en si mauvaise place. Nous ne saurions mieux faire que de les renvoyer à l'article qu'a publié sur lui Leçon te de Lisle. Ils y trouveront très nettement exposées les raisons pour lesquelles ce poète perd tant k être examiné de près.

Les statistiques de ce genre peuvent servir à comparer non seulement deux poètes entre eux, mais aussi les diverses œuvres d'un même poète. Ainsi il est très remarquable que les différentes pièces qu'un poète a composées à une même époque fournissent en g-énéral à peu de chose près les mêmes chiffres ; tandis qu'il n'en est pas toujours de même pour deux poèmes dont l'un est postérieur de quinze ou vingt ans à l'autre. La comparaison des 100 premiers vers de L'année ter- rible avec les 100 premiers d'Aymerillof est très suggestive à cet égard. Si on lit successivement ces deux morceaux on sent bien vite que ce n'est plus le même art : le poète est devenu vieux ; la poésie a baissé, la langue et le rythme ont perdu leur souplesse, mais l'harmonie a augmenté ; l'auteur a sensi- blement perfectionné son instrument à ce point de vue qui est malheureusement dans une certaine mesure secondaire. L'étude de l'harmonie par statistiques peut donc fournir un précieux concours pour étudier l'évolution de Tart d'un poète.

IX

LHARMOME DL;S VEKS DK MUIiNS DE DOUZE SYLLABES

Le vers de douze syllabes est depuis le xvii'' siècle le vers français par excellence. Becq de Fouquières a montré lorsqu'il s'est occupé du rythme à quoi il devait son triomphe et sa supériorité. C'est au nombre de ses syllabes, douze, qui est « celui dont les éléments peuvent se grouper suivant le plus grand nombre de combinaisons, chaque groupe étant, avec le nombre total, dans un rapport exact et facile à appré- cier... Le nombre de douze est celui que l'oreille analyse le plus aisément puisqu'elle peut le diviser en groupes de deux, de trois, de quatre ou de six sons » (p. 10). L'étude que nous venons de faire sur l'harmonie fait comprendre sans explica- tions, que le raisonnement appliqué au rythme par Becq de Fouquières convient également bien à l'harmonie.

Un vers de douze syllabes isolé est un vers : il a son rythme complet et son harmonie forme un tout. Un vers de dix syl- labes isolé n'est un vers que dans certaines conditions. Les vers qui n'ont que huit syllabes ou moins de huit syllabes ne sont des vers qu'à C(mdition de n'être pas isolés. Il va de soi que si l'harmonie au lieu d'appartenir en propre à un vers se répartit sur tout un groupe, elle perd de sa précision, devient beaucoup plus vague. Elle devient en même temps beaucoup moins intéressante ; aussi nous bornerons-nous à donner quelques indications sur Iharmonie des vers de moins de douze syllabes.

Le vers de dix syllabes, le grand vers de l'ancienne poésie française, peut être souvent considéré comme une unité. Dans ce cas son harmonie se ramène à six dyades ou à deux dyades et deux triades réparties dans un ordre que détermine la place de la coupe.

HAUMOMI; Di;S |)li;(;ASVLLABKS 439

Voici quelques exemples coupés après la quatrième syllabe. On notera que le second membre du vers comprend tantôt deux triades, tantôt trois dyades :

Maint chef périt, maint héros expira : e" (' (' / e" à n è i a.

Et sur son roc Proniéthée espéra é ù 11" n à é é è é a

De voir bientôt une fin à sa peine. é è e" n û é e^ a a è

C'étoit plaisir d'observer leurs efforts; é è è i à è é é è n

C'étoit pitié de voir tomber les morts. é è I c ê è h" é é à

La Fontaine, \'II, 8).

Rappelons que la syllabe oi se prononçait ?rè à l'époque de La Fontaine ; cela nous dispensera de tout commentaire sur notre notation.

Ajoutons ici trois exemples modernes, devix de Hugo et un de Musset (coupé à 5). On remarquera combien sont inférieurs aux autres en harmonie les vers qui commencent par deux triades et par conséquent ne tiennent pas compte de la coupe :

Que de printemps passés avec leurs fleurs ! é è e" o" a é a è è é

iiO LHARMOME DES PETITS VEKS

Que de feux morts et que de tombes closes 1 é é ô à é é è u^ è ô

Se souvient-on qu"il fut jadis des cœurs? eue" »" i ti aie é

Se souvient-on qu'il fut jadis des roses ? eue" »" ;' (/ ai é ô

Elle m'aimait. Je l'aimais. Nous étions è é è è é è è u é u"

'médiocre).

Deux purs enfants, deux parfums, deux rayons.

U O" 0"

O a e'

0 e h"

(Contemplai io n s )

Jeunes amours, si vile épanouies, é é a II i i é a u i

I I I I I I T -r

Vous êtes l'aube et le matin du cœur. u è è ô é é a e" ê

Charmez l'enfant, extases inouïes! a é o" 0" è a é i u i

(médiocre).

(médiocre)

Va, quand le soir vient avec la douleur, é o" é a e^ a è a u ë

HABMONIE DES DECASYLLARES

Charmez encor nos âmes éblouies, a é o'^ n n a è é ii i

441

Jeunes amours si vile évanouies !

[Conlemplalions) .

J'ai dit à mon cœur, à mon faible cœur : é i Si II" è a u" è è è

N'est-ce point assez d'aimer sa maîtresse ? è é a é è é a è è

médiocre

Et ne vois-tu pas que changer sans cesse, é é a il a é o" é o" è

C'est perdre en désirs le temps du bonheur? è è o'^ é i ê o" û à è

Il m'a répondu : Ce n'est point assez, i a é u" u ù è e" a é

Ce n'est point assez daimer sa maîtresse ; é è e" a é è c a è è

médiocre

442 l'harmomk des petits vers

Et ne vois-lu pas que changer sans cesse Nous rend doux et chers les plaisirs passés ! Il o" Il c è é è i a é

^- I 11 I-

(Musset, Chanson).

L" harmonie du vers de 8 syllabes est forcément divisée en quatre dyades. En voici quelques jolis exemples :

Tirois qui pour la seule Annette / / 1 u n è a è

Faisoit résonner les accords é è é à é è a à

Dune voix et dune musette a è è é ii é ii c

Capables de toucher les morts, a a é é u é é à

Chantoit un jour le long des bords o" è é" u é u" c à

D'une onde arrosant des prairies (7 11" a à o" é è i

HARMOMI; DES (>CTOSVLI,AHK.S

Dont Zéphyre habitoit les campagnes fleuries. h" é i u i c c II" H è é t

443

(La Fontaine. X. I I

Un mort .s'en alloil tristement

S'emparer de son dernier oîte; o" a é ê h" è é i

in curé s'en alloil <^aiment e" n c o" a è é o"

Enterrer ce mort au plus vite. è é è n 6 ii i

Id., VII. 11

Ce que le tlot dit aux rivages, è é è ù i 0 ) a

Ce que le vent dit aux vieux monts, ù é è o"" i 6 o »"

Ce que l'astre dit aux nuages, è è a è i n iia

444 r.HAlOIOME DES PETITS VERS

C'est le mot inelFable : Aimons ! è è ô i è a eu"

' Hugo, Conlernjjhitioiu)

Si vous n'avez rien à me dire i 11 ,t é e" a è i

Pourquoi venir auprès de moi ? u a c i n è è a

Pourquoi me faille ce sourire u a é è é c u i

Qui tournerait la tète au roi ? i II é è a è ô a

Avez-vous vu dans Barcelone a é u ii 0" a è à

Une Andalouse au sein bruni ? " o" a II ô e" u i

(Id., I/juL

Pâle comme un beau soir dautomne a é à é" ô a ù à

LKs sTitoi'iiKS i:.\ Pirnis vers

C'est ma jiiaîtresse, ma liomie 1 ù a è i' c il

445

La marquera cl'Amaëf^ui. <■/ a é a a ac i

(Musset, L'andalouse).

Dans les deux derniers exemples cités le dernier vers n'a pas d'harmonie propre. Le fait est très fréquent dans tous les vers de moins de 12 syllabes quand ils sont ii^roupés en strophes, comme c'est ici le cas; ils ne constituent plus alors des unités. Mais on remarquera bien vite que ces strophes sont d'autant plus agréables qu'elles contiennent un plus grand nombre de vers ayant leur harmonie propre.

Le principal charme des strophes en petits vers vient de la variété du rythme, de la rime et des voyelles. C'est pour- quoi la suivante est très défectueuse ;

Pour le bal qu on prépare Plus d'une qui se pare Met devant son miroir Le masque noir

(^Musset, Venise);

toutes les rimes sont en -a/- ; il en résulte ime monotonie désagréable.

Pour les vers de moins de 8 syllabes, ils ne vont que par strophes ou par séries; la rime leur suffît. Dilférentes combi- naisons sont possibles, aucune nécessaire, pour l'harmonie vocalique. Très agréables sont celles qui recouvrent le rythme. 11 peut y avoir correspondance d'un vers à l'autre; ils forment alors des unités par groupes; le fait est d'ailleurs rare : c'est

446

L HARMONIE DKS PETITS VERS

une réussite. Nous réunissons par des traits les correspon- dances qui n'ont pas lieu dans le même vers :

Tout ce qui prend naissance Est périssable aussi ; L'indomptable puissance Du sort le veut ainsi

(JoACHiM UL" Bellay).

Assez dormir, ma belle. Ta cavale isabelle Hennit sous tes balcons. Vois tes piqueurs alertes. Et sur leurs manches vertes Les pieds noirs des faucons. (MrssET, Le lever).

o"

e e i a o i

t'" u" .1 c i o"

u à é ô e" /

tV ;/ r'J / a e

a I u e a u"

n e i e a e

é u c o" è è

I I

Les vers qui ont un nombre impair de syllabes sont pour la plupart des inventions peu heureuses. Il est facile de com- prendre pourquoi. Nous sommes habitués à compter le nombre des syllabes et comme nous ne les comptons pas Tune après l'autre, mais par groupes, il est bon que le nombre total des syllabes du vers soit un multiple de celui des g-roupes. « Pour qu'un vers ait sa pleine cadence, il faut, si possible, que les divers membres composants aient, pour le nombre de syllabes,

1IAHMOMI-: i)i:s iii:prAsvi.i,Aiu.s

ï'ii

des diviseurs communs » (Clair Tisseur, Modestes observations, p. 91). Levers de II syllabes est boiteux de quelque façon qu'on le construise. Le vers de 9 ne cesse de l'être que s'il est coupé à 3.3, 3 ; mais il est alors d'une désespérante monotonie.

Ces vers sont peu usités. Seul le vers de 7 a eu un grand succès. C'est un petit vers léger et sautillant, un peu moins rapide que celui de 8, mais sautillant à cause de sa boiterie. En tant que petit vers il n'a pas d'harmonie propre. Pourtant les heptasyllabes deviennent particulièrement harmonieux lorsque, le sens les groupant par deux (c'est-à-dire en faisant en quelque sorte des unités de 1 i syllabes ), ils se corres- pondent (le deux en deux comme dans l'exemple suivant :

Honte à loi cpii la première

M'as appris la trahison, ;i ,1 i a a i u"

Va (lliorreur et de colère é à é é è à è

M'as (ait [)enire la raison I a è è é a è u"

Honte à toi. femme à Wv'û sond)re, »" a cl a a è u"

Dont les funestes amours «" é il è è a u

Ont enseveli dans l'ombre

Mon printemps et mes beaux jours ! "" e" o" é ô (', n

448

l'harmome dks petits vers

C'est ta voi\, c'est ton sourire, è a a è »" u i

C'est ton rej^ard corrupteur è h" è 3 ô û é

Qui m'ont appris à maudire /' »" a / a o i

Jusqu'au semblant du bonheur.

isq

ô o" o" Il (I e

(Ml'sskt, Nuit d'octobre)

CONCLUSION

Ij'haraioiiie naît du jeu des voyelles se correspondant, non pas une à une, mais par •^•roupes. Il en a toujours été ainsi et Ton n imagine pas qu'il en puisse être autrement.

Les moyens d'expression sont tous des elfets de contraste. En ce qui concerne le rythme, les mesures lentes etles mesures rapides entrent en lumière parce qu'elles font contraste avec la moyenne des mesures ; le rejet est à une discordance entre le rythme et la syntaxe : c'est un contraste ; le trimètre romantique fait contraste avec le tétramètre classique ; une pièce en vers libres n'est qu'une suite de contrastes : un vers plus court vient après un vers plus long, un vers plus lent suit un vers plus rapide. Les sons, voyelles ou consonnes, deviennent expressifs par leur répétition, parce que la langue des vers ces répétitions apparaissent leur doit un aspect particulier qui fait contraste avec l'aspect ordinaire. Et il en est ainsi non seulement des moyens d'expression que nous aA'^ons étudiés, mais encoi"e de ceuxquenous avons passés sous silence. Car nous n'avons pas eu la prétention d'épuiser un sujet illimité ; nous avons simplement voulu établir les prin- cipes généraux et les vérifier par quelques séries d'exemples. Ainsi nous avons montré qu'un son essentiel d'un mot peut être mis en relief par la répétition dans d'autres mots de ce même son ou de sons analogues qui l'étayent et le sou- tiennent ; mais on peut obtenir un effet du même genre en laissant ce son, après l'avoir mis en bonne place, absolument isolé, c'est-à-dire en ne l'entourant que de sons de nature très différente. Dans les vers suivants le mot ti'agique est mis en valeur par sa position rythmique ; mais son /, cette note aiguë si caractéristique, surgit au milieu des autres parce

M. Ghammont. Le vers français. 29

4o0 CONCLUSION

qu'elle est seule de son espèce; pas d'autre voyelle tonique dans ces deux vers qui ne soit éclatante ou sombre, pas une qui soit claire :

Les Gentaf/res, preUf?/?! les fe/nnies sur leurs croupes, Frappent riiomine, et Thorrewr trag/que est clans les coupes

(Hugo, Le Titan).

A regarder les choses d'un autre biais les vers à ell'et sont presque toujours en contradiction avec une des règles cou- rantes de la versification. Il est détendu de supprimer la coupe de l'hémistiche, il est défendu d enjamber, il est défendu de morceler les vers, il est défendu de répéter les mêmes sons d'iine manière sensible, il est défendu de ne pas alterner les rimes masculines et féminines, il est défendu d'employer suc- cessivement plusieurs rimes assonant ensemble, il est défendu d'accepter des hiatus. Or nous avons vu quels effets puissants et vraiments poétiques ont été dus souvent à la violation même de ces observances. Qu'on se garde d'en conclure que pour être un grand poète il suffît de faire bon marché des règles. Toutes les interdictions qu'elles formulent sont excel- lentes pour la majorité des cas; car les vers nettement expressifs, même dans la poésie descriptive, ne peuvent jamais être qu'une minorité. La plupart des vers d'une pièce doivent se borner, en ce qui concerne la forme, à être harmo- nieux, bien rythmés et bien rimes. Le poète doit donc observer soigneusement les règles (jue nous a léguées un vieil usage, mais en sachant qu'il peut à l'occasion y déroger.

L'emploi des moyens d'expression n'est d'ailleurs artistique qu'à condition de n'être pas exagéré ; il ne faut pas que le lec- teur ou l'auditeur puisse les remarquer nettement à première vue, mais que ce soit seulement leur résultante qui produise sur lui l'impression voulue. Nous avons eu plusieurs fois l'oc- casion de l'indiquer en passant, et il est bon d'y insister en- core ici. Voici par exemple un passage de Mathurin Régnier l'emploi des moyens d'expression atteint ses extrêmes limites :

KMPLOl DKS MOYENS D^EXPRESSION i^i

Et le fer refrappé sous les mains résoimaules Délie (les marteaux les secousses battantes, Est battu, combattu, et non pas abattu. Ne craint beaucoup le coup, se rend impénétrable, Se rend en endurant plus fort et plus durable, Et les coups redoublés redoublent sa vertu.

Par le contraire vent en soufflantes boulfées

Le feu va rattisant ses ardeurs étoulFées:

Il bruit au bruit du vent, soulïle au soufflet venteux,

Murmure, gronde, craque à longues halenées,

Il tonne, étonne tout de ilammes entonnées:

Ce vent disputé boulfe et bouffît dépiteux.

Tout commentaire est inutile ; l'auteur a voulu montrer à quel résultat détestable peut mener l'abus de certains procédés et il y a parfaitement réussi. C'est au poète à avoir le goût assez délicat pour trouver la juste mesure. Il doit, pour ce qui est des moyens d'expression, faire porter son effort sur deux points : d'abord choisir ceux qui conviennent le mieux à l'idée exprimée (nous avons vu que l'on peut quelquefois hésiter entre plusieurs) et les employer dans la proportion exacte cette idée les comporte ; d'autre part les éviter soig-neusement toutes les fois que la pensée ne les demande pas.

Alors vous croyez, nous dit-on, que le poète fait tous vos beaux raisonnements, et qu'au milieu de l'inspiration, quand l'émotion et l'enthousiasme l'ont saisi, quand la passion fait palpiter son cœur, quand l'éloquence va jaillir de ses lèvres, il s'épuise à peser la valeur propre ou combinée des dentales, des labiales et des sifflantes, à calculer des échos de voyelles et des rappels de sonorités? Non pas ; mais nous savons que les poètes, s'ils s'astreignent à certaines règles parce que c'est l'usage, obéissent aussi à d'autres dont ils ne connaissent pas de formules et qui sont chez eux à l'état de sentiment. Ils ne calculent pas les ell'ets, mais ils les sentent et ne sont satisfaits que lorsqu'ils ont trouvé l'expression adéquate de l'idée. Sans doute il n'est pas rare que certains effets se pré-

452 CONCLUSION

sentent en quelque sorte d'eux-mêmes, produits par le hasard de la forme des mots ou de leur rapprochement ; mais, à moins d'être des.artistes médiocres, ils n'abandonnent rien au hasard et n'accueillent son apport (ju'après l'avoir reconnu et souvent perfectionné. « G est alfaire au vrai poète, dit Clair Tisseur, de sentir la chose d'instinct, sauf à la passer à l'alambic une fois faite. » Quand l'expression idéale qu'ils entrevoient se refuse à eux, sans qu'ils aient l'espoir de la rencontrer jamais, ils renoncent à l'idée. « Il n'v a pas, écrivait A. de Musset, de si belle pensée devant laquelle un poète ne recule si la mélodie s'y trouve pas » ; ce qu'il dit de la mélodie est ég-alement vrai de tous les détails de facture et d'expression. Lorsqu'ils se résolvent à noter une forme provisoire, c'est qu'ils comptent trouver mieux un jour. Alors ils se retouchent tant que leur oreille délicate et leur sentiment aiguisé les y invitent, et ce n'est souvent qu'après de nombreux essais qu'ils arrivent à se satisfaire.

Quelques exemples montreront clairement comment s'ac- complit ce travail de correction des poètes. Soit ces vers du Mariage de Roland (v. 18 et suiv.) :

Les bateliers pensifs qui les ont amenés

Ont raison d'avoir peur et de fuir dans la plaine.

Et d'oser, de bien loin, les épiera peine.

Victor Hugo avait mis d'abord :

Les bateliers hâlés qui les ont amenés.

MAL P. et V. Glachant [Papiers d'autrefois, p. 122) cons- tatent qu'il a '( renoncé à une épithète de nature, purement physique, pour accorder la suprématie à une épithète morale ». Matériellement cette observation est presque exacte, quoique dénuée d'intérêt ; mais, à y regarder de près, elle porte à faux. Les bateliers ne sont pas pensifs ; ils ont peur et s'enfuient, ce qui indique un tout autre état mental. Ils n'étaient paspen-

CORRECTIONS l)i: V. IllT.O

tO.'î

sifs quand ils les ont amenés parce qu'ils ne se doutaient pas de ce qui allait se passer, et s'ils ont pu être pensifs un instant ce nesl que pendant celui qui a précédé immédiatement leur peur et leur fuite ; mais il n'est pas question de ce moment-là. Il en résulte que « pensifs » fait l'inq^ression d'une cheville. Au contraire, " hàlés » rendait parfaitement l'idée que le poète avait voulu faire entrevoir et était, à proprement parler, une épithète morale. Ces hommes étaient « hâlés » au moral comme au physique ; ils avaient le cœur rude et endvirci comme le corps, l'émotion et la crainte, leur étaient inconnues ; pourtant cette fois la peur les avait saisis et ils fuyaient. Pourquoi a-t-il remplacé ce mot si pittoresque et si juste par « pensifs <> qui ne rend pas son idée et répond mal à la situa- tion? Parce qu'il était oblig-é d'abandonner « hâlés » et qu'il n'a pas trouvé mieux que « pensifs ». Avec « hàlés » on avait cinq fois reproduction ou rappel de la syllabe -lés :

Les haleliers hklés qui les ont ame/ies,

et les trois polysyllabes du vers avaient un a dans leur pre- mière syllabe : bateliers, halés, amenés. La discordance entre l'idée etl'expression, que nous avons sig'naléeplushaut(p. 229, 29o, 309, etc.), était telle qu'il en résultait une vraie cacopho- nie. En écrivant « pensifs » Hugo a rendu son vers faible comme idée, mais excellent comme facture. Dans Booz endormi au lieu de :

Les souilles de la nuit llottaient sur Galgala,

la première version était :

Un souille tiède était épars sur Galgfila

[Papiers (Vautrefois^ p. 135;; «était épars» est au moins aussi juste que « flottaient » et l'on peut reg-retter l'idée que suggérait le mot « tiède ». Mais les saccades choquantes qui

454 CONCLUSION

résultaient des quatre occlusives dentales : « tiède était é- » ont obligé Hugo à une retouche. Il l'a opérée avec tant d'ha- bileté et de bonheur, en disposant savamment jusqu'à la fin de ce vers les moyens d'expression employés dans le précédent (cf. p. 317-318), qu'il a fait de l'ensemble un tout qu'on ne saurait disjoindre, un tableau d'une ravissante poésie, deux des vers les plus merveilleux qui existent.

Dans Ai/merillot (v. 162, V. Glachant, Revue universitaire, 1899, t. I, p. 501), au lieu de:

Ces douves-là nous font parfois si f^rise mine Qu'il faut recommencer à l'heure Ion termine,

le poète avait d abord écrit :

Qu'il faut recommencer, quand on croit qu'on termine.

La leçon définitive rend son idée avec moins de clarté et de précision. Il s'est néanmoins résigné à l'accepter pour éviter les saccades que faisait naître dans la première rédaction, sans que l'idée les justifiât, la quintuple répétition des occlusives c, q, dans un même vers.

Au vers 1 19 de la même pièce on lit dans le manuscrit (Id., Ihid.) :

Il appela les plus fameux, les plus fougueux;

il a remplacé fameux par hardis, pour éviter une insistance, due à la répétition de f et de la voyelle tonique, qui, vu l'idée à exprimer, est suffisamment sensible par la répétition de « les plus» et qui devenait par son exagération un artifice vulgaire. Après la bataille se terminait d'abord par ces deux vers :

Mon père se tourna vers son housard tout blême : Bah, dil-il, dTune-lui la goutte tout de même.

[Papiers d autrefois, p. 133). « Donner la goutte » est l'ex- pression juste, on pourrait presque dire technique; mais elle

(.oniu:cTio.\s dk v. iil'GO ioo

est triviale. Est-ce ce qui a déterminé IIu^o à l'écarter ? c'est peu probable : mais ce qui est certain, c'est cjuil a été cho(jué par la cacophonie ([ui résultait du heurt des dentales :

...</i/-il, (/onno-lui la i;ou//e /oui de...

L'heureuse correction qui a supprimé ces saccades s'est éten- due forcément au vers qui était d'abord :

lilt (lit : Donne la goutte à ce pauvre blessé,

et cela a suffi pour rendre excellente une petite pièce piiuiiti- vement assez faible.

Tout le monde a présents à Tesprit, au commencement du Sacre de la femme, les quatre vers délicieux qui débutent par ces mots : <.< L'éden pudique et nu ». Voici ce qu ils étaient d'abord :

Lédeu charmant et nu séveillait, et, flonnaut De la distraction même au ciel rayonnant, Les oiseaux gazouillaient un murmure si tendre Que les anges penchés tâchaient de les entendre.

Le dernier vers était pénible et désagréable à 1 oreille, le pre- mier était plat, le second lourd, prosaïque et abstrait ; la lani^aie était lâche et imprécise, les idées mal coordonnées et mal digérées. Un poète aussi soigneux et aussi avisé que\ ictor Hugo ne pouvait pas laisser ce passage sans le reprendre et le refondre. Mais ne nous occupons ici que du premier vers : pourquoi en a-t-il retiré l'épithète « charmant» et pour- quoi l'a-t-il remplacée par « pudique » ? Selon MM. Glachant [Ihid., p. 130), c'est par le souci d'y introduire un qualificatif «plus rare». Sans doute c charmant » était banal à cette place, mais ce qui a déterminé sa retraite, c'est qu'il assonait lourdement avec donnant et rai/onnant, et faisait tache, avec ses deux voyelles éclatantes, au milieu dune description qui exigeait des voyelles claires (cf. p. 2t8-262j. Ce qui a fait choisir « pudit[ue » plutôt que tout autre mot n'est pas sa

456 CONCLUSION

rareté, mais la recherche de l'antithèse : l'idée de nudité appelle par antithèse celle de candeur, de pudeur, d'innocence, de pureté. Or, seul parmi les adjectifs exprimant ces idées, u pudique » présentait deux voyelles claires.

Pour Tavant-dernier vers d'Eviradnus, la première leçon donne (V. Glachant, Bévue universitaire, 1899, t. I, p. o08) :

S'approchanl délie avec un fier sourire ami, et 1 édition :

S'approchant d'elle avec un doux sourire ami.

Au point de vue de l'idée, il n'est pas interdit de préférer « doux )) à « fier », quoiqu'il fasse un peu pléonasme avec « ami », mais (( fier » était peut-être plus plein de sens, étant donné le caractère d'Eviradnus, le rôle qu'il venait de jouer, et l'antithèse apparente que ce mot faisait avec « ami ». Seu- lement avec i< fier » le vers était à peu près dépourvu d'harmonie (cf. p. 428), tandis qu'avec « doux » il a une har- monie très satisfaisante en dyades conformément au rythme (type 1-4, 2-3, 5-6. p. 403), et même en triades i cf . p. 424, 4'» oc).

Il serait aisé de multiplier les exemples de ce genre et de les emprunter à des poètes très divers. Ceux-là suffisent. Ils montrent nettement pour quelles raisons et de quelle manière les poètes se corrigent. Il est vrai que certains sont incapables de revenir sur ce qu'ils ont une fois écrit ; nous en avons signalé un exemple plus haut (p. lo8). C'est pour eux une infériorité notable ; il en résulte que leurs œuvres sont très inégales et que trop souvent les faiblesses y déparent les plus belles choses. On se demande en vain sur quoi peut bien reposer cette légende d'après laquelle les poètes, quand l'inspiration leur vient, produiraient leurs œuvres sans travail, sans efîort, spontanément et presque inconsciemment, comme la plante pousse ses feuilles quand le souffle du printemps l'a -suffisamment réchauffée. On connaît depuis l'antiquité le

CORRKCTIONS DES POÈTES 457

péiiilile lal)t'ur de \'irgile. On a depuis longtemps des docu- ments prouvant que les fables de La Fontaine n'ont atteint leur forme définitive et en général si parfaite qu'après avoir été refondues à tel point que souvent pas un seul mot n'est resté à la place ({u'il occupait dans la première rédaction. Le Buch der Licder de Heine est plein de poésies d'un tour si facile, si naturel qu'il ne semble pas que le poète ait jamais pu les concevoir sous une autre forme ; c'est d'un monceau de ratures qu'elles ont surgi avec leur aisance et leur grâce déli- cieuse. On sait aujourd'hui avec quel soin Hugo, jusqu'au moment de donner ses œuvres au public, les reprenait sans cesse, biffant, précisant, développant sans relâche. D'autres exemples encore permettent de supposer un travail analogue de la part des poètes sur la manière de composer desquels on n'est pas directement renseigné. Certains sont mieux doués que d'autres, ont plus de facilité, mais en définitive ceux qui ont été les plus parfaits sont ceux qui ont su le mieux se cor- riger.

Mais, penseront peut-être quelques-uns, maintenant que les lois de l'harmonie sont formulées, que les moyens d'ex- pression sont pour la plupart classés et définis, ne sulFira-t-il pas d'avoir quelque sens critique pour arriver à ne plus faire, avec un peu de travail, que des vers qui soient tous de tous points excellents ? Qu'on se détrompe ; d'abord il faut distin- guer dans un vers, comme nous l'avons dit dans l'introduc- tion, le fond et la forme ; toutes les règles du monde sont im- puissantes à faire naître une idée poétique, et même une forme irréprochable. Clair Tisseur a dit avec justesse dans ses Mo- destes observations : « Savoir désosser un vers ne vous en fera pas jaillir un beau, tout armé du cerveau, mais cela peut vous retenir d'en faire un mauvais ». Nous avons constaté ce qu'ont fait les poètes, nous n'avons pas prétendu creuser une ornière qu'ils doivent suivre à l'avenir. « Il n'y a pas de recette pour faire les chefs-d'œuvre, dit M. Saint-Saëns dans son Harmonie et mélodie, et ceux ({ui préconisent tel ou tel système sont des marchands d'orviétan »,

458 CONCLUSION

Sans doute les principes qui dominent les moyens d'expres- sion et leur emploi sont éternels. « Tout sentiment, écrit Guyau dans l'Art au point de vue sociologique, se traduit par des accents et des gestes appropriés. Uaccent est presque identique chez toutes les espèces : accent de la surprise, de la terreur, de la joie, etc. ; il en est de même du geste, et c'est ce qui rend immédiate l'interprétation des signes visibles ; l'art doit reproduire ces accents et ces gestes pour faire péné- trerdansTâme, par suggestion, le sentiment qu'ils expriment». Ce que l'auteur appelle des accents et des gestes c'est en poé- sie des sons et des mouvements', ceux qui conviennent à l'ex- pression de tel sentiment sont d'une manière générale tou- jours et partout les mêmes. Mais dans le détail, ces études en sont la meilleure preuve, leur variété et leurs combinai- sons sont infinies.

Il ne faut pas oublier d'ailleurs que l'emploi de tels moyens d'expression est exclu par telle forme de vers. Ainsi il est évident qu'il ne peut pas être question dans un poème en vers de forme fixe des effets que l'on obtient dans une pièce en vers libres par les changements de mètre.

Pour nous en tenir à notre alexandrin, tant qu'il n'a été qu'un élément de douze syllabes composé de deux membres égaux séparés par une pause ou césure, tous les moyens d'ex- pression que l'on peut obtenir en diversifiant les éléments rythmiques lui ont été forcément inconnus. Mais il les a pos- sédés tous, au xvii'^ siècle, le jour oîi, tout en restant un vers syllabique, il a disposé de quatre temps marqués qui en ont fait un vers rythmique. Depuis cette époque il n'a rien gagné à ce point de vue. Mais depuis la période romantique les vers ternaires sont devenus d'un usage courant ; on a pris l'habi- tude de les introduire, toutes les fois qu'on le juge à propos, dans les poèmes envers de douze syllabes, au milieu des tétra- mètres classiques, qui restent la forme la plus fréquente. Si bien qu'une pièce moderne, avec ses dodécasyllabes qui ont entre les deux hémistiches une coupe forte, ceux qui y ont une coupe faible, ceux qui n'y en ont pas du tout, avec son

LKS DK[ X ÉCOLES 459

mélange de tétramètres et de triinètres, sans parler des penta- mètres et des hexamètres, est comparable à un poème en vers libres et susceptible à peu près des mêmes moyens d'expres- sion fondés sur les changements de rythme. L'ancien vers, dont la structure était uniforme et quasi rigide, a conquis par son évolution au cours des siècles une variété et une souplesse presque illimitées, qui le rendent apte à exprimer les nuances les plus délicates : ressource pour le talent, danger pour la médiocrité.

De l'alexandrin du xii" siècle au trimètre du xix'^ la trans- formation a été normale, mais si l'on compare l'un à l'autre il semble qu'il s'est produit quelque colossal bouleversement. On dirait que l'ouragan dune révolution a passé sur l'alexan- drin. Or toute révolution, même apparente, amène forcément deux mouvements opposés : l'un de réaction, l'autre d'exagé- ration.

Les réactionnaires sont ceux qui s'obstinent encore aujour- d'hui à ne pas quitter le mode classique, et se condamnent à refaire toujours les mêmes vers que d'autres ont déjà faits. Comme si l'on pouvait faire le vers de Racine ou celui de Hugo mieux ou même aussi ])ien que Racine et que Hugo ! « Autre siècle, autre art », a dit ce dernier [W. Shakespeare). Ils enfantent des nouveau-nés vieillots et soulfreteux, ils s'épuisent en efforts stériles, mais cette tentative se renouvel- lera toujours. Elle durera jusqu'au moment 1 on ne fera plus le vers classique que comme nos lycéens faisaient autre- fois des vers latins et sans que ses produits méritent plus d'intérêt. Que de talent perdu pour n'avoir pas compris que nous avons marché !

Du côté de l'exagération, nous trouvons ceux qui ont con- clu du mouvement romantique que les règles sont des lisières bonnes tout au plus pour les esprits débiles et qu'il suffît de rimer richement pour avoir fait une œuvre qui doive soulever l'admiration des siècles. Tous les types de vers apparaissent

460 CONCLUSION

chez eux, mais le hasard seul détermine leur emploi ', Leurs productions sont encore plus néglig^eables, s'il se peut dire, que celles des réactionnaires.

Pourtant presque tout le monde sent que notre vers est défectueux et plusieurs ont demandé des réformes. « Le plus grand malheur de notre versification est d'avoir conservé la mesure des syllabes et les conditions de leur homophonie telles que les avait établies le xvr siècle, d'accord avec la pro- nonciation réelle d'alors : la prononciation a changé, et les règles qui l'avaient pour base ont été servilement maintenues, en sorte que nos vers sont incompréhensibles dans leur rythme et leur rime non seulement à l'immense majorité de ceux qui les entendent ou les lisent, mais encore, si on va bien au fond des choses, à ceux même qui les font » (G. Paris, Préface du livre deTobler). «Il serait souhaitable que des poètes détalent parvinssent à débarrasser notre code poétique de quelques règles trop étroites, relativement jeunes, qui l'entravent inu- tilement, comme l'interdiction générale des hiatus, ou la loi inviolable de l'alternance régulière des rimes masculines et féminines, ou certaines prescriptions trop formalistes pour le compte des syllabes. La rime même admettrait peut-être cer- taines modifications » (E. d'Eichtal, Du rythme dans la versi- fication française). «L'abîme s'est creusé trop large entre la langue parlée et la langue poétique pour qu'il ne soit pas deve-

1. Ce n'est pas seulement dans la forme matérielle de leurs vers que se manifeste l'insuffisance de leur éducation artistique et de leur sens critique ; c'est tout autant dans les idées qu'ils tentent dexpri- mer. E. Raynaud écrivait, non sans justesse, dans le Mercure de France de novembi'e 1892 : « Les décadents avaient pris aux romantiques le sens exagéré de lacouleui' ; ils en étaient tombés au japonisme, au ta- chisme, à l'audition colorée. Les symbolistes avaient hérité du goût des romantiques pour le macabre et le nébuleux. Ils pataugeaient dans une incohérence barbare qui voulait êti*e du rêve. Conduits par un abus de basses analogies qu'ils décoraient du nom pompeux de symbolisme, ils en étaient venus à traduire on un patois grossier des hallucinations alcooliques ou artificielles que Baudelaire avait du moins promues à la solennité du style académique ».

DEUX tk.\dam:i:s ifii

nu indispensable de le combler » i Psichari, Revue Bleue, juin 91).

C'est le sentiment de ces défauts qui a fait naître les écoles (|ue Ton désif^^ne sous les noms de décadentes, symbolistes et autres encore. Elles sont Texjjression du besoin de change- ment assez généralement répandu aujourd'hui. Qu'ont-elles produit? rien qui doive subsister, a-t-on dit, et il n est pas besoin d'être prophète, pour conlii-nier ce présage.

Le xvi^ siècle a fourmillé d'écoles analogues. 11 y en a ik toutes les époques un vieux régime sombre pour en laisser surgir un nouveau. Il est rare qu'il en sorte une seule œuvre, mais leur rôle est considérable : elles accusent les tendances et préparent l'avenir. Les évolutions se font lentement : cer- taines transformations sont quelquefois pénibles : ces écoles remplissent les périodes de transition.

Les idées symboliques ou étranges qu ont pu exprimer celles du XI x*" siècle, le vocabulaire prétentieux ou baroque quelles ont pu employer n'ont pas d'importance, puisqu'il n'en reste- ra rien. Mais au point de vue de la facture il y a deux ten- dances principales qu'elles rendent évidentes, et l'on peut à notre sens entrevoir l'avenir de notre vers, parce que ces deux tendances sont logiques et que leur réalisation est appe- lée par l'évolution normale du vers français .

Nous ne voulons pas parler ici de la rime ni de l'hiatus ; nous avons indiqué plus haut les modifications que nous paraissent comporter à l'heure actuelle les règles qui les con- cernent.

Nous faisons allusion à deux faits de bien plus grande im- portance. La langue dont se servent nos poètes, même après avoir supprimé toute distinction entre les termes nobles et les termes roturiers, après avoir accueilli le vocabulaire tout entier et y avoir même introduit quantité de néologismes, est une langue archaïque. Si neuves que puissent être les idées développées, si moderne que soit le vocabulairequi les exprime, la prononciation obligatoire est une prononciation morte depuis trois siècles.

Toute poésie, à l'origine, s'est servi de la langue vivante.

462 c.o^cLUSloî<

et s'est fondée sur elle. En Grèce, pour ne citer qu un exemple, tous les genres poétiques emploient le dialecte parlé dans la région ils naissent. Ils ont atteint leur plus haut dévelop- pement chacun dans son dialecte ; c'était la période de pro- duction originale. Postérieurement apparut la poésie d'imita- tion ; on imita les modes poétiques, on imita leurs langues qui devinrent purement artificielles et intelligibles seulement pour un cercle restreint. C'est la période de décadence, (^ue l'on compare Quintus de Smyrne à Homère et l'on entreverra l'abîme qui sépare la seconde de la première. A Rome la poé- sie classique, purement artificielle, érudite, archaïsante pour la langue, grécisante pour le fond et la forme, n'a jamais été qu'une poésie d'amateurs. Pour qu'une poésie puisse être réellement vivante, il faut qu'elle emploie la langue de son pays et de son temps. Supposez Aristophane écrivant dans la langue d'Homère ou Schiller dans celle de Hans Sachs !

xVctuellement la langue de noti-e poésie est archaïque et par conséquent artificielle sur trois points principaux :

1" L'e MUET. Parmi les e que l'on écrit aujourd'hui il en est qui se prononcent et d'autres qui ne se prononcent pas. Nous n'avons pas à faire ici leur histoire mais seulement à constater l'état actuel de la prononciation et à montrer dans quelle mesure les poètes tendent à s'y conformer. Il faut dis- tinguer plusieurs cas. Quand l'e est en contact avec une voyelle atone dans l'intérieur d'un mot, comme dans jouerai^ remerciement, tuerie il ne se prononce pas aujourd'hui ; sou- vent même il ne s'écrit plus, comme dans Joliment, prairie, roulette. Cet e formait toujours une syllabe en ancien français: mais dès le xiv'' siècle on commença à ne plus le compter ; voir à ce sujet dans notre Petit traité de versification française le chapitre intitulé Le compte des syllabes. Aujourd'hui les poètes ne le comptent plus jamais et quand A. Barbier écri- vit :

Toujours, ô mon enfant ! toujours les vents sauvag'es De leurs pieds vag-abonds balayeront les plages

{La nature), il a commis un archaïsme blâmable.

I.V' MUET 463

Quand Te suit la voyelle tonique comme dans prie, pries, prient, il comptait également toujours pour une syllabe en ancien français; il n'est plus jamais prononcé aujourd'hui. Ici l'usag-e des poètes n'a pas suivi la prononciation, si ce n'est quand l'orthographe elle-même s'y est conformée comme dans les imparfaits en -oio, -oies, devenus ais, dans le subjonctif soie, soies devenu sois, dans eaue devenu eau. Les mots dans lesquels Ye continue à être écrit ne peuvent entrer dans l'inté- rieur d'un vers que si l'e est final et élidé devant une voyelle. Telle est la règle classique ; elle comporte une exception : les imparfaits et les conditionnels en -a/en^ et les deux subjonctifs aien/ et soient peuvent entrer dans l'intérieur d'un vers sans que leur e compte pour une syllabe. Les poètes du siècle dernier ont commencé à étendre cette liberté à toutes les linales de verbes en -aient, -oient, -ient, -uent, -éent, -ouent:

En second lieu nos mœurs qui se croient plus sévères

(Musset).

Les yeux qu'on ferme voient encore

(Sully-Prudhomme).

Rient eu dessous, mettant leurs masques de travers

(Bolchor).

Les mondes fuient pareils à des gniines vannées

(Suixv-Pridhomme).

On ne saurait que les louer de cette g-énéralisation ; il est temps qu'elle devienne complète et qu'on ne rencontre plus dans nos vers d'archaïsmes comme celui-ci :

On dit qu'elle a des gens qui se noi-eni pour elle

i' Musset) .

Ces mêmes imparfaits en -aient placés à la rime constituent une rime masculine ; mais Hugo emploie encore voient : soient

464 CONCLUSION

comme rime féminime. En réalité toutes ces rimes sont mas- culines puisque Ve ne se prononce pas.

Pour les formes en -e, -es la règle classique est impitoyable ; elle n'en accepte aucune dans l'intérieur du vers. Mais il y a bien longtemps que les poètes ont éprouvé le besoin de les admettre conformément à leur prononciation, c'est-à-dire sans compter le. Ronsard disait déjà : « Tvi dois oster la der- nière e féminine, tant des vocables singuliers que pluriers qui se Unissent en ee et ées, quand de fortune ils se rencontrent au milieu de ton vers. Exemple du féminin plurier :

Roland avait deux épé-es en main.

Xe sens-tu pas que ces deux épé-es en main ofîencent la déli- catesse de Faureille? Et pour ce, tu dois mettre :

Roland avait deux épes en la main

...Autant en est-il des vocables en oue et ne comme roue, joue, nue, venue et mille autres qui doivent recevoir syncope au milieu de ton vers, si tu veux que ton poème soit ensemble doux et savoureux. Pour ce tu metti-as : rou', jou', nu', etc. ». On trouve déjà cette suppression de Ve au xv'' siècle. Aux xvi*^ et XYU*" elle est fréquente :

Toy qui levant la veue trop haute

(BAÏf, 8 syll.).

A veu' d'œil mon teint jaunissoit Et la livrée du capitaine Lassée d'un repos de douze ans

(Régnier). (Marot, 8 s.).

(Malherbe, 8 s.).

Mantoue, tu ne vois point soupirer la province

(Corneille).

L e MUET

465

Bon 1 jurer ! ce serment vous //'e-t-il chn^antage ?

(La Fontaine).

lié bien, me plains-je à tort ? me joues-ln pas, Amour?

(La Fontaine).

A la queue de nos cliiens, moi seul avec Drécar

(Molière, Les Fâcheux).

Les Ilots contre les ilôts font un /-e/» «-ménage

(MoLiKKE, Dépit amoureux).

Mais il faut dii-e que les mêmes poètes, sans en excepter Ronsard, comptent cet e pour une syllabe dans d'autres pas- sages. Ils ne saffranchissent de la règ-le que timidement et exceptionnellement :

Mais comme crois. Destinée fatale

(Marot, 10 s.

Ah ! longues nuits d'hiver, de ma me bourrelles

Et par lui la cité de Troie fut brûlée Ne me reproche point qu'oisif j'fl/e vécu

(Ronsard

fRoNSARD

Ronsard

La partie brutale alors veut prendre empire

(Molière, Le dépit amoureux

Anselme, mon mignon, c/v"e-t-elle à toute heure

(Molière, Etourdi).

Dans la première moitié du xix*^ siècle les exemples sont plus rares, mais non moins significatifs:

Pas un qu'avec des pleurs tu n'aies balbutié

(^ Musset, Xamounaj. M. Grammunt. Le vers français. 30

466

CONCLUSION

Avant que lu n'aies mis la main à ta massue

(Hugo, Feuilles cl automne).

Un vieux pirate grec l'avait troure gentille

(Musset, Namouna).

Que mes joues et mes mains bleuiront comme celles D'un noyé...

(Musset).

Ne m'a-t-il pas jetée sous tes pas comme on trouve

(Lam.\rtine, Jocelyn).

Tout sur terre nous voilà. Etait en /•e/?jue-ménag'e

(Banville).

Le crucifix, le bloc, Vépée hors de la gaine

(Leconte de Lisle).

La Baie des Trépassés blanche comme la craie

(Brizeux).

Les poètes décadents ont accentué cette tendance ; nous attendons qu'elle se réalise complètement et que tous les mots de ce genre entrent librement dans le vers à n'importe quelle place.

Enfin quand Ve vient après une consonne soit dans l'inté- rieur, soit à la lin d un mot, il était encore toujours prononcé et comptait toujours pour une syllabe en ancien français. Au- jourd'hui il n est plus prononcé que dans les conditions que nous avons déterminées dans les Mémoires de la Société de Linguistique^ VllI, o3-90. 11 en était déjà de même au xvii^ siècle; cf. Thurot, II, 748. En poésie d'après la règle classique il doit toujours faire syllabe. Ici les poètes se sont montrés plus timides que dans les cas précédents. Pourtant dès le xvi® siècle on voit se manifester une tendance à supprimer l'e muet il ne se prononce pas :

Tu t'abuses toi-même, ou tu me porte envie

(Desportes).

Le MLLT 467

La suppression do \s permet de justifier pour les yeux l'éli- sion de le ; eu réalité cette graphie prouve qu'on ne pronon- çait ni le ni Ys. C'est le même artifice que l'on trouve dans Agrippa d'Aubig-né :

Toi, Seigneur, qui abats, qui blesses, qui guéris. Qui donnes vie et mort, qui lue et qui nourris,

et ailleurs dans le même Desportes :

Jupiter, s'il est vrai que tu lusse" amoureux;

Malherbe a blâmé l'orthographe de ce vers et aussi celle des deux suivants c'est Ve qui n est pas écrit :

Des charbons imilils et des herbes méchantes...

Des fortes mains à' HercuV veux-je arracher la masse.

Ronsard supprime de même parfois un e muet final :

Fait à houppes de soie, et si bien elV le traite

(Ronsard, Eglocjues).

Mais plus ell nous veut plonger Et plus eir nous fait nager.

(Ronsard, 7 syll.).

Chez les modernes, si on laisse de côté les chansonniers qui sont à part, les exemples sont fort rares, mais il faut recon- naître qu'ils n'ont rien de choquant :

Que tu ne puisse encor sur ton levier terrible

(Musset, La coupe et les lèvres).

Et recouvrant le fer de son hourlet d'écorce

(Lamartine, Jocelyn).

Quelque soit la main qui me serve

(I^AMARTiNE, RecueilleineiUs).

468 CONCLUSION

Tu \ emporte, il est vrai ; mais lorsque tu m'abats

(Lamartine, La mort de Jonathas) ;

il était bien facile de dire : Tu l'emportes, c'est vrai... mais le \'ers n'y aurait rien gagné.

Parmi les décadents c'est M. Jean Moréas qui a le plus net- tement accusé cette tendance. Seulement il ne paraît pas s'être toujours rendu exactement compte de l'état réel de la langue ; car il lui arrive parfois de supprimer des e qui se sont toujours prononcés et d'en compter que l'on ne prononce pas. 11 est évident que notre poésie doit arriver à brève échéance à ne plus compter que les e qui se prononcent et à négliger ceux qui sont réellement muets. Notre vers ne pour- ra qu y gagner en sonorité.

Il est à peine besoin de rappeler que pour cette question, comme dans tout le cours de ce livre, nous ne considérons que le français proprement dit et que les prononciations provin- ciales, comme celle du Midi l'on prononce vingte-cinq en trois S3'llabes, sont pour nous sans intérêt.

La diérèse. Il s'agit des groupes de deux voyelles dont aucune n'est e et dont la première est /, o«, o, «, c'est-à-dire une voyelle susceptible de devenir semi-voyelle. Doivent-ils être comptés pour deux syllabes ou pour une seule? Histori- quement la question est fort complexe ; on en trouvera une esquisse dans notre Petit traité. Les règles classiques (relatées en grande partie chez Quicherat) sont purement empiriques, artificielles, parfois contradictoires et souvent flottantes.

On trouve fréquemment des contradictions pour le même mot chez le même poète :

Le sud, le nord, Vou-est et l'est et Saint-Mathieu A cause du vent d'ouest tout le long de la plage Rome était la tru-ie énorme qui se vautre

(Hugo).

Id.).

(ID.).

LA DIÉRÈSE 469

Les soupiraux infecls et nairés par les Iriiies

{lu.).

De sa vue, hier eiicor, je faisais mon délice

(Coppée).

Or, ce fut hi-er soir, quand elle me parla

(ID.).

Et baisant tout bas son roii-ei

(Musset).

Ne chercherait-on pas le rouet de Marguerite ?

(Id.).

Marqué du fou-el des Furies

(Musset).

J'oserais ramasser le fouet de la satire

(Id.).

Me font rire. Piaillez, mesdames les chou-ettes

(Hugo).

Pas de corbeau goulu, pas de loup, pas de chouette

(Id.).

Oh! laffreux su-icide ! C>h ! si j'avais des ailes

(Musset).

Mon enfant, un suicide. Ah ! songez à votre âme

(Id.).

Sur la terre tout jette un miasme empoisonneur

i^HuGo).

Mêlé dans leur sépulcre au mi-asme insalubre

(Id.).

L'opi-um, ciel liquide

Th. Gautier, 6 svll.u

470 CONCLUSION

D'opium usé

;Id., 4 syll.

C'est le pendant des syllabes « communes » chez les poètes classiques latins, qui leur permettaient d'emploj^er dans le même vers le mot pafreni, par exemple, indifféremment avec la première sjdlabe long-ue ou brève. C'est la marque la plus évidente d'une lang-ue artificielle, et bien cpie ce ne soit en apparence qu une chose sans importance elle peut avoir les conséquences les plus graves et devenir un g'erme de mort pour la poésie qui l'admet. Il n'y a qu'un principe admissible : se conformer a la prononciation de la lang-ue vivante. La poésie de l'ancien fran(,'ais faisait ainsi ; mais la prononciation a no- tablement changé sur ce point comme sur beaucoup d'autres. La poésie d'aujourd'hui ne peut suivre que la prononciation d'aujourd'hui. On doit compter pour deux syllabes « (les) pas- sions », comme « (nous) passions». On trouvera la pronon- ciation actuelle de ces groupes exposée en détail dans les Mé- moires de la Société de Linguistique, VllI, p. 71 et suivantes (article cité plus haut).

On peut noter d'ailleurs sur ce point une tendance des poètes à se conformer à la prononciation à mesure qu'elle évoluait. Le fait le plus caractéristicjue est l'emploi unique- ment avec diérèse depuis l'époque classique (grâce surtout à l'influence de Corneille) des groupes dont la première voyelle est / quand ils viennent après une liquide précédée d'une autre consonne :

Vous devri-ez pleurer nos morts

(Sully-Prud'homme).

Le sangli-er lancé comme un rocher qui roule II travaiUait sans plainte, oiivri-er soHtaire Jainie. Philée ainsi parla le quatri-ème

(iD.). (ID.).

(Id.).

LA SYNÉRÈSE 471

Sous les verts marronniers et les peupli-ers blancs

(Musset).

On peut constater aussi nombre de synérèses réalisées depuis la période de l'ancien français et accueillies par nos poètes : écu-plle en ancien français, mais

Mille petits cailloux volaient vers son éciielle

(Catille Mendès).

di-acre en ancien français, mais

Gomme un diacre à Noël, à côté du curé

(Musset).

Mais à côté de cela combien devons-nous relever de contra- dictions et l'on peut mêm.e dire de reculs: quotidien dans Augier, mais

Pour g-agner notre pain, tâche quolidi-enne

assiette dans Musset, mais"

De te voir à ce point hors de ton assi-elle

piéton en ancien français, mais

Embaumaient, énervants, et sur \es pi-étons

bruire en ancien français, mais

La chute du moulin bru-il comme autrefois

piano chez Musset, mais

Pareil au pi-ano de valse et de quadrille

(CoppéeI

(Augier).

(Coppée")

(Coppée)

(Coppée).

472 CONCLUSION

Ces exemples sont dautant plus mauvais qu'il s'agit de vers familiers.

Il ressort clairement de que, pour cette question, nos poètes sont actuellement comme le limier qui a perdu la piste et qui court de droite et de g-auche en quête d'un indice qui le remettra sur la bonne voie. Comme la dit Becq de Fou- quières, « faute de s'être rendu compte des principes supé- rieurs de la métrique qu'ils appliquent instinctivement, les poètes ont parfois des audaces irréfléchies qui les jettent en dehors des règ-les les plus certaines, ou au contraire ils hésitent à briser les entraves d'autres règles que rien ne jus- tifie)). Dans les cas de ce genre, c'est au théoricien à leur montrer le vrai chemin.

3^ L'/i ASPIRÉ. L'/i dit aspiré ne s'aspire pas et même ne se prononce pas du tout, mais détermine une prononciation particulière devant lui: il empêche la liaison d'une consonne et l'élision d'une voyelle. Cet état est flottant aujourd'hui et depuis fort longtemps ^ ; la langue tend à supprimer totalement Y/i aspiré et les effets qu'il produit (voir le détail de la ques- tion dans les Mémoires de la Société de linguistique, VIII, p. 86 et suivantes), mais cette évolution, empêchée par les livres et l'enseignement, n'est pas encore terminée. La poésie n'a pas qualité pour devancer la langue parlée. Pourtant cer- tains poètes ont cru pouvoir parfois élider une voyelle devant un h aspiré :

Très mauvais gite hormis qu'en sa valise

(La Fontaine).

1. i< La plus saine et la plus commune opinion est qu'il faut dire et écrire allé sans h... Or est-il que je pose en fait, après le témoignage d'une quantité de personnes irréprochables, auquel je joins encore ma propre observation, que dans tous les livres on n'a point vu alte impri- mé ni écrit avec un h » (Vaugelas, 11, 335). Cf. Molière, Dépit amoureux, 975 :

Nous verrons. Mais Lucile... Aile ! son père sort.

lIi aspiré 473

Je meurs au moins sans être haï de vous

(Voltaire).

Des vers de ce g-enre font regretter que ces exemples ne soient pas encore devenvis des modèles.

Quand ces réformes relatives à Ve muet, à la diérèse e?t à 17i aspiré seront délînitivement accomplies nous aurons con- servé le beau vers syllabique de Racine et de Hugo, mais avec un compte de syllabes conforme à celui de la lang-ue réelle- ment vivante. Il sera lui-même rendu par plus vivant et en même temps plus sonore et plus harmonieux. Nous l'avons vu en effet, l'harmonie est d'autant plus g-rande que les élé- ments qui entrent en jeu pour la constituer sont mieux modu- lés : l'e muet qui n'existe dans les vers que par une pronon- ciation artificielle, quoique oblig-atoire, ne vaut pas pour la modulation une voyelle plus nette et mieux timbrée.

Voilà donc une première tendance : elle porte sur la langue. La seconde, que nous annoncions tout à l'heure, touche d'une manière beaucoup plus intime à la facture même du vers. Quand notre vers est devenu rythmique tout en restant sylla- bique il a acquis parla dans une certaine mesure un caractère bizarre. En effet la superposition de ces deux systèmes presque incompatibles produit forcément une sorte de discordance. Dire qu'un vers est syllabique c'est faire entendre qu'il a un nombre de syllabes fixe, avec au besoin un point de repère quelque part (la césure de l'hémistiche) et rien de plus. Un vers rythmique au contraire a un nombre fixe d'accents ryth- miques ou de mesures déterminées par eux et un nombre de syllabes quelconque. Or notre vers classique a un nombre de syllabes fixe avec un nombre de mesures qui ne l'est pas obli- gatoirement. Sans doute le nombre des syllabes de chaque mesure n'est fixe et égal que dans le type relativement rare 3. 3. 3. 3:

Ma fortu I ne va prendre | une fa | ce nouvelle

(Andromaque).

474 CONCLUSION

Le plus souvent, il est très variable, mais non pas libre, car le total des syllabes comprises dans un hémistiche ne peut pas être inférieur ni supérieur à six. Hugo et ses successeurs ont fait craquer la cuirasse hémistiche. Ils ont ainsi donné plus de liberté au rythme et plus de variété aux mesures; mais ils ont simplement substitué à la cuirasse étroite de l'hémistiche une cuirasse plus ample, celle du vers. Le total des mesures comprises dans un vers ne peut pas comprendre un nombre de syllabes autre que douze.

Une évolution commencée ne s'arrête que lorsqu'elle est achevée. Tant qu'elle n'a pas atteint son terme_, une phase appelle la suivante. Celle qui s'imposait après Hugo consistait à briser cette dernière entrave. Les décadents l'ont tenté avec juste raison :

Et j'aurais voulu voir | son om|bresur la mer Et son visai ge pendant qu'il rêvait | à voix haute Debout à la proue | et hii parler | peut-être, Car le navire | était ancré | près de la cote ; Mais les rochers | me le cachaient | et cette tête Qui dort | sur mes genoux, | lourde et charmante, M'a fait rester j assis | dans l'aube blanche...

(H. DE Régnier, Lhomme et la Sirène).

L'avenue, | comme un lit de fleuve | aux berges plates, Entre des pentes | aux gazons fins | et miroitants, Et jusqu'aux bois, | aux Hgnes là-bas, | des mers lointaines, Entre des arbres, | et des corbeilles | écarlates, L'avenue, | tel un cours de fleuve | intermittent, Roule et roule | les sombres flots | de ses ondes humaines.

(R. DE Souza).

Dans ces deux passages Régnier et Souza comptent encore les syllabes à peu près à la classique, et croient avoir fait œuvre fort originale quand ils ont mis côte à côte des vers qui n'en ont pas exactement le même nombre.

La dilîérence du total des syllabes est en effet peu considé-

PROSE RYTHMÉE RÉGULIÈREMENT 475

rable entre ces vers, mais elle pourrait être très grande Dans un poème rythmé à forme fixe et dont chaque vers contient quatre mesures un vers peut être constitué par quatre mono- svllabes ou au contraire par quatre mesures avant chacune de une a six ou même sept syllabes. Les deux vers suivants mettent en contact les deux extrêmes :

Science, | art, | vie, ( mort, Si Ton vous osait dire | que vous ignorez tout | et que vous [n'en savez rien | et que Ion vous en adore.

Ce n'est pas autre chose que des schémas, mais ils font nettement ressortir le principe : ces deux vers sont égaux entre

eux

Ces vers, tout comme les vers purement classiques pour- raient a la rigueur n'être pas rimes ; ce seraient encore des vers, seulement ils ne se distingueraient pas d'une prose ryth- mée régulièrement. Telles sont ces petites phrases de Flau- bert que nous prenons dans Bouvard et Pécuchet :

Cétait un rire | particulier, [ une seule note | très basse toujours la même | poussée | à de longs | intervalles.

Ses yeux | étaient bridés | aux pommettes Et il souriait | d"un petit air | narquois.

D-un côté I une tonnelle | aboutissait | à un vigneau

De 1 autre | un mur | soutenait | les espaliers-

Et une claire-voie, | dans le fond, [ donnait | sur la campagne.

Tout ce qui distinguerait cette poésie de cette prose c'est que, tandis que les petites phrases de Flaubert sont précédées et sûmes d autres qui sont rythmées autrement, dans la poésie toute la pièce serait rythmée dune manière uniforme. On n'ob- tiendrait par qu'un mstrument très inférieur à la prose et d une désespérante monotonie, tous les membres de phrases se terminant obligatoirement avec le vers. La rime est donc

476

CONCLUSION

indispensable à ce mode poétique pour lui fournir toutes les ressources du vocalisme et de l'enjambement sous toutes ses formes, pour le rendre tolérable. Tel quel, il n'a jamais été employé par personne à notre connaissance ; car les deux pas- sages que nous venons de citer ont été extraits arbitrairement par nous de pièces en vers libres et le rythme fixe que nous avons signalé n'y a été mis qu'inconsciemment par leurs au- teurs.

Il n'y a d'ailleurs pas chance que ce mode ait jamais grand succès. La monotonie lui est tellement inhérente qu'il faudrait plus de génie peut-être pour la rompre sans cesse qu'il n'en a fallu à Victor Hugo pour faire uAymerillot ».

Mais le vers proprement classique est aussi bien monotone par nature, et nos plus grands poètes classiques n''ont pas pu toujours le garantir de ce défaut. Les romantiques y ont intro- duit une g-rande variété en modifiant son système de coupes, ce qui en a fait au point de vue du rythme, comme nous l'avons montré plus haut, p. 103, un vers libre. A côté de cela les clas- siques et romantiques disposaient d'ailleurs de leur vers libre, celui de La Fontaine, danslequel le nombre des syllabes varie et avec lui, d'une manière g^énéralement proportionnelle, celui des accents rythmiques.

Le vers purement rythmé est évidemment susceptible de quelque chose de très analogue. Il est certain qu'il peut y avoir un vers rythmique libre comme il y a un vers syllabique libre. Les décadents nous en ont donné de nombreux exemples ; malheureusement aucune de leurs pièces ne peut passer pour un modèle parce qu'aucune n'est un chef-d'œuvre. Mais la maladresse de l'ouvrier ne saurait prouver que l'instrument soit défectueux. Nous avons étudié plus haut un morceau de M. de Rég-nier, qui était en quelque sorte le chef de l'école versifiant de cette manière ; nous en rappellerons ici deux autres de la même école qui sont souvent cités :

Flavie,

Je l'ai revue, un soir,

Près de la source je vais boire au soir

Depuis de longs vieux jours de vie

VKKS UYTHMIQl'ES 4 / /

Menant mes porcs ;

Elle s'est penchée à boire à sa main en coupe ;

Je n'osai lui parler songeant aux jours d'alors ;

Mais comme je lui dis : Flavie !

Parlant de l'autre vie,

De Marc et Lise et de la troupe,

De ce qu'ils diraient en me voyant

Avec mes pourceaux et mon vêtement

Et mon épieu pour toutes armes.

Elle me regarda si tristement

Que je sentis de chaudes larmes :

0 pauvre cœur, dit-elle, et s'en alla.

Souvent, toute une nuit, j'ai songé à cela

(ViÉLÉ Griffin, Le Porcher).

Danse sans rêve et sans trêve;

Il n'est d'inutiles ébats

Que ceux que tu danses pour moi,

Oh toi l'exsangue, oh toi la frêle, oh toi la grêle,

A qui mes baisers

Firent un tapis triomphal rosé

Des aurores nous menâmes

Nos pas, nos regards et nos âmes.

Nos sens jaloux, nos âmes grêles ;

Tu demeures la ruine éclairée par les torches

Tandis que les grands vents ululent sous les porches

Souffletant de folioles errantes les écussons

(G. Kahn, Les palais nomades).

Sans doute ces trois pièces ne sont pas très mauvaises ; mais on est loin de pouvoir dire qu "elles soient bonnes ; c'est faiblement pensé, pauvrement écrit et même mal rythmé. Quant k prétendre que ce n'est que de la prose et même de la mauvaise prose ; non pas. La présence de la rime (ou asso- nance) suffit à les distinguer par tous les moyens d'expression qu'elle permet. On peut trouver aisément de la prose tout aussi bien rythmée et même mieux. En voici des exemples qui ne sont pas exceptionnels dans les œuvres de nos prosateurs :

478 COiNCLUSION

Un dimanche | ils se mirent en marche | dès le matin, Et, passant | par Meudon, | Bellevue, | Suresnes, | Auteuil, Tout le long' du jour, Ils vagabondèrent [ entre ces vignes, Arrachèrent | des coquelicots | au bord des champs, Dormirent | sur Therbe, Burent | du lait, Mangèrent | sous les acacias | des guinguettes,

l'^t rentrèrent | fort tard. Poudreux, | exténués, | ravis.

(Flaubert, Bouvard et Pécuchet)-.

Le lendemain, | on repartait j dès Taube ; Et la route. Toujours la même, S'allongeait | en montant | jusqu'au bord | de l'horizon. Les mètres de cailloux | se succédaient. Les fossés | étaient pleins d'eau, La campagne | s'étalait I par grandes surfaces | d'un vert mono-

[tone I et froid. Des nuages | couraient | dans le ciel. De temps à autre | la pluie | tombait

(Flaubert, Ihicl.).

L'artifice typographique qui consiste à faire rentrer plus ou moins les différentes lig-nes proportionnellement au nombre de leurs accents rythmiques n'a aucune importance ; mais c'est plus beau pour l'œil que de les faire commencer toutes au même niveau. Nous citerons encore deux passages de ce genre que nous empruntons à Gujau [L'art au point de vue sociologique) ; le premier est une sorte de strophe de Flaubert [Salammbô), qui contient même des vers blancs classiques :

Des rigoles coulaient dans les bois de palmiers ;

Les oliviers faisaient de longues lignes vertes ;

Des vapeurs roses flottaient dans les gorges des collines;

Des montagnes bleues se dressaient par derrière,

Un vent chaud soufflait. Des caméléons rampaient sur les feuilles larges des cactus.

LK RYTHME DANS LA PROSE 479

L'autre est une description de la Révolte dans Germinal de Zola. Nous le reproduisons tel que la disposé Gui/au, p. 335, avec une seule modification à la sixième ligne avant-dernière :

Quelques-une;; tenaient leur petit entre les bras,

Le soulevaient, l'agitaient, Ainsi qu'un drapeau de deuil et de vengeance.

D'autres, plus jeunes, Avec des gorges gonflées de guerrières,

Brandissaient des bâtons ; Tandis que les vieilles, affreuses, hurlaient si fort Que les cordes de leurs cous décharnés semblaient se rompre. Et les hommes déboulèrent ensuite. Deux mille furieux. Des galibots, des haveurs, des raccommodeurs, Une masse compacte qui roulait d'un bloc ;

Serrée, confondue. Au point qu'on ne distinguait ni les culottes déteintes, Ni les tricots de laine en loques, EfTacés dans la même uniformité terreuse. Les yeux brûlaient ; On voyait seulement les trous des bouches noires.

Chantant la Marseillaise, Dont les strophes se perdaient en un mugissement confus, .Accompagné par le claquement des sabots sur la terre dure. Au-dessus des tètes. Parmi le hérissement des barres de fer. Une hache passa, portée toute droite ;

Et cette hache unique. Qui était comme l'étendard de la bande, .\vait, dans le ciel clair, Le profil aigu d'un couperet de guillotine ;

A ce moment le soleil se couchait: Les derniers rayons, d'un pourpre sombre, ensanglantaient la

[plaine. Alors la route sembla charrier du sang. Les femmes, les hommes continuaient à galoper. Saignants comme des bouchers en pleine tuerie...

480 CONCLISION

Sans doute ces morceaux de jorose sont aussi bien rythmés que ceux de poésie précédemment cités, et surtout ils sont beaucoup mieux pensés et plus fermement écrits. C'est même, si Ton veut, de la prose poétique, mais ce n'est nullement de la poésie. La rime est absolument indispensable à toute espèce de vers libres K C'est elle qui marque les vers finissent; sans elle il n'y a qu'un seul des moyens d'expression fondés, sur le rythme qui soit possible, celui qui provient du contraste des mesures lentes avec les mesures rapides ; tous les autres sont rigoureusement exclus. Les effets dus à la discordance entre le rythme et la syntaxe sont exclus. Ceux qui sont pro- duits par le vocalisme sont presque tous exclus, et la couleur vocalique disparaît en partie. Même les elTets reposant sur le jeu des consonnes ne peuvent plus se déployer avec la même intensité. Enfin la pensée n'ayant plus d'ailes pour voler, marche prosaïquement.

Il n'a manqué jusqu'à présent au vers rythmé libre qu'un poète qui sût le manier. Il faut reconnaître d'ailleurs que c'est un instrument beaucoup plus délicat que le vers classique, mais aussi combien plus puissant, combien plus varié. Au- cune nuance qui lui échappe, aucun effet qui lui soit étranger.

Voilà donc deux types de vers qui se présentent : le vers syllabique de Racine, de Hugo, et des fables de La Fontaine, mais fondé sur la langue réellement vivante ; et d'autre part le vers rythmé à forme fixe ou surtout'à forme libre. On s'ar- rêtera évidemment à l'une de ces deux manières ou l'on ne fera plus de vers. En dehors de ces deux modes rien de possible en français pour le moment.

Qu'il vienne un poète digne de ce nom et il pourra user de l'un de ces deux instruments sans aucune restriction. S'il est vrai, comme l'a dit d'Eichtal, que « toute tentative trop radi-

1. « La rime n'est pas condamnable, mais seulement l'abus qu'on en fait. Rimez faiblement, assonez si vous voulez, mais l'imez ou assonez, pas de vers sans cela» (Verlaine, Le décadent, mars 1888).

L ACIIÈVE.MK.NT DK l'k VOI.LTIO.X 481

cale et trop précipitée sera nécessairement stérile », et que « l'art doit procéder par évolution et non par révolution », le poète n'a plus à craindre ces mauvais présag-es ; il ne s'agit pas d'une révolution, mais de l'achèvement d'une évolution dont la plus grosse part est accomplie ; il n'y a pas de voies nouvelles à frayer, le chemin est ouvert.

M. Grammont. Le vers français.

31

TABLES ET INDEX

I INDEX

DES PRIN'CIPAUX VERS, FRAGMENTS ET POÈMES ÉTUDIÉS

Pages

A. d'Aubigné 9, 336, 467

Les tragiques '"^

Vengeances '

E. AUGIER *'^

A. DE Baïf *6*

Th. de Banville *""

Odelette 173-178

A. Barbier :

La Nature ^62

ridole 136

L'Emeute - '-'

Ch. Baudelaire "*

Les chats 283

Femmes damnées 216, 275, 279, 285, 295, 297, 302, 399

Le Léthé 258

Lesbos 222, 280, 39^

Les métamorphoses du Vampire 223

J. DU Bellay .* ^46

D'un vanneur de blé aux vents 261, 262

Sainte-Beuve 28b, 296, 303, 329

La rime —''^

Pensées d'août 3*°

X. Boileau 363

A mon esprit *36

L'ar/ poétique 10, 50, 436

Épître III 255

Le Lutrin 209, 249, 281, 436

Satire I 31, 53

Satire /// ^6

486 INDEX DES EXEMPLtS

Pages

Sadre X 10, 79

Satire XI oO

Safii-e XII 50

M. BoLCHOR 463

A. Brizeux 466

. Chénier 340, 343, 412, 423

L'aveugle 40, 42, 303

Clytie 322

Diane 283

Dnjas 317

Élégies 285, 333, 338

La Frivolité 252

ïambes VII 136

Irlylles 397

La jeune captive 115

Un Jeune homme 309

Le malade 46, 238

Le mendiant 238

Mnazile et Chloé 249

L'oaristys 47, 309

Pannychis 339

Les satyres 351

F. CoppÉE 469, 471

P. Corneille 230, 370, 464

Attila 55

Le Cid 26, 268, 313

Cinna 46, 77

Horace 77, 267, 269

Médée 26

La place royale . 53

Polyeucte 243, 307, 313, 398

Pompée 27

Rodogune 274

Suréna 73

E. Debraux 352

Ph. Desportes 333, 338, 466, 467

Eschyle :

Perses 1 i

BOILEAU HËREDIA 487

Pages G. Flaubert :

Bouvard et Pécuchet 475, 478

Salammbô 478

Garnier de Pont-Sainte-Maxence 7

Th. Gautiek 222, 257, 469, 470

Alberfus 297, 338

Après le bal 320

Elégies 355

Fantaisies 276

La petite fleur rose 281

Le premier rai/on de mai 262

Qui sera roi?.... 268, 290

Sultan Mahmoud 137

Thébaïde 64

J.-\Y. VON Goethe :

Erlkônifj 250, 280, 301

J.-M. DE Hebedia. 265, 387, 389, 412, 416. 419, 420, 421, 422, 423, 424,

425, 426, 427, 428, 429, 430, 431

A . Hermès criophore 334

Andromède au monstre 290

Antoine et Cléopâtre 304

Ariane 217, 331, 344

Artémis 331 , 342

Bacchanale 217, 264, 272, 300, 330, 331, 332, 335

Brise marine 354

Centaures et Lapithes 264

Epig ranime funéraire 251, 405

Epigramme votive 292

Fleur séculaire 61, 333

Floriduni mare 344

Fuite de Centaures 225, 330

Horlorum deus 75, 249, 289, 291

Jason et Médée 284, 394

Jouvence 391

La belle viole 318

La Centauresse. 288

La chasse 249

La conque 338

La dogaresse 403

La flûte 218

La magicienne , 303, 330, 335

488 INDEX DES EXEMPLES

Pages

La mort de V aigle 236

La naissance d'Aphrodite 332, 336, 363, 399

La revanche de Diego Laynez 75, 339

La source. 212, 248, 290

La Trehbia 272, 291, 300

Le bain des nymphes 255, 318, 343

Le chevrier 223

Le conquérant 302

LeCydnus 319,396,404

Le huchier de Nazareth 284

Le laboureur 33;), 394

Le lit 315, 405

Le ravissement d'Andromède 316, 317, 334

Le récif de corail 284

Le réveil cFun Dieu 283

L'esclave 317

Les conquérants 393

Les conquérants de Vor 75, 76, 301, 318, 339

L'estoc 414

Le lepidarium 331

Le Thermodon 279, 334, 413

Le triomphe du Cid 332

Le vase 230

Le vieil orfèvre 299

L'exilée 284, 401, 403

L'oubli 219, 340

Marsyas 329

Némée 254, 343

iVessus. 209, 329, 342

Nymphée 48, 217, 286

Pan 212,249,255,286,402

Persée et Andromède 255, 331

Pour le vaisseau de Virgile 255, 316, 395

Soir de bataille 264

Soleil couchant 284

Sphinx 281

Stymphale 61, 73, 329, 331

Sur le livre des ainours 399

Sur rOthrys 20, 284, 403

Villula. 257

Vision de Khem 395

HEREDIA HUGO 4^9

Pages V. Huoo. 315, 327, 330, 332, 334, 340, 349, 380, 383, 384, 38o, 409,

,,, 415,416,468,469

Abiinc

^ [' ^"f '"': ••■•'•'.....■.....■... 184-186; 271, 3Ï3

A l arc de triomphe .-,„

Après la halaillp J'

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1 Tr- 62,115,169,170,269

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J Booz endormi. 222, 288, 317, 388, 389, 395, 401, 412, 413, 414,

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Bounaberdi

CatuU,' ...'.. ... " ' ,î!

Chanson, des rues et des hais '. V. '. V. V. '. V. '. '. ". V ' 262^ '278 353

(^haulieu . '

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i.romice . . /c ko tr «, .._

.,. 46,52,54,56,57,76,80

Dieu.. ' '

c- ; ." ••3, 79, 80

Eviradnus. U, 19, 37, 44, 46, 48, 49, 53, 56, 69, 100, 214, 282,

j, , -"^i;^, 393, 397, 402, 427, 4.56

t rater nitp

Gaiffer- Jorge. ' ^^

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Inferi '

Inscription

Jean Chouan.

00

La chasse du burgravc

La coccinelle ' ' * '

La colère du bronze. .

T ,. 5/

l^a comète

T ^ ■, 394

La confiance du marquis Fabrice 54 340

^La Conscience. "aa .i.,c' oîâ

T ^ , . ,, i», bb, 226, 310

La demoiselle

La fin de Satan. 68, 79, 97^ 120," 121^ '237,' 249,' 250^ '259, 3^o!

312 339

L'jle du casque. 47, 65, 99, 256, 419; 424

La légende des siècles. 44, 79, 209, 211, 213, 292, 348, 393, 397,

r,. 399,414,421,425

L une ... ^- ^„

r, .•;■•.;; 97,231,312,417

L année terrible. ... 52, 80, 210, 211, 259, 272, 284 342 417 435 La paternité ' ' ' ,

La pitié suprême '. .■.■.■;.■.;..■;;;; ^i,™, 21 5; '23^355

490 INDEX DES EXEMPLES

Pages

La prière pour tous 186-188

La ronde du sabbat 223

La reculade 136 316

La rose de l'infante 304

L'art d'être grand-père 80, 97, 348, 416

La Terre 64, 231

La trompette du Jugement 80

La Vérité 402

Le Cid exilé 21 341

Le cimetière d'Eylau Vil, 404

Le comte Félibien 406

Le crapaud 38 72 212

Le détroit de l'Euripe 33, 34, 64, 63, 295, 372

Le feu du ciel 289, 318, 341

Le géant aux dieux 26 267

L'église 353

Le jour des rois 419

J Le mariage de Roland 406, 452

Le pape 47

Le parricide 214, 220, 279, 369, 370, 396

Le petit roi de Galice. 19, 26, 56, 61, 64, 69, 70, 78, 209, 210,

211, 220, 288, 342, 394, 421

L'épopée du lion 219

Le prisonnier 353

Le régiment du baron Madruce 69, 72

Le retour de l'Empereur 393

Le roi de Perse 393

Le roi s'amuse 46, 58, 237, 238, 270, 348, 352

Le rouet d'Omphale 355

Le sacre de la femme. 51, 63, 64, 65, 101, 214, 256, 260, 425, 455

Les années funestes 37, 98

Le Satyre 57, 71, 78, 220, 263, 264, 297, 348

Les Burgraves. 213, 218, 221, 245, 254, 260, 269, 270, 275, 279,

283, 290, 291, 295, 299, 300, 301, 306, 317, 319, 322, 333, 335,

343, 344, 392, 395, 397, 404, 405, 406, 412, 414, 418

< Les chants du crépuscule 264, 275, 281, 313, 319

Les Châtiments. 24, 36, 41, 44, 45, 71, 79, 80, 209, 211, 256, 257,

266, 268, 283, 293, 294, 300, 319, 324, 329

Les Contemplations. 26, 40, 46, 47, 52, 56, 57, 61, 64, 66, 80, 97,

217, 227, 249, 252, 275, 279, 281, 288, 301, 302, 305, 310, 315,

316, 317, 319, 322, 332, 439, 440, 441, 443, 444

Les Djinns 182-184

HUGO 491

Pages

^Les Fniille^ automne. 17, 18, 216, 222, 253, 270, 280, 330, 332,

333,334, 341, 466

Les lions ry2, 209, 21 1 , 254, 265, 273, 280, 404

Les montiujnes 402, 404, 427

J Les Orientales. 55, 57, 108, 215, 254, 265, 271, 275, 287, 321, 322,

339, 421

•J Les pauvres gens 57

^ Les quatre vents de Vespril 68, 71, 80, 98, 231

Les raisons du Moinotomho 221

•J Les rayons et les ombres 78, 231, 394, 397, 426

Les temps paniques 339, 423

Les trois cents 82

Les trois chevaux 61

"" Les Voix intérieures 231, 260, 272, 273, 339

Le sylphe 252

Le temple 422

Le Titan 97, 343, 450

Le travail des captifs 43

Uexpiation 25, 62, 73, 79, 211, 353

L'hydre 425

Lui 238

Marion de Lorme 38, 52, 54, 56, 80, 346

Napoléon H. 18, 21, 34, 38, 46, 88, 89, 116, 188-191, 211, 238,

270, 348

•• Odes et ballades 364

Paroles dans l'épreuve 421

Paroles de géant 413

Petit Paul 26, 248, 34", 353, 394, 435

Première rencontre du Christ avec le tombeau 29, 288, 344

Quelqu'un met le holà 48, 373, 374

Ratbert 46

Religions et religion 97, 99, 416

Ruy Blas 48, 79, 212, 304, 319

Segrais 258, 394

Sommation irrespectueuse 257, 258

Sultan Mourad 44, 64, 70, 78, 421

Suprématie 52, 66, 67, 69, 302, 335

Théâtre en liberté 98, 231, 417

Torquemada 44, 47, 56

Toute la lyre 37, 52, 79, 80, 98, 284, 416

Welf, castellan d'Osbor 56

Zim-Zizimi 40, 79, 99, 344, 427

4^ L>3EX DES EXESIFLES

I. 3B L "

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127

VI.

KAH> LA FONTAINE 493

15. 20. 22.

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8. 10. 18. 19. 20.

9. 10 13 15. 17 19. 21.

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2 214. 276

3 119. 277

i III. 202, 217,336

5- 111,212

8 281.439

9 217, 338, 342

10 77,119

11 443

li- 108,142

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16.. 137,226

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494

INDEX DKS KXKMPI.KS

Pages

IX, 1 108, Ml, li2, 237, 330

2 20, 23, 55, 63, 147-157, 276, 336, 415

3 121, 134, 333

^ 143-147, 245, 275

S 123

~ 20, 23, 110, 139, 280, 329, 331

8 346, 412

10 213

11 412

13 228

14 283, 333

15 333

16 125,277

19 312

X, 1 321, 335, 342

2 37, 42, 43, 53, 125, 132, 225, 227, 277, 291, 293

3 330, 334

S 403

6 331, 424

10 395

11 213, 330, 442, 443

12 291

14 340

13 257

XI, 7 49, 134

8 .. 110, 111, 118

12 291

XII, 4 126

5 122

9 112

11 127, 276

13 276

21 398

La. matrone dÉphèse 51

Le fleuve Scaiyiandre 51

Le Florentin 73

Philémon et Baucis 284

Ragotin 46, 48, 51, 55, 58, 73, 99

A. DE Lamartine 297, 309, 380, 381, 424

A Elvire 16

Î.A KONTAINi: MARltl' 49?>

Pîiges

]schi:> ~^'>'-^

Jnvfhjn. 27,222, 2:W, 2:^6, 2(,:i, 271, 272, 280, 2U:i, ;iU2, ^ua, 309,

43(j, 466, 467

La chute (F un ange -^34, 436

La mort de Jonatltas 4-6^

La poéxie aacn'e 3'»9

La retrait,- i;ifl-163

Le lac 17, H3, 181-182, 20',i, 210, 212,228

L'enlhuusiai^nie -^58

Le noir "^•**^

L'homme 272, 363

L'immortalité 284, 436

L'infini dana les deux 17, 24, 31, 2iS, 302, 343

L'isolement 17

Milly 33-1, 349, 364

Noviatiima vcrtia 354

Pensée des morts 2»2, 301 , 309, 333

Recueillements 298, 467

Gn. Leconte de Lisle 7(), 298, 413, 466

Annie. 262

Bhagavat 253

Clairs de lune 272

Çunacépa 261 , 289

Glaucé 63, 435

Kléarista 262

La fille aux cheveux de lin 262

La mort du moine 26 1

La Passion 300, 320

L'Apollonide 324

L'aurore 256

Le colibri 259

Le corbeau 273

Le Runoïa 435

Les Erinnyes 348, 435

L'oasis : 340

Midi 283

Poèmes antiques 248, 253, 256

F. de Malherbe 337, 362, 464

Stéph. Mallarmé . 285

Cl. Marot. 225, 336, 337, 464, 465

496 INDEX DKS EXEMPLES

Pages C. Mendès 471

Molière 334

Amphitryon 48, 112, 119, 120, 123, 129, 13o, 345, 367, 368

L'école des femmes 345

Le dépit amoureux 37, 465, 472

Le misanthrope 242, 266, 295

Les Fâcheux 51 , 465

Les femmes savantes 266, 26", 313, 315, 345

L'étourdi 465

Tartuffe 45, 47, 49, 54, 55, 229, 240, 314, 321

A. DE Musset. 287, 320, 327, 334, 340, 380, 383, 385, 390, 408, 409, 411, 414, 423, 424, 425, 428, 429, 430, 431, 463, 466, 469, 471

A la Malihran 292, 322, 435

A la mi-carême 282

A Ninon 95, 96, 415, 417

A quoi révent les Jeunes filles 108

Chanson 4 H , 442

Charles-Quint à Saint-Just 218

Don Paez. 218, 227, 280, 283, 287, 290, 355, 400, 401, 402, 405,

413

Idylle 282

La loi sur la j)resse 24, 48

La coupe et les lèvres 65, 209, 25S, 282, 412, 467

L'andalouse 320, 444, 445

La nuit de décembre 136

La nuit de mai 22, 208, 211, 224, 252, 254, 2o6, 259, 277, 279, 281, 290, 291, 292, 303, 304, 313, 314, 317, 329, 332, 333, 335,

336, 398, 435

La nuit d'octobre 178-181, 241, 253, 294, 320, 395, 447, 448

La servante du roi 208, 211

Le fils du Titien 230

Le lever 446

Le rideau de ma voisine 180

Le saule 40, 107, 109, 219, 319

Les marrons du feu 342, 394

Le songe d'A uguste 287, 292, 303

Les vœux stériles 291, 401

Le 43 juillet 290

Lettre à Lamartine 316

Lucie 250, 303, 402, 406, 410, 413

MKMjÈS RK(;MKR 497

Pages

Xamoiina. 14, 93, 9a, 90, 2j2, 259, 330, 393, 395, 396, 398, 399, 401, 402, 404, 405, 40G, 413, 417, 419, 421, 422, 424, 425, 426,

435, 465, 466

Pnrlia 220, 283, 397, 399, 401

Rappelle-loi 170-173, 221

Rolla. 15, 10, 18, 19, 25, 30, 210, 253, 254, 255, 2C5, 281, 293, 315, 328, 329, 331, 349, 359, 300, 368, 370, 371, 403, 412

Silvia 133

Sonnet 309, 310

Souvenir 113, 114, 169, 170

Souvenir des Alpes 108, 178

Sur la paresse 03

Sur Irais marches de rnarhre rose. 309

Suzon 224

Une bonne fortune. 15, 210, 224, 254, 283, 292, 328, 329, 330, 331, 332, 335, 340, 344, 390, 400, 403, 405, 421

Une soirée perdue 255, 390

Venise 445

J. Racine 210, 229, 320, 332, 380, 383, 384, 418, 419, 429

Andromaque. . 11, 15, 45, 201, 239, 243, 244, 247, 266, 273, 299,

303, 305, 306, 308, 309, 321, 323, 324, 325, 369, 473

Athalie. 10, 15, 19, 20, 25, 28, 78, 79, 221, 230, 312, 308, 309,

392, 395, 402, 407, 421, 423, 424, 425, 427

Bajazet 18, 55, 227, 294, 305, 310, 314, 334

Bérénice 78, 394, 422

Britannicus. 11, 15, 20, 49, 215, 210, 240, 244, 245, 246, 247, 278, 307,308, 355, 389, 392, 393, 401, 403, 400, 412, 410, 420,

423, 424, 425, 420, 433

Eslher 47, 223, 278, 297, 422

Iphigénie 25, 27, 28, 45, 48, 78, 110, 241, 244, 245, 300,

307, 319, 403, 406, 425, 434

Les Plaideurs 40, 44, 49, 51, 55, 78

Mithridate 27, 47, 74, 287, 307, 308, 309, 312, 322, 323, 324

Phèdre. 20, 27, 30, 41, 215, 220, 221, 223, 225, 220, 227, 228, 229, 236, 293, 295, 297, 300, 301, 304, 305, 300, 307, 308, 323, 389,

398, 399, 402, 433, 434

H. DE Régnier 261

La corbeille des heures 104-108

L'homme et la sirène 350, 351 , 474

M. Régnier 337, 451, 404

M. Grammont. Le vers français. 32

498 INDKX DES EXEMPLES

Pages P. DE Ronsard 337, 464, 465, 467

E. Rostand 76, 77, 346, 331

R. de Souza 474

Sully-Prudhomme 298, 463, 470

P. Verlaine 200

Les uns et les autres 252

Mandoline 361

Poèmes saturniens 64, 364, 365

Romances sans paroles 230, 338, 360, 361, 362, 365, 366

Sagesse 268

F. Viélé-Griffin 476, 477

A. de Vigny :

Eloa 334

La ?naison du berger 227

Le bal 263

Le cor 212

Les amants de Montmorency 258

Moïse 17, 18, 21, 228, 270, 271, 300

Virgile 202

Voltaire 295, 473

Voyage de Charlemagne en Orient 7

E. Zola :

Germinal 479

TABLE ANALYTIQUE

Pages

Accélération 1:5, 14, 10, GO, 02, 03, 104, lÛIi

Accents rythmiques 10, 12, 13, 49

secondaires 9, 10

toniques 9, 10, 47

Accumulation rJe faits 368, 369, 370, 371

d'événements 213, 214

Afîaiblissenient de la césure ~, '^

Alexandrin à quatre mesures. Il

(L'j au XVII* siècle 458

au xix*^ siècle 458, 459

classique '-•^~

romantique o9-/ /

'^Allitérations 196-200

Allongements 14, 92

Allongement consonautique 93

Alternance des rimes 356, 358, 360

régulière des mètres 136, 137

Approximations !•*

Association des diverses sensations 196

Assonances 196, 197, 198, 199, 349, 354

Assonance de rimes successives 362, 363, 364

Attention (Éveil del'). 15, 16, 31, 33, 3i, 49, 50, 60, 65, 71, 114, 123,

150, loi, 152

(Sur quoi se porte 1" 32, 33, 34, 50, 57, 123

Césure . . 7, 10, 43

Changement de mètre tiO. 104, 1 14, 115, 128

de vitesse 104, 103

d'intensité 11

d'intonation 11, 71, 74, 75

Classification des voyelles 232, 233

Compensations 94, 95, 96, 98, 100, 102

Conclusion brusque 110, 111, 115

Consonnes (Les) 289-324

allongées (Place des; 97

oOÛ TABLE ANALYTIQUE

Pages Consonnes chuintantes 296

continues 296-310

fricatives 296

liquides 296, 298-301

momentanées 289-296

nasales 296-298

sifflantes 296, 302-310

spirantes 296, 301-310

Contrastes 33, 3;>, 36, 60, 62, 6o, 114, 131, 449

Contre-rejet (Le; : 3o, 52-57, 69, 70

Corrections des poètes 457

de V. Hugo 231,310,452-456

Correspondances vocaliques 382, 383

Coupe consonaiitique 95, 417

Coupes (Les) 8, 10, M, 12, 43, 59

Coupure syntaxique 11, 71

Décadents (Les) , 39, 460, 461, 467, 468

Défauts de l'alexandrin . 460

Degrés d'harmonie. ; 386, 387

Détermination des trimètres 70-73

Diction (La) 35, 40

des rejets à l'hémistiche 100, 101

Diérèse (La) 468-472

Discordances 35, 47, 449

entre l'idée et l'expression.. 295

Divisions grammaticales 11

rythmiques 11

Durée consonantique 94

(Union de la) et de l'intensité 90

Durées (Les). 12, 13, 60,"91, 92, 93, 94, 95, 96, 97, 98, 99, 100, 101, 102

Dyades 389, 390, 400-407

Dyado-triades 411-414

Écartement analytique 77, 133, 149

Écoles (Deux) de poètes 459, 460

Efl'et d'attente 99, 101

de contraste 449

de monotonie 364, 365, 366

Effets (Les) ^ 166

E (L') dit muet 235, 462-468

Emploi combiné de plionèuies divers 311

des moyens d'expression 450, 451, 458

particulier du décasyllabe chez La Fontaine 141, 142

CONSONNES EXPRESSION oOl

Pages

Emploi simultané de moyens d'expression divers 22, 33

Enjambement (L') 33-.")S!

Enumération à trois termes (i,{

Evolution de l'alexandrin classique 7-12

Explosives ogg

Expression de l'accumulation 213, 214, 368, 3H9, 370, 371, 372

la colère. 238, 239, 240, 241, 246, 266,267, 273,' 274, 294,

305, 306, 307, 308, 311

la contemplation 287 288

l'admiration 23, 130, 238 269 270

la douceur 248 256 297

la douleur. 230, 237, 319, 320, 321, 322, 323

la durée 16,17,18

la fluidité . 3jg

l'ag-itation.

295

la gaieté 256

la ^râce 256, 257, 258

la grandeur 269, 270

la gravité 130,' 276

la haine.

308

238

la jalousie 30

la joie

la langueur 18, 275, 282, 283, 285, 297

la légèreté 22, 107, 108, 248, 251, 252, 253, 268

la lenteur 16, 17, 20, 143, 282,' 297

la liquidité 298, .301, 317, 318

l'allégresse 268, 269

la lourdeur 268, 274, 275,' 276

la majesté 269, 270

la mélancolie 360 365

la menace .

266

la mollesse 16,18, 282, 283, 284, 285, 297

la monotonie 360, 364, 365, 366

la moquerie 245

l'angoisse 304

la nonchalance 282 283 284

la petitesse 251 ^^^

la peur '304

la rapidité. 16, 19-23, 60-63, 107, 108, 109, 110, H4, 253

254

la réflexion 18 19

la ténuité 248, 251

o02 TABLE ANALYTIQUE

Pages

Expression de la timidité 297

- la ti-istessc 280, 282, 304, 319, 320, 321, 322, 323

l'attente 19, 21

la vivacité 144, 146

l'écrasement 300

l'enthousiasme 22, 238, 255

rétendue 18

l'hésitation 295

l'immensité 18, 21

l'indignation 129, 130, 242, 243

l'inquiétude 247

- l'insistance. 24, 25, 26, 27, 28, 29, 214, 215, 216, 226, 227,

228, 229, 370, 371, 372, 373, 374, 375

—l'ironie 242,243,244,293,305,306,313,314

l'orgueil 129, 268

l'uniformité 360

mouvements de l'esprit 18, 19, 21, 62

imaginaires 22

parallèles 210

saccadés 291, 292

secs 291

successifs. ... 212

des bruits aigus 236

éclatants 263, 264, 265

supplications 238

du balancement 224, 298

bruissement 303

chuchotement 301

courroux. 273, 274

craquement 320

dédain 305, 308

dégoût 312

—dépit 305

flottement 302, 317, 318

: fi'émissement 318, 319

frissonnement 304, 316, 318, 319

froissement 318, 319

frôlement 318, 319

frottement US, 319

glissement 298, 303, 304

grincement 298, 299

grondement 320

EXPRESSION ,^03

Pages Expression du halètement 29«) 994

mépris 242, 243, 246, 305, 307, 312, 313, 324

d'un bruit clair i),r,

- - léger 248,249

répété. 208, 212, 217, 218, 219, 220, 222, 289, 290

saccadé 289 290 291

~ ~ ~ ^^^ 289, 290

sourd 271 272

~~ ~ ténu '248

caprice. t,.,

changement 'l^c)^ ^^4

claquement '.,01

contraste 122, 139, 153

doux murmure. <^ro ,, sw

d une idée douce 9k/.

~ ~ - ^^'^ ...'.'.'.'.'.'.'. 256

- gracieuse, 256, 257, 258

~ grandiose ^29

- - grave 129, 276, 278, 279, 280

- idyllique. 256, 257, 258, 259, 260, 261, 262

_ _ légère 256

- - Roble ^29

riante ç,k/,

- - sombre. 28o', 281, 282

~ ~ ~ ^'"'^'^ 280, 281 , 282

"~ ^',"" '^^^" 22, 23, 253, 254, 255, 287, 288

d'une succession d'événements 225 2'>6

d'un grondement ' ' ' ' ' 291, 299^ 300

mouvement rapide 253

~ ~ régulier 208, 216

~ répété. 208, 211, 217j 21-8,220, 221, 222 223

258, .303

saccadé 3gg

murmure léger 248

roulement oaq

du palpitement 90,

parallélisme 212, 213, 225, 270, 368

persiflage '245

sarcasme 241, 242, 243, 244, 266

—sifflement 291,293,316,319

- silence 286,287

-souffle 301,315,316,317,318,319

o04 lABLE A^'ALYTIQUE

Pages

Expression du tâtonnement 292

Faux hiatus 344-346

Groupements vocaliques 385

Groupement synthétique 63, 81 , 82

Harmonie (L') chez Boileau 436

. Hugo - 434, 43b

Lamartine. 436

Leconte de Lisle 435

Musset 435

Racine 433

des décasyllabes 439-442

heptasyllabes 447-448

octosyllabes 442-445

vers de moins de huit syllabes 445-446

du vers 377-448, 449

faible 419

imitative 195, 198

imparfaite 418-427

nulle 430

H (L') dit aspiré 326, 327, 472, 473

Hauteur musicale 90, 94, 95, 96, 99, 100, 101, 102

Hémistiches sans accent intérieur 96

Heptamètres ' 80

Hésitation possible 72

Hexades 409-410

Hexamètres 79, 80

Hexamètres ou trimètres 83

Hiatus (L') 325-346

au xYi*^ siècle 337

xvii« siècle 337

blâmables 338, 339, 340

expressifs 341-344

faisant onomatopée 341

Homoplîonie des rimes 347, 348, 349

ïambes (Les) 135, 136

Idée (Le rôle de F) 4, 20, 21, 22, 24, 31, 32

Implosion consonantique 95

Imprécations 239, 240, 241

Impression de douceur 361

mélancolie 365

Inégalité des mesures 85

Intensité (L') 87, 88, 90, 94, 95, 96, 97, 98, 100, 101, 102

EXPRESSION OCCLUSIVES 505

Pages

Intensitt' (L') consonantique 94

(Union de 1') et de la durée 90

Interdictions 450

Intervalles rythmiques 13

Intonation [V) 3;'), 36, 40, 41, 47, 71, 74

Jugement de Lamartine sur La Fontaine 137, 158

Labiales (Articulation des) 311

Labio-dentales (Articulation des) 311

Langue (La) de la poésie 461, 462

Liaisons 327, 329, 334, 335, 339

Limites des mesures 89, 90, 91 , 92

Longueur des voyelles 328

Maintien du même mètre dans une pièce en vers lil^res. 137, 144, 145,

155 Mélange des voyelles claires et des voyelles graves 278

éclatantes et des voyelles claires 269

sombres et des voyelles éclatantes 272

Mesures (Les) _ 10, 12, 89

lentes 449

rapides 449

sacrifiées 20,21,32

Mètres lents '. 60

rapides. . 60

Mise en relief. 13, 16, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 32, 33, 34, 35, 39, 43, 50

65, 71, 72, 449

de l'idée essentielle 114

du détail 120,121,134,135,179

d'une conclusion 112, 113

par les petits vers 119

Monomètres (Les) de La Fontaine 124-128

Mots (La position des) 33

étrangers 340

expressifs 204, 205, 206

savants 340

Moyens (Les) d'expression 449

soutenus par l'idée. 4, 20, 21, 22, 24, 31, 32

233

Mouvement rythmique (Variété du) 84-102

Musique (La) du vers 381

Négligences de La Fontaine 138

Observances matéi-ielles 68, 76

Occlusives 289

o06 TABLE ANALYTIQUE

Pages

Octomètres 80

Octosyllabes à trois mesures 141, 149

Onomatopées 19o, 197, 203, 296, 304, 341

Opposition d'idées tristes et d'idées gaies 280

Origine du vers romantique 59

« Oui » (Le mot) 344, 345

Pauses (Les).. . 7, 10, 11, 35, 36, 39, 43

Pentamètres 77, 78

Petits vers à relief 117, 118, H9, 120

dans les strophes H3, il5

rapides 147

Phonétique expérimentale 85, 86, 87

Poèmes à mouvements variés 103-168

Prose et vers 101

Prose rythmée irrégulièrement 447-479

régulièrement 475

Raccourcissements 92

Ralentissements 13, 14, 16, 77, 104, 105, 128, 149

Rappels de sons 212

Rappi'ochement de mesures inégales 31

d'une mesure lente et d'une mesure rapide. 15, 19, 20

d'un tétramètre et d'un trimètre 60, 62

du rythme romantique et du rythme classique. 60, 62

synthétique 63

Réflexions morales 131, 143

Règle des pièces en strophes libres 169, 171

Rejet (Le) 33-58, 449

à l'hémistiche 43-52, 59, 70, 99, 100

Rejets à suspension 57

longs 32, 49, 50

Répétitions 449

défectueuses 229, 230

de mots 211-216

phonèmes 211-231

Reproduction des mêmes voyelles 381, 382

Resserrement synthétique 120, 157

Résumé d'une énumération 113

Rime (La) 36, 39, 347-375

(Définition de la) 349, 350

(Nécessité de la) 479

(Utilité de la) 475

et orthographe 350, 351, 352

OCTOMÈTRES VERS 507

Pages

Rime pour VœW 347, 351

_ _ roreillo 347, 351

riche 350, 354

Rimes (Variété des) 356

défectueuses 347, :î48, 349, 353

féminines 356, 357, 358

libres 103

masculines 357, 358

répétées 367

se rappelant les unes les autres. . . .• 368-375

Romantique (Le vers' 59-77

Rythme (LeV . 10, 12, 13, 14, 76, 95, 202

consonantique 94, 415-417

inexpressif 15

Saccadé (Style).. 150, 289, 290, 291

Saccades 453, 454, 455

Sentences 174, 276, 277

Spirantes 315

Strophes libres 169-191

Succession de mètres variés 103-168

Suggestions (Lesi 198, 199

Syllabes atones ne comptant pas dans le mètre 7, 8

rythmiques 91

Symbolistes (Les) 460, 461

Synérèse (La) 471, 472

Synthèse 110, 115

Temps marqués 12, 13, 91

Tendances (Deux) 461

Tétrades. . 408-409

Tétramètres 59

Ton badin 277

épico-lyriquc 188

épique 184, 188

noble 143

Triades 387, 388, 389, 391-399 '

Trimètres 59-77, 449

(A quoi on reconnaît les) 70-73

Trimètres-hexamètres 80-81

Trimètres injustiGés 75

ou hexamètres 83

synthétiques 120

Vers de 5 syllabes 1^1, 187

SOS TABLE ANALYTIQUE

Pages

Vers de 6 syllabes. 170, 174

7 syllabes 141,181

8 syllabes 161,184,186,189

9 syllabes 183

défectueux. 250, 253, 255, 262, 263, 273, 295, 300, 301, 302, 309,

.310, 315

en dyades 400-407

dyado-triades 411-414

hexades 409-410

tétrades : 408-409

triades . 391-399

épique 130

et prose 101

expressifs 450

légers 105

libres 103, 449

Verslibristes (Les) 163-168

Vers romantique 476, 477

rythmique 59-77

sibilants 309, 310

syllalMque et vers rythmique 473, 474, 475

Violation des règles 450

Vitesse du débit 105

des différents mètres 104, 105, 106

Voyelles (Les) 232-288

aiguës 233, 236-247

claires 233, 246, 248-263

éclatantes 233, 263-271

voilées par la nasalité 272

élidées 325, 326

graves 233

~ nasales .... 233,234,282-285

sombres 232, 271-282

voilées par la nasalité 282

III

TABLE

DES DIVISIONS PRINCIPALES DE LOUVRAGE

Pages

Introduction 1

Première partie : Le rythme considéré comme moyen d'expression. 5 ^

I, L'alexandrin classique ~ ^

II. Le rejet 33

III. Les vers de douze syllabes autres que l'alexandrinclas-

sique à quatre mesures :

A. Le vers romantique 59

B. Pentamètres et hexamètres 77 '■

IV. La variété du mouvement rythmique 84

V. Les poèmes à mouvements variés :

A. Poèmes en vers libres 103

B. Poèmes en strophes libres 169

Deuxième partie : Les sons considérés comme moyen d'expres- sion 193

I. Répétitions de phonèmes quelconques 208

II. Les voyelles 232

A. Voyelles aiguës 236

B. - Voyelles claires 248

C. Voyelles éclatantes 263

D. Voyelles sombres 271

E. Voyelles nasales 282

III. Les consonnes :

A. Momentanées 289

B. Continues 296

C. Réunion de consonnes diverses 311

IV. L'hiatus 325

V. La rime 347

510 TABLE ANALYTIQUE

Pages

Troisième pahtie : L'harmonie du vers IVançais 377

I. Les vers eu triades ^ . . 391

IL Les vers en dyades 400

IIL Les vers en tétrades et en hexades 408

IV. Les vers en dyades et triades combinées 411

V. Le rythme cousonan tique 415

VI. Vers imparfaitement harmonieux 418

VIL Vers dépourvus d'harmonie 428

VIII. Classement de quelques poètes au point de vue de l'har- monie 432

IX. L'harmonie des vers de moins de douze syllabes 438

Conclusion 449

Tables et index :

I. Index des principaux vers, fragments et poèmes étudiés. 48o

IL Table analytique 499

III. Table des divisions principales de l'ouvrage n09

M.\CON. PROTAT FHERES, IMPRIMEURS

Univcrsity of British Columbia Library

DUE DATE

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