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ÉLÉMENTS ET THÉORIE

L'ARGHITECTUIJK

MAÇON, PROTAT FRÈRES, IMPRIMEURS.

ELEMENTS ET THEORIE

DE

L'ARCHITECTURE

COURS PROFESSÉ A L'ÉCOLE NATIONALE ET SPÉCIALE DES BEAUX-ARTS

PAR

J. GUADET

PROFESSEUR INSPECTEUR (lliNKItAL IlES UATIMENTS CIVILS

MiîMiiiii; i>r CONSEIL surÉHiEun i>e l'e.xsf.ionement des bbaux-arts

OUVRAGE HONORÉ D'UNE SOUSCRIPTION ET COURONNÉ PAR L'ACADÉMIE DES BEAUX-ARTS

NOUVKLLIC ÉDITION REVUE ET AUGMENTEE

TOME II

V

PARIS LIBHAIHIE DE LA CONSTRUCTION MODERNE

13, Rue Bonaparte, 13 {En face de l'École des Beaux-Arts.)

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LIVRE VI

LES

ÉLÉMENTS DE LA COMPOSITION

DANS L'HABITATION

Programme général des Éléments de la composition.

L'habitation.

Les diverses parties de l'habitation. Leurs dépendances.

Habitations collectives.

Éléments et Théorie de l'Architecture. II.

CHAPITRE PREMIER

SOMMAIRE. Exposé général des éléments de la composition. Divisions du sujet : Habitation. Édifices d'instruction adminis- tratifs et politiques judiciaires hospitaliers d'usage public

religieux funéraires commémoratifs d'embellissement.

Voies publiques. - Architecture rurale, Jardins. Éléments communs et généraux. Ce qu'est un programme.

Je VOUS ai exposé jusqu'ici ce que j'ai appelé les Éléments de F Architecture : c'est-à-dire la mise en œuvre des moyens dont l'architecte dispose pour réaliser ses conceptions : je n'ai certes pas été complet; je ne pouvais en avoir la prétention; mais du moins, de cet enseignement, il a pour vous ressortir l'évi- dence d'une méthode. L'architecture est un art qui a pour but et pour raison d'être la construction, et, d'autre part, les moyens de la construction constituent son domaine et son patrimoine, son arsenal ; hors de là, il n'y a pas d'architecture, et, comme je vous le disais en commençant, toute conception architectu- rale qui serait inconstructible n'existerait pas : ce n'est rien.

Je vous ai donc fait voir d'abord, et bien sommairement, comment, par quels moyens, vous pourriez, le moment venu, donner un corps et une réalité à vos conceptions. Vous savez ainsi plus ou moins à fond comment vous pourrez con- struire. Que construirez-vous ? A quelle occasion ferez-vous ces murs, ces portiques, ces voûtes, tout ce dont nous avons parlé ?

4 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l' ARCHITECTURE

Évidemment pour satisfaire à un besoin matériel ou moral pour réaliser une Composition. Et dans cette composition, vous aurez à faire un choix judicieux et un emploi intelligent de ces éléments de l'architecture. Entre la connaissance de ces éléments de l'architecture et la composition, il y a une transition néces- saire : la connaissance des éléments de la composition.

Rien, certes, n'est plus attachant que la composition, rien n'est plus séduisant. C'est le vrai domaine de l'artiste, domaine sans autres bornes, sans autres frontières que l'impossible. Mais qu'est-ce que composer? C'est mettre ensemble, souder et com- biner les parties d'un tout. A leur tour, ces parties, ce sont les éléments de la composition; et de même que vous réaliserez votre conception avec des murs, des baies, des voûtes, des toitures tous les éléments de l'architecture vous établirez votre composition avec des salles, des vestibules, des dégage- ments, des escaliers, etc. Ce sont les éléments de la composition.

Or, ces éléments ont leurs lois : lois très larges, très libé- rales, et pas plus ici que pour les éléments de l'architecture, je ne vous édicterai un code ni des formules : au contraire, je vous montrerai toujours la liberté du choix, la variété des solutions possibles; mais je vous dirai autant que je le pourrai quel a été le résultat des tâtonnements et de l'expérience de vos devanciers, quelles conditions sont nécessaires, quelles autres simplement désirables ou au contraire défavorables ou même vicieuses. Et ainsi, lorsque vous composerez, si votre composition est heureuse d'ensemble, elle sera la combinaison logique et belle d'éléments dont chacun sera judicieux et réussi. Car la belle et bonne composition ne doit être ni le bel assem- blage d'éléments qui seraient sans valeur par eux-mêmes, ni l'assemblage sans raison ni beauté d'éléments de haute valeur par eux-mêmes.

LES ÉLÉMENTS DE LA COMPOSITION 5

Au point de vue de l'ensemble, que je n'aborde pas, vos compositions seront ce que vous les ferez : sachez-le, d'ailleurs, vous êtes à l'âge des compositions heureuses, des audaces que le succès couronne, des poésies que n'a pas flétries la trop péné- trante expérience de la vie. En composition, rien ne vaut la trouvaille, le jet, l'entrain, tout ce que permet seule l'ardeur de la jeunesse, la vivacité des impressions spontanées, la chaleur que l'expérience n'a pas trop refroidie.

C'est pour les éléments de cette composition que l'expérience est précieuse ; c'est que la connaissance est indispensable, car elle implique la comparaison, le choix, et s'il plaît à Dieu le progrés.

Et ce sont ces éléments que nous allons passer en revue dans les leçons qui s'ouvrent aujourd'hui : permettez-moi de vous dire dans quel ordre. Ce sera un sommaire anticipé du cours, forcément aride comme toute exposition de sujet; mais néces- saire, je crois, afin que vous puissiez vous rendre compte et de la méthode que je vous propose, et du fruit que vous pouvez tirer de ces entretiens.

Le premier objet de l'architecture, le programme qui lui est le plus fréquemment proposé, c'est évidemment l'habitation humaine. De la case au palais, grande est la distance ; et cepen- dant les éléments sont les mêmes, humbles et pauvres, ou riches et magnifiques. Je vous parlerai donc d'abord des éléments de l'habitation, et par l'exemple de ce sujet que vous connaissez bien vous comprendrez mieux que par tous les discours com- bien il est intéressant pour vous de vous exposer les nécessités de la chambre par exemple, du salon, de la salle à manger, de la cuisine, etc., en vous citant autant que possible des exemples à méditer, soit comme modèles, soit comme erreurs.

6 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE L ARCHITECTURE

Ces éléments, nous les verrons dans la simple maison, dans l'hôtel, dans le palais; à la ville et à la campagne; nous note- rons les différences qui résultent de cette diversité de milieux. - Puis l'habitation a ses dépendances, tout ce qu'on appelait autrefois les communs, notamment les écuries et remises, les celliers, les bains, etc. Pour tout cela il y a des conditions que l'expérience a fixées, et qu'il faut respecter tout en gardant sa liberté entière pour l'expression artistique, la forme, la propor- tion.

Après ces éléments de l'habitation personnelle, nous trouve- rons ceux de l'habitation collective : j'entends par les édifices dont le but est d'abriter non plus l'individu ou la famille, mais une réunion d'hommes : ainsi l'hospice, l'asile; ainsi encore l'hôtellerie, le cercle et les créations dont notre Hôtel des Inva- lides est le type le plus illustre. Mais je réserverai pour plus loin les collectivités qui ne sont pas avant tout de l'habitation : par exemple, les salles des hôpitaux qui relèvent surtout des nécessités du traitement, celles des édifices d'instruction, qui répondent à des programmes spéciaux et déterminés, dont l'in- fluence domine l'étude entière.

Dans cette habitation collective, les choses changent à la fois de nom et de forme; à la chambre se substitue le dortoir, à la salle à manger le réfectoire, et ainsi du reste. J'aurai à vous faire saisir ces différences, et à vous faire voir que parfois lorsque deux programmes emploient le même mot cuisine par exemple ce mot peut avoir des applications très différentes.

Et ainsi, je ne vous aurai pas appris à composer une habita- tion : c'est votre affaire ; mais je vous aurai peut-être montré quelles sont les conditions désirables pour les divers éléments dont se composera cette habitation.

LES ÉLÉMENTS DE LA COMPOSITIOX

De là, nous aborderons les éléments des édifices destinés à l'instruction.

Ce sujet est non moins vaste que le précédent» et sa variété est aussi grande : car il s'étend de l'école rurale ou de l'école maternelle jusqu'aux palais de l'enseignement supérieur. Et nous trouverons ici des éléments nombreux et variés : dans l'école primaire, nous verrons ce que doit être une classe, un préau, une salle de travail; nous rencontrerons même des pres- criptions formelles à certains égards. Dans les lycées et collèges nous trouverons encore la classe, le préau, et aussi l'étude, le dortoir, le réfectoire, l'infirmerie, le gymnase.

Entendons-nous bien cependant : si je vous dis ainsi ce qui se fait, et même ce qui est exigé quant à présent, ce n'est nul- lement pour vous astreindre à une seule solution : au contraire, je compte bien vous montrer que les solutions sont multiples, qu'elles sont bonnes dés qu'elles satisfont à la raison : en un mot, ce qu'il faut connaître, ce sont les besoins : si vous les connaissez bien, la solution ne vous fera pas défaut.

Je terme cette parenthèse et je reviens aux édifices d'instruc- tion, mais d'instruction supérieure : ainsi, les écoles publiques comme la vôtre les facultés, etc.

Nous y trouverons la salle de cours, grande, moyenne ou petite, et vous y verrez que le programme diffère suivant l'objet même de l'enseignement; puis la salle de conférences, la salle d'examen ; le groupe des laboratoires, laboratoires de recherches et laboratoires d'enseignements; les ateliers et salles de dessin; les salles d'exposition; les galeries de collections. Je n'énumère pas tout, bien entendu, je ne cherche pour le moment qu'à vous faire voir l'étendue du sujet.

A ce groupe des édifices d'enseignement se rattachera par une transition toute naturelle celui des édifices destinés eux

8 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l' ARCHITECTURE

aussi à l'instruction publique, tels que la Bibliothèque et le Musée.

J'essaierai de vous dire quelles sont les conditions désirables pour une salle de bibliothèque, suivant qu'elle est salle de lec- ture ou simple dépôt de livres. Dans le Musée, nous trouverons des nécessités différentes selon qu'il s'agira d'exposer des pein- tures ou des sculptures, des curiosités, des médailles, etc.

Les collections scientifiques devront aussi appeler notre atten- tion, et ce mot seul éveille certainement en vous aujourd'hui l'idée d'un ensemble singulièrement important, même en res- tant dans le cadre des cas généraux, et sans nous égarer dans la multiplicité des exceptions qui ne relèvent pas de nos études.

Ici encore, je ne vous aurai donné ni recettes ni formules; mais je vous aurai peut-être montré que, avec du bon sens et la connaissance des besoins, on n'est pas moins Hbre dans sa composition, mais on évite des erreurs rédhibitoires auxquelles on s'expose trop facilement par l'ignorance de ces nécessités spécifiques des éléments de la composition.

Une autre famille de programmes, non moins riche, est con- \ stituée par les édifices administratifs et pohtiques, depuis la petite mairie de village jusqu'aux ministères, aux hôtels de ville, aux palais du Parlement.

Bien entendu, à mesure que nous avancerons dans ces études, je ne vous répéterai pas ce qui aura été déjà dit à certains égards; ainsi ces édifices comporteront souvent de l'habitation, des collections, une bibliothèque; je n'y reviendrai qu'autant que j'aurai quelque particularité spéciale à vous signa- ler. Mais nous trouverons ici quelque éléments nouveaux : le bureau, la salle des commissions, de conseil ou de déKbérations ; j/^ les salles des étabHssements financiers, les caisses publiques ; les

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LES ÉLÉMENTS^DE LA COMPOSITION O

archives et les dépôts. Enfin, nous aurons à étudier les grandes salles des Parlements, des hôtels de ville, et à voir de quelles dépendances nécessaires elles doivent être accompagnées.

Car c'est pour ce genre d'édifices surtout que les programmes sont forcément succincts sous peine de se délayer en un volume. < Il fiiut donc savoir que ce que le programme vous demande en un mot : « cabinet de fonctionnaire », par exemple, représente souvent tout un ensemble inévitable. Ce ne sera pas sortir de l'étude des éléments que de vous faire voir ces unités appa- rentes avec leurs circonstances et dépendances nécessaires à la composition.

De là, nous passerons aux édifices judiciaires, si nettement définis, et si favorables aux belles manifestations de l'architec- ture, depuis la basilique antique jusqu'aux salles contemporaines de notre Palais de Justice.

Ce sont, en effet, des programmes bien spéciaux que la salle 1 ^irr''"" des Pas-perdus, la salle d'audiences, qui se divise elle-même en salles civiles et salles criminelles. Mais il y a encore les salles du conseil, les dépendances des tribunaux, les salles des criées, puis les greffes, les services d'instruction, les archives, etc., etc., et enfin les dépendances inévitables de la justice, les geôles et dépôts. . ' •J

Et cela m'amènera à rattacher aux éléments des édifices judi- ciaires les éléments de leur corollaire : la prison sujet que naturellement vous ne connaissez pas bien.

A son tour, l'architecture hospitalière nous demandera de

. nombreuses indications. Vous verrez cette architecture jadis

, , empreinte d'un grand et noble sentiment de charité donner lieu

à ces chefs-d'œuvre mélancoliques dont la reproduction, dans

K^'

10 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l'aRCHITECTURE

une des cours de votre école, de la frise de l'hôpital de Pistoïa vous donne si bien l'idée; puis les exigences de plus en plus i^ précises de l'hygiène et la science nouvelle des ferments arrivant c^ à donner aux salles d'hôpital des formes et des proportions nécessaires. Mais ce ne sont pas ces salles seulement que j'aurai à voir avec vous : il y a tant de choses dans un hôpital! Les services généraux, les lingeries, les pharmacies ; les salles d'opé- rations; les services des morts, etc., etc. Tout cela a besoin ""^ d'être défini et expliqué, sans quoi il faudrait qu'un programme

d'hôpital fût une dissertation complète sur le sujet, et il faut, lorsque vous serez en présence de ce programme, que vous compreniez bien le sens de ces indications forcément abrégées. Puis, à côté de l'hôpital pur et simple, il y a les maisons spéciales les maisons d'aliénés, par exemple, ou les mater- nités. Comme éléments, cela diffère peu en somme; cependant, il s'y trouvera quelques particularités qui devront vous être signalées.

Dans ces édifices, rien n'est plus difficile que le programme : parfois dans des commissions se trouvaient les hommes les plus compétents, des mois entiers de discussion n'ont y*^ pu enfanter un programme. Mais je n'ai nullement la pré- '^ tention de vous dire ici comment doit être conçu l'ensemble d'un hôpital ou d'une maison d'aliénés : je ne déciderai pas de l'éternelle dispute des hôpitaux nombreux ou peu nombreux : je chercherai seulement à vous dire quel que soit d'ailleurs le programme ce que l'expérience a conduit à réclamer pour les éléments de l'édifice hospitalier.

Je viens de parler de groupes d'édifices d'un caractère nette- ment déterminé. Il en est d'autres qu'il me faut désigner du terme plus général et trop élastique ô^ Edifices d'usage public.

LES ELEMENTS DE LA COMPOSITION II

Sous ce titre, je comprends d'abord les édifices destinés aux affaires. Cela me conduira à vous parler des salles de Bourses, et spécialement des Bourses de commerce, sujet qui se rattache aux anciennes basiliques dans l'antiquité, aux loges de la Renais- sance, aux édifices corporatifs du Moyen-âge. j^Les halles et les marchés, les greniers publics, les entrepôts, les , abattoirs, nous donneront encore quelques éléments à classer sous cette rubrique, qui comprendra encore, par extension, les constructions industrielles, dans les cas qui permettent des indi- cations théoriques. Enfin, les diverses salles des gares de chemins de fer, et aussi les salles à tous usages, tel qu'était le Palais de l'Industrie à Paris.

Mais les édifices d'usage public sont souvent destinés au plaisir et non aux affaires. Ainsi, en premier lieu, le Théâtre. Et dans le théâtre, nous trouverons la salle de spectacle, pro- gramme bien à part, la scène, les dépendances ; nous verrons aussi que dans le théâtre les vestibules, les dégagements, les escaliers doivent répondre à des besoins spéciaux ; que le foyer n'est pas une galerie ou une salle de fête comme une autre.

Puis viendront les autres salles de spectacles, mais de spec- tacles particuliers, le cirque et l'hippodrome. Je vous montrerai les profondes différences entre les expressions antiques de ces programmes, expressions si magnifiques, mais si irrecevables pour notre civilisation, et leur réalisation moderne, magnifique autre- ment : autre programme, autre solution.

Sur les salles de concert, les salles de bal, j'aurai quelques indications à vous donner; vous en retiendrez que les salles à tout faire ne sont excellentes pour rien.

Enfin sous cette rubrique d'usage public il convient de classer ces édifices affectés au luxe et au bien-être, dont les thermes des Romains ont été l'expression la plus monumentale. Ce sera

12 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l'aRCHITECTURE

l'occasion d'étudier la salle de thermes, et aussi les salles de bains turques ou mauresques, les piscines, les salles d'hydrothé- rapie; cela confine d'ailleurs aux éléments des édifices d'in- struction par les salles d'exercices physiques, tels que les gymnases ou les manèges. Le sujet est vaste, vous le voyez.

Passant à un ordre d'idées tout différent, je vous parlerai des éléments des édifices religieux. Ai-je besoin de vous dire quelle place ont toujours tenue ces édifices dans l'architecture de tous les peuples et de tous les temps? Qu'il s'agisse du temple égyp- tien ou grec, de la basilique ou de la cathédrale chrétienne, toujours ce sont ces monuments qui ont été le flambeau de l'architecture.

Mais si nous avons eu à interroger avec respect et avec ft^uit les temples antiques au sujet des éléments de l'architecture, nous aurons peu à leur demander à propos de la composition.

Au contraire, le programme de l'église est presque identique- ment aujourd'hui ce qu'il était il y a quinze siècles, et la com- position de nos édifices religieux peut s'étudier avec fi"uit dans ses diverses manifestations à travers les âges.

Faut-il vous répéter encore ici que je me garderai bien de vous recommander une solution ou une esthétique ? Mais j'essaierai de dépouiller devant vous le dossier de la question ; je ne vous dirai pas : voilà comment se fait une église; mais j'essaierai de vous dire comment on en a conçu les éléments depuis tant de siècles que l'architecture s'est exercée sur ce magnifique programme.

Bien que l'on puisse dire que l'église est une salle unique, cette salle est assez complexe pour être une composition entière, et compter de nombreux éléments : éléments de construction tout d'abord, et éléments artistiques appropriés à chaque système de construction.

1

LES ÉLÉMENTS DE LA COMPOSITION

13

Nous verrons donc la construction et la disposition des nefs, avec ou sans bas côtés, d'abord dans les premières églises plafonnées ou charpentées, l'ancienne basilique, l'ancienne église latine; puis dans les églises voûtées des époques ou plutôt des compositions byzantine, romane, gothique, moderne.

Puis, dans ces égHses, les absides et les chœurs, les chapelles, les tours et clochers, les transepts et les coupoles, les cryptes, les sacristies et les trésors. En avant ou à côté de l'église, nous trouverons parfois le baptistère ou le clocher isolé.

Enfin, et toujours dans l'architecture religieuse, j'aurai à vous signaler le caractère particulier qu'ont pris les salles de diverses natures, depuis la cellule jusqu'à la salle de chapitre, lorsqu'elles ont été composées pour la vie religieuse et non plus pour la vie civile.

Ici surtout, il importe de vous rappeler que je ne fais pas devant vous l'histoire de l'architecture. La classification des édifices reHgicux par siècles est toute naturelle, mais elle ne répond pas aux nécessités de l'étude de la composition. Je veux, par exemple, à propos des églises à charpentes apparentes, vous faire voir les solutions diverses de ce programme à toutes les époques, sans m' attacher à un synchronisme historique entre tel édifice dont je vous parlerai à ce sujet, et tel autre dont j'aurai à vous entretenir à propos des églises voûtées et ainsi de toutes les parties de ce vaste ensemble. .

De l'architecture religieuse, la transition sera naturelle à l'ar- chitecture funéraire. A toutes les époques, l'architecture des tombeaux a procédé de l'idée religieuse, soit qu'elle fût précise et formulée ou flottante et indéterminée. Mais ici, ce ne sont plus des éléments, ce sont de petites compositions entières qui seront le sujet de nos études. Car, à part le Campo Saiito, l'en-

y

14 ELEMENTS ET THÉORIE DE L ARCHITECTURE

semble funéraire, le cimetière, échappe à la composition archi- tecturale, et quant aux grands édifices tels que Saint-Denis, l'abbaye de Westminster ou le Panthéon, ou encore le dôme des Invalides, qui rassemblent d'illustres sépultures, ce sont en réalité des églises dont le caractère peut seulement être plus sévère.

Nous aurons donc à étudier simplement le tombeau, dans ses expressions diverses, suivant les différences entre les coutumes et les croyances; nous le rencontrerons en plein air ou dans l'église, isolé ou adossé, tombeau véritable ou cénotaphe.

Une dernière famille d'édifices, très vaste, très intéressante d'étude, c'est ce que j'appellerai les édifices commémoratifs et les édifices décoratifs. Je ne veux pas dire que ce nom doive leur être donné par opposition aux édifices d'utilité. Non : ils ont toujours leur utilité eux aussi, souvent utilité matérielle, toujours utilité morale. Mais leur caractère et leur raison d'être résident avant tout dans la volonté d'une impression à produire, d'un aspect à créer, pour la gloire d'une nation ou d'une cité.

Des exemples définiront mieux que tout ce que je pourrais dire ce qu'il faut entendre par ce groupe d'édifices. Il y a le monument à la fois historique et décoratif, tel que l'arc de triomphe, la colonne commémorative, le trophée; il y a l'en- semble à la fois décoratif et utilitaire, tel que l'ancienne agora ou le forum, les Propylées, les places publiques, les portes de villes, les châteaux d'eau, les fontaines.

Et après que nous aurons étudié ces monuments, nous verrons aussi les éléments de la beauté des voies pubHques, car l'architecture ne vise pas seulement la beauté de l'édifice, elle assure ou doit assurer encore celle de la cité.

Puis nous aborderons l'architecture rurale, ainsi que les élé-

LES ÉLÉMENTS DE LA COMPOSITION

15

mcnts nombreux et charmants de l'architecture des jardins : la terrasse, le perron, la grotte, le bassin, la cascade, et ceux du jardin lui-même : l'allée, la pelouse, le bosquet.

Je ne vous enseignerai pas, assurément, comment on fait tout cela, mais je vous montrerai comment on l'a fait aux plus belles époques de l'art, ce qu'on a cherché, ce qu'on a évité.

Voilà, sauf omissions, quels seront dans leur ensemble les éléments principaux de nos études, appliquées aux éléments de vos programmes. Dans cette nomenclature rapide et forcément incomplète, faites la part des oublis : en reprenant chaque cha- pitre, nous chercherons à les combler.

Mais la composition n'a pas seulement à mettre en œuvre ces éléments exigés par le programme; il y a de plus les éléments de réunion, d'accès, tout ce que l'on peut appeler d'un mot général : les circulations.

Un programme en effet ne prescrit pas les vestibules, les dégagements, les escaliers, etc. 11 en faut cependant, et la combinai- son des circulations est souvent l'âme même de la composition.

Dans les intérieurs, nous aurons donc à voir quelles disposi- tions ont été adoptées pour les vestibules ouverts ou clos, voû- tés ou plafonnés, pour les portiques ou galeries, les grands et les petits escaliers, les dégagements. Puis, nous étudierons les dis- positions des cours, principales et secondaires.

Mais la disposition n'est pas tout, et la composition doit tout prévoir, aussi bien les aspects que les nécessités. II y a, pour la composition des extérieurs aussi, des façades générales, sinon des règles, au moins des données basées sur l'expérience.

Nous essaierons de dégager les principes qui ont, dans les plus beaux modèles, présidé à l'étude des façades, sur un seul front, avec avant-corps et arrière- corps, des pavillons isolés, pavillons

l6 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l'aRCHITECTURE

milieux et pavillons d'angles ; des compositions par travées alternées; des éléments de silhouette; des compositions sur plan curviligne.

Tout cela me conduira à des exemples plutôt qu'à des préceptes, car en pareille matière il n'y a qu'un seul précepte qui serve : c'est de bien faire.

Et voilà à peu prés le sommaire des matières que peut ou que pourrait embrasser un cours de théorie de l'architecture. C'est toujours, pour employer de nouveau une expression dont je me suis servi à propos des éléments de l'architecture, l'inventaire de votre patrimoine à faire devant vous : je n'ai ni ne veux avoir d'ambition plus haute : je ne suis pas le directeur de vos con- sciences d'artistes.

La. composition donc échappe à ce cours; d'ailleurs la compo- sition ne s'enseigne pas. Elle est astreinte évidemment à des principes, nous en avons parlé déjà et sur ces principes je pense bien que tout le monde est d'accord; mais quant au parti, à la trouvaille, au bonheur d'aujourd'hui réparant la sté- rilité d'hier, tout cela est une action mystérieuse de l'intelligence, et tel est bien en eflfet le caractère des arts : l'inspiration. Bien téméraire qui prétendrait l'enseigner!

Mais, je vous l'ai dit et je ne saurais trop le répéter, l'inspira- tion ne peut exister et ne peut être féconde que si elle est servie par le savoir. Chez l'ignorant, si par impossible l'inspiration se produisait, elle resterait stérile. Soyez donc des hommes de savoir : et c'est à cela que ce cours peut et doit servir; son résultat, s'il en obtient, doit se résumer en un mot : connaître.

Pour parler un langage qui vous est plus familier, je dirai si vous voulez que ce cours peut vous apprendre à Hre un pro- gramme : chose plus importante et plus difficile qu'on ne pense.

LES I-LÉMENTS DE LA COMPOSITION I7

Un programme n'est jamais complet : s'il devait tout prévoir et tout expliquer, il faudrait un volume, tandis qu'un programme doit être court pour être nettement saisi. Les programmes délayés égarent, bien loin d'éclairer. Mais pour pouvoir, comme a dit un maître dans l'art d'écrire, « clore en peu de mots beaucoup de Sens », il faut que le lecteur sache comprendre vivement. On vous dira par exemple dans un programme, sous une forme ramassée et concise : «... des amphithéâtres avec laboratoires pour les cours de physique, de chimie, . . . etc. » Le programme ne vous expliquera pas ce que sont des amphithéâtres pour ces enseignements, ce que doivent être ces laboratoires, quelles dépen- dances nécessaires sont sous-entendues dans ces termes généraux, quelles relations sont nécessaires entre telles ou telles de ces parties. Et si vous ne vous en doutez pas en composant, vous risquez une composition fautive ou indigente. Combien voyons- nous de ces compositions condamnées d'avance, faute par l'au- teur d'avoir su lire son programme!

Il faut donc que la langue de l'architecture soit une langue claire pour vous. Et cela se résume encore dans ce même mot : connaître.

Et si plus tard enfin, je ne puis l'espérer pour moi mais si quelque autre aborde, devant vous, la composition ou plu- tôt les compositions au sens général du mot; si l'on vous lait voir non plus les éléments de l'habitation par exemple, mais l'habitation dans son ensemble; non plus les éléments de l'édifice judiciaire, salle d'audience ou salle des pas-perdus, mais le palais de justice lui-même ; alors encore le programme de ce cours ou de ce livre sera l'exposition de ce qui s'est fait, le plan de l'ou- vrage que nous appelions familièrement le grand Durand. Ici encore donc, je vous convierais, pour les compositions comme pour leurs éléments, à connaître.

Éléments et Théorie de V Architecture. II. â

l8 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l' ARCHITECTURE

Mais en tous cas, cette dernière étape doit être réservée. Mon programme est, je le crains, déjà trop chargé avec les Eléments de la composition. Nous les étudierons donc comme nous avons fait pour les Éléments de l'architecture en cherchant, en mettant en évidence la logique et la vérité, en réclamant avant tout les qualités de sincérité et de conscience.

Vous connaissez sans doute cette belle définition antique de l'orateur : vir bonus, dicendi peritus, l'honnête homme, habile à bien dire. Sentez-vous qu'en effet sans cette honnêteté, l'orateur n'est plus qu'un rhéteur, un marchand de paroles, un homme habile peut-être, mais indigne d'un noble titre ?

Eh bien l'architecte est lui aussi l'honnête homme, habile à bien construire : et je ne parle pas ici de la simple probité, ni de la déhcatesse : je parle de l'honnêteté dans l'art, de la conscience, du dévouement. Cette honnêteté-là, la grande, la vraie, elle est presque rare; elle ne sacrifie ni au succès ni à l'entraînement; elle se juge comme elle juge les autres; elle se trompe parfois, elle ne trompe pas. Cette honnêteté-là, elle a un autre nom encore, celui que j'aime à vous répéter comme l'idéal de vos belles études, la Vérité !

lAPITRE II

HABITATION LA CHAMBRE AVANT L'ARCHITECTURE MODERNE

SOMMAIRE. Origine. La chambre dans l'antiquité. Maison grecque, romaine, gréco-romaine. Pompéi. La chambre au Moyen-âge à la Renaissance.

La première habitation fut, dit-on, la caverne; puis la hutte, la cabane : tout cela c'est l'abri primitif. La maison, si simple qu'elle soit, appartient à une civilisation déjà supérieure. Mais son but reste avant tout l'abri, l'habitation de famille. Si elle sert aussi à la réception, ce n'est pas son objet principal : elle a été le foyer où, de père en fils, on naissait, on vivait, on mou- rait; nos mœurs ne s'accommodent plus guère peut-être de cette pérennité ni de ce culte antique de la maison paternelle. Il est permis de le regretter. Mais, que nous habitions une maison de famille ou une maison banale, les éléments n'en varieront que par la poésie des souvenirs : matériellement, ils seront les mêmes. Et tout d'abord, nous trouverons le foyer intime, le premier organe de l'habitation : la chambre.

Je ne vous ferai pas son histoire, ce n'est pas mon rôle : si vous voulez d'ailleurs étudier ce vaste sujet à travers les siècles, Hsez le livre attrayant de Ch. Garnier et Amman, L'Habitation

20 ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

humaine. Mais pour vous montrer cependant quel est le point de départ et quels progrés ont été réalisés par l'architecture, per- mettez-moi de vous lire ces quelques passages de YOdyssée, qui vous donneront une idée de l'habitation d'un roi de peuplade grecque au temps de la guerre de Troie :

Ulysse est revenu à Ithaque, dans sa maison, et il vient d'y massacrer les prétendants. Cependant, est-ce bien Ulysse ? Telle est la question que se pose encore la prudente Pénélope avant de reprendre cette vie commune interrompue depuis vingt ans. Et alors elle lui tend un piège :

« ... Va, Eurykléia, étends hors de la chambre nuptiale le lit compact qu'Odysseus a construit lui-même, et jette sur le lit dressé des tapis, des peaux et des couvertures splendides.

« Elle parla ainsi, éprouvant son mari; mais Odysseus irrité dit à sa femme douée de prudence :

« O femme ! quelle triste parole as-tu dite ? Qui donc a trans- porté mon lit ? Aucun homme vivant, même plein de jeunesse, n'a pu, à moins qu'un Dieu lui soit venu en aide, le transporter et même le mouvoir aisément. Et le travail de* ce lit est un signe certain, car je l'ai fait moi-même sans aucun autre. Il y avait, dans l'enclos de la cour, un ohvier au large feuillage, verdoyant et plus épais qu'une colonne. Tout autour, je bâtis ma chambre nuptiale avec de lourdes pierres : je mis un toit dessus, et je la fermai de portes solides et compactes. Puis je coupai les rameaux feuillus et pendants de l'olivier, et je tranchai au- dessus des racines le tronc de l'olivier, et je le polis soigneuse- ment avec l'airain en m'aidant du cordeau. Et l'ayant troué avec une tarière, j'en fis la base du lit que je construisis au- dessus, et que j'ornai d'or, d'argent et d'ivoire, et je tendis au fond la peau pourprée et splendide d'un bœuf.... » ÇOdyssée, Rhapsodie XXIII, traduction de Leconte de Lisle.)

HABITATION

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Vous voyez qu'il ne faut pas se figurer les palais des premiers Grecs avec les interprétations de la poésie ou de la peinture des derniers siècles. Ils devaient plutôt être analogues à ces métai- ries des rois mérovingiens, constructions rurales dans une enceinte palissadée.

Vous n'ignorez pas d'ailleurs que chez les Grecs, les femmes habitaient une partie retirée de la maison, le gynécée, prélude du Jxirem musulman. Vous voyez donc combien les mœurs diffé- raient des nôtres, et quelle erreur ce serait de chercher dans la maison grecque une inspiration directe pour notre habitation.

Nous connaissons bien peu d'ailleurs la maison des Grecs au temps de leur splendeur. Que pouvait être la maison de Péri- clés ou celle d'Aspasie ? Je l'ignore absolument; on sait seule- ment que même pendant ce grand siècle, l'habitation resta modeste et conserva ce double caractère de la maison hellé- nique : la vie à l'intérieur, dans une maison, qui, du dehors, ne présentait qu'une porte dans un mur; et la réclusion de la femme dans le gynécée. Et ce mot de réclusion n'a rien d'exa- géré; on sait par des fragments de comédie que le mari sortant enfermait sa femme en cadenassant la porte unique du gynécée; il en faisait autant le soir, et bien mieux les plus raffinés défendaient cette porte par une bande de toile fixée par deux cachets. La femme était ainsi mise sous scellés.

Autant qu'on peut le conjecturer, les diverses parties de la maison grecque ouvraient toujours sur une cour; à droite et à gauche les pièces de service et de provisions, ou encore les écuries et étables, porcheries, etc.; au fond, les quelques pièces ordinairement trois à l'usage du maître ; au premier étage, le gynécée; cet étage seul avait quelques fenêtres ouvrant sur la façade.

Quant aux chambres, qui nous occupent plus spécialement

22 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l'aRCHITECTURE

en ce moment, ce n'étaient que des compartiments, très petits, sans communication avec quoi que ce soit autre que la cour, et pour aération et éclairage la porte seule que sans doute on ne fermait pas; il est d'ailleurs probable que, comme les Athéniens modernes, les anciens Grecs allaient pendant la plus grande par- tie de l'année dormir en plein air sur leurs terrasses. De tout cela, il ne reste que des vestiges trop incertains pour que je puisse vous présenter des plans qui ne soient pas purement hypothétiques.

^ Avec le monde romain, le programme change un peu : la

femme est plus libre. Mais la maison romaine est d'abord la maison étrusque : on entre dans Yatriitm, ensemble de la partie en quelque sorte publique de la maison. Au centre est le cava:- dium, salle hypétre, qui sert à tout : réception, cuisine, boulange- rie, salle à manger, oratoire. Le cavoedium est recouvert par quatre pans de toitures, formant une pyramide tronquée dont le sommet est en bas; le centre est une ouverture carrée à ciel ouvert, dite compluvium, au-dessous de laquelle est V impluvium, bassin recevant l'eau de la pluie, et souvent unique ressource de la maison comme approvisionnement d'eau. De chaque côté du cavœdium les pièces de service, au fond les pièces du maître, et aussi retirées que possible celles de la mère de famille, de ses filles et de ses esclaves.

Cela c'est la maison primitive; puis vient l'influence grecque, le goût du bien-être et du luxe, et alors apparaît la maison gréco- romaine dont nous avons à Pompéi de si intéressants exemples, en premier lieu peut-être la maison de Pansa dont je vous ai déjà montré le plan (vol. I, fig. 36) et dont je vous donne ici la coupe (fig. 542). J'y joins encore un fragment du plan de Rome antique, gravé en marbre et conservé au Capitole, qui

HABITATION

montre bien que les maisons ro- maines et celles de Pompéi étaient identiques (fig. 543).

Vous pouvez d'ailleurs le compa- rer aux nombreux plans que vous trouverez dans l'ouvrage de Mazois.

Le vieil atrium avec son cava'dium, soit toscan, soit tétrastyle (je vous dirai plus tard le sens de ces appella- tions) subsiste toujours à l'entrée de la maison, avec ses pièces de service; au fond est le tahlinum ou sorte de salon de réception ouvert sur le cava'dium, dont on peut l'isoler par des rideaux; puis derrière tout cela, la cour grecque, le péristyle réservé à l'intimité. est le grand luxe de la maison, et est l'habitation véri- table : car, vous le voyez, il y a dans la maison de Pompéi deux parties bien tranchées : la réception et l'inti- mité. De V atrium (réception) on passe au péristyle (intimité) par le tablinum et par des corridors de ser- vice, et c'est autour du péristyle que nous trouvons les chambres.

Eh bien, ces chambres, c'est en- core le compartiment, la cellule sans fenêtre, il y a la place d'un lit et d'un coffre qui sert à la fois d'ar- moire et de siège. Les chambres sont

24

ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

souvent nombreuses, les riches Romains ne concevant pas comme nous la chambre à divers usages. Ils avaient la chambre pour coucher, la chambre pour se vêtir, peut-être la chambre aux chaussures, etc.

Il est vraiment curieux de voir combien à certains égards cette civilisation romaine, dont nous procédons sous tant de rapports, était différente de la nôtre. Si je me laissais aller à

causer avec vous de ce su-

i

?

F'g. 543' Fragment du plan antique de Rome.

jet très intéressant, je vous montrerais ces chambres avec leurs murs nus, leurs carrelages froids ; la chemi- née inconnue, et le brasero Ip>^'^'^ seul permettant de réchauf- fer un peu ces chambres, au prix de quelles émana-

tions délétères, vous pouvez l'imaginer; la vitre, objet de luxe princier : et que faire pour l'habitation sans la vitre ? Vous verriez ces chambres sans aucune dépendance; et si à Pompéi on a trouvé des cabinets d'aisances, savez-vous bien ? Dans la cuisine, au moyen d'une simple niche, l'on ne pouvait même pas s'isoler. Il est probable d'ailleurs que ce n'étaient que .wV' de simples déversoirs d'immondices, venaient se vider des """"^ ^jM^ vases portatifs, comme ceux qui suffisent encore aux Napoli- tains de la vieille roche. »l^i*e M '>Jji*i'

Si donc tout cela est curieux historiquement, curieux aussi au point de vue philosophique en nous montrant combien ces époques si raffinées sous certains rapports la table notam- ment — étaient restées primitives à certains autres égards, cela ne nous offie rien d'autre part qui puisse être utilisé comme

^A3

,V,A

IJ

HABITATION

théorie de l'habitation moderne; je dois donc laisser de côté ces études plutôt historiques, afin de chercher avec vous ce qui peut nous donner des indications utiles pour la solution de nos programmes tels que les siècles les ont faits.

Mais voyez cependant l'influence des cléments de construc- tion ; nous constatons ici des mœurs et surtout des habitudes à

Fig. 544. Chambres de la Tour de l'Abreuvoir, à Guérande.

l'opposé des nôtres, une manière de vivre que nous n'admet- tons pas : et cependant, je le répète, les Grecs et les Romains sont les ancêtres de notre pensée et de nos idées presque en toute chose : ce contraste étonne donc. V Mais si vous réfléchissez qu'ils ne connaissaient pas la vitre, au moins comme usage courant, tout s'explique alors, et entre un plan de Pompéi et un plan moderne, il y a certes de grandes différences de temps et de coutume, mais il y a surtout cette différence matérielle : ils ne connaissaient pas la vitre !

26 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l'aRCHITECTURE

Au Moyen-âge, je trouverai peu de chose encore à vous

Fig. 545. Coupe du château de Kérouzéré (Finistère).

dire à propos de la chambre. Nous la connaissons cependant beaucoup mieux que la chambre antique. Et nous y trouvons

LES ÉLÉMENTS DE LA COMPOSITION

27

les éléments nouveaux, la vitrerie et la cheminée : ajoutez-y, souvent, un troisième élément, des murs très épais. Je vous en montrerai deux exemples groupés, l'un tiré de la Tour de V Abreuvoir à Guérande, l'autre du château de Kérouzéré (Finis- tère) (fig. 544 et 545). La chambre est d'ailleurs plus grande, on sent qu'elle est une partie importante de l'habitation. Et à certains égards, elle est très bien conçue, cette chambre; mais elle subit encore les inconvé- nients d'une construction trop rudimentaire en ce qui con- cerne le bien-être et ce que nous appelons le confortable. Dans cette chambre du Moyen-câge, souvent vaste, et dont le plan ci-joint, reproduit d'après Viollet-Leduc, vous montrera la disposition nor- male (fig. 546), les murs épais défendent de la chaleur ou du froid; mais les châssis de croi-

Fig 546. Plan d'une chambre du Moycn-àge.

A, lit. B, ruelle. C, chaire. D, carreaux. E. dreuoir. F-F, bancs fixes. G, cheminée. X, armoire.

sées ferment mal; ouvrant à charnières et à un seul vantail, ils'^^^V se logent simplement en feuillure; ou bien, lorsque les croisées sont nombreuses et rapprochées, séparées parfois par de simples 'menaux, il fitut éviter les ouvertures en charnières qui encom- breraient la chambre de châssis ouverts d'équerre au mur, et battant au vent. On a alors les châssis dits depuis à guillotine, divisés en deux sur la hauteur, la partie basse remontant à ^^ couHsse devant la partie haute laissée fixe. Ce système demande une manœuvre facile, et par conséquent du jeu, et ces sortes de châssis ne peuvent jamais fermer, comme nos croisées modernes, à noix et à gueule de loup.

28

ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

Ajoutons que les portes de ces chambres, ouvrant en général sur des corridors ou des escaliers glacés, n'étaient guère non plus une défense sérieuse contre le froid.

Aussi le combattait-on par la cheminée, cheminée très vaste,

s'entassaient des bûches énormes ; et certes la veillée au coin de ces feux vraiment riches devait avoir un grand charme. Mais vous savez ce qu'étaient ces cheminées : un foyer béant au pied d'un large conduit de fumée; du feu au pied d'un mur, avec issue pour la fumée, comme on en voit un exemple très rustique dans la salle dite des chevaliers, au Mont Saint-Michel (fîg. 547); motif qui d'ailleurs a donné lieu à de très belles œuvres, entre autres la grande cheminée en pierres et briques du château de Saint-Germain (fig. 548). Or, tout feu consomme de l'oxygène, et beaucoup lorsqu'il est vif. Il faut donc de l'air nouveau en remplacement de l'air brûlé : quoi qu'on fasse on n'échappera pas à cette loi. Et si l'air de la pièce se remplace par de l'air du dehors, qui entre en sifflant sous les portes et les fenêtres, le feu ne réchauffe pas vraiment la pièce, il ne chauffe que les objets que son rayonnement frappe directement. C'était le cas de ces cheminées primitives.

Fig. 547. Cheminée au Mont Saint-Michel.

lig. 548. Cheminée du château de Saint-Germain.

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ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

Et alors malgré tout, il fallait se défendre du froid ; pour cela on se tenait dans le rayon d'action de la cheminée, s'abritant du mieux possible au moyen de paravents. Les lits étaient généra- lement constitués par quatre colonnes et un baldaquin, avec des rideaux tout autour, non seulement pour l'ornement, mais sur- tout pour se défendre du froid, disons mieux du vent qui régnait

Fig. 549. Chambre du Moyen-àge avec lit à colonnes et baldaquin. (D'après Viollet-Leduc.)

dans ces chambres (iig. 549). Le Ht était en quelque sorte une chambre close dans la chambre peu close.

La vitrerie avait eu de son côté cette conséquence immédiate : pouvant se clore et cependant voir, on a recherché la vue, le soleil ; les fenêtres des chambres se sont de préférence ouvertes sur l'extérieur, sauf dans les châteaux forts des raisons de défense ont maintenu les chambres, souvent du moins, sur les cours intérieures. Mais en général, au Moyen-âge, toute chambre éclairée sur le dehors était moins ouverte que celles qui s'éclai- raient sur des cours intérieures. Et alors, comme les murs exté-

HABITATION

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rieurs étaient en général les plus épais, on se tenait volontiers pour travailler ou lire dans les embrasures même des fenêtres, des bancs étaient souvent disposés à cet effet (fig. 550).

Avec le Moyen-âge apparaît la ten- ture. Vous connaissez les belles tapis- series qui nous restent de cette époque, et leur nombre était prodigieux. C'est que la famille du Moyen-âge, vivant bien plus chez elle que la ûimille de l'antiquité, a cherché le bien-être sous toutes ses formes, et l'a trouvé autant que possible dans les tapisseries, sorte de vêtement intérieur de la chambre : souvent ces tapisseries n'étaient que suspendues, et les chroniqueurs parlent parfois de tapisseries agitées par le vent. Le lambris boisé, qui ne paraît pas avoir été mis en œuvre par l'an- tiquité, apparaît aussi avec le Moyen- âge.

C'est que, pour toutes sortes de raisons, au Moyen-âge on restait bien plus chez soi. Dans le monde antique, l'agora et le forum, la place publique, appelaient dés le matin les hommes hors de la maison, soit pour les ^'g- 55° affaires, soit pour le simple bavar- dage; quelque chose de ces mœurs s'est conservé dans les pays méridionaux. C'est qu'on se rencontrait, comme ces gens qui n'ont pas de domicile et qui se rencontrent sur nos prome- nades. On restait chez soi pour trois choses : les repas, la sieste,

Ëbrasement de fenêtre du Moyen-^e.

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ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l'aRCHITECTURE

la nuit. Au Moyen-âge, les seigneurs étaient cantonnés dans leurs châteaux, quelquefois plus qu'ils ne l'auraient voulu; et quant aux bourgeois, hommes de métiers, ils exerçaient leur métier chez eux, puis le soir se réunissaient parfois entre compères chez l'un d'eux, les tavernes étant plutôt pour le menu peuple des

artisans.

Avec la première Renais- sance, le programme de l'habitation ne se modifie pas très sensiblement. Si le goût est différent, le gros œuvre reste à peu de chose prés le même ; on ne trouve pas à cette époque d'invention marquante dans la disposition et la concep- tion de l'habitation. L'ex- pression est très différente, mais c'est toujours la chambre assez vaste avec ses châssis petits et multi- pHès, sa grande cheminée, devenuebeaucoup plus riche qu'au Moyen-âge, par exemple au château de Lésigny (fîg. 551), ou dans un caractère plus rustique celle du Salon de Mars à Saint- Germain (fîg. 552), ses boiseries et ses tapisseries : seulement, entre la chambre et le dehors, s'interpose parfois un portique ou loggia comme au château, aujourd'hui démoli, de Madrid, près de Paris (fig. 5 3 3-5 54)-

C'est plus tard, vers l'époque de Henri II, qu'il s'est produit

Fig. 551. Cheminée du château de Lésigny.

HABITATION

je le crois du moins dans l'architecture française une

Fig. 552. Cheminée du Salon de Mars, à Saint-Germain. Éléments et Théorie de l'Architecture. II,

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ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

innovation capitale, déjà préparée en Italie : je veux dire la pra- tique des portes et des croisées à deux vantaux. Simple question

^ de menuiserie, dira-t-on.

Sans doute; mais la solution de cette question de menui- serie permettait la chambre de Henri II au Louvre : vous devez voir combien su- bitement la chambre change

D^ir-a

•1

Fig- 553-

Plan du château de Madrid, près Paris (démoli).

d'aspect avec ces grandes et larges baies au lieu de petits châssis, avec cette lumière abondante et cette belle allure intérieure. Comme expression d'art, et comme solution particulière d'un programme spécial, la chambre n'avait plus de progrès à réaliser en elle-même. Mais il restait fort à faire sous le rapport de la

Fig- 554- Élévation du château de Madrid, près Paris (démoli).

distribution générale, des communications, des dépendances. Cela resta longtemps incommode, et sous Louis XIII, Louis XIV, si nous rencontrons de très beaux exemples de chambres, nous

HABITATION 3 5

ne trouvons pas d'amélioration sérieuse de l'appartement. Qu'il me suffise de vous dire qu'à Versailles, ces magnifiques apparte- ments n'avaient pas de cabinets d'aisances : la chaise percée était la seule ressource du grand roi et de sa famille ou de ses cour- tisans; puis les laquais montaient cela dans les combles, d'où c'était précipité dans un abîme aussi profond que les fondations du château.

Et telle était, s'il faut en croire Mérimée, la destination réelle de ces trous profonds, qu'on vous montre dans la plupart des châteaux sous le nom d'oubliettes, à grands renforts de légendes sur les malheureux à qui elles étaient destinées : à moins encore que les deux affectations ne fussent pas contradictoires !

CHAPITRE III

LA CHAMBRE DANS L'HABITATION MODERNE

SOMMAIRE. Préceptes de Blondel. XVIII' siècle. Place des chambres dans l'appartement. La chambre prise à part. Indi- cations résultant du meuble. L'architecture de la chambre. Exemples.

On peut dire que l'habitation moderne prend naissance avec le xviiie siècle, et Blondel, dans son traité d'architecture, dit, non sans fierté, que depuis peu une véritable révolution s'était faite dans l'architecture des hôtels et maisons, au point de vue surtout de la distribution. Et en effet, de grands efforts ont été faits alors pour substituer aux anciennes enfilades des distributions doubles en profondeur, avec les dégagements indispensables à la liberté de l'habitation. On a compris que si les diverses pièces d'un appartement doivent avoir leur accès de réception, il faut aussi assurer la facilité et l'indépendance des allées et venues, celles du service, celles même de la retraite discrète. Vindépendame dans l'habitation, tel a été le but poursuivi par les architectes du xviii^ siècle, et à cette poursuite nous devons des plans très remarquables, dont le plus important recueil est l'Architecture française, de Blondel, ouvrage si intéressant à consulter.

A chaque époque, ces plans ont entre eux une grande analogie, un air de famille. 11 en a été publié un assez grand nombre et

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ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l'aRCHITECTURE

F'g«55S-

Hôtel Carnavalet, à Paris.

^'g- 556- Hôtel de Noirmoutiers, i Paris.

on peut presque prendre au hasard pour les comparer n'importe quel plan antérieur à la rénovation dont parle Blondel, et n'importe quel plan posté- rieur. Comparez par exemple, à la dis- position ancienne d'un édifice d'ailleurs très remarquable, l'Hôtel Carnavalet (fig. 355), celle de l'hôtel de Noirmou- tiers à Paris (fig. 556), du commence- ment du xvnF siècle, vous serez frappés du progrés réalisé au point de vue de toutes les convenances de l'habitation. II serait pourtant injuste de croire qu'il y ait eu dans l'habita- tion une révolution subite. Déjà au xvn^ siècle, l'art des distributions avait fait de grands progrés : témoin le plan du célèbre château de Vaux (fig. 357), dont Louis XIV fut, dit-on, ja- loux. Mais ces recherches étaient encore exception- nelles, tandis que plus tard elles furent le premier souci de l'architecte. Cela se voit à Versailles même, par la comparaison des apparte- ments de Louis XIV et de ceux de Louis XV. Sur la chambre en particu-

LA CHAMBRE DANS L HABITATION MODERNE

39

lier, Blondel donne des explications intéressantes que j'essaierai de vous résumer. Ses indications sont très sages :

« Il semble même, dit-il, que depuis environ 50 ans, les

architectes français aient k cet égard inventé un art nouveau

Avant ce temps nos édifices en France, à l'imitation de ceux d'Italie, offraient à la vérité une décoration extérieure l'on

'"'g- 557- Château de Vaux. Rez-de-chaussée.

voyait régner une assez belle architecture, mais dont les dedans étaient peu logeables, et il semblait qu'on eût affecté de sup- primer la lumière; on avait même de la peine à y trouver la place d'un lit et des principaux meubles, les cheminées occupaient la plus grande partie des pièces, et la petitesse des portes donnait une faible idée des lieux auxquels elles donnaient entrée... »

Et ailleurs : « La distribution doit être le premier objet de l'architecte; la décoration même dépend absolument d'un plan déter- miné : c'est la distribution qui établit les longueurs, largeurs et hauteurs d'un édifice. »

40 ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

Blondel compte six sortes de chambres ; ce sont :

La chambre à coucher; la chambre de parade; la chambre à alcôve; la chambre en estrade; la chambre en niche; la chambre en galetas (fig. 558-559).

« L'on entend, dit-il, sous le nom de chambre à coucher proprement dite une pièce dont le lit est isolé et toujours situé en face des croisées, à moins que par quelque sujétion involon- taire on ne soit obligé de le placer dans un des angles...

« On appelle chambre de parade celle qui fait partie des appartements connus sous ce nom, et dans laquelle on rassemble

les meubles les plus précieux la dame de la maison y reçoit

les visites de cérémonies... ordinairement les chambres de parade sont ornées de colonnes qui renferment l'enceinte du lit, au devant duquel est une balustrade... (fig. 560-561).

« Les chambres à alcôve ne différent des précédentes qu'en ce que le lit est enfermé dans des cloisons de menuiserie qui en resserrent l'espace, de manière à ne lui laisser qu'une place suffisante pour quelques sièges à côté du chevet.

« Les chambres en estrade étaient celles qui avaient un ou plusieurs gradins qui élevaient le lit... on les a supprimées.

« Dans les chambres en niche,... le lit est niché dans une espèce d'alcôve... (fig. 562-563).

« On appelle chambres en galetas celles qui, dans les man- sardes ou combles, sont destinées aux officiers ou principaux domestiques. »

Vous voyez quel rôle joue désormais la chambre dans l'habi- tation. Et ce que dit Blondel est vrai : au xviii^ siècle, l'archi- tecture française a nettement pris le pas et s'est affranchie des imitations trop serviles de l'italienne. Les hôtels du xviii^ siècle avec leurs grandes fenêtres, leurs dispositions commodes et

LA CHAMBRE DANS L HABITATION MODERNE

41

Pig- 559- Pl^" d'une habitation de plaisance, d'après Blondel. Premier étage.

Fig. 558. Plan d'une habitation de plaisance, d'après Blondel. Rez-de>cfaaus5ée.

Rez-de-chaussék : A-B-T-X, vestibules et antichambres. C-D-G-H-M, salons. £, chambre d* parade. H, salle à nunger.

J-Q, chiimhres en nichs. F, galerie. I-K, cabinets. N, chapelle. R, cabinet d'aisances. pRKHiKK ÉTAGE : A-B-C-M, palier et antichambres. D, vide du salon montant de fond. B-H-N, salons. F-G-O-U, chambres

d coucher. K-L-P-Q,, cabinets. I-J, pièces de service.

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ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

intimes sont bien une création française. Aussi ces conceptions eurent-elles un grand succès, et il s'est produit alors un renou-

Fig. 560, Chambre de parade, d'après Blondel. Coupe transversale.

Fig. 561. Chambre de parade, d'après Blondel. Coupe longitudinale.

LA CHAMBRE DANS L HABITATION MODERNE

vellement des hôtels des grandes familles. Je vous ai montré, à la ville, le plan de l'hôtel de Noirmoutiers ; à la campagne, le château de Champs, à peu près de la même époque, est encore un bel exemple des habita- tions du xviii*= siècle (fig.

564).

Blondel donne encore pour les chambres des conseils ou prescriptions qu'il est intéres- sant de connaître.

Leur proportion doit être plus profonde que large; elle

Fig. 562. Plan d'une chambre en niche, d'après blondel.

Fig. 565. Chambre en niche, d'après Blondel.

44

ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

sera parfaite si l'espace compris entre les croisées et le pied du lit est à peu prés carré.

Le lit est toujours prévu par lui à l'opposé des fenêtres. Les cheminées doivent être, non dans le milieu de la pièce, mais dans le milieu de l'espace entre les croisées et l'estrade.

La cheminée étant le principal ornement de la chambre doit autant que possible être du côté opposé à l'entrée principale de

la chambre, afin d'être vue par ceux qui entrent. Les portes formant enfilade du bâtiment, doivent être percées dans ^^ les murs de refend prés ' du mur de face, laissant quelque distance entre elles et la cheminée.

I.JLJ

Fig. 564. Plan du château de Champs.

I, office. 2, domestiques. 3, bains. 4, chambre. >, salle à manger. 6, salle RlOnûCl COndâlTinC 1 CITl" des gardes. 7, billard. 8, salon chinois. 9, bibliothèque. lo-ii,

"'""^"'- ploi de fausses portes

répétant les vraies, et qui empêchent de disposer le mobilier.

Nous n'avons plus la chambre en estrade ou la chambre de parade : ces indications n'en restent pas moins utiles et pratiques, car Blondel s'est placé au véritable point de vue quand il s'agit d'habitation : la vie intérieure et l'harmonie de l'architecture et du mobilier.

Vous comprenez bien d'ailleurs, sans que j'aie besoin d'insis- ter, que les chambres dont parle Blondel sont des chambres de grands seigneurs : l'architecture alors n'avait guère cure du ' simple bourgeois, encore moins de l'artisan.

Aujourd'hui, au contraire, l'habitation du grand seigneur n'existe plus guère, et plus ou moins riches, grandes et luxueuses, nos chambres sont celles de tout le monde. La

LA CHAMBRE DANS L HABITATION MODERNE 45

chambre à estrade, à balustrade, etc., n'auraient aujourd'hui, je le répète, aucun sens, et si parfois on en exige des singeries à i^grands renforts de faux bois ou de carton-pâte, ce sont des illusions de parvenus dont nous ne nous occuperons pas.

Mais la voie ouverte par les architectes du xviii'= siècle a été suivie; le but à poursuivre avait été nettement vu et indiqué; si kl recherche s'est ralentie pendant la première moitié de notre siècle, elle s'est accentuée de nouveau de nos jours, et du travail de tous on peut désormais dégager des régies d'expérience que j'essaierai de formuler à votre intention, y/

Au point de vue de la disposition générale, il faut considérer un appartement avec plusieurs chambres, souvent assez nom- breuses. Les unes seront principales, les autres secondaires : mais en tous cas, l'ensemble de ces chambres forme dans l'appar- tement, — ou dans l'hôtel, la maison, la villa, l'habitation intime, la vie de famille. Il est donc bon que ces chambres soient groupées, qu'elles communiquent entre elles facilement, qu'on puisse en cas de maladie être à portée les uns des autres.

Vous ne disposerez bien un plan d'habitation que si vous vous rappelez constamment ce qui a toujours été le principe nécessaire de l'habitation, aussi bien dans l'antiquité que chez nous : séparation et indépendance réciproque de la partie publique et de la partie intime de l'habitation.

Entendez-moi bien d'ailleurs quand je parle de partie publique, je veux dire par la partie peuvent se trouver momentané- ment des personnes étrangères à la famille.

Qu'arrive-t-il en effet dans les appartements si nombreux deux chambres sont dans une aile, trois dans une autre ? Outre l'èloignement, il faut presque toujours pour aller d'une aile à l'autre traverser l'antichambre, passer près de l'entrée de service

-i^^y

46 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE L ARCHITECTURE

et des fournisseurs. Dans cette antichambre, il y aura du monde venu pour affaires, plusieurs personnes y attendent. Que fera la maîtresse de maison qui n'est pas encore habillée peut-être ? Il lui est impossible d'aller dans ces chambres éloignées quelqu'un des siens peut-être est malade; ou si elle trouve un moment pour y aller, elle y reste emprisonnée par le coup de sonnette d'un arrivant. Au point de vue de la famille, la dispo- sition d'un appartement ne saurait présenter d'inconvénients plus graves que la dispersion des chambres. J'ajouterai que c'en est un également pour le service, car le service comporte néces- sairement une foule d'allées et venues et de transports entre les diverses chambres. Il réclame donc lui aussi cette indépendance que je vous signale comme la qualité maîtresse d'une bonne distribution d'habitation.

Ainsi donc, si nous supposons une composition parfaite d'ap- partement, les chambres seront groupées, chacune sera en com- munication facile et voisine avec les autres, indépendante cependant. Le service de chacune des chambres pourra se faire sans emprunter l'une des autres; enfin cet ensemble d'habitation intime devra comprendre tout ce qui lui est nécessaire : cabinets de toilette, cabinets d'aisances, bains, garde-robe, Hngerie; entre les chambres et tout cela, la communication doit être assurée et libre, tandis que dans une autre partie de l'appartement on reçoit pour affaires, ou pour relations mondaines. Un tour de clé ou un verrou poussé, et la vie intime de famille doit pou- voir être inviolable dans sa citadelle, qui est la chambre et ses dépendances, les chambres et leurs dépendances.

Mais il y aura, avons-nous dit, des chambres principales : une surtout, celle de la maîtresse de maison. Chambre en quelque sorte d'apparat, car l'ancienne habitude de la réception intime dans la chambre à coucher tend à renaître. Le salon ou

LA CHAMBRE DANS L HABITATION MODERNE 47

les salons ne sont pas toujours en état de réception, et souvent une visite intime est reçue dans la chambre : il y a même une certaine nuance d'amitié dans cette réception.

La chambre principale devra donc être accessible par les salons, car ce n'est pas par des entrées secondaires de service qu'on y introduira des amis. J'ajouterai que dans certaines occasions, une soirée par exemple, cette chambre à coucher peut s'annexer aux pièces de réception; rien n'empêche d'ailleurs, au contraire, que, comme l'indique Blondel, elle fasse partie des enfilades de l'appartement. Mais en même temps elle sera en communication facile avec ses dépendances : cabinet de toilette, lingerie, etc., et aussi avec les autres chambres. Il faut toujours dans la distribution prévoir les communications entre pièces contiguês. Si l'on n'y tient pas, rien n'est plus facile que de condamner une porte, tandis que en ouvrir une après coup est toute une affaire.

Et maintenant, voyons ce que sera cette chambre prise en elle-même. Elle sera, s'il est possible, exposée au midi, ou presque au midi. C'est pour les chambres surtout que l'exposi- tion a une importance capitale.

Elle aura autant que possible deux fenêtres; cela permet entre i^^.A/les deux un trumeau qui est une place excellente pour une glace. La personne qui s'y regarde est éclairée en pleine lumière.

La porte principale ou les portes d'enfilade seront disposées comme l'indique Blondel, de façon à laisser le tond de la chambre avec le lit bien abrité. Ces portes seront à deux van- taux, non seulement pour l'aspect, mais aussi parce qu'une large porte est nécessaire pour le passage des meubles.

11 est rare que le motif du lit nécessite pour nous un arrange-

48

ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE L ARCHITECTURE

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ment spécial; aussi la cheminée sera plutôt dans le milieu de la paroi, d'autant plus que pour pouvoir pratiquer l'arrangement conseillé par Blondel, il faut des chambres très profondes. Mais, suivant son conseil, gardez-vous de répéter vos vraies portes par des fausses portes, qui sont une gêne terrible pour les meubles.

Dans la partie du fond, vous aurez une porte de service et de communications. La figure 565 vous montre un exemple

théorique de ce que peut être une disposition de ce genre. Comme vous le voyez, ce qui vous dirige dans la dispo- tion, c'est le meuble. Aussi, rappelez-vous bien que dans une chambre bien distribuée, il n'y a pas de portes dans les milieux : on a toujours quelque meuble important à placer dans les milieux de panneaux, ou des tableaux, por- traits, etc.

Quant à la forme de la chambre, elle sera sensiblement rec- tangulaire, parfois cependant avec des parties arrondies, des motifs de fantaisie, ou des sujétions provenant d'une forme de terrain.

Mais l'alcôve, qui a été si longtemps en honneur, est mainte- nant déconseillée par les progrés de l'hygiène.

A quoi bon, en effet, avoir une chambre spacieuse, offrant un grand cube d'air, pour aller respirer seulement l'air d'un petit compartiment enfermé ? Si cependant vous aviez à faire des chambres à alcôves, ouvrez-les largement et aussi haut que possible, évitez les zones stagnantes d'air non renouvelé. Il faut

Fig. 565. Cil: nibre principale et cabinet de toilette.

LA CHAMBRE DANS L HABITATION MODERNE

49

pour les alcôves penser au service : le lit étant souvent de dimension à remplir presque entièrement l'alcôve, il faut qu'après l'avoir tiré en avant, on trouve par derrière ou sur le côté une petite porte qui permette de passer derrière le lit pour le service. C'est ce qu'on appelait une porte d'alcôve. On est arrive de même à supprimer beaucoup de draperies, les baldaquins, les rideaux de lits. Les ten- tures d'étoffes sont mau- vaises dans une chambre à coucher, ce sont des embuscades d'ennemis in- visibles. Aussi les anciennes tapisseries étaient à la vérité un très beau motif, mais dans les chambres un mo- tif anti-hygiénique. La sa- lubrité de la chambre a été

bien

mieux comprise avec

l^fes lambris de menuiserie

Chambres de l'hôtel de Cluny.

décorés de jolies peintures

aux xvii'^ et xviii*^ siècles.

Enfin, la chambre ne comporte pas, à mon avis, le chauffage par

calorifère, du moins par calorifère à air chaud. Ce chauffage

dégage toujours un peu d'oxyde de carbone, et la nuit sa perfidie

peut être funeste, soit lentement, soit tout à coup.

11 me reste à vous montrer que la chambre à coucher a motivé des chefs-d'œuvre en architecture. La théorie ne peut

Éléments et Théorie de l' Architecture, II. 4

50

ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l' ARCHITECTURE

Fig. 567. Chambre du Roi à Fontainebleau.

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Fig. 568. Plafond de la chambre du Roi, à Fontainebleau.

LA CHAMBRE DANS L HABITATION MODERNE

51

guère vous parler que de dispositions, de relations de voisi- nage, de nécessités, d'hygiène. Ne croyez pas pourtant que l'architecte ait tout fait lorsqu'il a satisfait à ces théories. Il lui reste à rendre la chambre aimable et artistique. Et quelle partie de nos habitations mériterait donc mieux que la chambre ce soin de l'artiste ?

Comme toujours, je vous citerai surtout ce que vous pou- vez voir facilement. Comme chambres du Moyen -âge, vous verrez certaines pièces de l'Hôtel de Cluny (fig. 56e), qui étaient certaine- ment des chambres. Vous en verriez aussi au château de Saint-Germain, mais moins reconnaissables.

Je vous ai cité déjà la chambre de Henri II au Louvre. C'est un exemple admirable, avec ses magni- fiques proportions, son pla- fond merveilleux, ses portes et ses lambris. Cette chambre mériterait bien certainement qu'on la débarrassât des objets qui y sont exposés et qui la cachent en partie, comme si un Musée quelconque pouvait avoir mieux que cela à montrer.

A Fontainebleau, vous pourrez voir quelques chambres magnifiques : celle qui fut occupée en dernier lieu par l'Impéra- trice, avec un très beau plafond de l'époque de Louis XIII, et un très bel ameublement du temps de Louis XVI.

Dans les appartements qu'on appelle appartements du Pape, la

Fig. 571. Plan des chambres de l'hôtel de Soubise.

$2

ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

chambre des Reines- mères, avec ses belles décorations du temps de Louis XIV, ou la magnifique chambre du Roi (fig. 567-568).

Enfin, quoique bien au-dessous des précédentes, la chambre de Napoléon I^^.

Dans le palais de Versailles, tout le monde connaît la célèbre

Kig. 572. Chambre en niche du presbytère de Saint-Nicolas-du-Chardonnet, à Paris.

chambre de parade de Louis XIV, d'un caractère fort noble ; il y en a d'autres encore :

La chambre de Louis XV, avec alcôve, revêtue entièrement de belles boiseries sculptées (fig. 569);

Prés des grands salons, la grande chambre de la Reine, de style Louis XV, pompeux (fig. 570). (Je ne puis, sans tomber dans des réductions trop minimes, vous donner les ensembles de ces chambres, je dois me contenter de ft-agments.)

ÉLÉMENTS KT THÉORIE DE l'aRCHITECTURE

Tome II

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Versailles I" étage.

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1, Chambre Je Louis XIV.

2, Chambre de Louis XV. ;, Sillon lies Pendules.

4, Cabinet de Louis XV. j. Arriére-cabinet.

6, Cabinet des Chasses.

7, Salle à manger.

8, Salon de musique.

9, Salle de baiiu.

10, Galerie des Glaces.

1 1, Salle dt) Conseil.

12, Salon de ta Guerre.

13, Salon d'Apollon, salle du Trône.

14, Salon de .Mercure. I ;, Salon de Mars.

16, Salon de Diane.

17, Débarras.

18, Cabinet.

19, Cour des Cerfs. 3o, Cour de service.

l'ig. 569. Chambre de Louis \\\ à Versailles.

ÉLÉMENTS ET THÉORIE IJK l'aRCHITECTURE

TOMI' Il

Page 5J

'■'g' S7"- Clhambrc de l.i Kciiic, à Versailles.

54 ELEMENTS ET THÉORIE DE L ARCHITECTURE

Puis les petits appartements de la reine Marie-Antoinette.

Au grand Trianon, la chambre de Napoléon I'-'', d'une moindre valeur, les chambres des appartements de la Reine, et surtout la belle chambre à colonnes, qui était sans doute une chambre de parade, c'est-à-dire une sorte de salon intime assez analogue à la chambre de Blondel que je vous ai montrée plus haut. ^

Au petit Trianon, la jolie chambre de Marie-Antoinette. A Rambouillet, de belles chambres revêtues de belles boiseries du xviii*^ siècle. A Paris, il y en a de nombreuses, dans presque tous les anciens hôtels de la ville.

Je vous citerai enfin les belles chambres de l'ancien hôtel Soubise, aujourd'hui Palais des Archives, du temps de Louis XV, dont les boiseries sont célèbres, et dont la figure 571 vous fait voir le plan d'ensemble.

Ces exemples vous suffiront, je l'espère, pour voir ce que d'habiles architectes ont fait pour réaliser ce programme de la chambre à coucher. Mais, je vous en prie, allez les voir et en prendre des croquis, ne vous contentez pas des gravures ou des photographies. Je suis d'ailleurs obligé de me restreindre, et ne puis toutes vous les montrer, sans compter toutes celles qu'on admire encore dans le surplus de la France et à l'étranger.

Toutefois, vous pourriez penser que je ne vous propose que des exemples de chambres royales, de dimensions monumen- tales, et que sans doute les belles chambres sur dimensions restreintes n'abondent pas. Ce serait une erreur. Voyez notam- ment (fig. 572) une chambre en niche, de 5 •" 40 de largeur, au presbytère de Saint-Nicolas-du-Chardonnet, étudiée avec un goût charmant. Voici encore, sur 4"^ 25 de largeur, une belle chambre à alcôve de l'Hôtel Lauzun (fig. 573 et 574). Il n'y a guère d'anciens hôtels l'on ne pût en signaler.

CHAPITRE IV LES DÉPENDANCES DE LA CHAMBRE

SOMMAIRE. Le cabinet de toilette. Son emplacement. L'eau. Bains, salles de bains. Les cabinets d'aisances. Choix d'em- placement. — Lingeries, garde-robes, etc. Difficultés d'applica- tion.

Après avoir vu ce que doit être ou ce que peut être la chambre, il nous faut voir ce que doivent être ses dépendances directes.

Près de la chambre, les usages modernes exigent le cabinet de toikite. Son nom indique suffisamment sa destination : il est évident tout d'abord qu'il doit être le plus près possible de la chambre, et s'il est en communication directe, cela n'en sera que mieux.

Toutefois, il faut autant que possible éviter les dispositions qui le font communiquer uniquement avec la chambre; il est tou- jours bon que le service puisse se faire sans que la chambre soit traversée par les domestiques et les transports que nécessite un cabinet de toilette. Ainsi, la disposition tout à fait satisfaisante mais qu'on ne peut pas toujours réaliser consiste à ouvrir le cabinet de toilette directement sur la chambre, et aussi sur un dégagement par une porte de service.

Le cabinet de toilette doit être chauffé, soit par calorifère, soit

56 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE LARCHITECTURE

par cheminée, ou chauffage au gaz ou électrique. Il doit être clair, cela va sans dire, et offrir des surfaces pour des glaces. Il y faut des armoires et des tablettes.

Qu mt au meuble-toilette, il pourra être soit de construction, soit purement mobilier; mais dans tous les cas, il faut que l'eau arrive directement au cabinet de toilette, et qu'il s'y trouve le vidoir nécessaire pour se débarrasser des eaux sales sans qu'on soit obligé de les transporter à travers l'appartement. On aura souvent dans le cabinet de toilette l'usage de l'eau chaude. Si la distribution permet qu'il soit en relation avec la cuisine, on peut l'en faire venir; on peut aussi la faire arriver par pression de vapeur d'un bouilleur dans les caves ; mais c'est une installation de grand luxe, et la précaution la plus simple est d'avoir dans le cabinet même un petit réchaud à gaz ou élec- trique.

Ainsi donc, dans la composition, le cabinet de toilette doit être placé en communication aussi directe que possible avec la chambre ou les chambres qu'il dessert; accessible d'autre part pour le service; enfin placé de telle sorte que les canalisations diverses qui le desserviront aient un parcours facile et puissent être aisément surveillées et entretenues. Cette dernière condi- tion n'est pas une difficulté dans les maisons de rapport les distributions se superposent identiques aux divers étages; mais il y faut penser très sérieusement dans les dispositions d'hôtels ou de maisons de campagne parfois on serait tenté de placer un cabinet de toilette au-dessus d'un salon par exemple, que dépareraient singulièrement des passages de tuyaux.

Quant à l'architecture ou à la décoration du cabinet de toi- lette, c'est avant tout une pièce d'utilité, à moins qu'une fantaisie personnelle en fasse une sorte de boudoir. Dans la donnée ordi-

LES DÉPENDANCES DE LA CHAMBRE

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58 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE LARCHITECTURE

naire, ce qui importe c'est avant tout la clarté et la propreté : je n'ai pas d'autre indication à donner à ce sujet. Cependant, il faut retenir que le cabinet, sorte d'annexé à la chambre, a donné lieu à de charmantes compositions, par exemple à l'Hôtel Lauzun (fig. 575 et 576).

Si le cabinet de toilette comporte une baignoire, il se confond alors avec la salle de bains.

Après avoir été un luxe très rare dans l'habitation même riche, la salle de bains est devenue, vous le savez, d'un usage courant dans les appartements modernes.

Quelle sera sa place ? Évidemment, le plus prés possible des chambres. Ainsi, c'est une erreur de placer la salle de bains dans les communs d'un hôtel, comme on le faisait autrefois, ou de la disposer au rez-de-chaussée lorsque les chambres sont au premier étage. Si l'usage des salles de bain est devenu si général, c'est qu'on apprécie fort la facilité de s'y rendre sans avoir à sortir pour aller dans un établissement public ; de même, on se plaît à pouvoir s'y rendre au saut du lit, avant d'être habillé, à pouvoir au besoin se remettre au lit en sortant du bain; donc le voisinage immédiat des chambres s'impose.

La salle de bains devra être très claire; il importe qu'elle soit chauffée : le chauffage par calorifère y satisfait parfaitement aux besoins : quelques personnes cependant peuvent préférer y trouver un feu brillant et clair dans une cheminée.

Quant à l'eau, adduction et évacuation, ce que je vous ai dit à propos du cabinet de toilette s'impose encore ici. De plus, si la salle est parquetée, il est indispensable de prévoir dés la con- struction un terrasson aussi étendu que possible sous la baignoire et ses abords, qui seront généralement munis d'un plancher à claire- voie; on fait d'ailleurs maintenant des baignoires élevées

LES DÉPENDANCES DE LA CHAMBRE 59

sur pieds, dont les organes d'évacuation sont ainsi en contrehaut du sol. Cette disposition permet d'éviter le terrasson, moyen- nant que le sol soit formé d'un carrelage étanche et légèrement en pente. Les canalisations d'évacuation doivent être d'une large section, afin d'éviter tout accident.

Si l'eau chaude est amenée d'ailleurs, ce n'est qu'une question de canalisation; mais dans le cas contraire, il faut un appareil chauffe-bains; vous en connaissez des variétés nombreuses, avec le gaz comme agent de chauffage; bientôt peut-être enfera-t-on d'électriques. Rappelez-vous seulement que ce foyer à gaz a besoin d'un véritable tuyau de cheminée, qui comme tous les tuyaux de cheminée doit monter jusqu'au niveau de vos faîtages, sans quoi vous risquez des rabattements des gaz issus de la combustion, ce qui n'est pas seulement désagréable mais dangereux.

Enfin, il sera bon de disposer une étuve ou chauffe-linge, chauffée directement par le gaz, ou indirectement par l'eau chaude.

La salle de bains peut être considérée comme une dépendance simplement utile, ou comme un accessoire à la fois utile et élégant ou coquet de l'habitation. Voyons d'abord les conditions matérielles à réaliser dans son installation. Je la suppose bien placée, bien éclairée, bien chauffée, bien alimentée d'eau : comment traiterez-vous ce petit intérieur spécial ?

Avec plus ou moins de luxe, plus ou moins d'art, mais en pensant avant tout aux inconvénients à éviter : or, ici l'eau, qui est l'élément indispensable, est aussi l'ennemi. Non seule- ment par terre, mais même sur les murs à une certaine hauteur, vous aurez des éclaboussements, surtout si l'hydrothérapie et les douches viennent s'ajouter au bain proprement dit; partout, y compris le plafond, vous aurez la buée produite par la con-

60 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE LARCHITECTURE

densation de la vapeur d'eau. 11 faut donc que murs et plafonds soient imperméables ce qui est facile, soit avec de la simple peinture à l'huile, soit avec l'emploi de carreaux ou des panneaux de faïence, les marbres, les glaces, etc. Mais vous devez vous interdire les tentures quelles qu'elles soient : celles d'étoffes, qui absorbent la vapeur d'eau et en gardent l'humidité en se détériorant, celles en papier qui s'en pénétrent et la déversent dans les murs en se décollant. Il faut que sur toutes les parois d'une salle de bains on puisse passer l'éponge. Quant au sol, il est assez rare dans un appartement qu'il ne soit pas en parquet; c'est cependant bien le cas d'employer les carrelages soit de marbrerie, soit de céramique, ou la mosaïque, mais l'impression froide de ces matières les fait souvent écarter. Il faut alors se résigner à la solution imparfaite du parquet, mais en ce cas il est bon qu'il soit sérieusement imbibé de plusieurs couches d'huile.

Tel est le programme de la salle de bains : or, ce programme, bien spécial, devait séduire les artistes, et en effet il a été fait à ce sujet des choses charmantes. Tandis que les Thermes dont nous parlerons plus tard étaient chez les Romains les édifices grandioses par excellence, et fréquentés uniquement, je crois, par les hommes, chez les modernes la salle de bains est devenue un programme d'intimité plutôt féminine, et certainement tous les artistes qui l'ont étudiée ont toujours supposé une jeune femme animant et parant le décor dont ils faisaient un cadre à sa nudité.

Aussi la salle de bains a-t-elle donné lieu à des motifs d'une inspiration Cythéréenne, naturellement le xviii^ siècle devait exceller. Dans cet intérieur, toujours petit, dont les éléments sont gracieux et mignons, les conditions matérielles du pro- gramme sont résolues par l'emploi des marbres aux nuances déUcates, des glaces, parfois des boiseries revêtues de peintures

ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l'ARCHITECTURE

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LES DEPENDANCES DE LA CHAMBRE 6l

laquées. De petits bas-reliefs, des peintures aimables et sou- riantes, des arabesques élégantes, des amours parfois un peu effrontés Cupidon plutôt qu'Eros tels sont les moyens volontairement restreints, avec lesquels on a construit çà et des petits chefs-d'œuvre.

Il y en a quelques-uns que vous pouvez voir facilement. Au Palais de Fontainebleau, une jolie salle de bains dont les parois sont constituées par des glaces sur lesquelles sont peintes des arabesques, et celle qu'on dénomme le boudoir.

A Versailles, celle de M™^ Adélaïde, un pur chef-d'œuvre de décoration intime et gracieuse, malheureusement assombrie par la construction voisine d'un escalier sans caractère; celle de Napoléon, au grand Trianon.

Il en existe enfin de nombreux exemples dans les hôtels et châteaux particuliers, mais vous ne pouvez les visiter.

Je vous signalerai toutefois celle, récemment restaurée, du château de Rambouillet, entièrement revêtus de faïences de Delft. Je vous en reproduis ici des panneaux, non pour montrer la disposition de la salle, mais pour faire voir, par un exemple remarquable, quel parti on peut tirer au besoin de l'application rationnelle d'un procédé d'exécution à un besoin nettement défini

(%• 576-577)-

Dans nos habitations modernes, la salle de bains est devenue

volontiers un objet de grand luxe, la fantaisie s'est donné carrière. Le sujet s'y prête en eflfet, et nulle part le caprice n'est plus admissible : mais il ne faut jamais perdre de vue les condi- tions impérieuses du programme, et cette fantaisie ne doit se mouvoir que dans la mesure compatible avec les nécessités par- ticulières que je vous ai indiquées plus haut.

Parmi les dépendances des chambres, il fiiut classer encore le cabinet d'aisances.

62 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE LARCHITECTURE

Cela vous paraît indispensable, et vous avez raison. Et cepen- dant, pendant bien longtemps on s'en est passé, et maintenant encore, en France même, vous rencontrere2 des répugnances routinières à tolérer dans la maison cet accessoire indispensable. Dans un grand nombre d'endroits, si on s'est résigné à faire aux idées modernes cette concession d'admettre un cabinet d'aisances, c'est à condition qu'il soit dehors, à l'autre extrémité du ter- rain. Ailleurs, on est moins radical, mais on ne l'admet encore qu'au dehors, et il fout passer sur un balcon extérieur pour y aller. Et nous, nous le plaçons sans aucune crainte et sans aucun inconvénient au milieu de l'appartement. C'est que nous savons le foire, mais que cette science est récente.

V^ous pensez bien qu'en pareille matière il n'y a pas de mode ni d'habitude qui puisse contraindre la nature : toujours il a bien foUu quelque chose et quelque chose d'immédiat; mais pendant bien longtemps ce n'était que la chaise percée dont on allait, le plus loin possible, jeter le contenu dans des latrities. Puis, tout en gardant cette coutume, on a établi sur les latrines un siège d'ai- sances. Mais quel siège ! Malheureusement, il nous est focile de nous en foire une idée, car il en subsiste de trop nombreux exemples.

Pour qu'on pût placer le cabinet d'aisances dans l'habitation même sans que les inconvénients de ce voisinage fussent de nature à en surpasser les avantages, il a follu qu'on s'avisât que le meilleur ou pour mieux dire le seul obturateur efficace, c'est l'eau. Ce principe une fois bien connu et proclamé, on a pu, au moyen des appareils à valve d'abord, puis de ceux à syphons, éviter radicalement toute émanation méphitique : si bien qu'au- jourd'hui on n'hésite pas à placer un siège d'aisances dans un cabinet de toilette, chose qui aurait été taxée de folie il y a vingt ans. hx figure (fig. 575,) vous montre un dispositif théorique de cabinets d'aisances superposés.

LES DÉPENDANCES DE LA CHAMBRE

«5

!

Aujourd'hui nous pouvons donc placer le cabinet d'aisances

nous voulons sans craintes au point de vue hygiénique.

l^esie à le bien placer sous d'autres rapports. Si, comme vous voyez, je le range nette- ment parmi les dépendances des chambres,

c'est que sa place est en effet à proximité des

chambres; telle surtout que, entre ces

chambres et ce cabinet, la circulation soit

facile et sans aucune crainte de rencontre

d'importuns. Rien n'est fâcheux comme

cette disposition trop fréquente dans de

petits appartements, la porte du cabinet

d'aisances est une de celles qui ouvrent sur

l'antichambre. Il ne faut jamais qu'une

chambre quelconque puisse être séparée de son cabinet d'aisances par une pièce quel- conque où puisse se rencontrer un étranger. Aussi, si votre appartement a deux groupes distincts de chambres, dans deux ailes par exemple, il lui faudra deux cabinets. Et je ne parle ici que des cabinets pour les maîtres. Il en faudra un autre pour les domes- tiques, celui-là placé vers les pièces de ser- vice; il est préférable que les domestiques n'aient pas à sortir de l'appartement.

Enfin, si l'appartement comporte de grandes réceptions, un va-et-vient de per- sonnes étrangères qui parfois attendent long- temps — supposons chez un médecin par exemple il serait mieux encore qu'il y eût un troisième cabinet spécial pour la clientèle, ouvrant sur quelque dégagement desservi par l'anti- chambre.

Fig. 578.

64 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l'aRCHITECTURE

Mais tout cela n'est pas toujours possible, ou ne le serait qu'à très grands frais : c'est l'éternelle balance du pour et du contre. Je ne vous parle donc ici qu'en théorie, laissant à la pratique de chaque cas particulier la décision à prendre, qui ne peut être uniforme.

Et ici encore interviennent les exigences de la construction. Votre disposition d'appartement ne pourra être la même, suivant que vous serez astreint à la fosse d'aisances (fixe ou mobile, peu importe ) ou que vous aurez la faculté d'écoulement tout à îégoiit. Si vous êtes astreint à la fosse d'aisances, les nécessités du plan de caves pour la position de ces fosses, leur extraction, ne vous laisseront pas toute latitude pour la place des cabinets d'aisances. 11 en sera de même dans le cas de tout à Fégoiit, quoique avec plus de facilité, en ce sens qu'il faudra encore que au pied de vos tuyaux de chute vous trouviez des canalisations possibles. Or, une difficulté très fréquente des distributions de sous-sols dans les villes est la suivante : les égouts municipaux sont rarement assez profonds pour que les canalisations d'éva- cuation puissent être enterrées en contrebas du sous-sol. Elles devront donc circuler en élévation, et avec la nécessité des pentes (on exige au minimum 0,03 par métré) elles pourront bien avoir leur point haut prés du plafond, elles ne tarderont pas à descendre à la hauteur de l'homme^ puis plus bas. Il ne sera donc pas possible de leur faire suivre les murs sont pratiquées des portes, de leur faire traverser les corridors, il faudra leur faire longer les murs continus, c'est-à-dire les murs extérieurs, murs séparatifs, de façade, ou contre terre-pleins. Cette sujé- tion que vous rencontrerez dans vos sous-sols peut bien ne pas vous laisser toute liberté pour le placement dans les étages de tout ce qui est tributaire des décharges d'évacuation.

Dans tous les cas, les cabinets des divers étages doivent se

LES DÉPENDANCES DE LA CHAMBRE

65

superposer, ou du moins être desservis par un même tuyau de chute pour chaque groupe, aussi vertical que possible. Et d'ailleurs, comme je vous l'ai dit pour les cabinets de toi- lette, mais bien plus encore ici, il ne faut pas que vos cabinets soient superposés à des salons ou pièces quelconques un tuyau de chute ne pourrait pas passer ouvertement : car, retenez bien ceci, il ne faut jamais que ces canalisations nécessaires soient dissimulées dans des épaisseurs de murs, ou dans des motifs d'architecture : il faut que les tuyaux restent apparents, faciles à visiter et à entretenir à tout moment.

Vous voyez par combien l'étude des étages est solidaire. Plan de fondations, plans de rez-de-chaussée, plan des étages, ce n'est qu'un : c'est la conception unique d'un bâtiment unique à plusieurs étages. Et vous voyez que la question des cabinets d'aisances est loin d'être facile.

Bien entendu, d'ailleurs, je ne vous parle ici du cabinet d'ai- sances qu'au point de vue de la composition, et non de ses installations techniques. Ce serait sortir de mon sujet, et pour toutes ces dépendances de l'habitation, je ne puis que vous con- seiller l'étude des ouvrages spéciaux vous trouverez l'exposé des progrés considérables réalisés depuis quelque temps dans tout ce qui touche à l'hygiène.

J'aurai peu de chose à vous dire d'une lingerie. C'est une pièce claire, munie d'armoires à linge, et se tient souvent une femme de chambre ou une ouvrière pour les raccommodages, les repassages, etc. Ce sera aussi le dépôt du linge sale, dans un coffre spécial et autant que possible aéré, à moins que dans de très grandes habitations il n'y ait une resserre spéciale du linge sale.

Le voisinage des chambres est une nécessité pour la lingerie; cela, je crois, se comprend sans que j'aie besoin d'insister.

Il en est de même des pièces que l'on trouve dans des appar-

ÉUnunli et Théorie it f Architecture. II. <

66 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l'aRCHITECTURE

tements complets sous le nom de garde-robes, roberies, penderies. De grandes armoires, de la lumière et de la propreté, du chauf- fage au besoin, voilà tout le programme.

Je me suis étendu longuement sur la chambre et ses dépen- dances. C'est que c'est, je le répète, le premier programme de l'architecture : programme bien connu, semble-t-il, et qui cepen- dant donne lieu à bien des imperfections, car il est très difficile.

Très difficile, parce que pour le résoudre tout à fait il faudrait concilier des choses inconciliables. La théorie vous dit bien ce que doit être une chambre ou telle ou telle de ses dépendances : puis elle vous laisse vous débrouiller. Or, c'est justement que la difficulté commence. Ainsi on vous dira : « placez vos chambres au midi ». Oui, si vous pouvez. Et à chaque conseil de la théorie il faudrait ajouter cette restriction : « si vous pouvez ».

Un dernier avis : on veut trop souvent mettre trop de pièces dans un espace insuffisant. On fera par exemple un appartement avec cinq chambres à coucher, cabinets nombreux, etc. Quand le terrain disponible n'en permettrait que trois. Et alors, quelles chambres ! On n'y trouve même pas le cube d'air nécessaire. Il faut savoir restreindre le nombre des pièces pour les rendre habitables. Et cela n'est pas seulement vrai des pièces d'habita- tion : comme vestibules aussi, comme cours, escaliers, cuisines, dégagements, on entasse beaucoup trop de petits éléments dans un terrain qui ne s'y prête pas. C'est, croit-on, la spéculation qui lèvent : erreur, je crois. Lorsqu'on a tout mutilé pour obtenir un appartement avec quatre chambres à coucher il n'y a place que pour trois, on crée de l'inhabitable, et personne n'en veut, ni celui qui a besoin de quatre chambres, ni celui qui se contenterait de trois. Il vous faudra parfois lutter pour faire comprendre est la vérité et l'intérêt bien entendu, mais le bon sens luttera avec vous, et c'est un auxiliaire puissant.

LES DÉPENDANCES DE LA CHAMBRE

67

Je vous l'ai dit déjà, avec nos programmes complexes de la vie moderne et qui tous les jours le deviennent de plus en plus la composition est l'art des sacrifices judicieux. Toujours quelque chose est à sacrifier de la théorie : mais dans l'habitation, quand il s'agit de la chambre, il s'agit retenez-le bien de la chose principale, et c'est que vous devez être le moins résignés aux sacrifices.

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CHAPITRE V

LES SALONS

SOMMAIRE. Origine du salon. Anciennes salles d'assemblée. Les salons dans l'appartement. Emplacement. Grands et petits salons. Successions de salons. Enfilades. Salles de récep- tion. — Galeries. Salles de fêtes et de danse.

Le mot salon (anciennement sallotï) est relativement moderne; mais il a eu dans le passé son équivalent avec les expressions : grand salle, parloir, salle dassemblée, ou simplement la salle. Vous trouverez même dans l'ancien langage et jusqu'au xvii^ siècle le mot chambre employé pour désigner un salon véritable, par exemple la fameuse Chambre bleue M™^ de Rambouillet réunissait les précieuses : mais dans cette acception on ajoutait ordinairement chambre de conversation.

Cependant, il est certain que si l'on a toujours été à même de recevoir ses amis, et même au besoin ses ennemis, l'af- fectation particulière d'une ou plusieurs pièces à la réception s'est accentuée depuis un siècle ou deux. Nous voyons, par exemple, que les grandes dames du xvii^ siècle et même encore du xviif recevaient leurs visites dans la chambre à coucher princi- pale, parfois même restant dans leur lit : de là, toutes les signi- fications du mot raelle qui joue un si grand rôle dans la littéra-

70 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE L ARCHITECTURE

ture. c( Propos de ruelle », cela voulait dire commérages, médi- sances, nouvelles du jour. Les nouvellistes « couraient les ruelles ». Les réceptions du petit lever du roi avaient lieu dans la chambre de parade. Du reste, Blondel, que je vous ai déjà cité, dit de cette sorte de chambre : « la dame de la maison y reçoit les visites de cérémonie. »

On faisait donc dans la chambre une partie de ce que nous faisons dans le salon; mais le salon existait sous le nom de salle d'assemblée.

Dans la maison antique, le salon n'existe pas; la réception avait lieu, comme je vous l'ai dit, dans Yatrium et le tablimim. Réception d'ailleurs qui n'avait rien de commun avec la nôtre : peu ou point de femmes, hiérarchie de patron à cHents. Cela serait plutôt analogue à ce que sont chez nous les réceptions d'audience d'un homme public, ou encore se retrouverait par analogie dans les habitudes du xvii^ siècle, alors qu'on allait faire sa cour, se montrer au maître. Quant aux réunions intimes, la maison antique les admettait dans le péristyle, le triclinitim, les parties élégantes et non publiques de la maison.

Avec le Moyen-âge apparaît la grand salle, ou parloir. En général, l'habitation seigneuriale comportait une vaste salle commune, l'on faisait de tout un peu. On y mangeait, on y jouait, on y faisait la veillée, on y dormait. Telle est, par exemple, la grande nef ou salle du château de Pierrefonds (fig. 579). Cela ne ressemble pas à nos salons.

Dans la maison bourgeoise, il y avait aussi la grande salle, plus modeste bien entendu, mais servant aussi à des usages multiples; arriére-boutique et atelier si le bourgeois était un mar- chand; salle à manger et sans doute aussi cuisine; salle à veiller entre voisins et compères. Cette salle formait souvent le rez-de-chausées de lamaison, et au-dessus étaient les quelques chambres de la famille.

LES SALONS

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Cette disposition est celle des maisons bien connues de Cluny, d'Orléans (fig. 580), de Montferrand, etc.

f^'g- 579- Grande salle du château de Pierrefonds. Coupe et plan.

72 ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

C'est à mesure que l'existence devient plus raffinée et plus élégante qu'on éprouve le besoin d'avoir des pièces diverses pour les diverses fonctions de la vie. Alors, les pièces se spécia- lisent, et on voit dés lors des salles à manger, des bibliothèques, etc., et en particulier des salles d'assemblée ou de conversation. Ce sont nos salons.

Je n'ai pas besoin de vous dire que le salon ou les salons concentrent la richesse et les éléments de la représentation de l'habitation. C'en est la partie la plus décorée, la plus théâtrale. Chaque salon est aussi beau que possible, i^ I mais s'il y en a plusieurs, la disposition doit être telle qu'ils se complètent les uns les autres. se justi- fient les grandes enfilades et les longues perspectives. Les salons s'étudient avec la pensée de la réception et de la fête, des toilettes, de la musique, de la danse. Comme nous avons fait pour les chambres, voyons md'une°mai- d'abord kur place logique dans l'appartement.

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Plan d'une mai son à Orléans

Ici, à l'inverse de la chambre, c'est à l'étranger, à l'hôte, qu'ils faut penser d'abord. Venant de l'antichambre, soit qu'il s'agisse d'une visite de jour ou d'une réception de soirée, il devra passer directement de l'antichambre aux salons, sans avoir à traverser de dégagements quelconques. Aussi faut-il rejeter absolument la distribution, fréquente autrefois, qui obligeait à traverser la salle à manger pour arriver au salon : soit qu'on dresse le couvert, soit qu'on desserve, à plus forte raison si l'on est encore à table, cette servitude de passage est inadmissible.

Les salons seront groupés : les grands salons formeront un ensemble, les petits salons seront rejetés aux extrémités. Les petits salons, en effet, abritent des conversations intimes, des tables de jeux, un isolement relatif au milieu du bruit : ce serait

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LES SALONS

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donc une faute de les interposer entre des grands salons : ils ne seraient plus qu'un lieu de passage. Au contraire un petit salon sera une transition toute naturelle entre les salons et la chambre principale ou un cabinet de travail, une biblio- thèque, etc.

Une question très grave se pose à propos de l'em- placement du groupe des salons, ou plutôt de leur 1 f,^ exposition sur telle ou z'f i, telle façade. Dans les an- ciens hôtels, entre cour et jardin, nulle difficulté : la réception absorbant tout un étage le rez-de- chaussée, et l'habita- tion, ou plutôt les cham- bres, étant au premier étage, on disposait natu- rellement les salons à la plus belle place, sur le jardin, et sur la cour on plaçait les vestibules, esca- liers, vestiaires, pièces de service, etc. Telle est la disposition de tous les plans d'hôtels des xvii'^ et xviii*^ siècles; telle est par exemple celle du palais de l'Hlysée ou celle du joli hôtel de Salm, aujourd'hui Palais de la Légion d'honneur (fig. 581). Au-dessus de cet appartement de réception ainsi disposé, et lorsqu'il y a un premier étage, les plus belles

Fig. 581. Plan de l'hôtel de Salm. (Actuellement de la Légion d'honneur).

A, entrée et porte. B, galerie circulaire. C, loge du suisse. D, loge du concierge. E, passage des voitures. F, grande cour. G, péristyle. H, vestibules. I, antichambre. K, salle de musiaue. L, salon. L, petit salon. M, salle à nunger. NN, chambres À coucher. N'^N"*, petites chambres i coucher ou boudoirs. O, cabinets. PP, cabinets de toi- lette. — Q., garde-robe i l'anglaise. R, grande galerie. SS, cabinets particuliers, T, petit cabinet de travail. V, salle de billard. VV, remises. XX, écuries pour trente che- vaux. — Z, petite cour.

74 ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

chambres sont à leur tour orientées sur le jardin, leurs dépen- dancea sur la cour : loin d'être contradictoires, ces deux disposi- tions se complètent et se confirment l'une l'autre.

Mais lorsque l'habitation d'une même famille ne comporte qu'un seul niveau ce qui est le cas de beaucoup le plus fréquent, celui de tous nos appartements il y a un côté prin- cipal, un côté secondaire : par exemple la façade sera sur une belle avenue, avec de l'espace, de la vue, du soleil ; le reste sera sur une cour : quel parti prendre ? Le plus souvent, on place les salons en façade ; on aime à les faire voir, on veut que les soirs de fête de nombreuses fenêtres soient richement éclairées. Mais les chambres sont sacrifiées, et pourtant les salons servent rarement, les chambres toujours. En tous cas, il faut ici encore faire la part des sacrifices, et la question est grave, car le parti à prendre entraîne des conséquences sur lesquelles on ne pourra plus revenir.

Eh bien, c'est une question de programme; c'est à votre chent et non à vous de savoir et de décider ce qu'il préfère sacri- fier, de l'apparat ou de l'intimité.

Dans une succession de salons, il faut chercher la variété : variété de forme et de décoration. C'est ainsi qu'à Versailles, pour prendre l'exemple le plus grandiose, aux deux extrémités de la Galerie des Glaces, vous trouvez des salons carrés, dont la décoration est absolument différente (fig. 582, Salon de la Guerre, à Versailles). Cette variété a toujours été recherchée; à des salons en longueur s'opposent des salons carrés, parfois ovales; à côté des voussures existent des plafonds, à côté des lambris, des tentures ou des peintures.

Cependant, il y a des éléments qui se trouveront dans tous les salons : en premier lieu une cheminée. Les salons auront de

LES SALONS

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larges portes à deux vantaux en enfilade, de façon à assurer la circulation facile un jour de réception nombreuse.

Dans le salon comme dans la chambre, vous devrez éviter les

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ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l' ARCHITECTURE

portes dans des milieux. D'abord, dans les murs de refend per- pendiculaires à la façade, c'est une place réclamée par la chemi- née; non seulement l'usage le veut, pour que les personnes assises devant le feu ne soient pas à contre-jour, mais dans la plupart des cas la construction l'exige. Entre le mur de façade et un mur intérieur qui lui est parallèle, vous avez une largeur constante et ce sont ces deux murs qui porteront la construc-

F'g' 5^3' Grand Salon, d'après Blondel.

tion de vos planchers, que les poutres soient apparentes ou non ; or, cette construction des planchers serait précaire s'ils devaient être portés par un mur criblé de tuyaux de cheminées. Si au contraire vous vouliez faire porter les planchers sur les murs de refend perpendiculaires à la façade, il vous faudrait partout des murs et 'non des cloisons, et d'ailleurs vous vous interdiriez ainsi les grandes dimensions de salons, dont la longueur ne pourrait excéder les portées admissibles pour vos poutres.

Plaçant donc la cheminée contre un de ces murs de refend (fig. 583), les portes seront nécessairement latérales; et ce sera

LES SALONS

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78 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l'aRCHITECTURE

au grand profit de l'effet ; car en face de la cheminée, vous aurez une place de milieu pour un meuble principal, ou pour une glace qui répétera celle de la cheminée. Comme vous aurez un ou plusieurs lustres dans l'axe de votre plafond, ces lumières se réfléchissant dans l'enfilade des glaces multiplieront l'aspect bril- lant de la fête. Et ce sera plus commode aussi, car rien ne serait plus gênant dans un salon qu'une circulation qui le couperait . en deux. Il faut considérer la circulation par l'enfilade des portes comme un véritable portique intérieur les allées et venues ne doivent pas troubler les réunions de personnes assises dans le salon autour de la cheminée. Parmi les plus beaux salons de l'architecture française était celui du château de Bercy (fig. 584 et 585), aujourd'hui démoli. ^^^ Mais aurez-vous une ou deux enfilades de portes ? Cela dépend et cies dimensions, et du programme implicite du salon. Si les dimensions sont restreintes, deux portes disposées de chaque côté de la cheminée ne laisseraient aucun espace pour la conversation, et le salon ne serait plus qu'un lieu de passage. Le parti de deux portes n'est donc réellement possible qu'avec des dimensions assez vastes, comme par exemple le beau salon ^Hercule à Versailles. Autrement on en arrive à ces salons comme on en voit parfois, il n'y a que des portes, et pas de place pour des meubles, des tableaux, etc.

Quant au programme, j'entends par que des salons peuvent être destinés à une foule ou à des réunions assez peu nom- breuses. Voici un exemple saisissant de ces différences.

Les salons de Versailles (fig. 586) sont assurément très vastes, bien dégagés par les enfilades de portes de large ouver- ture. Mais en somme le Palais de Versailles a été fait pour des réunions de la cour, c'est-à-dire d'un personnel plus choisi que nombreux. Aussi n'y a-t-il de porte qu'entre la cheminée et le

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mur de façade : se faisait la circulation, et le surplus du salon constituait un espace tranquille, réservé à la conversation, avec

Fig. 586. Grands appanements du château de Versailles.

des sièges suffisamment espacés, et l'on n'était pas dérangé. C'était la réalisation parfaite du programme. En 1878, on a voulu donner dans ces salons une fête pour laquelle on avait lancé plus de dix mille invitations; on s'y écrasait, nulle circula-

8o ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l' ARCHITECTURE

tion n'était possible, de nombreux accidents ont eu lieu, et la fête a pris presque les proportions d'un sinistre. C'est que les salons de Versailles n'ont pas été conçus pour des foules; et dans les réceptions telles qu'on les comprend maintenant, l'on ne peut que circuler sans s'asseoir, le salon devient un lieu de passage et non de séjour; il faut alors avant tout la circula- tion, et avec la disposition des portes doubles, cette circulation se canalise d'elle-même en chaque sens. Telle est, par exemple, la disposition des salons de l'Hôtel de Ville de Paris (fig. 587). Il faut donc bien voir à quel programme on doit satisfaire et l'accepter tel qu'il est, en se gardant bien seulement de faire des hors de proportion : un salon de palais et un salon de maison sont choses différentes, et rien ne serait ridicule comme une imitation en petit des salons de Versailles.

Ai je besoin de vous dire que dans l'habitation le salon a toujours offert le programme artistique par excellence. Car il faut comprendre sous cette appellation toutes les salles qui dans les Palais, les hôtels, les maisons, servent à se réunir et à rece- voir; ce sont des salons, ces magnifiques salles du Vatican ennobHes par Raphaël (fig. 588), ou encore ces salles des appartements Borgia, d'une si belle décoration; ces salles du Palais Pitti à Florence (V. plus haut, fîg. 464), du palais des Doges à Venise; ces anciennes salles du Louvre, et cette succes- sion des grands appartements de Versailles.

Comme pour les chambres, je ne puis que vous engager à voir. Rien n'est plus varié que le salon, car rien n'est plus libre : au fond, c'est tout simplement une pièce assez vaste, qui n'a d'autre objet que de contenir à l'aise un certain nombre de personnes. C'est une pièce de luxe et de représentation. Aussi ' en voyez-vous qui empruntent tous les éléments et tous les

LES SALONS

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Hig. 587. Salle des fctcs, à l'Hôtel do Ville de Paris. (Disposition primitive par Lesueur. )

tUmenti et Théorie de VArchiteclure. II.

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ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE LARCHITECTURE

moyens de l'architecture, les voûtes ou les plafonds, les marbres ou les boiseries, les peintures, les tentures de tapisserie ou de

Fig. 588. Chambre du Vatican.

LES SALONS 83

soierie, les dorures et les camaïeux : mais toujours avec le wii/»v>*'''''^-^ouci de la commodité de disposition, et du placement judi- "'j^ cieux des meubles nécessaires.

Nos petits salons correspondent dans le langage contempo- rain à ce qu'on appelait jadis boudoirs et parfois cabinets.

Vous pouvez voir de nombreux exemples de beaux salons; à Versailles notamment, les salons des grands appartements, et les salons plus restreints des petits appartements; au grand Trianon, les beaux salons boisés qui ne sont pas inférieurs à ceux de Versailles ; au petit Trianon, le salon et le boudoir de Marie-Antoinette, et le salon du Pavillon français (fig. 589), qui servait surtout de salon de jeux; le pavillon de musique, etc.; à Fontainebleau, de nombreux salons tous remarquables à divers titres; pour les désigner particulièrement, il faudrait presque une nomenclature de tout le château, car les grandes chambres peuvent aussi justement être qualifiées salons; les salons du château de Vaux, etc.; à l'hôtel Soubise, de beaux salons du xviii^ siècle; à Rambouillet, au i^"" étage du château, la suite des salons dans l'aile droite de la cour d'honneur : deux salons principaux, un petit salon, et un boudoir, tous du temps de Louis XV et d'un art élégant et gracieux, surtout le petit boudoir qui termine la suite de ce bel appartement.

C'est peut-être à propos des salons qu'il convient de parler des cheminées qui jouent un si grand rôle dans leur décoration, bien que cet élément soit commun aussi à la chambre, à la salle à manger, etc. Vous connaissez ces grandes et belles cheminées monumentales de l'hôtel Cluny, de Saint-Germain, de Fontainebleau, de Blois, etc., dont l'architecture s'élève jus- qu'à la voûte ou jusqu'au plafond, si diflérentes de nos chemi- nées modernes. Vous êtes-vous demandé pourquoi? C'est que dans ces monuments le tuyau de cheminée est toujours adossé

84 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l' ARCHITECTURE

au mur; on n'avait pas imaginé de l'encastrer dans [l'épaisseur

Fig. 589. Pavillon français, à Trianon.

de ce mur. Parmi les plus remarquables sont les belles chemi- nées du château de Cadillac.

Cette disposition est excellente, car elle laisse au mur toute

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85

sa solidité; mais elle exige de la place dont nous sommes aujourd'hui plus avares. On imite souvent ces cheminées, mais lorsque leur architecture spéciale n'est pas motivée par la saillie du coffre, motivant lui-même le manteau, ce n'est plus qu'une fantaisie décorative.

Mais, comme le dit Blondel, ces grandes cheminées sont assez encombrantes, et sous Louit XIV et Louis XV, on est arrivé à restreindre leur largeur et leur déve- loppement architectural, à en faire moins un monu- ment spécial, à les unifier davantage avec l'étude et la tenue générale de la pièce. On a fait les foyers moins hauts, la peinture et les glaces les ont "reliées aux encadrements ou aux boi- series. 11 est intéressant de comparer aux cheminées

Fig. 590. Cheminée du Salon d'Hercule, à Versailles.

monumentales que je rappelais tout à l'heure, celle très grande aussi, très artistiquement étudiée, mais déjà plus intime, du salon d'Hercule à Versailles (fig. 590); puis, dans ce même Palais, celle du cabinet de Louis XV, surmontée d'un élégant cadre de glace et accompagnée des belles boiseries de cette jolie salle (fig. 591).

Dans nos habitudes de construction, la cheminée ne motive plus, dans les conditions les plus fréquentes, de saillie au-dessus Jy^^' if^ de sa tablette; ce qui la surmonte, glace ou décor quelconque, s'applique contre le mur même, le tuyau de fumée étant dans le

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ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l'aRCHITECTURE

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Fig. 591. Cbeminé« du Cabinet de Louis XV, i Versailles.

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SALONS 87

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mur. Ce n'est guère que contre des murs mitoyens que h^L<i^ cheminée adossée est encore en usage, ou alors par suite de dispositions spéciales adoptées en vue de la décoration. Aussi, remarquez en passant que les très fortes épaisseurs apparentes de murs, qui permçttent à Versailles notamment les beaux g ^^^^p^ "M^jvi/'ébrasements les vantaux de portes se logent dans des cais- "^ sons latéraux, résultent de ce que cette épaisseur correspond le plus souvent à trois largeurs : celle du mur, et celles de deux coffres de cheminée adossés à chaque face du mur.

Le salon n'a pas de dépendances directes, autres que l'anti- chambre, le vestiaire et l'office, dont je vous parlerai plus loin. Mais il a des compléments : d'abord les salons se complètent les uns par les autres, puis par le voisinage de toutes les pièces qui ■•^ contribuent à la représentation : la chambre principale, la salle à manger, le cabinet de travail, etc. Et dans la grande habita- tion, il y a, en plus des salons, des salles de destinations spé- ciales, qui font partie au premier chef de l'ensemble de la récep- tion et de la représentation; ce sont les galeries et les salles de fête ou de danse.

C'est ainsi qu'au Palais de l'Elysée, lorsqu'on en a fait la rési- dence du Chef de l'État, il a fiillu rajouter par des moyens plus ""^^^ ou moins précaires ces deux éléments nécessaires aux grandes réceptions, dont le programme complet comporte : des salons pour la conversation, une galerie pour la promenade, une salle se localisent les danses ou les auditions musicales.

Vous connaissez certainement ces exemples admirables : la Galerie d'Apollon au Louvre (fig. 592 et fig. 593), celle de François I^"" à Fontainebleau, celle des Glaces à Versailles. Pour bien comprendre l'usage de ces galeries, il faut se reporter à l'époque de leur création et voir ce qui s'y passait. les cour-

88 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l' ARCHITECTURE

tisans attendaient; c'était une sorte de salle des Pas-perdus

Fig. 592. Galerie d'Apollon, au Louvre,

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affluaient tous ceux qui venaient faire leur cour plus ou moins intéressée. Puis le roi paraissait, parcourait la galerie, recevant

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F'g- 593' Galerie d'Apollon, au Louvre.

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ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l'aRCHITECTURE

les hommages et accordant des faveurs. Il passait en réalité la revue de sa cour, immobile dans cette longue galerie. Tandis

Fig. 594. Galerie de François I", à Fontainebleau (plan).

F'g- 595- Extrémité de la Galerie de François I", à Fontainebleau.

LKS SALONS

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que dans un salon, on fait cercle autour du maître ou de la maîtresse de maison, dans la galerie de réception, c'était le maître qui se déplaçait.

Aussi la galerie était-elle peu meublée, car il n'y aurait jamais eu assez de sièges pour tout le monde; pas chauffée, car une cheminée était impraticable et les calo- rifères n'existaient pas ; •mais bien éclairée, riche, très décorée, magnifique occasion d'art, 'souvent ornée de belles peintures et sculptures.

Je vous ai cité les plus belles, elles sont faciles à visiter, leur aspect vous en dira plus que je n'en pourrais dire. Je me borne- rai donc à vous rappeler les plus célèbres : la Gale- rie des Glaces à Versailles, à rapprocher de la Galerie d'Apollon (fig. 592-593), toutes deux voûtées, et la galerie plafonnée de François I" à Fontainebleau (fig, 594-595-

596).

Ces grandes galeries, soit qu'elles servissent à la réception ou

seulement à de larges communications, ont souvent donné lieu

à de beaux motifs de façade: ainsi au Louvre, à Fontainebleau, à

Chenonceaux : cette dernière au-dessus du Cher. Une disposition

un peu analogue se voit aussi, à l'état de ruine, au château de la

i-ig. 596.

l'iafond de la Cialerie de François I", à Fontainebleau.

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ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

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îënôîs7 attribué à Jean Bullant (fig. 597). Le vieux château était sur un mamelon peu accessible, et en reportant l'entrée sur un terrain plus abordable, on a pratiqué cette galerie au-dessus d'une coupure du sol assez resserrée, au-dessus de laquelle elle forme une sorte de viaduc clos. L'étude en est très remarquable.

Quant aux galeries spécialement consacrées à des collections, comme ce que Blondel appelle cabinets, ce sont en réalité de petits musées, et les conditions désirables pour ces salles sont les mêmes que pour les salles de musées proprement dits. Je réserve donc ce sujet pour le jour nous nous entretiendrons des salles de musées.

La salle des fêtes ou salle de bal n'existe comme salle spéciale que dans la très riche habitation ; dans la vie ordinaire, même luxueuse, c'est dans les salons qu'on danse, et parfois le bal s'étend jusque dans les chambres principales, et dans toutes les pièces qui peuvent accidentellement se grouper avec la récep- tion. Aussi faut-il prévoir pour toutes ces pièces des planchers assez résistants pour n'être pas exposés à des trépidations inquié- tantes sous la cadence rythmée de la danse.

La salle de bal sera en principe de forme rectangulaire ; elle ne peut en effet s'accommoder de la forme carrée, nécessairement plus restreinte, ni de la longueur d'une galerie il faut se diviser en plusieurs groupes de danse. Il y fout des parois unies ou des dispositions qui permettent d'y trouver place pour de nombreux sièges. Enfin, la place de l'orchestre, assez importante, doit être déterminée par un motif spécial, estrade ou tribune, de telle sorte que les musiciens soient en tous cas plus élevés que le parquet des danseurs. Le type et l'exemple le plus célèbre en est la magnifique salle des fêtes de Fontainebleau (fig. 598-599), qui tire sa grande valeur à la fois de son caractère artistique et de son appropriation parfaite à son programme particulier.

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ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

Fig. 598. Galerie de Henri H, à Fontainebleau (plan et coupe transversale).

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Autour d'un parquet complètement dégagé, cette salle pré- sente il chaque travée de fenêtre des renfoncements profonds, h^- formés par les piédroits d'arcades intérieures; ces renfoncements ainsi que la foce des piliers sont munis de banquettes adossées à un beau lambris de menuiserie; les assistants ont ainsi des sortes de cabinets ouverts.

ils ne gênent pas les dan- seurs et ne sont pas gênés par eux. A une extrémité, en face d'une cheminée monu- mentale, est une tribune élevée et spacieuse pour l'or- chestre. Les sculptures et les peintures, un plafond magni- fique (quoique non prévu par la composition primitive, qui supposait des voûtes) font de cette salle à tous égards un chef-d'œuvre.

On peut encore citer com- me de belles salles de fêtes, quoique moins caractérisées par leur étude, les salles de Versailles, et la salle principale de l'Hôtel de Ville de Paris ; sa proportion se rapproche de celle des galeries; vous y remar- querez l'utilité du portique latéral intérieur, véritable bas côté, qui la côtoie dans toute sa longueur, et permet la circulation sans emprunter le parquet des danseurs. Mais les places des sièges ne sont pas assez prévues, non plus que celle de l'orchestre. Et il faut bien reconnaître que son étude artistique n'atteint pas à la hauteur de celle de Fontainebleau. (Voir fig. 587.)

Fig. 599. Galerie de Henri II, à Fontainebleau

(plafond).

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96 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l' ARCHITECTURE

Parmi les dépendances du salon, je vous ai cité le vestiaire. Rien n'est plus nécessaire en effet, et il faut le dire rien n'est plus rare dans les édifices ont lieu de grandes réceptions. A l'Elysée, il a fallu construire sur les perrons des annexes répu- tées provisoires, et devenues définitives. Au Ministère des Affaires étrangères, quiconque arrive à l'heure de la foule est obligé de repartir sans entrer. Au Ministère de l'Instruction publique, il faut que la salle à manger se convertisse en vestiaire. Le vestiaire est toujours la chose à laquelle on n'a pas pensé, et qu'on improvise n'importe comment, fût-ce sous un escalier. Qui ne voit cependant l'utilité de pouvoir, à la sortie surtout, éviter les longs stationnements et les attentes sans résultat, le désordre et la confusion ?

Il faut que le vestiaire soit vaste, bien défendu du froid exté- rieur; il faut qu'il offre aux invités le plus grand développe- ment possible de tablettes. Par conséquent, un vestiaire, même vaste, qui se présente par le petit côté est mauvais. Si l'entrée et la sortie peuvent être distinctes, ce n'en est que mieux.

Je ne connais qu'un édifice le service des vestiaires se fasse complètement bien, c'est l'Hôtel de Ville de Paris. Mais on y consacre rien moins que toute la salle Saint-Jean (fig. 600), l'équivalent au rez-de-chaussée de la grande salle des fêtes au premier étage. Le public dispose de toute la longueur de la salle, et de chaque côté sont aménagées des stalles, véritables boutiques, correspondant à chaque travée, et portant en carac- tères très visibles l'inscription : i à 210; 201 à 400; etc. Tout s'y passe avec ordre, avec rapidité, bien que la foule soit à ces fêtes extrêmement nombreuse.

Vous voyez que, au point de vue du programme, la disposi- tion d'un grand vestiaire ressemble fort à celle d'une salle de livraison des bagages dans une gare. C'est un élément très

LES SALONS

Fig. 600. Salle Saint-Jean, à l'Hùtel de Ville. (Disposition actuelle. )

Êlimenli et Théorie de l'Arcbilectiire. II.

98 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l'aRCHITECTURE

important de la réception, et si je me suis un peu étendu sur ce sujet, c'est que notre architecture ne s'est pas mise ici à l'unisson des mœurs. Trop fidèles à la disposition de nos anciens hôtels, les réceptions étaient peu nombreuses, et il suffisait comme vestiaire de la salle d*attente des laquais tenaient sur leurs bras les vêtements des maîtres, nous n'avons rien prévu pour ce dépôt indispensable à des invités qui se comptent par centaines si ce n'est par milliers.

J'ai classé le vestiaire comme dépendance du salon, mais ce n'est pas une dépendance immédiate. Il peut en être plus ou moins éloigné : l'essentiel, c'est que entre l'un et l'autre il n'y ait que des endroits chauffés, et la toilette soit de mise, tels que antichambres, grands escaUers, etc.

fAPITRE VI

LES SALLES A MANGER, LEURS DÉPENDANCES, LES CABINETS DE TRAVAIL, ETC.

SOMMAIRE. La salle à manger. Emplacement, Dimensions nécessaires. Chauffage. Salles à manger d'apparat. Hygiène, Éclairage. Les offices.

Le cabinet de travail. Emplacement. Bibliothèque. Billards.

Les salles de fêtes m'avaient entraîné un peu au delà de l'habitation proprement dite. J'y reviens avec la salle à manger.

Dans la grande habitation, il y a des salles à manger de famille et des salles à manger d'apparat. Nous étudierons d'abord la salle à manger ordinaire. Sa place dans l'appartement sera à proximité aussi immédiate que possible des salons : en tous cas, la communication doit être large et facile. On se réunit d'abord au salon, de on passe à la salle à manger, les invités offrant le bras aux dames, et on revient de même de la salle à manger au salon. Il vaut mieux qu'on n'ait pas à traverser d'an- tichambres ou de vestibules. Dans les anciens appartements, la salle à manger précédait souvent le salon, et servait d'anti- chambre à l'appartement. Les nombreux inconvénients de cette disposition l'ont fait rejeter. En même temps, la salle à manger est devenue plus intime et plus confortable. Autrefois, elle était ordinairement carrelée, soit en marbre, soit en carreaux de liais

100 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE LARCHITECTURE

alternés avec du marbre noir. Nous ne nous accommodons plus de ce froid carrelage, et nous parquetons les salles à man- ger.

Les dimensions d'une salle à manger ne sont pas arbitraires; sa largeur est déterminée par la largeur présumée de la table, et la nécessité pour le service de pouvoir librement circuler tout autour des convives assis. Si donc la disposition est telle que le buffet et la cheminée soient parallèles à la longueur de la table, il faut que la largeur s'augmente d'autant. Pour être commode et d'un service facile, dans tout appartement l'on reçoit quelques personnes, une salle à manger devrait avoir environ quatre métrés de largeur utile, entre les saillies de buffet et de cheminée, ou de largeur réelle si la disposition permet de reporter ces saillies sur la longueur et non sur la largeur. Quant à la longueur, elle sera plus ou moins grande suivant le nombre de convives qu'on pourra supposer. Mais il faut toujours qu'on y soit à l'aise. Non seulement il est très désagréable d'être serrés, mais le service se fait mal, sans préju- dice des accidents, des taches, difficiles à éviter dans une salle à manger encombrée. Seulement, ceci est aussi bien affaire de sagesse de la part des maîtres de maison que de disposition de la part de l'architecte qui n'en peut mais, si dans une salle suffi- sante pour une quinzaine de convives on veut en mettre plus de vingt ce qui est fréquent.

Le chauffixge d'une salle à manger est difficile. On y voit ordinairement soit des poêles de construction, soit des chemi- nées. Si ces appareils de chauffage sont près de la table, les convives qui en sont les plus voisins en sont très incommodés : le problème est en effet ici de chauffer des personnes immobiles et non, comme dans un salon, des personnes qui ont la liberté de changer de place. Qu'il s'agisse donc de poêle, de cheminée

J LES SALLES A MANGER lOI

ou de calorifère, il faut chercher à placer ces émissions de cha- leur le plus loin possible des convives, puis espérer que l'on aura le soin de chauffer la salle à manger avant et non pendant le repas. Il importe en effet que la salle soit chaude lorsqu'on y entre ; ensuite, le fait même du repas y entretiendra suffisam- ment la chaleur.

Quant aux grandes salles à manger, celles qu'on appelait autrefois salles de festins, leur forme résulte évidemment de leur programme. Pour recevoir quarante ou cinquante convives ou plus, il faut ou plusieurs tables ou une table très longue. Or, sauf dans les repas officiels il peut y avoir une table d'honneur, nos habitudes de courtoisie n'admettent guère plusieurs tables : tous les invités doivent être à la table du maître; par conséquent, la grande salle à manger est une pièce longue, 'dont la propor- tion se rapproche des galeries.

Pendant longtemps d'ailleurs la salle de festins ne fut pas distincte de la grande salle, et à Fontainebleau la salle des fêtes dont je vous ai parlé déjà fut d'abord qualifiée indifféremment salle de fêtes ou de danse, et salle des festins. A Versailles même, rien n'indique dans la conception première une salle à manger proprement dite, et ce n'est que sous Louis XV qu'une salle spéciale paraît avoir reçu cette affectation.

Autrefois on traita, avec beaucoup de raison, les salles à man- ger, grandes ou petites, avec la préoccupation . dominante de la propreté. Comme sol, des carrelages pouvant se laver; comme parois des dispositions de marbrerie, ou des lambris peints à l'huile, souvent avec des panneaux décoratifs représentant des sujets appropriés : fruits, gibiers, poissons, etc., comme, par exemple, la salle à manger du château de Beauregard, près de Blois (fig. 6oi). De nos jours, on a trop abandonné ces anciens

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ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l'aRCHITECTURE

errements, qui avaient le double avantage d'être excellents au point de vue hygiénique, et de concourir, par le caractère propre des salles à manger, à la diversité de l'habitation. Non seule- ment nos salles à manger reçoivent des papiers de tenture, mais

Fig. 6oi. Salle à manger du château de Beauregard.

souvent elles sont tendues d'étoffes, et d'étoffes poreuses à gros grains. C'est un contresens absolu ; ces étoffes s'imprègnent rapidement des vapeurs de tout ce qui se mange et se boit, et ne tardent pas à exhaler cette odeur désagréable qui est un résidu ou un mélange de tous les arômes culinaires.

En résumé, les qualités à rechercher dans l'étude d'une salle à manger sont le bien-être des convives et la faciHté du service

LES SALLES A MANGER IO3

avec la table prise pour base de l'étude; le chauffage disposé de façon à incommoder le moins possible; la lumière aussi claire que possible; les parois réfractaires à la pénétration des vapeurs et des odeurs, soit que dans la riche habitation vous puissiez employer les marbres, les mosaïques, etc., soit que plus simple- ment vous ayez recours à la peinture ou aux vernis.

Pour ce qui est de l'éclairage des salles à manger, on fait sou- vent trop bon marché de la lumière du jour. Tablant sur nos habitudes actuelles, on arrive à considérer la salle à manger comme une partie de l'appartement qui ne servirait que le soir. Mais si l'on y dîne, on y déjeune aussi et d'ailleurs les heures de repas sont affaire de mode : qui peut affirmer que bientôt les invitations ne se feront pas pour les repas du miheu de la jour- née, comme sous Louis XIV ?

« J'y cours, midi sonnant, au sortir de la messe, »

Si cela était, il y a beaucoup de nos salles à manger il faudrait fermer les rideaux et allumer les lumières.

Il est donc nécessaire que les salles à manger soient bien éclairées par de larges fenêtres, et éclairées commodément pour les convives. Pour cela, une chose est surtout à chercher : ne pas se fiiire ombre à soi-même, c'est-à-dire ne pas tourner le dos aux croisées; il faut donc, puisqu'il est inévitable que quelques convives soient dans cette situation défavorable, que ce soit du moins le plus petit nombre possible. Il en résulte que dans une salle à manger restreinte et qui ne peut recevoir de jour que d'un côté, les fenêtres devront être du côté d'un bout de table, en d'autres termes sur le petit côté de la pièce. C'est la disposi- tion ordinaire dans nos appartements.

Mais dans les grandes salles à manger, ce n'est plus possible : dans ces salles qui sont presque des galeries, l'éclairage par l'ex-

104 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l' ARCHITECTURE

trémité serait insuffisante. Aussi trouve-t-on dans d'anciens hôtels ou maisons de campagne une disposition judicieuse : la salle à manger d'apparat, terminant une enfilade des apparte- ments, forme une aile simple en épaisseur, et par conséquent peut s'éclairer sur ses deux faces opposées. Parfois encore, la salle à manger étant à l'angle d'un bâtiment peut avoir des croisées sur deux faces en retour d'équerre. Sans cela, tout un côté de la table est à contre-jour. A la vérité, cet inconvénient est un peu diminué lorsque l'élévation des appartements permet de très hautes croisées. Mais si la disposition générale autorise quelque combinaison d'éclairage complémentaire qui permette de dimi- nuer l'obscurité de ce contre-jour, il ne faut pas le négliger.

Quant aux grandes salles à manger éclairées par le haut, dont il y a quelques exemples car il n'y a pas d'absurdités dont) f on ne puisse citer des exemples outre la tristesse de cet éclairage et de ces parois encaissées, elles sont à condamner radicalement par l'impossibilité de toute aération naturelle.

La salle à manger offre, dans l'habitation, un programme artistique d'une nature particulière. Aussi a-t-elle été l'objet d'études très brillantes. La connaissance des besoins qui la régissent a conseillé dans sa décoration l'emploi de matériaux appropriés, tels que les marbres, les stucs, les mosaïques ou les céramiques; si l'on y employait des m.atières moins spéciales, telles que le bois ou les tentures, c'est en les protégeant par des peintures et des vernis qu'on est arrivé à ces décorations à la fois brillantes et cependant sérieuses qui caractérisent les salles à manger. La peinture y a répandu des sujets charmants; les grandes cheminées, d'apparat plutôt que d'usage, les dressoirs et les buffets, les fontaines, en ont fait un sujet de composition qui a puissamment attiré les artistes. Blondel nous fournit un

LES SALLES A MANGER

105

exemple très intéressant de salle à manger au xviii« siècle, vue du côté des entrées de ser- vice (fig. 602-603).

Je vous ai déjà cité la salle des fêtes de Fontainebleau comme ayant été jadis désignée sous le nom de salle des festins.

A Versailles, du côté de la cour dite des Cerfs, vous pou- vez voir une belle salle à manger du temps de Louis XV; au Petit Trianon, la salle à manger des appartements de Marie-Antoinette, et dans le ^, ^ ^ ^ ,. «, ^ .

Fig. 602. Salle à manger, d apris Blondel.

Jardin, le Pavillon français,

avec ses magnifiques boiseries, qu'on appelle ordinairement salon

de jeux et que je vous ai cité plus haut comme salon, mais que

Fig. 605. Salle i manger, de Blondel.

M. Marcel Lambert croit avoir servi également de salle à manger.

I06 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l'aRCHITECTURE

Enfin, à Rambouillet, à la suite des salons que je vous ai déjà signalés, vous pouvez voir une belle salle à manger du xviii^ siècle, d'une forme particulière résultant du plan général du château, et dont le croquis (fig. 604) vous donnera quelque idée.

La salle à manger a une dépendance directe: l'office; l'office, du moins, dans le sens moderne de ce mot, et non comme l'en- tendait La Fontaine : « L'office que l'on nomme autrement la j, -«''^dépense, » les rats allaient aux provisions. C'était alors un z:^ gard'^manger. 4^./*"^ />^

Dans notre langage, l'office est une petite pièce de service à côté de la salle à manger. C'est là, depuis que ce ne sont plus les maîtres de maison qui découpent et qui servent les convives, que les maîtres d'hôtel découpent, font les portions; préparent les entrées; aussi que reviennent les plats desservis, les assiettes et les couverts retirés; on y prépare aussi les glaces et rafraîchissements pour les salons. L'office est en quelque sorte les coulisses de la salle à manger.

Dans la disposition générale de l'habitation, sa place sera en communication directe avec la salle à manger, et autant que possible sur le parcours entre elle et la cuisine. Dans tous les cas, il ne faut jamais qu'il y ait communication ou simplement voisinage immédiat entre la salle à manger et la cuisine.

L'office sera aussi grand (ou grande) que la disposition le permettra; très clair, et très propre; parfois on revêt entière- ment cette petite pièce de carreaux ou panneaux de faïence; dans l'habitation très luxueuse, elle est quelquefois revêtue de marbre.

Il y faut des armoires, une table à découper, et de l'eau avec un vidoir et une tablette à égoutter, ordinairement en marbre ou en étain. ^^

LES SALLES A MANGER

Fig. 604. Salle i manger du château de Rambouillet.

I08 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l'aRCHITECTURE

Quant à l'office, dans le sens de garde-manger, c'est une dépendance de la cuisine, ou, dans la très grande habitation, de l'intendance, nous verrons du reste bientôt les dépendances de la cuisine.

Avant de quitter les pièces d'habitation à usage des maîtres, j'ai encore à vous dire quelques mots du cabinet de travail, de la bibliothèque, de la salle d'étude des enfants.

En général, le cabinet est une pièce l'on reçoit non seule- ment des amis, mais des clients, des fournisseurs, même des inconnus. Il faut donc que le cabinet soit à portée directe de l'antichambre pour que les étrangers qui y viennent pénétrent le moins possible dans l'appartement. Mais, d'autre part, on peut être obligé de faire attendre un visiteur qu'on veut traiter avec respect, et il faut pouvoir le faire entrer dans un salon. Il est donc nécessaire que l'antichambre donne accès au cabinet et à un salon, et que ces deux pièces communiquent entre elles.

Comme exemples de cabinets d'une étude ravissante, je vous citerai à Versailles celui de Louis XV et celui de Louis XVI, deux merveilles d'art intérieur, ou, encore à Ver- sailles, le cabinet dit salon des médailles (fig. 605).

La bibliothèque, lorsqu'elle ne se confond pas avec le cabinet, est plutôt une salle de travail commun pour la famille. Le plus possible de parois bien éclairées, et l'espace nécessaire pour la table de travail, voilà tout le programme de la bibliothèque; à moins cependant qu'il ne s'agisse d'un de ces amateurs de livres qui ont l'équivalent d'une bibhothéque pubhque; c'est alors un programme exceptionnel, qui ne peut rentrer dans le cadre de l'habitation ordinaire.

Les pièces pour l'étude, les salons de jeux, etc., n'appellent pas de prescriptions particulières; ce sont en réalité des chambres ou de petits salons.

LES SALLES A MANGER

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Cabinet des Médailles, à Versailles. Côté de la cheminée.

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Fig. 605. Catiuet des .\k_..;:;,,, .. Venailles. Côté de la croisée.

no ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l' ARCHITECTURE

Quant aux salles de billard, elles doivent être placées de telle sorte que les invités puissent y être conduits, sans pour cela faire partie nécessaire delà réception. Il faut donc leur chercher une place assez indépendante, et de préférence à une extrémité. A la campagne, la salle de billard devient volontiers l'occasion d'un motif particulier. L'essentiel est qu'on ait largement l'es- pace nécessaire pour tourner autour du billard, et que la salle soit bien éclairée, en évitant autant que possible les ombres por- tées. Par conséquent un éclairage par plusieurs côtés sera prété- rable, en assurant une lumière diffuse.

CHAPITRE VII LES CUISINES

SOMMAIRE. Les anciennes cuisines. Grandes cuisinesdu Moyen- âge. Cuisines depuis la Renaissance. Emplacement. Com- muns. — Cuisines dans les maisons. Sous-sols. La cuisine ordi- naire. — Sa place. Éclairage. Hygiène. Les grandes cui- sines. — Rôtisseries. Cuisines à rez-de-chaussée, en sous-sol, et dans les combles.

Les antichambres. Vestiaires.

La mode dans l'habitation.

J'arrive à la cuisine, et je crois qu'il est assez difficile de bien comprendre les nécessités de la cuisine moderne, si l'on n'a quelque idée de ce qu'elle a été autrefois, sans remonter toute- fois jusqu'aux Grecs et aux Romains; nous serions trop dans l'hypothèse.

L'art culinaire et le goût de la table sont choses fort antiques chez nous. S'il est probable que du temps des Mérovingiens et même sous Charlemagne, on ne connaissait guère que la _X' broche et la marmite, il est certain que depuis l'origine de l'époque féodale les raffinements culinaires devinrent un luxe très répandu : ce fut un terrain clercs et laïques, pourvu qu'ils fussent riches, rivaHsaient sans trêve. Je crois qu'au vrai Moyen-âge la société se divisait en deux classes : ceux qui mangeaient énormément et ceux qui ne mangeaient rien. Et ce

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112 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l' ARCHITECTURE

qui le confirme, c'est que l'on ne trouve pas de cuisines gigantesques, on n'en trouve pour ainsi dire pas du tout. Dans les palais, dans les riches abbayes, les cuisines forment tout un bâtiment, et non des moindres; dans la simple maison, il y a la cheminée de la pièce commune, Vatre (du latin atrium^ avec la yA*^ crémaillère pour le chaudron, le tourne-broche, le trépied pour la poêle, le gril.

On voit encore dans les campagnes de ces anciennes maisons, où, dans la salle, comme on dit, subsiste cette grande cheminée devant laquelle se réunit la famille pendant les vieillées d'hiver. Ce n'est pas une cuisine, car c'est autre chose aussi : on y mange, on y couche même, on y fait tout, mais c'est une salle l'on fait la cuisine.

Nulle part, je crois, ces anciennes dispositions ne sont res- tées plus vivaces que dans les chalets des Alpes. Vous savez que -^x le vrai chalet est une construction toute en madriers avec/-*' une cloison sous fiiîtage qui la divise en deux moitiés. Une autre cloison la divise transversalement, de sorte que le chalet type est composé de quatre compartiments : les deux du devant, plus grands, sont pour le bétail et les fourrages, les deux du fond pour les gens; et de ces deux, l'un sert de cuisine et de salle à manger. Or, dans les plus pauvres, il n'y a pas de cheminée, de fourneau encore moins. Sur la terre battue, on pose quelques pierres, entre ces pierres le feu. Le compartiment se rétrécit en pyramide tron- quée, c'est l'échappement de la fumée ; et sur les parois inclinées de cette pyramide, lesquelles sont en bois comme le reste, sont ,>« cloués les jambons et autres salaisons qui y seront fumés. i^^i^p"

Voilà la pauvre cuisine du menu peuple, celle de la bourgeoi- sie n'était qu'un peu plus convenable. Voyons maintenant ce qu'étaient les grandes cuisines seigneuriales ou abbatiales.

LES CUISINES, ETC^ II3

Dans un ensemble qui comprenait toutes les dépendances du service de bouche, laveries, garde-man- (^•■"'''a ■'■^" ger, etc., s'élevait la cuisine proprement dite. Une des plus anciennes est celle de l'abbaye de Mont-Mayour, édifice circu. laire, voûté en pierre et extradossé, pré- sentant la forme d'une véritable cornue, y;u- ou plutôt encore d'une bonbonne avec une cheminée centrale et des cheminées Fig. 606. cuisine de Fontevnuit. spéciales à chaque fourneau ou rôtisserie. '^^^^^-.-^-■^' yi<;,^vûlo La cheminée centrale, la plus vaste et la plus élevée, était chargée de recevoir et d'expulser les fumées et les gaz qui n'avaient pas trouvé issue par les cheminées secondaires.

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Fig. 607. Cuisine de Fontcvrault. Coupe. BUmenis et Tfxorie de l'Architecture. II.

Fig. 608. Cuisine de Fontevrault. Façade.

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114

ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

Dans le même esprit, mais plus vaste et perfectionnée est la cuisine de l'abbaye de Fontevrault (fig. 6oé, 607 et éo8). Sur cinq des côtés d'un polygone central, dont les piliers supportent une coupole appareillée en pierre, s'ouvrent autant d'absides dont chacune est occupée par un fourneau ou une rôtisserie, avec

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Fig. 609. Cuisine des ducs de Bourgogne, à Dijon. Plan et coupe.

tuyaux de cheminée à chacun, et encore le tuyau central au milieu de la coupole qu'elle prolonge.

Je n'ai pas à insister, je crois, sur l'analogie avec ce que je vous disais du chalet des Alpes.

Il est à remarquer d'ailleurs que ces grandes cuisines monu- mentales sont très peu éclairées.

Une disposition différente, quoique procédant du même esprit, est celle de la cuisine du palais des ducs de Bourgogne à Dijon (fig. 609). Une salle carrée, voûtée, est entourée sur ses quatre côtés de véritables portiques sous trois desquels étaient les fourneaux ou les rôtisseries; à chaque travée du portique corres- pond un tuyau de cheminée, et il devait certainement en exis-

LES CUISINES, ETC.

115

ter au sommet de la salle centrale. Ici, le quatrième côté sert à l 'éclairage de la cuisine au moyen de plusieurs fenêtres.

D'une foçon générale, ces cuisines sont en dehors de l'habi- tation, et forment un groupe de bâtiments spéciaux. On peut encore citer dans le même esprit celles du monastère de Durham (fig. 6 10) et du château de Raby (611), toutes deux en Angleterre.

Fig. 610. Cuisine Ju Monastère de Durham. Plan et coupe.

Avec les hôtels et palais de la Renaissance et des xvii« et XYiii*^ siècles, nous voyons les cuisines installées dans les com- Viuns. En général, elles ne donnent plus lieu à des bâtiments nettement distincts comme au Moyen-âge, mais elles continuent à ne pas être dans les bâtiments d'habitation. Si quelquefois elles s'y incorporent, c'est par exception, et toujours dans une partie reculée.

Toute cette conception persistante de la disposition des cui- sines reposait sur la même idée : éloigner de l'habitation les odeurs de la cuisine et de ses déchets. Aussi, dans la grande habi- tation française, voyons-nous souvent exister Yaile des cuisines comprenant avec la cuisine proprement dite tous ses accessoires.

ii6

ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

comme dans le plan type de grand château présenté par Blondel (fig. 612), qui vous montrera mieux que toute description quelle était l'importance de ce service multiple. La communica- tion avec le corps de logis central du château se faisait par un passage souterrain sous les cuisines.

Mais le fait d'avoir une cuisine ne pouvait rester indéfini- ment un luxe de grand seigneur, et celui qui ne pouvait avoir à lui seul un château, un hôtel ou une maison, voulut avoir une cuisine pour son apparte-

Fig. 611. Cuisine du château de Raby. Plan et coupe.

ment. De là, les cuisines multiples dans les maisons en location. Eh bien, la tradition d'éloignement des cuisines était si impérieuse que pendant longtemps la disposition des maisons bourgeoises fut celle-ci : à chaque étage, le palier de l'escalier donnait accès d'une part à la salle à manger, servant ainsi d'an- tichambre à l'appartement, et d'autre part à la cuisine, ainsi séparée de l'appartement par l'escalier. Solution bien fausse, car par toutes les portes restant forcément ouvertes pour le service, toutes les cuisines de la maison concentraient à la même heure leurs odeurs dans l'escalier, admirablement propre à la fonction

LES CUISINES, ETC. 1 1 7

de cheminée d'appel (mais qui, il est vrai, n'était ordinairement pas fermé) sans parler des inconvénients de toute nature que devait entraîner l'impossibilité de la surveillance.

On fit alors rentrer les cuisines dans les appartements, mais à cette époque si déplorable pour l'architecture privée qui fut la première moitié du xix^ siècle; alors les cuisines furent prati-

Fig. 612. L'aile des cuisines d'un château, d'après Blondcl.

A, logement du concierge, B, pntisscrie. C, pièce pour les viandes. D, rôtisserie. E, f^rde-manger, F, cuisine. G, aide. H, lavoir. I, boucherie. K, salle du commun. L, décharge. M, salle ^ manger pour les olHciers. N, office.

quées sur des courettes sans air et sans lumière, et il fallut des règlements de police pour imposer un minimum bien insuf- fisant encore d'aération.

En même temps, dans les hôtels, une habitude anglaise imi- tée chez nous introduisit ou plutôt répandit l'usage des cuisines installées en sous-sol, et quelquefois dans de vraies caves. C'est ainsi qu'il y a des cuisines éclairées et aérées (?) par les soupi- raux horizontaux des portiques de la rue de RivoH.

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Il8 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l' ARCHITECTURE

Enfin, la cuisine dans nos maisons, devenait l'objet de dispo- sitions nouvelles depuis qu'on eut pris l'habitude des escaliers de service.

Nous pouvons après cet exposé voir mieux ce que doivent être nos cuisines, et nous allons d'abord examiner la cuisine ordinaire, celle de nos appartements.

Sa place dans l'appartement est souvent difficile à bien choi- sir : elle doit être assez prés de la salle à manger, sans lui être contiguë ; en tous cas, elle n'en doit être séparée que par des dégagements faciles et non par de longs corridors obscurs et tortueux comme on en voit trop d'exemples; elle doit être accessible par l'escalier de service, assez immédiatement pour que les fournisseurs n'aient pas à traverser quelque partie que ce soit de l'appartement; elle doit être en communication facile avec l'antichambre pour le service de la porte; enfin elle doit être assez à part pour que les odeurs de cuisine ne se répandent pas dans l'appartement. Pour tout cela, je n'ai pas de solutions toutes faites à vous indiquer, l'essentiel est que, lorsque vous disposerez un appartement, vous sachiez quelles sont les conditions à remplir le mieux possible.

Une cuisine ne saurait être trop claire. Si la disposition per- met qu'elle ait des fenêtres sur deux faces, cela vaut mieux pour l'aération. Le soleil est à éviter autant que possible ; les garde- manger extérieurs doivent de préférence être au nord.

Tout le monde connaît les fourneaux métalliques qui sont

maintenant d'un usage général, avec foyer, four, grillade et

J^^ bain-marie. Souvent une rôtisserie est installée à part. Le four-

"^ neau a son tuyau de cheminée propre, et de plus il est bon

. que la ]x)itt qui recouvre tout le fourneau soit aussi desservie

w par un tuyau de ventilation pour l'évacuation des gaz, vapeurs,

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LES CUISINES, ETC. II 9

odeurs, etc. Les fourneaux se font à volonté pour l'emploi de la houille, du coke ou du gaz. On doit éviter que le fourneau soit en face de la fenêtre, car alors on se fait ombre, on est à contre- jour. Il en est de même de l'évier, s'il est dans la cuisine, ce qui est le cas toutes les fois qu'on n'a pas de laverie spéciale.

Une cuisine doit pouvoir être tenue très propre. Ses parois seront donc imperméables aux vapeurs, soit qu'on les munisse de carreaux de faïence, ou qu'on les peigne à l'huile, plafond compris. Mais en tous cas, il faut des revêtements de faïence ^^

partout la chaleur risquerait de détériorer la peinture. Le sol ^ peut être dallé ou carrelé ; les carreaux en gr^s ou en terre cuite i^n'^^«•^<^'^ J^s* très dure, tel que les carreaux de Beauvais, sont excellents.

11 est nécessaire de prévoir la place d'armoires assez vastes, et un assez grand développement de barjes et tablettes pour*^^*" le placement des ustensiles de cuisine. Les éviers sont accom- ^ pagnes d'égouttoirs, souvent pris dans la masse même de l'évier.

Bien entendu, toute cuisine doit ou devrait être alimentée d'eau, avec décharge. Les observations déjà faites au sujet des canalisa- tions trouvent ici encore leur apphcation.

Les grandes cuisines, dans les habitations importantes, doivent satisfaire aux mêmes conditions, mais leur installation est diffé- rente. Le plus souvent, pour permettre la préparation simulta- née de plats nombreux, le fourneau principal est isolé au milieu de la pièce, de sorte qu'on puisse tourner autour. Comme, dans ce cas, il arrive fréquemment qu'on ne puisse le surmonter d'un tuyau direct, ni recouvrir le fourneau d'une hotte qui assombri- rait la pièce, le fourneau est à tirage renverse, c'est-à-dire que la flamme et la fumée, après divers circuits, se rendent dans un tuyau horizontal sous le sol de la cuisine pour de remonter dans un tuyau vertical pratiqué dans ou contre l'un de ses murs.

t20 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE L ARCHITECTURE

Pour mettre le feu en train, il faut commencer par allumer un feu vif au pied de la cheminée verticale, dans un petit foyer ad hoc qu'on désigne sous le nom de foyer d'appel. Le tirage déter- miné par cette combustion rapide aspire l'air contenu dans la canalisation horizontale et fait remonter jusqu'au foyer du four- neau le tirage final. Mais on comprend que la partie supérieure de la pièce joue alors le rôle d'une grande hotte qu'il faut ven- tiler; pour cela, il faut faire partir du plafond, c'est pos- sible, et en plusieurs endroits si on le peut, des tuyaux sem- blables aux tuyaux de cheminées ou des gaines de plus large sec- tion. La chaleur de la cuisine y déterminera facilement un cou- rant ascendant ; au besoin, on peut l'activer par la combustion d'un brûleur à gaz au départ de la gaine,^^^^ ,:-<^-

En général, la grande cuisine comporte en plus un ou deux fourneaux plus petits, adossés, destinées à des préparations spé- ciales ou aux petits repas.

La rôtisserie se fait de préférence devant une grande chemi- née au bois, avec tourne-broches. Il est bon d'avoir devant cette cheminée un écran, petite cloison en briques émaillées ou revê- tue de faïence, qui concentre la chaleur sur la rôtisserie, et pro- tège la cuisine contre le rayonnement du feu ardent.

On dispose enfin des tables à réchauffer ou à maintenir les plats chauds ; autrefois, on étendait de la braise sur des tables en pierre ou en fonte; aujourd'hui, on obtient plus facilement le même résultat avec une circulation d'eau chaude dans une sorte de caisse plate métallique, ou encore avec quelques rampes à gaz sous une table en fonte.

Dans toute cuisine, il faut une table aussi grande que pos- sible, et l'installation complète comporte de plus des billots, mortiers, et une table à viande analogue à celle des bouchers; plusieurs bâches à eau avec décharges, et enfin des tablettes,

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LES CUISINES, ETC. 121

barres, etc., soit contre les murs, soit suspendues au pla- fond.

Dans les grandes cuisines dont nous nous occupons en ce moment, la pièce principale, ou cuisine proprement dite, est réservée uniquement à la cuisson et à la préparation des mets. Il y a des locaux annexes pour tous les travaux accessoires, plus spécialement confiés aux aides de cuisine. Ainsi, on ne fait dans la cuisine ni lavages, ni épluchages. Il y a pour cela une A-^-^*^*^ laverie et aussi une pièce pour l'épluchage. Ces dépendances doivent être claires, très fiiciles à tenir proprement avec l'eau en abondance.

Parfois la rôtisserie est à part, c'est alors une sorte de cuisine spéciale à côté de la principale.

Le garde-manger, dans les grandes installations, est une pièce fraîche, peu éclairée mais bien ventilée, exposée au nord. Dans des installations riches, il se trouve même plusieurs garde- manger, afin que les poissons par exemple ne soient pas avec les viandes, et ainsi du reste; des glacières sont souvent exigées pour le gibier, le poisson, etc.

Tout cela est en somme question de programmes ; l'architecte doit provoquer à ce sujet les décisions de son client; à la cam- pagne surtout, les services de cuisine prennent parfois une importance tout à fait exceptionnelle : le programme peut comporter des fours non seulement pour la pâtisserie, mais pour le pain même; des salles importantes pour les approvi- sionnements, etc. Aucune règle ne peut donc être formulée sur ces divers sujets, en dehors des prescriptions fondamentales : dispositions permettant la clarté, la propreté, la surveillance efficace.

Je veux seulement vous bien montrer que dans la grande habitation, le mot cuisine est un terme général qui exprime

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122 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l'aRCHITECTURE

tout un ensemble; c'est en ce sens qu'on disait autrefois « les cuisines ». Et lors même que votre programme vous dit sim- plement « une cuisine », vous ne lui donnez pas satisfaction par une pièce unique, si grande soit-elle; il vous faut penser qu'on désigne par tout le service de la bouche, qui, dans les maisons riches, est très compliqué.

A la cuisine se rattache l'office de préparation ; c'est le domaine du maître d'hôtel ; c'est qu'on dresse les plats et tout ce qui fait le luxe de la table. On y prépare aussi les glaces, les fruits, etc. Clarté, propreté, c'est encore ce qu'il faut y rechercher.

Enfin, à proximité de la cuisine se trouve la salle à manger des gens de service. A part le luxe et la décoration, tout ce que nous avons dit des salles à manger trouve ici son application.

Les grandes cuisines dont je viens de vous parler ne peuvent guère appartenir au simple appartement; c'est dans l'hôtel ou le château qu'on peut les prévoir. Là, quel sera leur empla- cement ?

A la campagne, il est facile de réaliser les conditions très judicieuses qui étaient celles des cuisines au Moyen-âge et dans les châteaux plus modernes : placer les cuisines en dehors du corps de bâtiment principal, soit dans un bâtiment spécial, soit dans l'ensemble des communs ; assez prés cependant de la salle à manger pour que les transports ne soient pas excessifs; en assurant d'ailleurs les dispositions qui se prêtent à l'aérage et à la propreté. 11 est bon que les cuisines aient une cour de service à elles, et que cette cour, comme la cuisine elle-même, soit abondamment pourvue d'eau. Je ne saurais mieux foire à ce sujet que de vous présenter un plan général de château projeté par Blondel pour les environs de Besançon (fig. 613). Les cui- sines sont marquées dans la légende par la lettre E, les offices

LES CUISINES, ETC.

A, corps principal da b&ti- ment. B, aile basse sont distribués les «ppar- tcmcnts de parade. C, avant-cour. D, aile des offices. E, batse- cour des cuisines. F, basse-cour des volailles. G, basse-cour des remises. H, basse-cour des écuries.

Fig. 6iî. Grande habitation Je campagne, d'après BlonJet; plan général, bâtiments, jardins et dépendances.

124 ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

(D) relient les cuisines au château. Ce plan montre bien quelle était dans ces châteaux l'importance des services de bouche.

Si par quelque circonstance cette disposition n'est pas pos- sible, et qu'il faille loger les cuisines dans le bâtiment principal, on retombe alors dans l'hypothèse que nous examinerons tout à l'heure.

Dans les villes, s'il arrive encore qu'un hôtel soit disposé sur le plan du type du xviii^ siècle, avec cour d'honneur, communs et cours des communs, bâtiment principal entre cour et jardin, l'hypothèse est en réalité, à ce point de vue, la même que pour la grande maison de campagne ou le château. Tel est, par exemple, l'emplacement des cuisines de l'ancien hôtel de Noirmoutiers, à Paris, que vous pouvez voir plus haut, fig. 556.

Mais ces larges conceptions, exigeant de grands terrains, se font de plus en plus rares, et même dans les habitations les plus somptueuses, on est le plus souvent forcé d'incorporer les cui- sines au bâtiment principal. Disons-nous bien que c'est regret- table, et que cette nécessité entraîne toujours des inconvénients.

Les dispositions en pareil cas peuvent beaucoup varier, mais elles se ramènent à trois partis généraux que nous allons exa- miner successivement.

Ces cuisines peuvent s'établir à rez-de-chaussée, en sous-sol ou enfin dans les combles.

Leur installation à rez-de-chaussée, de plain-pied avec les salles à manger et les offices, ainsi qu'avec l'entrée des services, est certainement la plus commode à tous égards. La commu- nication directe avec l'entrée des fournisseurs sous la surveil- lance du concierge; la facilité des allées et venues toujours fré- quentes entre la cuisine et les services de régie ; la surveillance plus assurée parce qu'elle est plus facile; la simplicité enfin pour le transport des plats à l'office et de à la salle à manger,

LES CUISINES, ETC. 12$

recommandent cette combinaison chaque fois qu'elle est possible, et spécialement dans les maisons soit de ville, soit de campagne, qui, bien que déjà richement conçues, n'ont cepen- dant de prétentions ni au grand hôtel ni au grand château. Mais elle a l'inconvénient d'une aération souvent sacrifiée, et surtout, si elle est conçue sans prudence, elle expose l'habita- tion proprement dite à la promiscuité du service et à la diffu- sion des odeurs de cuisine. C'est ce qu'il faut s'efforcer d'éviter.

Ces cuisines devront donc avoir une entrée spéciale pour les fournisseurs, les marchandises, le combustible. Elles devront avoir en quelque sorte leur autonomie, et vous vous rappellerez que le cuisinier et ses aides n'ont rien à faire en dehors des cuisines. Les cuisines devront être claires et aussi aérées que possible ; si elles peuvent être disposées dans un angle saillant, ce sera mieux, car on pourra renouveler l'air au moyen de fenêtres à deux expositions. Il ne faudrait pas, au contraire, qu'elles fussent dans un angle rentrant. Elles ne doivent être ni à côté ni surtout au-dessous de pièces d'habitation. Enfin, il est très utile qu'elles soient surmontées de gaines de ventilation largement établies : de simples tuyaux ne suffisent pas. Ces gaines seront au besoin munies d'une petite rampe à gaz pour activer le tirage, et par suite l'évacuation des odeurs et des vapeurs.

La disposition en sous-sol est la plus fréquente. Elle place les cuisines en dehors de l'habitation, mais elle complique le service. ^^S Toutefois, avec des monte-plats, cet inconvénient est minime. Mais l'aération est ici plus difficile, et il faut se rappeler, malgré de trop nombreux exemples, que sous-sol n'est pas synonyme de caves. Une cuisine ne peut jamais s'aérer suffisamment par des soupiraux ou de petites baies au haut de ses murs, il lui faut de vraies fenêtres. Même les ventilations artificielles, à l'aide soit

126 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l'aRCHITECTURE

de propulseurs, soit d'aspirateurs d'air, n'arrivent jamais à assurer une aération aussi parfaite que le libre courant d'air à l'ou- verture de grandes fenêtres. Aussi, lorsque le sous-sol n'est pas un soubassement sous un rez-de-chaussée élevé, il est indispen- sable d'assurer la possibilité de fenêtres au moyen d'un fossé ou cour anglaise. Alors, c'est en quelque sorte un rez-de-chaussée inférieur, et ce que nous avons dit des cuisines à rez-de-chaussée trouve ici son application, sauf la communication de plain-pied. Cependant il convient d'appeler encore votre attention sur une question spéciale aux sous-sols : avant d'y installer une cuisine, il fiiut bien s'assurer que les eaux pourront être évacuées, ou, en d'autres termes, que le sol de la cuisine ou tout au moins le niveau des décharges d'eaux est suffisamment en contre-haut des canalisations qui se rendent à l'égout. Cela n'est pas toujours. Et à ce sujet, il n'est pas sans intérêt d'appeler votre attention sur les dangers qui résultent des canalisations trop peu élevées au-dessus des égouts. Il semble que lorsque, avec une pente suffisante, on peut déboucher à o™ 30 ou o™ 40 au-dessus du radier, on n'ait rien à redouter. C'est vrai théoriquement, cela ne l'est pas en fait. Il arrive parfois que, par suite d'insuf- fisance de section, l'eau des égouts, au moment des grands orages, les remplit presque complètement. Parfois aussi, pour des réparations à faire en aval, on établit des barrages momen- tanés qui forment une retenue d'eau, et par conséquent une élévation de niveau. Pendant ce temps, vos évacuations, si elles ne sont pas à un niveau sensiblement supérieur, ne débiteront pas, ce qui est un grave inconvénient ; mais de plus, il pourra arriver une chose beaucoup plus grave : l'eau d'égout trouvant par vos évacuations une issue au-dessous de son niveau, se déversera en inondation dans la cuisine et dans tous les sous- sols contigus. Il est donc indispensable, avant de rien décider,

LES CUISINES, ETC. I27

de bien constater les conditions de nivellement du sous-sol par rapport aux égouts dont on peut disposer.

L'installation des cuisines dans les combles est jusqu'ici exceptionnelle. Elle a surtout été pratiquée dans des établisse- ments où il fallait plutôt des réfectoires que des salles à manger, et dés lors tout le service de bouche s'y trouve de plain-pied. Avec des salles à manger au rez-de-chaussée, l'éloignement vertical devient plus considérable qu'avec les cuisines en sous- sol, le service aussi ; l'accès des fournisseurs et des denrées se complique. Mais l'aération peut être réalisée à souhait, aucune odeur, aucune chaleur n'est à craindre pour l'habitation; des mesures sont à prendre seulement pour que les regards du personnel des cuisines ne plongent pas dans la cour d'honneur ou le jardin. Je n'ai pas à préjuger ce qui se fera dans l'avenir; mais avec les facihtés toujours croissantes qu'offrent les ascen- seurs, monte-charges, etc., je ne serais pas étonné que les cuisines des grandes habitations fussent avant peu disposées dans les combles.

En continuant la revue des pièces qui se trouvent dans l'appartement, ou d'une façon plus générale dans l'habitation, il nous reste à voir l'antichambre et le vestiaire.

L'antichambre ne doit pas être confondue avec le vestibule. L'une fait partie des appartements, l'autre est en dehors.

Dans un appartement de moyenne habitation, l'antichambre, qui affecte souvent la forme d'une galerie, a son accès par le •^(^ palier jde l'escalier, et donne elle-même accès directement aux ^^^ salons, au cabinet de travail ou d'affaires, à la salle à manger, en un mot à toutes les pièces des étrangers peuvent être introduits. Elle donne accès indirectement j'insiste sur ce mot aux chambres et à la partie intime de l'appartement. Il

128

ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

I. ,JV^VV^A»J

faut en effet que le service des chambres puisse toujours se faire à l'abri des indiscrétions, et dans l'antichambre il peut toujours

se trouver un étranger.

Dans l'antichambre bien éclairée, chauffée par le calo- rifère, une cheminée ou un poêle, il faut des sièges, une table, des porte-manteaux, des miroirs. On doit pouvoir venir ouvrir la porte, non seu- lement de l'appartement pro- prement dit, mais aussi de la cuisine, lorsque les domes- tiques s'y trouvent réunis.

Ce programme spécial de l'antichambre est ce qui déter- mine avant tout la place du grand escalier. C'est ainsi qu'on obtient rarement une distribution commode avec l'escalier et l'antichambre à l'extrémité d'un bâtiment : on n'arrive pas assez au cœur de l'appartement.

Fig. 6,4. -Plan de r.ncien château de Sain.-Cloud. DanS IcS hÔtdS OU châ-

teaux, après le vestibule dont nous parlerons plus tard, il y a une et quelquefois deux anti- chambres, comme par exemple dans le plan de l'ancien château de Saint-Cloud (fîg. 614). Il faut en effet une salle d'attente pour les domestiques, et si le vestibule n'est pas disposé à cet effet, ce sera la fonction d'une première antichambre. Puis il s'en

[trU LLU

LES CUISINES, ETC.

129

rouvera Tme"' se condc, des visi- teurs peuvent atten- dre, où les dames rajustent leur toilette avant d'entrer, l'on s'inscrit, etc.

En toute hypo- thèse, l'antichambre appelle toujours une étude architecturale ou décorative sé- rieuse. L'aspect de l'antichambre est la première impression de quiconque pénètre dans l'appartement. Une architecture dé- corative sans clinquant, d'une grande tenue, une décoration plus grave que brillante lui donneront son caractère.

A Fontainebleau, vous verrez deux exemples de très belles anti- chambres, dans de grandes pro- portions : celle qui est au som- met de l'escalier en fer à cheval, et la salle qu'on désigne sous le nom de salle des Gardes.

A Versailles, l'antichambre du Roi sur la cour de marbre, d'une belle architecture Louis XIV, et

Èlemrnts ri Thtorit de t Architeclurt. II.

Fig. 615. Antichambre de la chapelle, à Versailles. Plan et vue intérieure.

9

130 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE L ARCHITECTURE

la salle des Gardes de la Reine,. et surtout la magnifique anti- chambre de la chapelle au premier étage (fig. 615)., ,

A Rambouillet, une très joHe antichambre du . temps de Louis XV. ' ,/

Enfin, à Paris même, vous trouverez au Louy.re l'antichambre qui conduit à la chambre de HeKri II, de la même époque et du même style. Vous en trouveriez de remarquables dans presque tous les anciens hôtels. ' '

Il n'est pas sans intérêt de vous, montrer comment les archi- tectes du xviii^ siècle, qui avaient si bien le sens des nécessités de la grande habitation, ont compris théoriquement l'anti- chambre. Vous en trouverez un exemple dans l'ouvrage de Blon- del. De la distribution des maisons de plaisame, reproduit ici dans les figures 616 et 617. j

Le vestiaire des invités et non la garde- robe des maîtres n'existe comme pièce spéciale que dans la grande habitation, et je vous en ai parlé plus haut comme dépendance du salon.

Mais dans l'appartement plus modeste, si cependant il doit y avoir des réceptions, il faut encore autant que possible un vestiaire distinct de l'antichambre; il le faut ou il le faudrait vaste, bien abordable, bien chauffé, et en communication immédiate avec les antichambres chauffées. En effet, si l'on arrive au vestiaire enveloppé de fourrures, les dames en sortent avec les épaules nues; s'il faut traverser ensuite une partie plus froide, cela peut être dangereux, et surtout à la sortie, alors qu'on quitte des salons surchauffés l'on vient de danser.

Quant à la disposition, le vestiaire doit être prés de l'anti- chambre, et plutôt avant; comme forme, ce que j'ai dit des

LES CUISINES, ETC.

131

grands vestiaires s'applique ici encore, toutes proportions gar- dées.

Avant de quitter l'appartement, permettez-moi quelques avis ■encore, d'un caractère général. Le grand danger de l'étude dans l'habitation, c'est la mode. Rien n'est plus impérieux, et rien n'est plus éphémère : aussi l'architecte qui doit être l'homme de la pré- voyance doit-il réagir autant que possible contre ces tyrannies d'un moment.

La mode dans le vêtement

Fig. 616. Plan d'une antichambre, d'après Blondel.

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Fig. 617. Antichambre, d'après BlonJcl

J32 ELEMENTS ET THÉORIE DE L ARCHITECTURE

est à sa place; dans le meuble elle est déjà plus dangereuse, car le meuble dure autant d'années que la mode dure parfois de jours. En architecture, "les dispositions prises ont un caractère forcément définitif, et ce qui a été fait à la mode d'hier ne pourra être accommodé à celle d'aujourd'hui ou de demain.

Or, par la mode, je n'entends pas le caractère, cet ensemble d'expressions architecturales, et ce goût ambiant qui déterminent le style d'une époque. Nous reconnaissons, par exemple, le style du temps d'Henri II ou de Louis XIV : ce n'est pas de la mode, cela. L'idée de mode est une idée moderne; on ne sait qui crée la mode, mais tout le monde la subit, et ce qui la caractérise, c'est d'être généralement irraisonnée. Aujourd'hui la mode est aux antichambres-galeries, et dans quelques années on ne voudra plus de ces dispositions qui coupent l'appartement en deux. On vous demandera aujourd'hui pour vos salons des portes à coulisses vitrées à petits carreaux, et bientôt il faudra les remplacer par des portes pleines susceptibles de s'ouvrir; on vous demandera des menuiseries contournées à grands frais, des vitrages compliqués, sans s'apercevoir qu'il sera impossible de les nettoyer; des croisées à petits carreaux, qu'il faudra rem- placer dès qu'on comprendra l'absurdité, quand on peut avoir de grandes glaces, d'imiter ce que faisait l'art de la vitre dans son enfance, et alors, notez-le bien, qu'on faisait les carreaux aussi grands qu'on le pouvait.

Mais ces modes dont je vous parle seront déjà démodées lorsque vous construirez; d'autres les auront remplacées, sans plus de raison. Votre devoir sera d'avertir vos clients des décep- tions que leur vaudrait la servilité envers la mode.

Et surtout ici, dans vos études, affranchissez-vous donc de ces enfantillages. Pensez aux moutons de Panurge : de leur

LES CUISINES, ETC. I33

temps, c'était la mode de sauter dans la rivière. Et vous, dans vos projets, vous faites comme eux. Eh bien, la mode marche vite, et si plus tard vous restez les esclaves de la mode d'aujour- d'hui, je vous garantis que vous serez étrangement démodés du premier coup. Etudiez donc avec votre raison et votre goût, et ne soyez pas le servuin peciis du poète,

CHAPITRE VIII COMPLÉMENTS DE L'HABITATION

SOMMAIRE. Les caves. Fosses. Citernes. Calorifères. Profondeur des caves et sous-sols. Boutiques.

Écuries, dispositions diverses. Stalles et boxes. Écuries monumen- tales. — Remises. Selleries. Cour des écuries.

La maison a ses compléments, qu'il convient de traiter dans ce livre de l'habitation, mais qui ne sont plus l'habitation elle- même. C'est à la campagne surtout que la maison se complète par de nombreuses dépendances : bûchers, celliers, fruitiers, lai- teries, etc. Cela rentre plutôt dans le cadre de l'architecture rurale, je réserve donc ces sujets.

J'ai peu de chose à vous dire des caves en général. Leur dis- position est forcément une résultante du plan du rez-de-chaussée, et la seule chose à chercher est un accès assez facile à toutes les caves. L'escalier de caves, ouvrant sur une cour, doit être assez large pour la descente des fûts, et souvent on le fait beaucoup trop raide. Aussi faut-il en général que l'escalier de caves soit placé sous le grand escaher, et non sous l'escaHer de service, à moins que celui-ci ne soit exceptionnellement grand. On fait d'ailleurs souvent, pour la descente des objets volumineux, des monte-charges assez grands, mus par l'eau, l'électricité, l'air comprimé, et dont le point haut est au niveau de la cour, le

13e ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l'aRCHITECTURE

point bas au niveau des caves. Il faut donc une trémie spéciale, fermée sur la cour par une porte suffisamment large et haute, et qui doit à l'étage des caves communiquer avec un corridor de circulation générale. Ainsi comprise, cette installation est excellente. Quant aux caves elles-mêmes, il est certain que pour le vin il vaut mieux qu'elles soient voûtées : on pourrait dire qu'il faut des caves voûtées pour le vin et des caves sous plan- chers pour les combustibles. Mais l'économie fait de plus en

plus abandonner les caves voûtées. Dans tous les cas, si vous en faites, évitez de les cintrer sur mur séparatifs; il faut que votre construction se tienne par elle-même, et ne risque pas un écroulement si le voisin démolit sa maison. Il faudrait alors que votre cave fût voûtée sur un contre-mur A-B suffisant pour en soutenir la voûte, lors même que le mur mitoyen serait démoli (fig. éi8). Parmi vos caves, vous aurez parfois des fosses d'aisances : partout il y a des règlements locaux que vous devrez suivre. J'en reparlerai plus loin en traitant de l'hygiène de l'habitation. Mais aujourd'hui, dans la plupart des villes, le système du tout à Tégout se substitue de plus en plus à l'ancien système de la fosse d'aisances. C'est le cas notamment à Paris. A-t-on réalisé la per- fection en ce qui concerne la canalisation municipale, l'épandage, etc. ? Je n'ai pas à traiter ici cette question. Mais au point de vue de l'habitation, nous devons nous féliciter de ce progrés qui nous affianchit de l'infection de la maison, et de la servitude barbare de la vidange. Seulement, c'est une étude qui exige beaucoup d'attention.

Fig. 6i8. Cave voûtée contre un mur séparatif.

COMPLHMENTS DE L HABITATION I37

Le système le plus parfait, qui n'a d'autre inconvénient qu'une grande consommation d'eau, consiste à établir chaque cabinet avec un siège à siphon, et un réservoir de chasse qui moyennant un tirage instantané précipite 8 à lo litres d'eau dans l'appareil et le nettoie radicalement; l'eau qui reste dans le siphon empêche toute odeur de remonter dans le cabinet. Cela peut se faire d'ailleurs aussi bien pour les cabinets communs que pour les cabinets privés. On peut aussi c'est moins parfait instal- ler les cabinets avec les anciennes cuvettes à valve, dites à Fan- glaise, et munir seulement d'un siphon le pied de la chute, à son raccordement avec la canalisation en caves; mais en ce cas, il est nécessaire que cette canalisation soit lavée énergiquement à intervalles réguliers par le jeu de chasses automatiques au moyen de réservoirs qui se vident d'eux-mêmes à chacun de ces inter- valles. Notez en passant qu'il est aujourd'hui reconnu que les chutes d'un trop grand diamètre sont plus exposées aux engor- gements, faute de lavage parfait, et que ce diamètre ne doit être que de o 12 environ.

Quel que soit le système des cabinets, les tuyaux de chute, aussi verticaux que possible, déversent les matières dans une canalisation quasi-horizontale en caves ou sous-sols. C'est ici que se présentent les difficultés les plus fréquentes.

Il n'y a guère de quartiers dans nos villes le réseau des égouts soit assez profond pour que les canalisations de vidange puissent être pratiquées en contrebas du sol des caves : il faut donc les disposer dans la hauteur de cet étage souterrain, qui lui-même est rarement assez haut pour permettre d'en établir tout le parcours en suspension aux voûtes ou plafonds, car les règlements d'accord avec la prudence exigent une pente minima de o '" 03 par mètre, ce qui pour un parcours de 20 mètres par exemple donne o ■" 60 de dénivellation entre le point haut et le

138

ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

point bas; si l'on y ajoute la hauteur des coudes et celle du tuyau lui-même, c'est d'un mètre au moins que cette canalisation devra descendre au-dessous du plafond à son point bas, et sou- vent plus. Contre les murs qui séparent les caves ou sous-sols

de parties en terre-plein, ou

d'une propriété voisine, cela n'a pas d'inconvénient : il n'en est pas de même si la canalisation doit traverser des caves, corridors, ou pas- ser devant des portes. Il faut donc, le plus tôt pos- sible, aller gagner les par- cours adossés à des murs pleins, et comme ce sera en général sur le mur de façade que s'ouvriront les branche- ments d'égouts, c'est ce mur qu'il s'agit d'atteindre : dans la grande majorité des cas, ce ne pourra être qu'en sui- vant les murs mitoyens

Fig. 619. Sous-sol d'une maison, avec canalisation (fîg. ÔIqY tout à l'égout. V o -/ y

CH, chute d'aisances. DD. descente d'eaux pluviales. Bien CUteudU, le TlSqUC

E, *gout public. SS, siphons de cours. VV, vidanges de ••111 1

postes d'eau : éviers, toilettes, etc. qyg j ^1 Signale plUS haUt Z

propos des cuisines en sous-sol serait à redouter ici encore si le niveau de l'égout était trop élevé et laissait craindre l'invasion du sous-sol par l'eau de cet égout.

Ces données générales une fois établies, comme pouvant agir sur la composition même, je vous renverrai, pour l'étude tech- nique de ces questions, aux publications spéciales sur ce sujet.

COMPLEMENTS DE L HABITATION

139

{'/

^ous pourrez aussi, dans certaines régions, être conduits à faire des citernes. Le plus souvent on les fait très mal. Comme construction, la citerne n'a rien de particulier : il faut des murs bien étanches, et suffisamment forts pour résister à la pression de l'eau. Mais il y a des précautions à prendre dans la disposi- tion : il ne suffit pas, comme on le fait presque toujours, d'avoir tout simplement un récipient maçonné dans lequel s'écoule l'eau des tuyaux de descente : il faut faire arriver cette eau à la partie supérieure d'un premier compar- timent, dit citernon, rempli par des couches alternées de sable et de charbon; l'eau traverse ce filtre et n'arrive à la citerne que par des créneaux pratiqués au bas du mur qui sépare le citernon de la citerne et garnis de toile métallique. On a ainsi de l'eau très pure, qu'il est bon d'aérer au moyen d'une trompe placée sur les toits. Bien entpndu, la citerne doit être close et couverte afin d'éviter l'introduction des poussières (fig. 620).

Dans les caves doivent trouver place diverses installations : les compteurs à eau, à gaz, à électricité, à air comprimé. Ces compteurs doivent être aussi prés que possible de la voie publique, et toujours dans une cave ou espace restant à la disposition du concierge. Autant que possible, les canalisations diverses à éta- blir en caves et elles sont nombreuses doivent être plutôt dans les corridors et passages que dans des caves fermées.

Rien à dire du distributeur et de la décharge de l'ascenseur.

J

fl

Fig. 620. Plan et coupe d*une citerne.

B, citerne. c, citernon-filtre. A, arrivé* de l'eau pluviale. bB, passage du filtre k la citerne.

O, trop plein.

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puisage.

140 ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

OU du moteur qui l'actionne, sinon que tout cet organisme doit être dans un endroit clos et non dans un passage banal.

Pour les calorifères, il faut des caves bien aérées, communi- quant directement avec le dépôt de charbons, et entourées de gros murs pour que la chaleur ne se répande pas avec excès dans les caves. Les canalisations de chauffage ne sauraient être trop prémunies contre la déperdition de chaleur. En régie géné- rale, il faut pour un calorifère une cheminée de plus large section que celle qu'on peut engager dans un mur. Nous retrouverons plus loin cette question des calorifères.

Quelle doit être la profondeur des caves ? Il peut être prudent de ne pas l'arrêter a priori. Le plus souvent, la nature du terrain exige des fondations assez profondes, et on peut avoir tort de remblayer sur trop de hauteur. Plusieurs considérations con- duisent en effet à tenir les caves assez élevées.

D'abord les canalisations de toutes natures. Pour les décharges d'eaux vannes, la pente usuelle est, je l'ai dit plus haut, de o "^ 03 par mètre; or il y a souvent de longs parcours, et il est très rare que les évacuations puissent se faire en contre- bas du sol des caves. Lorsqu'elles seront posées en élévation, il sera difficile d'éviter des dispositions qui obligent en certains endroits à passer dessous : sous le point haut, c'est encore facile, mais si la canalisation doit par exemple traverser un corridor, après avoir déjà parcouru 10 ou 14 mètres en descendant, on voit qu'il faut une hauteur sérieuse. Il en est de même pour les calorifères à air chaud. Il faudrait environ o " 04 de pente par mètre aux conduits d'air, ce qui, avec la section du conduit, fait que souvent le calorifère doit avoir son sommet à plus d'un mètre au dessous du plafond des caves, sans préjudice de la profondeur spéciale qui peut être nécessaire pour la cave même du calorifère.

COMPLKMENTS DE L HABITATION

141

Comme vous le voyez, l'architecte ne peut pas décider d'avance la hauteur de ses caves, à moins de les faire évidemment plus hautes qu'il n'est nécessaire; ce n'est que l'étude attentive du projet, et spécialement des canalisations, qui pourra lui dicter cette décision. D'ailleurs, il arrive souvent que pour trouver le bon sol il faut descendre assez profondément les fondations et par conséquent les fouilles. Il en coûte bien peu alors de donner aux caves une profondeur assez grande, plus grande que celle qu'on leur donnerait si le bon sol se rencontrait presque immé- diatement.

Que pourrais-je vous dire des boutiques ? C'est le désespoir de l'architecte. Il y a des besoins impérieux : il faut la plus grande somme possible d'ouvertures, en largeur et en hauteur, une construction absolument ajourée, précisément les lois rationnelles de la construction et de l'architecture exigeraient de la force et presque de la lourdeur d'aspect. Aussi nos maisons, à partir de l'entresol ou du premier étage, ont-elles l'air de porter sur rien : et les revêtements de menuiserie, les tableaux d'enseignes, etc., accentuent encore le contresens. Heureusement on y est habitué, c'est tout ce qu'on en peut dire, en ajoutant : heureux l'architecte lorsqu'il fait une maison sans boutique !

Mais il n'importe, vous n'avez pas le droit de ruser avec une nécessité, ni avec la loyauté que vous devez à votre mandat : et la seule théorie admissible en pareille matière, c'est, lorsque vous avez une boutique à faire, de faire résolument une boutique. D'ailleurs si vous ne le faisiez pas, votre châtiment ne se ferait pas attendre : voyez les maisons l'on avait fait des rez-de- chaussée en arcades, espérant que le boutiquier s'en accommo- derait comme devanture : elles sont toutes horriblement défi- gurées, et l'aspect est encore pire que l'on a fait de vraies

142 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE L ARCHITECTURE

boutiques. Rien n'est plus démonstratif à cet égard que l'aspect de la Place des Victoires. Cette place a été conçue avec une architecture régulière et monumentale, dont le respect est encore imposé théoriquement aux propriétaires. Mais le commerce est venu s'en emparer, et dés lors qu'est devenue cette architec- ture? Il en est un peu de même de la rue Royale, bientôt hélas peut-être de la Place Vendôme.

Depuis quelque temps du moins on a fait des efforts très intéressants pour rendre aussi artistique que possible la devan- ture de boutique. Il y a un essai tenté par des chercheurs et qui mérite d'être encouragé.

Quant à l'intérieur, il va sans dire que l'agencement et la décoration sont absolument connexes avec la nature du com- merce exercé. C'est donc de l'art essentiellement provisoire, et qui ne procède pas de la construction : l'architecte de la maison doit au contraire s'abstenir de tout ce qui pourrait engager, si peu que ce fût, les combinaisons d'arrangement des bou- tiques : des murs et des plafonds nus, c'est tout ce qu'il doit prévoir.

Soit dans la maison ordinaire, soit dans l'hôtel, soit dans la maison de campagne, vous aurez souvent à prévoir des écuries et remises avec leur dépendances. En général, cet ensemble est au rez-de-chaussée : lorsque, pour des raisons spéciales, on est obligé de disposer des écuries en sous-sol, le programme reste le même : ce sont les difficultés de sa solution qui augmentent. On a même fait parfois des écuries au premier étage, avec des rampes d'accès. Cela peut, le cas échéant, se justifier par une nécessité absolue; autrement, cette solution réunit tous les inconvénients de la difficulté d'accès, de la sonorité, des com- plications de toute nature.

COMPLÉMENTS DE l'hABITATION

143

Tout d'abord, en matière d'écuries, il faut faire justice de préjugés routiniers. On va répétant que les chevaux n'ont pas besoin d'air pur, que les écuries doivent être un local herméti- quement clos, on accepte comme une nécessité Fadeur d'écuries, on considère comme inévitable le dégagement des gaz ammonia- caux qui, dès l'entrée dans certaines écuries, saisissent la gorge et les yeux. Pure routine que tout cela; ce qui sent l'ammo- niaque, ce n'est pas le cheval, c'est la malpropreté, et tout comme nous les chevaux ont besoin d'air pur et en plus grande quantité que nous. Il fout pour une écurie salubre un renouvel- lement de dix mètres cubes d'air au minimum par cheval et par heure. Il faut des moyens prévus pour enlever la buée, pour assurer l'écoulement des urines; il faut en un mot toutes les prévisions possibles de propreté et d'hygiène.

Dans les écuries, l'humidité est très à craindre, aussi l'expo- sition n'est pas indifférente. S'il se peut, l'écurie devra être exposée au midi ou à peu près au midi, plutôt vers l'est que vers l'ouest, du moins dans la plupart des régions françaises. Sa construction devra être faite en matériaux non absorbants ; rien n'est préférable pour cela à la meulière et au ciment, ou encore à la brique bien cuite et dure.

Pour le sol, il faut penser avant tout à l'étanchéité et à la possibilité de lavage. Il peut être en pavés de grés dur, en grès cérame, en briques dures posées de champ, pourvu que les pentes soient bien établies, et que les joints soient faits en bon ciment ou en asphalte. On a préconisé pour les écuries le pavé de bois : il a certains avantages en effet, il est moins dur et moins froid aux pieds des chevaux, et moins sonore sous les coups de pieds. Mais il s'imprègne d'humidité et d'odeurs. Le mieux est un pavage dur, en ne ménageant pas la litière.

Comme plafond, les écuries voûtées sont excellentes ; mais il

144 ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

est rare qu'on emploie ce mode de construction. Beaucoup d'an- ciennes écuries sont recouvertes d'un plafond en solives appa- rentes : les angles y font autant de nids à infection. Les plafonds doivent être unis, imperméables à la buée : de simples plafonds . en plâtre peints à l'huile conviennent parfaitement, et aussi les voûtains en briques apparentes. Les briques émaillées ont ici un emploi tout indiqué. Parfois enfin le plafond est revêtu de frises en bois; c'est très admissible pourvu que le bois soit sérieuse- ment peint ou imbibé d'huile.

Voilà donc les matériaux de l'écurie. Quant à sa disposition, les écuries sont simples ou doubles.

Dans une écurie simple, les chevaux ont la tête tournée vers un mur auquel sont adossés le râtelier et la mangeoire. Pour l'ensemble de la mangeoire, du recul laissé au cheval, et du cheval lui-même, il faut compter environ 3 "> 50 de longueur.

Derrière le cheval, pour le service, et pour que les hommes ne soient pas trop exposés aux coups de pieds, ce n'est pas trop de 2 50, quoique on réduise trop souvent cette largeur. Vous voyez que l'écurie simple doit avoir environ 6 mètres de profon- deur dans œuvre entre murs.

Sa longueur sera déterminée par le nombre de chevaux et leur mode d'installation. Pour des chevaux de travail, séparés par desimpies bat-flancs, on compte au moins 1 "^45 par cheval; pour les chevaux en stalles fixes, il faut i ^ 73 ou i "" 80.

La hauteur ne doit pas être moindre de 3 " 50, c'est un minimum. 4 mètres constituent une bonne hauteur. Une trop grande hauteur expose une écurie au froid.

Le sol doit présenter une pente de o ■" 025 à o 03 sous la place des chevaux, le point haut vers la mangeoire ; cette pente se continue jusqu'à un caniveau collecteur dans le passage en arriére des stalles, et qui lui-même doit avoir une pente de au

COMPLEMENTS DE L HABITATION I45

moins o " 02, et d'ailleurs des orifices d'évacuation aussi fré- quents que possible.

Les fenêtres sont placées assez haut, et du côté opposé aux mangeoires ; le plus souvent elles ouvrent en abattant. En géné- ral, on évite de disposer les fenêtres au-dessus de la tête des chevaux. D'ailleurs, les fenêtres servent à éclairer et à aérer lorsque les chevaux sont absents ou lorsque le temps est doux absolument comme les fenêtres de nos appartements. Mais il faut de plus des moyens de ventilation qu'on trouve dans des ventouses à fermeture mobile, pratiquées au bas du mur opposé aux mangeoires, et dans des tuyaux ou gaines de ventilateurs dans le plafond et à l'opposé.

Dans les écuries doubles, deux longueurs de stalles analogues sont séparées par un passage longitudinal. Ce passage doit être assez large pour la sécurité des hommes; on lui donne au moins 3 métrés et plutôt 3 *" 50 dans les installations sérieuses; l'écurie double a ainsi au moins 10 métrés ou 10™ 50 de largeur dans œuvre.

La principale difficulté dans les écuries doubles est de bien placer les fenêtres, qui ne peuvent être que sur des pignons d'extrémité. Dans tous les cas, on évite encore ici de les placer au-dessus de la tête des chevaux, à moins que la hauteur ne soit très considérable. Cependant la direction des Haras demande les écuries doubles avec passage central et fenêtres de chaque côté au-dessus de la tête des chevaux.

On fait aussi des écuries doubles avec les chevaux tête à tête. Ce sont pour ainsi dire deux écuries simples accolées l'une à l'autre. La disposition des fenêtres est alors plus facile.

Enfin on a pratiqué des écuries avec passage de service en arriére des mangeoires, soit entre ces mangeoires et le mur pour des écuries simples ou doubles, soit entre deux rangs de

Élimenls el Thiorit de i'Anhiltcturc. II. lo

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ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

mangeoires pour les écuries tête à' tête. Cette disposition, qui augmente d'un mètre environ par passage la largeur de l'écurie, paraît judicieuse : cependant les hommes du métier la rejettent, parce que, disent-ils, le cheval n'arrive pas à connaître l'homme qui le soigne.

Il y a enfin des écuries en boxes pour les chevaux de prix. Là, le cheval a une véritable chambre à lui, il peut se mou-

Fig. 621. Stalles et boxe d'une ûcurie de luxe.

voir sans être attaché. C'est une écurie de luxe, dont je n'ai rien de particulier à vous dire. Je vous soumets d'ailleurs une figure théorique d'écuries en stalles et en boxes (fig. 621).

Il n'est pas inutile ici de vous faire connaître les instruc- tions qui régissent l'établissement des écuries pour l'armée, prescriptions résultant d'une longue expérience. On exige pour les chevaux un cube d'air de 20 "^ ' au minimum, mais en réahté on leur donne davantage. L'espacement des stalles, ou plutôt des bat-flancs, est de i 45 d'axe en axe. La largeur d'une écurie à un rang, 6 mètres; à deux rangs, avec passage

COMPLEMENTS DE L HABITATION

«47

au milieu (croupe à croupe), lo " 40; celles de l'écurie à deux rangs, tête à tête, 12 mètres; la hauteur 3 "^ 50.

Cela donne comme cube d'air: dans l'écurie simple, 30 ■"'450; écurie à deux rangs, croupe à croupe, 26 ■"' 370; écurie à deux rangs, tête à tête, 30 '"' 450.

. Mais en dehors des questions primordiales d'hygiène et de propreté qui doivent avant tout guider votre étude, il se pose encore une autre question fort importante : celle de la surveil- lance. Les chevaux ne doivent pas être laissés à eux-mêmes, et il faut que toujours la surveillance soit prête à prévenir des accidents. Aussi, pour les écuries importantes, on installe dans l'écurie même le couchage d'un garçon; pour cela, un compar- timent vitré, suffisamment spacieux pour faire l'équivalent d'une petite chambre, peut être disposé un peu en élévation : l'essen- tiel est que de on puisse voir immédiatement l'écurie entière. Dans les petites écuries, on ne dispose pas de ce moyen, mais il importe du moins que la chambre du palefrenier ou du cocher soit en contact direct avec l'écurie, afin qu'il puisse s'y rendre d'urgence au premier bruit suspect.

Vous voy£z donc l'importance de la surveillance simultanée de toute une écurie. Cela vous montre que toute disposition qui ne se prête pas à cette surveillance doit être écartée. Ainsi, nous voyons parfois dans vos projets des écuries sur plan courbe : cette forme n'est évidemment pas bonne.

Comme position dans l'ensemble d'une composition, les écuries doivent être écartées de l'habitation. Si elles sont sous la maison, ou en contact immédiat avec elle, elles la rendent inhabitable, non seulement par les émanations qu'on ne peut jamais éviter absolument, mais encore plus peut-être par le bruit: bruit de coups de pied, de chaînes, etc. Il faut donc, pour les écuries et leurs dépendances, un bâtiment spécial, et lorsqu'on ne

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ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l'aRCHITECTURE

le peut pas faire, c'est qu'on ne dispose pas d'un terrain qui permette l'installation d'écuries. Aussi voyons-nous le plus souvent les écuries des anciens grands châteaux être établies

Fig. 622. Petites Écuries de Versailles.

dans un bâtiment spécial, et parfois assez éloigné. Telles étaient les écuries si importantes de Versailles (fig. 622). D'ailleurs, les écuries appellent des dépendances qui ne peuvent être dans la maison et qui exigent la constitution d'un tout bien spécial;

COMPLÉMENTS DE l'hABITATION I49

surtout si nous envisageons les écuries importantes dans un hôrel, et non pas seulement l'écurie modeste de la maison de location.

Passons donc en revue ces dépendances.

Il est d'abord très désirable qu'il y ait une cour spéciale des écuries, se fera le pansage des chevaux, l'entrée ou la sortie des fourrages ou fumiers, et se trouvera cantonné le person- nel des écuries. Souvent maintenant on fait ces cours couvertes. C'est plus commode en effet, mais à la condition que ce ne soit pas au détriment de l'aération.

La cour des écuries doit être pourvue d'eau ; il s'y trouvera une auge ou abreuvoir pour faire boire les chevaux. Q.uant à un abreuvoir pour bains, il faudrait des conditions tout excep- tionnelles pour qu'il pût faire partie de l'habitation.

Une autre dépendance ou une sujétion essentielle des écuries est le dépôt de fumiers. Hors de l'écurie, il faut bien avoir ce dépôt provisoire en attendant l'enlèvement. On le fait sous forme de fosse étanche, dite trou à fumier, avec couvercles rabattants en fer et tôle ; ou bien sous forme de coffre métallique au-dessus du sol. Cette dernière solution est préférable, parce que le nett&yage est plus facile. Dans les deux cas, il est bon que les liquides issus du fumier, les purins, suffisamment tamisés par des toiles métalliques, puissent se rendre dans les égouts par l'intermédiaire de siphons obturateurs.

Il est bon d'ailleurs que ces récipients à fumier ne soient pas trop vastes, car il vaut mieux que l'enlèvement soit fréquent, et il ne sera fréquent que s'il est obligatoire. Une capacité d'un mètre cube par cheval est largement suffisante, au moins dans les conditions usuelles.

Les propriétaires de chevaux sont en général très désireux d'une installation non seulement hygiénique, mais luxueuse.

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ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

Aussi s'est-il fait dans cet ordre d'idée des constructions soit

grandioses, soit élégantes. Je vous citerai en premier lieu les célèbres écuries du château de Chantilly, qui sont à elles seules un monument superbe du plus grand aspect soit à l'intérieur, soit à l'exté- rieur (fîg. 623 et 624).

Il faut dire toutefois que, si l'on s'en inspirait seulement au point de

Fig. 623. Plan général des Écuries de Chantilly.

Fig. 624. Façade centrale des Écuries de Chantilly.

COMPLÉMENTS DE l'hABITATION

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vue de l'aspect et des dimensions, on risquerait de faire des écu- ries plus fastueuses que réellement appropriées à leur destination. Les spécialistes craignent les écuries très élevées, parce qu'elles sont froides en hiver. Aussi ne vous y trompez pas : si les écu- ries de Chantilly ont pu échapper aux inconvénients de leur hauteur, c'est parce que leurs murs très épais et leurs voûtes en pierre les défendent contre le refroidissement, de même que dans les rez-de-chaussée monumentaux des palais comme le Louvre, par exemple, le froid de l'hiver ne se fait jamais sentir dans sa rigueur. Mais, par contre, on doit craindre en été une sensation de fraîcheur qui saisit, et qui peut être dangereuse pour les chevaux comme pour les hommes. Il faut en pareil cas que le cheval entre vêtu à l'écurie, et ne quitte sa couverture qu'après un certain temps. Moyennant ce soin, les écuries de Chantilly sont excellentes par le grand cube d'air, par la belle lumière, par l'égalité de température.

Presque toutes les grandes résidences ont ou avaient des écuries remarquables, par exemple celles du Pape à Rome, celles de Casertc, celles du palais Doria (fig. 625, 626 et 627) et celles des gardes-nobles (fig. 628) à Rome, etc. Je vous cite donc ces célèbres écuries comme un exemple d'application de l'art monu- mental au programme des écuries, mais comme une solution

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Fig. 6^5. Écuries du palais Doria, à Rome.

exceptionnelle de ce programme. A ce point de vue, vous trou- verez de nombreux exemples d'écuries installées d'après les

I 5 2 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l'aRCHITECTURE

principes aujourd'hui en vigueur, soit dans les hôtels particu-

Fig. 626. Écuries du palais Doria, à Rome. Coupe transversale.

liers, soit dans les haras, les casernes, etc.

Pour les remises, les questions sont moins spéciales. Il importe seulement que la place soit suffi- sante pour que les voitures ne j^ risquent pas de se détériorer par les chocs ou les frottements des unes contre les autres. Il faut, quand on le peut, éviter d'avoir plusieurs rangs de voitures les unes devant les autres, car cela oblige à sortir celles

Fig. 627.

Êcnries du Palais Doria, à Rome. Travée jy premier rang pour faire place à

de coupe longitudinale, >■ >-> i. 1

la sortie de celle du fonds. Il est bon aussi qu'on fie soit pas obligé de démonter les flèches des voitures pour les remiser. Sachez donc d'abord pour quelles voitures vous devez préparer les remises. La largeur variera peu :

COMPLÉMENTS DE l'hABITATION

153

il est bon de pouvoir disposer de 3 métrés pour une remise à une seule voiture, et de 2 ■" 50 au moins par voiture dans les remises à plusieurs voitures.

Dans une remise bien installée, il doit y avoir autant de portes que de voitures de front. Rien n'est plus incommode que l'obli- gation de remiser les voitures en tournant. Les portes ouvrent en dehors, ou parfois à cou- lisses, mais s'il y en a plu- sieurs contigucs, cela est gênant, car la porte ouverte masque la porte voisine.

Il faut que les voitures puissent être nettoyées prés de la remise. Aussi trouve- t-on souvent une cour cou- verte à cet usage.

Les remises doivent être bien sèches; le sol doit être d'un roulement facile, caries voitures sont remisées à bras d'hommes. Le ciment, l'asphalte, les grés factices, le parquet même peuvent être employés utilement. La remise peut être plus prés de la maison que l'écurie, dont elle n'a pas les inconvé- nients immédiats.

Lorsqu'on ne peut pas faire autrement, on la place parfois en sous-sol, avec un ascenseur à voitures. Je n'ai pas besoin de vous dire que c'est un pis-aller auquel il ne faut recourir que si on y est absolument obligé.

Cet ensemble se complète enfin par la sellerie, qui n'a besoin que de clarté. Ce local doit être exempt d'humidité, mais plutôt frais, la chaleur étant fâcheuse pour les cuirs et les vernis.

Fig. 628. Écuries des gardes-nobles, i Rome.

154 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE LARCHITECTURE

Les remises et les selleries doivent, avec les écuries, être disposées sur la même cour spéciale toutes les fois que la com- position le permet.

Cette cour elle-même, dite cour des Écuries dans les grands hôtels, doit autant que possible avoir sa porte de service sur la rue, afin d'éviter que les charrois de fourrages, fumiers, etc., ne doivent traverser la cour d'honneur. Mais il faut alors que le logement du portier soit installé de telle façon qu'il puisse sur- veiller les deux entrées : il est toujours infiniment préférable qu'il n'y ait pour les entrées et sorties qu'une seule surveillance, et par conséquent une seule responsabilité.

Tout ce qui précède s'applique à la voiture ordinaire, mais peut s'appliquer aussi, sauf quelques variantes de dimensions, à la voiture industrielle, commerciale, etc.

Quant aux voitures automobiles, les dispositions ordinaires des remises leur conviennent également, sauf que la sellerie sera remplacée par un dépôt de pièces de rechange et outillage, magasin de combustibles spéciaux, etc. Cela n'appelle pas de recommandations particulières, et pour le lavage de la voiture les conditions resteront les mêmes.

J'ai passé en revue à peu prés tout ce qui, dans l'habitation, soulève des questions de nature à influer sur la composition. Je n'ai pu d'ailleurs que vous donner des indications générales : les cas particuliers ne relèvent pas de l'enseignement théorique.

^cfttl.

CHAPITRE IX CHAUFFAGE ET HYGIÈNE DE L'HABITATION

SOMMAIRE. Chauffage; cheminées et murs à cheminées. Souches. Calorifères. Règles générales. Air chaud, eau chaude, vapeur.

Hygiène résultant avant tout de la disposition. Le problème d'hy- giène dans les villes. Adductions et évacuations.

Notre époque est, en matière d'habitation surtout, l'époque du confort et de l'hygiène : on peut dire que ce sera la caracté- ristique de notre architecture. Et cela ne fait presque que com- mencer; encore aujourd'hui le confortable et l'hygiène sont à peu près réservés, aux habitations un peu luxueuses : vous verrez le temps on les voudra partout : le confortable qui en est l'agrément; l'hygiène qui en est une nécessité.

Je crois donc devoir traiter ce sujet avec quelque développe- ment, mais dans ses relations avec la composition de l'édifice. Je m'explique : avec un plan bon ou mauvais l'architecte pourra toujours employer des objets plus ou moins appropriés à leur fonction hygiénique ou confortable; ces objets, on pourra les changer s'ils ne donnent pas le résultat attendu, ou si de nou- velles inventions viennent les remplacer. Si nécessaire que soit la connaissance de nos ressources industrielles, ce n'est pas mon rôle de décrire par exemple les diverses sortes de siphons, de

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robinets, de fourneaux, de cheminées, etc., et pour tout cela je ne puis que vous renvoyer aux ouvrages spéciaux et aux réper- toires industriels. Mais il y a la composition confortable et hygiénique, qui seule permet le bon emploi de ces ressources; il y a, n'en doutez pas, des plans sains et des plans malsains; il y a les prévoyances qui dés le début, dés la composition même, rendront possibles les installations désirées. Et vos composi- tions fussent- elles commodes et belles, si elles n'offrent pas par surcroît ces facilités de satisfaction aux exigences modernes, seront défectueuses et surannées. C'est ainsi que dans les anciens hôtels des xvii^ et xviii^ siècles, souvent splendides, il est souvent difficile de réaliser l'habitation moderne, et que à plus forte raison elle est irréalisable dans l'ancienne maison ordi- naire, appelée tôt ou tard à disparaître malgré les transforma- tions qui s'efforcent d'en prolonger la durée.

Le chauffage n'est assurément pas une nouveauté; mais le chauffage rationnel en est une. Il a ses exigences, et soulève des questions qui doivent se poser à vous dés vos premières études, lorsque vous décidez de la place des gros murs qui seuls pour- ront recevoir des cheminées, lorsque vous combinez la distri- bution des caves qui devront recevoir vos calorifères, lorsqu'il vous faut prévoir les passages des trémies ou des canalisations.

Tout d'abord, il importe que le problème du chauffage, quel qu'en soit le mode, soit nettement posé. Le chauffage doit por- ter l'air des pièces à une température suffisamment élevée, sans excès, et la maintenir en combattant les causes de refroidisse- ment extérieur. Le refroidissement se produit par les façades et surtout les vitrages, par les toitures, par les espaces non chauffés tels que les passages de portes cochères. Ainsi, pour une même distribution, mêmes dimensions des pièces, un bâtiment isolé se refroidira plus qu'un bâtiment accolé à d'autres ; un étage inter-

COMPLEMENTS DE L HABITATION

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posé entre deux autres, surtout s'ils sont eux-mêmes habités, sera plus focilement chauffable que le dernier étage d'une mai- son; vous vous chaufferez plus focilement si la maison voisine est habitée que si elle ne l'est pas, et surtout que s'il n'y a pas de maison voisine, lors même que le mur séparatif est plein. Chacun donne un peu de son chauffage à ses voisins et en reçoit d'eux. Il faut donc combattre les causes de refroidisse- ment et composer en conséquence. Et une autre condition d'un bon chauffige est de renouveler l'air, de donner l'habitant de l'air chaud et pur. A ce point de vue, la cheminée est excel- lente, car elle appelle énergiquement l'air vicié de la pièce qui dés lors doit être renouvelé. Mais les anciennes cheminées, comme celles du Moyen-âge, n'assuraient pas par elles-mêmes ce renouvellement, qui ne se faisait que par les interstices des portes ou des croisées, si même on ne se trouvait dans l'obli- gation de laisser une porte ouverte pour empêcher la cheminée de fumer. Il y avait forcément renouvellement d'air, mais par irruption d'air froid ; et par suite on était, comme on dit, brûlé d'un côté, gelé de l'autre. Nous savons parer à cet inconvé- nient, mais de la prévoyance est nécessaire.

On dit parfois que les cheminées sont un moyen de chauf- fage arriéré, qui doit disparaître avec le progrés. C'est possible, mais il serait téméraire de l'affirmer, et si cela était, il serait permis de regretter la cheminée, qui est certainement pour beau- coup dans le charme du chez soi, et même du chez les autres. En tous cas, la cheminée n'est pas encore morte, et il est néces- saire d'y penser.

Il n'y a de cheminée hygiénique, et de cheminée chauffante, que celle qui a des prises d'air extérieur et soit des ventouses, soit plutôt des bouches de chaleur qui remplacent dans la pièce l'air brûlé par de l'air extérieur déjà chauffé. La bouche de

158 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE L ARCHITECTURE

chaleur chauffe parce qu'elle émet de l'air chaud, mais surtout parce qu'elle supplée à l'introduction d'air froid, qui, sans elle, se fait nécessairement sous les portes ou les croisées. Il faut donc prévoir dans la composition de vos façades, soit sur rue soit sur cour, une prise d'air pour chaque cheminée car si vous ne les prévoyez pas, comme il faudra les faire tout de même, elles seront percées au hasard, et au mépris de votre étude.

Le besoin d'économie de place qui nous poursuit en tout a obligé les architectes à abandonner presque complètement l'usage ancien des tuyaux de cheminée adossés, et de les rem- placer par des tuyaux engagés dans les murs. Comme construc- tion, c'est certainement regrettable. Les tuyaux adossés laissent au mur toute sa solidité, qu'il perd en devenant une sorte de crible; les risques d'incendie sont tout au moins plus localisés avec les tuyaux adossés ; mais toutes ces considérations sont superflues : la nécessité nous commande les tuyaux engagés. Il fiiut donc les faire le mieux possible, et pour cela savoir que c'est une difficulté. Il n'est guère possible, dans nos superpositions nombreuses d'étages, d'arrêter les plans supérieurs avant d'avoir étudié les passages de tuyaux : par exemple une porte à deux vantaux sera possible au premier ou au second étage, on aura du mal à en trouver une à un vantail au cinquième ou sixième.

Vous savez peut-être qu'on a imaginé jadis des combinaisons de tuyaux desservant plusieurs cheminées; cela est mauvais, et est même interdit à Paris. Chaque cheminée doit avoir son tuyau indépendant. Or, ceci encore réagit sur la composition : lorsqu'un mur sépare deux pièces à cheminées, cela fait deux tuyaux par étage, et 12 tuyaux, et parfois 14 ou 16, au sommet du mur. Souvent, on n'en a pas la place, et dans les derniers étages il faut les adosser.

COMPLÉMENTS DE l'hABITATION 159

Cette nécessité des tuyaux de] cheminée |restreint donc la fiiculté de disposer des portes dans les murs (fig. 629). Il serait par exemple très imprudent de supposer des portes de chaque côté de la cheminée dans un mur à deux cheminées adossées ; en tous cas, si cette disposition est possible aux étages inférieurs, il faut nécessairement y renoncer dés que le nombre des tuyaux devient important : ce n'est que par un tracé de leurs passages qu'on peut en juger avec certitude.

Je vous rappelle enfin ce que j'ai déjà indiqué, que les cheminées doivent être établies dans des murs qui ne portent pas les planchers; dans les étages supérieurs surtout, le mur à cheminées est tellement criblé qu'on n'y trouverait plus la place d'une portée et d'un scellement; et d'ailleurs cette construction vide est sans force pour résister au poids des planchers. C'est encore une erreur fré- quente de disposer les cheminées contre des murs de foçade, avec tuyaux incorporés dans ces murs. Cette section du haut en bas d'un mur de façade est déplorable pour la construction; le moindre Mur'^àfé/m'yaux

1, 'If 11 "'J' .^lic cheminée.

tassement, le momdre teu de chemmee deviennent ainsi de grands sinistres; d'autre part, ces tuyaux sont expo- sés au refroidissement, et un tuyau de cheminée froid tire mal; enfin si ces cheminées augmentent de nombre à chaque étage, votre mur n'existe plus. Si donc la disposition exige impérieu- sement cette place pour les cheminées, faites du moins des tuyaux adossés.

Et encore cela présente un inconvénient qu'il faudrait toujours éviter : des souches qui sortent mal des toitures, en recevant l'eau sur leur grand côté et non sur l'épaisseur.

Vous voyez que, ici encore, les exigences de la construction

l6o ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l'aRCHITECTURE

peuvent parfois combattre les convenances de la distribution; rappelez-vous qu'elles sont impérieuses. Ne soyez pas de l'école qui dit : la construction s'en arrangera toujours; au contraire, c'est la distribution qui devra au besoin s'accommoder et se modifier pour respecter la construction.

Le chauffage par calorifères est un chauffage moderne, bien que, à certains égards, on puisse le considérer comme renouvelé des Romains. Il y a trois modes de chauffage, avec des variétés d'ailleurs infinies : chauffage par l'air chaud, par l'eau chaude, par la vapeur. Voyons d'abord ce qui est commun à ces trois modes de chauffage.

Le chauffage pratique est celui qui combat efficacement le refroidissement : il faut bien comprendre en effet qu'il y a dans le chauffage deux opérations successives : l'élévation initiale de la température de la pièce, puis le maintien de cette température, La première est une mise en train qui demande un certain temps, la seconde n'est plus que de l'entretien. Or, pourquoi cet entretien ? Parce que sans cela la pièce se refroidirait. Et par se refroidirait-elle ? Par les surfaces de refroidissement, c'est-à-dire avant tout par les fenêtres et les parois extérieures. Et pour empê- cher ce refroidissement, il faut le combattre il se produirait.

De cette théorie qui doit présider à toute installation rationnelle de chauffage : disposer les émissions de chaleur contre les surfaces de refroidissement. La théorie du chauffage doit d'ailleurs varier suivant les climats. Dans les pays septen- trionaux, où le froid est un phénomène continu pendant la moitié de l'année, on emploie des modes de chauffage qui exigent une mise en train assez longue, mais qui font de toute la con- struction un réservoir de chaleur très lent à se refroidir. Au moyen de doubles parois, on constitue de véritables murs

COMPLÉMENTS DE l'hABITATIOM lél

chauds ; la chaleur n'est pas localisée, elle est partout. La maison est pour ainsi dire enveloppée d'une ceinture tiède, et on combat le refroidissement par l'usage des doubles fenêtres, rigoureusement calfeutrées au début de l'hiver, et jusqu'au printemps.

Mais cette atmosphère enfermée se vicie rapidement et sans remède. Or, il n'y a pas de chauffage hygiénique s'il ne renou- velle pas l'air; comme nous l'avons vu pour la cheminée, le chauffage sain introduit de l'air chaud et pur dans la pièce, en remplacement de l'air plus ou moins consommé qui lui fait place en s'évacuant soit par des cheminées de ventilation, soit par les interstices qui existent toujours heureusement dans nos clôtures.

Ainsi, bon emplacement des émissions de chaleur, et intro- duction d'air pur, voilà pour nous les éléments d'un bon chauf- fage, et les questions à résoudre par la composition même de l'habitation. Car il est bien entendu que c'est seulement ce que je traite : je ne prétends pas vous faire un cours de chauf- fage ou de construction d'appareils, je vous renvoie pour cela aux traités spéciaux; mais je vous l'ai dit plusieurs fois, com- poser c'est prévoir, et c'est dès la composition du plan qu'il faut prévoir et décider ce que sera le chauffage à appliquer.

Le chauffage par calorifère encore le plus répandu, dans l'ha- bitation surtout, est le chauffage à air chaud. D'une façon générale, le système est toujours celui-ci :

Un calorifère est installé en cave ; son foyer avec la cloche en fonte et les tubulures en tôle qui le prolongent en donnant passage à la flamme et à la fumée, forment un ensemble dont les parois sont portées à une température élevée ; autour de ces parois, et dans un espace dit chambre de chaleur, circonscrit par

Élimenh et Théorie de t Architecture. II. II

l62 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l'aRCHITECTURE

les parois du calorifère, de l'air venant de l'extérieur au moyen d'une large prise d'air s'échauffe, et en raison même de cet échauffement acquiert une force ascensionnelle qui le répartit entre les diverses gaines qui, de la chambre de chaleur, vont jusqu'aux bouches des appartements. Il faut soit une gaine par bouche, soit des ramifications d'une étude assez délicate.

On trouve parfois des exemples de prises d'air pratiquées non au dehors, mais dans les corridors de caves. On le fait par éco- nomie si les parcours sont un peu compliqués, et aussi pour introduire dans le calorifère de l'air moins froid, et par consé- quent plus économiquement chauffable. Dites-vous bien que c'est mauvais. L'air des caves peut n'être pas pur, et des odeurs désagréables peuvent ainsi se transmettre dans les appartements : par exemple, on mettra une pièce de vin en bouteilles, et par les bouches de chaleur l'odeur du vin se répandra dans les pièces d'habitation. Cela du moins n'est pas malsain. Mais si la prise d'air est dans un corridor de caves, forcément près de la cave du calorifère, dont la porte restera peut-être ouverte, il se produira parfois, surtout lorsqu'on sortira du foyer les résidus de la combustion, des dégagements de gaz nuisibles et même toxiques qui, appelés par la prise d'air, prendront le chemin des bouches de chaleur. Vous devez donc considérer comme une nécessité impérieuse l'ouverture des prises d'air à l'extérieur et composer en conséquence.

Voilà donc de l'air pur pris au dehors, échauffé au contact de surfaces chaudes, et propulsé dans l'habitation. Pour que le chauffage fonctionne bien, il faut que le calorifère soit placé autant que possible au centre des départs de gaines, car si les unes ont de longs conduits presque horizontaux, les autres de courts conduits, l'air chaud ne prendra que les gaines les plus voisines, à moins de précautions compliquées et déHcates dont

COMPLEMENTS DE l'hABITATION 163

l'effet n'est pas infaillible. Il faut d'ailleurs que le calorifère soit assez rapproché d'un endroit puisse être disposé un tuyau de fumée en gaine, car, je le répète, un tuyau dans l'intérieur d'un mur est forcément insuffisant pour cet usage. L'emplace- ment du calorifère dans votre plan dépend donc des facilités de passage des canalisations. 11 fiiut, dés lors, voir pourront être ces canalisations, et par suite les bouches de chaleur.

D'après ce que je vous disais tout à l'heure, elles devraient être près des surfaces de refroidissement, c'est-à-dire près des fenêtres. Malheureusement, dans le chauffige par l'air chaud, si on cherche à les placer ainsi, c'est au détriment de la construc- tion, en enlevant toute solidité au mur de façade, chose qu'il faut s'irterdire absolument; ou bien il faut avoir contre ce mur des gaines en saillie, ce qui n'a rien de contraire à la construc- tion, mais est très incommode, impraticable d'ailleurs s'il y a des boutiques au rez-de-chaussée. Notez bien que, pour desser- vir les divers étages, il faut des tuyaux de chaleur assez nom- breux, et que les gaines adossées finissent par presque doubler l'épaisseur du mur.

On place le plus souvent ces conduits dans le mur parallèle à la façade; les bouches sont alors mal placées pour le chaufïage, et d'ailleurs le plus souvent sous ou derrière des meubles. Puis on affaibHt ainsi un mur dont la fonction est de porter les plan- chers, et qui souvent n'est pas très épais.

Enfin un troisième parti consiste à placer les conduits de fumée dans les murs de refend qui portent cheminées; entre le nombre de tuyaux de cheminées qui augmentent à mesure que l'on monte, et le nombre de tuyaux de chaleur qui diminue avec le nombre d'étages, il se fiiit une compensation au moins théo- rique; mais il faut que cette question soit étudiée de très près, et dès le début, car cette solution n'est pas toujours possible, et les mécomptes sont à craindre.

164 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE L ARCHITECTURE

En tous cas, lorsqu'on peut agir ainsi, cette disposition est encore la moins fâcheuse au point de vue de la construction, à moins, bien entendu, que l'on ne puisse, par une étude appro- priée, disposer tous les conduits de chaleur dans des gaines ados- sées, sans compromettre les murs.

Car, il faut le répéter, tous les tuyaux dans des murs sont de la mauvaise construction, qu'il s'agisse d'eau, de fumée ou de cha- leur. C'est un expédient nécessité par la cherté du terrain et le haut prix de la construction, mais ce n'est qu'un expédient, et la construction saine et logique n'admettrait que les tuyaux adossés.

Vous voyez que le chauffage à air chaud présente de grandes difficultés au point de vue de la disposition générale. 11 faut donc dés le début savoir quel sera le mode de chauffage, et si ce doit être le calorifère à air chaud, prévoir à tous égards les conséquences qu'il entraînera pour la disposition et l'étude de vos plans. De toutes façons d'ailleurs il a de graves inconvé- nients, et le résultat de l'étude ne peut être que de les atténuer, et non de les supprimer.

J'ajouterai d'ailleurs que ce mode de chauffage n'est pas hygiénique. Lorsque tout est d'une exécution parfaite, on ne s'en aperçoit pas beaucoup : mais généralement, il faut bien le dire, à travers les interstices microscopiques du foyer, de la cloche de fonte, des tubulures de tôle, il se fait un passage d'oxyde de carbone, gaz toxique comme vous savez, qui pénétre dans la chambre de chaleur et de dans les gaines et dans l'habitation. La proportion en est minime sans quoi ce serait un sinistre, mais à la longue cette lente infîhration produit un effet souvent très fâcheux sur la santé, surtout si des bouches de chaleur sont établies dans les chambres à coucher. Enfin, le chaufïiige par calorifère à air chaud n'est pas sans danger au point de vue de l'incendie. L'air amené du dehors par la prise

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d'air, et venant s'échauffer contre la cloche en fonte et les tubu- lures en tôle de l'appareil, y arrive parfois en entraînant des poussières, des feuilles mortes, des débris de paille ou de papier. Si, comme c'est fréquent, un chauffeur en retard veut compen- ser ce retard en chauffant avec excès, ces objets se changent en flammèches qui viennent rencontrer des boiseries ou des ten- tures très sèches et par conséquent très combustibles. L'incendie qui s'est produit il y a quarante ans environ dans l'Hémicycle de votre Ecole n'a pas eu d'autre cause, et a failli détruire la belle peinture de Paul Delaroche.

En somme, le calorifère à air chaud est le plus répandu parce qu'il est le plus ancien, parce qu'il est facile à conduire, parce que sa construction est à la portée du simple fumiste. Mais il est très inférieur, comme confort et comme hygiène, aux calorifères à eau chaude ou à vapeur, qui tendent de plus en plus à le remplacer.

Ces deux derniers modes de chauffage ont beaucoup de res- semblance entre eux quant à leurs exigences au point de vue de la composition.

L'un et l'autre sont basés sur les mêmes principes : produc- tion dans une chaudière soit de l'eau chaude, soit de la vapeur, et circulation de ces agents de chauffage dans des canalisations qui deviennent des surfaces de chauffe dans les endroits voulus, puis retour à la chaudière des eaux refroidies.

Je n'entrerai pas dans le détail de ces installations, et je ne vous en dirai que ce qui est essentiel pour la composition.

Le chauffage à l'eau chaude peut être sans pression ou avec de l'eau en pression; dans le premier cas, la canalisation peut être ouverte à sa partie supérieure, cette ouverture sert au besoin de trop-plein avec évacuation sur la toiture. Dans le

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ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

second 'cas, elle forme un circuit rigoureusement fermé, et il faut un vase dexpansion permettant à l'eau de prendre sa dila- tation due au chauffage; mais le réseau proprement dit du cir- cuit doit toujours être plein d'eau : eau en repos lorsque le chauffage s'arrête, eau en mouvement lorsqu'il y a chauffage. Le circuit consiste en une ou plusieurs colonnes montantes sur lesquelles se greffent les circulations locales; ainsi l'eau chaude s'élève dans la colonne montante, prend l'embranche- ment en légère pente qui alimente les sur- faces de chauffe, puis arrivée à l'extrémité de sa course, trouve un tuyau de retour soit vertical, soit le plus souvent en légère descente jusqu'à la gaine qui renferme déjà la colonne montante, que le tuyau de retour accompagne verticalement, mais avec mou- 1 vement inverse (fig. 630).

Il y a presque toujours plusieurs colonnes Schéma d'un' ciuuffage par moutautes, logées daus des angles, et jamais

l'eau chaude. , , ,.,..,

dans des murs. Leur multiplicité permet d'éviter les trop longs parcours horizontaux. Il est nécessaire que les conduites horizontales c'est-à-dire à de très légères pentes puissent longer des murs continus, car elles ne pourraient passer en élévation devant des portes, et il est très rare qu'on puisse les loger dans l'épaisseur des planchers.

Il convient ici de faire justice d'un préjugé très répandu, non parmi les techniciens, mais parmi leurs clients. On répète sou- vent que le chauffage à eau chaude (ou à vapeur) produit une chaleur humide. C'est une erreur absolue : le tuyau de fonte, de fer ou de cuivre dans lequel circule l'eau chaude est rigoureu- sement sec, et ne peut communiquer à l'air que de la chaleur sèche. Ce préjugé vient tout d'abord d'un raisonnement trop

COMPLÉMENTS DE l'hABITATION 167

hâtit qui conclut de l'emploi de l'eau à l'hygrométrie de la chaleur produite, et aussi de ce fait qu'on a d'abord vu ce mode de chauffage employé dans des serres. en effet il se produit une buée chaude, qui se condense sur les verres ; mais c'est l'humidité des plantes, celle de la terre fréquemment arrosée qui produit ce dégagement tués sensible de vapeur d'eau. Le chauffage lui-même ne saurait causer d'émission de vapeur qu'en cas de fuite. On peut même affirmer que le chauffage à eau chaude est plus sec que celui à air chaud, car ce dernier ne fait que transmettre à l'habitation l'air du dehors parfois saturé d'humidité atmosphérique et qui, malgré la dessiccation due au passage dans la chambre de chauffe, peut encore en conserver à l'état de vapeur d'eau.

Le chauffage par la vapeur doit se diviser en deux combinai- sons : chauffage à basse, ou plutôt à moyenne pression, pouvant aller à deux atmosphères environ ; et chauffage à très basse pres- sion, ne dépassant pas ordinairement deux dixièmes d'atmo- sphère. Voyons d'abord le premier :

Le chauffage par la vapeur à moyenne pression se fait lui aussi par circulation dans une canalisation desservant des surfaces de chauffe aux endroits désignés. Le système est donc, dans son ensemble, analogue au chauffiige par l'eau chaude, mais avec des conditions de fonctionnement à certains égards inverses. En effet, la vapeur, en communiquant sa chaleur à la canaHsation, se condense, c'est-à-dire retourne à l'état d'eau ; il faut que cette eau de condensation s'écoule, et elle ne peut le faire que dans le sens de la pente des tuyaux, car elle n'est plus, comme dans le chauffage à l'eau, refoulée par la circulation de l'eau ascen- dante. Elle redescend en vçrtu de son propre poids. Si la vapeur circule en sens inverse, il y a entre ces deux circulations

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ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

Fig. 631. Circulation de la vapeur destinée au chauffage.

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conflit, choc et bruits désagréables. Il faut donc que l'eau de

condensation et la vapeur non encore condensée circulent dans le même sens, c'est-à-dire en descendant.

Le schéma d'un chauffage à vapeur à moyenne pression sera donc le suivant (fig. 631) : la vapeur issue de la chaudière s'élève par une ou plusieurs colonnes montantes jusqu'au point le plus haut, et de elle revient aux étages d'habitation par une colonne descendante; les branchements prati- qués sur cette colonne descendante l'envoient aux surfaces de chauffe, et l'eau de condensation retourne au géné- rateur par des tuyaux de retour, voisins ou non des colonnes maîtresses. Tout le chauffage se fait donc par une circula- tion du sommet à la chaudière, par un circuit constamment descendant. Et dès lors, l'ensemble de l'installation se pré- sente comme dans le schéma théorique ci-joint (fig. 632).

Pour le passage des canalisations, les précautions à prendre sont les mêmes que pour le chauffage à l'eau.

Le chauffage à moyenne pression était le seul connu il y a quelques années; il s'en fait aujourd'hui à très Fig. 652. - Schéma théorique d'un basse presslon, cette pression dépassant

chauffageàvapeurà moyenne près- ^ ^^.^^ ^^jj^ ^^ l'atmOSphèrC (cOvirOn

^^-a

COMPLÉMENTS DE l'hABITATION 169

2 hectogr. par centimètre carré, ou 2/10 d'atmosphère. C'est le chauffage le plus maniable et le plus facile à régler, et qui demande comme les précédents des gaines et circulations à peu prés identiques, sauf que les surfaces chauffantes doivent être plus importantes puisque la chaleur est moindre. Mais au point de vue de la composition, ce mode de chauffage a une consé- quence particulière : c'est la profondeur nécessaire de la cave du calorifère, car il est indispensable que le niveau supérieur de l'eau dans la chaudière soit au moins de 2 à 3 mètres en con- trebas du point le plus bas des tuyaux de retour. Voici pourquoi. Supposez (fig. 653) une chaudière cyHndrique verticale, dans laquelle le niveau supé- rieur de l'eau est N-N. Un tuyau de retour R, à peu prés horizontal, ramène à cette chaudière l'eau de condensation, après avoir desservi au passage les appa- i-ig- 635. schéma théorique d'un

chauffage à vapeur à basse pression.

reils de chauffage; cette eau, peut-être

encore mélangée de vapeur, doit être considérée comme n'étant plus que de l'eau n'ayant plus de pression, ou n'ayant plus qu'une pression négligeable. Si l'eau de la chaudière est à la pression de 2 hectogrammes, cette pression la fera remonter de 2 mètres dans la partie verticale du tuyau de retour ; de 3 mètres pour 3 hectogrammes de pression; et si en remontant ainsi elle trouve ouvert le tuyau horizontal de retour, elle s'y répandra et obstruera la circulation. En d'autres termes, il faut que la pres- sion due à la hauteur d'eau verticale V fasse au moins équilibre à la pression produite dans la chaudière par le chauffage de l'eau. Cette combinaison n'est donc pratique que si l'on peut dis- poser d'une cave profonde, et c'est encore une prévoyance qu'il faut avoir dés l'établissement du plan de fondations de l'édifice.

lyo ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l'aRCHITECTURE

Les surfaces de chauffage peuvent et doivent être établies prés des surfaces de refroidissement, c'est-à-dire près des murs de façade. Il serait même difficile qu'il en pût être autrement, à cause de l'obligation de disposer les conduites horizontales contre des murs continus. Cela permet d'ailleurs l'introduction très facile d'air pur venant s'échauffer contre les surfaces de chauffage et renouvelant ainsi l'atmosphère de la pièce. Les dif- ficultés naissent lorsque les murs de façade ont eux-mêmes des portes, par exemple dans le cas de balcons. On peut alors être conduit à des dispositions spéciales, impossibles à prévoir dans leur variété, mais dont on aura toujours raison en ne perdant pas de vue les principes de chaque mode de chauffage.

J'ajouterai enfin que ces chauffages ne sont pas d'une conduite plus difficile que le chauffage à air chaud; seulement il faut encore lutter contre des craintes irraisonnées à cet égard.

Mais, par exemple, il faut que l'exécution soit excellente. Des fuites auraient des conséquences matérielles fort graves, et il importe d'éprouver les canalisations sous une pression très supé- rieure à celle qu'elles subiront en service. Ainsi le chauffage à eau par petites conduites peut fonctionner dans les grands froids à 1 2 ou 1 3 atmosphères : n'hésitez pas à faire éprouver la cana- lisation entièrement terminée à 80 ou loo et devant vous.

Enfin, on fait assez souvent un chauffage mixte; un calori- fère à eau ou à vapeur échauffe des surfaces métalliques autour desquelles vient s'échauffer de l'air pur qui s'élève ensuite dans des gaines. Ce système combine les avantages des deux modes, mais il est coûteux. En tous cas, au point de vue de la compo- sition, il revient au même que le chauffage à air chaud. C'est un chauffage à air chaud, dont le calorifère est établi plus scientifi- quement — et plus hygiéniquement.

Comme vous le voyez, nous revenons toujours à notre apho-

COMPLÉMENTS DE l'hABITATION I7I

risme : composer c'est prévoir. Vous devez comprendre en effet que dés l'étude de vos plans il est nécessaire que vous sachiez quel sera votre chauffage et que vous teniez compte de ses exigences.

Mais l'hygiène soulève encore bien d'autres questions que celle du chauffage. D'une fliçon générale, l'hygiène a deux buts : mettre à notre service les moyens de bien-être; nous débarrasser de ce qui se crée de nuisible autour de nous et par nous.

Dire que vos compositions devront être claires et aérées, prévoir des espaces suffisants, des hauteurs d'étages habitables, ce serait simplement affirmer l'évidence. Cela, tout le monde le sait, tout le monde sait comment on pourrait le réaliser; mais le plus souvent on n'en fait rien, et pour la meilleure des rai- sons, parce qu'on ne le peut pas. La moitié de la population vit dans des villes, et dans les villes on peut améliorer un peu les conditions hygiéniques, on ne peut foire de l'hygiène réelle. Les agglomérations de bâtiments, leur élévation, les rues étroites, les cours fermées, tout cela est anti-hygiénique, et tout cela est inévhable. Aussi les indignations des hygiénistes qui ne sont qu'hygiénistes sont-elles un peu puériles : ils ont raison à la façon du philosophe qui proclame que l'homme devrait être sain, robuste, beau, parfait à tous égards : il y a peut-être des planètes c'est ainsi. De même pour l'hygiène : supprimez les villes, c'est ce que vous pouvez fiiire de plus hygiénique; mais si par malheur vous ne le pouvez pas, laissez-nous faire pour le mieux, nous qui travaillons dans le possible !

Or, dans une ville comme Paris par exemple, le terrain est cher, très cher; la construction aussi. Sur ce terrain exigu, il faut loger beaucoup de monde, pour que cette cherté répartie sur un plus grand nombre de familles, arrive à n'être pas par

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trop onéreuse pour chacune : il faut qu'on puisse se loger sans être riche. Et alors, l'espace est mesuré, les pièces sont petites; dans la chambre suffisante pour un on sera deux ou trois; ou prendra ses repas dans la même pièce l'on couche, et qui s'ouvrira sur une rue étroite ou une cour encaissée. Que faire à cela ? Et encore je ne parle pas des taudis, par exemple de ces chambrées pour quelques sous dix personnes couchent dans une pièce petite et infecte, ou de ce qu'on appelle cabinets dans les garnis, que le lit remplit tout entier. Le problème nous échappe; il échappe aux hygiénistes aussi, il est d'ordre social. Peut-être la création des moyens rapides de quitter la ville et d'y rentrer, en permettant l'habitation à la campagne ou dans une quasi-campagne est-elle la seule atténuation possible des inconvénients des villes pour qui ne peut pas consacrer à son logement des dépenses extravagantes.

Tenons-nous-en à ce qui dépend de nous. Eh bien, l'hy- giène, c'est d'abord et avant tout un bon plan. Si, dans la pro- portion que promet la nature de la construction projetée j'insiste sur ce point vous avez su éviter les endroits sans air et sans lumière, pratiquer plutôt une cour spacieuse que plusieurs petites, étudier pratiquement dans vos façades les dimensions des fenêtres, vous aurez fait ce qui dépend de vous pour rendre la disposition aussi hygiénique que possible. Certes, l'hygiène en matière d'habitation, c'est l'air, la lumière, l'espace, qui ne le sait ? Vous vous en souviendrez de votre mieux en composant, c'est à peu près tout ce qu'on en peut dire.

Mais si la composition, le plan, est la chose principale et essentielle, ce n'est pas tout. Dans la mise en oeuvre on peut contenter plus ou moins l'hygiène. Mais c'est surtout qu'il faut prendre garde aux exagérations. Vous rencontrerez des

COMPLÉMENTS DE l'hABITATION I73

hygiénistes qui voudraient que nos façades n'eussent aucune saillie parce que ces saillies retiennent les poussières. Une façade toute nue, en matériaux émaillés plutôt qu'en pierre, tel est leur rêve. A l'intérieur, suppression de toute moulure, tous les angles en gorge arrondie, l'application à nos demeures de ce qu'on fait pour une salle d'opérations dans un hôpital. Ils oublient trop que la tristesse et l'ennui sont choses anti-hygiéniques, que la maison doit être aimable si faire se peut et que le sanatorium ne peut pourtant pas être le concept unique de l'habitation. Mais nous pouvons éviter les matériaux trop poreux et per- méables, surtout ceux qui exposent l'habitation à l'humidité; nos anciennes maisons construites en pierre calcaire avec mor- tier de chaux grasse sont souvent malsaines, surtout au rez-de- chaussée; nos matériaux siliceux et la chaux hydraulique à défaut de ciment assainissent les nôtres. Nous évitons les alcôves fermées, les renfoncements inutiles; nous conseillons la peinture plutôt que la tenture, surtout celle en étoffes; mais sans exagération, et en ne croyant pas cependant que tout sera perdu parce que celui qui doit habiter préférera des tentures : on peut en faire sans crime.

L'eau largement distribuée, l'éclairage demandé à l'électricité de préférence, et pour le chauffage les dispositions indiquées plus haut; pour les cuisines, les moyens dont je vous ai entre- tenus, voilà encore des précautions hygiéniques en notre pou- voir. Tout cela se résume en un conseil : dans la composition d'abord, dans l'étude ensuite, penser sérieusement au bien-être de ceux qui devront habiter ce que vous construisez.

On répète souvent que ne dit-on pas en fait d'absurdités ? que les architectes n'ont pas souci de l'hygiène. Comparez donc nos maisons modernes, même modestes, aux maisons même riches d'il y a cent ans, et moins. Nous avons des pièces

174 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l'aRCHITECTURE

souvent plus petites, des étages plus bas, cela est vrai, la cherté du terrain et de la construction en est cause; mais nous avons fait disparaître les escaliers obscurs et dangereux, les cuisines sans air, les cabinets d'aisances qui ouvrent sur les escaliers. Dans les magnifiques étages de la rue Royale et autres, vous trouvez sur le devant, des salons élevés, grandioses; mais plus loin l'appar- tement est coupé en deux étages forcément trop bas, et dans ces soupentes qualifiées d'entresols, on habite. Nos façades sont devenues monotones avec leurs cinq ou six étages équivalents ; mais nous n'avons plus d'étages éclairés par de petites fenêtres sacrifiées, qui parfois s'ouvraient au ras du parquet et ne s'éle- vaient qu'à moitié de la hauteur des pièces. Visitez de vieilles maisons, et vous ne nierez pas le progrés.

L'habitation a ses déchets et ses résidus qu'il faut évacuer. La propreté dépend de l'occupant et non de l'architecte : c'est d'ail- leurs un grand point. Quand on peut ménager une disposition pratique pour l'évacuation à volonté des ordures ménagères, c'est évidemment très utile. Il existe des maisons des trémies ont été prévues pour cela; les résidus sont alors envoyés direc- tement à la caisse mobile qui sera enlevée chaque matin, et qui en attendant est remisée dans un local clos; il est bon que ce local soit ventilé par une gaine qui s'élève jusqu'au faîte de la maison.

Je vous ai parlé des cabinets d'aisances. Pour cela, comme pour tous les usages domestiques et de toilette, l'eau est le facteur hygiénique par excellence; et un progrés immense a été réalisé du moment l'on s'est avisé que l'eau est le seul obturateur efficace des odeurs et des miasmes. Avec les syphons toujours munis d'eau, il n'y a plus à craindre ces émanations qui faisaient du cabinet d'aisances un danger redoutable et une sujétion nau-

COMPLÉMENTS DE L HABITATION I 7 5

séabonde. Le syphon nous a permis aussi, dans les appartements même, des vidoirs et décharges qui ont remplacé l'horrible plonb qui s'ouvrait dans les anciens escaliers; les éviers de nos cui- sines ne sont plus une cause d'infection, toujours grâce à l'em- ploi du syphon.

Quant à la vidange, le tout â îégout n'existe pas, il faut bien recourir encore à la fosse d'aisances. Dans la plupart des villes il y a des règlements précis à ce sujet : pas dans toutes cependant. A la campagne il n'en existe pas, du moins à ma connaissance. Les fosses sont en général ce qu'on appelle des fosses fixes : c'est ordinairement un compartiment dans l'étage de caves, voûté, avec un radier en maçonnerie; murs, voûte et radier doivent être en maçonnerie de pierre dure, caillasse ou meulière lorsqu'on en dispose, et mortier de ciment ; le tout est enduit en ciment avec angles arrondis ; en un mot, cette con- struction doit être rigoureusement étanche. Si la fosse est sous la maison, il Hiut qu'elle ait une cheminée d'extraction au dehors, à l'air libre. La fosse doit être ventilée par un ventilateur s'éle- vant au-dessus des toitures, et pour assurer un mouvement d'air dans ce veatilateur, il est bon que le tuyau de chute, placé à l'opposé, se prolonge aussi jusqu'aux toitures. On provoque ainsi un courant d'air qui enlève les émanations. Au surplus, et pour le détail, même il n'existe pas de règlements, il est bon de se reporter à ceux qui sont ou étaient en vigueur, et dont les prévisions rendent ces fosses aussi inoffensives que possible.

On a fait aussi, et on fait peut-être encore des fosses imbiles, c'est-à-dire que les matières tombent dans des tinettes, sortes de tonneaux métalliques, enlevés fréquemment. Cette disposition est absolument à condamner. La tinette était placée dans un caveau, enduit en ciment il est vrai, mais nécessairement ouvrant par une porte, ce qui à chaque manœuvre le mettait en

176 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l'aRCHITECTURE

communication avec les caves. De plus, l'enlèvement n'était pas toujours assez régulier pour ne pas donner lieu à des déborde- ments, et la chambre des tinettes était toujours une cause d'in- fection pour la maison.

Des causes d'insalubrité peuvent encore résulter pour la mai- son de certaines industries ou de locations commerciales; ainsi, les boucheries, triperies, charcuteries, poissonneries, fromage- ries, les restaurants, les parfumeries, etc. Des dangers spéciaux peuvent naître de certains commerces, tels que les produits chimiques. Autant de cas particuliers qui ne peuvent trouver leur solution que dans des règlements lorsqu'il en existe sur la matière, ou dans la prudence des précautions prises. Je ne puis qu'indiquer ce sujet sans l'approfondir.

Voilà à coup sûr bien des choses à propos d'habitation : et que de choses encore n'ai-je pas laissées de côté ! Le sujet est inépuisable. Mais une conclusion s'impose : après avoir été long- temps un programme d'une simplicité relative, l'habitation est devenue d'une complication extrême. Récemment encore, la génération qui nous a précédés ne connaissait pas le vestibule clos, les escaliers fermés et chauffés, les circulations d'eau, de gaz, d'électricité, etc., les calorifères, les ascenseurs, les monte- charges, les téléphones, que sais-je encore? Aujourd'hui, la mai- son moderne est usinée du haut en bas, il y faut tous les pro- grés, et chaque jour en en apportant de nouveaux crée de nou- velles exigences. Une maison très ordinaire a des kilomètres de canalisations de toutes sortes.

Pour tout cela, c'est une grosse erreur de croire que l'archi- tecte puisse et doive tout inventer, tout prescrire. Il n'y a pas de cerveau qui y pût suffire. Il faut que l'ingénieur sanitaire, l'in- génieur chauffeur, l'ingénieur électricien, etc., soient des collabo-

COMPLI^MENTS DE l'hABITATION I77

rateurs dévoués, et non de simples exécutants : ils doivent être et sont, en effet, à moins d'usurpation de titres, d'habiles tech- niciens, expérimentés et savants chacun dans sa spécialité. Le rôle de l'architecte, qui est le plus laborieux et le plus complexe de tous, est de mettre en œuvre ces savoirs et ces compétences, de les faire concourir à un ensemble, d'assurer la conception générale sans laquelle tout concours spécial serait stérile, de faire concorder et s'accommoder les exigences respectives. Il est le chef, le maître de l'œuvre, et c'est une belle mission. Il commande : mais pour commander utilement il faut avoir sage- ment prévu ; et c'est ainsi que tout, même ce qui paraît le plus spécial, relève de cette première fonction du véritable architecte : la composition.

hUments itTbèorit del'ArcbiUclurc. 11. Ij

CHAPITRE X HABITATIONS COLLECTIVES

SOMMAIRE. L'hôtellerie. La caserne. Les édifices hospita- liers : asiles, hospices, maisons de retraite. Résumé des règles relatives à l'habitation.

Je n'ai certes pas, je le répète, épuisé ce vaste sujet : l'habita- tion. Je ne pouvais vous parler que de ses éléments théoriques : quant à la manière pratique de les mettre en œuvre, l'expé- rience seule vous l'apprendra. En art, il y a avant tout ou au- dessus de tout l'exercice continu, la sûreté acquise. Vous êtes ici pour vous exercer, et le programme de l'habitation est de ceux qu'il faut étudier souvent, toujours en face de difficultés nouvelles; il est infini, et ne se satisfait ni avec des formules, ni avec des recettes. Rendez- vous souples et ingénieux, l'exercice seul vous y conduira; je ne puis dans ce cours que vous signaler les difficuhès, vous faire connaître les besoins : à vous de trou- ver dans chaque cas la solution.

Mais il me reste à vous dire quelques mots de l'habitation collective. A certains égards, le programme devient en effet différent lorsque à l'habitation personnelle chambre, appar- tement, maison, hôtel ou palais se substitue l'habitation en commun, temporaire ou permanente.

l8o ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l' ARCHITECTURE

Toutefois, je ne chercherai pas l'habitation dans toutes ses formes : ainsi, l'enfant habite le lycée, mais le lycée est avant tout un édifice d'instruction ; le malade habite l'hôpital, mais l'hôpital est avant tout un édifice sanitaire : un autre programme prime alors le programme d'habitation. Sous cette rubrique de l'habitation collective, je vous parlerai seulement de ce qui est fait avant tout pour habiter : l'hôtellerie, l'asile ou l'hospice, la caserne; et cela en tant seulement que j'aurai à vous signaler des différences avec les éléments de l'habitation personnelle que nous venons d'étudier.

L'hôtellerie n'a plus rien de commun avec l'ancienne auberge si souvent décrite, et que nous voyons disparaître peu à peu dans ses derniers types. Il faut dire adieu à l'auberge pittoresque le voyageur s'arrêtait dans la cuisine, l'aubergiste était l'hôte ou l'hôtesse, les chambres étaient souvent des dor- toirs favorables aux aventures. Cela, c'est l'hôtellerie classique de Don Quichotte, du Roman comique, de Gil Blas. Elle avait un grand mérite, elle était amusante; la nôtre est ennuyeuse : qu'elle soit au moins confortable.

La chambre d'hôtel est forcément banale; lorsqu'elle ne l'est pas, c'est qu'elle n'a pas été faite pour son usage; ainsi à Gênes et à Venise, d'anciens palais sont devenus des hôtels de voya- geurs, et parfois une chambre voûtée avec des peintures à fresque intéresse l'artiste de passage. Mais c'est le vieux palais qui se survit, ce n'est pas l'auberge. Dans l'hôtel, le programme est d'avoir le plus grand nombre possible de chambres dis- posées du côté le plus recherché des voyageurs ; il en faut à un et à deux lits, et sauf dans quelques situations à part, les chambres d'hôtel doivent être pourvues de cheminées. Comme elles peuvent être louées séparément ou par groupe, lorsqu'une

HABITATIONS COLLECTIVES l8l

famille en désire plusieurs, ces chambres communiquent les unes avec les autres par des portes qu'on tient fermées lorsque la location est isolée; en ce cas, et pour éviter qu'on n'entende tout d'une chambre à l'autre, il est bon qu'il y ait double porte.

Au surplus, dans un hôtel, le grand écueil est la sonorité. Tandis que dans l'habitation ordinaire on a toujours un certain nombre d'heures de silence pendant la nuit, à l'hôtel il y a des arrivées et départs de voyageurs à tous les trains, souvent au milieu de la nuit, ou de grand matin, le transport des bagages, les allées et venues de service. Si les chambres donnent direc- tement sur le corridor de circulation, même séparées par un mur sérieux et en dépit de tous les tapis, le bruit est insuppor- table. Aussi dans les hôtels bien aménagés, il y a toujours entre le corridor et la chambre l'interposition nécessaire d'une petite entrée et d'un cabinet servant soit à la toilette, soit au dépôt des bagages et effets. Pour ce programme essentiellement moderne, je ne puis vous citer des exemples anciens; c'est dans l'architec- ture contemporaine que vous en trouverez l'expression. Je vous montrerai donc le plan à l'un des étages d'habitation de l'hôtel de voyageurs qu'a récemment construit M. Chedanne aux Champs-Elysées (fîg. 634), en vous faisant observer que sa des- tination est celle d'un hôtel tout à fait luxueux, dont les recherches doivent être considérées comme un maximum, et seraient excessives pour un hôtel modeste.

Je n'ai rien de particulier à vous signaler pour les salons, salles de jeux ou de lecture, etc. Tout cela rappelle, avec plus de banalité inévitable, les salons de l'habitation. De même pour les écuries et remises, etc. Seule la salle à manger appelle quelques remarques spéciales.

En général, le programme d'une salle à manger d'hôtel com-

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ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l'aRCHITECTURE

Fig. 634. Hotel meublé aux Champs-Elysées. Plan du premier étage.

I, salons en location. 2, bagages. 3, monte-bagages. 4, ascenseurs. s, cabine téléphonique. 6, salon d'étage. 7, escalier des domestiques des voyageurs. 8, ascenseur des domestiques des voyageurs 9, grand escalier. 10, escalier de service. II, services. 12, passerelle pour battre les habits. 13, galerie des chambres.

14, antichambres. lî, toilette et bains. 16, chambres. 17, courettes. 18, postes d'incenJte. 19, vidoirs.

20, cours. 21, gaine pour les tuyaux de la cuisine. 22, grande cour.

Fi». 655. Hôtel meublé aux Cliamps-Élysées. Plan des cuisines. (Sous-sol.)

1, dégagement. 2, glacier. ;, pâtisserie. 4, cave à charbon. s, g"'"' ''«s tuyaux de la cuisine. 6, légumier.

' 7, cuisine. 8, garde-manger. 9, bureau du chef. 10, boucherie. —Il, salle à manger des domestiques.

12, pièces de service. 13, salle des filtres. 14, cave de jour. IS, plonges. 16. galerie des services.

17, contrâle. 18, cour. 19, plonge de l'argenterie. 20, dégagements. 21, cafcterie. 22, ttbles chaudes.

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porte la table d'hôte et des tables particulières. Sa forme peut donc être moins longue que ce que nous avons vu pour une salle à manger d'apparat dans l'habitation, avec une table unique. Ici, il ne s'agit pas tant de faire une table que de pouvoir servir un public nombreux, surtout si l'hôtel, comme c'est fréquent, reçoit dans sa salle à manger un nombreux public en dehors de ses hôtes.

Mais, d'autre part, pour cette salle comme pour les salons qui seront évidemment au rez-de-chaussée, vous trouverez une dif- ficulté pratique : la superposition à ces salles de chambres nom- breuses séparées par des murs à cheminées, tout au moins quelques-uns. Si les portées sont très grandes, la difficulté devient fort sérieuse : il peut donc résulter de votre disposition des nécessités, imposées par la construction, de points d'appui inté- rieurs ou de piliers spéciaux. Je ne puis que vous répéter encore que les plans des divers étages forment une composition unique, qui doit être étudiée simuhanément à ces divers niveaux.

Dans les hôtels importants, le service des cuisines, auxquelles doivent s'annexer les salles à manger du personnel et aussi des domestiques des voyageurs, devient très considérable. Vous en pourrez juger par le plan du sous-sol du même hôtel des Champs- Elysées (fig. 635) j'ai hachuré tout ce qui ne constitue pas ce service spécial des cuisines et du service des domestiques. Vous y remarquerez combien, dans ces sortes d'établissements, on tient à les bien traiter, disons le mot, à leur faire la cour : bains, cabinets de toilette, rien ne leur manque; c'est que ce sont souvent les pourvoyeurs de la maison.

Ce qui précède s'appHque à l'hôtellerie de ville, grande, moyenne ou petite ; d'ailleurs rarement construite pour cet usage;

184 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE L ARCHITECTURE

la plupart de ces hôtels sont d'anciennes maisons arrangées tant bien que mal pour leur nouvelle destination. Le voyageur y reste peu d'ailleurs, il s'y arrête parce qu'il a des afîiiires dans la ville, il repart lorsque ses affaires sont terminées.

Au contraire dans les villes d'eaux, au bord de la mer, dans les montagnes, le programme est un peu différent, en tous cas la clientèle est autre. On y vient souvent pour un séjour assez prolongé, et on désire davantage y trouver une sorte de chez soi. Beaucoup de ces stations sont récentes, il a donc fallu y construire des hôtels, et souvent ce sont des édifices importants; il me suffira de citer Dieppe ou Trouville, Lausanne ou Lucerne, Nice ou Menton, Vichy ou Royat. Comme on s'y rend souvent en famille, ces hôtels ont plus que ceux des villes besoin d'ap- partements, et dans un assez grand nombre d'hôtels de la Suisse, on trouve des petits pavillons ou chalets répartis dans un parc; on demeure comme chez soi, et on ne se rend à l'hôtel pro- prement dit que pour les repas ou pour les réunions. En tant qu'éléments, cela ne nous montre rien que nous n'ayons déjà vu. C'est plutôt dans la composition que se révèle une différence avec l'hôtellerie urbaine. Celle-ci cherche avant tout le nombre des chambres; l'autre aussi, mais avec en plus une recherche de l'habitation agréable, et de la vue qui est souvent un puissant élément d'attraction et qui se paie fort cher. En voici (fîg. 63e et 637) un exemple avec un hôtel construit à Menton par M. Rives; entre cet hôtel et le précédent, il y a des analogies, et cependant les plans témoignent de préoccupations diffé- rentes.

Aussi ces hôtels, toutes les fois que cela se peut, sont accom- pagnés d'un jardin, parfois d'un véritable parc; s'ils sont au bord d'un lac, ils ont volontiers des terrasses et des embarca- dères de bateaux; au bord de la mer, ils ont leurs bains

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particuliers. Ces hôtels sont dans une certaine mesure des casinos.

L'écucil de toute hôtellerie, c'est forcément sa banalité. Chez

Fig. 657. H6ti;l i voyageurs, à Menton. Plan du i" étage.

Fig. 636. Hôtel à voyageurs, à Menton. Plan du rcz-dc-chaussie.

soi, on peut donner à son intérieur un certain caractère person- nel, ne fût-ce que par les tentures et l'ameublement choisi. A

l8é ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE LARCHITECTURE

l'hôtel, rien de semblable : tout y reste au goût moyen et cou- rant. Le voyageur en souffre, ou il accepte cette banalité comme une chose inévitable, et elle l'est en effet. Si cependant il se rencontre des conditions de pittoresque, ce sera pour lui un plai- sir sensible de les trouver. Ainsi, on s'arrêtera volontiers dans ces hôtelleries qui à Gênes ou à Venise se sont installées dans d'anciens palais, ou à l'hôtel dit des Capucins à Amalfi, ancien couvent où, des vieilles treilles en terrasse et aussi des chambres, anciennes cellules des moines, on jouit d'une vue incomparable; ou encore à l'ancienne abbaye de Vallombrosa dans les Apen- nins Toscans. Mais ce ne sont pas des hôtelleries au sens propre du mot, et dans le plaisir qu'on y ressent il entre beau- coup d'évocation du passé et d'imagination rétrospective.

Programme étrange, il faudrait faire oubher ce qu'il est, et donner l'illusion de ce qu'il n'est pas, et de ce qu'il ne peut être. Mais après tout, nous trouverons ailleurs encore cette néces- sité : elle s'impose avec tous les programmes qu'on subit à regret, et dont il faut masquer le caractère véritable pour les faire accepter.

De l'hôtel passons à la caserne : c'est l'hôtel de votre âge avec « bon souper, bon gîte, et le reste ». Le reste, c'est parfois la corvée ou la consigne, mais c'est surtout le sentiment très fier et très digne du devoir. Ici, tout a sa gravité, et l'architecture aussi; il y a le nécessaire, mais le strict nécessaire. Et si le jour vient, comme je l'espère, les architectes seront chargés de cette œuvre d'architecture qui est l'habitation des soldats, ne perdez jamais de vue cette simplicité absolue qui n'est pas seu- lement ici l'économie, mais qui est encore le caractère et l'as- pect d'art des constructions militaires. Voyez cette magnificence, l'Hôtel des InvaUdes : quelle simplicité dans ses éléments, et par même quel aspect sévère et grandiose dans son style !

HABITATIONS COLLECTIVES 187

L'habitation à la caserne, c'est la chambrée. Aujourd'hui, la chambrée n'est pas luxueuse, mais autrefois! Vous savez que jadis les hommes couchaient deux par lit, et il nous reste des casernes de l'ancien régime des descriptions écœurantes. Mainte- nant encore, trop de casernes sont installées dans de vieux bâti- ments, souvent des couvents, qui n'ont pas été faits dans ce but, ou dont la disposition remonte à une époque l'on avait peu souci de l'hygiène. Les casernes nouvelles sont plus humaine- ment conçues; et cependant vous allez voir qu'on n'y répartit pas bien largement l'air respirable. Les instructions militaires prévoient pour les chambres de troupes 3 à 4 métrés carrés par homme, et 12 métrés cubes par fantassin ou 14 métrés cubes par cavalier. Heureusement, on ne peut guère se dispen- ser d'augmenter ces dimensions, car l'espacement des lits ne peut guère être moindre de i ■" 20 d'axe en axe, ce qui avec la demi- largeur de la chambre (7 mètres environ, soit 3 "" 50 pour la moi- tié) fait une surface de 4 ^ 20, et pour une hauteur normale de 3 "^ 50, produit un cube par homme de 14 ■" 700. Il est bien évident que pour la santé des hommes il faut compter sur le renouvellement rapide de l'air par des moyens voulus ou non.

Vous connaissez la disposition ordinaire des chambrées : Préoccupé avant tout de l'aération, on les dispose avec des fenêtres des deux côtés, soit quatre en tout. Le bâtiment est donc simple en profondeur, et il ne peut y avoir de circulations indépendantes. Dès lors, on multiplie les es:aliers, afin qu'ils puissent desservir directement les chambrées, ainsi que les lava- bos et les chambres de sous-officiers. Voici (fig. 638) un plan de pavillon conforme aux instructions en vigueur, et se com- posant d'un rez-de-chaussée, d'un premier et d'un deuxième étages semblables.

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ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

Les conditions les plus rigoureuses de propreté sont avant tout nécessaires ici. Surfaces lisses peintes à l'huile partout le frottement est possible, badigeonnées à la chaux, très fréquem- ment, dans les parties élevées; éviter les angles inutiles, les soli- vages apparents, etc. De l'air, de la lumière, de la propreté, tel est le programme de cette variété d'habitation.

Qjaant aux chevaux, j'ai peu de chose à ajouter à ce que je vous ai déjà dit des écuries. Dans les casernes de cavalerie, on recherche autant que possible les dispositions qui isolent les écu- ries, en ne les plaçant ni sous les chambrées des hommes, ni sous les dépôts de fourrages. On préfère donc les bâtiments absolument spéciaux pour les écuries; et comme il faut loger un grand nombre de chevaux, on dispose en général les écu- ries dans des bâtiments acco- lés les uns aux autres, cou- verts chacun à deux pentes avec chéneau sur le mur qui les sépare, et aération par les toitures et les pignons d'extrémité. C'est ce que le Génie militaire appelle Écuries en docks.

Aux nouvelles casernes, on n'a pas en général marchandé l'es- pace. On a donc pu établir des plans très aérés, avec de vastes cours, surtout lorsqu'il s'agit de la cavalerie ou de l'artillerie. Tout cela comporte de nombreuses dépendances, mais très ordi- naires en tant qu'éléments. Dans les casernes urbaines, comme à Paris celles de la Garde répubhcaine, qu'il faut bien répartir en des points divers du centre de la ville, on a compter davan- tage avec le terrain, et se résoudre à des dispositions évidem- ment moins hygiéniques, souvent d'autant plus ingénieuses.

Fig. 658. Pavillon de casernement.

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Telle est par exemple (fig. 639) la caserne de la Garde républi-

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190 ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

caine du square Monge, il a fallu loger un assez grand nombre d'hommes et de chevaux dans un terrain exigu pour cette des- tination. Même dans l'uniformité des choses militaires, il faut bien faire la part des nécessités d'emplacement, et il ne saurait y avoir de plans tout faits d'avance.

Le surplus des locaux dépendant de la caserne n'appelle ici aucune description spéciale : sans quoi il faudrait tran- scrire à votre intention toutes les prescriptions à l'usage du génie militaire. En cela comme en tout, lorsque vous vous trouvez en présence d'un programme d'espèce particulière, à l'instruction générale qui vous prépare, il faut superposer l'in- struction spécifique que vous trouverez dans les publications spéciales et les monographies.

Sous divers noms, asile, hospice, pension, maison de retraite, on exprime tous ces étabUssements destinés à l'habitation des malheureux. Il en faut de toutes sortes : pour les enfants, les inhrmes, les vieillards; pour les misérables, les incurables, les fous; pour les ménages et pour les célibataires ou les veufs; pour les civils et pour les militaires.

Pour tous, certes, le rêve serait le chez soi, le foyer, même bien humble et bien étroit. C'est la nécessité seule qui les relègue dans ces grandes maisons forcément banales et régle- mentées, où l'on couche, l'on mange, l'on fait tout en commun. Aussi, nul programme n'a jamais comme celui-là solHcité les âmes généreuses, et toujours, à toute époque, dans les constructions d'asiles ou d'hospices, il y a eu une pensée. Cherchons-la, car ainsi seulement nous pourrons comprendre comment, avec un même but charitable, ce programme a pu être si diversement traité.

HABITATIONS COLLECTIVES I9I

Nous connaissons trop peu l'antiquité pour savoir ce qu'elle réservait à ses déshérités. Je serais d'ailleurs presque tenté de me demander si, à Rome notamment, il y avait lieu à assistance publique. Il y avait de la misère, certes, mais ordinairement le misérable était à quelqu'un : c'est le seul résultat un peu humain de l'esclavage : si le droit romain disait brutalement servus resest, non persona, du moins ce pauvre diable n'était pas res nullius, et un hospice de vieux esclaves n'avait peut-être pas plus de raison d'être que chez nous un hospice de vieux che- vaux ou de vieux chiens. Peut-être il faut du moins l'es- pérer — le riche propriétaire se débarrassait- il moins allègre- ment d'un esclave vieilli qu'on ne le fait chez nous du vieux cheval qui ne rend plus de service ? Et encore, Caton l'ancien, homme pratique et dur, conseillait de vendre, même à vil prix, les esclaves devenus trop vieux pour produire un travail utile. Le patronage et la clientèle devaient constituer aussi une assis- tance restreinte, dont la forme et les moyens nous sont peu connus.

C'est le Christianisme qui a réellement fait l'hospice, et pen- dant bien des siècles l'hospitalité a été purement chrétienne; puis peu à peu elle a commencé à devenir politique ou admi- nistrative, et finalement elle a été conçue comme une obligation stricte de la société.

Ces conceptions différentes devaient produire des expressions architecturales différentes. Il y a eu, et pendant des siècles, l'hos- pitalité cruelle qui ne visait qu'à se débarrasser de misérables dont on avait peur : telles étaient les léproseries du Moyen-âge ou ce lazaret de Milan, si tragiquement décrit dans les Fiancés de Manzoni. C'était le tombeau anticipé.

Mais en même temps il y avait les édifices de pitié chrétienne dont il nous reste encore de si beaux exemples. Là, il est per-

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mis d'affirmer que l'art a été en communion parfaite avec son sujet, car il n'y a personne qui puisse douter de ce qu'il a voulu exprimer. Mais je vous l'ai déjà dit l'architecture d'une époque est la résultante des idées et de l'état social de cette époque : dans ces siècles de foi profonde, le but, en fait d'hospi- talité, était moins de prolonger que de consoler la vie des mal- heureux; la pensée de leurs bienfaiteurs était tournée et tour- nait la leur plutôt vers la vie future que vers l'existence actuelle; tout était fait pour le salut des âmes, non pour le corps.

Aussi avons-nous de cette époque des restes précieux, des salles d'un grand caractère de christianisme, mais que les hygié- nistes condamnent, et dont l'un des plus beaux exemples est XAlbergo de Poveri de Gênes (fiig. 640). Il ne semble pas d'ailleurs qu'à ces époques il ait été fait de différences entre l'hospice et l'hôpital. Les deux destinations étaient généralement confondues dans un même édifice.

A cette hospitalisation toujours gouvernée par l'idée reli- gieuse, et mise aux mains de communautés, de confréries, de sociétés qui, même laïques, étaient en réalité des corporations rehgieuses, s'est substituée une nouvelle hospitalisation gouver- nementale. L'Hospice général aujourd'hui la Salpétriére est une création de ce genre, ainsi que, dans un autre ordre d'idées, l'Hôtel des Invalides; et encore, au début, la discipline des InvaHdes était presque celle d'un couvent.

On a reproché à ces édifices grandioses leur caractère monu- mental, leurs façades. Mais c'est la royauté même de Louis XIII de Richelieu et surtout de Louis XIV qui se traduit ici comme partout. Oui, sans doute, pour les millions qu'a pu coûter l'Hôtel des Invalides, on aurait pu construire des loge- ments pour deux fois plus de monde. Mais n'était-ce donc rien que la fierté créée ou maintenue parmi les soldats du roi, que le

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respect imposé, que les traditions de gloire transmises ? C'est pour moi un souvenir d'enfance très impressionnant, le service des repas aux officiers invalides, dans leurs grands réfectoires décorés de peintures, avec les mets apportés dans la vaisselle

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Fig. 640. Plan de l'Albergo de Pmeri, à Gènes.

d'argent massif que leur avait donnée Louis XIV, et qui seule n'a pas été fondue lors des sacrifices héroïques qu'a récompensés Denain, tandis que des sous-officiers, l'épée nue, escortaient ce service vraiment royal.

La pensée n'est plus la même, mais il y avait une pensée

ÈUnunli et Tbiorit de l'Architecture. II. ij

194 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE L ARCHITECTURE

aussi, une grande pensée ; ai-je besoin de vous dire combien elle est rendue ?

Aujourd'hui encore, nous avons une pensée maîtresse en fait d'hospitalité : adoucir et prolonger la vie. Notre hospitalité est nettement matérialiste. Si elle cherche à parler à l'âme, à la con- soler ou à l'égayer, c'est dans l'intérêt exclusif de la santé corpo- relle. L'hygiène, voilà le but unique que nous poursuivons, mais en sachant bien que l'hygiène a des facteurs très divers, et que parmi eux il faut placer en bon rang le contentement et au besoin l'illusion.

Avec les yeux sans cesse fixés sur ce but unique, il s'est fait une architecture toute d'expérience, très appropriée à son pro- gramme particulier '. Elle a ses règles contrôlées par les résul- tats, et aujourd'hui il n'est plus permis de concevoir l'architec- ture hospitalière autrement que moyennant des prescriptions catégoriques, non en ce qui concerne la composition, mais pour tout ce qui est des éléments de cette composition.

Tout d'abord, l'hospice, l'asile, doivent être gais, aussi gais que possible; si l'on pouvait ajouter : engageants, ce serait l'idéal. L'hospitalisé sent son cœur se serrer lorsqu'il entre dans un bâtiment immense, ou dans les grandes cours monacales il" devra achever sa vie; il lui faut l'illusion du chez soi, la nature; même à l'aHéné dangereux, pour qui l'hospitalité est une réclusion, on dissimule le mur nécessaire, on fait la clôture plutôt en creux, afin que son regard s'étende sur la campagne il lui semble qu'il soit libre d'aller. La verdure est un très puissant moyen hygiénique.

Supposons donc un asile étabh soit à la campagne, soit dans

I . Je dois à l'obligeance de M. Michelin, architecte de l'Assistance publique, une grande partie des indications qui vont suivre.

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Tome II

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Services GtKÉRAv.x. AA, administration. B, service des cuisines avec cour vitrée. Bains. -

Hospitalisés. HH, dortoirs. II, réfectoires. J, sali

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ncurables, à Ivry.

munant^. - D, lingerie. K, hnamlerii-. F, salle des chaudières. - G, champ d'êtcndage.

ans. K, habillement. L, chapelle. M, infirmerie, étervoirs. P, dépôts et ateliers.

HABITATIONS COLLECTIVES I95

un fiiubourg d'une ville, en bon air, sur un terrain en pente légère, pas humide, à l'abri des vents violents. Là, suivant les cas, les pensionnaires habiteront des chambres ou des dortoirs communs. Sur la chambre, je ne vous dirai rien de nouveau : faites que le déshérité puisse s'y plaire ! C'est le dortoir qui con- stitue avant tout l'habitation collective.

Pour l'intelligence de ce qui va suivre, je vous prierai de vous reporter d'abord au plan d'un des plus grands ensembles aux- quels ait donné lieu ce programme, l'hospice des Incurables à Ivry (fig. 641).

Les dortoirs se trouveront en un ou plusieurs bâtiments, sui- vant le nombre des pensionnaires. En général il faut éviter et les trop longs bâtiments, et les dortoirs avec des lits trop nom- breux.

Les dortoirs peuvent être au rez-de-chaussée, pourvu qu'ils ne soient pas humides. Du reste, il fout toujours au-dessous un sous-sol pour divers usages; le dortoir pourra donc être dans un rez-de-chaussée élevé sur quelques marches, et au besoin sur des rampes très douces. S'il est au premier étage, il sera desservi par un escalier facile et un ascenseur.

On exige pour le dortoir des fenêtres des deux côtés. Ces fenêtres n'ont pas besoin d'être larges, mais il est nécessaire qu'elles montent aussi prés que possible du plafond, pour que aucune partie de la salle n'échappe à l'aération. Elles se com- posent ordinairement de trois parties : l'allège dans laquelle on dispose un volet d'aération, la fenêtre proprement dite, et l'im- poste également ouvrant. Pour la largeur de la baie, on compte I mètre ou i "" lo. C'est une fenêtre assez étroite comme vous voyez. Le trumeau doit avoir environ i "^ 60 de large, si, comme c'est préférable, on peut ne disposer qu'un lit par tru- meau ; cette largeur est déterminée par l'expérience, en raison du

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ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

lit et de ses accessoires, table de nuit et siège. Ainsi l'entre-axe des fenêtres sera de 2 éo à 2 70 ; dimensions un peu rap- prochées pour la construction : vous aurez donc à voir si vous devez faire coïncider vos entre-axes constructifs avec chacune de ces travées ou seulement de deux en deux. Mais cette dispo- sition d'un seul lit par trumeau est rare, parce qu'elle est plus coûteuse. Le plus souvent on en met deux. En ce cas, l'entre- axe sera de environ 4 mètres.

Le dortoir doit avoir de 8 à 9 mètres de largeur, ce qui laisse

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Fig. 642. Plan d'un dortoir d'hospice.

435 mètres d'espace libre entre les deux rangs de lits (fig. 642). La hauteur varie de 4 à 5 mètres. On obtient ainsi, de 50 à 70 mètres cubes par personne; la moyenne de 60 mètres cubes est très bonne, le minimum demandé par les médecins étant de 40 mètres cubes. Quelques auteurs ont demandé jusqu'à 100 mètres cubes par personne, mais c'est une exagéra- tion évidente : il faut tenir compte aussi des conditions de dépense, et ne pas avoir d'exigences telles qu'un budget même riche ne puisse hospitaliser que très peu de monde. Cette ten- dance à l'exagération irait droit contre le but qu'on poursuit.

Pour les enfants, le cube d'air pouvant être moindre, et les lits étant plus courts, on doit faire les salles moins larges; dans

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les nouveaux pavillons de Bicctre, on a adopté 7 mètres de largeur, et cette installation est réputée excellente.

Dans divers établissements, lorsque l'économie n'était pas aussi rigoureuse, on a remplacé les dortoirs par des chambres, ou tout au moins par des compartiments. Telle est la disposi- tion de l'Hospice Dcbrousse, fondation particulière (fig. 645). La disposition par dortoirs est employée de préférence dans les établissements destinés à des pensionnaires dont la vie a été peu aisée, comme par exemple l'Hospice Brézin, à Marnes (fig. 644). Celle par chambres proprement dites est réservée aux établissements l'on paye une pension plus ou moins élevée, tels que l'Institution de Sainte-Perine (fig. 645), ou la Maison de retraite Rossini (fig. 64e), beaucoup plus modeste, et destinée à des pensionnaires peu nombreux, dont vous trou- verez ici le plan du rez-de-chaussée. Les chambres sont placées aux I" et 2*^ étages, avec une distribution semblable.

Bien qu'il ne s'agisse pas ici de malades, comme dans l'hôpi- tal, il s'agit en général de personnes dont la santé est précaire; avant tout, il faut que tout concoure à combattre les germes d'infection. La propreté que je recommandais pour les casernes, occupées par des hommes jeunes et valides, est plus essentielle encore pour des infirmes ou des vieillards. Les dortoirs auront donc leurs murs et leurs plafonds imperméabilisés ; l'Assistance publique emploie dans ce but la peinture à base de goudron. Les angles des murs entre eux, des murs avec les plafonds, des murs avec le sol doivent être arrondis; les saillies inutiles évitées.

Le sol est ordinairement parqueté en chêne; il sera en grés cérame ou autre carrelage analogue si le dortoir est destiné à des vieillards gâteux ou à de jeunes enfants. Le chauffage est ordinairement demandé à la vapeur à basse pression ; cependant.

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on tient à disposer aussi des cheminées à feu visible, pour l'agrément des yeux plutôt que pour la chaleur émise.

Ces dortoirs ont des dépendances nécessaires : cabinets d'ai-

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sances, lavabos, petit office ou tisanerie, pièce de débarras. Enfin la chambre du veilleur ou de la veilleuse, avec châssis donnant directement sur le dortoir; pour les dortoirs d'enfants, la veil- leuse couche dans le dortoir même.

En principe, le dortoir ne devrait servir qu'au couchage, et il devrait y avoir d'autres pièces, qui n'existent pas tou- jours; le plus souvent cepen- dant, on trouve des salles de réunion. Ces salles peuvent exister dans chaque pavillon de dortoirs ou dans un local spécial. Elles n'ont rien de particulier; ce sont, pour les adultes ou les vieillards, des salons de lecture, de tra- vail, des chaufFoirsou fumoirs; pour les enfants, il y a de petites classes, des ateliers de couture et autres. Du bon air et de la lumière, pas d'humi- dité, tel est encore le pro- gramme de ces locaux qui n'appellent pas de description spéciale.

Mais cette salubrité que nous cherchons, l'étude des dortoirs en eux-mêmes ne suffira pas seule à l'assurer. La composition générale doit aussi y con- courir, et en premier lieu. Il est à peine besoin d'indiquer la nécessité d'une large aération; mais il faut encore que cette aération ne soit pas contrariée. Or, on considère comme tou-

Fig. 646. Maison de retraite Rossini.

A. réunions et Administration. B, services généraïu. C| hospitalisés.

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jours fâcheuses les rencontres de bâtiments qui laissent des angles l'air se renouvelle difficilement; non seulement on proscrit les cours fermées sur tous leurs côtés, comme nous en voyons tant dans les anciens hospices, mais on évite le plus qu'on peut les avant-corps en saillie comme déterminant des angles rentrants, que les hygiénistes appellent des angles morts. L'idéal serait donc une disposition par pavillons isolés, com- plètement rectangulaires, reliés entre eux seulement par des galeries de circulation peu élevées à rez-de-chaussée, et bien entendu avec de larges espaces d'isolement entre eux. C'est du moins la tendance française, et je la crois juste, bien qu'à l'étranger nous trouvions souvent des constructions hérissées de saillies en tous sens, multipHant ainsi ces angles morts que condamnent nos hygiénistes. C'est sans doute que dans les hospices anglais et allemands surtout on croit devoir avant tout chercher un aspect plutôt pittoresque, qui enlève à ces éta- blissements le caractère administratif et monotone qu'on regrette facilement de voir dominer dans les nôtres. Mais avec nos dispositions, il n'est pas impossible de réaliser un caractère sinon réjouissant, du moins pas trop désespérant : c'est à quoi l'archi- tecte doit s'attacher, en supposant dans son étude que lui- même sera peut-être un jour l'hôte de sa composition : c'est ainsi qu'on arrive à mettre tout son cœur au service d'une pensée généreuse.

La salle à manger prend ici le nom de réfectoire. Les réfec- toires, bien éclairés, auront le sol en dallage céramique, les murs et plafonds imperméabilisés, les angles arrondis. On préfère le service par petites tables rondes ou rectangulaires, toujours pour donner aux pensionnaires une certaine illusion du chez soi. Les réfectoires peuvent être répartis à proximité des dortoirs, ou

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dans un pavillon sépare, mais en tous cas en communication facile avec la cuisine, qui doit elle-même être assez éloignée des pavillons d'habitation (fig. 647).

Un hospice comporte forcément une' infirmerie. Cette infirme- rie, à son tour, comporte un ou deux dortoirs analogues aux précédents, mais avec un cube d'air plus sérieux encore, et quelques chambres isolées, ainsi qu'une petite salle d'opérations.

Fig. 647. Plan d'un réfectoire d'hospice et cuisine. (Emprunté à THospice Debrousse.)

Mais ce sujet se rattache plutôt aux hôpitaux, que nous étudie- rons plus tard.

Je n'ai rien à dire des services généraux et administratifs, ni des dépendances telles que pharmacie, buanderie, etc. Je réserve ces sujets pour le chapitre je vous parlerai de l'architecture hospitalière. Pour le moment, je n'ai voulu que vous montrer une variété de l'habitation : l'habitation de ceux qui ne sont pas assez riches pour avoir un logement personnel.

D'ailleurs, les cas d'habitation en commun sont extrêmement variés. A ce groupe se rattacheraient, entre l'hôtellerie et l'hos- pice, la maison de retraite, la pension bourgeoise ou maison de

204 ÉLÉMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

famille; nous trouverions encore la gendarmerie, la caserne de douaniers, l'orphelinat, les asiles divers. Plus ou moins coûteux, plus ou moins confortable, c'est toujours le même programme et l'emploi des mêmes éléments. Les mêmes principes régissent les mêmes besoins, et je ne puis entrer dans les détails minu- tieux qu'appellerait l'étude spéciale de chacun de ces sujets : je ne pouvais que vous exposer les grandes lignes des prescriptions aujourd'hui acceptées dans toutes ces variétés de l'habitation collective.

Me voilà donc arrivé à la fin de ce premier groupe : l'habi- tation. Vous pouvez maintenant juger la méthode de ce cours et ses résultats. Vous ai-je enseigné à composer une habitation, grande ou petite, personnelle ou collective ? Non, assurément. Cela ne s'enseigne pas, et rien ne serait plus profondément con- traire à tout sentiment d'art qu'un enseignement formulaire et didactique de la composition. Dans d'autres écoles, je le sais, on enseigne des types pour certains programmes; on y expose aux élèves le dispositif consacré de la caserne ou de la gare de chemin de fer. Mais ces écoles ne forment pas des artistes; une telle méthode serait pour vous la stérilisation ; et pour voir les choses de plus haut encore, elle serait que dis-je ? elle est la cause d'une déplorable monotonie dans ces sortes de construc- tions, et d'une survivance inévitable des errements surannés. Si l'élève d'autrefois, aujourd'hui chef de service, compose comme on le lui a jadis enseigné, soyez sûr que pendant qu'il est resté stationnaire le programme s'est modifié. Il n'y a guère de pro- gramme qui soit aujourd'hui ce qu'il était il y a 20 ou 30 ans. Et, il faut le dire, les changements vont vite en matière d'habi- tation. Autrefois, au Moyen-âge par exemple, à deux siècles de distance, la composition de la maison n'est pas très difiérente.

HABITATIONS COLLECTIVES 205

Encore au xvii*^, puis au xviii^ siècle, si les variétés sont plus sensibles, cependant le parti général se maintient. Nous n'en sommes plus : aujourd'hui, une habitation composée il y a quelque trente ans nous paraît bien vieille ; c'est que les besoins nouveaux ou les exigences nouvelles se créent à mesure que l'industrie invente les moyens de les satisfaire. Ce qui est d'abord exceptionnel devient bien vite une nécessité inévitable. Et lorsque vous serez en pleine possession de votre initiative, vous composerez autrement que nous. Comment ? Je l'ignore, n'étant pas prophète; mais certainement si vous faisiez dans vingt ans la maison que nous faisons aujourd'hui, vous seriez des arriérés.

Quel sera alors votre programme, quel sera le programme général de l'habitation, tel que l'auront fait notre état social, nos moyens ou nos tendances ? Peut-être ferez-vous, comme en Amérique, la maison à vingt étages, peut-être la maison basse et étendue. Qu'importe ? Ici, vous vous serez assoupli à la composition, aux luttes constantes de l'ingéniosité et des diffi- cultés : tout compositeur digne de ce nom a de nombreuses cordes à son arc, et les programmes, si nouveaux et si imprévus soient-ils, ne sont pas pour l'effi-ayer.

Nous tenons donc avant tout à laisser à votre esprit la liberté et l'élasticité. Mais dans cette liberté entière des solutions, dans cet exercice de la composition, en vue de laquelle il n'y a pas chez nous d'enseignement, mais seulement les conseils du maître que vous avez choisi, dans ces combinaisons peut-être imprévues que vous réaliserez un jour, il y aura toujours des éléments de raison et de bon sens, des nécessités de construc- tion. L'habitation, â travers ses variétés de programme, aura toujours le même but ; elle pourra disposer tout autrement ses éléments, c'est toujours avec ces éléments qu'elle devra compo-

20é ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l'aRCHITECTURE

ser. Et ces éléments ce que j'ai appelé les Éléments de la composition, échappent à la fantaisie, ils relèvent avant tout de la raison : ils ont en eux-mêmes une vérité concrète, et vous remar- querez que tout ce que je vous en ai dit se démontre moins rigoureusement sans doute qu'un théorème de géométrie assez rigoureusement toutefois pour qu'il soit permis de dire que sur ces matières il n'y a pas de désaccord possible.

Tel est mon but et mon rôle : faire connaître les éléments nécessaires de la composition, en faire la démonstration. Je vous livre des matériaux, je vous en expose les qualités et les conditions d'emploi : à vous d'en tirer parti, de les mettre en œuvre par la composition, cette faculté personnelle de l'artiste instruit.

LIVRE VII

LES

ÉLÉMENTS LA COMPOSITION

DANS LES ÉDIFICES D'ENSEIGNEMENT

ET

D'INSTRUCTION PUBLIQUE

CHAPITRE PREMIER ÉCOLES PRIMAIRES

SOMMAIRE. Classification des écoles primaires, mixtes, mater- nelles; groupes scolaires.

La classe. Emplacement, aérage, éclairage, dimensions. Classes éclairées par des jours unilatéraux ou bilatéraux.

Les préaux couverts et découverts. Cabinets d'aisances.

Salles de dessin de travaux manuels.

Vestiaires. Lavabos. Cantines. Escaliers.

Recherche de la gaieté de l'École,

J'aborde maintenant les éléments des édifices destinés à l'in- struction publique, dans ses divers degrés. Nous commencerons naturellement par le plus humble, l'enseignement primaire.

Les éléments de l'école sont toujours la classe, la salle de travail, le préau, la cantine et quelques dépendances. Mais ces éléments peuvent s'appliquer à des écoles plus ou moins nom- breuses, plus ou moins modestes. Il y a l'école mixte de petit village, avec une seule classe pour garçons et filles, dont M. Sal- leron donne un type théorique (fig, 648), présentant cette par- ticularité, peut-être discutable, de placer les entrées des élèves au fond des préaux découverts; l'école mixte avec deux classes, une pour chaque sexe ; les écoles soit de garçons, soit de filles, à une ou plusieurs classes ; les écoles maternelles pour les tout jeunes entants. Lorsque plusieurs écoles sont réunies en un seul

blimtnts et Théorie lit V Ai cbileclure. II. 14

210

ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l'aRCHITECTURE

Plan du Kez-de-Chaussés

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ensemble, on a le groupe scolaire, dont une composition presque théorique est réalisée dans le plan des écoles de la rue Saint-Lambert à Paris, par M. Bouvard (fig. 649). Il faut ajouter tout de suite que la grande préoccupation de l'ar- chitecte, lorsqu'il compose un plan d'écoles ou de groupe sco- laire, est avant tout l'aération. Vous remarquerez donc que dans

ce plan, les divers bâti- ments ayant plusieurs étages, l'architecte a réalisé par la réunion des cours un très grand volume d'air central au grand bénéfice de la salubrité des bâti- ments.

Mais voici un autre groupe scolaire, dont la composition est toute dif- férente, celui des écoles d'Ivry-sur-Seine par M. Raulin (fig. 650), Les cours sont ici séparées par un bâtiment : vous vous tromperiez cependant si vous pensiez que, de ces deux plans, un seul peut être bon et que l'un est exclusif de l'autre. C'est que dans celui dont nous nous occu- pons présentement, les bâtiments sauf le pavillon central qui est à la jonction des branches du plan ne sont élevés que d'un rez-de-chaussée. Les cours ou préaux découverts sont donc dans de très bonnes conditions d'aération et de salubrité. Mais le plan deviendrait défectueux si quelque jour pour agrandir l'école on surélevait les bâtiments, tout au moins celui qui sépare les deux cours.

R. u Fig. 648. École mixte.

ECOLES PRIMAIRES

211

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Rut Si Ldmbert

Plan du i" étage.

Rue S'Lairbert Fig, 649. Groupe scolaire, i Paris (M. Bouvard, architecte). Plan du rei-de-chaussie.

212

ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

Il m'a paru nécessaire de vous exposer ces considérations d'ensemble avant d'arriver à l'étude des diverses parties de l'école que nous allons maintenant aborder.

Les besoins et l'architecture des écoles ont été très étudiés et les résultats de l'expérience sont à peu prés fixés, notam- ment par les nombreux travaux de la Vilk de Paris, dont on

Fig. 650. Groupe scolaire, à Ivrj-sur-Seine (M. Kaulin, architecte).

I, entrée de l'école des garçons. 2, entrée de l'école des filles. 3, entrée de l'école maternelle. 4,4,4, concierge ),5, préanx couverts des garçons. 6,6, préaux couverts des filles. 7, pré-iux couverts de l'école maternelle. i*,8,8, parloir. 9, salle de repos de l'école maternelle. 10, cuisine de 1 école maternelle. il, entrée des loge- ments des instituteurs adjoints et sous-sols. 12. entrée des logements des institutrices adjointes. 13, cour de récréation des garçons. 14. cour de récréation des filles. iSj'î^ cour de récréation de l'école maternelljï. 16, passage des voitures de service.

s'inspire généralement: c'est donc ]h surtout que je puiserai les indications nécessaires, grâce à une note qu'a bien voulu me remettre M. Blavette, et aux tracés d'une publication de M. Sal- leron (^Études et documents relatifs à la construction des Écoles^. Nous verrons d'abord les éléments indispensables des écoles même les plus simples : la classe, le préau couvert, le préau découvert, les cabinets d'aisances. Mais si je vous présente ces exemples pour me faire comprendre, je ne voudrais pas vous laisser croire que ce soient dans ma pensée des types invariables. C'est une erreur pratique, et c'est une hérésie de goût, de reproduire

ECOLES PRIMAIRES 21 3

comme on le fait trop souvent les mêmes dispositions à la ville et à la campagne, dans le Midi et dans le Nord. Nos écoles de Paris seraient absurdes en Provence et aussi dans nos départements du nord de la France, à plus forte raison si l'on s'écarte davantage encore de notre latitude parisienne. Je ne puis poursuivre un programme dans toutes ses réalisations possibles, mais je vous avertis que vous ne trouverez ici que des résultats d'expérience et un point de départ utile à connaître, sauf à vous à en faire l'application suivant les circonstances.

Au point de vue général, il fiiut donc rechercher pour une école l'aération, la salubrité et la lumière. A la campagne sur- tout, ce qu'il faut craindre avant tout, c'est l'humidité. Aussi recommande-t-on surtout d'éviter l'exposition au nord : c'est la seule qui doive être absolument écartée. Et encore, l'exposition des classes n'est pas la question dominante. Mieux vaudra par exemple avoir des classes orientées au nord, s'il n'y a pas d'autre moyen d'y éviter le bruit de la rue. Après tout, avec le chauf- fage et l'aération, on remédie aux inconvénients de l'orientation, et j'ajouterai que l'exposition des classes au plein midi peut être une cause de grande gêne, malgré les stores ou autres moyens de défense contre le soleil. C'est surtout pour les cours ou préaux que se pose la question d'orientation : une cour toujours à l'ombre est très mauvaise parce que l'humidité du terrain après les pluies ne se sèche pas, et les enfants piétinent ainsi dans une sorte de marécage insalubre. Mais une cour il n'y aurait jamais d'ombre serait terrible au mois de juillet. On doit cher- cher à disposer les cours et bâtiments de telle sorte que toutes les parties des cours reçoivent successivement le soleil, mais aussi qu'il y ait toujours un peu d'ombrage. Quoi qu'il en soit, pour les classes, et lorsqu'on a le choix, l'exposition au sud -est est celle qui est le plus recommandée.

214 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l' ARCHITECTURE

L'entrée d'une école doit toujours être surveillée, et par con- séquent le concierge doit être à proximité. Mais dans un groupe scolaire, lorsqu'on peut n'avoir qu'un seul concierge placé de façon à surveiller en même temps l'entrée des deux écoles, ce n'en est que mieux, car c'est une économie de construction et de personnel.

Les classes sont la partie la plus essentielle de l'école; quel qu'en soit le nombre, il y a des principes permanents qui en régissent la disposition intérieure. Quant à leur emplacement dans l'ensemble de l'école, il importe qu'elles soient bien aérées, bien éclairées, et d'un accès assez immédiat pour éviter les longs parcours, qui sont toujours une occasion de bruit et de désordre. Dans une école maternelle, les classes doivent être au rez-de-chaussée et d'un accès très immédiat : il s'agit ici d'en- fants qu'on doit conduire à l'école, et souvent c'est le frère ou la sœur un peu plus âgés qui y déposent le tout petit en se rendant eux-mêmes à l'école, et qui le reprennent en en sortant. Il ne faut pas perdre de vue ces conditions, le plus souvent sous-enten- dues et non exprimées dans la rédaction des programmes.

Les classes d'enfants plus âgés, celles de l'école primaire proprement dite, peuvent être soit au rez-de-chaussée, soit dans des étages. En ce cas, les escaliers devront être faciles, à emmar- chements droits ; il est d'ailleurs désirable qu'il y ait deux esca- liers, ne fût-ce que pour éviter les sinistres terribles qui se pro- duiraient avec un escalier unique s'il survenait un incendie.

La classe est une salle rectangulaire, dont la longueur ne doit pas être trop considérable : il faut que de toutes les places les élèves voient facilement le tableau, et entendent aisément le professeur. Une longueur de 8 mètres est très bonne; on va parfois jusqu'à lo mètres, c'est un maximum. Le parquet en est horizontal, et c'est la légère élévation de l'estrade recevant

ÉCOLES PRIMAIRES 21 5

le bureau du professeur et le tableau qui permet aux élèves de bien voir, et au professeur de bien surveiller. Cette condition encore s'oppose à la création de classes trop longues.

Après de nombreux essais, on a résolument pris le parti de disposer les élèves par petites tables de deux places seulement. Chacun peut ainsi sortir de sa place sans déranger personne. Ces tables à deux places ont i mètre pour les petits, i ■" lo pour les plus grands. Ici encore, comme nous l'avons vu pour l'habitation, l'unité mobilière est déterminante pour la propor- tion des salles.

Chaque table avec son banc forme un meuble unique, afin que les bancs ne puissent se déranger. Les dimensions varient quelque peu dans le sens de la profondeur ; pour les petits, l'en- semble a de o "" 67 à o™ 70, et pour les grands, de o"" 71 à o'" 77. Les espaces libres sont : pour les circulations entre deux rangs de tables o •" éo, et pour les circulations contre les murs, o "^ 75. L'espace libre entre le banc d'un rang et la table du banc suivant, de o"" 10 (fig. 651).

Ces indications sont minutieuses, et parfois il faut bien les faire varier quelque peu. Cependant, elles sont assez

impérieuses pour déterminer si une j..

classe devra être à trois ou quatre rangs okands. petits.

de tables; car on n'en fait ni à deux ni ^,^^,^,,^^ dwmobiiicr de classe à cinq rangs. De ces mesures il résulte pour grands « petits.

que la classe à trois rangs de tables demande 6 mètres de lar- geur, et celle à quatre rangs, 7 •" 70. Ces mesures peuvent être un peu dépassées, mais on ne pourrait les restreindre sans inconvénients.

Ainsi donc, les classes auront environ de 6 mètres à 6 30, ou de 7 "^ 70 à 8 mètres de largeur; des largeurs intermédiaires

2lé

ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

n'auraient pas d'application. Mais pour que ces largeurs soient possibles, il faut que l'éclairage soit suffisant, car sans éclairage suffisant la classe est impossible. Or, pour que cet éclairage soit suffisant que faut-il ? Que la lumière arrive sur les tables sous un angle suffisamment ouvert. La hauteur est donc un facteur essentiel de la lumière.

En général, les classes des écoles de la Ville de Paris ont 4 métrés de hauteur. Cette élévation est largement suffisante

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Fig. 652. Plan d'une classe à éclairage unilatéral.

Fig. 655. Plan d'une classe à éclairage bilatéral.

pour l'aération, mais elle ne le serait pas pour l'éclairage de classes profondes. D'un autre côté, elle ne pourrait pas être sensible- ment augmentée à cause de la dépense plus grande de la con- struction, du plus grand développement à donner aux esca- liers, etc.

De les deux modes d'éclairage dont vous avez certaine- ment entendu parler : éclairage unilatéral pour les classes ordi- naires (fig. 652), éclairage bilatéral pour les classes plus larges (fig. 653) : en d'autres termes, classes avec fenêtres sur un seul côté ou sur deux.

Incontestablement, lorsque l'éclairage unilatéral est possible, il est préférable à tous égards. Il permet de placer tous les

ÉCOLES PRIMAIRES

217

élèves dans la même situation par rapport au jour, c'est-à-dire avec les fenêtres à leur gauche. Il permet aussi d'avoir des corridors de circulation longeant les classes du côté opposé aux fenêtres, ce qui est souvent une nécessité de la composition. Enfin, on obtient ainsi des classes pouvant contenir, par tables de deux places, 36, 42 ou 48 élèves, nombre qu'on ne saurait dépas- ser et qui est déjà bien grand pour la bonne tenue d'une classe.

Fig. 654. Coupe d'une classe à éclairage unilatéral.

La classe avec éclairage bilatéral, si elle est plus large, soit à quatre rangs de tables, ne devra pas dépasser ce nombre; elle sera donc plus courte. Les élèves, certains d'entre eux du moins, seront moins en face du maître et du tableau, et auront le jour du côté droit. Le nombre de places sera de 40 ou 48.

Dans les deux cas, ainsi qu'on le voit par la coupe (fig. 634) correspondant au plan figure 650, les fenêtres auront leur appui à une hauteur de i "> 10 à i "" 30 au-dessus du sol; ces fenêtres monteront aussi prés que possible du plafond, et dans l'allège on pratique des volets ouvrants pour l'aération. Si l'éclairage est unilatéral, il faut avoir dans la paroi opposée aux fenêtres des

2l8

ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

baies de ventilation fermées par des volets opaques, afin de pou- voir, pendant l'absence des élèves, déterminer des courants d'air.

L'estrade du maître est élevée de o"^ 30 environ, soit deux marches, au-dessus du parquet de la classe.

Si nous faisons l'application des plans publiés par M. Salleron, nous trouvons comme surfaces et comme cube d'air par élève les chiffres du tableau ci-après :

ÉCLAIRAGE

LONGUEUR

delà

classe

LARGEUR

delà classe

SURFACE

delà classe

NO.MBRE

de places

SURFACE

eleve

CUBE

Unilatéral

9.50 8 00

6.00

7-70

55.80 61.60

48

48

1.16 1.28

4.640 5.120

Bilatéral

D'où il résulte que, dans une disposition générale, il faut pré- voir environ i^ 20 à. i *" 30 superficiels par élève, pour l'aire totale de la classe, y compris l'estrade du maître, et les circulations.

Dans une école maternelle, ces dimensions pourront être légèrement diminuées; mais il arrivera parfois qu'il y aura super- position : alors ce seront les dimensions de la classe la plus grande qui s'imposeront.

Le plus souvent le chauffage est assuré par de simples poêles. Il est essentiel qu'ils aient des prises d'air pur. Si dans de grandes écoles on peut chauffer par calorifères, les principes à suivre sont ceux que je vous ai déjà exposés.

Dans tous les cas, on assure le renouvellement de l'air par des gaines de ventilation.

Pour les récréations, les élèves ont les préaux : préaux cou- verts et découverts. Le préau découvert est la cour de récréa- tion, le préau couvert est un abri pour le mauvais temps.

Les cours ou préaux découverts ne sauraient être trop aérés. On évite avec soin les dispositions qui les enferment entre des

ÉCOLES PRIMAIRES 2I9

bâtiments de tous côtés : au contraire, on doit chercher à les ouvrir sur deux ou trois côtés, ou à la rigueur sur un seul : mais cela même est un pis-aller. Il faut aussi que le préau découvert soit d'une surveillance facile, et pour cela on doit éviter les saillies dont les angles peuvent faire des cachettes pour les élèves.

Le sol en est sablé au milieu, avec des trottoirs autour. S'il est possible de planter des arbres qui ne soient pas trop voisins des bâtiments, on ne doit pas y manquer. Il est nécessaire, à moins d'impossibilités absolues, que le préau soit accessible aux voitures pour le sablage, les enlèvements, etc. Je vous ai parlé des dispositions à rechercher pour éviter dans ces préaux des causes d'humidité permanente.

Le préau couvert est clos ou ouvert : c'est un peu une ques- tion de climat et de ressources. S'il est vitré, il est généralement chauffé. On y trouve des bancs, même des tables si les enfants doivent y prendre leurs repas. Le sol en est ferme, constitué suivant les régions, avec de l'asphalte, des carrelages, des par- quets. Les préaux des écoles maternelles sont toujours clos et parquetés. On doit éviter dans les préaux les colonnes de fonte et tout ce qui, n'étant pas facilement vu, risquerait de blesser les enfants dans leurs jeux et même, à moins de force majeure, les piliers en maçonnerie. Si donc les préaux sont au-dessous des classes, il faudra que leurs planchers, et les poutres sous les murs ou cloisons, soient assez résistants pour permettre toute la portée nécessaire. Les préaux doivent communiquer aussi directement que possible avec les classes ou les escaliers des classes, ainsi qu'avec les cabinets d'aisances.

Évidemment, un préau peut sans inconvénients être fort grand, surtout si on dispose dans une partie des agrès de gymnase. Si tous les enfants devaient s'y réunir, et pouvoir s'y

220

ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

donner tout le mouvement que comportent leurs jeux, le préau devrait être plus vaste que toutes les classes réunies. Mais les élèves ne restent pas tous entre les classes, et l'économie ne permet pas d'exagérer l'importance des préaux. Voici quelques mesures que je relève également dans l'ouvrage de M. Salleron :

NOMBRE D ELEVES

de l'école

24 garçons 24 filles . .

. .

. .

. .

48

96

192

LONGUEUR 1

du

préau couvert

5

60

9

60

II

5"

eus

27

00

16

00

en s

50

00

cns

16

40

'7

00

32

60

LARGEUR

du préau couvert

4.40 (2 fois) ; .00 (2 fois) 6.00 (2 fois) 4.00 (2 fois) 4.60 4.50 8.00 5.00 7.60

SURFACE

SURFACE

du préau

par

couvert

élève

52.00

1.09

54.00

I

12

138.00

2

87

108 . 00

2

24

83.60

I

74

225.00

2

35

131.20

I

37

85.00

0

89

247.76

I

28

ÉCOLE MI.\TE

Ëcolc à une classe Deux classes d-

Quatre classes

Vous voyez par ce tableau combien varie l'importance pro- portionnelle des préaux, puisque nous trouvons depuis o"^ ^ 89 jusqu'à 2 ' 87 par élève. La vérité, c'est qu'on fait comme on peut, qu'il n'y a pas ici de besoin précis, mais qu'il est bon toutefois de donner aux préaux toute l'importance compatible avec le terrain dont on dispose. Qiiant aux préaux découverts, nous trouverions des différences encore plus sensibles : l'essen- tiel est que ces préaux soient bien aérés, qu'ils profitent des espaces voisins tout au moins pour avoir de l'air. Il faut aussi l'un est d'ailleurs la conséquence de l'autre qu'ils ne soient pas humides, que le soleil y pénètre, que par conséquent, comme je l'ai déjà dit, ils ne soient pas longtemps dans l'ombre portée des bâtiments. En matière d'écoles, les questions d'orientation ont une importance capitale.

Les préaux couverts des écoles maternelles ont proportion- nellement plus d'importance. Là, en effet, la classe est peu de

ÉCOLES PRIMAIRES

221

chose, c'est dans le préau que se passe la plus grande partie du temps. Le préau de l'école maternelle est muni de bancs, et généralement de tables pour les repas des enfants. Il est d'ail- leurs complété par un abri, sorte de portique de 4 métrés environ de large, ouvrant directement sur la cour de récréation. Voici d'ailleurs pour des écoles maternelles un tableau dont les résultats pourront être comparés à ceux des tableaux ci-dessus :

NOMBRE

d'Élèves

Préau Abri

LONGUEUR

LARGEUR

SURFACE

SURFACE PAR ÉLÈVE

<-;

17.50 28

7.ÎO 4.00

IJI.25 112

3""I2 2.70

80 à 90

Prilau Abri

12 28

7.00 4.00

84 112

env. 1 .00 cnv. i.oo

Les élevés ne restant pas tous au préau

L'installation des cabinets d'aisances est toujours une question très sérieuse dans les écoles. Leur emplacement devrait répondre à des conditions multiples et souvent difficiles à concilier. Tout d'abord, il faut un endroit bien aéré, pas trop rapproché de l'école, et cependant en communication facile, à couvert s'il se peut. II. faut que la surveillance en soit très efficace, et pour cela on désire que le maître, de sa place, puisse voir le groupe des cabinets. Enfin si deux écoles sont accouplées dans un groupe scolaire, il convient pour l'économie que les cabinets d'ai- sances des deux écoles soient contigus, de façon à ne pas exiger en double le service de fosses, canalisation, évacuation, etc.

Dans tous les cas, le groupe des cabinets doit toujours former un petit bâtiment à part, bien aéré, bien en vue. Les cabinets eux-mêmes seront d'autant plus propres qu'ils seront plus petits: il importe qu'il n'y ait qu'une place possible, et la porte même, ouvrant en dedans, doit rendre cette place obligatoire. On admet généralement les dimensions ci-aprés : largeur, o"^ 70;

222

ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

profondeur, i ■" lo. Écoles maternelles : largeur o"^ 35; lon- gueur o" 80, sans porte. Bien entendu, les parois doivent

être imperméables. La porte n'est qu'un pan- neau fermant la partie milieu de la hauteur de l'huisserie, avec parties vides suffisantes, en bas et en haut, pour la sur- veillance. Le plus sou- vent, il n'y a pas de plafonds, les cloisons séparatives s'arrêtent à 2 mètres environ, et un espace libre reste entre ces cloisons et la toiture (fig. 655). Il est bon d'ailleurs que devant les sièges, et pour la réception des urines, il existe un bassin étanche, peu profond, et recouvert, au niveau G H des sièges, par une grille mobile sur laquelle on marche. Ce bassin lui- même est nettoyé par des chasses d'eau intermittentes et automatiques (fig. 636).

On compte un cabinet pour 30 à 40 élèves; un peu plus pour les écoles de filles. Pour les garçons, il faut annexer des urinoirs à raison de un pour 50 élèves.

Fig. 655.

ÉCOLES PRIMAIRES

223

Coupe CD. EF.

Le système des cabinets varie suivant le mode de vidange. En tout cas, il faut toujours de l'eau en abondance; si bien que lorsque le quartier est desservi par le tout à l'égout, comme main- tenant beaucoup de rues de Paris, il faut prévoir le chauffage du petit bâtiment des cabinets : chauf- fage très doux, et cela non pour le confortable, mais pour empêcher la congélation de l'eau qui est l'élément indispensable du fonctionnement. Le lavage se fait par des intervalles réglés, et non par commande indivi- duelle.

Les sièges se font généralement à la turque, et assis pour les écoles maternelles.

D'une façon générale, les cabinets d'aisances sont un des services qui préoccupent le plus dans la disposi- tion des écoles. Ils sont toujours un danger. Aussi les rejette-t-on absolu- ment de la maison d'école : lorsqu'il y a plusieurs étages de classes, et à moins de dispositions tout à fait exceptionnelles, il faut que les élèves

descendent au rez-de-chaussée pour trouver les cabinets ou les urinoirs. Cela n'est pas sans inconvénients, qui se présument de reste. Mais aussi, c'est une des raisons qui recommandent à tout prix la simplicité des dispositions et la facilité des accès.

I-ig. 656.

Voilà les éléments essentiels de l'école toute simple : mais vous savez qu'on a étudié les programmes d'écoles avec beau-

224 ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

coup de largeur, et à ces éléments on en a ajouté d'autres, assu- rément fort utiles lorsque les ressources permettent d'y penser.

Je ne vous parlerai ni du concierge, ni des logements d'insti- tuteurs ou directeurs; cela rentre dans l'habitation.

Comme locaux d'enseignement, nous avons encore à voir deux compléments d'une école complète, la salle de dessin, et la salle de travail manuel.

La salle de dessin est elle-même un programme double : il y a la salle pour le dessin graphique et la salle de dessin propre- ment dit.

Vous vous ferez mieux que personne une idée de ce que doit être une salle de dessin graphique en pensant à vos ateliers d'études, non pas tels qu'ils sont, mais tels que vous les désire- riez : une salle en longueur, largement éclairée au nord ou presque au nord. Seulement comme dans les écoles primaires on s'exerce le plus souvent à dessiner d'après des modèles, il faut des tables avec partie verticale pour la suspension des modèles ; et dés lors les tables ne peuvent être parallèles aux fenêtres : elles leur sont perpendiculaires, placées de façon que les élèves aient le jour à gauche, et assez peu longues. Il est bon que les fenêtres soient un peu élevées, i*" lo à i™ 30 au- dessus du sol, et qu'elles montent aussi haut que possible dans la pièce.

La salle de dessin proprement dit, ou dessin d'imitation, comprend en général deux sortes de places : pour les élèves les plus avancés, des places en demi-cercle autour d'un point cen- tral occupé par le modèle nature, ornement ou antique puis des tables analogues à celles du dessin graphique pour les commençants qui dessinent d'après l'estampe, ou d'après des modèles bas-relief (fig. 657).

ÉCOLES PRIMAIRES

22 =

Il faut donc pour ces salles l'éclairage du nord, comme tout à l'heure; mais, de plus, il faut que le professeur puisse éclairer le modèle à son idée, et l'éclairage du haut est nécessaire égale- ment : ces éclairages divers pouvant d'ailleurs se régler au moyen de stores ou rideaux.

. Les séances de dessin ont d'ailleurs souvent lieu le soir, et l'éclairage désiré du modèle s'obtient alors par l'extinction d'une partie des lampes, qu'elles soient à gaz ou à électricité. "

La question d'éclairage d'une salle de dessin est tou- jours difficile, car il faut à la fois éclairer le modèle ef tous les dessins des élèves. On n'arrive pas au succès complet sans tâtonnements; mais s'il est facile de res- treindre des vitrages trop étendus, il est beaucoup plus difficile d'agrandir des vitrages insuffisants. Ne craignez donc pas de prévoir des éclairages très larges : vous les diminuerez s'il le fiiut.

Les salles ou ateliers de travail manuel sont peut-être encore à l'état d'expérience, tout au moins pour les écoles de garçons. Quoi qu'il en soit, on dispose dans ce but des salles dont la seule condition est d'être bien éclairées et de capacité suffisante. Pour les garçons, on les place à rez-de-chaussée en les divisant en atelier du fer, avec une forge et une enclume, et atelier du bois avec des établis et des tours.

Les ateliers des filles, affectés à la couture, sont mieux pla-

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Fig. 657. Plan d'une salle Je dessin.

226 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l'aRCHITECTURE

ces dans les étages, et ne demandent pas de combinaisons spé- ciales, sauf une lumière abondante et une place suffisante : à nombre égal d'élèves, l'atelier de filles doit être plus grand que la classe.

Il me reste à vous parler des dépendances matérielles en quelque sorte de l'école.

Près de l'entrée est le vestiaire des élèves. Assez souvent, faute de place ou de ressources, on confond ce vestiaire avec le vestibule d'entrée. C'est une erreur, car il en résulte souvent des échanges plus ou moins involontaires, lorsque les élèves quittent séparément la classe. Il en est de même pour les dépôts de déjeuners cet usage existe. Autant que possible, ce ves- tiaire et ce dépôt doivent être sous la surveillance immédiate du concierge.

Ces pièces doivent être claires, et le renouvellement de l'air doit y être facile.

A toute école il faut des lavabos. Autrefois on en plaçait souvent dans les classes même. Aujourd'hui on les dispose de préférence dans les préaux couverts, ou dans un compartiment en communication directe avec ce préau. Il est bon alors que la séparation soit vitrée, car les lavabos exigent une surveillance efficace.

Beaucoup d'écoles comportent des cantines. En général, la can- tine scolaire n'est pas un débit : on veut seulement que les pro- visions apportées par les enfants puissent être réchauffées, et leur petite vaisselle lavée. La cantine n'est donc qu'une cuisine avec un guichet pour la livraison. En ce cas, c'est ordinairement le concierge qui est chargé de ce soin, et c'est sa cuisine parti- culière qui sert aussi de cuisine de cantine.

A Paris, et sans doute dans d'autres villes, on distribue des

ÉCOLES PRIMAIRES 227

déjeuners gratuits aux enfants des écoles. La cantine est alors une vraie et souvent une grande cuisine, avec offices et dépôts de provisions. Je n'ai donc qu'à me rapporter à ce que je vous ai dit des cuisines. Observez toutefois que, lorsque vous faites un groupe scolaire, la cantine devra autant que possible être commune â deux écoles : c'est-à-dire que votre cuisine sera en quelque sorte mitoyenne, avec distribution séparée pour chacune des écoles.

On a annexé à quelques écoles de Paris des dotichoirs. Cela ne paraît pas avoir complètement réussi jusqu'ici, les maîtres et maîtresses hésitant à user d'un instrument dont la pratique demanderait une expérience spéciale. En tous cas, c'est une question de programme qui ne vous appartient pas.

Un mot enfin des escaliers, qui dans les écoles doivent être traités d'une façon spéciale. Je vous ai déjà dit qu'on doit éviter les quartiers tournants. L'escalier doit être très clair. Si par exception des classes d'école maternelle doivent être au premier étage, les marches n'auront pas plus de o "^ 12 à o"' 14 de hau- teur, et o "' 25 à o"' 27 de large, et une seconde main courante sera placée à hauteur de la main des enfiinis. Dans les autres écoles, les emmarchements seront ordinaires, mais les mains courantes seront élevées à une hauteur de i "' 20 à i "' 30.

Tel est pour les écoles l'état général de la question. Une réflexion vous aura peut-être frappés : Que de choses pour une école ! Sans doute, et je crois, quant à moi, que le programme de nos écoles ne va pas sans exagérations. Certes, toutes ses exigences sont très raisonnées, les questions scolaires ont été étudiées avec persévérance, et assurément ceux qui avaient à établir les programmes devaient naturellement incliner à assurer aux enfants des écoles tout le bien-être possible. Mais n'est-il

228 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l'aRCHITECTURE

pas parfois dangereux de faire trop comprendre aux enfants toutes les insuffisances de leur chez soi, par le contraste des somptuosités relatives de l'école? Et ne vaut-il pas mieux faire à moins de frais des écoles moins idéales, et pouvoir ainsi en faire plus ? Peut-être ; mais quelle que soit sur cette grave ques- tion sociale votre pensée personnelle, vous n'êtes, en tant qu'architectes, que les serviteurs loyaux d'un programme que vous n'avez pas établi. On a souvent dit, et non sans vérité, que les constructions scolaires avaient lourdement grevé les finances du pays ; et de à en rendre responsables les archi- tectes il n'y avait qu'un pas. C'est une grande injustice, car à des programmes ambitieux, trop ambitieux peut-être, a répondu une exécution aussi modeste que possible, sauf à peine quelques exceptions que le goût réprouve autant que la raison.

Est-ce à dire que, par cette simplicité absolue qui est ici la règle, l'art soit éconduit et ne puisse éprouver que des regrets devant le programme des écoles? Non, certes et si vous en voulez la preuve, comparez ! 11 y a l'art de la simplicité, comme il y a l'art des magnificences. Et cet art trouve sa récompense dans l'obtention du caractère. Je vous disais au début de ce cours que caractère et diversité sont des termes synonymes : diversité judicieuse et loyale, telle que la réclament les pro- grammes. Telle doit être la pensée constante de l'architecte s'il veut que son édifice parle le langage qu'il en attend. Dans une école, tout luxe est une fausse note, toute fantaisie est une trahison.

Mais l'école ne doit être ni triste ni rebutante; l'enfant préfé- rera toujours au fond l'école buisson niére à l'école réelle : faites ce qui dépendra de vous pour l'attirer et le retenir, pour lui faire aimer son école : vous aurez la satisfaction d'avoir facilité la tâche de ses éducateurs.

CHAPITRE II LYCÉES, COLLÈGES, ETC.

SOMMAIRE. Recommandations générales. Les classes. Salles d'étude. - Gymnase. Réfectoire. Cuisines. Dortoirs. Préaux et cours de récréation. Cabinets d'aisances. Caractère à chercher. Séminaires. Écoles industrielles.

Entre ces édifices, lycées, collèges, etc., et l'école que nous venons de voir, il y a de nombreuses analogies, et aussi cer- taines différences. Sans prétendre poser des principes de compo- sition, subordonnés d'ailleurs à toutes les variétés de pro- gramme, d'emplacement, de climat, il est bon d'indiquer du moins les recommandations d'un caractère général qui sont faites aux architectes en raison de l'expérience acquise.

Qjje le lycée soit un internat ou un externat, ou qu'il soit mixte, les considérations hygiéniques doivent être prépondé- rantes. De l'air et du soleil autour des bâtiments, de l'air et de la lumière dans les bâtiments, tel est le mot d'ordre essentiel. L'emplacement est donc chose capitale : il faut ou il faudrait un terrain dominant les voisinages, bien sec, avec de larges accès pour l'air et le soleil, abrité cependant des vents froids ou humides. Mais il est rare que l'architecte soit consulté sur le choix d'un emplacement, il le reçoit tout fiiit et ne peut que chercher à en tirer le meilleur parti. Et trop souvent cet emplacement est insuffisant à bien des égards.

230 ELEMENTS ET THÉORIE DE L ARCHITECTURE

En tous cas, l'expérience permet de formuler quelques régies qui doivent présider à toute composition de lycée : non pour dire ce qui doit être fait, mais plutôt ce qui doit être évité.

Ainsi, on doit éviter d'exposer au nord les classes, les salles d'étude, les préaux, les dortoirs, et en général les endroits l'élève fera de longs séjours.

Les bâtiments scolaires proprement dits doivent être autant que possible simples en profondeur, afin de pouvoir s'aérer des deux côtés. Lorsqu'un corridor est nécessaire, il ne doit pas s'opposer à l'aération, car on doit se convaincre que l'aération naturelle est toujours préférable à toutes les ventilations artifi- cielles.

On ne peut pas éviter les étages, mais on ne doit pas les faire trop nombreux. Des bâtiments très élevés rendent les rez-de- chaussée sombres et humides, et encaissent les cours.

Les cours, et surtout les préaux des élèves en récréation, doivent être aussi aérées que possible; lorsqu'il y en a plusieurs, si elles peuvent être contiguës, le volume d'air se multiplie; en tous cas, il faut éviter les cours fermées sur tous les côtés, si vastes qu'elles soient. Lorsque la composition exige absolument qu'il y ait des bâtiments sur toutes les faces, il est désirable du moins que certains d'entre eux du côté le soleil peut pénétrer ne s'élèvent pas au delà d'un rez-de-chaussée. Il faut éviter que les cours soient dans l'ombre portée de hauts bâtiments; les parties de cours qui restent toujours dans l'ombre restent humides.

Les communications doivent être faciles, et surtout la sur- veillance doit être immédiate partout. Ainsi, le groupement des cours, simplement séparées par des murs, a cet avantage que d'une fenêtre on peut voir tout ce qui se passe dans toutes à la fois.

LYCÉES, COLLÈGES, ETC. 23 I

Le service des dépendances, cuisines, etc., doit se faire sans qu'on ait à traverser les locaux scolaires. Les entrées doivent être l'objet d'une surveillance permanente; il faut donc éviter de les multiplier sans motif. Cependant il vaut mieux que les services, tels que les cuisines, combustibles, etc., aient des entrées distinctes de celles des élèves et de l'administration.

Telles sont à peu prés les régies principales auxquelles doit satisfaire un plan de lycée, quelle que soit d'ailleurs la composi- tion. Pour vous les faire comprendre par des exemples, ce qui est toujours la meilleure des démonstrations, je vous engage à étudier les plans ci-joints du Lycée Buffon à Paris (fig. 658), et du Lycée de Grenoble (fig. 659 et 666), tous deux de M. Vau- dremer, dont l'autorité est la plus considérable en pareille matière. Tout ce qui va suivre n'est à proprement parler que le com- mentaire de ces plans.

Il faut absolument, quand il s'agit de lycées, écarter de notre esprit nos souvenirs d'enfance du moins pour la plupart d'entre nous. A Paris et dans presque toutes les grandes villes, les lycées ont été installés tant bien que mal dans d'anciens bâtiments de couvents, soit que déjà on y eût fait de l'éducation autrefois, soit que ces anciens couvents aient été incorporés au domaine de l'État comme biens nationaux. Trouvant ainsi de vastes bâtiments tout faits, de capacité suffisante pour recevoir de nombreux élèves, on a pu à peu de frais y installer des lycées et collèges, mais dans des bâtiments qui ne sont ni des lycées ni des collèges, et auxquels nous n'aurons rien à emprunter.

Passons maintenant rapidement en revue les divers locaux propres au lycée.

La classe ressemble fort à la classe d'école que je vous ai décrite. Il est bon cependant de compter un peu plus de place

232

ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

LYCI-ES, COLLEGES, ETC.

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ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE L ARCHITECTURE

LYCÉES, COLLÈGES, ETC.

235

pour chaque élève, ce qui n'augmente pas les dimensions de la salle, car le nombre d élèves ne doit pas normalement dépasser 35 à 40; c'est déjà un nombre fort élevé.

La disposition est sensiblement la même : les élèves par tables de deux places; le plancher horizontal, une estrade sur- élevée de deux marches, recevant la chaire du professeur et le tableau.

Autant que possible, l'é- clairage doit être unilatéral, à la gauche des élèves. On peut admettre pour règle que pour cela la hauteur doit être les deux tiers de la largeur, un peu plus si des raisons quelconques font craindre un peu d'assombrissement, par exemple au rez-de-chaussée.

Les classes sont ordinaire- ment desservies par un cor- ridor, bien, éclairé, du côté opposé aux fenêtres. La paroi sépa- rative doit être percée de baies avec croisées ouvrantes permet- tant d'établir des courants d'air entre les séances de classes. En même temps ces vitrages permettent à la surveillance générale de s'exercer, tandis que de son côté le préposé au chauffage voit sans entrer dans la classe le thermomètre qu'il doit consulter. Le détail d'un groupe de quelques classes sera donc conforme au plan ci-joint (fig. 66 1).

Autrefois, le chauffage se faisait par des poêles : système fâcheux qui, en localisant trop le chauffiige, crée des places intolérables par la chaleur tandis que d'autres restent froides. Le chauffage par calorifère est préférable, et surtout le chauf-

Fig. 661. -

Exemple d'un groupe de classes (Lycée BufFon).

236 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE L ARCHITECTURE

fage par circulation d'eau ou de vapeur : toujours avec introduc- tion d'air et évacuation de l'air consommé, ainsi que je vous l'ai expliqué.

Lorsqu'on peut faire des classes spéciales pour l'histoire et la géographie, il faut qu'elles soient disposées de façon à présenter en face des élèves de larges trumeaux pour développer de grandes cartes.

Les classes de mathématiques sont souvent plus nombreuses, et donnent lieu à un véritable cours. D'après le nombre d'élèves prévu au programme, on peut être obligé de les disposer avec éclairage bilatéral, car on ne doit pas augmenter indéfiniment la profondeur, non seulement afin qu'on entende, mais aussi afin qu'on voie les notations écrites sur le tableau. Une dis- tance de 8 à 9 mètres du tableau paraît un maximum. Dans ces classes, le trumeau auquel s'adosse le tableau doit être large et bien éclairé.

Quant aux classes de physique, chimie, histoire naturelle, qu'on désigne par le mot amphithéâtres, je réserverai ce sujet : j'aurai en effet à vous parler des amphithéâtres à propos des édifices d'enseignement supérieur, et ce que je pourrais vous en dire ici ferait double emploi. Il en est de même des laboratoires et salles de manipulations. Il faut concevoir en effet le lycée comme confinant par ses basses classes aux édifices d'instruction primaire, et par son sommet à ceux d'enseignement supérieur. Il s'y fait maintenant des classes enfantines, pour de très jeunes enfants; et, d'autre part, la préparation aux écoles spéciales s'y fait non dans la classe proprement dite, mais dans de véritables salles de cours ou de conférences. Il est donc nécessaire de compléter ce qui peut être dit ici du lycée par ce qui a été dit de l'école, et par ce qui sera dit plus loin des édifices d'enseigne- ment supérieur.

LYCEES, COLLHGES» ETC.

237

Je n'ai rien d'ailleurs à ajouter à ce que je vous ai dit au sujet des salles de dessin.

Il ne se fait plus de lycées, et il ne se fait pas beaucoup d'éta- blissements d'instruction secondaire, qui soient de purs inter- nats. Le pur externat est rare également, car le lycée d'externes comporte presque toujours des demi-pension- naires ou externes surveillés. Il en résulte que les classes sont fréquentées par des élèves venant du dehors, à l'heure même de la classe. Partout donc il y a des externes, il importe que l'accès des classes soit facile, et que pour s'y rendre les élèves n'aient pas à traverser des locaux la surveillance serait impuissante. Les classes seront dés lors autant que possible au rez-de-chaussée, leurs portes bien en vue; on ne pourra sans doute pas éviter d'en avoir au premier étage, mais du moins il est bon de ne pas monter plus haut, la multiplicité d'étages ayant pour effet de fractionner la surveillance, et de la rendre ou plus coûteuse ou plus ineffi- cace. Lorsqu'un lycée comporte internat et externat, les classes font partie de l'externat. pjg. 66j. - E^mpie

d'un groupe de salles d'iitudes (Lycée de

La salle d'études (fig. 662), pour les internes ou les demi-pensionnaires, est souvent par les nécessités du plan superposée à une classe; elle aura donc forcément, en ce cas, la même surface. Mais elle contient quelques élèves de moins, 30 à 35 au lieu de 35 à 40. C'est que, malgré la place que laisse ici la réduction de l'estrade qui absorbe une partie de la surface de la classe, il faut que les élèves aient, dans la salle d'études, un peu plus de place que dans la classe, afin de pouvoir ouvrir

238

ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

devant eux des dictionnaires, des atlas, etc. Lorsqu'on le peut d'ailleurs, les salles d'étude sont au rez-de-chaussée, en bordure des cours de l'internat. L'internat est alors complètement séparé de l'externat.

Voici du reste un tableau qui indique comparativement les dimensions adoptées dans la classe et dans la salle d'études. Ces exemples sont pris au lycée de Grenoble :

NOMBRE

d'élèves

LONGUEUR

LARGEUR

SURFACE

SURFACE

par élève

32

_m

-m

49"'

1-53

Étude

34

10.00

7.00

70.00

2.06

Classe d'histoire naturelle

32

7.00

10.00

70.000

2.19

Classe d'histoire et de géographie

10.00

7.00

60 . 040

2,19

d'

7.00

10.00

70.00

2.19

Sur l'éclairage, le chauffage, l'aération, je ne pourrais que répéter ce que j'ai dit à propos de la classe.

Les compléments divers des études dans un lycée complet sont assez nombreux. Il faut d'abord une bibliothèque; je réserve ce sujet, devant plus loin vous parler des bibliothèques en général; il en sera de même pour les salles de collections d'his- toire naturelle et autres, les cabinets de physique et chimie, etc. Dans le lycée, ces services ne sont que des réductions de ce que nous verrons à propos des grandes collections de l'enseignement supérieur.

Pour l'enseignement des exercices physiques, nous trouvons le gymnase (fig. 663). Autrefois, les gymnases étaient dans les cours; maintenant on les veut dans des salles. La salle de

LYCEES, COLLEGES, ETC.

239

gymnase est toujours rectangulaire, de proportion assez longue, 35 "^ X 1 5 "au moins, parfois avec des galeries. L'essentiel est qu'elle soit bien éclairée, et de plusieurs côtés, pour produire une lumière diffuse : il faut éviter en effet les ombres portées trop nettes; l'éclairage du haut seul ne vaudrait rien pour un gymnase. Il faut aussi que l'air puisse être largement renouvelé après les séances, par l'établissement de courants d'air : préférez toujours la ventilation naturelle à la ventilation d'expédients.

Fig. 663. Gymnase (Lycée Butfon).

Les fenêtres doivent être placées à la partie supérieure, toutes les parois étant nécessaires soit pour les exercices contre le mur, soit pour le rangement des agrès. Il convient donc d'avoir prés du sol des ouvertures d'aération (les portes suffisent souvent pour cela), et au haut de la salle les baies d'éclairage, d'ailleurs également ouvrantes.

La salle d'escrime est souvent une annexe du gymnase; je n'ai rien de particuUer à en dire, sinon qu'elle doit être bien éclairée, et d'une ventilation facile. Il en sera de même pour les classes de danse ou de chant.

Les réfectoires (fig. 664) sont toujours des salles en longueur, avec des fenêtres des deux côtés, d'une part ouvrant directe-

240

ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

ment sur une cour ou une rue, et de l'autre côté, s'il y a lieu,

sous un portique de communication. On peut ainsi établir des

courant d'air efficaces entre les repas.

La disposition la plus commode pour les réfectoires consiste

en petites tables perpendiculaires à la longueur de la salle. Pour

une table et le passage entre cette table et la voisine, il faut compter environ 2 "^ 40. Cet entre-axe dépend avant tout d'ailleurs, dans le cas de superposition, de celui qui est déter- miné par la disposition des dortoirs, comme nous le verrons plus loin. Le passage longitudinal entre les deux séries de tables a au moins 2 métrés de largeur. Ainsi, au Lycée de Grenoble, la largeur dans œuvre du réfectoire étant de 7 métrés, les tables ont de chaque côté 2 ■" 50 de longueur, dimen- sion convenant pour 8 élèves par table.

Quant à la construction des réfectoires et aux précautions à prendre en vue de la propreté et

de l'hygiène, vous n'avez qu'à vous reporter à ce que nous

avons déjà dit à ce sujet.

De même je n'ai rien à ajouter au sujet des cuisines; tout ce

que j'en ai dit s'applique encore ici.

Fig. 664. Réfectoire.

Les dortoirs appellent une attention toute particulière. Ils doivent être invariablement disposés en longueur, dans des

LYCÉES, COLLÈGES, ETC. 24I

bâtiments simples en profondeur, et avec deux rangs de lits •seulement. Dans certains établissements anciens, on trouve des dortoirs avec trois rangs de lits, c'est aujourd'hui con- damné. Non seulement le dortoir a des fenêtres des deux côtés, mais il n'est pas longé par des galeries même ouvertes. C'est bien un bâtiment simple en profondeur dans tout le sens de l'expression. Je vous prie à ce sujet de vous reporter au plan général de l'étage des dortoirs au Lycée de Grenoble (V. plus haut, fig. 660).

Le dortoir a pour dépendances nécessaires un cabinet de surveillant et un petit réduit pour une chaise percée; un local pour les lavabos et un autre pour le vestiaire des élèves. Ces deux locaux sont comme le dortoir lui-même éclairés et aérés des deux côtés : en réalité, ce sont des travées du bâtiment de dortoir prélevées pour cet usage spécial.

Constituant un bâtiment simple en profondeur, le dortoir est accessible par son extrémité; mais pour n'en pas faire une impasse, et surtout pour parer à tout danger de sinistre, on tient à ce que l'extrémité opposée à l'accès soit desservie par un esca- lier de service.

Voici les dimensions prévues au Lycée de Grenoble pour un dortoir de 34 élèves et un surveillant, soit 35 personnes : lon- gueur, 33 mètres; largeur 7 mètres = 235 ""', soit une surface de 6 ■" éo par personne, ou avec une hauteur de 4 mètres un cube de 26 "^ 40.

Vous voyez que nous sommes assez loin ici du cube d'air prévu pour les édifices hospitaliers. C'est que dans ces édifices il s'agit de vieillards, d'infirmes, de gens dont le voisinage est souvent malsain. Mais nous sommes d'autre part non moins loin des conditions dont on se contente pour les casernes. En tout cela, il fiiut bien le dire, la raison d'économie

Èlénunts et Théorie lU V Architecture. II. l6

242 ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

est plus OU moins impérieuse, et c'est elle qui domine les déci- sions à prendre.

Nous avons vu dans le dortoir théorique d'asile ou d'hospice autant de fenêtres que de lits, et par suite un entre axe de travées de bâtiment de environ 2 ■" éo à 2 ■" 70. Dans le lycée la place est plus mesurée aux pensionnaires, on place deux lits par tru- meau entre deux fenêtres. La largeur d'axe en axe est ainsi de environ 3 "^ ^o à 3 "' 50.

Et faites bien attention à cette mesure d'entre axe. Déterminée par les exigences du dortoir, elle régira par superposition les entre axes de la classe, de la salle d'études, du réfectoire, de tout ce qui peut se trouver au-dessous du dortoir. Là, en effet, les cotes pourraient varier davantage, celles du dortoir sont presque inflexibles, et votre devoir est d'y conformer votre composition.

Dans les lycées ou pensionnats de jeunes filles, on fait sou- vent pour les plus grandes les dortoirs avec des divisions analogues à des stalles. On est alors obligé d'écarter les lits des murs, car sans cela une division de stalle tomberait dans le milieu de chaque fenêtre. Ou bien chaque fenêtre se partage en deux châssis, chacun éclairant l'un des compartiments. Les cloi- sons séparatives de ces compartiments sont ainsi disposées alter- nativement dans les milieux des fenêtres et dans les milieux des trumeaux, comme vous pouvez le voir dans un exemple (fig. 665) emprunté à l'École normale d'Institutrices de Chaumont.

Quant aux infirmeries, la disposition est analogue à celle des dortoirs, sauf pour les chambres d'isolement : il est bon toute- fois que le cube d'air soit plus considérable, et par conséquent que les Hts puissent être plus espacés, soit que la composition permette un autre entre axe d'architecture, soit qu'on place un lit seulement par trumeau.

LYCÉES, COLLÈGES, ETC.

243

Le préau couvert n'est dans le lycée qu'une salle libre de tout mobilier, aussi grande qu'on peut la faire, et en communication immédiate avec le préau découvert : toujours avec aération bi- latérale.

Quant au préau découvert, ou cour de récréation, comprenez bien que ce n'est pas une cour quelconque, pratiquée pour les

Fig. 665. École normale de Chaumont. Plan du 2' étage. (Dortoirs.)

nécessités de l'éclairage et de l'aération, et dans laquelle les élèves prennent leur récréation; cela a souvent été ainsi, mais aujourd'hui on veut le préau nettement considéré comme une partie intégrante du prograrnme. Comme je vous l'ai dit pour les écoles, je le répète avec plus d'insistance ici il s'agit d'in- ternes, le préau doit être le plus possible ouvert à l'air extérieur; le soleil doit y pénétrer et en chasser l'humidité; l'encaissement, l'orientation au nord sont à rejeter.

Aussi, dans un lycée il y a internes et externes, vous pourrez avoir des cours qui seront, s'il le faut, entourées de bâtiments en tous sens, si ce sont des cours des classes ou de l'administration, et si d'ailleurs la composition l'exige; mais les cours-préaux devront être ouvertes, parce que ces cours ne sont pas un simple passage, ou un simple moyen de disposer un

244 ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

plan, ce sont je le répète des parties essentielles du pro- gramme : préau veut dire cour ouverte.

C'est dans les préaux et dans les cours des classes que se placent les cabinets d'aisances, dans de petits bâtiments spéciaux, analogues à ceux que je vous ai décrits à propos des écoles. On n'admet pas de cabinets d'aisances dans les étages : je crois, quant à moi, qu'il y a dans cette exclusion un reste de crainte motivée par d'anciens errements, et qu'il serait aujourd'hui très possible d'en constituer sans inconvénients dans les étages.

J'insiste enfin en terminant sur la facilité de surveillance qu'il est nécessaire d'assurer dans toutes les parties de l'édifice : elle sera toujours difficile, et il ne doit pas résulter de la composition des complications, des obscurités, des cachettes; tout doit être clair et bien visible, et l'édifice doit être un véritable édifice d'éducation.

, Permettez-moi donc avant de quitter ce sujet d'appeler ici votre attention sur la nature particulière de votre composition et de vos études quel que soit d'ailleurs le parti que vous aurez adopté en présence de ce programme.

Ici, pour les choses principales du moins, les mots ont un sens précis, je dirais presque géométriquement déterminé. Ail- leurs on vous demandera des salons par exemple : un salon peut être carré, rectangulaire, circulaire, ovale, ou participer de ces diverses formes. Une classe est une classe. C'est une salle presque invariable dans sa forme comme dans ses dimensions. Ailleurs le caractère ou votre volonté vous dicteront les dimensions de votre architecture, vos hauteurs d'étages, les espacements de travées; ici, tout est presque nécessaire, largeur des bâtiments, hauteur des étages, entre axes des travées. Vous devez composer, certes, mais composer avec des matériaux

LYCÉES, COLLIiGHS,. ETC. 245

invariables. Si dans ces conditions vous trouvez l'avantage d'être renseignés avec précision, il est incontestable d'autre part que ces exigences précises sont un frein et un assujettissement.

Faut-il le regretter? Non. Tantôt nos programmes sont libres et élastiques, tantôt rigides et précis. Acceptons-les tou- jours loyalement tels qu'ils sont, sans ruser avec eux, et nous en serons récompensés, car c'est ainsi seulemertt que nous caractériserons nos œuvres. Sans doute, entre les lycées, il y aura forcément une certaine uniformité, puisque les éléments en sont identiques; mais si l'étude est consciencieuse, ce lycée ne ressemblera ni à de l'habitation, ni à la simple école, ni à l'édifice hospitalier, ni à toute autre chose qu'un lycée : vous le reconnaîtrez à sa composition sans avoir besoin de lire l'in- scription sur la porte.

Mais lorsque vous aurez satisfait à ces nécessités inflexibles du programme, lorsque vous aurez ainsi rendu possibles pour les élèves l'instruction et le bien-être, n'oubliez pas qu'à leur âge la réclusion est contre nature, que l'internat est un empri- sonnement; les nécessités sociales peuvent l'exiger, l'enfance réclamerait le mouvement, l'expansion, tout ce que promet et permet le libre espace ! Cherchez à leur rendre la détention aussi supportable que possible, aimable s'il se peut; et ici, je vous le dis comme je vous le disais pour l'habitation, pour l'hospitalité, mettez-vous par la pensée à la place de ceux pour qui vous travaillez. C'est ainsi qu'ont été compris, dans leur aspect même, les lycées qu'on peut citer pour modèles, par exemple le Lycée Bufîon (fig. 666).

Dans tout ce qui précède, j'ai employé le mot Lycée, Je n'avais pas à répéter à tout instant les variantes de ce mot. Que ce soit un lycée, ou collège, ou pensionnat, qu'il soit laïque ou congréganiste, le programme reste le même, les éléments ne

24e

ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l'aRCHITECTURE

varient pas, la pensée qui doit guider l'architecte ne varie pas non plus : toujours l'hygiène, la lumière, la facilité de surveil- lance, et s'il se peut la gaieté des élèves.

A ce même groupe doit se rattacher le séminaire, bien qu'il

Fig. 666. Façade du Lycée Buffon.

reçoive des jeunes gens plus âgés que ceux qui fréquentent le lycée. A beaucoup d'égards, les éléments seront analogues, pour les classes, études, réfectoires, bibliothèques, salles de cours, etc. La différence est surtout en ce que tous les élèves sont ici des internes, mais des internes qui couchent dans des cellules et non dans des dortoirs. La cellule est même le lieu de travail du séminariste, en dehors des heures de travail en commun.

LYCÉES, COLLÈGES, ETC.

247

Les professeurs ecclésiastiques habitent aussi le séminaire, et prennent leurs repas avec les élèves; il y a donc dans le réfec- toire une place spéciale pour la table des maîtres.

Un seul préau découvert reçoit en même temps tous les sémi-

r

^V.A^JL4^

A, vestibule.

B, concierge.

C, parloir.

D, salon.

E, cloître.

F, enseignement.

G, salle d'exercices H, chapelle. I, sacristie. K, réfectoire. L, cuisine.

Ë^^fllOU

Fig. 667. Phn du grand séminaire de Rennes. (Les bâtiments hachurés ne s'élèvent qu'à rez-de-chaussée.)

naristes. Le plus souvent, ce préau est entouré d'un portique formant cloître, qui sert aussi de dégagement aux salles princi- pales. Le plan du rez-de-chaussée du séminaire de Rennes par H. Labrouste peut être proposé pour exemple (fîg. 667). Il faut seulement remarquer que le bâtiment disposé au fond du cloître, et qui comprend le réfectoire, la salle des exercices et la cha- pelle, et qui est hachuré sur le plan ci-joint, ne s'élève que d'un

248

ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

LYCÉES, COLLÈGES, ETC. 249

rez-de-chaussée, et laisse par conséquent pour le préau et les bâtiments plus d'aération qu'on ne le supposerait en voyant le plan. Les chambres des maîtres et les cellules des séminaristes sont au-dessus des portiques du cloître, sur trois sens, et des classes, parloirs, vestibules, etc., qui entourent ce portique; un corridor milieu dessert chaque étage de cellules. Des cabinets d'aisances sont disposés à chaque étage aux angles externes des bâtiments.

Comme vous le voyez, si le séminaire diffère assez sensible- ment du Lycée dans la pratique, c'est que le programme est lui-même assez différent, tandis que le petit séminaire n'est guère autre chose qu'un collège.

Enfin, c'est encore ici que je puis vous dire un mot des Écoles industrielles. Bien grande en est la variété, surtout pour la partie pratique. Car ces écoles ont nécessairement, avec plus ou moins d'ampleur, une partie consacrée aux études théoriques, qu'elles soient d'ailleurs internat ou externat : en cela, elles ne diffèrent pas sensiblement des lycées ou collèges. C'est la partie pratique qui leur est propre.

Là, il faut des ateliers de diverses natures, avec force motrice produite soit dans l'établissement, soit au dehors. Je ne saurais mieux faire que de vous montrer le plan de la plus récente réalisation de ce programme, à l'École des Arts et Métiers de Lille (fig. 668), par M. Batigny. L'école théorique est nettement séparée de l'école pratique par une grande cour, réservée aux exercices militaires; aucune symétrie ne pouvait être cherchée entre ces deux groupes généraux. Les ateliers sont affectés à l'étude des métiers les plus suivis dans la région : les industries des métaux et des textiles. Ce sont en réalité des hangars dont le plus important est l'atelier d'ajustage, accom- pagné des atehers de tours, modèles, scieries, fonderie, chau-

250 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l' ARCHITECTURE

dronnerie, forges, chacun sous la surveillance d'un ou plu- sieurs contremaîtres. Les textiles motivent les ateliers de fila- ture et dépendances et celui des objets confectionnés, qui est plutôt un dépôt.

Tous ces ateliers sont éclairés par des châssis verticaux, dont la plupart sont assez élevés pour que le plan n'en rende pas compte. Des jours horizontaux par lanternons vitrés complètent l'éclairage. La lumière est abondante partout. Ces ateliers ne sont pas chauffés, les élèves y sont placés à peu prés dans les conditions pratiques du travail industriel.

Cet exemple général suffira pour vous donner un aperçu des éléments de cet enseignement, avec cette réserve, bien entendu, que le programme différera pour chaque école, et que, par exemple, l'école du Livre et celle du Meuble, etc., auront des exi- gences tout autres. Question de programmes qui doivent être donnés à l'architecte avec précision. Pour vous, l'essentiel est de bien comprendre tout d'abord qu'à l'enseignement industriel vous devez offrir des locaux industriels, et non d'autres.

CHAPITRE III LES ÉDIFICES D'ENSEIQNEMENT SUPÉRIEUR

SOMMAIRE. Conception moderne de l'enseignement supérieur. Salles de cours : composition différente suivant la nature de l'ensei- gnement, le nombre des auditeurs, etc. Amphithéâtres demi-circu- laires — rectangulaires. Emplacement, accès. Pente des gradins. Programmes spéciaux. Éclairage.

Avec l'enseignement supérieur, les programmes deviennent beaucoup plus spéciaux, surtout pour les études scientifiques. Ici, entre l'architecte et le professeur, la collaboration est inévi- table et indispensable. C'est que le programme est souvent personnel : un savant, qui est ou qui se croit une lumière, ne pourra enseigner comme il le veut que dans des conditions déterminées par lui-même; le local d'enseignement sera entre les mains d'un Claude Bernard ou d'un Pasteur un instrument, et cet instrument, il le veut à son goût et à son idée.

Aussi arrive-t-il généralement que, après un professeur, son successeur trouve et déclare absurde tout ce qu'il a fait faire, et travaille à le faire transformer sinon détruire. Ce sont querelles de savants, dont nous n'avons pas à nous occuper. Mais nous devons tâcher de savoir du moins les vérités géné- rales et généralement acceptées qui régissent les compositions d'édifices destinés à l'enseignement supérieur, en nous rappelant

252 ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

que surtout l'architecte doit demander des programmes précis. L'architecte a pour mission, en effet, l'exécution loyale des programmes; mais à chacun sa responsabilité : si l'exécution du programme est défectueuse, la faute est à l'architecte; mais si c'est le programme qui est insensé, ainsi que les savants le disent volontiers lorsque c'est un autre savant qui l'a établi, la responsabilité doit en incomber à l'auteur du programme et non à l'exécutant.

Il est d'ailleurs juste de constater que la science va toujours se spécialisant et se subdivisant. Jadis, dans nos grands établis- sements d'enseignement supérieur, on avait par exemple un amphithéâtre pour les cours de physique, chimie, minéralo- gie, etc. Aujourd'hui, et provisoirement peut-être, il y a la chimie organique, la chimie inorganique, la chimie industrielle, etc., etc., et chacune de ces branches a besoin d'un instrument de démonstration différent. Dans l'histoire naturelle, c'est bien autre chose encore; et ainsi du reste. De cette subdivision de l'enseignement, il résulte nécessairement une variété infinie des programmes. Je ne pourrai les suivre dans tous leurs détails, ce serait fastidieux et sans utiHté. Lorsque vous serez en présence d'un programme bien spécial, vous l'étudierez spécialement : cherchons quant à présent les régies logiques et générales qui devront présider pour vous à ces recherches spéciales.

Au point de vue du programme général, la conception d'édi- fices distincts pour chaque Faculté, ou si vous le préférez pour chaque collectivité d'enseignement, se substitue de plus en plus aux anciens errements qui admettaient volontiers un Palais des Facultés. Cela existe encore chez nous pour la Sorbonne cohabitent la Faculté des Lettres et celle des Sciences ; mais en pratique, et la déclivité du terrain y aidant, ce sont en réalité presque deux édifices dans un même ensemble. Il faut bien

LES ÉDIFICES d'kNSEIGNEMEKT SUPÉRIEUR 2$}

concevoir en effet que, entre ces enseignements, il n'y a pas d'analogies, et qu'ils ne se prêtent ni aux pendants ni aux symé- tries. A Paris même, vous voyez la Faculté de médecine, celle de droit, installées dans des édifices spéciaux ; chacun peut alors satisfaire à son programme particulier, et ce ne sont pas les mêmes étudiants qui les fréquentent. Et il est de plus en plus permis de prévoir que pour une même Faculté il y aura sans doute dans l'avenir des lieux d'étude différents suivant la nature de l'enseignement. C'est ainsi que déjà, pour notre Faculté de médecine de Paris, sans parler de l'enseignement dans les hôpi- taux, vous voyez l'École de médecine proprement dite, l'École pratique, et l'École de physique, chimie et histoire naturelle. Mais revenons aux éléments de ces édifices.

De même que dans l'école ou le lycée nous avons d'abord étudié la classe, ici nous devrons étudier d'abord la salle de cours ou amphithéâtre.

Peut-être n'existe-t-il pas de programme qui exige autant que celui-là une réaction vigoureuse contre de très fâcheux errements d'école. Encore aujourd'hui, vous projetez une salle de cours, soit demi-circulaire, soit rectangulaire, sans savoir pourquoi, pour varier, ou parce que, dites-vous, cela tait bien en plan ! Que cette salle de cours soit destinée à des leçons littéraires, aux sciences mathématiques ou à des cours de physique ou chimie, peu vous importe, ce n'est pas cela qui déterminera la forme que vous lui donnerez. Très souvent, vous engagez ces salles de cours au milieu de bâtiments sans relations réciproques, loin des services avec lesquels elles devraient avoir des rapports de tout instant. Vous poursuivez une autre idée, celle de ce que vous appelez un beau plan.

Or, dites-vous bien que s'il y a des salles de cours qui sont

254 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l' ARCHITECTURE

demi- circulaires, d'autres qui sont rectangulaires, c'est qu'il y a pour cela des raisons, et des raisons tirées de la nature même de l'enseignement qui s'y donne. Dites-vous bien qu'une salle de cours a besoin de lumière et d'air, qu'il faut que tout y soit vu par tous; que le professeur voie ses auditeurs, que les audi- teurs voient et entendent le professeur; que les uns et les autres voient le tableau, les cartes de géographie, les expériences; que le professeur puisse lire ses notes, les auditeurs écrire et parfois dessiner; que lors même qu'il n'y aurait eu dans une salle que quelques personnes pendant une ou plusieurs séances, il faut renouveler l'air ; que c'est bien plus nécessaire encore si la leçon comporte des exhibitions de cadavres ou des expériences parfois nauséabondes et même malsaines. En un mot qu'une salle de cours est faite pour satisfaire à son programme, et non pour motiver une courbe gracieuse sur le papier au fond d'un plan.

La vérité, vous dis-je, la vérité !

Quelle que soit la destination d'une salle de cours, qu'elle soit littéraire ou scientifique, il y a donc toujours un même but à poursuivre : il faut que les auditeurs entendent et voient le mieux possible, il faut que le professeur puisse se faire entendre et voir avec le minimum de fatigue. Aussi faut-il qu'une salle de cours ne soit pas plus grande qu'il n'est nécessaire, et lorsque le nombre d'auditeurs est fixé, les dimensions de la salle sont fixées par cela même. On peut compter, pour un avant-projet, que la surface des salles de cours peut être calculée d'après les bases minima suivantes : deux auditeurs et demi par mètre super- ficiel pour les cours purement oraux, lettres, histoire, etc., soit cinq pour deux mètres superficiels; et deux auditeurs par mètre pour les cours scientifiques. Cela ne veut pas dire que

LES ÉDIFICES D ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR 2)5

deux auditeurs occupent un mètre, car dans cette évaluation sont compris les espaces pris par les passages, l'estrade du pro- fesseur, etc. Ces évaluations, je le répète, sont des minima. Suffisantes si l'amphithéâtre est destiné à des cours nombreux, elles ne le seraient plus pour un petit nombre d'auditeurs. C'est toujours le cas des frais généraux qui sont d'autant moins élevés proportionnellement qu'ils portent sur un plus vaste ensemble. Seul donc un plan précis vous permettra de vous rendre exacte- ment compte des dimensions nécessaires, mais ces données pré- paratoires sont suffisantes tant que vous en êtes à préparer la composition générale.

Vous voyez d'ailleurs par combien on exagère lorsqu'on parle à tout propos d'amphithéâtre pour i.ooo ou 1.500 per- sonnes, c'est-à-dire 500 ou 750 métrés superficiels, en moyenne l'équivalent d'un carré de 25 mètres de côté. Sans doute, exceptionnellement, l'homme peut se faire entendre dans une plus grande salle. Mais pour un cours dont les séances sont fréquentes et longues, les dimensions ont des limites, celles de la possibilité d'audition, et celles de la fatigue du professeur. Kt puis, y a-t-il donc beaucoup de cours qui réunissent i.ooo étudiants ?

Évitez donc les salles de cours inutilement grandes, ne dépassez pas les limites de l'audition et de la vue, ni celles de l'émission de la voix. Je vous disais l'an dernier, en parlant des proportions, combien sont disproportionnés ces plans la lar- geur d'une cour d'honneur est la largeur même d'un amphi- théâtre : vous voyez aujourd'hui la démonstration de cette vérité.

Quant à la forme à donner à une salle de cours, elle dépendra de bien des choses, et il n'y a pas ici de règle simple à formu- ler. Pour déterminer cette forme, il faudra tenir compte de la nature de l'enseignement, du nombre d'auditeurs, de la grandeur

256 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE L ARCHITECTURE

effective des nécessités d'éclairage et d'aération, des relations avec les services voisins.

Pendant longtemps, on n'a compris l'amphithéâtre que sous forme de demi-cercle. Les architectes, frappés de la beauté des théâtres antiques et désireux de se mesurer avec ce bel élément de composition, adoptèrent cette forme avec d'autant plus d'em- pressement qu'elle était parfaitement logique lorsque l'enseigne- ment était avant tout dans la parole. C'était le temps des cours restés célèbres de Guizot, de Villemain, de Cousin. Voulez-vous la démonstration de cette logique ? Voyez ce qui se passe lors- qu'un orateur en plein vent débite ses discours sur une place publique : son auditoire émerveillé fait cercle autour de lui, ou plus exactement fait un demi-cercle un peu allongé; on vou- drait être en face, mais si les places de face sont prises, plutôt que d'être trop loin on se met sur l'un des côtés, et la forme demi-circulaire se réalise d'elle-même, sans que rien la trace ni l'impose.

Le plan en demi-cercle fut donc longtemps le plan unique des amphithéâtres ; tellement que si vous entrez un jour au grand amphithéâtre du Muséum d'histoire naturelle, vous voyez du dehors un édifice carré : la porte franchie, c'est un demi-cercle : exemple frappant de ces mensonges artistiques que j'ai recommandés à toute votre aversion. Voyez-le cet amphithéâtre, non comme modèle à coup sûr, mais comme curiosité : je dirais presque comme les jeunes Spartiates regar- daient les ilotes ivres pour se préserver de l'ivresse.

La forme demi-circulaire reste la plus convenable dans un grand nombre de cas. Je ne puis vous les citer tous sans omis- sions, mais je chercherai du moins à vous montrer les raisons qui, suivant le programme à satisfaire, devront vous faire adopter ou rejeter cette forme. J'ai d'ailleurs eu soin de contrô-

LES ÉDIFICES d'eNSEIGNEMENT SUPÉRIEUR 2)7

1er mes appréciations par celles, très autorisées, de M. Nénot qui a eu plus que personne à étudier les besoins de l'enseigne- ment supérieur, et qui a bien voulu me livrer pour vous tous les secrets de ses études. Et pour vous permettre de saisir ce qui va suivre, je vous montrerai tout d'abord, à une échelle malheureusement trop réduite, les plans des deux principaux étages de la Nouvelle Sorbonne (fig. 669).

La salle demi-circulaire ne convient cela n'a guère besoin de démonstration que pour un public déjà assez nombreux. Lorsque l'enseignement s'adresse à cinquante ou même à cent auditeurs, quelque transcendant qu'il puisse être, la salle de cours est toujours la classe que nous avons vue dans l'école et le lycée.

Quelle est en effet la justification de la forme demi-circu- laire? Elle a certes beaucoup d'inconvénients, construction compliquée, difficultés d'éclairage et de plafonds, disposition difficile dans un plan d'ensemble, accès souvent difficiles aussi; mais elle réalise ce problème : grouper à portée d'un orateur un grand nombre d'auditeurs, avec le minimum possible de distance de l'un aux autres. Supposez en effet 500 personnes groupées en demi-cercle, à raison de 2 par mètre. Si nous sup- posons le demi-cercle pur, son rayon sera :

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12™ 60

Si nous supposons au contraire une salle rectangulaire en longueur, telle que la nef d'une église, et si nous donnons à cette salle 10 mètres de largeur, il lui faudra 25 mètres de

longueur.

Ainsi dans le premier cas (demi-cercle) les auditeurs les plus éloignés seront à 12 "^ 60 du professeur, dans le cas du rectangle de 10 mètres de largeur, ils en seraient à 25 mètres, un peu

ÉUmenis il Tbiorit de l'Arcbitecturt. II. J7

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258

ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l' ARCHITECTURE

Fig. 669. La Nouvelle Sorbonne. Plan du rez-de-chaussée.

La Nouvelle Sorbonne Plan du premier étage.

.. ..phUbéitres. - ., salles de cours e, de co^rençes - ■•-f^l^rco^sV^ïi^Îr - 1;^^:! ^""hlX::

3, laboratoires. - 4, bibllothèqaes. - S, salles de baccalauréat. - S, '/'Jf„tï'°l"''",,„ je conférences. - 10, bibliothèques.

t 6, grand escalier. - 7, vestibule. - 8, admm.strauon et - l'^''}^^''^^J^l^lfl\Xi"Z,xoir^. - h. collections,

personnel. 9, salles des autorités. " > '

LES ÉDIFICES d'eNSEIGNEMENT SUPÉRIEUR 259

plus mcme, à la diagonale. J'ai pris pour exemple une salle de 10 mètres, qui serait très étroite, mais, comme toujours, j'ai un peu exagéré afin d'être mieux saisi.

Donc, première conclusion : la salle demi-circulaire ne con- vient que pour des auditoires assez nombreux. Vous ne vous figurez certainement pas une salle de cette forme ayant moins de 10 mètres de diamètre : celle-ci contiendrait environ 150 personnes. Pour 100 auditeurs, cela en vaudrait-il la peine? A moins de nécessités spéciales j'en doute, car pour ces 100 per- sonnes il faut 50 mètres superficiels, et une salle de 50 mètres superficiels, c'est-à-dire l'équivalent de 7 mètres au carré, ne saurait, en forme rectangulaire, exposer à aucun mécompte ni pour la vue ni pour l'audition.

Je dirai même que, si la nature de l'enseignement exige une disposition conique des gradins, et si la salle est d'ailleurs petite, il vaut mieux encore disposer ainsi les gradins dans une salle carrée ou rectangulaire : s'il y a ainsi un peu de place per- due dans les angles, la construction est tellement plus simple, les accès et l'éclairage tellement plus faciles, que ce très petit inconvénient disparaît devant l'avantage des résultats obtenus. C'est ainsi que, dane l'antiquité même, tandis que vous voyez le grand théâtre de Pompéi (fig. 670) établi dans un monu- ment demi-circulaire, le petit théâtre (fig. 671) a ses gradins disposés en cône dans une salle presque rectangulaire.

Voilà pour le nombre. Maintenant, quels seront les éléments de destination qui justifieront la disposition demi-circulaire? Vue ou audition, ils se traduisent d'un mot : la convergence.

Ainsi, cette forme sera excellente pour l'enseignement litté- raire — toujours à condition que l'auditoire soit nombreux. Là, en effet, il s'agit d'écouter un orateur, rien de plus; et par litté- rature, j'entends aussi bien le droit, l'érudition, etc.

2 6o

ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

Dans l'enseignement scientifique, elle sera nécessaire aussi lorsque les auditeurs sont aussi les spectateurs d'une expérience faite sur la table d'enseignement, lorsqu'il faut que les regards

Fig. 670. Plan du grand théâtre de Pompéi.

convergent sur l'objet montré, car alors on obtient le minimum de distance visuelle pour les spectateurs les plus éloignés. Ceux des premiers rangs verront mieux, cela va de soi, mais aucun ne sera à une distance excessive ou bien c'est que la salle de cours sera trop grande.

LES ÉDIFICES d' ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR

261

Mais lorsque dans un enseignement, littéraire ou scientifique, la vision doit être parallèle et non convergente, en d'autres termes lorsque le tableau est l'objectif princi- pal du cours, la forme demi- circulaire ne vaut plus rien. On ne peut utilement voir un tableau sous un angle trop oblique, et le tableau de démonstration a pour con- séquence la disposition des bancs ou gradins parallèle- ment à sa surface ; il faut de plus que ces gradins ne

,, j. Fig. 671. Petit théâtre de Pompéi.

commencent qua une dis- tance suffisante pour que les extrémités du premier rang ou des premiers rangs ne soient pas sacrifiées.

Et par tableau il faut entendre ici non seulement le tableau noir, mais la grande carte de géographie ou le châssis à projections.

Il peut arriver d'ailleurs que les nécessités de l'en- seignement soient presque contradictoires : ainsi, dans

un cours de physique, vous ^.^ ^^^ _ ^^^^ ^^ ^^^ ,„,pM,héi.re de aurez l'expérience avec ses iécoIc Poiytechn.que.

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nécessités de convergence, 'deséièves. -j.trib.mesiièuges.-r.gT.ndcbâied-mtro- ductton des rsyons soUtres.

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202

ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

et le tableau avec ses nécessités de parallélisme. Aussi parfois faut-il adopter une solution en quelque sorte transactionnelle, au moyen de gradins en arc de cercle, ni tout à fait convergents vers la table d'expérience, ni tout à fait parallèles au tableau. Tel est le cas de l'amphithéâtre de physique de l'École Poly-

Fig. 673. Coupe minsversale de l'amphithéâtre de l'École Polytechnique.

technique, salle rectangulaire assez vaste pour recevoir au besoin les deux promotions de l'École, et dont les gradins sont dispo- sés en arc de cercle (fig. 672, 673, 674). Mais cette disposition de gradins serait illusoire dans une salle plus profonde. Ainsi, dans le grand amphithéâtre du Conservatoire des arts et métiers,

LES EDIFICES D ENSEIGNEMENT SUPERIEUR

263

qui est rectangulaire et très allongé (fig. 675), les gradins supérieurs arrivent à être presque parallèles au tableau.

Ainsi, vous le voyez, lorsqu'on dit quelquefois : la forme demi-circulaire convient pour l'enseignement littéraire, la forme

Fig. 674. Coupe longitudinale de l'amphilliéàtre de l'École Polytechnique.

rectangulaire pour l'enseignement scientifique, c'est une formule beaucoup trop simple.

L'hémicycle convient aux grandes salles de cours pour l'ensei- gnement littéraire, littérature, philologie, langues étrangères, droit, théologie, etc. pour l'enseignement de l'histoire, s'il est distinct de la géographie et de l'archéologie, car pour ces

264

ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l'aRCHITECTURE

dernières études il faut des surfaces d'exposition pour les cartes, dessins, etc., et châssis de projection.

Dans l'enseignement scientifique, la forme demi-circulaire.

Rez-de-chaussée. i" étage.

Fig. 675. Grand amphithé.itre du Conservatoire des Arts et Métiers.

A, table dn professeur. B, tableau. C, double fourneau avec écran. D, accès des auditeurs. E, salle de préparation des cours.

radicalement inadmissible pour toutes les sciences mathéma- tiques, astronomiques, etc., est préférée pour l'enseignement de la chimie, de la physique expérimentale, des sciences médicales, lorsqu'elles ne sont pas descriptives (comme l'anatomie figurée), et de presque toutes les sciences naturelles.

LES I-DIFICES d'enseignement SUPÉRIEUR

265

Toutefois, la plupart de ces derniers enseignements ne com- portent jamais assez d'auditeurs pour motiver une salle demi- circulaire. Ainsi les cours spéciaux d'histoire naturelle l'herpétologic par exemple réunissent quelques étudiants seulement. Alors le cours se fait dans une chambre, dans une dépendance quelconque du laboratoire.

Au surplus, les programmes d'enseignement supérieur viennent de faire l'objet, à la nouvelle Sorbonne, d'installations qui correspondent très exactement à l'état de la science et aux aspirations de l'enseignement. Il est donc utile de mettre sous vos yeux un tableau comparatif de quelques salles de cours, avec leurs formes et le nombre approximatif d'auditeurs.

SALLES EN HÉMICYCLE

ENSEIGNEMENT SCIENTIFIQUE

ENSEIGNEMENT

Chimie

DIAMÈTRE

SURFACE

NOMBRE

officiel d'auditeurs

NOMBRE

par mètre '

16" 00 ptrtie droite 5" 50

13» 00 partie droite 2" 50

188" 50 98-80

350 150

1.86 1.52

ECLAIRAGE

2" SALLES RECTANGULAIRES

ENSEIGNEMENT SCIENTIFIQUE

Physique (gradins ( long. 15" 30 courbes en arc de cercle) ( larg. 11" 50 ) '7°"

Physiologie .

long. I3" 00 ) larg. 7"» 00 •*

500 160

1.70 1.90

ENSEIGNEMENT LITTÉRAIRE

latéral et vertical.

latéral et vcnicâl.

bilatéral, unilatéral.

Littéraire .

Id.

long, II" 00 larg. 9" 00

long. Il" 00 larg. 9"" 00

99"

108"

J50

J.31

unilatéral, bilatéral.

266 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l'aRCHITECTURE

Le tracé, purement schématique, les plans de ces diverses salles (fig. 676 à 681) vous rendra compte de leur disposi- tion, et vous en fera comprendre les motifs pratiques aux- quels il faudrait cependant pouvoir ajouter ceux qui provenaient des nécessités d'une composition générale, à laquelle il faut parfois subordonner dans une certaine mesure les exigences propres d'un programme spécial.

Ainsi donc, suivant les cas, vous ferez des salles de cours semi-circulaires ou rectangulaires : d'ailleurs, vous ne vous déciderez qu'après vous être bien mis d'accord avec l'enseigne- ment intéressé, et, laissez-moi ajouter, après vous être assuré la constatation de cet accord.

Ceci établi, quant à la forme de la salle de cours, il vous restera de nombreuses questions à résoudre.

Tout d'abord, quelle sera, dans une composition générale, la position relative de cette salle de cours?

Ici, la réponse sera toujours la même, mais c'est surtout en pensant aux cours de sciences que vous en trouverez la démons- tration : il faut que l'enseignement et les auditeurs aient chacun des accès distincts. Dites-vous bien en effet qu'une disposition comme celle de l'Hémicycle de notre École (fig. 682) qui est d'ailleurs une salle exquise peut convenir pour des séances officielles, à la rigueur pour un cours qui n'a besoin d'aucune dépendance : et encore l'entrée des auditeurs par des portes pratiquées dans le mur auquel s'adosse l'orateur est une grande cause de trouble et de confusion. Mais si la salle de cours, comme c'est toujours le cas, doit être accompagnée de dépendances nécessaires à l'enseignement; si même, comme c'est la vérité aujourd'hui dans l'enseignement scientifique, la salle de cours n'est réellement qu'une annexe des laboratoires, vous devez comprendre l'impossibilité radicale d'un accès

LES HDlHICnS d'enseignement SUPÉRIEUR

267

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268 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l'aRCHITECTURE

unique. Cela serait aussi illogique que si, dans un théâtre, le public entrait et sortait par le mur de la scène.

Ainsi donc, un accès pour les auditeurs, et à l'opposé un accès pour l'enseignement.

L'accès du professeur sera généralement facile, car sa place sera de plain-pied avec l'étage. Cette entrée aura toujours lieu par une porte latérale.

L'accès des auditeurs est plus difficile à étudier. Si la salle de cours est en gradins, comme c'est toujours le cas pour les salles

importantes, T'accès aura généralement lieu par le haut des gradins, et dés lors nécessitera des escaliers. Or, c'est une grande faute, que nous voyons souvent dans vos plans, de supposer ces escaliers dans la salle. Dans ces Fig. 682. - pun de l'hémicycle de condltlons le brult des allées et venues rÉcoiedesBeaux-Ans. ^^^ intolérablc, et il est nécessaire que

les escaliers soient en dehors des salles. Quant aux entrées des auditeurs, il est bon, si la salle est grande, qu'il y en ait plu- sieurs, et avec des tambours. Il faut éviter qu'un auditeur pour gagner sa place ou en sortir ait à déranger plusieurs personnes. Dans les salles rectangulaires, la meilleure disposition serait assu- rément celle que nous avons vue dans les classes des écoles, par petites tables de deux places. Dans les salles demi-circulaires, cette disposition ne peut être réalisée; il faut au moins que les passages soient assez nombreux pour que les rangées d'au- diteurs ne soient pas très longues.

Quant à la pente des gradins, il est nécessaire pour la bien étudier de tracer une épure de coupe (fig. 683). Vous verrez par que les premiers rangs peuvent avoir une pente peu prononcée, tandis que, à mesure qu'on s'éloigne du professeur,

LES ÉDIFICES d'eNSEIGNEMENT SUPÉRIEUR

269

cette pente doit augmenter. La section générale sera donc courbe, et ce n'est que pour plus de simplicité que j'ai employé plus haut le mot conique. Cette courbe est nécessaire aussi bien dans les salles rectangulaires que dans les hémicycles. Dans le premier cas, elle détermine une surface réglée, qui est cylin- drique; dans le second cas, c'est une surface de révolution, qui donne à peu prés l'illusion d'un cône, mais qui n'en est pas un en réalité. Vous verrez même que, avec certaines données du problème, la courbe, très rapide au sommet de l'amphithéâtre, devient tangente à l'hori- zontale à sa partie infé- rieure, et va jusqu'à se relever en approchant de l'estrade. C'est le résultat presque paradoxal qu'on obtient par l'étude précise d'un parquet de théâtre, par exemple.

... •»• Fig. 683. Pente de gradins.

Ainsi, et j insiste encore sur ce point, à propos de la disposition des gradins et de la coupe de salle qui en résulte, vous devez vous demander avant tout dans une salle de cours quel sera son objet visuel : pro- fesseur, tableau, table d'expériences : cette disposition en dépen- dra. Je veux vous citer à cet égard un exemple très curieux et très probant. A la Sorbonne, pour la chaire de physiologie, il y a une salle de cours, très petite, pour 30 ou 40 auditeurs au plus. Sa destination, c'est de faire, en présence des étudiants, des expériences de vivisection. Il faut donc, pour que la démonstration requise ait lieu, que tous les étudiants puissent voir au moment même le phénomène à démontrer, par exemple la pulsation d'une artère. Or, la distance visuelle ne peut guère

270

ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l'aRCHITECTURE

pour cela dépassser 2"^ 50. Le problème est ici bien spécial. Voici comment il a été résolu :

La salle dont je vous donne un croquis schématique de coupe (fig. 684) est circulaire ; au fond est la table sur laquelle est assujettie la victime, cette table est montée à pivot, au centre d'un petit espace circulaire, juste de la grandeur nécessaire pour recevoir cette table et l'opérateur. Un premier gradin, élevé, reçoit un premier rang d'étudiants, debout, accoudés à une

balustrade qui surplombe. Un second gradin, plus élevé, reçoit un deuxième rang d'étudiants, également debout, également accoudés à une balustrade en surplomb. Ici donc, le professeur est au fond d'un entonnoir dont les parois sont constituées par trois rangs circu- laires de spectateurs, dont les têtes forment un cône très raide. Le tout est éclairé par un seul jour vertical à plomb du cercle inférieur. Dispo- sition exceptionnelle comme le programme qui la motive : avant tout, il faut voir et voir de près : ici, on ne prend pas de notes, on regarde une opération forcément assez courte, on écrira ensuite. Rien ne peut mieux vous montrer combien à chaque variété d'enseignement doit au besoin correspondre une variété spéciale de disposition.

De même, des dispositions spéciales sont nécessaires pour les salles de cpurs il faut montrer des expériences dont la prépa- ration doit être immédiate : physique, chimie, etc. Autrefois, je vous parle des cours de Pouillet, de Despretz, etc., des garçons de salle apportaient l'objet d'expériences par une porte qui reliait la salle à un laboratoire plus ou moins voisin : s'il

Fig. 684. .\iiiphillié.itre de vivisection.

LES ÉDIFICES d'eNSEIGNEMENT SUPÉRIEUR 27 1

s'agissait de chaleur, par exemple, vous jugez combien l'expé- rience pouvait être compromise par le refroidissement de ce transport à la grande joie, j'en conviens, des auditeurs pour qui une expérience manquéc était un régal de fête. Maintenant CCS amphithéâtres sont en communication immédiate par de larges parties ouvrantes avec la hotte du laboratoire de prépara- tion, l'objet passe instantanément du laboratoire à la table de démonstration. Souvent mêrne la salle de cours a sa hotte à elle et l'expérience se prépare sous les yeux même du public. Il faut cependant un tableau noir, bien en face lui aussi du public. Rien de plus simple : le tableau est devant la hotte, il la ferme lorsque besoin est, le professeur ayant tantôt à montrer l'expérience, tantôt à écrire des formules au tableau. Pour cela, le tableau monte et descend, comme un tablier de cheminée. Si le tableau est de petites dimensions, on le manoeuvre à la main; il est équilibré par des contre- poids. Tel est celui de la salle je parle. Si le tableau est très grand, il est soit par l'action hydraulique, soit par un mécanisme électrique : il suffit de presser un bouton. Il en est de même du châssis à projec- tions. L'amphithéâtre de physique de l'École Polytechnique (V. plus haut, fîg. 672) est un exemple de cette disposition.

Je vous citerai enfin une forme particulière de salle de cours, adoptée par L. Ginain, à l'École pratique de médecine. Dans une salle demi-circulaire, il est certain que les places trop laté- rales, aux extrémités du diamètre parallèle à la table ou au tableau d'enseignement, ne sont pas bonnes, et que la voix y parvient mal. L'amphithéâtre dont je vous parle est donc consti- tué par une partie en quelque sorte angulaire, avec un mur courbe en avant du sommet de l'angle droit, et par un autre arc de cercle concentrique aux gradins (fig. 685). C'est presque l'un des cunei (coins) des théâtres antiques. Cette forme est très judicieuse.

272

ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

Dans tout cela, il faut bien voir; pour bien voir, il faut que la salle soit bien éclairée. De grâce, pensez-y bien, et ne faites pas de salles de cours qui soient obscures.

Défiez-vous des plans qui enferment une salle de cours dans une opacité de bâtiments compacts. Une salle de cours est une salle qui a des fenêtres, je suis presque honteux d'avoir à vous le dire.

Comme pour les classes, l'éclairage sera unilatéral si la salle est restreinte et si sa hauteur peut être au moins les deux tiers

de sa largeur, toujours avec les fenêtres à la gauche des auditeurs. Les fenêtres doivent monter aussi haut que pos- sible, et descendre assez bas, N-.*. :«J>'^>;~-<^4| î:.i^ V car si les appuis sont trop ^ I '^^^f^'^^,^"'"'' r élevés, les auditeurs voisins . J î ^ y des fenêtres sont dans l'ombre

des appuis. Si la salle dépasse 7 à 8 métrés de largeur, l'éclairage bilatéral s'impose. Enfin pour les grandes salles il vous faudra le jour du haut, mais sans préjudice des fenêtres. Ainsi, pour les salles en hémicycle, il sera généralement néces- saire d'avoir un plafond vitré dans sa partie centrale, mais il y aura aussi des fenêtres. Remarquez d'ailleurs que les fenêtres sont le meilleur moyen de renouveler l'air entre les leçons. Mais cela n'empêche pas l'emploi des moyens de ventilation artificielle nécessaires pendant les leçons mêmes, surtout pour la chimie, l'anatomie, etc.

Le meilleur éclairage pour une grande salle de cours est la lumière diffuse, celle qui vient de tous les côtés à la fois : d'en haut, de droite, de gauche, d'en face. Si le soleil est momenta-

Fig. 685.

- Salle de cours de TËcole pratique de médecine.

LKS ÉDIFICES D ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR 273

némcnt gênant, on peut toujours s'en défendre par des stores.

L'éclairage du soir est facile, surtout avec la lumière élec- trique. Des lampes nombreuses disséminées en des points mul- tiples du plafond constituent un très bon éclairage.

Enfin, il faut à volonté pouvoir produire l'obscurité, pour cer- taines expériences d'optique, et pour les projections. Pour cela, les fenêtres et le plafond vitré, s'il y en a, sont munis de stores épais qui s'abaissent devant les fenêtres ou s'étalent horizontale- ment sous les vitrages des plafonds. Une manoeuvre électrique commande instantanément cette obturation.

ÉUmenIs cl Thiorit de l'Arcbitature. II. t8

CHAPITRE IV LES ÉDIFICES D'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR

SOMMAIRE. Les très grandes salles de cours, ou de solennités. Leur utilisation possible, leurs accès. Difficultés acoustiques. Dépendances des salles de cours. Chauffage. Salles de confé- rences. Salles d'examens.

Il me reste à vous parler des très grandes salles de cours. Elles sont exceptionnelles par leur programme, par leurs dimen- sions, et sont en très petit nombre. Cependant, de ce que ce programme est très exceptionnel, ce n'est pas une raison pour ne pas le traiter.

Ces salles de cours servent aussi de salles de séances solen- nelles, distributions de prix, etc. Leur programme unique est en somme de contenir beaucoup de monde, en le mettant à même de voir et d'entendre, moins bien sans doute que dans une salle plus restreinte, mais encore suffisamment. Comme nous l'avons vu d'ailleurs, il leur faut deux accès distincts, l'accès du public et celui de l'enseignement ou du cortège officiel. Naturel- lement, il faut des dégagements nombreux pour l'entrée et sur- tout pour la sortie. Si l'on entre peu à peu, on sort tous à la fois. C'est presque le programme d'une salle de théâtre, et c'en est presque la composition. Vous voyez donc combien sont peu pratiques les plans une grande salle de ce genre est rejetée

276 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE L ARCHITECTURE

en dehors de la composition, avec un même vestibule d'accès pour le public et pour le corps enseignant ou les gens de l'es- trade. Et c'est pourtant ainsi qu'on a longtemps composé, et que vous composez encore pour que, sur le papier, votre plan se termine par un demi-cercle qui, dites-vous, le finit bien. Comme si cela signifiait quelque chose !

Dans ces très grandes salles, l'écueil est dans la trop grande distance de l'auditeur à l'orateur. Je dis l'orateur, parce qu'ici l'enseignement devient forcément du discours, et d'ailleurs ces salles sont interdites à l'enseignement scientifique. Ni le tableau ni la table d'expérience ne permettent de pareilles distances. Aussi ces très grandes salles seront-elles presque nécessai- rement demi-circulaires : le demi-cercle, nous l'avons vu, est la forme qui assure le minimum de distance à nombre égal entre l'orateur et les auditeurs les plus éloignés. Elles com- portent aussi la multiplication des places au moyen de tribunes.

Ainsi, voilà une salle demi-circulaire, et supposons-la de 40 mètres de diamètre. Si, pour la facilité du raisonnement, je suppose le demi-cercle pur, sans aucun prolongement, cette salle aura donc plus de 1.250 mètres superficiels. Le dernier rang d'auditeurs sera à 20 mètres, en projection horizontale, du centre que je suppose occupé par l'orateur. Verra-t-il, entendra- t-il ? Telle est la double question que doit se poser l'architecte, non sans anxiété.

Si la salle est bien éclairée (toujours ce postuJatuni), il verra autant que ses yeux lui permettent de voir, à 20 ou 22 mètres. Il ne verrait pas une expérience, mais il verra le geste de l'ora- teur. Dans l'espèce, cela suffit.

Entendra-t-il ? La question est plus douteuse. Il risque en effet deux échecs : entendre insuffisamment, ou entendre deux fois, ce qui est une autre manière de ne pas entendre.

LES I-DIFICES d'enseignement SUPÉRIEUR 277

Je n'ai pas la prétention, croyez-le bien, de vous faire un cours d'acoustique. Ce n'est pas mon domaine, et d'ailleurs j'ai sur l'acoustique une opinion qui ne me permettrait guère de l'enseigner : c'est que c'est la science des déceptions et des erreurs. Je m'empresse de proclamer, si l'on y tient, que c'est une science, une science très exacte, très certaine, très infaillible, comme d'ailleurs toute science doit être par définition. Mais aussi une science qui joue de malheur, car elle n'a rien pu conclure, et c'est toujours au tâtonnement, pour ne pas dire à l'empirisme, qu'il lui faut demander des solutions.

Mais sans pédantisme, sans mots tirés du grec, il y a des notions de bon sens et d'expérience pratique qui peuvent mettre en garde contre certains dangers, et il faut d'abord voir ce qu'on peut craindre, pour étudier les moyens de dissiper ces craintes.

Comment entendons-nous en plein air, comment dans une salle? En plein air, je suppose en rase campagne, nous enten- dons presque uniquement par la perception directe du son. Une personne parle, une autre en est à lo mètres, elle entend la première, parce que de la première à la seconde le son a suivi une ligne droite, et comme le son parcourt 340 mètres par seconde, il est perçu par l'auditeur 1/34 de seconde après avoir été émis par l'orateur. Le son ici n'est pas multiplié : les rayons sonores qui passent à côté de l'auditeur vont se perdre dans les espaces lointains, il n'en perçoit rien. Tout au plus un certain renforcement du son est-il à la réflexion sur le sol, si sur- tout ce sol est uni, comme par exemple un dallage ou un simple trottoir. Le renforcement du son sur une nappe d'eau est un phénomène bien connu.

Il n'en va pas de même dans une salle. l'auditeur perçoit d'abord le son venu en droite ligne de l'orateur à lui. Mais, de plus, les rayons sonores passant à côté de lui vont rencontrer

278 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l'aRCHITECTURE

des murs, un plafond, des vitrages, etc. Ils sont renvoyés par ces surfaces et une partie de ces sons réflécJns arrive à l'auditeur un peu après qu'il a perçu le son direct.

Si cet intervalle est assez minime pour ne pas être appréciable, ce faisceau de rayons sonores, bien que frappant l'oreille succes- sivement en réalité, produit pour nous l'effet d'un son unique, mais d'un son majoré : voilà pourquoi nous entendons mieux dans une salle qu'en plein air, et mieux encore dans une salle dont les parois sont plus réfléchissantes du son, par exemple des boiseries.

Mais s'il se passe, entre l'arrivée du son direct et l'arrivée du son réfléchi, un espace de temps saisissable pour notre oreille, alors il y a écho ou redondance et l'audition perd en netteté ce qu'elle gagne en volume. Les sons se confondent et se mélangent, on entend un bruit, on n'entend pas une articulation. C'est un son répété, et non plus un son renforcé.

Il est évident n'est-ce pas que si vous êtes à l'entrée d'une salle qui ait 170 mètres de long; si avec un instrument bruyant vous frappez des notes scandées à intervalles réguliers, ces notes vous reviendront après avoir fait 1 70 métrés à l'aller, 1 70 mètres au retour, c'est-à-dire au bout d'une seconde. Si la mesure de vos notes battues et la durée d'une seconde sont deux nombres inégaux, la cacophonie déjà formidable en tous cas deviendra quelque chose d'épouvantable

La conclusion, c'est qu'il ne faut pas de distances qui exposent au son double ni au son qui, sans être distinctement doublé, serait prolongé d'une façon sensible : pas de distances exces- sives si les parois sont très réfléchissantes, ou alors il fliut sup- primer les renvois de son- réfléchis; il faut que le son réfléchi soit perçu comme ne faisant qu'un avec le son direct. com- mencent les dispositions dangereuses ?

LES ÉDIFICES d'eNSEIGNEMEÏÏT SUPÉRIEUR

279

Fig. 688. Coupe de la grande salle de la Sorbonne.

Fig. 686. Plan du rez-de-chaussée de la grande salle de la Sorbonne.

Fig. 687. Plan du I" étage de la grande salle de la Sorbonne.

iSo ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l'aRCHITECTURE

M. Nénot a eu naturellement à étudier très sérieusement cette grave question pour sa très grande salle de la Sorbonne dont je crois utile de vous montrer ici les plans et la coupe (fig, 686, 687 et 688). Il a fait des expériences délicates avec le concours de physiciens et de musiciens, desquelles il résulte que, jusqu'à concurrence d'un dixième de seconde, aucune oreille ne perce" vrait distincts l'un de l'autre deux sons émis à cet intervalle et à même distance. En d'autres termes, deux sons, réellement sépa- rés par un intervalle d'un dixième de seconde, n'en font qu'un pour l'oreille humaine. Or, en matière de transmission de sons, le dixième de seconde correspond 334 mètres de distance.

Ces prémices posées un peu longuement, cherchons l'appli- cation. Si dans une salle demi-circulaire (fîg. 689), l'orateur O

est au centre même, l'auditeur A ne pourra, du fait de la paroi cylindrique, recevoir de rayon

; I réfléchi que celui même qu'il a

Fig. 689. -Hémicycle Fig. 690. 1 Hémicycle ^éjà perçu directement. De plus, ^1: ':;"::' e„ :^:^::Z'::nn. l'orateur sera lui-même le point

deconvergence detous les rayons réfléchis, et si la salle a plus de 17 mètres de rayon, il sera tout étourdi par l'écho de sa propre parole. Cette forme de salle ne convient donc pas, et, pour des raisons multiples, on est conduit à placer l'orateur au delà du centre du demi-cercle (fig. 690), dans une salle la forme demi-circulaire se raccorde avec une partie rectangulaire.

Dans ces conditions, si nous appelons O la place de l'orateur, A celle de l'auditeur, R un point de réfléchissement d'un rayon sonore, ce rèfléchissement ne gênera pas l'auditeur et au con- traire l'aidera à entendre si nous avons : (OR-j-RA) OA =

LES ÉDIFICES d' ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR 28 1

< 34 mètres. Supposons en effet que OR + RA = 40 mètres, mais que l'auditeur soit à 10 mètres de l'orateur. Il aura perçu le son direct après 1/34 de seconde, temps pendant lequel le rayon O R aura aussi parcouru 10 mètres; il restera donc 30 mètres seulement à parcourir au rayon réfléchi avant d'arri- ver à l'auditeur. Il lui faudra moins d'un dixième de seconde, . et, d'après la théorie ci-dessus, les deux sons se confondront. Mais j'ai supposé ici pour l'auditeur A une place prise arbitrai- rement, et cela ne suffit pas. Il faudrait s'assurer de même des conditions de parcours du son pour les places les moins favori- sées, qui sont naturellement les plus latérales, en cherchant pour chacune quel est le point de réflexion le plus défavorable. C'est donc une épure multiple à faire.

Remarquez seulement que ce n'est pas en plan qu'il faut mesurer ces distances. Il faut tenir compte des plafonds, de la hauteur des murs et, ce qui est plus grave, des ricochets qui font heurter le son à diverses parois, en allongeant ainsi son parcours. Telle salle sera exempte de ces inconvénients si sa hauteur n'est pas excessive, et la parole y deviendra un bour- donnement si la hauteur en devient très grande, le plan restant le même. C'est qu'alors, tandis que O A ne change pas, O R et R A deviennent beaucoup plus considérables. L'épure est d'ail- leurs assez facile à faire, car vous devez voir que le risque d'écho est surtout pour les personnes les plus voisines de l'orateur, O A devenant alors minime, et pour les plus éloignées, car alors si O A augmente, R A augmente aussi dans une notable propor- tion. Il suffit donc de calculer sur ces places, en restant bien entendu assez en deçà de la limite pour n'avoir rien à craindre.

Telle est la théorie que M. Nénot a déduite de ses expé- riences, et dont je dois lui laisser le mérite, et il faut reconnaître que le succès lui a donné raison puisque dans cette très vaste

282 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l' ARCHITECTURE

salle l'orateur se fait entendre sans qu'on soit gêné par aucun écho. Un bon exemple vaut encore mieux que toutes les théories.

Cependant, dans cette grande salle (V. plus haut, fig. 686), M. Nénot n'a pas cru pouvoir pratiquer de fenêtres; la salle est seulement éclairée par des jours de plafonds, abondants et produisant une lumière diffuse. Pourquoi cette absence de fenêtres, alors que touteis les autres salles demi-circulaires de la Sorbonne en sont pourvues ? C'est que les vitrages répercutent le son d'une façon très sensible, et M. Nénot a craint cette répercussion. Sur les parois en maçonnerie, on peut au besoin réprimer un écho par l'application d'étoffes, des fenêtres ne le permettraient pas.

Vous voyez combien de difficultés créent ces très grandes salles. Je vous ai cité la plus grande de toutes, en raison même de ces difficultés" et de l'étude très sérieuse qu'elles ont motivée, et que je ne fais que vous rapporter en en laissant tout le mérite à l'architecte qui a bien voulu m'en faire part.

Vous demanderez peut-être si je suis personnellement con- vaincu de la valeur de la théorie que je viens d'exposer. A vrai dire, je crains que non : et nous voyons souvent des salles beau- coup moins grandes, par exemple l'hémicycle de notre École, être très mauvaises au point de vue de l'acoustique, fatigantes pour celui qui parle et pour ses auditeurs. Après combien de rebondissements en tous sens la parole arrive-t-elle à se doubler l'auditeur le plus éloigné n'est qu'à une dizaine de mètres de l'orateur ? Personne ne saurait le dire, mais le fait existe. Evi- demment tout fait physique a une cause, mais cette cause se dérobe.

Et puis, s'il est vrai que le son répété n'est perceptible qu'après un dixième de seconde, il faut presque autant craindre le son

LES ÉDIFICES d'eNSEIGNEMENT SUPÉRIEUR 283

prolongé, tel que nous l'entendons dans les églises. Sans doute on ne perçoit pas deux fois la même articulation, mais le son se prolonge, s'estompe en quelque sorte, et la netteté de la parole la plus syllabique fait place au bourdonnement.

Je crois donc qu'il faut demander l'audition sinon au seul son direct, du moins au seul son renforcé par un réfléchissement immédiat. Et fort heureusement, le son qui a déjà parcouru de longues distances, qui s'est cogné à plusieurs parois, perdant de sa vigueur à chaque choc, finit par s'éteindre sans être gênant, si les parois ne sont pas trop répercutantes. C'est comme la bille de billard qui s'arrête forcément après avoir heurté plusieurs fois la bande.

S'il en est ainsi, il faut et c'est là, je crois, la cause de la grande sonorité des théâtres antiques que l'orateur soit près de surflices répercutantes, qui donnent à sa voix un renforce- ment immédiat. Ce son ainsi déjà renforcé se dirige vers l'audi- teur, empruntant encore sur son parcours quelque renforcement immédiat au sol, aux surfaces les plus voisines. Puis il arrive aux auditeurs lointains, plus mal placés pour percevoir le son direct, mais pour eux il se renforce du réfléchissement immé- diat des parois prés desquelles ces auditeurs sont placés, réfléchis- sement efficace à peu de distance, éteint pour l'auditeur éloigné.

Donc, avant tout le son direct, puis pour une propor- tion moindre le renforcement immédiat du son; et quant aux longues circulations de sons réfléchis, aux promenades d'échos, mieux vaut s'en dispenser. Si, grande ou petite, une salle avait des parois vibrantes sous la moindre impulsion d'une onde sonore, comme une peau de tambour ou un gong japonais, on entendrait tellement qu'on n'entendrait rien du tout.

Et si vous voulez d'ailleurs être édifiés sur les incertitudes de l'acoustique, lisez le chapitre XI du livre de Ch. Garnier, le Théâtre. Vous ne le regretterez pas.

284 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE L ARCHITECTURE

Et maintenant, croyez-vous que des formes de salles de cours puissent être arbitraires, qu'on puisse les faire rectangulaires ou semi-circulaires uniquement par préférence de goût ou parce qu'on serait séduit par une occasion d'étude d'un motif qu'on aimerait à traiter ? Non, n'est-ce pas ? A chaque enseignement convient une salle et non une autre; cela se raisonne, et lorsque l'artiste a la conviction d'avoir composé la salle qui convient à l'enseignement déterminé qui la réclame, alors loya- lement il l'étudié, il y met son goût et son talent. Mais qu'il ne se fasse pas dire : votre salle est charmante, mais l'enseignement y est impossible.

Lorsque la salle de cours n'est pas elle-même une dépendance ainsi que nous le verrons tout à l'heure et ne fait pas partie d'un vaste ensemble scientifique, elle nécessite elle-même au moins quelques dépendances. Tout d'abord les accès : nous en avons déjà parlé. Du côté du professeur, il faut disposer au moins un cabinet avec lavabo, et une petite pièce pour l'appari- teur ou garçon de salle. Souvent il sera nécessaire d'avoir un dépôt d'objets d'enseignement, même pour les cours de lettres ou de mathématiques qui n'exigent pas les ensembles de laboratoires que nous verrons tout à l'heure. Ainsi pour les mathématiques il peut falloir des modèles de solides, des instruments; pour l'histoire et la géographie des dépôts de cartes et de globes, etc.

Du côté des auditeurs, il serait bien nécessaire d'avoir un ves- tiaire qui pût recevoir les effets mouillés, et tout ce dont on ne sait que faire dans une salle l'espace est très resserré. Jusqu'ici les administrateurs n'ont pas accepté cette idée de vestiaires, dans la crainte des erreurs, des réclamations, du désordre peut-être. Il n'est pas douteux cependant qu'on s'y résoudra, et qu'on affranchira les salles de cours de tous ces dépôts qui les encombrent et les]enlaidissent.

LES ÉDIFICES d'eNSEIGNEMENT SUPÉRIEUR 285

Telles sont à peu prés les dépendances directes de la salle de cours.

Quant au chauffage, il est le plus souvent demandé à des calorifères à eau chaude ou à vapeur, avec répartition des surfaces de chauffe prés des surfaces de refroidissement et intro- duction d'air pur, l'air vicié étant évacué par des gaines de ventilation dont le tirage est assuré soit par la combustion d'un ou de plusieurs brûleurs à gaz, soit par un ventilateur méca- nique, généralement actionné par l'électricité. L'introduction et l'évacuation de l'air doivent d'ailleurs, comme nous l'avons déjà vu pour d'autres salles, être aussi disséminées que possible. Il ne faut pas qu'il y ait des places chaudes et des places froides; les conditions d'un bon chauffage exigent des orifices multipliés, bien répartis, et assurent un mouvement d'air assez lent, 30 centimètres au plus par seconde. Il est indispensable aussi que les accès de la salle se fitssent par des tambours avec doubles portes, et que ces portes soient assez éloignées l'une de l'autre pour que la première ait certainement le temps de se refermer avant qu'on n'ouvre la seconde.

Mais comme dans tout chauffage bien combiné, il ne suffit pas que la salle de cours elle-même soit chauffée, si ses accès immédiats ne le sont pas. Ainsi, vous disposez parfois dans vos plans une salle de cours ouvrant directement sur un por- tique ouvert; c'est-à-dire que la salle n'est séparée de l'air exté- rieur que par une porte. Dès lors, chaque fois que cette porte s'ouvre, c'est un engouffrement d'air froid qui entre d'autant plus violemment dans la salle que celle-ci est plus chauffée, et un grand nombre de places sont ainsi rendues impossibles. Sauf dans les pays méridionaux, les abords de la salle de cours doivent être clos et chauffés.

286 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l'aRCHITECTURE

Depuis que l'enseignement supérieur s'est fait moins théâtral et plus pratique, à la salle de cours s'est superposée et parfois substituée la salle de conférences : en somme une petite salle de cours, mais intime, recevant un nombre restreint d'auditeurs sérieux qui travaillent avec les conseils du professeur. C'est en quelque sorte la classe de l'enseignement supérieur, et c'est là, il faut bien le dire, que se font les hautes études dans l'ordre littéraire et historique.

L'expression architecturale de la salle de conférences ne diffère donc pas de celles des classes que nous avons déjà vues, sauf que la place doit y être plus large, surtout pour l'histoire et la géographie. Le parquet ici est horizontal, la disposition de l'estrade et du tableau sont ce que nous avons déjà vu, l'éclai- rage est unilatéral ou bilatéral suivant les mêmes considérations que nous avons envisagées à propos des classes.

Les salles d'examen sont des salles de même nature, mais plus grandes. Il est bon que, pour les épreuves écrites, les can- didats soient isolés chacun par une petite table suffisamment éloignée des voisines. Le professeur qui préside aux épreuves se tient dans une chaire assez élevée pour bien voir et pouvoir surveiller la surveillance elle-même. Il faut compter prés de 2 "^ 50 superficiels par candidat pour assurer le mieux possible la sincérité des épreuves.

Quant aux examens oraux, ils se passent dans des salles tout ordinaires; il s'y trouve toujours une partie publique; ici encore il faut un accès du pubHc distinct de l'accès des examinateurs qui doivent trouver à proximité immédiate de la salle une pièce ils puissent se retirer pour délibérer, et qui d'ailleurs leur servira aussi de vestiaire.

CHAPITRE V

LES ÉDIFICES D'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR

(^Suite.)

SOMMAIRE. Les laboratoires en général. Leur importance. L'enseignement scientifique supérieur moderne. Destinations diverses des laboratoires : laboratoires personnels, d'enseignement, de recherches scientifiques, de préparation des cours.

Nécessités communes : air et lumière.

Le laboratoire d'enseignement. Le microscope. Les hottes. Ventilation. Surveillance.

Particularités. Dépendances variées.

Les laboratoires de recherches et de préparations.

J'arrive maintenant à un très vaste sujet, les Laboratoires. Sujet absolument moderne, on peut le dire, car de notre temps le laboratoire, qui autrefois n'était que l'instrument du chercheur, est devenu, de plus, le pivot de l'enseignement scientifique je parle ici bien entendu des sciences expérimentales et non des mathématiques.

Il est impossible de bien comprendre ce que doit être un laboratoire dans chacune de ses variétés si l'on n'a pas d'abord une idée générale de ce qu'est aujourd'hui l'enseignement scien- tifique supérieur. Je vais essayer de vous le résumer, et, pour être plus intelligible, je procéderai par comparaison.

A l'époque je suivais les cours de la Sorbonne, les pro- fesseurs presque aussi nombreux qu'aujourd'hui disposaient de

288 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l' ARCHITECTURE

trois OU quatre amphithéâtres, peut-être même moins, lesquels servaient à tour de rôle à chaque enseignement, lettres ou sciences. Il y avait quelque part un laboratoire de physique, un autre de chimie, mais ces laboratoires n'étaient destinés qu'à la préparation des cours. Le préparateur en était le maître Jacques, et jamais, je crois, un étudiant ne pénétrait dans le laboratoire à moins de faveur toute spéciale. Cela ne faisait pas partie de l'enseignement, et permettez-moi la comparaison ce n'était que la cuisine ne pénétrent pas les convives : ils jugeront à table si le mets est bien réussi, ils ne le voient pas préparer.

Tel a été longtemps le rôle respectif de la salle de cours et du laboratoire; c'est ainsi que le grand amphithéâtre du Muséum d'histoire naturelle, dont je vous ai déjà parlé, est flanqué de trois petites absides : l'une est le cabinet du professeur, l'autre un dépôt de verrerie, la troisième est le laboratoire; le labora- toire, dépendance de la salle de cours, le laboratoire de prépa- ration des quelques expériences qui peuvent se faire sur une table de cours.

Et c'est ainsi encore que vous trouvez dans d'anciens pro- grammes un « amphithéâtre de chimie, avec diverses dépen- « dances, telles que cabinet de professeur, laboratoires, etc. ».

Or, si vous vous attardez dans cette conception, vous ne comprendrez jamais les besoins de l'enseignement scientifique, et vous resterez incapables de satisfaire à ses exigences nécessaires.

Dans un grand ensemble d'enseignement scientifique, tel qu'est une Faculté des sciences, il y a un certain nombre d'en- sembles secondaires, dont chacun forme un enseignement distinct. Voilà aujourd'hui la conception maîtresse de l'enseigne- ment scientifique. Et pour me faire comprendre, permettez-moi

ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l'ARCHITECTURE

Tome II

Page 2^

Fig. 691. Faculté des Sciences à la Sorbonne.

Géologie. i, salle des Collections Brogniard.

sciences naturelles. 5, vestibule. MiNERALOGiK. 6, salle des fourneaux. 7, laboratoire.

10, cabinet des professeurs. 11, vestiaire. il, laboratoire. Physiologik. 13, vestibule. 14, logement du gardien chef. -~ 15, laboratoire. 16, vestiaire. 17, UboratoJres.

18, salle des machines. 19, laboratoire. 20, chenil. 21, salle d'opérations. ai, aquarium.

CiiiMiK oRGANiauE. 2}, vcstibuIe. 24, sallc des fourneaux. 25, salle des bains d'huile. 26, salle des Collec- tions du cours. 27, laverie. 28, salle des machines. 29, laboratoire. 30. laboratoire de préparation des cours.

Chimikminéralk 51, vestibule. 32, salle des gazomètres. 33, laboratoire. 34, Uboratoire. 3s, laboratoire.

36, laverie. 37, salles des machines. 38, salle de préparation des cours. CiitMiF. GFNhRALE. 39, vcstibulc. 40, laboratoire. 41, laboratoire.

I^BORAToiHK, RFCHFRCHEs BT ENSEiGNKMKNT. 42, vestibule. 43, laboratoire. 44, laverie. 45, cabinet des. chefs de travaux. 46, grand Uboratoire des élèves. 47, laboratoire & cïel ouvert. 48, vestiaire. 49, labo- ratoire. ~ )0, sallc des fourneaux. ^i, laboratoire des professeurs $2. cabinet du professeur. Sît labora- toire. — i4. bibliothèque. Sî, laboratoire de recherches. S6, laboratoire* ciel ouvert.

PHYSIQ.UH, LABORATOIRE DES RECHERCHES. $7, vestlbules. jS, laboratoirc. S9, vestibule. 60, grand laboratoire de recherches. 6i, cabinet du préparateur. 62, laboratoires de préparateur. 63, laboratoires de préparateur. 64, labonitoires de préparateur. 6>, verrerie. 66, salle des machines. 67, tour de la physique.

amphithéâtre de géologie..— 3, vestibnle. 4, escalier des 8, laboratoire. 9, laboratoire des professeurs.

LES ÉDIFICES d'eNSEIGNEMENT SUPÉRIEUR 289

de remettre sous vos yeux, à une échelle un peu plus grande que celle de la fig. 669 les plans de la partie principale de la Faculté des sciences de Paris. Vous y trouverez la confirmation de tout ce qui va suivre (fig. 691).

Ainsi, par exemple, il y a la clnire de botanique : sur une porte vous lirez « Botanique >■>, et lorsque vous aurez franchi cette porte, vous pénétrez dans des locaux qui tous, sans exception, qu'ils soient loge de concierge, salle de cours, vestiaire, her- bier, serre chaude, laboratoire, cabinets divers, sont uniquement, exclusivement, affectés à. la botanique.

Dans cet ensemble, les élèves ne sont plus seulement des auditeurs venus pour l'heure du cours, partant lorsque le cours est fini; ils y travaillent, ils y passent des heures consécutives, tantôt ici, tantôt là, guidés dans leur travaux, exercés aux investigations scientifiques, expérimentant eux-mêmes, mala- droitement d'abord, habilement plus tard. Puis de temps en temps, une heure ou deux heures par semaine, ces mêmes étu- diants quittent un instant leurs travaux pour assister au cours, cours d'ailleurs public, mais fait avant tout pour ces fidèles des études scientifiques.

Eh bien ne voyez-vous pas dans cette méthode moderne quelque analogie avec vos travaux à vous-mêmes ? Chez vous, l'atelier a été de tout temps le grand instrument d'enseignement; le cours vous enlève quelques instants à votre travail d'atelier, vous y retournez le cours fini. Or, votre atcHer, c'est dans l'en- seignement scientifique le laboratoire d'enseignement; la méthode actuelle de l'enseignement scientifique, c'est la méthode consacrée de l'enseignement artistique.

Mais comme cet ensemble, que je vous ai présenté sous le titre de « chaire de botanique », a ses nécessités spéciales, comme la physiologie par exemple en aura de tout autres, qui diffère-

Èléiiiiuls et Théorie lie I Archikctme. II. la

290 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l'aRCHITECTURE

ront de celles de la chimie, très différentes elles-mêmes de celles de la physique, ... etc., etc., il en résulte deux nécessités que vous ne devrez jamais oublier si vous voulez faire une compo- sition pratique à propos d'enseignement supérieur :

L'une, c'est que la composition particuHére de chaque chaire, ou, comme disent les Allemands, de chaque institut, doit être spéciale et ne peut pas être la répétition d'une autre, le pro- gramme de l'une étant absolument différent du programme de l'autre.

La seconde, c'est que, en ce qui concerne les laboratoires en particulier, des différences capitales sont exigibles entre les labo- ratoires des chaires diverses.

Et n'est-ce pas encore une analogie avec ce qui se passe chez nous? Peintres, sculpteurs, architectes, graveurs, vous avez aussi vos laboratoires, ce sont vos ateHers. Que diriez-vous d'une composition les ateliers de peintres et ceux d'archi- tectes se feraient servilement pendant? Absurde, direz-vous, parce que vous connaissez bien ici les nécessités de ces diffé- rences : eh bien, dites-vous qu'entre le travail du botaniste et celui du chimiste, il y a autant de différences qu'entre le vôtre et celui de votre camarade peintre.

Je sais qu'en vous disant cela, en vous montrant les néces- sités vraies de la composition en matière d'enseignement scien- tifique, je vous enlève un oreiller commode : adieu, je le crains bien, à la pondération, à la symétrie, à tout ce qui fait le plan facile et facilement séduisant. Que voulez-vous? Je ne vous dérobe jamais la vérité, vous le savez bien : sachez de votre côté la bien voir et n'en avoir pas peur. La vérité elle aussi est comme un engrenage : elle possède bientôt tout entier celui qui a osé se hvrer à elle si peu que ce soit.

Dans un ensemble scientifique complet, il y a plusieurs sortes de laboratoires :

LES ÉDiFicr:s d'enseignement supérieur 291

Les laboratoires personnels :

Le laboratoire personnel du professeur;

Les laboratoires personnels des préparateurs;

Les laboratoires personnels, mis temporairement à la dispo- sition d'un savant ou même d'un étudiant pour des recherches délicates.

Les laboratoires qui ne sont pas personnels, savoir :

Le laboratoire d'enseignement;

Le laboratoire de recherches scientifiques;

Le laboratoire de préparation ;

Le laboratoire de la salle de cours.

Enfin les nombreuses dépendances des laboratoires, très diverses suivant la nature de l'enseignement, telles que biblio- thèques, herbiers, salles de photographie, dépôts de verrerie et autres machines à vapeur ou autres chenils, clapiers et cages glacières ou étuves..., etc., etc., sans parler des ves- tiaires, cabinets d'aisances, etc.

Nous allons commencer par les laboratoires proprement dits, et voir d'abord ce qui leur est commun.

Or, une première chose est indispensable à tous, c'est l'air et la lumière. Jamais, entendez-le bien, jamais un laboratoire ne sera trop clair, jamais il ne le sera assez. Jamais non plus il ne sera assez aéré, surtout s'il s'y fait des expériences parfois nau- séabondes, comme en chimie ou en physiologie. En somme, un laboratoire répond à son programme, sauf le détail des installa- tions, s'il assure ces trois conditions : place suffisante, lumière très abondante, aération puissante.

Vous pensez bien que je ne vais pas passer en revue toutes les variétés de laboratoires, des volumes n'y suffiraient pas, surtout si je devais vous parler des mille détails d'installation, très ingénieux, très complexes, qui exigent tant d'études de la

292 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l' ARCHITECTURE

part de l'architecte. Je me bornerai à essayer de vous indiquer les principes directeurs auxquels vous devrez vous conformer. Voyons d'abord les laboratoires collectifs, et parmi ceux-ci commençons par les laboratoires d'enseignement.

Pour la place suffisante, rien n'est plus variable, et c'est essentiellement une question de programme. Tout ce que je pourrais vous dire à cet égard serait dangereux : cette indication doit être donnée par le professeur ou par ceux qui ont qualité pour fixer le programme. Toujours est-il cependant qu'un labo- ratoire doit être assez vaste pour qu'on ne s'y gène pas mutuel- lement, qu'on ne mette pas parfois son voisin en danger, et enfin pour que la pièce soit bien aérée, indépendamment de toute ventilation artificielle. Ainsi, aux laboratoires d'enseigne- ment de la chimie, à la Faculté des sciences, votre professeur M. Riban n'a pas voulu que les costiéres réelles des hottes fussent cachées par un pigeonnage vertical, ainsi que cela se fait ordinairement, parce que cette disposition aurait diminué de quelques mètres le cube d'air que peuvent respirer les élèves et cela bien que ces laboratoires soient admirablement ventilés.

Ici donc la régie est simple : faites les laboratoires aussi grands que votre composition le permettra, et si le nombre d'étudiants est déterminé, faites-vous déterminer également l'espace qu'on réclame pour chacun.

Pour l'éclairage, la question est beaucoup plus complexe. Sauf peut-être quelques exceptions pouvant naître d'un pro- gramme très spécial, cet éclairage doit être demandé à des fenêtres : fenêtres très larges, très hautes, s'élevant jusqu'au plafond, avec le minimum de trumeaux. Aucun professeur, je crois, n'admettrait des fenêtres en arcade même surbaissée, cela fait trop perdre de lumière. Les vitrages par verres aussi grands

LES ÉDIFICES d'eNSEIGNEMEMT SUPÉRIEUR

293

que vous le pourrez; des glaces de grand volume ne seraient que mieux, en évitant toute division de petit bois.

Quant à la direction de la lumière, le jour du nord n'a jamais d'inconvénients, les autres orientations peuvent en avoir. Mais il faut d'abord que vous sachiez quel sera le travail à faire, et en premier lieu si le microscope sera l'ins- trument nécessaire des recherches. _

Vous savez en effet que beaucoup ■■ de sciences datent du microscope, que le microscope seul permet les investi- gations qui révèlent la constitution intime des êtres. Le microscope est l'instrument par excellence des sciences naturelles et médicales, et dans les labo- ratoires de ces sciences chaque élève est uniquement un observateur habile ou inhabile penché sur un microscope.

Or, pour l'étude microscopique, il faut le jour du nord, l'observateur face au jour; et plus il sera prés du jour, mieux cela vaudra. Donc, pour ces sciences, le laboratoire d'enseignement sera logiquement une salle longue, peu profonde, éclairée unila- téralement de grands jours au nord.

Que si pour une raison impérieuse de composition générale ce laboratoire ne peut être exposé au nord ou à peu prés au nord s'il est par exeiiiple orienté par S€s longs côtés à l'est et à l'ouest, il faut alors qu'il soit plus large et que l'éclairage soit bilatéral, car voici a qui se passe : la salle est divisée ou divisible dans sa longueur par un écran (fig. 692), et les élèves

Fig. 692. Laboratoire d'observations microscopiques divisé par un écran.

A, moitié de salle servant avaat mitii. B, moitié de salle servait apris midi.

294

ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l'aRCHITECTURE

sont obligés de se transporter d'un côté à l'autre de cet écran pour aller travailler contre les fenêtres qui ne reçoivent pas le soleil. Vous ne sauriez trop vous pénétrer de cette nécessité de la lumière. Ainsi, voici deux exemples bien significatifs emprun- tés à la Faculté des sciences.

Aux laboratoires de physiologie (fig. 693), les observateurs qui se servent du microscope sont pla- cés dans des boiuindoius entièrement vitrés, en saillie au nord sur le bâti- ment. Il n'y fait pas très chaud, paraît-il, et je le crois sans peine; mais la lumière est presque celle du plein air; elle est en tous cas aussi intense que possible.

Le laboratoire de botanique (fig. 694) est plus instructif encore. Ici, profitant de ce que ce labora- toire est dans l'étage de combles, on a pu constituer toute sa face nord avec un seul grand vitrage de Fig. 695. Laboratoire de physiologie. 1 <r mètres envlrou de longueur,

(Plan du I" étage). -* '^ '

., laboratoire d= physiologie. - 2, salle des machi- commeuçant très près du parquet

nés. 3, laboratoire. 4, chenil. S, salle , ^ 1 r 1

d'opé.ation. - 6, aquarium. g^ niontant jusquau plafond; et

cette surface vitrée est composée de grandes glaces aussi grandes que celles des devantures de boutiques, sauf des parties ouvrantes, également vitrées bien entendu, pratiquées à la partie supérieure pour l'aération. Une échelle roulante à l'extérieur permet le net- toyage des glaces.

Grâce à cette disposition, déjà copiée à l'étranger, on peut travailler au microscope sur quatre rangs de tables parallèles à ce grand vitrage.

LES ÉDIFICES d'eNSEIGNEMENT SUPÉRIEUR

295

Voilà pour l'éclairage des tables : vous voyez combien on s'en préoccupe; mais il y a encore dans certains laboratoires un instrument de travail très important : c'est l'ensemble qu'on désigne sous le nom de botte.

La hotte, c'est ce qui permet les expériences qui dégagent des vapeurs ou des gaz soit simplement gênants, soit malsains ou même délétères. Lorsqu'on emploie l'acide sulfureux, par exemple, ou telle autre substance aussi fâcheuse, li l-uj lu J il est nécessaire que les ** ^ ^ gaz s'échappent au dehors et ne se répandent aucu- nement dans le labora- toire. On a donc des tables revêtues de car- reaux de porcelaine ou d'autres carrelages sui- vant les cas; ces tables sont constituées au moyen de ce que, en fu- misterie, on- appelle des ""i- -»• '•«"'• paillasses. Là, au moyen de réchauds à charbon ou à gaz, ou de courants électriques, se fait toute la cuisine j'emploie ce mot à dessein. Comme un fourneau de cuisine, la paillasse est sur- montée de la hotte proprement dite, très activement ventilée : cette ventilation entraîne les gaz vers des gaines d'évacuation : je n'entre pas dans le détail des moyens. Mais comme souvent la préparation sous la hotte dure longtemps, on cherche à isoler cet espace du surplus du laboratoire, et des châssis vitrés à cou- lisses verticales équilibrés par des contrepoids permettent de fer- mer la hotte pour les gaz et les odeurs, mais non pour la vue.

Fig. 694. Laboratoire de botanique. I, salle de travail. 2, laboratoire. 3, 4, 5, 6, 7, 8, salles 'de tra-

296 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE L ARCHITECTURE

car il faut qu'on puisse surveiller la préparation. Le travail sous la hotte se fait alors en quelque sorte dans un local contigu au laboratoire, visible par transparence.

Il faut donc que les hottes soient bien éclairées, soit qu'elles s'adossent aux murs de refend, ou à un mur opposé aux fenêtres, soit même qu'une hotte soit isolée au milieu de la pièce. Ce sont en somme les emplacements que nous avons vus pour les fourneaux des grandes cuisines. A certains égards, une cuisine est un laboratoire, et un laboratoire est une cuisine.

En général, on réclame moins une lumière intense pour les hottes que pour les tables d'expériences : la raison en est que sous la hotte on ne fait que préparer l'expérience qui se fera sur la table. Cependant il est bien entendu que la hotte elle aussi ne sera jamais trop éclairée. Et encore certains savants veulent-ils la hotte en pleine lumière : ainsi, M. Berthelot, dont l'autorité est incontestable en pareille matière, demande que les hottes soient adossées directement aux grands vitrages de la façade du laboratoire, et soient elles-mêmes complètement vitrées. Cette disposition conduit nécessairement à l'éclairage bilatéral, afin d'avoir sur une autre façade des fenêtres ouvrantes. Elle n'a été adoptée d'ailleurs pour aucun des nouveaux labora-^ toires de la Faculté des sciences : cela vous montre combien ces programmes sont personnels.

Quant à l'aération, outre celle qui résulte du renouvellement de l'air par les fenêtres, il faut qu'elle existe même avec toutes portes et fenêtres closes. On ne peut pas en effet, dans un labo- ratoire, rester dans une atmosphère incessamment imprégnée de gaz souvent nuisibles. Toutefois, les conditions sont très diffé- rentes : ainsi des laboratoires de géologie, de minéralogie, de botanique ont infiniment moins besoin de ventilation que ceux

LES ÉDIFICES d'eNSEIGNEMENT SUPÉRIEUR 297

de chimie, de physiologie, d'anatomic, etc. En général, tout laboratoire qui doit être pourvu de hottes doit aussi être assuré d'une ventilation puissante de la salle elle-même. Suivant les cas et les exigences particulières de l'enseignement, cette ventilation sera assurée au moyen d'appels activés par des brûleurs ou des rampes à gaz, ou mieux au moyen d'insufflations par une action mécanique quelconque, suivant la nature du moteur dont on pourra disposer. Mais en tout état de cause l'air vicié sera entraîné, par aspiration ou par insufflation, dans de larges gaines qui s'élèveront au-dessus des toitures. Ces gaines seront nombreuses et motiveront des constructions spéciales bien autre- ment importantes qu'un tuyau de cheminée : elles doivent être très larges, car dans une gaine étroite la vitesse d'évacuation des gaz est trop ralentie par les frottements. Il faut donc que le laboratoire, s'il est dans un étage inférieur, se trouve au-dessous de locaux que ces gaines puissent traverser sans inconvénients : vous voyez que des laboratoires de cette nature ne peuvent guère trouver place au-dessous de grandes salles comme des salles de collections par exemple. D'ailleurs, tout cet ensemble ne peut généralement comporter des étages nombreux, les rez- de-chaussée en seraient trop assombris. Un rez-de-chaussée, un premier et un deuxième étages constituent, sauf nécessité absolue, un maximum qui ne doit guère être dépassé.

Il va sans dire que les laboratoires doivent recevoir de nom- breuses et importantes canalisations, pour l'eau, le gaz, l'air com- primé, les circuits électriques, etc., ainsi que pour les évacua- tions des eaux usées.

Le chauffage en est généralement assuré par la circulation d'eau chaude ou de vapeur, avec introduction d'air pur contre les surfaces de chauffe.

298 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l' ARCHITECTURE

Tout laboratoire d'enseignement doit se prêter à cet enseigne- ment. Les élèves n'y sont pas livrés à eux-mêmes, un profes- seur ou un chef de laboratoire préside aux travaux, les dirige, les critique : à ce point de vue, le laboratoire est aussi une salle de conférences. Ainsi, je vous ai cité le laboratoire de botanique de la Sorbonne : une cinquantaine d'élèves observent dans le microscope des échantillons semblables, par exemple la section d'une tige de plante déterminée : le professeur, au tableau, leur explique ce qu'ils voient ou leur indique ce qu'ils doivent voir : il leur apprend ainsi à observer. De même pour toutes les sciences naturelles. Cela n'empêche pas d'ailleurs qu'il ne passe prés des élèves et ne leur donne des avis ou des explica- tions à leur place même, ni que l'élève n'aille consulter le pro- fesseur. Il faut donc une place spéciale pour le professeur, bien en vue. Mais il faut aussi que dans tout laboratoire la circula- tion soit facile. Les hommes de service ou les élèves eux- mêmes ont à porter des objets parfois lourds ou volumineux, ou dont le contact serait corrosif; et d'autre part pour la sur- veillance, il faut que le maître puisse tout voir et puisse au besoin se porter vivement une imprudence est commise ou va se commettre.

Il faut enfin que l'issue des laboratoires soit facile, de ceux surtout des expériences peuvent être parfois dangereuses. Un membre de l'Académie des sciences racontait un jour devant moi que, étant élève chimiste, il avait eu subitement ses vête- ments en feu à la suite d'une maladresse, et qu'il n'avait son salut qu'à la présence dans la cour voisine d'une grande vasque pleine d'eau il s'était précipité.

Telles sont les plus importantes des considérations générales que peuvent motiver les laboratoires. Mais il y a entre eux des

LES ÉDIFICES d' ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR 299

variétés spécifiques très grandes, vous l'avez déjà compris. Je ne puis vous les signaler toutes, il faudrait tout un traité, et encore n'y trouveriez-vous pas d'indications précises pour le laboratoire que vous aurez quelque jour à établir avec le con- cours d'un professeur qui aura ses visées personnelles pour son enseignement. Je ne puis que vous citer des exemples, en les prenant encore à la Sorbonne, parce que c'est que se trouvent les laboratoires les plus nouveaux. Aujourd'hui, les installations de la Sorbonne sont en tête des progrès accomplis; dans vingt ans, les méthodes et les programmes auront sans doute changé.

Je vous ai dit ce qu'est le laboratoire de botanique : vous pouvez le prendre pour exemple de ce qu'est un laboratoire destiné à des travaux purement microscopiques. Ainsi, une dis- position analogue conviendrait pour un grand nombre de sciences naturelles, telles que l'entomologie, la miologie, etc., et pour les sciences médicales qui observent les infiniment petits, par exemple la bactériologie.

Mais ne croyez pas que ce laboratoire soit tout simplement une salle; entendez bien au contraire qu'il comporte de nom- breuses dépendances, qui ne seront pas toutes énoncées dans un programme lorsqu'on vous dira simplement un laboratoire de botanique, ou de toute autre science pouvant s'étudier dans des conditions analogues. Outre les vestiaires, cabinets d'ai- sances, etc., il faudra un herbier, c'est-à-dire une disposition permettant de très nombreux tiroirs et des vitrines; car, en dehors des collections de musées qui existeront dans le même étabUssement, il faut toujours les collections spéciales au labo- ratoire, collection d'étude quotidienne dont les échantillons doivent pouvoir être manipulés par les étudiants.

De même, le laboratoire a sa bibliothèque, aux Hvres souvent consultés, rapidement usés, que l'étudiant ouvre à côté même

300 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l' ARCHITECTURE

de l'objet qu'il observe : absolument comme dans vos ateliers, vous avez votre bibliothèque d'étude, sans préjudice de la biblio- thèque de l'École.

II faut encore une salle de photographie, elle-même avec ses dépendances : en réalité, un petit laboratoire photographique. Puis des dépôts pour les instruments, la verrerie, etc.

Enfin des serres chaudes et tempérées, serres d'expériences et non de musée.

Vous voyez par cet exemple quel ensemble complet repré- sente ce simple mot : un laboratoire.

Ainsi donc, voilà un premier groupe, les laboratoires desti- nés aux observations avant tout microscopiques. Tout autres sont les laboratoires pour les sciences physiologiques ou d'his- toire naturelle étudiant les conditions de la vie : pour bien saisir la différence, il faut se rendre compte de la différence des études. Pour la botanique, je vous disais que cinquante étu- diants observent simultanément le même élément. A la physio- logie, que je prends pour type du second groupe, cinquante étudiants devront, s'il est possible, voir à la fois une expérience unique, suivre ensemble une démonstration soit sur le vif, soit sur le cadavre. La salle principale du laboratoire sera donc ici une grande salle, bien éclairée, bien aérée, les étudiants se grouperont autour des instruments de torture se font des expériences cruelles. Les parois opaques reçoivent l'adossement de hottes nécessaires pour bien des préparations. Mais il se fait aussi des observations microscopiques, et ici, pour que l'obser- vateur ne soit pas dérangé, on lui a ménagé de véritables cabi- nets spéciaux au moyen des bowindows dont je vous ai parlé.

Les dépendances sont nombreuses aussi; en premier lieu, dans une cour voisine, les chenils, clapiers à lapins et à cobayes,

LES EDIFICES D ENSEIGNEMENT SUPERIEUR 30I

les cages d'animaux divers, des aquarium : tout cela pour les animaux destinés aux expériences. D'autre part, une infirmerie pour les animaux en observation après expérience : par exemple un animal à qui on a enlevé un organe, ou à qui on a injecté un virus ou un poison. Nous trouvons encore ici la salle de photographie, la bibliothèque spéciale, des collections d'étude. Puis, la petite salle de vivisection que je vous ai décrite, dis- tincte de la salle de cours; enfin, en sous-sol, un four créma- toire pour l'incinération des cadavres et des résidus de dissec- tion.

Souvent, ces sortes de laboratoires comportent une salle de dessin, et un atelier de moulage; enfin un atelier pour la prépa- ration des pièces à conserver soit dans l'alcool, soit par injec- tion de substances appropriées.

Naturellement, il faut des dépôts de verrerie, etc., et des diverses matières antiseptiques et autres dont l'usage est continuel.

Avec des variantes inévitables, ce type de laboratoires peut s'appHquer à la plupart des sciences zoologiques.

Il y a cependant, en histoire naturelle, des laboratoires très différents comme combinaison, en raison de la nature spéciale des sujets d'expérience. Ce sont les laboratoires d'icthyologie étude de la vie des poissons, crustacés, et en général des ani- maux marins.

Et rien ne nous montre mieux l'importance des laboratoires dans les études scientifiques modernes : la chaire de zoologie au Muséum d'histoire naturelle a l'un de ses laboratoires dans le département de la Manche, à Saint- Waast-la-Hougue, non loin de Cherbourg. M. Dauphin, architecte de cet établissement, a bien voulu me communiquer une description de ce curieux

302 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE L ARCHITECTURE

centre d'études; je pense vous intéresser en vous le résumant ici.

Les laboratoires de zoologie maritime destinés à Tétude de la faune marine ainsi que des végétaux marins sont assez nom- breux. Tels sont en France ceux de Roscofif, Boulogne, Concar- neau, Arcachon, Marseille, Alger, et celui de Saint-Waast, installé dans la petite île du Tatihou.

Dans ce dernier, les étudiants sont logés, c'est une nécessité de situation. Il y a aussi un personnel assez nombreux de gar- çons de laboratoire et de marins et pécheurs.

Lorsque le temps s'y prêle, les explorateurs, c'est-à-dire les étudiants eux-mêmes, partent soit sur une chaloupe à vapeur ou des canots, soit à pied, à marée basse, pour aller récolter des sujets d'étude à la drague en mer, ou dans les sables ou les anfractuosités des rochers. Au retour de la pêche, tout le butin est déposé pêle-mêle dans un bassin plat, lavé constamment par de l'eau de mer, situé au centre d'une salle qui prend le nom de salle de dragage et de remise des agrès. Attenant à cette salle se trouvent des cabinets de toilette pour les explorateurs.

Chaque étudiant a son laboratoire personnel, contigu à sa chambre à coucher. Ces laboratoires sont destinés avant tout à l'observation microscopique.

L'établissement comprend une grande salle des aquarium; c'est qu'on conserve les sujets réservés à des expériences. Les bassins, qui doivent naturellement recevoir de l'eau de mer, sont alimentés au moyen de pompes; pour cela, on pratique des citernes au niveau que peut atteindre la marée montante, et c'est de que l'eau est élevée dans un château d'eau, haut de 8 à 10 métrés au-dessus du sol.

Le laboratoire se complète par un petit laboratoire de chimie, une salle de photographie avec dépendances, un dépôt de verrerie.

LES ÉDIFICES d'eNSEIGNEMEN't SUPÉRIEUR 303

Une salle de conférences, une bibliothèque et des collections assez importantes sont adjointes aux laboratoires, qui com- portent également le logement du directeur, du chef des tra- vaux et de préparateurs; ces logements dans des pavillons séparés, ainsi que ceux des gens de service; enfin un petit port d'abri pour les embarcations.

A ce laboratoire d'expériences est annexé un laboratoire de pisciculture, comprenant d'abord une grande salle avec plusieurs bassins pour la conservation des animaux reproducteurs; puis une salle dite d'éclosion se fait tout un travail compliqué pour que les œufs ne se perdent pas; enfin un grand vivier en pleine mer, excavation demi-circulaire de 50 mètres environ de diamètre, sont conservés dans des caisses perforées les plus grands sujets d'étude.

Tout cela, avec toutes les dépendances inévitables, forme, comme vous le voyez, un grand établissement, sorte de colonie de travail et d'application pour les étudiants qui trouvent bien au Muséum l'instruction théorique et même le laboratoire scien- tifique, mais qui vont pendant quelques mois, au contact de la nature elle-même, étudier surtout dans les animaux les plus primitifs les relations qui existent dans la chaîne des êtres.

A peu de chose près, les divers laboratoires qui répondent à ce même programme sont analogues entre eux; les différences tiennent surtout aux conditions très différentes d'accès. Ainsi à Roscofî et dans d'autres établissements, toujours accessibles, il n'y a pas besoin de loger les élèves ni les maîtres; dans une île comme Tatihou, qui peut, pendant des jours et parfois des semaines, rester inaccessible, ce logement est indispensable, avec tout ce qu'il comporte : cuisines, dépôts de vivres, salles à manger, etc. C'est ici le programme d'enseignement, doublé du programme d'habitation.

304

ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

Je rentre à Paris avec les laboratoires de physique (fig. 695). Tout d'abord, une grande salle, très claire, se font les expé- riences : pour cela, des tables et des hottes, avec des fourneaux

spéciaux pour les hautes

^yTI'ï'Jl[''j| ^ ÎI'IT" ■'iîF"l températures, des étuves, une *-T.--,r = ,.,„^r==-|,_ *^^^^ I place importante pour le ta-

* ** bleau noir, etc. Une salle

obscure; une salle de photo- graphie ; de nombreux casiers,

- 2, bureau du maître de conférences. g^ (Jgg vitrittCS tréS ImpOr-

onféreuccs. 4, laboratoire du direc- ^

Fig. 695.

- Laboratoire d'enseignement de la physique.

I, salle de collections 3, laboratoire de con

teur. s, bureau du directeur. é, laboratoire du direc- 4-„„<.p(; nnnr Ipç .in ÇtriimPtltÇ teur. —7, laboratoire.— 8, cabinet du sous-directeur. laULCS pOUr ICS 'in birUIIieillS , 9, laboratoire du sous-directeur. 10, bibliothèque. II, magasin. 12, atelier. IJ, salle des balances. 14, lelier. 15

atel

15, laboratoire du préparateur.

toujours une bibliothèque

spéciale.

Dans un laboratoire de physique, il y a des instruments qui

doivent être placés sur des massifs fondés sur le bon sol, isolés de tout parquet; ces conditions ne sont réa- lisables que dans un rez-de-chaussée. Puis, une galerie des expériences de magnétisme, salle voûtée, sur terre- plein ou sur voûte, sans aucune ferrure : serrures, targettes, char- nières, tout y est en cuivre. Il y a toujours une salle spéciale, bien close, et à l'abri des trépidations, pour les balances de précision.

A la Sorbonnc, la chaire de phy- sique a demandé, pour des expé- riences d'optique, la disposition d'une galerie de 65 mètres de longueur, et une tour permettant également

Fig. 696. Laboratoire de minéralogie.

1 , escalier des sciences naturelles. 2, ves' tiaire. 3, salle des fourneaux. 4, ma- gasin.— s, laboratoire. 6, laboratoire des professeurs. 7, cabinet des profes- seurs. — 8, vestiaire. 9, laboratoire.

65 mètres de hauteur pour le regard.

LES ÉDIFICES d'eNSEIGNEMENT SUPÉRIEUR'

305

Ici l'ensemble se complète par des moteurs à gaz ou à vapeur avec les dépendances nécessaires ; ces moteurs actionnent des dynamos, des ventilateurs et des engins nécessaires aux expériences sur la pesanteur, les chocs, etc.

Le laboratoire de minéralogie (fig. 696) comporte à la fois des expériences et des observations microscopiques. Ici, il faut des casiers très nombreux pour les échan- tillons en ordre, et tout un outillage pour scier, poHr, pulvériser, ainsi que des four- neaux à haute température pour les expé- riences de fusion. Ce laboratoire est à pro- prement parler un atelier.

Les laboratoires de chimie (fig. 697) sont les plus importants de tous par la surface qu'ils occupent. Il faut que chaque étudiant manipule, apprenne à analyser, à expérimen- ter, et pour cela il lui faut deux instru- ments principaux : la table d'expériences et la hotte.

Dans des universités allemandes, les con- séquences de ces nécessités ont été pous- sées à l'extrême logique : voulant que l'étu- diant trouve dans le laboratoire des con- ditions analogues à celles qu'il rencontrera plus tard, on a constitué pour chacun une sorte de loge avec sa petite table et sa petite hotte; le tout est volontairement exigu, afin que l'étudiant s'habitue à ne pas prendre toutes ses aises : on le prépare ainsi aux condi- tions toujours restreintes qui sont celles de l'industrie pratique.

Chez nous, on n'a pas adopté cette théorie, et le travail se

ÉUmenls et Tbiorie de V Architecture. II. ao

Fig. 697.

Nouvelle Sorbonne.

Laboratoire d'enseignement

de la chimie.

1, salle (le conférence. 2, labo- ratoire. — 3, salle de phy- sique. — 4, laboratoire. J, salle lie préparation du coure. 6, salle de conférence. 7, dégagement 8, labora- toire. — 9, chambre noire. 10, bibliothèque. II, cabinet de professeur. . ll, salle dV nalyse du gaz.

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fait plus en commun; chaque étudiant peut voir ce que font ses voisins, et s'étendre un peu si son voisin a besoin de moins de place que lui. Question de programme, qui échappe à l'architecte : quant à nous, il nous est aussi facile de faire un laboratoire par stalles que sans divisions.

Voici en tous cas la disposition des laboratoires d'enseigne- ment de la Faculté des sciences, établie d'après les desiderata de votre professeur M. Riban. Ces laboratoires sont jusqu'à nouvel ordre la plus parfaite expression de ce programme particulier. Tout d'abord, il convient d'établir que dans tout laboratoire de chimie, malgré toutes les précautions de ventilation, il y a des expériences qui ne peuvent se faire qu'en plein air. Il faut donc que l'étudiant puisse, selon les cas, travailler à la table d'expé- riences — sous la hotte en plein air.

Le travail sous la hotte est généralement connexe avec le travail de la table d'expériences, l'un étant souvent la prépara- tion de l'autre. En plein air, il n'y a plus besoin de hotte, puisque la hotte n'est qu'un moyen de constituer dans une salle un endroit parfaitement aéré; mais la table d'expériences étant moins aérée, c'est cette table qu'il s'agit de retrouver en plein air. On aura donc dans une cour des tables d'expériences, simplement abritées par une toiture vitrée : on travaille en réalité sous une marquise.

La grande salle du laboratoire est éclairée des deux faces par des baies aussi larges et hautes que possible; un large passage parallèle aux murs de face la divise longitudinalement, et dans chacune des deux moitiés ainsi obtenues, chaque fenêtre éclaire un compartiment pouvant recevoir 8 à lo étudiants. Pour cela, il y a dans l'axe de la fenêtre un groupe de tables d'expériences adossées l'une à l'autre, et de chaque côté une hotte, vitrée bien entendu; la hotte d'un compartiment est ainsi adossée à la

LES ÉDIFICES d'eNSEIGNEMENT SUPÉRIEUR 307

hotte du compartiment voisin, dont elle est séparée par un mur de refend. La salle est donc, comme construction de gros œuvre, une double série de stalles séparées par des murs, ayant chacune sa fenêtre, et complètement ouvertes sur le passage milieu, qui assure la surveillance.

Grâce à cette disposition, chaque étudiant a sa place et trouve sous la main les objets nécessaires sur la table d'expé- riences; il n'a d'ailleurs qu'à se retourner pour se servir de la hotte ; il peut en quelque sorte travailler d'une main à la table, de l'autre à la hotte. Le bon ordre et la surveillance sont assurés par la circulation médiane. La ventilation des hottes est extrême- ment active; la gaine de ventilation descend presque jusqu'au sol, le mur séparatifde deux hottes étant accompagné de deux murs isolés se trouve ainsi entre deux espaces libres s'établit par appel un courant d'air permanent très énergique; la fonction de la hotte est ainsi double : par ce fond creux, elle enlève toutes les vapeurs qu'on envoie derrière l'écran du premier mur : par exemple, un liquide chauffe dans une cornue : par un simple tube de. caoutchouc, on envoie les vapeurs à travers un man- chon dans la gaine verticale, ces vapeurs sont enlevées sans avoir pu se répandre dans le laboratoire, pas même sous la hotte; puis au sommet de cette hotte, de larges issues donnent passage aux gaz et vapeurs mélangés à l'atmosphère : c'est la fonction ordinaire de la hotte.

Voilà pour la salle; voyons maintenant le plein air : c'est fort simple, la disposition en plein air n'est que la répétition de la salle. Le long du bâtiment existe une marquise vitrée, et, per- pendiculairement, des abris vitrés, séparés par des mitoyen- netés qui sont le prolongement de celles des hottes. Il y a donc des compartiments de plein air en même nombre, et de même entre axe que ceux de la salle. Le centre est à ciel ouvert :

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chaque compartiment représente ainsi une cour particulière avec marquises vitrées au pourtour. Chacun de ces compartiments de plein air est affecté au môme groupe d'étudiants que la divi- sion correspondante de la salle.

Le laboratoire de chimie a de nombreuses annexes, car cette salle que je viens de décrire ne sert qu'au travail journalier et en quelque sorte classique des manipulations. Mais il y a des expériences qui, même dans un laboratoire d'enseignement, çxigent des conditions spéciales : salles des hautes températures des courants électriques, d'autres encore : pour nous, cela veut dire en résumé quelques salles bien éclairées, bien ventilées et pouvant recevoir des adossements de hottes. Il y a encore la salle de photographie, la bibliothèque, et des dépôts importants pour les instruments placés dans des armoires; pour les pro- duits chimiques, ce qu'on pourrait appeler la droguerie; pour la verrerie, très considérable. Le laboratoire de chimie a besoin, comme celui de physique, de force motrice; mais il sufEt géné- ralement de la demander à l'électricité ou à l'air comprimé sans qu'on ait besoin de générateurs et de machines à vapeur.

Je pourrais continuer à vous entretenir longtemps encore de ce sujet qui est vraiment inépuisable. Je vous en ai dit assez, je crois, pour vous donner une idée de ce que sont ces instruments d'enseignement qu'on appelle laboratoires, et je vous en ai montré des types assez divers pour que vous puissiez y trouver des éléments d'analogie lorsqu'il le faudra. Voyez bien surtout que le laboratoire se compose d'après ce qu'on y' fait: il sera tout autre si l'étudiant doit être toujours penché sur scn microscope, ou s'il fait des expériences d'ébullition, d'évapora- tion, etc. ; Je vous parlerai plus loin, d'ailleurs, de quelques autres lieux

LES ÉDIFICES d'eNSEIGNEMENT SUPÉRIEUR 309

d'étude qui ne sont pas sans analogie avec des laboratoires : vos ateliers, les salles de dissection, etc.

Quant à présent, il me reste à épuiser ce sujet par quelques indications assez courtes sur les autres laboratoires, ceux qui, tout en concourant à l'enseignement, ne sont pas des labora- toires d'enseignement au sens propre du mot.

Chaque chaire possède un laboratoire de recherches; ce ne sont pas des étudiants, ce sont des savants qui poursuivent des expériences souvent longues. Le personnel n'y sera pas nom- breux, mais la place doit cependant être large, car des travaux divers s'y poursuivent à la fois, et souvent une expérience en cours immobilise pendant assez longtemps une partie du labo- ratoire.

Autrement, ce laboratoire de recherches sera analogue au laboratoire d'enseignement respectivement correspondant : tou- jours clair, ventilé, assez vaste, pourvu des mêmes facilités de travail.

Réservé aux travaux les plus sérieux, il doit être à l'abri des allées et venues, du bruit; il sera donc disposé dans la partie la plus tranquille de l'ensemble affecté à chaque enseigne- ment.

Il en sera de même du laboratoire personnel du professeur, et des autres laboratoires personnels d'étude. Non seulement il faut ici la tranquillité, mais les savants tiennent beaucoup aussi à la discrétion.

Le laboratoire de préparation est en général assez grand, presque autant que le laboratoire d'enseignement. Son titre indique ce qu'il est : c'est en réalité le domaine des préparateurs. On y fait tous les travaux premiers de l'expérience qui se con- clura ensuite soit dans le laboratoire de recherches, soit dans celui du professeur. Pour nous, c'est encore une grande salle

310 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE L ARCHITECTURE

analogue aux précédentes, toujours bien éclairée, bien ventilée, et avec quelques dépendances particulières.

Entin le laboratoire de préparation du cours est celui qui attient à la salle de cours, et se préparent les expériences qui vont être réalisées sous les yeux des auditeurs. Ce labora- toire ne diffère des précédents que par la nécessité de sa com- munication immédiate avec la salle de cours. Pour les cours de physique, chimie, etc., on dispose, comme je vous l'ai dit, une grande baie dans le mur séparatif entre deux hottes, l'une dans le laboratoire, l'autre dans la salle de cours; les objets passent d'une salle à l'autre sur des tables au même niveau sous ces deux hottes, et un châssis à coulisses verticales permet de fermer cette baie au droit du mur séparatif.

Mais tout cela, c'est autant que j'ai pu vous l'exposer le laboratoire d'aujourd'hui. Que sera le laboratoire de demain ? Ce qu'exigera l'état de la science et son enseignement, c'est-à-dire encore l'inconnu. Un laboratoire, vous ai-je dit, est un instru- ment entre les mains d'un savant, et il veut que l'instrument lui convienne. Il faut donc prévoir des changements fréquents, et si la construction elle-même est forcément invariable, il n'en est pas de même des installations; puis, il faut penser que les besoins iront toujours en croissant. De résulte la conception de laboratoires actuellement plus que suffisants : il faudrait pouvoir y réserver de la place disponible; et il faut aussi que l'installation soit transformable. Pour cela, ayez le moins pos- sible de murs et de piliers intérieurs; si les portées de planchers au-dessus de vos laboratoires sont grandes, demandez la force plutôt à des poutres robustes et de longue portée, qu'à des points d'appui que la construction réclamerait peut-être mais qui seraient un obstacle aux transformations. Faites en un mot des laboratoires dont le périmètre aussi grand que possible

LES ÉDIFICES d' ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR 3 I I

soit autant que vous le pourrez vide de constructions inté- rieures.

Je voudrais bien pouvoir vous résumer ces considérations un peu longues et peut-être confuses pour vous. A certains égards ce n'est pas impossible. Vous voyez en effet que partout les programmes nous crient : de la lumière, de l'air, de l'ordre! Avant tout en effet vous aurez donné à des laboratoires leur caractère distinctif si vous en faites des salles évidemment éclai- rées, évidemment aérées. Évidences évidentes, direz-vous : il faut croire que non, car j'ai vu parfois dans vos plans des pièces qualifiées laboratoires, étroites et profondes, et éclairées par le petit côté : je ne répondrais pas de n'en avoir pas vu qui n'étaient pas éclairées du tout, sous prétexte que cela pouvait s'éclairer par en haut! Vous devez voir maintenant si c'est admissible.

Mais sauf cette prescription générale et absolue de large lumière et de large aération, de cube d'air libéralement accordé, le reste devient question de programme spécial. Or, je vous l'ai souvent dit et vous le savez bien, nous ne cherchons pas dans notre école à vous donner des recettes qui seraient bientôt surannées; nous cherchons à développer votre imagination et votre raison, à faire de vous des hommes capables d'étudier un programme et de satisfaire à des besoins.

Or, si nous cherchons dans nos archives, nous verrons que très souvent vous ou vos prédécesseurs avez eu à traiter des sujets d'enseignement supérieur. Mais les mots avaient un sens inconnu ; on ignorait ce qu'est une salle de cours ou un labora- toire; j'ai cherché à ce que désormais ces mots aient pour vous un sens; et si dans vos études, aujourd'hui, vous savez cher- cher à comprendre ce qu'est votre programme, ce que l'archi-

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ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

tecte doit loyalement faire pour que son œuvre soit utile, alors je ne suis pas inquiet pour vous : dans vingt ans, si vous avez à construire un édifice de ce genre, les programmes auront sans doute bien changé; mais vous saurez être alors l'homme du programme d'alors, parce que vous aurez appris aujourd'hui à être l'homme du programme d'aujourd'hui.

CHAPITRE VI LES ÉDIFICES D'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR

{Suite.)

SOMMAIRE. Les salles de collections. Éclairage. Lumière

verticale ou plafonds vitrés. Ateliers d'enseignement. Salles de dessin de musique. Manèges.

Salles des séminaires. Amphithéâtres de dissection.

Les collections jouent un grand rôle dans les établissements d'enseignement supérieur. On peut dire même qu'on en abuse, car chaque établissement veut avoir ses collections complètes; ainsi l'idéal des savants chacun dans sa chaire serait qu'il y eût une collection complète de minéralogie, par exemple au Muséum, à la Faculté des sciences, au Collège de France, au Conservatoire des arts et métiers, et dans les Écoles des mines, des ponts et chaussées, normales, etc.

Or, cela est nécessaire en effet pour les collections de labora- toires. Nous avons vu que, à chaque laboratoire, il faut une collection d'échantillons, mais non un musée. Et par salle de collection il faut entendre musée, c'est-à-dire l'endroit les objets sont sous verre, avec l'écriteau « défense de toucher ».

Les salles de collections peuvent être très variées de formes; il faut avant tout qu'elles livrent beaucoup de parois bien éclai- rées, car ici encore la première condition est que les objets exposés soient bien vus.

314 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l' ARCHITECTURE

Lorsque la salle est en réalité une galerie longue et peu large, la difficulté n'est pas grande : de hautes et larges fenêtres éclaireront suffisamment les vitrines contre la paroi opposée. C'est le parti adopté pour les galeries du Conservatoire des arts et métiers (fig. 698) entre autres exemples. Mais si la salle devient large, les fenêtres n'éclaireront bien que le bas des vitrines, à moins d'être très élevées ; et encore, ne vous y fiez pas trop, car on vous demandera, si la salle est haute, des balcons et des seconds rangs de vitrines.

Lors donc qu'une salle de collections dépasse une largeur normale de .8 mètres environ, et que son éclairage ne peut pas être bi-latéral, il est utile qu'elle soit éclairée par le haut, sans préjudice des fenêtres, multiplicité diffuse de la lumière étant toujours une excellente condition; d'ailleurs les fenêtres per- mettent le renouvellement d'air bien mieux que les ventilations artificielles.

,• Rappelez-vous en tous cas que cette difficulté d'éclairage est plus grande pour des salles de collections que pour d'autres salles auxquelles on pourrait les comparer. Ainsi, dans une bibliothèque, il importe de bien voir le dos des livres, amené à l'aplomb ou à peu prés du parement du meuble. Dans un musée il s'agit en général de bien voir des surfaces verticales. que fien ne met dans l'ombre. Dans la salle de collections, au contraire, il faut que le regard aille plonger entre les tablettes des ; armoires, . parmi les ombres portées possibles des divisions verticales et horizontales du meuble.

-Aussi l'éclairage vertical demande lui aussi à être employé judicieusement. Si la salle est étroite et haute, il sera trop ver- tical et les tablettes mettront les objets ex:posés dans l'ombre; si elle est large et basse, le jour sera trop oblique.

Il faut donc faire l'épure de vos jours. Pour une salle de,

LES ÉDIFICES d'eNSEIGNEMENT SUPÉRIEUR

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ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

proportions moyennes, vous trouverez une disposition ordi- naire avec châssis toujours vastes au milieu du plafond (fig. 699). Si la salle est haute et étroite, il faudra ou que le vitrage soit total, ou s'il n'y a de vitrines que d'un côté, le vitrage pourrait être reporté sur la moitié opposée du plafond, sans inconvénients pour l'éclairage, sinon pour l'as- pect de la salle (fig. 700). Enfin si la salle est large et basse,

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Fig. 699. Vitrage en plafond d'une salle de proportions moyennes.

Fig. 700. Vitrage en plafond d'une salle haute, n'ayant de vi- trines que d'un côté.

Fig. 701. Vitrage en plafond d'une s.ille de grande largeur.

un vitrage milieu ne suffirait pas, et il faudra soit un vitrage total, soit deux vitrages avec partie milieu opaque (fig. 701).

Et puisque je vous parle de vitrages, il faut bien comprendre que les vitrages n'éclairent bien qu'à la condition de recevoir eux-mêmes beaucoup de lumière. Et tout d'abord, écartons le vitrage unique, qui ne mettrait entre l'intérieur de la salle et l'extérieur que l'épaisseur d'une vitre. Je vous l'ai déjà dit, mais il y a des vérités qu'il faut répéter, lorsque les erreurs se répètent avec persistance : le vitrage unique est une cause de refroidissement intolérable, et réciproquement de chaleur pénible. Cela se comprend, ce me semble, sans démonstration. De plus, il expose la salle et tout ce qui s'y trouve à l'inondation directe si un verre se trouve cassé, ou si un joint trop ouvert laisse

•tEè- ÉDIFIÉES' Renseignement supérieur 317

rentrer l'eau chassée par le vent; la neige notamment s'introduit par les joints avec une subtilité désespérante. Ces effets s'amor- tissent lorsque entre la salle et l'atmosphère il y a interposition d'un plafond vitré et d'un espace libre. Enfin, le vitrage direct exptose la salle aux inconvénients de la condensation.

Savez-vous bien tous ce qu'est la condensation ? Lorsque de la vapeur d'eau est en suspension dans l'air l'air d'une salle par exemple elle reste à l'état gazeux tant qu'elle ne subit pas un refroidissement sensible ; mais si elle rencontre un corps froid, par exemple un vase contenant de l'eau froide, elle se condense au contact, et retourne à l'état liquide, en abandonnant Une partie de sa chaleur. Or, le même phénomène se produit si cette vapeur rencontre des parois froides, murs ou vitrages; seulement, si le mur est perméable, l'eau de condensation est absorbée; si la paroi est imperméable, et c'est le cas de la vitre , elle ruisselle contre le vitrage vertical, elle s'en détache et retombe en gouttes si le vitrage est horizontal ou simplement incliné. La pluie n'est pas autre chose que de la condensation, et les effets de la condensation dans une salle ne sont pas autre chose que de la pluie. Cela est si vrai que, dans des serres élevées, chauffées à la partie inférieure, et très arro- sées, où par conséquent il se dégage beaucoup de vapeur, on a vu parfois de la neige véritable se former à la partie supérieure et retomber en pluie ou neige fondue au contact de l'air chauffé. Et c'est ainsi ' encore que dans des salles ou plutôt des cours vitrées, par un temps de claire gelée, on voit parfois tomber des gouttes d'une pluie qui n'est que de la condensation contre le vitrage de la vapeur d'eau mélangée à l'air de la salle.

On a cherché bien des moyens de s'opposer à ce phénomène désagréable de condensation de Ja buée. Le meilleur est encore et sans contredit de n'avoir pas de surfaces exposées à un refroi-

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ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l'aRCHITECTURE

dissement capable de la provoquer, c'est-à-dire de n'avoir pas de vitrages directs.

Enfin, j'indiquerai encore une raison contre l'emploi des vitrages directs, c'est qu'en général ils ne donnent pas un éclai- rage satisfaisant : non pas faute de lumière, mais parce que la lumière arrive trop comme en plein air, avec les inconvénients de l'exposition au soleil et à l'ombre. Pour des collections, il faut que la lumière pénétre partout, à peu prés égale; pour cela,

il faut, suivant l'expression consacrée, qu'elle soit tamisa. C'est l'effet du pla- fond vitré, lequel est le plus souvent en verre dépoli. La lumière traverse alors le vitrage de toiture, et, arrivant sur cette surface dépolie, se répartit éga- lement en tous sens : elle est moins vive, mais plus égale.

Concluez donc que vos salles éclai- rées du haut doivent comporter un double vitrage : vitrage de plafond, vitrage de toiture. Mais ici, laissez-moi Fig. 702 - Vitrages de plafonds. ^q^(^ yQus dlrc combieu, saus savoir

Indication vicieuse. '

d'ailleurs pourquoi, vous les indiquez mal dans vos coupes. Vous projetez un plafond vitré, et vous élevez sur ses bords des costiéres ou cloisons qui montent jus- qu'à la toiture vitrée (fig. 702). Votre vitrage horizontal est ainsi le fond d'une sorte de boîte, vitrée aussi à sa partie supé- rieure.

Cela est tout simplement absurde. Vous faites une partie vitrée dans un plafond : c'est très bien : il faut que ce plafond vitré reçoive le plus de lumière possible, et il faut que ses verres puissent être très jréqimnment nettoyés.

LES ÉDIFICES d'eNSEIGNEMKNT SUPÉRIEUR

519

Pour qu'il reçoive le plus de lumière possible, faites le comble vitré qui l'éclairé le plus grand possible, beaucoup plus grand si vous le pouvez que le plafond; alors seulement le plafond vitré vous représentera une fenêtre horizontale ouvrant sur de vastes espaces éclairés et non sur un puits. Qui vous dit d'ailleurs que . cet éclairage du comble sera à plomb de votre plafond? Souvent ce ne sera pas possible, ou ce ne sera pas désirable si vous voulez que la lumière vienne dans votre salle sous une direc- tion déterminée (fig. 703).

Et pour que les verres puissent être nettoyés, il faut qu'on puisse circuler autour : rappelez-vous donc cette pres- cription nécessaire : un châssis de pla- fond doit être ouvert dans le plancher d'un grenier accessible : il faut tout autour un véritable chemin facilement praticable (fig. 704). ^ ,,^^ ^^^ _ p,^f„„j ^, ^, ^^^^

Encore une recommandation maté- vurage de toiture.

rielle à propos des salles de collections : vos planchers devront être très résistants, car vous ignorerez toujours quelle surcharge on leur imposera. Ils seront chargés le long des murs, mais très sou- vent ils le seront aussi par des meubles-milieux, vous aurez quinze ou vingt ti- roirs remplis d'échantillons de minéralogie par exemple, . .

c'est-à-dire de pierres et métaux. C'est une question de pre- mière importance à étudier de concert avec ceux. qui seront

4

Fig. 704.

- Plafond vitré avec circulations de service vu par-dessus. (Plan i l'étage des combles.)

3 20 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE LARCHITECTURE

chargés de ce placement; mais, je vous le dis d'avance, n'espé- rez guère être renseignés, et prévoyez de très fortes charges, à moins qu'on ne vous garantisse expressément et officielle- ment un maximum ce qui n'arrivera jamais.

Dans ces salles de collections, il faut satisfaire à diverses nécessités que je vous expliquerai plus loin, à l'occasion des Musées. iMais lors même que ces salles ne seraient pas publiques, il y faut toujours outre la lumière un chauffage judicieux, de l'ordre et de la surveillance. Pour le chauffage on se trouve parfois entre deux préoccupations contradictoires : assurer le bien-être des travailleurs, mais aussi ne pas compromettre par des émissions de chaleur trop voisines la conservation des objets exposés. Il ne peut pas être tracé de régies géné- rales à cet égard, et ce sont comme on dit des questions d'espèces.

Sous la rubrique « enseignement », il faut comprendre encore diverses salles répondant à des programmes spéciaux. Et d'abord les vôtres. Chez vous, la salle de cours est ce qu'elle est ailleurs, je n'insiste pas : ce qui est particulier à vos études c'est l'atelier collectif. Ici encore, c'est la nature du travail qui déterminera la forme; pour les architectes, l'atelier doit être une salle avec de nombreuses fenêtres, en réalité une galerie, car il est rare qu'on puisse utilement dessiner sur une troisième table, à moins que l'ateHer ne soit conçu comme ce que je vous ai indiqué pour le laboratoire de botanique de la Faculté des sciences. D'ailleurs, cette nécessité que vous comprenez de reste pour l'atelier d'architectes est la même pour tous les ateliers le travail est individuel, par exemple les salles de dessin gra- phique, de gravure, les ateliers d'une école du meuble ou du livre, etc.

L'exposition désirable est le jour du nord; les fenêtres mon-

LES ÉDIFICES d'eNSEIGNEMENT SUPÉRIEUR

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tant aussi haut que possible et descendant presque jusqu'aux tables. Tout autre est l'atelier de vos camarades peintres ou sculp- teurs. Là le travail est convergent : un modèle vivant ou un plâtre est reproduit par chacun des élèves groupés autour. Les places ne sont pas marquées, mais tout naturellement les sièges se trouvent disposés en demi-cercle. C'est aussi d'ailleurs la dis- position des salles de dessin, sauf que dans ces dernières les places sont en gradins (fig. 705).

lum

Fig. 705, Plan des salles de dessin et de modelage, à l'École des Beaux-Arts.

Naturellement, l'éclairage est ici la grande question. Il faut le jour du nord, venant de haut, et il est bon qu'il arrive à la fois par de grands jours verticaux et par des châssis de toiture. On peut toujours restreindre au besoin l'éclairage par des stores, et il est prudent de le prévoir très large, en se rappelant que la lumière doit éclairer à la fois le modèle et les travaux des élèves. Pensez toujours aussi à la possibilité du nettoyage des vitres, soit par des accès extérieurs, soit par des parties ouvrantes. Si l'atelier est au rez-de-chaussée, on peut encore assurer ce net- toyage par des échelles, mais non si cet atelier est dans un étage supérieur. C'est souvent l'objet d'études très délicates.

ÉUmtnls tt Théorie dtTArchitttturi, II. 21

322 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE L ARCHITECTURE

Quant au dessin dans les galeries de modèles, nous en parle- rons à l'occasion des salles de musée.

Pour l'enseignement de la musique, on dispose des classes il faut obvier à deux inconvénients : perception dans la classe des bruits extérieurs; expansion du bruit de la classe dans des classes voisines.

Pour s'affranchir des bruits extérieurs, il faut éviter que les classes soient disposées sur des rues, on réserve plutôt cette situation pour les corridors de circulation. On évite aussi dans la mesure du possible que des classes se fassent vis-à-vis dans une cour étroite. Quant à la communication du bruit de la classe elle-même, on n'y peut obvier en partie que par l'inso- norité de la construction, et en cherchant à séparer les classes par interposition de cabinets, de lavabos, de vestiaires, etc.

Certaines classes représentent en petit une réduction de scène, avec la pente du plancher, ou sont disposées pour un chœur ou l'orchestre. Ce sont alors des diminutifs de salles de théâtre ou de salles de concert.

C'est encore à l'enseignement que je dois rattacher des salles il se rencontre également des maîtres et des élèves. Tels sont les manèges.

Le manège est une salle rectangulaire; la longueur est environ trois fois la largeur, ces mesures prises pour l'espace libre laissé à l'équitation. Si donc il y a des tribunes, ce sera en dehors de cet espace. La salle doit être bien éclairée, par des jours élevés répandant une lumière diffuse sans ombres portées trop vives. Le mieux est certainement d'avoir des fenêtres sur toutes les faces ou tout au moins sur les deux grands côtés. Ces jours verticaux peuvent d'ailleurs se compléter par un châssis de toiture, et il faut prévoir un renouvellement facile de l'air, comme partout manœuvrent des chevaux.

LES ÉDIFICES d'eNSEIGNEMENT SUPÉRIEUR 323

L'entrée sera mieux placée sur l'un des petits côtés, afin que si le cheval d'un cavalier novice s'effraie, il ait du champ devant lui.

Aucune saillie n'est admissible jusqu'à la hauteur de i'" }o environ ; dans cette hauteur, les murs sont revêtus de lambris en planches ou en frises, unis, et assez inclinés, formant ainsi une pyramide tronquée dont le sommet serait à une grande pro- fondeur au-dessous du sol. Il faut en effet que, si le cheval longe les murs dans sa course, le cavalier ne soit pas blessé aux genoux ou aux épaules. Les angles de la salle ne doivent jamais être émoussés par des pans coupés ou des parties rondes, l'un des exercices les plus fréquents étant précisément de faire tourner court le cheval dans l'angle des deux murs.

Il importe que le manège soit en communication assez directe avec les écuries; le cheval est souvent tout mouillé de sueur après la séance, et il y aurait danger à l'exposer sans tran- sition au froid extérieur. Il est bon aussi qu'il y ait des vestiaires ou cabinets de toilette pour les élèves.

Le manège peut être un bel édifice, et il y en a eu de beaux exemples. Un projet de manège pour les Tuileries, je crois, de Philibert Delorme, nous a été conservé. C'est une application des combles dits à la Philibert Delorme. Mais, je ne puis malheu- reusement vous en citer que vous puissiez visiter. A Versailles notamment, il y en avait de fort intéressants. Absorbés aujour- d'hui dans les casernes d'artillerie, ils sont très dénaturés. Il en a existé autrefois aux Tuileries, et c'est dans une salle de manège que tinrent séance l'Assemblée législative et la Conven- tion nationale. Je vous indiquerai comme exemple un manège construit à Caen, et qui correspond bien à la théorie (fig. 70e).

C'est encore l'enseignement qui motive, dans un tout autre ordre d'idées, les salles qu'on appelle salles d'exercices dans les

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ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

séminaires. Ce sont des salles les élèves apprennent à exécu- ter les mouvements prescrits par le cérémonial religieux. On y figure les offices, et par conséquent cette salle doit reproduire matériellement la disposition d'un choeur d'église. Mais c'est sa seule analogie avec l'église même, et il convient au contraire que son caractère ne puisse créer aucune confusion avec une chapelle consacrée.

Quant au surplus de l'enseignement religieux dans les sémi- naires, les salles nécessaires ressemblent de tous points à des classes ou salles de cours; le caractère artistique seul peut différer. Je vous en ai d'ailleurs entretenu plus haut. Les hôpitaux comportent aussi des salles de cours pour les leçons cliniques. Généra- lement, l'occasion de la leçon est une autopsie; il importe par conséquent que le public, parfois assez nombreux, puisse voir suffisamment le cadavre; c'est donc le cas d'une disposi- tion convergente, et la forme d'hémicycle est évidemment la plus appropriée à ce programme.

Fig. 706. Coupe transversale d'un manège à Caen.

Je ne puis quitter les locaux d'enseignement sans vous parler d'un groupe bien spécial, et dont le rôle est très important dans les études scientifiques : les pavillons de dissection des écoles pratiques de médecine. Ce sont de véritables laboratoires d'en- seignement, mais des laboratoires dont le caractère est déter- miné par des nécessités particulières.

Vous savez quelle est dans les études médicales l'importance

LES ÉDIFICES d'eNSEIGNKMENT SUPÉRIEUR 325

des travaux pratiques, et notamment de la dissection. Depuis longtemps, l'expérience a fait prévaloir pour ces études le sys- tème des pavillons isolés. Un nombre restreint d'étudiants, souvent trop grand faute de places ou faute de sujets, se groupe autour d'une table en pierre sur laquelle est couché le cadavre. Un professeur, assisté de quelques aides, fait la démonstration et guide les étudiants dans leur travail. Pour cela, chaque pavillon est éclairé sur toutes ses faces par des fenêtres élevées qui font arriver de haut le jour nécessaire; une ventilation énergique est indispensable et s'opère par des gaines sortant de la toiture.

L'ensemble de l'École pratique comporte de nombreuses dépendances, et tout d'abord les dépôts de cadavres dans des salles ventilées et munies d'appareils frigorifiques; des dépôts d'instruments et de matériel, ceux des résidus..., etc. Tout cela est très spécial et exige une étude particulière qui sort du cadre de la théorie générale : je ne puis mieux faire que de vous montrer le plan très ingénieux de l'École pratique de Paris (fig. 707) par L. Ginain, en observant toutefois que si tout le possible a été ùnt, la liberté des accès et l'aération générale ont forcément souffert de l'exiguïté du terrain pour un programme aussi complexe.

Ainsi que vous le verrez par ce plan, il est nécessaire que les pavillons soient accessibles non seulement aux piétons, mais à la circulation des voitures qui doivent faire aussi décemment que possible le transport des cadavres et des résidus de la dissection.

A ces quelques indications doit se borner ce que je puis vous dire sur ce sujet très particulier, dont la réalisation exige une entente complète entre l'architecte et le personnel enseignant. C'est dire que le programme n'a rien de fixe, et peut varier essentiellement suivant les idées qui présideront à sa rédaction.

326 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l' ARCHITECTURE

Dans ce programme si vaste de l'enseignement, avons-nous tout vu ? Non, certes. Nous n'avons même rien vu assez à fond pour que vous puissiez trouver dans ces indications les éléments complets d'une étude spéciale : le jour vous aurez et je vous le souhaite à vous mesurer avec ces programmes, vous aurez alors à les creuser, et à vous spécialiser pour le temps de cette étude. Mais si, comme je l'espère, vous avez appris à vous orienter, à comprendre ce que vous devez chercher, à distinguer l'objectif nécessaire de votre étude, je n'aurai pas perdu mon temps. La science pour laquelle vous travaillerez un jour n'existe peut-être même pas encore : ainsi, qu'était la bactériologie il y a vingt ans? L'avenir d'hier le domaine infini de demain. Ce que vous ferez, je l'ignore. Mais je sais que si vous êtes des archi- tectes dévoués à vos programmes, si vous savez vous interdire les conceptions a priori, si vous savez vous pénétrer avant tout de la réaUté des besoins à satisfaire et regarder résolument la vérité en face; si vous ne sacrifiez pas à une disposition ou à une forme en disant « il faudra bien qu'on s'en arrange » ; si vous parvenez à cette conception de votre art qui place la vérité avant tout, vous ferez alors des œuvres qui seront bonnes, et qui vous récompenseront par l'originalité inévitable de ce qui est logique, de ce qui est pensé, de ce qui est vrai.

L'équation parfaite entre la solution et le programme, voilà, dans la plus haute acception du concept artistique, l'élément certain du caractère, le gage de l'originalité. Et jugez -en vous- mêmes, voyez dans les oeuvres de vos maîtres quelles sont celles que vous seriez le plus fiers d'avoir conçues et étudiées? Celles précisément qui répondent à cette noble ambition de l'artiste, et qui permettent d'évoquer pour l'architecture aussi ce principe si sûr :

« Rien n'est beau que le vrai » !

CHAPITRE VII LES ÉDIFICES D'INSTRUCTION PUBLIQUE

y, SOMMAIRE. Les Édifices d'instrtiction publique. Le Musée.

Conditions générales. Mise \ en valeur des objets exposés.

Musées d'art. Sculpture. Peinture, dessins, gravures; modes

divers d'éclairage des salles. Les salles du Musée du Louvre.

Salles à vitrines pour objets de petites dimensions.

En étudiant les édifices d'enseignement, primaire, secondaire, supérieur, nous n'avons pas épuisé, il s'en faut, les programmes ^*^i/^ que comportent les édifices d'instruction publique. S'il y a en effet les édifices l'on enseigne, il y a aussi ceux qui ont pour objet d'instruire sans enseignement direct : tels sont les musées, les bibliothèques, etc.

En réalité, toutefois, cette différence n'est pas absolue : il n'y a guère de grande école qui n'ait ses musées ou ses biblio- thèques, et il est rare qu'une bibliothèque ou un musée ne comporte pas quelques salles d'enseignement. Mais dans un cas comme dans l'autre, l'accessoire ne modifie pas le caractère principal de l'édifice; et pour nous, au point de vue particulier de ce cours, nous avons à voir quelles sont les conditions à remplir pour ces éléments du musée et d'autres programmes de même famille, quelle que soit d'ailleurs leur importance dans une composition générale.

328 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l'aRCHITECTURE

A propos de l'enseignement supérieur, je vous ai parlé déjà des salles de collections : j'aurais peut-être attendre que nous fussions en présence des musées ; je vous ai parlé aussi de bibliothèques, mais plutôt pour vous en indiquer la nécessité dans certains ensembles que pour vous montrer les nécessités de leur construction. C'est à ce point de vue plus spécial que nous devons nous placer dans la présente étude.

Examinons d'abord les Musées : c'est le sujet le plus vaste.

Considérés en vue de leur destination, les Musées offrent des variétés infinies, depuis le grand Musée national jusqu'au simple cabinet d'amateur : nous avons le Musée artistique le Musée archéologique le Musée scientifique le Musée X industriel chacun avec ses variétés : le Musée artistique -J" recevra des tableaux, des statues, des dessins, des estampes, f des objets de vitrines, des médailles : tout cela, appartenant à des civilisations dont l'évolution est accomplie, ou aux arts contemporains. L'archéologie remonte aux époques préhisto- f^^ip^ "~^ riques, et confine aux temps modernes ; elle étudie les objets les plus variés, l'iconographie, les inscriptions, les armes, les usten- siles, le vêtement tous les vestiges survivants des époques lointaines. Plus grande encore est la variété des Musées scienti- fiques, soit qu'ils nous montrent les produits de la nature, les classifications des corps, des minéraux, des plantes, des ani- maux ; soit qu'ils nous invitent à étudier les produits de la science. Ils se rattachent alors aux Musées industriels, dont la variété infinie n'a pas besoin d'être démontrée.

Ce sont encore des questions de programmes, et souvent une salle de musée devra satisfaire à des conditions toutes . particulières qu'on ne saurait prévoir d'avance.

Mais, heureusement, il y a des données générales aussi, et

LES KDIFICKS D INSTRUCTION PUBLIQUE

329

pour nous le programme dans son ensemble est en réalité assez simple : cherchons d'abord les qualités qui seront de mise dans ■^ tout musée.

Avant tout, il faut que les objets exposés soient bien vus : ' question d'éclairage, mais aussi question d'accès. Dans un musée, on voit en s'arrOtant, et on circule; toute salle de musée fait partie de la circulation générale, qui souvent ne peut se faire que par ces salles; il faut donc que la circulation ne dérange pas ceux qui regardent ou qui étudient : et pour cela il fiiut que la circulation puisse se faire en arriére des specta- teurs : rien n'est insupportable comme les circulations qui s'interposent entre vous et l'objet que vous regardez. ^^

Or, la circulation est déterminée par la ligne des portes. Si donc les objets exposés sont \/^ ] de ceux qui exigent du recul,' comme les tableaux ou les

y

m

statues.^ la ligne de foulée^*' pour ainsi dire de la circula- tion, devra être assez éloi-

* gnée de la paroi ou de la ligne des piédestaux. Vous

/devrez donc éviter des dis-

~ positions comme celle de la figure 708 la ligne A-A des portes est trop voisine . des parois d'exposition. Mais il n'en sera pas de même si le musée comporte des objets de vitrines qu'on voit sous l'œil ; en ce cas, une largeur assez restreinte C-C, un mètre au plus, entre la façade des vitrines et les ouvertures de portes suffit (fig. 709); cela permet d'ailleurs de placer au centre des vitrines basses. Eh bien, à ce point de vue de la disposition des passages,

Fig. 708. Salle pour tableaux.

A-A, circulations gênantes. B-B, circulation com- mode.

Fig. 709. Salle pour

vitrine. C-C, circulatioiu commodes.

/^^U.^'

330 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l' ARCHITECTURE

les salles de musée quelle qu'en soit d'ailleurs la destination, peuvent se ramener à deux groupes : celles il faut du recul, celles il n'en faut pas, La disposition dépendra essentielle- ment de la nature des objets exposés : dans le premier cas, c'est l'aspect qu'on veut voir d'abord, c'est l'impression d'ensemble ;,i.av/»>H^ qu'on veut ressentir, sauf à étudier ensuite les moyens : tel est avant tout le tableau et la statue ; mais tel sera aussi le meuble, ^j^ l'armure, la tapisserie, etc., etc. Dans le second cas, il s'agit ou

de regarder de petits objets, bijoux, porcelaines, ivoires, etc.,fou ^ d'analyser des objets qui valent par l'emploi de leurs organes, tels que les instruments de physique, des modèles d'outil- lages, etc.

Voilà donc la considération qui doit d'abord vous guider dans votre composition. Il y en a une seconde plus importante encore, c'est celle de l'éclairage; nous y viendrons plus loin, y^'

Pour l'instant, continuons à chercher quelles seront les con- ditions communes aux divers Musées, avant d'entrer dans les différences spécifiques.

Je n'insisterai pas sur la facilité et la simplicité des moyens d'accès : (cela reviendrait à dire une fois de plus qu'on ne saurait [jamais trop mettre d'ordre dans une composition.)

Mais je veux appeler votre attention sur le caractère com- mun aux diverses salles de musée bien comprises. Là, l'architec- ture et la décoration n'ont pas d'autre raison d'être que de faire valoir les objets exposés; l'architecture ne doit pas être une cause de distraction pour le visiteur.

Est-ce à dire que je regrette la beauté de certaines salles du Louvre ou du Palais Pitti par exemple? Nullement, mais quand je vois des tableaux de je ne sais quel peintre dans la chambre de Henri II au Louvre, je ne les regarde pas, je ne m'aperçois

LES ÉDIFICES d'iNSTRUCTION PUBLIQUE 33 I

de leur présence que pour les maudire de m'avoir gêné dans mon admiration pour cette magnifique pièce, et je sors de ignorant de qui sont ces malheureuses peintures, ignorant si elles valent quelque chose ou non, parce que la chambre de - - Henri II est trop belle, et que le seul musée qu'on pîîîsse y admettre, c'est elle-même, et que tout ce qu'on y peut placer '' ne peut que nuire à la beauté d'une œuvre d'art incomparable.

De même lorsque pour la première fois j'ai visité le Musée du Palais Pitti à Florence, j'en suis ressorti n'ayant vu ni un tableau, ni une statue : la magnifique décoration de ces salles avait retenu toute mon attention : et encore je voudrais que ces salles fussent débarrassées de tableaux, car elles méritent à elles seules d'être vues pour elles-mêmes, avec les parois prévues pour supporter leurs voûtes que seules nous voyons aujour- d'hui.

Mais, je le répète, ce sont des salles qui n'ont pas été créées pour des musées, pas plus que les grands salons de Ver- sailles, d'où, fort heureusement, on est à peu prés arrivé à enle- ver les tableaux dont les avait encombrés un zélé barbare. La }^y vérité, c'est qu'une salle de musée est une salle dont les murs seront cachés; dès lors, non seulement il est inutile de les décorer de motifs d'architecture dont l'effet serait perdu, mais ces motifs colonnes, pilastres, panneaux, etc. tronqués «^.-^'^"^ par les cadres, les vitrines, les objets exposés feraient le plus déplorable effet. Et ce n'est pas l'architecture seule qui en souffrirait, ce sont aussi les objets exposés, ceux pour lesquels est fait le musée. Comment juger des contours d'une statue par exemple, si elle se détache sur un fond composé de toutes sortes de saillies, de compartiments, de marbres divers, d'arcades, en un mot de lignes et de colorations qui viendront au hasard ' contrarier les aspects de ces contours ?

332 ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

Non, il faut que le visiteur ne soit pas distrait par l'architec- ture, il faut que la décoration ou tout au moins l'intérêt de la salle de musée soit dans les objets exposés. La décoration, tou- jours sobre d'ailleurs, doit commencer au-dessus seulement. En?' d'autres termes, la salle de musée comportera d'abord des parois /' tranquilles, des grands plans verticaux, soit qu'ils servent de ^'•'^ fonds perspectifs, soit qu'ils forment adossements; la décoration sera réservée à la partie supérieure, aux plafonds et aux voûtes.^ Aussi verrez-vous souvent dans les salles des musées les -^ j^^ parois verticales en tons unis ou presque unis, puis au haut une frise décorée et une corniche plus ou moins ornée; enfin le plafond ou la voûte reposant sur cette corniche, mais sans ^^f-^'^ Retombées sur des motifs verticaux. Les voûtes seront de préfé-

■[ rencè en berceau et en arc de cloître; si elles présentent des*-'-**^"** ""^^ combinaisons de pénétrations, voûtes d'arêtes, pendentifs, les/*""-^ retombées seront plutôt des consoles ou des culs-de-lampe. "^ Ainsi, au Louvre, le salon carré, la salle des Sept chemi- nées, les salles des antiques pour la plupart sont voûtées en " ' ' arc de cloître; tandis que dans la partie qu'on appelle Musée Charles X, au milieu des colonnes et des pilastres, on ne peut exposer que de petits objets de vitrines. Le programme du Louvre est assez vaste pour comporter ces variétés. Mais en général la régie s'impose des parois unies et d'aspect tranquille et reposé.

Toute régie cependant a ses exceptions. Les exceptions ici seront de deux sortes : elles seront motivées par la nature par- ticulière des objets exposés, ou encore par ce fait que le musée ne sera pas exclusivement un musée.

Il est évident que si dans une salle de musée on doit exposer seulement de petits objets, très délicats, qui doivent presque être regardés àlajoupe, en tous cas de très près, l'exposition

h\^ '

LES HDIFICES D INSTRUCTION PUBLIQUE 333

n'atteindra pas deux mètres en hauteur. Tel est, par exemple, le musée des médailles à l'Hôtel des Monnaies. Il en serait de même pour un musée de bijouterie, d'orfèvrerie, par exemple la salle des Gemmes à Florence. Alors il devient néces- saire que la salle reçoive une décoration élégante et discrète, en rapport avec la délicatesse des objets exposés.

Entendez bien toutefois que cette relation, cette harmonie entre la salle et les objets de musée n'implique pas le pastiche, ^^f^jXÂ^^ tout au contraire. Il n'y a pas de contresens plus choquant que la conception fausse qui consiste à placer des collections japonaises par exemple dans un décor de faux japonais, des collections égyptiennes dans un décor pseudo-égyptien.

f]t me permettrai enfin un avis qui, à vrai dire, s'adresserait plutôt aux conservateurs des musées qu'à leurs architectes : ; c'est d'éviter l'encombrement. Que pour le Salon annuel on se croie obligé de couvrir de peintures le moindre centimètre carré de parois, cela se conçoit par le motif mauvais d'ail- leurs — qu'on veut faire le plus grand nombre possible d'heu- reux. Mais pour un musée permanent, qui est censé ne montrer que des oeuvres de premier ordre, rien n'est odieux comme cet entassement. Lorsque les tableaux se touchent en tous sens,."'' ' comment apprécier une peinture délicate juxtaposée à des bru- talités violentes? Il faudrait que chaque tableau pût être isolé par une bande du fond commun de la tenture; mais il faudrait ^"

pour cela comprendre que tout l'intérêt d'un musée est dans la sélection sévère des chefs-d'œuvre, (et ne pas mettre son amour- propre à grossir sans relâche le nombre des numéros des cata- logues. Il n'y a pas de musée, à commencer par le Louvre, qui ne dût gagner beaucoup au renvoi, fût-ce dans un grenier, de - trop nombreuses oeuvres d'ordre inférieur. Voyez, par exemple,

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334 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l' ARCHITECTURE

combien ont gagné en valeur les compositions décoratives de Rubens, depuis que dans la belle salle appropriée par M. Redon chacune est devenue en quelque sorte un monument artistique (%• 710).

Quant aux musées qui ne sont pas exclusivement des musées, leur caractère procède alors d'un autre programme. Et dois-je me permettre de le dire? Ce sont les musées les plus aimables à voir : telle la galerie d'Apollon, ou le portique de la Villa Albani (fig. 7 11 -7 12), ou le Casino de la Villa Borghése (fig. 713), ou même ce musée en plein air qu'est la façade de la Villa Médicis. Je dirai plus, ce sont les seuls la satisfaction soit pure, l'on ne ressente pas cette vague impression de cimetière qui vous désole à l'entrée de ces grandes nécropoles des arts qu'on appelle les musées officiels.

Et, au risque d'une digression, puisque nous causons entre artistes, permettez-moi d'adresser devant vous aux musées un peu des malédictions qu'ils méritent.

Les musées sont tellement entrés dans nos habitudes d'es- prit, i qu'on doit certainement être taxé de paradoxe si l'on ose dire qu'ils sont une des créations les plus funestes aux arts : rien n'est cependant plus vrai.

A toutes les époques vraiment inspiratrices de progrés artis- tiques, le musée était chose inconnue ; (surtout, on n'aurait jamais compris qu'un artiste fît une œuvre pour qu'elle allât immédiatement s'enterrer dans ce domaine des morts. Alors, la peinture était faite avant tout pour la décoration architecturale et pour l'instruction publique, l'élévation morale de la généra- tion; toute peinture avait son emplacement, sa destination, son cadre, elle était une partie d'un tout, en harmonie avec les autres éléments. Alors, l'art de la peinture, c'était avant tout la fresque, la peinture murale; le tableau n'a existé que longtemps

ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l'ARCHITECTORB

Tome II

P««e 554

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-Jî

I

LES ÉDIFICES d'iNSTRUCTION PUBLIQUE 335

après la peinture, et lui aussi avait sa destination, son entou- rage, sa lumière nécessaire. La sculpture également, et il est

Fig. 712. Villa Albani, i Rome. Vue,

.:^g;fc^l; ijv^VyVi/M

Fig. 711. Villa Alb.iiii, i Konn:. Plan.

impossible de prononcer ce mot sans que la pensée se reporte à d'éternels chefs-d'œuvre conçus et faits pour un monument,

33é

ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

pour une place, qu'il s'a-

gisse d'ailleurs des œuvres jg de Phidias, des sculptures

9

'jMÇ, des cathédrales ou des tombeaux des Médicis à Florence.

Et quant aux objets d'art IJ-^ ' 1_^^^^,..^ survivant à leur temps, ''' jf^x'x'Vl.L^^JïL tels que les nombreuses

œuvres antiques décou- vertes dans les fouilles ces œuvres qui nécessai- rement n'ont pas d'appli- cation moderne, elles furent d'abord l'objet de

Fig. 713. Plan et vue du Casino-Musée de la Villa Borghèse.

LKS ÉDIFICES d'iNSTRUCTION PUBLIQUE 3 37

collections particulières, ou plutôt le mot n'est pas juste : des amateurs véritables vivaient avec ces œuvres, leur faisaient une place dans leur intimité, les disposant dans leurs salons, leur bibliothèque, leur salle à manger, les vestibules ou les portiques de leur palais ou de leur villa. Mais leur nombre grandissant, la restriction des fortunes princiéres d'autrefois a exigé pour ces restes du passé un abri. Pour elles le musée est légitime, car il est alors un moyen de conservation, un témoignage de

;;it,vifù^çiété respectueuse^ pour ce qui serait sans objet à défaut de cet asile.,,') .' ^

Oui, asile, campo-santo, cimetière, peu importe le mot : c'est le domaine du passé, l'abri ou l'hospice de ce qui n'est plus vivant. Le chef-d'œuvre même, s'il n'a plus d'autre séjour pos- sible, viendra s'y enterrer; là, il n'aura plus rien de ce qui faisait son entourage, sa signification, sa raison d'être : du moins, il sera abrité, (et si on le voit mal, /'si on le juge mal, on le voit et au besoin on peut le devinei).u - '

Mais on en est arrivé à cette singulière idée que l'inscription dans un catalogue de musée soit la plus grande fortune qui

^y-' puisse échoir à une œuvre d'art. Nous voyons au Louvre et c'est monstrueux des sculptures dont la place est vide à Versailles et à Fontainebleau ; la belle cheminée de Fontainebleau est dépouillée du bas-relief équestre de Henri IV, par Jacquet de Grenoble, et il se trouve des fanatiques qui voudraient dépouil- ler l'Arc de l'Étoile du bas-relief de Rude au profit d'une salle de musée ! Nous voyons plus étrange encore, un Musée des artistes vivants !

Et qu'arrive-t-il dès lors? Le Musée des vivants appelle des œuvres faites en vue du musée, c'est-à-dire les œuvres sans but, sans signification, sans raison d'être ! Art de virtuoses peut-être, de gens habiles, art stérile quand même, art inférieur en tous

ÉUments et Théorie de V Architecture. II. 21

338

ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

eas, car il n'y a d'art vraiment grand que celui qui se consacre à une mission supérieure et désintéressée.

Mais enfin. Ile musée existe, et il nous faut faire le mieux

possible des salles de musées. Ici, après les grands pro- blèmes de composition géné- rale, le souci de l'architecte doit être que les objets expo- sés soient bien vus, et pour cela qu'ils soient bien éclairés. C'est la question capitale en matière de musées. ' ; Or, la composition adoptée placera vos salles dans deux situations très différentes à ce point de vue : ou elles pour- ront être éclairées par le haut, ou elles ne pourront s'éclairer que par des jours verticaux dans une ou plusieurs parois.

Plan du Musée des Antiques au Louvre /^ i

(disposition ancienne). Cc demier cas sera notam--

A'iardin de l'Infante. B-B-B, salles du Musée des Antiques. t-Mont r/alnî Ac^c ciIIac ô re^r/

C, escalier sortie da Musée. D, cour du Musée. IIlcUL LCIUI UCÏ> bdlICb d. IC/.-

E, bureaux du Musée. F, grand escalier. G, remises. . , , . vi i

- H.guuhet. de-chaussee lorsqu il y a plu-

sieurs étages. Et si nous nous attachons d'abord au musée d'art, ce sera le plus souvent la condition des salles de sculp- ture. Tel est le cas au Louvre (fig. 714) : mais il faut ajouter tout de suite que les rez-de-chaussée du Louvre n'ont pas été faits pour des musées, et que, par conséquent, il ne serait pas juste de critiquer ici des insuffisances d'éclairage.

Supposons pour le moment que vous ayez à exposer le

ÇUAl W LOUVI^E

Fig. 714.

LES ÉDIFICES d'iNSTRUCTION. PUBLIQUE 339

mieux possible une seule statue, par exemple la Vénus de Milo ou le Germanicus. Pour que l'éclairage fasse valoir toute la beauté de l'œuvre, il ne devra être ni trop vertical, car en ^^^^j^ tombant d'aplomb sur la statue, il porterait des ombres trop accentuées, ni trop horizontal, car il ne permettrait de saisir ni les mouvements ni les modelés. Il devra donc être élevé et oblique. Il faudra d'ailleurs qu'il ne vienne pas de tous les côtés, car pour la sculpture une diffusion d'éclairage supprime tout ,. effet, et partant tout modelé. - - -

Ces conditions sont réalisées au Vatican, dans la partie du Musée qu'on appelle la Cour du Belvédère (fîg. 715) : aux angles de cette cour, on a disposé des loges, sorte de petites salles ouvertes sur la diagonale de la cour : dans chacune de ces loges est une oeuvre unique, l'Apollon, le Persée, le Mercure, le Laocoon; prés de là, le Torse et le Méléagre : et assurément ces sculptures doivent en partie leur célébrité à la beauté de cet éclairage et de cet isolement : en somme, une large et haute ouverture, laissant entrer une belle lumière qui éclaire de haut et obliquement l'œuvre exposée (fig. 716).

Mais cette condition d'une salle spéciale pour une œuvre unique est rare : elle n'est admissible que pour des sculptures de premier ordre, qui méritent une situation exceptionnelle. Le plus souvent, des salles assez étendues reçoivent des sculptures nombreuses. Or, rarement ces salles sont assez hautes, rare- ment surtout la lumière y pénètre d'assez haut pour bien éclai- rer les sculptures. Pourtant il y en a des exemples; ainsi, le Musée de la Villa Albani à Rome offre un excellent éclairage des statues : c'est un large et haut portique voûté et ouvert, les piédestaux sont pour la plupart isolés au milieu de la lar- geur du portique. Dans votre École même, le vestibule sur le quai est une bonne salle d'exposition de sculpture : on peut

340

ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

dire que toute salle assez large et assez haute, si les jours s'élèvent assez haut dans la paroi, sera une bonne salle de

LES ÉDIFICES d'iNSTRUCTION PUBLIQUE

341

sculpture, à condition que les statues ne soient pas placées contre la paroi éclairante, toujours afin' que la lumière puisse être élevée et oblique.

Mais, lorsque la composition le permet, le_ipur du haut est encore le meilleur, pourvu qu'il ne tombe pas à plomb sur les statues. Un exemple très réussi de cette disposition est la salie

Fig. 716. Coupe Ju lîelvcdcre, au Vatican.

du Vatican dite le Braccio Nuavo (fig. 717). La salle est longue, voûtée, suivant son axe longitudinal, par une série de châssis f' vitrés et un grand vitrage circulaire au milieu d'une coupole centrale. Chaque travée de cette salle s'ouvre latéralement en

ftp^ deux absides; au centre de chaque abside, une statue sur un piédestal. Les sculptures sont ainsi exposées sans confusion,

/^A>' chacune dans un loail à elle, bien que l'ensemble ne forme

^A^^^'"''^ qu'une salle; la lumière est excellente, .venant ainsi de haut et

obliquement, le public seul est sous l'aplomb des vitrages. Il

342 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l'aRCHITECTUI^

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faut ajouter toutefois que ce musée ne comporte, par sa dispo- sition même, que des objets isolés, statues, groupes ou vases, et que cette disposition exige une place considérable pour le

Fig. 717. Plan et coupe de la galerie du Braccio Niiavo, au Vatican.

nombre d'objets exposés. Ce n'en est que mieux, mais c'est un luxe d'espace qu'on peut rarement se permettre.

On peut jusqu'à un certain point considérer comme éclairées du haut des salles les fenêtres sont ouvertes à une grande

LES ÉDIFICES d'iNSTRUCTION PUBLIQUE 34}

hauteur. Telle est la salle centrale de la Villa Borghése, à Rome, l'éclairage est excellent ; telle est encore la chapelle de l'École des Beaux-Arts, dont les fenêtres font pénétration dans la voûte; mais ici elles existent d'un côté seulement, et l'éclairage qui est très bon dans les deux tiers de la salle devient insuffisant pour les objets placés contre le mur sont pratiquées les fenêtres. Contiguë à cette salle est la petite salle octogonale sont exposés les moulages de Michel-Ange; la lumière y pénétre par un châssis central, et produit un éclairage très judicieuse- ment analogue à celui de la chapelle des Médicis. Aussi pouvez- vous y voir les sculptures de ces tombeaux dans les conditions voulues par le grand sculpteur qui, très certainement, les a étudiées en tenant le plus grand compte de l'éclairage particu- lier de la salle qui devait les recevoir.

Mais en général la sculpture a plutôt été composée en vue du plein air, et lorsque les circonstances s'y prêtent, comme à Versailles, les jardins sont les plus agréables musées. On a donc cherché à réaliser pour des collections de sculptures ces condi- tions du plein air, et vous avez dans votre École même un exemple intéressant de cette tentative avec la cour vitrée au centre du Palais des Études, prés de ces cours d'un aspect si artistique, qui sont de véritables musées en plein air, par la réunion -des fragments d'architecture sauvés par Alexandre Lenoir (fig. 718, 719, 720). crr^ff^'t^-crdj Ce parti d'exposition avec l'éclairage du plein air est celui qui a été adopté pour les Salons annuels, il faut réunir un très grand nombre de sculptures. A l'ancien Palais des j^._- Champs-Elysées, dont le souvenir mérite d'être conservé, sinon '-**oyj» . pour son architecture extérieure, tout au moins pour ses dispo- sitions générales (fig. 721), ce programme était réalisé très

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ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

0 1 i 3 i* S 10 10

Fig. 718. Plan du Musée de l'École des Beaux- Arts.

B, galeries romaines. C, Egine. D, Parthénon. E, galerie grecque. F, salle de dessin et musée. G, monument à Duban. H, hémicycle.

Fig. 719. Musée de l'École des Beaux-Arts. Coupe transversale.

LES KDIFICES D INSTRUCTION PUBLIQUE

345

heureusement par sa grande nef rec- tangulaire, enca- drée par des abris sous les galeries du premier étage. Le même parti a été conservé dans le Palais qui l'a remplacé. Seule- ment, voyez ici l'importance des questions d'o- rientation : dans l'ancien Palais, la nef était orientée à peu prés ' de l'est à l'ouest ; on pouvait dés lors ombrer d'une fa-' çon permanente _^ par un vélum le J'^\^ versant sud de la toiture vitrée : on réalisait ainsi un éclairage con- stant, et une cer- taine défende con- tre la chaleur si gênante des cours vitrées. Dans le

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ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

grand Palais actuel, l'orientation de la nef est sud-nord, ce n'est pas possible, et ni l'éclairage ni la chaleur ne peuvent être gouvernés. Erreur, non de l'architecte, qui n'a pas été consulté, mais de l'administration, qui a affecté aux Expositions d'art un emplacement l'orientation sud-nord de la nef était inévitable,

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Fig. 721. Plan de l'ancien Palais des Champs-Elysées.

alors que l'expérience montrait la supériorité de l'orientation perpendiculaire à celle-là.

La sculpture est aussi éclairée du haut au Musée du Luxem- bourg; mais ici l'encombrement dans un espace trop petit enlève à cet éclairage ses qualités : on n'en peut retenir qu'une chose, c'est qu'un musée de sculpture ne doit pas être un entassement.

Il n'y a pas de plus important Musée de sculpture que celui du Vatican. Voyez-en le plan (fig. 722) et vous serez frappés de la grandeur de cet ensemble. Tout n'est pas musée dans le

LES ÉDIFICES d'iNSTRUCTION PUBLIQUE

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Vatican : la partie la plus voisine de Saint-Pierre est le Palais pontifical; vous reconnaîtrez facilement les salles du Musée, et vous serez frappés de leur ampleur et aussi de leur variété; car dans cet ensemble si vaste, on a su éviter la monotonie d'ar- chitecture qui était à redouter.

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Fig. 722. Plan général du Musée du Vatican.

A, cour basse du Belvédère. ~ B, bibliothèque. C, galerie de Broccio Nuovo. - H, cour octogone du Belvédère.

D, Musée Chiaratnonti.

Pour la peinture, les dessins, les gravures, l'éclairage du haut est le plus favorable. Mais il ne faudrait pas croire qu'il suffise qu'une salle soit éclairée du haut pour être nécessaire- ment une bonne salle de Musée de peinture. La disposition en est au contraire assez délicate, et rien ne vaut ici l'expérience; nous aurons donc à voir quelles salles sont bonnes, quelles autres ne le sont pas.

La question d'éclairage n'est d'ailleurs pas la seule; il faut aussi que les salles de musées soient hygiéniques pour les objets exposés. L'humidité est funeste pour les tableaux et les dessins; le soleil également. Récemment, les peintures et les dessins

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348 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l'aRCHITECTURE

exposés dans un musée important ont été compromises, et il a été reconnu que la cause de ces détériorations était imputable à une installation défectueuse du chauffage, qui envoyait dans les . salles de l'air chaud, mais humide. Les trop grandes variations de température sont aussi à redouter, et par conséquent il faut éviter les trop grandes surfaces exposées aux refroidissements qui sont aussi celles exposées aux échauffements. ' La salle de musée devra donc être constituée avec des murs sérieux, en maçonnerie qui ne se laisse pas traverser par l'hu- 'V

^ midité. Les châssis d'éclairage ne devront pas être la toiture vitrée elle-même : entre les uns et les autres, il faut l'interposi-

A tion d'un comble, et parfois il pourra être nécessaire que le comble lui-même soit légèrement chauffé. Ce comble doit d'ail- leurs être praticable et facilement accessible : il est nécessaire en effet que les verres du plafond vitré soient fréquem- ment nettoyés, sans quoi la poussière les rendrait bientôt opaques. Je vous rappelle ici ce que je vous ai dit des plafonds vitrés à propos des salles de collections. Il faut donc que des passages de service suffisants existent autour de ces châssis, et qu'on puisse les parcourir hbrement en portant les ustensiles de nettoyage. Les vitrages de toitures doivent aussi être facilement accessibles et entourés de chemins de service. Il faut que les allées et venues fréquentes que nécessiteront les nettoyages puissent se faire sans danger pour les hommes et sans dégrada- . tions pour les couvertures : ce serait par exemple une faute grave d'amener des toitures en ardoises jusqu'aux rives de ces châssis vitrés.

Avec les questions d'éclairage, nous .abordons les difficultés capitales des salles de musée. Je crois pouvoir vous en faire saisir les principes en vous parlant d'abord de salles que vous

LES LDIFICES D INSTRUCTION PUBLiaUE 349

connaissez bien : je prendrai donc pour premiers exemples la salle Melpomène dans votre École, et les salles du Salon de peinture aux Champs-Elysées. Lorsque vos dessins sont exposés dans la salle Mclpoméne, et que leur nombre exige qu'il y en ait non seulement contre les parois, mais encore dans des rangées longitudinales au milieu de la salle, qu'arrive- t-il ? Les premiers sont bien éclairés, les autres le sont mal, et mal surtout lorsque les dessins sont vus dans un plan qui se trouve entre le spectateur et l'axe de la salle. Ils sont alors

'■^LUj, (î^/^l^irés en quelque sorte par derrière, vus en transparence ou y,K^ en contre-jour. Mais lors même que cette condition tout à fait

^^ défectueuse ne se présente pas, ils sont encore mal éclairés par un jour trop frisant : et si c'étaient des peintures, le résultat serait pire encore à cause du miroitement. J'ajoute que la salle -t^/^"'^ Melpomène a été conçue en vue de l'éclairage de ses parois, et non de subdivisions longitudinales que l'architecte ne pouvait prévoir. Vous pouvez conclure de que des œuvres d'art, éclairées du haut, doivent recevoir un jour qui reste cependant oblique, et que l'éclairage à plomb ne vaut rien. Aussi verrez-vous toujours dans les salles de musée le plafond vitré ne pas occuper toute la surface : il y a toujours une bande opaque, voussure ou pla- ■^^"''^ fond plat, et sous cette bande sont exposés les tableaux. Un plafond vitré de toute l'étendue de la salle, bien que paraissant donner plus de lumière, ne serait pas bon, car vous verriez les tableaux en miroitement, ou plutôt vous ne les verriez pas : vous ne verriez que le reflet de la lumière comme si c'étaient des glaces qui garnissaient le mur.

A l'ancien Palais des Champs-Elysées, les salles de peinture étaient constituées au moyen de cloisons légères, et les plafonds ^^'-^^^^^'J^ au lieu de vitrages étaient établis, en étoffe transparente, calicot ou étamine. La lumière qui arrivait très abondante par le grand

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350 ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

comble entièrement vitré, était ainsi tarnisée et répartie, diffusée, par le passage à travers cette étoffe. Mais autour des salles, et par conséquent à plomb des parois qui reçoivent les tableaux, régnait une bande d'étoffe plus foncée qui interceptait presque j complètement la lumière : c'est l'équivalent des voussures ou bandes de plafond que je vous signale dans les salles véritables. Les salles de peinture du Grand Palais actuel se rapprochent davantage de la salle de musée proprement dite.

Remarquez enfin que les vitrages de la salle Melpoméne sont

Aj>/»^ en ver^e dépoli : l'effet est le même que celui des calicots du

'•^"^''^^ Salon : d'une part, la lumière est diffusée, et par conséquent

égalisée; d'autre part, on ne voit pas les charpentes et les châssis

du comble : double rcsukat à chercher en pareille matière.

Ainsi, lumière diffuse et égale; pas de miroitements, et pour cela pas de lumière à plomb des tableaux, voilà ce qu'on doit obtenir dans une bonne salle de musée. Et à ce sujet je dois éviter une contradiction apparente : je vous recommande ici la lumière diffuse, que je déconseille pour les sculptures. C'est que les nécessités d'éclairage sont différentes. La sculpture reçoit son effet de la lumière dirigée dans un sens déterminé ; la peinture ou le dessin ont leur effet en eux-mêmes. La lumière modèle I la sculpture, elle doit seulement éclairer la peinture,

Mais on peut aller plus loin dans ces combinaisons; trans- portons-nous dans les Panoramas. Vous savez combien la pein- ture y est vivement éclairée et bien vue. Or, cet effet tient à ce que les vitrages éclairants y sont cachés au spectateur. En effet, plus on est soi-même dans l'ombre, et plus on voit nettement ce qui est éclairé. C'est donc parce que le spectateur est sous un écran horizontal, sous un plafond opaque, que la lumière

^

de la peinture lui paraît d'autant plus éclatante. Tel est aussi le cas des décors de théâtre éclairés par des herses de lumière élec-

LES ÉDIFICES D INSTRUCTION PUBLiaUE

351

trique soigneusement cachées aux spectateurs, ou encore l'éclai- rage des devantures de marchands de tableaux.

Je ne veux pas dire que des musées comportent des moyens artificiels comme ceux-là. Toutefois, dans certains musées étrangers, et lorsque les salles sont d'ailleurs larges, on a essayé de diviser les plafonds en cinq bandes longitudinales : contre chaque paroi, une bande opaque; puis de chaque côté un vitrage éclairant; enfin, au milieu, un plafond opaque. Quel est le résultat obtenu ? Je ne suis pas en mesure de vous le dire. Je croirais assez qu'il est bon pour le visiteur qui passe, mais qu'il ne doit pas être sans inconvénients pour le travailleur. Or, le musée n'est pas fait seulement pour le passant, il faut penser aussi aux artistes qui vont y faire des séances de copies. La salle de musée est un atelier en même temps qu'une salle d'exposition.

Je vous indique donc cette variante en passant, en recomman- dant à ceux d'entre vous qui auront à construire des musées, d'aller voir s'il y a réellement quelque chose à emprunter à ces jJV^ dispositions ; sous cette réserve, je resterai dans les donjiées clas- ""' siques et éprouvées de la salle de musée. Quant à l'importance du plafond vitré par rapport à la salle, nous trouverons, dans les meilleures conditions, qu'elle doit être à peu prés de moitié au moins de la largeur totale.

Voici quelques mesures à ce sujet empruntées au Louvre :

MUSÉE DU LOUVRE

Salon carré (médiocre)

Sept cheminées (assez bonne)

Lacaze (assez bonne)

Françaises xvii", xvni" (assez bonne).

xix* siècle (bonne)

Italienne (très bonne)

15" 77 14"- 71 lî" 70 12" 71 17" 45 7" 00

5- 47

S" 60

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352

ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE L ARCHITECTURE

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Mais ces proportions ne sont pas le seul élément d'é- tudes, et nous allons en trou- ver de non moins importantes.

Il nous reste en effet à voir comment se produira, par le plafond vitré, le passage de cette lumière diffuse et égale que nous désirons. Le verre dépoli ne suffit pas pour cela; il y a des questions de dis- tance, de proportion et de position entre ces plafonds et les vitrages de toitures. Pour les étudier, je vous engage à considérer les coupes trans- versales des principales salles du Musée du Louvre : nous y trouverons tous les élé- ments nécessaires à cette étude. Le plan (fig. 723) des salles de peintures du Louvre vous servira de repère pour les indications qui vont suivre.

Toutes, sauf une, ont deslan- ternes de toiture à deux pentes, disposées symétriquement par rapport au plafond vitré. Celle qui fait exception

LES ÉDIFICES d'iNSTRUCTION. PUBLIQUE

353

et qui est malheureusement la plus étendue est la grande galerie qui longe le quai (fig. 724). Là, soit en vue d'éviter le jour du midi, soit pour laisser à la toiture qui couronne la façade sur le quai, l'unité d'aspect que lui assure l'emploi unique de l'ardoise, l'architecte n'a pratiqué de vitrages de toitures que sur le versant nord, côté des cours. Or, le résultat n'est pas bon, il est même mauvais. La paroi contre le quai reste obscure, et ce

Fig. 724. Éclairage de la grande galerie du Louvre.

Fig. 715. Éclairage du Salon carré du Louvre.

n'est guère que le matin, par de belles journées, qu'elle est suf- fisamment éclairée.

Toutes les autres salles, éclairées symétriquement comme je le disais, sont assez bonnes ou bonnes. Il y a cependant encore entre elles de notables différences d'éclairage, qui correspondent à de notables différences dans la disposition des combles. Je vous les montrerai par des tracés purement schématiques, afin de faire mieux ressortir les éléments de l'étude actuelle. .

Le Salon carré (fig. 725) et h Salle des Sept cheminées (fig. 72e) sont des salles combinées à peu prés de même : carrées toutes deux, éclairées par des plafonds vitrés carrés, elles ont ces pla-

Éltmenti et Théorie de l' Architecture. IL ij

354

ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

fonds presque immédiatement contigus aux vitrages de leurs toitures. La distance verticale du plafond au faîtage est de i •" 52 pour la première et de 2 *" 50 pour la seconde. La lumière est abondante, mais vous pouvez constater dans toutes deux qu'elle n'est pas égale. Suivant l'heure, c'est une paroi ou une autre qui est plus vivement éclairée, parce que, en somme, l'action du soleil se produit trop directement ^ /-^'""^i

dans la salle.

La Salle Locale (fig. 727) est meilleure; la distance ver-

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Fig. 726. Éclairage de la salle dite des Sept cheminées, au Louvre.

Fig. 727. Éclairage de la salle Lacaze, au Louvre.

ticale du plafond au vitrage de comble est ici de 6 50. Peut- être vaudrait-il mieux que les surfaces vitrées de toitures fussent plus importantes en raison de l'étendue du plafond vitré. Les Salles françaises (fig. 728) des xvii^ et xviii* siècles sont bonnes aussi. La distance verticale est de 4 65.

Je vous citerai comme très bonne la Salle du XIX^ siècle (fig. 729). Le faîtage du très large vitrage de toiture est ici à 6 30 du plafond vitré. Les vitrages de toiture développent ensemble 16 *" 15, pour une largeur de plafond de 8 23.

LES ÉDIFICES d'iNSTRUCTION PUBLIQUE

555

Enfin, la meilleure salle de toutes, mais qui à la vérité est petite, est la Galerie italienne, qu'on appelle aussi la salle de Sept mètres (fig. 730) (c'est la cote de sa largeur). Entre le plafond vitré et le haut des châssis de toitures, la distance verticale est de 5 "M 5, la largeur du plafond vitré étant seulement de 3 "" 75.

Fig. 728. Éclairage de la Salle française des xvir et xviii* siècles, au Louvre.

Fig. 729. Éclairage de la Salle française du xix* siicle, au Louvre.

Les deux vitrages de comble développent ensemble 5 mètres et sont pratiqués dans des pentes beaucoup plus raides que les autres. Ainsi, ces dernières salles ont un élément commun : c'est une distance assez considérable entre le plafond vitré et les vitrages des toitures; la Salle LacaT^, et les Salles françaises des XV W et XVIII'^ siècles, qui sont les moins bonnes, ne différent des autres que par la moindre étendue des vitrages de toiture. Si nous prenons en effet la largeur des plafonds vitrés comme unité, nous trouvons :

356

ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

SALLE

LARGEUR

du plafond vitré

DÉVELOPPEMENT

des toitures vitrées

PROPORTION

des toitures vitrées

par rapport

au plafond vitré

10.00

7-55 8.23

3-75

6.00

6.97

16.15

5.00

0.60 «/" 0.92 % 1.96 »A 1-33 %

Salles françaises des xvii*et xviu* siècles.

Galerie italienne ou des Sept mètres

Je n'ai pas la prétention de dégager de ces constatations des régies chiffrées, mais seulement des indications d'expériences.

Fig. 730. Éclairage de la Galerie italienne dite Salle des Sept mètres.

Fig. 731.

Plafond vitré et vitrage de toiture.

es

Tout d'abord donc, entre le plafond vitré et le châssis de toiture, -^ il faut une hauteur assez grande pour que la lumière du soleil /^*^&^puisse en quelque sorte s'arnortir. Vous voyez que dans les t)^^ bonnes salles du Louvre, cette distance verticale varie de 4 65 à 6 "^ 50. Si la toiture vitrée est d'une grande étendue, cette distance augmentera encore : c'est le cas du Salon des Champs- Elysées. On admet en général que, de l'extrémité du plafond vitré à la naissance du châssis de toiture, il faut que l'angle A soit au moins de 45° (fig. 731), ou tout au moins que la partie de vitrage de toiture qui serait en contre-bas de cet angle de

LES ÉDIFICES d'iNSTRUCTION PUBLiaUE 357

45° ne profite pas à l'éclairage. Il est donc inutile de descendre le vitrage plus bas. .

Les vitrages de toiture doivent être à très peu de chose prés symétriquement disposés par rapport aux plafonds vitrés. En tout cas, la dissymétrie, s'il y en a, ne doit pas projeter sur le plafond vitré un éclairage unilatéral.

La surface des vitrages de toitures doit être plus grande que celle des plafonds vitrés. Il ne semble pas que l'exagération soit ici à craindre; tandis que l'éclairage par le plafond vitré doit être localisé, celui de la toiture doit être général. L'exemple du Palais des Champs-Elysées, le comble était entièrement vitré,i est rassurant à cet égard.

Les plafonds vitrés ne doivent pas arriver jusque contre les parois d'exposition ; les tableaux doivent être exposés sous des bandes opaques, voussures ou plafonds. ^^^"^ ' 'J

Les plafonds vitrés doivent être constitués en verre dépoli, et bien entendu sans verres de couleur.

Tout cela, je le reconnais, manque de précision : c'est que la précision n'est pas possible en pareille matière. Il y a trop d'élé- ments variables : le climat et par suite l'intensité de la lumière, l'orientation des salles, leur proportion, le voisinage de bâtiments plus ou moins élevés. Ici, le tâtonnement est inévitable, et il sera toujurs prudent d'expérimenter une disposition de vitrages, avant de l'arrêter définitivement. Ou, si l'on ne peut procéder ainsi, il sera sage de ménager des vitrages qui ne soient certai- nement pas trop petits, car si l'on peut facilement réduire des vitrages trop grands, il faudrait une démolition, pour augmenter après coup des vitrages trop petits. Dans un châssis de toiture, il sera toujours possible de substituer partiellement des couver- tures opaques à la vitre; et quant aux plafonds vitrés, il serait sage de les étudier avec une disposition de cadre ou de rives

358

ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

qui permette ad libitum l'emploi du verre ou de panneaux. C'est un soin d'études qui peut épargner bien des ennuis. Je ne puis vous montrer tous les exemples de musées; j'en choi- sirai d'abord un dont l'étude a été très sérieuse, c'est le Musée de Grenoble, construit par Questel (fig. 732, 733 et 734). Vous y verrez des salles de peintures, de sculptures, et aussi de bibliothèque, l'édi- fice étant destiné à ce double usage; puis le Musée très pit- toresque de Toulouse, en par- tie installé dans les bâtiments d'un ancien couvent, dont le cloître est converti en une sorte de jardin artistique (fig. 735)-

Pour les salles à vitrines, recevant des bronzes, des or- fèvreries, des médailles, des ivoires, etc., le problème serait infiniment varié. On peut dire ici que l'éclairage pourra tou-

Fig. 732. Plan du Musée-Bibliothèque de Grenoble.

A, concierge. B, cabinet du bibliothécaire. C, salle de

lecture. D, dépôt de livres. E, bibliothèque dauphi- '„ '^^ T 'M ... 1

noise. - F, musée des copies. - G, bibliothèque. - JOUFS Ctre DOTi, SU eSt abOn-

H, peinture. I, sculpture. i ».t

dant, s il pénètre partout, qu il soit d'ailleurs demandé à des fenêtres ou à des plafonds vitrés. L'analogie est assez grande avec les Musées de sculpture; tou- tefois il intervient dans ces salles un élément dont il fout tenir grand compte, l'ombre portée par les jouées ou les tablettes des '|^^)[^ vitrines, qui ne doivent pas être inutilement profondes.

^

LES ÉDIFICES d'iNSTRUCTION PUBLIQUE

359

Mais les conditions d'exposition des objets varient ici suivant le meuble, et il n'y a pas un programme constant comme dans

CJ..II. i, 0 113 4 5

Fig. 7} 5. Coupe du Musée-Bibliothèque de Grenoble.

Fig. 754. Musée-Bibliothèque de Grenoble.

les salles de sculpture et de peinture. La difficulté est plutôt dans la disposition et le placement de ces meubles. On peut affirmer

3éo

ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE L ARCHITECTURE

par exemple que les salles de votre École, aussi bien la salle Melpomène éclairée du haut, que les salles sur le quai, éclairées par de grandes fenêtres seraient excellentes pour des objets de vitrines, à condition que les vitrines fussent judicieusement

P'g- 73 5' Musée de Toulouse. Plan.

Ancien couvent des Augustins. ~ i, l'église. 2, salles voûtées. 3, tour. 4, grand cloître. 5, petit cloître. CoNSï-RuCTiONS NOUVELLES DU MUSÉE. 6, vcstibule. 7, coticierge et administration. 8, galerie de la sculfiture. 9, grande salle de la sculpture. lo, grand escalier conduisant aux salles de la peinture. li, parties réservées.

disposées. C'est donc plutôt un programme d'ameublement qu'un programme de composition : il suffit à l'architecte d'avoir combiné un éclairage abondant. La faute serait de disposer des locaux la lumière n'arriverait pas, car une vitrine placée dans un endroit obscur sera obscure a fortiori, et dans tout endroit bien éclairé, une vitrine pourra être bien éclairée. Je ne vois donc

LES ÉDIFICES d'iNSTRUCTION PUBLIQUE 36 1

pas d'autre régie à prescrire que l'abondance de lumière pénétrant partout, sans introduction directe des rayons solaires. Aussi, si la salle est éclairée par des fenêtres, le jour du nord est préfé- rable; et si la salle est éclairée du haut, les conditions seront les mêmes que pour la peinture : lumière diffuse obtenue par les mêmes moyens. >

Je dirai cependant que pour ces sortes de salles on doit se défier de l'éclairage du haut; voici pourquoi : très fréquemment, les salles destinées à des objets de vitrines seront étroites, et c'est naturel puisqu'ici on n'a pas besoin de recul. Lors donc que les nécessités de la composition auront créé dans un plan de musée des salles larges et d'autres étroites, ce sont ces dernières qu'on réservera pour les objets de vitrines. Or une salle étroite s'éclaire mal du haut. Prenons comme exemple extrême le cor- ridor : éclairé du haut, il pourra être très clair comme circulation; mais si l'on dispose contre ces murs des armoires ou de simples tablettes, l'éclairage forcément vertical mettra tous les objets , p

exposés dans l'ombre portée des tablettes. Pour des salles de ^i-»^*^ ' musées, l'éclairage du haut n'est bon qu'à la condition d'avoir une largeur de plafond vitré suffisante pour que cet éclairage puisse être oblique et non vertical. Cela revient à dire que la disposition recommandée pour les salles de peinture est encore nécessaire pour les salles à vitrines, lorsque ces salles doivent être éclairées par un plafond vitré et par conséquent que ces salles peuvent être étroites lorsqu'elles sont éclairées par des fenêtres, et doivent être larges si elles sont éclairées par des pla- fonds vitrés. En ce cas, on utilise les parties milieu de la salle par des vitrines horizontales.^

En général, pour des objets de vitrines, le regard n'a pas à s'élever au delà de deux mètres. Une salle de musée sera tou-

362

ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l'aRCHITECTURE

jours assez haute pour qu'il n'y ait pas à craindre l'obscurité résultant d'un plafond trop bas. Mais il y a parfois des balcons avec un second étage de vitrines. En ce cas, il importe que le rang inférieur ne soit pas dans l'ombre, et si la disposition ne permet

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Fig. 736. Salle de musée à deux étages de vitrines (le second en retrait).

Fig. 757. Salle de musée i deux étages de vitrines superposés.

pas de l'avancer presque à l'aplomb du balcon comme en A (fig. 736), il faut que le balcon soit assez élevé pour que l'éclai- rage arrive à la partie supérieure des vitrines. Ainsi, dans la coupe B (fig. 737), et si l'on place encore des objets en C, il faut admettre que ce sont des objets secondaires et relativement sacrifiés. Ce sont des questions d'étude pour lesquelles il n'est pas possible de tracer de régies précises.

Je ne vous ai guère parlé que de sculptures, de tableaux et d'objets de vitrines. Les musées comportent encore d'autres col- lections, par exemple les antiquités archéologiques, les bronzes

LES ÉDIFICES d'iNSTRUCTION' PUBLiaUE 363

usuels comme à Naples, les armures comme à Madrid, les dessins et gravures, etc. Vous saisirez facilement les analogies entre ces diverses expositions et celles qui prôcdîdent. Il est évident que les conditions d'éclairage seront les mêmes pour des vases, des tombeaux, des fragments d'architecture que pour des statues. Les dessins, les tapisseries, les gravures seront traités, sauf sans doute les dimensions des salles, comme les tableaux. Mais par- fois on a disposé dans les mêmes salles des tableaux et des sculp- tures, par exemple au Musée des Offices, à Florence. Le musée est par plus varié, plus agréable; mais il faut que l'éclairage des salles se prête à cette double destination. En général, une salle qui sera bonne pour la peinture le sera aussi pour la sculpture, pourvu que les statues soient judicieusement placées. Il y a enfin les musées d'objets plutôt mobiliers, comme chez nous ceux de Cluny ou de Saint-Germain. La grande variété des objets exposés, depuis le petit bijou jusqu'au grand meuble, ne permet pas d'in- diquer pour cette destination une composition spéciale des salles. Toutes devront être bien éclairées, cela va de soi; mais il faudra qu'il y en ait de grandes et de petites, larges ou étroites, les plus grandes avec éclairage du haut sans préjudice des fenêtres, et sous réserve d'aveugler les uns ou les autres de ces jours. Après quoi, il faudra que le placement, tout en tenant compte comme il convient des époques et des classifications, sache dis- poser les objets en profitant des éclairages mis à sa disposi- tion.

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CHAPITRE VIII LES MUSÉES SCIENTIFIQUES

SOMMAIRE. Conditions générales, éclairages divers. Exemples pris au Muséum d'histoire naturelle. Salles avec fenêtres. Salles éclairées du haut.

Serres et orangeries. Orangeries chauffées et non chauffées.

Les Musées scientifiques présentent aussi de très grandes varié- tés de programmes et souvent des difficultés considérables. Là, il y a parfois une certaine contradiction entre les nécessités d'exposition au point de vue de l'éclairage et les exigences du classement scientifique. Il faudra par exemple que l'échantillon presque microscopique se juxtapose au colosse : ainsi le diamant sera logiquement le voisin du bloc de houille ; les squelettes de mammifères s'étendront de l'éléphant à la souris; les graminées présenteront le brin d'herbe à côté du bambou, etc. Mais, d'une façon générale, ce qui importe dans ces Musées c'est, après les données d'ensemble de la composition, les conditions de con- servation et d'éclairage. Il faut que les salles soient indemnes d'humidité d'abord, et aussi des trop grandes variations de tempé- rature. C'est ce que nous avons déjà vu pour les Musées d'art. Il importe aussi que ces salles soient bien ventilées, car certains objets exposés peuvent pendant assez longtemps dégager une odeur assez gênante, soit par eux-mêmes, soit par suite des pré- parations ou des ingrédients employés pour combattre les

566 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l'aRCHITECTURE

insectes. Ce sont des données générales sur lesquelles je n'in- sisterai pas.

Quant à l'éclairage, il y a des salles excellentes avec des fenêtres, il y en a aussi avec l'éclairage du haut. On peut dire que tout éclairage est bon, s'il est abondant. Mais l'éclairage du haut a l'avantage d'économiser la place en hvrant plus de parois. Dans une même salle, on pourra exposer plus d'objets avec l'éclairage par plafond vitré.

Pour les musées artistiques, je vous ai indiqué surtout les salles du Louvre; pour les Musées scientifiques, je vous invite à connaître principalement les salles du Muséum d'histoire natu- relle, le plus important étabhssement de ce genre que vous puis- siez étudier (fig. 738 et 739, et 741-742).

En effet, sans parler ici des salles de collections qui existent, très nombreuses, dans diverses Écoles et Facultés, mais qui rentrent à ce titre dans le programme déjà vu des édifices d'en- seignement supérieur, il y a à Paris deux grands musées scienti- fiques : le Muséum d'histoire naturelle et le Conservatoire des Arts et Métiers (voir fig. 698). Mais tandis que le premier a maintenant des salles construites pour cette destination, le Con- servatoire des Arts et Métiers ne nous offre que des galeries ins- tallées dans d'anciens bâtiments, sauf la plus récente construction de M. Ancelet; d'ailleurs, le programme était moins délicat, par la nature même des objets exposés.

Au Muséum, vous pouvez voir avec profit les galeries de minéralogie, botanique et géologie (fig. 740), dont la construc- tion date de 1840. Ces galeries sont éclairées du haut; contre chaque paroi, il existe un premier rang de vhrines, isolées des murs par une circulation de service; la largeur entre ces vitrines opposées est donc sensiblement moins grande que celle de la

LES MUSEES SCIENTIFIQUES

367

^'ë- 738. Muséum d'histoire naturelle (projet). A, serres nouvelles. - B, serres anciennes. - C, nouveaux bâtiments. - D, anciens bâUmentj de minéralogie.

P'g- 759- Muséum d'histoire naturelle (façade).

368

ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

salle; mais au-dessus, la salle retrouve sa largeur effective, les vitrines du second rang étant en retraite de toute la largeur d'un

tig. 740. Galerie de minéralogie du Muséum (coupe et pini).

LES MUSÉES SCIENTIFIQUES 369

passage et de meubles d'appui formant balustrade. Cette dispo- sition est très bonne, et évite ainsi que je le disais plus haut les ombres portées d'un balcon. Au milieu de la salle sont des meubles divers, tables, vitrines ou socles, généralement affectés à l'exposition des objets plus volumineux. Il y a pour l'éclairage des châssis vitrés sous des vitrages de toiture : la lumière est bonne, cependant les châssis pourraient être plus étendus : par les temps gris ou couverts, la salle est plutôt un peu obscure. Cette salle remonte d'ailleurs à une époque l'on tenait moins au confortable; elle n'est pas chauffée, et est construite sur terre- plein, ce qui est à la vérité plus économique, mais entretient forcément une certaine humidité. Les dépendances en sont rudi- mentaires.

Les galeries de zoologie (fîg. 741 et 742), construites plus récemment, sont beaucoup plus importantes. Dans ce grand bâtiment, vous trouverez des salles éclairées par des fenêtres, d'autres éclairées par le haut. Les grandes salles du rez-de- chaussée et des étages, pratiquées contre la façade éclairée au nord, sont des galeries vastes et bien éclairées : je n'ai rien de particulier à vous y signaler; je vous engage seulement à les voir comme un bel exemple des dispositions que permet ce pro- gramme.

La grande salle centrale présente au contraire une disposition remarquable. Pour pouvoir exposer des squelettes ou des spéci- mens de très grands animaux, comme la baleine, l'éléphant et autres, des galeries ne seraient pas suffisantes; d'autre part, la simple cour couverte ne serait pas une salle de musée; il fallait cependant les deux éléments : galeries nombreuses pour les objets de dimensions restreintes, vaste salle pour les plus grands spécimens; et entre ces éléments, non seulement proximité, mais unité : unité d'exposition correspondant à l'unité de la science.

Éléiiunls et TUorit de l'Architecture, II. 24

370

ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE L ARCHITECTURE

C^

Malgré quelques critiques toujours faciles, ce problème a été magistralement résolu dans une composition grandiose. Au milieu est pratiquée une salle, grande comme une cour, mais salle par son plafond vitré au-dessus duquel est la toiture égale- ment vitrée : c'est le centre lumineux du musée. sont expo- sés les plus grands sujets nettement éclairés du haut.

Tout autour régnent trois rangs de galeries, dont la première

est légèrement surélevée au-dessus de l'espace cen- tral, afin de mieux permet- tre la vue d'ensemble. Ces galeries, si le milieu était occupé par une cour, seraient éclairées par des fenêtres; ce milieu étant non pas une cour propre- ment dite, mais une salle vitrée, les galeries n'ont pas de parois qui les en sépare, elles sont tout ouvertes, profitant ainsi d'un maxi- mum de lumière. Sans doute, les galeries du rez-de-chaussée sont moins éclairées que celles du premier étage, celles-ci moins éclai- rées que celles du deuxième étage : cela est inévitable; et du moment l'espace disponible ne permet pas l'installation à un seul niveau, il n'en saurait être autrement. Toutefois, aujourd'hui, on ferait sans doute les planchers en verre-dalle. Cela n'infirme pas la disposition, au contraire. Le plan ci-dessus représente l'en- semble supposé complet tel que son architecte, J. André, l'a conçu. En réalité l'aile oblique qui en forme le fond, en bordure de la rue Geoffroy-Saint-Hilaire, n'est pas construite encore et

Fig. 741. Galerie de loologie.

LES MUSÉES SCIENTIFiduES

371

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372 ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

son emplacement est encore occupé par d'anciens bâtiments en état de ruine. Comme vous le voyez d'ailleurs par le plan géné- ral (fig. 738), ce bâtiment principal se relie par des portiques aux galeries de minéralogie et de botanique d'un côté, et aux serres de l'autre. D'autres galeries ont été construites pour les collections de paléontologie et d'anatomie comparée le long de la rue BufFon, dans la partie la plus voisine de la Seine.

Voyez cet ensemble, il est public, et il sera très instructif pour vous, si vous le voyez non en simple curieux, mais en architectes informés des difficultés du programme, et capables d'en apprécier la solution.

Je n'aurais pas épuisé ce sujet si je ne vous disais quelques mots des Musées de plantes : j'entends par là, en dehors des jar- dins botaniques, les serres et orangeries, en un mot les construc- tions destinées à recevoir des plantes.

Pour les serres, il se présente une difficulté analogue à ce que nous venons de voir pour la zoologie. On doit exposer de grandes plantes, même des arbres souvent très élevés, comme les palmiers par exemple ; puis il y a la multitude des plantes basses, vivaces ou annuelles. D'autre part, toute plante de serre exige du chauffage, mais pas au même degré ; de les distinc- tions entre les serres chaudes et les serres tempérées.

Ces considérations amènent forcément une conclusion : c'est qu'une serre complète ne saurait être un vaisseau unique; le chauffage des serres est très dispendieux et deviendrait imprati- cable s'il fallait échauffer un volume d'air énorme pour faire vivre des plantes qui ne dépassent pas un mètre. 11 faut dès lors des compartiments d'élévation différente, et de chauffage diffé- rent. Un programme spécial est donc indispensable, et l'architecte doit être renseigné au préalable sur l'importance qu'il devra don- ner à chacune de ces parties. La distinction entre les serres

LES MUSÉES SCIENTIFIQUES

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Fig. 743. Serre adossée.

A, porte. -- B, Mclies. CC, grtdîns. DD, échelle. FF, châssis ouvrants. HH, tablettes àcUîre-voîe. GG'» tuyaux d'eau chaude. FF, passerelle.

chaudes et les serres tempérées n'influe pas d'ailleurs d'une façon absolue sur la composition. C'est surtout l'intensité du chauffage qui est en jeu, et si une serre est de dimensions pratiques pour l'importance de ce qu'elle doit contenir, on pourra toujours la chauffer suffisamment. Mais si les surfaces de refroi- dissement sonttrés étendues, ce chauffage deviendra fort coûteux. Aussi, lorsqu'on a le choix, il est préférable que les serres chaudes soient adossées; si cet adossement est contre un terre-plein, ce n'en est que mieux : telles sont au Muséum les serres- adossées au Labyrinthe.

Les serres en effet sont isolées ou adossées, cou- vertes à deux pentes ou en appentis. Les serres adossées (fig. 743) sont placées soit contre un simple mur, soit contre un terre-plein. Enfin, on emploie souvent une dis- position qui participe des deux systèmes; la serre est isolée en tant que parties vitrées, mais elle est en partie enterrée dans le sol, et par conséquent protégée contre le refroidissement l'introduction de la lumière n'est pas possible. On appelle ce genre de serres des serres hollandaises (fig. 744). Elles n'ont que l'inconvénient de moins se prêter aux transports des plantes que les serres de plain-pied; aussi ne

Fig. 744. Serre hollandaise. A, porte. B, bâche. F, passerelle. F, foyer.

374 ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

les emploie-t-on en général que sur des proportions assez res- treintes, et pour des plantes facilement transportables à la main.

Ordinairement, le chauffage est demandé à la circulation d'eau chaude : il est bon que ces canalisations soient disposées de telle sorte que les terres reçoivent aussi du chauffage; non seulement on obtient ainsi des conditions analogues à celles des terrains dans les climats propres aux plantes de serre, mais de plus cette quantité de terre qui s'échauffe lentement, et se refroidit lente- ment aussi, devient une sorte de réservoir de chaleur pour conjurer des accidents de gelée en cas d'extinction imprévue du calorifère, spécialement la nuit.

Dans les serres très élevées, il est souvent utile de disposer une canalisation de chauffage vers la partie supérieure. Il est vrai que l'air échauffé s'élève, et on pourrait croire que, ainsi que cela se passe dans un local habité, l'atmosphère sera plus chaude dans le haut de la serre que prés du sol. Mais ce courant ascendant, rencontrant les surfaces très froides du comble vitré, et étant d'ailleurs toujours chargé de vapeur d'eau, il se produit une condensation abondante, et l'eau de condensation très refroidie au contact des vitres retombe parfois en neige, au grand dom- mage des plantes. C'est à cet inconvénient qu'obvie un chauffage des parties hautes.

Je ne puis naturellement entrer dans les détails de la construction des serres : c'est un sujet très spécial, qui exige une étude minu- tieuse lorsqu'on en a à. construire. Je ne puis que vous indiquer la disposition générale des serres du Muséum, qui est excel- lente, encore que le mode de construction métallique ne soit plus à la hauteur des progrès accomplis. Je me borne donc à ces quelques indications au point de vue de la composition générale.

Quant à l'orientation, il n'y a qu'une seule règle qui serve :

LES MUSÉES SCIENTIFiaUES 375

veiller à ce que le soleil puisse pénétrer le plus possible. Pour la serre adossée, ce sera le midi, ou à peu prés le midi, qui sera préférable. Pour la serre isolée, on peut dire que l'orientation n'a pas d'importance puisqu'il y aura toujours des faces aux diverses expositions; si la serre est en longueur, on évitera plutôt cette orientation au midi, qui a pour contre-partie l'ex- position au nord d'une grande longueur de vitrages. Du reste, chaque horticulteur ayant sur ce point ses idées personnelles, c'est encore une question de programme que l'architecte doit recevoir au préalable, dans les limites de la liberté que peut lais- ser à cet égard l'emplacement choisi.

Les Orangeries relèvent de deux groupes : les orangeries sous terrasses, et les orangeries en élévation. En aucun cas une orangerie ne doit être confondue avec une serre.

Comme orangeries sous terrasses, je puis vous citer celles de Versailles et de Meudon; comme orangeries en élévation, celles des Tuileries, du Luxembourg, du Muséum d'histoire naturelle, et d'autres moins importantes.

Les unes et les autres servent à abriter pendant l'hiver des orangers et autres arbustes qui pendant l'été sont répartis dans les Jardins. La température n'a pas besoin d'être aussi élevée que dans les serres, l'essentiel est que jamais elle ne puisse descendre jusqu'à la congélation.

Dans une orangerie, on a deux fois par an à mouvoir des caisses très lourdes et d'un transport difficile; le mieux est donc que les chariots spéciaux puissent arriver jusqu'à l'emplacement même de la caisse, et l'enlever ou la déposer directement. Aussi, dans les grandes orangeries, vous devez considérer comme une nécessité l'entrée et la manœuvre, dans la salle môme, de ces chariots attelés souvent de plusieurs chevaux. Si l'orangerie, plus modeste, n'est destinée qu'à des caisses pouvant être trans-

376 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l' ARCHITECTURE

portées à bras d'homme, ou sur de petits véhicules à bras, cette condition du programme n'existera plus.

L'orangerie monumentale n'est pas seulement un dépôt de plantes : elle en est un véritable musée. Les caisses sont ali- gnées en ordre, profitant le mieux possible de l'air et du soleil, et toutes les baies doivent être ouvrantes, car on ne manque pas de les ouvrir pendant les belles heures du jour, dés que la température le permet.

Le type de l'orangerie sous terrasse est celle de Versailles (fig. 745 et 746), qui s'étend en trois sens sous les parterres du château, aux expositions sud, est et ouest. Elle n'est pas chauf- fée ; abritée par l'adossement à des terre-pleins, par une forte épaisseur de terre sur ses voûtes monumentales, par l'épaisseur de ses murs, elle réalise une égalité presque constante de tempé- rature : c'est en quelque sorte la condition climatérique d'une cave, mais d'une cave largement éclairée. Là, les plantes sont soumises à une sorte d'hivernage, et l'expérience démontre qu'elles s'accommodent fort bien de ce régime. Je n'ai pas besoin d'ajouter qu'on a ainsi pu créer une très belle oeuvre d'architecture.: vous connaissez ces belles salles souterraines, si amples de proportions, d'une grande simplicité et aussi d'un grand style, création remarquable de Mansart.

Les orangeries en élévation sont toute différentes; leur con- dition impérieuse est le chauffage. Dés lors, et étant donnée cette nécessité de chauffage, on peut y faire entrer plus abon- damment la lumière et le soleil ; les baies doivent monter aussi haut que possible, soit que l'orangerie soit plafonnée, soit qu'elle soit voûtée. On peut même avoir des parties vitrées dans les toitures, pourvu que le chauffage soit assez puissant et assez général pour empêcher la gelée. On apprécie beaucoup, au point de vue de la conservation des orangers, celles du

LES MUSÉES SCIENTIFIQUES

377

F'g- 745- Orangerie de Versailles. Pavillon central.

Fii!. 746. Grande orangerie de Versailles.

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ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l'aRCHITECTURE

Luxembourg (fig. 747) et des Tuileries. Ces orangeries ont un de leurs longs côtés exposés au midi, et percé de grandes baies; le mur opposé est plein ou peu percé, et les quelques baies de service qui y sont pratiquées sont généralement gar- ^j.ff<^ nies de paillassons pendant la saison rigoureuse. "^y^-y Les orangeries et les serres comportent d'ailleurs quelques

Fig. 747. Orangerie du Luxembourg. A, plan. B, coupe. C, élévation de travée.

dépendances nécessaires : dépôts d'outils, de pots à fleurs et de caisses, de terre végétale et terreau : tout ce qu'il faut pour les travaux accessoires. Il va sans dire qu'il y faut aussi de l'eau pour les arrosages; quant au service de chauffage, il doit autant que possible être assuré par des sous-sols, caves ou sou- bassements. Enfin, il faut prévoir des accès faciles pour l'entre- tien de la vitrerie; si la disposition comporte des vitrages élevés en façade, il est bon d'avoir des balcons de service. Les vitrages de toitures sont rendus accessibles au moyen de che- mins et spécialement de chemins de faîtages, nécessaires aussi

LES MUSEES SCIENTIFIQUES

379

pour la manœuvre des claies dont on se sert pour ombrer au besoin des parties plus ou moins étendues de vitrages. '-

J'ai traité ces sujets à propos des édifices d'enseignement, mais il est bien évident que les mêmes recommandations s'ap- pliquent aux serres et orangeries d'agrément.

Pour tout je détail des installations spéciales, je ne puis que vous renvoyer aux ouvrages spéciaux.

CHAPITRE IX LES BIBLIOTHÈQUES

SOMMAIRE. Salles de bibliothèques dans des édifices complexes.

Disposition. Éclairage. Grandes bibliothèques publiques. Compositions rayonnantes.

Salles de lecture. Eclairage. Magasins de livres. Dépendances des bibliothèques.

J'arrive aux bibliothèques. Il n'est pas de grand établissement qui n'ait sa bibliothèque, qu'il s'agisse d'un édifice d'enseigne- ment comme les Écoles, Facultés, Muséums, ou de tous autres ensembles qui supposent la lecture et la consultation de docu- ments, tels que les Parlements, les Palais de Justice, les chambres de commerce, etc. : cette énumération pourrait être longue. La bibliothèque comporte alors une ou plusieurs salles'! (dépendant d'un grand ensemble et elle y tient toujours une) noble place. Je vous citerai parmi celles que vous pouvez le^ mieux connaître la belle bibliothèque de votre École, d'une étude si artistique; celle du Conservatoire des Arts et Métiers, heureusement disposée dans l'ancien réfectoire, un peu assombri, de l'abbaye de Saint-Martin-des-Champs; celles de l'École de médecine et de l'École de droit, de la Sorbonne, etc.

Mais il y a d'autre part les Bibliothèques publiques, qui ne sont que des bibliothèques, encore bien qu'une bibliothèque soit toujours quelque peu un musée, car il est bien rare qu'elle

382 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l'aRCHITECTURE

ne contienne pas des antiquités, des médailles, des objets de curiosité. Mais je me restrems ici à vous parler de ce qui dans ces édifices est spécialement conçu en vue des livres ou des manuscrits. A Paris, vous en pouvez voir quatre : la Biblio- thèque Nationale, celles de Sainte-Geneviève, de l'Arsenal, et la Mazarine. Les deux dernières ont été installées le mieux pos- sible dans des édifices qui n'ont pas été construits pour cela, ce sont donc les deux premières qui doivent surtout nous intéres- ser dans cette étude; car, bien que la Bibliothèque Nationale conserve encore de notables et très intéressantes parties des anciens hôtels de Mazarin et de Colbert, il y a été fait des constructions spéciales et très complètes; et d'ailleurs ces deux exemples nous présentent des spécimens de deux variantes, ou, si vous aimez mieux, de deux systèmes qui peuvent et doivent, selon les cas, avoir leur application.

Il y a en effet deux idées qui dés le principe doivent ré^ir la composition des bibliothèques : ou les travailleurs sont dans la salle même qui contient les Hvres; c'est le cas de la Bibliothèque Sainte-Geneviève, et de toutes les bibliothèques spéciales comme la vôtre et des services secondaires de la Bibliothèque Nationale (manuscrits, estampes, etc.); ou au contraire les travailleurs sont réunis dans une salle de lecture, presque dépourvue de livres, et de vastes dépôts de livres sont à proximité, /permet- tant en dehors de la salle les recherches des employés et le rangement^ tel est, à la BibHothèque Nationale, le grand service des Imprimés. De là, deux groupes bien différents.

Évidemment, c'est le programme donné à l'architecte qui doit dire lequel de ces deux partis devra être adopté. Il est bon toutefois que vous connaissiez les avantages et les inconvé- nients de chacun.

Dans une bibliothèque comme celle de notre École, les

LES BIBLIOTHEQUES 383

lecteurs ne sont jamais très nombreux, je crois que le s^'stèn^e de la salle unique est préférable. Les recherches exigent moins de temps et elles ne sont jamais ni assez fréquentes ni assez bruyantes pour risquer de troubler les travailleurs. On est plus en famille, pour ainsi dire, au milieu des livres; on est plus dans la situation de quelqu'un qui travaillerait dans sa propre bibliothéque.(^Il arrive aussi, si le lecteur est connu du person-j nel de la bibliothèque, qu'il soit admis à feuilleter 4t;s. volumes qu'il ne demandera que s'il s'est assuré en parcourant la table des matières qu'il y trouvera le sujet de son études) Cette facultér ne peut être laissée^à tout le monde, mais lorsqu'elle est pos- sible elle facilite les recherches, /il arrive aussi) et c'est le cas de la Bibliothèque Sainte-Gene- viève — que le public est nombreuxj^mais que le nombre des. livres est relativement restreint) Peut-être alors serait-il mieux qu'il y eût une salle de lecture distincte; mais en tous cas, là, rexigi|ïté du terrain ne l'aurait pas permis, et la question ne pouvait pas se poser.

Au contraire, pour un aussi vaste ensemble que le départe- ment des Imprimés à la Bibliothèque Nationale, le parti de la salle de lecture s'impose. Il est nécessaire de trouver place pour des millions de volumes, (et cela ne peut se faire qu'à la condi- tion de resserrer les espaces par des dispositions spéciales, sansi quoi il faudrait des étendues immenses, et dés lors les travail- leurs seraient répandus dans des espaces presque indéfinis, au grand préjudice du bon ordre et de la surveillance nécessaire. Si d'ailleurs tous les livres devaient être disposés contre les parois de la salle de lecture, il faudrait de tels développements de rayons que les allées et venues des employés seraient inter- minables ; enfin les recherches provoquées à tout instant par des lecteurs aussi nombreux ne pourraient se faire sans bruit.)

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384 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE LARCHITECTURE

Aussi peut-on dire qu'une bibliothèque considérable à la fois comme nombre de livres et comme nombre de lecteurs réclame l'existence de salles de lecture distinctes des emmagasi- nements de livres.

En général, les bibliothèques de moindre importance j'en- tends par celles qui ne sont pas uniquement des bibliothèques sont des salles en forme de galeries ; cette disposition est judicieuse, et d'ailleurs très souvent commandée par les super- positions de plans. L'éclairage par de grandes fenêtres aussi élevées que possible dans la salle et ne descendant pas trop bas est indiqué ici,/'sans préjudice du supplément de lumière que peut apporter l'éclairage du haut, si la galerie est très large. )

Un bel exemple de ces salles est celui de la section des manuscrits à la Bibliothèque Nationale (fig. 748), les lecteurs sont assez peu nombreux, et des objets de grande valeur sont réunis dans des meubles de grande beauté. Je vous citerai aussi l'ancienne BibHothéque Sainte-Geneviève, dépendant de l'antique abbaye de ce nom, et maintenant incorporée au Lycée Henri IV (fig. 749).

L'éclairage unilatéral a certainement pour inconvénient que les tables des lecteurs, généralement disposées en longueur, ont un de leurs côtés à contre-jour. Toutefois lorsque la salle est haute et les fenêtres élevées cet inconvénient s'atténue. A cer- tains égards, ce que je vous ai dit à propos des grandes salles à manger peut encore s'appliquer ici.)

Une prudence à recommander est de faire très résistants les planchers de ces salles, et de prévoir dans leur disposition des combinaisons spéciales pour les parties les plus chargées : les meubles contre les murs, les tables de miHeu qui normalement peu chargées le sont parfois beaucoup lorsqu'elles servent de

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décharges pour les rangements de livres/ L'architecte devrait toujours, ici encore, comme je vous l'ai dit pour les salles de

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ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

collection, recevoir des administrations compétentes l'indication de la charge maxima à prévoir. ' V^

Quant aux grandes bibliothèques publiques, le problème est beaucoup plus complexe. Il se résume en ceci :

Étant donné que ces bibliothèques comportent des salles de lecture, et en dehors de ces salles de vastes dépôts de livres, assurer la plus grande simplicité et la plus grande rapidité dans le transport des Uvres du dépôt à la salle et réciproquement.

Tout dépendra de cela : la faciHté des études pour le lecteur, la facilité des recherches et du rangement pour l'employé. Il faut donc, ou il faudrait, que tout livre fût à proximité de la salle, et par conséquent '") que l'espace fût utilisé avec une véritable avarice.:

Dans plusieurs monu- ments étrangers, très inté- ressants à étudier, dont je puis vous citer deux exemples entre autres, la Bibliothèque du British Muséum, à Londres (fîg. 750), et celle de Washington (fig. 751), la solution de ce problème a été demandée à la composition rayonnante, très séduisante théoriquement, mais qui en fait, au lieu d'économiser l'espace, exige des terrains beaucoup plus étendus. On n'a pas suivi ce système pour notre grande Bibliothèque de Paris, et je crois qu'on a eu raison.

A Strasbourg au contraire, pour une bibhothèque de construc- tion assez récente (fig. 752 et 753), on a adopté un parti qui se rapproche davantage de celui de notre Bibliothèque Nationale,

Fig. 750. Bibliothèque du British Muséum, à Londres.

LES BIBLIOTHÈQUES

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en y cherchant aussi de vastes dépôts de livres en communica- tion facile avec la salle de lecture.

Dans tous les cas, la grande salle de lecture doit avant tout

Fig. 751. Plan de la Bibliothèque de Washington.

A, bureaux. B, administration. C, manuacrits précieux. D, magasins. E, salles de lecture. - F, magasins k plusieurs étages. G, grande salle de lecture. H, salle de dessins. - 1, manuscrits.

être bien éclairée, et bien disposée pour la surveillance. Pour être bien éclairée, il faut qu'elle le soit abondamment, et de plusieurs côtés; en un mot, beaucoup de lumière diffuse. C'est la néces- sité que vous avez déjà rencontrée chaque fois qu'il s'agit de salles il ne faut pas d'ombres portées violentes.! Ainsi, l'éclai- , rage purement du haut ne vaudrait rien, car le lecteur penché sur son livre ou sur son papier le mettrait dans sa propre ombre portée. L'éclairage unilatéral, sans être forcément mau- vais, n'est pas facilement bon ; ou bien cet éclairage demande-

388 ÉLÉMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

Fig. 752. Bibliothèque de Strasbourg. Coupe longitudinale.

Fig. 755. Bibliothèque de Strasbourg. Coupe.

I, vestibule, vestiaire, | 2, portier. 3, registre. 4, chambres des bibliothécaires. j, catalogue. 6, distribu- 'tion des livres. 7, salle de lecture. 8, toilette. 9, relieur. 10, livres nouveaux. 11, cours, 12, maga- sins de livres.

ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE L'ARCHITECTURE

TOMK II

l'âge î89

LES BIBLIOTHÈQUES 389

rait que les lecteurs fussent dispos(is par petites tables parallèles comme les élèves dans une classe, et dans une seule direction : ce qui serait regrettable et pour l'aspect et pour la surveillance.

Si au contraire le jour vient un peu de partout, la lumière obte- nue sera la résultante d'éclairages divers, et toute interposition de corps qui intercepte pour le livre l'éclairage d'une fenêtre ou d'un châssis déterminé, ne le met cependant pas dans l'ombre parce qu'il reste un nombre suffisant de châssis qui l'éclairent d'autre part.

Aussi ne puis-je mieux fiiire que de vous citer à ce point de vue la grande salle de lecture de la Bibliothèque Nationale dispo- sée au centre même du plan général de l'établissement (fig. 754), donné ici tel qu'il sera bientôt livré au public, après exécution des travaux actuellement en cours. Un vaste espace carré est, au moyen de quatre colonnes intérieures, divisé en neuf carrés égaux. Chacune de ces travées est couverte par une coupole en penden- tif, avec un châssis circulaire central. En même temps, l'une des faces de la salle, du côté de l'entrée, présente l'ouverture d'un grand arc vitré, laissant largement entrer la lumière du nord. Les coupoles, revêtues de panneaux de faïence blanche, jouent le rôle de grands réflecteurs : de toute cette disposition résulte une lumière abondante et diffuse, qui pénètre partout. Je vous ai montré plus haut (V. vol. I,fig. 541) la disposition de cette salle remarquable que je vous ai citée comme exemple de construction métallique. Au point de vue de son usage, je me permettrai de vous la mon- trer de nouveau sous un autre aspect, d'après une photographie que M. Pascal a bien voulu me communiquer, et qui a été prise du niveau du premier étage (fig. 7)3). Vous y voyez les tables des lecteurs, sous lesquelles circulent les canalisations de chauf- fage; dans le passage central les casiers de répertoire; tout le vaste espace de l'abside du fond réservé aux conservateurs et

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ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

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LES BIBLIOTHHQUES 39 1

bibliothécaires ; enfin la grande porte encadrée de cariatides don- nant accès au Magasin des livres. L'éclairage multiple, par les jours de façades, les neuf coupoles de la salle et le vitrage de l'ab- side, pénètre partout en assurant à toutes les places une lumière diffuse et égale. La surveillance est aussi assurée que possible.

Je n'ai pas besoin, je pense, de vous faire remarquer quel beau caractère est celui de cette salle remarquable à tous égards, et qui est justement considérée comme un des chefs-d'œuvre de l'ar- chitecture contemporaine. Et cet exemple vous montre une fois de plus ce que peut, au profit d'un programme, l'intelligence des conditions à observer. Supposez réunies en une seule surface vitrée, soit verticale soit horizontale, les surfaces partielles de ces divers vitrages, vous auriez une salle claire sans doute, mais un éclairage heurté, des ombres accentuées, et non cette lumière calme et ambiante, qui enveloppe le lecteur quelle que soit sa place dans la salle, car dans cette grande salle toutes les places sont bonnes.

Et cependant, voyez comme les programmes se transforment rapidement : cette grande salle , aux places nombreuses, affran- chie des circulations résultant de la recherche et du rangement des livres, ne laissait rien, semble-t-il, à désirer. Mais dans une bibliothèque publique il y a lecteurs et lecteurs. Il y vient les travailleurs sérieux et c'est à leur intention que la biblio- thèque est faite il y vient aussi les lecteurs de journaux, de romans populaires, d'almanachs et, chose curieuse, les ama- teurs très nombreux d'ouvrages de divinitation, tours de cartes, etc. D'où deux publics qui se gênent réciproquement. On a donc prendre le parti de faire deux salles de lecture : l'une, l'ancienne, réservée aux studieux munis de cartes; l'autre qui sera plus ouverte à tout venant. Cette nouvelle salle fait partie d'agrandissements qui ne sont pas encore terminés, vous devrez

392 ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

donc attendre encore avant de la voir. Mais son plan est défini- tivement arrêté, et c'est ainsi que je puis vous montrer le plan de la Bibliothèque Nationale complétée. Quant à présent, m'astrei- gnant toujours à ne vous faire voir que ce qui existe matérielle- ment, je dois me limiter comme description à ce que je vous ai dit de l'ancienne salle de lecture.

Avec des qualités analogues, mais sur des proportions plus restreintes, il est intéressant de comparer à cette salle celle de la Bibliothèque de Grenoble, dont une travée vous donnera l'idée générale (fig. 756).

La surveillance, vous ai-je dit, doit être facile. Elle est en effet nécessaire, car sans parler des vols, un livre est bientôt abîmé. Il est même étrange de voir combien le soin des livres et leur maniement sont choses ignorées de presque tout le monde. Or la surveillance résultera avant tout, et presque sans le vouloir, de la circulation fréquente des employés près des lecteurs. De l'estrade ou du bureau des conservateurs ou bibliothécaires, il ne peut être fait qu'une surveillance générale ; mais si les employés inférieurs, pour aller aux recherches, pour porter ou ranger les livres, etc., passent bien en vue des lecteurs, le lecteur qui les voit fréquemment se sent en vue lui-même. Sous ce rapport, rien ne se prête à la surveillance comme les longues tables accom- pagnées par les chemins : c'est le cas de votre Bibliothèque, de la Bibliothèque Sainte-Geneviève, et de beaucoup d'autres. Mais lorsque les chemins sont perpendiculaires aux tables, comme par exemple au service des manuscrits de la BibHothèque Nationale, la surveillance n'est assurée que si les tables sont assez courtes pour que, d'un chemin ou de l'autre, on voie facilement jusqu'au milieu.

! (En somme, ne comptez pas trop sur la surveillance immobile, mais bien sur la surveillance ambulante : on ne se promène pas

LES BIBLIOTHEQUES

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pour surveiller, mais on passe et par cela même on sur- veille. Et par conséquent, quelle que soit la disposition, faites

Fig. 756. ïravce de la Bibliothèque de Grenoble.

qu'il n'y ait pas de places trop distantes des chemins des employés^

394 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE L ARCHITECTURE ^>>-'

Ai-je besoin d'ajouter que ces salles sont un magnifique pro- gramme artistique ? Sans vous parler de celles qui, à une autre époque, furent traitées avec tant de soin et de goût, telles que la Librairie de la cathédrale de Sienne (fig. 757), la Bibliothèque du Vatican (fig. 758 et 759), mais qui n'étaient guère, comme les bibliothèques des anciens couvents ou des châteaux, qu'un beau logement ou un bel encadrement pour des livres, en réalité un musée de beaux manuscrits; sans insister sur les nombreuses bibliothèques de nos palais, de nos écoles, de nos hôtels de ville, qui sont toujours une des parties les plus intéressantes de ces ensembles, je tiens à vous faire bien voir, à propos de la grande salle de la Bibliothèque Nationale, comment un artiste supérieur atteint ces deux desiderata de l'architecture moderne, le caractère et l'originalité. ^^ .

Henri Labrouste avait l'esprit hardi et indépendant; le sens critique très développé, souvent même agressif; c'était un homme de lutte, et la réputation lui en est restée. Mais d'autre part ne l'oubliez pas un homme qui avait fait de sérieuses études, des études véritablement classiques ; s'il voulait choisir à sa guise dans son patrimoine artistique, c'est qu'il avait un patrimoine. Les circonstances car dans notre carrière les cir- constances tiennent une place énorme l'avaient fait nommer architecte de l'ancienne Bibliothèque Sainte-Geneviève, alors située dans les bâtiments de l'ancienne abbaye de ce nom; construction ancienne aussi, peu ou point commode pour une bibliothèque, insuffisante, mais dont la disparition est cepen- dant regrettable en elle-même, sinon comme bibliothèque. On se décida en haut lieu à faire reconstruire la Bibliothèque Sainte-Geneviève, Labrouste eut à en étudier le projet. J'ai eu l'occasion de vous en montrer le plan (V. plus haut, vol. I, fig. 377), je vous en donnerai donc ici seulement la coupe et la façade (fig. 760 et 761).

LES BIBLIOTHHaUES

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Fig. 757. Lihreria de la cathédrale de Sienne.

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ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

Fig. 758. Bibliothèque du Vatican. Coupe transversale.

Fig. 759. Bibliothèque du Vatican. Plan.

a, galerie dite Braccio-Ntiofo. b, cour de la Bibliothèque. c, bibliothèque de Sixte-Ouitr. â', cour basse du Belvédère.

LES BIBLIOTHEQUES

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Sur le terrain que vous connaissez, trop petit, trop immédia- tement en contact avec la voie publique, heureusement peu

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Fig. 760. Bibliothèqae Sainte-Geneviive. Façade.

!.. . Hg. 761. Coupe de la Bibliothèque Sainte-Geneviève.

bruyante, il eut à résoudre un problème qui n'était pas sans difficultés; l'abordant de front, il disposa dans une seule et

398 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l'aRCHITECTURE

unique salle au premier étage tout ce que devait contenir la Bibliothèque proprement dite, livres, lecteurs, conservateurs et employés. Et, chose alors presque bizarre, il éclaira cela par des fenêtres, et il demanda à une ossature métallique le caractère de ^,yjA>^ sa construction. Tout cela fut très âprement discuté, dénigré ou "exalté, sans surprise d'ailleurs pour lui-même, car en même temps qu'il cherchait le mieux, il ne craignait pas de faire de l'architecture de combat.

Quelques années après, architecte de la Bibliothèque Nationale, il eut à étudier la grande salle de lecture, parmi les dispositions d'un plan général d'extensions de l'établissement. Ici, il n'hésita pas à séparer la salle de lecture des dépôts de hvres; et, profitant de l'expérience acquise, possédant plus complètement son pro- gramme, nanti d'autre part d'une autorité qui n'était plus dis- cutée, il sut chercher dans les éléments seuls du programme les éléments de son architecture. Tout est réfléchi, judicieux, les quelques exagérations d'autrefois ont disparu, l'ensemble est à la fois plus harmonieux et plus impressionnant.

Et par celte sagesse qui est l'art classique véritable, par cette sincérité absolue, cette sérénité du dévouement au programme, l'œuvre s'affirme du premier coup au point de créer un type; elle possède le caractère, cette impression de nécessité, et l'ori- ginalité, cette récompense de l'abnégation sincère.

Mais à la condition, je le répète encore, d'être nourri de fortes études : les intentions ne suffisent pas.^

Ne croyez pas d'ailleurs que la salle de lecture soit la seule partie remarquable de cette oeuvre partout remarquable. Le dépôt ou_ magasin des livres est une conception originale, considérée encore comme un type. Mais le public n'y entrant pas, il est moins connu.

Au fond de la salle de lecture, une grande porte donne accès

ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l'aRCHITECTURE

TOMF. Il

l'age 399

o V.

I

LES BIBLIOTHIiaUES 399

à ce magasin qu'une assez large circulation divise en deux dans toute sa longueur. De chaque côté de ce passage ouvrent des compartiments, sortes de stalles, dont les deux parois perpendi- culaires au passage central sont constituées par des casiers à livres. Pour la facilité des recherches, il ne fallait ni escabeaux/ ni marchepieds; les dimensions de chaque stalle sont donc déter- minées : en largeur, par l'étendue normale des bras ouverts de l'homme, afin que d'une même place il puisse à volonté atteindre le casier de droite ou celui de gauche; en hauteur, parle niveau de ce que peut atteindre à la main un homme de taille ordi- naire. Aussi, la largeur sans œuvre ne peut guère excéder i •" 60, la hauteur 2 "' 10. 11 fixllait donc des étages nombreux, et cepen- dant de la lumière, qui ne pouvait venir que du haut.

Dans ce but, des escaliers fiiciles conduisent à ces divisions d'étages, et les planchers sont composés de grilles à claire-voie : la lumière pénétre ainsi très suffisamment à un cinquième niveau. D'ailleurs, dans les stalles, le plancher ne régne pas partout : il n'est nécessaire que l'employé doit passer, c'est donc une sorte de balcon milieu; prés des armoires, le plancher est vide; seulement, comme dans la manœuvre des livres un volume peut tomber, ce vide est muni d'un simple filet, comme un filet de pèche à larges mailles.

Ce n'est vraiment qu'en voyant cette originale et utile com- position qu'on peut s'en rendre compte; je vous en donne cependant une vue intérieure qui vous permettra de vous en faire une idée approximative (fig. 762).

Au point de vue matériel, signalons quelques difficultés; la bibliothèque a besoin d'aération en tout temps, il serait donc bon qu'elle fût ventilée ainsi que nous l'avons vu pour d'autres salles. Mais elle craint la poussière, et elle en aura toujours trop

400 ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

par les allées et venues. Il faut donc chercher à ce que les calo- rifères et les insufflateurs d'air introduisent le moins possible de poussières extérieures. C'est surtout par des modes de tamisage de l'air dans les prises qu'on y peut obvier.

Lechaufîage est toujours une question délicate dans une salle un pubHc nombreux reste de longues heures immobile. Comme pour l'éclairage, il est nécessaire de diviser le plus possible l'introduction du chauffage. Une salle de bibliothèque sera en général chauffée par l'eau ou la vapeur de préférence à l'air chaud; mais tout chauffige sera acceptable s'il ne localise pas les émis- sions. Le mieux paraît dans tous les cas un chauffage par bouches ou batteries destinées à échauffer l'air de la salle, et disposées en dehors des places des travailleurs, auprès surtout des surfaces de refroidissement; puis, des circulations sous les tables, formant chaufferette pour les lecteurs.

Une grande difficulté est celle des vestiaires. Il n'appartient pas à l'architecte, bien entendu, de prescrire ce que le lecteur pourra garder ou ce qu'il devra laisser au vestiaire, s'il en existe. Mais supposons un vestiaire très complet, très commode : le lec- teur entrera cependant dans la salle avec des objets qu'il n'a pas déposés, et qu'il retirera, ne fût-ce que son chapeau, ou un par- dessus d'abord conservé. Suspendre tout cela, ou le laisser sur les tables, serait affreux et d'ailleurs très gênant pour la surveil- lance. On n'a pas trouvé d'autre moyen dans les bibliothèques que d'installer sous chaque case de la table un récipient person- nel, soit un filet, soit une boîte ouverte d'une face.

Certaines bibliothèques servent le soir. Avec l'éclairage élec- trique, cela ne présente pas de difficultés : toujours le plus de diffusion possible de la lumière par la multipHcité des points éclairants. ,, ^

Quant à tout le détail du mobilier et des agencements, c'est

LES BIBLIOTHÈQUES 40I

un sujet que je n'aborderai pas, et qui est du domaine des mono- graphies.

Vous désireriez sans doute être renseignés sur la surface nécessaire d'une salle destinée à un nombre déterminé de lec- teurs. Il n'est pas possible de l'établir a priori : cela dépend trop de la disposition des tables et des passages; le renseignement que vous avez à demander comme programme visera plutôt la largeur des places attribuées à chacun. Vous saurez ainsi qu'on vous demande cent places par exemple, et suivant qu'on les voudra de o™ 50 ou de un mètre, il faudra cinquante ou cent mètres de longueur de tables. Or, cette largeur est variable : dans une bibliothèque de simple lecture, elle pourra être modeste, sans cependant, je crois, être jamais inférieure à 0^60; tandis que dans une bibliothèque comme celle de notre École par exemple, vous devez ouvrir devant vous des volumes ou des atlas de très grand format, ou dérouler des dessins, vous occuperez souvent un mètre et plus. De même au département des estampes, des cartes et plans, etc., dans une bibliothèque publique. De même encore, lorsqu'on a dit une bibliothèque de 10.000 volumes par exemple, on n'a nullement précisé une étendue de casiers. Ce sont des questions qui ne peuvent se résoudre que par un accord entre l'architecte et le conservateur.

Il n'est évidemment pas nécessaire de vous dire que les bibliothèques doivent être aussi parfaitement que possible à l'abri de l'incendie. Mais il s'y trouvera toujours, et abondam- ment, des matières combustibles, ne fût-ce que les livres. Il faut donc des postes de secours installés partout besoin est, et avec de l'eau toujours en pression. Ces postes, bien connus du personnel, permettent de combattre et d'arrêter un commen- cement d'incendie dès qu'on l'aperçoit, et c'est la première chose à considérer; car un incendie est assez facile à réduire au

ÉUnunIs et Théorie de FArcbiteclure. II. a6

402 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l'aRCHITECTURE

moment il se déclare, mais après quelques minutes les moyens puissants qu'on amène du dehors, pompes à vapeur, dévidoirs, etc., ont à combattre et à arrêter un sinistre déjà très grave, et les dégâts de l'inondation inévitable s'ajoutent à ceux du feu. Mais la sagesse proclame que mieux vaut prévenir que réprimer. Il faut donc du moins faire en sorte que la construc- tion ne soit pas de nature à pouvoir communiquer le feu aux livres, et pour cela qu'elle soit incombustible. Plusieurs de nos bibliothèques, installées dans de vieux bâtiments, ont des plan- chers en bois, des refends en pan de bois; leurs murs donnent passage à des tuyaux de fumée souvent en mauvais état, si bien que les collections sont à la merci d'un feu de cheminée. Cela est dangereux et serait impardonnable dans un édifice construit pour être une bibliothèque. La construction devra donc être incombustible, et j'ajouterai que le chauffage à l'air chaud doit être écarté ; quant à l'éclairage du soir, c'est encore à l'élec- tricité qu'il est préférable de le demander, mais en poussant jus- qu'à la plus extrême prudence les précautions nécessaires : car l'électricité mal installée est aussi dangereuse que le gaz. Ces considérations s'appliqueraient d'ailleurs aux musées, et à tous les édifices en général; je les expose au sujet des bibliothèques, parce que c'est peut-être le sujet qui les appelle le plus; je vous en reparlerai d'ailleurs à propos des théâtres.

Ici encore, sur ce groupe très multiple des édifices d'instruc- tion publique, je ne pouvais vous donner un traité complet de la matière. Certes, après avoir lu ces quelques pages, vous n'êtes pas en mesure d'étudier à fond un Musée ou une Bibliothèque. Je ne vous en ai montré que les éléments. Il en est ainsi d'ailleurs de tout programme; si les circonstances font que quelque jour vous ayez à traiter l'un de ces sujets, alors vous visiterez ce qui

LES BIBLIOTHÈaUES 403

a été fait, vous questionnerez, vous vous consulterez avec les hommes compétents; vous vous débattrez avec toute la série des petites questions soulevées par les petites dépendances, dont on ne peut vous parler dans un exposé général, et qui prennent une importance inévitable à l'exécution. Un programme général de Bibliothèque ne vous parlera par exemple ni de dépôts de fournitures quelconques, ni de cabinets d'aisances, ni de logement de concierge : c'est que ce sont choses sous-enten- dues, et que dans une étude définitive il faudra bien trouver. A toute composition, il faut une certaine élasticité qui permette les extensions : de même que dans un devis on fait toujours la part de l'imprévu, de même dans un projet il faut aussi la part de l'imprévu : l'étude définitive en trouvera rarement assez, car le programme entier se révèle peu à peu.

Ne croyez donc pas que je vous ai parlé de tout ce qui pourra se placer dans vos compositions. Mais dites-vous bien que dans tout programme il y a les besoins spéciaux, puis tout ce qui n'est pas particuHer au sujet. Ainsi par exemple dans un Musée, un caHnet de Conservateur ou une salle de Commission ou de Conseil n'auront rien de spécial; je ne vous en parle donc pas; je dois me limiter sur chaque sujet à ses éléments propres. C'est déjà assez vaste. ;

LIVRE VIII

LES

ÉLÉMENTS DE LA COMPOSITION

DANS

LES ÉDIFICES ADMINISTRATIFS POLITiaUES, JUDICIAIRES, PÉNITENTIAIRES

CHAPITRE PREMIER ÉLÉMENTS DES ÉDIFICES ADMINISTRATIFS

SOMMAIRE. Complexité des programmes. Le bureau; travail intérieur, travail avec le public. Grands locaux administratifs.

Service du cabinet, Services généraux : archives, matériel, etc. Salles de délibérations.

Nécessités de l'architecture des bureaux.

Si les programmes des édifices administratifs, depuis la petite mairie jusqu'au Palais de Parlement, sont extrêmement variés au point de vue de la composition générale, ils le sont beau- coup moins dans leurs éléments; et d'ailleurs nous rencontre- rons ici des sujets déjà vus : par exemple, l'habitation joue un rôle important dans les édifices administratifs : soit qu'il s'agisse d'un hôtel de particulier ou d'un hôtel de Préfecture ou de Ministère, la chambre, le salon, la cuisine ou le cabinet d'ai- sances ne motiveront pas de conceptions différentes. De même pour les écuries ou remises, les cuisines, etc. Je n'y reviendrai pas, et je ne vous parlerai ici que de ce qui est bien un élément spécial de l'édifice administratif, c'est-à-dire les locaux l'on fait de l'administration.

Je prends d'ailleurs ce mot dans son sens le plus large, et sous la rubrique Édifices administratifs doivent se classer égale- ment les Édifices politiques.

A propos de ces édifices, l'architecte se trouve bien souvent

4o8 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l' ARCHITECTURE

dans une situation fort embarrassante. Tandis que la raison et la loyauté lui disent que tout doit être conçu et disposé pour la commodité du public et la bonne expédition des affaires, un programme sous-entendu, qui n'est écrit nulle part, lui rappelle bien souvent que ceux qui le mettent directement en oeuvre veulent n'avoir pas besoin de parler pour être compris lorsqu'il s'agit de leurs commodités personnelles. Heureux l'architecte d'administration, s'il a assez d'esprit pour comprendre ce que parler veut dire, ce que se taire signifie !

Mais je n'ai pas à vous enseigner la souplesse que d'ailleurs je possède peu. Nous étudierons ici comme toujours la vérité vraie, naïvement et sans malices. D'ailleurs, malgré les résis- tances ou les inerties, c'est elle qui finit toujours par avoir raison.

Ici, la théorie consiste surtout à bien définir les mots qui servent à désigner les choses. On a presque enseigné tout ce qui peut être enseigné, si l'élève peut lire un programme avec clarté et avec proportion. Et ce sont les programmes d'édifices administratifs qui sont les plus touffus de tous, et généralement les plus difficiles à rédiger. Cependant le programme a une importance capitale, car il ne doit rien omettre, et il doit pré- voir. Le programme, je vous l'ai souvent dit, n'incombe pas à l'architecte, qui doit ou plutôt qui devrait le recevoir tout préparé; et cependant, pour dresser un programme il faut tellement l'intuition du possible, la prévoyance de l'impraticable, le sens de la proportion générale, que l'architecte seul peut faire un programme réahsable. Comment pourront se concilier ces deux nécessités opposées ? Uniquement par la coopération loyale, par l'accord des bonnes volontés indispensables.

L'architecte aura donc, en fait, à collaborer au programme :

ÉLÉMENTS DES ÉDIFICES ADMINISTRATIFS 4O9

dés lors, il n'est pas inutile de voir ce que doit être un pro- gramme, et vous me permettrez de vous en dire quelques mots. Cette digression, que j'aurais pu d'ailleurs placer déjà dans les pages qui précèdent, vous montrera en passant que la direc- tion générale de vos études n'est pas sans difficulté.

Mauvais programme tout d'abord celui qui ne permet qu'une seule solution, qui n'est en quelque sorte qu'un état de lieux descriptif d'une disposition préconçue. Plus mauvais programme encore celui qui serait insoluble. Et n'allez pas croire qu'il n'en existe pas : je pourrais vous citer des programmes de concours publics qui demandaient dans un terrain donné deux ou trois fois plus de surfaces partielles qu'il n'en pouvait entrer même à grand renfort d'étages superposés et d'agglomérations inaccep- tables.

Et, si je croyais que ces lignes dussent être lues par ceux qui devraient en réalité les lire, j'ajouterais : lorsque par hasard on fait un programme, par exemple pour les concours publics il est impossible de n'en pas foire, on le fait généralement aussi mal que possible. Le grand chef demande à chacun de ses chefs de service son morceau de programme; ceux-ci, tout naturelle- ment, ne voyant que leur affaire propre, demandent et demandent encore : on a cent mètres d'étoffe à répartir, les demandes addi- tionnées en représenteraient mille. Puis, comme le chef ne veut pas en définitive contrister ses collaborateurs et f;iire lui-même la part des excès ou des exagérations, on se borne à coudre ou à brocher ces fragments de programme, sans contrôler ni le total ni les proportions respectives, et voilà le programme; programme qui n'a tenu compte ni du terrain, ni des ressources, ni de rien de ce qui fera les difficultés de la composition. C'est de l'anar- chie administrative. Puis on dit à l'architecte : c'est votre métier de combiner des plans, arrangez-vous. Combiner des plans, oui;

410 ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

arrêter un programme possible, non. Je combats ici, je le sais des errements trop acceptés. Mais, de ce qu'on n'espère pas sup- primer d'emblée un abus, est-ce une raison pour ne pas le dénon- cer?

Le programme doit donc être libéral, mais il faut que son rédacteur le soumette lui-même à une critique sérieuse pour s'assurer qu'il ne demande pas l'impossible. Puis, tout comme la composition qu'il prépare, il devra aller de l'ensemble aux détails, indiquer d'abord les grandes divisions ou plutôt les grands groupements, et ensuite les détails subsidiaires. Mais si ces détails sont trop nombreux, ils font perdre de vue l'ensemble, et rien n'est moins clair et n'inspire moins que ces programmes comme nous en voyons souvent dans les concours publics, l'on commence par détailler la loge du concierge avec toutes ses circonstances et dépendances, sans faire grâce d'un placard, et en fixant successivement les surfaces de chaque pièce ou de chaque dégagement. Ce n'est plus un programme, c'est un procès-verbal.

Concis et complet, voilà en somme le programme qu'on rêve de vous donner. Mais l'édifice sera multiple et la concision, c'est-à-dire la clarté du programme, ne pourra être obtenue que par des formules assez compréhensives pour « clore en peu de mots beaucoup de sens ». Cela revient à dire que, dans nos programmes, le mot est l'abrégé d'un groupe. Si nous disons par exemple un bureau, ce bureau n'est pas une pièce unique, c'est un ensemble qui pourrait se décomposer à son tour. Nos programmes condensent, parce qu'ils s'adressent à des lecteurs qui sont réputés savoir les lire, parce que vous devez, sous ce mot bureau, comprendre ce détail secondaire qui ne vous est pas dit.

Mais savoir lire un programme, c'est du talent déjà, et de

ÉLÉMENTS DES ÉDIFICES ADMINISTRATIFS 4II

l'expérience; c'est le prologue indispensable de la composition; et c'est pour cela que par une sorte de réciprocité les leçons de ce cours sont un peu le commentaire permanent de vos programmes.

L'outil principal, et si l'on peut dire ainsi, l'unité tactique de l'administration publique ou privée, c'est le bureau. Un bureau comprend toujours un chef qui se réserve les questions essen- tielles, puis une hiérarchie d'employés, du sous-chef à l'expédi- tionnaire ou copiste, enfin les garçons de bureau qui font le service et renseignent le public.

L'ordre est la condition première du bon travail d'un bureau, et les affaires y aboutissent par deux canalisations : envoyées par la direction supérieure ou apportées par le public tout au moins dans un grand nombre de bureaux. Il est évident que si le public va frapper au hasard à toutes les portes, il déran- gera le travail sans utilité. Il faut donc tout d'abord l'anti- chambre où le garçon de bureau renseigne les arrivants, les fait attendre et les dirige.

Aussi l'antichambre doit-elle être à l'entrée du bureau; puis doivent venir les pièces le public peut avoir le plus à fiiire; les cabinets des chefs plus à l'abri des indiscrets, et en même temps à portée de la surveillance.

Mais il y a des bureaux très différents par leur destination, et le programme comportera des nuances nombreuses que je ne puis exposer en détail. D'une façon générale, cela se ramènera d'ailleurs à deux groupes : les bureaux de travail intérieur, et les bureaux de travail en public.

Pour les bureaux de travail intérieur, il suffit de pièces bien éclairées, suffisamment confortables, disposées en général pour plusieurs employés. Une pièce par employé serait un luxe

412 ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

trop coûteux, et il y a souvent connexité entre le travail de plusieurs; le programme d'ailleurs est essentiellement variable à cet égard: il est évident par exemple que des rédacteurs ont besoin d'un isolement inutile à des expéditionnaires qui pour- raient être réunis dans une sorte d'atelier commun.

D'autre part, au nom de la surveillance, de l'économie de place, etc., on a souvent préconisé la réunion de tous les employés d'un même bureau dans un seul local. Or, des pièces trop grandes qui contiendraient tout le monde à la fois seraient dans un autre sens peu favorables au travail. On ne dépasse guère la réunion de quatre à cinq employés. Tout cela est une question de mesure, et il n'y a pas de solution absolue.

Quant aux chefs et sous-chefs, qui auront souvent à traiter des affaires avec discrétion, ils doivent avoir des cabinets person- nels. 11 en est de même des employés qui par leurs fonctions ont directement affaire à des personnes étrangères à l'Administration, par exemple les contrôleurs qui reçoivent des réclamations, etc.

Il est bon enfin que chaque bureau dispose de ses dépen- dances, cabinets d'aisances, lavabo, vestiaire des employés, dépôts divers : tout ce dont l'absence provoquerait des sorties parfois prolongées au delà des besoins.

Un exemple entre autres vous fera voir l'ensemble d'un bureau administratif (fig. 763); il est emprunté au Ministère des affaires étrangères. Ce ministère est d'ailleurs dans sa dispo- sition générale un exemple trop rare d'un édifice d'administra- tion publique construit spécialement pour sa destination. Je crois utile de vous en faire voir le plan pris au rez-de-chaussée; vous y trouverez l'hôtel très important du ministre, l'aile des bureaux en bordure de la rue de Constantine, et le service des archives sur la rue de l'Université (fig. 764). 11 faut remarquer toutefois que ce ministère comporte un certain apparat, même

ÉLÉMENTS DES ÉDIFICES ADMINISTRATIFS

413

dans SCS locaux administratifs, et que dans tout son ensemble il s'appelle aussi le « Palais des affaires étrangères » d'où une nuance de richesse et d'ampleur qui ne serait pas partout de mise.

D'ailleurs, chaque bureau pourra de plus avoir des dépen- dances spéciales, d'après sa destination particulière : ainsi, tel bureau aura une bibliothèque considérable, ou des dépôts de gravures ou de cartes; des archives intérieures à consulter constamment; des salles d'empaquetage, d'expédition ou

'■'g' 7^3- Bureaux du Ministère des Affaires étrangères.

A, directeur. B, dégagement. C, garçons de bureau. D, pièce d'attente. E,F,H, rédacteurs. G, sous- directeur. I, commissions. J, grand escalier.

d'ouverture. Mais ce sont des particularités très spéciales qui échappent aux programmes généraux. Ici encore, répétez- vous bien que la connaissance, exacte et entière des besoins doit précéder et guider la composition. Mais à l'École, nous ne pouvons vous enseigner ce détail, nous devons nous borner à vous préparer à en comprendre l'importance et à en accepter la nécessité le jour vous aurez à vous mesurer avec les pro- grammes qui le comportent.

Tout autres sont les bureaux l'on travaille en public, et même avec le public, par exemple tout le service du Payeur du Trésor, la Caisse municipale de l'Hôtel de Ville, les bureaux de poste et de télégraphe, ainsi que de très nombreux bureaux qui n'appartiennent pas à des administrations de l'État,

414 ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

RUE BE L UNIVERSITE

Kig. 764. Plan du Ministère des Affaires étrangères.

A, cour d'honneur. B, concierge. C C, Hôtel du Ministre. D, cour des bureaux. E, cour des remises - F, cour des archives. G Gy bâtiment des bureaux, H H, bâtiment des archives.

ÉLÉMENTS DES ÉDIFICES ADMINISTRATIFS

415

comme la Banque nais(fig. 765), les Compagnies d'as- surances, etc., etc. Là, le contact avec le public est la règle, et ces sortes de bureaux sont aménagés dans de vastes salles, aussi claires que pos- sible, aérées et chauffées le mieux possible, mais qui tiennent toujours un peu du marché ou de l'abri cou- vert. Vous con- naissez évidem- ment quelques- unes de ces salles, les employés travaillent der- rière des guichets ou des comptoirs, çà et s'élève une estrade de surveillant ou de chef qui doit tout voir. Ici, il n'y a pas de dis-

de France, le Crédit foncier, le Crédit Lyon-

Fig. 765. Plan du Crédit Lyonnais, à Paris.

A, partie en location. l, grand vestibule. a, galerie d'entrée. }, salle des Pas-Perdus. 4,4, bureaux divers. s, caisse principale. 6, vestibule des chemins autrichiens. "J, Change. 8, prits snr titres. 9, service des assurances. 10, service des dépêches. il, service des titres. la, escaliers (tf, montée d'honneur, h, montée service).

41 6 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE LARCHITECTURE

tribution permanente : le mieux est d'avoir une salle aussi grande que possible, libre de points d'appui et surtout de murs, éclairée par une lumière abondante et qui se répande partout, multiple par conséquent. Puis, c'est la menuiserie qui forme les comparti- ments et les divisions.

Et cela présente un très grand avantage : la mobilité. Je vous citais la grande salle des Caisses du Trésor, elle date de trente ans environ, et déjà bien des fois des remaniements complets ont été faits dans ses distributions : c'est que des menuiseries se déplacent aisément, et s'il fallait modifier ce qui serait enclos par des murs ou des piliers, on serait bien empêché. Et il n'y a guère de services de cette nature, qu'ils dépendent ou non de l'État, ces modifications presque continuelles ne soient la régie et non pas l'exception.

Aussi pour ces grands services administratifs, de création moderne, services financiers, bureaux de chemins de fer, de banques, de poste, d'expéditions, etc., comme l'hôtel des bureaux de la O^ des chemins de fer d'Orléans (fig. 766), croyez bien qu'il n'y a qu'un programme : faire grand et faire mobile.

Faire grand, car les accroissements vont vite, et toute instal- lation qui ne laisse pas du disponible et beaucoup de disponible lors de sa création sera rapidement insuffisante.

Faire mobile, car toute installation immuable, fût-elle absolu- ment parfaite lors de sa création, serait bientôt impraticable avec les changements qui s'imposent : pour citer un seul exemple, croyez-vous que le service de la Rente puisse se faire avec le même outillage aujourd'hui il y a des titres de rente de 3 francs, que lorsque la dette était le privilège de la haute banque ?

Mais à côté de ces grandes salles, pensez aux dépendances nécessaires. Là, vous devez le comprendre, les employés sont très nombreux, et les espaces qu'on peut leur affecter sont

ÉLÉMENTS DES ÉDIFICES ADMINISTRATIVES

417

restreints. De plus, tout est en vue, et rien ne serait déplaisant ou même inconvenant, comme les résultats d'une imprévoyance qui n'aurait pas su disposer par exemple les vestiaires néces- saires — et désormais les remisages de bicyclettes. Vous aurez

23- 24- 2S-

26.

27. 18.

29- 30-

3'- 32- 33- 34-

II:

37- 38.

39. 40. 41. 42. 43- 44.

4i- 46.

47-

Vestibule.

Escalier principal.

Caissier.

Employés de U Caisse.

Débarras.

Salle des paiements.

Salle d'attente pour les paiements.

Salle d'attente pour le retrait des titres.

Bureau des titres.

Chef du bureau des titres.

Cour.

Cabinets d'aisances des employés.

Urinoirs.

Cabinet d'aisances réservé.

Retrait des 4itres.

Conservateur des titres.

Dépôt des titres.

Perception de l'impôt.

Bureau des transferts.

Chef du burean des transferts.

Bureau des transferts.

Teneurs délivres.

Cour.

Sous-chef du bureau du Grand Livre.

Chef du bureau des vérifications.

Dépôt des coupons de t. très.

Vérification des titres.

Débarras.

Vérification des titres.

Contrôleur.

Escalier des bureaux.

Salle des bordereaux.

Médecin.

Escalier de service.

Escalier secondaire.

Lampisterie.

Ecurie.

Re:i)ise des omnibus.

Messagerie.

Cour.

Salle d'attente.

Bureau pour les voyageurs et la messagerie.

Concierge.

Cui ine.

Urinoirs.

Hôtel occupé par un locataire.

Cour d'entrée dudit hôtel.

Fig. 766. Bureaux de la C" du chemin de fer d'Orléans.

aussi à vous enquérir si dans ces bureaux certains travaux sont confiés à des femmes, et en ce cas à constituer des dépendances qui leur soient spécialement affectées.

Un service très important dans les établissements financiers est celui des Caisses. Par ce mot, il faut entendre non seulement les coffres pour le numéraire, mais aussi ceux qui renferment

Éléments et Théorie de l'Architecture, II. 27

41 8 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE LARCHITECTURE

les titres et papiers de valeur. Ce service doit être en communi- cation facile avec la Caisse, mais il exige une sécurité toute par- ticulière. Aussi le place-t-on souvent dans les sous-sols, et vous avez sans doute entendu parler des Caves de la Banque de France et des précautions qui en font une véritable forteresse. Sur des proportions plus modestes, mais dans un édifice spécialement construit pour sa destination financière, vous pourrez vous rendre compte de la connexité de ces deux services et de la disposition rationnelle des caisses par la comparaison des plans du rez-de-chaussée et du sous-sol du Comptoir d'Escompte à Paris (fig. 767).

Enfin, je ne veux pas quitter ce sujet sans vous signaler la nécessité de la discrétion : il va parfois dans les cabinets des directeurs des personnes dont la présence ne doit pas être révélée, et il importe que les murs n'aient ni des yeux ni des oreilles. Ne me demandez pas pourquoi, car si vous l'ignoriez, je m'en voudrais de vous le révéler.

Une division est le groupement de plusieurs bureaux, une direction le groupement de plusieurs divisions. Les éléments sont donc les mêmes, et je n'ai rien de particulier à vous en dire.

Mais nous arrivons aux grands chefs de l'Administration, qu'ils s'appellent d'un nom ou d'un autre, chefs de division, directeurs, secrétaires généraux, préfets ou ministres, présidents, ambassadeurs, peu importe. En dehors de l'habitation, ils ont un local ils administrent, le lieu officiel de leur fonction. C'est le cabinet.

Aussi vous dira-t-on dans un programme le cabinet du préfet, par exemple. Or, ce simple mot est complexe. Le préfet ou le ministre a son cabinet, grande pièce de travail il peut convo- quer plusieurs personnes, souvent une commission; mais il a

ÉLÉMENTS DES ÉDIFICES ADMINISTRATIFS

419

un chef de cabinet, un secrétaire, chés de cabinet : tout cela sous dans le cabinet par exemple

quelquefois plusieurs, des atta- la main, car il se fait souvent au Ministère de la guerre

Fig. 767. Comptoir d'escompte i Paris.

PLAN DU SOUS-SOL

dépdt des titres. 2, dépôt da portefeuille. 5, dépôt de la caisse principale. 4, caisse mobile. -5, resserres. 6, générateurs (chauffage i vapeur i basïe pression). 7, réfectoire. 8,8, cuisine et ofîîce. 9, cuisine du concierge. 10, puits. 11, ascenseurs. 12, monte-charge. iî»i3' fosses mobiles. I4»i4) magasins. 15, poste d'eau.

PLAN DU RBZ-DB-CHAUSSÊB

17, porche. 18, concierge. 19, vestibule. 20, bureaux. 2o\ caissier principal. 21, grande salle ai', cour d'honneur. 22, gardiens. 2), poste militaire. 24, ascenseur. 2$, monte-charge. 26, poste d'eau. 27.2", courettes avec urinoirs et cabinetsd'aisances 28, grand escalier. 29,29, pas- sage de porte cochére.

un travail dont rien ne doit transpirer. Le cabinet est donc un ensemble administratif plus particulièrement groupé autour du chef.

D'autre part, ce chef reçoit, donne des audiences. Pendant qu'il est avec l'un, les autres attendent. Ces autres, ce sont sou-

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ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

vent des personnages importants, qu'on ne fait pas attendre dans une antichambre. De le salon d'attente, ou mieux les salons d'attente, car il y a souvent le salon réservé aux privilégiés qui passent avant leur tour.

Vous voyez quel ensemble complexe peut désigner ce simple mot « cabinet ». Je vous ai montré un Ministère; je vous mon-

Hig. 768. Picfcaure de Grenoble. Plan Ju i" étage.

Batihknt principal I, palier rormant vestibule. 2, antichambre. 5, premier salon. 4, salon principal. 5, chambre d'honneur. 6, cabinet de toilette. 7, chambre. 8, salle de bains. 9,9, bureaux du secrétaire par- ticulier. — 10, salle d'attente. II, petit salon. 12, cabinet du préfet. 13, arrière cabinet. 14, chambre du préfet. 15, 15, chambres à coucher. 16, chambre de madame. 17, boudoir. 18, salle à manger. 19, office.

Annexes. ao, vestibule. 21, garçons de bureau. 22, cabinet du secrétaire général. 23, chef de la i'* Division. 24, première Division. 25, comptabilité. 26, archives. 27, chef delà 3" Division. 28, troisième Division.

Appartement du secrétaire général. 29, antichambre. 30,30, chambres à coucher. 31, salon. 32, salle ik manger. 33, cuisine. 34, chambre du cocher. 35, magasin à avoine. 36, grenier à fourrages.

trerai aussi une Préfecture, celle de Grenoble, très heureusement composée pour son objet (fig. 768).

Toute administration a ses services généraux : ainsi partout l'amas, toujours de plus en plus considérable, des archives. Sou- vent on dispose les archives dans un bâtiment à part : on évite ainsi les communications qui peuvent être une cause d'incen-

ÉLÉMENTS DES ÉDIFICES ADMINISTRATIFS 42 1

die; souvent aussi les archives sont dans les combles, dans des entresols, un peu partout. Dans tous les cas, on doit se prémunir contre le danger d'incendie, et aussi contre celui du poids trop considérable imposé aux planchers. Ainsi il a fallu des travaux importants pour que les archives de la Cour de Paris ne com- promissent pas les voûtes de la salle des Pas-Perdus du Palais.

Les archives sont toujours placées sous la garde d'un archi- viste responsable; les communications autorisées se font dans un local spécial. C'est souvent un service très important : vous pouvez vous foire une idée de ce que peuvent être les archives de certains ministères : la Guerre, les Affaires étrangères, la Marine, ou de ce qu'étaient avant leur destruction les archives de la Ville de Paris.

Matériellement, un local d'archives comporte des casiers faci- lement accessibles : c'est assez analogue à ce que je vous ai exposé à propos du dépôt de livres dans les Bibliothèques. Au contraire, tout accès possible de l'extérieur doit être évité. C'est ainsi que la belle façade du Ministère des Affaires étrangères sur la rue de l'Université ne présente d'autres fenêtres que celles qui éclairent un dégagement central (fig. 769).

Les dépôts d'archives, comme les dépôts de livres dans les Bibliothèques comportent des étages nombreux et peu élevés. Telle est la disposition du nouveau dépôt des archives de la Cour des Comptes, rue Cambon (fig. 770 et 771), qui com- porte deux étages de sous-sol, et dix étages, comble compris, au- dessus du sol.

Et ne croyez pas que ce soit un programme tout à fait exceptionnel. Sans compter les édifices qui renferment dans leur périmètre propre des salles ou des bâtiments d'archives, c'est une tendance de plus en plus marquée de créer des constructions spéciales pour les archives. On peut ainsi sur des terrains moins

422

ÉLÉMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

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coûteux concentrer ce qui demanderait trop de place au cœur de la Ville, et assurer des dispositions plus commodes en elles- mêmes ; avec d'ailleurs la facilité des transports et des communications, on se préoccupe moins de la distance. Je vous mon- trerai un exemple de ce genre de constructions avec le bâtiment des ar- chives du Crédit Lyon- nais à Paris (fig. 772).

Je n'ai rien à vous dire des Bibliothèques ou des Collections annexées à des Administrations.

Il faut toujours des dépôts assez importants pour le matériel, notam- ment pour les imprimés administratifs, la linge- rie, etc.

Le chauffage est une question qui excite beau- coup de passions dans le monde administratif. Je crois bien que dans les pays voisins on n'em-

ÉLÉMENTS DES ÉDIFICES ADMINISTRATIFS

423

ploie guère que le calorifère. Chez nous, le chauffage soulève une question de hiérarchie. La cheminée et le bois à brûler sont des marques de considération. Aussi chacun en veut-il, et vous connaissez les formidables fournitures de bois qui se font aux

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Fig. 770. Archives de U Cour des Comptes. Plan du 8* étage.

Fig. 771. Archives de la Coor des Comptes. Coupe.

ministères. Question de programme, et non d'initiative de l'ar- chitecte. Ce qui n'empêche que si, plus tard, il faut faire une canalisation après coup dans un édifice lors de sa construc- tion on l'aura énergiquement interdite, c'est l'architecte qu'on accusera d'imprévoyance.

En dehors de ces données générales, le champ des particulari- tés serait immense. Je ne puis vous faire un répertoire de toute l'architecture administrative, et je vous l'ai déjà dit nous n'en-

424 ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

seignons pas des recettes qui se- raientd'ailleurs surannées lorsque vous vous en serviriez. J'appel- lerai cependant encore votre at- tention sur une famille d'édifices d'un caractère très moderne, qui sont à la fois administratifs et industriels : tels sont souvent des parties importantes des bâtiments de chemins de fer, de grandes manufactures, etc. Les délimita- tions sont un peu confondues, le travail de bureau se fait alors dans des locaux qui ne sont à cer- tains égards que des travées d'un édifice dont la destination prin- cipale n'est pas purement admi- nistrative. Ainsi, l'une des cons- tructions les plus intéressantes qui aient été faites récemment dans cet ordre d'idées est le dépôt central des Postes et des Télé- graphes, par M. Scellierde Gisors (fig. 773), qui est avant tout un dépôt, mais cependant le travail administratif comporte aussi une place importante.

Pour en revenir au bureau ordinaire, vous avez déjà vu que le moyen de communication est

Fig. 772. Archives du Crédit Lyonnais.

ÉLÉMENTS DES ÉDIFICES ADMINISTRATIFS

425

426 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE L ARCHITECTURE

ici par excellence le corridor. Il importe qu'il soit clair, chose facile lorsqu'il est en façade, moins facile lorsqu'il faut qu'il des- serve des pièces de travail de chaque côté. Mais même dans ce cas, il faut qu'il soit suffisamment éclairé pour qu'on puisse s'y bien diriger, lire les inscriptions sur les portes, et en un mot savoir on va. Une grande administration est facilement un dédale, la clarté des communications y est le fil conducteur. 11 en est de même des escaliers, ils doivent être faciles et clairs, non seulement pour la sécurité, mais aussi parce que dans les esca- liers il y a toujours des tableaux indicateurs des services qu'on trouve à chaque étage.

On a commencé, notamment à l'Hôtel de Ville de Paris, à desservir les bureaux par des ascenseurs. Cette commodité excep- tionnelle ne tardera certainement pas à être réclamée partout; l'ascenseur a d'ailleurs l'avantage de permettre l'installation dans les étages supérieurs de services importants que sans lui on hési- terait à y placer. Il est donc sage de le prévoir, lors même qu'on ne le réaliserait pas immédiatement, car plus tard on pourrait à cette occasion rencontrer de graves difficultés.

Il nous faut voir maintenant quelle expression motivera en façade cette architecture de bureaux. Il va sans dire que, excep- tion faite des services disposés dans les grandes salles vitrées du haut, les bureaux se logent toujours dans des étages superposés et ordinairement nombreux. Dés lors, pour ne pas faire des édifices de hauteur exagérée, ces étages doivent être assez peu élevés, trois mètres environ, et à part peut-être le premier étage qui peut être réservé à des services plus importants, à des salles de commissions, etc., il n'y a pas de raison pour que ces nom- breux étages aient des hauteurs sensiblement différentes. Les pièces doivent être bien éclairées par des fenêtres larges, les pièces pas trop profondes doivent être disposées pour que le tra-

ÉLÉMENTS DES ÉDIFICES ADMINISTRATIFS 427

vail de rédaction, écriture, calculs, puisse se faire prés du jour : on ne peut guère supposer deux rangs d'employés. Le fond et les parois latérales sont presque constamment garnis de casiers à cartons. L'entre axe des croisées résulte de la disposition même d'un bureau, ces employés peuvent travailler à des tables simples ou accouplées (fig. 774). La largeur d'entre axe varie- rait donc théoriquement suivant ces dispositions, mais comme dans les étages superposés il faut admettre que, soit d'après la nature du travail, soit d'après des diffé- rences d'idées à ce sujet, il y aura des unes et des autres, il faut que les entre 1 Q D Q D 1 axes des façades se prêtent à ces deux dis- | I

positions, c'est-à-dire satisfossent à celle qui demande le plus de largeur. Il est évident que c'est celle par tables accou- plées, et la distance ne peut guère être moindre de 3 mètres à 3 ■" 50, tandis fig- 774. - Bureau» avec taWes

, ,, .... I , d'employés accouplés ou isolés.

quelle serait inutilement plus grande.

De toutes ces nécessités, il résultera des façades essentiellement monotones, si bien qu'on hésite le plus souvent à aborder ce programme de front, qu'on ruse presque toujours avec ses exi- gences. Souvent d'ailleurs l'étendue des bâtiments a permis de n'avoir pas d'étages très nombreux, puis il y a des nécessités de raccordements de hauteurs entre les lignes des bâtiments de bureaux et celles de bâtiments principaux. En ce cas, ce sont les pauvres bureaux qui sont généralement sacrifiés, et trop fréquem- ment vous en verrez qui sont trop élevés ce qui n'est qu'un petit inconvénient ou trop bas, ce qui est beaucoup plus grave; mal éclairés, par des fenêtres parfois au niveau du sol et ne montant que jusqu'au milieu de la hauteur de la pièce. Tout cela est fâcheux, et l'architecte doit faire tous ses efforts pour

oG^

428 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l' ARCHITECTURE

l'éviter : toujours, dans la méthode d'étude, la coupe commandant la façade, et non l'inverse.

La réception joue souvent un grand rôle dans les édifices administratifs, mais nous en avons parlé à propos de l'habitation. Il me reste toutefois à vous parler d'un élément que nous ren- controns ici pour la première fois, la salle de délibérations.

En tant que spécialisation, c'est certainement une création moderne. L'antiquité, le Moyen-âge, les siècles derniers avaient évidemment des réunions délibérantes; mais vous avez déjà vu qu'alors les destinations des salles étaient moins spécialisées : de même qu'à Fontainebleau et à Versailles il n'y avait pas de salle à manger proprement dite, de même que les chefs-d'œuvre de Corneille, de Racine, de Molière se représentaient dans un des salons de Versailles, de même dans les maisons communes du Moyen-âge ou dans les palais féodaux ou royaux, on délibérait dans la grande salle. A Venise la salle du grand Conseil au Palais ducal est simplement le plus grand des superbes salons de ce palais unique.

La plus modeste de nos salles de délibérations est la salle de commissions. Quelques personnes autour d'une table, de la clarté, voilà tout le programme. Cependant, ces salles deviennent importantes lorsqu'il s'agit par exemple des réunions de Sections du Conseil d'Etat (fig. 775) ou de la Cour des Comptes, ou des grandes commissions du budget par exemple delà Chambre ou du Sénat. Telles sont encore les salles du Conseil dans un grand nombre d'administrations ; telles encore les salles dites de Conférences dans les Parlements, salles qui peuvent se prêter à divers usages et qui dés lors ne peuvent recevoir d'installation permanente.

Toutes ces salles en général se caractérisent, par rapport aux

ÉLÉMENTS DES ÉDIFICES ADMINISTRATIFS

429

grandes salles de délibérations, par une différence essentielle : leur sol est de plain-pied. Ainsi, dans le plan du Conseil d'État que je vous montre ci-après, toutes les salles de sections admi- nistratives sont de plain-pied, tandis que la salle des assemblées

^'S- 775- Conseil d'État. 1" étage.

I, escalier d'honneur. 2, escalier des bureaux et sections. }, escalier public du contentieux. 4, antichambre. 5,>, salons d'attente. 6, antichambre du cont..*nticux. 7, salle des assemblées générales. 8, section de l'intérieur. 9, section des Travaux publics. 10. section de Législation. 11, section des t^in.inccs. ta, section du conten- tieux. — lî, section supplémentaire du contentieux. 14, bibliothèque, 15, cabinet du président. t6, 16, cabinets des présidents de sections. 17, secrétaire général. 18, 18, dépenlanccs du contentieux. 19, bureaux.

générales est en gradins. Quant aux salles du contentieux, leur destination les rattache plutôt à l'architecture judiciaire. En réalité donc nous trouvons ici des espèces de salons, répondant bien aux exigences de leur dcstiniition si l'espace est suffisant, la lumière abondante, le chauffiige assuré par des calorifères de préférence, sauf à disposer une grande cheminée pour l'apparat plutôt que pour le chauffage. Vous remarquerez dans ces salles

430 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE L ARCHITECTURE

la disposition des tables en fer à cheval. C'est aussi celle de la salle du Conseil à l'École des Beaux-Arts. Cette disposition est en effet la plus commode, parce qu'elle permet aux employés ou garçons de bureau de distribuer les documents ou de les reprendre sans gêner personne, comme lorsqu'on se fait vis-à-vis des deux côtés d'une table. Elle exige plus de place, mais lorsqu'elle est possible, elle est certainement préférable.

L'éclairage doit se faire plutôt par le long côté de la salle au moyen de grandes fenêtres. Quant à l'éclairage du soir, il peut être demandé à diverses combinaisons, pourvu qu'il soit assez diffus pour se répandre partout sans ombres portées violentes. Souvent on l'assure par des lampes électriques posées sur la table même; on peut ainsi donner à chacun un éclairage abondant, mais ces lampes sont gênantes et pour la direction des délibéra- tions par le président, et pour la vue réciproque des personnes délibérantes. Le système des lustres, mais plutôt restreints et assez nombreux, paraît préférable.

Ces salles peuvent avoir un beau caractère, surtout si elles ont une histoire. Caractère grave et sérieux, relevant en premier lieu de la peinture historique ou des portraits. Les exemples en sont nombreux : sans chercher loin, je vous citerai la salle du Conseil de votre École, les salles des grandes commissions de l'Hôtel de Ville, plusieurs salles de section du Conseil d'État au Palais- Royal, etc. Mais vous reconnaîtrez que ces salles sont toujours en réalité un salon, dont seulement la décoration est plus grave et moins intime que celle d'un salon d'habitation.

Il est à peine besoin d'ajouter que ces salles comportent tou- jours des dépendances, soit particulières à chaque salle, soit com- munes à plusieurs : vestiaires, lavabos, dépôts divers. Souvent même elles doivent être accompagnées de cabinets pour le pré- sident, le secrétaire, de bureaux accessoires. Questions de pro-

ÉLÉMENTS DES ÉDIFICES ADMINISTRATIFS

431

gramme qui doivent être traitées au préalable, car rien n'est plus difficile ni plus illusoire que de vouloir réformer ou amplifier un programme après coup.

Les salles dont nous venons de parler ne comportent pas en général une assistance nombreuse : trente à quarante personnes au plus, mais bien à l'aise. Voici, à titre d'indication, les rapports de surface et du nombre de personnes existant pour les salles des sections administratives du Conseil d'État prises comme types :

SECTION

NOMBRE

SUKFACB

SURFACE par personne

25

21 25

i3"x 9"= 117'" 1 1 X 9 = 99 7.50 X 9 = 67.50 10.50 X 9 = 94.50

4.68-' 4 }o

5.21

4. II

soit en moyenne 4 •" 075 par personne. D'où vous pouvez con- clure qu'une salle de délibérations ou commissions largement installée exige quatre métrés superficiels par personne.

CHAPITRE II ÉLÉMENTS DES ÉDIFICES POLITIQUES

SOMMAIRE. Salles de séances des assemblées politiques. Rela- tions de ces salles avec les dépendances. Disposition des salles d'assemblée. Accès, surveillance, chauffage, éclairage, ventilation.

Nécessités à observer dans la composition générale. Dimensions possibles, dimensions excessives. Caractère. Le respect histo- rique.

Avec les grandes salles de délibérations, par exemple celles des assemblées politiques, les conditions ne peuvent plus être celles que nous venons de voir pour les édifices administratifs. Il est évident que il doit y avoir place pour 500 personnes, on ne peut donner à la salle 2.000 métrés superficiels. Il est donc nécessaire que l'assistance soit plus tassée : on doit alors reprendre sur les circulations, les tables, les espacements de sièges. Ainsi, dans le même édifice, la salle des assemblées géné- rales du Conseil d'Etat, qui reçoit 120 personnes, plus quelques employés (50 présidents et conseillers, 30 maîtres des requêtes, 35 auditeurs, 5 secrétaires), mesure 11 ■" 50X 17™= 195.50™', soit I *"' 625 en moyenne par personne.

Nous trouverons la surface proportionnelle moins grande encore dans les grandes assemblées.

La salle des séances du Conseil municipal de Paris et du Conseil général de la Seine (fig. 776), composé de 88 membres,

ÉUmcnls et Théorie <ie l'Archiltcture. 11. l8

434

ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

est également rectangulaire. Ses dimensions sont de 14™ 35 de largeur sur ai'" éo de longueur, non compris la tribune publique, soit une superficie de 309"^' 96 ou 310 métrés, ou en moyenne 3"' 52 par personne. Les places des conseillers n'oc- cupent d'ailleurs que les trois cinquièmes au plus de la salle, le surplus étant affecté au bureau, à la tribune, aux sté- nographes et aux places des administrateurs et secrétaires. Ici, les places contiguës sont par deux au plus. Chaque place, mesurée sur son petit bureau, a o "^ 70 de large ; l'espace- ment d'un rang à l'autre est de I "^ 25, dont o™ 40 pour la profondeur du petit bureau, et le surplus, soit 0^85, pour le siège et le jeu nécessaire. La place est donc plus Fig. 776. - Salle des séances du Conseil municipal grande Icl que dans k grande

de l'Hôtel de Ville de Paris. g^JJg J^ CoUSCil d'État. Mals

A, présîient et secrêuires. B, tribunes, C,C, sténo- ^^^,,„ «^«^ .,«^., „— .r^„ ™.,^ 1^ rf^^

graphes. -D,prcfcts« secrétaires généraux. -E,K,dir«- VOUS Temarquerez que le LOtt"

teurs. F, F, secrétaires de l'administration. , ij-r' i

seil d btat comporte des per- sonnes de grades différents, et que le corps délibérant proprement dit y est presque moitié moins nombreux qu'au Conseil muni- cipal. Puis il a été fait dans les anciens bâtiments du Palais-Royal, ce que les locaux permettaient de faire, et certainement cette salle pourrait facilement être plus vaste qu'elle ne l'est.

La salle du Conseil municipal est légèrement en pente; vous pouvez voir d'ailleurs par le plan que les accès des places y sont

KLI-MENTS DES ÉDIFICES POLITIQUES 43 5

faciles : l'espace le permettait. Elle est d'ailleurs accompagnée de nombreuses dépendances, tout le service du Conseil municipal formant dans l'Hôtel de Ville un service important.

'. Pour les salles de grandes assemblées délibérantes comme celles du Sénat ou de la Chambre des députés, le programme est beaucoup plus complexe : il faut dire tout d'abord, qu'ici je n'ai pas d'exemples nombreux à vous proposer. La salle de la Chambre des députés est si insuffisante à tous égards qu'on a le projet de la remplacer; celle de Versailles (Sénat) est l'ancienne salle de théâtre du Palais, et celle de la Chambre dans ce même palais a être installée dans une ancienne cour; ce ne sont pas des salles conçues vraiment pour leur objet. Seule celle du Sénat à Paris est plus satisfiiisante, et pourra nous servir de motif d'étude (fig. 777). Mais pour que vous puissiez vous rendre compte des nécessités parfois contradictoires que com- porte ce programme, il hut d'abord que nous examinions ensemble ce qui s'y fait et comment cela s'y foit.

Pour qu'une délibération se fasse avec ordre et ne dégénère pas en vacarme confus, il faut qu'elle soit dirigée, et que la disposition mêrne de la salle rende, sinon impossibles, du moins exceptionnelles les violences toujours à redouter dans des assem- blées nombreuses et passionnées. Il faut aussi que l'orateur soit entendu je suppose ici qu'on veut bien l'écouter; enfin nos lois veulent que ces séances soient publiques, mais à condition que le public, placé dans des tribunes, reste silencieux. Toute la police de la salle et des tribunes appartient au Président.

Après des essais inexpérimentés, des tâtonnements éphémères, ces considérations fondamentales ont amené partout à une même conception de la salle d'assemblées publiques dans son pro- gramme intérieur : les places des députés ou sénateurs sont

436 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l'aRCHITECTURE

personnelles; l'orateur parle à la tribune et non de sa place; le président est placé de façon à pouvoir diriger la séance et sur- veiller toutes les parties et tous les éléments de la salle ; les tribunes du public ou des invités sont bien en vue, sous la surveillance du président, mais desservies par d'autres accès que

Fig. 777. Salle du Sénat, à hi hauteur des tribunes.

I, bureau du président, secrétaires, etc. 2, tribune de l'orateur. 3, ministres. 4, membres des commissions. 5, sténographes 6, entrées des sénateurs. 7, entrée du président.

la salle elle-même. Voilà la théorie, laquelle doit d'ailleurs s'accommoder à des habitudes dont j'aurai à vous parler tout à l'heure. Voyons maintenant les relations de ces salles avec le dehors. Elles sont multiples.

Le travail législatif se prépare dans ce qu'on appelle les bureaux et les commissions. La chambre est divisée par le sort entre les bureaux (actuellement au nombre de onze), et les propositions, projets de lois, etc., sont d'abord soumis aux bureaux, qui les

l'LHMENTS DES liDIFICES POLITIQUES 437

discutent sommairement, et nomment un commissaire parfois deux ou trois par bureau. La commission est ainsi composée de ] I, 22 ou 33 membres, lesquels, après délibération, désignent à leur tour un rapporteur.

Ce travail de bureaux et de commissions exige des locaux spéciaux, qui doivent être à proximité de la salle, car les allées et venues peuvent être fréquentes.

Non moins prés de la salle doivent ou devraient se trouver SCS grandes dépendances : la bibliothèque car souvent, pen- dant la séance même, pour vérifier ou contester une assertion, il fout aller consulter des documents; les archives, pour des motifs analogues ; les salles de conférences, se réunissent des groupes; la salle des Pas-Perdus, grand vestibule fréquentent des hommes politiques ne faisant pas partie de l'assemblée.

Puis, le voisinage immédiat de la salle doit encore offrir : la buvette, dont le rôle est des plus importants comme vous le savez; le vestiaire des députés; des lavabos, des cabinets d'ai- sances.

Mais ce n'est pas tout : il faut aussi, et toujours le plus prés possible de la salle, quelques pièces pour les membres du bureau de la Chambre; une salle les ministres puissent se réunir; une salle les sténographes traduisent en clair les notes qu'ils viennent de prendre; une salle les orateurs puissent corriger les épreuves de leurs discours..., etc.

De tout cela résuhe une conception nécessaire de la salle : que ces habitudes soient bonnes ou mauvaises, il faut que les députés ou sénateurs puissent facilement et sans trop de désordre quitter leurs places, y revenir : c'est une réunion d'allants et venants. Souvent, vous le savez, pendant une discus- sion, il n'y a pas dans la salle le quart des membres, puis sur-

438 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE L ARCHITECTURE

vient un incident, un discours attendu, ou un vote important : on va partout chercher les absents, les appeler et les rappeler, la salle se remplit, pour se vider de nouveau lorsque cette affluence n'a plus sa raison d'être.

Et pour permettre cette mobilité, il faut que toutes les places soient facilement accessibles, qu'elles soient desservies par de nombreux dégagements. On voudrait qu'il n'y eût jamais plus de deux sièges en ligne : chacun alors est rendu libre par un dégagement à droite ou à gauche. En voulez-vous un exemple? Lorsque la Constitution créa le Sénat, je fus chargé de son installation à Versailles, dans l'ancienne salle du théâtre du Palais. Les sénateurs arrivaient quelques jours d'avance, et leur premier soin était de désigner à la questure les places qu'ils voulaient occuper. Or, tous les sièges contigus à un dégage- ment furent les premiers marqués, sans exception. Les autres, bien qu'il n'y eût pas en général plus de quatre sièges en ligne, échurent aux retardataires.

Il faut donc des dégagements faciles, dans un emplacement d'ailleurs restreint. Ainsi, la salle de la Chambre des députés, construite autrefois pour un nombre d'occupants moitié moindre, peut être vue avec fruit comme exemple de disposition à éviter. Tous les députés entrent et sortent par deux portes ouvrant de chaque côté du bureau du président; et comme il a fallu entas- ser des banquettes jusqu'à toucher le mur cylindrique du pour- tour, il n'y a dans ce mur ni portes ni accès. II faut donc que le député entrant se rende d'abord dans ce qu'on appelle l'hémicycle, c'est-à-dire la partie libre au pied de la tribune, et de remonte à sa place par l'un des chemins rayonnants d'ailleurs beaucoup trop étroits; de même en sens inverse pour la sortie. Si un député veut aller parler à un autre, il faut qu'il descende jusqu'à l'hémicycle et remonte par un autre rayon du cercle. L'hémi-

ÉLÉMENTS DES ÉDIFICES POLITIQUES 439

cycle sert ainsi de lieu de passage continuel, et s'y rencontrant on y séjourne, on y cause ou on s'y dispute, au grand détriment du bon ordre. Il fiiudrait donc, outre les circulations rayon- nantes, avoir aussi des circulations annulaires, au moins une vers le milieu des gradins, et surtout une au sommet, commu- niquant par des portes avec un pourtour extérieur. Sans cela, la bonne tenue d'une assemblée n'est pas possible.

Cependant, il ne faut pas que les salles soient trop grandes, ni pour le bon ordre, ni pour la facile audition. Les places sont donc plutôt exiguës, les tables ou pupitres sont réduites au minimum. Comme il arrive bien souvent, les données sont contradictoires. Questions de tact et de mesure pour arriver à concilier autant que possible ces exigences opposées. En somme, étant donné un nombre d'auditeurs, vous devez, d'une part, restreindre autant que possible les dimensions de la salle, et, d'autre part, constituer des places aussi aisées que possible, des dégagements aussi nombreux que possible. Je le répète, c'est contradictoire, et ce n'est que par une appréciation judicieuse des sacrifices et des concessions que vous pourrez arriver à une solution acceptable. Je ne puis vous le comprendrez facile- ment — vous donner de recettes pour composer une salle dont la composition laissera toujours à désirer ; voici seulement, à titre de renseignements, quelques indications empruntées à la Salle des séances du Sénat.

Nombre des places (non compris celles des ministres,

des commissions et du bureau) 300

Nombres de places du bureau 7

Superficie générale de la salle, environ (non com- pris les tribunes) 412" 50

Surface moyenne par sénateur J"" 37

Dimensions du banc des ministres 6

440 ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

p.. . . , , -1 11'. ( tablette.. i" 78X0™ 40

Dimensions de la tribune de 1 orateur ]

( parquet.. i" 70X1"' 25

Dimensions du bureau du président 6"' 60

Distance des places de dos au dos i"" 15

Largeur moyenne des dégagements entre les rangs

de places o"' 80

Surface moyenne par auditeur dans les tribunes

publiques (o™ éo X o™ 75) o™ 45

Pente des gradins, par mètre o™ 135

Il faut observer toutefois que ces dimensions, à part celles du bureau et de la tribune, sont trop exiguës. La salle avait été composée pour le Sénat de l'Empire, soit 150 membres; il y en a aujourd'hui 300, et il a bien fallu réduire, surtout pour pou- voir ainsi doubler le nombre.

Mais, en dehors de ces questions générales de dimensions, il se pose encore d'autres questions en grand nombre. Quelle forme sera la plus convenable ici ? Il semble bien que la forme traditionnelle en hémicycle soit la plus rationnelle. Il faut qu'un orateur, placé à un point central qui est ici la tribune, soit entendu de tous; il faut que tous soient également vus du président. Ce que nous avons vu à propos des salles de cours a encore ici son application; et si pour des raisons de compo- sition la salle ne pouvait pas être demi-circulaire, il faudrait au moins qu'elle fût sensiblement circonscrite au demi-cercle. Telle est la salle de la Chambre des députés à Versailles, que je vous montre non pas tant pour la salle elle-même que pour sa dispo- sition heureuse au centre de tous les services qui lui sont néces- saires (fig. 778). Une salle en profondeur, comme une église, serait tout à fait défectueuse.

Bien qu'elle soit restée à l'état de projet, je crois intéressant de vous faire voir aussi la salle qui a été récemment projetée

ÉLÉMENTS DKS HDIFICES POLITIQUES

441

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442 ELEMENTS ET THÉORIE DE L ARCHITECTURE

pour remplacer, au Palais Bourbon, la salle actuelle de la Chambre des députés (fig. 779). L'architecte de ce Palais avait une très longue expérience de l'architecture des Parlements, et assurément il est utile de connaître ce qui lui avait paru la meilleure forme de salle pour une assemblée délibérante. Ce n'est pas l'hémicycle, mais la disposition des sièges y est presque la même que dans un hémicycle, les distances de la tribune aux places les plus éloignées y sont à peu près les mêmes. On peut presque dire que cette salle est un hémicycle, dans la mesure le permettaient les nécessités de la composition générale du monument. Vous y remarquerez notamment la circulation annu- laire supérieure en pourtour, communiquant par des portes nombreuses avec une galerie extérieure qui enveloppe la salle, et permet le rriieux possible les allées et venues. De ce pourtour, on peut par quelques marches descendre au niveau de l'hémi- cycle et gagner la tribune ou le bureau du président.

Mais je reviens à la salle théorique, en continuant à me référer à celle du Sénat comme exemple.

Dans cette salle demi-circulaire, la disposition des sièges sera naturellement concentrique : chacun ainsi aura à peu près en face de soi l'orateur, et le président pourra d'un seul regard embrasser toute la salle. Cette disposition a d'ailleurs une autre conséquence dont les effets sont très sensibles : les divers membres se voient réciproquement, et il en résulte une vie propre à ces assemblées. Sans doute, les violences sont aggra- vées par le vis-à-vis des adversaires, mais la salle est animée et expressive, ce ne sont plus de simples auditeurs, la lutte est dans la salle même en même temps qu'à la tribune. On n'accep- terait pas aisément que les sièges fussent disposés comme à l'orchestre d'un théâtre : cette disposition pourrait après tout être commode, elle ne serait pas suffisamment passionnante.

ÉLÉMENTS DES ÉDIFICES POLITIQUES

443

Vous comprenez bien d'ailleurs que ces sièges ne sont pas ainsi rangés sur un plan horizontal. Pour que les membres voient bien l'orateur, et que l'orateur voie bien son auditoire; pour que le président voie tout, pour que les membres se voient entre eux, 1 établissement de gradins est nécessaire. La salle sera donc constituée par un parquet en gradins, dont la surface circonscrite sera un tronc de cône. Mais les pentes n'ont pas besoin d'être très fortes, parce que l'orateur et le président les deux objec- tifs des rayons visuels sont assez élevés au-dessus du parquet. Cette obligation de pentes dans une salle qui doit avoir de nombreux accès est toujours une difficulté. Il faut ici qu'on arrive de plain-

pied et au pourtour qui des- Hg. 779. —Sallc projetée pour la chambre des députés,

au Palais-Bourbon.

sert les places, et à des déga- ^. „„„ a. p.,,,.. . gements conduisant au pied de l'hémicycle, et enfin à l'estrade du président. Il faut observer en passant que le bureau du président doit être un peu plus élevé que la tribune, mais sans excès, le président ayant souvent à s'adresser à l'orateur. Quant à la tribune, son parquet est ici au môme niveau que le sol général de l'étage : l'orateur parlant debout domine ainsi son auditoire; les orateurs politiques y tiennent beaucoup, et ne s'accommoderaient pas d'une disposi- tion qui les placerait en contrebas comme dans une salle de cours le professeur par rapport à ses auditeurs. Un peu plus d'exhaussement de la tribune leur conviendrait mieux, à condi-

B, salons. C, salle des Pas-Perdns. D, cour.

444 ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

tion de relever d'autant le bureau du président. La solution la plus pratique consiste à constituer les différences de niveau de la salle en creux et non en relief. Je m'explique : au Sénat, par exemple, la salle est au premier étage : de niveau avec ce pre- mier étage sont les cinq portes qui donnent passage aux séna- teurs, et la porte d'entrée du président. L'estrade du président, le haut des gradins, les accès à l'hémicycle sont donc au niveau du premier étage, et c'est par les degrés intérieurs de la salle qu'on descend aux divers gradins, et à l'hémicycle au pied de la tribune. Par conséquent, sous cette salle, il ne peut exister à rez-de-chaussée que des locaux dont la hauteur est moindre que celle de l'étage (fig. 780). (Je vous montre cette salle telle qu'elle a été conçue par son architecte, avant ses dernières modifications, c'est-à-dire pour les 150 sénateurs de l'Empire.)

Voilà donc la forme et la disposition de la salle régies par des régies raisonnées. Il hut maintenant comme toujours penser à ces deux objectifs l'air et la lumière, en d'autres termes l'éclai- rage et l'aération celle-ci comprenant le chauffage.

Les séances ont lieu de jour et de nuit. Toujours le problème est le même : que chacun y voie bien clair à sa place et voie bien l'orateur que le président voie bien toutes les parties de la salle.

Pendant le jour, aucun éclairage ne répond mieux à ces nécessités que l'éclairage du haut. D'abord, les fenêtres ne pourraient être placées que très haut, à cause des tribunes, car il ne saurait être question d'en ouvrir au fond des tribunes dont le public serait alors invisible pour le président. Mais, même ainsi placées, des fenêtres seraient une difficulté pour la police de la salle, et on a supprimer celles qui autrefois éclairaient la salle du Sénat, au-dessus des anciennes tribunes.

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ÉLÉMENTS DES ÉDIFICES POLITiaUES

445

On est donc arrivé dans toutes les salles d'assemblées au pla- fond vitré. Mais il faut que ce plafond soit vaste, car il faut que la lumière soit diffuse pour pénétrer partout sans ombres violentes. Je pense même qu'il y aurait avantage à ce qu'il fût multiple, c'est-à-dire que autour d'un grand compartiment cen- tral, il pourrait y avoir un entourage de plafonds vitrés secon- daires. Toujours bien entendu avec les conditions d'établissement dont je vous ai entretenus à propos des salles de musées.

Quant à l'éclairage de nuit, tous les essais faits oscillent entre deux systèmes généraux : l'éclairage à lumièies visibles (lustres, appliques, etc.) ou l'éclairage à lumières cachées (plafonds lumineux).

Le plafond lumineux, c'est l'éclairage diurne qu'on cherche à continuer de nuit. Rien n'empêche qu'il ne soit excellent si l'éclairage de jour est bon lui-même. Mais il demande une puis- sance énorme d'éclairage, et par conséquent est très coûteux. De plus, si c'est le gaz qui est employé, ce plafond n'est pas seulement éclairant, il est chauffant aussi, et très chaufïiint. Pour sa grande salle d'assemblées générales, le Conseil d'État tient beaucoup à ce mode d'éclairage et ne voudrait aucunement de feux visibles. Après avoir été longtemps demandé au gaz, non sans l'inconvénient d'une forte chaleur, il est aujourd'hui assuré par l'électricité. La salle du Sénat est éclairée par un lustre central, maintenu assez élevé pour ne pas éblouir le président, et par une ceinture d'appliques. De tout cela, il ne paraît pas se dégager de conclusions formelles autres que d'amé- nager suivant la salle un éclairage suffisamment diffus pour atteindre partout, et en évitant toute cause d'éblouissement, toute interposition d'appareils éclairants entre ce qui doit rester réciproquement visible, notamment tout ce qui pourrait gêner le président dans la surveillance de la salle.

44é ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l' ARCHITECTURE

En ce qui conceree le chauffage, le mot du programme est aussi : diffusion. Si vous prétendez chauffer une salle d'un grand volume par quelques bouches de chaleur, il faudra que ces bouches permettent chacune une émission considérable de chaleur; gêne insupportable pour les voisins, résultat presque nul pour les éloignés.

Rien n'est plus pratique à cet égard que ce qui a été aménagé au Sénat (voir plus haut, Plan du rez-de-chaussée du Luxem- bourg, vol. I, pi. 42), il y a cinquante ans environ. Sous la salle s'étend un vaste local appelé chambre des mélanges : de l'air pur pris au dehors arrive dans cette chambre et s'y échauffe au contact des appareils de chauffage lesquels peuvent être aussi bien à eau chaude ou à vapeur qu'à air chaud. Puis, par toutes les contre-marches des gradins, par les plinthes des menuiseries, cet air échauffé pénétre dans la salle, rempla- çant l'air vicié évacué par la partie supérieure, grâce à un simple courant ascensionnel. La multiplicité et l'étendue addi- tionnée des orifices de communication rend le mouvement d'entrée de l'air chaud très lent, et par conséquent nullement gênant. On admet pour ce chauffage deux conditions : il ne faut pas que l'air, même chaud, se propage dans la salle avec une vitesse trop grande, et cette vitesse ne doit pas dépasser 30 cen- timètres par seconde. Cette lenteur ne peut être obtenue que moyennant des surfaces d'émission très grandes, c'est-à-dire très nombreuses et réparties partout. On est alors dans une atmo- sphère chaude, sans subir le souffle intolérable de l'entrée d'air chaud par des conduits trop étroits, qui ne peuvent le fournir que grâce à une vitesse exagérée. La seconde condition recommandée est qu'il y ait dans la salle une légère sur-pression barométrique, de telle sorte que lors des fréquentes ouvertures des portes le mouvement d'air se produise du dedans au dehors, et non du dehors au dedans.

ÉLÉMENTS

Pendant l'été, ces introductions d'air chaud sont remplacées par des introduction d'air frais, capté par des prises d'air expo- sées au nord, et propulsé dans la salle toujours par l'inter- médiaire de la chambre de mélanges au moyen d'insufflateurs, tandis que l'air vicié et échauffé s'échappe par les ouvertures grillées de la voûte supérieure. Son évacuation est activée par des aspirateurs mus électriquement.

Mais ce programme n'est pas uniquement français, et vous pouvez être curieux de savoir comment il a été traité à l'étran- ger. Je ne vous parlerai pas de l'Angleterre : bien que ce soit la patrie du parlementarisme, la tradition est tellement puissante chez les Anglais que, pour les édifices qui abritent leurs institu- tions nationales, il n'est permis de rien innover, la raison est sans droits contre la survivance du passé. C'est ainsi que se per- pétuent les perruques de jadis, le sac de laine, des formules même qui empruntent à l'époque normande un français disparu ailleurs. Les parlements se sont tenus autrefois dans

certaines salles, telles doivent être toujours les salles du Parlement anglais : le pro- blème de la meilleure dispo- sition, de la conception la plus rationnelle ne peut pas se poser. Cette idée a sa

Fig. 781. Plan du Reichstadt, à Berlin.

frrin(1(>iir mmmi^ f>llf» o 'irtn '• pf">''ci». M, '«r*'"''" <■, orateur. d^, sténo-

granacur comme eue a bun 'aph«.-«,recoeiidMioi».-/^,wibune<i« mcmbrcsdc

. . . t la chambre des Seicneurs. p. g, tribune do public.

etroitesse : on pourrait dire

qu'elle est toute en longueur. En tous cas elle ne nous livre pas

d'enseignement.

Au contraire, l'exemple du Reichstadt de Berlin (fig. 781),

5flS»'

448

ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

composition récente, vous montrera dans son ensemble une conception à certains égards différente de la nôtre, analogue cependant dans ses grandes lignes, sauf l'existence de tribunes en arriére du bureau du président, disposition qu'on n'accepte- rait pas dans nos assemblées. De même le Palais du Parlement

50 60 "o

Fig. 782. Parlement de Vienne.

de Vienne (fig. 782), et celui de Stockolm (fig. 783), vous remarquerez une disposition particulière des sièges ; on y a cherché avec des lignes droites un fonctionnement assez analogue à celui d'une salle en hémicycle. C'est peut-être un parti plus ingénieux que franc.

ÉLÉMENTS DES ÉDIFICES POLITIQUES 449

Et maintenant essayons de dégager quelques conclusions de tout ce qui procède.

Fig. 78^ Pnrlemcnt Je Stockholm.

ambre (212

erdus. 9, reporters. 10,11, resunrants.

1, galerie. 2, Preroiire chambre (186 membres). j, Deuxicme chambre (212 membres"). 4, cabinet des ministres, $, salle d'assemblée communale. 6, vestibule. 7.8, Pas-h

Tout d'abord, vous devez voir combien sont peu pratiques ces conceptions fréquentes dans les projets d'il y a quarante ans et plus, qui consistaient à rejeter la salle des séances dans un appendice excentrique en dehors de l'édifice ou du moins en saillie sur l'édifice. Dans ces errements, la salle est sans dépen-

ÉUiiuttls et Tbhriede tArcbiteclurt. II. 29

430 ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

dances, sans communications, sorte de hors-d'œuvre d'une composition dont elle doit au contraire être l'âme et le centre. Mais on faisait ainsi ce qu'on appelait un fonds de plan, et qui sait si ce mot, qui ne signifie rien, n'a pas encore quelque peu cours parmi vous ? Tant les superstitions ont la vie dure !

Laissons de côté aussi les salles dont les dimensions seraient extravagantes. Faire énorme n'est pas faire grand, c'est faire absurde. Dans une salle demi-circulaire de 25 à 30 mètres de diamètre, un orateur quelconque se fera entendre à condi- tion qu'on l'écoute. Dans une salle de 40 mètres, il y aura fatigue pour l'orateur et les auditeurs. Mais une salle de 30 mètres est déjà exiguë pour 300 membres : que faire donc si l'assemblée en a 600, ou 900 comme en 1848? C'est bien simple, la salle sera mauvaise, forcément mauvaise, quel qu'en soit l'architecte. Au point de vue de la salle, une assemblée de 300 membres devrait être un maximum : je me figure qu'au point de vue des affaires, c'est déjà plus que le maximum utile.

Et dès lors, pour vous donner une idée d'une salle d'assem- blée bien réussie, je ne saurais mieux faire que de vous décrire brièvement la salle du Sénat. Composée d'abord pour la Chambre des pairs, puis pour le Sénat du second Empire, elle ne comportait à l'origine que 150 à léo membres. Il a fallu en augmenter le nombre, on n'a pu le faire qu'au détriment des circulations, et en resserrant davantage les sièges.

La salle, je vous l'ai dit, est en hémicycle. Elle comporte sept gradins : au sommet des gradins règne une circulation semi- circulaire qui dessert tous les dégagements, et qui ouvre par trois portes sur la galerie extérieure que surmontent les tribunes. Deux autres portes donnent accès aux sénateurs de chaque côté du tympan.

La pente des gradins est environ o™ 1 3 5 par mètre. Au pied

ÉLÉMENTS DES ÉDIFICES POLITIQUES 45 1

des gradins sont des places spéciales réservées d'une part aux ministres, et d'autre part aux membres de la commission. Ce sont des places en plus du nombre officiel des sénateurs.

Enfin, au pied de l'estrade du président est la tribune, acces- sible par deux escaliers; contre la tribune deux pupitres pour les sténographes. Quant à l'estrade du président, ou du bureau, elle est constituée dans un renfoncement en forme d'abside, l'on entre par une porte dans l'axe de la salle. (V. plus haut, fig. 778, 781.) Cette estrade est assez vaste pour contenir le bureau du président, les membres du bureau, et des tables pour divers employés du secrétariat, de la questure, etc. Le bureau est en communication par des escaliers avec l'hémicycle de la salle.

Quant aux tribunes publiques, elles sont installées dans de grandes arcades dont le cintre fait pénétration dans la voûte de la salle et au-dessus du dégagement extérieur des places des sénateurs. Primitivement, il y en avait un seul rang; lorsqu'on a supprimé les fenêtres dont je vous ai parlé, on en a étabH un second étage.

Je vous ai expliqué l'éclairage et l'aération de cette salle, je n'y reviendrai donc pas.

Malgré tout, ce beau programme de la salle d'assemblée n'a pas donné lieu à ces compositions qui s'imposent à l'admiration publique. C'est que, à. l'opposé de nos églises, de nos tribunaux, de nos hôtels de ville, elles n'ont pas d'histoire. Elles sont trop récentes. Les grandes assemblées de la Révolution, assemblée constituante, législative ou Convention, n'ont pas eu de salles construites spécialement pour leur destination. Seuls les Anglais, je vous l'ai dit plus haut, peuvent être fiers à ce propos d'une tradition qui s'affirme par le respect historique du passé, qui n'y veut rien toucher. Chez nous la tradition n'existe pas, et si elle

452 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE L ARCHITECTURE

existait y serions-nous attachés comme les Anglais? J'en doute, car nous avons plutôt la défiance de la tradition. est la grande querelle entre les fervents du passé et les confiants dans l'avenir. Certes, je suis loin de désirer que notre art s'emprisonne dans des formules surannées : mais n'est-ce pas une noble jouissance d'artiste de pouvoir devant un chef-d'œuvre ancien ressentir avec l'admiration l'émotion du respect ?

Respect historique, ai-je dit : c'est malheureusement un respect qui nous manque trop en France. Seules nos vieilles églises en ont bénéficié à travers les âges, et c'est ainsi que, lors même que leur beauté architecturale n'était ni comprise, ni goû- tée, le respect les préservait de la destruction : sous Louis XIV, on n'eût pas touché à Notre-Dame, et si l'on infligeait à Saint- Eustache la façade que vous savez, c'est que Saint-Eustache n'avait pas de façade, car on ne l'aurait pas détruite. Mais à part l'église, le respect était inconnu, et il s'en est de peu fallu que la cour du Louvre ne fût démolie pour faire place à la conception du Bernin.

Et remarquez même que lorsque je vous parle du respect des églises, il faut encore faire des réserves : si les guerres de religion ont laissé les églises intactes, elles en ont mutilé les sculptures; car les dévastations dont on accuse de confiance la Révolution sont presque toutes l'œuvre des guerres de religion : la Révo- lution a souvent démoh, elle ne perdait guère son temps à mutiler.

Je ne sais si c'est une erreur, mais il me semble que je vous expose ici un phénomène plus particulièrement français, encore qu'on le trouve déjà chez les Byzantins iconoclastes, et plus tard chez les Sarrazins : la colère contre les choses nées d'un état qu'on hait. La monarchie a détruit à plaisir les anciennes forteresses féodales, réduites pourtant à l'impuissance ; elle n'ai-

ÉLÉMENTS DHS ÉDIFICES POLITIQUES 453

mait guère non plus les édifices témoins de libertés parlemen- taires ou communales, elle fauchait volontiers comme Tarquin les tiges qui dépassaient le nivellement commun. Le calvinisme a détruit non pas les églises qu'il entendait bien confisquer à son profit, mais ce qui dans les églises avait une signification catho- lique, les images des saints. Puis plus tard les colères populaires ou parfois hélas les colères à froid au nom du peuple ont détruit ce qui rappelait l'aristocratie d'abord, la royauté ensuite : on peut dire que ce qui a survécu, a survécu par une sorte de miracle.

le respect aurait-il trouvé place en tout cela? Aussi n'existe- t-il pas ou guère, et en dehors de toute haine, de toute passion de détruire, on détruit encore sans remords, parce qu'on n'est pas élevé à croire que la conservation d'une belle chose du passé vaille un léger sacrifice de commodité actuelle, le détournement d'une ligne droite ou l'éloignement d'une chambre de domes- tique. Il n'y a que soixante ans qu'un cri d'alarme provoqué par la fréquence des destructions irréparables a fait inaugurer la pro- tection des Monuments historiques. Par là, un double résultat a été obtenu : on a matériellement conjuré des ruines, et moralement on a créé un certain respect : assurément la génération actuelle est plus respectueuse du passé que ne l'étaient les générations précédentes.

Eh bien, pour en revenir de cette digression à mon sujet, les Anglais, qui ont une longue histoire parlementaire, ne se trompent pas dans leur respect des choses antiques que cette histoire leur a léguées. Une assemblée politique dont la salle a une histoire, bénéficie du respect qui s'attache à ces vieux murs, à ces piliers vénérables. Ne serait-ce donc rien de pouvoir se dire, dans nos salles de parlement, « Ici parlait Mirabeau «f* ou encore « Ici Boissy d'Anglas saluait héroïquement la tête de Féraud »?

454

ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

Oui, une salle d'assemblée pourrait avoir une beauté supérieure, un prestige que vos plus belles compositions ne sauraient lui donner, qu'il ne dépend pas de vous de créer, mais qu'il peut parfois dépendre de vous de ne pas détruire : un passé et une histoire ! Et j'ai beau savoir que la grande salle de Westminster (fig. 784), vraie salle des Pas-Perdus du Parlement anglais, n'a peut-être plus un seul fragment qui soit vraiment antique, il n'importe : telle qu'elle est, avec son aspect qui évoque des siècles, je veux lui reconnaître les longues suites d'années dont elle se réclame, je veux y voir le témoin de la longue histoire parlementaire de l'Angleterre.

Fig. 784. Grande salle de l'abbaye de Westminster.

CHAPITRE III ÉLÉMENTS DES ÉDIFICES MUNICIPAUX

SOMMAIRE. Anciens édifices municipaux; Maisons communes et

Hôtels de Ville. Caractère et façades. Vestibules et portiques. Beffrois. Les

mairies contemporaines. Services principaux. Leur programme

moderne.

En tant qu'éléments, au sens propre du mot, les édifices municipaux, mairies ou hôtels de ville, ne présentent pas de particularités bien spéciales. Il s'y trouve des bureaux, des salles de commissions, des cabinets de fonctionnaires, des archives, par- fois des salles de fêtes ou de réunions, des bibliothèques. Tout cela ne diffère guère de ce que nous avons vu. La salle des mariages elle-même n'est en réalité qu'un salon d'une tenue sérieuse; seule, la salle de délibérations du Conseil municipal atteint, dans les grands hôtels de ville, à une importance qui la rapproche des salles d'assemblées. Il y a également bureau de président, tribune, places des conseillers, tribune publique. Mais je vous ai montré la disposition de celle de Paris, la plus grande de toutes, et vous voyez que comme composition architecturale c'est une salle fort simple, rectangulaire, et l'on peut dire que toute salle assez vaste, bien éclairée et d'accès facile conviendrait pour ce programme qui n'a rien de bien spécial. Au contraire, si quelque chose doit être recommandé à ce sujet, c'est de ne

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ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

pas jouer à la grande salle d'assemblée, et de rester dans la mesure et la proportion. Je pourrais donc borner à ces quelques lignes ce que je puis vous dire des édifices municipaux.

Et cependant, ils sont peut-être, après nos églises, ceux qui

ont marqué d'une plus pro- fonde empreinte notre archi- tecture. Pourquoi?

C'est que, presque autant que l'église, ils sont des monuments de tradition et de symbolisme historique; c'est que dans le grand hôtel de ville ou l'humble mairie, il ne suffit pas que le bureau soit commode et bien placé, que chaque dépendance soit utile, les services faciles et clairs, le confortable suffisant. On ne demandera pas plus peut-être pour la Préfecture, organe moderne de la vie administrative : on veut da- vantage pour l'Hôtel de Ville, parce qu'il se revêt dans notre pensée de la majesté des siècles.

Sans doute aujourd'hui la tour du veilleur n'a plus à interroger l'horizon pour signaler les hostilités féodales ; le beffroi ne fait plus entendre son tocsin pour annoncer des incendies, ou son bourdon pour appeler à la délibération de notables bourgeois : le téléphone s'en acquitte mieux et plus vite ; sans doute le popu- laire ne se porte plus en foule à la maison commune pour concer-

Fig. 785. Hôtel de Ville de Saint-Antonin.

ÉLÉMENTS DES ÉDIFICES MUNICIPAUX

457

ter tumultueusement des mesures de salut public; l'horloge même de la mairie qui seule autrefois avec celle du clocher donnait l'heure aux habitants pourrait s'arrêter sans que la vie de la cité en fût troublée. Mais depuis le municipe romain ou

Fig. 786. Hôtel de ville d'Audenardc.

les premières communes des pays latins, depuis surtout les communes ou les villes libres du Moyen-âge féodal, la Mairie qu'elle s'appelât hôtel de ville, maison commune, parloir des bourgeois a manifesté l'espérance de populations qui voulaient s'affranchir, la protestation contre le droit du plus fort, la lutte

I

458 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE L ARCHITECTURE

de la vie civile contre la tyrannie seigneuriale, du progrés contre l'immobilité de l'ignorance grossière. Et, ne fût-ce qu'à l'état de souvenir et de reconnaissance instinctive, cela se sym- bolise dans des éléments d'architecture conservés par le respect et la tradition, horloge, beffroi, loggia, etc.

Je ne crois pas qu'on puisse étudier utilement un projet de mairie, même très modeste, si d'abord on ne se pénétre pas de ces idées, ou plutôt de ces impressions. J'aurais à vous montrer en nombre bien plus grand que je ne le puis les exemples de ce caractère des édifices municipaux : en voici deux très différents et par l'époque de la construction des édifices, et par leur impor- tance : le petit hôtel de Ville de Saint-Antonin (fig. 785) et celui d'Audenarde (fig. 786), la comparaison vous montrera mieux que je ne pourrais le faire, ce qui est commun, ce qui est diffé- rent dans ces deux compositions.

Il faut cependant que j'essaie de vous montrer ce que peuvent être les divers éléments de cette nature de compositions. Tout d'abord, nous trouvons l'entrée ou vestibule. La plupart des hôtels de ville ont leur entrée de niveau avec la place publique: c'est en quelque sorte la place de tout le monde qui se prolonge par un abri aussi libre et accessible que la place elle-même. Tels sont entre autres les hôtels de ville de la plupart des villes de Belgique, Bruges, Ypres, etc. Chez nous, ceux de Compiégne, d'Arras (fig. 787), et tant d'autres; en Italie, ceux de Brescia, de Pienza, de Milan ; en Allemagne, ceux de Hambourg, de Brème, de Schœrbek, etc., etc. : je ne vous cite que quelques exemples.

Il y a aussi des hôtels de ville élevés au haut de perrons, et souvent de perrons très importants. Si l'entrée est ainsi moins directe, par contre cette disposition permet d'établir dans un étage de soubassement beaucoup de services qui ont immédiatement affaire au public, notamment les services de police. Parmi ces

ÉLÉMENTS DES ÉDIFICES MUNICIPAUX

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Fig. 787. Hôtel de Ville d'Arras.

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ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

compositions, voyez dans un pays septentrional l'Hôtel de Ville de Leyde (fig. 788) et dans le midi le Capitole de Rome (V. plus haut, fig. 40). 11 faut ajouter cependant que de nos jours on

est devenu ' ^aucoup moins ind' " aux

intempér a'un

perron de trente mar- ches nous paraît désa- gréable à monter sous la pluie ou sous le soleil. Aussi est-il sage, en étudiant ce beau motif, de réserver le perron pour les occa- sions solennelles, et de trouver prés de l'entrée un escalier intérieur qui permette d'arriver au rez-de- chaussée surélevé plus modestement mais à l'abri, à moins que le perron ne soit que de de quelques marches, comme à l'Hôtel de Ville de Lyon.

Mais la vie moderne a d'autres exigences encore. La mairie n'est plus seulement la

Fis

Hôtel de Ville de Leyde.

maison commune, le siège des délibérations et du

gouverne-

ment municipal, elle a maintenant dans ses attributions tous les actes de l'état civil des citoyens; et si les déclarations de nais-

ÉLÉMENTS DES ÉDIFICES MUNICIPAUX

461

sancc ou de décès se font discrètement et sans apparat, il n'en est pas de même des mariages qui appellent à la mairie le cor-

462 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE LARCHITECTURE

tége des familles et souvent de nombreux invités. Or dans les villes, tout ce monde arrive en voitures, et rien n'est plus désa- gréable que de descendre de voiture sur la voie publique, au milieu des curieux ou des importuns. Il est donc préférable que les voitures puissent entrer dans l'édifice, soit qu'il se présente avec une cour d'honneur comme l'Hôtel de Ville de Bordeaux ou celui de La Rochelle (fig. 789), ou à Paris les mairies de la rue de Grenelle (VII*^ arr^) ou de la rue Drouot (IX«) qui à la vérité étaient d'anciens hôtels convertis en mairies, soit que, disposant de moins d'espace, il ait fallu faire entrer les voi- tures sous le bâtiment même de la mairie, comme à Paris celle du Vlfe arrondissement, place Saint-Sulpice, que je vous fais voir comme un exemple de mairie urbaine de moyenne impor- tance, d'après un programme déjà bien modifié (fig. 790), et que vous pourrez comparer utilement avec la mairie plus récente du X^ arrondissement (fig. 791, 792 et 793), la plus importante peut-être de celles qui ont été depuis quelques années construites à Paris.

Dans plusieurs hôtels de ville vous verrez la façade précédée d'un portique en saillie, parfois interrompu par le motif milieu ou le beffroi. Au premier étage il se trouve alors une ou deux terrasses dont la fonction était tout indiquée, soit qu'on s'y tînt pour assister à des fêtes, revues, etc., soit que de on dût dans certaines occasions haranguer la foule. L'Hôtel de Ville d'Aude- narde (voir plus haut, fig. 78e) peut être cité comme exemple de cette disposition.

D'ailleurs, il y a pour les grands édifices municipaux deux partis généraux de façade : les uns, comme à Bruxelles, à Lou- vain, présentent une façade continue, d'un seul développement; celui de Paris même, bien qu'il fût flanqué de deux pavillons d'angle, et que son motif milieu d'horloge et de beffroi soit

ÉLÉMENTS DES ÉDIFICES MUNICIPAUX

463

Tiiîrlf'^y rî]i^

Fig, 790. Mairie de Saint-Sulpice, i Paris (avant ses agrandissements). Plan du rez^e-chaussée et coupe.

I, passage des voitures. 2, cour. }, «bri couvert. 4,4. remises s. buvette. (, poste de la Garde nationale. 7, conseil de discipline. 8, salle des délibératioas. 9, plantons. 10, fourriers. 11, adjudants-majors. 12, major. i î, conseil supérieur. 14, secrétaire. 15, colonel. 16, prétoire. i", vestibule de la justice de paix. 18, concierge. 19, secrêuire. 20, petit cabinet du juge. 21, grand cabinet du juge. 22, archives courantes. 23, greffe. 24, cabinet du grenier. 2$, cabinet du trésorier. 26, bureau des employés. 17, délibérations 28, magasins. 29, salle d'attente.

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ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

i-'ig- 793. Mairie Ju X' arrondissement, à Paris. Coupe longitudinale.

/î'(/t" fiefre ôuNet

Fig. 791. Mairie du X" arrondissement, à Paris. Plan du rez-de-chaussée.

Fig. 792. Mairie du X' arrondissement, à Paris. Plan du i" étage.

ÉLÉMENTS DES ÉDIFICES MUNICIPAUX

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vigoureusement accusé, présente aussi un front central développé. Cette ordonnance se motive par l'existence au premier étage d'une salle principale au centre de la composition. D'autres au contraire ont un motif milieu, parfois réduit à la largeur du beffroi, comme à Ypres, d'ailleurs assez large pour correspondre à la largeur d'une salle encore importante. La partie milieu de l'Hôtel de Ville d'Anvers (fig. 794) est un joli exemple de ce parti monu- mental.

Mais je ne puis passer en revue toutes les variétés de façades d'hôtels de ville, et cette architecture munici- pale est d'une richesse telle qu'il faudrait des volumes pour la traiter. Nous ne trouverions pas moins de beautés dans les intérieurs : c'est un des programmes qui ont été le plus heureu- sement traités en architec- ture.

Mais je n'entrerai pas dans le détail des éléments de ces édifices : en tant que besoins matériels, ce que nous avons vu des édifices administra- tifs peut encore trouver ici son application. Cependant un élément bien spécial à nos mairies est la Justice de paix qui, bien qu'étant un tribunal, ne trouve pas sa place dans le Palais de Justice. Il y taut d'abord une salle d'audiences : je vous par-

ÊUmenls et Théorie de t Arcbiteclure. II. jo

Fig. 794. H6t«l de Ville d'Anvers.

466 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l' ARCHITECTURE

lerai de ces salles en vous entretenant des édifices judiciaires, et en plus modeste celle salle d'audiences est de tous points analogue à celle des tribunaux. Elle appelle comme dépendances principales le cabinet du juge de paix, pièce assez grande et facilement accessible, car il y vient souvent plusieurs personnes pour les conciliations ou les conseils de famille ; puis le greffe, important par le nombre des affaires, et qui doit être en com- munication facile avec la salle d'audiences et avec le cabinet du juge. Enfin, il faut vous recommander, ce qui ne se fait pas toujours, une entrée spéciale de la Justice de paix. En dépit de son nom, elle n'arrive pas toujours à la pacification, et les dis- cussions parfois violentes qui précédent les audiences se con- tinuent non moins vives après : il importe que ce bruit, voire même ces collisions, ne troublent pas les parties tranquilles de l'édifice. Lors même que le programme serait muet sur ces néces- sités de convenance, il est indispensable de les sous-entendre.

Il n'y a guère que l'hôtel de ville qui évoque l'idée de l'archi- tecture purement municipale. Ce n'est pas que les villes ne pos- sèdent bien d'autres édifices, ils sont au contraire en très grand nombre. Mais ce sont des écoles, des hôpitaux, des gymnases, des bains publics, des marchés, quelquefois même des théâtres. Tout cela doit être classé dans sa famille propre, et n'a pas de caractère particulier, du fait que c'est une ville qui en est pro. priétaire. Je me bornerai donc à ces quelques aperçus, avec quelque regret de cette discrétion. Mais je me suis proposé dans ce cours de vous parler des éléments, et les éléments ne sont pas différents suivant qu'un édifice est municipal ou non. Si je vous ai parlé des hôtels de ville en particulier, c'est que dans leurs façades surtout il y a vraiment des éléments qui ne se trouvent guère que là, et dont la beauté a permis le caractère magnifique et si original des beaux monuments municipaux.

CHAPITRE IV ÉLÉMENTS DES ÉDIFICES JUDICIAIRES

SOMMAIRE. Le programme dans l'antiquité. Le Forum. La

Basilique. Les Palais de Justice. Chambre de Tribunal, salle d'audiences.

Nécessités pratiques. Dépendances.

Les édifices judiciaires ont toujours été des monuments importants, mais ils ont beaucoup varié suivant les coutumes de la Justice; on peut môme dire qu'ils n'ont existé que lorsque la Justice est devenue l'attribution d'une classe particulière de citoyens, la magistrature. Dans l'antiquité, l'Agora et le Forum tenaient lieu de tribunaux ; c'était le peuple lui-même qui jugeait à Athènes, et à Rome le préteur, fonctionnaire élu, délégué du peuple aux fonctions judiciaires. La Justice se rendait devant le peuple, la place publique était le Palais de Justice d'alors.

Peu à peu cependant, à mesure sans doute que la place publique devenait plus bruyante, et à mesure que le peuple se désinté- ressant de la Justice comme de tout le reste, il se créait au moins en f;ùt une magistrature, les tribunaux se concentrèrent dans les basiliques, vastes et magnifiques monuments dont la destination première était plutôt un lieu d'abri et de rendez-vous pour les afïilires, ce que nous appellerions une bourse de commerce. Mais l'importance des fonctions judiciaires fit oublier les autres desti-

468 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE L ARCHITECTURE

nations de la basilique dans laquelle on arriva à ne voir que le tribunal romain.

Il n'importe d'ailleurs : je ne vous fais pas ici un cours d'his- toire ou d'archéologie. Mais l'architecture des anciennes basi- liques a eu son action certaine dans les traditions de nos édifices judiciaires, comme aussi de nos édifices religieux : certains erre- ments fréquemment suivis n'ont pas d'autre origine ni d'autre explication. 11 est donc nécessaire avant d'aborder les éléments du tribunal moderne que vous connaissiez un peu la basilique antique.

Au fond, c'était un portique : portique plus grand, plus monu- mental que les autres, mais présentant toute la simplicité du portique. Son nom, tiré du grec axcôy] j3aa(>.t>tY] (portique royal) en fait foi. D'après Vitruve, la basilique devait être ouverte au sud afin d'être réchauffée par les rayons du soleil. C'était quelque chose comme ce que les Italiens du Moyen-âge ont appelé la loggia, dont la loge des Lanii à Florence (V. plus haut, vol. I, fig. 308) et la loggia de Vérone sont les plus beaux exemples.

Mais par suite de la variété des fonctions de la basilique, on fut amené à y trouver des parties diverses, au moyen de la superposition d'un second rang de portiques, d'un exédre pour le prétoire, et l'on arriva ainsi à la composition traditionnelle de la nef entourée de portiques, de tribunes au-dessus de ces bas- côtés, d'une abside servant de prétoire : véritable place publique couverte. Couverte, mais non close du côté du forum, car je crois que la basilique était un édifice ouvert. A Pompéi (fig. 795), il n'y a nulle trace de clôtures; à Rome, devant la basihque Ulpienne (fig. 796-797), les marches antiques sont usées partout; enfin, c'est une tradition encore en vigueur à Rome que, tandis que les églises ferment au milieu du jour, les basiliques restent seules ouvertes. Je crois aussi que ces monuments étaient couverts de la façon la

ÉLÉMENTS DES ÉDIFICES JUDICIAIRES

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plus simple : voûte dcmi-sphérique sur les absides, et charpente apparente sur la nef et les tribunes (fig. 798). Sans parler d'une médaille qui paraît l'indiquer, je constate que la basilique chrétienne de Saint-Paul-hors-les-Murs, élevée par Constantin et couverte par une magnifique charpente apparente, avait précisément la portée dans œuvre de la basilique Ulpienne, et que Constantin, ainsi qu'en témoigne son arc de triomphe, se gênait peu pour parer ses constructions des dépouilles des Anto- nins; et que, d'ailleurs, les plus anciennes basiliques chrétiennes, imitation pure et simple des basiliques antiques, étaient toutes couvertes par une charpente apparente : le plafond dans les églises est d'une date rela- tivement très récente.

De tout cela il résulte que la basilique était un abri, abri très vaste, très somptueux, riche par les matières, les colonnes et les panneaux de marbre, et que sous cet abri on |^ ^ rendait la justice. Mais c'est la seule analo- ^ - gie avec nos tribunaux infiniment plus complexes, et grande serait l'erreur si dans les éléments de la basilique on croyait pouvoir trouver tous les éléments de nos tribunaux. J'aurai du reste à vous reparler de la basilique antique lorsque je vous entretiendrai des origines de notre architecture religieuse. Car bien que la basilique chez les Romains ne fût nullement un édifice du culte, elle est l'ancêtre de nos églises et non de nos Palais de Justice.

P'g- 795- P'*n '^^ '" Basilique de Pompci.

Avec le Moyen-âge, avec la puissance des parlements, avec l'existence d'une magistrature devenant en fait une aristocratie

470 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE L ARCHITECTURE

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Fig. 796. Plan de la Basilique Ulpienne et du Forum de Trajan, à Rome.

ÉLÉMENTS DES ÉDIFICES JUDICIAIRES

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parlementaire ce qu'on a appelé la noblesse de robe, le Palais de Justice est devenu un monument spécial, bien caractérisé, et qui a donné lieu à de magnifiques expressions architecturales. De tout temps on a compris que l'autorité de la justice ne pouvait que gagner à ce que la solennité de ses arrêts fût confirmée,

l-ig. 797. Coupe de l.i li.isiliqiie Ulpiciinc, à Rome.

rehaussée même, par la solennité grave et imposante d'un édifice commandant le respect. Tout ce qui réclame le prestige et l'au- torité a besoin d'un certain apparat : on se sent plus justiciable d'une justice plus imposante, et l'architecture apporte ainsi son élément nécessaire au respect de la chose jugée. Quelques-uns parmi vous connaissent sans doute les belles salles des Palais de Justice de Poitiers (fig. 799 et 800), de Rouen, de Dijon ou de Rennes. A des époques différentes, vous y trouvez cette même inspiration : vous la trouverez partout, en intention tout au moins. Et de notre temps encore car nous pouvons bien qualifier de contemporaines les œuvres de Duc vous rencon- trerez au Palais de Justice de Paris des salles dont l'impression sera sur vous sérieuse et profonde. Les séances des tribunaux

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ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

sont publiques; allez voir notamment la première chambre du Tribunal, ou la grande salle des assises; allez voir tout d'ailleurs au Palais de Justice, car je vous l'affirme, si au lieu d'être à Paris il était à 500 kilomètres d'ici, vous feriez le voyage pour aller le voir et l'étudier, et vous le connaîtriez sans doute mieux qu'en passant journellement devant, sans peut-être y entrer jamais.

J'ai cherché à vous indiquer quel doit être le premier souci d'un artiste en présence de ce beau programme. Mais il faut aussi que sa conception réponde à des besoins précis et impérieux. Je vais donc essayer de vous faire comprendre ce que sont les éléments de cette vaste composition.

Suivant les villes, un Palais de Justice peut comprendre simplement un tribunal plus ou moins important, ou un- tribunal et une Cour d'appel; seul le Palais de Justice de Paris réunit dans un même édifice trois juridic- tions, puisqu'il abrite aussi la Cour de cassa- tion, qui pourrait être un monument parfai- tement distinct. Certains Palais comportent aussi une salle de tribunal de commerce. Peu importe pour l'objet de nos études : les éléments seront plus ou moins importants, ils se retrouveront toujours comme des nécessités du programme.

Dans un édifice judiciaire, bien des éléments sont de tous points analogues à ce que nous avons déjà passé en revue. Il s'y trouve des bureaux, des bibhothéques, des salles de commis- sions, de l'habitation. Les éléments vraiment spéciaux sont la

Fig. 799." Grande salle d

Palais de Justice

de Poitiers.

ÉLÉMENTS DES ÉDIFICES JUDICIAIRES

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Coupe transversale-

Fig. 800. Grande salle Ju Palais de Justice de Poitiers. Détail du pU>i.

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ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE L ARCHITECTURE

salle d'audiences, la salle des Pas-Perdus et leurs dépendances, enfin les maisons de Justice (conciergeries), dépendance néces- saire du Palais, mais que nous examinerons avec l'architecture pénitentiaire.

La salle d'audiences n'est elle-même qu'une partie la plus

importante de beaucoup de ce qu'on appelle une chambre du Tribunal ou de de la Cour. Depuis les petits tribunaux d'arrondissement qui n'ont qu'une seule chambre, jusqu'au Tribunal de la P Seine qui en a onze, non compris la Cour d'appel, la chambre est l'unité variable dans sa proportion, mais presque invariable dans sa composi- tion.

Voyons donc ce qu'est une chambre de Tribunal, car si vous l'ignorez vous ne pourrez jamais composer un plan de Palais de Justice.

La chambre comprend d'abord la

salle d'audiences : les audiences sont

',g,eKcr. publiques, il faut donc que leur salle

ouvre directement sur la salle des Pas-

- 12,

T!' Perdus, qui est le centre de toutes les allées et venues du Palais. Parfois la salle d'audiences se trouve séparée de la salle des Pas-Perdus par l'interposition d'un vestibule ou antichambre. Cela l'isole un peu du bruit, mais aussi cela augmente le nombre des endroits qu'il faut surveiller. En tous cas, ces antichambres, lorsqu'il en existe, doivent toujours être très claires et d'un large accès.

De ce qui précède résulte la disposition logique de la salle

Fig. 8oi. Plan d'une salle d'audiences du Tribunal civil de la Seine.

I, bureau des juges. 2, prétoire sier audiencier. 4, substitut. S

6, tribune d'avocat. 7, parties intè ressées. 8, avocats auditeurs. 9, public

10, tambour. 11, ventilation. 12, porte donnant à la bibliothèque. 13, des huissiers. 14, porte conduisant salle du Conseil.

KLHMENTS DES EDIFICES JUDICIAIRES

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B|ff» * » » «-» À

d'audiences : ayant sa partie publique vers la salle des Pas- Perdus, elle aura le Prétoire à l'opposé. C'est la disposition la plus fréquente et la plus rationnelle (fîg. 8oi); si parfois des salles d'audiences ont des entrées latérales, c'est en raison de quelque difficulté de terrain qui a pu commander cette disposition exceptionnelle.

Voilà donc la salle d'au- diences convenablement pla- cée. Mais ce n'est pas toute la chambre, loin de là. La chambre comporte encore comme parties nécessaires : le cabinet du président; le cabinet du procureur ou de son substitut ; la chambre du conseil délibèrent les juges; le vestiaire des magistrats; parfois une ou deux pièces pour les témoins; le bureau d'un commis greffier et l'ac- cès au greffe; l'entrée des avo- cats, et, s'il s'agit de cours d'assises ou de chambres correctionnelles, l'entrée des accusés (fig. 802; dans ce plan de la première chambre du Tribunal de la Seine, les parties hachurées indiquent les ser- vices qui lui sont étrangers). La cour d'assises comporte de plus le service du Jury. Or, rien de tout cela n'est public, mais tout cela doit être accessible au public régulièrement convoqué. Ainsi

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Fig. 802.

Plan de la première chambre du Tribunal de la Seine.

I, salle des Pas-Perdus. a, salle d'andiences. }, anti- chambre vitrée du Tribunal. 4, aiuichambre du cabinet du Président, S, attente, 6, secrétaire. ~ 7, cabinet du Président. 8, entrée des dépendance» de la première chambre. 9, (çarvons de bureau. 10, ministère public. II, salle du conseil. 12, cabinet du vice-président. I j, escalier du grefTe.

I

476 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE L ARCHITECTURE

des avocats, avoués, notaires, experts, des plaideurs même sont journellement appelés par le président, le procureur, ou convoqués en chambre du conseil. Il faut de plus que la chambre soit en communication directe avec son greffe particulier, distinct du greffe général. Et comme certaines personnes, avoués ou huis- siers, ont à aller à ce greffe, il convient que de l'antichambre même ils puissent s'y rendre. Ce greffe est souvent disposé dans un étage secondaire formant entresol; ainsi dans l'exemple de la fig. 802 on y accède par le petit escalier contigu à l'antichambre. Et si les magistrats peuvent avoir un accès particulier sans emprunter la salle des Pas-Perdus, c'est de cette salle au contraire que devront venir toutes les personnes convoquées.

Vous voyez donc cette nécessité de composition : en même temps que la salle d'audiences ouvre sur la salle des Pas-Perdus, vous devez avoir près de un autre accès qui puisse conduire à toutes ces dépendances. Mais on n'entre pas sans un motif justifié : aussi trouve-t-on tout d'abord une antichambre se tient un garçon de bureau : se fait tout le travail des signa- tures, des communications, ce qu'on peut appeler presque les hors-d'oeuvre de la justice.

De cette antichambre, on peut pénétrer, s'il y a lieu, dans les divers bureaux et cabinets de magistrats et dans la chambre du conseil.

Il va de soi d'ailleurs que la chambre du conseil et les cabinets de magistrats doivent être à portée aussi immédiate que possible du prétoire. Toute cette partie doit être à l'abri des indiscrétions. A proximité des cabinets de magistrats est un salon d'attente.

Lors donc que dans un programme étendu de Palais de Justice, on vous dit simplement qu'il y aura quatre chambres de tribunal par exemple, vous voyez que ce mot chambre désigne un ensemble considérable.

ÉLÉMENTS DES ÉDIFICES JUDICIAIRES

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Mais notez bien encore ceci : c'est de plus un ensemble indépendant. Il serait très fâcheux que ce territoire de la chambre et de ses dépendances fût traversé par des circulations générales : je le répète, on n'y pénètre que dûment convoqué ou autorisé. Et cependant, voyez presque toutes les composi- tions que vos devanciers ont essayées sur ce programme de Palais de Justice, vous y verrez des circulations banales passant

Fig. 803. Salle d'audiences. Palais de Justice de Paris. Coupe,

par exemple entre une salle d'audiences et sa chambre du con- seil : c'est absolument impossible. Etudiez au contraire le plan du Palais de Justice de Paris : vous y verrez avec quelle ingé- niosité ses architectes, malgré les immenses difficultés du pro- gramme, sont arrivés à faire de chaque chambre un groupe particulier, accessible mais indépendant.

Cependant il faut entendez-le bien il faut que la salle d'audiences soit éclairée et aérée par des fenêtres (fig. 803); et non pas par des fenêtres d'imposte placées au haut de la salle, mais par de grandes fenêtres éclairant largement la paroi. Dans

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ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

Fig. 804. Salle d'audiences de l;i premicre chambre de h Cour d'appel, à Paris.

ÉLÉMENTS DES ÉDIFICES JUDICIAIRES 479

une très grande salle, comme celle de la première chambre de la Cour d'appel de Paris (fig. 804), on peut encore pratiquer au- dessous de ces fenêtres une galerie de circulation, relativement basse.

Mais en général ce n'est pas possible, et vous pouvez prendre comme régie constante qu'une salle d'audiences doit avoir un de ses grands côtés en façade d'un bâtiment. Jamais la magistra- ture n'accepterait une salle éclairée du haut, ni même éclairée par des fenêtres dont l'enseuillement serait trop élevé. S'il existe, à la vérité, quelques salles d'audiences éclairées par en haut, on s'en plaint très vivement, et cette fâcheuse exception ne fait que confirmer la régie.

Pour la Cour de cassation, on exige même un éclairage bi- latéral, parce que les magistrats plus nombreux sont disposés en une sorte de fer à cheval, et d'ailleurs jugent le plus souvent sur pièces écrites. Mais je reviendrai plus loin sur cette salle.

Vous voyez par combien sont impraticables ces plans une salle d'audiences se trouve au miHeu d'une agglomération de dépendances de chaque côté et aussi ces plans les dépendances font défaut, ou sont toutes rejetées en arrière, sans accès possible pour le public. La disposition vraiment pratique, celle que vous trouvez presque constante avec des solutions d'ailleurs très diverses, consiste à placer les dépendances sur l'un des côtés et au fond : prés de la salle des Pas-Perdus, ce seront les dépendances publiques, l'antichambre, les témoins, le commis greffier, l'entrée des avocats; au fond ou vers le fond, la chambre du Conseil et les magistrats.

Et cette disposition presque nécessaire des dépendances se conforme admirablement aux besoins de la tenue des audiences, La salle a ainsi son entrée de la partie publique par la grande porte sur la salle des Pas-Perdus; au fond, une ou deux portes

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480 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE L ARCHITECTURE

donnent accès aux magistrats; et enfin, sur le côté opposé aux fenêtres, une ou deux portes servent à l'entrée des avocats, à l'introduction des témoins une porte spéciale de ce même côté étant réservée à l'entrée des accusés dans les salles d'assises ou de police correctionnelle. Ainsi, à Paris, pour la Cour d'assises et les appels correctionnels, les accusés amenés de la Conciergerie par un escalier spécial, sont placés en attendant l'audience dans une salle d'où ils se rendent à l'audience par un corridor particulier.

CHAPITRE V ÉLÉMENTS DE L'ARCHITECTURE JUDICIAIRE

SOMMAIRE. Les salles d'audiences civiles, correctionnelles, les salles d'assises. La Grand'Chambre de la Cour de cassation. Chambres du conseil. Nécessités architecturales des salles d'audiences. Les salles des Pas- Perdus; leur fonction, leur caractère. Mesures et surfaces comparées empruntées au Palais de Justice de Paris.

Et maintenant, mais maintenant seulement, nous pouvons étudier la salle d'audiences. Elle sera civile ou correctionnelle, ou enfin criminelle (salle des assises). De ces destinations il résul- tera quelques différences.

Prenons d'abord une chambre civile. Le tribunal ou la Cour occupe la table du prétoire au fond de la salle qui lui fait face. Le président, qui exerce la police de l'audience, voit ainsi tout ce qui se passe. D'un côté du prétoire est le bureau du Mini- stère public, de l'autre celui du greffier. Au pied du prétoire un espace libre : c'est que viennent déposer les témoins, les experts, etc. Les avocats parlent en face du prétoire; derrière eux, des bancs sont réservés au barreau, à la presse judiciaire, aux témoins, aux parties en cause. Enfin une balustrade sépare cette partie de la partie publique, l'on entre de la salle des Pas-Perdus, et le public se tient debout. (V. plus haut, fig. 80 1 et 802.)

ÉUnuHts et Thiorie de tArcbiteclure. II. )l

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ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l' ARCHITECTURE

Dans les chambres correctionnelles (fig. 805), la disposition du prétoire est sensiblement la même. Mais ici apparaît le banc des accusés. C'est un espace adossé au mur de la salle, opposé aux fenêtres, et entouré de trois côtés par un lambris d'appui. On y entre par une porte spéciale assez étroite. Dans cet espace, il y a trois ou même quatre bancs en gradins, afin de pouvoir trouver place pour un certain nombre d'accusés, toujours d'ailleurs séparés l'un de l'autre par un gendarme ou un garde.

Fig. 805 . Chambres correctionnelles du Palais de Justice de Paris.

I, Pas-Perdus. 2,1, salles d'audiences. 3,3, salles du Conseil. 4,4, cabinets des Présidents. 5,5, témoins. 6, service de l'instruction. 7,7, escaliers des accusés. 8,8, entrée des accusés.

Ces bancs des accusés sont invariablement placés en face des fenêtres, en pleine lumière, afin que pendant les interrogatoires aucun jeu de leur physionomie ne puisse rester inaperçu. Les avocats parlent au pied de cette tribune des accusés : il faut en effet qu'ils soient en communication avec leur client. Quant au surplus de la salle, il est très analogue aux chambres civiles. Toutefois à Paris et sans doute ailleurs, la partie pubhque des salles correctionnelles est très restreinte. On obéit à la loi qui exige cette publicité, mais on n'oublie pas que le public de ces audiences est souvent attiré par une curiosité malsaine, ou, pis encore, par une pensée d'apprentissage.

Une salle d'assises est beaucoup plus importante (fig. 806). Les causes retentissantes qui s'y dénouent appellent souvent

ÉLÉMENTS DES ÉDIFICES JUDICIAIRES

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Fig. 806. Plan de la Cour d'assises, au Palais de Justice de Paris.

a, fscalier des deux salles d'iissîses. h,b^ vestibule des salles d'audiences. c,c, ulles d'audience. d^d, salles da Con- seil. — e,e, cabinets des présidents. /^, gardons de bureau. gyg, salles «les accusés. h, corps de garde. 1,1, escaliers des témoins. It^k, salles des témoins. m,m, escaliers de l'avocat général ctdu greffier. h,n, escalier* du Jury. 0,0, (.scaliers des avocats. 6, escalier veiuiit des cachots.

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une grande affluence; les témoins sont souvent très nombreux; l'apparat est plus grand. La disposition du prétoire, des sièges du ministère public et du greffier est toujours à peu près la même, sauf plus d'ampleur. Même disposition aussi pour le banc des accusés, et le banc des avocats. Mais ici îl y a un élément spécial, le Jury. Vous savez que le Jury de la session est de trente membres, parmi lesquels douze siègent pour chaque affaire. Les douze jurés sont placés dans une tribune, sur deux rangs, directement en face des accusés. Ainsi les accusés, en face des fenêtres, sont en pleine lumière, tandis que les jurés sont à contre-jour; on peut lire ainsi sur les traits de l'accusé, tandis que les figures des jurés restent impénétrables. A la suite de la tribune des douze jurés, est une autre tribune, séparée, pour les jurés de la session qui veulent assister à l'audience.

Devant le bureau du prétoire est la table des pièces à convic- tion ; tout l'espace compris entre les trois côtés occupés par la Cour, le Jury et les accusés est libre; il s'y trouve seulement la barre des témoins, sorte de balustrade d'appui vient prendre place le témoin appelé à déposer. Puis, les bancs des témoins, du barreau, de la presse judiciaire, des parties civiles; et enfin au delà d'une balustrade d'appui, la partie publique de la salle.

De chaque côté du prétoire une porte donne accès au Jury, une autre à la Cour. Dans le mur opposé aux fenêtres, une petite porte ouvre sur les bancs des accusés; une autre porte donne passage aux avocats, aux témoins, etc. Enfin sur la salle des Pas-Perdus, grande porte publique de la salle.

Je vous citerai enfin, comme disposition exceptionnelle, la salle de la première Chambre de la Cour d'appel de Paris, et la Grand'Chambre de la Cour de cassation (fig. 807). Cette der- nière sert journellement pour les audiences ordinaires de la

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Chambre civile de la Cour; mais dans les circonstances solen- nelles, ou dans certaines conditions déterminées par la loi, la Cour de cassation y siège toutes chambres réunies. Ce sont alors cinquante présidents ou conseillers qui composent la Cour; il s'y adjoint encore le procureur général et les avocats généraux. Pour cela, des places sont disposées en une sorte de fer à cheval, le prétoire au fond, les sièges des conseillers sur deux rangs de chaque côté : cette disposition n'est pas sans analogie avec celle des stalles dans le chœur des cathédrales. Elle se retrouve d'ailleurs à peu prés reproduite à la première Chambre de la Cour d'ap- pel, qui, dans les circonstances solen- nelles, reçoit tous les conseillers. Seule- ment cette dernière salle a pour les au- diences ordinaires un mobilier qui se déplace pour les grandes circonstances : de sorte que la salle peut être réputée avoir deux profondeurs diverses, selon que les audiences sont ordinaires ou extraordinaires.

Mais je vous le répète, tout cela est facile à voir puisque c'est public. Voyez-le, et à la suite des quelques commentaires qui précèdent, vous comprendrez ce que vous verrez.

Et vous comprendrez une fois de plus que rien ne doit se faire au hasard, que les choses ont leur raison, et que pour étudier utilement la chose il faut connaître d'abord sa raison.

Les audiences se prolongent souvent lorsque la nuit est déjà venue; il faut donc se préoccuper de l'éclairage nocturne, qui

Fig. 807. Plan de la Grand' Chambru delà Cour de cassation.

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doit être suffisant pour que toutes les parties de la salle soient bien éclairées, qu'on puisse non seulement voir les personnes, mais lire des pièces, écrire des notes, etc. Nous avons déjà vu dans des cas analogues que la lumière diffuse provenant de foyers assez nombreux est la plus favorable, et ces lumières doivent être à un niveau assez élevé pour ne pas gêner la sur- veillance générale de la salle par le président.

Quant au chauffage, généralement demandé à la vapeur, et à la ventilation, le problème est le même que pour les autres grandes salles que nous avons déjà vues, et les solutions sont analogues.

Tout ce qui précède est emprunté aux salles des Tribunaux proprement dits : mais saut quelques différences de caractère et de somptuosité, cela s'applique encore en tant qu'éléments aux salles des Tribunaux de commerce, des Justices de paix, et même des Conseils de guerre.

La Chambre du Conseil n'est pas seulement affectée aux déli- bérations. Il s'y rend certains jugements pour lesquels la discus- sion publique n'est pas exigée. Aussi est-ce toujours une salle assez importante et d'un caractère sérieux. Il va sans dire qu'elle est plus ou moins spacieuse suivant le nombre de magistrats qu'elle contiendra, et par conséquent plus grande à la Cour de cassation qu'à la Cour d'appel, plus grande à la Cour d'appel qu'au Tribunal, sauf celle de la première chambre de chaque tribunal, qui reçoit dans certaines circonstances un nombre assez élevé de magistrats.

Lorsqu'un tribunal se compose de plusieurs chambres, il y a les vice-présidents qui président chaque chambre, et qui dis- posent des cabinets dont il a été parlé plus haut; puis, il y a le Président du tribunal, avec un service spécial de cabinet. Ici

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encore, ce cabinet doit être accompagné d'antichambre, salon d'attente, une pièce ou deux pour secrétaire ou employés.

Je n'ai rien de particulier à vous dire du parquet : ce sont des cabinets et des bureaux; de même les cabinets des juges d'in- struction, série de pièces accompagnées chacune d'un petit cabi- net, et ouvrant sur une galerie d'accès. Vous remarquerez seule- ment, dans le plan donné plus haut (fig. 805) du bâtiment de la Police correctionnelle, que les cabinets des juges d'instruc- tion sont desservis par un corridor distinct de la galerie d'at- tente, afin que les circulations de service puissent se faire en dehors du public.

Les greffes sont aussi de vastes bureaux, des cabinets et pièces diverses. Aucun élément particulier n'est à signaler ici. Les archives des greffes, très considérables, n'ont rien qui réclame une autre construction que des archives en général.

Je vous ai dit qu'il y a de magnifiques exemples de salles de Justice : notamment à Rouen, à Dijon, à Rennes, à Paris. Ces salles sont très différentes par le caractère de la décoration : à Rouen, c'est encore presque le Moyen-âge, à Dijon, la Renais- sance; les salles de Rennes sont du temps de Louis XIV, et celles de Paris, modernes. Il y a encore de beaux exemples de salles qui n'ont pas été construites pour cette destination, mais qu'on a pu disposer en salles d'audiences; telle est la salle du Palais de Justice de Poitiers, qui n'est autre que l'ancienne grande salle du palais des comtes de Poitiers (V. plus haut, fig. 799-800). Eh bien, malgré ces siècles de distance, malgré ces différences de caractère, il y a entre ces salles des analogies frappantes, qui doivent s'expliquer, et que je vais chercher à vous expliquer en effet.

Toutes ces salles sont rectangulaires, éclairées par de grandes fenêtres; toutes, sauf peut-être de très rares exceptions, sont pla-

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fonnées; toutes ont leurs parois unies sans saillies architectu- rales ni renfoncements. La forme rectangulaire est commandée par les dispositions même que je vous ai expliquées; elle l'est également par les nécessités de communications avec les dépen- dances, enfin par les nécessités d'éclairage. La disposition logique et nécessaire du prétoire ne s'accommode que de la forme rectan- gulaire, et jamais un tribunal ne trouverait sa place dans ces formes d'absides que vous voyez parfois dans des plans malheu- reux de salles d'audiences. Il faut que tous les juges voient la salle et pour cela qu'ils lui fassent vis-à-vis.

Le plafond est pour ces salles de tradition constante. Cela est remarquable au xv^ siècle, alors que les voûtes étaient en si grand honneur et si habilement mises en œuvre. Pourquoi donc cet usage exclusif du plafond ? C'est je crois pour une raison de sonorité. Les anciennes salles d'audiences étaient lambrissées en bois; supposez de plus un plafond également en bois, vous êtes dans une véritable caisse sonore. Avec des voûtes, il faudrait une hauteur plus grande si on suppose une voûte en berceau au- dessus des fenêtres, ou des surfaces rompues si l'on emploie la voûte d'arête. Comparez du reste aux sonorités des salles d'au- diences celles des églises. Dans les églises, le son se propage assurément, mais il parvient à l'auditeur allongé et redondant. Pour qu'un prédicateur soit entendu distinctement, il faut qu'il parle lentement, que la résonance de chaque mot ait le temps de s'éteindre avant l'arrivée du mot suivant. Dans un tribunal, il y a du dialogue, de la parole brève, contradictoire, emportée parfois. Il faut une acoustique sèche, instantanée. L'expérience montre que le plafond satisfait à ces conditions bien mieux sans doute que la voûte.

Cette même considération de sonorité, qui est vous le com- prenez bien de première importance ici, est aussi une raison

ÉLÉMENTS DES ÉDIFICES JUDICIAIRES 489

suffisante pour éviter les saillies et les renfoncements. Il y en a une autre : le Président doit tout voir, et la police de la salle d'audiences n'est pas toujours facile à exercer. Si quelque assistant pouvait se dérober derrière une colonne, ou dans le renfonce- ment d'une baie, d'une niche, de quoi que soit qui pût faire une cachette, vous présumez bien qu'il en pourrait résulter non seulement des inconvénients désagréables mais même de très graves difficultés pour la justice.

Indépendamment donc de la tradition, qui à elle seule est respectable, vous voyez que des raisons très sensées et très pra- tiques justifient la persistance des formes qui ont été toujours données aux salles de Justice. C'est ce que vous voyez presque toujours, et c'est aussi ce qui vous montre combien il serait téméraire de changer des traditions séculaires pour le plaisir de changer. Lorsqu'une tradition se transmet à travers des siècles, c'est qu'elle a très vraisemblablement des motifs sérieux de durée. Je ne veux certes pas dire que les choses soient immuables : mais avant de changer, encore faut-il savoir s'il y a lieu de changer, et si ce qu'on proposera vaudra ce qu'on prétend remplacer. Il faut connaître son sujet et son art : les deux connaissances qui manquent le plus souvent aux prédicateurs du changement quand même.

Voulez-vous que je vous donne un conseil de pur bon sens ? Si vous avez quelque jour à faire une salle de Justice, compo- sez-la comme celles de Duc;... puis étudiez-la d'une façon encore supérieure. Je vous réponds que ce sera absolument ori- ginal !

Dans un Palais de Justice, le centre de rayonnement de toutes les circulations est la salle des Pas-Perdus. C'est qu'on se ren- contre, qu'on cause affaires, soit entre gens du Palais, soit avec les clients. De on doit aller partout, et les communications

490

ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

doivent être aussi immédiates que possible, car souvent on a, presque au même moment, à faire à plusieurs chambres. Aussi, voyez comme à Paris la salle des Pas-Perdus dessert bien tout le Tribunal (V. plus haut le plan d'ensemble du Palais de Justice, vol. I, fig. 32). Soit directement par des portes ouvrant sur cette

salle même, soit par l'inter- médiaire du petit atrium in- térieur (fig. 808 et 809) que vous connaissez, ou du pre- mier étage auquel on accède par un perron dans la salle elle-même (fig. 8 1 o), on peut se rendre en un instant dans toutes les chambres civiles du Tribunal et dans toutes leurs dépendances (les cham- bres correctionnelles sont dans un autre bâtiment). De plus, on y trouve l'accès des salles des référés et des criées; de la chambre des avoués; puis, par des larges et belles galeries qui sont en quelque sorte le prolongement de la salle des Pas-Perdus, on peut gagner sans confusion tous les autres services du Tribunal, et se rendre à la Cour d'appel, dont l'installation n'est pas encore achevée. Aussi, le plan du Palais de Justice est-il admirable dans sa clarté, et je ne saurais trop vous en recommander l'étude.

Et la salle en elle-même est un chef-d'œuvre. Vous connaissez

Fig. P08.

0 I 2 S t S

Atrium vitré, au Palais de Justice de Paris i" étage.

I, vestibule. 2, galerie. 3, légalisation. 4, greffe de la quatrième Chambre. 5, salle de conseil de la troisième Chambre. 6, deuxième chambre. 7, greffe de la sixième' chambre.

ÉLÉMENTS DES ÉDIFICES JUDICIAIRES 49I

sa disposition résultant d'ailleurs en partie de celle de la grande

Fig. 809. Coupe Je l'atrium vitré, au Palais de Justice de Paris.

salle inférieure, laquelle date de l'époque le Palais était la résidence des rois (V.plus haut, vol. I, fig. 32 et 73) : un rang de piliers la divise en deux berceaux voûtés; dos jours nombreux, en pénétration dans la voûte, et les grands tympans des extrémi-

492

ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

tés y répande une lumière abondante et également répartie. La salle actuelle est d'ailleurs une nouvelle étude d'une même disposition antérieure. Seulement dans l'ancienne salle, les voûtes étaient en bois, et après qu'elles eurent été détruites dans un incendie resté historique, on reconstruisit la salle toute en maçonnerie, avec des proportions plus monumentales, mais en conservant l'ancienne disposition en deux nefs, disposition d'ail-

Fig. 8io. Perron de la salle des Pas-Perdus, au Palais de Justice de Paris.

leurs assez fréquente au Moyen-âge, et dont nous voyons un exemple si intéressant à la Bibliothèque des Arts et Métiers, autrefois réfectoire de l'abbaye de Saint-Martin-des-Champs. Cette disposition en deux nefs est ici excellente : elle canalise en quelque sorte la promenade car on a l'habitude de conférer en se promenant. Elle permet de plus d'avoir des proportions élevées, la même hauteur paraîtrait écrasée si le vaisseau était de toute la largeur. L'architecture est ici empruntée à la

TOMH II

l-LKMENTS ET THÉORIE DE l'aRCHITECTURE

Page 493

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l'*" étag^e. A,B,C,D, questure. E, délibération. F,G, audience. I, Pas-Pcrdos. S, audience. V,X, tribunal civil. A\ salle des assises. 0'\\ salles d'audiences. Y, correctionnelle.

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Rez-de-chaussée. A, concierge. B,C, inculpés. D, témoins. E.F,G,H, instnictton. I, dépAt. J. parloir. K, arcbivcs. L. gardien. M, watcr-closct. K.O.P,Q.. dépôt et cetlales. R.S.T.U, grclVc. - V,X,Y,Z, police et parquet. A'B'C'D*, procureur. E'F'G*H'T, instruction. J'» cour. K'L'M'ïT, archives et état civil. 0\ avocats. P' pompe à incendie. T'J'*, simple police. K", juge de pai».

Fig. 8ii. Palais de Justice de Rouen. Flans et façade.

ÉLÉMENTS DES ÉDIFICES JUDICIAIRES 493

pierre, aux voûtes en maçonnerie. Nul inconvénient à cela : si la multiplicité des causeries particulières produit une sorte de bourdonnement général, on n'a pas ici les nécessités d'audition d'une salle d'audiences : on confère par petits groupes et de près.

Aussi, les salles de Pas-Perdus sont-elles le plus souvent voû- tées. De cette tradition, il résulte un caractère différent de celui des salles d'audiences, et lors même que les ressources ont peut- être manqué pour donner à ces salles leur couronnement logique par une belle voûte en maçonnerie, vous trouvez encore l'affir- mation de la tradition, comme par exemple dans la salle, très intéressante, des Pas-Perdus de Rouen, voûtée en bois. Le Palais de Justice de Rouen est d'ailleurs un des plus remarquables monuments de l'architecture des anciens Parlements (fig. 8ii).

Toutefois, il n'y a pas ici de raisons inflexibles qui dictent la composition de la salle. Une basilique conviendrait fort bien à une salle de Pas-Perdus, une salle de thermes également. Pourvu qu'il y ait de faciles accès, de libres espaces, de la lumière, et pourvu que la salle des Pas-Perdus desserve tout ce qu'elle doit desservir, elle peut présenter des caractères très variés : toujours, bien entendu, avec la gravité sans laquelle on ne croirait pas être dans un édifice judiciaire.

L'architecture judiciaire présente, vous le voyez, de magni- fiques programmes, et se recommande par de magnifiques solu- tions. Elles sont nombreuses, et si je vous ai parlé surtout de notre Palais de Justice de Paris, c'est que je ne crois pas qu'il y ait ailleurs de types aussi complètement heureux. Chaque fois que je le puis, j'aime à vous citer de préférence ce que vous pouvez voir facilement. Connaissez donc votre Palais de Justice, étudiez-le, vous no sauriez faire de plus utile étude.

494

ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

Voici, comme renseignement, quelques-unes des dimensions qui vous indiqueront la proportion de différentes salles les unes par rapport aux autres :

DÉSIGNATION DES SALLES

LONGUEUR

LARGEUR

SURFACE

OBSERVATIONS

Salle des Pas-Perdus

68"oo

54.00

23.00

ig.20

14.50 25 00

27,00 16.50 13.30 12.00

7.80 12.00

12.00

9.30

9.00

11.80

12.00

5.60 4.80 7.00

26"'5o

12.00

12.00

9.60

8.50

11. 50 10.50

12.00 7.80 7.60

16. 50 7.70

8.00

6.20

6.30

7.80

5.00

4.10 4.00

7.00

1082"'

648 . 00

276.00

184.30

123.25 287.50

283.50

198.00

103.75

91.20

128.70 92.40

96.00

57.66

56.70

92.04

60.00

25.00 19.20 49.00

Non compris les escaliers d'accès aux salles d'assises.

Salle servant aux audiences, toutes chambres réunies^

Longueur réduite à 19 met., soit 218"°, 50' pour les audiences ordinaires.

La 6' Chambre prise comme

exemple. Assez exiguë. Assez exiguë.

Reçoit un grand nombre de magistrats.

id. id.

Exiguë.

Vestibule Harlay ou des assi- ses

Chambre civile de la Cour de

Salle de la Chambre criminelle. Salle de la Chambre des requê- tes

Cour d'appel, i" Chambre

Salle des assises

I' Chambre du Tribunal civil. Référés

Chambres civiles

Chambre des criées ,

Chambres correctionnelles

Salle du Conseil de la Grand' Chambre de la Cour de cas- sation

Salle d" de la Chambre crimi- nelle

Salle de la Chambre des requêtes

Salle de la i" Chambre

Salle de la i" Chambre du

Salle d" du Conseil des Chambres civiles

Salles correctionnelles. .. . Salles de la Cour d'assises.

CHAPITRE VI ÉLÉMENTS DES ÉDIFICES PÉNITENTIAIRES

SOMMAIRE. Considérations générales. La détention ancienne et moderne. Principes applicables à toutes les détentions.

Les prisons préventives. Le Dépôt. La maison d'arrêt. La maison de Justice. Le petit Dépôt.

De l'architecture judiciaire à l'architecture pénitentiaire, la transition est naturelle. Saurai-je vous intéresser à ce sujet dont l'étude est mélancolique, et trop souvent décourageante des meilleures intentions? Je l'ignore : j'essaierai du moins de vous faire voir qu'ici encore l'action de l'architecte peut être humaine et utile : l'architecte d'un édifice pénitentiaire doit être un peu un philosophe et un moraliste. Il doit se souvenir qu'il con- court au traitement d'une grande misère sociale, et que si tous les progrés rêvés n'ont pas toujours été réalisés, si trop d'illu- sions généreuses ont échoué, il ne faut jamais désespérer du bien à faire, ni renoncer à l'espérance du progrés. Ce progrés, même incomplet, doit beaucoup déjà à l'architecture, et nous pouvons être fiers des travaux de Blouet, de Gilbert, pour ne citer ici que les précurseurs des efforts jusqu'ici poursuivis et des efforts encore attendus.

On peut dire que ce programme est essentiellement moderne. C'est qu'il n'y a guère plus de cent ans que des esprits élevés ont pensé qu'il y avait un vaste sujet d'études. Au milieu du

496 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l'aRCHITECTURE

xviii^ siècle, le titre seul du livre de Beccaria, De la proportionna- lilé entre les délits et les peines, put être une surprise en attendant qu'il imposât une révolution ! Jusque là, certes, la prison exis- tait, mais l'architecture pénitentiaire n'existait pas. On empri- sonnait en vertu de deux idées : châtier ou supprimer : prison criminelle ou prison d'État. A ces idées s'en est substituée une autre, plus humaine et plus légitime : améliorer. C'est le but poursuivi, l'avenir entrevu ; les difficultés sont immenses, mais on doit toujours espérer : aussi la conception moderne des criminalistes les plus éminents est de demander à la prison le traitement et si possible la guérison des maladies sociales. Dans cette conception, l'emprisonnement est une expropriation pour cause d'utilité publique, la prison est une maison de santé, le régime pénitentiaire un traitement pathologique.

Nous connaissons peu la prison antique ; elle était très certai- nement dure. Peut-être dans les nombreux compartiments qu'on retrouve dans les substructions romaines, faut- il voir entre autres des prisons. L'esclavage avait d'ailleurs pour corollaire la prison domestique. Je crois bien qu'en vous figurant des cellules tout était combiné pour rendre l'évasion impossible, et toutes les préoccupations se bornaient à cela seule- ment, — vous devez vous faire une idée assez juste de ces prisons.

Nous savons un peu mieux ce qu'étaient les prisons du Moyen-âge. Ne vous figurez pas d'ailleurs des édifices spé- ciaux : les prisons étaient un peu partout. La féodalité compor- tait le droit de justice ou de bon plaisir pour les seigneurs; le clergé possédait les mêmes droits; enfin les com- munes le conquirent à leur tour. Sans parler donc de la royauté, ni des Parlements qui vinrent mettre l'ordre dans ce chaos, on pourrait dire que la Société au plus pur Moyen-âge se parta-

ÉLÉMENTS DES ÉDIFICES PÉNITENTIAIRES

497

geait en deux classes : les emprisonneurs et les emprisonnés. Aussi n'était-il pas de palais, de château, de couvent, de chapitre, de maison commune qui n'eût ses prisons. Or, toutes ces prisons avaient un caractère commun : on s'y débarrassait du condamné ou de l'ennemi. La prison était- elle par hasard à peu prés salubre ? Tant mieux pour lui. Était-elle humide, méphytique?... Et après? Qu'on n'en pût pas sortir, voilà le souci unique.

Aussi les prisons sont le plus souvent dans les fondations ou dans les tours, les murs ont ouki ,.ptn«,r.

des épaisseurs énormes. On en a, o..r« ju pauu archicpiKop.,i. - b «ur _ c,

r escalier du i" cUge. D, guichet d entrée dan*

•, * *. .^^ j. ' 1' Ll ^ TotTici alité. G, ffuiclict d'entrée pan» la prison H.

voit ainsi notamment a 1 abbaye -h, prison. -ifdalle percée a- unonficecommu-

, *■• 1 1 1 niqutiit à une fosse. K, hotte de pierre, L,

du Mont Saint-MicheL au château fenare. -m. cabinets d-aisanccs-K^

' tréc dmis les cellules O.P.Q.. O.P.Q. prisons.

1 T-** Cl 1 *i l'TT Ri trappe d'entrée du cjcbot a. S, pnric de Toffî-

de Pierreionds, au château dit. cwité."^ Les plus curieuses pour nous sont peut-être celles de l'Officialité de Sens (fig. 812). Là, les cellules des prisonniers, dallées, murées, voûtées en pierre sont relative- ment habitables; toutefois les petites fenêtres qui les éclairent c«*.. .«/<•>.>.'•

sont ingénieusement masquées '■°"'^°'-7^^^'^^'^i^^l^f^^it~'' par des hottes en pierre, qui Fig. sn. pbn de la pnson de rofscuiité

1 / . 11 ''* Sens.

laissent pénétrer un peu d air,

mais qui interdisent au prisonnier toute vue du ciel. 11 est

d'ailleurs pratiqué des espèces de réduits contigus, qui paraissent

ÊUmenIs et Théorie de t Architecture. II. jl

fosses

498 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE LARCHITECTURE

avoir été des cabinets d'espionnage, sans doute lorsque deux prisonniers étaient perfidement réunis dans une cellule.

Mais de plus, comme à Pierrefonds et ailleurs, il y avait les cachots. Réfléchissez à l'étymologie de ce mot cachot, et vous comprendrez. En dessous des cellules, à un endroit quelconque du dallage, on voit une pierre ronde, un tampon. Si on le sou- lève, on se trouve au-dessus d'un réduit voûté, qui n'a pas d'autre accès. C'est le cachot Vin pace. Là, il n'y a même pas de fenêtre, une sorte de cheminée y laisse tomber un peu d'air extérieur.

Le prisonnier qu'on avait descendu ou jeté dans cette paix inviolable y était-il nourri ? Peut-être.

La crainte de l'évasion avait encore fait imaginer une variante de l'emprisonnement. Non plus dans une cellule, mais dans une salle plus grande séjournaient des soudards, le prison- nier était attaché à un pilier sans que la longueur de sa chaîne lui permît d'approcher des murs. Cela se voit à Carcassonne ; et les vers de Byron ont surtout rendu célèbre le prisonnier de Cbil}o7i, Bonivet, ainsi attaché à un pilier dans une salle basse du château de Chillon sur le lac de Genève. Walter Scott décrit dans un de ses romans une ancienne prison écossaise, la salle était traversée à quelques centimètres au-dessus du carrelage par une forte barre de fer autour de laquelle glissaient des anneaux; à ces anneaux on attachait la chaîne du prison- nier, toujours assez courte. Simple variante du piHer vertical.

Quant aux prisons d'État, destinées non aux criminels, mais aux hommes poHtiques, ou autres car on y restait parfois de longues années pour avoir risqué un quatrain ou une épigramme on y vivait évidemment mieux, quand on avait de l'argent, mais matériellement il n'y avait pas grande différence. Je ne con- nais pas les cachots de la Bastille. Mais il y a à Vincennes,

ÉLÉMENTS DES ÉDIFICES PÉNITENTIAIRES 499

à Doullens, à Ham, au Mont Saint-Michel, ailleurs encore, des cellules des malheureux qui n'avaient été condamnés par aucun tribunal, qui avaient simplement déplu à une Pompadour ou même à une Dubarry, ont passé des années, et aujour- d'hui on n'oserait pas mettre le plus hideux récidiviste.

Car à ce point de vue, entre le Moyen-âge et le siècle de Louis XIV, il n'y a pas de différence.

Je ne veux pas toutefois quitter ce sujet sans avoir signalé à votre curiosité le volume des Prisons de Piranésc. C'est de la fantaisie assurément, le cauchemar intense d'une imagination excessive, mais je ne crains pas de dire que c'est le poème de la férocité. Rien n'est plus curieux : avec certaines peintures de l'École espagnole, c'est l'exposition la plus saisissante du sens qu'attachait au mot prison une imagination faite de terreurs et de l'obsession d'horreurs mystérieuses qu'on se racontait en tremblant.

J'arrive à la prison moderne, à celle qui appelle vos études. Je ne vous parlerai pas des prisons qu'on a installées le mieux possible dans, des édifices construits pour une autre destination, comme le château de Laval ou ceux de Gaillon ou de Loches, par exemple. Le programme ici n'est pas entier.

Or, je vous le dis souvent, et je le répète encore à ce sujet, l'architecte est le serviteur d'un programme qui n'émane pas de lui. C'est le législateur, devancé par le moraliste, qui dit ce que doit être la prison; c'est l'administrateur qui, d'après ces données générales ou ces principes, doit rédiger le programme. Il lui appartient de décider quel sera le régime, comment on vivra dans ces murs, quelle sera la conception que l'architecte devra réaliser.

Et ce programme a beaucoup varié, et nul ne peut dire qu'il

500 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE L ARCHITECTURE

soit définitif. Car le sujet est toujours à l'étude et le progrés toujours à l'ordre du jour dans tous les pays civilisés. Je vous dirai donc de mon mieux ce qui se fait, mais sous réserve d'un avenir peut-être prochain qui rendra cette exposition surannée.

Les tâtonnements ont été nombreux : tantôt on a espéré que l'isolement amènerait la réflexion et le repentir; tantôt on a demandé au travail en commun l'élément moral de la régénéra- tion. D'autre part les considérations de surveillance, très impé- rieuses, ont parfois fait regarder comme impraticables et pure- ment théoriques des conceptions trop oublieuses des nécessités matérielles. On a essayé de la vie en commun, de la vie par groupes, de l'isolement complet. Puis on s'est trouvé conduit à des solutions mixtes : le travail en commun dans l'atelier, et l'isolement pour l'habitation. On a construit des prisons dans les villes, et aussi des colonies pénitentiaires à la campagne pour les jeunes détenus. Puis encore, entre les prisonniers, on a établi des classifications : toutes les maladies sont plus ou moins con- tagieuses, et les maladies morales plus que d'autres. Il est bon que le condamné dont la faute est légère et la régénération pos- sible ne soit pas en contact avec l'incurable. Il y a enfin l'empri- sonnement préventif l'accusé qui sera peut-être acquitté demain, ne doit pas être confondu avec le condamné flétri par la justice. De là, plusieurs sortes de prisons, ou plusieurs sortes de quartiers dans une même prison.

Vous devez donc retenir que le mot prison n'a pas un sens unique. C'est un terme général qui désigne les diverses variétés que dans le langage administratif on appelle maisons d'arrêt maisons de justice maisons de correction.

La maison d'arrêt reçoit les prévenus; la maison de justice, les accusés ; la maison de correction, les condamnés.

Mais ces distinctions sont parfois purement théoriques; les

ÉLÉMENTS DES ÉDIFICES PÉNITENTIAIRES 5OI

nécessités budgétaires s'opposent souvent à ce que cette classi- fication soit effective. Il en est de même de diverses prescriptions formelles des règlements qui ne peuvent être exécutées, faute d'argent : on peut même dire qu'il y a très peu de prisons qui soient conformes aux types officiels. Ce sont cependant ces types seuls que nous devons étudier, et non des solutions incomplètes nées de circonstances spéciales.

En général, dans la composition de toute prison, il y a une première règle qui domine tout le reste : c'est la séparation abso- lue du quartier des prisonniers et des services généraux. Le quartier des prisonniers s'appelle la détention : là, le prisonnier doit trouver tout ce qui lui est permis, car jamais il ne doit franchir la porte, unique, de la détention avant le jour où, libéré, il la passera une dernière fois. Même dans les maisons d'arrêt ou de justice, c'est aussi la règle, le détenu ne sort que pour comparaître devant le juge ou le tribunal.

Toute composition de prison se présente donc avec deux parties nettement distinctes : une partie relativement publique, avec des allées et venues d'employés, de fournisseurs, etc. Ce sont les services généraux, avec des habitations; puis la déten- tion, véritable camp retranché, l'on pénètre par une seule porte ouvrant sur les services généraux. Dans la détention se trouve tout ce qui est nécessaire à la vie du prisonnier : son habitation cellule ou dortoir le réfectoire, la cuisine, les ateliers, l'infirmerie, le quartier correctionnel (locaux de puni- tion). S'il va au parloir, ou si dans une maison d'arrêt il doit conférer avec son avocat, c'est encore dans la détention.

Bien entendu, la préoccupation dominante est celle de la sur- veillance. Il fixut qu'elle soit facile, qu'il n'y ait jamais de cachettes possibles. Mais à ce point de vue même, ce qu'on redoute surtout,

302 ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

c'est le complot, préparant la révolte, la confusion, et peut-être les évasions à la faveur du désordre. Aussi veut-on en toutes choses la division par groupes réduits et non l'agglomération. C'est ainsi que dans les préaux, pendant les récréations, la marche est obligatoire pour les prisonniers, dans le même sens et en file : si à la rigueur des propos peuvent être échangés entre quelques- uns, il ne peut y avoir de ces ententes générales que permettrait l'immobilité dans une partie de la cour.

Or, dans ces mesures de précautions, l'architecte a sa part, et il est nécessaire que vous connaissiez cette nécessité.

Dans le même but, tout projet de prison doit être étudié de telle sorte que jamais, soit d'une salle, soit d'un préau, soit d'un endroit quelconque il pourra passer, un prisonnier ne puisse voir qui que ce soit au dehors. Cette régie générale est inflexible, et par cela même elle dispense de régies particulières. Ainsi, rien n'est prescrit quant à la hauteur des fenêtres : mais la règle sera violée si à travers une fenêtre le prisonnier peut voir quelqu'un et faire des signes. Si donc la prison est isolée, ou abritée d'une façon quelconque contre toute vue plongeante extérieure, il suffira que le prisonnier, de son dortoir ou de son atelier par exemple, ne puisse pas voir celui qui serait dans un préau, ou passerait dans une cour. Si au contraire la prison est dominée de prés ou de loin par des voies publiques, des jardins ou des maisons comme était la prison Mazas par exemple alors les fenêtres devront être munies d'auvents ou d'écrans, et les murs des préaux seront très élevés, ou surmontés encore d'écrans. Si enfin, comme à Gaillon, certains ateliers sont orientés en dominant un vaste paysage toute route est lointaine, ou si un appentis recouvrant un étage inférieur suffit à intercepter la vue des espaces voisins, alors il n'y a aucun inconvénient à ce que les fenêtres soient descendues aussi prés du plancher qu'on le voudra.

ÉLÉMENTS DES ÉDIFICES PÉNITENTIAIRES 503

Contre les évasions de l'intérieur, il y a les barreaux de grilles et l'emploi pour les maçonneries de matériaux durs. C'est une des raisons qui à Paris font employer de préférence la meulière, pierre siliceuse, plutôt que la pierre calcaire. A l'extérieur, c'est- à-dire dans les passages ou les préaux, il y a les murs élevés, et les dispositions particulières de ces murs; enfin le chemin de ronde, viendrait échouer l'évasion qui aurait triomphé de toutes les précautions.

Les murs ai-je dit sont élevés; de plus ils ne doivent présen- ter aucune saillie pouvant retenir un crochet au bout d'une corde. Ainsi, pas de chaperons saillants, pas de tuyaux de descente ou de conducteurs de paratonnerres contre ces murs de clôtures. Mais enfin le prisonnier a-t-il pu, par quelque moyen invraisem- blable, arriver au sommet de ce mur ? Il lui fiut alors gagner l'endroit il croira pouvoir descendre de l'autre côté, et pour ctla il suivra à califourchon la crête du mur. Or, cela même est prévu, et sur le chemin de cette dangereuse promenade, il se trouvera tout à coup arrêté par une partie surélevée du mur : sans aucun autre motif que celui-là, les murs d'une prison pré- sentent çà et des exhaussements de 2 "^ 50 ou 3 métrés, peu longs d'ailleurs. Vous concevez combien cela gêne une circula- tion jambe de-ci, jambe de-là. Puis enfin supposez encore tous ces obstacles surmontés, le mur franchi : le fugitif se trouve tout simplement dans un chemin de ronde, nulle cachette n'est possible, la surveillance est focile et fréquente, et dont l'autre côté présente un mur aussi infranchissable que le premier. Aussi l'évasion gymnastique n'existe pas dans les prisons bien consti- tuées; mais vous voyez combien de précautions sont prises, et combien l'architecte doit se pénétrer de leur importance avant d'aborder la composition d'une prison.

504 ÉLÉMl-NTS ET THÉORIE DE L ARCHITECTURE

Nous pouvons maintenant étudier les applications de ces principes. Malheureusement, vous ne pourrez pas visiter les éta- blissements dont nous parlerons... à moins que vous ne pous- siez le zèle des études jusqu'à vous faire incarcérer: encore vous ne verriez pas tout.

Dans les grandes villes et notamment à Paris, il y a quelque chose qui n'est pas encore la maison d'arrêt, encore moins la maison de Justice ou de correction, qui n'est en réalité qu'un instrument inévitable de police; c'est le Dépôt (fig. 813 et 814).

Lorsque vous montez les perrons de la place du Harlay, lorsque vous vous arrêtez sur les riches dallages du grand vesti- bule des Cours d'assises, ou des galeries qui joignent ce vesti- bule à la salle des Pas-Perdus, vous doutez-vous du cloaque moral que vous avez sous les pieds? Rien, je crois, n'est plus épouvantable dans tout le Paris invisible que ce Dépôt, lieu de passage de tout ce qui est ramassé sur la voie publique : criminels, vagabonds, ivrognes, fous ou épileptiques, affamés, enfants per- dus. Il y a le quartier des hommes et celui des femmes, qui d'ailleurs n'ont rien à s'envier. Là, on reste peu de temps : le sujet est interrogé et, d'après cet interrogatoire, il est élargi ou envoyé à une maison d'arrêt.

Le Dépôt à Paris est donc incorporé au Palais de Justice : ce n'est pas une nécessité, et, à certains égards, il vaudrait mieux peut-être qu'il fût ailleurs. Mais, vu le grand nombre de ses hôtes, et l'obligation de les interroger promptement ce qui est la fonction du Petit parquet il est évidemment plus commode qu'il soit ainsi à portée immédiate des magistrats.

Le Dépôt étant en quelque sorte une maison d'arrêt, ou tout au moins de détention préventive, son régime est l'isolement. Les locaux des détenus consistent donc en cellules, et en préaux divisés en compartiments restreints. Toutefois, faute de place, il

ÉLÉMENTS DES ÉDIFICES PÉNITENTIAIRES

505

a fallu conserver des salles communes, sorte de hideux dortoirs sous le grand vestibule de la place du Harlay.

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Fïg. 815. Plan du Dépôt, au Palais de Justice Je P;iris.

I, entric principale. -■ 2, premier f^uichet. j, gr«iiii |;iiichet. 4. grcflFe. î. directeur. 6, fouillen». 7, puir- terie. 8, méieciii. <}, cabinet de l'instmction. 10,10, parloirs cellulaires. 1 1,1 1, cellules des prévenus (IioinnicsY 12,12, cellules des prévenus (femmes). ij.lî, cellules pour les «licnis. i-i,M. gardiens. iÇ, ch.lpelle des Sce irs. 16. portoir des jçardiens, 17. salle commune des hommes. 18, salle commune des enfants (fçarçons). 19, s.illc commune des femmes. 20, sullc commune des enfants (filles). 21,21, préaux découverts. -- 32, esc.ilier du directeur. 2}, escalier du grefîlier. 24, escalier des criminels venant des cachot-< el «boultssâut ' au éta^e. 2i,2î, treuils pour monter les gamelles. 26.26. entrée des mtfpstratt. A. bâtiments dépendant d'autres services.

5o6

ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

ÉLÉMENTS DES ÉDIFICES PÉNITENTIAIRES 507

Tout individu amené au Dépôt est tout d'abord conduit à une salle de bains par aspersion ; pendant qu'on le douche ainsi, ses vêtements sont désinfectés dans une étuve à vapeur. Ce ser- vice, installé sous le perron du Harlay, a produit les meilleurs effets.

Vous avez encore entendu parler de l'Infirmerie du Dépôt. C'est un petit quartier séparé, composé de cellules pour les malades trouvés sur la voie publique, que par des raisons quel- conques on n'envoie pas aux hôpitaux : par exemple lorsqu'on peut supposer la simulation dans les cas de folie, épilepsie, alcoo- lisme, ou lorsqu'il y a lieu de vérifier si l'impulsion maladive peut excuser un crime ou un délit, ou tout simplement si l'indi- vidu arrêté est malade ou blessé, par exemple un malfaiteur qui en pratiquant une escalade se sera laissé tomber, ou qui en fai- sant quelque mauvais coup en a lui-même reçu dans la lutte. Il y a enfin le quartier des enfants ramassés dans la rue, souvent incapables de dire ni leur nom ni leur adresse, et qu'on garde' momentanément dans cette sorte de fourrière des épaves perdues.

Tout cela, profondément curieux comme ingéniosité de plan, ne nous livre pas d'éléments bien particuliers. C'est la cellule individuelle qui est ou devrait être l'unique élément du Dépôt. Seulement, comme cela se passe pour vous avec vos loges, on est souvent obligé de les doubler, et cela présente les mêmes inconvénients, soit dit sans vous offenser.

Dans le Dépôt lui-même, les évasions sont peu à craindre, elles pourraient plutôt être tentées pendant les parcours parfois assez longs que les prévenus ont à fiiire pour se rendre à l'instruction. Les précautions les plus minutieuses sont prises pour les empê- cher, et vous pourrez vous en rendre compte par un exemple curieux : c'est la clôture par des grilles de l'escalier dit Escalier de sûreté, qui met en communication le Dépôt avec les étages du

$o8

ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE L ARCHITECTURE

Palais (fig. 813). En général, d'ailleurs, et dans la mesure du pos- sible, les corridors passent les prisonniers sont réservés à cet usage, aussi bien pour qu'une évasion ne puisse être tentée à la faveur d'un encombrement momentané, que pour éviter toute

occasion d'échange de paroles ou de signes avec des étran- gers.

Entre la maison d'arrêt et la maison de justice les diffé- rences sont minimes quant aux éléments. C'est leur fonc- tion qui est différente. Je vais essayer de vous faire saisir cette nuance.

A Paris, Mazas était, et la Santé est en partie une mai- son d'arrêt; la Conciergerie est une maison de justice. En théorie, la maison d'arrêt reçoit des prévenus, la mai- son de justice des accusés. Supposez donc un crime

Fig. 815. Escalier de sûreté du Dépôt, au Palais de Justice de Paris.

commis : le criminel présumé est l'objet d'un mandat d'arrêt : la Santé lui ouvre sa porte. Puis l'instruction se poursuivant, l'affaire passe devant la Chambre des mises en accusation : le prévenu devient alors un accusé. Et comme, à partir du moment il est accusé, les magistrats et surtout le président des assises peuvent avoir constamment besoin de le voir, il est nécessaire qu'il soit à leur disposition. Il émigré alors de la Santé, maison d'arrêt, à la Conciergerie, maison de justice.

ELEMENTS DES EDIFICi;S PENITENTIAIRES 509

Autrement, je le répète, les éléments sont les mômes. Et tandis que la Conciergerie est établie dans les soubassements du Palais de Justice, avec toutes les difficultés inhérentes à cette situation, Mazas avait été construit exprés pour sa destination, et c'est que nous trouverons à leur début les éléments de la maison d'arrêt ou de justice, en d'autres termes de la prison cellulaire.

Vous étes-vous parfois avisés que Mazas était un chef- d'œuvre (fig. 816)? Pour moi, le sujet m'y invitant, je me fais un devoir de proclamer devant vous ma profonde admiration pour cette création, réalisation si parfaite de son programme qu'elle est devenue d'emblée un type, partout ce même programme a été en vigueur. Gilbert, son architecte, n'était un esprit ni vaste, ni surtout libéral. Obstiné, e.xclusif, incapable de grâce ou d'élégance, il avait la droiture qui ne sait pas dévier, la conscience qui ne sait pas fléchir, la sincérité qui ne sait pas déguiser. Droit devant lui, sans autre objectif que son pro- gramme, sans autre souci que les exigences de ce programme, il a fait une œuvre romaine, j'entends de celles que faisaient les Romains dans leurs travaux d'utilité et non de faste. Rappelez- vous ce que je vous disais des plus belles choses de l'architec- ture : cela est ainsi parce que cela ne pouvait pas être autre- ment : de notre temps, personne n'a plus que Gilbert mérité qu'on décernât à son œuvre cet éloge suprême : cela est ainsi parce que cela ne pouvait pas être autrement. Cette prison a été détruite récemment, et ses hôtes transportés à la prison dite de la Santé qui rappelle à beaucoup d'égards, dans sa partie cellu- laire, les dispositions de la prison Mazas. Nous la retrouverons, plus loin avec les maisons de correction.

La maison d'arrêt ou de justice est cellulaire de jour et de nuit. Tout doit être prévu pour qu'un détenu en cellule ne

510

ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

puisse avoir aucune communication avec un autre détenu. La cellule ne sera donc pas seulement isolée pour la vue, il faut

Pignon d'un bâtiment.

Plan des cellules.

Coupe d'un bâtiment.

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Fig. 8i6. Ancienne maison d'arrêt de Mazas. Plan général.

ÉLÉMENTS DES ÉDIFICES PÉNITENTIAIRES 5 II

qu'elle le soit aussi pour l'ouïe. Elle a des gros murs en tous sens, et elle est voûtée. Il s'y trouve tout l'indispensable, elle est chauffée et ventilée, éclairée, pourvue d'un siège d'aisances. Les fenêtres sont élevées et pratiquées comme je l'ai expliqué. Pour la surveillance, il y a des guichets, et aussi des trous coniques dans le mur de fiice : l'œil du gardien, prés d'un trou presque invisible, peut tout voir à cause de l'évasement du cône vers l'intérieur de la cellule.

Les dimensions d'une cellule sont au minimum de 2 mètres X 3 mètres. Le cube d'air exigible est de 14 mètres.

Il y a quelques cellules doubles pour les détenus en surveil- lance ou ayant des idées de suicide.

Naturellement, on cherche à ménager l'espace et la dépense, et par conséquent il y a presque toujours plusieurs étages de cellules, le plus souvent deux. Le couloir central monte alors de fond, et de simples balcons desservent les cellules de l'étage supérieur. Cette disposition fiicilite la surveillance et l'éclairage ainsi que l'aération.

Dans la détention, il doit se trouver les dépendances le détenu peut avoir à aller. Ainsi, le cabinet du juge d'instruc- tion, le parloir spécial aux avocats, le parloir général sont dans la détention : de même la cuisine et divers autres services. Seul le parloir mérite une mention particulière : c'est une pièce d'étendue moyenne, divisée par des grilles en trois parties : une partie pour les visiteurs, puis dans toute la longueur de la pièce, un corridor pour un surveillant; enfin au delà d'une seconde grille des cases pour les détenus, qui ne peuvent ainsi parler aux visiteurs qu'à travers deux grilles trop espacées pour qu'on puisse faire passer quoi que ce soit de l'une à l'autre.

L'Infirmerie consiste également en cellules, un peu plus vastes que les autres, et avec quelques dépendances nécessaires.

12

ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

On a essayé des buanderies et cuisines cellulaires; ce dernier type est réalisé, notamment à Angers, se trouve également un atelier cellulaire (fig. 817). Dans ces prisons, il y a ordinaire-

Fig. 817. Maison d'arrct et de correction d'Angers.

A, entrée. o, a, passage des voitures. B, administration. C, quartier des hommes. D, femmes. E, services généraux. F, infirmerie des femmes. G, nteliers cellulaires dt vannerie. H, services accessoires.

1, concierge. 2, bureau du directeur. 3, gardien-chef. 4. cellules d'arrivée. î, écrou. 6, commission de surveillance. 7, cuisines. 8, parloir (hommes). 9, parloir (femmes). 10, instruction. 11, surveillants. 12, water-closets.

ment une chapelle- école, dite alvéolaire, c'est-à-dire analogue aux ruches. Chaque détenu est placé dans une case strictement suffisante, ouvrant sur la salle qui sert à la fois de chapelle et d'école. Les précautions nécessaires sont prises pour qu'il n'en résulte pas de possibilité de communication et pour que les prévenus ne puissent se voir réciproquement d'une case à une autre. Aussi la disposition demi-circulaire n'est-elle pas bonne ici.

ÉLÉMENTS DES ÉDIFICES PÉNITENTIAIRES

513

Les préaux sont également cellulaires et individuels. Bien entendu, il ne peut pas y en avoir autant que de cellules : les détenus se partagent les heures. On préfère ou du moins on préférait jusqu'à ces derniers temps pour les préau.\ la dispo- sition rayonnante, qui permet à un seul gardien placé au som- met des murs séparatifs, et au centre du rayonnement, de surveiller d'un seul coup d'œil tous les préaux.

Il faut ajouter enfin que dans les mai- sons d'arrêt, il y a souvent aussi des con- damnés à de courtes peines; il peut aussi s'y trouver des accusés si la maison est assez prés du Palais pour pouvoir servir de Conciergerie. Mais cela ne change rien à la composition des éléments : en ce cas une aile est affectée à une catégorie de détenus, c'est la seule différence. Ainsi à Paris, il y a plusieurs prisons dont la popu- lation est mixte prévenus, accusés, con- damnés — telles sont ou étaient Mazas, la Santé, la petite Roquette, Saint-Lazare.

Fig. 8i8. Maison d'arrêt de Sainte-Menehould.

I, porclie. 2, dépdt. j, cuisine.

4, gardien chef. 5, (î''e*^e. 6, surveillants. 7, pompe. 8, bains. 9, cellule de punition.

10, dibarras.

Je vous ai parlé tout de suite de la détention, bien que ce ne soit jamais la première partie du plan, mais parce que c'en est la partie maîtresse, la raison d'être de l'ensemble. La détention nous l'avons vu, est entourée d'un chemin de ronde. En dehors de ce chemin sont les services généraux et relativement publics, bureaux, économat, greffes, corps de garde, habitations, maga- sins divers. Je n'ai rien de particulier à vous en dire.

Mais je dois vous signaler les conditions nécessaires à l'entrée de toute prison.

Éléments et Théorie ie VArcbilectuie. II.

n

514

ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l' ARCHITECTURE

Fig. 819. Prison de Corbeil.

AA, quartier des femmes. B-B, quartier des hommes. C,C, préaux des hommes. F, F, préaux des femmes. D,D, réservé. E,E, cour d'isolement. G, G, chemin de ronde.

H, cour d'entrée.

I, surveillant. 2, cellules d'attente. 3, parloir des femmes.

4, bains des femmes. S* infirmerie des femmes. 6, dépense. 7, laverie. 8, cuisine. 9, bains des hommes.

10, cellules de punition. n, dépotoir. 12, logement du concierge. 13, magasins. 14, parloir des hommes. 15, greffe. i6, juge d'instruction. 17, tisanerie. 18, infirmerie des hommes. 19, cellule d'observation. 20, chambre de gardien.

Sur la rue extérieure, la prison a une porte défendue par un corps de garde et surveillée par un concierge : cette porte s'ouvre fréquem- ment, ou même reste ou- verte pour les allées et venues d'employés, fournisseurs, per- sonnes étrangères allant aux bureaux. Ce n'est pas encore la porte de la détention, mais comme c'est la porte de la prison, elle doit être à l'abri de toute violence par sa soli- dité et par l'efBcacité de la protection armée. Or, cette porte donne ordinairement sur une première cour inté- rieure. Voici la raison de cette disposition exception- nelle.

Qu'ils soient amenés à pied ou en voiture, les déte- nus, dûment escortés, fran- chissent cette première porte, et alors elle est rigoureuse- ment fermée, tant que par suite des opérations d'in- scriptions ou autres le déte- nu n'a pas franchi la porte de la détention. La première porte ne se rouvre que lors-

ÉLÉMENTS DES ÉDIFICES PÉNITENTIAIRES

515

que la seconde est bien définitivement fermée. Entre les deux, il faut donc un espace les voitures puissent se mouvoir, tour- ner sur elles-mêmes pour ressortir par elles sont entrées. C'est ce qui motive cette cour intérieure, véritable écluse entre la voie publique et la détention.

Fig. 8jo Pénitencier du canton de Nenchitel (Suisse). A, administration. C,C, cellules. E, bâtiment d'entrée. P,P, préaux. V, ateliers. JJ, jardinf.

Dans toute cette partie administrative et relativement publique de la prison, il n'y a pas beaucoup à se prémunir contre l'éva- sion, la détention y suffit, et ce n'est qu'au moment de l'arrivée qu'une évasion pourrait être à craindre. Nous venons de voir comment on y obvie. Mais il y a ici une autre crainte, c'est l'hostilité et la violence du dehors. Il ne suffit pas que l'émeute ne puisse pas forcer la porte, si plus loin elle peut entrer par la fenêtre. Il faut donc éviter les ouvertures du côté de la voie

51$

ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

publique, et c'est une considération que vous ne devez pas perdre de vue dans la composition d'un plan de prison. . Les prisons dont je vous ai montré les plans sont des pri- sons grandes ou moyennes. Mais les mêmes principes sont applicables aux petites. Telles, sont, par. exemple, celles, de Sainte-Menehould (fig. 8x8) et de Corbeil (fîg. 819). Et ces principes sont encore les mêmes à l'étranger, comme vous pouvez le voir par le croquis (fig. 820) de la prison de Neuchâtel (Suisse).

La maison d'arrêt se complète à distance par un organisme nécessaire du Palais de Justice,

Fig. 821. Le petit Dépôt du Palais de Justice, à Paris.

le petit dépôt (fig. 821), ou dépôt momentané. La Conciergerie est réservée aux accusés de crimes ou de délits pouvant motiver des interrogatoires plus ou moins fréquents, des comparutions successives. Mais il y a la très nombreuse catégorie des flagrants délits, rapidement expédiés. Ici, les accusés amenés de la maison d'arrêt pour l'audience, n'ont en tout état de cause que quelques heures à passer au Palais de Justice. On les dépose non dans des cellules la cellule supposant le couchage, mais dans des espèces de loges de la grandeur environ d'une petite cabine d'école de natation. A Paris, ces loges, très nombreuses et contiguës les unes aux autres, sont disposées dans le soubasse-

I

ÉLÉMENTS DES ÉDIFICES PÉNITENTIAIRES

517

ment du bâtiment de la Police correctionnelle, ouvrant toutes sur un couloir de surveillance, lequel aboutit à des escaliers communiquant aux salles d'audience.

Comme vous le voyez, entre le Palais de Justice et la maison d'arrêt, les relations sont fréquentes. S'il n'est pas indispensable, comme pour la maison de justice (Conciergerie) qu'il y ait connexité matérielle de bâtiments, il est utile cependant que la distance soit minime. La distance en effet coûte pour les trans- ports, est gênante pour les magistrats et les avocats, et c'est pendant les transports que les évasions sont le plus à craindre. Aussi est-ce une composition très logique que celle qui place la maison d'arrêt près du Palais de Justice, parfois de l'autre côté d'une voie publique, avec un pont de jonction : composition qui, en outre, a eu la bonne fortune de motiver le Pont des Soupirs de Venise !

I

CHAPITRE VII

ÉLÉMENTS DE L'ARCHITECTURE PÉNITENTIAIRE

(Suite.)

SOMMAIRE. Les maisons de correction. Maisons centrales, de

correction et de force. Détention cellulaire mixte ou système dit d'Aubum; détention en

commun cellules dortoirs ateliers préaux cachots. Colonies ou Écoles de réforme. Mesures et surfaces.

Si je me suis bien fait comprendre, vous avez vu que tout ce qui précède vise celui qui sous la qualification d'inculpé, de pré- venu ou d'accusé est soupçonné d'un délit ou d'un crime, mais qui légalement est présumé innocent tant qu'il n'a pas subi de ce chef une condamnation. Le séjour dans la maison d'arrêt ne s'inscrit pas sur le casier judiciaire; si le détenu en sort soit par suite d'une ordonnance de non lieu, soit par un acquittement, il peut oublier ce séjour forcé, et la société doit l'oublier. Exproprié temporairement de sa liberté pour cause d'utilité publique, le détenu est placé dans une maison d'isolement, analogue à ce que nous trouverons dans les hôpitaux avec les pavillons d'isole- ment. Q.u'il soit isolé en effet, cela est nécessaire et cela est suffisant aussi; cet isolement est le programme même de la maison d'arrêt ou de la maison de justice.

Mais voilà que l'accusé est devenu le condamné. Il n'a plus

520 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE L ARCHITECTURE

rien à faire au Palais de Justice ni à l'instruction, il n'a plus qu'à subir sa peine. Il échange donc la maison d'arrêt ou de Justice contre la maison de correction, que celle-ci soit la simple prison ou la maison centrale, ou même une portion seulement d'un tout, comme à la Santé, réunion de maison d'arrêt et de maison de correction (fig. 822). Entre ces catégories de prisons, les différences pourront bien être plus théoriques que matérielles; et le criminaliste le plus expérimenté serait souvent embarrassé s'il lui fallait dire, à la simple vue du plan, s'il se trouve en pré- sence de l'un ou de l'autre de ces établissements. Mais il est nécessaire de connaître ces différences de programmes, c'est la clef de tout ce qui va maintenant se rapporter à l'étude des mai- sons de correction.

Il y a dans les prisons une certaine hiérarchie. Les maisons de correction sont construites pour recevoir les condamnés majeurs, c'est-à-dire, au point de vue pénal, ayant atteint seize ans. Les peines d'un an et moins sont subies dans les prisons départementales; les peines de plus d'un an, dans les maisons centrales. La loi prévoit deux sortes de maisons centrales : la maison centrale de correction pour les condamnés à l'emprisonne- ment ; et la maison centrale de force pour les condamnés à la réclu- sion. Mais, en fait, il n'y a pas de différences entre les unes et les autres, et cette distinction est par conséquent sans objet pour vous.

Quant aux enfants, on les envoie autant que possible dans des établissements agricoles, tels que Mettray ou Chiavari en Corse.

Enfin, un phénomène assez fréquent est le condamné deve- nant fou. La folie chez l'accusé lui évite la condamnation, mais la folie chez le condamné ne l'exonère pas de la peine restant à subir. Il a donc fallu pourvoir à cette éventualité par la création de quartiers d'aliénés dans certaines maisons centrales (notam-

Fig. 823. Prison de la Santé, k Paris.

, entrée. 2, i" gaichet. J, cour, 4, attente. $, corps de garde pour $0 hommes. 6, offider. guichet. 8, eicalier communiquant en sous-sol au quartier des condamnés. 10, cabinet pour la fouille. II, literie des gardiens. 12, prêtre. 13, juges d'instruction et commissaires de police. 14, greffe et avant •greffe.

IS, directeur. 16, dépôt cfUuIaire pour les arrivants. 17, dépôt commun pour les condamnés arrivants. 18, w.-c. 19, escaliers de logements. 20, 21, 22, cuisine et dépendances. aj, escalier des caves et magasins. 34, mobilier, vestiaire, etc.. - 25. remise. 26, morts. 27, soufrerie. 28, passage couvert conduisant au quartier des prévenus. 29, guicliet d'entrée. 30, cantine. 31, avocats. 32, vestiaire. 33, parloir cellulaire. 34, guichet central avec autel au-dessus. JS, cellules des prévenu». 36, escalier desservant par un balcon les étages supérieurs. 37, enlèvement des fosses mobiles. - 38, préau avec guichet de surveillance et w.-c. 39. grand esca- lier. — 40, grand vestibule du quartier des condamnés servant de nef au moment des offices. 41, escalier des tribunes.

42, escalier de l'infirmerie située aux étages supérieurs. 43 . bains des condamnés. 44, guichet d'entrée des co»- damnés. 4S, escalier de service. 46, culte israélite. 47, barbier. 48, fourneaux et réservoirs des bains. 49, oratoire protestant. ^o, bibliothèque. St. escalier desservant te quartier des condamnés. %i, réfectoire,

ftromeooir, cnaufFoir. 53, vestibale. 54, guichet d'angle pou- la surveillance. 55, escalier des dortoirs cellu aires. ;6, communication couverte. $7, vasque avec robinet. •yS, atelier. jq, trappes des caves des ateliers.

60, préau (découvert.

522 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE L ARCHITECTURE

ment à Gaillon). Bien entendu, cela ressemble de tous points aux asiles d'aliénés, dont j'aurai à vous parler à propos de l'architecture hospitalière.

Les maisons de correction présentent toujours la division générale expliquée plus haut : les services généraux accessibles au public, et la détention avec son unique porte d'entrée. Tou- ours aussi la cour d'entrée, comme nous l'avons vu dans les maisons d'arrêt.

Ces prisons relèvent de trois systèmes :

La prison cellulaire, de jour et de nuit;

La prison mixte, du système dit d'Auburn, avec des locaux en commun pour le travail de jour, et l'isolement de nuit ;

Les prisons tout est en commun, de jour et de nuit. Ce système est condamné, et n'existe plus que par suite de diffi- cultés budgétaires.

Le système complètement cellulaire n'est admis que pour les prisons départementales, le condamné subit au plus une année d'emprisonnement. Les condamnés de cette catégorie ont le droit de réclamer l'emprisonnement cellulaire, et la durée de la peine est alors réduite d'un quart. Les éléments en sont ceux que nous avons vus pour la maison cellulaire d'arrêt.

Nous nous trouvons donc reportés aux maisons cellulaires, mais avec addition de locaux pour le travail en commun. Sur une échelle plus ou moins grande, c'est d'une façon presque constante la composition de la maison de correction, dont la prison de la Santé est un exemple remarquable. Là, vous remar- querez que, comme dans l'ancienne prison Mazas, purement cellulaire, la disposition rayonnante a été maintenue pour toute la partie d'habitation, et aussi pour les préaux découverts. A l'époque cette prison fut construite, on n'admettait pas d'autre conception.

ÉLÉMENTS DE l'aRCHITECTURE PÉNITENTIAIRE

523

Depuis, les idées paraissent s'être modifiées, car dans la prison plus moderne de Fresnes (fig. 823 et 824), le parti rayonnant a fait place à une disposition par bâtiments parallèles; les préaux

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Fig. 823. Prison de Fresnes. Plan partiel du rez-de-chaussie.

eux-mêmes sont contigus les uns aux autres dans un long rec- tangle, et la surveillance de ces préaux se fait non plus d'un poste central, mais par la promenade des gardiens sur un mur recti- ligne qui domine les préaux. Vous sentez bien qu'en pareille

524

ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

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Fig. 824. Coupe d'un bâtiment de détenus à la prison de Fresnes.

ÉLÉMENTS DE L ARCHITECTURE PÉNITENTIAIRE

525

matière surtout le choix du parti n'appartient pas à l'architecte; c'est dans des conseils autorisés que se décident ces questions et que s'établit le programme à imposer à l'architecte. Lorsqu'on aura de nouveau à construire une prison de cette importance, que décidera-t-on, système rayonnant ou système parallèle ? Je l'ignore : l'essentiel est que l'architecte soit apte à bien étudier

Fig. 82;. Maison centrale de Rennes. Plan du rez-de-chaussée.

l'un ou l'autre suivant les instructions qu'il recevra.

Mais c'est surtout dans les maisons centrales que nous avons à étudier d'autres éléments.

11 y a en France une quinzaine de maisons centrales; trois sont réservées aux femmes, à Clermont, Montpellier et Rennes (fig. 825 et 826). Dans toutes ces prisons, le condamné doit travailler, et le plus souvent le travail est affermé à un entre- preneur. Une maison centrale reçoit de 400 à 700 prisonniers.

526

ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

Je n'ai rien de particulier à vous dire des services généraux, ce sont des bureaux, des magasins, des logements. . Les ateliers sont affectés à des travaux très divers : voici une indication, encore incomplète, des principaux travaux qu'on y fait : lits en fer et sommiers, lainages communs, chaussures, coutellerie, chaises, paillassons, balais, brosses, parapluies, cou-

Fig. 826. Maison centrale de Rennes. Plan du i" étage.

ronnes de perles, ouvrages divers d'imitation, corsets, chaus- sons, sabots, etc. Les atehers ne doivent pas contenir plus de 40 à 50 détenus.

En général, ils sont au rez-de-chaussée; naturellement ils doivent être aussi clairs que possible, mais sous la réserve des précautions que je vous ai expliquées pour que le prisonnier ne puisse communiquer avec personne par les fenêtres. Dans chaque atelier, il y a un bureau fermé pour le contremaître libre. Par-

ÉLÉMENTS DE l'aRCHITECTURE PÉNITENTIAIRE 527

fois la nature du travail exige l'installation de force motrice : ainsi, à Mclun, il existe une imprimerie administrative fort importante.

Les réfectoires et cuisines ne présentent pas de particularités.

La buanderie comprend le lavoir, les lessiveuses, essoreuses, séchoirs; une salle de raccommodage, la salle de cardage des matelas, et une étuve à désinfection. Tout cela, si ce sont les détenus qui doivent y travailler, par exemple à la cuisine, sera entouré des mêmes précautions pour éviter toute possibilité de communication soit entre eux, soit avec le dehors.

Il faut aussi un vestiaire des effets civils retirés au condamné à son arrivée, et qui lui sont rendus à sa libération.

Les bains sont donnés par aspersion. C'est ce que nous avons vu en parlant du Dépôt.

Les dortoirs ont à réaliser le problème de l'isolement, sans recourir à la cellule proprement dite, trop coûteuse. Pour cela on constitue dans une grande salle, analogue à un dortoir ordi- naire, des cases fermées, séparées les unes des autres par des cloisons pleines, et dont les faces antérieure et postérieure ainsi que le plafond sont grillés. L'air pénètre ainsi dans ces cages, faciles d'ailleurs à surveiller; c'est en réalité un lit dans une boîte grillagée, avec une petite porte d'introduction. Un pro- blème toujours à l'étude pour ces cases est la recherche d'un système qui permette de les ouvrir toutes à la fois dans le cas d'incendie; cette éventualité est toujours à craindre, car l'incendie volontaire est souvent envisagé par le prisonnier comme une chance possible d'évasion.

Un même dortoir peut recevoir 50 de ces hôtes : le cube d'air exigible est de 14 '"' par prisonnier.

La détention se complète par une chapelle assez restreinte, et une infirmerie en deux sections, l'une pour les gardiens, l'autre pour les détenus, sans particularités spéciales.

528 ÉLÉMENTS ET THÉORIE HE l'aRCHITECTURE

Enfin, dans la prison même, il y a une sorte de nec plus ultra de l'emprisonnement : ce sont des locaux de punition. En dehors des crimes, passibles des tribunaux ou de la Cour d'assises, vous supposez bien que le personnel, peu résigné, est toujours prêt à l'indiscipline et à l'insubordination; il faut que ces écarts soient réprimés. Il y a donc dans la détention une salle nommée Pré- toire, où siège un Conseil de discipline, composé du Directeur, du contrôleur, du greffier et du gardien-chef. Les prisonniers punis sont envoyés à la salle de discipline; ils s'y promènent à la file pendant cinq minutes, puis pendant cinq minutes s'asseyent sur des dés en pierre scellés et espacés, pour recommencer la marche et ainsi de suite. Le gardien surveillant est placé dans une loge grillée qui domine la salle.

Si la faute est grave, le détenu est envoyé au Quartier de puni- tion. Ici, le système cellulaire, de jour et de nuit, est de rigueur, avec de petits préaux individuels. Les cellules peuvent être ren- dues obscures par des volets de tôle, et quelques-unes sont pourvues de doubles grilles. Le quartier de punition a sa porte spéciale, son chemin de ronde : c'est une prison dans la prison, qui d'ailleurs en plan ressemble à un quartier de prison cellulaire, sauf que les cellules y sont plus restreintes. Le plan de l'impor- tante maison d'arrêt et de correction de Saint-Etienne (fig. 827) vous rendra compte de cette disposition.

Quant aux préaux communs, ils sont plus vastes que dans la prison cellulaire, mais cependant assez restreints pour ne pas recevoir un grand nombre de détenus à la fois. On ne dépasse guère une quarantaine, en les obligeant à la marche continue dans le même sens. Il n'y a que des préaux découverts, séparés par des murs, avec des urinoirs et cabinets d'aisances. C'est dans les préaux surtout qu'on s'attache à rendre impossibles les grou- pements, prélude ordinaire de la révolte.

Allons un peu prendre l'air!

ÉLÉMENTS DE LARCHITHCTURE PÉNITENTIAIRE

529

La Colonie n'est pas une prison. Elle est peuplée par les mineurs, qui sont réputés en raison de leur jeune âge avoir agi sans discernement : il s'y trouve même des enfants de six à douze ans; le quartier qui les reçoit prend le nom d'École de Réforme.

û s iO^

Fig. 827. Prison de Saint-Étienne.

I, corps de K^rde. 2, logement du gjrdicn. 3, logement du concierge. 4, parloir des femmes. 5, gardien. 6, entreprise. 7, prétoire. 8. greffe. 9, commission de surveillance. 10. archives. II, porte. 12, par- loir des lionimcs. 13. bains des hommes. 14. bains des femmes. IJ, cour des chaudières. 16, cellules des arrivants. 17, cellules des punitions. 18, cellule double. 19, buanderie. 20, rarveillant.

Dans la colonie tout est ouvert, les enfants jouent et travaillent en plein air ou dans des salles communes. En réalité, c'est un établissement d'instruction, sorte d'école industrielle ou agricole. Pour les dortoirs seulement, on prend des précautions plus grandes que dans un pensionnat ordinaire; Je système est ici celui des cases grillées.

Les colonies sont agricoles ou industrielles. Dans le premier

hlimenls et Théorie de VArcbiUcture, II. J4

530 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE L ARCHITECTURE

cas, elles comportent une ferme avec toutes ses dépendances, suivant la nature des cultures du pays; dans le second cas, elles comprennent des ateliers d'apprentissage de métiers manuels divers pour les garçons, et principalement de couture pour les filles. Il n'y a dans tout cela aucun élément particulier à vous signaler, sauf toutefois la pensée morale qui a dirigé la composition de ces établissements, dont la colonie agri- cole de Mettray (fig. 828) reste sans doute le type le plus intéressant.

Les enfants qui travaillent ont commis quelque faute, ou sont simplement des abandonnés. Mais, fautifs ou non, ce ne sont pas des coupables. Malheureusement, c'est souvent pire, ce sont des vicieux. Il faut les amender par une culture graduelle des bonnes qualités, et par l'oubli des origines. La détention est inévitable, mais il faut qu'elle soit presque invisible ; si un quar- tier de punition est nécessaire, il doit être dissimulé; si la clô- ture doit être effective, elle ne doit pas être apparente. L'habitation même sera mieux si on peut la répartir en pavillons au besoin pittoresques, plutôt qu'en grands bâtiments accusant la prison. L'architecte doit être le collaborateur de l'éducateur : son pro- gramme est ici non plus la répression mais la cure morale et l'éducation, qui commencée dans la colonie se terminera au régiment.

Un sujet non moins triste, c'est le Dépôt de mendicité, asile des vieillards les plus misérables, mais aussi et surtout réceptacle de toutes les scories du vagabondage. Aussi ces établissements relèvent encore plus des services pénitentiaires que des services hospitaliers. Il s'y trouve en général, soit pour les deux sexes, soit pour un seul, un quartier des hospitalisés libres, et une détention pour ceux qui y restent enfermés. Sans doute, la déten- tion n'a pas besoin d'être entourée des mêmes précautions que

ÉLÉMENTS DE L ARCHITECTURE PÉNITENTIAIRE

531

ri"""!

Fig. 828. Colonie pénitentiaire Ue Mcttray.

1,1, Miiments d'administration. 2.2, maii^ons de coloi s divisés p.ir familles. }. aumônerie. 4, cellules de disci* plinc. i, réfectoire des fonctionnaires. 6. claisc. Au-dcwus, logements des employés. 7, églis . 8. quar- tier de punition. -- 9, galerie d'exoosition des produits de la colonie. 10, fermier. 11, Uùeries. li.iî, écu- ries. — i3iM. vacheries. 14, porcherie. ij, dépendances. 16, magasins. 17 17, Utrincs. iS, gar4c de nuit.

5j2 ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

dans la maison centrale; mais enfin, avec quelques nuances, le programme est assez analogue; d'autant plus que là, comme dans la prison proprement dite, on s'efforce de demander au tra- vail la cure des misères qui sont dues le plus souvent à la paresse. Je n'ai donc pas grand'chose à vous signaler comme éléments spéciaux, et je me bornerai à mettre sous vos yeux le plan du plus important de ces établissements, la Maison de répression de Nanterre (fig. 829), et à vous signaler, non au point de vue du programme mais pour la beauté de ce qui reste de son ancienne architecture, le Dépôt de Villers-Cottcrets, château de François I'-""', devenu l'asile des mendiants endurcis. Hahent sua fata

Voilà, dans ses éléments, l'architecture pénitentiaire. Elle est vous le voyez très compliquée, et de plus elle se présente à vous avec une difficulté spéciale : vous ne la connaissez aucunement. Lorsque vous vous exercez sur un programme d'habitation, ou d'enseignement, ou d'architecture administrative, judiciaire, reli- gieuse, vous n'êtes pas sans connaître un peu ce dont il s'agit. La prison, vous ne la connaissez pas, vous n'y êtes jamais entré, et je suis convaincu que je viens de traiter devant vous un sujet inconnu. Pour être complet, il faudrait tout un volume, et une compétence spéciale : ce n'est pas ce que nous cherchons : le cas échéant, lorsque quelqu'un de vous aura à construire une prison, il devra à coup sûr chercher plus loin que ces indications générales. 11 trouvera des monographies, toute une bibhothèque spéciale. Surtout, avec les permissions requises, il ira visiter les établissements, interroger, se renseigner. Mais cela, c'est la fin de l'étude; le début, l'avant- projet, voilà ce qui peut et doit se faire avec l'aide du bon sens et d'une notion suffisamment juste des besoins particuliers du programme : et voilà ce que je cherche à vous mettre en état de faire.

liLÉMENTS DE l'aRCHITECTURE PÉNITENTIAIRE

535

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Fîg. 829. Maison de répression de Nanierre. Plan général.

.1, Administration. 3,2, cuisine et dépendances. 3, chapelle. 1, communauté. s,^, détcops hommes (dor- toirs et ateliers). ^.6. ditenues fcmme^ (dortoirs et ateliers). ''n nu-rie. -- 8, service de» mort^.

534 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l'aRCHITECTURE

Mais n'est-ce pas le cas de vous faire remarquer la variété de nos études, variété profonde et qui serait décourageante si nous n'étions pas toujours guidés par ces mêmes principes de vérité, qui sont la caution de nos efforts et la condition du caractère dans nos œuvres ? Nous voilà bien loin, certes, des éléments de l'habitation libre, privée ou collective; loin des somptuosités de Versailles ou de Fontainebleau, des élégances de Trianon; loin de tout ce que nous avons déjà vu, et de ce que nous verrons par la suite. Est-ce moins intéressant? Non. Gardons-nous de dédaigner aucun programme : toujours l'artiste peut mettre en œuvre ses qualités les plus précieuses, pourvu qu'il accepte fran- chement et loyalement son programme, qu'il ne cherche pas à ruser ou à transiger avec lui; pourvu que, mis en face par exemple d'un programme de prison cellulaire, il l'aborde avec toute la sincérité de Gilbert, serviteur dévoué de l'idée qu'il réa- lisait, et récompensé par la création d'un type.

Avant de quitter ce sujet, je désire vous donner à titre de renseignements quelques indications matérielles de mesures. Mais je ne puis les prendre que dans les maisons cellulaires, qui seules ont des éléments à peu prés constants. Dans les maisons centrales au contraire les dimensions varient du tout au tout suivant une foule de circonstances, et surtout en raison du nombre des détenus.

Les données du tableau suivant sont empruntées à la publi- cation de M. Louvard, Les nouvelles Prisons du Régime cellulaire. Vous y trouverez l'indication de ce qui s'est fait le plus récem- ment, et par conséquent l'état même de la question.

ÉLÉMENTS DE l'aRCHITECURE PÉNITENTIAIRE

535

Angers

Besançon

Bourges

Chaumont

Corbeil

Pontoisc

Saint-Etienne . . . .

Sainte-Menehould.

Tours

Versailles

Neuchàtel (Suisse)

murs d'enceinte

4"'oo 3 à 7.0 6.00 6.00 6.00 6.00

6.00

5.20 6.00 6.00

4.80

CELLULES longueur et Largeur

4.00 X 2.25

4.00 X 2.50

4 00 X 2. 50

4.00 X 2.50

4.00 X 2.}o

4.00 X 2.50

20 X 3 . 00

00 X 2.50

}.6o X 2.00

4.00 X 2.00

4.00 X 2.00

j 5.75 X Ï.16 î-96

)::

.96 X 2.40

CELLULES

hauteur

poo

« 3.00 5.00

3.05 3.50 3.00

3-75

»

2.90 3.00 2.85

SUKFACE

des pr^uz cellolaires

Variable 48*00 environ 50"oo 24 "00 6o"oo 27 i 30" 00

44 "00 en moyenne

30 et 45 "00

Variable

30 "00 en moyenne

?

LIVRE IX

LES

ÉLÉMENTS DE LA COMPOSITION

DANS

LES EDIFICES HOSPITALIERS

CHAPITRE PREMIER ÉLÉMENTS DE L'ARCHITECTURE HOSPITALIÈRE

SOMMAIRE. Exposé général. Différence entre l'hospice et l'hô- pital. — Hôpitaux généraux ou spéciaux. Programme général. Idées hospitalières d'autrefois et d'aujourd'hui.

Grandes divisions : Services des malades. Services généraux. Administration. Service des morts. Consultations.

C'est un bien vaste sujet que nous allons aborder, et des volumes ne suffiraient pas à le traiter complètement. Je ne vous en parlerai d'ailleurs que dans ses particularités, en cherchant à vous bien faire comprendre le sens propre que prend chaque mot de la langue générale lorsqu'il s'applique à l'hôpital ; en un mot à présiser les éléments constants de sa composition. Mais par réciprocité, si vous ne pouvez composer un hôpital sans con- naître les éléments de sa composition, vous ne pouvez non plus vous faire une idée juste de ces éléments si vous n'entrevoyez pas d'abord la pensée directrice de cette composition.

Et d'abord, je vous rappellerai que je vous ai déjà parlé de l'hospice, en traitant des éléments de l'habitation collective. Autre chose est l'hospice, autre chose est l'hôpital, et vous vous exposeriez à des malentendus continuels si vous méconnaissiez cette distinction. Beaucoup de personnes emploient les deux mots indistinctement : c'est une erreur complète. L'hospice est l'asile

540 ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

vivent des infirmes, des vieillards; le plus souvent on y entre pour toute la vie, et pour y entrer point n'est besoin de justifier de maladies, "^sauf dans le cas d'hospices spéciaux, tels que les maisons d'Incurables. Mais alors c'est la maladie chronique, et non la maladie passagère, la maladie aiguë.

L'hôpital au contraire est fait pour soigner temporairement et guérir s'il se peut la maladie aiguë maladie ou blessure. C'est un séjour passager, une maison de traitement médical ou chirur- gical, d'où l'on sort mort ou guéri. Dans les hôpitaux, une grande préoccupation est de se garer des chroniques, qui détien- draient pendant longtemps une place désirable pour plusieurs malades successifs.

Si la maladie aiguë, qui a fait admettre le malade à l'hôpital, se convertit en maladie chronique, il doit quitter l'hôpital pour l'hospice; si le pensionnaire de l'hospice est atteint d'une mala- die aiguë, qui ne puisse être soignée dans l'infirmerie petit hôpital dans l'hospice il doit être transporté à l'hôpital; et s'il en sort guéri, de l'hôpital il rentrera à l'hospice, comme d'autres rentrent à leur maison.

Vous voyez donc qu'hospice et hôpital ne sont nullement synonymes, et vous voyez ce qu'il faut comprendre par hôpital.

L'hôpital est d'ailleurs général ou spécial. Pour l'étude des éléments cela importe peu. Il est urbain ou sub-urbain : à la campagne, il peut être dans de meilleures conditions hygiéniques à tous points de vue; mais cette situation n'est pas toujours possible, loin de là, car il faut que l'hôpital soit prés du malade, et ajoutons prés du médecin. Dans une petite ville, en contact immédiat avec la campagne, l'hôphal peut n'être pas dans l'en- ceinte de la ville : à Paris et dans les villes importantes, il faut des hôpitaux répartis à proximité des divers quartiers.

Cela d'ailleurs ne change guère ses éléments qui restent à peu

ÉLÉMENTS Dli LARCHlTECTURli HOSPITALIÈRE 54I

près les mêmes, et qui ne peuvent guère varier. Je ne sais si l'hôpital sera dans vingt ans ce qu'il est aujourd'hui, mais s'il peut devenir tout autre, son programme sera toujours à peu prés inflexible. A chaque époque, le programme de l'hôpital, c'est l'état de la science médicale.

L'hôpital en effet n'a qu'un seul but : chercher à guérir, et tout doit y concourir. L'architecte y doit travailler, comme le médecin, et non moins efficacement : car, si la science a fait de notables progrés dans le traitement des maladies, il est certain que les conditions d'habitation du malade se sont également amé- liorées, et qui sait si les dispositions défectueuses des anciens hôpitaux ne faisaient pas autant de victimes que l'empirisme médical ?

Le programme est donc moderne, constamment re-modernisé. L'hôpital parfait il y a vingt ans est arriéré aujourd'hui; l'hôpi- tal parfait aujourd'hui sera arriéré dans vingt ans. Une décou- verte médicale ou physiologique suffit à mettre à néant tous les résultats acquis. Dois-je donc conclure que l'étude d'un élément aussi variable doive échapper à cet enseignement ? Nullement : nous verrons l'on en est aujourd'hui, et si vous arrivez à bien comprendre ce qui se foit, à bien raisonner ce que vous pouvez faire maintenant, vous serez au besoin les hommes du progrés de demain.

Mais à une condition : c'est que vous vous pénétriez bien de la pensée supérieure de tout programme d'hôpital : guérir. Com- modité, aspect, pittoresque, tout passe après cela. Pas de résis- tances sourdes aux exigences du traitement : au besoin, abnéga- tion dévouée, voilà le rôle vrai de l'architecte. Il en est récom- pensé d'ailleurs, car c'est ainsi qu'il peut réaliser une œuvre durable et sérieuse. Et ici plus que partout ailleurs, l'économie

542 ELEMENTS ET THÉORIE DE L ARCHITECTURE

est sacrée, car si pour la même somme on peut assurer quelques lits de plus, c'est l'impuissance finale de l'assistance publique diminuée d'autant. Mais l'économie ne doit pas être cherchée au détriment de l'hygiène : une économie sur l'ornementation d'une façade est une vertu; une économie sur le cube d'air des malades serait un crime.

L'hôpital est fait pour le malade, voilà ce qu'il ne faut jamais perdre de vue.

En dépit de tous les efforts, il subsiste dans les masses popu- laires une horreur instinctive de l'hôpital. C'est irraisonné, injus- tifiable, et cependant cela s'explique par une tradition héréditaire de répugnances accumulées : l'hôpital est la maison l'on souffre, et par un illogisme injuste mais fréquent, il subit l'im- popularité qui devrait s'attacher seulement à la maladie et aussi aux excès qui en sont la cause. Je crois pourtant que cette répu- gnance diminue et qu'elle s'éteindra peut-être : vous pouvez beaucoup pour cela. Au triste hôpital du passé celui de la Pitié par exemple substituez l'hôpital, sinon aimable, au moins acceptable. La gaieté d'un hôpital, si ces deux mots pouvaient s'accoupler, est un facteur sérieux dans le traitement des mala- dies. Conception toute moderne aussi de ce sujet.

L'hôpital des anciens temps était en effet plus effrayant. Sans remonter jusqu'à l'antiquité, qui avait bien quelque chose d'ana- logue à nos hôpitaux, mais que nous connaissons trop mal pour en parler, le Moyen-âge, la Renaissance, les derniers siècles nous ont laissé de belles oeuvres, parfois très intéressantes comme architecture. L'hôpital de Beaune, celui de Venise (fig. 830), celui de Milan (fig. 831), à Paris l'hôpital Saint-Louis, d'autres encore ont une valeur artistique très réelle, remarquable même. Dans leur conception, on voit parfaitement l'idée directrice :

ELEMENTS DE L ARCHITECTURE HOSPITALIERE

543

mais elle était autre que maintenant : c'était la pitié chrétienne, la charité. On fondait un hôpital par commisération des mal- heureux, mais plutôt comme un asile que comme un lieu de traitement. On aidait le misérable à mourir un peu plus douce-

Fig. 850. Hôpital civil de Venise.

ment, on le préparait aune mort édifiante ou au moins résignée; on n'espérait guère le salut du corps, on s'attachait surtout au salut de l'âme. L'hôpital étant d'ailleurs presque toujours une œuvre religieuse, cette préoccupation de la mort prenait la pre- mière place, l'hygiène venait ensuite.

.544

ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

Ajoutons d'ailleurs que parfois l'hôpital était une occasion de se débarrasser des malades, notamment dans les cas contagieux : le malade était alors porté à l'hôpital non pour lui, mais pour rassurer les autres.

Mais enfin, ne prenons que l'hypothèse la plus avouable :

Fig, 831. Hôpital de Milan,

l'hôpital élevé par la charité chrétienne qui seule d'ailleurs pouvait l'élever au Moyen-âge. Eh bien, voyez dans votre cour du Mûrier la reproduction de la belle frise extérieure de l'hôpital de Pistoia (fig. 832). C'est la glorification de la charité, et ses actes sont traduits avec un sentiment très profond. Or, aujourd'hui, on se garderait bien de sculpter sur la façade d'un hôpital ces scènes de souffrance. On éviterait les peintures, par- fois remarquables, qui dans certaines salles d'hôpitaux montraient des mourants résignés, ou des scènes de nature à impressionner l'imagination des malades.

ELEMENTS DE L ARCHITECTURE HOSPITALIERE

545

11 ne faut donc pas juger les anciens hôpitaux avec nos idées modernes, ni réciproquement : l'objectif n'est plus le même. L'hôpital moderne est un instrument de thérapeutique, et n'est que cela. Il admet l'intervention des facteurs moraux, en tant qu'ils peuvent concourir à la guérison. L'hôpital ancien disait aux malades : « Détachez- vous de ce monde vous ne rentrerez probablement pas, et préparez-vous à l'autre. » L'hôpital moderne lui suggère : « Vous êtes ici pour guérir, c'est un moment à

Fig. 831. Façade de l'hôpital de Pistoia.

passer, nous vous rendrons aux vôtres qui vous attendent avec confiance. »

Mais la pénétration des idées est lente, et dans les imagina- tions populaires, l'hôpital est toujours le lieu commun de la mort, et non le laboratoire de la santé. L'hôpital ancien, qui, il fiiut le dire d'ailleurs, se perpétue malheureusement encore, reste le type toujours redouté. Cet insuccès provisoire de l'idée de progrès n'a pas arrêté les hommes convaincus, elle ne vous arrêtera pas davantage. L'architecture peut ici beaucoup : ne faites pas, sous prétexte de caractère, des bâtiments inhospita- liers : si un architecte fait quelque jour un hôpital le malade se sente heureux d'entrer il aura fait un chef-d'œuvre.

ÊUinenls et Théorie de l'Architecture. 11. J5

546 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE LARCHITECTURE

Voilà donc, pendant des siècles, une réalisation d'un pro- gramme qui semblerait devoir se perpétuer sans changement, et qui cependant est inconciliable avec les exigences actuelles de ce pro- gramme. Aussi ai-je pu à ce sujet vous faire voir quelques élé- ments de façades pour vous en signaler la poésie généreuse, mais je ne pouvais vous montrer les plans de ces monuments : ils donneraient un démenti trop flagrant à la théorie moderne de l'hôpital, aux préoccupations actuelles de l'architecture hospita- lière. Au point de vue de la théorie le programme d'hôpital est un programme rigoureusement moderne.

Rien n'est plus varié que la disposition des hôpitaux. Grands ou petits, ils comprennent presque toujours les mêmes divisions principales. Nous les passerons successivement en revue, en nous attachant à l'hypothèse de l'hôpital complet.

L'hôpital, ai-je dit, est fait pour les malades; ceux-ci sont répartis dans des salles qui sont l'unité administrative et médi- cale : chaque salle est le domaine d'un médecin, et comporte ses dépendances propres, assez nombreuses. On divise les ser- vices de malades entre hommes et femmes, médecine et chirur- gie. Nous verrons plus loin le détail de ces installations com- plexes.

Le service des malades comporte les pavillons d'isolement, les pavillons des grandes opérations, les maternités, les bains et hydrothérapies.

Tout cela est à l'usage des malades hospitalisés. Mais l'hôpi- tal comporte de plus la consultation que l'on étend de plus en plus, afin de laisser le plus possible le malade à la maison, quand son état le permet. La consultation devient, ainsi comprise, une sorte d'externat, le malade trouve non seulement les conseils et ordonnances, mais les soins élémentaires, les remèdes, le pan- sement et les petites opérations.

Tome II

ELEMENTS HT Th

Fig. 835. Hôpita

A, bâtiment de radniinistration.

1,B, pavillons des malades. C, bâtiment des affections contagieuses. D, Maternité. H. cliapt

I, bâtiment de la pharmacie.

I, AKcmriicTURK

P»ge 547

CHINE

11

à Paris. Plan gcncral.

li

»>rvîce des bains (bAtîmcnts élevés d'tin rcz-de-chausséc seulement). G, cuisine et dépendances. H, lingerie et contmanauté. L, service des morts.

ÉLÉMENTS DE l'aRCHITECTURE HOSPITALIÈRE 547

Les services généraux, cuisines, magasins, lingerie, buanderie, etc., etc., constituent dans un grand hôpital un ensemble très important, que je ne fais qu'indiquer quant à présent.

Tout cela est régi par Y Administration, groupe de bureaux et de logements, auquel on peut rattacher la pharmacie et les habi- tations des internes logés.

Enfin, un hôpital se complète par le service des morts.

Parmi les hôpitaux dont la construction est assez récente, je vous signalerai le plan de l'hôpital Tenon (fig. 833). Ce n'est pas que ce plan soit idéal il n'y en a pas de tel et on y voit bien les sacrifices qu'il a fallu faire à l'économie et à l'in- suffisance de terrain. Mais il vous donnera une idée assez juste de ce qu'est un hôpital complet.

Sans entrer dans le domaine de la composition personnelle, je puis du moins vous dire ce qu'on réclame expressément pour la position de ces divers groupes.

L'Administration doit être à portée immédiate de la voie publique. C'est que doivent se rendre toutes les personnes qui ont affaire à l'hôpital, et qui ne doivent pas pénétrer dans la partie des malades.

Les consultations doivent également être accessibles de la rue. Formant d'ailleurs un ensemble à part, elles peuvent, si le terrain s'y prête, ouvrir sur une rue latérale.

Les services généraux, facilement accessibles pour les trans- ports, doivent être à proximité des bâtiments des malades, notamment pour éviter les longs transports depuis la cuisine. Aussi sont-ils ordinairement placés au centre même de la com- position. Ils ne sont pas d'ailleurs forcément groupés, il est même bon que certains services comme la buanderie ou la désinfection ne soient pas agglomérés avec les autres.

Quant aux malades, la disposition préférée consiste à les

548 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l'aRCHITECTURE

répartir par pavillons, c'est-à-dire par bâtiments isolés. Ces bâti- ments ont le plus souvent un rez-de-chaussée élevé sur soubas- sement et un premier étage. Avant tout, on doit éviter les rencontres de bâtiments avec angles rentrants : il faut que l'air puisse faire le tour du bâtiment des malades; et lorsque par exception, comme à l'Hôtel-Dieu, on n'a pas adopté cette dispo- sition, c'est faute de place et à regret. En réalité, un hôpital doit vous apparaître comme un ensemble de bâtiments isolés, et isolés par de larges espaces, reliés au rez-de-chaussée seulement avec les services généraux par des portiques métalliques très ouverts, garantissant de la pluie, mais n'interceptant pas l'aération. Cela revient à dire que pour tout hôpital il faut un vaste terrain. Sur un terrain trop exigu, il n'y a pas d'ingéniosité qui puisse venir à bout de disposer un bon plan d'hôpital. Entre la surface d'un terrain et le nombre de malades à prévoir, il y a une question de proportion, trop délicate pour pouvoir être chif- frée, mais qui doit précéder l'œuvre même de l'architecte. Ainsi, ce fut une erreur administrative et non architecturale de vouloir sur le terrain de l'Hôtel-Dieu hospitaliser un nombre de malades hors de proportion avec le terrain. Et cet exemple n'est pas le seul : entre les besoins de l'hygiène et les considérations bud- gétaires, politiques parfois, il y a presque toujours conflit. Heu- reux l'architecte si on lui laisse la possibilité de disposer un plan clair, aéré et vraiment hygiénique. Son hôpital sera alors sur des proportions plus ou moins considérables une sorte de cité sanitaire l'air circulera partout, chaque bâtiment pourra être étudié pour lui-même, tout en conservant à la composition générale l'ordre sans lequel il n'y a pas de disposition pratique. C'est la tendance que vous constaterez dans nos édifices hospita- liers modernes.

Et ne croyez pas que ce soit une conception seulement

ÉLÉMENTS DE l'aRCHITECTURE HOSPITALIÈRE

549

française. A l'étranger, les mêmes lois d'hygiène ont conduit à des solutions analogues, ainsi que vous pouvez le voir sur le plan de masse du Grand Hôpital de Hambourg (fig. 834), ou,

Fig. 834. Grand hdpital de Hambourg.

A, administrition. B, administrateur. C, directeurs. D,D, services de chirurgie. E, pavillon des opérations.

F,F, services de médecine. G, bains. H, amphithéllre. I. agités. J, désinfection. K,K, isolement en

temps d'épidémie. L, proviseur. M, cuisine. N, chaudières. ô. buanderie. P,P, économat et magasins.

sur des proportions plus restreintes, mais encore considérables, à l'hôpital Saint-Étienne à Buda-Pesth (fig. 835). A l'étranger comme en France, vous le voyez, c'est la pensée de l'aération qui préside à la composition.

550

ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l'aRCHITECTURE

Fig. 8jî. Hôpital Saint-Étienne à Budapest.

ÉLÉMENTS DE l'aRCHITECTURE HOSPITALIÈRE 55 I

L'orientation des bâtiments de malades lorsqu'elle est libre varie suivant les localités. Comme les salles de malades doivent être toujours éclairées de deux côtés opposés, on cherche surtout à être aéré par les vents régnants. Ainsi, à Paris, on préfère l'exposition des fenêtres à l'est et à l'ouest : par analogie, on doit préférer en Provence celle au sud et au nord.

Lorsqu'il y a des pavillons d'opérations, de contagieux, en un mot des pavillons spéciaux, on cherche à les isoler, en les plaçant de préférence derrière des rideaux d'arbres.

Le service des morts doit être loin des salles, dérobé à la vue des malades. L'entrée et la sortie des convois nécessitent un accès spécial, sur une rue latérale ou postérieure, de sorte que jamais les voitures ou le matériel ni le personnel des pompes funèbres ne puissent être aperçus de l'hôpital.

Tout cela, bien entendu, est subordonné comme place aux exigences du terrain. Mais les conditions ci-dessus sont impé- rieuses; et si un terrain donné ne permet pas l'indépendance des services et l'aération des bâtiments, c'est que ce terrain est trop petit ou impropre pour une raison quelconque à l'établissement d'un hôpital.

Après cette exposition générale, je puis aborder les diverses parties du programme, en commençant par les Pavillons de malades.

CHAPITRE II ÉLÉMENTS DE L'ARCHITECTURE HOSPITALIÈRE

(Suite.)

SOMMAIRE. Salles de malades, services médicaux. Conditions hygiéniques. Dépendances. Salles des services chirurgicaux. Salle d'opérations; dépendances. Pavillon des grandes opérations. Pavillons d'isolement.

Services de maternité : salles de femmes en couches. Salle d'accou- chements; — salles des accouchées. Nourricerie.

Que les pavillons de malades soient du côté des hommes ou des femmes, cela ne fera pas de grandes différences, il y en aura un peu plus selon qu'ils seront médicaux ou chirurgicaux. Voyons d'abord les salles de malades, services médicaux.

L'hygiène, et avant tout l'aération, tel est le point essentiel. La salle des malades est toujours éclairée par des fenêtres sur ses deux longs côtés : les lits sont disposés la tête contre les murs de face, sans rideaux, et à raison ordinairement de deux lits par trumeau. Entre les deux rangées de lits, un espace assez large est nécessaire, car le malade s'essaie à y faire quelques pas, et le service ainsi que la visite du médecin accompagné des étudiants exige de la place. Ces données sont le programme même de la construction. Pour le lit, avec table de nuit et chaise, on demande environ i "> 60 de trumeau; la fenêtre a I 10 ou I 20 de large; chaque travée d'axe en axe des fenêtre sera donc de 2 " 70 à 2 •" 80, lorsque les lits sont isolés.

I

554

ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l' ARCHITECTURE

Les salles ont ordinairement de 8 à 9 mètres de largeur dans œuvre. Leur hauteur est presque invariablement de 5 mètres. D'après les dimensions ci-dessus, le cube d'air par malade varie (lorsqu'il n'y a qu'un lit par trumeau) de 54 à 63 mètres cubes. On considère 70 mètres cubes comme un maximum, 50 comme un minimum. Dans quelques hôpitaux cependant ce minimum n'est pas atteint.

Ainsi que nous l'avons vu plus haut pour les hospices, et avec plus de motifs encore, il vaudrait mieux que dans les

salles de malades il n'y eût qu'un lit par trumeau ; c'est la solution théorique pure. Mais l'économie impose ses exi- gences et dans les services de médecine de la plupart des hôpitaux les lits sont dispo- sés à raison de deux par tru- meau (fig. 83e). On trouve même, dans quelques anciens hôpitaux, des accouplements de deux lits débordant sur les fenêtres, et séparés par une ruelle étroite du groupe voisin; ou encore des Hts disposés sans autre ordre qu'un espacement régu- Her, tantôt devant un trumeau, tantôt devant une fenêtre, tantôt enfin à cheval sur l'un et l'autre. Ce sont des exemples à ne pas suivre.

Avec les lits accouplés, on arrive aux dimensions suivantes : Entre axe des travées : trumeau pour deux lits et un espace entre les deux :

Fig. 836.

Hôpital Beaujon. Salle de médecine avec lits accouplés.

A, office. B, cabinets d'aisances. G, lavabos. D, trémie pour linge sale.

Largeur du trumeau, environ 3

Fenêtre i "^ 10 à i

20

Ensemble 4 •" 10 à 4 "" 20

ÉLÉMENTS DE L ARCHITECTURE HOSPITALIÈRE

555

Si l'on supposait à la salle comme ci-dessus la largeur moyenne de 8 "" 50, et 5 mètres de hauteur, la travée aurait ainsi un cube d'air total de environ 176 mètres cubes, soit pour chaque malade 44 mètres cubes. C'est peu, et cela montre que, dans la disposition avec deux lits par trumeaux, il importe d'augmen- ter autant qu'on le peut les dimensions horizontales : par exemple arriver à 4 "^ 30 d'entre axe et 9 mètres de largeur, ce qui donne environ 48 "^ 500 par malade.

Pour les enfants, les dispositions seront analogues, mais le cube d'air exigé étant moindre, les lits étant d'ailleurs plus courts, la salle pourra être plus étroite, 7 mètres au besoin. Mais si l'on suppose la même hauteur de 5 mètres, et quatre lits d'enfants dans un entre axe de 2 ■" 60 X i •" 10, soit 3 "^ 70, on aura 130 mètres cubes pour quatre malades, soit 32 "^ 5 par tête. C'est trop peu. Aussi cette disposition n'est-elle acceptable que si la salle est assez large pour que sa largeur compense le rapprochement des lits. 11 faut, pour les salles d'enfants, à peu de chose prés, les dimensions suivantes :

Salles avec deux lits par trumeaux. Salles avec un lit par trumeaux..

EKTRE AXF.

LARGEUR

HAUTEUR

CUBE d'air PAR MALADE

;.7o

2.70

9.00 7.00

5.00 5.00

41 .600 4S.OOO

Dans toutes les salles de malades, les croisées monteront aussi haut que possible, non seulement pour l'éclairage, mais aussi pour l'aération, car la partie haute de ces longues croisées sera ouvrante aussi.

Dans l'allège inférieure, qui peut avoir environ i "' 10 à i "'20 de hauteur, il sera pratiqué un châssis d'aération à volet.

Dans ces salles, il ne doit y avoir ni moulures, ni tentures, ni

556 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l' ARCHITECTURE

rien de ce qui peut loger les microbes. On évite même les angles indispensables en les arrondissant, que ce soient des angles de mur et mur, de mur et plafond, de mur et parquet. Des surfaces tout unies, peintes à la céruse ou au goudron, le parquet en chêne passé à la parafine.

Le chauffage se fait ordinairement par calorifère, à eau ou à vapeur. Il doit pouvoir se régler facilement; souvent on installe dans la salle des grands récipients d'eau, qui s'échauffent lente- ment pendant que le chauffage est actif, et qui restituent cette chaleur après que le chauffage a cessé. C'est en effet suffisant pour la nuit, lorsque tous les malades étant couchés il ne reste qu'à parer à un abaissement excessif de température, qui ne serait pas suffisamment combattu par la chaleur du lit.

Mais, de plus, on installe parfois dans les salles de malades des cheminées à feu visible, non pas tant pour le chauffage effectif que pour créer l'illusion du bien-être. On a remarqué en effet que ce coin de feu plaisait fort aux malades, et toute satis- faction donnée aux malades concourt au traitement. .

Il va sans dire que le cube d'air ne suffirait pas sans une ven- tilation sérieuse, qui ne peut pas toujours se faire par les fenêtres. Il faut donc que l'air puisse se renouveler, toutes portes et croisées fermées.

Cette difficulté se présente surtout l'hiver : aussi fait-on con- courir le chauffage à la ventilation. Les surfaces de chauffage, eau ou vapeur, doivent être disposées le long des murs de face : des prises d'air extérieures permettent à l'air du dehors de venir s'échauffer au contact des radiateurs. Il faut donc pour que cet air chaud et pur entre dans la salle lui faire place par l'évacua- tion d'une égale quantité d'air vicié. Les cheminées remplissent admirablement cette fonction. A défaut des cheminées, ou con- curremment, on dispose des gaines d'appel dans le plafond, en

I

ELEMENTS DE L ARCHITECTURE HOSPITALIERE

557

activant l'aspiration par la combustion d'un certain nombre de brûleurs à gaz. Le plus souvent c'est une gaine centrale qui reçoit ainsi un réseau de canalisation de ventilateurs.

L'éclairage nocturne de la salle se fait autant que possible à l'électricité.

Fig. 838. Pavillon de malades i l'Hôpital de Montpellier. Plan du 1" étage,

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Fig. 8î7. Pavillon de malades à l'Hôpital de Montpellier. Plan du rez-de-chaussée.

aa', grande salle. a, vcsiibule. hh\ mitUdes séparés ou payants. Cy médecins. iâ, surveillants. w, tiaane- nes. /, office. g^^ bains. M, watcr-clo«ets et urinoirs. iV, passage. ;/, lavabos. **, trémies aa ling« et aux ordures. //, vestiaire. mm, combustible et calorîtéres.

La salle d'hôpital est ordinairement plafonnée, avec angles arrondis entre les parois verticales et le plafond. On a cependant eu parfois recours à des salles voûtées en berceau, de préférence ogival, afin d'éviter toute stagnation d'air sous une partie hori- zontale de plafond. Telle est la dispo- sition des salles de l'hôpital de Mont-

Fig. 8;9. Pavillon de malades peiner (fig. 837, 838 et 839) très i l'Hôpital de Montpellier. Coupe.

appréciée des hygiénistes. Là, les

fenêtres bien que fiiisant pénétration dans la voûte ne peuvent

558 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE LARCHITECTURE

arriver jusqu'au sommet de la salle, surtout si on veut éviter qu'elles forment des lucarnes. Il faut donc compter sur des évacuations sérieuses par des ventilateurs au sommet de la voûte. Ces pavillons sont élevés au-dessus d'un sous-sol qui reste constamment ouvert, et les salles sont accompagnées dans leur longueur de balcons ou terrasses à la disposition des malades. Cette disposition est évidemment coûteuse, et ne peut d'ailleurs s'appliquer que dans un hôpital il n'y ait pas de superposi- tions de salles de malades, ce qui est rare. Elle est donc forcément exceptionnelle; il était intéressant cependant de vous la faire con- naître à titre de variante et comme exemple de recherche de solutions.

Voyons maintenant les dépendances de cette salle : elles seront nombreuses, car, je vous l'ai dit, le mot salle exprime un ensemble assez complexe. Supposons le cas le plus compliqué, la salle au premier étage. Il faudra un escalier large et doux, très clair et sans parties tournantes. Mais, de plus, on disposera non pas un ascenseur, mais un monte-lit, ascenseur assez grand pour qu'on y puisse mettre le malade couché et un surveillant, si besoin est, en cas de délire par exemple.

A portée immédiate de la salle, est un office avec fourneau pour réchaufferies tisanes, cataplasmes, etc., et donner constam- ment de l'eau chaude, et avec pierre d'évier, armoires. Le tout carrelé en grés cérame, les murs peints ou imperméabilisés par un moyen quelconque, tels que faïence, glace brute, opaline, etc.

A côté, on doit trouver une petite salle de bains, pour les malades qui ne peuvent aller ou être portés au service des bains.

Un cabinet pour la surveillante, une pièce pour le médecin sont indispensables.

Toute salle a des malades à des degrés divers, plusieurs se

ÉLÉMENTS DE l'aRCHITECTURE HOSPITALIÈRE 559

lèvent ou même sont presque convalescents. On leur donne, s'il se peut, une salle dite de réunion, sorte de parloir ou chauf- foir. Les hommes ont de plus un fumoir.

Vient enfin le service très important des évacuations. Pour les cabinets d'aisances, le système tout à l'égout est adopté de préférence partout c'est possible, avec urinoir pour les hommes, vidoir, etc., le tout avec les plus grands soins pour assurer l'interception des odeurs et émanations. Aussi les hygié- nistes apprécient la disposition des cabinets d'aisances dans un petit bâtiment isolé, relié seulement par un corridor vitré à la salle des malades.

Non moins importante est l'évacuation du linge sale. Tout ce linge est jeté dans une trémie en dehors de la salle qui le fait tomber dans un espace ad hoc ménagé dans le sous-sol, d'où il est le plus rapidement possible enlevé à la buanderie ou à l'étuve de désinfection.

Enfin la salle se complète au besoin par un certain nombre de chambres d'isolement pour les malades qu'on y met en obser- vation ou en traitement.

Dans beaucoup d'hôpitaux, d'ailleurs, il existe des services spéciaux d'isolement : c'est alors un pavillon à part, aussi éloigné que possible des autres, et qui comporte quelques parti- cularités. Le quartier des varioleux à l'Hôpital Saint-Louis (fig. 840) en est un exemple, qui s'expliquera suffisamment par la légende du plan.

C'est une difficulté sérieuse de disposer toutes ces dépen- dances à proximité d'une salle qui doit obligatoirement être éclairée des deux côtés dans toute sa longueur, sans exception pour aucune travée. Par raison d'économie, on fait souvent un bâtiment long contenant deux salles; alors une partie des dépendances de chacune peut être groupée vers le milieu de la

560

ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE LARCHITECTURE

longueur du bâtiment, le surplus aux extrémités. Vous verrez des exemples de dispositions très diverses à cet effet.

En décrivant la salle de médecine, j'ai aussi décrit la salle de chirurgie, dont les dimensions et les dispositions sont les mêmes.

Cependant il faut remarquer que les services de chirurgie doivent

Fig. 840. Pavillon d'isolement des varioleux à l'hôpital Saint-Louis. 1,1, salles des malades. 2, bains. 3, office. 4, «rabinets d'aisances. 5,5, pièces diverse.* de service.

OU devraient être dédoublés. C'est donc à tort que dans un petit hôpital on ne dispose qu'une seule salle de chirurgie. 11 est essentiel en effet que les blessés suppurants ne soient jamais en contact avec les non-suppurants.

Chaque salle doit avoir son autonomie, ses dépendances propres, sa salle d'opérations distincte. Ainsi, à l'Hôpital Cochin, les services de chirurgie sont répartis de divers côtés : chacun d'eux forme un tout, comme par exemple le groupe très com- plet qu'on appelle le Pavillon Pasteur (fig. 841).

La salle d'opérations est la dépendance la plus importante d'un service de chirurgie. En effet, les opérations ne se font pas

ÉLÉMENTS DE l'aKCHITECTURE HOSPITALIÈRE

561

dans les salles de malades réservées à l'habitation, au traitement médical et aux pansements. Lorsqu'une opération est nécessaire, le malade est transporté couché, de la salle-dortoir à la salle d'opérations, reliée à la première par une galerie vitrée.

La salle d'opérations est elle-même un petit ensemble avec dépendances. Ainsi, tout d'abord le patient, amené dans son lit, est conduit à la salle d'anesthésie, vesti- bule de la salle d'opérations; on l'endort, on le désha- bille, on le place sur le lit spécial ou table à dossier sur laquelle il sera opéré.

La salle d'opérations n'au- rait pas besoin d'être bien vaste pour elle-même. Mais dans les hôpitaux des gran- des villes il faut compter Fig-84i.- Pavillonde^chku^rg,^

avec les nécessités de l'en- seignement. Aussi la salle d'opérations est au besoin munie de quelques bancs en gradms pour les assitants. Mais cette disposition n'est motivée que par la présence des étudiants, et si elle est presque inévi- table dans les villes de facultés, elle n'a pas sa raison d'être ailleurs.

Deux conditions sont exigibles avant tout : une extrême pro- preté et une belle lumière. Ici encore, les murs seront tout unis, les angles arrondis, les surfaces peintes à l'huile ou stuquécs; il

Éliinents et Tbéorit dt TArcbiteclure. II. f 6

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salles des malades. 2, bains ), salle d'op^r.itions. 4, salle des appareils. j, ancsllicsie. 6, chambre d'ïioli. 7, Dépôt de produits chimiques. 8, salle de réception el désinfection. 9, réfectoire. 10, s«lle i manger des infec- tés. — II, vestiaire des malades. 12, office. ij, char- bon. — 14, urinoirs, cabinets d'aisances. >- 1$, trémie du linge sale.

562 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l'aRCHITECTURE

est nécessaire que ces murs puissent être fréquemment lavés. Le sol est carrelé en grés cérame, avec pente pour l'écoulement des eaux de lavage. Dans la salle même, de l'eau froide et de l'eau chaude.

Quant à l'éclairage, la lumière du nord est indispensable. On désire avoir cette lumière à la fois verticale et latérale, et pour cela la combinaison ordinairement employée est d'avoir un comble brisé, dont Icbrisis est trésraide; la panne de bris sépare alors deux châssis qui n'en font qu'un en réalité.

Naturellement une ventilation énergique est nécessaire ; elle sera obtenue par des moyens analogues à ce que nous avons vu pour les salles.

La salle d'opérations devra être accompagnée d'une pièce secondaire, distincte de la salle d'anesthésie, seront déposés tous les objets et instruments nécessaires; cette pièce sert aussi de vestiaire-toilette pour les chirurgiens.

Comme il résulte des dispositions ci-dessus que la salle d'opé- rations doit être éclairée du haut, on ne pourra en superposer deux l'une à l'autre. Si donc la composition comportait des ser- vices de chirurgie superposés, il faudrait que la salle d'opérations servît pour ces deux services.

Cependant la séparation des suppurants et non-suppurants s'impose tout particulièrement ici. 11 faudra donc deux salles, qui peuvent être l'une à la suite de l'autre, pourvu qu'elles soient séparées par un mur plein, et qu'elles aient chacune leur accès et leurs dépendances propres.

Naturellement, les chocs et accidents de transports seraient plus douloureux pour un blessé que pour un malade. Les trans- ports verticaux ne se font donc que par des ascenseurs assez vastes pour recevoir un lit et un ou deux infirmiers.

ÉLÉMENTS DE l'arCHITECTURE HOSPITALIÈRE

563

En plus de la salle d'opérations ordinaires, il y a dans les hôpitaux complets ce qu'on appelle le Pavillon des grandes opéra- tions. On y traite les maladies qui exigent des opérations longues ou difficiles, ou encore celles qui peuvent constituer un danger de contagion. Je puis citer comme exemple une construction assez récemment faite à cet usage dans l'Hôpital Laennec (fig. 842).

La salle ou les salles d'opérations n'y différeront pas de la des- cription qui vient d'être faite. C'est dans les dépendances et accompagnements de ces salles que se trouveront les diffé- rences. En effet, ce pavillon, au lieu d'être lui-même une dépendance comme la salle ordinaire d'opérations, est un tout qui doit avoir son autonomie complète. Il s'y trouvera la salle d'opé- rations également précédée de la salle d'anesthésie, accompagnée des mêmes dépendances, et ce service pourra ici encore être dédoublé, pour les suppurants et non-suppurants, à moins qu'il ne soit fait deux pavillons distincts.

Mais en plus des dépendances ci-dessus, il y aura tout ce que comporte un ensemble séparé et autonome : office, salle de bains, cabinet de médecin, pièce pour la surveillante, cabinets d'aisances, vidoir, service de linge sale, et surtout un certain nombre de chambres bien aérées et hygiéniques les malades recevront les soins nécessaires avant et après l'opération, pendant tout le temps qu'ils ne pourront passer dans les salles communes. On appelle ces chambres chambres d'isolement.

Le Pavillon des opérations est autant que possible dans une partie retirée du terrain, dissimulé dans la verdure.

Fig. 84J. Pavillon des grandes

opérations à l'hôpital Laennec,

i Paris.

I, entrée. 1,1, chAmbres d'opérés. ), salle d'opérations. 4, cabinet du chirurgien. $, oflîcc*. 6, lingerie, surveillante. 7, chambres de servi- teurs. — 8, bains. 9, magasin.

564 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l'aRCHITECTURE

Dans un ordre d'idées assez semblable nous trouverons les Pavillons disolemeni pour les maladies contagieuses. Dans les hôpitaux parisiens, ce service n'existe pas toujours, parce que nous avons à Paris une organisation assez complète pour com- porter des hôpitaux spéciaux : c'est dans ce but qu'on a créé plu- sieurs hôpitaux assez restreints sur divers bastions : ce sont des hôpitaux spéciaux.

Mais lorsqu'une ville n'a et ne peut avoir qu'un hôpital géné- ral, il est indispensable qu'il s'y trouve des pavillons d'isolement, bien à part; suivant les cas, il y aura plusieurs pavillons, par exemplepourles varioleux, lesscarlatineux, lestyphiques; ou bien ces diverses maladies seront traitées dans un même ensemble de bâtiments, mais alors sans communication entre les diverses salles et leurs dépendances. Il s'y trouve toujours un certain nombre de chambres pour l'isolement complet du malade, sans préjudice des chambres payantes qui peuvent exister si le pro- gramme le comporte.

On isole aussi dans un hôpital général les services de la Maternité. C'est presque un petit programme dans un grand, la Maternité étant un service bien spécial, qui n'est pas en somme destiné à des malades, mais il faut cependant prévoir la maladie. La Maternité Baudelocqne (fig. 843), dépendant de l'Hô- pital général de la Maternité, et servant de clinique à la Faculté, nous fournit l'exemple le plus complet de ce genre d'établisse- ment et c'est en vous reportant à son plan que vous pourrez bien saisir tout ce qui suit.

Généralement les Maternités ont un accès direct par une voie publique, avec un vestibule couvert qui permette de descendre de voiture à l'abri du froid ou de la pluie. Souyent une consulta- tion spéciale est jointe à la maternité. Le programme comporte :

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ELHMENTS DE L ARCHITECTURF; HOSPITALIERE

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cabinets de médecins, pièces pour les sages- femmes et aides; en un mot la Maternité ne se rattache à l'Hôpital gé- néral que pour profiter du voisinage des ser- vices généraux, cuisine, etc. C'est un petit hôpi- tal sans services géné- raux complets.

Quant aux services médicaux, ils ont quel- que analogie avec ceux des pavillons de chirur- gie. La femme enceinte est après son admission placée d'abord dans une salle ou dortoir d'obser- vation, analogue à tou- tes les salles d'hôpital; puis, lorsque le moment approche, elle est trans- férée dans ce qu'on appelle la salle de tra- vail — c'est la salle d'ac- couchement. Cette salle devra être vaste, bien éclairée et aérée, d'une propreté extrême. Il s'y trouve plusieurs lits.

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ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l' ARCHITECTURE

très éclairés par le jour du nord, ou la nuit par l'électricité; une grande cheminée à feu visible, des appareils à eau chaude et eau froide, une ou deux baignoires dans la salle même. Le sol sera en grès cérame, les murs doivent pouvoir être fréquemment lavés. Comme dans les salles d'opérations, toutes saillies inutiles, toutes moulures, en un mot tout ce qui pourrait retenir des germes dangereux, sont rigoureusement interdites. Le cube d'air peut être calculé à raison de 60 métrés cubes au minimum

Fig. 844. Maternité Cochin. Plan du i" étage.

I, salle des femmes accouchées. 2, office. 3, bains. 4, bidets. 5, lavabos. 6, vidoirs. 8, cabinets d'aisances. 8, dépôts. 9, salle d'opération. 10, salle d'accouchement.

par lit. Tout doit être combiné pour éviter aux malades les chocs ou les mouvements brusques. Aussi, lorsque la disposition comporte plusieurs étages, il faut de grands ascenseurs ou monte- lits pour toutes les communications verticales.

Après l'accouchement, la femme sera transférée d'abord dans une chambre isolée, elle restera plus ou moins longtemps; puis de dans un dortoir. Mais encore, suivant les cas, ce sera un dortoir ou un autre. Il y a le dortoir des mères qui peuvent nourrir, dans lequel chaque lit est accompagné d'un berceau, et le dortoir de celles qui ne nourrissent pas, ayant pour conséquence le quartier des nourrices.

ÉLÉMENTS DE L ARCHITECTURE HOSPITALIÈRE

567

Une Maternité comprend donc, avec la salle de travail ou d'accouchements, trois salles distinctes : salle d'observation avant; salle de convalescence après pour les mères qui nour-

i«» ÉTAOB. I, vestibule, ascenseur. 2, salle de change. 3, femmes eo coaches. 4, interne. sanreîltâiite*

é, bains et lavabos.

Fig. 84$. Maternité Bcaujon.

REz-DE-ciiAUSséB. I, vcstîbule de la consultation. 2, salle d'attente de la comultation. 3, salle de consaltstion. 4, spéculum. 5, saj^e-fcmme. 6, vestibule de ta salle d'accouchem'-nt. 7, salle de travail. 8, office. 9, bains. 10, salled'opèration. 11, lingerie. 12, linge sale. ij, élèves. 14, chef de service. 15, ascenseur.

rissent; salle analogue pour les mères qui ne nourrissent pas; chacune avec des chambres d'isolement, offices, bains, et en géné- ral les dépendances que nous avons vues pour les salles de malades.

Or, fiiites bien attention à ceci : la salle des mères qui nour- rissent ne peut être semblable aux autres.

;68

ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

En effet, pour les femmes enceintes, ou pour les mères qui ne nourrissent pas, il suffit d'une salle ordinaire d'hôpital. Pour celles qui nourrissent, il faut qu'un berceau trouve sa place à côté du lit. C'est ce qu'indique, dans le plan de la Maternité Baudelocque, la salle des femmes accouchées (n° 19); vous pouvez encore consulter à ce sujet les salles, très largement installées, delà Maternité Cochin (fig. 844), ou celles de la Maternité Beau- jon (fig. 845).

Nouvel exemple de cette vérité que nous rencontrons si sou- vent, que l'architecture extérieure est subordonnée aux exigences

Fig. 846. Nourricerie ou crèche de l'Hôpital des Enfants assistés.

spéciales du programme : ici, pour les salles il n'y a que des lits, l'espacement des fenêtres, d'axe en axe, sera celui que nous avons trouvé pour les salles de malades avec lits isolés : 2 "" 70 à 2 " 80 environ; pour les salles il y a des berceaux, il faut au moins o éo de plus, soit 3 ■" 30 à 3 '"40; ce qui d'ail- leurs est logique à un autre point de vue, puisqu'il faut de l'air pour deux respirations, si peu que la plus jeune en consomme.

Une maternité se complète par le service des nourrices : une salle-dortoir avec quelques dépendances, et quelques chambres d'isolement. Ce service n'est d'ailleurs pas très important, car les nouveau-nés restent peu à l'hôpital, et sont le plus tôt pos- sible envoyés à la campagne.

Cependant, les hôpitaux spéciaux, et en particulier ceux des

HLKMENTS DH L ARCHITECTURE HOSPITALIÈRE

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enfants assistes, nécessitent le service des crèches, ou salles de nourrices, chaque lit est accompagné de deux berceaux, l'un pour l'enfant de la nourrice, l'autre pour le nourrisson. Tel est le plan de crèche de l'Hôpital des Enfiints assistés (fig. 84e), grand établissement complexe, qui participe à la fois de l'hôpital et de l'École enfantine.

CHAPITRE III SERVICES ANNEXES DES HOPITAUX

SOMMAIRE. Les bains; bains individuels; Hydrothérapie. Quartier ou hôpital spécial d'enfants. Contagieux. Tableaux comparatifs; dimensions, surfaces et cube d'air (services thérapeu- tiques).

Service des morts. Nécessités de l'enseignement. Tableau compa- ratif.

Nous avons à peu prés vu ce qui concerne l'habitation du malade à l'hôpital. Mais il y a encore à son usage un service très important, qu'on classe ordinairement parmi les services géné- raux, mais qui est bien un service thérapeutique au premier chef:: ce sont les Bains.

Je vous ai dit que dans chaque salle de malades il y a prés de l'office une ou deux baignoires : plutôt deux qu'une : une fixe, une autre mobile, qu'on transporte prés du lit du malade. Mais ceci ne vise que les cas urgents ou les malades dont le transport est impossible. En régie générale, les bains se prennent au quartier des bains, soit que le malade puisse y aller à pied ou qu'on l'y transporte.

Le service des bains est ordinairement en double, côté des hommes, côté des femmes, lorsque l'hôpital comporte lui- même les deux sexes. C'est ce que vous pouvez voir dans le plan de l'Hôpital Tenon. Cette dualité est nécessaire pour les

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ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l'aRCHITECTURE

bains proprement dits; mais pour certaines salles à appareils spéciaux dont l'emploi est assez rare, on peut admettre l'affec- tation alternative et suivant les heures à chaque sexe. Au sur- plus, le département des Bains est de ceux qui exigent un

Fig. 847. Bains de l'hôpital Saint-Louis.

1, entrée. 2,2, bains. 3, lingerie. 4, salle de frotte (gale). s> l""'"' (g«le)- '. "Sîne. 7, entrée de l'hydrothérapie. 8, déshabilloirs. 9, piscine. 10, hydroféré. 11, latrines. 12, douthes de vapeur. 13, déshabilloir. 14, sudations. IS, bains de vapeur. 16, douches locales. 17, bains du Pavillon Gabrielle.

programme très précis, car les opinions du corps médical sur ce sujet sont très variables : le premier soin de l'architecte doit donc être de réclamer ce programme détaillé. Je me bornerai à vous indiquer à cet égard une installation très complète : les bains de l'Hôpital Saint-Louis (fig. 847), ce service a une importance toute particulière.

SERVICES ANNEXES DES HOPITAUX $75

La salle principale ou salle des baignoires, d'une importance variable selon l'établissement, exige une disposition particulière, 11 faut que les baignoires soient constamment surveillées, elles ne peuvent donc pas être dans des cabinets de bain. Mais elles peuvent être séparées l'une de l'autre par des rideaux à hauteur d'homme, pourvu que la vue ne soit pas interceptée par rapport au surveillant. Aussi on dispose ordinairement deux rangées de baignoires et un large passage au milieu : c'est à peu prés la disposition d'une écurie double. L'alimentation des baignoires se fait par ce passage central, et par les soins des surveillants, car le malade ne doit pas gouverner son bain à son gré.

Cette salle doit être claire, et le mieux est un éclairage bi- latéral lorsqu'il est possible. Elle doit être assez élevée pour que la vapeur d'eau ne sature pas trop l'atmosphère; enfin sa con- struction doit être prévue en raison de l'humidité chaude et de la buée abondante, et aussi pour éviter les refroidissements. 11 faut donc de la construction sérieuse, et lorsqu'on peut voûter ces salles en véritables voûtes de maçonnerie, c'est certainement le mieux. Le sol, les parois doivent être imperméables et faciles à laver. Il faut donc un sol en asphalte ou ciment, ou mieux en grés cérame, et des murs garnis de revêtements céramiques ou de stucs, ou tout au moins de peinture renouvelée aussi souvent qu'il sera nécessaire.

A côté de celte salle, il f;iut quelques pièces pour les bains spéciaux, notamment les bains sulfureux; la surveillance doit en être facile au moyen de parties vitrées. Le service des bains est plus ou moins important selon les hôpitaux ; c'est surtout dans les établissements sont plus spécialement traitées les mala- dies de la peau, tels que l'Hôpital Saint-Louis, que les bains comportent de nombreuses subdivisions. Ce sont des ques- tions de programme, car pour tout cela, piscine, douches, fumi-

n'T

raà*fiiiBEl

112 m i __,'_ J iiutiomioo uo onaini^- "i

574 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE L ARCHITECTURE

gâtions, douches de vapeur, étuve, il n'y a pas d'autre recom- mandation à faire que ce qui a été dit à propos de toute salle de bain : imperméabilité des murs, écoulement assuré des eaux répandues, température constante. Seule, l'étuve appelle une prescription spéciale : tout y doit être en ciment, murs, voûtes et gradins ; il n'y a pas de fenêtre, un seul jour du haut, her- métique.

Tout cet ensemble comporte de nombreux accessoires : en premier lieu la chaufferie, si elle n'est pas commune avec d'autres services. Ce sera un local, le plus souvent en sous-sol,

seront les appareils de chauffage de l'eau : je n'ai rien de particulier à en dire. Puis il faudra ..... . , . ,,„. .,„... des vestiaires ou dépôts

rig. 848. bains externes de 1 Hôpital Bichat. '

de linge, des armoires- étuves pour le chauffer, des cabinets d'aisances. Enfin des cabinets pour la surveillante et le médecin compléteront ce service. Il y a d'ailleurs dans plusieurs hôpitaux des services de bains externes. Ainsi, à l'Hôpital Bichat, il a été fait dans ce but une installation assez complète (fig. 848). Comme éléments, cela ne diffère pas de ce que nous venons de voir pour les bains internes.

Nous avons passé la revue de tout ce qui constitue dans un hôpital les services thérapeutiques. Ce que je vous en ai dit s'applique surtout aux hôpitaux d'adultes : j'aurais cependant quelques particularités à vous signaler en ce qui concerne les hôpitaux d'enfants.

encore il y aura la division en services médicaux et ser- vices chirurgicaux; à cet égard, la composition ne variera pas

SERVICES ANNEXES DES HOPITAUX

575

sensiblement. Ici encore, dans les salles de malades, les lits d'enfants sont généralement disposés à raison de deux par trumeau. Je vous ai donné plus haut des indications à ce sujet. Comme programme, l'hôpital d'enfants a une plus large part à faire aux maladies contagieuses. Il faut des pavillons spéciaux pour ces diverses maladies : on trouvera donc les pavillons des rubéoleux, des scarlatineux, des typhiques, surtout des diphté- riques (fig. 849). Chacun de ces pavillons devant être traité

ri

Fig. 849. Service d'isolement de l'Hôpital des enfants assistés.

ainsi que nous l'avous vu pour les salles de malades, mais en plus avec des chambres d'isolement.

Précédant tout ce service des contagieux lequel devra être bien à part dans la composition —r il faut un pavillon qu'on appelle pavillon des douteux, comprenant, suivant l'importance de l'hôpital, un nombre variable de salles. C'est un service d'obser- vation : du moment la nature de la maladie apparaît nette- ment, l'enfant est évacué sur le pavillon qui doit le recevoir. Naturellement, si tous les douteux étaient ensemble sans aucune précaution, ils se communiqueraient réciproquement les maladies dont ils peuvent avoir le germe. Il faut donc un isolement qui est obtenu par la division des salles en loges ou stalles, avec paroi vitrée sur le corridor central. Les dépendances comme ci-dessus.

La disposition des salles de diphtériques sera la même : stalles vitrées et corridor de surveillance au milieu. A l'extré-

576

ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

mité du pavillon on dispose un dortoir des convalescents. Les dépendances du pavillon des diphtériques sont importantes : outre l'office, la salle de bains, les cabinets d'aisances, le linge sale, il doit y avoir un cabinet spécial pour l'interne, un pour la surveillante; un logement de la surveillante en chef, des chambres pour les infirmières; enfin, une petite salle d'opéra- tions avec ses accessoires.

Ce qui doit guider dans l'étude des pavillons de contagieux, est la pensée d'autonomie dans la mesure du possible, car toute communication, non seulement de malade à malade, mais entre les personnes qui les approchent, est toujours un danger.

Mais rien ne vaut comme point de départ d'études des don- nées chiffrées.

Voici d'abord pour les salles de malades :

(anciens hôpitaux) services de médecine et de chirurgie

Saint- Antoine

id

Enfants malades....

id

id

id

Saint-Louis

id

Laennec (anciens Incu

râbles)

Necker

Pitié

id

id

COCHIN

Lariboisière

id. petites salles Sainte-Eugénie . id.

LARGEUR

LONGUEUR

NOMBRE

SUPERUCIE

de la salle

de la salle

de lits

par lit

7.60

20.00

20

7.60

3.50

24.50

14

6.12

6.20

31.50

40

4.88

6.00

18.50

22

5 05

6.00

6.50

8

4.88

6.00

6.50

10

3.90

7 00

40.50

33

8.85

7.50

27.60

22

9.41

7-50

31 .00

30

7.7s

8.IO

46.00 18.00

20

8.66 9.00

10.00

10 00

30.50

28

10.89

9 50

17.00

18

8.97

7.60

18.00

14

9-77

f 9.20

37.60

52

10.81

5.00

15 .00

10

7.50

8.00

20.50

20

8.20

4.50

17.50

II

7.16

CUBE

par lit (haut. 5"

OBSERVATIONS DISPOSITION DES LITS

38.00 Accouplés.

30.600 Adossés, un seul rang de

lits. 24.400 Accouplés. 25.250 JLes lits sans correspon- 24.400 ) dance avec les trumeaux

19.500 44.250 47.00

38.750 43.300 45.000

54-45° 44.850 48.850 54.000 37.500 41.000 3 5 . 800

Accouplés.

5 par trumeaux.

Accouplés.

id. Accouplés. Accouplés.

id. Irrégulier. Isolés. Accouplés. Quelconque. Accouplés. Une seule rangée de lits accouplés.

(hôpitaux nouveaux) services db médecine et de chirurgie 577

HÔPITAL

Saint-Antoine

id. isol. varioleux id. id.

[inoccupes sauf épidémie) Saint-Louis (Isolement

. varioleux)

id. id

Saint-Louis, baraque, id. isolés

Chambres d'isolement..

CocHiN (chirurgie). . . . id. (médecine). . .. id. femmes en couches, id. chirurgie femmes.. Uaujon (médecine et

chirurgie)

Hôtel-Dieu

Tenon

id. petites salles

id. isolements

largeur

RE

la salle

id. maternités

Broussais (haraquem""J sans étage), chirurgie^

id. médecine

id

BiCHAT

Dortoirs de fem- g 1 mes enceintes..

-1^1 Accouchées...'.

5 Ë '

< u ' I-emmes en cou- 5 I ches

o^^l Chambres isolées

< Salle d'.iccouche-

ment

Femmes enceintes..

.H"-a

S. " ' Nourriccrics ,

Femmes accoucb<^es

Enfants assistés Nourriccrie

Isolements

Forges (Seine-et-Oise). Enfants malades. . . .

Maison Dubois.

8.30 7.00 5 .20

6.75 6.7s 7.00 7.00 3.50 3.50 8.00 7.00 7.50 7-75

10.00 9.00 8.25 5.50 8.00

5-75

7.00

7 . 00 5 .00 7.00

7.50 7.50

4.00 4.00

6.50 8.00

8.00 8.00

4-75 6.00

6. $0 6.50 4.00

LONGUEUR

DE LA salle

20.50 29.50 23.50

27.00 13.00 28.20

12. ;o

3 .00

9.00 14.50 29.00 17.50 15.00

17.50

îo-75

28.00

8.00

15.50

4.00

27.00

20.00

7 .00

30.00

23.50

20.00 !

14.00 4.50

9.00 11.20

NOUBXE DE

lits

20 28 20

26 12

30 12

2

4 12

5" 10 12

16

24

22

4

16

I lit

I berceau

28

20 6

24

20

16 lits

l6berce>uxi

2 10

SUPERP. PAR LIT

8.50

7'375 6. II

3> 58 30 05 87 66

73

"S

69

10.94 11.53 10.50 II .00 7-75

IJ.OO

6-75

7.00 5.83 8.75

8.81 9-37

11.20 18.00

29-75 8.96

\ '"''" l 8.96

\ 10 liis ) (loberccauz^

8.96

CUIS O AIR »AK LIT

("15-)

9.00

14.50

10.50

3 .00

( 4 lits (P»r"0<"ri« ^8 bercMUxJ 11-875 S lits 6.75

16 12

5.88

5.69

12.00

OBSERVATIONS

ET

DISPOSI-nON DE5 LITS

42.500 36.875 30.550

35.050 36.550 32.900 36.500 25.250

39-35°

48.300

38.65

65.625

48.450

54.700 57.650 52.500 55 .000 38.750

75.000

38.750

35.000 29.150 43-750

44.000

46.850

56.000 90.000

144.250 45.800

45.800 45-800

p. noarrice

59-375 33-750

29.900 28.450 60.000

Accouplés, id.

Constructions légères. En cas d'épidémie.

Isolés. Accouplés. Isolés, id.

Accouplés.

Accouplés.

Accouplés.

Un seul rang, accouplés

Accouplés.

Accouplés.

Une seule grande fenêtre id. (const.saruab«ttion).

Isolés, id.

Un seul rang.

Les lits au milieu de U tâlle Fenêtres sur le petit côté

Isolés.

id.

Accouplés . id.

hUments et Théorie dt l'Arcbitature.

II.

37

578

ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

Voici maintenant quelques exemples applicables aux salles de bains :

HÔPITAL

Lakiboisièke

Tenon

Saint-Louis

id. bains pour la gale Saint-Antoine

id. bains en cabines .

Sainte-Eugénie

Enfants malades

Maternité

Forges (enfants)

LARGEUR

LONGUEUR

NOMBRE

SUPERFICIE

DE

DE

DE

PAR

LA SALLE

LA SALLE

BAIGNOIRES

BAIGNOIRE

7.00

6.50

10

4-55

7.00

13.00

20

4-55

6.00

22.00

30

4.40

6.00

8.00

10

4.80

6.50

25.00

26

4.00

1.50

2.50

I

3-75

10.00

10.00

ÎO

3-33

10.00

8.00

24

3-33

5.50

6.00

s baignoires I douche

' 5.50

)

5.50

8.00

12

5.66

DISPOSITION

Vis-à-vis. En stalles. Vis-à-vis. Stalles séparées. Vis-à-vis.

4 rangs, id. 2 par deux.

Vis-à-vis.

id.

Vous pouvez tirer de ces tableaux plusieurs conclusions; d'abord, vous le voyez, le cube d'air de 50 métrés que la théorie admet comme un minimum est rarement atteint, et dans l'ordre chronologique il faut arriver à la collection de Lariboisiére pour le rencontrer. Ai-je besoin de vous dire que c'est la cherté du terrain et des constructions qui en est cause ?

Dans les constructions les plus récentes, et qui sont naturel- lement le plus au courant des progrés, vous remarquerez en laissant de côté les hôpitaux d'enfants qui échappent à la comparaison que les cubes d'air les plus considérables sont obtenus dans les services de femmes en couches, et dans des services de chirurgie. C'est que, comme vous le savez, c'est dans ces services que les infections purulentes ont fait le plus de

ravages.

Rappelez-vous enfin que je vous donne ces renseignements comme des faits et rien que des faits. N'allez pas croire que tout ce qui se trouve dans ces tableaux fasse autorité. Vous y trou- verez au contraire des exemples très fâcheux des restes d'un

SERVICES ANNEXES DES HÔPITAUX 579

passé qu'on ne peut, faute de ressources, faire disparaître d'un seul coup, mais qu'on s'attache à remplacer petit à petit. D'ail- leurs, en architecture, il n'y a pas de formule ni de recettes : les exemples ci-dessus, s'ils paraissent heureux, peuvent perdre toute leur valeur par suite d'une disposition inintelligente, et réciproquement. Ne retenez donc de cela qu'une sorte de moyenne vous montrant à peu près ce qui se fait aujourd'hui.

Cependant le malade a passé à l'hôpital le temps voulu; il en sort. S'il est guéri, ou convalescent, ne nous en occupons plus : il rentre à sa maison, ou va passer quelque temps dans un asile de convalescence. Mais trop souvent le séjour à l'hôpital a un autre épilogue, et c'est au service des morts que je dois maintenant vous conduire.

Pour bien comprendre les nécessités de ce service, il faut se rappeler que l'hôpital, en même temps qu'un lieu de traitement pour les malades, est un lieu d'études pour les médecins. Et lorsque le traitement n'a plus de raison d'être, l'étude reste seule : le service des morts est à la fois un service de science, d'état civil, et enfin un service religieux.

Ainsi, prenons pour exemple l'Hôtel-Dieu, pour des raisons spéciales ce service est traité avec toute l'ampleur dési- rable. Dans la rubrique du plan, il est placé dans le bâtiment dit : « Bâtiment des morts et de la Faculté » (fig. 850), contigu avec la Cour des convois et le groupe de la chapelle, à l'usage des familles. C'est que de nombreux convois partent en effet de là, et qu'ils doivent pouvoir se former avec décence; mais le corps n'est livré au service des pompes funèbres que lorsque le service médical à l'Hôtel-Dieu, la Faculté n'a plus à le retenir.

La légende du plan comprend donc deux parties distinctes :

58o

ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

Bâtiment des morts et de la Faculté : service des morts dépôt des morts salle d'autopsie service du corps médical laboratoire de la Faculté ;

Convois : entrée de voitures salle d'attente chapelle des morts.

Il faut toujours que ce service soit installé dans une partie

Fig. 850. Service des morts et de I.1 Faculté à l'Hôtel-Dieu.

I, cniir des convois 2, entrée des voitures. 3, chapelle des morts, 4, salle d'attente. Si service des morts. 6, dépôt des morts. 7, salle d'autopsie. 8, service du corps médical. 9, laboratoire de la Faculté. K^K^ ascenseurs hydrauliques.

retirée et discrète de l'hôpital; surtout, il est indispensable qu'il ait une entrée spéciale sur quelque rue secondaire, afin d'éviter aux malades la vue des convois souvent nombreux. Plus l'endroit sera retiré, abrité par des arbres, mieux cela vaudra; et si je vous montre la disposition de l'Hôtel-Dieu, c'est pour vous donner l'idée des besoins, et non pour vous faire voir une solution : le plan de l'Hôtel-Dieu, très ingénieux, très habile, était d'avance compromis par l'idée fausse adoptée en haut lieu, de faire un grand hôpital sur un terrain beaucoup trop petit, et par conséquent un hôpital sans espaces, sans jardins, sans aéra- tion des bâtiments.

SERVICES ANNEXES DES HÔPITAUX

581

A l'Hôtel-Dieu, le rattachement direct de ce service à la Faculté a conduit à une composition particulière. Mais dans tout hôpital, et sous réserve de la proportion générale, nous trou- verons à peu prés les mêmes dispositions : ainsi, par exemple, à l'hôpital Laenncc le service des morts a été l'objet d'une addition récente (fig. 851) dans les conditions de discrétion qu'on recherche en pareille matière.

Si le plan général de l'hô- pital comporte une chapelle, qui soit en même temps la chapelle des vivants et des morts, il faut que le service des morts en soit rapproché, tout en étant toujours dans une partie cachée de l'en- semble. Mais lors même que l'hôpital possède une cha- pelle, il vaut mieux qu'il y ait en plus une chapelle des morts dans l'enceinte du service des morts. Cette petite chapelle est naturellement fort simple : c'est en réalité une pièce à rez-de-chaussée, munie d'un autel. Et pourtant, dans son exiguïté, elle se prêterait aux inspirations les plus généreuses de l'artiste.

Voyons maintenant le détail des différentes salles de ce service.

La salle du dépôt des morts doit être vaste, bien aérée. Le mieux est qu'elle ait des fenêtres sur les deux faces, à 3 mètres environ du sol. Tout doit y être imperméable, car il s'y fait de

Fig 8$!. Service des nions i l'Hôpital Laennec.

I, dépôt des morts. 2, Salles d'autopsie. j, vestibules. 4,4, laboratoires. î, salle de cours. 6, cabinet de pro- fesseurs. — 7, musée. 8, dépôt. 9, cabinets d'aisances. ^ 10, logement du gardien. 11, mise en bière. 12, pièce de réunion des familles.

582

ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

fréquents lavages. Le sol est en ciment, ou en carreaux cérames, avec pentes et caniveaux aboutissant à des syphons.

Les corps sont déposés sur des tables basses, qu'on fait main- tenant en ardoise épaisse. Chaque table qu'on appelle lit est séparée des autres et du passage central par des rideaux.

Indépendamment de l'aération par les fenêtres, il y a des appels, les uns prés du sol, les autres au plafond, avec brûleurs à gaz pour activer le tirage.

Voici quelques dimensions des salles de dépôt des morts dans les hôpitaux les plus récents :

HÔPITAL

LARGEUR

LOKGUBDR

NOMBRE

DES MORTS

SURFACE PAR MORT

DISPOSITION

7.00

7 00 7.00

6 60

4-75 2.50 5.10

7.50

7.00

11.00

11.00

4-75 4-75 4.00

12

6

16

i

3 6

4 37 8 16

4.81

5.58

752 3.96 3 .60

Vis-à-vis.

Vis-à-vis, stalles non contiguës.

Vis-à-vis.

Vis-à-vis, par tables accouplées.

Un seul rang, id.

Vis-à-vis.

Tenon

Laennec

(Construction nouvelle) Baudelocciue

Femmes

Enfants

La salle des autopsies doit être assez vaste, très claire et très aérée. Les corps sont déposés sur des tables autour desquelles on doit pouvoir circuler. Rarement leur nombre dépasse deux, si ce n'est dans les grands hôpitaux. L'éclairage a lieu par des fenêtres assez élevées ; mais, s'il peut se compléter par un jour du haut, ce n'en est que mieux.

Le sol est formé de caillebottis en bois, sur cuvette en ciment avec écoulement des eaux de lavage. Il faut des lavabos pour les personnes, et des auges en ciment pour le lavage des pièces anatomiques, sans préjudice de canalisations avec raccords en caoutchouc, permettant le lavage direct sur la table d'autopsie elle-même.

SERVICES ANNEXES DES HÔPITAUX 583

Les murs doivent être imperméables, et sont ordinairement revêtus de glaces brutes jusqu'à i "^ 50 environ de hauteur.

Les autopsies se font parfois la nuit, en cas d'urgence ; il faut donc un éclairage électrique puissant.

Quant aux laboratoires, c'est une création demandée par les médecins et réalisée dans les hôpitaux les plus modernes. Le plus souvent, il y a un laboratoire plusieurs savants peuvent travailler; parfois quelques petits laboratoires personnels. Ils ne différent pas de ce que nous avons vu à propos des édifices d'enseignement supérieur.

CHAPITRE IV SERVICES GÉNÉRAUX DES HOPITAUX

SOMMAIRE. Importance des services généraux. Administration.

Logements. Internes. Cuisine et dépendances. Lingerie. Vestiaire des malades.

Pharmacie. Buanderie. Étuves à désinfection. Services

externes : consultations. Bains externes.

Tout le vaste ensemble des services médicaux comporte un ensemble très vaste également de services administratifs et ser- vices généraux. On est souvent frappé lorsqu'on voit un plan d'hôpital de la place considérable qu'occupent ces services, et on est effrayé de la dépense qu'ils entraînent : car à toute exagéra- tion de dépenses dans un hôpital correspond une restriction du nombre de malades à soulager. Ces services ne sont après tout que des dépendances, et plus on pourra les traiter simplement et modestement, mieux cela vaudra. Ils resteront d'ailleurs tou- jours très importants.

L'administration doit être près de l'entrée, accessible sans nécessité de pénétration dans l'hôpital. Rien n'y mérite une description particulière : seule la nomenclature des services qu'elle comprend sera utile pour vous donner l'idée de l'im- portance de ce service. Dans un grand hôpital, il comporte : loge de portier; bureau des admissions, avec pièce pour l'examen de l'arrivant par l'interne de garde; bureau du

586 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l'aRCHITECTURE

directeur; de l'économe; bureaux des employés de la Direction et de l'économat; salon-vestiaire des médecins; bibliothèque de prêts aux malades ; archives ; enfin des appar- tements pour le directeur, l'économe et le pharmacien en chef; des logements d'employés. Dans tout cela, il n'y a pas d'élé- ments spéciaux, ce sont toujours des locaux administratifs.

Mais l'hôpital comporte encore d'autres logements. Les médecins ou chirurgiens n'habitent pas l'hôpital, mais les internes y sont logés : internes en médecine et chirurgie, ou internes en pharmacie : deux groupes vivant souvent fort mal ensemble.

En général on cherche à loger les internes dans des pavillons assez écartés des salles de malades, car ces jeunes gens sont parfois bruyants : autant que possible, un pavillon séparé pour les internes en pharmacie. Il faut une salle de garde ou de réunion, ordinairement au rez-de-chaussée, une bibliothèque et des chambres. Chambres aussi pour les internes malades; trop souvent ils contractent la maladie qu'ils soignent, et il faut pour les soigner à leur tour des pièces confortables, leurs familles puissent venir les voir, et qui soient assez isolées pour que les contagions ne soient pas à craindre.

Enfin, en dehors des logements dont je vous ai> parlé pour des employés d'administration ou d'économat, il y a dans un hôpital tout un personnel auxiliaire de la médecine qui doit nécessairement habiter l'établissement : ce sont les surveillantes ou, suivant les programmes, les communautés religieuses; les infirmiers et infirmières. Ces habitations doivent être assez près des salles de malades, et cependant il faut chercher à les rendre accessibles sans qu'on ait pour cela à traverser des quartiers de malades. Il ne faut pas oublier en effet que la surveillance doit être facile et rigoureuse : les malades cherchent à se procurer

SERVICES GÉNÉRAUX DES HÔPITAUX 587

clandestinement bien des choses qu'on leur interdit, et il faut que, sans trop se faire voir, la .police de l'hôpital soit sévère et efficace. Les surveillantes en chef ont chacune un petit apparte- ment; les infirmiers et infirmières, les garçons et filles de ser- vice sont en dortoirs divisés en stalles.

Les services généraux constituent un ensemble plus important; ou plutôt ce sont plusieurs ensembles, car ils comportent des divisions qui ne doivent pas être groupées.

Sans parler de diverses dépendances comme il en faut dans tout grand établissement, telles que les hangars, caves, dépôts de combustibles, etc., on peut comprendre sous la rubrique de ser- vices généraux spéciaux à l'hôpital :

La cuisine et ses dépendances;

La lingerie, vestiaire, etc.;

La pharmacie avec ses dépôts et laboratoires;

Le dépôt de Hnge sale, la buanderie, l'étuve à désinfection;

Un bâtiment pour le chauffiige à vapeur, une usine d'élec- tricité.

Ces divers services ne présentent pas de particularités bien spéciales; il importe plutôt de vous les bien définir. Car, ainsi que je vous l'ai souvent dit, les programmes sont forcément laconiques; on y dira par exemple « une lingerie » et vous pour- riez croire qu'une lingerie est une salle. Voyons donc le sens vrai de ces mots nécessairement collectifs.

La cuisine, dont je vous montrerai deux plans détaillés, l'un pour un grand hôpital (Tenon) (fig. 852), l'autre pour un petit, elle est contiguë à la pharmacie (Bichat) (fig. 853), com- prendra d'abord la cuisine proprement dite, toujours vaste ci claire, avec son fourneau soit ordinaire, soit à la vapeur, sa rôtisserie, sa grillade. Dans des pièces contiguës, on trouvera les

I

S88

ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

services accessoires de la cuisine, épluchage et laverie; dans quelques hôpitaux, ces services trouvent place sous le vitrage d'une cour ouverte.

La cuisine proprement dite est ouverte par l'une de ses

parois sur une

grande galerie, par- fois une simple mar- quise où se fait la distribution des ali- ments. Cette gale- rie, forcément vaste,

-#g°|iani_!FIiErj

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IL^.

Fig. 852. Hôpital Tenon. Bâtiments de la cuisine.

I, cuisine générale. 2, salle d'épluchage et laverie. 3, paneterie. 4, office, pcf TTlUTllÊ Q UllÊ lOTI"

5 , réfectoire des gens de service. 6, ascenseurs. 7, service des machines,

chauffage et ventilation. ^ 1_ 1 1 rC'

gue table chauiiee par une circulation de vapeur ; cette table est divisée en autant de compartiments qu'il y a de salles, et c'est de que partent les transports d'aliments, au moyen de véhicules roulants. Aussi le bâtiment des cuisines doit-il être aussi central que possible, par rapport aux pavillons de malades, auxquels il est relié par des portiques d'abri.

Il faut d'importants dépôts d'approvisionnements : une

boucherie bien aérée, des magasins de comestibles divers, des caves, une cave-glaciére.

Puis ce service comprend encore les réfectoires qui comportent eux- mêmes des subdivisions : réfectoire des gens de la cuisine; réfectoire spé- cial et toujours assez grand pour les infirmiers et infirmières, les garçons et les filles de service, les garçons de salubrité.

La cuisine centrale alimente aussi les réfectoires ou salles

I 1 ,1 U I W I 1 LJ I U 11

ra'^inj-'-rTiH;

Fig. 853. Cuisine et pharmacie de Thôpital Bichat.

X,cnisine. 2,2, dépendances de la cuisine. 3, laverie 4, pharmacie. 5, tïsa- nerie. 6,6, laboratoires. 7, cabinet de U sœur.

SERVICES GÉNÉRAUX DES HÔPITAUX 389

à manger de l'internat, des surveillantes, de la communauté.

A proximité de la cuisine, il est nécessaire d'avoir une cour de service facilement accessible aux voitures. Souvent cet accès a lieu par une rue latérale ou postérieure : lorsqu'elle est pos- sible, cette disposition est préférable.

La lingerie est aussi un service assez complexe. Elle comprend plusieurs vastes pièces avec casiers pour le rangement et la conservation du linge; ces salles sont souvent distinctes des locaux nécessaires au racommodage, au repassage, au pliage; si au contraire les salles sont assez spacieuses, elles peuvent conte- nir ces services. Il y a toujours un bureau de la lingére en chef.

L'hôpital comprend un vestiaire des malades; c'est le dépôt en ordre des effets appartenant aux malades; il y a aussi le vestiaire des décédés, sont conservés leurs effets pour être rendus aux familles.

La pharmacie est toujours établie à rez-de-chaussée, afin de pouvoir profiter des sous-sols dont la fraîcheur est nécessaire à la conservation de certaines substances. Comme toute pharmacie, elle se compose d'une pièce ou bureau analogue à la bou- tique — sont apportées les ordonnances, et des pièces de travail : la tisannerie, l'officine avec fourneau, le laboratoire, le dépôt des produits; enfin, cabinet du pharmacien avec armoire aux poisons et laboratoire personnel; quelques pièces pour les internes.

Nous avons vu comment le linge sale est évacué des salles de malades et reçu dans les sous-sols des pavillons. Il en pro- vient ainsi de tous les services, des bains, salles d'opérations, et aussi de tous les services généraux. La quantité en est donc énorme. Mais, de plus, ces linges peuvent être et sont souvent dangereux : on a donc reconnu que le blanchissage devait se

590

ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l'aRCHITECTURE

ï^.

1

faire dans l'hôpital, le linge sale ne devant pas en sortir. Tel est l'objet de la buanderie.

La buanderie (fig. 854) comprend une ou deux pièces pour la réception du linge sale; puis un important lavoir, composé lui- même de la grande salle de lavage, avec bacs de rinçage, esso- reuses, etc., et le séchoir avec ses machines à sécher et à étendre, de grandes tables pour le pliage, etc. Il faut en outre des maga- sins divers, un réfectoire et un vestiaire pour les ouvrières. Près _ de la buanderie est un grand

terrain Hbre comme champ d'étendage.

L'étuve à désinfection n'est pas très grande. Elle se compose essentiellement de deux pièces séparées par une cloison à cheval sur la machine elle-même. Les objets de literie, vête- ments, etc., amenés dans le premier compartiment, sont introduits dans la machine; ils en ressortent à l'opposé, une fois désinfectés. Il ne faut donc aucune communication entre ces deux salles.

Ce service doit être dans un endroit écarté;' auprès, ou y attenant, sera disposé un four spécial pour incinérer les ouates et linges de pansements, les contenus des crachoirs, et en géné- ral tout ce qui pourrait être des véhicules de maladies infec- tieuses.

Aujourd'hui tout hôpital d'une certaine importance a une machine à vapeur parfois il y en a plus d'une. Sans parler en effet des plus grands étabHssements la cuisine elle-même peut utihser la force motrice, il y a dans toutes les parties de

Fig. 854.

Buanderie de l'hôpital Saint-Louis.

5, calori-

1, buanderie. 2, lavoir. 3, étuves. 4, lingerie, fère. 6y cabinet de U sceur.

SERVICES GÉNÉRAUX DES HÔPITAUX 59 1

l'hôpital matiùrc à emploi de la vapeur : notamment pour les bains, la buanderie, et, le cas échéant, l'élévation de l'eau ou le service des ascenseurs. Enfin, l'éclairage électrique étant de beaucoup préférable à tout autre, tout au moins dans les ser- vices hospitaliers, il y a lieu de le produire sur place. Mais tout cela ressemble à ce qu'est partout un service de machine à vapeur ou une usine d'électricité.

Les générateurs des machines peuvent rarement se prêter à la production de la vapeur pour le chauffage. De tous les modes de chauffage, le meilleur pour l'hôpital est certainement le chauffage à vapeur avec toutes ses variétés de combinaisons. Les bâtiments étant forcément disséminés, il ne sera pas tou- jours possible de n'avoir qu'un seul centre de chauffage. C'est cependant bien préférable lorsque cela ce peut, et cela se peut presque toujours.

Tout cela est fort difficile à bien placer dans une composition générale. Tous ces services généraux demanderaient évidem- ment à être des services centraux, car chacun étant en relations nécessaires avec toutes les parties de l'hôpital, il importe que les distances soient le plus courtes possible, que les inconvé- nients et parfois les dangers du transport soient réduits au minimum; cela est vrai du repas qui refroidit, du linge sale qui peut semer l'infection sur son parcours, de la vapeur qui risque de se condenser dans de longs trajets et des jambes des gens de service.

Mais le centre ne peut être disponible pour tout. Il faut d'abord le réserver à ce qui peut être l'occasion de déplacement des malades eux-mêmes, car c'est à eux qu'il faut avant tout éviter les longs parcours. Aussi trouverez-vous dans une situa- tion centrale : la chapelle, lorsque le programme en comporte; les bains, lorsque le service en est unique.

592 ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

La cuisine et la pharmacie, la lingerie pourront être placés dans une situation centrale avec profit pour la facilité du service.

Mais il faut d'autre part éviter l'encombrement central, qui retirerait au plan l'aération nécessaire; il faut éviter avant tout que les malades, de leurs fenêtres, n'aient que des vues de cours de service ou de toitures; éviter enfin que tout le person- nel extérieur qui aura affaire à ces services pénétre dans l'hôpi- tal lui-même. Aussi verrez-vous comme on saisit toute occa- sion de profiter d'une rue latérale ou postérieure pour créer des entrées de service discrètes. Je ne crois pas qu'il y ait à Paris un seul hôpital qui n'ait qu'une entrée unique.

Quant aux services dont le voisinage peut devenir dange- reux, comme la buanderie, l'étuve, etc., je vous ai déjà indiqué la nécessité de les écarter.

Toujours, vous le voyez, la contradiction, toujours la com- pensation des sacrifices ! Et en même temps, les difficultés de toute nature, terrain irrégulier et insuffisant, demandes exagé- rées etc. Qu'est-ce à dire? Que le rôle de l'architecte n'est

pas facile ? Je le sais bien, et vous vous en doutez déjà un peu.

Mais si ardue que soit la réalisation matérielle de toutes les parties de ce vaste programme, n'oubliez pas les considérations élevées qui devront régir toute votre composition : et pour ne les pas perdre de vue, pensez-y toujours. Deux pensées doivent vous guider : votre hôpital doit satisfaire à toutes les prescrip- tions de l'hygiène, aucune préoccupation ne peut primer celle-là; il doit être d'un aspect encourageant pour le malade. Ces deux pensées se résument en une seule et même idée dominante : guérir.

Dans tout ce qui précède, nous avons passé en revue ce qu'on pourrait appeler Yinternat d'un hôpital. Mais il y a aussi

SERVICES GÉNÉRAUX DES HÔPITAUX

59}

W'xkrnat, c'est-à-dire les services de consultation, de plus en plus importants. Pour le malade qui peut se soigner chez lui, qui peut se rendre à l'hôpital et en revenir, la consultation suffit au point de vue médical, et on obvie ainsi à l'encombre- ment de l'hôpiial. Aussi les services de consultation sont-ils maintenant très développés; dans les hôpitaux d'enfants surtout on leur donne une grande importance.

La consultation est donc un petit hôpital, moins le séjour des malades. Ce ser- vice est toujours placé joi- gnant la voie publique, très facilement accessible; le ma- lade y reçoit des conseils, des ordonnances; on lui délivre gratis les médica- ments, on lui fait au besoin de petites opérations.

Peut-être arrivera-t-on à subdiviser les consultations; jusqu'à présent elles constituent des groupes uniques, parfois avec deux parties distinctes pour les hommes et les femmes. Je vous montrerai, pour vous fliire saisir ce qui suit, deux exemples de consultations : l'un, très important, car on y vient de tout Paris pour des affections spéciales est la consultation de l'Hôpital Saint-Louis (fig. 855) ; l'autre, plus restreint, emprunté à l'Hôpital Bichat (fig. 856), vous montrera ce qu'est la con- sultation dans un hôpital d'import;mcc secondaire. Les parties essentielles d'un service de consultation sont :

Fig. 85;. Consultations Me ThApiul Saint-Louis.

1, consultations. 2, cabinet du chirurf^icn. ), cabinet dn médecin. 4, escalier du musée. s, bureau. 6, entrée des bains. 7. consullation ({{aie). 8, galerie de commu* nication entre l'Ilôpital et les bains.

594 ÉLÉMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

Deux vastes salles d'attente, ou une salle unique divisée en deux parties, suivant qu'on vient consulter pour la médecine ou pour la chirurgie ; ces salles bien claires, et chauffées, aména- gées pour abriter pendant un temps assez long des personnes malades;

Un ou plusieurs cabinets pour les docteurs consultants ; des salles de pansement;

Une pharmacie le malade se fera délivrer les médicaments ordonnés.

A la consultation de chirurgie sera jointe une petite salle

d'opérations, analogue à celle que nous avons vue dans les services de

-,T77-— ^ ■! wi'i-^ chirurgie.

i Aux salles d'attente doivent être

annexées quelques pièces d'isolement

Fie. 856. Consultations de l'hôpital ,

Bichat. pour les contagieux : cette prescrip-

NroLtr/iécTs^CriSL™.'- tion est surtout très importante pour

g.en. - 4,4, semce,. j^^ hôpltaux d'eufaots. Le contact

entre malades ayant peut-être des affections contagieuses est en effet le danger des consultations : un séjour prolongé dans la salle d'attente peut être très nuisible, et tel qui par exemple sera venu consulter pour une bronchite pourra en plus rapporter une variole. A cela on ne peut pas grand'chose, et l'inconvénient est le même dans le salon luxueux du médecin dont les consul- tations se paient le plus cher. Mais du moins si cela est inévitable lorsque le malade est encore un inconnu, on peut lorsqu'il revient de nouveau le diriger sur une salle d'attente spéciale. Seulement, tout cela c'est de la place, de la dépense, on ne peut pas toujours faire tout ce qu'il faudrait.

Il existe souvent dans les hôpitaux un service de bains externes. Le mieux est que ces bains, distincts du pavillon des

SERVICES GÉNÉRAUX DES HÔPITAUX 595

bains dont j'ai parle plus haut, soient annexés à la consultation. Il sera d'ailleurs analogue au précédent, avec les mêmes dépen- dances pour douches, hydrothérapies, etc.

La consultation, qui doit avoir son entrée directe sur la rue, doit aussi être à proximité du bâtiment d'administration, avec lequel elle a de fréquents rapports. Il est inutile d'ajouter que aussi tout doit être clair et aéré, hygiénique et encourageant.

En dehors même des hôpitaux, il existe des services ana- logues aux consultations; ce sont les maisons de secours. Les éléments en sont les mêmes.

Avant de quitter ce sujet, je veux vous dire encore quelques mots d'une théorie très moderne : des hommes très compétents ont pensé à demander la solution de l'architecture hospitalière au baraquement. On ne ferait que des hôpitaux en quelque sorte provisoires et temporaires, qu'on pourrait ainsi détruire et renouveler sans regrets. Il est certain que le vieil hôpital devient vite suranné dans ses dispositions immuables, et que petit à petit une lente pénétration fait de ses matériaux une réserve de germes nuisibles. Lorsque par suite de circonstances spéciales on a faire dans les jardins ou les promenades publiques des baraquements légers, on a constaté que les guérisons y étaient plus nombreuses, surtout pour les cas chirurgicaux. Avant que ces baraquements n'aient eu le temps de devenir nuisibles, ils étaient démolis; et il est constant que pendant la guerre de 1870 la mortalité a été bien plus considérable au Val-de-Grâce que dans les baraquements du Luxembourg ou du Jardin des Plantes. Mais pour ceux-là, la démolition s'imposait. La solution est donc bonne lorsque la démolition rapide est obligatoire : tout autre est le cas lorsqu'elle ne l'est pas. Ainsi, à Paris, sous la menace d'épidémies et pour faire fiice à une situation temporaire, on a construit çà et des hôpitaux en baraquements, avec la pensée

596 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE LAKCHITLCTURE

qu'ils seraient provisoires et répondraient stricteinent à des nécessités momentanées et disparaîtraient avec ces circon- stances spéciales. Or, ils durent encore, on en fait toujours état dans les ressources hospitalières, et on ne pourrait plus songer à les démolir sans créer dans l'ensemble des moyens de l'Assis- tance publique une lacune qu'il faudrait combler autrement et à grands frais. Et alors, conçus à titre provisoire, momentanément hygiéniques dans leur nouveauté, ils sont devenus des édifices permanents, délabrés, malsains, attristants pour les malades et grevés à jamais des insuffisances ou des imperfections qu'on avait tolérées vu l'urgence et le peu de durée qu'on leur attri- buait. Et il en sera toujours de même : la force des choses rendra définitif ce qu'on aura voulu faire provisoire; dés lors, ce n'est plus que la réalisation du même programme avec des moyens et des matériaux inférieurs, une construction insuffisante et l'aspect affligeant de la décrépitude au bout de bien peu de temps ; et pas même l'économie, car bien vite cette ruine per- manente appellera à grands frais les réparations continuelles. L'idée, défendable en tant que théorie, me paraît donc une erreur dans la pratique.

Par tout ce qui précède, vous voyez toute la complexité d'un programme d'hôpital. En somme, je ne fais guère autre chose que développer ce programme devant vous; quant à apporter l'ordre, la clarté et la proportion dans une composition judicieuse et pratique d'édifice hospitalier, c'est un des problèmes les plus difficiles qui puissent se poser à l'architecte. La matière a été très étudiée en France et à l'étranger, tout cela est bon à con- naître soit pour s'en inspirer, soit pour en éviter les inconvé- nients. Il n'y a guère lieu ici à composition spontanée, mais bien plutôt à composition réfléchie et prudente. Vous aurez du moins une idée des besoins à satisfaire et des difficultés à surmonter.

CHAPITRE V LES MAISONS D'ALIÉNÉS

SOMMAIRE. But et caractère dis maisons d'aliénés. Conceptions

anciennes et modernes du programme. Subdivisions des malades : tranquilles, maniaques, mélancoliques,

déments, alcooliques, agités. Paralysie générale, gâtisme, épilepsie,

idiotisme. Préaux, infirmerie; ateliers de travail. Cellules. Particularités

de ces établissements. Réclusion.

Dernièrement, je vous ai fait voir la prison ; ensuite l'hôpital; certes, le programme n'est pas le même. Mais il y a, dans le régime hospitalier, une catégorie d'établissements qui tient un peu de tous deux : c'est l'asile d'aliénés.

Hôpital par les soins, par la poursuite de la guérison, par la liberté rendue au malade dés qu'on le peut, c'est une prison aussi, car il faut bien que l'aliéné inconscient et parfois dange- reux soit séparé de la société, mis hors d'état de nuire, détenu en un mot pour suiiir un traitement qu'il doit suivre malgré lui. Mais cette prison doit être hospitalière et encourageante s'il se peut; elle doit être effective et non apparente. C'est pour ces malades surtout que le médecin cherche à agir sur le moral et l'imagination, à voiler la contrainte autant du moins qu'il le peut.

598 ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE l' ARCHITECTURE

Longtemps, le fou n'a été qu'un objet de crainte et d'antipa- thie : s'en garer, le mettre hors d'état de nuire, tel était le seul objet des anciennes maisons de fous, qui ont laissé dans les sou- venirs populaires de si terribles répulsions. La maison de fous n'était qu'un bagne, le malade mot moderne quand il s'agit de fous était enchaîné. Voyez la statue de Pinel, faisant tom- ber les fers d'un malheureux fou : toute la révolution accomplie dans le traitement des maladies mentales est là, et aussi toute la révolution nécessaire dans l'architecture des maisons de fous, devenues les Asiles d'ahénés. Ne cherchons donc pas d'exemples dans le passé barbare : passé récent encore, car les horreurs des maisons de fous étaient contemporaines des siècles les plus raf- finés, des sociétés les plus élégantes, des convictions religieuses les plus profondes. Nous réclamons ce programme comme uniquement moderne; et c'est un de ceux qui s'imposent le plus à vos études, car la progression terrible de ces maladies laisse toujours la prévoyance de l'habitation en retard sur le nombre des malades. Le département de la Seine a 12.000 aliénés à hospitaliser, il a place pour 5.700, et prochainement pour 7.000. Aussi un administrateur disait-il récemment que dans certains asiles la surveillance de nuit est impossible, à cause du grand nombre de matelas qu'il faut ajouter par terre entre les lits.

Tout le monde est d'accord pour préférer des asiles plutôt restreints. Ferrus, Esquirol n'admettent pas plus de 450 à 300 malades; Pinel, 300; Parchappe, de 200 à 400, etc. La Commis- sion préfectorale de 1860 conclut à un maximum de 600. Mais les nécessités, les raisons d'économie font admettre, quoique à regret, des asiles plus importants, et celui que le département de la Seine fait actuellement construire à Ville-Evrard recevra 1.200 malades. C'est une question de programme qui vous échappe nécessairement.

LES MAISONS d'aLIÉNÉS 599

Des maladies nombreuses et diverses sont traitées dans les asiles d'aliénés. Il y a la folie proprement dite, qui se subdivise en bien des catégories : tranquilles, maniaques, mélancoliques, déments, alcooliques, agités; puis les paralysies générales, le gâtisme, l'épilepsie, l'idiotisme. Le programme doit pourvoir à ce que ces catégories ne se mélangent pas.

En général, il y a plus de femmes que d'hommes ; il sera donc rare qu'une composition puisse se développer en deux parties symétriques. D'ailleurs, lorsque c'est possible, il vaut mieux que les deux sexes ne soient pas abrités dans un même établisse- ment.

Quant aux éléments du programme, ils seront à beaucoup d'égards les mêmes que dans l'hôpital, surtout pour les services administratifs et généraux. Ainsi, je n'ai rien de particulier à vous dire de l'administration, de la cuisine, de la lingerie, de la buan- derie, du service des morts. Toutefois si les malades sont employés dans quelques-uns de ces services, la cuisine par exemple, il ne fout pas que les évasions soient possibles : l'éva- sion est l'idée fixe même du malade le plus tranquille.

En général, il n'y a pas de service de consultation, ou il est très restreint. Les bains sont très importants, mais ne diffèrent pas sensiblement de ce que nous avons vu. Le service de chirur- gie n'existe qu'à l'état d'annexé de l'infirmerie, dont j'aurai à vous parler tout à l'heure.

Quant aux salles de malades, elles ressemblent de tous points à celles d'un hôpital, si ce n'est que pour la plupart des malades le cube d'air n'a pas besoin d'être aussi grand. On exige au mini- mum 30'"'. Toutefois, les salles des gâteux doivent être plus aérées, et semblables aux salles d'hôpital. Bien entendu, le chauf- fage, la ventilation seront régis par les même principes.

Passons maintenant à ce qui est spécial aux asiles d'aliénés :

6oO ÉLÉMENTS ET THÉORIE DE LARCHITECTURE

chaque quartier doit posséder un préau couvert et un préau découvert pour que les malades puissent y prendre l'exercice nécessaire. Ces préaux ou jardins doivent être bien secs, par conséquent exposés au soleil, et le plus possible à l'abri des vents régnants, surtout dans les pays le vent est violent.

L'aliéné malade ou blessé est soigné dans Yinfirnieric, petit hôpital en miniature, écarté des autres quartiers. En général, un seul bâtiment contient les hommes et les femmes. La proportion est environ un lit pour douze ou quinze hospitalisés. Il est utile qu'il y ait en outre et bien à part un pavillon des contagieux, car lorsqu'une épidémie se déclare, il faut que les malades puissent être soignés sans sortir de l'asile et sans risquer de répandre la contagion.

L'asile d'aliénés comporte des ateliers de divers travaux manuels pour les hommes, d'ouvrages d'aiguilles pour les femmes. Le plus souvent il y est joint en outre une ferme pour les travaux de culture, appropriés à la région. Ces divers ateliers n'ont rien de particulier.

Lorsqu'on le peut, on dispose une salle de fêtes se donnent parfois avec talent des concerts ou de petites représenta- tions scéniques. C'est un moyen de traitement.

Enfin, nous trouvons dans l'asile d'aliénés, le quartier des agités, avec son complément sinistre, les cellules. 11 y en a même pour les enfants, mais elles ont alors un préau commun. Pour les adultes, je vous citerai les cellules de Sainte-Anne, et celles de l'asile de Saint-Venant. Au surplus le plan de l'asile de Sainte- Anne (fig. 857) vous montrera l'ensemble complet d'un grand asile d'aliénés; et celui de Bracqueville (fig. 858) un asile de proportions plus modestes.

Cela ressemble fort, hélas, aux cellules de prisons, avec tou- tefois un peu plus d'espace. On demande au moins 3.60 x 2.25

LES MAISONS d'aLIÉNÉS

60 1

et 3.70 de hauteur, ce qui fait un cube d'air de 30 métrés. Natu- rellement, la surveillance doit être facile, il y a donc dans la

t'ig- ^"il' P'*" ^c l'Asile Saini-Anne, Jt Paris.

I, entrée principale. a, portier. j, inspecteur ginérAl, 4.4, écurie» et remise^. S, division de* hommrt, 6, division des femmes. 7, agités. ^, âi^itées. 9, «dministratioii. 10, parloir des horomes. 11. parloir du femmes. 12,12, circuLition. ij, services généraux. 14, chapelle. 15, salle d'autopsie. 16. dépAi des cercueils. 17, cabinets d'aisniices. 18, huandeiie et réservoir». 19, ^échf>l^ k l'air libre. ao, dèpdtde com- bustibles. — A, auunicrs des hommes. h, qu.irticts des femmts 21, infirmerie. 21, paisible». 2j,aj, semi- paisibles. 24, faibles et pâteux. 2$, b.iiiis. 36, agitas. 27,27, cabinets d'aisances.

Nouveaux huartihrs annkxks. 28, ilivision des hommes. 19, division des femmes. jo, agités. )i. agitées. 32-îa, cabinets d'aisances. j), bains résineux. 34, paviliou du jardinier-chef. ]î, pavillonderaitlv-'ardinivr. . \6, ateliers- Î7'Î7' terrains de culture.

602

ELEMENTS ET THEORIE DE L ARCHITECTURE

porte un judas vitré en forte glace, et garni d'un obturateur qui se manœuvre du dehors.

£,A-J/r Je

lit lis fd 1} lu JS

Fig. 858. Plan de l'asile de Bracqneville.

,1, galeries. 2,2, cellules. ^ 3,3, surveillants. 4, réfectoire. S)5> bains. 6, fourneau pour les bains. 7,7, cellule* d'isolement. 8,8, lieux d'atsances. 9, dortoir pour les aliénés momentanément tranquilles. 10, dortoir des aliénés gâteux. 11, réfectoire des aliénés gâteux. 12, chambres séparées des aliénés gâteux. 13, dépen- dances. — 14,14, cours d'isolement. 16,16, bornes-fontaines.

Chaque cellule a son petit préau découvert. Ceux de Saint- Venant (fig. 859) ont douze métrés sur quatre. Ils sont séparés par des murs élevés. Chaque cellule est pourvue de son siège d'aisances. L'en- semble de ce quartier est ici rectangulaire. Souvent aussi la disposition est rayonnante,

-Cellules et préaux desagités de l'asile COmme à l'asllc de Sainte-

de Saint-Venant. ^^^^ j^e quartier des agités

, vestiaire. 2, préau couvert. 3,3, cours. 4, chaudière *^ ^^

L°";, îv^ri^- 1," chtw. - ;;^do«oir: -'-'' """'"• doit être soigneusement écarté

Fig. 859.

LES MAISONS d'aLIÉNÉS 603

des autres : il ne faut pas que les malades tranquilles perçoivent les cris des furieux. Aux asiles d'aliénés est ordinairement annexé un service des idiots, gâteux, paralytiques, et en général de toutes les infirmités cérébrales. Sauf des nuances, cela ne pré- sente pas pour nous de différence sensibles avec ce que nous avons vu au sujet des hospices ou des hôpitaux ; ou bien cela motiverait trop de détails, par exemple pour les services d'enfants imbéciles, et parfois déjà fous. Ainsi, à la Salpétriére, il existe une installation de cellules pour enfants, ouvrant sur un préau demi-circulaire qui lui-même est clos par un grillage métallique; ces petits malheureux sont ainsi presque dans une faisanderie.

Lorsque l'asile peut se compléter par un parc de promenade, c'est excellent; les malades tranquilles y trouvent des ombrages et un séjour plus agréable que les simples préaux. Mais il faut y éviter les pièces d'eau, les rocailles, tout ce qui peut constituer un danger en cas de rixe ou de tentatives de suicide.

La loi prescrit l'habitation des médecins dans l'asile. Cette prescription n'est pas toujours observée. On préfère pour cela des pavillons personnels. Il doit exister aussi un pavillon des internes, et des logements pour un personnel assez nombreux; ce que nous avons vu pour l'hôpital s'applique encore ici; d'ailleurs, c'est le programme qui doit spécifier les exigences administra- tives à cet égard.

Les aliénés sont souvent visités par leurs familles, mais à moins d'autorisations expresses, ces visites n'ont lieu ni dans les quartiers, ni dans les préaux ou jardins. 11 faut des parloirs, lesquels doivent être placés dans le bâtiment d'administration, ou en contiguïté, afin d'éviter la pénétration des visiteurs dans l'asile.

Voyons maintenant quelques précautions particulières qui sont prises dans les asiles d'aliénés.

604 ÉLlÎMliNTS ET THÉORIE DE LARCHITECTURE

Il faut, VOUS ai-je dit, que la détention existe, mais qu'elle soit aussi peu apparente que possible. L'asile sera donc clos de murs, et de murs sérieux, auxquels on donne généralement 4 mètres de hauteur. Mais pour éviter que ces murs ne fassent écran car on cherche un emplacement en vue de la campagne ces murs sont construits au fond d'un saut de loup, ou plus exacte- ment d'une déclivité de terrain, en pente très douce. Le sommet du mur dépasse ainsi de très peu le niveau des terrains de l'asile, et la vue s'étend au delà. Les chaperons doivent être arrondis, sans saillie, afin d'éviter tout accrochage de cordes (fig. 860).

Les corridors, les portes doivent être plus larges que dans un hôpital : un choc ou une rencontre dégénère faci- lement en coUision et en rixes entre

Fig. 860. Clôture d'une maison les maladeS.

d'aliénés.

On évite tout ce qui peut être une cause d'accident ou de suicide. Ainsi, les serrures seront plutôt entaillées, on évitera les saillies, les angles seront autant que possibles arrondis.

Il est essentiel que les objets indispensables, tels que toilettes, etc., soient fixes.

Les escaliers ne doivent pas être à quartier tournant; ils ne doivent présenter aucun vide entre leurs limons, toujours par crainte des suicides. Les rampes doivent être élevées et lisses; les escaliers entre murs sont parfaits.

C'est surtout dans les quartiers des agités que ces précautions ne sauraient être trop minutieuses. Les cellules sont matelassées dans une hauteur de 2 mètres environ; au-dessus du capitonnage un chanfrein en bois, incliné à 45° au moins, raccorde le mur.

La tenétre est à 2 '"20 du sol, formée d'un châssis enfer et de petits carreaux en vitre-dalle.

LES MAISONS D ALI EN US

603

On recommande, de chaque côté de la porte, de disposer des pans coupés pour éviter les angles rentrants le furieux pour- rait se blottir pour guetter l'entrée du gardien et se précipiter sur lui.

11 va sans dire d'ailleurs qu'un programme aussi spécial ne sau- rait être abordé sans une étude sérieuse de ce qui a été fait en iTance et à l'étranger. On a beaucoup cherché, non sans résultats. A l'architecte d'un nouvel asile, il incombe de rechercher le dernier état de ces études, et de s'attacher à faire progresser encore les solutions. Les médecins aliénistes sont exigeants : ils ont raison. S'ils vous demandent des choses contradictoires ou impraticables, faites-le leur comprendre, mais restez en unité de vues : un hôpital, un asile d'aliénés, ne peuvent arriver à une composition acceptable que par la collaboration cordiale du médecin et de l'architecte.

TABLE DES MATIÈRES

DU SECOND VOLUME

LIVRE VI

LES ÉLÉMENTS DE LA COMPOSITION DANS l'habitation

CHAPITRE I"

Exposé général des éléments de la composition. Division du sujet : Habitation. Édifices d'instruction administratifs et politiques judiciaires hospitaliers d'usage public religieux funéraires commémoratifs d'embellissement. Voies publiques. Architecture rurale, jardins. Eléments communs et généraux.

Ce qu'est un programme 3

CHAPITRE II

HABITATION. LA CHAMBRE AVANT l' ARCHITECTURE MODERNE

Origine. La chambre dans l'antiquité. Maison grecque, romaine, gréco-romaine.

Pompéi. La chambre au Moyen-âge à la Renaissance 19

CHAPITRE III

LA CHAMBRE DANS l'haBITATION MODERNE

Préceptes de Blondel. xviii': siècle. Place des chambres dans l'appartement. La chambre prise à part. Indications résultant du meuble. L'architecture de la chambre. Exemples }7

CHAPITRE IV

LES DÉPENDANCES DE LA CHAMBRE

Le cabinet de toilette. Son emplacement. L'eau. Bains, salles de bains. Les cabinets d'aisances. Choix d'emplacement. Lingeries, garde-robes, etc. Difficuhés d'application 55

6o8 TABLE DES MATIERES

CHAPITRE V

LES SALONS

Origine du salon. Anciennes salles d'assemblée. Le salon dans l'appartement. Emplacement. Grands et petits salons. Successions de salons. Enfilades. Salles de réception. Galeries. Salles de fêtes et de danse 69

CHAPITRE VI

LES SALLES A MANGER, LEURS DÉPENDANCES, LES CABINETS DE TR.WAIL, ETC.

La salle à manger. Emplacement. Dimensions nécessaires. Chauffage. Salles à manger d'apparat. Hygiène. Éclairage. Les offices. Le cabinet de travail. Emplacement. Bibliothèque. Billards 99

CHAPITRE VU

LES CUISINES

Les anciennes cuisines. Grandes cuisines du Mo\en-âge. Cuisines depuis la Renaissance. Emplacement. ^ Communs. Cuisines dans les maisons. Sous- sols. La cuisine ordinaire. Sa place. Éclairage. Hygiène. Les grandes cuisines. Rôtisseries. Cuisines à rez-de-ch.iussée, en sous-sol, et dans les combles.

Les antichambres. Vestiaires.

La mode dans l'habitation m

CHAPITRE VIII

COMPLÉMENTS DE l'hABITATION

Les caves. Eosses. Citernes. Calorifères. Profondeur des caves et sous- sols. Boutiques. Écuries, dispositions diverses. Stalles et boxes. Ecuries monumentales. Remises. Selleries. Cour de; écuries i ; S

CHAPITRE IX

CHAUFFAGE ET HYGIÈNE DE l'HABITATION

Chaufiage. Cheminées et murs à cheminées. Souches. Calorifères. Règles générales : air chaud, eau chaude, vapeur. Hygiène résultant avant tout de la disposition. Le problème d'hygiène dans les villes. Adductions et évacuations. 15;

TABLE Di:S MATIÈRES 6o^

CHAPITRE X

IIABITATIOXS COLLECTIVES

L'hôtellerie. La caserne. Les édifices hospitaliers ; asiles, hospices, nuisons de retraite. Résumé des régies relatives à l'habitation 1 79

LIVRE VII

LES ÉLÉMENTS DE LA COMPOSITION

DANS LES ÉDIFICES d'eNSEIGNE.MENT ET d'iNSTRUCTION PUBL1Q.UE

CHAPITRE I"

ÉCOLES PRIMAIRES

Classification des écoles primaires, mixtes, maternelles ; groupes scolaires.

La classe. Emplacement, aérage, éclairage, dimensions. Classes éclairées par de»

jours unilatétaux ou bi-latéraux. Les préaux couverts et découverts. Cabinets d'aisances. Salles de dessin de travaux manuels. Vestiaires. Lavabos. Cantines. Escaliers. Recherche de la gaieté de l'École 209

CHAPITRE II

LYCÉES, COLLÈGES, ETC.

Recommandations générales. Les classes. Salles d'étude. Gymnase. Réfec- toire. — Cuisines. Dortoirs. Préaux et cours de récréation. Cabinets d'ai- sances. — Caractère à chercher. Séminaires. Écoles industrielles 229

CHAPITRE III

LES ÉDIFICES D'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR

Conception moderne de l'enseignement supérieur. Salles de cours : composition différente suivant la nature de l'enseignement, le nombre des auditeurs, etc. Amphithéâtres demi-circulaires rectangulaires. Emplacement, accès. Pente des gradins. Programmes spéciaux. Éclairage 2$

Éléments 4t Théorie dtVArchilf dure. II. 19

élO TABLE DES MATIÈRES

CHAPITRE IV

LES ÉDIFICES d'eNSEIGNEMENT SUPÉRIEUR (sw'te).

Les très grandes salles de cours ou de solennités. Leur utilisation possible, leurs accès. Difficultés acoustiques. Dépendances des salles de cours. Chauffage. Salles de conférences. Salles d'examens 275

CHAPITRE V

LES ÉDIFICES d'eNSEIGNEMENT SUPÉRIEUR (sîlitf).

Les laboratoires en général. Leur importance. L'enseignement scientifique supé- rieur moderne. Destinations diverses des laboratoires : laboratoires personnels, d'enseignement, de recherches scientifiques, de préparation des cours.

Nécessités communes : air et lumière.

Le laboratoire d'enseignement. Le microscope. -- Les hottes. Ventilation. Surveillance.

Particularités. Dépendances variées.

Les laboratoires de recherches et de préparations 287

CHAPITRE VI

LES ÉDIFICES d'eNSEIGME.MENT SUPÉRIEUR (silUf).

Les salles de collections. Eclairage. Lumière verticale ou plafonds vitrés. Ateliers d'enseignement. Salles de dessin de musique. Manèges. Salles des séminaires. Amphithéâtres de dissection 515

CHAPITRE VII

LES ÉDIFICES d'iXSTRUCTION PUBLIQUE

Les Edifices d'instruction publique. Le Musée. Conditions générales. Mise en valeur des objets exposés. Musées d'art, sculpture. Peinture, dessins, gravures; modes divers d'éclairage des salles. Les salles du Musée du Louvre. Salles à vitrines pour objets de petites dimensions 327

CHAPITRE VIII

LES MUSÉES SCIEXTIFIQUFS

Conditions générales, éclairages divers. Exemples pris au Muséum d'histoire natu- relle. — Salles avec fenêtres. Salles éclairées du haut. Serres et orangeries. Orangeries chauffées et non chauffées 565

I

TABLE DES MATIÈRES 6 1 I

CHAPITRE IX

LES BIBLIOTHÈaUES

Salles de bibliothèques dans des édifices complexes. Disposition. Éclairage. Grandes bibliothèques publiques. Compositions rayonnantes. Salles de lecture.

Éclairage. Magasins de livres. Dépendances des bibliothèques 581

LIVRE VIII

LES ÉLÉMENTS DE LA COMPOSITION

DANS LKS ÉDIFICES ADMINISTRATIFS, POLITIQUES, JUDICIAIRES, PÉNITENTIAIRES

CHAPITRE l"

ÉLÉMENTS Di:S ÉDIFICES ADMINISTRATIFS

Complexité des programmes. Le bureau ; travail intérieur, travail avec le public. Grands locaux administratifs.

Service du cabinet. Services généraux : archives, matériel, etc. Salles de délibé- rations.

Nécessités de l'architecture des bureaux 407

CHAPITRE II

ÉLÉMENTS DES ÉDIFICES POLITIOUES

Salles de séances des assemblées politiques. Relations de ces salles avec les dépen- dances. — Dispositions des salles d'assemblée. Accès, surveillance, chauffage, éclairage, ventilation.

Nécessités à observer dans la composition générale. Dimensions possibles, dimen- sions excessives. Caractère. -Le respect historique 45}

CHAPITRE III

l-LHMENTS DES ÉDIFICES MUNICIPAUX

AnciQis édifices municipaux; Maisons communes et Hôtels de Ville. Caractère et façades. V'estibules et portiques. Beflrois. Les mairies contempo- raines. — Services principaux. Leur programme moderne 455

CHAPITRE IV

ÉLÉMENTS DES ÉDIFICES JUDICIAIRKS

Le programme dans l'antiquité. Le Forum. La Basilique.

Les Palais de Justice. Chambre de Tribunal, salle d'audiences. Nécessités pr.itiqucs. Dépendances 467

6l2 TABLE DES MATIÈRES

CHAPITRE V

ÉLÉMENTS DE l'aRCHITECTURE JUDICIAIRE (silite).

Les salles d'audiences civiles, correctionnelles ; salles d'assises. La grande chambre de la Cour de cassation. Chambres du conseil. Nécessités architecturales des salles d'audiences. Les salles des Pas-Perdus; leur fonction; leur caractère. Mesures et surfaces comparées empruntées au Palais de Justice de Paris 481

CHAPITRE VI

ÉLÉMENTS DES ÉDIFICES PÉNITENTIAIRES

Considérations générales. La détention ancienne et moderne. Principes appli- cables à toutes les détentions.

Les prisons préventives. Le Dépôt. La maison d'arrêt. La maison de Justice. Le petit Dépôt 405

CHAPITRE VII

ÉLÉMENTS DE l'aRCHITECTURB PÉNITENTIAIRE (suUe).

Les maisons de correction. Maisons centrales, de correction et de force.

Détention cellulaire mixte ou système dit d'Auburn ; détention en commun

cellules dortoirs ateliers préaux cachots. Colonies ou Écoles de réforme. Mesures et surfaces 5,0

LIVRE IX

LES ÉLÉMENTS DE LA COMPOSITION

DANS LES ÉDIFICES HOSPITALIERS CHAPITRE I"

ÉLÉMENTS DE l' ARCHITECTURE HOSPITALIÈRE

Exposé général. Différence entre l'hospice et l'hôpital. Hôpitaux généraux ou spéciaux. Programme général. Idées hospitalières d'autrefois et d'aujourd'hui.

Grandes divisions : Services des malades. Services généraux. Administration. Service des morts. Consultations 5 3g

CHAPITRE II

ÉLÉMENTS DE l'aRCHITECTURE HOSPITALIÈRE (sill'te).

Salles de malades, services médicaux. Conditions hygiéniques. Dépendances. Salles des services chirurgicaux. Salle d'opérations ; dépendances. Pavillon des grandes opérations. Pavillons d'isolement.

Services de maternité : salles de femmes en couches. Salle d'accouchements ; salle des accouchées. Nourricerie 555

J

TABLH DES MAÏIHRES 615

CHAPITRE m

SERVICES ANNEXES DES HÔPITAUX

Les bains; bains individuels; Hydrothérapie. Quartier ou hôpital spécial d'enfants. Contagieux. Tableaux comparatifs; dimensions, surfaces et cube d'air (services thérapeutiques).

Service des morts. Nécessités de l'enseignement. Tableau comparatif 571

CHAPITRE IV

SERVICES GÉNÉRAUX DES HÔPITAUX

Importance des services généraux. Administration. Logements. Internes.

Cuisine et dépendances. Lingerie. Vestiaire des malades. Pharmacie. Buanderie. Etuvcs à désinfection. Services externes : consultations. Bains externes 585

CHAPITRE V

LES MAISONS d'aLIÉNÉS

But et caractère des maisons d'aliénés. - Conceptions anciennes et modernes du pro- gramme.

Subdivisions des malades : tranquilles, maniaques, mélancoliques, déments, alcooliques, agités. Paralysie générale, gâtisme, épilepsie, idiotisme.

Préaux, infirmerie; ateliers de travail. Cellules. Particularités de ces établisse- ments. — Réclusion 597

MAÇON, PROTAT FR&RES, IMPRIMEURS.

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