,\ ■V>owwà\ \'\'afe l^ibrarD of tlje ||luscum OF COMPARATIVE ZOOLOGY, AT HARVARD COLLEGE, CAÎIBRIDCE, MASS. 1 Tutj mil oi No. \5^^^ MÉMOIRES COURONNÉS MÉMOIRES DES SAVANTS ÉTRANGERS, PUBLIES PAR L'ACADÉMIE ROYALE DES SCIENCES, DES LETTRES ET DES BEAUX- ARTS DE BELGIQUE. MÉMOIRES COURONNÉS ET MÉMOIRES DES SAVANTS ÉTRANGERS, PUBLIÉS PAR L'ACADEMIE ROYALE DES SCIENCES, DES LETTRES ET DES BEAUX-ARTS DE BELGIQUE. TOME XXVIII. — 1856. BRUXELLES ? »L HAYEZ, IMPRIMEUR DE L'ACADÉMIE ROYALE. 1856. 5=^ TABLE DES MEMOIKES CONTENUS DANS LE TOME XXVIII. CLASSE DES SCIENCES. MEMOIRES DES SWANTS ETRANGERS. La cause de la scinlillation ne dériverait-elle point de phénomènes de réfraction et de dispersion par l'atmosphère? Par M. Monligny. CLASSE DES LETTRES. MÉMOIRES COURONNÉS. Mémoire liistorique el littéraire sur le collège des Trois-Langues à l'université de Loiivaiii; pai M. Félix Nève. Notice sur le haroii de Stassart; par M. Eugène Van Beniniel. LA CAUSE DE LA SCINTILLATION NE DÉRFVERAIT-ELLE POINT DE PHÉNOMÈNES DE RÉFRACTION ET DE DISPERSION PAR L'ATMOSPHÈRE? M. MONTIGNY. PROFESSEUR A l\tHÉNÉK DE NAfflUK. {Mémoire présenté â TAcaJéinie , dans sa séance du 3 avril 1856. ) Tome XXVHI. LA CAUSE LA SCINTILLATION NE DÉRIVEKAIT-ELLE POINT DE PHÉNOMÈNES DE RÉFRACTION ET DE DISPERSION PAR L'ATMOSPHÈRE? La question, posée en ces termes, paraîtra peut-être un acte hardi aux yeux du lecteur instruit de l'ingénieuse théorie de la scintillation de M. Arago, qui est basée sur des phénomènes d'interférence des rayons stellaires dans l'air, comme le montre sa belle Notice insérée dans VAn- nuaire du Bureau des longitudes de 1851. Aussi, me crois-je obligé d'exposer les motifs qui m'ont engagé à émettre des idées opposées à celles de ce célèbre savant sur la cause de la scintillation. Ce phénomène intéressant ne constitue cependant pour beaucoup de personnes, qu'une simple cu- riosité scientifique; car son étude ne présente point la perspective de quel- que application utile, genre de mérite si recherché à notre époque, même dans les travaux scientifiques. L'absence d'avenir de la question, envisagée sous ce point de vue, jointe au sentiment de respect dû au talent scientifique, au génie même de M. Arago, trop tôt ravi à la science, m'imposait une certaine réserve dans l'examen de ce point délicat. Mais un appel me fut adressé par M. Moigno, dans le journal le Cosmos, de 1851 ^, pour m'engagera rechercher la cause de la scintillation autre part que dans les phénomènes d'interférence; et cela, à propos de l'espèce de connexion qu'il crut entrevoir entre cette cause et des phénomènes rapportés dans un travail que j'ai eu l'honneur I T. Il, p. 18. 4 DE LA SCINTILLATION. de présenter à l'Académie de Belgique '. Je juge utile de transcrire ici les réflexions dont M. Moigno fit suivre l'exposé du rapport de M. Plateau sur ce travail, attendu que cette transcription me donnera occasion de rap- peler en peu de mots les points fondamentaux de la théorie de M. Arago, tels qu'ils sont présentés dans l'article du Cosmos. Après avoir exprimé l'opinion que les expériences exposées dans le tra- vail cité pourraient être utilisées dans une théorie de la scintillation, M. Moigno aborde ainsi la question : « La scintillation, dit M. Arago, consiste, pour une personne regardant » le ciel à l'œil nu, en des changements d'éclat des étoiles très-souvent » renouvelés. Ces changements sont ordinairement, sont presque toujours » accompagnés de variations de couleurs et de quelques effets secondaires, >) conséquence immédiate de toute augmentation ou diminution d'inten- » site, tels que des altérations considérables dans le diamètre apparent » des astres ou dans les longueurs des rayons divergents qui paraissent » s'élancer de leur centre suivant diverses directions. » Dans son essence, donc la scintillation est la perception, sous forme discontinue et multi- colore, d'une lumière en elle-même continue et multicolore... Cela posé, M. Arago voit dans la scintillation un phénomène non pas seulement sub- jectif, mais avant tout objectif. « Puisque toutes les étoiles du firmament, » dit-il, deviennent vivement colorées dans l'acte de la scintillation, il y » a indubitablement quelques-uns des rayons dont leur lumière se com- » pose, qui n'agissent pas alors sur l'œil; soit qu'ils aient été arrêtés au » moment de leur pénétration dans l'organe, soit que leur effet ait été » détruit avant qu'ils aient atteint la rétine ou sur la surface de cette » membrane. » Pour expliquer cette absence d'action de certains rayons de l'œil, M. Arago recourt naturellement aux interférences dépendantes à la fois et des chemins parcourus par les rayons, et de la nature ou de la réfringence des milieux qu'ils ont traversés, et formule en ces termes la théorie de la scintillation, pour l'œil d'abord armé d'une lunette : « Sup- !> posons que les rayons qui tombent à gauche du centre de l'objectif aient ' Phénomènes de persistance des impressions de la lumière sur la rétine, Mém. de l'Ac\ii. koïale DE Belgique, l. XXIV. DE LA SCirSTILLATIOiN. S » rencontré depuis les limites supérieures de l'atmosphère des couches » qui, à cause de leur densité, de leur température ou de leur état hygro- » métrique, étaient douées d'une réfringence différente de celle que possé- » daient les couches traversées par les rayons de droite; il pourra arrivei' » qu'à raison de cette différence de réfringence, les rayons rouges de droite » détruisent en totalité les rayons rouges de gauche, et que le foyer passe » du blanc, son état normal, au vert; que l'instant d'après, par la même » cause, les rayons verts soient totalement anéantis, et que le foyer, par » conséquent, devienne rouge. » De la scintillation dans les lunettes à la scintillation à l'œil nu, le passage est facile : « L'œil, dit M. Ârago, peut » être assimilé à une lentille ayant à son foyer un écran nerveux, nommé » la rétine, et l'on l'econnaîtra que tout ce que nous avons dit de la grande » lentille, partie principale de la lunette, est applicable à l'œil; il suffira » pour que l'image d'une étoile se colore en vert, par exemple, que, dans » le faisceau de lumière parallèle blanche qu'embrasse la surface de la « pupille, un vingtième se trouve dans les conditions de destruction des » rayons rouges. L'image de l'étoile, au contraire, deviendra rouge, lors- » que la destruction de lumière à la surface de la rétine portera sur les » rayons verts. Si, enfin, par voie d'interférence, les rayons blancs, arri- » vant à la pupille par la gauche, deviennent rouges, et les rayons de » droite deviennent verts, ces deux couleurs se neutraliseront, et l'effet » définitif sera un changement d'intensité. » Celte théorie est éminemment ingénieuse, et elle a été généralement acceptée; elle est, sinon démontrée, du moins confirmée par les expériences faites avec les diverses scintillo- mètres ou scintilloscopes de M. Arago; elle est rendue plus probable encore par une mémorable expérience que M. Ârago , — et nous le regret- tons vivement, — n'a pas formellement ou explicitement décrite dans son admirable Notice sur ta scintillation ^... » 11 est cependant une toute petite objection, ajoute M. Moigno, que M. Arago nous permettra de soulever, et dont nous n'aurions peut-èlie pas eu la pensée, si, dans les expériences avec son réfracteur interféren- ' M. Moigno décrit ici l'appareil qire lui-iiiênie nomme Réfracteur interfèrent iel. et qui ;i été imaginé par M. Arago. 6 DE LA SCINTILLATION. tiel , nous avions opéré non pas avec la lampe ordinaire, mais avec la lumière électrique, qui nous aurait donné et un point lumineux plus con- centré et une lumière incomparablement plus vive. Notre objection est que, dans le réfracteur interférentiel , nous ne retrouvons pas les couleurs brillantes de la scintillation des étoiles. Voilà pourquoi nous avons osé nous demander, sans raison peut-être, si les expériences de M. Montigny et les raisonnements de M. Plateau ne mettraient pas sur la voie d'une autre explication, en ce sens qu'au lieu d'apparaître par suite de l'inter- férence de quelques-uns des rayons, les couleurs apparaîtraient par simple séparation, par retard ou avance, par la perception en temps différents. Laissons à MM. Plateau et Montigny développer notre pensée, si elle leur semble digne d'attention. » Ainsi que M. Moigno j'avais été frappé de l'espèce de connexion qui, de prime abord, semble exister entre la cause de l'apparition des couleurs dans mes expériences et celle des variations de coloration dans la scintil- lation : aussi me décidai-je à rechercher la cause de ce dernier phénomène parmi des faits naturels, moins délicats et moins complexes que les inter- férences. Mais je jugeai indispensable de faire précéder cette étude de recherches sur des phénomènes d'optique météorologique, qui sont incon- testablement les résultats de phénomènes de réfraction et de dispersion par l'air atmosphérique ^. Je n'ai qu'à m'applaudir d'avoir suivi cette mai- che rationnelle, puisque c'est parmi les phénomènes observés que je crois avoir trouvé les éléments d'une théorie de la scintillation, qui repose ex- clusivement sur des effets de l'éfraction et de dispersion par l'air atmosphé- rique. Mais, objectera-l-on peut-être, cette voie n'est point nouvelle, car le résumé des diverses explications de la scintillation, proposées antérieure- ment, que renferme la Notice de M. Arago, montre que la plupart reposent sur des effets de réfraction partiels de l'air; or M. Arago semble avoir combattu avec succès toutes ces explications. Cela est vrai; mais il résulte évidemment de ce résumé que les savants qui s'occupèrent de la scintil- ' Mémoires de l'Académie royale de Belgique, t. XXVI. DE LA SCINTILLATION. 7 lation, se sont bornés à émettre leurs idées sous forme de présomptions. L'explication de M. Arago par les interférences est la seule qui ait été formulée d'une manière précise et avec détails. En présence de cela, il ne m'était plus permis d'émettre ma théorie sous forme conjecturale et sans la fortifier tant par des faits que par les inductions du calcul , au- tant du moins que celles-ci peuvent s'appliquer aux éléments d'une ques- tion , parmi lesquels plusieurs présentent de l'incertitude dans leur valeur. Le lecteur ainsi prévenu , comprendra la raison pour laquelle je m'élen- drai sur certaines particularités. Je ne rappellerai point dans un ordre didactique les diverses circon- stances ou caractères de la scintillation; elles ont été traitées avec exten- sion dans la savante Notice de M. Arago. Seulement, je ferai précéder l'expose de la théorie de deux expériences, dont l'une repose sur une disposition entièrement nouvelle. Nicholson est le premier qui ait signalé le fait suivant, que du reste M. Arago avait également observé de son côté. Si l'on imprime un mou- vement vibratoire, rapide, au tube d'une lunette achromatique dirigée vers une étoile scintillante, telle que Sirius, son image décrit dans la lunette des courbes lumineuses qui se revêtent de teintes diversement colorées, et d'autant plus vives que l'étoile est plus brillante : le rouge, le jaune, le vert et le bleu-vert sont les couleurs les plus remarquables. Dans cette expérience, la perception d'une de ces teintes, à un instant donné sur une portion de courbe, a pour cause première l'absence mo- mentanée d'un ou de plusieurs rayons constitutifs de l'étoile dans l'organe visuel, par suite du phénomène de la scintillation lui-même; et, pour cause seconde , le déplacement de l'image de l'étoile sur la rétine. On conçoit en effet, que les vibrations de la lunette déplaçant continuellement l'image sur la rétine, chaque point de celle-ci par où l'image passe, reçoive l'impression résultant du mélange des rayons de l'étoile qui par- viennent en ce point de la rétine à l'instant considéré. Si les mêmes con- ditions de mélange des rayons persistent pendant un certain temps , la 8 DE LA SCINTILLATION. portion de courbe décrite par l'image durant cet intervalle, offre une même teinte colorée. Il est évident que l'arc revêtu de la teinte complé- mentaire des rayons déficients, est d'autant plus étendu que les déplace- ments de l'image sont plus rapides, toutes choses égales d'ailleurs. Dans ses observations, Nicholson en ayant égard à la rapidité des vibrations de la lunette et à la longueur apparente des arcs diversement colorés, évalua par estime à trente le nombre des changements de couleurs distincts que la lumière de l'étoile Sirius éprouve par seconde dans la scintillation ^ Nous aurons occasion de voir que ce nombre est encore au-dessous de la réalité. M. Arago a proposé, comme moyen de réaliser commodément le dépla- cement de l'étoile sur la rétine, de placer un peu en avant du foyer de la lunette, c'est-à-dire entre l'objectif et le foyer, un petit miroir plan incliné de 45° sur l'axe, et destiné à l'ejeter latéralement l'image de l'étoile vers un oculaire ad hoc, comme dans la disposition du télescope newtonien. Un mouvement de rotation imprimé à ce miroir, à l'aide de quelque rouage d'horlogerie, eût amené la séparation des couleurs. Aûn de dénombrer aisément les teintes qui auraient composé la ligne décrite par l'image dans ses déplacements, M. Arago proposait de déduire leur nombre total de la quantité de couleurs réunies sur une portion, sur le dixième par exemple, de la ligne de déplacement qui eût été décrite en un temps déterminé. M. Arago n'entre point dans de plus grands détails sur cette combinaison -. Voici le principe d'une autre disposition à laquelle je me suis arrêté. Tout le monde a pu remarquer qu'en imprimant des ondulations de peu d'étendue à une lentille concave ou convexe placée entre l'œil et un objet , l'image de celui-ci suit sur la rétine le déplacement de la lentille. Ainsi l'image décrit une courbe circulaire si , par le mouvement rapide de la main, le centre optique de la lentille trace sensiblement un petit cercle dans le plan môme de la lentille. La courbe de l'image sera encore cir- culaire, quand la lentille tournera autour d'un axe perpendiculaire à son plan, mais qui la traversera en tout autre point que son centre optique. * Notice, page 379. - Jb., page 442. DE LA SCINTILLATION. 9 Le diamètre du cercle décrit sera évidemment d'autant plus grand que l'axe de rotation traversera la lentille plus loin de son centre, ou que celle-ci sera plus excentrique. Si donc on dispose une lentille concave ou convexe entre l'œil et l'oculaire d'une lunette de façon à y recevoir un mouvement de rotation autour d'un axe excentrique, l'image d'une étoile scintillante vers laquelle l'instrument sera dirigé, décrira un cercle par- tagé en arcs diversement colorés. Dans ce procédé , l'interposition d'un nouveau milieu lenticulaire affaiblit d'une quantité imperceptible l'inten- sité de l'image. J'entrerai dans quelques détails sur la manière dont j'ai réalisé cette disposition. AB mécanisme d'horlogerie de petite dimension, mû par un ressort et fixé, à l'aide de vis, sur le porte-oculaire CD du télescope. E petite lentille concave à rotation excentrique, qui est placée entre l'ocu- laire M et le diaphragme percé d'une petite ouverture contre laquelle l'œil s'applique. Dans le dessin , ce diaphragme est représenté par une cir- conférence pointillée, afin de laisser voir le mode de monture de la len- tille E. L'axe F qui la traverse à une petite distance du centre, reçoit un mouvement de rotation rapide au moyen du fil qui embrasse à la fois la petite poulie F, fixée à l'axe, et la poulie plus grande H que porte l'arbre prolongé d'une roue du mécanisme. On peut retarder ou accélérer à volonté la vitesse de tout le système au moyen d'une pièce fai- sant l'office de frein; elle se compose du ressort J fixé à une extrémité, tandis que l'autre reçoit la pression d'une vis à tête I qui , selon le besoin, éloigne ou rapproche le ressort de la poulie sans gorge K, montée sur l'axe d'une autre roue. La pression du ressort contre K modère ainsi la vitesse du mécanisme. Comme la tension du fil qui embrasse les poulies F et H, est exposée à subir de faibles variations, la monture L, com- posée de deux branches recourbées servant de support à l'axe F de la lentille, n'est point fixée directement au diaphragme en avant de l'ocu- laire, mais bien par l'intermédiaire d'un petit ressort recourbé G auquel cette monture est rivée; l'autre extrémité de ce ressort est vissée sur le diaphragme. Sa faible tension suffit pour que la rotation de la lentille s'efTectue avec régularité. Tome XXVIII. 2 dO DE LA SCINTILLATION. Dans mes observations, j'ai dû limiter la grandeur du cercle décrit par l'image de l'étoile, lequel augmente avec l'excentricité de la lentille, afin de conserver plus d'éclat à la courbe lumineuse et pour éviter des effets de coloration prismatique de l'image, qui se seraient manifestés aux phases de révolution de la lentille oîi les rayons eussent traversé les parties du milieu lenticulaire de courbure plus prononcée. De semblables effets doi- vent être rigoureusement évités dans les expériences sur la scintillation : aussi n' ai-je employé qu'une lentille concave de faible excentricité. Pour les observations où il serait nécessaire d'imprimer un mouvement circu- laire de grand diamètre à l'image télescopique d'un objet, la lentille ordi- naire E serait remplacée avec avantage par une lentille achromatique. Quant à la vitesse de rotation du système, il est facile de la faire varier entre des limites très-étendues, en serrant ou en lâchant le frein. Avec l'appareil que j'ai disposé, cette vitesse pourrait, au besoin, s'élever à 44 tours de la lentille par seconde; mais nous verrons qu'il n'est nullement nécessaire d'avoir recours à des vitesses aussi grandes. Le principe de cette disposition, très-simple en lui-même, est suscep- tible de s'appliquer à l'étude de différents phénomènes de persistance des impressions lumineuses sur la rétine. D'ailleurs, l'appareil une fois con- struit, peut s'adapter aisément en avant de l'oculaire d'un télescope ou d'une lunette, sans qu'il soit nécessaire de modifier la disposition préexis- tante des instruments , sauf à enlever le diaphragme antérieur contre lequel l'œil s'applique, qui se trouvera alors remplacé par celui du méca- nisme. Sirius est l'étoile scintillante qui fut l'objet des observations, en avril dernier; l'appareil fut adapté d'abord à un télescope grégorien de 0"',08 de diamètre, jouissant d'un pouvoir grossissant de 37 fois, puis à une lunette de 0'°,05 d'ouverture, de puissance moindre mais qui conserve plus d'éclat aux images. L'instrument étant dirigé vers l'étoile élevée de 14" au-dessus de l'horizon, je réglai la vitesse de rotation de la lentille pour que l'image télescopique décrivît une circonférence entière, avec cette condition que, pour une vitesse moindre, la courbe n'eût point été fermée. La circonférence se montra divisée en arcs diversement colorés, DE LA SCINTILLATION. H parmi lesquels le rouge pourpre, l'orangé, le jaune et le vert-pois étaient les mieux caractérisés. Je n'ai pas réussi à distinguer d'une manière cer- taine les teintes bleues, quoique Nicholson ait remarqué le bleu verdâtre et le bleu d'acier dans ses expériences. Toutefois, j'ai constaté l'existence d'arcs de teinte sombre, soit qu'ils fussent réellement noirs, ou qu'il y en eût d'un bleu foncé dont la nuance se distingua difficilement du bleu du ciel, qui se voyait également dans le champ de la lunette. Les couleurs perçues n'ont point paru affecter la disposition relative des couleurs du spectre; elles alternaient entre elles sans régularité. Mais j'ai la certitude que sur une même circonférence, les arcs rouges étaient plus fréquents, plus éclatants et occupaient plus d'espace que d'autres couleurs, le vert par exemple. Le jaune se manifesta aussi plus souvent que ce dernier, mais sans égaler toutefois la fréquence du rouge. Chaque couleur ne persiste point en un même lieu de la circonférence fractionnée en arcs colorés : toutes ces teintes changent incessamment de position. Il est important de montrer que, dès l'instant où la vitesse de révolution de la lentille ne dépasse pas une certaine limite de grandeur, chaque apparence de coloration ne persiste plus sensiblement en un point de l'orbite décrite par l'image sur la rétine, quand celle-ci revient au même lieu après une révolution de la lentille. En effet, M. Plateau a prouvé, par des expériences connues, que la durée totale des impressions produites sur l'œil par des objets de différentes couleurs, éclairés par la lumière du jour, était moyennement de 0",34. ^ Dans les expériences sur ' J'ai obtenu à peu près le même résultat, voici dans quelles circonstances. La lunette, munie de l'appareil décrit, ayant été dirigée vers la planète Vénus, je réglai la vitesse de rotation de la lentille de manière que l'image brillante et incolore de la planète décrivit une circonférence fer- mée : la vitesse de l'image était telle que cette dernière retrouvait en cbaque point de sa course, l'impression précédente aflaiblie au point d'être près de s'évanouir complètement; car, pour une vitesse de la lentille moindre, la circonférence eût été interrompue. Le temps d'une révolution, que je trouvai égal à 0",31 exprimait la durée totale d'une impression sur la rétine produite par l'image de Vénus dans les conditions où j'opérai. On va voir que la durée d'une révolution nécessaire pour obtenir une circonférence fermée, était supérieure aux nombres 0",54 et 0",ôl, quand elle se composait d'ares diversement colorés par la .scintillation d'une étoile; cet excédant n'infirme point les résultats précédents, obtenus au milieu de circonstances très-différentes. 12 DE LA SCir^TILLATION. l'étoile scintillante, son image revenait au même lieu de la rétine après un temps sensiblement plus long, comme on va le voir; l'impression pro- duite en un point de l'orbite était donc totalement évanouie quand l'image repassait au même lieu , après une révolution complète. Concluons de là, que chacune des teintes aperçues sur l'orbite pendant une révolution, était le résultat d'une impression complètement indépendante de la nature de l'impression produite au même lieu de l'orbite pendant la révolution précédente. Les variations de position incessantes que les arcs colorés éprouvent à chaque révolution, fortifient ces raisonnements. Mais ces déplacements continuels répandent quelque incertitude sur l'estimation exacte du nombre des teintes colorées. Voici les résultats obtenus pour l'étoile Sirius, quand elle était élevée de 14» sur l'horizon : le nombre des arcs colorés a été estimé à 50, la durée d'une révolution de la lentille excentrique étant de 0",4o. D'après ces nom- bres, les changements de couleur et d'intensité de Sirius se seraient élevés à 70 par seconde. Dans la même soirée, au moment oîi l'étoile n'était plus qu'à 5° au-dessus de l'horizon, les couleurs avaient beaucoup perdu de leur netteté, à cause de l'affaiblissement que les rayons éprouvent en tra- versant une plus grande épaisseur de l'atmosphère. Nonobstant cette dimi- nution, j'estimai à 25 le nombre des arcs colorés de l'orbite, lorsque la durée d'une révolution était de 0",41 ; d'après ces chiffres, les change- ments de l'étoile s'élevaient encore à 66 par seconde. Une vitesse de révolution de la lentille supérieure à celle indiquée, aurait pour effet de diminuer la quantité d'arcs colorés de l'orbite en augmentant leur longueur. Cette circonstance devrait faciliter, semble-t-il, l'évaluation de la quantité d'arcs, mais l'accroissement de vitesse présente l'inconvénient d'affaiblir notablement l'éclat des couleurs. Cet affaiblisse- ment résulte de ce qu'il faut un temps sensible pour qu'une impression se forme d'une manière complète sur la rétine; conséquemment les im- pressions produites par l'image de l'étoile sur son orbite, perdent une portion de leur intensité quand la vitesse absolue du point lumineux aug- mente. C'est pour la même raison qu'il convient de limiter l'excentricité de DE LA SCINTILLATION. 13 la lentille; car, d'une part, le rayon de la courbe circulaire augmentant avec l'excentricité, et de l'autre, la vitesse absolue de l'image lumineuse croissant avec ce rayon, cette vitesse suivra nécessairement les accroisse- ments de l'excentricité, la vitesse angulaire de l'image restant la même. J'ai reconnu l'inconvénient de dépasser une certaine excentricité dans mes expériences, car j'ai été obligé de remplacer une lentille par une autre moins excentrique. Le meilleur correctif de la perte d'éclat que subissent les teintes de l'orbite quand la vitesse augmente, serait sans contredit l'emploi d'une lunette à large objectif, qui réunirait ainsi un grand nombre de rayons au foyer; mais cette ressource m'a fait défaut. Je suis persuadé qu'avec des appareils plus puissants que ceux dont j'ai disposé, et qui seraient munis du mécanisme décrit, on ferait des observations intéressantes sur le nombre et la nature des changements qu'une étoile scintillante éprouve selon sa couleur propre, son élévation et l'état de l'atmosphère. Si le peu de puissance de mes instruments, joint au petit nombre de soirées favorables dont j'ai joui depuis la confection du mécanisme, ne m'a point permis de multiplier mes observations, on peut toujours induire des résultats cités que l'étoile Sirius, scintillant dans les régions infé- rieures de l'atmosphère, éprouve 60 à 70 variations d'intensité et de cou- leurs par seconde, quantité égale au double de l'estimation de Nicholson. Je dis ici, des variations d'intensité et de couleur, parce qu'il pourrait se faire que les arcs blancs et d'un jaune clair de l'orbite correspon- dissent à des phases de non-coloration, ou plutôt d'apparition de la teinte propre de Sirius; tandis que certains arcs sombres se seraient manifestés aux instants oîi l'éclat de l'étoile eût été notablement affaibli, sinon même complètement éteint. Il ne serait pas sans intérêt d'adapter le mécanisme en question à l'ocu- laire d'un héliomètre, puissante lunette dont l'objectif, coupé suivant un diamètre, donne lieu à deux images télescopiques, quand on a fait glisser ses deux moitiés suivant cette ligne de coupure. Il est évident que la rota- tion de la lentille, placée en avant de l'oculaire unique, ferait voir deux courbes égales disposées à côté l'une de l'autre. On doit présumer qu'il 14 DE LA SCINTILLATION. se présentera au même instant des différences dans l'ordre relatif des cou- leurs des deux orbites K Voici un procédé tout différent du premier, qui est également appli- cable à l'étude de la scintillation. Si l'on dispose un prisme réfringent ordinaire de manière à projeter dans la direction d'une lunette le spectre d'une étoile scintillante qu'il produit, ce spectre, notablement ampliflé, accuse d'une manière irréfragable les modifications que subissent les rayons de l'étoile, séparés les uns des autres par le prisme^. Dans les soirées où les expériences précédentes eurent lieu, je plaçai perpendiculairement au plan de l'étoile Sirius, élevée de 10" environ sur l'horizon, l'arête d'un prisme de crown-glass dont l'angle réfringent, de 45", occupait le sommet. La lunette achromatique était disposée de manière à montrer le spectre stellaire bien étalé. Les couleurs rouge, orangé, jaune, vert, bleu et violet étaient nettement caractérisées sur l'étendue d'un spectre long et étroit; les quatre premières teintes jouis- saient d'un éclat très-vif. Mais le spectre fut loin de conserver des dimen- sions et une position invariables dans son ensemble et ses parties : des allongements et des raccourcissements rapides agitèrent ses extrémités, plus fréquemment, toutefois, et sur une plus grande étendue du côté du violet. Le spectre subissait, en outre, des trépidations transversales, brusques et presque continuelles. Ces phénomènes se produisirent, soit que les obser- vations se fissent à li'avers la fenêtre ouverte d'un appartement, ou au milieu d'un jardin dans lequel j'effectuai momentanément la même dis- position d'appareil, afin de m'assurer que les effets observés ne pussent être attribués en partie au mélange des courants aériens, entrant et sor- tant par la fenêtre de l'appartement. J'ai dit que les changements étaient plus caractérisés du côté du violet : en effet, les raccourcissements presque continuels de cette partie, rapides ' Telle esl du moins la présomption de M. Arago, le premier qui ait proposé d'appliquer l'iié- liomètre à l'étude de la scintillation, dans le but de constater la dissemblance que les images de l'étoile, étalée en ruban par le fait de légères vibrations imprimées au tube de riiélioraètre, eussent manifestée. {Notice, p. 402.) - Ce moyen d'analyser les particularités de la scintillation n'a été proposé par aucun observa- teur, du moins à ma connaissance. DE LA SCINTILLATION. 15 et parfois saccadés, résultaient de la disparition du violet d'abord, puis du bleu; à ces instants, le spectre se raccourcissait de la moitié de sa longueur. Parfois, le vert et le jaune semblèrent s'élancer par traits vers le bleuet le violet, sur lesquels les premières couleurs, le vert surtout, empiétèrent sensiblement. L'extrémité rouge vacilla également vers le jaune, qui quelquefois s'étendit à son tour du côté du rouge, comme je l'observai facilement eu cachant tout le spectre, sauf le rouge, au delà du champ de la lunette. Il est à remarquer que la teinte rouge ne parut point subir d'extinction complète, et que les empiétements du jaune y furent beaucoup plus restreints que ceux du vert sur l'autre extrémité. Quelquefois aussi un trait lumineux semblait s'élancer comme un éclair sur toute l'étendue du spectre; il se montrait alors très-agité. Quand l'étoile fut descendue à 5" près de l'horizon, les couleurs, encore distinctes, avaient perdu de leur éclat : le rouge était le moins altéré. L'extrémité du bleu violet subissait des variations aussi fréquentes que précédemment, mais le jaune et le vert étaient plus stables. Très-près de l'horizon, le rouge et le vert restèi-ent les seules couleurs distinctes; les changements s'y effectuaient lentement, et la partie du spectre encore per- ceptible semblait passer successivement du rouge au vert. Le spectre de Sirius avait présenté des vacillations accompagnées de sem- blables caractères, lors d'observations de même genre effectuées au moyen du prisme, il y a quatre ans environ, au mois de février, à une heure de la soirée où l'étoile était très-élevée. L'extrémité violette fut aussi plus parti- culièrement le siège de vacillations et d'extinctions totales, et le spectre subit parfois aussi des trépidations transversales. — Les changements instantanés de couleurs sont sans contredit la par- ticularité la plus remarquable et la plus difficile à expliquer dans la scin- tillation des étoiles, observée soit à l'œil nu ou dans une lunette. L'expli- cation que j'en propose a pour base des effets de réfraction et de dispersion par l'atmosphère; il importe donc d'étudier de quelle manière la sépara- tion des rayons diversement colorés d'une étoile s'effectue dans l'air. Soient A et Z, ^3. 2, le lieu et le zénith de l'observateur; le rayon Rm arrivant en A après avoir traversé l'atmosphère, non-seulement s'est infléchi 46 DE LA SCINTILLATION. suivant une courbe mbk, mais il s'est décomposé en ses rayons consti- tutifs, diversement réfrangibles, de manière que leurs trajectoires ont traversé des lieux différents de l'atmosphère. Ce fait, rigoureusement vrai pour toute dislance zénithale autre que 0°, ne souffre d'exception que près du zénith, là où la réfraction est nulle et d'où le rayon arrive suivant ZA sans éprouver de décomposition. Le pouvoir dispersif de l'air étant très- faible, les effets de dispersion ne restent manifestes qu'à peu de degrés au-dessus de l'horizon, quand on se sert d'instruments ordinaires. La forme de la trajectoire, décrite par un rayon coloré, dépend à la fois de la distance zénithale de l'étoile et de la puissance réfractive de l'air pour ce rayon, au moment où on l'observe. Dans un travail précédent ', j'ai fait voir qu'à la température de 0" et sous la pression de 0",76, les indices de réfraction de l'air, pour le rouge moyen et le bleu extrême, sont res- pectivement 1,00029242 et 1,00029654. Le rayon bleu étant le plus réfrangible, la courbure de sa trajectoire est plus prononcée que celle du rayon rouge; aussi le premier s'écarte-t-il plus que celui-ci de la direc- tion qui serait suivie par le rayon Rm, si la puissance réfractive de l'air était nulle. D'après cela, les trajectoires des rayons bleu et rouge prove- nant du rayon Rm, ont respectivement les positions mb et mr pour les- quelles le rayon rouge se dirige au-dessus du rayon bleu. Ce dernier est donc le seul provenant de Rm qui parvienne en A, lieu de l'observateur; le rayon rouge aboutit au delà, en A'. La dispersion d'un rayon R'm', différent de R?n, mais parallèle à sa direction en dehors de l'atmosphère puisqu'il provient de la même étoile, envoie un rayon rouge en A suivant la trajectoire m'r'A. Ce rayon , dont la courbure ne diffère sensiblement de mrA' que par son transport parallèle, est le seul des rayons constitutifs de R'm' qui arrive en A; car le rayon bleu de même origine suit la direction m'b'k". Les droites kt et At', respec- tivement tangentielles en A aux trajectoires bleu et rouge, comprendront un angle tkt' égal à l'étendue angulaire du spectre stellaire visible en A. La grandeur de cet angle augmente avec la distance zénithale : j'ai fait ' Essai sur des effels-de réfraction et de dispersion par l'air atmosphérique , Mém. de l'âcad. de Bri-GiQUE , t. XXVI. DE LA SCINTILLATION. 17 voir qu'elle est successivement égale à 1", à 2", à 5" et à 29" aux dis- lances zénithales apparentes de 50, 70, 80 et 90°; c'est environ -^ de la réfraction. Les mêmes raisonnements s'appliquant aux rayons des teintes autres que le rouge et le bleu, concluons-en que, dans les conditions normales de l'atmosphère, les rayons diversement colorés provenant d'un même rayon stellaire incolore se séparent par dispersion dans l'atmosphère pour ne plus se réunir; et que les rayons émanés d'une étoile non voisine du zénith, ont traversé des régions différentes avant de parvenir à l'observa- teur. Dans les conditions ordinaires de vision d'une étoile à l'œil nu, celui- ci ne perçoit qu'un point brillant et non un spectre stellaire, parce que l'espace occupé par les couleurs sur la rétine est tellement restreint, que l'organe de la vue ne peut en opérer la séparation, et qu'il éprouve l'im- pression résultant de leur mélange, c'est-à-dire celle de la couleur propre de l'étoile. Mais si l'œil est armé d'une lunette, la longueur du spectre est amplifiée par le pouvoir grossissant de l'instrument; alors ses teintes deviennent généralement distinctes. M. Struve assure que les effets de dis- persion sont perceptibles jusqu'à 40° de hauteur quand on se sert d'instru- ments puissants. Il est actuellement important de montrer comment l'écartement des trajectoires rouge et bleue, par exemple, augmente avec l'éloignement du lieu où un spectateur le considère dans l'air. J'ai démontré, dans une note qui termine ce travail, que, si l'on représente par x l'éloignement Am {fîg. 5) du point m de la trajectoire bleue au spectateur A, par Z la distance zénithale de l'étoile observée, la longueur D de la droite me, nor- male au rayon coloré moyen ou plus simplement au rayon rouge cA, qui mesure en m la distance rectiligne des trajectoires rouge et bleue aboutis- sant à l'observateur A, a pour expression générale : / 1,00038890 (10) D = sin Z X 26",25 / 1 — cos (Z - X r:r- 10 Cette formule est mise sous la forme la plus simple, celle qui convien- ToME XXVIII. 3 18 DE LA SCINTILLATION. drait au cas où la tension de l'air serait 0'",~Q en A, et la température 0" en ce lieu et dans les couches d'air jusque la hauteur m. Si l'on applique cette formule à calculer l'écart D des trajectoires rouge et bleue provenant d'une éloile distante de 80° du zénith, et pour les dif- férents cas où l'éloignement x du point m au spectateur en A varie depuis 100 jusqu'à 10000 mètres, on obtient les résultats suivants : Valeur de ar 100" 1000" dOOOO" Valeurs de D correspondantes 0",03 0",35 3",ô Les valeurs de D étant peu influencées par la température de l'air, on est en droit de conclure que, dans une atmosphère calme, l'écart rectiligne des trajectoires rouge et bleue provenant d'une étoile éloignée à 80° du zénith, atteint 0"',60 à une distance de 1000 mètres du spectateur auquel ces rayons aboutissent. La ligne me étant la plus courte des lignes que l'on peut mener du point m à la trajectoire m'A, toute portion de sécante comprise entre les deux trajectoires, qui serait oblique à me avec la- quelle elle aurait le point m commun, dépasserait en longueur 0",50, pour une distance zénithale de l'étoile de 80° et à 1000 mètres de l'ob- servateur. Dans la réalité, chaque trajectoire colorée ne peut être considérée comme une ligne sans dimension transversale : évidemment, les rayons de même teinte qui pénètrent dans l'œil ou dans la lunette constituent un faisceau cylindrique courbe ayant pour base l'ouverture de la pupille ou de l'objectif. Représentons-nous ainsi les trajectoires curvilignes des rayons rouge, orangé, jaune, vert et bleu provenant de la dispersion des rayons d'une étoile élevée de 10° sur l'horizon, qui pénètrent dans une lunette de O'MO d'ouverture; nous concevrons cinq faisceaux cylindriques di- versement colorés, chacun de 0'*',10 de diamètre, et dont les axes mé- dians divergent dans le plan vertical de l'astre. D'après ce qui vient d'être dit, la plupart de ces faisceaux sont sensiblement séparés l'un de l'autre à 1000 mètres de distance de la lunette, puisqu'à cette dis- tance l'écart D des trajectoires médianes rouge et bleu est égal à 0"',50 au moins. Les diamètres des trois faisceaux intermédiaires, considérés dans DE LA SCINTILLATION. 19 le plan vertical de l'astre indépendamment des autres teintes, ne se tou- chent même pas à leurs extrémités en regard, attendu que la somme de ces diamètres (O'^SôO) est moindre que la portion de 1) (0'*',40), qui reste comprise entre les faisceaux rouge et bleu. Le calcul montre qu'à des distances de 2, 5, 4 et 5 mille mètres, l'écartement des trajectoires mé- dianes rouge et bleu, émanées d'une étoile élevée de 10", a respective- ment pour valeur 1",08, 1",57, 2'V16, 2", 66 : les rayons seront donc suffisamment séparés aux distances indiquées, pour qu'un phénomène ré- sultant de l'interposition d'une onde aérienne sur un des rayons colorés, se produise sans que tous les rayons voisins subissent au même instant l'interposition de la même onde, et par conséquent les effets qui en ré- sultent. Les impressions sur la rétine dues aux phénomènes que les di- vers rayons subiront successivement, et dont nous allons nous occuper, resteront ainsi généralement distinctes les unes des autres. Ces consé- quences s'appliquent également aux rayons émanés d'une étoile élevée de plus de 10° sur l'horizon; le calcul indiquerait alors à quelle distance x de l'observateur les rayons dispersés par l'air sont écartés d'une quantité donnée. Les faits tels que je viens de les exposer se passent réellement dans l'atmosphère, et leur existence est indépendante de toute hypothèse. Actuellement, quelle est la cause de l'extinction d'un rayon coloré dans certains cas d'interposition d'une onde sur sa trajectoire, extinction plus ou moins complète et qui donne lieu à la coloration des étoiles dans la scintillation? C'est ce que nous avons à établir. D'abord, quelle que soit cette cause, il faut admettre que l'œil perçoit la teinte complémentaire des rayons déficients au moment de la suspension de leur perception. Ainsi, par exemple, selon qu'un ensemble de rayons stel- laires, dont le mélange ou la superposition presque complète sur la rétine donnerait naissance à l'impression du blanc, est privé momentanément du bleu foncé ou du vert, l'œil perçoit la teinte jaune ou la rouge, couleurs respectivement complémentaires du bleu et du vert. Mais l'impression résultant de l'extinction d'un rayon, ne devient distincte sur la rétine que si la rapidité de succession des diverses teintes ne dépasse pas une cer- 20 DE LA SCINTILLATION. taine limite. J'ai montré, dans un travail précédent, que les couleurs du spectre, en se succédant au même lieu de la rétine, y produisent la sen- sation du blanc quand toutes ces teintes s'y succèdent en un temps sen- siblement moindre que 0",04. Concluons de là que, dans la scintillation, une teinte n'apparaît en un point de la rétine par défaut du rayon com- plémentaire, que si la suspension de perception de celui-ci se prolonge au delà de 0",04 de durée. Dans les circonstances ordinaires, les variations de couleur d'une étoile, observées par l'œil, se succèdent avec beaucoup moins de rapidité que celle prescrite par cette limite supérieure. Mais lors- que, par l'emploi des artifices exposés précédemment, l'image de l'étoile est amenée en des points de la rétine successivement différents, on peut dis- tinguer beaucoup de cbangements en très-peu de temps. Ainsi, quand la lentille excentrique en rotation fut adaptée à une lunette, soixante effets de coloration par seconde se distinguèrent dans la scintillation de Sirius; la durée de chacun de ces changements, et par conséquent de l'intercep- tion du rayon défaillant, ne dépassa point moyennement 0",016. Dans mon travail sur des effets de réfraction et de dispersion par l'atmosphère, j'expliquai par les phénomènes de réflexion totale ou d'angte- limite des suspensions momantanées de la perception d'objets terrestres , éclairés, que j'avais observées. Ces cas de réflexion résulteraient de l'in- terposition des ondes aériennes sur les trajectoires lumineuses, dans des conditions où de tels phénomènes pussent se produire. Le calcul indi- que, en effet, que si un rayon lumineux incolore se présente sous un angle d'incidence plus grand que 89° -48' 50" à la face d'une onde dont la température est supérieure de 5° à celle de l'air ambiant, ce rayon ne peut pénétrer dans l'onde, car il est réfléchi à la face d'incidence. La réflexion du rayon aurait également lieu par une onde plus froide de 5° que l'air ambiant, mais ce serait sur la face d'émergence que le l'ayon serait alors réfléchi, quand il s'y présenterait sous un angle égal à la grandeur citée. Parmi la multitude d'ondes interposées entre l'observa- teur et un objet dont des parties faisaient momentanément défaut à la vision lors des observations précitées, il en est évidemment qui rencon- trèrent les rayons lumineux dans les conditions d'angle-limite: il s'ensui- DE LA SCliVTILLATIO?»). 21 vit nécessairement que l'œil cessa de percevoir ces rayons pendant la durée de leurs interceptions. N'est-il point rationnel d'admettre que les trajectoires des rayons stel- laires qui traversent toute l'épaisseur de l'atmosphère, agitée par des ondes multipliées et de densités si diverses, soient les lieux d'interceptions subites dues à la cause citée? Nous avons vu précédemment qu'au delà de 1000 mètres de distance de l'observateur, les faisceaux cylindriques colorés, émanés d'une étoile éloignée du zénith, sont suffisamment séparés poui' qu'une onde ascendante qui traversai! successivement ces rayons dans les conditions d'angle-limite, pût donner lieu à des impressions sur la rétine essentiellemenl distinctes. De cette manière, l'œil doit percevoir les cou- leurs complémentaires successives des rayons interceptés, soit par le fait d'une même onde, soit, ce qui est plus probable, par celui de plusieurs ondes, au milieu de la multitude qu'ils rencontrent. Telle est l'essence de l'explication des changements de couleur dans la scintillation que je propose *. Voyons si cette théorie s'accorde avec les faits observés jusqu'à maintenant, car les détails sont la pierre de touche des théories, a dit Arago. « Les effets de réflexion totale, bases essentielles de la théorie proposée et qui la distinguent de toute autre explication, ne peuvent, en principe, être niés, même à légard d'une très-petite por- tion d'air jouissant d'un pouvoir réfringent autre que celui de l'air ambiant, à cause d'une ditle- rence de température. Les edéls de ce genre sont la source iuconteslable des phénomènes de mirage, dont l'observation révèle de plus en plus la fréquence dans l'air. Ils peuvenl résulter par- fois de très -petites différences de température des couches d'air : ainsi, Pouillet cite, dans son Traité de physique, un effet de mirage latéral observé sur le lac de Genève, qui eut pour cause la diversité de température de deux parties de l'air, dont l'une se trouvait dans l'ombre depuis long- temps, tandis que l'autre était échauffée par le soleil. On a déjà cherché à faire intervenir les effets de réflexion totale dans la production de phénomènes que présente parfois la vision des astres : ainsi, Brandès ramène à un effet de mirage le phénomène si singulier de la fluctuation des étoiles. (De lliimboldt, Cosmos, t. III , p. 293.) Comme il sera toujours difficile de prouver directement l'intervention des effets invoqués dans la scintillation, il convient de citer à l'appui les résultats de quelques expériences qui ont été effec- tuées dans des circonstances où la température s'écartait beaucoup, il est vrai, des différences que les phénomènes naturels présentent ordinairement. Un microscope solaire, muni de son miroir rédecleur et du système de lentilles ordinaire, ayant été adapté an volet d'un appartement obscur, j'interposai sur le passage des rayons solaires la cheminée en verre d'une lampe modérateur allumée; le courant des gaz fortement échauffés traver- 22 DE LA SCINTILLATION L'observation du spectre de Sirius obtenu au moyen d'un prisme, a montré que les couleurs bleue et violette sont les parties oîi des extinctions partielles et complètes se manifestent le plus souvent. Ce fait se conçoit aisément , si l'on remarque que , parmi les rayons dispersés par l'atmos- phère, les trajectoires des divers rayons bleus et violets sont en plus grand nombre que les trajectoires des autres rayons, le jaune et le rouge surtout; car, dans le spectre produit par un milieu solide ou liquide, le bleu, l'indigo et le violet occupent des espaces plus étendus que les autres couleurs, quand la lumière primitive est blanche; or tel est le cas de Sirius. Gela posé, il est évident que les chances d'interceptions partielles par phénomène de réflexion totale, ont été plus fréquentes pour les rayons violets et bleus que pour les teintes de l'extrémité opposée, puisque sait ainsi les rayons solaires divergeant vers un écran où ils s'étalaient en cercle. Quand le courant s'éleva tranquillement, ses bords extérieurs se dessinèrent sur l'écran, suivant toute leur hauteur, avec plus d'éclat que les parties voisines, et surtout que la partie intérieure du courant contiguë à ses bords, laquelle était plus sombre que la portion centrale. L'accroissement d'éclat à l'extérieur du courant, projeté sur l'écran, s'explique par la réflexion totale des rayons lumineux qui arri- vaient presque taugentiellement aux bords du cylindre d'air échauffé sortant du tube, et par conséquent, sous une inclinaison égale ou supérieure à l'angle extrême de pénétration possible des rayons lumineux de l'air ambiant dans les gaz chauds. De ce fait résultaient lout à la fois un éclat prononcé près des bords extérieurs du cylindre, lieux de la réunion sur l'écran des rayons réfléchis par angle-limite, et un obscurcissement sensible à l'intérieur de ces mêmes bords, là où ces rayons faisaient défaut. Les bords de la flamme projetée sur l'écran se montrent avec un éclat excessivement vif quand , après avoir enlevé le verre, on détourne la flamme en la soufflant au chalumeau : si le dard est dirigé dnns un plan perpendiculaire à l'écran, les parties latérales de son profd sur celui-ci sont chacune bordées d'une zone extérieure très-brillante, même comparativement aux parties de l'écran environnantes, très-éclairées. Ces zones se montrent d'autant plus brillantes que l'on soiiflle plus fort, et que la direction du dard se rapproche de la normale à l'écran. L'intérieur du profil du dard paraît plus sombre, sauf un trait brillant et effilé s'éiançant du point où est percé le trou du bec. L'explication de ces faits repose, comme celle qui précède, sur les eff'ets de réflexion totale pro- duits près (les bords du dard fortement éthaiiffé. Mais on pourrait objecter à celte explication que l'accroissement d'éclat près des bords extérieurs résulte, non de la réunion de rayons réfléchis par suite de ces effets, mais bien de l'empiétement des rayons qui, au sortir d'un milieu gazeux forte- ment échauffé, ont dû acquérir une divergence plus forte que celles qu'ils avaient avant de tra- verser ce milieu. Cette objection se fonderait sur ce qu'une masse d'air chaud terminée par des limites de forme convexe, doit jouer, dans l'air atmosphérique, le rôle de milieu divergent à l'égard des rayons qui la traversent. L'éclat extrêmement vif des zones extérieures au dard ne me permet point de l'attribuer au pouvoir divergent du milieu échauffé. D'ailleurs, le calcul m'a démontré que DE LA SCINTILLATION. 25 les premiers, plus nombreux dans la dispersion par Tatmosphère, se trou- vèrent, avant d'atteindre le prisme, dans des conditions à rencontrer plus d'ondes aériennes que les trajectoires constitutives du jaune et du rouge. Ajoutons aussi que la rélrangibilité par l'air étant sensiblement moin- dre pour les rayons rouges et jaunes que pour les bleus et les violets, les premiers doivent échapper parfois à certains effets d'angle-liraite, et les seconds, au contraire, se trouver plus tôt dans les conditions de ces effets. Ces raisons nous font ainsi comprendre pourquoi le bleu et le violet du spectre de Sirius, produits par un prisme et observés dans une lunette, ont présenté des raccourcissements plus fréquents et sur une plus grande étendue que les variations semblables des autres couleurs. l'accroissement de divergence acquise par les rayons en traversant celui-ci, élait tellement faible nu'arrivé à l'écran , un de ces rayons ne devait s'écarter exlérieurenient ;i l'image du dard que d'une fraction de millimètre par rapport au point où il eût atteint l'écran , s'il n'avait subi aucun accrois- sement de divergence en traversant la masse du dard fortement échauffée. (Les bases de ce calcul ont été les distances respectives de l'écran et du dard au foyer de la lentille du microscope, som- met du cône des rayons lumineux; puis les dimensions transversales du dard considéré comme un milieu de forme lenticulaire convexe, mais entièrement vide d'air et, par conséquent, jouissant des propriétés divergentes). Dans les observations faites avec le chalumeau, les zones extérieures au dard, excessivement brillantes, avaient plusieurs millimètres de largeur; elles ne sont donc point le résultat de divergences, mais bien des effets de réflexion totale qui, en se produisant presque tangentiellement au bord du dard, devient les rayons de manière à satisfaire aux obser- vations. Quand la flamme est soufflée horizontalement et parallèlement à l'écran, la zone brillante se dessine à son bord inférieur seulement; mais il n'y a ni accroissement, ni diminution d'éclat à son bord supérieur. Cela s'explique facilement : la partie supérieure du dard n'a point ses limites nettement tranchées avec l'air froid ambiant comme le bord inférieur, et cela à cause du courant de gaz échaufTés qui, en s'élevant verticalement du dard lui-même, ne permet pas que sa partie supérieure soit le lieu des effets de réflexion totale sur les rayons qui traversent le courant ascen- dant, au voisinage de cette portion supérieure. La lampe étant munie de son verre, si le courant est troublé au-dessus de celui-ci soit par un souffle de vent, soit par l'agitation de l'air avec la main, il se produit à l'instant sur l'écran des ondulations brillantes, entremêlées d'ondulations obscures, même comparativement à la partie de l'écran tranquillement éclairée. Ces aff'aihlissements d'éclat ont pour origine les interceptions des rayons solaires, réfléchis par effets d'angle-limite à la surface de certaines ondes, parmi la multitude d'ondes auxquelles donne lieu le mélange de l'air froid lancé dans le courant des gaz échauffés. Les rayons réfléchis de cette manière dessinent sur l'écran des ondulations et des sinuo- sités plus éclatantes. 24 DE LA SCINTILLATION Il n'esl pas hors de propos de remarquer que la diminution d'éclat des rayons bleu et violet d'un spectre stellaire, peut paraître plus prononcé à une certaine distance zénithale de l'étoile; car le pouvoir absorbant de l'air augmente plus rapidement pour ces rayons que pour le rouge par exemple, à mesure que l'épaisseur de la masse d'air traversé augmente. C'est pour cette raison que le rouge et le vert prédominèrent dans le spectre de Sirius, quand cette étoile s'approcha de l'horizon. Les rayons foncés du spectre subissant les modifications les plus fré- quentes, on s'explique comment dans les observations à l'aide de l'appareil avec lentille excentrique en rotation adapté à la lunette, les couleurs de l'autre extrémité du spectre aient paru prédominer en nombre. Du reste, rien ne peut être spécifié d'une manière absolue sur la cause de la fré- quence relative ou de l'éclat de certaines couleurs dans la scintillation ; car le plus souvent il doit arriver que plusieurs couleurs de l'étoile font simultanément défaut; alors la teinte perçue est la résultante du mélange des rayons qui parviennent à l'œil. Ce point touche à une question scien- tifique intéressante qui n'est pas encore complètement éclaircie. Un fait important, c'est qu'un faisceau coloré ne doit pas être néces- sairement intercepté en totalité pour que sa couleur complémentaire de- vienne sensible à l'œil. M. Arago a prouvé que , dans les phénomènes d'interférence ordinaires, il sufiit de la destruction du vingtième d'un fais- ceau, pour que l'endroit oii la totalité des rayons se serait réunie, paraisse sensiblement coloré '. Le même fait a lieu bien certainement si un ving- tième de l'un ou l'autre rayon fait défaut par toute autre cause que par phénomènes d'interférence. Ainsi donc, l'image d'une étoile se montrera sensiblement colorée en rouge dans la scintillation, quand yô ^^^ rayons verts, complémentaires du rouge, seront interceptés par effet de réflexion totale à la face d'une onde. Nicholson a signalé cet autre fait : Si l'oculaire d'une lunette achromati- que dirigée vers une étoile scintillante, est poussé hors du foyer, son image se transforme en un disque irrégulier d'un diamètre plus ou moins grand, ' Notice . p. 424. DE LA SCINTILLATION 25 selon la position de l'oculaire; le disque circulaire devient alors le lieu d'un genre de vacillation tel, que l'on croirait voir, dit Nicholson, un certain nombre de disques de couleurs diiférentes passer successivement les uns devant les autres. L'ilhimmalion, ajoute-t-il, paraît venir de divers côtés. Celte circonstance sur laquelle M. Arago appuie d'une façon toute particulière dans sa Notice (p. 378), m'avait aussi frappé, quand j'eus vu l'apparition de chaque couleur se faire non instantanément sur toute l'étendue du disque élargi, mais à des intervalles de temps distincts, aux diverses parties de celui-ci. Le disque est ainsi le lieu d'un travail continuel qui résulte des successions rapides et partielles de toutes ces touleurs. Cette variété d'effets s'explique facilement en concevant que, lors de l'in- terception de la moitié du faisceau cylindrique des rayons verts de droite, par exemple, qui tombent sur l'objectif, la partie du disque élargi corres- pondant à cette moitié, devient aussitôt le lieu d'une coloration en rouge complémentaire, qui persiste pendant la courte durée de l'interception de la fraction des rayons verts. La théorie exposée fait naître une objection que je dois réfuter. Parmi les nombreuses réflexions des rayons stellaires opérées dans l'atmosphère et dues à la cause invoquée, n'en est-il point qui s'effectuent dans des conditions capables d'amener incidemment vers l'œil de l'observateur des rayons qui n'étaient point destinés à y entrer, ce qui donnerait lieu pour lui à une seconde image d'une étoile dans une direction différente de celle où il voit son image vraie? Supposons une onde réfléchissant par effet d'angle-limite des rayons dans la direction de l'observateur : les circon- stances où ces rayons seraient aptes à former une image nette dans l'œil doivent être excessivement rares, à cause de la courbure que les faces- limites des ondes présentent généralement. Cette courbure étant le plus souvent très-irrégulière, elle aura pour effet d'éparpiller aussi très-irrégu- lièrement les rayons, qui ne pourront alors exciter dans l'œil aucune image perceptible. On doit, à plus forte raison, conclure de là qu'il est de toute impossibilité que l'observateur reçoive une image formée par seconde réflexion des rayons qui en auraient déjà subi une première K 1 Pour plus de dévelonpenients sur cette objection, voir à la fin l'addition faite au mémoire. Tome XXVIIl. 4 26 DE LA SCINTILLATION. Passons actuellement à un autre point important. La théorie de la scin- tillation par effet de réflexion totale, ne conduit-elle point forcément à admettre qu'un déplacement plus ou moins étendu de l'image de l'étoile doit accompagner, généralement, les phénomènes de la scintillation? Si cette conséquence est inévitable, comment la concilier avec l'assertion de M. Arago dans sa Notice, où il dit textuellement que la scintillation n'est point accompagnée d'un mouvement ondulatoire de l'étoile? La persuasion que la théorie proposée triomphera de cette objection , m'engage à examiner avec détails le point de discussion soulevé. Si l'assertion contraire à une connexion entre la scintillation et les oscillations des étoiles, est positivement énoncée à certains passages de la Notice, aux pages 488 et 494 par exemple, il n'en est pas de même en d'autres endroits. Ainsi M. Arago cite des altérations considérables du diamètre apparent des astres ' , phénomène secondaire de la scintillation d'après lui, qui cependant est, à mes yeux, inévitablement un résultat d'une variation dans la réfraction. De plus, ce savant fait concourir le genre d'ondulations des étoiles dans les lunettes, appelé par lui mouve- menl d'anguille, à la production de phénomènes d'interférence et de colo- ration de l'image de l'étoile 2. D'autre part, M. Biot dit textuellement, dans son traité A' Astronomie plnjsique, que l'on voit presque toujours les images des étoiles, même voisines du pôle, agitées de petits mouvements ondulatoires dans les lunettes. Un travail récent sur la transparence de l'atmosphère du P. Antonelli cite ce fait : « Quand la vision nette et dis- >> tincte d'un objet semble prouver une grande pureté d'atmosphère , il » arrive assez souvent qu'un tremblement considérable ou .un soubresaut » imprévu de l'astre observé rendent impossible une bonne observation » astronomique ^. » Carlini a remarqué plusieurs fois des oscillations de 10 à 12" d'amplitude de la polaire, lofs de son passage dans la lunette méridienne à fort grossissement de l'observatoire de Milan *. * Page 365. 2 Page 427. 5 Journal Le Cosmos, t. V, p. 93. * De Humboldt, Cosmos, t. III, p. 293. Des oscillations aussi grandes s'expliqueraient très- DE LA SCINTILLATION. 27 Mais la réalité des mouvements ondulatoires des éloiles en divers sens, pendant les phases de la scintillation, est incontestablement mise hors de doute par les trépidations transversales du spectre de Sirius, obtenu à l'aide d'un prisme et observé dans une lunette, comme il a été indiqué plus haut. Les trépidations de l'ensemble du spectre ou de ses parties sont nettement accusées : quand les trépidations totales se succèdent rapide- ment, l'image s'affaiblit entre les limites de ses déplacements pour re- prendre plus d'éclat à ces limites mêmes, là où la vitesse ondulatoire devient nulle pendant un intervalle de temps très-court. Ces trépidations sont déterminées par le passage des ondes à une distance, en avant du prisme, où les trajectoires des divers rayons, dispersés par l'air, se trou- vent sensiblement réunies. 3Iais si les ondes traversent l'une des trajectoires seulement, n'importe à quelle distance, la teinte du spectre produite par cette trajectoire éprouve seule des trépidations en ce moment. Dans l'un et l'autre cas, ces ondes s'interposent évidemment dans des conditions incompatibles avec les effets de réflexion totale. Les mouvements des couleurs du spectre dans la direction longitudi- nale résultent en partie de trépidations dans ce sens; mais je ne puis ad- mettre que les empiétements apparents et rapides de certaines couleurs sur celles qui leur sont contiguës, soient, en toute leur étendue, les résultats de déviations que subiraient isolément les trajectoires des couleurs qui accusent ces mouvements. S'il en était autrement, il faudrait concéder un pouvoir de déviation à la masse d'une onde qui s'élèverait à plusieurs mi- nutes de degré, pour expliquer l'amplitude des éclairs rapides que parfois le jaune et le vert lancent instantanément du côté du bleu ^ bien parla déviation qu'auraient subie des rayons de la polaire en rasant momentanément, et sous des angles de 5 à 6", la convexité d'une onde qui eût réfléchi ces rayons par effet de réflexion totale : les rayons auraient dans ce cas pénétré dans la lunette avec une déviation égale au double de 5 à 6". Cette explication est très-admissible, si l'on se refuse à accorder à des ondes, élevées dans l'atmosphère, une puissance déviatrice de 12" sur les rayons qui peuvent les traverser. ' On trouve par le calcul , que si une déviation devait déplacer le rayon jaune d'une quantité égale à la distance des raies E et F du spectre produit par le crown-glass, qui sont, la première près de la limite du jaune et du vert, la seconde au milieu de cette dernière teinte, il faudrait que la déviation du rayon jaune s'élevût à 7' avant qu'il ne pénétrât dans le prisme, les autres rayons restant immobiles. 28 DE LA SCINTILLATIOIN. L'observation et la théorie s'accordent pour montrer que, le soir, l'inter- position des ondes ne peut donner lieu qu'à de très-faibles déviations des rayons d'une étoile, observée dans une lunette de la manière ordinaire '. Mais il ne suit point de là que les effets de réllexion totale soient impos- sibles avec des ondes peu capables d'imprimer de fortes déviations. En effet, la grandeur d'une ondulation dépend à la fois de l'incidence du i-ayon à la face de l'onde, de la différence des températures de celle-ci et de l'air ambiant, et, enfin, de l'inclinaison des plans tangents aux faces d'incidence et d'émergence de l'onde. Or, la réflexion totale est entière- ment indépendante de ce dernier élément, qui influe sensiblement sur l'amplitude de la déviation. Il doit même arriver assez souvent que la réflexion d'un rayon s'effectue là où il n'éprouverait pas de déviation sen- sible, s'il lui était facultatif de traverser l'onde; cela se produit quand le rayon stellaire est intercepté par une onde pour laquelle il y a sensible- ment parallélisme des plans tangents à la face d'incidence et à la face opposée de l'onde. J'ai démontré, dans le mémoire déjà cité, qu'un rayon * Les plus fortes ondulations que j'aie observées au plein de la chaleur du jour, s'élèvent à 23" pour les objets terrestres. J'ai démontré (Mém. sur des effeU de réfrac, et dispcr. par l'air atmo- sphérique) que la grandeur du déplacement produit par une onde, tontes choses égales d'ailleurs, dépend de ses positions par rapport h l'obseivateur et au point d'émanation du rayon. Si l'on dé- signe par d' et d les dislances respectives de l'onde à ces points, par y l'amplitude de la déviation vraie que le pouvoir réfringent de l'onde fait subir au rayon, et enfin para? cette même amplitude si le rayon, émané de l'infini, traversait l'onde dans des mêmes conditions, on a entre a: et j/ la relation : d y = X d -t- d' Dans le cas des observations citées , le rapport équivaut à \^ : concluons de ce chiffre et du maximum y = 25" que, si le rayon eût émané de l'infini, la déviation a; subie par l'interposi- tion de la même onde aurait dépassé de -^^ seulement l'ondulation maximum 25", mesurée pour les objets terrestres. Ainsi une étoile observée près de l'horizon et au travers des mêmes ondes que ces objets, eût éprouvé des ondulations de 27" d'amplitude. Dans les après-midi et vers les soirées où je fis d'autres observations, les ondulations des objets terrestres près de l'horizon ont générale- ment paru tellement restreintes, qu'elles échappe rent à des mesures microméliques, quoiqu'elles fussent encore perceptibles. Il n'est donc point surprenant que les ondulations des étoiles, qui surpassent très-peu celles des objets terrestres, aient généralement une faible amplitude, même près de l'horizon. DE LA SCINTILLATION. 29 émané de l'infini, ce qui peut être considéré comme étant le cas pour un rayon slellaire, ne subit point de déviation angulaire en traversant un milieu limité par des faces parallèles. Si donc un rayon stellaire traverse, même sous une forte inclinaison, une partie d'onde offrant la condition du parallélisme des plans tangents sensiblement satisfaite, il n'éprouvera pas de déviation; et si, dans le mouvement propre de l'onde, l'inclinaison de la face d'incidence par rap- port au rayon augmente au point d'amener l'effet de réflexion totale, le rayon sera subitement intercepté, et un phénomène de scintillation se pro- duira pour l'œil sans déplacement sensible de l'image de l'étoile. Du reste, un faible mouvement de l'étoile pourrait parfois accompagner la scintillation et échapper à l'observateur, en vertu de causes secondaires. On sait, en ellet, que l'image d'une étoile occupe sur la rétine un espace beaucoup plus grand que ne le comporte son diamètre vrai , car les in- struments d'optique les plus parfaits donnent encore aux étoiles des dia- mètres factices. Enfin la vision non précise d'une étoile est augmentée par les rayons qui, à l'œil nu surtout, émanent des étoiles brillantes et con- stituent des espèces de queues dont le nombre, la position et la longueur varient pour chaque observateur. C'est ici le lieu de faire remarquer que ces rayons divergents, dont la cause réside dans l'œil et non dans le corps lumineux ', participent aux variations d'éclat et de couleurs des étoiles scintillantes, et contribuent ainsi à augmenter beaucoup les caractères de la scintillation. Voici un phénomène dont les particularités prêtent un puissant appui à la théorie proposée. J'ai observé que le sommet d'une montagne éclairé par la lune et élevé de 2° environ sur l'horizon, qui faisait saillie sur la partie du disque faiblement entamée par l'approche du second quartier, se colora momentanément en rouge pourpre, puis passa au bleu; mais, à l'instant de ce dernier changement, sa saillie sur le disque s'accrut sensiblement. Le point revint bientôt à la première position où il reprit la couleur rouge: il ne tarda pas à l'échanger contre la coloration en bleu, qui se montra de ' NoUce, p. 491. 30 DE LA SCINTILLATION. nouveau accompagnée d'un exhaussement de la sommité. Ces changements de couleurs se succédèrent pendant quelque temps, toujours accompagnés des mêmes mouvements ondulatoires. La compréhension de la cause de ces variations sera beaucoup facilitée par la connaissance du fait suivant. Lorsqu'un spectre stellaire est très- reslreint, les couleurs d'une extrémité deviennent beaucoup plus distinctes quand celles de l'autre n'arrivent pas sur la rétine. Ainsi, dernièrement, j'observai la planète Vénus, par un ciel serein , un peu avant son coucher : ses arcs supérieur et inférieur étaient colorés l'un en bleu et l'autre en rouge, par eflet de dispersion atmosphérique, visible dans la lunette; le milieu du disque, entamé par les phases de la planète, était complètement incolore. La partie rouge du disque ayant été fortuitement cachée au delà du champ du télescope, la teinte bleue, encore visible, acquit aussitôt une intensité et une extension notables sur la portion du disque planétaire non cachée. Mais celte partie redevenait incolore aussitôt que la teinte rouge était mise à découvert. Ce fait étant constaté, la sommité brillante de la lune en question est réellement le lieu d'un spectre très-restreint, dû à la dispersion atmosphé- rique, et dont les teintes, trop rapprochées les unes des autres dans les con- ditions de vision normale, ne sont pas distinctes quand leurs impressions se produisent en des points de la rétine très-voisins : alors celle-ci éprouve nécessairement l'impression de la couleur blanche, qui est la teinte résul- tant du mélange des couleurs primitives. Si, actuellement, nous admet- tons qu'une ou plusieurs ondes aériennes interceptent à la fois, par effet de réflexion totale, les trajectoires bleue et violette, les couleurs de l'autre extrémité du spectre prédomineront, et parmi elles le rouge, qui est à la fois la teinte la plus vive et celle à laquelle l'air livre le plus facilement passage, surtout dans les couches inférieures. A cet instant, la sommité dut donc paraître colorée en rouge plus ou moins prononcé. Mais, au moment suivant, l'interception ayant eu lieu principalement pour les autres rayons colorés, par le fait des mêmes ondes ou d'ondes différentes, les trajectoires de la partie foncée du spectre furent alors les seules qui par- vinssent à l'œil, où leur mélange donna lieu à une teinte dans laquelle le DE LA SCINTILLATION. 31 bleu prédomina. Comme les trajectoires de la partie foncée d'un spectre, produit par dispersion atmosphérique, sont disposées au-dessus des rayons de l'autre partie, la sommité du disque lunaire dut infailliblement paraître plus élevée quand elle se revêtit de la teinte bleue qu'au moment où elle se colora en rose ^ II a pu se faire que la sommité ait passé par d'autres teintes intermédiaires aux premières, qui m'ont échappé à cause de leur faible intensité. J'ajouterai que le passage du rouge au bleu ne s'est point effectué brusquement, mais graduellement, quoique dans un court inter- valle de temps. Ce phénomène oîi les ondes aériennes firent l'office d'écrans successi- vement sur les différentes trajectoires colorées, et qui semble montrer sous son véritable jour la cause des changements de couleurs des étoiles dans la scintillation, a été observé plusieurs fois : ainsi, un autre soir, des teintes successivement rouges et bleues, également combinées avec des mouvements ondulatoires bien caractérisés, parurent sur les arêtes * Afin que le lecteur puisse suppléer aux détails sur la succession des couleurs, que je crois devoir omettre dans l'explication générale ci-dessus, je rapporterai un tableau où sont exposées les couleurs résultant du mélange, deux ù deux, de cinq couleurs du spectre, tableau qui a été extrait du tome il du journal Le Cosmos , où il termine un exposé des expériences intéressantes de M. Helmholtz sur les couleurs composées. Le lecteur reconnaîtra que, d'une part, le rouge, le rose, l'orangé, et de l'autre, le bleu et les teintes qui dérivent de cette couleur, sont les nuances les plus fréquentes. Dans ce tableau, la couleur résultante est ù la ligne d'intersection des deux lignes borizontale et verticale, où sont indiquées les couleurs composantes. Quelques-uns de ces résultats contredisent les idées reçues. Violet. Bleu. Vert. Jaune. Rouge. Rouge. Poorpre. Rose. Jaune mat. Orange. Rouge. Jaune. Rose. Blanc. Jaune verdâire. Jaune. Vert. ttlca p&le. Dieu vcrdàlre. Vert. Blea. Blen-lodigo. Bleu. Violet. Violet. 32 DE LA SCINTILLATION. du contour de cratères lunaires observés dans le télescope, qui recevaient obliquement la lumière près de la partie supérieure du disque, entamé par l'approche d'un quartier. Jusqu'à présent, je ne me suis attaché qu'aux variations de couleurs des étoiles, phénomène le plus difficile à expliquer dans la scintillation; car toute théorie basée sur des inégalités de réfraction, envisagées comme on le fait ordinairement, ne trouve guère d'obstacle dans l'explication des variations brusques de l'éclat des étoiles scintillantes. Dans la théorie proposée, ces extinctions plus ou moins complètes, suivies de réappari- tions d'éclat d'une certaine vivacité, s'expliquent très-facilement par les effets de réflexion totale. En effet, admettons qu'une ou plusieurs ondes s'interposent simultanément avec les conditions voulues pour ceux-ci , dans la partie des trajectoires comprise entre l'observateur et le lieu où elles sont sensiblement séparées; il y aura interception de la majeure partie, sinon de la totalité des trajectoires peu dispersées en ce lieu; l'image de l'étoile éprouvera, à cet instant, une extinction momentanée, pour repa- raître avec tout son éclat lorsque l'onde aura traversé la totalité du fais- ceau des rayons réunis. L'affaiblissement d'éclat passager d'une étoile et son retour à sa puis- sance ordinaire sont, tout autant que ses changements de couleurs, plus forts dans la réalité qu'ils ne le paraissent à l'œil nu, comme le fait remar- quer M. de Humboldt S à cause des effets de la persistance des impres- sions lumineuses qui se superposent sur la rétine. Mais il ne faut point oublier que les apparences de la scintillation, et particulièrement l'impres- sion résultant pour l'œil des pertes et des accroissements d'éclat succes- sifs de l'étoile, doivent être notablement accrus par les extensions et les contractions intermittentes de la couronne de rayons qui divergent, sur une étendue de S à 6', à partir de l'image de l'étoile, vue à l'œil nu. Ces rayons parasites, d'après Hassenfratz, ne seraient rien autre que les caus- tiques du cristallin formées par les rayons réfractés. Ils doivent évidem- ment éprouver les effets des variations d'intensité et de couleurs des images ' Cosmos, t. III , p. 79. DE LA SCINTILLATION. 33 stellaires, si toutefois les rayons qui forment chacune de ces caustiques, subissent simultanément les mêmes effets. La scintillation a pour eifet nécessaire, comme le remarque M. Arago, d'afl'aiblir l'intensité des images des étoiles. « C'est très-rarement, dit-il, » que ces astres s'aperçoivent avec leur éclat intrinsèque. Des étoiles qu'on » a rangées dans la sixième grandeur, parce que de temps en temps elles » sont visibles à l'œil nu, peuvent donc disparaître habituellement. Une » étoile qui aurait été classée dans la septième grandeur, parce qu'elle » serait ordinairement invisible, peut, quand le phénomène de la scintil- » lation cesse tout à fait pour elle, devenir perceptible, flooke s'est assuré » que les choses se passent comme je viens de le dire, relativement à » certaines étoiles de sixième et de septième grandeur. » En lisant ce passage de la Notice ', je me suis demandé si ce n'est point de là que dérive la cause principale de la visibilité instantanée de nombreuses petites étoiles qu'on ne distingue aisément qu'avec des lunettes, et qui apparaissent par moments, tantôt ici, tantôt là, dans les nuits des climats tempérés, fa- vorables à la scintillation? Il n'y aurait, en réalité, dans les variations d'éclat de ces étoiles scintillantes que des phases de renforcements de lumière plutôt relatifs qu'absolus. Ils résulteraient de la cessation momen- tanée des causes qui , dans l'état général de l'atmosphère, tendent à dimi- nuer l'intensité des rayons : on peut citer parmi elles les effets d'angle-limite de durée excessivement courte, puis l'affaiblissement que subit infaillible- ment tout rayon en traversant une multitude d'ondes aériennes de densités différentes, et dont aucune ne se trouve dans les conditions de réflexion totale par rapport à lui. 11 n'est pas inutile de rappeler ici , que l'œil jouit à un haut degré de la faculté d'apprécier de petites différences d'intensité que subissent des impressions lumineuses, même quand ces variations, réitérées à des inter- valles rapprochés, persistent pendant des instants très-courts. Plusieurs faits prouvent incontestablement cette faculté de l'organe visuel. D'après ]M. Arago , l'œil cesserait de percevoir des différences d'intensité de ~ dans l'état de repos ' ; mais , quand les impressions , variables en intensité, ' ^Islronomie populaire , t. I, p. 194. Tome XXVill. S 34 DE LA SCIISÏILLATION. sont accompagnées de changements de lieu sur la rétine, la limite de per- ceptibilité des variations descend au-dessous de -^. Uooke, astronome anglais, s'est assuré que des petites étoiles scintil- lent sans variations de couleurs. Des observations récentes faites par M. (joujon, à la demande de M. Arago, ont montré que l'image d'une étoile scintillante de septième grandeur se développe en ruban sans laisser de trace de coloration dans l'expérience de la lunette vibrante; tandis que le même observateur vit encore des traces de couleurs en opérant de cette façon pour une étoile de sixième grandeur ^. De mon côté, j'ai observé des phases d'affaiblissement et d'extinction rapides de la part des satellites de Jupiter, mais sans aucune apparence de coloration. Or. d'après M. de Humboldt, le troisième satellite , le plus brillant des quatre, est tout au plus de la cinquième ou de la sixième grandeur; et les autres, qui ont une lumière variable, oscillent entre le sixième et le septième ordre d'éclat. Notons qu'au moment de mes observations, les satellites de Jupiter et les bords de la planète, peu élevée sur l'horizon, éprouvaient de petites ondulations. On doit, me paraît-il , attribuer au faible éclat des étoiles de septième grandeur l'absence des phénomènes de coloration , malgré la visibilité des changements d'intensité dans leur scintillation. Remarquons d'abord que cet ordre est réellement le terme de démarcation entre les étoiles visibles à l'œil nu et les télescopiques -. La différence d'éclat des étoiles de première et de septième grandeur est considérable. John Herschell regarde celles du sixième ordre comme possédant ^^ï ^^ l'éclat de Sirius^, la plus brillante du firmament : l'intensité d'une étoile de sep- tième grandeur descend donc au-dessous de cette faible quantité. Cela posé, il faut encore admettre que les rayons constitutifs de la lumière d'une de ces étoiles, supposée parfaitement blanche, sont doués de pouvoirs éclairants excessivement faibles. A la vérité, on n'a point fait d'expérience pour déterminer les éclats relatifs des différentes teintes de ' Notice, pp. 583 et 384. - Arago, Astroriuin. populaire, t. I, p. 330. ^ 1(1., p. 360. DE LA SCINTILLATION. 35 spectres stellaires, mais on a opéré cette détermination sur les couleurs du spectre solaire. Ainsi, pour ne citer qu'un rayon, le bleu, Frauenhoffer a évalué son pouvoir éclairant à 0,17, le pouvoir du jaune étant pris pour unité ^ Comparé au pouvoir éclairant du blanc pur, ce rapport per- drait encore de sa valeur. On conçoit, d'après ces résultats, combien est faible le pouvoir éclairant de chaque rayon constitutif de la lumière d'une étoile de septième grandeur, et que la plupart, pris isolément ou réunis à quelques-uns, sont incapables de produire de sensation perceptible sur la rétine. Aussi la scintillation d'une de ces étoiles doit-elle se résumer en une extinction d'éclat, même dans les phases où, en réalité, il y a varia- tion de couleur. Il dut en être de même, à plus forte raison, dans l'expé- rience de M. Goujon, où le développement en ruban de l'image de toute étoile scintillante affaiblit notablement l'intensité propre de chaque phase lumineuse de la scintillation, comme j'ai eu occasion de le dire à l'égard de Sirius. La généralité des observateurs, qui ont traité de la scintillation, disent que les étoiles scintillent d'autant plus qu'elles sont plus rapprochées de l'horizon ^. « Cela est vrai, ajoute M. Arago à ce sujet, en ce sens que le phénomène est plus facilement observable près de l'horizon qu'à certaines hauteurs. Hooke a fait cette observation, remarquable par sa finesse, que la scintillation près de l'horizon n'est pas à beaucoup près aussi rapide , aussi soudaine dans le passage d'un état de l'étoile à l'état suivant, que dans la scintillation des étoiles situées près du zénith ^. » Je ferai remarquer que cette observation de Hooke n'est point en contradiction avec l'opinion générale d'après laquelle les changements d'intensité ou de couleurs sont plus fréquents dans les régions inférieures de l'air; elle signifie que chacun d'eux s'effectue en un temps plus court dans les hautes régions que près de l'horizon. * Traité de physique , par Becquerel , t. II, p. 315. - M. de Huniboldt a constaté qu'à Cumana et dans la partie péruvienne du littoral de l'océan Pacifique, les étoiles les plus brillantes cessent de scintiller moyennement vers 10 à 12° de hau- teur. {Cosmos, t. III, p. 83.) ^ Notice, p. 401 . 36 DE LA SCINTILLATION. Dans ma théorie, deux faits rendent compte des variations de la scin- tillation avec l'élévation de l'étoile : c'est d'abord l'accroissement d'épais- seur de la masse d'air, traversée par les rayons colorés, avec l'abaisse- ment de l'étoile vers l'horizon, circonstance qui augmente évidemment les chances d'interception des rayons lumineux par les ondes aériennes, dont le nombre doit être plus grand au voisinage de l'horizon. En second lieu , l'écartement des trajectoires colorées étant variable avec la hauteur de l'étoile, les ondes aériennes traversent en un temps plus ou moins court un faisceau ou l'ensemble des trajectoires, ce qui tend à modifier la rapi- dité et la fréquence des phases de la scintillation, comme je vais le faire voir par quelques détails. La valeur de D dans l'équation (10) de la note, exprime l'écartement des rayons rouge et bleu ou la longueur de la normale cm (fig. 5). (^)uoi- que D soit la mesure réelle de cet écartement, j'ai formé également, dans l'équation (6) , l'expression d de la distance nnn' de deux points des mêmes trajectoires, prise sur la verticale mo , et dans l'équation (9), l'expression d' de la distance bm de deux points de ces trajectoires mesu- rée dans une couche d'air concentrique au centre terrestre; la distance bm ou d' est ainsi de direction horizontale. C'est suivant bm qu'il est le plus important d'évaluer la séparation des trajectoires, car, d'après toute pro- babilité, la direction horizontale est le sens le plus fréquent du mouve- ment de transport des ondes et , par conséquent, celui suivant lequel s'opère le plus souvent l'interception des rayons. Cette probabilité repose sur ce que l'influence du vent et des faibles courants d'air, qui régnent pendant la nuit à certaine hauteur au-dessus du sol, doit donner lieu à une composition de leurs vitesses propres avec la vitesse ascendante ou descendante des ondes ; et comme probablement celle-ci est générale- ment faible par rapport à la vitesse des courants aériens, la direction du mouvement absolu des ondes et le sens de leur passage à travers les tra- jectoires doivent s'effectuer, le plus souvent, dans une direction presque horizontale. La dislance mb des trajectoires a pour expression : DE LA SCINTILLATIOIN. 37 sin Z ^„ ,. /. 1,00058890 (9) rf' = X26v25/1 COS V \ _JI^ 18393 10 Dans celte équalion , qui n'est rigoureusement applicable que jusqu'à 80" de distance zénithale, Z et v expriment respectivement les distances zénithales apparentes, observées en A et en m (fig. 3) pour une même étoile; y représente la hauteur verticale mo au-dessus du sol de la couche d'air où bm est mesurée. La réfraction astronomique étant un peu plus forte en A, à la surface du sol, que dans la couche mb, au même instant d'observation, la distance zénithale v surpasse un peu la grandeur de Z, mesurée en A; mais cette différence étant généralement très-petite, nous pourrons ne pas en tenir compte pour la facilité du raisonnement, et con- sidérer cos V comme étant égal à cos Z. Conséquerament, tang Z peut se substituer au facteur '-^ dans la formule (9); alors d' devient sensible- COS V \ i 7 ment proportionnelle à la tangente de Z. Si donc on considère les varia- tions de d' en rapport avec Z, constamment dans la même couche d'air élevée de y au-dessus du sol, on doit admettre que la grandeur de l'écar- tement d' des trajectoires, évaluée dans le sens horizontal, est à très-peu près proportionnelle à la tangente de la distance zénithale de l'étoile jus- qu'à vers 80°. Cette conséquence est applicable à deux faisceaux autres que le rouge et le bleu : l'éparpillement des divers faisceaux cylindriques dans le plan vertical de l'étoile est donc d'autant plus grand suivant le sens indiqué, que l'étoile est plus éloignée du zénith. Ajoutons qu'un diamètre de la sec- tion en ellipse, suivant laquelle un quelconque des faisceaux cylindriques pénètre dans la surface sphérique d'une couche, est d'autant plus grand que ce cylindre est plus oblique par rapport à celte surface, ou que la distance zénithale est plus grande; le diamètre considéré étant oblique au plan vertical de l'astre dans lequel la distance Z est supposée varier. Nous expliquerons maintenant avec facilité les modifications dans la scintillation, signalées par Ilooke et les autres observateurs, selon la hau- teur de l'étoile au-dessus de l'horizon. Quand une onde capable de pro- 38 DE LA SCirSTILLATlOlN. duire un effet de réflexion totale, en mouvement horizontal, rencontre les faisceaux d'une étoile très-élevée, elle les trouve plus resserrés entre eux qu'ils ne le seront dans la même couche lorsque l'étoile viendra plus près de l'horizon : on conçoit qu'il faille ainsi d'autant moins de temps à l'onde pour traverser l'ensemble des faisceaux, que l'étoile est plus élevée, toutes choses égales d'ailleurs. Si l'onde ne traverse qu'un ou deux faisceaux, obli- quement par rapport au plan vertical de l'astre, son passage s'effectuera avec d'autant plus de promptitude que l'étoile sera plus haut, puisque l'étendue de la section de pénétration diminue avec la distance zénithale. Si l'onde traverse tous les faisceaux, son passage sera aussi d'autant plus facile et plus pi-ompt que l'étoile sera plus élevée. Selon que l'intercep- tion sera partielle ou totale, il y aura variation de couleur ou d'éclat. Dans l'un et l'autre cas, le passage d'un état de l'étoile à l'état suivant pa- raîtra beaucoup plus soudain dans les scintillations des étoiles situées près du zénith, comme Hooke le prétende L'écartement des faisceaux augmente assez rapidement pour une dis- tance zénithale supérieure à 45% et les rayons sont plus disséminés dans la même couche horizontale; il y a donc moins de probabilité qu'alors une onde puisse, en les traversant, les intercepter simultanément tous, et donner lieu à des changements d'intensité aussi fréquents. D'ailleurs, le passage de l'onde à travers la section de pénétration du faisceau dans la couche exigera sensiblement un temps plus long, la vitesse propre de l'onde restant la même , puisque tout diamètre de cette section , non normal au plan vertical de l'étoile, augmente avec la distance zénithale de celle-ci. Si nous rapprochons de tout ce qui précède cet autre fait, que plus l'étoile s'abaisse vers l'horizon, plus les faisceaux stellaires traversent une grande masse d'air, on sera convaincu, bien que les chances de ren- contre des ondes capables des effets de réflexion totale augmentent pour ^ 11 n'est pas inutile de faire remarquer que plus une étoile est élevée, plus elle brille d'un vif éclat par rapport à la lumière atmosphérique qui l'entoure; cette cause tend aussi à rendre plus sensibles les variations que les étoiles scintillantes éprouvent dans les régions supérieures de l'air. DE LA SCINTILLATION. 39 chacun des faisceaux avec la distance zénithale, et qu'ainsi les étoiles scintillent davantage dans les couches inférieures. Seulement, les chan- gements de couleurs doivent être d'autant plus variés et plus fréquents que l'étoile est moins élevée. La fréquence des effets de coloration avec l'abaissement de l'étoile a aussi ses limites, avant que celle-ci ait atteint l'horizon. Les couleurs principales d'un spectre stellaire se séparent avec d'autant plus de net- teté que l'étoile est plus bas; alors elles deviennent perceptibles dans une lunette de puissance moyenne. Or, il y a moins de chance de pro- duction d'un effet de couleur complémentaire par l'interception d'un rayon, du rouge, par exemple, quand la séparation des principales teintes est très-prononcée dans la lunette, attendu que les autres rayons ne se trouvent plus mélangés au même lieu de la rétine, mais bien étalés en des lieux essentiellement distincts. Aussi, voit-on, à une petite distance de l'horizon, les teintes du spectre d'un astre brillant onduler séparé- ment en flamboyant, et parfois tantôt l'une tantôt l'autre cesser momen- tanément d'être visible. Plus près encore de l'horizon , les mouvements ondualoires des teintes, devenues plus larges, mais aussi plus sombres, s'effectuent plus lentement; enfin, près de disparaître sous l'horizon, le spectre ondulant de l'étoile Sirius ne laisse distinguer que le rouge et un vert sombre, qui semblent tour à tour subir des extinctions presque complètes. II n'y a donc rien de surprenant, d'après ce qui précède, que l'étoile Sirius, observée à l'aide de l'appareil avec lentille excentrique, ait accusé sensiblement le même nombre de variations en une seconde, à des hau- teurs de 15 et de 5° au-dessus de l'horizon (page 12). « La scintillation est très-marquée quand des vents violents régnent » dans l'atmosphère et quand le ciel est alternativement serein et cou- « vert, dit M. Kaemtz, dans son Traité de Météorologie. » Serait-ce céder trop aisément à des présomptions hypothétiques que de considérer ce fait comme une conséquence de la rapidité avec laquelle les ondes, entraînées par les courants aériens , traversent l'ensemble ou une partie des faisceaux colorés? 40 DE LA SCIWÏILLATIOIV. La lliéoi'ie proposée rend-elle compte du fait de la scintillation peu prononcée de Mars et de celle plus faible encore de Saturne et de Jupiter, tandis que Vénus et surtout Mercure, planète de très-petit diamètre, scin- tillent très-fortement? C'est ce que nous avons à examiner. Mais avant il convient de faire observer avec M. Arago, qu'aucun astronome ne dit, comme pour les étoiles, que la scintillation des planètes est accompagnée d'un changement de couleurs. La scintillation consisterait donc, en une simple variation d'intensité. Je pourrais me borner, pour expliquer la faible scintillation des pla- nètes, à rappeler, avec M. Arago, qu'un disque planétaire doit être regardé comme une agglomération d'un certain nombre d'étoiles; que chacun de ces points pris isolément scintillerait comme une étoile, non par effet d'in- terférence, comme le veut ce savant, mais par les effets des causes invo- quées dans la théorie proposée. Il doit y avoir généralement discordance, dit-il, entre les scintillations de points du disque de la planète assez éloi- gnés pour que les rayons, émanés de ceux-ci, traversent des parties d'air sensiblement différentes; alors les effets de ces scintillations partielles se contrarient plus ou moins sur la rétine. Mais pour une planète de petit diamètre, les scintillations de certains points doivent concorder plus sou- vent, alors l'agglomération de ces points scintille par moments. Telle est l'essence de l'explication de la faible scintillation des planètes donnée par M. Arago; seulement, je ne puis voir avec ce savant des effets d'interférence dans les cas accidentels de scintillation des grandes pla- nètes ni dans la scintillation plus fréquente des petites planètes : c'est à des effets de réflexion totale que je rapporterai l'origine de ces phénomènes. Il est opportun de faire remarquer que, pour une planète examinée près de l'horizon ou avec une puissante lunette, les diverses teintes du spectre coloré d'un point de son disque, qui n'appartient pas à ses arcs supérieur ou inférieur, ne peuvent être distinguées dans l'état normal de l'atmo- sphère. En effet, la partie de la rétine où se dessinerait une de ces teintes, est aussi le lieu de superposition des autres teintes qui sont propres à former avec celle-ci de la lumière blanche ou plus exactement la couleur propre de la planète ; ces teintes, superposées à la première, appartien- DE LA SCIINTlLLATIOrS. 41 nenl évidemment aux spectres particuliers de points de la planète placés au voisinage l'un de l'autre, sur la même corde verticale de son disque. Enfin une fraction des rayons de la planète doit se répandre sur une por- tion de la rétine sous forme de lumière diffuse, à cause de l'espèce d'épar- pillement que les défauts de la cornée font subir aux rayons émanés de tous les points du disque planétaire ^ Or, on doit admettre que l'illumi- nation irrégulière dérivant de cette défectuosité est d'autant plus grande que le disque a plus d'étendue. Cette cause physiologique intervient sans nul doute avec celle invoquée par M. Arago, pour afl'aiblir sur la rétine les caractères de la scintillation d'un point quelconque d'une planète de grand diamètre. L'explication précédente est fortifiée par cet autre fait, que la percep- tion des variations d'éclat ou de couleurs devient possible quand l'image du point lumineux n'est pas entourée, de toutes parts, des images de points également éclatants : c'est ce que nous avons vu se produire pour une som- mité éclairée du disque lunaire lorsque, dans sa position en saillie sur la partie du contour échancrée, elle passa successivement par des teintes différentes. Il n'est pas même nécessaire, comme ici, que le point brillant contraste avec la teinte foncée du ciel ; il suffit qu'il y ait sur la rétine une différence d'éclat assez prononcée entre le point et les parties voisines : c'est ainsi que des traces de coloration, variant rapidement, ont pu être distinguées sur les arêtes de cratères de la lune, qui, par leur éclat, se détachaient des parties du disque voisines, moins éclairées. Enfin je rappel- lerai les apparitions d'ondulations rosées, dont il a été question dans un mémoire précédent déjà cité, qui se manifestent parfois dans l'arc bleu que la dispersion fait naître à la partie supérieure du disque solaire près de l'horizon. Si les planètes jouissaient d'un éclat plus vif, peut-être remar- ' C'est par la diffusion de la lumière due aux irrégularités de la cornée, que M. Arago explique des faits qui sont cités dans son Astronomie populaire, 1. 1, p. 191, et d'après lesquels la yisibililé d'un objet se peignant sur un point donné de la rétine, serait affectée par la formation d'images très-faibles aux points environnants, quand même aucun rayon divergent n'émane ostensiblement de l'objet principal. (Voir à la fin de l'Addition les développements plus étendus sur la scintillation des planètes.) Tome XXVIll. 6 42 DE LA SCINTILLAÏIOIS. querait-on des ondulations semblables sur leur bord coloré, dans les mêmes conditions. Je ne puis passer sous silence un fait que M. Arago a proposé comme base d'un scintillomètre. Voici en quoi il consiste : Si l'on enfonce l'ocu- laire d'une lunette, on sait que l'image d'une étoile devient confuse et prend des dimensions de plus en plus considérables. M. Arago a remarqué que si, dans cet état, l'objectif est recouvert d'un diaphragme dont l'ou- verture est de 4 centimètres environ, le centre de l'image devient un disque circulaire, qui est obscur ou lumineux selon la distance où l'oculaire est enfoncé dans la lunette. Si celle-ci est dirigée vers une étoile scintillante et l'oculaire placé dans une des positions où le centre de l'image, encore tout à fait obscur, est près de devenir lumineux, un petit point brillant apparaît au milieu de la tache noire, à des intervalles de temps d'autant plus courts que les scintillations de l'étoile sont plus fréquentes. M. Araso attribue la formation des trous noirs au centre de l'image dilatée, à l'interférence des rayons directs de l'étoile avec d'autres rayons qui ont été déviés latéralement par les bords de l'ouverture du diaphragme, placé en avant de l'objectif. Si le phénomène n'est pas constant, dit-il, c'est que les rayons qui interfèrent à un certain moment, n'interfèrent pas un instant après, lorsqu'ils ont traversé des couches atmosphériques dont le pouvoir réfringent a varié. Le phénomène dont il est ici question, se rattache à une classe de faits qui ne sont point complètement expliqués : ainsi, l'image d'une étode, vue dans une lunette dont l'objectif est recouvert d'un diaphragme, se montre entourée d'arcs successivement lumineux et obscurs, dont la figure varie avec la forme de l'ouverture du diaphragme. Ces effets, qui sont indépendants des phénomènes de la scintillation et qui se produisent dans des conditions normales, résulteraient, paraîtrait-il, de phénomènes d'in- terférence ^ Pour expliquer l'apparition des trous successivement noirs et lumineux au centre de l'image dilatée d'une étoile scintillante, j'admettrai avec ' Traité de la lumière, par J. Herschell , t. 1 , p. 303. DE LA SCINTILLATION. 43 M. Arago que les trous noirs d'une étoile qui ne scintille point, ont pour origine l'interférence au foyer de certains rayons directs avec des rayons originaires de la même étoile, qui ont été infléchis par les bords du dia- phragme de l'objectif K Quand l'étoile scintille, le système des rayons directs donne lieu à un point lumineux au centre de l'image dilatée au mo- ment où des rayons, infléchis par le diaphragme, sont interceptés, même partiellement, par des effets de réflexion totale avant d'atteindre l'objectif., Après avoir montré que l'explication des particularités de la scintilla- tion, les plus importantes parmi celles qui sont connues, ne constitue aucune difficulté pour la théorie proposée, je résumerai les principaux points sur lesquels cette théorie repose : l*" Tout rayon émané d'une étoile, située à une certaine distance du zénith au lieu de l'observation, est décomposé dans l'atmosphère en ses rayons primitifs par le pouvoir dispersif de l'air; 2° Les faisceaux cylindriques curvilignes, chacun d'un diamètre égal à celui de la pupille de l'œil nu ou de l'objectif de la lunette, qui consti- tuent les rayons diversement colorés , ainsi dispersés, sont entièrement séparés à une certaine distance de l'observateur, au delà de laquelle les trajectoires ont traversé des régions atmosphériques essentiellement diffé- rentes ; ô» Si une ou plusieurs ondes aériennes, douées d'un pouvoir réfringent autre que celui de l'air ambiant, s'interposent sur une ou plusieurs tra- jectoires dans des conditions où des effets de réflexion totale sont capables de se produire à l'égard de la totalité ou d'une partie des rayons consti- tutifs des trajectoires, les rayons interceptés font défaut à l'œil. L'organe de la vue éprouve aussitôt l'impression de la couleur complémentaire des rayons déOcients, pendant toute la durée de ces interceptions, soit qu'il observe le phénomène avec ou sans le secours d'une lunette ; 4" L'interception d'un rayon lumineux résultant de sa réflexion à la ' Il résulterait de certains passages des Oeuvres d'Arago (Asiron. populaire, t. 1, p. 139, el No- tices biographiques , t. III, p. 406) où il est question de la vision télescopique, qu'il y a lieu de supposer qu'une partie des rayons qui se croisent dans les télescopes, s'éteignent mutuellement au point de croisement. Cette supposition et les faits cités plus haut méritent un examen sérieux. 44 DE LA SCmTILLATIOIS. face d'une onde, n'est point nécessairement accompagnée d'un mouvement ondulatoire de l'image de l'étoile qui soit d'amplitude notable; il peut même arriver, et c'est peut-être un des cas les plus fréquents, que la dé- viation d'un rayon venant de l'infini, ainsi intercepté, soit non-seulement inappréciable à l'œil, mais même tout à fait nulle; 5" Quand une ou plusieurs ondes simultanées traversent l'ensemble des faisceaux plus près de l'observateur, et dans les conditions de réflexion totale pour la pluralité des rayons diversement colorés, ceux-ci font défaut dans la vision, et il y a alors évanouissement presque complet de l'image. Au contraire, il y aura perception plus vive de l'étoile aux instants de courte durée où les rayons rencontreront comparativement peu d'ondes réfringentes sur leur passage; 6" Les images des étoiles ne sont pas nettement limitées : non-seule- ment elles ont des diamètres factices, même dans les lunettes, mais, par suite d'un défaut inhérent à l'organe visuel, des rayons semblent diverger en tous sens autour de l'étoile sur une certaine étendue, surtout à l'œil nu. Comme ces rayons parasites participent aux variations de coloration et d'intensité de l'image stellaire proprement dite, il en résulte que les caractères de la scintillation se manifestent dans l'organe visuel sur une plus grande étendue que ne le voudrait la réalité. Parmi ces bases théoriques, il en est, telles que la dispersion et la sépa- ration des rayons diversement colorés, qui spécifient d'une manière nette et positive des faits déjà connus ou à prévoir, parce qu'ils sont des con- séquences irréfutables de la réfraction et de la dispersion par l'air. L'in- fluence des rayons parasites résulte d'un fait physiologique dont l'inter- vention dans les phénomènes de la scintillation a déjà été invoquée par des physiciens. Mais je pense que personne n'a jamais attribué de rôle aux effets de réflexion totale dans les interceptions des rayons par les ondes aériennes. Les savants qui ont précédé M. Arago dans la recherche des causes de la scintillation , n'ont guère émis que des opinions conjecturales sur l'origine de ce curieux phénomène, à en juger du moins d'après 1 ex- posé général qui termine la Notice de M. Arago. Aucun d'eux n'a sans doute fortifié l'explication qu'il proposait en l'appuyant par les résultats du cal- DE LA SCINTILLATION. 4S cul, autant toutefois que le comporte l'incertitude de nos connaissances à l'égard des conditions réelles où les phénomènes en question se pro- duisent. Plusieurs de ces physiciens auraient pu attribuer la cause de la scin- tillation à des effets d'angle-limite , si leurs vues s'étaient portées vers ce genre d'effet. Mais il est à remarquer que l'application de ces phénomènes à l'air est de date récente, du moins, à ma connaissance, aucun physicien ne l'a faite avant que Monge eût appliqué ces effets à l'explication du mirage, phénomène naturel que les armées françaises observèrent si sou- vent en Egypte. La fréquence dans l'atmosphère de ces effets, soit géné- raux, soit partiels, qui devient de plus en plus manifeste avec le nombre des observations, ne peut que fortifier l'application du principe fonda- mental de la réflexion totale aux petites portions d'air qui constituent les ondes aériennes, d'ailleurs si multipliées; cette fréquence a donc pour conséquence inévitable de nous amener à considérer ce phénomène comme étant la cause originaire de l'interception des rayons dans la scintillation. La cessation momentanée de la visibilité d'objets terrestres, fait que j'ai observé dans certaines conditions oîi les rayons émanés de ceux-ci traver- saient des ondes nombreuses et agitées, s'explique très-bien à l'aide des effets de réflexion totale; il vient ajouter ainsi un nouveau degré de pro- babilité à l'intervention de la même cause dans la scintillation. J'ai déjà eu occasion de le dire, c'est en cherchant l'explication de ces disparitions partielles dans les effets de réfraction atmosphérique, que l'application du même principe au phénomène de la scintillation m'est venue à l'esprit. Je ne m'arrêterai pas à un examen des théories émises par divers sa- vants; M. Arago les a réfutées dans sa Notice. Je ferai remarquer seule- ment qu'à propos du détournement des rayons de la prunelle occasionné par la trémtdation de l'air, phénomène cité par Newton dans sa Philoso- phie naturelle pour expliquer la scintillation, M. Arago dit que si cette trémulation écartait certains rayons stellaires de l'œil, la même cause dé- viatrice y ferait pénétrer, par compensation, des rayons voisins qui, dans une atmosphère tranquille, seraient tombés sur la cornée opaque. On voit par cette objection de M. Arago et par une explication, un peu différente 46 DE LA SCINTILLATION. de la première que donne NeAvton dans son Optique, en la faisant reposer sur les effets qu'éprouveraient les images des étoiles sur la rétine par suite de petites déviations des rayons stellaires dues à l'agitation de l'air, on voit, dis-je, qu'il n'a pu être question des phénomènes de réflexion totale dans cette théorie de Newton, à laquelle M. Arago consacre un article très-étendu. Maintenant, j'établirai quelques points de comparaison entre la théorie de M. Arago par les phénomènes d'interférence, et l'explication de la scintillation que je propose. M. Arago paraît avoir pressenti, dans sa Notice^, que le peu de lar- geur du faisceau introduit dans l'œil par la pnpille, ne laisse difficilement concevoir la destruction par interférence de rayons presque contigus, qui auraient traversé des régions atmosphériques excessivement rapprochées. A la vérité, ce savant fait valoir contre cette difficulté la longueur du trajet des rayons dans l'atmosphère, et le peu de différence des états indi- viduels des couches nécessaire pour que la destruction mutuelle de cer- tains rayons du faisceau s'effectue par interférence. Cette difficulté n'en serait pas une dans l'hypothèse des effets par réflexion totale : loin de là. car l'interception du faisceau se trouvera d'autant plus près d'être com- plète, que ses dimensions transversales seront moindres relativement à la face d'interception de l'onde. Une remarque importante, c'est que la théorie de M. Arago semble porter avec elle une cause de diminution dans le nombre possible des phénomènes d'interférence, lors de la scintillation. Comme on le sait, d'après cette théorie la destruction des rayons rouges, par exemple, aurait lieu au foyer d'une lentille ou sur la rétine, quand les rayons stel- laires de cette teinte, qui ont traversé la partie gauche de la lentille, arrivent au foyer ou sur la rétine en avance ou en retard d'une demi- ondulation sur les rayons rouges, réfractés par la partie droite de la lentille; la différence de la demi-ondulation ayant eu pour cause supposée la variété de puissance réfringente des couches d'air traversées par les « Notice, p. 426. DE LA SCINTILLATION. 47 deux systèmes de rayons. Il est excessivement probable que, dans cette transmission, chaque système éprouvera des alternatives d'avance et de retard d'ondulation par rapport à l'autre : ainsi donc, à diverses distances de l'observateur, les deux systèmes se trouveraient dans des conditions relatives tantôt d'extinction complète, tantôt d'accroissement d'intensité, s'ils se réunissaient en chaque lieu où on les considère. On conçoit, d'après cela, que les rayons rouges spéciûés puissent très-bien se rencontrer au foyer dans des phases d'ondulation additives, c'est-à-dire propres à un accroissement d'intensité, après s'être trouvés, à diverses reprises sur leur trajet, dans des phases d'extinction relatives. Les chances d'accroissement d'éclat ou d'extinction au foyer n'augmenteraient donc point, en général, avec le nombre des couches traversées, car on pourrait très-bien suppri- mer, par la pensée, un certain nombre de variations des phases ondula- toires des rayons considérés, sans que l'état d'intensité final au foyer devînt différent de celui oii il s'y trouve en réalité. Cette conséquence de la théorie par interférence réduirait beaucoup le nombre des chances des variations d'éclat ou de couleurs, comparative- ment à celui des changements dont la théorie par réflexion totale rend compte; car dès l'instant oîi , en vertu de tout effet semblable, une onde intercepte un rayon lumineux, même dans des couches atmosphériques éloignées, ce rayon, subitement arrêté, ne peut plus parvenir à l'œil et y produire d'impression, à moins de circonstances tout à fait exception- nelles. Ainsi, dans cette théorie, plus un rayon rencontre d'ondes aériennes dans son trajet, plus il y a de chances qu'il s'en présente qui soient capa- bles des effets de réflexion totale, de façon à donner lieu à la suspension subite et définitive de la perception du rayon par l'œil. On conçoit aisé- ment, d'après cela, que l'on ait pu observer soixante variations d'éclat et de couleurs de l'étoile Sirius par seconde, dans les couches atmosphé- ri ques pu élevées. NOTE. Proposons-nous d'abord de déterminer la distance verticale m m' des points m et m' des trajec- toires bleue et rouge appartenant à une même étoile, et qui arrivent en A, fig. 3. Désignons par r la distance mC du point m de la trajectoire bleue P m A au centre de la terre C, par a le rayon terrestre 0 C, et par Z et « les distances zénithales apparentes du rayon bleu de l'étoile observées respectivement en A et en m. Si N et n représentent les indices de réfraction de l'air pour le rayon bleu , respectivement en A et en m, on sait, d'après les recherches du mouve- ment de la lumière dans un milieu réfringent ', que l'on a la relation : r sin t) N a s'mZ n Concluons de cette relation, qui est applicable à l'atmosphère quand la distance zénithale Z n'ex- cède pas 80°: sin Z.N r = a Si nous désignons par r' la dislance m'C au centre terrestre du point m' de la trajectoire rouge P'm'A, par Z' et v' les distances zénithales observées pour ce rayon en A et en m'; si de plus N' et n' sont les indices de réfraction de l'air pour le rouge respectivement en A et en m\ nous avons également l'expression ; sin Z'.N' Soit d la distance r — r' des points considérés m et m' , on aura ; /sin Z.N sinZ'.N'N (2) d = a { : p-; • ' \ sin v.n sin v .n j Le rapport ^ diffère excessivement peu de '^,, même à de grandes dislances zénithales; ainsi soit Z ="80° pour le rayon bleu , on aura Z' = 80° 0'5" pour le rayon rouge, parce que à 80° ' ■' , , sinZ' sin 80°5" la longueur du spectre est sensiblement égale à 5" ; on trouve par le calcul , -^^ = ^.^ g^, 1,00002. Le rapport ^^ des distances zénithales des rayons rouge et bleu observées en m' et m ' Voir V astronomie physique de Biot, t. I, p. 311 , article Réfraction atmosphérique. DE LA SCINTILLATION. 49 dittère excessivement peu du nombre précédent, lequel est sensiblement égal à l'unité, même à la distance zénithale de 80° : on peut donc poser ^!^ = ~. L'équation (2) prend alors la forme : ' sm D sifl v' ' \ I r sin Z /N iY\ (o) d = a • sin t) \ n n j On sait que la puissance réfiactive de l'air est proportionnelle à sa densité; soient donc respec- tivement H et T la hauteur barométrique et la température de l'air en A, h et t les éléments sem- blables en m, on aura en vertu de cette loi : h 1 -+- T X 0,00366 »i» - 1 = ( N^ — 1 ) - X ^^-^ . H l + t X 0,00360 ou plus simplement : /( (4> »i - 1 =(N — 1) - (1 -(-(T-t)0,OOûôO). U La formule barométrique la plus en usage pour mesurer les hauteurs des montagnes donnerait pour l'élévalion mO =j/ du point m au-dessus du sol, r 2 T'-t- f)l H y = 18393» 1 H ï og -• •^ L 1000 J h Posons " L 1000 J on déduit de l'équation précédente. h - = 10 H J'ai accentué T', parce que cette lettre exprime la température au niveau du sol en 0, ([ui diffé- rera de T en A si la dislance A 0 est considérable. De la dernière équation et de l'expression (4) , où p a remplacé le facteur (1 -t- (T — t) 0,00366), on déduit n — 1 =(N — l)p X 10 ' ■ On est conduit par cette équation à l'expression suivante du rapport - : j 10 Si, après avoir remplacé N etN' parles valeurs numériques indiquées ci-dessus, on substitue l'ex- pression de ~ - ^ dans l'équation (5), où l'on aura d'ailleurs mis ;ui lieu de «le nombre 6 366 198", lonÊ;ueur du rayon terrestre moyen, on obtiendra, après tout calcul fait ; sinZ -„,„ /, px 1,00058896 A V 10' Le coefficient 26",25 convient, à la rigueur, au seul cas où la tension de lair et sa température en A sont respectivement 0"',76 et 0°; pour d'autres valeurs H et T de ces éléments, il faudrait mul- tiplier le facteur 26",2Ô par le rapport pn, ,6 (i -h" x o,oo56») " ^°'"" '"^"^^ 'î"*' "°"* ^''''""* '^^ ''^"^ formule, nous supposerons H = O^.ÏB en A, et les températures T, T' et l, respectivement égales à 0». La condition d'une température de 0° conslante à tous les points de la trajectoire mA est admis- sible en vue de faciliter les calculs, dès que 1/ ne reçoit pas une valeur trop grande. Les supposi- DE LA SCINTILLATION. SI lions précédentes nécessitent les équations/» = 1 et 9 = 18395'; l'expression ded devient alors ' ; (0) d = !iîli 26.,2Ô A - lfi^^^î^\ . sin t) y I \ 18393 y ^ 10 ^ Il peut être avantageux d'exprimer d en fonction de a; = mk, dislance recliligne du point de la trajectoire considéré à l'observateur. A cet effet, remarquons que le 'triangle kmO donne y = 3;''!""' ■ Désignons par R l'angle TAm compris entre a; et la tangente AT à la courbe au sm mOA o i o i o point A, et par A l'angle OAC lequel est égal à 0; nous aurons : sin mAO = sin (Z + R -t- A). La portion mSA de la trajectoire serait en réalité la marche que suivrait le rayon lumineux émané d'un objet terrestre m, Irôs-élevé sur l'horizon, vers l'observateur placé en A : d'après cette manière de voir, l'angle TAm ou R, compris entre la tangente AT à l'arc j»iSA et sa corde »jA, est égal à la réfraction terrestre qui se produirait pour l'objet terrestre m. On a reconnu que, dans l'état moyen de l'atmosphère, la réfraction terrestre est moyennement égale h y^ de l'arc A0 ou de l'angle au centre G qui mesure l'écart des verticales AC et OC; on peut donc poser R ==— ■. Cette manière de raisonner est admissible aussi longtemps que ASm ou sa corde x ne dépasse pas une certaine limite, Z étant d'ailleurs très-grand. La somme des angles égaux A et 0 étant supplémentaire de C , on a A = 90 — ~ , et sin mOA = cos - . Il résulte de ce qui précède et de l'expression précédente de y : cos (Z — 0,41 C) y = ^ _ cos — Soit L la longueur de l'arc AO mesurée en mèlres : dans la supposition de la sphéricité de la terre, le mèlre équivaut sensiblement à un arc de méridien de 0",0û2; on a donc - = 0",0I6 X L. En supposant L = 10,000 mètres, cos - ou cos d60" diffère très-peu de l'unité, on peut donc poser cos ^ = i pour toute valeur de L moindre que 10,000 mètres ou égale à cette longueur. L'expression de y se réduit alors à y = X cos [Z — 0",01ôô L). On rend cette formule indépendante de L en remarquant que sinAmO sin(Z-»-A — C) L —X . ,-^ = X — = • sin AOm C cos — ' Quand on pose y = o dans celle formule, d conserve une valeur Irès-petile au lieu d'avoir une valeur nulle; cela résulte des (ermes très-faibles dont il n'a pas été tenu compte dans les développements qui ont conduit à l'équation (5). Si l'on suppose j/ = 0 ^ on a N = N' et n = n', puis d = 0, dans l'équation (3), de laquelle les suivantes déri- vent. 52 DE LA SCINTILLATIOJN. Après la substitution des valeurs prénéJentes de A et de C, on obtient à très-peu près : L = X sin [Z — 0",0295x sin Z]. L'expression finale de y est alors : (7) )/ = x cos[Z — 0",01ô3 X X X sin (Z — 0",0295 X sin Z)]. Représentons par e le second ternie compris entre les parenthèses, puis substituons x cos (Z — e), au lieu de y dans la valeur (6) de d, nous obtiendrons sinZ / 1,00038896 \ sm V X ■ 10 18.103 La ligne d ou mm' est mesurée sur la verticale mC; il est important de considérer aussi la dis- lance des trajectoires suivant une ligne horizontale ou, en d'autres ternies, de déterminer la dis- tance mb des trajectoires dans la même couche d'air. Soit d' cette ligne; le triangle mm'b, dans lequel l'angle mm'b mesure la distance zénithale v' du rayon rouge observée en m', nous conduit à l'équation d' = d tang v'. L'angle v' diffère excessivement peu dev, distance zénithale du rayon rouge observée en A, on peul donc poser d' =^d tang i'. Cette équation combinée avec l'expres- sion (6) donne : sinZ / 1,00058896 \ (9) <^'=^—, 26',23 / 1 - -^— ] - cos V — i — \ 18395 / ^10 ^ Les expressions de d et de d' mesurent les distances des trajectoires, selon qu'on les considère l'une, suivant la verticale mC et l'autre, suivant la portion horizontale mb d'une couche d'air. Il est également facile de former l'expression de la distance réelle ou de l'écartement linéaire des trajectoires extrêmes mX. et 6A mesuré en m; à cet effet, du point m abaissons la normale me à la trajectoire du rayon moyen, ou, pour plus de simplicité, à la trajectoire rouge ÔA. Si nous désignons par D la distance me, nous aurons, en vertu des relations trigononiélriques que pré- sente le triangle mcm' : D = d X sin d' ou D = rf X sin v. Cette équation, combinée avec la va- leur de d (8), donne pour l'expression finale de D : 1,00058896 \ (10) D ^ sin z X 26',2Ô / 1 - ' ^„,„_^, j 8393 y X 10 Les formules précédentes conduisent à des résultats calculés qui ne seraient rigoureusement exacts que pour des valeurs de Z peu supérieures 80°; attendu que l'équation (I), d'où ces for- mules sont dérivées, n'est plus rigoureusement vraie au delà de 80° de la dislance zénithale, parce que la réfraction se trouve trop fortement influencée par la courbure des couches atmos- phériques. ADDITIONS. Dans le rapport où M. Plateau a exposé , d'une manière si claire et si précise , les bases (le la théorie précédente, il insiste sur une objection que soulève l'explication de l'extinc- tion des rayons d'une étoile scintillante par phénomène de réflexion totale à la surface d'une onde aérienne. Après avoir reconnu que les irrégularités de forme présumablesde ces surfaces ne permettent guère d'admettre que l'œil d'un spectateur perçoive nettement l'image d'une étoile réfléchie par une onde, M. Plateau se demande « si, dans les cas où » par une réflexion opérée assez près de l'observateur, l'ensemble des faisceaux colorés » provenant d'une étoile très-brillante serait ramené vers lui, celui-ci ne devrait point » voir, au moins à une certaine dislance de l'étoile, une trace déformée, une lueur [las- » sagère ' ? Il importe de soumettre à un examen approfondi une objection qui touche un des points fondamentaux de la théorie proposée. Quoique l'on ne puisse nier la réalité des réflexions totales aux surfaces-limites de por- tions d'air d'inégales densités puisque c'est à des réflexions de ce genre que sont dus les phénomènes du mirage, il convient d'insister d'abord sur la fréquence des effets naturels de ce genre qui échappent à la vue. Je ferai remarquer que, quand un effet de mirage ordinaire est visible pour un specta- teur, généralement l'image réfléchie se distingue par des dimensions étendues, son appa- rition persévère pendant un temps plus ou moins prolongé; enfin, la régularité et la fixité qui le plus souvent caractérisent l'image artificielle, toutes ces circonstances, dis-je, se réunissent pour démontrer que, dans le phénomène du mirage, les rayons lumineux sont réfléchis quasi avec les mêmes conditions que si la réflexion s'opérait sur une surface immobile et presque plane en toute son étendue. Mais si les dimensions de l'objet sont petites; si la durée de l'apparition de l'image est courte; si celle-ci éprouve des déplacements plus ou moins rapides; si , enfin , l'image se déforme d'une façon bizarre, alors le phénomène échappe le plus souvent à l'attention , même dans des localités où il se produit fréquemment. Aussi, les observations de cette sorte de faits ne sont-elles point fréquentes : c'est dans ces derniers temps seulement que l'on a signalé des effets de mirage partiels qui se produisent, presque chaque jour, au milieu de circonstances très-diverses, en plusieurs endroits de Paris. M. Bigoundan a notamment signalé la réflexion par effet de mirage d'un très-petit objet sur un des murs ' Bulletins de l'Académie de Belgique, t. XXII. U DE LA SCliMlLLAÏlON. de la Bourse, où il l'ail saillie'. Le plus grand angle de réflexion que cet observateur ait remarqué, dépassait 14'; mais il en a mesuré qui n'excédaient guère 1'. On voit par là que les angles de réflexion totaîe produits à la surface de couches d'air, même dans les conditions ordinaires, varient entre des limites assez éloignées et que l'un de ces angles n'a qu'une très-faible valeur. Combien de phénomènes du genre de ceux-ci échappent à nos yeux , soit par inatten- tion de notre part, soit à cause du peu d'intensité et de la mobilité du phénomène, ou par suite du trouble que l'agitation des ondes aériennes interposées apporte dans la percep- tion des images. « Nous sommes pleinement convaincus, dit M. Moigno, que les phéno- » mènes du mirage, regardés jusqu'ici comme des faits rares et extraordinaires, sont, » au contraire, très-fréquents pour ne pas dire très-communs. De sorte que, si un œil » patient et perçant s'exerçait à les retrouver dans l'atmosphère, il les verrait partout^. » Après avoir établi incontestablement la fréquence très-prononcée des phénomènes de réflexion totale dans l'air, je prouverai maintenant que les rayons stellaires déviés à la face des ondes aériennes par des phénomènes semblables, ont encore moins de chance d'être perçus que la multitude des effets de mirage partiels qui sont inaperçus, sinon même absolument imperceptibles. Remarquons d'abord que, si certaines conditions géométriques applicables à la posi- tion du spectateur vers lequel les rayons sont accidentellement réfléchis ne sont point satisfaites, ce spectateur ne pourra recevoir tous les rayons déviés par l'onde. Eu effet, avant cette déviation, tous les rayons diversement colorés et émanés d'une même étoile convergeaient vers l'œil d'un observateur A; il est évident , d'après les lois de la réflexion, qu'au moment où ils seront interceptés à l'égard de A par une onde, ces rayons réfléchis ne pourront pénétrer tous dans l'œil d'un spectateur A', à moins que cet œil n'occupe exactement une position symétrique à celle de l'observateur A, par rapport au plan indé- finiment prolongé de la surface réfléchissante de l'onde supposée plane. Ces mêmes lois nous apprennent encore que, si, après une première réflexion, les rayons en subis- saient une nouvelle par le fait d'une deuxième onde qui s'interposerait dans les condi- tions de réflexion totale entre la première onde et le point de concentration A', ou au delà de ce dernier, dans l'un et l'autre cas, disons-nous, un spectateur A" ne pourrait recueillir tous ces rayons, à moins d'occuper une position symétrique à A' par rapport au plan réflecteur de la deuxième onde. On verrait aussi que, dans les cas possibles de la première comme de la deuxième réflexion , jamais la totalité des rayons ne serait ramenée par réflexion à l'œil de l'obser- vateur A, à l'égard duquel ils seraient momentanément interceptés; car il est géométri- quement impossible qu'il y ait coïncidence entre le point de convergence primitif A et les lieux de réflexion A' ou A". Les conditions de rigueur qui viennent d'être indiquées, sont une conséquence des ' .louinal Vlnstitut, n° 1130. ' Journal le Cosmos. DE LA SCIINTILLATION. m différences d'inclinaisons relatives que le pouvoir dispersif de l'air fait subir aux trajec- toires diversement colorées qui convergent vers l'œil de l'observateur A. Ces conditions doivent toujours être satisfaites pour des rayons non parallèles, quelle que soit la dis- tance du lieu d'interposition de l'onde à l'œil de l'observateur. Examinons actuellement s'il est présumabic que, dans la nature, les conditions pres- crites se rencontrent souvent lors même de la réflexion par une première onde, le seul cas que nous examinerons en détail? Peut-on admettre, par exemple, que la partie réflé- chissante de l'onde soit plane sur une étendue sullisante pour que la totalité des rayons se trouve déviée symétriquement? La question est susceptible d'être soumise au calcul. A cet effet, accordons à chaque faisceau coloré, qui devrait pénétrer dans l'œil par réflexion, un diamètre égal à celui de la pupille, soit 5 millimètres. La réflexion d'un faisceau cylindrique par une onde n'est possible que sous un angle d'incidence de 89° 50' au moins. La section que la partie plane de l'onde opère dans le faisceau est limitée par une courbe elliptique. Son grand axe, qui mesure la plus grande dimension de la partie plane, est égal au produit de la sécante de l'angle d'incidence multiplié par 5 millimè- tres, diamètre du faisceau entrant dans la pupille. La sécante de 89° 50' ayant pour valeur 544 (le rayon des tables est pris égal à l'unité), la longueur du grand axe cher- chée sera 0",005 X 544 ou 1 mètre environ. Telle doit être au minimum l'étendue de la partie plane pour la réflexion , dans une même direction, de tous les rayons du même faisceau coloré de 5 millimètres de diamètre. Si l'onde s'interpose très-près de l'observateur A, qui est sensiblement à la même dis- tance de l'onde que le spectateur A' vu les conditions de symétrie, les divers faisceaux colorés, chacun de 5 millimètres de diamètre, sont sensiblement réunis en un seul au lieu de la réflexion ; tous les rayons pourraient à la rigueur être réfléchis vers un point de concentration A', dès l'iuslanl où l'étendue plane de l'onde atteint 1 mètre en longueur sur 5 millimètres de large. Mais si l'interposition s'effectue en un lieu où les trajectoires sont nettement séparées, lieu qui sera assez rapproché de l'observateur quand l'étoile se trouvera à de grandes distances zénithales, les dimensions de la partie plane de l'onde devront être nécessairement bien plus considérables que 1 mètre pour que la réflexion de tous les rayons soit possible vers un spectateur, celui-ci étant superposé placé dans un plan passant par son œil et par l'onde très-incliné sur le plan vertical de l'étoile et de l'onde. Ainsi, par exemple, à 100 mètres de l'observateur, l'écartement désigné par d des rayons médians rouge et bleu , originaires d'une étoile éloignée de 80° du zénith, est sensiblement égal à 0",056, comme on l'a vu; les faisceaux diversement colorés, chacun de 5 millimètres, seront donc nelloment séparés en ce lieu. On trouve, au moyen d'un calcul semblable à celui qui vient d'être effectué, que la longueur de la partie plane de l'onde devrait nécessairement s'étendre sur 15 mètres environ pour intercepter très-obliquement tous les faisceaux à 100 mètres, puis les réfléchir vers le spectateur A' supposé placé très-proche du plan verlical de l'onde et de l'étoile, ou dans ce plan même. Concluons de ce qui précède que la réflexion de tous les faisceaux, de 5 millimètres 36 DE LA SCirSTlLLATION. chacun, vers loeil d'un spectateur par une onde interposée à une distance de lui ou de l'observateur bien inférieure à 100 mètres, exigeant que l'onde ait une étendue parfai- tement plane sur une longueur de 1 mètre au moins, celte condition réunie à celle de face plane disposée de façon que l'observateur et le spectateur occupent des positions symétriques par rapport à ce plan, rendent presque impossible la réllexion accidentelle de tous les rayons vers le spectateur, même par une onde très-rapprochée de lui, à moins d'un hasard bien extraordinaire. Enfin, la concentration de tous les rayons réfléchis vers le spectateur deviendrait absolument impossible, vu les grandes dimensions en longueur qu'il faudrait concéder à la partie plane d'une onde, si celle-ci interceptait les rayons à une distance de 100 mètres ou plus de l'œil. Ces conclusions s'appliquent, à bien plus forte raison, au cas où l'œil du spectateur est armé d'une lunette, vers laquelle de larges faisceaux devraient être réfléchis. Dans la nature, les ondes présentent des courbures de toute espèce à leurs faces; lors- que les cas de réflexion totale surviennent, les rayons sont éparpillés suivant des direc- tions très-différentes. Si quelques-uns étaient fortuitement réfléchis vers l'œil d'un spec- tateur, leur passage n'y donnerait lieu qu'à de faibles images colorées qui passeraient complètement inaperçues*. Cette discussion n'est point épuisée : il importe de montrer que, quand bien même les conditions géométriques de la forme de l'onde et de la position du spectateur se trou- veraient un instant réalisées au point que tous les rayons pussent pénétrer dans l'œil, il y aurait impossibilité, pour celui-ci, de percevoir une image nette de l'objet, ni même nue trace déformée, et cela à cause des raisons suivantes, parmi lesquelles une est très-importante. Si l'image fictive d'une étoile était perceptible, elle n'apparaîtrait qu'à une très-petite dislance de l'image vraie, sans dépasser beaucoup les extrémités des rayons parasites que l'œil nu aperçoit autour des étoiles et des planètes. Pour le prouver, soit e'ôA' un rayon émané d'une étoile, qu'une onde écarte de sa direction OA vers l'observateur A, pour le ' Les résultats auxquels le calcul nous a conduit ne deviennent en aucune manière des armes hostiles à ma théorie; ainsi, il n'est nullement indispensable, pour les effets de réflexion totale, que les rayons soient interceptés par une partie d'onde plane, puisque dans la scintillation une portion courbe peut arrêter et réfléchir les rajons in- cidents en les éparpillant dans diverses directions. Ces interceptions ont lieu sans que les ondes dépassent des dimen- sions possibles, car il n'est nullement nécessaire à la production d'un changement d'éclat ou de couleur d'une étoile scintillante qu'il y ait suspension de la totalité d'un ou de plusieurs faisceaux colorés. Non-seulement M. Arago a prouvé qu'il suffit de la disparition d'un vingtième des rayons d'une couleur pour modifier la teinte résultante, mais il a démontré , comme j'ai déjà eu occasion de le dire, que l'œil peut percevoir des différences d'intensité de la lumière en repos équivalents à ^ de son intensité normale, et que, si ces modifications sont accompagnées de changements déposition de la lumière, la limite de perception descend encore au-dessous de cette faible quantité. Si l'on veut, cependant, admettre que, dans certains cas, l'extinction momentanée d'une étoile scintillante est réellement complète, soit près du zénith là où les divers faisceaux sont presque réunis, soit même au voisinage de l'horizon là où ils sont très-écartés, on trouverait la cause de l'extinction complète dans la simultanéité des intercep- tions opérées en divers lieux par plusieurs ondes capables de la réflexion totale : chaque rayon doit infailliblement en rencontrer plusieurs au milieu de la multitude d'ondes de toute espèce qu'il trouve sur son passage dans l'étendue de l'atmosphère. DE LA SCINTILLATION. 57 rejeter incidemment vers le spectateur A'. Il est évident que la déviation OA'e du rayon réfléchi par rapport au rayon direct eA', est toujours égale au double de l'angle d'incli- naison e'oï mesuré entre eo et le plan oT tangent à l'onde. D'après les conditions pré- sumables de la différence des densités de l'onde et de l'air ambiant, la réflexion totale à la face de l'onde doit s'opérer sous un angle de quelques minutes seulement, 4 à 6 au plus. Et admettant 5' d'incidence, la déviation e"A'e portera l'image à 10' au plus de l'étoile. Remarquons, d'autre part, que les rayons parasites des étoiles s'étendent à 5 ou 6 minutes pour la vue ordinaire, selon M. de Humboldt. Cela posé, si l'onde 0 s'in- terpose sur une trajectoire, émanée de la même étoile, de manière à la dévier incidem- ment vers le spectateur A', l'image ne s'écartera qu'un peu au delà des rayons parasites. En supposant que le mouvement propre de l'onde s'effectue, tout exceplionnelleraent, dans des conditions assez favorables à la perception de l'image pour que celle-ci persé- vère au même lieu pendant un temps appréciable, alors l'image se trouverait pour ainsi dire éclipsée dans le champ de la vision tant par l'éclat des queues que par celui bien plus vif de l'étoile. Mais, le plus souvent, le mouvement de l'onde donnera lieu à un déplacement des rayons réfléchis sur la rétine tellement rapide qu'ils ne pourraient lais- ser qu'une trace lumineuse fugitive, à laquelle l'œil resterait d'ailleurs insensible, tant par la cause indiquée que par la courte durée du passage et l'effet du déplacement de l'image sur la rétine, comme nous allons le voir. Remarquons, toutefois, que les effets dépendants des rayons parasites n'ont d'importance que dans la vision à l'œil nu ou à l'aide de faibles lunettes, puisque les images des étoiles sont dépouillées des queues en question dans une bonne et puissante lunette. Si l'on voulait que les circonstances se réunissent fortuitement pour diminuer les obstacles à la perception de l'image fictive que les causes examinées font naître, le temps excessivement court pendant lequel les rayons seraient intégralement réfléchis vers l'œil du spectateur, joint à la mobilité elle-même de ces rayons, rendrait presque impossible la perception de l'image par l'œil. Remarquons que d'après toute présomption , la totalité des rayons ne pourrait généralement converger vers celui-ci que pendant un temps très- court. En effet, les phénomènes qui concourent à une phase perceptible de la scintilla- tion , ou en d'autres termes , le passage d'une onde à travers un ensemble de rayons, sont de très-courte durée, car les changements qui caractérisent la scintillation des étoiles se succèdent avec une rapidité excessive, comme nous l'avons déjà vu '. Or, on sait qu'il faut aussi un temps sensible pour qu'une impression se forme sur la rétine d'une manière complète. Il résulte de là et de ce qui précède qu'en laissant à une onde sa vitesse de ' J'ai évalué à 70 environ par seconde les changements de couleurs et d'intensité que l'image de Sirius présente dans une lunette où elle se déploie en ruban, 11 ne faut point conclure de ce chiffre que les phéno- mènes particuliers de coloration ou d'éclat , dont l'ensemble concourut à produire l'un ou l'autre des 70 chan- gements observés en iine seconde, aient été entièrement renouvelés après yô d^ seconde; car nous savons qu'il suffit qu'une faible portion de ces particularités ait été modifiée pour donner lieu à un changement appréciable. Néanmoins, on doit admettre que chaque variation subie par un rayon d'une étoile scintillante, et par conséquent le passage d'une onde à travers ce rayon ou même à travers tin faisceau de rayons, ne dure qu'une petite fraction de seconde. Tome XXVHI. 8 S8 DE LA SCINTILLATION Iranslation ordinaire, la réflexion des rayons vers l'œil d'un spectateur sera de trop courte durée pour y donner lieu à des impressions connplètes, même en admettant que la face réfléchissante de l'onde, supposée plane d'ailleurs, conserve pendant la traversée de chaque rayon une inclinaison constante, ce qui n'occasionnerait aucun déplacement du rayon réfléchi par rapport à l'œil du spectateur. Ainsi donc, en supposant que cette con- dition tout exceptionnelle persévère, l'image artificielle, loin d'avoir l'éclat de l'étoile vraie, serait affaiblie au point de passer peut-être tout à fait inaperçue. Mais la variété naturelle du mouvement des ondes jointe à la courbure des faces réfléchissantes s'oppose à ce qu'un rayon puisse généralement conserver une direc- tion invariable pendant sa réflexion par la même onde : il arrivera le plus souvent que les rayons en se déptaçani balayeront plus ou moins rapidement l'œil du spectateur. Or, ce mouvement propre des rayons sur la rétine tendra encore à affaiblir beaucoup les impressions que la trace linéaire d'un rayon pourrait laisser aux points de passage sur la rétine, si le déplacement s'effectuait plus lentement. Voici un fait qui oflre la plus grande analogie avec celui dont nous nous occupons, et qui met en évidence l'af- faiblissement des impressions sur la rétine par le passage rapide des rayons. Si l'œil parcourt avec une certaine vitesse le ciel étoile à l'aide d'une bonne lunette, des étoiles, même brillantes, passent dans son champ sans laisser de trace sensible sur la rétine. Devons-nous ici prévenir une objection tendant à inférer que, si le temps du passage des rayons réfléchis dans l'œil du spectateur A' est trop court pour y donner lieu à des impressions sensibles, l'observateur A ne devrait point non plus percevoir les effets de scintillation de l'étoile qui résultent de l'interception des rayons directs? On répondrait à cette objection que, dans la généralité des cas, l'interception des rayons pour l'obser- vateur A est toujours de plus longue durée que la pénétration possible des rayons réflé- chis dans l'œil du spectateur A'; car il sullit de la moindre variation d'inclinaison de la face réfléchissante par rapport au rayon pour le détourner de cet œil, bien avant que l'interception du rayon direct ait cessé pour l'observateur A. Concluons de tout ce qui précède que : 1° l'éparpillement des rayons déviés par ré- flexion totale à la surface d'ondes très -irrégulières de forme; 2° l'affaiblissement que l'image fictive éprouverait soit au voisinage de l'image réelle plus brillante, soit en se confondant avec les rayons parasites qui entourent une étoile à l'œil nu; 5° l'excessive brièveté de la concentration fortuite des rayons réfléchis vers un même point, jointe à la probabilité d'un déplacement très-rapide; 4° enfin, la presque certitude qu'avant d'at- teindre l'œil du spectateur, un ou plusieurs rayons réfléchis rencontreront de nouvelles ondes capables de les rejeter d'autre côté; toutes ces raisons, dis-je, expliquent complè- tement pourquoi le phénomène de la réflexion totale se produit à la face des ondes dans la scintillation, laquelle dérive de celte cause fondamentale, sans que parfois ce phéno- mène soit nécessairement accompagné des traces déformées d'une image artificielle, ni même d'une lueur passagère au voisinage de l'étoile scintillante. L'objection sur laquelle on conçoit, du reste, que M. Plateau ait insisté, s'est montrée avec la même importance aux yeux de M. le docteur Donati, qui a présenté récemment DE LA SCliMlLLATIOIN. S9 à l'Académie del Cimenlo de Florence une noie renfermant des considérations sur la théorie de la scintillation que je propose ', et dont il avait pu se former une idée précise en lisant l'exposé des principaux points que renferme l'excellent rapport de M. Plateau. A propos des effets de réflexion totale, M. Donali dit qu'il a aussi constaté au milieu des ondulations d'objets terrestres, produites par les ondes aériennes, des disparitions momentanées de certaines parties; il a vu, par exemple, une ligne éloignée ondulante offrir successivement des différences d'éclat, puis disparaître et comme se rompre par parties. « Si ces disparitions résultaient d'un effet de réflexion totale, dit M. Donati, on » devrait voir, au moins souvent, certaines parties d'un objet lointain produire le plié- » nomène du mirage. Or, je ne sache pas que cela ait été observé dans nos climats. » Les raisons qui viennent d'être invoquées pour rendre compte de l'absence d'un phéno- mène de mirage à l'égard des étoiles, s'appliquent à plus forte raison aux images fictives des objets terrestres; elles expliquent mieux encore, à l'égard de ceux-ci, pourquoi l'œil se trouve presque toujours dans l'impossibilité de percevoir des effets de mirage très- restreinls passant rapidement, et qui ne pourraient être vus d'ailleurs qu'au travers d'une multitude d'ondes tumultueusement agitées. Nous examinerons plus loin à quelle cause M. Donati attribue ces dispositions et le phénomène de la scintillation lui-même. Il fait connaître dans la note qu'il a eu l'obli- geance de m'adresser, quelques observations qui lui sont personnelles, et dont je vais donner la traduction. Voici d'abord ce que M. Donati dit au sujet des observations qui ont été proposées par M. Plateau comme moyen de décider entre la théorie de M, Arago et celle que je propose. « Il ne m'est jamais arrivé d'apercevoir des variations de couleur pour une étoile » proche du zénith, quoique, dans des cas très-rares, il s'y manifeste des variations » d'éclat. Je pense que les physiciens qui disent avoir vu scintiller les étoiles les plus » rapprochées du zénith, entendent parler de simples variations d'intensité de lumière, B puisque jamais il n'est question d'une manière explicite de changements de couleurs. » J'indiquerai ici une expérience qui m'a été suggérée par le professeur Amici. Que l'on 1. place à une grande distance une petite boule argentée et très-près d'elle un prisme de » cristal, disposé de telle façon que, quand le soleil l'éclairé, on puisse voir à l'œil nu » ou avec une lunette, non-seulement un rayon réfléchi par la petite boule, mais aussi B un autre rayon qui, après une réflexion, aura traversé le prisme où il se sera faible- B ment décomposé par dispersion. Ces deux rayons donnent lieu à deux images qui se » montrent comme deux points ou deux étoiles artificielles. Maintenant, comme il sur- » vient presque toujours divers changements dans l'air interposé entre la boule et l'ob- » servateur, on voit toujours l'image produite par le rayon simplement réfléchi rester ï constamment blanche, taudis que celle due au rayon qui a traversé le prisme change » de couleur ou scintille par intervalle. Cette expérience prouve que la dispersion a une ■ Eslrutto del Nuovo cimenta, 1. 1, p. 336. M. Mossotli a joint aux considérations de M. Donati une note ayant pour objet princip.-)! la détermination de la distance qui sépare les trajectoires bleue et rouge à leur entrée dans l'al- mosphèri». 60 DE LA SCINTILLATION. B plus grande part d'inlervenlion dans le phénomène de la scinlillalion que ne pour- » raient l'avoir les interférences '. a M. Donati rapporte ensuite des observations faites avec la grande lunette de l'obser- vatoire de Florence, de 10 pouces d'ouverture, qui lui ont montré dans les spectres slellaires des étoiles voisines de l'horizon des variations de couleurs analogues aux chan- gements que j'avais remarqués dans le spectre stellaire produit à l'aide d'un prisme, et qui ont été cités par M. Plateau dans son rapport. « J'ai vu, dit M. Donati, le rayon rouge prendre la place du jaune ou du vert et vice- » versa, puis le rayon vert empiéter sur le bleu et même jusque sur le violet. Il s'opère » également des superpositions et des entre-croisements des diverses couleurs qui quel- ). quefois même restaient séparées. Dans ce mélange des différentes teintes, jamais je » n'ai vu les rayons rouges atteindre l'extrémité du violet, et lorsque le spectre était 1) tranquille, les couleurs conservaient chacune la place qui leur est propre. » Par le fait de ces entre-croisements et superpositions on observe, dans chacune des » couleurs ou dans tout le spectre, des allongements {dilatazioni) et des raccourcissements » (ristringimenli) qui sont cause que tantôt une couleur, tantôt une autre prédomine. « Si, par exemple, les rayons bleus se superposent aux jaunes, leur réunion produit la M sensation de la couleur verte, qui, jointe à celle que possédait déjà le spectre, est » cause d'un accroissement apparent de cette teinte. Si le rayon jaune empiète sur le » rouge, ce dernier est diminué et la sensation de la teinte rouge est affaiblie. La variété » des mouvements des diverses couleurs amène la prédominance tantôt d'une couleur, » tantôt d'une autre sur l'étendue du spectre. » 11 m'est rarement survenu de voir pâlir et s'affaiblir tout le spectre et plus encore » chacune de ses parties; le tout indépendamment des mouvements qui viennent d'êlre 1» décrits. » Ces faits offrent beaucoup de rapport avec ceux que j'ai observés dans le spectre d'une étoile produit artificiellement à l'aide d'un prisme. Cependant M. Donati ne parle point des vibrations transversales que j'ai remarquées dans ce spectre; il dit textuellement que les affaiblissements du spectre entier ou de ses parties se sont rarement manifestés pour lui; tandis que dans mes expériences ces affaiblissements se manifestèrent au contraire fréquemment. Le lecteur conciliera aisément ces différences en remarquant en premier lieu , que les observations de M. Donati se sont portées sur des spectres aériens ondulants de quelques secondes d'étendue seulement; tandis que, dans mon expérience avec le prisme, le spectre de l'étoile Sirius, comparativement plus étendu, était mieux défini dans ses parties diversement colorées et se trouvait nettement limité latéralement; ces circon- stances rendirent plus aisée l'observation des trépidations tranversales et des affaiblisse- ments d'éclat dans ce spectre presque linéaire. En second lieu, les faisceaux lumineux qui • L'absence de dispersion sensible quand les i-ajons lumineux traversent de faibles dislances dans l'atmosphère , nous exi)li(|ue parfaitement pourquoi les images du soleil réflëchies par les boules dorées de clocher ou par des objets polis éloignés, paraissent animées d'une sorte de trépidation qui est accompagnée de variations d'éclat, mais sans aucun changement de couleur, comme on peut s'en assurer à l'aide du procédé indiqué. DE LA SCINTILLATION. 61 pénétraient dans la hinetle de Florence avaient 10 pouces de diamètre; mais dans mon expérience cette dimension était réduite à 2 centimètres, largeur de l'objectif de ma petite lunette. On conçoit qu'une même onde, capable des effets de réflexion totale, doive pro- duire relativement bien plus d'effet sur l'ensemble d'un faisceau de rayons bleus par exemple, de 2 centimètres de diamètre, qu'en traversant, dans les mêmes conditions, un faisceau également bleu qui aurait 10 pouces de large. Ainsi donc, certaines particu- larités ont pu passer inaperçues avec une large lunette, dans les mômes circonstances. Enfin, il semble que les pbénomènes de la scintillation sont généralement moins carac- térisés dans les contrées méridionales que sous nos climats : les effets des ondes aériennes sur les faisceaux constitutifs des spectres aériens, observés à Florence, peuvent ainsi être moins fréquents et moins apparents qu'ils ne le sont dans nos contrées. Disons actuellement quelques mots de la cause à laquelle M. Donati rapporte la dispari- tion de certaines parties d'un objet terrestre et l'extinction des rayons slellaircs dans la scintillation, rayons qu'il reconnaît avoir été préalablement séparés par dispersion dans l'atmosphère, comme je l'ai prouvé. C'est à l'interposition d'ondes capables d'absorber et d'é- parpiller {dijfondere) la lumière provenant de la partie affaiblie ou divisée de l'objet terrestre et aux diffusions [diffusioni) ou absorptions semblables subies par les rayons stellaires, que M. Donati attribue les disparitions de parties d'objets terrestres et l'extinction des rayons d'une étoile scintillante. La cause invoquée par ce savant rend très-difficilement compte, me paraît-il , de la vivacité et de la rapidité des changements continuels qui caractérisent la scintillation; au contraire, le phénomène de la réflexion totale satisfait parfaitement à ces conditions. Comment comprendre, d'ailleurs, la dilfusion complète de la lumière à la face d'une onde aérienne autrement que par des effets de réflexion totale, soit dans la scin- tillation, soit pour expliquer les disparitions de certaines parties d'objets terrestres ondu- lants? iM. Donati fait aussi intervenir un autre effet pour expliquer les changements de couleurs d'une étoile dans la scintillation. Après avoir décrit les vacillations qui agitent les couleurs composant les spectres aériens observés dans la grande lunette de Florence, il ajoute : « On conçoit qu'à l'œil nu ou dans une petite lunette, aucune des apparences » décrites ne pouvant être distinguée, l'image entière de l'étoile semble alors se revêtir » par intervalle de différentes teintes accompagnées de variations d'éclat, et, enfin, » donner lieu au phénomène de la scintillation. » Les variations de couleurs, observées à l'œil nu, ne peuvent en aucune manière dériver de la cause citée ici par M. Donati; car, dans sa manière d'envisager les faits, pas un seul des rayons émanés de l'étoile ne fait défaut sur l'excessive petite portion de la rétine que ces rayons impressionnent, et où ils produisent nécessairement, à l'œil nu et dans une petite lunette, la même sensa- tion de lumière blanche que si tous étaient rigoureusement concentrés en un seul point. M. Donati termine sa note par quelques considérations sur la cause de l'apparition des arcs diversement colorés de l'image d'une étoile scintillante déployée en ruban, quand on agite la lunette dans laquelle on l'observe. Il se demande si ces arcs colorés ne seraient point les diverses parties du spectre allongées. Il ne peut en être ainsi; car, pour le cas où les oscillations seraient imprimées à la lunette dans le sens horizontal, le spectre 62 DE LA SCirSTILLATION. (l'une éloile observée près de l'horizon dans des conditions atmosphériques ou la scintilla- tion se produirait peu, échelonnerait ses couleurs sur une plus grande étendue dans le sens horizontal que quand la lunette est immobile. Si le mouvement est imprimé à celle-ci dans le sens vertical, le spectre peut devenir incolore, comme M. Donati dit l'avoir observé à Florence, sous un climat où la fréquence moins prononcée de la scintillation lui a permis de voir des traits incolores bien marqués pour certaines vacillations de la lunette. Dans le phénomène, tel que nous l'observons avec ia lunette vacillante, la ligne incolore se Cractionne en arcs diversement colorés quand une ou plusieurs couleurs de l'étoile scintillante font défaut, comme je l'ai suffisamment expliqué. Je terminerai ces additions en rapportant deux observations concernant la scintilla- tion de Vénus, puis j'expliquerai pour quelles raisons la faible scintillation des planètes est limitée à des variations d'éclat. Dernièrement, au mois de janvier, avant le lever du soleil, j'observai dans une lunette la planète Vénus, assez élevée sur l'horizon, qui scintillait par intervalles; l'objectif de la lunette, de 5 centimètres d'ouverture, était recouvert d'un diaphragme percé d'un trou de (> millimètres de diamètre. L'image planétaire, parfaitement ronde et bien terminée, se montra entourée de plusieurs anneaux colorés où le rouge-pourpre, le jaune et le vert prédominaient '. Mais la couleur de chaque anneau n'était point stable : le contour d'un même anneau passait partiellement par l'une ou l'autre des teintes spécifiées, comme si tous les anneaiix eussent été agités de variations scintillatoires. Ce fait prouverait, au besoin , que la lumière d'une planète, qui est une lumière réfléchie, est apte de sa nature à scintiller avec variation décoloration. (On lit à la page 571 de la Notice d'Arago, que Kepler croyait avec Cléomède, que la lumière réfléchie des planètes n'est pas susceptible d'éprouver des variations de couleur en scintillant.) Il est bien prouvé pour moi que, dans les circonstances ordinaires, la scintillation de petites planètes telles que Vénus, est limitée à des variations d'éclat sans aucun changement de couleur. En efl"et, j'ai développé en cercle l'image de Vénus dans une lunette à objectif découvert et munie du mécanisme décrit, sans pouvoir distinguer aucun arc coloré sur ce cercle brillant, contrairement à ce qui se serait montré si l'instrument eût été dirigé vers une éloile scintillante; seulement, la circonférence présentait des solutions de continuité qui correspondaient aux variations d'éclat que la planète scintillante accusait à l'œil nu. Il convient, me paraît-il, de remonter à la cause de la difl'érence entre les scintilla- lions des étoiles et des petites planètes, car les premières oflrent tout à la fois des va- riations d'éclat et de couleur, et les secondes ne donnent lieu à aucun changement de coloration. Cela provient de ce que les trajectoires diversement colorées, originaires d'une ' W, Herschell est le premier qui ail remarqué la présence de semblables anneaux aulour de l'image d'une étoile dans une puissante lunette acbiomatique, avec objectif découvert ou formé par un diaphragme percé d'une petite ouverture. On trouve des détails sur ce sujet dans le Traité de ta lumière par .1. Herschell. J'ai remarqué que ces anneaux sont également visibles quand on dirige une lunette, munie d'un diaphragme, vers un objet poli réfléchissant avec éclat la lumière solaire. Pour une petite ouverture du diaphragme (6 mill.), l'image de l'objet réflecteur paraît ronde, quelle que .soit l'irrégularité de sa formée réelle. DE LA SCINTILLATION. 63 même étoile, arrivent à l'œil sans s'être préalablement croisées dans lalmosphère, au lieu que des rayons colorés appartenant à certains points d'une planète très-voisins les uns des autres se rencontrent dans l'atmosphère avant leur croisement dans l'œil. C'est ce que je vais prouver, en considérant la planète Vénus descendue à 80° de distance zéni- thale. Notonsd'abord qu'à cette dislance l'étendue du spectre d'un point de la planète seraitde 5" environ , longueur d'un spectre stellaire à 80°. Soit donc ni le rayon blanc émané d'un point du disque planétaire dont le rayon rouge IRA atteint l'œil en A. Soit ni' un autre rayon incolore originaire d'un point de la planète situé sur la corde verticale du pre- mier point cl un peu au-dessous , à 3" de dislance angulaire, par exemple : l'BA repré- sentera la trajectoire bleue originaire de n'V, qui, tout en restant dans le plan vertical du rayon rouge IRA, pénètre avec lui dans l'œil. Or ces deux trajectoires se sont cou- pées préalablement; car la longueur du spectre stellaire est de 3" à 80° et la tangente au rayon bleu «iBA en A s'élève de 2" par rapport à la tangente au rayon rouge niRA, puisque le point d'émanation du premier rayon est placé à 5" au-dessous du point origi- naire du rayon rouge : il faut nécessairement que les deux trajectoires, toujours dans le même plan , se soient préalablement croisées quelque part dans l'atmosphère en m par exemple, avant d'arriver en A. La dislance Ain du point de croisement des trajectoires dépend d'abord de la distance zénithale Z de l'astre, et de l'angle , afin d'indiquer que les trajee- lôires rouge et bleue se coupent en m , nous aurons : siii Z N siil Z' N' X - = = X Mn V n sin v' n' Si f exprime l'angle compris entre les tangentes aux rayons rouge et bleu dont les distances zénithales sont res- pectivement Z' et Z dans l'oeil; si u', u représentent ces mêmes distances en m, on a : Z'=Z-+- f. Comme «et v' dif- férent très-peu entre eux, on considère pour plus de simplicité, sin v = sin v'. Après avoir remplacé N et N' par leurs expressions respectives en fonction de n, de n', de x, valeur de la distance cherchée Am, et à l'aide des éléments nu- mériques indiqués dans la note, on oblienl une formule dans laquelle Z-hf doit se substituer à Z'. On en déduit aisé- ment pour la valeur de x .• / tang Z l 0,41224 X — - — — sa.as J sin 'f 18393" "^ ^ wiTZ - ml ^ '"= ] lang Z 0,412 X .— 100029,2» îiin o Celte formule conduit a des valeurs de x qui sont sulTisamment approchées pour l'usage qu'on veut en faire. 64 DE LA SCINTILLATION. toires rouge et bleue, dont les directions font un angle y de 2" à leur entrée dans l'œil et lorsque la planète d'où ces rayons émanent est à 80° de distance zénithale. L'éléva- tion du point m au-dessus du sol est de 4280 mètres environ. Si l'on sujipose 9 = 0",5, le calcul montre que a; = 50ôG mètres, et que la hauteur du point m est de 875 mètres. Observons que le point m est aussi le lieu de croisement de rayons orange, jaune, vert , tous originaires de points du disque placés sur la planète entre les lieux d'émana- tion du rouge et du bleu, et sur la même onde verticale. Comme ces faits s'appliquent à tout autre |)oint de l'une des trajectoires considérées, il faut en conclure qu'un lieu quelconque de l'atmosphère où passe une trajectoire colorée, émanant d'un point d'une planète et qui parvient à l'œil d'un observateur, est aussi le lieu où se croisent des rayons de toutes les autres couleurs, également originaires de points de la planète très-proches du premier, et qui parviennent à l'œil de l'observateur. Ce fait général étant bien établi, il devient évident qu'à l'instant où une onde s'inter- pose en m par exemple, dans les conditions de réflexion totale pour un quelconque des rayons, elle intercepte simultanément tous les autres rayons de la même planète, qui, après s'être croisés avec le premier au point de passage de l'onde, aboutissaient antérieurement avec lui à l'œil de l'observateur. Or, comme les lieux où tous ces rayons se peignaient sur la rétine sont tellement rajiprochés qu'avant l'interception commune leurs impressions mélangées y produisaient la sensation de la lumière blanche, il devient indubitable qu'au moment de l'interception ce lieu de la rétine ne peut éprouver qu'une variation d'éclat ou une extinction de lumière complète, et sans que celle-ci soit accom- pagnée d'aucun changement de couleur. Les variations d'éclat sont plus sensibles à l'œil pour les planètes de petit diamètre que pour les grandes, qui scintillent très-peu par la raison qu'il y a d'autant plus de chance de discordance entre les changements d'éclat de points différents de la planète que le nombre de points lumineux est plus considérable, comme je l'ail déjà dit, d'après M. Arago. FIN. MÉMOIKK HISTORIOIE ET LITTÉRAIRE LE COLLEGE DES TROTS-L/^^NGIES L'UNIVERSITÉ DE LOUVAIN, EN RÉPOHSE X LA QUESTION SUIVANTE : KAIRE LllISTOIllE Dt COLLÈGE DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN, ET EXPOSER l'iNFUENCE QU'lL A EXERCÉE SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA LITTÉRATURE CLASSIQUE, AINSI QUE SUR L'ÉTUDE DES LANGUES ORIENTALES; Par m. Félix NÈVE, PROFESSEUR A l/ UNIVERSITÉ 1)E LOUVAIN. Sacros vetuHate Ittcoa. . . . in i/uibus grandia et antiqua rofioi'a jtim uoti lautain fuihent Hpenem , iiuanlani rcHffio 7tefn. (QVIKTIMEH.) (Mémoire couronné dans la séance du 20 mai 185(î. Tome XXVIII. INTRODUCTION. Une des périodes les plus remarquables que présente le cours entier de nos annales, c'est le XVI""' siècle, signalé par un mouvement intellec- tuel qui faisait de la Belgique l'émule des plus grands États : il ne serait pas téméraire de dire qu'à aucune époque, noire nation n'a montré plus d'ardeur et plus de puissance d'initiative. En d'autres moments , on a vu briller davantage chez elle le génie des arts , et peut-être sous le rapport de l'ascendant politique, serait-on fondé à opposer la domination des ducs de Bourgogne à ce règne de Charles-Quint, qui ouvrit la carrière à nos diplomates, à nos légistes et à nos capitaines. Mais quelle est l'autre période de notre histoire, où l'on trouve les aptitudes de l'esprit scienti- fique et la fécondité de l'esprit littéraire réunies au même degré que dans la belle suite d'années qui sépare le quinzième siècle, temps d'immenses découvertes, de la révolution politique et religieuse marquant la fin du seizième? De nombreux essais ont été faits dans la Belgique depuis 1850 pour animer le tableau des principaux âges de son histoire par des traits et des épisodes empruntés à la culture des arts, des sciences et des lettres chez nos ancêtres, et déjà une foule de documents neufs, analysés par le labeur de nos érudits , ofTrent d'importants matériaux à de semblables recherches ; on ne peut, en efïet, séparer la culture des intelligences de l'histoire poli- tique, si l'on veut se former une juste idée de notre passé, recueillir tous IV IINTRODUCTIOIS. les souvenirs glorieux qui appartiennent sans conteste à la Belgique dans les fastes de la civilisation européenne. Jusqu'ici l'histoire de nos écoles savantes n'est pas aussi avancée que celle de nos écoles d'arts et de peinture; mais du moins, des monogra- phies , des mémoires et des notices ont mis sur la voie ceux qui seront à même de l'écrire un jour. Le XVI'"'' siècle a eu de droit la plus belle part dans ce travail préliminaire de réhabilitation : il a piqué l'ingénieuse curiosité de M. le baron de Reiffenberg, quand il a écrit en bibliographe, doublé d'un satirique, ses Mémoires sur les deux premiers siècles de l'Uni- versité de Loitvain^. L'Académie royale de Belgique, qui avait couronné autrefois une biographie latine de Juste Lipse, a mis naguère au concours la composition d'écrits spéciaux sur la vie et les travaux de Louis Vives et de D. Erasme ^. Le mémoire historique et littéraire que nous présentons aujourd'hui à l'Académie sur le collège des Trois-Langues , dit aussi col- lège de Busleiden, appartient au même cycle d'études. Cette institution, consacrée à l'enseignement des trois langues savantes, le latin, le grec et l'hébreu, a son origine, sa raison d'être dans le mouvement général des études classiques qui s'est propagé de l'Italie dans toute l'Europe, et jusque dans les provinces belgiques. Le temps a manqué à M. de Reiffenberg pour retracer, à l'aide de son immense éru- dition, l'histoire de cette école littéraire, à laquelle il fait allusion sans cesse avec certaine complaisance dans les cinq mémoires publiés. En entreprenant la présente monographie, nous nous proposons de ' Ils sont ainsi répartis dans la collection des Nouveaux Mémoires de l'Académie royale des sciences el belles-letlres de Bruxelles, où ils ont été imprimés à d'assez longs intervalles : Premier mémoire, p. 44 , au tome V (1829); Second , troisième el qualrième mémoire , pp. 43, 46 et HO, au tome VII (1832); Cinquième mémoire , ç. 27, au tome X (1837). 2 Voir le Mémoire de M. l'abbé Namèche, sur la vie du premier de ces savants, au tome XV""^ des Mémoires couronnés (1842), coll. in-4°, el le Mémoire de M. E. Rotlier sur Érasme, au tonieVr% 3'"' partie, des Mémoires couronnés, coll. in-S", I8.i33. INTRODUCTIOiN. v poursuivre l'histoire du collège des Ïrois-Laiigues depuis sa fondation jusqu'à la chute de l'université de Louvain , au sort de laquelle son sort fut lié : cependant on nous permettra de nous arrêter le plus longtemps aux commencements glorieux de cette institution, qui pouvait alors être mise- en parallèle avec les institutions semblables érigées en d'autres pays : nous ferons en sorte de montrer en toute vérité quelle action elle a exercée sur l'état intellectuel de nos provinces, et même sur la direction des études dans les contrées voisines. Le collège des Trois-Langues a eu son temps de splendeur, et plusieurs des hommes qu'il a formés ont bien mérité de la patrie. Nous parlerons avec une sincère admiration de cette gloire bien acquise; mais nous nous garderons toujours de ce ton de forfanterie qui déligure trop souvent aujourd'hui nos publications nationales d'art, d'histoire et de critique : c'est à nos yeux un vain et dangereux patriotisme que celui qui voit des idoles dans toutes les figures de notre panthéon historique : Tola licel veleres exornenl undique cerae Alria, nohilitas sola est alque unica virlus. Quand nous devrons mentionner dans le cours de notre exposé des tendances fausses, des abus et des préjugés funestes, nous le ferons avec quelque ménagement ; nous souvenant de l'excellent conseil que donnait M. de Reiffenberg, sans le pratiquer lui-même * : « Transporter dans les » siècles antérieurs les opinions de nos jours, c'est des erreurs la source » la plus féconde. » De même , quand nous en viendrons à la décadence de l'institution, nous tâcherons d'en assigner les causes, sans devenir cou- pable du dénigrement calculé avec lequel on a quelquefois parlé de l'uni- versité de Louvain, de ses hommes et de son histoire au siècle passé. L'espace de temps sur lequel ont porté nos recherches répond aux trois * En lête de la Préface, au premier de ses Mémoires cités. VI INTRODUCTION. derniers siècles : le collège des Trois-Langues fut le plus florissant pendant le premier, celui de sa fondation et de son développement normal; il se maintint dans le siècle suivant, le XVII""', avec quelque utilité pratique pour les études universitaires, mais sans éclat et sans influence extérieure ; enfin, il fut frappé pendant le XVIII"' siècle d'une déchéance qui atteignit à la fois son enseignement et son influence littéraire et scientifique. Une telle appréciation de l'histoire du collège doit ressortir de l'en- semble de notre travail ; cependant elle sera l'objet d'aperçus synthétiques, qui en occuperont les derniers chapitres. Dans la première partie, qui est la plus étendue , nous avons accordé notre principale attention aux faits qui composent le fond historique du sujet, et c'est surtout sur l'exécution de cette partie du mémoire que nous aurons à nous expliquer ici. 11 nous importait, en premier lieu, de faire connaître aux lecteurs l'état de l'instruction et particulièrement de l'élude des langues anciennes dans les Pays-Bas, avant l'érection de l'établissement du collège des Trois- Langues à Louvain : nous avons signalé, à cet effet, tout ce qui s'est fait pour l'enseignement de ces langues à l'école de Deventer et à l'uni- versité de Louvain, pendant le XV'"'' siècle et dans les premières années du XVI""; nous avons dû en même temps jeter un regard sur les travaux qui ont marqué, dans cet intervalle, l'introduction de la philologie clas- sique, ainsi que des études hébraïques, en plusieurs États de l'Eiirope. Le terrain ainsi préparé, nous exposons toutes les circonstances de la fondation du collège des Trois-Langues par Jérôme Busleiden, et nous replaçons ce protecteur éclairé des lettres anciennes dans la société d'es- prits distingués au milieu de laquelle il a nourri son projet; puis nous mettons en scène Érasme, qui prit à cœur plus que personne l'existence et la prospérité du collège de Busleiden ^; nous le montrons conseiller et ' Nous citerons constamment Érasme d'après la grande édition de ses œuvres , donnée à Leyde, IISTRODUCTION. vri guide de ses premiers maîtres, défenseur de ses droits devant l'opinion et de ses intérêts devant les princes et les grands, promoteur vigilant des études utiles, auxquelles ses chaires étaient affectées. Il nous fallait, en second lieu, rétablir, dans la mesure du possible, l'histoire chronologique du collège des Trois-Langues , exposer son organisation intérieure et ses ressources flnancières, faire connaître la série des professeurs qui ont enseigné en ce collège depuis sa fondation jusqu'à sa suppression. Les ouvrages de Valère André nous présentaient les renseignements les plus utiles pour le premier siècle de cette histoire; le livre qu'il publia en 1614 renferme les annales du collège et la biographie de ses professeurs pen- dant un espace d'environ cent années, et c'est là une des meilleures sources relativement à cette belle période * ; les Fasti Academici du même auteur résument l'histoire du collège dans les mêmes temps, et la con- duisent jusqu'au milieu du XVII"'® siècle ^. Un autre travail de Valère André, sa Bibliolheca belgica , nous fournissait, d'autre part, des notions biographiques et littéraires d'un grand intérêt pour notre sujet ^. Nous avons toutefois voulu recourir à des documents encore inédits, soit pour compléter les données réunies dans Valère André, soit pour en 1702 et années suivantes, chez Pierre Vander Aa : ses lettres en forment le troisième volume, divisé en deux parties. ' Ce petit traité, dont Van Huitheni signalait la rareté, se compose de 4 feuillets non chiffrés et de 72 pages, petit in-4"; il est intitulé : Colhgii Trilinguis Buslidiani, in Academia Lova- niensi, exordia ac progressus, et linguae hebraicae encomium, publiée pronuntiatum V Kal. April. MDCXII, ab Andréa Valerio Uesselio, in professionis auspiciis. — Lovanii, Typis Philippi Dor- malii,MDCXlV. - Fasti Academici sludii generalis Lovaniensis , etc. Lovanii, typis V]orn. Coenestenii, i635, in-i". — Id. editio iterata accuralior et altéra parte auctior. Lovanii, apud Hier. Nempoeum. MDCL, in-4°. Voy. sur le Collegium Trilingue, pp. 273-285. '> Bibliotheca belgica, éd. 1623, in-8". Ed. ait., 1643 , in-4". Voy. plus loin chap. Vlll , biog. de V. André. Nous citons quelquefois ces éditions de préférence à celle de Foppens (1739). V Acade- mia Lovaniensis de Vernulaeus ne renferme que des généralités sur le Collegium Trilingue. VIII INTRODUCTION. rassembler des fails nouveaux servant à continuer la même histoire de- puis le milieu du XVII"'^ siècle jusqu'à la fin du XVIII"''. C'est dans cette intention que nous avons consulté quelques sources manuscrites sur lesquelles nous devons nous étendre ici quelque peu, sans parler des pièces détachées, dont nous sommes parvenu à avoir communication et dont nous avons tiré parti, soit dans le texte, soit dans l'Appendice. Nous avons mis à profit : 1" un recueil de notes historiques et biogra- phiques sur les établissements universitaires de Louvain, rédigé par un érudit consciencieux , au commencement de ce siècle , d'après les livres et d'après d'anciens papiers ' ; 2° les notes détachées i-ecueillies par J.-N. Paquot, en vue d'une édition nouvelle et complète des Fasti de Valère André, et formant un recueil en deux gros volumes, qu'on a inti- tulé : Fasti academici Lovanienses^; o" un manuscrit de Foppens intitulé : Promotiones in artibus, chargé de notes biographiques de la main de G. de Servais et de Ch. Van Hulthem, sur plusieurs des lauréats cités ^. Nous osons croire que la biographie des professeurs du collège de Rusleiden, de leurs suppléants, et même de leurs principaux élèves, sera considérée comme un élément indispensable de ce mémoire historique : ' Le principal auteur de celte compilation est Jean Liinibert Bax, autrefois économe [procuralor) au grand collège du Saint-Esprit à Louvain, mort à Malines en 1854. Nous désignerons par le seul nom de Bax ledit recueil , qui est aujourd'hui en la possession de M«' P.-F.-X. de Ram, recteur de l'université catholique. - Ouvrage acheté à Liège, en d804, à la vente de Paquot, et relié en 2 vol. in-folio. \oy.Bi- hhotheca flulthemiana , L VI, p. 242, n" 805. MS. de la Bibliothèque Royale, n"' 17567 et 17568. — On trouve, dans ces Fasti de Paquot, les éléments de biographies encore inédites (et , en ce cas , nous en avons fait un aipple usage) , et l'esquisse des biographies qu'il a achevées et insérées dans ses Mémoires d'histoire littéraire. ■' Promotiones in artibus ab erectione universitatis Lovaniensis usque ad haec lempora (circa, 1760), vol. in-folio, demi-rel. Biblioth. BuHhem. DIS. n» 807, t. VI, p. 242. MS. de la Biblioth. Roy., n» 17571. Voy. XAnn. de la Bibl. Roy., 1840, p. 101.— A la fin du volume sont ajoutées des thèses et pièces académiques, dont nous avons indiqué quelques-unes, en renvoyant 5 ce manuscrit. IINTRODUCTION. ix on apercevra sans peine pourquoi nous avons groupé quelquefois les noms d'humanistes distingués autour des noms de ceux qui ont enseigné publiquement les langues et les lettres; nous avions intérêt à montrer dans quel milieu littéraire ont vécu les maîtres du collège des Trois- Langues, et quel public lettré il leur a été donné de former et de diriger. Il va de soi que notre tâche ne comporte pas toutefois la composition de biographies détaillées et chargées de faits accessoires, étrangers au rôle des personnages comme professeurs et comme philologues; il ne peut entrer non plus dans notre plan de joindre aux notices biographi- ques de ce mémoire un bulletin bibliographique complet, sinon dans de rares exceptions, lorsqu'il s'agit, par exemple, de livres qui sont d'une valeur marquée dans l'histoire de la philologie et des lettres. Nous avons l'envoyé pour les particularités de plusieurs vies aux recueils bien connus de nos polygraphes nationaux, et quand nous avons rencontré des savants, dont les écrits très-nombreux n'ont encore été l'objet d'aucun travail ana- lytique, nous nous sommes borné à un jugement sommaire sur leurs œuvres, laissant à d'autres le soin de les décrire dans des monographies étendues. De même nous ne pouvons entreprendre ici des recherches trop détaillées sur les livres et les éditions : si ces recherches ne rentrent pas toujours dans le cadre des travaux d'histoire et de biographie, elles s'ac- cordent très-bien avec ces patientes études consacrées aujourd'hui, en Belgique, par une foule de bibliophiles distingués, aux productions de l'art typographique dans la Belgique ancienne. .\ous espérons du moins que les renseignements historiques et litté- raires que nous avons réunis en ce mémoire présenteront quelque intérêt aux personnes déjà versées dans la lecture des sources, et qu'ils offriront un intérêt plus grand encore aux érudits étrangers qui ne connaissent qu'à demi notre histoire et nos institutions; ils ne seront pas dépourvus du mérite de la nouveauté, ce nous semble, même après les livres de ces Tome XXVill. 2 , INTRODUCTION. polygraphes allemands qui ont l'air et qui se donnent la prétention de tout savoir. Nous avons remarqué, dans le cours de nos recherches, bien d'autres points d'histoire, dignes d'un examen spécial et approfondi, mais sur lesquels nous n'avons pas pu insister à notre gré. D'autres fois, nous nous sommes arrêté dans nos aperçus ou dans nos inductions, à cause de l'insuffisance des documents et des secours que nous avions sous la main. On sait de quelle rareté sont les éditions originales de bien des œuvres qui ont une haute importance dans les annales de l'érudition litté- raire : on sait aussi que les études d'humanités, pas plus que la plupart des sciences jadis cultivées en ce pays, n'ont pas encore trouvé leur his- torien ^ Nous nous sommes abstenu toutefois de développer nos réflexions ou d'aborder des questions nouvelles ; nous avons même renoncé à faire usage de tous les matériaux que nous avions rassemblés , afin de ne pas étendre la rédaction de notre travail au delà des limites ordinaires d'un mémoire : nous serions disposé à utiliser les plus intéressants de ces matériaux -, si notre travail recevait l'accueil que nous espérons. Louvain, 29 janvier 1856. ' d'est en vue des recliei'clies que d'aulres iiuiiiiaienl diriger de ce côté, que nous avons mis ;i la fin du mémoire un double index, concernani, l'un, les auteurs expliqués et les livres publiés; l'aiitre, la personne des professeurs, des savants et de leurs amis ou protecteurs les plus célèbres. - Puisqu'il n'est pas entré dans les vues de la Classe des Lettres de nous autoriser à développer quelques parties du présent travail , nous nous réservons d'en donner ailleurs le complément dans des notices détachées — (juin I80G). MÉMOIRE HISTORIQUE ET LITTÉRAIRE SLR LE COLLÈGE DES TROLSL ATS GUES L'UNIVERSITE DE LOUVAIÎN CHAPITRE 1" COUP D'OEIL SUR L'ÉTUDE DES LANGUES ET DES LITTÉRATURES ANCIENNES DANS LES ÉCOLES DES PAYS-BAS , AVANT L'ÉRECTION DU COLLÈGE DES TROIS- LANGUES (1400-1520). i'Lxeyc fyjtlt^ ante Ajamemntiva Mulli PRELIMINAIRES. On avait trop longtemps considéré le moyen âge comme étranger à toute culture classique, et, comme si l'on était ébloui par l'éclat des trésors littéraires mis au jour et avidement étudiés à l'époque dite de la Renais- sance, on n'avait pas pris la peine de voir ce qui était au delà : on parlait d'une longue et profonde nuit , elle était restée rompue, disait-on, pendant plusieurs siècles, la chaîne des traditions scolaires, relatives aux langues de l'antiquité, à la grammaire, à l'art oratoire, à la composition littéraire en général. 2 MEMOIRE SLR LE COLLEGE Sans doute, depuis la fondation des royaumes germains d Occident, les lettres subirent en Europe de fréquentes vicissitudes, et elles parurent quelquefois menacées d'une ruine complète. Mais il fallait s'attendre à re- trouver, dans les annales des nations modernes, des traces non équivoques de l'empire que les lettres anciennes avaient conservé dans l'éducation : de graves historiens ont pris à cœur cette tâche dédaignée par la critique des siècles précédents , et leurs premiers efforts ont été couronnés de succès. La lecture des sources leur a fait découvrir, dans l'instruction de la jeunesse, les méthodes et les procédés pédagogiques des écoles de l'an- tiquité. Non-seulement ils ont constaté la persistance de cette culture de la langue latine, sans laquelle il n'y avait pas d'enseignement possible; mais encore ils ont reconnu qu'une connaissance élémentaire du grec s'était conservée d'âge en âge par le fait de quelques hommes intelligents et zélés; ils ont de même aperçu que l'hébreu n'était pas resté entièrement ignoré dans le monde chrétien pendant un millier d'années, de saint Jérôme à J. Reuchlin. Les recherches d'histoire et de critique, dirigées en ce sens depuis une cinquantaine d'années, ont servi à démontrer de quelle manière les monu- ments de l'antiquité profane, aussi bien que ceux de l'antiquité chrétienne, ont été transmis dans celle longue période qui sépare la chute du paganisme et la fermeture des écoles païennes, de l'invention de l'imprimerie, de la publication des manuscrits et de l'organisation des études dites classiques; elles ont mis aussi en lumière dans quelles conditions on s'occupa, à différentes époques, des langues anciennes qui étaient seules l'objet d'une culture régulière. Un livre judicieux de M. Ileeren, professeur à Goltingue, a attiré l'at- tention des savants sur le sort de la littérature classique au moyen âge et sur la nature des travaux dont elle fut l'objet, et qui servirent à la con- server ^. Ses conclusions ont été généralement adoptées '^, et depuis lors ' Gescliichte der classisclien Lileratur im MiUelaltcr, i 799 , H vol. iii-8°. Goelliiigen , nouv. édit.. dans les œuvres historiques de l'auteur, en allemand. (Ibid., 1822, 2 vol. in-8°.) 2 Voy. Fr. Ast, Grimdriss der Philologie (Landslnit, d808, in-S"); Fr. Schoell, Histoire de la iiltèralure ijrccque profane, t. VII, pp. 269-295; Henri Hallam , Histoire de la lillcraltire de l'Eu- rope, pendant les XV'", XVI"" et XVll"" siècles (irad. franc, par Alpli. Borgliers, 1. 1. Paris, 1839). DES TROIS-LAINGUES A LOUVAIN. 3 des ouvrages consciencieux sont venus éclaircir l'histoire des études de grammaire et de littérature, aux époques les plus remarquables, dans les principaux pays de l'Europe. On doit à M. le D' Félix Baehr, professeur à Heidelbcrg, un tableau complet de la littérature latine sous la dynastie des Carlovingiens ', et plus d'un écrivain s'est occupé sérieusement à retracer cette première renaissance latine, oîi le nom d'Alcuin le dispute en célébrité, sinon en grandeur, à celui de Gharlemagne -, où l'on réhabilitait les plus illustres poètes de Rome, comme pour faire descendi'e leur gloire jusque sur les écoles du nouvel empire romain. L'Italie était restée une terre privilégiée, que les invasions des barbares n'avaient pu ni dépouiller, ni flétrir : il était réservé à un jeune écrivain français de réveiller, à l'envi de ses meilleurs érudits, l'écho de la tradition littéraire toujours vivante en ses écoles, et de le redire à la France avei une éloquente émotion ; c'est l'objet d'une des dernières œuvres de Fré- déric Ozanam, d'une de celles qu'on a le plus vantées ^. « La lumière ne s'éteignit point aux plus mauvais temps du moyen âge l'Italie, nous dit- il, eut une de ces nuits lumineuses où les dernières clartés du soir se pro- longent jusqu'aux premières blancheurs du matin. D'un côté, le souvenii des écoles impériales se perpétue dans l'enseignement laïque, qui subor- donne la grammaire et la rhétorique à l'étude des lois D'un autre côté. la tradition des premiers siècles chrétiens se conserve dans l'enseignement ecclésiastique; les lettres y trouvent asile à condition de servir la foi, de développer la vocation théologique des Italiens, et de leur assurer la palme de la philosophie scolastique ; le peuple, encore tout pénétré de l'antiquité, ne peut en oublier ni la gloire, ni les fables, ni la langue. » Les doctes continuateurs des Bénédictins n'ont pas manqué de relever. ' Fr. Lorenz , Alcuins Leben; Halle, 1829, in-8° ; J.-B. Laforêt , Alcuin restaurateur des sciences en Occident. Louvain, 18Si , in-8°; F. Monnier, Alcuin et son influence religieuse, politique et lit- téraire chez les Fi'ancs, etc. Paris, Durand , 1853, in-8°. - Gescliiclite der roemischen Literalur im karolingischen Zeitalter. Cailsriihe, 1840; I vol. in -8°. ^ Documents inédits pour servir à l'histoire littéraire de l'Italie , depuis le VIll"" siècle jusqu'au XIII"", etc. Paris, Lecoffre, 1849; 1 vol. in-8°, p. 78. — OEuvres compL, l. Il, p. 452-33. 4 MEMOIRE SUR LE COLLEGE dans les derniers volumes de Y Histoire liltéraire de la France ', tout ce que les sources encore inédites révèlent d'activité, de labeur sérieux, et même d'ingénieux etTorts, dans des périodes imparfaitement connues, prises au cœur du moyen âge. Ils ont pu montrer la France du XII™' siècle, rivale de l'Italie dans ses institutions ecclésiastiques, dans ses écoles, dans ses monastères, et faire à plusieurs écrivains honneur d'un style, si non cor- rect, du moins quelquefois vigoureux et quelquefois élégant. Ils ont rattaché à la marche des études en France les faits qui signalent leur reprise en d'autres pays; ainsi ont-ils montré, çà et là, d'étonnantes tenta- tives pour la culture des langues grecque et latine, même de l'hébreu et de l'arabe -, dans ce XIII""= siècle, qui avait été marqué de flétrissure à cause des nombreux défauts qui déparent sa latinité. Le siècle qui posséda Guillaume de Moerbeke, helléniste de goût, traducteur d'Âristote, mis- sionnaire initié à plusieurs idiomes de l'Orient, vit naître Raymond Lulle, promoteur de l'élude des langues sémitiques dans un but de science et de propagande religieuse. Les variations que la culture du latin a subies dans l'Europe occiden- tale de siècle en siècle ont déjà été mieux appréciées; les ressources néces- saires à sa transmission et assurées à son étude ne font plus de doute, on ne tardera pas à connaître aussi les moyens que l'on eut pendant la même période de cultiver la langue grecque, et même d'apprendre quelques- unes des langues de l'Orient ^. La Belgique, que nous considérons ici dans la réunion de toutes ses provinces, ne peut être oubliée dans tout tableau de la culture intellec- tuelle des temps chrétiens; elle entretenait alors des l'elations suivies avec les monarchies et les Églises voisines; elle avait des monastères et des écoles dignes d'être comparés aux plus florissants en d'autres États; elle ' Tomes XI à XXd de la conliniiation de l'ouvrage, publiés par des membres de l'Académie des. Inscriptions el Beiles-Leltres , MM. Daunou, Émeric David, V. Leclerc, P. Paris, etc. 2 Voy. au tome XVI de VHist. Hltér., le discours sur l'état des lettres au XIII"" siècle, pp. 138 et suiv. — Grammaire , cHtule et usage des langues anciennes. 5 L'Académie des Inscriptions el Belles-Lettres a couronné, il y a quelques années (1848). un mémoire de M. Ernest Renan sur YElmle du grec et des langues orientales en Occident, pendant le moyen âge; ce mémoire n'est point encore imprimé. DES TROIS- LANGUES A LOUVAIN. S prenait part non sans gloire à de grands événements politiques, tels que les croisades et l'occupation de Constanlinoplc. Tout porte à croire que notre pays ne le cédait point non plus aux pays qui l'entouraient dans la cul- ture de l'esprit. La connaissance du latin s'y était maintenue au même niveau qu'ailleurs ; on a déjà signalé naguère plusieurs indices fort curieux d'une connaissance notable du grec, qui fut le partage de quelques hommes chez nos aïeux ^ , et cela dans les siècles le moins favorisés. Déjà une statistique Irès-détaillée des moyens d'instruction que nos provinces possédaient, depuis le temps des Carlovingiens jusqu'à la fon- dation de l'université de Louvain, a été dressée avec une louable exacti- tude -; les écoles, les hommes qui y enseignaient, les méthodes et les livres qu'on y adoptait, Ogurent dans le cadre de ce travail utile, qui donne une haute idée du zèle et de l'application de nos ancêtres, et qui est de nature à provoquer des recherches ultérieures sur les hommes et les institutions. Les chroniques, les cartulaires, les diplômes et les documents historiques qu'on exploite et qu'on publie sans cesse, fourniront encore des couleurs et des traits au tableau de la vie intellectuelle qui fut départie aux con- trées de la Belgique dans ces âges reculés. Au siècle de Pétrarque et de Boccace, l'Italie seule avait des latinistes renommés, et c'est elle aussi qui, grâce à ses communications avec l'Orient, rallumera la première le flambeau des études grecques ■' : non-seulement elle donne asile à Emma- nuel Chrysoloras, mais encore elle a dès lors ses hellénistes, qui vulga- risent à leurs risques et périls des œuvres antiques non connues. Le mouvement qui devait produire la renaissance des lettres poursuivait son cours en Italie, quand les Pays-Bas n'avaient pas encore d'école pu- blique qui servît de centre à un mouvement de même nature. C'est à ' Voir les deux lellres de M. Le Glay sur l'étude du grec dans les Pays-Bas (Cambrai, 1828, in-b"), et la noie de M. de Reiffenberg sur le même point, Bullelins de l'Académie royale, I8il, t. VIII, p. I, pp. 239 et suiv. 2 De l'inslruclion publique au moyen âge (VIII""-XVI"'^ siècle) , par MM. Ch. Slallaert et Ph. Van ilerHaeghen; Mémoire couronné par l'Académie royale de Belgique, le 8 mars 18.50 {Recueil des Mémoires couronnés, in-i", t. XXIII. — 2""= édit. Bruxelles, 18.53, in-S"). ' V. Hallam, Liltéralure de l'Europe, t. I, pp. 68-83, pp. 98 et suiv. — En iUO. aprè.s le con- cile de Florence , le grec put être appris dans quatre ou cinq villes de l'Italie. 6 MEMOIRE SUR LE COLLEGE Deventer, en Hollande, que fut ëlablie la première école qui contribua à la culture et aux progrès des études philologiques, à leur propagation dans toutes nos provinces : la suite de ce travail montrera quelle fut l'im- portance de cette institution , qui eut pour auteur Gérard Groote (Gerardus Magnus) vers la fin du XIV™" siècle, et qui fleurit pendant tout le siècle suivant. Mais nous devons rapporter ici tout d'abord de quelle consé- quence fut la fondation de l'université de Louvain, qui eut lieu en 1426, pour l'éducation de l'esprit national, surtout pour l'éveil des idées litté- raires. Avant d'entreprendre l'histoire de l'institut consacré spécialement aux langues savantes, jetons un regard sur les cent années antérieures : notre marche sera d'autant plus sûre, que nous aurons réuni par avance des données plus précises sur l'état intellectuel de notre pays dans l'espace de temps qui sépare l'établissement de l'école académique de Louvain, de l'érection du collège qui devait lui donner un nouveau lustre. A cet etïet, nous partagerons nos aperçus historiques sur l'université de Louvain en deux sections, dont l'une concerne la partie du XV'"= siècle qui a suivi sa fondation, et l'autre les premières années du XVI""= siècle. Nous aurons à dire ce qui s'est fait dans l'université et en dehors d'elle pour la cause des études littéraires, et comme ces études avaient déjà été poursuivies en Italie avec beaucoup d'ardeur et de passion, nous ferons suivre ces préliminaires de quelques considérations sur l'origine, l'esprit et les conséquences de la renaissance des lettres. § I. L'uMVERSrrÉ DE LOt'VAIN Al W"" SIÈCLE. L'école des hautes études, fondée à Louvain, en 1426, sous le règne de Jean IV, duc de Brabant, et par l'autorité du pape Martin V, est une des premières universités qui aient été établies, d'un commun accord entre les papes et les souverains, dans les contrées du nord de l'Europe ^ ' Voir touchant les circonstances de sa fondation, et les particularités qui composent son histoire externe, le Premier et le Deuxième Mémoire de M. de ReilFenberg Sur les deux premiers siècles de DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 7 Ouverte au centre des provinces belgiques , elle fut un point de réunion pour toute la jeunesse qui avait été forcée jusque-là de chercher l'instruc- tion dans les écoles étrangères, à l'université de Paris et même à celle de Bologne K Nul doute que, dès son premier siècle, elle n'ait eu la puissance d'exciter les esprits aux mêmes études qui étaient en honneur dans les pays voisins. C'est la faculté des arts qui fut constituée la première dans l'établisse- ment brabançon, tandis que l'enseignement de la théologie ne fut octroyé et organisé que cinq années après son ouverture (1451). La philosophie et ses auxiliaires eurent donc des chaires au centre de notre pays, au mo- ment où l'éducation des classes élevées avait besoin d'une direction plus forte; les élèves de la vénérable faculté des arts {Venetwida Facullas Arthim) jouirent de bonne heure des libertés et immunités promises aux docteurs et aux maîtres es arts dans les autres universités du monde chrétien 2; les artistes ou les artietis formaient le noyau de toute école complète, et leurs grades avaient la même valeur dans les écoles d'autres pays que dans celle d'où ils sortaient. D'autre part, ses premiers professeurs soutinrent les prérogatives qui lui avaient été concédées contre le mauvais vouloir de ceux des magistrats ou des princes, qui craignaient toute atteinte portée à leur juridiction. Quoique la faculté des arts n'ait pas conservé le premier rang parmi les corps dont se composait l'université, elle a été l'objet de faveurs marquées dans l'ordre de celles qui servaient alors h honorer les études; avant qu'un siècle se fût écoulé, c'était déjcà une récompense très- haute de ses services que ce privilège des nominations, ou le droit de nommer à certains bénéfices ecclésiastiques, qui lui fut accordé par le l'université de Loiwain, t. V et Vil des Nouveaux Mémoires de l'Acad. royale de Bruxelles, el le chap. IV de l'essai de M. Th. Jusie sur l'Hist. de l'inst.publ.en Be/g^jçiie (Bruxelles, 18-46). ' D'ancienne date, la plupart des jeunes gens de la haute noblesse allaient faire leurs cours de droit à Cologne, et y prendre des grades : Velerum exemplo, dit V. André, à propos de Fr. Bus- leiden et de ses frères (Exordia, p. 5). L'université de Cologne, fondée en 1385, avait été fiéqnen- tée aussi par des Belges. - Consulter sur ce point les historiens de l'université de Paris, Crevier, par exemple (t. I et 11 de son Histoire), et comparer avec les règlements de cette école les pièces analysées par V. André et publiées dans le recueil des Privilégia Academiae I.ovaniensis. Tome XXVill. 3 8 MEMOIRE SIR LE COLLÈGE pape Lëon X, et qui fui ensuite confiinjé et étendu ])ar Clément MI *. Nous n'avons pas à nous étendre ici sur l'organisation intérieure de cette faculté, et sur la distribution et les titres des matières de phi- losophie qui composaient son enseignement '^; mais nous insisterons (juelque peu sur l'existence fort ancienne d'une chaire spéciale de rhéto- rique et d'éloquence 5 qui appartint en propre à la faculté des arts. Cette chaire fut créée dès l'an 1445, en même temps que la chaire d'éthique ou de philosophie morale, de l'autorité du pape Eugène IV, et elle donna droit à ceux qui la remplirent au titre de chanoine de l'église de S'-Pierre. « 11 fut réglé, le 14 mars 1446, que la leçon de rhétorique se donnerait dans les écoles des arts {in Sclwlis Arlimn), que les bacheliers seraient tenus de la fréquenter et de prouver leur fréquentation par un certificat du profes- seur {Lectoris Hlielorices). » On a conservé le nom de la plupart des titu- laires de cette chaire jusqu'à la fin du XV™" siècle, et on a des preuves (le l'intérêt qui s'attacha à leur enseignement au sein de l'université ^. Quand le premier professeur nommé, Jean Block, licencié en théologie, pléban de Iloogstraeten, fut mort en 1455, la faculté des arts réclama le concours de toutes les facultés afin de pourvoir dignement à la chaire de rhétorique; elle voulut donner part dans la nomination qui allait se faire à toute l'université, dont l'honneur se trouvait désormais engagé dans le succès et l'éclat du cours d'éloquence *. On admit à la possession de la ' V. André, Fusti Acadcmici, éd. 1650, pp. 259-240. — Le premier de ces papes a pu la com- parer à une source d'où avaient jailli les autres facultés, et la glorifier d'avoir donné à la théologie même des hommes très-lettrés [viris lileralissitiiis) qui ont hrillé comme des flamheaux élincelanls. — Voy. de Reiffenberg, Troisième Mémoire, p. 8. - Lire sur la faculté des arts dans les universités de l'Allemagne au XV""' siècle, Karl von l'iau- mer, Geschichtc cler Pàdagoyik seit dcm Wiederaufbliihen der classischen Studien , t. IV. Stuttgart , 1834, pp. 20-23. •'' Voy. V. André, Fasli, pp. 245-247; de Reift'enberg, Cinquième Mémoire, pp. 21-22. ■'• Nous citons V. .^ndré (pp. 246-247) qui n'a fait, sans doute, qu'analyser d'anciens actes: Facilitas Artiiim , sollicita et satagens pro suecessore, requisivii ad hoc reliquas Facilitâtes, digna- ventur cooperari circa provisioncm diiiae leclionis : coin prii)}is attento, qiiod leclura rheloricae (irdinata essel secundiim formam bullae apostolicae desuper editae, ad lUilitalem cl honcstatcm nediim Faciiltatis Arlium, sed totius Universitatis; ad quam cum honore et fritclu obeundam necesse sit digère el itistituere Leclorem seu Professorem Rlielorices varia scienlia et insigni cloquentia in primis commeiidubilem , ad qiiem sludiosi in quulibet factillate recursmn habeanl , quique faniu nu- minis sui impkat exornetque tolam universitatem. DES TROIS-LANGI'ES A LOUVAIN. . 9 chaire et de la prébende Hugues de Harlem, qui avait été présenté par le magistrat de la ville, et qui s'était muni du consentement du doyen de S'-Pierre. H eut pour successeur Petrus à Piivo, ou Vanderbeke, qui fit sa première leçon le G juillet 1460, et qui plus lard devint docteur et professeur en théologie '. Après 1472, sinon plus tôt, il fut remplacé par Henri Deulin, de Merville, membre du conseil de l'université, et quand celui-ci, qui avait été promu, en 1477, au doctorat^, occupa, en 1490, la chaire de droit canon, la leçon d'éloquence fut conférée à ce même Jean Paludanus ou des Marais, dont le nom figurera encore dans l'histoire lit- téraire du XV!""" siècle. C'en est assez pour qu'on croie à l'existence d'études littéraires qui complétaient les études de grammaire, accomplies auparavant par les jeunes gens admis à faire leur cours de philosophie à la faculté des arts : le professeur qui les dirigeait était appelé professeur d'éloquence, et encore rhéteur : Rhelor publictis , ïihetor Lovaniensis, Rhelor Academicus. La faculté des arts, qui avait vu s'accroître le nombre de ses collèges, devint de plus en plus le foyer des travaux préparatoires qui devaient conduire de la connaissance mûrie de la langue latine à la lecture de nombieux auteurs. Alors qu'il n'y avait des cours d'humanités que dans un petit nombre d'écoles du pays, il fut urgent d'établir des leçons de grammaire dans les anciennes pédagogies de Louvain ^. Celle où l'on s'occupa davantage de la langue et des lettres fut la pédagogie du Lis, le Liliiim, qui s'ouvrit peu d'années après Pérection de l'université (1457). Son fondateur, qui fut aussi son premier président pendant un laps de cin- quante-six ans, Carolus Virutm, ou Charles Manneken, originaire de Gand, s'occupa lui-même des méthodes d'enseignement, et se piqua de donner une ' Le même P. à Rivo, d'Assclie, qui mourut le 27 janvier 1499, eut quelque célébrité connue théologien, surtout à propos d'une controverse De fuluris conlingentibus. Il était recteur en 1477, lors de l'arrivée de rarcliiduc Maxiniilien en Brabant. Voy. Fasli Acad., pp. 93-94; Foppens . pp. 1004-lOOS. - Fasti, p. 173. ■' Sur les deux anciennes pédagogies du Château et du Porc, Paedagogium caslri, Paedagoghim Standonck vulgn Porci, voy. les Fasti, pp. 232, 236, et sur le Vctiis Falco, première formede l'éta- blissement agrandi au siècle suivant sous le litre de Falco ou Collège du Faucon, pp. 263-264. 10 MÉMOIRE SUR LE COLLEGE nouvelle direction aux éludes de grammaire : si l'on prit plus tard en pitié la bizarrerie des règles qu'il composa, il eut de son temps le renom d'un promoteur des belles-lettres ^, et l'on ne peut du moins lui refuser le mé- rite d'avoir rempli cette tâcbe avec autant de persévérance que de sincé- rité, cl d'avoir attiré de ce côté l'attention et les sympathies de la jeunesse. Ainsi, quoiqu'il soit impossible de défendre tout à fait les Formulac epistolares des sarcasmes de l'âge suivant ^5 il faut rendre justice à cette science pratique par laquelle Virulus se mettait à la portée de la jeunesse à tous les instants de chaque journée, à ce dévouement entier qu'il fai- sait de sa personne à la propagation de sa méthode. Vives, qui n'était ni entêté, ni pédant, a relevé le mérite personnel et le zèle de Virulus dans son traité sur l'enseignement des sciences ^. Paquot a été bien plus sévère à l'égard de Virulus et des plus anciens maîtres de grammaire et de style* : Erasmus aliique fontes lîomani Eloquii multis saeculis prope ùjnotos pulcris illis DicTAMiMBUs, scu varlis ineptis ac squalidis praecepùonibus , quales etiam in noslro Carolo Virulo cernere est , substituer unt. Les traités alors répandus en Belgique, pour l'étude delà grammaire, appartenaient à cette classe de lourdes élucubrations, sur laquelle s'est exercée la verve des critiques de la Renaissance : Érasme s'est élevé avec tant d'autres contre ces oracles de l'éducation ^, qui participaient à la fois de la subtilité et de la prolixité portées d'ordinaire au moyen âge dans l'exposé des principes de toutes les sciences; ces mêmes livres'', ne l'ou- blions pas, avaient conservé un égal empire dans les écoles qui relevaient ' Voy. Fasli, p. 262. — Car. Virulus, qui niourul en 1493, est appelé dans son épitaphe: Uni- versilalis quoque Lovaniensis in liUeris humanis el omni humaniUile i/ccus. '^ Ce livre de Virulus sur le style épislolaire ou plutôt sur l'art d'écrire, qui eut deux éditions il Louvain en 1476, fut réimprimé plusieurs fois dans les années suivantes, par exemple, à Lou- vain, à Paris, à Deventer et ailleurs. Voy. de Reiffenberg, loc. cit., p. 19 (note 3). ' De tradeiidis discipliiiis , t. IV, lib. I, p. 336. Voy. l'analyse de ce traité dans le mémoire de M. Namèche sur Louis Vives, pp. Cu-7o. ^ Fasli MS., t. I, p. 397. ■' Le Graecisunis d'Evrard de Béthune , le Catliolicon de Jean Balbi de Gènes, le Mcwimolrectus de Joannes de Garlandia. Voy. le Troisième Mémoire de Reiffenberg , pp. 10-16, el le mémoire cité sur Y Instruction publique au moyen âge, pp. lloetsuiv. f' Voy. dans le curieux ouvrage des Eludes classiques dans la société chrétienne, par le P. Daniel DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. H à un degré quelconque de l'université de Paris, arbitre de tout enseigne- ment dans l'ancien royaume de France. Une méthode fort simple d'exposer la grammaire devait ressortir un jour d'une lecture familière d'un grand nombre de bons auteurs. Mais au XV"" siècle, en plusieurs écoles de notre pays, on ne connaissait les anciens que par l'intermédiaire d'écrits de l'antiquité chrétienne, dont les copies avaient été fort multipliées au moyen âge : tels étaient les ouvrages de Boèce, et la grande compilation d'Isidore de Séville, connue sous le nom d'Origines ou d'Elymologiae. Boèce, comme écrivain et comme pen- seur, avait eu dans tous les siècles une célébrité non interrompue; dans son traité fameux de Consolalione pliilosophiae, le culte de la philosophie platonicienne s'alliait à la profession fervente des dogmes chrétiens '. On le mettait au nombre des plus sages d'entre les clercs de la vénérable anti- quité, maison l'y distinguait de ceux qui avaient vécu dans le paganisme. Un ancien poëte, qui lui donnait la septième place après Cicéron, Salomon, Sénèque, Térence, Lucain, Perse, Alard de Cambrai n'avait point de réserve à faire pour lui - : Boèces est après nommés; Cil n'est pas repris ne blâmés Par faute de boine clergie. Sous le nom de Boèce circulaient aussi des ouvrages de dialectique ; précieuses versions, grâce auxquelles revient à Boèce l'insigne honneur d'avoir conservé dans le monde latin la pensée aristotélique. C'était bien là entrevoir l'antiquité sous ses grands aspects, et il y avait dans les pages de la Consolation de quoi exciter la curiosité des générations sui- vantes, qui ne connaissaient point encore les œuvres littéraires oîi Boèce s'était inspiré. Sa composition principale était populaire autant qu'aucune (Paris, 1 853 , t vol. in-S"); le chapitre VI , ÏUniversité du XIU'" au XF'" siècle, pp. 137 et suiv., pp. 158, 176-178. ' Cons. la dissertation de M. Toussaint, De la philosophie de Boèce, et spécialement le chapitre sur l'influence de sa philosophie. Louvain, 1848, in-8", pp. 80 et suiv., pp. 102-115. - Extrait de son poeine : Li livres extrais de pliilosofie et de moralité. Voy. la thèse de M. Fran- cisque Michel : Quae vices Virgilium in média aevo exceperint. Paris, 1846, p. 52. 12 MÉMOIRE SUR LE COLLEGE autre au XV"*^ siècle; elle vit le jour en trois langues dans les premières années où l'art nouveau de la typographie fleurit en Belgique ^ Déjà les allusions continuelles aux monuments littéraires de R^ome cl de la Grèce, que renfermaient de pareils ouvrages, excitaient naturelle- ment chez les lecteurs le désir d'en connaître l'original, d'en étudier le texte, quand il sortirait un jour de la poussière des bihliothèques : un tel désir était l'éveil de l'esprit scientifique qui allait s'attacher bientôt à l'in- vestigation des choses de l'antiquité. Le siècle de la découverte de l'im- primerie ne se passa pas pour la Belgique, sans que ce besoin intellectuel fût satisfait en quelque mesure : on verra dans les pages qui vont suivre que cet art paya son tribut aux lettres en même temps qu'aux sciences, et que plusieurs auteurs latins de premier ordre furent imprimés à Lou- vain, dans les trente dernières années du siècle oîi l'art lui-même fui inventé. Des matériaux, des textes ne manquèrent donc pas aux esprits d'élite qui, par des efforts partiels, tâchaient de s'approprier la langue des anciens auteurs, et pressentaient la prochaine régénération des études littéraires en général. Il faut encore tenir compte d'une autre influence qui agit à Louvain, comme dans nos provinces du midi, en faveur des lettres : l'institution des frères de la vie commune -, dits aussi Uiéronymites (Clerici regulares S. Ilieromjmi), institution qui avait son siège à Deventer, se répandit en plusieurs villes ^ et grâce à ses soins, la connaissance du latin gagna tous les jours dans l'éducation de la jeunesse. Si l'Italie, en ces mêmes épo- ' La Consolation de Boèce paraissait en français, à Bruges, en 1477, in-folio; c'était une des premières éditions de Colard Mansion. Voy. la Notice de M. van Praet sur cet imprimeur. Paris. 1829, p. 22, et l'ouvrage récent de M. A. Bernard : De l'origine et des débuts de l'imprimerie, part. Il, pp. 389-590. La version flamande parut à Gand, en 1485, et le texte latin , à Louvain , en 1482 et 1487, in-4", chez Jean de Westplialie. - L'écrit hollandais de M. Delprat sur la Corporation de Gérard Groot et sur XInfluence des maisons de frères , etc. (Utrecht , 1 830, in-S") , a été mis à profit par plusieurs écrivains modernes , et a été traduit en allemand par M. Mohnike (Leipzig, 1840). ^ Lire l'énuniération de leurs écoles dans nos villes principales, dans le mémoire cité sur l'y»- struction publique, pp. 97-101. Le nombre de leurs maisons, qui était de quarante-cinq en 1430, avait triplé en 1460. Voy. Hallani , Littér. de l' Europe, l. I. pp. 109-1 10. et de Pieiffenberg. Troi- sième Mémoire, pp. 27 et suiv. DES TROIS-LANGLES A LOLVAIIN. 13 ques, s'occupait déjà à mettre au jour les œuvres de l'aïuiquilé, un avan- cerait sans exagération aucune que l'instruction n'y était pas mieux enten- due et plus soignée que dans ces écoles nées du dévouement de quelques liommes sur le sol de la Hollande, et ensuite de la Belgique. Leur attention se portait à la fois sur l'éducation du peuple et sur celle des classes éle- vées. Les vues qui les guidaient en toutes choses étaient chrétiennes, et cependant ils renonçaient ouvertement aux formes de la scolastique *. Les travaux des Iliéronymites ne furent point stériles pour l'avancement des lettres classiques : il y eut des memhres de cette école qui écrivirent à l'imitation des anciens auteurs ; il y en eut d'autres qui s'appliquèrent aussi h la correction des manuscrits, et même qui mirent la main un peu plus tard à la publication des textes. Vers le milieu du XV™" siècle, plusieurs membres distingués de l'école de Deventer voyagèrent en Europe, et firent en Italie un séjour assez loua pour être initiés à tous les genres de recherches qui avaient pour objet l'antiquité, son histoire et ses langues; l'influence de ces hommes fut grande partout, à leur retour dans les Pays-Bas. De ce nombre furent Joannes Wesselus et Rodolphus Agricola, qui s'abouchèrent en tout pays avec les hommes les plus avancés en chaque science. Le premier, qui sortait de l'école de ZwoUe, revint dans sa patrie après avoir fait un long séjour à Paris, puis en Italie, où il fréquenta Bessarion et les personnages les plus lettrés : il dirigea les études d'une nombreuse jeunesse et partagea ses propres études entre la Bible et les anciens auteurs ^. C'est surtout Piodolphe Agricola ou Iluesman, dont l'exemple dut réagit sur l'opinion que l'on se faisait des lettres à Louvain et dans d'autres villes de la Belgique. Il était venu prendre à Louvain, en 1465, le bonnet de maître es arts, et il y avait obtenu les honneurs suprêmes dans la promo- tion de philosophie; là déjà il s'adonna à la lecture des écrivains latins. ' Voy. tieeren, Gesch. der class. LUer., B. Il, pp. 160-170. - La part que Wesselus donna aux Écritures dans les travaux de son école, l'a fait considérer en Allemagne et en Hollande, mais sans preuves décisives, comme un théologien protestant d'avant Luther. Voy. Ullmann, Johann Wessel (Hamburg, 1834), et des dissertations latine* publiées à Utrecht et à Amsterdam, en I8.3I et 18-iO. — Wesselus reçut les surnoms de Lux mimdi et de Magister Controversianwt. 14 MEMOIRE SUR LE COLLEGE particulièrement de Cicéron et de Quinlilien ^. Agricola revint de l'Italie helléniste habile, après avoir entendu les leçons de Théodore Gaza, et il enseigna la langue grecque à Alexandre Hégius, qui en fonda l'étude dans le cercle fort étendu de ses relations -; suivant Érasme^, Agricola était l'homme qui avait le plus de culture littéraire en deçà des Alpes, et il a obtenu de lui pour son goiil d'humaniste le nom de il/«ro, pour son savoir en grec l'épi ihète de Graedssimus. La direction de Deventer fut dès l'an 1408 entre les mains d'Alexandre Hégius, qui mit en honneur l'érudition, et qui fournit la carrière la plus laborieuse, dégagée de toute ambition personnelle *. 11 a laissé peu d'écrits, mais formé de nombreux élèves dignes de renommée ^. Plusieurs d'entre eux brillèrent au siècle suivant en Belgique et en Allemagne, et se distin- guèrent par un enthousiasme pour la culture classique plus modéré, plus sage, moins païen que celui des Italiens, comme le voulait l'esprit reli- gieux qui avait régné dans l'école. Après Érasme, qui entendit Hégius à l'âge de neuf ans (vers 147G), citons Hermann von dem Busch, qui visita l'Italie en 1480, et brilla dans plusieurs universités ''; J. Murmellius, de Ruremonde, qui enseigna à Munster pendant quatorze ans "; J. Caesarius, de Juliers, un des premiers éditeurs de Pline; J. Horlenius et Timannus Camener, directeurs d'écoles publiques à Herford et à Munster; enfin, Conrad Goclenius, latiniste plus tard célèbre du collège desTrois-Langues. ' Voy. de Heiffenberg, Troisième Mémoire, pp. 29-31 ; Hallam, loc. cil., 1. 1 , pp. 184, 209-210; Raiimer, Gescli. dcr Paedagocjih , B. I , s. 77-83. C'est à Heidelberg, à la cour de l'éleeleur palatin , que se passèrent les dernières années d'Agricola, qui mourut en 1485. - Suivant une conjecture de Hallam [Ibid., 1. 1, p. 182, note), un traité de l'école de Deventer sur la conjugaison grecque : Conjugaliones verbortim linyuae graecae, Davcntriae novo extremo labore collectae et impressae, in-4", daterait de l'an 1480, et serait le premier essai de typogra- phie grecque dans les pays cisalpins. ^ In Adag. quid cani cum balneo? — 0pp. Il, p. 166 c. * Hégius mourut en 1498. Voy. Revii Davenlriu illustrata, libri VI. Lugd-Bal., 1651, pp. 129-1 30. ■'' Voy. Raumer, Gesch. der Paedagogik, B. I, s. 86-90. " Herniannus Buschius, qui habita le Lis, à Louvain, vers 1321 , mourut en 1534. Sur sa car- rière voy. le discours de Perizonius cité par de Reiffenberg , Troisième Mémoire, p. 36, et Raumer, Op. cit.,l. I, pp. 91-93. ' Murmellius revint en Hollande en 1314 et mourut en 1317, à Deventer. Nous citerons de ses écrits entre autres le Scoparius ad pro/Uyandam barhariem e svholis. DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 15 On ne saurait mettre en doute que renseignement de Deventer et des écoles qui en relevèrent à un degré quelconque n'ait concouru à déterminer quelques vocations pour l'étude de la grammaire et des langues anciennes dans la jeunesse universitaire de Louvain : les idées se modifièrent, K' besoin d'une méthode régulière se fit sentir; c'est du collège du Lis, où avaient régné les préceptes de Virulus, que sortit Jean Despautère, un des réformateurs de la grammaire latine, et c'est là même où nous le verrons enseigner au commencement du siècle suivant. Quant au grec, le nombre de ceux qui s'en occupèrent fut encore très- restreint, ce qu'il faut attribuer non -seulement aux difficultés inhérentes à l'étude de ses formes grammaticales , mais encore à la rareté des pre- miers livres grecs imprimés en Italie, rareté qui se fit sentir jusque dans les premières années de l'autre siècle ^ Des obstacles différents se produi- saient, au reste partout, en opposition à l'organisation et au développe- ment des études grecques. En Italie, la renaissance latine leur faisait concurrence; les uns, cédant à une fierté nationale poussée très-loin, se complaisaient exclusivement dans l'étude des œuvres latines, qui respi- raient la grandeur de l'ancienne Rome, les splendeurs de la civilisation antique; les autres, pleins de confiance en leurs propres talents, se faisaient auteurs dans une pensée de rivalité, et se croyaient être les héritiers, les continuateurs des anciens en les imitant. Les premiers travaux nécessaires à la correction et à la publication des textes grecs furent l'œuvre des ré- fugiés de Byzance; les éditions faites par les érudils italiens ne vinrent qu'après ^. En Allemagne même, ce n'est pas des universités que sortit l'initiative en faveur des classiques; la connaissance du grec fut encore très-rare en ce siècle de transition : il semble que le seul homme qui y ait atteint une force remarquable ait été Jean Reuchlin ; le premier, en ce pays, il aurait fait à Bàle, vers 1473, des leçons sur les auteurs grecs, et amassé une collection de manuscrits en cette langue ^. Encore sait-on ' Hatlani, Liltér. de l'Europe , t. l, pp. '232-233. * Sur ces deux époques, voy. YHisloire de la liltérat. grecque de Sclioell, t. VII. '» Hallam , loc. cit., t. I, p. 232; Raumer, op. cit., t. I, pp. 120 et i27. J.-G. Eichliorn n'a pu contredire ce fait dans son ouvrage connu d'histoire littéraire, qui forme dix volumes, publiés ;'i GoUingue, de 180S à 1811. Voy. GeschiclUe der Literatur, B. IH, Tli. I, p. 232 u. foUj. Tome XXVIIL 4 16 MEMOIRE SUR LE COLLEGE suffisaninienl que Reuchlin s'est appliqué avec prédilection à l'hébreu et à la philosophie Kabbalistique. Eu France, les livres grecs étaient rares et chers; et ce n'est que de- puis l'an 1458 que l'enseignement de la langue fut organisé et commença à prendre faveur à l'université de Paris ^ L<à aussi l'étude du grec était le plus souvent une affaire individuelle, et les leçons du Grec Hermonyme, de Sparte, payées fort cher, étaient de peu de fruit, au dire de tous les humanistes du temps qui les ont suivies. Cependant, c'est en fréquentant l'université de Paris que plusieurs jeunes gens de nos provinces ont pu acquérir des notions de grec, et provoquer ainsi dans l'esprit de quelques- uns de leurs compatriotes un sentiment de salutaire émulation ; il fallait des exemples avant que l'opinion se formât. Au XV"" siècle, l'hébreu fut moins connu chez nous que le grec; cepen- dant, de proche en proche, son étude gagna du terrain : comment n'au- rait-elle pas sollicité la curiosité d'un certain nombre d'hommes, quand on la vit embrassée avec ardeur par des savants si hautement estimés que l'étaient Joannes Wesselus et Rodolphus Agricola, cités précédemment comme philologues? J. Wesselus, de Groningue, initié à l'hébreu aussi bien qu'au grec, enseigna la langue sainte dans plusieurs villes où il séjourna, à Paris (1452), à Rome (1470), à Bàle (1475), à Heidelberg (1477); il l'enseigna de même, selon toute apparence, à Louvain et à Cologne ^. Il ne fut pas, prétend-on, sans influence sur le cours que Reuchlin donna à ses études, quand il l'eut rencontré à Paris et en Allemagne. Ce ne fut pas un médiocre hébraïsant que celui qui était alors en état de lire l'Ancien Testament dans le texte original^. Le second de ces hommes, Agricola, eut, comme Wessel, la renommée d'avoir allié le savoir de l'hébraïsant aux études de l'huma- niste. Son exemple dut gagner des prosélytes à l'hébreu dans les Pays- ' Voy. Crevier, Hisl. de l'université de Paris, t. IV, pp. -2iù-^2i6. - Voy. Hetzel, Gvsch. dcr hebraischen Sprache, pp. 15.5-136. — Sullr. Pelii, Ve scriploribtis Frisiae, decas VIII, c. 4. ■' Wesselus avait demandé au pape Sixte IV, comme la plus grande faveui', l'aulorisalion dem- portei- de Rome, en Belgique, des manuscrits hébraïques de la Bible. Voy. Foppens, Bibl. Belg., p. 1 163, et Reifl'cnberg, Troisième Mémoire, p. 36. DES TROIS -LANGUES A LOUVAIN. H Bas : c'est en Italie qu'il l'avait appris avec grande application dans ses vieux jours, sous la direction d'un juif converti, et on lui attribua une traduction du Psautier hébraïque en latin. Pourquoi ne nommerions-nous pas, après Agricola, cet Augustin de Hasselt, né vers le milieu du même siècle, Gaspar Ammonius, versé dans l'hébreu au point de l'enseigner plus tard à plusieurs savants en Alle- magne, où il résida * ? Enfin, on est en droit de présumer qu'une teinture de l'hébreu était répandue dans une classe nombreuse de théologiens, puisqu'on trouve dans un livre de polémique, imprimé à Louvain en 1487, par Jean de Westphalie -, des citations hébraïques imprimées en caractères originaux d'une forme massive et d'un dessin peu élégant, tandis que les passages grecs y sont écrits à la main. C'était beaucoup d'avoir attiré l'attention des lecteurs sur ces lettres étrangères, qui n'étaient plus des énigmes pour tout le monde : les études hébraïques prendront leur essor au siècle suivant avec une telle rapidité, qu'il faut bien supposer les écoles prédis- posées à leur culture. § II. l'cnivershé de lolvais de 1500 A 1520. Cette institution avait grandi au bout d'un terme de moins d'un siècle au point d'être comptée parmi les universités de premier ordre en Europe, et sa population d'étudiants avait été toujours croissant en même temps que la renommée de ses docteurs et la solidité de son enseignement : on n'a pas de peine à croire à cette grande prospérité dont parlent ses anna- listes, non-seulement si l'on interroge l'histoire des maîtres qu'elle a for- ' Voy- Paqiiot, Mémoires, l. I, pp. 454-435. La graniinaiie que le P. Manlelius {Husselelum . p. 108) attribue à Ammonius, paraît 6!re l'œuvre d'un autre lu^braisant, peut-être deSéb. Munster. Ammonius ne mourut que vers 1.524. '- Epislola apolofjctica mcigistri Puuli de Middelburgo ad duclures Lovanienses, petit in-4° de 37 feuillets, portant à la dernière page : Impressunt in aima universilate Lovaniensi per Joanneui de Westplialia. Voy. Lambinet, De l'origine de l'impritnerie , 2'"'' éd., t. Il, pp. 51-32. — Le même imprimeur fit paraître, en 1492, une édition de la réponse de l'antagoniste de Paul de Middel- hourg : Pétri a Rivo resp. ad epistolam apologelicam. \S MÉMOIRE SUR LE COLLÈGE mes, mais encore si l'on considère qu'elle était l'établissement d'instruc- tion supérieure, alors unique, placé au centre des États qui avaient passé entre les mains des princes de la maison de Bourgogne. La Hollande, la Flandre et l'Artois, le Brabant et les provinces avoisinantes, ainsi que la Bourgogne, formaient le grand territoire sur lequel s'étendaient plus spé- cialement ses immunités et privilèges : cette espèce de domination litté- raire fut longue; elle ne fut concentrée dans la Belgique proprement dite qu'après la séparation des Provinces-Unies au nord, et plus tard après la conquête des provinces du midi par Louis XIV. La Faculté des arts, pépi- nière des autres facultés, reconnut, pour ainsi dire à l'origine, une distinc- tion de ses membres en quatre Nations, dites de Brabant, de France, de Flandre et de Hollande ^ ; quoiqu'elle obéît à un autre souverain , la France était comprise dans cette reconnaissance des droits académiques concédés aux étudiants et aux gradués de diverse origine. D'autre part, comme siège d'enseignement général [sludium générale), comme institution de la répu- blique chrétienne unie à toutes les autres de même titre et de même fon- dation, l'université de Louvain attirait à elle grand nombre d'étudiants de ' On a accordé, ce nous semble, si peu d'attention à ce fait dans les derniers écrits relatifs à rinslruclion, que nous n'hésitons pas à en faire apprécier les particularités dans une noie d'après V. André, Fasli academici, p. 240. Dès le 31 janvier liôo, on distingua quatre Nations au sein de la Faculté des arts : Brabanlia, Gallia, Flandrki, Hollandia. Ainsi furent réglées les choses : sous le nom de Brabanlia, on comprendrait tous les pays qui n'étaient pas renfermés sous la dénomination d'autres Nations; sous le nom de Gallia , tout le royaume de France, avec toutes ses possessions, y compris le territoire de Cambrai; peu après, par décision du 25 octobre 1448, on adjoignit à la Nation de France le pays de Liège et le comté de Looz. Sous le nom de Flandria, on comprendrait toute la Flandre, les comtés de Hainaut et de Namur, ainsi que la rille de Malines; sous le nom de Uollandia. la province de Hollande, la Zélande, le territoire d'Utrecht, la Frise, et toute la con- trée au nord voisine de la mer. Bientôt s'introduisit la coutume de pourvoir aux fonctions et dignités de la Faculté des arts dans l'ordre des Nations qui la composaient. Chaque Nation avait un procureur, dont l'oifice était de la convoquer quand et autant de fois qu'il en était besoin. Les quatre procureurs formaient avec le doyen et les quatre présidents des pédagogies, ce qu'on appelait le petit conseil : le grand conseil était formé par l'adjonction de maîtres es arts et de docteurs, ou môme de gradués en d'autres facultés. Cependant, toutes les Nations délibéraient ensemble, soit dans les assemblées acadé- miques générales, soit dans celles de la faculté, sous la présidence et en présence d'un seul et même doven. Quand le recteur devait être élu dans la Faculté des arts, on le choisissait parmi ses membres en général , sans distinction de Nation. DES TROIS -LANGUES A LOI VAIN. 49 pays étrangers, de l'Angleterre, de la Westphalie, des contrées du Khin. 11 existait alors en fait d'études un droit international très-large : les di- plômes délivrés par une académie légalement constituée avaient une valeur universelle, dont les rapports scientifiques des universités d'Allemagne, tels qu'ils sont entendus de nos jours, donnent à peine une idée. Cette diversité d'origine, qui existait chez les étudiants de l'université de Louvain, s'étendait aux maîtres eux-mêmes : parmi ses professeurs titu- laires, et aussi parmi ceux h qui était octroyé le droit de professer dans ses collèges, on rencontre une foule d'étrangers dont la présence à Lou- vain atteste non-seulement cette fraternité littéraire établie entre les univer- sités dont nous parlions tout à l'heure, mais encore le fait d'une commu- nication incessante des maîtres de Louvain avec des savants et des maîtres étrangers. Des hommes qui avaient complété leur instruction à Louvain, ou qui étaient sortis de quelque école latine de l'une ou l'autre de nos villes, visitaient d'autres universités en Allemagne, en Italie, en France, et bien des fois des érudits, qui avaient fait leurs preuves ailleurs, séjournèrent à Louvain et firent là un échange fort utile de connaissances et de méthodes. Ils inspiraient le goîit des diverses branches de philologie qui étaient floris- santes en Italie, et qui avaient déjà fait des prosélytes en deçà des monts. Nous rencontrerons sur notre route les noms de plusieurs de ces hôtes célèbres, qui soutinrent le zèle ou stimulèrent l'ardeur de nos premiers humanistes ^. Nous n'irons pas plus loin sans caractériser le genre de concours que l'art de l'imprimerie a prêté, à l'époque que nous étudions, aux travaux des écrivains, aux efforts de tous ceux qui se sentaient une vocation scientifique ou littéraire. Il s'agit d'une force nouvelle qui s'était produite tout à coup au cœur de l'Europe civilisée : notre pays fut un des premiers à s'en emparer, et il est permis de dire qu'il s'en est servi dignement, notre sujet en fournit les preuves. Sans révoquer en doute les droits de Thierry Martens à être appelé le ' Voy. au cliap. V des aperçus sur les humanistes qui enseignèrent dans les pédagogies de l'université, et sur les savants étrangers qui firent des leçons à Louvain ou y servirent d'une autre manière la cause des lettres. 20 MEMOIRE SLR LE COLLEGE premier imprimeur de la Belgique *, nous avons à constater ici, comme un lait important, la présence à Louvain, dès l'an 1475, d'un premier impri- meur connu et autorisé, veuu de l'Allemagne : ce fut Jean de Westplialie [Juannes de Weslplialia) , se nommant quelquefois lui-même Vaderbornensis , comme étant né à Aken, dans le diocèse de Paderborn -, Il obtint de l'uni- versité le litre de mayister artis impressoriae, et imprima son premier ouvrage à Louvain en décembre 147i : Libei- ruralium commodorum Pétri de Crescen- liis. Pendant une résidence d'environ vingt-quatre ans, jusqu'à l'an 1497, date de sa mort, Jean de Westphalie mit au jour plus de cent vingt ouvrages ^ dont les exemplaires conservés sont mis au nombre des plus curieux monu- ments de la typographie naissante*. Parmi ces ouvrages, les uns présentent un intérêt tout pratique, d'autres répondent aux besoins des sciences théo- logiques, d'autres reproduisent des controverses du temps; mais il est aussi bon nombre d'anciens auteurs imprimés dans le même intervalle par Jean de Westphalie, probablement d'après des éditions qui étaient en ce genre les premières productions de la presse en Italie, rarement d'après des manuscrits. Nous citerons parmi ces auteurs, l'es satires de Juvénal et de Perse (1475), le traité de Cicéron, De claris oratoribtis (1475), les Bucoli- ques et les Géorgiques de Virgile (1475), les XII livres de l'Enéide (1476). les traités de Cicéron, De Officiis, Paradooca, de umicilia, de senccliite (1485), une traduction de la morale d'Aristote par Léonard Arétin (1475) ^; nous ' Un exposé des opinions en présence a été fait par M*' de Ram , dans les notes de ses Consi- dérations sur l'histoire de l'université de Louvain, pp. 43-46 (Brux., 1854). - Les autres imprimeurs du même temps que fait connaître Lanibinet, sont d'abord : Jean Vel- dener (1467-1479), qui alla ensuite exercer son état en Hollande; puis en second ordre, Gilles Vander Heerstraeten , Louis Ravescot, Conrad de Paderborn (frère de Jean) et Conrard Graem. ' Voy. Lambinet, Orirjine de l'imprimerie, 2"" édit., 1810, I. II, pp. 1-80. * La plupart des éditions de J. de Westphalie ont été exécutées, dans un local concédé par l'université, et l'imprimeur, comme celui qui a le droit de chasser sur les terres d'autrui, datait ses publications du territoire académique où il travaillait: In aima et florentissima universitale fMvaniensi. ^ M. de Reill'enberg a énuniéré plusieurs de ces classiques et autres anciens auteurs , alors impri- més à Louvain, ainsi que les Épîlies de Cicéron Jd familiares (Troisième Mémoire, pp. 17-18) , d'après le Dictionnaire bibliographique de La Serna Santander, et les Annales de Maittaire. Au nord de la Belgique, on imprimait à Utrecht, vers 1473, Végèce. et le poème deClaudien De rujitu Proserpiiuie. DES TROIS-LANGUES A LOUVAIIN. 21 y ajouterons Boèce déjà cilé, les XXII livres De Civilate Dei de saini Aiigus- lin (1488), et ses livres sur la Trinité (1495); enfin, les Epislolae pcramoemte d'Aeneas Sylvius Piccolomini (1485). On conserverait difficilement des doutes sur les progrès lents, mais sûrs, des études de philologie latine, en voyant ces textes étendus de Cicéron et de Virgile, publiés à Louvain avec netteté, et mis à la portée de la jeunesse de ses collèges. Justice étant rendue à ce que fit Jean de Westphalie à Louvain pour la cause des études, nous avons à glorifier bien davantage de ce même chef la mémoire de Thierry Martens d'Alost : que l'on suppose Martens associé de Jean de Westphalie dès 1475 ^, ou bien élève de celui-ci, qui, après avoir imprimé tout d'abord à Alost, lui aurait laissé un nombre suffisant de ca- ractères pour continuer sa profession 2, il n'en faut pas moins le considérer comme le premier typographe de la période dont nous nous occupons. Avec quelle persévérance, habitant Anvers et Alost tour à tour, il cultiva son art et le perfectionna sans cesse, tandis que son émule avait le séjour et le marché de la ville universitaire! Avec quelle activité et quel zèle il se posa plus tard comme son successeur ! Dès la fin du XV"'" siècle. Th. 3Iar- tens, qui avait racheté les ateliers de Jean de Westphalie, offrit ses services à l'institution de Louvain : si d'abord il ne résida pas constamment dans cette ville, il s'assura des titres à ce nom de maître en l'ait d'imprimer, qui lui fut donné l'an 1501. Ainsi Th. Martens s'est associé avec une noble généro- sité aux travaux scientifiques et littéraires qui allaient réclamer le secour.»; d'un imprimeur habile et intelligent, et nous verrons que son nom peut être dignement uni dans l'histoire des lettres aux noms des hommes qui en furent les promoteurs. Si on lui a donné le nom à' Aide de la Belgique, il avait, certes, dans sa sphère, acquis une érudition qui le rapproche de la savante dynastie des Aides : latin, grec, hébreu, idiomes vivants, c'étaient les langues de sa conversation et de ses écrits. Enfin, en 1512. ' C'est l'opinion dii P. van Isegiiem dans son ouvrage que nous citons |>lus d'une fois : Bio- (/raphie de Thicrrtj Martens d'Alost, premier imprimeur de la Belgique (Malines, Hanicq, t8.ï2. I vol. in-S"). - L'opinion de Lambinet défavorable à Th. Martens, a été reprise par M. A. Bernard, qui ne connaissait encore que l'ouvrage de M. de Gand, publié à Alost en 18-4.^, quand il a donné son livre intitulé : Origine et débuis de l'imprimerie en Europe (Paris, I, I, 1852, t. Il, pp. 401-400). 22 MÉMOIRE SUR LE COLLEGE Th. Maliens vint se fixer à Louvain, et y installer tout son matériel d'im- primerie : c'est surtout dans cette ville qu'il déploya son art de graveur en caractères; des corps nouveaux de caractères romains, et aussi de ca- ractères grecs, lui servirent à l'impression de ses nombreuses éditions, qui sont des garants de son habileté, de sa merveilleuse aptitude, comme de l'érudition des humanistes, au milieu desquels il vivait. Il est un de ces personnages qui, à l'époque de la Renaissance, ont participé, comme imprimeurs éclairés, à l'avancement des études, et qui ont eu le privi- lège de venir puissamment en aide aux travailleurs de l'inlelligence. Il recevait d'eux des lumières, et en retour, il sollicitait leur zèle, il réalisait leurs projets, il donnait aux fruits de leur labeur une prompte publicité; il contribuait à nourrir, au centre de la Belgique, l'émulation qui animait les écoles de l'Europe occidentale. Comme l'a très-bien dit son historien * : « c'est surtout à la Faculté des lettres qu'il consacra ses presses. Aussi est-ce à l'activité avec laquelle iMarlens secondait les efforts d'Érasme, de Bar- land, de Martin Dorp, de Pierre Gilles, de Louis Vives, et de plusieurs autres latinistes, que l'université de Louvain dut l'avantage de contribuer puissamment à la renaissance de la saine littérature au commencement du XVI"'<' siècle. Quatre-vingts éditions, dont la latinité toute cicéronienne bannit à jamais du sol belge le jargon barbare du moyen âge, attestent encore aujourd'hui la part que prit Marlens à cette œuvre glorieuse. » Thierry Martens était alors seul en état d'imprimer avec autant de soin et de correction celte foule de livres adoptés comme classiques, qui servirent de texte aux études privées, ainsi qu'aux leçons de philologie données dans les pédagogies de Louvain ^ : c'est lui qui fournit aux jeunes maîtres d'alors les moyens de publier ces livres qui en préparaient de plus savants*, et c'est lui aussi qui, renonçant à propos à l'in-folio des premières œuvres de la typographie, offrit à la jeunesse des livres portatifs, commodes par leur format, corrects dans leur lexle, et vendus à bon marché '^. Il fui ' Van Isegheni, Biographie, p. 100. 2 Voy. plus loin la seconde partie du chapitre V. - Voir dans la Biographie citée une traduction de la lettre adressée en 1317, par Martens à ses bienveillants lecteurs, en tête delà paraphrase d'Érasme sur YÉpUre de saint Paul aux Romains, pp. 155-154.— Dès l'an 1501, les Aides avaient donné la préférence à l'in-^2 ou petit in-S". DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 23 donné aussi à Martens de rendre des services à la science et aux lettres : les érudits qui fréquentaient sa maison , et souvent se faisaient ses correcteurs, trouvèrent toujours en lui un éditeur désintéressé : et qui sait si Lrasnie aurait fait une aussi longue résidence à Louvain, s'il n'y avait pas compté, outre la sympathie des esprits les plus distingués, sur l'amitié et le dévoue- ment de Thierry? L'ouverture du collège des Trois-Langues donna une nouvelle activité aux presses de Th. Martens : c'est avec l'aide des professeurs de ce collège et de leurs confrères, c'est en vue du mouvement intellectuel qu'ils allaient produire et diriger, qu'il publiera une partie de ses belles éditions ^ Ce que nous voulions signaler par avance dans cette revue historique, c'est la faveur de l'opinion, acquise à la culture des langues et des lettres; c'est la nature et l'abondance des ressources qui étaient assurées à cette culture dans l'école centrale, sur laquelle le pays tout entier avait les yeux fixés. § III. COINSIDÉIUTIONS SUIl L\ RENAISSANCE DES LETTRES EN EUROPE ET SUR l'aVÉNE- MENT DES ÉTUDES HÉBRAÏQUES, EN RAPPORT AVEC l'hISTOIRE DE l'eNSEIGNE- MENT LITTÉRAIRE EN BELGIQUE. Félix tjui poluH rerum cognoseere causas. Ce serait un hors-d'œuvre, en raison des limites du sujet que nous traitons, que de disserter en cet endroit sur les causes de la Renaissance et sur les effets qu'elle a produits dans le monde chrétien. Cependant, comme nous devons parler de l'étude des langues classiques , de la pre- mière publication des auteurs païens, et de l'accession de l'hébreu aux deux langues savantes de l'antiquité, il nous a paru impossible, avant d'aller plus loin, de garder le silence sur la véritable origine, sur la légi- timité d'un mouvement littéraire qui a permis à l'esprit moderne de se manifester avec toutes ses forces. Ce qui peut être dit de l'Italie et de la direction de ses écoles, s'applique aux nations cisalpines qui sont entrées à leur tour dans le même mouvement. ' Voy. plus loin chapitre IX. Tome XXVIII. 5 24 MEMOIRE SUR LE COLLEGE Et (l'abord , qu'on ne se méprenne pas sur le point de départ de cette rénovation des études littéraires que l'on désigne universellement du nom de Renaissance. Ce n'est point là un fait accidentel qui s'est produit instanta- nément, un phénomène sans raison et sans cause, une anomalie du monde moral. N'est-il pas constant aujourd'hui que depuis la chute du poly- théisme, une tradition littéraire non interrompue n'a jamais cessé d'exercer quelque empire sur l'éducation européenne? Ne voit-on pas poindre deux cents ans auparavant cette culture des lettres anciennes, que l'on vou- drait, dans des vues intéressées, faire coïncider avec la révolution religieuse du XVI"' siècle? Il est de fait que la renaissance des lettres répondait à un besoin réel des intelligences dans la république chrétienne, qu'elle était appelée par l'activité toujours plus grande de ses écoles, et qu'elle a commencé longtemps avant les troubles religieux et politiques qui ont divisé profondément l'Europe. Mais on a porté, en cette cause, un esprit de système contraire à la vérité historique, placée, comme nous allons le montrer, entre deux opinions extrêmes. D'une part, un grand nombre d'écrivains appartenant au protestantisme dénient à l'Église la meilleure part de la gloire qui lui revient pour avoir favorisé l'étude de l'antiquité dans ses langues et ses monuments, ou bien, s'ils accordent leur admiration aux pontifes et aux puissants personnages de l'Italie qui ont encouragé davantage la restauration des lettres anti- ques, ils insinuent fréquemment qu'ils n'ont pu le faire sans abjuration cachée de leur foi , sans danger pour leurs mœurs et pour celles des peu- ples chrétiens, voire même sans une sorte de compromis coupable avec le paganisme ^ La conclusion de la plupart de ces auteurs tend à ceci : Déclarer le catholicisme impuissant à diriger ce mouvement qui devait faire entrer des éléments nouveaux dans la science, et, partant, en rapporter tout l'hon- ' Il fait beau voir, par exemple, dans Yf/istoire de la pédagogie Aép citée (t. I), avec quel puri- lanisme Ch. de Raunier fait leur procès, au nom de l'Évangile et de la morale, aux écrivains et aux protecteurs de la renaissance italienne, et aussi de quel air il gourmande la papauté. — Dans leurs ouvrages généralement connus sur l'histoire des lettres, J. Eicliliorn et Hallam donnent sou- vent aux faits une interprétation semblable, mais tempérée dans la forme. DES ÏROIS-LANGUES A LOUVAIN. 2S neur à la Réforme, tomme si seule elle avait conduit à son terme celle grande entreprise de la résurrection des méthodes et des études. Beaucoup d'écrivains renommés ont renchéri tout récemment sur cette hypothèse , sauf à charger le moyen âge des ténèbres que leur propre main avait lenlé naguère de dissiper ^ et les plus sincères ne dissimulent pas que c'est pour refuser au principe chrétien toute action salutaire dans les siècles antérieurs : de là ces tableaux imaginaires de la renaissance des arts et des lettres en Europe, commençant avec le siècle de Luther. Une méprise non moins grande est commise de nos jours par des écri- vains qui se placent à un point de vue tout opposé : sortant des rangs de la littérature chrétienne, ils font violence, eux aussi, à l'histoire avec la prétention de servir la cause de la foi et de l'Église, et ils semblent ne pas s'apercevoir qu'ils font à l'une et à l'autre un sanglant outrage. Selon ces hommes, rien n'est bon dans les lettres et les arts après le XIII™'' siècle ^ ; il n'y a qu'aberrations dans les efforts voués en Italie à la restitution de la littérature antique, à la recherche et à l'étude des monuments de l'art ancien; il n'y a qu'illusion, vanité et faiblesse chez les papes qui ont prêté la main à ces efforts. Ce n'est point assez pour ces écrivains de stigmatiser l'époque de la Renaissance comme un âge funeste de tout point à la doctrine et à la morale du christianisme, et la Renaissance même comme une des causes déterminantes de la Réforme, de ses négations et de ses excès : ils font retomber la même responsabilité sur les chefs de leur Église qui ont autorisé l'usage des classiques païens dans les écoles d'humanités, et ils parlent avec amertume et avec superbe de l'aveuglement de quiconque a ' Des critiques éclairés de loiile école ont signalé cette tendance dans les derniers tomes de V Histoire de France, par M. Miclielet (tomes Vit et VIII, la Renaissance et la Réforme). - Le moyen âge est encore , à l'Iieure qu'il est, une pierre d'achoppement dans le monde savant : objet d'un dénigrement aveugle et passionné de la part des uns, d'une admiration fervente et sans bornes de la part des autres. Les travaux les plus remarquables de réhabilitation composés de notre temps en faveur de siècles mal connus et mal jugés, n'ont pas dépassé le but; mais ils ont créé des illusions... Que de gens voient uniquement dans le moyen âge les prodiges de la foi et les mi- racles de l'abnégation chrétienne, mais ferment les yeux sur les violences et les désordres qui éclatent partout! Éblouis par l'art, attendris par la légende, ils se forgent un idéal qu'ils voudraient fixer dans le monde, comme s'il n'y avait pas de progrès possible à travers beaucoup de luttes et de combats, comme ceux qui remplissent l'histoire moderne. 26 MÉMOIRE SUR LE COLLEGE concouru à le maintenir. On sait que, pour être conséquents, ils ont ré- clamé l'abandon des auteurs anciens, classiques attitrés depuis quatre cents ans, dans l'espoir d'extirper ainsi le mal en sa racine ^. Nous n'avons pu caractériser autrement qu'en termes généraux ces deux espèces d'erreurs, également préjudiciables à une saine appréciation de grands faits de l'histoire et aux nécessités intellectuelles du temps présent. Elles présentent un rapprochement des plus singuliers : en effet, l'une glorifie la Renaissance par esprit d'opposition à l'Église, et elle en refuse l'honneur à celle-ci; l'autre honnit la Renaissance comme anti-chrétienne, et elle en répudie l'honneur pour l'Église. Gardons-nous de déplacer les termes et surtout de confondre les épo- ques. Le fait de la renaissance qui apparut au XIV"" siècle avait ses racines dans le travail des générations antérieures : le labeur incessant des univer- sités et des écoles de tout degré répandues sur la surface de l'Europe, la- beur auquel les lettres et les arts de l'antiquité allaient concourir, était, à l'origine, dans les conditions du progrès qui devait tourner à la grandeur et à la gloire de la société chrétienne. N'advint-il pas que, dans cette portion de l'activité humaine comme en tant d'autres, le mal se mêla au bien, que de fausses directions paralysèrent les plus nobles efforts, et que l'on dévia plusieurs fois de la voie droite avant d'arriver au terme? Dans cet âge de transition, comme dans tous ceux où se prépare une transfoi'mation sociale, que ne doit-on pas concéder aux séductions qui suivent de grandes décou- vertes, à l'enivrement d'une première admiration ou d'un premier succès? Elle fut très-longue et très-douloureuse, la crise qui précéda les époques les plus belles et les plus glorieuses de l'ère moderne. ' Nous ne relèverons pas les noms de ces nouveaux Troyens, comme on disait du temps d'Érasme; M^' Gaurae conserve le triste honneur d'avoir été leur chef de file, et le journalisme est veste leur auxiliaire avec sa fougue et son outrecuidance. Des hommes de mérite, MM. Landriot, de Valroger, Leblanc, Martin, Laurentie, ont répondu avec avantage à ces prolestants littéraires; la compagnie de Jésus s'est acquis de nouveaux titres à l'estime de tous les hommes impartiaux, en prenant la défense de la tradition littéraire et des saines doctrines; c'est ce qu'a fait après le P. Ar- sène Cahours, un de ses confrères, le P. Daniel , dans son livre remarquable et trop peu vanté : Des éludes classiques dans la Société chrétienne (Paris, 1853, 1 vol. in-8°). Elle est enfin suspen- due, celte querelle qui, selon l'expression de l'archevêque de Rouen, allait « livrer la France à la risée et aux sifflets de l'Europe civilisée. » DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 27 Que l'on blâme l'onlhousiasrae irréfléchi porté par les Italiens dans le culte des lettres antiques, de même que la fougue qu'ils ont mise dans la plaisanterie et dans la censure, que l'on déplore l'inconséquence ou la lé- gèreté dans la conduite et les écrits des hommes remarquables qui ont pré- sidé au travail de la Renaissance, en Italie, en Allemagne et ailleurs ^ il n'en est pas moins vrai que l'œuvre à laquelle ils s'appliquaient de toutes leurs forces , était une œuvre grande et légitime, utile et féconde pour la chrétienté. Cette œuvre a été altérée dans son cours, quelquefois même détournée de son but; mais, considérée dans son principe et dans sa destination, elle entrait, à n'en pas douter, dans les desseins delà Provi- dence, qui conduit admirablement toutes choses et qui dispense un pain toujours plus fort aux intelligences et aux sociétés chrétiennes, à mesure qu'elles s'avancent dans la voie de la vraie civilisation. Le moment était venu oii le cercle des sciences s'agrandissant conti- nuellement et le savoir se vulgarisant toujours davantage, la puissance de la parole écrite comme de la parole parlée devait s'accroître aussi. Les langues nationales, encore dans l'enfance, devaient recevoir l'empreinte des langues plus parfaites de l'antiquité, avant d'entrer dans leur âge viril, et les essais du génie moderne, être mesurés patiemment aux proportions du génie antique, avant la création des monuments originaux de nos litté- ratures européennes. Celte marche des choses était logique; et comment s'étonner que plusieurs pontifes, les Nicolas V et les Léon X, aient pris en main la cause des lettres qui intéressait si vivement l'avenir de la chré- tienté? Il est bien vrai, après cela, que la rénovation littéraire ne se fit point partout en conformité avec les prescriptions souveraines de la foi chrétienne, et qu'elle porta ses fruits les plus abondants , quand l'autorité religieuse se trouvait déjà ébranlée. Mais est-ce à dire que les chefs de l'Église n'y aient pas contribué dans les vues les plus larges et les plus généreuses ^ ? ' L'abus fut très-grand surtout dans les termes : encore a-t-on beaucoup exagéré le paganisme littéraire de Bembo et d'autres écrivains de son temps , dignitaires ou membres de l'Église, comme le fait remarquer judicieusement le P. Daniel dans le livre cité à l'instant. - Heeren a loué la conduite des papes à cet égard. Gesch. der class. Liler. in Mitlelalter, t. II. pp. 349-036. 28 MEMOIRE SUR LE COLLEGE Est-il juste de leur refuser cette haute connaissance des besoins de leur temps, cette profonde prévoyance des nécessités de l'avenir qui se montrent dans leur politique et dans tous leurs actes? Il y a sous ce rapport aveugle- ment chez les adversaires comme chez les panégyristes delà Renaissance, ceux-ci la considérant uniquement comme un des actes d'émancipation de l'esprit humain , ceux-là s'obstinant à la déclarer absolument mauvaise. L'altitude du catholicisme devant la Renaissance fut celle qu'il avait prise autrefois pour sauver les débris de la littérature antique : ce qu'avaient fait les bénédictins, et après eux les chefs des écoles épiscopales et monas- tiques, l'Église le voyait faire, avec confiance, par les universités qu'elle avait fondées, par les écoles et les académies qu'elle avait patronnées. Mais, dira-t-on , quelle résistance ne fit-on pas, dans ses rangs, aux hommes comme aux livres de la Renaissance, aux méthodes comme aux idées? Cette résistance ne fut-elle pas la même à Cologne, à Oxford, à Paris, à Lou- vain?Mais qu'on y prenne garde : c'est bien la condition de toute science d'être soumise à de nombreuses contradictions avant de s'enrichir d'une découverte incontestée, avant de prendre sa place dans le cercle des hautes études, et quand on y regarde de près, ne voit-on pas presque toujours des raisons étrangères à la science, ou simplement des intérêts de corpora- tion, servir d'armes pour la combattre? Il n'est pas besoin de prouver que la Renaissance s'est accomplie en Italie avant la Réforme, et qu'elle y a poursuivi son cours après l'ère de la Réforme, et de même qu'elle a pénétré en bien d'autres pays en dehors des circonstances de la révolution religieuse. Il y a peut-être quelque utilité à établir ce qui a été entrepris chez les nations chrétiennes avant l'apparition de Luther, pour la connaissance et l'interprétation de l'Écri- ture : ce seront les préliminaires de l'exposé que nous devrons faire de l'état des études hébraïques au XVI""" siècle. Partout où florissaient les sciences théologiques, des tentatives ingé- nieuses, inspirées par l'esprit des croisades, furent faites pour que la langue sainte entrât dans le domaine des hautes études. Raymond LuUe avait compris les langues de l'Orient parmi les armes qu'il voulait four- nir à la société chrétienne dans sa lutte contre la société musulmane. DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 29 Bien que ses projets aient été traités de chimériques dans plusieurs écoles, des papes s'en préoccupèrent : Honorius IV se proposa d'introduire l'en- seignement de l'arabe dans l'université de Paris. Au concile de Vienne . en loi 1 , Clément V décréta l'érection de chaires spéciales, au nombre de deux, pour chacune de ces quatre langues, le grec, l'hébreu, l'arabe et le chaldaïque, à Rome même et dans les universités de Bologne, Paris, Oxford et Salamanque. Cette constitution n'eut pas une exécution com- plète et suivie, à cause des événements qui divisèrent l'Europe ^ Au XV™" siècle, le goût des mêmes études se réveilla à l'université de Paris : en l^SO, un décret fut porté, au nom de la Nation de France, avec celte conclusion que l'on allouât des bénéfices suffisants aux professeurs d'hébreu, de grec et de chaldéen , et un peu plus tard le professeur d'hébreu reçut, en effet, un salaire de l'autorité académique^. Mais il fal- lait bien des années encore avant que l'étude de la langue hébraïque cessât d'être le monopole des écoles israélites , et que les chrétiens ne fussent plus à la merci des rabbins juifs, ou des juifs convertis, qui faisaient payer à grand prix un enseignement souvent fort pauvre, presque tou- jours subtil et peu applicable. Une lutte d'habileté, quelquefois inégale, s'établissait entre les rabbins et leurs élèves , ceux-ci ayant la plus grande peine d'obtenir de la cupidité de leurs maîtres des documents neufs, authentiques et vraiment curieux ^. Avant les querelles bien plus sérieuses de la Piéforme, les esprits se préoccupèrent vivement des controverses que firent naître des assertions des premiers hébraïsanls, puisant avec témérité à des sources tout à fait inconnues : un sentiment de défiance entourait leur personne et accueil- lait leurs communications. 11 est certes plus d'un homme intelligent qui se laissa, de ce côté, entraîner dans les spéculations et les rêves d'un faux mysticisme; mais il y a fort loin de leurs aberrations dangereuses aux ' Voy. notre Introduction à l'hist. génér. des littératures orientales, pp. 63-68. - Voy. Crevier, Histoire de l'université de Paris, t. IV, pp. 46, 263. ^ C'est ce qu'a exposé le célèbre professeur W. Gesenius, de Halle, dans un ouvrage allemand : Geschichie der hcbraïsclien Schrifl und Sprache , p. 3i2. (Leipzig, 1813.) Cfr., \ Histoire générale des langues sémitiques, par M. Ernest Renan, t. 1, 1833, pp. 164-163. 30 MEMOIRE SIR LE COLLEGE apostasies du siècle suivant, qui rompirent avec la tradition catholique et qui défièrent l'autorité de l'Église. Il est deux noms , mais des plus célèbres , qui trouveront ici leur place à titre d'exemples. En Italie, Jean Pic de la Mirandole avait tenté de réduire à un petit nombre de propositions un système aussi étendu que celui qui peut être formé par les doctrines de la Kabbale^; quand ses ennemis dénoncèrent dans son livre treize propositions entachées d'hérésie , Pic soumit ses Conclusions cnbbalislùjitcs au jugement du pape Innocent VIII, et il sortit justifié du tribunal où il avait provoqué une décision nou- velle ^. Cet homme prodigieux mourut à Florence en 1494 à la fleur de l'âge, avant d'avoir mis la dernière main à son entreprise. Le second de ces hardis hébraïsanls, Jean Reuchlin (que j'ai dû si- gnaler plus haut comme un des premiers hellénistes de l'Allemagne), s'égara plus loin peut-être par les mystères de la Kabbale; mais il appela de même au tribunal de la papauté des jugements portés contre lui à Cologne et à IVlayence. Le procès fut différé par ordre de Léon X [Man- datum de supersedendo — 1515), et puis abandonné par suite des troubles religieux de l'Allemagne; mais l'issue semblait devoir être favorable à 'celui qui s'apprêtait à défendre l'orthodoxie de ses doctrines'. Les hommes qui ont fondé l'exégèse nouvelle ne sont pas sortis de l'Église; elle n'a pas désespéré d'eux, et leur science doit lui appartenir dans l'histoire. Jean Reuchlin, qui est mort en 1522, sans avoir passé à la réformation, ouvrit la voie aux travaux d'exégèse sur l'Ancien Testa- ' C'est la matière de son principal ouvrage imprimé à Rome (i486, in-folio) : Conclmiones cab- hniisticae numéro XLVIl, secundum secrelam doctrinam sapienlium Hcbraïcorum. Voy. Ad. Franck, La Kabbale, ou la philosophie religieuse des Hébreux. Paris, 1843, p. 8, et YliHrod. à la littér. de l'Europe, par Hallam , 1. 1 , pp. 205-208. "^ VApologia suivit ksConclusiones en 1 489. Les œuvres de Pic furent ensuite réunies et publiées à Bologne (1496), à Venise (1498), à l?âle, en 16 volumes in-folio. ■ Le premier ouvrage de Reuchlin (Z>c i'er6omîV«/*co; Basil., 1494, in folio) clierclie l'origine de toute philosophie dans les livres hébreux, et montre l'analogie des principaux dogmes chrétiens avec les traditions de la kabbale, posant ainsi les fondements de ce qu'on a appelé plus lard Kabbale chrétienne. Un second ou\vae:e de Arte cabbalislica (Haguenau, 1.^17, in-folio) contient une expo- sition plus régulière de la doctrine critique des Hébreux. Voy. Franck, La kabbale, préface, pp. 10-14, et Hallam, ouvrage cilé, t. I, pp. 297-298. DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 3i meut, comme Érasme, qui n'a pas cessé d'être catholique, a jeté les bases de l'exégèse philologique sur le Nouveau Testament. C'était le but prin- cipal qu'il assignait lui-même à ses travaux de grammaire dans sa préface, comme s'il avait travaillé pour la religion et la vraie théologie. Reuchlin a servi en réalité cette cause de la science sacrée par sa grammaire, qui porte l'empreinte des sources qu'il consulta et des leçons qu'il reçut avec de grandes peines et de grands sacrifices ^ ; il y a, en effet, conservé une foule de distinctions minutieuses inventées par les juifs, et expliqué scrupuleusement les formules grammaticales qu'il empruntait au Mklilot de David Kimchi et aux traités d'autres écrivains israélites. Ses trois livres De rudimcntis liehraïcis'^ lui ont valu, chez les chrétiens, le titre de Père de la grammaire hébraïque. Les études hébraïques entrèrent dans une nouvelle phase peu après l'apparition des Rudiments de Pteuchlin : la langue fut soumise à une étude plus pratique, réduite à une exposition plus claire et plus logique; l'on s'est ingénié dès lors à ramener à quelques propositions fort simples la théorie de ses formes et l'ensemble de ses lois. De tous les grammairiens juifs des derniers temps, aucun n'avait contribué plus qu'Elias Levita par ses nombreux écrits à faciliter une étude méthodique de l'hébreu. Ce sont les traités d'Elias Levita qui ont servi de fondement et de source aux livres élémentaires composés par plusieurs professeurs d'hébreu dans le cours du XV!""" siècle. Il fut le maître de Paul Fagius et de Sébastien Munster, qui mit la main à l'édition ou à la version latine de plusieurs de ses traités de grammaire^. L'exposé que nous venons de faire de la naissance des études hébraï- ques en Europe pendant une période de deux cents ans environ antérieure à l'époque de la Réformation, trouvera son complément dans une indica- tion sommaire des œuvres d'exégèse philologique marquant la un de celte ' Parmi ses maîtres, on connaît un médecin juif, de la suite de l'empereur Frédéric JII . Jeiiiel Loans, et un certain Abdias qu'il rencontra à Rome en 1498. - Libri Ill/le Rtidiineiitis hebraïcis, 1506, in-folio, imprimé à Pforzlieim [Phorcae], ville natale de Reuchlin. '• Voy. Gesenius, GeschiclUe . note IV, p. 98, pp. 109-HO, et J. Fùrst , Bibliotheca jitdaica . i. 11, pp. 259-42, pp. 407-408. Tome XX VIII. 6 32 MÉMOIRE SUR LE COLLEGE période, ainsi que des moyens qui furent alors même assurés à l'élude de l'hébreu et des langues qui lui sont afliiiées. Un religieux d'Italie s'occupa, dès les premières années du XVI""' siècle, du rapprochement des textes originaux et des versions orientales de la Bible : A. Giustiniani ' , évêque de Nebbio en Corse , fit paraître le premier psautier polyglotte dédié à Léon X, et comprenant cinq langues^, hébreu , grec, chaldéen, arabe, latin, et ce fut longtemps un des seuls livres qui servirent de source aux études privées de linguistique '. Le commentaire perpétuel qui y figure à titre de version n'était que le prélude de cette version littérale qui accompagna la bible hébraïque de Sautes Pagninus, quelques années plus tard, et qui présente souvent un résumé judicieux des opinions et des explications rabbiniques en rapport avec l'interprétation traditionnelle de l'Église. Un progrès remarquable était dû à la science grammaticale et à l'érudition hébraïque de Pagninus. comme l'a constaté un savant moderne "* : « Un peu plus tard que Reuchlin , .. enseigna, en Italie, Santés Pagninus dont les travaux contiennent, il » est vrai, bien des extraits des rabbins, mais dépassent de beaucoup ceux I. de Reuchlin en étendue et pour la connaissance de ces sources. » C'est de même, dans les années précédant immédiatement les réforma- teurs d'Allemagne, qu'un cardinal fameux comme savant et comme homme d'État, Ximenès de Cisneros, dirigea l'impression de la première des bibles polyglottes : type et modèle de celles qui ont été publiées depuis, cette polyglotte a conservé le nom du cardinal et celui de l'université où elle fut élaborée et imprimée ^. Ximenès réunit les forces des professeurs d'Alcala et de Salamanque ^ ainsi que de beaucoup d'hommes instruits. ' Il visila plusieurs pays de l'Europe. Voy. Colomiès, Ilaiia oricnlalis, p|). (}\-7>o. Sur 1 appel de (iiustiniani à Paris , en 1517, voy. V/Jistoirc du collège de France, par Goujet , 1.1, p. -40. - On appelle vulgairement ce recueil Psallerium Ncbiense. En voici le titre exact: Psallerium hebraïcuiii , graecum, araUcum, clialdiucum cum tribus latinis inlerprelationibus cl ijlossis. Genuae. 1.tI6, iOO pages in-folio. Cons. Bibliollieca sacra de Lolong, éd. C. Maseh, 1, pp. 400-401. '• Gleynarts y avait puisé laborieusement des notions d'arabe avant ses voyages dans le Midi. * Gesenius, Geschichte der hebr. Sproche, p. 108. Cfr., pp. H 5 et 115. s Biblia Polyglolla, —in Complulensi universitatp, 1514-1517, C vol. in-folio. On l'appelle quelquefois Bible de Complule, du nom latin, Complulmn, de l'ancienne ville d'Alcala. •^ Antoine Ncbrissensis, Lopez de Zuniga (dit Astuniga ou Slunica, Ferdinand l'incianus, étaient DES TROJS-LANGUES A LOIJVAIN. 33 pour livrei' au monde chrétien le texte comparatif des saintes Écrituies dans les langues antiques, grecque et latine, hébraïque et chaldaïque. Cette entreprise laborieuse qui avait entraîné une dépense de 30,000 écus d'or, fut couronnée de succès : la grande Bible vit le jour en 1517 ^ avant toute polémique religieuse et confessionnelle. Quand le dernier tome lui fut présenté, Ximenès se félicita hautement de ce travail qu'il avait ordonné, plus que des autres actions de sa vie ^ : « cette bible, s'écria-t-il, » va ouvrir les sources sacrées d'où l'on puisera une théologie bien plus » pure que de ces ruisseaux où la plupart l'allaient chercher. » Mais, demandera- 1- on, quelle espèce d'enseignement fut- il organisé, dans le cours des mêmes années, pour satisfaire cette impulsion qui entraî- nait tant de solides esprits vers la philologie sacrée de même que vers les études classiques? Nous dirons brièvement ce qui fut réalisé à cette époque. Dès l'an 1505, dans une lettre à Christophe Fisher relative aux textes de la Bible ^, Érasme combattait les faux prétextes allégués contre l'étude de l'hébreu et des anciens idiomes, et rappelait le décret du concile de Vienne, qui prescrit de former des maîtres dans les trois langues *. En ce même moment l'Espagne mettait à exécution la pensée longtemps méconnue des chefs de la chrétienté : l'université d'Alcala, qui était née sous les yeux de Ximenès ^, et qui était devenue une petite république dans la monarchie espagnole ^, dut à la sollicitude de ce grand ministre des professeurs en langues grecque et latine. Voy. Flécliier, Vie de Ximenès, édil. I69Ô, I. I, pp. t83-t87, et le cardinal Ximenès par le professeur Hefele de Tuhingue, cliap. XII (trad. fr.. Tournai, 1830, pp. 141-177). Cfr. Bibliotti. sacra, éd. Mascli, l, pp. 552-39. ' Le Nouveau Teslanu-nt qui était imprimé dès l'an 131-4, ne parut qu'en lo2"2. - Fléchier, ibid., pp. 187-IS8. Cfr. Hefele, ch. XII, pp. 144 et 161. "' Il ne faut pas confondre Clir. Fisher, prolonotaire apostolique, avec un autre prélat fort instruit, J. Fisher qui, très-Agé, s'était rendu niaitre des trois langues. Voy. Érasme, Adag. Chil. IV, cent. V. I. ' Episl., I, p. 99 ; Alioqui quae tandem demenlia [itérât, alterum Testamentttm ab Hehraïcis vertere, alterum a Graecis emendare, si nostra erant tUroque in cjenere meliora? Qiiorstim attinebat. ut, in Viennensi concilia (quod refcrtur Clément, libro secundo, tiiulo De niagislris) tam sollicite statuerit auctoritas ecclesiaslica de parandis triinn linguarum docloribus? Quo in loeo rursus ad- miror , quoconsilio, graecam linguam eraserint. Verùm liaecdoctos admonuisse tantum, sal hubeo. ' liBS huiles d'institution avaienlélé reçues seulenienl en 1504. V. Hefele, ch. XI, Irad.cit., p. 127. ® Lire dans Fléchier, 1. 1, pp. 304-508, le récit de la visite du roi Ferdinand à Âlcala, en 1513. — Le fait n'eut lieu qu'en 1514, suivant Hefele, pp. 136-138. 34 MÉMOIRE SLR LE COLLEGE des chaires destinées à renseignement des langues savantes, comme à celui de toutes les sciences ecclésiastiques et profanes. Des subsides et des privilèges furent institués pour l'entretien et l'honneur de ceux qui devaient les remplir ^. Quand Ximenès mourut, le 8 novembre 1517, son école florissante était déjà pourvue d'une bibliothèque riche et choisie, célèbre avant celle de l'Escurial '^, et dotée de leçons qui manquaient encore dans les universités de l'Europe centrale : elle était un des beaux fleurons de la couronne d'Espagne. L'hommage d'Érasme n'a manqué ni à l'œuvre de Ximenès, ni à l'expérience du vieux Lebrixa, le plus célèbre des humanistes espagnols ^. Dans la même période,, à Oxford et à Cambridge, l'étude des lettres grecques et latines avait jeté ses racines et avait prospéré lentement par des leçons privées : il fut donné à plusieurs liommes de l'Angleterre, les G. Latimer, les Morus, les Th. Linacre, etc., d'y acquérir de cette façon une très-grande habileté. Mais des leçons régulières ne tardèrent pas à être organisées : c'est Richard Fox, évêque de Winchester, qui combla le premier, à Oxford, cette lacune, en dotant d'un cours de langue grecque le collège dit Corpus Cliristi construit à ses frais. On comprit le grec parmi les branches d'enseignement dans l'école de S'-Paul à Londres, suivant les statuts de 1518, et, en 1519, le cardinal Wolsey institua une leçon de grec parmi les leçons régulières de l'université d'Oxford. Jean Fisher, évêque de Rochester, prit des mesures semblables à celle de Cambridge dont il était chancelier. Evidemment l'Angleterre avait fait plus pour le grec que l'Allemagne et la France *. Instruit par ses amis de ce qui se passait dans les deux universités de la Grande-Bretagne, Érasme y voyait l'empire des ' Fléchiei-, t. I, pp. 124, 178, 554-358. Hefele, cliap. XI, pp. 119-139. Hallam, t. I, p. -275. '- Hallam, Lillér.de l'Europe, t. I,p. 478; t. II, 559. "' Academia Complutensis non alimide celebrilaU-iit iwminis auspicuta est, quam a compleclendo linguas, ac bonus titeras. Ciijus praecipuum ornamentum est egret/ius Me senex, planeque dignus qui midtos vincal Nestoras, Antoniiis Nebrissensis. — Epist., t. 1, p. 689, B. •* Voir Hallam, Litlér. de l'Europe, t. I, pp. 255-230, 261, 276-279, et plusieurs lettres d'Érasme, par exemple, sa lettre à Monljoie, Anvers, 1519 (Epist., t. I, p. 538), et sa lettre à Claymond, juin 1519 (Epist., t. 1, p. 465,. C.fr. Wood , hïst. et aniiq. miiv. Oxon.. II, p. 227 sq. (Oxon. 1674). DES TROIS-LANGUES \ LOIVAIN. 3o belles-leltres assuré, alors qu'il était contesté ailleurs, el quelquefois avec acharnement ^; il attribuait leur triomphe sur un fort parti d'opposition dans l'antique Oxford, à la fermeté du roi et du cardinal Wolsey. Se tour- nait-il vers l'Italie, il apprenait que Léon X avait établi à Rome, en 1515, une école ouverte aux Grecs habitant la Péninsule, et mise d'abord sous la direction de Jean Lascaris, et que les travaux de ce collège avaient pour appui une imprimerie bien organisée en vue de la publication d'ou- vrages grecs -; il savait aussi que le même pontife ne cessait de donner des encouragements à tous les savants s'occupant des langues de la Grèce et de l'Orient ^. Après cette esquisse des travaux privés et des fondations officielles qui firent avancer l'étude des langues savantes en plusieurs pays de l'Europe, on aperçoit à l'instant de quelle opportunité était l'établissement d'une école qui mît la même étude en honneur dans les Pays-Bas. Le terrain était préparé dans la ville universitaire et dans plusieurs villes de nos provinces : le collège fondé en 1517 par Jérôme Busleiden et ouvert dès 1518, répondit à l'idée qui l'on se faisait alors d'un collège des Trois- Langues. Nous pourrons passer maintenant à l'histoire de cette institution, qui jeta un grand lustre sur le nom belge dans les siècles passés. ' LeUre à Vives. Louvain, 13^21 (Episl., t. I , p. 689). V. les détails dans Hiiber, die englùchen Universitriten (Cassel, 1839), I" B., p. 575 sq. , el p. 413 sq. 2 Voy. La vie de Léon X, par lîoscoe, l. H, chap. XI, et Hallani, I. c. p. 269. ^ Voy. les faits détaillés par Audin , dans son Histoire de Léon X, t. H, chap. XIII (Théologie — Linguistique), et h propos du grec par Crapelet : Progrrx de l'imprimerie en France et en lUdie . au XVI' siècle, 1836, p. 6. 36 MÉMOIRE SUR LE COLLÈGE CHAPITRE 11. DE LA FONDATION DU COLLÈGE DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN, PAR JEROME BUSLEIDEN. Litundum Manihui (VaIÈHE \SDBt.i L'établissement d'un collège destiné spécialement à l'étude des langues savantes est dû au concours de deux nobles intelligences qui ont com- pris également bien les intérêts de leur pays et de leur temps : Jérôme Busleiden et Didier Érasme partagent, ea quelque sorte, le mérite d'en avoir été les fondateurs. Le premier nous représente cette portion considérable de la noblesse des provinces belgiques qui, dans les hauts emplois, dans les dignités ecclésiastiques ou dans les loisirs d'une vie opulente, se piquait de con- naître les arts et de les encourager, d'apprécier à leur juste valeur les antiquités et les raretés de toute espèce, les manuscrits, les enluminures et les beaux livres. Issu d'une famille distinguée par la naissance, Jérôme Busleiden avait pour émules certain nombre de seigneurs et de prélats dont les noms se sont conservés en souvenir de ces goûts vraiment nobles plutôt qu'en raison de leurs titres et privilèges ';ce qu'il eut au-dessus d'eux, c'est l'insigne honneur d'assurer l'exécution d'une œuvre qui ré- pondait certainement aux idées des classes éclairées, mais qui réclamait un promoteur d'une instruction égale à son autorité. Le second, Érasme, était un des maîtres de l'opinion, si puissante au XVI""= siècle qu'on la dirait alors la reine du monde, si elle le fut jamais. Il avait été en rapport à Louvain et ailleurs avec les hommes les plus instruits des Pays-Bas, et son suffrage, fortifié par l'étonnante renommée ' On nommerait à ce titre Raphaël de Marcatellis, abbé de S'-Bavon à Gand, Georges de Ha- lewin ou Halluin, seigneur de Comines, Nicolas Everard, magistrat lettré qui entra, dès l'an loOo, au «rand conseil de Malines. DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 37 de ses écrits, pouvait donner un appui efficace à une entreprise littéraire qui, à cause de sa nouveauté même, serait accueillie tout d'abord avec plus de défiance que de faveur. On aurait, certainement, mauvaise grâce à con- tester qu'une grande part de reconnaissance revienne à Érasme dans la fondation du collège que Jérôme Busleiden prit le soin de doter. On soutiendrait plutôt que, par son intervention dans la poursuite de cette affaire, il a rendu à l'éducation publique un service signalé qui est à peine dépassé par l'heureuse influence de quelques-uns de ses traités de littéra- ture et de critique : en effet, comme nous le montrerons dans le chapitre suivant, Érasme contribua plus que personne à la réalisation des volontés de Jérôme Busleiden après la mort de son ami, et c'est au point que, sans les instances d'Érasme, le collège n'aurait peut-être pas surmonté les crises de ses dix premières années ^ Mobile tant de fois en sa con- duite, Érasme montra ici une persévérance qui l'honore grandement, et cela en présence de l'hostilité d'un parti considérable qui n'avait ni mé- nagé son amour-propre, ni même respecté son caractère. Ce serait, en tout cas, une tâche utile et pleine d'attrait, celle de retra- cer la vie de Jérôme Busleiden; car il nous présente un noble exemple du culte du beau uni h une profession sincère du christianisme, ainsi que l'a compris l'élite de ses contemporains. Mais nous lui devons, dans ces pages, une biographie détaillée, comme au fondateur du collège des Trois-Langues. qui sera appelé aussi collège de Busleiden. Nous n'entrerons point en ma- tière sans payer, suivant un usage antique et solennel, un tribut d'hom- mages à sa mémoire, ou plutôt, comme disait Valère André 2, à ses mânes : Litandum Manibus ! Jérôme Bisleiden (ou Busleyden), Hieromjmus Buslidius, était originaire ' M. Hottiei' Il indiqué ce que lit Érasme dans celle intenlion : Vie d'Erasme, chap. XIV: Le collège des Trois- Lan f/ues , pp 1 10 sq., pp. 121 sq. - Nous ferons des emprunts à la biographie de Jérôme Busleiden et de ses proches, que Valère André a présentée, sons une forme oratoire, dans son discours sur l'origine du collège ; Collegii Tril. Buslidiani exordia et progressiis , etc., pp. 2-6, et qu'il a résumée dans ses Fastes, p. 275. Nous avons profité aussi des notes recueillies sur les Busleiden par Paquet, pour son édition des Fasti acad. Lovan., t. I, p. 472. Déjà M. Rollier a montré ce que les lettres avaient dû à cette famille du temps d'Érasme, dans son mémoire cité, pp. 105-109, et passim. 38 MÉMOIRE SLR LE COLLEGE du Luxembourg el appartenait à une famille noble de cette province, comblée des faveurs des princes qui avaient gouverné les Pays-Bas. Il naquit à Ârlon vers 1470; il était fds de Gilles ou yEgide Busleiden et de Jeanne de Musset. Son père avait été conseiller d'État et trésorier sous le règne des ducs de Bourgogne et de Brabant, Philippe le Bon et Charles le Téméraire: après la mort de Charles (1477), Gilles eut la présence d'esprit et l'énergie nécessaires pour défendre le Luxembourg contre les invasions ennemies et pour en pourvoir les places fortes de soldats, de vivres el de munitions. Déjà il avait été élevé par l'empereur Frédéric III au grade de chevalier {eqiies auralm) ^, le 5 janvier 1477. Gilles avait donné une preuve de sa pieuse munilicence, en fondant, à Arlon, le couvent des carmes. La famille, alors représentée et illustrée par Gilles, portait, depuis trois siècles environ, le nom de Busleiden ou Buskyden 2, localité du Luxembourg non éloignée de Bastogne, et placée à la distance d'environ huit milles de la ville même de Luxembourg : c'est là qu'elle avait exercé d'ancienne date des droits seigneuriaux. Le chevalier et conseiller Gilles Busleiden eut quatre fils du nom de Gilles , François , Jérôme et Valérien : la carrière des trois premiers eut assez d'éclat pour soutenir, pour rehausser même le nom qu'ils portaient. Gilles ou /F]gide fit honneur, dans la noblesse mêlée aux affaires du temps, à son titre de chevalier, et il ne répudia point les traditions généreuses qu'il tenait de l'exemple des siens. François, appelé à la cour d'Autriche, fut précepteur de Philippe le Beau et devint archevêque de Besançon (1498); il avait déjà montré une main ferme dans l'administration de son église, et il avait acquis un grand ascendant parmi les diplomates de l'Empire, ' Vraisemblablement celle qiialificalion désignail une classe de chevaliers ayant droit aux épe- rons d'or, mais non pas les chevaliers de la Toison d'or (iNote de M. Max. de IVing, dans le Mes- sager des sciences historiques. Qand, année 1853, pp. 369-370). 2 Nons reproduisons parmi les pièces juslilicalives, lettre A, l'essai généalogique laissé par Paquot dans ses notes citées plus haut (Fasti, p. 470), sur la famille Busleiden, sur les ascendants de Jérôme et sur les descendants de Gilles, celui de ses frères qui lui survécut. Des deux ortho- graphes du nom, Busleiden ou Biisleyden, nous avons préféré la première comme adoptée presque afénéralenienl dans les écrits modernes. DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 39 .lorsqu'il mourut, en 1502, à Tolède '. Quant à Valérien Busleiden, il est peu connu : il mourut avant Jérôme, qui laissa un tiers de sa maison de Malines au fds de Valérien, François, qu'il appelle dans son testament son très-cher neveu {charissimo nepoti meo). Jérôme Busleiden profita sans doute de la position honorée acquise par sa famille : s'il est inexact de dire avec Moréri qu'il fut « l'artisan de sa propre fortune », il ne faut pas non plus, avec Bayle, l'attribuer tout entière à la prospérité de sa maison et particulièrement au crédit de l'ar- chevêque François ^. Il déploya une aptitude particulière aux choses de l'esprit parmi les hommes de son nom qui avaient servi l'État : non-seule- ment il honora les dignités de l'Église dont il fut revêtu, et montra, dans plusieurs ambassades, les rares qualités de son intelligence, mais encore il porta son goût naturel et précoce, pour les sciences et les lettres ^, dans toutes ses relations sociales, et il se distingua dans ce rôle de protecteur des lettres qu'il lui appartenait si bien de prendre. A l'exemple de son frère François, Jérôme Busleiden visita l'Italie vers l'an 1498, après avoir étudié les lettres et les éléments du droit à Louvain, et c'est à Bologne qu'il obtint les honneurs du doctorat en droil. A peine de retour dans sa patrie, encore à la fleur de l'âge, le 8 février 1505 *, il occupa un siège au conseil souverain de Belgique et réunit à sa charge de * Dans son Panégyrique de Philippe le Beau, Érasme loue François Busleiden comme un des soutiens providentiels de la maison d'Aulriclie; il compare son rôle auprès du jeune prince à celui des amis célèbres des rois de l'antiquité , Nestor, Parménion, I^éonidas, Zopyre. — Voy. dans les Exordia de V. André (pp. 51-33) les épitaphes historiques, en vers latins, composées en l'honneur de l'archevêque de Besançon. - Dictionnaire historique et critique, t. 1 , p. 709, note A (éd. de Rotterdam , 1697.) "' « h a teneris stutim annis felici praeditus indole alque ingenio , genio quodam ad lilterarum l'erebutur studio....» Exordia, p. 5. Fort jeune encore, il avait témoigné pour Érasme une estime dont celui-ci, qui ne faisait que débuter, se montra très-flattc. Lettre à J. Tutor. Paris, 1-490. Epist. , I , p. 36 : Audio.... Itominem ipsum studiosos in pretio habere, vec de meo quidem ingenio pessinie senlire. ' .Nous avons fixé avec Foppens (p. 480) à l'an 1503 l'obtention de cette dignité, quoique Valère André la place après celle des dignités ecclésiastiques dont nous parlerons plus loin , et qui auraient conduit Jérôme Busleiden au rang de conseiller. Reversus tamquam per quosdam digni- lalum gradus, ad sunimu consccndit. Exordia, p. 5. (1503, 8 febr.) Valère André ne parle pas de date dans sa Bibliolh. Belgica. S""' édit., 164.5, p. 386. Tome XXVIU. 7 40 MÉMOIRE SUR LE COLLEGE conseiller celle de maîlrc des requêtes ^ Ensuite, il remplit, à la demande, de l'empereur JMaximilien, plusieurs missions diplomatiques hors du pays, auprès du pape Jules II, de François I" en France et de Henri VIII en Angleterre. Pendant les années qu'il résida en Belgique, Jérôme Busleiden mil au jour le zèle le plus éclairé pour les progrès de l'instruction : il donna aux lettres un splendide asile en sa propre demeure, où il rassembla une collection d'antiquités, de manuscrits et de livres grecs et latins, qui était considérée comme une des plus précieuses de l'époque ^. Il avait recueilli autrefois en Italie des livres peu communs; il ne cessa point de rechercher et d'acquérir les ouvrages curieux propres à composer une bibliothèque savante. Les nombreux bibliophiles de la Belgique peuvent mettre sans rougir parmi leurs ancêtres celui dont Érasme a dit ^ : Omnium librorim emacissimus, un acheteur de tout et à tout prix. Le sanctuaire de Jérôme Busleiden était ouvert à tous les hommes instruits : c'est là qu'il communiquait incessamment avec de nombreux visiteurs, animés comme lui d'un amour sincère des bonnes éludes; c'est de là qu'il entretenait avec Érasme un commerce épistolaire qui était un échange de vues élevées et de nobles projets. Quelle devait être la magni- ficence du musée créé par les soins du prélat-sénateur de Malines, puis- qu'elle excita la surprise de Thomas Morus , qui connaissait les riches collections déjà formées par quelques grands de l'Angleterre ^! Quel éton- ' Qtia in fimctionc, quae propria Buslidioul'm semper taus fuit fidelem se régi, iitilem reipii- blicae , gralum el benir/mim omnibus prucbuil, — Exordiu, p. 5. - Nous faisons grâce an lecleur de la phrase de Valère André, qui compare la maison de Biisleidei» au palais de Lucullus que décrit Pliitarquc; mais écoutons à quel litre il l'appelle le Mécène de son îemps [Exordia, p. 5) : ... Vnus fere ea cxstitit tempeslate inler Belgii Hostri optimales doctissimonwk virorum fautor ac Maecenas : cujus palatiiim (quod magnipce u se exstructum incotebal) tamguam Miisarum quoddam domicHium , libris graccis , latinisque, manu lypisque descriplis, aliisqne anli- quitatis cimeliis refertum , dvctis palebat omnibus. ^ Epist., I, 671 (lettre à Polj'dorus Vergllius). Busleiden avait un exemplaire des Adages de ce dernier. ' Dans une lettre adressée à Érasme de Londres, en ibid, Morus se loue de l'accueil cordial de Busleiden, et il énumère toutes les merveilles que celui-ci lui a montrées. (Epist., I, p. 222) : ... Cwn Buslidio mUii inlervcuit amicitia qui me et pro egregia fort una sua magnifiée , et pro animi bonilate comiter cxcepit. Vomum tum singulari artificio excultum . tam cximia suppeltectile in- DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 41 nement devait produire la vue de toutes ces choses sur ceux qui n'avaient pas visité l'Italie des Médicis, seule contrée où jusque-là ces trésors litté- raires avaient été hautement estimés et recherchés avec passion! Mais Jérôme Busleiden n'était pas seulement un amateur d'un goût intelligent et sûr, il possédait lui-même beaucoup de savoir et il était très- versé dans la connaissance des langues grecque et latine * : vir titriiisque lingiiae callenlissimus. En outre, il avait en partage une habileté d'élocution qui devait répandre autant de charme dans ses rapports scientifiques que de prestige dans ses relations de diplomate, il n'eût pas obtenu à un si haut point la sympathie et le respect d'Érasme , s'il n'eût joint ces dons exté- rieurs, ces connaissances variées, ces habitudes libérales aux facultés sé- rieuses de l'esprit. Il ne nous reste qu'une lettre de Jérôme Busleiden à Thomas Morus , publiée en tète de Y Utopie du célèbre chancelier, dont la première édition fut imprimée à Louvain , au commencement de l'an 1517, par Th. Martens^; elle exprime son admiration pour la science et la haute expérience de Morus, une confiance un peu trop grande peut-être dans l'elïicacité des études sociales et politiques de son illustre ami , et elle n'est pas indigne, par sa latinité, du style élégant qui était afiecté à la corres- pondance des hommes lettrés du temps. Busleiden s'était essayé lui-même en différents genres de composition latine, en vers et en prose, poèmes, lettres et discours; il avait mên)e recueilli à ce sujet de nombreux suf- frages; mais ces pièces sont restées inédites et n'ont circulé que dans un petit cercle de lecteurs ^. Valère André en avait eu sous les yeux un recueil manuscrit, grâce à la complaisance d'Oliverius Vredius, qui l'avait re- slruclam oslendit. Ad haec loi vettistatis momtmenta quorum me sois esse percupulum. Postrcnio, tam egregie refertam bibliothecam , et ipsius pechis quavis etiam bibliolheca refertius. tu me plane nbsliipcfeeerit.—\'ou\ parmi les pièces justificatives, lettre C, les beaux distiques latins dans lesquels ïii. Morus a célébré l'antiquaire, le dilettante de Malines. ' Erusmi Episl., II, p. 1836. ^ Hier. Buslidim Tliomae Moro S. D. Elle se termine par ces mots : Vak doctissime el idem hitmotii.isinie More, tuae Britanniae, ac noslri hvjus orbis dectts. Ex aedibiis nostris Mechliniae. Aniio MDXVI. Cette leUre a été reprodiiile dans les différentes éditions de l'Utopie. Voy. la descrip- tion de l'édition de Louvain, n" 108, pp. 2G7-269, dans la monographie cilée du P. van Isegbem. ■" Uoclrivam facundiiwique monumenla ingenii, ub eo relielu, satis superque lestantur, id est, carmina , orationes, epistolae variae, fdiaquc, è quibus pauea typis édita, pleraque vero àvéK'kra a 42 MÉMOIRE SUR LE COLLÈGE trouvé à Bruges ', et la prévoyance d'un célèbre bibliophile en a assuré la possession à notre Bibliothèque royale ^. D'un autre côté, Jérôme Busleiden obtint dans l'Église une considéra- tion à laquelle l'histoire de sa vie ne porte aucune atteinte; il ne dérogea point à la vocation qu'il avait librement embi'assée à la suite de son frère François. Des dignités ecclésiastiques, dont quelques-unes comportaient des bénéfices considérables^, avaient été réunies en peu d'années sur la tête de Jérôme Busleiden. Pourvu de bonne heure d'un canonicat à l'église métropolitaine de Malines, il devint successivement chanoine de Sainle- Waudru à Mons et de Saint-Lambert à Liège, trésorier de Sainte-Gudule à Bruxelles, archidiacre de Notre-Dame à Cambrai ''*; il fut aussi prévôt de l'église de Saint-Pierre à Aire, en Artois, et c'est cette dernière dignité qu'il considéra comme la plus haute et qu'il mit en tète de ses titres religieux {Praeposilus Ariensis). Homme de science et de capacité, Jérôme Busleiden était un des beaux ornements de la monarchie dont il relevait ^, et s'il fut comblé de tant de faveurs, à cause de sa naissance et surtout de son mérite personnel, il est vrai qu'il en fit le plus noble usage dans l'intérêt des lettres, qui lui semblaient devoir répandre un fort grand lustre sur l'Église et sur l'État. Son influence et son crédit lui servirent à rassembler les collections litté- raires et artistiques que l'étranger lui enviait; il sacrifia la meilleure partie de sa fortune à encourager plusieurs des études qui étaient la préoccu- paiicioribus leyunlur. Val. Andréas, Fasli acacL, p. 276. —Voy. la seconde pièce de vers latins où Th. Moriis conjure le poëte de vaincre sa modestie. ' Legunlur ea modo Lovanii bénéficia V. cl. Oliverii Vredii , qui Brugis Flandrorum reperla ad nos misit. V. A., Bibl. Belg., éd. sec, p. 387. Voy. Foppens, p. i8\. 2 Le volume, acheté en 1813 du professeur P.-J. Baudewyns, à Bruxelles, par M. Van Hulthem, fait partie de la collection de ses manuscrits acquis par l'État. Voy. Bibliotlieca HuUhemiana, t. VI, pp. 38-59, n° 208 : Carmina, epistolae et orationes Hier. Busiidii J. U. D., etc.. Manuscrit original in-folio, 273 pages. (MSS. Bibl. roy , n™ 13673-677.) ■■' Moréri observe, en parlant de Busleiden , que la pluralité de ces bénéfices n'avait point encore été défendue par le concile de Trente. * Nous ne savons sur quelle autorité l'abbé Bax fait aussi Jérôme Busleiden, chanoine de Saint- Jean à Bois-le-Duc et prévôt de Notre-Uame à Bruges (fol. 1409). ^ Érasme à Lascaris, Episl., I, p. 319 : Hanm doctiis ac poleu.f , et hujiis regni decits incom- parabilc. DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 43 pation des esprits les plus actifs de son temps. Une mort prématurée ne nuisit point à l'accomplissement de ses desseins : il y avait pourvu dans son testament, dressé avant son départ pour l'Espagne. 11 se dirigeait vers ce pays en qualité d'envoyé de Charles V, futur empereur, qui n'avait pas encore pris possession du trône de Ferdinand le Catholique ^ Il fut mal- heureusement un des premiers Belges à qui le voyage d'Espagne devait être funeste : fias primitias Orco hispanico dedimus, cui jam nimium saepe lila- mus, disait tristement Érasme à cette fatale nouvelle^. Busleiden était mort, des suites d'une pleurésie, à Bordeaux, le 27 août 1517, âgé d'environ quarante-sept ans. Déjà Jérôme Busleiden avait rédigé, à Malines, le 22 juin de la même année, l'acte de ses dernières volontés; à Bordeaux, qui fut le terme de son voyage, il y ajouta des codicilles qu'il confia à deux de ses illustres compagnons de route, Jean Sauvage, chancelier de Bourgogne ^ et Antoine Sucquet, conseiller intime de l'Empire *. Suivant ses recommandations, son corps fut rapporté à JMalines et déposé, vers la fin de septembre^, dans l'église de Saint-Rombaut. Comme il l'avait souhaité, on érigea près de sa sépulture un tombeau surmonté d'un tableau de son musée qu'il avait désigné, et de même sur les deux volets de ce tableau, on plaça d'un côté son portrait, de l'autre une inscription commémorative. L'épitaphe était de la main même d'Érasme; mais elle disparut avec le monument, quand la métropole de Malines fut dévastée par les novateurs, pendant les troubles de la fin du XVI'"'' siècle. Heureusement on a conservé dans des livres les deux pièces de vers grecs et latins qui composaient l'épi- ' Charles n'arriva en Espagne qu'en septembre 1 51 7. 2 Epist.J, p. 263, et II, p. 1629. ■^ Ce personnage, seigneur d'Eseaubeke et Bierbeek, devint grand chancelier en 1314 et niounil à Saragosse en 1318. Voy. Butkens, Suppl. aux Trophées du Brabant, liv. W, et les Bulletins de lit Comm. roy. d'histoire, t. X, p. 7. "* Antoine Sucquet, originaire de la Bourgogne, était ami d'Érasme et protecteur des gens de lettres; il fut membre du conseil privé de Cliarles-Quint et son chargé d'affaires en diverses cours. Il mourut à Bruges en 1526. Voy. les Mémoires de Paquot, t. III (Notice sur Charles Sucquet, fils d'Antoine). " Valère André, qui rapporte ces diverses circonstances, donne aux obsèques célébrées à Malines la date du 21 et du 24 septembre. Exordia, p. 6. 44 MEMOIRE SLR LE COLLEGE taphe de Busleiden. Quoique Valère André les ait déjà reproduites *, elles ne seront pas lues ici sans plaisir, puisqu'elles résument fort bien la gloire de celui qui en est l'objet, et puisque leur style appartient aux meilleurs essais poétiques d'Erasme. Le grand humaniste éprouva une bien vive douleur de la mort inattendue de Busleiden, et se reprocha de lui avoir montré un peu de froideur avant son départ pour l'Espagne - : Morlem Buslidii ex animo doleo , et hoc magis doleo , quod anle discessum illo lam frigide sim usiis. Il se fit un devoir d'offrir au public une expression aussi élégante que possible de ses sentiments d'estime et d'affection envers le défunt. Nous le voyons soumettre le premier croquis de ses vers à ses doctes amis, par exemple, Jean Robbinus ou Robbyns, doyen de Malines, avec qui il entretenait des relations littéraires ^; nous le voyons consulter dans les mêmes vues Gilles ou ^Egide Busleiden, frère de son ami *, et c'est, enfin, à ce personnage qu'il adressa la dernière rédaction de ses vers, à la suite d'une lettre qui ne renferme pas un éloge moins solennel du mérite de Jérôme Busleiden^. Érasme s'excuse ici comme ailleurs, tou- chant tes défauts de sa poésie qu'il rejette sur la sévérité de ses récentes études ; il a témoigné son bon vouloir en attendant que d'autres écri- vains et poètes célèbrent à leur tour la gloire durable de ce protecteur des lettres. ' Exordia, p. 7. — C'est à tort, sans doiile, que, dans le même passage, Valère André parle d'une épitaplie en trois langues composée par Érasme pour le toiiilieaii de Jérôme Busleiden. Paquot, dans ses Fasli (t. I, p. 472), dit très-bien que si Valère André avait connu une épilaphe hébraï- que, il ne manquait pas de caractères hébraïques pour la reproduire, mais que probablement cette troisième épilaphe n'a jamais existé, parce qu'Érasme n'était pas doué d'une connaissance assez l';m)ilière de l'hébreu pour s'essayer en cette langue. - Lettre à Barbirius, 2 novembre I5i7 {Epist., I, p. 270). •' Lettre de Louvain en date du 20 mars 1518, Epist., Il, 1677 : Epilophid mitto, non qualia nierebulur ille, sed qualia nos praeslare potuimxis... Si quid cetisehis mutarulwn , mm Bnrsaio communica , /.'; mihi tuam senlenliam perscribet. ' Dès 1517, Érasme en envoyant à Gilles le Carttiai Trocliuicuw , accompagné de plusieurs variâmes, déclare ne le faire que pour avoir son avis : Tuutum lit experiar sothnim nnimi lui. Fient alin, simid atque cognovero (Epist., H, 1655-1 634.) ■^ Epist. CCCLXII, I, pj). 577-578. Cctle lettre datée de Louvain, 1518, commence ainsi ; Quoi ornamenta in uno perdidimus homine? Facile divino, quo tu animo mortem germani feras; cu7n itniversus bonorum atque eruditorum chorus unice doleat. Sed quid prosunt inanes quere.lac. DES TKOIS-LANGUES A LOUVAIN. 45 Ëpitaphium ad pictam imaginem Cluris&imi viri Hieronymi Buslidii, Praepositi Ariensis. [AMBOI TPIMETPOI O T/;v 0£ ypy.{pcr.ç oùp-ax-iz ^.op'siriV /.a/iwç , ûïî/.eç aj'X/.^.a 'Çi'xiypaaùv /.ai "sj vsi;. Eaufeû/ «!/ SI •/] TC'.vay.oç, sv p^xq Tréôo) , ApîTtiiv àr.x'jôiv ipaTÔv i-yy'Jjvj X^,^^"-' Ty;]/ e'j7é(3aoa/ vi)v leptTtpsi:^ Tiy.vj, Tip y^pyjcrixïjza , vriv re r.ou^îiay y.oDtiV. Kaî TaûTa zaW.a f^svsç ÙKfipy^ lipdivufj.cç, O B3ii7?,eo«az>ji; cjzt'aç ffe'Àaç iJ.éyor.. TROCHÂICI TETRAMETKI. Nominis Busleidiani proximum primo decus, liane nos orbas, virenli raplus aevo, Hieronyme!' Lilerae , genus , Senatus, aida, plebs, Ecdesia, Aul suum sidus requirunt, aut palronum flagilant. Nescil inlerire, quisquis vilain honeste finiit. Fama virtututn perennis vivel iisque posleris. Eruditio TiiiLiNGUis tripHci facundia Te loquetur, cujus opibus resliluta refloruit. C'est ici le lieu de juger les intentions qui ont guidé Jérôme Ijusleiden dans la rédaction de son leslanienl, avant d'exposer les principales dis- positions de cet acte et d'en faire ressortir les premiers effets. Busleidcn était convaincu qu'une étude sérieuse des langues et des quld inutiles lucryinae? Ihic nascimur omnes. In epilaphiis, ntc itlius nieritis, iwc m«u /jenio satis- fecL... Vereor autrs tuas lonrje lersissinias. ("est d'après la grauiic édilioii île Levde que nous don lions ici le texte des deux inscriptions. 46 MÉMOIRE SUR LE COLLÈGE lettres anciennes était le fondement d'un savoir vraiment élevé : c'étaient, à son avis, autant de degrés par lesquels l'esprit parvient à des régions plus hautes. Leur culture est indispensable dès le principe pour former l'intelligence et pour la polir : les principes de la vraie sagesse reçoivent d'elles plus de force et plus de nerf ^ 11 voyait que déjà en Italie, en France et ailleurs, la culture des langues et des lettres avait resplendi d'un grand éclat, et que bientôt leur étude allait dominer dans les écoles les plus célèbres de l'Europe, où l'on appe- lait au prix de grands avantages ceux qui pouvaient les professer. Ce que Busleiden souhaitait avant tout, c'était de préserver la Belgique d'une indifférence pour les lettres qu'il craignait de voir s'accroître sans remède : il entendait les rappeler de l'exil et les faire servir d'ornement et de défense à la société chrétienne tout entière. Si ce projet ne pouvait se réaliser de son vivant et sous ses yeux, il voulait, du moins, après sa mort, témoigner à la postérité des efforts et du zèle qu'il aurait mis à l'accomplir. L'examen que nous allons faire de la partie du testament de Jérôme Busleiden, relative à l'érection du collège des Trois-Langues, justifiera tout ce qu'on a dit de ses sentiments élevés, de ses vues droites et pures : Valère André n'a pas exagéré en appelant, après Dorpius, Mécène de la Belgique, un si généreux promoteur des lettres, et, en présence des motifs religieux qu'il invoque dans cet acte solennel , personne ne serait en droit de reprocher à Jérôme Busleiden la conformité de ses opinions avec celles d'Erasme et d'autres savants contemporains sur l'avenir des études. L'œuvre littéraire qu'il avait méditée depuis de longues années remplit à ' C'est en ces termes que Valère André se fait l'interprète de la pensée de Busleiden, dans un passage de son discours, dont nous citerons les fragments suivants [Exordia, pp. 5-6) : Judicabat aiitem sine his gradibus facilem nulli ad allmra palere adilum : amoenioribus hiscc sliidiis ani- mum primum formari alque excoli oportere ; ab illis sapientiae décréta robur nervosque solidiores accipere. Viderai jam unie in Italia, Galliu et alibi , puisa paidalim barbariei caligine, Literarmn alque linyuarum lucere soient.... Unuin ilaque in volis illi cral , nialo huic in Belgio magis magis- que sensim grassanti medelam aliquam adferre, Literas, Linguasque, Reip. Christianae orna- menla alque praesidia , quasi postliminio revocare : mil si l'ivo illo videnleque fîeri id fartasse non possel , a morte saltem conalum ea in re suum, indusiriamque teslulam posteris reddere. DES TROIS-LANGLES A LOIIVAIN. 47 elle seule, pour ainsi dire, le testament de Busleiden ' : dans ce chapiln' et dans les suivants, nous en relèverons uniquement les clauses les plus importantes, qui ont traita la constitution de l'établissement spécial bien- tôt célèbre parmi les fondations académiques -. Dans son testament de 1517, outre diflerenls legs, les uns affectés à des œuvres pies, les autres faits à des personnes de sa famille, Jérôme Bus- leiden prit les dispositions nécessaires à la dotation d'un enseignement des trois langues savantes, latine, grecque et bébraïque, qui serait institué à l'université de Louvain. Il la préleva sur tous ses biens tant mobiliers qu'im- mobiliers, et voulut que l'établissement nouveau qu'il qualifia de collège, eût son siège dans le collège de Saint-Donat -^5 si l'on pouvait y trouver un local convenable, ou bien dans le collège d'Arras *. Peut-être agit-il ainsi dans l'inlérêt de son institution littéraire ^, afin qu'il ne fût pas nécessaire d'acquérir un nouveau bâtiment, d'ouvrir un collège particu- lier, d'y entretenir un président et de subvenir à d'autres charges encore. Le fondateur instituait dans son collège treize bourses, pour les hono- raires des trois professeurs de latin, de grec et d'hébi-eu, et pour l'entre- tien de dix élèves boursiers. Nous traiterons d'abord des dispositions con- cernant ces derniers. Les six premiers des boursiers seraient choisis de préférence parmi les ' On trouvera, dans les pièces juslificatives, lettre B, un extrait complet du testament, en ce qui concerne la fondation du coUi^ge de Busleiden, d'après le texte qu'on en a donné au tome IV des Diplomata Belyica d'Aub. Miraeus (Bruxelles, 1748), mais que nous avons collationné avec une copie authentique faite sur l'original au commencement du XVIII"" siècle ( 1701 ), et revêtue de l'attestation de 11. U. Quirini, notaire apostolique. ^ Les détails du lèglement, les menues dispositions touchant à des alfaires d'argent ou à des usages surannés, n'ont pas été compris dans cette analyse; on les lira dans le texte latin avec cer- tain intérêt, pour connaître les garanties et charges autrefois exigées de ceux qui prolitaient d'une fondation scolaire. "' Colieijium S. Dunutiani. — Ce collège, situé rue des Chats, avait élé fondé en l-i88, par un prélat, originaire du diocèse d'Arras , Antoine Hanneron, prévôt de l'église de Saiiit-Donat , a Bruges; il conserva pour patron, dans les siècles suivants, le prévôt de la même église. V. André, Fasti, pp. 298-299. ' Le collège d'Arras, Collegiwn Àtnbalense, avait élé fondé peu auparavant par l'évoque d'Arras, Nicolas Rutherius ou de Ruistre, seigneur du pays de Luxembourg, mort à Malines eu novembre 1509. Voy. Fasti, pp. 301-502. •"* V. André, ibid., p. 273. Tome XXVIIl. 8 48 MEMOIRE SUR LE COLLEGE Luxembourgeois ; deux devaient être natifs de la commune même de Bus- leideii, deux autres de Marville, et deux d'Arlon, lieu natal de la plupart des membres de la famille Rusleiden; enfin, deux autres devaient être originaires, l'un d'Aire en Artois, et l'autre de Steenberg. On eboisirait, à défaut de ceux-ci, des jeunes gens nés dans les localités les plus voisines des endroits désignés, c'est-à-dire situées à trois ou quatre milles de dis- tance ^ Tous devaient être nés en légitime mariage, être bien doués sous le rapport de l'esprit et pourvus d'une instruction convenable pour leur âge : le choix devait se porter, suivant l'expression de Jérôme Busieiden. sur ceux qui donneraient les plus belles espérances à l'Eglise de Dieu et aux bonnes études. Chacun des boursiers jouirait d'une bourse de vingt-cinq florins du Rhin, mais il était tenu de prouver que cette somme ne pouvait être fournie par sa famille. Entre plusieurs concurrents, le plus pauvre devait être préféré, s'il n'était pas inférieur aux autres en esprit et en moralité. Pour être admis à la jouissance de ces bourses, les candidats ordinaires devaient être âgés de treize ans au moins; seuls, les candidats natifs de Busieiden pouvaient se présenter à l'âge de dix ans. Le testateur fixait à huit années la possession des bourses fondées pour les élèves désignés ; il ne créait une exception que pour les seuls élèves reconnus capables d'en diriger d'au- tres dans les études oîi ils s'étaient eux-mêmes déjà distingués; il leur accordait jouissance de la bourse pendant deux années au delà du terme fixé, toujours à la discrétion des proviseurs. Nous reviendrons plus loin sur les obligations imposées aux boursiers relativement à la fréquentation des leçons et à l'emploi quotidien de leur temps. Quant aux trois professeurs désignés par Jérôme Busieiden pour l'en- seignement des langues et des lettres anciennes, nous dirons ailleurs quelle position leur était faite dans l'établissement nouveau, quelles qualités étaient requises en leur personne, et quelles mesures étaient proposées afin ' Ueiix autres élèves soraicnt appelés à la jouissance de bourses semblables, ruii nalit' île Ma- iines, l'autre de Luxenibourç;, après une période de dix ans, quand une portion de revenu affectée extraordinairenient aux chaires de grec et d'hébreu , lors de l'ouverture du collège, rentrerait entri' les mains des proviseurs. DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 49 que leur enseignement fût accessible et profitable au plus grand nombre '. Nous nous bornerons à faire remarquer ici que Busleiden donne toujours, dans son testament, aux futurs maîtres de son collège, le nom de praecep- lores, et jamais celui de professores. Était-ce peut-être alors, dans la langue académique, l'usage de nommer praeceptores ceux qui donnaient dans les collèges des cours particuliers, et qui n'occupaient pas une des cbaires légalement instituées en la Faculté des Arts ou en d'autres Facultés? Voyons maintenant ce qui se passa après la mort de Busleiden, comment procédèrent les exécuteurs testamentaires qu'il avait chargés spécialement de faire l'inventaire de sa fortune et de régler toutes choses suivant ses volontés formellement exprimées ^. De fait, les deux collèges les plus an- ciens, ceux de Saint-Donat et d'Arras, n'acceptèrent, ni l'un ni l'autre, le legs par lequel Busleiden croyait les avoir favorisés; ils y renoncèrent, nous dit-on, après mûre délibération de leurs directeurs, en considération non-seulement de la modicité du profit pécuniaire que cette fondation nou- velle leur procurerait, mais encore des charges futures que son accep- tation leur imposerait dans la suite des temps. Jérôme Busleiden avait désigné Jean Robbyns , doyen de Malines. comme un des exécuteurs de son testament, dans le cas oià la fondation serait établie dans le collège d'Arras, et Jean Stercke, de Meerbeke, pré- sident du collège de Saint-Donat, dans le cas où l'on aurait pu l'établii dans ce dernier collège. Ces deux hommes n'eurent sans doute point de droit au legs personnel que Busleiden leur avait fait dans la prévision de l'important service qu'il réclamait d'eux; mais Jean Stercke devint plus tard le premier président du nouveau collège. Il y eut alors un instant d'hésitation touchant l'emploi qui serait fait de la donation de J. Busleiden en faveur des lettres. Bien des gens se figurèreni que le collège projeté n'existerait peut-être jamais, ou bien qu'il passerait de Louvain à Bruges ou à Tournai, dont les magistrats offraient d'y affectei gratuitement de spacieux édifices. Bruges était incontestablement à cette époque une ville littéraire, qui renfermait « des hommes érudits et de ' Voy. chapilres III el IV. - Voy. les FasU academici de V. André , p. 476. §0 MÉMOIRE SUR LE COLLÈGE sain ingénient », portés à bien accueillir une telle institution '; cette ville, où lirasme comptait tant d'amis, où Vives a passé ses dernières années, n'a-l-elle pas fourni un auditoire aux leçons de rhétorique de Georges Cas- sander? Tournai avait eu des écoles célèbres dans les siècles antérieurs, et, dans les années mêmes où s'organisa le collège des Trois-Langues, elle donna l'hospitalité à Jacques Ceratinus, qui y enseigna les belles-lettres 2. Force fut, en cette conjoncture, aux hommes qui s'étaient chargés de l'exécution du testament de J. Busleiden s, de prendre une prompte déci- sion : ils s'arrêtèrent à la résolution de construire et d'ériger un nouveau collège qui répondît en quelque sorte aux intentions du testateur et à l'attente de ses amis. Ainsi comprirent leur tâche trois hommes considé- rables de ce temps, Antoine Sucquet, qui avait accompagné Busleiden dans son voyage d'Espagne, Nicolas de Nispen, secrétaire de Robert de Croy, archevêque de Cambrai , et Barthélémy de Vessem, chanoine de Malines *. Us usèrent de la faculté que Busleiden avait laissée à ses mandataires d'interpréter ce qu'il pourrait y avoir d'obscur et d'ambigu dans le texte de son testament, et d'exécuter et accomplir avec liberté les clauses et arrangements qu'il avait voulu y consigner. Ils- n'agirent point du reste sans avoir recours aux conseils de plusieurs personnes, entre autres du frère de J. Busleiden, Gilles ou Egide, ainsi que de Didier Érasme, qui avait eu connaissance de son dessein. On se trouva d'accord sur l'acquisi- tion immédiate de bâtiments particuliers. • Voy. y Histoire de Flmnlrc, par Kervyn de Leltenhovc, i. VI (Ihuixelles, 1 8.j0, \>\>. 33-38), où sont citées les lettres d'Érasme relatives aux savants de Bruges, et sur G. Cassandcr, I^oppriis, pp. 333-35. 2 Voy. au chapitre VU (langue grecque) la notice relative à cet humaniste et aux relations qu'il eut en Belgique. - Les magistrats de Tournai ayant tenté, vers t525, d'ouvrir une école où l'on en- seignai avec la grammaire les éléments des sciences, réclamation fut faite auprès de la gouver- nante des Pays-Bas, Marguerite d'Autriche, par l'université et par la ville de I-ouvain. Malgré la transaction que proposa Tournai, le conseil souverain de Belgique lui interdit, par décision portée à Malines en t530, de donner suite à cette affaire. Fasli acad., pp. 338-359. ' Adrien .losel , chanoine d'Anvers, que Busleiden leur avait adjoint et qu'il avait institué d'autre part distrihuteur de ses aumônes, ne parait pas avoir pris part à l'éieetion du collège. ' B. de Vessem, à qui Jérôme Busleiden avait donné le plus de peine et de responsabilité en celte affaire, avait été gratifié par lui d'un legs de deux cents florins d'or, servant d'ailleurs d'in- demnité pour ses dépenses et avances; cinquante florins d'or étaient assignés du même chef aux autres exécuteurs du testament. DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 5i C'est Barlhélemy de Vessem qui se chargea d'acheter à Louvain, en face du marché aux Poissons, une maison qui avait une issue sur la place des Augustins et une autre dans la rue des Écriniers ' (de Sclirynstraele). C'est là que se firent les travaux nécessaires à l'appropriation des bâti- ments qui devaient servir de siège au collège de Busleiden. Mais ce fut seulement au mois d'octobre 1620 que les professeurs titulaires de la fondation purent prendre possession du local ^. L'endroit était bien choisi et l'édifice n'était pas sans élégance^ : Colleriii locits el lionestiis est, nec inelegaïuis aiructume, comme s'exprimait Érasme l'année suivante. La for- tune de J. Busleiden n'était pas très-considérable '% malgré la part de biens que son frère François lui avait laissée naguère : elle n'entrait pas en comparaison avec celle des personnages de son rang attachés longtemps au service de l'État ou de l'Église. Cependant les hommes de cette époque qui, comme Érasme, avaient dû compter sur la libéralité des grands et des prélats , regardèrent sans doute comme très-large et comme extraordi- naire la dotation de J. Busleiden, faite sans réserve au profit des belles- lettres. A part les legs d'une valeur déterminée dont il a été question plus haut, c'était sa fortune pour ainsi dire tout entière qu'il avait affectée à ce but de généreux prosélytisme^, La fondation instituée par J. Busleiden constituait avec les legs une charge énorme pour ses héritiers directs; elle équivalait presque à un abandon complet de leurs droits*^, et il fallut * Ces détails sont tirés du recueil de \ia\ (fol. 1409). La maison qui avait appartenu à la faniillf de Calstre (de Catstris), de même que le collège de Winkelius, fut aclietée des héritiers ou exécu- teurs testamentaires de Walther de Beka, docteur en droit. Ex libro A. IS19 a prima caméra oppidi Lovaniennis ad \-i septembris. - On verra plus loin que les premières leçons furent données dans la maison des PP. Augustins. ^ Epist., t. I, p. 652 (an. 1521). ' Dans un passage d'Erasme (lettre de 1S3I à J. Tnsanusou Toussain, que nous aur'ons occasion de citer au chapitre suivant), il est dit de notre Dusleiden : Decessit et auctorilale et re mediocri, etc.: il faut entendre ces mots de l'état médiocre de sa fortune, par rapport à raccroissement qu'elle aurait reçu dans la carrière politique où il était entré, s'il eût vécu plus longtemps. ■' Dans la môme lettre à J. Tusanus, Érasme dit expressément : Quidquid erat facullatwn , id universum ei negolio dedicavit, et on lit dans une autre lettre du même à l'évêque de Liège, Érard de la Marck : Universam forlunam Iniic pulclierrimo inlendit nerjolio. Qui fraudatis eliani haeredibus ingenlem pecuniarum vim in hune usum legato retiquil . ut honesto salarin pararentur, qui Lovanii très linguas profiterenttir. — Érasme, de ralione verae Iheo- 32 MÉMOIRE SIR LE COLLEGE assuréinenl le bon vouloir des membres de sa famille, ainsi que le dé- vouement des hommes à qui il avail fait appel, pour que l'afliiire fût menée à bonne fin. C'est en cette occurrence que les sollicitations d'Érasme furent décisives : il prévint le découragement chez les mandataires à qui son ami avait confié un pouvoir illimité et sans contrôle pour le partage de sa for- tune, et il détourna les héritiers de la pensée de faire aucune espèce d'opposition à ce partage. Érasme agit en temps opportun et à diverses reprises auprès de Gilles Busleiden, qui était alors à la tête de la famille et qui occupait un haut emploi dans les finances royales (Calliolici Régis a rationibm^J; il le traita comme un homme public qui a des devoirs envers la société en raison de ses titres, et qui ne peut rester étranger à la cause des lettres; il invoqua surtout auprès de lui l'honneur de sa famille, l'obligation de soutenir cette fois encore le nom déjà célèbre des Buslei- den- : Cujus laudis non minima porlio, a pu dire Érasme lui-même 5, debetiir et ejus germano , JE^Gimo Buslidio qui sic favet fratris teslamento, imo sic Litteris ipse litteralissiniits, ul malil cam pccuniam juvandis sludiis omnium qmim suis scriniis augendis dicalum. 11 est de fait que les Busleiden, alors représentés logiae. 0pp., t. V, p. 75. Voy. EpiU., 1. 1, p. 632. Six mois ne s'étaient pas écoulés qu'Érasme, instruii (le lout, écrivait à Builé ( Louvain, 22 février 13IS. EpUl., t. I, p. 305) : DusUdianum legalum uc Trilingue coUeginm pidclire procedit. Est cmicm magiiifimtUus quam pularam. DeslincUa eiiim hitiv negotio plus viginti francortim millia : utinam cxemplmn hoc coinplures inveniat aemidos. Voy. Episl., t. I, p. ÔI9. MulUi millia ducatonwi. * Bayle interprèle le titre latin (a ralionibvs) qu'Érasme et d'autres donnent à Gilles Busleiden, en disant qu'il « avait une charge dans la (hanibre des finances du roi d'Espagne. » Dicl. histo- rique et dit., t. I, p. "O'J. Un peu plus tard, Gilles Busleiden remplissait la même charge au service de l'empereur, ce qui le fait nommer par Valère André (Exordia, p. 8) : Caroli F imper u- loris a ralionibus. Selon Valère André, Fasli, p. 276, Gilles avait une prébende à la collégiale de Bruxelles, et le titre de trésorier de celte église {Cunonici et thesaurarii ad S. GudiUuni Bruxellis ) . - Voy. Episl., t. I, p. 1633 (Lovan., 1517) : Quare te nigo per oplimi fralris memoriam perqae communein itomiins Busiidiani yloriatn, ne patiare te itb eo quod cocplum est abduci : sunt enim fortassis qui ipsi sua bono invideant, maliulqne alias a melioribus sludiis aveiicre, quam ipsi dis- cere melioru. — Episl., 1. 1 , p. 378 (Lov. anno I a 1 8) : i)f Collegio insliluendo cave le paliaris abduci a seiilcntiu. Mihi credc, res ea cuni omni studiorum yeneri supra quam dici possit, conducet, tum Buslidiiino nomini , juni per se multisynodis illuslri, non )iiediocrem decoris ac lucis accessionem adjunget. ' JJerationeveraetheologiae, 1. c. \oy. Episl., 1. 1, p. 652. Danieli Tois/nV/o. (Anderlecht, 1521.) DES TROIS-LANGUES \ LOIVAIIN. 53 par le chevalier Gilles ou Égide, ont concouru à la réussite de l'œuvre, et que leur nom collectif a été plus d'une fois cité pour glorifier la géné- rosité du conseiller de Malines. Nul ne doit être associé plus étroitement qu'Érasme à la gloire recueillie de ce chef par Jérôme Busleiden et les siens. Il fallait le feu de sa parole pour ranimer au début de l'entreprise des volontés chancelantes : plus tard encore, quand la chose fut décidée et l'œuvre même déjà inaugurée, c'est Érasme qui, de près et de loin, de la voix et du geste, soutint dans leur mission les premiers maîtres du collège des Trois-Langues. (^et hom- mage a été rendu à Érasme par Valère André, dans son discours sur l'origine de ce collège ^. lllo itaque hortalore, a magni Buslidii e vita discessii, magnis animis impeudiisque domicitium hoc, vei Musanim potius templum erigi coeptum, itlo éi:Q/oâia}y.zyj fervere opiis visum, ad exitumque festinare : unde non parva tandis Buslidianae porlio ad Erasmum derivala. C'est sous de tels auspices que s'ouvrit, en 1518, le collège qui devait subsister aussi longtemps que l'université sous le nom de Collegium Tri- lingue (collège des Trois-Langues. — (loUegie van de dry tonglien), et sous celui de Collegium Ihislidiannm ou Buslidii, collège de Busleiden. ' Exordia ac progressas , p. 8. Ainsi que l'a fait observer Valère André en cet endroit et dans la suite du même travail (pp. 41-i2), Juste Lipse s'est trompé dans son {Lovaniiim, lib. III, cap. IV), en rapportant à Erasme l'idée même de l'inslilution, si clairement énoncée dans le testament de J. Busleiden : Neque enim iiroprie collegium taie insliluil; sed vertit et flexit eo curatores teslamciiti Erasmus, etc. C.eile méprise a eu sa source dans un passasse de la vie d'Erasme par Beatus Rhe- narus où on lit : Erasmus leslamenlariis auctor fnil nt Alhenuenm Lovanii instilnerelur . etc. M MEMOIRE SI R LE COLLEGE CHAPITRE in. DE L'OUVERTURE ET DES COMMENCEMEiNTS DU COLLÈGE DES TROIS-LANGUES. tiività Stinervà. Bien ignorante elle est d'esire enneinr(> Dc'lu Trilingue et Doble Académie L'épisode que nous allons raconter a beaucoup de ressemblance avec une foule d'auli'es dont se compose l'histoire de l'esprit humain dans tous les temps et dans tous les pays : c'est le sort de toute institution née viable, de s'établir au milieu des contradictions, de ne grandir que par la lutte, et cette lutte offre presque toujours la même suite de péripéties. 11 s'agissait de faire une petite place, dans un corps savant privilégié, à une branche d'enseignement qui avait droit d'exister à part, et qui ne menaçait aucunement l'existence des autres. On verra ce qu'il fallut pour cela d'efforts et de courage chez les hommes qui avaient pris en main la cause des études littéraires , de persévérance et d'ardeur chez ceux qui donnaient celte instruction nouvelle comme chez ceux qui la recevaient avidement. Il y avait division dans le camp universitaire de Louvain : les uns, en plus petit nombre, prenaient le parti des belles-lettres [poliliores litej-ae), qui étaient aussi les bonnes lettres [bonae Hterae); les autres décla- maient contre elles, ou bien ils en parlaient avec effroi comme on fait des calamités publiques grossies par la peur. Ceux qui se taisaient ne leur étaient pas moins hostiles, car ils conspiraient. Parmi les hauts dignitaires de l'académie brabançonne, quelques-uns pressentaient la force et l'éclat qu'elle allait recevoir par l'adoption de ces fdles cadettes, déjà émancipées dans les écoles d'Italie; mais la plupart vacillaient. Quelques théologiens protestaient; les juristes branlaient la tête; la Facultédes Arts était de mau- vaise humeur Minerve boudait! DES TROIS-LANGUES A LOUVAIIS. 55 L'érection d'un nouveau collège à Louvain une fois décidée, les man- dataires de Jérôme Busleiden ne perdirent point de temps : pendant que se faisait la réparation des bâtiments qu'ils venaient d'acheter au centre de la ville, ils jetèrent les fondements de l'œuvre littéraire, et, par une détermination que justifiaient sans doute les usages du temps , ils l'inau- gurèrent le l"^"^ septembre 1518, dans un local voisin, le couvent des PP. augiistins. C'est dans des salles prêtées par ces religieux que les premières leçons furent données par les titulaires des trois chaires désignées dans l'acte de fondation; c'était Adrianus Barlandus pour le latin, Rutgerus Rescius pour le grec, et Matthaeus Adrianus pour l'hébreu : nous revien- drons sur le mérite de ces trois hommes, que Valèie André comparait aux lampadophores des cortèges antiques, aux soldats qui précédaient les en- seignes {^a.$où-/piit 6' Epist., t. Il, p. 1288 : Videtis quanta sil vobis adversaria parata, quantumque certamen ex Collegio bilingui quod Galliaruni rex Franciscus inslituit Lutetiae summa omnium expeclatione, etc.... Les premiers professeurs furent nommés pour le^; seules langues tfreeque et bébraïque. Tome XXVIII. ^ 15 88 MÉMOIRE SUR LE COLLÈGE » leiden, qui a consacré à la fondation rinlégrité de sa fortune K Je ne » désapprouve point qu'on n'ait pas nommé en France un professeur de » langue latine; je pense que vous feriez bien de suivre cet exemple, » quand celui qui enseigne cette langue se sera retiré en toute conve- » nance, et de partager ses appointements entre les deux autres maîtres ^. » Je vous écris ceci , afin que vous accroissiez encore votre ancienne ar- » deur, et que vous reteniez par l'habileté de votre enseignement l'affluence » ordinaire de vos auditeurs {andilonim frequentiam). Nous sommes la plu- .. pari attirés surtout par les nouveautés, et voici que la France commence » à être en paix. Que si les auditeurs vous font défaut, vous serez portés » vous-mêmes à professer avec plus de froideur. Il vous faut lutter contre » de telles éventualités avec beaucoup de soin et d'intelligence '^. Jusqu'ici » les premiers actes de la pièce se sont bien passés; grâce à la rivalité du » Collège royal, l'exposition du drame se déroulera de même, et il appar- .) tient à votre vigilance de lui donner un dénoûment digne d'applaudis- » sèment. » C'est encore sur le collège des Trois-Langues qu'Érasme faisait un retour en 1551 , quand de Fribourg ^, il exprimait sa sympathie à Jacques Tusanus ou Toussain , professeur de grec au collège de France, à propos des persécutions que celui-ci avait essuyées à cause de cette charge ^. Tout en encourageant son ami , Érasme répétait les conseils qu'il avait donnés « Crévier dit très-bien que François I" eut dessein de remplir avec une magnificence royale le projet qu'un particulier avait déjà exécuté à Louvain. Hisl. de l'Univ. de Paris, t. V, p. 240. 2 Busleiden avait moins bien doté la chaire de latin que les deux autres; cependant Goclenius, qui l'occupait du vivant d'Érasme, la conserva jusqu'à sa mort, et il eut des successeurs. A Paris, dès 1534 , on reconnut l'opportunité d'une leçon de langue ou d'éloquence latine, et elle fut confiée à Barlbélemy Latomus ou Masson : alors le collège de France fut très-souvent appelé collège des Trois-Langues dans les actes du temps. ^ Ibid. Contra haec vobis onini cura cl induslria connitendum est. Eacteinis piilclire se habent primi aclus fabulac. Protasin excitabit acmidaliu Collegii régit, vestra vigHanlia imponet plausibi- lem catastrophen. ' Lettre du 13 mars 153L Epist., t. Il , I367-I3G9. Dans une autre lettre de la même année, Érasme félicitait Toussain de sa nomination {Epist., t. II, pp. ISol-lôo'â). 5 Goujet a cité quelques courts passages de cette lettre, en racontant l'opposition que l'université de Paris fit au Collège royal, principalement par des raisons d'intérêt (ouvrage cité, 1. 1, pp. 82-97, et 1 10-115). DES TROIS-LAINGUES A LOUVAIN. 89 dès le principe aux professeurs de Louvain * ; on lira avec plaisir en quels termes il a recommandé la prudence et la mesure, la dignité et l'urbanité, à ceux qui représentaient alors dans les écoles une puissance nouvelle, celle des lettres : « J'ai toujours regardé, dit-il, comme un heureux présage, que l'on » ait protesté contre l'étude des langues et des belles-letti-es , commen- » çant à fleurir chez nous, d'une manière si odieuse et par une telle con- » juration d'efforts : car c'est toujours avec de semblables commencements » que se sont produites les choses illustres, destinées à un long empire. » Sinon le premier, du moins avec les premiers d'entre les nôtres, j'ai » été exposé aux sifflements de cette hydre de l'envie (Imjus excetrae). Je » regrette, mon cher ïoussain, qu'elle ait pu vous atteindre vous-même » quelque peu. Cependant, il dépend de nous en partie, que cette envie, » que le progrès du temps adoucit insensiblement 2, soit plus vite as- » soupie : c'est à la condition que nous nous conciliions la bienveillance » de tous par la politesse, l'urbanité et les bons oflîces. » A peine le collège de Busleiden existait-il à Louvain, qu'il se formait » une redoutable conspiration de tous ceux qui se persuadaient que cet » accroissement donné aux études porterait dommage à leurs vues et à » leurs intérêts. C'est pourquoi j'ai donné aux professeurs le conseil de » ne pas dire un mot contre les professeurs des autres sciences, mais de » faire en sorte, grâce à la politesse des manières et au zèle porté dans » l'enseignement, d'attirer à eux la jeunesse, et de laisser des ennemis irré- » conciliables se consumer eux-mêmes. Rien de plus beau, rien de plus » efficace que cette sorte de vengeance '\ Ils ont obéi , et quelques mois ' Nous avons traduit un extrait étendu de cette curieuse lettre, dont Valère André a reproduit un fragment original dans ses Exordia, p. 38-39. "' Si longue et si opiniâtre qu'ait été la résistance des anciens collèges de Paris aux premiers hellénistes ou pliilhellènes, comme disait Érasme, l'envie perdait ses forces de jour en jour (lettre à Nicolas Maliier, 1331. Epist., t. Il, p. 1387). Le coassement des grenouilles va cesser, ajoutait-il en louant la fondation de François I" , et il ne sera plus permis à aucun théologien de se prévaloir (le l'ignorance des langues. '• C'est le langage d'Érasme dans sa lettre de 1520 à Goclenius {Epist., t. I, S69) : Vis tibi com- monstrem splendidum ac magnificum vindictaegenus? 90 MEMOIRE SUR LE COLLÈGE » après, ils ont avoué avoir compris par expérience combien ce conseil » était propice et heureux. Votre prudence et votre caractère n'ont pas » besoin d'un semblable conseil , et d'ailleurs vous aurez une lutte bien » plus douce à soutenir contre l'hydre, en partie, parce que chez vous, » le vif éclat du progrès des lettres a déjà dissipé à peu près les nuages » d'une ignorance prétentieuse; en partie , puisque vous avez pour auteur » de cette belle entreprise un si grand prince, non moins doux et clément » que puissant, qui a saisi avec une profonde pénétration combien de » vraie gloire il ajouterait par là à ses autres titres, et quelle utilité en » résulterait dans toute l'étendue de sa domination. » Encore, vers la fin de sa vie, les craintes d'Érasme allèrent jusqu'à l'anxiété toutes les fois qu'il apprit quelque chose de défavorable à l'insti- tution de Busieiden. Le départ de Jean Campensis l'avait contrarié : un procès engagé par Goclenius lui semblait une entrave inutile à son ensei- gnement; il lui répugnait d'apprendre que Rescius se laissait absorber par sa profession de libraire et d'imprimeur. Il exprimait en 1355 tout son mécontentement dans une lettre à Goclenius ', où on lit : Doleo Colle- gium istiid tam cito frigescere, et perilurum video, nisi praesidis et exectitorum cura vigilel, et professorinn adsit diligentia. Ces cris d'alarme , souvent répétés , ne furent point perdus. Avant la mort d'Érasme, l'organisation du collège des Trois-Langucs ne fut pas ébranlée, et elle se consolida encore après lui : son enseignement resta en harmonie avec les besoins de la jeunesse qui fréquentait les cours acadé- miques de Louvain, et il se poursuivit sans obstacles nouveaux jusqu'à la fin du siècle. C'est même dans cette période de son existence, comme nous le montrerons plus loin-, que l'école de Busieiden rendit les plus grands services, en formant une foule d'hommes distingués, qui se signa- lèrent dans toutes les carrières; c'est alors aussi qu'elle soutint véritable- ment le parallèle avec les écoles semblables des autres pays , et cependant , dans la suite des temps, le collège de Louvain ne fut pas comblé des faveurs des princes, comme le furent plusieurs de ces écoles. ' Friboiirg, 7 novembre I5ôô. Epist., l. II, 1679. — Voir thap. VI, § 2, et cliap. Vil, § 1. ■^ Voy. chapitres IX et X. DES TROIS-LANGCES A LOUVAIN. 9i Nous n'en viendrons à l'influence du collège sur les lettres anciennes et la philologie orientale, qu'après avoir examiné au préalable la consti- tution même de cet établissement et son régime intérieur; avant l'appré- ciation générale des résultats obtenus, nous devrons dire dans quelle mesure on avait étudié ou enseigné les trois langues savantes, antérieure- ment à l'ouverture des leçons spéciales fondées par Busleiden, et nous ferons connaître la série des professeurs qui occupèrent les trois chaires de cette fondation pendant un espace d'environ trois siècles. CHAPITRE lY. DE L'ORGANISATION INTÉRIEURE ET DE L'ADMINISTRATION DU COLLÈGE DES TROIS-LANGUES. t consfiDtlia. Il était dans l'esprit des fondations scientifiques d'autrefois qu'un comité d'administration et de surveillance disciplinaire fût organisé à côté du per- sonnel enseignant. Busleiden avait pourvu surabondamment à cette néces- sité dans une suite de dispositions formelles consignées en son testament. Pour que l'on saisisse mieux la position qui était faite aux professeurs dans son collège, nous croyons utile de reconnaître d'avance quel pouvoir il avait donné à ceux qu'il en avait institués les curateurs, et au prési- dent que ceux-ci avaient le droit de nommer; ce que nous dirons des bour- siers, de leurs devoirs et obligations, achèvera de compléter ce tableau du régime intérieur de l'institution. Les trois proviseurs de la fondation avaient été choisis par Busleiden *; ils étaient à perpétuité ses représentants munis de pleins pouvoirs pour la direction du collège une fois constitué suivant ses volontés. Ils avaient * Voy. plus haut, chap. III, et l'extrait du testament; pièces justificatives, lettre B. 92 MÉMOIRE SUR LE COLLEGE la nomination non-seulement du président, mais encore des professeurs, et, malgré le droit de présentation donné à d'autres, ils étaient les véri- tables coUateurs des bourses fondées. Leur autorité d'administrateurs s'étendait de la surveillance à la gestion même des biens : elle leur per- mettait d'opérer le rachat des rentes du collège et d'en acheter de nou- velles, de vendre et d'aliéner les biens du collège comme leurs propres biens, d'en disposer en vue de la plus grande utilité de l'établissement. H leur appartenait aussi de retirer les bourses aux titulaires qui auraient démérité et de les conférera d'autres. Les proviseurs avaient mandat exprès pour examiner et approuver chaque année le compte des recettes et dépenses. S'il restait quelque doute, s'il s'élevait quelque difficulté dans la marche des affaires, la solution en était laissée à leur libre appréciation : ils pouvaient modifier la lettre des règlements et statuts disciplinaires, pourvu qu'ils se conformassent le plus possible à l'esprit du testament, aux intentions nettement exprimées sur d'autres points. En constituant les trois proviseurs juges de l'opportunité en toutes choses, il est clair que Jérôme Busleiden avait fait dépendre de leurs lumières la prospérité du collège : aussi, c'est en faisant appel à leur conscience de chrétiens plus encore qu'à leur honneur et à leur pro- bité que le fondateur leur avait conféré cette charge. La négligence de ces hommes, et même leur désaccord, pouvaient amener des crises funestes à l'établissement. Le président du collège des Trois-Langues, nommé et installé par les proviseurs, était chargé de la surveillance directe et permanente de cette institution. Un des devoirs qui lui étaient le mieux recommandés, c'était celui de pourvoir à la collation des bourses à mesure qu'elles devenaient vacantes; dans les quinze jours suivants, il était tenu d'annoncer chaque vacature dans les localités désignées expressément par le fondateur, et d'en faire part à la fois aux curés des paroisses et aux magistrats civils. Après publication de cette vacature faite en l'église du lieu trois dimanches de suite, les candidats qui avaient des prétentions à la bourse vacante étaient invités à se présenter aux dignitaires nommés par Busleiden , à cet effet, pour chacune des sept localités. Au dehors, les présentateurs DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 95 étaient le chapitre d'Aire en Artois, et le chapitre de la métropole de iMalines : dans le Luxembourg, c'étaient Égide ou Gilles Busleiden , son frère, et François Busleiden, son neveu, et puis après eux leurs héritiers, à qui Jérôme avait conféré le droit de présentation. Si, après dix jours. il ne se présentait aucun boursier, autorisation était donnée aux mêmes personnes de rechercher dans les endroits les plus rapprochés un can- didat réunissant les conditions voulues. Les proviseurs prononçaient en dernier ressort, et faisaient la collation de la bourse. A la vigilance du président et à la leur était confiée l'application de tout excédant du revenu : si une bourse était vacante,* ou si le produit d'une bourse était retiré à quelqu'un à cause d'une longue absence, ces fonds devaient être affectés aux travaux nécessaires pour la conservation des bâtiments du collège et pour l'entretien intérieur de la maison. Busleiden avait prévu le cas où l'un de ses biens s'accroîtrait en valeur; il voulait que les boursiers du collège en profitassent, comme ses héritiers légitimes et incontestés, mais que toutefois une part de cet accroissement fût réservée aux besoins de la fondation, et affectée soit au renouvellement du matériel, soit à la ré- paration de l'édifice. La charge de président, si bien définie dans le testament de Busleiden, était confondue avec celle de receveur. Ce fonctionnaire était chargé de la recette des biens et revenus du collège ■•. Il devait en rendre compte chaque année, à un jour fixé, en présence des proviseurs et aussi des professeurs de l'établissement. Le président avait sa part dans le profit extraordinaire qui proviendrait des pensionnaires ou des personnes auto- risées à payer leur table dans le collège '-^ : le testateur en admettait huit, à la condition qu'une partie de leur pension formât un fonds pour l'entre- tien et la réparation du local; il donnait la même destination à l'argent que payeraient quatre autres pensionnaires, reçus à la table des boursiers, et soumis à peu près aux mêmes formalités d'admission que ceux-ci. Nous reviendrons aux devoirs du président envers les boursiers et les pension- ' Outre la gratification annuelle de vingt florins du llhin comme honoraires de la présidence, il touchait de ce chef une autre somme de vingt florins. "^ Ces personnes partageaient la tahle du président. 94 MÉMOIRE SUR LE COLLEGE naires, comme directeur d'une maison d'études, quand nous aurons exposé les obligations et les droits des professeurs de Busleiden. Le fondateur avait réglé lui-même les émoluments de chacune des trois chaires qu'il instituait. Il supposait que les trois professeurs habiteraient le collège, et il leur assignait à chacun une bourse ou portion de table, estimée à six livres environ. Mais, quant aux honoraires , il établissait entre eux quelque distinction : pendant un terme de dix ans, les profes- seurs de grec et d'hébreu jouiraient d'un traitement de douze livres de monnaie de Flandre, tandis que le maître de latin aurait un traitement invariable de six livres. Busleiden avait pris cette décision, en raison de l'instruction spéciale et encore rare que requérait alors l'enseignement des langues hébraïque et grecque : il avait pensé qu'on serait peut-être forcé d'appeler, à cet effet, des savants d'autres villes et même d'universités étrangères, et que la promesse d'honoraires suffisamment élevés les atti- rerait plus facilement à Louvain. Cependant, après le terme fixé, quand ces deux hommes seraient formés à leur besogne, leur traitement devait être réduit à huit livres de Flandre. Il leur serait concédé de continuer alors leurs leçons, avec cette différence de salaire, à la condition d'y apporter toujours le même zèle ^ Cette disposition était prise dans l'hy- pothèse que l'on trouverait facilement d'autres maîtres parmi les jeunes gens qui, dans l'intervalle, se seraient appliqués sérieusement à ces deux branches de philologie; elle avait pour motif, dans l'esprit du testateur, le désir d'augmenter de deux le nombre des boursiers de la fondation, comme nous l'avons observé plus haut -. Malgré la minutieuse précision avec laquelle Jérôme Busleiden avait réglé la rémunération des profes- seurs de son collège, des modifications furent apportées dès le premier siècle au règlement qu'il avait laissé. Cependant, dans cette question d'ordre intérieur comme dans toutes les autres, on fit en sorte de suivre les vues pratiques et libérales qui l'avaient guidé. Suivant les propres termes de Jérôme Busleiden, les professeurs du collège des Trois -Langues étaient tenus d'enseigner à qui se présente- ' Modo fueriiit diligentes, necin negolio torpeant. Testam. - Voy. chapitre 11, note, p. 48. DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 9S rail ' « sans exiger aucune rétribution et sans en accepter aucune. » Certes, la publicité et la gratuité des leçons étaient conformes à l'esprit d'une œuvre avant tout pédagogique et littéraire. Il y avait cependant une réserve faite à cette prescription générale : c'est que les professeurs pourraient demander un salaire à leurs auditeurs pour des leçons données en particulier (/«wiiim) sans préjudice des leçons ordinaires et publiques dont chacun d'eux était chargé. De plus, les professeurs étaient autorisés à recevoir les gratifica- tions qui leur seraient offertes volontairement par des prélats ou des per- sonnages nobles, assistant aux leçons publiques : seulement, d'après les intentions de Busleiden , ces dons et présents extraordinaires devaient être répartis en parts égales entre les trois professeurs titulaires. Cette clause, qui stipulait le partage des libéralités des étrangers à titre d'égalité, ne fut pas littéralement maintenue par les exécuteurs du testa- ment et par Gilles Busleiden, protecteur du collège, quand ils apportèrent quelques changements à cet acte, en date du 6 février 1522. On entendit alors laisser chaque professeur proflter du présent qui lui serait fait ^. On n'approuve pas non plus que, suivant une autre clause, les professeurs, au-dessus de leur traitement, tirassent quelque profit des pensionnaires leurs commensaux ^, ou bien encore touchassent un autre émolument quelconque aux dépens du collège lui-même : il fut décidé que « chacun d'eux recevrait à l'avenir pour traitement, au delà des frais de la table, neuf livres de Flandre *. » On peut augurer de ce texte que la distinction faite par le fondateur entre le professeur de latin et ses deux collègues ne subsista pas longtemps. Malgré cet arrangement, les amis et patrons du collège ne regardè- ' Qui in (lies leganl ac profiteantur publiée sine aliquo stipendio ab adventanlibus eXigendo , et non exaclo acceptando. - Valère André relate cette modificalion de l'an 1522 dans ses Fasli aeademici , édit. 1630, p. 279 ; Vej-um Itaec claiisula.... postea an. MDXXII. VIII. Id. Febr. factis quibusdam mulalio- nibus et moderationibus , non placuit dictis Exeeutoribus sed tU quisqiie stto gauderct namcre. ' Ces pensionnaires, au nombre de huit, étaient admis primitivement à la table du président cl des professeurs. ' Fasti, ibid : Sed quod singitlis pro stipendio, ultra expensas mensae, adsignentur IX librae Flandricae. Tome XXVlll. 14 96 MEMOIRE SUR LE COLLEGE renl pas la rémunération des professeurs comme assez bien assurée pour l'avenir. Erasme qui , jugeant par comparaison avec d'autres écoles, don- nait, en 1518 , le salaire dont jouirait le professeur de grec comme magni- fique ' , reconnut bientôt ce que l'état des revenus laissait à désirer pour la rétribution des leçons; ainsi qu'on a pu le lire au chapitre précédent, il a sollicité en toute occasion de nouveaux dons, des largesses extraor- dinaires, afin que la fondation littéraire de Jérôme Busleiden jetât autour d'elle d'autant plus d'éclat. De grandes libéralités n'augmentèrent point considérablement les finances du collège; mais grâce à la bonne adminis- tration du premier fonds, l'enseignement resta assez régulièrement orga- nisé jusqu'à la fin du siècle pour porter d'heureux fruits-. D'ailleurs, dans le cours de ce premier siècle du collège, plusieurs professeurs usèrent du droit qui leur était concédé de joindre des leçons privées à leurs leçons publiques : Cornélius Valerius le fit ainsi, au grand profit d'une foule de jeunes gens distingués par leur naissance, qui se rendirent utiles au pays ^. Les aperçus qui précèdent montrent assez l'espoir qui avait animé Jérôme Busleiden de rendre l'étude des langues et des lettres accessible à un grand nombre d'élèves choisis dans tous les rangs de la société : examinons maintenant ce qu'il a stipulé touchant l'ordre de leurs études et le régime auquel ils seraient soumis pendant les années où ils appartien- draient au collège des Trois-Langues. Les étudiants de l'institution de Busleiden, dont quelques-uns étaient fort jeunes encore, suivant les conditions d'admission prescrites par lui- même , avaient la faculté de fréquenter les cours de grammaire et de phi- losophie, en se conformant aux statuts de l'université, et ils étaient libres de prendre le grade de maître es arts {usque ad gradum magisterii). En faveur de cette catégorie d'élèves, des leçons de langues étaient instituées au ' Lettre à J. Lascaris, 26 avril 1518 : Salaria salis magniftco circiter sepluaginta diicatonim. Epist., t. 1, p. 339. - Dans quelques cas seulement, comme on le verra dans la biographie des professeurs, la mo- dicité des honoraires causa des difficultés; ce sera le motif du départ du premier hébraïsant Ma- thaeus Adrianus, et aussi des plaintes et griefs de Rutger Rescius. '' Paquot, Mémoires sur l'Iiist. liltér., t. H, p. S97. L'auteur observe que pareil usage n'existait plus de son temps. — (Nous citerons toujours l'édition in-folio des Mémoires en 3 volumes). DES TROIS-LArSGUES A LOUVAIN. 97 collège les jours de dimanches et fêtes; le professeur de latin était chargé de les fortifier dans la connaissance de celte langue, et les deux autres professeurs, de leur communiquer les principes et les éléments du grec et de l'héhreu. De la sorte , l'étude des langues était facilitée à la jeunesse qui fréquentait dans la semaine les cours de la faculté des arts. Cette clause, faite dans l'intérêt des plus jeunes d'entre les boursiers du collège, ne préjudiciait aucunement à la régularité des leçons quotidiennes sur les trois langues qui devaient être données dans l'intérieur de l'établissement. Jérôme Busleiden, qui a si bien énoncé dans son testament le but reli- gieux, social et scientifique de l'enseignement des langues savantes, a tracé lui-même les obligations auxquelles les boursiers et les pensionnaires seraient astreints pendant leur séjour dans le collège : il les a soumis aux pratiques de la vie chrétienne, qui étaient d'usage dans les établissements du même genre à son époque ', en même temps qu'il leur a imposé des habitudes d'ordre et de travail^. La prévoyance de Busleiden s'était étendue aux jeunes hommes admis dans le collège à titre de pensionnaires, soit à la table du président, soit à celle des boursiers : ils devaient observer le règlement intérieur et prendre part à tous les exercices de la journée. A l'origine, il y eut quel- ques personnes qui habitèrent le collège dans ces conditions -^^ dans la suite, le nombre alla toujours en diminuant, surtout quand les profes- seurs cessèrent de résider dans l'établissement. C'est au président qu'incombait le devoir de faire observer les règle- ments, de veiller à l'accomplissement des devoirs religieux, de maintenir ' Dans la chapelle même dii collège on récitait journellement des prières pour l'âme de Jérôme Busleiden et des membres de sa famille; quatre fois dans l'année, des services anniversaires y étaient célébrés en présence des professeurs et des étudiants; à la messe, qui avait lieu tous les jours, les boursiers avaient l'obligation de lire les vigiles des morts. 2 Busleiden a tout prévu jusqu'à prescrire, pendant le dîner et le souper, la lecture d'un auteur latin approuvé, qui serait faite par un des jeunes gens. ■' Dans une lettre déjà citée à D. Taispillus, en date du 5 juillet 1321, Érasme fait ce petit tableau de la maison de Busleiden. {Episl., t. I, p. 6bi) : Colkgiwn doiiii paucùsimos alit, praesi- (lem umiin cui rei famiUaris cura delegala, professores b-es, et duodecim, opinor, adolescentes (itque hos graliiito. Extra hos paiicos capil domus, qui siio sumplu vivunl apud praefectum ac pro- fessores. 98 MÉMOIRE SUR LE COLLEGE une sévère discipline parmi les membres du collège, d'exciter en ces jeunes gens, suivant l'expression de J. Busleiden , «l'amour des lettres et de la vertu. » C'est encore sur le président que retombaient, d'autre part, les soins les plus graves de la comptabilité : il recevait le revenu et devait en rendre un compte annuel ; il pourvoyait aux nécessités de la vie pour les boursiers et tous ceux qui demeuraient dans le collège, et il avait sous sa garde les ressources qu'on y avait réunies dans l'intérêt des études. Il y eut, sans aucun doute, une bibliothèque particulière au service des professeurs et des étudiants dans le local des leçons; vraisemblablement, une grande partie des livres précieux du fondateur y fut déposée, et plus tard des dons ou legs, faits par des professeurs et par diverses personnes, accrurent cette première collection : ainsi, Theodoricus Langius, profes- seur de grec, avait laissé au collège sa propre bibliothèque, fournie d'ex- cellents ouvrages ^ Puisque la charge de président comportait avec des obligations déter- minées une mission toute morale de surveillance et de persuasion, le collège des Trois-Langues a été redevable d'une partie de sa prospérité au choix éclairé des hommes appelés à la remplir. Plusieurs de ceux qui ont occupé cette fonction ont contribué soit par leur vigilance, soit même par leur libéralité, à rendre le séjour du collège favorable aux études soutenues des jeunes humanistes : quelques-uns, qui jouissaient d'une considération personnelle dans l'université, furent appelés à exercer la charge alors semestrielle du rectorat. Yalère André a conservé les noms des onze premiers présidents du collège 2, depuis Jean Stercke ou Fortis, qui assista à son inauguration, jusqu'à Philippe Bellenus ou Bellens, qui occupa ce poste pendant presque toute la seconde moitié du XVir"'= siècle; mais les notes recueillies par l'abbé Bax nous ont mis à même de com- pléter la liste des présidents jusqu'à la suppression du collège. Il nous a paru préférable de rejeter à V Appendice les détails biographiques qui con- * L'abandon dans lequel fut le collège à la fin du XVI"»^ siècle causa probablement la dispersion ou la perte d'une partie de ces anciens fonds. On verra plus loin que les papiers eux-mêmes furent perdus quelquefois par négligence dans les deux siècles suivants. 2 Fusli acad., éd. 1C50, pp. 277-278. DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 99 cernent ces honorables fonctionnaires '. L'histoire littéraire du collège n a pas besoin, ce nous semble, d'être surchargée du bagage un peu lourd de celte statistique, qui aurait plus de prix dans des recherches historiques d'un genre différent : la plupart de ces présidents sortaient des rangs du clergé, et leur carrière appartient aux annales de la théologie bien plus qu'à celles d'autres sciences, quand elle n'appartient pas uniquement au ministère ecclésiastique. Nous signalerons ici les noms des seuls présidents qui aient eu des titres particuliers à la reconnaissance publique comme administrateurs, restaurateurs et bienfaiteurs de l'institut de Busleiden. Le premier président, dont le nom s'est déjà présenté à nous plusieurs fois, fut Jean Stercke, appelé plus souvent Fortis, surnommé aussi Mirbe- camis, du nom de son lieu natal. Il avait eu l'honneur d'être désigné par J. Busleiden à ses mandataires ; il eut aussi l'honneur d'entrer à la tête des professeurs dans le nouvel édifice approprié au collège, le jour de leur installation solennelle, 18 octobre 1520. Pendant les sept ou huit années de son administration, Jean Fortis donna à l'école l'appui d'un beau carac- tère, plein de désintéressement, ainsi que l'ornement d'une érudition solide et variée. Le successeur de Fortis, Nicolas Wary, de Marville, dit le plus souvent Marvillanus. recueillit les fruits d'une première organisation de l'établisse- ment faite avec habileté en peu d'années, et les accrut encore pendant sa courte gestion de trois ans environ (lo26-1529). Il nous suffira de men- tionner en cet endroit la distinction dont l'honora Érasme, en lui dédiant sa traduction latine du traité de saint Jean Chrysostôme sur S. Babylas. Nous devrons revenir, dans un autre chapitre, sur les vues remarquables émises par Erasme touchant l'étude des Pères grecs, dans la lettre qu'il a écrite à Marvillanus eu manière de dédicace '^; mais c'est bien ici le lieu d'insister sur un fait peu remarqué, l'approbation qu'Érasme a donnée à ' Voy. parmi les pièces justilicatives, ieltre E, la Série des présidents du collège des Trois- Langucs. - Lettre de Bâle, 14 août 1 327 : iVico/ao Marvitlano coUegii Ruslidiani apud Lovanienses Praesidi. (Epist., 1. 1, pp. 996-997). — Nous reportons au chapitre IX' l'examen îles idées relatives au choix des auteurs et le témoignage rendu dans cette pièce au mérite des maîtres. 100 MÉMOIRE SUR LE COLLÈGE la direction intérieure, aux travaux et aux habitudes de l'institution chré- tienne qu'il a toujours patronnée. Il est bien vrai que le maître répète encoi*e ces avis, ces conseils de fermeté et de prudence , auxquels il est revenu tant de fois, et qu'il combat, dans la personne des savants, tout découragement résultant de la légèreté et de l'ingratitude de ceux qu'ils instruisent; mais il loue expressément la sagesse avec laquelle on a con- duit les choses à Louvain ; il met en parallèle l'esprit de nouveauté et de turbulence qui a gâté ailleurs la cause des études, et qui a exposé bien des maîtres en Allemagne au soupçon d'impiété *. Puis s'adressant à Mar- villanus, comme représentant et directeur du collège, Érasme le félicite des succès obtenus et lui en prédit de plus grands encore, si tous persé- vèrent dans la même voie ''^. « Parce que jusqu'ici vous vous êtes gardés de tous ces excès avec » une vigilance tout à fait remarquable, vous possédez par une faveur de « Dieu le collège de beaucoup le plus florissant, et vous le rendrez plus » florissant encore, si vous avancez toujours dans la roule où vous êtes » entrés. Je ne doute pas qu'une connaissance très-douce de si beaux » fruits ne parvienne jusqu'à cette sainte intelligence de Jérôme Bus- » leiden, qui, certes, n'a pas, sans une inspiration particulière de la » Providence, institué dans notre patrie une œuvre tellement utile. Tes ' 12n présence d'un passage saillant qui a Irait à l'histoire des études, nous ne pouvions nous contenter d'une analyse, et nous en donnons ici, presque entier, le texte latin. Ibid., p. 997 : Quum igilur lain ingens ulililas a vribis omni studiorum (jcneri cunferalur , prudcnlrr el illud curue lia- betis , ut commode dexlreque detis bencficium. Périt enim fréquenter danlis vitio beneficium, quia dure neseit.... Ut parentum ita doclorum est, atiquandiu ferre eorum , quos instituunt, vel fasti- dium, vel ingraiitudinem , donee aiias et rerum usus illos doceat, quantum muuus accepcrinl. Hoc pacto futurum est, lU qui nunc oblatranl liis studiis, post utrisque manibus applaudant. Omniuui aulem pessime de studiis merentur, qui ad novitatis ac pelulantiae invidiam addunt etiam impietatis suspicionem , quales aliquot habet Germania. - Cette déclaration d'Érasme a trop de poids pour que nous ne la rapportions pas ici en enlier dans l'original. (Ibid., p. 997) : A quibus omnibus quoniam hactenus singulari vigilantia abstinuisiis . favore divino, Collegium Itabetis florentissimum , florentins etiam habituri si, qua ceperimus, per- rexeritis. Ncc dubilo, quin hujuspulcherrimi fructus gratissimus quidam censits, ad sanctam illam Hieronymi Buslidii mentemperveniat, qui nihil dubito quin propitii numinis afjlalu hujus praeclari muneris uurtor fuerit noslr'ae patriae. Neque nihil hic attulere momenti tuamonita. Professoribns optimis, cmn loto ■ji>.orXà"av choro, me'is verbis salulcm dices. DES TROIS-LANGUES A LOUVAIW. 10^ ■■> sages avis, dit-il à Marvillarius, n'ont pas peu contribué à ce succès: » tu voudras bien saluer en usant de mes propres paroles les excellents « professeurs, et avec eux le cbœur tout entier des amis des langues. » 3Iarvillanus avait pu, dans les temps qui suivirent, confirmer Érasme dans cette heureuse idée, et celui-ci reconnaissait en 1528, sous la mo- destie des termes employés par son ami, la durée de la haute prospérité des études au sujet de laquelle il l'avait loué naguère ^ Seulement Érasme, qui s'était attiré tant de désagréments par sa liberté de langage, avertissait Marvillanus de se défier de la franchise , de l'ouverture de cœur qui lui était naturelle -; il craignait que sa candeur ne l'exposât à beaucoup de déboires et d'avanies de la part d'esprits mal faits. Nous passons du second au sixième des présidents du collège, Jean Reineri, de Weert, qui fut en charge de 1544 à 1560 : il légua à sa mort un revenu de XLl florins, que ses successeurs étaient chargés de distribuer aux étudiants sans fortune, appartenant à l'établissement ■'. Après Reineri, Melchior Van Ryckenroy et Jean Verhaghen maintinrent avec grande peine les choses sur le pied où ils les trouvèrent établies, à cause du malheur des temps. L'histoire des troubles atteste suffisamment quelles entraves furent apportées à diverses reprises aux travaux de cette école comme de toutes les autres. Louvain eut sa part dans les calamités qui marquèrent pour ainsi dire chaque année d'une si déplorable époque; elle souffrit à certains moments du passage des troupes ou de la poursuite des hostilités dans le Brabant '' , d'un état de siège plein d'anxiété ^, et puis du retour de maladies épidémiques qui frappèrent douloureusement le corps univer- ' F^ettre de Bàle , 1 3 mars \ 528. Episl., t. I , p. i 069 : Negabas esse quid scriberes , imo multtim est mihique gratissiiimm quod scribis islic fausla feliciaque esse omnia , qnodque summo consensii negolium lileraritm gnaviter agilis.... * Ibid., p. d069. Subvereor... ne tua libertas, quani tibi natura insitam esse video, praebeat ali- quani ojfensiouis unsam, etc. — Marvillanus mourut l'année suivante, le 2 octobre 1529, sans avoir été mêlé à de graves querelles. ' Valère André. Fasti, p. 278. "• Par exemple, en 1572, une contribution fui imposée à Louvain par le prince d'Orange. Vov. Vernulaeus. Acad. Lov., pp. 88-89. 5 En 1578, Louvain fut prise par Don Juan d'Autricbe, vainqueur à Gcmbloui's. 102 MEMOIRE SUR LE COLLÈGE silaire '. Qu'on ajoute à cola la présence de bandes indisciplinées, qui battaient le pays, et qui empêchaient la réunion ordinaire des savants et le concours accoutumé des étudiants de toute province, qu'on rattache à ces faits les conséquences de la séparation qui allait se consommer entre les États de la Hollande et les Pays-Bas espagnols, et la situation parti- culière de nos provinces du midi qui avaient obtenu du roi en 1562 la création de l'univei'sité de Douai, on voit à l'instant que les études n'avaient pu marcher que péniblement à Louvain dès les premières années de la révolution religieuse. Les exercices et les concours de l'Université furent plus d'une fois empêchés ou du moins ajournés : s'il n'y eut point de promotion en 15GG-1567, à l'époque ordinaire, et si l'épreuve des métaphysiciens fut abandonnée ^, c'est que la ville était dans de conti- nuelles alarmes, et que l'on avait armé pour sa garde les plus forts d'entre les jeunes gens, par crainte d'un coup de main; de même en 1582, c'est à cause des troubles qu'aucune promotion ne put se faire ^. Dans les dernières années du XVI'= siècle, le collège de Busleiden fut soumis à une épreuve plus rude encore; après la mort de Jean Yerhaghen, qui arriva le 2 septembre 1585, la fondation ne fut plus administrée régulièrement pendant un long laps de temps; dès lors elle n'eut plus de président, et peu d'années après la mort ou la retraite des derniers pro- ' C'est pnr suite de fièvres pestilentielles que Aug. Hunnoeus niourul à I^ouvain en septembre -1077, (le même que le P. J. Guilielmus, le i" octolire 1378. Dans la peste de l'année 1379, les deux uialhéniaticiens Cornélius Gemma et Pierre Beausard succombèrent en peu de semaines. Quand (iornelius Valerius mourut, en t378, il avait vu de ses yeux tous les désastres accumulés par l.i guerre autour de Louvain , et comme le dit André Scliolt dans un tableau simple, mais énergique, de cette crise, le vieillard souhaitait sincèrement d'émigrer dans la céleste patrie. Lettre à Chris- tophe Plantin. (Tolède, 1381), insérée dans l'édition de Pomponius Mêla, donnée par Schott. (An- vers, 1382). — A. Schott s'écriait dans la même lettre, en parlant des hommes et dés lieux : Equi- dem de me affirmare hoc possimi non mediocriler affici me (ivûpavoi ydp èi/ù) eum illorum obitu, Inm l.or.i illius interitu.... ' On lit dans le MS. de Foppens, Promoliones in artibus, fol. 12, v. An. 1506-1367. [Promoli 218.) Promotio non fuit consueto tempore celebrala. Ratio in libris aetorum haec adscribilur. Propter iconodasliam et geiisioruiii rabiem , quae et miKjistroH et furiioreu jnceiies ad nocturnas diurnusque compulit vifjilias, omissum ftiit anno loGO Tentunieu Melaphyùcorum. — Le premier de la promotion alors retardée fut Henri Cuyck de Culemburg. ' Promotiones ibi., fol. 14. v. Niilla piuiiiolio propter titmidlus belgicos et dissidia slatiium Bra- hanliue contra Joann. Austr. Belgii Gubcrnatortm. DES TROIS-LANGUES A LOUVAIÎN. 103 fesseurs ', les chaires devinrent tour à tour vacantes, et l'enscignemenl resta suspendu. Il y eut un instant où l'institution, si llorissantc naguère, semblait être l'ombre d'elle-même, ou bientôt ne serait plus qu'un sou- venir I- 2 Ludihrium status prioris et fait, Alque umbra, somniumque floris antiqui. Quand Juste Lipsefut rentré à Louvain, en 1597, il trouva sans doute le collège fermé, et personne ne songeait encore à raviver la flamme éteinte dans ses murs déserts. C'est à cette vue qu'il s'écriait en 1602, comme on lit dans un de ses dialogues^ : « At mine jacent ibi omnia et sitenl : heu tem- » pora, an et heu judicia dicam? sed refraeno. » Juste Lipse avait eu raison de ne pas désespérer, et d'ajouter aussitôt : « Tempeslivilas expectcmda est : » tamen et ego eos qui praemnt liortor intendere » Quand l'ordre fut bien rétabli dans notre pays, quand ses institutions anciennes se relevèrent tour à tour sous le gouvernement des archiducs, le moment vint où l'on s'occupa activement de la réouverture du collège des Trois-Langues. Trente ans s'étaient écoulés depuis la mort de son der- nier président, quand on procéda, en 1506, à la nomination d'un direc- teur capable de le réorganiser : ce fut Adrien Baecx de Barlandt, origi- naire de Malines, qui fut revêtu successivement, pendant les années de son administration, de titres académiques et de plusieurs dignités ecclésias- tiques*. Baecx n'était pas un homme sans lettres, et Suffridus Pétri avai( des raisons pour le qualifier de très-docte. Paquot, qui l'a loué de ce chef ^, avait vu quelques-unes de ses harangues latines, entre autres un sermon ' Nous croyons, avec Paquot, que des leçons furent encore données après la mort de Jean Verha- glien. G. Huysmans, nommé en 1586, enseigna le latin au moins jusqu'à l'an 1589, époque où il prenait encore le tilre de professeur public (voy. diapilre VI, la notice sur G. Huysmannus), et ce fut seulement en 1590 que le professeur de grec, Guillaume Fabius, périt la nuit dans une émeute d'éludianls. - Vers de Juste Lipse sur Louvain, appliqués dans les Exordia, p. 59, au sort du Collège. 5 Lovanium, lib. III, c. IV. — Voy. de Reiffcnberg, Cinquième Mémoire, p. 9. * Voy. les renseignements biographiques dans la vie des présidents du collège, piècesjustifica- tives, lettre E , n° 9. " Mémoires surthist. liltér. des Pays-Bas, t. III, pp. 253-254. Tome XXVIII. 15 104 MEMOIRE SLR LE COLLEGE sur l'Annonciation, et il rapporte qu'il s'était fait remarquer dans la dis- cussion des (iitaeslionesqtiodlibeticae^', elle n'était certes pas inutile et vaine comme tant d'autres, la thèse qu'il soutint un jour sur la nécessité, pour le jurisconsulte, d'étudier l'histoire et la philosophie. Adrien Baecx fit exécuter d'ahord les travaux urgents, nécessaires à l'entretien du matériel; il fil réparer le local servant d'auditoire pour les leçons elles divers bâtiments du collège; il y fit ajouter une nouvelle chapelle dont la première pierre fut posée le 11 juillet 1614 ^. Le noble personnage qui présida à cette cérémonie, Georges d'Aulriche, prévôt de Saint-Pierre et chancelier de l'université de Louvain ^, légua en mourant, par une disposition remontant à l'année 1613, un revenu annuel de cin- quante florins au collège des Trois-Langues. Ce legs servit à la fondation d'une bourse équivalente au revenu susdit, et qui était de collation libre à la volonté des proviseurs, mais avec droit de présentation pour les parents du défunt *; elle pouvait être conférée pour un temps illimité, à tout élève faisant un cours complet d'études. La reprise des cours préoccupa le pré- sident Baecx non moins que les autres soins de l'administration. Juste Lipse, qui avait eu part à la fondation de Busleiden sans faire de leçons, étant mort peu de semaines après la réouverture du collège (mais 1606), Baecx, d'accord avec les proviseurs, offrit la chaire de latin à Erycius Puteanus qui avait enseigné avec éclat en Italie^ : grâce au concours du ' Valère André cite seulement dans sa première édition de la Bibliotlteca Belgica (Lov. 1623, p. t04) les deux questions sur lesquelles Baecx a disserté en 1617 : — An impensae sliidiorum causa a parentibus faclao , bonorum collationi subjectae sinl? — De hislnria , elhicaqiie philosoiihia . jurisconsullo necessarils. - Valère André. Fasti, p. 278. — Il y avait eu dès le principe un chapelain attaché au collège pour la messe et les prières. ' Voy. sur l'origine et la vie de Georges d' .Autriche, dit aussi Georges de Brienien, qui mourut le 21 avril 1519, la note de Paquot. Mémoires, t. II, p. 597. ■' Voici la teneur de celte fondation particulière eonjme elle fut acceptée par le collège, d'après une copie authentique : Accessit desnper iina hursa fnndala a perillusiri Domino Joanne (sic) ab Aus- Iria quondam hic Cancellario, pro qua reliquil nnum rcdilum 50 flor. ad niimmum decimwm sextmu; praesentationem habent consangiiinei D. Domini Cancellarii : Collalores sunl D. D. pmvisores. Le président du collège avait approuvé la formule de cette clause : Dalum \ 8 Decembris 1 700. F. Deens. — A la fin du dernier siècle, le droit de présentation à titre de parenté appartenait au baron Snoy, bourgmestre de Malines. •■' Valère André, Fasti , pp. 280-28 1 . DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. i05 souverain et des états, Puteaniis se rendit à Louvain, dès l'an 1607. Ce ne fut pas la faute de Baecx, si les leçons de grec ne furent pas reprises plus régulièrement; Henri Zoesius, nommé en 1606, ne les donna que pendant une année et demie, et c'est seulement en 1609 que ces leçons furent faites avec suite par Petrus à Castello, qui avait déjà enseigné le grec à Orléans ^ Plus tard seulement, en 1612, la chaire d'hébreu fut conférée à Valère André, qui l'inaugura le 28 mars de la même année, par un éloge latin de la langue hébraïque, discours imprimé en 1614, sur lequel nous aurons à revenir. Adrien Baecx conserva la direction du collège des Trois-Langues jusqu'à l'an 1624, après avoir rendu une partie de son ancien lustre à l'établisse- ment inauguré du vivant d'Érasme. On peut considérer comme un de ses principaux soutiens celui qui, pendant vingt -deux ans, n'épargna ni peines, ni dépenses, ni largesses-, pour en défendre les intérêts moraux et les intérêts matériels. D'après tous les actes connus, on ne le jugerait pas indigne des louanges que Valère André lui a prodiguées sur le ton un peu cmpliatique et quelquefois pédantesque de la rhétorique latine. Le jeune philologue de Dessel avait été naguère appelé d'Anvers à Louvain par A. Baecx, pour donner les leçons d'Iiébreu : c'était reconnaissance et justice de sa part que de dédier au président vigilant qui venait de le rou- vrir et de le restaurer, l'histoire du collège de Busleiden, de son origine et de ses progrès au siècle précédent ^. L'institution entrait dans une ère nou- velle, grâce à l'habileté et au dévouement soutenu de son chef immédiat : dans la prose oratoire de la dédicace de Valère André '', on démêle faci- lement la vérité des actes, la grandeur des services qui ont signalé l'admi- nistration d'Adrien Baecx. Pour plus de fidélité, nous citerons de celte pièce originale un certain ' Valèic Aiiilio, FasU , \). 283. ' Dans la Dibl. Btigica de 1623, on lit au sujet de Baexius, p. 104 : Suo eliam dispendio alque aère. ' (;'esl rouvrat;e que nous avons cité dans l'Introduclion au noml)ro des sources le plus consullées pour l'exéculion de ce travail : CoUegii TriUmjuis Bustidiani in Academia Lovaniensi exordia ac progressus, etc. Lovanii, 1014, petit in-4°. ^ L'épître dédicatoire , datt^e du I" septenihre 1614, y occupe deux feuillets; elle est signée : Reverendue Doiniiuitioni tuae ac Collvgio dévolus Valerius Andréas. 106 MEMOIRE SLR LE COLLEGE nombre de passages, qui peignent les désastres de la guerre civile dans les Pays-Bas, et qui se rapportent à la restauration du collège et à l'in- tervention personnelle de son président ' : Aupii lundis illius non parva in Te portio redundal — ainsi s'exprime l'écrivain, — qui Praeses collegio datas, (i superioribus illud temporum calamilalibiis alquc injuriis egregie vindicasli. FUt- grahanl in Belgio bellorum civilium faces.... Fhicluabat Brabanlia universa.... ipsnmque adeo caput Lovanium, sacra Musis sedes, ab hoc malo non stetit im- mune : nam et mililum rabies, et bellorum cornes morborum contagio bonam urbis partent incolis ad iinum omnibus nudavit , domos dejecil , ac solo aeqiiavit. Sed et in collegium hoc Inm florenlissimum , et alteram velut politioris literatiirae Aca- demiam , tempeslas eu desaeviit , et e Tuilingli Elingue mox facttim , aiit iina vix balbutiens lingua. Mais voilà que le collège, resté muet si longtemps, retentit de nouveau des trois langues parlées et enseignées dans ses murs; pour dire grande- ment qui avait fait cette merveille, Valère André ne sut rien de mieux que d'emprunter à Erycius Puteanus une métaphore bien pompeuse, qui avait déjà servi à féliciter Adrien Baecx. Il fallait le bras d'un Hercule pour pareil exploit, et ce nouvel Hercule s'est trouvé pour venger les Muses, pour sauver les langues, pour rendre sa triple voix h cet athénée réduit au silence. Hercule ilaqne opiis eral, qui Musarum hoc linguarum domicilium bellis annisque deformatum restaiiraret , lustris aliqitot clausum recludcret, MusASçue quasi e fuga retraheret. — Tu Mlsarum ille ac linguarum Hercules.... Tua industria, sludioque Alhenaeum hoc , quod ruinam atque inlerilum paulalim mina- batur, instauratum, et ex Elingui Trilingue rursus factum. Valère André n'esquisse ensuite la gloire ancienne des Busleiden que pour la faire rejaillir sur le courageux président, qui a reconstitué d'une main ferme leur œuvre menacée de ruine; et puis, ce qui n'est pas le moindre de ses mérites, il glorifie Baecx pour la loyauté de son caractère, pour sa bienveillance connue envers tous les amis des langues et des lettres. * Ces traits complètent l'aperçu que nous donnions plus haut sur les causes de la décadence du collège et de sa réouverture vers la fin du XV1°"' siècle. Mais qu'il soit entendu que la prose de Valère André vaut mieux, partout ailleurs, que dans cette éplire. 1 DES TROIS-LANGUES A LOLVAIÎS. 107 Enfin, nous aurons donné ici un échantillon de tous les genres de louange que cet administrateur a eus en partage chez ses contemporains, si nous •apportons les vers latins de Petrus à Castello ad Rêver. V. Hadrianiim Baexinm, Collegii Praesidem et instaiiratorem^, où l'auteur joue sur le prénom d'Adrien porté aussi par d'anciens professeurs, Matthaeus et Barland, qui ont donné, en 1518, les premières leçons de langue hébraïque et de litté- rature latine : Linguani , Tuilingui , induxit Isacidiim Scholae Matthaeus Hadrianus, Ausoniam intulit Barlandus IIadkianus, ast ternas simul Reduxit Hadrianus , a Barlandiae Numerans Toparchis generis auctorem sui. Après Adrien Baecx, on ne rencontre plus de pi-ésident qui ait acquis quelque célébrité en dehors de l'accomplissement des devoirs de sa charge; un seul, l'avant-dernier, Menri Wouters, s'est fait connaître par la part qu'il a prise à l'enseignement du Séminaire général. Dans certains inter- valles, faute d'ordre intérieur, beaucoup de livres et de pièces manu- scrites se perdirent; plusieurs des papiers et manuscrits que Valère André avait vus et consultés au collège des Ïrois-Langues n'existaient plus du temps de Paquot : « On n'y trouve aujourd'hui, dit celui-ci', que les » débris d'une bibliothèque où il y avait beaucoup de richesses litlé- » raires. » Une fondation réunie au collège de lîusleiden , sous l'administration d'Adrien Baecx, en fut détachée avant la fin du XVII""' siècle : c'était celle de Claude Verrydt, de Malines, curé d'Audenarde, qui en avait attribué la jouissance à ce collège en 1614 ou en 1615. Après un long procès poursuivi au nom de la ville de Malines, elle fut retirée en 1638 et trans- portée à un autre collège qu'elle servit à restaurer, le collège dit de Malines, fondé en 1501 par Arnold Trot, mais resté en souffrance depuis lors. C'est en 1676 que fut réorganisé le Collegium Ulecliliniense , par l'ac- ' Voy. les Exordia el progressiis , feuillet ô verso. - Mémoires, t. II, p. 599. Voy. tome III, p. 128, sur la di.sparition des manuscrits de Nannius. 108 MÉMOIRE SUR LE COLLÈGE cession du fonds Verrydt % el il se maintint jusque vers la fin du XVIll™'' siècle, grâce au concours des magistrats de Malines. Parmi les affaires litigieuses qui survinrent dans les deux derniers siècles du collège des Trois-Langues , nous pourrions rapporter ici l'oppo- sition faite à deux professeurs, Rutger Vanderburgh, en 1681, et Léonard Gautius, en 1689 2, par des hommes puissants et opiniâtres, au point de mettre obstacle à leur enseignement public; mais nous différerons l'exposé de ces deux incidents, qui concernent plutôt l'histoire des études que celle de l'administration générale du collège. Nous ajournons pour les mêmes raisons au chap. XII, consacré à l'histoire littéraire du collège au XVIII'"' siècle, la relation détaillée d'un conflit très-curieux qui éclata en 1722 entre les proviseurs de l'institution au sujet de la collation de la leçon de grec, et qui fut porté devant les autorités universitaires et jusque devant les chefs du gouvernement. Nous ne pouvons mieux terminer le présent chapitre que par un court exposé de l'état du collège de Busleiden dans les dernières années du siècle passé, sous le rapport tant de son organisation intérieure que de sa situation Gnancière. Nous en tirons les matériaux d'un compte rendu qui fut dressé vers 1785^, par les commissaires du gouvernement des Pays-Bas autrichiens, sous la présidence de Henri Wouters, et qui fut signé par ce fonctionnaire et contre-signe par le recteur de cette époque, le S"^ Van Leempoel. Il va sans dire que nous écartons les détails histori- ques qui sont bien connus d'ailleurs, et qui ont déjà trouvé place dans ce chapitre et dans les précédents. Des trois proviseurs du collège, les deux premiers étaient alors les dignitaires institués par Busleiden lui-même, c'est-à-dire le pléban de Saint- Pierre à Louvain et le président des thèses dites sabbalines en théologie; mais au troisième, le prieur des Chartreux, il avait plu à Sa ' Voy. Paqiiot. Mémoires , t. III, p. 25') , d';iprès les papiers du collège des Trois-Langues. Cfr. Fanti acad., p. 529. - Vov. cliapiire Vil pour le premier, chapitre VI pour le second. 5 Celle pièce , rédigée en français et ne portant pas de date, a été annexée sous le n" 21 à l'inven- taire des fondations acadénii(|ues qui fut fait lors de la suppression de l'université de Louvain ; État du collège de Busleiden, dit des Trois- Lmigues, à Louvain; 5 feuillets, pelit in-folio. DES TROIS-LANGUES A LOUVAIIS. 109 Majesté Impériale et Iloyale de substituer M. Thysbaerl, président du collège royal. Les allrihutions du président ainsi que des proviseurs étaient restées les mêmes que ci-devant, et leurs indemnités ou honoraires étaient réglés de la même manière; au service de la chapelle était resté attaché un prêtre à qui on a donné quelquefois le nom de liseur, parce qu'il récitait journellement les prières d'usage. Mais quelques modifications s'étaient introduites dans le régime intérieur du collège, et quelques secousses s'étaient fait sentir dans la gestion de son revenu. 11 existait encore deux professeurs, l'un de langue hébraïque, l'autre de langue grecque, qui donnaient des leçons dans l'intérieur du collège. S'il n'est plus parlé des professeurs de langue latine, c'est qu'on avait cessé de pourvoira cette chaire, après la mort de J.-.J. Vandensteen , en 1768 '. Depuis deux siècles, nous dit-on, les professeurs ne demeuraient plus au collège et n'y prenaient plus leur table; maison vertu d'arrangements nou- veaux, chacun avait pour ses honoraires cent cinquante florins. Le nombre des bourses était restreint à six, dont cinq de soixante et dix florins chacune, et la sixième de vingt florins^. Une autre bourse de cin- quante florins, provenant de la fondation de Georges d'Autriche, comme on l'a vu plus haut, était conférée à part; le possesseur en était alors Jos.- J. de Quartemont de Malines. On observait encore les formalités requises antérieurement pour la collation des bourses; mais il est à remarquer que deux des localités privilégiées. Aire en Artois, et Marville, étaient depuis longtemps sous la domination du roi de France. La durée de la jouissance des bourses était encore de huit années, mais à la condition d'habiter le collège, n'importe la faculté dans laquelle le titulaire faisait ses études. Il y avait place dans le local du collège pour vingt-trois étudiants; mais on admettait d'ordinaire avec les boursiers sept ou huit commensaux, sui- vant l'usage établi dès l'origine ^. Les pensionnaires , comme les boursiers. ' Voy. l'iiapitrc VI, professeurs de langue latine, n" t8. - Le nombi e de ces petites bourses de 20 florins pouvait être augmenté par les proviseurs selon les ressources actuelles du collège. 3 On se plaignait alors de ce que les commensaux , non boursiers, faisaient difficulté d'assister aux prières dites journellement dans la chapelle, et de ce qu'ils quittaient quelquefois le collège plutôt que de s'y voir astreints, et allaient demeurer ailleurs sans subordination ni discipline. 110 MEMOIRE SLR LE COLLEGE prenaient leur repas avec le président : la table entière était payée deux cents florins argent de Brabant. Les libéralités des princes, des prélats et des grands, sur lesquelles Érasme avait compté pour donner à la fondation de Busleideu un éclat durable, lui avaient fait défaut; non- seulement le premier capital ne s'était pas accru, mais encore les res- sources modiques du collège s'étaient amoindries à plusieurs époques calamiteuses. Après les troubles politiques et religieux du XVI"" siècle, la fondation avait subi des pertes considérables, faute d'une administra- tion vigilante et régulière; plusieurs rentes s'étaient tout à fait perdues^ et, pour d'autres qui n'avaient pas été payées, on avait été obligé d'aban- donner les arrérages, et de se contenter du remboursement des capitaux. Trois rentes sur les états de Brabant, créées au denier seize, étaient encore arriérées de vingt ans à l'époque du rapport administratif sur lequel nous nous appuyons, et l'on appréciait à la somme de 7,650 florins le montant des rentes perdues ou arriérées. Les revenus annuels du collège des Trois-Langues se répartissaieni , vers 1783, de la manière suivante - : ELn terres labourables et prairies FI. 488 18 » En maisons 470 » » En renies 732 10 5 Florins 1691 8 3 Avec la fondation de Georges d'Autriche 51 » i> Total, en argent courant de Brabant FI. 1742 8 3 On avait levé de l'argent dans les dernières années de la présidence de François Jacques dit Jacobi (1759-85), pour une restauration extraor- ' On peut considérer ainsi les deux rentes arriérées depuis plus de deux siècles: l'une de 18 flo- rins, due par le comte de Buren, affectée sur ses terres de Saint-Marlendyck, et que le prime d'Orange n'avait plus payée depuis I57.j; l'autre de 30 florins, sur la ville et le marquisat de Bera:- op-Zooni , en retard depuis loG9. ^ Cet aperçu du revenu est basé , de même que l'évaluation des capitaux donnée plus loin , sur le» calculs consignés dans YElal dressé du temps de H. Wouters, sur une Tahvlle qui lui serl d'an- nexé, et sur un relevé de tous les biens et rentes du collège fait vers la même époque. DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. Hl dinaire des bâtiments du collège, pour la construction d'un petit bâti- ment destiné au logement des étudiants , et pour l'appropriation des maisons situées sur des terrains de sa dépendance : ce qui avait mis à la charge de l'établissement des rentes nouvelles (montant annuellement à 323 fl. 10 sols) en surcroît de ses dépenses accoutumées. D'après la récapitulation des charges du collège, qui s'élevaient à la somme de 1575 florins, il restait, année commune, un excédant d'environ 116 florins qui était employé pour le remboursement des rentes ou poui' quelques réparations non prévues ^ Les choses en étaient là, à la veille de la fermeture de l'établissement littéraire, qui suivit la dispersion des membres de l'université et sa suppression officielle ; quand le gouver- nement des Pays-Bas se fit rendre compte, en 1818, de la situation des anciennes fondations universitaires, il nomma pour celle-ci comme pour les autres de nouveaux collateurs, et appela à la jouissance de bourses d'étude, de la valeur de 100 à 150 florins, des jeunes gens nés dans le cercle des localités désignées primitivement par Busleiden 2. Il ne nous reste plus qu'à jeter un coup d'œil sur la valeur des ca- pitaux qui ont suffi pendant trois siècles à l'entretien du collège des Trois-Langues : Capitaux de la fondation primitive, évalués à V\. tG,055 5 » Capital de la fondation de Georges d'Autriche, évalué à 1,650 » » Total en argent de change . . . .FI. 17,685 5 » Nous n'avons pas besoin de faire remarquer au lecteur que la valeur réelle de ces capitaux a varié d'époque en époque, suivant le cours des monnaies qui servaient à les apprécier. Nous n'avons consigné ici cette indication sommaire des ressources du collège, que pour attirer l'attention sur leur exiguïté, si on les compare aux ressources de tant d'autres fon- dations. Le collège de Busleiden a rendu des services signalés à l'instruc- ' Le dernier compte qui fut fait avant l'état susdit, l'an 1783, présentait un déficit d'un millier de florins environ. - Voy. parmi les pièces justificatives, lettre F, la copie d'un arrêté ministériel de l'an 1821 , relatif à la destination des fondations de l'ancien collécje de Busleiden. TojiE XXVIll ' 16 H 2 MEMOIRE SUR LE COLLEGE tion et aux lettres dans le siècle de sa fondation; mais il a toiijouis déchu dans les deux siècles suivants. En parcourant ses annales pour se faire une idée de l'action qu'il a exercée, il n'est pas permis de perdre de vue les faibles moyens dont disposaient les hommes qui l'ont dirigé : laissée à ses seules forces, pour ainsi dire, pendant trois cents ans, dédaignée par les rois et les docteurs qui portèrent leurs largesses ailleurs, l'institution de Jérôme Busleiden ne peut être traitée avec la même sévérité que le seraient des écoles richement dotées. On estimera assez grande la part du succès, si l'on prend garde à la mauvaise chance qu'elle a eue de ne pas voir sa dotation s'accroître. CHAPITRE \ . DES TROIS LANGUES SAVANTES AU XVr^ SIÈCLE, ET DE LUTILITE DE LEUR ENSEIGNEMENT PUBLIC. . H«De dicere haud absurdum est. ( S4LLUSTE. ) Ce ne sera pas, il nous semble, faire au milieu de ce travail une di- gression inutile, que de jeter un coup d'œil sur l'objet même des trois chaires instituées par Jérôme Busleiden, avant de voir à l'œuvre les hommes qui les ont occupées et déjuger les fruits de leur enseignement. Il ressort des recherches dont nous avons déposé le résultat dans le l" chapitre, que les Pays-Bas étaient entrés, dès la fin du XV'"" siècle, dans le mouvement de la renaissance des lettres, et qu'on y avait bien saisi le côté utile et sérieux de cette rénovation des études; mais nous voulons signaler plus particulièrement en cet endroit, ce qu'il existait de ressources à Louvain pour l'étude des langues mortes, dans les années qui précé- DES TROIS-L ARGUES A LOUVAIN. il3 dèrent immédiatement l'érection du collège de Busleiden; nous en pren- drons l'occasion de déterminer le point de vue auquel les langues étaient cultivées par les meilleurs esprits , et le genre d'application qu'on a pu faire tout d'abord des travaux de grammaire et de philologie. Rien ne serait mieux approprié à ce but qu'une analyse du discours qu'un jeune théologien de haut mérite, Martin Dorpius , fut autorisé à prononcer devant toute l'Université, le 1"^' octobre 1515, lors de la reprise des leçons, sur les avantages particuliers de toutes les sciences*; mais force nous est d'y glaner seulement quelques considérations, afin de ne pas trop grossir ces préliminaires historiques. C'est au nom de la véné- rable Faculté des Arts que Dorpius s'adresse à son auditoire, et c'est du respect dont elle jouit auprès de tous qu'il attend quelque autorité pour ses paroles. Quand il a passé en revue toutes les sciences et défini le prix de chacune, il s'élève à une véritable éloquence pour célébrer l'ex- cellence de la théologie et pour vanter ensuite la philosophie, qu'il con- sidère comme l'habileté pratique de l'intelligence dans tous les ordres du savoir. Le seul point de cette harangue auquel nous devons toutefois nous arrêter ici, c'est l'éloge des trois arts libéraux qui formaient le Triviiim des anciennes écoles, la Grammaire, la Dialectique et la Rhétorique. D'après les termes dans lesquels Dorpius en parle, il est évident que la notion de ces arts et la méthode de les étudier avaient changé considérablement depuis un demi-siècle dans l'établissement académique de Louvain; l'orateur, qui n'a rien cédé ailleurs des droits des sciences positives, traite des études philologiques et littéraires, comme si le besoîn en était vivement senti, comme si leur admission parmi les travaux universitaires ne pouvait plus être contestée. ' Or\tio Martini Dorpii theologi De laudibiis sigillaliin cujusque disciplinaruiii uc anioenissimi Lovanii Acadeiniaeque Lovaniensis, dicla KalemUs Octobribus, anno M. CCCCC. XIII. in fre- queiitissimo totius Academiae conceiitu qunm post uestivas studiorum ferias docendi audiendiqve officia publiée renovanda indicerenlur . — Ce discours a été inipiiiné vers la fin de l'an 1313, à Lou- vain , chez Th. Martens (vol. in-4°, 5-2 feuilles. — Van Isegliem, Bioqraplde, n° 73, p. 240-2il). — La réimpression qu'en a faite M. de INélis pour son premier volume A'Analectes (pp. I-G6, in-8°), n'est pas moins rare que l'édition de Marlens. Voy. sur la publication inachevée de INélis le tome VI des Archives philologiques de M. de ReifFenherg, pp. 340 341 , et son Cinquième Mémoire, p. 26. H4 MEMOIRE SLR LE COLLÈGE En abordant la définition de la grammaire, Dorpius ne craint pas de déclarer que cette science a été renouvelée et ennoblie dans les derniers temps par des qualités d'ordre et de lucidité, de justesse et d'agrément, qui lui manquaient jusque-là, et qu'elle peut mieux que jamais servir d'introduction à toutes les autres sciences'; le rôle du grammairien, comme l'ont dit les anciens, est de bien entendre le texte des auteurs, d'en donner aux autres une intelligence complète, et d'appliquer à toutes les œuvres l'art de la critique qui fait de lui un autre Arislarque. C'est une tâche laborieuse qui appartenait en propre à cette époque, disait Dor- pius, que de faire disparaître cette rouille de barbarie qui avait envahi tous les écrits et qui défigurait encore les livres les plus répandus. Pour- quoi ne citerions-nous pas dans sa forme vive et originale ce manifeste de la jeune école contre laquelle les docteurs de l'assistance, parait-il, n'ont point protesté? « Age vcro ; nostra tempeslate nimio plus operae (lagiuil , qitod liactenus umnes chartas focda barbaries obsederh : quod passim riisticanus scrmo, nli (jamjrena , serp- serit : qiiodqiie eam ob rem haud facile evclli ac exlirpari qucal radix illa ineplae loqimtionis, qiiae ktm aile, lot annorum curriculis in majoribus nuslris liaesit : apud quos impolili ineleganlesque aticlores lam firmitm regniim possedeninl , ni vix lainen eUminari possint et in perpetuum cxilium agi. Qiiid aulem ? An non siimmo acerrimoquc jndicio opns est, quo Gothicas dictiones a Lalinis , et Romana monela percussis, secernamus? lllas scilicel in Scyllnam et barbarorum sedem relegantes; lias vcro Lalii jure donatas , in noslrum fumiliam asciscentes , quando et apud nos liae Ilalicae opes mire luxuriant, et Lalinae segetes afjalim succrescunl. n Dorpius étendait la tâche du grammairien à l'art de la conversation fami- lière, que les hommes instruits trouvaient du charme à nourrir en latin, et qu'ils faisaient passer dans la composition des dialogues; il l'étendait aussi à l'art plus savant du style épislolaire, qui devait servir si longtemps les besoins de la littérature et en former un des genres les mieux autorisés. ' Eu muiidior jam, ornât ior , decenlior , venuslior emersit , non illutinis vocibus lacera, non perpkxaseribiligine involuta, non situ carieque verborum obsita.... Dorpius et plusieurs des profes- seurs (lu collétfc (lu Lis, roninie nous le dirons pins loin , avaient Iravailk- en première ligne fi cette rénovation de la grammaire et des études qui en dépendent; mais il ne faudrait pas la faire remonter au delà des premières années du siècle. DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN 115 Puisque Érasme et ses amis ont donné le modèle de ce genre dans notre pays, on verra volontiers comment Dorpius le recommandait en 1515. à l'attention de la jeunesse universitaire. Poiro hue accedunt domeslicae confcdmlaliones, quas cultissimas docere, ijuas suaves ac nidla înepliarum labe infectas facere, Grammatici sunl partes. Ejitsdem est epislolarem sliliim teretem , tornatum, graphiciim cudere; ut fïexu levi jUd- tuntem mdia asperitas remoretur : rU apertus, ut famUiaris sil; quo dulccs amicos absentes, praesentes fucimus, quoties anhni curas litterarum eis ancjusliu instre- pimus. Jocosa, séria, risum, dolorem et quaecunque usu veniunl, communicamus et ante absenlium ocidos statuimus.... Quand il passe à la dialectique , Dorpius représente l'utilité et la dignité de cette science, tout en combattant l'esprit sophistique par lequel on l'a défigurée. Puis il montre dans la rhétorique une sœur des deux autres sciences qu'il a définies; c'est déjà au point de vue d'un siècle nou- veau, et dans un langage libre et vif, que l'orateur montre le rôle éminent de l'éloquence dans tous les temps et dans toutes les conditions de la vie sociale: à l'éloge de Cicéron, qu'il nomme l'Achille des orateurs anciens, il fait succéder des exemples tirés de l'histoire des derniers siècles pour attester l'heureux ascendant d'une éloquence forte et vraie. Mais Dorpius qui, dans ce discours, faisait de l'éloquence une puissante auxiliaire de toutes les études, mettant au grand jour le savoir du théologien, du juris- consulte, du philosophe, a stigmatisé un genre d'études qui se produisait sous le nom de philologie, mais qui s'arrêtait à une critique minutieuse et stérile des mots^; c'était sans doute le fait de quelques grammairiens qui abusaient de la faveur avec laquelle on entendait alors disputer sui les termes peu usités et les formes peu connues. Or, comme l'abus ne naîi ' Voici le lexte de cette curieuse el piquante réserve, faite à la suite d'un plaidoyer tout litté- raire : Neqiic ego, viri clarissimi, de nmhra loqtior Eloquentiae, quae Pliilologia dicitur ; garritla, obslrepera, verborum dumtaxat fundUatrix maxima; nulla habens senlentiarum fulcimina, nullum ratiormm pondus, nidlos nervos, nullum inventionis ingenium; qnalen logodaedali sectanlur, qui poslquam decem voculas, non omnibus usitatas, e piUribus chartis vel niutilo saxo exuerinl, non aliter gestiunt ac triumphanl , quam si Gallias subegissent. Tune sese Solones pnlant ; lune quicquid voculis mis non est aspersum, id ineler/ans, seqne indignum arbilrcmlur. Hos equidem in eorum ordinem refero , quos bis abecedarios dixi , nempe Sophistarum ; ulrormn siqnidem vanior, inulilior. adde perniciosior, sil conalus , non ausim definire. 116 MEMOIRE SUR LE COLLEGE qu'à la suite du travail, Dorpius a voulu eu préniuuir ses nombreux audi- teurs déjà occupés des études de grammaire et de style. Sans nul doute, ces études étaient faites à Louvain et dans d'autres écoles de la Belgique, avec plus de lenteur, mais aussi avec plus de discernement, qu'elles n'a- vaient été traitées en Italie dans le siècle précédent; on s'y attachait à quelques textes importants; comme on n'y travaillait que rarement sur des manuscrits, on n'était pas exposé, du moins au même degré, au danger de renfermer tout le mérite du philologue dans la confection de gloses pro- lixes. Constatons, en premier lieu, jusqu'où allait la culture du latin à l'époque dont nous devons retracer ici les tendances et les besoins. Le latin était, il est bien vrai, la langue exclusive de la science et des écoles; il était l'objet de leçons et d'exercices dans les collèges de la Faculté des Arts , et on augurerait que son enseignement a été poussé assez loin, puisque nous voyons cette langue écrite avec goût par Dorpius et par plu- sieurs autres hommes distingués dans les premières années du XVI'' siècle '. Cependant une connaissance mûiie des principaux monuments de la lati- nité n'entrait pas dans le cours d'études généralement accompli : c'était par des efforts individuels et isolés qu'il était donné à quelques-uns de l'acquérir, et le programme des lectures était encore fort restreint pour la plupart des humanistes. La nécessité d'un enseignement spécial du latin était bien comprise par ceux qui s'étaient rendus maîtres de cette langue : quand il serait dûment organisé, elle servirait à la découverte de meilleurs procédés pour la grammaire et la rhétorique en général, et elle contribuerait à l'acquisition plus facile des deux autres langues savantes: de plus, c'était l'idiome qui, par ses formes et par son génie, était le plus ' Naluiellenient nous ne comprenons point, dans les résultats de cet enseigneiiienl , la connais- sance pratique d'un certain latin ou plutùt d'un jargon latin , chez des gens qui ne se piquaient pns d'instruction; mais qui avaient appris en latin les premières formules de grammaire. C'est celui que parlaient les artisans eux-mômes à Louvain , suivant Juan Calvete de Estrella , qui a décrit en espagnol le voyage fait par Philippe II, en 1549, dans les provinces helges : Per toda la villa se liabla mucito lalhi, aun en las casas de los ofjlciales; de manera que ellos y algunas iintgeres lo mtienden. — (De Reiffenherg, Bulletins de l'Acad. roy., t. V, n° 10, p.2.'i5: Annuaire de la Bibliolh roy., t III, pp. 242 et suiv.) DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 117 propre à la iraduction des œuvres de la lillërature grecque. Que tallail-il à cet effet? des leçons suivies et méthodiques de langue et de grammaire latines, appuyées sur la lecture d'auteurs bien choisis, et en outre, pour les esprits cultivés, des exercices de littérature et de critique qui leur ouvrissent peu à peu le champ de l'érudition classique. C'était d'ailleurs le moment où la plupart des savants étaient sollicités à écrire eux-mêmes des traités de grammaire, et, dans tous ces travaux étendus ou abrégés, la grammaire latine avait toujours la meilleure part : il va de soi que de tels livres s'enrichissaient continuellement d'exemples nouveaux, à mesure que de nouveaux écrivains classiques étaient imprimés en Italie, et comme leur texte était presque toujours réimprimé en deçà des monts, au bout de peu d'années, le cercle des travaux d'herméneutique et de critique s'élar- gissait sans cesse, et les questions résolues dans les gloses et les commen- taires étaient définitivement acquises à la science grammaticale. Que dire après cela de la nécessité d'adopter un langage latin net et correct pour des compositions de toute espèce qui prenaient faveur? Une connaissance vulgaire de l'ancienne langue de Rome ne suffisait plus à ceux qui devaient écrire en latin sur des matières scientifiques, ni aux historiens qui préféreraient la langue savante, universelle de fait, à l'une ou l'autre langue nationale non encore bien formée. Mais quelle habileté n'était pas requise de ceux qui créaient, dans des œuvres d'imagination, danades productions de forme variée, une nouvelle liitéi'ature latine, re- cherchée, lue, applaudie ! Qui voulait se faire poëte, qui tentait de suivre même de loin Érasme et les meilleurs latinistes du temps, n'avançait pas sans efforts, sans études préalables : il est clair que, dans ces circon- stances, des leçons régulières de langue latine devaient venir heureuse- ment en aide à la majorité des jeunes gens qui allaient entrer dans des carrières libérales. Mais nous n'irons point plus loin sans entretenir le lec- teur d'une tentative très-hardie, faite à Louvain pour intéresser la jeunesse à la culture littéraire de la langue de Rome, et pour lui en donner une connaissance familière : nous voulons parler de la lecture des comiques latins, et de la représentation de leurs pièces à l'intérieur des collèges. C'étaient Barland et Dorpius qui avaient concouru l'un et l'autre à donner H s MEMOIRE SLR LE COLLEGE à Plaute et à Térence ce nouveau genre de popularité : évidemment un tel honneur ne fut fait à ces poètes que quand déjà leurs comédies avaient été beaucoup lues par les jeunes latinistes; voici les faits. Martin Dorpius, qui avait étudié avec ardeur les anciens poètes et qui en avait retenu admirablement les fictions \ n'avait pas craint de prendre une part active à l'étude des deux comiques romains. Dans un recueil très- rare d'opuscules qu'il a publié en 1514, en prenant le litre de licencié en théologie-, on lisait, après un texte restitué de VAulidaria, des prologues et des analyses de sa façon sur des pièces de Plaute : Ejusdcm Tliomus {sic) Anhtlariae Plaiiliime adjeclus ciim prologis aliquot in comedianim uctiones : et paucidis carminibus. C'est au collège du Lis, où il enseigna la philosophie et la rhétorique pendant plusieurs années, que Dorpius avait fait jouer, dès l'an 1508, la pièce de Piaule qui occupe la première place dans le recueil cité : les acteurs étaient les plus distingués de ses élèves {primarii (liscipuli). Il est peu de morceaux de l'érudition latine moderne plus curieux que celui où Dorpius invitait le public universitaire a assister à la représenta- tion de YAidularia de Plaute, qui aurait lieu au Lis, le 5 septembre 1508, à neuf heures du matin : non-seulement il conviait une nombreuse assis- tance à donner ainsi aux belles -lettres des marques d'intérêt et aux jeunes acteurs de modestes encoui'agements, mais encore il coopérait au succès de cette fête dramatique en écrivant un prologue en vers latins du genre de ceux de Plaute, pour servir d'introduction à la pièce même, et de plus, il avait risqué de combler, par des tirades nouvelles, des lacunes qui res- taient dans l'action. L'originalité de cette entreprise est bien digne d'atten- tion : quoiqu'on ait préféré dans la suite le prologue et le supplément de ' Bai'land dit dans le chapitre de sa Chronique où il fait l'éloge de Dorpius : Mire poelarum omniKin fabulas tcncbat. Ontorimi et historiconim Ubros omnes exciisserat.... (Hislorica, p. 231). — Dorpius avait mis on œuvre l'allégorie célèbre sur le choix d'Hercule entre la vertu et la volupté, dans un dialogue latin, publié en 1514. C'est le premier des deux opuscules dont parle la note suivante. - Marlbn Dorpii sacre Iheolorjie licentiuti opiisrula, vol. in-i°, 56 feuillets, iinp. à l^ouvain. en 1314, chez Thierry Martens. Voy. n° 81 dans la Biographie du P. van Isegheni, pp. 246-247. IjBS deux opuscules de Dorpius y sont suivis de deux opuscules d'autres auteurs. — Cfr. de ReilTen- berg, Deurième Mémoire, pp. 66-70, et Goethals, Lectures relat. à l'hist. des lettres en Belgique, 1. 1", pp. 42 8143. DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. H9 Philippe Paré à ceux de Dorpius \ les essais de celui-ci attestent une connaissance surprenante du génie de l'ancienne poésie latine, et ils mon- trent aussi chez leur auteur une juste confiance en ses forces, puisqu'il tentait une restitution littéraire qui avait déjà exercé le talent de l'italien Urceus Codrus ^. Le ton du programme latin est concis, ferme, sérieux, comme si Dorpius était bien assuré de l'assentiment d'un auditoire sérieux aussi. 11 y a dans ces textes de la main de Dorpius un tel pressentiment de l'importance bientôt reconnue des monuments classiques, que nous n'hésitons pas à en donner quelques extraits à la suite de ce mémoire^ : on peut voir dans plusieurs lettres qui accompagnent ces textes, que Dor- pius n'avait pas travaillé sans recueillir les suffrages d'hommes instruits, tels que J. Naevius et J. Borsalus à Louvain, Georges, seigneur de Halle- win, etc. L'épreuve que Dorpius avait faite des dispositions de son public avait si bien réussi, qu'il le convoqua une autre fois à la représentation d'une seconde pièce de Plante, le Miles, pour laquelle il prit la peine d'écrire de même un long prologue en vers *, et, le jour même du spectacle, il fit aussi une annonce en vers pour la comédie que la troupe des acteurs du Lis devait jouer dans ce vaste collège, à cinq heures de l'après-midi •'. Tout ce qu'avait fait Dorpius pour la réussite de ces séances dramati- ' Le supplément de Dorpius est contenu dans une édition de VAulularia donnée à Anvers, en lo37. Voy. Levée, Thcâtre des Latins, t. Il, p. 573. •^ Dans la dédicace de ce travail sur Plante à Jérôme Busleiden, Dorpius s'étend sur la difliciillé fju'ii y a pour lui, jeune encore et homme du Nord, à entrer en rivalité avec un écrivain d'un talent niùri , avec un Italien ; du reste, il a composé ses vers, sans connaître encore ceux d'Urceus Codrus. '• M. de Nélis a réimprimé ces PknUina de Dorpius parmi les feuilles destinées au 1" volume de ses Analecles, pp. 67-96; la rareté de ces feuilles, comme del'édilion de Maitcns, nous autorise à donner dans l'appendice l'invitation en prose et envers, ainsi que le prologue de XAululuria, comme si nous en publiions le manuscrit. Voy. pièces justificalives, lettre G. i Voy. Analecles, t. I, pp. 89-9"2. Prologus in Militem comoediam Plaulinam a Martinn Dorpio composiltts. Ce morceau valut au jeune poète les félicitations particulières de Thomas Morus. •' Dorpius a offert plus tard cette petite pièce fort gaie à ses lecteurs, ibid., pp. 92-93. DORPIUS CiVNDIDlS LECTOniBUS. l'hiulina Miles est scatcns salsissimis Sallbus Comoedla, et Jttka vencre. Tome XXVIII. 17 120 MÉMOIRE SUR LE COLLEGE ques, qu'il assimilait à des exercices littéraires, ne lui attira point de désa- grément; à peine quelques murmures se firent-ils entendre autour de lui ^ On savait quelle était la fermeté de sa foi et quelle était son aptitude aux études les plus sérieuses. Dorpius, qui n'avait que trente ans, fut reçu docteur en théologie en 1515, et chargé d'un cours d'Écriture sainte : si l'on parla mal de lui , ce fut bien plutôt à cause de son admiration pour Érasme -, et non point pour sa part de collaboration au théâtre de Piaule. Du reste, l'exemple de Dorpius ne fut point unique à Louvain : un autre humaniste du même temps, Barland, s'intéressa à l'exhibition de YAuliilaria, qui eut lieu peu d'années après, par les élèves du collège d'Ar- ras; il avait composé lui-même pour cette pièce un prologue qui occupe deux pages , à la fin d'un recueil de proverbes tirés des Bucoliqties de Vir- gile ^, et d'autres prologues encore pour la représentation d'autres comé- Eam, auspice Thalia , comoedorum Dea, Grex Lilianus est actiirus hodie, Hora secunda pomeridiana , eodem In Liliorum amplo Gymnasio, ubi Et Aululariam egerunt nuperrime. Hoc significandum duximus, ne quispiam Hoc Bacchico die, tam sese poculo , Tarn se esculenlo copioso ingurgitet. Ut nil fuat loci esitandis fabulis. Qui pransi erunt deparcius, adsunto alacres : Eos studebimus exsatiirare fabulis : Cibo nihil exhibente negocii stomaclw. ' Dans la même année, loi -4, Dorpius avait publié, chez Martens, un sermon sur l'Assomption, qu'il avait prononcé en I olO (Voy. van Iseghem , loc. cit., n" 80, pp. 4.^-46). C'est le sens des vers qui terminent une pièce de Judocus Delphus, en l'honneur de notre poète. Analecta, pp. 93-94. Quique tuo scilus manavit ab ore libellus , Testatur sacris te ora rigasse vadis. Quare, âge, securus vulgi Irivialia spernc Judicia : Aonius te chorus omnis amat. i Voy. Goethals, Lectures, etc., 1. 1, pp. 42-44, et de Burigny, t. I, pp. 200 et suiv.. sur la cri- tique que Dorpius fut amené à faire de \ Eloge de la folie. ^ Paquot décrit ce recueil parmi les ouvrages d'Adrien Barland, dont nous avons donné la liste d'après ses recherches [Fasti acad. Lovan., t. I, p. 480). Voy. pièces justificatives, lettre H, n" 10. vol. in-4", imprimé par Th. Martens, en 1514, et inconnu à MM. de Gand et van Iseghem. — Paquol ajoute au litre de ce volume ; Pagellas duas extremas occupât Prologus Barlandi in PlauiiXuhx- lariam , quae acta est Lovunii in aedibus ampl. P. Nicolai Ruterii episc. Alrebat. per ejusdem alumnos. DES TROIS-LANGUES A LOUVAIIN. m dies antiques *. On peut en inférer que les humanistes, qui faisaient des études latines dans plusieurs collèges, avaient conçu pour cette sorte d'exercices une véritable émulation qui avait l'assentiment des maîtres. Cependant, cet usage de lire Plante etTérence, et de donner des rôles dans leurs pièces à des étudiants, ne pouvait subsister longtemps dans nos écoles : il faut plutôt le prendre comme un de ces impromptus que les circonstances excusent. Avant qu'il résultât de graves abus d'une trop grande familiarité permise à la jeunesse avec les personnages peu recom- niandables de la comédie latine, déjà l'attention était fixée sur d'autres auteurs de l'antiquité; le cercle des classiques entre lesquels les maîtres pouvaient choisir s'était agrandi en peu d'années, et lorsque le collège des Trois-Langues s'ouvrit, il n'y avait point de grief à articuler contre ses professeurs, du chef d'avoir accordé aux comiques latins une préfé- rence dangereuse; c'est du moins un argument qui ne figura point dans le procès. Quant à Dorpius et Barland, on ne peut non plus faire peser sur eux une trop grande responsabilité pour l'innovation imprudente qu'ils ont patronnée avec leurs amis et leurs confrères - : les mœurs chrétiennes , qui régnaient encore dans les institutions académiques de notre pays, onl prévenu le péril qu'elle avait dû entraîner presque infailliblement en Italie et ailleurs ^. Plus tard , on avisera au moyen de satisfaire au goût de la jeunesse pour les exercices dramatiques, en créant un nouveau théâtre latin , dont les pièces seront tirées de l'histoire ou de la critique des mœurs modernes. Nous serons plus court sur le rôle que la langue grecque devait avoir dans les études philologiques de la même époque. Il n'est pas besoin, sans ' Rarland comptait lui-même parmi ses œuvres : Varii in Comoedias hic exhibitas prologi. (Historica, p. 274.) ••' Voy. le jugement porté sur Dorpius par M. Rottier, dans son Mémoire sur Érasme, pp. 24-26. "' Déjà au XV"" siècle, Pomponius Laetus avait dirigé les jeunes gens de Rome dans la repré- sentation des pièces de Plaute, de Térence et d'auteurs plus modernes, qui se faisait avec pompe dans les vestibules des grands; c'est dans la môme société que s'est formée cette Académie toute païenne d'esprit et de mœurs, dont nous avons parlé au chapitre III. Voy. Sabellicus Pompomi Laeli vila: Tiraboschi, Sloria delta litter. ital., et Charpentier, Histoire delà Renaissance des lettres, t. i, p. 275. 122 MEMOIRE SUR LE COLLEGE doute, de prouver que la nécessité d'un enseignement régulier de celte langue était urgente, à un plus haut point que pour la langue latine. Elle était la clef de sources innombrables, qui restaient fermées à la plupart des hommes d'études; mais qui devaient exciter bien vivement leur curiosité et leur émulation: le texte original du Nouveau Testament, la palrologie tout entière de l'Eglise orientale , à côté des ouvrages grecs de l'antiquité profane, dont quelques-uns seulement étaient connus de nom jusqu'alors. Or, l'idiome de ces deux classes de monuments littéraires n'était appris qu'à la condition d'un grand et pénible labeur; on était réduit à quelques textes imprimés, rares et chers, fautifs du reste pour la plupart, et on n'avait encore sous la main que des grammaires trop savantes et souvent trop étendues, abstraites dans leur composition, et dont les règles étaient généralement formulées suivant la méthode des grammairiens grecs, anciens ou byzantins. L'enseignement oral était l'unique moyen de débrouiller le chaos qui régnait encore dans les seuls livres où l'on pût s'instruire. Naturel- lement, on s'exagérait les difficultés d'une langue qu'on n'entrevoyait qu'à travers le dédale des théorèmes de grammaire, et dans laquelle on décou- vrait confusément une prodigieuse richesse de formes et de tournures. Des études et des leçons privées avaient bien pu initier quelques jeunes gens aux règles les plus essentielles de la langue grecque; mais il fallait des guides patients et sûrs à la majorité des élèves qui voulaient aller au delà, qui désiraient acquérir une intelligence prompte des livres sans cesse pu- bliés. Quand quelques hommes se seront rendus maîtres du fond de la langue, ils seront les initiateurs de beaucoup d'autres à ses premiers mystères; ils leur épargneront, ou du moins leur faciliteront, le long apprentissage des rudiments, et ce sera le grand avantage assuré à la jeunesse de Louvain par l'érection d'une chaire spéciale de grec, que de lui fournir un maître qui la guidera des plus simples éléments jusqu'aux difficultés réelles qui tiennent au génie de cette langue savante. Une fois l'étude du grec rendue facile et mise en honneur, chaque classe d'étudiants y cherchera un but distinct, une application particulière; aux DES TROIS -LANGUES A LOUVAIN. 123 uns, la lecture des livres saints *; à d'autres, celle des Pères, à d'autres encore, celle des classiques et des écrivains de la décadence. L'attente était grande, en effet, chez les hommes de quelque instruction ; sans discerner encore nettement la valeur des œuvres suivant leur âge et leur genre, ils accueillaient avec faveur tout ce qui pouvait jeter du jour sur celte autre partie de la docte antiquité qu'ils ne connaissaient guère que par le témoignage des Latins. On en a un exemple dans les encouragements qu'Érasme reçut des prélats et des grands, quand il leur présenta à diffé- rentes reprises des morceaux traduits pour la première fois du grec en latin : lorsqu'il eut offert au chancelier de l'université, Nicolas Rutherius. ses déclamations traduites du grec, l'une du sophiste Libanius, deux d'un auteur incertain -, ce prélat l'appela à sa table et lui promit son appui. En fait, une nouvelle branche de littérature latine se formait incessam- ment par cette série d'ouvrages grecs , païens et chrétiens , que chaque école d'hellénistes s'imposait la tâche de traduire. Au XVI"'" siècle comme au XV'"", c'était là tenter un premier déchiffrement de la pensée antique; c'était prononcer sur un texte inconnu et en donner un commentaire per- pétuel. Et quel péril n'y avait-il pas à aborder tant d'œuvres d'un genre et d'un style nouveau, alors qu'on manquait encore du secours que la comparaison des monuments a fourni dans la suite. Évidemment, les pre- miers interprètes de la grécité étaient réduits fort souvent à deviner, et la sagacité des Italiens instruits par les Grecs réfugiés n'avait pu échapper elle-même à beaucoup de méprises ' : pendant plus d'un siècle, que de labeur a été enfoui dans des versions qui n'étaient qu'une suite de conjec- tures, ou qui du moins n'allaient guère au delà de paraphrases plus ou moins vagues! Le même genre de travail ne devait occuper dans les Pays-Bas une classe ' Nous ferons remarquer en passant qu'il n'existe encore aucun ouvrage d'histoire, judicieux et complet , sur les travaux exégétiques dont les textes grecs de la Bible ont été l'objet au XVI°" siècle. - LeUreàG. Gaudanus (£•/)!««., t. Il, 1836, D.), non datée, mais qui doitétreantérieureàl'an 1509. ï Heeren , Gesch. der class. Liter. im Miltelalter, t. II, livre IV, pp. 28 et suiv. \n MÉMOIRE SUR LE COLLEGE nombreuse de savants que quand l'enseignement du grec aurait été orga- nisé à son tour *; on verra plus loin quels fruits nos ancêtres ont retirés, pour cette partie des lettres, des leçons publiques données à l'institut de Busleiden. Il y eut dès lors bien des bommes capables d'interpréter les textes grecs au profit des sciences, de l'histoire et de la grammaire : la parole du maître avait éveillé en leur esprit cette faculté de discernement dont l'exercice est nécessaire à toute critique, et l'ardeur de savoir ne fit point défaut à ceux qui s'en étaient une fois sentis pénétrés. Si nous passons à la troisième des langues savantes, l'hébreu , nous devons constater d'abord que son étude n'était pas absolument une nou- veauté pour les écoles des Pays-Bas au XYI""' siècle : de grands efforts avaient été tentés dès la fin du siècle précédent pour en répandre la con- naissance dans plusieurs contrées de l'Europe , et des notions élémentaires de la langue sainte avaient pénétré en Belgique après que Rodolphe Agri- cola et Jean Wesselus l'avaient apprise et cultivée dans le cours de leurs vovages '". Mais, si les études hébraïques étaient déjà poussées assez loin en Allemagne et en Espagne, pour servir de fondement à des publications considérables, tels que les travaux de J. Reuchlin et la Polyglotte d'Alcala, comme nous l'avons établi dans nos préliminaires, les esprits curieux et diligents en étaient encore réduits chez nous à quelques règles fort suc- cinctes sur les rudiments de l'hébreu ; tout leur semblait énigme et mys- tère dans les explications du moindre fait d'écriture, d'orthographe, de grammaire et de syntaxe : pour cette langue plus encore que pour la langue grecque, un enseignement méthodique était de toute nécessité. Il y avait en ce moment plus d'un genre d'opportunité dans la culture de l'hébreu : c'était la langue de l'Écriture et aussi des œuvres rabbini- ques dont les Juifs se réservaient la clef avec beaucoup d'orgueil; c'était la langue primitive et originale de l'Ancien Testament, dont les versions anciennes, grecque et latine, allaient être l'objet des recherches les plus approfondies; enfin, c'était un idiome antique, d'un organisme étranger ' Voy. au cliapitre I, § 5, ce qu'on avait fait en d'autres pays pour l'élude du grec dans la mémo période de temps (iS00-t520). ^ Voy. le chapitre I, § 1 et 2. DES TROIS-LANGUES A LODVAIN. i25 à celui des langues étudiées jusque-là, et dont la comparaison allait agrandir le champ des sciences philologiques. Au point de vue des opinions et des besoins intellectuels de l'époque, il est donc incontestable que l'hébreu ne pouvait être séparé des deux autres langues, dans une institution littéraire telle que celle qui allait s'ouvrir sous les auspices du nom de Busleiden *; il ne serait pas assurément un hors-d'œuvre dans le cercle des hautes études poursuivies simultanément à Louvain; enseigné dans une école spéciale, il ne serait d'ailleurs im- posé à aucune catégorie d'étudiants au détriment d'une science quelconque, et il ne compterait jamais que des auditeurs choisis. Mais c'est là ce qui ressortira de l'histoire du collège de Busleiden; en cet endroit de notre exposé, nous avons surtout l'intention de rechercher dans quelles disposi- tions les maîtres et la jeunesse de Louvain accueillaient l'étude de la langue hébraïque, objet de travaux individuels, avant d'être la matière d'un enseignement public. Érasme ne resta point indifférent au sort des études hébraïques, malgré sa prédilection marquée pour les études grecques et latines; c'est encore à sa correspondance qu'il faut demander quelques renseignements positifs sur ce point. Nul doute qu'Érasme ne comprît la haute valeur de l'hébreu comme langue religieuse et comme langue savante; mais i! ne s'y était pas appliqué avec succès dans sa jeunesse, et il en retira peu de fruit quand il y revint dans un âge avancé ^. Toutes les fois qu'il s'agit de l'organisation des études nouvelles, Érasme se montra juge impartial et désintéressé; il le prouva bien dans cette question particulière de la leçon d'hébreu. Seulement, Érasme, esprit net et ouvert, se défendait de l'en- gouement qu'il remarquait chez plusieurs de ses contemporains pour les études hébraïques et rabbiniques, où les chrétiens avaient été presque toujours à la merci de docteurs juifs ou de juifs convertis; or, ces insti- tuteurs laissaient souvent beaucoup d'obscurité dans leurs travaux, et mettaient dans leurs leçons, à dessein peut-être, une subtilité de langage > Jérôme Busleiden n'a pas donné un cadre trop large aux travaux de son collège, en y faisant entrer l'hébreu, comme l'alFirme trop hardiment M. Rottier. Mémoire sur Erasme, p. 1"27. 2 A cinquante-trois ans, Érasme s'est encore occupé d'hébreu. Exordia, p. 29. i26 MEMOIRE SUR LE COLLEGE qui répugnait à leurs prosélytes. C'est parce qu'Érasme se déliait de leur art ténébreux et n'ajoutait pas pleine foi aux lumineuses profondeurs du Talmud et de la Kabbale, qu'il a témoigné plus d'une fois sa mauvaise humeur au sujet des hébraïsants d'Espagne et d'Italie. Sous l'empire de cette préoccupation, il a pu donner un avertissement sévère à Capito, qui s'était adonné avec passion à l'hébreu , et il manifestait en même temps cette crainte que l'attention plus grande qui serait accordée au texte ori- ginal de la Bible, ne fût préjudiciable aux études que le texte grec du Nou- veau Testament réclamait, selon lui, à bien plus de titres *. C'est, en eflet, à ce second texte qu'Érasme lui-même a voué ses plus profondes recher- ches; mais on prétend qu'il dut recourir aux avis d'OEcolampade, pour se rendre compte d'idiotismes et de locutions sémitiques dans certains passages des Évangiles, et il est vraisemblable que, lorsqn'il fut invité par des personnages éminents, par exemple, Adrien VI et Henri VIII, à commenter des livres de l'Ancien Testament ^, il renonça à cette tâche, faute d'une connaissance suffisante de la langue hébraïque. Quelques hommes s'étaient appliqués à l'hébreu dans les années qui précédèrent l'ouverture du collège de Busleiden à Louvain; ils eurent, déjà en 1516, un conseiller au milieu d'eux, quand 3Iatthaeus Adrianus vint se fixer dans cette ville pour y donner des leçons privées, avant d'y avoir le titre de professeur (1618-1519). Martin Dorpius, qui enseignait alors l'Écriture sainte au collège du Saint-Esprit , était du nombre de ceux qui prenaient parti ouvertement pour l'hébreu ; il était même leur chef 5, et il bravait courageusement les murmures qui se changeraient un jour en applaudissements. L'ère nouvelle dont Érasme saluait l'aurore pendant son séjour en Belgique était inaugurée par un compromis des lettres avec les sciences. Dorpius le ratifiait au nom delà théologie et de l'exégèse dans ses discours et dans ses leçons. Déjà dans la harangue solennelle qu'il < Lettre à J. Capilo. Louvain, 13 mars 1518. Epist., t. II, p. 1673 : Oplarim te propensiorem u(l Graeca, quam ad Hebraica, etc. — V. ci-dessus, chap. III, pp. 70-71. - De Buiigny, 1. 1, pp. 38I-Ô8-2. 3 Ex bilniguibus hic omnes trilingues rcddimur.... Dorpius Hebraicae factionis dux est. Videbis brevi novum saecuhim hue exoriri.... Lettre d'Érasme a P. Barbirius, 6 mars \t\\^(Epist., t. 1, p. 507). — Cfr. Er. Ue ralione ver. theol. (0pp., t. V, p. 75.) — • Exordia, pp. 36-57. DES TROIS-LAISGUES A LOUVAIN. d27 prononçait en 1515 à la reprise des cours, il s'était fait le promoteur de l'étude des langues, de leur culture, indispensable auxiliaire des sciences les plus hautes, et là même il s'élevait avec une vivacité qui rappelait les allures d'Érasme contre la manière de traiter la théologie dans les écoles. Dorpius fut fidèle à sa thèse, et, s'il est le seul des théologiens de sa Faculté qui se soit avancé aussi loin, c'est qu'il avait confiance dans un mouvement qu'il voyait diriger sous ses yeux avec modération et sagesse. Qu'on sache bien que le suffrage de Dorpius en cette matière était un avis tout à fait désintéressé : avouant qu'il ne savait pas le grec, il se résignait modeste- itient à profiter de ce qu'il y aurait d'utile dans les travaux des autres ^ et c'est sans doute en adoptant les conclusions d'autrui qu'il avait com- posé un traité de codicibus sacris casligandis qu'il avait lu dans ses cours de Louvain {in schola Lovaniensi) et qu'il destinait à la publicité. Sans s'arrêter aux écarts d'Érasme, de Laurent Valla, de Lefèvre d'Élaples, ou peut-être sans s'en rendre bien compte, Dorpius osait requérir des futurs théolo- giens une égale habileté dans les langues hébraïque et grecque. Il advint alors, comme presque toujours en pareille occurrence, qu'une fraction assez nombreuse d'esprits sérieux, s'attachant inébranlablement aux méthodes reçues, fit une résistance passive aux travaux de linguistique qui avaient le caractère de nouveautés. Cette opposition deviendra vive et ardente chez quelques-uns, quand les troubles et les excès de la Réforme lui fourniront des armes; Dorpius mourut en 1325, sans voir la fin d'une lutte où les langues et les lettres étaient signalées sans réserve à l'animadversion et même à la haine des vrais chrétiens. Mais l'impulsion avait été donnée, et déjà en 1518, avant que les leçons du Colleghim tri- lingue eussent pu porter leurs fruits, Louvain comptait une pépinière d'hellénistes et d'hébraïsanls pleins de zèle et de talent. On lit dans les ' Réflexions de Paquot diins ses notes manuscrites {Fusti Acad. Lov., 1. 1, fol. 03-64), avec renvoi au discours d'ouverture de Dorpius à ses leçons sur sainl Paul : Oraiio in praelectiunem cpislolarwii divi Patili , de laudibiis Pauli, de literis sacris ediscendis, de eloqueiitia, de pernicie sophistices, dr sucrorum codicum ad Graecos casligatione, et linyuarum pcritia. Antverpiae, !Mich. Hillenius, 1319, in-4». Basileae, Froben, 1520. Antverp., !o2l. (Voy. Foppens, Bibl. Belg., p. 853, et Goc- thals. Lectures, t. 1, id., p. 46.) Tome XXVIII. 18 128 MEMOIRE SUR LE COLLEGE vers que Elius Eobanus Hessus a adressés à Érasme lors de son départ de Louvain, en 1518 \ au sujet de cette ville et de son école : ExcellUque viris, qui non Laiialia solum Dogmala, Romanaeque loquacia scliemata linguae, Nec tantum ad Graïas possinl vigilarc lucernas, Verum etiam Hebraeo sudent in pulvere, et omni Parle schola celebri veteres imitentur Allienas. Nous croyons avoir assez démontré le genre d'utilité qui était attribué à chacune des trois langues savantes, au moment où l'usage de saines mé- thodes allait régénérer les études littéraires en Belgique^, et l'assentiment presque unanime que leur enseignement rencontrait parmi les jeunes hom- mes qui étudiaient et enseignaient alors dans les collèges de Louvain. Mais nous allons donner, pour complément à ces premiers aperçus, quelques recherches historiques sur les ressources qui existèrent à Louvain, pour la connaissance des lettres anciennes, avant l'ouverture du collège de Buslei- den et pendant les premières années de son établissement. Nous ferons en sorte de déterminer quelle fut l'action des docteurs et des maîtres qui s'occupèrent des langues et des lettres dans les collèges de l'université; c'est de là que sortiront les professeurs appelés aux chaires spéciales de création nouvelle. Nous montrerons aussi quelle était la largeur des vues de ceux qui avaient à cœur de répandre autour d'eux le goût des travaux de l'esprit, et dans quelle mesure il fut permis à des personnes étrangères à l'université d'ouvrir des cours non officiels, librement fréquentés. La rhétorique continua à être enseignée dans les pédagogies acadé- miques de Louvain, comme elle l'avait été dans le cours du XV""" siècle; seulement les méthodes et les livres changèrent, à mesure que les hommes ' Le poëme sur son retour en Allemagne envoyé à Érasme, par cet humaniste, a été imprimé à Louvain, en 1519, par les soins de son ami, chez Th. Martens : Relit Eobani Hessi a profectione ad Des. Erasmum Roterodamwn hodoeporicon , etc., 28 feuillets in-i" (van Iseghem , Biographie, n" 147, p. 30-2j. Valère André en a cité un passage dans ses Fasli, édit. de 1630, pp. ô'J9-400. - Écoulons Érasme sur la question des méthodes [0pp. V. 73) : « Si non desit aniniits. si 7wn desit praeceptor idoneus, minore paene negolio très liae linguae discentiir, quam hodie discilur tmius semilinguac niiseranda balbuties, nimirum ob praeceptor um, tum inscitiam, tuniinopiam. » DES ÏROIS-L Aïs GUES A LOUVAIN. 129 aulorisés à professer lirèrenl de la lecture des anciens auteurs des vues plus saines sur la grammaire et sur la composition littéraire en général. Les premiers qui, sans sortir de la sphère des règles grammaticales, parlèrent de la rénovation du style, furent naturellement écoutés avec réserve par quiconque croyait à l'autorité illimitée des anciens livres. Quand déjà circulaient des traités où la grammaire latine était exposée- avec méthode et simplicité, il y eut encore des défenseurs du Doctrinale puerorum d'Alexandre de Yilledieu, livre diffus et incomplet, qui multi- pliait sans raison les difficultés de l'étude, pour n'enseigner après tout qu'un latin défiguré, fort différent du latin antique K C'est au proGt d'un tel livre que l'on fit opposition au travail considérable de Despaulère, dont la carrière commença, comme on va le voir, dans un des collèges de Louvain; ce travail était recommandable par son plan et par son contenu; il était une mine pour les latinistes, et l'on a pu, suivant l'expression de M. de Reiffenberg 2, « y tailler à l'aise la matière de plusieurs ouvrages vraiment utiles. » Enfin, la véritable méthode d'étudier et d'enseigner les langues prévalut, giâce au bon sens, aux patients efforts, aux relations littéraires des humanistes qui , avec Despautère et après lui , contribuèrent dans Louvain à la réforme des études de grammaire. Le précurseur de Despautère, Jean Custos ou de Coster, de Brecht, étudia au Lis, et fut le premier d'entre les philosophes en 1496; il pro- fessa les belles-lettres au Château, et il réussit à porter le premier coup aux livres si défectueux que nous signalions à l'instant; sa grammaire, quoique chargée de règles superflues, eut de la célébrité au delà de son temps 5. Jean Despautère, de Ninove, après être sorti du Château maître- ès-arts à la promotion de l'an 1501 , enseigna la rhétorique au collège du Lis, et il mit en vigueur de nouveaux procédés qui donnaient à ses ou- • Voy. l'analyse du Doclrinale. par le Grand d'Aussy, Notices et extraits des man. de la Bibliotli. nation., t. V, pp. 512-541 , et la llièse latine de M. Cli. Thiirot sur le sort de ce livre : De Dorlri- nali ejusqiie forluna, etc. (Paris, 1850, p. 47 sq.). '- Troisième Mémoire sur l'Univ. de Louvain, p. 2.^j. — On y trouve une revue des autres livres de grammaire qui avaient conservé un monopole de deux à trois siècles en Occident. Ibid., pp. 10- 26. Voy. aussi le Mémoire c'né Sur l'inslrtict. publ. au moyen âge, pp. 115-120. 3 De Reiffenberg, Quatrième Mémoire, pp. 77-78. Foppens, t. Il, p. 623. \Z0 MEMOIRE SUR LE COLLEGE vrages de grammaire une complète supériorité sur tous les livres alors connus '. Quand Despaulère eut quitté Louvain pour enseigner en diverses localités, sa méthode y fut appliquée avec d'abondants fruits. Après Despautère, nous nommerons en première ligne Jean Paludanus, comme un des maîtres qui avaient la puissance d'exciter dans les autres le goût des lettres; Jean Paludanus, ou Desmarais, de Cassel, qui ne mourut qu'en 1526, était, depuis la fin du siècle précédent, professeur d'éloquence à la faculté des arts ^, et quoique son enseignement se bornât au latin, il eut beaucoup d'ascendant sur tous ceux qui s'occupaient des langues, et obtint des gages de leur reconnaissance. Érasme l'a considéré comme un maître dont il vantait souvent les précieuses qualités ^, et l'a traité d'autre part comme un intime ami, à qui il a demandé l'hospitalité à Louvain pendant de longues années *. S'il faut ensuite nommer les autres hommes qui rendirent quelque ser- vice par l'enseignement littéraire dans les collèges, nous devons citer avec Martin Dorpius et Adrien Barland, Jean Borsalus, Jean Naevius et Jacques Ceratinus. Comme on l'a i^emarqué au commencement de ce chapitre, Dorpius a donné au Lis des leçons de philosophie et de rhétorique plu- sieurs années avant d'appartenir à la faculté de théologie, et c'est alors qu'il a excité le zèle de ses élèves par cette exhibition dramatique des Plautina, sur laquelle nous avons insisté. Dorpius s'était toujours pi'éoc- cupé de l'éducation des jeunes gens et de l'avancement des études, comme l'atteste Barland, qui avait beaucoup recherché sa société ^ : toutes les ' Commentarii grammatici.Y'avisns, 1o37, in-folio. Voir Cli. Tliiiiot, loc. cit., pp. 60-61. De Reil- fenberg, Troisième Mémoire, pp. 24-26, et Foppens, 11, 628. — Jean Despautère mourut à Co- niines, en 1520, avant d'avoir donné une édition complète de ces traités. - Voy. de Reiffenberg, Qiiatricme Mémoire, pp. 79-80. Là sont indiqués les autres personnages dn nom de Paludanus, qu'il ne faut pas confondre avec celui-ci. 5 Érasme dédia à Paludanus son Panégyrique de Pbilippc le Beau, imprimé en lo04', chez Th. Maliens, à Anvers; l'épîtrc en trois feiiillels commence par ces mots : Erasmiis M. Johanni Pahi- dano doctissimo utque humamssimo hospiti sua S. D. Voir van Iseghem , Biographie , p. 51 , pp. 221-222. — Voy. une lettre d'Érasme, sans date, où il le nomme : Vir iitrivsque linguae peri- tus (Epist., t. II, p. 1857). ■^ C'est seulement vers la fin de Fan 1517, qu'Érasme se décida à aller habiter ailleurs, au collège du Lis, pour y jouir de plus d'espace. Voy. EpiM., t. 11, p. 1658. Ibid., p. 1628 (août 1517). ■' Historica, p. 231 (cd. Colon., 1603). — Chronica, cap. CLXXXIV. DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 131 fois que celui-ci se rendait auprès de lui aux heures de l'après-midi, il le trouvait toujours à l'étude et au milieu des livres; en se promenant dans le verger, voisin de sa demeure, Dorpius s'entretenait continuelle- ment des moyens de former et d'instruire la jeunesse. On ne peut balancer à mettre Dorpius parmi ceux qui ont eu le plus d'influence sur l'activité litléraire de cette curieuse époque, quand on lui voit attribuer, avec des connaissances approfondies dans toutes les sciences, l'élégance et la fer- meté d'un langage vraiment romain *. Qui lira cet éloge de Dorpius con- firmé par Erasme, dira avec de Reifl"enberg que ce n'est pas celui d'un homme ordinaire -. Adrien Barland, avant d'être appelé, en 1518, à faire les premières leçons de latin au collège des Trois-Langues, avait eu un rôle fort actif entre tous ceux qui travaillaient à faire connaître les anciens auteurs; par ses entretiens et ses conseils, sans doute aussi par des leçons bien fré- quentées, il avait gagné des prosélytes aux lettres latines. Son autorité était assez grande en 151G, puisqu'il fit part de ses vues, en publiant les let- tres de Pline le jeune avec ses scholies, à tous les maîtres enseignant alors les humanités dans les provinces belgiques ^. Cette espèce d'encyclique , qui fait époque dans les annales de la pédagogie classique, porte l'adresse suivante : Hadriamis Darlandus apud Lovanienses cidtioris Hleratiime professer infumis S. D. omnibus in liraban. Flan, et Hotlan. ludinmgistris. On verra plus loin de quelle nature étaient les élucubrations philologiques qu'il mit au jour "*, aux diverses époques de sa carrière de professeur, pour inspirer le goût de la lecture des classiques. Jacques Ceratinus, qui brigua tour à tour la chaire de grec et celle de latin au collège de Busleiden ^, s'était distingué par le même genre de ' Ce passage de Barland, emprunté au même chapitre de sa chronique, et répété en grande paitie par Foppens, t. IF, p. 852, se termine ainsi : Qiiam latinus et elegans, planeque Romanus ilti sermo! — Cfr. de Ram, Visquis. hislor., etc., pp. 22-25. 2 Le texte de Barland est cité en entier, dans le Quatrième Mémoire, pp. 83-66. 5 Biographie citée de Thierry Martens, n» 100, pp. 261-262. ' Voy. chap. VI, § I, et la lettre H de l'appendice. '^ Voy. rintroduclion au chapitre VII. d32 MÉMOIRE SUR LE COLLEGE service; il s'était rendu apte à l'enseignement des deux langues par des lec- tures et des exercices. De même, Jean Borsalus, qui quitta Louvain, en 1518, quand il était sur le point de prendre la nouvelle leçon de latin ', s'était formé avec ses confrères de son âge dans un sentiment commun de zèle et d'émulation pour les études littéraires; il avait acquis l'estime particulière de J. Busleiden, de M. Dorpius et de beaucoup d'hommes let- trés 2 : s'il fit des leçons à Louvain, vers l'an 1516, ce fut probablement à l'intérieur de la pédagogie du Lis, où les langues anciennes étaient le plus en faveur. Des maîtres du collège du Lis, celui que nous connaissons le mieux, grâce à la correspondance d'Érasme, c'est Jean Naevius, ou de Neve , d'Hondschote {Hondiscliolanus), qui, à Louvain, accueillit à son foyer le grand humaniste, quand celui-ci eut renoncé à l'hospitalité de Paludanus. Érasme apprit à l'estimer ainsi que ses collègues et ses amis d'étude, pen- dant sa résidence dans le collège, dont Naevius était alors devenu prési- dent ^. Déjà, auparavant, il avait suivi avec intérêt les efforts faits par son ami pour mettre en honneur les études latines, et il lui avait dédié, en 1515, comme à leur directeur fLi/Jonontm Lovanii Gijmnasiarclme) , un re- cueil d'opuscules choisis, commençant par les distiques de Caton, destinés à servir de texte aux exercices des élèves de Naevius *, comme il le disait dans son épître : Ut luibeas quocl tiiis praelegi cures alumnis. Personne ne fit plus de cas qu'Érasme des services rendus par ce ' Voy. l'introduction au chapitre VI. - Dans la dédicace de ses Pluulina à Jérôme Dusleiden , Dorpius le nomme : Lilterutorimi can- didissimus Jouîmes Borsalus, canonicus Middelburgensis. Voy. les Analecles de M. de Nélis, p. "i, et la note 1, et les Mémoires de Paquot, t. I , p. 9. 5 Président du Lys, en 1515, il y demeura jusqu'à sa mort, l'an 15'24. — Le séjour d'Érasme dans ce collège est compris entre les années 1517 et 1521 ; il disait, en novembre d5l7, après y être entré; Nec unquam vixi niagls ex animi mei sentenlia (Episl.. t. I , p. 273. Cfr. pp. 270, 6.% et 677). U y connut aussi un maître fort instruit, Josse de Vroye, de Gavre, dit Gaverns. * Opuscula aliquol Erasmo Rolerodamo caslirjatore et inlerprele : quibus primae aelati nihil praelegi potest : neque vtilius neque elegantius. Vol. in-4°, 52 feuillets. (Voy. la Biographie de Th. Martens par van Iseghem, n°90, pp. 254-255.) Le même recueil d'opuscules eut une seconde édition, en 1518, avec des additions et des améliorations {purtim compleliora, partim nova). Voy. la même Biographie, n" 130, pp. 188-189. DES TROIS-LANGUES A LOUVAIIN. i33 maître à la jeunesse, dans les cours d'humanités qui prospéraient au Lis; aussi s'eiTorça-t-il de prévenir toute querelle et même tout refroidissement entre Naevius et Dorpius ou d'autres de ses confrères, atin que la cause des études n'en souffrît pas K 11 se plut à vanter à tout le monde la réu- nion des qualités de l'esprit et du cœur qu'il avait observées en lui ^, et à lui attribuer une habileté de langage peu commune et une élégance pleine de sel, dans la discussion ou dans la plaisanterie : Niliil est JSaevio meo, disait-il en 1517 ^, in liac Academia vcl cnidilius, vel melius, vel feslivius, vel denique sincerius. La douleur d'Érasme fut grande quand il apprit à Bàle la mort presque subite de son hôte, dans l'appartement qu'il avait occupé lui-même à Louvain, et son irritation fut très-vive quand on lui apprit que Nicolas d'Egmond donnait la un si prompte du président du Lis comme une punition du ciol *. Les esquisses biographiques que nous venons de tracer montrent suffi- samment quel secours les études de langues et de lettres avaient trouvé dans les collèges de l'université avant que l'école spéciale de Busleiden leur fût consacrée; quand cette école fut ouverte, des cours d'humanités qui roulaient sur la grammaire et la rhétorique latines , continuèrent à être donnés dans les pédagogies, du moins pendant le XVT""= siècle, et nous dirons ailleurs comment son exemple contribua à l'amélioration de ces cours. Rappelons aussi que la leçon d'éloquence fut conservée dans les attributions de la Faculté des Arts, et qu'elle concourut à nourrir des goûts littéraires dans une partie de la jeunesse; elle eut quelquefois du relief, surtout quand elle fut donnée par des hommes tels que Adrien Barland et Nicolas Vernulaeus. • Voy. les conseils d'Érasme à Dorpius, dans une leUre de 1517. ^/)ts<., t. II, p. 1651, elle retour d'Érasme sur les conseils d'urbanité et de mesure qu'il avait donnés naguère à Naevius, trop en- clin à prolonger les différends. Ibid., t. I, p. 784. 2 Voy. EpisL, 1. 1 , pp. 306 , ^23, 784 : Jam quae linguae félicitas, quam parala dicendi facid- tas, si de re séria dicendum cssct? qui lepos, quae argulia, si jocis aul salibits ludere Ubuisset? Tum qui morum candorî quae conviclus suavilas? quam erat amicus amico? quam arcani crediii conlinens? quam non sordidus? Unum in eo desiderabam, ne nuHus esset naevus in Naevio, etc. Ibid., p. 784. ■" Episl., 1. 1, p. 273. * Voy. Epist., t. I, p. 784 (an. 1324). Ibid., p. 979 (an. 1527). iU MÉMOIRE SUR LE COLLEGE 11 nous reste à dire mainlenant quelle liberté fut laissée à l'enseigne- ment littéraire en dehors du collège des Trois-Langues et des pédagogies de l'Université. 11 y a lieu de croire qu'à côté des trois professeurs dûment nommés aux chaires du collège de Busleiden, octroi ne fut pas donné à tout le monde d'y ouvrir des leçons publiques et permanentes; mais, vraisem- blablement, des savants étrangers eurent en ce collège des conférences avec les maîtres et de libres relations avec les élèves, sans qu'aucun obstacle fût apporté du dehors à ces entreliens ou à ces réunions. 11 est plausible aussi d'admettre que quelquefois des élèves fort avancés furent autorisés à y faire des leçons, qui avaient plutôt le caractère de répétitions et d'exercices. Cependant ce fut le plus souvent après une autorisation de- mandée en due forme que des humanistes et des philologues furent admis à donner un enseignement public accessible à tous : nous tâcherons de compléter les renseignements historiques laissés à cet égard par Valère André ^ On a des exemples d'un refus opposé à des hommes instruits, qui voulaient ouvrir à Louvain des leçons publiques; on appliqua aux leçons de langues latine, hébraïque et grecque, la mesure qu'on avait prise en 1484 pour empêcher que des cours nouveaux ne nuisissent à la fréquen- tation des cours institués dans chaque faculté. Un premier fait se présenta en 1519, quand M. Alardus ou Adelardus d'Amsterdam eut annoncé, dans un programme affiché publiquement, qu'il expliquei-ait un ouvrage de Didier Érasme. Interdiction fut signifiée à ce savant, le 8 mars 1519, en vertu d'un article des statuts académiques : suivant cet article, on requérait une inscription sur le registre de l'Université de tout docteur, maître, licencié ou bachelier, qui voulait être admis à enseigner, à discuter ou à poser quelque acte du ressort de l'enseignement, et on exigeait de lui en outre une permission du recteur, donnée au nom du corps universitaire. Alardus, qui était d'ailleurs entouré d'une grande considération comme latiniste et même comme théologien, resta à Louvain en rapport avec les membres * Fasti .icad., pp. 357-358. Voy. les noies manuscrites de Paquot. Fasli Acad. Lovaii , t. I, p. 388. DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 135 de l'Université et avec tous les amis des lettres % et il y mourut en 1544. Une interdiction fondée sur le même règlement fut portée en lo20 contre Guillaume Nesenus, humaniste étranger, allemand de naissance, qui se proposait d'expliquer publiquement la géographie de Pomponius Mêla. Son passage en Belgique nous est connu par les lettres d'Érasme, que nous allons interroger à ce sujet. Guillaume Nesenus s'était signalé comme latiniste, en donnant à Bàle, en 1515, une édition de Sénèque. Il se rendit à Louvain en 1519, et sa qualité d'étranger, ignorant la langue du pays, non moins que ses talents et son honnêteté, lui valurent la protection d'Érasme 2; dès celte année, celui-ci réclamait hautement contre les entraves qu'on voulait apporter aux leçons gratuites de Nesenus sur Pomponius Mela^. L'affaire se termina en 1520 par un refus motivé peut-être sur les opinions religieuses de Nesenus; il venait de rentrer en Allemagne, las des difficultés sans lin qu'on lui avait suscitées, quand Érasme écrivait à Herman Buschius* : ISesenus taedio stotidissimarum iragoediarurn , qiias hic quidam agimt sine fine, ad vos se recepit. En d'autres cas encore, l'importance attachée à la lettre des statuts, sinon des motifs particuliers de défiance, fit prendre des mesures sembla- bles à l'égard de personnages qui ne nous sont pas connus; il est avéré, cependant, que l'Université a donné son assentiment aux leçons faites temporairement, sans titre officiel, par des hommes présentés par de puissants patrons; de ce nombre furent Nicolas Cleynarts, qui professa les langues au collège de Houterlé ou même dans le local des Trois- Langues , et les deux juifs convertis du nom de l^evita, Jean Isaac et ' Outre divers ouvrages estimés, Alardus fit paraître à Cologne, en d529, ime édition devenue fort r;ire des œuvres de Rodolphe Agricola. — Voy. l'oppens, Bibl. Belg., pp. 38-39. Miraeus, Elogia, Dec. VII. De Reifl'enherg, Quatrième Mémoire, p. 83. - Epist., t. I, p. 409 : Hospes et linguae nostratis imperitus, qiio magis favendwn est viro alio- quin dodo, intégra uc modesto. '" Voy. trois lettres d'Érasme à Vives (Epist., t. I, pp. 523, 526 et 689). On lit dans une des lettres de 1519, p. 536 : Hic Guilielmo Neseno, Pomponii Melae geographiam profiteri gratis ag7-esso, vihil rcmissioribus stvdiis obsliterunt quam siparasset totam hanc ttrbem incendia miscere. Érasme reconnut plus tard seulement la propension de son client au Luthéranisme. [Epist., I, 633.) » Epist., 1. 1, p. 567 (an. 1520). — Nesenus est mort à WiUenberg.en ib'ii. Epist., 1. 1, p. 821. Tome XXVllI. 19 136 MEMOIRE SUR LE COLLEGE Etienne, fils d'Isaac , dont nous ferons connaître plus loin la venue et les fonctions à Louvain ^ Nous citerons dans la suite de ce mémoire d'autres érudiis qui furent de même autorisés à faire des leçons privées sur les langues et sur quelques auteurs anciens. Mais nous devons nous étendre ici sur la part d'influence qui revint à Louis Vives dans le prosélytisme auquel il se dévoua avec les meilleurs esprits pendant les quelques années qu'il passa à Louvain : c'était précisément l'époque où les trois chaires de Busleiden venaient d'être inaugurées. Quand Louis Vives fut chargé de l'éducation du prince Guillaume de Croy, il s'associa de cœur à tout ce qui se faisait en Belgique pour les éludes littéraires, qui lui avaient déjà valu quelque renommée; il publia à Louvain, chez Thierry Martens, plusieurs de ses opuscules, dans les années 1519 et 1525^, et quoiqu'il n'eût pas beaucoup de goût pour l'enseigne- ment oral, l'on ne peut douter qu'il n'ait enseigné publiquement en cette ville avec le plein assentiment de l'Université, qui lui fut accordé le 5 mars 1520^. D'après le propre témoignage de Vives, on affirmerait même qu'il a fait ses leçons en partie aux Halles, siège de l'Université, en partie dans une maison particulière de la rue de Diest* : il aurait expliqué le matin, aux Halles, VHisloirc natureUe de Pline , et l'après-midi , dans l'autre local, les Géorgiqites de Virgile; quand après un court séjour à Bruges, pour cause de maladie, en 1521, Vives rentra à Louvain, il se serait proposé de donner une troisième leçon sur Pomponius Mêla. Enfin, d'après les œuvres mêmes de Vives, on croirait, avec son dernier biographe, qu'il a fait aussi des cours sur les Lois de Cicéron, sur le traité de ScnectiUe , sur le ' Aux clinpilrcs VIII et X. - La première publiealion, qui date de 1519, renferme le traité De sectis , initiis cl laudibiis Philosophiae , et le traité In Psevdoiiialccticos , vol. in-i", de MA feuillets (voy. van Isepliem, liio- grapltie, n" 14-8, pp. 302-503). En 1523, Vives publia, chez le même imprimeur, une édition com- plète de sa Veritas fucala (sive de Ucentiii poelica, (juantum poelis licel a verllale ahscedere) , et deux discours (dedamaliones duae). Voy. Biogr., n"* 184 et 185, pp 326-327. — Vives n'était plus à Louvain quand Th. Martens y imprima, en I52I, son Inlroduclio ad sapienliam. Voy. ibid.. n" I9C. p. ÔU. ^ Valère André, Fasti Acad., pp. 357-358. Paquot, Mémoires, t. 1, p. i\1. ^ Voy. de Reiffenberg, Quatrième Mémoire, p. 87, et le Mémoire de M. Namèche Sur la vie et les écrits de Vives, pp. 21-23. DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 157 lymc WxiQ Rhetorkoruni ad Uerennium, sur les Convivia de Philelphe ^, et sur plusieurs de ses piopres ouvrages, entre autres sur le Cliriali trhimplms. C'était en outre un bel et puissant exemple que celui que donnait Vives aux jeunes docteurs de Louvain, en se livrant, pendant son séjour au milieu d'eux 2, à son travail de révision et de commentaire sur le texte des vingt-deux livres de la Cilé de Dieu de saint Augustin. On vient de voir que le précieux appui dos conseils, des leçons et des écrits de Vives n'a pas manqué aux hommes dévoués et intelligents qui associaient leurs efforts pour donner à la science des universités le secours et le relief des travaux littéraires. Érasme avait été leur guide et leur ami, il eut même la satisfaction d'applaudir à leurs modestes et solides succès; il leur avait gagné l'estime de Guillaume Budé, qui remplissait en France un rôle analogue au sien. Le troisième de ces humanistes qui représentent éminemment le génie des lettres et de l'érudition à cette période de la Renaissance, Louis Vives, vint de son côté encourager par sa présence notre première école de philologie , où il trouvait en parfait accord avec ses propres sentiments l'amour des lettres , la confiance en leurs progrès, et une pratique sincère de cette sagesse chrétienne qu'il a si bien glorifiée. On ne connaît pas les noms de tous ceux qui ont concouru de prime abord au but de l'institution due à la généreuse prévoyance de Busleiden; mais on n'ignore pas du moins ce dont elle est redevable au travail persé- vérant des humanistes qui s'étaient formés dans les collèges académiques, et aussi à ce patronage moral d'Érasme et de Vives , plus puissant que les privilèges et les faveurs des princes. < Vv. Filelfo ou Philelphe était un des humanistes d'Italie dont les écrits s'étaient répandus avec une vogue presque égale à celle des classiques. (Ginc;uené, Hist. lillér. de l'Italie, t. 111, p. 526-50.) - l'ixé à Bruges à son retour de l'Angleterre, il ne perdit point de vue les premiers travaux des littérateurs de Louvain. i38 MEMOIRE SUR LE COLLEGE CHAPITRE VI. LES PROFESSEURS DE LANGUE LATINE. Pellcgc : Sttiuicquam Grvdiob, duvturibus illit, .lut l/aibarifs, aut Zoiltis dicat ru/Irs. (Jndreae Valerio K90. W'ESBurs.) En abordant celle première série de biographies ' , il nous imporle de rappeler ce que nous avons dit dans l'introduction sur la destination de telles notices dans le corps de ce mémoire historique. Si nous nous sommes décidé à enregistrer en trois chapitres les principales circonstances de la vie de tous les hommes qui ont enseigné au collège des Trois-Lan- gues, c'est non-seulement parce qu'elles sont extraites en partie de docu- ments inédits, mais encore parce qu'elles font connaître le genre d'action qu'il a été donné à chacun de ces hommes d'exercer autour de lui, suivant l'esprit et les dispositions de son époque. De la sorte, on peut se repré- senter plus facilement par avance l'espèce de vie que l'exemple et le concours des maîtres ont fait régner dans l'école d'une période à une autre. Encore une fois, quoique ce ne soit pas le lieu de tracer une biographie complète de chaque personnage, les notices ici insérées ont leur raison dans la nature du sujet nouveau que nous traitons, et peut- être les renseignements inédits qu'elles renferment seront-ils de quelque utilité aux écrivains qui voudraient dans l'avenir consacrer à ces mêmes hommes des monographies détaillées. On porte à dix-huit le nombre des professeurs de langue latine qui ont appartenu au collège de Busleiden, depuis Adrien Barland, qui reçut le premier ce titre, jusqu'à Henri Joseph Vandensteen, qui mourut en 1768 et qui n'eut point de successeur. On verra plus loin pourquoi la ' Nous avons donné la première place anx professeurs de latin, à l'exemple de Valère André, dans la seconde partie de ses Exordia ac progressus collegii Trilinguis , pp. 45-63 (professores lalini). DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 139 collation de la chaire de latin, dite aussi d'histoire, ne fut plus faite dans la seconde moitié du dernier siècle. Plusieurs concurrents se présentèrent aux mandataires de Busieiden pour la chaire de latin, sans nid doute parce que cette langue avait été cultivée de date récente avec plus d'extension et de succès que les deux autres. Idiome de l'Église et de la science en Occident, le latin avait pro- gressé le premier et fort rapidement, grâce à l'investigation des anciens manuscrits et à leur publication par l'imprimerie'. Il paraît certain que la leçon de latin fut offerte tout d'abord à Jean Borsalus ou van Borsseleii. natif de la Zélande, nommé quelquefois chanoine de Middelbourg, et qui était estimé à Louvain comme humaniste 2. Il avait habité quelque temps au collège du Lis avec des confrères qui aimaient comme lui les lettres: c'est là qu'Érasme avait appris à le connaître, et il rend hommage à son caractère aimable et gai , et aux qualités solides de son esprit^. Borsalus qui avait, au dire d'Érasme, peu de moyens d'existence, déclina l'hon- neur qu'on avait en vue de lui conférer, pour accepter la place de doyen de Weere en Zélande, et quitta Louvain dans l'année 1518*. Après le départ de Borsalus, et peut-être sur sa recommandation, Adrien BarJand, son compatriote et son parent, fut chargé de la leçon de latin ^. L'épître que celui-ci adressa plus tard à Borsalus est une des meilleures sources de la biographie de Barland lui-même ; elle a été d'un grand secours à Valère André, dans la notice qu'il a consacrée à ce der- nier ^, et nous la mettrons de notre côté à contribution sur plusieurs ' Voy. Chapitre I, et chapitre V. 2 Lettre d'Érasme à Barhirius, 6 mars 1518. [Epist., t. I, p. 303.) ' Adest Joannes Borsalus hujiis collegii contubenudis , conviclor omnium festivissimus. Epist.. t. I, p. 382 (an. 1318). Voy. lettre à J. ['.obyns, 26 mars 1318 {Epist., t. Il , p. 1677)... Refert om- nium nostrum lalem virum Lovanii retineri, quo lumen illius lalius luceat , de. * Lettre de Dorpiiis à Érasme, tijuillet 1318 (Epist., t. I, p. ô3"2) : Borsalus tuus , ccut verius noster, amicus hatid impurus , sincerus, candiilus , deseruit nos, designatus decanm Veriensis. Voy. Epist., t. I, p. 462. — De la Rue, Geletterd Zeeland, p. 313 (Middelbourg, 173-i, in-i"). 3 Dorpiiis, loc. cit., t. I, p. 3i2 : Provincia quam coeperal, lutine doeendi, mandata est Bar- lando. " Exordia, pp. 43-47. — Les Mi'moires de Paqiiot ne contiennent pas de notice sur Barland; l'article de Foppens {Bibl. Belg., p. tO) répète l'article fort maigre de Valère André dans sa biblio- thèque, et celui du Geletterd Zeeland de P. De la Rue, pp. 266-268, n'est guère plus satisfaisant. 140 MEMOIRE SUR LE COLLEGE points'. Nous traiterons cette vie avec quelque détail, parce que Barlanù représente très-bien cette classe d'humanistes que l'on peut regarder comme la pépinière du collège des Trois-Langues. 1. Hadkiakus Barlaîsdus ou Ailriaen van Darlandt. (1318-19). Le savant du nom de Hadrianus Barlandus naquit le 28 octobre 1 487 '^ à Barlandt (Daiiamlia) , bourg de Sud-Beveland, près de la petite ville de Goes ou Gousa , au milieu des îles de la Zélande : le nom qu'il a conservé dans l'histoire est tiré de celui de son endroit natal "'^. Il faisait ses premières études à Gand, sous Pierre Scotus, quand il vit les fêtes célébrées en celte ville lors de la naissance et du baptême de Charles-Quint; il achevait plus lard son cours de philosophie à Louvain, quand il fut témoin, en 1505, de la réception faite par l'Université et les magistrats à Philippe le Beau, qui allait partir pour l'Espagne. Adrien Barland prit à vingt-quatre ans le litre de maître es arts, et revint alors à l'étude des lettres qu'il aimait depuis son enfance. Quoiqu'il ait regretté les années qu'il avait données à la philosophie, et qu'il se soit plaint des efforts et des veilles qu'il avait dû s'imposer pour regagner le temps perdu, il fut bientôt à même de former le goût des autres. Pendant plus de neuf années, Barland mérita par ses leçons la faveur de nombreux auditeurs, dont la plupart avouèrent en avoir tiré beaucoup de profit : s'il n'avait pas de titre officiel dans l'Université , il était du nombre de ceux qui donnaient des leçons privées dans les principaux collèges *. Il n'avait pas * CeUe épilre, qui esl une aulobiograpliie, comme on dirait aujourd'hui, a été réimprimée dans ie recueil des Historica Hadriuiii Barland i , pul)lié à Cologne, en 1603, pp. 278-280. - D'après Paquet {Fasti Jcud., 1. 1, p. 480) et d'après Bax (fol. 1425), Barlandus se serait donné l'âge de ûj ans dans un acte de l'an 1520. On a déjà plus d'une fois modernisé son nom sous la forme de Barland, que nous adopterons dans la suite de cette notice. ' Voy. chapitre V, p. 131. Voici ce que dit Barland dans l'épîlre citée ( Historica, p. 74) ; In tnaximis doccndi kiboribus, eliam siilo exercendo, plurimum temporis imperlili sumus. DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. Ui reculé devant de longs exercices pour se rendre maître des règles du style, et pour diriger les jeunes latinistes. Barland eut l'honneur d'inaugurer l'enseignement du latin, comme professeur de la fondation de Busleiden, quand les premières leçons se firent, le 1" septembre 1518, dans un local du couvent des Augustins. II le poursuivit pendant une année et demie; mais alors il se rendit en Angle- terre, en qualité de gouverneur, avec Antoine, seigneur de Grimberghe, fils du comte de Berghes. Peu de temps après, il fut appelé à Affligera, pour diriger de nouveau les études de Charles de Croy, administrateur de cette abbaye, qu'il avait initié naguère à Louvain aux belles-lettres. Plus tard , Barland rentra à Louvain , et eut rang dans l'Université comme professeur d'éloquence [rhelor publiais), succédant à Jean Palu- danus , mort en février 1525. C'est dans cette charge qu'il passa honora- blement les années de sa vieillesse, et qu'il mourut vers l'an 1542. Adrien Barland était un des hommes qui avaient contribué davanlage au mouvement littéraire, dont le collège de Busleiden allait devenir le centre; il avait préparé l'opinion publique par des leçons et aussi par des écrits; et il eut encore le privilège de donner du relief à la chaire publique d'éloquence latine. On a pu dire qu'il avait laissé après lui plusieurs élèves d'un savoir peu ordinaire et sagement appliqué '. Barland avait mérité de bonne heure l'estime d'Ërasme, qui s'est plu à louer la sincérité de son caractère, ainsi que la pureté et l'agrément de son langage, et c'est de lui qu'il a dit quelque part ^ : vit- niillo fiico, sïncerus et amicus, prompta quadam ac pura nec inamoena sermonis facilitate praeditus. On rencontre la matière d'observations fort curieuses dans les nom- breux opuscules que Barland a publiés pour servir à l'étude de l'art ora- toire, et à celle de la latinité des anciens auteurs^. Ils témoignent de ses ' Valère André, Bibl. Belg., édil. \G'l'), p. 103 : Multos rarae et caslae eruditionis discipidos habuit, in Iris omnium instar. Corn. Crocum et Gerardum Moringum. Le premier de ces deux homines, liiinianiste habile et apologiste chrétien, niourut en tooo {Foppciis, pp. 197-198); le second fui latiniste fort correct, connu par divers écrits moraux et religieux, et mourut en tbSG. ( Foppens, p. 5387). - Episl., t. I, p. 667 (an. 1521 ). — Seulement Érasme osa le blâmer de s'être engagé dans une querelle fort vaine avec Goclenius. Voy. le Mémoire de M. Rottier, pp. 111-1 12. '■• Nous renvoyons une liste aussi complète que possible des travaux littéraires d'Adrien Barland , 142 MÉMOIRE SUR LE COLLEGE habitudes laborieuses, et du zèle qu'il a déployé pour donner un aliment nouveau à l'activité littéraire de ceux qui l'entouraient. Pline, Térence, Virgile, Cicéron, ont été tour à tour l'objet de ses soins : on voit qu'il a voulu habituer ses auditeurs à commenter tous les passages de ces auteurs et d'autres classiques, avec la rigueur grammaticale qui était possible alors; et puis, il eut le bon esprit de ne pas s'attacher aveuglément à un seul auteur, Cicéron par exemple, dont l'imitation était la plus sédui- sante, et sur ce point de critique, il suivit fort heureusement la manière et les avis d'Erasme, qui d'ailleurs a loué en lui « le naturel et la faci- lité de Tullius * ». Barland a travaillé dans le goût de son temps , quand il a pris la peine de faire un recueil de saillies et de boas mots pris dans les auteurs anciens et modernes ; avant qu'on eût tiré des sources la suite de l'histoire ancienne, on la servait aux lecteurs latins en détail, sous la forme de traits et d'anecdotes; ainsi Barland fit-il des extraits de Cicéron, de Quin- lilien , de Suétone, de Macrobe et surtout de Martial. Mais n'était-il pas au- torisé, en ce genre, par l'exemple d'Érasme, qui avait composé avec succès son livre d'Adages, et lui-même n'avait-il pas payé tribut à la prodigieuse célébrité de ce livre, quand il en publiait dès l'an 1508 un abrégé? Adrien Barland avait en partage les qualités du style qui distinguent l'homme de goût, et il possédait en outre cette érudition variée qui était fort prisée de son temps, et qui l'a fait appeler « un arsenal de brillante littérature- » : politioris liltei'aturae armarium. Nous n'avons point à juger ici les œuvres historiques de Barland ; mais nous signalerons, en passant, un morceau où se révèle un point de vue à cause de sa longueur, aux pièces justificatives, lettre H. Elle est tirée, presque entière, d'une notice préparée par Paquot [Fasti Acad. Lov., t. I, p. 480), sans doute en vue d'une biog;raphie lie Barland; notre polygraphe y a fait entrer plusieurs des observations utiles du P. Nicéron dans son chapitre relatif à Barland. Mémoires sur les hommes illustres de la république des letlres, etc., t. XLI, pp. 245-253. ' Ciceronianus . 0pp. Er., t. I, p. 1050. Nannius, Miscell. 2 : Vir sanè accurntue et poiitae dictinnis. - Geraidns Noviomagus , Epi.st. de Zelamliae situ. — Voy. un coup d'oeil général sur les travaux lie Barland dans le Mémoire de M. Rottier sur Érasme, pp. 28-50. DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 143 historique et littéraire à la fois , fort rare dans les élucubralions savantes du même âge : c'est l'opuscule de lileralis urbis Romae principibus, où l'auteur traite de la vie de quarante empereurs , qui auraient cultivé les lettres depuis Jules-César jusqu'à Théodose. 2. CONRADUS GOCLENIUS. (1519-1539.) Curritor ad voceiu jucuadam.. Aucun des professeurs de Busleiden ne donna autant de popularité aux leçons de langues qui venaient d'être inaugurées que Conrad Goclenius, qui fut promu à la chaire de latin en 1519; la jeunesse de Louvain cou- rait à ses leçons , et cet empressement que lui valaient l'élégance et la pureté de sa diction latine ne se démentit pas pendant une longue suite d'années^ Il répondit pleinement à l'idée que l'on avait conçue de lui, quand il se présentait aux suffrages des proviseurs du collège, après la retraite de Barland; plus qu'aucun autre de ses confrères de Louvain, il eut le privilège de recevoir d'Érasme des communications littéraires et des confidences d'amitié. Conrad Goclen ou Goclenius était né à Men- gerichausen en Westphalie, sur le teiritoire de la principauté de Wal- deck. Il se fixa à Louvain pour se vouer aux lettres, qui prenaient un essor toujours plus grand en Belgique; cependant, son mérite lui valut un canonicat en l'église Notre-Dame à Anvers , sans qu'il dût résider en celte ville ^. Goclenius venait à peine de prendre ses degrés à la Faculté des Arts, quand il entra en concurrence pour la chaire de latin avec Jacques Ceratinus, jeune homme déjà fort vanté et très-instruit dans les deux ' Jean Heemstediiis parlait , en 1530, de ce grand concours d'auditeurs, dans un passage de sa lettre à Érasme , cité ci-dessiis au chapitre 111. [Epist., t. II, 1 747). - Voy. sur la vie de Goclenius Valère André, Exordia, pp. 47-50 et Fasti, p. 279; Foppens Bibl. Belgica, p. 189, et Bax, fol. 1427. Cfr. Coupé, Soirées litlér., t. XVI, pp. 140, 172-73. Tome XXVIII. 20 144 MÉMOIRE SUR LE COLLEGE langues '. Il l'emporta sur celui-ci, et ouvrit ses leçons le 1" décembre 1519. L'autorité de son enseignement le fit recevoir le 28 février 1524, dans le conseil de l'Université, comme représentant de la Faculté des Arts. Il avait professé pendant vingt années, quand il succomba à un mal qui le minait depuis longtemps, le 25 janvier 1559. Goclenius eut les hon- neurs d'une oraison funèbre, prononcée par P. Nannius, qui devait être son successeur^, et il fut inhumé dans l'église de Saint-Pierre. Outre l'épitaphe qui résumait tous les litres de Goclenius^, son tombeau orné d'un portrait porta une inscription en beaux vers latins, qui rappe- laient ses précieuses qualités, et qui étaient l'œuvre de son ami, Alardus d'Amsterdam. Il s'est conservé une seconde inscription en vers, qui appar- tient également à la plume d'Alardus^. Nous relevons dans la première quel- ques traits qui jettent du jour sur certaines idées et opinions de l'époque. L'éloge était écrit par un poète respecté d'ailleurs comme théologien , et puisque le premier fondement de cet éloge est la ressemblance de Go- clenius avec Érasme, pour l'esprit et le langage, pour le caractère et la foi , le nom d'Erasme ne devait pas être un nom généralement maudit peu d'années après sa mort dans la cité universitaire: Conradus jacet hic Goclenius, alter Erasmus Ingenio, lingua, moribus, atque fide. Les vers suivants exprimaient les regrets des littérateurs de la perte de celui qui avait donné un si grand relief à l'école de Busleiden : Hune lugete virum Graecae charilesque Latinae, Et decus arnissurn, Buslidiana domus. ' Nous verrons Ceralinus, qui jouissait de la faveur d'Érasme, se présenter un peu auparavant pour la chaire de grec. - Pétri Nannii Funebris Oratio habita pro mortuo Conrado Goclmio. Lovanii, excudebat Ser- vatius Zassenus [sic] anno M. D. XLII. Vol. petit in-i" , 8 feuillets. — A cause de la grande rareté de ce morceau , nous en ferons usage plusieurs fois dans cette notice. 3 Comme on y lit après la mention du collège des Trois-Langues : Latino professori famndis- simo ac conservatori optinw, on serait tenté d'augurer de ces derniers mots que Goclenius prit les fonctions de président, en lo.57 et 1.558, avant la nomination de J. Edellieere à la présidence. * Nous ne rapporterons point en entier le texte de ces pièces, dont les deux premières ont été DES TROIS-LANGUES A LOUVAir^. 14S Mais l'hyperbole poétique entraîne l'auteur de ces vers, quand il parle des milliers d'hommes de toute nation attirés par Goclenius à Louvain : JUe scholarum auxit pomoeria lata Lovant Traxil eu oinnigemini miUia mulla virûm. Un de nos poètes, Nicolas Nicolaïus, dit Grudius, a encore dépassé ce trait hyperbolique au livre II de ses poëmes funèbres [Fttnera) ; il le proclame (p. 25) nullls valibiis inferior, et il le fait ailleurs (p. 158) l'égal de Gicéron, qui a transporté la Rome antique dans nos contrées : Goclenie, ingenti nil Cicérone minor, Qui iiostras Urbem iransvexsH nuper in oras, Quam Tros cum socio slruxil Aborigène. La pompe de telles Ogures ou comparaisons n'est certainement pas né- cessaire pour établir la renommée solide, mais modeste, de Goclenius, due à sa profonde connaissance de la latinité classique. Goclenius n'a pas beaucoup écrit; mais il a montré, par quelques-uns de ses travaux, ce dont il était capable, si l'enseignement lui eût laissé plus de loisir et de repos. Praeler liaec niliil scripsit, nec edidil , dit Nannius, sed tamen abunde spécimen sui dédit, quid in utroque scribendi génère valerel. On attribue à Goclenius : 1° des Notas perbreves in officia Ciceronis, notes qui furent en partie mêlées à celles d'Érasme, en partie rejetées à la marge '; 2" une révision des œuvres de Lucain; 5° la traduction latine de VIfcrmotime de Lucien, dialogue sur les sectes des philosophes -. C'est ce travail, la principale publication de Goclenius, qu'il dédia à Thomas Morus dans une longue et savante préface : ce digne hommage lui valut en retour, de la part de ce juge insigne, un vase doré rempli de pièces d'or impi-iniéesdans les JS'xorrfm, pp. 49-50 et dans la Bibllolheca Belg., p. 189. La troisième figure dans les Exordia, p. 50, et dans les Monum.sepulchr. Brabantiae de François Sweertius, p. 20; elle vante l'hiibiicté de Goclenius dans la po6li(|ue, la rhétori(pie, l'astronomie, l'histoire sacrée et profane. ' Dans une édition de ce traité, Basileae, 1320, in-4°. — Voir plus loin, cl). IX. =* Luciani Samosatensis Hermolimus , sive de sectis phihsophorum , Conrado Godenio inter- prète, vol. in-4°, 52 fetiillets. Lov., ap. Theod. Martinum, an. .M. D. XXK. — La dédicacées! datée du collège (les Trois-Langues, le 29 octobre 1522. Voy. van Iseghem, Biogr. de Tli. Marlens, n" 181 , p. 324. 146 MÉMOIRE SUR LE COLLEGE anglaises ^ En outre, on conservait encore, au XVII* siècle, des explications recueillies dans les leçons de Goclenius sur quelques discours et traités de Cicéron, et dont le manuscrit avait passé entre les mains de Valère André ". Une foule d'auditeurs entoura toujours la chaire de Goclenius, et ce maître eut, au témoignage de son panégyriste^, l'art de ne jamais les fatiguer malgré la fréquence et la longueur des leçons. Il professa long- temps avec fruit comme avec éclat, et non-seulement il fut l'objet d'un profond respect de la part de ses disciples, mais encore il se concilia l'af- fection d'hommes éminents. Érasme lui fut sincèrement attaché; il lui donna des gages de son amitié et de sa confiance, en le consultant sur la marche des affaires qui le concernaient lui-même, en le chargeant du soin de ses intérêts, en le mettant au courant de ses propres projets, et même en lui confiant d'avance ses dernières volontés *. C'est à Goclenius qu'il légua son gobelet d'argent, sur le bord duquel était gravée l'image de la fortune. Érasme considérait Goclenius comme un des principaux soutiens du collège des Trois-Langues, et il le louait de la persévérance avec la- quelle il accomplissait sa tâche. Ce n'est pas en vain qu'il lui conseillait d'avoir assez de force d'âme, pour ne point perdre de temps à répondre aux écrits et aux imprécations du dehors, mais de concourir sans cesse au progrès des bonnes études '' : on vit, en effet, à tous les instants, Goclenius unir dans sa conduite le zèle à la prudence. Mais Érasme avait ' C'est ce que nous rapporte Nanniiis dans l'oraison funèbre de Goclenius : Quod opus a Thoma Moro cui dedicaliim voluit, lanti aestimatum est, u( euin in aurato poculo aureis Ancjlicis pleno remuneralus sil, existimam auream viri eloquenliam optimo auro et copiosissimo repensandam. 2 Explanalionis in Milonianam et Manilianam Ciceronis, in Paradoxa et Somnium Scipionix ejusdem. (Exordia, p. 487.) ' Maximae reverentiae inler discipulos fuit. Retinuit suam majestatem semper integram, ac vires- cenlevi, nec assiduitate satiavil nec diulvrnilale auditorem lassavit. Nec viginli ejus anni quasi senio supcr-veiiiente , quicquid de flore jiwentutis amiserunl. (Orat. fun.) * Voy. la vie d'Érasme par de Burigny, t. II, pp. 419, 421-422, et le mémoire de M. Roltier, p. 113. Nannius dit dans son discours : Illuin inter arctissimae familiariialis amicos habuit. Quod.... et in vila et in morte iestatus est, etc. 3 Epist., t. I , p. 369. Bruges, 12 août 1520 : Te amo te qui tam gnaviter rem géras in profes- sione lingnae Lalinae.... Tu quod temporis eras perdilurits, anl certe inale coUocalurus rixando cum malis rabulis, hoc bonis sludiis juvandis impende. — Le conseil de Brabant ne prit pas attention à des plaintes qui lui furent faites vers 1536 sur les opinions de Goclenius {Epist. p. 1520). DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 147 aussi une haute opinion du savoir de ce professeur dans la plupart dos sciences alors enseignées, comme de son mérite d'écrivain; il le donnait à ses plus illustres amis, Th. Morus, A. Uesendius, Florent Iselslein , comme versé dans les deux langues, et leur vantait son habileté à écrire soit en prose, soit en vers. Dans ses poésies latines, il savait allier à une grâce toute particulière beaucoup de clarté et de douceur. Il se soutenait dans sa prose, et toutefois il y était si diflerent de lui-même, qu'en la lisant, on aurait cru son auteur tout à fait étranger à la poésie. L'affection d'Érasme pour Goclenius était fondée sur l'estime qu'il fai- sait des qualités solides de son esprit; il s'en rapportait si volontiers à ses avis, que bien souvent il ne demandait plus d'autres raisons pour être convaincu. « Le jugement de Conrad Goclenius, écrivait-il en 1521 '. est pénétrant, son savoir peu ordinaire, son zèle infatigable, son esprit élevé, ses manières pleines d'urbanité, sa parole très-certaine, et il a de plus cette expérience dans les choses de la vie qui manque à peu près d'ordinaire aux hommes voués à l'étude. » Ainsi arrivait-il, comme Érasme s'exprime ailleurs, que « Goclenius faisait trouver grâce aux lettres qu'il enseignait auprès de ceux qui les avaient prises auparavant en aversion. » En toute circonstance Goclenius montra son attachement à Érasme; non-seulement il ne s'écarta pas de sa méthode et de ses opinions en commentant Cicéron, en prenant ses écrits comme fondement des études de philologie latine 2, mais encore il lui prêta son aide pour divers travaux et principalement pour perfectionner la collection des Adages 5; enfin, il composa en distiques un poëme où il récapitulait toutes les œuvres de l'illustre écrivain *. ' Epist., 1. 1, p. 667, ad Bern. Biiclioneni : Est Conradm Goclenius, vir acri judicio, doclrina minime Iriviali, induslria indefatigabili , animo excelso, moribus mira comitale ac jucunditale conduis, ftde cerlissima , rerum etiam communium prudentia valens quae fere solet in sludiorum cultorihus desidcrari. "' Voy. Uotlier, mém.citt', pp. 1 12-115, et les beaux vers de Resendius à Goclenius. (FasH, p. 401). '" M. Adam , Yilae philos. Germ., p. 81. — De Biirigny , t. H, p. 367. ' Complexus est quoque carminé plerosque libros Er'asmi. Orat. fun. — Ce morceau est connu sous le titre de : Elenchus elucubraliomim Desiderii Erasmi versu elegiaco; il parut, en 1319, dan.- un recueil latin publié par Th. Martens, à Louvain. (Voy. Biographie, n" 147, p. 302.) 148 MEMOIRE SUR LE COLLEGE Érasme avait pardonné à son ami d'écrire si peu, parce qu'il enseignait si bien; cependant il lui était échappé un mot fort piquant sur la santé trop floi'issante de Goclenius , qui savait se soustraire à la peine d'écrire '. Ce mot a été relevé par Nannius qui , dans l'oraison funèbre de ce profes- seur, a insisté tout particulièrement sur le dévouement de Goclenius à la mission d'enseigner. Il est dans ce passage quelques données, mêlées il est vrai à des exemples accumulés outre mesure et à des lieux communs, mais si importantes pour la connaissance de la direction des classes au siècle d'Erasme , que nous ne balançons pas à les analyser ici. Nannius s'attache à prouver que Goclenius ne mérite pas moins de louanges, quoiqu'il n'ait pas beaucoup écrit, et à l'aide de plusieurs com- paraisons plus ou moins heureuses^, il veut soutenir que, « pour apprécier à sa juste valeur l'érudition de quelqu'un , il faut considérer non pas tant ce qu'il a écrit que ce qu'il aurait pu écrire. » Ce n'est point par paresse ou par indifférence que Goclenius a privé la postérité du fruit de ses veilles : on ne peut en accuser un homme qui a consacré sa vie tout entière à l'enseignement de la jeunesse, et, par excès de travail, a abrégé une destinée qui eût été longue peut-être. Nannius rapporte les propres paroles qu'a proférées Goclenius sur son lit de souflVance, en témoignage de l'abnégation qu'il avait portée dans ses études : » En qiiem finem Imbenl nostra sludia ? Canescimus ante senectutem , morimur anle fata noslra : dum publicae juventnti consutimiis , maie considimus vilae nostroe. Sed bene impensum est, quiccjuid sludiosis impenditiir. En se croyant le droit de donner cette dé- claration comme un des derniers signes de l'intelligence du mourant , Nannius proteste que Goclenius n'a pu encourir un reproche sérieux pour avoir dépensé aux travaux continuels de l'enseignement les forces qu'il eût pu employer à la composition de livres savants. Puis, il paye un tribut à ' Erasmi... verbumest, Conradi ingenium quodvis poluisse , sed maluisse ips}iiii se obesuliiiii quam izo'k-jy fi-^av , esse. (Or. fun.). ^ Voici un spécimen de sa démonslration : Ingeiiii tandem tant ex paucis quam ex mullis spcc- tari passe , nec ut cognoscas frumenlum , opus esse insiieclis omnibus granis; nec ut vinum probes , tolos endos deguslandos esse : nec ut viri pectus agnoscas multa voiumina ad id rcquiri : facile ex nnguibus leo, facile ex solo vestigio grandilas Herculis inlelHgilur... Cum virtutem eruditionis alicujus meliri velis , non lam considerandum est quid scripseril, quam quid scrihere potueril. DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 149 la mémoire de Goclenius en énuméraiil tant d'écrivains de génie qui sont morts à la fleur de l'âge, et en rappelant la mission féconde pour l'avenir qu'il a remplie auprès de la jeunesse. Avant de finir, Nannius demande comment honorer le nom de cet homme dévoué, et sa péroraison est pleine d'une éloquence vraiment pathétique, qui repose sur l'élévation des idées * : Quid nobis faciendum , quaeso , despicite. ^^on enim statuarum lionor amplius in usu est, nec mérita sepulcris distingiiuntur , nec divinitas sive àmBé^aïc, chrislianorum judiciis mortali (sic) assignaiitr , quibus beneficiis mortiii (jraliam demcrebimur? Omnia prisca honorandi mimia praesens consuctudo abokvil; unum qitiddam restât, sed quod restai, amptissimum est Reponamus hominem divinum , in divinissima liominis parte , in mente scilicel nostra , ibi figaltir non statua muta , sed idœa eloquens : concionelur in memoria nostra solita sua elo- quenlia' : quicquid unquam dixit, scripsit, perpétua recordatione nobiscum retrac- temus, Merentur hoc amplissimi viri dotes imiumerae, qiiem natura acutissimo ingenio instruxit , fortuna prosperitate beavit , eruditissimi viri coluerunt , poten- tissimi maximis miineribus exornarunt, quem sua mérita nobis venerabilem faciunt , libri ab oblivione vendicant, virtutes Deo superisque commendant. Dixi. » 3. Petuus Nannius [Pierre JSanninck). (1SÔ9-1537.) Le digne successeur de Goclenius, que nous venons de prendre comme son principal biographe, a déjà trouvé des historiens diligents, qui ont résumé sa vie, indiqué ses relations littéraires, et passé en revue ses écrits fort nombreux, appartenant pour la plupart aux deux littératures grecque et latine. Certes, l'enseignement et les travaux de Nannius méritent encore des recherches approfondies après celles de Valère André, de Nicéron et de Paquot ^^ mais s'il mérite d'obtenir un jour d'un humaniste une ' On verra, dans ces courts extraits, quelle grandeur et quel charme a pu atteindre l'orateur latin toutes les fois qu'il a su échapper à la déclamation et au lieu commun. 2 La facilité d'improvisation qui, suivant Cicéron et Quintilien, atteste la puissance du génie oratoire, rehaussa le talent de Goclenius, et on en avait conservé à Louvain un vif souvenir quand J. Lœzius y faisait ses leçons sur Cicéron (pro Arcliia, édit. de 1560, fol. 41 ). ■> Exordia, pp. 50-55. DM. Belg., édit. 10^23 , pp. 069-67 1 ; édit. Foppens, pp. 994-996. — Ni- céron , Mémoires, t. XXVIl , pp. 25-33. — Paquot, Mémoires, t. lll, pp. 123-128. 150 MEMOIRE SUR LE COLLEGE monographie littéraire complète, nous sommes forcé de nous borner ici aux seules particularités qui intéressent l'histoire de la philologie an- cienne. Pierre Nanninck, nommé Pelrus Nannius dans le monde des lettres, naquit en 1500 à Alkmaar, ville maritime du nord de la Hollande. Il vint faire à Louvain son cours de philosophie, et prit ensuite dans sa patrie la direction d'un collège pendant plusieurs années. Revenu vers 1555 à Louvain, Nannius donna un enseignement privé à des jeunes gens nobles dans le collège de Saint-Jérôme ^ et il se fit connaître par ses premières traductions du grec en latin. Jugé, à l'unanimité, le plus digne de succéder à Goclenius, il prit possession de la chaire de latin, au collège de Buslei- den , le l'^'^ février 1539, par un discours sur l'art poétique d'Horace. La carrière de Nannius, remplie par les devoirs de l'enseignement et par la publication de nombreux travaux, fut trop tôt brisée : son tempé- lament naturellement sain et vigoureux ne put résister aux fatigues de l'étude: il avait professé dix-huit ans, quand, le 21 juillet 1557, il suc- comba à une fièvre opiniâtre, âgé de cinquante-sept ans seulement. Cor- nélius Valerius, qu'il avait désigné comme son successeur, prononça son oraison funèbi'e , qui, selon toute apparence, ne fut pas imprimée. Une épitaphe gravée sur marbre noir fut placée près de la sépulture de Nan- nius, en face de l'autel de Saint-Pierre, dans la collégiale de Louvain ^, aux frais d'un de ses élèves, Sigismond Frédéric Fugger, baron et seigneur de Kirchberg et Viane, qui lui rendit cet hommage sur la recommanda- lion de ses parents. P. Nannius, qui avait reçu les ordres, fut pourvu d'un canonicat de la < Ex coUegio divi Hieronymi ad Leidam. Dédicace à N. Olahus de sa déclamation sur les Turcs, en 1536. — Le collège, situé près du quai de Leyde, a cessé d'exister depuis longtemps. (Paqnot.) - L'inscription rappelait la mémoire de Nannius avec une simplicité pleine de grandeur; nous n'en citerons que ces mots : Firo doclisshno [itéras hwnaniores in celeberrimo collegio Buslidiano XVIII annos professa. Ils disent plus, en effet, que les vers élégiaques de l'ami de Nannius, le carme .Vdrien Hecquet (voy. Exordia, pp. 52-S5) , et que le jeu d'esprit d'André Scliott, dans ses vers lieslinés au portrait des Elogia de Miraeus : llaud Nainim vocilet, sed ô Giganlcm! Le texte de l'inscription a été donné par Paquot avec plus de correction que par les polygraphes antérieurs, tels que Fr. Sweertius, A. Miraeus et Foppens, sauf que la date de la mort de Nannius est lixée par lîrreur au 21 juin 1557, au lieu du 21 ou du 51 juillet que donnent les autres auteurs. DES TROIS -LANGUES A LOUVAIN. IM cathédrale d'Arras ', par Antoine Perrenot de Granvelle, évêque de cette ville: ce prélat, à qui Nannius dédia, le 22 août 1555, sa traduction de saint Athanase, le gratifia d'une pension annuelle sur sa propre cas- sette. Nannius eut les relations les plus honorables avec des personnages dis- tingués de nos provinces et de l'étranger, tels que Nicolas Èverard, pré- sident du grand conseil de Malines, ainsi que les deux fils d'Éverard, Jean et Nicolas, poètes célèbres, Paul Léopard, Corneille Musius, Nicolas Olahus, conseiller du roi Ferdinand, Jacques Fieschi de Gênes, qui fut plus tard évêque de Savone, etc. Quand, en 1542, il accompagna en Italie ce dernier, qui avait été son élève à Louvain, il fut remplacé dans sa charge par son ami Justus Velsius ou NVelseus ^, hollandais comme lui. Nannius était doué d'un esprit poli et séduisant, souple et capable d'initiative, rehaussé par une grande douceur et une grande gaieté de caractère ^. Il était également habile dans les deux langues, et il avait une connaissance profonde des auteurs sacrés et profanes. Il n'est pas douteux que Nannius n'ait atteint un haut mérite dans le maniement du latin, si même il n'est point parvenu à la perfection qu'on admirait dans l'élocution de Goclenius. Adrien Junius, qui le met au-dessous de ce der- nier '*, ne peut disconvenir qu'il ne se soit fait un nom mémorable par l'étude de l'éloquence; il n'est pas improbable que les succès de Nannius n'aient excité une jalousie que sa persévérance au travail n'a pu vaincre; mais nous ne voyons pas bien en quoi il aurait été coupable, comme l'insinue Junius, de s'être posé, même avec des forces inégales, le rival et l'imitateur de son prédécesseur Goclenius. Comment ne pas ajouter foi au suffrage de Juste Lipse, qui rapporte à P. Nannius le fort grand honneur d'avoir ' Par privilège académique, suivant la Bibliotheca Belgica de Foppens, p. 994. 2 Velsius proclamé docteur à Louvain en loil , professa plus tard, à Cologne, le grec et le latin. {Foppem, p. 789.) Il lut au collège des Trois-Langues, en mars 1542, les Quaestiones acadevticae de Cicéron, comme l'apprend une dédicace à J. Fieschi, mise en tête de l'édition de ce traité, sortie des presses de Sassenus. Voy. Exordia, p. 51. ^ Voir les Exordia de Valère André, /. c, et les Elocjia de Miraeus. Ce dernier l'appelle vir comis et hlandi iiujenii. ^ Dans un passage de sa Batavia (édit. 1652), cité textuellement par Paquet , 1. 111, p. 124, note. XXVlfl. 21 1S2 MÉMOIRE SUR LE COLLEGE excité une généreuse ardeur pour les lettres dans Técole de Louvain '? Le talent de Nannius s'est révélé dans les nombreuses traductions qu'il fit du grec en latin, et c'est là une tâche qui était de la plus haute utilité à son époque, comme nous l'établirons plus loin. C'est aussi cette tâche qui lui a valu une longue célébrité, puisque ses versions ont été réimprimées presque sans exception à Paris ou à Bâle, peu après les premières éditions imprimées à Louvain. Le savant Iluet a parlé de lui en de bons termes dans son traité de Inlerprclatione ~ : « Locum eliam suum in interpretilms tnctur Petrus Nannius, fidiis scntenliarum explicator, à'j-c^uk ilhtd miré in se expressil. En se tournant vers la littérature grecque, Nannius a payé largement son tribut aux Pères de l'Église grecque, et il l'a fait avec un succès marqué. S'il faut en croire Junius, il mourut quand il songeait à quitter sa charge publique pour s'occuper uniquement de littérature sacrée, dans les loisirs que la possession d'un canonicat lui avait créés. Au milieu de ses travaux d'infatigable commentateur, Nannius n'avait pas non plus perdu de vue les livres de l'Écriture sainte; on lui doit des scolies accom- pagnant une édition de la Sagesse de Salomon ^, et une paraphrase du Can- tiqne des cantiques qui réunit le sens allégorique au sens littéral, et qui est accompagnée de scolies comparant les différentes versions *. Puisqu'il ne peut entrer dans le plan de ce mémoire de produire une complète énumération des œuvres d'un auteur aussi fécond, nous pré- senterons seulement un tableau sommaire des écrits de Nannius, distri- bués en quatre groupes, comme l'avait essayé Valère André dans son his- toire du collège ^. I. Une classe nombreuse d'ouvrages de Nannius est formée par ses ' Episl. sclecl. Miscell. centuria III , ep. 87 (édit. de 1605, p. 92) : ... Petro Nannio qui primus hotieslum ibi igncm accenderat... » * Au second livre intitulé : de claris interprelibus (édit. ait. Hagae Com., 1683), p. 23_l. •' Sapientia Salom. Basileae, 1552, in-4". — Paqiiot, Bibliogr., n" 23. ■* In Canlica Canlicorum paraphrases et sclioliu. Lovanii, 13.^4, in-4°, pp. H I (Paquot, n^ST). ^' Cette classification, tentée dans, \es Exordia, p. 52-5-4, n'a point passé dans la Bibliolheca betyica du niénie auteur, ni dans celle de Foppens. Paquot a décrit trente-neuf ouvrages deNannius, mais sans autre ordre que Tordre chronologi(|ue des éditions; une bibliographie complète serait fondée utilement sur les bulletins détachés, que comprend cette notice de Paquot. DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. f"55 travaux de philologie, qui donnent une idée de sa manière de commenter les auteurs : on y comprendrait, par exemple, dix livres de mélanges [Miscellaneorum sive Iv^iilv.xtùv decas îina) où il relevait et corrigeait les fautes restées dans le texte imprimé de plusieurs auteurs, et où il expliquait des sentences et des passages obscurs ^ ; puis des annotations ou corrections sur deux Veirines de Cicéron; des corrections sur le III™° livre de la T' dé- cade de Tile-Live; un commentaire sur les Géorgiques de Virgile, un autre sur les Bucoliques; des remarques détachées sur le IV""" livre de Y Enéide, et un commentaire sur \Arl poétique d'Horace, qui vit le jour un demi- siècle apiès la mort de Nannius, à la suite du texte de ce poêle ; commenté par Laevinus Torrentius ^. Ensuite on ne peut oublier ce qu'a fait Nannius pour la grammaire latine, en corrigeant le texte des trois livres de Rhé- torique de Consultus Curius Fortunatianus ^, grammairien du 111""= siècle. II. Les discours de Nannius forment une classe à part : c'est dans ces pièces de circonstance, portant le nom à'oraliones ou de declamaliones , qu'il avait le champ libre pour exposer ses idées, et c'est là aussi qu'il a donné la mesure de sa latinité. Trois fois, dit-on, Nannius fut chargé de compli- menter l'empereur Charles-Quint sur son heureuse arrivée dans le Bra- bant '. En 1556, il répandit dans le public une déclamation sur la néces- sité de faire la guerre aux Turcs"* : on sait que c'était le lieu commun repris en ce siècle par tous les écrivains, Sadolet, Érasme, Vives, etc. En 1545, il adressa à l'Université un discours sur le siège de Louvain par Martin van Rossem, qui avait eu lieu l'année précédente. Nannius restait bien mieux dans sa sphère, quand il discourait sur les avantages de l'éloquence, de l'histoire et de l'agriculture ^, avant d'expliquer à ses auditeurs VOratew de Cicéron, des morceaux de Tite-Live et les Géorgiques ' Lov., Serv. Sassen, 1548, pp. 3'21, in 8". — Réimp. au Thesmirus crit. de Gruter. ■' Antverp., 1608, gr. in-4", pp. 767-839. ■' Rhetoricorum lib. JJI casUyaliores redditi. Lovanii, Mart. Rotarius, 15S0, in-12. Paquot, ii°24. ■' On a publié ses discours prononcés en 1340 et en 1543. Voy. la Bibiiogr. de PaquoI, n°' 7 el 13. ■' De bello Tiircis inferendo. Lovan., IS56, in-16, 161 1 , J. Masius, in-4''; puis dans des recueils de pièces semblables, tels que celui de Reusner (Paqiiot, n" 2). <^ Oraiioïies très. Lovanii ex olficina Rutgeri Rescii. An. MDXLI. Men. Decenib., vol. petit in-4°, 21 feuillets.— Paquot, n» G. 154 MÉMOIRE SUR LE COLLEGE de Virgile, ou quand il dissertait sur l'épisode de la descente aux enfers, en expliquant le VI'"" livre de VEnéide ^ III. Sous le titre de Dialogismi on rangerait, parmi les écrits de Nan- nius, ces discussions oratoires, quelquefois sous forme de monologues, que les rhéteurs de son temps traitaient avec tant de complaisance. Ainsi , dans ses Diatogismi lieroinarum , il a présenté les réflexions morales, les délibérations intérieures de cinq dames, parmi lesquelles la romaine Lu- crèce flgure à côté de Susanne , de Judith et de sainte Agnès; il a traité, sous une forme analogue, l'histoire de sainte Agathe et de sainte Lucie. N'était-ce point là une des applications des préceptes que l'on donnait dans les cours de rhétorique latine? N'était-ce pas le prélude de ces tragédies latines choisies, un peu plus tard, dans l'histoire des martyrs et des pre- miers chrétiens comme dans celle des héros de l'antiquité? IV. Enfin une série considéi-able des travaux de Nannius consistait dans la traduction d'ouvrages grecs en latin ; d'une part, ce sont les vies de Gaton et de Phocion par Plularque (1540), le discours de Démosthène Sur l'immuuitc contre Leptine { 15-42), des lettres de Démosthène et d'Eschine (1557); d'autre part ^, quelques lettres de l'évèque Synésius et d'Apollonius (154i), le traité d'Athénagore Sur la résurrection des morts (1541); en grec et en latin ^•, l'homélie sur la Nativité, trois autres homélies et trois épîtres de saint Basile le Grand (1558 et 1559), trois homélies de saint Jean Ghrysostôme, et enfin presque toutes les œuvres de saint Athanase , évéque d'Alexandrie (1556). Il paraît juste d'attribuer un fort grand mérite à Nannius du chef de ces essais de traduction, qui enrichissaient la littérature latine, organe universel de l'érudition, des monuments grecs de l'antiquité profane et de l'antiquité chrétienne. Gette œuvre lui permettait de mettre au jour toute sa sagacité de philologue, et de faire valoir toutes les ressources de la ' C'était un discours allégorique contre le luxe , sous la forme d'un supplément à la fiction de Virgile : Res inferae a poeta relirtae, etc. Il ne fut publié qu'en ttil 1, par Puteanus (Paquot, n° 37). '^ Des notes de Nannius sur deux lettres célèbres de S\ninia(|ue et de saint Ambroise ont trouvé place dans l'édition des œuvres de Prudence, publiée d'après dix MS. à Anvers en 1564. (Paquot, n° 31.) Un de ces MS., portant le nom de Nannius. est conservé à Louvain (Bibi, MS. n° -234). 5 Ce premier texte grec servit beaucoup aux autres éditeurs d'Athénagore. DES TROIS-LANGUES A LOLVÂlN. 155 phraséologie latine dont il était maître. N'importe si plus tard on a traduit de nouveau les ouvrages qu'il avait fait passer, quelquefois le premier, du grec en latin, et souvent même d'après des copies de manuscrits circu- lant alors de main en main, son rôle a été celui de l'investigateur patient qui doit ouvrir, à ses risques et périls, les trésors d'une science nouvelle : l'empreinte de la main qui a osé toucher à ces trésors n'y reste pas mar- quée dans la suite des temps, quand d'autres mains les ont produits dans tout leur éclat. iMais l'histoire d'une école de philologie réclame la men- tion de ces périlleuses tentatives; et, si on ne leur rend pas toujours une pleine justice, celles de Nannius l'ont obtenue de son temps, et après lui, jusque dans le XVII""' siècle. Voici un exemple du mérite relatif de versions entreprises dans les mêmes conditions que l'ont été celles de Nannius : Hermant a accusé ce philologue d'avoir rendu saint Athanase obscur en plusieurs endroits, et d'avoir fait tomber dans l'erreur plusieurs de ceux qui l'ont suivi, et il est de fait que Montfaucon, dans sa belle édition de 1698, a retouché la version de Nannius, au point d'en faire une œuvre nouvelle '. En décri- vant le sort du grand travail de Nannius, accompli sur trois manuscrits grecs remplis de fautes ^, Paquot ne nie pas les fautes que ce savant a commises lui-même en devinant le sens d'un ancien auteur tel que saint Athanase : toujours est-il que, pendant plus d'un siècle, la version latine de Nannius fut reproduite, dans les éditions de ce Père, en France et en Allemagne. Mais qu'on ne croie pas toutefois que Nannius ait entrepris légèrement la tà(;he de traduire d'une langue savante dans une autre : il a con- signé dans une épître dédicatoire des reiiiarques fort curieuses sur les difficultés d'une première traduction, et surtout sur celles que présente le génie fort différent des auteurs ^. Nous citerons ailleurs un long passage < Voy. Nicëron, Mémoires, t. XXXVII, pp. 'ÎT-SO. * S. Athanasii.... opéra latine ex interprel. Pelri Nannii et aliorum. Basileaeex officina l'robe- niana, 1556, IV volumes in -fol. La version des trois premiers volumes sortait de la plume de Nannius. Voy. Paquot, Bibliogr., n" 28. ^ Dédicace à Nie. Olaluis, en lête du discours de Démosthène contre Leptine, dont la version parut pour la première fois à Louvain, en i342, chez Barthélemi Gravius, in-4°, et fut réimprimée 156 MEMOIRE SUR LE COLLEGE de ce morceau de critique, qui se trouve perdu dans un opuscule très-rare, quand nous traiterons de l'importance des versions parmi les travaux phi- lologiques du premier siècle du collège '. Les hommes instruits reconnaî- tront quelle est la justesse des réflexions de Nannius sur l'insuffisance d'une langue, même aussi riche que le latin, pour rendre les tournures, les locutions de la prose grecque, et surtout les expressions d'un sens si pro- fond qu'une autre langue ne peut les traduire que par une périphrase; ils verront qu'on ne peut critiquer avec une sévéï'ité ahsolue les travaux d'un tel homme ^. 4. CouNEULS Valerius {Corneille Wouters). (1537-1578.) Ce savant, dont le nom vulgaire aurait été bien mieux traduit sous la forme de Cornélius Wallheri ou Gualtheri, était né en 1512, à Oude Water [Aquae Veteres), petite localité du comté de Hollande enclavée dans la seigneurie d'Utrecht. Sa vie est bien connue ^, et nous n'en relèverons que les traits principaux, pour passer à l'appréciation de ses leçons et de ses écrits. Valerius fit ses études fort tard, à Ulrecht, dans le collège des Hiéro- nymites, sous la direction de Georges Macropedius ou van Langhveldt, qui était alors le chef de cet établissement : il rendit hommage dans la suite à ce maître zélé, philologue, grammairien et poëte, dont plusieurs élèves brillèrent dans le même siècle *. Valerius vint ensuite étudier à Louvain, à Bâie, en 1542, in-12, avec la version du discours contre Androtion. Voy. Paquot, n" 13. Nous la citerons d'après une réimpression de Paris, faite en loi2, chez ChrtHien Wechel. ' Voy. chapitre IX. - Des travaux inédits de Nannius, discours, préfaces, observations philologiques, s'étaient éclipsés avec la plupart des manuscrits du collège des Trois-Langues, avant la fin du dernier siècle. Voy. les Exordia de V'alère André, pp. .34-55, et la notice de Paquot, t. III, p. 128. ^ Elle a été élaborée avec soin par Paquot, au tome II de ses Mémoires d'histoire lilléraire, pp. 597-599, d'après les écrits de Valère André, Auberl le Mire, Foppens et Burmann. * Macropedius avait enseigné à Bois-le-Duc et à Liège, avant de diriger l'école d'Utrecht. Voy. le mémoire de MM. Stallaert et Vander Haghen Sur iiiistruclion publique cm moyen âge, pp. 98-99, édit. in-8°. Dans la notice qu'il a consacrée à G. Macropedius (Mémoires, t. II, pp. 611-613), Paquot cite ses livres de grammaire et ses pièces latines, intitulées Tragédies et Comédies, et prises dans l'histoire sacrée. DES TROIS-L ARGUES A LOUVAIN. 1S7 pendant six ans (1552-58), les langues grecque et latine, au collège de Busleiden, où il eut pour maîtres Goclenius et llescius. Au bout de ce terme, il se forma à l'enseignement de la rhétorique dans le collège même d'Utrecht, où il avait reçu sa première instruction. Un peu plus tard (1544), on le voit chargé à Louvain de l'éducation de quelques jeunes gens nobles, qu'il accompagna en France jusqu'à Orléans (1547), et puis reprendre pendant plusieurs années encore le même genre d'enseignement privé. Valeriiis était connu par ses leçons et par des ouvrages imprimés en divers lieux, Utrecht, Louvain, Bâle, etc., quand, le 7 octobre 1557, il fut appelé à succéder à Nannius dans la chaire de latin. Ce choix lui fit d'autant plus d'honneur, qu'il eut alors plusieurs compétiteurs fort instruits, entre autres Jean Boschius, médecin et humaniste, traducteur du traité philosophique d'Ocellus Lucanus \ Valerius fut un professeur intelligent et dévoué : formé de bonne heure à la pratique de l'enseignement, il eut la gloire solide de diriger dans l'étude des lettres la fleur de la jeunesse belge, et il profita du privilège laissé par Busleiden aux professeurs de son collège, de joindre aux leçons publiques un enseignement particulier, consistant en leçons et en exer- cices 2. L'action exercée par Valerius fut double : d'un côté, il fut le maître et l'ami déjeunes gentilshommes ^ ducs, princes et comtes, qui devaient conserver dans le monde l'ascendant d'une bonne éducation littéraire, ' Jean Bossclie, Bosciusou Boschius, était né à Looz, dans la principauté de Liège. Il avait t'ait imprimer à Louvain, en ISoi, son édition du traité d'Ocellus Lucanus, avec une version latine, De univerxi orhis nalura (ap. Peirum Colinaeum, in-t!2). Ce livre avait été traduit une première fois par Guillaume Chrétien , médecin de François I". Paris, 1541 , in-12 (Fr. Schoell, Hist. de lu littéral, grecque, t. Il, p. 312). Boschius consulta sans doute, outre l'édition du texte grec donnée à Paris , en I S39, un manuscrit de l'ouvrage conservé à Louvain, et cité parmi ses sources par Jérôme Comelinus, dans l'édition de Heidelberg, 1596. Voy. l'avant-propos de Balteux à la trad. franc, du traité d'Ocellus, p. U. — On verra au chapitre X Boschius appelé, en d558, à Ingoldstadt, pour l'enseignement de l'art oratoire. - Exordia, p. 56 : Bis privatus adjecit adolescentum instituliones ac studiorum commenta- tiones, etc.— Voy. Paquot, t. II, p. 997. 5 En 1560, il dédia son ouvrage de grammaire aux jeunes seigneurs de Melun, et la même année, il fit l'éloge funèbre de l'un des jeunes frères de ce nom , Jacques, mort à la fleur de i'àge. Voy. la Bibliogr. de la notice de Paquot , n°' 4 et 5. 138 MÉMOIRE SUR LE COLLEGE et, d'un aiilre côté, il forma la plupart des critiques, des littérateurs et des humanistes, qui soutinrent hautement dans les dernières années du XV1""= siècle la réputation de la Belgique savante, A. Schott, Juste Lipse, G. Canterus et tant d'autres. Toute une génération d'écrivains et d'érudits a été assise sur les bancs de la même école, et Juste Lipse, qui a rappelé avec complaisance ses condisciples, n'a pas oublié le maître ', Yalerius, qu'il appelle « notre guide à tous, et en quelque sorte le chef du chœur » {dnclore omnitim noslnhn Cornclio Valcrio et (juasi cliorcujo). Sans contredire absolument le jugement que Juste Lipse tire d'un parallèle avec Nannius, comme si Valerius avait été l'égal de celui-ci par le zèle, mais inférieur à lui en intelligence [studio non impar, ingenio inferior), on peut donner un rang très-élevé à Cornélius Valerius parmi les humanistes qui ont éclairé les provinces belgiques dans ce siècle de grandeur intellectuelle. L'enseignement de Valerius était méthodique et raisonné, et il avait pour but de développer à la fois le jugement et le goût; il était basé sur une lecture bien dirigée de Cicéron et de Virgile, qu'il faisait considérer tour à tour comme des modèles achevés dans l'art d'écrire 2, et il dissertait sur le fond des œuvres qu'il expliquait avec un admirable discernement. Plusieurs fois il a livré à d'autres humanistes le fruit de ses observations sur d'anciens auteurs, et s'est associé à leurs travaux; ainsi ses remar- ques sur Lucrèce ont-elles passé dans l'édition que Obert Giphanius donna de ce poëte, en 1566, chez Plantin, à Anvers ^; ainsi a-t-il plus tard joint ses notes sur le traité des Devoirs de Cicéron à celles de G. Canterus, un de ses disciples chéris, et à celles de Jean Caucius ou Cauchius, philo- logue distingué du même pays *. Valerius appuyait les conseils et les préceptes qu'il dispensait dans ses ' Epist. selcct., ccntur. 111. Miscell., ep. 87 ( Anlv., exoff. Plant., 1605, p. 9-2 ). - Solebat.... mine oratorem, nunc poelam in manus sumere, ac publiée in frequenlissimo audi- lorum eonsessu praelegere , ulrumque suo in tjenere principem, Tallium ac Maronem. — Exordiii . ]). 06. — Sur l'enseignement oral de Valerius, lire S. Pétri de Script. Frisiae , dec. XII. ^ Observationes in T. Lucrelium Carum. Voy. Paquot, n" 7. ' Animadversiones in officia Ciceronis. Antverp., I5G8 et 1576. — Jean Cauchius ou Van Cuyck avait exercé sa critique avec succès sur les œuvres de saint Paulin et de Prudence, ainsi que sur le traité de Varron de Lingua Mina; il mourut en 1566. Voy. Mémoires de Paquot, t. III , p. 394 . DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 159 leçons de littérature latine par des écrits spéciaux sur plusieurs des sciences cultivées par ses auditeurs, la grammaire, la syntaxe, la rhéto- rique et même la philosophie. Il montrait ainsi d'une manière pratique le rapport des études littéraires avec toutes les autres, et il faisait servir la lucidité d'exposition qu'il avait acquise en latin à la vulgarisation des notions essentielles de chaque science. Auteur d'une sorte d'encyclopédie philosophique que nous décrirons brièvement à l'instant, Valerius était lui-même un écrivain très-habile, et pourquoi ne pas croire André Schott sur ce point '? « Le successeur de Nannius, disait-il, a marché sur ses traces, et l'on ne se figurait point qu'il fût possible de s'exprimer avec plus de pureté et de correction que lui. » Son talent de latiniste était égal, qu'il écrivît des vers ou de la prose ^; il reposait sur une connaissance appro- fondie du génie de la langue. Déjà en 1640 Valerius avait été chargé d'une relation de la réception solennelle de Charles V à Utrecht, et, en 15i6, il avait complimenté le même prince sur son arrivée en compagnie des chevaliers de la Toison d'or : c'était l'œuvre du poëte autant que de l'orateur ^. On eut encore recours à l'éloquence de Valerius, quand l'Université célébra, en 1559, un service funèbre à la mémoire de l'empereur Charles-Quint : le discours officiel prononcé par ce professeur nomine Universilatis s'est conservé dans un ouvrage d'histoire du siècle suivant *. Après vingt et une années de professorat, Cornélius Valerius, qui avait toujours été d'une complexion faible et qui avait souffert longtemps des douleurs de la goutte, mourut à Louvain, le 11 août 1578, à l'âge de 66 ans : il avait conservé jusqu'à la fin des sentiments conformes à la dignité sacerdotale dont il était revêtu. A cause des calamités publiques, ' Lettre à Plantin, 1581 (édit. de Poraponiiis Mêla) : Huic Corn. Valerius succenturiatus ita fideliler provinciam :ouvain , en 1608. Lire sur cet incident l'ana- lyse de lettres inédites, ibid., pp. 41-43. DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 175 Krycius Puteanus mourut à Louvain , le 17 septembre 16 i6, à l'âge de soixante-treize ans, et eut le privilège d'être inhumé un des premiers dans la chapelle de S'-Charles Borromée, érigée récemment à la collégiale de Saint-Pierre. Nous ne poussons pas plus loin cet exposé sommaire sur sa vie; elle sera écrite quelque jour à nouveaux frais, quand on aura dépouillé tant de pièces et de correspondances encore inédites, où sa personne est en jeu. Il doit nous suffire de caractériser le talent particulier de Puteanus, et de faire comprendre l'espèce d'action qu'il a pu exercer dans le monde des lettres. Il serait toutefois superflu de rapporter à cet elîet la liste des nombreux écrits de cet auteur, que ses deux biographes cités ont déjà pris soin de dresser : seulement, si la nomenclature de Paquot l'emporte par la description bibliographique des écrits imprimés qui y sont portés au chif- fre de cent seize, sans parler d'une foule de pièces inédites, la Bibliotheca belgica présente une division générale des ouvrages et opuscules sous plu- sieurs titres \ division qui semble bien préférable à leur énumération chronologique. C'est d'après un plan semblable, et en tenant compte des genres, que devra procéder le littérateur patient, qui jugera bon de s'oc- cuper à l'avenir de l'héritage littéraire de Puteanus : il sera tenu d'insister sur les œuvres les plus remarquables, en y rattachant la foule des mor- ceaux publiés à part, et d'introduire un peu de lumière dans ce chaos d'élu- cubrations en prose et en vers. Il serait certainement assez difficile de lassembler complètement une si volumineuse collection ^, et plus difficile encore de mettre la main sur les onecdota du même auteur, dispersés et encore cachés dans quelques bibliothèques. On ne doit pas désespérer de voir ce labeur, si lourd qu'il soit, entrepris un jour par un de nos infatiga- bles bibliographes, en société d'un humaniste qui ne recule pas devant la peine de rechercher les infiniment petits dans l'érudition latine de nos aïeux. Assurément, une sage critique rabattra beaucoup de l'enthousiasme ' Cette division est la suivante : Oraloria, — Epislolica, — Philologica et philosopkica, —Histo- ricaetpoiitica. Miscellanea. Les différentes éditions des Epistolae de Puteanus, qui ont été impri- mées, donneraient déjà lieu à des investigations bibliograpiiiques et historiques fort longues et détaillées. ^ Les premiers écrits de Puteanus ont vu le jour en Italie, à Milan et ailleurs, dans les années t 598-1599, IGOO et les suivantes. Tome XXVIII. 24 17G MEMOIRE SUR LE COLLEGE avec lequel le XYII""" siècle a célébré l'esprit et le mérite de Puteanus : cependant, l'élude analytique de ses productions littéraires jettera un grand jour sur la vie intérieure et sur les relations des savants dans la période qui suivit immédiatement la carrière de Juste Lipse. On ne peut prononcer en dernier ressort sur Puteanus, sans l'entendre, lui, ses amis, ses patrons et ses confrères; puisque son cabinet a été le centre d'une correspondance littéraire, approchant beaucoup par son volume de celle d'Érasme ^, il faudra rechercher et lire attentivement ce dossier considé- rable, avant de croire la cause définitivement jugée. Le savoir et l'origi- nalité n'ont point manqué entièrement à celui qui a pris intérêt à tant d'études, et discuté de sa main tant de questions. On suivrait Puteanus avec un certain attrait dans sa carrière de dilet- tante, favorisée par son éducation et par les circonstances; on le verrait donner libre cours à ses goûts de littérateur et d'artiste dans la société des grands en Italie, et mêler encore un certain idéal de grandeur princière à ses habitudes laborieuses de professeur et d'écrivain. Ses titres officiels ne le détournaient point de la science elle-même ^; mais ils lui servaient à exercer plus d'ascendant qu'aucun autre sur les jeunes gens les plus dis- tingués par leur naissance, qui fréquentaient les écoles de Louvain. C'est encore à l'avancement des lettres qu'il fit tourner la jouissance qui lui fut donnée en 1G14, de la résidence des anciens souverains au cbàteau César à Louvain, avec le litre de gouverneur de cette résidence. Il se crut autorisé à lui donner le nom de forteresse de Minerve, At^x Palladis, quand il v eut transporté le siège de la société qu'il avait fondée sous le nom de Palaestra bnnae mentis, pour favoriser les progrès de la jeunesse dans l'art de parler et d'écrire. ' On porte à 16,000 le nombre des leltres qui formaient, à l'époque de sa morl, la correspon- dance dé Puteanus avec des personnages de distinclion en Belgique et à l'étranger. (Paquot, 111, p. 92). Dans les lettres inédites, dépouillées par M. de Reiffenberg, il en est plusieurs de Daniel Heinsius [Notices el extraits, fasc. I). L'intérêt d'autres pièces de la même correspondance, au nombre de plus de 1500, acquises par notre bibliothèque royale, est l'objet d'un article fort spi- rituel du même auteur dans les Bull, de l'Acud. roy. de Brux., 1841 , t. VIII, part. I, pp. 1 1 et suiv, - Sa devise était : Sludiosa vita optima. Elle était exprimée en grec dans la première ligne de l'épitapbe qu'il se fit à lui-même : SllOTûAins ZHNAPIï;T0N (Voy. Foppens et Paquot). DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 177 Malgré ses autres fonctions, Puteanus prit au sérieux sa charge de pro- fesseur de latin au collège des Trois-Langues; il y donna, croit-on, des leçons quotidiennes et les mil en rapport avec les autres moyens d'action qu'il avait sur la jeunesse. Malheureusement, comme on en jugera par les observations qui vont suivre, il a porté dans l'enseignement des lettres latines une autre méthode, d'autres procédés que ses prédécesseurs, et on ne sera pas injuste à son égard, en lui refusant une influence aussi heureuse que la leur sur la culture des langues anciennes. 11 n'est que trop vrai que bien des latinistes de notre pays, et plusieurs de ceux qui ont enseigné après lui à Louvain, ont contracté et même exagéré ses défauts : on re- trouve chez eux sa manière d'écrire toujours compassée, souvent préten- tieuse, faussement brillante, énigmatique et obscure même. Pour avoir le droit d'apprécier Puteanus, on devra soumettre à la même critique les deux branches principales de son enseignement : or, s'il n'a pas su reprendre habilement la tradition de la bonne et pure latinité qui avait régné au siècle précédent, il n'a pas non plus maintenu l'ensei- gnement de l'histoire au degré d'étendue, de justesse et de solidité où l'avait porté Juste Lipse. Puteanus, nous semble-t-il, a visé à faire des études latines un instrument de minces et faciles succès à l'usage d'un monde élégant, pour qui l'érudition devait être chose aimable et légère : le côté sérieux et positif de l'histoire l'a fort peu occupé lui-même; que sera-ce chez ceux pour qui des recherches d'histoire n'étaient qu'une affaire de ton? On est surpris de voir quelle petite place Puteanus a faite aux anciens, au texte de leurs ouvrages, dans ses élucubrations accumulées d'année en année avec une si élonnante variété de titres ^ ; on a lieu de remarquer aussi le nombre relativement petit des seules dissertations vraiment utiles qu'il ait prises dans le domaine des antiquités latines, et qui aient mérité d'être reproduites plus tard dans les recueils les plus vantés ^. La vanité ' On citerait en ce genre ses notices préliminaires sur Q. Curtius, L. Florus, G. Tacite, qui ne sont pas des classiques du grand siècle. - Ainsi ses Olympiades ont pris place dans la suite au tome IX du Thésaurus mtiquitalum Graecartmi de Gronovius; sa Pecuniae romanae ratio, dans les Antiquités romaines de Sailengre, 178 MEMOIRE SUR LE COLLEGE de Puteanus l'a fait céder à la tenlalion de composer une nouvelle litté- rature de sa façon, éloges et discours, anecdotes et recherches étymolo- giques, notices et discussions, lettres et compliments, traités de morale et de politique. Évidemment, fasciné par de coupables louanges, il s'aveugla sur l'intérêt de ces menus travaux qu'il osa comparer un jour aux Opus- cules de Plutarque ^ 11 avait pu être séduit par le succès prodigieux qui avait accueilli des productions de Juste Lipse du même genre ou du même titre que les siennes; mais il lui arriva rarement à lui-même d'aller au delà d'un examen superficiel de la matière, de joindre dans ses écrits à l'éclat de la diction, la portée des recherches et la valeur des résultats. Presque jamais il ne prit la peine de faire un plan pour un ouvrage de quelque étendue. Le plus souvent, Puteanus eut le malheur de s'acharner à des investigations interminables sur des sujets de peu de valeur, et, bien des fois, de tomber même dans des divagations tout à fait oiseuses, où la rhétorique comblait le vide des faits. Si nous ne nous trompons, Puteanus a été exposé aux mêmes illusions et aux mêmes faiblesses que ces brillants écrivains du siècle présent, qui, dans des articles de journaux ou de revues, défendent ou critiquent des idées et des opinions recueillies à l'aventure; mais du moins il a été retenu sur la pente du paradoxe par sa droiture naturelle et par ses sentiments chrétiens. Que peut-on dire à la louange de Puteanus, comme savant et comme écrivain, pour rendre raison en certaine mesure de la haute renommée que ses contemporains lui ont faite -? Il a touché à tout, avec l'espoir d'être utile et agréable aux autres; la plupart des sciences et des arts qui étaient en faveur de son temps, la poésie et la musique, les mathéma- ques et l'astronomie, l'histoire et la morale, etc., sont entrées tour à tour dans le cercle de ses recherches. Il n'a pu le faire en tout cas que grâce t. ni; ses trois écrits de Nundiiiis romanis, de bissexto, de stipendia militari, dans le recueil célèbre de Graevius, tomes V, IX et X. * Il n'v a rien de si improbable, quoi qu'en dise Paquet, dans l'anecdole rapportée à ce sujet par deColomiès (Particularités, n" 12d. — Opéra, édit. de Hamburg, 1709; Fabricius, p. 326). - Il faut voir comment est conçu l'éloge de Puteanus dans VAcademia Lovaniensis , où il est appelé : Saeculi nostri dcms (p. 170 et p. 75). Mais les étrangers ont encore rencbéri sur tout cela, dans leurs formules laudatives à l'adresse de Puteanus. DES TROIS-LAISGUES A LOUVAIN. 179 à d'immenses éludes, dont il aurait dû chercher une meilleure applica- tion ^ M. de Reiffenberg, observant l'importance qui revient à Puteanus dans l'histoire de l'action qu'il a exercée sur son siècle, met en équilibre l'éloge et la critique dans le passage suivant ^ ; « Sans doute, ce n'était pas un homme de génie; mais il possédait des connaissances étendues et avait même abordé certaines études, que dédaignaient les savants de profession. Doué d'un esprit prompt et d'une activité merveilleuse, il se hâtait de toucher à tous les sujets, en formant mille projets de travail et d'amélio- rations pour l'avenir. Quoiqu'il n'ait laissé qu'une foule d'écrits souvent médiocres, et qu'il ait essentiellement manqué de goût et de profondeur, il n'en a pas moins étonné ses contemporains, qui, frappés de ces évolu- tions continuelles, se sont surfait sa valeur littéraire. On peut dire aussi avec justice qu'il fut un de ceux qui contribuèrent le plus puissamment à retarder parmi nous la décadence des lettres , et ce sommeil de plomb qui devait suivre nos formidables commotions politiques et religieuses. >> En somme, le plus bel éloge que l'on puisse faire de Puteanus, c'est de le montrer, ce qu'il a été au dire de tous, un homme de cœur; c'est de le louer pour son caractère et ses sentiments, de faire ressortir la sincérité et la constance d'un dévouement toujours désintéressé. Il ne refusait son appui ou ses conseils à personne, et il avait de nombreux amis qui l'estimaient. Il avait surtout une grande et vive sollicitude pour la jeunesse qui habitait les collèges de Louvain. Il l'attirait à lui par ses bons procédés, comme il l'intéressait aux lettres par ses leçons et ses entretiens; il rendait les voies de la science plus douces par les méthodes familières qu'il avait mises à l'essai, et par les exercices qu'il avait institués dans une académie des bonnes études, la célèbre Palaeslra bonae mentis ^. L'écrivain titré, * « C'était, dit Weiss (Biogr. univers., t. XII, p. 322), un homme d'une vaste lecture, mais de peu de jugement. » Le P. Nicéron n'a pas pu lui épargner des reproches analogues; Paquet n'a I ien dit de décisif pour les atténuer. - Bulletins de l'Acad. royale, t. VIII, toc. cit., p. 12; ailleurs encore [Cinquième Mémoire, p. 19), de P.eiffenberg a fort bien dit : « Nous n'avons en quelque sorte que la petite monnaie de son génie. » ' Nous nous étendrons ((uelque peu au chapitre XI sur l'esprit de celte institution et sur ses résultats pratiques. 180 MÉMOIRE SUR LE COLLEGE l'historiographe royal, se faisait pédagogue pour se faire écouter des plus faibles intelligences; il employait des formules littéraires pleines de bien- veillance et d'urbanité , en toute affaire , et jusque dans les certiûcats qu'il aimait à délivrer aux jeunes concurrents de son arène pacifique ' : on blâmerait plus fortement le pédanlisme qu'il a mis en ces choses, s'il n'était point d'ailleurs si naïf et si honnête. Nous terminons cette notice par la mention du témoignage que Puteanus s'est rendu à lui-même, et que rien dans sa conduite n'est venu démentir - : Mihi modestia, sobrieias, ttno verbo lionestas placet, et in hune finem, quidqiiid est iuerarum diriijo, ut bonus polius quam conspicuus sim , aliosque faciam. 8. NicoLAUS Vernulael's (Nicolas de Veruulz). (1646-1649.) Aucun maître de Louvain n'était plus digne de prononcer l'éloge funèbre de Puteanus que celui qui, depuis le commencement du siècle, était le représentant officiel de l'éloquence latine dans le corps universitaire ^. La chaire de Puteanus lui fut conférée, et il en était digne par ses longs services *; malheureusement il ne la remplit que pendant trois années environ, de 1646 à 1649. Quoique nous ne devions pas à Vernulaeus une longue mention à litre de professeur au collège des Trois-Langues, il est de notre sujet de faire lessortir ce qu'il a fait, dans d'autres fonctions, au profit des études de langue et de littérature latines. Nicolas de Vernulz, que nous nommerons Vernulaeus selon l'usage, était fils de Pierre de Vernulz, capitaine au service du roi d'Espagne; il I Maiiyrematum Acndemicorum formulae. Voy. le mot judicieux de Paquot, n° 58, p. 97. - Lettre inédite de l'an 1608 {Not. et Exlr., p. 41). ^ Ce panégyrique, prononcé en l'église de S'-Gerlrude, le 19 septembre 1646, fut imprimé à Louvain la même année, chez J. Vryenborch , in-i°. Voy. la bibliographie des œuvres de Vernulaeus dans Paquot, n"-47. ^ Des notices biographiques sur Vernulaeus font partie des recueils les plus connus en ce genre ; In Bibliotheca Belgka (Valère André, édit. 1645, pp. 699-70). — Foppens, pp. 92-2-924) ; le.s Mémoires du P. Nicéron, t. XXXIll, pp. 387-597, et les Mémoires de Paquot, t. I, pp. 028-553. Une très-courte notice précède le S'"' volume de ses Tragoediae (édit. de 1636). DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 181 naquit en avril 1585, à Robelmonl, bourg du territoire de Virton, dans le duché de Luxembourg. Les charges importantes qui lui furent confiées à Louyain le mirent à même de développer sou talent naturel, et de gagner beaucoup d'ascendant sur la jeunesse universitaire. A peine âgé de vingt- cinq ans, il obtint, en 1608, au collège du Porc , la place de professeur de rhétorique, que J.-B. Gramaye résigna en sa faveur, et trois ans plus tard (1611), il eut l'honneur de remplacer Gramaye dans la chaire d'éloquence à la Faculté des Arts '. C'est la seconde de ces charges qui donna d'emblée à Vernulaeus un rang distingué dans l'Université, et qui attira autour de lui un concours extraordinaire d'auditeurs choisis. Cependant, malgré le zèle qu'il déploya pour maintenir la renommée de la chaire et le titre envié qu'elle lui donnait [lilielor publktis), il se livra avec assez de soin à l'étude de la théologie pour obtenir, en 1618, le grade de licencié. Des charges académiques, des dignités honorifiques et quelques bénéfices furent conférés dans la suite à Vernulaeus, comme une récompense des services qu'il avait rendus à l'Université, aux lettres et à l'Église -. Mais aucune fonction ne consacra mieux dans l'opinion le mérite qu'il avait su atteindre comme professeur et comme écrivain, que cette leçon de latin au collège des Trois-Langues, illustrée par ses deux derniers titulaires, Lipse et Puteanus : de plus, il fut à son tour historiographe de S. M. catholique [Reyius liistoriograpims). Vernulaeus ne jouit pas longtemps de ce surcroît d'honneurs; il mourut, âgé de 66 ans, le 6 janvier 1649, et fut déposé à Saint-Pierre, auprès de Puteanus, un de ses amis intimes. Un théologien lettré, Antoine Dave, prononça en cette église, le 8 janvier, ' On lit dans les Fasti de Valère André, pp. 247-248, un courl exposé du conflit qui s'éleva au sujet de cette nomination , entre la Faculté des Arts et le magistrat de Louvain, ainsi que le texte de !'arran2;ement qui survint. Vernulaeus fut dispensé des conditions qui pouvaient lui manquer au point de vue des attributions de ladite Faculté. Voy. deReifFenberg. [Cinquième Mémoire , p. 23.) "^ Quand s'ouvrit, en IG19, le collège de Mylius ou de Luxembourg, fondé par le D'' Jean de Myle, qui était mort en Kspagnc l'an 1593 (voy. les Fasli, p. 324-26, sur cet établissement), Ver- nulaeus fut choisi comme président de ce collège par les comtes de Fugger, qui en firent la pre- mière organisation. En 1626, il fut investi des bénéfices attachés à deux canonicats, l'un de Saint- Hermès à Renais, l'autre de Saint-Pierre à Douai, en vertu des privilèges académiques. Trois fois il fut recteur de l'Université (en 1632, 1644 et 4643), et il porta le titre de conseiller et d'histo- riographe de l'empereur Ferdinand 111 (Caesareus historiographus). 182 MEMOIRE SUR LE COLLEGE son oraison funèbre, qui fut imprimée avec une élégie latine du même auteur ^ Vernulaeus était incontestablement un liomme de talent; il a acquis dans son siècle beaucoup de renommée à l'établissement universitaire de Louvain, dont il a pu sans témérité retracer l'histoire deux fois séculaire, dans un livre de forme oratoire, publié en 1G27 -. D'autres entrepren- dront une analyse critique de ses nombreux écrits, et comprendront dans une monographie historique la carrière académique de Vernulaeus, ei ses travaux d'humaniste, de grammairien, d'orateur, de poète et d'histo- rien^. Force nous est de nous en tenir ici à une appréciation sommaire des oeuvres philologiques et littéraires qui rentrent dans la matière histo- rique de ce chapitre. Vernulaeus éiait un écrivain doué d'un goût sûr, qui s'est développé par l'étude, et que n'a point gâté la grande facilité avec laquelle il com- posait. Si \ernulaeus n'a point poursuivi les travaux de critique et d'her- méneutique sur les anciens, qui distinguent l'école philologique de Louvain dans la période antérieure, on ne peut oublier que, pendant la plus grande partie de sa carrière, il a dû satisfaire aux exigences pratiques du cours d'éloquence dont il était chargé. Sa mission était plutôt de former des écrivains pour toutes les fonctions qui réclamaient alors une connaissance familière du latin, que d'approfondir la critique des textes. Il a tenu à honneur de donner l'exemple en même temps que le précepte : tout ce qu'il a écrit était marqué au coin d'un esprit sage et réglé; ses œuvres latines devaient être lues avec faveur par les hommes instruits, et prises comme des modèles par la jeunesse. C'était là un grand et légitime succès ' Voy. la nolice de Paquot sur A. Dave, au (oine II de ses Mémoires, p. 305-306. (Bibliogr., ii° 4. Lovanii, .1. Vryenbach, p. 16, in-4°). - L'Academiu Lovaniensis , dédiée par son ;iiiteiir au roi d'Espagne, Philippe IV, vit le jour au second anniversaire de la fondation de l'Université. Voy. sur celte première édition , et sur la seconde, le Bulletin bibliogr. de P.nquot, n" 19, t. III, p. ô.ïO. '' Paquot, dans ses Mémoires, a détaillé les productions imprimées de Vernulaeus jusqu'au chiffre de 31 articles; mais, au lieu de les énumérer dans Tordre chronologique, il aurait bien mieux fait de les classer d'après le genre et les sujets, comme il l'avait essayé dans ses notes préparaloires (Fasti Acad. Lnvati., 1. 1, fol. ."iPO-.^Oô) en les rangeant sous ces quatre rubriques : Poelica,— Ora- torio - Polilica , — Historim. DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 183 à une époque où les sciences les plus importantes étaient traitées en latin, et ojj les vers latins charmaient bien d'autres que les savants de profession. Il est juste de reconnaître que Vernulaeus a mis bien plus de jugement que Puteanus dans le choix des sujets qu'il a traités en vers et en prose ^ et qu'il a choisi aussi avec plus de discernement la matière sur laquelle ses élèves pouvaient le mieux s'exercer. D'une part, il a traité, sans sortir de sa sphère, des questions de politique dans de courtes dissertations, et il a laissé des traités historiques qui furent longtemps estimés; il a com- posé des discours dans tous les genres : sermons et panégyriques, éloges et oraisons funèbres, dont les événements contemporains lui fournissaient l'occasion et la matière , et dans lesquels un sentiment très-vif de natio- nalité s'alliait à un grand attachement à la maison d'Autriche. D'autre part, Vernulaeus se mit à l'œuvre dans l'espoir de procurer à la littéra- ture latine l'espèce d'universalité, de popularité et de vie qui semble n'appartenir qu'à des œuvres écrites dans les langues modernes. Dans le cercle où s'étendait son action, il donna de l'intérêt et du relief à la tragédie latine , qui était au nombre des compositions alors les plus goûtées. Il la cultiva lui-même avec intelligence-, et fit en sorte d'en tirer pour les autres à la fois de l'agrément et de l'instruction, de piquer la curiosité des jeunes gens et d'exciter en eux avec l'émulation un besoin de jouissances littéraires. Le théâtre latin de Vernulaeus a conservé, aux yeux d'une critique im- partiale, une valeur intrinsèque qui le met fort au-dessus du plus grand nombre des pièces latines composées dans le même siècle ^. Sous plus d'un rapport, le style oratoire du poète n'échappe pas à la censure, et le défaut d'être trop recherché et surtout trop fleuri peut être signalé d'autant plus justement, qu'il s'est toujours grossi sous la plume des lati- nistes qui se sont réglés sur Vernulaeus. Cependant les leçons de ce ' On remarquera ces mots dans le court éloge de la Bibliotheca Belgica : Ad haec doctrina varius , ingcnio politus et elcyans , judicio perspicax , etc. ■^ Valère André, Fasti, p. 281 : Tragico praeseriim Cothurno excelluit. ' Les Tragoediae de Vernulaeus, publiées à part en diverses années, ont été recueillies plus tard dans une seconde édition en deux tomes in-H". (Lovanii, 1636.) Voy. la Bibliogr. dans Paquot. Tome XXVIII. 25 184 MEMOIRE SUR LE COLLEGE maître ont eu cet heureux effet de donner du prix à une latinité étudiée, d'habituer les jeunes gens à attacher quelque importance à la forme; elles rendirent la culture de l'art oratoire profitable aux hommes destinés à jouer un rôle dans les affaires ^. Comme Paquot l'observe à ce propos, cet art si utile était beaucoup trop négligé dans nos provinces au siècle suivant. 9. Bernardus Heimbachius (Bernard von lleymbach). (1649-1664.) Originaire d'une contrée du Rhin et sorti des écoles de Cologne ^, Ber- nard von Heymbach, dit Heimbachius, fut à Louvain un des soutiens des études de philologie latine à l'époque qui suivit immédiatement Puteanus et Vernulaeus. Quand, au mois de mars 1649, il fut choisi pour remplacer ce dernier, il quittait Maestricht où il avait dirigé avec éclat, pendant deux ans, la rhétorique dans l'école de Saint-Servais. 11 conserva à la leçon de latin le caractère sérieux qu'elle avait eu naguère, en expliquant de pré- férence les historiens latins, comme l'avaient fait ses prédécesseurs : c'est cet usage qui fit donner alors au professeur de latin un second titre, celui de Professeur d'histoire [Professor lingiiae lalinae seu hisloriarum) , et qui fit appeler vulgairement la leçon elle-même Leclio hisloriarum. L'activité de Heymbach fut grande : tout en poursuivant d'autres études ^, il mit assez d'intérêt dans ses leçons de latin auxquelles il mêlait des considérations d'histoire et de politique*, pour y attirer grand nombre ' Les irailés oratoires de Vernulaeus sont restés en usage longtemps après lui : ses trois livres De Jrle dicendi ont été publiés de nouveau et même abrégés par J. Impens, en 1662 et 1672. en \ue d'un emploi tout à fait pratique. — Paquet, n" o , t. III, p. 3'29. - Heymbach serait né vers 1620, à Zulpich, dans le pays de Bonn, faisant partie de l'électoral de Cologne. Voy. Paquot, Mémoires, 1. 1, pp. oI3-ol-i, d'après les papiers du collège et les registres de Saint-Pierre. '" Déjà bachelier en théologie à Cologne, il étudia la jurisprudence à Louvain, où il obtint le grade de licencié es droits, en \ 654. On a conservé sa thèse, qui roulait sur les coutumes féodales : Bepelilio seu disputatio postrema cul consneliidiiics feudaks. (Lov., Sassen , 1633, petit in-i".) "* Voy. l'apostrophe de van Langendontk à Heymbach, son prédécesseur. {Academia Lovan., p. 75.) Heymbach était conseiller et historiographe de l'archiduc Léopold. DES TROIS-LANGUES A LOUVAIIS. 18S d'étudiaiUs étrangers el surtout de gentilshommes allemands; il fut chargé de la leçon de grec dans le même collège, en mars 16o4, après le départ de Jean Normenton. Bernard Heymbach, qui mourut en juillet 1664, contribua, pendant plusieurs années, par son dévouement infatigable, à soutenir la renom- mée de l'école de Busleiden. Il prit la défense de la poésie contre ceux qui voulaient la bannir entièrement des études du jeune théologien *. 11 cultiva lui-même les lettres latines et composa des discours et des poëmes^. On ne voit pas que Ileymbach ait concentré l'attention de ses élèves sur les anciens monuments de la latinité^; mais du moins il n'a négligé aucune peine pour leur montrer combien d'applications on pouvait faire alors des règles du style latin à des productions nouvelles. Le reproche que lui fait Paquot d'avoir « un peu gâté ses opuscules à force d'y vouloir mettre de l'esprit, » ne paraît pas sans fondement : il venait à une époque où, pour donner de la vogue à ce qu'on écrivait en latin, on cherchait des formes nouvelles et oîi l'on renchérissait en élégance, souvent fort maladroi- tement, sur les latinistes de l'âge précédent. Heymbach a rendu quelque service en provoquant le goût des études d'histoire dans la jeunesse; il voulut prouver, par un travail sur l'histoire romaine, quel est le prix de cette science pour une instruction solide, et il recommanda comme émi- nemment utile l'alliance de l'histoire et de la science du droit*. Heymbach laissa des souvenirs honorables au sein de l'Université^; mais il n'imprima pas aux études philologiques une assez forte direction, pour qu'elles résis- tassent à l'influence funeste des événements politiques et au mauvais vou- loir de la génération suivante. ' Voy. ses Vindieiae poeticue et son Poeta cltrislianus , n"M I et 12 de la liibliogr. dans Paquot. - Un drame et des pièces de vers en l'honneur de saint Servais ont marqué le début de sa car- rière d'écrivain (ann. 1649-1630). Voy. Paquot, /. c, n°^ I et 2. •" On sait seulement qu'il avait pris pour matière de ses leçons publiques l'opuscule apologé- tique de TertuUien Pro Pallio, et qu'il avait l'intention d'en publier un commentaire, dont il ne parut que le spécimen. (Prodroma , etc., 1655, in- 12.) Voy. Paquot, ibid., n° 8. ' Hisloria, seu verus ex ea fructus , etc. (1650). De historiae cumjurispriuleiitia coiijunclione dissertatio epistolica (1635). Voy. Paquot, ibid., n°^ 3 et 6. •' Son oraison funèbre fut prononcée par J. de Sauter, son ami et son collègue. 186 MEMOIRE SUR LE COLLEGE 10. Christianus a Langendonck (Clirélien van Langendonck). (1664-1669.) Successeur de Heymbach, ce personnage n'occupa qu'environ cinq ans la chaire de latin. Nous empruntons les éléments de sa biographie, qui n'a pas encore été écrite, aux notes inédites de l'abbé Bax et à celles de Paquol ^ Christianus van Langendonck naquit à Louvain le 24 novembre 1650, dans la paroisse Saint- Jacques, de Pierre van Langendonck et d'Anne de Muntere, appartenant à d'anciennes familles de cette ville. Il apprit le latin au collège des PP. augustins, et, après avoir terminé son cours de philosophie à la pédagogie du Lis, il obtint la quarante-septième place dans la promotion générale de l'an 1649. Il était prêtre, bachelier en théologie, licencié en droit quand, à la fin de l'année 1664, il fut appelé aux Trois- Langues. Déjà au commencement de l'année 1669, il renonça à l'enseigne- ment pour occuper la cure de Sainte-Gertrude dans sa ville natale. Deux ans après, le 22 octobre 1671, il fut nommé pléban à Lierre, et ensuite il devint archiprêtre ou doyen du district : c'est en cette ville qu'il mourut le 28 août 1672. Van Langendonck passait pour un bon latiniste; cepen- dant il gâtait son style par la recherche et l'enflure, qui étaient des imper- fections de son temps. On est frappé de ces défauts quand on lit l'édition de YAcademia Lovaniensis de Vernulaeus, qu'il donna, en 1667, avec des additions nombreuses sur les personnages qui avaient fleuri après l'appa- tion de ce livre ^. Dans ces notices supplémentaires, il n'est point de phrase qui ne sente la recherche ; la diction est presque toujours ampou- lée, chargée d'antithèses, et même de jeux de mots misérables. Paquot a bien pu dire ^ : Stylo lalino valuit, etsi pro aevi more nimiiis aciiminum cap- ' Bax, folio 1442. — Fasli Acad. Lov., 1. 1, p. 504. 2 AcADEMU Lovaniensis, ejus origo, incrementiim , forma, magish-atus , facilitâtes, etc., recognUa dein et aucta pcr Christlanum à Langendonck J. C. et professorem hisloriarum. (Lovanii, lypis Pétri Sassenii, 1667, p. 198, in-4".) Le livre est dédié à P. Stockraans, conseiller de Brabant. an- cien professeur de grec. ' MS. des Fasli, p. 504. DES TROIS-LANGUES A LOUVAIiN. 187 laior. Les plus étranges rapprochements de mots et d'étymologies , d'idées et d'images composent la louange des hommes que l'auteur admire le plus et qu'il veut exalter ^ 11. JOANNES BaPTISTA ViCTOR DE ScHUTTELAERE. (1609-1683.) Cet humaniste, qui naquit à Furncs, en Flandre, en 1638, et qui étudia à Douai, fut professeur de poésie au collège de la S'^-Trinité, à Louvain, dès l'an 1660. Il succéda, en 1669, à Chr. van Langendonck dans la chaire de latin qu'il conserva douze ans. Il était pourvu de plu- sieurs bénéfices quand il mourut à Louvain, le 4 mai 1685, avec une réputation dont on ne peut plus bien juger aujourd'hui ^. En tout cas. c'était pédantisme et pure illusion de la part de ses confrères ou élèves de la Trinité que de le traiter, après avoir déjà employé beaucoup d'épi- thètes sonores et de titres magnifiques, de « digne successeur de Lipsius », et de comparer sa mort à la chute d'un astre ^. 12. Dominique Snellaerts. (1083-1688.) La vie de ce personnage, né à Anvers le 18 mars 1650, est remplie d'incidents qui seraient mieux relatés dans l'histoire d'autres sciences; en effet, Snellaerts fut philologue, philosophe, juriste, théologien *, et il n'occupa que pendant cinq ans la chaire de latin après de Schuttelaere. « Voy. ses notices sur Pierre à Castello [Musarum et Grallarum Castellum.ctc....) el sur Vernu- laeus {nondicam Ver nnllum, elc...), dans \Acudemla, pp. 170-171. 2 Voy. dans la notice de Paqiiot [Mémoires, t. III, pp. 406-407) le titre des deux élucubrations historiques que de Schuttelaere avait léguées au collège des Trois- Langues. 5 Cette pièce, qui a été recueillie par Paquot (p. 407), finit par ces mots : LUX aCaOeMlae e\p\rdS\l. ^ Lire surtout Paquot, Mémoires, t. III, pp. 70-73. 188 MEMOIRE SUR LE COLLEGE Promu, en 1GG8, maître es arts, Snellaerts avait professé la philosophie pendant une dizaine d'années au Faucon, et s'était efforcé d'y faire préva- loir la physique expérimentale tirée des ouvrages de Descartes *; il s'était adonné toutefois pendant ce temps à l'étude des langues et de l'histoire^. Snellaerts avait quitté Louvain à cause des embarras que lui donnait la présidence du collège de Saint-Yves qu'il avait acceptée en 1G88. Il ne put donner libre cours à ses goûts studieux à Gand, oîi son titre de cha- noine l'engagea dans la direction d'affaires litigieuses, et quand il devint chanoine à Anvers, en 1711, il fut empêché, par les infirmités de l'âge, de reprendre ses plans d'étude. Il mourut en celte ville le o mars de l'année 1720. L'amour de Snellaerts pour les lettres ne s'est pas démenti à la fin de sa carrière, puisqu'il légua à l'université de Louvain une bibliothèque riche et bien choisie, qui devait être mise à la disposition des hommes d'étude, et qui fut réunie au premier fonds de la bibliothèque acadé- mique ^. 15. Léonard Gautius. Ce personnage, né à Maestricht, avait été élève de la pédagogie du Lis et il avait obtenu le premier rang dans la promotion des arts l'an 1676 il devint plus tard professeur primaire de rhétorique à la pédagogie di Faucon. Puis, lors de la retraite de Snellaerts, les proviseurs du collège des Trois-Langues jetèrent les yeux sur lui pour la chaire de latin et d'his toire 'K On va voir que Gautius n'eut cependant jamais une jouissance paisible ^ On lit dans les noies de Paquot. (MS. des Fasti. t. I, p. 304) : Jnlentus praesertim remcandae saniori atqtie experimenlis nixae pliysicae. - Snellaei'ls présida aii Faucon , le 14 décembre 1680, une thèse d'histoire mieux choisie que les ijuestious discutées d'ordinaire : Citi cansae adscribenda sit exlerminatio Templariorum? — Promol. in artibus (Foppens), folio 64. ' Voy. P. iSamur, Bist. des bibliolh. publ. de la Belgique, t. II [Bibl. de Louvain), pp. 18-19. Bruxelles, 1841. ' Desigiialus est historiae latinae magister. — Paquet, Fasii. Acad. Lov., t. I, p. 503. DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 189 de celte chaire, et qu'il dut céder devant le crédit d'un compétiteur habile et audacieux '. C'est le 3 janvier 1689 que Gautius fut nommé professeur de latin par les proviseurs, et, le 16 du même mois, il inaugura son enseignement, qu'il poursuivit jusqu'aux vacances académiques de la même année 1689, faisant ses leçons d'abord à trois heures et demie de relevée, et ensuite à quatre heures. Un conflit surgit quand L. Gautius réclama le titre d'historiographe royal presque toujours inséparable, depuis le commencement du siècle, de la chaire de latin, ainsi que la pension de plusieurs centaines de florins attachée à ce titre ^. Or le gouverneur de la Belgique, François Antoine de Agurto, marquis de Caslanaga, avait déjà mis en possession du titre d'historiographe le frère Bernard Désirant, docteur en théologie, de l'ordre des ermites de saint Augustin : la collation avait eu lieu en date du il avril 1689, avec des clauses particulières. Le gouverneur apprit que Gautius enseignait l'histoire au lieu de la langue latine^, et qu'il donnait sa leçon , avec consentement de son confrère François Martin , pi'ofesseur de grec, à trois heures de relevée, heure réservée à Désirant pour l'ensei- gnement de l'histoire. En conséquence, il donna l'ordre au recteur de l'Université, en date du 26 septembre 1689, d'empêcher que quelqu'un enseignât l'histoire au collège des Trois-Langues, à l'exception de Dési- rant, à qui il assigna de nouveau l'heure susdite : quant à Gautius, il entendait qu'il se contentât de professer la langue latine. Gautius prolesta contre cet arrêt, et invoqua la concession faite à ses pré- décesseurs, qui avaient professé l'histoire romaine en expliquant les histo- * L'exposé de l'affiiire est fait d'une manière complète par Paquot (Fasti, p. 503) et lire peu de lumière de la compilation de Bax. - Erycius Puteanus et Vernulaeus, après Juste Lipse, avaient joui de ce titre, n)ais non pas leurs successeurs immédiats, Heymbacli, van Langendonck, Snellaerts, d'après le témoignage de Paquot (dans ses Fasti manuscrits, 1. 1, pp. 323-524). Le titre de hisloringraphi regii fut donné ensuite à Gaspar Gevartlus, en 1631 {Stipendio ann. Floren. 400), et à P. Galarde, historien et conseiller, le 18 décembre 1676; enfin, le même titre fut donné au frère Désirant, en 1689, avec un traitement de 300 livres. ' On a vu en quel sens la leçon de latin était devenue une leçon d'histoire romaine. 190 MÉMOIRE SUR LE COLLEGE riens latins. L'affaire traîna en longueur; la cour ayant maintenu sa défense de prendre le titre de professeur d'histoire, il paraît que Gautius cessa tout à fait d'enseigner à partir de 1695, et que, plusieurs années après, il donna sa démission (7 mars 1705). Il se l'etira alors à Anvers, où il fut chanoine de Notre-Dame, et c'est là qu'il mourut le 8 novembre 1728. 14. Bernard Désirant. Ce religieux , dont les prétentions déterminèrent la retraite de L. Gau- tius, se trouva maître de la position, et prit en réalité la place qui reve- nait au professeur de latin et d'histoire (Instoi-iariim) , pour exercer le mo- nopole de l'enseignement historique. Comme Désirant a joué un rôle fort curieux dans les affaires religieuses de son temps ', nous ne croyons pas superflu d'exposer ici, d'après Paquot ^, l'origine de ce petit débat, où le protégé du gouvernement l'emporta sur l'élu de la fondation. Quand le frère Désirant reçut le titre d'historiographe royal, en avril 1689, par décret du marquis de Castanaga, il obtint en même temps la faculté d'en- seigner publiquement l'histoire au collège des Trois-Langues et dans tout autre, avec promesse d'une pension de cinq cents livres^. Bientôt après. Désirant, ayant publié son programme, fit savoir qu'il inaugurerait sa charge de professeur le 14 mai 1689. Cependant, sur les représentations des proviseurs dudit collège, le recteur lui interdit cet acte auquel il se croyait autorisé par son brevet *. Au jour fixé, Désirant fit l'ouverture de ses leçons au Collegium Regium, ' Voy. Goelhals, Lectures relat. à l'histoire des sciences et des lettres, t. I, pp. 200-208, 2 Fasti Acad. Lov., 1. 1, folio S03 et 525. "' On exigeait de Désirant qu'il prêtât le grand serment de fidélité au Roi; mais on lui donnait : '< Plein pouvoir, autorité et mandement spécial de faire bien et dûment toutes et singulières ji choses, qu'un bon et royal Historiographe peut et doit faire, avec faculté d'enseigner non-seule- )) ment au collège des Trois-Langues en l'université de Louvain, comme ont fait tant d'autres » pourvus de semblable état, mais aussi dans tout collège où il sera trouvé convenir, à la pen- )) sion de 500 livres du prix de 40 gros de monnoie de Flandre la livre par an, dont il sera payé » par la l'ecette générale des Finances. » ^ Désirant avait tenté un jour de pénétrer par force dans le collège. — Goethals , Lert., I, p. 205. DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 191 au milieu d'un grand concours d'auditeurs attirés par la nouveauté du fait. Mais plus tard, par lettres royales du A juillet, l'intendant de Lou- vain {Praetor seu Villlciis) reçut ordre de mettre Désirant à même d'en- seigner dans le collège de Busleiden : ce qui fut exécuté. On voit ce personnage porter dans les années suivantes, par exemple en tête de thèses qu'il présidait % la double qualification de Hisloriograpims regius et de Hisloriarum professor publiciis. Sans doute la leçon de latin était sup- primée de fait, par suite de l'abstention à laquelle Gautius se résigna, et Désirant, qui avait reçu le singulier privilège d'enseigner en tout collège, avait sa chaire d'histoire bien établie là où elle se confondait dans sa dési- gnation avec une autre leçon, la lectio hisloriarum'^. Désirant conserva sa charge jusqu'à l'an 1701 ; mais il est constant que l'histoire romaine n'était pas une partie importante de son enseignement. Il traitait de préférence l'histoire moderne et même l'histoire contemporaine, et ce sont des allu- sions imprudentes à des faits tout récents qui amenèrent la suspension de ses leçons, et le firent condamner lui-même à l'exil 5. Après son départ précipité, la chaire qu'il avait disputée à Gautius dut rester vacante quel- ques années. ' Voir des thèses du 20 décembre 1691. Promot. in artibus, folio 72. ■2 On ne dit pas si Desiranl , agréé enfin par les proviseurs, toucha les honoraires de cette leçon suivant les usages de la fondation. 5 Nous n'avons point à rapporter en détail toute celte affaire, esquissée par Paquot (MS , p. 325). Désirant expliquait l'histoire d'Angleterre en juin 1701 , quand, arrivé aux règnes de Jacques II et de Guillaume III, il se permit de donner de grandes louanges à ce dernier. La chose fut relevée par des Irlandais et par d'autres élèves; elle fut déférée à quelques généraux français , entre autres au maréchal de Boufflers, et ensuite au gouverneur de la Belgique, le marquis de Bedmar. En vain, Désirant se justifia par lettres : un arrêté du gouverneur, promulgué à Louvain, le 20 juillet 1701, lui enjoignit de sortir des terres de la juridiction royale et de renoncer à tout professorat, à cause de ses discours injurieux pour deux rois, Louis XIV et Jacques II. Une brochure justificative avec des attestations de ses auditeurs ne fit point d'elfet. Désirant s'exila, et il ne revint plus tard en Belgique que pour semer de nouvelles intrigues, entre autres celle à laquelle son nom est atta- ché, la fourberie de Louvain. Désirant mourut à Rome, en 1723, laissant la réputation d'un esprit exalté, intolérant et ambitieux. Tome XXVIII. 26 192 MEMOIRE SUR LE COLLEGE 15. Jean François de Laddeksols. (1705-1720). Jean François de Laddersous, né à Malines, termina brillamment ses humanités, fit son cours de philosophie au collège du Faucon, et obtint la cinquième place dans le concours académique de l'an 1G82. Après quelques années consacrées à l'étude de la théologie, il fut chargé de l'enseignement de la philosophie à la pédagogie du Porc ' ; il avait le rang de professeur primaire et le grade de bachelier en théologie (S.-T.-B.-F. ), quand il fut appelé à l'enseignement du latin, au collège des Trois-Langues. Gautius ayant résigné définitivement sa charge, en date du 7 mars 1705, les proviseurs du collège la conférèrent le 2 avril suivant à de Ladder- sous, à celte condition qu'il ne poursuivît pas, sans leur consentement, le débat suscité autrefois par Désirant, et qu'il n'en provoquât pas d'autre. De Laddersous , en acceptant cette charge , dut s'entendre avec les deux compétiteurs qui se l'étaient disputée^. Du moins put-il sans obstacle se nommer, suivant la dénomination qu'avait prise la chaire primitive de langue latine, Lalinae Historiae ac Politicae professor publicus^. Rien ne prouve qu'il se soit distingué comme latiniste; du moins il se rendit utile dans plusieurs fonctions, par exemple dans celle de directeur de la biblio- thèque académique de Louvain*, et de président du collège de Malines. En vertu des privilèges de la Faculté des Arts, il avait été pourvu d'un canonicat en l'église primaire de S'-Lambert à Liège. De Laddersous mourut à Louvain le 2 janvier 1720, et fut enterré dans le petit cimetière de S'-Pierre, où l'inscription de sa pierre sépulcrale était presque effacée et devenue illisible du temps de Paquot. ' C'est en celle qualité qu'il fut attaqué avec une certaine violence par des membres de la com- pagnie de Jésus, dans l'affaire du Formulaire Belgique, affaire qui donna lieu, de part et d'autre, à la publication de plusieurs réquisitoires latins, mais dont l'examen est étranger à noire travail. - Paquot, Fasti, I, folio 506 : Satisfacere vero cum Gaulio, tum Desirantio debuit. '■> Gomme le porte sa signature au bas de plusieurs approbations. * Il n'y a aucune mention de Laddersous dans l'Histoire de cette bibliothèque, par P. .Namur. DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 493 16. Christianus Bombaeus (Chrétien Bombcnje). (1720, ann. suiv.). Chrétien Bombaye, dont le nom est écrit quelquefois aussi Bombay, naquit à Rolduc, dans le district d'Aix-la-Chapelle, le 16 novembre 1688. Quatrième dans la promotion de l'an 1706 avec Adrien Marcq de Nivelles % il fut lecteur au collège du pape Adrien VI, et obtint le 17 aoiit 1718 le grade de licencié en théologie. En 1720, il succéda à de Ladder- sous comme professeur d'histoire au collège des Trois- Langues ; mais d'autres études et d'autres charges occupèrent Bombaye à partir de cette époque. Il fut recteur en 172!8, et il devint, en 1756, professeur des décrets {ad Decrelum Graliani) et chanoine de S'-Pierre. L'an 1752, le 21 octobre, il fut proclamé docteur es droits^ et l'an 1741 il fut nommé professeur ordinaire de droit civil [Ordinurms in jure civili). Il mourut à Louvain, le 12 mars 1747. Malgré les titres académiques de Bombaye à l'époque de sa nomination au collège des Trois-Langues, on lui suscita des difficultés au sujet de l'enseignement du latin ^ et on le remplaça momentanément par Lambert de Jenefîe de Iluy, licencié en théologie '', qui ne remplit du reste ce poste que pendant une seule année (1721-1722). Cependant, par suite d'une motion des proviseurs et d'un décret académique, Bombaye fut rétabli dans sa dignité. Seulement il arriva que ce professeur, qui avait d'autres fonctions à remplir et qui avait à lutter sans cesse contre sa mauvaise santé, confia à diverses reprises la leçon de latin à un humaniste déjà fort estimé dans l'Université, Gérard Jean Kerckherdere. Les fonctions de ce dernier, ' IJno noio additionnelle an MS. de Foppens (Promotiones in arlibus, folio 29o) nous a fonrni plnsienrs des renseignemenls hiographiqnes dont nous avons fait usage en celte notice. 2 Voy. le supplément aux Fastes académiques de Valère André. Annuaire de Vuniv. de Louvain , ann. 1844-, p. U9. — Bomliaye était licencié en droit depuis 1721. '• Nous empruntons ces détails aux notes de Paquot, Fa&li, MS., t. I, p. 507. '■ (^e personnage (Lambertus de Jeneffe, Huensis) fut promu docteur en théologie, le 5 août 173-2. [Snppl. nd Fastns doct. S. Th. — Oratiode laudibus, etc.. pp. 145-146.) Il fut président du collège d'Arras, devint recteur en 1741 et mourut en 1753. Ses contemporains louaient en lui de brillantes qualités : Dicendi facundia, scribendi ekgantia , docendi solci-tia , etc. 194 MEMOIRE SUR LE COLLEGE à titre de suppléant, furent de si longue durée, qu'on peut le compter parmi les professeurs du collège des Trois-Langues, et lui accorder de ce chef une notice séparée. La chaire de latin appartenait toujours de droit à Bombaye; quand Kerckherdere mourut en 1758, le premier en fit valoir la légitime posses- sion, et il ne la résigna en faveur de J. II. Vanden Steen, en 1741 . que (jnand il fut promu lui-même à la chaire de droit civil. 17. Gérard Jean Kerckherdere. Le suppléant de Bombaye, qui professa le latin au collège des Trois- Langues entre les années 1722 et 1758, était un des membres les plus actifs de la Faculté des Arts. Puisque sa vie n'a pas encore été écrite avec détails, on nous saura gré d'en reproduire ici les principaux traits *. Gérard Jean Kerckherdere (nom qu'on trouve écrit aussi Kerkherdere et Kerkherderen ) était né à Ilulsberg, localité du territoire de Fauque- mont, dans le Limbourg, en 1677'-^; de là vient le surnom de Falcobiir- gensis qu'on lui donna souvent. Après ses premières études, faites au collège des jésuites à Maestricht, il se rendit à Louvain en 1694, et en terminant son cours de philosophie au collège du Porc, il fut le quatrième dans la promotion du 20 novembre 1696. Le reste de ses jours s'écoula à Louvain : il avait étudié les langues et les éléments de la théologie, avant d'occuper successivement deux chaires au collège de la Sainte-Trinité, celle de Grammaire de 1700 à 1702 et celle de Syntaxe, de 1702 à 1708. C'est en 1708 que l'empereur Joseph I" lui conféra le titre d'historio- graphe impérial et royal [Caesarci et Rajii hislorioçjrapln)^ titre qui ne fut * Nous tirons des faits neufs des notes de l'abbé Bax, folio 1443, 1517 el 1527, et des Faxti manuscrits de Paqiiot, 1. 1, p. 524 ( Historingraphi regii). - Comme en fait foi l'extrait suivant du registre des baptêmes de la paroisse de Hulsberg, pour l'an 1677. Exlraclmn ex regislro baplizalormn parochiae Ilulsberg ( 1077). Die seplimii Novemhris baplizalus est Ger ardus Jouîmes ftHus Joannis Kercherderen scabini curiac Climensis et Muriae Roebroox conjiigum. Susceperunl eum e sacro baplismalis fonte D. Henricus Franssen loco coHsultissimi Domiui Gerardi Paris (?) Régis christianissitni consiliarii nec non ejusdem concilii Brabantiae Trnjecli secretarii et Maria Ubachts loco Calharinae Gansl (ou Fauss). DES TROIS LANGUES A LOUVAIN. 193 donné à personne après lui jusqu'en 1762 K II fournit encore une longue carrière ^ et il était âgé de 62 ans, quand il mourut le 16 mars 1758. Sous le rapport de son instruction et des qualités naturelles de son esprit, Kerckherdere n'était pas indigne de prendre la parole dans une des chaires de Busleiden. Doué d'une érudition qui était devenue de son temps peu commune, Kerckherdere était habile dans les trois langues grecque , latine et hébraïque; s'il faut en croire les souvenirs de ses contemporains, il les savait au point de les parler avec facilité, et il s'en servit pour aborder les questions les plus difficiles de l'antiquité sacrée et profane-'. Plusieurs de ses élucubrations d'histoire et d'exégèse en ce genre ont vu le jour*; mais, bien loin d'avoir joui de l'approbation des savants, elles ont été jugées avec assez de sévérité par des hommes instruits qui ont fleuri peu après lui dans le même siècle. Ils n'ont attaché qu'une importance secondaire aux traités de Kerckherdere intitulés : Prodromus DanielUicus (1711), Syslema apocalyplicum (1708), Ceplias reprelwmis , de Situ Paradm terrestris (1751), etc. Quant h son ouvrage plus étendu, qui, sous le titre de la Monarchie de Rome païenne ■', établissait une stricte concordance entre Daniel et saint Jean dans leurs prophéties sur les destinées et l'his- toire de l'empire romain, il a été jugé plein de vues hasardées et de con- ' Après sa mort, la charge d'historiographe resta quelques années vacante; puis, par un décret du 6 février 1743, le revenu de 500 florins (D florimrum) qui y était attaché, fut partagé {provi- sionaliter) en trois parts. Le passage peu explicite de Paquot, auquel nous devons ce renseigne- ment, est resté inachevé (Fasii, MS., t. I, p. 323). Plus tard seulement la charge échut à Paquot (voy. chap. VllI, § 13). 2 II avait épousé, en 1319, \nne-Marie Gaulants, fille de Charles-François Gaulants, greffier, et de Jeanne-Françoise-Caroline Smits. 5 Latine, Graece utque Hebraice ita perilus . u( husce ires linguas sacras ac si nativae forent eloqueretur facillime; hisce adminiculis antiqiiilatis sacrae et profanae abstrusas historias , prae- sertim Scriptiirae sacrae exponebat; multaquc in lus edidit calcula erudilorum prohata. etc. Re- cueil de Bas, folio 1317-1318. * Voy. la bibliographie qui suit la vie de Kerkherdere dans la Biorjraphie liégeoise du conile de Becdelièvre, t. II, pp. 383-383, et dans l'article de la Biographie universelle calqué sur celui-ci par M. Lavalleye(t. LXVIII, pp. 493-94). s MoNARcniA RoMAE Paganae, Secundum concordiam inter S. S. Prophetas Danielem H Joanneni nunquam haelenus tetilalam. Consequens hisloria a Monarchiae conditoribus usque ml Urbis et Imperii ruinam, opus praemissum quatuor Monarchiis. — Accessit séries IJistoriae apocaUjpticae. .\uctore J.-G. Kerckherdere. Lovanii , typis M. van Overbeke, 17"27, pp. 572, in-8°. 19G MEMOIRE SUR LE COLLEGE clusions forcées : poussé par un esprit de système qui indique peu de juge- ment ^, l'auteur a prétendu montrer dans les Écritures la désignation précise des événements politiques de règne en règne. Dans la préface de ce travail, Kerckherdere fait entendre que s'il en a différé la publication, c'est à cause des soins que réclame de lui l'enseignement de l'histoire ou la composition de poésies; il compte bien regagner le temps perdu en mettant au jour un grantl nombre de dissertations sur les points historiques les plus compliqués de l'Ancien et du Nouveau Testament -. 11 est fort à craindre que, malgré des intentions droites, il n'ait souvent été entraîné, en ce genre de recherches, à défendre savamment des opinions sans valeur. Mais nous n'insistons pas davantage sur ces travaux , par lesquels Kerckherdere entendait satisfaire à sa mission d'historien et payer son tribut à la science des Écritures ; il nous reste à dire ce qu'il fit d'un autre côté pour les études de philologie et de littérature. 11 professait encore les humanités quand il publia, en 1706, un abrégé méthodique de gram- maire latine, qui présentait les règles essentielles avec clarté et sans sur- charge d'exemples; il expliqua son dessein dans une préface adressée aux membres de la Faculté des Arts de l'Université, et il recueillit les suftrages des trois hommes qui enseignaient alors au collège de Busleiden , Fr. Martin, J. van Iloven et J. F. Laddersous, comme on le voit dans leurs attestations qui terminent le volume. On lui sut gré d'avoir résumé avec intelligence les éléments d'une science proposée à l'attention de la jeunesse, et aujourd'hui même il est juste de lui attribuer le mérite d'avoir donné aux classes un livre qui leur manquait. Kerckherdere fut bien plus renommé de son temps comme poète latin : à cause de sa grande facilité de composition ou d'improvisation, on ne fit pas difficulté de le ' (j'est en ce sens que sont rédigées les notes critiques fort nombreuses dont M. Giiyaux, profes- seur d'Écriture sainte au dernier siècle, a chargé un exemplaire interfolié qui a passé sous nos yeux. - Plusieurs sont restées manuscrites, telles (]ue celles sur les ((uatre Ages, sur les quatre monar- chies, sur les LXX semaines de Daniel. Voy. la Biorjraphie liégeoise, l. Il, p. 583. '' Granimatica latina in faciliorem methoditm redacta additis anomaliarum causis. Pws prima ot secnnda. Lovanii, apud .'Egidium Deniqne. a" 1706, pp. \ 17, in-12. Nous avons remarqué un appendice De veleri Hnguae latinae prommtialione (pp. d06-l 17), où l'auteur s'appuie sur de con- tinuels rapprochements entre le grec et le latin sous le rapport de l'euphonie et de l'orthographe. DES TROIS-LAINGUES A LOLVAIN. 197 comparer à Virgile et à Ovide, et même de lui appliquer l'aveu naïf que faisait ce dernier poêle, comme s'il ne savait plus parler autrement qu'en vers : Quidquid lenlabam dicere versus erat. Non -seulement Kerckherdere flt grand nombre de pièces de circon- stance pour des premiers, des licenciés, des docteurs, etc.; il publia trois recueils de poésies latines, intitulés Vox academica, où il se faisait l'in- terprète des sentiments de l'Université, à l'occasion delà naissance et ensuite de la mort du sérénissime archiduc Léopold*, puis à l'occasion de la bataille de Belgrade. On a aussi de lui une pièce latine qui est une histoire en vers de la Faculté de Théologie de Louvain jusqu'à son époque ^ : de Schola theologica Lovaniensi. Kerckherdere avait fait tant de vers pour les autres; on le paya après sa mort de la même monnaie, et on lui rendit ses compliments avec usure. Un versificateur du temps, Jean Ferdinand Delhoungne, composa un poëme funèbre in obitum subtilissimi (sic) Domini Kerckherdere ^. Nous ne pouvons charger ces pages de la longue série de distiques ampoulés qui portent la gloire de Kerckherdere jusqu'aux astres; qu'on juge par le suivant de l'extravagance des comparaisons : Qui Cicero velut aller erat, velutalter Apollo, Inlerque hisloricos Curlius aller eral. Que penser des qualités qu'on a démesurément exaltées en sa per- sonne, au point d'en faire un grand poëte et même un génie original * ! Kerckherdere eut en partage, avec de l'érudition, un talent remarquable ' Ces recueils onl été imprimés chez Ég. Denique, à Louvain, en t716, petit in-4°. Voy. Pa- quot, MS. cité, p. 524. 2 Elle a été publiée comme document historique dans les Analectes de VAnnuaire de l'imiv. de Louvain, an. 1840, pp. 190 et suiv. 5 Ces vers ont été imprimés à la fin de la Vox academica, editio tertia. (Lovanii, P. É. Denique, pp. 40, in-4°.) ^ Les textes latins, dont Bax cite des extraits, le nomment : Poeta sui aevi longé primus , praes- tantissimus Apullinis inlerpres , ciinctarum arlium vutcs studiosissimus , etc. 498 MÉMOIRE SUR LE COLLEGE Je versificaleui-; mais ce ne fut, à vrai dire, ni un historien, ni un poëte. 11 fut bon grammairien et enseigna sans doute avec méthode; mais il ne fit rien pour étendre le cercle des études latines, en remontant aux monu- ments classiques qu'on avait négligés. 18. Henri Joseph Vandensteen. Natif de Jumet, près de Charleroy, Vandensteen succéda à Chr. Bom- baye le 50 novembre 1741, et il conserva la chaire de latin jusqu'à sa mort, qui arriva l'an 1768^ Vandensteen avait étudié au Porc et obtenu la cinquième place dans la promotion de 1726, ou bien, suivant Paquot , de 1728. Il eut plus tard la charge de conservateur du bâtiment académique qu'on appelle /es Halles. On ne connaît point de fait significatif qui ait marqué son pro- fessorat au collège de Busleiden. Après la mort de V^andensteen, on ne fit plus de nomination pour la leçon de langue latine, dite vulgairement leçon des histoires {liisturut- rum). , ' Periii irtu molae alalne. Nous devons ces détails sur sa vie à l'ahiié Bax, folio 1444 et 1519, et à l'aqiiot, Fusti, t. I, p. 507. DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. ^99 CHAPITRE VU. LES PROFESSEURS DE LANGUE GRECQUE. VyùvM t'Ête/t", àpx«~îov cvei^oi àhiié^iv Aéycii Et ifeùyofisv, Boii^Tiav \/v. . . . (l*iNDAB Ohpnp. VI.) Le préjugé était vaincu sur notre sol, et plusieurs hommes s'étaient mis à l'œuvre, depuis un demi-siècle, pour être initiés à la connaissance jadis encore mystérieuse du grec , à l'envi des étrangers qui s'en étaient longtemps prévalus. Érasme pouvait dire aux savants belges, comme à ce jeune savant espagnol auquel il écrivait en 1526 \ que leur pays allait être lavé de tout reproche de barbarie, et que, comme l'Espagne, il re- deviendrait l'égal de l'Italie dans la culture de l'esprit. 11 est de fait qu'Érasme n'avait plus à craindre pour l'honneur de ses compatriotes, quand déjà , en l'absence d'un enseignement régulier, un si grand nombre d'hellénistes s'étaient formés au milieu d'eux en quelques années. C'est au point qu'au moment où les mandataires de Busleiden devaient pourvoir une première fois à la chaire de grec, il se présenta plusieurs concurrents qui avaient travaillé en s'entr'aidant, en recourant aux lumières des plus avancés de leurs condisciples, dans les collèges de Louvain. Un de ceux dont les titres parurent le mieux établis, fui Jacques Teign, de Horn en Hollande, dit Ceratinus 2, du nom de sa ville natale. Il pou- vait compter plus qu'aucun autre sur l'appui d'Érasme, qui louait en lui ' Epist., t. I, p. 932. Nicolao Hispano (Basileae, 1526) : Pmdarus in Dithyrambis studel ele- gaiilia carminum âbolere probrum, quod vulgus in Boeotos jacere solel, onôyciuiy , inquiens. r.om- zixy \i'j; quo facilius erit ingenii, doctrinae, facundiaeque laudem, qua quondam Bispania non cessit llaliae, postliminio revocare, etc.. - Il a figuré au chapitre V (p. 131), parmi ceux qui ont favorisé les premiers par des leçons ou des exercices le mouvement littéraire dans l'Université. Voy. Foppens, Bibl. BeUj., pp. 508-509, et de Reifîenberg, Qnatriènœ Mémoire, pp. 80-82. — Ceratinus ne mourut qu'en 1530. Tome XXVIIl. 27 200 MEMOIRE SUR LE COLLEGE la modestie alliée au savoir '. Déjà il avait gagné à Louvain des prosélytes aux deux langues classiques dans lesquelles il était versé. Comme il n'ob- tint aucune des chaires de Busleiden, il essaya d'ouvrir à Tournai une école de philologie où il prit pour sa part l'enseignement du grec ^. Mais peu d'années après, vers 1520, chassé de Tournai par la peste et la guerre, il passa en Allemagne, enseigna à Leipzig vers 1525, et puis séjourna de nouveau à Louvain. Il est incertain s'il donna dans cette ville des leçons publiques avec un titre quelconque; mais vraisemblable- ment il s'y occupa sans relâche de ses deux principaux travaux, qui méri- tent d'être cités dans l'histoire des humanités : car ils sont restés en témoi- gnage de son savoir et de son aptitude à traiter les matières philologiques avec une rigueur encore bien rare de son temps. C'est son dictionnaire grec, le premier qui ait été composé en Belgique, et son traité sur le son, la valeur et la prononciation des lettres grecques ^. Plus d'une fois Érasme a déclaré Ceratinus capable de professer avec succès en Italie même : mais on a lieu de croire que son bon vouloir envers lui fut arrêté par l'idée qui le préoccupait fortement en 1517 et 1518, celle de faire venir de l'Italie un des Grecs réfugiés en ce pays, afin qu'il enseignât la langue avec la vraie prononciation conservée par les Byzantins. La persistance avec laquelle Érasme nourrit cette pensée *, et l'enthousiasme avec lequel il en fit part à Jean Lascaris ^, prouvent assez quel développement il con- seillait à ses amis de Louvain de donner incessamment à l'étude du grec. ' Préface du dictionnaire publié en 1529 (voy. ci-après, note 5) : Qui... exactam ulriusque lin- gnae peritiam citm incredibili modeslia copulavit. - Voy. de Reiffenberg, Quatrième Mém., pp. 4^2 et 81, et Bottier, Mém. sur Érasme, pp. 1 17-1 18. ^ Le premier ouvrage a paru à Bàle, en 1324., avec une préface élogieuse d'Érasme (voy. de Reiffenberg, /. c, p. 82) : Dictionnarius Graecus praeter omnes superiores accessiones.... ingenti vocabulorum numéro locuplelntuf. , etc. Basil., J. Froben, in-fol. — Le second ouvrage De Sono grae- carum iUerarum parut à Cologne, en 1529, in-8". ' Érasme demandait l'assentiment de J. Robbyns par sa lettre du 18 mars 1318: De Grneco accersendo narrabis Borsalo quid tibi sententiae; is libi vicissim meum referet aiiimum... (Epist., t. 11, p. 1C77). » Jean André Lascaris avait été, dès 1493, le maître de G. Budé et de Danès en France; sous Léon X, il avait dirigé 5 Rome une école grec(|ue. IMais il passa de nouveau en France vers 1317, et il ne rentra à Rome que sous Clément Vil. — Voy. Hodius De Graecis illuslribus. Londini, 1742, pp. 257-260, et Roerner De hominibus erudilis, etc. DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 201 La lettre d'Érasme à Lascaris nous a paru assez curieuse pour être ana- lysée en tète de ce chapitre, consacré aux titulaires de la chaire de grec ' : on y voit qu'Érasme avait été chargé officieusement de cette affaire, et qu'il la négociait avec plein pouvoir. Érasme parle de la fondation faite récemment par la munificence de Jérôme Busleiden, de l'enseignement gratuit et public du collège des Trois-Langues , et des honoraires assez beaux (d'environ 70 ducats) promis à chaque professeur. 11 presse J. Las- caris de lui envoyer au plus tôt, pour la chaire de grec, un de ses compa- triotes instruits, un Grec qui donne sans peine aux jeunes gens la pure et vraie prononciation de son idiome maternel. Il fait valoir, au-dessus de l'indemnité et des égards qui lui seront dus, la probité et la douceur des hommes avec qui il devra vivre ^. Il ne donne point de promesse écrite à Lascaris; la meilleure garantie, c'est la parole d'Érasme, qui vaut cent diplômes, qui est une promesse royale. Malheureusement, la proposition d'Érasme ne put avoir de suites. Jean Lascaris, qui était en France, ne la reçut pas en temps opportun, et celui sur qui Érasme avait compté comme dévoué d'ordinaire aux hommes d'es- pérance et d'avenir ^, ne lui donna pas de réponse. Instruit de ce contre- temps par la correspondance officieuse de Paul Bombasius qu'il avait mis au courant de ses démarches *, Érasme ne put pas insister plus longtemps sur le choix d'un Grec de naissance. Bombasius, il est vrai, lui promit de nouvelles recherches en Italie pour satisfaire à son désir ^; mais il n'était plus temps de compter sur les débris de l'émigration byzantine, • Lettre de Louvain, 26 avril 1518. £'pts(., t. I, p. 319. - Ibid... Dabitur viaticum , dabitttr salarium , dnbitur locits. Eril ilU res cum viris integerriniis et Inunanissimis. ■' Érasme dit de lui : Semper candidissime favit bonae spei ingeniis (Epist., t. I, p. 377). * Lettre de Rome, 1" octobre 1318 {Episl., t. I, p. 332) : Lascaris in Gallia nune agil,prop- lereaque a me conveniri non poluil. Si quae viri docti, qualem mihi describis , facultas mihi se obtulerit, tuae voluntcUi pariler, acillius commodo inserviam. Dans une lettre d'Erasme à P. Bom- basius {Episl., 1. 1, p. 558, en décembre 1518), le premier témoigne sa surprise du départ de Lascaris, sous Léon X : Demiror quae res Joannem Lascarim Rorna potueril avellere, praeserlim Leone praesidenle rébus ac sludiis. s Paul Bombasius était un des amis et correspondants les plus officieux d'Érasme en Italie; il fut secrétaire du cardinal Sanctorum quatuor, et fui mêlé à plusieurs affaires politiques et reli- 202 MEMOIRE SUR LE COLLEGE réduite à quelques érudits presque otlogénaires, et l'on procéda au choix d'un helléniste sorti de nos écoles '. 1, RuTGERUS Rescuis (EiiUjcr Ressen). (1518-1543.) Le premier professeur élu par les mandataires de Busleiden, pour la chaire de grec, était un élève de ce Jacques Ceratinus, qui semblait devoir l'emporter sur tout autre, grâce aux services rendus aussi bien qu'aux suffrages d'Érasme. Rutgerus Rescius, dont le nom vulgaire était Ressen 2, naquit à Maseyck, petite ville de l'ancienne principauté de Liège, sur les bords de la Meuse : il se donnait à lui-même l'épithète de Dryopolitunua. Il prit à Louvain, le 22 août 1515, le grade de bachelier en droit; mais, fort instruit dans la langue grecque qu'il avait apprise dans sa jeunesse, il eut des occasions de l'enseigner à d'autres jeunes gens. Il put bientôt l'enseigner en titre, comme professeur de la fondation de Busleiden, et il fut un des trois maîtres qui inaugurèrent leur chaire le 1" septembre 1518, dans un local provisoire. Mais qu'il n'y ait plus demépriseà l'avenir sur l'espèce de profession que fit Rescius chez les PP. Augustins ^ : il ne revêtit jamais l'habit de ces religieux , il ne prononça aucun vœu entre gieiises. Érasme le tenait pour un homme fort instruit, qui aurait écrit avec distinction, si les circonstances extérieures n'y avaient fait obstacle. (V^oy. Episl., t. I, pp. 665-660. Eruditissiniu P. Borabasio. Anderlecht, 1521.) ' On croirnil qu'un certain Roberlus Cnesar s'élait mis sur les rangs, dès 1317 : c'était un bel esprit qu'Erasme avait appris à connaître chez un de ses amis, Antoine Clava, conseiller de Flandie. Dans une des lettres sans date, il s'agit d'une épttre de R. Caesar, pleine d'excessives louanges pour Érasme. (Episl., t. II, p. 1787.) Mais ailletir.>5, dans une lettre de décembre 1317, celui-ci dità Clava, sans doute à propos de quelque ouvrage ou de quelque pièce : Caesaii gratulor tantiwi Graecilutis. Video quid ayat , umbit Graecanicam professionem in hoc novo colkgio, etc. {Epist., l. Il, p. 1651.) - Voy. Bihl. lielg., éJit. Foppens, p. l'iSD, et les Exordiu de Vaière André, p. 66. De plus, nous avons consulté pour celte notice Paquot. Fusti, MS., t. I, p. 508, et l'abbé Bax, fol, 1449-1430. '" Auspicatus fuit professionem anno 1518 Kal. Septemhr. apud Paires Augustinianos (Vaière André, Fasli , p. 282). Voy. les notes du discours de M»' de Ram : Coiisid. sur l'Iiist. de l'Uiiiv. de Louvain, pp. 46-48 (mai 1834); il y a rectifié l'assertion du P. van Iseghem au sujet de l'apos- tasie de Rescius, et cette inadvertance a été depuis réparée par l'auleur. DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 203 leurs mains; tout simplement comme ses deux collègues, il donna sa pre- mière leçon dans une salle de leur maison. Rescius fit ses débuts sous les yeux d'Érasme qui, l'année suivante, prenait ses repas en sa société et trouvait du charme à plaisanter avec lui '. Il avait deux nouveaux collègues, Goclenius et Campensis, à l'époque où se fit l'installation des professeurs dans le local définitif du collège 2. Jusqu'à la fin de sa carrière, Rescius remplit les mêmes fonctions : il mourut à Louvain, le 2 octobre 1545, et l'on porte à vingt-sept ans la durée de son professorat. Le savoir était uni chez Rescius à beaucoup de talent; ce ne sont pas sans doute de vains éloges qu'Érasme lui a donnés, en louant à la fois sa science et ses qualités morales : « Je ne sais, disait-il, en 1519, à J. Rob- byns "^, si l'on rencontrerait un homme plus savant : certainement on ne trouverait pas dans un autre plus de zèle et des mœurs plus pures » ; et ailleurs encore '*, il lui attribue « une érudition peu commune, rehaussée par une modestie incroyable et par une pudeur en quelque sorte virgi- nale. » La réputation de Rescius s'était répandue assez vite au dehors, pour qu'il eût reçu, vers 1527, des offres brillantes de François I"'' qui voulait l'attirer dans ses États. La tentation dut être forte pour Rescius, qui s'était plaint trop souvent : aussi Érasme le pressa-t-il sur-le-champ de consacrer de nouveau toute son activité au collège de Rusleiden ^ et le supplia- 1- il ' Epist., t. I , p. 523 (1" décembre 1319) : Utimiir eadem mensa et inter pocula quidvis (jur- rimus. - Paquot {Fasti Acad , t. I, p. S08) parle d'une copie du discours prononcé le 9 mars 1318. Il faudrait en loul cas substituer l'année 1319 à l'année 1518, puisque le personnel ne fut constitué qu'en septembre 1318; mais comment expliquer la grande difl'érence des dates, à moins de sup- poser que Rescius n'ait commencé qu'environ six mois après les deux autres : Orationem in auspi- ciis yraecae professionis anno 1318 VU Mus Marlias.... in collegio Triliiigui Lovanii habitam, exscriplatnqne ex Rescii aulographo 3 Septembre 1039 abcjus pronepole Nicolao Nessel, S. T. L. Proton, upostolico, et Leodii ad S. Paulum canonico, adserval (in-4'', pp. 13) J. F. Baelemans. ^ Docliur an inveniri potest ncscio; cerle diligentiorem et moribus puriorein vix inventas. — Epist., 1. 1, p. 523. ■' Ep. ad Bern. Buchonem, sept. 1321 (Epist., t. 1, p. C67): Qui doctrinamnon vulgaremincre- dibili quadam modestia pkinvque pttdore quodam virginco dedecorut. ■> Leitre de Bùle (7 octobre 13-27) sur laquelle nous reviendrons encore. ( Epist., t. I, pp. 1017- 1018.) En voici des extraits; Ojferenliir libi aliunde magni/icae conditiones... amplissimis promissis 204 MÉMOIRE SUR LE COLLÈGE même de « rendre aux lettres par l'habileté de son enseignement l'éclat que les lettres avaient déjà jeté sur son nom. » Érasme se souvenait des efforts qu'il avait faits autrefois pour vaincre l'hostilité de quelques hommes de l'Université contre Rescius, et pour lui obtenir quelques avan- tages nouveaux ^ : il l'avait défendu contre d'indignes préventions qu'il attribuait au mauvais vouloir de plusieurs envers les lettres, et qu'il reje- tait aussi sur le caractère timide de Rescius. Il le représentait captif, en- chaîné au collège des Trois-Langues, comme saint Paul était captif de Jésus-Christ; seulement, disait-il bien haut, ses persécuteurs ne sont plus des Juifs, mais des maîtres de la doctrine chrétienne. Cédant aux repré- sentations d'Erasme qui lui venaient de si loin , Rescius conserva son poste; mais il encourut à d'autres égards les reproches de son ami , comme on le verra ci-après. Rutger Rescius savait beaucoup, et il était apte à de grands travaux : mais il fut entraîné, paraît-il, par l'idée commune à plusieurs hellénistes de son temps, de négliger l'étude ou la critique des œuvres, de dédaigner le soin de les traduire, en vue de publier un plus grand nombre de textes grecs. Certes, c'était une entreprise alors fort utile que de donner des textes revus, et quelquefois corrigés d'après les manuscrits : ainsi fit Res- cius en publiant les Aphorismes d'Hippocrate avec des leçons inédites mises en marge. On ne peut disconvenir non plus que la rareté des livres grecs n'ait fait désirer vivement la publication de bons textes mis à la portée de tout le monde. Mais il fallait, d'autre part, dans une chaire de grec , travailler à former le goût par la lecture des meilleures œuvres de la littérature ancienne. Peut-être Rescius eut-il le tort de perdre de vue cette inmlaris in Gallium, scis qualia vuhjo ftrantur GaUorum promissa, nec ignoras qtiid acciderit JEsopico cani. Sed.... meinineris lutjus eliam commodi portioiiein non minimam te isii dehcre col- leyio. Quaie lerogo, mi Resci, liUerae,quae le ornarmit, vicissim ornare conlende diligentia dexle- rilateque profîlendi. ' LeUre à J. llobbyns, décembre i519 {Epist., t. I, p. 523) : Paulus gloriatur se vincium esse Jesu Chrisli; Rulgerus gloriari polesl se vinctum esse collegii Trilinguis.... O pectus vere christia- num. Modo mm Paido conluli Itulgerum qui hac cerle parle vincit, quod qui Paulum affligebant, errabant, nimirum alieni a professione evunyelica. Ui proceres cliristianae doclrinae, prudentes, de composilo haec designanl. DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 205 première obligation; il s'attacha trop à l'étude d'auteurs grecs qui n'of- fraient pas assez d'attrait à ses auditeurs et à son public. Érasme, qui l'a suivi avec le plus vif intérêt, n'a pu s'empêcher de blâmer Rescius d'avoir fait fausse route, d'avoir préféré des textes lourds, tels que celui des Inslilutes, traduites en grec par Théophile, à des auteurs d'une lecture agréable, où les beautés de la langue grecque fussent facilement apprises, Démoslhène, par exemple, Lucien, les Tragiques ^ La méprise, on , si l'on veut, l'erreur de Rescius, consista à se faire éditeur au lieu d'être avant tout littérateur et critique, comme l'exigeait l'honneur de son emploi. On ne peut donner tort aux membres de l'Université qui, s'apercevant de cette tendance, témoignaient à Rescius leur mécontentement. Après la retraite de Thierry Martens, en 1529, Rescius se mit à la tête d'une imprimerie bien organisée, et il porta dans les travaux de sa maison un zèle qui nuisait à la solidité de ses leçons de philologie. L'amitié patiente d'Érasme l'avait averti à diverses reprises^; mais Rescius ne revint pas aux lettres avec ce dévouement, dont il avait un exemple dans ses amis et dans ses propres collègues. Érasme n'y tint plus, et dans une de ses dernières lettres ^, il se plaignit hautement de ce que Rescius était tout entier au gain, et qu'il ruinait bel et bien le collège. L'importance toujours croissante de l'art typographique détermina peu à peu Rescius à en faire sa véritable profession. Dans sa jeunesse, il avait corrigé les épreuves des impressions grecques et latines sortant des ateliers de Thierry Martens*. Il ne vit que les succès de celui-ci, qui n'avait pas ' Lettre à Goclenius, juin 1S36 {Epist., t. II, p. 1522) : Quid neeesse fuit, RiUgerum inlerpre- tari Graecas Inslitutiones, è Lalino veisas? conducihilhtx erat interprelari Demosthenem, Liicin- num, si quid liabel casti, Tragoedias giavibus senkniiis referlas, ac similes auclores, mule discitiir graeci sermonis elegantia. Voy. le mémoire de M. Rottier sur Érasme, pp. H8-120. 2 En 1521 , il le détournait de prolonger un procès avec le médecin Jean Calaber (Epist., t. I, p. 685); en 1527, il le priait de cesser toute contestation avec Goclenius, de se montrer plus désin- téressé et non moins zélé qu'auparavant, et de ne pas se laisser absorber par les soins de l'état de mariage qu'il avait embrassé; il lui recommandait de ne pas abuser de la lolérance que les admi- nistrateurs du collège avaient montrée à son égard. {Epist., 1. 1, pp. I0I7-I0I8.) Voy. les notes du discours cité plus haut, Considëratiotis , etc., pp. 48-50. ' Lettre citée de 1536 {Epist., t. II, p. 1522) : Sed ilte totus ad quaestum spécial, et gnaviter perdit illud collegiiini. '• Biographie de Thierry Martens par le P. van Iseghem, pp. 104-105, p. 140. 206 MEMOIRE SUR LE COLLÈGE cependant poursuivi le gain dans sa profession, et il voulut être impri- meur à son leur. Il fournit ses ateliers de types fort élégants, gravés en Allemagne pour les trois langues hébraïque, grecque et latine; et chercha à tenir ses presses en constante activité à l'aide de deux associés. Le pre- mier fut Jean Sturm, de Sleiden, qui quitta Louvain dès 1550, et qui fournit au dehors une longue carrière, vouée à l'instruction. Le second fut Barthélémy van Grave ou Gravius qui, de libraire intelligent, devint dans la suite imprimeur titré de l'Université '. C'est dans cette dernière période de sa vie que Rescius sembla abdiquer son rôle de savant, et prendre d'autres rôles d'accord avec de nouveaux intérêts : Varias personas suslinet, disait Erasme^, en se plaignant de la métamorphose de son ami de Louvain, C'était assurément un fort dangereux exemple que celui qu'avait donné un homme sur qui tous les amis des études avaient les regards fixés ; mais il ne doit pas nous fermer les yeux sur le mérite de Rescius. La sagacité de ce maître dans la correction et l'interprétation des textes grecs ne faisait de doute pour aucun des humanistes de son temps. Ils le consultaient et por- taient intérêt à ses travaux. Rescius avait dédié son édition grecque des Lois de Platon, à François Craneveldt, jurisconsulte et homme d'État, qui cultivait aussi les lettres grecques. C'est à Rescius que ce dernier dédia sa traduction de trois homélies de saint Basile : dans l'épître dédicatoire ^ il ne craignait pas de l'appeler « très-sage et très-éloquent » , de le nom- mer : Vir omnibus virtutis atque doctrinae numeris absohitus. Que si l'on considère en même temps le nombre déjà fort grand des personnes qui étaient en Belgique versées dans le grec avant le milieu du XV!"" siècle, on se refusera à croire que l'enseignement de Rescius ail été sans valeur, et que son activité d'éditeur n'ait pas servi souvent avec effi- cacité les intérêts de cette nouvelle branche d'étude. Nous ne dresserons pas ici une liste complète des publications de Res- cius appartenant à la littérature grecque*; mais il nous paraît indispen- ' Sur l'association de Rescius avec cet imprimeur, voy. l'article de M. Edw. van Even dans le Bulletin du bibliophile belge, t. IX, 1852, pp. 256-257. ^ I^ettre de 1533 à Goclenius. ' Paquet, Fasli. l. c, p. 508. ^ Elle trouvera mieux sa place dans les aperçus historiques et littéraires du chapitre IX. DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 207 sable d'observer en terminant cette notice biographique, que bien des fois Rescius, en examinant les sources les plus dignes d'une étude spé- ciale ou d'une réimpression, a attiré l'attention de ses élèves sur des au- teurs d'une utilité classique. Dans une dédicace remarquable de son édition des Mémoires sur Sacrale par Xénoplion S premier ouvrage grec qu'il publia dans sa propre imprimerie (septembre 1529), il déclare que, dans le vaste champ des auteurs grecs, il s'efforcera d'abord de choisir les meil- leurs, ensuite de les imprimer aussi correctement que possible. Puis, quand il s'est glorifié d'avoir donné à ce premier ouvrage une correction qu'on chercherait en vain dans les éditions précédentes, il déclare qu'il a choisi à dessein les Mémoires de Xénophon, qui doivent servir à la con- tinuation de ses leçons; il s'est assuré que d'autres écrits du même auteur la Cyropédie, Y Économique et le Hiéron, avaient plu à son auditoire l'année précédente, et il a reconnu que les Grecs et après eux les Latins ont parlé de Xénophon avec les plus grands éloges. Nous relevons ce fait principale- ment pour montrer que, si Piescius a été souvent coupable de négligence ou d'inadvertance dans sa tâche d'helléniste et de professeur, et s'il n'a pas mis toujours assez de discernement dans le choix des livres classiques, il a étendu ses lectures à un cercle fort vaste d'écrivains, et en a su tirer quel- quefois bon parti dans ses leçons comme dans ses publications. 2. Hadrunus Amerotius (Adiien Amerol). (1543-1 ses.) Ce successeur de Rutger Rescius eut l'honneur d'être distingué par Érasme, quand, tout jeune encore, il habitait le collège du Lis, avec d'autres jeunes hommes fort appliqués ^ : Est in eodem collegio Adriamis ' Le P. van Isegheiii l'a traduite dans sa Biographie de Thierry Martens, pp. 106-108, et en a donné le texte, pp. 159-140. —Cette dédicace à Gilles Biisleiden, frère du fondateur du collège, est datée du 31 juillet 1329. 2 Lettre à B. Buclion. Epist., t. I , p. 667 , A. (Ânderlcclit, 1521). Érasme met au nombre de ceux qui habitaient le collège du Lis Hermannus Westphalus, sans doute Herraann Buschiiis, du diocèse de Munster, qui était sorti de l'école de Deveuter (voy. chap. I, § 1, p. 14). 11 dit que cet Her- niann faisait servir son érudition fort étendue à former et à instruire la jeunesse avec une ardeur ToMii XXVIIl. 28 208 iMEMOlRE SUR LE COLLEGE Siiessionius , prcieler exactam utrhisque litcralnrae peritiam et philosopliiue gtiarus, et juris Cacsarei non irjnarus, moribus mire ccindidis. Cet étudiant de Soissons, qui donnait de si belles espérances, entra au collège de Busleiden en 1545, et mit dans l'enseignement du grec ce zèle intelligent et soutenu qui avait manqué à Rescius dans ses dernières années. Adrien Amerot ^ ou Amerotius, originaire de Soissons en Picardie, et connu par son surnom de Sucssioniiis ou Suessionensis, était venu de bonne heure à Louvain ; il y fit sa philosophie au collège du Lis, sous la direc- tion de Josse de Vroye de Gavre {Jmlocus Laetus Gavenis ou Gaveriiis), et fut le premier dans la promotion de l'an 1516. Amerotius enseigna la langue grecque dans les premiers temps au collège du Lis, où il avait Tappui du président, J. Naevius, et de Gaverius, son ancien maître; bien des années s'écoulèrent avant qu'il fût chargé de l'enseignement public de cette langue, avec un titre officiel ^. Cependant, dès l'an 1520, il publia chez Thierry Marions un abrégé de grammaire grecque, qui mérite une place d'honneur parmi les livres méthodiques qui ont assuré la rapide extension des études grecques au XYI"'" siècle -*. Nous avons tiré de la préface de cette grammaire des renseignements irès- curieux sur les relations qu'Amerotius a eues avec les membres de l'Uni- versité, sur le but qu'il s'est proposé en concentrant sur la langue grecque l'application et les forces de son esprit : la dédicace au prince Antoine de la Marck n'est pas un morceau d'adulation banale, mais le programme d'un homme studieux qui veut concourir pour sa part aux progrès de l'instruc- tion publique. Amerotius témoigne hautement sa reconnaissance envers ses maîtres et ses patrons, surtout envers ceux sous lesquels il a long- infatigable. Buschius est donc un de ces étrangers qui enseignèrent temporairement à Louvain. Voy. ciiap. V, p. 134. ' Son nom vulgaire est aussi donné sous les formes d'Anioury et d'Amaury (Valère André, Fasli). Paquot préfère t'orthograplie Amerot (Fasti, folio SOS). - C'est dans cet intervalle qu'Araerot se livra à d'autres études ; on lui donne le litre de licencié es droits. 3 Compendium Graecae Grammalices , perspicua brevitate complectens, quidquid est octo parlium oralionis. Le P. van Iseghem (p. 310) décrit cette édition de la manière suivante : « Vol. in-4° de 92 feuillets à 36 lig., sans la réclame, signatures a ii-R ii , caractères grecs de 1516 et romain cicéro... » DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 209 temps travaillé dans la pédagogie du Lis , et il se loue de ses bons rap- ports avec un religieux de l'époque, Paschasius Berselius *, plein de zèle pour la diffusion des lumières. Le travail d'Amerotius est une œuvre toute pratique, qu'il a élaborée en vue des besoins de la jeunesse; il est assez volumineux pour comprendre beaucoup d'exemples, dont le texte grec est toujours accompagné d'une version latine dans la ligne suivante : il renferme un exposé détaillé des règles qui concernent les formes grammaticales, spécialement les dési- nences et les contractions , et donne la preuve que l'auteur avait poussé fort loin l'analyse de tous les faits de grammaire. Non-seulement Amero- tius avait éclairci les irrégularités et les anomalies des formes grecques, à l'aide de courts tableaux ; mais encore il avait dressé des paradigmes fort étendus pour présenter d'un coup d'œil le système de la conjugaison 2. Nous ne balançons pas à affirmer qu'il est peu de livres de grammaire qui l'emportent sur celui d'Amerotius : il est conçu suivant les procédés de la logique occidentale, et il se distingue ainsi, au point de vue de la méthode et de l'application, des grammaires calquées sur les traités des réfugiés grecs Théodore Gaza et Constantin Lascaris. Plus tard encore, Amerolius mit au jour un écrit spécial sur les diffé- rences des dialectes dans les flexions de la langue grecque , d'après Corin- thus et d'autres grammairiens, et ce petit traité, qui dut paraître une pre- mière fois en Belgique '", fut ensuite deux fois réimprimé à Paris : Libellus de dialeclis graecorum ex Corintho aliisque grammalicis colleclus (1534 et 1556). Ce même traité, à qui les bibliographes ont quelquefois donné d'autres titres, fut réimprimé en 1578 avec le traité de J. Varennius de accen- tibiis *. Amerotius apportait une grande aptitude à un enseignement raisonné du ' Voy. sur ce personnage Paquot, Mémoires, t. Il, pp. 353-554. - Les hibliopliiles sont tenus de l'aire honneur à Thierry Martens des difficultés qu'il a vaincues dans son art, en exécutant avec une précision et une netteté surprenantes les paradigmes et ta- bleaux très-compliqués que renferme la grammaire d'Amerotius. 5 On n'en voit pas de trace parmi les impressions de Thierry Martens, quoique Valère André semble l'insinuer. * Joecher, Gelehrlen-Lexico Fortselzung von Adelung, t. I, p. 723-724. 210 MEMOIRE SUR LE COLLÈGE grec, et l'on doit lui attribuer une très-large part en ce qui s'est fait pour cette langue à Louvain, dans les leçons publiques, avant Th. Langius. Un des beaux titres de notre savant réside, en outre, dans l'éducation solide qu'il donna à une foule de jeunes gens de distinction : il compta aussi parmi ses élèves Antoine Perrenot, qui devint plus tard le cardinal Gran- velle, et c'est à sa demande qu'il instruisit de la religion Jean Isaac Levita, juif d'Allemagne, qui fit un séjour à Louvain et qui même y enseigna. (Voir chap. VIII et X.) Amerotius mourut le 14 janvier 1560 ' et fut enterré à l'abbaye de Sainte -Gertrude. Revêtu du sacerdoce, il remplit avec zèle plusieurs fonctions en rapport avec cette dignité; il s'occupait beaucoup de la prédication, et on le vil, par exemple, pendant deux ans, faire chaque dimanche des sermons en latin devant le clergé, dans la chapelle des Augustins 2. 5. TnEODORicus Langius (Thiernj de Langhe). (1360-1578.) Ce nom de Langius ne doit pas être confondu avec celui de Ch. de Langhe ou Langius, qui est un de nos célèbres philologues et latinistes du même siècle. Thierry de Langhe était natif d'Enkhuisen, en Hollande {Enckiisamis), et c'est comme helléniste qu'il a laissé un souvenir dans notre histoire '. Il avait enseigné pendant dix ans la littérature grecque à Bordeaux, et avait mérité en France l'estime des hommes instruits , avant de venir ha- biter Louvain. Suffridus Pétri parle de lui, comme professeur de grec, dans une lettre écrite d'Erfurt l'an 1557 *, et cela peut faire croire que Langius suppléa Amerotius dans les dernières années de la vie de ce dernier. Quoi ' Valère André, Exordia, p. G6, donne la date de 1562. Paquol, dans ses Fasti, celle de 1560. - Amerot légua une grande valeur en argent el en livres pour l'érection d'un collège théolo- gique; mais un procès de plus de 20 années s'éleva à ce sujet, et vers le milieu du siècle suivant (1640), on ignorait encore s'il reviendrait aux théologiens quelque chose de cette fondation. — Paquol, Fasti, t. I, p. 509. ' Valère .\ndré. Exordia, p. 66; Fasti, p. 1282. La Bibliotheca Belg. de Foppens et les Mémoires de Paquot n'en parlent pas. ■* Lettre que nous avons puhliée dans VAntmaire de ÏUniv. de Louv., 1848 (p. 203). DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 2il qu'il en soit de cette circonstance, on voit Langius, une fois nommé suc- cesseur d'Amerotius, porter au travail beaucoup de persévérance et d'ar- deur. Bientôt, cependant, affaibli par l'âge et devenu presque aveugle *, il fut aidé dans sa tâche de professeur par Augustin Huens ou Hunnaeus, de Malines 2. Un peu plus tard, il fut suppléé par Suffridus Pétri de Leeuv^arden, en Frise, qui était au nombre des étudiants les plus distingués de l'Uni- versité % et qui y comptait beaucoup de protecteurs et d'amis. Suffridus Pétri expliquait dans ses leçons Pindare, qu'on pouvait bien dire alors « le plus difficile des poètes grecs », et si l'on en croit M. Goethais *, il faudrait comprendre des commentaires sur les Olympiques de Pindare au nombre des manuscrits de Pétri, qui ne sont pas perdus. Quand, après avoir repris ses études de droit et obtenu, en 1574, le grade de licencié, Pétri quitta la Belgique, en 1577, pour se retirer à Cologne, où il avait accepté une chaire de droit, ce fut Pierius à Smenga, hébraïsant dont nous parlerons plus loin, qui devint le suppléant de Langius. Celui-ci mourut à Louvain le 12 juin 1578, léguant au collège des Trois-Langues sa biblio- thèque très-bien fournie. Il ne reste aucun écrit de Langius; mais il a mis au jour les commen- taires posthumes de Nannius sur les Bucoliques de Virgile ^, et en a fait la dédicace, datée du 29 août 1558, à Sigismond Frédéric, fds de Jean .Jacques Fugger, seigneur de Kirchberg et Weissenhorn. On chercherait vainement, en l'honneur de Langius, un témoignage plus flatteur que celui d'André Schott, qui avait été élève assidu de Valerius et de Langius, à Louvain, pendant deux ans. Il avait connu celui-ci à Anvers, et il rend hommaae à son infatigable activité et à son habileté dans l'étude des textes des poêles anciens. Illis enim Lovanii Grudiorum in Graecis Latinisqiie ' Dum Th. Langius saxum hoc volveret, scipione utcns et caeciitiens. Foppens , p. IHO. ^ Nous verrons au chapitre VIII , Hunnaeus suppléer un autre professeur du même collège , Gen- nep. Pendant 4 ans, Hunnaeus aurait suppléé le professeur de grec et pendant un an celui d'hébreu. ^ Voy. Pa(\aoi.Mém., t. II, pp. 68-74, et quelques détails supplémentaires dans notre notice de V Annuaire de l'Université de Louvain , 1848, pp. 184 et suiv. : Relations de S. Pétri, etc. ^ Lectures relatives à l'histoire des sciences, t. II, p. 169. 5 Voy. la notice de Paquot sur les écrits de Nannius, n° 30. Cfr. Fasti, t. I, pp. 509 et 483. 2i2 MEMOIRE SLR LE COLLÈGE toturn biennium publiée privaiimque operum dedi : hoc vero Anlverpiae meae jucundissime sum usiis, liomine in illuslrandis et ad vêlera exemplaria eompa- randis poëtis anliquis diu mullumque versato. Quantum enim otii ab aliis rei do- mesticae negotiis suppeditare poterat, omne id ad vitam legendo, scribendoque ex Varronis praecepto , procudendam conferebat. Lanqius omnem in Graecis literis aetalem consumpserat , quas Biirdigalae apud Gallos annos fere deeem professus est : reliqiio tempore in gymnasio Trilingni Biisleidiano , coUega P. ISannii viri doctiss. qui Lalinae Eloqucntiae et Fhilosopliiae doctor erat '.... 4. GuLiELMis Fabius. (1578-1590.) Ce professeur, dont le nom vulgaire était Boonaerls^, avait vu le jour dans un village du Brabant, Hilvarenbeek, dépendant de la mairie de Bois- le-Duc (Hilvarebeeanus). 11 était licencié en médecine; mais, versé dans les langues classiques, il dirigea pendant plusieurs années, à Anvers, des cours d'humanités. Dans des conjonctures difficiles, au milieu des troubles, il demeura toujours fermement attaché à la foi catholique, et préserva ses élèves des atteintes de l'hérésie''. Appelé à Louvain à une époque qu'on ne saurait guère préciser, et mis en possession de la chaire occupée auparavant par Th. Langius, Fabius ne resta pas inactif. On le voit publiant à Anvers, en 158-4, un abrégé de la Syntaxe greeque, tiré de Vareunius, de Rulandus et d'autres auteurs*. Fabius périt à Louvain , le 26 mai 1590, d'une manière malheureuse, dans une émeute nocturne, causée par des étudiants indisciplinés^. ' Lettre à Plantin, lo8I. — Cfr. Annuaire de l'Univ. de Louvain, 1847, p. 237. - Paquot. Fasti, MS., t. I , p. 507 : ttilvarebecanus , qiiod mmiicipiiim est Brabuntiae Campi- niae. — Cons. Valère André, Exordia, p. 67; Fusli, p. 28-2. f'oppens, p. 400. Bax, folio Uol. ^ Encore en l'année 1581 (?) ses classes étaient fréquentées par des jeunes gens de famille, tels que Fr. Sweertiiis, auteur de XAthenae Belgicae, et par les trois frères de celui-ci, Théodore, Ro- bert et Guillaume. ■' Synlaxeos linguae graecae epitome. Antverpiae, 1584, apud Andr. Baxiuro, in- 12. Voy. plus loin, chapitre X. 2 Les étudiants qui avaient contribué à la défense de Louvain contre Martin van Rossem, eu 1342, prirent encore les armes en 1572 et en 1390, quand la ville fut menacée par quelque DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 213 5. Geraudus Corselius {Gérard de Coursèle). (1591-1596.) Malgré le malheur des temps, les administrateurs du collège qui n'a- vait plus de président, comme nous l'avons remarqué ci-dessus (eh. IV, p. 102-105), pourvurent à la chaire de grec après la mort de Fabius, en y appelant Gérard de Coursèle, de Liège, qui avait obtenu la quatrième place dans la promotion de 1586. G. Corselius — nous lui conserverons son nom latin — prit possession de sa chaire le 5 mars 1591 , et la remplit pendant six années. En 1594, il fut une première fois recteur de l'Université, et dans la suite il fut encore honoré huit fois de cette dignité. C'est en 1596 qu'il résigna l'en- seignement du grec, pour occuper une chaire royale de jurisprudence {Instilulionum professer regius). La haute réputation qu'il parvint à s'acquérir lui valut plus tard des fonctions importantes dans l'État, telles que celles de membre du conseil de Malines, de conseiller privé et de maître des requêtes. Il dut quitter Louvain, en 1617, pour habiter le plus souvent Bruxelles, oià il mourut en 1636 *. De ses ti'avaux, on ne peut rapporter aux lettres que son oraison funèbre de Juste Lipse, prononcée à Louvain, en 1606, et peut-être quelques discours restés manuscrits , mais qui furent probablement composés à Louvain. 6. IIenricus Zoesius. (1606-1607.) A cause de l'état encore précaire de l'institution, Corselius n'eut pas immédiatement un successeur; mais, dans l'année de la reconstitution de l'école, le 12 avril 1606, la chaire qu'il avait occupée fut confiée à un ennemi. Voy.de Reiffenberg, Deuxième Mémoire, t. VU, pp. 21-22, et plus haut le chapitre IV, p. 102. * Voy. sa vie dans Foppens, Bibliot. Belgic, pp. 3i7-348, et dans Paquot, Mémoires, t. H, pp. 472-473. 214 MEMOIRE SUR LE COLLEGE jeune savant de Hollande, Henri Zoes ou Zoesius, d'Amersfoort, qui avait naguère donné des leçons de rhétorique et de langue grecque au collège du Faucon. Zoesius ne remplit pas au delà d'une année et demie les fonctions attachées à sa nouvelle chaire. Cédant à un goût très-vif qu'il avait montré dès sa jeunesse pour les études de droit, il donna sa démission au moment oîi la chaire de droit civil lui fut décernée par nomination royale ^, et le reste de sa carrière s'écoula dans l'enseignement du droit. 11 y porta les qualités précieuses d'un esprit cultivé, un zèle infatigable, et il y acquit une haute distinction -. Zoesius mourut à Louvain en 1C27, quand il venait de célébrer, dans la dignité de recteur, le deuxième jubilé séculaire de l'Université. 7. Petrus a Castello ou Caslellanus (P. Ducliastel?). (1609-1632.) En 1609 seulement, le titre de professeur de grec fut conféré au suc- cesseur de Zoesius. Celui-ci, né à Grammont, en Flandre, vers 1515, avait passé une grande partie de sa jeunesse en France; il avait pris ses degrés en jurisprudence à l'Université de droit établie à Orléans, et il avait même enseigné en cette ville les humanités et la langue grecque. Petrus à Castello, homme de goût et de savoir ^, accomplit à Louvain tous les devoirs de la chaire qu'il avait acceptée, et il la conserva jusqu'à l'année de sa mort. Il avait résigné sa charge en faveur de Pierre Stock- mans, le 17 janvier 1G52, quand il vint à mourir le 23 février de cette même année *. Toute l'activité de Castellanus ne fut pas absorbée à Louvain par les belles-lettres : il y poursuivit ses études en médecine jusqu'au doctorat, ' Exordia , p. 67 . Fir stmlii indefessi , judicii subacti , qui hoc unum agit ut quam cepit docendi provinciam illustriorem reddat. - Valère André, Exordia; Fasti, pp. 204, 285. Foppens. Bibl. 468-469. ' En 1614, Valère André l'appelait vir docirinae eleganlis (Exordia, p. 67). Voy. sur Castellanus les Fasli Academici , p. 283, et la Bibl. Belg. de Foppens, p. 96ô. • Paquot, Fasti, MS., t. I, p. 510, d'après les pièces manuscrites. DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 21S qui lui fut conféré le 23 octobre 1618, et il fut mis à celte époque en possession d'une chaire royale de la faculté de médecine. On fait honneur à Castellanus d'une érudition solide et bien digérée, ainsi que d'une diction latine remarquable. C'est au collège des Trois- Langues qu'il prononça, en 1622, l'éloge funèbre de l'archiduc Albert, quand il avait déjà quelque réputation littéraire : ce discours latin a été imprimé ', et l'on y voit Castellanus prendre le double titre de professeur de médecine et de professeur de littérature grecque. Les principaux écrits de ce savant appartiennent à sa première voca- tion, et ils attestent des recherches spéciales sur les usages et les mœurs de l'antiquité, telles que peu d'hommes étaient alors capables d'en faire , faute d'une connaissance suffisante des sources. La première des publications de Castellanus est le Ludiis sive convivium satiirnale '-*, qui présente une conversation familière et piquante sur une foule de points de littérature et de critique, écrite à la manière des poly- graphes de l'antiquité. Il y a beaucoup de sel dans ce morceau latin, mêlé de citations grecques , qui était le début littéraire de son auteur. Castel- lanus s'est excusé lui-même d'avoir touché à des sujets si variés sous une forme légère; cependant le mérite de ce jeu, comme il l'a appelé, a paru assez grand à M. de Nélis pour qu'il l'ait réimprimé au siècle dernier dans ses Analecles % et cet estimable savant n'a pas craint à ce propos de rehausser le nom de Castellanus comme celui d'un des hommes qui avaient fait le plus pour la conservation du bon goût dans les études : Conditor illius vir doclrina omni liberali erudilus, qui voce olim et calamo bonarum arliiim studia apiid Lovanienses propagare ctim primis annisiis est. On s'était fâché for- tement autrefois contre Puteanus, pour les allusions qu'il aurait faites à ' Laudalio fwiebris Albcrli Behjurum principis, dicta Lovanii in collegio Triiingui, a Petro Castellano, Graccarum literarum et medicinae professore regio. Lovanii, apud Henricum Haste- niuni, 1682, pp. 62, in-4". ^ Lovanii, 1616. Typis Masii, in-8°. 3 Tome I, pp. 95-139. M. de Nélis dit, dans son Prologue : Si qui sunt, qui veteris Romuc delicias, et a iloctis illis Alhenis repetita bellaria hodie non fastidiunt; yratuin, opinor, haheburtt , instaurari sibi plénum hoc priscae elegantiae convivium. Caeteri se non vocatos esse, meminerint. rogo. Tome XXVIil. 29 216 MEMOIRE SUR LE COLLÈGE la gourmandise des Anversois *. De Nélis. ne demande point d'indulgence pour les peintures du Convivium de Caslellanus, puisqu'elles ont perdu, grâce aux changements survenus dans les habitudes nationales, la vérité d'application qu'elles pouvaient avoir de son temps. Un traité de Caslellanus, plus sérieux, plus étendu, et tout à fait savant, parut, l'année suivante, sous le titre de 'Eopxolôyiov , sive de Festis Graecoritm srjnlacjma , in quo pliirimi anliquitalis ritus illiislrantur ^. C'est une dissertation raisonnée sur cette partie des antiquités grecques, tirée par Caslellanus de la lettre des monuments anciens. 11 avait remarqué que Sigonius, dans ses cinq livres De lief/iiblicâ Athcniensium (Boloniae, 1564), avait omis ou négligé bien des particularités dignes d'intérêt. Il connaissait les premiers travaux de Jean Meursius sur l'histoire et les mœurs de la Grèce ancienne, et rendait hommage à la solidité de son savoir : il avait même supprimé un travail terminé, quand parut, en 1616, son livre De Populis Atticae. Mais comme Meursius n'avait encore rien publié sur les fêtes des Grecs ^, il crut faire chose utile en donnant au public le fruit de ses propres recherches. On voit que Caslellanus avait consulté par lui- même une foule d'auteurs classiques, grecs et latins, pour définir et dé- crire chacune des fêles qu'il a comprises dans son traité. A la fin du volume (pp. 247-505), on trouve un second travail sur les mois et l'année des Grecs, et spécialement des Athéniens. Caslellanus mil au jour, en 1617, un autre ouvrage, qui témoignait à la fois de son goût pour les études de médecine qu'il avait entreprises, et de la lecture qu'il avait faite des œuvres anciennes et modernes; c'est sa ' Dans son traité de Liixu eonviviorum. Voy. plus haut, chap. VI , § 7, p. 174. ■^ Antverpiae, ex off. Hieionymi Verdussii, 1617, p. 303, in-8°, sans les préliminaires et l'index. "' La Graecia feriala de Meursius, ne parut qu'en 1619, ainsi que les Panathénées et les t^leu- .«inies du même auteur. — Dans la préface de ce traité (Opéra, éd. Lami, Florentiae, t. IH, p. 78), Meursius rend justice i\ l'essai de Petrus Caslellanus: Vir doctrina et iMmanitule insiynis , ne diulius haec Antiquitutis Graecae pars laterct , suuin nobis 'Eop-cXsyioy communicavit , quod lanlicm abest, ut aegre feram, ccu injecta in messem meam sua falce, quod nonnuUi clamitarent , iit eloyio mihi hic publico tam praeclaram volunlatem bene de liepublica nostra Ulleraria promerendi oriiun- dam, putem, etc. Meursius fait ressortir la loyauté mise dans ses recherches par Caslellanus, tout en signalant les lacunes de son livre qui laissaient le champ ouvert à d'autres. DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 217 vie des médecins célèbres de tous les temps K Les notices étendues qu'il a consacrées aux médecins de l'antiquité font reconnaître l'helléniste, qui était à même de citer les meilleures autorités. Petrus à Castello mourut jeune et justement regretté : il était entré dans la bonne voie de l'érudition et de la critique, et, à la faveur d'une plus longue carrière, il eût réussi peut-être à fixer chez nous l'opinion sur la vraie destination des lettres classiques. Déjà il avait réuni sous sa main, à une époque où il n'y avait pas encore de bibliothèque académique à Louvain, une collection considérable de bons livres, et en particulier des meilleures éditions alors existantes des auteurs grecs et latins : le catalogue de sa bibliothèque, vendue environ deux ans après sa mort, en fait foi -. 8. Pierre Stockmaxs. (1652-43.) Peu après la mort de Castellanus, le l"mars 1652, Pierre Stockmans, d'Anvers, inaugura par un discours son enseignement du grec dans la chaire du collège des Trois-Langues; il le poursuivit jusqu'en 1G45. La vocation de Stockmans le portait aux études de droit, qui lui ouvrirent la route des hauts emplois. Il avait été à Louvain professeur royal de droit civil {Regiustitulorum professor); ses mérites comme jurisconsulte le firent appeler plus tard au conseil souverain de Brabant et à d'autres dignités; sa vie est une de celles qui font le plus d'honneur à l'ancienne magistrature de notre pays ^. Stockmans mourut en 1671. ' Vitae illmtrium medicorum qui lolo orbe ad liaec usque tempora floruerunl. Antverpiae, apud Guil. a Tongris, 1617, p. 256, in-8°, sans la table. Plus tard, en 1626, parut un traité spécial de Castellanus : Kpnofxyix, sive de esu carnhtm libri IT. Antv. Hier. Verdussen, p. 1626, in-8". Vov. ['Essai sur thist. de la médecine belge par le D' Broeckx, p. 236, article sur Ducliastel ou Castellan. "i Calalofjus librorum Biblinlhecae clar. viri Pétri Castellani, etc., qui libri vendentur publica auctione Lovanii , die 17 Januarii, anno 1634.... per H. Joan. Oliveriuni Bibliopolam juratum. 25 feuillets petit in-4". Les ouvrages de pbilologie et de littérature y occupent environ neuf feuillets. ' Valère André, Fasti. pp 136, 208, 283; Foppens, Bibl., pp. 1012-1013. 218 MEMOIRE SLR LE COLLEGE 9. Matthieu Theige. (1643-52.) Né à Limerick en Irlande ^ M. Theige avait étudié à Louvain; mais il enseigna la théologie chez les céleslins, à Héverlé, et au séminaire archié- piscopal de Malines, avant de recevoir, en novembre 1638, le bonnet de docteur à l'Université. Prêtre de la congrégation de l'oratoire de BéruUe, il devint chanoine de S'-Pierre à Louvain, ainsi que président du collège pastoral des Irlandais, établi en 1C25. A sa mort, il fonda trois bourses dans ce collège. Ce personnage ouvrit ses leçons publiques, après la retraite de Stock- mans, au collège des Trois-Langucs, le 28 juillet 1643, et il continua à y professer jusqu'à sa mort, arrivée le 9 novembre 1652. 10. Jean Noumenton. (1652-54.) Jean Normenton, qu'on appelait vulgairement de Bruyn, ou de Brun, était un gentilhomme anglais, qui succéda à M. Theige, à la fin de l'année 1652. Il renonça à son professorat, pense-t-on-, après le 3 mars 16S4, et fut aussi i^emplacé par un autre professeur de l'institution. 11. Bernard Hei.mbachil'S (B. von Ileijmbach). (1654-64.) Cet humaniste, allemand de naissance, qui occupait la chaire de latin depuis 1649 ^, fut chargé de professer simultanément le grec dans le collège de Busleiden, à partir de l'an 1654, et on a lieu de croire qu'il a exercé cette double charge jusqu'à sa mort, le 8 juillet 1664, c'est-à-dire, pendant une dizaine d'années. Ses travaux ont eu surtout la langue latine et l'histoire ancienne pour objets, comme on l'a vu précédemment. ' Valère André, Fasli. p. 143; Paquot, Fasli, MS., pp. 178, SU. Bax, folio 143-2. - Paquot, Fasli, t. I, p. 511 , et les Mémoires, 1. 1, p. .518, dans sa notice su» Heymbach. ' Voy. plus haut, cliap. VI, §9, p. 184. DES TROIS-LANGUES A LOUVAIW. 219 12. Jean de Hamere. (1CG4-80.) Ileymbach fut remplacé, le 29 juillet 16G4, dans la chaire de grec, par Jean de Hamere de Lierre S qui, selon toute apparence, fut un homme fort instruit. Doué d'un esprit vif, d'un jugement pénétrant et d'une robuste mémoire, de Hamere fit avec des succès signalés ses premières études à Malines. Après un cours de deux années au collège du Faucon, il obtint le troi- sième rang dans les maîtres es arts promus l'an 1655. 11 avait passé en- viron quatre ans dans le grand collège des Théologiens, quand il fut appelé à faire des cours d'humanités au collège de la S'<^-Trinité, qui était sur le point d'être ouvert. 11 y fut chargé, de 1657 à 1658, de la classe de la grande figure {figurarum) , et de 1658 à 1662, de celle de grammaire -. De Hamere confirma toutes les espérances qu'on avait conçues de lui; il tempérait la sévérité de ses autres études par la composition de pièces latines fort goûtées, en prose et en vers. De plus, sans le secours d'un maître, il avait acquis une connaissance profonde de la langue grecque, par une lecture assidue des auteurs et surtout des Pères grecs. Cette dernière circonstance explique assez bien le choix qu'on fit de lui, en 1664, pour succéder à Ileymbach au collège de Busleiden. Cependant d'Hamere ne mit pas à profit ses heureuses dispositions pour les lettres, en dépassant les strictes obligations du professorat. Licencié en théologie et jugé digne du bonnet de docteur, il fut chargé, en 1666, de la prési- dence du petit collège des Théologiens. La renommée qu'il avait acquise le faisait considérer comme capable de jeter un nouveau lustre sur l'Uni- versité, puisqu'il unissait à l'habileté du latiniste le savoir de l'helléniste. Mais d'Hamere se contenta de poursuivre en secret ses études, pour se livrer d'autant mieux aux exercices de piété et aux devoirs du ministère * On trouve son nom écrit sous ces formes diverses: de Hamere, d'Hamere, van Hameren , d'Haemere, d'Hamers. - Nous résumerons sa vie d'après Paquot, qui n'indique pas ses sources, Fastiacad., 1. 1, p. 511, et d'après la compilation de Bax, folio 1452. 220 MÉMOIRE SUR LE COLLÈGE évangélique; il montra surtout le zèle qui l'animait pour le service de Dieu, quand il devint membre du chapitre de S'-Pierre ^. Il succomba à une longue maladie, le 29 avril 1680, à l'âge de 47 ans. Voici le distique que ses contemporains lui consacrèrent en manière d'épitaphe, parce qu'il résumait sa vie : Simplice vir doctus latet Itac sub marnioris umbra .- Egerat hoc vivens, hoc lumiUatus agit. 15. RuTGER VAN DEN BlJRGH. Rutger van den Burgh, d'Amersfoort en Hollande, seizième dans la promotion des arts en 1675, et bachelier en théologie (S. T. B. F,), fut choisi, le 20 janvier 1681, comme professeur de langue grecque; mais il n'occupa point longtemps cette chaire, s'il y monta jamais ^ à cause de l'opposition qu'avait faite à sa nomination le prieur de la Chartreuse de Louvain, à titre de proviseur du collège. Van den Burgh fut nommé, en 1690, à la cure de Heussen, dans le diocèse d'Utrecht, et mourut le 5 août 1705. 14. François Martin. (1685-1722.) Ce personnage, irlandais de naissance {Galviensis seu Calviensis Hibernus), fut désigné, l'an 1681, pour la leçon de grec, quand le titre de profes- seur fut contesté par un des proviseurs à van den Burgh, déjà nommé. Enfin, après un procès de deux années porté jusque devant le conseil de Brabant, procès dont nous parlerons ailleurs, il fut mis régulièrement en possession de la chaire de langue grecque, qu'il avait remplie à titre provisoire depuis environ trois ans. François Martin, qui avait beaucoup d'esprit et de mémoire, passait pour être très-versé dans le grec; et comme il est vraisemblable de le ' Voy. les tlélails consigni^s à ce sujet dans Paquol. - Bax. Pacificam possessionem non videlur habuisse (folio 1451). Nous exposerons brièvenieut cette affaire au chapitre XII. DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 22< croire, il conserva la charge de l'enseigner au collège de Busleiden pen- dant un terme de plus de quarante années ^ 11 reçut le titre de docteur en théologie le 12 octobre 1G88, et mourut à Bruges, âgé de 70 ans, le 4 octobre 1722 ^. La réputation de Martin comme helléniste était grande, et elle rendait difficile le choix de son successeur. Les difficultés s'accrurent encore par les mesures qu'un des proviseurs du collège voulut prendre pour resti- tuer à la chaire de grec son ancien éclat. Un débat presque aussi animé que celui qui avait eu lieu à propos de Martin, s'éleva, en 1722, quand il s'agit de le remplacer : nous en réservons l'exposé au chapitre XII. 15. iEciDius Franciscus Audenaeut. (1723-1732.) L'heureux élu qui fut enfin jugé digne d'être accepté comme succes- seur de Martin, était un des anciens lauréats de la Faculté des Arts, pro- clamé piimus à l'unanimité dans le concours de l'an 1711 '. Égide (Gilles) François Audenaert, de Lokeren, dans le pays de Waes *, fut appelé, après un cours de théologie de trois années, à enseigner la philosophie au collège du Château, dont il était un des anciens élèves. Il avait déjà passé sept années dans cet enseignement, et il venait d'être élevé au grade de licencié en théologie (19 août 1721), quand il entra au collège de Busleiden, probablement en 1725. Audenaert resta professeur de grec jusqu'au mois d'août 1752, époque à laquelle il quitta Louvain. Il fut alors promu, par nomination académique, à un canonicat de Malines. Plus tard (7 mars 1758), il fut élu à la cathédrale de Gand parmi les chanoines dits gradués; il devint dans la même église archiprêtre, puis * Quand Martin quitta Louvain, du mois de janvier 1691 jusqu'à la fin de l'année suivante, pour professer au séminaire archiépiscopal de Malines, il eut pour suppléant un certain Bodry, licenciées droits, qui fut ensuite avocat à Bruxelles. Fasli de Paquot, 1. 1, p. 51 1. 2 Voy. le supplément aux Fastes académiques : Oral, de laudibus, etc., p. 132. 5 Promot. in artib., folio 30. Paquot, Fasli, MS., 1. 1, p. 511 , et Bax, folio 1453. '' Voy. sur Audenaert un article du Messager des sciences historiques (1855, ô"" livr.): Les trois premiers de Lokeren au concours de l'université de Louvain, parHenry Rapsaet , pp. 357-358. 222 MEMOIRE SUR LE COLLEGE doyen du chapitre, et c'est revêtu de cette dignité qu'il mourut le 15 no- vembre 17G8 I IG. François Claude de Quareux. (1732-1740.) Ce personnage, originaire de Quareux, bourg du district de Stavelot, était de naissance noble. 11 avait eu la deuxième place dans la grande promotion du 25 novembre 1092, après avoir terminé ses études philo- sophiques au Castrum. On ne sait rien de précis sur la carrière professo- rale de François Claude de Quareux, quand il fut titulaire de la chaire de grec, à partir de 1732 2, On suppose qu'il mourut vers l'an 1741 , ou même un peu auparavant. On donne à de Quareux le titre de chanoine de S'-Martin, à Liège ^. 17. Jean-Baptiste Zegers (Segers). (1741-1782.) Zegers OU Segers, qui était néà Louvain, au commencement du XVIII"« siècle, fit un cours complet d'études dans sa ville natale*. Il fut d'abord élève du collège de la S'^-Trinité, et entra ensuite à la pédagogie du Faucon. On le vit obtenir la dixième place dans le concours académique de 1727. Jouissant d'une des fondations du collège de My- lius, il se livra à l'étude de la théologie; dans la suite, il obtint successi- vement plusieurs charges académiques et des dignités ecclésiastiques. Le 9 janvier 1741, il fut nommé professeur de langue grecque au ' Voy. tlans Rapsaet, loc. cit., l'épitaplie d'Audenacrt à Saint-Bavon, énumérant tous les titres (le ce personnage, et rappelant la fondation considérable qu'il fit, en 1737, pour des étudiants de Lokeren et du pays de Waes. ■^ Il était frère de Gérard Joseph de Quareux, premier dans la promotion de 1685, licencié en théologie, professeur de théologie et régent au collège du Porc, ensuite chanoine de Saint-Pierre, et président du collège de Divaeus, à Louvain, mort le 6 janvier 17-41, .'i l'Age de 77 ans. Voy. une note de Foppens, Prom. in art., folio 27. '' Paquot. Fasti, MS., p. 51"2; notes de Bax, folio 1433. * Voy. Paquot. Fasti, MS., t. I, p. 512. Bax, folio 1453. DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 223 collège de Buslelden, et président du collège de Divaeus. Il remplit aussi les fonctions de bibliothécaire de l'Université, entre les années 1752 et 1755 ^ Après avoir été chanoine de S'-Pierre, secrétaire du chapitre et même doyen, il mourut le 10 août 1785, à l'âge de 78 ans, au collège de Craenendonck, dont il avait la présidence dans ses vieux jours. J.-B. Zegers avait conservé la chaire de grec pendant environ 40 ans. Il ne donna sa démission qu'en 1782; nous n'avons trouvé aucun fait de quelque importance qui ait signalé ce long professorat. 18. Jean Hubert Joseph Leemput. (1782-1787.) Leemput, natif de Roterdam, avait été second dans le concours de 1768. Il fut proclamé docteur en théologie le 22 août 1780 ^, eut la présidence du collège de Hollande, et obtint en date du 18 juillet 1782 la chaire de grec. Quand il la résigna, en 1787, il devint doyen de la cathédrale de Renaix. Plus tard, on le voit professeur d'histoire à l'école centrale de Gand, où il mourut en 1802^; il avait quitté Louvain vers 1790. 11 n'y a pas lieu d'exalter grandement le mérite de Leemput comme hel- léniste, puisqu'il n'a pas eu le temps ou l'occasion de le manifester; mais il nous paraît équitable de constater le déni de justice dont M. Ch. van liul- them, son élève, semble avoir été coupable envers lui. Comment prendre à la lettre l'aveu que Leemput lui aurait fait un jour, et dont van Hulthem parle dans un de ses rapports à l'Académie de Bruxelles *? Cet ancien pro- fesseur de grec aurait dit « qu'il ne le comprenait pas, et que toutes ses connaissances se bornaient aux premiers éléments de la grammaire. » 1 Histoire des biblioth. piibl. de lu Bclg., par P. Naiiiur, t. Il (Louvain), p. 28. 2 Suppl. ad Fastos. V. Orat. de laudibus , p. 159. ■' Bax, folio 1453. — i>/-o?)î. »i art., folio 38 V. Addition de la main de van Hullhem. ' Voy. l'extrait cité par le baron de Reifîenberg, au tome II de ses Archives philologiques , p. i 23. Louvain, 1827. Tome XXVIII. 30 224 MÉMOIRE SUR LE COLLEGE Renchérissant sur ce mot, van Hulthem répétait qu'il avait opposé un refus forme] à son ancien maître, qui lui demandait une chaire à la Faculté des lettres de Bruxelles, et qu'il l'avait mis au défi de traduire Ésope. On ne se résoudrait pas vite à taxer d'une telle ignorance le professeur qui publiait en 1782, l'année même où il était mis en possession de la chaire de grec au collège des Trois-Langues, une grammaire méthodique % qui fut réimprimée à Louvain à l'imprimerie académique, quinze années après (1797). Ce travail peu étendu, mais systématique, paraît avoir été mûri longtemps par Lcemput : il a été entrepris en vue des besoins pra- tiques de l'enseignement du grec, comme il ressort de la distribution du livre, ainsi que des déclarations de l'auteur dans sa préface. 11 est constant que Leeraput est parti de cette observation, que les livres classiques, existant en grand nombre pour l'étude de la grammaire grecque, avaient accordé le plus d'importance à la syntaxe, et que ceux qui avaient traité de la partie analytique de la grammaire l'avaient fait avec trop peu d'or- dre ou avec trop de brièveté. L'ouvrage qu'il a composé pour servir d'in- troduction facile à la connaissance du grec, est destiné surtout à l'analyse du fond de la langue, à la théorie des formes. Qui examinera attenti- vement le livre même, en tenant compte de l'intention particulière du professeur, reconnaîtra qu'il a mis dans cet abrégé de grammaire beau- coup de concision et de lucidité, et qu'il l'a rédigé dans un style latin d'une clarté remarquable. Un simple coup d'œil fera juger la valeur de la première de ces assertions. L'opuscule {opusctdum, comme l'auteur le nomme) est partagé en six sections. La première, qui traite des éléments de la grammaire, présente plusieurs essais de simplification dans l'exposé de la déclinaison et de la conjugaison : ainsi Leemput, rejetant le nombre de dix déclinaisons, en établit trois principales -, et relègue dans un chapitre à part les règles ' Jnsliluliones linguae Graccae, ad analysim poUssimum comparatas , edidU J. H. J. Leemput, in Universilale Lovaniensi S. T. D. et limjuae Gruecae professor. I.ovanii, tvpis Academicis, 1782, iii-8».— Editio altéra. Lov., typis Acad., 1797, pp. V1II-1G7, in-S". - Elles répondent aux trois déclinaisons de la Grammaire grecque de J.-L. Burnouf. DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 225 relatives aux contractions clans les noms. De même, dans la théorie des verbes, il établit simplement deux conjugaisons (celle des verbes en o, et celle des verbes en ixi), et réduit à quelques règles les contractions propres à la classe de verbes, dite jusqu'alors circonflexe, et longuement exposée. Un glossaire des verbes défectueux est présenté aux conmiençants à la suite des principes essentiels de la conjugaison. La syntaxe, traitée dans la U'"^ section, est courte, mais méthodique, et les règles bien enchaînées : Leemput l'a débarrassée des rapprochements entre le grec et le latin , dont on l'avait surchargée dans d'autres livres classiques. La prosodie du grec est nettement résumée dans la III' section, en deux pages. La section suivante, qui traite des ûgures, est pleine d'in- térêt et d'utilité; elle initie l'humaniste aux termes usités par les gram- mairiens pour désigner les particularités de l'orthographe, de la syntaxe et de la prosodie. La V"" section donne des notions succinctes sur les dia- lectes, et la VI""*^ un abrégé fort clair de la théorie des accents. Celui qui avait analysé ainsi la grammaire d'une langue savante ne serait pas resté muet devant les auteurs grecs; et si van Hulthem, moins absorbé par la bibliographie, eût cédé comme Caton au désir d'apprendre le grec dans ses vieux jours, il eût tiré lui-même bon profit de la lecture des rudiments de Leemput. 19. Jean-Baptiste Cypers. (1790-1791.) Les mesures qui amenèrent la révolution brabançonne et les troubles qu'elle entraîna, causèrent vraisemblablement une interruption dans les études au collège des Trois-Langues , comme dans celles d'autres institu- tions de Louvain. En février 1790 seulement, un successeur fut donné à Leemput en la personne de J.-B. Cypers d'Anvers, humaniste recomman- dable de l'Université ^. Ce professeur avait été le 7""* de la 5™" ligne, c'est-à-dire le Sl™^ dans la promotion de 1776. Admis le 16 mai 1785 au conseil de la Faculté des ' Bax, folio 1453 et 1514.— Fasti Acad. MS. delà Bibl. académique de Louvain, n" 20. 22G MEMOIRE SUR LE COLLEGE Arts, et nommé dans le même mois professeur de syntaxe au collège de la Sainte-Trinité , il venait de passer à la classe de poésie, en 1790, quand il fut appelé à la chaire de langue grecque rendue vacante par la retraite de Leemput '. Le 7 mai 1791, il obtint, par nomination de la Faculté des Arts, la cure de Beveren , dans le pays de Waes, et c'est dans cette localité qu'il est mort, le 21 mars 1820. 20. Antoine van Gils. (1791-97.) A. van Gils, deTilbourg, né le 28 juillet 1758, était président des col- lèges de Malderus et de S'^-Anne. Licencié en théologie et chanoine de S'-Pierre (1790), il fut élu professeur de langue grecque , le 21 mai 1791. et il professa dans le collège de Busleiden jusqu'à sa suppression, en 1797 2. A. van Gils soutint ses thèses pour le doctorat en théologie l'an 1 794 ^. et l'année suivante il devint professeur de théologie à l'Université. Il fut au nombre des membres de ce corps qui protestèrent contre la spoliation décrétée par les représentants de la république française, et il vécut assez longtemps pour se joindre aux anciens professeurs qui récla- mèrent, en 1814 , le rétablissement de l'Université *. Il mourut le 10 jan- vier 1834, président du séminaire de Bois-le-Duc. ' Posl discessum Eximii D. Leemput. — Bax, folio 1314.. - Recueil de Bax, folio I4.5.D. — Prom. in artibiis, folio 42. Addition de la main de van Hiilthem. ' Voy. Oratio de laudlbus, etc., p. lo9. (Append.) * Voir les pièces relatives à leurs démarches dans YAnnuaire de l'Univ. de Loiivain, 1858, pp. 199 et sniv. DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 227 CHAPITRE VIII. LES PROFESSEURS DE LANGUE HÉBRAÏQUE. ' hSôXac, TE i/xaOcv , àySoVu; Tf /ziTK'ïi^afn , rcy ^?^duTcv àuTÎj; eux àTracpÙTTc/uj-.i. {Sapienlia. VII.) La langue sainte n'était plus regardée comme un mystère impénétra- ble; son étude n'était plus envisagée comme une témérité, et, à part le mécontentement de quelques esprits, elle pouvait être inaugurée en 1518, dans l'institut de Busleiden, sous les mêmes auspices que la langue grec- que. Il devait s'écouler toutefois une vingtaine d'années avant que la lumière tirée des études hébraïques parût également vive et pure à tous les yeux : tout fut conduit avec prudence; les principes de la langue furent enseignés sans détours et sans arcanes; sa véritable richesse fut révélée à des intelligences cultivées, qui en conçurent bientôt l'application aux sciences théologiques, et les préventions qui s'étaient élevées contre le seul nom d'hébreu ou de texte hébreu ne survécurent pas à la première effervescence des conflits que nous avons rapportés, en faisant l'histoire du collège à son berceau. Érasme en avait bien auguré : le jour allait se faire, et l'hébreu serait accueilli dans nos écoles avec le même respect que les deux autres langues savantes. 11 ne s'était donc pas trompé quand il disait en 1518 * : « Cet Érasme qu'on avait lapidé, on l'embrassera un jour! » Ah! permettez, de grâce Pour l'amour de l'hébreu Les noms de trois étrangers ouvrent cette troisième série des professeurs ' Lettre à Barbirius, 6 mars iSI8. Episl., t. I , p. 307 : El exosculabunlur illum paulo ante lapidalum Erasmum. — Voy. plus haut, chapitre V, pp. 123-127. 228 MÉMOIRE SUR LE COLLÈGE du collège de Busleiden; ces hommes ne s'attachèrent pas, il est vrai, à l'institution; mais leur nomination prouve quelles relations littéraires exis- taient entre tous les pays d'Europe, et quelle fraternité la libre fréquenta- fion de leurs écoles établissait entre des nations divisées d'intérêt. La chaire d'hébreu fut dévolue tout d'abord à un étranger instruit, juif originaire d'Espagne, Matlhaeus Adrianus, que tout le monde désignait pour l'occu- per. Mais il ne fit pas un long séjour à Louvain , où il fut remplacé par deux hébraïsants anglais, qui abandonnèrent leur poste plus vite encore. Robert VVackefield et Robert Shirwood. Quoique leur carrière se soit écou- lée et terminée ailleurs, il nous a paru indispensable de leur consacrer à chacun une notice biographique en léte de ce chapitre : leurs travaux nous représentent fidèlement les besoins et les applications de l'érudition hé- braïque, à une époque oîi elle ne faisait que s'introduire dans les Univer- sités. Nous ne pouvons faire moins que de compléter la notice de Paquoi sur le premier de ces professeurs d'hébreu \ d'après des sources qu'il n'a pas consultées ou qu'il n'a pas citées, et d'esquisser la vie des deux autres à qui la plume de cet historien n'a pas fait le même honneur. 1. Matthaeus Adrianus (Malllneu Aclrian). (1518-I9.) Matthieu Adrianus (ou Hadrianus) , né en Espagne vers 1470 ou 1480, avait été d'abord élevé dans le judaïsme. Peut-être fut-il au nombre des juifs qui se convertirent et furent baptisés sous le règne de Ferdinand et Isabelle. Adrianus, qui avait reçu le titre de chevalier du Christ, quitta l'Espagne pour mettre à profit sa connaissance de l'hébreu. Vers 1515, il se rendit à Bàle, un des centres scientifiques des pays allemands, et y fit des prosé- lytes parmi des hommes restés célèbres, entre autres Wolfgang Fabricius Capiton, il prit le grade de docteur en médecine à Heidelberg, où il ' Voy. Mémoires d'Idstoire littéraire, t. III, pp. 74-73. Nous avons en outre repris, touchant. M. Adrianus et ses deux successeurs, les faits que nous avons réunis naguère dans une notice sur .TeanCampcnsis, insérée dans l'annuaire rfe l'Univ.de Louv., I84S, pp. 180-185. DES TROIS- LANGUES A LOUVAIN. 229 compta pour disciples Jean OEcolampade et Jean Brentius '. C'est vers 1516 qu'Adrianus passa dans les Pays-Bas, à la sollicitation de Louis Vacus, qui paraît avoir été un Espagnol fixé à Bruxelles. Adrianus fut attiré à Louvain par Érasme, qui vante hautement son savoir, sur la parole d'autrui, il est vrai, et qui fit des efforts pour le placer et ensuite pour le x-etenir^. D'abord, Adrianus ne parvint qu'avec grand'peine à subsister à Louvain : il donna longtemps des leçons pri- vées, et il les continua probablement pendant une partie de l'année 1518, avant l'ouverture du collège des Trois-Langues, où les amis d'Érasme lui avaient assuré une place ^. On croyait la cause de l'hébreu gagnée parce qu'on avait donné un titre et promis des honoraires à cet étranger *. Une lettre d'Érasme à J. Robbinus ou Robbyns nous apprend qu'Adrianus, dès le début de ses leçons, commencées peut-être avant l'ouverture du collège, comptait un auditoire nombreux et distingué, dans lequel il y avait même des professeurs ou docteurs de l'Université : il souhaitait que la chose fût aussi avancée pour la chaire de grec. Nous rapportons tout ce passage, qui constate les bonnes dispositions d'une partie du public^: Matiliaeiis suas partes et gnaviter et féliciter agit : liabet aitditores cum satis, ut in re tam nova, fréquentes, lum honestos, in quibus sunt aliquot Magistri nostri. Utinam nobis contingat, qui simili siiccessu Gi^aeci partes tueri queat! Il y avait du zèle, sinon de l'enthousiasme, chez les auditeurs d'Adria- nus; mais la faim de cet Espagnol était toujours fort grande, et peu géné- ' Voy. les témoignages recueillis par Paqiiot, t. III, p. 74. Les personnages ici mentionnés sont d'ailleurs connus dans l'histoire du luthéranisme et dans celle de l'érudition. ^ Dès le mois d'octobre loi", tout occupe du grand projet, il disait avec joie à Lupsetus {Epist., t. II, 1628) : Jam adest Hebraeus, exquisUe dodus, nomine Malthaeus. Voy. lettre à Budé, octobre loi". Epist., t. Il, p. 1637 : Hitjus aetatis, omnium judicio , doclissimics. '• On voit Érasme, en 1517, remercier Gilles Busleiden de l'accueil fait au juif Malthaeus, dont l'arrivée en Belgique est un événement à souhait. Epist., t. II, p. 1653. » Le 15 mars 1518, Érasme écrivit à OEcolampade [Epist., t. II, p. 1675) : Adest iiiv Mal- thaeus.... conductits publico perpeluoque salaria ut Hebraea profttealur : rcs probe succedit. ~' Lettre de Louvain, 26 mars 1518 (Episl., t. II, p. 1677). Dans une lettre à Barbiriusen date du 6 mars 1518 [Epist., t. I, p. 307), il est question d'un enseignement en plein exercice : Mut- thaeus vir suae linguae, in qua natus est, in paueis peritus, publiée profitetur Hebraice, quusi parum hic fucril cbriorum. 230 MEMOIRE SUR LE COLLEGE reux, paraît-il, de leur naturel, ils ne faisaient pas assez pour l'apaiser. Dorpius, qui encourageait la petite école des hébraïsanls, se plaignait à Érasme de la parcimonie de ceux qui auraient pu satisfaire le maître '. Lorsque Érasme rendit compte à Gilles Busleiden de l'ouverture des leçons le 18 octobre 1518^, il exalta de nouveau l'instruction si rare de notre Adrianus, et le fit en termes un peu hasardés ^, en se fondant sur la rumeur publique, sur l'opinion des savants d'Allemagne et d'Italie; il lui attribuait, avec une connaissance exacte de la langue, une habileté d'in- terprétation assez grande pour pénétrer jusqu'au fond de la pensée des auteurs. Il avait osé le présenter aux théologiens sous sa propre responsa- bilité *. Érasme insistait, dans la même pièce, sur la nécessité de retenir par tous moyens un homme aussi utile ^. Malgré les pressantes recommandations d'Érasme et d'autres, les man- dataires de Busleiden ne purent augmenter d'une manière notable les appointements d' Adrianus; cet étranger renonça à sa charge vers le milieu de l'année suivante (1519), et cessa d'enseigner à la fin de juillet '^ : peut- être ne quitta-t-il Louvain que vers le commencement de décembre. On sait qu'ensuite Adrianus accepta une charge de professeur à Wittemberg, comme le prouve une lettre de Mélanchthon à J. Langius, datée de 15:20 '. Il n'est rien resté de positif sur la fin de la carrière de Matthaeus, ni sur sa mort. Il avait déjà changé tant de fois de résidence, qu'on avait douté légitimement de sa persévérance, sinon de sa loyauté : ainsi il était parti de ' Lettre du 16 juillet 1318. Epist., t. 1, p. 332. —Trait cité par Paquot, ib., p. 74, note. - Epist., t. I, p. 353. Le texte de ce passage a été reproduit presque entier par Paquot, p. 74. ' Erasme fait, il est vrai, cette réserve : Quod si meum jtidicium in hac re non satis habebit apud le pomicris.— Dans ses notes manuscrites {Fasti, t. I, p. 512), Paquot interrompt Érasme par ce petit mot d'avis : Pace tua , Erasme, minimi ponderis est tua sentenlia, qui Hebraeam linguam irjnorabas. * Exposui theologis cjualis sit, rieque dubitarim meo recipere perieido. ^ Cum posteaquam aliquis Deus propitius ultro nobis obtulit. nosiri muneris esse videtur, ul oblatum modis omnibus retineanms. '"' Exurdia, p. 18 : Docuit lladrianus annum ununi ac menses très. ■' Conductus est Adi-ianus , professor Lovaniensis qui apud nos hebraïca doceat. C'était le mo- ment delà retraite de J. Boeschenstein, hébraïsant de cette université. — Paquot, Fasti, 1. 1, p. 312, cite en preuve du même fait un recueil é|)islolographique : Epistotarum Lutheri a Th. Aurifiibro editarum, t. I, pp. 84, sq. Cfr. Wolf ap. Colomiès, Hispunia Orientalis. DES TROIS-LANGUES A LOLVAIN. 231 Middelbourg chargé de dettes avant de venir dans le Brabant ^ Érasme lui-même eut avec 3Iatthaeus une fort singulière aventure, qu'il ne manqua pas de raconter à Capiton : l'étranger l'avait prié avec instance de lire à haute voix devant lui une lettre qu'il lui présentait de la part de Capiton; mais il fit la plus triste contenance, quand il entendit les choses fort désagréables qu'elle renfermait à l'adresse du porteur. 11 n'est resté sous le nom de Matthaeus Adrianus que deux opuscules publiés à Lyon chez Gryphius ou Sébastien Gryphe, célèbre typographe qui imprima plus tard, en hébreu, le Tliesauims de Sanctes Pagninus 2. Ce sont : 1° une Inlroditctio in linguam liebràicam (in-8°), qui ne porte pas de date certaine suivant les bibliographes, et 2°, un recueil de prières en latin et en hébreu, suivi de quelques réflexions contre les Juifs au sujet de la substitution du dimanche au sabbat"'. Il n'est pas improbable que Matthaeus ait passé directement de Louvain en France, dans le cas où lesdits opuscules y aient été imprimés*. 2. RoBEUTus Wackfeldus (Robert Wackefield). (1519.) Cet anglais, dont les travaux et les opinions n'ont pas été sans reten- tissement au XV1""= siècle, n'a fait qu'un court séjour en Belgique, et il a enseigné à Louvain seulement pendant quatre mois , du mois d'août au mois de décembre 1519 ^. Sa biographie ne sera point pourtant envisagée comme une digression inutile en cet endroit ^, puisque Wackefield, à ' LeUre du 13 mars 1518 à Capiton. Epist., t. Il , p. 1675. ■^ Voy. Colomiès, Italia et Hispania Orientalis, élit. VVolf ( Hamburgi, 1730), pp. 255-256, et la fin de la notice de Paquot dans ses Mémoires. — Cependant Grasse {Allrjem. Lilercirgeschichte. B. III , Th. I , p. 1204) suppose \' Inlroditctio publiée à Bâle en 1520 avec le texte hébreu de prières chrétiennes, imprimé auparavant par J. Boeschenstein. ' Cet opuscule, de 3 feuillets in-4°, était intitulé : Libellus hora (sic) faciendipro Domino scilicel filin Virginis Mariae, ciijus myslerium in prologo patente patebil. ^ Suivant Aub. Miraeus : Auctarium de scriptoribus ccclesiasticis, p. 138, édit. de Hambourg (cité par Colomiès, ibid.) » Valère .\ndré. Fasti aead., p. 283. ^ Les notes latines encore inédites de Paquot (Fasti acad. Lov., t. I, p. 513) nous ont servi beaucoup pour utiliser les renseignements tirés d'autres sources. Tome XXVllI. 31 232 MEMOIRE SUR LE COLLEGE raison même de la science spéciale qu'il cultivait, a été mêlé à la politique et aux affaires religieuses de son temps. Robert Wackefield , qui vit le jour dans les contrées du nord de l'An- gleterre, avait fait dans sa jeunesse, à l'Université de Cambridge, des études complètes en littérature, en philosophie et en théologie; il entre- prit ensuite des voyages dans la vue d'enseigner les langues orientales, parmi lesquelles il cultivait l'hébreu, le chaldéen et le syriaque, et de vivre dans la société des hommes les plus savants. On prétend qu'après une courte résidence à Louvain, il eut l'occasion de professer les langues orientales à Tubingue et à Paris. Dans la pre- mière de ces villes, il remplaça en 1522, dans la chaire d'hébreu, le fameux Jean R^euchlin, qui venait de mourir; mais il n'y résida pas long- temps, malgré les efforts que fit le duc Ferdinand de Wurtemberg pour conserver à cette Université l'éclat de son enseignement ^ Quand \Yackefield fut de retour en Angleterre, il se fixa d'abord à Cambridge (152-4), et son érudition biblique lui gagna les bonnes grâces de Henri VIII , qui en fit bientôt un de ses aumôniers ( lîegi fuit a sacris). La position de Wackefield à la cour l'entraîna fort loin à l'époque où le schisme d'Angleterre éclata ; on le vit défendre le divorce que le roi vou- lait justifier par la théologie-, et ses écrits de même que sa conduite le rendirent suspect de certaines erreurs : il est avéré que quelques-uns de ses livres furent condamnés de son vivant. Wackefield fut envoyé en 1550 à Oxford, où il donna des leçons de langues aux membres de l'Université, dans la grande salle du Clirist-churcli (in Triclinio aedis Cliristi). Deux ans après, il obtint un des canonicats du même collège, et le grade de bachelier en théologie; il enseigna ensuite à Cambridge, puis de nouveau à Oxfoi^d. ' Voy. Sclmiirrer, Biographische und literarische Nachrichlen von ehmaligen Lehren der hebrai- schen Lilcratiir in Tubiinjen. Ulni, 1792, in-S", pp. 67-70. ^ Henri VIll sollicita des principales Universités de l'Europe, comme des deux Universités d'Angleterre, une décision favorable à ses vues, et il fit fléchir de son côté plusieurs facultés de théologie : il n'osa rien tenter de semblable auprès de celle de Louvain. Voir le discours latin de M^ de Ram : de Laudibus, etc., p. 4, et note 9, pp. 40-4:2, et VHistoire de Henri Mil par Audin, t. II. DES TROIS-LA?f accentibus H orlhographia, complétant le précédent. ^ Elementale inlrod. Aiisb., 15I4, in-i°. Hebr. grammat. instllutiones. Wlehergae. 1318, in-i". * 1520 et 1324, in-12. Basil., apud J. Frobenium. — Son Dictionnarium llebratcum parut en 1520. ■'' Inslit. grammat. Ling. Hebr. Lugduni , 1326. — S. Pagniniis en a donné une Abbreviatio qui a paru à Lyon , en 1328, en même temps que la grammaire de Campensis à Louvain. •^ Voy. Gesenius, Gescli. der Hebr. Sprache, pp. 97 et 99. — Elias Levita, né en 1469 dans le pays de Baireuth, enseigna à Padoue vers 1304, habita ensuite Rome et Venise, et mourut en t549. DES TROIS-LAINGUES A LOUVAIÎN. 241 ter, chez Jean Froben, à Bâle : par exemple, le Liber eleclus, grammaire sous la forme de quatre discours, qui parut en 1525, avec une traduc- tion latine en regard de l'hébreu, et les dissertations grammaticales, Capila Eliae, imprimées à Pesaro en 1520, et reproduites à Bàle, en 1527. Peut-être Campensis a-t-il eu aussi entre les mains le Liber composiiionis , dont la première édition fut faite par Elias à Piome, en 1516 '. C'est à l'aide de ces sources que notre auteur a pu souvent invoquer dans les pages de sa grammaire l'autorité d'Elias Levita : il le fait surtout dans une question déjà débattue par les hébraïsanls de son époque, la nature et l'autorité des points- voyelles; il applique le système de ponctuation reçu jusqu'alors dans les écoles, mais avec une réserve qu'il devait sans doute à la lecture des ouvrages d'Elias. Ce rabbin, en elfet, a osé le premier mettre en doute, au grand scandale de ses coreligionnaires, l'antiquité du système masorélhique, qui fut bientôt après attaquée par des hébraisants chrétiens, et aussi par Luther; mais le grammairien novateur n'a pas en- tendu nier l'usage nécessaire des points-voyelles; il n'a fait que combattre, au point de vue d'une libre critique, l'importance superstitieuse que la Syna- gogue avait fini par y attacher; il était loin encore de dénaturer la langue hébraïque par le système arbitraire de lecture qui a été substitué à la ponctuation et à l'orthographe des Masorèthes, et qui a été propagé, surtout en France, par les ouvrages polémiques de Louis Capelle, de Masclef et du P. Houbigant. L'exposition des règles de lecture, faite par Campensis d'après Elias Levita, nous représente une sorte de méthode éclectique, qui fut aussi celle de la plupart des hébraisants qui vinrent après lui dans leurs ouvrages de grammaire; nous trouvons cette méthode énoncée sur le titre qu'il a donné à son introduction : Libellus de natura Uterarum et punc- torum Ilebraïcorum , aliisque ad exaclam grammaticis, clirislianis, et neotericis jiidaeis liucusque incognita, nece^sariis, ex variis opusculis Eliae Jiidaci, grarnma- ticorum omnium facile principis, per Joamiem Campensem concinnatus. Quand le grammairien a défini la valeur des consonnes et l'emploi des points- voyelles, il s'occupe des gutturales : Lilerae aleph, hé, kheth, ghaïn, muHum ' Munster n'en a fait une réimpression qu'en IS56. 242 MEMOIRE SUR LE COLLEGE exliibuerunt negoUi omnibus qui anle liunc noslrum Eliatn de grammalica scrip- serunt, nec quisquam quod sciam salis iliarum naturam novit. Après avoir carac- térisé leur naliire gutturale, distincte de celle des autres ordres de con- sonnes, il établit que si ces lettres n'ont pas de sons par elles-mêmes et ne peuvent recevoir les sclicva comme les autres, elles prennent le son d'une voyelle brève dont le signe est joint à celui du scheva : ce sont les points qu'il nomme semi-pwxcla , qui sont plutôt des demi-voyelles ou voyelles auxi- liaires, et que les grammairiens modernes appellent scheva composé, ou voyelles abrégées : ciiATEPH-/«Uflc/i , segol et kamets. On trouve, en outre, l'usage des lettres quiescentes dans les flexions grammaticales, expliqué par Campensis d'une manière aussi claire que le comportait la connais- sance exclusive de l'hébreu, sans la comparaison des idiomes congénères, qui n'a été appliquée à la grammaire que dans le cours du XYIl'"" siècle. IL Paraphrases des Psaumes et de t'Ecclésiaste. — Ces travaux de Cam- pensis appartiennent comme le premier à sa carrière philologique ^ Les Psaumes et l'Ecclésiasleont donné matière à deux publications différentes, sur la valeur et les éditions desquelles Paquot s'est beaucoup étendu dans l'article de ses Mémoires. Les aperçus qui vont suivre reprendront unique- ment les faits les plus importants, qui doivent être éclaircis par des obser- vations nouvelles. La première édition de la Paraphrase du Psautier a pour titre : Psal- morum omnium juxla Hebraïcam veritatem paraphrastica interpi^elalio , auclore Jeanne Campensi, publico , cum nascerelur et ahsolveretur, Lovaniensi Hebraï- carum literarum professore. (Noribergae, 1552, in-16.) On apprend par ces termes, que c'est dans le cours de son professorat que Campensis a exé- cuté son travail d'exégèse philologique ; il ne l'a donc publié qu'un an après son dépari de Louvain, à Nuremberg, où il parait avoir fait quelque séjour; c'est aussi de cette même ville qu'est datée la dédicace qu'il a faite du livre à Jean Dantiscus ou de Dantzig ^, évêque de Culm, et am- ' On a mis sans preuves, sous le nom de Campensis, les Commentarioli in Epislolas Pauli ad Romanos cl Galalas (Vcnctiis, 1534, in-8°). '^ Érasme avait recommandé (lampensis à ce prélal : Campensis nientionem feci in projcimts ad Dantiscum liieris honori/îcam. (Episl., l. Il , p. 1479.) DES TROIS-LAISGUES A LOUVAIN. 245 bassadeur du roi de Pologne auprès de l'empereur Charles-Quint. La même année, la Paraphrase latine de Campensis était réimprimée à Paris, chez Claude Chevallon ; mais avec celle du Psautier paraissait, pour la première fois, la Paraphrase du livre de Salomon , dit Cohdelli ou l'Ecclé- siaste : Succinclissiina , el quanlum ilebraïca plirasis permitlit, ad literam proximc accedens Paraphrasis in concionem Salomonis Ecclesiaslac. (Ap. Claudium Che- vallonium, Parisiis, 1532, 45 pages.) Celle Paraphrase remontait, comme l'autre, aux premières années de l'enseignement de Campensis, qui l'ap- pelait les prémices de ses travaux; il dit même qu'il l'avait dictée à ses auditeurs du collège des Trois-Langues, avant de la donner au public. Dans la suite, les deux Paraphrases ont été réimprimées ensemble dans plusieurs villes qui étaient devenues en quelque sorte les foyers de l'art typographique, à Paris ^ à Lyon -, à Anvers ^ et à Bâle *. Des versions faites en langue vulgaire, en flamand, en allemand, en anglais et en fran- çais, sur le texte latin du Psautier paraphrasé, ont paru bientôt après : une version vulgaire de la Paraphrase de l'Ecclésiaste a été jointe aux traductions flamande et française ^. La publication de cette dernière était due au trop fameux Etienne Dolet, qui annonça la Paraphrase « faite par le très-savant M. Jean Campensis » comme « une claire et succincte inter- prétation juxte la sentence, non juxte la lettre. » L'éditeur français a, dans une Êpislre au lecteur fidèle, expliqué le nom et le titre des Psaumes; peut- être Irouvera-t-on ici avec plaisir la définition du mot donnée dans la langue et avec l'orthographe du XVI™" siècle : « Semblablement te vou- » Ions bien advertir que ce mot pseaidme signifie proprement le son de » la harpe; toutesfois le mot hébreu, nûzmor, signifie proprement carme, » ode, chanson : mais nous disons les Pseaulmes, parce qu'ils ont été » chantés à certains instruments; mais cestoit en telle sorte que la mo- ' Dans les années 1534, 1545 et 1565, in- 10. 4 Chez Séb. Gryphiiis, 1533, 1536, 1558, 1348, 15G8, in-12. ■' 1535,in-8°. ' 1548, in-16. 1553, in-12. Voir l'indication des éditions latines des deux paraphrases de (Cam- pensis dans la Bibliolheca sncra du P. Lclontt, éd. Masch, t. III, p. II, pp. 528-32 et 547. ^ Les premières éditions de la version française sont celles de Paris, 1534 et 1342, in-16, et celle d'Anvers, 1544. 244 MEMOIRE SUR LE COLLEGE » dulalion d'iceulx instruments préparoit et disposoit les affections des » oyants a plus plainement percepvoir et entendre les paroles des sainctes » chansons. » Après l'examen sommaire des travaux de Campensis, constatons quels témoignages honorables ont été rendus à sa mémoire, par des littérateurs qui étaient alors l'écho des savants de leur pays. Ses connaissances éten- dues lui ont valu l'estime el l'amitié d'un des hommes les plus actifs de l'époque, Sébastien Munster, qui lui a adressé une lettre latine insérée en tète de la traduction de la logique de Maimonides ^. Des humanistes qui avaient connu Campensis, ont célébré son savoir; après l'éloge donné par le poète portugais Andi'é Resende à ses leçons de langue hébraïque -, on citerait la pièce de vers élégiaques, dans laquelle son ami et compatriote, Alardus Amstelrodamus, a transmis le récit abrégé d'une vie bien rem- plie et sitôt tranchée : Campensis praestans sanctae mysteria linguae, Davidicos Psalinos fusiùs expltcuit. Non sine laude diù Veneta praelegit in urbe , Obtinei hinc Romae mulla sacerdolia. Lovanii slaluit vitam fmire docendo , Frilnirgum veniens peste repente péril. Ne fartasse senem mulet [urluna secunda, Hinc juvenem Campos misit in Elysios. I nunc, rara sludens, Hehraeis jungito Graeca : Mors etiam dodos opprimit alra viras. La réputation que Campensis avait acquise, par son enseignement et ses ouvrages, a autorisé Valère André à lui décerner cet éloge solennel, dans son discours historique ^ : Et Joannes quidem Campensis qualis quantus- que vir fuerit, e scriplis illiiis, 6jç eç èvûyoiv'/.icvctx, lied aeslimare : nam el Veneliis publiée docuit, el erudiïwnis gratia a Leone X, Ponl. Max., magno illo imjemo- rum aestimalore, in urbeni evocaliis, bénigne exceptus est, ac habitus liberaliter. ' Basiieae, ■1526. Voy. une note dans Paqiiot, p 50o. - Dans son Encomium urhis et Acud. Lovan., 152î) {Fasti acud., p. 401). ' Exordia ac progressiis, p. 1 1 . DES TROIS-LANGUES A LOUVAIiN. 245 5. Andréas Gennepios (André Gennep, dit Balenus). (153-2-1568.) Le successeur de Jean Campensis élait né à Baelen, bourg de la Cam- pine, et c'est pourquoi il est nommé quelquefois Andréas Balenus, et même simplement Balenus, dans les écrits latins du temps. André Gennep, qui prit possession de la chaire d'hébreu, le 26 février 1552, à l'âge de 48 ans, la conserva jusqu'à sa mort, arrivée l'an 1568. II eut le privilège de jouir jusqu'à une extrême vieillesse d'une santé encore vigoureuse et d'une grande gaieté de caractère ^; c'est dans les der- nières années seulement de son professorat d'environ 56 ans, qu'il réclama l'assistance de jeunes hébraïsants ^. Distingué par la simplicité et la bonté de son âme, doué d'un caractère exempt de prétention et de feinte ^, André Gennep élait fort instruit : il avait joint à la connaissance des langues la culture de plusieurs études spéciales, telles que la médecine, la botanique; cependant, il rendit des services signalés par sa connaissance approfondie de l'hébreu, dont il avait pénétré les mystères, nous dit-on, avec une perspicacité qui aurait défié celle des rabbins *. Il réussit à former des élèves distingués, dont plusieurs, entre autres Lindanus, lui ont rendu témoignage; c'est grâce aux entretiens particuliers qu'il accorda à Lindanus, et grâce à des recherches entreprises de concert, que celui-ci parvint à des vues aussi sûres et aussi solides sur la manière d'interpréter les Écritures. Si Lindanus, qui l'a nommé une des gloires de l'Académie de Louvain [Lovaniensis Academiae dectis), s'est laissé peut-être entraîner trop loin par sa reconnaissance, on peut du moins mettre son maître au nombre des professeurs les plus utiles et les plus judicieux que ' Vegelus et hilaris , qui gcnlis illius gmius est. (Exordia, p. 70.) 2 Valèrc André. Exordia, p. 69. — Fasli, p. 28.i. — Foppens, Bibl. Belg., pp. 32-55. — Pa- quet, Fusli MS., t. I, pp. 514-3)3. 3 Havensius {Comment, de erect. nov. episc, p. 97 ) : Homo fuit ingénia lU faciti, ila simplici atque benigno, sine fnco ac fallacia. ■* Valère André. Exordia. p. 69 : Linguae Hebraïcae, ac potissimiim rei grammaiicae mysteria Rabbinis prope ipsis culkbal accuralius. 246 MKMOIRE SUR LE COLLÈGE l'enseignement des langues y ait comptés. On n'a pas d'ouvrage toutefois, sous le nom de Gennep; il avait préparé un travail sur les accents hébraï- ques {de accmlibus liebraïcis, et un autre sur l'accord de la Vulcale avec le texte oi-iginal hébreu [de consensu cdhionis Ytdrjatae mm hebrdica veritale^). Un petit travail manuscrit sur la dérivation des mois dans l'hébreu exis- tait encore au siècle passé on manuscrit - : De inveslkjalionc tliamtlis in hebraïco sermone (MS., in-i", 12 p.). Selon toute apparence, Gennep fit beaucoup pour venir en aide aux études et aux travaux des autres. Nous aurons lieu de rapporter ailleurs ses bons offices en faveur des deux Levita, juifs convertis, réfugiés à Lou- vain quelque temps, à cette époque. Jean 3Iolanus, docteur en théologie, disait avoir appris de la bouche même de Gennep ^, que celui-ci était l'au- teur de la Grammaire hébraïque, publiée par Jean Isaac Levita, sous son propre nom, à Cologne, et qu'il la lui avait dictée pendant le séjour d'Isaac à Louvain. André Gennep mourut, en 1568, âgé de 84 ans*; il fut inhumé en l'église S'-Pierre {in pronao) , auprès de sa femme, morte un an aupara- vant. 11 avait chargé de distribuer ses biens « aux pauvres du Seigneur » * Valèrc André dit (Exordla , p. 70) n'avoir pas pu voir ces ouvrages qui sont cités par i.in- danus. [De opt. iiiterp. script, gen., liv. 1, cliap. VII.) ^ Paquot, Fasti, p. 515 : « Apud Jo. Fr. Sal. Baelemans, Toparchani de Steenweglien. » ^ Dans les Ancilecla rcrum Lovairiensium , vus par Valère André {Fasti, p. 28 i). C'est sans doute le même ouvrage de Molanus , dont parle Valère André , sous le nom de : Annales urbis Lovaniensis, dans la Bihl. Belgica. T" édit , p. 513, et aussi dans la seconde. Voir sur ce manuscrit la noiice de M. Alvin. (Bullet. de lAcad., t. XXII , n" 8, p. 283.) ' Cornélius Valerius, son collègue, Ht à sa ménioire cette pièce de vers, qui mérite, nous pa- raît-il , d'être reproduite : jt/igravil octogesimo quarto senex jElatis aniio funr.tus inlegerrime : Scx atque trig/itta pir aiinos publiée SacJ'ns Hehrneorum profcssus litrras , Zinyunmquc en liens optime sanctissimam; Biislidiano i/tor/om Collei;io, Sibique favorem comparavit omnium ; Dum consulens bénigne aegrotantibus , O/ze medica multis salutem contuUl. Nunc liberalus omnibus molestits , Fruitur beato coelitiim rnnsortio , Nomine reliclo postcris laudabili DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 247 ses exécuteurs testamentaires Petrus Peckius, docteur en droit, et Mel- chior van Ryckenroy, président du collège des Trois-Langues. Dans son extrême vieillesse, Gennep avait eu pour suppléant, pendant une année entière, un docteur en théologie, Augustin Ilunnaeusou lluens ', de Malines : un jeune Frison, Buchon de Montzuma (à 3Iontzima), plus tard docteur en théologie 2, le remplaça aussi pendant quelque temps. La juste célébrité de Hunnaeus comme théologien et comme linguiste, appartenant par sa vie et ses travaux à l'école de Louvain , nous impo- serait l'obligation d'entrer ici dans quelques détails sur les services rendus par lui à l'enseignement du collège des Trois-Langues , et sur sa collabora- tion à la grande œuvre de la typographie plantinienne. Nous y reviendrons ailleurs, en parlant de l'époque où le savant interprèle de la Bible, direc- teur de la polyglotte d'Anvers, Arias Montanus, appelait à son aide les plus actifs des théologiens de Louvain, qui s'étaient livrés à l'étude des langues bibliques : Hunnaeus fut de ce nombre. 6. JOHANNES GuiLIELMIUS (GuUielmi) HAULEMIUS. (1568-1369.) Après la mort de Gennep, les proviseurs du collège chargèrent de la leçon d'hébreu J. Guilielmius, qui devint licencié en théologie l'an 1571 ^. Ce personnage, natif de Harlem, est appelé en latin Guilielmius ou Guilielmi, d'après son nom vulgaire, qui était probablement Willems. Il avait été élève du collège d'Arras, à Louvain; mais il était entré dans la compagnie de Jésus, où il occupa la charge de recteur dans la maison de ' Hunnaeus avait suppléé, pendant quatre ans , Thierry Langius dans la chaire de grec. — Voy. chap. VII, §4, p. 211. 2 II était de la promotion de 1564, qui fut célébrée avec une pompe extraordinaire; il mourut en février 1594, prévôt, archidiacre d'Utrecht, etc. (Valère André, Fasti , pp. 1 17-118). Voici un extrait de l'inscription de son portrait suspendu dans l'église d'Utrecht : Praecipiiarum linguanm egregie peritus , ex quibits Hehraicam in Lovaniensi Academia publiée professiis est. 5 Valère André. Exordia, p. "I. — Fasti, 245. — Foppens, p. 653. — Alegambe. Bibl. scrip. S. J., p. 1i^.-~ Bibliolh. des éerivains de la compagnie de Jésus, par les PP. Aug. et AI. de Backer, l. II, p. 286.— Inibonati, Biblioth. hebr. lalina, p. 205. Tome XXVIH. 33 248 MEMOIRE SUR LE COLLEGE Louvain; puis, selon Paquot, celle de vice-provincial des Pays-Bas. Le mérite de Guilielmius a été généralement reconnu, en ce qui touche à l'interprétation de l'Écriture et à la connaissance des langues bibliques ' : nous parlerons plus loin (ch. IX) du concours qu'il a donné à l'exécution de la polyglotte d'Anvers. Il mourut à Louvain, le l" octobre, d'une fièvre maligne régnant en cette ville [igue loemico). 7. Petrus Pierius a Smenga. (1309-1577.) Pendant que J. Guilielmius professait l'hébreu, les proviseurs du col- lège se mettaient en mesure de pourvoir à la chaire affectée à cette langue par la nomination définitive d'un titulaire. Deux hommes sollicitaient l'honneur d'y monter, et il leur fut permis de donner des leçons en de- hors du collège , pour justifier leur mérite par leurs œuvres : c'est ce qu'entreprirent de faire Pierre Pierius à Smenga, frison de naissance, et Cornélius Piobertus, d'Anvers ^, chacun pendant un mois. Enfin, le premier l'emporta sur son compétiteur, aux yeux de l'admi- nistration et de Guillaume Busleiden , écuyer, fils d'Égide, qui était considéré comme un des protecteurs du collège. La nomination de Pierius porte la date du 10 juillet 15G9, et il professa l'hébreu pendant huit ans, c'est-à-dire jusqu'en 1577 '\ Il quitta alors le collège des Trois- Langues, se maria *, et l'élude de la médecine lui ouvrit promptement une nouvelle carrière où il ne tarda pas à se distinguer. Promu docteur et professeur royal en 1579, il s'adonna tout entier à son art, sur lequel il composa quelques écrits ^, et il mourut à Louvain au commencement de l'an IGOl e. ' Paquot. Fasii, MS., p. oIS : Linguae Hebraïcae, Chaldaïcae, Syriacae et Arabicae peritissi- rmis, uli et Lalinae Graccaequc. Tlicologiae qiwque inlima mysteriapenetr avérât. ^ Nous ne savons rien d'autre sur ce Cornélius RoLertus. ■' Recueil de Bas, folio l46'2-65. * Sa femme s'appelait Pélronille van den Woude ; elle était la veuve de GodevarJ de Jeger ou Jegers. 5 On cite en ce genre des yJnnolaliones in Gulcnum et des Emendalionum ChUiades. s Valère André. Fasli, p. 221. — Le dO février 1601, après la mort de Pierius à Smenga, un DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 249 Pierius à Smenga était un homme d'un esprit prompt et vif {acri et vivido vir ingenio); nous n'avons à enregistrer ici que ses titres acquis à l'his- toire comme professeur d'hébreu; mais on en conchira facilement qu'il s'est appliqué avec une grande ardeur à l'objet de ses premières études. Il existait sous son nom un petit traité intitulé : Prosodia hebraea, seu Ratio accentùs grammalici (MS., 8 pages in-4°), que Paquot dit avoir vu lui- même chez J. Fr. Baelemans ^ mais c'est surtout d'après les notices de Suffridus Pétri sur les écrivains de la Frise 2, que l'on peut juger de l'étendue des recherches philologiques de notre auteur. Malheureusement la plupart des travaux énumérés par l'historien de la Frise sont restés en grande partie inédits; nous ne ferons que jeter un coup d'oeil sur leur contenu, en vue de donner à cette notice son complément littéraire". Les Livres saints et les auteurs anciens, grecs et latins, ont eu la plus grande part à des études historiques et critiques préparées de longue main par Pierius à Smenga. La principale de ses publications sur les Écritures était un travail volumineux, qui avait pour but de signaler les altérations et les mauvaises corrections que l'exégèse de son siècle avait introduites dans le texte original, hébreu et grec, de la Bible. En voici le titre rapporté par Suffridus Pétri : Sacrosancti et geniiini Bibliomm textûs Hebraei Graeci, inniimeris locis linguarum peritiâ sese vendilanlibus maie castigando, cilando et interpretando corrupti, et in alienum sensiim detorti Apodeixis *. Il avait, en outre, élaboré un commentaire littéral et historique sur la plu- part des Prophètes qu'il avait expliqués publiquement dans ses leçons; c'est là un trait saillant dans l'histoire de son enseignement. Il aurait aussi ajouté des observations au Micidol de David Kimchi, pour élucider la rédaction hébraïque de ce traité grammatical. subside nouveau fut accordé à Gérard de Vileers. Foppens, p. 1002, fait mourir Pierius nonagé- naire, en 1630, après 72 ans de doctorat. ' Paquot. Fasti, MS., 1. 1, p. 317. 2 Decas XVII de scripl. Frisiae, n" 2 (Franekerae, 1699, pp. 492-496). 5 Paquot {Fasti, MS., pp. 316-517) nous est venu en aide dans celte revue sommaire. — L'es- quisse d'une œuvre philosophique de Petrus à Smenga sur l'antiquité et son histoire a vu le jour à I.ouvain , chez Masius, en 1381 , grand in-folio : Mercurius seu Hermalliena, de Ilarmonia mundi. ' Ce manuscrit qui formait un épais volume in-folio ne fut jamais imprimé. 2S0 MEMOIRE SUR LE COLLEGE D'autre part, Pierius à Snienga avait mis l'érudition d'un humaniste dans des travaux analytiques fort nombreux sur des auteurs grecs et latins, sacrés et profanes, et sur l'histoire de l'antiquité. C'étaient des notes des- tinées à corriger ou à restituer des passages de ces auteurs, prosateurs ou poêles, et entre autres, des notes critiques sur Vllistoh-e naturelle de Pline; c'étaient des extraits de passages remarquables de divers écrivains que Pierius avait recueillis dans ses vastes lectures. A partir de l'an 1577, quand Pierius eut abandonné l'hébreu pour se livrer à la médecine , sa charge ne fut pas remplie pendant plus de trente ans. Non-seulement la chaire d'hébreu fut vide avant les autres chaires du même collège, et resta vacante pendant toute l'époque des troubles^; mais encore elle ne fut pas immédiatement occupée, quand le collège se rouvrit en 1606. Ce n'est qu'en 1612 que l'enseignement de l'hébreu y fut de nouveau inauguré, après la nomination de Yalère André, dont nous allons retracer la vie et les services. 8. Valerius Andréas (Walther Driessens ou Valère André). (1612-1655.) La carrière de ce personnage appartient tout entière au XYII"® siècle, et c'est à Louvain qu'elle s'est écoulée en grande partie. L'objet du présent chapitre ne comporte pas une biographie complète de Valère André; force nous sera dans cette notice d'être sévèrement éclectique, puisque nous n'avons pas à juger indistinctement tous ses travaux. Il s'agira surtout ici du littérateur qui, chargé de la chaire d'hébreu au collège des Trois- Langues, non-seulement a relevé cette branche d'enseignement, mais encore s'est fait l'historien de ce collège ^. ' Valère André, Exordia, p. 71 : Ingravescentibus mox inteslinis in Belgio bellis, quadraginla amplius annos liebraïcae Musae siluere, ipsnmque paulatim Collegium Trilingue Elinguc factum. - Nous avons consulté, outre Foppens [Bibl. Belgica, pp. 1 147-1 l-i8), les notes manuscrites que Paquet destinait à une biographie fort étendue {Fasli Acad. Lov., t. I, pp. SI7-520), et qu'il a rédigées en partie d'après des notes laissées par Valère André lui-même. Nous avons de même mis à profit, et souvent cité textuellement, notre notice historique, insérée dans YAnmiaire de l'Uni- versité de Louvain de l'an 1846 (pp. 139-216) : Valère /Indré, professeur d'hébreu, etc. DES TROIS-LANGUES A LOUVAIIS. 2§1 Valerius Andréas, dont le nom latin ne cache ni finesse ni épigramme, comme bien des noms ou épithètes des savants de la Renaissance, naquit en novembre 1588 à Dessell, ou Deschell ', bourg du Brabant, placé sur les confins de la Campine, dans le voisinage de Moll et de Baelen, avec lesquels il formait une avouerie. C'en est assez pour entendre le surnom de Desselius, qu'il s'est donné en tète de ses ouvrages. Il fit ses premières études dans son endroit natal, sous la direction de Valerius Iloutius -, très- estimé alors pour ses succès dans l'éducation de la jeunesse. Envoyé à Anvers, il eut le bonheur d'y recevoir pendant trois ans les leçons du célèbre André Schott, prêtre de la Compagnie de Jésus. Ce fut surtout dans la connaissance du grec que le jeune campinaire fut redevable au savant humaniste de ses progrès fort rapides : aussi n'a-t-il négligé aucune occasion de lui rendre hommage comme à son maître, son guide et son protecteur ^. François Schott, frère de ce savant, investi de hautes charges dans la magistrature d'Anvers, ainsi qu'Aubertus Miraeus , s'intéressèrent vivement aux études de Valère André. C'est encore en cette ville que le futur professeur de Louvain recueillit les premières notions d'hébreu dans les leçons du jésuite Jean Haïus, écossais de naissance, données sans doute au collège de son ordre. Sur l'avis d'A. Schott, il alla faire un cours de philosophie à Douai * : il y resta deux ans disciple de Philippe du Trieu , alors jésuite, autrefois professeur à la pédagogie du Porc. Il y suivit assidûment aussi les leçons d'Andréas Ilaïus ^ de Bruges, enseignant, dans la même x\cadémie, les lettres grecques, la langue latine et l'histoire. Comme s'est exprimé Valère André lui-même, dans un de ses opuscules ^, « pour donner quelques ' Il est plusieurs renseignements curieux, consignés par Valère André lui-même dans une sorte de Curriculiim vitae, qu'il a rais à la fin de sa première édition de la Bibliotheca (lG2ô), p. 752. * Lileris polilioribus parlbn in palria, manuducenle et docente Valerio Houlio , felici ingenio- rum formatore. — Valère André, Bibl., ibid. — Foppens, 1 1-47. ^ Bibl. Belg., p. 752. Ad Graecae liiiguae sludium auclor et diiclor. Voy. Ling. Hebr. Eneo- miiim, p. 12. • Paquet, Fasti, folio 517. ' Foppens, Bibl. Belg., pp. 53-54. 6 Praef. Comment, in Ibin (cit. ap. Paquot). Ul vero scientiam illam morosam tune sibi et super- 252 MEMOIRE SUR LE COLLEGE assaisonnements à une science qui lui paraissait pleine de dégoûts et d'as- pérités , il est quelquefois rentré en grâce auprès des Muses , en s'exerçant à de petits travaux de philologie. » Valère André était de retour à Anvers depuis une année seulement, quand il fut appelé à l'enseignement de l'hébreu au collège des Trois-Lan- gues; cette place lui fut offerte par Adrien Baecx, président du collège, dont nous avons dit ci-dessus (ch. IV) les importants services '. La collation de la chaire fut faite à Valère André vers la Noël de l'an 1611, comme en fait foi un diplôme des archiducs-; mais il n'en prit possession que le 27 mars 1012, en prononçant un discours sur les qua- lités et les avantages de la langue hébraïque, dont nous devrons parler explicitement dans la suite de ce chapitre. Valère André n'abandonna jamais la chaire d'hébreu, malgré les autres charges et dignités qui lui échurent dans sa longue et belle carrière. Nous ne ferons plus que jeter un coup d'œil sur les services rendus aux éludes académiques en général par Valère André, avant d'examiner de plus près ses travaux de philologue. Quoique titulaire d'une chaire au collège de Busleidcn, Valère André se décida à entreprendre l'étude du droit, dans ses deux branches alors enseignées simultanément, le droit civil et le droit ecclésiastique. Nous le voyons promu au doctorat (/. U. Doctor), le 22 novembre 1621, admis au conseil de l'Université le 50 janvier 1622, et en 1628 nommé profes- seur royal, chargé de l'explication des Institutes [Regius imperialium insti- ttuiomim prof essor). Tout ce que Valère André a tenté ou réalisé pour la science du droit dlinsam in multis literurum condimentis redderel conditiorem , in yraliain cum Musis rediit inler- dmn , seribendis opusculis pliilologicis se exercens. ^ 11 avait dédié à Baecx en 1608 (suivant Paquot, Fasti, folio 518) une de ses premières publi- (•aiions, le commentaire de P. Nanniiis sur VArs poetica, dans l'édition d'Horace de Laevinus Torrentius. — Dans la suite, le 21 août 1621, Valère André épousa la nièce de Baecx, dame Cathe- rine Baecx de iVIalines, qui mourut en d640. - C'est ce qu'a lu Paquot ( Fas<«, p. 517) dans un diplôme, date du 29 décembre 1612, par lequel les archiducs Albert et Isabelle accordent à Valère André en supplément d'honoraires, une gratifi- cation (bis qitolannis) de trente livres de 40 gros, monnaie de Flandre, prise sur les revenus de leur domaine (ex domiuio suo). DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 255 mérite un examen à part '. En attendant que cette partie de ses ouvrages soit jugée avec autorité par un jurisconsulte, il est permis d'observer qu'ils roulent sur toutes les sources de la science du droit, et s'étendent du droit romain et du droit féodal au droit canonique; tantôt, il s'est borné à reproduire le texte d'auteurs célèbres, accompagné de notes originales et de commentaires plus ou moins étendus, comme il l'a fait pour d'anciens jurisconsultes, tels que H. Canisius, Lancelottus, A. Vallensis, J. Yende- ville; tantôt, il a réuni les matériaux d'ouvrages méthodiques, tels que le Synopsis juris canonici, qui compta plusieurs éditions à Louvain, avant d'être réimprimé en Allemagne. Suivons maintenant Valère André quelques instants dans d'autres entre- prises , qui montrent à l'évidence l'activité vraiment extraordinaire dont il fut capable; elles répondaient à des besoins réels de l'enseignement et de la science, aux intérêts présents de l'Université, dont il était un des principaux fonctionnaires. En effet, les ouvrages d'histoire et de biogra- phie que l'on doit à ses recherches personnelles présentent un caractère marqué d'opportunité, et c'est pourquoi ils ont fait époque dans nos an- nales littéraires. La Bibliollieca Delgica, que nous citerons en premier lieu, est une bio- graphie des hommes illustres de la Belgique dans les sciences, les arts et les lettres, dont l'auteur a donné lui-même deux éditions 2. Il avait pré- paré cette œuvre de longue main 5, et il l'a conduite à un état assez avancé pour qu'elle ait servi de source à tous nos recueils biographiques depuis deux siècles, et de fondement à l'œuvre connue de Foppens *. Mais ce n'est ' Voy. la Bibliographie dans la notice de Foppens, pp. 1148-1149, et dans Goetlials, Lec- tures, etc., tome II, pp. 197-200. Voy. aussi Paquot, Fasli MS., t. I, folio 296. 2 La première est de 1623, in-8°; la seconde, double en étendue, de 1643, in-4°. Voy. V An- nuaire de 1846 (art. cité, pp. 176-204) et unenote judicieuse de M. i)odt van Flensburg, dans les BuUelim de la Soc. hisl. cCUlrechl, 1. 11, 1846, pp. 27-34. '' Ce fut en manière de prélude que Valère André imprima, en 1607, son Catalogus claror. Ilisp. scriptorum et, en 1611 , les courts éloges accompagnant ses Imagines doctorum virorum <■ variis gcnlibus. Le premier travail était fautif, et rempli de noms tirés uniquement de catalogues : comme s'il le désavouait, Valère André a cessé de le mentionner plus tard. Foppens (p. 1148) fait la même observation sur les deux opuscules que nous venons de désigner. * L'édition de Foppens, selon M. de Reiffenberg, ne dispense pas de posséder les deux éditions 254 MEMOIRE SUR LE COLLEGE pas tout : Valère André, qui avait procédé dans ce Iravail avec l'appui des hommes les plus recommandables, et qui se fondait sur l'opinion de son maître éminent, André Scholt ', a tiré parti avec un soin minutieux de tous les recueils de biographie impi'imés avant le sien, et d'ouvrages encore manuscrits que ses protecteurs et amis lui fournirent. Il est reconnu que Valère André a proOté bien mieux que F. Sweertius, auteur des Athenae Belgicae, des secours et des lumières dont ils étaient l'un et l'autre entourés. Ce n'est pas ici le lieu d'entrer dans plus de détails sur les mérites et les défauts de la Bibliolheca Belgica ; nous donnerons cependant une idée des observations critiques que l'aquol a formulées contre l'œuvre du poly- graphe qui l'a précédé ^. Il blâme Valère André d'avoir transcrit inexac- tement, dans sa Bibliothèque, les titres des ouvrages cités, de les avoir modifiés ou abrégés à sa guise; il lui reproche d'avoir souvent omis des livres imprimés en français ou eu flamand, et encore d'avoir, en les citant, traduit leur titre en latin, de sorte qu'on ne peut toujours bien reconnaître en quelle langue chaque ouvrage a été écrit. Enfin, il observe que Valère André aurait dû émettre un jugement sur le mérite des auteurs, pour que ses lecteurs discernassent sans peine les meilleurs des médiocres. Le second travail qui témoigne du vaste savoir de Valère André, a pour titre : Annales des études académiques à Louvain, Fasti Academici studii (jeneralis Lovaniensis , dont il a pu donner lui-même, comme de l'ouvrage précédent, une seconde édition ^. Il est de fait que l'auteur a bien présumé du désir de son public, quand il a fait succéder à XAcadcmia Lovaniensis de Vernulaeus, composition oratoire qui avait paru en 1627, un livre véritablement historique, qui contient tous les faits de l'histoire deux fois séculaire de l'Université, dans leur ordre chronologique et dans les termes de la plus rigoureuse exactitude. Cependant, si l'écrivain a introduit des originales, devenues Irès-rares, où il y a des variantes à conserver. Voy. Annuaire de la Bibl. royale de Bruxelles, 1840, pp. 93-98, p. 103. ' Primus vero mihi admodum adolesceitti auetor operis liujus fuit Andréas Schottus, e Societ. Jesu, vir praesluntissimus , cum illi ego a manibus cssem ac stitdiis. '- Fasti, MS., 1. 1, folio 519. •^ Lov., 1635, in-i", 230 pages. Ed. iterala accuratior et altéra parle auctior; Lov., 1630, in-4", •408 pages. Voy. r.4(iii. de 1846 (p. 205-208) pour les titres détaillés et la description des éditions. DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 255 améliorations considérables dans la seconde édition de son ouvrage, il a sacrifié sans raison grave un morceau qui donne du prix à la première : c'est un discours qu'il a prononcé lui-même le 22 septembre 162G, à réalise de S'-Pierre, dans une cérémonie commémorative de la fondation de l'Université*. Prenant le style élégant et soutenu qui convient au pané- gyrique, forateur caractérise les progrès rapides de l'œuvre commune des pontifes et des princes; il rattache à ces glorieux souvenirs l'éloge des collèges faisant partie du corps de l'Université, et des hommes les plus célèbres qui en sont sortis. Les Fasti de Valère André ont mérité les suffrages de son siècle et du siècle suivant. Vers i750, il a été question de les réimprimer sous le titre de Hisloria Universitalis Lovaniensis. L'entreprise n'a pas eu de suite : Paquot, qui avait vu la première feuille imprimée chez Égide Denique, a repris cette tâche abandonnée, en rédigeant des notes complémentaires du tra- vail de Valère André, que nous avons mises souvent à contribution dans la présente monographie à propos des études littéraires. Nous ne pouvons pas non plus passer sous silence un travail d'un autre genre, qui s'accordait toutefois très-bien avec les deux publications que nous venons de mentionner. Ami des livres, Valère André devint, en 165G, bibliothécaire de l'Université, quand cet établissement fut doté d'une bibliothèque centrale, établie dans le bâtiment des Halles; c'est un morceau fort curieux que le discours prononcé par Valère André, le 1" octobre 1656, devant l'Université, pour montrer l'importance de cette création nouvelle -. 11 rend justice au passé, et exprime des espérances fondées pour l'avenir. Son Oralio aiispicalis est suivi d'un catalogue des imprimés et manuscrits de la bibliothèque qui venait de s'ouvrir ^. ' On lit dans l'édition de l6ôo (pp. 205-217 ), cette pièce intitulée: Eucliaristicon fimdalo- ribus, pcttronis el benefacloribus Universitalis Lovaniensis, qui n'est plus que mentionnée dans la seconde (p. 396). Voy. l'analyse du panégyrique dans notre Notice citée, pp. 207-208. •2 II a été publié en 1639 seulement, à la suite du traité d'Erycius Puteanus : Auspicia bibl. publ. Lovan. (Lov., Éverard de Witte, in-4°).— Sur les incidents relatifs à l'ouverture de la biblio- thèque, voy. P. Namur, Bist. des Bibl. publ. de Belgique, t. Il, pp. 11-18. 5 1 10 pages, ibid. — Paquot remarque {Fasli MS., p. 519) que la plupart des 111 ouvrages énumérés par Valère André n'existaient plus de son temps, et qu'il restait à peine dix manuscrits d'entre les 61 qu'il a décrits. Tome XXVIII. 34 2S6 MÉMOIRE SUR LE COLLEGE Telles sont les principales œuvres auxquelles Valère André a attaché son nom : l'exercice de charges temporaires, mais importantes, doit aussi être mis en ligne de compte, si l'on veut apprécier sa vie publique. De 1G42 à 1645, il remplit les fonctions de dictateur \ et il fut élu deux fois, le 28 février IGAA et le même jour de l'an 1649, recteur de l'Université, à une époque oià la durée de celte charge s'étendait à un semestre. Valère André fut actif jusque vers la fin de sa longue carrière, et il ne cessa de s'intéresser aux matières de ses premières études. Si nous devons louer bientôt l'homme de goût, le littérateur et le sa- vant, nous ne pouvons manquer de recueillir ici ce que la renommée nous a transmis de l'honorabilité de son caractère -; plein de droiture, il ne souffrait pas que l'on portât atteinte à la réputation d'autrui : il a mérité d'être appelé vulgairement le bon Yalerius [den goeden Valerhis). Dans ses dernières années, il a supporté avec force et constance de pénibles infir- mités : l'affaiblissement de sa vue, qui alla jusqu'à la cécité, et une hydro- pisie qui lui causa une enflure toujours croissante des deux jambes. Il mourut pieusement le 29 mars 1655, à l'âge de 68 ans. Cette date est rendue certaine par celle qu'il faut donner à la cérémonie de ses funé- railles solennelles, qui eut lieu environ un an après, en 1656. Bernard Heymbach, professeur d'histoire et successeur de Vernulaeus au collège des Trois-Langues, prononça devant toute l'Université l'oraison funèbre de Valère André, qui fut imprimée avec une dédicace à l'abbé de Tongerloo, Auguste Wichmans, et qui est datée du 5 mars de la même année ^. L'écrivain , dans son avis au lecteur, reconnaît que son hommage était bien tardif : Jiisto tardius liaecjiista in luce vides, etc. Au lieu d'attribuer ce retard aux événements politiques, comme si la sécurité avait manqué * Le dictateur d'alors était le dignitaire chargé de composer et de dicter les lettres ou les pièces officielles expédiées au nom de l'Université, et chargé aussi de répondre aux lettres adressées au corps académique ou à son chef, le recteur. Fasli acad., p. 49. — Jcad. Lov., p. 37. r Voy. l^aquol, Fusti, folio 517. 5 Cette pièce, dont |)arle I^aquot dans sa notice sur Heymhach, est devenue d'une excessive rareté et manque dans la collection de van Hiilthem. Voy. Mémoires de Paquot, t. I, p. 31 i (ou- vrages de Heymhach, n° 10). Jusla Valeriana, seu Laiulalio funvbris Vulerii Andreae Desselii... Dictum in Basilica S. PHri corum Academiae tolius consessu... Lovan., Hier. Nenipaeus, 1656, in-4". DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 237 à notre pays, quand l'archiduc Léopold le parcourut avec ses troupes en prévision d'invasions imminentes, nous admettrions volontiers avec Paquet que l'orateur prit le temps de joindre au texte de son discours un choix de lettres adressées par divers savants à celui qu'il honorait d'un éloge public '. Les relations littéraires de Valère André avaient été fort étendues pen- dant les années laborieuses de son professorat : il avait dû entretenir une correspondance suivie dans la Belgique et au dehors, afin d'obtenir des matériaux pour ses œuvres d'érudition et de compilation ^. On connaît plusieurs hommes dont il demanda les conseils ou le concours, tels que Justus Rycquius (de Rycke) ^ de Gand, et Boxhorn, professeur h Leyde *. Valère André avait été visité à Louvain par plusieurs voyageurs de distinction : il a mérité un souvenir tout particulier du savant Iluet, dans le passage de ses Mémoii-es où il rappelle ses voyages en Hollande et en Belgique. « Parmi les professeurs de Louvain, dit-il ^ Valère André s'était fait un nom par son livre sur les écrivains belges et espagnols. Je le saluai, et voulus être inscrit sur la liste de ses amis. » Mais n'avons-nous pas à rechercher ici les litres de Valère André comme littérateur et comme philologue? Ami des lettres dès sa jeunesse, il le resta toujours, même quand il s'occupa de matières juridiques et de recher- ches biographiques. 11 eut le talent d'écrire ses divers livres d'un style qui n'était pas dépourvu d'éloquence, et qui n'était non plus ni affecté ni < Paquot, Fasti MS., folio ol7. — On lit (Mémoires, loc. c.) dans le titre de l'oraison funèbre : Âceessere epislolae aliquol sclectae clarorum virorum, ex plurimispaucae, ad eum scriptae. "^ Il reste .i la critique la tâche de constater ce dont notre polygraphe fut redevable à celle correspondance, et de définir la part de mérite qui lui demeure. ^ Poète et orateur latin, mort en 1627. — Foppens, pp. 788-789. ^ MarcZuerius Boxbornius, professeur d'éloquence et de politique à Leyde, était d'une famille originaire des Pays-Bas espagnols. Paquot (Mém., t. I, p. 104) énumère 68 de ses ouvrages. Voy. V. Gaillard, De l' influence exercée par la Belgique sur les Provinces-Unies , pp. 101 , 143. ' Nous donnons ici, d'après la traduction de M. Ch. Nisard, ce passage de Huet, dont M. de ReitFenbcrg a cité naguère le texte latin dans sa notice critique sur la Bibl. BeUjica. — Inler Lova- nienses professores nomen aliquod luin gerebal V. A., qui scriploribus Bclgis et Hispanis celcbrif: inclaruit. Salutavi hominem, et in ainicorum ejus album referri volui. — [Comm. de reb. ad eum perlin. Amst., 1718, in-12, p. \ôl . — Mémoires de Daniel Fluel .traduits, etc. Paris, 1853, p. 89). 2S8 ME3I0IRE SUR LE COLLEGE obscur. C'est faire son éloge que de reconnaître qu'il est resté homme de goût et de mesure, dans un temps où l'on écrivait rarement sans recherche et sans antithèse. Agé de moins de vingt ans, Valère André s'était exercé sur différents sujets d'érudition latine, et à Anvers, en 1G08, il avait mis au jour, d'après les cahiers dictés par Nannius, le commentaire de ce savant sur Horace, en suppléant ce qui y manquait. A Douai, en IGIO, il avait fait imprimer un système d'orthographe suivi d'un traité de ponctuation *, et il avait ajouté ses propres observations au traité d'Aide Manuce, en insistant sur la nécessité de distinguer davantage les variations de l'ortho- graphe latine, suivant l'ordre des temps, et de tenir compte des diffé- rences que l'usage introduit dans l'écriture comme dans la prononciation. Plus tard, Valère André composa des notes fort étendues sur ïlbis d'Ovide, poëme réputé très-obscur, pocma mczsivov ^. Si l'on rapproche de ces premières élucubralions les efforts voués par Valère André, à Anvjers et à Douai, à l'étude des lettres grecques, on se fait de lui l'idée d'un humaniste instruit, qui avait accès à toutes les sources, et qui était digne de coopérer au maintien des saines études. On ne peut révoquer en doute qu'il ne se soit appliqué à l'hébreu avec persévérance, pour remplir ses obligations comme titulaire de la chaire qu'il occupa 45 ans; cependant il va de soi que Valère André ne fut pas un hébraïsant très-habile, puisqu'il dépensa la meilleure partie de ses forces et de son temps à une multitude d'œuvres étrangères à la philologie : s'il ne forma pas d'élève distingué en cette partie, il prêta son concours à ceux qui voulurent faire servir l'étude de l'hébreu et des langues anciennes à la polémique religieuse, et l'on a conservé le texte d'une discussion qu'il soutint, en 1617, pour mettre en évidence l'opportunité de ce genre d'étude dans un siècle oîi les écoles protestantes en tiraient grand parti ^. ' Orlho(jraphiae ralio ab Atdo Mumitio collecta primo, mullis aucta. - Diiaci, Dellere, in-12. — Ed. Il, altéra parte auctior. Lov., in-2-i, d'après Paquot. Voy. la Notice de YAiiiiuai7-e, p. 187. 2 Antverpiae, typis Nutii, 1618, in-fol. ■' Elle est iniprim(}e à la fin d'un volume publié à Cologne par Kincliius : Fumiani Slraclae Romani e S. J. orationes variae. — Les Qnaestioncs qnodlilteticae, insérées sous le nom de Valère André, forment 53 pages avec un titre à part : Quaestiones quodlibeticae habilae Lovanii XVll Kal. DES ÏROIS-LA^GUES A LOUVAIN. 2o9 La question est présentée dans ces termes : Qnae commodior faciliorqite ad convincendos seclarios nostros via, qua proprie quis eos gladio jiujulet, quoties vel ad S. S., vel ad Patres linguasqiie concurrunt. Parmi les manuscrits de Valère André, conservés au siècle passé par l'échevin Baelemans, et dont Paquot a pu prendre connaissance \ il faut compter quelques cahiers de notes qui appartiennent aux études bibli- ques et hébraïques - : 1° De inscriptione el divisione Bibliorum apud Ilebraeos, pp. 7 in-4''. 2° Exercilaliones qrammalicae in capp. VI priora Ecclesiasiae. Ce sont des annotations écrites à la marge et en regard des pages d'un exemplaire de l'Ecclésiaste, imprimé en hébreu chez Plantin. (Ântv., 1571, in-4°.) Valère André avait aussi préparé une grammaire entièrement basée sur celle de son prédécesseur, Jean Campensis, ou plutôt une révision aug- mentée et considérablement enrichie de cet ouvrage : un exemplaire de l'édition de Paris (Chr. Wechel, 1543), interfolié de papier, avait été chargé dans ce dessein de notes de la main de Valère André, qui avait indiqué dans ses additions notamment tous les passages que Campensis avait empruntés à Elias Levita (voy. Paquot, Fasti MS., fol. 520) : Grammalica liebraea e variis opiisculis Eliae Levilae, grammaiicoriim omnium facile principis , olim qiiidem concinnala et delineata a Jeanne Campensi , Delya , publico Ling. Hebr. in Coll. Tril. Buslidiano apud Lovanienses olim professore. Nunc vero a Val. Andréa Desselio ejusdem Ilebraïcae in eodem Collcgio professore recensita , alque in ordinem commodiorem digesta. Cependant la plus grande preuve que Valère André ait laissée de son aptitude à l'enseignement de l'hébreu, c'est le discours qu'il a prononcé en 1612, et qui roulait sur la valeur, les qualités et les applications de la langue sainte. C'est proprement la seconde partie de sa harangue d'instal- Janu. MDCXVIU in scholis artium à V. A. Desselio. J. L. el Ling. Hebr. prof, publico. Voy. Pa- quot, Fasti MS., folio S 17. ' [^aquot {Ibid., p. 5"20) énonce jusqu'à 1 1 ouvrages ou opuscules en dehors des matériaux épars laissés par Valère André pour des travaux de droit. — Nous y avons remarqué un court trailé : Brevis Academiae Lugd. Bulavae Descriplio .\n-(o\., pp. 0; Valère André avait entretenu des rela- tions de courtoisie avec l'Universilé rivale. 2 Cit. ap. Delgeur, Schels eener geschiedenis der oostersche taelstudlen , p. 19 (Antv., 1847). 260 MEMOIRE SUR LE COLLEGE lation, qu'il prononça le 26 mars 1612, et qu'il ne publia qu'en 1614 ^ : dans la pi-emière, il avait retracé l'origine et l'histoire du collège des Trois- Langues pendant son premier siècle, et le lecteur a pu remarquer les nombreux emprunts que nous lui avons faits d'un bout à l'autre de ce Mémoire. Une analyse de la partie littéraire du discours fera connaître les ten- dances et les vues que Valère André portait dans la philologie hébraïque; nous la reprenons dans la notice historique que nous avons indiquée à la suite de nos sources ^ : « Valère André a voulu traiter de l'orisine et de l'usage des langues ainsi que des qualités éminentes de l'hébreu ^; c'est pourquoi il a pu intituler la suite de son travail : Éloge de la langue hébraïque (Encomium linguae hebraïcae), et voici sous quels rapports il a entendu la louer* : Satis vero superque eam laudavero, si anliquitatem qtiam comitntur dignitas , necessilatemque ejiis , hoc praesertim exulceratissimo saectUo , paiicis dc- monslravero. » On ne peut, il est vrai, accepter toutes les assertions de Valère André sur l'affinité des langues et la supériorité de l'hébreu comme des vérités scientifiques, ou comme des faits incontestables; les opinions qu'il émet et qu'il défend avaient cours longtemps avant lui, et elles ont d'ailleurs un caractère vénéi'able de tradition et de foi, qui leur donne sous sa plume un autre mérite qu'un intérêt historique. Il faut bien cependant opposer quelquefois aux opinions de notre auteur une thèse diflerente ou même contradictoire, quand elle est le résultat des investigations d'une science sévère dans ses méthodes et sérieuse dans son but; et d'ailleurs, qui n'a pas observé que les combinaisons les plus hardies et les plus neuves de la linguistique ont fourni aux grands faits de la science biblique, une con- firmation bien autrement solide et décisive que l'appui de certaines tradi- tions qui ne sont revêtues d'aucun signe d'authenticité? » Valère André cherche à établir tout d'abord la relation intime de la ' Exordia ac progressus , pp. 12-30 (voir rinti-oduclion , noie I, p. xv). "^ Annuaire de l'Universilé de Louvain , 1846, pp. 174-186. ^ Cum de limjuarum orlu alque imu, lum de linrjitue Hehraicae laudibus. Ib., p. 2 et p. 12. ^ Coll. Tril. exordia, etc., p. 2. DES TROIS-LA^GUES A LOUVAIN. 261 raison et du discours , qui fait de l'homme un être social [Ralione atque oratione), et il en tire la nécessité de la connaissance des langues, inter- prètes naturelles de la pensée parlée; il reconnaît que « leur usage facile » à l'origine du monde, a été rendu difficile par la confusion de Babel ^ » Valère André ne se contente pas de rapporter ainsi , dans sa vraie signi- fication, l'événement dont nous devons la transmission au témoignage de Moïse, et que semblent confirmer les efl"orts prodigieux de la philo- logie moderne, pour découvrir l'affinité primitive des radicaux appar- tenant aux grandes familles de langues. Il mentionne une tradition ac- créditée par les Juifs et par les saints Pères 2, et d'après laquelle la confusion de Babel a engendré dans le monde la distinction de soixante- douze langues; il ne se prononce pas sur ce nombre, qui a varié dans le cours des siècles parmi les interprètes ^. « Entre toutes ces langues , » ajoute Valère André, il en est trois qui ont été toujours considérées » comme d'un prix infini : ce sont les langues hébraïque, grecque et » latine. » Ecoulons les raisons qu'il donne de cette primauté : Qidbus vieil icem triumplianùs crucis t'Uuhim inscribi Clirislus vohàt , ut divinitatis , huma- nhalis, vilaeque ac morlis testibiis * : quibus divinarum liiimanarumque rerumscien- tiae sunt conservatae , ad postei-osque iransmissae : quibus sacrosanctum illud Evan- gelium , ille fidei nostrae arrhabo , per universum lerrarum orbem est propagatum . C'en était assez pour peindre la mission providentielle des trois langues qui ont servi d'intermédiaires entre l'antiquité païenne et la civilisation moderne; mais peu après, Valère André cède à la vaine satisfaction de ' Magnus profeclo Lingnarum iisits , gui facilis in mundi exorclio , dum unius Iwmines omnes essent labii : difficiliorcm reddil babilonicunt Chaos et confusio. Diversilas liaec quanlum damni humanae socielati invexerit nemini non est compertum. Ib., p. 13. ^ Valère André cile particulièrement saint Augustin, De civitate Dei.Wh.Wl, c.G,el De mirab. S. Scripliirae, lib. 1 , c. 9. Nous nous bornerons à faire remarquer ici que le premier ouvrage donne une paraphrase sublime du point d'histoire sacrée qui est en question (à partir du chapitre IV du même livre). " Il use des expressions : Nam alii delrahunt, addunl alii. ' Le traducteur français de l'Ulysses Belgico-Gallicus de Golnitz rend ainsi ce passage, qui con- cerne le Collegium Trilingue (YUhjsse français, Paris, 1643, p. 82) : « Les trois langues qui firent l'éloge et l'épitapbe de Jésus-Christ se montrent dans un autre collège, qui fut fondé par un favori de Charles-Quint, Hiérosme Buslidius. » 262 MEMOIRE SUR LE COLLEGE comparer chacune de ces langues à un arbre, qui se partage en trois rameaux ou en trois dialectes ^, et il est entraîné à faire dériver toutes les autres langues de cette triple source dans le cours des temps. » Valère André passe ensuite à l'examen des trois qualités qu'il assigne comme essentielles à la langue hébraïque : l'antiquité, la dignité, l'utilité. En poursuivant le développement du premier point de ce triple thème, il s'en tient aux opinions traditionnelles, qui, sans être dépourvues de toute réalité, avaient le tort d'être présentées de son temps comme des vérités incontestables et supérieures à toute discussion : c'est ainsi qu'il ne fait pas seulement de l'hébreu une langue ancienne, vénérable par son an- cienneté et consacrée par sa destination exceptionnelle, mais encore la langue primitive, la formatrice de tous les idiomes connus, la langue des ancêtres de l'humanité dans le séjour d'Éden 2. Il n'invoque pas seulement à cet égard le témoignage de saint Jérôme, de saint Augustin, « lumières de l'Église orthodoxe », et ne se borne pas à soutenir la possibilité d'un fait que l'Écriture n'éclaircit pas complètement; il cherche à en établir la certitude par l'autorité des Grecs, qui , malgré leur vanité, auraient forcé- ment rendu hommage à l'évidence de la vérité. Mais il ne s'aperçoit pas qu'il s'agit, dans les passages qu'il invoque, de la transmission de l'Écriture des Hébreux aux Phéniciens, et des Phéniciens aux Grecs ^. La question de l'origine de la langue hébraïque reste indépendante des preuves acquises à l'histoire sur la formation de l'alphabet grec et des alphabets européens, et elle ne peut être tranchée en philologie que par une comparaison atten- tive et raisonnée des langues les plus anciennes. » Un esprit de saine critique dicte à Valère André la réfutation d'un * L'hébreu se partage régulièrement en dialectes chaldéen , syriaque et arabe; le grec en dialectes altique, dorien et éolien; le latin, en dialectes italien, espagnol et français. L'auteur ajoute ; Hinc variae, lapsu temporis , ut gentium ila limjuarum deduclae cotoniac. Ibid. - Dignitate et antiquilate procul duhio prima est, mundo coaeva, linguariim omnium matrix , cujiis communionc primas parentes noslrns conjunocil optimus parens Deus. 5 Valère André répèle, d'après Clément d'Alexandrie, un passage d'Eupolème, écrivain grec, d'ailleurs peu connu, qui fait Moïse l'auteur des lettres hébraïques dans son livre sur les rois de la Judée; puis, il y ajoute, d'après la même source, l'assertion d'un autre écrivain grec, Artapanus, dans son ouvrage sur les Juifs, touchant l'enseignement donné par Moïse aux Égyptiens. Voir les Stromates, liv. I,p. 343 (éd. Sylburg, Coloniae, 1688). DES TROrS-LANGUES A LOUVAIN. 265 paradoxe qui avait fait quelque bruit à l'époque où il l'écrivait : c'est l'hypothèse de J. Goropius Becanus, qui, dans ses Origines Antverpictnae \ avait revendiqué pour le flamand la prérogative de langue mère univer- selle, parlée par le premier couple humain dans la solitude du Paradis terrestre. Une telle tentative méritait d'être citée parmi toutes celles qui avaient été faites au XV1""= siècle dans le but de prouver la priorité absolue d'une langue donnée : Et nuper Joannes Goropius Becanus nosler, qui Beirjarum ingeniosissimus aiidire meruit , laudem eam Cimbris [ô Cimmeriae tenebrae!) vin- dicare stiiduit, ingeniose magis quam solide; sliidiumque siium alque induslriam Belgis suis, pro quorum pugtiat auctoritate, probare conatus est. Il faut savoir are à Valère André d'avoir parlé aussi franchement d'une découverte qui avait pu jeter bien des esprits dans les illusions du patriotisme; il faut le louer plus encore d'avoir si bien caractérisé l'aveugle opiniâtreté avec laquelle certains hommes poursuivent une hypothèse favorite, et en parti- culier l'acharnement que les étymologistes ont porté en tout temps dans la défense des rapprochements les plus hasardés de mois et de syllabes. La réprobation de fausses méthodes, franchement proclamée dans son discours, fait honneur au futur professeur de philologie hébraïque, dont nous allons citer les paroles ^ : Equidem laudo studium , laudo induslriam eorum, qui a seriis nonnunquam digressi, in ludicris illis festivisque exercent, laxantque ingcnii vires. At vero jocularia illa, verborum lenoeiniis ac fucis, longe petitis vocum etymis adornata, ut certa, y.où w; £■/. -pmoôoi pronuntiata velle vulgi insi- nuare animis, hoc vero est Naturam deludere, et quando ipsa pro se stat Veritas, deridendum se praebere » Revenant à la langue hébraïque, Valère André en explique le nom par celui de Héber, petit-fds de Noé, et repoussant le secours de langues étrangères choisies arbitrairement pour l'explication des anciens noms de la Bible ^, il établit par l'hébreu l'interprétation naturelle des mots Adam, Eve, Gaïn, Abel, Babel, pris pour exemples de recherches étymologiques. ' Antverp., Plantin, 1569, in-fol., pp. 33i, sq. — L'auteur {J. van Gorp), né en i3l8, exerça la médecine à Anvers à la suite de ses voyages, et il mourut à Maestricht , en 1572. ■' Coll. Tril.exord.,p. 15. Cfr. N.Wiseman, Rapports enlre la science et la religinn, 1" Discours. 5 Certwn est eas non a Cimbris, et ici genus delirantium somniis petendas. Ibid., p. 16. Tome XXVIII. "^^ 264 MEMOIRE SUR LE COLLEGE Puis s'occupant des langues qu'il appelle dérivées de l'hébreu, il donne la première place au chaldéen, en lire le syriaque parlé en Palestine à l'époque du Sauveur, étend l'éthiopien à la plus grande partie de l'Afrique et assigne pour domaine à l'arabe la masse des pays mahoniétans. » Le plan du discours conduit Valère André à démontrer en second lieu ce qu'il appelle la dignité de la langue sainte : sans s'arrêter aux qua- lités éminentes qu'elle possède, telles que la concision et la simplicité, il rappelle qu'elle a servi aux entretiens de Dieu et de ses anges avec les patriarches et les prophètes, à la première expression des oracles divins, à l'établissement et à la promulgation de l'ancienne loi. » S'agit-il de l'utilité comme d'un troisième caractère des études hé- braïques, Valère André peut invoquer des exemples tout récents, les travaux des théologiens catholiques du XYI"^ siècle, et il proclame la nécessité de défendre la révélation biblique contre l'hérésie à l'aide du texte original des Saintes Écritures. Il croit inutile d'insister sur les signes merveilleux de la sublimité de leur langage, qu'il caractérise en peu de mots ^ ') L'obligation de cultiver l'hébreu est représentée par Valère André comme plus forte et plus impérieuse que jamais, en raison du secours que les hérétiques de tous les temps, et particulièrement ceux du dernier siècle, ont tiré de l'habileté de leurs fauteurs dans la connaissance de diverses langues; c'est à l'aide d'un tel moyen, observe-t-il , qu'ils ont pu maintes fois surprendre un peuple inexpérimenté, et lui imposer leurs inventions et leurs mensonges comme découlant des sources pures de la science sacrée. Valère André en prend occasion de signaler une des causes qui ont amené les désordres et les attaques dont l'Église avait souffert pendant le premier siècle de la réformation, et dont le souvenir devait être présent à l'esprit d'un grand nombre de ses auditeurs. Écoutons son langage clair et concis, mais énergique ^ : Hinc conlemplus ille orlhodoxoriim Patrum : liinc tam dis- ' Ut lacemn ex hac vcram soliilaiiique saplentinm, tamqitam a Umpiclissimis peti fonlibm; qiiae Dei nobis arcana non capliusis ralionibus , non inuliUbus slrophis , al veritate simplici, brevitale- que proponil : in qua toi sunl sacramenla quoi lilterae , lot arcana quoi pimcla : in qua apex niillus aul /cjTix ollosum : in qua Jenique ipsae radiées, Iribus conslanles lilteris, Sanclissimae Triudos uhique referunl vesligia Ibid., p. 18. - Coll. Tril. exordia, pp. 19-20. DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 265 sidenles, piignanlesque Sacras Scriplurae versiones e maie sanis novatorum istoru)ii cerebris nalae. Videmus Iwdieque circumforaneos doctores illos, cl rumigcrulos rabulas, in scliolis, in compilis, in triviis, in popinis, et tibi non? nifiil jacùtare ac crcpare aliud, quam Biblia Ilebraïca ac Graeca, ilhim ul aiiint, piiriim putum fidei Cliristianae tliesaiirum ((juibns lamen ipsi promiscne atqne indigne , lamquam praedam omnibus; summis, imis, doctis, indoctis, rodendiim , scqiie ridendos, cxponiint); idque Itim confidentiiis pctidanliusque cum nosiros videnl, aiil linyuariim illarum rudes esse, imperitos, aitt odisse cane pejus et ongue. Cette peinture si vraie des manœuvres et des succès des novateurs est accompagnée dans le discours de Valère André d'une exhortation pres- sante aux théologiens catholiques, pour qu'ils s'emparent des mêmes armes que ces autres Géryons ont tant de fois tournées contre eux; l'ora- teur ne dissimule pas la présomption personnelle qui a déshonoré la plupart des exégètes de la réformation, et la vanité audacieuse de leur science '; mais il démontre l'avantage de déjouer leurs intrigues et de confondre leur orgueil par les réponses péremptoires qu'une exégèse phi- lologique, se fondant sur les textes originaux, peut fournir constamment aux défenseurs de la vérité. Valère André a compris d'autant mieux l'op- portunité de telles instances que, depuis la publication de la Polyglotte d'Anvers, l'étude de la philologie sacrée avait été négligée et presque mise en oubli dans les Pays-Bas catholiques; il se croyait en droit de se plaindre au nom de l'Église qu'elle eût si peu de combattants capables de soutenir glorieusement les efforts de la polémique protestante -. » Le nouveau professeur d'hébreu prévient une objection qu'il pouvait attendre de la bouche de quelques hommes, portés à redouter les consé- ' Neque enim verenlur novitii illi magistelU, fronlis nullius mit piidoris homines , SS. Patrum scripta universi orbisjam olim probata calculo iraduccre, Anliquitalem omnem erroris danmarr, ipsi scilicet wpoSxTovvrH, et in ipsa scientiarum arce constiluti viros sanctitate doctrinaque illustres lamquam umbr as premunt, et in Hebraeis Graecisque, ut ipsis quidem videtur, soH vident. Ibid., p. 20. a Valère André cite l'exemple rare, à l'époque où il parle, d'un homme qui a pu avec succès rétorquer les traits lancés par les adversaires de l'orthodoxie; c'est Pierre Uornickius, appelé de Douai à une cure près de Bréda par Jean Miraeus, évoque d'Anvers; il se fit connaître par une application habile de l'étude des langues hébraïque et grecque à la controverse (ibid., p. 21). 266 MEMOIRE SUR LE COLLEGE quences d'études nouvelles : c'est l'authenticité de la Vulgate, proclamée dans la quatrième session du Concile de Trente , avec défense de la con- tester sous quelque prétexte que ce soit. Cette déclaration avait pu faire considérer par quelques-uns l'élude du texte hébreu comme désormais superflue et même comme dangereuse. Yalère André reconnaît avec eux que l'édition latine de la Bible a été corrigée presque dans chaque siècle par la main fidèle d'hommes instruits qui ont travaillé à celte révision par l'ordre des souverains pontifes; mais il soutient que ce n'est point nuire à l'autorité de la Vulgate que de recourir aux sources hébraïque et grecque, d'où les hérétiques tirent leurs arguments pour la combattre et la détruire; il veut qu'on oppose à leurs versions nouvelles, aussi nombreuses et aussi différentes que leurs sectes, le témoignage imposant des paroles authentiques qu'ils dénaturent avec la prétention de les inter- préter; il démontre qu'une étude critique du texte hébreu et de la version grecque doit contribuer à la défense de la Vulgate, et en même temps à une réfutation péremploire des artifices ou des témérités des sectaires. Il était facile à Valère André de soutenir cette thèse, en invoquant les assertions formelles de saint Jérôme et de saint Augustin sur la valeur des deux textes originaux : il a soin de rappeler que depuis l'époque de saint Jérôme la ponctuation dite masoréthique a donné au texte hébreu une forme en quelque sorte invariable, gage d'une transmission fidèle; il ne néglige pas non plus de prendre à témoin le respect professé par les Pères de l'Église grecque pour la version des Septante, qu'ils ont citée dans leurs ouvrages, sans en méconnaître les défauts -. » Valère André combat une objection d'une autre nature, tirée de la difficulté que présente l'étude de l'hébreu ; il cite saint Jérôme, qui n'a point caché dans ses écrits avec quelles peines infinies il s'est rendu maître des éléments d'une langue plus rude, au moment où son esprit s'était fami- liarisé avec les modèles de l'éloquence latine; mais il le fait en vue de faire ressortir l'abondance des secours que les travaux des hébraïsants du siècle ' Il renvoie aux œuvres du cardinal Robert Bellarmin , alors très-répandues, quiconque désirait connaître l'abus que les iiéréliques ont fait des versions de l'Écriture, et les altérations dont ils se sont rendus coupables. DES TROIS-LANGUES A LOUVAFN. 267 précédent peuvent fournir à ceux de son siècle; il n'a pour cela qu'à nom- mer les hommes de chaque nation, auteurs d'ouvrages spéciaux sur les principes de la grammaire hébraïque, Elias Levita et Jean Reuchlin, etc., en Allemagne; Jean Campensis et Nicolas Cleynarts, en Belgique; P. Gala- tinus, Sanctes Pagninus et Piob. Bellarmin en Italie; J. Quinquarboreus, en France; Vincent Trillesius, en Espagne. Valère André ne craint pas d'accuser un grand nombre d'hommes de redouter d'avance les aridités des éléments de la langue et de se décourager au premier aspect de quelque difficulté; il se plaint qu'ils ont recours trop vite à l'adage des ignorants : llebraïcum est, non legilur, comme s'ils voulaient justifier à leur tour la fameuse glose d'Accurse : Graeca sunl, legi non possunt, et il leur reproche aussi d'ajouter foi sans examen aux jugements les plus inconsidérés ^ L'âge n'est à ses yeux qu'un prétexte allégué par la paresse : l'exemple de Jean Pieuchlin, de Rodolphe Agricola et d'Érasme prouve assez qu'on peut s'adonner avec fruit à l'étude de l'hébreu, même dans un âge avancé. Les dispositions essentielles que Valère André requiert de ceux qui veulent aborder cette étude, ce sont le zèle et la constance, qui leur garantissent des progrès remarquables dans un terme de quelques mois. Les sentences des anciens ne manquent pas à l'orateur pour recommander dans sa péro- raison aux jeunes hébraisants la patience et le courage; enfin, il emprunte à Hésiode une comparaison qui paraîtra peut-être ambitieuse à quelques- uns; c'est le vers oii le poëte chante la vertu dont la roule, d'abord escarpée et rude, devient facile et douce h mesure qu'on approche du sommet - : P>)t^t>î â'/) enena Tiéhi, jcÙ£m'i ■ne.p èoûaa.. » ' Valère André, p. 28. VitUjaris hicjudicii morbus est , temere de facilitate difficultateqne judican- liiim, priusqumn pericidiim aliquod fecerint , et plus auribus quam rationi experientiaeque tribuen- lium. Neque video, quam hic delicaluli illi asperitatem temere obtendant , nisi si domi latentes vernae patrium sermonem , lit mammillas infantes , tenere nimis ament et admirentur, caetera rudes , re- rumque inexperles. * Opéra et dies (v. 290, éd. Goettling). 268 MEMOIRE SUR LE COLLEGE 9. JoANNES Sauterus (Jean de Sauter). (1C5G-1C79.) Jean Sauter ou de Sauter, à qui la chaire d'hébreu fut confiée en 1656, était originaire du pays d'Alost • : il était né à Denderwindeke, village voisin de la Dendre, entre Alost et Grammont. Il avait étudié la philoso- phie au collège du Faucon ^ et obtenu la 161'"" place dans la promotion de 1619, qui comptait 210 concurrents. Il s'adonna ensuite au droit et s'exerça dans cette science sous les auspices du professeur Pierre Happen- brouwer, licencié en droit, qui habitait dans le voisinage du collège des Trois-Langues. Nommé tout à coup professeur d'hébreu, J. Sauter fit une tentative certainement louable : comme des caractères hébraïques manquaient chez les imprimeurs de Louvain, Sauter cisela lui-même en plomb un spécimen de caractères élégants de diverse grandeur, et surveilla la gravure de poinçons de cuivre pour la fonte d'un corps de caractères de ce même dessin. Il voulait aussi se pourvoir de points-voyelles qui lui permissent d'imprimer des textes hébreux de quelque étendue. Sauter ne réussit à mettre au jour qu'un seul opuscule, une courte introduction à la langue hébraïque, qui parut à Louvain en 1675 ^. Mais il ne fut pas à même de ponctuer le texte hébreu ; il dut laisser aux commençants le soin d'y apposer à la main les points-voyelles. Sauter, qui avait été reçu le 1" février 1674 au conseil de la Faculté ' Il est nommé Regrado- Alostensis par van Langendonck, dans la seconde édition de VAca- demia Lovanienns , p. 76, où sont consignés une partie des détails recueillis ici. D'autres rensei- gnements nous viennent des notes rassemblées par Paquot {Fasti, 1. 1, p. 521) et par Bas, fol. 1463. L'esquisse de M. L. Delgeur: Schels over de Oostersche Taelen in Belgie, pp. 19-20, et notre article historique de VAmiuaire de l'Unie, de Louvain, 1848 (pp. 278 et suiv.), sur les derniers temps de l'enseignement de l'hébreu au collège de Trois-Langues, nous ont fourni des matériaux pour les notices de ce chapitre sur Jean Sauter et sur ses successeurs. - Aristolelicuin pulverem hausil e Pacdagofjio Fcdconis. Paquol. ■' Brevis inlroduclio ad Linguam sanclam Hebraeam , qua ea praeserlim in quibus ad hoc slu- dium acccdenles maxime laboranl , ea docenlur melkodo , ut parvo lubore quivis ea possit superaie , et quae studii sunt profundioris ulililer dein adiré. Lovanii, typis .\driani de Witte, 1673, in- 12 (pp. 24). DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 269 des Arts, mourut le 25 juillet 1679, et fut inhumé le lendemain dans la collégiale de S*- Pierre *. La mort l'arrêta dans l'exécution d'autres œuvres littéraires qui nous auraient permis de mieux juger son mérite : c'était d'abord une grammaire méthodique et complète de l'hébreu (Audi- torium hebraicum lolam Linguae sanclae scientiam metliodice et copiose conti- nens) , des études grammaticales sur le chaldéen (grammaticalia clialdaïca) et d'autres travaux du même genre-. 10. Jean Herys (Herrijs). Successeur de Sauter, en 1680, Herys échangea l'enseignement des humanités contre celui de l'hébreu; mais il prit celui-ci en sous-œuvre, pour cultiver les études de droit et pour en briguer les profils. Jean Herys, que les uns font naître à Maestricht^ et d'autres à Me- chelen, bourg du Limbourg, voisin de cette ville *, avait été le treizième dans la promotion de 1663, comme élève du Faucon. II entra d'abord au collège de la S'^-Trinité ^, où il fut successivement professeur de petite figure(1671) et de grammaire (1672), et il conserva cette dernière charge au moins jusqu'en 1666 ou 1678. Quand il devint professeur d'hébreu, cette langue fut le moindre de ses soucis; on le vit s'appliquer ardemment aux études juridiques et prendre le grade de licencié en droit, ensuite celui de docteur, en date du 14 novembre 1690 ^. Ce premier succès lui fit conférer peu après les fonctions de professeur royal pour les titres du code, et ensuite de professeur ordinaire pour les Pandectes (1701). ' Paquot , d'après les registres de l'Eglise. - Van Langendonck, Acad. Lov. (édit. 1667), p. 76. L'opuscule imprimé est sans aucun doute l'abrogé dont il est question en ce passage : Auditoru compenditim, sive aditus ad linguam sanctam. "' Mosae-lrajectinus. — Voy. Paquot, Fasti, p. 521, et Prom. in art., fol. 72 v. * Recueil de Bax, fol. l.j-26 et 1554. ' Voy. la biographie de Tonsern dans Paquot, t. III, p. 648, note i. •^ Suppl. au\ Fastes du doctorat en droit, Aimiiaire, 18i5, p. 144. Dans une thèse défendue le 19 décembre 1691 , il discutait cette question : Utrum historiae ac lingiiarum cognitio in jure versantibus sit uliiis , aul neccssaria?... Promolio in art., MS., fol. 72. 270 MEMOIRE SUR LE COLLEGE Jean Herys, qui avait souiïert d'une hydropisie pendant deux ans. mourut d'apoplexie à Louvain, le 17 février 1704. 1 1 . Jean Guillaume van Hoven ou vunden Uoveii. (1704-1723.) Jeune encore , van Hoven avait été le suppléant de J. Herys dans la chaire d'hébreu; il en eut l'héritage immédiatement après la mort de celui-ci, en 1704. Né à Mechelen, près de Maestricht, en 1678, J. G. van Hoven avait obtenu de grands succès dans ses études ihéologiques, et s'était surtout distingué dans les disputes publiques des bacheliers. Son mérite dans la connaissance des langues anciennes * et l'appui de son maître, Martin Steyaert, lui valurent la chaire du collège de Busleiden. Van Hoven fit preuve également d'un savoir approfondi dans les ma- thématiques, jusqu'à obtenir la charge de professeur royal pour cette branche d'étude; il la remplit, dit-on, pendant douze ans avec une dis- tinction et une renommée qui passèrent jusqu'en Allemagne. Cependant, il ne négligea rien pour compléter son instruction dans les sciences théologiques ; il subit successivement les épreuves qu'on exigeait alors pour les grades inférieurs, et remporta toujours dans les discussions pu- bliques un triomphe signalé et suivi d'un grand retentissement; enfin, après avoir donné des leçons à l'abbaye de Sainte-Gertrude et au collège d'Adrien YI, il fut promu, le 11 novembre 1721 , au grade de docteur en théologie^. Le haut mérite de J. G. van Hoven fut bientôt après récompensé par la collation de la chaire royale d'Écriture sainte et d'un canonicat de S'-Pierre; mais il n'avait encore donné que sept leçons quand il fut enlevé par une violente maladie, à l'âge de quarante-cinq ans, le 24 avril 1725'. ' Au témoignage de Moréri (édit. 1759, t. VI, p. 98), van Hoven aurait obtenu les mêmes suffrages par ses leçons d'hébreu que par ses autres leçons. - Fastes doctorales Fac. S. Theologiae, p. 454, recueil manuscrit d'où sont extraits les détails biographiques consignés ici. Cfr. Or. de laudibus, etc., p. 139. '' Qu'il soit permis de reproduire quelques-unes des figures dont s'est servi l'historiographe du DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 271 Il paraît incontestable que les connaissances solides que van Hoven avait acquises par l'étude de l'Écriture et des Pères , ainsi que de toute l'his- toire ecclésiastique, avaient révélé en lui un théologien de premier ordre, en même temps que sa profonde piété avait fait l'admiration de tous ceux qui l'entouraient. Les regrets, que J. G. Kerckherdere a exprimés sur la fin prématurée de van Hoven, dans son poëme latin sur l'École théo- logique de Louvain ', semblent bien justifiés par l'activité qu'il avait dé- ployée dans un petit nombre d'années. Rien n'empêche d'admettre comme fondées les espérances du panégyriste qui disait, en voyant s'éteindre un talent naissant, que « Hovius serait allé un jour bien au delà du savoir de Lucas de Bruges et du premier des Jansénius »; mais, toujours est-il vrai que van Hoven ne réussit point, par les leçons diverses dont il fut chargé, à exciter puissamment l'attention et le zèle des théologiens eu faveur de l'exégèse sacrée et des travaux philologiques qu'elle réclame. 12. GisBERT Joseph Hagen. (1726-1750.) G. J. Hagen, qui naquit à Venlo le 26 avril 1689, d'une famille célèbre dans les armes, s'était occupé de bonne heure de la théologie, et il devait professer un jour cette science. Quoique van Hoven fût mort en 1723, Hagen n'hérita de la charge de celui-ci qu'en 1726, et il la géra en con- currence avec ses autres fonctions jusqu'à sa mort, comme nous l'apprend son épitaphe qui se voyait au cimetière de S*-Michel à Louvain^. Hagen doctorat pour faire allusion au nom et aux talents de van Hoven : Profusorum divinae in se gra- tiae donorum recondilor, dentissa humililale diu fuit Hortus conclusus donec diseiplinarum cunc- larum flore conspicuus , deinceps lU fons signalus apparuit... Lugenii Academiae eripUur, Fous Horlorum repente siceuiiis. ' Carmen de Schola Theol. Lov., Annuaire de 1840, p. 206; en voici quelques vers: . ... Tu clauilis, ffovi, suspiria coetnU, etc.... .... Supra Lucae Brugensis iturutn Janseniique prioris opes, jam gratia magni Caesaris ex merilo donarat sede magistra Scripturae.... Sutnmusque Irilinguis, etc. ■^ Paquot a inséré cette inscription dans son édition manuscrite des Fastes ( p. 521 ). M. Uelgeiir l'a reproduite d'après Paquot. (Schets , p. 21.) Tome XXV ill. 5G 272 3IEM0IRE SUR LE COLLEGE a professé la théologie après avoir pris le grade de licencié, et il aurait occupé tour à lour les chaires de catéchisme et de théologie scolastique * ; il est devenu chanoine de S'-Pierre et président du collège de Malderus. Mort sexagénaire le 2 juin 1750, Hagen avait refusé par humilité l'évêché de lUireinonde^. 15. Jean Noël ou Natalis Paquot. (1733-1772.) Jiixitilut tnm imter morlucs auetali. (PS) Nous rencontrons dans Paquot un de ces esprits vigoureusement trem- pés pour le travail, comme il y en eut peu dans notre école nationale au XYIII"' siècle. Il a souffert, il a été méconnu, et cependant par son caractère comme par son talent, il était digne d'un meilleur sort. Des hommes qui étaient morts à la science et chez qui ne vivait plus que l'en- vie résolurent sa perte, parce qu'ils ne purent supporter sa supériorité. 11 fut en butte plus que personne de son temps aux dédains, aux contradic- tions, aux intrigues, voire même aux accusations les plus odieuses, et malgré tout, quand il eut courbé la tête quelques instants devant l'orage soulevé par les petites passions, il reprit cette plume d'une érudition sûre et mûrie, que la jalousie aurait voulu arracher de ses mains. Quoique nous n'ayons pas à retracer ici sa vie de tous points, il nous a paru juste de dire un mot à l'avance sur le mérite exceptionnel d'un homme qui ne peut être confondu avec la foule des maîtres de la même époque dont la biographie est enregistrée à côté de la sienne dans ce chapitre et dans ' Fasli doctor , p. 440, dans la notice consacrée à J. R. G. Caimo, promu docleur en \~iô et devenu plus tard évêque de Bruges. ■^ Son nom est rattaché à une brochure dirigée contre les idées du P. Ch. René Billuart touchant l'obligation de rapporter les actions à Dieu; Hngen avait communiqué à M. Antoine Médard, pré- sident du séminaire de Liège , ses remarques sur cette question , dans laquelle il soutenait les opi- nionsdes théologiens de Louvain; la brochure publiée donna lieu à une longue polémique à laquelle prit part le P. Maugis. docteur-régent de la Faculté de Théologie. Syslemn uovuni R. Ptilris Bil- luart (le relatione operuii) in Deum , refiitatuiii a R. adm. cic erudilissimo D. Hagens (sic), prof. regio, etc. Leodii, 17.3-2, in-12 (4-1 pages pour la réfutation). Voy. Paquot, Mémoires, notice sur le P. Billuart, t. il , p. 11-2. DES TROIS-LANGUES A LOLVAIN. 27Ô les deux précédents. Nous parlerons d'abord du savant en général poui faire mieux connaître l'hébraisant. Le docte J. N. Paquot, de Florennes, était licencié en théologie ' à l'époque où il fut appelé à la chaire d'hébreu , et il dut l'occuper en 1755, sinon dès l'an 1750 ou 1752. Versé comme il l'était dans toutes les sciences ecclésiastiques, il était capable de donner beaucoup d'éclat à cette chaire, et l'on verra qu'en effet il fit des recherches spéciales et fort utiles en vue des leçons qu'il y donnait. Pendant le terme de plus de vingt ans que Paquot passa à Louvain, il fut absorbé constamment par des travaux d'érudition et de bibliographie, d'histoire littéraire et d'histoire ecclésiastique 2. Ses charges s'accrurent à mesure que le champ de ses études s'agrandit : Paquot fut nommé his- toriographe impérial par lettres patentes de Marie Thérèse, en date du 25 avril 1762. Puis, de 1769 à 1771, il eut les fonctions de bibliothé- caire de l'Université 5 et s'y fit remarquer par sa vigilaiice. Il avait la pré- sidence du collège de Houterlé, mais avec la seule indemnité du loge- ment, et il devait à lui seul défrayer sa table. La cour de Vienne fut instruite de la position gênée où se trouvait Paquot, et c'est pour y remé- diei- que l'impératrice lui conféra, en la même année 1762, une pension annuelle de six cents florins ^. On voit dans une lettre de cette princesse à son beau-frère, Charles de Lorraine, qui l'avait informée « des mérites de Jean Natalis Paquot, ainsi que du cas où il se trouve d'avoir à peine ' Il serait parvenu, dit-on, difficilemenl jusqu'au doctoral, à cause des frais de la promotion, environ 3000 florins, qu'il était iiors d'état d'acquitter. ■^ Cons. Goethals, Lectures relui, à l'histoire des sciences, t. III, pp. 273-293 (Bruxelles, 1838). — Tout le monde sait la valeur des Mémoires de Paquot, comme recueil de biographies nationales et comme répertoire littéraire : ils sont sortis de l'imprimerie académique de Louvam . de 1763- 1770, alors que ce savant résidait encore au sein de l'Université. -' Voy. P. Namur, Hist. de la bibl. jmbl. de Louvain, pp. C5-68, et de Reiffenberg, Annuaire di- lu bibl. royale, année 1841 , p. 172. ' Voir la note de M. Th. Piol dans le Bibliophile belge, t. Il , pp. 149152. Paquot relirait de la chaire d'hébreu 571 florins, et il regardait comme précaire le canonicat de S'- Pierre qu'il avait obtenu en 17.56, et qui devait lui valoir oOO florins, parce qu'il ne supportait pas bien la fatigue que lui causait le chant des oflices. Paquot ne pouvait espérer une meilleure position à cause de l'animadversion de plusieurs personnages importants de l'Université. 274 MEMOIRE SUR LE COLLEGE de quoi vivre, » qu'elle lui accordait cette faveur, « touchée de compas- sion pour ce savant homme et se faisant un plaisir de réparer le tort qu'ont ses collègues de lui témoigner plus de jalousie que d'envie de concourir à son avancement. » Paquot quitta Louvain en 1772, quelques mois après le déplorable procès qui lui fut intenté^; il n'abandonna rien de ses projets scientifiques, et il travaillait dans la retraite, quand il fut nommé, en 1785, professeur d'Écriture sainte au séminaire épiscopal de Liège. A ce sujet, Feller écri- vait au prince-évêque - : « Que vous avez bien fait de nommer le vieux, pauvre et très-savant Paquot, professeur de l'Écriture sainte! En vérité, c'est une bonne, sainte, chrétienne et judicieuse œuvre. » Ce polygraphe mourut à Liège le 8 juin 1803, âgé de 81 ans : ses livres et manuscrits furent vendus en 1804, en cette ville. 11 nous reste maintenant à montrer dans Paquot la prévoyance du théo- logien, la sollicitude du professeur d'hébreu pour les intérêts des études qui relevaient de sa chaire. Or, il sut trouver assez de loisir pour rassem- bler les matériaux non-seulement de recueils considérables d'histoire et d'hagiographie, comme on peut le voir en parcourant la série de ses ma- nuscrits, appartenant aujourd'hui à la Bibliothèque l'oyale ^; mais encore de traités spéciaux, d'ouvrages sérieux relatifs à l'étude de la langue hé- braïque ou à l'interprétation des livres de l'Écriture. Quoique Paquot ait pu mettre la main à cette classe de ses travaux dans la seconde partie de sa carrière, il est plausible de croire qu'il destinait aux leçons et aux exercices du collège des Trois-Langues la majeure partie des œuvres d'exé- gèse et de philologie sacrée qui nous restent. Un théologien fera bien de s'appliquer un jour à une analyse critique des ces écrits de Paquot, et de caractériser la méthode qu'il y a appliquée et le prix qu'ils auraient eu dans le développement complet d'un enseignement théologique. Nous nous contenterons de citer parmi ses ouvrages restés manuscrits : ' Voy. Bulletins de la Comm. roy. d'Histoire, t. IV, p. 349. - I^ellre du 6 février 1787. Extraits inédits de la correspondance de Feller (Remie catlio'., mai 1835, p. 270;. ' Voir Bibliotheca Hultliemiana,t. \] , Manuscrits {Gand , 1858, in-8°). DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 273 1" Un Lexicon lalino-hebraeum (n° 184), volume in-folio écrit de sa main, et renfermant la traduction latine de plusieurs Psaumes; 2° ses Notae in Gène- sim et in Psalmos (n» 12), autographe m-i"; 3° ses Commentaires français sur Jërémie, Barucli, Ézéchiel, Daniel (n» H), 2 volumes in-i"; A" ses notes et paraphrases latines (n" 6) sur un exemplaire des Psalini poenitcntiales ; 5° son grand travail (n° 10) sur VAnalofjia Veteris ac Novi Testamcnli ' {aiict. M. Becano, Lovanii, 1775, in-8°). Paquot avait prouvé son érudition biblique en publiant avec des notes l'ouvrage de Fleury sur les Mœurs des Israëliics et des Chrétiens'^. Le censeur apostolique et royal Fr. Jacobi, dans son approbation, déclare qu'il a trouvé les réflexions de l'éditeur des plus exactes, et qu'elles montrent un auteur aussi zélé que savant. Paquot rendit un plus grand service en soignant l'impression du célèbre commentaire de Siméon de Muis sur les Psaumes: il se chargea de le publier, avec les notes de Bossuet, en 2 volumes in-4". en 1770, à l'imprimerie académique de Louvain ^; sans avoir mis son nom dans quelque endroit de cette publication, il remplit consciencieuse- ment ses fonctions d'éditeur, et apporta une grande correction dans l'or- thographe des mots hébreux insérés fréquemment dans le commentaire considérable du savant archidiacre de Soissons. Nul doute qu'un tel livre ne fût très-propre à répandre le goût de la littérature sacrée et à favoriser la culture d'une exégèse savante : il dut faire naître quelque espoir d'un nouvel essor des études ecclésiastiques en Belgique, dans les esprits les plus éclairés snr l'importance et la destination de la théologie *. * L'exemplaire interfolié de papier blanc forme 2 vol. in-4°. L'édileiir de la Bibliolhecci ffulthe- miana en parle ainsi, dans l'introdiiction au tome VI, p. xviii : « Les notes et les suppléments qu'il y avait ajoutés doublaient au moins cet ouvrage savant. Pendant les dernières années de sa vie, Paquot parlait souvent de cet ouvrage, qu'il avait particulièrement à cœur: les circonstance.s du temps l'ont empêebé de le faire imprimer. » ^ Louvain, imprim. acad., 1773, in-8° (avec une vie abrégée de Fleury). - Commentarius liltcr. et hist. in omnes Psalmos et seiccla Vet. Test. Canlim , ad éd. optimam Parisiensem anni MDCL recusus, etc. Lovanii, lypis .\cademicis. L'éditeur a pu ajouter au titre, à cause de la bonne disposition des matières: Omnia nunc primimi accuratissime recognita; et conimodissimo ordine distribula. Le haut des pages est occupé par le texte latin des psaumes, d'après les trois versions de la Vulgate, de saint Jérôme et de S. de Muis; viennent ensuite le commentaire de celui-ci, et enfin, plus bas, les observations de Bossnet. * Voici les termes dans lesquels X approbation du livre a été conçue par François Jacques, dit 276 MEMOIRE SUR LE COLLÈGE J^aquot avait élé nommé, le 1" février 1769, membre de la Société litlé- mire de Bruxelles, qui fut érigée l'an 1772 en Académie impériale et royale des Sciences et Belles-Lettres; mais il ne prit pas une part active aux travaux de celte compagnie. 14. Gérard Deckers. (1774-1782.) C'est seulement vers 1774, deux ans après la reti'aile de Paquet, que la chaire d'hébreu fut assignée à un des meilleurs théologiens de son époque, Gérard Deckers, né à Kevelaer dans la Gueldre, en 1755. Après avoir accompli ses études de philosophie et de théologie avec distinction dans les collèges de Louvain, il obtint les fonctions de secrétaire auprès de H. G. van Gameren, nommé évéque d'Anvers; mais, avant le départ de ce prélat, il fut appelé, au mois d'août 1759, à une chaire de philosophie au collège du Porc. Deckers, qui était devenu président du collège S'-Anne et chanoine de la fondation de l'autel du S'- Esprit à l'église de S'-Pierre, fut proclamé docteur en théologie le 21 octobre 1766 *, et nous le voyons, deux ans plus tard, élu recteur de l'Université. C'est après avoir rempli beaucoup d'autres charges que Deckers fut désigné pour occuper la place restée vacante au collège de Busleiden : il mourut à 49 ans, le 25 juillet 1782, sincèrement regretté pour sa science comme pour son zèle, sa charité et ses autres vertus sacerdotales. Deckers ne paraît pas avoir obtenu quelque succès particulier dans l'enseignement philologique dont on l'avait chargé; mais il a laissé parmi ses contemporains et parmi ses élèves la réputation d'un homme profond dans les branches principales des études théologiques. Jacobi, lie. en Théol., président du eoUége des Trois-Langues, censeur apostolique et royal dans les Pays-Bas : Clarissimorum virorum nomina, praecellenli hujus operis titulo inserta, vet solu sufficiwnt ci pro dignitate aestimando. Menin huic siiff'ragium addcre, necesse non est Votum tamcit arijicio , ni oinnes licirum dioeceseon clerici scdida cjus leclione magis ac macjis accenduntur, iil pie simul et inteliigentcr psallant Régi Begnm et Domino Dominanlium. Actum Lovanii die 8 noveni- bris 1770. ' Fusti doctorales l'ar. S. TheoL, p. 459. Cfr. Or. de laudihus, etc., p. loi. — Promot. in Art.. fol. 55, V. DES TROIS-LAINGUES A LOUVAIN. 277 15. Joseph Benoît de Mazière. (1782-1786.) Dans la même année 1782, les leçons d'hébreu furent reprises au col- lège des Trois-Langues par un docteur promu un an auparavant ', Joseph Benoît de Mazière, natif de Leysele près de Furnes : il était devenu lec- teur au collège d'Adrien VI, où il avait fait ses études en théologie, et il venait d'être élu président du collège de Divaeus, quand il succéda à Deckers dans l'enseignement de l'hébreu. De Mazière ne put se livrer que fort peu de temps à cet enseignement spécial : il entra, en octobre 1786, dans le personnel du séminaire général de Joseph II, comme professeur de théologie dogmatique 2, et, au mois de mars 1788, il fut mis'en pos- session de la même chaire dans la Faculté de Théologie, reconstituée sous le rectorat de van Leempoel, par le gouvernement impérial ^. Le cours de langue hébraïque fut assigné dans l'organisation du nouveau séminaire à un autre théologien, Henri Wouters, de Louvain, qui était chargé en même temps des leçons sur l'Ancien Testament*. De Mazière se trouva mêlé à tous les débats dans lesquels s'engagea la Faculté de Théologie avant qu'eût éclaté la révolution brabançonne; il fut chargé, comme doyen de cette Faculté, de transmettre ses réponses et ses observations tant aux membres du gouvernement qu'au cardinal-arche- vêque de Malines, quand celui-ci fut forcé de se prononcer sur l'ortho- doxie du nouvel enseignement '*. Lorsque les troubles eurent grossi au point d'amener une insurrection générale et le renversement de la domination autrichienne, de Mazière » Le 20 février 1781 {FasU doct., p. 470. Cfr. Or. de laudihus, p. 159). La plupart des détails biographiques sur les deux successeurs de Paquot proviennent du même recueil. 2 Voy. les Mémoires de Rupédius de Berg. pour servir à t'Hisl. de In réooliUion brabançonne . publ. par P. Gérard. Bruxelles, 1843, t. H, pp. 7 et 14, noies. '' Ibid., p. 36. '• H. Wouters, licencié en Théologie depuis 1776, avait été élu , le 13 novembre 1783, président du collège des Trois-Langues. Voy. la série des présidents, n° 16. » Mémoires de Rapédius de Berg, t. Il, p. 149, p. 156. — La réponse justificative de la Faculté au cardinal est datée du 10 mars 1789. 278 MEMOIRE SUR LE COLLEGE se condamna prudemment à la retraite. A peine réorganisée sur l'ancien pied, rUniversité de Louvain prononça contre lui, par contumace, le 1:2 juillet 1790, une sentence qui le déclara déchu de toutes ses fonctions académiques ^ Ainsi puni d'avoir secondé ouvertement les vues du gou- vernement de Joseph II, de Mazière ne rentra plus à Louvain après la restauration, qui eut lieu au commencement du règne de Léopold '^. 16. Etienne Heuschling. (1790-1797). Quand l'Université eut prononcé, en 1790, la déchéance du professeur de Mazière, ainsi que nous venons de le rapporter, la troisième chaire de la fondation Busleiden fut donnée à un jeune savant qui avait parcouru dans ses propres études le cercle de la grammaire des langues sémitiques, sans se borner à la seule connaissance de l'hébreu de la Bible. Le récit des circonstances principales de sa carrière ne sera peut-être pas à cet égard sans intérêt : nous les empruntons en grande partie à une notice rédigée par lui-même, selon l'usage du temps, pour les archives de l'Académie uni- versitaire qui fut établie à Bruxelles, sous l'empire français, et à laquelle il appartenait comme membre de la Faculté de droit ^. Etienne Heuschling, né à Luxembourg, le G avril 1762, était fds d'Hubert Heuschling et de Christine Theyes*. Ce fut au collège-pensionnat royal de Luxembourg, qu'il fit les humanités, la philosophie et la théo- logie, en terminant ces deux derniers cours par des thèses publiques. ' Mémoires, ibid., p. 7, note. ^ De Mazière fui nommé, en novembre 1791, prévôt du chapitre de Saint-Vincent, à Soignies (praeposilits cccksiae Sonegiensis); en 1803, lors de la réorganisation du diocèse de Gand, il fut appelé à la cure de Dixniude, et c'est dans cette ville qu'il est mort en 1824. ' Le recueil formé par van Hullhem, un des directeurs de l'Académie, fait maintenant partie des manuscrits de la Dibliotliùque royale (n" 17S87, registre in-folio. — Bibl. Hullh., MS. 868); il a pour titre : RenseUjnemenls sur le personnel des recteurs, des secrétaires, des inspecteurs des trois facultés, leurs éludes, les fonctions qu'ils ont remplies antérieurement, so'vanl de matériaux pour les Fastes de l'Acad. de Unix. — Fac. de droit, folio 101 et suiv. (Et. Heuschling, fol. III.) ' Ces documents biograpIii(|ues sont tirés de notre notice déjà citée sur les derniers temps de l'enseignement de l'hébreu au collège des Trois-Langues (Annuaire de l'Université de Louvain, ann. 1848, pp. 103 et suiv.). DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 279 « Au sortir de l'enfance, nous dit-il, il s'était destiné à l'enseignement .. public, et, dès l'âge de 20 ans, il y fut appelé par le gouvernement » des Pays-Bas. » Ce fut vers 1782 qu'il devint professeur de sixième et de cinquième au collège-pensionnat royal de Naniur, Un peu plus tard, Etienne Ileuschling se rendit à Louvain pour y faire ses études de droit, et il y prit le grade de licencié; il fut soutenu dans ces études nouvelles par un parent qui s'était fait un nom comme jurisconsulte : son oncle, Jean Pierre Ileuschling, professeur royal de Pandectes depuis 1765 ', fut pour lui un généreux protecteur. Cependant Etienne Ileuschling ne resta pas longtemps à Louvain : il partit pour Rome dans l'intention d'y poursuivre l'étude des langues, et en particulier des langues orientales, qu'il avait sans doute cultivées dans son pays autant que le lui permirent les ressources qu'il y trouvait. Il se rendit bientôt assez habile dans cette branche d'étude, pour prendre part à un concours public ouvert à Piome pour la chaire de la langue syro-chaldaïque, devenue vacante à la Sapience; il fit, le 22 juillet 1788, les épreuves exigées pour le concours en présence du cardinal Buon- compagni, secrétaire d'État, et des avocats consistoriaux de Sa Sainteté. Heuschling sortit de ces épreuves avec honneur ; mais il ne put l'emporter sur un savant Maronite de la famille des Assémani, célèbres depuis un siècle par leurs travaux sur la langue et la littérature syriaques : son heu- reux rival était Antoine Assémani, scribe pour la langue syriaque à la bibliothèque du Vatican, et professeur de langue arabe au collège de la Propagande ^. Il existe, en témoignage du résultat de ce concours, demeuré glorieux pour Heuschling, le certificat qui lui fut délivré par le recteur de l'archigymnase romain, Ch. A. Conslantini, au nom du collège des avocats de la cour consistoriale ^. • Jean Pierre Heuschlins;, promu docteur avec grande solennité le 16 juin 1761, mourut à Louvain le 10 juillet 1797 (Suppl. aux Fasles de Valère André pour les docteurs de la Faculté de Droit; Annuaire de l'Univ. catlt. de 1845, pp. 131-152). = La même chaire, à l'Université romaine de la Sapience , a été occupée depuis par le savant abbé André Molza, qui était en même temps un des conservateurs à la Vaticane et qui est mort en I8y 1 . ^ Carolus Aloysius Conslantinus, sacrae consislorialis Aulae advocalus, et Romani arcliigijin- msii reclnr depulatus. Contresigné : Marins TuUopello a secretis. — Nous nous plaisons à recon- ToME XXVIII. 37 280 MEMOIRE SUR LE COLLEGE Universis et singulis praesentes lileras nostras inspecturis fulem facimiis, alque teslamur CL D. Steplianum Heiischimg'mm Litxemburgensem in concursu liabilo die 22 Juin labentis anni coram E'"" et R"" D"" Card. Boncompagni a secrelis Status sanctissimi Domini Nosl7-i Pii Papae VI, £"'" et R"'" D"" Card. Camerario adversa valeludine detento siiffecto , et coram III"'" et R"'" DD. sacrae consistoiialis Aulae Advocalis adeo perilum iinguae chaldaïco-syrae sese tribus electis perilis examina- toribus cxhibuisse, ut inspectis caeteris quibus pollel , scientiae et probitatis requi- silis, judicio primum examinatorum , digmis remmtialus fuerit cathedra sive Icclura ejusdem Iinguae, tune in noslro urchigymnasio vacante; deinde vero, ejusdem cathedrae professer designatus fuerit per pluraliiatcm suffragiorum , in secreto scrutinio, ab E'""" et R'"" D"" et IW"' et R""' viris supradiclis : licet obtento om- nium suffragiorum concursu, ejusdem cathedrae possessio décréta fuerit Cl. vira Antonio Assemanni {sic) Syro-Maronitae , scriptore supradiclae Linguae in Diblio- theca Vaticana, et Linguae Arabicae professori in U. Collegio Urbano de Propa- ganda Fide. In quorum fulem praesentes literas subscripsimus , et magno Collegii Nostri sigillo muniri curavimus ^ Dalum ex Aula Magna Romanae Sapientiae quarto Kalendas Januarii, anno a Nativitate S S"" Domini Nostri Jesu Christi MDCCLXXXIX. Etienne Heuscliling nous apprend lui-même que, pour le retenir à Rome, on lui avait promis la première chaire qui viendrait à vaquer et une place de scrittore délia Biblioteca Vaticana. Cependant cette perspective ne put le de'cider à rester beaucoup plus longtemps en Italie- : il regagna la Belgique; et c'est après la réintégration des cinq Facultés de l'Univer- sité à Louvain, dans le courant de l'année 1790, qu'il fut mis en posses- sion de la chaire de langue hébraïque au collège des Trois-Langues. Il n'occupa cette chaire que peu d'années, à cause des événements qui ébranlèrent ou détruisirent toutes les institutions publiques en Belgique. Nous ne savons s'il quitta Louvain au moment de la première invasion naître ici que nous devons la communication de la minute de ce document curieux à la complai- sance du neveu du savant qu'il concerne, M. Xavier Heuscliling, chef de la division de statistique générale au ministère de l'intérieur. ' Le sceau de la Sapience porte la figure de saint Ives, ou Ivo, entourée de cette légende : Colle- gium sacrae Aulae consislorialis advoculorum. - Heuscliling demeura membre associé de l'Académie théologique de la Sapience. DES TROIS-LANGUES A LOUVAiN. 281 française ou seulement à l'époque de la dispersion de l'Université, en octobre 1797. Toujours est-il que Ileuschling avait rapporté de l'Italie, pour l'accomplissement de sa charge, une variété et une étendue de con- naissances philologiques que n'avaient point possédées depuis deux siècles ses prédécesseurs dans la même chaire. Vers le temps où l'étude du syriaque était en vogue aux Universités d'Allemagne, où J. D. Michaelis réimprimait le Lexique de Castell, où Kirsch et Bruns publiaient, à Goet- tingue, le texte de la Chronique de Bar-IIebraeus, Etienne Heuschling allait communiquer à la Belgique les éléments fondamentaux d'une étude qui est d'un si grand secours pour la philologie sacrée et pour l'histoire du christianisme; mais l'approche des plus mauvais jours de la révolution ne lui permit pas d'atteindre à cet égard quelque résultat. Pour bien juger l'activité d'un des hommes qui ont appartenu à l'an- cienne Université au double titre d'élève et de maître, il est indispensable de le suivre dans la retraite studieuse qu'il s'était faite, et ensuite dans les charges qui le firent rentrer à plusieurs reprises dans la vie publique. Etienne Heuschling était gradué dans toutes les facultés, sauf la médecine ; il s'appliqua toujours à entretenir ou à augmenter les connaissances spé- ciales qu'il avait acquises dans les meilleures années de ses études acadé- miques, et il fut appelé à différents emplois en raison de l'espèce d'univer- salité qui distinguait son savoir. Déjà nous le voyons, après l'incorporation de la Belgique à la France , membre du jury d'instruction publique formé l'an V à Bruxelles; un peu plus tard, il entre à l'école centrale du dépar- tement de la Dyle comme professeur de grammaire générale. Le goût qu'il avait toujours montré pour l'élude des langues rend raison de la distinc- tion qui lui fut accordée en cette circonstance: Heuschling parlait, dit-on, quatorze langues; il en avait appris plusieurs en fort peu de temps, et il avait montré autant d'habileté dans le déchiffrement des alphabets que de facilité pour l'étude scientifique des grammaires. Il existe une pièce im- primée d'après laquelle on peut juger l'étendue des recherches qu'il prenait pour matière de ses observations et pour fondement de ses théories : c'est le Discours cT ouverture de la classe de grammaire générale, dans l'école centrale, le 17 vendémiaire an VIII, par E. Heuschling, professeur de la 282 3IEM0IRE SUR LE COLLEGE même classe ^ On reconnaît dans ce Discours de Heuschling la tendance de son esprit à généraliser les faits spéciaux fournis par la science posi- tive de la linguistique, à faire prédominer un point de vue philosophique dans l'étude raisonnée des lois de la grammaire considérées à la fois dans les langues anciennes et modernes ; on aperçoit qu'il n'avait négligé aucune peine pour rassembler tous les éléments d'une étude systématique du langage, à une époque où n'avait paru aucun des ouvrages fondamentaux sur cette matière, à l'exception des Vocabulaires de Pallas^. Les vues de Heuschling peuvent être quelquefois exclusives, et ses rapprochements hasardés; mais il n'en pouvait être autrement en l'absence d'idées univer- sellement reçues sur le partage des langues en groupes et en familles, avant l'institution des méthodes plus rigoureuses dans l'investigation des racines et la comparaison des mots. Heuschling a du moins le mérite d'avoir deviné les travaux de notre temps, qui préparent la démonstration de l'unité primitive du langage humain. Si nous rapportons ici quelques passages du discours cité, c'est non-seulement pour constater les prin- cipes que Heuschling cherchait à établir en linguistique, mais encore pour signaler les vues générales qu'il prétendait faire prévaloir dans cette science, d'accord avec le mouvement des études philosophiques^. L'auteur du Discours fait part à son auditoire d'une première difficulté qui s'opposera aux recherches synthétiques de grammaire dont il a indi- qué la nature dans son exorde : le phénomène extraordinaire, étonnant, qui devrait éloigner le philologue du but proposé , la découverte de lois identiques dans l'organisme de toutes les langues, c'est l'idiome ' 12 pages in-12, sans nom d'auteur et sans titre particulier. - Publiés pour la première fois à S'-Pétersbourg, en 17871789. '' Voici d'abord le préambule du discours, dans lequel Heuschling expose en général sondes- sein : « Tout est lié dans l'univers. 11 existe un rapport bien étendu, bien sensible, vraimentadmi- )) rable, entre toutes les langues de tous les peuples de la terre. Ce rapport est nécessaire; il est B incontestable. Ces grandes vérités, ainsi que toutes celles dont la grammaire universelle se » nourrit; sur lesquelles elle établit ses théories, elle fonde sa doctrine; comment parvenir à les )) démontrer, à les rendre palpables? En suivant les inspirations du génie créateur des sciences, » l'esprit d'observation ; en recueillant les faits, en niullipliant les expériences, en poussant nos » recherches en ce genre, aussi loin qu'elles peuvent aller; en ramassant les matériaux les plus 1) propres à construire un édifice durable et majestueux; en un mot, en perfectionnant la glosso- DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 283 monosyllabique des Chinois, avec son écriture riche de quatre-vingt mille caractères qu'ils ont ramenés eux-mêmes à deux cent quatorze clefs : « Voilà donc, disait Ileuschling, un problème des plus piquants, de savoir s'il est possible de découvrir quelque conformité, quelque res- semblance entre nos langues d'Europe et d'Asie, et la langue de ce peuple fameux, peuple unique à tant d'égards. Essayons de tracer une esquisse abrégée de la solution de cet intéressant problème, en faisant voir que le chinois est d'accord avec les autres langues connues, dans sa grammaire, son écriture et ses mots. » Puis, Ileuschling s'attache à déterminer par quelles opérations on parviendrait à comparer aux thèmes monosyllabiques du chinois la forme primitive des racines polysyllabiques de la plupart des langues, en d'au- tres termes le radical dépouillé de tout accessoire et envisagé dans sa simplicité originaire : il indique par quelques exemples le genre d'analo- gie qu'il prétend exister entre la langue chinoise et toutes les autres. En outre, Ileuschling considère tour à tour les lois des diverses parties du discours et la manière d'assembler les idées, et il examine sous ces diffé- rents rapports comment la nation chinoise se conforme aux principes géné- raux et immuables du langage ainsi que les autres peuples, bien qu'elle semble faire une classe à part : « c'est ce nouveau point de vue qui continuera, dit-il, de nous faire jouir du spectacle brillant d'une ravis- sante harmonie. » Cependant, Ileuschling a plutôt émis à cet égard des espérances et des vœux, qu'il n'a établi et prouvé des faits de linguistique. Les analogies » logie, c'est-à-dire la connaissance positive et raisonnée des langues. Il s'agit de nous emparer 1) successivement de tous les idiomes répandus sur notre globe; de les analyser, de les comparer. » Les conséquences immédiates qui résulteront naturellement de cet examen et de celte comparai- )i son, formeront autant de principes solides, féconds, lumineux, inébranlables. C'est là la route )) que tant de grands hommes nous ont indiquée depuis longtemps, que tant de beaux génies » nous ont déjà frayée, et que doit suivre l'honime qui, par état et par goût, consacre ses veilles ). à cette sorte d'études, de méditations; méditations qui ont pour objet l'apanage le plus noble, le » plus magnifique de notre espèce, son caractère distinctif le plus glorieux, la parole, que nous 1) devons regarder comme une partie essentielle, comme un organe de la philosophie. » — Le discours porte cette épigraphe grecque en lettres latines: Kai organa de philosophias Locos, elc. (Jul. Pollue. Onomast, VI, 6, 40.) 284 MEMOIRE SUR LE COLLEGE partielles qu'il a signalées ne pouvaient mener à la conclusion d'unité originelle qu'il invoquait sans cesse; les difficultés étaient, en réalité, si nombreuses et si compliquées, que la synglosse, malgré ses progrès, n'est point encore parvenue à reconnaître avec assurance l'origine et les affi- nités de la langue antique du Céleste Empire *. Des rapprochements de syllabes prises dans le vocabulaire d'une foule de langues avec des mono- syllabes chinois, n'ont encore fait obtenir à personne quelque résultat sérieux et durable : il importait, au contraire, de bien préciser la prépon- dérance de la syntaxe sur la grammaire dans le chinois , pour préparer les investigations ultérieures de la philologie. Ileuschling n'avait pas été heureux dans son choix, en s'escrimant exclusivement dans une pre- mière leçon contre quelques termes de la langue chinoise, et il n'avait dans tout cela à recueillir d'autre avantage que celui de la nouveauté d'une pareille entreprise; il eût mieux réussi à s'attaquer aux affinités des lan- gues grecque et latine avec les langues germaniques, affinités qui furent éclaircies peu après par des travaux solides de ses contemporains, surtout en Allemagne. Au moins Heuschling avait- il entrevu l'application de recherches vraiment scientifiques à la comparaison des langues de toutes les familles, et il a pu dire en terminant ses études tirées du vocabulaire chinois : « Un travail semblable à celui dont je viens de vous présenter une ébauche très-imparfaite, appliqué aux langues indiennes, tartares , celti- ques, et ainsi de suite , nous donnera les mêmes résultats, et des résultats d'autant plus satisfaisants , que nous serons rompus davantage à cet exer- cice. Il nous convaincra toujours par de nouvelles preuves de fait, que le langage est essentiellement le même partout; que toutes les grammaires se tiennent comme par la main; que le même esprit fit naître et anime toutes les langues '^. » Ileuschling avait passé les années les plus funestes de la révolution ' La question d'origine n'a point été abordée par un des hommes de notre temps qui ont porté le plus de lumière dans la philosophie du langage, M. Guillaume de Ilumboldt, dans sa lettre célèbre à M. Âbel Rémusat, sur la nature des formes grammaticales en général , et sur le génie de la langue chinoise en particulier (Paris, 1827, in-S"). - Nous allons reproduire la péroraison consacrée par Heuschling à la louange de l'Harmonie, DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 285 française dans des fonctions qui l'arrachaient aux luttes politiques, au milieu de travaux qui lui permettaient d'attendre avec patience et avec calme la fin des bouleversements et des orages dont la Belgique avait retenti. Il eut le bonheur d'être apprécié par quelques hommes d'ordre qui usaient de leur influence auprès des représentants du nouveau pou- voir, afin de maintenir et de multiplier les moyens d'instruction. L'an VII, Ileuschling fut compris par l'administration du département de la Dyle au nombre des personnes destinées à former le noyau d'une société libre des arts, des sciences et des lettres, près ladite administration : on sait que cette société peut être considérée comme un des fondements de la nouvelle Académie de Bruxelles, réorganisée par arrêté royal du 5 juillet 1816 ^. Quand le gouvernement français eut joint en 1806 une école de droit aux autres Facultés composant l'Académie de Bruxelles, Ileuschling qui était gradué en droit, en fit partie comme suppléant 2. Heuschling ne paraît qu'il contemple dans le langage, dans l'univers, dans les sphères célestes, dans Ihorame et dans la sociélé ; on ne verra pas sans linéique sentiment de curiosité et de surprise l'homélie de Heuschling en l'honneur de la nouvelle déesse qui préside à la grammaire générale et à la législation révolu- tionnaire : « L'harmonie règne donc aussi dans cette partie de la nature. 0 harmonie , fille aînée de n l'Éternel, divine émanation de son essence inefFable... salut!... Souveraine toute-puissante de » myriades de mondes, chaîne d'or qui unis les cieux avec la terre, salut! toi qui présidas aux » œuvres du Créateur, qui réglas la course d'innombrables soleils, auguste conservatrice des » êtres! Heureux, trois fois heureux le mortel qui a des yeux pour te voir, des oreilles pour t'en- I. tendre, un cœur pour t'adorer, une âme pour jouir des délicieuses extases qui naissent de la » contemplation de tes charmes immortels. Toi qui formes le premier besoin et le premier lien de » l'humanité; loi, la mère des vertus, sois propice aux cœurs droits : que tes mystères leur soient B révélés! que leurs idées, leurs sentiments, leurs actions, leurs habitudes, leurs ouvrages, leur » vie et leur mort soient dignes de loi, dignes de la sagesse, dignes de leurs hautes destinées. Toi. » qui fondes les sociétés, affermis la république française, rends-la fortunée parla paix, autant )> qu'elle est formidable et glorieuse par la guerre; que toutes ses institutions soient l'expression » fidèle de tes lois! « * Heuschling se trouva dès lors associé à beaucoup d'hommes qui se sont fait ensuite un nom dans la science : Lesbroussart père, van Mons, Laserna de Santander, le baron de Poederlé, le vicomte de Nieuport, Plasschaert, van Hulthcm, van Hooghten, Jacquelart, Gendebien , Dotrenge, L. P. Rouillé et d'autres. Plusieurs de ceux que Heuschling eut alors pour confrères rentrèrent en même temps que lui dans l'enseignement universitaire, sous l'empire et ensuite sous le régime hollandais. '- Il avait pour collègues dans cette faculté Michel Joseph van Gobbeischroy, ancien professeur de Louvain, Bertrand Cahuac, Jean J. P. Tarte, J. G. van Hooghten, X. Jacquelart, auxquels fut adjoint, en 1810, Jean Gérard Ernst. 286 MEMOIRE SUR LE COLLEGE pas avoir exercé souvent les fonctions attachées à ce titre; mais il continua à s'adonner courageusement à l'étude simultanée de plusieurs sciences ^ Lorsque le roi Guillaume I""" institua, en 1817, les trois Universités des provinces méridionales des Pays-Bas, il nomma Etienne Meuschling à une chaire de la Faculté de philosophie à l'Université de Louvain , en même temps que les anciens professeurs Sentelet et Jacquclart cà des chaires de sciences et de droit -. Heuschling revint avec prédilection à ses premières études, en acceptant un double enseignement philosophique et littéraire. La grammaire des langues orientales devait y avoir une large place, comme on en pourra juger par un extrait du premier pro- gramme de l'Université royale, publié en octobre 1817 ^. Si Heuschling n'a point trouvé à la nouvelle Université de Louvain de nombreux audi- teurs pour toutes ces branches d'enseignement, il faut l'attribuer en partie à l'état naissant de cette institution, en partie à la faveur beaucoup plus grande dont jouissaient dans l'opinion les leçons de philologie classique données en vue des cours d'humanités, en partie aussi à l'exposition un peu confuse du penseur, qui aimait à mêler des vues philosophiques abstraites à l'exposé élémentaire de toute science. Heuschling ne persévéra point long- temps dans la carrière active que sa dignité académique ouvrait devant lui : au bout de trois ans environ, il résigna cette dignité et quitta Lou- vain ^* pour reprendre à Bruxelles, dans la solitude, ses occupations favo- rites. « Vétéran de l'enseignement universitaire, » comme il s'appelait • Heuschling était membre de la Société de jurisprudence de Bruxelles. - Voy. sur la carrière de Sentelet la note étendue de P. Gérard, dans les Mémoires de Rapédius de Berg, t. Il, pp. ô6-ô7. ^ Etal de l'enseignement supérieur en Belgique, rapport de M. Nothomb. Bruxelles, 1844, t. I , p. 350. — Praeleclioncs ordinis philosophoriim. Heuschling, per hune anmim diclabil posiliones elementarcs jiiris nalurae, ex ontoloyia et psycholngia depromplas, etc. Interprelabitur , guidquid in scriplis Aristolelis ad /Logic, Dialec. elMelupUys. propius spécial ; porro exponet aliqnol tragoe- dias Sophoclis et Euripidis ; tum praemissis necessariis insHtulionibus in Linguam Hebr., Syriiic. Chaldaïc. et Arab.; explicabil libros Gènes, cl Psalmos aliquol; item (Chald.) Danielem el Esram; porro (Syriac.) N. Test, et carmina Mphrem Syri; tum (Arab.) Adagia Arabica, Fabulas Lok- mnnni el partem Alcorani , diebus Jovis, Feneris et Salurni , h. XI. ■* Après le départ de Heuschling, l'enseignement de Thébreu fut quelque temps suspendu à I^ouvain; mais, lorsque l'arrêté royal qui créait le collège philosophique eut désigné la littéralure hébraïque parmi les matières de l'enseignement (art. 2), un cours d'hébreu fut organisé par un DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 287 volontiers lui-même, Ileuschling, qui avait eu à l'Université de Louvain le titre de professeur ordinaire, obtint du gouvernement une pension de 1,500 florins, qui, jointe à son patrimoine, le mit à l'abri de toute gêne. Cependant, l'isolement ne permit pas à Ileuschling de tirer parti des connaissances qu'il avait amassées pendant de longues années avec un la- beur infatigable : voulant trop embrasser dans ses études journalières, il ne lui fut pas donné d'atteindre au but, d'obtenir un autre fruit que la satisfaction d'avoir exercé noblement jusqu'au bout de son existence ses forces intellectuelles. S'il n'a pu se rendre utile plus longtemps dans l'en- seignement supérieur, s'il n'a point laissé quelque ouvrage marquant comme le résultat principal de ses patientes investigations, il a eu en cela le sort d'un grand nombre d'esprits indépendants et oiiginaux, que l'his- toire des lettres nous montre jetés par les événements hors de la vore où ils étaient appelés à rendre de véritables services. D'ailleurs, il faut tenir compte des malheurs domestiques qui ont pu réagir sur le caractère d'Élienne Ileuschling \ en le séquestrant de la société, en l'isolant des membres même de sa propre famille, en le poussant à une vie solitaire et rêveuse où venait s'absorber la meilleure activité de son esprit. Devenu depuis longtemps indifl^érent aux relations scientiliques qu'il avait nouées naguère, il avait laissé se disperser peu à peu la bibliothèque qui avait servi aux travaux de toute sa vie, et, réduit à des soins mercenaires, il s'était dépouillé sans prévoyance d'une assez bonne partie de ses res- sources personnelles. C'est le 29 août 1847 qu'Etienne Heuschling est mort à Bruxelles, à l'âge de 85 ans "-, après avoir repris, dans les jours de sa dernière maladie, toute l'ardeur et tout l'enthousiasme de la jeu- nesse au sujet des éludes qui avaient été sa première passion. pror-sswir le la ficiiUé de phil )snph:e à l'Université, M. G. J. Bekker, qui publia, à cette occasion, une granimaire élénienlaire destinée exclusivement à l'usage des élèves : Rudimenla Hnyiiae lie- braïcae ad usiim lUainnorum coll. philos. (Louvain, 182(5, p. 168, in-8°). ' Il avait épouse, le 14 ventôse an VI, Catherine Vandeisanden, de Bruxelles, dont il eut deux enfants mâles, Charles et Romain , décédés en bis .âge, et qui ne leur siirvécul pas longtemps. - Une notice nécrologique a été insérée dans Yliidépenduiice belge peu de juuis après, el elle a été reproduite en grande partie dans le Journal de l'iiutniction publique, 111"" année, ô°"^ livr. S.jptenibre 1847, p. '2 16. Tome \XM11. 38 288 MEMOIRE SUR LE COLLEGE On ne sait ce que sont devenus la plupart des manuscrits, fruit des longs travaux de Heuschling : il en aura, selon toute apparence, disposé de son vivant. Quelques traités philosophiques dont il avait donné le ma- nuscrit à l'un de ses neveux, M. Joseph Heuschling ^ décédé à Bruxelles le 26 novembre 1856, sont tombés depuis lors en la possession d'un autre de ses neveux, frère de feu Joseph, M. Xavier Heuschling'^. Nous dirons ici, comme en terminant noire précédente notice sur la per- sonne d'Etienne Heuschling, qu'il a donné l'exemple d'une volonté forte qui persévère dans la poursuite d'un même but, malgré un grand nombre d'obstacles extérieurs : il avait fait preuve d'un esprit heureusement doué, d'une grande force de mémoire, d'une rare puissance de réflexion et de combinaison des idées; mais il lui a manqué peut-être un certain ordre dans ses travaux, une certaine précision dans ses recherches, et, faute d'un juste calcul de son temps et de ses forces, tant de précieuses facultés qu'il avait en partage n'ont pas été appliquées par lui à la réalisation d'oeu- vres utiles et durables. ' Joseph Heuschling, docleur en philosopliie et lettres, atlaché au cabinet du Roi, fut profes- seur de philosopliieau Musée des sciences et belles-lettres de Bruxelles, comme suppléant de M. Syl- vain van de Wever jusqu'en 1834, époque où cet établissement fut remplacé par l'Université libre. ^ En voici les titres que M. Xavier Heuschling a bien voulu nous communiquer : 1° Examen analytique de l'ouvrage intitulé : La logique, ou les premiers développements de l'art de penser, par l'abbé de Condillac, 94 pages in-4°, chargées de notes d'une écriture très-compacte; 2° Examen anahjt.et critique, etc., comme ci-dessus, 218 pages in-folio d'une écriture également serrée; ô" Positiones elementares philosophiae theoreticae, cahier in-folio. Le second de ces manuscrits, qui paraît le plus important, est le développement du premier : c'est un traité ex professa contre la philosophie empirique et sensualiste, et plus spécialement une réfutation raisonnée de la logique de Condillac; son possesseur actuel se proposait naguère de le livrer à la publicité. DES ÏROIS-LANGUES A LOUVAIN. 289 CHAPITRE IX. LES ÉTUDES LITTÉRAIRES ET PHILOLOGIQUES AU COLLEGE DES TROIS-LANGUES PENDANT LE XVI"' SIÈCLE. Piiirm habelit quns oppanat Gmecinc (l'nÊDnt ) Ce n'est pas en vain qu'une pensée d'émulation s'était emparée de la jeunesse de nos écoles nationales, au commencement de ce siècle, où déjà l'Italie pouvait s'enorgueillir du grand nombre de ses savants, où elle se glorifiait d'avoir ravivé les monuments du génie latin et d'avoir rallumé le flambeau des études grecques. Lorsque l'institution fondée par Busleiden et patronée par Érasme eut organisé un enseignement régulier des trois langues savantes, il en sortit deux générations d'écrivains, de philologues et d'érudits qui entrèrent en lice et revendiquèrent leur place dans le domaine de la science et des lettres : notre pays fut alors vengé autant qu'aucun des pays en deçà des monts, du dédain avec lequel les Italiens l'avaient traité naguère; sans forfanterie, il avait plus d'un auteur « à opposer aux auteurs célèbres de la Grèce. » Le XVI""= siècle, dont l'histoire littéraire s'ouvre par le triumvirat d'Érasme, de G. Budé et de Vives ^, se termine par le règne d'un autre triumvirat, formé par les noms de Juste Lipse , de Joseph Scaliger et (ïlsaac Casaitbon; dans l'un comme dans l'autre, un nom qui le dispute à tout nom rival appartient aux Pays-Bas : Érasme brille dans le premier, Juste Lipse dans le second. Elle ne fut point stérile pour la saine érudi- tion, pour l'avancement des études, pour la formation et la diffusion du bon goût dans les lettres, cette école qui a fleuri dans la vieillesse d'Érasme et qui, moins de cent ans après, a produit le grand Lipsius, idole de son ' Nous nous sommes aUaclié it fiiire ressorlir rinfliieni e d'Éi asme sur les éludes grecques en Bel- gique : on sait que lUidé, son ami, fut le restaurateur principal des mêmes études en France. C'est ce qui fait l'objet de VEssai historique de M. D. Rebitté sur (Guillaume Budé (Paris, 1846, in-8°). 290 MÉMOIRE SUR LE COLLEGE époque. Ce premier siècle du collège des Trois-Langues est cerlainement glorieux pour l'Université qui l'a vu naître dans son sein et grandir rapi- dement; pour la Belgique, qui a été éclairée la première par ses travaux. L'histoire de ce collège ne peut être séparée de l'histoire des études de philologie et de littérature qui ont alors prospéré sur viotre sol plus qu'en aucun autre temps; on dirait même qu'elle en est le fondement. Dans les deux siècles suivants, l'institution déchoit sans cesse, et au bout d'un terme de trois cents ans environ , elle semble n'être plus que l'ombre d'elle-même. Nous serons bref forcément en esquissant cette dernière partie de ses annales; mais on nous autorisera sans doute à parler louguement des services qu'elle a rendus à l'instruction dans cette période de splendeur qui a suivi de près sa fondation. Nous insisterons d'autant plus sur les faits qui composent l'histoire du collège de Busleiden au XVl""" siècle, qu'ils fournissent le mieux les élé- ments du travail de synthèse qui doit terminer cette monographie; car c'est alors principalement que le collège des Trois-Langues a exercé une influence incontestable « sui- le développement de la littérature classique, ainsi que sur l'étude des langues orientales. » Les questions et les ren- seignements historiques se présentent sur ce terrain en si grand nombre, que nous ne balançons pas à en répartir l'exposé en deux chapitres : lun qui fera connaître l'état des études, le genre et la portée des travaux, l'action prépondérante de quelques hommes; l'autre qui mettra en lumière les résultats remarquables que l'enseignement du collège a produits dans la Belgique et au dehors. Nous donnerions à ce premier chapitre une étendue démesurée, si nous nous piquions de rendre compte de toutes les particularités dignes d'intérêt qui appartiennent au sujet; mais dans une matière historique si abondante, nous ferons choix des choses qui offrent le plus d'importance en elles- mêmes, et qui tirent aussi quelque prix de la comparaison qui peut être établie avec les annales littéraires d'autres pays dans la même période. Le second siècle de la Renaissance présente partout à l'histoire une riche moisson de faits et d'observations : nous arrêterons notre attention de pré- férence sur les tentatives et les œuvres qui ont été couronnées d'un succès DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 29i marqué en Belgique. Les chapitres précédenls ont donné aux lecteurs une idée du régime intérieur du collège de Busleiden, et une connaissance préalable de la vie et des travaux des hommes qui y ont enseigné les lan- gues latine, grecque et hébraïque; dans celui-ci comme dans les suivants, nous n'avons plus à parler que des seuls professeurs qui ont exercé une action décisive par leur enseignement sur le progrès des études, ou qui ont contribué par des œuvres originales à imprimer une impulsion particu- lière à la grammaire et aux belles-lettres. La première question qu'il nous importe de traiter en cet endroit, c'est celle du choix des auteurs, qui présente beaucoup d'intérêt sous le point de vue de l'histoire aussi bien que sous celui de la pédagogie. Il est cu- rieux de constater de quels textes grecs et latins on a fait usage dans les leçons du collège des Trois-Langues, et de quelle espèce d'études et d'exercices ils ont été l'objet. A l'époque où il fut ouvert, les humanistes n'avaient encore à leur disposition qu'un nombre limité d'auteurs, et les maîtres ne pouvaient établir de sitôt une sorte de programme, fixant l'ordre dans lequel ils seraient lus, et accordant aux meilleurs la plus large part dans les lectures et les explications de la classe. Bien des fois on accueillit avec faveur des écrivains anciens qui venaient d'être publiés, avant qu'un rang leur fût assigné parmi les monuments littéiaires de la même langue, et bien des fois on continua à lire et à commenter publi- quement des auteurs latins ou grecs qui avaient été mis à l'étude dans les leçons privées des pédagogies de l'Université. Les premiers professeurs du collège de Busleiden, leurs confrères et leurs amis, qui cultivaient de même les lettres anciennes, ont, sans aucun doute, admis dans le cercle de leurs études la plupart des écrivains an- ciens, païens et chrétiens, qui étaient à peine sortis des presses des im- piimeurs les plus vantés : elle était devenue vaste en peu d'années, cette collection de classiques, connus et lus en Belgique dans la première moitié du XYI""^ siècle. Mais il y a lieu de rechercher sur le texte de quels ou- vrages était mis en pratique l'enseignement de la grammaire grecque et latine, quel compte on tenait du contenu de ces ouvrages et aussi de la difficulté de leur diction et de leur style; on est amené à examiner en 292 MEMOIRE SLR LE COLLEGE même temps quels écrivains chrétiens ont été lus et expliqués dans le même but, et dans quelle mesure ils ont été employés par les professeurs en concurrence avec les écrivains de l'antiquité profane ^ Adrien Barland, qui avait enseigné les lettres auparavant à Louvain, et qui fut le premier des professeurs de latin au collège des Trois-Langues , nous a laissé, dans une épître adressée à un autre humaniste, Guillaume Zagara -, ses opinions et ses vues sur la direction des études d'humanités : nous en extrairons quelques détails relatifs aux études de littérature latine. C'est d'Aide Manuce et de J. Despautère que tout maître tirera le mieux les préceptes essentiels de la langue; il les choisira avec discernement dans leurs ouvrages fondés sur ceux des ancienis grammairiens. En vient-il d'abord aux poètes latins, Barland se montre tout autrement sévère qu'il ne l'a été naguère, alors qu'il favorisait l'étude et la représen- tation des pièces de Plante, et qu'il composait à cet effet des prologues^. La lecture de Térence serait faite utilement en premier lieu, parce que sa latinité est pure, et que le ton familier qui règne dans ses pièces rap- proche son langage de celui de la conversation dans la vie ordinaire. Cette raison donnée à l'étude de Térence est sans doute la meilleure , et elle explique en partie la prérogative accordée alors à ce poète d'être manié et appris dans les classes. Mais Barland ne s'en tient pas là : il allègue ouvertement en faveur du même poète que c'est le plus chaste des comi- ques, et que les mœurs des jeunes gens n'ont rien à en redouter. Quant à Plante, cette fois il proteste contre son introduction dans les écoles, parce qu'il rapporte des traits honteux, et parce qu'il se sert d'une diction vieillie, tombée en désuétude '*. ' Nous n'avons pas à poursuivre spécialement ici ce dernier point de recherches, qui a Irait aux questions débattues avec chaleur dans ces dernières années; mais des données historiques de quel- que poids ressorliront de nos aperçus. 2 Deralione sludii. — Hislorica, pp. 276-79. — Cette épître, qui ne porte pas de date, paraît avoir été écrite quand déjà Barland avait acquis beaucoup d'expérience dans renseiE;nement : s'il n'était jiUis professeur au collège des Trois-Langues, il parle d'études qui lui étaient communes avec ceux qui y enseignaient. Voir ci-dessus, pp. 131, 140-42. * Voy. plus haul , chapitre V, pp. 1 18-21. * Ijai'Iand, qui n'avait pas toujours pensé ainsi, dit en cet endroit: Nom Plaulus el fuedn recensée, el obsolHo ulilur diceudi yenere, quod me qiiidem nuiiquam magnopere cepit. — l'rofesseur DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 295 Piaule est-il exclu des collèges, Térence y sera toléré pour servir d'ini- tiateur à la connaissance de la poésie. Puis vient immédiatement le tour de Virgile « le meilleur, le plus chaste des poètes latins » , celui, dit Bar- land, que saint Jérôme et saint Augustin ont beaucoup feuilleté, et même expliqué à d'autres. Ici, faisant allusion au désir qu'auraient des maîtres pieux de joindre à Virgile Prudence et Baptista Mantuanus, Barland dit que, chrétien lui-même, il ne réclame pas contre une telle pratique, et qu'il admire beaucoup ces poètes chrétiens doués d'un esprit vif et nourri d'idées élevées K A Virgile succéderait Horace, dont on lirait surtout les épîtres , et dont on prendrait des odes choisies : Juvénal et Martial seraient écartés comme ayant peint avec trop de naturel des mœurs infâmes. Quand Barland passe des poètes aux prosateurs, il donne la première place à Cicéron, qui a parcouru toutes les régions de l'éloquence et qui se distingue en toutes choses par la plus heureuse facilité. Des trois histo- riens qu'il désigne ensuite, il loue davantage le premier, Jules César, dans les Commentaires duquel le discours est coulant et plein de douceur, la pureté du langage latin toujours admirable; le second, Salluste, n'est pas inutile à connaître, quoiqu'il soit novateur dans l'usage des mots plus que ne devrait l'être un Piomain ; Tite-Live est un auteur d'un grand poids; mais il semble pécher par le défaut d'être obscur, et c'est un motif de ne pas le proposer à l'étude de la jeunesse. Parmi les anciens, Pline et Cicéron seront ensuite les modèles du style épistolaire, comme parmi les modernes l'italien Philelphe. Barland dirige ici la critique la plus vive con- tre Apulée à cause de l'estime dans laquelle bien des hommes le tenaient : non-seulement il l'écarté pour l'immoralité de son sujet-; mais encore il d'éloquence, Barland s'occupa encore deTérencc, et nn de ses élèves, Reyniarius, pnhlia des gloses sur ce poète recueillies dans ses leçons. Voy. la liste des travaux d'Adr. Barland, Pièces juslif., lettre II. . ' Voici les termes dans lesquels Barland fait cette déclaration : Hnic si quis pietalis amore, Prudmliiim, ac Baptistam Maiittuimtm piitetmidendos, eqiddem non reclumo qui chrixlianus H vivi- pci lavacri mijsleriis inUiuUis, Christianos poêlas non modo nonconlemno. sed etium vehemenler admiror; fuisse enim ulerquc vidctur peracri imjenio et doclrina exiinia. - Revenant peu après sur les auteurs dont il a déconseillé la lecture dans les cours d'humanités, Barland prévient l'objection qu'on tirerait de l'exemple de saints personnages et de grands théo- 294 MEMOIRE SUR LE COLLEGE blâme sa diclion recherchée, qui entraînera ses imitateurs à tous les dé- fauts d'un style pompeux et enflé. A cette revue des auteurs, il ajoute des conseils fort sages sur le genre de travaux et d'exercices qui formera le mieux l'humaniste à la connaissance du latin et à l'art de l'écrire, et qui le préparera à la dialectique et aux sciences. Tout ce programme tracé par Barland, et dont nous venons d'analyser quelques passages seulement, a de l'importance dans la question qui nous occupe, et cela sous un double rapport : cai-, il ne semble pas douteux que ses vues n'aient été partagées par la plupart de ses anciens confrères des collèges académiques de Louvain, ainsi que par ceux qui ont enseigné tout d'abord aux Trois-Langues. On reconnaissait à celte époque le besoin de choisir les auteurs et de les classer de manière à ce que les jeunes gens puisassent à la fois les règles de la langue et les préceptes du goût dans les ouvrages qui seraient principalement l'objet des leçons : évidemment celte tâche de bien choisir les livres était un des premiers devoirs des hommes appelés à fonder l'enseignement des lettres anciennes, et nous verrons quel mérite en est revenu aux maîtres les plus renommés de l'in- stitution de Busleiden. D'un autre côté, les philologues les plus zélés ont bien compris tout ce qu'il fallait de prudence et de discernement dans l'élude des anciens, en présence de la défiance et de l'opposition qui se manifestaient autour d'eux : maîtres chrétiens, ils se sont gardés d'expliquer publiquement sans distinction des classiques grecs et latins que l'imprimerie répandait de plus en plus, et ils ont mis une sage réserve dans la manière de commenter les auteurs de leur choix. Nous ne pouvons que rappeler ici les éloges qu'Érasme a donnés aux professeurs des Trois-Langues pour avoir pratiqué ses avis formels en cette matière^, pour avoir interprété les anciens avec une si grande chasleié logii'us qui ont lu ces mêmes auteurs; il est persuadé qu'aucun îles anciens lliéologiens n'ignorail h poétique; mais il considère le péril qu'il y a pour des esprits non foiniés d'appiendre à combultie désormais plus faiblement des vices décrits avec tant d'élégance. Probablement des abus avaient été signalés ()2 MÉMOIRE SUR LE COLLEGE connu , monte à plus de cinquante volumes : cet imprimeur avait déjà fait, en 1612, une fonte de caractères grecs; mais quand l'ouverture des leçons lui lit présager un plus grand développement de l'étude de cette langue, il s'efforça de perfectionner les types de ses caractères, et il se mit à impri- mer les auteurs classiques avec une prodigieuse activité '. Comme c'est sur l'avis de ses doctes amis, et sans doute avec leur concours, qu'il donna à tous ces textes une correction qui égale la netteté de leur exécution typo- graphique, nous pouvons juger facilement du vaste cercle des ouvrages qui occupaient les veilles de nos philologues. De la connaissance de quelques traités de Lucien, naguère traduits par Érasme, on avait passé fort rapidement à celle des auteurs les plus célèbres de la littérature grecque : on les lut avec avidité dans les éditions grecques de Thierry Martens, qui le disputaient en valeur aux premières éditions faites en Italie. La plupart des livres et des dialogues de Lucien furent publiés successivement à Louvain; l'Iliade et l'Odyssée parurent, en 1525, avec tout l'éclat dont l'art était capable; des tragédies d'Euripide, le Plutus d'Aristophane, les Idylles de Théocrite, les Fables d'Esope, des dialogues de Platon, plusieurs des traités d'Aristote, plusieurs des discours de Dé- mosthène, l'histoire d'Hérodien, quelques opuscules moraux et historiques de Plutarque, la Cyropédie de Xénophon et deux autres de ses ouvrages, virent le jour avant 1529, année de la retraite du laborieux typographe à Alost, sa ville natale. Les éditions qu'il avait répandues de Louvain dans tout notre pays, satisfirent la juste curiosité que les lettres grecques, si peu connues, devaient encore exciter à cette époque. Versé lui-même dans les langues, Thierry Martens s'est adressé quelquefois en littérateur à son public dans la préface de ses éditions ; il parle de l'essor des études litté- raires et de l'enthousiasme avec lequel la jeunesse les poursuit; il va même jusqu'à faire l'éloge de la comédie grecque, et donne des regrets à la perte des pièces de Ménandre, dans une épître dédicatoire de son Plulufi (1518) aux étudiants de l'Académie de Louvain -. ' Van Isegheiu, p|i. 104-106. - Dans la Biographie, le P. van Isegliem a pris soin de traduire cette piquante épitre (pp. 154- l.ia), dont il donne aussi le le.\te latin dans la descriplion de l'édition du Plutus, pp. 279-280. DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 303 II est bien juste de vanter Thierry 3Iartens comme un type de l'ancienne probité, rehaussé par le dévouement le plus noble aux intérêts intellec- tuels et moraux que son art pouvait servir : il a porté dans les affaires une droiture et un désintéressement qui aurait manqué, du moins au même degré, aux Froben de Bâle et à d'autres imprimeurs vantés de l'époque. 11 est un fait dont le rapprochement tourne à la gloire de Martens : c'est l'infériorité des impressions grecques de Paris comparées aux siennes, avant qu'il existât dans cette capitale un imprimeur privilégié pour la langue grecque ^ François F"" entendit donner aux belles-lettres un en- couragement efficace et direct, quand il institua, par lettres patentes du 17 janvier 1558, le premier imprimeur royal pour le grec, qui fut Conrad Néobar, et non pas Ptobert Etienne. Tout ce que Crapelet dit à ce propos de l'influence de l'imprimerie sur la littérature s'applique avec une exacte vérité aux tentatives de Thierry Martens. Du moment oîi les humanistes avaient entre les mains cette grande abondance de textes originaux^, la philologie grecque allait prendre à l'Université de Louvain une importance presque égale à celle de la philo- logie latine; les progrès de l'une augmentèrent les forces de l'autre. Des travaux de plus d'une espèce furent dès lors enti-epris concurremment : la grammaire grecque fut cultivée pour elle-même et mise en rapport avec l'étude grammaticale du latin; les formes et les règles en furent apprises à l'aide d'une analyse rigoureuse de textes choisis. Sans doute, dans un col- lège organisé comme celui des Trois-LangUes, l'enseignement était gradué , et en dehors des leçons, déjeunes hellénistes plus avancés que les autres étaient dirigés, par les professeurs dans la lecture de nombreux auteurs. I^a lâche personnelle des maîtres s'étendait de l'enseignement à la science : elle consistait alors dans le double soin de corriger ou même d'éditer les textes, ' M. Crapelet a publié ces lettres, d'après un manuscrit de la bibliothèque Mazarine, dans sa curieuse brochure : Des progrès de l'imprimerie en France et en Italie au XVI"" siècle , etc. Taris, Crapelet, 1836, in-8°, pp. 27-39, 43-43. 2 Dans l'année même de leur publication et dans les suivantes, la plupart des auteurs furent imprimés à BAle, .'i Paris et dans d'autres villes étrangères, et quelquefois ces éditions n'étaient que des contrefaçons de celles de Th. Martens ou de B. Gravius : les Froben, bien qu'amis d'Érasme, n'avaient sur ce point aucune délicatesse. Tome XXVIII. 40 504 MEMOIRE SUR LE COLLÈGE et de les traduire ou de les commenter. Us purent bien quelquefois céder à la satisfaction de tourner quelques vers grecs ou d'écrire une épître grecque; mais ils s'appliquèrent surtout à l'élude des monuments, et travaillèrent à leur vulgarisation, selon les besoins de cette époque. Le premier professeur de grec au collège des Trois-Langues, Rescius, prit de préférence le rôle d'éditeur, et c'est avec le concours d'un libraire diligent, Barthélémy Gravius, qu'il mit au jour, à partir de l'an 1529, plusieui*s textes importants revus par lui-même. Sa propre expérience lui ayant fait reconnaître le prix des œuvres deXénophon, il donna tout d'a- bord une édition des MemorabUia Socralis ' et lit paraître ensuite quelques écrits de Lucien (1551), les Lois de Platon (1551) les Apliorismes d'Hippo- crale (1555), quelques textes d'Homère (1555) et la traduction grecque des Institutes par Théophile (1556). Dans plusieurs de ces travaux, Rescius fit autre chose qu'une reproduction de livres grecs déjà imprimés; il eut la bonne chance de corriger les textes sur l'examen et la comparaison des manuscrits, par exemple dans son édition d'Hippocrate - et dans celle des Institittiones juris avilis ^. On attribue encore à Rescius et à son associé la publication d'autres éditions grecques, des livres d'isocrate et de Plu- tarque, des traités de saint Basile et de saint Jean Chrysoslôme *. Barthé- lémy Gravius survécut à Rescius^; mais sa maison ne poursuivit pas le cours de publications semblables en langue grecque, et une autre maison d'imprimerie ne s'éleva pas à Louvain pour reprendre avec le même zèle que Th. Martens et Rescius, l'impression d'ouvrages considérables en lan- gue grecque ou latine. Les hommes qui professèrent le grec au collège des Trois-Langues dans le milieu du même siècle s'occupèrent eux-mêmes * Cette édition de Xénophon parut quand Rescius avait encore J. Sturm pour associé. Voy. plus liant , chap. Vil, n" I , pp. 206-207. - Aphorismi Hippocralis ex diversorum graecorum codicum collnlione recogniti, variis eoriwt- dtm leclionibus passim ad margines annotatis. I^ovanii , Barlliolora. Gravius , i oôô , in-8°. ^ Paquot {Fasti, t. I, p. 508) nous apprend que Rescius s'est servi dans cette édition d'un ma- nuscrit que Viglius Zuicheniius avait acquis en loôô à Venise, et qui avait été copié sur un ancien manuscrit appartenant à J.-Bapt. Egnatiiis. ' Voy. Maitlaire, Annules typographici , t. II, p. (jô, et le Bulletin du Bibliophile belge, t. IX, 1852, pp. 256-237. Les recherches faites sur ce terrain ne l'ont pas encore épuisé. 5 Vov. sur la vie de B. Gravius, mort en ISSO, le Bullelin cité ci-dessus, pp. 234-260. DES ÏROIS-LANGUES A LOUVAIiN. 303 moins de la publication des textes que de l'enseignement philologique, et, quand vers la lin du siècle leurs élèves les plus distingués que nous mentionnerons bientôt mettront la main à des éditions grecques d'ouvrages importants encore inédits, c'est à Anvers, chez Christophe Plantin, ou dans une ville de l'étranger qu'elles seront exécutées. Nous passons maintenant à l'examen du second moyen à l'aide duquel les maîtres et, à leur exemple, les élèves du collège de Busleiden ont fait avancer la philologie ancienne : l'herméneutique prêtait secours à la critique; la traduction des œuvres grecques en latin était le complément du travail entrepris pour éditer des textes originaux. Rescius avait ouvert cette voie; mais aucun de ses collègues n'y est entré avec plus de résolu- tion que P. Nannius, qui a élaboré la version latine d'une foule d'auteurs grecs sacrés et profanes *. C'était là un travail d'urgence sous plus d'un rapport : une bonne version était le meilleur des commentaires, et elle enrichissait tous les jours la science grammaticale d'observations puisées directement aux sources ; le caractère d'universalité et la puissance d'in- vention, qui sont propres à la littérature grecque, se révélaient mieux de cette sorte au public qui ne lisait pas encore les originaux, et les œuvres traduites élégamment en latin formaient un précieux appendice des œu- vres de l'esprit romain, étudiées alors par tout le monde. Il y avait donc profit dans ce labeur pour le progrès de l'étude des deux langues et des deux littératures anciennes; les promoteurs les plus éclairés de cette étude l'avaient bien compris, et l'on avait vu Érasme interrompre les écrits de son goût pour donner à ses contemporains la première version de quel- ques ouvrages d'isocrate, de Lucien 2, de Plutarque, d'Euripide, ainsi que de plusieurs Pères grecs. Nannius ne recula point devant les difiîcultés d'un travail semblable sur des monuments qui n'avaient pas encore été traduits. 11 l'entreprit consciencieusement ^, et eut le mérite non-seule- ment de laisser des versions d'une importance considérable, telles que ' Voy. plus haut, chap. VI, ii° 3, pp. d 52- 156. "^ Gocleniiis avait aussi traduit, en 1522, YHermolime de Lucien (voir p. 145). 5 Les traductions de Nannius furent très-recherciiées, et elles furent réimprimées presque tou- jours en pays étranger : les réimpressions se rencontrent plus facilement que les éditions originales. 306 MEMOIRE SUR LE COLLEGE celle des œuvres de saint Athanase, mais de donner à ceux qui vinrent après lui l'idée d'une bonne traduction, des conditions qu'elle requiert, et des efforts particuliers que réclame le génie distinctif de certains auteurs. Nous laisserons parler sur ce point Nannius lui-même, dans la dédicace de sa traduction d'un discours de Démosthène sur l'immunité contre Leptine, à un de ses protecteurs, Nicolas Olahus, conseiller du roi Ferdi- nand et de la reine Marie de Hongrie^ : Bis couyressiis sinn cum liac transla- tione, bis inclioalinn ojms de manibus abjeci, terlià vel felicius, vel ])(tlicmius auspicalits incepla absolvi. Dici non potest quam aegrc patiatur Demostlicnes sua scripla alienis manibus conlrectari , ila ut videaris libi vel Hercuii clavmn , vel Jovi fnlmen extorquere. In Luciano feslivilas salium , eliam in translatione qualicunque multum suae graiiae i^etinet. In Plularcho dignilas rerum, el undecunque ab omnibus scriploribus petili flosculi midlum sui veris , el amoenitatis in aliéna lingua conservant. Uasilii et Chrysostomi explanatissima facilitas sine salebris interpretem Iranmiittunt (sic). Platonis illa beatissima luxuries non ita jejune a translalore tractari potest, quin semper plwimum suae copiae ostentcl. Thucydides et Herodotus historiae commendatione fastidium sui non movenl , licel aliéna linyua loquantur. Demostkenes contra ut est serins, ucer, viribus mayis pollens, quam ornatibus florens, verbis paucissimus, sententiis uber, non oblectalioni , sed victoriae inser- viens, summam requirit in vertendo dexteritatem. Si fusius illum trans feras, périt acumen, involucris verborum hebelatum. Si eodem numéro vocum , périt dicjnitas, ac nonnunquam sententia : saepe enim lingua Latina non nisi per anfractuosam vieplfpa.'yiv , Graeca scripta explicai^e potest. Quid autem facias in vocabulis TAu^r,iioiz, cum sententia autoris omnia significata simul respicit ? quibus nisi opponas idem vocabulum aeque mlùl^YiiJLov , omnis argutia funditus intercidit. Cum vero res ita alienae stmt a Romanorum usu, ut vix longo Iractatu innotescere queant , quules inultae sunt in Imc oratione , quae tamen a Demoslhene unico verbo exprimimlur, nlpote quae notissima erant Graecis liominibus : ibi si evageris ad interprclaliu- ' Nous reproduisons le texte de l'édition de Paris, faite la même année que l'édition originale de Louvain, qui parut chez B. Gravius, en 1.^42 : Demostftenis de immunitate adversus Lepiinem oratio Petro Nannio Alcmariano inlei-prelc , Lovanii in collegio Trilingui latinarum lilterarum profcssore. Parisiis, ap. Cli. Wecheluni, M. D. XLII, in-4°. (Epist. nuncup., pp. Ô-6.) La même version fut réimprimée à Bâle, en 1544, in-l2. Voy. Paquot, t. III, not. sur Nannius, n° 15, p. 125 DES TROIS-LA^GUES A LOUVAIN. 507 nem vocum , et rerum incognilarum , et emblemalis TtapîvOéaewv, orationem distendis, non Demosthenem reddere , sed (jrammaticum referre videberis. Jam omnis siibti- litas , quae teste Cicérone in hac oratione summa eut , ex temii fit arida , ex sobria jejuna , ex séria fil tristis , si in aliam linyiiam refundas : semper enim nescio quid nativi succi ex refitsione adimilur. Illa qiioque Demostlienis in rejiciendo ciUtu dic- tionis simplicilas , apnd ipsum elegantiam cum proprietale , apud hiterprelem sentes et liorrores liabet : nisi fartasse talis arlifex, qitalis Cicero, aut Ciceroni similli- mus accédât. Nec mirum, cum verba verbis fere rcpendenda sint , iisque interpres vel sua inscitia vel Latinae lingiiae inopia careat. Si addis amoenitates , lascivien- tem aliquem, non Demosthenem illum serium ; si verborum aliquam copiam adjun- gis, luxuriosum, non Demostlienis brevitatem repraesentes. Si compenses alibi, ubi alibi in reddendu dignitaie victus fueris, ambiliosus imitator , non religiosus trans- lator existimaberis. In summa, ille de Graecorum usui notissimis loqiiebatur, ac proinde mdlas obscurilates liabuit : tu de legibus , ritibus ignotissimis Romano foro, iisdem verbis, velis nolis, cogeris loqui, nisi velis paraphraslen agere, a quo nu- mine quaeso impetrabis, ut obscurilate careas? Les exercices auxquels se livra G. Canterus pendant son séjour au col- lège des Trois-Langues , sous la direction de C. Valerius, nous appren- nent que l'on s'y efforçait de mettre dans un rapport étroit les études grecques et les études latines. Quoiqu'il ait montré plus tard une prédi- lection marquée pour les premières, G. Canterus s'était rendu dans sa jeunesse habile à écrire en grec et en latin, et il avait été initié même à l'hébreu; il s'était exercé, à Louvain, dans tous les genres de composi- tion; chaque semaine, il avait la coutume de rédiger des épîtres grecques et latines, et souvent il le lit avec bonheur. 11 s'appliqua beaucoup à la version latine des écrivains grecs, traduisant d'ordinaire les poêles en vers; quelquefois il s'occupa de la composition de comédies qui n'étaient pas sans mérite ^ C'est sur le fond solide de connaissances philologiques acquises d'abord à Louvain, que G. Canterus édifia son savoir, qui s'ac- crut encore par ses études poursuivies à Paris -, et dans plusieurs villes « Suir. Pétri, De Scriptoribus Frisiae , decasXlC (édit. 1G99, pp. 201-203). 2 Années 1560-1562. — Jean Dorât ou d'Aurat, qu'il eut pour maître à Paris, était le 8""' pro- fesseur de grec au Collège royal (Goujel, Mém. sur te Coll. de France, 1. 1, pp. 404-460). 508 MEMOIRE SUR LE COLLEGE de France, d'Ailcinugne et d'Ilalie : il n'est pas superflu de noter que c'est d'après les conseils de C. Valerius que G. Canterus entra de bonne heure en rapport avec les hellénistes étrangers. Avant de clore ces considérations sur les travaux qui fondèrent en Bel- gique la philologie grecque et latine, nous ne pouvons nous empêcher de jeter un coup d'œil sur la part qui fut faite dans ces travaux aux monu- ments du christianisme primitif, à côté de ceux de l'antiquité païenne; nous le faisons à un point de vue historique, aimant à penser que des hommes d'opinions fort opposées apprendront volontiers ce que voulaient, ce que pratiquaient nos humanistes au second siècle de la Renaissance. Les maîtres prirent connaissance de toutes les sources anciennes, à me- sure qu'elles tombaient dans le domaine de la science, et même ils coopé- rèrent à leur publication sans alarmes, sans fausse crainte; mais, quand l'enseignement philologique réclama la lecture des anciens, on ne donna pas l'entrée des classes à tous les auteurs indistinctement, et, s'il y eut méprise ou inadvertance touchant quelques poètes, tels que Plaute ou Aristophane, il est à présumer que la chose fut passagère. Érasme lui- même , qui a eu la faiblesse d'imiter les satiriques et les comiques anciens jusque dans leur licence, n'a pas érigé en principe qu'il fallait accorder à tous les classiques la même place dans l'éducation , sans égard à la moralité de leur sujet ou de leur langage. Les restrictions sur lesquelles on s'entendit n'entravèrent point les progrès de la haute érudition. Puis , ces mêmes hommes qu'on a taxés d'un dédain calculé pour les œuvres de l'antiquité chrétienne , non-seulement les ont hautement appré- ciées , mais encore en ont recommandé instamment la lecture et l'étude. Il importe de dire que les écrivains de la plus grande autorité l'ont prouvé par leur propre exemple, qui n'a pu manquer d'efficacité : ainsi l'avis d'Erasme et de Vives a dû se faire sentir heureusement dans notre pays et même y prévenir des écarts. Érasme avait lui-même étudié les Pères grecs, et il a compris dans ses œuvres des études qui accompagnaient le texte des Pères latins, tels que Arnobe et saint Cyprien ; il a encouragé ses amis d'Oxford, qui travaillaient sur les mêmes sources, et il a soutenu Vives dans son grand travail DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 309 critique sur la Cilé de Dieu de saint Augustin K Nous nous bornerons à un seul fait qui se rattache à la direction donnée aux études de philologie au collège des Trois-Langues : voulant, en 1527, dédier à son ami Nicolas Warry, dit Marvillanus -, sa version du Traité de saint Jean Chrysoslôme in Dabylam, Érasme a parlé de l'éloquence de cet illustre pontife avec une admiration sincère qui le rend éloquent lui-même. 11 offre à Warry, prési- dent du collège des Trois-Langues, une œuvre oratoii-e qui sera lue avec grand fruit par la jeunesse de ce collège, et qui servira très-bien de modèle à ses exercices; il lui semble que ce petit livre de Chrysoslôme ne le cède point aux discours des orateurs profanes sous le rapport de l'élé- gance de la diction , de l'habileté du raisonnement, et de la richesse de la composition, et que c'est merveilleux de voir avec quel éclat de cou- leurs le génie de l'écrivain a exposé un sujet fort simple en lui-même; c'est là ce qui en augmente l'intérêt pour qui en fait un objet d'étude. « Et puis, dit Érasme 5, qu'y a-t-il de plus utile au premier âge que d'ap- prendre à la fois la langue et l'art oratoire de ces auteurs, dont le lan- gage ne respire pas moins le Christ que Démosthène? » Dans bien des écoles Érasme avait vu des hommes, entraînés vers les auteurs païens par leurs études oratoires, montrer une injuste aversion pour l'éloquence des Pères, et rechercher plutôt « ce qui les éloigne du Christ*. » Pour lui, il réserverait par principe la lecture des auteurs païens aux maîtres, mais ne conseillerait pas de les expliquer aux jeunes gens. Sans prendre à la lettre le mot d'Érasme dans ce passage, on a lieu de croire que, frappé des abus, il réclamait dans le choix des ouvrages une réserve qu'on avait méconnue dans le premier élan de l'enthousiasme ' Voy. Mémoire sur la vie elles écrits de Vives, par l'abbé Namèche, pp. 23-24, pp. 97 etsuiv. 2 Voy. sur ce personnage et ses relations avec Érasme, le cbapitre IV, pp. 99-101 , et les pièces justificatives, lettre E, n" 2. — La lettre d'Érasme, que nous avons déjà citée à propos de l'organi- sation du collège, est écrite de Bâle, le 14 août 1527. (EpisL, t. I, pp. 996-997.) 5 Quid autem utilius isli aetati, quam ul litujiiam simid et eloqitenliam prolinus imbibant ex his auctoribus quorum oratio non minus Christuni spirat quam Demostheneni? •* Novi muUos Ituic iiteraturae generi deditos, qitibus nihil arridet , nisi quod a Chrislo su alienissimum, quamquam Ethnicos auctores ob sermonis elerjantiam professoribus legendos arbitrer potius quam adolescenlibus praelegendos. 310 MEMOIRE SUR LE COLLEGE scientifique. Il n'avait alors que des louanges à donner au collège des Trois-Langues en la personne de son directeur, et c'est dans la suite de cette même lettre qu'il félicite les professeurs de Louvain de s'être com- portés avec tant de sagesse, de s'être gardés des imprudences et des excès alors si fréquents en Allemagne. Érasme était de l'avis de Marvillanus, qui recommandait à tout le monde, aux ignorants comme aux savants, la con- naissance approfondie des langues, mais à la condition qu'au sortir de son collège, les parents recevraient leurs enfants non-seulement plus habiles dans la parole, mais encore plus religieux et plus vertueux ^ Selon toute apparence, les conseils d'Érasme, qui étaient ceux de la prudence chré- tienne, furent exactement suivis; on porta un sage discernement dans l'em- ploi des auteurs anciens répandus par l'impression, et l'on mit en honneur, d'autre part, la lecture non-seulement des ouvrages des Pères, mais encore des compositions d'écrivains et de poêles chrétiens, tels que Prudence, par exemple. Adrien Barland , comme on l'a vu , conseillait d'expliquer ce poêle après Virgile; J. Murmellius, philologue de la même époque, l'avait com- menté; Érasme lui-même avait donné un commentaire sur deux hymnes de Prudence, célébrant la Nativité et l'Epiphanie ". Nannius s'est encore occupé de Prudence à l'époque qui suivit l'ouverture du collège^; il ne faisait que se conformer à tant d'exemples, entre lesquels on ne saurait oublier celui du vieux Thierry Martens, qui s'est adressé avec effusion de cœur aux jeunes amis des belles-lettres {bonarum litterarum sludiosis), en leur offrant, au mois de novembre 1518, des morceaux choisis du plus éloquent des poêles chrétiens *. Ainsi s'exprimait l'infatigable éditeur des classiques en parlant à la jeunesse chrétienne de nos contrées : ^ Qua quidem in re seiiipe?- exosculatus sum animum titinn , cui sludio fuit, hac quoque ratione, linguarum peritiam doclis et indoctis commendare. Quanam inquies? Ut ex hoc celeberrimo col- legio parentes recipercnt suos liberos , non solitm linguaciorcs , verum etiam magis pios nieliitsque moratos. 2 Opéra, t. V. BAle, décembre 1525. — En dcdiïint ces liymnes à la fille de Moriis, Marguerite Roper, Érasme dit à cette femme lettréeqiie Jésus sera désormais le véritable Apollon de ses études. ^ L'auteur d'une dissertation récente Sur ta vie et les écrits de Prudence (Louvain, 1 8o5 , in-8°) , M. l'abbé Brys, a consulté un manuscrit remarquable du collège de Busleiden , dont s'est servi autrefois Nannius, et sur lequel on lit : ex cubicido Nanti Alcmariuni (voir p. 154, note 2). * Prudcntii inter christianos facundissimi poetae carmina quaedam selecta pielalis cidloi-ibus. DES TROIS-LAISGI'ES A LOUVAIN. 3H « Mon imprimerie ne doit pas se borner à éditer des auteurs qui vous instruisent, elle doit encore vous en présenter qui vous rendent meilleurs. Dans cette vue, j'ai fait imprimer ces jours passés plusieurs pièces de vers du poète chrétien Prudence; lisez-les avec goût, chers jeunes gens, et vous ferez de grands progrès dans la piété. C'est cette piété que moi, vieillard aux cheveux blancs, à la peau ridée, après tant de travaux d'une longue carrière, c'est elle que je recherche avant tout; car je sais que nulle étude n'est agréable à Dieu, si elle n'est accompagnée de la piété, qui ignore les dissensions, qui nous fait aimer de tout notre cœur Jésus-Christ, le sauveur du genre humain, et tous les hommes comme nos frères « Elle dut être aussi d'un grand poids dans la tradition de nos écoles, l'autorité de Vives, qui n'avait jamais perdu de vue la foi chrétienne au milieu des entraînements de la Renaissance; à Louvain comme ailleurs, L. Vives avait quelquefois expliqué des traités religieux tels que le Clirisli triumplius qui fait partie de ses œuvres, dans le but avoué de substituer, en littérature, l'élément chrétien à la mythologie; il revient plusieurs fois à cette pensée dans ses écrits, soit littéraires, soit théologiques '. On sait quel cas Vives faisait des poètes chrétiens, et quel rang d'honneur il assi- gnait à Prudence et à plusieurs autres, parmi les poètes de l'antiquité -. 11 faut convenir que les hommes qui défendaient si habilement les droits de la littérature chrétienne méritaient bien d'être écoutés avec respect par leurs contemporains, quand ils recommandaient à leur étude les chefs- d'œuvre littéraires de la Grèce et de Rome. On a donc accueilli les clas- siques païens dans notre enseignement national, mais avec la mesure que ces sages et grands esprits avaient prescrite; on a cru à leur parole, quand ils ont, comme Vives et d'autres penseurs non moins profonds l'ont fait, signalé ailleurs le danger moral que quelques-uns voyaient unique- ment dans les écrivains du polythéisme. C'étaient bien plutôt les œuvres modernes, les poésies populaires et galantes, des romans corrupteurs vol. in-4°, 2G feuillets. — Voy. dans la Biographie de Thierry Martens . l'épître traduite par 1« P. van Isegheni (p. t56), ainsi que le texte original (p. -287). ' Mémoire cité de M. Namèche, p. 23, pp. 90 et suiv., pp. 101 et suiv. ^ De ralione stiulii piteriiis. Epistola II. Tome XXVIII. ^^ 312 MEMOIRE SUR LE COLLEGE comme il y en eut dans toutes les langues, cette classe d' œuvres où Dame dénonçait d'immenses périls, qu'il fallait mettre en cause pour sauvegarder la conscience publique ^; mais très-souvent, et même jusqu'à des temps fort voisins de nous, on a chargé les Grecs et les Latins de tout le mal dont on ne voyait pas la source près de soi , et l'on s'est plu , en dépit d'eux sans doute, à prêter gratuitement aux écrivains du moyen âge la perfection de la vertu et celle de l'orthodoxie ^. Nous croyons avoir montré suffisamment en quel équilibre les deux littératures païenne et chrétienne se sont main- tenues dans les travaux de la principale école de philologie des Pays-Bas, avant la révolution religieuse qui éclata vers la fin de son premier siècle: nous avons indiqué le genre d'œuvres et d'exercices à l'aide duquel les deux langues classiques furent enseignées par les principaux professeurs de Bus- leiden, et la nature des études et des recherches qu'ils entreprirent eux- mêmes sans relâche, afin de répandre le gotît des lettres et de développer le sens de la critique, sans laquelle il n'y a point de saine érudition. On verra dans les aperçus du chapitre suivant, quels furent les fruits de leurs efforts: une phalange de philologues et d'écrivains, de latinistes et d'hellénistes rendra témoignage à l'habileté , au savoir, à la persévérance des huma- nistes qui ont dirigé les études de la jeunesse au collège des Trois-Langues. Le programme que nous nous étions assigné dans ce chapitre sera rempli, quand nous aurons montré quel fut le sort des études hébraïques dans l'institution de Busleiden : comme elles ont été par leur nature même le partage d'un nombre limité d'étudiants, il nous a paru préférable de leur accorder un examen tout particulier, en dehors des questions histo- riques qui leur restent étrangères. L'opportunité de connaître la langue des Livres saints ne faisait plus de doute pour les esprits jeunes et vigoureux, qui pénétraient le mieux les * Voy. Daniel, des Eludes classiques dans la Société chrétienne, pp. 193 el siiiv., pp. 209-21 1. ^ Fr. Ozanam a très-bien dit dans ses Documents sur l'histoire lillèr. de l'Italie, p. 28 : « On a poussé trop loin le conlraste, on a trop élarcçi l'abîme entre le moyen âge et la renaissance. Il ne l'aliail pas méconnaître ce qu'il y avait de paganisme littéraire dans ces temps, où l'on attribue à la foi chrétienne l'empire absolu des esprits et des consciences. » Comment oublier ou comment justifier les hardiesses n)ylholoâ;iques des troubadours, le cynisme des trouvères, le culte de la nature dans le roman de la Rose? DES TllOlS-LANGUES A LOUVAIN. 315 nécessités intellectuelles de leur école et de leur pays *. Les moyens d'étude ne manquèrent pas, quand l'hébreu fut doté à Louvain d'un enseignement régulier, et le suffrage des philologues les plus zélés pour les lettres clas- siques ne fit point défaut à ceux qui s'adonnèrent plus spécialement à l'étude de la langue sacrée. Les leçons du nouveau collège n'avaient pas encore commencé, et déjà Thierry Martens, toujours docile à l'opinion de ceux qu'il prenait pour arbitres des besoins de la science, voulait que son art fût au service de cette langue comme des autres. Le 50 mars 1518, il annonçait son dessein d'imprimer en hébreu, et réclamait le concours bienveillant du public, qui l'avait soutenu dans toutes ses autres entre- prises - : « Pour ce qui regarde les éditions latines, disait-il, je ne le cède à personne; j'ai très-peu de rivaux pour le grec; je veux mériter les mêmes éloges pour l'impression en langue hébraïque; et le même succès répondra à mon attente, si vous secondez mes efforts selon vos moyens. Vous les seconderez, ajoutait-il, si vous prenez garde à vos propres intérêts et à la réputation de cette école Irès-tlorissante. » Martens s'occupa dès lors de la formation d'un double alphabet hébraï- que pourvu de points-voyelles, et vraisemblablement il s'en servit à diverses reprises pour fournir quelques pages de texte aux premières leçons d'hé- breu, avant l'impression d'ouvrages hébraïques volumineux ^ Hébraïsant lui-même, Martens aurait, vers l'an 1520, réuni les matériaux du diction- naire hébreu qu'il a publié sans date et sous l'anonyme ''. Ce fut des Rxidi- menta liebraïca de J. Reuchlin, en trois livres, qu'il tira le fond de ce lexique, comme il le déclarait lui-même dans la préface; il s'est servi des propres expressions du savant allemand, tout en abrégeant son ouvrage, et lui-même il n'a entrepris ce travail de compilation que pour épargner aux commençants un long et pénible labeur, faute d'un recueil de radicaux * Voy. plus haut, chap. I , §§ 1 et 2 , et cliap. V. - Cet appel est placé en tête d'un recueil de Dedamationes d'Érasme; il a été relevé et en pailii; traduit parle P. van Isegheni, dans sa Biographie de Martens, pp. 108-109, p. I8ô. ^ Suivant la conjecture fort plausible de l'auteur de la Biographie, pp. 109-110. * Dictionnarium Uebraicum, vol. In-i" , 48 feuillets. Voir dans la Biographie (pp. 3IS-ÔI6) , la description de ce volume et le texte latin de la préface, et (p. 110) les raisons qui font pencher l'auteur vers la date approximative de 1520. Voy. sur les Rudimenla de Reuchlin notre chap. I, § III. 344 MÉMOIRE SUR LE COLLÈGE liébraïques : quand un travail plus complet verra le jour plus tard, déjà les jeunes hébraisants auront vaincu les premières difTicultés. Puisque Martens a pris en cette circonstance le rôle de savant et en quelque sorte de pro- fesseur, il nous paraît indispensable de rapporter les termes dans lesquels il justifie sa publication, comme étant d'une utilité toute pratique pour qui voudrait s'initier aux éléments de l'hébreu : Bcdegimus in Enchiridion \ Lectures optimi, primiliva vocabula, sive radiées liebrdicarum dictionum, quae a Capnione diligenter el diffuse Imclantur, ciijusideo ubiqiie verba apposuimus , quod inyeniosi in alienis iibris videri noluimus. Excerpsimiis tamen liaec in rem vestram , ne sine liis frustra in liac sacra lingna perdiscenda sudaretis.... Nos compendio apud vos utimur, ut cito percipiaiis quae discenda erunt, et percepta fideliler teneatis. Si l'hébreu excita à ce point le sentiment d'une noble ambition dans l'esprit de Th. Martens, un zèle non moins grand que le sien fut déplové par Jean Campensis, qui donna le premier un enseignement suivi de celte langue, et par ses élèves les plus diligents. Ce professeur, dont nous avons décrit assez longuement la vie et les travaux, fit pour la grammaire ce que le docte typographe avait fait pour le lexique; il donna un traité qui résumait les notions essentielles de la langue hébraïque d'après le gram- mairien le plus estimé de son temps, et l'on a la meilleure preuve de l'application avec laquelle de nombreux auditeurs avaient suivi son ensei- gnement, dans l'accueil qui fut fait à son Li6e//Ms, imprimé en 1528, et dans le succès de la grammaire abrégée, publiée l'année suivante sous le litre de Tabida par Nicolas Clenardus ou Cleynarts de Diest, son élève 2. On ne peut guère séparer ces deux hébraisants, en recherchant les pre- miers fruits qu'a produits l'enseignement public de la langue sainte; ce que Cleynarts a fait d'utile pour cette étude, de même que pour celle du grec, doit être rapporté au collège oh il avait d'abord étudié, et où il a exercé à son tour l'influence d'un maître ^. ' C'est ce mol qui, sans doute, a fait nommer l'ouvrage de Martens : Enchiridion Radiciuii, sive IHclionum Hebraïcarum ex Joanne Reuchlino. dans le texte de la Bihliotheca Bcigica (éd. Fop- pens, p. Il 17). 2 Tabula in yrammaticen hebraeam, aulliore Nicolao Clenartio, vol. in4° de 64 feuillets, 30 jan- vier 15"29. Voy. Biographie de Martens, pp. 540-341. ■' Avant son départ pour l'Espagne, Cleynarts fut autorisé à faire des leçons publiques au collège de Houlerlé, sinon au collège de Busleiden. Voy. plus haut, chapitre V, p. 135. DES TROIS-LAINGUES A LOUVAIN. 315 Campensis avait donné la théorie et rassemblé les éléments de la science grammaticale : Cleynarts appliquait à l'hébreu ses vues sur la méthode d'apprendre les langues. Les leçons du premier avaient éveillé le goût d'une telle étude, fort rare et toujours exceptionnel auparavant; les pro- cédés essayés par le second et consignés dans son court Tableau dévelop- pèrent ce goût, et déterminèrent de faciles et rapides progrès dans la jeunesse de l'école. Cleynarts eut la satisfaction de voir sa méthode justifiée par la pratique; le petit livre qui en était le résumé avait paru en janvier 1629 : au mois d'août de la même année, il s'applaudissait du parti qu'en avaient tiré en peu de mois des jeunes gens, capables d'écrire déjà des lettres en hébreu sur des sujets familiers ^. Le successeur de Campensis entretint, parmi les jeunes gens qui fré- quentaient ses leçons au collège des Trois-Langues, le même esprit de zèle et d'application : André Gennep donna à l'enseignement philologique de l'hébreu des soins qui furent efficaces; il prépara à lui seul, pendant de longues années, et dans sa vieillesse, avec l'aide d'Augustin Hunnaeus et de J. Guilielmius, la génération des hébraisants qui fut dans ce siècle un des ornements et des soutiens des études théologiques à Louvain. L'ardeur nourrie pour l'hébreu par Gennep et par ses suppléants fut assez grande pour que des étudiants fréquentant les cours de théologie aient désiré et même sollicité plus d'extension dans l'enseignement de cette langue : ce fut l'objet de la démarche qu'ils firent en 1565 auprès du magistrat de Lou- vain '2. Ces étudiants demandèrent qu'il y eût tous les jours des leçons pour la langue hébraïque ; le magistrat en référa directement à la Faculté de Théologie, qui approuva fort la chose; mais elle exigea que le professeur fût un théologien, plein de prudence et de gravité, désigné d'avance à son suf- frage, et non pas un professeur choisi librement par le magistrat. Cette décision ayant été transmise à l'autorité urbaine par le doyen de la Fa- culté, le chef de la magistrature répondit que c'était bien son avis et celui ' Cleynarts s'étend sur ce résultat dans une épître placée en tôte de l'édition des Dialogues de saint Jean Chrysostôme, imprimée par Rescius le 18 novembre to-29. Le lecteur trouvera le texte latin de celte pièce intéressante et rare à la fin de l'ouvrage cité du P. van Iseghem, pp. 341-3-42. 2 Voy. Valère André, Fasti acad., p. 284. 51() MEMOIRE SUR LE COLLEGE des autres magistrats, que rien ne fût fait, relativement à ce professorat, sans les conseils et l'assentiment de ladite Faculté, qu'ils n'installeraient jamais un professeur, si elle ne l'avait présenté et agréé, et qu'ils étaient prêts à en faire à la Faculté une promesse publique : ce fut l'objet d'un acte daté du 26 avril 1505. On ne trouve nulle trace de mesures prises en conséquence de cette réclamation des étudiants, et de celte entente du magistrat avec la Fa- culté de Théologie; nous avons mentionné l'incident, comme un signe certain que l'hébreu avait une assez belle part, au milieu du XVl™^ siècle, dans l'activité de la jeunesse universitaire. Les événements calamiteux de la fin du même siècle mirent des obstacles à la prospérité de celte étude, comme de toutes les autres, et la chaire d'hébreu resta vacante plus de 30 ans, après la retraite de Pierius à Smenga. On ne jugerait pas bien l'importance que prit à Louvain l'enseigne- ment de la langue hébraïque, si on n'y rattachait pas les travaux d'exégèse biblique fondés sur la connaissance de cette langue. Les paraphrases des Psaumes et de l'Ecclésiaste, faites par J. Campensis d'après l'hébreu, du- rent exciter l'attention générale sur l'utilité de celte langue et sur ses nombreuses applications, et longtemps après lui, elles conservèrent leur valeur scientifique*. « Les paraphrases de Campensis furent d'abord très-répandues dans leur texte original autant que dans leurs versions dans des langues mo- dernes. Si plus tard elles ont cessé d'être réimprimées, il faut l'attribuer tantôt à l'apparition de nouveaux ouvrages du même genre ^, tantôt à l'abus qu'on avait pu faire des traductions vulgaires de quelques livres de la Bible. Elles n'en révélaient pas moins le travail neuf et difficile qu'avait accompli leur auteur, en faisant passer la pensée de David et de Salomon , de l'expression poétique des versets de l'hébreu dans l'expression encore fidèle mais plus nette de la paraphrase : le mérite atteint par Campensis dans un premier essai de ce genre de traduction ' n'a pas été surpassé dans la ' Nous donnons ici les preuves du fait d'après une notice dfjh citée dans la Biographie de Cam- pensis (voy. ciiap. VIII, § 4, pp. 233, 242-43). — Annuaire de l'Uniu. de Louvain, 1845, pp. 199-202. ^ En 1550 parut la Bible française, publiée à Louvain par ordre deCiiarlesQuint. ^ Il n'y avait, à proprement parler, que des traductions latines plus ou moins littérales et DES TROIS-LANGUES A LOIJVAÏN. 317 paraphrase nouvelle de Théodore de Bèze, qui avait critiqué son devan- cier avec quelque amertume. On n'a prouvé nulle part que Carapensis ait été coupable de témérité dans l'interprétation de la partie mystique des Psaumes, dans l'explication du sens réputé à la fois littéral et figuré de cer- tains passages. Aucune décision ne fut portée à cet égard; seulement c'est avec une certaine défiance que l'ouvrage exégélique de Campensis fut ac- cueilli dans les Pays-Bas, comme l'attestent les actes de la Faculté de Lou- vain 1; elle répondit à la gouvernante Marie de Hongrie, qui l'avait, en octobre 1555, consultée sur l'opportunité des traductions de la Bible en flamand et en français, que les explications de Campensis ne s'accordaient pas avec celles des Pères et n'avaient pas éclairci les endroits dont les Pères avaient fait usage pour réfuter les hérétiques. Cette défiance de l'autorité locale s'explique par la crainte qu'inspiraient à l'époque de la Réforme les premiers fruits de l'esprit d'innovation, et par l'usage presque exclusif qu'on avait fait jusqu'alors des commentaires moraux sur les Psaumes. Si ce que les anciens ont laissé de plus littéral sur les Psaumes eût déjà été réim- primé alors, l'entreprise de l'hébraïsant aurait été mieux jugée tout d'abord : en rapportant l'opinion sévère des contemporains de Campensis , Paquot lui fait honneur d'une explication heureuse de nombreuses difficultés. .( La paraphrase des Psaumes a été un de ces livres dans lesquels de nouveaux venus puisent beaucoup d'instruction sans se croire tenus à la reconnaissance : que d'interprètes de la Bible et des Psaumes, même parmi les protestants du premier siècle, ont composé de volumineux ou- vrages, sans recourir eux-mêmes aux textes originaux, mais en se servant largement et sans scrupule des premières versions ou paraphrases comme celles de Campensis, de Santés Pagninus ou de Valable ^1 Ne faut-il pas en même temps tenir compte des procédés de plusieurs auteurs de l'époque suivante, qui ont basé leur interprétation des Psaumes sur un nouvel exa- men des textes et sur les opinions des plus anciens commentateurs 5? » exactes dans les Psauliers Polyglottes, lels que celui de Fabri (1309 et 1513) et le Psalterium Nebiense. * Voy. Paquot, Mémoires, tome II, p. 306, et les notes. 2 Remarque du célèbre G. Génébrard dans sa préface des t>saumes expluiués. 3 On s'explique aisément ainsi pourquoi G. Lindanus, par exemple, ne lait aucune mention du 318 ftlEMOIRE SUR LE COLLEGE La partie de la Bible choisie par Campensis comme objet de ses éludes était celle qui devait exciter le plus longtemps l'intérêt des interprètes : les éditions et les commentaires des Psaumes ont abondé au XVI""^ siècle; l'Ecclésiaste a été traduit et expliqué par plusieurs hommes dans chaque pays; les deux prédécesseurs de Campensis à Louvain, Rob. Wackefield et Rob. Shirwood, avaient commenté le même livre, et vers le même temps Alardus d'Amsterdam et Amand de Zierikzée, dans les Pays-Bas, ont aussi composé des paraphrases de l'Ecclésiaste ^. Il existe dans l'histoire lilléraire du même siècle d'autres témoignages d'un grand poids en faveur de la direction donnée aux études hébraïques par les maîtres du collège des Trois-Langues ; plusieurs de ceux qui s'ap- pliquèrent à l'exégèse avaient été les élèves de Campensis ou de Gennep ; un prélat fort instruit, qui avait entendu les leçons de ce dei'nier, Guil- laume Lindanus, a répandu un nouvel éclat sur cette science, par un ouvrage de critique publié à Cologne, en 1558 : De opiimo génère interpre- tandi Scripturas libri III. Il faudrait citer une partie des théologiens du même temps qui se sont occupés des Écritures, Louis de Blois, Fr. Titelmann ^, Léonard Hasselius, et beaucoup d'autres, pour rendre compte de la propa- gation toujours plus grande de la connaissance de l'hébreu , et avec l'hébreu, des langues congénères qui s'en rapprochent davantage, le chaldéen et le syriaque. Mais il n'est aucun fait qui l'atteste mieux que l'appel honorable qui fut fait à l'Université de Louvain par Arias Monlanus, quand il jeta les bases de la Polyglotte, dont la direction lui était confiée par Philippe II '; travail de Campensis dans son édition du Psautier latin, accompagnée d'une courte paraphrase. C'est par des raisons analogues que les éditeurs de la collection des Critici sacri (tome III) n'auront pas donné de place à Campensis parmi les auteurs dont ils ont réuni de nombreux extraits, Munster, Vatable, Clarius, Drusius, Castalio, et il en est de même pour une autre collection, la Synopsis crilicorum aliorunique Sacrae Scripturae interprelum (au tome II) : les commentaires étendus ont dû faire oublier les paraphrases. ' Sur le second de ces hommes, qui fut au nombre des hébraïsants de Louvain, voir la notice insérée dans les Archives philologiques de M. de ReifFenberg, t. III, pp. 240 et suiv. 5 Voir sa biographie par M. Thonissen {Bulletin de la Soc. seient. du Limbourr/ , 1855). ^ Nous tirons une partie des données historiques dont se compose notre récit, du travail de Don Tomas Gonzalez Carvajal : Elogio historico del doctor Benito Arias Monlano {Memorias de ta real Academia de la Hisloria . tomo VII. Madrid, 1832), accompagné de documents nombreux espagnols et latins copiés dans les archives de Simancas. DES TROIS-LANGUES A LOUVAIÎN. 519 sans l'existence d'une école d'exégèse philologique formée par les leçons du collège de Busleiden, elle n'aurait pas pu y répondre avec autant de distinction et de succès. Immédiatement après son arrivée en Belgique, au mois de mai 1568, Arias 3Iontanus se rendit à Louvain, et augura de l'accueil qu'il y reçut et de l'organisation des études qu'il y observa que l'Université concourrait utilement à son entreprise; il écrivit à ce sujet au roi d'Espagne, en louant beaucoup la science et les intentions des membres de ce corps, et quand il leur transmit la lettre fort flatteuse que Philippe II leur adressa de Madrid peu après S '1 exposa ses plans à l'autorité académique et lui demanda le concours actif de deux savants, à la fois théologiens et lin- guistes, choisis entre ceux qu'on lui avait déjà présentés. La pièce inédite qui constate cette consultation officielle de l'Université par le docteur espagnol 2, énonce clairement les parties de l'œuvre pour lesquelles il requérait son avis et son appui. Arias Montanus comptait obte- nir l'assentiment de ses docteurs, comme il avait obtenu celui des hommes instruits d'autres pays, sur un premier point de quelque importance : c'était l'opportunité d'insérer une version littérale du texte hébreu dans les Biblia regia. Le principe admis, il proposait de confier à des théologiens exercés la révision et la correction de toute version qu'on adopterait dans ce but, celle par exemple de Santés Pagninus, qui avait reçu naguère les suffrages des souverains Pontifes. En second lieu. Arias Montanus montrait l'im- portance d'une version complète de la Paraphrase chaldaïque, qui ne s'étendait qu'au Pentateuque dans la Bible d'Âlcala, et il souhaitait que cette version fût exécutée par les soins des membres de l'Université. Il tenait dès lors pour ses collaborateurs les deux hommes qu'on lui avait déjà ' La lettre royale, en date du 15 août 1.^68, a été publiée en tête de la Polyglotte d'Anvers, et d'après la copie des archives espagnoles, parmi les documents de YElogio, pp. 150-151. M'' de Ram l'a réimprimée, d'après l'autographe, dans les notes de ses Considérations, pp. 55-56. •^ Il nous a paru intéressant de l'aire connaître cette pièce louchant de si près au sujet que nous traitons : on eu trouvera le texte parmi les pièces justificatives, lettre 7. — Consulter sur la Po- lyglotte d'Anvers, qui est une Bible en cinq langues (8 vol. gr. in-folio, ann. 1569-1572), la Bihlio- theca sacra de Lelong(édit. Masch, p. I, ch. II!, pp. 340-549), et V Encyclopédie élémentaire de Petity, t. II, part. II, pp. CCLIV-LVII. Tome XXVIII. 42 320 MEMOIRE SUR LE COLLEGE désignés, et il les prenait pour intermédiaires dans ses relations avec l'Académie dont il invoquait l'autorité : c'étaient les docteurs Augustin Ilunnaeus et Cornélius Reineri , dit Gaudamis. Or, l'un avait non-seule- ment étudié les langues au collège de Busleiden , tout en accomplissant ses cours de théologie, mais encore enseigné l'hébreu comme suppléant de Gennep, et il s'était signalé dans les études bibliques; l'autre appar- tenait à la Faculté de Théologie ^ et, avant qu'il fût mêlé à la discussion de questions importantes, il jouissait déjà de beaucoup d'autorité. A ces deux hommes fut adjoint ensuite Jean Guilielmius, dit Hcnicmkts, jésuite qui s'était distingué comme interprète de l'Ecriture, et qui avait ensei- gné les langues bibliques au collège de la compagnie, à Louvain 2. Ces hommes accomplirent, au nom de l'Université, la tâche pour la- quelle Arias Montanus avait sollicité leur concours : ils examinèrent les textes et les versions de tout l'ouvrage avec une attention scrupuleuse d un bout à l'autre, et méritèrent les éloges solennels du savant éminent qui avait tout ordonné et tout dirigé ^. On trouve dans plusieurs tomes leurs signatures accompagnant les versions et les paraphrases que renferme la Polyglotte d'Anvers, par exemple la version latine interlinéaire de la Bible hébraïque au tome VII de cette collection *. Puisque l'éducation littéraire de Hunnaeus et de Gaudanus s'est faite à Louvain, il n'est pas superflu de relever, parmi les louanges que Montanus leur a décernées, leur éru- dition littéraire et leur connaissance peu commune des langues bibliques. Si on ne peut méconnaître dans ces belles qualités l'influence de l'ensei- gnement dispensé dans l'institution dont nous faisons l'histoire, on ne se tromperait point, sans doute, en rapportant à cette même source une * Voy . Fasli acad., pp. 369 ,371. — Son nom est écrit tantôt Reineri , tantôt Reinerus , et son .surnom , sous la forme soit de Gaudanus, soit de Goudanus, du nom de la ville de Gouda en Hol- lande. Arias et les Espagnols l'ont appelé le plus souvent Goudano ou Goudan. ^ Jean Harlemius se chargea, outre la révision générale, de la confection de V Index biblicus et des Variae lectiows , dans \' Apparatus sacer de la Polyglotte. Voir ci -dessus, pp. 247-48. ■^ Voy. la préface de la Polyglotte, datée du 22 juillet 1S7I , et reproduite en partie dans la Bi- bliotlieca sacra (éd. Masch, t. 1, pp. 344-346). In primis aulein duobus Lovaniensis rjymnasii Imninibus, ac loli rei literuriae addictissimis , ingénies habeant gralias, etc.... * On lit en tête de ce tome qui est le second de YApparatus : Bebraïcorum liibliorum Intina inlerprelalio censorum Lovaniensium judicio et Acadeiniae suffrayio comprobatu. DES TROIS-LAiNGUES A LOUVAIN. 321 partie de l'illustration qu'un Belge du même siècle, André Masius, s'est acquise dans la philologie sémitique. Cet autre collaborateur d'Arias Mon- tanus, natif du Brabant ^ et qui avait fait à Louvain ses premières armes, a fourni à la polyglotte royale la grammaire et le dictionnaire syriaques qui en forment le tome VI, ainsi que des portions de la paraphrase chal- daïque qu'il avait découvertes à Rome. 11 ne nous est pas permis d'aller plus loin dans cette enquête sur le secours que des élèves du collège des Trois-Langues prêtèrent à l'éditeur des Bihlki Regia : ce magnifique monument, chef-d'œuvre de l'art des Plan- tins, attend encore des historiens, dont les uns examineront l'œuvre des critiques et des traducteurs au point de vue de la théologie et de la lin- guistique, dont les autres décriront toutes les circonstances de son exé- cution et de sa publication. On ne lira point avec déplaisir ici les vers composés par un écrivain français de la même époque en l'honneur d'Arias Montanus, puisqu'ils glorifient en lui la science des langues, cultivée avec éclat par l'institution dont nous recueillons les titres principaux. Guy Le- fèvre de la Boderie, qui était linguiste lui-même et qui avait traduit en latin le texte syriaque du Nouveau Testament, s'exprime ainsi dans un de ses sonnets adressés à Philippe II ^ : Encor que vostre sceptre à meins peuples commande; Encor que vous soyez le plus grand terrien Qui vive de ce temps, soit le Tarlarien , L'Abyssin , ou le Turc qui l'Asie gourmande : Si est-ce qu'à grand'peine en une si grand'bande Auriez-vous peu choisir un plus homme de bien Que le docte Arias, car le sçavoir n'est rien Si plus que le sçavoir la piété n'est grande. ' André Maes, né à Linnich, a fait des voyages scientifiques, et publié plusieurs ouvrages de linguistique et d'exégèse; il fui conseiller du duc de Clèves, et mourut en 1573. Voir la notice de Paquol, Mémoires, tome II, pp. 27i-78. ■- L'Encyclie des secrets de l'Élernilé. Anvers, Planlin (1570). — Sonnets au roi Catholique sur l'impression des grandes Bibles d'Anvers, pp. 244-246. — Le docte imprimeur François de Raulenghien ou Raphelengius a eu sa part dans les sonnets du poète français; et Jean Harlemius n'a pas obtenu le moindre lot dans cette distribution de vers et de louanges. Guy Lefèvre de la Boderie dit au premier (p. 252) : .... Tu sers au bien public, en constance asseurée : 322 MEMOIRE SUR LE COLLEGE A luy l'iiébrieu myslic, ni le chaldé {sic) antique, Le grec, ni le latin, ni l'obscur arabique Ne sont point inconnus. Gérion ce me semble N'eut trois corps ni trois chefs; et n'eut Argus cent yeus, Briarée cent mains, ce sont des contes viens : Mais il a dans un chef plusieurs langues ensemble. CHAPITRE X. EXAMEN DES RÉSULTATS GÉNÉRAUX DE LENSEIGNEMENT DU COLLÈGE DES TROIS-LANGUES AU XVI""^ SIÈCLE. Tum aulae Cae$areae prodibttnt eruditi seeretarii, cordati consiliarii, legati acundi, procertt non tan- lum imaginibus nobiles (Emsu. AD JO. SCCQCETCM.; Il ne se trompait point, l'ingénieux humaniste qui fut comme le second fondateur du collège des Trois-Langues , quand il écrivait, en 1525 , à un homme de cour, Jean Sucquet *, que ce collège, patronné comme il méri- Tu sçais que vaul le grec , el la langue épurée Des Hebrieus et Cbaldez, et les Rommains thresors. Tu donnes ton labeur, Ion temps et diligence Pour accorder la lettre avec l'intelligence Tant aus Livres sacrez, qu'ans profanes Escrits -. Il fait sonner bien haut dans l'éloge de « M. Jan Harlem » ( p. 2o5) sa profonde connaissance du Chaldéen : Si je dy que tu as d'Atbènes , et du Temple De la sainte Cité, et de Romme encor mieus La langue familière, et du peuple ocieus Qui l'heur et le malheur par les astres contemple, .le diray vérité, et n'ay peur que ma Muse De fard, ou flaterie, ou mensonge on accuse: Tant seulement je crein de te teindre la joue De vermeillon flambant ' Lettre citée et traduite en partie ci-dessus, chapitre III, pp. 81-82. DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 523 tait de l'être, serait une pépinière d'hommes utiles au souverain et à l'État. Ce ne fut pas, en effet, le moindre des services rendus à la patrie par les hommes qui y enseignèrent, que d'avoir formé des jeunes gens de toute naissance et de toute vocation , d'avoir dispensé à chacun d'eux le genre d'instruction littéraire qui convenait le mieux à sa carrière publique. Pour estimer à sa juste valeur l'action qu'il fut donné aux professeurs du collège de Busleiden d'exercer sur la jeunesse de leur temps, il faudrait parcourir toutes les branches de la science et de l'enseignement, il faudrait parcourir de même le cercle des hautes fonctions de l'Église et de l'État : on apercevrait alors sans peine ce qui leur revient de mérite et d'honneur pour avoir dirigé les premiers pas de tant d'hommes instruits et dévoués. Quoique nous ne puissions pas pousser cette revue jusqu'aux détails de la biographie, nous essayerons de montrer ce que la culture de l'esprit, animée par le génie des lettres, a valu d'ascendant aux nombreux élèves qui fréquentèrent les leçons de langues anciennes ouvertes à l'Université de Louvain. Si l'on joint à ces conséquences pratiques la distinction acquise par les maîtres dont les écrits firent avancer la philologie et la critique, il ne sera douteux pour personne que le collège des Trois-Langues n'ait répondu, dans son premier siècle, le XVI^S à sa destination d'école spé- ciale des langues savantes, et qu'il ne puisse être mis en parallèle, sans partialité, avec les institutions littéraires qui ont joui de célébrité dans la même période. La réputation du collège des Trois-Langues s'étendit au dehors, peu après son établissement, et plus d'un pays étranger, comme on en aura des preuves dans la suite de ce chapitre, recueillit bientôt les fruits de son enseignement. C'est ce qu'a reconnu un des historiens de la Renaissance. Henri Hallam, en parlant de la fondation de Jérôme Busleiden, qui suivit de près l'érection des chaires de langues à l'Université d'Alcala ^ : « Cet établissement, dit-il, produisit une foule d'hommes distingués par leur érudition et leurs talents ; et Louvain , au moyen de son Collegmn Trilingue, s'élevant à un rang plus éminent encore que celui qu'avait occupé Deventer 1 Histoire de la littérature de l'Europe, t. I, p. 273. Selon l'historien de Ximenès, M. Hefele, le collège des Trois-Langues d'Alcala, consacré à S'-Jérôme, recevait trente élèves boursiers. 524 MEMOIRE SUR LE COLLÈGE dans le XV"" siècle, devint non-seulement le foyer principal des connais- sances en Belgique, mais encore un foyer d'oîi elles se répandirent en différentes parties de l'Allemagne. » On peut présumer, sans crainte de se tromper, que l'assistance aux leçons du collège de Busleiden a été considérable pendant la plus grande partie du siècle de sa fondation, jusqu'à l'époque des guerres civiles; la raison en est simple. Différentes catégories d'auditeurs suivaient les leçons données chaque jour au collège, comme le prescrivait l'acte d'institution; les leçons de grec, et surtout celles de latin , devaient attirer grand nombre de jeunes gens à qui on avait fait sentir le besoin de perfectionner leur éducation littéraire , et l'on n'a pas de peine à croire que l'éloquence attri- buée à plusieurs maîtres dans ces leçons , n'ait rendu la plupart de leurs auditeurs jaloux de posséder à leur tour une bonne latinité. L'influence des professeurs s'exerçait différemment en dehors des leçons publiques : tantôt ils donnaient des -avis et accordaient des entretiens et même des leçons privées aux ûls de famille qu'on leur recommandait ou même qu'on leur confiait directement (Nannius en usa ainsi à l'égard de plusieurs gentilshommes, et après lui, Cornélius Yalerius bien davantage encore); tantôt ils encourageaient le talent naissant de jeunes philologues, en sur- veillant leurs études, en dirigeant leurs lectures et leurs exercices, en revoyant leurs compositions. De la sorte, chacun avait sa part : aux gen- tilshommes, aux enfants de la noblesse, les principes de l'art oratoire et la connaissance des grands auteurs; aux humanistes et aux maîtres es arts, aux docteurs futurs de toute faculté, la science grammaticale, les règles de la critique et les recherches de l'érudition. C'est ainsi que les membres de l'institution parvenaient à satisfaire, avec autant de dévoue- ment que d'intelligence, aux aptitudes et aux tendances fort diverses qui se manifestaient dans une si grande foule d'élèves. Cent ans ne s'étaient pas écoulés, et déjà on comptait dans le pays ou au dehors une multitude d'hommes utiles et estimés qui étaient sortis du collège des Trois-Langues. Quand Valère André retraçait les annales de cette institution vers la fin de son premier siècle, il ne craignit pas de représenter par des noms propres le concours de toutes les classes de la DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 32S société autrefois confondues sur ses bancs ' : c'étaient des personnages de la haute noblesse, des hommes d'État, des capitaines et des magistrats, des écrivains, des théologiens et des savants, dont les titres étaient connus de tous. Nous dirons d'abord quelques mots des hommes destinés à une gran- deur princière ou à la conduite des affaires publiques, que l'on est en droit de comprendre dans la jeunesse admise aux leçons du collège de Busleiden, et tout d'abord nous recourrons aux propres paroles de Valère André, qui a ainsi évoqué leur souvenir dans son discours historique : Repelile memoria inde usque ab miliis Scholae liujus patriae principes et BeUjii nostri Atlantes, qui sagum toqae, purpuram fascesque Doctorilms suis submiserunt. Ici, l'orateur indique dans un seul groupe les ducs d'Aerschot, les princes d'Orange et d'Espinoy, les comtes de Lalaing, de Mansfeldt et de Berlay- mont; une foule de barons; et à leur suite, beaucoup d'étrangers devenus célèbres dans la politique ou dans les armes. Puis, il désigne les hommes profondément instruits, appelés aux charges publiques et au gouverne- ment de la société, et, enfin, une foule de savants distingués, parmi les hôtes et les élèves du collège des Trois-Langues - : Repetite viros in Repiibl. magnos, qui loci ducti genio, sedem hic habitalioncmque aliquando fixenint, meros liinc Heroes, graece latineque doctissimos, prodiisse comperietis. C'est, en effet, des rangs de la noblesse et des familles patriciennes que le pays vit sortir ces jeunes hommes fort habiles, mêlés dans notre histoire nationale aux négociations, aux affaires, aux événements qui mar- quèrent plusieurs règnes. Le vœu d'Érasme était accompli : les souverains des Pays-Bas trouvèrent en eux des secrétaires instruits, des conseillers d'une haute prudence, des ambassadeurs éloquents, et la cour se peupla de grands qui avaient une autre noblesse que celle de leurs armoiries. C'est là un fait qui méritait bien d'être rappelé hautement, en 1627, quand Valère André, prononçant, devant toute l'Université de Louvain, une ha- rangue d'actions de grâces à ses fondateurs, revendiquait la part de gloire * Exordia cw progressus, \>\). 11-12. 2 Tels que Jean et François Sauvage, fils de Jean Sauvage, chancelier de Bourgogne, Charles Laurinus, Arnold de Mérode, Guillaume et Michel Enckevoord, Arnold Sasbout , Nicolas Assen- delft, et au-dessus d'eux encore, Viglius et Hopperus. 326 MEiMOIRE SUR LE COLLEGE qui revenait de ce chef au collège des Trois- Lan gués * : Dedil et formavn viros in Rcpubl. magnos ac praestmites, vel ideo etiam, quia sic forrnali, litterarum cognitione praestai~cnt caeteris. La supériorité de la plupart des hommes qui avaient joué un rôle dans des postes éminenls, dans des assemblées délibé- lanles, dans des missions difficiles, pouvait être attribuée à l'influence décisive des belles-lettres sous laquelle leur dernière éducation s'était mûrie et achevée. Si nous nous tournons maintenant vers la catégorie d'élèves qui cher- chaient les lettres pour elles-mêmes, nous les voyons accepter et suivre une direction intelligente, qui développe en eux le goût des études phi- lologiques et littéraires, leur en fait aimer le côté sérieux et chercher les applications les plus utiles. Il n'est pas de science alors enseignée dans les Universités, au profit de laquelle n'aient tourné les travaux de grammaire et de philologie, poursuivis sous les auspices des professeurs du collège des Trois-Langues. On a pu remarquer au chapitre précèdent que l'enseignement de l'hé- breu avait fait des prosélytes parmi les théologiens, et fourni aux sciences ihéologiques un appui qui leur manquait auparavant, l'exégèse des Écri- tures fortifiée par la connaissance des langues anciennes et originales : à côté des hébraisants dont nous avons dit le mérite et les services per- sonnels, il exista sans doute une classe nombreuse de gradués en théo- logie, qui apprirent les éléments de l'hébreu en vue de suivre attentivement les travaux exègètiques de l'époque. Les efforts d'André Masius avaient doté la science d'une grammaire et d'un dictionnaire syriaques, faisant partie de la grande polyglotte; mais on sentait le besoin de livres élémentaires et de textes choisis pour étudier cette langue et d'autres langues de la famille sémitique. C'est pour y satisfaire que Guy Lefèvre de la Boderie réim- prima, à Anvers, les éléments de grammaire syriaque composés par le chancelier Ferdinand Widmandstadt, et comprenant avec les règles de la lecture une série de prières chrétiennes et de textes de l'Évangile ^. Le ' Eiicharislicon fundatoribiis , patronis , etc., dans la d''^ édition des Fasti Academici, p. 214. - Stjriacae linguae prima elementa. Antv., Plantin, 1572, 32 pages petit in-4°. — Cfr. Hoff- mann, Grammaticae syriacae tibri III. Halis, 1838, pp. 42-43 (Introduction historique). DES TROIS-LANGUES A LOUVAIIS. 327 même savant déférait au vœu de philologues de Louvain , quand il publiait, dans la même année, un texte inédit accompagné d'une traduction latine : c'est le traité de Sévère sur les rites du baptême et de la sainte Eucharistie chez les chrétiens de Syrie \ qu'il tira d'un manuscrit des Évangiles que Daniel Bomberg avait acquis à Venise et procuré à Plantin. On doit rapprocher de cette première classe de savants et d'étudiants ceux qui se sont attachés à la culture du grec dans un but religieux : ce n'était point sans de graves motifs qu'ils voulaient être à même d'inter- préter le Nouveau Testament, plusieurs fois publié dans son idiome ori- ginal, et ils étaient d'autre part attirés naturellement à la lecture des monuments de la patrologie grecque, dont la publication occupait à la fois tant d'écoles. Bien que des éditions grecques des Pères n'aient pas été faites alors en nombre considérable dans l'une ou l'autre de nos villes, il est certain que les éditions de Bàle , de Paris et d'autres localités de l'étranger circulaient dans notre pays et y trouvaient des lecteurs : la ver- sion de plusieurs traités des Pères grecs, due à P. Nannius, dut aussi solliciter puissamment les esprits à la connaissance d'une langue qui était la clef de ces livres si recherchés. Vers la fin du siècle, la Belgique eut à son tour des hellénistes qui s'occupèrent des œuvres grecques chrétiennes en même temps que des ouvrages profanes : leurs noms se présenteront dans la suite des aperçus appartenant à la matière de ce chapitre. Il y eut aussi quelques élèves du Collegium Trilingue qui firent servir leur connaissance des langues grecque et latine à leurs études postérieures de droit et de médecine : les uns s'occupant de recherches historiques sur la législation romaine, ou de l'interprétation d'anciens textes; les autres voulant lire eux-mêmes les monuments conservés de l'art médical chez ' Severi Akxandrini quondam palriarchae de ritibus baptismi et sacrae synaxis apud Syros christianos receptis liber, etc. Antverp., 1572, pp. 132, petit in-4'' (traité réimprimé par J.-L. Assé- mani au t. H du Codex liturgicus ccclesiae universae). — On lit dans l'épître dédicatoire de Guy Lefèvre de la Boderie: Rogavercml enim nos et hic, et Lovanii viri cdiquot percelcbres , ac de literis linguisque peregrinis bene meriti, ut aliquid Syriace seorsim a Bibliis Regiis in lucem emitterem, in quo tyronesse ipsos exercèrent, quorum petitioni, vel potius imperio (eorum enim estjubere, milu jussa capessere f'as est) perquam Ubenter acquievi. Ac ut facilius legendi modum in Syrismo addis- cerentsludiosi, puncta ubique addidi, quae in veteri manuscripto exemplari defuerunt. Tome XXVIII. ^^ 328 MEMOIRE SUR LE COLLEGE les anciens ^ Parmi les jurisconsultes, médecins et professeurs de droit dont la carrière coïncide avec les dernières années du siècle, on en voit plusieurs qui s'étaient appliqués au grec, et quelques-uns même au point d'être en état de l'enseigner, comme le prouve l'exemple de Gérard Cor- selius et de Henri Zoesius^. C'est là un des traits qui distinguent la direc- tion générale des études au XVI""= siècle de leur tendance plus pratique au siècle suivant : l'élément littéraire eut alors dans l'instruction du juris- consulte et du magistrat plus de place et d'influence qu'il n'en eut posté- rieurement; le chancelier Viglius, Joachim Hopperus, Pierre Peckius, sont les plus distingués de ces magistrats lettrés, dont le collège de Busleiden conservait les noms dans ses annales. Les cours d'humanités furent améliorés rapidement dans presque toutes nos villes, à la faveur des méthodes que propagèrent les jeunes huma- nistes formés au collège des Trois-Langues, et dont plusieurs enseignèrent en diverses localités. Les livres publiés par des maîtres ou des élèves du même collège, contribuèrent d'un autre côté à une culture plus avancée du grec et du latin. La grammaire grecque d'Amerotius fut longtemps le manuel le plus complet consulté par les professeurs et les élèves pour la connaissance des formes; elle ne perdit pas son utilité, quand Nicolas Cleynarts eut publié un manuel plus court dans l'intérêt des commen- çants. Les InstUuliones linguae graccae, qui parurent en avril 1550, ont assuré de prime abord à Cleynarts un rang distingué parmi les hommes de la Renaissance, qui se sont ingéniés à répandre les langues classiques, et surtout à en vulgariser l'enseignement. Quoique Cleynarts n'ait pas occupé une des chaires du collège de Busleiden, il a concouru au but de l'institution par les leçons où il mit sa méthode grammaticale à l'épreuve, par les exercices oîi il en fit l'application ^, par le livre où il la résuma, et qui lui valut un fort long empire dans les classes. Sa grammaire, dont il n'y a pas lieu d'ènumérer ici toutes les éditions, chargées de notes de ' Rescius avait publié en grec les Institutes de Théopliile et les Aphorismes d'Hippocrate. ^ A. Gennep et Pieriiis h Smenga, hébraïsaïUs qui ont enseigné au même collège, ont pratiqué la médecine, de même que Caslellanus, qui fut professeur de grec de 1609 à 103:2. ^ C'est l'objet de ses Meditationes Graecanicae in artem grammaticam. Louvain, juillet 1331 . DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 329 différents grammairiens et philologues, fut en usage plus de deux cents ans après lui dans les Pays-Bas, en Allemagne et en France, ou bien elle fut prise comme base d'ouvrages nouveaux '. On vendait à Paris, en 1551, grand nombre d'exemplaires de cette grammaire, et sa popularité fut si bien associée h celle de l'œuvre d'un autre de nos grammairiens, qu'il y avait encore en France, du temps de la Fontaine, plus d' Un écolier qui ne s'amusait guère A feuilleter Clénard et Despaulère. Gomment passer sous silence, dans cette histoire des études littéraires, les tentatives ingénieuses de Cleynarts, élève de Rescius et de Campensis, pour se rendre maître, à l'aide de l'hébreu, des éléments de l'arabe et d'autres langues sémitiques? Ce fut là le but de son exil volontaire, de ses voyages en Espagne et en Afrique 2, après lesquels il succomba sans avoir terminé quelque œuvre de grammaire ou de philologie orientale. Un jour peut-être nous retracerons sa vie et ses travaux. Les traités d'Amerotius et de Cleynarts sur la grammaire grecque trou- vèrent leur complément dans un traité de J. Varennius ou van der Varen, de Malines, sur la syntaxe de la même langue, qui parut au mois d'août 1552 ^ et qui eut plusieurs éditions à Louvain et ailleurs dans le même siècle*; ces livres, qui forment ensemble un cours de grammaire, ont ' Voy. Haliam, Littér. de l'Europe, t. I, pp. 33Ô-334, t. II, p. 19, et Baillet, Jugements des savants, édition in-12, t. Il, P. III, pp. 164-165. 2 Lire la Notice analytique des lettres de Nie. Cleynarts dans les Anakcla - Biblion du marquis du Roure, 1. 1, p. 448, et les Voyageurs belges de M. le baron J. de Saint-Génois , 1. 1 , pp. 1 12 et suiv. 5 Le titre de la première édition est ainsi conçu : Stjntaxis linguae graecae , eu potissimum coni- plectens quae a latinis dissentimt; auctore Joanne Varennio Mechlinien. Venundantur Lovanii a Bartholomeo Gravio sub sole aureo. 02 feuillets in-4°. Sign. Â. II. — Q. III. - On lit au dernier feuillet : Lovanii,ex offlcina Rutgeri Rescii anno MDXXXIl. Sexto idus augusiL Sumptu ejiisdem ac Bartholomei Gravit. Dans la dédicace l'auteur dit : Commisimus ea praelo Rescii nostri. Il avait trouvé un confrère et un conseiller peut-être dans Fbelléniste qu'il prit pour éditeur. . -i Outre les éditions énumérées par l'aquol dans sa notice sur Varennius {Mémoires, t. I, p. 185), une édition de sa syntaxe fut faite en 1531 , à Louvain , chez B. Gravius (pp. 174, in-8°). Varennius est mort septuagénaire à Lierre, en 1536; son traité sur les accents grecs, dont la plus ancienne édition connue remonte à 1544, fut réimprimé plusieurs fois {Bibl. HuUhemiana, t. II, pp. 246- 247); une édition revue parut, en 1551, à Louvain : Ucpi a-poratev, id est , de accentibus Graecorum 330 MEMOIRE SUR LE COLLEGE contribué à l'introduction du grec dans l'éducation de la jeunesse de nos provinces; les maîtres seuls étaient tenus de recourir à des ouvrages éten- dus, tels que les Commentarii de G. Budé, ou bien aux grammaires de Lascaris et de Théodore Gaza. Guillaume Fabius , professeur de grec après Th. Langius, fit un nouveau travail sur la syntaxe grecque, mais en s'ap- puyant principalement sur celui de Varennius, et en consultant quelques traités plus récents ^ La langue latine, qui fut cultivée avec plus de soin et d'extension que tout autre, exerça la sagacité d'un grand nombre d'humanistes de la Belgi- que, qui éci'ivirent des traités de grammaire pour seconder le mouvement des études : de ce nombre était ce dilettante, ami des lettres, Georges Ha- lewyn ou de Halluin, seigneur de Comines, qui savait honorer quiconque se signalait par son savoir; en dissertant lui-même sur la langue latine -, il voulait prouver, contre l'avis des grammairiens antérieurs qui avaient pris les règles et l'analogie pour bases de leur enseignement, que l'usage et la lecture des anciens étaient les seuls éléments véritables de la connaissance du latin. Ce petit livre, si curieux qu'il fût, s'est effacé comme beaucoup d'autres devant la célébrité permanente de l'ouvrage de J. Despautère, et même des abrégés qui en furent faits par Simon Verepaeus ou Verrypen et par d'autres latinistes. Un des maîtres les plus diligents d'alors fut Jean Gillet (Joannes Gilletianus), qui professa au collège de Iloudain, fondé à Mons en 154-5 : il reconnut le besoin de fournir aux commençants une méthode facile d'étudier la langue latine; il dicta à ses élèves une gram- maire très-courte, formulée par demandes et par réponses, et il la publia, en 1555, sous le titre de : Lalinonim elenientorum erotemata. Cet opuscule eut un grand succès dans les écoles, pour lesquelles il fut souvent réim- libellus, jam denuo recognihis, multisque in locis restitutus. Lov., ex offic. Barth. Gravii, 1531, pp. 31 , in-8°. ^ Syntaxeos linguae graecae epitome. Voy. chapitre VII, p. 212. 2 Reslauralio linguae latinae , \)er l>. Georghim Halvini, etc. (Antverpiae, Ibôô, 90 feuillets petit in-8° non chiffrés.) M. de Reitfenbera; ayant signalé l'excessive rareté de cet opuscule {Bul- letin du Bibliophile, publié par Techener; Paris, 1834, n° 8), M. Polain a eu la bonne chance d'en découvrir un exemplaire qu'il a décrit dans le même recueil (Bulletin, 1836, n" 24). L'épîlre dédi- catoire à J. Despautère est datée du 24 octobre 1508. Cfr. Foppens, p. 338. DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 531 primé '. Ainsi, pour le latin encore, la Belgique ne devait qu'à elle-même les meilleurs livres qui pussent servir à son enseignement, et elle reçut de Cornélius Valerius un nouveau travail, où ce maître consommé donnait à l'art grammatical l'ordre et la clarté admirés dans ses leçons et dans ses manuels sur toutes les sciences : c'est en 15o4 que Valerius mit au jour la première édition de ses Grammalicarum institulionum libri IV, comprenant la grammaire, l'étymologie , la syntaxe et la versification latines -. La méthode usitée dans les leçons du Collegiion Trilhujue détermina des réformes utiles dans l'enseignement de la grammaire et de la rhétorique, qui se faisait dans les pédagogies de la Faculté des Arts : ce fut bien là un des services pratiques que rendit le nouvel établissement. La Faculté réclama, vers 1559, l'appui d'Arnold Streyters, abbé de Tongerloo, pour multiplier les moyens de former les jeunes gens dans l'art de parler et d'écrire-'. La pédagogie du Château publia, en 1561, un manifeste ou pro- gramme qui constatait les modifications introduites dans ses leçons de grammaire et de philosophie * ; cette pièce commençait en ces termes •' : Gymnasiaucha Lectoui S. — Quemadmoduin minqtiam. Candide Lector, usque adeo stupidi fuimus, mil sectiri famae, quin, quae fiominum maxime prudentitim de paedagogicis sludiis sententia sit, inleUigere poluerimus : ita neque lam arrogantes nos fuisse, credas velim, ut quod in iis a magnis viiis damnaretur, defendere exislimaverimiis.... Cornélius Valerius célébra en quelques vers la résolu- tion qui venait d'être prise par les directeurs de cette pédagogie du Cas- trum, pour le progrès des études philologiques et littéraires : Prima reformati Studii laus vestra feretur, IJl res cumque caclat , colilis qui Castra Minervae Castrensemque scholain regitis, pubemque docetis. ' Éléments de la grammaire latine, par J. Gillet, oxtr. publ. par M. Cam.Wyns. Mons, 1834, pp. 36; in-12. La Grammatica latina de P. Procurator, successeur de Gillet, n'eut pas moins de vogue. ^ Les noms des professeurs et des humanistes, dont nous énumérons dans les chapitres IX et X les travaux de grammaire et de philologie, se retrouvent presque tous dans la liste des livres clas- siques approuvés par l'Université en 1530. 5 Pièce latine publiée d'après la minute dans \Ann. de l'univ. de Louv., 1841 , pp. 134-39. '' Valère André, Fasti acad., p. 2,30, d'att difficilr Après la longue crise politique qui avait suspendu les travaux de la plupart des institutions académiques de Louvain, le collège de Busleiden, longtemps fermé, reprit enfin son ancienne organisation, grâce au bien- veillant concours de quelques membres de l'Université, et surtout à l'ac- tivité déployée par le président Adrien Baecx, qui en fit la réouverture ^ Mais l'appel adressé alors à des hommes estimables, et même à des écri- vains d'une brillante réputation, et la vigilance des administrateurs de la fondation, qui ne négligèrent aucun moyen d'action sur la jeunesse, ne rendirent pas à ce collège sa première prospérité et son premier éclat. La décadence visible dont il fut frappé au second siècle de son exis- tence, malgré le maintien extérieur de ses règlements et de ses privilèges, mérite d'être étudiée avec attention ; nous ferons en sorte, sans trop étendre les limites de ce chapitre, d'en montrer les signes incontestables et d'en assigner les causes. Lenseignement des lettres ne se présente pas dans les mêmes conditions que celui des sciences, sous le rapport de sa direction et de sa perpétuité : la plupart des sciences qui étaient dans les attributions des Facultés uni- versitaires, et qui avaient fleuri depuis cent ou deux cents ans, furent de nouveau cultivées et enseignées à Louvain avec un égal succès ; l'on croi- rait même que les progrès que chacune de ces sciences avait faits de date récente, furent alors mis à profit par les maîtres qui en étaient chargés. Il n'en fut pas de même pour l'étude des langues et des lettres : la tradition * Voir un exposé de son administration (ann. I606-1G24), au chapitre IV. 348 MEMOIRE SUR LE COLLEGE des idées et des principes ne s'y fait pas d'un âge à un autre avec la même fidélité et la même rigueur que dans le champ limité des sciences positives la mobilité des opinions s'y fait sentir davantage, et les variations du goût, tenant à l'influence d'un écrivain ou d'une école, ont quelquefois des con- séquences désastreuses qui s'étendent à un siècle tout entier. Le collège des Trois-Langues, qui était resté sur la limite des deux siècles sous le patronage du nom de Juste Lipse, ne put échapper à de telles vicissitudes dans son enseignement littéraire et philologique; il ne rentra pas dans les voies où l'avaient engagé les exemples et les tendances de ses premiers protecteurs et de ses maîtres les plus distingués. La cul- ture des langues y fut poursuivie sous l'empire d'autres idées , dans un but d'utilité pratique, ou bien encore de vanité et d'agrément; mais on avait perdu le sentiment de la vérité et de la beauté littéraires, au point de ne plus les chercher l'une et l'autre dans leurs principaux et constants modèles : une nouvelle rhétorique et une nouvelle poétique furent alors substituées aux notions et aux règles qu'on avait tirées des classiques latins et grecs avec une merveilleuse entente. La décadence n'était pas moins marquée du côté de la matière et des pensées que du côté des règles du style et des principes esthétiques. La méthode et les travaux des premiers maîtres avaient acheminé nos huma- nistes et nos écrivains jusqu'au véritable centre de la critique et de l'érudi- tion littéraires, l'antiquité classique, qui en était alors le champ de bataille; ils avaient été, à l'époque qui venait de finir, les directeurs du mouve- ment, les arbitres de l'opinion. Ceux qui ont occupé au XVI1°"= siècle les chaires du collège de Busleiden ont rompu insensiblement avec les écoles qui avaient accepté l'héritage de Juste Lipse et d'André Schott; ils n'ont pas poursuivi de concert les recherches d'histoire et de philologie qui devaient conduire si loin l'érudition classique dans les pays voisins, et, se condamnant à un isolement volontaire, ils se sont complus dans l'admi- ration d'un petit cercle d'auteurs anciens, ou dans la composition d'œuvres nouvelles sans raison d'être, sans règles vraies, et partant, sans portée, sans valeur durable. Il n'y eut qu'un fort petit nombre d'exceptions à cet entraînement d'esprits honnêtes et laborieux dans des routes écartées et DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 349 malheureusement stériles ' : nous signalerons les vues plus profondes de quelques hommes qui, toutefois, ne réussirent point à donner aux travaux des autres une impulsion meilleure. Nous jetterons d'abord un coup d'œil sur la direction qui fut imprimée aux leçons de langues, puis sur l'application qui en fut faite; nous verrons ensuite quelle espèce de vie littéraire se produisit au sein de l'école nou- velle; enfin nous examinerons quels préjugés ou quels abus portèrent dom- mage aux intérêts les plus vrais des lettres et même des sciences, dans la sphère où l'action du collège de Busleiden pouvait s'étendre. Le latin n'avait rien perdu au XYII"'" siècle de son ancien empire dans les provinces belgiques : les idiomes nationaux du nord et du midi ne pouvaient lui disputer d'aucune façon la prééminence d'honneur et même de fait, qu'il avait aux yeux des hommes des classes élevées et des profes- sions libérales. Non-seulement l'enseignement des humanités et celui des sciences sans exception se faisait en latin; mais encore les écrits sérieux et les livres scientifiques, les discours officiels et les compositions poétiques, n'avaient point d'autre langue : s'il y eut alors quelques productions dans l'une ou l'autre des langues vulgaires, elles n'avaient qu'un succès local et ne s'adressaient pas au public lettré. 11 faut lire avec quelle verve un philosophe de ce siècle prenait chez nous la défense du latin contre les prétentions de la langue belgique, qui était sa langue maternelle : dans une de ses Quaestiones quodUOeticae 2, petits discours prononcés à Louvain quand il professait encore, Arnold Geu- lincx établit une altercation simulée entre les deux langues, et c'est pour glorifier le latin comme langue universelle, comme langue de l'Église, des écoles, de la science et des livres; c'est pour louer les Belges et les Allemands d'en posséder une connaissance plus parfaite que les Italiens eux-mêmes. Le philosophe anversois ose bien demander où est la langue " Nous ne reprendrons pas dans les biographies esquissées précédemment lous les renseigne- ments qui confirment les assenions énoncées en ce chapitre : quelques personnages seulement seront mentionnés plus d'une fois comme représentant l'opinion de leur siècle. 2 Salurnulia seuquaesl. quodlib. Antverpiae, 1655, in-4°. — Ed. ait., Lugd. Bat., 1665, in-I2. — Quaeslio XXIV... Utro praestantior Belgica, an lalina lingua? (édit. 1665, pp. 305-312). 550 MEMOIRE SUR LE COLLEGE belgiqiie, et il la cherche « sur ce coin de lerre » reléguée dans les réu- nions dn peuple ^ Dans une autre discussion, Geulincx combat l'étude des langues de diverses nations, et, après avoir stigmatisé les particula- rités euphoniques des principaux idiomes connus, il revient à dire que c'est bien assez du latin comme langue des hommes instruits, des esprits cultivés qui n'ont que faire de tant de peines et d'efforts pour apprendre des langues qui lui sont toutes inférieures. Que le peuple garde son jar- gon ! les savants ont en partage la langue de Rome, qui rend toutes les autres inutiles. Voici la fin de ce plaidoyer d'un latiniste habile - : Noti mendicanda nobis a percgrinis linguis arlium pi-aecepta : lotus in Latiiim conccssit scienlianan clioims , lolus illi lingnae credihir liodie doctrimie tlicsaiinis : sola Itaec e magislri calliedi^a tonat , sola discipulorum calamos exercet , sola replet volumi- nibus Musaea : Inijus commercio in unam Remp. coëunt , quotquot per Enropam et idlra dispergunlnr docti : ciim liac ubi tantiim extra vilissimam plebem snmiis, vbique in palria sumiis. Deniqiie in ipsis exterorum linguis, nescio quo conta gio , eorumdem vitia sunt : alia loquax, nlia salax, alia in supervacaneas caeremonias pomposa, alia in serviles principiim adulationes projecta : candidus liis , o Belgae , quia colorem facile bibit, inqiiinalur aninnis. A n'en point douter, le latin, qui avait conservé encore intacts ses droits de langue littéraire et polie dans les Pays-Bas, était écrit avec pu- reté, simplicité, élégance, par bien des hommes, comme le prouvent les œuvres conservées du siècle où Geulincx l'élevait si haut; mais ces hommes avaient pu se préserver par leurs propres éludes, ou par la lecture d'au- teurs choisis, des défauts qui étaient autorisés par les latinistes les plus vantés de leur époque. Sans considérer les exceptions, et sans avoir besoin d'en indiquer toutes les causes, nous allons droit à la source du mal que nous dénoncions tout à l'heure : on a écrit le latin avec prétention à la finesse et même à l'éloquence, sans se soucier des anciens modèles, les ' At Belgira linyiia iibi est? In hoc Itrrae anyulo, in hac gleba : el ibidem non nisi verna et famula , per culinas strepit et popelli tabervas : Aulam freqtientat Gallica, Academiam Latina, mercalorum Basilicas Liisitana, inter elegantiorum sitbinde coetus Itala lascivit et Castellana. Quam sonal iste caestus, o Belgica! - Qiiaeslio XI. An laudabile diversarum gentimn idimnata perdiscendi sludium? DES TROIS-LAiNGLES A LOUVAIN. 3S1 yeux toujours fixés sur quelques écrivains récents fort aimés du public. La faute en retombe certainement sur les hommes qui ont été appelés dès le commencement du siècle à cette leçon de langue latine, qui avait procuré autrefois au collège de Busleiden tant de solide renommée. Le premier d'entre eux, Érycius Puteanus, que l'on considérait comme un autre Lipsius, n'imprima une direction ni assez ferme ni assez large aux études latines : quoiqu'il eût visité Rome et l'Italie, il ne fit pas une critique profonde des historiens romains qu'il expliquait souvent; il ne chercha lui-même dans les anciens qu'un thème de considérations philo- sophiques, morales et historiques, le plus souvent très-hasardées, et il perdit de vue la valeur littéraire des œuvres. Il trouva beaucoup d'admi- rateurs de ses productions, dans lesquelles il s'escrimait sur des ques- tions oiseuses, et il entraîna ceux qui lui furent confiés à disserter et à écrire de même. Puteanus était bon prince; mais son règne ne fut que trop long, et la pédanterie qu'il professait de si bonne foi eut le temps de s'implanter comme une de ces modes bizarres dont les années font passer le ridicule. Discours, diatribes, dissertations, vers, tout était mar- qué au même coin d'un art prétentieux, qui n'avait ni la grâce du naturel ni les élans de l'enthousiasme. Celait un art qui se détruisait lui-même à force d'affectation, et c'est ce genre d'affectation qui doit répugner à des esprits non prévenus K L'emphase déparait toutes ces productions dont les auteurs avaient peur d'être simples, et dont le sujet mal choisi, mes- quin d'ordinaire, était rehaussé inutilement par le grandiose des mots : L'un n'est pas trop fardé, mais sa muse est trop nue; L'autre a peur de ramper, il se perd dans la nue. Vernulaeus, qui succéda à Puteanus, avait à un plus haut degré le sentiment du vrai qui est une des conditions du beau littéraire; mais il n'eut pas le temps de soumettre la jeunesse du collège à l'épreuve d'une * Tel est le sens d'un mot que Dorpius prenait, en 1515, comme devise de son discoursrfe Laudi- bus disciplinarum (van Iscglieni, Biogr. de Th. Martens, p. 241. Cfr. ch. V, pp. 113-15) : Optima est ars sine arle : et odiosa semper a/feetalio. C'est aussi celui de la sentence d'un critique ancien inscrite en tête de ce chapitre. Tome XXVIII. 46 3S2 MÉMOIRE SUR LE COLLEGE direction plus sage; il avait été obligé lui-même de se plier à toutes les exigences de l'enseignement officiel de la rhétorique aux étudiants de la Faculté des Arts, et comme littérateur et poète latin, il avait conservé de l'indépendance et du goût tout en imitant dans ses tragédies le théâtre latin de Sénèque. Les successeurs de Yernulaeus, B. Heimbachius, Christophe van Langendonck, etc., firent quelques efforts pour exercer la jeunesse à la composition, et pour l'intéresser à la lecture de quelques bons auteurs. Mais, bien que la chaire de latin qu'ils remplissaient portât encore le litre de chaire d'histoire, parce qu'ils expliquaient les historiens latins, ils n'obtinrent aucun résultat important dans celte étude où Juste Lipse avait brillé. Puteanus n'avait déjà plus l'intelligence de la civilisation romaine et des enseignements que fournissent les monuments historiques et littéraires; ceux qui vinrent après étaient dépourvus davantage encore de ce sens historique, qui fait découvrir les réalités du monde ancien dans leur vrai jour, et les beautés des œuvres anciennes à la lumière des idées et des faits ^ Il ne faut pas s'étonner après cela que la lâche de critique et d'éditeur n'ait été revendiquée par aucun des latinistes d'alors : nous avons cherché en vain l'édition ou le commentaire d'un écrivain latin de quelque importance auquel l'on pût attacher leur nom; il n'est pas un texte de littérature ancienne, imprimé sous leurs auspices, que l'on puisse opposer à l'activité des écoles philologiques qui avaient dépassé leur aînée. Les études grecques souffrirent plus encore que les études latines; elles perdirent de tout point, et par rapport au nombre de ceux qui s'y adon- nèrent, et au point de vue des résultats qu'on pouvait alors en attendre. Les premiers professeurs de langue grecque ne furent point responsables de l'indifférence avec laquelle le public universitaire traita bientôt cette leçon : Pierre Stockmans possédait les qualités nécessaires pour la rele- ver dans l'opinion, mais il n'enseigna que pendant environ dix ans; c'est Pierre Castellanus, son prédécesseur, qui eut surtout le pouvoir d'exciter l'intérêt des meilleurs esprits pour une élude qui présentait tant d'aspects ' Sur la direction des cours d'humanités en France dans la même période, voir le travail de M. Ch. Lenorniant : De l'enseignement des langues anciennes. (Extr. du Correspondant, I844.) DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 3S3 différents. On a pu remarquer dans la biographie de ce savant helléniste et médecin •, quelle érudition de bon aloi, puisée aux sources grecques, il avait mise dans des écrits qui avaient trait à la civilisation et aux sciences de l'antiquité. Bien mieux que Puteanus et qu'aucun autre, Castellanus était capable de fonder une école de critique historique et littéraire qui se fût tenue au niveau de celles de la France, de la Hollande et des autres pays; mais il mourut jeune en 1652, et après lui non-seulement les lettres grecques, mais encore toute érudition positive et utile, basée sur une phi- lologie judicieuse, tombèrent en discrédit. Cette décadence fut sans retour, et encore au dernier siècle, M. de Nélis jetait un regard de tristesse sur les vicissitudes toujours plus fâcheuses qui atteignirent les lettres anciennes, après l'époque de Castellanus et la retraite de P. Stockmans 2. Il n'y eut jusqu'à la fin du XYIl"'" siècle aucune application sérieuse des études sur la langue grecque, qui était réduite, sans doute, aux élé- ments de la grammaire dans les leçons du Collegium Trilingue. Justice étant rendue au zèle d'un professeur irlandais de naissance, Fr. Martin, qui enseigna le grec de 1683 à 1722, on ne peut fermer les yeux sur les faits qui attestent suffisamment la déchéance de cette étude, et l'incurie des hommes qui auraient dû la soutenir. Non-seulement on ne voit paraître alors aucun nouveau travail de grammaire, aucun texte d'un auteur clas- sique, mais encore on voit les leçons de grec abandonnées par cette classe d'étudiants en droit et en théologie qui les fréquentaient avec empresse- ment autrefois^. Sans rendre ces leçons obligatoires, on aurait dû prendre des mesures efficaces pour qu'elles profitassent comme par le passé aux études de droit, de théologie et même de médecine. Cet abandon eut des • Voy. plus haut, chap. VII, § 7, pp. 215-17. * Prologue sur le Ludus de Castellanus, au tome I de ses Analectes, p. 98. — Si l'on réimprime tant d'élucubrations sans valeur, et qu'on oublie des œuvres pleines de gr.^ce et d'élégance, de Nélis l'attribue à la chute sans cesse plus grande des études littéraires: Verum mirari desino quum non Gruccarum modo Utterarum... sed etiam Lalinarum eliam fatum , qtiale temporis Mo inlervallo fuerit , mecum considéra. Castellanus noster, Erycius Puteanm, paucique alii.post Justi Lipsii excessum, labanlibus humeras aliquamdiu supposuere : ah eorum morte jacuere penitus. tanlutn non exstinctae. s Dans la seconde moitié du XVI""' siècle, un grand nombre de gradués en droit avaient fait un cours de grec pour accroître leurs connaissances historiques et littéraires. 354 MÉMOIRE SUR LE COLLEGE conséquences fort graves : nos jurisconsultes et nos magistrats n'acquirent plus cette érudition littéraire, qui avait fait l'ornement du savoir de leurs prédécesseurs. Les études théologiques ne furent plus sans cesse alimen- tées par la tradition des Pères, recherchée naguère si avidement dans les sources : on n'aperçoit aucun monument de la Patrologie grecque, qui ail été publié ou traduit à Louvain dans ce laps de temps; il reste même dou- teux qu'un certain nombre de théologiens fût en état ou eût l'habitude de lire les Pères dans les belles éditions grecques, publiées surtout par les Bénédictins. La leçon de langue hébraïque fut continuée pendant la même période, sans produire d'autre fruit que la transmission des premiers principes, suffisant à quelques théologiens pour prendre connaissance des passages invoqués dans des controverses célèbres. Il est bien vrai que cette leçon se fit avec autant d'assiduité que les autres, et que les professeurs d'hé- breu ou d'autres membres de l'Université défendirent plusieurs fois en public des thèses qui avaient pour objet la nécessité d'une étude appro- fondie des langues bibliques; mais en fait, il n'y eut point d'œuvre qui servît de programme ou de base à des travaux de philologie sacrée ou à des recherches d'exégèse proprement dites. Versé dans l'hébreu, J.-B. Gramaye recueillit des données sur les langues et les alphabets du monde ancien; mais le curieux Spécimen qu'il élabora au retour de ses voyages ' ne provo- qua point de semblables efforts. Jean Sauter ne donna qu'avec de grandes peines une introduction extraite du cours de grammaire qu'il avait rédigé (1675). Puisque ce professeur dut travailler lui-même à l'exécution d'un nouveau corps de caractères hébreux, on avait probablement laissé se perdre ou se détruire dans le courant du siècle, la collection de caractères qui avait servi dans ses premières années à l'impression de mots et de textes de la langue sainte : appartenaient-elles en pleine propriété à un seul imprimeur, ces lettres qui ont reproduit les mots hébreux cités (p. 16) dans le dis- cours de V. André sur la langue hébraïque, imprimé en 161-4 par Ph. Dor- ' Voir notre Examen historique du tableau des langues et des alphabets de l'univers que J.-B. Gra- maye a publié à Ath en 1622. Gand, 1834, in-S» (Extrait du Messager des sciences historiques . ann. 1834, pp. 108 et 190). DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 35a malius, et qui ont suffi à l'exécution assez difficile du miroir hébraïque sorti, en IGlo, des presses de Gérard Rivius '? On croirait difficilement que l'auteur de ce miroir, qui était un lexique des radicaux de l'hébreu fort habilement construit, ait enseigné à Louvain, à côté de la chaire d'hébreu du collège des Trois-Langues : Valère André occupait alors cette chaire, et dans aucun livre historique relatif à l'Uni- versité, il n'est question de l'étranger dont ledit lexique porte le nom avec la qualité de professeur de langues orientales. Si Joseph Abudacnus dit Barbatus, chrétien d'Egypte ^, a enseigné quelque part en Belgique, c'est bien plutôt à Anvers, puisqu'il dédia ce premier travail aux magis- trats de cette ville ; l'histoire antérieure de ce personnage n'est pas con- nue, et il n'est rien de certain touchant la durée et l'emploi du séjour qu'il a fait en Angleterre, après son passage en Belgique. Que nous envisagions maintenant les moyens et les exercices mis en usage par les professeurs de langues et de belles-lettres dans l'intention de favoriser leur étude, nous apercevons des méprises tout à fait sem- blables à celles que nous avons signalées dans l'enseignement et dans les écrits donnés et pris pour modèles. Il y eut toujours quelque chose de factice, ou du moins de fort mesquin dans la vie littéraire que l'on pré- tendit exciter dans la jeunesse par des essais de composition oratoire et poétique; le travail paraissait fort animé, et les têtes étaient pleines d'es- pérances et de projets; mais tout ce mouvement devait aboutir à une litté- rature fort banale de compliments ou de considérations morales. Puteanus avait établi, dès l'an 1610, une espèce d'académie dans le lieu de sa résidence, le château César, qui devenait dès lors pour cette petite république la forteresse de Minerve, Arx Palladis. Il voulait sincè- rement le bien, et pour aider les autres à y atteindre par la culture de ' Spéculum hebratcum, ou lexique des racines et de leurs principaux dérivés , vol. grand in-folio. (Lovanii, in oflicina typograpliica Gerardi Rivii, 1615. Dern. signât., F. 2.) — Gerardus Rivius (ou Gérard van Rivieren) demeurait à Louvain, à l'enseigne de Pégase, et il y a imprimé de l'an 1599 à l'an t634. 2 Voir, dans le Messager des sciences historiques de Behjique , ann. 1830, 1" liv. (pp. 248-59), ma note sur le Lexique hébreu, publié à Louvain en 1613. Voir aussi l'arlicle Ht Aboudacnus (dont le nom signifie l'ère de la Barbe), dans la Nouvelle biogr. imiv. de la maison Didot. 356 MEMOIRE SUR LE COLLEGE l'esprit, il avait ouvert une « lice de la saine intelligence », sa Palaeslra bonae mentis, où la jeunesse dissertait, récitait, lisait, disputait sous sa haute présidence. Le collège des Trois-Langues avait l'honneur de servir tous les mois aux assemblées générales de la Palaeslra , tandis que les réunions particulières avaient lieu chaque semaine dans la demeure de Pu- teanus ^. Les gentilshommes recommandés à ce professeur étaient conviés par lui à ces exercices, fort utiles sous plus d'un rapport, s'ils avaient été mieux dirigés : la pensée de l'œuvre, et le dévouement de celui qui l'or- ganisa sont également louables; mais là comme ailleurs manquèrent les notions littéraires et historiques qui s'effaçaient de plus en plus dans la nouvelle école. On se contenta de peu; les modèles assignés par le maître étaient d'un choix malheureux, et la critique qu'il exerçait lui-même ne rachetait pas des défauts cjue ses exemples n'autorisaient que trop. Les amis de Puteanus le savaient ou le devinaient fort bien : Daniel Heinsius n'osait lui dire en face que son académie était d'un intérêt trop local, mais lui donnait le conseil de provoquer de plus vastes études qui eussent du retentissement^. Les essais que (it Puteanus pour que des jeunes gens de la noblesse terminassent leurs études littéraires dans le court espace de deux ans, méritent quelque attention, au point de vue de la pédagogie ^; mais les statuts qu'il publia, à cet effet, donnent lieu de penser qu'une étude si précipitée des langues et de l'histoire nuii-ait à l'idée que la jeunesse doit se faire de l'étendue de la science et de la nécessité du travail, et qu'elle favoriserait en elle cette présomptueuse confiance dont il n'y a que trop de traces dans les élucubrations latines de la même école. On ne peut non plus s'empêcher d'observer que les premiers historiens que Puteanus vou- lait mettre entre les mains de ses nobles élèves étaient Sulpice Sévère, ' Voii' l'analyse des lettres de Puteanus par de Reiffenberg, Notices et extraits, 4 829. t. I, pp. 4C-47. — La Palaeslra avait admis, parmi ses membres, l'imprimeur I^hilippe Dormalius ou van Uormael, pour bonorer en lui l'art typographique. (Ibid., p. 54.) * Lettres de Leyde, IGll (Not. et exir., p. 47), où on lit, par exemple: Instituti lui praeslan- tiam nisi Lovanitim agnoscit, ad posleritutem provocare potes. ' Designatio contubernii nobitium puerorum quo institulio titeraria biennio absolvatur, pièce inédile, publiée en 1839 dansl'/l?»;. de l'univ. de Louv., pp. 272-277. —Voy. aussi l'article intitulé: Puteanus et sa métiiode d'enseignement. Annuaire de 1852 , p. 319. DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 357 Justin et Florus, à la suite desquels il plaçait modestement son histoire des invasions des races germaines [Irrupliones barbarorum). La jeunesse de l'époque faisait la prose et les vers à l'instar de ses maîtres : on l'avait habituée à se passer de l'imitation des anciens, et au moment où les littératures anglaise et française fixaient leurs règles et leurs genres avec une profonde intelligence des secrets de l'art antique, nos écrivains cherchaient leurs modèles dans les oeuvres latines de second ordre, et même dans des compositions toutes modernes. Celte médiocrité des auteurs que l'on copiait n'est-elle pas une raison suffisante de la valeur non moins médiocre des travaux d'imitation? On se ferait avec peine une idée des écarts dans lesquels la majorité des littérateurs latins tomba sous l'empire de ces préjugés d'école, si on ne lisait pas les produits de leur plume, qui ont échappé à l'indifférence des générations suivantes et aux outrages du temps. La plupart des œuvres ora- toires se réduisent à des discours pompeux, mais vides de choses; la décla- mation remplace les faits et l'élément historique est absorbé par de préten- dues considérations politiques; les vues et réflexions philosophiques ou morales ne tiennent à aucun système. La poésie ne consiste guère qu'en pièces de vers alambiqués; autour d'un nom se groupent les épithètes les plus louangeuses; trop souvent les formules d'adulation banale sont épui- sées jusqu'à la dernière, et il y a encore banalité dans ces chants d'apo- théose, où le prince, le guerrier, le savant, le poète, est porté jusqu'aux cieux, jusqu'aux astres. Les illusions de ces auteurs et de ces poètes allaient aussi loin que la sincérité de leur confiance dans l'emploi des ressources qu'on leur conseillait, des procédés dont ils faisaient tous les jours l'application mécanique. Ils se promettaient les uns aux autres l'im- mortalité, et Puteanus ne fut pas le seul à croire à la sienne^. On se tromperait apparemment si on ne voyait que la réclame dans tout ce pathos, où Apollon, Minerve, les Muses interviennent sans cesse, sous tous les noms et avec toutes leurs qualités. Les nouveaux latinistes, si honnêtes qu'il fussent, ne savaient plus louer sans cet appareil fort lourd ' Voir (de ReilTenberg, Cinquième Mémoire, p. 20) les éloges inqualifiables de J. Imperialis, écrivain d'Italie, à ce personnage, que d'autres ont appelé « le plus grand des mortels », etc. 358 MEMOIRE SUR LE COLLEGE de comparaisons mythologiques, et ils s'ingéniaient à découvrii" des expressions toujours plus énergiques et plus hautes de leur admiration, qui n'était certes pas feinte et empruntée dans la sphèi^e où ils vivaient. Cette aberi\ation du XYII""" siècle aurait-elle peut-être une sorte de justi- fication dans les faiblesses d'une autre époque? Elle devrait être assez faci- lement excusée dans la nôtre : la prose du journalisme n'est-elle pas coupa- ble de bien plus grands excès que les tirades oratoires et poétiques de nos aïeux? ne dispense-t-elle pas tous les jours sans mesure , sans vergogne, sans pudeur, l'éloge et le blâme? ne décerne-t-elle pas les noms de docte, d'il- lustre, d'éminent, aA'ec la même extravagance que nos versificateurs latins distribuaient leurs épithètes tirées à pleines mains du vocabulaire de la poé- tique latine et grecque? ne concourt-elle pas à la dépravation du langage, à l'altération du sens des mots qui devient menteur au gré des passions? Que l'on fasse ce retour sur les travers du temps présent, et l'on ne vou- dra point parler avec colère des prétentions littéraires et du langage vani- teux de l'école de Puteanus ou bien encore de l'école voisine de J. Scaliger. Nous avons dénoncé jusqu'ici dans le second siècle littéraire de l'Uni- versité de Louvain de fausses directions, de regrettables méprises, qui ont arrêté le mouvement des sciences philologiques si rapide et si glo- rieux dans le siècle antérieur; nous devons indiquer en finissant plusieurs préjugés et plusieurs abus qui ont contribué à ce résultat dans l'organi- sation universitaire, à laquelle la direction du collège des Trois-Langues restait subordonnée. En premier lieu , signalons le grave abus du cumul des charges; car il exista au détriment du collège de Busleiden comme à celui de plusieurs institutions de l'Université. Il n'y eut pour ainsi dire aucun professeur qui, à partir du XVIl™" siècle, n'ait entrepris des études étrangères à son ensei- gnement littéraire ou historique, et le plus souvent il en a considéré les fonctions comme tout à fait accessoires, du moins comme secondaires dans l'ordre de ses devoirs. Les chaires des Facultés de l'Université étant mieux rétribuées que celles du collège des Trois-Langues, la plupart des hommes n'acceptèrent celles-ci qu'avec la perspective de prendre des grades soit en droit, soit en théologie, pour avoir part aux honoraires, aux pré- DES TROIS-LANGLES A LOUVAIÎN. 559 bendes et aux bénéfices attachés aux chaires plus élevées. INous n'avons pas besoin d'examiner si le souverain, les états, les corps constitués n'avaient pas alors l'obligation d'assurer, dans l'intérêt des belles-lettres, une posi- tion meilleure et plus indépendante à ceux qui les professaient : le fait subsiste, et il donne en partie la clef de cette suspension des travaux utiles, qui avaient été poursuivis sans relâche et presque toujours avec plus de désintéressement dans le siècle précédent. L'exemple de Valère André le prouve surabondamment : que pouvait-il faire de sérieux et de durable pour les études hébraïques, quand il étu- diait et enseignait le droit, quand il joignait à ses commentaires juridi- ques des travaux d'histoire et de biographie? On réclama de son temps contre le cumul de plusieurs charges : Valère André composa un mémoire intitulé : Pro defensione mea, afin de conserver les siennes^; il allégua à cet effet plusieurs exemples d'une possession semblable de deux chaires à la fois, et il réussit. Au moins cet homme instruit et actif rendit-il des services signalés à d'autres branches de la science; mais combien de gra- dués en droit ou en théologie, qui possédèrent les chaires du collège de Busleiden, furent-ils en état de satisfaire aux nécessités les plus urgentes de l'enseignement littéraire! En second lieu , une fraction considérable de l'Université oublia trop en quel honneur on y avait naguère tenu l'étude des lettres classiques; l'in- différence ou le dédain de quelques-uns pour les professeurs de langues et de belles-lettres put devenir, en plus d'une circonstance, un motif de dé- couragement, et même une source de sérieux obstacles pour ceux-ci. L'exemple de Puteanus ne saurait servir, ce nous semble, en cet endroit, d'argument décisif; cependant il montre quelles devaient être les disposi- tions du plus grand nombre envers ses collègues, comme envers lui. Les titres de Puteanus avaient excité autour de lui certaine jalousie^ : conseiller du prince, Puteanus voulait prendre rang au-dessus de ses collègues, les membres de la Faculté des Arts; de nombreux opposants soutinrent que Puteanus n'appartenait plus ni à celle-ci , ni non plus à ' Paquot a vu la défense de ce professeur. (Fasti, MS., t. I, p. 517.) ^ Voir ses lettres de l'an. 1613. Notices et extr., ibid., pp. 50-51. Tome X.XVllI. ^7 560 MEMOIRE SUR LE COLLEGE aucune autre; que ses auditeurs ne pouvaient avoir droit aux privilèges de l'Université, et que les certificats qu'il délivrait à ses élèves ne pou- vaient être reconnus. Nous ne pouvons passer sous silence une troisième cause bien grave de l'aflaiblissement des études littéraires : elle se fit sentir au collège de Busleiden plus que partout ailleurs. Les esprits s'étaient trop vite habi- tués à rester indifférents aux entreprises savantes, aux recherches criti- ques qui faisaient avancer la science et les lettres chez d'autres nations; de fait, les relations si suivies autrefois avec les écoles célèbres de l'Eu- rope avaient toujours diminué, et enfin cessé presque entièrement. Est-il besoin de prouver combien cet isolement fut préjudiciable à une institu- tion qui ne pouvait rester étrangère à ce mouvement des esprits sans renier son passé? Le mal devint d'autant plus grand que, vivant constamment dans ce milieu où ils ne voyaient plus autre chose qu'eux-mêmes, les hommes crurent de bonne foi qu'il n'y avait rien de mieux au delà. Une quatrième circonstance que nous n'omettrons pas de citer dans la revue des faits qui ont influé sur le sort des études académiques pendant le XVli""= siècle, c'est l'ouverture d'un collège spécial pour les cours d'hu- manités, celui dit de la Sainte-Trinité, Collegiicm sanclissiinae Triuiiatis, qui eut lieu en 1657. Les fondations des anciens collèges de Gand (Gandense) et de Vaulx (Vaidxianum) ', destinées à des cours préparatoires de gram- maire, furent réunies au nouvel établissement, qui prit bientôt une grande importance. Le collège des Trois-Langues conservait sa renommée et sa destination; mais les classes d'humanités organisées dans le collège de la Trinité suppléèrent à l'enseignement élémentaire des langues grecque et latine, qui avait attiré autrefois une foule de jeunes étudiants autour des chaires du collège de Busleiden. Cet enseignement d'une utilité pratique se poursuivra avec zèle et avec fruit pendant le reste du siècle, et jusqu'à la fin du XVIII"-. ' Valère André, Fasti ucuikni.ici , pp. 583-86. DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN 361 CHAPITRE Xll. DE L'ENSEIGNEMENT DU COLLÈGE DES TROIS-LANGUES PENDANT LE XVIII' '" SIÈCLE. 'T^rèp 'Etrifisviâ'i'iV z:.'^5cr9«/. Le proverbe grec disait : « Dormir plus longtemps qu'Épiménide. >> en souvenir du sommeil de soixante-quinze ans que la fable prêtait à ce personnage mystérieux. Le collège, dont nous avons fait l'histoire dans ce XVI"'" siècle, qu'on appellerait volontiers son âge héroïque, était tombé à la fin du XVII""^ siècle dans un état déplorable d'inertie et d'assoupisse- ment : ce fut bien pis au XVlll'"^ alors qu'il dormit d'un long et profond sommeil, interrompu par le décret de sa suppression. Toutes les causes de décadence que nous signalons au chapitre précé- dent, agirent d'une manière non moins désastreuse sur la destinée du collège des Trois-Langues, pendant le troisième siècle de son existence, que pendant le second ; les faits ne laissent point de doute sur les fautes alors commises au préjudice de l'éducation littéraire et des sciences en général. Les études furent conduites mollement; l'enseignement continua à être donné suivant les procédés qui s'étaient accrédités dans l'école par l'influence de Puteanus, de Ileimbachius et de leurs successeurs; il ne fut point soutenu par les travaux personnels des maîtres qui renfermassent le précepte et l'exemple. Quelques tentatives isolées, quelques efforts honorables, mais sans portée, ne contredisent point celle appréciation générale, fondée sur la réunion d'indices infaillibles. 11 n'y a aucune trace d'études dirigées avec suite dans l'une et l'autre des branches de philologie qui relevaient de chacune des trois chaires de Busleiden. La leçon de latin ne regagna d'aucune façon son ancienne renommée , malgré la haute opinion qu'on se fit en ce temps de l'élo- 362 MEMOIRE SUR LE COLLEGE quence et du savoir de quelques professeurs, de G.-J. Kerkherdere par exemple : on maintint l'usage d'expliquer dans cette leçon les historiens latins; mais la méthode était sans doute vicieuse, puisqu'il n'est résulté de ce genre d'explications aucun profit ni pour la critique littéraire, ni pour la science de l'histoire. La grammaire latine ne fut non plus l'objet d'au- cun travail de synthèse ou d'analyse, qui l'enrichît d'observations et de particularités tirées de la lecture des classiques : du reste elle était, dans la même période, enseignée utilement dans les cours d'humanités, au collège de la Sainte-Trinité, et c'est là qu'elle fut résumée dans quelques livres élé- mentaires, destinés aux seuls commençants K En 1768, la chaire de latin fut supprimée par les administrateurs de la fondation du collège de Bus- leiden , soit par des raisons d'économie, soit en considération de la mé- diocre utilité qu'elle leur semblait présenter alors. Il n'est pas nécessaire de prouver que ce fut au détriment des études littéraires, que les leçons éloquentes de Goclenius, de Nannius et de Valerius avaient su populariser. L'étude du grec ne fut pas plus prospère : après le long professorat de Fr. Martin, on réclama, comme nous l'exposerons bientôt, la nomi- nation d'un helléniste qui fût capable de la relever; mais cette motion n'eut pas de suite, et nous ne remarquons aucun signe de quelque réac- tion qui se sei'ait opérée au sujet de cette étude, déjà fort languissante dans le siècle précédent. Nous ne rencontrons pas une œuvre digne de quelque attention qui la concerne, si ce n'est cette grammaire concise et claire de Leemput, qui parut à la fin du dernier siècle, et dont nous avons dit les qualités ^. C'est en tout cas un fait personnel et fort tardif, qui n'infirme pas le jugement défavorable que toutes les autres circon- stances connues nous obligent à porter; on ne publie ni éditions, ni ver- sions d'auteurs grecs, ni commentaires d'un genre quelconque, et on ne s'inquiète pas suffisamment des travaux de l'époque relatifs à la publica- tion, à la traduction ou à la critique des Pères grecs, ou des écrivains ecclésiastiques de cette nation. ' Kerkherdere était encore professeur dans ce collège, quand il donna, en 1706, son abrégé méthodique de grammaire latine, dont il a été question plus haut. Voir chap. VI, p. 190. - Voir plus haut, chap. VII, pp. :22i-2o. DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 565 Quant à l'hébreu, c'est justice que de relever les efforts d'un petit nombre d'hommes pour en conserver la connaissance parmi les jeunes gens qui étu- diaient la (héologie d'une manière approfondie. Van lloven avait d'excel- lentes vues*; mais il ne forma pas d'école. D'autres encore, par exemple, Henri de Bukenlop et J. J. Guyaux, professeurs d'Écriture sainte, recom- mandèrent l'étude des langues ^5 mais ils n'eurent point d'action, et n'é- branlèrent aucunement la paresse et les préjugés. Paquot, qui était natu- rellement actif, mit à son tour la main à l'œuvre; mais les événements ont paralysé son zèle. Heuschling fut empêché de même par les conséquences d'une révolution et l'imminence d'une autre de rien entreprendre de solide. L'impuissance où furent les meilleurs maîtres à réveiller le goût de l'étude, même en invoquant les motifs les plus solennels, atteste assez que les dispositions de la jeunesse ne valaient pas mieux que les opinions des hommes influents et des fonctionnaires qui avaient l'obligation de veiller sur le progrès de toutes les sciences. Tant d'abus étaient réunis à la même époque, et conspiraient contre l'intérêt bien entendu des lettres, qu'on ne peut pas être trop étonné de la stagnation intellectuelle au milieu de laquelle s'éteignit le collège des Trois- Langues, création d'Érasme et de Busleiden. Le cumul des places était toléré en vertu d'arrangements administratifs établissant en apparence un ordre parfait. Il n'est pour ainsi dire aucun homme qui n'ait pris des charges diverses, se conciliant d'ordinaire fort mal avec l'enseignement philologique, et avec les travaux approfondis qui lui donnent quelque portée. Les nominations étaient faites le plus souvent en l'absence de véritables garanties sur la capacité et sur les habitudes la- borieuses des candidats; sans vocation déterminée, sans études prépara- toires, sans aptitude bien prouvée, des élèves de différentes facultés, licen- » Dans une ihèse qu'il présidait, le 18 décembre 1713, on discutait ce point : Recte ne sibi con- sulanl theolorji illi, qui Ihnjuarmn sacrae Scripturae oriijinaHum studio sibi supersedendum exisli- manl? Promutio in arlibus , lolio 76. (.MS. de Foppens.) Voir cliap. VIII, pp. 270-71. 2 Le t7 décembre 1720, Hagen présidait des tlièses sur ces questions: An thcologo ulilis sit sacrarum Linguarum periliu? An Scriplura sacra luquatur uliquando ut nos elium dum loquimur ex errore? (Promotio in artibus, folio 78.) Sur J. J. Guyaux, voir YOratio Je laudibus, etc.. pp. 140-45, et sur H. de Bukentop, les Mémoires de Paquot, t. I, pp. 661-63. 364 MEMOIRE SUR LE COLLEGE ciés es droits, licenciés ou docteurs en théologie, maîtres es arts, étaient investis par les proviseurs des chaires du collège de Busleiden, et de tels hommes prenaient dorénavant fort peu de souci de l'avancement des éludes. Il arriva aussi fort souvent que des ecclésiastiques, pourvus d'un grade théologique, ou revêtus d'une dignité ou d'une charge dans l'Église, ne se sont point appliqués sérieusement à la branche d'étude qui leur avait été confiée; ils n'ont exercé aucune influence ni sur leurs élèves, ni sur le pu- blic ^. Il y avait ici de leur part une déplorable méprise; convaincus que leur vocation les appelait ailleurs, ils n'auraient pas dû porter longtemps le fardeau de l'enseignement et de la science, puisque toute liberté leur était laissée de le déposer. On dirait même qu'il était du devoir de l'autorité de les forcer d'opter entre la vie de leur choix et la carrière active du profes- sorat. Si les vertus du presbytère et du cloître, partage des uns, sont des puissances auxiliaires qui assurent la prospérité et la force des sociétés chré- tiennes, à d'autres appartiennent les travaux de la pensée, qui fournissent à leur tour des armes dans la lutte incessante delà vérité contre l'erreur. Bien d'autres abus qui se manifestèrent dans le même temps n'ont pas porté moins de préjudice aux études; nous voulons parler des fautes per- sonnelles, imputables à ceux-là mêmes qui devaient être les défenseurs des bonnes traditions de l'école et les promoteurs de ses progrès. 11 y eut plus d'un exemple d'une triste animosilé contre des hommes qui se distin- guaient par les qualités de leur esprit ou par la spécialité et l'originalité de leurs travaux : Paquot ne fut pas le seul à en sentir les atteintes. Le mauvais vouloir et la jalousie que l'on montrait à qui ne suivait pas les sentiers ordinaires, à qui parlait d'améliorations et de réformes, devait décourager bien des esprits capables, tout le fait croire, d'imprimer une impulsion utile et vigoureuse à la science ou aux lettres. Les revenus du collège de Busleiden ne s'étant pas accrus par des legs ou des largesses, les honoraires affectés à chaque chaire ne paraissaient plus suffisants à la plupart des gradués de diverses facultés, et ils justi- fiaient ainsi la poursuite qu'ils faisaient d'autres charges académiques, ou ' Voir les trois chapitres de biographies, p;ir exemple, pp. 192, 2t9, 221-23, 269, 271 et 276. DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 363 de fonctions étrangères à l'Université. Dans cet état de choses, personne ne fixa son attention sur les besoins intellectuels du présent et de l'avenir; ni le gouvernement, ni les hauts dignitaires de l'Église et de l'État ne son- gèrent à donner un nouveau relief à l'enseignement d'un collège si célèbre; aucune mesure, d'autre part, ne fut prise au sein de l'Université pour suppléer à la modicité de la première fondation. L'indifférence pour le culte des lettres était entrée profondément dans les esprits : leurs droits, qu'on ne pouvait nier sans méconnaître les intérêts les plus précieux de l'instruction publique, trouvaient de i*ares défenseurs. La voix de ceux-ci n'était pas écoutée; auraient-ils réclamé plus hautement, on se serait con- tenté de leur répondre : « Nous ne nous soucions pas de vos raisons ! » comme autrefois l'Espagnol Jean de Vargas répondait aux représentations des députés de l'Université invoquant les immunités et privilèges qu'elle tenait des papes et des princes : Non curamus privilegios veslros! N'oublions pas de consigner ici quelques incidents connus parmi tous ceux qui ont marqué l'administration du collège, pour qu'on se fasse une idée de toutes les difficultés contre lesquelles l'œuvre se heurtait à chaque instant. Des conflits du même genre, toujours nuisibles aux intérêts de la science, s'élevèrent sans doute bien des fois à propos de nominations, soit en raison de l'aptitude douteuse des candidats, soit à cause des opinions divergentes des proviseurs. Un conflit d'une grande ressemblance avec celui qui avait eu lieu pour la chaire de latin *, surgit à la fin du XVII""= siècle entre les proviseurs de la fondation de Busleiden, au sujet de la chaire de grec. Il avait pour objet l'appréciation difl'érente que l'on faisait du mérite de plusieurs con- currents. Un des proviseurs du collège, le prieur de la Chartreuse de Lou- vain, avait nommé, en 1681, Rutger van der Burgh professeur de grec : opposition fut faite à cette nomination en faveur de François Martin, ir- landais, qui finit par rester maître de la place : nous l'ésumerons les inci- dents de cette aflaire en nous appuyant sur les notes inédites de Paquot -. La difficulté naquit de ce qu'au moment où la chaire de grec devenait ' Voir plus haiU , chapitre V[, la Notice sur L Gautius et B. Désirant, pp. t88-9l. ^ Fa««t, MS., 1. 1, p. 31 1. — Voy. la Notice sur ces deux hoinines dans le chapitre VII, pp. 2-20-2 1. 566 MEMOIRE SUR LE COLLEGE vacante par la morl de Jean cl'llamere, il n'y avait point de pléban à l'église de S'-Pierre, et qu'en .l'absence de ce dignitaire, un des provi- seurs de la fondation, le choix du candidat était déféré aux deux autres proviseurs, qui étaient alors François van Vianen, président des thèses, dites sabbatims, et François Bodart, supérieur des Chartreux. Le premier désirait la promotion d'un élève de son collège (le grand collège des Théologiens), Rutger van der Burgh, d'Amersfort (dont le nom est écrit Van der Borcht par Paquot), et il le désigna en vertu de son autorité, le 20 janvier 1681. Le second proviseur protesta aussitôt, et le 13 février suivant, il mit en avant François Martin, candidat qui était recommandé par Jean O'Sullivan, président du collège irlandais, et mon- seigneur Tanora, internonce apostolique. L'affaire s'engagea aussitôt d'une manière sérieuse , et fut instruite comme un véritable procès : il allais durer environ deux ans. Martin eut pour soutien de ses droits Nicolas Dubois, licencié en droit et en théo- logie, qui prit sa défense dans des pièces écrites et dans des discussions orales. Le débat ayant été porté à la connaissance du conseil de Brabant, le conseil désigna (probablement avant le 16 juillet 1685) Henri de Char- neux, alors recteur de l'Université, pour prononcer une décision : celui-ci établit un concours ou examen, et donna gain de cause au prieur des Char- treux. En conséquence, le candidat que ce dernier avait présenté, et qui avait été admis à professer provisoirement dès l'an 1681, François Martin, fut reconnu, en 1685, seul possesseur de la chaire de grec. Une seconde affaire, dont l'exposé ne saurait être mieux placé qu'en cet endroit, est la réclamation faite hautement, en 1722, par un des provi- seurs du collège de Busleiden, le pléban J.-B. Schoeps, de l'église de Saint- Pierre, à propos de la collation de la chaire de grec devenue vacante par la mort de ce même Martin, dont nous venons de raconter la nomination ^ Fr. Martin était mort le' 4 octobre 1722, et presque aussitôt après, le premier d'entre les collateurs de l'établissement auquel il avait appar- tenu, le pléban de S'-Pierre ci-dessus nommé, demandait au recteur et ' Nous donnerons une idée sommaire des causes et des incidcnls de ce débat, en nous servant de pièces manuscrites, dont quelques-unes sont les originaux, et qui appartiennent à M^' de Ram. DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 367 à l'Université de pourvoir à la chaire de langue grecque d'une manière solennelle, à l'aide d'un concours public. H s'appuyait sur l'absence de candidats d'une capacité bien reconnue; il invoquait des motifs tirés de l'esprit même de l'institution, et rappelait le concours institué naguère, lors de la nomination de Martin, pour mettre fin au dissentiment des pro- viseurs. Le pléban Schoeps ne se contenta pas de s'adresser à l'Université pour faire valoir son opinion; il exposa ses vues peu de temps après dans une i-equête, et l'envoya au gouvernement de l'empereur et roi. Au nom de Sa Majesté, deux apostilles furent mises à Bruxelles sur cette requête ^ Dans l'une et dans l'autre, il est interdit aux proviseurs et coliatcurs de procéder à la collation de la leçon de langue grecque ; seulement, dans la première, en date du 5 octobre 1722, l'affaire était renvoyée à l'avis du recteur et de l'Université de Louvain, « ouïs les trois proviseurs et collateurs de la leçon » ; dans la seconde, en date du 5 no- vembre 1722, on déclarait que, « quant k présent, il suffira de demander l'avis du recteur magnifique. » C'est à ce dernier parti que se rapporte une lettre du marquis de Prié, ministre plénipotentiaire pour le gouver- nement des Pays-Bas, adressée le 5 novembre au recteur de Louvain. Dès le mois d'octobre, les deux autres proviseurs du collège de Bus- leiden avaient fait diligence de leur côté pour paralyser l'effet de la pro- testation de Schoeps ; c'étaient alors le docteur Ilermann Damen ^ et le frère Bruno Hermann, supérieur de la Chartreuse de Louvain. Ils s'étaient adressés à plusieurs reprises au recteur pour se plaindre des procédés inusités, et h leur avis illégaux, du pléban de S'-Pierre, et pour s'opposer à ce que l'affaire fût déférée a l'Université, comme celui-ci le voulait. Ils demandaient au recteur d'abord de réunir le collège des proviseurs dans le délai de deux jours,, pour que l'affaire pût être entamée. Le 22 octo- bre 1722, ils revinrent à la charge, et sollicitèrent du recteur la convo- cation dudit collège des proviseurs pour le lendemain 25 octobre, a dix » Une copie authentique en fut faite et communiquée, le 1 1 novembre 17^22, par E. Stalgoet. notaire apostolique. 2 Promu docteur en 1691, II. Damen, deTongres, qui professait la théologie au Grand Collège, avait succédé à M. Steyaerl dans la présidence des Sabbntines {Oratio de laudibus, etc., pp. l32-5i). Tome XXVIIL ^8 368 MEMOIRE SUR LE COLLEGE heures du malin. Dans celte pièce, les deux signataires se portaient garants de la capacité de plusieurs candidats qui se présentaient pour la leçon de grec ^ Ils se fondaient sur le relus du pléban de convoquer le collège en sa qualité de premier proviseur, et ils faisaient valoir le dommage que causerait aux études la longue vacance de la chaire de grec au commence- ment d'une année académique. La convocation du collège ne se fil pas, malgré le désir de ces deux sol- liciteurs , et l'affaire fut portée sans retard au siège du gouvernement, comme le prouvent les deux apostilles donl nous avons parlé ci-dessus. Tout en se réservant le droit d'intervenir plus tard, le cabinet de Bruxelles remit l'instruction de toute cette affaire d'abord au recteur et à l'Univer- sité, puis au recteur seul. C'est alors que le pléban Schoeps fut prié deux fois par le recteur de lui communiquer l'annexe à sa requête, présentée au Conseil d'État '-. Une première fois, Schoeps répondit qu'il n'avait pas cette annexe, et qu'on lui avait dit que la simple présentation de la requête suffirait; la seconde fois, il répondit que l'annexe était restée au greffe du Conseil d'État, mais qu'il avait retenu une copie de l'original, et que, s'il plaisait à sa Magnificence, il fournirait des copies authentiques. C'est d'après une copie de cette pièce justificative, signée par Jean Baptisle Schoeps, et datée du 15 novembre 1722, que nous avons pu prendre connaissance des vues qui dirigeaient ce dignitaire ecclésiastique dans son opposition à ses deux collègues. La pièce a pour titre : Judicium plebani Lovaniensis in causa coUalionis lectiotiis graecae; elle porte à la fin , près de la signature de son auteur, les mots suivants, écrits de sa main : Rogans rnagnificiim D. Hectorem qualenus lias rationes cum judicio suo ad sacram suam Caesar. et Reg. Majestatem mittere dignetur. La pièce latine dont nous parlons est un plaidoyer vigoureux en faveur d'une juste sévérité dans la collation de la chaire de grec : elle est inté- ' Ad quam eliam plurcs se praesentant qui ad eamdem lectionem . ul infra scriptis constat , recte doceiuluiu siiiit capaces. ^ Atlestalioi) du notaiie aposlolique Slalgoet, relative à ces déiiiarclies officielles, faites en date du 51 oclobie et du 7 uovembie. DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 369 ressanle en ce qu'elle montre chez son auteur une profonde intelligence des besoins de l'enseignement supérieur et des hautes études en notre pays ; elle établit un parallèle entre les destinées des lettres anciennes et l'organisation des autres éludes, et elle le présente dans son ensemble d'une manière si nette et si instructive, que nous ne balançons pas à don- ner, dans les pièces justificatives ^ le texte de ce réquisitoire, rédigé d'un bout à l'autre avec sens et modération. Une courte analyse nous servira à montrer ici sous quel rapport l'intérêt du morceau nous semble très-grand. J.-B. Schoeps énumère les garanties de savoir et de capacité exigées à l'Université dans toutes les autres parties de l'enseignement, et soutient qu'il n'existe rien de semblable relativement à l'enseignement de la langue grecque. Cependant, la chaire spéciale, instituée à cet effet par Busleiden, doit être maintenue à sa première hauteur, comme l'exigent les motifs les plus graves, l'esprit de l'institution, la réputation de l'Université, le bien de l'Église et de l'État. L'importance des éludes grecques est de premier ordre dans une Univer- sité; la connaissance approfondie de celte langue est le fondement d'une érudition solide, la condition d'une culture féconde et profitable de toutes les sciences; mais elle est entourée de graves difficultés. Non-seulement elle exige une étude longue et sérieuse, mais encore elle suppose, pour atteindre à toute son utilité, pour produire tous ses résultats, la connais- sance de l'histoire et des antiquités : elle s'adresse à la fois au théologien, à l'historien, au jurisconsulte, au publiciste. Ce n'est pas sans une grande préparation que l'on parvient à interpréter avec fruit les auteurs dont parle le testament de Busleiden, les auteurs chrétiens, surtout les Pères de l'Église, les écrivains moralistes, les philosophes et les orateurs, sans oublier le poëte par excellence, Homère. Afin de parvenir à ce but dans l'institution de Busleiden, Schoeps pro- pose d'établir des épreuves publiques, dirigées par des hommes instruits, et obligatoires pour tous les candidats à la chaire de grec. S'il ne peut s'appuyer sur des règlements antérieurs, il invoque, pour justifier ses vues, les nécessités de l'époque. * Appendice. Lettre K. 370 MÉMOIRE SUR LE COLLEGE La question imporlanle dans noire sujet n'est pas précisément de savoir si Sclioeps a dépassé le droit de représentation que lui donnait son titre de proviseur; le fait principal, c'est de constater qu'il a plaidé avec intel- ligence en celte occasion la cause des bonnes et solides études. Différents motifs ont pu s'opposer à l'institution du concours difficile dont il faisait une rigoureuse obligation pour la collation des cbaires de belles -lettres; mais il semble qu'en réalité, la réforme qu'il sollicitait a été sacrifiée à la crainte de toute innovation. Quoi qu'il en soit, il lui reste l'honneur d'avoir mis le doigt sur une des plaies de l'organisation de la Faculté des Arts, sur l'absence de garanties scientifiques dans les candidats présentés. Quand on voit, par les détails dans lesquels nous venons d'entrer, à quel point les réclamations les mieux fondées sont restées sans efficacité, on ne s'étonne plus que les éludes classiques aient décliné toujours davan- tage au collège des Trois-Langues, et qu'elles aient baissé en même temps dans la plupart des établissements d'instruction moyenne de la Belgique : il est arrivé qu'il « n'était question de la langue grecque dans presque aucun collège, et que dans ceux où l'on daignait encore s'en occuper, on s'y bornait à la simple connaissance des éléments *. » Il y eut, à n'en pas douter, relâchement dans la direction scientifique du collège de Busleiden, comme il y eut insouciance dans la jeunesse qui était appelée par le but de ses études à profiter de celte fondation. Dans une des notes annexées au rapport fait sur l'état du collège 2, du temps de la présidence de Henri Wouteis, vers 1783, sous le rectorat de van Leem- poel , on lit : « Il serait à désirer que les professeurs chargés de donner les leçons de la langue grecque et hébraïque, qui sont payés par ce collège, fussent obligés de remplir exactement leur devoir, el que les étudiants fussent également obligés de se rendre ausdites leçons. Il y a des Univer- sités oîi ces deux leçons sont attachées aux chaires du Vieux et du Nouveau Testament. Il résulte quelquefois de cette disposition que les professeurs font très-peu de cas de ces langues, et n'eu parlent que pour autant qu'il ' J.-B. I.esbroussart, De l'éducation belgique. Bruxelles, 1783. - Pièce citée au cliapitrc IV (pp. 108-1 1 1). Il s'agit de la noie 6 , qui suit des observations rela- tives à la situation financière de l'établissement, et qui termine le rapport signé par van l.eempoel. DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 371 est nécessaire pour l'explication du Testament; de sorte que les leçons des langues se réduisent à rien, d'où il s'ensuit qu'on ne les cultive pas, et un autre inconvénient qui n'est pas moindre, c'est qu'il ne se trouve à ces leçons que des théologiens : or, ces langues, et spécialement le grec, sont très-utiles à d'autres sciences qu'à la théologie. » L'observation qui termine cette note a quelque portée, si l'on considère l'application diverse qui devait être faite des langues savantes à l'Écriture, aux sciences théologiques, à la connaissance des Pères, ainsi qu'aux sciences profanes, comme J.-B. Schoeps l'avait si bien démontré en 1722. L'étude du grec ou de l'hébreu n'était pas identifiée, par les statuts du collège des Trois-Langues, avec celle des livres saints, comme il en fut au Séminaire général, où, par exemple, l'enseignement de la langue- hé- braïque fut confié à Henri Wouters avec le cours sur l'Ancien Testament; mais il n'est que trop vrai que les leçons du collège n'étaient plus suivies par un certain nombre d'étudiants de différente vocation, comme par le passé. Toutefois, quand on voit plus tard les élèves réunis au Séminaire général prolester contre l'obligation imposée par le règlement d'assister aux leçons des langues hébraïque et grecque ', on ne pourrait attribuer leur démarche uniquement à des habitudes de paresse : elle avait certainement sa raison dans la défiance que leur inspiraient les tendances de leurs nou- veaux maîtres, et dans la légèreté avec laquelle on avait traité récem- ment l'herméneutique sacrée dans les Facultés théologiques de Bonn et de Vienne. Malheureusement aucune main habile et forte ne toucha aux abus qui nuisaient le plus à l'organisation d'une école telle que le collège des Trois- Langues, et il n'y eut point concert entre les pouvoirs dont l'intervention eût agi le mieux sur l'opinion du corps enseignant et sur l'esprit des élèves. Le gouvernement des Pays-Bas autrichiens, qui s'occupa souvent de réformes dans le système de l'instruction publique, ne se montra pas disposé à accorder aux études littéraires à Louvain un patronage généreux et désintéressé. De son côté, l'Université de Louvain, toujours inquiète, ' La pièce a été publiée dans les Mémoires de Bapédius de Berg, tome II, p. M. 372 MEMOIRE SUR LE COLLEGE, etc. el souvent non sans motifs, du moindre changement à ses statuts, ne prit aucune mesure d'ordre intérieur pour relever l'enseignement littéraire, une des nécessités de l'époque, pour reporter de ce côté ce qu'il y avait peut-être de superflu dans ses ressources employées à l'entretien de ses collèges et de ses Facultés. Il est à regretter que l'Université n'ait pu donner un appui solide à l'établissement de Busleiden , et le maintenir à quelque hauteur à côté de ses institutions richement dotées : infailliblement, le collège des Trois- Langues lui eût donné en retour autant de force et de relief qu'il avait pu lui en prêter deux cents ans auparavant; en lui conservant la gloire des lettres, il eût contribué à augmenter encore son influence et son ascendant. Si les bonnes traditions d'autrefois étaient restées toutes en hon- neur, évidemment la puissance nouvelle qu'elles auraient communiquée à VAIma Mater aurait commandé le respect aux adversaires conjurés contre elle à la fin du siècle passé, et à ceux des écrivains modernes qui se font ses détracteurs par système. A la lumière de ces nouveaux succès litté- raires, on eût mieux aperçu les incontestables services que l'Université n'a cessé de rendre jusqu'à son dernier jour à beaucoup de branches im- portantes de l'enseignement. PIÈCES JUSTIFICATIVES. A. (Voir cliiip. 11. |i. 58.) Essai d'une généalogie de la famille des Busleiden '. i° Jean de Busleïden, chevalier, seigueur de Busleyden, vivait eu 1252, et épousa Françoise de Brusfeld, fille de Warner, chevalier, sire de Brusfeld , de (jui il eut: 2° Pierre, écuyer, mort en lôGG, qui épousa Marguerite de Matborch, de qui il eut: 5° Pierre, chevalier, naort en 1412, qui épousa Odile de Dobbelstein, de qui il eut: 4° Henri, chevalier, mort en 1419, qui épousa Marguerite van Etteren, de qui il eut: o" Gilles, seigneur de Ghiers et de Busleyden , lait chevalier par Philippe le Bon * et chambellan de Charles le Hardi, il épousa Jeanne de Musset, de qui il eut : G" Gilles % chevalier, seigneur de Busleyden, Ghiers et Ter-Herst, Rode et Sortelaer, mort en 155G; il épousa Adrienne de Goudeval, vicomtesse de Grimberghe, fille de Nicolas, chevalier, maître d'hôtel de l'archiduc Philippe, qui acheta, en 1512, le vicomte de Grimberghe. Gilles eut de sa femme : 7° a. François, chevalier, seigneur de Herst; b. iNicoLAS, chevalier, seigneur de Busleyden, Ghiers et Ter-Tammen , vicomte de Grimberghe (son fils du nom de Gilles de Busleyden lut bourgmestre de Bruxelles. — Nobil. des P.-B., 1. c, p. 116); c. jÉRô.nE, gentilhomme de la maison du pape , à Rome ; d. Guillaume *, écuyer, qui mourut, laissant seulement deux bâtards; e. Anne, qui épousa Arnold d'Eynalten , chevalier, seigneur de Schoonhoven et d'Heuxelen. ' Nous reproduisons, sans pouvoir la rutlilier, la première esquisse d'un lableau généalogique laissée par Paquot, au tome I de ses Fasli acad. Lov., fol. 470. On remarquera qu'il adopte Busleyden. ' .4nobli par lettres de février 1471, il fut secrétaire et greffier de l'état noble de Luxembourg. Nobiliaire des Pays-Bas , Louv , 17G0, part. I, p. 10. ' Les autres frères de Gilles étaient François, archevêque de Besançon, Jérôme, chanoine de Cambrai, de Sainte- Gudule, etc., et prévôt d'Aire, et enfin Valérien. * Guillaume Busleiden , qui, comme membre de la famille, avait droit de présentation aux chaires du collège, inter vint, en 156U, en faveur de Petrus Pierius à Smenga, sollicitant la chaire d'hébreu. Voir ci-dessus, chap. VUI . p. 24><. 374 MÉMOIRE SUR LE COLLEGE L'historien du Luxembourg, le P. J. Berlholet, cite parmi les maisons nobles de ce pays ' : Busieiden ou Bauschleiden près d'Arlon, mais de la prévôté de Bastogne, « qui portait d'argent à la fasce de gueules, ayant en pointe une rose de même et, selon quel- ques-uns, d'azur à une rose d'or à la fasce haussée de même. » B. (Voir chap. Il, p. 47. ^ Extraits du Testament de Jérôme Busieiden, relatifs à l'érection du collège des Trois- Langues. Foppens a reproduit celte pièce an tome IV de la Diplomatum Belgicorum nova col- lectio, qu'il a publiée comme supplément aux Diplomala Belgica d'Aub. Miraeus ^. iVous nous contenterons d'analyser les préliminaires du Testament de Jérôme Busieiden et les dispositions qu'il a prises en faveur des pauvres, des églises auxquelles l'attachaient ses titres, et de quelques membres de sa famille '. On verra que le promoteur des études nouvelles n'avait pas désappris le langage de la foi chrétienne et mis en oubli les œuvres traditionnelles de la charité. Testamentum, vere pium, revercndi admodum D. Hieronymi Buslidii, preslnjleri, Praepo- siti ecclesiae Aeriensis in Arthesia, nec non ecclesiae S. Rumoldi Mcchliniae Canonici; in quo etiam exhibetiir institiita per illum fundaiio celebris collcgii Trilinguis, sive Busli- diani, in academia Lovaniensi, anno 1517. In nomine Sanctae et individuae Trinitatis, Patris et Filii et Spiritus Sancti, amen. Ouoniam caduca et fragilis est vita humana, et cujuscumque vocationis hora incerla adeo ut quo in loco, quo lempore ea nos exspectet nedum sciamus, verum id salis qui- dem prospicere nequimus; ergo nos illam exspectare omni tempore, onini momento debe- mus, memores verbi Apostoli, quia iila non lardât, et quae de terra sunt in terram rever- tunlur Quare ut concedente Deo adhuc corpore sospes, et mente sanus, ad meum , non alienum , arbitrium rem omnem mihi a Deo colialani proinde disponam, trausitoria scilicet in aelerna, felici quodam commercio commutando, curavi iilud Isaïae imilari, dispone Domui tiiae, quia moricris et non vives, etc. « Ego IIiERONYMus BusLiDius Aricusis Praepositus, statui hoc Testamentum condere, ' //ist. ecclés. et civile du duché de Luxembourg , t. \l, p. 42. - Tonnis IV, Bruxellis, ap. Petrum Foppens, 1748, in-folio, pp. 042-48 (capul CXXVIll). " l/édileur n'a omis dans celle pièce que quelques délails concernant des affaires delà maison liusieiden. DES TKOIS-LANGUES A LOCVAIN. 375 meo cirograplio subscriptuin, et sigillo muuitum; ciii ita vim esse volo , si id ipsum toium.vel ejus parlem anle niortem non revocem. » Après une prière Irès-humblc adressée au Dieu Créateur dans les termes de l'Ecriture , le testateur, qui est à la veille d'un long voyage, règle ce qui concerne sa sépulture s'il vient à mourir , soit en deçà , soit au delà des Pyrénées : « Deinde hoc vile cadaver meum, vitiis proh dolor! multis conlaminatum, quia ter- reum est, staluo terrae reddendum; idque minori quo fieri poteril pompa, atque impensa inhumandi, videlicet in clioro basilicae divi Rumoldi opidi Mechliniensis, ad latus dex- trum sumnii altaris; et hoc, si in hac profectioue mea Hispanica clauserodiem extremam in regno Franciae, aut citra Alpes. » Item volo, ut ad parietem conliguum monumenti mei infigatur tabella illa depicla, quae extat in oratorio domus meae, et liant duae alae ad praefatam tabellam in quarum altéra depingalur repraesentalio mea, in altéra inscribatur epitaphium aliquod in mei memoriam. » Si vero in Hispania moriar, aut ultra Alpes, cu[iio inhumari in acde divi Bernardi juxta Toletum, in sarcophago, in quo frater meus archiepiscopus Bisunlinus positusesl. » Ensuite, Jérôme Busleiden établit à perpétuité une messe quotidienne de Requiem dans l'église où il aura reçu la sépulture et ordonne, outre la célébration de nomhreux sacriljces après sa mort, une distribution d'aumônes (veris pauperibus Chrisli) montant à la somme de deux cents florins du Rhin. Il fonde, de plus, un service anniversaire en l'église de Saiul-Rombaut à Malines avec les mêmes libéralités, dont avait donné l'exemple Charles de Ronchicourt, conseiller ecclésiastique en celte ville, mort le 15 juillet 1506. Puis viennent les autres églises d'où Jérôme Busleiden tenait ses diverses dignités' : à l'église de Saint-Pierre, à Aire, il lègue cent florins du Rhin, et il y fonde également un anniversaire^; à la fabrique de chacune des églises de Sainte-Waudru à Mons et de Notre-Dame de Cambrai '% il lègue vingt florins du Rhin , et de même aux églises de Sainte-Gudule à Bruxelles et de Saint- Lambert à Liège; il en lègue cent à l'église paroissiale de Steenberg et le même nombre au couvent des Carmes d'Arlon , fondé naguère par son père. Dans les trois mois qui suivront sa mort, J. Busleiden entend qu'une somme de trois cents florins soit distribuée aux pauvres par les mains d'Adrien Josel, chanoine d'Anvers, à qui il a manifesté formellement cette intention. Puis, Busleiden prend une disposition particulière au sujet de la maison qu'il liabi- ' Voy. plus haut chap II. ' Piévôt (le l'cglise d'Aire, qui possédait un morceau de la Vraie-Croix du Sauveur, Jérôme Busleiden fil don à cette église d'une grande croix dorée, ornée des insignes de son frère François, autrefois archevêque de Besançon ; il manifesta à ses anciens confrères du chapitre le désir exprès que la relique susdite fut enchâssée dans cette croix . et qu'elle fût ainsi portée à la procession , comme on était accoutumé à le faire jadis. Testant, ibidem. ' Archidiacre de Cambrai , il légua en outre dix florins du Rhin à l'aumônerie de cette église. To^iE XXVHI. 49 376 MEMOIRE SUR LE COLLÈGE tait à Malines, et qui se composait d'achats successifs et de constructions nouvelles par lui ordonnées. Il charge ses exécuteurs testamentaires de vendre cette maison au plus haut prix possible, et de faire du produit de ce bien trois parts égales attribuée l'une à son frère Égide ou Gilles, l'autre à son neveu François, fils de son frère Valérien, et la troisième aux boursiers de la fondation ci-après désignée. C'est aussi à cette fonda- tion que doivent être rapportées les maisons contiguës à sa propre demeure qu'il a pré- cédemment décrite : il est donc exact de dire qu'à part la réserve qu'il faisait pour cette maison de Malines et la valeur des legs et aumônes qu'il prenait soin d'énoncer, J. Bus- leidea faisait passer la plus grande partie de sa fortune dans l'institution universitaire qui porterait le nom de Collège des Trois-Langues. C'est un tel dessein bien mûri dans son esprit, qu'il a exposé avec détail dans son testament dont le texte suit : « De reliquis omnibus bonis meis, tam mobilibus quam iramobilibus institui volo et stabiliri unum CoUegium, in Universitate Lovaniensi , in coliegio sancti Donatiani, si ipse locus commode obtineri possit : vel alias in coliegio Atrebatensi. » In quo erunt tredecim Bursae, eo modo, ordine et forma, ut infra patebit. » Primo octo Bursae pro octo juvenibus, valoris viginti quinque florenorum Renen- sium communium, qui propriorum parentum sacramento, ac insuper provisorum ipsius coUegii infra nominalorum diligenti examine vere pauperes probati sint, quorum pa- rentum facultates nullo modo suppetant, quibus honeste in studiis litterarum alerentur ipsi juvenes; scilicel ipsos a parentibus annuos viginti quinque florenosRenenses com- munes recipere non posse, sine status et conditionis ipsorum parentum nolabili detri- mento. » Item quod sint légitime matrimonio procreati; ita ut eorum duo sint Buslydii, aetatis decem annorum, ad omne minus, quorum ingenium ac indoles et jam percepta aliqua litteratura spem praebeant fuluiae probitalis. » Praeterea duo Marviliani, duo Arelunenses, unus Ariensis, et unusSteenbergensis, modo sint boni ingenii et competentis lilteralurae, cujus communiter mediocrem pri- marium Lovanii esse decet, ac alias taies, ut inde notabilis in Ecclesia Dei fructus sperari possit, et qui decimum tertium annum attigerunt. )> Quos omnes, simul et alios duos juvenes, de quibus postea dicetur, volo juxta statuta Universitatis visitare Lectiones Grammatices et Philosophiae, usque ad gradum Magisterii, quem adipiscenlur si velinl; ad quem parentes necessariam impensam mi- nistrabunt. » Diebus vero dominicis et festis, loco lectionum quas in Collegiis Artium audirent a praeceptoribus, in hoc meo coliegio principia et rudimenta prima capiant in Linguis Graeca etHebraïca; simul accipientes aliquod linguae latinae, cujus principium habent, additamenlum a Praeceptore Latino. » Qui quidem Praeceptores , cum dictis diebus publiée non legant, ipsos juvenes fideliter instruere tenebunlur. » In eventum aulem, quo laies ex jam dictis locis non haberenlur eo modo qualificali. DES ÏROIS-LANGUES A LOUVAIN. 377 ut supra; lune ex locis propinquioribus aliquos subslilui volo et surrogari, ejusdein scilicet conditionis, idoneilatis et qualitalis. Loca vero propinquiora inlelligo, quae ultra tria aut quatuor milliaria vulgaria a locis praenomiiialis respective non distant. » Quod si plures ejusdem loci praerogativa aeque qualilicali concurrerint, prael'e- rendus esset pauperior, modo non sit omnino liebetis ingenii, aul alias minus aptus ad litleras, seu alias reprobandus. » Très autem aliae Dursae pro tribus Praeceploribus, viris undecumque eruditis, probatis raoribus et vilae iuculpatae statuentur; qui in dies legant et proliteantur publiée in eodem coUegio, tam chrislianos quam morales, ac alios probatos auctores omnibus eo adventanlibus, in tribus Linguis, Latina scilicet, Graeca et Hebraica, diversis horis, pro sua et auditorii commodilate dislribueudis, sine aliquo stipendie ab adventantibus exigendo , et non exacte acceptando. » Salvo, quod in cubiculis suis particulares lectiones exercere poterunt; pro quibus ab auditoribus stipe'ndium récipient, modo taies particularium leclionum commodum et fructum leclionum publicarum non impediverint. B Quod diligenter investigabunt et prospicient mei Provisores, et Praesidens; qui eas pro publica et commuai utilitale prohibere poterunt. » Si insuper aliqui Praelati aul nobiles lectiones publicas visitantes eis aliquid obtu- lerinl , hoc ipsum honeste et cum gratiarum actione récipient. » Volo tanien , hujusmodi dona et munera extraordinaria ipsis tribus Praeceptoribus esse communia , et eis per aequales dividi portiones. » Horum slipendium taie erit; videiicet duobus Praeceploribus Graeco et Hebraïco, qui ex locis remotioribus accersentur, modo Lovanii aul alibi vicinis non reperianlur aeque idonei et docti, cuilibet slipendium deslinabilur duodecim librarum Monetae Flandricae, sallem per decennium. Ad quod majus slipendium slatuendum, me induxit rei novilas, et ipsius principii dillicultas; quam ferlasse mulli vel apprime lillerati rejicerent aut négligèrent; qui aliquantulum majori stipendie ducli , ad islud negolium peragendum velieraenlius incilarenlur. Praecepleres eliam ipsos ex aliis Universilatibus haud facile necparvo stipendie allicere valerent, qui eo faciiius advolabunt. » Verum tertius praeceptor latinus, qui in lingua selum latina praefatos auctores pro- lilebitur, lanlum sex libras ullra bursam seu meusae portionem recipiet; idque semper sine aliqua diminuliene. » Et pest decem annos praefatos, Graecus Praeceptor et Hebraicus récipient tantum modo octo libras; attente quod lapsu temporis hujus decennii istarum linguarum traditio levier et magis vulgata reddclur; per quod et praecepleres alii pro hoc stipendie facile acquirenlur, ex his qui dictis artibus praefalo décennie durante incubuerint. » Ipsi tamen antiqui Praecepleres semper pre bec stipendie, si velint, in suis lectio- nibus permanebunt, modo fuerinl diligentes, nec in negolio torpeaul. » Poteril nihilominus diclum majus slipendium, vel pre necessilale, vel magna uti- lilate per meos provisores ad duos aut Ires aunes contiuuari, extra diclum decennium ; modo id commode per facultates liceat. 578 MEMOIRE SUR LE COLLÈGE i> Quorum triuni mensae porlio merilo instiluetur sex librarum similiuin. liabila ratione dignilatis et excellentiae ipsorum Praeceptorura. D Ex aliis aulem oclo libris nionetae Flandricae reslanlibus ex slipendio deceniiali, aul adliuc extra duos aut 1res annos de tjuibus supra, Praeceptoribus Graeco et Hebrako statuto, institui volo duas bursas similes bursis dictorum ipsorum juvenum , pro duobus juvenibus quorum aller Mechliniensis, aller vero Lucemburgensis eril, e]ualifîeali ul supra. » llem omnes bi juvenes obligabunlur singulis diebus inleresse Missae, et ibi pro anima lundaloris et parenlum ejus légère vigilias mortuoru-m in sacello ipsius follegii ; in quo perpétua missa t'undata est, quae est viginti llorenorum Pienensium, earaque ad triginta florenos Renenses communes augeri volo; scilicet ex mea fundalione decem ilo- renos Renenses communes superaddendo; sub bis lamen conditionibus et oneribus infra dicendis. » Scilicet ut imprimis ter aut quater in hebdomade legatur missa de deiiinctis; in aliis vero duplicibus et triplicibus et aliis diebus hebdomadae legatur missa de lempore, et addatur collecta pro fundatore def'unclo. » El in fine missae leget presbyter celebrans, respondenlibus ipsis praeceptoribus, et juvenibus Bursariis De profundis cum collecta , pro anima fundatoris et parenlum ejus. » Item eliam in eodem sacello celebrari volo quater in anno anniversarium, videlicet in quatuor lemporum primo die , in quo très missae celebrabunlur, quarum unam decan- tabit ipse sacerdos, qui missas quotidianas célébrât in eodem loco. » Duae vero aliae per duos aliossacerdotes ad boc par praesidentem invilatos celebra- bunlur et legentur; una quidem anle missam canlatam, altéra post, et cantabil unus eorum epistolam, aller vero evangelium, juvabuntque juvenes in cantando ipsam mis- sam. Observabuntur insuper vigiliae die praecedenle, quibus omnes hi sacerdoles inte- resse debebunl, cum praesidente, praeceptoribus et juvenibus; praefatique juvenes in eis novem iectiones decantabunt, et in ipsa missa prosam Dies illa, (lies irae, etc. Et post missam decantabuntur commeraorationes et preces illae anle ihrenum, Subvenite Sancii Dei, etc., qui pro dei'unclis subnecli soient. Pro quibus omnibus ordino octo llorenos annuos et perpetuos, per praesidentem ejusdem collegii in bunc modum distribuendos. Primo : in quolibet anniversario erunt duae candelae cereae pro decem stuferis, et qui- libet dictorum trium sacerdotum recipiet sex stul'eros, ipsique simul cum praeceptoribus prandebunt. » Duodecim autem stuferi rémanentes, pro aliquali portionis illius prandii augmenio, et ipsorum trium praeceptorum vino sumentur; et in fine hujus prandii legelur per sacer- dotem qui missam canlavit, respondente praesidente, aliis sacerdotibus, praeceptoribus et juvenibus. Miserere, cum De profundis , et collecta. » Decantabuntur praelerea in dies in eodem sacello per ipsos juvenes Bursarios laudes Salve Résina, adstantibus praesidente et praeceptoribus; in quibus ipse sacerdos cele- brans dictas missas quotidianas cantabil collectam, si fuerit praesidens ipsius collegii, aut alius sacerdos de dicto collegio. Si vero fuerit exlraneus sacerdos assumendus pro bujusmodi missis celebrandis, lune Bursarius senior eandem collectam decantabit, ne talis sacerdos in dies ad laudes veniendo nimium gravetur. DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 579 » Item tenipore prandii el coenae (juvenum dico) aliquis jiivenum quolibet die leget in aliquo lalino auclore prol)ato, juxta ordinalioneni ipsorum praeceptorum , termmabi- turqiie hiijusmodi leclio, cum praesidenti visum lueril oporlunuin. » Item volo unum esse receptoium bonorum et reddituiim dicli collegii , cujiis slipen- dium annuum crit vigiuti' llorenorum Reneusium communium; ejiisque erit singulis annisstaluto aliquo die coram ipsis Provisoribus et in praesentia diclorum Praeceptorum reddere ralioiies suas et computum; quibus parabitur prandium : pro quo lego supra porlionem ipsorum praeceptorum, quae luuc eis erit communis, Iriginta stuferos : ad quod ipsum prandium limito. > Quo peracto, dabit praesidens cuilibet provisori decem sluloros; qui si hujusmodi statuto dievacarenon possint, difl'eraturin aiium diem.int'ra tamen meiisem , sub poena perditorum dictorum decem stulerorum. » Nec volo, quod aliis committant vices suas, ni forte unus eorum; ita videlicet, quod ad minus semper duo eorum |)ersonaliter intersint. » Hoc muuus seu officium receptoris simul habebit ipse Praesidens collegii , qui cum dicto stipendio pro praesidentia retinebit Bursam praesidentis anliquae fundationis, quae est viginti Pienensium. » Et in emolumentis ex commensalibus provenientibus cum tribus ipsis Praecepto- ribus aequaliter parlicipabit. » Insuper praedictam missam quotidianam in eodem coilegio celebrabit. si velit, et ad hoc commode vacare poterit sine dispendio, aut citra incommodum ipsius collegii. Si vero eandera celebrare recusaverit , aut id ex re collegii lacère non debeat, ordinabunt mei provisores aliquem ex ipso codera coilegio sacerdotem, qui id muneris subeal; et si nullus ibidem fuerit, tune aliquis sacerdos vicinus, vir bonae vitae, per ipsos ad istud officium assumetur, dictamque summam triginta lîenensium recipiet. Item poterunt a dictis praesidente et praeceploribus honesti aliqui commensales assurai, usquead nume- rum octonarium, non ultra, in eadem mensa; et utililas hinc proveniens cedet, partira in rem ipsius collegii et reparationem , partira vero in ulilitatem ipsius praesidentis et praeceptorum, el hoc acquis portiouibus. » Poterunt et juvenes aliqui in mensa ipsorum juvenum Bursariorum, usque ad nu- raerura qualernariura, dummodo sint de familia et gente ipsius fundatoris, aut praesen- tati et nominati, per eos ad quos praesentalio ipsorum Bursariorum speclabit, meos scilicet successores, de quibus inlVa dicetur. » Qui juvenes solvent irapensas suas juxta discretionera ipsorura provisorùra, habita ratione teraporura et penuria victualiura, utilitasque inde proveniens applicabitur, ut supra. » Horura autem omniura jgvenura coraraensaliuraque sic assumptorum non bursa- riorum quilibet supra impensas mensae singulis annis exsolvere tenebitur unam librara grossorum, attenta doctrina speciali, quara ex ipsis praeceptoribus conlinuo accipient; ' Fiyinti quinque , in apographo. 380 MEMOIRE SUR LE COLLEGE cum quibus familiariter super dubiis loquenlur; tolaque summa hinc collecta ipsis tribus praeceptoribus clistribuetur aequalibus portionibus. » Item ipsi Bursarii juvenes per vices, seu aiternalim mensae ministrabunl, juxta ordinationem praesidentis; slerneiilque lectos praesidentis, et ipsorum praeceptorum. Unus autem praeceptorum semper mensae juvenum praeerit; quod onus eorum cuiiibet per hebdomadas incumbet. » Volo praeterea, omnes ipsos juvenes Bursarios cum assumentur ad bursam, Busli- diis et Steenbergensibus dumtaxat exceptis, dare in manibus praesidentis unam libram grossorum Flandriae, ex qua praesidens faciet emi unum bonum leclum; remanebitque dictus lectus recedenle ipso a dicto collegio, pro communi utilitate in eadem domo. Ex qua pecunia sic recepla, si temporis cursu aliquid accrescat, ex que leclos emi non sit necesse, reservabilur pro reparatione domus et utensiiium. » Ipsis autem Buslidiis et Steenbergensibus meis sumptibus a proprio ' lecti ementur; quibus detritis lectis, qui ex aiiis discedentibus remanebunt ipsi utentur. » Si vero aliquem Bursariorum niortem obire contingeret in eodem collegio, etiam libri et vestes in rem collegii convertentur. » Omnesque Bursarii juvenes, durante oclennio, fructibus dictarum Bursarum gau- debunt, et non ultra; nisi aliquis dictorum Bursariorum adeo excelieret in sludiis Jitlerarum, ut idoneus esset caeleris Bursariis minus eruditis ultra dictas lectiones communes profiteri leclionem aliquam extraordinariam; tune juxta provisorum discre- tionem ad biennium conlinuari possit. » Semelque ad dictas bursas assumpti, ante dictum tempus octennii terminatum non deslituentur, aut expellentur a dicto collegio, proplerea quia per bénéficia quae intérim ipsi assecuti essent, ditiores, aut forte satis opulenti evasissent; sed tempus ipsis prae- fixum, si velint, in eodem collegio perlicient. B Verum ut praedicti omnes Bursarii juvenes curiosius intendant litterarum sludiis, volo et ordino, quod nullum fructum ex suarum Bursarum cursu percipiant, quamdiu es dicto collegio absentes fuerint, ultra continuum 50 dierum spatium, sine liceutia Praesidentis oblenta; converlendis longioris absentiae l'ructibus, in reparationem domus et utensiiium. » Quod si quis ultra trium mensium tempus absens fuerit, poterit de ejus bursa veiuti vacante pro alio disponi; nisi ipsius longioris absentiae (cilra tamen semestre, quam nulle paclo concède) gratiam a Provisoribus, cum allegatione rationabilis causae obti- uuerit. » Vacante autem aliqua Bursa , tenebitur Praesidens dicli collegii infra quindecim dies immédiate sequenles bujusmodi vacalionem intimare curatis Ecclesiarum, et prae- fectis saecularibus dictorum septem locorum, impensis ipsius assumendi. » Et tune in Ecclesia tribus dominicis diebus, dum ibidem major populi multitude concurrerit, bujusmodi vacalionem publiée immédiate et sine fraude publicabunl; inqui- rendo fideliter, si sit aliquis volens ad bujusmodi Bursam praesentari. ' Lcg o principio in apograplio. DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 381 K Qui ubi repertus fuerit, qualificalus ut supra , coram Decano et capitule Ecclesiae collegiatae Sancli Pétri Ariensis, si ex Aria aut loco viciniori, modo dicto , fuerit oriundus. » Si Mechliniensis, similiter coram Decano et capitulo Ecclesiae Sancti Rumoldi ibidem. » Si vero Steenbergensis, coram fratre meo Magistro Egidio Buslidio vel ejus succes- soribus, et coram Francisco Buslidio mihi ex fratre nepote, aut ejus successoribus. et Magistro Nicolao de Naves, vita ejus durante. » Si talisassumendus Buslidius, Marvilianus, Arelunensisaut Lucemburgensis fuerit (ad quos illorum Bursariorum praesentationem spectare volo) compareat infra decem dierum spatium, petens a diclis aut eorum altero, modo dicto, ad talem Bursam prae- senlari. » Si vero postdiclos decem diesnulluscomparuerit, poterunt dicti successores et prae- sentatores, facta in locis vicinioribus inquisitione, unum alium idoneum praesentare. 1) Quod si etiam es locis vicinioribus infra decem alios dies sequentes nullus compa- ruerit, poterunt tune mei Provisores aliquem alium idoneum assumere ex aliquo dic- torum septem locorum , vel loco ipsis viciniori, modo et ordine prius dicto; hoc ipso videlicet servato, ut oriundus ex aliquo illorum septem locorum praeferatur nato in loco viciniori. » Quia autem puto nullos Busiidios nunc esse idoneos ad ipsas Bursas, volo in prin- cipio erectionis hiijus mei collegii ipsas duas Bursas pro Busiidiis vacare per duos annos, si nulli ex dicto pago ad eas apli et idonei inveniantur; sperans temporis biennii cursu aliquos se ad eas reddituros idoneos. » Quapropter volo per Praesidentem immédiate post dictam erectionem eis insi- nuari; et fructus harum Bursarum pro tempore hujus vacationis applicabitur aedificiis et reparationibus necessariis. » Ex fructibus vero et utilitatibus, ad communem reparationem collegii modo dicto vertendis, sumetur etiam stipendium ancillae aut ancillarum si plures habendae sint. » Erit autem Praesidentis ollicium, collegium ipsum laudabilitcr gubernare, prae- sertim juvenes quos pro viribus ad Litteras, et virtules hortari debebit , eorumque illicita conventicula prohibebit. » Clausurae nocturnae diligenter intendet; et in principio quadragesimae et in qua- tuor principalibus anni festivitatibus eosdem ad confessionem et circa eam necessaria. latino sermone brevi ac utili informabit, eorumque singulos errores emendabit. » Quod si facere non possit, id ipsum Provisoribus intimabit; qui desuper juxta sibi traditam potestatem sincère et immédiate providebunt, ad aliorum exemplum. » Postremo hujus Fundationis piique inslituti Provisores staluo, curatum Sancti Pelri Lovaniensis; Magistrum nostrum ordinarie seu communiler Praesidentem in dis- putationibus collegii'; vel alioquin si taies disputationes non essent, Decanum ipsius ' Add. Theuloyorum in apogc. 382 MEMOIRE SLR LE COLLEGE FacultatisTheologiae, el Pairem seu Priorem domus Carlhusicnsis Lovaniensis. Quibus quidem Provisoribus dictas Bursas cum vacabunt conferendi, reddiluum collegii redemp- tioneni recipiendi, novosque rursus emendi , ac alia quaccumque ipsius collegii boiia ap- preiiendendi, vendeiidi, alienandi, ac alias proul de propriis bonis, pro collegii quidem ne- cessitaieaut magna utililale, disponendi, Eursasipsaspro Bursaiiis démentis suspendendi ac eliam aliis conferendi, singulis annis raliones et compuium de receplis et expositis audiendi , emendandi , corrigendi , et approbandi ; dubia quaecumque et dilïicullates circa hanc meam Fuudalionem émergentes interpretandi , et moderandi, novas Picgulas et Slaluta (si expediens videbilur) concedendi, ac orania et singula faciendi, quae circa iioc primuni inslilulum necessaria videbuntur, vel quoniodolibel oporluna, salva semper, qiianto proximius fieri poteril, mea intentione plenariam iribuo auctoritalem. » Super quibus omnibus conscieutiam iilorum el bonorem, simul et ipsorum prae- sentaniium , pro ea parte quae ad eos speclat, onero; orando illos in visceribus Christi , ui taies se gérant in hoc uegolio quales ego illos fuluros opto et spero, ad laudem Dei oplimi , ad augmenlum cultus divini, decorem universaiis Ecclesiae, et Religioiiis christianae, quam bac pia instituiione et salutari fundalione, per universum orbem magis magisque conlirmalam et propagalam iri cupio. » Si vero aliquid de meis accrescat, praescriplis débile complelis, donc et lego eisdem Hursariis meis, sic ul praemitlitur fundandis. Iliosque meos veros legitimos et indubi- latos heredes in hujusmodi residuo bonorum meorum facio et institue. B [ta tamen , uL in reparalione et aediûciis pars una ponalur, altéra in augmenlo JJursarum, juxta meorum Provisorum discrelionem. » Et ul omnia et singula praemissa debilae execulioni demandenlur, suumque quam brevissime polerii sortiantur etfeclnm , omnibus melioribus modo, via, jure, causa, et forma, quibus ellicacius possum, ordino, eligo el deputo, si fundalio dictorum aluni- noruni liai in coilegio Alrebalensi Lovanii supradicti, Decanum Mechliniensem Magis- irum Joannem Robbyns, una cum aliis infra nominandis. Si vero in collegio Sancii Donaliani, in locum dicli Decani surrogari cupio Magislrum Joannem Slercke, de Meer- heke, praedicli collegii Sancti Donaliani Reclorem, |iraeterea Magislrum Adrianum José! canonicum Anlverpiensem, aut si ipse huic negotio vacare non possel, rogo qua- tenus bominem probum el fidelem, qui juxta meum votum banc meam inslilulionem ad tinem perducere possil pro se instituai; Nicolaum de Nispen el Barlholomaeum de Wessem Execulores meos. B Quibus Iribus, scilicel deeano, aut Meerbeke, Nispen et Adriano Josel, pro onere executionis, cuilibel eorum lego quinquaginta llorenos aureos. » Et diclo Barlholoniaeo de Wessem, summam ducentorum llorenorum aureorum; medianie qua sumnia contenlus eril, nihil anipiius pelere, occasione siipendiorum suo- rum, el praefati legali executionis per dictos omnes, acceplare hoc onus volentes, absentes tamquam pracsentes, et quemiibel eorum in solidum (ita quod non sit melior condiiio primilus occupanlis, necdelerior subsequenlis, sed quod unus eorum inceperil. aller eorum id prosequi valeal, mediare pariter el lerminare.) DES TROIS-LANGIES A LOUVAfîS. 383 B Quibus et eorum cuilibel in solidum do plenam et liberam poteslatem, auctoiilaieni et mandalum, omnia et singiila, per me, ut praeferiur, desiderata, petita et ordinata gerendi.faciendi, procuraodi et exequendi, omnia etsingula crédita mea, redditus, pro- venlus, pensiones et pecuniares siimmas michi débitas, ab omnibus personis, et coram quibuscumque judicibus, vigore hujusmodi leslamenti mei petendi, exigendi, ievandi, et recipiendi , de receplis quoque et levatis quitlantiam , acceptiiationem, cedulas verbo vel in scriptis dandi, et faciendi; unum quoqiie et plures subexecutores loco suo aut eorum cujuslibel, cum simili aut limitata poteslate subslituendi , eosque cura expedire videbilur revocandi; et gencraliter omnia et singuia faciendi, quae in praemissis aut circa ea quaelibel necessaria videbunlur et oportuna. » Et ut praenominati mei Execulores boc onus executionis libenlius acceptent, nolo eos de hujusmodi executione aut aliquo praemissorum cuicumque vivenli reddere ratio- nem; concedens eorum singulis, si quae in praemissis obscura vel ambigua occurrerint , liberam ea declarandi et interprelandi facultalem. • » Et eliam numerum dictarum Bursarum mearum instiluendarum minuere vel augere, juxta qualitatem et quantitatem facullatum mearum (piis legatis et debilis liquide omni- bus persolutis) superextantium. B Volens insuper et desidcrans, ut si hujusmodi leslamentaria dispositio forte jure Testamenii non sit valida, propter alicujus personae praeterilionem , solemnilalum et legum vigore requisitorum omissionem, quod id saltem jure codicillorum seu douationis causa morlis, aut inter vivos, seu quomodolibet alias, ut ultimae defunctorum volun- tates, praecipue juxla pontificii juris sancliones, valere possit et valeat, et pleni roboris firmitalem oblineat. Cassans praelerea, annullans et irritans quodvis aliud Testamen- tum, seu codicillos a me quomodolibet conditos; salvo mihi semper jure addendi, dimi- nuendi, corrigendi, mutandi. » Acla fuerunt baec in domo mea Mechliniae, per me dictitata et propria manu sub- scripta die XXII mensisjunii anno a Nalivltate domini millesimo quingentesimo decimo septimo. » Sic scriptum. Haec est volunlas mea et dispositio testamenlaria , quam ego Hiero- nymus tesialor in omnibus et singulis articulis suis post morlem meam per Executores supra nominatos, ocius ac fieri poteril, commode exequuta iri fldeliter cupio; testamen- laria bac subscriptione mea manu propria facta et sigilli mei appensione roborala. » Actum in domo habitatioiiis meae Mechliniae die XXII junii anno millesimo quin- gentesimo decimo septimo. B Denuo sic subscriptum : ila est, ut supra; Buslidius Ariensis Praepositus Tesialor, manu propria. De et super quibus omnibus praemissis ante dicti Executores, nomine-quo supra execuiorio, petierunl a me Notario publico infra scriplo sibi fieri, conflci atque tradi, unum vel plura publica instrumenta. » Acta fuerunt haec Mechliniafi anle diclae Cameracensis dioecesis, in loco capilulari dictae ecclesiae sancli Rumoldi , sub anno, indiclioiie, mense, die, et pontificatu prae- scriptis, praesentibus ibidem honorabilibus et discretis viris Dominis Symone Roboscb. Tome XXVIII. SO 384 MÉMOIRE SUR LE COLLEGE Joanne Joannis, Nicolao de Sluylere, Jeanne Hoeldere presbyleris, dictae ecclesiae beneficialis, et Symone Reys, virgario, dictae Cameraceusis dioecesis, teslibus ad praeraissa vocatis specialiter alque rogalis. c. (Voir chap. Il , p. H. ) Poésies latines de Thomas Morus en l'honneur de Jérôme Busleiden , au sujet de ses vers, de sa demeure et de ses collections d'art '. De NUMMIS ANTIQUIS APUD IIlERONYMUM BUSLIDIANUM SEIIVATIS. Roma suis olim ducibus quam debuit, illi Tara dobentomnes, Buslidianc, libi. Roma suis ducibus servata est : ipse réservas Romanos Roma pracmorientc duces. Nam quae Caesareos anliqua nomismata vultus, Aut referunt claros lumve priusve vires : Haec tu saeclorum studio quaesila priorum Congeris, et solas bas tibi ducis opes. Cumque Iriumphaleis densus cinis occulat arcus, Ipse triumplianlum nomen et ora tenes. Nec jam Pyramides procerum monumenta suorum Tam sunt, quam pyxis, Busiidiane, tua. ÂD EUNDEM. Ecquid adliuc placidam, mi Buslidianc, Camocriam Tua coerces capsula? In tenebras abdis cur dignam luce, quid illi? Quid invides morlalibus? Musae fania tuae toto debetur ab orbe, Quid huic repellis gloriam? ' Il nous a paru qu'il n'y avait point de plus bel hommage à la mémoire du généreux Mécène, après les louanges d'Érasme, que les vers, peu connus en notre pays, rlu grand et malheureux chancelier qui fui aussi son ami Ils font partie du recueil des œuvres poétiques de Thomas Morus portant le titre d'Spigrammala et compris dans les œuvres complètes de More, latines et anglaises, imprimées plusieurs fois. Nous les donnons ici d'après une curieuse édition du XVI"" siècle qui comprend l'Utopie et d'autres traités latins du publiciste lettré : Thomae Jllori Anyliae ornamenti eximii Lucubrationes , etc., Basileae, ap. Episcopium F., 1563 (in-8"), pp. 258-260. On les lit aussi (fol. 30 et 31) dans une édition revue de ses œuvres latines, faite à Louvain, en 1563, in-folio , chez Jean Bogard, et portant l'approbation du professeur de théologie, F.-J. Hentenius. DES TROIS- LANGUES A LOUVAIN. 385 Gralus ab liac fructus toti debetur et orbi, Quid unus obstas omnibus? An tibi casta procul coetu cohibenda virili Cohors videtur virginura? Sunt hacc virginihus faleor metuenda, sed illis Devirginari quae queunt. Ede tuam intrepidus, pudor est inflexilis illi, Née ille rudis, aut rusticus. Ut tua non ipsi cessura est virgo Dianae, Pudorc grata lacteo : Sic tua non ipsi cessura est virgo Minervae, Sensu, lepore, gratia. Ad Bustidianum de aedibus magnifias Mecliliniae. Culta modo fixis dum conteraplabar ocellis Ornamenta luae, Buslidiane, domus, Obslupui, quonam exoratis earminc fa lis Tôt rursus veteres nactus es artifices? Nam reor illustres vafris ambagibus aedes, Non nisi daedaleas aedificasse manus. Quod pictura est illie, pinxissc videtur Apelles ; Quod sculptum, credas esse Myronis opus. Plastica quum video, Lysippi suspicor artem : Quum statuas, doctum cogito Praxitelem. Disticha, quodque notant opus, at quae disticha vellct, Si non coraposuit, composuisse Maro. Organa lam varias raodulis imilantia voces, Sola tamcn veteres, vel potuissc negem. Ergo domus tota est, vel saecli nobile prisci, Aut quod prisca novum saecula vincat, opus. At domus haec nova nunc, tarde seroque senescat, Tune videat dominum , nec tamen usque senem. 386 MEMOIRE SLR LE COLLEGE D. ( Voir cliap. III , p. 83.) Texte de la lettre écrite de Rome aux Réi). docteurs de la Faculté de théolorjie de Lou- vain, par Albert Pighius, camérier secret du pape Clément VII, en date du i'2 juil- let 1525 '. Venerabiles ac Doclissimi Domini Preceptores mei observandissimi. S. Pessime hic audit veneranda ac Sancta ilia Facuitas veslra, ob maiedicentiam quo- riimdam inter vos seditiosorum , qui in suis ad popuium concionibus non cessant in- sanis ciamoribus vexare Erasmum Roterodamum , virum certe quem nostra vidit etas eloquentissimuni et eruditissimum , et lam apud Poiuificem ac Optimales omnes, quam universos qui in literis nomen habent, magnae imprimis gratiae et auctoritalis, quibus hoc unum agere ac moliri videntur, dum videiicet eum nunc ut lierelicuni , nunc ut Lutheranum, et nescio quibus aliis nominibus traducunl apud popuium, ut qui uuper pro nobis et catholica (ide ex professo se adversarium fecit Luthero, et quem Pontifex , prudenler intelligens quantum unus in alterutram partem momentum adferre potest , nulio non beneficii génère studet sibi demereri, hune a nobis aliènent, et pro uno Luthero, quasi dissenlionum et scismatum nondum satis esset, exsuscitent pluriraos. Commiserat Sua Sanclitas Revereudo Domino Theodorico Hezio^ hinc proficiscenli, ut suo nomine amice ilios ac secreto moneret, quo poslhac discerent loqui modestius, et quemadmodum decet Theologos, et Religionem professos, quales nominalim hac in re accusati sunt. Sed eum intérim non cessarent assiduae querelae multorum, quorum, eorumque maximae auctorilatis virorum , et non unius Erasmi solum, iileras mihi os- tendil R"' D. Datarius, nisi forte ego iulervenissem féliciter, jam dalum esset Erasmo apostolicum brève rigorosum admodum, adversus Lovanieuses Theologos detraclores suos. Quo eum videbam honori facuitatis vestrae imprimis derogalum iri , resliti omnibus viribus (nihil dubitans mox ut hinc exivisset evolaturum in universum orbem), et maxi- mis laboribus vix impetravi ut retineretur. Tamen loco illius mihi injunclum est ad ves- tram Universitateni scribere, ut omnino provideat ne plures islinc querelae afferantur. Erasmo etiam jussus sum hac de re per iileras satisl'acere. Quare mei ofTicii esse pu- tavi etiam ad V. P. scribere, et monere easdem ut ralionem habeant honoris sui, quem ' Cette pièce a été publiée pour la première fois par le Plat, dans le fascicule aDonyme très-rare qu'il a intitulé : Recueil de quelques pièces pour servir à la continuation des Fastes académiques de l'Université de Louvain (Lille, 1783, petit in-5", pp. -58-31), et elle a été léiraprimée par le baron de Reiffenberg d'après ce texte, dans la première livraison du tome I des Notices et extraits des manuscrits de la bibliothèque de Bourgogne (Bruxelles, 1829, in-4', pp. 34-36), qui n'a pas eu de suite. En reproduisant cette lettre à cause de son poids dans la question d'histoire que nous traitons au cbap. III, nous en avons corrigé le texte latin et copié l'orthographe en quelques endroits , d'après l'original que nous avons sous les jeux, et qui appartient à la collection d'autographes de W de Ram. ^ Th. Hezius avait été secrétaire d'.\drien VI. Érasme lui avait écrit en septembre 1324, en lui envoyant son traité de Libéra arbitrio. {Epist , I, 809.) DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 587 hic sluduimus modis omnibus facere non vulgarem, et diiigenlissime semper promo- vimus, cui per illam nonnullorum pervicaciam, maledicenliam et deiractiones, et per aliorum assiduas contra vos querelas plmimiim derogatur. Meo itaque judicio quam reclissime facietis, si eos qui iiis quereiis dare non cessant occasionem, modestius loqui cogatis, et domino Erasmo per iiteras vestrasquam primum satisfeceritis; ut inteiligat sibi poslhac ab illis niliil timendum fore, et Sanctissimi Domini nostri pro se mandata apud vos profecisse aliquid. Quo vos non dilîerat excu- sare, imo et suis literis commendare apud R""» D. Dalarium et reliques hic amicos, ne paucorum culpa praeclarissimae Facuitati imputetur. Quod scio illum, si scripseritis, pro sua humanitate facturum magnificentissime. Ego intérim pro mea virili non cessabo honorem vestrum, quem et meum duco, tueri ac defendere. _ Valete féliciter, et banc festinantissirae et neglectissime scriptam compositam (cptam) aequi consulite; opprimebar enim multis simul occupationibus quum festinaret vereda- rius, et plurima simul scribenda orant. Ex palatio Apostolico Die xii° Julii 152o. E. D. V. Alumnus devotissimus Albertus Pighils, Câpen. S. D. N. Cubi- cularius secretus. Inscriptio eral : « Reverendis Plibus ac Doctissimis viris Decano et Facuitati Theo- logiae insignis sludii Lovaniensis. » E. (Voirchap. IV, p. 99.) Série des présidents du collège de Busleiden ou des Trois- Langues à Louvain. \. JoANNES Stercke, sive Forlis. Jean Stercke, appelé plus souvent dans les sources du temps du nom latin de Fortis, était natif de Meerbeke {Mirbecanus) ; il avait le titre de licencié en théologie, et il était directeur du collège de Saint-Donat en 1517, quand il fut mis par Busleiden au nombre de ses mandataires. Nommé un peu plus lard président du collège des Trois-Langues, il prit possession, le 18 octobre 1520, du bâtiment qui devait en être le siège. Il ne donna sa démission qu'en 1526, pour rentrer dans la vie privée. Il mourut le 5 avril 1536, et fut enterré, suivant son désir, dans l'église de Saint-Martin. On voyait sa sépulture à l'entrée du chœur de celte église : elle portait une inscription fort élogieuse qui résumait sa car- rière et témoignait de l'estime qu'on avait pour son savoir et son caractère dans la ville 588 MÉMOIRE SUR LE COLLÈGE universitaire '. Nous la reproduisons ici à cause de sa rédaction élégante et simple : Doclissimo thcologo, piissimo sacerdoti, pliilosopho , disciplina, moribus absohttis, jusliliae et privilegio- rum Universitatis dcfcnsori inviclo , dcceplundiim pacificalori acquiss. D. Joak^i I'orti Mirbccano, collegii Biislcdiani Pnicsidi, quo in dcspiciendo quac ad liempublicam perlincbant , nemo fuit sayacior, rursus nemo in pcrpciendo constanlior , nemo ab omni ambilione rcmotior, ut qui uUro oblatas dignitales et ampliora sacer- dotia, mcdiocritale contentus, singulari animimodeslia récusant, consiliisque, re et opcra in omnes perpétua libcralissime nstts , incredibile sui desidcriuin , et mncrorcm inconiparabilem , tum civibus, lum toti Aca- demiae reliquit. JoANNES FORTIS MiRBECAMiS PROFESSIONE TIIEOLOCUS, SED .MLLILS FEUE DISCIPLINAE IGNARIS , VIR CELE- BERRIMI OB CLARISS. VIRTl'TES NOMINIS, niC SIBI SEPULTURAM DELEGIT. MoRTUUS ANNO DoMINI MDXXXV. V APRILIS '. hivitus terrain qui deserit , coelum limct. Jean Fortis avait été en relation avec Louis Vives, qu'il paraît avoir rencontré à Paris dans le temps où ils y faisaient des éludes. C'est à Jean Fortis que Vives adressa la célèbre invective In Pseudodialeclicos , qu'il publia à Louvain en 1519 : morceau curieux dirigé contre la pernicieuse sophistique qu'il avait observée dans les écoles de Paris '. 2. NicoLAUs Warius Marvillanus ou Nicolas Warij de Manille. (1320-29.) Natif de Marville, localité du Luxembourg désignée dans le testament de Busieiden, Nicolas Wary ou Warry fut appelé, en 1526, à la présidence du collegium Buslidianum; l'épithèle de Marvillanus est le nom qui lui appartint surtout parmi les hommes lettrés du temps. Distingué entre bien d'autres par Érasme, il eut une petite, mais fort belle part dans ses suffrages, et c'est assez de cette lettre que nous avons citée plus haut*, servant de dédicace à la version du traité de Saint-Jean Chrysoslôme in Babylam, pour lui valoir une mention particulière dans l'histoire des études. Nicolas Wary avait étudié la philosophie au Faucon, et obtenu la quatrième place au concours de 1511. Il mourut jeune encore, le 2 octobre 1529, et fut enterré en l'église de S'-Pierre près de l'autel de S'-Nicolas ^. ' Celle insciiplion latine a élé insérée dans le Théâtre sacré du Brabant (éd. de La Haje , 1 729, part. 1, p. 123) et dans les Monumenta sepulchralia Brabanliae de Fr. Sweei tins , p. 225. — Elle a été recueillie aussi par Paquot (Fasti acad., I, 478) comme digne de remarque. ' Comme Pâques tombait alors en cette année le 10 avril, il faut reporter à l'an 1530 ce que l'inscription flxe à l'an L'ISS suivant l'ancien style (Bax, fol. 1411 ). ' Voy. le Mémoire sur la vie et les écrits de L. Fivès, par l'abbé Kamèche, pp. 16, 33, 59-40. * Voy. cbapitre IV (pp. 99-101 ). — Érasme avait écrit naguère à Marvillanus, quand il était président d'une as- sociation de jeunes littérateurs. (Praeses sodalitatis vestrae, comme il disait à Goclenius, en octobre 1517.) Epist., 1,267. ' Valèrp André, Fasti , p. 277. DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 589 3. JuDOCus ou JossE Vanden Hove. (IS29-36.) Vanden Hove avait été d'abord bedeau, bedellus, de la faculté de théologie '; il fut pré- sident du collège des Trois-Langues après Marvillanus, et mourut le 10 seplennbre 1556. Josse Vanden Hove avait fait, en 1311, un premier testament d'accord avec sa pre- mière femme, Catherine Macs de Louvain (qui mourut en janvier 1312), dans la maison d'Adrien d'Utrecht, doyen de S'-Pierre, située sous la paroisse de S'-Michel. H se maria en secondes noces avec Marie Loenis dont il eut un fils du nom d'Antoine. Par un testament du 12 août 1336 '\ il laissa à ce dernier l'usufruit du reste de ses biens, qui servirait, après la mort de ce fils, à une fondation dans le collège du S'-Esprit ou des théologiens '. 4. Jacobus ou Jacques Edelheere. Jacques Edelheere était fils de messire Jérôme Edelheere, secrétaire de la ville de Louvain, fils de Jacques Edelheere et de Marie Peeiers. Maître es arts, et âgé seulement de 23 ans, il fut élu président du collège des Trois-Langues *. H se promenait après le repas dans son jardin, quand il mourut subitement, le 26 mai 1339, le second jour de la fête de Pentecôte *. H existait à S'-Pierre, devant l'autel de S'-Albert , un sarcophage en pierre bleue, por- tant des inscriptions flamandes en lettres gothiques. Elles rappelaient les membres de la famille Edelheere, qui étaient inhumés dans cette chapelle particulière, depuis Guillaume, qui en était le fondateur (Willem Edelheere fondateur van desen clioore), jusqu'à Jacques, Catherine, Jean et Guillaume, tous enfants de Jérôme ". Mention du premier était faite en ces termes : McESTEB Jacob Edle die lest sterf'op den 26 dach maii a" 1559. ' Le bedeau devait avoir une connaissance familière du latin, et avoir été inscrit sur les rôles de l'Universilé. Voy. Statuta Facultatis theologiae. (de Ram, De Inudibus , etc., oratio, annot., p. 97.) ' Détails extraits du recueil de Bax, f. 1412 : U$um fructum Residui suorum Bonorum reliquit praenominato filio, volens post illius obitum ex hoc Residuo erigi fundalionem in collegio Theologorum. ' Val. André Fasti, 277-78 : qui sui memoriam reliquit in collegio S. Spiritus. * L'abbé Bax à qui nous empruntons ces détails sur Jacques Edelheere et sa famille (f. 1413), fixe cette élection au 17 mai 15ô9. Le collège serait-il resté sans président, pendant les années 1337 et 1338? Voir suprà, p. 144, note ô. ' Val. André, qui écrit son nom Edclheer , le fait mourir en 1538 (vieux style). Fasti, 278. ' Jérôme, qui ne mourut qu'en 1335, avait fondé, en 1345, une bourse dans le collège de S'-Ives. — Voy. sur la famille, Divaeus rerum Lovanien., p. 65. De cette famille descendait Jacques Edelheere, né à Louvain en 1.599, dont la carrière politique appartient au XV!!"" siècle. Voy. Goethals, Bist. des lettres et des sciences en Belgique, t. III , 1842, pp. 131-152. 390 MEMOIRE SDR LE COLLEGE 5. NicoLAus A Castro. (1539-1544.) La vie de ce personnage, que nos polygraphes n'ont pas retracée, appartient plus encore à l'iiisloire de l'Eglise qu'à celle des lettres; cependant nous en reproduisons les principaux traits ', ne fût-ce que pour montrer la force de l'action puisée dans la solidité des éludes en un siècle de luttes et de calamités. Nicolas à Castro était d'une famille patricienne de Louvain; il était fils de Nicolas à Castro (dont le nom vulgaire était Verborch, Verburcli ou Verbruch) et de Catherine Vanderstraelen. Un de ses frères du nom de Jean fut chanoine de Saint-Pierre à Louvain. Nicolas appliqua aux éludes les facultés supérieures dont il était doué. Après avoir fait avec éclat ses cours d'humanités et de philosophie, il atteignit le grade de licencié en théologie; il prit part fort souvent, avec grand profit pour les autres comme avec hon- neur pour lui-même, à des discussions ou disputes scolastiques dans la pédagogie du Faucon ^, et même il y aurait enseigné la philosophie. Nommé président du collège de Busleiden en 1559, il remplit cette charge pendant peu d'années (jusqu'en 1544). Peu après il fut nommé chanoine de Sainte-Marie, selon d'autres de Saint-Jean, à Utrecht. Plus tard, Nicolas à Castro fut délégué par Philippe II pour combattre les nouvelles hérésies nées dans la Hollande^; ce prince le désigna pour le siège de Middelbourg, quand cette église fut érigée en évêché, sufTragant de celui d'Ulrechl dont elle fut alors détachée, et, quand le pape Pie IV eut confirmé sa nomination, il fut promu comme premier évêque de Middelbourg en 1561 *. Nicolas à Castro fut sacré à Malines, en même temps que Pierre Curlius ou de Corte, évêque de Bruges, par le cardinal Granvelle, le 26 décembre 1561 ; il assista au synode d'Utrecht, en 1565, et signa le 30 octobre de la même année, en qualité d'évêque de Mid- delbourg. Son épiscopat dura douze années et fut signalé par des preuves de fermeté et de grandeur d'âme. Nicolas joignit constamment la prudence au zèle, suivant le témoi- gnage d'écrivains réformés^, et il tâcha de diminuer l'effet des mesures prises par le duc d'Albe, par exemple, de l'impôt du dixième denier. On rapporte que de grands troubles s'ètanl élevés à Middelbourg, en 1566, les magis- trats invitèrent Nicolas à se dérober à la fureur du peuple égaré. L'évêque leur aurait ' Le recueil de Bax nous a fourni la plupart des détails biographiques dont nous faisons usage ici (ff. 1414-16). Il est question de Nicolas à Castro dans VOpus chronographicum de Pierre Opmeer, imprimé à Anvers (en 1612, in-folio) , l)ar les soins de Laurent Bejerlinck, chanoine d'Anvers, [f/ist. de Eelgio, p. 53,) ^ Magistrales scolasticos actus.... frequens praestitit. ' Fr. Sonnii ad Figlium Zuicliemum epistolae (éd. de Ram, 1850), pp. 8, Ifi, 19, 77. ' Le diplôme cité par Heussen (Dioec. tViddelb., p. 12), porte le 12 mars 1360 : mais comme en celte année Pâques tombait le 10 mars, et comme les bulles des papes dataient l'année suivant le vieux slvie, ou peut tenir à la date de 1561 donnée par Suffridus Pelri. ' Boxiiornius, Zelandiac chronicon, p. 55 : p'ir cum primis doctus et sapiens , et qui, ducis Jlbani con- silia, semper ut poteral, compressit. — Cfr. Considérations sur l'hist. de t'Univ. de louvain, pp. 20 et 71. DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 39i alors répondu avec force : « Aunoiicez-nioi, je vous prie, l'arrivée des assassins, afin » que, révéla de mon costume épiscopal, je puisse être séparé de mon troupeau, et » succomber pour mon troupeau comme évêque. » Quelques années après, la ville de Middelbourg fut assiégée par les troupes du prince d'Orange. Nicolas de Castro qui avait toujours désiré le martyre resta dans la place; avant la fin du siège, il fut enlevé par une maladie subite et violente, âgé de 70 ans, le 16 mai 1575. Comme saint Augustin qui n'avait pas voulu abandonner Hippone cernée par les Vandales, il mourut avant l'assaut et n'eut pas la douleur de voir sa ville épiscopale livrée aux fureurs de l'ennemi *. Nicolas à Castro fut enterré dans sa cathédrale, mais son tombeau resta sans épilapbe à cause des malheurs de l'époque. On attribue à Gramaye deux vers en son honneur qui jouent sur son nom et sur sa qualité d'ancien maître de philosophie au Faucon'; nous les donnons pour ce qu'ils valent : A Castro ad liiirgmn properal, Pracsulque Zelaiidis Esl : per terrain aeqne ac pcr mare Falco volât, G. JoANNES Reineri Weerthanus. (1544-1559.) Jean Reineri, dit Weerthanus (vulgo de Weerdl), était natif de la Gueldre. En 1518, il avait été second d'entre cent cinquante-huit maîtres es arts, comme élève du Château, et il fut ensuite professeur de philosophie ou régent dans cette pédagogie : peut-être y remplit-il tour à tour l'une et l'autre de ces fondions'. En 1544, Jean Reineri devint président du collège de Busleiden*, et obtint peu après le grade de licencié en théo- logie. Le 1" mars 1544, il prit possession d'une prébende de chanoine de Saint-Donat de Bruges, obtenue par voie de nomination académique. En 1558, il fut élu par le souverain et le chapitre, doyen de l'église collégiale de Saint-Jean l'Évangéliste à Bois-le-Duc, en remplacement de Gérard van Gameren , mort le 18 juillet de la même année. Reineri, qui avait quitté Louvain en 1559, mourut le 14 octobre 1560. 7. Melchior van Ryckenroy. (1B59-1570.) Natif de Malines, Melchior Van Ryckenroy, bachelier en théologie, fut d'abord vice- curé (vice-curatus) à Saint-Pierre, et puis chapelain (capellanus) de la même église. Pré- ' Voy. (le Ram, Orat. de Laudibus, etc., p. 44. ' Nicolas à Caslio avait fondé une bourse dans cette pédagogie. = Notes de Bax, f. 1417. Ibid.,(. lOGO, 1080. ' Au temps de sa présidence se rapporte l'éloge que J. Vendeville faisait, en mai 1357, de l'assiduité exemplaire des professeurs du Collegium trilingue dans leurs fonctions d'enseignement. Lettres inédites adressées à riglius , p 22. (Extr. des Eulletins de la Commission royale d'Itistoire, t. Il, 2™' série, n' 3.) Tome XXVIII. SI 392 MEMOIRE SUR LE COLLEGE sidenl du collège des Trois-Langues avant la lia de l'année 1559, il reçut plus tard le grade de licencié en théologie, et fut élu recteur de l'Université, le 28 février 1370 '. Il avait été nommé curé à Grootsundert, bourg du territoire de Bréda; il mourut peu de temps après, à une date non certaine, mais du moins avant la seconde moitié de l'an 1578; en effet, son cousin, Augustin Hunnœus, docteur en théologie, dans son testament fait le 3 septembre 1578, manifesta le désir d'être enterré près de Melchior, sous la même pierre, avec une épilaphe gravée sur cuivre qui rappelât modestement leurs titres à tous deux^. 8. JoANNES Verhaghen Riemenensis. (1371-83.) Jean Verhaghen était né à Rymenant, bourg situé près de la Dyle à uue lieue et demie deMalines; il fut proclamé docteur es droits le 27 août 1570^, et déjà en 1572, il rem- plaça J. Molinœus comme professeur royal des décrets {Professer Decrelorum regius); il fut élu recteur quatre fois, dont deux fois à la demande de la Faculté de droit civil , et il eut aussi les fonctions d'official à la cour souveraine de Malines *. Jean Verhaghen avait été nommé en 1571 président du collège de Busleiden, et il conserva cette charge jusqu'à sa mort, le 2 septembre 1585. Après lui, le collège resta sans président jusqu'aux premières années du XVII"" siècle. 9. Adrianus Baecx a Barlandia. (1606-1624.) Adrien Baecx van Barlandl, naquit à Malines, le 9 août 1574*. Après avoir fait son cours de philosophie au collège du Porc, il embrassa l'état ecclésiastique, et puis s'ap- pliqua sérieusement au droit. Quand il fut devenu président du collège des Trois-Langues le 4 février 1C06, il remplit cette charge avec beaucoup de sagesse et de bonheur, comme on l'a vu au chapitre IV (pp. 103-107}; il poursuivit cependant ses études juridiques, obtint en 1607 le grade de licencié, et fut proclamé docteur le 50 août 1616 ". Adrien Baecx était aussi chanoine et grand chantre à Saint-Pierre depuis I6!l: il eut en 1619 les honneurs du rectorat, et c'est par déférence pour sa personne autant peut-être qu'en considération de son origine et de sa naissance qu'il reçut dès 1615 le ' /''asti Àcad-, pp. Ai , 278. ' Recueil de Bax, f. 1417. ' Doctores U. J. Fasti Acad., \i. 197. Vbi Epitaphium. * fasti Acad., p. 45. = Recueil de Bax, f. M\>^. - Suivanl Valère André, Fasli (p. 20G), le 3 des Kalendes d'am'il, c'esl-à-dire le 28 juillet 1374. ' Fasti , p. 206 ; le 31 aoûl 1014. DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 593 titre de président du collège de Malines d'Arnold Trot'. Baecx résigna, en 1U24, toutes ses charges et dignités, et quitta Louvain où il laissa la réputation d'un homme instruit et d'un administrateur habile"-. Il se retira à Orschot (in Oorscholo) , dans la mairie de Bois-le-Duc [Stjlvae Ducis majoralus), où il lut doyen et chanoine de l'église collégiale de Saint-Pierre. On présume qu'il fut privé en 1G29 de son doyenné, quand les Hollan- dais abolirent en cette contrée l'exercice public de la religion catholique. 1(J. Fridericis Havens. (162G-1C47.) Frédéric Havens de Louvain, était fils de Thierry (Theodoricus) Havens, receveur des États ^. Il était licencié es droits, et il avait le rang de protonotaire apostolique, quand il devint en 1G26 président des Trois-Langues , après la retraite de Baecx; le 7 août 162,5, il succéda au même dans ses fonctions de chanoine et de chantre en la collégiale deS'-Pierre. En 1629 et en 1638 (août), Fr. Havens fut recteur de l'Université *; il est mort le 4 novembre 1049, et non en 1648, comme le dit Paquot dans la courte notice qu'il lui consacre ^. On conservait au collège de Malines un discours manuscrit de Havens sur cette ques- tion '' : Magni-ne aeslimanda sit pulchriludo in Principe? 1 1 . Philippus Bellenus. (1648-1693.). Philippus Bellens, de Louvain, était fils de François Bellens et de Marie Rogglie'. Bachelier en théologie, il devint recteur ou curé de l'hospice civil à Louvain, où il exerça ses fonctions de 1644 à 1674. Élu président du collège le lo mai 1648, il conserva cette dignité jusqu'à sa mort, en l'année 1695; il fut enterré le 27 octobre en l'église de S'-Jacques où il avait fait ériger un monument à ses aïeux et parents du nom de Bellens avec une inscription latine rappelant son titre académique : Pracses collegii Bus- lidiani Trilinguis^. ' Le CoUegium Mechliniense était iinu fondation du XV""= siècle, qui ne fut pas administrée régulièrement faute de ressources pour rentrelien d'un collège. (Fasti , p. 329.) - Voy. Paquot, Mémoires, t. III, pp. 233-54. ^ Recueil de Bax, f. 1419. — Jean Arnold Havens, capitaine, était l'oncle de Frédéric, et l'avocat Pierre François Havens, son frère. ' Valére André, Fasti , pp. 47 et 48. ^ Mémoires sur l'histoire littér., t. III, p. 254. — L'abbé Bax fixe la première date d'après le Directorium de S'-Pierre où Havens avait fondé un anniversaire. "^ Paquot, Fasti y/cad. Lov., t. I, p. 47'J. ' Son aïeul , Jean Bellens, originaire de Rethy en Campine, avait été le troisième dans le concours de 1357; il était licencié es droits, et il fut promu recteur de l'Université en février 1539. iVotes de Bax, f. 1419. — Paquot (ait mention de Pli. Bellens, dans une note de ses mémoires , t. III , p. 234, * L'inscription a été transcrite par l'abbé Bax , f. 1420. 594 MEMOIRE SUR LE COLLEGE 12. LuDOvicus Franciscus Deens. (1693-1725.) Louis François Deens, de Louvain, naquit en 1650 d'une famille patricienne de celte ville; il était fils de Jean Deens et d'Anne Cremers'. Après son cours de philosophie, il devint bachelier en théologie et reçut la prêtrise. En 168(>, il fut nommé chanoine de S'-Jacques à Louvain, et en 1G95, président du collège de Busieiden. Il avait rempli cette dernière charge pendant trente-trois ans, quand il mourut des suites d'une longue hydropisie, le 15 novembre 1723. L'épitapbe latine qui était placée sur son tombeau, dans la chapelle de S'-Hubert à S'-Jacques, apprenait que Louis Fr. Deens réunissait à ses autres litres ecclésiastiques et universitaires, celui de protonotaire apostolique. Le legs qu'il aurait fait au collège ne figure point dans les relevés des finances de la fon- dation ". 15. Leonardus Josephus Streithagen. (1723-1752.) Léonard Joseph Streithagen, de Louvain, était le frère d'Égide François Streit- hagen, qui fut chancelier de Brabanl et qui mourut le o mars 17G9. Il fut élu le 15 novembre 1725 président du collège des Trois-Langues, où il resta jusqu'en 17.^2. En celte dernière année, il obtint la présidence du collège de S'-Yves, après la mort de Gaspar Magermans, et y ajouta en 1757 celle du collège de Savoye. Depuis l'an 1752, Streithagen portait le titre de docteur es droits, et il eut ensuite le rang de professeur ordinaire dans la faculté de droit '. Il mourut à l'âge d'environ 80 ans , le 25 mai 1777. 14. MaRTINUS CiELDOLPHUS VaiNDERBUECKEN. (17.';2-1739.) Martin Geldolphe Vanderbuecken , fils de Geldolphe Vanderbuecken et de Marie Thé- rèse Bollens, issus tous deux de famille patricienne, naquit à Louvain le 25 novembre 1711. Vingt-troisième dans la promotion de 1751, il fit ses études théologiques au col- lège du Pape et parvint très-vite au grade de bachelier. Après qu'il eut reçu les ordres en 1757, il fut attaché à la paroisse de S'-Jacques à Louvain. En 1743, il passa à la cure de Campenhoudt par voie de nomination acadèmiiiue; mais le IG avril 1750, il fut élu par le magistrat de Louvain pléban de l'église collégiale de S'-Pierre, à la grande satis- faction de tous les habitants. Enfin, en 1731, il obtint le 21 avril le grade de licencié ' lin fière de L.-F. Deens, du nom de Guillaume, était secrétaire de la ville de Loiiv.iin, et il s'était fait (|iieli)ue réputation comme jurisconsulte et comme avocat de la ville; il mourut en 1720. ' Legnvit quaedam capitula Sancti Jacobi, item coUegio TrUingui. Recueil de Bax , f. 1421. = Streithagen fut promu le 21 octobre 1732 avec Christ. Robert et Chrétien Bombaye. Voy. le Siippl. aux Fastes du doctorat Aîns Y Annuaire de l' Vniv.de Louvain , années 184'i, pp. 149 150. DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 395 en théologie, el fut admis le 28 mai suivant dans le conseil de la Faculté de théologie. L'an 1752, Vanderbuecken fut nommé par le prince Charles de Lorraine gouverneur des provinces belgiqucs, chanoine de première fondation en la collégiale de S'-Pierre. Le 18 avril de la même année, il fut élu président par les proviseurs du collège de Busleiden, et le 28 octobre, il fut admis au nombre des patriciens de la ville'. Il allait succéder à J.-B. Cocquetle dans la présidence du collège de Houterlé, quand il fut frappé d'une mort inopinée le 13 septembre 1759 , à l'âge de 48 ans. On faisait honneur à M. G. Vanderbuecken , d'une certaine élégance de langage, d'une grande aptitude à traiter les affaires difTiciles, de beaucoup de charité envers les pauvres et d'un grand zèle pour rendre service au prochain. 13. Franciscus Jacques, d ictus Jacobi, Wavriensis. (1739-1783.) François Jacques, dit Jacobi, était né à Wavre le 13 octobre 1725; il fut élève de la pédagogie du Château et obtint la seconde place dans la promotion de 1748^ Après avoir étudié la théologie au collège du Pape, il devint prêtre, et fui nommé confesseur et prédicateur français à Saint-Pierre. François Scheppers étant venu à mourir le 1 1 août 1737 , Jacobi lui succéda dans sa charge de censeur el visiteur apostolique et royal des livres dans les Pays-Bas (Lihronm censor Recjius el Apostolicus); charge à laquelle élail attaché un canonicat de S'-Pierre à Louvain. Le 9 mai 1758, il fut promu à la licence en théologie, et le 21 septembre 1759, il remplaça Vanderbuecken dans la présidence du collège des Trois-Langues. Il v mourut le 1 1 novembre 1783 , âgé de 58 ans. On remarque le sens profond des termes ainsi qu'un style ferme et correct, dans les formules de l'approbation que Jacobi donna à plusieurs ouvrages publiés de son temps, par exemple à ceux de Paquot. J6. Henricus Wouters. (1783. sq.) Henri Wouters, de Louvain, appartint à la pédagogie du Château, et fut le sixième de la seconde ligne dans la promotion de 1770. Il fut ensuite élève au grand collège des théologiens, obtint le 50 avril 177G, le grade de licencié, et au mois de juillet de la même année, fut fait lecteur ou vice-président du petit collège des théologiens. ' Inter patridos hujus oppidi admittitur. — Bax, f. 1422. Promotiones in ariibus. MSS. cité , fol. 33 , où sont énumérés tous les titres de Jacobi que nous détaillons dans la notice. L'abbé Bax (fol. 1423) lui donne le prénom de Jean, et le dit 61s d'un Jean Jacques, licencié es droits, et avocat à Wavre. Le prénom de François lui est donné dans le texte des approbations dont il a revêtu plusieurs livres à titre de censeur. 596 MEMOIRE SUR LE COLLEGE En 1779, Woulers fui désigné par les proviseurs du Faucon, pour succéder en qualité de régent à J.-B. Mondet, qui se retirait; mais il ne put prendre possession de celle charge, en raison de l'opposition que fit le gouvernement d'alors à l'exercice du droit des proviseurs. Puis, le 15 novembre 1783, Woulers fut nommé président du collège de Busieiden par les |)roviseurs de cet établissement, et probablement il conserva cette dignité jus- qu'en 1786 ou 1787. C'est en 178G, que Woulers accepta une charge de professeur dans le nouveau sémi- naire général, et prit dans ses attributions le cours d'Écriture Sainte, s'étendant à l'An- cien et au Nouveau Testament '. En 1792, le 24 mai, Woulers fut nommé doyen du chapitre de Leuze. Dès 1794, il quitta la Belgique lors de l'entrée des Français, et se retira en Allemagne. Il mourut, dit-on, à Prague, en Bohème, vers 1820. 17. JOANNES JOSEPHL'S VaNDEN FLlSKEN. (17U0-0".) .lean Joseph Vandeu Elsken, né à Alsemberg Notre-Dame, après avoir été élève du séminaire archiépiscopal de Malines, et du collège d'Arras à Louvain, reçut le baccalau- réat en théologie, puis devint prêtre et confesseur en l'église du Béguinage à Louvain. En 1788 ou 1789, à l'époque oij l'Université était bouleversée par les réformes du gou- vernement autrichien , Vanden Elsken se retira à S'-Trond , et il passa pour avoir été vers ce temps l'auteur ou l'éditeur des pamphlets publiés contre le séminaire général ^. Tombé entre les mains des soldats autrichiens que le gouvernement avait envoyés à sa poursuite au delà des limites de son territoire, il fut délivré de leurs mains par des paysans. Quand l'Université fut reconstituée en 1790, Vanden Elsken fut nommé à la prési- dence du Collegium Busiidianum , qu'il conserva jusqu'à la suppression de l'Université en 1797. Il fut aussi protonotaire apostolique; mais il ne posséda qu'une seule année, jusqu'au rétablissement de l'autorité impériale, le canonicat de première fondation à S'-Pierre que les états du Brabant lui avaient conféré le 9 mars 1790 ^ Dans la suite, Jean Joseph Vanden Elsken devint curé de Humbeke dans le district de Cappelle près du canal de Bruxelles, et il mourut dans cette localité le 1" avril 1803. ' Voy. Tli '.luste, Essai sur l'Iiist. dcl'instr. publ, p. 201. — Rapédius de Berg, Mémoires, t II, p. 53. ^ Sub nomine Ernesli et Sinceri Keuremenne. ' Celait la |)r('liende à laquelle élail annexée la charge de Censeur apostolique el royal des livres. DES TROIS-LAiSGUES A LOUV AIN. 397 F. ( Voir tllu|). IV, |i. 111.) Copie de l'arre'té en date du 13 avril 1821, relatif au rélablisseinenl et à la deslinatiuu des fondations de l'ancien collège de Busleiden. (Extrait du registre des arrêtés du ministre pour l'instruction publique, l'industrie nationale et les colonies, le lô avril 1821.) 1° Lecture ayant été faite de l'arrêté royal du 26 décembre 1818, qui ordonne le rétablissement des fondations de bourses pour études, et attribue au ministre de l'instruc- tion publique, de l'industrie nationale et des colonies, le droit de le prononcer; 2" Des statuts des fondations annexées à l'ancien collège de Busleiden, dit des Trois- Langues à Louvain ; 5° D'un état de biens, rentes et revenus appartenant ci-devant à chacune des fondations; 4° D'un état des rentes qui y sont dues par des villes ou communes; 5° Du rapport de la Commission des bourses du 10 de ce mois. Il a été résolu : Art, 1". Les fondations de l'ancien collège de Busleiden sont rétablies, les revenus qui en subsistent seront divisés en bourses de 100 à loO florins chacune qui devront être conférées à des régnicoles des Pays-Bas; Art. 2. Les études devront être faites dans un des établissements d'instruction pu- blique du royaume qui sont reconnus par le gouvernement; Art. ô. Il y aura, comme par le passé, trois proviseurs de ces fondations aux(iuels appartiendra à l'avenir le droit de nommer l'administrateur-receveur desdites fondations, de surveiller sa gestion et d'entendre annuellement ses comptes. Ces proviseurs seront les curés de S'-Pierre, de S'-Gertrude et de S'-Michel à Louvain. Le sieur Simons, ancien président du collège du Porc à Louvain, est nommé à cette place d'administrateur-receveur. Il poursuivra immédiatement le recouvrement des biens et rentes des fondations et de leurs revenus arriérés. Il proposera audit ministre, de con- cert avec les proviseurs, le meilleur emploi au profit de ces fondations de ceux de tes revenus dont il fera le recouvrement. Il rendra chaque année compte de sa gestion aux proviseurs; ce compte leur sera remis en double minute, dont l'un, après qu'ils l'auront approuvé, sera transmis par eux à la députation des étals du Drabant méridional; Art. 4. La collation des bourses appartiendra pour une moitié au chapitre de Malines, et pour l'autre moitié au premier bourgmestre et au curé primaire d'Arlon ; Art. 5. Les biens et renies desdites fondations seront régis conformément aux règles et mode établis pour la régie des biens et rentes d'établissements publics; Art. 6. Les frais d'administration et de recette réunis ne pourront s'élever au delà deo p. % du revenu effectif de la fondation; 398 MÉMOIRE SUR LE COLLEGE Art. 7. Cinq expéditions du présent arrêté, les statuts des fondations du collège de Busleiden, l'état des biens, rentes et revenus anciens, et l'étal des rentes de ces fonda- tions dues par des villes et communes seront adressés avec la lettre suivante à monsieur le gouverneur du Drabant méridional pour être transcrits, conformément à l'art. 9 de l'arrêté royal du 20 décembre 1818, dans le registre à ce destiné, tenu au greffe des états de cette province et être ensuite transmis : Une expédition, les statuts et états aux proviseurs et administrateur-receveur nommés; Une expédition au chapitre de Malines; Une expédition au premier bourgmestre et au curé primaire d'Arlon; Une expédition à chacune des régences de Bruxelles et de Louvain , chargées, aux termes de l'arrêté de S. M. du 4 mai 1819, de payer, à partir du 1" janvier 1819, les renies dont ces villes sont débitrices envers ces fondations. Art. 8. Invitation sera faite, par la lettre ci-après, à monsieur le gouverneur de la province de Namur, d'informer la régence de Namur du rétablissement des fondations du collège de Busleiden, pour qu'elle ail à prendre les mesures nécessaires à l'eflet de payer également à partir du 1" janvier 1819, les rentes que celle ville y doit. Conforme au registre. Le secrétaire chargé de la 1" division, L. G. VAN EWYCK. G. fVoirchsp. V, p. 119.) Extraits du travail de Martin Dorpius composé pour servir à la représentation de /'Aulu- LARiA DE Plaute AU COLLÈGE du Lis , le ô Septembre 1Ij08 '. Ad Lovanienses invitatiun- cuLA ad spectandam Allulariam Plauti , completam a Dorpio; quae acta est in Liiio per primarios discipulos Dorpii, tertio nonas septembres, anno millesimo quingentesitno octavo. Ut inlelligant polilioris litleraturae amasii, Lovanienses quoque nonnihil in lilteris mussilare, cras, hora nona auleraeridiana, Musis propiciis, agetur in famigeralo gym- nasio Lilii Aulularia : comoedia, per Jovem, una, quotquol sunl Plaulinae, omnium bellissima, argutissima, salsissiraa. Eam Martinus Dorpius, qui et ipse praeest gregi illic actuio, quum essel (ut noslis) imperfecta, ita complevil, et quidem versibus comicis, ul aiiquol doctis (nam vulgus nihil moratur) laborem videalur neuliquam maie collocasse. Cujus si quis forle curiosulus quoddam veluti degustamentum eupiat, is gymnasium Lilii ' Analectes de M. de Nélis, t. l. |>p. 72-73. DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 399 adeal, invenlurus illic Prologum Dorpiauum ia tolam Auhilariam, valvis allixum, atque cum versibus ilidem comicis. Quicunique philomusi csUs, quicumquc vel Amatis Atticos sales , vel ipsius Latiac nitorcni linguae, adostc, et quidquid est Ncgotii, pou i te. Vobis acturus est Plauli grex Lilianus Aululariam Quac fabularum una est, quas Plautus scripserif , Joco, lepore, argutiis bellissima. Qui nossc caelera volt, is adesto craslino. Curabilur, Musis belle juvantibus, Ne quempiam ventilasse poeniteat. Prolocus Martini Dorpii in Aululariam Plauti. SalQte multa vos pro more impartior, Quicumque adestis, speclatores candidi : Nigros siquidem (ni se abluerint) nihil moror. Comocdiam actitabimus Aululariam ; Quae fabularum una est, quas Plautus scripseril, Joco, lepore, argutiis bellissima. Sat se poeta, sat laudarit fabula, ïali, herele, vino hederam inscitum est suspcnderc. Caeterum haud fallit me : contorquctis capita. Susurrantes, bacc impcrfecta 'st fabula. Est, hercle, vcrum; qui nostro pracest gregi, Is, scilicet", est Plautina factus simia. A Plauto doctus ipso, quamvis mortuo, Quod deerat, id pro virili, codera fere Quoad potis est, peniculo appingere. Porro id quantum fiet negotii, Veneris Apelleae partem, inferiorem absolverc, Hic démuni sentient, quicumquc harcnula Fn eadem colluctantes desudaverint. Nae illi pluteum ferlent, et ungues denique Vivos arrodent, et caput scabent suum. Plauti jocos, sales, venerem, plus, pcr Jovem, Quam Atlicam, et illam Romanam elegantiam, An conscquutus est, haud ausim asserere. Nam quid foret jactantius, aut dementius? Conatus oppido est (nara ingénue fatcbimur) . Appendicem ex Plauti farina anncctere, Quam Plautus ipsus in pistrino comico Moluit : nam egit (ut probe nostis) trusatiles Tome XXVIII. ko 400 MEMOIRE SUR LE COLLEGE Tantus poeta molas, coactus inopia. Jam vero censuram haud ita deprecabimur Vestram, modo aequi omncs, et sitis candidi : Modo rcputet sccum quisque diutulc, Num dura sit provincia, horaini penitus Âdulescenti, a mutis docto, et duntaxat iis Magistris; qui nullas Alpes transceiideril, Nullas adierit Athcnas, linguae gratia Ornandac; nato ad cxtremum ferme angulura Totius orbis. Huic num est, quaeso, negotii Res neuliquam minuti, Plautum exprimere? Comicum scilicet tam varium, amplissimum : Verborum et rerum majcstate principcm. At erunt fortasse qui faciles fatcbuntur hoc; Verum ob id, inquient, non coeptnm oportuit. Humeri hoc onus tenolli si non sufferunt, Cur suscipis? Ibi Critici responsum habenio sic. Si tantisper doctissimus quisque abstineal, Vel a scribendo, vcl edendo quippiam : Dum nil ab amussi discrcpct, et puncla dum Ferat oninia : dispeream, si scribat quispiam. Ita comparatum, ut nil sit humanae rei Absolutissimum, quin ungucs uspiam Periliorum liians rcmoretur quippiam. Postremo , si quis Momus crit moleslior, Is noverit bifrontes Janos esse nos : Quos nulla inipune ciconia pinsuerit A tergo; et est nobis non rctunsus stilus, Quo blacterantes istos insectabimur, Quis nil placet nisi domi natum suae. Verum enimvero malunius per gratias (Nam dicendura est iterum) aequos et candidos, Quin conniventes, si quando opu 'st, judices. Sed heus vos, heus, practcricram penussime, Quod dicluni oportet imprimis : videlicet. Ne quis loquaculus esto : neu turbato quis : Neu quid prorsus loquitor : nam qui jam nunc senex Prodibit, is quemcunique forte audivcrit, Furem illico vocitabit, inque jus rapiet : Quod rapiunda super aula consuluerit. Nondum tacctis, ultimus ille mussitat? Decretuni, pol, jam promulgabo scenicum, Quod cum grege sanxit impcrator histricus. Quicnmque lingulax fuat, bue raptabitur; Et cjus fiel lingua conmiunis gregi. Abeo, tacete , quolquol estis, obsccro. DES TROIS-LANGLIES A LOUVAIN. 40i CoMPLEMENTUM Martini Dorpii in Aululariam Plauti. Suivent ( pages 75-84 des .lna/ec(■ usii chaldaicae Bibliorum Paraphraseos, sive Jpologia pro clialdaïco paraphrasic ,jiissu Theologorum Lovanicnskim scripUi Aniv., Planlin, in-fol.) Voir Foppeus, p. 299, et Richard Simon, fjist. crit. du Fieux Testament , liv II, chap. XMll. DES TROIS-LANGUES A LOUVAIiN. 405 » Ul autem omnia quae cum liac praeclara Academia de hujus operis causa et rébus agenda exiiterinl commodissime etiani absens Legalus ipse expedire possit, doclissimos atqiie optimos viros el Academiae ipsi cum piimis charissimos dorainum Doclorem AuG. HuNAEUM el dominum Doclorem Cou. Gaudancm diligenliae suae vicarios dalos publiée honoris causa appellat. ï B. Arias Montanus. Talmid. ' » J. [Voir clia[i. X , p. 335.] Notice sur Jean Isaac Levila et Etienne son fils , juifs allemands convertis , qui ont enseigne l'hébreu à Louvain au XVI"" siècle'-. Jean Isaac Levita (Levi), d'origine el de religion juive, élail Rabbin à Wetziar, et il en remplissait les fondions, quand, sur le point d'expliquer le cbap. 55 d'Isaie, il re- connut qu'il fallait entendre la prophétie qu'il contient de Jésus-Christ, et non d'un autre. Il se relira à Marbourg et reçut le baptême sous les auspices de Philippe, prince de Hesse, en 134G. Jean Draconiles publia à celle occasion un manifeste pour faire gloire à l'église luthérienne d'un tel prosélyte. L'année 1547 ayant été funeste au Landgrave son protecteur, Isaac fut appelé à Lou- vain par Granvelle, pour y professer les lellres hébraïques el chaldaïques. Comme Isaac n'avait encore qu'une connaissance fort faible du latin, il fut confié -d Adrien Amerolius qui le lui enseigna el qui l'instruisit aussi dans la foi catholique ^ Ses leçons ne furent pas de longue durée, et l'eu doit leur assigner pour limites les années 1547 à 1551. Après le départ de Granvelle, il avait peine à subsister avec sa famille. Les magis- trats de Cologne, Constantin Von Lyskirchen et Ilermann Suderman, jetèrent alors les yeux sur lui pour lui confier l'enseignement de l'hébreu dans leur ville. Il alla occuper cette chaire vers 1551, et la remplit avec honneur pendant 20 ans. Toujours fidèle à la foi qu'il avait embrassée, il mourut, avant l'apostasie de son lils, et fut enterré dans l'église de la S'^-Vierge, dite aux Indulgences [ad Indulgentias), en 1577. Voici , toujours d'après Paquot , la liste de ses écrits * : I. Rationes desertae Synagogue, Marpurgi, 1540 [aut circiter.). ' C'est la transcriplion du mol arabe signifiant disciple , dont Arias Montanus a fait suivre fort souient sa signature. - Extraits traduits des Pasti MS. de Paquot, II, f. .5ô'J-340. = C'est pendant le séjour de son mari à Louvain, que la femme d'Isaac se fit catliolique, après avoir opposé une longue résistance aux efforts des théologiens de Louvain, R. Tapperus, Petrus Curtius, Judorus Tiletanus et J. Has- selius, pour la convertir. ' Le D'Fûrst,danssa Bibiiotheca jttdaïca (1851, t. II, p. 94), a donné en allemand une courte nomenclature des écrits de Levita, où ne figurent pas les quatre premiers ouvrages qui sont ici énumérés. 406 MEMOIRE SUR LE COLLEGE II. De Hebraeorum grammatica liber metliodo dilucida admodum ac facili a Jo. Isaac LevUa germano concinnalus. Lov. ap. Mart. Rolarium , 1552 , in-8° (voir p. 335, note 2). ni. De aslrologia Rabbi Mosis plii Maimon epislola elegans, et cum ehristiana religione congruens, liebraea nunc primuin édita, et latine facla. Col., per J. Solerum, 1555, in-8°. IV. Physica hebraea Rabbi Aben Tibbon, ul fertur, quae Spiritus gratiae inscribitur, nunc primum édita et latine facta. J. Isaac authore. Col., excufl. J. Soter., 1555. L'auteur dit avoir trouvé par un rare bonheur trois vieux manuscrits à Louvain; il en publie un dans ce livre à la demande des professeurs de l'Université, et il le dédie à .Adolphe deSchaumbourg, archevêque de Cologne. Ces détails sont tirés de sa Préface, qui contient d'autres particularités curieuses. V. Manuduclio ad verba clegantiae, pcrfectissima Itebraïca grammatica commodo admo- dum ordincin treslibros dislincta;exoff. ïypo^r., Colon. J. Soteris, 1553, ia-A° [éd. altéra?) ; éd. m, 1557, pp. 161 et 522. — Réimprimé sous cet autre titre : Grammatica liebraea absolutissima in duos libros distincta,nec non in ordinem studiosis commodiorem digesta , ac phiribus in locis locuplelata, éd. IV '. Antv. ex ofl'. Christ. Plant., 1564, in-i", pp. 162; éd. V, Ibid., 1570, in-4% p. 25U. — Dans la préface de la IV""^ édi- tion, Levila annonce qu'il s'était rendu à Anvers pour corriger l'édition du Lexique hébreu de Sanctes Pagninus, qu'on réimprimait alors chez Plantin, et que, pendant son absence, le magistrat de Cologne [Scnalus Coloniensis) lui avait conservé son traitement. Il n'est point douteux que cette grammaire hébraïque qui a eu plusieurs éditions , sous le nom d'Isaac Levita, n'ait été le fruit des leçons et des communications faites par André (■ennepà cet étranger (Voir ci-dessus, pp. 246 et 535). VI. Tabulae in gramm. hebr. auct. Nie. Clenardo a J. Is. Levita nunc recens correctae, Col. ap. II. Birckmannum, 1555, in-8°. — Ed. IV cum titulo: Tabula etc., a J. Quinquar- boreo Aurelianensi mendis qiiibus scatebat repurgata. Accessere J. Isaaci et Genebrardi ad absolutiorem institutionem schotia; Paris, ap. Mart. Juvenem., 1564, in-4° et in-8°. VII. Meditationes hebraïcae in artem grammaticam per integrum librum Ruth explicalae, una cum aliarum rerum accessionibus tiujiis linguae tironibus cumprimis utilibus et neces- .•iariis. Col., ex ofl'. J. Soteris, 1558, in-S", pp. 52 et 404. VIII. Defensio veritatis hebraïcae contra Wilhelmum Lindanum Ruraemundensem epis- copum, qui videlicet libro deopt. gen. interpretandi parum Irihuere hebraeo SS. Bibliorum tpxlui videtur. Col. 1558. Rivet, d'après Moreri, remarque qu'lsaac a si bien répondu à Lindanus, qu'il est inutile désormais d'écrire sur la même matière. Cfr. R. Simon, Hist. rrit. du Vieux Testament, 1. III, chap. XVII. Siephanuson Etienne, fils d'Isaac Levita, né à Welzlar en 1542, fut baptisé à l'âge de 4 ans avec son père (1546) ;il vint avec lui, en 1547, à Louvain, et le suivit , en 1551, à Co- logne. Il étudia les lettres dans celle dernière ville; et, en 1557, il fut confié au D' Jean Telgius, gymnasiarqueà Zwolle. De retour à Cologne, il suivit les cours de philosophie au ' Celte IV"" édilion esl décrite avec soin dans les Annales de l'imprimerie pinntinienne, par MM. de Backor ei Riielens, pp ôS-ô9. Levita s\v nomme professer ptiblicu s. DES TROIS-LAINGUES A LOUVAIN. 407 collegium Monlanum, et fut proclamé maître (magister). Bientôt après , voulant s'adonner à la médecine, à l'exemple de ses ancêtres, il suivit à Louvain (avida aure) les leçons de Biesius, de Bernartius, de Corn. Gemma, en se procurant les ressources nécessaires à sa subsistance par des leçons privées d'hébreu. En laGô, il voyagea; l'année suivante, il se rendit à Douai, où il fut élu professeur royal et ordinaire de langue hébraïque et chal- daïque à l'Université de cette ville, par la protection de Max. de Berghes, archevêque de Cambrai, de François Richardot,d'Arras, et de Joachim Hopperus, sénateur de Bruxelles. Néanmoins, il ne renonça pas encore entièrement à la pratique de la médecine , mais fidèle à ses convictions catholiques, il refusa de répondre à l'appel des Calvinistes français qui cherchaient à l'attirer parmi eux. Stephanus Levita abandonna tout à coup Douai, malgré les représentations de Richar- dot, qui était alors un de ses auditeurs, quand le recteur et les doyens de l'académie de Cologne, d'accord avec les magistrats de la ville, proviseurs de l'académie, lui eurent déféré en son absence la prébende de S'°-Ursule. Stephanus, à peine arrivé à Cologne, fut admis aux ordres sacrés en 1362, et presque immédiatement après, le recteur de l'Université de Louvain, Cunerus Pelri, le choisit pour remplacer dans la chaire d'hébreu au collège des Trois-Langues André Gennep qui venait de mourir; mais les magistrats de Cologne s'opposèrent au départ de Levita. On le voit plus tard devenir licencié en théologie, vicaire de l'église primaire de Saint- Pierre, desservant de N.-D. aux Indulgences, charge où il fut maintenu, en présence d'un puissant compétiteur, par l'évêque de Liège, Gérard de Groesbeck. Dans la paroisse de N.-D., il annonçait fréquemment la parole divine aux catholiques et aux réformés , et il n'oubliait pas non plus ses anciens coreligionnaires. Du consentement d'Adolphe, archevêque de Cologne, le légat du pape, François de Mendoza, donna à Etienne Levita et à son père un pouvoir illimité de convertir par la parole, et même par la force (m et adhibita) , les juifs appartenant aux trois diocèses des Électeurs. Stephanus s'appliqua en vue de ses prédications à la lecture des livres des hérétiques, mais bientôt, il ne se contenta plus de s'abstenir de les combattre; il se mit à les imiter. Sous Gebhard Truchsès, protecteur des dissidents , il s'éleva contre l'usage des saintes images, et sous Ernest de Bavière, il alla jusqu'à déclamer en public, le 12 octobre 1585, contre le culte des images, tel que le pratiquent les catholiques. La ville entière fut en émoi. Michel Brilmacher monte le même jour en chaire à 6 heures, pour le réfuter. D'autres théologiens de Cologne s'empressent de combattre, dans des réunions publiques , tous les sophismes que Stephanus a empruntés aux iconoclastes. Le chef du clergé de Sainte-Ursule, président du chapitre, le fait appeler devant lui. Stephanus, renfermé dans sa demeure depuis quatre jours , refuse de comparaître, en prétextant sa mauvaise santé. Les députés de l'archevêque vont en personne le solliciter à faire une démarche qui lui obtiendra la levée de la suspense qu'il a encourue. Levita s'obstine dans ses refus , et ne tarde pas à obtenir du magistrat de Cologne, à la grande indignation des commis- saires épiscopaux, la permission de continuer l'enseignement de la doctrine évangélique. Le doyen de l'église métropolitaine renouvelle ses instances; elles restent longtemps Tome XXVIII. S3 408 MÉMOIRE SLR LE COLLEGE infructueuses. Enfin, le juif converti se présente, muni d'un sauf-conduit donné par le chapitre; mais c'est pour se démettre de ses trois charges {tria sacerdotia) et pour décla- rer qu'il va se faire l'apôtre des Calvinistes. En io86, Stephanus publia en allemand une apologie de sa conduite, avec un récit des persécutions qu'il s'était attirées; il y déclarait qu'il avait été entraîné par la force des argument.s de Sadelius contre la primauté de l'Église romaine. K. ( Voir chap. XII , p. 3fi9.) Rapport dupléban de Louvain, J.-B. Sclweps , dans l'affaire de la nomination d'un pro- fesseur de grec au collège des Trois-Langues, en date du 13 novembre 1722, et adresse du même au recteur de l'Université louchant la même affaire. JlDICItM PLEBAM LOVAMENSIS IN CAtSA COLLATIONIS lECTIOMIS GraECAE. » Infra scriptus plebanus Lovaniensis qua provisor et collator Lectionis Graecae man- dato Majestatis suae C. et R., interrogatus a Magnifico Domino Rectore, quid censeam de modo conferendi Lectionem Graecam collegii Trilinguis Buslidiani , respondeo sub correctione et judicio meliori salvo. B Cum notorium sit quod in IV superioribus facultatibus hujus Universitatis nulla Lectio aut professio conferatur, ne a Rege quidem, nisi habito prius advisamento seu judicio illius Facultatis sive collegii professorum, ad quam Lectio pertinet. » Cum Facultatis artium lectiones duae publicae, altéra Ethices, altéra Eloquentiae, eodem modo conferantur. B Atque ibidem professorum Philosophiae electiones per ultimum Regulamentum Regium anni 1702, restriclae sint ad magistros qui promoli sint inter quinque primes et aliisquibusdamconditionibus praediti. » Cum ejusdem Facultatis Lectiones litterariae, quae jam traduntur in Gymnasio SS. Trinitatis, conferantur a corpore ejusdem Facultatis, debeatque praemilti earum publicatio, ut detur liber concursus omnibus. » Lectiones vero Trilingues de quibus agitur, cum non sint incorporalae ulli ex quin- que Facultatibus, cujus advisamentum ante earum collationem requiri possit. » Nec habealur in Graecis sicut in aliis scienliis ulla promotio per loca aut gradus, nisi forte in Gymnasiis Litter^riis , quod hic non suflicit. B Neque provisores Buslidiani per se de Graecis cognoscere possint. B Cum Doctor Martin ultimus Lectionis Graecae professer eam non obtinuerit uisi praevio examine legitimo : et habitus fuerit concursus pro ejusdem substitutione, dum DES TROIS-LANGUES A LOUVAIIS. 409 dictus Doctor evocabatur ad prolessoratura Seminarii Mechliniensis, cui concursui praesi- deruat Doclores Sleyaert et Heris (ul patet ex annexo sub A). Hinc videiur res ipsa loqui , quod in praesente casu collationis Lectionis Graecae adhi- beuda sit similis aliqua cautela et exploratio, qualem in omnibus hujusmodi provisioni- bus ipsa aequitas dictavit esse praemittendam. » Attento maxime quod aspirantes seu candidat! non sint omni exceptione majores, aut per se célèbres. » Videiur, inquam, vel instiluendos esse concursus, ut novi quidam aspirantes expe- tunt, et qualis in collatione aliarum Bursarum, ad quas nullospeeiali tilulo quisquam praeferendus veail, hic Lovanii non rare adliibetur, qualis item ex instituto principum nostrorum adhiberi solebat in provisione Cathedrarum Universitatis Duacenae. 1 Vel, quod forte magis placeat, praemiltendum videtur Examen aliquod publicum cui praeliciantur delecti viri, inlegri et intelligentes, qui de eruditione et Graecitale concurrentium judicium ferant, quod Collatores sequantur. » Raliones aulem et causae addi possunt sequentes : a Quod alioquin provisores Buslidiani, si neglecto tali expérimente, prosiliant ad eiectionem , exponant se manifesto periculo assumendi professorem contra menlem et institutum Fundatoris, contra honorera et famam hujus Universitatis , atqueadeo conlra ipsius Reipuhlicae et Ecclesiae commoda. » Fundator fuit D. Hieronymus Busleiden Aegidii Equitis aurati fliius, J. U. Doctor, Cameraci in Divae M. Virginis praepositus, et supremi senatus Belgici apud Mechli- niensesconsiliarius, ac Libellorum supplicum Magister, vir doctus, facundus, qui variis apud Poutilicem,Reges Legationibusfunctus, in ipsa Legatione qua a Carolo V Imp. in Hispanias mittebatur, mortuusesl anno 1517. r Hictam illuslris vir et de Repubiica tara bene meritus, cum videret suorum tem- porum calamitates raaxima ex parte a seculi sui ignorantia et barbarie provenire, nihil in salutem publicam se praeclarius praestare posse existimavit, quam si in celeberrima Academia Lovaniensi a qua praecipuum adversus ista mala remedium atque praesidium tune exspectabatur , et rêvera postea advenit ; i> Si , iuquam , in hujus Academiae sinu institueret et fundaret trium celeberrimarum Linguarum professiones publicas, sine quarum Linguarumadminiculoet lumine constat reliquas scientias et doctrinas jacere incultas , débiles et informes. » Quod ejusdem institutum sapientissimorum virorum encomiis ita statim depraedi- catum est, itaque omnibus placuit, ut illius exemplum mox in Gallia Franciscus I, in Anglia Richardus Wintonensis Episcopus et cardinalis Ximenes in Hispania aemuiati sint , simile collegium Trilingue erigeudo. ;> Incredibile auteni dictu est quantum ex his Busiidianis Lectionibus Universilas nostra splendoris et adjumenti, quantum Respublica et Ecclesia emolumenti acceperit. » Et porro spes est fore ut accipere pergant, modo ad easdem professiones seu lec- tiones assumantur taies viri , quales assurai voluit sapienlissiraus fundator Buslidius. B Videlicet , viri , ut ait Fundator, undecumque eruditi, probatis moribus et vitae incul- 410 MEMOIRE SUR LE COLLEGE patae, qui in dies legant et profileantur in eodem coUegio tam Christianos quam morales, ac alios probalos auctores ; omnibus eo adventantibus in tribus linguis , lalina scilicet , Graeca et Ilebraïca, diversis horis pro sua et auditorum commodilale distribuendis, sine aliquu stipendia ab adventantibus exigendo , et non exacte acceptando. » Quoi si Fundalor pro qualibel Irium harum professionum , virum undecumque eruditum jure merilo requisiverit, lalis profecto imprimis quaerendus est pro leclione linguae Graecae, quae, ut intelligentes omnes asserunt, est longe copiosissiraa et diffi- cillima. » Maxime cum Graeci scriptores, sive Christiani ul v. g. Athanasius, Basilius, Gre- gorius Nazianzenus, Eusebius, Theodoretus; sive morales , aliique auctores , ut v. g. Plu- tarchus, Plato, Isocrates, Xenophon, Demosthenes, el poeta Homerus exponi rite non possint, nisi ab eo, qui in sermone isto diu multumque esercitalus, profunda insuper rerum antiquarum tum sacrarum tum profanarum peritia eruditus sit. 1) Et sane etiamsi in casu proposito talem virum leclioni Graecae vi ipsius fundationis providere non tenerenlur collegii Trilinguis Provisores, ipse tamen Academiae noslrae honor et boni publici ratio eosdem ad. hoc adducere deberet. » Nisi enim studium Graecitalis in Universitate ttoreat, nulla in altioribus scientiis solida el perfecta eruditio sperari potest. i) Non invenientur theologi, ut olim nostri fuerunt, qui Bibliorum versiones latinas et vernaculas curent, qui traditionum fontes adeant, et inde antiquilates eruant eccle- siasticas in fîdei et praeceptorum evangelicorum defensionem, confirmationem, elucida- tionem. B Maximam partem antiquorum canonum, historiae et disciplinae ecclesiasticae non scrutabuntur canonistae nostri, ut oporteret, in originibus. » Neque politicorum et legislationum praeclariora monumenla , in eo sermone quo primitus scripta sunt, legent juris publici et civilis antecessores. » Neque medici aut philosophi auctores suos in fonte gustabunt. » Dubiiari itaque non potest quin lectioni Graecae vacanti, de qua quaestio, provideri debealdeprofessorelitterarumGraecarum peritissimoetmulta undiqueeruditioneornato. B Hoc aulem qua ratione Provisores pro officio suo praestare, cerlaque via exequi poterunt, nisi instituendo, facta publicatione, praefatum concursum aut examen publi- cum? non enim idoneum et Graeca cathedra dignum professorem ab aliis semidoctis et minus dignis compeiitoribus ullo alio certo criterio dignoscere ipsi queant. » Neque sutficere potest, si, ut quidam vellent, eligatur vir aliquali Graecitatis tinc- tura imbutus, modo talis existai, qui cerlam spem praebeal fore ut brevi sit perfeclus. » Nam praelerquam quod hic conceplus nec justiliae dislribulivae, nec bono com- muni sit consentaneus, ut pote animum praeripiens iis, qui lalibus quasi stimulis et praemiis ad inexhaustos studii litterarii labores suscipiendos non rare excilanlur : secunduni illud honos alit artes ; itemque, sint Moecenates; » Quis spondere ausit, fore ut talis aliquis praecox Magister, qui a lirocinio suo nondum ferlasse absolvendus foret, adepia semel lectionis collatione, impensurus sit DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. Ui omnem diligentiam et operam, quae requirilur maxiraa, ul perfeclus évadât? Sed deinus etiam l'uturum, ut non parcal labori et studio, demus eum magno ingenio praeditum esse, et in majoribus scientiis praecellere: an ex iis sequitur negotium ei successurum quoad Graeca, quae spéciale quoddam ingenium exigunt? Maxime si hoc tentet in pro- vectiore aetate altiorum honorum cupiditate forlassis incensus, et majorum negotiorum curis distractus. » Quin et ponamus, ut lapsu temporis progressus ex voto succédât, id qiiod paucis taiibus equidem contingit, nonne liac condilione accidet, ut in cathedra Graeca sedeat: qui viris exlraneis visendae Universitatis causa fortasse adventantibus, vel nostratibus etiam doctoribus, aut discipulis provectioribus diilîcultatem aliquam moveulibus res- pondere, sine insigni ipsius cathedrae totiusque Academiae dedecore, non valeat? » Propterquas res idem infra scriptus, non improbando id quod in provisionibus lec- tionum collegii Trilinguis, mutalis lorte circumstantiis, ante bac interdum actum luit, concludo et censeo: a Non abhorrendum esse a concursu quem quidam candidati expetunt, et muiti Aca- demici laudarent, in quo quasi ex sponsione deberelur oblinenti palmam. » Quia tamen ténor fundalionis supra allegatus praeter erudilionem completam et Graecitatem non vulgarem , etiam exigit mores probatos et vitam inculpatam ; » Auctor sim, ut in liis circumstantiis rogentur viri quidam delecti, satis in hoc eru- dili et integri, ut examen publicum habeant aspiranlibus omnibus subeundum sub bis nempe condilionibus : B r Ut testimonium de unoquoqueexaminato reddatur in scriplis; » 2° Et annotetur locus et ordo quem inler reliquos promerili sunt; » 3° Ut de unoquoque edicant, an sit talis qualem fundatio exigit, nimirum, jam nunc, undecumque eruditus et idoneus qui in dies légat et profilealur publiée.... tam Chris- tianos quam morales ac alios probatos auctores omnibus adventantibus in lingua graeca; » 4° Ut is, qui habeat hoc testimonium, praeferatur in electione illi qui non habet: » o" Ut nemo tamen eligatur, nisi qui locum adeptus est inter très primos; » 6° Ut hoc examen ante publicetur in vicinis etiam civitatibus, imo et in aJiis Uni- versitatibus catholicis, si videbitur; » 7° Ut omnes hae conditiones observentur sub poena nullitatis electionis aut suftra- gii. — Rogans Magnificum D. Rectorem quatenus lias rationes cumjudicio suo ad sacrum suam Caesar. et Reg. Majestatem mittere dignetur. » Datum Lovanii 15 novembris 1722. » J.-B. SCHOEPS. Magnifico domino Rectori almaeque Universitati Lovaniensi. ■■> Exponit ea, qua par est, veneratione infra scriptus ad divum Petrum in bac civitate plebanus et in ea qualitale primus provisor collegii trilinguis Busieidiani, quod perobitum 4i2 MEMOIRE SUR LE COLLEGE docioris Marliu vacel iu praesenlia ejusdem collegii lectio Graeca, quodque secundiim vo- lunialem lundatoris ad eam assumendus sil vir, ut ait, undecumque eruditus qui in dies légal el protiteatur in dicto collegio tara Christianos, quam morales ac alios probatos auc- tores omnibus 60 adventaniibus in liugua Graeca. Cumautem inter eosqui haclenus aspi- rant nullus reperialur, dequo vel per famamautspecimina publica constarepossitproviso- ribushujusliuguaeexpertibus, eumadprofessionemillamesseidoneura:existimatomnino et conlendit Orator non esse in hoc casu procedendum ad eleclionem, nisi prius vel insti- tuatur concursus publicus, vel saltem legilimuni aliquod examen , in quo concurrentes per ijuasdam interprelationes et expositionesvariorum auctorum Graecorum se probent ser- monis Graeci sic esse peritos, ut ejus professionem cum iionore fundationis et Universitatis exercere possint. QuaeOraloris praetensio quam sit aequa et in hoc eventu necessaria vel ex eo elucere polest, quod alioquin evidentissimum periculum sit aberrandi enormitera laudatissima intentione et mente illustrissimi fundatoris et hujus Academiae benefactoris maximi, qui adeo leclionesillas trilingues inslituit, ut per litterarumadminiculum,orna- mentum el lumen, depulsa quae tune regnabat barbarie, omnibus hujus Studii generalis Facullatibus debilus suussplendor, honos et perfectio redderetur, alque ut etiam contra horum temporum haelerodoxos politiori lilteralura fucum facientes proPerre possel haec Universilas , uli semper haclenus fecit, orihodoxae lidei defensores illustrissimes, omnibus numeris absolûtes, adeo ut hic agalur non solum de lideli fundationis provisione, quod ipsum per se grave est, sed de commodo etiam , honore el celebrilale Almae Mains, de ipsius Ecclesiae, et Reipublicae praesidio el bono, quae raliones tanto magis probari debeut venerabilibus Dominationibus veslris, quod omnino conformes sint inslilutis et moribus hujus Academiae, a quibus ne quidem Rex ipse se eximere voluit, nimirum quod nulla hic lectio publica couferri possil, nisi petilo prius el habilo super compelentium capacilate illius Facullalis ad quam pertinel, testimonio et judicio. Accedit quod , ut me- minisse possunt seniores Academici, pro hac eadem leciione Graeca similis probalio adhibita fuerit, semel cum de ea cerlaret praefalus doctor Martin, et iterum cum idem vocatus ad professoralum seminarii episcopalis Mechliniensis linguae Graecae profes- sionem deseruisse videbatur. Cum igitur memoralae Oraloris pelitioni et ralionibus, ui videlur, aequissimis, acquiescere haclenus noliul reliqui duo domini provisores collegii irilinguis praefati, etiamsi in hoc specialiler pluries fuerint convocati, hinccogitur Orator recurrere ad Magnificum dominum lotamque banc Almam Universilalem, enixe rogans et supplicans ut in hac parle suflragari diguentur voto el pelitioni supplicanlis, nempe ut, interposita auclorilate sua, omni meliori modo efficiant ut in casu proposito ad lin- guae Graecae professionis collationem non procedatur nisi habilo prius per concursum publicum, vel saltem per examen legitimum, ul supra dictum est, de aspirantium erudi- lione et peritia, judicio. B J.-B. SCHOEPS. » DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 413 INDEX LITTÉRAIRE TABLE DES AUTEURS ET DES OUVRAGES ANCIENS E&PLIQUÉS, PUBLIÉS, TRADUITS OU ANNOTÉS, AINSI QUE DES OUVRAGES DE GRAMMAIRE ET DE PHILOLOGIE QUI ONT UNE MENTION SPÉCULE DANS CE MÉMOIRE '. A. Aristophane. Édition grecque du Plutiis (1518); épitre de Th. Jlartens sur la comédie grecque. Page 302. Aristote. Version latine de sa morale, publ. à Louvain (li75). Page 20. Athanase (S.). Traduction latine de ses œuvres par Nannius (Bàle, 1556, in-fol.). Pages 154-155. Athénagore. Son Ivaiié de Resurreclionc mnrtiiorum , trad. par Nannius. Page 1 3i. — Son Apologia, trad. par Suff. Pétri. Page 358. Augustin (S.). De Civilate Dci Hbri XXII , éd. de Louvain (1488). Page 21. — Travaux de L. Vives sur cet ouvrage. Pages 137 et 509. B. Basile le Grand (S.). Trois homélies, trad. par Fr. Craneveldt (Louvain, R. Rescius, 1534). Page 206. — Trois homélies et trois épîtres, trad. par Nan- nius. Page 154. Biblia regia, ou Polyglotte royale d'Anvers .• — Index biblinis , et Variae lectiones , par J. Harlc- mius. Page 320. — Variantes de la version des Septante, recueillies par G. Ganter et Livineïus. Page 341. — Révision do la version latine interlinéaire du texte hébreu. Pages 319-320 et 404. — Rév. de la nouv. version latine de la paraphrase chaldaïque. Pages 320 et 404. BoÈCE. Influence de ses écrits. Pages 11-12. — De Consolatione philosophiae , éd. de Louvain (1482 et 1487). Page 12. ' Nous avons indiqué de préférence dans cette table tes livres et les éditions dont on n'a pas relevé jusqu'ici l'importance dans la plupart des ouvrages d'histoire littéraire et de bibliographie , et surtout ceux qui font le mieux juger de la direction donnée aux travaux du collège des Trois-Langues. Il va de soi que nous n'avons pas compris dans celle table les écrits nom- breux et connus de nos plus célèbres savants, dont l'énumération et la description ont trouve place dans des notices et des collections justement estimées. 4i4 MEMOIRE SUR LE COLLEGE Cktoti {Distiques dits de), imprimés pour les classes par Érasme. Page 132. Cbrvsostôme (S.Jean). Son traité in Babylam, Irad. par Érasme. Pages 99 et 509. — Trois homélies, trad. par Nannius. Page 15i. CicÉRON. Ses traités publiés à Louvain au XV"» siè- cle. Page 20. — Ses Officia annotés par Goclenius. Pages 148 et 298-299. — Observ. sur les Officia, par C. Valerius (éd. de 1568 et 1!)78). Page 158. — Deux des Vcrrincs, ann. par Nannius. Page 1 53. — Son discours Pro Arcliia expliqué par .1. Loe- zius, et imprimé avec commentaire par le même (1560). Pages U9 et 554. D. DÉMOSTHÈ^E. Disc. De immimitate adv. Leptinem, trad. par Nannius (1542). Pages 154-156. — Difficultés d'une traduction des discours de cet EccLÉsiASTE. Livre de rEccIésiasle. — Travail exégétique de R. Wackcfield. Page 235. — Travail de R. Shirwood { Explanatio, etc.; Antv. 1525). Pages 254-235. — Paraphrase célèbre due à Campensis (1552). Pag. 242-243. Sort de ce travail. Pag. 510-517. Érasme (D.). Ses Adages lus dans les classes; édition orateur, d'après Nannius. Pages 300-507. - Lettres attribuées à Démosthène et à Eschine. trad. par Nannius. Page 154. £. abrégée par Barland (1508 et 1521). Pages 142, 298 et 405. — Ce même recueil augmenté avec l'aide de Go- clenius. Page 147. Évangiles. Éditions grecques du N. T. par Érasme. Pages 70-71, 120. Florus. Commentaire sur son histoire, composé par Stadius pour ses leçons, et publié à Anvers (1585). Page 168. G. Grammaire et langue grecques : — Usage de la grammaire de Théodore Gaza, tra- duite par Érasme (1518). Pages 209 et 550. — Compendium Graecae grammalices, par Amero- tius (Louvain, 1520, in-4°). Pages 208-209. — Diclionarius Graecus, publié à Bàle en 1524, par J. Ceratinus. Page 200. — De sono literarum Graecarnm, par le même. (Co- loniae, 1.^29). Page 200. — Instiliitiones linguae Graecae, par N. Cleynarts (Louvain, 1550). Pages 328-529, 354. — Meditationes Graecanicac in artem grammati- FoRTUNATiANUs (CoHSiillHS Cufitis). Édition de sa Rhétorique corrigée par Nannius. Page 133. cam, par le même (Louvain, 1531). Page 328. — Libeltus de dialectis Graeconim., etc., par Amero- tius (1534 et 1550). Page 209. — Syntaxis linguae Graecae, par J. Varennius (Louvain, 1532). Page 329. — Traité du même de Acceiilibus Graecorum. Pages 329-330. — Abrégé de la syntaxe grecque, par G. Fabius (1584). Pages 212 et 330. — Orationes V de ntilitaie linguae Graecae, auct. S. Pétri (Bàle, 1565). Page 558. — Instiluliones linguae Graecae, par H. J. Leemput DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 415 (Louvain, 1782 et 1797). Pages 224-225. Grammaire et langue latines. — Trailés de J. Dcspautèrc sur la grammaire la- tine. Pages 129-130. — Abrégé de la grammaire de Dcspautèrc. P. 330. — Restauratio liiiguae Lalinae, par G. Halewyn. Page 330. — Éléments de grammaire latine, par J. Gillet et P. Procurator. Pages 530-531. — lusliluliomim grammaticarum lihri IV, par C. Valcrius (ISKi). Pages 161 et 331. — Traités de rhétorique et de dialectique, par le même. Pages 161-102. — Traités de Vcrnulaeus sur l'art oratoire. P. 18i. — Grammalica Latina in faciliorcin methodum re- dacta, par Kerkherdere (Louv., 1706, 10-12°). Page 19C. Grammaire et langue hébraïques. — Diclionarium Ilebralcum, publié par Th. Mar- tens, à Louvain, vers 1520. Pages 513-314. — Grammaire hébraïque de J. Campensis (Lou- vain, juin 1528, in-4»). Pages 238-242. — Tabula in grammatkaw llebraeam, par Nie. Clcynarls (Louv., 1529, in-i"). Pages 314-31 .'i. — De grammalica llebraea liber, par J. Isaac Le- vila (Louv., 1552), et autres éditions du même ouvrage à Anvers et à Cologne. Pages 533 et 400. — Encomium linguae Hebraïcae, par V. André, publié en 1014. Pages xv et 259. — Analyse de ce discours. Pages 260-267. — MS. d'une nouv. éd. de la grammaire de J. Cam- pensis, préparée par V. André. Page 259. — Spéculum Hebrakum, impr. à Louvain en 1615, par Jos. Abudacnus. Page 555. — Inlroductio brevis ad Uiiguam Hebraeam , par J. Sauterus (Louv., 1075, in-12»). Page 268. — Lcxicon hebraco-lalinum , manuscrit de Paquot. Page 275. Grammaire et langue syriaques. — Grammaire et dictionnaire syriaques par A. Ma- sius, au tome I" de VApparatus de la Polyglotte d'Anvers. Pages 521 et 526. — Elcm.enla linguae syriacae , et de Hilibiis bup- tismi; etc. Publications syriaques faites en 1572, par Guy Lefèvre de la Boderie, à la demande de philologues de Louvain. Pages 326-327. H. Hippocrate, Aphorismes, éd. gr. par Rescius (1833). Pages 204 et 304. Histoire et antiquités (traités divers). — Barland , opuscule sur quarante princes lettrés de Rome. Pages 143 et 403. — Puteanus, épître sur le luxe de la table. P. 174. — P. Castcllanus, traité sur les fêtes des Grecs. (Anvers, 1617). Page 210. — Id. Vies des médecins illustres, anciens et modernes (Anvers, 1018). Page 217. Homère. Édition complète de l'Iliade et de l'Odys- sée, par Th. Martens (1523). Page 302. — Pocmcs homériques, publiés, en 1535, par Res- cius ( 2 vol. in-4»). Page 304. — Scntentiae Hnmericae, recueil de Boetius Epo (Louvain, 1555). Page 554. Horace. Ars poetica, objet d'un discours de Nan- nius, page 150, et d'un commentaire par le même, dans l'édition de Laev. Torrentius(1608). Pages 155 et 258. — Élude de ses poésies recommandée par Barland et par Nannius. Pages 293 et 299. Juvénal. Ses satires imprimées par Jean de West- phalie (1475). Page 20. LiVE (Tite). Corrections sur le III"" livre de la I" décade par Nannius, page 153. Morceaux Tome XXVIII. expliqués par le même dans son cours de latin. Ibid. u U6 MEMOIRE SUR LE COLLEGE — Le I" livre de ses ^nna/fs, expliqué par J. Lipsc — VHermntime , traduit par Goclcnius (1522). en 157G. Page 167. Page iio. LucAiN. Révision de ses poèmes par Goclenius. — Divers de ses dialogues traduits par Érasme. Page H3. Page 305. Li'ciEN. Ses traités publiés en grand nombre par Lucrèce. Observations crit. de C. Valerius dans Th. Martens, à Louvain. Page 502. l'édition de Giphanius (1506). Page 158. M. Manti:a]vls (Daptisla), poëte latin moderne. P. 293. Martial. Choix d'Épigrammes publié par Barland. Pages 1 42 et 402. Mklanges de philologie ancienne. — Dialogi ad profligandam barharicm, par Bar- land (1S24 et ann. suiv.). Pages 401-102. — MisccHaiicoriim dccas unn, par Nannius (1544). Page 153. — Emendationum cl Misccllanenriim lihri XX, par P. Leopardus (1S68). Page 330. — Version des vies et mots célèbres des philoso- phes grecs, par le même. Page 33C. — Tullianac quacstiones d'André Schott. Page 343. — Ludics Sipe convivium sahirnale . par Castel- lanus (IC16). Page 215. o. OcELLLS LicANUs. Son traité de la Nature des c/ioses, traduit par J.Boschius (1554). Page 157. Orphée. Le poëme nrph\(\ue Sur les pierres , trad. par H. Gamcrius. Page 359. Ovide. Son poëme VJhis, commenté par Valère André (1018). Page 258. P. Perse. Ses satires impr. à Louvain (1475). Page 20. Phiielphe (Fr.). Lecture de ses écrits dans les classes. Pages 137 et 293. Photics. Edition célèbre de sa Bibliothèque, par A. Schott. Page 343. Pindare. Ses odes expliquées h Louvain par S. Pé- tri. Pages 211 et 338. Platon. Ses Lois publiées en grec par Rescius. Pages 200 et 304. — Dialogues impr. par Martens. Page 302. Plaiite. Prologue et complément de .son Aulularia, parDorpius (1508). Pages 118-120 et 598-401. — Prologue de Barland pour la même pièce. Page 120. — Jugements divers sur le théâtre de ce poète. Pages 121 et 292. Pline l'Ancien. Son Histoire universelle expl. par Vives à Louvain (1522). Page 136. Pline le Jeune. Scholies sur ses lettres, par Bar- land. Page 402. — Donné comme modèle du style épistolaire. Page 293. Plutarque. Opuscules trad. par Erasme. Page 305. — Vies de Caton et de Phocion, trad. par Nan- nius (1540). Page 154. — Divers traités trad. par SulT. Pétri. Page 338. PoMPONlus Mêla, expliqué par Vives à Louvain. Page 136. Prudence. Poèmes choisis oiTerts à la jeunesse, en 1518, par Th. Martens. Pages 310-331. — Recommandé par Vives avec les av.tres poêles chrétiens. Page 311. — Vanté comme classique par Barland. Page 293. — Edition de ses poèmes d'après un MS. de Nan- nius (Anvers, 1564). Pages 184 et 310. Psaumes. Psalmorum paraphrastica iîilerpretatio , par J. Canipensis (1532 et an. suiv.). Pages 242- 243,310-317. — Édit. des Commentaires de Simon de Muis, par Paquot (1770). Page 275. DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 417 S. Salomon. Livre de lu Sagesse, scolics par Nannius (lbS2). Pagelii2. — Cantique des cantiques, paraphrasé par le mciiic. (1534.). Ibid. SozoMÈNB. Hist. ccelésiast.; les trois derniers livres traduits jiar Sulfr. Pelri. Page 338. Stobee (Jean). Florilegium, ou Ecloguc; édition gr. et lat. par G. Ganter (1579). Page 542. SviNEsiLs. Quelques lettres traduites par Nannius. Page 154. T. TÉREiNCE. Commentaires sur ses comédies, par Bar- land. Pages 295, 142 et 402. — Opinions diverses sur la moralité de ses pièces. Pages 74, 121,293-291. TuEOCKiTE. Idylles. Édition grecque par Th. Mar- tens (1518). Page 502. TaÉopuiLE. Sa version grecque des Instilutcs, éd. de Rescius (1536). Pages 205 et 304. Virgile. Ane. édition des Bucoliques et des Géor- rjiques, par Jean de Westphalie (1475). Page 20. — Edit. de VÈniide (1476). Page 20. — Ses Géorgiqucs expliquées par Vives (1522). Page 136. — Éludes de Barland sur les IV premiers livres de r£Kcidc (1529), avec extraits d'un commentaire attribué b Donatus. Page 402. — Bucoliques et Gcorgiques commentées par Nan- nius. Page 155. — Son commentaire sur les Bucoliques, publié par Th. Langius. Page 211. — Remarques de Nannius sur le VI'"" livre de V Enéide. Page 154. Virgile lu de préférence dans les classes par Bar- land, Goclenius, Nannius et Valerius. Pages 142, 155,158,295, 299. X. Xénophon. Ses traités publiés par Th. Martens en grec. Page 502. — La Cgropédie, VÉconomique et le Hiéro/t expli- qués par Rescius. Page 207. - Ses Memorabilia Sûcratis, édil. gPccque par Res- cius (1529). Pages 207 et 30-4. 418 MEMOIRE SUR LE COLLEGE ONOMASTICON TABLE ALPHABÉTIQUE DES PROFESSEURS ET DES SAVANTS, DES PRÉSIDENTS ET AUTRES FONCTIONNAIRES, AINSI QUE DES PERSONNAGES CÉLÈBRES, CITÉS DANS CE MÉMOIRE. Abudacnls (Joseph), hcbraisant, éditeur d'un Spé- culum Hcbraïcum (i61S). Page 355. Adrianus (Matthieu), juif espagnol, prof, d'iiébreu (1518). Pages 126, 228-251. Adrien VI (Adrien Boyens, d'Utreeht), prof, de théologie à Louvain; puis cardinal et pape. Ses sentiments sur la culture des belles -lettres. Pages 72, 74-75. .^GRicoLA (Rodolphe), maître es arts à Louvain (1465); influence de ses travaux littéraires sur les écoles des Pays-Bas. Pages 15-14, 16, 124. Alabdus (Adelardus), d'Amsterdam, humaniste et poëte, en 1544. Son séjour et ses travau.x à Lou- vain. Pages 154-155, 518. — Ses vers à la mémoire de C. Goclenius, p. 144, et de J. Campensis. P. 244. Aleandro ou Aleander (Hieronimo), humaniste italien, ami d'Erasme et protecteur de Campen- sis. Paae 257. Amand, de Zirickzéc, hébraisant. Page 518, Amerotils ou Amerot (Adrianus), prof, de grec (1545-1560). Pages 208-210, 500. Ammonius ( Gaspard ) , hcbraisant du XV °"^ siècle. Page 17. Amyot (Jacques). Ses leçons de grammaire grecque à Louvain. Page 534. Andréas (Valcrius) vulgo Driessens, ou Valère André, prof, d'hébreu (1612-1655). Sa vie et ses travaux. Pages 250-258. — Son histoire du collège des Trois-Laiigucs, et son éloge de l'hébreu. Pages xv, 105 et 259-267. Arias Montanus (Benedictus), éditeur de la Poly- glotte d'Anvers. Son appel aux docteurs de l'Uni- versité de Louvain. Pages 318-522. Assonleville (Christ, d'), membre du conseil sou- verain des Pays-Bas (1586). Sa lettre en faveur de G. Huysmannus. Pages 164-165. .\iDENAERT (Egide Fr.), prof, de grec. P. 221-222. B. Baecx (Adrien) van Baerlandt, président du col- lège des Trois-Langues (1606-1624). Ses ser- vices comme administrateur, pages 105-107. — Sa vie. Pages 592-595. Balduinus ou Bauduin (Fr.), jurisconsulte lettré. Page 339. Barbirrs (Pctrus), doyen de Tournai, ami d'É- rasme. Pages 71, 229, Barland (Adrien), prof, de latin (1518-1319); son mérite dans l'enseignement des lettres à Lou- vain. Pages 120-121, 131. — Sa vie et son influence sur les études latines au collège des Trois-Langues. Pages 140-143, 292-291. DES TROIS-LANGCES A LOUVAIN. 419 Bix (Jean Lambert), anc. économe du collège du S'-Esi)rit. Ses notices d'histoire littéraire. P. xvi et 98. Bellenus ou Bellens (Philippe), président (1648- 1693). Page 395. Block (Jean) , premier professeur d'éloquence à la faculté des Arts (I'i43-14-S3). Page 8. Blosius ou de Blois (Louis) , abbé de Liessies ; in- struit dans les trois langues. Page 518. BoHBASivs (Paulus), prof, de grec à Bologne, cor- respondant d'Érasme. Pages 201-202. BoMBAYE (Chrétien), prof, de latin (1720-1741). Pages 193-194. BoNOMi (J. Fr.), littérateur et protecteur des sa- vants, nonce apostolique en Belgique, mort en 1887. Son intervention en faveur de G. Huys- raannus. Pages 16a-lC6. BoRROMÉE (S. Charles), archevêque de Milan. Ecole de son palais, où enseigna J. Huysmannus. Page 164. BoRROMÉE (Frédéric), cardinal. Ses fondations scientifiques à Milan, à l'époque du séjour de Putcanus. Page 173. BoRSALUS ou VAN BoRSEEL (Jean), humaniste. Ses services littéraires dans les collèges de Louvain. Pages H 9, 130, 152. — Désigné comme premier titulaire de la leçon de latin (1818). Page 139. BosciiiLs ou BosscHE (Jean), médecin et huma- niste, prof, à Ingolstadt. Pages 187 et 558-539. Bldé (Guill.), ami d'Erasme, restaurateur des éludes grecques en France. Pages 137, 289 et 330. BuECKEN (Martinus van deb), président (1752- 1789). Pages 394-398. BiKENTOp (Henri de), frère récollct, prof. d'Écrit, sainte, hébraïsant. Page 565. BiRGii (Rulger van der ), prof, de grec. Pages 221. 268-266. Busciiius (Hermann), humaniste de l'école de De- venter. Son séjour à Louvain. Pages 14, 507-508. BusLEiDEN ou BosLiDius (Jérôme), fondateur du collège des Trois-Langucs , mort en 1517. Sa vie. Pages 37 et suiv. — Ses dispositions testamentaires. Pages 47-49. — Extraits de son testament. Pages 374-584. Blsleiden (Valérien), son frère. Pages 39 et 573. — (François), fils do Valérien. Pages 39 et 576. — (François), archevêque de Besançon, mort en 1503. Pages 58-59 et 575. — (.'Egidius, Gilles), chevalier, un des premiers promoteurs du collège des Trois-Langues. Page 58, 80, 52, 95, 207. — (Guillaume), fils de Gilles, patron du collège. Pages 248 et 375. c. Campensis (Joannes) ou Jean van den Campen, prof. d'hébreu ( 1250-1551). Pages 255-258. — Ses ouvrages. Pages 258-244, 514-518. Canterus (Guill.), d'Utrecht, savant philologue, élève de Valerius, mort en 1873. Pages 188, 507-508, 541-542. Canterus (Théod.), èrudit et philologue. Page 542. Carondelet, chancelier de Brabant. Pages 82-84. Castellanus ou a Castello (Petrus), prof, de grec (1609-1652). Pages 214-217. — Son mérite d'écrivain et de critique. Pages 217 et 555. Castro (Nicolas a) ou Verbruch, président (1559- 1544). Pages 590-591. Cauchius (Jean) ou van Cuvck, d'Utrecht, lati- niste, mort en 1866. Page 158. Ceratinus (Jacobus) ou Jacques Teyng, de Horn, helléniste, mort en 1830. Ses relations avec les humanistes de Louvain. Pages 80, 131, 199- 200. Clément VII , pape. Son avertissement aux théolo- giens de Louvain, au sujet d'Érasme. Pages 85, 386-387. Clenardiis ou Clevnaerts (Nicolas), linguiste. Ses études et ses leçons à Louvain. Pages 52, 155, 328. — Ses traités sur la langue grecque, p. 328-529, et sur la langue hébraïque, pages 259, 514-315. Corselius ou DE CouRSÈLE (Gérard), jurisconsulte, prof, de grec (1591-1590). Pages 215 et 528. 420 MEMOIRE sua LE COLLEGE Ckanbveldt (François de), magistrat, ami des lettres et helléniste lui-même. Pages 206 et 356. CRLgtius ou DE Crucque (Jacques), prof, à Bruges, éditeur d'Horace. Page 357. Clsios (Joannes) ou Jean de Costek, professeur à Louvain, vers 1-498. Page 129. CypERS (Jean-Baptiste), prof, de grce, en 1790, Pages 225-22U. D. Damen (Hcrmann), Th. U., i)roviscur du collège (1722). Page 567. Deckers (Jean), prof, d'hchreu (1772-1782). Page 276. Deens (Louis François), président (1695-1725). Page 594. DELPnts (Judocus) , docteur en droit. Ses vers en l'honneur de M. Dorpius. Pages 120 et 401. Désirant (le Frère Bernard), historiographe royal, prof, de latin au collège des Trois -Langues (1689-1701). Pages 189, 190-191. Despautère (Jean), de Ninove, grammairien , prof. au collège du Lis. Pages 15, 129-150. — Célébrité de ses traités de grammaire latine. Pages 292, 329-550. Dellin (Henri), de Merville, prof, d'éloquence avant U90. Page 9. Durât ou d'Aurat (Jean), prof, à Paris, un des maîtres de G. Ganter. Page 307. DoRMALiLs ou VAN DoRMAEL (Philippe), imprirneur. Pages 554, 336. DoRPics (Martin), théologien et humaniste, mort en 152S. Pages 22, 127 et 150. — Ses vues générales sur la rénovation des études. Pages 115-110. — Ses études sur Plautc, et ses travaux pour la restitution de r/l«/w?an'(t et pour la représenta- tion d'autres pièces de Plante. Pages 117-121. — Son prologue en vers pour la représentation de VAulularia de Plante. Pages 598-100. — Son prologue pour le Miles. Pages 119-120 (note). — Ses prévisions sur le rôle de la philologie dans l'e.xégèse biblique. Pages 69, 126-128. E. Edelheere (Jacques), président (1559). Page 589. ELEM;s(Hieronymus),deBaelen. Ses leçons privées de grec au XVl"» siècle. Page 550. Elsken (Jean Jos. van de.n), président (1790-1797). Page 596. EoBANUs Htssts (Helius). Ses vers sur l'école de Louvain (1518). Page 128. Epo (Boetius). Ses leçons de grec en 1555, à Lou- vain. Page 534. Érasme (Didier) ou Dcsiderius Eras.mis, l'un des promoteurs du mouvement de la Renaissance, mort en 1556. Pages 56, 157 et 289. — Appui qu'il donne aux projets de Jérôme Bus- leidcn ; ses démarches en faveur du collège des Trois-Langucs. Pages 36-57, 52-55, 60 et suiv., 78-90, 99-100, 200-201. — Influence de ses écrits sur la nouvelle littéra- ture latine. Pages 154-142, 297-298. — Ses vues sur l'étude du grec et sur celle de l'hé- breu. Pages 125-128. — Ses opinions sur l'utilité des langues pour la science des saintes Écritures, pages 60-71, et sur l'élude des classiques et des auteurs chrétiens. Pages 57, 76-77, 508-512. — Ses relations d'amitié avec les maîtres et les savants de Louvain. Pages 86-90, 141, 146-147, 204-205, 229-250, 258. — Réalisation de ses prévisions dans le premier siècle du collège des Trois-Langucs. Pages 157, 227, 289, 295, 522-523, 545-546. — Protection accordée à Érasme par les papes Léon X, Adrien VI et Clément "VU. Pages 70, 72, 85, 586. ÉvERAKD (Nicolas), membre du grand conseil de iMalines, mort en 1552. Pages 36 et 151. DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 421 F. Fabius (Guil.), viilf/n Boonaerts, professeur de grec (1578-1590). Pages 212, 350. FABRicitJs(Godcfi'oid\ de Liège, professeur de litté- rature sacrée, à Ingolstadt. Page ôô9. FoRTis (Joanncs), ou Jean Sïercke, de Meerbeke, dit Mirbecanus, premier président du collège. Pages 49, 98-99, 382, 387-88. G. Gamerius (Hannardus), àW, Mosacns , professeur à Ingolstadt, directeur à l'école de Tongres. P. 339. Gattinara (Mcrcurin Arborio de), chancelier de l'Empire, successeur de Sauvage (1518). P. 84. GaUDANUS ou GOUDANLS. V. Reineri. Gautiis (Léonard), professeur de latin (1089 et suiv.). Pages 188-190. Gennepius (Andréas) ou André Gennep, professeur d'hébreu (1532-1568). Pages 245-247, 315, 335. Georges d'Autriche, prévôt et chancelier de l'Uni- versité, fondateur d'une bourse au collège des Trois-Langues, mort en 1619. Pages 104, 160. Geuli>cx (Arnold), défenseur du latin comme lan- gue savante. Pages 349-350. GiDBERTi's (Jean Matthieu), cvèque de Vérone, secrétaire de Clément VII; son intervention offi- cieuse en faveur du collège des Trois-Langues. Page 84. GiLLET (Jean), professeur à Mons, ses études sur la grammaire latine. Page 330. GiLs (Antoine vaiv), prof, de grec (1791-1797). Page 226. GisELiNus OU Gislain (Victor), latiniste du XVI"" siècle. Pages 167, 340-341. Goclenius ou Goclen (Conrad), professeur de latin, mort en 1539. Sa vie. Pages 143-149. — De l'influence de son enseignement sur la philo- logie latine. Pages 151 , 298-299, 332. Goropius (Jean) Bccanus. Critique de son opinion sur le flamand comme langue mère universelle, par Valèrc André. Page 263. GuAMAYE (J.-B.), professeur d'éloquence. Son Spé- cimen Htterarwm et linguarum (1622). Page 354. Gravius (Barthélémy), imprimeur, associé de Res- cius. Pages 206, 304 et 327. Gl'ilielmius (Joannes) ou Jean Giiilieimi, dit Har- lemius, S. J., prof, d'hébreu en 1 568. Page 247- 248. — Sa coopération aux travaux de la Polyglotte d'Anvers. Pages 320-322. GuvAix (J. J.), professeur d'Écriture sainte. P. 190 et 363. Hagem (Gilbert-Joseph), professeur d'hébreu (1723- 1750). Pages 271-272. Haiewym (Georges), dit Haloisls, latiniste et pro- tecteur des lettres. Pages 36, 119 et 330. Hamere (de) ou van Hameren (Jean), prof, de grec 1664-1680). Pages 219-220. Harlem (Hugues de), prof, d'éloquence (1453- 1460). Pages 9. Harlemius. Voir Guilielmius. Hasseius (Leonardus), théologien et hébraïsant. Page 318. Havens (Frédéric), président (1624-1648). P. 393. Hegil'S (Alex.), maître d'Érasme et de Goclenius et d'autres humanisles célèbres, à Devcnter. P. 14. Heimbaciiiis ou von Heysirach (Bernard), prof, de latin (1649), et de grec (1054). Pages 184-185, 218, 352. HERYs(Jean), professeur d'hébreu (1680-1704). Pages 269-270. Heuschling (Etienne), prof, d'hébreu (1790-1797). Pages 278-288. Hezius (Théod.), secrétaire d'Adrien VL Page 386. 422 MEMOIRE SUR LE COLLEGE HiÉRONYJiiTES, OU frèrcs de la Vie commune. Leurs écoles à Deventer et ailleurs. Pages 12-15. HoppERLS (Joachim), conseiller d'Étal. Pages 525, 528, 340. HovE (Judoeus van den), président, 1529-1536. Pages 589. HovEN (Guillaume van den), professeur d'hébreu (1704-1723). Pages 270-271. HoYLs (André), professeur de littérature grecque à Douai. Page 251. Hi'ET (D.), évoque d'Avranclies. Sa visite h Valère André, à Louvain. Pages 287. — Son jugement sur les traductions latines de Nannius. Page 152. Hl'nnaels ou HcENs (Augustin), de Malines, sup- pléant de Th. Langius et de Gennep. Pages 102, 211-247. — Associé aux travaux de la Poljglotti- royale. Pages 319-320, 405. HuvsMANNis ou HiYSMANs (Guillaume), prof, de latin au collège des Trois-Langues (158C et sui- vant). Pages 162-160. Jacqies dit Jacofcî (.Jean), président (1759-1783). Pages 592. Jeneffe (Lambert de), de Huy, suppléant de Boiii- baye au collège des Trois-Langues. Page 193. Josel (Adrien), chanoine d'Anvers, mandataire de Jérôme Busieiden. Pages 50, 575, 582. Kerkherdere (Jean Gcr. ), historiographe royal, suppléant de Bombaye (1722-1758) dans la chaire de latin. Pages 194-197. Laddersois (Jean Fr. de), prof, de latin (1705- 1720). Page 192. Lange.ndo.nck (Chrétien van), prof, de latin (1064- 1669). Pages 186-187, 552. Langius ou de Langue (Thcodoricus), prof, de grec (1560-1578). Pages 98, 210-212. Langils (Car.), ou Ch. de Langue, humaniste. Pa- ges 210,341. Lascaris (Constantin). Étude de sa grammaire grec- que par nos hellénistes. Pages 209 et 330. Lascaris (Jean), prié par Érasme de choisir un Grec de naissance pour la chaire de Busieiden. Pages 35, 200-201. Latomls (Barthol.) ou Masson, latiniste, professeur à Paris. Pages 88 et 537. Latomis (Jacobus) ou J. Masson, théologien. Son rôle dans la polémique sur l'élude des langues. Pages 67, 70-71. Leempit (Jean Hub. Jos.), prof, de grec (1772- 1787). Pages 223-225. Lefèvre (Guy) de la Boderie. Ses sonnets en l'honneur des philologues, éditeurs des Diblia regia. Pages 321-522. — Ses publications de textes syriaques h la de- mande des savants de Louvain. Pages 326-527. Leopardis (Paul), humaniste du XVI"* siècle. Pages 151 et 336. Levita (Elias), savant rabbin. Ses traités de gram- maire hébraïque et leur usage au XVI' siècle. Pages 31, 240-241. Levita (Jean Isaac), juif converti, enseigne l'hébrcn à Louvain. Pages 248 et 555. — Sa vie et ses ouvrages. Pages 405-406. Levita (Stephanus ou Etienne), fils. Ses études à Louvain et à Cologne. Pages 553, 406-407. Lindanls (Guil.), évêque de Ruremonde, hébraï- sant et théologien, élève de Gennep. Pages 245, 518, 359. DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 423 Lipsius (Justus) ou Juste Lipse, professeur hono- raire de latin au collège des Trois -Langues. Pages 166-170. — Influence de ses écrits et de sa latinité sur les études littéraires dans les Pays-Bas. P. 171-172, 032-333. LiviNEius OU LiEVEXs (Jcan), savant helléniste. Pages 5i0-341 , 343. LoEzius (Jean). Ses leçons de latin à Louvain. Pages li9 et 334. LccAS (Franciscus, dit Bnigensis), ou Llcas de Eriges, théologien et exégète. Pages 271 et 404. M. .Uac,\rils (Joarincs) ou l'Heureux, humaniste et savant, lègue ses MSS. au collège des Trois- Langues. Pages 336-337. Macropedius (Georges) ou G. van Langhveldt , maître de Valerius. Page 1 56. Martexs (Thierry), d'Alost, imprimeur habile et savant. Son établissement à Louvain (1512- 1529). Pages 21-23. — Services qu'il rend aux lettres anciennes; ses éditions grecques. Pages 301-303, 310-311. — Ses efforts en faveur de l'étude de l'hébreu. Pages 313-314. Martin (Franc.), Irlandais , prof, de grec (1683- 1722j. Pages 220-221, 563-366. Marvilla.\us. Voy. Warrt. Masius ou Maes (André), philologue et orientaliste. Ses travaux sur la langue syriaque, publiés dans la Polyglotte d'Anvers. Pages 321 , 326. Massox (Barthél.). Voy. Latomcs (B.). Masso.n (Jacques). Voy. Latomus (J.). Mazière (Jean Benoît de), prof, d'hébreu (1782- 1786). Pages 277-278. MiRBECANUS. Voy. FûRTIS. MoxTANUs. Voy. Arias. MoNTZUMA (Bucho de), Frison, suppl. de Gennep. Page 247. MoRus (Thomas), chancelier d'Angleterre. Son ami- tié pour Jérôme Busleidcn. Pages 40-41. — Ses vers sur les collections d'art et les poésies de son ami. Pages 384-385. — Son riche présent à Goclenius. Pages 146-146. MiiNSTER (Sébastien), hébraisant d'Allemagne. Page 31. Usage de ses traités par J. Campensis. Pages 257, 240, 244. Mlrmellius (Jean), de Ruremonde, philologue de l'école de Deventer. Pages 14 et 310. Musius (Cornélius), humaniste et poète, mort en 1672. Pages 181, 346. ». Naevils ou de Neve (Jean), de Hondschote, huma- niste, président du collège du Lis. Pages 130, 132-133,208. Nanmus ou Naïv'mxck (Pctrus), professeur de latin, (1539-1587). Pages 149-154. — Mérites de ses traductions du grec en latin. Pages 152, 155- 156, 327. — Ses observations sur la difficulté de traduire certains auteurs. Pages 305-207. Nelis (de), évoque d'Anvers, éditeur d'Anatecles inachevés sur l'histoire littéraire de Louvain. Pages 113, 119,215,598. — Ses vues sur les vicissitudes des études littéraires en Belgique. Page 553. Neseni's (Guillaume), humaniste allemand. Son séjour à Louvain (1519). Page 135. NispEN (Nicolas de), secrétaire de Robert de Croy, mandataire de Busleidcn. Pages 50-51 , 382. NoRMENTON (Jcan), prof, de grec. Page 219. Paludanus (Jean) ou Desmarais, professeur d'élo- quence, mort en 1626. Pages 130, 141. Papiis (Andr.) ou Andtié de Paep , philologue. Tome XXVIIf. Pages 540, 342. Paquot (Jean Noël), prof, d'hébreu (1735-1772). Pages 272-276, 363. 55 424 MEMOIRE SUR LE COLLEGE — Son édition manuscrite des Fasii academici Lovanimscs. Pages xvi et 2S5. Pétri (Suffridus), Frison, helléniste suppléant de Tli. Langius. Page 211. — Son appel à Erfurf ; ses travaux littéraires. Pages 357-558. PiGHiLS (Albertus), de Campen (ISiS). Page 256. — Sa lettre aux théologiens de Louvain, au nom de Clément VU (1525). Pages 85, 586. Plantin (Christophe), imprimeur. Ses services en- vers les lettres. P. 161-162, 50b, 321, 527, 341. PonTÈs (Joachim), humaniste et poëtc. Page 353. PuLMANNCs ou PoELMAN (Thcodore), latiniste du XVI'"': siècle. Page Si!. PuTEANus (Erycius) ou Henri de PtT, professeur de latin au collège des Trois-Langucs (1607- 1646). Pages 172-180, 559. — Son influence sur la culture des études classi- ques. Pages 178-179, 551. — Sa Palaestra bonae menlis. Pages 179, 355-338. Q QuAREUX (François Claude de), professeur de grec (1752-1741). Page 222. R. Kai'uelingiiis ou Kallenghie.v ( Fr. ), loué comme orientaliste. Pages 521-322. REiNEni (Corn.), surnommé Gaitdanus , D' en théologie (1568), chargé par l'Université de la révision de la Polyglotte d'Anvers. Pages 519- 320, 405. Keineri (Jean), dit Wccrthanus, président. Pages 101, 591. Rescius (Rutgerus), mlgo Ressen, prof, de grec (151S-1545). Pages 202-206. — Ses éditions grecques. Pages S07, 300, 501. Reuchlim (Jean), dit aussi J. Capnion, savant alle- mand. Ses travaux sur la langue hébraïque, et leur influence sur l'étude de cette langue en Bel- gique. Pages 50-52, 124, 256, 240. Reymarius (Augustinus), humaniste, élève de Bar- land. Pages 195 et 401 , notes. Rivo (PetrusA) ou Pierre Vanderbeke, prof, d'élo- quence (1460). Page 9. RoBBiiNus ou RoBYNS, doycu de Malincs, désigné dans le testament de Busleiden. Page 49. — Erasme réclame son patronage pour le collège des Trois-Langucs. Pages 44, 63, 204, 229. RoBERTis (Cornélius), d'Anvers, hébraïsant. P. 248. Ryckenroy (Melchior van), président (1559-1570). Pages 591-592. S. Sauterl's ou Sauter (Jean) , prof, d'hébreu (1655- 1680). Pages 268-269, 555. Sauvage (Jean), chancelier de Bourgogne. Ses rela- tions avec Érasme et J. Busleiden. Page 45. SceoEPS (J.-B.), pléban de S'-Pierrc (1713-42), proviseur du collège des Trois-Langues (1722). Il réclame un concours pour la collation de la chaire de grec. Pages 566-570. — Texte de sa requête. Pages 408-412. ScHOTT (André), S. J., humaniste célèbre , mort en 1629, élève de C. Valerius, pages 158, 160, 162; maître de V. André, pages 251 , 254; représen- tant de la haute érudition classique, pages 540, 542-545. ScnuTTEiAERE (Jean-Baptistc Viclor de), prof, de latin (1669-1685). Page 187. Shirvodus ou SniRvooD (Robertus), prof, d'hébreu (1519). Pages 254-255, 518. Smenga (Pctrus Pierius a), prof, d'hébreu (1569- 1577). Pages 248-250. S.NEiLAERTS (Dominique), prof, de latin (1683- 1688). Pages 187-188. Stadius (Jean), historien et savant. Ses leçons d'histoire ancienne à Louvain. Page 168. Steen (Hen. Jos. van den), prof, de latin après Bombayc (1741-1768). Page 198. Stercke. Voy. Fortis. Straselics (Jean), prof, de grec h Paris. Page 533. Streithagen (Léonard), président (1723-1752). Pase 394. DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 425 STURMiisouSTiRM(Jean), son séjour el ses travaux à Louvain, an. 1 524, el suiv. Pages 20G et ôS-i-ôôïi. SucQUET (Antoine), chevalier et conseiller impé- rial. Page iô. SicQur.T (Jean), frère d'Antoine, homme de cour, ami dos lettres. Pages 81-82, 322. T. Theige (Mathieu), Irlandais, professeur de grec (164Ô-1CB2). Page 218. TiTELMAN.yi's ou TiTEiMANS (François), franciscain, philologue hébraïsant. Page 318. ToBRE.«iTius(Laevinus), humaniste et poète, cvéque d'Anvers. Pages Itiô et 541. TusANi's ou ToissAiN (Jacqucs), professeur de grec à Paris. Encourage par l'exemple des professeurs de Buslcidcn. Paa;cs 88-90. V. Vaierils ou WoLTERs (ComcHus), prof, de latin (1557-1578). Sa vie et ses travaux. P. 156-162. — Sa longue influence sur les études littéraires en Belgique. Pages 289, 324, 332. Varenmus (Joanncs) ou Jean van der Varen de Ma- lincsj helléniste, mort en 1536. P. 329-550, 333.~ Velshs ouWelseus (Justus), docteur en médecine, suppléant de Nannius au collège des Trois-Lan- gues (1542). Page 151. VERHAcnEN (Jean), président (1571-1585). P. 392. Vernllaeus ou Ver.mlz (Nicolas) , prof, de latin (1646- 1649). Pages 180-184, 351-552. ViGLiis ZuicHEMUs, président du conseil souverain des Pays-Bas. Pages 325, 528, 540. ViRiaus (Carolus) ou Charles Mevnigken ou Man- NEKEN, fondateur du collège du Lis, mort en 1495. Ses Formtilae epistolarcs. Pages 9-10. Vives (Louis), de Valence. Ses leçons de littérature à Louvain (1519 à 1522). Pages 156-157. — Influence de ses opinions. Pages 308, 311. w. Wackfeldus ou Wackfield (Robertus), prof, d'hé- breu (1519). Pages 251-255, 518. Warry (Nie.) de Marville, dit aussi Marvillamts, pré- sident (1526-1529). Son administration. P. 99- 101, 388. — Ses vues sur l'éducation. P. 509-510. Wesselus (Joannes) ou Jean Wessel de Gronin- gue, humaniste et hébraïsant. Pages 15, 16. Wessem (Barthélémy de), chanoine de Malines, mandataire de Busleiden. Page 582. Westpiialie (Jean de) , imprimeur du W'^' siècle , à Louvain. Ses impressions d'auteurs anciens. Pages 17, 19-21. VVouTERS (Henri), président (1782); prof, de théo- logie au séminaire général. Pages 108, 277, 570 et 595-590. X. XiMENES (le cardinal) de Cisncros. Ses fondations scientifiques à Aleala , et publication de la pre- mière Bible polyglotte sous ses auspices. Pages 52-34, 70, 523,404. Zegers (J.-B.), de Louvain, prof, de grec (1741- Zoesius (Henri), Jurisc, prof, de grec (1606-1609). 1782). Pages 222-223. Pages 213-214. ERRATA. Page 3, noies 1 et 2. — Transposez les chiffres. — 9, ligne 25 ; originaire de Gand. Zùei .• originaire de Casse!. — 93, ligne 17 : n'approuve. Lisez : n'approuva. — 141 , ligne 13 ; en février 1525 (vieux style). Lisez : 1326. — 173, ligne 6 : XV!"" siècle. Lisez : XIV""' siècle. — 199, ligne 13 : Jacques Teign. Lisez : Jacques Teyng. — 205, note 4, ligne 2 ; dedecorat. Lisez : condecorat. — 216, ligne 22 : en 1617. Lisez .- en 1618. — 217, note 1 , ligne 2 ; 1617. Lisez : 1618. — 220, lignes 8, 9 et 15 : Van den Burgh. Lisez .• Vander Burgh. — 251 , ligne 23 : Andréas Haïus. Lisez : André Hoyus ou Van Hove. — 322 (épigraphe) : acitndi. Lisez : facundi. — 343, ligne 4 : de Sénèque d'Aurélius Victor. Lisez .■ de Sénèque cl d'Aurelius Victor — .347 (épigraphe) ; Perite. Lisez : Perire. — .332, ligne 3 : Christophe. Lisez : Chrétien. — 360, ajoutez à la note : Academia Lovan., éd. ait , pages 76-77. .■v'^ TABLE DES MATIÈRES. Paees. INTRODUCTION si-xviii Chapitre 1". Coup d'œil sur l'étude des langues el des littératures anciennes dans les écoles des Pays-Bas, avant l'érection du collège des Trois-Langues (1400-1520). — Préliminaires 1-35 § 1. L'Université de Louvain au XV""" siècle 6 § II. L'Université de Louvain de 1500. 'i 1520 17 § IH. Considérations sur la renaissance des lettres en Europe et sur l'avènement des études hébraïques, en rapport avec l'histoire de l'enseignement littéraire en Belgique 23 Chapitre II. De la fondation du collège des Trois-Langues à Louvain, par Jérôme Busleiden 56-5j — 111. De l'ouverture et des commencements du collège des Trois-Langues. . 54-91 — IV. De l'organisation intérieure et de l'administration du collège des Trois- Langues 91-112 — V. Des trois langues savantes au XVl'"^ siècle, et de l'utilité de leur ensei- gnement public 112-lo7 — VI. Les professeurs de langue latine 138-198 — VU. Les professeurs de langue grecque 199-226 — VIII. Les professeurs de langue hébraïque 227-288 — IX. Les études littéraires et philologiques au collège des Trois-Langues pen- dant le XVI""' siècle 289-322 — X. Examen des résultats généraux de l'enseignement du collège des Trois- Langues au XVl"" siècle 322-346 — XI. Les études littéraires et philologiques au collège des Trois-Langues pendant le XVII™» siècle 346-360 — XII. De l'enseignement du collège des Trois-Langues pendant leXVIlI"" siècle. 361-372 PIÈCES JUSTIFICATIVES. Lettre A. — Essai d'une généalogie de la famille des Busleiden (chap. Il, p. 38). • . . 373 Lettre B. — Extraits du testament de Jérôme Busleiden, relatifs à l'érection du collège des Trois-Langues (chap. II, p. 47) 374 428 TABLE DES MATIERES. Pa-îP?. Lettre C. — Poésies lalines de Thomas Morus en l'honneur deJ. Busleiden, au sujel de ses vers, de sa demeure et de ses coUeclions d'an (chap. Il, p. 41) .... ,384 Lkttrk D- — Texte de la lettre écrite de Rome aux révérends docteurs de la Faculté de théo- logie de Louvain , par Alherl Pighiiis, eamérier secret dn pape Clément VII, en date du 12 juillet I52o (chap. III, p. 85) 586 Lettre E. — Série des présidents du collège de Rusleiden ou des Trois-Langues à Louvain (chap. IV, p. 99) 387 Lf.ttre F. — Copie de l'arrêté en date du 15 avril 18"2I, relatif au rétablissement et à la des- tination des fondations de l'ancien collège de Busleiden. Extrait du registre des arrêtés du ministre pour l'instruction publique, l'industrie nationale et les colonies (chap. IV, p. d I ) ) 597 Lettre g. — Extraits du travail de Martin Dorpius, composé pour servir à la représentation de VAtdularia de Plante au collège du Lis, le 5 septembre 1508 (diap. V, !'• 119) .398 Lettre H. — Des travaux littéraires d'Adrien Barland (append. au chap. VI, § I, p. 142). . 401 Lettre 7. — Lettre d'Arias Montanus à l'Université de Louvain pour lui demander, en 1568, sa coopération aux travaux delà Polyglotte d'Anvers (chap. IX, P- 519) 405 Lettre /. — Notice sur Jean IsaacLevita et Etienne, son fils, juifs allemands convertis, qui ont enseigné l'hébreu à Louvain au XVl""^ siècle (chap. X, p. 355). . . . 405 Lettre K. — P.apport du pléban de Louvain J.-B. Schoeps, dans l'affaire de la non)ination d'un professeur de grec au collège des Trois-Langues, en date du d."> novem- bre 1722, et adresse du môme au recteur de l'Université touchant la même affaire(chap. XII, p. 569) 408 Index littéraire, ou table des auteurs el des ouvrages anciens expliqués, publiés, traduits ou annotés, ainsi que des ouvrages de grammaire et de philologie, qui ont mérité une men- tion spéciale dans ce mémoire 4)5 Onomasiicon, ou table alphabétique des professeurs el des savants, des présidents el autres fonctionnaires, ainsi que des personnages célèbres, cités dans ce mémoire 418 Table générale du mémoire 427 FIN. NOTICE LE BARON DE ST4SSART, PAR M. Eugène VAN BEMMEL, PROFESSEUR A l'uNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES. (Mémoire couronné le 26 mai IMC. i I) faut plus qu'on ne pense de force d'àme et de cnunge d'esprit pour ne jamais Trancliir les bornes de la mode- ration. (Pentées de Cirré. 2H.) Tome XXVIII. "h Le 5 novembre 1851, le baron de Slassarl vint mettre à la disposition de l'Académie « un capital de deux mille seize francs en rentes sur l'État belge, pour fonder, au moyen des intérêts accumulés, un prix perpétuel, qui, tous les six ans, à la suite d'un concours, ouvert deux années d'avance, fût décerné, par la classe des lettres, à l'auteur d'une notice sur un Belge célèbre '. » Cette noble et généreuse initiative fut accueillie avec la plus vive grati- tude, et, à la mort du baron de Stassart, arrivée le 10 octobre 1854, l'Académie crut devoir ouvrir la série de ces concours par une notice sur le baron de Stassart lui-même. C'était rendre un juste hommage à la mémoire du donateur, et l'idée était, sans aucun doute, des plus heu- reuses. L'Académie ne s'en tint pas là cependant. Elle devait à la mémoire du défunt « le même tribut de reconnaissance qu'elle s'est toujours plu à payer aux hommes qui l'ont secondée avec le plus de succès dans ses travaux. » \]n ouvrage produit par un concours serait arrivé d'ailleurs tar- divement, et il importait que la manifestation de l'Académie fût prompte. Le secrétaire perpétuel fut invité à préparer une notice sur le baron de Stassart ^. ' Bulletin de l Académie, t. XVIII, 2"" partie, p. 420. - Séance du 6 novembre 1854. Cette notice, lue en séance publique de la classe des sciences, le 17 dé- cembre 1854 , est une œuvre remarquable. Tout en ne prétendant y men- tionner que les principaux faits, M. Quetelet présente ces faits dans leur véritable enchaînement, et en donne une appréciation pleine de déli- catesse. Les notes, extrêmement multipliées, les citations tirées des ma- nuscrits légués par le baron de Stassart à l'Académie , les fragments de mémoires, toutes les pièces qui foi'ment ïappendice de ce travail, sont aussi des plus importantes , et offrent un secours immense à l'auteur d'un travail plus développé. « Si j'avais à considérer notre confrère comme homme d'État, dit M. Quetelet *, je devrais faire passer sous vos yeux la plupart des grands événements de notre histoire contemporaine. Tel n'est certainement pas la tâche qui m'est imposée. La classe des lettres a plutôt désiré voir retracer, ici, quelques souvenirs de la vie intime du défunt, sans renoncer toutefois à entendre parler des services éminents qu'il a rendus à son pays : elle a, de plus, réservé à un concours le soin d'apprécier ses mé- rites, en l'étudiant avec plus de détail sous différents aspects. » Je me suis conformé à ces intentions, j'ai surtout adopté la dernière idée en composant ma Notice de trois grandes parties, dans lesquelles je considère successivement la vie publique , la vie littéraire et la vie intime du bai'on de Stassart. La première partie montre le fonctionnaire et l'homme d'État, mêlé, comme le dit M. Quetelet, à tous les grands événements de l'histoire con- temporaine. La deuxième partie s'occupe de l'écrivain, du penseur, du moraliste, de l'académicien et de l'orateur. La troisième, enfin, ne traite que de l'homme , de son caractère, de ses sentiments, de ses habitudes et de ses relations intimes. * Notice, p. 5. NOTICE LE BARON DE STASSÂRT. I. VIE PUBLIQUE. GoswiN-JosEPH-AuGUSTiN , BARON DE Stassakt , iiaquil à Maliiies le 2 sep- tembre 1780. Sa famille, fort ancienne, puisqu'elle descend, selon liem- ricourt, des premiers seigneurs de Neufchâteau, reçut de Charles-Quint, molu proprio, confirmation de noblesse, et de Léopold II le litre de baron, transmissible par ordre de primogéniture. Cette famille, qui s'était illus- trée par les armes jusqu'à la fin du XVII™^ siècle, se distingua ensuite, d'une façon plus remarquable encore, dans la magistrature belge *. Le père de Goswin, Jacques- Joseph- Augustin de Stassart, était, lors de la naissance de son fils, conseiller au grand conseil de Malines, et remplit ces importantes fonctions jusqu'à l'époque de la réunion de la Belgique à la France, en 1794. Si je parle ici de cette noblesse de naissance, ce n'est point que le ' Voy. la notice de N.-J. Vander Heyden, extraite du Nobiliaire des Pays-Bas. 6 NOTICE baron de Stassart y allachât quelque valeur ou s'en attribuât le moindre mérite. Son esprit et ses sentiments étaient trop élevés, trop cultivés surtout pour laisser place à de telles préoccupations, et l'orgueil, sous quelque forme qu'il se présentât, lui inspirait d'ailleurs une horreur trop pro- fonde. Mais les influences de race sont souvent fortes, particulièrement dans le premier âge, et il est nécessaire de connaître l'origine du baron de Stassart, pour comprendre certaines faces de son caractère. On aurait peut-être peine à bien apprécier, sans cela, ce respect pour le souverain, cette fidélité au monarque, qui se révèle dans toute sa vie, dans toutes ses actions, dans ses opinions mêmes, et qui servait de devise à ses armoiries : semper fîdelis. C'est précisément par cette idée qu'il débute en écrivant les Souvenirs que l'on a retrouvés, à sa mort, parmi les papiers légués à l'Académie, et qui devaient évidemment faire partie du chapitre \" de ses Mémoires '. « Des objets de deuil, dit-il, furent pour ainsi dire les premiers qui frappèrent mes yeux. L'impératrice JMarie-Thérèse , après quarante années d'un règne glorieux, mourut le 29 novembre de la même année (1780). La douleur fut universelle; l'amour, en ce temps déjà si loin de nous, ennoblissait encore la dépendance; le monarque était considéré comme le père de la grande famille, et les peuples se montraient reconnaissants des soins qu'on donnait au maintien de l'ordre, à l'accroissement de la prospérité publique. » Je ne puis trop insister, dès l'abord, sur ces tendances, en quelque sorte traditionnelles, qui peuvent être un anachronisme, une anomalie dans notre siècle, mais qui font apparaître sous un jour nouveau des faits en apparence inexplicables dans la conduite et dans la constante manière de voir du baron de Stassart. Combien ne devons-nous pas regretter que les Mémoires dont je viens de citer un fragment n'aient pu être achevés d'après le plan qui nous en a été transmis ! Le simple sommaire du premier chapitre semble nous initier déjà, par l'imagination, à cette vie intime de la première jeunesse, dont ' Voy. Y Appendice à la notice de M. Qiietelet. SUR LE BARON DE STASSART. 7 l'influence est si décisive sur toute la carrière que l'homme parcourt dans la suite. Voici ce sommaire : « 1780-1802. — Mes pi^emières années; la Belgique telle qu'elle était sous le gouvernement autrichien. Émigration à l'approche des armées républicaines en 1794. Dusseldorf, la Westphalie, retour dans nos foyers. Mes études au collège de Namur, ensuite chez moi; publication de mes premiers ouvrages. Je vais chercher mon père à Francfort, après le IV bru- maire. Mort de mon grand-père; séjour à la campagne. Je pars pour Paris. » Le jeune de Stassart alla donc, en 1802, terminer ses études à l'uni- versité de jurisprudence de Paris , où ses succès ne tardèrent pas à appeler sur lui l'attention du gouvernement. Le 5 août 1804', il fut nommé, par décret impérial, auditeur près le Conseil d'État, et, vers la fin de l'année suivante, à l'âge de 25 ans à peine, il partait pour Inspruck comme inten- dant du Tyrol et du Vorarlberg. Une activité extraordinaire , jointe à une prudence et à une modération fort rares dans l'extrême jeunesse, lui firent confier successivement plu- sieurs missions aussi importantes que délicates. Partout son esprit conci- liant et sa probité sévère lui attirèrent, dans les circonstances les plus difficiles, la bienveillance de l'empereur et de ses ministres, autant que l'amour et l'estime des populations vaincues. Intendant de l'armée et des pays conquis à Varsovie , sous les ordres du comte Daru, en décembre 1806; intendant d'Elbing et de la vieille Prusse, en février 1807; peu de temps après, intendant de la Prusse orientale jusqu'à Tilsitt; puis de la Prusse occidentale à Marienwerder et à Marienbourg; puis, enfin, de la moyenne Marche à Berlin, au mois de mai 1808, sa conduite ne se démentit pas un seul instant. A son départ d'Elbing, la régence de cette ville avait manifesté l'in- tention de lui offrir un présent considérable : il déclara qu'il n'acceptait que des lettres de bourgeoisie K A Kœnigsberg, oîi il avait obtenu qu'une contribution de huit millions imposée à la ville fût supportée par toute la province, des députés vinrent l'en remercier, et voulurent lui faire 1 Manuscrits cités par M. Quelelet, Notice, p. 12. 8 NOTICE accepter dix mille ducals, en témoignage de reconnaissance : « Voudriez- vous, 3Iessieurs, s'écria-t-il, me faire rougir d'un acte de justice? » A Berlin, au contraire, il mit fin, avec une remarquable énergie et une grande habileté, à la disette factice qui désolait cette capitale, et toutes les mesures administratives qu'il prit durant ces diverses intendances furent, en général, considérées comme excellentes ^ Nommé sous-préfet d'Orange, et, bientôt après, en 1810, préfet de Vaucluse, le baron de Stassart se rendit l'idole de ses administrés par sa douceur, sa bienveillance, son esprit de conciliation, autant que par son zèle infatigable, par la protection éclairée qu'il accorda aux arts et aux lettres, et par les améliorations de tout genre qu'il parvint à réaliser. Assurément cette tâche était plus facile que toutes celles dont on l'avait chargé jusqu'alors. La résidence était charmante aussi, sous le rapport des sites pittoresques et des monuments de l'art, et la vive imagination d'un jeune poète devait y trouver bien des éléments d'inspiration. C'est encore à cette époque que le baron de Stassart conclut avec M"'' Caroline du Mas de Peysac, un hymen qui mit le comble à ses vœux, et lui assura une félicité douce et durable; en un mot, tout sembla se réunir pour faire de ces deux années les plus belles de sa vie. Mais les circonstances ne font pas tout l'homme, et c'est au caractère même du baron de Stassart qu'il faut attribuer l'affection profonde que lui vouèrent les habitants d'Orange et de Vaucluse; c'est à son dévoue- ment, à la sagesse de ses mesures, à son influence toute personnelle, qu'ils furent redevables de la prospérité dont ils jouirent ensuite pendant tant d'années. Une simple nomenclature des actes du baron de Stassart, pendant sa préfecture, pourra donner une idée de l'étonnante activité dont il était capable, lorsque ses fonctions lui donnaient le pouvoir de répandre les bienfaits. Pour les améliorations matérielles ou administratives, on lui dut la réorganisation des écoles primaires, l'amélioration des hospices et des bureaux de bienfaisance, l'extinction delà mendicité, la propagation ' Voy. en général la notice placée en têle des OEuvres diverses. SUR LE BARON DE STASSART. 9 de la vaccine, et les encouragements efficaces à la culture du coton et du mûrier. Pour les lettres et les beaux-arts, on lui dut le monument, élevé par ses soins et à ses frais, à la mémoire du vertueux évêque Dutillet, un prix fondé pour l'éloge de Pétrarque à l'athénée de Vaucluse, l'érection d'une société d'agriculture, de lettres et de beaux-arts, la fondation de la bibliothèque publique d'Orange, à laquelle il fit le premier un don de 1186 ouvrages, la restauration de l'arc de triomphe d'Orange, le cours qui conduit aux eaux de Vacqueyras et la charmante promenade à laquelle l'acclamation publique a donné le nom de de Stassart. Enfin, il prodigua des secours nombreux aux malheureux ruinés par la déastreuse inonda- tion du Rhône, en 1810, concilia les catholiques et les protestants alors en lutte ouverte dans tout le midi de la France, et ramena au devoir, par la seule persuasion, de nombreux rassemblements de conscrits réfractaires cantonnés dans les communes voisines du Mont- Venteux *. Faut-il s'étonner, après tout cela, de l'enthousiasme que les popula- tions de ces localités ressentirent pour leur jeune préfet? enthousiasme qui subsista aussi vivace pendant plus de trente années, qui se transmit même à la génération suivante, et dont le baron de Stassart recueillit encore les témoignages en 1840, alors que, se rendant à Turin en qualité de ministre plénipotentiaire du roi des Belges, il voulut revoir la contrée oîi il avait été si heureux 2. Faut-il s'étonner de voir cet enthousiasme se manifester de toutes les façons, en 1810 et 1811, par des chants, des poésies, des fêtes en l'hon- neur du préfet? Mais ce n'est pas dans les hommages officiels que j'irai chercher la preuve de ses vertus et dé son mérite. Voici un fragment d'une lettre écrite d'Orange, le 10 janvier 1810 ^, par M. Augier, le père du charmant auteur de Gabrielle et de la Ciguë : « Jusqu'à présent, Orange n'avait été renommée que par un cirque et un arc de triomphe, restes majestueux de la magnificence romaine. Maintenant, mon ami, elle possède un trésor infiniment plus * Voy. ['Almanach de L'arrondissement d'Orange, pour 1810, 1 vol. in-8°. - V'oy. ses touclianles paroles à ce sujet, OEuvres, p. 1039. 5 Insérée dans \ Almanach d'Orange. Tome XXVIII. 2 10 ÎSOTICE rare et plus précieux que ces antiques monuments. C'est un sous-préfet qui joint aux talents les plus brillants les qualités les plus respectables. Savant modeste, magistrat généreux, il a souvent donné des preuves d'un désintéressement vraiment héroïque. Encore dans l'âge des passions, il n'en a d'autres que celle de faire le bonheur de tous ceux qui l'envi- ronnent. Accoutumé aux douceurs de la vie, il ne craint pas d'aller dans l'humble cabane du pauvre, porter des consolations et des secours. Pro- tecteur des lettres, qu'il cultive lui-même avec beaucoup de succès, il en- courage les jeunes talents par des éloges ou par de ilatteuses récompenses; il va chercher le savant dans l'obscurité de son cabinet, et préfère sa société à celle des cercles les plus brillants. Sa politesse égale ses autres qualités » Je te laisse à penser combien un pareil homme doit être cher à tous ses administrés. Il n'y a qu'une voix sur son compte, et l'on ne peut parler de lui sans que le langage de la vérité ne ressemble à celui de la flatterie. » Un si beau sujet n'a pas manqué d'être célébré mille fois en vers et en prose. Voici ma quote-part du tribut univei'sel que l'admiration a arraché aux muses vauclusiennes : c/2i dans un homme seul on peignait réunies Houles les qualités de l'esprit et du cœur, >-de rares talents, des vertus infinies, c/5cience, aménité, bienfaisance, douceur; c«i l'on disait qu'il est ami sûr et bon maître : >ce portrait flatteur et point du tout flatté, 33endu sans coloris, mais avec vérité, Hoi seul pourrais, Slassart, ne pas te reconnaître. » Ces vers seraient sans doute désavoués aujourd'hui par le fils de l'auteur, mais on conçoit que, si je les cite ici , ce n'est point pour la beauté de la poésie. Je me suis un peu étendu sur cette époque de la vie du baron de Slas- sart, parce que lui-même se la rappelait avec bonheur, avec attendrisse- ment, et que l'on peut y voir, sous son véritable jour, le caractère de SUR LE BARON DE SÏASSART. 11 l'homme public dont j'ai entrepris d'esquisser l'éloge, il importe aussi de ne point perdre de vue ce brillant épisode de sa carrière administrative, pour juger avec impartialité la conduite et les actes du baron de Stassart pendant sa résidence en Hollande. Autant sa préfecture de Vaucluse avait été agréable et douce, le séjour enchanteur et favorable à ses goûts, la population sympathique et bien- veillante, autant sa préfecture des Bouches-de-la-Meuse lui offrit d'em- barras, de difficultés, d'obstacles, presque insurmontables et sans cesse renaissants, à toutes ses mesures, à toutes ses intentions même les plus louables. C'est qu'il avait affaire à un peuple indépendant par nature et par habitude, à un peuple où la démocratie avait eu le temps de pousser de profondes et fortes racines, à un peuple hostile depuis des siècles au joug de l'étranger, et impatient de révéler, à la première occasion favo- rable, son indomptable instinct de patriotisme. En vain le nouveau préfet essaya-t-il d'allier son aménité, sa modération naturelle à la sévérité qu'exigeaient les circonstances; en vain mit-il en œuvre ce zèle et ce dévouement, ces moyens de persuasion et cette magna- nimité qui lui avaient si bien servi jusqu'alors : les Hollandais ne virent jamais en lui qu'un principe, et un principe fatal à leur indépendance, à leur prospérité. On a reproché à l'administration du baron de Stassart, en Hollande, de la dureté, de l'obstination, de la passion même : on n'a point fait la part de la position spéciale dans laquelle il se trouvait, on ne s'est pas souvenu surtout de ce respect du devoir, de cette fidélité au souverain qu'il observa pendant toute sa vie, qu'il avait héritée de ses ancêtres, et qui fait le fond de son caractère. Entraîné d'ailleurs par l'influence magnétique du grand empereur, enivré de sa gloire, ébloui de son prestige, saisi tout à la fois par le cœur et par l'imagination, le jeune magistrat avait voué à son maître une admiration sincère, enthousiaste, presque exclusive : il avait peine à concevoir, à cette époque du moins, le sentiment tout populaire de la résistance chez des nationalités oppri- mées. Les discours prononcés à la Haye par le baron de Stassart, et dont i2 NOTICE M. Polain a fait hommage à l'Académie \ sont surtout curieux par cette tendance qui s'y manifeste à chaque phrase, à chaque mot, pour ainsi dire, et peuvent servir à expliquer une conduite, en apparence condam- nable, ou du moins en dehors de toutes nos idées actuelles. c< Soldats, — s'écrie le préfet des Bouches -de-la -Meuse, le lo août 1812, en s'adressant à la compagnie de réserve en garnison à la Haye, — soldats, que ce jour, où l'airain, devenu l'interprète de notre amour et de notre reconnaissance, proclame la fête de NAPOLÉON LE GRAND, est cher à tous les peuples qui composent la nation française! Je l'ai choisi ce jour mémorable, pour vous donner un témoignage éclatant de ma confiance; je l'ai choisi pour vous remettre ce drapeau que vous saurez défendre, s'il en est besoin, au prix même de votre sang. Vous allez voir flotter, au milieu de vous, ces trois couleurs qui, depuis vingt ans, font l'étonnement et l'admiration de l'Europe. Pialliés sous ces nobles enseignes, puissiez-vous bientôt participer à la gloire de combattre et de vaincre les ennemis de votre patrie! Que ne vous est-il permis de suivre nos aigles victorieuses dans les champs de la Pologne et de la Russie! Mais le devoir vous enchaîne ici » De tels discours n'étaient pas de nature sans doute à lui attirer les sympathies des Hollandais; mais le baron de Stassart, en prononçant ces paroles, faisait ce qu'il pensait être son devoir, et jamais, à aucune époque de sa longue carrière, il n'hésita un instant sur ce point, même au risque de perdre sa popularité. Quelques écrivains ont cherché à réhabiliter, à leur point de vue, le préfet des Bouches-de-la-Meuse. M. le chevalier Pascal-Lacroix, entre autres , a prétendu , dans sa Notice, que le baron de Stassart avait accordé aux négociants hollandais des faveurs contraires au système continental. Cette sorte d'excuse a été repoussée avec énergie par le baron de Stassart lui-même, dans une note écrite sur un exemplaire de la Notice : « C'eût été, ajoute-t-il, m'écarter de mes devoirs ^. » Le devoir, en efi'et, voilà toute sa règle de conduite, voilà son excuse ' Notice (lo M. Qiietelet, p. 15, ;i la note. '^ Idem., p. 16, à la note 1". SUR LE BARON DE STASSART. d5 et sa justification, si tant est qu'il lui faille une justification ou une excuse. Cependant, les difficultés se multipliaient de plus en plus, à mesure qu'approchait le moment de la crise. Après avoir réussi à dompter plu- sieurs émeutes, au commencement de l'année 1815, dans l'île d'Oud- Beyerland, à la Haye et à Leyde, le baron de Stassart fut enfin contraint de quitter son poste le 17 novembre, à la suite du prince Lebrun, gouver- neur général, qui avait évacué Amsterdam dans la nuit du 15 au 16. En 181 i, nous retrouvons un instant le baron de Stassart au siège de Paris, faisant les fonctions d'officier supérieur d'ordonnance auprès du roi Joseph. Il refuse la préfecture de l'Indre, que lui ofl'rait le prince Lebrun, et, l'abdication de Fontainebleau ayant été prononcée, il se retire en Allemagne chez quelques membres de sa famille. Les Cent-Jours le ramènent en France, le 25 mars 1815, et le 16 avril l'empereur le charge d'une mission de confiance à Vienne, avec des pleins pouvoirs pour négo- cier le maintien du traité de Paris. N'ayant pu aller plus loin que Lintz, il trouva cependant moyen d'expédier à l'empereur d'Autriche les pièces dont il était porteur, en les accompagnant d'un rapport écrit à la hâte, sur une table d'auberge, dans la petite ville de Velz. Voici le commence- ment de ce rapport, remarquable à plus d'un titre ^ « A Sa Majesté Cempereur d'Autriche. » Sire, » J'ai trois maîtres que j'espère servir également bien..., l'honneur d'abord, le prince qui a reçu mes premiers serments (l'empereur Napo- léon), et Votre Majesté, qui daigna m'accorder sa clef de chambellan comme un témoignage de bienveillance, pour la conduite que j'ai tenue, en 1806, dans le Tyrol, où je remplissais les fonctions d'intendant, ainsi qu'en mémoire des services rendus par mes ancêtres à l'auguste maison d'Autriche, pendant plus de trois siècles. » Le plénipotentiaire expliquait ensuite à l'empereur, d'une façon tout ' Vov aux Causeries tiiléraires, OEiivres, p. 1073. " 14 NOTICE à la fois ferme et persuasive, la nécessité de maintenir la paix; il faisait un tableau brillant de la force et de la grandeur de la France, et parlait (le l'union formidable que la nouvelle constitution venait de cimenter entre le souverain et le peuple. « Je ne dois pas vous laisser ignorer, Sire, ajoutait-il énergiquement, que l'absence forcée de Sa Majesté l'im- pératrice Marie-Louise, celle du prince impérial et le renvoi des courriers français exaltent toutes les imaginations, toutes les têtes; » et il terminait son rapport par celte parole pleine de dignité : « Je serais au désespoir d'être obligé de remettre à Votre Majesté ma clef de chambellan. » Cette négociation, comme on sait, resta sans issue. Le baron de Stas- sart, à son retour à Paris, fut nommé maître des requêtes en service extraordinaire, et avait même été désigné pour être commissaire général de la Belgique, lorsque arriva le désastre de Waterloo. Rentré alors dans la vie privée, retiré à son château de Corioule, le baron de Stassart prit part au mouvement littéraire qui signale à cette époque une véritable renaissance dans les provinces belgiques. Mais, compris dès 1815, dans l'organisation du corps équestre de la province de Namur, il fut élu, en 1818, membre des états provinciaux, et, en 1821, membre de la seconde chambre des états généraux, où plusieurs élections successives le maintinrent jusqu'en 1850. Nous entrons ici dans la période peut-être la plus importante de la vie publique du baron de Stassart, celle qui est la plus digne d'exciter nos sympathies, à nous Belges, et qui a fait du nom de Stassart un des plus populaires dans notre pays. Sans doute qu'il y avait dans cette opposition, dans cette résistance ouverte au gouvernement hollandais, quelques souvenirs, quelques regrets même du temps où la Belgique était réunie à la France. L'empereur Napoléon paraissait au baron de Stassart un souverain plus légitime que le roi Guillaume, et l'alliance avec la France plus avantageuse que la réunion à la Hollande. Mais à cette époque, il importe de le remarquer, ne se sentant lié aux Bourbons ni par devoir ni par reconnaissance, il manifesta en toute occasion un sincère et véritable patriotisme. Les discours qu'il prononça aux états généraux pendant neuf sessions SUR LE BARON DE STASSART. i5 consécutives, eurent, la plupart, un immense retentissement, et l'on peut dire que les idées les plus généreuses, les plus élevées s'y trouvent déve- loppées avec la sagesse et la fermeté que j'ai déjà signalées plus d'une fois dans la conduite de l'intendant et du préfet de l'empire. Ces idées, presque toujours en opposition avec celles du gouverne- ment, n'étaient cependant pas toujours celles d'un parti dont il eût accepté le mot d'ordre et qui l'eût entraîné à quelque opinion exclusive. « La province de Namur, dit-il*, m'avait élu membre de la seconde chambre des états généraux, en 182L J'y défendis les intérêts de mon pays avec le zèle et la conscience de l'homme d'honneur, mais sans m'écarter toutefois des règles de la modération. Je combattis toutes les doctrines exagérées, de quelque part qu'elles vinssent.... » — C'est l'un des traits les plus saillants du caractère du baron de Stassart. Ainsi, la liberté illimitée du commerce lui semble une chose utile et juste, mais il ne l'admet qu'en principe, et exige pour l'application une rigoureuse réciprocité -. Ainsi les droits de timbre et d'enregistrement lui sont odieux, mais il se garde d'en demander la suppression complète, et ne veut dans la perception de ces droits qu'une certaine mesure '. Ainsi il s'oppose avec force à ce que l'on rende des privilèges quelconques à la noblesse, mais il ne voit aucun inconvénient aux majorats « qui lui donnent, dit-il , celte indépendance héréditaire, par laquelle elle est le soutien d'une sage liberté*. » Ainsi encore il se prononce contre toute centralisation absorbante, mais en considérant « comme souverainement impolilique cette continuelle tendance à détacher du point central les différentes parties du royaume, pour y créer des intérêts divergents, pour les transformer en autant de petites républiques régies par des règlements disparates et soumises à la plus incroyable bigarrure dans la perception des impôts ■'. » * Coup d'œil rétrospectif, en lête des Discours, OEuvres, p. ul-4. "^ Sur le tarif des douanes. OEuvres, pp. 353 et 608. ■> OEuvres, pp. 363 et 368. '' Discussion du nouveau Code civil. OliuvRES, p. 528. '' Budget de 1824; OEuvres, p. 362. l«i NOTICE Mais, dans une foule de questions où la justice, riiuinanité, le bien- ê trematériel ou la prospérité de la nation étaient enjeu, nous voyons le haron de Stassart oublier cette naodération même qui semble le fond de son caractère, et, s'abandonnant à ses généreux instincts, défendre avec vivacité la cause la plus noble. Il ne cesse de réclamer des lois qui favorisent l'industrie agricole et qui la débarrassent des entraves que le pouvoir lui impose ^ Il demande la liberté de la chasse pour chaque propriétaire, et obtient rabrogalioii d'un arrêté qui affermait la chasse au profit des communes ^. Il veut que les enfants trouvés soient à la charge de l'État ^. Dans la discussion du nouveau code civil, il se prononce pour le testament olographe qui repré- sente la liberté absolue en fait de testaments, et pour le maintien du divorce, contrairement à certains scrupules religieux *. Il réclame la liberté des langues et le rétablissement du jury ^. Quant aux impôts, il admet l'impôt sur le vin, sur les boissons distillées à l'étranger 6, mais il s'élève avec force contre les impôts si impopulaires prélevés sur le sel, sur la bière, sur la moulure des grains et sur l'abatage '. Parfois ces discours témoignent d'une éloquence peu commune, que l'orateur puisait dans un sentiment naturel d'équité ou de noble indigna- lion. C'est ainsi que ses paroles sur le trafic de la traite des nègres ^ ont été citées comme modèle par M. Dupin , dans ses Notions élémentaires sur la justice, le droit et les lois. A mesure, surtout, que les circonstances devenaient plus critiques, à mesure que le sentiment public se prononçait avec plus de force contre les abus du régime hollandais, et que, par suite, la résistance des gou- vernants devenait plus vexatoire, plus obstinée et plus tyrannique, les discours du député de Namur prennent une chaleur extraordinaire, une énergie entraînante; ce sont des satires, des pamphlets, des philippiques ' Discours aux étals généraux, passim. ■^ OEuvBES, p. SI7. I 5 M., pp. S62 et o7o. | * Id.. pp. 5-23 et 528. '■ Id., pp. 553 et 536. i « Jd., pp. 540, 543 et 551. ■^ Id.. pp. 541, 542, 545, 549, 550, 556, 613, etc. * Séance du 18 décembre 1824. OEuvres, p. 577. SUR LE BARON DE STASSART. 17 tantôt piquantes, tantôt terribles. La discussion des budgets, les innom- brables pétitions apportées chaque jour aux états généraux, les rapports sur les projets de loi \ tout lui sert d'occasion ou de prétexte pour com- battre un gouvernement désormais odieux au peuple belge. Je ne puis résister au désir de citer ici l'exorde d'un admirable dis- cours prononcé le 24 avril 1829, et dans lequel, d'une façon à la fois adroite et ferme, ironique et vigoureuse, il résume les principaux griefs pour le redressement desquels on ne cessait de pétitionner. Ce discours était prononcé en faveur du projet de loi relatif à la presse ^. « On ose imprimer que c'est une maladresse aux gouvernants de donner l'exemple du mépris pour une charte qui seule constitue leurs droits et leur sert de sauvegarde; on ose imprimer qu'il est temps de mettre en pra- tique, avec toutes les conséquences qu'ils entraînent, les principes con- sacrés par la loi fondamentale, et que la théorie ne suffit point; on ose IMPRIMER que l'éducation constitutionnelle des Belges faisant chaque jour d'immenses progrès , on ne parviendra plus à les mettre en état de guerre intestine pour des opinions divergentes sur des matières abstraites et délicates, qui tiennent à l'asile inviolable de la conscience, et qui ne doivent pas, d'ailleurs, les empêcher de s'entendre quand il est question de remplir un devoir patriotique; on ose imprimer que les états provinciaux ne sont pas un rouage inutile dans notre édifice social, qu'ils ont des attributions déterminées , qti'ils peuvent appuijer tes intérêts de leurs provinces et de leurs administrés près du roi et des états généraux, et que le ministère, pour peu qu'il se pique de prudence , se gardera bien de porter atteinte désormais à leurs prérogatives; ON ose imprimer qu'il est non moins injuste qu'impolitique de créer, en quelque sorte, dans un même État, deux par- ties distinctes , d'avoir des cantons privilégiés , de favoriser telle ou telle formule religieuse , et de faciliter à tel ou tel accent particulier l'accès aux emplois, de manière que la désinence septentrionale prévale dans les noms ' Voy. surtout : Sur les changements proposés à la législation sur la presse, OEuvbes, p. 607. Sur la loi relative aux délits séditieux, Id, p. 61 I . Sur les pétitions pour le redressement des griefs , pp. 620 et stiiv. Sur la liberté de la presse, pp. 629, 655, 654, 640, 646. 2 OEUVRES , p. 626. Tome XXVIIl. 5 18 NOTICE dont se compose la longue pancarte de nos généraux ; et qu'elle se repro- duise dix -sept fois sur vingt et un dans la liste de nos agents diploma- tiques, ou six fois sur sept au tableau de nos ministres, afin, sans doute, que le midi n'ait pas trop à se plaindre des méridionaux, si la marche des affaires n'est pas meilleure; on ose imprimer que la réunion de deux pays sous le même sceptre, sans que l'un ait subi le joug militaire de l'autre, exige une égalité parfaite dans la distribution des faveurs et des charges, et que, si, dès le principe, on s'est écarté de cette règle, nonobstant les obligations imposées par le traité de Londres, ce n'est pas un motif pour s'obstiner à suivre une route dont le terme serait un affreux précipice: ON OSE IMPRIMER qu'il faut laisser à chacun le libre usage de la langue qui lui convient le mieux pour la stipulation de ses intérêts privés, et qu'une politique sage, élevée, prévoyante, se serait empressée de rétablir ces légions wallonnes où, sous la république des Provinces-Unies, le com- mandement se faisait en français, mesure propre à doubler l'enthousiasme du patriotisme, au jour du danger, par une noble et généreuse émulation entre les habitants des diverses contrées ; on ose imprimer que le dogme de l'infaillibilité ministérielle est tellement absurde, qu'il est difficile de croire à la bonne foi de ses zélés sectateurs; on ajoute que les ministres sont tenus pour responsables chez nous, parce qu'ainsi le veulent lout à la fois notre régime représentatif, la saine raison, le respect et la sûreté du trône; on ose imprimer que, si, dans ses écoles (qu'il fera bien de rendre les sièges d'études solides, profondes et dirigées par des professeurs imbus de nos souvenirs nationaux), le gouvernement éloigne avec soin tout ce qui pourrait effaroucher une secte ou l'autre, il regardera néanmoins comme un devoir de laisser toute liberté de doctrine et de méthode aux établissements particuliers; on ose imprimer que moins la liberté de la presse aura d'entraves, et moins ses abus deviendront redoutables; on ose imprimer que la charge des impôts est accablante, que des économies sont indispensables et qu'il ne serait pas impossible de retrancher six ou sept millions du budget de nos dépenses ; enfin l'on ose imprimer l'apologie des demandes en redressement de griefs , et même les considérer comme des témoignages de confiance pour un prince qu'il suffira d'éclairer sur la SUR LE BARON DE STASSART. 49 fausse direction donnée aux affaires par ses minisires, pour le voir ra- mener tout à l'ordre légal. — C'est une horreur! C'est un scandale inouï ! La licence de la presse est à son comble!.... N'est-ce pas ainsi que rai- sonnent certaines excellences?.... La liberté de la presse n'est à leurs yeux que la liberté de dire ce qui flatte le pouvoir; la vérité les irrite; on ne pardonne pas à nos jeunes publicistes cette espèce de fièvre du bien public que leur reprochait un homme d'esprit de ma connaissance, tout en re- grettant que ce ne fût pas une maladie plus contagieuse; nos hommes d'État, furieux de ne pouvoir plus exploiter au profit de leur inepte des- potisme une législation usée et flétrie, voudraient la rajeunir sous une forme nouvelle. » Tout fut inutile cependant. L'esprit public, si hautement manifesté par la bouche des hommes les plus éminents de la nation, ne fut pas un instant écouté du roi et des ministres qu'un aveugle entêtement précipi- tait à leur ruine. En ce moment suprême, les luttes de partis vinrent à cesser spontanément; on avait senti le besoin de se réunir contre l'en- nemi commun. « De là, dit le baron de Slassart lui-même ^ cette union formidable des catholiques et des libéraux. Elle fit éclater, en septembre 1850, une révolution qui , malgré tous les obstacles qu'elle eut à vaincre, produisit l'indépendance de la Belgique. Ce qui venait de se passer à Paris, au mois de juillet, avait précipité ce mouvement auquel la mala- dresse et la tergiversation du gouvernement hollandais donnèrent bientôt des proportions gigantesques. » Le baron de Stassart, comme il arrive toujours dans ces moments de crise et de passion, avait été plus loin qu'il ne l'avait voulu, plus loin même qu'il ne le pensait. Il avait désiré des réformes, mais non une révo- lution, et la révolution était déjà dans tous les esprits, elle était, en quelque sorte, accomplie, qu'il rêvait encore des moyens de concilia- tion ^. Aussi n'hésita-t-il pas à remplir la mission dont les notables de Namur le chargèrent au commencement de septembre 1850, et qui con- ' Coup d'œil rélrosptctif, OEuvres, p. 514. ' Voiries deux lettres trouvées dans les papiers du défunt, et publiées par M. Queteîet, à la suite de sa Notice. 20 INOTICE sistail à porter à la Haye, conjointement avec MM. Zoude, Brabanl, de Bruges de Branclion et le comte de Quarré, une adresse au roi des Pays- Bas. Mais celte tentative, rendue vaine par l'obstination du monarque, faillit même devenir fatale au baron de Stassart, en qui le peuple reconnut l'ancien préfet des Bouches-de-la-Meuse. Le courage personnel ne lui manqua pas en cette circonstance, et il ne craignit point de se désigner lui-même à l'émeute pour éloigner le danger de la tête de ses collègues '. Au retour de cette périlleuse mission, le baron de Stassart fut reçu par les Namurois avec tous les témoignages du plus vif enthousiasme. Cette popularité qu'il avait perdue en Hollande, pour avoir suivi ses devoirs trop scrupuleusement, il la retrouvait heureusement chez ses compatriotes, et précisément par les mêmes motifs. Malgré tous les dangers qui l'avaient menacé et qu'il pouvait craindre encore, le baron de Stassart ne laissa pas de retourner en Hollande, quelques jours après, pour assister à l'ouverture des états généraux. Mais le discours du trône était conçu de manière à ne plus lui permettre le moindre espoir, et, sur le point d'être arrêté, même en Belgique, il fut contraint de chercher un asile à Givet. A peine la révolution de septembre eut-elle éclaté, que le baron de Stassart fut appelé à la présidence du comité de l'intérieur. Cette révolu- tion, qu'il avait, sinon prévue, au moins préparée, devait avoir toutes ses sympathies ^; mais, ami de l'ordre et de la modération, il eut peine à se faire au tumulte et à la confusion inséparable de toute commotion popu- laire. 11 préféra le gouvernement de la province de Namur au poste impor- tant qui lui avait été confié, et qu'il ne conserva que huit jours, du l*^'" au 8 octobre. S'appliquant à faire renaître la sécurité, la confiance, la prospérité dans sa province, calmant les haines, prévenant les réac- tions, et donnant lui-même l'exemple d'un oubli complet des anciennes animosités ^, il reprit peu à peu les habitudes de bienveillance, de zèle et ' Voir le rapport de la commission d'adresse, inséré le 8 septembre 1830 dans le Courrier de la Samhre. - Voir la' proclamation adressée aux habitants de Namur. OEuvnES, p. "80, à la note. 5 Voir les manuscrits cités par M. Queteict aux pages 50 et 31 de sa Notice. SUR LE BARON DE STASSART. 21 de dévouement qu'il semblait avoir contractées dans sa préfecture de \ au- cluse, et qui n'étaient que les tendances naturelles à son caractère. 11 s'y trouva même si heureux, qu'il refusa un instant de quitter ses administrés pour aller siéger au congrès national '. Son élection, faite à une immense majorité, le força pour ainsi dire à accepter ces éminentes fonctions; mais, dès le 12 février 1851, il donna sa démission de membre du congrès. Pendant ces trois mois, les discussions les plus importantes qui furent agitées au sein du congrès, et auxquelles le baron de Stassart prit une pari active, eurent pour objet la forme du gouvernement ta plus convenable ù ht Belgique et le choix du chef de l'État. Le parti que le baron de Stassart avait à prendre dans la première de ces discussions ne pouvait être douteux, eu égard à ses sentiments, à ses influences de famille, aux préoccupations de toute sa vie. Le discours qu'il prononça, le 19 novembre 1830 ^, est néanmoins un chef-d'œuvre de modération et d'impaitialité pour les différents partis. Cherchant à mettre d'accord l'instinct de liberté qui venait de se faire jour en Belgique d'une manière si éclatante, et le besoin d'ordre, de gouvernement stable et régu- lier, il se prononce pour la monarchie constitutionnelle représentative, rigoureusement limitée, mais héréditaire. « Des institutions vraiment libérales, dit-il en terminant, des institu- tions presque républicaines, si l'on veut, mais sous un chef héréditaire qui nous en garantit la durée, voilà ce qui doit nous servir de point de ralliement et prouver à l'Europe que, si nous avons su conquérir notre indépendance , nous saurons aussi la conserver. » Lorsqu'il s'agit, au congrès, de choisir le chef de l'Etat, les vues du baron de Stassart se portèrent naturellement vers un prince français qui, tout en assurant la prospérité de Bruxelles, pût amener une quasi-réu- nion à la France, Mais dès qu'il lui fut démontré que le roi Louis-Philippe craindrait de ratifier une pareille élection, il proposa la candidature du duc de Leuchtenberg, fds d'Eugène Beauharnais. On peut voir, par cette proposition, combien étaient encore vivaces dans le cœur du baron de ' Lettre au Courrier de la Sambre, insérée en note à la page 652 des OEuvres diverses. 2 OEUVRES, p. 653. 22 NOTICE Slassart, l'admiration et la reconnaissance qu'il avait ressenties pour la famille de l'empereur. Il ne dissimulait point, du reste, que la combi- naison en faveur du duc de Leuchtenberg n'était, dans sa pensée, qu'un acheminement à la réunion intime de la Belgique avec la France *. Et qui pourrait lui en faire un crime, alors que ce fut le duc de Nemours lui- même, fils du roi des Français, qui, dans la séance du 5 février, obtint la majorité des suffrages ^. Le duc de Leuchtenberg, bien qu'à peine âgé de vingt ans, était doué de toutes les qualités propres à gagner les cœurs, à gagner l'estime et la confiance des hommes les plus austères. Il avait lui-même et naturellement cette affabilité, cette modération et cet esprit élevé qui distinguaient à un si haut degré le baron de Slassart. La lettre écrite par le duc à M. de Bassano, le 12 janvier 1851 ^, est aussi digne que touchante, et avait dû lui créer bien des partisans. 11 semble impossible, à part toute autre considération, que le baron de Stassart n'ait pas été entraîné vers ce jeune prince par une sympathie en quelque sorte instinctive. Élu sénateur par la province de Namur, dès l'organisation du sénat, en 1851, le baron de Stassart fut appelé à l'honneur de la présidence pendant sept années consécutives. Il lui appartenait, pour ainsi dire, d'être à la tête de ce pouvoir modérateur par excellence, destiné à con- tre-balancer, par sa prudence et sa sagesse, les tendances plus vives de la première chambre. Cette partie de sa carrière, peut-être moins brillante, ne laissa pas de mettre en x^elief ses grandes qualités, et l'on a remarqué avec raison qu'il ne manqua jamais, en aucune circonstance, de défendre les intérêts des sciences, des lettres et des arts *. Plusieurs des questions que les anciens états généraux avaient déjà débattues, lui fournirent aussi l'oc- ' Voy. la lettre du baron de Stassart au duc de Rassano. (Huyttens, t. II, \>. 400.) - 97 voix sur 192 votants. Le duc de Leuchtenberg en obtint 74, et l'arcliiduc Charles d'Au- triche 21. * OEuvuEs, p. 6S8, en note. ■* Voir la Notice de M. Quetelel, p. 32, à la note. SUR LE BARON DE STASSART. 23 casion de se révéler d'une manière éclatante. Je ne puis oublier de men- tionner à ce propos ses discussions avec le ministre, M. le comte de Theux, en 1859. La position du baron de Stassart à l'égard du ministère venait de se compliquer de difficultés toutes nouvelles. Grand maître de la maçon- nerie nationale, il se trouvait, par l'encyclique épiscopale de 1837, et pour ainsi dire malgré lui, hostile au clergé; gouverneur de la province de Brabanl depuis le mois de septembre 1854, il contrecarrait, par ses idées administratives, la marche que le ministère avait adoptée. Son in- fluence officielle dut en souffrir, et la session de 1858 le vit éloigner de la présidence du sénat; mais sa popularité n'en fit que grandir encore, et trois arrondissements électoraux, Namur, Nivelles et Bruxelles, le réélurent à la fois et à une immense majorité, en 1859. Le ministère, on le conçoit, ne fit que s'en irriter davantage, et, le 17 juin, le baron de Stassart fut révoqué de ses fonctions de gouverneur, précisément quelques jours après qu'il avait été nommé, par une singulière inconséquence, officier de l'ordre de Léopold. On se rappelle l'émotion que produisit à Bruxelles une telle mesure, prise dans de telles circonstances. L'administrateur actif et dévoué s'était fait aimer et estimer de la population entière, et les témoignages de sym- pathie de toutes les classes de la société changèrent sa disgrâce en un véritable triomphe. Plus do trois mille personnes se rendirent proces- sionnellement à l'hôlel du gouvernement, et il fallut toute la fermeté, toute l'éloquence persuasive du baron de Stassart pour empêcher cette démonstration de dégénérer en émeute. Les protestations, les brochures se multiplièrent en peu de jours pour défendre une si noble cause, et une médaille d'or fut décernée par souscription à l'ex -gouverneur du Brabant. 11 en avait été de même en 1850, lorsque le gouvernement hol- landais avait retiré à l'ancien préfet de l'empire la pension qui lui avait été attribuée; et, sans vouloir tirer aucune induction de ce rapprochement de dates, on peut y remarquer deux révélations analogues d'un caractère noble mais indépendant, conciliant mais ferme. De telles luttes ne pouvaient plus convenir, cependant, ni à l'âge ni U NOTICE aux goûts du baron de Stassart, et c'est à partir de cette époque que nous le voyons peu à peu s'éloigner des affaires pour rentrer dans la vie privée, au milieu du cercle d'amis, de littérateurs et d'artistes dont il s'était attiré l'afTection. Une mission extraordinaire, en qualité de ministre plénipotentiaire à Turin, en 1840, fut le dernier acte important de sa vie politique. En 1841, il donna sa démission de la grande maîtrise de la maçon- nerie, poste qu'il n'avait accepté que par déférence pour le roi et par dévouement au pays, afin d'éviter qu'on ne fît de cette institution un moyen de correspondance avec le Grand Orient de la Haye, dirigé par le prince Frédéric *. En 1847, il cessa de faire partie du sénat. « J'avais accompli, dit-il^, les huit années de mon second mandat de sénateur; les élections devaient avoir lieu, cette année, pour le Brabant; je fis connaître aux électeurs qui vinrent, de toutes parts, m'offrir d'appuyer ma candidature, qu'ayant vendu quelques propriétés foncières, je cessais d'être éligible, aux termes de la constitution. Je n'étais pas fâché de me replier sur moi-même, de jouir de mon intérieur, de ne plus vivre que pour mes amis et pour mes livres. » Jj'année suivante, ayant établi son domicile dans un des faubourgs de Bruxelles, il renonça volontairement au mandat de conseiller communal. Enfin, la perte d'une épouse chérie, arrivée le 8 juillet 1849, le déter- mina à quitter la vie publique d'une manière encore plus complète, et il refusa même désormais de faire partie des jurys et des commissions qui , jusqu'alors, avaient tenu à honneur de le compter dans leur sein. J'ai suivi l'homme public, sinon pas à pas, ce qui me paraissait im- possible, du moins sans jamais le perdre de vue et en le considérant aux plus importantes périodes de sa longue carrière. Je l'ai montré d'abord, ' Ce sont les expressions d'une notice hiographique, faite sans doute sous les yeux du baron de Stassart, puisqu'elle se trouve en tête de ses œuvres. - OEuvREs, p. 760, à la note. SUR LE BARON DE SÏASSART. 2S sous l'empire, intendant de l'armée et des pays conquis en Pologne et dans le nord de l'Allemagne; puis sous-préfet d'Orange, préfet de Vau- cluse, et préfet en Hollande; puis membre de la seconde chambre des états généraux, membre du congrès national en 1830, et membre du sénat jusqu'en 18 47. En parcourant rapidement cet intervalle de quarante- trois années, je n'ai prétendu peindre que le caractère le plus saillant, le plus facile à saisir et à apprécier, de l'homme dont je fais ici l'éloge. Je n'ai point parlé de sa vie littéraire, qui est l'une de ses gloires, je n'ai fait qu'ef- fleurer sa vie intime, qui est son titre le plus légitime à notre admiration et à nos sympathies. Il m'est arrivé de passer même légèrement sur cer- tains détails qui me semblaient convenir davantage à l'appréciation du talent d'écrivain ou de la conduite privée. C'est ainsi que je n'ai point cru pouvoir juger encore à son véritable point de vue le rôle qu'il remplit dans la politique, comme homme d'État; c'est ainsi que j'ai indiqué à peine la place importante qu'il occupa dans la littérature de notre pays, et l'in- fluence qu'il eut sur cette lettérature, d'abord personnellement, puis comme membre de l'Académie de Belgique. II. VIE LITTÉRAIRE. Voici en quels termes le baron de Stassart raconte, dans ses souvenirs ', comment son esprit s'éveilla pour la première fois à la vie littéraire. « J'étais avide de connaissances , et j'étais heureux lorsqu'on me per- mettait d'assister à la lecture que mon père faisait, le soir, après le repas de famille. Cette faveur m'était accordée, le dimanche, de plein droit; ' Insérés h la suite de la Notice de M. Quetelet. Tome XXVIII. 4 26 NOTICE j'attendais ce jour avec une véritable impatience, et quoique ma journée se trouvât ainsi prolongée de quelques heures, il était bien rare que je cédasse au sommeil. Les tragédies de Corneille, de Racine et de Voltaire étaient les ouvrages- de prédilection du lecteur. Il arrivait souvent aussi, pendant la journée, qu'en récompense de ma bonne conduite, ma mère me lut quelque ouvrage nouveau. Je me souviendrai toute la vie de l'effet que produisirent sur moi les Incas de Marmontel. Us m'inspirèrent pour le fanatisme religieux une horreur qui ne s'est jamais démentie. Las Casas était mon liéros. Le théâtre de M'"" de Genlis jouissait alors d'une grande vogue; on me lut entre autres Agar dans le désert, l'Aveugle de Spa. Ces pièces excitèrent au plus haut degré mon intérêt. Je ne voyais plus un aveugle sans implorer du secours en sa faveur, et je ne pardonnais pas au patriarche Abraham le renvoi d'Agar et d'Ismaël. Ma mère tirait parti de ces lectures pour développer mes instincts moraux. Elle m'inspira surtout de l'éloignement pour le mensonge et pour toute tendance à se prévaloir d'une supériorité quelconque de position. » S'il est permis de tirer quelque indice de ces premières impressions, de ces vagues aspirations de l'enfance, on peut y reconnaître déjà le goût de la littérature morale, de la littérature vraie, ayant une idée, un but, une utilité. Les romans de Marmontel et de M™'' de Genlis sont loin de nous sans doute, mais il faut ici tenir compte et de l'esprit de l'enfant et de l'esprit de l'époque. Celui qui, à six ou sept ans, ressentait aussi profon- dément l'intluence d'une lecture, devait chercher plus tard à produire lui- même cette influence. Grâce à ces dispositions naturelles, et aux conditions favorables où l'avait placé sa naissance, le jeune de Stassart montra des talents précoces, et, à peine âgé de Li ans , pendant un séjour de six mois que fit sa famille dans la petite ville d'Iserlohn, en Westphalie, il traduisit d'un bout à l'autre les Méditations religieuses d'Eckarlshausen. Cet ouvrage ne vit cependant le jour que quelques années après, et con- sidérablement retouché. Ce fut par des poésies de circonstance, des ma- drigaux, des impromptu \ puis par des pièces insérées dans le Chansonnier ' OEUVRES, pp. 156, 176. SUR LE BARON DE STASSART. 27 des Grâces *, et enfin par un recueil d'idylles en prose intitulé : Bagatelles sentimentales (1799), que le baron de Stassart débuta dans la carrière. Début modeste, de fort peu au-dessus du médiocre, mais dont l'auteur aimait à se souvenir dans les dernières années de sa vie. 11 comprit même les idylles dans son volume d'OEuvres diverses, mais en expliquant cette sorte d'anachronisme par une courte et spirituelle préface. « Que voulez- vous? dit-il à ses lecteurs, ce sont des péchés de jeunesse Notre siècle, je dois en convenir, n'est rien moins que pastoral , mais la fin du XVIII""= siècle ne l'était guère davantage. Cependant l'églogue obtenait encore un accueil favorable du public : Gessner avait toujours la vogue, et les salles d'auberge étaient encore tapissées des candides amours d'Estelle et de Némorin. » Le séjour de Paris ne manqua pas d'exercer une grande influence sur le développement de cet esprit impatient de succès. Au milieu même de ses études de jurisprudence, il remporta le prix d'éloquence, en 1803, aux exercices publics de l'université, pour un Discours de Régtdus au peuple romain, et, l'année suivante, le prix de législation criminelle. Quelques poésies légères composées à cette époque prouvent que le baron de Stassart était poussé, en quelque sorte malgré lui, par le démon des vers. Ce ne sont néanmoins que des chansons de circonstances, des épigrammes, des couplets intercalés dans des comédies, et qui valurent à leur auteur ano- nyme ses entrées au théâtre du Vaudeville. Tout cela formait un délasse- ment, une distraction à des travaux plus sérieux, qui se révèlent par quelques publications destinées à l'enseignement. Mais ces publications ne sont que des essais timides, que l'auteur ose à peine avouer, et qu'il n'a jamais considérés, dans la suite, que comme une préparation, une espèce de gymnastique intellectuelle. Il faut citer à ce propos une Géogra- phie élémentaire, sans nom d'auteur, qui ne laissa pas d'avoir deux éditions, en 1804 et en 1806, une analyse de V Histoire de la Belgique de Dewez, tirée seulement à vingt exemplaires , et une Description des communes de l'arrondissement d'Orange, avec des notes statistiques, insérées, en 1810, dans YAlmanacli d'Orange. ' OEUVRES, p. 156, note 2. 28 INOTICE Les deux années passées à l'université de jurisprudence furent sans doute les plus importantes pour le développement de celte jeune et belle intelligence, et l'on conçoit que ce n'est point aux résultats immédiats qu'il faut s'arrêter pour juger de cette influence secrète, intime, pour ainsi dire latente. « 1803! s'écrie quelque part le baron de Stassart', année heureuse, consacrée tout entière à l'étude, à la culture des lettres, à l'amitié! » Mais bientôt les préoccupations de la vie publique vinrent l'arracher à la carrière littéraire, et ce ne fut qu'à de rares intervalles qu'il s'aban- donna, dans la solitude du cabinet, à ses inspirations poétiques, à ses tendances instinctives et irrésistibles. L'année 1808 vit éclore ainsi une élégie, Le tombeau de la religieuse, qui s'éloigne entièrement de la manière habituelle du jeune auteur, et ses premières fables, au nombre de cinq ou six, qui révèlent, au contraire, son génie spécial, sa véritable originalité^. « Lancé fort jeune, dit-il, dans la carrière des emplois, et résolu de ne jamais sacrifier mes devoirs à mes goûts les plus chers, j'ai négligé longtemps la culture des lettres : dans l'intervalle de 1805 à 1814, je n'ai peut-être pas composé cinq cents vers. » Il faut rappeler ici, parmi les influences qui furent sans doute les plus directes sur les propensions littéraires du baron de Stassart, le séjour de Vaucluse, où le souvenir de Pétrarque et des troubadours provençaux et italiens, encore si vivant aujourd'hui, dut nécessairement exciter dans son cœur un fécond et bienfaisant enthousiasme. Nous avons vu qu'il avait fondé un prix pour l'éloge de Pétrarque à l'athénée de Vaucluse; il fit également frapper une médaille à la mémoire du célèbre poëte, et favorisa de tous ses moyens les travaux poétiques, historiques ou scientifiques parmi les populations qui composaient sa préfecture. Nous savons aussi qu'il tenait à honneur de faire partie des principales sociétés établies dans le ressort de son administration, et qu'il y cherchait une occasion de s'associer au mouvement des lettres et des arts. Beaucoup ' OEuvREs, p. 139, noie. - Ce sonl les fables IV, VIII, XIV du 1'^ livre; III et XIV du 2"' livre, et la fable XX du i" livre. SUR LE BARON DE STASSART. 29 de ces sociétés lui témoignèrent spontanément leurs sympathies, soit en l'inscrivant au nombre de leurs membres, soit même en le nommant leur président. C'est ainsi que déjà, durant ses intendances militaires, il avait été élu membre de la société d'agriculture d'inspruck, en Tyrol, et de l'académie des belles-lettres et des arts de Varsovie. Dans le midi de la France , sept sociétés s'empressèrent de réclamer son concours : ce furent l'athénée de Vaucluse, le cercle littéraire de Lyon, la société des trouba- dours de Marseille, l'académie d'Aix en Provence , la société italienne des amis de Pétrarque, la société des sciences, lettres et arts d'Orange, et l'académie de Lyon '. Et mentionnons, à ce propos, que la Hollande même rendit justice, sous ce rapport du moins, au baron de Slassart. Il fut inscrit, en 1812, parmi les membres de la société littéraire de Leyde et de la société de physique de Rotterdam, et ce fut un acte d'impartialité, un hommage dû à un mérite reconnu, éprouvé, incontestable. Je ne crois point devoir parler, dans la vie littéraire du baron de Slas- sart, des discours prononcés en diverses circonstances, de 1804 à 1815, ainsi que de ceux prononcés à l'athénée de Vaucluse. Ces discours, comme l'avoue l'auteur lui-même ^, ont perdu toute actualité et n'intéressent plus que médiocrement les lecteurs d'aujourd'hui ; mais on peut du moins y suivre les principales phases d'une vie si pleine de vicissitudes, et y re- marquer aussi que les opinions et les sentiments du baron de Stassart sont restés inébranlables à toutes les époques. Il y a même une singulière analogie entre ses discours officiels de cette période et ceux qu'il prononça de 1850 à 18-45. C'est au mois de juin 1814 que le baron de Stassart se montre pour la première fois avec éclat sur la scène littéraire, par une œuvre dont le titre est assurément fort étrange. Cette œuvre s'intitule : Pensées, maximes, réflexions, observaiiom, cxlrailes des mémoires sur les mœurs de ce siècle, par Circé, chienne célèbre, membre de plusieurs sociétés savantes. — Ou comprendra l'intention de l'auteur par la première pensée de cet opuscule. ' Voir l'appendice à la Notice de M. Qiietelel. ° OEuvEEs , p. 763 , note. 30 NOTICE « Le public, dit-il, est tellement rassasié de livres aujourd'hui, qu'à moins d'imaginer un titre bizarre et qui pique la curiosité, il est bien difficile de se faire lire. » Il est à croire cependant que cette raison n'est pas la seule pour laquelle cet ouvrage resta à peu près anonyme. En effet, depuis le com- mencement de sa carrière politique, sous l'empire, le baron de Stassart n'avait signé aucune œuvre de quelque importance, et il avoue lui-même qu'une réputation d'écrivain lui eût été sans doute plus nuisible qu'utile. On connaît l'aversion que professait l'empereur pour les idéologues, et, bien que les Pensées de Circé ne pussent point être regardées comme de l'idéologie, c'est-à-dire, comme de la philosophie pure, c'était du moins une morale assez franche, assez hardie, assez frondeuse parfois. Malgré cela, ou plutôt à cause de cela, le livre obtint un succès consi- dérable, et le fait est digne de remarque eu égard aux événements poli- tiques qui absorbaient alors l'attention générale. Les félicitations en prose et en vers ne manquèrent point à l'auteur, et, parmi les épîtres les plus spirituelles et les plus flatteuses qui lui furent adressées, il faut compter celles de MM. Violet d'Épagny, Victor Augier, le baron de Trappe, J.-II. Ilubin, Teste et le prince de Ligne. Les vers du prince de Ligne sont peut-être les derniers qui soient sortis de la plume de ce charmant écrivain, mort le 15 décendîre 1814. Différents recueils s'empressèrent aussi d'emprunter aux Pensées de Circé de nombreuses citations, et le nom de la fameuse levrette donna lieu sou- vent à de plaisantes méprises. MM. Bescherelle, les auteurs de la Gram- maire nationale, placèrent Circé sur la liste des moralistes, et cela, grâce à l'ordre alphabétique, entre Cicéron et Clarac. Le caractère général des Pensées de Circé est une observation juste, fine, piquante, une grande expérience du monde, une douce indulgence qui n'est ni de l'insouciance ni de la bonhomie; c'est de la satire, souvent dirigée contre les personnes, mais sans aigreur et sans passion; ce sont des vérités exprimées avec une verve railleuse bien qu'inoffensive; c'est, en un mot, une bienveillante modération, dont l'auteur donne, à chaque page, à chaque paragraphe, tout à la fois le précepte et l'exemple. SUR LE BARON DE STASSART. 31 L'esprit qui domine dans ces Pensées ne rappelle ni les Caractères de la Bruyère, ces peintures vives, souvent trop chatoyantes, aux contours nets et bien accusés, ni surtout les Maximes de la Rochefoucauld, ces aphorismes saisissants d'une âme chagrine et vindicative. C'est plutôt l'es- prit de Vauvenargues , et Vauvenargues était, en effet, l'un des auteurs de prédilection du baron de Stassart '. Il y a dans les Maximes du protégé de Voltaire plus de concision, plus de tendance à l'aphorisme que dans les Pensées de Circé, mais c'est la même simplicité de langage, la même finesse d'aperçus, la même chaleur douce et persuasive. Un travail intéressant qu'il y aurait à faire, à notre point de vue, sur les Pensées de Circé, serait d'y chercher la véritable manière de voir du baron de Stassart sur une foule de questions; car nulle part cette manière de voir n'est exposée d'une façon plus nette, plus franche, plus explicite, plus complète. Non-seulement on y trouve la pensée de l'auteur sous toutes les faces, mais lui-même s'y peint d'une façon bien reconnaissable dans certains types, dans certains personnages, et particulièrement dans Dtdis, Dorante et Vérax ^. 11 importe aussi de remarquer la frappante analogie qui existe entre les Pensées de Circé et les Fables qui parurent peu de temps après. Ce sont les mêmes sentiments, les mêmes idées; seulement, les Fables sont des réflexions morales précédées d'une historiette où les animaux jouent quel- que rôle, en guise d'exemple ou d'application. Bien plus, lorsqu'on y donne toute son attention, on s'aperçoit qu'il y a de la Fable aussi dans les Pensées de Circé. N'est-ce pas, en effet, une chienne qui parle et qui écrit? La fable n'est-elle pas la préface du livre, et la moralité, le livre même, le livre tout entier? On ne pourra donc point contester que le génie de la fable n'appartint bien réellement au baron de Stassart, et que, s'ignorant encore lui-même en 18L4, ou plutôt retardé dans son développement littéraire par les affaires publiques auxquelles il se trouva mêlé, il ne fît, en écrivant les ' Voy. pensée 188. 2 Pensées, 1^1, 292 et 417. 32 ISOTICE Pensées de Circé, que préluder au véritable apologue. Depuis 1808, en effet, jusque pour ainsi dire à la veille de sa mort, la fable fut incontes- tablement le genre qu'il cultiva avec le plus d'intérêt, le plus de bonbeur, le plus de succès '. Quant au mérite exclusivement littéraire des Pensées de Circé, on doit avouer, tout d'abord, que cette forme, sans transition, sans liaison, sans unité, était la plus ingrate et la plus monotone. L'auteur semble s'en être aperçu, dès le commencement de son livre. « Les pensées qu'on jette isolément sur le papier, dit-il, ont, en général, un air d'apprêt qui gâte tout. Les pensées, au contraire, qu'on laisse tomber de loin en loin dans un ouvrage, sont, pour ainsi dire, nées du sujet; elles plaisent par ces grâces naturelles, par ce facile abandon et cette aimable bonhomie qu'exclut nécessairement la prétention affichée de régenter le lecteur -. » Un moyen se présentait au baron de Slassart d'ani- mer son style et de stimuler la curiosité; c'était, comme il le dit, de " tourner toutes ses pensées en saillies et toutes ses maximes en épigram- mes ^, » mais ce moyen lui répugne; il préfère instruire, il préfère inté- resser par sa morale même, par la vérité de ses observations, et, après tout, dit-il en terminant, « quelle est la conversation sans bavardage et le livre sans remplissage? Je n'en connais point *. » Ce n'est pas à dire pourtant que beaucoup de ces pensées n'aient point une allure essentiellement originale, une vivacité des plus piquantes. Voyez, par exemple, la confusion qu'il s'efforce malicieusement d'établir entre la modestie et l'amour-propre ^. Voyez aussi certaines de ses ré- flexions sur la musique du jour ^. Je ne puis m'empêcher de citer ici quelques-unes des pensées que je considère comme les plus jolies sous le rapport de la forme, de l'expres- sion. On verra que celles-là du moins ne le cèdent en rien aux plus spi- rituelles observations de Vauvenargues ou de la Bruyère sur les hommes et la société. « — Enclume ou marteau : tel est le sort de la plupart des hommes! ' OEUVRES, p. X, note. | '^ Pensées, 111. | ^ Jd., 188. | * Pensée 500 et dernière. | ^ Pensées, 5, 28 et 474. \ ^ M, 29, 206 et 348. SUR LE BARON DE STASSART. 33 Heureux, mille fois heureux, le sage qui possède le secret de n'être ni l'un ni l'autre, et qui parvient à quitter ce monde sublunaire sans avoir été ni froissant ni froissé ^ ! » « — Il est des gens si pleins d'eux-mêmes, et qui trouvent tant de charmes à s'appesantir sur le monosyllabe moi, qu'en le prononçant ils ont le secret d'en faire deux syllabes -. » « — Le ton de fatuité, l'air de suffisance et le babil sentencieux de ce qu'on veut bien appeler, à Paris, gens de bonne compagnie, peuvent en imposer un instant à l'homme modeste; mais bientôt le charme cesse, et ces esprits si brillants, si sémillants, semblables aux machines de Vau- canson, s'arrêtent tout court ou se répètent^. » 0 — Comme il y a d'aimables négligences qui servent de parure à l'es- prit, il est aussi des faiblesses dont le cœur s'honore*. » « — Les palais des princes et des grands ont beau changer de pro- priétaires, les salons et les antichambres offrent toujours à l'œil du phi- losophe observateur les mêmes personnages. Les courtisans ressemblent aux chats, qui sont moins attachés au maître qu'à la maison ^. » Ces citations peuvent aussi faire juger du style des Pensées. Ce style, on le voit, est aisé, coulant, gracieux, pur et correct, mais d'une correc- tion et d'une pureté qui n'excluent ni l'entrain ni la verve : c'est la langue classique, ample, limpide et régulière, douée de cette admirable trans- parence qui laisse, pour ainsi dire, apercevoir tout d'abord la pensée. Les mots, en effet, ne frappent point par eux-mêmes, et les saillies sont plutôt dans l'idée que dans l'expression. Peut-être une telle langue, à force d'être pure, perd- elle un peu de sa saveur; peut-être le goût actuel y désirerait-il plus de mots pittores- ques, plus de métaphores; mais gardons-nous de méconnaître que la pureté a aussi son charme spécial, que le style pailleté, brillante de certains auteurs modernes s'éloigne considérablement du génie de la langue fran- çaise, et, pour tout dire, que l'axiome de Buffon est encore toujours d'une frappante application. ' Pensée 71. | 2 y^. gg. | 5 /,/. 122. | /. jd. 130. 1 = Id. 154. Tome XXVIII. 34 NOTICE « Quand on voit le style naturel, avait dit Pascal, on est tout étonné et ravi; car on s'attendait de voir un auteur, et on trouve un homme. » Or, c'est l'homme que nous retrouvons ici, l'homme au caractère simple, à l'esprit un, aux opinions justes et modérées, et nous aimons cet homme dans son livre, et nous aimons l'écrivain dans cet homme. Les affaires publiques, comme je l'ai fait remarquer plus haut, avaient seules empêché jusqu'alors le baron de Stassart de se livrer à ses goûts de prédilection, à ses penchants littéraires. A peine la chute de Napoléon fut-elle consommée, qu'il reprit avec ardeur l'étude des lettres, mais d'abord sans but arrêté, sans plan préconçu, et en se mêlant plus ou moins au mouvement général. La Belgique entrait à cette époque dans une ère toute nouvelle pour les sciences, les lettres et les arts. La paix d'abord avait favorisé ces ten- dances, qui ne tardèrent pas à devenir plus actives parla restauration ou la réorganisation des diverses sociétés littéraires, et par la présence sur le sol belge d'un grand nombre de proscrits français ^ L'influence des exilés français, à toutes les époques, a été fort grande sur les littératures voisines de la France, et si M. Savons a pu faire récemment un ouvrage du plus haut intérêt sur la littérature française à l'étranger, on pourrait, sans doute, compléter cette étude au point de vue des étrangers eux-mêmes. La Belgique surtout devait servir d'asile aux proscrits de toutes les révolutions qui se sont successivement accomplies en France; et, par la similitude du langage, au moins pour la capitale et certaines provinces, elle devait en ressentir une influence plus ou moins salutaire. 1815 , 1850, 1848 et 1852 nous en ont offert la preuve. Et n'est-ce pas actuel- lement, depuis le 2 décembre 1851 , et par suite de l'impulsion due aux réfugiés français, que les conférences, les lectures et les cours publics se sont multipliés dans notre pays d'une façon si extraordinaire? Il y a là un résultat bien appréciable, et que nous croyons pouvoir haute- ment avouer, aujourd'hui surtout que la Belgique est assez forte pour ne ' M. Quelelet n fort bien caractérisé ces influences. SUR LE BARON DE STASSART. 35 plus devoir se renfermer dans de mesquines considérations de vanité na- tionale. 3Iais si celte influence étrangère est encore si remarquable, après vingt-cinq années de paix et de progrès, combien elle était nécessaire à une époque où tout était à refaire, à organiser, à créer! Parmi les sociétés littéraires qui prirent la plus grande part à ce mou- vement, il faut citer l'Académie de Bruxelles, que le nouveau gouverne- ment venait de rétablir, la société littéraire de Bruxelles, dont le baron de Stassart faisait partie depuis 1802, et la société d'émulation de Liège oîi il entra en 1815. Ce fut une union presque intime entre les membres de ces diverses sociétés, et leurs relations avec les écrivains français réfugiés en Bel- gique, qui donnèrent naissance aux recueils et aux journaux dans les- quels se concentre presque toute la vie littéraire de cette époque. MM. de Stassart, Ph. Lesbroussart, Quetelet, de Reiffenberg, Jouy, Cornelissen, Comhaire, Hubin, Van Bemmel , Rouveroy, Vanden Zande, etc., etc., auxquels se joignirent plus tard MM. Raoul, Baron, Alvin, et beaucoup d'autres, se signalèrent dès lors plus particulièrement dans Y Annuaire poétique ^ recueil modeste, que l'on peut considérer comme le berceau de notre littérature nationale contemporaine. Le baron de Stassart, qui s'était senti depuis longtemps porté vers l'apologue d'une manière irrésistible, et qui avait remporté les suffrages de ses compatriotes pour quelques pièces de ce genre insérées dans Y Annuaire poétique, résolut enfin, au mois de mars 1818, de publier un recueil de Fables. Dans la préface de ce recueil , faisant allusion à sa douce retraite de Corioule : « J'ai joui, disait-il, cette année (1817), à la campagne, d'un loisir que des travaux importants ne m'avaient pas permis de goûter encore; j'ai succombé, comme tant d'autres, à la séduction; j'ai fait des fables, et, sans m'en douter le moins du monde, à la fln de l'biver je m'en suis vu cent vingt-neuf, en y comprenant le prologue et l'épilogue. ' L'Alimnnch ou Avnnairc poélique fut publié depuis 1801 par la sociiHé littéraire de Bruxelles, et le baron de Slassarl y écrivit depuis 1802, mais le plus souvent sous le voile de l'anonyme. 36 NOTICE Les fabulistes étrangers m'ont fourni, je crois, une cinquantaine de sujets; le surplus m'appartient entièrement. » Les cent vingt-neuf fables, successivement augmentées jusqu'au nombre de deux cents environ, eurent neuf éditions, de 1818 à 1854; une traduc- tion complète en anglais, par M. Kean, parut en 1852, et des traductions partielles en furent faites à diverses époques en hollandais par Swan, en allemand par Cattel, en suédois par Wahunck, en provençal par Ilvacinthe Morel, en patois liégeois et namurois par MM. Dumarteau et Werolte K C'est assez indiquer le succès immense, le succès vraiment européen qu'elles ne cessèrent d'obtenir durant tant d'années. Quand on parle de fables, on pense tout d'abord à la Fontaine qui semble, par sa toute-puissante originalité, avoir absorbé en lui le genre même. Le baron de Stassart prévit cette difficulté, et s'efforça de la lever adroitement en disant dans son Prologue : « Lorsque le rossignol commence, » Par respect les oiseaux gardent tous le silence; » C'est le vrai Phénix de nos bois; » Mais on peut bien, en son absence, )> Plaire un moment sans égaler sa voix. » Il fit mieux : il eut l'esprit de ne jamais chercher à imiter le maître, ou à le suivre de près ou de loin. Il s'abandonna à ses propres sentiments, à ses propres inclinations, et, en donnant à ses fables le cachet de son caractère, il rencontra une originalité nouvelle. La Fontaine avait, on le sait, publié d'abord les six premiers livres de ses fables; il publia ensuite les cinq suivants, et enfin le douzième, et ces trois dates forment dans son recueil trois phases différentes parfaite- ment saisissables. Le baron de Stassart eut peut-être le tort de mêler, dans chaque livre, des fables de dates diverses : il serait sans doute facile de reconnaître à certaines époques les préoccupations particulières de fau- teur, et même des manières distinctes. ' Bibliographie académique, p. 91. SUR LE BARON DE STASSART. 37 Il est évident, par exemple, que les premières fables, surtout celles qui portent la date de 1808, sont d'une moralité moins piquante, moins caustique, et n'ont rapport qu'à des lieux communs de morale, aux travers et aux ridicules de l'individu dans la vie privée. La vie publique, la poli- tique surtout "semblaient alors exclues de la littérature. 3Iais, à partir de 1815, et à mesure que l'auteur se trouve mêlé aux agitations des partis, aux luttes avec le pouvoir, ses fables deviennent peu à peu plus vives, plus satiriques, plus empreintes d'actualité, et finissent par être le reflet de ses opinions les plus chères. Je vais tâcher de caractériser rapidement les fables du baron de Stas- sart, en y considérant ainsi l'histoire de sa vie intellectuelle. Parmi les fables qui appartiennent à ce que j'appelle sa première manière, il en est sans doute de charmantes, malgré la moralité souvent banale qui les accompagne. Mais c'est alors le récit même qui nous charme, par ses allures comiques ou dramatiques, c'est le récit qui absorbe l'attention. Il faut citer, dans ce genre, le Singe et la Montre ', le Cheval belliqueux - et la jeune Fille, sa Mère et te Feu follet ^ Parfois aussi le sentiment seul nous émeut et nous intéresse, comme dans les fables de Florian. Ainsi l'Hirondelle et le Moineau"^, qui commence par ces jolis vers : « J'eslime beaucoup l'hirondelle. B Elle a peu de talents, mais elle a des vertus; » Bonne, jamais coquette, à ses amours fidèle, » Elle sait aimer... rien de plus. » Ainsi encore ces petits poèmes composés en l'honneur de l'amitié ^, ou en haine de l'orgueil S; car l'orgueil, pour me servir d'une expression tri- viale, semble surtout la bête noire du fabuliste, et il trouve pour l'attaquer des accents pleins d'énergie. S'il lui arrive, à ce moment de sa vie, de toucher à la politique, de l'effleurer, pour mieux dire, c'est pour recommander la plus grande cir- ' Livre I, fable 4. | ^ |. 8. p I, 10. ^ •■ 3. 5 I, 16; V, 22; VH, 1. | « I, 15; IV, 2; V, 7. 38 NOTICE conspeciion et pour prêcher l'accord entre le souverain et le peuple, en donnant au premier le plus de prérogatives '. La date de ces fables, remarquons-le bien, ne dépasse pas l'année 1816 ou l'année 1817. Mais bientôt le style de l'auteur s'élève; sa pensée devient plus active et plus forte; l'instinct de résistance à une oppression injuste s'est éveillé dans son âme, et peu s'en faut même qu'entraîné par sa verve, il n'aille jusqu'à blâmer la conduite de Napoléon. C'est ce que l'on peut remarquer avec étonnement dans certaine moralité qui attaque assez franchement a Maint héros couronné des lauriers de la guerre, « Maint redresseur de torts, qui , le glaive à la main , » On le sait, ravagent la terre i> Pour le bonheur du genre humain '-. » Le roi des Pays-Bas a naturellement la plus grande part des traits lancés contre une royauté impopulaire, contre une administration tyrannique et vexatoire. Ce sujet a inspiré au baron de Stassart ses plus jolies fables. Le Roitelet ambitieux ^, le Conseil d'Étal du Lion *, le Trône de ISeige ^ et le Pin- son roi ^ sont de véritables chefs-d'œuvre. On peut y joindre l'Enfant et le Hanneton '', l'Aigle et le Corbeau ^, et te Léopard et CÊlcphant rois des animaux ^. Ces allégories facilement transparentes, et d'autres allusions dissémi- nées, n'étaient que l'écho des plaintes et des murmures du peuple. Le baron de Stassait, qui savait si bien défendre à la tribune les droits des provinces méridionales du royaume, s'était fait le généreux interprète de ces droits jusque dans ses poésies. A cette époque où Déranger sapait, au moyen de ses chansons, la restau- ration en France, le baron de Stassart semble avoir choisi instinctivement le même rôle en Belgique, et le fabuliste a, sous ce rapport, plus d'une analogie avec le grand chansonnier ••^. En effet, les fables que je viens de ' Voy. I, 4; I, 9; IF, 8; V, 16. ^ Le Rat , la Belette, le Renard et le Loup, Vil, 3. - IV, 9. I * IV, 23. 1 s V, 10. I 6 V, 20. | ■ V, 18. | « V, 19. | '■' VII, 6. '" Il est à remarquer que tous les deux étaient nés en 1780. SUR LE BARON DE STASSART. 39 citer sont plutôt de petites satires, d'ingénieux pamphlets, et l'auteur, en s'éloignant ainsi de la nature même du genre, en devient d'autant plus original, d'autant plus individuel dans toute la signiCcation de ce mot. Comme le dit fort bien le baron de Stassart, « ce qui n'était qu'une fable en 1818 est devenu de l'histoire en 1830 '. » Mais à peine la révolution de septembre est-elle accomplie, que le caractère, les idées, les préoccu- pations de l'homme reprennent le dessus. C'est désormais la modération qu'il conseille, l'oubli des animosités, l'accord et la conciliation. En 18Ô2, il traduit en fable son vote en faveur de la monarchie, sans pour- tant injurier la république 2. Plus tard, il déplore les chicanes que se font les diverses nations entre elles ^, ou les divers partis au sein d'une même nation '. Il attaque les hommes d'État sans talent qui se mêlent de vouloir diriger les peuples ^, mais il attaque également les démolisseurs^ et les exagérations des progressistes ". Après la révolution de 1848, c'est cette dernière tendance qui se remarque presque exclusivement *. Et pouvait-il en être autrement? Pou- vons-nous exiger d'un vieillard qu'il renonce pour ainsi dire aux idées de toute sa vie pour se jeter dans le tourbillon des idées nouvelles? Sachons gré, au contraire, au baron de Stassart de ne pas s'être élevé avec âpreté, avec acrimonie contre la fougue révolutionnaire de 1848, autant que de ne point s'être rallié complètement à la réaction de 1852 ; sachons-lui gré de la modération, de la juste mesure qu'il sut conserver, à son âge et dans une pareille crise sociale, à l'égard d'excès tout opposés. Quelques fables de cette dernière époque rappellent aussi , et tout natu- rellement, sa première manière simplement narrative, et, en ce genre, tes deux petits Savoyards ^ méritent certainement d'être placés parmi les meil- leures. S'il fallait maintenant porter un jugement général sur tout ce recueil ' OEUVRES, p. 87, note 165, et p. 92, note 2-24. î' VU, d5. I 5 Les bons Voisins, Vlll, 3. | * Le Conducteur el ses Chevaux, VIII, 3. | ^ VIII, 9 Il 19. 1 6 Vlll, 13. I ■> VIII, 23. « l[, 21; III, 22; V, 21; VIII, 20; Vlll, 22, et les fables intercalées dans les Miscellanées , I, 2 et 6,0EuvKEs, p. 1043. « IV, 22. 40 NOTICE de fables, je dirais que c'est une guerre de détail, une guerre de partisans faite à l'exagération en toutes choses, à l'injustice, à l'arbitraire, à l'orgueil, à l'ambition; une guerre dans laquelle le provocateur reste calme et n'abandonne jamais, au sein même de la lutte, l'esprit de tolérance dont il s'est fait une loi suprême. Plus fin que malicieux et plus naïf que railleur, il se borne à plaisanter des sottises et des fautes, en lançant, de temps à autre, des coups d'épingle dans les ballons de l'aniour-propre, et les questions, même les plus brûlantes, ainsi traitées sans fanatisme, deviennent un sujet de méditations fécondes. A ne considérer les fables du baron de Stassart qu'au point de vue littéraire, nous devons remarquer d'abord le charme de la narration, qui semble appartenir à une simple conversation amicale et familière, pleine de négligence et d'abandon. On est à peu près d'accord pour attribuer à la fable cette liberté d'allures et ces formes capricieuses où ne domine absolument que le goût. Or, le goût était précisément l'une des plus remar- quables qualités de notre fabuliste, et jamais ni le sujet, ni les person- nages, ni le cadre, ni le style ne pèchent contre cette loi suprême. Toutes les fables du baron de Stassart ont une longueur convenable et appropriée au sujet même; toutes offrent des animaux en scène, c'est- à-dire des êtres vivants et animés, comparables à nous sous beaucoup de rapports, tandis que des êtres inanimés peuvent difficilement se concevoir comme créatures parlantes ^; toutes enfin, ou presque toutes, présentent une action, action qui, par elle-même, nous inspire une pensée morale, avant que l'auteur nous ait donné ce qu'on nomme la moralité de la fable. La plupart des observations que j'ai faites sur le style du baron de Stassart, à propos des Pensées de Circé, s'appliquent également à ses Fables, malgré la différence qui semble exister naturellement entre les vers et la prose. C'est que cette différence est moins profonde qu'on ne le croirait; et ceci ne veut pas dire que le vers du baron de Stassart soit entaché de prosaïsme, mais bien que les mêmes caractères de correction et de pureté se retrouvent de part et d'autre. Les licences poétiques sont aussi incon- ' Voiries observations à ce sujet dans ta préface de la sixième édilion , en note. SUR LE BARON DE STASSART. 41 nues à l'auleur que le faste et l'apparat qui, aux yeux du XVIII'"'' siècle, constituaient le langage des dieux. L'harmonie seule, mais une harmonie toute particulière, propre sur- tout aux vers libres, distingue le style poétique du baron de Stassart. Il ne faut point y chercher cette phrase souple, mobile, pittoresque et pim- pante qui caractérise à peu près toute la poésie légère de notre époque, mais il faut y reconnaître un rhythme toujours conforme au sens, au sen- timent, à l'expression du discours ou du récit. Et c'est à dessein que je me sers du mot rhythme, auquel on donne d'ordinaire une signiflcation de régularité et de symétrie. Il est évident que la langue française, dépourvue d'accentuation syllabique, doit cher- cher dans l'accentuation oratoire , c'est-à-dire dans le sens même de la phrase , des ressources spéciales et une harmonie toute nouvelle. Or, le baron de Stassart comprenait admirablement cette harmonie, et avait, sous ce rapport, suivi d'instinct la voie ouverte par la Fontaine. Il est beaucoup d'écrivains, de grands poètes même, qui affectent encore de ne pas comprendre l'harmonie des vers libres. M. de Lamartine, entre autres, n'a pas craint, dans la préface des Dernières confidences, de blâmer ouvertement la Fontaine, et de tourner en ridicule « cette poésie composée de lignes d'inégales longueurs. » C'est méconnaître complète- ment l'esprit de la langue française, c'est même proscrire toute poésie en cette langue. M. de Lamartine peut -il s'imaginer que ces diverses mesures de vers soient purement arbitraires; peut-il s'imaginer que les vers alexandrins eux-mêmes n'empruntent pas à une loi naturelle, néces- saire, leur période de douze syllabes, si monotone aux yeux du vulgaire? En terminant cette appréciation des Fables, \q dois citer les notes expli- catives, placées à la suite du recueil, et qui renferment une foule de détails instructifs ou curieux : c'est une preuve du soin et de la conscience que mettait le baron de Stassart à la composition de toutes ses œuvres; c'était aussi un moyen d'instruire et d'éclairer les jeunes intelligences auxquelles l'auteur savait que l'on présente souvent des fables pour première étude. Je me suis étendu un peu longuement sur les Pensées et sur les Fables, qui sont réellement les deux titres les plus importants de l'écrivain à notre Tome XXVIII. 6 42 ÎNOTICE admiration. Je passerai rapidement en revue ses autres œuvres, extrê- mement nombreuses, mais dont le véritable mérite n'est point exclusive- ment littéraire. Il faut que je m'arrête néanmoins quelques instants encore sur les Méditations religieuses d'Eckartshausen, qui parurent en 1825 pour la pre- mière fois avec le nom du traducteur, et sous le titre de : Dieu est l'amour le plus pur. Celte traduction fut bientôt dans toutes les mains, et le succès qu'elle obtint ne tarda pas à effaroucher certaines âmes trop scrupuleuses ou trop craintives. Les Méditations, en effet , présentaient la religion sous l'aspect le plus aimable, le plus consolant, avec une sorte d'élan el de tendresse; mais ce n'était guère que le triomphe du sentiment religieux, sans acception de cultes ni de croyances. On reprocha au traducteur des expressions trop poétiques, trop profanes, trop vagues; on lui reprocha d'avoir tutoyé Dieu; et l'on finit par obtenir la proscription du livre. C'est par cet ouvrage que se manifeste le talent de l'écrivain de la façon la plus brillante, la plus éclatante. Il y a, dans cette simple traduction, iion-seulement une admirable pureté de style, mais de la grâce et de la force, de la couleur et de la lumière. La douce chaleur de ce style nous pénètre, et sa suave harmonie nous fait rêver, indépendamment des idées exprimées. Il faut lire les chapitres intitulés : Sur le sentiment de notre exis- tence. Sur la destinée de l'homme, et quelques autres, pour comprendre cette influence bienfaisante de la parole considérée en elle-même. J'ai cité un grand nombre des discours officiels du baron de Stassart, prononcés aux états généraux, au congrès national, au sénat et dans di- verses circonstances. J'en ai donné l'analyse et l'appréciation, à propos de la vie publique de l'auteur, et je ne crois point devoir y revenir ici. Je ne puis m'empêcher, cependant, de faire remarquer dans ces dis- cours des qualités littéiaires assez rares en général, et dont toutes les œuvres du baron de Stassart portent l'empreinte. Combien cette pureté de diction, cette régularité de composition méritent nos éloges, dans une branche de la littérature oîi domine d'ordinaire, avec tous ses défauts el fort peu de ses qualités, le caractère de l'improvisation! Le 12 octobre 1853, l'Académie appela le baron de Stassart à venir SUR LE BARON DE STASSART. 4ô siéger parmi ses membres, et cette date indique encore une phase nouvelle dans la carrière de l'écrivain. Les occupations de l'Académie étaient pré- cisément celles qui convenaient le mieux à sa nature et à ses habitudes; il avait peu de propension aux travaux de longue haleine; il lui fallait un public pour écouter la lecture de ses divers opuscules, il lui fallait un recueil pour les insérer, et c'est précisément ce qu'il rencontrait à l'Aca- démie. Ses rapports, ses notes et ses discours ont été cités souvent comme dignes d'attention. Plusieurs de ces pièces ont même donné lieu à des polémiques assez acerbes dans des journaux et des revues, polémiques auxquelles l'auteur s'empressait de prendre part avec convenance et dignité. Les rapports du baron de Stassart étaient généralement empreints d'une bienveillance éclairée, d'une sage indulgence qui, loin de provoquer chez les jeunes écrivains une vanité ridicule ou une activité stérile, les excitait à mieux faire et encourageait leurs eiïorts. Le plus complet et le plus remarquable de ces rapports est le rapport sur le concours ouvert par l'Académie pour la meilleure pièce de vers français consacrée à la mémoire de la reine (8 mai 1851). Quelques Notes aussi sont du plus haut intérêt pour l'histoire de la littérature : ce sont celles relatives à l'évéque Philippe Cos- peau , aux descendants de Corneille et au poëte Lainez. Enfin, parmi les Discours académiques, je ne puis manquer de citer les cinq discours spécia- lement consacrés à l'histoire de la Belgique, et qui s'enchaînent de ma- nière à présenter les principaux faits et les personnages les plus saillants de nos annales. Le discours du 15 décembre 1811, notamment, renferme une idée des plus heureuses, en traçant d'une façon sommaire un itinéraire historique de la Belgiqiie ^ Le baron de Stassart ne tarda pas à s'attacher de plus en plus à l'Aca- démie, après avoir consenti à occuper la présidence alternativement avec M. le baron de Gerlachc. Par une coïncidence remarquable, ces deux hommes qui s'étaient rencontrés à Paris en 1802, sur les bancs de l'uni- versité de jurisprudence, qui avaient été un instant ensemble vice-prési- ' OEuvEES, p. 279. 44 NOTICE dents du congrès national, et qui avaient été élus ensuite, l'un président de la chambre des représentants, l'autre président du sénat, se trouvèrent partager aussi la présidence de l'Académie. A mesure surtout que le baron de Stassart s'éloigna des affaires publi- ques, il s'occupa davantage de ses travaux à l'Académie, qui devinrent ses plus douces distractions, ses délassements les plus chers. Ce n'était ni la gloire, ni même une satisfaction d'amour-propre qui le poussaient à mul- tiplier ses publications, c'était une sorte d'habitude qu'il s'était créée dès la jeunesse et dont son intelligence, toujours active, ne pouvait plus se passer. Le même penchant l'avait porté à accepter une certaine part dans la rédaction d'une foule de recueils périodiques. Il fut un des principaux collaborateurs de la Biographie universelle des frères Michaud , de la Revue encyclopédique de France, de la fievtie belge, du Trésor national, du Bibliophile belge, du Bibliophile de Paris et de la Bévue du nord de la France publiée par M. Arthur Dinaux. Il avait écrit également dans VAnnuaire nécrologique de M. Mahul, dans la Thémis, dans le Mémorial européen, dans le Journal de f Empire, dans le Journal de la Belgique, dans VAnnuaire de la Société philo- lechnique, etc., etc. Des critiques littéraires insérées dans les journaux, des pièces et des discours de circonstance, des opuscules composés dans sa jeunesse et qu'il revoyait avec attention, des publications d'autographes importants, des réponses à des opinions hasardées par différents écrivains, des recti- fications d'erreurs historiques, occupèrent également les loisirs que s'était faits le baron de Stassart, et ne tardèrent pas à prendre place dans son volume d'OEitvres diverses. 11 avait aussi, depuis de longues années, la pensée d'écrire des Mémoires, et l'on conçoit de prime abord de quel intérêt eût été un pareil ouvrage, embrassant toute la période comprise entre la révolution de 89 en France et la restauration bonapartiste de 1852. L'entreprise était gigantesque, et de nature à effrayer un écrivain qui n'avait jamais, au temps même de sa plus grande virilité, conçu le plan d'un ouvrage de longue haleine. La lecture de plusieurs mémoires contemporains acheva de le dégoûter, et SUR LE BARON DE STASSART. 45 l'abus que l'on faisait de ce genre lui lit craindre de tomber dans la manie générale. Nous n'avons de cet ouvrage qu'une sorte d'avant-projet, de table des matières, et un fragment destiné sans doute à former le commence- ment du premier chapitre. Pendant les dernières années de sa vie, seul au milieu de ses livres et de ses collections, il prit une sorte de plaisir d'enfant à augmenter le nombre de ses précieux autographes, à cataloguer son immense biblio- thèque, à compléter sa collection de fabulistes, à rassembler même des tableaux, des médailles et des œuvres d'art, tout en s'occupant avec le plus grand soin de l'impression de ses OEuvres. Cette impression dura près de trois ans, du 2 septembre 1851 au mois de juin 1854. Le volume portait, en guise de préface, ces paroles tou- chantes : « J'ai sous mes yeux mon acte de naissance; je ne puis me faire illu- sion : je suis né le 2 septembre 1780. C'est aujourd'hui ma soixante-dou- zième année.... il est plus que temps de dresser mon bilan littéraire. Le public connaît déjà la plupart des pièces qui le composent. Puisse son indulgence, qui m'a souvent encouragé, ne pas se démentir à la vue de ce bagage trop volumineux peut-être! » Ce que le baron de Stassart appelait son « bilan littéraire, » forme réellement une petite bibliothèque. C'est un volume grand in-8% de 1092 pages à deux colonnes, renfermant non-seulement toutes les œuvres que j'ai citées dans le cours de cette appréciation, mais un nombre prodigieux de pièces détachées, d'excellentes notices biographiques, de critiques littéraires et de miscellanées , qui forment une partie spéciale infiniment plus considérable que la première. Mêlé à toutes les affaires de son temps, depuis le commencement de ce siècle; appelé, par ses diverses fonctions, à la discussion de tous les intérêts intellectuels; en rapport avec tous les hommes qui ont eu quelque influence sur les idées de notre époque, le baron de Stassart était, par ces circonstances, à même de nous fournir mille données, mille détails précieux sur l'histoire contemporaine. De plus , doué d'un patient esprit d'investigation joint à une rigoureuse impartialité , d'une mémoire ex- i6 NOTICE traord inaire au secours de laquelle il pouvait appeler conslanimenl de riches collections de livres, de manuscrits et d'autographes : nul n'avait aussi plus de ressources pour faire les immenses travaux que renferme cette seconde' partie de ses œuvres. Combien la simple indication de celle foule d'études détachées serait utile à nos littérateurs, à nos historiens, à nos critiques, à tous ceux qui veulent mettre de la conscience et de l'exactitude dans leurs recherches, quelles qu'elles soient ! Le bien que le baron de Stassarl avait fait, pendant sa longue carrière, à la littérature et aux littérateurs, il voulut le continuer même après sa mort. L'Académie, qu'il avait fini par considérer comme sa famille d'a- doption, eul la plus grande partie de sa riche collection de livres et d'autographes , toute sa correspondance privée , tous ses papiers intimes. Il fonda en outre un prix en faveur de la meilleure notice sur un Belge célèbre, et un autre prix, plus important, destiné à encourager l'étude de l'histoire nationale. Une somme de 10,000 francs fut léguée à l'Institut de France pour fonder un prix à décerner, tous les six ans, alternative- ment pour l'éloge d'un moraliste et pour une question de morale. Enûn, le jeune officier qui, pendant l'année, sortirait premier de l'école mili- taire, devait recevoir un précieux autographe de Bayard , ainsi qu'une somme de 5,000 francs pour son équipement. En présence de ces legs, dont je n'indique ici que les principaux, ne peut-on pas dire que la vie littéraire du baron de Stassarl continue encore? SIR LE BAROiS DE STASSART 47 III. VIE INTIME. Lorsqu'on jelte les yeux sur l'un des nombreux portraits du baron de Slassarl, et particulièrement sur la lithographie de M. Baugniet, sur la belle médaille de M. Léopold Wiener, ou sur le buste qu'achève en ce moment même M. Eugène Simonis, ce n'est point la régularité des traits, la noblesse de l'ensemble, la pureté des détails qui frappent tout d'abord: c'est la bonté, c'est la bienveillance, c'est une douce sérénité, une félicité franche et souriante qui vient de la conscience et qui se répand sur le visage en calmes rayonnements. Mais les artistes n'ont jamais pu rendre l'expression essentiellement mobile de cette physionomie, expression qui devenait tantôt (ine et mali- cieuse, tantôt affable et pleine de bonhomie, tantôt vive et animée. Les sentiments et les pensées du baron de Stassart, c'est-à-dire toute son âme se manifestait à chaque instant, non-seulement sur ses traits, mais dans toute son altitude, dans ses gestes, dans sa personne entière. Ces divers aspects de sa vie intime, facilement appréciables, ne présentaient cepen- dant ni contrastes, ni disparates; car l'égalité d'humeur et la charmante indulgence qui formaient l'unité réelle de ce caractère, se révélaient aussi ( onstamment par un sourire aimable, sans affectation ni banalité. On se sentait attiré malgré soi, instinctivement et irrésistiblement, vers cet homme, en remarquant l'urbanité, le bon goût, le tact exquis de son langage et de ses manières; on l'estimait à la première vue, on l'aimait sans le connaître, sans savoir encore qu'il était l'une des gloires les plus pures et les plus respectables de notre temps et de notre pays. Ceux qui, n'ayant point approché le baron de Stassart, n'ont pas éprouvé non plus son influence toute personnelle, jugeraient difficilement un carac- tère aussi en dehors du commun des hommes , aussi vraiment rare à toutes 48 NOTICE les époques et particulièrement à la nôtre. Lorsqu'on se rappelle avec quelle indulgence éclairée ce vieillard accueillait et encourageait les jeunes gens qui se destinaient à la carrière des lettres , lui dont les idées arrêtées depuis longtemps paraissaient devoir être d'autant plus obstinées et exclu- sives , on ne peut s'empêcher de ressentir pour l'homme même, indé- pendamment de sa vie et de son talent, non-seulement une vive admira- tion, mais un véritable et sincère enthousiasme. Et cependant, on regrette de devoir s'en souvenir aujourd'hui, combien le baron de Stassart n'a-t-il pas été attaqué durant sa longue et laborieuse carrière, combien n'a-t-il pas été en butte aux fureurs des partis, aux rancunes de la plus étroite et de la plus mesquine jalousie. Peut-être est-ce le sort inévitable de tous les hommes supérieurs qui savent se mettre au- dessus des considérations d'actualité, et ne se guider que par les idées de l'honneur, du bien, du juste, du vrai. Peut-être aussi y avait-il, dans le caractère même du baron de Stassart, un côté vulnérable, une propension peu sympathique à la foule, un trait distinctif que l'on n'est que trop porté à confondre avec la faiblesse, et dont les envieux ne manquaient pas de tirer parti. Je veux parler de la modération presque systématique que j'ai eu si souvent l'occasion de signaler, tant dans la vie publique que dans la vie littéraire de l'homme dont je fais ici l'éloge. La modération, en effet, telle est la vertu, suivant les uns, tel est le défaut, suivant les autres, qui domine toute l'existence, tous les actes, toutes les opinions du baron de Stassart. Et, remarquons-le bien, ce n'est pas seulement par inclination naturelle, c'est de parti pris, de propos délibéré, après réflexion et méditation, qu'il s'efforce de faire prévaloir ce principe. En politique, au sein même de la lutte la plus vive, au sein de la révolution, il rêve la conciliation des partis; il hait les tyrans, mais il craint la liberté illimitée. Les extrêmes en tous genres lui répugnent; il les attaque l'un après l'autre, et souvent à la fois, n'ayant alors pour partisans que certaines gens médiocres, incapables de l'appuyer ou de le soutenir, et pour récompense que sa conscience d'homme de cœur et d'homme de bien. Pense-t-on que la modération, ainsi entendue, ainsi pratiquée, soit une qualité bien commune? Pense-t-on qu'il faille beaucoup plus de force SLR LE BARON DE STASSART. 49 et de courage pour se jeter dans un parti, et s'abandonner ensuite, aveu- glément, à toutes les exagérations de ce parti, que pour s'arrêter sur la pente et cliercher même à arrêter les autres? Le baron de Stassart se rendait parfaitement compte lui-même des dangers de cette situation, et, comme c'était surtout de propos délibéré qu'il l'avait prise, il en avait pesé mûrement toutes les conséquences. « Ce que les partis extrêmes pardonnent le moins, dit-il, c'est la mo- dération, qu'ils considèrent comme la critique permanente de leurs actes. Ainsi de toutes les vertus, la modération est, je crois, celle dont la pra- tique exige le plus de courage ^ » Il est vrai que, se faisant illusion sur les hommes de son époque, il se flattait toujours de finir par les ramener au moyen de la persuasion. « Laissons, dit-il encore, les hommes des partis extrêmes injurier les partisans d'une sage modération, laissons-les invoquer contre eux la loi d'Athènes..,. Il faudra bien qu'on en revienne au juste milieu, base uni- que de toute vérité pratique ^. » Cette opinion se reproduit sans cesse dans les Fables, dans les Pensées de Circé et en maint endroit de ses autres ouvrages. Ce n'est pas pour la politique seulement qu'il l'invoque, c'est aussi pour toute la conduite de l'homme dans la vie privée, « La modération plus que toute autre vertu sert de garantie au bon- heur ^. » Mais, là encore, il est le premier à reconnaître que la mise en prati- que de cette maxime est malaisée. « Il faut plus qu'on ne pense de force d'âme et de courage d'esprit pour ne jamais franchir les bornes de la modération *. » Sans doute que la haine de l'orgueil, si vivace chez le baron de Stas- sart, provenait de ce penchant invincible, allié à un sentiment de justice et de convenance. Sans doute aussi que l'indulgence, qui le caractérisait à un si haut point, avait la même source, tout en étant la conséquence d'une bonté naturelle et irréfléchie. Mais il est évident que cette indul- ' Pensées de Circé, 493. ] - Pensée 480. | ' Id. 470. | '• fd. 2t I. Tome XXVIH. 50 NOTICE gence et cette haine de l'orgueil, développées de cette façon, devaient finir par appuyer à leur tour la modération elle-même. On voit maintenant que cette tendance remarquable du caractère du baron de Stassart était tout autre chose qu'un impuissant éclectisme, qu'un timide juste milieu, qu'un adroit équilibre, comme on l'en a sou- vent accusé. Député, homme d'État ou écrivain, loin de redouter les exagérations, il les combattait en face et à outrance; loin de pactiser avec les extrêmes, il leur avait voué une haine vigoureuse; loin de se placer entre les systèmes, il s'élevait au-dessus, et les dominait de toute la hau- teur de ses vues nobles et généreuses. Certainement, et je suis le premier à en convenir, un tel rôle exigeait une ardeur constante et soutenue, qui parfois fit défaut au baron de Stassart, surtout dans les dix dernières années de sa vie. Comme l'a fort bien fait remarquer M. Quetelet, à propos de certains actes de cette période ' : « 11 put reconnaître alors que le rôle le plus difficile à remplir, c'est de n'en point avoir, et de se trouver, sans le mot d'ordre, entre deux partis qui en sont aux mains : les chances d'être frappé sont doubles. Il n'existe, en pareil cas, que deux manières de se préserver : c'est de s'effacer par une nullité complète, ou d'exercer sur tous un puissant ascendant. Or, cet ascendant, le baron de Stassart l'avait perdu, et, d'une autre part, il n'était point un homme que l'on pût considérer comme étant de médiocre impor- tance. » Il serait impossible de caractériser avec plus de justesse la position spé- ciale à laquelle le baron de Stassart devait aboutir, par son système de modération, vers la fin de sa carrière. Mais il faut bien se garder d'en accuser la tendance elle-même, malgré toutes les inimitiés, toutes les ani- mosités qu'elle suscita constamment et dans des camps diamétralement opposés. Ce qu'on ne peut perdre de vue, c'est que le baron de Stassart eut toujours « le courage de la modération », comme il le dit lui-même, et qu'il ne recula jamais sur ce point, ni devant la disgrâce, ni devant l'im- ' Notice, p. 33, note 2. SUR LE BARON DE STASSART. M popularité. Les conséquences de cette conduite furent souvent pour lui des plus cruelles; mais il en prenait son parti avec le calme du sage, avec la sérénité d'âme que donne à l'honnête homme la conscience du devoir accompli. Il allait jusqu'à en plaisanter en présence de ses amis, sans aigreur, sans dépit, avec cette finesse et cette douceur qui lui étaient particulières. Ses Fables, ses Pensées de Circé, ses Ëpigrammes , ses Petits dialogues épiyrammaliques et moraux, devenaient aussi les confidents de ses impressions, de ses observations, de ses souvenirs. Ne s'est-il pas, évidemment, dépeint lui-même sous le nom de Uulis, dans la pensée suivante ^ ? « Dulis ne réussit pas dans le Midi, parce qu'il y passe pour un esprit apathique et lier qui ne sait pas courtiser les grands et faire à propos une démarche importante; dans le Nord, il ne réussit pas davantage, parce qu'on l'y regarde comme un intrigant, attendu qu'il n'évite pas de plaire à des hommes très-aimables, à la vérité, et très-dignes de l'estime publique, mais qui sont assez malheureux pour avoir du crédit à la cour. Que manque-t-il donc à Dulis pour se concilier les esprits? — De savoir prendre successivement les mœurs et les usages des divers pays qu'il habite. Il est certains cas où le mezzo termine, si vanté des sages, n'est bon à rien. » N'est-ce pas lui encore que l'on doit reconnaître dans cet autre por- trait 2? « Vérax respecte l'ordre public; on ne le voit pas déclamant sans cesse contre les sommités sociales. Aussi les frondeurs de profession le consi- dèrent-ils comme un courtisan, tandis qu'à la cour on le traite de déma- gogue, parce qu'il ne craint pas d'y faire entendre le langage de la vérité, parce qu'il n'hésite jamais à blâmer les mesures défavorables aux intérêts du peuple. » C'est à ces confidences littéraires que se bornait toute la vengeance du baron de Stassart. Jamais il n'eut l'idée de se poser en âme incomprise ou méconnue, en victime ou en martyr. Et pourtant à combien d'attaques ' Pensée -2'27. "2 Pensée 417. S2 NOTICE et de persécutions ne fut-il pas exposé ! Tout autre que lui, sans aucun doute, se fût dégoûté d'un système qui ne lui attirait que des ennemis; tout autre se serait renfermé dans son dépit, dans son orgueil, dans son mépris du monde et de la société. Lui, tout au contraire, n'en devint que plus indulgent, plus bienveillant, plus affable. Et n'est-ce pas là une preuve convaincante de la véritable force d'àme, de la véritable supériorité? « Quand on considère, dit -il encore, l'ingratitude et les injustices auxquelles l'bomme en place est plus exposé que personne, on doit lui savoir quelque gré de n'être ni dur ni égoïste à quarante ans '. » Or, cet égoïsme et cette dureté, le baron de Stassart n'en laissait pas encore observer le moindre synq^tôme, dans ses opinions ou dans sa con- duite, à 73 ans, c'est-à-dire à son plus grand âge. Bien plus, il encourageait chez les jeunes gens, avec une bonté sans égale, des instincts qui, en apparence du moins, semblaient s'opposer aux préoccupations de toute sa vie. 11 aimait leur hardiesse, leur témé- rité même, sachant bien que ces penchants ne se modifient que trop avec le temps, et persuadé que la liberté seule conduit aux plus nobles et aux plus éclatantes vertus. Écoulez plutôt ce piquant petit dialogue qui n'est que le reflet de ses conversations intimes. « N. Théophile, qui passe pour votre élève, est un jeune homme très- dangereux par son exaltation. Si le mot excentricilé n'existait pas, on l'au- rait créé pour lui. Les abus du pouvoir, les injustices de l'opinion l'irritent et le révoltent : il se fait dans toutes les occasions le défenseur de l'op- primé. Je le répète, c'est un frondeur dangereux. Que ne le ramenez-vous dans une voie meilleure ? Il semble vraiment dévoré de la fièvre du bien public. « X. Ne craignez rien.... cette fièvre là n'est pas contagieuse 2. » L'homme qui écrivait ces charmantes paroles n'aurait-il pas dit aussi avec le grand chansonnier auquel il ressemble par plus d'un côté : « .... Il est peu de jeunes gens qui ne sachent l'intérêt que tous m'inspi- rent. Combien de fois me suis-je entendu reprocher des applaudissements ' Pensée 58. 2 Petits dialogues épigrammatiques et moraux. OEuvres , p. 217. SUR LE BARON DE STASSART. 53 donnés à leurs plus audacieuses innovations ! Pouvais-je ne pas applaudir, niênie en blâmant un peu * ? » C'est cerlaineaient là l'un des traits les plus sympathiques du ca- ractère du baron de Stassart, et, nolons-le bien, c'était la modération même qui produisait cette indulgence, et qui allait, sinon jusqu'à encou- rager, du moins jusqu'à permettre une certaine exagération de senti- ments. Il est donc plus qu'absurde de considérer la modération comme une qualité toute passive, connue synonyme d'impuissance ou de timidité. La vie intime du baron de Stassart nous présente mille exemples, mille preuves du contraire. Et d'abord, cet homme si modéré, cet esprit si conciliant, cet ennemi déclaré de tout excès, de toute violence, était loin de posséder le calme, la quiétude, la placidité d'âme qui semble inséparable d'une telle manière de voir. La vivacité, l'impatience même, et parfois l'obstination se révé- laient chez lui de la façon la plus singulière, la plus inattendue. Mais, hàtons-nous de le dire, à la louange du baron de Stassart, ces défauts, en tant que défauts , ne prenaient jamais leur source que dans un sen- timent d'honneur, de justice, de générosité, violemment froissé ou com- battu. « Ces accès d'impatience, dit M. Quetelet, se manifestaient par une vive rougeur, un certain embarras d'expression et un mouvement nerveux dans toute sa personne^. » Parfois même ils lui inspiraient quelque saillie, quelque épigramme piquante, mais où la colère et la brutalité n'avaient jamais la moindre part. C'était au côté ridicule qu'il s'attaquait de préfé- rence, et le principe seul, ou plus souvent encore l'expression, excitait cette verve satirique. Du reste, l'explication de cette apparente anomalie se trouve tout entière dans un passage des Souvenirs laissés par le baron de Stassart à l'Académie. « Mon enfance, dit l'auteur, fut entourée de témoignages d'affection. Aussi, plus tard, lorsque je fus au collège, je cédais volontiers aux moyens ' Déranger, préface des chansons nouvelles et dernières. - Notice, p. 41 . M NOTICE de douceur, mais je savais me roidir avec une obstination sans égale contre tout ce qui ressemblait le moins du monde à la violence. » Ce qui n'était qu'un instinct chez l'enfant devint chez l'homme un trait caractéristique; mais le bien seul était l'objet de cette vivacité, que la bonté naturelle et le sentiment des convenances empêchèrent toujours de dégénérer en personnalités blessantes. L'impatience et l'obstination même ne forment donc nullement, à ce point de vue, un défaut, une dissonance dans l'esprit du baron de Stassart. Rien, au contraire, ne prouve mieux la parfaite unité, l'admirable har- monie de son caractère, et, si je ne craignais de tomber dans le paradoxe, je soutiendrais que la modération, dans le sens élevé que lui attribue l'homme de cœur, provoque l'activité et entraîne par moments à la lutte. Qu'on lise, par exemple, la lettre que le baron de Stassart écrivit, le 6 juin 1847, aux journaux qui avaient attaqué son discours académique. On y verra, non point un courage tout passif, mais une énergie extraor- dinaire, bien rare dans une cause et dans un ordre d'idées que l'on consi- dère comme le domaine de la médiocrité. Voici un passage remarquable de cette réponse, que je tiens à placer ici sous les yeux des lecteurs ' : « .... Je n'ai jamais hésité le moins du monde à mettre au grand jour mes opinions : c'est une habitude de toute ma vie. J'ai dit la vérité (ou du moins ce que je croyais être la vérité) aux ministres de l'empereur, à l'empereur lui-même ; je l'ai dite aux ministres du roi Guillaume ; je l'ai dite à tous les hommes d'État ou prétendus hommes d'État qui, chez nous, se sont succédé au pouvoir depuis 1850. Je ne l'ai pas épargnée non plus aux tribuns populaires, et je la dirai partout où j'aurai mission pour prendre la parole. C'est le plus sûr moyen de déplaire aux deux camps ennemis; je l'ai plus d'une fois éprouvé dans ma longue carrière; mais le temps de la justice arrive tôt ou tard, et, suivant un de ces vieux adages qu'un vieillard aime tant à se rappeler : La raison finit lonjonrs pot- avoir raison. » ' OEcvRES, p. 328. SUR LE BAROÎS DE STASSART. 55 Plaise à Dieu que ce temps soit enfin arrivé, et que ma faible appré- ciation contribue à faire voir, dans tout son jour, l'un de nos grands hommes contemporains les plus dignes de toutes nos sympathies ! Je n'ai considéré jusqu'à présent que les principaux traits du caractère du baron de Stassart, en signalant l'ensemble et l'unité qui s'y révèlent, malgré d'apparentes contradictions. C'est là toute la vie intime que j'ai à dépeindre, car, sauf quelques mo- difications presque inappréciables, dues à l'âge et aux circonstances, cette existence se présente la même à toutes les époques et dans tous les pays. Les personnes qui ont connu le baron de Stassart à un moment quel- conque de sa carrière, l'ont connu tout entier; et, tel qu'il se manifesta d'abord à Inspruck, à Varsovie, à Elbing , à Koenigsberg et à Berlin, tel il fut à Orange, à la Haye , à Namur et à Bruxelles, jusqu'au dernier jour de sa vie. Et, qu'on ne s'y trompe pas, ce n'était point là de l'immobilité, ce n'était point là de l'apathie, c'était de la constance. Si son attachement à l'empereur, si sa prédilection pour la France, si son respect du devoir, si sa haine de l'orgueil et de l'exagération, si ses instincts nobles et géné- reux ne se démentirent pas un instant, en un mot, si ses sentiments restèrent les mêmes, ses idées n'en prirent pas moins un nouveau cours, ou pour mieux dire une forme nouvelle. Or, lorsque l'on considère les événements si nombreux et si variés que le baron de Stassart eut à traverser, on ne peut que lui faire un mérite d'avoir su conserver, au sein de ces événements, une ligne invariable de conduite, d'avoir su résister à des impulsions contradictoires, tout en acceptant le progrès pour but essentiel et pour loi suprême. Il me reste à examiner quelques détails de cette vie intime, si féconde en enseignements de tout genre, quelques opinions, quelques propensions secrètes de cet esprit à la fois si constant et si vif. J'ai répété à diverses reprises, dans le cours de cet Éloge, que le baron de Stassart avait le génie de la fable. Tous ceux qui ont connu l'homme peuvent s'en convaincre en se rappelant les deux faces principales de son intelligence, les deux talents qui le distinguaient le plus dans ses rela- o6 NOTICE lions de société, et qui conslitiient précisément l'esprit de l'apologue. Le baron de Stassart possédait au plus haut degré l'art de conter avec finesse et bonhomie, et l'on pourrait former un recueil charmant des spirituelles anecdotes dont sa conversation était semée. Il possédait ensuite le don , plus rare encore, de faire saisir la portée et, en quelque sorte, la mora- lité de ces anecdotes. Ses réflexions et ses appréciations avaient surtout un côté pratique, qu'il rendait d'autant plus saillant par une forme piquante, par un persifflage de bon goût et de bon ton. 11 ne dissimulait nullement ses sympathies et ses antipathies, mais toujours il les rattachait à quelque principe supérieur qui les faisait comprendre et souvent même adopter par ses auditeurs. Dans ces conversations ou plutôt dans ces causeries , son visage s'épa- nouissait et rayonnait d'une douce satisfaction intérieure; il semblait heureux d'être écouté et de faire partager à ceux qui l'entouraient ses sentiments et ses pensées. Combien de fois on a dû regretter depuis qu'il n'ait point écrit les Mémoires qui auraient été le reflet de ces confidences familières. Que reste-t-il aujourd'hui de tant de charme, de tant d'esprit, de tant d'expansion? Quelques traits épars dans ses OEuvres diverses, ou religieusement conservés dans le souvenir de ses nombreux amis. C'était l'amitié qui avait, à toutes les époques, procuré le plus de joie et de contentement au baron de Stassart, qui l'avait promptement consolé de ses disgrâces et de la haine de ses adversaires. ïl importe de remar- quer ici que tous ceux qui furent ses amis lui restèrent constamment aussi attachés, aussi fidèles, et que, sur ce point du moins, les déceptions ne vinrent jamais attiédir ses affections ou réprimer ses généreux élans. Il savait aussi reconnaître cette amitié par mille soins, mille complaisances, par un dévouement infatigable et sans bornes. Les démarches qu'il n'eût sans doute point faites pour lui-même, il les multipliait pour ses amis au risque de se rendre importun et d'essuyer des refus blessants de la part de personnes qui ne se piquaient ni de bienveillance, ni de politesse. Comme homme du monde, le baron de Stassart avait conservé les tra- ditions de l'ancienne aristocratie, mais en y ajoutant plus d'affabilité, plus d'aménité, plus de cordialité surtout. L'arrogance et la prétention SUR LE BARON DE STASSART. 57 étaient également bannies de ses manières et de son langage. 11 savait écouter sans montrer d'ennui, et témoignait en toute occasion la plus grande délicatesse pour les opinions qui n'étaient point les siennes. La tolérance était aussi l'une de ses vertus dominantes; il professait un véri- table respect pour toute idée énoncée avec modération et avec fran- chise '. Bon pour tout le monde, pour les étrangers comme pour sa famille, pour ses inférieurs, pour ses domestiques, il se faisait estimer et chérir de tous ceux qui l'approchaient. Et comment eût-il pu en être autrement d'un homme qui semblait semer le bonheur autour de lui? Pour tout dire en un mot, on peut affirmer que ses ennemis ne se recrutèrent jamais que parmi les personnes qui ne le connaissaient point, ou qui, du moins, n'avaient pas eu avec lui de relations intimes. Une vie aussi active devait pour ainsi dire se répandre au dehors. L'orgueil seul sait se renfermer en lui-même et ne vivre que pour lui. Le baron de Stassart vivait en grande partie dans les autres, et ce que l'on a interprété si faussement en y voyant un indice de vanité puérile, n'était qu'un penchant irrésistible à l'expansion et le besoin d'être aimé. N'ayant jamais eu d'enfants, il avait concentré toutes ses affections de famille sur une épouse bien aimée, qui était réellement digne de cet amour, et qui éprouvait pour le baron de Stassart une tendresse mêlée d'une sorte de vénération. Il s'était créé également une société d'amis dévoués, presque tous jeunes gens, qui professaient la plus vive admiration pour ses sentiments et son caractère. Mais là ne se bornait pas encore le cercle de ses affections : lui-même nous l'apprend dans cette pensée ingénieuse, écrite sous forme de dialogue : « N. On ne vous voit jamais dans le monde vous vivez dans un isolement complet. » X. Que voulez-vous je tiens à la bonne société; je vis au milieu de mes livres ^. » ' M. Qiiptelet, dans son discours, prononcé sur la tombe de M. de Stassart, a parfaitement apprécié l'induence de ces qualités sur les relations intimes des académiciens. - Pelils dialogues. OEuvres, p. 218. Tome XXVIIL 8 58 NOTICE Bien dos années aupaiavanl il avait déjà dit : « Le philosophe, le sage, qui dédaigne de défendre contre l'intrigue une position qu'il n'avait pas ambitionnée, passe pour un niais aux yeux de bien des gens, mais il s'en console dans sa bibliothèque avec les morts, avec ses vrais amis •. » En effet, le baron de Stassart semblait avoir choisi un certain nombre de ces morts pour en faire sa société intime. Il relisait leur histoire ou leurs œuvres, il les citait avec complaisance, et s'enthousiasmait souvent, au souvenir de leurs pensées ou de leurs actions, avec une ardeur toute juvénile. On comprend qu'il devait y avoir quelques rapports secrets entre le caractère de ces grands hommes et celui du baron de Stassart lui-même, et l'on pourrait presque deviner déjà les noms de ceux qui furent l'objet de celte prédilection. Parmi les héros qui se sont illustrés dans l'histoire, ce n'étaient point les plus célèbres, ceux dont la renommée est la plus éclatante, qui avaient le privilège d'exciter ses sympathies, mais plutôt ceux qui, par leurs sen- timents chevaleresques et leur grandeur d'âme, pouvaient être considérés comme hommes d'honneur avant d'être admirés comme guerriers. C'était Bayard d'abord, le plus grand de tous à ses yeux, Bayard, en faveur duquel il rompit une lance, à l'âge de 72 ans, contre un des rédacteurs de L'Indépendance -, et dont il légua un précieux autographe à l'élève qui sortirait premier de l'école militaire. C'était ensuite le Prince Noir, dont il admirait la noble conduite à l'égard du roi Jean ; puis Catinal, dont les vertus privées égalaient le courage ; le chevalier d'Assas , Tu- renne, Gustave-Adolphe. Cet engouement bien naturel pour les sentiments généreux et chevaleresques l'avait même porté un instant vers le prince d'Orange (plus tard Guillaume II) ^. Un respect héréditaire pour le souve- rain lui faisait aimer Marie -Thérèse et le prince Charles de Lorraine **: la reconnaissance et l'admiration l'avaient enchaîné à Napoléon, et Vol- ' Pensées de Circé, 462. * OEuvBES, p. 1056. Voy. aussi : note 61 des Fables. ' OEUVRES, p. 165, note 2, et Fables, note 119. •* OEUVRES, Promenade à Tervueren, p. 211. SUR LE BAROIN DE STASSART. 59 taire lui avait appris à estimer sinon à aimer Henri IV et Frédéric II '. Mais gardons-nous de croire que la gloire militaire ait eu jamais le pouvoir d'éblouir le baron de Stassart. Dans ces derniers bommes, même dans Napoléon, Henri IV et Frédéric H, ce n'était que l'homme d'Etat et le pacificateur qui avaient droit à son estime 2. Je viens de citer le nom de Voltaire, et c'est Voltaire, en effet, qui semble avoir été le premier maître, le guide et le modèle du baron de Stassart. En vain blâme-t-il son scepticisme^, il imite Voltaire, pour ainsi dire, sans le savoir, dans ses Épîtres, dans ses Lettres en prose et en vers, dans ses Êpkjrammes et ses Inscriptions; et il n'y a pas jusqu'aux Fables qui n'aient, de temps à autre, une tendance légèrement voltairienne. Après Voltaire, venaient la Fontaine et Béranger *, ces deux esprits si essentiellement français. Parmi les poètes de l'antiquité, il préférait Horace, l'auteur de la fameuse maxime Est modus in rébus, et le chantre de Vaitrea mediocrilas ^. Parmi les compositeurs, ce ne pouvait être que Grétry ^. Walter Scott avait excité l'enthousiasme du baron de Stassart au point de lui faire passer plusieurs jours et plusieurs nuits consécutives à la lecture d'Ivanlioé, de V Antiquaire et de Quentin Durward : enthousiasme qu'il faillit payer cher, et qui eut pour résultai une grave et longue maladie. Ce n'était cependant point dans les littératures étrangères que le baron de Stassart allait ordinairement chercher ses amis, et le choix qu'il fit parmi les auteurs français ne tomba pas toujours non plus sur les plus illustres écrivains. Ce choix est même assez curieux, et semblerait peut-être incom- préhensible, si nous ne connaissions déjà l'homme. La Curne de Sainte-Palaye, le charmant auteur des Mémoires sur l'an- cienne clievalerie; le moraliste Vauvenargues ; l'abbé Blanchet, auteur des Apologues et contes moraux; Gresset, à cause de son Vert-Vert, « l'une des ' Pensées, 6. Fables, note 147. - Voy. la n^ponse au général Langermann. OEuvnrs, p. 317. '' Petisées, 380. * Voy. la dédicace du livre VIII des Fables. = Voy. les JmUalions d'Horace. OEivkes, p. 1-46. 6 Pensées, 29 et 206. 60 NOTICE productions les plus piquantes de la gaieté française ^; » l'abbé Barthé- lémy, l'auteur d' Anacliarsis , pour ses Mémoires; CoUin d'IIarleville, pour son Oplintisle et ses Châteaux en Espagne; Menriechet, l'ancien lecteur de Louis XVIII, et auteur d'un Cours d'histoire lilléraire trop peu connu; Charles de Bernard, pour son roman intitulé : L'homme sérieux ^, et quel- ques autres, étaient les amis avec lesquels, disait-il, il aimait le mieux à s'entretenir. Il ne faut point s'imaginer cependant que là se bornaient ses prédilec- tions ; mais à quoi bon parler des grands auteurs, que tout le monde a lus, compris, goûtés, admirés? Les noms que je viens de citer étaient, au contraire, de ceux qu'il importe de faire connaître. Mais, d'ailleurs, à part toute autre considération, n'étaient-ce pas ces auteurs qui, par leur esprit et leur caractère , se rapprochaient le plus du baron de Stassart? Sans orgueil et sans affectation, le baron de Stassart s'empressait de rendre justice à toutes les gloires, et ne permettait pas même qu'on osât, en sa présence , par une manie trop commune de notre temps, chercher à les rabaisser. Parmi les gloires littéraires, il y en avait naturellement qui lui étaient plus sympathiques les unes que les autres. Outre Voltaire, la Fon- taine et Béranger, que j'ai cités plus haut, il admirait particulièrement Mon- tesquieu, à cause de ses idées d'équilibre constitutionnel; il aimait Racine, l'homme de goût par excellence, l'harmonieux auteur d'Athalie ^, et il raf- folait de madame de Sévigné, en souvenir de laquelle il entreprit, peu de mois avant sa mort, une sorte de pèlerinage au château des Rochers *. On conçoit qu'une semblable société, aussi aimable, aussi spirituelle, aussi bien choisie , ait fini par repeupler un peu la solitude qui s'était faite, autour du pauvre vieillard, après la mort de sa femme chérie. Mais il fal- lait en outre, on doit en convenir, une activité intellectuelle prodigeuse pour remplir de longues et monotones journées passées tout entières au milieu de ses livres et de ses collections. ' Fables, note 251. ^ Petits dialogues épigrammatiques et moraux, p. 216. ■' Voy. Pensées, 593, et Fables, note lOi. ■' Près de Vilré , en Bretagne. SUR LE BARON DE STASSART. 61 Le baron de Stassart, en effet, n'avait abandonné aucune des habitudes d'une vie sobre, austère et toute consacrée au travail, et cette vie passera sans doute pour une sorte de phénomène à notre époque. Levé tous les jours, été comme hiver, dès quatre ou cinq heures du matin, il ne se couchait que vers minuit ou une heure, et, dans ce long intervalle, il ne faisait que deux repas, l'un à 7 heures du matin, l'autre à 5 heures. Il s'était lui-même interdit le vin depuis sa jeunesse, et sa sobriété était des plus extraordinaires. Vivant, de cette façon, presque doublement, le baron de Stassart avait atteint sa soixante-quatorzième année sans infirmités apparentes, et ses amis avaient l'espoir de le conserver encore pendant bien des années, lors- que plusieurs petites maladies successives vinrent ébranler cette santé robuste et nécessiter un changement de régime qui lui fut peut-être funeste. Le 10 octobre 1854, se répandit tout à coup la triste nouvelle de la mort subite et imprévue du baron de Stassart. Une légère attaque de cho- léra s'était, disait-on, manifestée l'avant-veille, et le souvenir, peut-être, de son épouse morte de la même maladie cinq années auparavant, avait rendu impuissants les secours de l'art. Ainsi s'éteignait une vie qui avait été mêlée, pendant plus de cinquante ans, à toutes les grandeurs, à toutes les vicissitudes de notre temps, et qui, au milieu de tant d'événements divers, avait conservé une admirable et constante unité. Cette vie, le baron de Stassart nous l'a léguée presque tout entière dans ses OEuvres diverses, dont l'impression venait à peine d'être achevée; et nous pouvons y constater, pour ainsi dire à chaque page, les éminentes qualités qui distinguaient l'homme public, l'écrivain, l'homme privé; nous pouvons y retrouver une longue et laborieuse exis- tence, toujours active, toujours utile, toujours digne d'admiration, de sympathie et de respect. FIN