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M^MSJL : rnOiS FRANCS

SditiOm Ulustri't.

HENRY BATAILLE

i^AMAN COLIBRI

L'ENCHANTEMENT

PARIS MODERN-THÉATRE

ARTHÈME FAYARD et O^ ÉDITEUR^

18-20, RUÇ DU SAINT-GOTHARD, l8-?0

fÂRBOR I

Presenîed îo îhe

LIBRARY ofîhe

UNIVERSITY OF TORONTO

from

îhe esîaîe of

GIORGIO BANDINI

K

À

MAMAN COLIBRI

L'ENCHANTEMENT

(Photo Henri Manuel.)

M. Henry Bataille.

HENRY BATAILLE

MAMAN COLIBRI

L'ENCHANTEMENT

0 0 0

ILLUSTRATIONS d'aPRÈS LES DESSINS

DE

RENÉ PRÎNET

PARIS

IVIODEt^fl-THÉRTlîB

ARTHÈME FAYARD et C^ ÉDITEURS

18-20, RUE DU SAINT-GOTHARD, 18-20

Tcus droits de reproduction, de traduction, d adaptation, de représentation ev d'exécutior

réservés peur tous pays.

PERSONNAGES

MM.

BARON DE RYSBERGUE Lérand.

RICHARD DE RYSBERGUE Louis Gauthier.

VICOMTE GEORGES DE CHAMBRY André Brûlé.

LOUIS SOUBRIAN Baron fils.

LIGNIERES Roger Monteaux.

SOUBRIAN PERE Joffre.

PAULOT DE RYSBERGUE Grésy.

FRANÇOIS ..o Lalbarède.

Un Domestique Suarès.

BARONNE IRENE DE RYSBERGUE -. . . Berthe Bady.

MADAME LEDOUX ; Cécile Caron. .

COLETTE DE VILLEDTEU Paule Axdral.

MIS'^ DEACON Harlay.

MADELEINE CHADEAUX de Bray.

MADAME CHADEAUX Netza.

MARQUISE DE SAINT-PUY Henriette Andral.

LOUISA de AIornand.

JENNY Welsonn.

La Nourrice Becker.

Première petite Fille arabe Angèle Henry.

Deuxième petite Fille arabe , Suzanne Cruau.

MAMAN COLIBRI

*

COMÉDIE EN QUATRE ACTES

l^présentée pour la première fois sur la scène du théâtre du Yaudevitlc,

le 8 novembre 1904.

Irène. Chut!... Laisse mes lèvres sur ton front...

LIGNIERES. Enfin, monsieur Soubkian, nous vous faisons juge.

nCTE PREMIER

Dans un hôtel particulier de l'avenue Friedland.

Uji salon fumoir, vaste, attenant 'par le fond au grand salon. C'est une pièce d'assez grand luxe raffiné. Tout est tendu d'étof- fes rares de l'Inde, très flottantes, même le plafond; mais sans verser dans le mauvais goût. Le piano à queue recouvert d'une dA~iirahle vieille chose asiatique qui traîne à terre. La porte qui sépare le qrand salon, et qui est fermée au lever du rideau, est toute en vitraux Tiffany, opalins, ni trop clairs ni trop fon- cés. — Au milieu de tout cela pourtant, la tache brutale qui mar- que des gens d'affaires; le téléphone dans un coin, près du piano, une table encombrée de pajners, des journaux qui traînent, etc., etc.. Quatre jeunes gens et un monsieur d'une cinquan- taine d'années, tous en habit, causent en fumant.

SCENE PREMIÈRE

RICHARD DE RYSBERGUE, PAULOT DE RYSBERGUE, LOUIS SOUBRIAN, LI- GNIERES, SÔUBRIAN.

RICHARD. Elle est encore très bien.

LOUIS SOUBRIAN. Conservée... mais rude- ment touchée... Tout ce que tu voudras, elle est trop vieille pour toi.

RICHARD. Avoue en tout cas qu'elle a été épatante. J'ai été avec elle à Monte-Carlo et à Aix en 1902.

LOUIS SOUBRIAN. Oui, je t'ai vu avec... La crevaison à chaque pas !

LiGNiF.RES. Enfin, monsieur Soubriam, nous vous faisons juge... Votre fils est d'une mauvaise foi !

SOUBRIAN. Oh! moi, jeunes gens, je ne m'en mêle pas... Ces questions ne sont plus de mon âge... Maintenant que j'ai fini votre cigare, je rentre au salon rejoindre ces dames... (A son fils.) Tu restes avec tes cania- r a des ?

LOUIS. Encore un peu.

RICHARD. Enfin, dites, dites, monsieur Soubrian, qu'elle est épatante.

»

Maman Colibri

80UBRIAN.

nesse

Epatante, oui... Ah! jeu-

II ouvre la porte du salon, très éclairé, on voit des dames en robes décolletées, un instant. Il referme la porte derrière lui.

SCENE IJ

Les Mêmes, moins SOUBRIAN

Tout ça, parce que tu es ja- Quand je voudiai

RIGHARD.

loux.

LOUIS. Pourquoi ?. j'aurai mieux.

RICHARD, Bien sûr... je ne dis pas le contraire, mais je maintiens que, pour son temps, elle a été remarquable.

LOUIS. Enfin, d'où sort-elle?... Qu'est-ce que c'est?...

RICHARD. Ce que c'est? une Peugeot... du soixante à l'heure, mon bon, comme du pain.

LOUIS. Avec un moteur qui cale à la oioohe... oui.

LiGNiÈRES. Tu sais qup les Knapp en font une oii le moteur est en prise directe avec l'axe... ce qui donne ic:\ démarrage à mouirir de joie.

LOUIS. Non ?

LIGNIÈRES, Comme je te dis.

RICHARD, versant des liqueurs. Oliar- treuse?... curaçao, bière?

LOUIS. Verse-moi un peu de sherry.

RICHARD. Y eu a pas...

LOUIS. Quelle boîte chez toi!... Pas 1: sherry... Tu ne pourrais pas dire à ta. mère de s'occuper un peu plus de sa cave ?

RICHARD. Oh ! si tu crois que maman a

RICHARD.— 1)0 SOIXANTE a l'heure, mon bon...

le temps de s'occuper de la maison! Elle ne s'occupe même pas des dîners.

LOUIS. Alors, qui s'en occupe?... Ce n'est pas ton père, je suppose, qui téléphone du bu- reau de faire un poulet Marengo à déjeuner.

RICHARD. Et le cuisinier donc!... Il est pour ça. Et puis moi ; moi, j'ai l'œil sur la maison, parfaitement, entre deux affaires de Bourse... et il faut que ça inarche sec!... C'est moi qui flanque les domestiques dehoi-s.

LOUIS. Alors, quand tu vas être marié, que deviendra-t-on chez toi ?

RICHA.RD. D'abord, rien n'est encore fait, et puis il y aura Paulot qu'oai dressera à avoir l'œil, pas Paulot ?

Il désigne son frère, qui ne dit rien, dans le fond... Dix-. mit ans, doux, blond et le regard très bleu

LIGNIÈRES. Pour l'instaut, il a l'œil sur les bonnes, Paulot... Je l'ai aperçu hier qui pelotait Louisa dans l'antichambre.

PAULOT. Oh ! ce n'est pas vrai !

LIGNIÈRES. Ce n'est pas vrai ?... Répète- ie pour voir, morveux ?

RICHARD. 'Ha mieux, Paulot. li a une correspondance avec une femme mariée.

LOUIS. Ça, c'est tordant... A son âge!... seize ans... 11 va bien.

RICHARD. Pas, Paulot?... C'est la femme de qui, déjà?... du bouquiniste de la rue Mar- gueritte.

LOUIS. Mais il est déjà très gentil ton frère... avec ses grands cols anglais... (// lui prend la main.) Et il se fait les ongles, ma parole... du vernis!

RICHARD. Voilà; c'est l'amour.

LOUIS, regardant en riant Faulot. Il rougit gentiment Paulot. Une femme mariée à seize ans!... Tiens, mais au fait, Lignières. a commencé ainsi en rhéto...

LIGNIÈRES. Et ça dure encore.

LOUIS. Non?... Toujours la..=

LIGNIÈRES. La papetière d'en face le lycée.

RICHARD. Mais, c'est un collage!

LIGNIÈRES. Deux aus ! Oui, ça a com- mencé en rhéto. Je l'ai lâchée en philo et puis je l'ai reprise quand je suis entré à l'Acé- tylène. Dame, ça ne nous rajeunit pas!... Oui, c'est du temps de la classe du père De- laître que j'ai fait cocu le papetier... C'est une femme charmante, du reste... Elle a des idées sur la vie... C'est une mélancolique.

LOUIS. Elle doit sentir la gomme et le- papier calque.

RICHARD. Je me rappelle, en sortant de- classe, à Janson, je lui achetais des cahiers de- deux sous... elle me les comptait trois. Ce n'est pas pour te vexer ce que j'en dis, mais tu me dois des tas de sous.

LiONTÈRKS.— Blaguez toujours. ..au moins, c'est une femme mariée. Evidemment, je ne dis pas que ce soit gai, gai... Le soir quand elle allume le bec Auer dans la boutique, je me sens le cœur fade... mais enfin ça vaut toujours autant que de courir vos grues.

LOUIS. Non, moi je ne comprends que les grues.,, c'est propre, net et chic; on sait sur quoi on marche... Toutes les autres

Maman Colibri

femmes me font l'effet de femmes de oham- ore.

LiGNiÈRES. - Paulot dirait que ce n'est déjà pas si mal !

RICHARD, à Louis ISoubrian. Et Mar- xienne? Ça bioheP...

LOUIS. Epatamment... merci... Tu l'as vue la gosse da.ns la revue de la Cigale?

RICHARD. Oui.... je la trouve char- mante...

LOUIS. Merci... n'est-ce pas?

RICHARD. Paulot, sais-tu si Georget doi< venir ?

PAULOT. 11 me l'a dit, du moins.

LiGNiÈRES. Qui, Georget? Ah! oui, votre inséparable, le petit de Chambry.

RICHARD. N'eh dites pas de mal... c^est mon meilleur lami.

LOUIS, prenant Richard par le hras. Psstt!... Richard. On peut te parler à cc&ur ouvert?

RICHARD. Vas-y.

LOUIS. Papa, m'a assuré que tu étais fiancé à M'^^ Chadeaux.

RICHARD. Après?

LOUIS. Après? je vous ai observés tous deux pendant le dîner...

RICHARD. Eh bien?

LOUIS. Eh bien! si vous êtes fiancés, vous cachez bien votre jeu!... Et encore, me disais-je, après dîner, il va rester au salon, auprès d'elle... Du tout! voilà une demi-heure que nous sommes ici à nous croire obligés d'al- ler jusqu'au bout de nos cigares et tu ne ma- nifestes pas la moindre intention de déca- ïiiller...

RICHARD. C'est exprès.

LOUIS. Comment?

RICHARD. Je tiens à bien manifester ce soir, parce que sa mère est là, que rien n'est moins décidé, que rien ne justifie encore cette position de fiancé que tout le monde m'octroie, sans l'ombre de raison... J'ai vingt- deux ans, je suis l'associé de mon père et j'en- tends rester libre entièrement de mes actes et de mes goûts... J'exige que personne, pas même M"^® Chadeaux mère, ne me force la main.

Un domestique entre par la gauche.

LE DOMESTIQUE. Monsieur Richard... on vient de laisser oe paquet pour monsieur. On m'a dit de le remettre de suite.

RICHARD, prenant le paquet. Bon... Y a-t-il la facture?

LE DOMESTIQUE. jSIon, Monsieur.

domestique sort.

RICHARD. Regardez, mes enfants.

Il ouvre un écrin.

LIGNIÈRES. C'est admirable! LOUIS. Qu'est-ce que c'est ?

uiciiARu. Lin pendentif... Emeraudes et perles.

LOUIS. Ah, Ah ! Tu vois bien... le cadeau de fiançailles?

RICHARD. Non, c'est un cadeau de rup- ture.

LIGNIÈRES. Déjà?

RICHARD. Avec Nichette.

LIGNIÈRES. Je l'ai aperçu hier qui pelotait

LOUISA DANS l'antichambre.

LOUIS. Ah! c'est Nichette?

RICHARD. Oui... j'essaie de rompre ho- norablement. Elle fait un pétard du diable. J'ai eu une scène terrible hier... Elle m'a menacé de vitiriol.

LIGNIÈRES. Alors toi, prudent...

RICHARD, montrant le bijou. Tu vois... là... j'ai fait mettre deux dates : celle de notre première nuit et celle de notre der- nière.

LIGNIÈRES. Mais on a écrit mai pour la dernière, et nous ne sommes qu'en avril.

RICHARD. C'est pour lui donner le temps de s'habituer.

LOUIS. La nuit de mai !... C'est un cou- pon pour le mois prochain, quoi ?...

RICHARD. Oh! un tout petit coupon... une avance... Mon père m'a dit qu'il faudrait lui donner une gratification de vingt mille francs. Il me les a. promis.

LIGNIÈRES. Ah ! veinard, d'avoir une famille qui peut doainer vingt mille balles aux maîtresses de ses fils!... Quel, fonds de papeterie on achèterait avec vingt mille francs !

lO

Maman Colibri

LOUIS. Au fait, Richaixl, explique-moi, une bonne fois, pourquoi tu dis toujours

RICHARD. Regardez, mes enfants.

mon père, en parlant de monsieur de Kys- bergue, et, maman, en parlant de madame de Rysbergue... Faudrait s'entendre. Les pou- pées qui disent (( maman » disent aussi (( papa »...

RICHARD, l'interrompant, en riant. Papa serait impossible et mère serait si drôle, si grave pour maman!... Cela lui irait si mal avec sa frimousse... (t Mère!... mère ché- rie!... ») J'aurais presque envie de rire... « Maman », même, sonne trop vieux pour elle... Nous a^vions ajouté un surnom, Paulot et moi, ces vacances à Trouville, pas, Paulot? tant cela nous semblait ridicule d'appeler sur la plage cette grande jeune femme maman tout court... c'était honteux... on se retour- nait.

LOUIS. Comment l'appeliez-vous ?

RICHARD. Colibri. Maman Colibri.

uiGNiÈRES. C'est gentil, mais c'est un peu long.

LOUIS. Je n'aime pas les surnoms, ça fait toujours factice et bebête.

RICHARD. Paulot qui avait trouvé ça en jouant au tennis... Il disait que derrière le âlet du tennis elle avait l'air d'un colibr? à travers les barreaux d'une cage... Oh! mais c'est qu'il est très poète, Paulot !... une nature en dessous... on ne sait jamais ce qu'il pense... et puis on est étonné...

LOU\3. La voilà bien la poésie pour les imbéciles!... Colibri! Comme si un surnom d'oiseau, c'était plus poétique et plus flat- teur qu'autre chose... Les oiseaux, c'est des petites bêtes malpropres qui mangent des as- ticots...

PAULOT. Le colibri, il boulotte des fleurs.

LOUIS. Et ta sœur ?

PAULOT. Je l'ai lu l'autre jour en potas- sant mon Michelet.

LOUIS. Et ta sœur ?

PAULOT. Qu'est-ce que tu veux parier?

LOUIS. Cent sous si je gagne et qua- rante sous si je perds.

PAULOT. Tenu. (

Il sort.

LOUIS. Ouvre la fenêtre, ça pue la fu- mée ici... c'est une infamie.

LiGNiÈREs, avec un sourire indéfinissable. Je ne déteste pas... Cela fait un agréable mé>ange avec l'odeur de la maison.

RICHARD. Comment l'odeur de la mai- son?... Elle a donc une odeur particulière ma maison ?

LIGNIÈRES. Je te crois ! On la renifle de la rue quelquefois, quand les fenêtres sont ouvertes... un parfum trop fort, qui sent jus- que dans l'escalier... C'est pénétrant... ça en- vahit tout... Tu y es habitué, tu ne le sens plus, toi... mais poux ceux qui arrivent, c'est exquis.

RICHARD. Le parfum de maman... Du ^5iypre, de l'œillet blanc et du foin coupé, je crois.

LIGNIÈRES, reniflant. On dirait qu'il y a autre c-hose aussi... je ne sais pas quoi... c'est un parfum porté, volatilisé, depuis des années, dans les chambres... Tiens, sens ce coussin.

Il prend un coussin et le met sous le nez de Richard.

RICHARD. Cest embêtant, pour des gens d'affaires.

LIGNIÈRES. Il en est de ta maison comme des femmes, dans la rue, trop parfu- mées.

RICHARD. On les fuit?

LIGNIÈRES, doucement. Mais on y songe.

PAULOT, rentrant un livre à la main. Tiens voilà.

LOUIS. Lis toi-même, j'ai conâance... mais ne triche pas.

PAULOT, lisant. (( Ces oiseeaux vivent des fleurs de là-bas, de leurs sucs brûlants et acres, en réalité de poisons qui semblent leur donner leur âpre cri et l'éternelle agitation de leurs mouvements colériques, et aussi ces reflets étranges... or, acier, pierres pré- cieuses... La vie chez cette flamme ailée, est si brûlante, si intense, qu'elle brave tous les poisons... Tête basse, il plonge du poignard de son bec au fond d'une fleur, puis d'une autre, en tirant les sucs... parfois empoilé de

Maman Colibri

1 1

furie, conttf* qui ? contre une fleur déjà dévas- tée à qui il ne pardonne pas de ne pas l'avoir xtteiidu... »

LOUIS. Bigre! 11 en a une santé cet oi- seau-là!... Enfin, tiens, voilà vingt sous, mais il faut que je vérifie... je sens que tu as triché.

A ce moment, la sonnerie du téléphone.

BTCHARD, décrochant V appareil. Allô... allô... Vous demandez! Ah? pour un rensei- gnement... alors téléphonez à notre siège cen- tral, demain, rue Taitbout... Quoi? Ah! c'est vous, monsieur Crouzet... Oui, je suis au courant... (Aux autres.) Taisez-vous donc, je vous en prie, mes enfants, une seconde ; je n'entends rien; c'est sérieux... {Reprenant V appareil.) Mon père est là-ihaut dans son bu- reau. N'est-ce pas, Paulot?

PAULOT. Oui.

' RICHARD, continuant. Oui, il est là- haut... n est très occupé ce soir, il part de- main pour Vienne... Oui, toujours en voyage... grosse affaire... nous allons avoir la concession de tous les tramways électriques... oui, notre modèle de Saint-Quentin. Ah! c'est pour l'Asseimblée générale que vous télépho- nez... Eh bien, la souscription de dix mille actions est déjà prise ferme, par un groupe important... mais vous savez sur les nouveaux titres créés on en a réservé pour une sous- cription en espèces qui servira à doter la... (S' interrompant.) mais taisez-vous donc, nom de Dieu!... (Il reprend.) à doter la Belge- Américaine... Miaintenant si vous voulez des renseignements plus amples... Mon père, lui- même?... Diable! c'est que je vous dis, avant son départ... Attendez une seconde... (.4 Fau- lot.) Paulot, veux-tu lui téléphoner là-haut, s'il peut recevoir demain matin, monsieur Crouizet... (A l'appareil.) Une seconde, mon- sieur... Oui, nous avons quelques personnes à dîner... Vous entendez ça d'ici?... Je vous re- mercie... elle va bien... Oh! ma mère ne compte pas aller à Cannes cette année... il est si tard !

PAULOT, téléphonant à un petit appareil ^intérieur, contre le mur. Richard de- mande si peux recevoir demain matin mon- sieur Crouzet... A dix heures?... (>S'e retour- nant, à Richard.) Oui, à dix heures.

RICHARD. Mon père vous attendra à dix heures... c'est cela... c'est entendu... Oui, oui... ici... parfaitement... bonsoir. (Il rac- croche les récepteurs.) Je vous demande par- don... vous pouvez regueuler, maintenant, tant que vous voudrez.

LOUIS. Merci.

Durant cette conversation, Lignières s'est ap- proché du piano, il a commencé en sour- dine à tapoter un air de café-concert.

PAULOT, à Richard. Père a dit qu'il al- lait dcficeindre dans une seconde.

LOUIS, s' interrompant de parcourir un journal, à Richard. Hé?... Qu'est-ce que je vois là?... Cet article, souligné au crayon bleu dans le Journal... tu as vu?

RICHARD. C'est de et? saJe petit Chimène,

RICHARD. Allô., allô... Vous de-^andez?

que nous avons évincé... La prochaine fois, je le calotte publiquement. Et d'ailleurs, je vais lui faire demander des excuses, demain.

LOUIS. Est-ce la peine de déranger deux messieurs pour ra importer des choses aussi plates ?

RICHARD. Ah! non, tu sais... je ne plai- sante pas sur ce chapitre-là... Le respect du nom avant tout. Il y a une chose sur laquelle je n'admets pas qu'on transige : l'honneur de la famille.

LOUIS. Ce n'est pas moi qui te contre- dirai... avec quinze ans de salle d'armes que tu as dans les jambes. Mais tu t'emballes pour un rien ! Nini le disait l'autre jour à la gosse : c( Il s'emballe! Il s'emballe! »

RICHARD. Pas le moins du monde... seu- lement j'ai un autre principe, très net...

LOUIS. Prends garde. Quand on a trop de principes, c'est comme si on n'en avait pas du tout.

RICHARD. Celui-ci : que l'humanité ne vaut pas la corde pour la pendre... et qu'il faut traiter les gens à coup de pieds dans le derrière. Une bonne gifle dans la vie est une réponse à tout.

LOUIS. Pan, pan!... 11 fait bon se sentir de VOS amis. Justement, sais-tu oii est mon père, pendant que nous causons?

RICHARD. Au salon.

LOUIS. Du tout, là-haut, avec ton père à toi, en train de lui proposer une affaire... la commandite du Grand Radical... qui sou- tiendrait vos intérêts.

i2

Maman Colibri

RICHARD. Comment? Quoi?. . Votre sal© canard?

LOUIS. 11 tire à 30.000, notre sale ca^- nard !

RICHARD- D'abord, nous ne nageons pas dans ses eaux... Nous sommes orléanistes et je croyais que ton père avait des idées pas trop éloignées de celles qu'il défend, tous les jours, dans son journal.

L0UI9. Oh! papa, papa!... Quand il est à jeun, il est républicain ; quand il est pom- pette, il devient royaliste, et quand il est saoul, il est anarchiste.

La porte du salon s'ouvre et Irène de Rysber- gue entre avec vivacité, en refermant la porte.

SCENE III

Les Mêmes, IRENE

IRÈNE. Arrivez donc!... Vous n'avez pas encore fini? Ce qu'on se rase par là, mes petits, ouf !

RICHARD. Mon cigare n'a plus qu'un centimètre et demi, regarde.

IRÈNE. Dis donc, hein ? Crois-tu !

RICHARD. Quoi? la Brécourt?

IRÈNE Cette vieille calamité qui ne peut pas supporter la. fumée de tabac, à son âge! Elle a pourtant eu un siècle pour s'y habi- tuer. Je la retiens !

RICHARD. Non lâche-la.

IRÈNE. - Ce n'est pas l'envie qui m'en manque» Si tu crois cette petite corvée foli- chonne!... La Brécourt, la marquise, et ta future belle-mère... le wagon des dames seules !

RICHARD. Reste dans celui des fumeurs.

LiGNiÈRES. Oh oui ! madame, faites ça !

IRÈNE. -^ Il ne faudrait pas m'en défier 1 De quoi parlez-vous dans votre comparti-

IRÈNE. TJn DEMI, MON GARÇON, "DN DEMI 1

ment? Nous, en parle mariage... c'est à mou- rir J'ai beau essayer d'amener la conversa- tion de ta fiancée sur le divorce, ça a l'air de lui paraître trop prématuré.

RICHARD. Dis donc, maman, ne donne pas de mauvais conseils à ma femme, je te prie.

IRÈNE. A la condition que vous allez ren- trer immédiatement... Oh! vous avez de la bière, veinards !

LOUIS, se précipitant. Vous en désirez, madame ?

IRÈNE, riant. Je vous crois! {Il lui en verse dans le verre qu'elle tend.) Allez, n'ayez pas peur. Un demi, mon garçon, un demi !

RICHARD, à Lignières. Est-elle jeune, maman !

IRÈNE. On nous prend pour frère et sœur quelquefois... moi ex, Richard?... Oh! dites donc, monsieur Soubrian, figurez-vous que l'autre jour à Armenonville, en descen- dant d'auto, bras dessus bras dessous, mais pas plus que cela, (Elle prend le bras de Ri- chard ) pouT m'appuyer un peu, parce que j'avais les jambes engourdies, le garçon a cru que nous étions en bonne fortune... Il nous a offert un cabinet particulier... ma parole I... Moi j'étais ra^vie... Richao-d fulminait!...

RICHARD. Cette blague !

irènt:. Allons donc! Ça te met en rage d'avoir une mère qui a l'air aussi jeune que toi... {Un temps.) Seulement, au fond tu en es fier. Ça compense. {Mie lui donne une tape, de Véventail, sur la joue.) Georget n'est pas arrivé ?

PAULOT. Il ne doit pas tarder.

IRÈNE. Lequel de vous jouait si mal du piano, tout à l'heure?

LOUIS, désignant Lignières. Lui.

IRÈNE. Je ne vous félicite pas,

LIGNIÈRES. Oh 1 mais je joue très bien l<a Valse Bleue; seulement avec un seul doigt, alors ça fait moins d'effet.

IRÈNR, près du piano, Voulez-vous que je leur exprime mon état d'âme, à travers la porte ?

RICHARD Maman, maman, je ne suis jamais tranquille avec toi !

Elle s'assied au piano, rapide, légère, toutes ju- pes papillotantes et attaque le Dies irœ.

LIGNIÈRES, bas à Louis Soubrian. Je préférerais la mère à la future belle-fille.

LOUIS, de même. Tu n'es pas dégoûté!... Mais ce n'est qu'une supposition; rien à faire. Maman Colibri, oui.,o mais la Vertu par un grand V. Pas la plus petite histoire... Nickelée!... Chaulin a essayé... Il s'est fait rembarrer dans les grands prix.

LIGNIÈRES. Dommage! dommage!... Quels yeux !

LOUIS. Et le décolleté donc!... {Ils la détaillent tous deux du regard.) Le corps doit être charmant.

RICHARD, s' approchant d'eux. Elle a un aplomb, maman !

MamaL Colibri

î?

IRÈNE. Voulez-vous que je leur exprime mon état d'ame, à travers la porte?

HGNiÈRES, avx un sourire. C'était c«. •que nous étions en train de dire.

RICHARD, de loin, à sa mère. - Tu sais que Madeleine va parfaitement reconnaitre que c'est toi qui joues.

IRÈNE, se levant. Ça lui donne-ra un avant-goût de la famille... (Méprenant son éventail.) Qui est-ce qui vient à l'Hippique, demain ? Oh! vous verrez ma ro-be, un amour!

RICHARD. Tant mieux, parce que celle que tu portes, ce soir...

IRÈNE. Elle ne te plaît pas? Je vais al- ler en changer, si tu veux F... Voyez-moi ça H vrai, mou garçon, je plains ta femme !

L.IGNIÈRES. Je ne sais ce qu'il a contre cette robe ; elle est adorable !

IRÈNE. Moi, je sais! 11 la voudrait cou- leur aubergine avec des pensées en applica- tion... et des choux... violets... avoue, hein? que tu voudrais des choux... tu en meurs d'envie !...

RICHARD. Ce n'est pas ce que je veux dire.

IRÈNE, Tais-toi, tiens!... Je t'excuse en pensant que si j'avais une fille, il y a déjà cinq ans qu'elle ne me pardonnerait ni la robe, ni le visaere... Et maintenant en

wagon

Oh ! une luu^

-•rmo %ire enra-

ger la Brécoi- ... o. auiot, une cignx^-.l* . vite, vite... des miennes... Je vais rentrer comme

si j'avais oublié la consigne... vous allez voir... Et a,vec mon plus gracieux sourire encore.

Et la cigarette aux lèvres, elle ouvre la porte du salon, d'un air distrait et naturel ; elle re- ferme la porte derrière elle.

LiGNiÈREs. C'est vrai qu'on dirait d'une grande sœur qui ne vous ressemblerait pas... D'ailleurs, la phrase est courante : « Madame de Rysbergue?... On dirait la sœur de ses enfants. »

RICHARD. Mais, mon Dieu, c'est un peu ça... Maman s'est mariée, elle n'avait pas dix- sept ans... j'en ai vingt-deux... comptez,

LOUIS. Trente-neuf... Elle en paraît trente.

IRÈNE, apparaissant par la porte entre- hâillée, à voix basse, et avec un clin d'œil. Ça y est, mes enfants... Tableau!... Tiens, Paulot, le cendrier... (Elle lui tend sa ciga- rette, qu'il prend.) Et puis arrivez, hop!

La porte se referme.

RICHARD, aux autres. Allons, vous ve- nez ? (Ils jettent leurs cigarettes. A Fauiot, en lui tapant sur Vépaule.) Fasse!

Paulot entre le premier au salon

14

Maman Colibri

L,

À

IRÈNE. Ça. Y est, mes enfants.

LiGNiÈRES, les mains dans les poches, se balançant, à Louis. C'est dommage... c'est dommage...

LOUIS. Tu y penses encore?

LIGNIÈRES. Elle est rudement désirable... je vendrais le lui dire.

LOUIS. Je ne te le conseille pas... Penses-y toujours, mais n'en parle jamais.

Lignières entre au salon. Au moment Louis et Richard sont sur le seuil, M. de Rysbergue et Soubrian entrent par la porte de gauche, le pardessus sur le bras et le chapeau à la main.,

SCÈNE lY

MONSIEUR DE RYSBERGCE,S0UBRIAN, RICHARD, LOUIS

MONSIEUR DE RYSBERGUE, appelant. Ri- chard!... (Hichard se retourne et redescend

avec Louis qui a aperçu aussi son père.) Je vais au Cercle, un instant, avec Soubrian. Le train de Vienne est à midi 10 demain. Je déjeunerai dans Paris... Le coupé portera mes valises à la gare... j'ai donné mes or- dres... Toi, sois au bureau demain matin à sept heures. Je t'indiquerai les dernières ins- tructions...

RICHARD. Bien.

LOUIS, à son père. Bonsoir, papal

Soubrian et son fils échangent un clin d'œil en se sénarant.

RICHARD. Tu seras de retour quand ?

RYSBERGLTî. Dans huit jours... Je ne partirai de Vienne qu'avec le traité signé et la prime dans ma. poche.

RICHARD. Parbleu!.., C'est tout pour ci; soir?... Tu sors avec ce pardessus d'été? Tu auras froid, je t'avertis.

rysbergut:. Fais-moi descendre l'autre^ si ça peut te faire plaisir.

Richard a parlé à son père, du ton docile et respectueux que l'on a avec un supérieur dont on ne discute pas les ordres.

SCÈNE V

RYSBERGUE, SOUBRIAN, seuls.

RYSBERGUE. Un cigare en sortant, Sou- 'orian ?

Il lui tend la boîte,

SOUBRIAN. Volontiers,

RYSBERGUE. CeUX-ci ?

SOUBRIAN, coupant son cigare et allum^- Quelle existence que la vôtre!... Tor par monts et par vaux!... On peut d._- ,^e vous ne volez pas votre argent, vous!... Vous êtes un glorieux brasseur d'affaires, mais nom d'un chien, votre vie n'est pas une siné- cure. Vous n'avez pas même le temps de prn fiter de votre luxe.

RYSBERGUE. Mon luxe, mais c'est pour ma famille, ma femme, mes enfants... Moi, je vivrais avec un lit, une table et une chaise.

SOUBRIAN. Comme Napoléon.

RYSBERGUE. Si VOUS voulez ! Le luxe, pour les amuser, eux... le travail, pour m'a- muser, moi... histoire de passer mon acti- vité..

SOUBRIAN. Comme Napoléon.

RYSBERGUE. Formidable, oui. Cela vous étonne?... Bah! c'est une revanche d'activité que nous prenons, nous autres aristocrates, sur la vie immobile et contemplative de nos aïeux.

SOUBRIAN. Les -fils ont des fourmis dans les jambes... Alors, mes pères devaient être rudement plébéiens, car j'ai bien envie dq m' asseoir. "^

Maman Colibri

'5

WTSBERGUE, Moi, (le marcher, vivre, as- pirer ! Ce train de maison dont voiis parlez, je n'on jouis même pas! C'est vrai... j'aime le sentir prospérer, certes, mais au fond il m'ennuie... Tant de bruit ne laisse pas de m'agacer, toutes ces femmes, ces jeunes gens, ces soirées de musique me porteraient pour un peu horriblement sur les nerfs... Non, mais revenir comme je vais le fa're, dans huit jours, 'avec un petit demi-miliion à jeter aux enfants et à ma femme, voilà mon plaisir... Faire fructifier ma fortune, établir une fa- mille honorée, enviée, digne de ma branche passée, de mon nom, quitte à le faire re- luire d'un éclat nouveau sur tous les essieux des tramways électriques, voilà ma joie... Sans quoi, que me faut-ii ? pas même une bonne table... un cheval de selle... des chiens de chasse... d'excellents cigares... (Il en prend un dans la boîte.) Comme celui-ci...

souBRiAN, clignant de Vϕl. Des fem- mes...

RYSBERGUE, après avoir regardé dans le vague, un instant. Peah!... Je n'ai pas le temps de me payer une conscience compli- quée ! {Changeant de ton.) Vous voyez que je réponds a.vec fa-anchise à votre interview, hein?... Je vous vois venir, vous, depuis une heure... Vous voulez me tirer les vers du nez... On ne me fait dire quie ce qu'il me plaît.

SOUBRIAN. Oh ! mes intentions sont pures... Evidemment un article sur vot.e .ndustrie m'intéresserait...

RYSBERGUE. Ivouvant U journal soyligné au craucyïi lieu sur un canapé. Comm.e celui-ci ?... (Gesle de protestation de Sou- brian.) Attende-.^ donc que je plie ça « Absolument inutile de laisser traîner ces petites choses sur les fauteuils.

Il va au tiroir.

SOUBRIAN. Voyons, Rysbergue... une fois, deux fois, avant de franchir ce seuil, ■'acceptez-vous la. commandite du Grand Badi- cal .?

RYSBERGUL^ avec vne moue. Hum! Le titre...

SOUBRIAN. Ça se change.

RYSBERGUE, souriant avec mépris. Mais (( radical » c'est difficile à faire disparaître d'une manchette.

SOUBRIAN. Il y a des benzines très puis- santes... Si on le changeait?

RYSBERGUE, trusquement . Je serai très net... Xon.

SOUBRIAN Et pourquoi ?

RYSEERCoTE Farcc que, mon chetr... Vous permettez que je sois franc ?

SOUBRIAN, Faites donc.

RYSBERGUE, refermant le tiroir il a glissé le journal. Eh bien, si je portais un grand nom français, ce me serait égal de le compromettre un peu. Il est des gloires natio- nales qui supportent vaillamment, et même peuvent tirer une légère coquetterie de cer-

taines compromissions. Ce n'est pas la mêm« chose pour nous, les étrangers... {Un do- mestique entre avec un pardessus et aide M. de Byshergue à le passer.) Bien que ma femme soit très française et de vieille souche incontestée, je n'en reste pas moins

■"\^filiiN. Il Y A DES BENZINES TRÈS PUISSANTES...

étranger.. . et il s'attache toujours un peu de di'^'^redit, vous le savez, à un nom de là-bas... 9n ? beau faire, nous avons toujours vague- ment l'air rastas.

SOUBRIAN. La Belgique est une petite France. ,

RYSBERGUE, souriont. Vous êtes bien ai- mable, mais un grand Belge n'est j^amais qu'un petit Français. (Au domestique qui a fini.) .Merci, mon ami. (Le domestique sort.) Je dois être susceptible en proportion de cette infériorité. Qui plus est, de mon nom pres- que royal, là-bas! j'ai fait une raison commerciale ! Songez donc comme il faut que je le préserve et ne laisse point retomber sur moi ou sur ma famille la plus petite des sus- picions, de quelque nature qu'elle soit!... J'ai plaoé cet orgueil plus haut que tout dans ma vie, prêt à châtier qui en douterait; mes en- fants sont élevés dans ces idées... elles sont déjà le but de leur vie, j'en suis sûr. Le marclié que vous me proposez n'a rien de dés- honorant en soi, il est de commerce courant ; je ne puis l'accepter, voilà tout. Je vous prie de m' excuser.

Ceci a été dit avec une certaine morgue et grande fermeté.

SOUBRIAN. Mais comment donc ! Ce point de vue est trop respectable... Seulement il était inutile de me faire toute cette vaste

i6

Maman Colibri

profession de foi pour un refus aussi natu- rel... Je vous lai t-ransmis une proposition de nos actionnaires... moi, pour ma part per- sonnelle, vous savez, je m'en fous!

RYSBERGUE. J e ne vous ai pas dit autiTe chose.

souBRiAN. Nous sommes d'aoeord.

RYSBERGUE. Vous ie voj^ez.

souBRiAN. Allons au Ceicie,

SCENE YI

Les Mêmes, IRENE

C^est

IRÈNE, ouvrant la porte du salon. toi?

RYSBERGUE. Tu fermes donc la porte des deux salons, maintenant?

IRÈNE. M.^^ Brécourt ne peut pas sup- porter la fumée, mais elle vient de s'en aller, justement, je rouvrais quand j'ai entendu ta voix... (EUe ouvre grande la porte. On voit Vautre salon.) Te reverrai-je avant ton dé- part ?

RYSBERGUE- Je ne sais pas... J'irai de bonne heure au bureau et le train est à midi.

IRÈNE. AloTs adieu... Seras-tu de retour pour le dîner du 14.

RYSBERGUE. Oii ! je ne pense pas... Il me faudra bien dix jours... l IRÈNE. C'est la série des Duohâtel et C^®, le quatorze.

RYSBERGUE. Tant mieux, tant mieux... L'important est que je sois pour le dîner du prince Paul... Ah! fais attention au che- val gris, en mon absence.

IRÈNE. Il est malade ?

RYSBERGUE. Le A'étérinaire viendra après-demain... Je te serai reconnaissant de le voir toi-même. Je crois qu'il faudrait quel- ques pointes de feu... En tous cas ne le sur- mène pas.

IRÈNE. Entendu.

RYSBERGUE. Adieu...

IRÈNE. Bon voyage, si je ne te revois pas.

Elle serre la main à M. Soubrian.

SCÈNE VU

IRENE, puis peu à peu COLETTE DE VIL- LEDIEU, LOUIS SOUBRIAN, MADE- LEINE CHADEAUX, RICHARD, MA- DAME CHADEAUX, LA MARQUISE DE SAINT-PUY, LIGNIERES.

IRÈN-E, appelant. Colette! Madame de Saint-Puy !... Enfin, circulons un peu, main-

tenant... Venez voir ma vieille peinture in- dienne... J'adore mon petit coin... On est si bien, là...

LOUIS. J'admirais tout à l'heu/re ce panneau.

IRÈNE. N'est-ce pas ? Et enfumez-nous, surtout, jeunes gens... Colette, tu ne veux pas boire?

COLETTE- - Si, mon petit chou.,, du frais, du très frais, (rendant qu'Irène prépare une boisson.) Quel numéro encore que ta mar- quise de Saint-Puy !

IRÈNE Elle est du meilleur faubourg. Fais-la causer, c'est adorable. Vous ne con- naissiez pas mon amie Colette, monsieur Sou- brian?,.. On a été au Sacré-Cœur ensemble, dans la classe de Sœur Marie- Jacques... Dites-lui des choses énormes; elle adore ça.

COLETTE. Oh! Irène!

IRÈNE. Et M. Soubrian, ma chère, sait des histoires d'iin roide!... Racontez-lui celle de l'anglaise, et des quarante voleurs.,.

LOUIS. Celle-là, je ne la raconte qu'aux jeunes filles.

IRÈNE. Colette est veuve... C'est pres- que pareil.

LOUIS. Alors... venez là.,, et pâlissez.

On voit dans le salon du fond la marquise de Saint-Puy causant avec M"* Chadeaux et Lignières.

RICHARD, à WT-voix, possant à droite arec Madeleine Chadeaux qui va s'appuyer au piano, en tripotaillant des fleurs. Vous habituez-vous un peu à la maison, Madeleine ?

MADELEINE. Votre milieu m'effraye énor- mément.

RICHARD. Pourquoi ?

MADELEINE. Je ne sais... je suis mal à l'aise. o. J'ai été élevée bourgeoisem_ent... Te- nez, cette femme qui rit si fort.. (Elle montre Colette dans un coin avec Louis Sou- hrian.) sdn rire m'inquiète, me trouble, vous n'avez pas idée !

RICHARD, La petite de Villedieu?... Elle n'est pas terrible.

MADELEINE. J'ai besoîn d'être rassurée.

RICHARD. N'ayez pas peur; je suis là... Alors si popotte?... Tant mieux. Je voudrais une femme très popotte.

MADELEINE - Oli ! bien! moi..

RICHARD. Vous fcrcz dos confitures à votre mari ?

MADELEINE. S'il me les demande.

RICHARD. Il vous Jes demandera., en- tendu. Nous avons des goûts très pareils, c'est attendrissant.

MADELEINE. Ccst CUnuyCUX.

RICHARD. Pourquoi?

MADELEINE. Parcc quc si nous nous Aper- cevons que nous sommes faits l'un pour l'au- tsre et si nous en restons là, ce sera pour éprouver des regrets considérables.

RICHARD. Allons donc ! je connais une personne qui était tout à fait persuadée que

Maman Colibri

'7

j'étais indispensable à sf>n bonheur à venir.,. Eili bien, maintenant elle est très heuireuse avec uai monsieur très différent.

MADELEINE. Il cst pcut-ètre mieu:: que vous...

RICHARD. 11 est très bien. C'est ur juge Buppléaait au parquet de Limoux ; ainsi, vous voyez !

MADELEiN-E. Merci, au moins vous êtes encourageant.

MADAME cHADEAux, qu i est desceudiu \ Madeleine ?

MADELEINE. Maman .^

Richard remonte au fond et va parler à la vieille marquise de Saint- Puy et Lignières.

MADAME CHADEAUX, huS . Quaud tu VOU--

dras pajrtir...

MADELEINE. Non, j'ai encore à causer.

MADAME CHADEAUX. Il te plaît?

M.vDELEiNE. Je ne sais pas. v MADAME CHADEAUX. Il n'est pas iiicoiive- nant avec toi, au moins?... M.\DELEiNE. Oh! maman...

MADAME CHADEAUX. Sait-OU ! Ils SCUt

tellement hurluberlus dans cette famille... Cette mère...

MADELEINE, hos. La voilà.

IRÈNE. Comme elle est jolie votre Made- lon... Et l'air si bon, si droit...

LOUIS. Et si gai!

MADAME CHADEAUX. C'est unc enfant.

LOUIS. Oh! quelle mauvaise raison! Ainsi, moi. depuis l'âge de dix-sept ans, je suis mélancolique, sombre, taciturne...

IRÈNE, riant. Ne désespérez pas, jeune homme, la jeunesse vient avec l'âge!... {Ga- minement à la marquise de Saint-Puy qui s'approche.) X'est-oe pas, marquise?

LA MARQUISE. Je n'ai pas entendu... Je suis un peu distraite, vous le savez.

LIGNIÈRES. Je crois bien ! elle est soui'de comme un pot.

rRÈNE. Je demandais à quelle œuvre nouvelle vous vous intéressez en ce moment? Car madame de Saint-Puy est celle qui a ou- vert les portes de son hôtel seigneurial, à 50 centimes, au bénéfice des blessés des Balkans... Elle est la charité intrépide. {Ele- vant la voix.) Dites-nous à quelle œuvre vous apportez vos soins.

LA MARQUISE. J'ouvTe Une souscription mondaine pour le buste de Camoëns.

LOUIS. Ah ! excellente idée !

LIGNIÈRES. Le besoin s'en faisait sentir depuis quelques années.

LOUIS. Je me demandais : qu'est>ce qui me manque donc?... C'était le buste de Ca- moëns.

IRÈNE, has. Ne vous moquez pas trop d'elle. D'abord, elle pourrait vous entendre...

LOUIS. On ne sait jamais!

IRÈNE, même jeu. Et puis elle est si brave personne !

Un domestique est entré, il s*approche d'Irène.

LE DOMESTIQUE. Une femme de chambra vient d'apporter cette lettre, en priant de la remettre immédiatement à madame ; c'est très pressé.

IRÈNE. Y a-t'il une réponse? * ^

LE DOMiiSTiQUE. femme -le cbL-mbrt est repartie de suite.

IRÈNE. Bien. (Aux autres.) Vous per- mettez?.. [Le domestique sot-: Irène s'éloi- gne un peu pour lire la lettre. Elle pousse une exclamation.) Oh! (En se retournant vers

RICHARD. Vous habituez-vous un peu a la MAISON. Madeleine?

Bichard, qui a repris au fond son aparté avec la jeune Aladeleine.) Richard!

RICHARD, descendant. Quoi?

IRÈNE, à r écart, avec Richard. - C'est trop fort! Une lettre de chantage, adressée à moi, menaçant, si tu te maries, de faire rom- pre ton mariage. Et dans quels termes! J'en suis malade. Quel toupet! Et portée à domi- cile encore !

RICHARD. Mais de qui, sapristi !

IRÈNE. De ta Nichette, parbleu i

RICHARD. Impossible.

IRÈNE C'est signé.

RICHARD, En effet! (Il lit) Une ano- nyme : Nichette de JSUinteuil... La grue'

IRÈNE. Je te l'ai toujours dit que c'était une femme dangereuse, qu'elle te ferait avoir des ennuis... Qui a toujours raison?

i8

Mariiaii Colibri

RICHARD. Ah ! la grue des grues !

IRÈNE. Et elle est capable d'en\ oyer des lettres de ce genre à M"^^ Chadeaux. Cela promet ! Si tu tiens un tant soit peu à entrer dajis cette famille !

RICHARD. Quand je venais juste de lui acheter un bijou de cent louis. Je l'ai dans ma poche.

IRÈNE. C'est oe qui s'appelle du flair...

RICHARD, sortent, penaud, Vécrir. de sa poche. Levoild! Que vais-je en faire main- tena-nt ?

IRÈNE, riant. Tu le mettras dans la cor- beille de mariage de ta fiancée; ce sera ton premier cadeau.

RICHARD. C'est une idée... mais je ne peux pas. J'ai fait inscrire des dates... oui, des dates qui... enfin...

IRÈNE. Des dates? Fais voir... (Elle ins- pecte le hijou.) !"■ juin 1903-15 mai 1904... On dirait un règne... 15 mai? Ah! bon! je comprends... L'abdication!... Mon pauvre ami ! tu t'étais trop avancé.

RICHARD. Te fiche pas de moi ! Ah ! la grue !

IRÈNE. Voilà déjà trois fois que tu le constates; tu aurais pu le faire plus tôt.

RICHARD. Elle ignore à quoi elle s'ex- pose. La répoEre ne va pas se faire atten- dre... Dès oe soir...

IRÈNE. Fais attention ; on t'épie.

RICHARD. Je vais prendre conseil de Soubrian et de Lignières. Ils vont m'aider !

IRÈNE. Et n'agis pas à la légère. Pour î'instajit, je te prie de faire attention. Qu'o«i ne t'entende pas ! Rien n'est grave là-deda«ns, seulement Chadeaux mère semble un peu... bégueule... au point même de me taper sur les nerfs, et je te conseille d'étouffer le son de votre voix.

RICHARD. Nous allons délibérer à côté.

IRÈNE. Ferme la porte surtout.

RICHARD, appelant ses amis. Lignières... Soubrian...

Richard leur dit un mot à voix basse et les en- traîne dans le grand salon.

COLETTE. Quoi? quoi?... Ils nous pla/- quent encore?... Délicieux jeunes gens!

La porte se referme.

SCÈNE YIII

IRENE, COLETTE, MADAME CHA- DEAUX, MADELEINE, LA MARQUISE

IRÈNE, vivement. Une minute. Un petit Becret à se dire...

COLETTE. Que nous ne pouvons pas sa- voir et que toi tu sais.

IKÈNE. Parbleu!

MADAME CHADEAUX. AloTS, VOUS êtvjd,

madame, la confidente de vos enfa^nts?

IRÈNE. Je suis leur meilleur camara-de.

COLETTE. Leur grand copain.

IRÈNE. Voilà. Elle l'a dit.

MADAME CHADEAUX. Le souvcnir que vous êtes aussi leur mère doit bien vous gêner quelquefois.

IRÈNE. Mon Dieu, madame, je crois que j'ai été une excellente mère. On n'en aurait pas trouvé de meilleure, pas Colette?...

COLETTE. Ça, tur as été exemplaire. Tu as passé tes plus belles années à leur enlever l'encre des doigts et à corriger leur arithmé- tique.

IRÈNE. Maintenant que mes bambins sont devenus de beaux grands garçons, du moins l'un, j'estime que c'est bien un peu à leur tour de m'amuser ; il s'est trouvé que leur mère n'était pas d'âge trop affligeant ils en ont fait leur camarade et leur amie.

COLETTE. Et vous VOUS entendez bien, vous trois!...

IRÈNE. Le souvenir de maman ne s'ef- face pas, j'eepère, pour eux... ils ont eu robligeance d'y ajouter Colibri.

MADAME CHADEAUX, pincce. Vous rattra- pez le temps perdu.

IRÈNE. La vie est belle.

MADAME CHADEAUX. Aiusi VOUS rccevez leurs confidences de jeunes hommes ?

IRÈNE. J'y mets le plus de tact pos- sible.

MADAME CHADEAUX. Et ils VOUS disent tout?

IRÈNE. Je ne suis pas leur confesseur; je ne suis que lei^r amie.

MADAME CHADEAUX. Madeleine, veux-tu jouer du piano, mon enfant?

Madeleine s'éloigne, sur cet ordre, et va s'as- seoir au piano.

iRÈKE, has à Colette. Oh! mais... elle abuse!...

MADAME CHADEAUX, intentionnellement . Cette camaraderie avec ses risques et périls s'explique parce que c'est ici une înaison sans fille... et ça se sent ! S'il y en avait une, ah, comme tout serait changé ! Vous auriez eu à protéger sa pudeur, sa délicatesse, vous auriez été obligée à plus de retenue.

IRÈNE. Avec des garçons la vie est plus franche ! Alors je bénis le ciel de ne m'avoir pas donné de fille, rien qu'à la pensée, en effet, de l'éducation qu'il eût fallu lui in- culquer, à la pauvre petite ! toute cette ennuyeuse mise en scène dont se compose la jeunesse de nos filles, jusqu'à leur déli- vrance...

COLETTE. Seigneur!... Qu'entends-tu par la délivrance d'une jeune fille?...

IRÈNE. Mais cette cérémonie de Zoulous qu'on appelle la journée du mariage.

MADAME CHADEAUX. Madeleine, joue plus fort, mon enfant!

•«^sSSjëJgy

-... ,^ w.w.^ ,-..^i^<.-;t., ......^ ii^'--' -'iir

Colette. OhI en

EFFET, voyez!,.

2Q

Maman Colibri

ne craignez rien ; moi, je

IRÈXE. Oh parie bas.

COLETTE, à Madeleine, en regardant Irène. La prière d'une vierge, mademoiselle.

MADAME CHADEAUX, reprenant avec insis- tance. — P&rmett-ez-moi de m'étonner que vous traitiez cérémoiiie de Zoulous l'insti*-

GEORGET. Quoi? Q^-'est-ge que G*bst ?.,.

taition la pl^s noble et la pins sacrée Et peut-on savoir, dii moioi-s^ à quoi voïfô dev«z un aussi sau^'iage souv^nÏT ? . . .

iRBNB. ^- VoHs y t'eniez?... Oli ! le jour, oa allait encorde! ÏLe t^olnr-bohiu , les poignées de main, lès fétici'tataons , passe!... mais le soir, ' .ie P 'avais pais dix--sept aïns, on m'a mariée orpheline, vous le .savez, lorsque me fut ré^-^lé soir-là ce que tous mes amis étaient officiellement invités à penser de moi, j'ai été remplie d'une confusion indicible!... En une seconde, j'ai revu, fixés sur moi, les yeux de mes ta-ntes, de mes cousins, du petit Frédéric ;^ surtout, si farceur I... Je les devinais en t^i-ain

de se représenter la scène intime à laquelle la société les conviait, et j'éprouvais dans mon âme quelque chose qui ressemblait à de la rage ou de la honte, je ne sais plus, mai» que les regards bêtes ou ironiques du lende- main ne furent pas pour atténuer!... Et j'ai compris et excusé, ce jour-là, le tact et la pudeur qui poussent, évidemment, certaines jeunes filles à choisir un amant non garanti par le gouvernement:

LA MARQUISE» Bravo !

COLETTE. Tiens, elle a entendu.

MADAME CHADBAux. Savez- %^us ce que prouve votre petite histoire, madame.^ tout simplement que vous n'aimiez pas votre mari.

iRSNfi. Sapristi ! c'est que je ne me sou- viens pkis tî^ bien... Il y a longtemps!... Mais je vevLisi ajouter, au cas oiî vous seriez en pfeine pour mes sentiments, madame, quie mon mari, quoique très occupé, se trouvait êti'e un excellent homme, qui m'a rendue heure^use, et ces vingt ans de ôdélit-é m'ont paru un jour... Et délivrons, je vous en prie, cette pauvre Madeleine... c'est absolument ridicule! Madoleifie, venez it;i..i Voulez-vous servir le thé avec Colette ?

COLETTE, bas à Irène. Il était temps. La prière d'une vierg'e devenait plus ardente.

l'RïîNE, minable, à Mudehine . C'est très joli ce que vous jouiez. (^lu domestique qui est entré avec le thé.) François, qm a sonaé, il y a un instant?

LE DOMfcSTiQUE. M. de Chambry, ma- dame.

cotETi'K, à Irèn-e, en passant le tiié. Tu es peut-être allée un peu loin avec M/"^ Chadeaux. Ces alhi-iions au mariage- et ces coups droits à sa Mie!...

IRÈNK. Tant pis, ellie m'agaçait avec ses pointes. Il faut qu'elle sache quelle belle-mère je sei*ai. Nous ne coudrons pas ensemble des bretelles pour rœu\i>e des petite Bretoois !

COLETTE. Je pen.se qu'elle a renoncé à cet espoir.

IRENE. D'abord elle est trop vieille pour une beMe-mère, c'est dégoûtant. {Pirouettant sur ses talons^.) Personne ne veut de mon thé, alors?

LA MARQUISE, elaifi'S un sil^nm, continuant à Gowven-ser a'nec 3/™*" Cha^leaux. Ohl les enfants^ voilà la joie de notre crépus- cule l. . .

Depuis quelques instants, coût en parlant, Irène se retourne souvent vers la porte du salon ; à- travers les vitraux opaques et lumineux on voit l'ombre de quelqu'un qui s'y est appuyé.

COLETTE, à Irène. Qu'est-ce que tu as? Tu es ennuyée ?

IRENE. Moi ? pas du tout,

COLETTE, suivant ses yeux. Que regar- des-tu derrière, tout le temps? (Elle se re^ tourne à son tour.) Oh! en effet, voyez!...

LA MARQUISE. Quoi?... Oh! ouij cette

Maman Colibri

31

ombre chinoise!... On ferait ça en peinture, on ne le croirait pas.

L'ombre se dessine, en effet, nettement, en un profil q-.ii bouge de temps en temps, s'efface ou se précise.

IRÈNE. C'est le grand lustre. Comme il éclaire beaucoup, cela fait, quand on passe déviant, une vraie projection sur les vitraux Tiffany, comme sur une vitre dépolie.

COLETTE. Surtout que '3elui qui s'appuie est tout contre... Il fume son cigare...

MADELEINE. Qui cst-ce ? Ce n'est pas M. Ricihaird, ni M. Soubrian ;' il a le nez plus long, M. Soubrian.

IRÈNE. Je or ois que c'est Georges de Ohambry, l'ami intime de mes enfants ; il devait venir rejoindre ses camarades et sera entré dareotemenît au salon.

MADAME cHAi>EAiTx. Ah! le petit Geor- get...

IRÈNE. Vous l'avez déjà vu ici, je crois...

MADAME CHADEAUX, Oui... oui,,. uu geu- dl garçon... Et d'excellente famille, n'est-ce .pas ?

IRÈNE. Oui... très chic. Sa mère est une Dangreville.

COLETTE. On prendrait un crayon, on le dessinerait de profil admirablement...

IRÈNE. Attendez, je vais cogner à la vitre.

Irène s'approche des vitraux et toque avec le doigt.

MADELEINE. Ah! il s'est retourné!

La porte s'entr'ouvre, un jeune homme passe la tête. C'est Georges de Chambry.

GEORGET. Quoi? Qu'est-ce que c'est?... [Apercevant Irène.) Bonjour, madame. [Fuis les mitres.) Oh! mesdames!

liA MARQUISE. Eutrcz douc, vicomte!

SCENE iX

Les MÊME8. GEORGET, puis RICHARD et LIGNIERES

Georget s'avance en laissant la porte ouverte, et vient serrer les mains à l'avant-scène.

LA MARQUISE. Nous regardions l'ombro que vous faisiez sur la vitre. C'était extraor- diinaire.

GEORGET, se vetournant, sans bien com- prendre. — Ah! oui... là... Je devais avoir Tair idiot I

COLETTE. Eh bien, c'est fini votre petit complot?

RICHARD. Fini, fini.

IRÈNE. Qu'est devenu Soubrian? Vous l'avez invalidé ?... Et Paulot.

RICHARD. Soubrian avait un rendez- vous, et Paulot est allé finir son devoir d'his- toire dans sa chambre.

MADAME CHADEAUX, Se levant. Nous vous attendions pour prendre congé..

IRÈNE. Déjà !

MAj>AME CHADEAUX. Madeleine a un cours demain matin de bonne heure.

MADELEINE, à lUchard, en passant. Vous n'avez pas été gentil pour moi, ce .soir.

RICHARD. Je vous demande pardon. Des affaires pressées. Mais, si vous le permettez, je vais vous mettre à votre porte.

IRÈNE, de loin, à Bichard. Richard? Tu accompagnes madame ChadeamXc

MADAME CHADEAUX. Oh ! ce n'est pas la peine.

MADELEINE. Mamaii, nous allons aller à pied ; c'est si près.

IRÈNE, à la marquise. Madame Cha- deaux habite rue Margueritte, à deux par (Prenant à part Richard, pendant que les Chadeaux se préparent.) Eh bien?

RICHARD. Eh bien, je viens d'arranger quelque chose avec Soubrian. 11 va d'abord âlleT la trouver aux Variétés elle devait passer la soirée .avec des amis. Moi, j'irai chez elle directement, et je serai net.

IRÈNE Modère-toi, surtout. Pas de bê- tises, [A Georget qui se rapproche.) Vous êtes au courantj Georget?

GEORGET. Oui, OUi .

IRÈNE. Hein? Qu'est-ce que j'avaie tou- jours dit? Cette femme !..=

GEORGET, à Richard Et du calme, mon vieux. Souviens-toi qu'on ne doit pas battire une femme, même avec sa canne.

IRÈNE, à Georget. Vous, restez. Vous n'allez pas me laisser seule avec la Saint-Puy.

GEORGET, Bon... J'ai tous les dévoue- ments.

RICHARD, aux Chadeaux Vous êtes prêtes?..,

MADELEINE. Mon éventail?*

Sa mère le lui passe.

MADAME CHADEAUX. ^ Ah! mou enfant, si oe mariage se fait, c'est bien pour toi.

MADELEINE, Dame! ce n'est pas pour toi maman.

RICHARD. Lignières, tu descends avec moi ?

LIGNIÈRES. Naturellement

IRÈNE, les accompagnant tous à gauche, Au revoir, mon petit Madelon,

Sortent M"* Chadeaux, Madeleine, Richard, Li-

çcnières.

Biebard et Lignières entrent en causant.

22

Maman Colibri

11

SCENE X

IRENE, GEOEGET, et COLETTE, LA MARQUISE

IRÈNE, hrvsquemenf, à Georget. Causez littérature avec la marquise.

GEORGET. De qui, de Balzac? IRÈNE. De qui vous voudrez...

Elle va à Colette, pendant que Georget se dirige vers la marquise.

IRÈNE. Et toi, mon petit coco, il faut t'en aller....

COLETTE, interloqvce. Ah! bon. bon.

IRÈNE. Je te dirai pourquoi demain. ^ COLETTE. Oh! qu'à cela ne tienne!...

IRÈNE. Mais attends uiie minute, que les autres soient partis.

COLETTE. Compris.

IRÈNE, se retournant, à Georget. Tenez, montrez donc à la marquise ces reliures qui sont sur le piano. (A la marquise.) Vous qui êtes amateur, elles vous intéresseront.

COLETTE, à Irène. Pauvre marquise! Il faut la ménager. C'est un utile chaperon.

IRÈNE. Dis-donc! Pas pour moi.

COLETTE. Je sais... mais il ne faut jurer de rien, n'est-ce pas? Pauvre marquise! quand elle s'en ira de ce monde, en sera-t-il passé sur sa tête, dans Tombre d'une bai- gnoire ou d'un thé élégant, des baisers, des soupirs qu'elle n'aura pas entendus, en sera- t-il né, sans qu'elle en ait rien su, de ces amours sérieux ou passagers qu'elle aura si doucement obligés de ses bons yeux endormis et délicats... Bonne vieille, que la mort lui soit légère !

IRÈNE. Tu es gaie, ce soir. Ecoute, de- main je t'expliquerai...

COLETTE. A quoi bon?...

IRÈNE. Cinq heures, demain?

COLETTE, disparaissant à r anglaise. Si tu veux.

SCENE XI

IREXE, LA M.1RQUISE, GEORGET

IRÈNE, redescendant. De quoi parliez- vous?

GEORGET. De Balzac.

IRÈNE. Ah! Balzac!

LA M.^RQUiSE. N'cst-cc pas ? il ne vieillit jamais.

IRÈNE. C'est-à-dire que je ne sais pas comment il fait!

Georget, dans le dos de la marquise, esquisse ^ pour Irène une vive pantomime d'impatience.

GEORGET, gamin, à voix basse. GIi ! la, barbe!

IRÈNE, avec un geste sec de révenlail. Chut!... (A la viarquise.) 11 y a aussi Bour- get... n'est-ce pas marquise?

LA MARQUISE, d'vîic VOIX profoudc. Ah î nous autres femmes, il nous vilipende, mais nous l'adorons.

Georget et Irène ont un même mouvement d'ad- miration pour cette exclamation.

IRÈNE, bas en riant. Oh! il nous vili- pende !

GEORGET, même jeu. Ma chère I...

GEORGET. Admirfz cette finisse...

IRÈNE, haut Vous regardiez cette édi- tion italienne... C'est en galuchat; c'est très rare.

GEORGET, précipitamment . Examinez cette gravure-là.

Il lui pose le livre sur les genoux..

LA MARQi;iSE. Je l'ai déjà ^~ue.

GEORGET. Pas asscz, pas assez... tenez... (Il se met derrière la chaise de la marquise et se penche en avant. D^vne main, il montre la gravure. De Vautre, sans que la marquise puisse le voir, il a atteint Irène, toute pro- che, et lui caresse longuement, autoritaire- ment, la nuque et les épaules, sans que celle- 2i esquisse le moindre geste de protestation^ comme si elle était habituée dès longtemps à cette caresse et s^y soumettait 'naturelle- ment.) Admirez cette finesse... C'est d'ua

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^*ii-

Maman Colibri

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burin... «uh! quel burin!... c'est doux... c'est doux...

La main de Georget se promène sur les épaules et les bras d'Irène.

LA MARQUISE, pencliée sur le livre. Une

caresse

GEORGET.

Je vous crois!

Georget, gar a, essaye, tout d'un coup, d'enle- ver le peigne des cheveux d'Irène.

IRÈNE, se dégageant, à voix étouffée. Non, non! que c'est bête!...

GEORGET, vivement, à lo marquise qui al- lait lever le nez. Et puis vous voyez, là, le galuchat.

LA MARQUISE. Qu'est-co quc le galuoha.t, en somme ?

GEORGET. En somme, oui... en somme?

IRÈNE. C'est un petit poisson.

GEORGET. Qui va dans l'eau... vert et bleu.

LA MARQUISE. Mais nou, je crois que c'est un reiqiiin.

GEORGET. C'est uu petit poisson qui est un requin... voilà!

Irène est tout à coup prise d'un fou rire, stupide et irrésistible, elle est obligée de s'éloigner, en pouffant dans son mouchoir.

LA MARQUISE, à Irène. Qu'avez-vous, chère amie ?

IRÈNE, (h dos, au fond, la voix étran- glée. — Rien... ce n'est rien... un peu de hoquet...

GEORGET, se vthprdant les lèvres, et pour détourner Vat^ention de la marquise. Ma- dame de Rysbergue adore les éditions cu- rieuses.

LA MARQuisn. Mou lîôtel en est plein. Et vous?

GEORGET. Oh! moi aussi... seulement je n'y connais rie^n.

IRÈNE, redescendant, calmée; à Georget, sévèrement. Assez... assez... asseyez-vous! (Haut à Georget qui ne veut pas.) Je vous prie de vous asseoir, monsieur de Cham- bry.

Maintenant, ils sont assis, très sages, tous les trois en rond.

GEORGET, après un long silence. Avez- Tous remarqué comme le printemps est long à venir cet hiver ?

LA MARQUISE. Ail ! Ics saisous sont telle- ment troublées, depuis quelque temps.

GEORGET, parlant très vite tout à coup et sur un ton très naturellement mondain. Cest-à-dire qu'on ne sait plus quel est le printemps, quel est l'hiver. Je t'aime.

IRÈNE, même jeu. N'est-ce pas? positi- vement! Moi aussi.

GEORGET, de plus en plus vite. Cest à ne

plus vous faire croire qu'il y a un Dieu!... Disons plus rien. ,

IRÈNE, même jeu. Et le printemps est si divin!... Ça la fera...

GEORGET, même jeu. Absolument... par- tir.

LA MARQUISE, le sourlre pâmé. Mais le printemps n'est vraiment agréable qu'en Italie!... (Personne ne lui répond plus. Son bon œil si doux s'en étonne d'abord, puis les ayant regardés, elle dit) : Je bavarde, je bavarde... et vous retiens jusqu'à des heures indues.

IRÈNE, sans conviction. Pas le moins du monde.

LA MARQUISE. Quelle heure peu/t^il bien et re ?

IRÈNE. Quelle heure, Georget?

GEORGET, regardant sa montre. Onae heures et demie !

IRÈNE, à la marquise. Il n'est que mi- nuit trente-cinq.

LA MARQUISE, Se levant précipitamment . Minuit trente-cinq! c'est effrayant... mes efhevaux doivent attendre depuis une heure... J'a-vais commaaidé la voiture pour onze heures. Au revoir, monsieur. Quand vous passerez de mon côté...

GEORGET. Infiniment aimable!

LA MARQUISE, à Irène qui la conduit. Ne me raccompagnez pas, chère amie, je vous en prie.

IRÈNE. Comment donc!

LA MARQUISE. 11 est charmant, ce gar- çon. Et bien élevé]

Elles sortent toutes deux. Une seconde Georget reste seul.

SCÈNE XII

GEORGET, puis IRENE Irène rentre. Elle arrête Georget d'un geste.

IRÈNE. Non ! non ! je suis furieuse. Va- t'en. Tu es d'une imprudence folle.

GEORGET. Ce n'est pas vrai. Je suis très habile.

IRÈNE. Va-t-en ! va-t-en ! je frémis à chaque instant, à cause des enfants!... Fais attention, je t'en supplie... S'ils s'aperce- vaient de quelque chose !

GEORGET. Allons donc ! je manœuvre très habilement ; c'est toi qui grondes et c'est toi la plus imprudente. (// tire de sa poche un petit portefeuille.) Tu avais oublié ça chez nous, à cinq heures... avec tes cartes dedans. Le concierge pourrait très bien fouil- ler et voir ton nom.

IRÈNE. Vrai?... oh! crois-tu? (Elle prend le portefeuille.) Mais toi, de ton côté,

m «F «cr

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Maman Colibri

SCENE X

IRENE, GEORGET, et COLETTE, LA MARQUISE

IRÈNE, brusquement, à Georget. Causez littérature avec la uia.rquise.

GEORGET. De qui, de Balzac? IRÈNE. De qui vous voudrez...

Elle va à Colette, pendant que Georget se dirige vers la marquise.

IRÈN'E. Et toi, mon petit coco, il faut t'en aller....

COLETTE, interloquée. Ah! bon. bon.

IRÈNE. Je te dirai pourquoi demain. '' COLETTE. Oh! qu'à cela ne tienne!...

IRÈNE. Mais attends une minute, que les autres soient partis.

COLETTE. Compris.

IRÈNE, se retournant, à Georget. Tenez, montrez donc à la mai*quise ces reliures qui sont sur le piano. (A la marquise.) Vous qui êtes amateur, elles vous intéresseront.

COLETTE, à Irène. Pauvre mairquise! Il faut la ménager. C'est un utile chaperon.

IRÈNE. Dis-donc! Pas pour moi.

COLETTE. Je sais... mais il ne faut jurei" de rien, n'est-ce pas? Pauvre marquise! quand elle s'en ira de ce monde, en sera-t-il pa,ssé sur sa tête, dans l'ombre d'une bai- gnoire ou d'un thé élégant, des baisers, des soupirs qu'elle n'aura pas entendus, e'n sera^ t-il né, sans qu'elle en ait rien su, de ces amours sérieux ou passagers qu'elle aura si doucement obligés de ses bons yeux endormis et délicats... Bonne vieille, que la mort lui soit légère !

IRÈNE. Tu es gaie, ce soir. Ecoute, do- main je t'expliquerai...

COLETTE. A quoi bon?...

IRÈNE. Cinq heures, demain ?

COLETTE, disparaissant à l'anglaise. Si tu veux.

SCENE XI

IRENE, LA MARQUISE, GEORGET

IRÈNE, redescendant. De quoi parliez- vous?

GEORGET. De Balzac.

IRÈNE. Ah! Balzac!

LA MARQUISE. N'cst-ce pas ? il ne vieillit jamais.

IRÈNE. C'est-à-dire que je ne sais pas comment il fait!

Georget, dans le dos de la marquise, esquisse ^ pour Irène une vive pantomime d'impatience.

GEORGET, gamin, à voix basse. Gli ! la. barbe !

IRÈNE, avec un geste sec de Vévenïail. . Chut!... (A la marquise.) U y a aussi Bour- get... n'est-ce pas marquise?

LA MARQUISE, d'une voix profonde. Ahî nous autres femmes, il noms vilipende, mais nous l'adorons.

Georget et Irène ont un même mouvement d'ad- miration pour cette exclamation.

IRÈNE, bas en riant. Oh! il nous vili- pende !

GEORGET, même jeu. Ma chère I...

GEORGET.

AdMIRFZ CETTE FINESSE.

IRÈN'E, haut Vous regardiez cette édi- tion italienne... Cest en galuchat; c'est très- rare.

GEORGET, précipitamment. Examinez- cette gravure-là.

Il lui pose le livre sur les genoux..

LA MARQUISE. Je l'ai déjà vue.

GEORGET. Pas assez, pas assez... tenez... (Il se met derrière la chaise de la marquise et se penche en avant. D'une main, il montre la gravure. De Vautre, sons que la marquise puisse le voir, il a atteint Irène, toute pro» che, et lui caresse longuement, autoritaire' ment, la nuque et les épaules, sans que celle- 21 esquisse le moindre geste de protestation^ comme si elle était habituée dès longtemps à cette caresse et s'y soumettait naturelle- ment.) Admirez cette finesse... C'est d'un

Maman Colibri

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burin... «uh! quel burin 1... c'est doux... c'est doux...

La main de Georget se promène sur les épaules et les bras d'Irène.

LA MARQUISE, pencliée sur le Livre. Une caresse !

GEORGET. Je vous crois !

Georget, gar n, essaye, tout d'un coup, d'enle- ver le peigne des cheveux d'Irène.

IRÈNE, se dégageant, à voix étouffée. Non, non! que c'est bête!...

GEORGET, vivement, à la marquise qui al- lait lever le nez. Et puis vous voyez, là, le galuchat.

LA MARQUISE. Qu'cst-ce que le galuohat, en somme ?

GEORGET. En somme, oui... en somme?

IRÈNE. C'est un petit poisson.

GEORGET. Qui va daus l'eau... vert et bleu.

LA MARQUISE. Mals non, je crois que c'est un reiquin.

GEORGET. C'est un petit poisson qui est un requin... voilà!

Irène est tout à coup prise d'un fou rire, stupide et irrésistible, elle est obligée de s'éloigner, en pouffant dans son mouchoir.

LA MARQUISE, à Irène. Qu'avez-vous, chère amie ?

IRÈNE, de dos, au fond, la voix étran- glée. Rien... ce n'est rien... un peu de hoquet...

GEORGET, se miordant les lèvres, et pour détourner Vat^ention de la marquise. Ma- dame de Rysbdrgue adore les éditions cu- rieuses.

LA MARQuisn. Mou hôtol en est plein. Et vous?

GEORGET. Oh! moi aussi... seulement je n'y connais rieoii.

IRÈNE, redescendant, calmée; à Georget, sévèrement. Assez... assez... asseyez-vous! (Haut à Georget qui ne veut pas.) Je vous prie de vous asseoir, monsieur de Cham- bry.

Maintenant, ils sont assis, très sages, tous les trois en rond.

GEORGET, après un long silence. Avez- Tous remarqué comme le printemps est long à venir cet hiver?

LA MARQUISE. Ah ! les saisons sont telle- ment troublées, depuis quelque temps.

GEORGET, parlant très vite tout à coup et sur un ton très naturellement mondain. Cest^à-dire qu'on ne sait plus quel est le printemps^ quel est l'hiver. Je t'aime.

IRENE, même jeu. N'est-ce pas? positi- vement! Moi aussi.

GEORGET, de plus en plus vite. Cest à ae

plus vous faire croire qu'il y a un Dieu!.., Disons plus rien. ,

IRÈNE, même jeu. Et le printemps est si divin!... Ça la fera...

GEORGET, même jeu. Absolument... par- tir.

LA MARQUISE, le souvire pâmé. Mais le printemps n'est vraiment agréable qu'en Italie!... (Fer sonne ne lui répond plus. Son bon œil si doux s'en étonne d'abord, puis les ayant regardés, elle dit) : Je bavarde, je bavarde... et vous retiens jusqu'à des heures indues.

IRÈNE, sans conviction. Pas le moins du monde.

LA MARQUISE. Quelle heure peuit>il bien être ?

IRÈNE. Quelle heure, Georget?

GEORGET, regardant sa montre. Ona» heures et demie !

IRÈNE, à la marquise. Il n'est que mi- nuit trente-cinq.

LA MARQUISE, Se Icvout précipitamment . Minuit trente-cinq! c'est effrayant... mes <3heva.ux doivent attendre depuis une heure... J'avais commaindé la voiture pour onze heures. Au revoir, monsieur. Quand vous passerez de mon côté...

GEORGET. Infiniment aimable!

LA MARQUISE, à Irène qui la conduit. Ne me raccompagnez pas, chère amie, je vous en prie.

IRÈNE. Comment donc!

LA MARQUISE. Il est charmant, oe gar- çon. Et bien élevé!

Elles sortent toutes deux. Une seconde Georget reste seul.

SCÈNE XII

GEORGET, puis IRENE Irène rentre. Elle arrête Georget d'un geste.

IRÈNE. Non ! non ! je suis furieuse. Va- t'en. Tu es d'une imprudence folle.

GEORGET. Ce n'est pas vrai. Je suis très habile.

IRÈNE. Va-t-en ! va-t-en ! je frémis à chaque instant, à cause des enfants!... Fais attention, je t'en supplie... S'ils s'a.pero&- v^aient de quelque chose !

GEORGET. Allons donc ! je manœuvre très habilement; c'est toi qui grondes et c'est toi la plus imprudente. (//■ tire de sa poche un petit portefeuille.) Tu avais oublié ça chez nous, à cinq heures... avec tes cartes dedans. Le concierge pourrait très bien fouil- ler et voir ton nom.

IRÈWE. Vrai?... oh! crois-tu? [Elle prend le portefeuille.) Mais toi, de ton côté,

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Maman Colibri

jet'eai conjuras, rais bien attention à Richard, à Paulot...

GEORGET. Pas de danger. Mon petit m-a- nège est parfait; avoue. Je m'admire moi- même. Je mad'ohe dans les combinaisons du jeune Paulot, je me charge des courses de Richard, et je leur fais croire à tous deux que j'ai une première de magasin... qui va lâcher ses par«nts pour moi... D'aboixl tes fils ne me croiraient pas capable d'avoir une aventiia-e aussi importante.

lEÈXE. C'est vrai tout de même que c'est une chose considérable pour un garçon sans conséquence comme toi ! Qu'est-ce que tu as pensé quand tu t'es aperçu que je t'ai- mais?

GEORGET. -Ce que j'ai pensé?

IRÈNI-. Oui.

GEORGET. Je me suis dit : Je ne l'aurai jamais. C'est trop beau!... Je m'imaginais que, si je m'y mettais, il faudrait des années pour te conquérir.

IRÈNE. Tu as été heureux, hein ?

GEORGET. J'ai été surtout stupéfait.

ïRÈNE. Sale bête!

GEORGET. Mais c'est une impression qui a passé vite. Je m'y suis fait.

IRÈNE. Quand t'es-tu aperçu pour la première fois que je t'aimais? Tu ne me l'as jamais raconté.

GEORGET. Un jour, au tennis, chez les Dubreuil... Tu mje rega.rdais tout le temps... tu ratais toutes les balles... -

IRÈNE. Tu étais si joli ce jour-là!

GEORGET. Ne dis pas ça!... J'avais un rhume de cerveau terrible, un bouton de fiè- vre gros comme un gnon. J'étais furieux que tu m'aimes juste à ce moment-là.

IRÈNE.. C'est ce que les poètes appellent le premier émoi.

GEORGET. Je suis sincère.

IRÈNE. Je le vois bien. (Silence. Elle le regarde longuement dans ses yeux bleus. Puis, tant à coup, elle ponsse vn soupir.) Toai;t de même !

GEORGET. Quoi, toTit de mêmfe?

IRÈNT.. Rien! Tout de même... voilà tout!... Il y a. des minutes je me demande si je ne rêve pas. Toi, Georget, le Georget wes enfants, devenu, tout à coup, ainsi sans raison, mon amant... Mon amant! .'gongè, c'est-à-dire celui qui surpasse tout daiLs mon cœur... quelle effrayante chose!

oBioRGET. Ne regarde pas ainsi. Ça m'intirtiide. Il me semble que j'ai fait un maiheur.

IRÈNE. C'en est un! que tu as commis, •délibérément... C^en est un que de s'être •donné, corps et âme, à un enfant comme toi, qui tient désormais toute ma vie dans ses mains, tout : passé, avenir... C'est à ce ga- min que devaient alioutir mes années graves de mère de famille, d'épouse, mes devoirs, mes deuils, mes scrupules, mes illusions de moi-même... Si tu n'appelles pas cela un mal- heur, que "te faut-il ?

GEO'RG'ET. Mais c'cst agaçant, à la fin, cette conception que tu te fais de moi... Je suis un homme ! un homme à qui l'on peut se confier sans peur... Tu verras si je ne con- duis pas bien notre barque. Ah! ah !

IRÈNE. C'est peut-être vrai. Mais que veux-tu? il m'est difficile d'oublier que je t'ai vu collégien. Ça te nuit dans mon esprit.

GEORGET. Ça me déshonore.

IRÈNE. Tu te souviens, la première fois que je t'ai vu ? Richard m'avait demandé de te faire sortir, un dimanche, du lycée.

GEORGET. Ne parle pas de ça, ne parle pas de ça, je t'en supplie!

IRÈ:: Je te vois encore, gauche, un peu ridicule parfaitement. et bougon... Tu te rappelles quand je vous ai emmenés au bois de Vincennes, gamin que tout ennuie, maussade, regardant tomber les gouttes de pluie de ta visière en toile cirée... Tu faisais une si drôle de figure, dans ce dimanche fo- rain de soldats, de guinguettes, et de pelures d'orange !

GEORGET. Si tu ne m'avais pas connu petit, je n'aurais pas été le camarade de tes enfants, et si je n'avais pas été le ca...

IRÈNE, lui fourrant un honhon dans la bou- che. — Oui, La Palisse! Tiens, mange un bonbon.

GEORGET, bafouillant. Zut ! zut ! zut !

Elle l'embrasse doucement sur le front.

IRÈNTS. Et puis, mon chéri, qu'importe ! Que je t'aime pour telle ou telle raison, c'est que cela devait arriver ainsi... L'essentiel est que je t'aime... et infiniment encore!.. Je trouve cette sensation si délicieuse de ne penser qu'à tci tout le jour^ de haïr tout ce •qui me dérange de ta préoccupation. . C'est violent, silencieux et bien agréable !

GEORGET, avec conviction. N'est-ce pas?

IRÈNE. Tais-toi! tais-toi!

GEORGET. Qu'est-ce que j'ai dit?

ii.ÈNE Ne me fais pas souvenir de tes... aventures. . . gredin !

GEORGET, Ce n'est pas à elles que je fai- sais allusion.

IRÈNE C'est écœurant, tiens! Songer que tu as déjà un passé!...

GEORGET. Tu ne veux pas me croire quand je dis que c'est toi la gosse !

irèn::, vivement. Ne blague pas! Je t'apporterais peut-être à cette heure, comme les autres, un amour sans illusion, sans mys- tère et sans curiosité... Dans quelques années seulement, tu apprécieras... trop tard... et alors ce sera avec regret et tristesse...

GEORGET. Mais commeiit se peut-il qu€ tu n'aies jamais aimé?... Au fait, c'est bête ce que je demande là.

IRÈNE. Non, ce n'est pas bête. Je me le suis demandé moi-même si souvent ! Mariée tout enfant à un mari qui ne m'épousa que pouj" fonder une famille et unir sa race belge à du joli sang français, j'ai poussé... Et les

Maman Colibri

25

hommes ne me troublaient pas. Je me suis habituée jeune à leur danger... Leur gaîté me plaisait, leur compagnie m'amusait... mais je les ai vus toujours saais mystère et leur présence ne m'a jamais fait rougir. On n'explique pas ces choses-là.

GEORGET. Ça ne te tardait pas? IRÈNE. Que si! Seulement à la fin j'y avais renoncé et je n'y pensais plus... Dame ! C'est comme quand jo croyais que je n'aurais jamais ma voiture à moi : je n'en avais pas •envie.

GEORGET. Heureusement que je devais venir... Bibi était là.

IRÈNE. Dieu que tu es stupide, mon pauvre ami!... Et puis non, tiens, j'adore quand tu es radieusement bête comme ça!... que toute ta jeunesse éclate d'un bon gros rire qui ne peut pas tenir en place...

GEORGET. Chez moi on me trouve triste eoonme un bonnet de nuit.

IRÈNE. Eh bien, tu es. méconnu chez toi, voilà tout... Ah! non, que" je ne te reproche pas tes vingt et un ans!... Sois jeune... sois jeune, aussi longtemps que ti; pourras.

GEORGET. Ça ne se commande pas.

IRÈNE. Tu crois?

GEORGET. ^Dame!

IRÈNE. Cest lugubre ce que tu dis là.

GEORGET, haussant les épaules. Oh! pourquoi .P Toi qui es toujours si jolie, si jeune!...

IRÈNE. ^ Il y a de quoi mourir de tristesse d'entendre un amant qui vous dit : (( Tu es si jeune!... » Ah! la jeunesse, vois-tu, quand passe dans la conversation ce mot-là, je fré- mis de tout moi... C'est le plus beau mot de la vie.

GEORGET. Pour les uns, c'est l'amour; pour les autres, c'est patrie, et ainsi de suite... Le plus beau mot de la vie varie selon les gens.

IRÈNE. Pour les femmes, c'est toujours jeunesse. Ahl gredin, qui £.& ce trésor-là dans les yeux et qui ne le sais pas!

GEORGET. C'est un refrain chez toi, cette idée.

IRÈNE. Mais c'est aussi le refrain qui aocompagne ta beauté, petit malheureux!... Quand tu arrives dans la maison, c'est comme du printemps, c'est comme quelqu'un qui ap- porte des fleurs... Quand je te regarde par le balcon, en bas, tu fais sur le trottoir comme une tache claire et lumineuse...

GEORGET. Je suis oommc un peni de ra- dium, quoi !

IRÈNE. Ce n'est pas si idiot que tu le crois ce que tu dis là.

GEORGET. Colibri, va! On ne peut pas être plus exquise que toi.

IRÈNE. Mais on peut être plus jolie... <î'est embêtant.

GEORGET. Non, OU ne peut pas.

IRÈNE. Si, on peut.. Au moins, je vou- diTiais savoir si je suis seulement jolie.

GEORGET, avec autorité. Tu l'es.

IRÈNE. Ce n'est pas sûr.

uEORGET. Si, puisque je te le dis.

IRÈNE. Je n'ai pas confiance en toi... tlj es partial.

GEORGET. Que t'importe alors, si moi je te trouve belle.

IRÈNE. Il n'y a que le.s femmes qui n'ai- ment p^s beaucoup qui se satisfont de cette illusion!... Est-ce que tu m'imagines quand j'avais vingt ans? J'étais rudement bien alors!... Quel dommage!... Pense, imagine un peu, comme je devais être à vingt ans !

GEORGET Moins bien.

mÈNE. Oui, La Palisse! Tiens, mange

UN BONBON.

IRÈNE. Tiens parbleu!... (Un temps.) Mais à part ça, j'étais très bien... Dire que tu ne m'auras pas connue à cette époque!... Quelle drôle de chose que de s'accrocher ainsi à un certain moment de la vie... et que tout le reste ce soit de l'ombre!... Imagine-moi... J'avais, tiens, l'ovale bien plus régulier... les tempes ont l'air de s'être allongées, vois- tu ? (E^/e se reprend vite, craintivement.) J'étais plus jolie, mais j'avais moins de ca- ractère.

GEORGET. Oui, je Comprends.

IRÈNE. , Comme ça change la figure!... Moi aussi, je voudrais savoir comment tu seras... pluis tard... bien plus tard... quand il y aura longtemps que tu ne m'aimeras plus... lorsque nous ne nous connaîtrons plu-Si.

GEORGET. Méchante !

IRÈNE. Chut! tais-toi... laisse-moi te

26

Maman Colibri

voir une seconde, en fermant les yeux... Ohut.

Elle met ses mains devant les yeux.

GEORGET, riant. Quelle enfant! IRÈNE. Pense aussi de ton côté moi... {Vivement.) Mais à rebours. GEORGET. Naturellement.

poui

Par complaisance, il fait la même chose qu'elle et met sa figure dans ses mains, mais il y a dans les deux poses la différence d'un qui n'y songe pas et de l'autre qui y songe. Un silence.

GEORGET, interrompant subitement en riant. Eh bien, tu es rudement mieux, maintenant, il n'y a pas de comparaison !

IRÈNE, avec élan. Tu me trouves un peu folle, pas?... 0 mon chéri, mon grand amour que je t'adore!

GEORGET. Pas plus quc je ne t'aime.

IRÈNE, Bien plus!... bien plus!... Mais qu'importe!... Ah! le bonheur seul de t'aimer me paye. Mon petit, mon petit, comme je te défendi-ais si on voulait te faire du chagrin dans la vie, si tu n'étais pas heureux!... Que je t'aime ! Il y a un vieux reste de maternité da-ns la passion que j'ai de toi... Qu'advien- dra-t-il de tout cela, mon Dieu, mon Dieu ? Et allons-nous?

"> GEORGET. Tu réfléchis trop, tout le temps... Qu'est-ce que ça tait!

IRÈNE. Petit, petit, mets ta tête la.

IRÈNE. Tu as raison. Laissons-nous em- porter... Ah! que ça dure ce que ça durera!... Flamber... Puis baste!... Petit, petit, mets ta tête là. Oh! te respirer comme les pre- mières violettes !

Elle l'attire contre son cœur.

GEORGET, dans nn murmure. Irène. IRÈNE. Tout à l'heure, quand ton ombre est apparue sur la vitre, positivement je l'ai

sentie là... dans le dos... elle m'attirait... je me retournais tout le temps inquiète... je n'étais plus à ce qu'on disait... je me suis, presque trahie, par amour d'elle... Ce n'était pas toi et c'était toi tout de même, cette om- bre, et quand j'ai été cogner dedans avec le doigt, j'ai eu l'impression de la toucher comme un oiseau... Et devant tout le monde^ instinctivement, par une irrésistible impul- sion, je m'en suis si fort approchée que j'ai senti le contact de la vitre, là, sur mes là- vires... J'avais baisé ton ombre sans le vou- loir.

GEORGET, à voix hosse. Je te veux ! je te veux!... Tes yeux!... si tu savais... tes yeux!...

Une grande lueur, pâle, dehors j. la fenêtre.

IRÈNE, sursautant. Oh ! tu n'as pas vu?... un éclair... J'ai eu peur.

GEORGET. C'est uu éclair de printemps, à l'horizon. Il ne pleut pas...

IRÈNE. Ferme la fenêtre. Il y a un souffle qui passe sur le boulevard... Tu en- tends les platanes qui se courbent?... Ferme. J'ai les épaules nues... et ce soir elles sont trop prêtes à frissonner... (Georget se penche sur ces épaules-là, et y pose les lèvres... Irènej. le repoussant, les yeux troublés, avec une voix suppliante.) Non, va-t'en... va-t'en... Ici je suis la mère, Georget, la mère... Et puis Paulot, Paulot au faitî^...

GEORGET. Il est daiîs sa chambre à tra- vailler.

IRÈNE. Va voir s'il y est encore.

GEORGET, Pourquoi ?

IRÈNE. Si, je veux... va t'assurer qu'il y est... je serai plus tranquille... (*.S'e levant.} Ah! puis, nous sommes fous... Désénervons- nous... pensons à autre chose... Passe-moi un, livre, tiens, n'importe lequel, celui-là. Va, va vite... je t'en supplie. {Georget sort rapi- dement, par le grand salon; on le voit dis- paraître. Irène lisant.) Tiens!... Colibri! {Elle se penche curieusement sur le livre.)

Un instant s'écoule ainsi. Puis on voit rentrer Georget... Il considère, de loin, au fond, Irène, qui ne l'entend pas rentrer... Et alors, tout doucement, sur la pointe des pieds, à pas de^ loup, il traverse la pièce et s'approche d'elle, par derrière, pour l'embrasser dans le cou A la porte de gauche, Richard vient d'apparaî- tre. Il s'est arrêté sur le seuil, et regarae son ami traverser de cette étrange façon le salon. Au moment il s'approche d'Irène, Georget, qui a entendre un bruit tourne la tête du côté de Richard et l'aperçoit. Interloqué, il reste la jambe pliée, dans une posture stupide et balancée.

GEORGET, s'efforçant d^être très naturel. C'est toi? {Souriant et montrant, bête- ment, du doigt le chemin parcouru.) J'allais faire peur à ta mère.

Maman Colibri

27

GE0R6ET. C'est toi ? J'allais faire peur a ta mère.

SCÈNE XIIJ

Les Mêmes, RICHARD

IRÈNE, se retourn<int. Qu'est-ce que c'est ?

GEORGET, avec volubilité. Vous l'avez échappé belle, vous savez! Figurez-vous qu'il m'a surpris juste au moment j'allais vous faire une de ces peurs!... Il m'a coupé mon effet.

IRENE, qui ne s'est pas rendu compte de ce qui s^est passé. Tant mieux. J'ai horreur de ces petites plaisanteries.

GEORGET. Figurez-vous que j'avançais à pas de loup... j'étais déjà à deux pas et...

RICHARD, Vinterrompant . Pauiot n'est pas là?

GEORGET. n finit son devoir... Moi ça m'iarrête la respiration quand on me fait une frayeur. (Essayant de mêler Uichard à la conversation.) Et toi ? est-ce que... RICHARD. Je t'ai demandé si Pauiot était là.

GEORGET. Je t'ai répondu.

RICHARD. Ah!

GEORGET, qui s^ cst rcpris, à Irène. Oh! mais il est d'une humeinr, ce soir!...

IRÈNE, à Richard. < Pourquoi es tu re- vcmu? Tu ne vas pas là-bas?

RICHARD. J'étais remonté, en atten- dant; il n'est pas minuit, je suis en avance. Mais je ressors à la minute.

IRÈNE. Alors, en définitive, que vas-tu lui dire ?

RICHARD, sèchement. Ce qu'il faudra. Ne te préoccupe pas de ça.

GEORGET. Il n'est pas à prendre avec des pincettes.

Richard se dirige vers la porte de sortie.

IRÈNE. Tu t'en vas ?

RICHARD. Oui.

IRÈNE, vivement. Mais Georget s'en va avec toi.

GEORGET. Oui, oui. Je t'accompagne.

RICHARD. Viens si tu veaix, mais je to prierai de ne pas m'acoompa-gner, au con- ■^iraire. J'ai besoin d'être seul.

GEORGET. Je te proposais cela pour te faire plaisir, mais du moment que tu es dans ces dispositions... (A Irène.) Vous avez, ma- dame, un fils qui a bien le plus fichu carac- tère que je connaisse...

RICHARD, avec un froncement de 'sourcils et un geste d'impatience subit Oh! mon vieux, dispense- toi, ce soir, de ces plaisante- teries dont tu es coutumier et que des per- sonnes comme ma mère pouvaient passer à un gamin, mais qui ne sont plus guère de ton âge, je t'assure... C'est pour toi ce que j'en dis...

28

Maman Colibri

GEORGET, une imperceptible petite rougeur au visage, mais s'efforçant de rire tout de même en regardant Irène. Tu es bien ai- mable. Je ne sais sur quel ton, je dois...

RICHARD, plus doucement et sérieux. Sur aucun; je n'ai voulu te donner amcujie le^oai ; c'est mon affection pour toi qui a parlé... Et devant ma mère nous n'avons pas à nous gêner, n'est-ce pas? (Il lui donne une tape sur l'épaule.) Allons viens mettre ton pardessus, et filons...

SCENE XJV

Les Mêmes, PAULOT

PAULOT, arrivant du salon, allez- vous tous les deux? Vous sortez?... Je des- cends avec vous.

RICHARD. Nous n'alIons pas du même côté.

PAULOT. Ça ne fait rien. Georget \"a m'emmener prendre uin bock chez Zimmer... Tu veux bien?... Chouette!... {Richard et Georget sont sortis.) Maman, je peux pren- dre une de tes cigarettes?

IRÈNE. Tant que tu voudras.

Paulot choisit une cigarette dans un étui sur la

table.

LA VOIX DE RICHARD. Bépêche-toi . . . Je vais vous déposer en voiture...

Paulot les rejoint en courant, et la porte de oauche reste ouverte derrière lui. Irène, qui ne s'est pas levée de tout ce temps, le iivre but le;, «enoux. et à qui d'ailleurs <ett<^ petite scène a échappé complètement, repi'end sa lecture... La lampe éclaire sa nuque penchée et ses épau- les blondes. Un temps s'écoule. Richaixi ren- tre à gauche, il avait laissé son châpea-u sur une chaise, près de la porte. Il vient le repreivire. A son tour, il considère sa mère de loin. On dii-ait qu'il l^ésite... P^ais. il se met à fAÎre ce qu'il â vu faille à Georget tout à Tlieure : il marche de la même façon, sur !a pointe des pieds. De l'œil il se remémore le chemin par- couiii |3iar l'autre. Il fait exactement, pas à pius, tout ce qu'fî fait Georget. On sent qu'il se re- constitue à lui-même la scène ou'il a surprise. Irène ne l'entend pas. Quand il est près, towt près, à portée de souffle, derrière sa roère, on le voit nettement hésiter, puis faire comn»© un p-and effort sur lui-même, et, le cœur battant, il ose sur la nuque de sa mère un baiser qui n'est pas de fils, un baiser prolongé, qui la fait frissonner, toute, dune délicieuse erreiur. Elle renverse La nuque en arrière, sans une hé- sitation, sans un doute, livrant sa chair aax lèvres de l'amant et on l'entend murmurer d'une voix chaude et imperceptible, comme dans un soupir : « Chéri! » Une seconde... Les yeux de la mère et du fils se rencontrent. C'est brusque et terrible. Ils sont pâles, tous deux, de ce qu'a d'efïrayant l'éclair de cette minute et de cette méprise...

RICHARD, simplement. man.

Bonsoir, ma^

Il sort, en mettant son chapeau, pendant que le rideau tombe.

WCHARD. J'ai a. te parler, Paulot.

ACTE DEUXIÈME

Une sorte de hall-salon dans une vïlla-locative donnant sur un grand parc. Une villa moitié château, moitié maison de 'plai- sance d'assez grand air. Les portes- fenêtres au fond donnent di- rectement sur' le jardin, sans perron. C'est une chaude journée d'orage. Les portes sont ouvertes à tous les courants d'air.

SCÈNE PREMIÈRE

PAULOT, RlCHxVRD

Pauïot est assis à une table, sur la gauche, à côte d'une pile de bouquins d'écolier.

RiiHARD, entrant. Je te dérange, tu tra^ viailles?...

PAULOT. Je finis un exemple de colle pour le bachot d'octobre. Ce n'est pas pressé.

RICHARD. ^ J'ai à te parier, Pa,ulot... Non, non, reste assis.

PA.ULOT. Important?

HJCHARD. Grave... Pasee-moi une allu- mette. (It allume une cigarette.) A quelle heukre Georget doit-il venir de Trouville?

FAULOT. Je crois, par le train qui part à 2 heures de Trouville.

RICHARD. Il faut un quart d'heure, au plu®, de trajet, n'est-ce pa-s, pour venir jus- qu'à Touques?

FAULOT. Comment ! tu n'as pas encore pris le train, depuis que nous avons loué? Je croyais que tu étais allé à Trouville avant- hier.

RiCHAUD, A cheval.

PAULOT. Par le train, moi, je mets un quart d'heure, juste, et dix minutes pour ve- nir de la gare ici, à pied.

RICHARD, regardant sa montre. Bien. Nous avons le temps de causer. 11 va se pas- ser peut-êtft'e aujourd'hui quelque chose de grave. Il vaut mieux que tu sois averti... Ne t'effraie pas. ^

PAULOT. Que veux-tu dire?... Je ne com- prends rien. En quoi Georget est-il mêlé à...

RICHARD, avec solennité. Georget a for- fait à l'honneuT. (Mouvement de Faiilot.) Ne m'interroge pas. C'est un misérable. Je suis décidé à ne pas te répondre sua- ce chapitre. Qu'il te suffise de savoir, quelle que soit sa faute, qu'elle est gi'ave, très grave. Il nous ;i traJîis de la plus odieuse façon.

PAULOT. Mais dis quoi?... Un abus de confiance? un... vol, peut-être?... dee docu-

}o

Maman Colibri

ments de la maison?... Quoi?... des tripo- tages d'argent?... dis?...

. RICHARD. N'importe !... la question n'est pais là.

PAULOT. Mais nous y sommes mêlés?

RICHARD. De très près.

PAULOT. I Papa sait?

RICHARD. Non. Et il importe qu'il ne sache pas. Ta parole que tout ce que nous 'disons restera secret pour lui, pour maman et pour qui que ce soit d'ailleurs.

PAULOT. C'est juré.

RICHARD. Merci, vieux. Je sais qu'on peut déjà se confier à toi comme à un homme. Du feu? (Paulot tend une autre allumette à Eichard.) Merci.

Bichard est assis auprès de la table. Il balance lentement sa jambe croisée et envoie de lon- gues bouffées au plafond.

PAULOT. Père doit ignorer, dis-tu ?

RICHARD. Il faut à tout prix lui éviter cette émotion^et les conséquences en seraient trop graves. De plus, la chose doit, tu en- tends? doit être réglée de lui à moi. Si je me confie à toi, petit, c'est que j'ai besoin d'un confident. Ce me serait dur de garder pour moi souil, sans un témoin, la responsa- bilité de ce qui va se passer. On est des amis, pas vrai?... et puis aussi, on est des frères. Ça ne s'oublie pas dans les moments graves. Et on ne sait jamais ce qui peut arriver.

PAULOT, les yeux dans les yeux. A ce point-là ?

RICHARD, hochant la tête. A ce point-là.

Silence. On voit que Paulot réfléchit; puis il baisse les yeux.

PAULOT, sur ses cahiers, simplement. Bien.

RICHARD, se balançant toujours, tout en agitant nerveusement sa cigarette. Voilà.

PAULOT. Bien.

RICHARD, après un silence. Je t'affirme, Paulot, que tu peux t'en rapporter absolu- ment à moi. J'ai dit le mot : un misérable.

PAULOT. Tu es certain de ne pas te tromper?

RICHARD. Oh! j'ai attendu... Il y a deux mois je n'avais que des doutes sur sa con- duite. La première chose inquiétante me fut révélée le jour même j'ai rompu avec Ni- chette... li s'en est aperçu... Et les semaines qui suivirent, je ne pus pas le pincer... Il se méfiait... J'espérai alors m'être trompé, et dès lors j'ai été oooLipé par mes formalités de fiaaiçailles avec Ma^leleine... 11 m'a fallu aivssi vérifier les affaires de M"^^ Chadeaux qui n'étaient pas en ordre, puis c'est moi qui suis venu choisir et louer cette villa... tu te sou- viens? Ce fut long à trouver, puisque maman ne voulait pas une villa avec l'air direct de la mer ; bref, je n'ai pas pu surveiller les agissements de Georget. Ce n'est qu'il y a ti'ois semaines juste... [IL réfléchit.) oui,

juste... deux ou trois jours à peine avant notre départ de Paris et notre installation ici, que j'ai acquis la certitude absolue que je redoutais... Alors, comme il était convenu que Georget devait aller passer l'été à Trou- ville, j'étais sûr que l'on se verrait tous les deux jours au moins : j'ai attendu... J'ai calmé mon émotion, j'ai supporté mon dé- goût. Maintenant j'estime que cela a assez duré... Tout le monde ici est tranquille, bien installé; père tire les oiseaux de mer... il va tous les jours à cheval prendre son bain... J'ai donc bien mes journées à moi, toutes à moi. Nos affaires, très en ordre, peuvent dor- mir jusqu'en octobre; Madeleine est en Au- vergne avec sa mère et nous ne nous verrons qu'en novembre, juste pour le mariage... Tu vois que tout est pesé, que je n'agis pas à la légè-re et que j'ai choisi mon moment pour in- tervenir. (7^ 56 lève.) Mais, par exemple, j'ai hâte maintenant, ah ! oui j'ai hâte d'ef- facer sur sa figure ce vilain souvenir!... Chasser le bonhomme de chez nous, ce n'est pas suffisant; je lui donnerais le moyen de profiter ailleurs de sa faute, et plus à l'aise... Non, un bon coup d'épée, voilà la seule signa- ture qu'il faille au bas de cette histoire et qui servira en même temps, pour la galerie, de prétexte à ne plus jamais nous revoir.

PAULOT. Alors, expliquez-moi bien mon rôle, veux-tu, que je ne commette pas de gaffe.

RICHARD. Je vais procéder ainsi : après l'explication que nous allons avoir, nous pren- drons un prétexte banal... Par la suite, quoi qu'il advienne, tu ne nous démentiras jamais.

PAULOT. Compris.

RICHARD. Je te tiendrai au courant de ce que nous aurons décidé, au fur et à me- sure. Je te donnerai aussi en dépôt, pour quelques heures seulement, rassure-toi, deux ou trois lettres. On ne sait jamais! 11 peut arriver un malheur ; il faut que nous soyons d'accord.

PAULOT, timidement Est-oe que?...

RICHARD. Est-ce que?...

PAULOT. Rien.

RICHARD. Si, parle. Tu voudrais dire quelque chose

PAULOT. -^ Non, rien.

RICHARD.*^ Je vois tcs grands yeux bleus qiri essaient de me percer... Rassure-toi. Si j'affij'me que nous devons, moi agir, et toi te taire, tu peux vivre tranquille et sans émo- tion.

PAULOT. Je n'en ai pas.

RICHARD. Bravo ; voilà comme je t'aime... Quant a.ux vraies raisons, je ne te les donnerai pas, je t'avertis. Il y a des choses dans la rie qui ne sont point de ton âge, des responsabilités peu drôles... ah! (Il fait un geste emphatique.) Tu n'as vraiment aucun soupçon de rien?

PAULOT. Non, je te jure...

RICHARD. Nous prendrons très proba- blement un prétexte de femmes... une cocotte

Maman Colibri

quelconque... la petite Aline, peut-être...

PAULOT. Aline, c'est bien invraisem- blable.

RICHARD. Ou Liane.

PAULOT, interrogeant. Et vis-à-vis de Georget lui-même, que dois-je?..o

RICHARD. Tu es un chic type.

RICHARD. Règle-toi sur moi... Adopte mon attitude. (Nouveau silence. Regardant Paulot qui a la figure baissée et contractée.) Paulot, tu n'es pas ému ?

PAULOT. Non. J'ai un peu chaud, à cause de l'orage.

On sent que le petit ne veut pas laisser percer la moindre impression. Il est simple et raide.

RICHARD, essayant un ton délibéré. Le fait est que le temps est éreinfcant! (Faulot s^est remis à travailler doucement, comme si de rien n^ était. On devine que c^est pour ca- cher courageusement les cillements de ses yeux. jRichard se lève, va à lui et lui soulève de la main une boucle blonde sur le front. Avec émotion :) Tu es un ohic type.

Il l'embrasse brusquement.

SCENE II

Les Mêmes, GEORGET

GEORGET, paraissant à la porte du jardin, sanglé dans un costume d'été, strict, frais et

joli. Ouf! 11 y en a une petite trotte de la gare, mes enfants! C'est gentil, hein, de venir par cette chaleur? Dites encore que je ne suis pas un aminohe ! B'jour, Paulot ! Tu travailles P Va, va, mon vieux, que je ne t'in- terrompe pas.

PAULOT, après avoir regardé ion frère. Oh! j'ai fini.

GEORGET. D'ailleurs, comme tu seras t.ollé en octob»© de toute façon... ne te foule pas.

RICHARD, souriant. 11 me semble que tu es bien beau.

GEORGET. N'est-ce pas? J'ai sorti un petit complet! Je n'ai pws encore osé le met- tre à Trouville, sur la plage... je l'essaie ici... C'est peut-être un peu osé... qu'en penses-tu? Il y a le ruban du chapeau qui est dune au- dace ! Et qui me donne un peu l'air calicot, hein ?...

RICHARD. Tout à fait.

GEORGET. Ah! bien! compris... (S'adres- sant à son costume.) Toi, tu vas retourner dans la malle. (A Eicfiard et à l'aulot.) Alors on ne vous verra pas un peu? Vous allez vous terrer ici, tous deux? Venez donc un peu rigoler à Trouville. Richard, le casino t'attendra de huit à onze, entends-tu ? de huit à onze, toi et ta galette.

RICHARD. Mais c'est possible.. =

GEORGET, d'un air distrait et empressé. Ta mère va bien? J'oubliais de te le deman- der.

RICHARD. Merci, merci.

GEORGET. Et M. de liysbergue... natu- rellement. . .

RICHARD. Il tire en ce moment

GEORGET. A quoi? la chasse n'est pas ouverte.

RICHARD. Oh! dans la propriété... quel- ques oiseaux de mer qui volent ju.squ'à Tou- ques. Les gardes ne peuvent rien dire.

GEORGET, sentant le froid et parlant avec abatage. Vous ne savez pas qui est arrivé hier aux Roches?... la petite madame Stauf... et ses filles... Charmantes, ses filles! je ne les connaissais pas. Et Stauf, lui, a installé Adrienne Véry à deux pas, dans une villa... Il se cherche des alibis pour avoir l'air moins cocu. Les de Rieux sont au Continental... tu le savais? C'est tou.t ce qu'il y a de neuf, je crois... Oh! puis, Mélita!... Figure-toi, la grosse Mélila, en costume de bain tonkinois, avec des. dentelles couleur orange et un maillot lophophore... elle a l'air d'un pa- villon de yacht... Inénarrable, mon cher!... Tous les mineurs se détournent quand ils la voient.

A ce moment, on entend dans la maison la voix d'Irène qui chante. La voix avance précipi- tamment. Tous les trois l'écoutent, comme si cette voix était un personnage important.

32

Maman Colibri

SCÈNE III

Les Mêmes. IREXE

La porte de droite s'ouvre. Irène entre, la chan- son sur les lèvres, joyextse. les yeux brillants. Elle a un petit tablier blanc brodé par-dessus .sa robe.

IRÈNE, de la parie, en rianf. Je ne me trompais pas. J" avais entendu votre vois...

ISt-Vî. Ne suis-je pas gentiluc, hein*,

AVEC GK TABLIER DE POUPÉE ?

et votre pas sur le sable... Bonjour. Geo... Vous ne savez pas ce que je fais?... Et d"aix)rd. ne suis-je pas gentille, hein, avec ce tablier de poupée ?

GEORGET. Voiis ave? Tair Louis XV.

ihLnt. avec une grimace. Horreur! Voufi ne savez pas c-e que je fais?... Des pra- lines... des pralines à la rose, une recette à moi ; c'est délicieux. Si vous êtes sage, votis en anr^z... {à^Ue en iire vne de lu poche de toNier et la croque.) Xe vou» imaginez pas qiie c'eist à la cuisine que j'of)ère. Je fais ça sur une lampe à esprit de vin : et je tourne. je tourne... Je dois être toute rou^e.

GEORGET, montre h rrthai\ de son chapeau. Pas tant que mon ruban!...

IRÈNE, croquant une seconde praline.

C'est vrai, vous avez un petit genre bal- néaire, mon cher... {Elle fait claquer sa Lan- gue.) Ça vous va très bien d'ailleurs. Je ne vous fais pas souvent de compliments, mais quand je m y met,sl... A part vos gants... ils vous aveuglent '... Des gants blancs, à quatre heures, à la campagne? Georget vous êtes fou !

(^ORGET. On a une manière de me dire mes vérités dans cette maison !

iss^E. Dieu, que j*ai chaud!

GBo&GET. Sans doute cet affreux temps lourd.

IKÈNE. Pouvez-vcus dire! Il fait exquis... Cest un temps d'abeille. J'adore. Xcins aUcffis sortir tout de sttite, rite.,. J'»i envie de faire kilMnètres aujourdlmi. On va se pajer vae loi^ue promenade tous les trois, pas?

RiCTiARD. Pour ma part, je suis f»tigaé.

TEŒZfE. mns hésiter, Bon. G^rget m'ae- compa^nera... {Elle le regarde dans les yeuje.} si ça ne l'ennuie pas trop, tcmt de nénie, ce jeune hoiiae!

wmmwâmmt. Chère madame... jette ^fne fleur de son corsage en t'air, 9H piafond. comme ça, sans raison; puis elle pirouette sur ses talons et se dirige vers la porte. Je rais mettre moB ciâr- peau... Allons, bien!...

GEOKGET. Quoi?

rRÈNE. sur le pas de la porte, la mctin tendue La- pluie.

GEORGET. Un nuage qui passe. Toyess, il

y en ii pour cinq minutes!...

IRÈNE Cinq minutes, cinq minutes!... Oh! que c est rageant!... J'avais une envie folle de sortir, de courir. Mes jambes se sont engourdies à travailleur.

GEORGET. Ça va passer... Attendons.

IRÈN'E, le rc'jajrdont. Je ne peux pa5 supporter les déceptions.

GEORGET, liant. Eh bien, jouons à quel- que chose... Une petit jeu innocent...

IRÈN'E Vous faites bien d'enlever vos gants! Dieu qu'ils sont laids!... Donnez-moi ça; TOUS ne les remettrez plus... je vais les jeter dans le puits.

GEORGET. Hé! là! pas de blague... rendez-les-moi. . .

iRÈNT. Jamais de la vie! Ils ont besoin d"ê«-e salis un petit peu. La pluie leur fera du bien.

GEORGET. Voulez-vous!... J'en ai besoin pour ce soir!...

IRÈNE. \'enez les prendre... Je vous défie de les attrapej-... morveux!...

GEORGET. Ah! si VOUS êtes poUe. alors... (Comme une enfant en récréation, elle le défie du- geste et de la voix. Leurs yeux amou-- reux brûlent à se fixer.) Je ne les attraperai pa5? Je ne les attraperai pas?

Avec de petits cris de joie, des rires, elle court et ils se cherchent de meuble en meuble sans voir les deux enfants, graves et accotés, qui lee fixent, sans bouger." Un moment Irène er

Maman Colïbjj

}}

Cîeorget sortent en courant, par La porte dii jardin.

PAULOT. Ohl Richard!... RICHARD. Quoi ? PAULOT, pâle. Rien, rien. IRÈNE, rentre, poursuivie par Georget. Ah! est-il bétel il a failli tomber... Pouce!...

SCÈNE IV

IRÈNE. La pluie.

(Elle a les cheveux presque défaits, le teint animé; sa poitrine se soulève avec force.) Je n'en peux plus! Je suis essoufflée!... Te- nez, les voilà vos gants!,.. {Elle tombe sur un fauteuil, près de Georget. A Georget, à voix basse.) Chez nous... pars le premier... Je te rejoindrai...

GEORGET, même jeu. Donne-moi un pré- texte de partir. (Il fait un signe en montrant les gants.) Ils sont jolis maintenant... pleins de terre mouillée.

IRÈNE. Richard vous en prêtera. N'est- ce pas?...

RICHARD. Certainemerit.

Richard a échangé quelques mots avec Paulot qui s'en va.

GEORGET, à la porte, montrant le ciel éclairci. Qa'est-ce que je disais?

IRÈNE. C'est vrai? Vite, vite!... Geor- get, allez détacher le lévrier noir... nous le prendrons avec nous. Et passez devant, par l'allée des noisetiers. Je vous rejoindrai. Je vais mettre mon chapeau,

Georget sort.

IRENE, RICHARD, seuls.

IRÈNE. Vraiment, je ne te comprends pas... Je ne suis pas fâchée d'avoir envoyé Georget en avant, pour avoir l'occasion de te dire que ton attitude vis-à-vis de ton ami est tou<t à fait inconvenante. On n'a pas idée d'être ours à ce point!... Etnfin, voilà un gar- çon qui vient nous voir exprès, et se déplace tous les jours de Trouville pour nous tenir compagnie... en somme, c'est très gentil; et tu le traites avec un sans-souci extraordi- naire ! Il entre, il sort, c'est pour toi comme s'il n'existait pas... Il finira par se froissear. ^ RICHARD, les joues empourprées. Tu crois?

IRÈNE. J'en suis sûre. Et l'on se frois- serait à moins. Il est possible que la présence de votre camarade vous ennuie, soît ; mais laissez-le moins paraître, que diable!... Avez- vous eu des dissentiments ensemble ? Non, n'est-ce pas?

RICHARD. AUCIHI.

IRÈNE. Eh bien alors, par égard pour nous tous, je te prie désormais de mieux re- cev'^oir tes amis.

RICHARD, 5e contenant. C'est à moi qu« tu parles de la sorte?

IRÈN'E. A qui voudrais-tu que ce soit? Simple remontrance domestique dont je te prie de tenir compte, voilà tout.

RICHARD, avalant sa rage, les yeux ar- dents, et -un petit rire nerveux aux lèvres. T\i exagères, je «rois...

IRÈNE. Du tout.

RICHARD. Si, si, tu es très nerveuse de- puis quelque temps ; le premier air de la cam- pagne te met trop de joie en tête... C'est ton excuse. Et pour que tu en arrives à me par- ler SUT' ce ton, c'est que tu as perdu évidem- ment la notioji dea choses... tu te grises... tu ne vois plus...

IRÈNE, sévèrement. Richard, veux-tu parler plus poliment à ta mère, s'il te plaît !...

RICHARD. Si, si, tu perds pied.

IRÈNE. Richard, assez!... Tu es encore à l'âge de l'obéissance, et je te le montrerai... Puis!... (elle hausse les épaules.) je vais met- tre mon chapea-u... J'inviterai probablement à dîner notre ami, et j'espère que tu tiendras compte de mon observation.

Elle se dirige vers la porte de gauche.

RICHARD.

IRÈNE.

Maman!... Quoi?...

Richard la regarde fixement, les lèvres tremblan- tes, puis soudain, très calme, très doucement, mais avec une voix ferme.

RICHARD. Je te prie, tu entends?... je te prie de ne pas aller aux Granges.

34

Maman Colibri

IRÈNE, sursautant. Aux 'Granges!... Que veux-l7u dire.^ Qu'est-ce que c'est que ça, les Granges?

RICHARD. C'est une petite maison à droite, sur le chemin de la Touque, tu vas tous les jours, et Georget se dirige en ce moment.

IRÈNE, balbutiant, décontenancée. Qu'est-ce que tu veux insinuer ? Peut-être, en effet, oui, suis-je allée par hasard...

RICHARD, Vinterrompant. Maman... oomprends-moi... Tu n'iras pas... tu n'iras plus jamais aux Granges...

IRÈNE. Je...

Elle le regarde, effarée; elle suffoque. Elle es- saie de parler ; devant le regard de son fils, elle ne peut pas. Elle tombe sur une chaise contre la table, la tète dans ses coudes.

RICHARD, émotionné, cherchant ses mois. ^— Je n'ai pas à te juger... Un fils ne juge, pas sa mère. Rien de ta vie ne me regarde... J'ai voulu seulement t'avertir... Je n-e t'au-

RICHARD. Je n'ai pas a te juger...

rais, je crois, jamais rien dit... mais vrai- ment, l'affront que tu viens de me faire... ah ! c'était trop! Il faudrait être de marbre! Il y a près d'un mois que je garde seul oe se- cret... H ne sortira pas d'entre nous, je te le

jure... Tu peux être tranquille, mon père ne s'en doutera jamais... Il faut qu'il ne s'eii doute jamais.

IRÈNE. Ah! mon pauvre RichaTd! mon. pauvre enfant !

Elle pleure maintenant, la tête enfouie : on n'en- tend que ses sanglots dans le silence.

RICHARD. Je n'ai pas autre chose à te dire... voilà.

Il se dirige vers la porte.

IRÈNE. Pourquoi t'en aller, Richard .? A quoi bonr Ah! maintenant!... Puisque c'est à toi et non à tcn père que le sort a réservé le terrible choc... pourquoi hypocritement nous éviter, nous fuir, sans une parole échan- gée P.. . Ce serait trop affreux. A mon fils je dois l'explication, si possible, de ma con- duite

RICHARD, secouant la tête. Non!

IRÈNE. Ah! folle que j'étais, en effet!... folle qui ne voyais pas les regards de son fils, foUe qui ne croyais même que cette chose fut possible !... Richard, écoute. ..tu vas te marier bientôt... tu vas nous quitter... voici que la- vie commence pour toi... Le passé que tu laisses derrière, qu'il ne soit pas trop gâté dans ta mémoire... Garde-moi ton souvenir pareil... Ne juge pas trop mal ta mère.

RICHARD. Je répète que je n'ai pas à te juger. J'adore mon père infinimemt... je le vénère... mais je sais que, dans une certaine mesure, il n'a pas toujours été bon... atten- tif... il t'a délaissée... Il a eu des maî- tresses. . . Et sa.ns doute cela est-il suffisant pour expliquer...

IRÈNE, l'interrompant. Non, je n'ai pas besoin d'excuse. Une jeune fille peut être abusée, une femme ne l'est pas... Seulement, je ne sais pas, moi... c'est allé si vite, ces quinze dernières années!... La vie est si courte, mon Dieu! cela va, cela va... Il me semble que c'est d'hier que je t'ai eu... Je te vois encore petit, comme oa... avec tes che-^ veux dans le dos. Mon Dieu ! on n'a pas le temps de se retourner, de comprendre ce qui se passe... Est-ce que je sais, moi, seulement, ce qui me tombe là, au plein milieu de ma vie?... On m'a mariée à ton père, toute jeune... et ensuite, les années ont filé, filé,. c'est effrayant!... Te voilà grand, mainte- nant; je vais bientôt te conduire à l'église, et il me semble que c'est moi qui en sors, que j'ai toute la vie devant moi, que ça com- mence... Ah! on devrait se cacher, je le saisr bien, de ses enfants, tant qu'on est capable d'être encore une amante... les efnfants ne devraient pas savoir... Je te demaïude pao*- don, alors, Richard, si je te scandalijse ; mais oe n'est pas ma faute... J'ai un printemps en retard... tu sais, ça arrive... regarde... nous en parlions hier, tu te souviens ? Il y a des oiseaux qui se mettent à bâtir leur nid très tard... On se dit : « Sont-ils bêtes! Voilà

Maman Cchbi:

3^

l'automne! » Il faut nous excuser; c'est une errevir de saison... Vois en ta mère une chose fragile et désolante. Ferme les yeux, mon petit, si je t'offusque... Moi, j'ai um médail- lon où il y a des clieveux de maman quand elle avait vin^ ans... des cheveux blonds, exquis... ça m'a toujours presque choquée : ils sentent les baisers, ces cheveux... Il faut oublier ça, vois- tu, c'est des impressions... et penseï' que, si rien de tout cela n'est bien fameux, il faut être bon tout de même, parce que les cœurs ont déjà beaucoup de peine à être les cœurs qu'ils sontl

Elle éclate en sanglots.

RICHARD. Tu n'avais pas à t' excuser... Rien n'entache mon respect pour toi. Tout cela doit me rester absolument étranger. Ma mère, c'est ma mère. Ce qu'elle a fait, ce qui s'est passé, échappe complètement à mon jugement et ne me regarde pas; c'est lettre morte, un voile baissé {Avec véhémence.) Mais ce qui me regarde, par exemple, c'est l'affront fait à mon père !

IRÈNE. Que veux-tu dire par là?...

RICHARD. L'offense qu'il ignore et qui insulte, venant d'oii elle part, toute la fa- mille et l'amitié trahies, voilà ce qui me con- cerne ! Mon père est forcé de sourire tous les jours à qui lui a pris l'honneur de son foyer... Je suis là, moi, pour le représenter.

IRÈNE. Ah ça, mais!.., Kichard, tu ne m'as pas comprise? J'excuse ta première im- pulsion, dans l'emportement bien naturel de la jeunesse... La seconde sera toute de raison, de pitié, j'en suis sûre.

RICHARD, avec emportement. Tu n'ias pas imaginé, j'espère, maman, que je touche- rai seulement une minute de plus la main de cet individu, que je tolérerai sa présence seu- lement un joiiîr !...

IRÈNE. Il ne s'agit pas de cela... Après la révélation que tu viens de me faire, Ri- chard, sois sûr que je n'imposeiiai pas à ta délicatesse la moindre s/tuation qui la puisse blesser. Tu ne re verras pas Georget, que peut- être dans la mesure des circonstances forcées pour ne point éveiller les soupçons de ton père... Mais tu peux t'en reposer sur moi, sans nulle crainte. Cette conversation, ce qu'elle ouvre tout à coup dans ma oonscieçnce de nouveau, tout va m'en donner le courage et... (Un soupir.) peut-être aussi la force! En tout cas, tu peux t'en reposer sur moi pour que rien ne t'atteigne; cela je te le jure.

. RICHARD. Ah! non, non! Ta vie te con- cerne, entendu!... arrange-t'en. Mais nous avons un compte à part à régler, d'homme à homme. Il sera réglé, j'en réponds. Comment, oe garçon que j'ai introduit chez nous, aur quel j'ai donné mon amitié et ma confiance, qui m'a trahi lâchement, hypocritement, qui est venu introduire ici le déshonneur... eh 1 oud, appelons les choses par leur noml... le

déshonneur dans la maison intacte, ce gaS- lard-là resterait impuni?... Mais je voudr.H8 me retenir de lui souffleter la face que je ne le pourrais pas! Tout mon sang ne fera^ qu'un t':^"^! Non, non, c'est un compte parti'

IRÈNE. L'ennemi!... je l'ai vu, la, dkns

LES YEUX DE MON PROPRE ENFANT !...

culier, en dehors de tout, qui ne ressort qm de moi! Cela ne s'appelle pas une répai» tion, mais de la vengeance !

IRÈNE, poussant un cri. Ah!..^

RICHARD. Quoi?

Elle est droite, le doigt fixé vers le îront âe son fils.

IRÈNE. L'ennemi!... je l'ai vu, là, dam. les yeux de mon propre enfant!... rennemi'.

RICHARD, se redressant. Le justicieC; tu veux dire.

IRÈNE. Le jus;ticier! Ah! le gnaîtf mot!... La jeunesse s'en enivre, de ces iz^^i» ! Tu en pèseras plus tard la vanité. EoG?^idj. Richard... la situation est assez pénible, m nous payons pas de phr-ases creuses, <d':atiî- tudes. Appelons du fond de nous, an «con- traire, tout ce que nous pouvons de sagesse» sans excès, mais sans faiblesse. Tâche de bÎMi comprendre ceci, posément et sagement ' jfe t'ai élevé, j-e t'ai consacré mes années, avec un amour et un dévouement de tous les ins- tants; te voici grand; maintenant tu va« bientôt voler de tes propres ailes, partir,^- a,ii mois d'ootobre tu seras marié; tu v^ aimer à ton tour, fonder une famille noa^

;6

?

Maman Colibri

velle : j'ai accompli mon devoir vis-à-vis de toi, ma fonction de mère est terminée. Va Ters ta vie. Ne retourne pas la tête. Ce qu-e tu laisses derrière ne t'appartient plus. Dis- toi cela qui est la vérité... et va! Nous sommes qiiittes. ■"^ RICHARD. D'abord je ne suis pas encore . |>a,rtJ ! Et puis j'ai eu tort de dire le moin- dre mot là-aessus... Je me suis emballé; je . rétracte.

IRÈNE. Tais-toi! tais-toi! Que comptes- tn faire ?...

RICHARD. Ça me regarde.

IRÈNE. Moi aussi... Réponds, réponds... Mais, mallieureux, ce n'est pas possible! Tu

IRÈNE. Pour moi, Richard, pour moi, JE t'en supplie...

es d'une force exceptionnelle aux armes... je l'iai voulu ainsi!... Lui, ne pourrait pas se défendre, il ne se défendrait pas, je le con- nais... Ce serait un crime abominable!... Ri- chard ! tu ne vas pas te battre ?

RICHARD. Je n'ai pas dit cela... Je n'iai rien dit. D'ailleurs, rassure-toi ; en tout cas, ■Ui personne sera écartée soigneusement...

IRÈNE. Je te défends de te battre!...

RICHARD. Ah ! je t'en prie, maman, as- sez!... On a ça dans le sang ou on ne l'a pas! On ne discute pas ces sentiments-là, d'abord. Ht mettons que je n'aie rien dit... D'ailleurs oui... tu as raison... Je réliéchirai.

IRÈNE, arec désespoir. Ecoute... je te Bromets, je te jure que tu ne le verras plus.

Je ne peux pas mieux dire, mon Dieu!... Que je ne le verrai plus, même...

RICHARD. Eh bien... oui... oui... je ré- fléchirai.

IRÈNE. Tu mens! je vois bien que tu mens, pour ne pas m'e/f rayer... Songe que c'est moi la coupable. Tu parles de justice! Songe, s'il y a une punition, elle est pour moi! C'est un enfant, lui... un vrai enfant... Tu commettrais un assassinat!

RICHARD. Ce n'est pas pour moi que tu as peur !,..

IRÈNE. Ah! je sens que je ne fais que t'exaspérer ! .Mais je suis au martyre!... Songe à moi... c'est effrayant! Calme-moi, Richard... je ne devrais pas te montrer cette aruxiété... Mais que veux-tu, on n'a pas le cœuiT tout d'une pièce... On en a des mor- ceaux qui appartiennent à tous ceux qu'on aime... il faut avoir pitié...

RICHARD. Là, là... c'est entendii!... Calme-toi... Puisque je te dis...

IRÈNE. Pour moi, Richard, pour moi, je t'en supplie... (Elle est presque à genoux, les yeux cramponnés, le geste errant. Tout à coup, elle se relève d^un bond.) Ah! malheu- reux ! malheureux ! je vois dans tes yeux la résolution implacable... Tu verras, tu aimeras un jour... que dis- je .^ tu aimes!... Un jour, à ton tour, tu subiras la force de ton co^tir... tu souffriras... Puisses-tu te rappeler alors... et qu'il ne soit pas trop tard !

RICHARD. Mère...

IRÈNE. Richard, écoute... Ne fais rien. (Elle halète.) C'est le grand amour de ma vie.

richarId. Mais...

IRÈNE, avec passion. Ne cherche pas à comprendre ce que tu ne peux pas compren- dre, comment une femme se sent assez af- folée, acculée à assez d'effroi pour laisser écha.pper un cri pareil devant son fils. . com- ment il se fait qu'un enfant un insigni- fiant camarade pour toi soit pour moi la source vive de ma vie, tout le tressaillement de ma poitrine; mais crois-le!... Bouche-toi les yeux, sans comprendre ; sauve-toi de cette flamme... et laisse-moi! RICHARD. Voilà père.

M. de Rysbergue entre par la porte du jardin.

SCENE Y

Les MÊMES, RYSBERGUE

Irène s'est vivement détournée et se compose un visage.

RYSBERGUE, Qu'est-ce qu'il y a? (Il con- sidère leur trouble et les yeux mouillés de sa femme.) Tu fais encore pleurer ta mère, à ton âge, garnement.''

Maman Colibri

37

IRÈNE, se leyvani vivement. Ce n'est rien, ce n'est rien !

KYSBERGUE. Qu'y a-t-il ? Des fâcheries entre vous?

IRÈNE. A peine... ne t'occupe pas.

Elle sort par la gauche, sans retourner le visage vers son mari.

SCÈNE VI

RICHARD, RYSBERGUE

RTSBERGUE, à soTi fUs, lui montrant Irène qui s'en va. Tu vo'is... Je ne puis admettre que, quelque lubie qui te passe par la tête, ta mèi^e nous en ressorte les yeux rougis.

RICHARD. Mais il n'y a rien d'impor- tant...

RYSBERGUE, V interrompant en -posant sur une tahle le fusil et la carnassière qu'il por- tait en handoulière. Deux mouettes... Ce passe-tenips est idiot... Je me s^iiis amusé, en plus, à tirer sur une couleuvre d'eau... C'est intelligent, hein? (// rit.) Ah! a*u. fait... je viens, au bout du parc, de rencontrer Geor- get.

RICHARD. Ah!

RYSBERGUE. Oui. Nou« avons caoisé un peu. Il est décidément très intelligent, oe garçon... Déjà une compréhension sainte des affaires... Nous avons eu tort de le négliger. Qu'en dis-tu ?

RICHARD. Je dis que...

RYSBERGUE, V interrompant, Grand tort!... On cherche des valeurs très loin, pairfaig, alors qu'on les a sous la main. Et il est utile d'intéresser de tous jeunes gens à notre industrie, pour que, plus tard, ils connaissent les rouaiges comme de vieux rou- tiers. Aussi, je t'annonce une résolution qui ne sera pas sans te faire plaisir... A la ren- trée, je compte mettre ton ami Georget au bureau, à la place de Waldteufel qui s'en va... Déjà, je viens de lui souanettre ce pro- jet. Il a accepté a.vec empressement.

RiCHARp. Tu dis?... Voyons, père, tu te moques de moi!... C'est un projet insensé, fou...

RYSBERGUE, l'interrompant. Pour- quoi?... Ah! ça, je croyais te faire plaisir...

RiCHAR». Tu t'amuses... A quoi rime cette résolution soudaine et absurde ? Geor- get! Ce serait risibleî... Il est aussi fait pour les affaires que...

RYSBERGUE. Que bien d'autres. Tu ver- ras. Nous nous servons trop d'ingénieurs ; on se sert toujours trop d^ ingénieurs... Je ne me •trompe pas sur la valeur de ce garçon. La jugeotte est bonne.

RICHARD. D'abord, il est appelé par son service militaire...

RYHBERGUE. En novembre seulement... D'ici-là il prendra le pli. Et puis nous lui ferons avoir des congés.

RICHARD. Tu lui donnerais le po.ste de Waldtoulel? C'est trouvé.

RYSBERGUE. Et, phis tard, s'il réussit, je l'intéresserai de façon plus particulière à nos affiaires... Allons, voilà qui est dit : le mois prochain il aura son bureau non loin du tien ; vous pourrez griller des cigarettes en- semble, tout en causant d'exploitation, hé! hé!...

RICHARD, haussant les épaules. D'abord je suis bien bon de m'inquiéter... J'y aurai mis ordre auparavant.

RYSBERGUE. Plaît-il ? Alors, désormais je dis : Je veux... Et cela suffit!

RICHARD. J'aimerais mieux ne plus mettre les pieds au bureau!

RYSBERGUE. Bah? mou garçon, il y a donc quelque dhose qui cloche entre vous?

RICHARD. Un compte à régler, peut- être.

RYSBERGUE. Eh bien, les bons comptes font les bons amis. La raclée passée, tout ne s'en portera que mieux.

RICHARD. Cessons oe genre de plaisan- teries.

RYSBERGUE, s'approcliunt de lui. Non... non. Tu aîS quelq-ue chose sur le cœur, Ri- chai'.d : diss-le moi...

1U€HARD, battant en retraite. Des ba- gafteûes . . . saîtts conséq ueiirce . . .

Irène rentre chapeautée. Elle passe rapide et -se dirige vers le jardin.

SCÈNE VU

RYSBERGUE. Tu SOrS ?

IRÈNE. - Un petit peu...

RYSBERGUE, d'uu air détaché. Tu tiens à sortir ?

IRÈNE. Pas le moins du monde... même, si cela peut te faire plaisir que je reste?... Je n'avais rien à faire.

RYSBERGUE. C'est ça... Seulement c'est impoli ce que je te fais faire là.

IRÈNE. Pourquoi donc?

RYSBERGUE. Je viens de rencontrer Georget qui m'a dit qu'il te devançait dîans l'allée des noisetrers... Il va t'attendre, ce pauvre garçon.

IRÈNE. Oh! bien! il se promènera tout seul; il a l'habitude.

EU© enlève son chapeau.

RYSBERGUE. C'est égal !... Tiens, pen- dant que vous allez vous réconcilier, ton fite et toi, car je ne vous conseille pas de res- ter sur des malentendus, je vaia lui t^nir

58

Maman Colibri

coKipagnie, à Georget... J'ai des choses à lui làîrfi... et l'on bavardera avec ce bon petit Je>KJie homme.

IRÈNE, inquiète, regarde son fils. D'un air imlifférent ù son mari. Mais je croyais ^ne vous n'aviez jamais de conversation sé- TJeuse ensemble.

RYSBERGUE. On chauge... Nous man- jjcsîons de sujets... (li va à son fusil comme fsmr le remettre en bandoulière.) Allons.

Il se dirige vers la porte.

IRÈNE, se levant en sursaut. Je t'ac- oampaene.

RYSBERGUi:. Tu avais décidé de ne pas sortir.

IRÈNE. J'aime autant t'accompagner. Nous n'avons, je t'assure, Richard et moi, plus rien à nous dire.

RYSBERGUE. Tu VOIS, Richard, comme tiî rends ta mère nerveuse... et craintive do iout.

IRÈNE. Craintive, pourquoi?

RYSBERGUE, pose son fusH. Il se met entre Irène et Bichard et le prend par les épaules. Voyons... vous avez des querelles? Ce n'est pais bien. Racontez-moi ça, hein? On n'a.rien àe caché pour moi, n'est-ce pas?

BrïCHARD, essayant de rire. Des discus- .^ions de domestiques, qu'est-ce que ça peut >e faire?

IRÈNE, avec un sourire contracté. Oui, Ti'est-ce pas, Richard?...

RYSBERGUE. Ce u'cst pas bien de ne point me donner la part de vos soucis... C'est donc si grave?... Un gros secret qui TOUS pèse? Dites-le-moi.

IRÈNE. Je te raconterai... Viens, sor- tons.

RYSBERGUE. ' Pourquoi trembles-tu ?... mais oui, comme une feuille... Oh! comme il doit être lourd et étouffant, ce secret-ià, et, pour me le cacher, comme il faut avoir peur de moi...

IRÈN-E. Tu es fou.

RYSBERGUE. Malheureuse ! Ce secret qui &st entre vous, Vu ne vois donc pas que je le eonnais maintenant!... {J^lontrant Bichard.) Ton fils vient de me le révéler.

IRÈNE, dans un cri. Que veux-tu dire?

RICHARD, en même temps qu'elle. Père, je ne comprends pas...

BYSBERGUE, V interrompant . Oui, tu me fas crié par ton silence, par tes yeux, par tout ton brave petit cœur qu'on a offensé 6t que je voyais ti-épigner de colère, tandis que j'inventaj£ cette imbécile histoire pour »pier la flamme dans tes yeux!... Depuis Ijuit jours, cette foile hypothèse m'était ap- parue, mais ma raison se refusait à l'ad- mettre. Je me disais : c( Une preuve de la trahison, une preuve logique, il n'y en a pa^» » Quand je suis entré, là, tout à ilseure, vous me l'avez donnée subite, ef- frayante ! Oh! votre attitude!... Oh! t-es

yeux rouges et glacés de tout à l'heure, oe qu'ils révélaient!... Ainsi ton fils était ton confident! tu as sali ton fils de cet aveu, tu le faisais vivre avec ce secret ! Quelle horreur! {Tout à coup.) Et l'autre, l'anitre... ahl celui-là, par exemple!...

Il se précipite vers la porte du jardin. Irène la barre.

RICHARD, retenant son père. Père, père, voyons, du calme... Dans cet état- d'agita- tion, tu ne serais plus maître de toi!...

RYSBERGUE, essayant de se dégager. Laisse-moi... Je sais oii il est! Je vais le re- joindre.

IRÈNE. Ne passe pas ! Que veux-tu faire? Tu as la coupable sous la main...

RICHARD. Père!

RYSBERGUE. Je suis maître de ma vie et de mon honneur !

RICHARD, r entraînant. Ton honneur? tu veux dire }e nôtre! Père, ce n'est pas de ton âge, ni de ton rang, de te colleter avec cet individu. Ressaisis ta dignité : tu seras vengé...

RYSBERGUE. Je n'en céderai la joie à personne... Ah! la canaille!... Attends un peu, que je le prenne à la. gorge, et...

Il s'élance. Irène, épçjivantée, contre la porte.

IRÈNE. Pas lui... pas lui!... C'est moi qui t'ai trompé, Jacques. C'est moi que tu dois accabler de ta colère. Pourquoi ne le fais- tu pas? Pourquoi n'as-tu pas même un cri, une insulte pour celle qui te trahit?

RYSBERGUE. Commcut oses-tu, malhex*- reuse!...

IRÈNE. Eh oui ! je dis que, s'il te restait l'ombre d'amour pour moi, tu m'aurais, de- puis cinq minutes, jetée à terre! Mais tu ne m'aimes plus; alors, tes yeux sont fixés ai dehors, vers ce petit que vous avez con- damné. Non, non ! c'est moi qu'il faut frap- per, Jacques, Jacques! car c'est moi qui t'ai trahi et, sache-le, c'est moi qui me suis donnée librement, volontairement et avec joie!... Si après ce cri-là, tu ne me tues pas, tu n'es qu'un lâche !

RYSBERGUE. Je te devine : tu voudraiv détourner ma colère sur toi, pour que ton am.ant soit épargné. Non il ne le sera pas, il ne peut pas l'être, car il y a ici en cause plus qu'une trahison d'amour, en effet... (Montrant son fils.) la présence lamentable de ton fils en est le témoignage! Ce qui est offensé... et de quelle façon!... pour que nous en soyons là, que notre enfant nous écoute et nous juge, c'est une chose plus haute que notre amour passé, fini,..

IRÈNE, rinter rompant. Notre amoar est mort, dis-tu ? Ah ! cela seul suffit, Jacques, que parles-tu d'autre chose?

RYSBERGUE. Si, il v a mou nom, mon honneur, mon foyer! Et ces droits-là, tu vae

Maman Colibri

39

iOe conia'aître, car ils ne font pas grâce.

lïiHNE. Depuis une heure, je n'entends parler qu-e de justice, de droits de la famille, de devoirs! On dirait la discussion d'un traité!... Il n'y a. qu'une chose qui compte : nos cœurs! Oui, je me suis mal conduite, je t'ai trompé... oui, je suis cent fois coupable 'de oela... Souffres-tu? Alors frappe-moi : je il'ai mérité.

RYSBERGUE. Tu fais crreur ! Il n'y a pas que ces souffrances ni que ces vengeances! Il y en a de plus hautes. Ce sont celles qui naissent des djroits acquis de la famille...

IRÈNE. La famille, allons donc ! Vous allez tuer cet enfant au nom de la famille et de l'honneur ! Des justiciers, si c'est cela la fr»mille, alors mensonge, mensonge!... Il faut une de ces épreuves oii la vie vous accule, 'comme vous m'acculez contre des parois ef- froyables, pour le sentir aussi nettement tout à coup !

RYSBERGUE, à SOU fils. Retire-toi.. . *iaisse-nous, ta mère et moi.

Kichard fait un mouvement pour se retirer.

RENE. Pas lui... pas lui!...

IRENE. Pudeur tardive vî^aiment! C# fils qui n'allègue plus que des droits d'homme^ qu'il reste! Il peut entendre souffrir la femme, la mère n'est plus!...

RYSBERGUE. PauvTe égarée!... tu ne re- connais plus les tiens... Si tu te voyais!... Tu es comme ces bêtes sous l'empire d'un ins- tinct de protection passager qui se préci- pitent, folles, sur ceux qu'elles aimaient la veille, comme sur des ennemis imagi- naires...

IRÈNE. Ce qu'elles défendent, ces bêtes, c'est leur petit, c'est leur chair. (A son fils.) J'ai été pour toi cette bête folle, Richard, quand tu étais mon petit. Je n'aurais eu que de la piété et de l'amour pour toi dajis n'importe quelle circonstance!... Et ma pas- sion, je t'cai réponds, aurait parlé plus haut que ne parle maintenant ta justice ! Je me serais laissé tuer pour toi, sans discuter... Maintenant, c'est vous qui faites renaître cet instinct-là dans mes entrailles, pour un amour coupable, soit! mais que vous me for- cez à défendre et que je défendrai de toutes mes forces, je vous en avertis... Essayez!...

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Maman Colibri

Elle s'agrippe à la porte, dressée, presque ter- rible.

RYSBERGUE. Et bien, si tTi veux être frappée senile, tu le seras!

IRÈNE. . A la bonne heure!

RYSBERGUE, Mals pas comme tu l'en- tends ! Je ne suis point un mari qui tue sa femme. Depuis un quart d'heure im. te mé- prends étrangement ; tes nerfs t'affolent et t'abusent. Puisque tu nous reproches comme un crime de vouloir châtioi' ce petit misé- rable, j'-ahandonne toute expiation; sois heureuse ! Seulement, puisque aussi tu répu- dies les liens les plus saints de la femme et de la mère, puisque tu nous bafoues et jettes un défi pareil aux tie^is^ à ta famille... hors les lois, hors le monde ' -

IRÈNE. Ah! le monde!... c'est lui qui m'est égal!...

RYSBERGUE, continuant. ïu trouveras juste et bon qu'à cette famille tu ne fasses plus jamais appel ! Elle ne te répondra pas! Tu peux partir, si tu le veux... tu romps, mais c^est pour toujours ! Sache- le... Tu es avertie et tu as encore le choix,

IRÈNE. C'est tout choisi.

RYSBERGUE. Alors, passc immédiate- ment ce seuil que tu ne fraaic^iiras plus ja- m-ais... (Le poing dressé.) Va-t'en! va-t'^a donc ! (// la pousse et refei-me brutalement la porte du jardin derrière elle. Bichard veut s^ élancer vers sa mère. D'un geste impérieux, son fpère Ven empêche.) Toi, reste- là!... C'est fini!...

i

-^.-Tr^rT-wTBas»

LODISA. Madame s'ennuie a i>iner seule?

ACTE TROISIÈME

Une maison d'habitation à 'El-Biar, sur les coteaux d'Alger. C'est la salle à manger aiyec vaste ouverture sur le jardin, bourré de roses et de géraniums. Des glycines battent au vent sur Iki po.ie. Très loin, on aperçoit la mer. Le soleil se couche sut Alger. La salle à manger, à Vorientale, est tout à la chaux blanche, avec, seulement, de vieilles céramiques qui font le tour de la pièce. On aperçoit dans tous les coins, au plafond, des guirlandes de fleurs fraîches, un peu comme pour les processions.

Des coussins Liberty mettent partout leur note acidulée.

Irène mange sur une table d'ébène, sans nappe.

SCENE PREMIÈRE

IRENE, UN Domestique, puis LOUISA

IRÈNE, à un domestique. La suite!... MonsieujT ne rentrera probablement plus dîner... Je ne comprends pas... 11 n'avait pas averti ?

LE DOMESTIQUE Non, madame.

IRÈNE. A quelle heure le cocher av^ait-il ordre d'aller chercher monsieur ?

LE DOMESTIQUE. Comme d'haibitude; il devait être à la caserne à cinq heures,

IRÈNE. Quelle voiture Jean a-t-il prise.''

LE DOMESTIQUE. La victoria, madame, attelée à deux.

IRÈNE . ^ A la 'bonne heuire ! Avec un seul cheval nous avions mis plus de vingt- cinq minutes pour monter d'Alger, le même temps que par le tramway, (/l Louisa qui entre.) Ah! Louisa, est-ce que vous avez mis le mainteau de monsieur dans la victoria? Je vous l'avais leoommandé. 11 fait un peu froid quelquefois au tournant d'El-Biar,. avec le vent de la mer qui monte.

LOUISA. Non, madame, monsieur m'ô^ attrapée la dernière fois, en me disant qu'un macfarlane ce n'était pas d'ordonnance, et qu'il n'était pas un soldat en sucre.

IRÈNE. Si, si... voilà oii est son erreur.

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Maman Colibri

JInfin ! Pourvu qu'il n'attrape pas mal ! (Tout en mangeant, elle regarde la pendule.) Huit heures... Il ne dînera pas. C'est dommage.

LOUiSA, s' approchant de la table. Mar dame s'ennuie à dîner seule?

IKiiWt. jHjH BIEN, QUOI, CHÉRI V... TU AS DÎNÉ?

IRÈNE. Oh! ce n'est pas pour ça. Je lui avais fait faire des sorbets à l'orange qu'il aime tant.

LOUISA. Madajne se trompe; il ne les ^ime pas à l'orange. Cest à la violette qu'il les aime... Madame ne se souvient pas?

IRÈNE. C'est vrai. Suis-je bête!... Eh bien, alors tant mieux, vous voyez, qu'il ait dîné à Algerr ! Il y a une providence, évidem- ment. (Au domestique qui passe un plat.) Qu'est-ce que c'est que ça?

LE DOMESTIQUE. Ce sout de petites pommes de terre de la propriété.

IRENE. Bu jardin? (A la femme de chambre.) Admirable! Croyez-vous, Louisa, quelles amours! Est-ce qu'elles sont aussi petites quand elles sont vivantes?... Jam-ais je n'aurais cru que notre jardin produirait comme il produit. Faudra envoyer ça au concours agricole d'El-Biar. (Montrant les guirlandes aux quatre coins de la pièce.) Pourvu qu'il rentre, monsieur... Nous en se- rions pour nos frais.

LOUISA. Ah! oui, les lampes de fleurs! Madame peut être tranquille; monsieur ren- trera. Il a sûrement demandé la permission

de minuit puisqu'on doit voir, ce soir, à onze heures trente-cinq, la fameuse éclipse de lune, a^vec miss Deacon et sa. mère. Mof dame se souvient? ''

IRENE. C'est vrai. Je n'y pensais déjà plus! Dieu, que c'est ennuyeux! Voilà ma soirée gâtée. 11 y a trop d'Américaines à Elr Biar. 11 y a trop d'Américaines partout d'ail- leurs. Je vous demande un peu pourquoi tou- tes les Améî'icaines ne restent pas en Améri- que! (On entend dehors, du côté du jctrdin de lointains bruits de voix rieuses.) Tenez, écou- tez-là ! (c Play ». Comment, elles jouent en- core au tennis à huit heures du soir?... Enfin ! je leur pardonne les bruits qui vien- nent de leur jardin, à cause de l'odeur de leurs vieux orangers. En ce moment, c'est exquis... Vous sentez, Louisa?

LOUISA. Oh ! madame, moi, la fleur d'oranger, ça ne m'emballe pas. Je trouve qu'on fait beaucoup de chichi pour cette fleur-là. Je me disais toujours que ça devrait être mieux sur les arbres que sur les robes de mariage, mais depuis que j'en vois tant, je trouve que ça fait encore bien mieux sur les robes de majiage.

IRÈNE. Cest une opinion de couturière qui a sa poésie. En attendant, tournez le bouton pour voir si l'électricien a bien donné le couvrant.

La femme de chambre tourne un bouton électri- que. Toutes les guirlandes s'embrasent. Les lampes sont cachées dans les fleurs.

LOUISA. Oh! ce sera superbe, madame, quand il fer^ tout à fait nuit.

IRÈNE. N'est-ce pas? c'est assez réussi...

LOUISA. Le jardinier a eu beaucoup de mal à se procurer les ibiscus et autant de bougainvilleas.

IRÈNE. Oh! j'entends la voiture. Vite, voilà monsieu*r, éteignez. (Louisa éteint les guirlandes. Irèn-e se lève. Elle va sur le seuil et fait des gestes en Vair avec sa ser- viette.) Eh bien, quoi, chéri?... tu as dîné?

LA VOIX DE GEORGET, dchors. Ne m'en parle pas! Cette brute de margi à qui il a fallu que j'offre à dîner!... Je me sauve seu- lement à la minute... Oui, oui, vous pouvez dételer. A minuit... le cheval alezan...

SCENE II

MENE, GEORGIET

Il est en uniforme de chasseur d'Afrique. A son entrée, Irène se recule et part d'un grand éclat de rire. Georget fronce les sourcils.

IRÈNE. Ecoute, je ne peux pas encore m'y habituer!... Ne me gronde pas, je ne le fais pas exprès. Mais ils ont l'air de t'avoir déguisé, mon pauvre amour!...

Maman Colibri

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GEORGET, vexé. Tes plaisanteries tom- Ibent à pic !

IRÈNE, se jetant à son cou. Pardon, paj"- don, petit trésor, je ne recommencerai plus. Je te jure que c'est la dernière fois... Je serai bien sage!... puisque je te le jure! Il n'y la pas de ma faute. Moi, je n'ai pas l'es- prit militaire... Tu comprends, dans mon cœur, je te vois a.vec des grandes soies bleu -pâle, comme un jeune seigneur de Van Dick... alors!...

GEORGET. Justement... je finirai par avoir l'air d'un militaire d'opéra-comique, •en conciliant les goûts de ma maîtresse et ceux de ma patrie... Il vient de recevoir un ■savon de son colonel, ton Van Dick... qui se porte bien !

IRÈNE. Non?... Pourquoi? Quel tou- pet!...

GEORGET. Il m'a dit que je dépassais la •mesure, qu'il n'avait jamais vu un soldat se faire amener au quartier, en voiture à deux «chevaux.

IRÈNE, avec indignation. Il voudrait peut-être que tu ailles à pied d'El-Biar ! Vieille baderne!... Je connais justement la -cousine du gouverneur qui est très en cour et je...

GEORGET, Cinterrompant. Oh! non, non! je t'en prie!... ne t'en mêle ^jas. Avec ta compréhension des choses m.iJîtaires !... Et puis le colon m'a encore dit qu'il savait que je jouais beaucoup dans les cercles et que ma maîtresse s'affichait trop avec moi.

IRÈNE. 11 ne voudrait pourtant pas que je m'affiehe avec un autre pour lui faire plaisir.

GEORGET. C'est cc quc j'ai failli lui ré- pondre. 11 m'a encore dit que lorsqu'on por- tait un nom illustre comme le mien dans les •fastes de l'armée, etc., etc..

IRÈNE. Alors, qu'as-tu répondu?

GEORGET. J'ai répondu que, précisé- ment, je me conduisais comme un fils de fa- milip doit se conduire au régiment, et que si 'on voulait républioaniser l'armée, j'étais décidé à m'y opposer, en ce qui me concerne, dans la mesure de tous mes moj'^ens.

IRÈNE. Alors, il t'a flanqué quinze jours de salle de police?

GEORGET. Non. 11 a souri, La politique in'avai»t sauvé encore une fois!... Du coup, j'ai offert prudemment à dîner au margi... je me suis pauvé aux liqueurs et me voilà... ^t au lieu des effusions bien naturelles que j'attendais, je reçois...

IRÈNE, se rejetant à son cou. Si on peut dire! D'abord, au fond, tu es charmant de la sorte. C'est autre chose. Tu as du chic.

GEORGET. C'est ce qu'on me dit tous les jours dans la rue.

IRÈNE Et puis, il faut bien se blaguer un peu, hein ? On ne peut pas .toujours être sérieux.

GEORGET, avec timidité. Enfin... je vais passer un veston, tout de même... {Mouve-

ment de rire d'Irène.) Mais simplement parce que je suis couvert de poussière. La route est un tourbillon, avec le vent du soir. Réserve- moi un peu de dessert, ij^' approchant de Ic^ table.) C'est bon ça?

IRÈNE, Pardon, pardon, petit trésor, je

NE RECOMMENCERAI PLUS.

IRÈNE. Tu m'en diras des nouvelles. Va...

GEORGET, sort en appelant le domestique, Charles !

SCENE m

IRENE, LOUISA

IRÈNE, à Louisa qui est rentrée. Mon- sieur n'a pas remarqué les fleurs... tant mieux. (Louisa a un grand carton sous le hras; elle le déhalle.) Qu'est-ce que c'est? (Elle s'approche.) Ah! les é<^harpes égyp- tiennes... Enfin! La bonne femme vient de les apporter ?

LOUISA. Elle a dit que madame choi- sisse celle qu'elle voudra. Elle en a mis trois.

Irène en essaye une. Elle a défait son peignoir léger.

14

Maman Colibri

ïRÈNE. Tenez, aidez-moi. Voilà com- ment on l'accroche sur la poitrine... {Parlant à la porte ouverte, par Georget est sorti.) Geo, on m'a apporté de vieux voiles de ma/- riée égyptiens.

VOIX DE GEORGET. Ah! parfait!

IRÈNE. Tu verras comme ils sont exquis!... Celui que j'essaie sent le benjoin et l'encens. Il a servi sûrement... Il a cou- rei't" d'autres épaules... et s'en souvient.

louisa". Ben, vrai, le drôle de voile de nooefe !

IRÈNE. On ^s porte ainsi... là-bas.

LOUISA. Il ne ressemble guère aux nôtres... quand je dis aux nôtres... je veux dire, du moins, celui que... par exemple... madame...

IRÈNE, vivement. Oui... oui... C'est celui-là, voyez-vous, rose et argent, avec tou- tes ses étoiles, que je garderai... Vous ren- drez les autres. ^ LOuisÀ. Cest le plus joli.

IRÈNE, serrant d'un joli mouvement sa gorge nue sous le voile rose, et les yeux volup- tueusement clos. Je ne sais pas, mais c'est le mien. (Entendant les pas de Georget.) At- tention!... à la manœuvre!... Une, deux... tJTois. ..

Les fieurs se rallument, partout»

même! Je me sens une âme hoùrgeoise que mon pays, hélao, ne sait pas apprécier.

IRÈNE. Oui... Qu'on est heureux dis? Je ne rêvais pas un tel bonheur. (Tout à coup effrayée de ce qu'elle a dit.) Mon Dieu, touche du bois, vite !

GEORGET. Le pied de la tafcle.P..» C'est bon tout de mêmer. ..

IRÈNE. Tiens, pourquoi pasi

GEORGET. Alors, tu ne te fiches plus de ton pauvre bleu ?

IRÈNE. Prends. Et prends.

SCENE lY

Les Mêmes, GEORGET

IRÈNE, battant des mains. Qu'en dis- tu?

GEORGET. Epatant! c'est féerique!... et d'une cou' pur adorable...

IRÈNE. - J'ai fait arrant;er ça, ce matin, par l'électj Gien qui est venu poser les fils de la salle de oiain... Tu vois, c'est très simple, des lampouies dans des fleurs

GEORGE1 Maie il fallait avoir le goût de l'assortiment.

IRÈNE. - Voilà! Je n'ai rien à faire pen- dant que tu es à la caserne... il faut bien que je m'amuse... Et maintenant, mange! Tout à l'heure tu n'aurais plus faim. Qu'est-ce que tu guignais ?

GEORGET, s'approchant de la table et mon- trant un fruit. Ça. (Fuis désignant du doigt la gorge d'Irène entr'ouverte sous le voile.) Et ça...

IRÈNE, lui servant le fruit. Prends. (Puis elle s'approche de lui le cou levé.) Et prends.

Xi l'embrasse sur un coin de chair rose.

GBORGET, après s'être assis à la table. Ah! qu'il fait bon d'être chez soi, tout de

IRÈNE. J'iadore le bleu. GEORGET. Terrible! Qu'est-ce qui te^ rend si bête?...

IRÈNE. L'amour! le pauvre, absurde et doux amour!... Ah! l'heure adorable, chéri! Je les goûte en avare, ces heures... Je les respire comme des pêches... Voilà notre soir, notre beau soir qui monte, qui entre par les fenêtres... Le coucher du soleil arrive en même temps que toi, tous les jours; c'est un phénomène naturel dont il me semble que je ne pourrai plus jamais me passer, quand tu auras fini ton service et qu'il nous faudra quitter mon paradis potager et ma colline et tout ce que je lui laisserai !...

GEORGET. Rien ne nous obligera à nous en aller, d'ailleurs...

IRÈNE. Si. Vois-tu, il y a des forces^ supérieures à nous-mêmes qui nous chassent toujours en avant... En avant! Il faudrait pouvoir arrêter les minutes ineffables! On les prolonge, mais ce n'est plus la même chose ! Jamais plus je ne retrouverai ce mo- meint unique, bête et charmant de ton exis- teaice, qui est un signet si étonnamment précis parmi les feuilles éparses des an- nées... Arrête-toi donc, soleil!

GEORGET. Si tu y ticus absolument, je peux faire trois ans de service, tu sais?... Ma galanterie ne connaît pas de bornes.

IRÈNE. Bah! après cela, ce sera autre chose... d'autres formes de nous-mêmes... Mange va, mon petit!, mange, ne m'écoute

Maman Colibri

4'>

pas rabioter. J'aime te voir avoir faim, avoir bien faim... Tiens, encore un fruit, tu veux F

GEORGET. Il est de chez nous? RENE, extasiée. De chez nous! comme tu as bien dit cela!... oui, de chez nous, de notre boîte... Avoue qu'elle est exquise notre maison, quand on la voit de la route ©n montant... Elle dit bien ce qu'elle est, ^hein? Elle est positivement plus tendre que les autres dans le feuillage... avec le bruit gai de sa fontaine et de ses oiseaux...

GEORGET. Tu es lyrique, mais juste.

IRÈNE. Je suis lyrique parce que je réalise wa rêve... le grand, grand rêve! Je suis lyrique pour la maison, parce que je n'en ai jamais eu qu'une : celle-ci.

GESORGET. Ingrate! Et les nôtres d'avant?... EHes ont eu leur bon.

IRÈNE, JNon, non, elles n'existaient pas : nou-s n'y ét^'ons pas ensemble; nous les volions... Ces choses-là se passaient avant moi, je ne m'en souviens pas... je ne me sou- viens de rien... Maintenant seulement j^ existe... Mon corps est nouvetru. Il me semble que je vivais dans des gaines, à l'ombre... maintenant tout mon* être est libre. Je pousse... La cosse est craquée.

GEORGET, montrant en souriant sa robe lâche, elle paraît effectivement très nue. Et bien craquée encore!... Je ne m'en plains pas... C'est vrai, tu es autre, tu n'es plus la même maîtresse... Ce n'est pas l'hi- ver dernier, dans tes salons de l'avenue Friedland, que tu aurais osé une toilette pareille.

IRÈNE. Ajoute tout de suite que je m'encanaille!.. Ah! si tu savais la joie que j'éprouveî Je peux dire à mes bras ': vous •êtes libres d'être nus, d'être beaux, d'être roses, ne vous gênez pas... Ces petits doigts- craignaient les bagues trop chargées ; ma gorge, les parfums trop forts... Mainte- nant, je ne suis plus que de l'amour. J'ai les ongles trop faits, les veines plus pou- drées, les vêtements indécents, communs et lâches... et je laisse aller tout le corps, li- tre, herureux de ta maîtresse, comme un Douqu-et trop serré qui se dénoue tout à coup. Dieu qu'il fait bon!

GEORGET. Ah ! quelle griserie monte de toi et de tes parofesl Oui, c'est autre chose... Tu vous laisses dans une atmosphère extra- 'Ordinaire qu'on emporte, ensuite, avec soi, partout, et qui enivre les heures les plus banales de la jon/née... à ce point que...

IRÈNE. Que d'autres en profiteraient?

GEORGET. Non... mais presque. (Le do- Tnestique entre.) Prends garde!

IRÈNE, sans détacher ses bras du cou de Georget. Par exemple!... c'est un sou- venir d'esclavage! Prendre garde, à quoi? Laisse-moi savourer en paix les privilèges de mon déshonneur.

Elle reste enlacée, devant le domestique.

GEORGET. Qu'est-ce que c'est?

LE DOMESTIQUE. Un livro que M"® Dca- con envoie à monsieur.

GEORGET. Ah! au fait!... (.4 Irène.) Oh! rien... un rDman dont elle me parlait hier et qu'elle avait promis de me prêter. C'est sans aucune importance... Pourquoi fen vas-tu?

IRÈNE. Moi? je ne m'en vais pas...

GEORGET. Si, pour une raison ou une arutre, tu trouves qu'on se voit trop...

IRÈNE. Mais tu es tou, chéri!

GEORGET. Non, nou, tu as tiqué quand on a apporté le livre.

IRÈNE. Je n'ai pas tiqué du tout. Tu te tcompes mon chou... Que veux-tu que ça me fasse? Je la trouve charmante, notre voisine... très distinguée... un peu snob, mais charmante.

GEORGET. Oui, uu peu snob... Il faut penser qu'elle est cousine par alliance du président des Etats-Unis. Elle croît que cela lui crée des titres au respect des mu- fles.

IRÈNE. Je ne l'aurais pas reçue chez moi!... Il est vi'ai, qu'elle n'en sait rien!... La chose, précisément, que je trouve étrange, c'est que des gens aussi bien élevés qu'elle et sa mère, mettent tant d'insistance à frayer avec nous. Enfin, elles ne peuvent pas se faire d'illusion, . franchement, sur notre situation ir régulière?... S'il est une union qui ne laisse pas flotter de doutes, c'est la nôtre... Alors?

GEORGET. Oh! les Américains, tu sais... En pays étranger, ils ferment les yeux devant nos mœurs de sauvages...

IRÈNE. Les jeunes filles ne ferment jamais les yeux dans aucun pays, mon cher ; excepté quand elles sont en quête d'un mari et d'un titre... 'Un parti pour toi, tiens!

GEORGi». Méchante! je n'aime pas ce genre de plaisanteries de mauvais goût.

IRÈNE. Je m'amuse. Tu peux voir miss Deacon tant que tu voudras, ici, chez elle. Je ne suis pas jalouse; tu le sais bien, cher chéri. Je suis même très heureuse qu'elles viennent ce soir, nos voisinee, car elles vont venir, tu sais, pour... la machine, là...

Elle montre le ciel.

GEORGET. Je sais. On ne m'a accordé la permission de minuit qu'en faveur de cet événement.

IRÈNE. C'est curieux, une éclipse? Je n'en ai jamais vue. Ça m'impressionne...

GEORGET. Il faut avojr vu ça. Puis, c'est une distraction.

LouisA, entrant par le jardin. Ma- dame, voilà M^« Ledoux qui arrive à la grille.

GEORGET. Zut!

IRÈNE, Pourquoi?

GEORGET. Cette vieille roulure m'iu' supporte...

46

Maman Colibri

IRÈNE, Georges!

GEORGET. Vrai, je ne comprends pas cette relation... ni ton intimité avec un laissé pour compte pareil!...

IRÈNE. Dame ! je ne peux plus rece- voir de princesses maintenant... que celles qui ont épousé leur chauffeur, îT'aime mieux M^^ Ledotfx. Elle est très bien ; c'est une philanthrope; elle a admiraMement monté et avec son seul argent cette fabrique de tapis orientaux pour rappren- dre aux petits Arabes leur art et leur in- dustrie... C'est très louable, et très artiste.

GEORGET. Ce qu'elle a turbiné ! On m'ta raconté sa vie... quelqu'un qui l'a connue... Elle en a fait des f rasqoies, dans son temps !

LOUISA. Madame, votla. madame Ledoux

QUI ARRIVE A 1,A GRILLE.

Elle a été la maîtresse du prince Grimaldi, paraît-il, à qui elle doit sa fortune; elle a été célèbre dans la diplomatie à Vienne, et c'est un peintre, avec lequel elle était venue ici, qui lui a laissé le goût des arts... Le nom bien calme et bien sage de Ledoux, qu'elle honore, ne l'a pas protégée contre les orages et son tempérament. C'est un wimirable échantillon.

IRÈNE, assise et lançant au loin une bouf- fée de cigarette. Pas bien rare, va, ma Gette!... Dans tous les faubourgs élégants des grandes villes cosmopolites, sur toutes les hauteurs des beaux points de vue, il y a de ces vieilles-là. On en rencontre tou- jours. Ce sont des ruines errantes qui ont voulu bâtir leur dernier refuge sur un beau fiite autrefois admiré en passant, dans les époques de joie... Elles s'en souviennent et alors elles y viennent mourir. Il y en a comme cela en Suisse, en Algérie, ailleurs... C'est toujours sur un coteau il y a des villas

et un joli cimetière... M™^ Ledoux m'e&t infiniment sympathique.

Elle sourit, rêveusement, en regardant une volut© de fumés qui s'en va vers la fenêtre.

SCÈNE V

Les Mêmes, MADAME LEDOUX

accompagnée de deux petites Arabes qu' pousse devant elle.

MADAME LEDOUX. Je VOUS avais promib de vous amener deux de mes jeunes élèves... Vous voyez que j'ai tenu parole.

IRÈNE. Ce sont des petites filles?

MADAME LEDOUX. - Autheoitiques. (Aux petites.) Et montrez de suite à madame vos échantillons. Voyez, nous vous avons ap- porté des échantillons de notre travail.

IRÈNE. Comment! elles font déjà des choses aussi compliquées ?

MADAME LEDOUX. D'apfès Ics vicux des- sins arabes. Il faudra, vraiment, que vous veniez un jour, à la fabrique, les voir, at- tablées derrière leurs métiers. (Ait« pe^ tites.) Qu'eet-ce qu'on dit, allons? Goul'es- Salam? (Elles murmurent quelques mots arabes avec gravité :) « Msal-1-rheîr, ia- lalla. Ouaoh h'alek. »

IRÈNE. Elles sont mignonnes tout plein.

MADAME LEDOUX. Et faites le salut... Voilà...

IRÈNE. Elles ne disent pas un mot de français ?

MADAME LEDOUX. Ellcs savent dire bon- jou. Et puis elles chantent aussi quelques- petites chansons...

iRÈNEc Ohl qu'elles nous en disent une!

MADAME LEDOUX. Chantcz, à ^'-. dame, l'hirondelle de Mustapha.

LES PETITES chantant.

Tu t'en vas la z'hirondelle, Tu t'en vas la z'hirondelle, Dis bouzou à Mustapha, Dis bouzou, bouzou, bouzou...

Irène rit.

IRÈNE. Georges, veux-tu les mener à la cuisine; tu leur feras verser un verre de sirop et donner des gâteaux. On peut...

MADAME LEDOUX. ' Si VOUS VOulcZ. VoUS

êtes bien aimable.

GEORGET, avec un souverain mépris tout militaire. Allez, oust, là, le gourbi I Inaaldinoummek!... Croyez-vous que je parle bien a«rbi!... (^Se retournant, à Irène.) Je vais passer chez les Deacon leur deman- der à quelle heure elles comptent venir,

IRÈNE. Mais certainement, mon loup...

Maman Colibri

47

MADAME LEDOUX. Je vous avais promis de vous amener deux de mes jeunes élèves...

SCENE YI

IRENE et MADAME LEDOUX, seules.

IRÈNE. Eh bien, ça ma.rc'he aveo la pe- tite Deacon, ça marche même à pas de géante. Qu'est-ce que je vous disais?...

MADAME LEDOUX. Saprelotte, ne vous

mettez donc pas martel en tête pour queK ques peccÊwiilles...

IRÈNE. Ils en sont déjà loin. Tenez, vous n'avez pas remarqué que je jouais très incidemment aveo ce livre, mais sans le lâ- cher, pendant que nous causions... Il était très ennuyé ; il aurait bien voulu me le prendre... C'est un livre qu'elle vient de lui envoyer, à lui... Je suis sûre que, si nous l'ouvrons, nous trouverons quelque raison à(

4&

Maman Colibri

cet envoi... (Elle ouvre le livre.) Tenez... une page cornée... une phrase soulignée : <( Prenez gar'cle, l'amour d'une jeune fille ressemble à ces eaux qui ne sont trop froi- des que parce qu'elles sont pures... » Hypo- ca'ite, va! {Elle furète encore dans le livre.) Et là, tenez, tenez... comme par hasard... sa photographie!... oubliée là-dedans pour qu'il la prenne. (Elle a un mouvement im- pulsif, comme pour jeter le livre. Elle se reprend et le pose, avec douceur, sur la table.) Allons, remettons tout en place... 11 ne faut pas déranger les nids qui se forment.

MADAME LEDOUx. Vous pleurez ?

IRÈNE. C'est possible... J'ai regardé

lEÈNE. C'est vrai qu'elle est très coupée.

LA LIGNE DE CHANGE

ma main depuis hier... Ça m'inquiétait ce que vous m'aviez dit... c'est vrai qu'elle est très coupée, la ligne de chance !

MADAME LEDOUX. Seulement, elle est longue.

IRÈNE. Oui, mais il y a des routes, toujours de petites routes sèches et ravi- nées qui traversent... et ça s'en va... ça s'en v^... La première, c'est peut-être celle de maintenant, dites?... Elle est plus creuse... plus impressionnante...

MADAME LEDOUX. Voyous, VOUS n'allez pas croire à ces calembredaines! Je m'amu- sais... Ne restez pas ainsi, votre petite main tendue... Elle a l'air de demander l'aumône.

IRÈNE. Au destin, madame Ledoux, au destin... elle demande sa pauvre aumône (Elle soupire : un temps.) Dites? dites?... Est-ce dur, la vieillesse?...

MADAME LEDOUX, éclatant de rire. Mais

c'est très impoli ce que vous me demandez !

IRÈNE. Vous ne m'avez pas comprise.

MADAME LEDOUX. Si, si, alicz... je ne m'illusionne même point. Vous avez été atti- rée par moi, moins à cause de votre voisinage, qu'à cause de ma (( légende »... Ah! la mère Ledoux! Ce qu'elle représente pour vous!... Vous interrogez ce vieux visage, autrefois ca- ressé... C'est le pressentiment de vous-même qui vouis attire... Eh bieii, ma petite, on ne vous a pas trompée. J'ai aimé... j'ai étreint... j'ai désiré... un peu de tout... pêle-mêle... Ça été exquis et féroce. .. Et il y a encore des jours oii ce tas de souvenirs, ça plaque, là... comme une brûlure... Oui, c'est ti'ès dur, la vieillesse. Rien ne guérit et tout y sèche.

IRÈNE, Oublie-t-on ?

MADAME LEDOUX. Bieu peu... bien peu!...

IRÈNE. Est-on hanto?

MADAME LEDOUX. Ce sont les beaux jpurs qui font le plus de mal...

IRÈNE, fronçant les sourcils, avec angoisse. Taisez-vous, taisez-vous, c'est affreux!... (Un silence.) Cependant, la résignation?...

MADAME LEDOUX, sccoue la tête. Pas nous.

IRÈNE. Ohut!... chut!

•Elle se met les mains sur le visage.

MADAME LEDOUX, troublce, essayant de vivi^ fier la conversation. Laissez-moi rire! Vous en êtes encore à la plus belle période de la. vie... La durée d'un collage comme le vôtre, passez-moi le mot, avec votre beauté, ces yeux-là et cette bouche, mais ça doit vous mener dans un fauteuil, à la cin- quantaine!... Dame, c'est déjà beau!... Alors, vous pourrez commencer à vous inquié- ter des petites frimousses qui passeront... Mais jusque-là, laissez-moi rirel Qu'elle vienne celle qui s'y frottera!...

irènt:. Elle approche, elle approche!... Dh! ce n'est pas plus la petite Deacon que je désigne... elle ou une autre, qu'importe!... Ce qu'il y 0. de sûr, c'est qu'elle doit venir; c'est fatal, cest mathématique... Lui aussi, mon petit Georget, il faut qu'il aille vers la vie !...

MADAME LEDOUX. Que ne vous êtes-vous dit cela un peu plus tôt!... Vous vous seriez peut-être évité bien des tracas.

IRÈNE. Madame Ledoux, écoutez bien ceci : ma famille, mes enfants, mon mari, une situation mondaine unique... j'ai tout brisé, sans une liésitation, parce qu'il était en danger, lui, le gosse... J'ai bondi vers lui... Eh bien, c'est à peine croyable, cette chose énorme qui a broyé à jamais, d'un coup, plus de vingt ans de ma vie, et toute l'économie de mon bonheur à venir, je l'ai accomplie écoutez bien cela sans une lueur d'espoir, avec la certitude absolue de sombrer tout de suite. Je me suis dit claire- ment, nettement, comme on se suicide : cela va être une seconde, une heure, je vais atta- cher ma vie à la course de ce jeune fou léger.

Maman Colibri

49

qui me brisera de suite... Une seconde, mon I)ieu, une seconde!... Et d'avoir vécu cett^ seconde-là, voyez-vous, je renoncerais facile- ment au pairadis, tant elle a été divine!... Il peut me martyriser, le cher ange, que je de- vrais lui dire encore : merci pour ta grâce et ta beauté... merci d'avoir fait sortir de moi ce dernier parfum dont je t'ai marqué pour la vie, merci, merci!,..

MADAME LEDOux. V^ous u'eu êtes pas là, je vous répète, que diantre!... Votre liaison a déjà pas loin de deux anjs d'existence... deux ans, ça coitipte... Des habitudes prises... •Si vous savez être habile, roublarde même... ■entretenir vos charmes... Moi j'ai bien mis quinze ans à crouler... Puis il y a les Iructs!... Tenez si vous êtes sage, j'ai une re- ■cette pour la peau...

IRÈNE. Ah! Dieu!... lutter? lui appor- ter, à côté du jeune visage, contre lequel il faudrait combattre, mon visage à moi d'an- née en année flétri, contracté... lui exhiber chaque matin in a consomption, être la vieille maîtresse qui s'accroche et qui dispute âpre- ment ses rognures de bonheur... jamais... ja- mais!... Il a vingt-deux ans, j'en ai quarante. Que voulez-vous faire à cela? C'est une ruine mathématique, une lutte sans merci!... A quoi bon la prolonger jusqu'à l'horreur?... ^Quoi, ma belle image remplacée dans ses yeux par une caricature?... Oh! la rancnne sourde... la porte de la maison qu'on ouvre 4tvec humeur... le regard mauvais qui guette la grimace de vos chairs... Dieu! mon pauvre amour, mon grand amour devenu... ça? Ja- mais, vous dis-je, jamais! INon, non, partir à. temps, s'enfuir... Je saurai lui laisser le -souvenir d'i^ne aventure exquise, d'une image adorable à laquelle il pourra toujours penser d'une façon reposante, sur laquelle ne planera pas le souvenir même d'une scène, d'une rancœur... Que le cadavre de cet amour-là me survive!... alors, vo}'6z-vous, de loin, je m'imaginerai que je ne suis ni vieille, ni morte pour lui... et je serai consolée. MADAME LEDOUX. Ce qui veut dire?

IRÈNE. Qu'un jour, je ferai mon paquet, simplement, sans phrases. Il n'entendra plus parler de moi .. voilà tout... Il ne m'aura pas vue faire autre chose que sourire et l'adorer.

MADAME LEDOUX. Oui, de l'ouvrage bien propre... pas de déchet... beau rêve!... On n'en a pas la force ! On se retient, on espère toujours être la plus forte. Le cœur vous cloue.

IRÈNE. Eh! parbleu, je devine bien que lorsque l'heure arrive, rien ne doit empêcher les grincements de dents, les mains tordues : u Pitié, pitié pour ta vieille chérie!... » Brr... Aussi ai-je préparé d'avance ma retraite. Ce qui doit vous perdre c'est d'attendre. Voilà la gaffe. Il y a un instant il faut partir, net, en cinq minutes. Eh bien, vous me croi- rez si vous voulez, je suis prête à quitter la maison demain, s'il le fallait, lent est pré- paré.

MADAME LEDOUX. PoUF le COUp VOUS

m'estomaquez, ma petite!...

Irène va à un secrétaire, l'ouvre avec une petite clé et en tire une lettre.

IRÈNE. Savez-voxis ce que c'est, cela? Regardez la suscription.

MADAME LEDOUX, lisant. A Georçcs de Chamhry...

IRÈNE. C'est ma lettre d'adieu... Oui, je l'ai écrite, cette lettre, d'avance, mainte- nant que je pouvais encore l'écrire... Après, au moment voulu, je n'aurais pas pu, voua avez raison, je le sens... C'est des cris, des in- jures, des -supplications égarées que j'aurais mises là-dedans. Tandis qu'il y trouvera tout le cœur pur de celle qui l'aura tant aimé...

MADAME LEDOUX. Etounant de sang- froid... mais imprudent. On fait d'excellents replâtrages ; si vous partiez, tout étant encore réparable ?

iRÈN^. II y a des rides qui ne sont plus réparables...

MADAME LEDOUX. Vous VOUS Supprimez peut-être dix ans de bon, avec ce système-là!

IRÈNE. Enfant!... Faut-il vous dire que je ne m'en irai que sûre et certaine que le coup de cloche est sonné?... quand je ne pourrai plus m'empêcher de crier!... J'écono- miserai, jusque-là, ce que je pourrai de bon temps... Oh! le coup de cloche!... On ne s'y trompe pas, allez ! Le sinistre coup de clo- che! Partir, laisser la place à d'autres!... comme dans la chanson, tenez, que chantait tout à l'heure votre petite...

MADAME LEDOUX. Ah! Oui...

Fredonnant.

Tu t'en vas la z'hîrondelle, Dis bouzou à Mustapha.

IRÈNE, souriante. Avec cette différence que la vieille hirondelle partira seule, infini- ment seule. Et encore ceci : que ce n'est point l'hiver qui la chassera...

MADAME LEDOUX. Et que' ^na-ce alors?

IRÈN'E, montrant (a porte apparaît miss Deacon à ce moment. Mais le prin- temps!

SCÈNE VU

Les Mêmes, MISS DEACON, GEORGET

MISS DEACON, entrant, suivie de Georget, st écartant d'un joli geste les glycines de Ventrée. Bonjour, madame... je n'entre qu'une seconde...

IRÈNE. Mais comment donc!...

MISS DEACON. J'ai accompagné votre mari jusqu'au bout du jardin, je me sauve!

IRÈNE, bas à M^^ Led/^ux. Mon mari.. Gredine, va!...

MISS DEACON, c'cst une jolie fiile de vingt

30

Maman Colibri

ans, pâle et fine, avec des sveltesses de lé- vrier. — Je venais seulement vous prier moi-même, de la part de ma mère, de venir chez nous, tout à l'heure, pour l'éclipsé. Nous la verrons bien mieux de la terrasse de notre maison et ma mère a été forcée d'invi- ter une dame que vous ne connaissez pas, la présidente d'une œuvre très intéressante à Londres, la Ligue des Repentirs momentanés. GEORGET. J'ai pensé que cela ne t'en-

6E0RGET. Le petit lapin va me donner

LA ROSE qu'il MACHONNE.

nuirait pas d'accepter l'invitation de miss Deacon ?.,.

IRÈNE. Du tout, du tout! Ici ou ail- leurs... Seulement voilà, vous serez privé du petit éclairage que j'avais préparé poiir faire la nique à la lune.

Elle allume les guirlandes.

MISS DEAGON. Ah! délicieux! J'indique- rai votre idée à miss Pink... Il faudra faire cela pour le dîner de l'ambassade. Cela com- plète génialement votre villa-bijou que j'adore.

GEORGET. C'esi uu joli petit pied en terre (Galant.) mais le vôtre le surpasse.

MISS DEACON. M. de Chambry a tant fait plaisir à ma mère tout à l'heure en di-

sant des choses si charmantes sur notre mai- son... et qu'elle était plus tendre que les au- tres dans le feuillage, avec le bruit gai de sa fontaine et de ses petits oiseaux. Heureuse- ment, nous n'en avons pas cru un mot... Ca' Paiisiens sont si blagueurs!

IRÈNE. Pas à Alger. (A M"^^ Ledoux.} La canaille ! il a utilisé une phrase que je ve- nais de lui dire.

MIS3 DEACON. Ce quB je préfère, ee sont les guirlandes mauves.

GEORGET. Seulement, elles vont se faner tout de suite. «

IRÈNE, entraînant ver.-^ la droite 11™« 7^5- doux. I?emontrez-moi vos éciiantilloas, voulez-vous ?

GEORGET, tas à mîss Veacon qui tient une rose entre ses dents. Le petit lapin va, me donner la rose qu'il mâchonne.

MISS DEACON. Preiiez-la.

GEORGET. Ce n'est pas commode.

MISS DEACON. Prenez-la comme il me plaît que vous la preniez.

Elle va se placer derrière Irène oui déplie siir ses genoux un des échantillons

Oh ! elles sont jolies, ces petites choses hleues, vertes, rouges...

IRÈNE. N'est-ce pae.^ C'est tout un petit rêve.

Elle laisse tomber la rose sur les genoux d'Irène. Il y a un mouvement d'hésitation. Georget hé- site à la prendre. La rose reste une seconde sur les genoux d'Irène.

GEORGET. Oh! pardon...

îl ramasse finalement la rose et la fourre dans la poche de son veston.

MISS DEACON, vivement. M. de Chambry ne s'intéresse pas aux choses artistiques. Re- gardez comme ils sont curieux, ces dessins.

GEORGET. Je les ai déjà vus.

IRÈNE, pâle, leur passant les étoffes. Pas assez... pas assez... (Elle remonte hrus- quement vers la fenêtre en entraînant ^jme Jjedouj'.) Tenez... venez voir, madame Ledoux... Je vais vous expliquer, d'après ce que j'ai lu dans journal, ce qui va se pas- ser... Ici, vous voyez, elle va décrire un cer- cle, et juste à côté de cette petite étoile toute petite, alors...

MADAME ledoux. Ah! oui... celle qu'on voit à peine ?

Elles sont toutes deux de dos à Georget et a misa Deacon.

IRÈNE, bas à j\I^° Ledoux, sans se re- tourner. — Admirez comme mon visage n'a pas sourcillé... Et ce sera toujours pareil... toujours... je le jure par ce heau ciel... Ainsi, à ce moment, savez-vous ce qu'ils font? Voulez-vous que je vous le dise?

MADAME LEDOUX. Oui.

Georget et Miss Deacon se font des signes

IRBINE, toujours sans se retourner, poin- tant son doigt vers le ciel. Mais paraisses

Maman Colibri

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vivement intéressée piar la lune... Ils se re- ga,rdcint longuement... sans rien dire... ils se pressent les mains, avec la peur, la déli- cieuse peur de moi... je le sens, j'en suis sûre... Ils font comme nous faisions, Georges et moi autrefois. C'est leur tour mainte- nant!... c'est de moi, maintenant, qu'on se crache... (Georges et Miss Deacon se sont rap- proches Viin, de Vautre et se pressent la main.) Je souffre !... Je sens mes jambes flageoler et quelque chose de lourd qui m'étreint et quii fait si mal... si mal... Eh bien, je vais me retourner lentement, naturellemeint, en leur laissant tout le temps de se détacher et il ne paraîtra rien sur mon visage, rien que le sourire le plus parfait et i'indifïéreîice la plus heureuse... regardez... [Elle se retourne très lentement, en sorte que Georget et la pe- tite se sont détachés. Irène, avec nn sourire exquis à miss Deacon.) Et ne changez surtout pas cette robe qui va si délicieusement avec le ton de vos cheveux et la couieur du soir. (Et avec le même sourire, elle se retourne en- core vers J/™® Ledoux et Iv'i dit ;) Vous voyez, ce n'est pas plus difficile que ça.

MISS DEACON. Madame de Chambry me gâte toujours.

IRÈNE. Comme c'était délicat et im- pressionnant le son de votre banjo, hier au soir, à travers les bosquets du jardin !

MISS DEACON. Oh ! VOUS pouvez supporter mon petit banjo?... Cela ne vous horripile pas? Quand j'en joue, c'est pouf m'amuser... Vous ne prenez pas cela au sérieux au moins P Le violon... c'est pathétique... j'aime.

GEORGET. Nous aimous bien aussi l'au- tre.. N'est-ce pas, Irène?

MISS DEACON. Oh ! je ne joue avec que ces navrantes romances anglaises si bêtes, si vulgaires... Elles n'ont pas de sincérité...

IRÈNE. Cela m'est complètement égal... J'aime, moi, la musique italienne de M. Tosti.

MISS DEACON. Oh! l'horrour!... Ce que je chantais hier, peut-être P.. .

« Era qua l'ora che volge... »

Elle chantonne. '

IRÈNE. Oui, c'est cela.

MISS. DEACON. Je u'aime pas cet air... Il n'a pas de sincérité.

IRÈNE, has à J/™« Ledoux. Que veut- elle dire par là? Ce doit être une allusion que nous ne comprenons pas.

MISS DEACON. J'cnteuds ma mè-re qui m'appelle... Excusez-moi... A tout à l'heure... (Elle prend congé. Serrements de mains, Georget Vaccompagne jusqWà la porte... A voix basse, sur le seuil.) Georget... Dearest!...

GEORGET, même jeu. Quoi?...

MISS DEACON. Tout à l'hcure, écoutez...^ je vais chanter pour vou^, pendant quje voua attendrez la lune, ici... comme moi... Selon que je sentirai que je pense à vous ou non... je jouerai du banjo ou du violon.

GEORGET. Si c'est du banjo I'

MISS DEACON. Si c'est du banjo, je me moque... vous savez bien.

GEORGET. Si c'est du violon?

Mibâ DEACON. Alors, je vous aime, et Je pense beaucoup à vous.

Elle 3orfc.

SCENE YIII

IRENE, MADAME LEDOUX, GEORGET

IRÈNE, à M^^ Ledoux. Elle est char- mante, n'est-ce pas?' Si, si... elle est char- mante... Comme c'est calme l'amour chez ces êtres-là! Heureux, heureux printemps!

GEORGET, redescendant. Fourbu!... Je tombe de sommeil. J'ai eu des corvées de fourrage aujourd'hvui. Je ne sais pas, d'ail- leurs, si je la verrai, cette éclipse. Il faut que je sois au quartier à minuit et demi, si je ne veux pas encore me faire attraper.

GEORGET. J'ai eu des corvées de

FOURRAGE aujourd'hui.

IRENE. Etends-toi là, mon chéri... r^

pose-toi un peu.

MADAME LEDOUX, sc levant. Moi, je n'ai que Le temps de ramener mes deux petites au dortoir !

GEORGET. Elles sout à jouer avec les bonnes...

Il s'étend sur le divan près de la fenêtre ouverte.

MADAME LEDOUX, à Irène. Ne vous dé- rangez pas... Je reviendrai demain..

J2

Maman Colibri

IRÈNE. Oui... demain! Cest un beau

. MADAME LEDOux. Vous verrez... j'ai niîle bonnes raisons à vous donner.

IRÈNE. Donnez-les vite, alors... car le aaatin ne doit pas être bien loin vous re- cevrez ma oarte avec les trois petites lettres étales P. P. C.

MADAME LEDOUX, lui Serrant la main avec effusion. Ne dites donc pas de sottises! Sentez-vous, au moins, comme je vous aime, îombien vous m'intéressez?...

IRÈNE. Ce sera plus tard, un bien très précieux pour moi de me le rappeler... Lors- que j'aurai besoin d'attendrissement, je pen- serai à vous.

MADAME LEDOUX. Tout Cela est désolant !

IRÈINE. Non pas. Ce sont les heures les plus cruelles, mais les plus belles de la vie. Uîi souvenir réussi, c'est souvent, pour les femmes, avoir su faire un chef-d'œuvre... A iemain encore, madame Ledoux.

SCENE IX

GEORGET et IRENE, seuls.

IRÈNE, s'approchant lentement du divan Georget s'est allongé. Tu t' as- soupissais, mon trésor? Tu es fatigué?... Dors un peu. ,

. GEORGET. C'est Cette existence de oa- aerne!... Ce capitaine qui nous fait lever à cinq heures, c'est intolérable ! Je me plaindrai fiu colon.

IRÈNE. Chut ! Tu as une bonne heure de «ieste devant toi... Je lirai pendant ce temps... Veux-tu? tu vas t'endormir avec mes lèvres sur ton front, dis?... comme nous laisions autrefois, tu te souviens, dans notre jjetit nid de la rue d'Auteuil...

GEOGETc C'est vrai pourt-ant...

IRÈNE, le berçant. Là...

GEORGET. Comme il fait chaud le soir ! Nous aurons un mois d'août terrible dans ce ^ays...

IRÈNE, comptant mélancoliquement sur ies- doigts. Mai... juin... juillet...

GEORGET. Aussi l'hiver prochain nous îTfjns,..

IRÈNE, V interrompant. Oui, oui, l'hivei prochain nous irons tu voudras... Dors, ma Gette, dors... Il y a une toute petite brise et des étoiles... Encore une de nos belles jour- nées monotones qui est finie!... Dors. Tu es bien là... un aboiement de chien... une chan- son, dans un café d'Alger, arrive jusqu'ici... Sur la mer, là-bas, la lueur d'un paquebot qui s'en retourne...

GEORGET, les ycux fermés, la voîx déjà lointaine. J'ai déjà fait cette remarque. Tu dis toujours de tous les bateaux : (( Ils s'en retournent »... Pourquoi?... il y en a qui partent, aussi bien...

IRÈNE. C'est vrai, c'est absurde!... Chut!... Laisse mes lèvres sur ton front... ne parlons plus... Laisse mes lèvres...

Ils restent ainsi un grand moment, lui, étendu sur le divan, elle à ses côtés, et la bouche col- lée à son front. Peu à peu on entend sa res- piration plus forte. Il s'est endormi... Tout à coup, au loin, un chant de violon.

Tiens! le violon... C'est pour lui qu'elle joue sûrement... et il ne l'entend pas... il s'est endormi... Son bon sommeil de vingt ans a été plus fort que tout!...

Elle le contemple, un sourire triste aux lèvres. Il dort, calme, la bouche entr'ouverte. Et le violon de miss Deacon joue toujours, au fond ' du jardin, derrière les orangers, un nocturne de Chopin, poncif et passionné... La lune monte... Des étoiles bougent...

Alors Irène, lentement, sans bruit, se lève. Elle va se placer sous la lumière d'une lampe... Du livre elle l'avait cachée elle sort la lettre que tout à l'heure elle avait montrée à M°" Le- aoux ; elle en ôte l'enveloppe. Elle pleure.

IRÈNE, lisant. Adieu, mon enfant.,. Qu& la vie te soit belle et heureuse!... Je t'ai écrit cela pendant que fen avais encore la force... Adieu, ma lumière, adieu, mon grand amour. Oh! que le bonheur Raccompagne, chaque jour plus pur, comme j'aurais voulu t'accompagner moi-même... longtemps!.,. Vois-tu, il vaut mieux que je sois partie... Seulement, mon enfant, mon pauvre petiot ., que je ne verrai plus jqmais... lorsque, plus tard... tu te rappelleras Colibri... lorsque. ..j

Et elle continue, ainsi, de lire, durant qu'il dort, i et que le violon chante, chante, dans le si- i - lence, là-bas, derrière les orangers, son air pon- cif et passionné.

SOUBRIAN. Vous êtes sure que c'est un petit garçon ?

ACTE QUHTRIÈME

Un salon cossu et bourgeois. Madeleine, Richard et Louis Sot^ hrian prennent le café, après déjeuner. Une nourrice est là, avec un poupon dans les bras, un poupon accablé de dentelles et dA voiles.

SCENE PREMIERE

MADELEINE, RICHARD, LOUIS SOU- BRIAN, LA Nourrice

LOUIS, soulevant le voile de l'enfant. Dieu, que c'est Laid un enfant de deux mois!,. Il paraît que quand je suis venu au monde, moi, j'étais charmant... J'ai perdu depuis... Est-ce qu'il dit papa et maman?

MADELEINE. Vous êtes bête! A de\ix mois?

SOUBRIAN. Je ne suis pas au courant, je n'ai pas l'habitude... Vous êtes sûre que c'est un petit garçon?... C'est curieux, il a tout à fait l'air d'une fille?... A votre place, je me méfierais, A moins que ce ne soit un nain... Et maintenant, enlevez-le, hein?... je veux prendre mon café en paix...

MADELEINE. Mousieur Soubrian, vous se- rez puni : vous aurez beaucoup d'enfants.

SOUBRIAN. Si vous voulez.

RICHARD. Est-il spirituel cet imbécile- là!... Nounou, vous ne sortirez pas avant trois heures. Vous accompctgnerez madame chez le médecin, avec le petit... C'est pour le lait stérilisé.

SOUBRIAN. Tu vas faire stériliser la nourrice ?

La nourrice sort.

RICHARD. Le médecin veut essayer un« alternance de biberon et de sein.

SOUBRIAN. Ça va la vexer, cette femîne; la concurrence. Elle ne débitera plus, vous verrez.

RICHARD. Dis donc... pour te ramener à des choses sérieuses, je vais alors t'écrire cette lettre. Tu passes aux Messageries, tu la remets en te nommant et en disant que tu es le fi-ls du directeur du Grand Radical...

SOUBRIAN- Ça ne leur produira aucaïc effet... La presse ne fait plus peur qu'<a5ii journalistes.

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Maman Colibri

RICHARD. Allons donc ! Tu verras qu^ils lembourseront dare-dare. Et tu reviendras m' apporter la réponse ici... Je ne sors pas avant trois heures.,. J'attends mon père. MADELEINE. Tou père doit venir? xicHARU. D'un moment à l'autre. -*^ sotJBRiAN. Vous allez au bureau ensem- ble?

RICHARD. Non... nous devons aller au Comptoir International pour une affaire... janis grande importance, d'ailleurs... une iïimple signature.

souBRtAN, Je le trouve un peu change, ton père, depuis quelque temps.

RICHARD. Il vieillit, n'est-ce pas? souBRiAN. Je ne veux pas dire ça. Il ^t moins à crin, voilà tout. Ah ! il a mis de l'eau dans son vin... Ce n'est pas comme mon j»aternel à moi...

RICHARD. Les événements intimes de ces àemières années n'ont pas été sans influer sojr lui. C'était un homme qui avait mis tout son plaisir dans le tram de la maison, les yéceptions, le décorum... Maintenant, cette vie de garçon n'a plus grand charme pour- lui. L'hôtel de l'avenue -briedland est trop grand.... on n'ouvre plus le rez-de-chaussée... Et mon mariage a coïncidé avec ces événe- ments.

SOUBRIAN. Pourquoi ne divorce-t-il pas et ne se remarie-t-il pas?

RICHARD. Oh! non... le divorce n'entre pas dans ses idées ni dans ses principes. Il ae faudrait guère lui en parler... Au fait, Madeleine, tout à l'heure, invite-le à dîner pour dimanche. Même s'il refuse, l'intention lui fera plaisir.

MADELEINE. Entendu. RICHARD. Je vais t' écrire la lettre tout ée suite, veux-tu?

Il écrit sur un petit bureau à droite.

MADELEINE, à SoutHan. Vous avez eu tort de faire allusion au grand scandale... Au f«nd, cela le désoblige toujours.

SOUBRIAN. U doit être blasé pourtant.

MADELEiNi!:. Il aime tant son père !

SOUBRIAN. Vous n'en parlez pas ensem- We?

MADELEINE. lie moins possible. Nous avons épuisé ce sujet au moment de la rup- ture de nos fiançailles...

SOUBRIAN. Est-il possible que vous ayez isérieusement voulu rompre ?

MADELEINE. Il a fallu uu moîs pour nous décider, ma mère et moi... Dame! après îe bruit suscité dans Paris... Cette horrible femme, songez donc!... Si vous croyez que c'est gai d'avoir cette célébrité dans sa fa- mille... Et encore, elle n'a pas fini de faire pfiurler d'elle, vons verrez... Heureusement, mes dispositions sont prises. Quoi qu'il ad- vienne, nous n'aurons jamais aucun rapport, même lointain, avec elle, et nous nous arran- gerons toujours pour étouffer le bruit qu'eUe

pourra soulever. Les idées de Richard sont, grâce au ciel, absolument les miennes sur chapitre. C'est un garçon très fier, vous savez, et il a gardé une rancune profonde à sa mère de toutes les horreurs qu'elle leur a débitées, au moment oii elle a claqué les portes. Car il parait que c'a été inouï le dé- part à la campagne... Que ne leur a-t-elle pas dit!... que les Chioiois avaient bien rai- son de détruire leurs petits à la naissance et qu'elle regrettait bien de n'en avoir pas fait autant!... Croyez-vous?... la vilaine femme !

SOUBRIAN. Et elle est toujouirs en Algé- rie avec lui!... Elle doit révolutionner la ca- serne, cette femme-là ! Et je lui aurais donné le bon Dieu sans confession!... Vous avez des tuyaux sur eux ?

MADELEINE. Oui, j'ai SU des choses in- conoevaibles. Ils mangent un argent fou. Ils ont des esclaves, il parait. Elle s'habille en reine éthiopienne... Elle a une baignoire d'argent...

SOUBRIAN. Non ?

MADELEINE. Comme je vous le dis. Elle est timbrée, cette femme-là ; elle finira dans un cabanon... J'ai vu une Anglaise qui a passé quelques jours chez des voisins, à eux ; on n'a pas idée!... Elle se promène dans son jardin presque toute nue... Et elle habille son Chambry avec des costumes insensés. L'Anglaise me disait : (( Oh! madame, je l'ai vu... il était beau! Il était sur un divan tout habillé d'une écharpe de soie pâle bleue... oh! c'était excitant!

SOUBRIAN. Beuj elle en avait du vice votre Anglaise!

Richard se lève.

MADELEINE. Hum ! Parlous d'autre chose (Raut.) Comment va votire ami Li- gnières ?

SOUBRIAN. Pas mal. Merci pour lui.

RICHARD. Voilà... Je la cacheté, bien entendu.

SOUBRIAN. S'il te plaît.

RICHARD. Vous parliez de Lignières?... Au fait, comment vont les anciens amis? Je ne les vois plus guère.

SOUBRIAN. Ça vieillit, ça vieillit, mon vieux... Eh oui! Ohaulin a. une grande ba,rbe noire et une situation dans les automobiles... Lignières? Tu te rappelles un après-dîner, il y a déjà deux ans passés, comme c'est loin déjà! chez toi, avenue Friedland?... il nous parlait de sa papetière... eh bien, fini, la papetière! Elle est partie avec un répétiteur du lycée Condorcet... Pauvre Lignières!...

La femme de chambre entre et passe une carte à Richard. Richard contemple la carte un instant sans rien dire.

Maman Colibri

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SCENE II

Les Mêmes, une Femme de Chambre

RICHAUD, à la femme de chambre. Cette personne est dans l'aiitichanibre?

LA femme de chambre. Oui, monsieur.

RICHARD. Attendez... Madeleine. {Ma- deleine s'approche. Il hn montre la carte.) Rega-rde.

MADELEINE, glaciale. Parfait. C'était fatal. (Un silence.) Que vas-tu faire .^

RICHARD. Voyons, je ne puis décem- ment...

MADELEINE. Entendu, entendu ; tu es libre. Seulement, rappelle-toi une chose...

RICHARD. Prends gurde à La femme de chambre. Parle bas.

MADELEINE. - Si tu ogis autrement que tu t'y es engagé, demain, demain, je serai chez ma mère.

RICHARD. Mais que vas-tu chercher?

MADELEINE. Parfait, c'était fatal. Que

VAS-TU FAIRE?

MADELEINE. Ceci dit, je n'ajouterai pas ■un mot, pias un. Je me retire dans ma cham- bre.

RICHARD. Voyons, Mideleine... nous sommes d'iaccard... parlons un peu... discu- tons, que diable!...

MADELEINE. La femme de cnambre at- tend la réponse.

LA FïîMME DE CHAMBRE. faut-il faire

entrer, monsieur ?

RICHARD. Attendez.

souBiiiAN. Ah ! je me sauve, moi, mes enfa^n-bs... J'en profite pour aller porter ma lettre. A tout à l'heure...

RICHARD. Une minute... Je préfère que tu ne oroises pas cette personne aaais l'anti- chambre... Faites entrer dans mon cabinet, Françoise.

MADELEINE. Du tout. Faites entrer ici. Les portes doivent être grandes ouvertes I

RICHARD. Mon petit...

MADELEINE. J'ai d' ailleurs un mot à dire ia\'«ant son départ à monsieur Soubrian. Vous voulez bien, monsieur Soubrian ?

SOUBRIAN Mais comment donc.

Il serre la main à Pâchard.

MADELEINE, à Souhrian à la porte. Pas- sez.

RICHARD. EcOUte-

MADEL7<:iNE. Je n'ai rien à écouter... rien à dfre... C'est à toi de te souvenir... Tu s^is ce qu^ ai as à faire... et c'est toi seul que cela regarde, toi seul... Ma dignité s'op- pose à ce que j'en entende davantage.

Elle entre à gauche avec Soubrian. Richard reste seul.

SCENE III

RICHARD, IRENE

La porte s'ouvre. La femme de chambre intro- duit Irène.

RICHARD. Bonjour maman... (Irène reste dans une posture vague et figée.) As- sieds-toi, maman... (Elle s'assied.) Tu es de paasa^e à Paris...

IRÈNE. Oui... de passage... alors... (Long silence.) Je te remercie de ta lettre... tu m'as annoncé la naissance de... tcm petit...

RICHARD. C'était bien naturel.

IRÈNE. Sij si. (Un silence.) Tii es... (!Se reprenant.) vous êtes très bien installés ici... c'est gentil.

RICHARD. Oh ! du Louis XVT bien or- dinaire. J'"ai acheté moi-même les meilleures pièces à l'Hôtel des Ventes.

iRÈr^, après une hésitation visible. Et... Paulot?

RICHARD. Eh bien... tu dois savoir... je te l'ai écrit... Il a été reçu trentième à l'Ecole polytechnique... c'est très beau...

IRÈNE. Oh! oui, c'est très beau... Et il est dans cette école alors... Il y vit.^...

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Maman Colibri

RICHARD. Naturellement.

IRÈNE. Je pourrai peut-être aller le voir... si on me laisse entrer... parce que, qutand on passe, n'est-ce pa,s?

RiciiARo. Mais rien n'est plus facile...

RICHARD. Non, non, je te remercie... Elle a été très bien soignée. Nous sommes à Paris depuis peu en somme... pour les der- niers mois... Nous avons séjourné très long- temps en Italie.

RICHARD.

Bonjour maman...

Tous les jours à six heures tu pourras le de- mander.

IRÈNE. S'il vaut mieux ne pas dire que je suis sa mère...

RICHARD. Tu plaisantes,

IRÈNE. On ne sait jamais... Ça pour- rait le gêner. (Un long silence.) Et -ta femme va. bien?... Elle n'a pas été trop éprouvée?

IRÈNE. Vous étiez partis tout de suite- après le mariage?

RICHARD. Le jour même.

IRÈNE. A quelle église vous êtes-vous mariés ?

RICHARD. A Saint-Louis d'Antin.

IRÈNE. Ah! pas à Saint-Augustin?

RICHARD. Non... (Gêné.) nous n'avons;

Maman Colibri

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pas fait grande invitation... Alors, la pa^ roi^se de nta femme noiiKS a paru...

IRÈNE. Oui, c'est juste. {Elle baisse la tête. Avec jAus d'effort encore cette fois.) Et le petit... llaoul...

RICHARD. Très gentil, très fort... deux mois... [Vivement.) 11 est à la promenade justement en ce moment... avec sa nounou.... au parc Monceau.

IRÈNE, désappointée. Ah!

RICHARD. Toi, tu as très bonne mine.

IRÈNE, avec un amer sourire. Tu trouves?...

SCÈNE IV

Les Mêmes, la Nourrice

La nourrice entre rapidement.

LA NOURRICE. Monsieur, je viens pren- dre le manteau de bébé... que j'avais laissé tout à l'heure.

RICHARD. Pi'enez, prenez... Vous n'êtes donc pas partis ?... Je oroy ads. . .

LA NOURRICE. Mais c'est monsieur lui- même qui m'a dit d'attendre madame, pour aller à quatre heures chez...

RICHARD, L'interrompant sèchement. C'est bon... Je ne me rappelais plus.

La nourrice sort.

SCENE Y

RICHARD, IRENE

RICHARD. C'est curieux, je croyais. IRÈNE, les larmes aux yeux, en souriant. Oh! ça ne fait rien... ça ne fait rien... Vous avez aussi une très jolie vue, là, dans \r galerie.

Elle détourne la tête.

RICHARD. On voit le parc Monceau. {Elle pleure sous sa voilette. Allant à elle, ému.) Maman...

IRÈNE, V arrêtant nettement du geste. Laisse. J'ai du chagrin. , beaucoup de cha- grin .. Laisse, je t'en prie... ça va passer... L'ém "»tion du premier moment.

Il se rassied. Silence.

RICHARD. Quand es-tu arrivée à Paris P

IRÈNE, Hier soir.

RICHARD, avec intention. Seule?

IRÈNE. Oui.

RICHARD. Et tiii retourneras après di- rectement à Alger ? IRÈNE. Non.

RICHARD. Cependant monsieur de... i*RÈNE. J'ai rompu avec monsieur do Chamb-ry.

RICHARD. Ah!

IRÈNE. Oui. C'est fini!

Elle pleure.

RICHARD. Désires-tu ^ revoir mon père?... Il est à Paris en ce moment.

IRÈNE. Ne me parle pas de ton père. Tu ne m'as pas comprise. Je suis venue te voir, toi, seulement... et je désire ne voir que toi... D'ailleurs, ma visite sera courte. Demain, j'irai voir Paulot à l'Ecole polytech- nique et puis je repartirai sans doute...

RICHARD. comptes-tu passer l'hiver i*

IRÈNE, souriant tristement. Ah ! oui, passer l'hiver... Dans La Riviera, peut-être... Seulement, c'est bien coûteux JDar là... Si je trouve une pension de famille à six francs, sept francs par jour... dans un petit trou... au Camet, par exemple...

RICHARD. Mais tu n'en es pas là?... Voyons!...

IRÈNE, simplement. Je n'ai plus d'ar- gent. J'avais deux cent mille francs de dot. Je les ai mangés... il me reste vingt-cinq

.RÊNE.

Laisse, j'ai du chagrin.

mille francs à peu près... En les mettant en viager...

RICHARD. Mais, maman, et moi ne suis- je pas ?

IRÈNE, rinterrompant avec une simple fer- meté. — Encore une fois, tu viens de ne pas

Maman Colibri

me oom prendre. Si j'ai pu m' humilier jus- qu'à te parler de cela, ce n'était pas pour demander l'aumône... Retire toii offre!

RICHARD. Oli ! je te connais trop pour supposer que tu daignerais t'adresser à moi! Seulement il ne s'a.git pas d'orgueil... il s'agit de vie pratique... et... {Elle fond en sanglots.) Ma pauvre maman!

IRÈNE. J'ai mal!... j'ai mal! Ah! je iais bien, tu dois te dire en ce moment : ( C'était prévu... la scène de larmes! » J'au- rais dû avoir plus de courage.

RICHARD. Que c'est bête, ce que tu ra- contes-là!

IRENE. Mais j'ai menti, tout à l'heu^re, j'ai menti... C'est vrai que je ne suis plus avec Georget, que c'est fini pour j;amais... c'est vrai aussi que je ne v^ux plus entendre jamais parler de ton père; mais, si je suis venue, ce n'était pas pour te voir seule- ment... c'était pour rester, pour qu'on ne me obasse pas!... Ah! n'est-oe pas? il ne faut guère être fière pour venir réclamer du se- cours à ceux qu'on a défiés?... Je n'ignore pas aussi tous les ennuis que je vais te créer... et que je vais transformer ton at- tendrissement en gêne et en embarras...

RICHARD, sans conviction. Mais non, mais non...

IRÈNE. Si. Je connais la vie... C'est maladrait, j'aurais m'y prendre petit à petit... mais tpait pis! Oh! je ne réclame pas grand' chose! Je ne serai pas un bien grand embarras... qu'on ne me case pais trop loin de chez vous, voilà tdut. Bien sûr, je ne de- mande pas à vivre ici... complètement... Pourvu que je puisse embrasser ton enfant... le voir souvent... ce petit que t«u n'as pas voulu me montrer tout à l'heure...

RICHARD. Simple mouvement machinal, je t'assure...

IRÈNE. Bien naturel. Ta femme a mis •comme condition à ton mariage qu'on enten- drait plus parler de moi... et je sais, en effet, qu'on n'en parle plus nulle part. Je suis un nom de scanda-ile, banni de la société. {Avec une voix lourde et somhre.) Il y a des reve- nants qui ne doivent pas revenir. . Votre monde à vous, maintenant, vous fuirait... Et ta femme le sait bien... Oh! mais je serai cachée, très cachée... on ne me verra pas, je vous le promets... vous n'aurez pas à souf- frir... Seulement, moi, j'aurai ma petite place ici... On l'emmènera me voir... voilà tout ce que je demande.

RICHARD. Mais oui, c'est arrangeable! Ça ne peut pas se faire en un jour, tout à coup... mais...

IRÈNE, avec emportement. Et puis, même si je vous gêne, même si tu ne m'as pas pardonné dans le fond de ton cœur, tant pis... je reste tout de même!... Que veux-tu que je devienne, moi?... veux- tu que j'aille maintenant?... La vieillesse, la misère, quoi ? Il faut bien que je pose mon front et mosS lèvres quelque part

Tout n'est pas mort en moi pourtant !... Il y a des tendresses qui me reclament en- core... Je saris bien que j'ai tout envoyé pro- mener autrefois, famille, foyer ! Mais qu'est- ce qu'on veut que je devienne tout de même?... Me tuer?... J'y a»i pensé...

RICHARD, pousse un cri. Oh!

IRÈNE. . Oui, j'y ai pensé... Mais on ne meurt pas comme ça... Alors quoi?... oîi voulez-vous que j'aille ? Il faut bien qu'on me dénicâie un coin... On ne peut pourtant puas me mettre da,ns un asile!... Consultez- vous, arrangez-vous et trouvez-moi une fin, le petit coin se consumer... Bonheur, beauté, jeunesse, tout s'en va... mais la vie reste... c'est long à eai finir! Trouvez-moi ma petite place... et puis vous m'oublierez!... Je me chafrge de m'éteindre, toute seule, pro- prement et... sans fumée...

RICHARD, au comble de L'émotion courant à elle. Maman!

IRÈNE, fondant en sanglots sur son épaule. Richard! Richard!... Et puis ne crois pas que ce soit indifférent de sentir que ce sont tes bras qui me soutiennent... C'est le dernier berceau que l'on souhaite!..:

Ils restent un instant enlacés l'un à l'autre.

RICHARD, brusquement . Ecoute, il faut régler cette situation tout de suite. Je vais appeler Madeleine.

IRÈNE, avec effroi. Oh ! je t'en prie.,. Pas devant moi!...

RICHARD Non... Tu vas entrer cinq mi- nutes dans mon cabinet de travail... J'aime mieux expliquer l'affaire à Madeleine, à l'écart de toute domesticité indiscrète... Va... Pour ma part, je ne puis t'assurer qu'une chose : c'est que, si longtemps j'ai g.ardé un ressentiment violent, je l'avou«, depuis, tout ressentiment est tombé... Mon rôle, aujourd'hui, est indépendant de celui de mon père. Et je vais agir de mon mieux... (Tout à coup.) Mais entre nous, avoue tout de même j'ai besoin de cette satisfaction

avoue, maman, qu'elle a du bon, la fa- mille?

IRÈNE, les yeux baissés. Oui.

RICHARD, triomphalement. Hein, les fils criminels, les ennemis?... Tti y retournes tout de même!... Les luttes de l'amour et de la famille?... Quelles balivernes! Tu te rap- pelles ?

IRÈNE, sans qu'on puisse lire une impres- sion quelconque sur son visage. Tout... je me rappelle tout.

RICHARD, comme s'il voulait la faire par» 1er. Quels regrets tu as subir !..c

IRÈNE, les yeux impénétrablement baissés,

Oui.

RICHARD, s'animant en parlant. Je vois ta vie, là-bas!... Et le revirement quand les écailles te sont, peu à peu, tombées des yeux!

IRÈNE. Oui, oui...

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RICHARD, insistant comme avec rage. Comme tu dois être punie, pauvre mère, par Je remords!... Et cet être! qu'elle na-Uusée de lui tu dois éprouver, mniiiteiumt que tw vois olair!... Dis-le, hein?

IRÈNE, sans sourciUer. Oui.

RICHARD. Et comme, dans ta déchéance, ^Ue a te paraître pure et belle la famille, que tu avais lioîinie!... C'est tout de même nous qui sommes la vraie vérité de la vie... {Il pousse un large soupir de satisfaction.) Je te dem-ande pardon de t'avoir fait souf- frir cette petite confession, mais j'avais tout de même besoin de t'entendre rétracter tes pad'oles d'iautrefois qui me sont toujours res- tées sur le cœur... Ce n'est qu'une petite sa- tisfa^ction mais ça soulage!... Maintenaoït, «iutre là, veux-tu?... Je vais entreprendre Madedeine.

Il la fait entrer dans le cabinet de travail, à droite.

IRÈNE. Je t'attends.

SCÈNE YI

RICHARD, MADELEINE

RICHARD, reste seul; il va à la porte du fond et appelle. Madeleine! {Madeleine entre. Richard tout de suite.) Ecoute, ne proteste pas... Ne réponds même pas à oe ■que je vais te demander... Accepte sans mot dire, sans discuter... Je fais appel à ton cœur.

MADELEINE. Allons, bonl... De quoi s' agit-il ?

RICHARD. Maman a rompu toute rela- tion avec Chambry, ils se sont séparés.

MADELEINE. Et elle veut vivre avec nous... c'est cela? Jamais.

RICHARD. Madeleine!

MADELEINE. Jamais! Nous avions prévu ce petit coup, ma mère et moi... Tu te rap- pelles à quelles conditions j'ai consenti à ne pas rompre notre mariage?

RICHARD. Eh bien, les conditions ne sont plus les mêmes, voilà tout... D'ailleurs, ce n'est pas à vivre avec nous qu'elle de- mande... Un petit appartement dans le quar- tier.

MADELEINE. Dans la maison peut-êt-re?

RICHARD. Etre reçue ici...

MADELEINE. Et invitée à nos réceptions, n'est-ce pas? Cest déjà suffisant d'avoir une belle^mère qui a mal tourné et s'est enfuie a.vec un gigolo... Elle n'avait au moins qu'à rester avec lui !

RICHARD. Je te défcTids de parler ainsi ! Elle souffre... tu dois avoir pitié. D'ailleurs nous ne pouvons lui interdire d'embrasser le petit, de temps en temps.

MADELEINE. C'est bieii pour cela que je m'Lrtsurge!... Nous ne pouvons pas, bien sûr! nous sommes du même avis... Seulement, je sais 08 qui va aiTiver, parce qu'on ne peut pas lui interdire d'embrasser Raoul; à me- sure, elle s'installera ici... elle prendra ses repas... voudra renouer ses relations, con- naître les nôtres... car c'est cela surtout qui la fait mourir d'envie ! Elle est déclassée : elle voudrait reprendre un rang... Eh bien, nooi, qu'elle ne se fasse pas d'illusions. Elle

RICHARD.

Je FAIS APPEL A TON CŒUR.

est une femme à l'eau... elle ne peut plus regrimper sur la rive et il ne faut pas qu'elle en prenne prétexte pour nous entraîner avec elle.

RICHARD. Si tu crois que c'est le mobile qui la fait agir!

MADELEINE. Parfaitement. Je connais les femmes, mon cher!... Et notre maison sera tarée définitivement... <( Je vous pré- sente ma belle-mère, retour d'Alger. » C'est gai.

RICHARD. Mais puisqu'elle offre de ne venir qu'en cachette... quand il n'y aura per- sonne.

MADELEINE. Tu UC VOÎS paS pluS lolll

oO

Maman Colibri

que le bout de ton nez, mon pa.uvre ami ! Et puis,qiii te prouve qu'elle ne va pas continuer de voir son monsieur ? Ou qu'elle ne partira pas un de ces quatre matins, avec un nouvel ami à toi ?

MADELEINE.

Passez, madame.

RiCHABD. Madeleine!

MADELEINE. Elle nous a mis en droit de tout supposer, et dire qu'elle vient vers Raoul avec ses lèvres embrassées par des hommes, par... Sais-tu ce qu'elle nous ap- porte, le sais-tu?... tout simplement le dés- honneuir.

RICHARD. Tiens!

MADELEINE. Quoi ?

RICHARD, -r- Rien. Je me rappelle seule- ment avoir prononcé cette phrase-là autre- fois...

MADELEINE. Tu as bien changé depuis !

RICHARD. Non, c'est l'honneur qui a changé de côté... Faut croire que ça se dé- place...

MADELEINE. Ne fais pas d'esprit.

RICHARD. Je n'en ai jamais moins fait.. Ne te doane pas pour plus méchante que tu n'es. Je. connais ton bon cœur, au fond, Ma- deleine. Ne discute donc pas une chose que tu as d'avance acceptée et que tu ne peux pa« refuser. Tu ferais bien mieux de te dé- cider d'un coup... et de ne pas diminuer le mérite que tu auras à paa-donner, tout à l'heure.

MADELEiNTE. Pourquoi ne s'adresse-t-eMe paiS à ton père? Il n'est pas divorcé... Qu'ils se remettent ensemble, c'est bien simple.

RICHARD, haussant tes épaules. En effetj c'est simple.

MADELEINE. On ne la recevra pas plus... mais enfin, dans un salon, on pourra ne pas s'apercevoir qu'elle est là. Ce sera déjà plus nommode.

RicflARD. Tu criailles bien inutilement.

MADELEINE. Ma baigneuse me dit ça. quand elle me donne ma douche... Je t'as- sure qu'on ne reçoit pas des douches de ce- genre, impunément.

Elle est à la cheminée, accoudée. Elle rage.

RICHARD. Eh bieni maintenant que tu as poussé ton cri.

Au moins, que ceci soit et qu'elle le sache !

- Ah ! tu vois que tu as cédsé de

MADELEINE

bien décidé..

RICHARD.

toi-même !

MADELEINE. Qu'elle le sache ! Je ne la présenterai à personne... Elle ne viendra qu'aux heiures je voudrai... Et puis,, qu'elle n'aille pas s'imaginer que je sortirai avec eWe... Pas même pour des courses. ^ RICHARD. Entendu... On ne vo^s ren- contrera pas ensemble,

MADELEINE. Ce n'est pas seulement à cause des gens qui la connaissent... mais je ne voudrais pas qu'on me rencontre avec une personne qui marque aussi mal... Elle est ma- quillée comme une cocotte, ta mère... et fa- gotée!... A son âge!

RICHARD. Oh ! si tu la voyais, tu ne La reconnaîtrai pas, va... Elle a bien changé, la pauvre vieille!...

MADELEINE. Changée? Ce chapeau!...

RICHARD. Quel chapeau?

MADELEINE. Ce chapeau de roses qu'elle porte.

RICHARD. Tu l'as donc aperçue?

MADELEINE. Oui... Nou... par la ser- rure... là, j'ai jeté un coup d'œil. Non, ce chapeau de jeune fille!... Elle ne se voit pas!

RICHARD. Allons Mad, ne réfléchis pas.... Un bon mouvement Je ne doute pas de ton cœur... Tu hésites déjà... Encore une seconde et...

MADELEINE. l'as-tu mise?

RICHARD, montrant la porte L^.

MADELEINE, Subitement, sans transition^ va droit à la porte du cabinet et Vouvre. Sur un ton d'huissier. Madame, si vous voulez vous donner la peine d'entrer. (Irène s'avance.) Je vais vous conduire auprès du, petit.

Elle dit cela d'un air digne et cérémonieux.

RICHARD. Va, ma mère, va.

IRÈNE, avec un élan maladroit. Oh!' merci, merci! Mad...

M.\DELEiNE, l' interrompant en lui mon^ trant froidement la porte du fond. C'est par ici. (Elle va Vouvrir. Irène reste interlo- quée, émue, interrogeant doidoureusement son fils du regard. Madeleine attend à la porte ouverte, comme pour faire passer Tràne devant elle.) Passez, madame.

Irène se décide et le mouchoir aux lèvres, la tête- basse, les épaules serrées, humble ^ pauvre^ elle entre avec Madeleine.

Maman Colibri

6i

SCÈNE VU

RICHARD seul, puis la Femme de Chambre

RICHARD, seul. Maintenant le télé- phone! (Il va au téléphone.) Allô! Voulez- vous me donner le 225.53F... Allô...

LA femme de chambre, entrant. Mon- sieiur de Jlysbergue demande s'il ne dérange pas monsieur... Sans quoi il repas&eia après le bureau.

RICHARD, vivement, Faites entrer... faites entier!

* La femme de chambre sort.

RICHARD, parlant à V appareil. Merci... Non... ça va...' {Uyshergue e-ntre.) Ah! père, je te téléphonais justement. (A la femme de chambre.) Vite... Voulez-vous allez dire à madame, dans la chambre de bébé, qu'elle ne rentre ici au salon, avec cette dame, qu'au cas je l'appellerais... Sinon qu'elles restent toutes deux jusqu'à ce que je vienne les retrouver... N'est-ce pas, c'est compris?

LA femme de CHAMBRE. Bien, monsieur.

Elle sort.

SCÈNE YIII

RICHARD, RYSBERGUE

KYSBERGUE. Qu^J a-t-il doUC?

RICHARD. . Père... Elle est ici.

RYSBERGUE. Qui F

RICHARD. Maman.

RîSBERGUE. Ah !

RICHARD, parlant, rapidement, empressé. - Une grosse nouvelle... Je ne sais pas en- core ce qui s'est passé... Mais elle a rompu avec de Chambry, définitivement. Elle re- tourne ici, à Paris, repentante, et c'est à nous qu'elle vient demander pajrdon... Et asile. Elle est là, dans la chambre de bébé avec Madeleine, qui n'y a pas mis trop de façons... Elles doivent être déjà en train de se réconcilier. Alors écoute, puisque te voilà, ne crois-tu pas, père, qu'il faudrait faire bonheur complet. C'est le moment. Du temps a passé... deux ans. Réfléchis! Ce serait si bien de ta part.

RYSBERGUE, allant à son fils. Un mot... Mais réponds sincèrement, sans mentir... Tu le promets?

RICHARD. Oui.

RYSBERGUE. Dans la conversation que tu a.s eue avec ta mère mon nom a-t-il été prononcé par elle?

RICHARD. Mais.,.

RYSBERGUE. A-t-ellc témoigné du désir

que nous nous réconcilions tous deux ? Sois tira ne.

RICHARD. Mais cela n'implique pas né- cessairement...

RYSBERGUE. Allous doHc ! N ïiisiste pas, Richard... J'ai réfléchi, j'ai admis parfois cette hypothèse d'un retour qui se réalise a.u- jourd'hui... eh bien, je suis toujours arrivé à cette même conclusion : vaut mieux pas... vaut mieux pas. (Il Jioche lentement la tête.) Réconcilier! quel affreux mot!... Quelle paix factice d'intérêts cela suppose!... Ce qu'on ne réconcilie pas, ce sont les cœurs que Fin- différence a séparés, et que plus rien ne r rappelle l'un à l'autre. Non, je suis heureux poua' nous, pour toi, pour tout le monde, qu'elle soit revenue et aissagie, et que cette histoire fi^nisse de la sorte ; je suis pour subvenir, tacitement, à tous ses besoins. J'aurai le savoir-vivre nécessaire... mais ce sera tout. Orois-moi, je suis très... très con- tent, oui, de ce que tu m'apprends... Mais le reste... vaut mieux pas... je sais ce que je dis.

RICHARD. Cependant, toi, lui pardon- nerais-tu F Reviendrais-tu sur ce que tu lui disais en la chassant F

RYSBERGUE. Oii ne tient jamais ses en- gagements.

RICHARD. Bien. C'est l'essentiel.

RYSBERGUE. NoU. Vois-tu, 06 jOUr

j'ai crié : (( Va-t'en! >) le poing levé, te sou- viens-tu F Ah! j'en ai eu alors la sensation soudaine, ce n'est pas moi qui la chassait, c'était elle qui se détachait.. c c'était la vie

RYSBERGUE. Maintenant, c'est a lui

LE TOUR... !

qui l'emportait... Oui, j'avais beau crier, je ne réussissais même pas à l'impressionner... Les mots tournaient machinalement dans ma bouche... Cette sensation m'est restée tou- jours très nette,.. Que parles-tu de pardon, alors que, si je le lui offrais, c'est elle qui ne l'accepterait pas!

RICHARD. Ah! c'est que tu te l'ima-

02

Maman Colibri

gines comme autrefois... Elle a bien changé en deux ans... Il ne s'agit pas de révolte, va ! Si tu l'avais entendue, ici, tout à l'heure, elle t'aurait touché, si simple, si repentante, si humble et lamentajble, la pauvre femme.

RYSBERGUE, Elle s'cst accusée, n'est-ce pas?

RiCHAiiD. Formellement. RYSBEUGUE. Ello a témoigné de sa honte? Pour un peu, si tu lui avais demandé de honnir son Georget avec hoTreur, elle l'au- rait fait.

RICHA3D. Je le lui ai demandé. RYSBERGUE. Il n'y a pas de renoncem«int qu'elle ne te consente!... Toutes les lâchetés, toutes les humilités, tu les auras, à une con- dition, une seule : c'est que tu lui donnes oe petit bout de gosse q*ui est là, qu'elle attend...' et qui est devenu la seule espérance à laquelle elle puisse se raccrocher... Je vais même, mon pauvre Richard, t'enlever une illusion, et ce te sera pénible, mais que veux-tu?... EJ'le t'a probablemeînt fait aussi des protestations de tendresse et elle t'a donné à comprendre que c'était beaucoup pour toi qu'elle revenait? RICHARD. Sans doute. RYSBERGUE, hd donnant une tape ironique sur Vépaule. Et tu en as conçu, avo'Ufe, \m peu de fierté? Naïf! Je suis fâché de t'erkle- ver cette illusion facile, mais si nous étions seuls, toi et mod, ni l'un ni l'autre, nous ne la reverrions. Celle-ci va droit à sa continua- ■tion, son instinct la dirige égoïstement tou- jours... vers ce qui est son nouveau destin. Le passé est mi fleuve qu'on ne remonte pas. Madnt'^nant (montrant l^ porte de la cham- bre du 6éb^.) c'est à lui le tour!... Mais nous, mais nou«... mon pauvre Richard!... Sans celui quà vient de naître, que serais-tu pour elle! Va, va, quoi qu'elle t'en ait dit, oe n'est pas vrai... Elle a employé l'halpile pitié des larmes pour t' attendrir... Que ne ferait-elle, probablement, pour gagner oet enfant?.,. Elle revient avec la dernière des platitudes se ranger sous les lois qu'elle a reniées, il n'y a pas deux ans, et avec quel orgueil... Contradiction, oui, nmis contjadiction ap- parente... Et regarde la courbe de sa vie, comme elle est dessinée, nette, précise!... Mon pauvre Richard, va, tu as beaucoup à apprendre... Et les femmes te rouleront encore.

Et, paternellement, il lui allonge une pichenette sur la joue. On dirait qu'il y a une jalousie sarcastique et triste dans cette caresse.

RICHARD, regarde son père, sans bien com- prendre. Ses yeux francs et clairs un peu ahuris. Alors, père, tu attribues à une basse comédie, son attendrissemenrt de tout à l'heure, ses larmes?

Il est presque indigné.

RYSBERGUE. Non pas, c'est incons- cient! .. Et qui sait même, peut-être est-elle

sincère... Sait-on? (It s'assied nerveusement sur le bord de la table.) Peut-être ne se sou- vient-elle déjà plus... car c'est effrayant, nouis- l'avons éprouvé nous-mêmes, ce don d'oubli, total ! C'est comme les bêtes, oui, elle trou- vait la comparaison ju-ste, dans son délire qui donneraient leur vie, se haussent jus- qu'au plus complet sacrifice, pour défendre leurs petits ; puis qui, cet instinct apaisé, ne se souviennent plus de rien, et subitement, en un jour, passent du renoncement le plus fou à l'indifférence la plus morne; c'est fini, ' la fonction est terminée. A une autre!... Vois-tu, j'ai réfléchi beaucoup pendant deux ans de solitude. Des mots qu'elle disait me- revenaient à la mémoi^'e, me -tarabustaient sans cesse. (( Ma fonction envers vous est ter- minée... » clamait-elle, et j'ai compris, j'ai compris la vérité. Elle avait raison. La femme n'est pas un être indépendant et libre comme no-us, elle est asservie à des lois de nature qu'aucune civilisation n'a encore abo- lies et n'aboliera jamais. Elle est une succes- sion de fonctions, et absolument contradic- toires. Toutes ces fonctions, la société est ar- rivée à peu près ^ les concilier, par des épo- ques fixes et observées, de mariage, d'évolu-- tion... Ça va tant bien que mal... ça va... Mais qu'il survienne, dans cette évolution une simple erreur de date, de tour, comme il est arrivé à ta mère, dont le cœur ne s'est éveillé qu'à l'été de sa vie, patatras, l'édifice de paix s'écroule ! Et alors, c'est l'amas des drames, les instincts lâchés, les deuils, les irréparables vérités. Alors, petit, il arrive ce qui nous est arrivé. Les volières heureuses oti l'on vivait ensemble se brisent, et les dis- sentim^eoits effrayants ne se taisent et ne se rejoignent une seconde qu'autour du premier vagissement de l'enfant qui vient de pousser le cri de la vie, et du renou\'eau éternel.

Il y a, dans son ton, la grande émotion contenue d'un père qui éduque encore son enfant. ,

RICHARD, Père, que ta sagesse <*st deve- nue amère ! > ,. . .

RYSBERGUE, le regardant avec une infinie- tendresse. J'ai vieilli. Ça t'arrivera bientôt. Déjà tu t'es bien modifié... Maintenant, si tu me demandes pourquoi, possédant cette sa^ gesse, comment, étant capable d'admettre et de pardonner, je n'ai pas assez de supériorité ou trop d'égoïsme,- comme tu voudras, pour me résoudre à l'approcher, la revoir sans rien lui demander d'elle-même, je te répondrai que- je manque de courage... Peut-être un jour, des hommes viendront, assez foi-t.s, assez li- bres, pour assister au phénomène de la femme avec une simple indulgence et une pins calme équité. Pour nous, notre passé religieux, des préjugés, de vieilles et adorables coutumes peuvent chasser de notre mémoire cette conception de l'épouse pure et chaste, de l'amour unique, fidèle au foj^er domestique. On ne porte pas en vain le poids de tant de

Maman Colibri

6y

siècles catholiques. Sans doute, c'est étroit, égoïte, mesquin... mais que veux-tu ? J'envie ceux qui sauront un jour se libérer de cette conception ©t s'atfraneliir de ce passé. Oui, je pressens une plus mâle et plus juste sa- gesse qui diminuei-^ d'autant la somme des douleurs courattites, mais nous, on a trop d'attaches... On voudrait, on ne peut pas! Nous sommes ceux qui auront côtoy^une es- pérance, sans avoir eu la force de la saisir.

RYSBERGUE. —Je vais aller a pied... Bonsoir...

Voilà... maintenait que je t'ai tout expliqué, je te laisse à ta mère.

RICHARD. Alors?

RYSBERGUE. Alors, je désire qu'on m'en parle le moins possible. Rends-la heureuse, Kioliard. Sois bon pour elle... Je ne puis pas dire autre chose... sois bon, mais moi... vaut mieux pas... As-tu un cigare?

richard. Là, sur la table.

RYSBERGUE. Oîî as-tu acheté cetle boîte? Ils ne sont pas trop mous, j'ai déjà remar- qué. Où les prends-tu ?

RICHARD. Toujours au bureau de la rue Tronohet.

RYSBERGUE. J'y passerai (H aspire une bouffée.) Voilà... Alors je vais aller tout seul au Comptoir international.

RICHARD, vivement, empressé. Mais, père, jo t'accompagne.

RYSBERGUE. Noii, noài, ce n'est pas la peine, lieste ici, tu as à faire. Je t'avais donné rende^^vous parce que je passais sous tes fenêtres; autrement!... Qu'est-ce que tu fais ce soir?... Ah! c'est juste, tu ne sortiras ppiut-être pas.

RICHARD. Mais si... Veux-tu que nous allions quelque part ?

RYSBERGUE. Non... mais nous aiirions pu faire une partie bu cercle... ou un bil- lard... Je n'ai plus la main depuis quelque- temps.

RICHARD. Entendu... avec plaisir.

RYSBERGUE. C'cst ça... si tu u'as rien de mieus à faire, passe me prendre. Bonsoir.

RICHARD, encore une fois timidement. Tu ne veux même pas la voir ?

RYSBERGUE. Non, non, ne parlons plus jamais de ces choses, veux-tu?... Voilà... Alors, à après dîner... il fait un beau froid; je vais aller à pied... Bonsoir...

Il sort, le col relevé, la canne dans la poche de son pardessus, le pas traînant, le dos voûté.

SCENE IX

RICHARD, MADELEINE, IRENE

Richard attend une seconde, en réfléchissant ou en rêvant, puis va à la porte par est sortie Madeleine; on entend la voix de la nourrice.

LA VOIX DE LA NOURRICE,

Ainsi font font font, les petites marionnettes.

Ainsi font font font,

Trois petits tours et pu^s s'en vont...

Richard reste accoudé à la porte. On le voit sot rire aux femmes. Puis entrent Irène et Made leine. Irène va quasiment s'affaisser sur un canapé, le mouchoir sur la bouche, prise d'une faiblesse.

RICHARD. Qu'a-t-elle?

MADELEINE. L'émotion.

IRÈNE. Ah! mes enfants! Cela m'a fait bien plaisir. Comme il est beau ton petit, Ri- chard !

RICHARD. Il te ressemble; on le dit.

IRÈNE. —Ah! on le dit? (Vivement.) Mais il a beaucoup de sa mère aussi. Il aura sa jolie figure.

MADELEINE. Oh ! VOUS êtes trop aimable, madame.

IRÈNE. Madame!... Bah! ca viendra...

64

Maman Colibri

Elle a été bonne, Richard, j'ai été très tou- shée, je tiens à vous le dire... si, si...

RICHARD. Je ne puis t' affirmer qu'une chose, maman, c'est que tu peux te considérer ici comme chez toi... aujourd'hui, demain et toujours. Madeleine elle-même va te le dire.

IRÈNE, se levant sans laisser à Madeleine le temps de répondre. Oh ! non, qu'elle ne le dise pas ! Qu'elle me donne seulement son front à embrasser, cela vaudra mieux que toutes les paroles!

Elle l'embrasse.

MADELEINE. Vous voyez, je pleure moi- même...

RICHARD. Je suis bien, bien content. ;

On entend sonner à la porte d'entrée.

MADELEINE. Allons, bou ! OU sonue... Nous ne pouvons pas être deux minutes tranquilles dans cette maison. Je ne veux pas qu'on nous voie avec les yeux rouges... ^enez par là.

RICHARD. Oe ne peut être que Soubrian qui revient.

MADELEINE. N'importc. En tous cas, en- trons dans la. chambre de bébé, voulez-vous ? (A Irène.) Vous préférez sans doute cela?

IRÈNE. Je crois bien !

MADELEINE. Vcux-tu rappeler la nou- noa, Richard, à qui j'avais dit de sortir... Je vais chercher vtu mouchoir dans ma chambre.

et j'arrive. (En sortant elle laisse la porte ouverte.)

RICHARD, la suivant et à sa mère. Tu viens, maman P

IRÈNE. Je prends mon chapeau... voilà.

SCENE X

IRENE, seule, puis une Femme de Chambra

IRÈNE, seule, prend son chapeau sur la ta~ ble. En le prenant, elle a une espèce de long sourire mélancolique. Ce chapeau, ce cha- peau de jeune fille... avec des roses!... Pau- vre vieille, ils ont dit, la pauvre vieille!...

Elle se regarde dans la glace avidement : on di- rait qu'elle fait en arrangeant ses cheveux le dernier geste de la femme et qu'elle ensevelit tout un passé ; on dirait que les cheveux blan- chissent, que la figure se tire, sous l'effet de la volonté fixe.

une femme de chambre, entrant en coup de vent. Madame, c'est monsieur Soubr...

IRÈNE. Faites entrer.

LA FEMME DE CHAMBRE, hésitant cn voyant cette personne inconnus. Miais, madame, je ne sais si je dois...

IRÈNE. C'est juste! Oh! vous pouvez... Je suis la grand'mère.

L'ENCHANTEMENT

COMEDIE EN Q.UATRE ACTES

T{eprésenfée pour la première fois sur la scène du Ihéâhe nationaî de tOdéon,

le 4 mai 1900.

PERSONNAGES

MM.

GEORGES DESSANDES . . . .';-.-7-. . . TarridEo

PIERRE BOISSIEUX Rameau.

VICTOR DE CHELLES Dauvillcers.

JOSEPH Taldy.

Etc., etc.

ly/fmeB

ISABELLE DESSANDES Jane Hading.

JEANNINE Marthe Régnier.

ODETTE HEIMAN Emma Bonnet.

FRAULEIN J. Fromant.

GEORGETTE de Villers.

MADAME DE ROUVRAY Muraour.

AUGUSTINE J. RoLL.

Etc.^ etc.

VICTOR. Non... non-- faites donc !... te vous en prie.

HCTE PREMIER

Un petit .falon rotonde avec, dans le fond, deux grandes baies vitrées, donnant, Vune, sur une sorte de hall 'jardin d* hiver, Vau- tre sur un salon que Von voit grandement éclairé à travers les vi- trages de la porte. L'électricité est éteinte dans le jardin d'hiver. La rotonde est médiocre ment éclairée, avec beaucoup de petites lampes aux épais abat-jour.

SCENE PREMIERE

VICTOR DE OHELLES, MADAME HEIMAN

A.U lever du rideau, Victor causent.

et M^e Heiman

quelqu'un, ouvre la porte et la referme "brusquement en disant. Oh! pardon!

VICTOR, se lève et s'adressant à la porte refermée. Non... non... faites donc!... je vous en prie. {Riant.) Sont-ils bêtes!... (A M^^ Heiman.) Est-ce que tu restes encore longtemps?... Je suis éreinté... Odieuse, cette journée!... Nouts avons été de toutes les corvées.

MADAME HEIMAN. Dis, crois-tu, mainte- nant que la voilà mariée, que Georges va nous recevoir ensemble, comme avant?... va-t-il falloir faire semblant...

VICTOR. Mais non, mon ohéri; je te l'ai déjà dit, Isabelle est une femme sans pré- jugés. Je la connais bien. Elle trouverait ri- dicule que xious nous gênions... On nous rece- vra en petit ménage... au moins dans l'inti- mité... Elle te plaît, la mariée?

MADAME HEIMAN. Oui, mals pourquoi cette idée de recevoir le soir de la messe de mariage? Ça ne se fait plus. On dirait une noee de boutiquiers.

VICTOR. Justement, pour oela même, parce que c'est province! Ah! on voit bien que tu ne la connais pas... Elle tient à ce genre; c'est de la pose à rebours... Au fond, malgré ses airs modernistes, regarde son buste, (Il montre un buste de femme sur la cheminée.) elle est très Fanny Lear... très Piano de Berthe... Tiens, un détail : la petite sœur s'appelait Jeanne, elle en a fait Jean- nine! Toute une époque. Est-ce assez second empire ? Et puis, elle se serait fort bien con- tentée du lunoh... mais oela veut dire aussi autre ohose, cette soirée

68

L'Enchantement

MADAME HEIMAN. Ah!

VICTOR. Tu n'as pas compris?... Il faut bien mettre en évidence que c'est un mariage de raison... qu'on se couchera très tard et qu'elle s'en fiche... qu'elle se marie avec un vieil ami.

MADAME HEIMAN. VoUiS êtCS tOUS SeS

vieux amis.

VICTOR. Oh! pas le moindre d'entre nous ne peut se flatter de la moindre pri- vante, tu sais!... C'est une vertu!... En somme, sa position d'orpheline jadis, de vieille fille maintenant, et surtout l'éduca- tiion de sa sœur, l'ont entraînée à ces allures libres de oaanarade... Elle a été la camarade, trop rare espèce de femme ! et c'est toute une génération qui finit ce soir !... Mais, au fond, crois-le bien, personne n'a jasé... et c'est tout de même une femme de grand mé- rite.

MADAME HEIMAN. Oui, oui, je conuais la rengaine. Elle a élevé la petite au biberon, ses amis à la cravache, et a'-ous êtes une douzaine qui avez l'air d'enterrer votre jeu- nesse.

VICTOR. Oh ! moi, tu sais, je ne suis i/as de la promotion... je ne la connais que de deux ans. Ce sont les amis qui m'ont attiré... Il y avait une bonne table. Ils doivent tous être rudement furieux contre Dessandes! Et, ma foi, elle a bien fait de l'épouser, pour elle et pour la gosse. Il fallait une fin. Ils seront heureux et de cette fleur d'oranger ils sau- ront se faire d'excellente tisane... Mais quelle journée!

MADAME HEIMAN Il v a eucore du monde au salon ?

VICTOR. Quatre chats... Tu viendras de- main déjeuner?

ISABELLE. Pas même relieuse... Mais j'ai prié tout de même, ce mtin, sou mou voile.

MADAME HEIMAN. Pourqio avoir quitté votre robe de mariage? Vou étiez si belle là-dessous.

ISABELLE. Taisez-vou*? j'avais l'air d'une mariée de banlieue... Qi c'est bête de se déguiser ainsi, comme ui clown ! C'est complètement ridicule ce gem d'exhibition à mon âge. (Dchouche une hmh (/'^n/a/ifa de tout (hje, courant.) Oh! les fbés! cou- rez-vous comme ça ? On ne pa^^ pas.

UNE PETITE FILLE. Nous oMclions Jcan- nine pour lui dire adieu, ma<lnoisello.

isABELi^. Madame, ma ^tito Thérèse, c'est madame qu'il faut dire. Képète uu peu : madame... quoi?

THÉRÈSE. Madame Deesades.

ISABELLE. Cest parfait.

THÉRÈSE. est Jeannii ?

ISABELLE. Je ne sais pbi vf»y(«z dans sa chambre. Si vous la trouvez, ous lui direz de venir me trouver. Embrîi«fr encore, tout petit. Là... oup! Vous êtt-s libr^. (Ils sortent par la porte ihi salon.) C'est ^ntil, les en- fants!

MADAME HEIMAN. Ah! VOk UJIB bonue

petite parole f ranohe de jeune lariée.

isABELiJî. Ne dites pas ca. Mon seul enfant, tenez, entendez-le rire t/-haut. (Elle désigne une porte à druite.) me semble que je volerais quelque chose dmon cœur à Jeannine. Mon temps de mateiité est fait, vovez-vous.

SCÈNE IL

SCÈNE II

Les Mêmes, ISABELLE DESSANDES

ISABELLE, entrant. Tiens? Ah! vous cherchez le frais! (A Victor.) Oui, c'est ça, allez-vous-en ! (.-1 M^^ Heiman.) Pas vous; nous avons beaucoup de choses à nous dire. Voulez-vous que je ferme hi porte du hall ?

Victor entre au salon.

MADAME HEIMAN. Je VOUS en prie, ma- dame, vous vous occupez beaucoup tiop de moi.

ISABELLE. - Non, je suis très, très heu- reuse près de vous. Je sens que nous commen- çons une grande amitié; Georges m'a tant parlé de vous.

MADAME HEIMAN. VoUS u' étiez paS JBr-

louse ?

ISABELLE. Non. Vous aurait-il aimée un peu que je ne serais pas jalouse... C'est joli, vos bagues... Oh! une opale!

M.\DAME HEIMAN. Superstitieuse?

Les MtMES, un'e kME

UNE DAME, entrant. Je vas cherchais partout, chère amie. Je n'arriva pas à voms trouver.

ISABELLE. Vous partez? Vas avez une voiture ?

LA DAME. Oui, oui, la mnne est en bas... merci.

ISABELLE. Je vais vous acoG.pagner.

LA DAME. Mais non, laisst-nous donc, chère madame, vous devez être xcédée.

ISABELI.E. Du tout, il fai que j'aille encore serrer les dernières mair; et puis je redoute qu'il n'v ait pas assezle voitures pour tout le monde. Noiis habitas un quar- tier si mal desservi.

LA DAME. C'est joli de coukr, ici.

ISABELLE. C'était un petit sion que j'aa fait transformer en fumoir... I faudra un fumoir, maintenant... Passez, i vous en prie... (A Ji^® Eeiman, bas.) l\3tez, vous. Je reviens.

Elles sortent, Odette, seule, se dkii vers le su ' Ion dont la porte est ouverte.

Lji^i^i^j^,

^ m ^ Y

4l^K

L'Enchantement

t)'^

«0

[.BELLE .

Répète un peu : madame... quoi ?

SCÈNE Y

PIERRE, M'^^IEIMAN

, PIERRE, Vaperçoit du don et vient à elle. Eh bien! avez-vous -liange des sympa- thies avec M°>« Dessande' .' .

MADAME HEiMAN. - 0 , je la t.rouve tios curieuse... attirant* extrnement.

PIERRE. - Peuh! p; plus que tout le monde... Elle a ses défais et ses vertus.

MADAME HEIMAN. - Et puis dw idées

larges .. droites... tout de même particu-

^'^"^riERRE - Une nuance entre la veuve et la vieille fille. C'est vrai, tout de même, qu'X ett très dame! Ce sera plus tard la Craie dame européenne, un peu libérale, un peu ennuyeuse..^ Taisez-vous

MADAME HEIMAN, riaUZ. xaio^

donc, vous ztes son meilleur ami.

PIERRE. - Mais si je n'étais pas son meil- leur ami, je ne me permettrais pas de parler ainsi. N'estK^e pas qu'elle a un vidage dali^

68

L'Enchantement

MADAME HEIMAN. Ah!

VICTOR. Tu n'a« pas compris?... Il faut bien mettre en évidence que c'est un mariage de raison... qu'on se couchera très tard et qu'elle s'en fiche... qu'elle se marie avec un vieil ami.

MADAME HEIMAN. VoUiS êtCS tOUS SCS

vieux amis.

VICTOR. Oh ! pas le moindre d'entre nous ne peut se flatter de la moindre pri- vante, tu sais!... C'est une vertu!... En somme, sa position d'orpheline jadis, de vieille fille maintenant, et surtout l'éduca- tion de sa sœur, l'ont entraînée à ces allures libres de camarade... Elle a été la camarade, trop rare espèce de femme ! et c'est toute une génération qui finit ce soir !... Mais, au fond, crois-le bien, personne n'a jasé... et c'est tout de même une femme de grand mé- rite.

MADAME HEIMAN. Oui, oui, je connais la rengaine. Elle a élevé la petite au biberon, ses amis à la cravache, et vous êtes une douzaine qui avez l'air d'enterrer votre jeu- nesse.

VICTOR. Oh! moi, tu sais, je ne suis j/as de la promotion... je ne la connais que de deux ans. Ce sont les amis qui m'ont attiré... Il y avait une bonne table. Ils doivent tous être rudement furieux contre Dessandes ! Et, ma foi, elle a bien fait de l'épouser, pour elle et pour la gosse. Il fallait une fin. Ils seront heureux et de cette fleur d'oranger ils sau- ront se faire d'excellente tisane... Mais quelle journée !

MADAME HEIMAN Il y a eucore du monde au salon?

VICTOR. Quatre chats... Tu viendras de- main déjeuner?

ISABELLE. Pas même religieuse... Maià j'ai prié tout de même, ce matin, sou mon voile.

MADAME HEIMAN. Pourquoi avoir quitté votre robe de mariage? Vous étiez si belle là-dessous.

ISABELLE. Taisez-vous, j'avais l'air d^une mariée de banlieue... Que c'est bête de se déguiser ainsi, comme un clown ! C'est complètement ridicule ce genre d'exhibition à mon âge. {Débouche une bande (V enfants de tout âge, courant.) Oh! les bébés! cou- rez-vous comme ça ? On ne passe pas.

UNE PETITE EiLLE. Nous oherchous Jean- nine pour lui dire adieu, mademoiselle.

is.\BELLE. Madame, ma petite Thérèse, c'est madame qu'il faut dire... Répète un peu : madame... quoi?

THÉRÈSE. Madame Dessandes.

ISABELLE. C'est parfait.

THÉRÈSE. Oii est Jeannine?

ISABELLE. Je ne sais pas; voyez dans sa chambre. Si vous la trouvez, vous lui direz de venir me trouver. Embrasse encore, tout petit. Là... oup ! Vous êtes libres. (Ils sortent par la porte du salon.) C'est gentil, les en- fants !

MADAME HEIMAN. Ah! voilà uno boune petite parole franche de jeune mariée.

ISABELLE. Ne dites pas cela. Mon seul enfant, tenez, entendez-le rire là^haut. (Elle désigne une porte à droite.) Il me semble que je volerais quelque ohose de mon cœur à Jeannine. Mon temps de maternité est fait, voyez-vous.

SCÈNE IIÎ

SCÈNE II

Les MÊMES, ISABELLE DESSANDES

ISABELLE, entrant. Tiens? Ah! vous cherchez le frais! (A Victor.) Oui, c'est ça, allez-voiLS-en ! (.4 il/™® Eeiman.) Pas vous; nous avons beaucoup de choses à nous dire. Voulez-vous que je ferme lu porte du hall ?

Victor entre au salon.

MADAME HEIMAN. Je VOUS en prie, ma- dame, vous vous occupez beaucoup trop de moi.

ISABELLE. Non, jo suis très, très heu- reuse près de vous. Je sens que nous commen- çons une grande amitié ; Georges m'a tant parlé de vous.

MADAME HEIMAN. Vous n' étiez pas ja^ louse ?

ISABELLE. Non. Vous aurait-il aimée un peu que je ne serais pas jalouse... C'est joli, vos bagues,.. Oh! une opale!

MADAME HEIMAN. Superstitieuse?

Les MÊMES, une Dame

UNE DAME, entrant. Je vous cherchais partout, chère amie. Je n'arrivais pas à voms trouver.

iSABELDE. Vous partez? Vous avez une voiture ?

LA DAME. Oui, oui, la mienne eat en bas... merci.

ISABELLE. Je vais vous accompagner.

LA DAME. Mais non, laissez-nous^ donc, chère madame, vous devez être excédée.

ISABELLE. Du tout, il fiiut quc j'aille encore serrer les dernières mainsw, et puis je redoute qu'il n'y ait pas assez de voitures pour tout le monde. Nous habitons un quar- tier si mal desservi.

LA DAME. C'est joli de couleur, ici.

ISABELLE. C'était un petit salon que j'aa fait tra.nsformer en fumoir... Il faudra un fumoir, maintenant... Passez, je vous en prie... (A Af^® Eeiman, bas.) Restez, vous. Je reviens.

Elles sortent, Odette, seule, se dirige vers le so ' Ion dont la porte est ouverte.

L'Enchcantemeni

ISABELLE. Répète un peu : madame... quoi?

SCÈNE ÏY

PIERHE, M^^ HEIMAN

PIERRE, Vaperçoit du salon et vient à elle. Eîi bien ! av«z-vous échangé des sympa- thies avec M™® Dessandes?

MADAME HEIMAN. Oui, je la trouve très curieuse... attirante extrêmement.

PIERRE. Peuh ! pas plus que tout le anonde... Elle a ses défauts et ses vertus.

MADAME HEIMAN. Et puis d©9 idées larges... droites... tout de même particu- lières.

l'iERRE. Une nuance entre la veuve et la vieille fille. C'est vrai, tout de même, qu'elle est très dame! Ce sera plus ta.rd la vraie dame européenne, un peu libérale, un peu ennuyeuse..,

MADAME HEIMAN, Hant. Taiscz-vous donc, vous et es son meilleur ami.

PIERRE. Mais si je n'étais pas son meil- leur ami, je ne me permettrais pas de parler ainsi. ]S'est-oe pas qu'elle a un visage déli'

■?:>

L'Enchantement

cieux. un visage qui vous saisit dè« l'abord comni€ certains parfums... La petite aussi est intéressante... vous verrez! (Ironique.) Ah ! ce sont deux sœurs accomplies. Je ne

sais pas ce (juc ça veut dire au juste, mais Texpression me plaît. Elles sont «■ accom-

y a-t-il longtemps

plies

MAL'AME HETMAN.

qu'ils s'tiiment ?

PIERRE. Ce détail les regarde exclusive- ment. S'ils s'aiment, ce doit être depuis longtemps, sinon c^est une vieille amitié qui... qui.,. s'acJhève... (Sourire.) Cest très peu in- téressant.

MADAME HEiMAN. Maintenant, un con- seil, Pierre. Dans notre position, Victor et moi, ne devons-nous pas...

PIERRE, haussant les, épaules. Peuh ! elle est au-dessus de ces préjugés. Allez en confiance... Et, quant à moi, il est temps que je file me coucher.

MADAME HEIMAN. Déjà ?

PIERRE. Mais oui, ma chère; vous n'avez pas l'air de vous douter que je prends le paquebot demain à Bordeaux. J'en ai pour plusieurs jours de tanga.ge.

MADAivrE HEIMAN. Ah bah! personne ne m'avait prévenue. Le tour du monde?

PIERRE, vague. Un voyage de quelques moii?. Je vais aller jouer au lazzo, chez un oncle, dans l'Amérique du Sud.

SCÈNE V

Les Mêmes, ISABELLE

ISARELLE. rentrant . Vous êtes encore tous ](^ deux? Voup savez, Pierre,^ que M™^ Heiman a l'amabilité de nous rejo<indre à Saint-Meilhan dans quelques jours, car vous n'ignorez pas que nous sommes voi.sines de campagne, toutes deux?...

PIERRE. Comment donc! J'ai logé quinze jours dans la propriété de Georges. De nva fenêtre, je voyais la maison de M™^ Heiman, et on a-besoin de cette distrac- tion là- bas. car c'est mortel, vous savez, ce petit trou !

ISABELLE. Je connais les photogra- phies... qui me plaisent beaucoup. (Bas à Pierre, à distance de 3/°^^ Eeiman.) Dites donc, quelle femme est-ce, M™« Heiman?

PIERRE. Elle vous le dira.

ISABELLE. Merci. Je m'en doutais.

PIERRE. Elle est charmante.

ISABELLE, Je l'adore.

PIERRE, haut. Quand partez-vous?

ISABELLE, Demain soir. Quelques malles à fermer. Jeannine est très maniaque. Il lui faut le temps de ranger ses petites affaires elle-même. Tenez, elle doit être encore en train de fureter dans sa chambre. Georges

lui a donné un nécessaire dont elle est très fière.

Les enfants de tout à l'heure repassent.

ISABELLE. Vous lie ramcucz pas Jean- nine ?

UNE PETITE. Elle est dans sa chambre.. elle va descendre.

ISABELLE, à une enfant. Veux-tu dire à un domestique d'apporter ici un plateau de soda... et une tasse de thé P Pierre, votre tasse de thé habituelle ?

PIERRE. Non, je vais vous demander îa permission de m'en aller... J'ai basoin de quelques heures de «sommeil avant le train,

ISABELLE. Comment, vous partez ainsi P Et Georges, vous ne lui serrez même pas la main ?

PIERRE. Il a le tort de ne pas se trou- ver là, et comme je ne veux pas rentrer au salon...

MADAME HETMAN, Attendez, je vais aller vous le chercher, moi.

PIERRE. Ça, c'est gentil.

SCÈNE

PIERRE, ISABELLE, seuls.

PIERRE. Adieu, ma grande amie.

ISABELLE. Pourquoi me dites-vous adieu d'un ton si grave?

PIERRE. Parce que, ne le savez-vous pas, Isabelle? c'est un grand adieu que je vous donne! Toute une moitié de ma vie qui disparaît !

ISABELLE. Mais, Pierre, votre place ne , sera pas changée ici... Gardez-la,

PIERRE. J'ai attendu, vous le voyez, jusqu'au dernier jour pouir perdre tout espoir. C'est du fond du cœur, ma grande et forte amie, que je vous 'dis adieu ! Oh ! la mélancolie que j'y mets n'est que tout égoïste... c'est im vieux pleur de vieux gar çon qui grogne contre des habitudes déran- gées... oh! sans quoi! vous m'avez donné l'exemple de la sagesse... Vous êtes une femme parfaite et sans faiblesse. Un beau jour, vous avez choisi entre vos intimes riiomme qui paraissait le plus propre à vous rendre heureuse et votre choix fut longue- ment médité ! Vous avez exclu celui qui vous aimait <( le trop »... Vous passerez ainsi, bien calme, de l'amitié à l'amour. Et c'est pour- quoi je vous quitte sans autre regret que ce- lui de quelques habitudes chiffonnées.

ISABELLE. Ah! Pierre! Pierre! vous ne serez jamais sage !

PIERRE. Tout le monde ne le peut pas.. Enfin, vous, vous serez heureuse... Tout compte fait, votre vie promet... Tiendra- t-elle?

L'Enc-hantement

iSABEi.i£. J'espère.

Leurs yenx se fixent clans la lumière brusque d'une lampe.

PIERRE Vous avez raison, il fallait garder to& veux des lumières~trop vives; ils

riîlREI. Adieu, ma grande amie.

étaient peut-être bien faibles pour les sup- porter.

ISABELLE Que voulez-vous ! Je me rési- gnerai à î'abat-jour.

PIERRE, la regardant. Oui, votre visage l'en sera pas moins joliment éclairé.

ISABELLE. Allons, allons... c'est cette ^tupide musique qui vouk rend mélanco- lique.

piERBJi; Peut-être. Mais que vous ne vous trompiez pas sur cette mélancolie... Elle est doucement méprisante et orgueilleuise, Isabelle. On ne pleure dans la musique que des bonheurs médiocres et qu'on ne devrait même pae regretter !

SCENE VII

Les MÊMES, GEORGES

GEORGES, entrant. Alors, vrahneiit vrai, tu noue quittes?

PIERRE. Comme si tu ne m'avais pas toi-même fait prendre mon coupon.

GEORGES. Ah! tu l'as trouvé? J'avais peur qu'on ne l'ait dépasé trop tard chez toi.

PIERRE. Merci, tu vois...

Geste d'adieu.

GEORGES Non, pas encore... noua n'avons pas eu le temps de t' apercevoir dants la oohue.

PIERRE. Ta. présence est indispensable au salon.

GEORGES. Pas du tout... Je venais, au contraire, une seconde aspirer deux ou trois bouffées de cigare. Il n'y a plus personne, que quelques rebuts de famille... ça leur fera comprendre qu'il est tard. Ah! (Il respire bruyamment.) Tiens! il pleut!... La boiine pluie d'été qui crève sur Paris! C'est moite et doux... Que t'en vas-tu chercher ailleurs?

PIERRE. Peut-être pas l'aventure... mais dos ciels moins gris que les nôtres, tu vois .. {Georges lui tape sur Vépanle en riant.) Eh! oui, mon vieux, c'est ainsi.

GEORGES. Soit ! Je ne t'envie pas tant de jeunesse.

ISABELLE, de loin en préparant le thé que le domestique a apporté. Bien. Grondez-le à votre tour, Georges... Parfaitement, vous avez besoin d'être grondé ; on n'est pas plus romanesque.

PIERRE. Oui, mais on devient trop dis- tingué; ça m'inquiète.

GEORGES. Tu es amer.

PIERRE. Tu ne sens pas ça, toi? J'ai be- soin d'aller voir des haillons... de beaux hail- lons qui aient vécu...

ISABELLE, V interrompant. Du thé, mon ami?

Elle lui présente une tasse et le sert.

PIERRE. Oui... du thé... (Avec un sou- rire, en la regardant.) Merci pour le sucre.

ISABELLE, près de lui, à mi-voix. Ah! Pierre, si romanesque vraiment... et si peu... moderne !

PIERRE, très haut, exprès. Comme vous avez joliment dit ça ! Tout un petit monde d'ironie et de fatuité là-dedans. Si, si, mo- derne, au contraire... à satiété... oui! les appartements deviennent trop confortables... la vie est trop caoutchoutée... Je m'y sens trop bien préservé contre tout, le froid, le chaud, les inconvénients et la passion. Vrai, il se répand partout une espèce de médiocrité élégante du bonheur ; c'est fastidieux ! Nous avons tous le même appartement et la même âme... Ça devient une espèce de parcage, un nivellement général ; chacun j a sa petite case laquée blanc... Le socialisme des riches, quoi ! Je fuis tout le mauve contagieux de vos robes qui m'ont si bien apprivoisé à elles... Ah! la vie qui salit, n'importe quoi! mais de la vie vive et des passions.

72

L'Enchantement

GEORGES, à la cheminée, en coupant un cigare. Je vois évidemment que tu as be- soin de changer d'appartement.

PIERRE. J'ai besoin de ne plus me sentir

PIERRE. Eh! eh! mon Dieu, quels yeux

MAUVAIS !

préservé, voilà tout, de me délivrer de cette éducation médiocre dont vous êtes la pa- tronne agaçante. [Jeannine entre à ce mo- ment Elle passe devant Pierre qui la happe au passage.) Tenez, là, votre petite élève... la chouchoute... Vous en serez fière, allez!,., que voulez-vous qu'il pousse dans de pareilles caboches ? Ah ! l'aurez-vous préservée celle-là, avant la vie, Isabelle!... Eh! eh! mon Dieu, quels yeux mauvais! Voyez-moi ça!... la pe- tite poison !

Jeannine se dégage d'un coup d'épaules et va froidement à sa sœur.

GEORGES. Tu l'embêtes, cette enfant, avec ton lyrisme !

JEANNINE, à Isabelle. Tiens, voilà tes clefs.

Elle jette les clefs sur la table avec bruit et s'en va.

ISABELLE, à Jeannine. Jeannine! Eh bibii ? Jeannine, vas-tu?

Jeannine sort sans répondre, sans se retourner.

ISABELLE, à Pierre. Vous l'avez froissée! C'est intelligent. N'importe, vous m'amu- sez... Comme si tout le monde avait à se pré- server, comme si c'était une loi de nais- sance!

GEORGES. Le passionnât obligatoire.

PIERRE. Vous préférez la petite épargne bien française.

GEORGES. Non, mais il devient extraor- dinaire, ma parole... On dirait qu'il s'en prend à nous... Pourquoi cet air rogue?

ISABELLE, interrompant encore vivement.

Oui, que voulez-vous dire? Que nous ne sommes que de petits bourgeois? Mais pour- quoi nous en faire un crime ! C'est curieux, Pierre n'a jamais pu admettre qu'il y ait des âmes totalement, oh ! mais to-ta-le-rnent fer- mées à ce qu'il appelle avec tant de fracas (( la passion ». Elles peuvent aimer beaucoup tout de même, soyez-en sûr... C'est ceir: que vous voulez me faire dire? (Elle se re- tourne vers Georges et très sérieuse.) Eh bien ! je le dis sans gêne, et Georgas ne le trouvera pas déplacé : nous nous épou&r'^'' tous deux, oh! mon Dieu, sans passion.. 3t c'est tout de même une belle union que la nôtre.

PIERRE. Je n'ai pas dit le contraire. Seulement, pourquoi ce petit air fat et com- patissant?

ISABELLE, riant. Mais non! vous êt^s extraordinaire. Question de nature, de... tempérament, je ne sais pas, moi... vous allez me faire dire des bêtises.

PIERRE. Oui, vous avez la prétention d'être supérieurement équilibrée. Quelle erreur est la vôtre! Je n'en veux d'autre preuve que cet amour désordonné et insup- portable pour Jeannine.

ISABELLE, avec volubilité. Ça, c'est •autre chose, mon cher! Cet amour-là est fait de quinze années de dévouement, d'abnéga- tion, de...

PIERRE, V interrompant. Je m'en fiche. C'est de la passion, et de la plus déséquili- brée, encore ! **

ISABELLE. Oh! puis, la passion! On ne s'en lassera alors jamais de ce vieux senti- ment si fatigué, si usé?... Voyons, Pierre, vous ne trouvez pas qu'il serait temps d'y substituei autre chose, um sentiment plus grand, plus noble, plus sain?

PIERRE. Là! vous croyez avoir dit quelque chose de très fort ! On le voit à votre air épaté. Mais vous parlez comme une insti- tutrice libérale ! Mais vous n'êtes rien moins qu'une émancipée, ma pauvre ajnie. Quelle illusion!... Et puis, diantre, attendez au moins demain matin. Vos idées changeront peut-être d'ici-là!

ISABELLE. Continuez, vous m'amusez.

PIERRE. Non, je vous vexe... Seule- ment, tant pis! c'est agaçant... A la veille, que dis-je? à la minute du sacrifice, voue avez une manière de sublime tranquille qui dé- passe tout ce qu'on peut rêver!... (Sarcas- tique.) Hé! toi, là-bas, l'homme, que penses- tu dans ton coin de cette conversation de soir de noces?

GEORGES, négligé. Continuez, ne vous gênez pas pour moi.

ISABELLE. Nous peiisons de même, n'est- ce pas, Georges? Oh! nous nous sommes très approfondis.

GEORGES, se rapprochant, la boîte de ci- gares à la main. En tout cas, un fond commun, que je ne crains pas d'avouer, '''est l'amour de la paix... Je redoute les p'^^.gea

L'Enchantement

73

sublimes... Je no vois pas pourquoi je ne ) me passionnerais pas pour mon bonheur... mon travail aussi. J'aime bien mon tra- vail... je crois... il me semble... Tu veux un cigare ?

l'TEiiRE, risihlement moins maître de lui. - Le calumet de la paix?

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aliORGES,. Je Nk suis pas un homme PLU^1 MÉDIOCRE qu'un AUTRE.

GEORGES Ne raille pas, vieux. Oui, j'ai an penchant au bonheur, un irrésistible pen- chant à la paix. Tout petit, je me souviens que je te cédais déjà aux billes, au collège, quand tu trichais, ce qui t' arrivait souvent dans la fièvre des jeux illusoires, pour avoir la paix. Ça dure encore. Et ne hausse pas les épaules. Je ne suis pas un homme plus médiocre qu'un autre.

Ce disant, il a un peu brutalement appuyé la main sur l'épaule de Pierre.

PIERRE, énervé. Possible! c'est toi qui railles, eh bien! écoute..,

ISABELLE, interrompant avec vivacité. Quoi? (Elle le regarde fixement.) Je vous défie, Pierre, de ne pas rire.

PIERRE, après un court silence, haussant les épaules. Vous avez raison. (La voix changée.) Tiens, veux-tu me faire chercher mon vestiaire et une voiture, c'est plus im- portant.

GEORGES. Comment donc!

Il sort.

SCÈNE Ylll

PIEHRE, ISABELLE

PIERRE. J'ai failli devenir tout à fait ridicule. Merci de m'avoir arrêté à temps AJi ! décidément, oui... pas dans le train!

ISABELLE. l'ersonne n'est parfait.

PIERRE. Oh ! je sens la tare, allez ! Je iie m'illusionne guère. Je possédais autrefois une petite amie (ne cherchez pas, je vous en prie, vous n'avez pas connu) qui s'intéressait vivement à un jeune auteur dramatique dont le nom ne nous est pas encore parvenu. Il est de Nantes, disait-elle, et il prétend que c'est pourquoi il ne réussira jamais. J'essayai vainement de protester. (( Non, non, reprit- elle, il me répète souvent : Vois-tu, il y a quelque chose qui me manque; si j'étais à Paris, mais né... ce qui s'appelle né... eh bien ! je l'aurais. »

ISABELLE, riant. Que lui manquaït-il?

PIERRE. Le dialogue.

ISABELLE. Et alors?

PIERRE. (( Je iie sais pas, moi, ce que c'est que le dialogue, » ma petite amie parle toujours (( mais il paraît qu'au théâtre on ne peut rien faire sans le dia- logue. — Ce n'est pas l'esprit qui me gêne, dit-il ; l'esprit, ça, c'est national ; il n'y a pas de départements. Alors, les deux premiers actes, tout marche. Seulement, c'est lorsque arrive l'émotion, au troisième acte... (l'émo- tion, il paraît que c'est au troisième acte) alors ça n'y est plus, je .me laisse aller, tu comprends, j'ai l'air de croire que c'est arrivé, d'y couper. Il doit y avoir une ma- nière de ne pas avoir l'air d'y couper! Seule- ment, voilà, il faudrait être de Paris. » Eh bien ! tel ce bon jeune homme qui se destinait à l'art dramatique, quand arrive l'émotion, il vaut mieux que je retourne en province, voyez-vous... je n'ai plus la nuance.

ISABELLE. Revenez guéri.

PIERRE. Adieu, Isabelle. Je ne vous en veux pas. Vous me croyez?

ISABELLE. Oui.

Un temps. Le domestique apporte le chapeau et le pardessus.

PIERRE, mettant son pardessus. Je vous écrirai. Quel souvenir vous allez garder de moi! J'ai honte un peu. (Il se regarde com- plaisamment dans la glace en mettant son chapeau.) Bah! en somme, rococo, mais j'aur rai été ce qu'on appelait autrefois un galant homme... la jolie expression!... un de ces voyageurs surannés comme on en rencontrait jadis, dont on disait : Je l'ai oonnu à Chias- setti, ou ailleurs, il aimait une belle dame, qui avait un chapeau de satin blanc, et il mourut en lui écrivant des vers sur son Pé- trarque. (Il rit.) Allons, adieu. Quelle stupide conversation de départ J

74

L'Enchantement

GEORGES, rentrant, La voiture est là.

PIERRE. Je me sauve. {A i¥™® Heiman, qui vient d'entrer.) Au revoir, vous. Oh! nous sommes gens de revue !

ISABELLE, lui tendant la main. Bon courage, mon ami.

Ils te regardent.

PIERRE. Bonne ohance, Isabelle. {A Georges, en sortant, la voix un peu con- tractée.) Fermée, la voiture? Il doit faire un temps!

SCENE IX

ISABELLE, M^^ HEIMAN, puis JEANNINE et GEORGES

ISABELLE Parti!

Elle se dirige vers le salon.

MADAME HEIMAN 'Prenez garde, vous avez un volant de défait à votre corsage.

ISABELLE. Ce n'est rien, ne vous donnez pas îia peine. J'ai une épingle.

MADAME HEIMAN, arrangeant la robe. Ce pauvre Pierre, il vous aimait. Que lui avez- vous dit?

plus tard, j'en suis sûre. Vous savez, lorsque le médecin est parti, les malades aiment bieo se rappeler qu'il riait... Oh! merci, vraiment, vous êtes trop aimable... (Jeannlne entre.) Te voilà, toi ; on te cherche partout. C'est très impoli, ce que tu fais là. Pierre est parti. Tu entends?

MADAME HEIMAN. Oli ! ne la groudez pas. je vous en prie. Pas aujourd'hui. Elle est si jolie^ cette enfant !

GEORGES rentre. Bas, à Isabelle, en pas- sant. — Dites donc, j'ai cru un moment que ça allait se gâter.

ISABELLE. N'est-ce pas? Il s'en est fallu, de peu. (A un domestique qui entre.) Y a-t-il assez de voitures ? Tout le monde est-il à peu près parti ?

LE DOMESTIQUE. Il restc eucore les pa- rents de monsieur et trois ou quatre per- sonnes. Il y a aussi la mère de M'^® Thérèse qui attend madame dans le petit salon.

ISABELLE. Bien. Nous allons renvoyer le tout. {Aux autres.) Passons, voulez-vous?

Georges passe le premier.

MADAME KEiMAN, montrant Jeannine qu'elle voit de dos, à une table, comm,e plongée dans la contemplation de photographies. Regar- dez-la. Est-elle jolie dans cette pose!

ISABELLE, appelant. Jeannine!

MADAME HEIMAN. Elle est plongée dar^ la contemplation de Saint-Meilhan. Elle n'entend pas.

ISABELLE. Elle fait semblant de ne pas entendre.

MADAME HEIMAN. Attendez!

ISABELLE. Oh ! vous allez lui faire peur,

MADAME HEIMAN, s'approchc à ptts de loup de Jeannine et lui met la main sur les yeux. Coucou! (Elle retire brusquement les mains.) Oh! vous pleure^:, mademoiselle?

ISABELLE. Elle pleure?

MADAME HEIMAN, gênée. Mais oui, elle pleure ! Oh ! je vous demande pardon, made- moiselle... je ne savais pas...

ISABELLE, vivement. Ce n'est rien, ce n'est rien. Ne vous en occupez pas.

MADAME HEIMAN. L'émotiou de la. jour- née, sans doute.

ISABELLE, Oui, elle est un peu nerveuse, ce soir... Voulez-vous bien dire, s'il vous plaît. à Georges, de s'occuper des départs sans moi... qu'on ne m'attende pas, qu'il m'ex- cuse.

SCENE X

MADAME HEIMAN. -- GOUCOU',

ISABELLE J'ai essayé de lui donner du coTirage, sans mentir pourtant. Il ne faut ja- mais mentir. Mon sourire lui fera grand bien

JEANNINE, ISABELLE

ISABELLE, rapidement. Voyons, Jean- ?.ine, pourquoi pleures-tu? Tes petites amies te cherchaient partout, tu boudais dans

L'Enchantement

75

ta chambre et maintenant voilà que tu pleiiTos?... Voyons, réponds, je veux que tu répondes.

JEANNTNE. - Je n'ai rien. Laisse.

ISABELLE. - Depuis plusieurs jours déjà, on t^ voit passer silciieieusenient dans l'ap- part-ement, tu t'enfermes, tu ne réponds plus lorsqu'on te parle... Jeannine, ne pi'ends sur- tout pas en mauvaise part ce que je dis; je ne t-e fais aucun reproche, mais si quelque chose dans mon attitude t'a blessée le moins du monde, si tu souffres, parle. Jamais un ^oute ne s'est élevé ni ne s'élèvera entre nous.

JEANNINE. Laisse, je t'assure, je suis fa- tiguée.

ISABELLE. Ces jours-ci, nous avons été très séparées, c'est vrai... Mais regarde-moi donc, chérie. M'en voudi-^is-tu ? Si tu crois, si tu peux pe-nser seulement que ce mariage doive changer quelque chose à notre vie... Est-ce cela? Tu ne réponds pas... Est-ce cela?... O Jea-nnine, est-il rien qui puisse ve- nir déranger notre intimité? N'es-tu pas au- dessus de tout dans ma vie? Je sais bien, à ta place j'éprouverais aussi ce petit sentiment de jaioxisie, mais, ma ohérie, ma ciiérie, peux- tu penser!... Tournez votre figure par ici... Est-ce que ne t'aime pas plus qvie tout au monde !

.JEANNINE. Oh! tu dis ça, tu dis ça !

ISABELLE.. As-tu bosoin que je te le ré- pète, enfant?

JEANNINE. Si j'étais sûre de cela, au moins, .bien sûi'e ! Tu m'aimes plus que tout au monde ? Songe bien à ce qu« tu dis-

ISABELLE, dans un élan. Ah! quand ma vie nft l'aurait pas prouvé, quand je ne t'au- rais pas doané la becquée jouj- par jour, ne peux-ta lire en cette minute dans mes yeux que c'est toi l'adorée ! Ne sais-tu pas que c'est ta faute s'il ne reste plus rien pour les autres ?

JEANNINE. Plus rien?

ISABELLE. Parole, va, pas grand'ehose ! Tiens, je suis flattée, au fond, de cet accès de jalousie; j'y comptais un peu, je te dirai. (Elle rit.) Embrasse... O Ninette, s'il avait fallu^ pour t'épargner une grande peine quel- conquCj sacrifier ce mariage, je n'aurais pas hésité.

JIL'ANNIN'E. Ah ! Sacrifier à moi, rien que pour moi ? Et cependant, c'est ton bonheur, ce mariage! Je dois te paraître bien égoïste en ce moment, hein, Isabelle?... C'est ton bonheur ?

ISABELLE. Voyons, comprends... Il y a des choses embarrassantes... beaucoup plus difficiles à expliquer à une petite fille qu'à d'autres.

JEANNINE. Va donc! te gêne pas...

.3ABELLE. D'abord, je te l'ai expliqué aéjà maintes fois. Ce mariage est de toute raison et de toute nécessité... les conve- nances... et puis, il faut bien prévoir l'avenir, pour moi comme pour toi. Il y a même des questions d'intérêt.

JEANNINE. Oui, je sais... Après?

isabeltjE. Quant à Georges, c'est mon' plus vieil ami. J'ai une énorme affection^ pour lui et tu es assez grande pour com- prendre que je ne l'aime pas d'amour.

jEANNiNi-:. -- Oh! tu dis ça! tu. dis ça !

iSABELu:. Si je l'avais aimé, je ne l'au- rais pas épousé.

JEANNINE, comme quelqu'un à qui ov veut en trop faire accroire. Tu ne l'aurais pas épousé ? Pourquoi ?

ISABELLE, simplement. Parce qu'il nous aurait dérangées, sœurette... Saisis-tu?

ISABELliE. Voyons, Jeannine, pourquoi

PLEURES-TU?

JEANNINE, met un doigt grave sur sa tempe. Je te demande tout ça, Isabelle, parce que j'ai besoin de mettre de l'ordre dans ma tête. Ainsi, c'est ton ami seulement. Mais si toi tu ne l'aimes pas d'amour, lui, il t'aime?

ISABELLE. Mon Dieu!... sûrement... à ma manière... {L^ entourant de ses hms.) Oh! tu verras, tu verras ! cxjmbien tu seras heu- reuse, comme notre affection, au contraire, délivrée de tant de soijcis matériels d?' avenir, deviendra plus étroite, plus serrée!...

JEANNINE. C'est ça, dorlotte... dorlotte...

ISABELLE, lui pinçant le bout du nez. Oh ! la vilaine petite fille !

JEANNINE, se redressant hrusquement. Je ne suis pas si petite fille que ça! Je la fais.

ISABELLE, riant. Tu n'as pas besoin de le dire ! Je sais bien que tu y mets de la co- quetterie.

JEANNINE. Je suis, au contraire, très avancée pour mon âge... Ne ris pas. Tu m'of- fenserais en ce moment, je t'assure...

ISABELLE. Tu es amusantc quand tu es digne !

JEANNIN'E, se lève. Je suie capaJble de grandes... grandes choses... tout comme toi.

ISABELLE, lui prenant les deux mains. Je sais que sous ces apparences nerveuses et folles, tu as des côtés déjà très beaux, très

6

/Enchantement

profonds, et un vrai petit cœur de femme J'ai voulu faire de toi, à ton tour, une femme forte et libre. Aussi, ne me déplaît-il pas que tu fasses beaucoup de footing, du yacht, du cheval... et quand je te laisse même fumer une cigarette, après diner, il ne me déplaît pas qu'on y voit le geste d'une petite indépen- dance très crâne... Et c'est ma fierté de t' avoir faite ainsi.

EANNiNE, hochant la tête, doucement. Oui, c'est encore à toi que je dois d'être comme je suis. Je te dois tout, même cela, c'est vrai... oh! tu mérites beaucoup de re- connaissance !

ISABELLE. Maintenant, oust! assez causé. Viens au salon.

JEANNINE. Non..= non, dorlotte... dor- iotte encore.,, au moins une petite minute.

ISABELLE, la berçant un peu. Tu verras, comme on te fera une vie belle! On fera ceci, on fera cela... et plus tard, qu'est-ce qu'on fera? On te cherchera un petit mari!

Jeannine a les yeux clos sur la poitrine de sa sœur,

.7EANNINE, riant du petit rire qu'ont les en- hjnts rlans les larmes. Un petit mari!... oh! tu dis ça!... Oui, raconte encore ce que tu aurais fait

iSABELijïï. Tout ce qu'on fera. D'abord, on t'achètera à la campagne une belle écurie de poneys. Tu recevras...

jïîANNiNE, les yeux toujours fermés. - Oui.., oui. .

ISABELLE. Et puis, et puis... je ne sais pas, moi ! Tu es bête !

Elle J'embrasse.

JEANNINE. Dis, c'est vrai que je ressem- blais beaucoup à maman ? Dis encore, je fai- sais beaucoup de mauvais tours? Raconte.

ISABELLE. Je crois bien ! Tu m'en as fait voir, va ! Tu te rappelles, la fois du bas- sin?

JEANNINE. Oui, je me rappelle. C'est drôle, hein ? {Un temps. Elle ouvre les yeux et regarde au loin dans sa pensée.) J'ai tou- jours été très originale.

ISABELLE. Entends-tu gratter à la porte ? C'est Neyt qui veut venir te dire bon- jour. Faut-il lui ouvrir ?

JEANNINE, sa rêverie coupée, avec une pe- tite voix sèche. Merci! si tu t'imagines qu'elle m'intéresse, cette bête!

ISABELLE, se Icvuut aussi, Nous ne pou- vons pas ne pas aller dire adieu aux per- sonnes. Si cela t'ennuie, reste. Je t'enverrai Georges qui n'a pas eu le temps de te parler de toute la journée

JEANNINE. Oh! non. Encore moins!

ISABELLE. Je suis sûre que tu te trompes sur les sentiments de Georges à ton égard.

JEANNINE, avec une volubilité subite. Je ne crois pas! En tout cas, ça n'a pas la moindre importance, là, là!... On fait ce

'•-;u'on fait dans la vie, pour soi, sans s'inq-ié- ter de ce qu'en penseront les autres ap.ès. S'il fallait seulement compter sur leur recon- naissance, ah! là! là! ça ne vaudrait ; as, vrai, de se donner tant de mal!.,-

Elle a dit cela si vite qu'on comprend à peine, et puis elle s'arrête net.

ISABELLE, suffoquée. Qu'est-ce que c'est ? Qu'est-ce que c'est que cette divagation philosophique, tout d'un coup?

JEANNINE. Je ne sais pas... fais pas attention.

Elle se blottit dans les bras de sa sœur, yeuj clos, avec un petit grognement.

ISABELLE. Comme il t'échappe des bribes de phrases par moments, Jeannine, que je n'aime point, pleines d'amertume, bizarres, communes...

JEANNINE. T'occupes pas... c'est ma moue, cest quand je fais ma moue l

ISABELLE. Allons, je ne réussis qu'à t' impatienter.

JEANNINE. Ecoute .. dis-lc moi dans les yeux. Tu seras profondément heureuse ?

Elle regarde sa sœur avec des yeux tout grands et sérieux.

ISABELL.E. Profondément.

JEANNINE. Eh bien, alors, voilà, c'est fini! Je suis calmée tout à fait... Ce n'était pas plus difficile que ça !

ISABELLE. Calmée, calmée ?

JEANNINE, Oh! complètement! Je suis même bien-

iSABEiiLB. Alors, vite, lève-toi.. Cette fois, je ne peux plus attendre une seconde; viens.

.JEANNINE, avec un mouvement crispé. Pas encore! pas encore! Non, écoute... j*^ ne veux pas. Ça m'ennuie.

ISABELLE. -— Alors, désircs-tu que je t'ap- porte quelque chose ici? Il doit rester de ce que tu aimes au buffet.

jeaMïne. C'est cela, c'est cela...

ISABELLE. Une coupe de fruits? Je te l'apporterai moi-même. Oh! je te gâte.

JEANNINE, agitée au possible. Mon Dieu!... pa-o si vite, je t'en supplie... Reste une petite seconde.

ISABELLE. Tu fis Vraiment dans un émoi extraordinaire, Jeannine. l'u ne te sens^ pas malade ?

JEANNINE, se ravisant et s'' efforçant de pa- raître naturelle. Tu as raison; il faut. que tu t'eii ailles. Tu dis une coupe de fruits?...' Oui, une coupe de fruits... je veux bien... Seulement, ne l'apporte que dans un qmart dlieure... pas avant... lorsque je serai tout à fait bien... Je vais m'o+endro ici, sur le ca- napé. C'est compris? ""is r.vant \vn. Qv.?.\t d'heure?...

L'HnchaïUernei

TJ

ISABELLE. Capricieuse;...

Elle s'éloigne, Jeannine s'allonge sur le canapé et alors on entend comme une plainte.

JEANNINE. C3wjurette! sœurette!... quel dommage !...

iSAHELLE, 56 retoumanf. Oli ! un repro- che? Encore!

JEANNINE. C'est parce que je t'aime tant!... tant! T'o-ccupe pas de moi mainte- nant, ne t'occupe plus. (Quand Isabelle va passer la porte.) Isabelle!... regarde-moi en- core, gentiment... de la porte... là, comme ça... Va, maintenant, va! {Isabelle est par- tie. Seule, d'une voix étranylée, Jeannine appelle encore.) Isabelle! Isabelle!... Oh!

Elle se met à trembler fiévreusement des mains. Un moment se passe. Alors on la voit se rele- ver, dégrafer son corsage, y prendre une en- veloppe qu'elle cacheté avec un soin extraor- dinaire. Elle remet la lettre dans son corsage, regarde si on ne la voit pas, puis se sauve à pas précipités par la porte de droite.

une feinme à poigne et d'une beauté... un peu froide... mais si supérieure!... Enfin!... Seulement, moi, vrai, j'ai honte avec mon gros désir vulgaire... J'ai peur de vous dé- goûter...

ISABELLE. Non, (jfcorgcs, je vous estime

SCENE XI

ISABELLE, puis GEORGES

VOIX d'isabelle. Non, non, ne vous dé- rangez pas, ce n'est rien.

Elle entre, avec à la main une coupe sur une assiette.

GEORGES, la suivant. Elle est malade?

ISABELLE. Seulement un peu énervée... Jeannine? donc a-t-elle passé? {Allant au hall) Tu es là? {Georges V embrasse sur la nuque.) Taisez-vous! Vous avez failli me faire tout renverser.

GEORGES. Posez douc ce meuble, c'est gênant.

ISABELLE. Retournez. Nous sommes ri- dicules. Depuis une heure on doit prendre nos petites absences pour des abusions d'im- patience. C'est grotesque. Nous avons l'air ^e le faire exprès.

GEORGES. Ça vous cnuttierait donc tant d'avoir l'air de le faire exprès? Tu m'aimes?

ISABELLE. Je t'aime, v

GEORGES. Oh ! co premier (( tu » ! Ce n'est pas mal pour une première fois, mais il y a mieux. On dit (( tu », très fort. Ça doit durcir les lèvres. {Ils s'embrassent ) J'ai été irréprochable, tout à l'heure, dites?

ISABELLE. Comme toujours.

GEORGES, avec un rire malin. C'est égal, Je ne suis pas fâché de cette conversation ! Je n'avais, pas besoin d'être renseigné, certes, mais on apprend toujours... Ah! vous êtes

ISABELLE. Taisez-vous ! vous avez failli

MF FAIRE TOUT RENVERSER.

et je vous aime ; si je mets le devoir de la vie plus haut que tout, mon affection pour vous n'en est pas diminuée... Allez, n'ayez crainte. Notre part est la bonne. Je me charge de nous. {Georges lui tient les mains et la re- garde dans les yeux.) Eh bien? quoi?

GEORGES . Eh bien ! eh bien ! est-ce que tu ne vois pas que je me retiens pour ne pas t'écraser dans mes bras?

ISABELLE. Chut! Je vous assure que nous nous couvrons du plus complet ridi- cule... Filez!,.. Mais oii est-elle donc passée? Elle a grimper dans sa chambre.

GEORGES, souriant finement. A tout à l'heure, alors...

ISABELLE, haussant les épaules. Ah ! Français que vous êtes!... Les vieilles plai- santeries ne perdent pas leur droit... et il y a toujours du commis voyageur chez l'homme le plus intelligent.

GEORGES. A tout à l'heuTe tout de même.

Il sort.

ISABELLE, restée seule, va vers la porte de droite, puis elle se ravise, remonte au fond, ouvre la porte vitrée du jardin d'hiver plongé

7S

L'Enchantement

îans Vohscurité. Elle appelle. >iine!... ane ! c s-tu ?

Elle tourne le bouton électrique, inspecte et '^essort.

SCÈNE XIJ

JEANNINE, ISABELLE

A ce moment la porte s'ouvre violemment, Jean- nine se précipite en courant dans le sens du Balon.

ISABELLE. Eh bien! qu'est-ce que c'est? Pourquoi cours-tu comme une folle?

JEANNINE, se retourne d'un élan et se jette éperdue au cou d'? sa sœur. Adieu ! adieu ! Isabelle ! adieu !

ISABELLE. Mais qu'y a-t-il? Qu'est-ce qui te prend? Tu es folle!... Tu m'étran- gles!...

JEANNINE, accrochée désespérément, dans un (jrand sanglot. Adieu!... Adieu!...

ISABELLE. Mais c'est insensé!... Ré- ponds?... Lâche-moi... Ah çà ! chérie, chérie... mais tu m'épouvantes... voyons... c'est fou!... Oh! mais parle donc... Jeannine!... Mon Dieu! qu'est-ce que tu sens? Ou^vre la bou- che... Qu'est-ce que tu as bu? Malheureuse! Ce n'est pas vrai, Jeannine, ce n'est pas vrai?...

JEANNINE. Adieu I.c.

ISABELLE. ' Ohl... au secours! au se- cours! Ah! malheureuse! Au secours, donc! 'quelqu'un... Georges!...

SCÈNE XIII

Xes MÊMES, GEORGES, puis M^e HEIMAN, puis UNE M^"® DE ROÛVRAY, une Jeune Fille, etc.

Georges accourt.

ISABELLE. Elle s'est tuée ! Elle s'est em- poisonnée! Elle vient de s'empoisonner... Greorges ! au secours ! au secours ! mon Dieu!...

MADAME HEIMAN, entrant. Un malheur?

GEORGES. Vite, vite! Voyez si M. Bar- guier, un ami d'Isabelle, est parti... Je crois qu'il a été médecin dans la marine... M. Bar- guier... Sinon, prévenez mon médecin par té- léphone, 225-30... Pas un mot surtout, ne laissez entrer personne... Que personne ne ijaohe L . .

Il h" pousse toutes deax dans le jardin d'hiver dont il referme la porte, derrière lui.

On entend dans le salon le bruit des voix des quelques rares personnes qui restaient encore j quelques phrases: cela/,.. Téléphone/ etc..

MADAME HEIMAN, rentrant, suivie de M. Barguier. Là, monsieur... cette porte... Entrez, je vous en supplie ! {Elle fait entrer, puis barrant la porte à deux ou trois per- sonnes accourues.) C'est Jeannine qui vient de se trouver mal... Elle s'est surmenée toute la journée... l'émotion de ce mariage... Elle se contenait depuis plusieurs heures, elle a été prise d'une syncope subite... M*^® Des- sandes a perdu la tête! c'est bien compréhen- sible...

UNE VIEILLE PARENTE. Sa Jeanniuel Elles s'aiment tant!... Pourvu qu'il n'arrive rien 1

UNE DAME, en sortie de hal, la tête couverte, Mais vous pensez que ce ne sera pas grave ?

MADAME HEIMAN. Nullement. Quoique le contre-coup sur M^^ Dessandes... Naturelle- ment, elle va s'effrayer.

LA DAME. J'étais déjà dans l'escalier. Je suis remontée précipitamment avec M'"® de Rouvray et sa fille, en entendant ces cris!... On ne peut pas entrer?

MADAME HEIMAN. NoD, nOU... OD m'a

bien recommandé... Vous savez, la solitude dans ces sortes d'indispositions...

MADAME DE ROUVRAY. Comuie c'est Con- trariant!... Il y a tant d'anémieis cérébrales depuis quelque temps !

M"° Heiman répète ses explications à voix basse à un monsieur, dans l' encoignure du salon.

LA VIEILLE PARENTE. Quelle est cette dame qui a l'air si intime?...

UN MONSIEUR. Je ne sais pas... une M^^Hermann... Heiman... un nom isaaélite... Il n'y a que des israélites pour devenir des amis intimes en cinq minutes.

UNE PETITE JEUNE FiLi^, à so mère, M^^ de Bouvray. Pff! en. voilà une révolution! Cette Jeannine! C'est de la pose!... Mais oui, elle adore faire son intéressante. Je ne la connais pas d'hier, tu penses! Tiens, tu de- manderas à Georgette ! Est-ce qu'elle ne fait pas ses embarras tout le temps, à la pen- sion? Elle est trop gâtée, voilà... Et ja- louse, quand on ne s'oecupe pa^ d'elle! Est-ce qu'à la représentation des grandes, quand on a joué Vercingétorix, il y a quinze jours, elle ne vient pas faire des histoires parce qu'on lui avait distribué le rôle de Celtill! Elle a piqué une crise de nerfs. Elle voulait à tout prix jouer Vercingétorix.

MADAME DE ROUVRAY. Le fait est qu'elle a bien mauvais genre, ta petite amie... Cette ferronnière sur le front !

LA PETITE. Et ses bague!?!... Elle en a jusqu'à l'index, comme les peintresses d^Ja rue de Berri.

UNE DAME, en s^en allant, à M°^^ Heiman,

L'Enchantement

79

Dites bien à M"^^ Dassandes toute la part quie j'ai prise...

MADAME HEiMAN. Jc n'y manquerai pas.

A ce moment, Georges rouvre la "c te. Il paraît très maître do lui et sourit.

GEoiicES, répondant aux uns et aux autres.

Vraiment, jo suis désolé... quel contre- temps!... Ce n'est rien du tout... un léger étourdissement... la chaleur, le bruit... Je vous en prie... Oui, ma femme s'est un peu émotionnée... Mille fois trop bonne... Ma chère tante, voulez-vous vous occuper de ces dames?...

Il les a menées en souriant jusqu'à la porte du salon.

MADAME HEIMAN, prenant Georges à part.

Eh bien!... vite, vite! dites .^..o Vous sou- riez ?

GEORGES. Eh bien ! fausse alerte, Dieu merci! Elle n'a même pas eu le temps d'ava- ler le laudanum... Aucun danger. A peine avait-elle bu, qu'elle a tout à fait perdu la tête, et s'est jetée au cou de sa. sœur... Per- sonne ne se doute de rien, au moins?

MADAME HEIMAN. PerSOUn©.

t^GtEORGEs. Vous êtes sûre? J'y tiens...

MADAME HEIMAN. Mais quel coup de folie!

GEORGES. Oui, je ne sais pas, c'est fou ! c'est ahurissant !

MADAME HEIMAN. Vous êtes sûr qu'il n'y a. ^\us de danger ?

GEORGES. Il n'y en a même pas eu. Faites filer cette peste de M™^ de Rouvray, surtout... hein? Je vous demande pardon... Et que la porte soit interdite à qui que ce 6oit !

MADAME HEIMAN. Je croLs bien... mon pauvre ami... Ne vous occupez de rien. {Georges rentre rapidement dans le hall. j/me ^eiman appelle un domestique.) Mon- sieur vous fait dire de veiller aux voitures et de ne laisser entrer absolument personne... m.ême la tante, de monsieur... Qu'elle envoie prendre des nouvelles demain matin si elle yeut.

LE DOMESTIQUE. Bien, madame.

Tout le monde est rentré au salon à l'exception de M°" Heiman et de Victor de Chelles.

SCENE XIY

j1^^ HEIMAN, VICTOR DE CHELLES,

seuls.

VICTOR DE CHELLES, quî s^est rapproché de jfme heiman, dans V embrasure de la porte. Alors, tu restes?

MADAME HEIMAN. Il faut bien. r.; ne puis n)'en aller ainei...

VICTOR. Bon agrément!... Tu vich ''^-" jeûner demain ?

MADAME HEIMAN. Oui, Oui.

VICTOR. Tu as l'air émue? MADAME HEIMAN. On le serait à moins... Figure-toi...

Elle va fermer la purte du saloa.

VICTOR. Quoi?

MADAME HEIMAN. Figurc-toi. . . cc ncst pas un évanouissement.

VICTOR. Bah!

MADAME HEIMAN. C'est... (A ce moment, le jardin d^ hiver s'ouvre et Isabelle et Georges apparaissent.,) Chut!... à demain... je te raconterai.

V^ictor s'éclipse.

SCÈNE XY

M'"^ HEIMAN, ISABELLE, GEORGES

Isabelle et Georges sortent du jardin d'hivei. elle est toute défaite ; lui la soutient un peu-

MADAME HEIMAN, 56 précipitant à sa ren- contre. — Madame!

ISABELLE. Ah! c'est vous!... Au fait, TOUS savez...

GEORGES. - Elle seule!

ISABELLE, vague. Merci, merci...

MADAME HEIMAN. Comme VOUS êtes pâle!

ISABELLE. J'ai deux mots à dire à Georges. Voulez- vous nous laisser seuls, s'il vous plaît? Oh! vous pouvez entrer... Au con- traire, je vous en prie... vous me rendrez service. . . Veillez sur elle !

M" Heiman entre dans le jardin tout doucement.

SCENE XVI

ISABELLE, GEORGES

ISABELLE. Tiens, prends cette lettre. Elle t'est adressée. Je l'ai trouvée sur sa poitrine. Lis.

GEORGES, a un mouvement de suri^ifàt, puis il prend la lettre que lui tend Isabelle, On entend des bribes de phrases. Parce que je vous voulais à moi... à moi.,, alors sans rien dire... j'aurais désiré vous embrasser avant de mourir... Et toi, sœurette, . faire du mal... très bien ainsi.., tu verras... (il laisse tomber la lettre, stupéfait. Silence. Il se rap-

bo

L'Enchantement

proche timidement, avec émotion, d'Isabelle.) Isabelle, vous pleurez?

ISABELLE. Non... je reste atterrée... atterrée. , . oh !

GEORGES. Je vous jure que, pour ma part, j'ignorais... {Geste d'impuissance.) Je vous demande pardon.

ISABELLE. Pourquoi prenez-vouis cet air honteux, comme si vous aviez à vous excuiser de quelque chose? (Le regardant.) Dieu! il s'agit bien de cela! Ma Jeannine qui voulait s'en aller! ah bien!...

GEORGES. Parce que je vous voulais a moi.

GEORGES. Oh! s'en aller!... l'aurait-elle pu? Vous voyez...

ISABELLE. Avoir tout pensé, tout cal- culé, s'être appliqué l'âme à la sienne, on peut dire, avoir tout prévu... pas une minute, cette chose stupide, cette insipide banalité... C'était trop simple à imaginer, évidem- ment!... Ah! la vie est encore trop bête pour que la raison soit, bonne à quelque chose!

GEORGES. Mais aussi, que diable, qui eût pu prévoir?... (Levant les bras au ciel.) Ça arrive donc encore, ces ohoses-là ?

ISABELLE, continuant fiévreusement, Ainsi, elle m'a caché cela à moi, obstinément! Mais à y réfléchir une seconde, on est épou- vanté, Georges! Oh! comme elle a souf- frir ! Le drame est horrible !...

GEORGES, essayant de calmer le tumulte. Peutr-être a/-t-elle cédé, au contraire, à une ivresse nerveuse. Elle n'a peut>être pas du tout réfléchi. A seize ans, on veut toujours

mourir tout de suite ! Elle attribue peut-être à l'amour des déceptions imaginaires. A cet âge, sai1>on ? >

ISABELLE. Allons douc ! Regardez, pré- cisez. C'est effrayant! Elle a attendu, jusqu'à ce jour, que tout fût irrémédiablement con- sommé, que tout espoiir .pour elle fût bien mort! Ah! égoïstes que nous sommes! (Avec passion.) La chérie! la chérie! Et pour moi, cela ! Comment oaJmer les tnaces de sa bles- sure, maintenant? Car c'est fini... Elle a attendu jusque-là, que mon bonheur fût irré- parable !

Georges se retourne brusquement.

GEORGES. Que voulez-vous dire par là? Que vous m'eussiez sacrifié ?

ISABELLE. Il l'aurait bien fallu.

rj<:ORGES. Ah!

ISABELLE. Et comme elle le savait!... Mais vous, le premier, vous l'auriez trouvée juste, notre séparation !

GEORGES, avec un léger sourire. Evi- demment! Ce n'est qu'une iiusignifiante ques- tion d'amour.

ISABELLE, du bout dcs dcuts. Et je vous aime pourtant. Dieu sait !

GEORGES, a Vair d'hésiter une seconde à dire quelque chose, puis il se ravise. Oui. EÀi bien ! laissez-moi vous dire que vous êtes dans un trouble fort légitime, mais toutes les hypothèses que vous feriez en ce moment sur le compte de Jeannine, sont bien gratuites... Il ne faut pas exagérer les choses. Les dou- leurs d'enfant, qu'est-ce? Dès qu'elle a senti qu'elle perdait pied, elle s'est raccrochée à vous. Suicide même, en l'occasion, serait un bien gros mot. Et tout cela va et vient dans ces petites cervelles, il n'y faut pas ajouter l'importance que...

ISABELLE, sèchement. Ce n'est, en tout cas, pas à vous à le faire remarquer!... Vous restez vraiment d'un calme!... Seriez-vous étranger, pour n'être pas de la famille? C'est pour vous qu'elle s'est tuée ! Et vous, le pre- mier, mon cher, vous lui dévoriez au moins des paroles moins indifférentes !

george's. Aïe! Aïe! Il vaudrait peut-être mieux que nous n'entrions pas dans ces sortes d'appréciations... (Vivement.) Il y a des choses plus pressées... D'abord, que faire?

ISABELLE. Ah ! oui, que faire !

GEORGES. -— Le remède, nous ne le trouve- rons pas ainsi en cinq minutes... Mais puis- qu'il est préférable de laisse^' Jeannine seule un peu avec Barguier, et que nous disposons déjà d'une seconde pour nous concerter, je voudrais que vous m'indiquiez tout de suite, en ce qui me concerne, le... comment dire? (Il cherche.) l'attitude que je dois avoir dès que nous allons rentrer.

ISABELLE. L'attitude! Quel mot sec! Il n'y a pas d'attitude à avoir... (Avec un grand geste.) Celle du cœur!... <^

GEORGES. C'est un peu vague. (Sursaut d'Isabelle.) Oh! Isabelle, comme je sens sai-

L'Enchantemer

gner votre âme!... Elle souffre aigrement, ma pauvre femme! c'&st bien naturel... Mais vou!:;

verrez, vous verre/>, comme tout s'aplanira

vous en serez étonnée, j'en suis isûr... Le moindre dérivatif à son idée fixe... il suffira n peu d'éloignement...

'SABELLE. Ah çà ! ôtcs-vous f OU ? L'élol- .;,iier ? Me séparer d'elle une minute, main- tenant? Vous ne pensez pas à ce que vouts dites! C'est-à-dire que je vais être rivée à elle simplement, moi! S'il y a seulement une porte entre nous désormais, je ne vivrai pas! Quelle épouvante si je ne l'avais pais, là, sous la main, tout de suite, mon Dieu, mon Dieu!... j'aimerais mieux mourir tout de suite ! Ah ! c'est que je la connais ! Elle est capable de recommencer demain... -L'éloi- gner ? Quel crime ! Non, non, on ne passe pas deux fois par je viens de passer!... L'horrible petite! Elle a mis la mort entre nous.

GEORGES. - Je disais : éloignement... comme ça... sans rien préciser...

ISABELLE, se .redressant et allant droit à lui. Voyons, Georges, au lieu de nous réu- nir étroitement contre le malheur, il y a, au contraire, entre nous, depuis tout à l'heure, comme une hostilité réelle, comme si nous avions senti tout de suite que nous allions défendre différemment notre bonheur. Nous valons mieux que cela.

GEORGES, effondré. Ah! notre pauvre bonheur, parlons-en! Quel cataclysme! Qu'est- ce que nous allons faire, maintenant ? Com- ment sortir de ?

ISABELLE. Vous le demandez.'' Mais nous jeter à son secours ! La guérir ! La guérir : t»enter cela ! Et que voulez-vous que nous iassionis d'autre maintenant? Me séparer d'elle, une minute, du moins pour l'instant, n'y revenons plus, n'est-ce pas? Je considère le petit voyage ou la maison de santé que vous m'offrez comme une monstruosité. Quelle réponse à son abnégation ! Pour l'ins- tant, je la garde... voilà ce que je sens. Après, on verra.

GEORGES. Alors la prendre entre nous, avec nous, à Saint-Meilhan?... Non, non, je ne contredis pas, notez bien!... je vous de- mande simplement... je m'informe.

ISABELLE. - A moins que vous ne préfériez que nous nous, disions adieu ? GEORGES. Merci.

ISABELLE. Ah ! si jamais ce petit être se tuait pour de bon, à cause de nous, songez quel serait le reste de notre vie!... Pauvre enfant désemparée ! Ce qu'il faut, au con- traire, c'est ne pas l'abandonner, la calmer tout de suite, la réconforter, pour arriver à la guérir ensuite, petit à petit... à lui sor- tir cet amour du cœur.

GEORGES, arpentant le salon désespéré- ment. — La guérir, la guérir!... Songez-vous à tout ce que cela comporte? Tout ce que cela veut dire ?

ISABELLE. Oui, je le comprends aussi

tien que vous Avec d'autres natures que iea nôtres ce serait peut-être impossible.., maia nous Siommes trop chics, tiop incapable.s l'un et l'autre do tomber dans les vilenies!... Vous ne doutez pas de vous, je suppose ?

GEORGES, haussant les épaïUes. Bien en- tendu. Seulement, réfléchisisez à la situation que cela nous crée ! ,_.

ISABELLE, avec emportement . Mais oui, nous souffrirons, parbleu! Tant pis! Oui, certes, une vie de soins, une tâche très, très lourde; c'est une affaire de volonté. Et com- ment lui marchanderions-nous nos peines, dites, car c'est sublime, ce qu'elle vient de faire là, cette petite, je ne sais pas si vous vous en rendez bien compte!... Et vrai, ce ne serait pas la. peine d'êU'e les gens que nous sommes et que, grâce à Dieu...

GEORGES, r interrompant, un peu iïRpa- fiente. - Oh ! vous, évidemment, je sais à quoi m'en tenir, vous m'aimez d'une façon si... supérieure! Mais moi, je ne suis a-u- dessus- de rien du tout, moi ! Mon devoir est de vous ouvrir les yeux sur l'avenir... Gué- rir? vous en parlez à votre aise... Y parvien- drez-vous ?

ISABELLE. Sûrement! GEORGES. Peut-être. ISABELLE le regarde, puis avec un sourire un peu méprisant. Mais si, Georges, mai? si!... nous arriverons parfaitement à la déli- vrer de vous, petit à petit... Que voulez-vous? nous apprendrons comment à mesure... Rai- son, douceur, morale, que sais-je ! C'est une question de tact, de précaution infinie. Mair? dès las premières paroles douces que nous lui dirons, vous verrez, son- étonnement sera doux d'apprendre que l'amour c'est une ciiose naturelle, doi^it on parle, nullement offensante, et qui se traite. Elle l'a caché comme une honte. Il faut qu'elle arrive à s'en exprimer au grand jour, quotidienne- ment, comme de sa santé, d'une maladie na- turelle, admise entre nous... Et puis, l'amour, ça s'use à en parler!... Je .sais, en tout cas, moi, qu'elle n'en mourra plus. C'est l'essentiel, d'abord. Toutefois, puisfiue vous paraissez ne pas m'approuver...

GEORGES. Voyons, vous savez bien, ma chérie, que votre volonté n'entre même pas en discussion. Que voule7.-vous que je fasse ? C'est une impasse : soit ! Plus tard, plus tard seulement, je me permettrai de vous poser quelques questions., oh! absolument personnelles, d'ailleurs ! elles manqueraient d'à-propos en ce moment. Juisque-là, je me iieiidrai dans mon coin.

ISABELLE. Non pas. Je compte, au con-. traire, beaucoup sur vous. GEORGES. Oh! oh!

ISABELLE, frappant des doigts sur Je ca- napé. - - Cessez de railler, voyons; c'est dé- placé.

GEORGES. Je raille, moi ? Alors, c'est une façon de sagesse vague que je cherche à opposer, comme ça... sans bien savoir .. un

82

L'Enchantement

ISABELLE. Ma petite.

eontiepoids. . . Et puis, je m'essaie en même Georges. Parbleu, vous n'aurez que lee

temps déjà à une contenance... Quand je me belles, vous!

sentirai ridicule, je m'en tirerai par l'ironie. Voilà

ISABELLE, avec voluUlUé. Belles, oui, et

je vous communiquerai de cette beauté,

Georges! Quelle haute tâche que la nôtre!

Il fourre rageusement les deux mains dans ses Quel enthousiasme à éclairer cette petite âme

confuse, à...

Georges cette fois perd patienc

GEORGES. Pardon, pardon, plus je vais.

poches.

isABELLiE. Ridicule! Quelle préoccupa- tion!

L'Enchantement

8?

plu je me persuade qme je suis un Jionime vulgiire-, trè« terre à terre. J'ai besoin que nous ne nous égarions pas. Et comme il me semble percevoir dans vos parolecs un peu d'emphase, et...

ISABELLE. Oh! insulter ainsi ce qu'il y a de meilleur en moi !

GEORGES, se rapprochant, plus doucement. Pardon si je vous ai blessée, IsaJ>elle... je _'avaiis pas cette intention. Je suis seule- ment pour ramener la situation à toute sa vulgarité.., j'insiste : vulgarité... Se dé- vouer, c'est bien... mais je no voudrais pas que nous soyons dupes d'un lyris-me un peu... en dehors de la question. Ecoutez, j'a-urais trop à dire, et cela ne servirait à rien ! Au- tant lancer des cailloux dans l'infini!... Votre fièvre est bien légitime, après tout, et je ne veux pas être taxé d'égoïsme. Itéflé- chissez à tout ; décidez ; puis que ce soît chose entendue. Décidez de no tire vie comme vous le voudrez ! Vous êtes libre,- maîtresse de notre sort... Et cela fait, je prends ma pipe, mes bou'quins, je me mets au travail, en pleine paix, comme si de rien n'était. Il ne faudra pas me le répéter deux fois. Vous con- duirez la barque et j attendrai, patiemment. Arrive que pourra!... soit. Ce que je vous certifie, par exemple, c'est que, quoi qu'il advienne, je ne m'en mêlerai pas ! Jeannine est votre sœur... vous la soignerez à votre guise. Moi, je ne vous suis qu'un étranger; je n'existe pas. Soyez-en bien avertie et re- tenez-le, je vous prie!... Je me ferai tou- jours une vie, d'ailleurs^ et vous me donnerez de votre amour ce qu© vous voudrez... ce que vous courrez. Je m'en contenterai.

Il a dit cela du ton d'un homme qui lutte vio- lemment contre lui-même, puis prend son parti. La porte s'ouvre. M"" Heiman sort sur la pointe des pieds

MADAME HEIMAN. Madame ;

ISABELLE. Quoi ? Ça ne va pas ?

MADAME HEIMAN. Si, &i, au contraire. Steitlement, elle a une grosse crise de larmes. Je crois que vous pourriez rentrer sans in- convénient. Elle pleure, elle sanglote, elle dit qu'elle ne veut plus vous voir, madame... oh! des mots d'enfants!

Elles se sont rapprochées de la porte entr'ou- verte. Isabelle regarde avec précaution^ puis dit quelques phrases a voix basse à M""' Hei- man qui rentre, toujours sur la pointe des pieds. Pendant ce temps, Georges s'est assis, nerveux, sur le bras d'un fauteuil. Isabelle descend et vient l'embrasser, les bras au cou.

ISABELLE. Allons, votre main, Georges... ©t courage! Il ne faut plus rien regretter.

GEORGES, soupirant. Je vous aimais,

isabelXlE. Vous m'aimerez. C'est notre bonheur remis à un peu plus tard, mon ami, voilà tout.

GEORGES. Notre bonheur ! notre bai- ser !.., les voilà loin!

ISABELLE, douce. Qui sait? {Georges re- lève la tête.) Oui, je dis : qui siaitr' "Laissez'- moi ménager l'avenir. Vous savez bien quelle femme logique je suis ?

GEORGES. Après tout, des êtres comme vous «ont peut-être capables de miracles!

ISABELLE. Allons, souricz ; vous voyesr bien que j'a-i la force de souriîe, moi. Levez- la tête. Je comprends votre peine ; mais ne vous attristez plus de moi Gcoiges! Il fal- lait bien payer un bonheur crop facile.

GEORGES. C'est cher !^

ISABELLE. Oui, mais lorsque nous nous retrouverons après, seuls et fiers, avec notre a-mouT ?

GEORGES, se lève et résume la situation avec effondrement. Alors quoi? nous par- tons toujours à Saint-Meilhan, et elle nous suivra ?

ISABELLE, ferme. Demain !

GEORGES, hêtement accablé. Mon Dieu !.,. mon Dieu !... qui aurait pu prévoir... il n'y a qu'un instant?

iSABELiiE. C'est un tort; nous aurions prévoir.

Georges est debout, Isabelle va comme pour l'em- brasser, mais elle lui prend la tête entre les mains et le regard2 longuement dans les yeux.

GEORGES. Pourquoi me regardez- vous ainsi ?

ISABELLE. Je cherche. Je m'habitue à l'idée que c'est vous qu'elle aime... vous... toi... qu'elle t'aime, à en vouloir mourir. , Ah! quel est donc ce mal mystérieux et ter- rible, et pourquoi faut-il qu'il choisisse tou- jours les épaules les plus f.aibles !

La porte du hall s'ouvre à cet instant.

GEORGES. - ISABELLE.

Tenez ! - Ma petite.

Jeannine est presque portée par M"" Heiman et M. Barguier, On \a- dépose sans bruit, sur un canapé. Elle est décorsetée, elle a ses petites mains baguées sur la figure et se cache dans le dossier du canapé. Discrètement M'^^ Heiman et M, Barguier se retirent au fond, Georges reste à distance aussi. Si- lence, Isabelle s'approche doucement.

SCENE XVII

GEORGES, ISABELLE, JEANNINE. M^e HEIMAN, M, BARGUIER .^

ISABELLE, murmure à Voreille de sa sœur. Jeannine!.,, C'est moi, Jeannine! Oh! la méchante petite fille qui voulait nous quitter ainsi, nous abandonner... Vous n'avez pas honte, mignon, mon mignon?... Et pour cela !

i84

L'HiicIianiement

GEORGES. Vous ne voulez pas me donner la m.vin?

JEANNINE, sans bouger, lo tête enfouie dans les bras. Plus bas... plus bas... Isabelle..."

ISABELLE, souriante. Oui, oui... a l'oreille... Comme ^i tu n'aurais pas eu plus vite fait de me le dire! Ouvrez vos yeux! voulez-vous ouvrir s os yeux! Oh! je vous gronderai, je vous gronderai... mademoiselle!

JEANNINE, les yeux obstinément fermés, ne voulant pas les rouvrir au monde extérieur, larice à voix étouffée. Est-ce que Georges sait?

ISABELTJ3. Mais ouj, Georges sait! Je croi^ bien. 11 est là! (Haut.) Georges!

JEANNINE. Non, njn! je ne veux pas!... je ne veux pas !

Elle se renfonit dans les coussins, cette fois complètement. Isabelle fait un geste impérieiix à Georges et mimique de Georges qui a l'air de dire : « Tout à l'heure... on a bien le temps/ »... 11 s'échange à ce moment, entre Georges et Isabelle, une pantomime agitée,

ISABELLE, appelant très haut. Georges!

(A .Jeannine.) Tiens, le voilà devant toi!... Ouvrez les yeux !

JEANNINE, sanglotant et trépignant, la bouche contre les coussins. Je ne veux pas ! Je ne veux paiS !

ISABELLE. Tiens, le voilà qui te tend la main et qui te parle. Regarde.

Nouvelle mimique. Il faut enfin que Georges se décide. Alors il tire brusquement ses manchet- tes de l'air de quelqu'un qui prend un grand parti et il s'avance.

GEOROES, avec un sourire bête et figé sur les lèvres. Eh bien! Jeannine, eh bien!... vous nous en faites des peurs !..^ Vous ne vou- lez pas me donner la main ?

JEANNINE, pleurant à gros bouillons-. Isa- belle! Isabelle!

ISABELLE, essaijant de lui forcer douce- meni les paupières avec les doigts. Ouvrez les yeux!... Je veux que ouvres tes petits veux... Si, si... qu'est-ce que c'est que ça!

4f*^

5E0RGES. Quatre heures, déjà! Gomme nous avons déjeuné tardi

ACTE DEUXIÈME

A Saiîit-Meilhan. Résidence sans grand style, bâtie sous la Restauration. Une grande fièce du rez-de-chaussée donnant, par une large -porte- fenêtre en fer forgé, comme une grille avec vitres, sur un perron et sur un long parc feuillu à peine un (peu roux déjà. La pièce est vaste, gaie et froide; habilement mo- dernisée, dans les détails, par des mains de femme. A droite et à gauche, portes. Piano à queue. Grande cheminée ancienne, arran- gée à l'anglaise, à gauche. Les meubles sont jolis.

Le rideau se lève sur une scène d'intimité deux mois après le premier acte. A gauche, Isabelle et M"' Heiman, près d'une pe- tite table où. il y a des boissons. A droite, à distance, Georges tape avec un marteau sur quelque chose qu'on ne distingue pas très bien; et au milieu d'eux, sur un pouf, face au public, com- plètement isolée : Jeannine. Elle se ronge un peu les ongles. Elle a un petit polo sur la tête et une cravate rouge.

SCÈNE PREMIÈRE

GEORGES/ISABELLE, M^^^ HEIMAN, JEANNINE

GEORGES. Quatre heures déjà! Comme nous avons -déjeuné tard !

ISABELLE. Et vous n'avez pas encore travaillé aujourd'hui r

GEORGES. Chiche! J'y vais.

ISABELLE, à M°ie Heimau. De la glace?

madame heiman, Merci. Maintenant, on n'en a guère plus besoin... Comme c'est joli toute cette descente vers l'OisQ, d'ici !

GEORGES. C'est une merveille, par les premiers jours de froid... Avec le petit vent du nord qui rebrou,sse les feuilles, c'est tout d'argent. Si vous voyiez ça à cinq heures du matin!... Seulement, voilà, il faut être levé.

MADAME HEIMAN. VoUS VOUS leV^Z donC

à cinq heures du matin ?

GEORGES. A la bougie, quelquefois.

MADAME HEIMAN. Vous ohass^z en ce moment? C'est donc vous qui faites tout ce bruit de fusillade au bout de mon parc? On ne peut plus dormir.

GEORGES. Peuh ! je vais plus loin que ça... J'ai été jusqu'à Laurac, hier.

MADAME HEIMAN. Mâtin !

86

L'Enchantement

ISABELLE. Vous ne voulez pas nous ai- der à arranger ces chrysanthèmes?

MADAME HEiMAN. Noujs mauquons de chic.

GEORGES. C'est très bien, au contraire. N'y touchez plus... Mon lemonscoach est sucré?

ISABELLE. Non, j'ai oublié.

GEORGES. est le sucre pilé?

JEANNINE, se levant subitement de son pouf, comme réveillée d'un rêve, et se préci- pitant. — Voilà.

Elle empoigne le sucre pilé et le porte à Georges.

GEORGES. Ah I... on va vous mettre

VOTRE BEAU COLLIER... SALE BÊTE.. -

GEORGES. Ah ! merci, merci.

Jeannine se rassied.

MADAME HEIMAN. Vcus voudrez bien faire un petit tour de voiture avec moi, ivant d'aller à la gare?

ISABELLE. Pourquoi à la gare?

MADAME HEIMAN, emharrassée. Je ne vous ai pas dit?... M. de Chelles arrive au train de six heures.

GEORGES. Victor? Tant mieux!

MADAME HEIMAN. Il passait dans le dé- partement, alors...

GEORGES. Oui, oui... S'en donae-t-elle du mal !

ISABELLE. Eh bien! à cinq heures, si vous voulez ; je vous accompag;Qerai peut- êti^e jusqu'à la gare.

MADAME HEIMAN. Jeannine voudra bien se joindre à nous?

ISABELLE. Je ne sais si cela lui con- vient... Veux-tu venir en voiture, à cinq heuras, avec nous ? {Elle se retourne en s^ adressant à Jeannine. Jeannine est, depuis le commencement de la scène, perdue dans la contemplation béate de Georges; elle ne le quitte pas des yeux. En ce, moment, elle a la bouche grande ouverte et n'entend abso- lument rien. lîeprenant à voix basse :) Jeannine ?

MADAME HEIMAN, comblont habilement le silence. Ah! l'eau déborde!... prenez garde !

ISABELLE. Mais nou, elle ne déborde pas.

MADAME HEIMAN. Ah! je croyals. Con- naissez-vous le petit bois des Cheminîères, à trois kilomètres d'ici ? Comment, vous ne l'avez jamais visité? Cest exquis, ma chère... il faut absolument que vouss voyiez ça... Peur une fois que je vous tiens, je vous lâche pas. Nous irons tout à l'heure.

ISABELLE. Quoi? Si VOUS voulez... ça m'est égal.

MADAME HEIMAN, à Gcorgcs. Quo faites- vous là-bas ?

GEORG'ES. J'arrange le collier de Neyt qui est détraqué... Elle perd tout le temps son collier, cette bête!... Allons bonî... ai-je mis le tournevis, maintenant?

JEANNINE, 56 précipitant de son pouf. Le voilà !

Elle a tout de suite trouvé le tournevis et le porte à Georges.

GEORGES. Ah! merci, merci. (Il dépose son cigare et siffle.) Neyt! Neyt!

JEANNINE. Elle n'est pas . elle doit être dehors.

GEORGES, appelant plus fort. Neytl Neyt !

JEANNINE, va vite à la porte du perron, siffle et fait des gestes. Allons, ajrivez ici, tout de suite !

Elle prend le petit chien dans ses bras et le dé- pose sur les genoux de Georges.

GEORGES. Ah!... on va vous mettre votre beau collier... sale bête... sale chien.... Et ne m'embrassez pas surtout! Allons, debout... sur votre derrière!... Eh bien! eh bien!... ce n'est pas la ^eine de me mettre en quatre pour vous... Voulez-vous bien!...

JEANNINE, riant. Vous lui dites tou jours des méchancetés, ce n'est pas étonnant si elle vous désobéit... Je vais lui tenir le cou.

L'Enchantement

8-

GE0ÏMSE8, C'est ça, allons... (Jeannine rit en essayant ch retenir Neyt sur les ge- noux de (Jeorges.) Je vous ai pincée!

JEANNINE. Non, ce n'est rien !

GEORGES. Si, je vous ai pincée!

ISABELLE, qui les regarde, interrompant fout à coup. Voyons, Jeannine ! laisse donc ce chien une minute... il est insuppor- table, on le trouve partout... Il n'y a que lui dans la maison.

JEANNINE. Mais on arTange son collieir.

ISABELLE. II' a les pattes dégoûtantes. "1 vous salit, il ejiinuie tout le monde.

JEANNINE. Mais puisque...

ISABELLE. Al'lbns, laissc-lc, je te dis... envoie-le coucher.

JEANNINE, prend vi cément le cJiien sous son hras. Bien!

ISABELLE. r Cc u'est pas uue raison pour t'en aller !

JEANNINE, blême. Viens, Neyt!

Elle sort en claquant la porte.

ISABELLE, bas à J/"^® Heiman. Allons, voilà encore qu'elle -a bouder!... Rendez- moi un service.

MADAME HEIMAN VoloutierS !

ISABELLE. Sans avoir l'air de rien, vou- lez-vous regarder oii elle s'en va ? Je ne veux pas trop paraître la surveiller, vous compre- nez?... mais je n'aime pas quand elle boude.

MADAME HEIMAN. Comment donc !

GEORGES. Vous dites, chère amie?

ISABELLE.

cher ami.

Il appuie sur « chère amie »^ - Rien, ne vous occupez pas...

M"" Heiman est sortie.

ICENE II

ISABELLE, GEORGES, seuls.

Ils mesurent un instant le silence, puis se lèvent en même temps et se font signe : « Oui ». Ils se collent dans un coin, s'étreignent.

ISABELLE, tout à coup. Prends "garde, elle est peut-être derrière la porte !

Elle se dégage.

GEORGES. J'ai compté, cette fois nous en avons pour cinq minutes.

ISABELLE. En voilà une de passée. GEORGES. Restent quatre.

Il l'attire.

ISABELLE. Prends garde... la voilà...

Ils se séparent brusquement. la porte vient de s'ouvrir.

GEORCEs, empoté, détachant ses mots. Vous ne pensez pas, ma chère amie, qu'il soit alors absolument nécessaire...

C'est la femme de chambre qui est entrée.

LA FEMME DE CHAMBRE. Madame...

voilà les chapeaux mademoiselle qu'on apporte.

ISABELLE. C'est bien... posez-les là.

GEORGES, furieux. Vous ne pourriez pas frapper avant d*entrer .^... Votre service se néglige considérablement à la campagne... V0UJ3 entendez?... ne me le faites pas répé- ter!

LA FEMME DE CHAMBRE. Oui, moU.sieur...

GEORGES. Allez!... C'est insupportable^' (Elle sort.) Chérie!...

Ils s'étreignent à nouveau.

LA FEMME DE CHAMBRE. Madame... voil»

LES CHAPEAUX DE MADEM0ISE-LLE QTj'O APPORTE.

ISABELLE, réprimant de la main un bat- tement de cœur. Ah! j'ai eu peur!

GEORGES. Tu as eu peur?... C'est déli-

cieux.

ISABELLE GEORGES.

cieux!... Il

Non. Je ne trouve pas.

Ne dis pas ça ! c'est déli- me semhle que je trompe ton

mari... chose exquise.

ISABELLE. Nous trompous quelqu'un, en effet... Chaque baiser est un remords.

GEORGES. C'est ce que je dis... [U'i, f m2)s.) sous une autre forme, vTDilà tout.

ISABELLE. Tu ne trouves pas qu'il y a quelque chose de honteux et même de vilain dans nos baisers?

88

L'Enchantement

GEORGES. Oui, il y a de l'adultère... Mu maîtresse! ma petite maîtresse!...

ISABELLE. On dirait que ça t'amuse!

GEORGES. Plus, ça m'excîte !

ISABELLE. Tu as un excellent caractère.

GïEORGES. On le fait, son caractère! Le ^ien devient, en effet, excellent. Je com- mence à comprendre le charme de notre si- tuation... J'ai vingt ans... je sors du collège et j'ai une aventure avec toi. Ecoute, sup- pose que tu es la bonne de ma mère...

Il lui prend la taille.

ISABELLE. Tu es stupîdo !

GEORGES. Je trouve cela amusant, très, très drôle, et plus... Ces baisers dérobés, ces... Nous qui partions pour un ménage bourgeois !

isABELiiE, froidement. Celui-ci te va mieux, je comprends ça.

GEORGES, tirant tout à coup sa montre. Voyons, deux et une font trois... Dépê- chons-nous. (On frappe à la porte, machina- lement il dit : ) Entr...

ISABELLE. Chut!

Ils se séparent et vont s'asseoir diversement.

GEORGES, une fois installé, un journal à la main. Entrez !

SCENE III

Les MÊMES, JEANNINE

_dABELLB. C'est toi, Jcaunine ? Pour- quoi frappes- tu ?

JEANNINE, du haut des dents. Au cas je vous aurais dérangés.

ISABELLE. Tu saîs bien que tu ne nous gênes jamais.

JEANNINE, petit air faussement naturel. Je venais chercher mes jonchets que j'avais oubliés... Je peux?

ISABELLE. Jeannine, écoute ici.

JEANNINE. Quoi?

ISABELU5, lui fait signe de venir. Ma question quotidienne. Si M™® Heiman n'était pas venue déJGuner ce matin, je te Vaurais déjà posée... Je ne voudrais pas l'importuner non plus; tu es libre... Je te demande seulement : Es-tu dans les mêmes dispositions aujourd'hui que les autres jojirs? Tu ne veux pas que nous causions un pe ')?... Non? Ce que j'en dis, tu le sais bien, n'-. t uniquement que pour ton bonheur.

JEANNINE, les sourcils très écarquïllés. .Vi.is je suis très heureuse, je te remercie, je suis très heureuse comme cela ! Pour- quoi?... Avec tout ce que tu as eu la bonté -de m'acheter... mon jeu de géop^rophie, mon

Eurêka, et mes jonchets^ surtout mes jon^ chets... C'est encore ce que tu pouvais trou- ver de mieux dans les jeux à un. (»S'e levant vivement.) Tu permets? Ils sont là, dans le tiroir, n'est-ce pas?

ISABELLE, la figure un peu contractée, avec un regard vers Georges qui lit le jour- nal sans bouger. Je t'achète des jouets pour te forcer à te distraire... à t'occuper manuellement un peu, malgré toi, d'une fa- çon quelconque... Voyons, mon petit, viens entre nous... ici. Je voudrais que tu nous parles.

JEANNINE. Mais quoi? Qu'est-ce que tu as ? Je ne comprends pas bien ce que tu veux dire... Il ne faut pas que j'aille jouer?... c'est ça? Attends que je pose cette boîte. Voilà.

Elle s'assied, les mains aux genoux comme à la classe.

ISABELLE, avec un soupir. Allons, ce n'est pas encore aujourd'hui que nous tire- rons quelque chose de toi et que naîtra un peu d'intimité et de confiance. Tant pis!

Silence,

JEANNINE. Alors, je peux remonter? (Elle se lève, remonte et va sortir. A la porte, elle se ravise; très haut :) Tu sais, j'ai réfléchi pour le professeur de gymnas- tique.

GEORGES, levant le nez de son journal. Quel professeur de gymnastique ?

ISABELLE, gcnée. Oui, j'ai chei'ché quel- qu'un qui pourrait, de temps en temps, ve- nir lui faire faire un peu d'exercice, ici.

JEANNINE, de la porte, cinglant les mots. Comme je fais déjà beaucoup d'hygiène, je crois que ça me fatiguera. Tu remplaceras cela par autre chose, si tu veux bien. (Fausse sortie encore.) Ah! puis, si tu vas à la ville, veux-tu avoir la complaisance de m'acheter une autre balle?... La mienne est usée.

Au moment elle sort, elle heurte dans la porte M"' Heiman qui rentre.

MADAME HEIMAW. TieUS, VOUS étîcz là?

JEANNINE. Vous me cherchiez?

MADAME HEIMAN. Du tout, mais je VOUSi

croyais sortie.

JEANNINE. J'étais rentrée, vous voyez.. (Imperturhahle, les mains derrière le dos.) Pardon, madame.

MADAME lîEiMAN, qui cst rcstéc dans la- porte, ne comprenant pas. Quoi?

JEANNINE. Pardon, je voudrais passer.

MADAME HEIMAN. Ah! OUÎ !

Une seconde et la porte se referme ; Jeannine &r disparu.

I

L'Enchantement

89

SCÈNE IV

GEORGES, ISABELLE, M"»» HEIMAN

GEORGES, jette son journal en pouffant.

Elle ne vous l'a pas envoyé dire, hein'r Seis jonchets!... Et son profetsseur de gym- nastique!... Elle est extraordinaire, cette petite !

ISABELLJ5. Ça te fait rire? Tu as de la chance.

GEORGES, aifec un haussement d^ épaules.

Oh! il n'y a pas de quoi pleurer... mon Dieu !

ISABELLE. Je ne trouve pas ces petitCiS scènes d'une drôlerie irrésistible... Mainte- nant, je n'en comprends peut-être pas tout le sel, il est vrai !

MADAME HEIMAN, qui s^ est tenue éloignée, et regarde à la fenêtre pour se donner une contenance. Alors, que fait-on aujour- d'hui?... Il serait temps de se décider.

GEORGES. Sortez, vous... moi, je monte travailler.

ISABELLE, à Georges. Vous montez?

GEORGES. Il le faut bien.

ISABELLE. A votre aise! (Elle remonte; bas à il/™® Heiman.) Je vous remercie, vous savez, et m'excuse.

MADAME HEIMAN. De rieu, de rien. Je la croyais au jardin. Elle a faire le tour par la cuisine pour rentrer ici... Quel petit furet !

GEORGES. Dites donc, ne partez pas sans que je vous aie serré la main ; d'ailleurs, je n'en ai que pour une heure, vous serez encore quand je redescendrai ; hêlez-moi, en tout cas, par la fenêtre.

MADAME HEIMAN. ' Paresseux ! Est-ce qu'il avance, votre livre?

GEORGES. - Ça boulotte, ça boulotte... Je vous le lirai un de ces jours.

ISABELLE. Allez travailler, mon ami, allez !

GEORGES. Je me sens beau, La sensa- tion du devoir ! A tout à l'heure.

Il sort

SCÈNE Y

ISABELLE, d'un air candide. Vous au- riez pu venir plus souvent, autant que vous auriez voulu.

MADAME HEIMAN. N0U6 u'avoufi échangé que des paroles volontairement indifférentes.

M°^e HEIMAN, ISABELLE, puis GEORGES

MADAME HEIMAN. Ah ! ma chère amie, je ne suis pas fâchée que l'occasion se pré- sente, — si vous m'en donnez la permission, toutefois, de causer un peu librement. Depuis quinze jours que je me suis installée chez moi, j'ai craint beaucoup d'être indis- crète, et je me suis tenue à l'écart, vous avez voir avec quelle réserve !

MADAME HEIMAN. Gomment cela va-t-il

ICI, DEPUIS CES DEUX MOIS?

par-dessus les haies... Alors, dites?... Com- ment cela va-t-il ici, depuis ces deux mois ? ISABELLE. Mai» très bien, très bie«, tr^ bien. ^

Isabelle feuillette un livre.

MADAME HEIMAN. Ah! j'avais cru... j'avais cru vous sentir eincore en proie à des inquiétudes, des transes...

ISABELLE. Pourquoi ? Parce que je vous ai envoyée à la recherche de Jeannine?... Simple formalité.,. Tout va très bien, très bien...

MADAME HEIMAN. Vous me rassurcz ! Je suis bien contente. C'est curieux comme on se trompe! Il m'avait semblé percevoir...

ISABELLE. Quoi?

MADAME HEIMAN, coup d'œil malin. Ohl une atmosphère générale... un je ne sais quoi dans la conversation.

ISABELLE. Vous VOUS trompiez... Tout va à merveille, je vous le répète... tout est pour le mieux.

MADAME HEIMAN. Alors, Jeannine?

ISABELLE. Jeannine est parfaite, Georges est parfait, j'ai lieu d'être pleine- ment satisfaite.

MADAME HEIMAN. Je pensais bien que cette petite crise d'enfance se dissoudrait d'elle-même au beau soleil!... Et vous? Com- ment avez-vous supporté une situation, en somme bien... pénible, bien difficile .? -4.

ISABELLE. Comme vous le voyez.

MADAME HEIMAN. VoUS aveZ été SI COU-

rageuse ! Ah ! peu de femmes auraient eu votre énergie! Votre mine, d'ailleurs, laisse à désirer... Jeannine, elle, a repris, son petit air calme. Georges, je n'en parle même pas... ISABELLE. Mais si, parlons-en, au con- traire. Quel visage florissant^ n'est-ce pas<^ Il en,graisse !

90

L'Enchantement

MADAME HEiMAN. Je n'ai pas fait atten- tion.

ISABELLE. Vous n'avez pas vu? Il en- grai.sse. C'est remarquable, sérieusement... Il Drend du ventre.

On rit.

MADAME HEIMAN. Et...

ISABELLE. Et?

MADAME HEIMAN, SOUrîailt. Je Vaîs VOUS

paraître indiscrète... indélicate, mais excu- sez une question qui me vient naturellement aux lèvres.

ISABELLE. Dites.

MADAME HEIMAN. J'ai 0-bservé que vous employiez, Georges et vous, le vouvoiement avec une affectation bien naturelle devant Je^nnine... Je veux savoir si ce sont encore les... comment dire?... les mêmes formules que vous employez dans l'intimité?

ISABELLE, avec un mouvement. Mais voyons! Georges et moi nous ne sommes qu ■des amis.

MADAME HEIMAN, infeiioqvce. Ah! bah! Mais, au moins, vous ne ferez pas croire

MADAME HEIMAN. Mon Dieu, chère

AMIE... JE CROIS QUE MA PRÉSENCE EST TRÈS DÉPLACÉE.

•que vous n'aye'.. ^joiut quelque rapproche- ment, quelques heures d'intimité! Vous ne gardez pas cette contrainte superflue l'un devant l'autre, je suppose?

iSABELiJS, gênée. Mais si, mais si... Cela fait partie de mon programme.

MADAME HEIMAN. Fichtre ! Vous êtes ^une femme de caractère. (Se levant.) Allons,

je vois que tout est pour le mieux, en effet...

ISABELLE. Vous VOUS IcVCZ ?

MADAME HEIMAN, battant froîd. Mon Dieu, ohère amie... je crois décidément que ma présence est très déplacée. Et je n'ai plus qu'à m'excuser d'avoir été indiscrète.

ISABELLE, hrus^uement . Rasseyez-vous, Odette. Eh bien! oui, c'est vrai... pourquoi essayer de nier plus longtemps l'évidence même?... oui, ça ne va pas, ici... ça ne va pas comme je l'espérais.

MADAME HEIMAN, tout de suite ras&ê renée et curieuse. Pauvre amie! Vous deviez vous attendre pourtant à toutes les diffi- cultés !

ISABELLE. Ah! ditas à toutes les affres 1 J'avais tout prévu. Aussi, je ne parle pas de mes angoisses personnelles... elles ne comptent pas... J'avaie prévu l'état d'anxiété chronique dans lequel je devais désormais vivre, par peur insurmontahle, irraisonnée même, de ce que ces yeux-là ont déjà vu!... Il y avait pourtant une chose sur laquelle je n'avais pas compté : le silence de Jean- nine, un silence résolu, entêté... un mutisme mystérieux contre lequel je ne peux rien, aJbsolument rien!... Et cela, c'est mal de sa part, je crois avoir le droit de le dire !

MADAME HEIMAN, poussant Stt chaîse.

Mais racontez ; je ne suis au oourant de rien, moi!

ISABELLE Sa-ns quoi, je ne sais que tT<yp la tâche terrible que j'ai assumée!... Oh ! ces premiers jours ! Je les prévoyais, mais rien ne peut vous en donner une idéel Nous avons fait tout ce que nous avons pu... Nous ne nous quittions pa« tous les trois. J'évitais de me trouver seule avec Georges. Je voyais tellement ses pauvres regards na- vrés dès que nous étions obligés de la quit- ter!,.. Ji devinais tellement ce qui ;se pas- sait en elle!... Mais quoi? il fallait bien nous séparer, ne fût-ce que... pour la nuit... Oh! ces promiscuités inévitables! Cette espèce de honte continuelle! l'inévitable détail de l'in- timité auquel il a fallu descendre! A^h! elle eût été autre, cette petite, mais, comme on. me l'a changée! Vous ne poua^ez vous douter de son insistance froide et silencieuse... cet œil qui voit tout, devine, cherche à percer, va au-devant des pensées... Et cela avec, je puis dire, une impudeur, un soudain cy- nisme, une sorte de fièvre froide extraordi- naire!... Nous avons placé naturellement nos trois chambres à des paliers différents... mais que de nuits, je peux vous le confier, j'ai entendu son petit pas nu monter fur- tivement l'escalier!... que de nuit j'ai senti son haleine anxieuse derrière la porte!,.. Elle épiait... puis je l'entendai» descendre; alors mon cœur se remettait à battre... Oh! ces lendemains, oii je la voyais toute pâle, avec des cernures, et déjà vieillie par la mauvaise anxiété! Partout, dès que < nous nous trouvons ensemble, Georges et

L'Enchantement

93

moi, elle nous traque. On ouvre une porte... crac... elle est là, derrière, droite, les lèvres pincéeis. Elle vous regarde, puis pasise comme une ombre. Elle fait deiS irruptions brus- ques ; sa petite tête les prépare, les calcule toute la journée. Oh ! le reprodie perpétuel de son attitude! Et j'ai tenté tout, toutes les paroles, toutes les tendresses! J'ai essayé toutes les conversations, à trois, à deux, sur son «imour; j'en ai ri... j'en ai pleuré... Rien. Rien ne peut la faire sortir de ce si- lence. Elle me revient d'ailleurs... d'autre part... d'une autre vie... elle a laissé la mémoire et le passé... Des mots de haine parfois lui échappent; elle n'a plus que cela à mon service, de la haine!

MADAME HEiMAN. Oh ! de la haine ! à coup sûr, vous exagérez !

ISABBLTJB. Non, je ne m'illusionne pas, allez! Elle me hait. Ah! ma tâche ne sera guère facile ! Enfin, tout cela n'est pas à ra- conter...

MADAME HEIMAN. VoUS êtcS du moius

certaine qu'elle a renoncé à ises idées noires?

ISABELLE. Rien moins que certaine! Allez savoir, avec un pareil mutisme ! Je vis dans des transes perpétuelles. Je l'épie comme je peux; je la fais surveiller jusque dans sa chambre par les domestiques... Vous devinez aisément toute notre vie !

MADAME HEIMAN. Et Gcorges, au milieu de tout cela?

ISABELLE. Georges ? Parfait, parfait ! Il est très correct.

MADAME HEIMAN. Car lui aussi a sa bonne part d'ennuis... et chez un concentré comme lui...

ISABELLE. Esprit beaucoup plus su- perficiel qu'on ne le croit en général!... Je le connais bien... Il y a du fond, certaine- ment, chez ce garçon, mais de la surface sur- tout...

MADAME HEIMAN. Vous trouvcz ? Je l'ai toujours connu plutôt méthodique, posé...

ISABELLE. Oui, je sais... c'est l'impres- sion qu'il donne en général!... (Elle hausse les épaules.) Il chasse, il travaille un peu... Il est d'attitude très joviale... avec moi, du moins. (Négligemment.) Je ne sais comment il se comporte avec Jeannine, quand ils sont seuls.

MADAME HEIMAN. On devins!

Elle a dit cela sans y ajouter d'importance.

ISABELLE, de but en blanc. Vous le de- vinez ? Eh bien ! dites, pour voir ?

MADAME HEIMAN, prîse ttU dépOUTVV.

Mais... mon Dieu!... à les voir ensemble, lui, l'air raisonneur, paternel... les mains dans les poches... elle, bougon...

ISABELLE. Vous les avcz vus ensemble?

MADAME HEIMAN. Oul.

ISABELLE. Oii ça?

MADAME HEIMAN, un peu gênée. Mais plusieurs fois... avant-hier encore... au bout

du pnrc, au tournant de la vigne phyllociérée. rsABELLifi. Avant-hier, mercredi?

, MADAME HEIMAN. Oui.

ISABELLE. Ils VOUS OUt VUe ?

MADARfE HEIMAN. J'ignore. IIb pas- saient.

rsAJJELLB. A quelle heure, mercredi ?

MADAME HEIMAN, évasivc. Ah! je ne me rappelle plus !

ISABELLE. Le matin ou le soir?

MADAME HEIMAN, hésitation. Plutôt le soir.

ISABELLE. Quatre heures?

MADAME HKiMAN. Oui, quatre heures, c'est ça... Pourquoi?

ISABELLE. Pour rien. (Elle remonte.) Eh bien! sort-on, décidément?

MADAME HEIMAN. Qu'cst-CC que VOUS

avez? Ah! pauvre de moi, qu'ai-je fait en- core?...

ISABELLE. Rien, mais mercredi, à deux heures, Georges est partd à bicyclette pour la ville... et il m'a dit y être resté, sans bou- ger, jusqu'à sept... Voilà.

MADAME HEIMAN. Je me sm& donc trompée de jou.r... Attendez... mais oux,, jus- tement, je crois que...

ISABELLE, lui mettant la main sur V épaule en riant. Non, non, je "vous en prie, ne cherchez pas à rattraper!... Comme ça n'a pas d'importance... Ils se cachent, voilà tout... Déjà!

MADAME HEIMAN. Je counais Georges, et, tel que je le connais, je suis sûre de n'avoir pas gaffé... Voyons, voyons..» depuis le déjeuner je vous observe... Ne seriez-vous pas tout sim-plement jalouse?

ISABELLE. Plaît-il?

MADAME HEIMAN. Oui, ne senei3-vou3 pas j louse?

ISABELLE. Jalouse, moi? Ah! vous tom- bez bien! Jalouse! Dieu non, par exemple!... Pas é& ça, Lisette! Vous me connaissez peu... Moi!... Je ne voudrais pas que vous le pensiez, surtout l

MADAME HEIMAN. Est-ce bien vrai, aussi, ce que vous me disiez tout à I heure de votr© intimité, ou du moins de votre manque l'intimité avec Georges ?

isabeîîM:, avec un mouvement d'hésita- tion et f rapidement. Qu'importe!

MADAM HEIMAN. Ah! bien, parfait'

isABBLî' 5, embarrassée, à voix bassK. J'ai été oligée de céder à Georges. Oui, je n'ai pas {»a agir autrement... il m'a semblé -jiue mon devoir. o

MADAME îEiMAN, riant. Parfait! Œlle va sur le perron et appelle en Vair.) Georges !

ISABELLE. Que f aitcs-vous ?

:jadame HEIMAN. Après ce que vous ve- i-iec de me conter là, je suis complètement assurée. Vous allez voir... j'ai hâte de vous démontrer que je n'ai pas gaffé.

LA voix DE GEORGES, par la fenêtre du pre- mier étage. Quoi?

92

L'hncliantement

MADAME HEiMAN, du perroîi. Je m'en vaie... Alors, je vous appelle, comme vous me l'avez demandé. "•

VOIX DE GEOKGES. Je descends 1

ISABELLE. L'absurde histoire!

MADAME HEIMAN. JQ ne faut pas laisser traîner les malentendus. Axiome. Vous dé- buter; ; moi, j'ai quinze ou vingt ans de... virtuosité. Fiez-vous-en à moi, ma ohère... Je vais commander ma voiture pour la pro- menade. Pendant ce temps, vous allez dire votre soupçon tout franchement èr Georges et... je reviendrai vous prendre en Victoria... Tenez, je ris!

ISABELLE. Vous me rendez ridicule !

MADAME HEIMAN. Faut-il que je sois sûre de votre mari pour risquer le paquet!... Dites-lui tout en deux mots, et vous ver- rez!... Mais abordez très franchement la question, hein? Pas de oomplications, sur- tout ?

ISABELLE. Oh! des complications! que vous me connaissez peu!... Droit au but... telle est ma devise, toujours... Vous allez voir.

MADAME in I M AN. Nou, je ne verrai pas.

ISABELLE. Ça ne fait rien. Droit au but. Deux mots : oui ; non.

SCÈNE YI

Les Mêmes, GEORGES

GEORGES, entrant de droite. Donc, vous ne sortez pas ensemble, décidément?

MADAME HEIMAN. J'avais oublié un ren- dez-vous, chez moi, très pressé... Je sertirai peut-être tout à l'heure... si Isabelle veut venir me prendre ?

ISABELLE. Peu probable.

MADAME HEIMAN. Adieu, mes enfants!

GEORGES. Quelle hèche !

MADAME HEIMAN. C'était inutile de des- cendre... mais vous l'avez voulu.

GEORGES. Et je ne le regrette pas. Je n'avais pas le courage de venir pretndre un livre dont j'ai besoin... là, dans la biblio- thèque... Vous ne voulez pas que je vous accompagne ?

MADAME HEIMAN, ouvroTit son Ombrelle. Non, non, bonsoir.

. . Elle s'en va.

GEORGES, du perron. Bonne prome- nade!... Quel temps, hein?... Ne vous re- troussez pas si haut... je suis encore là... Quoi?... Mais non, je ne suis pais si bête que ça!

SCENE VU

GEORGES, ISABELLE, puis la Bonne,

Resté seul avec Isabelle, Georges redescend et ?e frotte les mains en chantonnant, puis il s'ap- proche de sa femme et va l'embrasser. A et moment, fracas. Par la porte-fenêtre du fond un grand ballon de jardin a bondi sur eux. Ils se séparent effrayés. Puis, Georges, ayant compris d'où et de qui est parti le projectile, sourit, hausse les épaules. Il ramasse le ballon, va à la fenêtre.

GEORGES, riant. clés.

Le ballon de Damo-

II envoie promener le ballon, d'un grand coup de pied, dans in jardin.

GEORGES. Le ballon Damoglès.

ISABELLE. Tu es bicoi joyeux, Georges; tu fais des mots... c'est ravissant... seule- ment, si tu pouvais avoir une joie moins bruyante, je t'en serais reconnaissante. ^

GEORGES. Je serai triste, si tu y tiens ;, mais je n'ai pas de raison d'être triste.

ISABELLE. Je sais; mais moi, j'en ai.... Je t'en prie, mets la sourdine... ce sera plus décent. ^'

GEORGES. N'est-ce pas toi qui m'as re- commandé d'être aussi gai que possible?... Je pensais que cela faisait partie du pro- gramme. C'est Une gaieté de...

ISABELLE. ... de commande.

GEORGES. Oui.

ISABELLE. ' Merci. Tu t'en es bien»

L'Enchantement

9^

! . ttté. Je me rappelle, en efïet, je croyais Ov.acvole-ment que la situation allait te gê- ner un tant soit peu, t'être désagréable... Je croyais, oui, je l'avoue, que tu allais souffrir de ton côté.

GEORGES. Je veux bien souffrir, si tu y tiens absolument... mais je n'ai pas de raisons de souffrir.

ISABELLE. C'est que c'est vrai, pour- tant 1... Quelle raison aurait-il de souffrir, en effet?... C'est admirable! Tu es là, à l'aise, confortablement . . .

GEORGES. Confortablement, non, non... n'exagérons rien... Je ne suis pas mal, ac- tuellement, voilà tout.

ISABELLE. ^ Il y a deux femmes qui t'ai- ment, au lieu d'une! C'est tout le résultat que t'a apporté ce changement de vie!... Il a parbleu raison!... Seulement, moi, qui n'ai pas les mêmes sujets de gaieté, ce que je te demande, c'est un peu de décence dans tes expansions pour celle qui souffre.

GEORGES. De décence?.,. J'ai fait quel- que chose d'indécent?

ISABELLE. Ce que je te demande, c'est, devant Jeannine, un peu de retenue... afin de ne pas entraver ma tâche à moi, suffi- samment pénible, telle qu'elle est.

7 3E0RGES. Parce que j'ai ri tout à 1 neure, après la sortie de Jeannine?

ISABELLE. Sans quoi, mon Dieu, je comprends tellement!... Oh! je ne t'en veux pas... c'est si naturel, en effet!... Tu es flatté... Ce sont des faiblesses d'amour-pro- pre si compréhensibles !

GEORGES. Flatté?

ISABELLE. Ne t'en défends pas ; à quoi bon? Il y a beau temps que j'ai fait la re- marque... en souriant... Je ne t'en ai pas parlé, parce que, nous autres femmes, nous corrkprenons si bien ces choses-là... et leis hommes so«it si fats !

GEORGES. - Elle est bonne!

i&ABELLE. Tu crois que je ne vois pas toutes tes. petites manigances?

GEORGES. Oh ! conte-moi les petites ma- nigances... j'en serai bien aise!

ISABELLE. Tu veux?... Au hasard... dans le tas... tiens. Dujant les regards qu'elle te jette, ces longs regards insistants ■et béatjs, qui ont l'air de dire : (( Est-il beau. Seigneur, est-il beau! », tu prends alors i^n air modeste, détaché... qui est très amusant, je t'assure, à observer! Mais oui, mon ami, vous avez des manières de faii'e des effets de mains, quand vous voyez que son regard se pose, s'installe sur vous... des gestes enfuis vers 1-a cravate...

GEORGES. Vous êtes un vrai miroir, nais un miroir qui rend bien, sapristi !

^ jABELLE, Le petit ton poli, condescen- .xnnc, et joliment fat, avec lequel vous lui demandez : (( Jeannine, voulez-vous me pas- ser telle chose? »

GEORGES. Quoi eucore ? quoi encore?

ISABELLE. Un petit détail... entre

mille... mais assez drôlet. Vous fumiez la pipe, à Paris. Pendant six ans, vous avez fumé la pipe chez moi, sans vous gêner, oui, ma foi... je vous aurais brodé dos pantou- fles!... Eh bien! maintenant, vous vous êtes mis à la cigarette!... Oh! c'est un rien, je le sais bien, mais un rien significatif pour l'observateur!

GEORGES. Pardon, voilà une améliora- tion dont vous profitez aussi... L'hommage est de moitié pour vous... il y a ingratitude à me le reprocher.

ISABELLE. Tenez encore... mais non... ceci me gêne un peu à dire... Vous m'en voudrez.

GEORGES. Dites, dite®, pendant que vous y êtes, vous auriez tort de vous gêner.

ISABELLE. Quand elle chante sa Chan- son de Florian, vous savez, avec l'expression en coulisse : « Qu'on chérisse au premier moment, qu'on aime ensuite davanta-a-ge », si vous voyiez votre air, lorsque vous lui ré- pondez : (( Bien, ça, Jeannine... très bien.,, recommencez donc ! » Vous avez, à ce mo- ment, une expression générale... extraordi- naire., oh! intraduisible!... mais très co- mique. Il y a ainsi tout un côté de vous que je ne connaissais pas autrefois et que vous m'avez révélé... un côté (( calicot », mon pauvre ami!... Mais j'ai tort de vous dire tout cela, sans doute, vous m'en voudrez !

GEORGES, Je vous suis très reconnais- sant, au contraire.

ISABELLE. Je ne vous cacherai pa^ que, par moments, vous m' apparaissez un peu ridicule, voilà tout.

GEORGES. Ah! qu'est-ce que j'avais dit? Ridicule!... Ecoute ça, mon bonhomme, écoute ça!

ISABELLE. Mais, dès les premiers jours, je l'ai si nettement senti, Jeannine vous est devenue tout à coup si sympa- thique!... vous ne la croyiez pas si intelli- gente que cela, cette petite!... Tenez, le soir même de notre mariage, après le coup de folie de Jeannine, alors que nous nous con- certions, je me rappelle déjà que j'ai été obligée de vous interrompre...

GEORGES, stupéfait. Moi?

ISABELLE. Oui, quand je vous ai dit : (( Nous la guérirons de vous », je me rap- pelle, vous m'avez répondu déjà de ce petit ton intraduisible : (( Pas si sûr que ça! »

GEORGES. Moi ? ?

ISABELLE, A ce point que j'ai été obligée, vous ne vous en souvenez pas? de vous reprendre... et d'ajouter : (( Mais si, mon ami, mais si... » en souriant, honteuse un peu pour vous.

GEORGES. C'est le comble, par exemple !

ISABELLE, continuant . Et ça vous gêne-

lait, en effet, qu'elle guérisse! ça vous vexe-

»'ait... car elle ne peut guérir que par

l'amoindrissement de votre charme! Vous

'^rrez diminuer votre puissance de séduc-

i^ii jour par jour... ah! ce sera dur! Et

94

L'Enchantement

îomme je comprends que vous désiriez voir se prolonger cet état de choses le plus long- temps possible, quitte à entraver mon ou- vrage!... car c'est contre vous que je tra- vaille, en effet, mon ami... et ce n'est pas

ISABELLE. Je connais trop moi-même le

POUVOIR DE vos ARMES.

commode... j'aurais mauvaise grâce à le nier! Je connais trop moi-même le pouvoir de vos armes !

Avec une révérence.

«BORGES, s'indinant. Vous êtes bien aimable !

ISABELLE. Cependant, vous vivez votre seconde jeunesse. Et c'est ce qui vous donne patte mine d'admirable prospérité!

GEORGES. Je ne vais pas mal, je vous remercie... Oh! du côté de la santé!... Enfin, je tâcherai d'aller moins bien, s'il y a moyen.

ISABELLE. Tout Cela est bel et bon,., je ris maintenant, mais il y a des moments je trouve cela m-oins spirituel ! La situation a complètement dévié et se retourne contre moi. Ma parole, je deviens la femme en- nuyeuse à laquelle on se résigne. C'est inouï! .

GEORGES. Est-ce de ma faute?

ISABELLE. . Je comptais sur un peu de bonne volonté de part et d'autre... sur sa tendresse... sur...

GEORGES. Ah ! voilà bien le grand tort l

Vous comptiez sur ce que vous désiriez, tout simplement. Je vous ai assez prévenue, j'ai rabâché.... maintenant, vous êtes sociale- ment responsable de nous! je ne m'en mêle plus, je ne veux rien savoir ! Je suppose que vous avez réfléchi,., alors, la paix! Il fallait tout prévoir.

ISABELLE. - J'espérais appuyer sur un terrain quelconque, mais rien!.. Elle se dé- robe à toute guérison.

GEORGES. Guérison! Vous parlez tout le temps de ça comme d'une maladie!

ISABELLE, C'en est une! .. et conta- gieuse encore !

GEORGES A vous entendre, on dirait tout le temps qu'il y a un agonisant dans la maison ! J'en arrive à marcher sur la pointe des pieds... Alors, faites l'opération, sa- pristi !

ISABELLE. C'est par vine lente hygiène que j'espérais...

GEORGES. Par un régime, dites donc le mot!... Tout le temps, à Paris, que vous me découvriez vos intentions, ce mot me venait aux lèvres : Un régime. Bains le matin.., bain le soir... gymnastique suédoise... pro- menade... travail à cinq heures...

ISABELLE. C'est Cela, appelez-moi pion, tout de suite!... Je suis le pion!

GEORGES. Tout ce quo VOUS me dites là, je l'ai prévu, tout noté... (Sortant un car- net.) dans mon almanach prophétiîjue pour 1900... Tenez, le 26 septembre... (Il consulte le carnet.) Ah! non, vous êtes en avance!

ISABELLE. Avouez-le, vous êtes extraor- dinaire! Rien ne vous enlève votre bonne humeur ! Mais votre sourire, au moins, expli- quez-moi votre sourire !

GEORGES. Impatiente!... Joconde, de- puis le temps, n'a pas encore expliqué le sien!... Voyez-vous, Isabelle, c'est des idées à moi, des petites idées à moi... Dans la vie, je ne sais jamais s'il faut rire ou pleurer... ou plutôt, j'ai la sensation très nette qu'il faut à la fois rire et pleurer des mêmes choses, car toute chose a une double face, l'une drôle et l'autre... pas très drôle... et je ne sais jamais laquelle est la bonne. Ce n'est peut-être d'ailleurs ni l'une ni l'au- tre!... En tout cas, je n'ai pas assez con- fiance pour me laisser pleurer ; c'est pour- quoi je commence toujours par sourire.. = par peur des dieux, avec la juste crainte d'un comique supérieur. C'est plus prudent.

ISABELLE, avec mépris. Philosophe !

GEORGES, tout d\in coup, il la saisit à plein hras. Et puis, ce n'est pas tout ça!... Il y a quelque chose qui me fait tran- quille et patient : tes baisers,., oui, tes bai- sers à toi, les tiens, ceux que tu m'as donnés, car je te les ai arrachés... car ils ont passé tes lèvres serrées... car il su bien fallu que tu cries ta volupté...

ISABELLE. Tais-toi!... tais-boil...

GEORGES. Ah! nie-le donc un peu!... j'en ai encore la brûlure et le désir!

I

L'Hnchantement

95

isAïniLLE. Tais-toi... je t'en conjure!

GEORGES. Que m'imparte, dès lors! J'ai ie sentiment calme de la victoire, et de l'at- fcente ausisi. Pourquoi ne veux-tu pas que je soiis heureux, réponda, toi que, si je le vou- lais, je défierais de sortir de ces bras-là!... Ne te cache pas la tête ainsi, va, lève-la haut... lève-la! {Il lui relève la tête.) Tu pleures ?

ISABELLE. Oui, un peu... Tu n'aurais pas dire cela... tu as eu tort.

GEORGES. Oh ! Isabelle !

ISABELLE. Laisse, laisse... (Elle passe.) Je suis, à mon tour, nerveuse aujourd'hui... Et puis, que oc soit fini!... Je ne sais ce que j'avais, un besoin. malsain de parler... On a tort. Cessons.

GEORGES. Mais tu m'en veux.

ISABELLE. Je te jure que non .. C'est moi qui me juge absurde. Remonte travail- ler... et redevenons sérieux. (Elle va à la son- nette et sonne.) A propos de choses sérieuses, j'attends toujours le notaire pour l'acte. Es-tu passé chez lui, mercredi? Qu'a-t-il dit de ma lettre?

GEORGES. Mercredi?... non, je n'y suie pas passé... je n'ai pas eu le temps... J'irai demain.

ISABELLE. Comment, tu n'as pas eu le temps de deux heures à sept? Qu'as-tu donc fait à la ville?

GEORGES, embarrassé. Ben, pas mal de «mmissions. . . je me suis attardé chez le ^ellier... Et puis la vie de province, déjà!... J'ai flâné au café Lebrault, avec des amis.

ISABELLE. Jusqu'à scpt heupes ?

GEORGES. Je te demande pardon... j'en- verrai le ooc'ier demain matin... Il n'y a pas de mal.

ISABELLE. Merci.

Silence.

GEORGES. Quoi ?

ISABELLE. Rien... bonsoir.

GEORGES. Je croyais que tu me disais quelque chose.

LA BONNE, entrant. Madame...

ISABELLE. Voulez-vous appeler M^'^ Jean- nine, et...

Elle s'arrête, attendant que Georges veuille bien sortir.

GEORGES. Eh bien! je vous laisse, je vais finir ma page.

Il sort.

ISABELLE, à la bonne. Dites-lui que c'est pour essayer des chapeaux...

LA BONNE , cVun air confidentiel. Madame, je dois prévenir madame que M"« Jeannine s'est enfermée dans sa chambre, hier soir, à double tour... J'.ai eu très peur... je l'ai surveillée... j'ai vu la lu- mière jusque très tard.

ISABELLE, impatientée. Mais oui... mais oui... je sais!

LA BONNE. Je dis ça. dame m'avait recommandé. ISABELLE. Oui... OUI... allez.

parce que ma-

SCÈNE Ylll

ISABELLE, seule.

ISABELLE. Ah ! comme il a menti ! comme il a menti! Cette fois, je n'ai plus à douter... Bonne bête que je suis!... Oh! mais je sau- rai... je saurai tout!... A l'autre mainte- nant! Je la forcerai bieji à j^arler... mai& comment? Je veux savoir pourtant... J'existe, moi !

On entend la voix de Jeannine dans le couloir.

VOIX DE JEANNINE. ça? daus le sa- lon ?

SCENE IX

ISABELLE, JEANNINE

JEANNINE. Tu m'as appelée?

ISABELLE, à part: Elle... Oh! elle!

JEANNINE. Qu'est-ce que tu veux?

ISABELLE. Oui, je t'ai appelée pour que tu essayes tes chapeaux qu'on t'a apportés (Elle ouvre les cartons, elle met un chapeau sur la tête de Jeannine.) Il n'est pas laid, celui-là.

JEANNINE. Fais voir l'autre. Non...

ISABELLE. Tu u'aimes pas le pailleté, là, devant? Ça se fa'it beaucoup.

JEANNINE. Je préfère le grand bord.

ISABELLE. Le pailleté a du genre, tu sais... Puis, tu as raison.

JEANNINE. Et les tiens, ils ne sont T»as a.^

ISABELLE. Oh! moi... avec mon grand noir... c'est suffisant... La toilette m'est bien égale... à la campagne... je ne suis plus assez jeune, ni assez belle... Toi, c'est amu- sant de t'habiller, parce que c'est comme une poupée chic... Tu es si jolie! Tout te va ! Regarde les chapeaux, ils te coiffent tous... la modiste me le disait encore hier... Alors, c'est celui-là que' tu as choisi? Re- mets-le dans la boîte... (Au moment Jeannine va sortir, elle tend vivement un porte-cigarettes.) Will you hâve cigarette, miss?

JEANNINE. Certainly.

ISABELLE. Take.

JEANNINE. Well.

Elles allument leur cigarette

96

L'Enchantement

ISABELLE, la poussant vers le canapé. Assieds-toi là... Tu as le temps... Tiens, leis allumettes. {Elle rit et la tient enlacée.) •Cli'tit bout, va!... tu ne sais pas ce que ça veut dire : ch'tit bout? c'est les paysans d'ici qui disent comme ça... c'est vrai! {Elle V embrasse.) Je t'aime bien... AJi ! on arri- vera un jour à se retrouver ! Tu ne peux pas rester dan<s cet état de claustration morale indéfiniment. Laisse-toi aller... dis-moi touE tes secrets... comme à une amie de couvent. {Enfantin.) Si tu étais au couvent, tu au- rais bien des amies, n'est-ce pas?

jEANNiNE, faisant tomber la cendre de sa cigarette. Mais quoi, quoi te raconter?... Oh ! que c'est agaçant !

ISABELLE. - Tout. J'ignorc tout de toi... depuis deux mois. Pourquoi ne ve'ux-tu pas parler? Les premiers jours, tu as été exquise d'abandon... et maintenant...

JEANNINE. Oh! que c'est agaçant!... Qu'est-ce que tu veux savoir? Tu ne seras pas plus avancée!... Lundi je l'aime, mardi je l'aime, mer-credi je l'aime.... et c'est toute la semaine ainsi... Qu'est-ce que tu veux, ça ne se raconte pas, ce que j'éprouve!... {Deux longues bouffées de cigarette.) Ah! si j'écri- vais mon roman... peut-être!... {Grave so*- bitement.) Tiens, j'ai pensé à toi, juste- ment, hier soir.

JEANNINE Ne me regarde pas, ça me gêne.

ISABELLE. Oui?

JEANNINE. J'ai commencé une narra- tion.

ISABELLE. Une narration?

JEANNINE. Si je la continue, je t'en

montrerai peut-être des passages... ce qui pourra se montrer... {Mouvement d^ Isa- belle.) oh! peut-être!... je ne promets pas... {Elle laisse tomber sa cigarette.) Oui, j'ai pensé écrire certaines choses... pour... pour quand je ne serai plus là... plus tard.

Elle hoche la tête.

ISABELLE. Ne parle donc pas ainsi!... Quelle phraséologie de mauvais goût! Tu parles comme les petites filles du Musée des familles!... {Isabelle glissant sur le canapé, tout contre Jeannine.) Tu ne veux pas me montrer ça tout de suite ? Tu ne peux pas aller me le chercher ?

JEANNINE, secouant la tête avec une froi- deur de reine. Oh! non, non! C'est tout à fait impossible pour le moment!

Silence.

ISABELLE, lu'i entourant la taille, et à voix basse. Alors, dis... tu l'aimes toujours fort ?

jea:;nine prend un air de grand mystère et laisse tomber du bout des dents, à peine.

Oui.

ISABELLE, r embrassant tout à coup. Oh'ti bout, va!... Est-elle gentille tout de même!... Tu vois, qu'est-ce que tu veux que ça me fasse, qu'est-ce que tu veux que ça me fa«se!... Tu as raison de l'aimer; il le mé- rite... Et après?

jeannin^e. Oh,! mais tu me serres, tu me fais mal!... Je t'assure... je voudrais bien te faire plaisir, mais je ne sais pas quoi te dire !

ISABELLE, les ycux brillants,le visage avide.

Ce que tu penses, ce que tu fais... vos confidences de la journée... oe que tu dis à Georges... n'importe quoi... les détails les plus insignifiants.

JEANNINE. Je cherche.

Un sourire imperceptible passe sur ses lèvres.

ISABELLE. Ah! je te vois sourire... tu as quelque chose sur les lèvres... JEANNINE. Non ! ISABELLE, la serrant très fort contre elle.

Si, dis...

JEANNINE, baissant la tête en souriant. C'est bête!

ISABELLE. Quoi... quoi... chérie?

Elle attend anxieusement, le visage crispé, ce qui va sortir de la bouche de Jeannine... Le silence est immense.

JEANNINE. J'ai fait quatre vers hier.

Isabelle, un instant désarçonnée pai cet enfantil- lage, ne dit rien d'abord, puis tout de suite l'œil rebrille, la bouche se contracte.

ISABELLE. C'est vrai?... dis-les-moi? JEANNINE, maniérée, se balançant. Non!

\

L'Enchantement

97

iSAiîELLB. Si, dis.

JioANNiNK, riant, gafjnée. Je n'ok^serni pas... Attends alors... j(> vais te les écrire... ŒUe se lève, va à la tahie en courant.) D'abord, je ne mo les rappelle plus!

Elle cache sa tête dans- ses coudes avec un joli geste d'enfant hontetix:.

ISABELLE. Menteuse!

Jeajinine écrit en s'appliquant et en mouillant !e crayon avec sa langue. Isabelle se rapproche d'elle.

ji^ANNiNB. Ne me regarde pas, ça me gêne.

Elle cache le' papier sous son bras.

ISABELLE. Je m'en vais, je m'en vais.

JEANNIM-::, continue; quand elle a fini, elle tend le papier à Isabelle sans Ut regarder, par dessus V épaule. Tiens, prends!... (Ma- pidement; elle se précipite au piano, rougis- sante, et se met à tapoter de la main droite.) Tu lis?

ISABELLE. ^ Oui.

Isabelle parcourt avidement des yeux. Silence.

JEANNiNE, toujours de dos, de loin, sans se retourner, en tapotant. Ne fais pas atten- "tion à l'orthographe, ni à la' rime, tu sais... Tu as lu ?

ISABELLE, ridnt mal. Oui... (Fuis tout ■d'un coup, la voix changée et sifflante, mal- gré elle.) Ce n'est pas méchant, c'est naïf !

Jeannine se lève brusquement. Elle fixe sur sa sœur un regard interrogateur et haineux.

JEANNINT3. Je pourrais peut-être te dire des choses moins naïves, si je A^oulais!... Rends-moi ^...

ISABELLE, cachant le papier derrière son dos. Pourquoi, Jeannine ?

JEANNINT3. Rcnds-moi ça tout de suite... rends, tu te moques de moi!

ISABELLE, avec un ricanement dans la voix. Tu ne veux pas que je les m.ontre à "Georges ?

JEANNINE. Rends, je te dis...

Elle atteint le papier et le déchire en mille pe- tits morceaux.

ISABELLE, continuant. Georges ne les connaît pa^P

JEANNINE, cramoisie de colère et de dépit. Je ne te répondrai plus jamais, jamais!...

ISABELE. . Ils ne sont pas mal du tout, ces vers... Je n'ai pas voulu te vexer. Il faudrait les montrer à Georges... Il ne les connaît certainemetit pas... S'il les connais- sait, il m'en aurait parlé... (Elle relève la tête an'ec orgueil.) Comme il me dit tout! "^ JEANNINE. Alors, pourquoi me le de- ^andes-tu ?

ISABELLE. Parce que tu aurais pu les lui montrer aujourd'hui, par exemple... ou tout dernièrement.

JEANNINE. Eh bien, demande-le-lui donc... puisqu'il te dit tout.,, c'est plus simple!

< Elle se dirige vers la porte rapidement.

JEANNINE. Rends-moi ça tout de suite...

ISABELLE, fait un mouvement en avant. Voyons... mignon...

JEANNINE. Si, je t'assure... moi, j'en ai assez... je m'en vais. (A la porte elle se re- tourne une dernière fois, gouailleuse et re- gardant Isabelle dans les yeux, elle lance :) Pour le reste, si tu as besoin de renseigne- ments... tu n'as qu'à demander à Georges!

Et puis elle claque la porte du jardin. L'appar- tement en a tremblé.

ISABELLE, seule. Oh! j'ai été mala- droite!... Oh! je m'en veux!... Elle se moque de moi, maintenant... (On entend la voix de Jeannine qui chante très haut dans le jar- din.) Allons, la voilà qui ohante!... Cest clair... Je t'entends, je t'entends, va! Voilà une chanson qui parle mieux que toutes les paroles. (Elle passe ses mains sur sa figure.) Oli ! puis... (Elle rejette la tête en arrière, comme pour en faire tomber tout un poids.) Ah ! il y a encore de belles préoccupations !

Elle se précipite sur le piano ouvert et elle se met à jouer avec fureur des mains, de la tête et des épaules.

98

L'Enchantement

SCÈNE X

ISABELLE, MADAME HEIMAN

MADAME EŒiMAN, entrant. Vous venez? Je suis prête.

ISABELLE. Oui... Eooutez comme c'est passionnant, hein ... Vous aimez Schu- man n ?

MADAME HEIMAN. Beaucoup, beaucoup... Figurez-vous, ma chère, que je viens de re- cevoir une dépêche de Victor... Contr'ordre... Il n'arrivera que d'aujourd'hui en huit. {Un temps.) Eh bien!

ISABELLE, joue, joue éperdument et tout d'un coup se lève toute droite, appuyée au piano. Ma petite Odette, je suis au bord d'une grande chose qui me fait peur... je le sens bien, allez... J'ai compris de quel mal je Bouffre.

MADAME HEIMAN, vivement. Il a menti?... Ah! prenez garde, Isabelle, ne ra- massez pas le mouchoir d'Othello!... Ce Geor- ges ! dites donc un peu que vous ne l'aimez '>ai!

ISABELLE. Oui, u'est-ce pas? Cest visi- ble ... {Elle parle lentement, à voix à peine perceptible, tant elle est basse et trem- blante.) Mais sentir que je dois cela, Odette, que je dois cela à un baiser!... que je dois cela à ce qu'il y a de plus vil en moi, à l'hu- miliation d'une caresse d-e chair!... Et dire qu''il a suffi d'une minute, d'une étreinte, pour faire sombrer toute ma vie... et me li- vrer, poings liés, à cet asservissement... oh! j'en pleurerais, j'en pleurerais d'une grande honte blessée... Et vais-je maintenant, oii vais- je?... Alors, c'est ça la jalousie?... Elle aussi, il va falloir qu'elle entre en moi ? car je sens venir quelque chose de louche, de malsain, d'effleureur... C'est comme une es- pèce d'enchantement... On dirait que cette petite est un foyer d'amour, qui, par sa seule pirésence, attire, attire et brûle... Il se dé- gage d'elle des parfums que je n'ai pas res- pires... d'affreux parfums qui gi'isent! M MADAME HEIMAN, hochant la tête. C'est ça! c'est bien ça!... Ah ! on n'est pas fier !

ISABELLE. Vous devez voir à mes yeux que je^uis toute épouvantée, n'est-ce pas?

MADAME HEIMAN. Oui, ils imploreut... ils ont la fièvre...

ISABELLE. Je suis toute novice, vous comprenez... vous comprenez, je paie double, probablement, moi... je ne savais pas!

MADAME HEIMAN. Vous n'étiez pas femme. Dites tout franchement à Georges... expliquez-vous.

ISABELLE. Ils sc cacherout mieux, voilà oe que j'y gagnerai.

MADAME HEIMAN. Ah! VOUS êtes déjà bien Bubt'le, Isabelle.

ISABELLE. Non non ! ne rien lui dire.

au contraire... et je compte, ma petite Odette, sur votre silence absolu... Rien de ce que j'avoue ici, ne doit arriver jusqu'à Geor- ges... Il faut me le jurer.

MADAME HEIMAN. Oh ! ce Sera absolu- ment comme vous voudrez, je le jure!... Mon Dieu ! dans quelle équipée vous ête6-vou& lancée!... Si elle débute ainsi! Il faut l'ar- rêter de suite... Eloignez Jeannine. Donnez- la moi pour un temps.

ISABELLE. Jeannine?... Vous êtes folle!... Vous vous mettriez à mille que vous ne m'en sépareriez pas!... Je ne pourrais plus vivre un jour!... Jeannine!... Mais qu'elle ne sache jamais, jamais, quoi qu'il advienne, ce qui se passe en moi!... Elle ne peut être, en aucun cas, responsable de ma souffrance à moi... Elle est la dernière au monde qui doive la comprendre ! et quand je mourrais de chagrin, qu'aucun soupçon ne s'élève en elle, grand Dieu!... J'ai juré à la mémoire de notre mère que je rendrais cette petite âme à la vie, et je tiendrai parole ! Vu scrupule, une impatience, elle recommence- rait demain!... oui, oui... car elle n'a pas- abandonné son sinistre projet, j'en suis sûr... c'est là, dans ses yeux, l'idée fixe... Je ne peux pas lui dire un mot, un seul mot... Voilà l'horreur!... Songez à cette chose épou- vantable!... vingt fois le jour, une angoisse' se glisse entre elle et mon regard! Mais, chose atroce, entexidez-vous ? elle joue, même de son suicide ! Elle a des manières fur- tives... des façons de sortir brusquement... ah! j'étouffe parfois de terreur!... Il y a maintenant le chantage de la mort...

MADAME HEIMAN. C'cst impossible... elle vous haïrait !

ISABELLE. Depuis le jour oii je l'ai sau- vée, elle me hait... Oh! le reproche de se«- yeux, de ses pauvres yeux de chien blessé,. qui me disent toute la journée : Sœurette!... Sœurette!... qu'as-tu fait?... Ahfoui, qu'ai- je fait?

Elle pleure.

MADAME HEIMAN. Allous, ne VOUS désolez pas... Venez, nous parlerons de tout cela dehors... la voiture nous attend.

ISABELLE, machinale. Oui, la voiture nous attend... (A la bonne qui est entrée.) Augustine, vous arrangerez tout ici... Faites maTcher le feu pour quand je rentrerai... on gèle.

LA BONNE. Bien, madame... Madame met son manteau ? Il fera froid tout à l'heure.

MADAME HEIMAN. Oui, couvrcz-vous bien.

ISABELLE. Merci, je suis prête.

MADAME HEIMAN. AlloUS, VeneZ.

ISABELLE. Ah! mon Dieu, mon Dieu!... Passez, je vous en prie.

Elles sortent.

La bonne arrange le feu, puis elle allume une grande lampe à pied, derrière le canapé, qui se trouve auprès de la cheminée.

L Enchantement

99

ISABELLE. Ma petite Odette, je suis? al uukjl- d'une grande chose qui me fait peur.

SCENE XI

JEANNINE, LA Bonne.

JEANNiNE, ouvrant doucement la porte. Ces daines sont parties ? LA BONNE. A l'instant.

JEANNINE. En voiture?... Savez-vous elles allaient?

la bonne. Non, mademoiselle.

JEANxNiNE. Bon.

la bonn'e. Mademoiselle veut-elle que j'allume la lampe maintenant?

JEANNINE, Oui.

Un temps.

lOO

L'Enchantement

Il a fait une

liA BONNE, allume la lampe. belle journée aujourd'nui !

JEANNINE. Oui. {Un temps.) Vous fer- merez les volets dans cinq minutes, quand le soir sera tout à fait tombé.

LA BONN'E. Bien, mademoiselle... C'est tout ?

JEANNIXE. Gai.

Elle prend un livre et, songeuse, s'installe sur le canapé et lit.

SCÈNE XII

JEANNINE, GEORGES

GEOP.GES, entre hrvsquemenf par la porte de droite. Dites d... Tiens! c'est vous qui êtes 1».^.-.. Votre sœur est partie?

JEANNINE. Elle vient de sortir avec ]y[me Heima-n.

GEORGES. Ah! elle est revenue, celle- là?... Vous permettez!-'... je vous dérange... je vi«ns prendre un bouquin dont j'ai be- soin... je remonte travailler.

jEANNïNE. -- Faites donc.

Georges ouvre la petite bibliothèque-étagère qui est aa mui.

GEOîRGEs. Mettez donc une bûche au feu... Vous allez attraper un. rhume ici!... Je ne sais pas comment vous pouvez tenir.

JEANNINE. Si vous VOulcZ.

GEORGES. Quel livre lisez-vous ?

JEANNINE. Je ne sais pas.

GEORGES. En voulez-vous un autre ?

JEANNINE. Ça m'est égal. (Elle se lève, en proie à yne très grande animation : elle est bouleversée, elle respire fort, comme lors- <tu^on va prendre une décision. Quand Georges descend de sa chaise, elle se précipite vers lui.) Georges!

GEORGES. Quoi!''

Ils sont face à face.

JEANNINE, baissant la tête. Rien!...

Elle reste ainsi fixe, plantée devant lui, en re- gardant ses bottines.

GEORGES, Savez-vous ce que va faire la petite Jeannine si elle est bien p:entille?... Elle va mettre ses pieds au feu, là-bas, sur le canapé... ouiTir ce livre qui est très intéres- sant... que j'ai choisi esprès pour elle... (Il lui mit le livre dans la main, en la condui- sant doucement par V épaule.) elle va lire... on le tient comme ça, le livre... là... pen- dant que les gens sérieux vont remonter à l^,xr trayail. j, ^,.^^

jeannint:, suppliante. Tout, de suite.

GEORGES. Tout de suite!... Voilà ce que va faire la petite Jeannine, parce qu'elle est bien obéissante... Et quand sa sœur rentrera, elle la trouvera, gentiment, dans la même position... les pieds au feu...

jeannine, ~ Georges!...

GEORGES. Et comme comble de généro- sité, c'est moi qui vais mettre la bûche dans le feu!... (7? met une bûche dans la cheminée. Une dernière fois, on entend dans la hou^ che de Jetinnine roucoider plus faiblement le mot (( Georges ». Au moment de s'en aU 1er, arec douceur, il lui tape la joue, et grave :) Allons, bonne lecture, mon petit... (Brusquement.) Je ne sais pas comment vous pouvez tenir (Jans cette pièce, vrai... il fau- dra que je fasse bourreler les portes... brrr!

Il soit.

SCENE XIII

JEANNINE, puis ISABELLE

Restée seule, Jeannine ne chan^je pas de posi- tion. La tète est seulement inclinée toute basse sur le livre, Un grand temps se passe ainsi.

iSABk»>i^, rentrant par la gauche sur la pointe des j'^'^^'^^- Rien... elle est seule... Tout est comme à l'ordinaire... la lampe brûle... la bûche chante... (On entend et on voit au dehors lu bonne qui ferme les vo- lets.) On ferme les volets... Elle ici... lui là- haut... C'est ma maison... ma calme maison du soir... Tout est en place... Et me voici, moi... le cœur battant dans ce silence... Ah! Isabelle! ma pauvre Isabelle!... que fais-tu là... en cette minute... et t'en vas-tu? (EUe prend ses gants et se rapproche der- rière le canapé.) Elle pleure!... j'entends tomber ses grosses larmes sur le livre... dans le silence... une... deux... On pourrait les compter... Et c'est toi, toi, petite sœur... toi que j'aimais tant... Ah! méchante... mé- chante... Qu'y a-t-il au fond de cette horrible petite têteî... de la vengeance... et puis... autre chose encore... Voleuse, entends-tu!... voleuse!... Oh! cette petite tête que je h...

Jeannine se lève en sursaut, effarée, avec un cri.

JEANNiN-E. Ah! tu m'as fait peur... Qu'est-ce que tu faisais là?... qu'est-ce que tu disais?

ISABELLE, r enlaçant des deux bras. Que tu étais jolie comme cela, en ce moment!... oh ! rnais jolie, non, tu ne peux pas savoir comme tu étais jolie!...

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JEAMÎNB. Bonjour! C'est moi !... Ça vous embête, hein?

HCTE TROISIÈME

Au premier. Cabinet de travail de Georges, très gai, très neuf. C'est la pièce moderne de la maison. Très fouillis. Window sur le jardin. Le jardin se reflète dans les vitres de rénorme biblio- thèque.

SCÈNE PREMIERE

_â^^-*

GEORGES est assis à son bureau et écrit, puis JEANNINE

On frappe à la porte de droite.

GEORGES. Entrez!

JEANNINE, entrant. Bonjour! C'est moi!... Ça vous embête, hein? de me voir ici ? Mais rassurez-vous. Je ne viens pas pour moi, je viens pour mon appareil photogra- phique. Voulez-vous être assez aimable pour me changer mes plaques? Mes douze sont faites.

GEORGES, de son bureau. Posez ça là... Je finis oette page... Dans un quart d'heure je passerai au cabinet noir.

JEANNINE. Il y en a une, une instanta- née où vous serez très bien.

GEORGES, continuant à écrire. Qui... moi?

JEANNINE. . Vous savez bien que je ne fais que vous. C'est ma spécialité. Je vous ai pris tout à l'heure quand vous descendiez de bicyclette. Je vous ai bien attrapé au mo- ment où vous sautiez en arrière. Vous devez avoir les deux jambes en l'air et la tête sur la selle... Ce doit être charmant...

GEORGES. Tout à fait réussi.

JEANNINE. Vous aviez une tête ! Les che- veux vous dégoulinaient tout le long de la fiig,ure!...

GEORGES. Exquis tableau.

JEANNINE. Ne vous inquiétez pas. Si vous me plaisez comme ça ! [Georges se remet à écrire. Jeannine sHnstalle sur une chaise, les mains sur les genoux, les yeux au plafond. Silence.) Un ange passe. {Silence.) Hum l (Silence.) Hum! Hum! (Silence.) Mais je cause, je cause, je ferais peut-être bien d^ m'en aller. Vous allez vous faire attraper»

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L'Enchantement

LA BONNE, allume la lampe. Il a fait une belle journée aujourcrnui!

JEANNÏNE. Oui. {Un temps.) Vous fer- merez les volets clans cinq minutes, quand le soir sera t-out à fait tombé,

LA BONNE. Bien, mademoiselle... C'est tout ?

JEANNINE. Oui.

Elle prend un livre et, songeuse, s'installe sur le canapé et lit.

SCÈNE XII

JEANNINE, GEOKGES

GEORGES, entre hri'squement par la porte de droite. Dites d... Tiens! c'est vous quï êtes làP... Votre sœur est partie?

JEANNINE. Elle vient de sortir avec l^me Heiman.

GEORGES. Ah ! elle est revenue, celle- là?... Vous permett'ez F... je vous dérange... je viens prendre un bouquin dont j'ai be- soin... je remonte travailler.

jEANNïN'E. -■ Faites donc.

Georges ouvre la petite bibliothèque-étagère qui est au rnui.

GEORGES. Mettez donc une bûche au feu... Vous allez attraper un. rhume ici!... Je ne sais pas comment vous pouvez tenir.

JEANNINE. Si vous VOUleZ.

GEORGES. Quel livre lisez-vous là?

JEANNÏN15. Je ne sais pas.

GEORGES. En voulez-vous un autre P

JEANNINE. Ça m'est égal. (EUe se lève, en proie à iine très grande animation : elle est bouleversée, elle respire fort, comme lors- ou' on va prendre nne décision. Quand Georges descend de sa chaise, elle se précipite vers lui.) Georges!

GEORGES. Quoi?

Ils sont face à face.

JEANNINE, baissant la tête. Rien!...

Elle reste ainsi fixe, plantée devant lui, en re- gardant ses bottines.

GEORGES. Savez-vous ce que va faire la petiLe Jeannine si elle est bien p^entille?... Elle va mettre ses pieds au feu, là-bas, sur le canapé... ou-vrir ce livre qui est très intéres- sant... que j'ai choisi exprès pour elle... (Il lui mit le livre dans la main, en la condui- sant doucement par V épaule.) elle va lire.., on le tient comme ça, le livre... là... pen- dant que les gens sérieux vont remonter à

leur travail. _, ,,. ^

11 Imstalle.

JEANNiNTE, Suppliante. Tout, de suite.

GEORGES. Tout de suite!... Voilà ce que va faire la petite Jeannine, parce qu'elle est bien obéissante... Et quand sa sœur rentrera, elle la trouvera, gentiment, dans la même position... les pieds au feu...

JEANNINE. (jeorges!...

GEORGES. Et comme comble de généro- sité, c'est moi qui vais mettre la bûche dans le feu!... {Il met une bûche dans la cheminée. Une dernière fois, on entend dans la hou^ che de Jeannine roucouler plus faiblement le mot (( Georges ». Au moment de s'en al- ler, arec douceur, il lui tape la joue, et grave :) Allons, bonne lecture, mon petit... (Brusquement.) Je ne sais pas comment vous pouvez tenir dans cette pièce, vrai... il fau- dra que je fasse bourreler les portes.-, brrr!

Il soit.

SCENE XIIÎ

JEANNINE, puis ISABELLE

Restée seule, Jeannine ne chanf^e pas de posi- tion, La tête est seulement inclinée toute basse sur le livre. Un grand temps se passe ainsi.

iSABk»jJs, rentrant par la. gauche sur la pointe des pietf^, Rien... elle est seule... Tout est comme à l'ordinaire... la lampe brûle... la bûche chante... (On entend, et on voit au dehors la bonne qui ferme tes vo- lets.) On ferme les volets... Elle ici... lui là- haut... C'est ma maison... ma calme maison du soir... Tout est en place... Et me voici, moi... le cœur battant clans ce silence... Ah! Isabelle! ma pauvre Isabelle!... que fais-tu là... en cette minute... et oii t'en vas-tu? (EUe prend ses gants et se rapproche der- rière le canapé.) Elle pleure!... j'entends tombe^r ses grosses larmes sur le livre... dans le silence... une... deux... On pourrait les compter... Et c'est toi, toi, petite sœur... toi que" j'aimais tant... Ah! méchante... mé- chante... Qu'y a-t-il au fond de cette horrible petite tête!... de la vengeance... et puis... autre chose encore... Voleuse, entends-tu!... voleuse!... Oh! cette petite tête que je h...

Jeannine se lève en sursaut, effarée, avec un cri.

JEANNINE. Ah! tu m'as fait peur... Qu'est-ce que tu faisais là?... qu'est-ce que tu disais?

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JEAMINE. Bonjour! C'est moi !... Ça vous embête, hein?

ACTE TROISIÈME

Au premier. Cabinet de travail de Georges, très gai, très neuf. C'est ta pièce moderne de la maison. Très fouillis. Window sur le jardin. Le jardin se reflète dans les vitres de l'énorme biblio- thèque.

SCÈNE PREMIERE

GmORGES est assis à son bureau et écrit, puis JEANNINE

On frappe à la porte de droite.

GEORGES. Entrez!

JEANNINE, entrant. Bonjour! C'est moi!... Ça vous embête, hein? de me voir ici ? Mais rassurez-vous. Je ne viens pas pour moi, je viens pour mon appareil photogra- phique. Voulez-vous être assez aimable pour me changer mes plaques? Mes douze sont faites.

GEORGES, de son bureau. Posez ça là... Je finis cette page... Dans un quart d'heure je passerai au cabinet noir.

JEANNINE. Il y en a une, une instanta- née où vous serez très bien.

GEORGES, contlnitant à écrire. Qui... moi?

JEANNINE. Vous savez bien que je ne fais que vous. C'est ma spécialité. Je vous ai pris tout à l'heure quand vous descendiez de bicyclette. Je vous ai bien attrapé au mo- ment où vous sautiez en arrière. Vous devez avoir les deux jambes en l'air et la tête sur la selle... Ce doit être charmant...

GEORGES. Tout à fait réussi.

JEANNINE. Vous aviez une tête! Les che- veux vous dégoulinaient tout le long de la fiigure!...

GEORGES. Exquis tableau.

JEANNINE. Ne vous inquiétez pas. Si vous me plaisez comme ça! (Georges se remet à écrire. Jeannine sHnstalle sur une chaisCf les mains sur les genoux, les yeux au plafond. Silence.) Un ange passe. (Silence.) Hum I (Silence.) Hum! Hum! (Silence.) Mais je cause, je cause, je ferais peut-être bien m'en aller. Vous aJlez vous faire attraper»

102

L'Enchantement

GEORGES. Jeannine, j'ai des choses sé- rieuses à vous dire.

JEANNINE. Mettez-moi à la porte, J€ vous prie... Je serais désolée si vous aviez des ennuis à cause de moi, vous comprenez.

GEORGES. Je suis tout à fait résolu à éviter désormais ces rencontres à deux... que vous entretenez... surtout du genre des der- nières! Cela ne peut nouvS mener à rien de bon. Vous m'avez tendu un piège l'autre jour.

JEANNINE. Oh! un piège!

GEORGES. Vous m'avez dit que vous aviez des choses très importantes à me révé- ler, que vous ne pouviez pas me les confier devant votre sœur, et ce n'était pas vrai. Vous n'aviez rien d'important du tout.

JEANNINE. Pour VOUS.

GiîORGEs. Et j'ai été obligé de mentir à votre sœur. Je n'aime pas beaucoup ça !

JEANNINE. Puisqu'il paraît que vous lui dites tout, vous n'avez qu'à le lui dire.

GEORGES. Reprochez-le-moi donc.

JEANNINE. Non, c'est vrai, J3 vous re- mercie.

GEORGES. Mais je ne veux pas que pa- reille chose se renouvelle. Ça nous crée des airs de confidence que je réprouve. Vous sa- vez quelles sont nos convictions à tous les trois? Très sérieusement, j'ai à vous gronder. C'est comme cette histoire de pal- lier l'autre soir... quand nous sommes allés nous étendre tous les trois après dîner... Isa- belle peut très bien nous avoir vus. J'étais 1res embarrassé.

JEANNINE, riant. Je le sais bien.

GEORGES. Oui. Alors, si c'est un jeu, il est temps d'enrayer.

JEANNINE. C'était si bon, l'autre soir ! J'ai bien mis cinq minutes à faire ramper ma main sous la paille, pour atteindre la vôtre, sans que ni vous ni Isabelle ne me voyiez. Puis, quand j'ai saisi le bout de vos doigts, j'ai serré, serré de toutes mes forces! Vous ne pouviez plus bouger. Il aurait fallu qu'Isabelle voie, pour retirer votre main, et alors... je sentais tout doucement mon bras s'engourdir sous la paille... et, comme ça, sous la lune, avec l'odeur d'une grosse rose qui était à mon corsage... c'était si bon!... Et, taisez-vous, je vous ai été si reconnais- sante que vous ne retiriez pas votre main!...

GEORGES. Pas du tout. Ma lâcheté vient de ce que je ne pouvais pas faire un mouve- ment sans appeler l'attention d'Isabelle... Et notre vie est assez compliquée comme elle l'est!...

JEANNINE. Laissez-moi croire au moins que c'était un peu pour moi.

GEORGES Et puis ce sont des sortes de situations parfaitement grotesques!

JEANNINE. Faites-m'en donc des repro- ches ! Ça vous va bien !

GEORGES. Je sais... Enfin, je prétends que ces scènes ne se renouvellent plus. Evi- tons de nous "^rouver seuls, le plus possible.

Il le faut. Maintenant, je sens qu'il le faut. Devant votre sœur, au contraire, tout oe que vous...

JEANINE. Tout oe que je voudrai. Vous êtes bien aimable!

GEORGES. Comprenez donc.

JEANNINE. Et moi.^... Est-ce que vous pensez à moi P C'est bien... je me tairai... je me tairai complètement, par exemple, car vous ne voudriez pas tout de même que je raconte à Isabelle tout ce qu'elle me de- mande! Du matin au soir elle me torture à m'arracher des questions! 11 est possible que ça l'intéresse, mais si vous étiez gentil, vous devriez lui faire comprendre que c'est moins drôle pour moi... et que ce sont des choses qu'on ne fait pas... et que je n'en veux plus! Du reste, elle n'a pas de tact... Je ne suis qu'une petite tille, mais je l'ai toujours vu dans la vie, je l'ai toujours remarqué, elle n'a pas de tact !

GEORGES. Il ne s'agit pas de cela.

JEANNINE, vivement. Oh! elle a d'autres qualités!... ne vous fâchez pas! Elle est belle, elle est plus belle que moi, certai- nement! {Avec colère.) Elle n'a pas une vite- lotte au milieu de la figure, comme elle a dit encore hier devant vous pour me vexer... pour me faire passer pour laide ! C'est bien, je ne vous parlerai plus, je ne vous cherche- rai plus, j'obéirai. Mais alors, qu'est-ce qui me restera, si vous m'enlevez même ces pe- tites 'choses, ces petites compensations, qui sont la seule joie de mon existence? Ah! je me contentais de pas grand'ohose, vous l'avouerez ! Mais il y a clés jours oh. je me disais : Il ne m'aime pas, seulement nous avons tout de même des' intelligences à deux, qu'on ne sait pas... C'est bien, je me tairai... Je ne ferai même plus mon cri, vous savez ? quand je veux attirer votre attention... Oui; ça n'a l'air de rien, mais pour moi, c'est beaucoup, parce que, rien que ce cri, ça veut dire pour moi des choses que les autres ne comprennent pas... à part vous.

GEORGES. Avec cola qu'il est joli votre cri! Vous n'y perdrez pas grand'chose... un aboiement !

JEANNINE. Oh ! moi je ne suis pas poéti- que, vous savez!... Vous ne le trouvez pas bien? Oh! c'est une trouvaille! Je l'aime beaucoup. Ecoutez.

T^lle le fait.

GEORGES. On dirait le cri d'un gondo- lier de Venise.

JEANNINE. Oh! Venise! c'est ça qui est beau! Oh! c'est que j'aujais voulu partir en voyage! Ce que c'est beau!... (Ses yeux regardent le plafond.) Je pense quelquefois que si je vous avais épousée, on y serait parti... tous les deux.

GEORGES. Vous u'avez pas trouvé quelque chose de bien neuf !

JEANNINE. Qu'est-ce que ça me fait! Ohl Venise! !...

L'Enchantement

103

GEORGES. A la bonne heure ! Parlons donc un peu de géographie!

JEANNINE, se levant. Ah! au faitî.-.Voiis avez peur d'une scène! En effet, il faut même que je m'en aille, sans quoi, si Iso/- belle sait que je suis montée, ce que vous allez vous faire attraper, oh! mon ami, ce que vous allez vous faire attraper!...

GEORGES. Oh! pas d'esprit! Votre sœur souffre votre entêtement à bouder, à l'évi- ter, au lieu de la rassurer... elle si bonne pour vous!... Ce qu'elle a fait pour vous est admirable, et vous la récompensez en ne lui donnant que des inquiétudes... Enlin, je ne veux pas recommencer à vous sermonner à mon tour. Tout cela doit vous être redit sou- vent, n'est-ce pas? Passons... ce n'est pas mon affaire!... Seulement je vois très bien qu'Isabelle commence à s'énerver... et, à des mots, à des indications vagues, je vois qu'il commence à entrer en elle de la défiance et... autre chose. Je ne devrais pas vous avouer cela, mais enfin elle souffre et...

JEANNINE, fronçant les sourcils. C'est bien son tour !

GEORGES. Quelle méchanceté vous ve- nez de dire !

JEANNINE. Elle peut bien souffrir un peu à son tour, pour voir ce qu'on éprouve!... Et ce ne sera jamais une compensation !

GEORGES. C'est affreux de pa.rler ainsi ! Votre soeur!...

JEANNINE. ' Je la déteste, je la déteste... Ça vous étonne ?

GEORGES. -—I Non; ce n'est pas vrai.

JEANNINE. «^ Si; autrefois je l'aimais, mais maintenant je la déteste ! du matin au soir, la voir se rapprocher de vous, vous pren- dre la main, l'entendre vous tutoyer, vous faire des mines tout à son aise!... Chaque fois qu'elle est là, contre vous, et que je me dis : (( Mon Dieu, comme elle a de la chance!... », chaque fois qu'elle vous appro- che de troip près, vous tient les mains... oh! je la tuerais! Et puis...

GEORGES. Et puis quoi ? Laissez donc ce verre ! Vous allez le casser, dans le feu de vos démonstrations, et comme c'est mon verre de conférence...

JEANNINE. Décidément, si je vous ai bien compris, vous me défendez de vous par- ier en particulier, parce que ça ne lui plaît pas, et parce que je vous gêne P

GEORGES. Ce n'est pas exact.

JEANNINE. Ah! oui, commc elle vous gêne, la petite Jeannine ! comme vous préfé- reriez qu'il n'y ait jamais eu de petite Jean- nine sur la terre ! Merci toujours de me le rappeler, au cas oîi je l'aurais oublié.

GEORGES, tout d^uu coup lève le poing sur la table. Mais sapristi de sapristi!...

JEANNINE. Quoi?

GEORGES, reste une seconde le hras en Vair, puis le laisse retomber mollement. Rien.

. Un temps.

JEANNINE, une moue. Tenez, vous êtes tous les deux très gentils au fond, et vous faites ce que vous pouvez ! Seulement, puis- que vous venez de me dire carrément votre façon de penser, je voudrais, à mon tour, ces- ser une minute mon genre petite fille qui me va si bien... Le moment est venu pour moi aussi de dire les choses sérieuses. Donc, ne bondissez pas, je vous en prie, oh ! cela sur- tout! j'ai si mal à la tête aujourd'hui!../, comprenez-moi en ami et écoutez-moi. {Geor- ges fait signe qu'il est tout ouïe, avec Vair de dire : Asseyez-vous donc, mademoiselle!

JEANNINE. Cinq minutes...

GONSAGREZ-MOI CINQ MINUTES.

Jeannine se rassied, puis, comme une leçon apprise, avec calme, mais d'une voix funè- bre :) Vous savez que pas une seconde, ja- mais, je n'ai renoncé à mourir. GEORGES. Nom de nom !

Il envoie promener deux livres dans la chambre, d'un coup.

JEANNINE. Vous voyez !

GEORGES, furieux, tout rouge. Je vous défends d'ajouter un mot de plus, vous en- tendez ! C'est révoltant, écœurant !

JEANNINE On dirait que vous apprenez une nouvelle !

GEORGES, déambulant, les bras au ciel.

I04

L'Enchantement

Et Toilà la ri-e que tgtis noiœ faites '... Vous êtœ embêtante !... Oh' ça!!... Vcms pcraTez TOUS xanter de savoir raser les gens axeç' mie persibtanoe! !..- H -rineiit on est meii-

leur qu-e tous, or _ ordonne votre da-daî

VoTM. êtes an^ une gosse, une rraie g^œse. et oeâa expliqiie tom. Voue verrez pins tard. r^wmrtp elle VD115 fera rÎTie votre fûneEte pa&-

. _ fjBcati

-rrOQS

avec vo'pre maj-i.

Hiiexix que moi.. . - - ^ -.._::._

Jtanmjie...) ^^ ^. h\eji mieux qne laoi! Voa» verrez mon nez dans son vrai joTir aiorE- Be- gardezrJe mon nez : si cesî celui d'un .hnroir.c po^r qui cm £e suicide !

pouvez pa6 me refiœer m peu 6e oboee : caaq

minutée... ooix.-Q.'.Z'tr.L-iù'j. -■'•^'^ -^ rotre vie, dans x^uVe votre vie ! peu pourtant. Ne jam-ais voiiê par^ej.. i^k ji^ mais m'épandier contre voti* épeiiie'... Oh! Torez-voTif. eest l'idée fixe maintenant î et je mourrai contente... Qîlelqoes seconde de pitié pour moi seule. Oh . ne recalez pas comme ça... je suis si loin î... L^s larmef oux ye'ux.) Écoutez, je souffre bien pour vous dire oela... j'ai beaucoup de peine, j'ai tant de j>eine!... et c'egt pour vous!... Oh! aimez- moi, dites, aimez-moi*...

Elle a dit oda sot os Um âe psirte pf^r4r doaoe .. et od Veateod pifosiar.

GEOBCW, émm. Mon pauvi* -petit *. . JEASfBsssŒ, Tonifiant ses iarui^ l^rci.

J'aime tant qTaai

vr^ petat ! Çamt;^.. __ ..-_ ..... .__:.

temps... iViTememt.j Vest vrai que f âàre .. J"aî

c^nettre... t. _ . î-

lere..- Je vî^tus eai colîjiiire.-. ce *>l.

dîner.. -

GBOE€iis. rimtcrrompani- Scsi, inutile! p.3" :iiott«e.ri-e*- Ça ne prend ^ ' "T RjxiTi i?arfs''"' ^. ^ '

cfaïc. Qé*-jdêment vods 3ï'avex pa.E «Tailure.

m.oi! aici-.. Aiort. c'eet r-r -•--

Gî.OB.'-'E»? . XoT3. 'il r^i^B-

Ti^ '- - ^

. ^ -- - " ---^eo- ^ -

paré pour ma lecture! ÈLt tons roiié- ét>ÊS tait

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ma?'... r»^ ! mais *'•'■'

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JI.AVM^t- 1

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Il retire froîdeme*:' danf la podièfcbe

Alkms. il faat «-oub ^ Jeâxmine. Vous savez que je vox ke pfiemÎBr «lM]nti>e de mon y- qaart 4'beiiie? IToue en estes.

oui.*^-.. eb faîfon, alonE. fanî rc_ ^^

sMAaaasm. Tenez, Georges,, ce soir... vous ne voulez pas?

jEASsnsE. Oh!

Î2le fait nn

GEOB.GEÎB. aprrj iw CAH^, et après armr

paru ■■ '" ' '. qmelqv£ê seeomdei. se mppnh' ci,<ifii Dejis les raffiagnefe. quaoÂ

i enCa«r y&iijgre,, Jeannine, et q^'ilala ÉèK^ce, les gens qui le eoîgnait, anteor de Ini,. ava£2 déteikse de loi donner à boire:, répan- dent paxiois nn peu deaii, cnr carreanK de la ^4i;ambre, pour qne la fraicéiear en ar- ri- à Fenfant et qn^ii se cafane... Co»

t^i. - - . -&. Jeannine. de ce /'en p&u^ répendre ^-t tÂd^^ez d'être beoreuîe. *'ji vient - - - vous la fissidoenr de qoeique

•-■e...

i^, t4>«c^ baff Umt bas. ^'enee! .=. cliomgeami de tém. Oh! main- tenant. Jeannine. je rais me fâefa^'! -- '-— E. Oeorges!

- Assez!..- aUez-Touh-asl Victor oi. .ut arriver d'un moment à I';

»n^

-ici'rr

tr^

.:?-en

Il .i. :. ...i.&e par les épaaief jmqa'â la pnte.^

.JeaiiXiiitfe réfin* comme pn éafant en gro-

r—"- T- '.'--^ .^ refome... Georgec veeUi

B'aseenàr â sa tocble.

•^ ^'!'?*or de Chelks en»

\'r . d«ar à la

L'Enchantement

lO!

âÎNE il

GSORGSS, VICTOR DE CHELLEi

Vn homme :

T"i liii?

j - dis : Ua homme. Ecjiïi . ly stwféfattr ^^"i" ^ â^'^'ii. Qu'est-

^att tu eîtaiEtee-lÀ ?

CBQBiGSâ. Des Gulottes... Tm Testcii... taft.^ qibalcja'uii oesEBOie moiL Ak 1 fsB faut Ibcq: tout de mémae ! eu. me re-

treffi-pe ! Ek bien» Toilà, moa vie-ox, roilà,

je soas eoaûeïi*: ! II me faut peu de c^ose.

^[^ ... Ce bo£L Victor!

vierBoa. Si lu te paies ma tête, tu *aiâ, ta. pooxrajs le faitre dune façoa. pLuâ spiri- tueilie.

GEfiHtGSS- Me pajrer ta tête?... e.oil... la. TOiT âealŒieitt. la ■«foir ! Tu m'as troŒré dians réûat de ces z^nrs françaià qui

a'oat pas e - - ^ear ktnguie. Leur

Langtie ma»te j : - r iis des teaps immé-

moriaGx, et ^^^ v^n. .riLaseraiaot le premier F:-'.!!;.; li que le erei fait surgir à kars yeux' îii bitru. voilà, f iTraîs oasame laescin de par- ler ('■ h-: mine ^>. Jam.ais je ne me suis senti si Sctsadie à toil...

viCTiâE.- Cest qwB^ ta «s aoôl... Xétais v<eHTi Foir si «ette ksctupe t-enait toujours. Je jî^e, d'af»è« efi^r*i« «ntnée, gu^ c^esti partie

GsosGïES. Cfinamefist dcmc. si elle tiejit : Pius jamais! Vcôlà: ie paquet eat ià... I2T pages. Tous les a^^ete^ jm^u'aii lao^t.

TicTtaa. ^ffi5J«m£/*î. C'est une iih^ôire «TaBaourr

GSôs^BBy 6oft/ii*actaî. Ah ça! man, par esBeespie ! ^ ea. ! bigjre non ! -iième je t'arer- tia. îk^Tis aHo-Hâ b-ie^n passer cinq minais en- awnWie. si ta es Tenu A'^ec la moinr.---: - :'; ~ité d& Boe pairler de te* aimoutTS a^^r ^ de

me Barrer si v«na& êtes ea héinae mîiè'txijîeiiee. si ¥»iïK Toias dépotez, etc... je ne ie sttaiîrîrai pa» îfjLe EELsnute, «ekatratirenaiejLt à mes habi- tîide»! C'est nn simple avertissement.

VîCToa. On! mais stsr quoi as^tn mar- ciié ce matin ? Au fait, éepu:^ €|u« j* âiûs jci, Odetce prend des axrs de grand mystère ^inqiie iass que je parie de wus. Isabefie?... efetttt! La. petite? qu'ei&t-ce qu'ouf en fait!-' ïlafr^eiLe an peu revenae de Georges!' Quand la iparift^wo®.^... chattt ! ! De tant de my&- t^e ie «UKciiie ai^ tu xte dois pas être

I«s JaBat& à ia noce.

toias

dire'

UBom^Sf radieux. C'est le cas de le

:to!3. •'-^ EbiuevBeaiiÊiii

tu as

epouee

uoe femane» egsemepiaiiXy hk femme fans« de

r£T;u40ile... td^e qam, tome ma rie. je m'en sues scsoliaitê mie... et ies rênes daiis sa

maiBy tous ies embèTiem'ents que tu peux avoir ckôvoïkt èt7« t^ement mitigés... Ah! as eu de lai «banc»! il n'y a pas à dire !

CBoaGES. n n'y a pa^ a. dirt.

TicTOB. î><)n Jaan!

e&iOB iijaatit une t'^ne. Eh,

eh! pet;-

vicEO-a. Ne fais pas de manières. Ta es ici comme un coq en pâte. Non? Tu n'es pas heureux!-^

QEîOBCEs. Heureux! ?i je ne suis pas he'ir^fix? Il faudrait vraimeat que je soif On ne peut pas être phis heure u:ç qa- ^.... Songe doue, tu m'as déôni d'ua mot à l'instant, je suis T homme aimé, sTjr- bJTxne secret du bonheur ! Cet état de grâce^ je le porte à même mon visage. Toute per- à^nam qsi m" approche, sachant notre aves- tvre et qi&i ne la saurait pas, grojiâ Dieii ! tootes, sans exception, m'enteod»- r ':enrdettt a^vee Le même sourire, ee \um.

s- Ù.Ô eanaponction attendrie : <t Hansme-

aime, va! » Cest le bénéhe^ eiie la sitvBtictB. II y a des geuô qui pourraient se troirver en?» TLW^és ; moi pas ! Je suis à l' aise, je me pnv mène dans un murmure très batteur ... Ajosi, tieaâ, fais-toi une faîhie idée de eeia... Cm seeiîet qu'on devait- si bien enfaair, il n-màk pas de bedeau du village voisin qui F ignore ! n a d'abord fallu Le dire à î'instit^rrttîe, à Fraoiein, à eause de la stsrveilianee à eaar- ce? sur JeaBniae. A T'heore aetoelle, tl n'est pae wsi. dflBtefitiqTie, pas qk jardisier ^ft^ la maison qizi ne soit an coiiroBt. Us scmt Ik, en rosid, autour de nous, intéreaséK... Ik m«- p lacent tes plats, à tathle, av«ie «ae encoiir»- geajite bienveUlaiwre. Ils ne p^pfkoEt pa« on roisp d'cBil de la petite, £k goettest §^ zncxin- drsB mofUvemeQts... Et toujours ee p^ard qui a Fair de dire du m:aaant au grand sei- g;adar : Je sais le seeret... Son Jiian !

TicTOB. En efiet, ce ne doit pas êcpfk, par moments, tout ee qu'il y a cie plos

On frappe.

cansoB. Qu'est-ce qut c'est ?

LA 'VOIX im FEuiCLErN, JQ'H accetLt. Mf sieur, je venais voir si mademoiselle était ià?...

GEORGES. Mais, entrez, entresai ùêêms, quand vous avea frappé.

SCÈNE m

Les Mîmes. FRAULEIN Fiaàianà emtire, yeux baissés, mains basses.

^- Là... Eh bien, elie s'est pas là»

Voilà

Mamt«B»iit.

VO!

fcÉiii'eg'.

WtmSLtm sort comme elle eet entrée»

104

L'EnGhantement

Et voilà la vie que vous nous faites!... Vous êtes embêtante!... Oh î ça!!..= Vous pouvez vous vanter de savoir raser les gens avec une persistance!!... Heureusement on est meil- leur que vous, on vous pardonne votre dada ! Vous êtes aussi une gosse, une vraie gosse, et cela explique tout. Vous verrez plus tard, comme, elle vous fera rire votre funeste pas- ) sion, quand je serai encore un peu plus décati que maintenant, et que nous en reoauserons ■avec votre ma,ri, un garçon charmant et bien mieux que moi... (Geste de protestation de Jeannine...) si, si, bien mieux que moi! Vous verrez mon nez dans son vrai jour alors. Re- gardez-le mon' nez : si c^est celui d'un homme pour qui on se suicide !

^ JEANNINE, suppliant. Georges, vous ne pouvez pas me refuser si peu de chose : cinq

GEORGES. Assez !... allez-vous-en î

minutes... consacrez-moi cinq minutes dans v^otre vie, dans toute votre vie ! Comme c'est peu pourtant. Ne jamais vous parler, ne ja- mais m'épancher contre votre épaule!... Oh! voyez-vous, c'est l'idée fixe maintenant! et je mourrai contente... Quelques secondes de pitié pour moi seule. Oh! ne reculez pas comme ça... je suis si loin !... (Les larmes aux yeux.) Ecoutez, je souffre bien pour vous dire cela... j'ai beaucoup de peine, j'ai tant de peine!... et c'est pour vous!... Oh! aimez- moi, dites, aimez-moi!...

Elle a dit cela sur un ton de petite plainte douce .. et on l'entend pleurer.

GEORGES, ému. Mon pauvre petit! i JEANNINE, reniflant ses larmes. Merci.

J'aime tant quand vous m'appelez mon paur- vre petit! Ça me fait du bien pour quelques^ temps... (Viveraent.) C'est vrai que j'ai des choses à vous dire .. J'ai des papiers très sé- rieux à vous reimettre... un grand, grand mys- tère... Je vous en conjure... ce soir, après dîner...

GEORGES, V interrompant. Non, inutile! Pas de cachotteries. Ça ne prend plus.

JEANNINE. Bien, parfait ! Oii avais-je la tête, en effet? je suis stupide! Vous avez trop peur d'une scène! Vous manquez de chic, décidément vous n'avez pas d'allure, mon ami... Alors, c'est non, :non P

GEORGES. Non. {^Brusquement, Jean- nine, qui jouait avec le verre de couleur, le casse.) Là! vous l'avez oa«sé! Je l'avais jpré- paré pour ma. lecture! Et vous vous êtes fait mal?... oh! mais très.,, vous saignez?

JEANNINE. Peuh ! (Georges a pris son mouchoir et lui essuie la main. Jeannine es- saye de se rapprocher.) Georges!

Il retire froidement sa main, met son mouchoii dans la pochette de son veston.

GEORGES. Allons, il faut vous en aller, Jeannine. Vous savez que je vous lis, à tous, le premier chapitre de mon livre, dans un quart d'heure? Vous en êtes, n'est-ce pas? oui?... eh bien, alors, il faut vous en aller...

JEANNINE. Venez, Georges, ce soir... vous ne voulez pas?

GEORGES. Non.

JEANNINE. Oh !

Elle fait un mouvement de déception triste.

GEORGES, après un temps, et après avoir paru réfléchir quelc[ues secondes, se rapprO" allant d'elle. Dans les campagnes, quand l'enfant souffre, Jeannine, et qu'il a la fièvre, les gens qui le soignent, autour de lui,, a.yant défense de lui donner à boire, répan- dent parfois un peu d'eau, sur les carreaux, de la chambre, pour que la fraîcheur en ar- rive jusqu'à l'enfant et qu'il se calme... Con- tentez-vous, Jeannine, de ce .que j'en peu*, répandre et tâchez d'être heureuse, s'il vient parfois jusqu'à vous la fraîcheur de quelque larme évaporée...

jEANNiNg, tout bas, tout bas. Venez !

GEORGES, changeant de ton. Oh! main- tenant, Jeannine, je vais me faucher !

JEANNINE. Georges! ^

GEORGES. Assez!... allez-vous-en! Viptor ou Odett^e vipnt jarriver d'un moment à l'au- tre. Allez-vous-en !

Il la pousse par les épaules jusqu'à la porte.. Jeannine résiste comme un enfant en gro- jËjnant... La porte se referme... Georges reste seul, réfléchit, et va s'asseoir à sa table. La porte de droite s'ouvre. Victor de Chelles en- tre, chapeau de paille, fleur à la bouton- nière.

L'Enchantement

105

SttNE II

Eh,

GEORGES, VICTOR DE CHELLES

GEORGES. Un homme! ' VICTOR. Tu disP

GEORGES. 'Je dis : Un homme. J^>i£n !

VICTOR, stupéfait, sur le seuil. Qu'est* 06 que tu chantes-là?

GEORGES. I>es culottes... un l'estCii... des moustaches... quelqu'un comme moi!... Ah ! ça fait du bien tout de môme ! ça me re- trempe!... Eh bien, voilà, mon vieux, voilà, je SUIS content!... 11 me faut peu de chose, hein ... Ce bon Victor!

VICTOR. Si tu te paies ma tête, tu sais, tu pourrais le faire d'une façon plus spiri- tuelle.

GEORGES. Me payer ta tête P.. . non... la voir seulement, la voir ! Tu m'as trouvé dans l'état de ces pauvres voyageurs français qui n'ont pas entendu parler leur langue, leur langue maternelle, depuis des temps immé- moriaux, et qui embrasseraient le premier Français que le ciel fait surgir à leurs yeux ! Eh bien, voilà, j'avais comme besoin de par- ier (( homme ». Jamais je ne me suis senti si attaché à toi!...

VICTOR. C'est que tu es soûl... J'étais venu voir si cette lecture tenait toujours. Je juge, d'aprfi« cette entrée, que c'est partie remise .

GEORGES. Comment donc, si elle tient: Plus que jamais! Voilà; te paquet est là... 127 pages. Vous les avalefez jusqu'au bout.

VICTOR, timidement . C'est une histoire d'amour ?

GEORGES, hondlssant. Ah ça! non, par exemple! ah ça! bigre non! Même je t'aver- tis, nous allons bien passer cinq minutes en- semble, si tu es venu avec la moindre velléité de me parler de tes aanours avec .Odette, de me narrer si vous êtes en bonne intelligence, si vous vous disputez, etc.. je ne le souffrirai pa,s une minute, contrairement à mes habi- tudes! C'est un simple avertissement.

VICTOR. Oh! mais sur quai a@->tu mar- ché ce matin ? Au fait, depuis que je suis ici, Odette prend des airs de grand mystère chaque fois que je parle de vous. Isabelle?... chutt ! La petite? qu'est-ce qu'on-' en fait? Est-eJle un peu revenue de Georges ? Quand la m^,rie-t-on ?.., ohuttt!! De tant de mys-' tère je conclus que tu ne dois pas être tous les jours à la noce!

GEORGES, radieux. C'est le cas de îe dire !

viCTOK. Heureuisement, tu as épousé une femme exemplaire, la femme forte de rEvangile... telle que, toute ma vie, je m'eïi suis souhaité une... et les rênes dans sa. main, tous les embêtements que tu peux avoir doivent être tellement mitigés... Ah! tu as eu de la ohanoe! il n'y a pas à dire!

GEORGES. Il n'y a pas à dire.

VICTOR. Don Juan!

GEORGES, lui allongeant une tf^pe. eh ! petit fo rceur !

VICTOR. Ne fais pas de manières. Tu es ici comme un coq en pâte. JNon? Tu n'es pas heureux?

GEORGES. Heureux ! si je ne suis pas heureux? Il faudrait vraiment que je soitj difhoile! On ne peut pas être plus heureux que moi. Songe donc, tu m'as défini d'un mot à l'instajit, je suis l'homme aimé, su- blime secret du bonheur ! Cet état de grâce, je le porte à même mon visage. Toute per- sonne qui m'approche, sachant notre aven- ture — et qui ne la saurait pas, grand Dieu ! toutes, sans exception, m'entendB- tu ? m'abordent avec le même sourire, ce bon sourire de componction attendrie : (( Homme aimé, va! » C'est le bénélice de la. situation. Il y a des gens qui pourraient se trouver en-, nuy^és; moi pas! Je suis à l'aise, je me pro- mène dans un murmure très Hatteur... Ainsi, tiens, fais-toi une faible idée de cela... Ce secret qu'on devait si bien enfouir, il n'-est pas de bedeau du village voisin qui l'ignore ! Il a d''abord fallu le dire à l'institutrioe, à Fraiilein, à cause de la surveillance à exer- cer sur Jeannine. A l'heure actuelle, il n'est pa<s un domestique, pas un jardinier d^fins la ntaison qui ne soit au courant. Us sont là, en rond, autour de nous, intéressés... Ils me placent les plats, à table, avec une encoura- geante bienveillance. Ils ne perdent pas un coup d'œil de la petite, ils guettent ses moin- dres mouvements... Et toujours ce regard qui a l'air de dire du manant au grand sei- gneur : Je sais le secret... Don Juan!

VICTOR. En effet, ce ne doit pas êtr©^ par moments, tout ce qu'il y a de plus...

On frappe. GEORGES. Qu'est-ce que c'est?

LA VOIX DE PRAULEIN, fo^'^t aCCCUt. Moil«

sieur, je venais voir si mademoiselle était ta?...

GEORGES. Mais, entrez, entrez donc, quand vous avez frappé.

SCEME III

Les Mêmes, FRAULEIN

Fraiilein entre, yeux baissés, mains basses.

GEORGES. Là... Eh bien, elle n'est pas là, mademoiselle. Voilà... Maintenant, voua pouvez vous retirer.

Fraiilein sort comme elle est entrée.

T06

L'Enchantement

SCÈNE lY

GEORGES, VICTOR DE CHELLES

GEORGES. Tu vois Cette institutrice alle- mande? Eh bien, elle n'osait pas entrer. Et tu ne sais pas pourquoi ? Parce qu'elle a peur de moi. C'est ainsi... j'en suis sûr. Elle n'ose pas lever les yeux sur moi, de la journée, sur cet homme terrible! elle m'évite... elle a

GEORGES. j'ai l'air d'avoir une tête

SUR CETTE PHOTO.

peur de tomber morte d'amour, subitement, là, rai de, à mes pieds... Comme je te le dis!

VICTOR, riant. C'est drôle.

GEORGES. Oui, c'est drôle. Et tu n'en- trevois qu'une des mille facéties de cette si- tuation ou sublime ou grotesque!... Je ne suis pas encore fixé! Ceci n'est qu'un détail... Si je te disais le reste!... Certes, un autre pourrait s'en trouver un peu excédé, en éprouver un peu de malaise. Je ne te cache- rai pas même que les premiers temps ont été légèrement durs, mais, n'est-ce pas, comme on fait son bonheur on se couche ? Il s'agit de savoir le faire, voilà tout. Eh bien, oui, mon ciher, je suis l'homme le plus heureux du monde ! J'ai fini par trouver une certaine

saveur dans mon état ; je ne suis pas éloigné d'un sadisme philosophique eftray aîit . . . C'est une affaire d'entraînement!... Je me fais V&Set de ces rois de féerie à qui les bonnes fées réservent toutes sortes de blagues. La meilleure est toujours la dernière. Ils par- courent le monde, la valise à la main, dans leur sort incertain, souriant à la gifle qui les attend, au coup de pied qui les guette. Par babitude, ce n'est plus pour eux que matière à bons mots, et ils en trouvent d'excellents, qui les satisfont pleinement. Dis- cuter avec les puissances suprêmes, regimber, plaider, à quoi bon ? Ils en savent la parfaite et merveilleuse inutilité, puisqu'elles sont femmes ! Non, le sourire aux lèvres et la joue roide, ces rois voyageurs savent être commis-voyageutrs avec grâce. Ainsi, je vais, alerte, au milieu des avaries, coriace, et je ne m'en tire pas trop mal. Je ne discute jamais, jamais, jamais!... J'attends toujoui's la pro- chaine blague des puissances suprêmes, sans surprise. Et, tiens, je ne serais pas autre- ment étonné si, en ce moment, ma tête se couvrait d'un bonnet de coton, et si mes meubles se mettaient à danser la gigue en me faisant les cornes !

VICTOR. Tudieu ! mon cher, quelle verve!

GEORGES, réprimant vite un geste. Oh! puis je dis ça ! c'est histoire de rire un peu, parce que j'en ai besoin, et parce que ça me fait plaisir de te voir, mais au fond de cette histoire... il y a de vraies larmes et de vrais ohagi-ins. Je n'en perds aucun.

VICTOR Ah çà ! voyons... Est-ce que ta femme?...

GEORGES, Viïiterrompt brusquement en lui frappant sur V épaule. Ah! non, non! Tout ce que tu voudras... mais pas di explications .. . pas ça ! Je bavarde, pour me débonder. Tout ce que je réclame de toi, c'est de me montrer ta bonne grosse figure de camarade... je te l'ai dit, je ne suis pas difficile!... rien que de t'avoir vu, j'en ai pour plusieurs jours à être remonté. Mais voilà tout!... Les expli- cations, c'est pour les femmes... Au travail! Ainsi, pour le moment, mon travail c'est douze plaques à développer. Je vais te de- mander la permission d'entrer dans le cabi- net noir. Tu peux rester là, d'ailleurs.

VICTOR. Mais non, je te remercie... Je vais chercher Odette à la maison, si on lit.

GEORGES, prenant Vappareil et le balan- çant lentement dans Vair. Et puis, mon vieux, il y a Montaigne dans un coin... Un petit chapitre, de temps en temps, qui ne vous fait pas de mal, une bonne pipe, et l'on se dit, qu'après tout, il faut savoir s'arran- ger, et que tâcher de faire le moins de mal possible, c'est encore la vraie définition de ce mot un peu emphatique... (Un temps...) mais beau tout de même... (Un temps...) la bonté... Parlons d'autre chose, veux-tu?

VICTOR. Je n'ai pas besoin de t'assurer que je me mets à ton entière disposition, ne

L'Enchantement

107

serait-ce que pour t-e tenir compagnie, chas- ser, cajîoter, pêcher, le peu de tempis que je passerai i ici...

GEORCES, allant à la porte du calinet noir. Merci, je connais ton amitié. Tu per- mets?...

VICTOR. Fais. Je vais chercher Odette.

GEORGES. Attends donc, j'en ai pour une minute; je vais mettre les clichés dans le bain. Je ne t'ai rien demandé de tûi. Alors, ça va? tu es ici pour quelques jours?...

VICTOR. Je repars après-demain.

GEORGES. Si tôt? Et les affaires?

VICTOR. Bah! couçi-couça...

GEORGES. Une seconde... je ferme la porte. Tu as les journaux là.

VICTOR. Merci.

Resté seul, il" s'assied et prend un journal.

LA VOIX DE GEORGES, () travers la porte du cabinet. Alors, tu pars après demain?

VICTOR. Je te l'ai déjà dit.

LA VOIX DE GEORGES. C'cst dégoûtant.

VICTOR. Quoi ?

LA VOIX DE GEORGES. Que tu partes après demain... (Un temps.) Oh! sapristi, mon vieux, j'ai l'air d'avoir une tête, sur cette photo ! . . .

avez très bonne mine. Odette va venir pour la lecture?

VICTOR. Je crois bien... je vais la cher- cher.

Il prend son chapeau.

LA VOIX DE GEORGES. Après tout, je suis peut-être comme ça !

ISABELLE, riant à Victor. Dites-lui, oui. VICTOR, d'une voix de stentor. Oui.

Isabelle se recule pour admirer. Les manuscrits eux-mêmes sont enterrés sous les fleurs. *

ISABELLE, satisfaite, à Victor. Attendez, nous allons sortir ensemble. Je vais me ca- cher derrière La porte, pour juger de l'effet.

Ils sortent sur la pointe des pieds. La scène reste vide.

LA VOIX DE GEORGES. C'est curicux comme c'est trompeur, la photographie, hein?... Il y a une optique particulière, tu comprends?... (Un temps.) Hein?... (Un temps.) Est-ce que tu es parti?...

SCÈNE YI

SCÈNE Y

Les MÊMES, ISABELLE, Un Jardinier

ISABELLE, entr'ouvre la porte de gauche,

Il n'est pas là?

VICTOR, désigne le cabinet noir. Non... là...

ISABELLE, lui faisant signe de parler bas.

Chut! (Elle revient à la porte.) Entrez!

On voit entrer un jardinier avec des monceaux de roses sur les bras. Elle-même porte les plus belles et elle est habillée d'une robe extraordi- nairement bleue.

VICTOR. J'espère!... ISABELLE Une surprise. Bonjour. ! on va en profiter pour en mettre partout.

Elle prend les bottes des bras du jardinier et les fourre dans des pots.

LA VOIX DE GEORGES. Elle vient, ma tête, elle vient! C'est tout à fait un phoque.

VICTOR. Eh bien, de quoi te plains-tu?

ISABELLE, sautillant de coin en coin, et à voix basse. Il y a longtemps qu'il est là- dedans ?

VICTOR. Dépêchez-vous, il va sortir. "^ J3ABELLE, OU jardinier. Ici, ici... dans oe vase!... Dieu, qu'il fait de bruit avec ses sabots ! Vous avez bien dormi ? Vous êtes re- posé? Ah! tant mieux! (Indifférente.) Vous

GEOKGES, seul.

Il sort du cabinet noir. Apercevant les roses.

GEORGES. La fée!... Qu'est-ce que je disais? La fée!... Me voici couvert de roses!... Elles sont exquises, d'ailleurs... (// en prend une sur la table. Saluant à droite et à gau- che.) Merci, madame, merci beaucoup!... (Après quoi, il va aux rideaux de la fenêtre et cherche. Ne voyant personne, il regarde derrière un fauteuil, puis va à la porte, qui lui résiste.) Ah! bon! (Jt^uis il réfléchit.) Oui... mais... laquelle?... (Criant.) Comme c'est gentil d'avoir eu cette attention!... Quoi?... c'est vraiment trop gentil... (IL écoute pour reconnaître un son de voix.) Je suis confus...

Isabelle fait irruption.

SCENE YII

GEORGES, ISABELLE

GEORGES, immédiatement . Il n'y a que toi pour avoir des idées pareilles !

Il l'enlace.

ISABELLE, désignant les roses. Elles sont jolies, hein?

io8

L'Enchantement

GEORGES. Et cette toilette?...

ISABELLE. Ckii, c'est un parti que j'ai pris. Je me négligeais. Je le faisais un peu exprès, tu comprends ! autrement ce n'est pas

envie de condamner ma porte au milieu de toutes ces roses... {Il la renifle...) et de ton saviant parfum, que de lire 127 pages ! Si on les laissait à la porte^ les autres H

ISABELLE. Entrez!

dans ma nature. Mais, il ne faut pas... Je suis belle, hein? Je te plais?

Elle se met sur ses genoux. GEORGES. Dis donc, j'ai mille fois plus

ISABELLE, lui mettant vivement les bras au cou. Comme tu es gentil! Mais ce serait exagéré... {Elle lui arrange la raie de ses chC' veux.) C'a m'a amusée de t'envoyer ces roses parce que la rose c'est la âeur la plus fémi- nine, et, je ne sais pas, c'eet plus amoureux

L'Enchantement

109

de donner des nxèes, à un homme... c'est plus... comment dire? {Elle Lui souffle à VoreUle.) inconvenant... Tu comprends? GE )|{,GES, En rougissant.

Il la caresse a son tour de la main,

ISABELLE, 5e détachant. (^ I mais tais- toi ! Je ne sais pas oe que tu as..." je ne t'ai jamais vu comme ça !

GEORGES, étonné. Moi?

ISABELLE. Oui, c'est extraordinaire, de»- puis quelque temps... tu tout chose...

GEORGES, très étonnéy mais satisfa.it. Ah, bah! tiens!... je n'ai pas remarqué...

ISABELLE, souriant. Oh! moi si, chéri! (Elle se rassied sur Vautre genou de Georges. Elle lui mordille VoreiUe, puis tout d'un coup.) Ecoute. Donne-moi im rendez-vous, très Loin... (Les yeux perdus cm loin.) j'irai te retroui^er, comme un amant, un ren- dez-vous très caché! Que ce soit plus mysté- rieux, plus doux qu^ici. Tu veux pas?

Eiie renlace, voluptueuse.

GEORGES, TTiinaudxj/nt . Je ne sais si je dois...

ISABELLE, vivement. Mais pas maint-e- nant, tout à l'heure... quand il y aura, 'du monde. x4.1ors tu me diras tout bas, tout à coup : à ce soir, telle heure, près de tel en- droit...

Georges demeure un instant interloqué, puis la menaçant du doigt en riant.

GEORGES. Ah, ah! tu p^ends^ goût à ce petit jeu, tu vois?

ISABELLE. Oh! je t'aime!

Elle se blottit en lui comme un chat.

GEORGES, la balance un instant de droite à gauche, avec calme et méthode; tout à coup, il lui vient une idée. Elles sont admirables ces roses^ mais nous allons être asphyxiés pen- dant la lecture. L'odeur des cretonnes neuves et des roses, cela étouffe!...

ISABELLE. Tu crois ? Ouvre la fenêtre. Non, non, ne rou\Te pas, tu prendrais mal !

GEORGES. Il n'y a pa,s de danger.

ISABELLE. Si, tu prendrais mal. Tu es très délicat de poitrine.

GEORGES. Moi, délicat? Je me porte comme un bœuf.

ISABELLE. -,— Tu te l'ima^ines, mais, au fond, tu es très délicat, du côté de la poi- trine, j'ai déjà remaa^qué. Tu t^enrh urnes pour un rien.

GEORGES. Tiens, tu es adorablement co- mique !...

Il va fejrmer la fenêtre.

iSABEiiLE, a eu un froncement de sourcils triste; quand il redescend, elle dit douce- ment. — Il faut me pardonner, tu comprends. J'ai, profotnd en moi, ce sentiment maternel et vieilli que la chose que j'aime devient, par

ce fait, extrêmement fragile, se met un peu à dépérir... et j'ai comme lui. besf>in de la couvrir d'un châle de tendresse... et une si grande peur qu'elle ne m'échappe!

Un joupir.

GEOUGES, N'aie pae peuf. Je me retien- drai.

Il montre so,n biceps.

ISABELLE, changeant de ton. ' Gaie. D'abord cet air de la campa-gne ne nous vaut rien. Plus tard, lorsque nous serons libres, et que Jeannine sera complètement guérie, nous irons faire notre voyage de noces. Tu veux? Nous irons à Venise. Oh! que ce doit êt-re beau, Venise!... Pourquoi ris-tu?

GEORGES. Rien, mais je n'ai pas de chance! Toutes les femmes que j'ai connues ont voulu ni' emmener à Venise! C'est na- vrant. Je suis très bien ici, moi! (>b'e levan^t.) Qu'est-ce qu'ont donc ces chiens à aboyer? Neyt! Homère! Callipyge!... Ah! c'est le fac- teur, et M™e Heiman. Le facteur et M"i° Hei- man, c'est trop pour eux.

ISABELLE. Déjà ! quel ennui !

MADAME HEIMAN, du dekovs, à Gcorges sur le balcon. Bonjour.

GEORGES, à la fenêtre. Vous n'avez pas reneontj'é Victor ?

MADAME HEIMAN-, du dchors. Non. Il était ? C'est bête ! 11 a passer par le petit pont. Je fais dételer... vous permet- tez?...

GEORGES. Oui, oui. Fourrez le zèbre à l'écurie...

Il revient à Isabelle.

iSABBu^B. C'est ça, mets-moi les mains au front. J'entends battre ton pouls à ma tempe, et c'est un bruit si calme, si rassu- rant (Elle 9e laisse aller sur sa poitrine.) Qu'est-ce que c'est? Tu as saigné?

Elle tire le mouchoir qui dépasse de la poche du veston.

GEORGES. Oh! rien... ce n'est rien... Le verrej tu sais, le verre de couleur...

ISABELLE. Pauvre chéri ! tu t'es fait mal et ta ne me disais rien. ça? vite, fais voir.

GEORGES, cherche désespérément une bles- swre sur ses mains. Non... ce n'est pas moi qui me suis' blessé... c'est Jeannine.

ISABELLE. Ah! c'est Jeannine!... EJle est venue ici ?

GEORGES. Oui, en m'apportant des pho- togi'aphies à développer, elle a fait un mou- vement ba'uisque, et alors...

ISABELLE. Et alors, tu Itfi as pansé sa blessure.

GEORGES. Instinctivement j'ai pris mon mouchoir... oh! une petite coupure de rien... ne t'inquiète nullement.

ISABELLE, blême . Je m'en rapporte à toi.

GEORGES. Sans quoi, il ne s'est rien

ï ÎO

L'Enchantement

passé de particulier aujourd'hui... Juste- ment, il se trouve qu'elle ne m'a même rien dit en dehors de... de la photographie... Je ne vois absolument rien à te signaler, aujour- d'hui. C'est en posant 1 'appareil ainsi... Qu'est-ce que tu asP... Tu me crois, au moins? ISABELLE, voix faible. Ce serait la pre- mière fois que je ne te croirais pas-

vre la lettre qu'on lui a remise, son visage a. une expression de grande anxiété.

Madame Heiman entre.

SCÈNE YIII

Les Mêmes, Un Domestique

UN DOMESTIQUE, entrant. Le courrier, monsieur. Le facteur a une traite et une let- tre recommandée pour monsieur, il y a à signer.

GEORGES. Je descends.

LE DOMESTIQUE. V'oilà le courrier de ma- diame, et un paquet.

Il le donne à Isabelle.

GEORGES, heureux de cette diversion, va s'en aller. Avant de sortir, d'un air naturel

LE DOMESTiaUE.

- YOIL.V LE COURRIER DE MADAME.

il se croit obligé de dire. Rien d'impor- tant?

ISABELLE. Rien.

LA VOIX DE MADAME HEIMAN. Peut-On

mcxnter ?

GEORGES. Je crois bien... Isabelle est là, montez donc.

Il va au-devant d'elle dans l'escalier. Isabelle ou-

SCÈNE IX

ISABELLE, MADAME HEIMAN

ISABELLE - Ah ! VOUS en avez, vous, des idées! J'ai suivi vos conseils, j'ai étrenné une robe neuve...

MADAME HEIMAN. Elle est charmante, bravo!... et dans la note!

ISABELLE. Je me suis humiliée un peu plus, voilà tout le résultat!... Pouvais-je de- ■viner qu'au moment je me traînais comme une fille, oui, comme une fille, à ses pieds, je venais de déranger une scène d'amour?... et. quelle scène!... tenez, en voici les débris... Et, ià, le mouchoir avec lequel il lui étan- chait tendrement, ah! si tendrement, la main... c'est touchant!... Je la vois, la scène, je la vois ! Que le hasard est donc bête! Voilà, roilà, au moment je m'écroulais de ten- dresse, ce que j'ai trouvé sur son cœur!... (Elle jette le mouchoir à terre. Après quoi, elle regarde Ji™® Heiman avec an-goisse.) Ah!' je ne pourrai pas le supporter ! je le sens bien, c'est inutile, je ne pourrai pas!

M.\DAME HEIMAN. Si j'ai compris un mot à tout ce que vous venez de me débiter, je veux bien être pendue! Bon dieu, qu'est-ce que tout ça veut dire?... Je regarde avec stupeur les pièces à conviction ! On dirait d/'un assassinat... Du verre pilé... le bâillon du crime!... Cela vient donc de se passer à la minute ? Georges avait pourtant l'air le plus naturel du monde.

ISABELLE. Est-ce quc je lui laisse voir quoi que ce soit ?

MADAME HEIMAN. Cest douc ccla quc vous pleuriez toute seule comme un pauvre petit bout de Madeleine... dans cette purée de fleui*s!...

ISABELLE. D'autres choses aussi. On di- rait qu'il y a des minutes dans la vie qui contiennent toutes nos douleurs ensemble, comme pour nous faire tout plei^rer en une seule fois, par économie. Cela, tenez, que je lisais quand vous entriez, c'est une lettre. Elle est datée de Coljao. Vous connaissez ? Xoei ? Ce doit être loin, Collao ?

MADAME HEIMAN. Pierre ?

ISABELLE. Ecoutez : (Elle lit.) a Je vous écris, mon amie, d'un grand jardin sur le bord de la Madeira. Les camélias lu<cueux, les mille étoiles des azalées dans les lourds massifs, me cachent la mer qui m'attend. La verdure de ce pays est sombre, luisante, et sans bruit. De temps en temps seulement, un ca-mélia pourri tombe cohime un fruit lourd à travers les branches. C'est tout. Seu-

L'Enchantement

1 1 1

îement voici : il y a au milieu, caché dans les massifs, un peuplier de monjmys, un (jrand peuplier qui monte vers le ciel. Je le distin- gue m(d d'où je suis, mais je Ventends fris- sonner dans les cimes. Il est extrêmement sensible et très seul. Il n'est pas d'ici. Il n'y a nul souffle dans Vair tiède et pourtant il frissonne à je ne sais quel vent invisible pour nous, et il murmure là-haut, tout seul, sa longue peine natale. Il ne me voit pas, et pourtant dans cette grande immobilité de si- lence, le peuplier de mon pays et moi nous nous comprenons. Et voici que de cette peine inconnue et légère qui l'agite naît une forme féminine. Je pense à vous. Etes-vous heu- reuse, mon amie? Moi, je repars demain, pour un peu plus loin, dans ces contrées graves et amères. Ce sont de belles patries, que vous ne connaîtrez jamais, Isabelle II y a des coutumes bizarres et naïves qui vous étonneraient, entre autres, celle-ci (qui expli- que le petrf: paquet joint à cet envoi) Les femmes d'ici veulent que quand le grand mal d'amour vous a pris, on trouve, en respirant certains parfums locaux, l'oubli de son mal. Ce parfum est considéré, ici, comme iin re- rnède infaillible. Au fond, je crois bien que c'est simplement de l'eau de roses. Il est peut-être ironique de vous envoyer ce flacon, mais c'est une garantie que vous avez dans votre tiroir... Ne vous étonnez pas si le fla- con est débouché : c'est que je l'ai respiré... Adieu, ma grande amie. Il est tard.- L'air doit être encore plus doux que de coutume, car tout s'est calmé et je n'entends plus le peuplier de mon pays. » Pauvre ami, comme il a souffrir !

MADAME HEiMAN. RomancG de guitare!... ISABELLE. Oh! je ferai comme lui, je partirai ! Il ne sera pas dit, au moins, que je n'aurai pas su disparaître! Je m'en irai loin, si loin, qu'ils n'entendront plus parler de moi !

MADAME HEIMAN. Mais nou, mais non !... Ne vous laissez pas ga.gner par le sen- timentalisme italien de ce phraseur de Pierre... Vous ferez ce que vous eussiez faire dos le premier jour... Vous surmon- terez la terreur nerveuse qui vous lie à cette enfant et vous me la confierez quelques mois. Je vous ai dit que je m'en chargeais... (Isa- belle hausse les épaules de l'air de dire : C'est tout ce qu'ils trouvent, eux!! p^ds elle ouvre le paquet. A part.) Oh! mais! oh! mais!...

GEORGES, du dehors. Un verre d'eau dans mon cabinet... oui, avec un citron.

MADAME HEIMAN. Voilà Georges... Allons, cachez-lui ces vilains yeux rouges, au moins GEORGES, du dehors. Et ne laissez monter personne.

MADAME HEIMAN. Pristi, c'est Vrai, cette lecture! Je n'y pensais plus... La Logomachie depuis Charles le Téméraire... Et Victor qui no revient pas I

SCÈNE X

Les MÊMES, GEORGES, puis JExVNNINE-

*- MADAME HEIMAN. Je suis désolée^ Georges! Je vous demande bien pardon pour M. de Chelles de ce reta.rd. 11 n'en fait ja^ mais d'autres! 11 y a un malentendu. Je lui avais bien dit, en effet, de passer me prendre à la maison, mais pas si tard...

GEORGES. Oh ! nous avons encore le temps! [Tirant sa montre.) Hé! hé! cinq heures moins le quart. Si nous voulons lire. (Ennuyé.) A moins que nous remettions à de- main ?

MADAME HEIMAN. Et le pis c'est qu'il est capable de m'attendre. Je n'ai averti per- sonne que je sortais. 11 est assez stupide pour m'attendre...

ISABELLE, à Jeannine qui entre. Tu as- sistes à la lecture, n'est-ce pasî^

JEANNINE. Oui.

GEORGES, à Ji™^ Heiman. Nous allons faire sonner la clociie du jardin. Eh bien, que faites-vous ? vous filez aussi ?

MADAME HEIMAN. La voiture ne doit pas encore être dételée. C'est encore ce qu'il y a de plus simple. (A part.) Veine! ça prend!

GEORGES. Vous VOUS croiserez en route !

MADAME HEIMAN. J'en ai pour cinq mi- nutes, aller et retour. Préparez vos papiers; je vous le ramène. (A la porte, elle revient.) Et puis, commencez sans nous. Si ça part de Charles le Téméraire, nous pouvons bien ar- river un peu en retard.

Elle dit cela d'un petit air malin et avertisseur.

GEORGES. Comment, comment, Charles le Téméraire ? Vous brouillez le titre et le sous-titre, ma chère amie. Charles, ou le petit téméraire. Ce n'est pas du tout la même chose! (J/™"^ Heiman s'est déjà enfuie.) Est- elle bête!... Excellent début!...

Il remonte en sifflant.

SCENE XI

ISABELLE, JEANNINE, GEORGES

ISABELLE, prenant, naturellement^ la main de Jeannine qui passe près d'elle. Tiens, tu t'es coupée ?

JEANNINE Oh! rien!... C'e.st en jouant dans le jardin

GEORGES, continuant de maugréer. Ils sont d'une inexactitude intolérable, ces deux- là! Et dire qu'il en est ainsi dans tous les ménages irréguliers!... Ça fait frémir!. . Eh bien, attendons, nous autres, mes enfn.nts!

I 12

L'Enchantement

Tournons-nous les pouces. {Les deux sœurs sont assises, prostrées. Georges tes re- garde avec méfiance.) Etonnant combien ma

Les cordes de la guitare sonnent une A une dans le vide.

lecture a l'air de soulever d'enthousiasme!... C'est dommjage!... il y avait quelque chose, là!...

Il se frappe le front et rallume sa pipe.

ISABELLE, à elle-même. En jouant dans Ire jardin!... Ils ne m'auront pas même fait la grâce d'un doute!...

Silence.

GEORGES, de la table il soupèse son ma- nuscrit. — Alors, rien dans le courrier P

ISABELLE. Kien. (Georges se met à nu- méroter ses pages avec un crayon. Isabelle immobile, assise sur un caimpé. Jeannine se lève distraitement et va. dans le fond de la pièce, loin, derrière le canapé, prendre une guitare qui se trouvait là. Elle V accorde .)' Comme ils ont l'air naturel. C'est effrayant!

GEORGES, numérotant. Cinquante, cin- quante-deux... Bon! oii est le cinquante et un?...

Les cordes pincées de la guitare sonnent une à une dans le vide. Chacun est à sa pensée.

ISABELLE, à elle-même. Comme ils doi- vent se comprendre dans le silence!... (Haut.) C€Bt décidément une femme charmante que cette Odette.

GEORGES, continuant de numéroter. Charmante ! On est sûr de la trouver là, au momettt on em a besoin. Ah! c'est la vraie amie! l'amie des mauvaises heures... Cent vingt-deux, cent vingt-trois...

ISABELLE, à part. Elle se met derrière moi, pour je ne puisse pas la voir. Il y a la glace,^ ma petite! (Elle saisit nerveusement un miroir à portée de sa main.) Elle tousse. Est-ce bête! "«^ GEORGES. Victor vaut mieux. (Comme

personne ne répond. Georges lève la tête et contemple la scène. A part, entre les dents.) Bigre! Le silence est tendu. II y aura de Fora-a^ge! (Haut.) Je me demande si je dois laisser subsister cette phrase qui ne me paraît pas bien académique pour moi, mais si hu- maine, pourtant, si humaine!... (D'une voix grave et profonde) : Qui me dira pourquoi au théâtre dans les silences solennels, les ac- teurs boutonnent le dernier bouion de leur redingote i

Et après avoir mesuré d'un nouveau coup d'œil la scène et les deux femmes immobiles, d'un geste large, il boutonne son veston, avec une joie féroce et solitaire.

ISABELLE, tout (i coup. C'est charmant! GEORGES. N'est-ce pas? (A part.) il y aura de l'ora-age!...

n referme un tiroir. La guitare égrène toujours ses notes fausses.

ISABELLE, a part. Elle lui tend les lèvres ! Oh ! la petite rusée ! la rusée ! Elle lui envoie un baiser ! Cela a l'air d'une petite grimace de rien du tout... (i'n sourire ef- fleure les lèvres de Georges qui relit une page.) Ali! il a souri! Je suis blême!... C'est afïi'eUx... Elle se rapproche. Ah! mais ils se moquent de ihoi ! Je vais le leur crier!... C'est trop à la fin!... Je suis-Ià, pourtant, je compte, j'existe... [Soudain, haut, éclatant.) Georges, embrasse-moi. (Georges, stupéfait, lève la tête.) J'ai dit : llîmbrasse-moi !

La petite n'a pas bougé. Elle regarde sa sœur avec une haine indicible. Puis, jette la guitare et s'enfuit, muette, claquant la porte.

SCÈNE IX

ISABELLE, GEORGES

GEORGES. Qu'est-ce qui te prend? Mais réponds, qu'est-ce qui t'a pris?

ISABELLE. Je ne sais pas... Je te de- mande paj-don.

GEORGES. De ce train, tu finiras par être la cause même du malheur que tu redoutes!... Il faudrait bien savoir véritablement, ma chère amie, puisque vous imposez à cette en- fant de vivre entre nous, ce que vou-s voulez au juste. Avant vos remèdes, il n'y avait rien à craindre, mais maintenant, il y a tout à craindre ! Si c'est ainsi que vous comptez la. traiter!... Mais, au nom du ciel, quel accès t'a pris? réponds?...

ISABELLE. Je ne sais pas... un coup de folie, tu as raison, un besoin irrésistible que j'ai eu, tout à coup, de t'embrasser, un besoin de tes lèvres, juste à oe moment... Je ne m'explique pas. C'a, été plus fort que moi...

GEORGES. Depuis deux mois, j'ai accepté

L'Enclh'antement

Vf}

la situation, complète, intégrale... à tant faire, je me suis payo Ife bloc, y comprie les bons saa'casmes dont tu m'abreuves!... Ils fai- Baient partie de mes prévisions et la joie de ma mathématique!... J'attendais le tota/l qui te convaincrait, sans plus intervenir jamais... Mais, poiir rendre joupable d'actes pareils, il faut que tu aies dépassé mes prévisions et que tu me caohes bien étranges soup- çons!... Allons, voilà qui va finir!... Qxhe Ttius le vouliez ou non, nous nous explique- rons ce soir, ma chère amie ! l^as un mot de plus. Cet état oardiaqu'e va cesser !

ISABELLE. Tu as raisou de te fâcher. J'ai ©u tort. Mais je vais réparer, tu verras. Va m& la cheroher . . .

GEORGES. Ma parole, c'est moi mainte- nant qui prends le parti de cette enfant!... C'est moi qui suis obligé de la défendre contre toi, et c'est moi qui commence à avoir réeMement peur, maintenant!... Car je ne sais si tu vois oe que tu fais... F'our la pre- mière fois j'ai le sentiment d'un danger véri- table... Oii est-elle, maintenant? est-elle?

ISABELLE. ^ Là!... lu! JMe te fâche pas si fort, mon Dieu!... puisque je te dis que je vai» teiat réparer... Au lien de crier, tu ferads bien mieux d'aller me la chercher.

GEORGES. Ah! nous allons encore couler quelques heuTes channantes !... (l'Il sort en e'vkmff.) Jeaniaine!' {Mats Jeannrne ne devait p&sr être- Imii, peut-êire même derrière la pcyrte, car Isabelle a, à peine, le temps de se précipiter au balcon que Georges rentre, poussant la petite devant lui. Bas à Jean- nine.y J'^en ai assez de cette existence, il faut qu'^eW^ cesse.

ISABELLE, se retoumc. Ah! te voilà !

EîTe fait un signe suppliant à Greorges. pour qu'il les laisse seules. Jeannine attend, droite. Georg^es sort.

SCENE XIII

ISABELLE, JEAiSJNliN'E

ISABELLE. Pardon, Jeannine, je te de- mande pardon de ce qu« je viens de faire là.

JE.\NNINE, imperceptiblement . De rien, j'en ai vu d'autres.

ISABELLE. Si, j'ai besoin que tu me par- donjies. Il y a longt-emps que je voulais te le dire.

JEANWIXE. Ça n'a pas d'importance. . et tu as tous les droits !

ISABELLE. iRegarde-moi puisque tu m'as comprise, Jeannine... J'en fa^is humblement l'aveu devant tes yeux de quinze ans, en bais- sant les miens : je souffre, Jeannine, je souffre du même mal que toi... 11 faut être bonne. Pardonne-moi^ mon petit.

JEANNINE, gênée. Voyons, c'est une plai- santerie!...

ISABELLE. N"on, je t'assure. Qnoi qu'il' se soit paftsé, entre vous deux, en aucun cas je n'avais dtoit de te faire du mal, et sois sûre que si je n'ai pas toujours été à la hau'- teur de ma tâche, que je saurai conduire jus- qu'au bout, dorénavant, ma bouche a parlé toujours contre mon cœur et de cela, je te demande, Jeannine, très hirmblement pardon.

JEANNINE, simple. C'est oublié!

Elle passe.

ISABELLE:, avec un raouvem-ent doux et peureux des doigts, comme pour la retenir au passage. Je suis un peu excusable parée que vous m'avez entourée d'e beaucoup de mensonges... sans quoi, je crois que j'aurais su être bonne, tonjours, sang me plaindre... Nous sommes un peu gauches toutes deux... nous étions si pen préparées à ce qui devait nous arriver!... !ïu as aimé bien jeune, mon petit... et moi très tard !... et voici que bien- tôt mes cheveux blanchis vont se couvrir de honte. Enfin!... nous ne sommes pas respon- sables, hein? Ce n'est pas de notre faute... Q^ nous eût dit cela ? On était si heureuse à la maison r tu te sou\aens?... On se sera tout de mêm-e beaucoup aimé... Ah! si tu avais parlé à temps!... Enfin! nous sommes deux pauvres malheureuses, voilà ce que nous sommes, n'est-ce pas Jeaniaine ? Il n'y a pas à s"ciî vouloir. Je tâcherai d'être meilleure, je promets... Puisque tu souffres, tu dois savoir qu'on n'est pas toujours maître de soi... et que ça fait mal! C'est le doute, tu comprends, dont vous m'avez entourée?... Si vous m'aviez dit tout simplement ce qui en ■était, je me serais arrangée... Désormais, tu verras f... Je m'exa^gère peut-être, après tout, vous n'en êtes peut-être pas encore aussi loin que je me l'imagine... Je ne sais pas. laoïl... {Elle lui tient tes mains et essaye de rencontrer ses regards,) Je ne te demande qu'une parole de vérité pour que tout s'éclaire... Je t^assure, quoi que vous a\iez fait, quand bien même vous vous adoreriez... tu seras étonnée l Oh !' je vois ta figure qui se contracte! Laisse-toi pleurer, va, ne t'em- pêche pas... Prends mes larmes et donne-moi les tiennes.

JEANNINE, se raidissant et détournant les yeux. 'Va-t'en î

ISABELLE, rapprochant son visage du. vi- sage de Jeannine, les yeux tendus. Une parole seulement!... C'est ton silence, tu comprends?... J'y ai vu des remords, de la haine... et quelle haine! (Lfis cils de Jean- nine battent, battent. Elles sorit souffle à souffle.) J'y ai vu que vous vtqus adoriez a<i point de vouloir que je disparaisse... C'était fou, n'est-ce pas? Une parole seulement'.. J'y ai cru voir, comme en tes yeux, des abî- mes hideux... j'ai cru toît (Un cri. )Moustre î

JEANNINE. Ah! tu m'as fait mal!

ISABELLE. Odieux petit monstre qui es- saie de m'enfoncer ce dernier clou dans lu

114

L'Enchantement

gorge et qui veut me faire croire que ton si- lence est un aveu, et que tu me Ta pris, et qu'il est à toi!... Va-t'en! va-t'en! Je ne veux plus te voir ! Tu me fais horreur !

JEANNINE. Et quand cela serait, à la fin I

ISABELLE. Tu meus ! tu mens ! tu es labo- minable!...

JEANNINE. C'est trop fort ! Ah ! je suis un monstre ! C'est trop, cette fois, c'est trop !... Ah! je suis un monstre, moi à qui tu fais subir la plus épouvantable des exis- tences!... que tu forces, du matin au soir, à subir, la rage dans l'âme, toute ta joie, tous tes baisers, avec des airs de triomphe, lors- que j'en meurs et qu'il me faut fuir tes lè- vres, qui me cherchent, après!... Ah! tu ne m'en auras pas épargné un de tes baisers, à moi, la petite pauvre!.!. Ah! je suis un mons- tre ! Eh bien, alors, dis pourquoi tu me forces à vivre, pourquoi tu m'as arrachée à la mort r' Qui te le demandait? Qu'est-ce que je t'avais f^it pour cela!...

ISABELLE. Tais-toi ! Tu es horrible ! Tu ne dois pas savoir ce que tu dis, pour me briser ainsi !...

JEANNINE. Quel soulagement m'as-tu ap- porté? réponds? Cite moi une joie, une!.-.. Tu m'as rivée à ton bonheur! C'est pour le voir que tu me forces à vivre ! La torture de ton questionnaire perpétuel, la torture à petit feu, sans répit!... Ah! tu ne laisserais pas même un jour ma souffrance tranquille! Et quand je veux la solitude au moins, quand je veux vous fuir, tous les deux, une heure... je ne peux pas! parce qu'il paraît que cela te bouleverse, ça te remue le sang que je ne sois pas !

ISABELLE. Oui, lâche ! lâche! car ce que tu sais trop, c'est que je meurs derrière les portes que tu fermes, lâche !

JEANNINE. Mais alors, puisque tu devais me reprocher tout, jusqu'à l'air de cette mai- son, que comptais-tu donc m'offrir, à la fin, quand tu m'as dit : Rest/O, je le veux?

ISABELLE. La. vie! T'aider à passer le pas. Te porter de l'autre côté de la douleur. Te voir grandir et comprendre.

JEANNINE. J'ai grandi et je comprends.

ISABELLE. Ce que tu n'as pas, toi, c'est le droit de me torturer lâchement de doutes a^reux, du doute de ce qui n'est pas, (Ea- massant tout son effort.) de ce qui n'a ja- mais été!...

JEANNINE. Mais qu'en sais-tu, à la fin? ISABELLE, dans un cri. JNon, non, cela n'est pas, cela n'est pas!... Tu n'en avais pas le droit!...

JEANNINE. Je n'ai que celui de souffrir, parfaitement ! Eh bien, si tu m'imposes un pareil martyre, ce doit être pour quelque chose, tout de même ! Et je voudrais bien Bavoir ce qui m'attend, au bout du supplice, quel bonheur?... Mais, à la fin des fins, pour-

quoi, pourquoi suis-je ici? Possible que tu prennes plaisir à me faire savourer vos bai- sers... moi, je n'en ai que de l'horreur!...

ISABELLE. Tu uo sais pas ce que tu dis! c'est monstrueux!... Oh! comme tu me hais!... Rappelle-toi Jeannine, pourtant!... Il ne me manque que de t'avôir portée dans mes flancs!... C'est mon amour qui saigne!...

JEANNINE. Je te hais? Mesure à ma , haine l'atrocité de ce que tu appelles ton amour et de ce que tu commets en son nom. Et dedans, la seule qui aime, c'est moi, parce que je me tuerai, moi, par charité, pour ne pas troubler ton affreux bonheur!...

ISABELLE. Misérable ! Elle me reproche de vivre! Sois rassurée va... j'ai compris, je te laisserai la place...

JEANNINE. Allons douc ! pas de phrases! Tu sais bien que c'est moi qui vais dispa- raître. Seulement, tu aurais mieux fait de me laisser tranquille la première fois, voilà tout !

ISABELLE. N'en dis pas plus. Tu l'auras petite louve !

JEANNINE. La petite louve en la assez ! La petite louve ? regarde-la une dernière fois!... Tu te traînerais à mes genoux, tiens, que je ne resterais pas un jour de plus ici ! Laisse-moi passer.

ISABELLE, la saisissant. Tu ne vas pas recommencer l'abomination, mon Dieu ?

JEANNINE. Pas plus tard qu'à la minute!

ISABELLE. Ah ! vous vovcz bien, vous au- tres, que j'ai raison contre tous de ne pas la laisser arracher de mes mains!

JEANNINE. Je veux partir.

ISABELLE. Jeannine ! tu ne sortiras pas !

JEANNINE. Je sortirai... j'en ai assez... Adieu !

Elle se dégage brusquement des bras de sa sœur et disparaît.

ISABELLE, les genoux fléchissants, roide, dhine voix étranglée, appelle. Georges!... Georges !

Georges accourt au bruit, par la droite.

SCÈNE XIY

ISABELLE, GEORGES

ISABELLE. Gecrges!... C'est fini!... Je l'ai bien vu. Je ne peux plus rien sur elle... Elle va se tuer, cette fois, pour de bon... Va, va, fais ce que tu veux ! E^le est à toi, mon rôle est terminé, je te la donne! Mais qu'elle ne se tue pas!... mon Dieu, qu'elle ne se tue pas!... Va! Va!... mais va donc!

Elle le pousse hardiment par s'est enfuie Jeannine, et, seule, s'écrase contre le canapé, de tout son long, la face en terre, devant la porte béante.

4^>=f

LE DOMESTICIUE. Madame est toujours souffrante. Elle ne va pas mieux.

nCTE QUATRIÈME

Méîue décor qu'au deuxième acte. C'est le soir du même jour. Une grande lampe allumée; le feu pétille encore.

Au lecer du rideau, M"^" Heiman, un chapeau sur la tête, et Pierre en costume de voyage. Ils parlent à un domestique, sur le seuil de la grande porte grillée par ils viennent d'entrer et à travers laquelle on voit la nuit claire.

SCÈNE PREMIÈRE

Un Domestique, MADAME HEIMAN, FIEHKE

LE domestique. Non madame. Madame -est toujours souffrante. Elle ne va pas mieux, elle n'est pas descendue de sa cham- bre, depuis que madame est venue à cinq heures... Mais si madame veut que je la fasse prévenir ?

MADAME heiman ET PIERRE. Non, non.

Et monsieur?

LE DOMESTIQUE. Monsieur vient de sor- tir. Mais pas pour longtemps. 11 est allé fumer son cigare dans l'allée des Ormes, pro- bablement... ou du côté du réservoir... 11 ne sera pas long.

MADAME heiman. Mademoiselle?

jLE domestique. Mademoiselle est cou-

chée à cette heure-ci et d'ailleurs mademoi- selle n'est pas descendue de sa cliambre non plus, depuis cinq heures...

madame heiman. Alors, monsieur a dîné seul ?

le domestique. Oui, madame. Il est resté un peu auprès de madame avant le dîner, et encore, non, je me trompe... puis- que j'ai entendu la voix de monsieur qui li- sait dans son cabinet,

madame heiman. Comment qui lisait? Puisque La lecture n'a pas eu lieu ?

le domestique. Oui, mais j'ai entendu monsieur qui disait comme ça : ce Puisque personne ne veut m'entendre, je vais lire à Neyt ! » Alors il a enfermé la chienne avec lui, et il s'est lu tout seul.

pierre. Je le reconnais bien là!

madame heiman, riant. Bien, bien ! Nous allons l'attendre ici. (Le domestique sort. A Pierre, en s'asseyant.) Ah! ça, m'expliquerez-vous maintenant, blague à

ÎW

;'feftântënfËnf

d'ûîi éqiiateiir q^uéïcoh'qité et comméiit vous débar(jii'éz, même jour, ùhéz màv, sans crïêt garé, pl'ifé n'àlti'reHément du mondé... d'àlis M ca'rrïolé d'ù père B^'ugéP... revêtu (^b cet â!ào¥àl3lé pétil^' complet a.méri'câi'îl... EH'é éd Wïrï^l..^ C'eèt ce Jt^T s'^fiëÉè fïê^'réï' sbè l^étit effet!...

pi^Rnï:. ^=- J'é fré rn'ê i^iris p^ |)tètyè WÀè effiéé, je x^ôlife 1^^ répété..-. F'<!m'fq^u^6i A'ê i^ôtt- fé'z-vo'Us pus Trié croifé?... Vôtfè i'gnorâncé 'iéâ choses à'drainistrativé^ rfté i^àvît... L'a yc/rtâ bîèn l'a France!.., Pauvre î^fàft'cè!... îM dérn'ièïe l'évêfe rié f ait ji^ âèitté tous tes pàj^è mondé a six }îë\:lrëk du soir. Il A'y a pas qu'à jeter ik lettre, èrac, d-ans un pal- riïîër, êii passant... pàlmîèrr vôtts sàvé^ c'è q^l c'èè^_^ qu'un palmier?... k b'ôM'e Mtirë!... En Wriê, chère fête, ^n'ôn pétrt tre§ feîén jeter tiriè lettré ftindi, pnr èxéfti- ple, se décider à partir dans le cbiirànt de la sèitiâ!iiié, é't faire vdjûgë, lundi sui- vant, en ^a^tféto, par ftiMte coùfriër c^ttô ladite lettré. Avëz-vôus éottpitîs ibiàî-tiiëttatit ?

n'iÂiDAïCte ïïfeïMAN. Mail. C&st ëbsctir.

piÈRRi:. Je irié sdis ^étë dans traih Hâvfe, immédiatement, àû débdtté... et ^ ,^îi,'rè de Saint-Meilhàtt, Côitimë je vbûs l'ai dit, l'honorable individu que vous appe- lez Baugé a bien voulu me cbnduire chez vous... Oui... 11 commençait à faire trop chaud là-bas, et puis il est urgent que je me rende à Londres... Car je suis devenu extraordinaire, vous savez!... J'ai dés inté- rêts dans l'Achanti-Goldlields Corporation!... Je suis de deux commissions techniques!...

MADAME HEIMAN. Vousi... C'cst à Se

tordre!... C'est drôle comme quand les pein- tres coupent leurs cheveux pour le régiment !

PïERiiE. Eh bien, il faudra vous y ha- bituer .

MADAME HEIMAN. Jamais ! je vous en pré- viens!... Je ne vous prendrai jamais au sé- rieux comme homme d'affaires!... C'est égal! Vous ici !...

PIERRE. Oomnie ma petite visite a l'air de vous abrutir, ma chère aniîe!...

MADAME HEIMAN. Un pCU.

PIERRE. Malgré que je trouble un déli- cieux tête-à-tête avec M. de Chelles, vous ne m'en voulez pas d'être descendu chez vous?

MADAME HEIMAN, Il u'aurait jilus inàn- 4^116 ^\\e vous tombiez ici !

PIERRE. J'ai plus de tact... Pourquoi me dites-vous çia?...

MADAME "iiEiiSAN. Ah! paTce qû'è!... (A part ) Je ne saîs plus que lui dire, inoi... (Ê.àui.) Ecoutez, vous revenez de Pontoise.

'pierre. Non, de plus loin.

^MAflAîte fiEiMAN. En l'occasion, c'eSt ar- river de Pontoise... On ne vous a plus revu, s'il m'en souvient, voyons... depuis la imesse de mariage... Malin, va!

PIERRE. Quoi ?

MADAME HlEiMan. iRien. Vous pensez '^iéh %ue depuis lors îi a •dû se passer dès

j'é

. Vo*

votfô êtes

votre

c'est là!... oui,, ce petit para-

Je m'en dou-

qu oh s amuse

éîitt^s', n^M^brfé qfiiià?;-.-. jHài^ éeé ciiosêsl.- SeûleMeiit cbm'mfe ^àW éft' ê^^ resté à Ica messe dié niafia'^e, V'ô\ié céni^^è'riezv éè serait trô^ tog d'ê \^oûs' mettre a^ti^ éo-'iif à^t! !.-. . €''ést mênié piÔû¥q'iioi j'ai p>¥^é^éré vé\\^ ti*afher de- suite chez les Bèssand^..-. M?a foi, je réserve ïè |>a<5['uet à Isa belle !

^lÉRïRÉ. Odettéy W^ dé' git^è\ Mu,.

an fond... ÉBê vô*iïs e^jylïqiùef'a.

t'fÊt^tiÈ. Voiïs rn'avez Mit rétfcèntîès âoM exàspérî^nt-e^, e% d'u'ûê discret îoTfi bien pét MWé'iîté!

MADAïUfè BfRÎïrfÀîij, WUfiaiê. -^ M^n. prétexte de retour?..-.

piEi^îRlÈ. NcyA, jfe fëidÈ, jnfè... t/'éternelle^ tentation du pafs^é rè'a fait obtit^wèr la route,, votts ïè tdfët. Mais je ti'M pàÊ le ccëur d'dlyïttpio. {îîefjdféMtî la pUeé.) AlOrs, c'est là?

MADAME HÈÏMAN. 7^ Oui,

c'est cet endfoît délicieux... dis !... la m«igOh de la joife !... PtÊRRÈ. N'est-ce pés?...

tèis.

ilîADAiJft: #Ei«tAN. Ah! ce ici ! vons he vtiùs eh faites pas une idée... Et, en passant, je vous remercie, de tout cœur, de m'aVoir ces gèris-là... je m'en féliciterai toute ma vie!... Chaque jour est un jour d& fête... de bamboche... A ce point que samedi, moi' aussi, je boucle mes malles... et vais re- prendre mes quartiers d'hiver au plus vite... Oh! Pierre, attendez-moi jusqu'à samedi... partons ensemble... emmenez-moi à Lon- dres!... Ce serait si gentil d'aller faire un petit peu la fête ensemble!...

pierre, nerveux. Voyons, qu'y a-t-il,. Odette, qu'y a-t-il, décidément? Ne plaisan- tez pas.

MADAME tiEiMAN, lui prenant le hras. Ecoutez, je crois que je ferai bien, tout de même, de vous mettre un peu au courant, sans quoi vous risquiez de he pas très bien comprendre!... Vous voyez oe point rouge- là-bas... au bout de l'allée?

PIERRE. Oui, c'est une lanterne.

MADAME HEIMAN. Non, fc'est Uè'orgés qui fume son cigare.

PIERRE. Non, c'est une lanterne.

MADAME HEIMAN. Nou, c'est G^eorges... Allons à sa rencontre. Et, oe faisant, je vais Vous révéler les choses essentielles, pour que- vous puissiez ensuite... voter de vos propres- ailés,

PIERRE. Vite. Vous me faites moiM-ir à petit fèu...

Ils sortent.

LA voik DE MADAME HEîMAN. Et au tour- nant de l'allée, je vous quitte... oh! je vous- jni^e bien q'ue si... il faut d'abord que .j'aille vous sortir des couvertures de laine...

Les voix se perdent. ïia scène reste vide. iDe der- rière le piano elle était blottie et cachée , ort

L'Enchantement

:J'7

voit surgir Jeannine. Elle est en petite cami- sole de nuit, les cheveux dans le dos. Elle court vite à la porte p,ar 9^1 vie^fient de pj^rtir Pierre •et M" Heiman.

SCÈNE 11

JEANNINE, FiiAULElN

JEANNINE. Enfin! (Elle regarde attenti- vement dehors entre les barreaux de la grille.) Prennent-ils à droite P.. . à gauche?...

JEANNINE. Prennent-ils a droite ?.

A GAUCHE ?...

Oui!... Ah! lampe !...

rien n'est perdu!... Vite la

^u moment elle va éteindre la lampe, la porte de droite s'ouvre ; c'est Fraûlein

FRAULEiN. Je vous chercbals partout... voulez-vous remonter !

j[EANNiNE. .— Alioz-voiis Hie fiche la paix ! - FRAULEIN. Ah ! Fraûlein !... Fraiilein !... VoUen sie... ,was sagt Madame?

JEANNINE. Wurst... Wurst! Voilà ce qu'elle va dire, madaine... Wurst!... Et puis, si vous ne voulez pas vous en ^aller, vous savez ce que je vous ai promis? Je dirai à monsieur oii j'ai trouvé sa photographie, xlans votre chambre!... Ah!

FRAULEIN. Mein Gott!

JEANNINE. Vous m'embêtez av^c votre Gott... Un vient, trauleip, je vous en prié... je vous en supplie, ma petite fraûlein, allez- vqus-enl

FRAULEIN. Oh! nia^epipiçelle!...

JEANNINE. Vous sjavez bien <ju'il faut... Je vais monj^r mepouch^r d,àns <jin<i minutes... ^Uez...

FR4ULEIN. Oh ! ,p£|-4,eï^oiseUp ! ,ipad^îï;pi- selle.

Elle pousse violemment Fraûlein et referme h ( porte. Puis elle baisse la lampe complètement. Elle se place près de la porte' de droite, à crou- peton, par terre. Au bout d'un moment, Geor- ges arrive sur Je per^'on. l^e çpl .du rnauteau rehaussé. Il enti;e, referme la porte j^rilleej re- monte la lampe, la prencl ,et se dirigé vers 'la porte de (ÎToite pour aller se çoucJ;ier. Au ipo-

SjCÉNE :1H

>ÎEA|^,I^E, 'vl^giiiliiGES

,GEpR.çî;9. AJi! .e^t ^ç^^\ JjJistQj^(^jit, pajs facile de vous î-encontrer'!... (// .pose la lampfi.) Ali bien ! yous n'r^vez pas de ii^oupet ! Vous .atiei^dçz "là, tranquillement, à piect de b£|,s, m ypus tourn^iit les pQ.uç§^, gi^ê je vieJin.e vous dire (ïes douceurs !...' Après l-a scène inimaginable de cet après-iriiai !.-. Votre soeur, depuis ce temps, ne se reiu^et pa,s iie l'attacLue de nerfs q,ue ..y^ous avez pr,o- voquée. Notiez %if^e j'i^giipre , ce (j^ui s'est pa^sé entre vo,us <^.eùs: et '^e que vous ,avez peut- être osé lui faire croire, pour q.u'eUe en ,§pit arrivée !... j'ai peur de cornprendre !... Tou- jours est-il qu'il n'y a plus de raison humaine qui tienne!... La démence du sacrifice bat oon plein! Tout ce que j'obtiens d'Isabelle, ce sont des phrases de ce genre : (( Elle est à toi!... Soyez heureux! » Vous avez trnmé une petite intrigue malpropre et méchante, à mon insu... Il y a deux mois que vous^ ma- nœuvriez... et entre vos deux sourdines, moi, j'ai été joué!... Eh! ma petite, voilà qui est fini, cette fois... Vous allez partir.

JEANNINE. Oui, un peu de patience... Je vais partir, en effet, et c'est pour cela que je suis ici, Georges, pour que vous me don- niez l'adieu que j'attends depuis si long- temps... avant que je disparaisse à jamais...

GEORGES, éclatant. Oh ! fini, cette fois!... Il y a. d^es bornes aux meilleures plai- santeries!... C'était trop commode, en vérité! (( Vous ne voulez pas faire un petit tour de promenade? Non? Ça vous déplaît?... Grac^ je me tue! » Ah! vous l'aviez trouvée, vous, la formule!... Mais cette fois...

Il lui. secoue vigoureusement les hras.

ii8

L'Enchantement

JEANNINE. C'est cela... tenez-moi les poignets... étouffez-moi... J'entends gronder votre voix sur ma tête... c'est délicieux...

GEORGES. Si vous m'aimez voilà la mi- nute de me le prouver et de vous faire par- donner votre sinistre comédie. Je m'adresse à la grande Jeannine... Vous ne pouvez pas rester un jour de plus ici ; l'épreuve est faite... Il faut que vous partiez... (Vive- ment.) Quand je dis partir, je veux dire, bien entendu, vous absenter quelques se- maines... quelques semaines au plus... un voyage de rien du tout avec M™^ Heiman... une excursion dans les Alpes, {Il fait un

GEORGES. Aiil c'est vous! Justement, pas

FÂCHÉ DE vous RENCONTRER!...

grand geste vague; se reprenant.) dans les petites Alpes... les Alpilles!... JNe le faites pas pour Isabelle, Jeannine, si vous ne lui consentez pas ce sacrifice, faites-le pour l'.amour de moi !...

JEANNINE, lui parlant tout près dans Vohs- curité profonde. Mais oui... mais oui... Inclinez un peu votre tète sur moi, et tout ^ sera dit. (Mouvement de Georges.) Ne me troublez pas... C'est ma grande dernière mi- nute... J'exécuterai tout ce que je me suis promis, point par point. Voyons... par ordre... que je ne m'embrouille pas... (Elle met ses mains sur .m figure et parle avec une voix nouvelle, timide et hasse.) Ecoutez, Georges... d'abord... oh! j'ai la gorge sèche... laissez-moi...» laissez-moi vous dire tu! Cela, d'abord, je me le suis promis... Oh! je ne vais jamais pouvoir oser!... (La voix n'est

plus qu'un souffle împerceptihle.) Toi, tod..^ mon Georges... je t'aime... Oh! je suis toute rougissante... si vous me voyiez dans l'obs- curité... C'est exquis... c'est ainsi que je vous parle quand je suis seule dans ma chambre... Quel bonheur! je vous dis tUy comme si c'était vrai...

GEORGES. Vous m'aimez, dites-vous P Mais quelle sorte d'amour est le vôtre?... Je ne peux pas y croire. Non, non, je n'y crois^ pas, c'est inutile!... Commencez par me le prouver... Vivez pour moi, si vous m'aimez... Ah! si vous me montriez un peu de dévoue- ment, si... ah !...

JEANNINE. J'avais préparé des phrases, vous m'avez embrouillée!... Oh! seule, je voue dis des choses, des choses!... je les marque pour vous les répéter... vous seriez content... mais je les oublie après... Je n'ai pas beau^ coup de bonheur, vous comprenez...

Elle est tout proche, tout proche de lui, et parle^ les yeux clos.

GEORGES, nerveux. Ne me faites pas re- pentir d'être resté, Jeannine... Remontez dans votre chambre.

JEANNINE, laissant glisser spn front le long du hras de Georges. Je perds la tête... je ne sais plus, moi... je vous aime, Georges!

GEORGES. Ah! détestable rusée qui voudrais lasser mon courage !

JEANNINE. Ce rêve, pourtajit ! ce rêveî Etre serrée une minute dans vos bras!... Je serais partie consolée... Vous êtes bien cruel, allez!... Je m'étais tellement dit : Dans tout ce que j'oserai lui crier, il y aura bien quel- que chose pour l'émouvoir... Et ce sera comme lorsque je cours dans la prairie en cliantant : ce Je l'aime! je l'aime! je l'aime! » (Mouvement de Georges.) Ah! je vois celât vous détournez la tête! Vous me trouvez ré- pugnante à vous dire ces choses... vous dé- tournez la tête... C'est une petite fille de seize ans qui parle ainsi!.'.. Eh bien, est-ce que vous croyez que je ne me fais pas hor- reur, moi !...

GEORGES. Mais non, pauvre enfant, mais non... Ce sont d'autres pensées qui m'agitent et m'épouvantent!... Crois-tu que je n'entende pas cette mendicité de ten- dresse, orois-tu que je ne voie pas le trouble qui a détruit l'harmonie dans ce corps brû- lant et cette petite tête égarée, ivre d^amour et de mort !...

JEANNINE. Dieu, qu'on est bien contre vous!... Je vous aime!... Et puis on a fait sécher les châtaignes sur le perron, dans la journée... et c'est ça que c'est si parfumé... Dieu! qu'on est bien! Vous sentez mon cœur qui bat contre vous? Ecoutez, je ferme^ les yeux... je ne verrai pas quand vous m'em- brasserez.

GEORGES. Jeannine! Jeannine!

jeannint:, avec un petit éclair^ dans le^ yeux vite réprimé. Oh ! je savais bien que-

L'Enchantement

119

VOUS étiez bon! Dieu! je vais pleurer, bien sûr, quand ie vais sentir que vous me serrez dans vos bras... Oh! Georges! quelle joie! 'vous m'aim... Non, non, j'ai eu tort... je n'ai rien dit! Cp n'est pas vrai, non, vous ne m'ai-

JEANNINE. Oh! Georges... c'est moi qui t'aime, t'aime, t'aime!...

mez pas!... vous allez m' embrasser ' seule- ment... je n'ai pas dit que vous m'aimiez pour ça... Oh! Georges... c'est mcâ qui t'aime t'aime, t'aime !...

GEORGES. Mais taisez-vOus doac !

D'un mouvement nerveux, irrésistible, il 1^ sai- sit brutalement. Jeannine a un cri éiouft'é en s'abattant sur sa poitrine. Ils restent ainsi, lèvre à lèvre, un grand moment, dans le rond clair de la lampe. Des phalènes, autour d'eux, cognent l'ombre ; un pic-vert réveillé ti^averse la prairie en criant, et le croissant de la lune, au loin, filtre à ras .de terre, dans une haie, au bout du jardin... Des pas ont retenti sur le perron... la porte grillée a battu... Georges et Jeannine se détachent brusquement, ils se renfoncent dans Tombre. Une silhouette, de- hors, la main posée sur le bouton de la porte, les regarde... Georges va au-devant d'elle et ouvre lui-même vivement.

SCÈNE IV

Les Mêmes, PIERKE

GEORGES, reconnaissant Pierre avec diffi- culté dans Vomhre. Toi?...

pierre, essayant d'être très naturels

Tu vois... en effet... je... j'arrive... je suis de retour. Alors on passant... en -allant... à ma- chin ... à Londres... je suis descendu chez Odette... Et... {Haussant le ton.) ça va bien, toujours?

GEORGES. Mais tu... tru vois.

Silence.

riERRE, à Jeannine qui n'a. pas hougéf près du piano. Bonjour, Jeannine. JEANNINE. Bonjour, monsieur.

Elle ne bouge toujours pas. Silence.

PIERRE, à Jea/nnine. Eh bien, c'est tout ce qu'on me dit?

Jeannine s'approche de Pierre et lui tend le front.

EORGES, à Jeannine. Jeannine, vou- lez-vous, s'il vous plaît, aller prévenir votre sœur que Pierre est là... qu'elle descende tout de suite.

Jeannine sort.

SCÈNE V

GEORGES, PIERRE

GEORGES, il va à Pierre, dhine voix hlan^ che. Ta main, Pierre. Dans cet extraor- dinaire moment tu vieais de m'apparaître, là, je me suis demandé si j'avais bien toute ma raison!... si ce n'était pas mou cerveau qui projetait réellement ton image dans le cadre de cette porte... à deux mois de dis- taaice!... C'est tellemeiit fou!..,

PIERRE. Ecoute... je...

GEORGES, r interrompant. Non, ne me dis rien encore. Le hasard t'a fait tomber sur la minute de trouble la plus extraordinaire de ma vie... (Se passant 'les mains sur le front.) Tu ne peux pas savoir!...

PIERRE. Odette m'a dit...

GEORGES. Non, tu ne peux pas savoir! Quoi que tu puisses imaginer, remets à plus tard le moindre jugement... Ce sera justice... En attendant, à la hâte, pendant que nous sommes seuls, je vais te demander tout de suite ujie chose. Puisque te voilà... demeure ici quelques jours... oui... Il faut que je parte. Ta présence précipitera et facilitera mon départ!... Ah! dans quelle maison re- viens-tu!... On vient... Ta main?...

PIERRE. Tu t'en vas?

GEORGES. Oui... je suis dans wi tel étet de trouble... tout cela... le saisissement de ton aiTivée... j'ai besoin d'un moment de re- pos et de recueillement... Je ne t'entendrais même pas... je n'entendrais personne d'au- tre que moi-même pour l'instant... Et puis- qu^Isabelle descend, il est mieux que je te laisse seul avec elle.

PIERRE. Mais...

I20

L'Enchantement

GEORGES. Si... si... cela vaut mieux. (Il va sortir, tout houleversé, puis il se ravise et droit à Pierre, la voix très émue.) Je te jure, Pierre, que je suis iun honnête homme !

Silence. iPiERRî:. Je ne te demandais rien.

Georges sort. Pierre, resté seul, lève lentement la lampe... et attend.

SCÈNE YJ

PTEREE, ISABïTLLE

Isabelle entre précipitamment, en vêtement de nuit hâtivement jeté sur ses épaules.

PIERRE. Isabelle! i«ABEi.ï^. Pierre !

Elle est tombée près de la porte, sur la chaise qui se trouvait là. Lui, près de la table. Ils pleurent.

ISABELLE, s^essiiyant les yeux. Quand on m'a dit que c'était vous, j'ai reçu un coup au coBur. C'était à la fois trop cruel et trop bon... Ah! Pierre!... Pierre!

PIERRE. Qui m'eût dit que nous pleure- rions ainsi, en nous rev-oyant!...

PIERRE. Mon pauvre amouh . Gela ne vous

OFFENSE PAS Q4JE JE VOUS APPELLE AINSI?...

ISABELLE se rapproche de la tahle et de Pierre. .Mon ami!.... Kegardez ce qu'on .a fait de votre amie-.

PIERRE. Non. Vous êtes toujours la même. {Isabelle, élevant la lumière à hauteur des yeux. Il la regarde en plein jour, tiiniâe.) Un peu maigrie... un peu pâlie!

ISABELLE. Vous, VOUS avez bonne mine.

PIERRE. Ah! moi, vous sav^z je... {Qeste. Isabelle tout d'un coup lui saisit les leux miains, en le regardant dans les yeux.

.Pmrre touché.) Merci merci !... Vous n'avez

jamais 'été meilleure pour moi, dans toute votre T^ie!.,. (ZJn temps.) Et cependant, allez, je ne bénis pas les chagrins qui vous rendant plus compatissante.

:ifiABELiiE. -La petite m'a dit que vous étiez descendu chez Odette... c'est vrai?... Est-oe que vous avez tout ce qu'il vous "faut, au moins?... Et dites?... ce retour?...

PIERRE. Oui, tout à rheure... tout à riieure, ge vous dirai... ça n'a pas d'impor- tance L.. Je vous en prie, ne troublez pas cette minute, laissez-moi tout au bonheui' de vous revoir... là.^.. là... (Il s'assied et la con- temiple -encore longuement un peu com/me 7es peirttres font en regardant un nnodële, ef il dit en secouant la tête.) Mon pauvre amou3'!... Gela ne vous offense pas que je vous appelle ainsi?...

ISABELLE. Pierre!

PIERRE. J'emploie le mot amour, faute de mieux !

ISABELLE. C'est déjà bien suffisant.

PIERRE. Ah ! maintenant, vous avez fait Fapprentis&age amer? Mais aussi... mais aussi!... Ah! si j'avais été encore, mon amitié sûrement vous eût empêchée de com- mettre une sottise. Vous vous êtes lancée, à corps perdu, dans quelle aventure!... Oui, je sais, vous étiez en droit d'espérer mieux de leur part... mais la moindre expérience vous eût avertie que vous courriez à un abîme... Enfin !

ISABELLE. Vous aurioz ^u, à ma place, le même mouvement généreux que moi...

PIERRE. Mais comme vous avez ne pas savoir vous y prencb-e !... (Souriant.) Et que de choses charmantes et stupides vous avez dire!...

ISABELLE. Si vous savioz, Pierre! Ah! comme ils m'ont trompée!

PIERRE. Je ne le défe'nds pas. Je ne le juge même pas encore. Je vous prie seule- ment de savoir être indulgente.

ISABELLE. Je pense, lourdement, à oe que je dois faire. On eût dit que je sentais que vous deviez venir et que je n'^attendais plus que vous...

PIERRE. Comme il faut que vous l'ayez aimé, mon Dieu !

ISABELLE. Si c'est aimer que de se sentir tous les jou^-s plus égarée, plus palpitante, plus chagrinée... alors, oui, je l'ai aimé... ^

PIERRE. Passionnément!

ISABELLE, sérieuse. Je vous demande

L'Enchantement

121

/>ardon d'avouer, simplement, c^U,q trumSaT" uiatioû, dcvajit vous. xMtids à qu<ji servim.it ■de ne pas être franche ?

PIERRE. Oh ! vous ne me faites ipLus de m'ai!... Il y a longtemps que je vous ai dit adieu. (Cliang<ennt de ton.) Bref, iïiainte nant, qu'allez-vous devenir? car il s'agit de trouver une issue... Vous ne pouvez pas res- ter plus longtemps dans cette répugnante at- mosphère.

is^UiELu:. J'y songe. piERRK. Quel moyen ? ISABELLE. J'en ai un bon... Attendez... Vous nous restez, n'est-ce pas?

pxERiiK. Je repaa's demain par le train de quatre heuji'es. is.vDELLE. Non! PIERRE. «N'insistez pas... is.\BELLE. Voilà qui va Imter les choses. PIERRE. Comment cela? ISABELLE. Vous vexpez. PIERRE, ému. Ah!

ISABELLE. Et à quelle heure êtes-vous arrivé diez Odette ?

PIERRE. Au moment du dîner... il y a une heure...

ISABELLE. Et à huit heures vous étiez déjà au courant de tout!... C'est admirable! Voilà bien les amies!... Curiosité, vanité et envie... J'en étais sûre!... Elle m'avait juré, celle-là, qu'on la couperait en mor- ceaux plutôt que de révéler un mot de leur trahison, à qui que ce soit... même à de Chelles, même à vous...

PIERRE. Vous vous trompez, je vous juire. Odette a été d'une discrétion absolue... même ridicule, je m'en porte garant pour elle.

ISABELLE. Mais alors, qui vous a appris? PIERRE, emharrossé. Eh bien! je... ISABELLE, d'une voix subitement indiffé- rente et détachée. Ah! je comprends... oui, c'est juste... Ils ne se cachent de pej'- sonne... Oh! tout le monde est au courant ici... C'est une aventure publique. Georges lui-même vous aura tout de suite raconté sa passion pour * Jeannine. (Mouvement de protestation énergique de Jt^ierire,.) On .alors, plus simplement, il vous sera arrivé ce qui est arrivé à tant d'autres... hier encore, à de nos voisins... oh! ne protestez pas... c'est devenu tellement fréquent! Dès votre entrée ici, vous avez compris à leur attitude... (Second mou- vement de Pierre.) Je vous en prie, cette fois, Pierre, ne m'humiliez pas d'un men- songe de plus! A quoi bon?... Croyez-vous que je ne sache pas ? Ils ne se cadient plus, vous dis-je. .. Vous êtes tombé, tout de suite, sur une scène d'intimité... Ils vous ont donné le spectacle de les surprendre... comme on les trouve maintenant toujours... s'embras- sant, n'est-ce pas?... s'étreignant dans un coin... c'ast cela ? (Pierre hoehe la tête évasi- vement et baisse la tête.) C'est cela? (Bondis- sant avec un cri.) Ah! c'est tout ee que j'at- tendais !

PKKRRE Que dites-vous ?

iSA'iîKT.LE. Je n'attendais que cette preuve... Cette fois des yeux ont vu!... Ah! la bonne délivrance!... la certitude !... Enfin!...

i-iERRK. Isabelle 1

IBABELUE. C'est le ciel qui vous en- voie!... Enfin! enfenJ

Elle va à un petit meuble bas près de la cheïni- née et l'ouvre avec une clef qu'elle porte à sa chaîne de cou.

PIERRE. Mon amie, mon amie... vous m'effrayez.

ISABELLE, proniètie sts mai^s agitées dans des tiroirs. Georges appo^roît à ce moment sur le perron. Ah! te voilà!... Entre! (Montrant Pierre.) Maintenant, i'I a vu! maintenant j'ai la preuve!... Tu ne peux plus nier... (Elle s'éloigne un peu à reculons des deux hommes.) C'^ tout ce que j'atten- dais... Adieu!... Je vous délivre... Soyez heu- reux !...

On la voit faire un geste. Un revolver est dans sa main. Georges se jette sur elle. Une courte lutte s'engage. Dans le corps à corps, Georges finit par lui arracher le revolver des mains. Il en retire les cartouches.

SCENE XIÎ

GEORGES, ISABELLE, PIERRE

GEORGES, jetant simplement le re^volvei' à terre. Imbécile! (Puis il va s'asseoir, los deux mains sur la face. Un grand silence. Isabelle, haletante, se soutient à la chemimée.. Pierre est près d'elle. Personne ne dit plit^ rien. Enfin, Georges relève la tête.) Voilà tu en étais! oh!... v<;ilà nous en sommes!... Est-ce croyable que ce soit toi, là... ee re^^lver à tes pieds!

ISABELLE, montrant Pierre. Mainte- nant, plus rien ne pourra faire que ces yeu^- n'aient pas vu î

PIERRE. Isabelle!...

GEORGES. Ah! oui... ce baiser!... mais c'est ton œuvre, malheuj'euse ! Ton œuvre... ah! parlons-en!... Sans que j'aie rien à me reprocher, Pierre, je te le jure, d'homme à homme, en face de cette pauvre femme éga^ rée... voilà de quelle infamie elle me soup- çonnait, moi !... Ah ! va-t-en, tiens ! je ne sais pfis ce qui l'emporte, de ma pitié ou de ma révolte !

ISABELLE, qui est restée fixe pendant que Georges a parlé, subitement. Ecoute, Georges, en cette minute, à la sincérité de ta colère, de ten geste, d'un je ne sais quoi qui ne ment pas... je l'affirme, et c'est so- lennel, cette fois,^ cette preuve,ce baiser in- déniable, cet affreux baiser, je peux le rayer

Z22

L'Enchantement

de ma mémoire... lui donner, à la rigueur, une raison, un sens... (Appuyant sur les hras.) Juge de la puissance de ma foi ! A cet insta.nt, si tu le veux, je te croirai, je m'y engage solennellement sur tout oe que j'ai de plus sacré... tu n'entendras plus, ni plainte, ni soupçon... si tu jures simplement, en cette minute, devant Pierre qui nous entend, et devant qui tu n'oseras pas mentir, que tu n'aimes pas Jeannine. Je te croirai !

GEOEGES, a une hésitation, puis fermement. Non, je ne jurerai pas cela.

ISABELLE, avec un cri de triomphe. Ah! tu vois bien... tu vois bien que tu l'aimes!...

GE0RGE3. Eh non ! non, je ne peux pas et je ne ferai pas pareil serment ! Assez de mots et d'hypocrisie!... En toute la sincérité de mon âme à moi, puis-je dire que je ne l'aime pas ou que je l'aime?... Cest cela que tu demandes,^ Tu veux que je te dise... que je te dise... depuis des mois tu me harcèles! Tu veux que je donne d'un mot l'explication de oe qu'il y a en nous de plus intraduisible. Qu'est-ce que tu appelles aimer? Apprends- moi d'abord oii commence l'amour, finit la pitié, je te répondrai ensuite ! Vous avez des

GEORGES.— Imbécile!...

distinctions admirables! Mais sais- je, moi, de quel nom humain, vous autres, femmes, vous pouvez bien nommer le sentiment que j'éprouve, là, en ce moment, pour cette en- fant? C'est peut-être de l'amour!... c'est pos- sible! Je n'en sais rien, rien!... Nous vivons depuis deux mois dans une atmosphère de petits mensonges, d'hypocrisie sentimentale. Assez ! Il y a en nous, au-dessus de nous, la vérité profonde. Je ne sais si elle s'appelle amour, ou haine, ou pitié. Elle est comme elle est... Je me refuse à la profaner d'un

serment inepte ! Et non, mille fois non, je ne- sais pas ce que vous appelez amour, de vioS' bouches de femmes !

ISABELLE. Vois mes yeux, ils te l'ap- prendront.

GEORGES. Des mots!... Et je me ré- volte... Et cette fois ça va être ma revanche!: Ah! mes gaillardes, il va falloir marcher droit! {Respirant largement en se frappant la poitrine.) Dieu de bon Dieu! ça fait du bien!... (Il arpente la pièce.) Je t'ai laissé le soin de nos existences jusqu'au bout... tu vois que j'ai tenu parole, complaisamment ? je n'ai pas bronché... Voilà le résultat!... A mon tour, maintenant! (A Pierre.) Veux-tu aller chercher Jeannine, s'il te plaît, Pierre, j'ai besoin qu'elle entende ce que je vais dire.

SCENE YIII

GEORGES, ISABELLE

Resté seul avec Isabelle, il va à elle et l'appuie contre sa poitrine. Elle résiste.

GEORGES. Ma pauvre femme ! Regarde tu nous a menés... Es-tu convaincue?... Voilà ton orgueil nous a conduits... Al- lons ! reconnais la monstrueuse erreur de ta tentative!... J'attendais, moi, puisque tu ne voulais pas utiliser ma raison, résigné à mon rôle de spectateur. J'aurais peut-être dii ten- ter d'intervenir plus tôt ; mais qui d'un peu sensé aurait jamais soupçonné que nous en étions de cette petite course à l'abîme ! Je ne pouvais pas suivre les frénésies obscures de votre silence... Nous étions murés chacun dans notre attitude respective, et la vie muette allait son train, sans échange!... Ah! quel criminel joujou!... Oui, oui, ma pauvre grande chérie! je sais bien tout ce que tu pourrais me dire pour ton, excuse. Tu as cru tenter une œuvre belle. Et tu as subi la con- tagion, l'enchantement, pour parler ton affreux langage, jusqu'à la démence ! Tu as accompli jusqu'au bout le trajet jadis par- couru par Jeannine, et ce coup de pistolet logique, admirable, nécessaire, équilibre vos deux folies!...

ISABELLE. C'est ça... parle, parle... Il ne semble que je te crois, en cette minute... parle encore, c'est apaisant... Même si tu mens' encore, cela fait du bien, cela berce...

GEORGES. Ton œuvre, comme tu l'appe- lais emphatiquement, ton œuvre n'était pas belle... non, même pas cela! elle était Laide... Le seul mot de guérison, que tu employais sans cesse, eut suffire à t'avertir... car tu ne pouvais la guérir qu'en tuant son amour. Et en cela, Isabelle, tu commettais comme les autres le crime essentiel, le grand crime

L'Eiuhantement

12^

nature, l'atteinte à la liberté juste. Pour être juste, il n'eut pas fallu tenter d'assas- siner cet amour, dont elle était innocente, mais au conta-aire le laisser vivre librement et mourir de sa belle mort. Cela eut été la justice profonde... mais hélas! elle n'est pas dians nos moyens... Il est de ces choses qu'on peut penser, et qu'il faut bien se garder de faire, et la morale des hommes ne va pas jus- qu'à elles! Quant à moi, comment m'y serais- je pris poar détester cette enfant? Je ne peux pas lui en vouloir de m'aimer... Voilà la vérité, la belle vérité et toute simple., et qu'il faut oser dire, puisqu'elle est sans offense.

ISABELLE. Oui, oui... tu as l'air de pen- ser tout cela... tout cela a l'air juste... (Elle fronce les sourcils tout à coup et secoue la tête de Voir de revenir à sa pensée.) Mais cependant, qu'est-ce que tu veux ? ce baiser... ce baiser... tu auras beau dire... c'est de l'amour!

GEORGES, douloureusement. Ah! c'est fini ! Ce mot-là est entre nous.

ISABELLE, immédiatement, avec crainte. INon, Georges, tu verras... j'hésite encore... je ne sais pas... depuis que je t'aime, je ne sais plus rien. Mais je ne de- mande pas mieux que de te croire !

GEORGES. Non, c'est fini... J'en suis sûr maintenant, c'est fini!... Ah! je me souviens, Isabelle, de ton cri désolé quand tu as pris la petite avec nous... (( L'amour est dans la maison!... » O'ui, l'amour!... Désormais, il a été l'invité, avec Jeannine, le personnage invisible, l'hôte toujours présent, et à travers lui, nous ne nous sommes plus jamais retrou- vés... IJ a failli même me corrompre... oui, moi, je l'avoue, es-tu contente ! Mais si nous ne nous dégaigeons d'un effort brusque, tu entends, définitif, Isabelle, à force de nous serrer l'un contre l'autre, il va nous broyer jusqu'aux os... Séparons-nous.

ISABELLE. Comment? quoi?... que dis- tu ? Nous séparer ?

GEORGES. Oui, nous séparer. Le temps nécessaire pour vous rendre la raison perdue. Puisque, je le sens, tu ne veux pas accepter le seul moyen possible : éloigner ta sœur...

ISABELLE, r interrompant . Mais tu sais bien que oe serait le crime !

GEORGES. Oui. Hlh bien! justement... partageons le sacrifice en trois. Annulons tout bonheur, il n'y aura plus de jalouses!... Notre part de malheur à tous sera égale ; les femmes seront satisfaites! Ce que je sais bien, c'est que pas un jour de plus nous ne vivrons de cette vie que tu nous imposes, l'enfer!

ISABELLE. Georges, je m'y oppose! C'est moi seule la fautive... je réparerai, tu ver- ras.

GEORGES. A aucun prix!... n'insiste pas... j'ai dit... Demain recommencerait la geôle. Madame Heiman emmènera Jeannine, elles iront faire un petit voyage dans le Midi... moi ailleurs.., toi tu retourneras à Paris...

ISABELLE, tombe effondrée sur une chaise. Oh ! mon Dieu !

Entrent Pierre et Jeannine

SCENE IX

Les Mêmes, PIERRE, JEANNINE

GEORGES. Toi, arrive ici... ma petite! hop! (Il la pousse brutalement devant iui.) Ecoute-moi bien... attentivement.

ISABELLE, j)ieurant. Ecoute-le, Jean- nine ! Ecoute-le !

GEORGES. NouiS allous nous séparer, puisque vous l'avez voulu, puisqu'il le faut. Tu v£s donc partir... que tu ailles, re- tiens ce que je te dis là, enferme chaque pa^ rôle avec soin dans t^a mémoire, oii que tu ailles, plus de sottise!... Sache ceci : que tu ne commets rien de mal en m'aimant. Laisse vivre en toi cet amour, librement, sans con- trainte, sans chercher à en guérir!... Laisse- le chanter ou pleurer à sa guise, mon en-

GEORGES. N'est-ce pas, Isabelle, que' ru

PERMETS QUE JE l'EMBRASSE-*

124

fL'>Enchantem€n(

I

ffajit... Ne te presse pas ie ne plus m'aimer... Puise dans cette épreuve le courage même -de devenir une femme!... Bientôt peut-être, un joua-, nous sentirons que nous pouvons nous rapprocher, et nous reviendrons... Ce jour-là, il n'y aura plus de petite Jeannine. Il n'y a plus de petite Jeannine!... Jure que tu vivras pour moi, pour elle. (U montre Isabelle.) Plus de sottises jamais, n'est-oe pas?... ou je te tire les oreilles!... Et il faut que tu saches ceci, c'est cela que je voulais te dire et quHl faut que ta sœosr entende : Du fond du cœur, je te pleins, et je te prie de me pardonner le mal que je te cause involon- tairement... Ne te demande jamais de quel nom se nomme le sentiment que j'éprouverai, là-bas, pour toi... et qu'importent les nonjs!,.. Jl n'a de nom dans aucun langage humain, Jeannine ! Et je te remercie de ton amour, mon petit!... Et, pour cela, ce baiser que tu jneidemandais tout à l'heure, Isabelle va per- mettre que je te le donne maintenant, du fond de mon cœur. N'est-ce pas, Isabelle, que tu permets que je t'embrasse?

ISABELLE, faiblement, sans conviction, -r^ Oui.

GEORGES, embrasse Jeann,ine au front. Allons, Jeannine!... j'attends de toi mieux qu'un serment. Dis que tu es décidée à par- tir courajgeuisement!.,. (Jeannine ne répond rien.) Eh bien! tu hésites?... Tti ne \tbux pas répondre? (Jeannine va tomber en san- glotant sur le eanapé.) Bien!... à ta guise!... Prenez-ie comme vous voudrez, je vous aver- tie seulement, toutes deux, que ma résolution est inébrattlabic ! Je n'admettrai aucuai em- pêchement... VOTAS m'entendez, aucun!... A pa^t quoi, à votre sgii&e, mes enfants!... Pro- testez, si bon vous semble! Moi, j'ai dit... N'espérez pas une minute que j'entre dans la discussion de ma voLonté ! . , .

Il.gort.

plus facilement à moi... Je vous rappellerai dans un moment. Ne vous éloignez pas.

ISABELLE, sr— Ne soyez pas trop sévère!

PIERRE, sowriant. Je serai .^sxtrêmemeni? sévère !

SCÈNE XI

SCÈNE X

ISABELLE, JEANNINE, PIEï^PE

ISABELLE, effondrée. moi... Pierre!

FïBRjtE, souriant. Gui, je crois que vous ne- savez plus .grâ-nd'eiiose, ni les uns, ni les autres!

ISABELLE. -^ Que ^^-t-ellc devenir?... Re- gardez-la... tenez... (JiJUe va vers Jeannine.) Jeannine...

PIERRE, Id ^eien.<int, bas à Isabelle. Vous n'êtes pas, pour l'instant, en état de lui dire quoi que ce soit d'utile. Laissez la pleurer uii instant... Allez rejoindre votre mari et apaiser sa juste colèi*e... croyez-moi... !Deux paroles d'un ami et d'un étranger fe- ront plus que tout le reste!... Elle se confiera

PIERRE, JEANNINE

PIERRE, seul avec Jeannifie. Très be^u, tout ce qu'il vient de dire là!... Seulement, pratiquement, ça ne s'arrange pas avec cette facilité! Votre beau-frère a toujours été up théoricien... oh! incomparable!... Il a dit des choses excellentes, et lui, il lui suffit d'avoir raison pour, être heureux!... "Vous séparer! vous séparer, tous les trois!... c'est bel à dire ! Mais ce jugement de Saiomon ne change rien ! Avec toutes ces belles paroles, ils n'em- pêcheront, ni l'uii ni l'autre, que vous ne restiez la victime, et voilà oe qu'avec votre instinct admirable d'enfant, vous a\^ez com- pris tout de suite! (U roule machi^nalement une cigarette qu'il ne fume pas et tourne sur le tabouret de piano.) 11 y a un instant, je ne vous connaissais pas... je serai franc, vous ne m'intéressiez même pas du tout... Je vous ai toujours considérée comme une enfant insup- portable, et d'ailleurs parfaiteinent inu- tile!... Seulement, j'avoue, mon pauvre gosse, que depuis uoi heure je comm,ence à comprendre (on est long à comprendre !) votre sort à venir... et ce qui -^iDus attend... Qui sait, dans tout cela, si ce n'est pas vous la plus intéressante, après tout!... Quand, dans la vie, il y a quelqu'un de trop, la nar ture s'arrange toujours pour l'éliminer, en lui flanquaint tous les torts sur le dos !... C'est vous qui vous êtes débattue peut-être le plus généreusement, sans calcul, commettant toutes les gaffes, sans rien savoir... (Jean- nine fond en sanglots.) Ne vous désolez pas!... Ah ! ce n'est pas gai, fichtre, mais on n'en meurt pas... Il y en a d'autres que vous sur la terre qui ont endossé, avec plus de ran- cœur, allez, et à un âge on ne se console plus, hélas! cette sorte d'emploi... Vous avez Ah ! je ne sais plus, quel âge? dix-sept ans... dix-huit ans?

(Jennnine fait signe de la tête qu-e non.) Dix-sept?... (Jeannine fait signe de la tête que oui.) Pfîf ! Remerciez le ciel de vous avoir envoyé la précocité de la douleur. Vous en serez débarrassée plus tôt!...

JEANNINE, avec conviction. Oh! ça, -mon- sieur, jamais ! jamais !...

PIERRE, riant. Pauvre petit! comme vous avez bien dit ça!... Votre angoisse pas- sera tout de même plus vite que vous ne l'espérez!... Mais qu'on vous a mal édu- quée!... L'une a vu seulement en vous une malade (l'éternelle rengaine!) l'autre, Geor- ges... il ne connaît rien aux femmes!...

L'Enchantement

I2S

C'est même sa grande force sur elles, le gredin ! {Arec un soupir.) Enfin!... Malgré quoi, TOUS a\"ez bien oonipris la nécessité de vous en aller, vous, toute seule... Vous ne pou- vez pas continuer de rester ici à faire souf- frir (( les grands » ! Piiisqu'ii faut, voue saureS partir. et disparaître de leur vie...

JEANNINE. Oui; J'aurai la force mainte- nant.

pibrrb. Je ne voulais pas vous enteii'- dre dire autre chose. Seulement, oii irez- vous ?

jEAiNNîNE. Je ne sais pas. Je demanderai qm'on me mette en pension.

PIERRE, riant. Quel drôle de petit an- gelot!... Mais vous avez passé l'âge de la pension! il faut vous faire une vie à vous!... Pourquoi ne rencontrerieiz-vous pas, non dec valseurs, des cousins amoureux ou des Saint- Cjriens éperdus, je sais bien qu'il n'y a pas de quoi satisfaire un cerveau comme le vôtre, frappé d'un don prématuré, mais quel- qu'un qui veuille bien se consacrer à l'éduoa^ tion d'une âme aussi difficile que la vôtre, Jeannine, quelqu'un qui soit à même de res- pecter votre chagrin; et de l'aimer tendre- ment, comme si c'était son propre chagrin à lui qu'il consolât, pouvaait vous offrir quel- que chose qui ne serait ni de la paternité ni de l'amour, mais une affection infiniment mêlée... Supposez avec cela, comme par ha- sa/rd, que ce vieil homme, avec son trop plein d'im utile tendresse, trouve en vous épousant l'ocoasion de se dévouer à un bonheur qui n'est pas le vôtrd, Jeajinine, mais celui de la gl'ande âme étrange qui régit cette maison et dont VXÎU6 portée' un peu l'ittiage dans vos yeux..,

jEANN5fîvilB, riTvterrompcmf;. Arrêtez-vous. Je n'ignore pas à quel point vous avez aiïné ma sœur; elle me l'a dit... Jllt quoique je ne i sois qu'une enfant, j'ai assez souffert et je suis assez intelligente, monsieur, poUT devi- ner de quel sacrifice vous seriez- capable pour Isabelle !... Mais non, c'est impossible, tout j de même!... Vous ne pouvez pas aller, même I à oause d'elle, jusqu'à vous charger de moi, . et vous ti«aîneriez un bien pauvre petit pa- rquet I... Merci... Je n'ai besoïTi d'aucun secours... Je m'en ti^eï^aii toute seule!

PIERRE. Ah ! mais, savez- vous que vous

|êtes très ohie, décidément!... Vous avez rai-

soni, je lançais à tout hasard cette bouée de

sa'UVetage, oh ! sans bien y croifpfe, à raveu-

I glette, et pour voir ce que vous en diriez...

mais vous avez raison, malgré ce qu'aurait

jdfe tentant Fidée paradoxaile de nous unir

j tous deux pour leur seul bonheur, nous ne

le pouvons pas!...

JEAjsTNiNE. C'est bien tout de même d'y avoir songé !

PIERRE, Oui c'est bien, parbleu, oui, c'est très bien!... Voilà ce qu'il faut se dire !.,. Et je suis très content de nous!... Ah î mais par exemple, ce qui est fort possible, ce que j'exige, c'est qu'après nous être connus

et rapprochés comme nous venons de le faire, nous nou& quittions pas comme cela!... Ah! mais non!,.. Vous m'intéressez;, diablement, savez-vous !. . . 11 faut quç noue- dexenions une bonne paire d'amis... dites, voue voulez?... Madame Heimian, c'e«t bien sec! même en voyage... Vous avez besoin d'un meilleur confident... Attendez, attendez un peu, vous allez voir! C'est moi qui vais me charger de votre éducation!... Promettez- moi d'abord qu'on s'éciira, tous les deux?... Ce sera très gentil, très touchant!... On par- lera d'eux, on se dira leur bonheur... leur gloire... comme de vieux invalides qui n'en veulent pas à leurs généraux de s'être fait casser la tête pour eux!... Ah! vous verrez à nous deux comme on se comprendra!... Ils ne savent pas quels êtres charmants noua sommes... les imbéciles!... N'est-ce pas que je suis sympathique?... Tope-là! Alors, vous voulez bien de moi comme camarade ?

JEANNINE. Oh! oui, monsieur !

PIERRE. J'emporte votre petite amitié, comme une joiie fleur, née des ruines, jeu*- nes pour vous, vieilles pour moi, de nos deux douleurs... née de tout l'amour qu'ils n'auront pas compris !,.. L?élan précipité de ce grand toqué doit vous effaroucher un peu, mais je ne veux pas m'en aller sans que nous ayons conclu une vraie alliance, dans le mystère de cette belle et triste soirée, dont nous garderons le souvenir, et... Allons, voilà que je m'exprime encore en style vieux monsieur... je déraille... c'est désolant!

JEANNINE. Vous êtes très gentil!... Maia quel ennui tout de même de n'avoir pas de ciiancel...

Un gros soupir.

PIERRE. A qui le dites-vous! Alors, je peux compter sur vous?

JEANNINE. De grand cœur.

PIERRE. Le pacte est conclu?... Je suis ravi... Et qu^ allez-vous faire, ma nouvelle petite amie?

JEANNINE. Je vais parler comme une grande personne... Il faut que je sois bien raisonnable maintenant... Rappelez ma sœur, voulez-vous?... Et merci,..

Elle lui serre la main. Pierre va à la porte de droite.

SCÈNE XIÏ

Les Mêmes, ISABELLE, puis GEORGES

JEANNINE. Isabelle... J'ai à te dire ce que je viens de décider... {Elle va parler.) At- tends que Georges soit là, veux-tu ? J'aime autant que vous soyez tous les deux.

ISABELLE. Le voici...

Georges entre.

126

L'Enchantement

JEANNINE, à voix haute, non sans émotion. Après la façon dont G-eorges m'a parlé tout à l'heure, et que j'ai bien retenue, je tiens à vous dire que je suis décidée à partir •avec madame Heiman. Je ferai le voyage que vous voudrez. Et je m'engage à ne plus ja- mais voujs donner le moindre sujet d'inquié- tude, à avoir beaucoup de courage et à ne jamais vous faire de peine... ni à l'un ni à l'autre... même de loin.

-Elle récite un peu comme une leçon, avec peine. Puis, comme brisée par l'effort fait, elle se dé- tourne d'eux brusquement.

GEORGES. A la bonne lieure, Jeannine!... Voilà ce qui s'appelle parler!... On fera quel- que chose de vous!...

Isabelle, très émue, veut se précipiter vers Jean- nine pour l'étreindre dans ses bras, mais Jean- nine a un mouvement de recul.

PIERRE, entraînant Isabelle. Laissez-la. Pas encore... L'effort a été gros !... (Bas.) Un petit pacte est conclu entre nous. Un petit pacte sérieux et profond.

ISABELLE. Oh! merci, Pierre! Je ne "doute pas de votre amitié, ni de votre cœur excellent... Merci de votre aide... merci de pouvoir compter sur vous. Si maman était là, elle vous remercierait.

Elle s'essuie les yeux.

PIERRE. Allez, comptez, avant toutes choses, sur l'avenir. Tout s'arrangera... et les peines s'envoleront... derrière moi...

ISABELLE. Pierre!...

GEORGES, à Pierre. Je te demande par- don, mon cher, de cette scène de ménage tu es tombé en plein...

PIERRE, rapidement. Comment donc!... Bigre, mes enfants! Onze heures? Et la mère Heiman qui m'attend avec ses couvertures de laine!... Je me sauve! Demain matin, avant de partir, je viendrai encore vous serrer la 'main... Mon dhapeau, mon pardessus?

GEORGES. Tu ne vas pas savoir retrouver "ton chemin !

PIERRE. Par la grand'route.

GEORGES. Et le ciel s'est voilé.

PIERRE. Jeannine va m'éclairer jusqu'à la grille... n'est-ce pas, Jeannine?... C'est vrai qu'il fait noir, ,tout de même ! (Jeannine prend vivement la lampe et passe devant Pierre.) Bonsoir, bonsoir, mes enfants!... (On entend sa voix du dehors.) Et il a plu!... Ce qu'on va patauger! Prenez garde à votre ■jupe, Jeanneton...

SCENE XIII

GEORGES, ISABELLE

»

GEORGES, étonné. ^ Tiens!...

ISABELLE. Pierre m'a laissé entendre qu'ils venaient tous deux d'échainger une grande promesse d'amitié... Mais cette ami- tié peut-elle être de quelque secours à l'en- fant qui s'en va... si seule!...

GEORGES. Mais oui... Ils vont dire en- semble beaucoup de mal, de nous... Ils sont sauvés!...

ISABELLE. Ah ! que tu es déconcertant, Georges!... Au moment même oii l'on croit te comprendre et te satisfaire, voilà que tu ris!...

GEORGES, Vattirant sur sa poitrine. C'est, que je connais la banalité de la vie ! et j'ai confiance en elle, et c'est sur elle que je compte ! Sois rassurée. Les pires drames, les plus tristes drames, un beau jour, par un épuisement du sort, par une lassitude du grand ironiste d'en haut, sans doute satisfait de nos contorsions, se résolvent en une piche- nette insignifiante, en un incident d'une ba'- nalité... déplorable! Tant de soufiFrances pour aboutir à ça!... à rien... Et pourquoi plutôt aujourd'hui que demain?... on ne sait pas!... C'est épuisé!... on le sent, on n'en est pas sûr!... Et c'est la vie!...

ISABELLE. Pauvre Jeannine!

GEORGES. Mais non, pas pauvre Jean- nine!... Elle vient de prendre une grande ré- solution, très courageuse... Elle s'ouvre à la vie vraie... et trouvera d'elle-même un dé- nouement, incroyable d'insignifiance, à toute sa grosse douleur!... On sourira ensemble un jour des tragédies passées!... .

ISABELLE. Ali! serons-nous jamais heu- reux, Georges?

GEORGES. Mais oui, nous serons heu»- reux ! Il le faut bien !... Nous serons heureux, banalement, comme tout le monde ! comme les autres!... Allons, ma toute petite Isabelle, confie-toi, enfin, à cette épaule, saUiS plus ja- mais chercher à comprendre la grande force mystérieuse à laquelle nous donnons le nom d'amour, et prononce-le, va, ce mot qui ne veut pas dire grand chose, mais qui est bien tout de même dans ta bouche, le plus char- mant des mots... Allons... dis!... dis?

ISABELLE, laissant tomber sa tête sur son épaulCf dans un grand soupir. Je t'aimeX

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VOUJaiES PAIRUS s

Swbey d'AUREVim' , Las Oiaboiiqueî.

lolonel BAHATIER. . . } JS^^^^^*"'"'"''

Maurice BAÏtRÈS, i Le .lardin de Bérénice.

de l'Académie française ( Du Sang, de la Volupté el de la mort ^istan BERNARD. . . . Mémoires d'un Jeune homme rangé

^n BERTHEROY ...A[^ Danseuse de Pompé»' Twm. £>£.x^xacij^vr* " * ' ) Le Doublo amour.

■Louis BERTRAND.... t Répète le bien-aimé.

BINET-V ALMEf Les Métèques.

Paul BOURGET, ( Cruelle énigme.

de l'Académie française \ André Cornëlis.

/ L'Amour qui passe.

^ Le Pays natal. 3enry BORDEAUX, ) L'/mour en fuite. de l'Académie française] Le Lac noir.

/ La Petite Mademoiselle.

\ La Peur de Vivre. Marcel BOULENGER.. Couplées.

tlémir BOURGES Sous la Hache.

~2ené BOYLESVE (La Leçon d'amour dans un Parc.

de l'Académie française ( Mademoiselle Cloque. Adolphe BRISSON Florise Bonheur.

( Vénus ou les Deux Risquât, ^îfichel CORDAT Hes Embrasés.

( Les Demi-fous.

Alphonse DAUDET... |[:,^»-?f«^e;,„

( les deux ctreintet. Léon DAUDET ] Le Partage de ! Enfant

r Les Morticoles. ^aul DÉROULÈDE. . . . Chants du Soldat Lucien DESCAVES .... Sous-Of f s.

aonri DUVERNOIS. . . \ ^^[^'ettè.

Georges d'ESPARBÈS. | [l g'S en^^dSlk.

?«rdinand FABRE L'Abbé Tigrane.

( L'Autre Amour.

Oaude FERVAI, Xla Rgur""""-

( Ciel Rouge.

J<éon FRAPIÉ e . . LMnstitutrice de Province.

rhéonhile GAUTIER i Capitaine Fracasse (l" vol.). î:neopniie UAUiiJLK. . ^ Le Capitaine Fracasse. {2r vol.).

( Renée Mauperin. Co etJ.de GONCOURT. < Germinie Lacerteux.

( Sœur Philomène. ^Stave GUICHES.... Céleste Prudhomat.

/ Le Cœur de Pierretta

l La bonne Galette.

\ Totote. ^P <La Fée.

J Maman.

f Doudou.

\ La Meilleure Amie. ^▼riam HARRT . . c . . La Divine Chanson.

/ Les Transatlantiques.

[ Souvenirs du VicomtedeCourpière

i Monsieur de Courpière marie. La Carrière.

^iM9l HERMAifT. < i_| Cavalier Miserey.

Chronique du Cadet de Coutrat. Les Confidences d'une Aïeule. Le Char de l'Etat. Coutras, Soldat

Paul HERVIEU,

de l'Académie française

Charles H«nry HIRSGH.

Henri L^WEDAN, de VAcat> imie française

Jules LEMAITRE,

de l' Académie française \

Pierre LOUTS

Maurice MAINDRON.

Paul MAROUERITTE.

Octave MIRBEAU |

Eugène MGNTFORT.. Lucien MUBLFELD. . .

Marcel PRÉx^OST,

de l' Académie française^

Michel PROVINS.

Henri de REGNIER, i

de l'Académie française (

Jules RENARD \

Jean RICHEPIN, \

de V Académie française ,

Ch. RCiR^^'3' 3;*TTTwrAî;.

Edouard ROD

André THEURIET, ( de l' Académie française ( l Pierre VEBER..,

RIrt.

L'Inconnu. I L'Armature, Peints par eux-mémeK. Les Yeux verts et les YtiK L'Alpe homicide. Le Petit Duc. Deux Plaisanteries, cva Tumarche et ses Ainlft.. Sire.

Le Nouveau Jeu. Leurs Sœurs. Les Jeunes. Le Lit. Les Marionnettes.

Un Martyr sans la Fo).

Aphrodite.

Les Aventures du roi

La Femme et le Pantltï.

Contes choisis.

Les Chansons de Billtlg

Blancador TAvantageusT,

L'Avril.

Amants.

La Tourmente.

L'Essor.

Pascal Gefosse

Ma Grande.

Le Cuirassier blanc.

La Force des Choses

L'Abbé Jules.

Sébastien Roch.

La Turque.

La Carrière d'André TounSli^

L'Automne d une Femme

Cousine Laura.

Chonchette.

Lettres de Femmes.

Le Jardin secret.

Mademoiselle Jaufre.

Les Demi-Vierges.

La Confession d'un Amant

L'Heureux âge.

Nouvelles Lettres de Femmtt»

Le Mariage de Julienne.

Lettres à Françoise.

Le Domino Jaune.

Derniè<'es Lettres de FemEitc^^

La Princesse d'Ermirtge.

Le Scorpion.

M. et Mme Moloch.

La Fausse Bourgeoise

Pierre et Thérèse.

Femmes.

Lettres à Françoise Mariée.

Dialogues d'Amour.

Comment elles nous prenntltit

Le Professeur d'Amour.

Le Bon plaisir.

Le Mariage de Minuit

L'Ecornifleur.

Histoires naturelles.

La ^lu.

Les débuts de César Borgli.

La chanson des Gueux.

Amour Sacré.

La Vie privée de Michel Tetsiw.

Les Roches blanches.

La Maison des deux Barbdsack

Péché Mortel. ^

L'Aventure.

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