STRÉICULTURE A CETTE ET Division of M à DANS LA RÉGION DE L'ÉTANG DE TH PAR Louis CALVET Sous-Direcleur de la station zoologique de Cette n__ Chargé de cours complémentaires à la Faculté des sciences de Montpellier Extrait du Bulletin de la Société centrale d'Aquiculture et de Pêche Nos 9-10, 11, 12, 1909 et 2, 3 et 4, 1910. PARIS AU SIÈGE DE LA SOCIÉTÉ D'AQUICGULTURE 34, RUE DE LILLE, 34 1910 L'OSTRÉICULTURE À CETTE DANS LA RÉGION DE L'ÉTANG DE THAU +" | A cr de ; de, FSICIL fr ï fouuuags duesse À Hate, L'OSTRÉICURTURE A CETTE ET DANS LA RÉGION DE L'ÉTANG DE THAU 2 TE PAR Louis CALVET Sous-Directeur de la station zoologique de Cette Chargé de cours complémentaires à la Faculté des scienees de Montpellier Division of Mollusks ri pe Library Extrait du Bulletin de la Société centrale d'Aquiculture et de Pêche Nos 9-10, 11, 12, 1909 et ?, 3 et 4, 1910. PARIS AU SIÈGE DE LA SOCIÉTÉ D'AQUICULTURE 34, RUE DE LILLE, 34 1910 30 MN JAN 1 8 1950 NAN INSTITG> É /0 Ye # ne. ATIONAL MUSEVN ot 41 AN _5au.l £ie L'OSTRÉICULTURE À CETTE ET DANS LA RÉGION DE L'ÉTANG DE THAU PAR Louis CALVET Sous-directeur de la Station zoologique de Cette, Chargé de cours complémentaires à la Faculté des sciences de Montpellier. AVANT-PROPOS. Si l’industrie ostréicole sur les côtes françaises doit être considérée comme de date très récente, il est cependant bien établi aujourd'hui S que l’Huître a eu une place bien marquée dans l'alimentation des première peuplades ayant fréquenté et habité les rivages de la Médi- terranée. Pour ne nous occuper, en effet, que de la région du Golfe du Lion, il est permis d’affirmer que la grande Huître indigène qui habite encore dans les eaux littorales de cette région, l'Huître pied- de-cheval (Ostrea hippopus LAMARCK = Ostrea edulis var. hippopus auct.), a été déjà utilisée pendant la période grecque et beaucoup plus encore pendant la période gallo-romaine. Il ressort des savantes recherches effectuées par M. Henri Rou- zaud (1), dans la station pré-romaine de Montlaurès (près Narbonne, Aude), que l’Ostrea hippopus vivait sans aucun doute dans le lac Rubresus (aujourd’hui représenté par les étangs de Bages et de Si- gean) bien avant l'occupation romaine, car on trouve des valves de ce Mollusque dans les ordures ménagères des cabanes consti- tuant cette station, en même temps que d'innombrables débris de coquilles de Moule (Mytilus galloprovincialis LAMARCK) et d’autres (1) Notre ancien Maître et notre ami, M. Henri Rouzaud, a bien voulu nous fournir les renseignements relatifs à l’utilisation de l’Huître dans l’alimenta- tion pendant les périodes grecques et gallo-romaines. 1 PAOEN a coquilles de Mollusques comestibles, mélangés à des fragments de vases grecs, dont les plus anciens sont du VI siècle avant notre ère. Toutefois, l'extrême abondance des coquilles de Moule et la rareté relative des valves d'Huître attestent que celle-ci était ou moins abondante ou moins recherchée que la Moule dans l'alimentation pendant la période grecque. A l’époque gallo-romaine, c’est le con- traire que l’on constate et l’Huître acquiert une prédominance mar- quée sur la Moule. À Narbonne, dans les débris qui accompagnent les substructions des habitations de la période impériale, à Port de Galères, sur l'étang même,et là où vivaient, pour ainsi dire sur les lieux de pêche, d'assez nombreuses populations de marins et de commerçants, à Balaruc-les-Bains (Hérault),sur les bords de l’étang de Thau et à proximité des Thermes romains, dans ces localités, c'est l’'Huître qui surabonde, les valves des coquilles y étant mélan- gées en quantités prodigieuses avec ces poteries rouges,unies ou or- nées de reliefs,que l’on désigne génériquement sous le nom de «{erra sigillata».Or,toutes ces poteries sont assez bien datées: les arétines, importées d'Italie, sont du Ier siècle avant notre ère; les gallo-romai- nes, fabriquées à Montaus, Barnassac et surtout dans les environs de Millau (Aveyron), dans l’ancien Condatomagus des Ruthènes, ap- partiennent aux deux premiers siècles de l’ère chrétienne. L'extraordinaire abondance de l’Huître pied-de-cheval dans ces localités littorales prouve non seulement qu’elle était fort estimée des Gallo-romains, mais encore que les étangs de Thau et de Rubre- sus, où cette espèce était aussi largement représentée, possédaient de grandes communications avec la mer et renfermaient des eaux de composition biologique peu différente de celles de la mer côtière où l’Ostrea hippopus vit encore. L'Huître pied-de-cheval est donc une Huître très anciennement connue dans la région du Golfe du Lion. Mais, tandis qu’elle s’est toujours plus ou moins conservée jusqu'à nos jours dans les eaux ma+ rines et dans celles de l'étang de Thau,elle a complètement disparu dans les étangs de Bages et de Sigean, qui, fournis par le lac Rubresus, ont perdu, depuis plus de dix siècles, leurs larges communications avec la mer et acquis un régime hydrographique ayant entraîné la disparition de l’'Huître. Il n’en à pas été de même dans l'étang de Thau, où, malgré l’isole- ment progressif imposé à cet étang par la formation du cordon litto- ral, a subsisté cependant, entre l'étang et la mer,une communication suffisante ayant permis la conservation de l’Huître jusqu'à nos jours. L’isolement de l'étang par rapport à la mer a toujours été in- complet, en effet. Les vastes graus qui, au XIVE siècle, séparaient encore l’île de Cette, à l'Est et à l'Ouest, du cordon littoral, étaient ES NS SERA sans doute à peu près comblés vers la fin du XVIe siècle ou repré- sentés par des graus secondaires de bien moindre importance, mais encore, à cette époque, subsistait à l'Est de la montagne de Cette, sur l'emplacement même de la gare de cette ville, une assez large com- munication de la mer avec l'étang, qui, vers le milieu du XVIII siè- cle, fut utilisée et transformée en un canal destiné à relier le port de Cette et le canal du Midi qui traverse l’étang de Thau. C’est à ces diverses conditions que l’on doit attribuer la conserva- tion de l’'Huître dans l'étang de Thau, et il faut croire que si les étangs de Bages et de Sigean reprenaient un jour leur ancienne et large communication avec la mer, les bancs huîtriers de l’ancien lac de Narbonne reparaîtraient à leur tour. Toutefois, dans l'étang de Thau, l'Huître n’y a pas été toujours aussi grandement représentée qu'à l’époque gallo-romaine ou même que dans ces dernières années. Avant 1900, en effet, les Huîtres y étaient plutôt rares, et, dans tous les cas, elles n'étaient l'objet d’au- cune exploitation de la part des marins-pêcheurs ; elles constituaient surtout une pêche d’amateurs et la consommation en était locale. Depuis 1900, au contraire, et sans doute sous les influences d’un ré- gime nouveau des eaux de l'étang dont les causes apparentes sont très discutables, mais dont les causes réelles nous échappent, de nombreux gisements huîtriers se sont formés dans l’étang de Thau, qui, exploités grandement par de très nombreux pêcheurs, ont donné un vivifiant essor à l’industrie ostréicole mourante de la région de Cette. Dans les eaux marines côtières du Golfe, l’Huître pied-de-cheval existe encore aujourd’hui et, depuis le Grau-du-Roi (Gard) jusqu’à Collioure (Pyrénées-Orientales), les pêcheurs ramènent assez fré- quemment dans leurs filets traînants quelques Huîtres souvent énor- mes de taille. Celles-ci sont des individus isolés provenant de la dissé- mination du naissain fourni par deux bancs huîtriers, il y a qua- rante ans encore très prospères, mais aujourd’hui à peu près com- plètement ruinés. L’un de ces bancs,d’une assez grande étendue, est connu sous le nom de banc de La Nouvelle ; il est situé à un mille environ au large de la côte, en face du Port de La Nouvelle (Aude) par 20 ou 25 brasses de fond et s'étend vers le nord jusqu’en face de Gruissan (Aude) ; l’autre est celui du Grau d'Agde, situé à un mille au large de l'embouchure de l'Hérault, par 20 à 30 brasses de profon- deur.Malgré qu'ils n’aient jamais été l’objet d’une exploitation inten- sive,ces deux bancs sont aujourd’hui très appauvris, envahis par les Ophiures et les Etoiles de mer, et à peu près totalement abandon- nés des pêcheurs d'Agde qui les fréquentaient autrefois. À aucun moment, cependant, les Huîtres récoltées sur ces bancs n’ont donné La PRES lieu à un commerce quelconque, leur consommation ayant été tou- jours absolument locale. De ces quelques considérations, il résulte donc que, si l'Huître indigène de la région du Golfe du Lion possède une histoire déjà très ancienne dans l’alimentation des populations côtières,elle n’a jamais servi de base, avant 1900, à une industrie quelconque, et il faut sans doute en trouver la cause dans la pauvreté des gisements huîtriers, tout au moins depuis que les transactions commerciales ont été si lar- gement facilitées par le création des voies ferrées. Les essais de repeuplement ostréicole, tentés, en 1860, par l’Ad- ministration de la marine dans l'étang de Thau, ne devaient pas faire disparaître cette pauvreté. Toutefois ces tentatives, quoique restées infructueuses, ne devaient pas rester sans résultats. Elles eu- . rent pour effet, non seulement de faire connaître qu'il existait une question de l’ostréiculture sur les côtes françaises, mais encore de familiariser la population maritime de la région avec l’industrie ostréicole nouvellement créée dans le bassin d'Arcachon, sur l’ini- tiative de Coste. Après quelques expériences couronnées de succès, quelques inscrits maritimes, en effet, entrevirent la possibilité d’éle- ver dans les eaux de l'étang de Thau ou dans celles des canaux de la ville de Cette, sinon l’Huître indigène beaucoup trop rare, du moins l'Huître qui pullulait déjà dans le bassin d'Arcachon. Un premier parc d'élevage fut concédé, en 1875, sur les bords de l'étang de Thau, à Pierre Lafite, qui doit être considéré comme le promoteur de l’industrie ostréicole dans la région de Cette, et suc- cessivement jusqu'en 1884, sept nouvelles concessions furent accor- dées sur deux des canaux sillonnant la ville de Cette. Dans la même période, cinq autres concessions étaient accordées dans les eaux d'Aïgues-Mortes et de Palavas (Hérault) et, plus tard, en 1895, la création d’un parce d'élevage était autorisé dans le grau d'Agde, sur le quai ouest de l’embouchure de l'Hérault. Des parcs flottants furent installés dans la plupart de ces conces- sions, Où, jusqu’en ces dernières années, il a été procédé à l'élevage et à l’engraissement d'Huîtres du bassin d'Arcachon et de Moules de la Méditerranée ou de l'Océan. Les mêmes parcs étaient encore utilisés pour la stabulation temporaire d'Huîtres vertes de Marennes, d'Hui- tres portugaises des côtes de l'Océan et aussi des Clovisses | Tapes aureus GMELIN, Tapes texturatus LAMARCK, etc.|, et des Palourdes | Tapes decussatus LINNÉ! récoltées dans les étangs ou canaux de la région. Mais de ces diverses concessions quelques-unes durent être abandonnées comme insuffisamment productives, d’autres furent retirées pour cause de non-occupation, enfin quelques autres encore, DE à la suite du décès des titulaires, furent fusionnées avec d’autres concessions. En 1900, en effet, il ne subsistait plus que trois parcs, tous les trois installés dans les canaux de £ette et encore, dans l’un d’eux, l'élevage de l’'Huître avait été complètement abandonné. Le repeuplement ostréaire de l’étang de Thau, bien inattendu, mais déjà bien marqué en 1900, et qui paraissait devoir donner une grande impulsion nouvelle à l’industrie ostréicole dans la région de Cette et de l'étang de Thau, fut d’abord froidement accueilli par les quelques parqueurs cettois. Les pêcheurs d’Huîtres, ne pouvant écouler le produit de leur pêche auprès de ces derniers, s’improvisèrent expédi- diteurs et marchands d'Huîtres. Le mode défectueux de stabulation imposé à ces dernières, le manque de soins apporté dans les expédi- tions et aussi, peut-être,le manque de fraîcheur des Huîtres vendues au détail, occasionnèrent quelques accidents pathologiques qui, après avoir fait incriminer la toxicité des Huîtres de Thau, élevées ou ayant stabulé dans les eaux impures des canaux de Cette, entraîne- rent la suppression de tous les parcs installés dans ces derniers. Un ai rêté ministériel du 25 janvier 1907 a rapporté, en effet, toutes les concessions accordées dans les canaux de Cette et les titulaires ont été engagés à solliciter de nouveaux emplacements dans les eaux de l’'Etang de Thau, concurremment avec les inscrits maritimes dési- rant se livrer à l’ostréiculture. Vingt-six demandes de concessions ont été formulées depuis le 25 janvier 1907, mais encore aujourd’hui, quatre seulement ont été favorablement accueillies, les autres n'étant pas solutionnées. A l'heure actuelle, un seul établissement ostréicole est complète: ment installé sur les bords de l’étang de Thau, à Balaruc-les-Bains et fonctionne depuis le mois de septembre 1908, répondant à toutes les exigences édictées par mesure d'hygiène publique; trois autres sont en cours d'installation en divers points de l’étang de Thau. Toutefois, malgré toutes les réglementations formulées et décré- tées, des dispositions transitoires, imposées d’ailleurs par les retards apportés à l’attribution des concessions sollicitées, permettent encore à plus de trente-cinq expéditeurs de livrer à la consommation des Huîtres n'ayant pas toujours subi les diverses manutentions desti- nées à supprimer, dans la plus large mesure possible, les diverses causes de nocivité. Tel est, très brièvement esquissé, l'historique de l’industrie ostréi- cole dans la région du Golfe du Lion et plus particulièrement dans les quartiers maritimes de Cette et d'Agde. Après ce trop rapide exposé, il ne nous paraît pas sans intérêt d’en reprendre quelques points spéciaux, de leur donner l'importance AP (LEE qu'ils comportent, de grouper tous les documents s’y rattachant et, par suite, de contribuer à la connaissance, et peut-être à la solution de quelques-unes des questions intéressant l’ostréiculture française. Nous nous proposons donc d'étudier successivement : 19 Le repeuplement des huîtrières de l’étang de Thau ; 29 Les Huîtres et l'hygiène publique ; 30 L'élevage des Huîtres et l'installation des parcs d'élevage. Nous ne saurions trop remercier ici M. Lafont, administrateur de l’Inscription maritime de Cette,son collaborateur,M. Bertrand, et M. Ménager, administrateur de l’Inseription maritime d'Agde, qui ont bien voulu nous communiquer la plupart des documents adminis- tratifs dont il sera fait usage au cours de cette publication. Cette, le 17 août 1909. ]. — LE REPEUŸYLEMENT DES HUITRIÈRES DE L’'ETANG DE THAU. L’Etang de Thau. L'étang de Thau constitue un bassin de plus de 7.000 hectares de superficie, d’une longueur de 15 kilomètres environ sur une largeur moyenne de 5 kilomètres. Il longe,dans une direction N.-E.—$.-0., le cordon littoral réunissant aujourd’hui la montagne de Cette à la montagne basaltique d'Agde et s’étend de la petite chaîne des colli- nes jurassiques de la Gardiole au N.-E. jusque dans le voisinage de la montagne d'Agde au S.-0. Dépendance du système de la Gardiole, la montagne de Cette s'étale, sur le bord méridional de l'étang, en une pointe, la pointe du Barrou, faisant face à la presqu'île rocheuse de Balaruc que forme la Gardiole, et constituant à ce niveau une sorte de détroit au milieu duquel émerge le rocher de Roquerols ou de Roucayrol. Vraisemblablement, ce rocher était autrefois le point cul- minant d’un isthme jurassique reliant la montagne de Cette à la Gardiole et submergé plus tard à la suite d’un affaissement du sol. L'étang se trouve ainsi subdivisé par le détroit Barrou-Balaruc, en deux parties, une partie orientale, appelée étang des Eaux-blan- ches (1),et une partie occidentale, d’une étendue beaucoup plus consi- dérable, le Grand-Etang, à laquelle on réserve plus spécialement la dénomination d’étang de Thau. Les bords de l'étang possèdent un caractère variable suivant les (4) L’appellation d’ « étang des Eaux-blanches » serait très ancienne et ne dériverait pas de la coloration des terrains calcaires lacustres situés à l’est de cet étang. Suivant un acte de 1292, l’étang de Thau était subdivisé en deux régions ; une partie profonde qui, à cause de l'apparence des eaux, était appelée «le noir de l’étang»(nigrum stagni de Tauro) et une partie peu profonde qui pour le même motif était désignée «le blanc de l’étang » (album stagni). Voir E. BONNET, Recherches historiques sur l’île de Cette, Montpellier, 1894, p. 76. EAP points considérés. Le rivage méridional, formé en très grande partie par les alluvions ayant déterminé le cordon littoral qui a isolé pro- gressivement l'étang de Thau, est surtout constitué par une grève Sableuse découpée seulement par le plateau et les affleurements r0- cheux dela pointe du Barrou et des métairies St-Joseph attenant à cette dernière. Le rivage septentrional est quelque peu plus irrégulier et présente desreliefs en falaise (aux pieds de la Gardiole, à l’ouest de Mèze et au N.-E. de Marseillan) reliés par de petites plages sableuses. L'étang de Thau qui, avant son isolement, communiquait avec la mer par de nombreux graus distribués à l’ouest de la montagne de Cette et par le grau de Lapeyrade à l’est de cette dernière,ne pré- sente plus aujourd’hui que la communication établie par le canal maritime et ses canaux adjacents,reliant l’étang des Eaux-blanches aux diverses dépendances du port de Cette. De ces différents graus, celui de Lapeyrade,qu'il ne faut pas confondre avec l'emplacement du canal maritime (1), a disparu complètement, à la suite de l’enva- hissement progressif des alluvions du Rhône et de la construction des voies de communications ; ceux situés à l’ouest de Cette ne sont plu- représentés aujourd’hui que par les graus de la Quinzième, de Pisse Saume et du Rieu,le plus souvent totalement à sec et n’établissantde relation entre la mer et l'étang que par les très grands vents du Sud. Mais d'autre part, l'étang de Thau, dans la partie occidentale duquel aboutit le canal du Midi, s'ouvre, par le canal des Etangs, dans l'étang de l’Ingril et la série presque ininterrompue des étangs et ma- rais distribués le long du cordon littoral, à l’est de la ville de Cette. La profondeur de l’étang est de 6 mètres environ dans l’étang des Eaux-Blanches et s'élève jusqu’à 10 mèêtres dans la partie centrale du Grand-Etang. Toutefois, entre les villages de Balaruc-les-Bains et de Bouzigues, à l’entrée même de la baie désignée sous le nom de Crique de l’Angle, existe une dépression sous-marine en forme d’ene tonnoir dont le point le plus profond mesure 29 m. 50. A cette dé: pression, connue sous sous le nom de « la Bise» ou de « l’Abysse », correspond une source d’eau (2) se manifestant à la surface de (1) La création du canal maritime ou canal de la Bordigue, destiné à relier le canal du Midi aboutissant dans l’étang du Thau au port de Cette, futlacons- quence du choix du promontoire de Cette comme le point du littoral le plus propice à l’établissement d’un port auquel devait aboutir le canal des Deux- Mers dont Colbert avait conçu le grandiose projet. Les travaux commencèrent le 29 juillet 1666 et le canal maritime fut ouvert le long de la montagne de Cette à l'Est, entre cette dernière et le grau de la Peyrade. (2) D’après une étude récente de MM. Chevallier et Sudry (La source de la Bise dans l’étang de Thau. Bulletin de l’Institut océanogr., n° 133, 25 février 1909), la Bise ne serait pas une source d’eau douce ; elle fournirait une eau minérale de composition se rapprochant de celle des sources thermales de Balaruc-les-Bains, dont les eaux sont chlorurées sodiques, ce qui permet de supposer une communication probable entre ces dernières sources et celle dela Bise. As l'Etang par un bouillonnement permanent et, en hiver, par des va- peurs se condensant en une sorte de brouillard. La température de l’eau de cette source est de 2193, toujours supérieure à celle des eaux de l'étang. La cuvette de l’étang peut être considérée comme formée de vases noirâtres occupant les parties les plus profondes et passant graduel- lement aux sables côtiers dans lesquels pousse une flore plus ou moins importante, comprenant avec des prairies assez étendues de Zostères (Zostera marina L. et Z. nana RoTu), et d'Ulves (Ulva lactuca Wuxrr.) quelques Algues, telles que: Enteromorpha compressa GREV. Acelabularia mediterranea LAMx, Laurencia obtusa LAMX, etc. Mais le fond de la cuvette n’est pas régulier et,cà et là, émergent au- dessus de vases des soulèvements formant les « aiguilles madrépori- ques » que l’on trouve signalées dans les cartes marines. Ces forma- tions madréporiques se dressent sur des fonds durs auxquels les pê- cheurs de la région donnent le nom de «tos », et elles sont encore dis- tinguées par ces professionnels en « planières » lorsqu'elles s’éten- dent en surface sans s'élever en hauteur et en « cadoules » si elles forment des soulèvements peu étendus mais assez élevés. Aïnsi que nous avons eu l’occasion de l'écrire déjà (1), planières et cadoules possèdent une distribution quelque peu irrégulière dans la partie du Grand-Etang comprise dans un triangle dont les sommets correspondraient respectivement au rocher de Roquerols, au village de Mèze et aux Salines dites de Villeroi. « Les unes et les autres, ai-je dit, sont constituées par des organismes marins, des Vers annélides (Serpula infundibulum GruBE et Hydroides pectinata MARENZEL- LER), habitant l’intérieur d’un tube calcaire que l’animal sécrète lui- même. Ces tubes, qui rappellent un peu le tuyau de la pipe en terre blanche, sont plus ou moins soudés entre eux, s’entrelacent et ser- vent de support à de nouveaux individus qui forment eux-mêmes de nouveaux tubes de manière à constituer des massifs solides de plus en plus importants,dont la surface est très découpée et comme Périssée par des massifs secondaires. Ce sont ces tubes calcaires que les pêcheurs désignent sous le nom de « cascals » ou, quelquefois aussi, de « pilotis ». «Vases,rochers,cadoules et sables, tels sont les différents fonds que présente la cuvette de l’étang de Thau. A chacun de ces fonds cor- respond une faune et une flore spéciales, qui, étant donnée la variété (1) A propos du maintien ou de l'interdiction du! dragage des Huîtres dans l’étang de Thau, nous avons publié dans un journal quotidien de Montpellier, Le Petit Méridional, en janvier 1907, une série d’articles où nous avons fait une étude de vulgarisation sur la nature des fonds de l’étang de Thau. VS" e RME même des fonds, constituent un milieu organisé,un « benthos » très riche. » Nous terminerons ce rapide aperçu géographique en disant que l'étang de Thau reçoit quelques petits cours d’eau (le plus fréquem- ment à sec en dehors de la saison des pluies) : l’'Avène,le Pallas, et le Valat aboutissant dans le Grand-Etang et aussi les eaux provenant de la fontaine intermittente d'Embressac ou Euversac, se déversant dans l'étang des Eaux-Blanches. Enfin, nous signalerons sur le rivage septentrional de l’étang les petits ports de Marseillan, Mèze, et Bouzigues fondés avant le IVe siècle, et celui plus récent de Ba- laruc-les-Bains, les uns et les autres comptant un assez grand nom- bre d'inscrits maritimes se livrant à la pêche dans l’étang de Thau. Quant aux conditions physico-chimiques, les eaux de l’étang de Thau se rapprochent beaucoup des eaux côtières du Golfe du Lion. Par le canal maritime, en effet, il s'établit entre la mer et l’étang un régime de courants alternatifs, soumis aux mouvements des ma- rées et pouvant être suspendus ou accentués, suivant les cas, par les grands vents qui sont assez fréquents dans cette région à certaines époques de l’année, soit que ces derniers soient de direction oppo- sée à celle du courant, soit au contraire qu'ils soufflent dans la di- rection même du courant. Ce mouvement à peu près continu des eaux dans un sens ou dans l’autre s'accroît encore davantage sous l'influence de ces mêmes vents qui, soufflant parfois en tempête, oc- casionnent des variations barométriques exerçant leur action sur les eaux du Golfe, dont les niveaux extrêmes peuvent atteindre un écart d’un mètre. Avec de tels écarts (au moins cinq fois plus forts que l'amplitude moyenne des marées, qui, dans la région occidentale de la Méditerranée, ne dépasse guère 20 centimètres),les courants ac- quièrent une telle intensité que les eaux de l’étang de Thau peuvent être considérées comme entièrement renouvelées jusque dans les couches les plus profondes pendant les périodes des vents. Les degrés de température et de salinité sont alors très voisins pour les eaux de l’étang et pour celles de la zone littorale du Golfe. Mais cette pres- que uniformité peut être détruite sous l'influence des longues pé- riodes de calme qui surviennent parfois pendant l'été ; la tempéra- ture des eaux de l’étang est susceptible de s’accroître de 2 et même 3 degrés au-dessus de celle des eaux côtières de la Méditerranée. Ilen est encore de même pendant l'hiver, sous l'influence des vents froids du Nord et du Nord-Ouest qui,en refroidissant les couches superficiel- les des eaux de l'étang, au renouvellement desquelles ils s'opposent, peuvent occasionner une baisse de température de 1 à 3 degrés par rapport à celle des eaux littorales du Golfe. Enfin,pendant certains hivers très rigoureux, la température peut s’abaisser encore plus 0 considérablement, descendre même au-dessous de zéro, et la glace recouvre alors les bords de l'étang ; ce n’est que très exceptionnelle- ment, en effet, que la glace recouvre toute la surface de l'étang, ainsi qu'il nous a été permis de le constater le 18 janvier 1891. Quoi qu'il en soit, d’après les recherches effectuées par M. PaviL- LARD (1) pendant les années 1903 à 1905, le mois de janvier est le plus froid et la température moyenne des eaux de l'étang durant ce mois est de 5246, alors que celle des eaux littorales de la Méditerra- née ne descend qu’à 8°. De même, les mois de juillet et d'août sont les plus chauds et les eaux de l’étang atteignent à une température moyenne de 259, tandis que les eaux côtières du Golfe ne dépassent pas 230. D'autre part, si la composition chimique et la salinité même des eaux de l'étang se rapprochent de très près le plus généralement de celles des eaux méditerranéennes côtières, il survient cependant des conditions particulières pouvant entraîner certaines variations assez importantes, tout au moins en ce qui concerne la salinité . Nous ne possédons pas à cet égard des observations suffisantes (2) pour juger de l’étendue même de ces variations ; mais il faut croire que pendant les périodes de pluie non accompagnée de vents du Sud capables de faire affluer l’eau de la mer dans l’étang, la salinité des eaux de ce dernier doit diminuer assez sensiblement. Cette diminution a dû être certainement très grande aux jours des pluies diluviennes dont le département de l'Hérault, en particulier,a été si cruellement éprouvé ces deux ou trois dernières années, alors que les ruisseaux se je- tant dans l'étang de Thau étaient transformés en véritables torrents. Les périodes de calme de l’été, qui déterminent un accroissement de la température et rendent négligeable l’afflux des eaux marines, ne peuvent entraîner aussi qu'une baisse dans la salinité des eaux de l'étang où, sans cesse, se déversent les eaux douces des sources et ruisseaux. Suivant les observations de M. Pavillard, la valeur la plus normale de la salinité des eaux de l'étang serait probablement 36,55,corres- pondant à un poids spécifique de 1.02947 et s’écartant peu de celle des eaux de la Méditerranée occidentale. Essais de repeuplement. L’Etang de Thau, avons-nous déjà dit, paraît avoir toujours pos- (1) J. PAVILLARD. — Rercherches sur la flore pélagique (Phytoplankton) de l’étang de Thau. Thèse, Paris 1905. (2) Des mesures de salinité sont prises régulièrement à l’aréomètre par l’administralion de la Compagnie des Salins du Midi et depuis plusieurs années, mais elles ne s’adressent qu’aux eaux côtières de l’étang dont la salure est tou- jours très variable suivant les conditions atmosphériques. 0 AE sédé des Huîtres depuis la période grecque ; mais celles-ci, très abon- dantes tout au moins à l’époque gallo-romaine et sans doute jusque vers le XVE siècle, sont devenues depuis de plus en plus rares avec la formation progressive du cordon littoral, sans cependant disparaître complètement, cet étang ayant toujours possédé une communica- tion plus ou moins importante avec la mer. Enfin, nous avons dit que cette Huître indigène avait repris presque spontanément son abon- dance primitive en 1900, donnant lieu sur les bords de l'étang à une industrie nouvelle. Comme la plupart des gisements huîtriers des bords de l'Océan et de la Méditerranée, ceux de l’Etang de Thau étaient à peu près tota- lement ruinés lorsque, de retour de son voyage d'exploration sur le littoral de l’Italie,Cosre obtint des Pouvoirs compétents les moyens d’expérimenter en grand le repeuplement des bancs d'Huîtres du lit- toral français. Après les tentatives fructueuses qu'il opéra, en 1858, dans la rade de Saint-Brieuc, Coste eut des imitateurs en divers points des côtes de l'Océan et l'Administration de la marine, elle- même, ne recula devant aucun sacrifice pour généraliser le repeuple- ment obtenu dans la baie de Saint-Brieuc. Deux parcs impériaux furent établis en 1860 dans le bassin d’Arcachon et, dans la même année, des ensemencements d'Huîtres très importants furent effec- tués dans l'étang de Thau et dans la rade de Toulon. Pour ne nous occuper que de l’Etang de Thau, le Ministre de la Marine, sur la demande de M. Coste, ordonna, par dépêche du 24 février 1860, la création d’un parc dans cet étang. Suivant les indications fournies par M. Coste, on choisit pour l'em- placement de ce parc la partie de l'étang entourant le rocher de- Roquerols (ou Roucayrol) et les limites en furent déterminées par des bouées distribuées sur une circonférence de 50 mètres de rayon,au- tour du rocher comme centre. En mai 1860, 3.000 Huîtres prove- nant du banc de La Nouvelle (Golfe du Lion) furent immergées dans ce parc, et au moins de juin suivant,40.000 autres Huîtres achetées en Angleterre furent transportées à Bordeaux par l’aviso Le Chamois et de là dirigées par les voies ferrées sur Cette où elles furent répan- dues dans le parc de Roquerols,en des points différents de ceux dans lesquels les Huîtres de La Nouvelle avaient été déjà distribuées. En même temps que les Huîtres de l’'Océan,on immergea au-dessus de cette huîtrière artificielle en vue de recueillir le naissain : 300 fascines en bois d’amandier, de chêne vert et d’olivier ; quatre appareils col- lecteurs en bois ; une toiture en tuiles ; cinquante faisceaux de tuiles et une certaine quantité d’écailles d'Huîtres. Au mois d'août de la même année, l'enseigne de vaisseau, M. Tro- tabas, fut délégué par M. Coste pour se rendre à Cette et constater 2 12-= l’état du parce, de concert avec le Commissaire de l’Inseription mari- time. Les observations faites ne furent pas encourageantes à tous égards et voici, d’ailleurs,en quels termes le Commissaire les porta à la connaissance de son chef de service par son rapport en date du 9 août 1860. « La croissance des Huîtres se fait très rapidement, mais plusieurs circonstances défavorables, sur lesquelles on n'avait pas compté, se manifestent aujourd’hui et demandent à être combattues. La portion de l'étang où les Huîtres ont été semées avait été choisi exempt de toute végétation maritime. Maintenant les herbes flot- tantes viennent en abondancesefixer sur les Huîtres et sur les fasci- nes . Les fascines elles-mêmes sont souvent dérangées par l'agitation des eaux, qui est vraiment exceptionnelle cette année. Enfin, les ennemis ordinaires de l’Huître et, entre autres, un autre Mollusque armé d’un instrument perforant, une sorte de Murex, je crois, font des ravages dans notre établissement. Pour obvier à ces inconvénients,on a imaginé d'employer les pa- niers qui sont servi à apporter les Huîtres, à en placer un certain nombre dans des conditions particulièrement favorables. On étale une couche d’Huîtres dans le fond du panier que l’on ferme et que lon coule ensuite avec une pierre. Une trentaine de paniers ont été déjà coulés de cette manière et M. Trotabas a donné pour instruc- tion d'employer tous les paniers qui restent de la même manière ». Mais, quelques mois plus tard, quand, sur l’ordre du Ministre, le Commissaire de l’Inscription maritime eut à faire un envoi des Hui- tres du parc de Roquerols à Paris, il remarqua que celles renfermées dansles paniers étaient restées stationnaires ou paraissaient même souffrir,tandis que celles placées directement sur le fond sous-marin avaient acquis un développement notable (Rapport du 19 février 1861). Dans ces divers rapports,il n’est question que des Huîtres immer- gées et on ne trouve aucun renseignement relatif à la fixation du nais- sain sur les divers appareils collecteurs immergés. Ces tentatives peu heureuses eurent pour effet de laisser quelque peu dans l'oubli l'établissement de Roquerols et après avoir rejeté directement surle fond du parc les Huîtres renfermées dans les pa- niers, les choses restèrent en l’état jusqu’au 13 mars 1863. A cette date, une visite d'exploration à l’huîtrière fut faite, en vertu d’or- dres supérieurs, par M. de Castellane, capitaine du Rôdeur, accom- pagné du Commissaire de l’Inscription maritime qui, dans son rap- port adressé le 17 mars suivant au Commissaire général,fait connaître les résultats constatés dans les termes suivants : «Sept ou huit coups de râteau donnés dans des parties différentes SMS EE du parc nous ont fait connaître l'état des Huîtres et des fonds sur les: quels elles reposent. Dans certaines parties, la végétation parasite est excessive et s'attache aux coquillages eux-mêmes ; ceux-ci y doivent être étouffés et la proportion des coquilles mortes est de la moitié au moins de celles apportées par la drague. Dans d’autres parties, la proportion est moins forte parce que les fonds sont meilleurs ; enfin, dans un petit nombre d’endroits, l’état de conservation des Huîtres est réellement satisfaisant. Nulle part, il n'y a de traces de reproduction ; mais le développe- ment des coquilles et l’engraissement de l'animal vivant prouvent qu'il accomplit bien ses fonctions naturelles et son goût n’est pas désagréable comme il l'était il y a trois ans. » Le Commissaire termine son rapport en disant qu'il n'y a pas lieu de renoncer encore à l'expérience de repeuplement entreprise dans l'étang de Thau, car elle n'a jamais été conduite dans des conditions complètement satisfaisantes et qu'il était nécessaire, avant de la considérer comme définitivement négative, de l’entourer de toutes les précautions indiquées par M. Coste à propos de sa description de l’industrie du lac Fusaro. « Je serai donc d'avis, ajoute-t-il, si l'expérience doit être conti- nuée, de la poursuivre dans des conditions aussi semblables que possi- ble à celles qui réussissent dans le lac Fusaro. En opérant sur une base très restreinte, et ce qu'il reste d’Huîtres à Roucayrol ne com- porte probablement pas davantage ; en se bornant, par exemple, à former deux bancs artificiels d’un petit diamètre, et fermés de piquets réunis entre eux par un clayonnage, la dépense ne pourrait pas être considérable.On pourrait ne mettre des pierres que dans un seul, en choississant pour le second un emplacement où le fond soit privé de végétation. » Des propositions dans le sens de ces observations furent présentées au Ministre par l’Inspecteur général des pêches; en outre, partant de ce fait que « pendant un repos de trois ans, les Clovisses s'étaient multipliées dans le parc de Roquerols d’une manière prodigieuse, il demanda de donner plus d’étendue à cette réserve et de la diviser en trois zones alternativement exploitées, afin d'organiser pour la population maritime une sorte de grenier naturel, où elle pourrait avoir tous les ans une récolte assurée, » (Lettre du 25 mars 1863.) Mais le Ministre, considérant les résultats peu encourageants qui avaient été constatés, refusa son adhésion aux expériences sollici- tées par le Commissaire et appuyées par l’Inspecteur général des pêches. Quant à mettre l'étang de Thau en coupes triennales, « sans nier les conséquences utiles que cette mesure pourrait avoir, il ne lui paraissait pas possible de l’adopter, les difficultés de garde rendant AE VINS un cantonnement aussi étendu presqu'impossible, sans des dépenses considérables de personnel. » (Dépêche du 20 juin 1863). Plus confiant que le Ministre dans le succès des expériences qu'il sollicitait, le Commissaire de l’Inscription maritime de Cette, dans son rapport du 27 septembre 1863 au Commissaire général, après avoir exposé que les Clovisses de la réserve de Roquerols étaient en pleine prospérité et que les quelques milliers d’Huîtres restant encore dans le parc étaient «magnifiques et d'un goût exquis», appelle de nouveau l'attention deson chef sur l'intérêt qu'il y aurait à poursuivre encore les expériences sur les Huîtres. Mais, pour que la question de dépenses ne fût pas une seconde fois la cause du rejet de ses nouvel- les propositions, il indique que, peut-être,tel industriel consentirait à reprendre les expériences à ses frais, si l'Administration lui abandon- nait les Huîtres du parc et lui permettait d'opérer sous la surveillance du garde maritime. « Mieux encore, peut-être, ajoutait-il, j'ai une si grande confiance dans le succès d’une expérience qui serait tentée dans des conditions identiques à celles qui réussissent depuis des siècles dans le lac Fu- saro,que je n'hésiterais pas à engager les prud'hommes de Cette à entreprendre ces expériences aux frais de la communauté . Seule- ment, pour ne pas grever le budget de cette dernière et la mettre à l'abri de toute chance de perte,il faudrait que les frais qu’elle aurait à exposer pussent être couverts par le produit de la vente d’une certaine quantité de Clovisses du parc, vente dont le privilège lui serait concédé pendant 15 jours ou trois semaines ». Dans de telles conditions, il n’y avait plus d’inconvénients pour le budget de la marine à continuer les essais poursuivis à Roquerols et le Ministre autorisa enfin le Commissaire de l'inscription maritime (dépêche du 20 octobre1863) : 1° À vendre une certaine quantitéde Clovisses provenant du parc réservé de Roucayrol,afin de se procurer les fonds nécessaires pour la continuation des expériences d’ostréiculture ; 20 À faire ramasser les Huîtres restant sur le pare,afin d’en consta- ter le nombre et de les placer sur tous les points où elles prospèrent; 30 À garnir certaines parties du fond, comme au lac Fusaro, d’un empierrement et de les entourer de pieux entrelacés de clayonnages destinés à arrêter le naissain dont M. GERvAIs, professeur d'histoire naturelle à la faculté des sciences de Montpellier, garantissait la production. Les suites données à cette dépêche ministérielle sont exposées dans le rapport suivant, adressé par le Commissaire de l’Inscription mari- time au Commissaire général à la date du 2 décembre 1863. « Aussitôt après la réception de la dépêche précitée (20 octobre PO 10 1863), je me suis occupé de réaliser les ressources nécessaires pour commencer les travaux . Les prud'hommes se sont offerts eux-mêmes comme travailleurs moyennant un salaire modéré et se sont mis à l’œuvre avec les gardes maritimes de l’étang. Il a été constaté tout d’abord que les Clovisses étaient assez abondantes dans le parc pour qu'un homme, travaillant six heures par jour, püût en livrer, triées et nettoyées, 50 kilogrammes au moins. Quant à la qualité, elle a permis, dans une sorte d’adjudication passée à la prud’homie, de conclure un marché pour telle quantité que l’on voudrait fournir au prix de 50 fr. les 100 kilogrammes. Pour vous permettre, Monsieur le Commissaire général, d'apprécier ce résultat par un terme de comparaison, je vous dirai que dans les autres parties de l'étang de Thau, un pêcheur a beaucoup de peine à faire une journée de 4 ou 5 fr. et que les coquillages qu'il pêche ne peuvent pas se vendre plus de 12 fr. à 15 fr. les 100 kilogs. Il y a même certains endroits où l’on a découvert, malheureusement trop tôt, des gisements de petites Clovisses dont on ne peut obtenir que 7 à 8 fr. les 100 kiïlogs. Je ne sais vraiment pas à quelle classe de con- sommateurs on peut offrir de semblables produits qu’on expédie jus- qu'à Toulouse et jusqu’à Avignon ; mais ce qui est bien certain, c’est que, après quelque temps encore d’une exploitation aussi intensive, il ne restera plus de Clovisses que dans le parc de Roucayrol. J'en arrive aux résultats de la pêche que j'ai fait faire dans cet endroit réservé. En moins de 30 journées de travail, avec 5 ou 6 hommes, j'ai réa- lisé une somme nette de 3.000 fr. qui est déposée dans la caisse de la prud'homie et qui permettra de solder la plus grande partie des tra- vaux à exécuter pour les Huîtres. La pêche des Clovisses sera donc suspendue désormais pour n'être reprise qu'au mois de mars pro- chain, lorsque les installations seront terminées et que l’on connaîtra le chiffre exact de la dépense. Je ne crois pas que celle-ci dépasse de beaucoup 4.000 fr ; cependant je ne veux négliger aucune précaution pour que l'expérience soit complète et décisive. L'état des Huîtres existant encore est de nature à faire espérer le succès, il est impossi- ble de ies souhaiter plus belles et d’un goût plus exquis. Tout en pêchant les Clovisses et sans rechercher les Huîtres dans les endroits où on les croit les plus nombreuses, on en a recueilli 800 douzaines qui ont été mises à part. J'ai reconnu avec un entrepreneur l’'en- droit où il semble préférable de faire les installations analogues à cel- les du lac Fusaro, et les travaux commenceront à la fin dece mois pour être terminés avant le printemps prochain. Tels sont, Monsieur le Commissaire général,les préparatifs faits pour continuer dans l’étang de Thau les expériences d’estréiculture ; LU ee mais, parmi les faits que je viens d’avoir l'honneur de vous expo- ser, un surtout a dû vous frapper ; c’est la disproportion existant entrele prix des Clovisses de Roucayrol et celui des petits coquillages que l’on pêche abusivement dans les autres parties de l'étang. S'il n'était permis d'employer 12 ou 1.500 fr. à acheter de ces petites Clovisses à 8 fr. les 100 kilogr, pour les immerger dans le pare, il est permis de croire que, dans moins de six mois, on pourrait les revendre 20 ou 25 fr. et ce serait donner l'exemple d’une spécula- tion à laquelle lesindustriels ne manqueraient pas ensuite deselivrer au grand bénéfice des intérêts maritimes. En un mot,Monsieur le Commissaire général, si le Ministre voulait bien abandonner à la communauté des pêcheurs de Cette, pour une couple d'années, l'établissement de Roucayrol, à la condition de l’exploiter rationnellement sous la direction de l'Administration et d'en appliquer exclusivement tousles produits aux essais et encou- ragements à donner à la pêche, il n’est aucun des projets qui ont été proposés dans ce sens, tels qu'avances aux pêcheurs pour achat de filets, primes pour soutenir la concurrence des étrangers, etc., qui ne pût être mis à exécution sur une grande échelle, peut-être avec succès, et, dans tous les cas, sans grever le budget de la marine ». Les travaux projetés ne purent être effectués pendant l'hiver, les pieux mis en place et les appareils déjà installés pendant le commen- cement de mars 1864 furent arrachés et dispersés dans l'étang par le mauvais temps (Rapport du 10 avril 1864). Ce ne fut qu'en avril que les travaux purent être repris et menés à bonne fin. Voici, d’ailleurs, en quels termes le Commissaire de l'inscription maritime rend compte au Commissaire général des faits accomplis dans le pare de Roucayrol pendant le second trimestre de 1864 (rapport du 15 juillet 1864) : «Un parallélogramme de 20 mètres de longueur sur 10 mètres de largeur a été fermé par des pieux de 6 mètres de hauteur sur 0 m. 50 de diamètre et enfoncés de plus d’1 mètre dans un endroit de l'étang, à 3 mètres enviror de profondeur. Cet enclos est pour ainsi dire relié au rocher de Roucayrol et ne gène en rien la navigation de l'étang de Thau. Ces pieux, séparés d’un mètre l’un de l’autre, sont réunis à la tête par une forte moise et supportent à leur pied un clayornage formé de longues branches de saule, qui n’a pas été élevé à plus de ! m. 60 du fond, afin de ne pas offrir une trop grande résistance à l’action de la mer. L'’enclos est dallé avec de larges pierres plates, entre les interstices desquelles on a coulé du ciment hydraulique afin de mettre les Hui- tres à l’abri de la végétation sous-marine. Trente mille Huîtres envi- à ron ont été placées sur ces dalles et l’on a réuni à côté et au-dessus d'elles les appareils collecteurs les plus variés : des tuiles, des fasci- nes, des blocs de béton, etc. Tout a été mis en ordre par des plon- geurs travaillant à l’aide du scaphandre ». Rien n'avait donc été négligé pour assurer le succès de l'expérience, et la dépense d'installation, s’élevant à 4.000 francs, fut couverte par les fonds provenant de la vente des Clovisses pêchées dans le parc en octobre 1863 et en mars 1864. Les 30.000 Huîtres avaient été im- mergées le 20 mai 1864 et on ne pourrait être fixé sur les résultats de l'expérience que quelques mois après. Pour cause de maladie, le Commissaire de Cette ayant été rem- placé dans ses fonctions par un Commissaire intérimaire, celui-ci ne visita le pare que le 1% novembre 1864 et constata que sur vingt- quatre Huîtres pêchées à l’aide du râteau, quatorze étaient mortes. Il y retourna peu de temps après au sujet de certaines réparations à effectuer dans le pare, dont les piquets avaient été en partie rompus ou arrachés par la mer, mais il ne se livra sans doute à aucune obser- vation sur les Mollusques du parc, car on n’en trouve pas de signalée dans les rapports ultérieurs. Ce ne fut qu’en février 1865 que, de concert avec M. le professeur Gervais, de la Faculté des Sciences de Montpellier, le Commissaire constata que la plupart des Huîtres du parc étaient mortes et qu'il n'existait aucune trace de naissain sur les collecteurs. Cette nouvelle expérience fut donc encore infructueuse et l’insuc- cès en est relaté dans les termes suivants (Rapport du Commissaire du 6 mai 1865) : a LA Pour ne rien avancer à la légère, j'ai encore exploré il y a trois Jours l'établissement de Roucayrol, et, tout particulièrement, le parc où ont été imitées les installations du lac Fusaro. Des appareils collecteurs ont été enlevés, des Huîtres ont été en- suite pêchées avec le râteau, et le tout a été examiné avec un grand soin. Les appareils, déjà disjoints par suite de la rupture des fils de fer qui les liaient, sont couverts de vase, de végétations marines, de vers et de coquilles de toutes espèces. Mais c’est en vain que j'ai cher- ché à y découvrir une jeune Huître, ce qui me porte à croire que les embryons, après leur expulsion du manteau maternel, tombent dans un milieu impropre à leur développement; qu'ils restent ensevelis dans la vase ; que les courants les emportent, ou bien que l'Huître mère transplantée dans l'étang de Thau se trouve tout à coup privée de ses facultés génératrices ; toujours est-il qu’on n’en voit trace nulle part. On peut donc dire aujourd’hui que l’expérience tentée à Roucay- ) & DU x LS . rol et qui se poursuit depuis cinq ans,est décidément négative au point de vue de la reproduction des Huîtres. Voyons si elle a donné de meilleurs résultats sous le rapport de l’acclimatation. Je constate d’abord que le râteau, manœuvré par un pêcheur ha- bile et vigoureux, en quatre endroits différents, a ramené la première fois, trois Huîtres dont une morte; la seconde fois, neuf Huîtres dont trois mortes ; la troisième fois, rien ; la quatrième fois cinq Huîtres dont deux mortes. De pareils résultats ont de quoi surprendre quand on sait que le parc dont nous nous occupons est un parallélogramme de 10 mètres de largeur sur 20 mètres de longueur,et que dans cet étroit espace de 200 mètres carrés, on a immergé, au mois de mai 1864, 34.000 Huîtres choisies dans toute l'étendue de la réserve. D'où peuvent-ils prove- mur ? On ne saurait, je crois, les attribuer à l’arrangement du fond ; car il a été dallé en larges pierres plates dans les interstices desquel- les a été coulé du ciment hydraulique, et cette installation ne paraît pas être de nature à gêner beaucoup l’action du râteau. Il faut donc admettre le dépeuplement du dépôt, qui trouverait son explication dans les faits déjà établis, à savoir : l’absence de toute reproduction et la mortalité qui atteint un sujet sur trois ; puis encore dans le vol; dont il convient de faire la part, quoi qu'on fasse pour l'empêcher. Voici maintenant les observations auxquelles a donné lieu l’exa- men du coquillage : Les écailles des Huîtres mortes sont perforées ou marquées à l’in- rieur de taches noires ou d’une couleur orangée très foncée ; à l’ex- térieur, elles ont quelquefois, du côté du talon, une couleur jaune rougeâtre. Parmi les vivantes, deux ou trois paraissaient atteintes déjà par la maladie. L’écaille de l’une d’elles était par places friable sous le doigt ; on l’a ouverte : elle avait déjà une mauvaise odeur qui annon- çait un commencement de décomposition. Les Huîtres qu’on peut réputer saines sont chargées d’une couche épaisse de graisse blanche, légèrement teintée de jaune, sous laquelle existe un amas de molécules d’un ton brun foncé,assez résistantes. Quand on les a ouvertes et pour les détacher de l’écaille, on touche cette graisse, elle se dissout et blanchit l’eau contenue dans les valves. L'Huître prend alors un aspect peu engageant, d’un goût fade ; elle laisse la bouche pâteuse après qu’on l’a mangée. Quoi qu'il en soit, elles sont encore appréciées par quelques personnes ; mais le plus grand nombre les repoussent. De fait, elles ont dépassé le point convenable et ne constituent plus un mets bien attrayant pour des palais un peu délicats. qe Sous le rapport de la grosseur, elles n’ont rien gagné depuis leur immersion. En dehors et surtout au nord du parc, la situation est moins favo- rable encore. J'ai fait draguer sur plusieurs points, dans une certain rayon au- tour du rocher de Roucayrol et toujours on a trouvé dans le filet autant et plus d'Huîtres mortes que de vivantes.Beaucoup d’écailles contenaient encore des restes décomposés. Cette plus grande morta- lité tient sans doute à l’état des fonds dont je parlerai toct à l'heure à propos des Clovisses (1). Les Huîtres vivantes et saines sont dans le même état et ont le même goût que celles du pare, peut être même sont-elles inférieures. D'où l’on peut conclure que l’acclimatation de l'Huître, même celle de la Méditerranée, dans l'étang de Thau, est au moins douteuse. Ce qui paraît constant, c'est qu’elle s’y améliore tout d’abord et rapidement ; mais on a pu voir que les causes peut-être trop puissan- tes de cette amélioration ne tardent pas à lui faire perdre, par l’ex- cès même, les qualités qui d'ordinaire la font estimer ». Suivent alors les observations relatives à la réserve des Clovisses, après lesquelles le Commissaire ajoute : «Cela dit, il me reste à faire connaître si les pêcheurs des quartiers, éclairés par l'exemple du gouvernement, se montrent disposés à en- trer dans ses vues généreuses, à demander des concessions pour y parquer des Clovisses, les améliorer par la culture et en retirer plus tard un plus grand profit. Ici je me sens embarrassé, car je comprends que les vérités qu'il me faut dire ne sont pas attendues. Depuis que je suis à Cette, J'ai porté mon attention sur la réserve de Roucayrol, j'ai cherché à me rendre bien compte de ce qu’on pou- vait attendre de cet établissement, et j'étais arrivé à cette conviction que la pensée du Ministre d'en faire une sorte de champ d'élevage modèle, en vue de montrer la voie aux particuliers et surtout aux pêcheurs qui voudraient cultiver les Clovisses, était la seule juste, la seule réalisable. Je n'ai donc rien négligé pour aider à atteindre ce but ; c'était mon droit d’ailleurs, du moment qu'il m'avait été montré. Mais, j'ai le regret de l'avouer, tous mes efforts ont échoué. Ceux à qui je me suis adressé m'ont écouté le sourire sur les lè- vres et se sont bornés à me répondre : « Nous sommes de pauvres (1) « En de nombreux endroits le fond revêt cette couleur de charbon qui est l'indice certain de la pourriture occasionnée par les dépôts limoneux, la cor- ruption des herbes marines, et peut-être par d’autres causes qu'il serait bien difficile d'indiquer ». MD gens qui vivons de notre travail de chaque jour, nous n'avons pas de capitaux à placer. D'ailleurs, comment ferions-nous pour faire respecter ce parc que vous nous incitez à créer, quand le Gouverne- ment, qui a des gardes,ne peut parvenir garantir le sien des voleurs? Nous sèmerions et d’autres récolteraient ». J'avoue que cette réponse pleine de bon sens pratique a toujours eu raison de mes théories et que je ne trouve encore aucune objection sérieuse à émettre à l'encontre. Du reste, il faut bien le dire, les spéculations ne sont nullement goûtées par les pêcheurs du quartier de Cette. Bien plus, ils sont hostiles parce qu'ils considèrent que, pour les favoriser, il faudrait aliéner les meilleures portions de l'étang et qu’une pareille mesure, si elle tournait à l'avantage de quelques privilégiés, entraînerait infail- liblement la ruine de 300 familles qui attendent leur pain de chaque jour de la pêche des Clovisses. Déjà ils se plaignent du préjudice que leur cause la création du parc de Roucayrol qui leur fait interdire depuis cinq ans l'exploitation du fond le plus riche de toute leur pêcherie, et si des concessions étaient faites à l’effet d’en créer de nouveaux, il faudrait s'attendre à voir ravager les établissements de ceux qui les auraient obtenues. Suivant eux, si le Gouvernement veut leur bien, il doit leur rendre la jouissance de tout l'étang de Thau, en abandonnant définitive- ment une expérience qui n’a été marquée que par des déceptions. Et après me l'avoir exprimé, ils ont formulé ce vœu dans deux pétitions au Ministre que les prud'hommes sont venus déposer en mes mains, il y a plus d’un mois, et que j'ai l'honneur de vous remet- tre ci-inclus (1). En ce qui me concerne, j'estime que tout est dit sur l’essai d’os- tréiculture tenté à Roucayrol et que le statu quo ne peut qu'amener la perte totale et prochaine de ce qui reste encore des 435.000 Huîtres qui ont été immergées autour de ce rocher. » Toutes les expériences tentées de 1860 à 1865 ayant donné des résultats absolument négatifs, elles furent dès lors définitivement abandonnées, et, par dépêche du 13 septembre 1865, le Ministre décida que les Huîtres et Clovisses existant dans le pare de Roucayrol seraient pêchées et vendues par les soins des Prud'hommes pêcheurs de Cette et que le montant de la vente en serait versé dans la caisse de secours de la communauté. Telle fut la fin du pare de Roucayrol ! (1) Nous avons tenu à citer cette dernière partie du rapport, quoique étran- gère à la question des Huîtres, car elle montre bien un état d'esprit particulier à nos braves pêcheurs qui sont toujours à l'encontre de tous les progrès, lorsque ceux-ci les privent d’une parcelle de ce domaine maritime qu'ils sont habitués à considérer comme leur propriété intangible. np De nouveaux essais de repeuplement des huîtrières de l’étang de Thau, cependant, devaient être encore effectués par les soins du département de la 'narine. Séduit, en eflet, par les vues théoriques que Bouchon-Brandely, alors secrétaire du Collège de France, pouvait avoir sur le repeuple- ment de nos côtes à l’aide du naissain obtenu par la fécondation artificielle des Huîtres, le ministre, par dépêche du 30 mars 1882, au- torisa Bouchon-Brandely à appliquer ses méthodes de fécondation artificielle et d'éducation de l'Huître portugaise à la reconstitution des gisements de l'étang de Thau. Avec le concours de M. Hardy, alors commis de l'inscription mari- time de Cette, les opérations de fécondation artificielle, pratiquées sur des sujets originaires de la Gironde, et après quelques tâtonne- ments, réussirent pleinement en employant les eaux de la Méditer- ranée, aboutissant 75 fois sur 100 à la formation d’une larve mobi- le (1). In'y avait plus, ainsi que l’écrivait Bouchon-Brardely (loc. cit. p. 296), qu'à disperser ces larves dans un milieu favorable et placer des collecteurs à proximité ». Le point de l'étang de Thau d’où émer- ge le rocher de Roucayrol fut encore choisi comme l'endroit le plus propice, et des tuiles enduites de chaux y furent immergées. Mais ils avaient compté «sans les maraudeurs, c’est-à-dire sans les bracon- niers des eaux, qui profitèrent d’une nuit pour détruire leur instal- lation et briser leurs appareils. » Quant aux essais relatifs à l'élevage proprement dit de l’Huître portugaise dans les étangs de la Méditerranée, élevage que Bouchon- Brandely s’était proposé en 1883 (2), ils furent satisfaisants, accu- sant une pousse de 4 centimètres dans l’espace de deux mois et demi (dans l’étang de Lattes) et lui permirent de conclure (loc. cit.,p. 700), que « de notables parties des étangs de Berre, de Mauguio, de Thau, de La Nouvelle, de Leucate, semblent parfaitement convenir à culture de l'Huître portugaise ». Les tentatives de Bouchon-Brandely sont, jusqu'à ce jour, les dernières effectuées en vue de reconstituer les gisements huîtriers de l'étang de Thau. Comment expliquer que les diverses expériences effectuées de 1880 à 1885 soient restées infructueuses ? Il est impossible, aujourd'hui, d’en déterminer les causes, et, ce- pendant, tout porte à croire que les causes de ces insuccès ne puis- sent être attribuées qu'aux conditions mêmes dans lesquelles les ex- (1) Boucxon-BranDeLy.— Rapport relatif à la génération et à la fécondation artificielle des Huîtres. Revue maritime et colonicle, t. LXXVI, 1883, p. 288. (2) BoucHoN-BRaNDELY.— Rapport sur la fécondation artificielle et la géné- ration des Huîtres. Revue maritime et coloniale, t. LXXX, 1884, p. 699. - NID périences furent dirigées, car, en 1860 et 1864, comme d’ailleurs jus- qu’en 1900, des Huîtres jeunes ont été rencontrées en divers points de l'étang de Thau, témoignant que la reproduction des Huîtres n'y était point impossible. On peut se demander en effet : Si les parages du rocher de Roucayrol, malgré la nature solide des fonds, étaient bien favorables aux essais entrepris ? Ces parages ne sont-ils pas trop battus par les vagues quand le vent souffle, pour permettre la fixation du naissain ? Les appareils collecteurs, malgré leur variété, convenaient-ils à la- fixation des jeunes larves ? Ces appareils ne furent-ils pas abandon- nés trop de temps dans les eaux parfois vaseuses de l'étang, sans être l’objet d’'émersions régulières destinées à les débarrasser du limon qui les recouvrait et à s'opposer au développement d'une flore d’Algues qui, l’un et l’autre, ne pouvaient qu’empêcher la fixation du naïssain ? Les 30.000 Huîtres immergées le 20 mai 1864, mais ayant déjà quatre années de stabulation dans le parc et, par conséquent, au moins sept ans d'existence, étaient-elles aptes à la reproduction ? N’étaient-elles pas déjà trop vieilles ? Or, ce sont là des questions auxquelles on ne peut donner actuelle- ment de réponse et par suite nous ne saurions insister davantage sur les causes de ces insuccès répétés, Repeuplement spontané. S'il ne nous a pas été possible d'indiquer les causes des insuccès auxquels aboutirent les expériences de repeuplement des huîtrières de l'étang de Thau, il n’en est pas moins vrai que ces insuccès ont été attribués à la température des eaux de l'étang, considérées comme trop chaudes en été et trop froides en hiver. Rien cependant ne permettait pareille hypothèse ; car au moment des expériences, et à ma connaissance, il n'avait jamais été fait dans l'étang, des relevés réguliers de température, et, d'autre part, les jeunes Huîtres que l’on rencontrait plus ou moins nombreuses le long des quais du canal de la Bordigue, ainsi que sur les enrochements des divers points de l'étang, semblaient démontrer que les eaux de ce der- nier n'étaient pas contraires, dans tous les cas, à la reproduction des Huîtres et à la fixation du naissain. Cette hypothèse a trouvé d’ailleurs pendant longtemps une sorte de justification dans le fait que l'installation de plusieurs pares sur deux des canaux de Cette, à proximité de l'étang. et l'accumulation dans ces établissements d’assez grandes quantités d'Huîtres matures aux époques même de la reproduction n'avaient pas non plus con- tribué au repeuplement de l'étang. SUP: OU Le repeuplement des huîtrières de l'étang de Thau était donc consi- déré comme impossible, lorsque, spontanément, pendant l'automne de 1900, nous constatâmes avec les pêcheurs fréquentant l'étang qu'il y avait çà et là, en divers points de ce dernier, un assez grand nombre de jeunes Huîtres, fixées à différents corps sous-marins, le plus souvent sur des débris d'objets ménagers en poterie, en verre ou en fer blane, ainsi que sur des valves de coquilles. Les pêcheurs de Clovisses firent la même observation sur les fonds durs où ils prati- quaient la pêche. Cette multiplication inattendue des Huîtres dans l'étang s’ac- centua encore davantage pendant le printemps et l'été de 1901, et des gisements très importants se constituèrent comme par en- chantement. Tous les fonds durs, toutes les formations madrépori- ques, cadoules et planières, se trouvèrent transformés en vérita- bles bancs, et les Huîtres abondaient même dans les fonds coquil- lers et jusque dans les sables côtiers où on les trouvait sur les sup- ports les plus variés. Les Huîtres de l'étang de Thau, auxquelles les amateurs de coquil- lages se plaisaient à reconnaître un goût exquis, devinrent dès lors l’objet d’une exploitation graduellement plus intensive, d'autant que la pêche n’en était soumise à aucune sorte de réglementation. On jugera d’ailleurs de l’importance progressive de cette exploitation par les chiffres suivants, empruntés au Bulletin de la Chambre de commerce de Cette et représentant approximativement le nombre d'Huîtres pêchées : 1 ES LD SRE DÉS FRE AE 10.500 Huiîtres RE RO EL ts à 1.450.000: — EN f er Ds ele gilet ie de 3.000000 OU MAUR ne na er eter 20-000: 000 OS be eine te Le ai alt ea l ea eve 20000000 Mais quelles modifications s'étaient produites dans l'étang de Thau ? Comment expliquer ce repeuplement presque subit ? Telles sont les questions que nous n'avons pas manqué de nous poser dès novembre 1900 et auxquelles nous n'avons pas encore trouvé de réponse satisfaisante. Les conditions physico-chimiques des eaux de l’étang ont-elles subi un changement quelconque ? Bien que n'ayant aucune donnée sur ce qu'étaient ces conditions antérieurement au repeuplement, nous ne saurions comprendre une modification de cette nature. Elle ne pourrait être expliquée, d’ail- leurs, que par un nouveau régime des eaux de l'étang, occasionné par RAS YA des échanges plus ou moins importants que par le passé, de ces der- nières avec les eaux de la mer, et nous savons par le service des Ponts et Chaussées que, depuis 1850, le port de Cette, comme les canaux le reliant à la mer, n’ont été l’objet d'aucun changement de nature à en modifier le régime des eaux (1). On nous a suggéré, cependant, que la construction de la jetée dite de Frontignan, en rétrécissant l'entrée du port, a occasionné un plus grand afflux d’eau de mer dans l'étang, ayant pu modifier les conditions biologiques des eaux de ce dernier. Or, sans nier l’action que peut produire cette jetée sur la force des courants de la mer à l'étang, on peut objecter que la construction de cette jetée date déjà de 1820 et qu'il ÿ a, par suite, tout lieu de croire que si le repeu- plement des gisements de l'étang était dû aux conditions créées par l'établissement de cette jetée, il aurait dû se produire plus tôt. Après avoir soigneusement analysé les différentes causes suscepti- bles d'expliquer le phénomène, nous avions pensé que, puisque les conditions physico-chimiques paraissaient n’avoir subi aucun chan- gement notable, le repeuplement était peut-être dû à des modifica- tions survenues dans la nature même des fonds, et en particu- lier, des formations « madréporiques » sur lesquelles les banes d'Huîtres se sont constitués. De l’avis des pêcheurs, en effet, «planiè- res » et « cascals », toutes les aiguilles madréporiques ne compre- naient autrefois que de vieux tubes,de vieux pilotis, en grande partie envasés, à l'extrémité desquels on ne voyait que très rarement « le bouquet » (c’est ainsi que les pêcheurs désignent l'appareil tentacu- laire du Ver tubicole). Or, peu avant la réapparition des Huîtres, ces mêmes pêcheurs ont constaté que les pilotis se reformaient, mon- trant leur « bouquet » et constituaient des « fonds neufs ». Nous avons constaté nous-même, en 1900, cette recrudescence d'activité dans la multiplication des Serpules et des Hydroïdes, et nous recon- (1) C'est en effet ce que m'avait annoncé M. Herrmann (alors ingénieur à Cette) à qui j'avais demandé les travaux effectués dans le port ou les canaux de Gette ayant pu depuis 1850, modifier le régime des eaux. La réponse de M. Herrmann ne m'avait pas satisfait! Aussi, depuis la rédaction de cet arti- ele, me suis-je adressé à M. l'Ingénieur Girard, successeur de M. Herrmann et j'ai obtenu sur la même question des renseignements lotalement diffé- rents ! Suivant M. Girard, ily a eu dons les canaux ou le port de Gette, et depuis 1850, une série de travaux ayant pu accroître le renouvellement des eaux de l'étang par celles de la mer. Ce sont : 1° l'élargissement de la passe du Nouveau Bassin (1882) ; 2° l’approfondissement à 7 m. 20 du Nouveau Bassin (1893-1901), du Vieux Bassin (1893-1901), du Chenal (1892-1901) et du Canal marilime (1893-1896). De telles modifications sont de nature à expliquer un élat physico-chimique des eaux de l'étang différent de celui que présen taient ces mêmes eaux au moment où étaient effectués les essais de repeu- plement, et, peut-être, faut-il voir dans ces modifications la cause initiale de la reconstitution des gisements huîtriers de l’étang de Thau. Nous regret- tons vivement de n'avoir connu ces renseignements que trop lard pour les utiliser comme il aurait convenu. DÉPOne naissons que la formation de couches nouvelles de tubes calcaires, de pilotis, ait pu fournir aux larves d'Huîtres un substratum conve- nant à leur fixation. Mais alors comment expliquer cet arrêt dans les formations ma- dréporiques suivi à distance d’une nouvelle période d'activité ? Faut-il attribuer l'arrêt aux dragages dont l'étang a été longtemps l’objet autrefois, ou bien à l'envahissement de ces formations par les Algues et voir dans la suspension des dragages ou dans la dispari- tion des Algues, la cause de l’activité nouvelle dont ces formations ont été le siège ? Les documents que nous possédons sur la structure que présen- taient autrefois les fonds de l'étang de Thau, comme d’ailleurs sur l'exploitation dont ils ont été l’objet, sont trop incomplets pour que, d’une comparaison avec l’état des choses actuel, il nous soit permis de juger des variations qui ont pu se produire et des modifications biologiques que ces dernières ont pu déterminer. Enfin, en ce qui concerne l’origine des Huîtres constituant les gisements actuels de l'étang de Thau, on a pu supposer qu'elles provenaient des larves fournies par les Huîtres des parcs de Cette, c’est-à-dire d'Arcachon. Nous avons émis depuis longtemps l'opinion que l’Huître de Thau était l’Huître pied-de-cheval et que, par suite, on ne saurait la considérer comme issue des Huîtres d'Arcachon par- quées dans les canaux de Cette. Malgré que nous n’ayons pas fait de recherches anatomiques permettant une identification précise, il ne nous paraît pas douteux que l'Huître de Thau appartienne à l’Ostrea hippopus de LAMARCK, que l’on ne considère aujourd’hui que comme une simple variété de l'Ostrea edulis LINNÉ. L'Huître de Thau possède tous les caractères de l'Huître pied-de- cheval et se distingue par suite de l’'Huître d'Arcachon, qui est l’'Os- trea edulis type. Sa taille, toujours très grande, peut atteindre, qua- tre ou cinq mois après sa fixation, jusqu'à 5 et 6 centimètres de dia- mètre et acquiert en deux ans des dimensions au moins égales sinon supérieures à celles des plus grandes Huîtres d'Arcachon. Les valves de la coquille s’épaississent considérablement avec l’âge et quelques sujets vieux ne mesurent pas moins de 15 centimètres de diamètre, avec un poids qui peut atteindre 8 kilogrammes. L'Huître de Thau, d’ailleurs, présente une coquille absolument identique à celle des Huîtres que mangeaient les habitants de Bala- ruc-les-Bains à l’époque romaine et on me concédera qu'ils ne s’ap- provisionnaient pas encore sur les bords de l'Océan dont l’Osfrea edulis est originaire; celle-ci, en effet, n’est qu'accidentelle dans la Méditerranée et il faut croire même qu'on ne l'y rencontre que depuis que des Huîtres d’Arcachon y ont été placées en stabulation. OR Protection des huîtrières. — Réglementation de la pêche aux Huitres. S1 les gisements huîtriers des côtes françaises de l'Océan ontété, pour la plupart, très grandement appauvris par une exploitation abusive ayant nécessité des mesures administratives destinées à en rayer l'épuisement complet dont ces gisements étaient menacés, les huîtrières de l'étang de Thau étaient à peine reconstituées qu'elles étaient déjà l'objet d’une telle exploitation qu'il était facile d'en prévoir la destruction à bref délai. Il était nécessaire de réagir contre l’imprévoyance des pêcheurs et d'assurer, par une réglementation étroite de la pêche, une vitalité convenable et durable aux gisements huîtriers à l'étang de Thau. L'intervention de l'Administration fut sollicitée dans ce but et nous avons été, sans doute, le premier à la réclamer par la démarche sui- vante adressée à M. l'Administrateur de l’Inscription maritime de Cette, à la date du 30 janvier 1903 : « Monsieur l’Administrateur, «J'ai l'honneur de m'adresser à vous afin d'attirer votre bienveil- lante attention sur certains faits intéressant le repeuplement de l’'Huître dans l'étang de Thau, appeler ainsi l’application des règle- ments pouvant exister déjà sur la pratique de certains arts de pêche dans cet étang, et, dans le cas où ces règlements seraient insuffisants à atteindre le but que je me propose de vous indiquer, solliciter votre intervention auprès de l’administration supérieure du département de la marine, pour qu’elle prenne telles mesures qu’elle jugera conve- nables. «Je ne vous rappellerai pas les essais entrepris, à grands frais, par le département de la marine, lorsque, après le voyage du naturaliste Coste sur le littoral italien, en 1853, on avait pu entrevoir la possibi- lité de transformer les étangs salés du Midi de la France en de vérita- bles bassins d’ostréiculture. Effectués à deux reprises différentes dans l'étang de Thau, en 1860 et 1864, ces essais restèrent infruc- tueux, à la grande surprise des personnes qui les avaient dirigés et pour qui les causes de l’insuccès demeurèrent en partie inexplica- bles ! Il semble bien établi, aujourd’hui, que ces causes étaient bien indépendantes des conditions biologiques de l'étang de Thau! Aussi, la station zoologique de Cette attache-t-elle une grande impor- tance, depuis plusieurs années, à toutes observations relatives au dé- veloppement de l’Huître dans notre région, et ses collections ont ac- cumulé les preuves irréfutables que ce Mollusque se reproduit natu- rellement dans l'étang de Thau. «Il appartient,en effet,au personnel de la station zoologique de Cette de ne pas négliger, au cours de ses recherches scientifiques propre- ment dites, les questions se rattachant à l’aquiculture en général. Nous ne l’avons jamais oublié et nous avons acquis la conviction que la ville de Cette ne doit plus rester un modeste centre d’engraissement pour les Huîtres qui lui parviennent d'Arcachon et de Marennes, mais qu'elle doit devenir un grand centre d’ostréiculture, se rami- fiant dans les différentes localités des bords de l'étang de Thau, sans qu'il soit nécessaire de faire appel au naissain d'Arcachon , à la condi- tion d'exploiter intelligemment la variété si savoureuse et si juste- ment appréciée des gourmets qu'est l'Huître de l’étang de Thau.De ce fait, se trouveraient supprimés les frais d'achat de naïssain ou tout au moins, les frais de transport, et les ostréiculteurs cettois seraient mieux placés pour affronter les marchés où leurs produits viendraient concurrencer avec avantage les Huîtres d'Arcachon, de Marennes, etc. Et, d'autre part,n’y aurait-il pas là une industrie dont le déve- loppement pourrait permettre d'utiliser les services de la plupart de nos inscrits maritimes qui, atteints par l’âge, ne se livrent plus aux pêches exigeant parfois des forces que leurs membres ne sauraient produire ? Ces inscrits trouveraient dans les travaux d’ostréiculture, en même temps qu’une occupation en rapport avec leur activité, le moyen de grossir la modeste pension qui leur est servie par la caisse des Invalides. Les femmes et les enfants eux-mêmes, ainsi que le faisait remarquer à un point de vue plus général, un de vos collègues M. Pottier, au Congrès des pêches de Dieppe, tous les faibles en un mot,trouveraient à travailler et à gagner leur vie,pendant que le chef de famille et ses fils les plus âgés et les plus robustes se livreraient de leur côté à la pêche ou à la navigation ! « De telles considérations n’avaient pas manqué de nous frapper et, de concert avec mon excellent maître, M. le professeur Sabatier, di- recteur de la station zoologique de Cette, il avait été décidé de join- dre l'observation expérimentale à l'observation directe, de manière à bien établir que l'étang de Thau doit être considéré comme un vrai bassin d’ostréiculture, où, grâce aux gisements naturels d’Huîtres, il suffirait de recueillir le naissain et de le faire développer. Nous comp- tions, dans ce but, nous livrer cette année à des essais méthodiques, basés sur les notions biologiques que nous possédons sur l'étang de Thau, et nous attendions le moment propice pour commencer nos expériences, lorsque la nature elle-même nous a devancés en nous fournissant presque spontanément tous les éléments qui étaient né- cessaires à notre démonstration. «Avec les pêcheurs qui fréquentent l'étang de Thau, j'avais constaté dès l'été de 1901 un accroissement assez sensible dans la population DS ee ostréaire de cet étang. Pendant l'été de 1902, cet accroissement s’est manifesté avec une ampleur considérable, et quelques dragages effec- tués çà et là me fournirent un grand nombre de jeunes Huîtres fixées à de vieilles coquilles ou aux tubes calcaires de quelques Vers for- mant le sol sous-marin en certains points, et que les pêcheurs dési- gnent sous le nom de«cascals». Déjà aussi, en novembre 1902, il m'a été permis de remarquer que la pêche à l’'Huître, quiétait restée jus- que-là une pêche d'agrément plutôt qu'une pêche de rapport — et qui, dans tous les cas, n’avait été opérée encore qu'à l’aide du simple salabre, dans le mode de pêche dit «à l’œil » ou «à la vue», ou bien à l’aide du râteau à Clovisses et plus rarement avec la petite drague comme sous le nom de « fer », traînée sur le fond par de petites em- barcations et à l’aviron — se trouvait exploitée, timidement il est vrai, par des embarcations à la voile, promenant la grande drague dans tous les fonds huîtriers. À l’heure actuelle, toute timidité a disparu et un certain nombre de barques catalanes se livrent tous les jours à la dévastation des jeunes bancs d'Huîtres, capturant pour quelques rares Huîtres pouvant être considérées comme vendables, des quantités innombrables de jeunes Huîtres dont la mesure n’at- teint pas cinq centimètres dans le sens de la plus grande dimension. « Ainsi donc, nous possédons la preuve indéniable que l'Huître se multiplie abondamment dans l'étang de Thau, etil est facile de pré- voir que si les gisements huîtriers , qui sont actuellement en pleine voie de formation étaient respectés, l’on pourrait, avant deux ans d'ici, récolter avec aisance, le naissain nécessaire pour le bon fonc- tionnement d’un grand centre d’ostréiculture. Il est rare, en effet, de ramener du fond un corps solide quelconque, sans qu'il ne soit re- couvert de naissain et j'ai pu compter jusqu'à 25 jeunes Huîtres fixées contre un seul tesson de bouteille. Mais il sera inutile, Mon- sieur l'Administrateur, de vous montrer combien les procédés de pêche que je vous ai signalés auront vite fait d’appauvrir les fonds de l'étang de Thau, si une réglementation sévère ne vient en réprimer les abus. En dehors de tout projet relatif à la création d’établisse- ments d'ostréiculture, les intérêts généraux des pêcheurs eux-mêmes se trouvent gravement compromis,et il me suffira de vous indiquer que les jeunes Huîtres, vendues actuellement de Ofr.20 à O0 fr. 30 la douzaine, seraient vendues dans un an de 1 fr. à 1 fr. 25, pour vous montrer que les pêcheurs se livrant au dragage de l'Huître ne reti- rent qu'un salaire tout à fait illusoire du produit de leur pêche, et ce au détriment de la généralité des pêcheurs et de leur avenir. «Je ne vous dirai pas non plus combien les dragages sont préjudi- ciables dans l’étang de Thau où les alevins ont déjà fait leur appari- tion. Ceux-ci en effet, ne vivent pas tous dans les zones herbacées, LR": dans les prairies de l’étang, et la plupart d’entre eux, au contraire, trouvent dans les fonds que la drague vient bouleverser et détruire la source des éléments nutritifs nécessaires à leur développement. Or, ces conditions biologiques que l'étang de Thau offre si favorables aux jeunes Poissons, ne manqueront pas de disparaître sous peu, si des dragages continuels s'effectuent dans les circonstances que j'ai eu l'honneur de vous signaler. Les mœurs des Poissons, leurs habitudes, Jeurs migrations de la mer à l’étang et de l'étang à la mer, à des épo- ques déterminées, ne sont soumises qu'aux conditions de milieu et par conséquent, ne sont pas invariables ; elles changent avec ces con- ditions et il serait infiniment regrettable d'assister, avant peu de temps, au dépeuplement de l’étang de Thau, par suite des modifica- tions apportées à la nature de ses fonds (1) ! « Telles sont, Monsieur l Administrateur, les diverses considérations qu'il était de mon devoir de vous soumettre, et auxquelles j'ai obéi en sollicitant de votre bienveillante autorité une réglementation aussi sévère que raisonnée sur la pratique des arts traînants dans l'étang de Thau. J'ose espérer qu'elles vous paraîtront dignes d’in- térêt et qu'il vous sera possible de sauver l’ostréiculture et la pisci- culture à la fois, des dangers dont elles sont menacées. « Veuillez agréer. L. CALVET, Sous-directeur de la Stalion zoologique de Cette. >» Notre démarche auprès de l’Administrateur de l'inscription mari- time eut-elle les honneurs d’une transmission aux Pouvoirs compé- tents? Je ne saurais l’affirmer ! Quoi qu'il er soit, et malgréles pro- testations contre le dragage, qui s’élevaient de plus en plus nombreu- ses parmi les pêcheurs, aucune mesure capable de restreindre l’ex- ploitation intensive des huîtrières de Thau n'avait encore été prise en octobre 1905, et le rôle de l’administration locale s'était borné jusque-là à interdire la vente des Huîtres dont les dimensions n'atlei- gnaient pas cinq centimètres de diamètre, ainsi que le décret du 10 mai 1862 l'y autorisait. C’est, en effet, en octobre 1905, que l’Administrateur de l’inscrip- tion maritime de Cette fut conduit, « en présence de la pression de l'opinion publique, à examiner s’il n’y aurait pas lieu d'établir un projet de réglementation de l'exploitation des gisements huîtriers de l'étang de Thau ». Dans un rapport à son chef de service,et après avoir indiqué les protestations qu'une réglementation de la pêche des (1) Nos prévisions se sont malheureusement trop réalisées et, depuis 1904, les pêches aux filets fixes et au poste dans l’étang de Thau sont de moins en moins productives, le Poisson élant de moins en moins abondant. Hole Huîtres ne manquerait pas de soulever parmi les pêcheurs intéressés, il conclut en disant : « Quoi qu'il en soit, j'ai le devoir de faire connaître à l’autorité supérieure qu'il y aurait utilité, à mon avis, de mettre à l'étude la question de la réglementation dans les quartiers intéressés de Cette et d'Agde et de consulter,par son ordre, les prud’homies et syndicats de pêcheurs qui exprimeraient leur avis sur les avantages et les incon- vénients susceptibles de découler de la réglementation de la pêche des Huîtres sur l'étang de Thau, de la fixation de la durée de l’inter- diction de pêche sur les gisements, ete., etc. L'administration, d’après l'examen des rapports, apprécierait en connaissance de cause, s’il y a lieu à réglementation. » Nous ignorons quelles furent les décisions respectives adoptées par les prud’homies et par les divers Syndicats de pêcheurs de la ré- gion, Mais nous savons que les avis pour ou contre le dragage eurent chacun leurs chauds défenseurs dans quelques-uns de ces groupe- ments. Les pêcheurs se livrant à peu près quotidiennement à la pêche des Huîtres étaient pour la plupart partisans du dragage ; ceux ne pratiquant cette pêche que d’une façon irrégulière étaient au contraire partisans de la suppression du dragage. Une semblable consultation n’était pas faite, sans doute, pour faci- liter les décisions de l'administration qui, cependant, ne s'étant inspi- rée que des intérêts généraux, interdit l'emploi de la drague dans la pêche à Huîtres par le décret suivant, rendu le 18 juillet 1906. Publié à un moment de l’année où la pêche aux Huîtres est très peu pratiquée, ce décret, fortement approuvé par la grande majorité des pêcheurs, ne souleva d’abord que quelques faibles protestations parmi les partisans de la drague. Il n’en fut pas de même vers fin septembre et en octobre, lorsque ces derniers, surpris draguant par les gardes-pêche, se virent octroyer quelques procès-verbaux, pour non-exécution du décret du 18 juillet 1906. Les protestations perdi- rent dès lors leur timidité primitive et les dragueurs essayèrent de tous les moyens pour faire entendre aux pouvoirs compétents que, loin d'être préjudiciable aux gisements huîtriers, la drague, au con- traire, favoriserait la bonne tenue des Huîtres sur ces derniers, en débarrassant les bancs de tous les parasites animaux et végétaux ainsi que de la vase, dont l’action ne pouvait être que néfaste à bref délai. Leurs suppliques furent sans doute entendues en haut lieu, car elles déterminèrent une enquête de la part de M. l’Inspecteur général des Pêches, en même temps qu'il fut sursis à l’application du décret. Une semblable mesure,destinée à calmer les habituels de la dra- gué, ne pouvait manquer de soulever une certaine agitation parmi les pêcheurs opposés au dragage, et la Presse locale se fit l’écho des NEA récriminations des uns et des autres. Le journal régional, Le Petit Méridional,en la personne de M. Aubès, son rédacteur cettois, con- sulta à cet égard un certain nombre de professionnels sur les avan- tages et les inconvénients que le dragage pouvait avoir dans l'étang de Thau, tant au point de vue de la conservation des huîtrières que sous le rapport de la population piscicole de cet étang. Les opinions de ces professionnels furent consignées dans une série d'articles que Le Petit Méridional publia du 7 décembre 1906 au 21 janvier 1907. À peu près tous les pêcheurs apportèrent des arguments à l’encontre de la drague et en faveur de la clovissière, en même temps qu’ils fu- rent unanimes à réclamer que le triage des matériaux de pêche fût effectué sur le lieu même de la pêche. Un seul d’entre eux se déclara nettement en faveur du dragage et il le fit dans les termes suivants (Le Petit Méridional, du 1% janvier 1907) : « Contrairement à ceux dont vous avez reproduit dans le Petit Méridional la manière de voir, je suis partisan du dragage, parce que non seulement ce moyen de pêche est le plus rémunérateur et le plus facile, mais parce que je le crois utile au développement et à la conservation des Huiïtres. Sans la drague, ainsi que vous l’avez du reste répété, les Huîtres ne tarderaient pas à disparaître bientôt, étouffées par la vase dont elles seraient vite recouvertes à cause de la mobilité des fonds de l'étang. Le dragage, en effet, déplace la vase, dégage l’Huître et lui per- met de vivre. Il y a une autre raison. Le dragage unifie, ou plutôt égalise le fond de l'étang, et de ce fait augmente tous les jours ce que j’appel- lerai le champ propre à la reproduction de tous les coquillages. Je m'explique. Le fond de l'étang est ondulé, plein de creux et de bosses. La vase ne reste pas sur les hauteurs ; elle s’accumule dans les bas-fonds. Les creux du fond de l'étang sont donc remplis de vase, c’est-à-dire d'une matière impropre au milieu de laquelle rien ne vit et ne pousse. Tous ces creux sont donc perdus pour la reproduction. La drague passe uniformément partout, sur les bosses et dans les creux ; elle râcle tout ce qui se trouve sur son passage, partout elle prend quelque chose. Le gravier ou plutôt la terre saine du fond de l'étang est remuée ; celles des hauteurs tombe dans les creux. Quant à la vase, déplacée, fuyante, légère, emportée par les courants, elle s’éparpille sur une plus grande étendue. Le jour où un creux est comblé, ou presque comblé par la terre saine, Ce creux, perdu hier pour la reproduction, devient propre à cette reproduction et les Huîtres et coquillages de toute sorte s’y dévelop- NAS pent. C’est donc un terrain gagné, c’est-à-dire une augmentation de la surface propre au peuplement de l'étang ». Nous avons eu, à notre tour, les honneurs de l'interview et nous avons répondu à M. Aubès par le long plaidoyer suivant, qui a fourni matière à une série d’entrefilets parus en janvier 1907 dans le Petit Méridional : Monsieur le Rédacteur-correspondant du Petit Méridional, à Cette. Après avoir fait appel aux connaissances et à l'expérience des pro- fessionnels — en ce qui concerne la question quelque peu passion- nante et si pleine d'intérêt, du dragage intensif dont les Huîtres de l'étang de Thau sont l’objet depuis plus de trois années — vous avez tenu à compléter votre enquête par une opinion scientifique, et vous avez bien voulu me demander de vous donner cette opinion. Je me rends à votre désir d'autant plus volontiers que, comme vous le savez bien, j'ai toujours eu en profonde estime cette vaillante population des pêcheurs de la région de Cette, et que, à aucun mo- ment, je ne suis resté indifférent à tout ce qui touchait à leurs inté- rêts professionnels.Comme il arrive toujours en pareille circonstance, j'ai eu souvent à prendre parti pour les uns contre les autres, et à agir ainsi,je n'ai pas manqué de me créer quelques inimitiés, compensée largement d’ailleurs par des amitiés nouvelles et, surtout, par la satis- faction morale, très grande, d’avoir fait mon devoir en plaçant les intérêts généraux, tant dans le moment que dans l'avenir, au-des- sus des intérêts particuliers, le plus souvent irraisonnés et toujours mal compris. Mes différentes interventions ont toujours été dic- tées par de tels sentiments,et c’est avec le même objectif que j’ac- cepte encore aujourd’hui de répondre à votre appel. Le dragage, tel qu'il est pratiqué, ces dernières années, dans l’é- tang de Thau, est-il favorable ou défavorable au développement et à la conservation des Huîtres dans cet étang ? Est-il préjudiciable ou non à la fréquentation de l'étang par les poissons qui constituent la pêche habituelle des filets-fixes placés dans cet étang ? Telles sont les questions sur lesquelles se sont prononcés déjà les professionnels et sur lesquelles vous tenez à connaître mon opinion. Je dois vous avertir que mon appréciation sur ce sujet ne sera pas une nouveauté pour les lecteurs du Petit Méridional et que, à la date du 20 mars 1903, à la fin d'un long entrefilet sur «la Pêche et la dépo- pulation des eaux », je me suis déclaré partisan d’une réglementa- tion rigoureuse contre l’art traînant, en général, dans l'étang de Thau. Elle ne sera pas nouvelle, non plus, pour les pêcheurs intéres- sés, car ils n'ont pas oublié que c’est sur mon intervention auprès de l'Administration maritime locale, que celle-ci, dès février 1903, essaya de supprimer le dragage de l’'Huître dans l'étang de Thau.Mon opinion n’a pas changé ; elle n’a fait que prendre plus de force, si pos- sible, dans les constatations faites depuis cette époque et dans les pré- visions que les événements n'ont que trop justifiées. Je ne saurais d’ailleurs mieux répondre aux questions précédentes, qu’en donnant le texte même de ma demarche auprès de M. Administrateur de l’Inscription maritime à Cette, à la date du 30 janvier 1903, me réser- vant de répondre dans la suite aux divers arguments que les profes- sionnels ont pu invoquer en faveur du dragage (1). Il résulte de mon intervention auprès de M. l'Administrateur de l'inscription maritime de Cette, dont on a pu lire l'exposé dans le numéro du Petit Méridional du 8 janvier, que, dès le mois de janvier 1903, je m'étais inquiété des conséquences qu'un dragage intensif dans l’étang de Thau pouvait avoir, et que je m'étais déclaré parti- san d’une «réglementation aussi sévère que raisonnée sur la pratique des arts traînants dans cet étang. » Mon opinion n’a pas changé de- puis ; elle était et elle reste basée sur des considérations diverses que je me propose de soumettre aux intéressés, afin, sinon de rallier à mon opinion ceux qui, de parti pris, ne veulent pas se laisser con- vaincre, du moins de montrer à ceux que l'intérêt du moment n’a pas encore frappés de cécité, la ruine vers laquelle ils courent et dans la- quelle leur imprévoyance ne peut manquer de les précipiter. Cependant, je n’aborderai pas directement l'étude de ces diverses considérations et il me paraît utile, nécessaire même,de la faire pré- céder de quelques indications sur la biologie générale de l'Huiître, notions bien élémentaires et trop succinctes sans doute, mais qu'il est indispensable de bien connaître avant d'entrer dans une discus- sion dont l'Huître se trouve être le principal objet. Tout le monde connaît l'aspect particulier que présentent certaines Huîtres, dites Huîtres laiteuses, pendant les mois sans r c'est-à-dire de mai à août, et l’on sait que de telles Huîtres doivent cet aspect particulier à la présence des œufs en incubation, du frai, que l'animal qui leur a donné naissance protège dans ses lamelles branchiales.Le frai ne quitte l'organisme maternel, que lorsqu'il a acquis un certain degré de développement, lui permettant de se déplacer, de nager et de prendre sa nourriture dans l’eau environnante. Le frai quitte l'Huître sous forme d’un petit organisme quelque peu aplati et déjà pourvu d'une très mince coquille à deux valves ; c’est une larve qui, après un court séjour de vie en liberté, se fixe à un corps sous-marin et ne tarde pas à prendre la forme d'une très petite (1) Voir cette lettre déjà reptouile à la page 27. CPAS 4 Huître ; elle est alors au stade du naissain. Mais la larve ne se fixe pas à un corps sous-marin quelconque ; elle choisit son substratum et le prend parmi les corps pouvant offrir une certaine résistance à l’action des vagues ou des courants,tels que les rochers,les graviers, les vieilles coquilles ; enfin elle ne se fixe jamais dans la vase ou dans les sables fins, et semble avoir une préférence bien marquée pour les corps de nature calcaire. Ainsi fixée, l'Huître, si elle est placée dans des conditions favorables à son développement, grandit etparvient à l’état adulte pendant lequel elle se reproduira à son tour. D'autre part, il est un fait bien connu que les Huîtres, qui peuvent être aptes à la reproduction dès la première année de leur existence, sont d’une fécondité remarquable, et l’on peut évaluer à plus d’un million, le nombre d'œufs produits par un seul individu à chacune de ses pontes. Il semble donc, au premier abord,qu'une localité qui, comme l'étang de Thau, possède un gisement huîtrier, doive, de par le fait même de la très grande fécondité de l'Huître, ne jamais voir dispa- raître ce gisement. Or, il n’en est rien, et si nombreux sont les exemples de dispari- tion d'huîtrières nouvelles à la suite d’une exploitation déréglée, il existe aussi des cas où des gisements importants ont disparu sans que cependant ils fussent l’objet de la moindre exploitation. Je me bornerai à signaler le fait de la disparition de l’huîtrière naturelle du bassin d'Arcachon, qui, abandonnée à elle-même et n'étant l’ob- jet d'aucune exploitation, n’en a pas moins complètement disparu. Abstraction faite de l'influence néfaste et fatale d’une exploitation intensive, le sort d'un banc huîtrier est soumis à des causes multi- ples qu'il est bon de ne pas ignorer, afin de pouvoir,dansla pratique, éliminer les unes, parce que défavorables, et protéger les autres parce que favorables. Et d’abord, si féconde que soit l'Huître, il ne faut pas oublier que toutes les Huîtres ayant atteint l’âge adulte, ne sont pas aptes à la reproduction, et d’après des recherches précises faites à ce sujet, on peut évaluer à quirze pour cent la proportionnalité des Huîtres qui, dans la saison propice, se montrent chargées d'éléments reproduc- teurs. De plus, tous les œufs pondus par une Huître ne parviennent pas au stade de larves libres, et parmi ces dernières, il en est encore un grand nombre qui, pour des causes accidentelles, ne parviennent pas au stade de naissain. Ce sont, en effet, des organismes très fragi- les, soumis à l’action destructive d'un courant trop fort ou d’une vague trop agitée, ayant leurs ennemis auxquels ils servent de proie et, enfin, qui lorsque le moment de leur fixation est arrivé, sont voués à une mort certaine s'ils n’ont à leur portée un support, un substratum convenable sur lequel ils pourront se fixer. Il en résulte RAHROS TEE que, si grand que soit le nombre d'œufs pondus par une Huitre, il n’est qu’un nombrerelativement bien faible de jeunes Huîtres fixées provenant de cette ponte. Mais là ne se limitent pas encore les causes de destruction. Le naissain a aussi ses ennemis tout commel’'Huître adulte et e’est de cette dernière qu'il faut maintenant nous occuper. Considérons, en effet, l'Huître adulte. Nous la supposons fixée àun substratum bien approprié, dans une eau dont la salure et la tempé- rature ne peuvent varier que dans des limites favorables. L'existence de cette Huître n’en reste pas moins subordonnée, encore, à un cer- tain nombre de facteurs biologiques auxquels on ne saurait la sous- traire : les uns ontrapport à la nutrition même de l'animal, les autres concernent plus spécialement la perpétuelle lutte pour la vie que tout être a à soutenir. L’Huître a besoin de trouver dans l’eau où elle vit, non seulement l’oxygène nécessaire à sa respiration, mais encore une quantité suffi- sante de particules alimentaires pour assurer sa subsistance.Mais si une eau battue par les vagues et souvent renouvelée par les courants constitue un milieu favorable pour la fonction respiratoire, il ne s'ensuit pas qu'elle soit aussi favorable pour l’alimentation de l’Huître. Il est indispensable que cette eau soit suffisamment riche en particules alimentaires, et c’est là une condition à laquelle nous ne pouvons rien changer, car s’il nous est possible de modifier, dans nos laboratoires, la teneur en particules alimentaires de l’eau d’un bocal ou d’un petit bac renfermant des animaux en expérience, nous ne saurions songer à agir de même dans la nature ! Une eau est pauvre ou elle est riche ! Si elle est pauvre, nous ne pouvons compter l’enrichir ; mais si elle est riche, il peut nous être permis d'espérer pouvoir conserver sa richesse. Quoi qu'il en soit, et étant donné le mode d'absorption de l'Huître, celle-ci, pour utiliser les particules alimentaires ou organiques renfermées dans l’eau, est obligée d’absorber à la fois toutes les particules inorganiques qui sont en suspension dans cette eau pour lesrejeter ensuite en même temps que les déchets de la digestion. Il résulte de ce fait que l'Hui- tre doit accomplir un travail intestinal d’autant plus laborieux et d'autant moins productif pour la nutrition de l’animal, que l’eau dans laquelle il vit est d'autant plus chargée de matières inorgani- ques en suspension et d'autant moins riche en particules alimentai- res. Par suite, les eaux sales, les eaux vaseuses et, à fortiori, les vases sont des milieux qui affaiblissent rapidement l’Huître et celle- ci ne tarde pas à y succomber. Mais nous avons supposé jusqu'ici notre Huître adulte, seule, iso- lée sur son support et il n’en est pas ainsi en réalité. A côté d'elle prennent place d’autres Huîtres,d’autres animaux, des plantes même, des Algues, qui, comme l'Huître, ont besoin d’un substratum sur lequel ils se fixent ou sur lequel ils rampent, et qui utilisent aussi les substances nutritives de l’eau qui les baigne. C’est dans ces circons- tances que s'opère vraiment la lutte pour la vie ! Des conditions nou- velles se créent, les unes favorables, les autres défavorables pour chacune des différentes espèces cohabitant le même milieu, et tels individus, telles espèces prospèrent à côté d’autres qui dépérissent et, finalement, succombent. Ici, c’est l’Huître qui sort victorieuse de la lutte, tandis que là, elle est vaincue par une autre espèce ! Si l’on examine le produit d’un dragage effectué sur un gisement huîtrier, on constate, en effet, que s'il renferme des Huîtres, il con- tient aussi d’autres animaux, tels que Vers, Mollusques divers, Cra- bes, Etoiles de mer, Oursins, Hoilothuries, Ascidies, etc., et aussi des Algues. Les influences réciproques que ces différents êtres ont entre eux sont nombreuses ; mais on peut s'expliquer facilement qu'elles gènent considérablement le développement des Huîtres en particu- lier, soit parce que certains de ces animaux se montrent plus aptes qu'elles à puiser dans l’eau ambiante les matières alimentaires en suspension, et restreignent ainsi l’alimentation nécessaire aux Huî- tres ; soit parce que, par leurs déjections, ils rendent le milieu impro- pre à ces dernières, soit encore parce que plusieurs d’entre eux sont des ennemis directs de l'Huître qui leur sert de proie. Ces influences diverses sont surtout bien connues des ostréicul- teurs, pratiquant l’engraissement, et ceux-ci savent au prix de quels soins ils parviennent à soustraire leurs parcs à une mortalité qui serait ruineuse ! Mais tous les pêcheurs connaissent, d'autre part, quels ennemis redoutables, certains Crabes, certains Mollusques, les Étoiles de mer, et certains Poissons, comme les Anguilles, les Bigoules, les Labres, etc., sont pour l’Huître ! Il est encore d’autres ennemis,ignorés de la plupart de nos professionnels régionaux, qui contribuent aussi pour une large part à appauvrir les Huîtrières na- turelles.Je n’entrerai pas dans l'énumération et dans le détail de cer- tains parasites spéciaux à l'Huître, provoquant chez cette dernière des affections pathologiques qui occasionnent, dans les gisements huîtriers comme dans tous les établissements ostréicoles, des dégâts parfois considérables ; je me bornerai, à leur sujet, à constater que de tels parasites ne sont pas transmissibles à l'Homme, et que l'ingestion d'Huîtres ainsi contaminées ne présente aucun danger pour la santé publique. Je tiens cependant, avant d'en finir avec les ennemis de l’Huître, à signaler que la coquille dece Mollusque, lorsqu'il a atteint un certain âge,sert souvent d'habitation à certains Vers, à une Epon- ge, qui creusent des galeries dans son épaisseur. L'Éponge surtout, une Clione, serait, au dire de certains observateurs,un ennemi redouta- D nr Eos ble pour les huîtrières naturelles : elle perfore la coquille dans tous les sens, la rendant plus friable, plus cassante, et émerge à la surface externe des valves, à travers de petits orifices arrondis, sous forme de petits boutons jaunâtres.La présence d’un tel parasite,qui menace sans cesse de perforer la coquille de part en part, oblige l'Huître à réagir aussi d'une manière continue contre cette action destructive et à sécréter sans cesse de nouvelles provisions de nacre. À fournir de tels efforts, l’'Huître s'affaiblit graduellement, s’épuise et meurt. Telles sont les quelques notions relatives à la biologie de l’Huître qu'il m'a paru utile de rappeler avant de discuter quel peut être le meilleur mode d'exploitation et de protection, tout à la fois, qu'il convient d'appliquer au gisement huîtrier de l'étang de Thau. Dans un des derniers numéros du Petit Méridional (n° du 11 jan- vier), et à propos de la biologie générale de l’Huître considérée à l’état sauvage, c'est-à-dire non parquée, j'ai indiqué les nombreuses causes de destruction auxquelles les larves, le naissain, les jeunes Huïîtres et les Huîtres adultes se trouvaient successivement expo- sés. Ces causes sont si multiples même que certain naturaliste, excellent observateur, a pu évaluer qu'à l’état sauvage, les Huîtres ne fournissent pas plus, annuellement, de 421 rejetons par 1000 individus. Sans doute, ces chiffres ne sont qu'’approximatifs et ils sont variables d’ailleurs, avec les différentes localités observées dont les conditions de milieu sont diverses elles-mêmes ! Ils n’en sont pas moins frappants cependant, et méritent d'attirer notre attention ; car ils sont la conséquence d'observations sérieuses, de constatations précises, de faits indéniables, en un mot, avec lesquels il faut absolu- ment compter lorsqu'il s’agit de procéder à la conservation en même temps qu’à l’exploitation d’une huîtrière naturelle. On ne saurait nier, en effet, qu'un gisement huîtrier, soumis à l'exploitation, ne peut être conservé qu'aux conditions suivantes : 1° De ne pas enlever du gisement un nombre d'Huîtres plus grand qu'il n’est capable d'en produire annuellement ; 29 De ne pas diminuer les conditions de solidité qu'offre le fond sous-marin sur lequel le gisement s’est établi,de ne pas le transformer en un milieu impropre à la fixation des larves et de ne pas en dimi- nuer, l'étendue ; 39 De soutraire, dans la mesure du possible, le gisement à l’action dévastatrice des ennemis de l'Huître, à quelque titre que ce soit. De même, il me paraît indiscutable que, si l’on augmentait artifi- ciellement le fond solide sous-marin,en même temps que l’on accroi- trait le nombre des producteurs,on parviendrait à développer l’im- portance du gisement huîtrier et, par conséquent, sa valeur produc- tive. j EE Ce sont là des conditions qu'il me paraît nécessaire d'exiger de tout mode de pêche à adopter en vue de l'exploitation de l’huîtrière naturelle de l'étang de Thau, si l’on ne veut, dans un avenir que l'on peut estimer avec certitude être très rapproché, assister à la disparition complète de ce gisement. Il me reste maintenant à analyser les avantages et les inconvé- nients présentés par les divers arts que l’on peut employer pour la pêche à l’Huître dans l'étang de Thau, et puisque c’est le maintien ou la suppression du dragage au « fer », qui préoccupent actuelle- ment nos pêcheurs, c'est par le « fer » que je vais commencer. Sous le nom de «fer » les pêcheurs de la région de Cette désignent un sac en filet dont l’ouverture est ajustée contre une armure en fer dont la forme est celle d’un étrier. Les branches et l’œil de l’étrier sont formés par un rondin de fer de force variable, mesurant de 1 cen- timètre et demi à 2 centimètres ; la grille est constituée par un rondin de même nature ou plus souvent encore, par une lame plate, en forme de couteau, mesurant généralement de 4 à 6 centimètres de largeur et de 80 centimètres à 1 mètre de longueur ; la hauteur des branches est proportionnée à la longueur de la grille. A l'œil de l’étrier est amarrée la corde pour la traîne. Cet instrument, dont on peut apprécier le poids par les dimensions précédentes, est jeté et traîné sur le fond quelle qu’en soit la nature ; il est remorqué par une embarcation, soit à la voile (si le vent le permet), soit à l’aviron (par les temps trop calmes), pendant un trajet plus ou moins long (suivant la richesse présumée du fond en substances pouvant remplir le filet), après quoi il est relevé et hissé à bord où le contenu du sac est vidé. Le fer est de nouveau mis à l’eau et l'opération recommence ainsi pendant plusieurs heures de la journée. Entre deux dragages, a lieu le triage des matériaux, les Huîtres sont conservées à bord tandis que tout ce qui n’a pas une valeur marchande est rejeté ; mais ce n’est pas là une règle générale et trop souvent, hélas! le triage des matériaux s'effectue avec moins de régularité, et le plus souvent loin des points où ils ont été récoltés, généralement même à terre. Ainsi se pratique le dragage au fer, pour et contre lequel les professionnels ont donné des arguments qu'il s’agit de discuter. Les partisans de ia suppression du dragage ont invoqué les motifs suivants 1° Le dragage intensif, tel qu'il est opéré, diminue journellement le nombre des Huîtres, et, étant donné le nombre d’embarcations se livrant à cette pêche dans un espace aussi restreint qu'est l'étang de Thau, il est certain qu'il n'y aura plus d'Huîtres avant peu d’an- nées ; 29 Le dragage, en provoquant l’envasement du coquillage en géné- ral,concourt à la dispatition du coquillage qui est une source précieuse de revenus pour certains pêcheurs ; 3° Le dragage, s’effectuant dans tous les fonds sans distinction, ne peut être que préjudiciable à la végétation de certains fonds, et par là contribuer à la disparition du poisson de l'étang. Or, à chacun de ces motifs, les partisans du dragage répondent par un argument directement opposé : 19° Le dragage n’a pas diminué le nombre des Huîtres de l'étang ; le dragage, au contraire, semble être favorable à la multiplication de l'Huître, car il existe des fonds où les Huîtres n’existaient pas avant le dragage, et d'autre part, le nombre des jeunes Huîtres que l’on rencontre cette année est plus grand que par le passé ; 29 Le dragage supprime les conséquences fatales de l’envase- ment pour le coquillage en général, car il ramène à la surface les Huîtres et autres coquillages qui y sont enfouis ; 3° Le dragage, en décapitant les saillies et comblant les dépres- soirs, égalise le relief sous-marin et augmente ainsi tous les jours le champ propre à la reproduction de tous les coquillages. Quant à l'influence que le dragage peut avoir dans le dépoissonne- ment de l'étang de Thau, les partisans du dragage se bornent à constater que,s’il est vrai que certaines espèces de Poissons n’ont pas été aussi abondantes cette année que par le passé, il en est d’autres, au contraire, qui ont été plus abondantes. En présence de tels arguments, il serait très difficile sans doute à une personne étrangère à ces questions de se faire une opinion, si ses connaissances se limitaient aux faits avancés et qui se démentent les uns les autres. Oui, ou non, le nombre des Huîtres que les pêcheurs retirent tous les jours de l'étang de Thau va-t-il diminuant ? L'augmentation progressive du prix de vente des Huîtres, et le déménagement de bon nombre de pêcheurs de Marseïllan dans les parages de Bouzigues et de Balaruc, sont deux faits marquants, exacts, qui suffisent seuls à établir d’une manière irréfutable qu'il existe déjà une diminution très notable dans le rendement de la pe- éhe à l'Huître dans l'étang de Thau, en général, et dans la région de Marseillan plus particulièrement. Mais même à défaut de ces indica- tions, on pourrait assurer que cette diminution existe, car elle est la conséquence fatale des considérations que j'ai déjà exposées et sur lesquelles j'aurai l’occasion de revenir plus loin. Les expériences faites à cet égard sont malheureusement trop coneluantes pour qu'il soit utile d’insister,et je mé borneraïi à signaler, que,dée l’avis unanime, tous les bancs huîtriers des côtes de France, autrefois si riches et si prospères, sont aujourd'hui ruinés ou bien appauvris, malgré des nel) Le réglementations jugées sur le moment trop sévères, mais que l'on re- connaît aujourd'hui n'avoir pas été suffisamment restrictives. De l'avis général aussi, cette ruine, cet appauvrissement, que les pé- cheurs déplorent actuellement, ne sont imputables qu'à une exploi- tation intensive et imprévoyante ! Le dragage supprime-t-il les conséquences néfastes de l’envase- ment pour le coquillage en général ? En nivelant le relief sous-ma- rin, augmente-t-il le champ propre à la reproduction de tous les co- quillages? Rappelons-nous, avant de répondre à ces questions, Ja constitu- tion générale de l’étang de Thau. La cuvette de cet étang est en très grande partie formée de vases, qui passent sur les bords à une zone côtière de sables, interrompue en plusieurs points où les vases per- sistent et forment bordure. Sur ces vases, s'élèvent quelques rochers et certaines formations particulières auxquelles les pêcheurs ont donné le nom de «cadoules » ou de «planières », suivant le relief plus où moins accentué qu'elles présentent. Les rochers constituent un petit nombre de soulèvements dontle plus important est celui qui émerge au niveau du rocher de Roucairol. Quant aux « cadoules», elles constituent de nombreux mamelons d'importance diverse, plus ou moins élevés au-dessus des vases, d'un diamètre plus où moins grand à leur base et d'un contour plus ou moins régulier et plus ou moins découpé. Ces cadoules, qui sont distribuées irrégulièrement, sont uniquement constituées par des organismes marins, des Vers annélides, habitant l’intérieur d’un tube calcaire que l'animal secrète lui-même. Ces tubes, qui rappellent un peu le tuyau de la pipe en terre blanche, sont plus ou moins soudés entre eux, s’entrelacent el servent de support à de nouveaux individus qui forment eux- mêmes de nouveaux tubes, de manière à constituer des massifs soli- des de plus en plus importants, dont la surface est très découpée et comme hérissée par des massifs secondaires. Ce sont ces tubes calcai- res que les pêcheurs désignent sous le nom de « cascals ». Vases, rochers, cadoules et sables, tels sont les différents fonds que présente la cuvette de l'étang deThau. À chacun de ces fonds corres- pondent une faune et une flore spéciales qui, étant donnée la variété des fonds,constituent un milieu organisé, un «benthos » très riche.Ces différents animaux et ces plantes fournissent à leur tour des organis- mes reproducteurs, qui, comme la larve de l'Huître,nagent dans l’eau ambiante et constituent, avec les organismes pélagiques proprement dits, une faune et une flore pélagiques très riches, que l’on désigne sous le nom général de «plankton». Enfin, je rappellerai que le plank- ton étant la nourriture de la plupart des animaux marins, de la riches- se du planktor dépend la valeur nutritive de la localité considérée. AS 2 Ne nous occupant pour le moment que de: Huîtres et du dragage, j'ajouterai que les rochers et les cadoules forment précisément le support sur lequel s’est formée l’huîtrière de l'étang de Thau. Celle-ci ne constitue donc pas un banc, au vrai sens du mot, mais une série de petits bancs plus ou moins rapprochés les uns des autres, et sépa- rés par des fonds vaseux. Après ce que j'ai dit des conditions de soli- dité que la larve de l’Huître recherche dans le choix du support auquel elle se fixe, il peut paraître superflu d'indiquer que, seuls, les rochers et les cadoules peuvent fournir ce substratum, et que ce n’est qu'accidentellement que des Huîtres sont rencontrées dans les vases ou les sables ; dans ceux-ci, en effet, les Huîtres y sont toujours isolées et y ont été transportées soit par la drague, soit par la vague ou les courants sous-marins. Si l’on tient compte maintenant que le dragueur évite soigneuse- ment les rochers, où il laisserait le filet, et qu’il promène son fer, dans tous les sens, sur les cadoules et sur les dépressions vaseuses, sans distinction, il sera facile de se représenter l’action accomplie par le « fer ». Etant donnée la fragilité des tubes calcaires des cascals sur lesquels se trouvent des Huîtres, la lame en couteau du fer arrache non seulement les Huîtres,mais brise ces tubes calcaires,qui, lorsque la drague est promenée dans le sens de l'ascension de la cadoule, vont s’enfouir dans le filet avec tous les autres animaux habitant sur ces tubes. Lorsque la drague, parvenue au sommet de la cadoule, est trai- née dans le sens de la descente de cette dernière, le fer arrachera et brisera encore tout sur son passage ; et non seulement une partie du contenu du filet tombera dans la vase qui est au pied de la cadoule, mais encore tout ce que le fer arrachera pendant la descente. Par- venu au niveau de la vase,le filet reprendra sans doute une partie des matériaux que la drague y aura fait tomber, mais l’autre partie sera sacrifiée et enfoncée avec force dans la vase par le propre poids de la drague et du contenu de son sac. Il résulte de ce mode opératoire que tous les cascals formant les aspérités de la cadoule seront détruits et qu'une partie des Huîtres et des autres animaux que ces cascals portaient restera enfouie dans la vase. Tous les dragages qui se succéderont auront tous les mêmes conséquences et tendront à anéantir, non pas la cadoule,dont la base est très résistante,non pas la dépression vaseuse que toute la cadoule serait impuissante à combler, mais tous les Vers qui pourraient régé- nérer les cascals détruits, et former un nouveau support convenable pour une nouvelle génération d'Huîtres; ils tendront aussi à enfouir dans la vase, non seulement les Huîtres,mais aussi tous les animaux vivant en compagnie de ces dernières, et par là contribueront à l’ap- pauvrissement du plankton dans lequel les Poissons puisent surtout SE A Ge leur nourriture. De plus, tout ce que le filet aura ramassé d’inutili- sable, même en supposant que le triage soit effectué à bord etentre deux coups de drague, sera rejeté à l’eau en un point quelconque et sur un fond impropre dans lequel les animaux seront voués à une mort certaine. On ne peut donc soutenir qu'un tel art de pêche soit favorable à une exploitation raisonnée d’un gisement huîtrier. Le dragage au fer ne peut que ruiner non seulement l’huîtrière, mais encore cette faune et cette flore sous-marines, ce « benthos » qui fabrique une grande partie du plankton dont se nourrissent les Poissons, et à ce dernier titre, je soutiens que ce mode de dragage ne peut qu'être absolument défavorable au rendement des pêches effectuées aux filets fixes dans l'étang. Est-il nécessaire de répondre à la dernière question, de démontrer, au professionnel qui voudrait unifier le fond sous-marin de l’étang afin dele rendre plus propre à la reproduction des divers coquillages, que son ambition est une double hérésie ? Je suppose, comme la très ironiquement fait un autre professionnel, que les coulées de lave d’un volcan viennent se solidifier en une nappe uniforme, bien plane, sur la cuvette de l’étang de Thau ! Est-ce que le premier profession- nel pense vraiment que ce fond plat, exempt de vase, sera plus favo- rable aux divers coquillages que les fonds variés que possède à l'heure actuelle l'étang de Thau ? Pense-t-il aussi que ce fond ainsi unifié restera longtemps privé de vase ? Que dire maintenant du dragage de l’étang à l’aide du gangui ? Après ce qui précède, on comprendra facilement que l’action du gan- gui, quoique restreinte aux fonds vaseux ou de sable, soit très préju- diciable à la population de ces fonds. Elle l’est d'autant plus que, par suite même des dimensions de ce filet, chaque dragage exerce son influence sur une surface relativement considérable ! Le gangui, quoique très peu employé dans la pêche aux Huîtres, n’en est pas moins un art pratiqué dans l'étang de Thau pour d’autres pêches et son interdiction me paraît absolument nécessaire. Dans les articles précédemment parus dans le Petit Méridional, j'ai successivement indiqué les conditions que devrait remplir tout art de pêche à adopter en vue de l'exploitation d’un gisement huîtrier quelconque. En ce qui concerne plus particulièrement l'huî- trière naturelle de l’étang de Thau, j'ai montré tous les dangers que présentait la ruine inévitable vers laquelle concouraient les dra- gages intensifs effectués à l’aide du « fer » ; enfin, quant au filet traînant, bien connu sous le nom de «gangui », j'ai sommairement sou- ligné les conséquences que l’usage de ce filet peut avoir non pas sur Fhuîtrière, mais sur la population des fonds où il peut exercer ses MAO ravages, sur le «“benthos », et, indirectement, son influence dans l’ap- pauvrissement du «plankton » et par celui-ci, dans le dépoissonne- ment général de l'étang. Le gangui contribue encore directement au dépoissonnement et c’est pourquoi son interdiction dans l'étang de Thau est réclamée depuis longtemps. C’est que, comme tous les filets de ce genre,traînés dans les fonds vaseux ou de sable, il a le grand désavantage de capturer tous les Poissons de fond, sans dis- tinction de taille, tels que Plies, Soles,Turbots, etc.,et pour quelques Poissons de bonne vente, il prend dans ses mailles quantité de jeunes individus que le pêcheur ne peut utiliser ef qui sont ainsi complè- tement perdus. - Voilà donc deux arts traînants «fer » et « gangui » dont l'usage devrait être interdit d’une façon absolue dans l'étang de Thau, parce qu'ils sont également nuisibles à l'économie biologique de eet étang et que l’action du premier ne peut qu’entraîner à très brève échéance la ruine complète du gisement huîtrier. Les partisans du dragage, conscients des dégâts occasionnés par le fer, ont proposé une mesure intermédiaire « la coupe réglée par voié de cantonnements », pour employer l'expression -quasi-officielle. Suivant ce mode, l’étang serait subdivisé en un certain nombre de zones ou cantonnements, qui ne seraient dragués qu’à intervalles réguliers. Si l’on établissait cinq cantonnements, par exemple, cha- cun d’eux ne serait dragué, à tour derôle, que tous les cinq ans, et aurait une période de repos de quatre années pendant lesquelles le gisement pourrait se reconstituer. Ce mode d'exploitation est con- nu, et l’on sait aujourd’hui, par expérience, le bien et surtout le mal qu'il faut lui attribuer et dont il faut le rendre responsable ! Recon- au, en effet, impraticable pour les gisements huîtriers de l'Océan et de la Manche, où ces gisements grace à leur étendue, pouvaient permettre une division en cantonnements, il ne saurait être em- ployé dans l’étang de Thau dont la surface est beaucoup trop res- treinte pour supporter une subdivision quelconque ! Comment donc exploiter l’huîtrière de l’étang de Thau ? Il est certain que si les eaux decet étang étaient toujours d’un calme et d’une transparence pouvant permettre la pêche de l’Huître à la vue, et à l’aide d’un simple « salabre » ou épuisette, dans n’im- porte quel fond, c’est bien le mode de pêche que je préconiserais, car c’est le seul qui ne présente aucun désavantage ou à peu près aucun. Il est le seul pratiqué sur les rochers et, par les temps calmes, il est toujours employé dans les fonds de faible profondeur et se montre relativement très productif.Mais il ne peut être adopté dans l’exploi- tation du gisement et j'estime qu’il est utile cependant que celui-ci soit exploité. Or de tous les engins propres à la pêche à l’Huître, il ne DOME reste plus que l’ «arselière » ou râteau à Clovisses sur lequel notre choix peut encore se porter. Est-ce à lui qu'il faudra s'adresser ? La pêche des Huîtres au moyen du râteau à Clovisses, tel est, en effet, le mode de pêche que réclament les partisans de la suppression du dragage, et c’est celui qui me paraît présenter le moins d’inconvé- nients, tant au point de vue de l'économie générale de l'étang de Thau qu'au point de vue de la bonne exploitation de l’huîtrière ; enfin, cet engin procure au pêcheur qui l'utilise un revenu journa- lier variant entre 5 et 10 francs, pour 6 heures de travail en moyenne. L’arselière comprend un filet récolteur, ou sac, adapté à une arma- ture en fer en forme de fer-à-cheval dont les deux branches sont réu- nies par une traverse horizontale, mesurant de 50 à 70 centimètres de longueur et garnie de dents en fer sur l’un de ses côtés ; la partie cintrée porte une douille dans laquelle est ajustée une perche longue de 6 à 7 mètres environ. Monté sur sa nacelle, le pêcheur gagne le lieu de pêche, et à l’aide de son ancre lui servant de plomb de sonde, tâte le fond sous-marin de manière à prendre place au-dessus d'une cadoule ; par des tâtonnements aussi, il se renseigne sur la forme de cette dernière, et ne jette qu'ensuite son engin à l’eau, après avoir toutefois ancré solidement son embarcation à l’aide de son grap- pin. Par l'effort combiné des mains et d’une épaule contre laquelle s'appuie le bout de la perche, le pêcheur râcle le fond, et de manière que les matériaux arrachés ou soulevés tombent naturellement aans le sac récolteur. Après quelques minutes de cet exercice, pendant les- quelles l'engin aura parcouru quelques mètres à peine de longueur, l'engin est hissé à bord et le contenu du sac déversé dans l’embarca- tion en attendant le triage qui, trop souvent encore, n’est pas effec- tué sur le lieu de pêche. Le râteau est de nouveau jeté à l’eau et l'opération recommence ainsi un certain nombre de fois dans la jour- née. L'emploi de cetengin n’est pas exempt des inconvénients que nous avons constatés dans l'usage du « fer» ou du «gangui» ; mais étant données les dimensions du râteau à Clovisses et la surface qu'il est pos- sible à un homme d'explorer avec cet instrument dans une journée, il est facile de comprendre que les fâcheuses conséquences qui résul- tent de son usage soient d’une importance bien inférieure à celles qui résultent de l'emploi des arts traînants proprement dits. D'autre part,si le triage est effectué sur place, les matériaux rejetés à l’eau se retrouvent dans le milieu où ils ont été capturés et par conséquent dans un milieu convenable, ce qui ne peut être effectué dans les dragages au fer ou au gangui. N'oubliant pas que le râteau à Clovisses procure au pêcheur un salaire journalier variant entre 5 et 10 francs, il semble que cet engin dût avoir les préférences de tous nos pêcheurs. Au fait, aucune objec- tion n'a été présentée contre son usage, si ce n’est peut-être que le dragage proprement dit est plus rémunérateur ! Or, cette objection est sans consistance,car non seulement l’arselière procure,à mon avis, un salaire suffisant, mais encore est-il bon de songer que le prix d’une marchandise est toujours en raison inverse de son abondance, élevé si elle est rare, et bas si elle est abondante ! En conséquence,et si mon trop long plaidoyer a pu convaincre les partisans du dragage que leurs intérêts propres se trouvent intime- ment liés à la suppression du dragage — ce dont je m’estimerais très heureux — je proposerais aux pêcheurs de l’étang de Thau d’adop- ter le projet suivant pour la réglementation de la pêche aux Huîtres dans cet étang : 19 La pêche aux Huîtres dans l’étang de Thau ne pourra être effec- tuée qu'à l’aide du râteau à Clovisses et du salabre.Le dragage au «fer » et au gangui sont formellement interdits. 2° Le triage des matériaux aura toujours lieu sur place et après chaque coup de râteau. Ne seront conservés à bord que les Huîtres, coquillages et autres animaux servant à l'alimentation, qui auront les dimensions réglementaires ; tous les autres matériaux seront reje- tés à l’eau, à l'exception cependant des Étoiles de mer qu'il est de l'intérêt du pêcheur de détruire. 30 La pêcheaux Huîtres pourra être interdite pendant la saison de la reproduction (du 17 mai au 17 septembre), si cette mesure est jugée nécessaire par l'Administration maritime compétente. L'application d’une semblable réglementation me paraît non seu- lement être appelée à régulariser et à conserver les revenus fournis par l’Huîtrière de l’étang de Thau,mais encore devoir rendre les eaux de l’étang favorables aux migrations périodiques des Poissons qui le fréquentent, et par là contribuer au bien-être général de tous les pêcheurs (1). Nous n'oserions avancer que le plaidoyer précédent, qui, au fur et à mesure de sa publication, était adressé à M. l'Inspecteur général des Pêches, ait reçu bon accueil auprès de l'Administration de la Marine ; mais, à la date du 20 janvier 1907, paraissait dans les jour- naux de la région, la note suivante : (1) La suite de cet article est consacrée à la création de nouveaux parcs dans l'étang de Thau, destinés à faire cesser la campagne entreprise contre la vente direcle des Huîtres de cet étang. 410 — «L'Inscription maritime de Cette nous communique une dépêche ministérielle annonçant qu'à partir du 23 janvier, le décret du 18 juil- let 1906, interdisant l'emploi de la drague à Huîtres, sera remis en vigueur ». Inutile de dire que cette note ne fut pas à la convenance des parti- sans de la drague,de ceux du moins que mes arguments n'avaient eu ta puissance de convaincre. Malgré une violente campagne de presse, soulevée par des accidents pathologiques survenus à Auteuil, en décembre 1906, à la suite d’ingestion d'Huîtres de Cette, et à un mo- ment où l'interdiction absolue de la vente des Huîtres de l'étang de Thau était réclamée par quelques hygiénistes et surtout par les ostréi- culteurs de l'Océan, des démarches furent effectuées sans retard par _les dragueurs de Marseillan, afin qu'une nouvelle fois, le décret du 18 juillet 1906 fût considéré comme non avenu, sinon rapporté. Nous trouvons l'indication de ces démarches dans la lettre suivante adres- sée par M. le Ministre de la Marine à M. Laferre, député, et publiée par Le Petit Méridion al du 25 janvier 1907 : «En me référant à mes lettres des 12 septembre et 31 octobre der- niers, j'ai l'honneur de vous informer que j'ai envoyé, à deux repri- ses successives, M. l’Inspecteur général des Pêches maritimes en mission à Cette. Son premier voyage avait pour but d'examiner si les réclamations formulées par un certain nombre de pêcheurs contre l'application du décret du 18 juillet 1906 étaient fondées ou non. Après s'être livré à une enquête approfondie, M. Fabre-Do- mergue a émis l'avis que l’usage de la drague ou de tous les engins traînants remorqués dans l'étang de Thau aurait non seulement l'inconvénient de détruire inconsidérément les Mollusques qui y vi- vent, mais de compromettre gravement aussi la reproduction des Poissons sédentaires habitués à y séjourner. Dans ces conditions, il a conclu au maintien des dispositions protectrices des fonds édictées par le décret du 18 juillet 1906. Le second voyage a été motivé par la question de savoir si un cer- tain nombre d'accidents malheureusement trop graves récemment survenus à la suite d’ingestion d’Huîtres provenant de Cette pou- vaient être réellement attribués aux conditions défavorables dans lesquelles s'effectuent la stabulation et le transport des produits de la région. Dans cette seconde mission, M. Fabre-Domergue était accompa- gné de M. le docteur Mosny, membre du Conseil d'Hygiène publique de France, CN ES Tous deux ont conclu à la nécessité absolue de restreindre, avant toute autre mesure, par la stricte application du déeret-du 18 juillet 1906, la quantité d’'Huîtres qui, avant leur expédition, restent immer- gées dans des eaux manifestement contaminées. En présence d'une telle situation, je n’ai pas cru devoir différer plus longtemps la stricte application d’un décret qui, motivé par le seul souci de la conservation des fonds huîtriers, se trouve aujour- d’hui impérieusement dicté par des considérations supérieures d’hy- giène publique. J'ai donc prescrit aux autorités maritimes locales de n’apporter, à partir du 20 janvier, aucun restriction à l'application de cet acte. Vous estimerez certainement avec moi, mon cher Collègue, que si le décret du 18 juillet 1906 doitavoir pour résultat desauvegarder, d’une part, l'intérêt de la pêche, et d’autre part, de contribuer à la garantie de la santé publique, il est indispensable d’en faire assurer très strictement l'application Agréez, Monsieur le Député et cher Collègue.…. Gaston THOMPSON. » La publicité donnée à la lettre ministérielle eut pour effet de cal- mer les dragueurs, et au fait, leurs protestations furent de moins en moins nombreuses dans la suite et leurs récriminations prirent une tonalité bien différente. Il ne faudrait pas croire cependant que les Huîtres, qui, depuis, ont été pêchées tous les jours dans l'étang de Thau, l’aient été à l’aide de l’arselière ! La plupart de nos pêcheurs d'Huîtres, anciens partisans de la drague ou non, n’en ont pas moins continué à dra- guer les fonds huîtriers de l'étang qu'ils draguent encore tous les jours, et ce, malgré la surveillance très étroite exercée par le ba- teau garde-pêche, le « Marseillan », spécialement attaché à l'étang de Thau ! C’est qu’en effet, nos pêcheurs ont «plus d'un tour dans leur sac » et leurs procédés, bien connus de tous ceux qui fréquentent l'étang de Thawu et, par conséquent, de l’administration qui est impuissante à les réprimer, ont été décrits tout récemment par M. Captier (1). « Des fraudes sont commises, ce n’est pas douteux. Parfois la dra- gue est furtivement employée, même par ses adversaires. Parfois en- core des pêcheurs peu scrupuleux se servent de la clovissière comme d'une drague en la retournant et en la remorquant attachée à l’ar- rière de l’embarcation. Il y a bien sur l’étang de Thau un bateau (1) Jacques CapriÈer. — Les marins-pécheurs du Languedoc. Bulletin trimestriel de la Société de L Enseignement professionnel et technique des Pêches maritimes, janvier-mars 1909, p. 40. PM ee varde-pêche, le «Comtois » (1), mais il arbore une voilure absolument inusitée dans la région ; elle le fait reconnaître aisément et de fort loin. Le moteur dont il est muni ne fonctionne que rarement pour raison d'économie. Les fraudeurs savent admirablement se repérer. Aperçoivent-ils le garde-pêche, ils relèvent soigneusement l'endroit où ils se trouvent, laissent couler à fond l'engin prohibé et, lorsque le « Comtois » les rejoint, il n’accoste que d’inoffensifs pé- cheurs; ils peuvent soutenir que les Huîtres pêchées par eux l’ont été à la clovissière. Le garde-pêche parti, les pêcheurs retirent leur dra- gue à l’aide de grappins. Si la clovissière est employée comme drague, il suffit de la détacher pour être en règle. Dans ces condi- tions, le rôle du garde-pêche est assez difficile. » Nous ajouterons à la description de M. Captier que des arselières ou clovissières spéciales, de plus grandes dimensions, ont été cons- truites, qui, remorquées à la facon de la drague, constituent un engin aussi destructeur, siron davantage, que la drague elle-même. Aussi constate-t-on une diminution très sensible dans le rende- ment des pêches à l’Huître, et il serait temps que les dragueurs, reve- nant à une meilleure conception des modes de conservation des gise- ments, ne se livrassent plus à une exploitation aussi intensive et aussi ruineuse pour les fonds. Enfin, nous rappellerons encore l'urgence qu'il y aurait à inter- dire la pêche aux Huîtres pendant la saison de la reproduction. Non seulement cette mesure s'impose, au point de vue de la conservation des huîtrières, mais elle favoriserait encore le développement des Vers tubicoles formant les « cascals » et, par là, contribuerait à ac- croître le support solide que l'Huître de Thau semble préférer. D'ailleurs, cette période d'interdiction s'impose encore par mesure d'hygiène et il est surprenant que l'Administration compétente n'ait encore tenu aucun compte de la deuxième partie du vœu adopté en séance générale du Congrès des Pêches maritimes, à Bordeaux 1907), ainsi conçue : «La vente et la pêche des Huîtres (dans l'étang de Thau) ne pour- ront avoir lieu que du 15 septembre au 15 avril. » II. — LES HUITRES ET L'HYGIÈNE. De tout temps et à des titres divers, les différents Mollusques co- mestibles ont été incriminés de pouvoir provoquer par leur inges- tion des accidents pathologiques d'ordre varié. Les Huîtres ne sau- (1) Le bateau garde-pêche, appelé primitivement & Comtois » ,est désigné aujourd’hui sous le nom de « Marseillan s. AU raient faire exception et, depuis très longtemps déjà, elles ont été accusées de nombreux méfaits. On cite souvent le cas d'Henri IV qui, en 1603, à Rouen, «fut atteint d’un grand dévoiement jusques au sang, que les médecins disoient provenir de trop d'huîtres à l’écaille qu'il avoit mangées ». Manifestations cutanées, accidents nerveux, troubles gastro-in- testinaux simples ou dysentériformes, voire même cholériformes, affections à germes spécifiques, comme le choléra et la fièvre ty- phoïde, tel est l'arsenal des troubles morbides dont les Huîtres ont être incriminées. La littérature médicale française n’est d’ailleurs pas la seule à se faire l'écho de ces nombreuses affections d’origine ostréaire, dont quelques-unes ont pu prendre même une allure franchement épidémi- que. En Espagne comme en France, en Italie comme en Autriche, en Angleterre comme en Allemagne, en Amérique comme en Europe, partout où l'Huître a pu jouir des faveurs d'entrer dans l’alimenta- tion de l'Homme, partout elle a pu, à un moment donné, être rendue responsable des accidents pathologiques les plus variés. Mais c’est surtout en tant que véhicule de la fièvre typhoïde que, depuis une trentaine d'années environ, l'Huître se trouve fortement incriminée. En 1880, en effet, dans un Congrès de la British Medical Associa- lion, Sir CAMERON dénonçait les Huîtres de la baïe de Dublin comme contaminées par les égoûts de la ville et pouvant, au même titre que l’eau et le lait, servir de véhicule à la fièvre typhoïde.A la suite de Sir CAMERON, plusieurs médecins étrangers rapportèrent des ob- servations du même genre, jetant un diserédit de plus en plus mar- qué sur les Huîtres. En France, la fièvre typhoïde d’origine ostréaire est de date plus récente et M. CHANTEMESSE paraît avoir été le premier à attirer l’at- tention sur certains cas de fièvre typhoïde survenue à la suite d’in- gestion d'Huîtres souillées par des eaux contaminées. La communica- tion de M. CHANTEMESSE, présentée par M. CorNiz, à l’Académie de médecine, dans la séance du 2 juin 1896, eût pour résultat la consti- tution d’une commission d’études, qui, quelques jours après (séance du 16 juin 1896), présenta un rapport sollicitant des pouvoirs com- pétents une surveillance étroite des parcs à huîtres et l'immersion, en un point de la côte baigné par de l’eau de mer pure, de toutes les Huîtres suspectes. Les discussions auxquelles donnèrent lieu la communication de M. CHANTEMESSE et le rapport de M. CorNiz, au nom de la commission d’études, eurent un certain retentissement qui s'étendit au-delà même des murs de la salle des séances de la docte Compagnie. L’opi- î BE, me nion publique s’affola et, la mévente des Huîtres survenant, les parqueurs se trouvèrent dès lors fortement atteints dans leurs inté- rêts commerciaux : l'industrie ostréicole fut sérieusement menacée. Un tel état de choses ne pouvait manquer d'appeler l'attention du Ministre de la Marine qui, en 1897, chargea M. le docteur Mosny d'une mission destinée à vérifier l’état de salubrité des différents parcs à Huîtres échelonnés sur tout le littoral français. L'enquête du docteur Mosxy se prolongea jusqu’en 1900, époque à laquelle il pu- blia à cet égard un rapport tenu secret, ou tout au moins resté très confidentiel, qui, ainsi que le dit GraRp, «laissa planer une suspicion générale sur les divers établissements ostréicoles et leurs produits ». Quelques nouveaux cas de fièvre typhoïde attribués à l’ingestion d'Huîtres s'étant encore produits en France, vinrent par surplus accroître l’abstention des consommateurs, rendant toujours plus aiguë la crise que traversait l’industrie ostréicole. À la demande des représentants des départements intéressés, le Ministre de la Marine, avant d'entrer dans l’exécution des mesures réclamées par le docteur Mosny,jugea utile de connaître à cef égard l'opinion du Comité consultatif des pêches maritimes. [1 confia à ce dernier le soin de s'occuper de la question des Huîtres et de détermi- ner la part réelle que l’on pouvait attribuer à celles-e1 dans les divers accidents pathologiques dont elles étaient incriminées. Le titre du rapport présenté par GiarD au nom de ce Comité et inséré au Journal officiel du 28 juillet 1904, « Sur la prétendue noci- vité des Huîtres », donne déjà une idée des conclusions qui y sont formulées et qui ont été «établies après une étude attentive des faits et basées soit sur des expériences de laboratoire, soit sur des observa- tions relatives à la biologie de l'Huître poursuivies depuis bien des années dans plusieurs de nos centres ostréicoles ». Les conclusions de Grarp sont loin d’être conformes à celles du docteur Mosny, qui, après son enquête, avoit conclu à l’origine os- tréaire de très nombreux cas de fièvre typhoïde survenus en France. Pour Grarp, et sans nier la possibilité de [a transmission du bacille typhique par les Huîtres, la fièvre typhoïde d’origine ostréaire serait exceptionnelle et les nombreux cas de dothiénenterie attribués aux Huîtres ne reposeraient que sur des observations le plus souvent mal établies ou mal interprétées. Mais GiarD n’a pas examiné seulement que la nocivité des Hui- tres au point de vue de la fièvre typhoïde. Ainsi que l'avait déjà fait en partie M. Joannes CHATIN, dans la séance de l’Académie de Mé- decine du 9 juin 1896, dans la séance qui suivit celle où M. CoRNIL avait présenté la communication quelque peu alarmante de M. CHaN- TEMESSE, GIARD a passé successivement en revue les différentes De A EU conditions auxquelles les Huîtres pouvaient être soumises, les diver- ses causes possibles de nocivité de ces Mollusques, et, après en avoir fait une excellente critique, il a pu formuler les conclusions suivan- tes : «10 L’'Huître, dans ses conditions normales d’existence, n’est mal- saine en aucune saison (pas même à l’époque du frai) ; 29 Les maladies microbiennes de l'Huître ne sont pas transmissi- bles à l’homme. Ces maladies sont rares, d’ailleurs, et inconnues dans la plupart de nos établissements ostréicoles ; 3° Les Huîtres draguées au large et sur les bancs naturels sont à l'abri de toute contamination. Klles peuvent, dans certains cas, devenir impropres à la consommation, mais ne constituent pas un danger pour la santé publique ; 40 La transmission du bacille d'Eberth (bacille de la fièvre typhoï- de) par les Huîtres est chose possible ; mais les cas bien démontrés sont excessivement rares. Ils exigent un concours de circonstances tout à fait exceptionnel. 59 Les établissements de production de naissain, par leur nature même, sont à l’abri de toute suspicion ; 60 Il convient de distinguer parmi les parcs : 1° les parcs d’étalage ; 29 les pares d’engraissement ; 39 les parcs d'expédition ; 79 Les parcs d’étalage sont peu nombreux et faciles à surveiller et à déplacer au cas où ils pourraient devenir insalubres. On n’a pu d’ailleurs, les incriminer sérieusement. 8° Les parcs d’engraissement, pour remplir le but que se propose l'ostréiculteur, doivent être placés dans des conditions parfois sus- pectes en apparence. mais qui excluent forcément une contamina- tion permanente ; 90 Les parcs d'expédition seuls exigent une surveillance très active, Cette surveillance doit s'exercer également dans les dépôts transitoi- res des bassins des ports où les Huîtres séjournent souvent avant leur transport dans les gares ; 10° Toute surveillance des pares serait illusoire si elle n'était suivie d’une surveillance beaucoup plus nécessaire des Huîtres mises en réserve chez les marchands en détail, les restaurateurs, les ven- deurs sur la voie publique, etc. » Le rapport de GrARD, étant donnée la haute autorité quis’attachait à la personnalité scientifique du rapporteur, devait sans doute, sinon supprimer totalement le discrédit dont les Huîtres se trouvaient frappées, du moins l’atténuer grandement, et c’est en effet la consé- quence heureuse qu’obtint ce rapport. L'industrie ostréicole reprenait donc un essor graduellement plus accentué lorsque, dans les premiers jours de décembre 1906, sur- AT RES vinrent à Autun, au Creusot, à Chalon-sur-Saône, à Dijon, à Lyon, à Bordeaux, à Agen et dans quelques autres localités encore, un cer- tain nombre d’empoisonnements ou d'accidents gastro-intestinaux, suivis ou non de fièvre typhoïde, attribués à l’ingestion d’'Huîtres provenant de Cette. Les accidents d’Autun, en particulier, revêtirent un carac- tère spécial ne permettant pas le moindre doute sur leur cause même : «M. F. (d’Autun) acheta 400 Huîtres, le 4 décembre au soir, à 0 fr.20 la douzaine, à une marchande installée à Cette, côté gauche du Pont National, entre la station du tramway et l'entrée du pont. Il les distribuait au café (à Autun) le 5 décembre au soir. Trois bourriches sont données à C.,P., et S$., le restant est débité parV. en plus faibles quantités. Treize familles ou groupes de famille, comptant trente-sept person- nes, reçurent de ces Huîtres. Sur les trente et une qui mangèrent des Huîtres, trente furent malades et quatre moururent. Onze ou douze eurent la fièvre typhoïde. Il n’y eut aucun malade parmi les person- nes qui s’abstinrent de toucher aux Huîtres (1) ». De tels troubles morbides ne manquèrent pas de provoquer une émotion bien légitime auprès des Pouvoirs compétents, qui déléguè- rent à Cette MM. le docteur Mosny, membre du Conseil supérieur d'Hygiène,et FABRE-DOMERGUE, inspecteur général des Pêches mari- times, afin d'y étudier l’état sanitaire de l’industrie ostréicole de l'étang de Thau. L'enquête eut lieu le 13 décembre 1906 et nous eûmes l'honneur d’être consulté par MM. Mosxy et FABRE-DOMERGUE sur les causes qui, à notre avis, pouvaient expliquer les accidents survenus à Au- tun. Ayant suivi les recherches de MM. SABATIER, DuCAMP et PETIT (2) Sur l'absence du colibacille et du bacille typhique dans les Huîtres des parcs de Cette (recherches effectuées à la suite de la communica- lion de M. CHANTEMESSE, qui mettait en cause les Huîtres de Cette), nous étions convaincu, après la lecture du rapport de GrarD, que la prétendue contamination typhique par les Huîtres avait été très fortement exagérée. À ce moment-là, déjà, nous avons soutenu que les accidents d’Autun, comme d’ailleurs ceux de St-André-de-San- gonis rapportés par M. CHANTEMESSE;,relevaient plutôt du domaine (1) Observation citée d’après Nerrer (Bulletin Académie de Méd., 5 fé- vr er 1907). (2) SABaTIER Ducamp et PErir, — Etude des Huîtres de Cette au point de vue des microbes pathogènes (C. R. Acad. des Sciences, 8 novembre 1897). -—L'ingestion alimentaire des Huîtres dans l’étiologie de la fièvre typhoïde, Congrès de Médecine de Montpellier, 1898. ME EE des intoxications que de celui des infections, et nous avonsinvoqué les mauvaises conditions dans lesquelles les Huîtres se trouvaient parfois soumises comme pouvant expliquer les accidents d’Autun. Depuis la reconstitution des gisements hufîtriers de l'étang de Thau, en effet, la quantité d'Huîtres pêchées dans cet étang était tellement grande que les ostréiculteurs et expéditeurs locaux ne pouvaient suffire à écouler les Huîtres que les pêcheurs récoltaient tous les jours. Malgré une consommation locale et régionale exagérée (le prix de la douzaine d'Huîtres atteignant au maximum 0 fr.25), malgré la création de nouveaux centres de vente en dehors de la région, malgré aussi les approvisionnements importants effectués par grand nombre d'établissements du bassin d'Arcachon comme de celui de la Seudre, il y avait excédent d'Huîtres pêchées. Quoti- diennement ces Huîtres invendues étaient placées dans des caisses- réserves et immergées un peu partout, sur les bords de l'étang comme dans les canaux de Cette, sans aucun souci de la salubrité de l'emplacement choisi, attendant là le moment d’une vente propice. Une telle profusion d'Huîtres ne pouvait entraîner que des consé- quences regrettables. Les Huîtres de Thau, comme toutes les Huîtres provenant d’un gisement naturel, ont le plus souvent les valves de la coquille sur- chargées de vase et d’une population animale et végétale envahis- sant parfois toute l'épaisseur de la coquille. De telles Huîtres étaient Jjetées pêle-mêle dans ces caisses-réserves à parois perforées, il est vrai, mais dont les orifices (d’un diamètre de 1 centimètre au plus) beaucoup trop petits, ne livraient passage qu’à une trop faible quan- tité d’eau et ne pouvaient permettre au courant marin dans lequel les caisses étaient immergées de balayer suffisamment les impuretés portées par les coquilles. Par suite même des produits de décompo- sition fournis par ces impuretés, il se constituait dans ces caisses- réserves un milieu toxique dont les Huîtres s’imprégnaient sans tou- Jours succomber à son action. Mais, si le mode de stabulation des Huîtres était défectueux, il en était de même des conditions dans lesquelles les expéditions à la consommation se trouvaient effectuées. Les Huîtres étaient jetées dans de vieux sacs ayant renfermé parfois des substances nocives, dans des paniers ou corbeilles usagés, sans aucun des nombreux soins que prennent les expéditeurs dignes de ce nom, et grâce auxquels les Huîtres « conservent leur eau ». Expédiées par des gens sans expérience, ces Huîtres arrivaient chez des marchands le plus souvent improvisés et peu familiarisés avec la bonne tenue que réclament ces Mollusques. Là encore, elles étaient soumises à des conditions tout aussi défectueuses que celles _— 54 es qui avaient caractérisé leur voyage ; elles n'étaient vendues le plus souvent qu'après des expositions de plus ou moins longue durée à toutes les influences atmosphériques, au soleil, à la poussière, et après avoir subi maints arrosages ou rafraîchissements destinés à | leur donner une apparence de fraîcheur qu'elles ne possédaient pas pour la plupart. Telles sont les conditions, bien défectueuses sans doute, dans les- quelles les Huîtres de l'étang de Thau étaient livrées à la consom- mation au moment où se produisirent les accidents d'Autun, et telles sont les causes assez multiples des intoxications qui ont été relevées à l'encontre de ces Huîtres, intoxications plus ou moins graves, précé- dant toujours l’évolution typhique lorsque celle-cis’est manifestée. * Telles furent aussi les observations que je présentai à MM. Mosny et FABRE-DOMERGUE. À mon humble avis, les observations relati- ves aux accidents d’Autun indiquaient non pas une infection typhi- que précédée ou simplement accompagnée d’une inloricalion provo- quée par les micro-organismesvéhiculés par les Huîtres el puisés par ces der- nières dans les eaux impures où elles baignaient, mais bien une inloæi- calion produite par des Huitres, que les conditions de stabulation en milieu toxique ou celles du transport avaient avariées, sans avoir perdu de leur fraîcheur apparente, intoxication ayant pu déterminer ou favoriser, par son retentissement sur la muqueuse intestinale, l’éclosion et l’évolution d'une affection typhique dont les micro- organismes étaient peut-être étrangers aux Huîtres ingérées et pré- sents dans l'intestin avant l’ingestion de ces dernières. Mais telle n’était pas l'opinion de MM. MosxY et FABRE-DOMER- GUE, qui, en parcourant les bords de l'étang, avaient pu constater l'insalubrité en apparence tout au moins,— des eaux dans les- quelles les pêcheurs expéditeurs mettaient leurs caisses-réserves en stabulation. Ils admettaient sans doute la défectuosité dans les mo- des de mise en stabulation et d'emballage, comme pouvant expli- quer certaines intoxications, mais ils attribuaient une tout autre importance à la stabulation en eaux contaminées où les Huîtres puisaient des microbes pathogènes pouvant déterminer dans l’orga- nisme humain soit de simples intoxications (d’origine infectieuse), soit des infections typhiques. A de telles considérations, nous objectâmes qu'il ne s'était jamais produit — à notre connaissance tout au moins, — un seul cas d’in- toxication ou d'infection typhique avec les Clovisses pêchées dans l'étang de Thau ou dans les canaux de Cette, qui, cependant, sont l’objet d’une consommation très importante, et qu'il en était de même avec les Huîtres des parcs d’engraissement, installés depuis longtemps déjà sur les canaux de Cette. Le cas de St-André de San- er PE gonis ayant fait l’objet de la communication de M. CHANTEMESSE à l’Académie de médecine (séance du 2 juin 1896) ne saurait être attri- bué aux Huîtres de Cette, en effet, plutôt qu'aux charcuteries et gi- biers qui composèrent le menu du banquet auquel mon excellent maître, M. SABATIER, fait allusion dans la lettre publiée par Grarp dans son rapport (p. 23). Or, les Huîtres de ces pares d'élevage, à la suite des manutentions dont elles étaient l’objet, possédaient une coquille toujours exempte des impuretés que portent fréquemment les coquilles d'Huîtres pêchées sur les bancs naturels. Il en est de même pour les Clovisses qui, de par leur habitat particulier, ont tou- jours une coquille lisse, privée de toute trace d'organismes, parasites de support ou autres, dont la décomposition est susceptible en milieu confiné de créer au Mollusque un milieu plus ou moins fortement toxique. Cette objection, la plus importante que l’on puisse opposer aux hygiénistes qui se sont élevés contre l'exploitation des Huîtres de Cette et de l'étang de Thau, possède la valeur d’une expérience ayant porté sur plusieurs millions d'Huîtres et plusieurs milliards de Clo- visses des canaux de Cette ou de l'étang de Thau, ingérées par plu- sieurs milliers de consommateurs qui tous, certainement, n'avaient pas acquis cette immunité dont se réclament les hygiénistes ! Quoi qu'il en soit, cette objection — à laquelle nous attribuons, à l'heure actuelle, une plus grande valeur encore que par le passé — ne chan- gea pas la manière de voir des enquêteurs, de M. MosxY surtout, pour qui les canaux de Cette et une grande partie des eaux littorales de l'étang étaient de véritables bouillons de culture microbienne. Nous ne pouvons reproduire le rapport que MM. Mosxy et FABRE- DoMERGUE adressèrent à M. le Ministre de la Marine, à la date du 17 janvier 1907, et nous ne voulons pas discuter les mesures quelque peu exagérées que les enquêteurs sollicitèrent dans le 3° paragraphe de leurs conclusions. Ce rapport est resté encore confidentiel. Toute- fois nous tenons à remarquer qu'il n’y est fait aucune mention de la toxicité que pouvaient acquérir les Huîtres dans les caisses-réserves, par suite même du milieu toxique créé par les produits de décompo- sition des impuretés organiques que portent les valves de la coquille des Huîtres draguées sur les bancs naturels. Une des conséquences du rapport présenté par MM. Mosxy et FABRE-DOMERGUE fut la mise en vigueur du décret du 18 juillet 1906, supprimant l’usage de la drague dans la pêche des Huîtres dans l'étang de Thau. (Voir la lettre de M. THompson déjà reproduite, p.46.) Cette mesure, indiquée par MM. Mosny et FABRE-DOMERGUE com- me susceptible de restreindre les conséquences dela nocivité des D RS Huîtres de Thau, en réduisant la productivité de la pêche et par con- séquent la vente des Huîtres elle-même, fut suivie, à la date du 25 janvier 1907, de l'interdiction de la stabulation des produits de pêche dans les canaux de Cette et sur les bords de l'étang de Thau, à proxi- mité des centres habités. Cette interdiction n’a été connue de nous que par l'intermédiaire de la presse régionale, et nous avons pu lire dans Le Pelil Méridional du 1% février 1907 le petit entrefilet suivant : « Les Huitres de l’élang de Thau. — Une dépêche ministérielle adressée à l'Administration de la Marine interdit : La stabulation des produits de pêche dans les canaux de Cette et sur tous les bords de l'étang de Thau, Balaruc, Bouzigues, Mèze et Marseillan. En conséquence, tous les pêcheurs qui avaient des réserves où ils conservaient le poisson et le coquillage ont été invités à les enlever immédiatement. Même injonction a été adressée aux parqueurs de Cette, à qui un délai de huit jours seulement a été accordé. Ils auront, toutefois, la facilité de choisir un autre emplacement dans l'étang de Thau sous certaines conditions. Cette décision a soulevé une très grosse émotion dans le monde des pêcheurs. Nous n’exagérons rien en disant que tout le monde est surpris qu'une décision aussi importante et dont les conséquences peuvent être si graves pour toute la population des bords de l'étang, et même de toute la région, ait pu être prise après une simple visite de moins de 24 heures, durant laquelle les enquêteurs ont trouvé moyen de visiter Cette, Mèze, Marseillan, Bouzigues et Balaruc. On estime qu'une enquête sur place s’imposait et s'impose encore sous peine de provoquer des incidents ». Cette interdiction souleva, en effet, de très violentes protestations d'autant que les pêcheurs entreposaient parfois dans les caisses- réserves des produits de pêche autres que des Mollusques comesti- bles, tels que Langoustes, Anguilles, etc., et la mesure était générale. Toutefois, l'intervention de M. Nerrer à la tribune de l’Académie de médecine,dans sa séance du 5 février 1907, « entretenant l’Acadé- mie de 120 cas d'accidents infectieux relevés en moins de 4 mois dans douze villes situées en divers points du territoire, cas ayant ceci de commun qu'ils avaient tous pour origine l’ingestion d'Huîtres pro- venant de la même localité : la ville de Cette (1) », et la campagne de presse auxquels ces accidents avaient donné lieu, apportèrent quel- (1) A. NETTrER. Epidémie de fièvre typhoïde et d'accidents gastro-intes- tinaux consécutive à l’ingestion d’Huîtres de même provenance. (Bulletin. Acad. de Médecine, 3° série, t. 57, 1907, p. 194). ME Eur A que calme dans l’état d’esprit de notre population maritime, qui ne pouvait croire à tant de méfaits occasionnés par les Huîtres et se demandait s’il ne s'agissait pas là d’un simple dénigrement des Hu- tres de l'étang de Thau au profit des Huîtres de l'Océan ! M. NeTTER, comme l'avait fait,avant lui, M. CHANTEMESSE en 1896, s'était longuement préoccupé des accidents provoqués par les Hui- tres de Cette et avait négligé ceux occasionnés par les Huîtres des autres régions et de certains ports de l'Océan en particulier.M. VAïL- LARD mit ce fait en évidence, obligeant ainsi M. NETTER à annoncer qu'il avait « personnellement rencontré, depuis l'été 1905, vingt cas au moins de maladies infectieuses imputables à des Huîtres d’autres provenances », Mais quelle que fût l’origine des Huîtres, la communication très documentée de M. NETTER semblait établir surabondamment la pos- sibilité des infections d’origine ostréaire, déjà signalée par M. CHan- TEMESSE et M. Mosny. Nous ne saurions entrer dans une discussion des faits apportés par M. NeTTER à l'appui des infections provoquées par les Huîtres ayant subi une immersion dans des eaux polluées. Une étude criti- que de ce genre a été faite d’ailleurs avec une autorité beaucoup plus grande que nous ne pourrions le faire nous-même, par M. le Professeur BAyLAcC, de la Faculté de Médecine de Toulouse. Aux ob- servations cliniques, M. BayLac a joint les résultats expérimentaux et il s’est préoccupé, ainsi qu'il convenait, des causes diverses de la toxicité des Huîtres, de la toxicité de ces Mollusques dans les diffé- rentes conditions auxquels ils peuvent être soumis depuis le banc sur lequel ils ont été pêchés jusqu’à la table même du consommateur (2). Voici, d’ailleurs, en quels termes M. BAyLaAc résume son Etude clini- que el expérimentale sur la nocivité des Huiîtres (3) : «Un double fait ressort de l’étude clinique et expérimentale pré- cédente : d’une part, la nocivité des Huîtres, loin d’être une légende, est bien une réalité et, d’autre part, toutes les Huîtres, quelle que soit leur origine, peuvent, dans certaines circonstances, devenir no- cives et déterminer des accidents morbides plus ou moins graves. Ces accidents se présentent sous deux aspects principaux. «Le plus fréquemment, ils’agit de {roubles gastro-intestinaux d’in- tensité variable,consistant en coliques plus ou moins vives,accompa- (1) Cf. Bull. Soc. Aquic., 1909, n°* 9-10, p. 221, n° 11, p.241, n° 12, p. 269. LANCE D ESC! (2) J. BayLac. — Composition chimique des liquides d'Huîtres. C. R. Soc. Biologie, 1907, t. 62, p. 250. Idem. — Toxicité des liquides d’Huîtres, C. R. Soc. de Biologie, p. 284. Idem. — Influence de a température sur la toxicité des liquides d’'Huîtres, C. R. Soc. de Biologie, p. 331. (2) J. BAyLAc. — Archives médicales de Toulouse, t. 13, 1907, p. 277. DT EC Mt gnées ou non de vomissements, de troubles nerveux légers et toujours suivies d’une diarrhée abondante et fétide, qui revêt parfois des ca- ractères cholériformes ou dysentériformes. «Dans quelques cas, la fièvre typhoïde paraît succéder à l’ingestion des Huîtres. «Une distinction s'impose entre ces différents faits cliniques trop souvent confondus. La fièvre typhoïde et les troubles gastro-intesti- naux ne reconnaissent pas une pathogénie identique et il y a lieu d'admettre deux ordres d'accidents consécutifs à l’ingestion des Hui- tres : des accidents infectieux et des accidents toxiques. «La fièvre typhoïde d'origine ostréaire appartient aux accidents in- fectieux dus à l’insalubrité des parcs : l'Huître n’est alors qu'un in- termédiaire passif qui transmet à l’organisme humain les microbes pathogènes (bacille d'Eberth, par exemple) provenant des eaux souillées au milieu desquelles elle vit. Mais on semble avoir exagéré considérablement, dans ces derniers temps, la fréquence de la fièvre typhoïde d’origine ostréaire et l’on a, peut-être, attribué à l'inges- tion d'Huîtres nocives des cas de fièvre tvphoïde relevant d’une tout autre cause. » «En tout cas, tout en admettant la possibilité de l’origine ostréaire de la fièvre typhoïde, je crois, avec M. Grarp, qu'elle est de faible importance en comparaison des très nombreux autres facteurs étiolo- giques de cette maladie. » «Les accidents gastro-intestinaux provoqués par les Huîtres doivent être considérés comme des accidents toxiques. Leur rareté, relative- ment à la grande consommation des Huîtres (des Huîtres de Cette notamment) et l’immunité dont paraissent jouir les populations des centres ostréicoles vis-à-vis des infections communement attri- buées à une origine ostréaire, ne permettent pas d'attribuer ces accidents aux micro-organismes contenus dans ses Huîtres. L’appa- rition hâtive des troubles morbides (de 5 à 36 heures après l’ingestion des Huîtres) et leur analogie avec les accidents observés à la suite de l’absorption de viandes altérées ou avariées plaident, en outre, en faveur d'une intoxication. J'ajoute que, très fréquemment, les Huîtres, loin d’avoir été consommées fraîches, ont été exposées pendant de longs parcours en chemin de fer notamment, à des tem- pératures élevées, qu’elles ont été achetées presque toujours à des marchands à l’étal et qu’elles ont subi fréquemment les effets nocifs du rafraîchissement, toutes causes susceptibles de déterminer des al- térations plus ou moins grandes des Huîtres, malgré leurs apparen- ces de fraîcheur et de vie. » «Il ne s’agit plus alors d'Huîtres fraîches contaminées par l'accès MAO LS et la pullulation de microbes pathogènes provenant d'eaux polluées, mais d’'Huîtres altérées, avariées ; les accidents observés dans ces con- ditions ne permettent pas d’incriminer l’insalubrité des parcs.» « D'ailleurs, de nombreuses recherches expérimentales sur la composition chimique et bactériologique des liquides d’Huîtres (absence du bacille d'Eberth, présence fréquente mais inconstante du Bacterium coli), sur leur toxicité et sur les variations de cette der- nière sous l'influence de la température, m'ont conduit à penser que la nocivité des Huîtres est plus souvent lerésultat d’une intoxication que d’une infection et qu’elle est due aux produits toxiques résultant de l’altération et de la décomposition subies souvent parles Huîtres après leur sortie des parcs sous l'influence de causes diverses,au pre- mier rang desquelles il faut placer l'élévation de température. La to- xicité des liquides d'Huîtres s'élève, en effet, très rapidement et d’une manière progressive sous cette dernière influence et cette aug- mentation coïncide avec une diminution très notable du nombre des micro-organismes contenus dans les Huîtres. » « Aussi, contrairement à l'opinion récemment émise par certains auteurs que la nocivité des Huîtres est directement proportionnelle à leur récente extraction des parcs, je pense que, comme pour les Pois- sons, leur fraîcheur et leur parfait état de conservation sont les con- ditions indispensables à leur complète innocuité. « Les résultats de mes observations cliniques et de mes recherches expérimentales viennent ainsi à l'appui des conclusions du très re- marquable rapport fait, en 1904, par M. le Professeur GARD ». C’est ainsi que M. BayLac résume son étude très documentée,et il adopte, comme mesures prophylactiques à prendre pour prévenir les accidents provoqués par les Huîtres, les mesures mêmes que GrARD préconisait déjà en 1904, car elles sont encore celles qui lui paraissent «les plus utiles et des plus capables de prévenir » ces accidents. Pour M. BayLac, done, la toxicité jouerait un rôle tout à fait pré- pondérant dans les accidents pathologiques relevés à l'encontre des Huîtres, et l'élévation de la température avec la pratique du rafraf- chissement constitueraient les deux facteurs les plus importants de la toxicité des Huîtres. EU Telle n’est pas l'opinion de M. NeTTER (1), qui, bien que ne niant pas l’intoxication dans certains cas, trouve que,dans les faits qu’il a rapportés à l’Académie de Médecine, l’intoxication a joué un rôle (1) A. NETTER.— Part respective de l’intoxication et de l'infection dans les accidents provoqués par les Huîtres. Existence indiscutable des fièvres ty- phoïdes dues à cette ingestion. Comples rendus Soc. Biologie, t, 62, 1907, p- 333. 60 ee très minime, tandis que l'infection a eu une action autrement im- portante, ayant donné 33 cas de fièvre typhoïde sur 125. M. Bavzac (1), de son côté, estime que, dans les 125 cas rap- portés par M. NETTER, l’intoxication a joué un rôle plus important que ne le dit ce dernier auteur, car, des 85 observations dans lesquel- les M. NETTER a pu préciser le début des accidents, dans 83 p. 100 des cas, les accidents sont survenus le jour même ou le lendemain, «Il est par suite difficile, ajoute M. BayLAC, d'admettre l'existence d’une période d’incubation qui impliquerait, comme ledit fort juste- ment M. NeTTER, l'intervention d’une infection plutôt que d’une intoxication ». Mais M. NETTER (2) insiste encore sur la prépondérance de l'in- fection et aux observations ayant fait l'objet de sa communication à l’Académie, il en ajoute plus de 80 nouvelles, constituant un ensemble dans lequel, pour 129 cas au moins, le début des accidents a pu être établi. Or, il résulte que dans ces 129 cas, 47 seulement ont présenté des accidents survenus dans les 24 heures ayant suivi l’ingestion des Huîtres,et par conséquent peuvent être attribués à l’intoxication, tandis que 82 cas, soit environ les 2/3, ont été caractérisés par des accidents se manifestant plus de 24 heures après l’ingestion, 1 jour et demi, deux jours, et jusqu’à plus de 10 jours ne pouvant être attri- bués qu'à une infection. Sans doute, ajoute M. NETTER, la fièvre typhoïde d'origine ostréaire peut être très difficile à démontrer, mais il n’en est pas moins vrai que certains faits en établissent l'évidence. La discussion entre M. NeTrTER et M. BAYLAC a créé les deux fhéo- ries infectieuse el toxique, expliquant l’une et l’autre les divers aeci- dents provoqués par l’ingestion des Huîtres.Chacune d'elles a eu et compte encore ses partisans (3), sans, cependant, que les deux camps aient jamais été bien nettement tranchés : les partisans de la théorie infectieuse admettant dans quelques cas, pour eux assez rares, une origine toxique aux accidents, tandis que les défenseurs de la théorie toxique considèrent, au contraire, comme très peu fré- quents les troubles occasionnés par la transmission de microbes pathogènes. Ayant été le premier à signaler lerôle des intoxications dans les troubles morbides survenus à la suite d’ingestion d’Huîtres de Cette, (1) J. Bavrac. Note sur le rôle de l’intoxication dans les accidents pro- voqués par les Huîtres. Comples rendus Soc. Biologie, t. 62, 1907, p. 471. (2) A. NerTTer. — Les accidents provoqués par l’ingestion des Huîtres sont le plus souvent de nature infectieuse. Comptes rendus Soc. Biologie, t. 62, 1907, p. 518. (3) On lira à cet égard, avec beaucoup d'intérêt, l'excellent travail de Mile GoRNSscHTEIN : Huîtres et fièvre typhoïde. Thèse, médecine, Montpel- lier, 1908. NN den nous reconnaissons à notre tour avec M. CourMonT (1) «qu'il y a des Huîtres toxiques et des Huîtres infectieuses », mais nous sommes convaincu, aujourd'hui plus que jamais, que les troubles morbides d'origine toxique sont de beaucoup les plus nombreux. Avec M. Mouisser et M. TEIss1ER (2), nous pensons que dans la très grande majorité des cas, l’intoxication a fourni un terrain favorable au dé- veloppement du coli-bacille ou du bacille d'Eberth dont se trouvaient déjà porteurs les sujets victimes de ces accidents avant l’ingestion des Huîtres. Toutefois, en présence d’une telle divergence dans les opinions, que les observations cliniques sont impuissantes à supprimer, il semble que des recherches auraient dû être entreprises en vue d’éta- blir, d’abord, la contamination des eaux des canaux de Cette et de l'étang de Thau, ainsi que celle des Huîtres vivant dans ces eaux, et, par suite, de déterminer la possibilité d'accidents d'ordre infec- tieux. Il y avait lieu, ensuite, de rechercher si l’'Huître native de Thau possédait ou non une toxicité propre et si les diverses condi- tions dans lesquelles elle pouvait se trouver placée, depuis le mo- ment de la pêche jusqu’au moment de la consommation, ne pou- vaient provoquer cette toxicité ou l’accroître au point de rendre l’'Huître absolument nocive. De telles recherches, d’ailleurs, auraient dû être effectuées com- parativement sur les eaux et les Huîtres des différents centres os- tréicoles ; car, bien que, dans ces dernières années, les Huîtres de Cette aient pu être plus souvent incriminées que celles des autres localités des côtes françaises — et ceci n’a rien d’extraordinaire, étant données les quantités prodigieuses d’Huîtres fournies par l’é- tang et aussi les procédés défectueux de conservation et d'emballage, — il n’en est pas moins vrai que de très nombreux accidents patho- gènes, survenus pendant la même période, ont été déterminés par des Huîtres, françaises sans doute, mais de provenances diverses et étrangères à la région de Cette et même aux côtes méditerranéennes. Il est logique de supposer que de semblables recherches comparati- ves auraient été fertiles en résultats et qu’elles auraient certainement fourni des documents précieux en ce qui concerne les Huîtres dans leurs rapports avec l'Hygiène publique, pouvant servir de base aux réglementations que sollicitent, de toutes parts, ostréiculteurs et consommateurs. Quelles que soient, en effet, les réglementations pro- posées ou même déjà édictées, elles n’ont pu être établies jusqu'ici que sur des hypothèses en apparence très fondées, mais pouvant, (1) J. CourMoNT. — Lyon médical, t. 108, 1907, p. 889. (2) MouissET et TESSIER. — Lyon médical, t. 108, 1907, pp. 882 ct suiv. rer cependant, et dans certains cas, être injustifiées et appeler des mesu- res allant à l'encontre du but poursuivi ! Ce n’est pas dire, cependant, que quelques études de ce genre n'aient été entreprises, en dehors de celles de M. BAYLAC; mais, il faut bien le reconnaître, ces recherches sont par trop incomplètes, et la plupart même ne s'adressent qu'à la région de Cette ou de l'étang de Thau. Nous citerons, au point de vue bactériologique, les récherches de M. Albert GAUTIÉ, de la Faeulté de médecine de Toulouse, et celles de M. Gaucxer de l'Ecole supérieure de pharmacie de Montpellier. De l'étude de M. GAUTIÉ (1), il semble résulter que les Huîtres dites de Cette et provenant de l'étang de Thau renferment une plus grande quantité de bactéries que celles de Marennes, et, d'autre part, que la présence du coli-bacille, qui est de règle dans les Huîtres de Cette (26 fois sur 30), est bien moins constante et plutôt exceptionnelle dans les Huîtres de Marennes (5 fois sur 30). La présence même accidentelle du coli-bacille dans les Huîtres de Marennes oblige M. GAUTIÉ à conclure que, pratiquement « une surveillance rigoureuse de {ous les parcs à Huîtres serait nécessaire autant pour l'intérêt de l'hygiène publique que pour celui de l’ostréi- culture ». Mais, outre que les recherches de M. GAUTIÉ n’ont porté que sur les Huîtres de deux provenances : Cette et Marennes, on peut se demander quelle valeur scientifique il est possible d’attacher à de tels résultats comparatifs, en dehors du fait de la présence plus ou moins constante du coli-bacille dans les Huîtres des deux provenan- ces ? M. GAUTIÉ, en effet, annonce que «les Huîtres de Cette provenant de l'étang de Thau lui ont été remises le jour même de la pêche et ont été examinées 24 heures environ après leur sortie de l’eau », tandis que « les Huîtres de Marennes ont été prises sur le marché de Toulouse et leur analyse bactériologique a été commencée 48 heu- res environ après leur envoi ». Or, il y a lieu de remarquer que les ré- sultats bactériologiques fournis par ces deux lots d'Huîtres sont loin d'être comparables, puisque les Huîtres de Marennes comptaient au moins 24 heures de plus hors de l’eau que celles de Cette ! Il faut tenir compte de la phagocytose qui, suivant M. CHATIN (2), s'exerce très activement chez l'Huître, diminuant graduellement le nombre des microorganismes que renferme cette dernière. D’après M. PoLaKk (3), (1) Albert GAUTtÉ.— Sur la teneur en bactéries de quelques Huîtres. C. R. Soc. de Biologie, 1907. €. 62, pp. 766-768. (2) Joannès CHariN.— De ja phagocytose chez les Huîtres. C. R. Acad. Sc., 1896, t. 122, pp. 487-490. (3) G. Porax. — The bacteriologie of ovsters. The sanitary Record, 30 avril 1897, EM SP) y4: eus à la suite de ses recherches bactériologiques sur des Huîtres étrange- res, cette action phagocytaire expliquerait l’absence de microbes dans les Huîtres extraites des parcs depuis quelques jours et ayant voyagé. M. le Professeur GAUCHER (1) s’est livré, lui aussi, à des recherches bactériologiques sur les eaux et les Huîtres des canaux de Cette, ainsi que sur les eaux et les Huîtres prélevées, les unes et les autres, en plu- sieurs points de l'étang de Thau. Les analyses bactériolgiques confir- ment les résultats déjà fournis par MM. BAYLAC et GAUTIÉ sur la pré- sence du coli-bacille dans les Huîtres et les eaux des canaux de Cette, alors que ce micro-organisme n’avait jamais été rencontré dans les cultures effectuées par MM. SABATIER, Ducamp et PETIT (2). Mais M.GAUCHER a poussé plus loin les investigations et s’est préoccupé de la dispersion du colibacille dans l’étang de Thau. Voici, d’ailleurs, comment cet auteur résume les résultats qu'il a obtenus, Recherches du Bacterium coli. — I0 ANALYSES D'EAU : Eau du canal de la Bordigue. — Toujours souillée par le B. coli (15 coli environ au centimètre cube), Eau de l'étang. — J'ai trouvé du coli-bacille dans une série d’ana- lyses près de l'embouchure du canal (3 coli au c.c.), avec vent du Sud, le courant allant de la mer à l'étang. Je ne l'ai plus retrouvé dans une autre série d'expériences, ni au même endroit, ni en des points voisins. Le Mistral soufflait alors avec violence depuis deux jours et le courant, très rapide, se diri- geait vers la mer. II0 ANALYSE DES HuiTREs. — Huîtres des anciens parcs (3). Pré- sence constante du coli-bacille constatée dans plusieurs séries d’ana- lyses et chez tous les échantillons examinés. Huîtres de l’élang. — I n'existe que très peu d'Huîtres dans l'étang des Eaux-Blanches, dont le fond est presque entièrement vaseux. Les premiers bancs importants sont situés à trois kilomètres de Cette, sur les rochers de Roquerols, qui séparent l'étang des Eaux-Blan- ches du grand étang. . (1) L. GAucHer. — Etude bactériologique des Huîtres de Cette et de l’é- re de Thau. Note communiquée à l’ Acad, de médecine, séance du 23 juillet (2) Saparrer, Ducamp et PErir.— Etude des Huîtres de Cette au point de vue des microbes pathogènes. C. R. des séances de l’ Acad, des Sciences, 1897, t. 125. p. 685-688. (3) Sous la dénomination d'anciens parcs, il faut comprendre les parcs flottants qui étaient installés sur les canaux de Cette, Ares. Dans cette région, à la hauteur de la pointe du Barrou, les Huîtres se sont montrées contaminées deux fois, dans six analyses faites à divers moments. Les proportions d'Huîtres souillées ont été succes- sivement de 80 et 10 0/,. Elles ont toujours été trouvées pures, non loin de là, dans les points situés en dehors de courant venant de Cette. Tous les points du grand étang étudiés sont également indemnes du coli-bacille. Recherches du bacille d’'Eberth. — La recherche du bacille d'Eberth n’a toujours donné que des résultats négatifs. CONCLUSIONS. —Les Huîtres séjournant dans le canal de Cette sont manifestement souillées par les excreta de la population, et les mesures prises relativement à la vente de ces Huîtres et de tous les autres coquillages séjournant dans les mêmes conditions sont parfai- tement justifiées. L'étang de Thau, au point de vue bactériologique, comme au point de vue géographique, comprend deux parties bien distinctes : le grand étang et l'Etang des Eaux-Blanches. Le grand étang n’est pas atteint par les souillures de Cette, et les nombreux bancs d'Huï- tres qui le peuplent paraissent à l’abri de la contamination. Il n'en est pas de même de l'étang des Eaux-Blanches, dans une partie au moins duquel les immondices de Cette forment un fond va- seux d’odeur nauséabonde. Cette zone suspecte s'étend jusquà 3 kil. environ de l'embouchure du canal. Sa limite extrême, à la hauteur de la pointe du Barrou, est susceptible d’être contaminée par inter- miitences, sans doute lorsque le courant venant de la mer se prolonge durant de longues périodes, » Au point de vue de la toxicité, propre ou acquise, des Huîtres, et en dehors des travaux de M. BayLac, dont il a été déjà question, il n'existe, à notre connaissance, aucune autre recherche méritant d’ap- peler notre attention. Nous nous étions proposé nous-même de nous livrer à une étude sur la toxicité des Huîtres, lorsque, d'accord avec le Comité de l’Al- liance d'Hygiène sociale de Montpellier, il fut décidé, le7 mars 1907, que des recherches seraient effectuées par certains membres de l'Uni- versité montpelliéraine, en vue d'établir la part qui, dans les accidents pathologiques dont les Huîtres de Thau et de Cetteétaient incriminées, pouvait revenir aux infections et aux intoxications. Ces recher- ches, placées sous la direction de M. le professeur RoDbET, de la Fa- culté de Médecine, directeur de l’Institut Pasteur de Montpellier, fu- rent confiées, pour le côté bactériologique, à M. GAUCHER, profes- Le fe cs seur de bactériologie à l'Ecole supérieure de pharmacie, et pour le côté toxicologique, à M. le professeur GALAVIELLE, de la Faculté de médecine et à nous-même. On connaît les résultats obtenus par M. GAUCHER et leur impor- tance en la question qui nous préoccupe. Quant à ceux que M. GALAVIELLE et nous-même avons pu obtenir au point de vue de la toxicité des Huîtres, des circonstances d'ordre purement matériel et bien indépendantes de notre volonté ne nous ont pas permis de les soumettre à des expériences suffisamment nombreuses pour en faire l'étude critique nécessaire et indispensable dans la déduction des conséquences pratiques qu'ils pouvaient com- porter. Les résultats auxquels nous sommes parvenus après quatre longs mois de recherches assidues ne nous autorisent donc pas à formuler des conclusions fermes relativement à la toxicité propre et acquise par les Huîtres sous certaines conditions. Toutefois, ils peu- vent nous permettre d'avancer que les impuretés portées par les valves de la coquille des Huîtres draguées sur les gisements naturels constituent un des facteurs les plus importants de la toxicité acquise par ces Huîtres dans les conditions défectueuses où elles peuvent se trouver placées, depuis le moment de leur pêche jusqu’à celui de leur consommation. Nous pouvons même ajouter que de telles Hut- tres offrent toujours une très faible résistance à la mise à sec, per- aent leur eau, bâillent et meurent d'autant plus rapidement que la température est plus élevée. Tel était l’état de la question relative à la nocivité des Huîtres, au 14 septembre 1907, lorsque s’ouvrit à Bordeaux le IVe Congrès natio- nal des Pêches maritimes. Les accidents pathologiques provoqués par les Huîtres pendant l'hiver 1906-1907 avaient été beaucoup trop longuement commentés par de nombreux journaux et revues, soit scientifiques, soit politi- ques, pour que l'industrie ostréicole ne se trouvât encore, une fois de plus, très sérieusement atteinte. Les consommateurs d'Huîtres n'étaient pas seuis à se plaindre. Les ostréiculteurs de l'Océan, tant par de nombreux articles publiés dans leurs quotidiens régionaux, que par des tarifs-réclames qu'ils répandaient à profusion dans tous les coins de la France, vantaient les Huïîtres de leurs centres ostréico- les et proclamaient la nocivité des Huîtres de Cette-Thau, dont il était nécessaire d’expurger les différents marchés ! Des vœux avaient même été été adoptés par une commission nommée par le Syndicat des ostréiculteurs, tendant à interdire la vente directe des Huîtres de Thau à la consommation et à obtenir que ces dernières ne pussent être livrées à la consommation qu'après avoir subi une certaine pé- riode de stabulation dans les eaux de l'Océan. 60 == Cette arme de défense, adoptée par les ostréiculteurs de l'Océan, fut une arme à deux tranchants,et il faut reconnaître que si elle eut pour effet d'accroître le discrédit dont les Huîtres de Cette-Thau se trouvaient déjà frappées, elle acerut aussi la défiance des consomma- teurs, et suscita une suspicion générale sur toutes les Huîtres quelle qu'en fût la provenance. Dès la séance d'ouverture du Congrès des Pêches maritimes de Bordeaux, auprès duquel nous représentions les intérêts du dépar- tement de l'Hérault, nous avons pu nous convaincre que les Huf- tres de Thau seraient mises en cause et vivement attaquées dans la section d’ostréiculture, dont plusieurs membres les rendaient respon- sables de tous les maux dont souffrait l’ostréiculture française. Aussi, dès la première réunion de cette section, avons-nous tenu, avant toute intervention, à éclairer pleinement les membres de la section, non seulement sur les procédés défectueux de stabulation employés à Cette et dans les localités riveraines de l'étang de Thau pour les Huîtres de cet étang, non seulement aussi sur les divers travaux scien- tifiques effectués sur la toxicité et la bactériologie des eaux et des Huîtres de Cette et de l'étang, mais encore, sur les mesures adminis- tratives déjà prises à l'égard des divers parcs ou entrepôts d'Hui- tres, et sur celles qu'il conviendrait de prendre comme conséquence des diverses études publiées à cet effet et, plus particulièrement des conclusions de l'étude bactériologique de M. GAUCHER. Les concelu- sions suivantes terminèrent notre exposé (1) dela situation ostréicole à Cette-Thau : « Il résulte donc que, si les mesures administratives prises à l’en- « contre des parcs et entrepôts divers installés dans les canaux de « Cette sont bien justifiées par l'étude bactériologique de M. Gau- € CHER, il n’en est pas de même en ce qui concerne les prétentions « des ostréiculteurs et expéditeurs de l'Océan, tendant à canaliser « toutes les Huîtres de l’étang de Thau vers leurs pares ou claires, « Les Huîtres de l’étang de Thau proprement dit, ou Grand-Etang, à « l'exclusion par conséquent de celles de l'étang des Eaux-Blanches «se montrant exemptes de toute trace de souillure et d'infection ty- « phique, doivent pouvoir être exploitées directement et sans qu'el- « les aient à subir, avant de parvenir à la consommation, un séjour « quelconque dans les eaux de l'Océan. « Toutefois, l'exploitation étant limitée au Grand-Etang, le mal « ne sera pas complètement conjuré, parce que l'infection micro- « bienne aura disparu ! Il est nécessaire, en effet, que cette exploita- (1) L,. CaALvET. — Les Huîtres de Cette et de l’étang du Thau. Mémoires el Comptes rendus des séances du Congrès national des Pêches maritimes de Bordeaux, 1907, p.428. 1 RG « Lion soit dirigée de manière à supprimer toutes les causes d’intoxi- « cation que j'ai déjà eu l’occasion de vous signaler. Or, à mon « humble avis, ce résultat peut être très facilement obtenu par la « création dans les eaux de l'étang reconnues, après analyses, bac- « tériologiquement pures, de pares flottants,où les Huîtres, préalable- « ment débarrassées des impuretés qu’elles portent toujours sur les « gisements naturels, seront entreposées et soumises à des émergen- «ces fréquentes et périodiques, à l’aide d'appareils spéciaux. Non, « seulement ces émersions s’opposeront au développement des orga- « nismes parasitant la coquille et occasionnant l’intoxication de « l’'Hüître pendant les trajets de transport, mais elles auront pour « conséquence d’habituer l'Huître à «conserver son eau», au cours « des voyages qui lui seront imposés pour parvenir au consomma- « teur. Enfin, il est encore indispensable que, si des soins spéciaux « doivent être pris dans le mode d'emballage du coquillage, la pra- « tique du mouillage et du rafraîchissement, à laquelle se livrent « trop fréquemment les vendeurs au détail, soit très sévèrement = « réprimée. « Cesont là des conditions auxquelles devraient être assujettis, dans l'avenir, les ostréiculteurs et expéditeurs de la région de l'étang de « Thau. J’ose croire qu’elles vous offriront toutes les garanties dé- «sirables pour que, au nom de l’Ostréiculture française, vous ne « demandiez plus désormais l'interdiction absolue de la vente « des Huîtres de l’étang de Thau, et que, avec moi, vous deman- « diez des Pouvoirs publics une réglementation destinée à assurer « la réalisation de ces diverses conditions ». Notre plaidoyer ne fut pas à la convenance des ostréiculteurs de l'Océan, qui, après une communication de M. Duruix, directeur du laboratoire municipal d'Arcachon, vantant la pureté des eaux du bassin, mais incriminant (sous des motifs fort mal choisis et tous très discutables) les Huîtres de Thau de tous les méfaits dont souffrait l’ostréiculture, et après aussi l'intervention de MM. GrarRD et FABRE-+ DOMERGUE, en faveur de la non-nocivité des Huîtres de ‘Fhau consi- dérées au moment de leur pêche, adoptèrent les deux vœux sui- vants, proposés par M. LALANNE et M. Torcaur,député de Marennes: «4° Que dorénavant les Huîtres de l'étang de Thau ne puissent « plus être vendues directement à la consommation, mais seulement « pour alimenter les centres d'élevage à flux et à reflux et ce pen- « dant les mois de février, mars et avril. Les mots «flux et reflux » « ne pouvant être qualificatifs des parcs de la Méditerranée » ; « 29 Que dorénavant les Huîtres ne puissent être vendues à la consommation que du i® septembre au 1° mai ». Nous ne saurions entrer dans la discussion des intérêts bien parti- A PRE 5) TMS culiers qui, sous couleur d'Hygiène, présidèrent à la rédaction et à l'adoption du premier vœu. Nous nous bornerons à signaler les con- séquences de la restriction contenue dans les mots « pendant les mois de février, mars et avril », c’est-à-dire après l’époque où les ostréicul- teurs bretons et arcachonnais ont en général épuisé le stock de leurs produits ! Les Huîtres de Thau avaient occasionné sans doute des accidents pathologiques, et par suite avaient pu apporter quelque trouble à l’industrie ostréicole ; mais ce n’était pas là le seul grief dont elles étaient responsables. Elles avaient concurrencé avec avantage les Huîtres arcachonnaises ou bretonnes auprès des ostréi- culteurs du bassin de la Seudre et, à ce titre, 1l était nécessaire d’en réduire le plus possible la vente et de la subordonner à celle des pro- duits de l'Océan |! Un semblable vœu, adopté par une majorité trop intéressée, devint l’objet de nombreuses conversations ou discussions en dehors de la section d’ostréiculture, et grand nombre de congressistes nous avaient manifesté leur intention de le repousser en séance générale du Con- grès. | Dans cette séance, en effet, le Congrès, toutes sections réunies, modifia totalement ce vœu par l'adoption de l'amendement suivant : « a) Que la pêche des Huîtres de l'étang de Thau soit formelle- ment interdite dans toute la partie des Eaux-Blanches comprise dans un secteur de 3 kilomètres en avant de l'entrée du canal de la Bordigue dans l'étang. «b) Que la pêche et la vente des Huîtres de l’autre partie de l'étang de Thau ne puissent avoir lieu que du 15 septembre au 15 avril. «c) Que la vente directe des Huîtres de l'étang de Thau à la con- sommation ne puisse avoir lieu qu'après que ces dernières auront stabulé dans des parcs ou claires dont les eaux seront reconnues bactériologiquement pures et où, sous la surveillance très sévère de l’administration maritime, seront pratiquées toutes les manuten- tions destinées à fournir à la consommation des Huîtres saines à tous égards. Cet amendement, que nous avions fait présenter par notre colle- gue et ami, M. BounioL, de l'Ecole supérieure des sciences d'Alger, présentait, au point de vue de l'Hygiène,toutes les garanties désira- bles, toutes celles, dans tous les cas, qui résultaient des différentes études publiées sur les Huîtres au point de vue infectieux comme au point de vue toxique. Il nous reste maintenant à faire connaître les mesures administra- tives qui ont été prises en vue d'éviter le retour des trop nombreux accidents patholegiqués occasionnés par les Huîtres pendant l'hiver 1906-1907. BEN MUR Bien que les Huîtres de Cette ou de Thau n'aient pas été seules incriminées et que, de l’avis de MM. Mosny, CHANTEMESSE, GIARD, NETTER, GAUTIÉ, etc., un assez grand nombre de parcs à Huîtres des côtes de l'Océan aient pu être considérés comme suspects, nous ne nous occuperons que des mesures prophylactiques édictées pour la région de Cette et de l'étang de Thau, la seule que vise notre pu- blication. À l'interdiction de la drague dans la pêche aux Huîtres (décret du 18 juillet 1906, remis en vigueur par la décision ministérielle du 17 janvier 1907, voir p. 46, à l'interdiction de la stabulation des produits de pêche dans les canaux de Cette et sur les bords de l'étang de Thau situés à proximité des centres habités, enfin, au retrait des concessions des parcs installés sur les canaux de Cette (dépêche mi- nistérielle du 25 janvier 1907) sont venues se joindre un certain nombre deréglementations destinées à prévenir les divers accidents provoqués par les Huîtres. Et d’abord, un décret du 24 septembre 1907, ainsi conçu : Le Président de la République française, Sur le rapport du ministre de la Marine, Vu l’art. 3 de la loi du 9 janvier 1852, sur la police de la pêche ma- ritime côtière ; Vu le décret du 19 novembre 1879, réglementant la pêche côtière dans le Ve arrondissement maritime et notamment les articles 137 à 151 du dit décret, qui fixent les conditions d'installation et d’exploi- tation des pares à Huîtres ou à moules et des dépôts à coquillages, Décrète : Art. 1%, — Les détenteurs des parcs, dépôts ou réserves flottantes qui existent ou seront créés dans l'étang de Thau, ne devront in- troduire dans ces établissements ou en faire sortir pour être livrée à la consommation, aucune Huître provenant des bancs naturels de cet étang, dont la coquille n'aura pas été, par un brossage ou par tout autre procédé, débarrassée des parasites ou impuretés qui ont pu s’y attacher. Art. 2. — Les détenteurs de parcs, dépôts ou réserves indiqués à l'article ci-dessus seront tenus de munir ces établissements d’appa- reils de levage destinés à assurer l'émergence périodique des claires ou de toute autre installation permettant de donner aux Huîtres destinées à l'exportation l'habitude de tenir leurs valves fermées un certain temps. NPD 1 Art. 3. — Le Ministre de la Marine est chargé de lexéculion du DRÉSCALICÉCT EL MRC EEE RREEENEL PCRRNCE ANS el eue ) Ce décret avait été soumis d’ailleurs, en tant que projet, à la sanc- tion présidentielle par M. le Ministre de la Marine dans les termes suivants : « Monsieur le Président, «Les Huîtres qui croissent sur les gisements naturels de l'étang de Thau ont une coquille particulièrement sale servant de support à toute une faune d'Eponges, d’Ascidies et d’Annélides. Sortis de l'eau, ces animaux se décomposent rapidement et les liquides pro- venant de leur décomposition pénètrent alors dans l'Huître aussitôt que celle-ci entr'ouvre ses valves. «L'introduction de ces liquides dans l'Huître a pour effet de la ren- dre impropre à la consommation et même dangereuse pour le consom- mateur, auquel son ingestion peut occasionner des troubles intesti- naux ou des diarrhées cholériformes. «Le danger semblerait pouvoir être assez aisément écarte si, préa- lablement à leur mise en vente, les Mollusques pêchés sur les bancs de l'étang de Thau étaient soigneusement nettoyés au moyen d'un brossage qui débarrasserait leurs coquilles des parasites dont elles sont recouvertes. «Une grande partie des Huîtres recueillies sur les bancs de Thau, étant déposées, avant leur mise en vente, dans des parcs, viviers ou réserves flottantes établis sur les rives de cet étang, j'ai examiné s’il ne serait pas possible de neles laisser introduire dans ces établis- sements qu'après les avoir soustraites à la cause de contamination signalée ci-dessus. « L'article 3 du décret-loi du 9 janvier 1852 prévoit que des dé- crets interviendront pour réglementer les conditions d'exploitation de ces pares. Or, il n’est pas douteux qu’au nombre dé cés condi- tions il soit loisible à l'Administration d'en faire figurer certainés des- tinées à assurer la salubrité des produits pouvant être introduits dans les parcs en cause ou pouvant en être extraits én vue de la con- sommation. Aux parqueufs recevant dans leurs concessions des Hui- tres de l'étang de Thau, il est done possible d'imposer la mesure de salubrité indiquée ci-dessus, qui paraît suffire pour éviter les dan- gers auxquels peut donner lieu l'introduction dans ces Moïlusques. des liquides impurs, produits de la décomposition des parasites re- couvrant leurs coquilles. « C’est dans ce but que j'ai l'honneur de soumettre......... » Ainsi donc, les considérations sur la toxicité que pouvaient acqué- rir les Huîtres sous certaines conditions, considérations que nous ROUTE A avions longuernent développées auprès de MM. Mosny et FABRE- DOoMERGUE, lors de leur enquête du 13 décembre 1906; et que nous avions exposées dans une série d'articles publiés par Le Petit Méridio- nal, dans les premiers jours de janvier 1907, et sur lesquelles nous avions encore insisté, lors du Congrès des pêches maritimes de Bor- deaux, ces considérations, pouvons-nous dire, venaient de recevoir l'approbation officielle (1). Le décret du 24 septembre 1907 entraîna la décision suivante prise par M. l’Administrateur de l’Inscription maritime de Cette, à la date du 15 octobre 1907 : « L'administrateur de l’Inscription maritime, « Vu les décrets du 24 septembre 1907 et du 19 novembre 1859 : « Décide « Les détenteurs des caisses-réserves flottantes dans l'étang de Thau devront adresser immédiatement à l’administration de l’Ins- cription maritime, sur papier timbré, uné demande de concession pour le mouillage de leurs réserves. « Cette demande énoncera les nom, prénoms ét numéro d'inscrip- tion du pétitionnaire, les dimensions et la position de la surface d’é- tang demandée ; un plan sur lequel sera indiqué l'emplacement y sera joint. Le pétitionnaire devra déclarer si ces réserves doivent contenir d’autres Huîtres que celles de sa propre pêche. « Si les réserves doivent contenir des Huîtres pour l'exportation, c'est-à-dire devant être expédiées hors de Cette ou des localités si- tuées sur les bords de l'étang, le pétitionnaire devra s'engager à les munir d'appareils de levage destinés à assurer l'émergence périodi- que des Huîtres. « Toutes les réserves existantes devront recevoir immédiatement l'inscription à la peinture du nom de leur propriétaire, faute de quoi elles seront considérées comme épaves et vendues ; si leur proprié- taire est connu, 1l lui sera dressé procès-verbal. «Les agents de la surveillance s’assureront par de fréquentes visi- (1) Lorsque le décret du 24 septembre 1907 nous fut connu, nous avions pu supposer avoir contribué pour une large part à son élaboration, bien qué le rapport de MM. Mosnÿ et Fäbre-Doumergue ne fit aucune mention dés considérations que nous leur avions présentées. Nous savons aujourd’hui que ce décret a été inspiré par un rapport de M. FAGE, naturaliste du service scientifique des pêches, qui, à la date du 23 janvier 1907, réédita tout ce que nous avions déjà dit sur la toxicité acquise par les Huîtres à l’äide des produits dë décotposition fournis par les impuretés que porte la coquille dés Huîtres des gisements naturels de Thau: Nous ne saurions nous plaindre de l’impor- tance variable que prennent certaines observations suivant là personnalité qui les formule, mais nous tenons cépendant à revendiquer la priorité dans le fait dont il s’agit, notre nom ne figurant pas plus dansle rapport de M. Face que dans celui de MM. Mosxy et FABRE-DOMERGUE. Me) Ft tes que les Huîtres enfermées dans les réserves ont été débarrassées des impuretés qui souillent la coquille ; le défaut de nettoyage en- traînera la saisie des Huîtres et procès-verbal sera dressé contre les délinquants ». Mais là s’arrêtaient les pouvoirs de M. le Ministre de la Marine et de ses représentants. Il était cependant nécessaire qu'une fois les Huîtres sorties des parcs ou réserves flottantes, et par suite soustrai- tes à l’action des Pouvoirs maritimes, elles fussent encore l'objet d’une surveillance destinée à empêcher leur altération jusqu'au mo- ment de leur consommation. Aussi, M. le Président du Conseil, Minis- tre de l'Intérieur, adressa-t-il, à la date du 10 janvier 1908, la circu- laire suivante à MM. les Préfets : «L'opinion publique a été vivement émue par les accidents ty- phiques survenus après l’ingestion d'Huîtres contaminées par suite de leur séjour dans des eaux infectées. Aussi le département de la Marine poursuit-il exécution des mesures très sérieuses qui doivent mettre les parcs à l’abri de toute pollution. Mais ces mesures reste- raient insuffisantes pour sauvegarder la santé publique si les Huî- tres n'étaient pas préservées de toutes les autres causes d’altération pendant le transport et jusqu'au moment où elles sont livrées au consommaleur. € Il importe d'abord que les parqueurs, lors de l'expédition, dé- barrassent les Huîtres des impuretés de toutes sortes, parasites végé- taux, ou animaux recouvrant leurs coquilles, qui peuvent amener en cours de route les fermentations dangereuses. La bonne confection des emballages n’est pas moins nécessaire pour assurer leur conser- vation. Enfin il faut proscrire absolument une pratique trop sou- vent suivie par les marchands ou dépositaires et qui consiste à ra- fraîchir les paniers d’Huîtres exposés à l’étalage avec une eau de qualité douteuse. «Le Syndicat général de l’ostréiculture,intéressé au premier chef à faire disparaître toutes les inquiétudes qui se sont manifestées chez le consommateur, m'a demandé d'intervenir pour réglementer le mode d'expédition et la vente des Huîtres. D'accord avec le service d'inspection des pêches maritimes, j’ai préparé un modèle d'arrêté que vous trouverez ci-après, et dont le texte a été adopté par le Conseil supérieur d'Hygiène publique de France, dans sa séance du 23 décembre dernier. QI vous appartient , Monsieur le Préfet, d'apprécier les mesures qui pourraient être prises dans ce sens pour l’ensemble de votre dé - partement ou tout au moins de signaler aux maires l'intérêt qu'elles présenteraient pour la santé publique. « Vous voudrez bien m'’accuser réception de la présente circulaire ki 5 CE et me faire parvenir, le cas échéant, un exemplaire de l'arrêté que vous aurez jugé à propos de prendre ». Modèle d’Arrêté : « Le Préfet. du département de....... Vu les articles 97 et 99 de la loi du 5 avril 1884 relative à l’orga- nisation municipale ; « Vu la loi du 15 février 1902, relative à la protection de la santé publique ; « Vu l'avis du Conseil supérieur d'hygiène publique de France; « Vu les instructions du Ministre de l'Intérieur ; « Considérant qu'il y a lieu, dans l'intérêt de la santé publique de prendre des mesures pour assurer la conservation des Huîtres livrées à la consommation et préserver ces Mollusques de toute cause d’altération. « Arrête : « Art. 1er. — Il est interdit d’expédier, de mettre en vente ou de livrer à la consommation des Huîtres dont la coquille n'aurait pas été préalablement débarrassée soit par brossage, soit par tout autre moyen, des parasites, animaux ou végétaux, et des détritus qui la recouvrent susceptibles de produire des fermentations nuisibles pendant la durée du transport. Art. 2. — Les expéditions d'Huîtres ne doivent être faites que dans des emballages solides, suffisamment rigides (caisses, tonnelets, paniers d’osier dur), et dans lesquels ces Mollusques sont déposés à plat et sont suffisamment serrés pour qu'aucune modification de leur arrimage ne soit à redouter en cours de route. «Les Huîtres qui n’auraient pas été transportées dans ces condi- tions ne peuvent être mises en vente et livrées à la consommation, «Art. 3.—Les marchands d'Huîtres ne doivent, soit par le trempage des Huîtres lorsqu'ils les conservent dans des bacs, baquets ou aqua- riums, soit pour l’arrosage de ces mollusques lorsqu'ils sont conser- vés à sec, employer que des eaux de mer propres et pures et des eaux douces potables servant à l'alimentation de la population. «En aucun cas, ces eaux ne doivent être puisées dans les ports, ri- vières, canaux, ou ruisseaux dans lesquels se déversent des eaux ré- siduaires ou ménagères. QArt. 4 (1). — Il est formellement interdit d’entreposer le long des quais et sur des emplacements sujets à souillures, dans des caisses (1) Cet article ne concerne que les localités du littoral. fe NN ou paniers immergés les Huîtres où autres Mollusques destinés à la consommation. «Art. 9.— Les sous-préfets, les maires, les commissaires de police, les inspecteurs des halles et marchés, sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l'exécution du présent arrêté, » A la suite de cette circulaire ministérielle, et à la date du 22 jan- vier 1908, un arrêté conforme au modèle ci-dessus fut pris par M. le Préfet de l'Hérault et affiché dans toutes les communes du départe- ment. De même, obéissant aux nécessités de l'Hygiène publique, en même temps que soucieux des intérêts de ses administrés, pour la plupart pêcheurs d'Huîtres et quelques-uns pêcheurs-expéditeurs, M. le maire de Bouzigues, commune littorale de l’étang de Thau, prit à son tour un arrêté visant le même but que l'arrêté préfectoral mais en termes quelque peu différents et, où les pêcheurs livrant di- rectement à la consommation ou expédiant directement les Hui- tres provenant de leur propre pêche, se trouvent assimilés aux mar- chands d'Huîtres auxquels s'adresse l'arrêté préfectoral. Felles sont les différentes réglementations qui ont été édictées,jus- qu'à ce Jour, en vue de supprimér les causes des accidents pathologï- ques dont les Huîtres des canaux de Cette et de l'étang de Thau ont pu être incriminées. Pour rappeler brièvement ces mesures prophy- Jactiques, dans leur ordre chronologique, nous dirons qu'elles consis- Vent en: 19 L'interdiction de la drague dans la pêche aux Huîtres (décrel du 18 juillet 1906, remis en vigueur par la décision ministérielle du 17 jan- vier 1907) ; 20 Le retrait de toutes concessions de parcs ou entrepôts de coquil- lages sur les canaux de Cette ; l'interdiction de la stabulation des produits de pêche sur ces mêmes canaux et sur les emplacements des bords de l'étang de Thau, situés à proximité des centres habités; enfin, les nouvelles concessions de parcs ou entrepôts ne pouvant être accordées que dans les parties de l'étang de Thau, où, après ana- lyses, les eaux auront été reconnues bactériologiquement pures (dépêche ministérielle du 25 janvier 1907) ; 30 L'obligation, pour les parqueurs et entrepositaires d'Huîtres, de munir leurs installations d'appareils de levage destinés à assurer l’'emergence périodique des Huîtres, et de ne recevoir dans leurs établissements ét de n’en faire sortir que des Huîtres dont la coquille ne portera aucune trace d’impuretés organiques ou inorganiqes (dé- crel du 24 seplembre 1907) ; 40 L'obligation pour les expéditeurs ét marchands d'Huîtrées de ne livrer que des Huîtres à coquille exempte de toute impureté, de ne les expédier que dans un emballage suffisamment résistant pour que l'arrimage, qui doit être effectué de manière à empêcher les Huîtres de perdre leur eau, ne puisse être modifié en cours de route, et, enfin, de n’opérer le rafraîchissement des Huîtres qu'avec des eaux mari- nes pures où des eaux douces potables (arrêté préfectoral du 22 jan- vier 1908). Ces mesures sont-elles toutes justifiées ? Nous ne reviendrons pas sur la question de l'interdiction de la drague, au sujet de laquelle nous avons déjà assez longuement in- sisté (p. 33 et suivantes), et qui, si elle est sans effet au point de vue de l’'Hygiène, n’en est pas moins justifiée par la conservation des gisements naturels, dontil est nécessaire de se préoccuper avant tout. Quant aux autres réglementations, elles visent soit les causes infec- tieuses, soit les causes d'intoxication, soit même les unes et les autres à la fois. Au point de vue des accidents d’origine infectieuse, bien que le bacille d'Eberth, ou bacille typhique proprement dit, n'ait été encore rencontré qu'une seule fois dans des Huîtres françaises provenant de Lorient, bien que, aussi, on n'ait pu croire que dans quelques très rares cas se trouver en présence d’une des formes bacillaires dites paratyphiques, et alors au’un très grand nombre d'auteurs n’admet- tent pas la transformation du coli-bacille en bacille d’Eberth, on ne saurait cependant trouver exagérées ou abusives les décisions que ren- ferme la dépêche ministérielle du 25 janvier 1907. L'obligation faite aux parqueurs et entreposeurs d'Huîtres de ne pouvoir obtenir de concession dans la domanialité maritime qu'en des points où les eaux sont reconnues exemptes de tout microbe pathogène (B. d'E- berth, B. paratyphiques, B. coli, etc.), et d'une faible richesse bac- térienne en espèces banales, né saurait être regardée commeinjusti- fiée, car elle élimine à la fois toutes les causes infectieuses d’origine marine, et, dans une certaine mesure, diminue aussi les causes d'in- toxication, en supprimant tout au moins celles d'origine bacté- rienne. Il en est de même en ce qui concerne les causes d'intoxication, proprement dite, celles résultant des produits de décomposition four- nis par les impuretés que porte souvent la coquillé des Huîtres des gisements naturels. L'obligation à laquelle sont tenus parqueurs, expéditeurs et marchands de ne livrer à la consommation que des Huîtres à coquille exempte de toute trace d’impuretés (décret du 24 seplembre 1907 el arrêté préfectoral du 22 janvier 1908), nous paraît être la plus importante des réglementations édictées et la plus fé- conde en résultats. En dehors, en effet, de l'aspect béaucoup plus 0 agréable à l'œil, et par là plus appétissant, que prennent les Huîtres dont la coquille a été complètement débarrassée des impuretés qu’elle porte, en dehors aussi de la suppression des toxines que fournissent les impuretés organiques et qui pénètrent facilement dans l'Huître au point de la rendre plus ou moins fortement nocive, le brossage de la coquille a encore pour conséquence, en supprimant l'intoxication propre de l'Huître, de donner à celle-ci une plus grande résistance aux conditions de la mise à sec, lui permettant un séjour beaucoup plus prolongé hors de l’eau, et retardant ainsi son altération, soit pendant les voyages de longue durée, soi même chez le marchand. Ce fait, que nous avons pu constater et vérifier par de très nombreuses expériences comparatives, constitue, au point de vue de la bonne conservation des Huîtres, depuis leur sortie de l’eau de mer jusqu’au moment de leur consommation, un facteur aussi important que les émersions périodiques, visées par l’article 2 du 24 septembre 1907 et destinées à habituer l'Huître à la mise à sec et à conserver son eau en tenant les valves de sa coquille fermées. De semblables mesures, desquelles nous pouvons rapprocher celles concourant au même but et renfermées dans l’article 2 de l'arrêté préfectoral du 22 janvier 1908, visant la nature de l'emballage et le mode d’arrimage des Huîtres d'expédition à la consommation, sont encore pleinement justifiées. Il n’est pas sans intérêt de rappeler à cet égard les nombreux mécomptes subis par plusieurs ostréicul- teurs ou expéditeurs de l'Océan, qui, s’approvisionnant dans l'étang de Thau, constatèrent parmi les Huîtres, à l’arrivée dans le bassin d'Arcachon, ou dans le bassin de la Seudre, une mortalité de 40 à 60 9%. Or, ce pourcentage, qui, avec un brossage sommaire des Huîtres, a été réduit au 20-25 %, a pu n’atteindre, avec un brossage plus complet et des émersions journalières pendant une quinzaine de jours seulement que le chiffre de 4 © /,, ainsi qu'il a été constaté lors d’un envoi important d'Huîtres effectué par les établissements de l’« Ostréiculture méridionale », de Balaruc-les-Bains, à un des cen- tres ostréicoles du bassin de la Seudre. Enfin, il peut ne pas être trop hasardé de considérer comme une des heureuses conséquences du brossage des Huîtres, le très petit nombre d'accidents pathogènes d’origine ostréaire survenus depuis la mise en vigueur de décret du 24 septembre 1907, et alors que la quantité d'Huîtres de l'étang de Thau consommées pendant cette période n’est pas sensiblement inférieure à celle correspondant à une période d’égale durée mais antérieure au brossage, Ainsi donc, on ne peut qu'approuver l’ensemble des mesures édic- tées au nom de l’'Hygiène publique. Toutefois, il nous sera permis, au moins jusqu'à plus ample informé, d'établir une restriction en ce Enr Ave qui concerne l’article 3 de l’arrêté préfectoral du 22 janvier 1908. Cet article, qui n’est d’ailleurs que le texte exact du même article du modèle d'arrêté préparé par M. le Ministre de l'Intérieur et adopté par le Conseil supérieur d'hygiène publique de France,est ainsi conçu : « Les marchands d'Huîtres ne doivent, soit pour le trempage des Huîtres lorsqu'ils les conservent dans des bacs,baquets et aquariums, soit pour l’arrosage de ces Mollusques lorsqu'ils sont conservés sec, employer que des eaux de mer propres et pures et des eaux dou- ces potables et servant à l'alimentation de la population. » Or, ne nous occupant que de la partie de cet article visant l’arro- sage des Huîtres conservées à sec, nous nous demandons si des re- cherches ultérieures à celles de MM. Grarp et BAyLAC sont venues démontrer l’innocuité absolue du rafraîchissement des Huîtres, même lorsque celui-ci est pratiqué avec des eaux douces ou marines bacs tériologiquement pures, ou bien si, au contraire, cet arrosage, sui- vant MM. GiarDp et BAYLAC, constitue une pratique dangereuse pour la santé publique ? GraRD, sans doute, en dénonçant le rafraîchissement des Huîtres comme un abus condamnable (p. 39 de son rapport sur la prétendue nocivité des Huîtres), ne spécifie pas si cette pratique est déplo- rable en ce qu'elle peut favoriser l’infection des Huîtres par l’u- sage d'eaux contaminées ou, au contraire, en ce qu’elle peut occa- sionner une toxicité propre à l’Huître elle-même. De l'appel qu'il fait à certain passage du rapport de M. le Docteur Moswny et à cer- tains faits signalés respectivement par MM. les commissaires de l’'Inseription maritime de Cancale et de Marseille, il semble ressortir, cependant, que GrarD condamne le rafraîchissement au double point de vue toxique et infectieux. Mais si l'opinion de GrarD peut laisser quelques doutes sur les conséquences du rafraîchissement,il n’en est pas de même après la lec- ture des faits avancés et expérimentés par M. BayLac (1) (page 260). « Cherchant à imiter la pratique dangereuse du rafraîchissement, fort en usage chez les marchands au détail, j'ai conservé des Huîtres à une température de 16 degrés pendant trois jours et, le deuxième jour, je les avais mises pendant une heure dans l’eau de la Garonne faiblement salée ; j'ai alors obtenu une toxicité extrêmement éle- vée, 4 centimètres cubes par kilogramme de poids. Le rafraîchisse- ment a donc pour résultat d'accroître dans des proportions très sensibles la toxicité des liquides d'Huîtres. L’immersion dans l’eau pendant quelques heures d’'Huîtres ayant déjà subi un com- mencement d'altération ou ayant tout au moins perdu de leur (1) J. Bavzac. — Etude sur la nocivité des Hnîtres (Archives médic. de Toulouse, t. 13, 1907), PR vitalité, rend plus rapide et plus complète leur décomposition ». Aussi M. Baylac concelut-il en l'interdiction, d’une manière abso- ue, de la pratique dangereuse du rafraîchissement (p. 282). Il semble donc que, si de nouvelles recherches ne sont venues infir- mer les conclusions si nettes de M. BayLac, il aurait été prudent de condamner la pratique du rafraîchissement, qui, même si elle était sans action sur la toxicité des Huîtres, a toujours pour effet de trom- per sur la qualité de la marchandise, en lui donnant un aspect de fraîcheur qu'elle peut ne plus posséder. Mais l'influence du rafraîchissement sur la toxicité des Huîtres n’est pas la seule conséquence fâcheuse que comporte l'article 3 de l'arrêté préfectoral. Cet article reconnaît, en effet, les entrepôts d’Hui- tres hors des eaux marines et à n'importe quel titre, soit chez le marchand détaillant, soit ehez le pêcheur-expéditeur, soit même chez le simple expéditeur. Or, on peut se demander si ces différents entreposeurs, quel que soit d’ailleurs le récipient (bac, baquet, aqua- rium, tonneaux défoncés, cuves de toute sorte, etc)., dans lequel les Huîtres sont entreposées, livrent toujours à la consommation des Huîtres bien saines et non dangereuses pour la santé publique ? Beaucoup d’entre eux, au contraire, ne méritent-ils pas que l’on ap- plique à leurs Mollusques le passage suivant de la lettre du Commis- saire de l’Inscription maritime de Cancale, passage cité par GrARD : « I faut signaler les pratiques de certains marchands qui, en vue d’écouler des Mollusques déjà expédiés (1) depuis assez longtemps, les conservent en les baignant dans une saumure quelconque ou en les plongeant dans des eaux peut-être pas toujours très propres. Ce sont alors des Huîtres qui ont souffert et dont la consommation peut entraîner des effets quelquefois néfastes. » Si nous voulons paraître ignorer ce qui se passe en dehors de la ré- Sion qui nous occupe, nous ne pouvons ne pas signaler, cependant, que de tels abus existent dans les divers centres de consommation, tout comme dans les diverses localités des bords de l'étang de Thau. Dans ces dernières, eertains expéditeurs, le plus grand nombre même, ne possédant aucune concession sur la domanialité maritime, entreposent les Huîtres à terre, dans des caves ou dans des magasins, où elles subissent parfois des rafraîchissements dans des conditions tout à fait défectueuses. Or, de telles Huîtres ne sont pas toujours destinées à l’approvisionnement des parcs et grand nombre d’entre elles, suivant les demandes, sont dirigées plus ou moins tôt, ou plus ou moins tard, sur la consommation directe, plus ou moins avariées ! De tels entrepôts, nous semble-t-il, devraient être rigoureusement (1) Et on peut ajouter : ou péchés. DONS ter interdits, tout au moins sur le littoral maritime, et ceux pouvant exister loin des eaux marines, soumis à une surveillance des plus étroites et des plus sévères à la fois. Enfin, si nous ne pouvons qu'approuver la réglementation tendant à ne livrer à la consommation que des Huîtres à coquille exempte de toute impureté. nous dirons que cette réglementation devrait être eomplétée par l'interdiction de la vente des Huîtres dont la coquille loge dans son épaisseur l'Eponge perforante à laquelle on donne le nom de Clione. Non seulement cette Eponge doit posséder (1) nor- malement des toxines propres comparables à la subéritine dont MM. RicHET et LASSABLIÈRE (2) ont fait connaître l’action toxique, mais une fois hors de l’eau, elle meurt très rapidement et fournit des pro- duits de décomposition qui pénètrent jusqu’à l'Huître. La coquille de celle-ci est, en effet, creusée d'une multitude de galeries plus ou moins importantes suivant l’âge de l'Eponge, séparées seulement de l’'Huître proprement dite par une très mince couche de nacre, qui, chez certaines Huîtres, peut même faire défaut, et qui, dans tous les cas, peut laisser transsuder les produits de décomposition,si toute- fois le couteau de l’écaillière brisant la coquille, toujours très friable quand elle est clionée, ne vient favoriser le déversement de ces pro- duits. De telles Huîtres doivent être débarrassées de la Clione, avant d’être livrées à la consommation, et l’on y parvient assez facilement et en quelques jours par une stabulation en eaux peu profondes (30- 40 centimètres) et par des émersions périodiques, à moins cependant que ces Huîtres ne soient utilisées dans la fabrication des conserves, ainsi que l’a déjà fait l'Ostréiculture Méridionale à Balaruc-les-Bains. En résumé et comme conclusion à l'exposé précédent, nous dirons que si, par suite d’une stabulation sous des conditions défectueuses dans les eaux des canaux de Cette, ou dans certains bassins des cen- tres habités des bords de l’étang de Thau, les Huîtres de Thau ont pu être considérées comme nocives, il n’en est pas moins établi que ces Huîtres ne possèdent par elles-mêmes aucune novicité propre. Il aurait donc été souverainement injuste deles frapper d’un ostracisme irraisonné et de leur refuser le droit d'aller à la consommation sans avoir subi au préalable un séjour dans des parcs de l'Océan dont la salubrité ne saurait être plus grande que celle des eaux de l'étang de Thau. Toutefois, et à cause même des organismes parasitant le pius sou- (1) Quelques expériences nous permettent de croire à l’existence d’une toxine chez Clione. (2) C. RicmeT et R. LASSABLIÈRE. — Comples rendus Soc. de Biologie, t, 61. 1906, pp. 598-601. ner Re vent la coquille de ces Huîtres, ainsi que des conditions défectueuses dans lesquelles ces Huîtres peuvent être placées, depuis le moment de la pêche jusqu’au moment de la consommation, ces Mollusques pouvant acquérir une nocivité toxicologique ou infectieuse, il était nécessaire que des mesures prophylactiques fussent prises en vue de supprimer les différentes causes d'intoxication et d'infection. À cet égard, les réglementations édiclées nous paraissent de nature à rassurer pleinement le public et à prévenir le relour des accidents pathogènes dont les Huitres de Thau ont pu être incriminées, à la condition cepen- dant que ces réglementations soient rigoureusement appliquées et qu'elles soient complétées par des mesures visant l'interdiction des entrepôts et de la pratique du rafraîchissement. Il est de l'intérêt d’ailleurs de chaque consommateur de contribuer à l’application des règlements, en refusant les Huîtres à coquille sale ou de fraîcheur douteuse et en se renseignant sur leur origine même, afin d'éliminer de sa consommation, toutes celles dont la provenance ne lui fournirait pas toutes les garanties de salubrité désirables. III.— L'ÉLEVAGE DES HUITRES ET L’'INSTALLATION DES PARCS D’'ÉLEVAGE. L'élevage des Huitres peut être défini l’ensemble des soins à donner à ces Mollusques en vue de leur faire acquérir le maximum des qua- lités nutritives que réclame une saine alimentation. Ces soins peuvent s'exercer à des degrés très divers, soit qu'ils commencent avec la production même du naissain, soit qu'ils ne s'adressent qu'à des Huîtres déjà bien développées et fournies par les bancs naturels , pour ne prendre fin qu'au moment où l’Huître est dirigée sur la consommation. Dans le premier cas, les Huîtres sont dites d'élevage complet ou plus simplement d'élevage, tandis que dans le second, elles reçoivent la dénomination d'Huîtres de demi- élevage. Dans l'élevage complet, qui caractérise l'Ostréicullure proprement dile, l'ostréiculteur a à se préoccuper d'assurer la production du naissain, d'en favorisér la fixation sur un substratum convenable, d’en obtenir l'accroissement jusqu'à ce qu'il ait atteint une taille marchande et, enfin, de donner à l’Huître les qualités gustatives et nutritives qui la feront rechercher du consommateur. Un tel élevage entraîne sans doute de très nombreuses opérations et des manuten- tions parfois coûteuses, mais il nécessite aussi des milieux appropriés, et il semble qu’à cet égard, les divers points de nos côtes françaises ne soient pas également propices. Telles localités, en effet, qui se ni montrent favorables à la production du naissain ou à son accroissé- ment, peuvent ne donner qu'un engraissement médiocre et ne pas convenir au verdissement que quelques gourmets considèrent comme une qualité essentielle. En France, au fait, l'élevage complet n’est l'apanage d'aucun point spécial de nos côtes et l'élevage plus ou moins complet, qui s'opère dans telle région, se parachève dans un autre point du littoral où l'Huître acquiert les caractères particuliers auxquels elle doit la faveur dont elle jouit auprès des consommateurs. Le bassin d’Arca- chon est sans doute le centre ostréicole français où l'élevage est le plus complet, puisqu'il y commence avec la production même des larves que fournissent des Huîtres cultivées dans ce but et qu'il s'étend à la fixation du naissain et à son accroissement jusqu’à ce qu'il soit parvenu à la taille marchande ; mais l’engraissement y est incomplet, ou tout au moins irrégulier, et le verdissement y est plutôt accidentel. Il en est de même pour les Huîtres d'élevage d’Auray et de la Trinité, dont le naissain, cependant, est fourni par les Huîtres des gisements naturels. Les Huîtres de telles régions ostréicoles sont l’objet d’un commerce direct très important sans doute, mais elles constituent des produits bien mieux estimés après leur passage dans les eaux de certains centres d’engraissement et de verdissement, soit de Courseulles, soit de Cancale, soit d'Oléron, de Marennes ou de-La Tremblade, dans le bassin de la Seudre, pour ne citer que quelques- unes des localités françaises dont les Huîtres jouissent d’une répu- tation bien méritée. Les Huîtres de demi-élevage, fournies par les bancs naturels qui longent nos côtes françaises, vont directement à la consommation ou bien sont soumises aux mêmes soins que les Huîtres d'élevage com- plet, afin d’en améliorer les qualités gustatives qui, au moment de la pêche, sont considérées comme beaucoup inférieures à celles des Huîtres élevées. Quoi qu'il en soit, complet ou incomplet, l'élevage des Huitres s'effectue dans des installations particulières dépendant du domaine maritime, auxquelles on donne le nom de parcs ou de claires. Sous le nom de parcs, on désigne soit «les parties du sol sur les- quelles arrivent normalement ou artificiellement l'eau de mer », soit les installations flottantes établies dans la domanialité maritime, servant, les unes comme les autres, à l’une quelconque des pratiques ostréicoles. Les parties du sol servant à l’ostréiculture, généralement délimitées par des barrages artificiels,appartiennent toujours à la zone côtière et découvrent avec les marées, tout au moins avec les marées des syzygies ou grandes malines, à chaque nouvelle ou pleine lune. Ce sont les parcs ou viviers de l'Océan et qui, dans les parties hautes des (ÿ DENT 0 plages, prennent plutôt le nom de claires, constituant des bassins creusés dans le sol même et retenant l’eau apportée par les grandes marées, leur niveau étant supérieur au niveau moyen des marées or- dinaires. Les installations flottantes ne peuvent exister au contraire que dans les eaux peu ou pas soumises aux marées, le sol au-dessus duquel elles sont disposées ne découvrant jamais : ce sont les parcs flottants de la Méditerranée. Enfin, parmi les différents établissements otréicoles, il y a encore lieu de distinguer les parcs de reproduction, les parcs d'accroissement ou d'élevage du naissain, les parcs d’engraissement et les parcs de ver- dissement (ces derniers recevant plutôt le nom de claires à verdisse- ment), le même parc pouvant d’ailleurs servir à la fois à l'élevage, à l'engraissement et même au verdissement. À cette nomenclature, Grarp (1) a ajouté les parcs d'élalage et les parcs de stabulation passa- gère et d’expédilion, qui, nous semble-t-il, doivent être considérés comme de simples entrepôts plutôt que comme des établissements d’ostréiculture, les différentes opérations qui caractérisent cette dernière y étant réduites au strict minimum ou même faisant tota- lement défaut. «En ostréiculture proprement dite, ainsi que l'écrit M. RocHÉ£ (2), la spéculation industrielle repose tout entière sur ce fait que les eaux marines peuvent nourrir des quantités d'Huîtres très supérieures à celles que donnent normalement ces eaux, à condition que l'on mette les jeunes Mollusques à l'abri des ennemis et des causes de destruc- tion qu'ils rencontrent quand ils vivent à l’état sauvage ». Mais ce fait étant exact, l’ostréiculteur n’en doit pas moins rechercher, pour l'installation des parcs ainsi que pour l'élevage de ses produits, les conditions les plus favorables aux opérations ostréicoles qu'il se pro- pose, et, à cet égard, il est permis de dire que si l’éleveur est parvenu à une certaine précision technique, il est trop souvent guidé encore par un empirisme dont une connaissance plus complète de la Biolo- gie de l'Huître est seule capable de le faire départir. Nous ne saurions entrer dans l'étude des différents appareils et moyens utilisés pour recueillir le naissain et le soustraire aux diverses causes de destruction, pas plus d’ailleurs que pour obtenir le dévelop- pement de ce naissain en Huître marchande. De telles opérations, si elles ont été tentées dans la région qui nous occupe, ont été aban- données après des insuccès répétés sur lesquels nous avons déjà eu l’occasion d'insister. Toutefois, il n’y a pas lieu de croire que la récolte du naissain soit chose impossible dans l'étang de Thau, et, peut-être, s’agirait-il de varier les conditions mêmes des premières (1) GrARD (A.). — Sur laprétendue nocivité des Huîtres, 1904, p. 29. (2) G. Rocné. — La culture des mers, 1898, p. 246. sutsS expériences effectuées pour voir de nouvelles tentatives cotronnées de succès ? Il ne nous paraît pas trop hasardé, d’ailleurs, de croire que les modifications physico-chimiques qui ont dû se produire dans les eaux de l'étang de Thau, et grâce auxquelles s’est opéré le reépeuplèement spontané des gisements huîtriers de cet étang, ne con- tribuassent pour une grande part à la réussite de nouvellés expérien- ces convenablement dirigées. Quoi qu'il en soit, dans la région de Cette et de l'étang de Thau qui nous occupe, la seule pratique ostréicole à laquelle on se soit Hivré jus- qu’en ces derniers mois est l'accroissement et l’engraissement simul- tanés d'Huîtres provenant des côtes de l'Océan, en même temps qué la stabulation temporaire d'Huîtres vertes et de Mollusques divers destinés à être livrés à bref délai à la consommation. Basé sur quelques essais dans lesquels les eaux des canaux de Cette s'étaient montrées très favorables à l’engraissement des Huîtres, élevage cettois de l'Huître n'a subi, dans les opérations auxquellés il pouvait donner lieu, que peu de changements depuis 1880, daté de la création des deux premiers pares du Canal latéral, jusqu’en jan- vier 1907, époque à laquelle furent rapportées les différéntes concés- sions accordées sur les canaux de Cette. Les parqueurs étaient una- nimes à reconnaître que les Huîtres engraissaient rapidement et « poussaient » régulièrement ; mais nous ne $saurions donner des chiffres relatifs à l'augmentation du poids (engraissement) où des dimensions (accroissement) des Huîtres ainsi parquées, car de telles observations n’ont jamais été faites par ces parqueurs. Il ne nous est pas permis davantage de donner, au sujet de l’ac- croissement des Huîtres, les résultats obtenus par l Administration dé la marine qui, en 1898, et après des expériences effectuées en 1894- 1895, par M. le sous-commissaire Vinson dans l’anse de Brégail- lon, près Toulon (Var), avait décidé de généraliser ces dernières sur de nombreux points du littoral méditerranéen, en vue d'acquérir « une idée nette du processus et des conditions de milieu suivant lesquels s'opère la pousse des Huîtres dans la Méditerranée ». De semblables expériences furent entreprises dans les canaux de Cette, en divers points de l’étang de Thau,et à Agde, à l'embouchure de l'Hérault, mais elles n’ont fourni que des résultats négatifs ou inutilisables par- ce qu’incomplets, les expériences, qui avaïent à peiné commencé en février 1908, ayant été arrêtées par dépêche ministérielle du 6 octobre suivant pour ne plus être reprises dans la suite. Le repeuplement spontané des gisements huftriers dé Thau, qui semblait devoir élargir le cadre si restreint dans lequel évoluait l’os- tréiculture cettoise, n’a provoqué jusqu'ici que la création d’un seul établissement, celui de «L'Ostréiculture méridionale » de Balaruc-les- LES ©} ARR Bains, où, sous l'impulsion d’une direction aussi intelligente qu'’é- clairée, l’on s’est proposé de faire de l'Ostréiculture propement dite, de l'élevage complet de l'Huître en partant du naïissain fourni par les bancs naturels de l’étang. Toutefois, trois des concessionnaires des parcs installés sur les canaux de Cette, ayant été récemment pour- vus de nouveaux emplacements dans l'étang de Thau, procèdent à l'heure actuelle à l'installation de parcs où ils se proposent d'élever simplement l’Huître native de Thau, conformément aux réglementa- tions édictées, en même temps que les Moules. Ces derniers pares, qui pourront encore servir à la stabulation temporaire de certains autres Mollusques et plus particulièrement des Clovisses, seront, sans doute, d’une installation matérielle très difficile et par conséquent très onéreuse, à cause des mauvais temps qui sévissent sur l'étang, pendant d’assez longues périodes, tant avec les grands vents du Nord qu'avec ceux du Sud ou du Sud-Est. Des jetées protectrices, derrière lesquelles les parcs pourraient être abrités, seraient néces- saires, soit qu'il s'agisse de parcs flottants, soit au contraire de parcs ou viviers installés sur le fond même, à la manière de ceux de l'Océan. Dans le premier cas, en effet, il sera difficile, nous pourrions dire im- possible, d'amarrer convenablement les parcs flottants pour qu'ils puissent résister à l’action directe des vagues ou des courants pen- dans les mauvais temps; dans le second cas, il y aura lieu de craindre l’envasement ou l’ensablement des Mollusques jetés sur le fond, car celui-ci,ne découvrant pas, ne pourra être choisi que dans les points à faible profondeur et, par conséquent, tout près du rivage. Dans de telles conditions, ilnous paraît que ces parqueurs auront à subir de nombreux mécomptes, et il serait peut-être beaucoup plus avanta- geux pour eux de faire de l'élevage en claires ou en bassins sur les bords de l'étang, à l'abri même de l’action des courants et des vagues, si les travaux protecteurs suffisants pour l'installation des pares flottants sont jugés trop coûteux et au-dessus des moyens pécuniai- res dont ces parqueurs peuvent disposer. L'abondance des Huîtres, pendant les premières années qui suivi- rent la reconstitution des bancs de Thau, de 1902 à 1907, n’a eu d’a- bord pour conséquence que la création de très nombreux expéditeurs d'Huîtres, ayant pu se parer de la qualité d’ostréiculteur, malgré que leurs opérations fussent essentiellement limitées à l'achat des Huîtres de pêche et à l'expédition de ces dernières, soit pour la vente directe, soit pour les approvisionnements de plusieurs parcs de l'Océan. Il a fallu les trop nombreux accidents pathologiques consécutifs à l’ingestion d'Huîtres de Thau et l'arrêté ministériel du 25 janvier 1907, destiné à prévenir de nouveaux accidents, pour obliger succes- sivement vingt-six de ces expéditeurs à solliciter des concessions RQ NE 2 dans la domanialité maritime, en vue de l'installation de parcs où d'entrepôts flottants où les Huîtres pourraient recevoir quelques soins. Mais, par suite de retards administratifs apportés à la déli- vrance de ces concessions, par suite aussi des mesures de tolérance dont ces industriels ont été l’objet jusqu'ici, ces expéditeurs sont encore aujourd'hui, et pour le plus grand nombre, de simples entre- poseurs ne se livrant à aucune pratique ostréicole. Quelques-uns, cependant, attendant sans doute la concession sollicitée et ne pou- vant faire mieux, soumettent les Huîtres de Thau à quelques opéra- tions tendant tout au moins à en améliorer la qualité, au point de vue même des exigences hygiéniques.Ceux-ci utilisent les caisses- réserves mobiles pour la stabulation des Huîtres, leur immersion ou leur émersion. Dans les pages suivantes, où nous nous proposons de décrire les installations utilisées à Cette et dans l’étang de Thau pour l'élevage de l’Huître, nous ne saurions nous occuper des entrepôts à terre, sur lesquels nous avons déjà eu l’occasion de nous prononcer. Nous exa- minerons seulement et successivement l'élevage dans les parcs flot- tants des canaux de Cette, l'élevage en réserve et l'élevage dans l’éta- blissement de l’« Ostréiculture méridionale », les parcs Chanoine.La- fite et Roche (de Cette) et le parc Boudou (de Marseillan) n’étant pas encore installés. Parcs flottants des canaux de Cette. Nous avons déjà dit (p.4) que Pierre Lafite (le père de Gatien Lafite, ostréiculteur et mytiliculteur, installé actuellement à Bou zigues) devait être considéré comme le promoteur de l’industrie ostréicole dans la région de Cette. Ce fut lui, en effet, qui, en 1875, se proposa l’engraissement et l'accroissement des Huîtres d'Arcachon et créa le premier parc. Etabli sur les bords de l'étang de Thau (Eaux- Blanches), au niveau même de la fontaine d'Ambressac, ce parc se montra peu favorable aux essais entrepris. Pierre Lafite abandonna cette concession en 1877 et obtint à la date du 20 mai 1880 un des deux premiers emplacements concédés en vue de l'élevage de l'Hut- cre sur le canal latéral de Cette. Sept concessions précaires etrévocables furent accordées, de 1880 à 1884, sur les canaux de Cette dont les eaux se montrèrent très pro- pices à l’accroissement et surtout à l’engraissement des Huîtres. Six de ces concessions visaient des emplacements de superficie variable (de 23 à 120 mètres carrés) adossés contre la rive N. du Canal latéral, la septième concernait un emplacement de 480 mètres carrés adossés à la rive O. du Canal de la Bordigue, reliant le Canal de Cette à l’étang — 86 — de Thau. Quatre des concessionnaires étaient des inscrits maritimes UOI}UJS UL ‘9196 U9 J9 ouyonvs y ‘sanayo9d op suonejiquy ‘ojtoap e { onbi#0[007z ‘2}397) & 9nSIPIOg EI 9p jeu, of ans (uejd 4,7 ne Jo oyones R) NaILVr) ALIAVT 9484 anoine Etienne et Boudet h C , acques Chauvin J 3 (Ricard Jacques le, tandis que énévo \ titre bé \ ns Le Louis) pour lesquels la concession était lOpes trois (Lafite Pierre, Scanapiecci Thomas et Lafite Gatien) non ins- crits maritimes, payaient une redevance annuelle de 36 fr., 57 fr., et 90 fr. respectivement. Enfin,six des concessionnaires exploitèrent l'em= placement accordé et y établirent des parcs flottants; l’un d’entre eux seulement (Scanapiecci) ne fit aucune installation, ayant renoncé le 14 février 1883 à la concession qui lui avait été accordée le 5 juin 1882. : Il n’y a donc jamais eu que six parcs flottants sur les canaux de Cette. Mais,par suite du décès de certains titulaires de concessions, et par suite aussi des cessions faites aux titulaires survivants des conces- sions de la plupart de ces décédés, ou ne comptait déjà plus au 6 octo- bre 1892 que trois concessions : deux sur la rive Nord du Canal de la Gare, exploitées par Chanoine Etienne et Boudet Louis, la troisième sur le canal de la Bordigue, exploitée par Lafite Gatien. Les parcs installés primitivement sur ces concessions s'étaient considérablement agrandis et les trois parcs afférents aux trois der- nières concessions existaient encore au 25 janvier 1907, lorsque parut l’arrêté ministériel rapportant les diverses concessions installées sur les canaux de la Ville de Cette. Toutefois, après le décès de Boudet Louis, la concession ayant été successivement transmise à sa veuve, à ses enfants et finalement à M"° Roche Angélique,sa fille, et celle-ci ayant associé ses intérêts commerciaux à ceux de Chanoine Etienne, qui s'était adjoint lui-même son fils Antoine-Cyprien, il n'existait plus, au 25 janvier 1907, qu’un seul établissement sur le canal laté- ral, le parc Chanoine et Roche. Ces divers pares flottants n’ont subi d’ailleurs, de 1882 à 1907, que peu de modifications quant au mode même de leur installation, ainsi qu’en ce qui concerne les opérations ostréicoles, et la description du parc Chanoine et Roche, qui n’a pas encore été déplacé, peut s’appli- quer au parc Lafite et aux différents parcs flottants ayant existé sur le canal latéral. Le parc Chanoine et Roche était formé par le groupement de charpentes rectangulaires et en bois, disposées au-dessus de fütailles vides formant flotteurs et dont l’ensemble occupait une surface me- surant 110 mètres de longueur sur 14 mètres de largeur. Ces diffé- rentes charpentes, dont les côtés, constitués par des poutres, sont réunis par des poutrelles transversales et longitudinales, ne sont pas groupées de façon à former un ensemble rigide ; des chaînes en fer les relient entre elles, tout en laissant à chacune d’elles une certaine indépendance, de manière à n'offrir que des résistances partielles à l’action des courants marins parfois assez violents. Deux de ces charpentes sont munies d’un plancher au-dessus duquel s'élève une cabane en bois, avec des subdivisions intérieures constituant un petit bureau d'expédition, un magasin à emballages et aussi un abri pour OS les ouvriers et ouvrières ostréicoles, en cas de mauvais temps ou de soleil trop ardent. Les Huîtres en élevage sont disposées dans des ca- siers en bois superposés et immergés dans l’eau au-dessus de laquelle flotte la charpente, suspendus aux poutrelles de cette dernière par des chaînes en fer et des crochets. Enfin, l'ensemble du parc, ainsi constitué et toujours à flottaison à l’aide des barils-flotteurs plus ou moins nombreux, est maintenu à une certaine distance de la rive du canal comme de l’axe même de ce dernier, par de fortes amarres le reliant d'une part à la terre ferme, d'autre part, à des corps morts noyés dans le canal, le service de terre au parc et vice-versa s’effec- Parc CHANoOINE et ROcuE sur le canal latéral de Cette. tuant à l'aide d’un plancher mobile n’offrant aucune résistance aux mouvements du parc. Une palissade clôture complètement le pare dont toutes les boiseries sont enduites d’une forte couche de gou- dron, afin de les soustraire le plus possible à l’action destructive de l’eau. Comme flotteurs, on emploie avec avantage des barils de 150 à 200 litres, ayant contenu du pétrole ou de l'huile, et enduits eux-mé- mes de goudron. Les Huîtres à élever, provenant du bassin d'Arcachon ou des côtes bretonnes, étaient placées dans les casiers, sans ordre, et immergées immédiatement après leur arrivée dans le parc. Après quelques jours d'immersion et une fois « remises des fatigues d’un voyage » d'assez D 0 PR longue durée parfois, les Huîtres subissaient un triage suivant leur grosseur et étaient ensuite immergées de nouveau, après avoir été distribuées avec une très grande régularité dans les casiers où allait s’accomplir leur élevage. Ces casiers, ou clates, sont de forme rectangulaire, mesurant 1 m. 00 de longueur sur Ü m. 80 de largeur. Ils sont constitués par quatre planchettes de 4 centimètres de hauteur formant les côtés, clouées entre elles aux extrémités et réunies encore dans les angles qu’elles déterminent par autant de taquets en bois, prismatiques et de section triangulaire, d’une hauteur de 0 m. 13 sur 0 m. 05 de côté, en même temps que parun liteau de bois encastré et cloué sur le bord inférieur des planchettes. Enfin, le fond même du casier est formé par un clayonnage en liteaux de bois de 2 centimètres de largeur, espa- cés de.6 millimètres à 1 centimètre, et réunissant encore les grands côtés du casier. Ce clayonnage a été quelquefois remplacé par une {oile métallique, mais il semble que le clayonnage soit plus économi- que. Les taquets prismatiques placés dans l'angle des casiers font done une saillie de centimètres au-dessus du bord supérieur des faces la- térales du casier, formant autant de pieds renversés qui, lorsque les casiers sont superposés, établissent entre ceux-ci un espace de 9 centimètres de hauteur, permettant la libre circulation de l’eau entre les différents casiers et, par conséquent, sur les différents étages d'Huîtres. La distribution des Huîtres en casier s'effectue suivant les disposi- tions tendant à caser en une seule couche le nombre maximum d'Hui- tres sans gêner les mouvements de ces dernières. Pour cela, et les casiers étant rectangulaires, on place dans les angles quelques ran- gées d'Huîtres de manière à déterminer avec les parties libres des faces latérales du casier une figure hexagonale sur les côtés de laquelle on établit de nouvelles rangées successives et concentriques jusqu’au centre du casier. Dans ces différentes rangées, les Huîtres sont pla- cées de champ et quelque peu obliquement par rapport au fond même du casier, la charnière de la coquille en bas, la grande convexité du bord libre des valves en haut, et la valve plate tournée vers le centre du casier. Avec un tel mode d’arrangement on parvient à placer de 390 à 600 Huîtres par casier, suivant la grosseur, de telle façon qu'avec une profondeur moyenne d’eau de 2 mètres, permettant la superposi- tion de 14 casiers, l'élevage était opéré à raison de plus de 7000 Huîtres en moyenne par mètre carré dans le pare Roche et Chanoine. Une fois les Huîtres ainsi distribuées dans les casiers, ceux-ci sont, en effet, placés les uns au-dessus des autres, de manière à former une pile dont la hauteur est calculée suivant la profondeur d’eau existant au niveau du parc où ces casiers doivent être immergés, et de manière OO EE que le casier le plus profond soit à une certaine distance du fond, 30 à 40 centimètres. Dans chaque pile, les casiers sont maintenus en place à l’aide de deux chaînes en fer croisées, réunies au-dessus du casier supérieur et servant aussi à l’accrochage de la pile, soit à une des pou- trelles de la charpente soit à une travée en bois ou en fer jetée sur deux de ces poutrelles. L’immersion, comme d’ailleurs l’'émersion des piles de casiers, ont lieu au moyen d’un palan supporté par une pe- tite charpente mobile et pouvant être déplacée dans les différents points de l'étendue du parc. Grâce à la richesse planktonique des eaux des canaux de Cette, sans cesse renouvelées par les courants alternatifs et réguliers de la mer à l'étang et de l'étang à la mer, les Huîtres engraissaient rapide- ment et s’accroissaient très régulièrement. La « pousse » s’effectuait bien sensible de mars à juin et de septembre à novembre, c’est-à-dire pendant les deux périodes où les eaux, n'étant ni trop froides ni trop chaudes, sont toujours chargées de plankton nutritif. Mais, ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le dire, aucune observation précise, aucune mesure dignes d’être signalées n’ont été prises par les par- queurs. Toutefois, il nous a été permis de constater souvent des pous- ses ou «dentelles » de 2 centimètres après l’accroissement printanier, celui automnal étant toujours moins important et ne dépassant ja- mais 1 centimètre ; de même, un fait d'observation courante est que les Huîtres exposées directement à l’action des courants, celles stabu- lant dans les piles de casiers en bordure du pare et du côté du canal, s’accroissaient plus grandement que celles placées dans les casiers les plus rapprochés de la rive même du canal. Mais si la force des courants suffisait pendant la saison froide à entretenir une certaine propreté dans les différents casiers et à dé- barrasser les Huîtres des impuretés qu'elles pouvaient former ou acquérir, il n’en était plus de même pendant le printemps et l'été et même pendant une partie de l’automne.Dans ces dernières périodes, les casiers et les Huîtres étaient envahis par des Algues, des Hydraires, des Bryozoaires et des Tuniciers, formant des touffes importantes qui, à cause même de la concurrence vitale qu'ils exerçaient, ne pouvaient que gêner considérablement la nutrition des Huîtres et par suitenuire à leur bonne tenue. Cette floreet cettefaune,bien dévelop- pées surtout dans les casiers supérieurs des piles, ceux de faible pro- fondeur, nécessitaient un nettoyage périodique des différents casiers et des Huîtres qu'ils renfermaient. Celles-ci étaient alors sorties de l’eau, exposées pendant quelques heures à sec et finalement débarras- sées de leurs parasites de support pour être replacées ensuite en casiers suivant le dispositif déjà décrit, et de nouveau immergées. Ce nettoyage permettait un triage, qui éliminait les cadavres, en même BALE € TR temps qu'une distribution en casier en rapport avec les plus grandes dimensions que les Huîtres avaient pu acquérir au cours de la stabu- lation précédente. Enfin, au fur et à mesure des demandes, les Huîtres étaient expé- diées sur les divers centres de consommation. Ces diverses manutentions étaient opérées pour la plupart par un personnel plus ou moins nombreux, mais en grande partie féminin et qui a compté jusqu'à 16 ouvriers, dont 6 hommes gagnant 5 francs par jour et 10 femmes recevant un salaire journalier de 2 francs. Caisse-réserve utilisée pour la stabulation des Huîtres. Caïisses-réserves, Les réserves où caïsses-réserves utilisées encore aujourd'hui par quelques rares expéditeurs d'Huîtres de Marseillan et de Bouzigues sont du même genre que celles qu'emploient encore les pêcheurs pour la stabulation des Anguilles et qui étaient si grandement employées dans les canaux de Cette et dans les divers bassins ou ports des localités riveraines de l'étang de Thau pour la stabulation des Huîtres, lorsque parut la dépêche ministérielle du 25 janvier 1907. Ce sont de grandes caisses de bois, de dimensions variables, simu- lant pour la plupart une petite embarcation tronquée à l'arrière et parfois aussi à l'avant. Le fond de ces réserves, comme les faces laté- #10) rales,sont à claire-voie ou à parois pleines mais perforées de très nom- breux trous d’un centimètre de diamètre environ, de manière à per- mettre à l’eau de pénétrer à l’intérieur de la caisse dans les deux cas. Les Huîtres de taille marchande de l'étang de Thau,les seules ache- tées par ces expéditeurs, sont entassées dans ces réserves qui peu- vent en contenir de 15 à 20.000 et même davantage, et immergées sur des emplacements de la domanialité maritime dont les eaux, après analyses, ont été reconnues bactériologiquement pures. De même, et afin de satisfaire aux règlementations édictées par le décret du 24 septembre 1907, les Huîtres subissent à un moment donné, et avant d’être livrées à la consommation, un brossage plus ou moins complet en vue de débarrasser la coquille des impuretés organiques et inorganiques qu'elle porte le plus souvent. Elles subiraient aussi, au dire des expéditeurs qui utilisent les réserves, des émersions pé- riodiques qu'ils opéraiennt en traînant à terre, à l’aide d’un palan, la réserve et son contenu. La stabulation dans ces conditions est toujours de courte durée et au fur et à mesure des besoins les Huîtres sont dirigées sur la con- sommation ou sur les parcs de l'Océan. Il n'y a donc ni accroissement ni engraissement du Mollusque. Il faut croire, d’ailleurs, et ainsi que nous l’avons déjà dit, que lorsque ces expéditeurs seront pourvus des concessions qu'ils ont sollicitées, ils abandonneront ce mode de sta- bulation qui est loin d’être à l'abri de toute critique. Etablissement de «L’Ostréicullture méridionale». A la date du 26 juin 1908, M. PauL , Ingénieur des Arts et Manufac- tures, créa sous la raison sociale de l « Ostréiculture méridionale » une société industrielle au capital de 80.000 fr. se proposant l'éle- vage des Huîtres de l'étang de Thau. Des terrains en bordure de cet étang furent achetés dans le domaine privé, à proximité de la petite commune de Balaruc-les-Bains, et moins de deux mois après la forma- tion de la Société, ces terrains se trouvèrent transformés en une série de bassins, de canalisations et de bâtiments divers appropriés à l'in- dustrie ostréicole. Cet établissement, qui, pendant l’année commerciale 1908-1909, a fait subir un demi-élevage à plus de trois millions d'Huîtres, com- prend une série de 15 bassins rectangulaires à ciel ouvert, creusés dans les alluvions récentes, semi-marines et semi-d’eau douce, formant les bords de l'étang à ce niveau. De profondeur (40-70 cm.) et de superficie variées, ces bassins, que l’on peut comparer à quelques égards aux claires de l'Océan, couvrent une superficie totale de 12.000 mètres carrés environ et se déploient en bordure de l'étang sur une longueur de 470 mètres, séparés de ce dernier par un DOS QE chemin de près de 5 mètres de largeur, établi à l'aide d’enrochements et de remblais et dont le niveau est supérieur à celui maximum des eaux de l'étang. L'OSTRÉICULTURE MÉRIDIONALE à Balaruc-le:-Bains. Bassins (partie Ouest). Quoiqu'indépendants de l'étang, les bassins sont cependant ali- mentés par les eaux de ce dernier, prises en un point à l'abri de toute pollution et dont les eaux ont été reconnues, après analyses, bactério- L’OSTRÉICULTURE MÉRIDIONALE à Balaruc-les-Bains. Bâtiment central et machines élevaloires. logiquement pures. Une canalisation en tuyaux de ciment amène les eaux à l'intérieur du parc et les distribue dans un casier étroit en maçonnerie cimentée, où elles sont prises par une grande roue en fer et LT es à palettes commandée par un moteur à essence, de la force de 6 che- vaux, suppléé pendant les périodes de vent par un fort moulin à vent, Cette roue élève ainsi les eaux (à raison de 80 litres à la seconde) qui sont ensuite reçues par la canalisation générale de distribution, des- servant les différents bassins, dont les fonds sont établis à des niveaux graduellement différents, de manière qu’à l’aide d’un jeu de vannes, l'eau amenée dans le bassin le plus élevé peut circuler librement dans tous les autres, pour être finalement déversée en un point de l’étang situé à près de 300 mètres du point de prise. Ces mêmes dispositions permettent de mettre les différents bassins en communication ôu bien de les tenir indépendants, la mise à sec d'un bassin s’effectuant ac + L'OsrRÉIGULTURE MÉRIDIONALE à Balaruc-les-Bains. Bassins (partie Est). par arrêt de l'eau au niveau supérieur du bassin et ouverture de la vanne au niveau inférieur, l’eau qu'il renferme s’écoulant ainsi dans ie bassin suivant. À ces quinze bassins dont le sol est régulièrement tassé, « damé» et dont les talus sont protégés par un enrochement contre l'érosion des eaux, s’en ajoute encore un autre, le bassin-dégorgeoir, construit en maçonnerie de ciment et alimenté par une canalisation particu- lière. Un grand corps de bâtiment en bois, occupant le centre de l'éta- blissement, est destiné à abriter les ouvriers et ouvrières employés aux diverses opérations que subissent les Huîtres, en même temps qu'il sert de magasin d'expédition. Un deuxième bâtiment, construit à pierre et à chaux, placé à l'entrée même de l'établissement, ren- NE 20 ferme les bureaux et la salle decomptage en même temps que le lo- sement de la concierge.Enfin l’ensemble est clôturé par une palissade. Cette description sommaire étant faite, suivons les Huîtres de Thau depuis le moment où elles pénètrent dans l'établissement jus- qu'à celui où elles quittent ce dernier pour être dirigées sur la consom- mation. Les Huîtres, placées par le pêcheur lui-même dans des corbeilles en osier, sont portées dans la salle de comptage et,une fois comptées, disposées dans des petits casiers à claire-voie recevant chacun 200 Huîtres. Ces casiers, formés par des planchettes de bois supportant un fond en toile métallique, mesurent exactement 65 centimètres de longueur, 50 centimètres de largeur et 12 centimètres de hauteur. À l’aide de petits wagonnets Decauville, les casiers ainsi remplis sont transportés à proximité d’un bassin spécial où ils sont immergés. Cette manutention, comme celles d’ailleurs s’effectuant dans la plu- part des bassins, sont facilitées par l'emplot de passerelles mobiles jetées en travers des bassins et que l’on déplace suivant les besoins. Cette immersion a pour effet de ne pas prolonger Fexposition à sec subie par les Huîtres pendant la durée de la pêche,car ces Huîtres sont ensuite reprises au fur et à mesure, transportées dans le bâti- ment central, où elles subissent l'opération du « décorticage », desti- née à séparer les Huîtres les unes des autres quand elles sont plus ou moins concrescentes,et surtout à débarrasser la coquille de tous les parasites qu’elle porte. Cette opération, à laquelle sont occupées un certain nombre d’ouvrières, est effectuée à l’aide d’une sorte de cou- teau à lame courte mais forte et lourde, dont les coups secs et répétés dirigés tangentiellement par rapport à la surface même de la coquille, arrachent les corps les plus durs qui, comme les tubes d’Annélides ou des fragments de coquille d’Huître, peuvent adhérer à cette surface. La coquille acquiert ainsi un aspect plus régulier. Cette opération est complétée par un lavage à eau courante, les Huîtres étant disposées dans des paniers en fil de fer, où elles sont secouées par des mouve- ments saccadés que leur imprime l’ouvrière, de manière que l’eau puisse en balayer toutes les faces. Ainsi débarrassées des impuretés qu'elles portaient, les Huîtres retournent dans le bâtiment central où elles sont alors l'objet d’un triage minutieux , suivant la taille, la régularité de la coquille et les tares que cette dernière peut présenter. Les Huîtres à coquille per- forée naturellement par les Eponges-Cliones ou accidentellement par l'opération du décorticage, constituent deux lots distincts que l'on isole de toutes les autres Huîtres. Enfin, suivant la classification même qui a présidé au triage, les Huîtres placées dans les casiers et trans- portées à l’aide de wagonnets sont distribuées ensuite dans diffé- LLUNOE Se rents bassins respectifs où elles sont jetées sur le fond et à la pelle.Là elles stabuleront pendant un temps variable suivant leur taille, leur accroissement, et leur engraissement. Pendant la durée de cette stabulation, les bassins sont mis à sec périodiquement, de manière à faire acquérir au Mollusque une résis- tance de plus en plus grande aux conditions de l’émersion, à l’habi- tuer à « conserver son eau», ainsi qu’on a l'habitude de le dire. Ces mises à sec ont encore une autre importance en ce qu'elles contra- rient le développement des Algues et de tous les autres parasites de L'OSTRÉICULTURE MÉRIDIONALE à Balaruc-les-Bains. Intérieur du bâtiment central : expédileurs et décortiqueuses. support qui pourraient envahir la coquille, en même temps qu'elles permettent d'éliminer les caäavres et de surveiller l'envasement des bassins qui pourrait placer les Huîtres dans des conditions abso- lument défectueuses. Les eaux, en effet, déposent continuellement les particules vaseuses qu'elles tiennent en suspension, surtout dans les périodes de vent pendant lesquelles les vases des fonds de l'étang sont plus ou moins soulevées ; ces particules vaseuses s'accumulent pro- gressivement sur le fond du bassin, constituant une couche de plus en plus importante, dans laquelle les Huîtres sont à demi-immergées, et nécessitant finalement un nettoyage complet du fond. Dans ce cas, 07 et pendant la mise à sec du bassin envasé,les Huîtres sont déplacées dans un autre bassin nouvellement «paré » et après un désenvasement suivi d’une exposition à sec de quelques jours et d’un nouveau da- mage du fond, le premier bassin est de nouveau prêt pour recevoir de l’eau et des Huîtres. Ce n’est qu’au fur et à mesure des prévisions des demandes d’'Huf- tres qui pourront se produire ultérieurement que les Huîtres quit- tent les bassins de stabulation pour passer au bassin-dégorgeoir et pouvoir être livrées, une quinzaine de jours après, à la consommation. Dans le dégorgeoir où l’eau est constamment et abondamment re- nouvelée, les Huîtres sont placées dans les casiers suivant le disposi- tif que nous avons déjà indiqué à propos des parcs flottants de Cette, c'est-à-dire de champ, charnière en bas, et par rangées”concentri- Deux casiers à Huîtres. ques ou simplement parallèles à une des faces. Mais ici, les casiers, tenus à une certaine hauteur au-dessus du fond du dégorgeoir, ne sont pas superposés en pile et sont simplement distribués sur un seul plan, ou un seul étage. Le dégorgeoir est mis à sec régulièrement deux fois par jour. En quittant le dégorgeoir, les Huîtres subissent encore un dernier brossage sous eau courante après lequel elles sont livrées aux ou- vriers expéditeurs pour la mise en caisses. Telles sont les diverses opérations que subissent les Huîtres de Thau dans l'établissement de «L’Ostréiculture Méridionale » à Balaruc- les-Bains, occupant un personnel de5 à7 femmes gagnant 2 fr. par jour, et de 6 à 8 hommes dont le salaire est de 4 fr. par jour. Il est hors de doute que de telles Huîtres, élevées dans des eaux qui, pures à leur origine, sont encore exposées à travers les différents bassins, à l’action fortement microbicide des radiations solaires, sont 7 Ne exemptes de toute cause infectieuse. Les nettoyages multiples de la coquille, les émersions périodiques et aussi le séjour dans le dégor- geoir ont pour résultat, d'autre part, de supprimer toute cause d’in- toxication, en même temps que de permettre à de telles Huîtres de pouvoir supporter d'assez longues périodes de mise à sec et par consé- quent de pouvoir effectuer d'assez longs voyages pour parvenir à la consommation. De telles Huîtres donc doivent être considérées com- me saines à tous égards. Mais, après s'être proposé de réhabiliter l'Huître de l’étang de Thau, si fortement discréditée par les accidents pathologiques dont elle avait été incriminée, M. Paul, directeur de « L'Ostréiculture méri- dionale », ne s’est pas contenté de satisfaire aux seules exigences des règlementations nouvellement édictées. Il a voulu aller plus loin en- core, faire beaucoup mieux, et, tout en livrant des Huîtres absolu- ment saines à la portée de toutes les bourses, il a tenu aussi à pou- voir fournir des Huîtres de qualité supérieure, à satisfaire lés gourmets et à leur offrir des Huîtres dignes d'entrer dans ia consommation de luxeet derivaliser avec celles des centres ostréicoles les plus en faveur. Obtenir des Huîtres de Thau à coquille bien formée, régulière, les élever, les engraisser etleur communiquer certaines qualités alibiles spéciales que recherchent les gourmets, telest le programme assez complexe que M. Paul s’est tracé et, nous pouvons le dire,qu'il a déjà en grande partie résolu. Le triage minutieux dont les Huîtres de Thau sont l’objet à leur entrée dans l'établissement permet régulièrement de constituer un lot spécial d'Huîtres à coquille régulière et peu épaisse. Ce lot se trouve graduellement accru par les toutes jeunes Huîtres de pêche, que M. Paul est seul à acheter parmi les autres ostréiculeurs et expé- diteurs, et qui, après un élevage en bassin où elles poussent normale- ment et sans gêne, acquièrent une coquille bien formée. En vue d'obtenir le même résultat — et peut-être aussi en vue de se préparer aux éventualités d’un appauvrissement trop important des gisements huîtriers de Thau — le directeur de «L’Ostréiculture Méridionale » a pensé à la régularité normale des Huîtres de détro- quage et a voulu reprendre avec nous les essais de récolte de naissain dans l’étang de Thau, en même temps que dans les bassins de l’éta- blissement. Après entente préalable avec l'Administration maritime de Cette, nous avons immergé, le 27 mai dernier, une série de 14 fascines et de ruchers de tuiles, les unes et les autres convenablement chaulées, que nous avons distribuées en divers points de l’étang, en- tre 2 et 4 mètres de profondeur d’eau. Mais nous avions compté sans l’opposition des pêcheurs qui, supposant sans doute que de telles expériences, si elles réussissaient, pouvaient aller à l’encontre deleurs RE intérêts, protestèrent auprès de l'Administration maritime contre la tolérance de pareils engins dans l’étang « susceptibles de causer des dégâts à leurs filets sardinaux, en même temps que gênants pour la pêche à la clovissière ». Quoique ces plaintes fussent bien mal fon- dées, elles furent écoutées avec trop de bienveillance sans doute, car par une lettre de M. l'administrateur, à la date du 18 juin dernier, M. Pau fut mis en demeure d’arrêter les essais et de relever sans retard les collecteurs. M. le Ministre de la marine fut saisi de l'affaire par une lettre de M. Pauz, en date du 24 juin, mais aucune solution n’a été encore donnée à cette démarche et la plupart des collecteurs ont été relevés, sans que nous ayons pu y constater defixation de naissain, pas plus d’ailleurs que sur les tuiles immergées dans les bassins, au moins jusqu'à ce jour (1er août 1909). Enfin, les Huîtres vertes ou Huîtres de Marennes ayant les préfé- rences des gourmets, M. Paul s’est encore préoccupé d'obtenir le verdissement des Huîtres de Thau dans les bassins de son établisse- ment ostréicole de Balaruc-les-Bains. Un appel ayant été fait aux quelques connaissances biologiques que nous pouvions posséder à cet égard, nous avons procédé, M. Paul et moi, à quelques essais en vue de parvenir au développement de la Diatomée bleue — la Navicule ostréaire (Navicula ostrearia Bory) — dans les bassins de « L’Ostréi- culture Méridionale », et il est permis de dire que nous y avons plei- nement réussi. À l’heure où nous écrivons ces lignes, plusieurs bassins sont en pleine « verdeur » et les Huîtres y verdissent très rapidement. Dans une première Note à la Société de Biologie (séance du 19 juin 1909), nous avons indiqué les conditions dans lesquelles le verdisse- ment a été obtenu et nous nous proposons de donner une contribution assez importante à la connaissance de la biologie de la Diatomée bleue et à la pratique du verdissement, au Congrès des Pêches maritimes, qui doit s'ouvrir aux Sables-d'Olonne, le 11 septembre prochain (1). Ainsi done, une bonne partie du programme que la Direction de L’«Ostréiculture méridionale » s'était tracé se trouve aujourd’hui réalisée, et on ne peut que regretter très vivement que des initiatives aussi intelligentes et aussi sagaces que celles dont M.Paul a fait preuve soient isolées et ne soient pas secondées.On ne saurait douter, en effet, qu'avec de tels efforts,s’ils étaient répétés et continués, l’ostréiculture de l'étang de Thau n’abandonnât l’ornière très étroite où elle a pu être engagée pour acquérir à bref délai un des premiers rangs dans l’Ostréiculture française. Quoi qu'il en soit, si l'installation de l'établissement de «L'Ostréi- (1) Depuis la rédaction de ces lignes, le Congrès a eu lieu et notre « Contri- bution à l'étude du verdissement des Huîlres » a déjà été publiée par le Bulle- letin trimestriel de l'Enseignement professionnel et technique. des Pêches mariti- mes, septembre 1909, — 100 — culture méridionale » peut être considérée comme une des meilleures de nos côtes françaises, elle n’est cependant pas exempte d’imper- fections et il nous paraît utile de signaler celles qu'il nous a été per- mis de constater. Et d’abord, si nous avons pu observer que les Huîtres de l’étang effectuaient une certaine « pousse » dans les bassins ainsi installés et ainsi alimentés, il nous a paru toutefois que l'accroissement et l’en- graissement étaient assez limités et quelque peu irréguliers, suivant les bassins, et, dans tous les cas, bien moins importants que ceux que nous avons pu remarquer, pendant la même période, sur les Huîtres des parcs flottants des canaux de Cette. Cette différence paraît être la conséquence de la différence de composition du milieu nutritif lui- même, beaucoup plus riche dans les canaux de Cette, parce que con- tinuellement renouvelé, et sans doute, insuffisant dans les bassins, parce que la masse d’eau fournie (masse forcément réduite à la puis- sance de la machine élévatoire) n’apporte pas la quantité de subs- tance nutritive en rapport avec la quantité de Mollusques alimentés par cette eau. Il importe donc, semble-t-il, d'alimenter largement les bassins en eau etc’est dansce but que la Direction de« L’Ostréicul- ture méridionale » va adjoindre une seconde roue élévatoire mue par un second moteur à essence de la force de 8 chevaux, pouvant fournir un débit de 120 litres à la seconde, ce qui portera le débit actuel à 22 litres à la seconde. D'ailleurs la quantité de substance nutritive que le Mollusque peut trouver dans l’eau de son alimentation est aussi fonction des con- ditions physico-chimiques (température et salinité surtout) offerts par cette eau,et il est aisé de comprendre les grands écarts que subis- sent ces conditions dans des bassins de peu de profondeur et exposés aux différentes intempéries. 11 est nécessaire de contrebalancer par un plus grand apport d’eau de l'étang les variations trop grandes subies par l’eau des bassins soit pendant les pluies, soit pendant les chaleurs ou les froids intenses, et par suite, encore à cet égard, il est indispen- sable de pouvoir, le cas échéant, alimenter surabondamment les bas- sins en eau de l'étang, dont la température et la salinité ne varient que dans des limites beaucoup plus restreintes. On ne saurait cependant songer, sur les bords de l’étang de Thau, à régulariser, ainsi qu'il conviendrait, la température de l’eau des bassins pendant la longue période estivale, sans s’exposer à des dé- penses qui dépasseraient sans doute les bénéfices que cette régularisa- tion ne manquerait pas de produire. En dehors d’ailleurs des frais très élevés qu'’entraînerait une mise en marche continuelle des ma- chines élévatoires, il y aurait lieu encore d'exposer de nouvelles dé- penses pour prolonger la prise d’eau dans l'étang versle large et de — 101 — manière à atteindre une profondeur peu sensible aux variations des conditions physico-chimiques. Aussi, et estimant que la culture des Huîtres en bassins présente de très grands avantages sur n'importe quel autre système de culture, il nous paraît avantageeux de complé- ter une telle installation par des viviers en étang où les Huîtres se- raient entreposées pendant toute la durée de la période estivale. Des concessions devraient être accordées dans ce but dans la partie de la domanialité maritime la plus voisine de l'établissement ostréicole, concessions de durée temporaire, uniquement pendant les chaleurs de l'été (mai à septembre), où l’ostréiculteur entreposerait ses Mol- lusques dans des caisses ostréophiles ou dans tout autresystème de stabulation. Enfin on pourrait encore reprocher aux bassins de « L’Ostréiculture méridionale » d'être simplement creusés dans le sol, permettant ainsi l’envasement des Huîtres, avec toutes les conséquences que peut entraîner cet envasement (chambrage, et parfois mortalité de l’'Huître, mucosités vaseuses de l’Huître, etc.) et nécessitant des « parages » réguliers des bassins. Nous partageons pleinement les critiques formulées par M. Sauvageau (1) à l'encontre des claires de La Tremblade, et, avec lui, nous estimons qu’un macadamisage du fond et des parois des bassins, en chaux hydraulique mélangée à des coquilles d'Huîtres calcinées, non seulement supprimerait la faune vivant dans la vase et pouvant exercer une concurrence vitale dé- favorable aux Huîtres, mais, tout en permettant un nettoyage très aisé des bassins, supprimerait encore l’envasement des Huîtres et constituerait un milieu approprié au développement du plankton diatoméique entrant dans l’alimentation de l'Huître. Tels sont les quelques desiderata que peut présenter l'installation de l'établissement de «L’Ostréiculture méridionale ». Nous savons cependant que le Conseil d'administration de cette Société, qui ne compte encore que quelques mois d'existence, s’est déjà préoccupé d'y remédier dans la plus large mesure possible. Après avoir décidé d’accoupler une seconde roue élévatoire à celle existant déjà, la Société a sollicité, en vue de la stabulation des Huîtres pendant l'été, une concession temporaire dans la partie de l'Etang située à proximité de l'établissement et elle se propose en outre, au fur et à mesure que les ressources budgétaires le permettront, de cimenter les divers bassins. Ces quelques modifications opérées, l’établisse- ment de « L'Ostréiculture méridionale » pourra être considéré comme un établissement ostréicole modèle. (1) CG. Sauvageau. — Je verdissement des Huîtres par la Diatomée bleue + Travaux du Laboratoire de la Société scientifique d'Arcachon, 1907, p. 105. — 102 — IV. — CoNCLUSIONS. Nous ne saurions prévoir l'avenir de l’Ostréiculture dans l'étang de Thau, mais il importe avant tout d’assurer la conservation des gisements huîtriers et de ne livrer à la consommation que des Hui- tres absolument saines et à l’abri de toute suspicion. Si, comme tout porte à le supposer, ces gisements ont été très pro- ductifs jusque vers le XVe siècle et avant que le cordon littoral n’eût isolé à peu près complètement cet étang du Golfe du Lion ; si, d’autre part, ces gisements ne se sont reconstitués en 1900 qu'à la suite des travaux effectués dans le port et les canaux de Cette et ayant pro- voqué entre les eaux de l’étang et celles de la mer des échanges plus importants, ilest logique d'attribuer les insuccès qui ont caractérisé les essais de repeuplement opérés de 1860 à 1865 aux conditions phy- sico-chimiques que présentaient les eaux de l'étang pendant cette période. De même, il est permis de supposer qu’un plus grand re- nouvellement des eaux de l'étang par celles de la mer serait favora- ble à l’entretien et au développement même de ces gisements, qu'il y aurait intérêt à accroître, les bancs nouvellement formés étant toujours plus productifs que les anciens. Or, à cet égard, il serait facile d’at- teindre le but en creusant un des anciens graus par lesquels la partie occidentale du Grand-Etang communiquait autrefois avec la mer (1). Il est nécessaire, d’autre part, qu'une exploitation intensive ne vienne déterminer l’appauvrissement graduel et finalement la ruine de ces gisements (application du décret du 18 juillet 1908, interdisant l'usage de la drague dans la pêche aux Huîtres) et qu'une réglemen- tation intervienne pour interdire la pêche des Huîtres pendant la pé- riode de leur reproduction, soit du 1% mai au 1% septembre (2). De (1) Depuis la rédaction de ces lignes, nous avons eu l’occasion de dévelop- per cette opinion. Voir: Sur le creusement d’un des graus dits des Onglous en vue de régulariser les condilions physico-chimiques des eaux de l'étang de Thau, dans Mém. et Comptes rendus du Congrès national des Pêches maritimes aux Sables-dOlonne, 1909. (2) Depuis la rédaction de ces conclusions, un arrêté du vice-amiral, pré- fet maritime de Toulon, en date du 13 octobre 1909, approuvé par le sous-secrétaire d'Etat à la Marine, le 11 décembre 1909, est venu interdire la pêche des Huîtres dans l’étang de Thau pendant les mois de mai, juin,juil- let et août. Cette mesure, que nous avions déjà sollicitée au Congrès des Pêches mari- times de Bordeaux (septembre 1907), n’a été prise cependant qu’à la suite d’un rapport établi deux ans plus tard par M. Fage, naturaliste du service scientifique des Pêches maritimes. Encore une fois, nous ne saurions nous plaindre de l’importance variable que prennent les observations suivant les auteurs qui les présentent, mais nous tenons cependant à constater le fait qui semble établir, une fois de plus, l’inutilité des initiatives étrangères au Service scientifique des Pêches maritimes. Quoi qu'il en soit, cette interdiction temporaire a soulevé des protestations parmi les pêcheurs d’'Huîtres et il nous a été permis de lire dans Le Petit Méridional du 22 février 1910 la petite communication suivante :#.h x & | « La pêche des Huitres, — M.‘Bénézech-Fauché, secrétaire du Syndicat des — 103 — nouvelles expériences relatives à la récolte du naissain devraient être effectuées dans l'étang de Thau, qui, si elles réussissaient, permet- traient d'occuper les inscrits pêcheurs pendant la durée même de l'interdiction de la pêche et fourniraient des Huîtres qui, après éle- vage, constitueraient une qualité supérieure à celle des Huîtres don- nées directement par les gisements. Les Huîtres et les eaux de la plus grande partie de l’étang de Thau s'étant montrées exemptes de tout microbe pathogène, de telles Huf- tres ne sauraient être frappées, originellement au moins, d’une suspi- cion quelconque, à la condition toutefois que, dans la très faible par- tie de cet étang où les eaux peuvent être accidentellement polluées, la pêche comme la stabulation des Huîtres y soient très rigoureuse- ment interdites. Il est indispensable aussi, et afin de prévenir le re- tour des accidents pathologiques dont les Huîtres de Thau ont été incriminées, non seulement que la coquille soit débarrassée des im- puretés qu'elle porte naturellement, mais encore que ces Huîtres aient stabulé en eaux marines bactériologiquement pures, dans des bassins ou parcs où des émersions périodiques leur donneront la ré- sistance à la mise à sec, nécessaire pour parvenir en bon état dans les divers centres de consommation (exécution de la dépêche ministé- rielle du 25 janvier 1907, du décret du 24 septembre 1907 et de l'arrêté préfectoral du 22 janvier 1908). Enfin, on ne saurait tolérer davantage les entrepôts à terre sans les soumettre tout au moins à une surveil- lance rigoureuse, pas plus d’ailleurs que le mouillage des Huîtres placées dans ces conditions (abrogation de l'article 3 de l’arrêélé préfec- toral du 22 janvier 1908). L'installation de parcs flottants dans l'étang de Thau présentant de très grandes difficultés matérielles,et l'élevage en bassins ou claires offrant à beaucoup d’égards de réels avantages, il serait à souhaiter que l’Administration de la marine facilitât ce dernier mode d'élevage en accordant sur les bords de l’étang de Thau des terrains doma- niaux sur lesquels le concessionnaire installerait des bassins. Toute- fois l'élevage en bassins présentant dans la région de l'étang de Thau et pendant la saison estivale, quelques désavantages inhérents à la température, il serait nécessaire que des concessions temporaires fussent données dans la domanialité maritime proprement dite pour la stabulation des Huîtres pendant l'été. pêcheurs de Bouzigues, accompagné par M. Salis, député, a été reçu par M. Chéron, sous-secrétaire d'Etat à la Marine. M. Bénézech-Fauché a entretenu le ministre de la question de l’interdic- tion de la pêche des Huîtres pendant les mois de mai, juin, juillet et août. Il lui a fait remarquer l’état dans lequel cette mesure plongerait les nombreuses familles de pêcheurs de l’étang de Thau. s | M. Chéron a assuré le délégué que la défense ne porterait que sur deux mois au lieu de quatre. » $ ALES TABLE DES MATIÈRES Pages AVANT PROPOS ER LM LE DA er Re De 2 ee RE re 1 I°.— LE REPEUPLEMENT DES HUITRIÈRES DE L'ÉTANG DE THAU. 6 LCIOTO NEC TITLES ÉPSRE EU e PNe ee et ete ne CNE PPS 6 ÉSSOIS UE TeDeUplemente ete ne RCE ONE EEE Le 1 PRÉHCUDIEMERE SPOILUTE, SL Le IT ee dE A Rs CO SEDIE ras Protection des huîirières. — Réglementation de la pêche CURSEUR PRES OMS ENT EPA EAU De STE PM EEE RENE TEE {420600 PRESSE STEICILRE S'ETSP ANG RENES ee ET ONE PRE 48 Ille. — L’ÉLEVAGE DES HUITRES ET L’INSTALLATION DES PARCS DiÉLENAGE SA eos de REA ARE Le Re LP AN REV eue à HA ANS Parcs fiottdnrts des cantmre de Cette, 4 0 Or 'épon CALSSES RES ERDES ie I PNEU er TRE ARRET RATER TROT Etablissement de l'Ostréiculture méridionale,......... .. 9? IV: = CONCLUSTONS EN NERO MER RME ee PA NT MESSE Clermont (Oise), — Imprimerie Daix frères et Thiron. LAPS AT - rai SMITHSONIAN INSTITUTION LIBRARIES 3 9088 00096 1300