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L'ACADÈMIE

des Sciences. Agriculture, Commerce,

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DISCOURS

FRONONCÉ DANS LA SÉANCE PUBLIQUE DU 30 aour 1835. PAR M. DECAIEU,

DIRECTEUR ;,

Messieurs ,

UxE disposition de votre règlement veut que le Président de l’Académie se fasse entendre le premier daus la séance publique , chaque année, elle vient se rendre compte à elle-même de ses travaux. En remplissant le devoir que d'honorables suffrages m'ont imposé, je sens le besoin de renfermer, dans d’étroites limites, le discours obligé qui précède et retarde des lectures plus intéressantes ; je me bornerai à présenter rapidement quelques réflexions sur l'état actuel et sur les progrès de l’industrie agricole.

On entend beaucoup d'hommes s'élever contre ce qu'ils appellent l'invasion des savans dans l'agri- culture ; frappés de quelques désastres éclatans qui ne sont que la suite trop naturelle d'entreprises gigantesques , fondées sur des théories plus bril- lantes que solides , ils proscrivent en masse tous

les écrits de nos plus habiles agronomes : confoudant ainsi, sans examen, les bons et les mauvais ouvrages, ils imputent aux sciences les revers dont l’igno- rauce d'imprudens novateurs devrait seule porter la responsabilité.

La persévérance dun petit nombre de cultiva-

teurs instruits a pris soin de répondre par des faits,

+

irrécusables à ces déclamations injustes ; des hommes infatigables n'ont pas craint d'appeler à leur secours ces notions scientifiques si légèrement condamnés ; et il n’est plus permis de contester les immenses progrès que l’agriculture doit à l'étude des sciences naturelles.

il est bien constaté aujourd'hui que la terre, loin d'exiger une année entière d'un repos absolu que l'on croyait indispensable à la réparation de ses forces épuisées, se complait dans la variété et Ja continuité de ses travaux. Sa puissance reproduc- tive semble s’accroître par l'abondance même de ses produclions ; et la méthode des cultures alternes n'est plus un prohlême, c'est une conquête bien certaine qui ouvre une vaste carrière aux combi- uaisous de l'industrie .

Malgré les brillans résultats du nouveau système et les exemples concluans qui se multiplient dans tous les départemens, la presque totalité du sol frauçais reste encore soumise aux anciennes et sté- riles pratiques de la jachère. On a tenté d'éner-

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giques efforts , des institutions agronomiques ont élé fondées, des comices agricoles , établis dans toutes les villes importantes , proposent des concours et distribuent des récompenses , les sociétés sa- vantes multiplient des publications périodiques ; et cependant une force d'inertie semble opposer des obstacles insurmontables à la propagation des bonnes méthodes. 4 . Je suis disposé à croire que cette indifférence générale des campagnards , en présence de résultats assez beaux pour exciter leur émulation, tient à des causes qui n'ont pas élé bien appréciées, et c'est sur ce point important que je désire fixer un moment votre atlenlion. | Dans l’état actuel des cultures perfeetionnées , l'administration d’un domaine rural exige tout à la fois de vastes connaissances et l'emploi de valeurs mobilières considérables ; ce sont deux genres de capitaux qui n’abondent pas dans nos campagnes. Les introducteurs du nouveau système ont aperçu les développemens qu'il comporte, ils se sont ef- forcés de les réaliser, des combinaisons nouvelles se sont succédé rapidement , et des expériences nom- breuses, faites avec des succès divers ont encore étendu l'horizon. Ces studieux investigateurs ont aussi mieux apprécié les difficultés des problèmes qui s’offraient à résoudre ; chacune des. expériences devant embrasser l'espace d'une année et devant

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aussi, pour être concluantes, se répéter dans des errconstances très-variables, ils ont pensé qu'il se- rait utile de répandre sur le sol un grand nombre de collaborateurs animés du même esprit, qui pus- sent marcher avec eux et d’un pas uniforme à la découverte de la vérité. Très-avancés dans la car- rière des perfectionnemens , ils sentent tout le poids de leur isolement, ils appellent à eux, ils veulent exciter une foule indolente ; mais de si loin, est-1l étonnant que leur voix ne soit pas énténdue ?

Les. sciences ne sont pas demeurées inactives dans cette lutte honorable ; les écrivains ont suivi, vnt même devancé les praticiens habiles dont ils éclairent la marche. Toutes les expériences, soi- gneusement enregistrées, ont été soumises à un examen approfondi; toutes leurs conséquences ont été généralisées et ont offert un aliment intaris- sable à de nouvelles épreuves : mais ces écrits ue peuvent être lus que par an petit nombre d'initiés et ne sauraient concourir à l'éducation des masses. Nous sommes entourés d’une foule de dissertations savan- tes, mais nous mauquons d’un bon livre élémentaire, et surtout de bons interprètes qui puissent en développer les principes à la génération qui s'élève.

Ne serait-ce pas le moment, Messieurs, de peii- ser à concentrer ses forces ? et, quelque pénible que soit un mouvement rétrograde , ne serait-il pas utile

de se replacer au point de départ ?

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C'est dans ce sens que j'aurais voulu voir éta- blir des cours d'agriculture dans chaque départe- meut et surtout auprès de ces écoles normales des- tinées à peupler nos campagnes de bons instiluteurs. Ce projet publié dans plusieurs recueils a été vive- ment combattu par des hommes recommandan- dables. Je dois même reconnaître que, du point de vue ils se sont placés, ils disaient avec raison que l'enseignement des cultures perfectionnées ne peut se donner que dans les lieux on les pra- tique afin de joindre continuellement l'exemple aux préceptes ; que dans les écoles normales on ne pour- rait offrir que des notions théoriques et superfi- cielles qui feraient de nos jeunes instituteurs des guides fort dangereux ponr les praticiens qui con- sentiraient à suivre leurs conseils. Toutes ces con- sidérations sont exactes si on persiste à implanter directement dans la pratique générale les méthodes compliquées dont quelques établissemens nous of- frent de si beaux modèles. On aurait même pu ajouter que toutes les autres tentatives vers ce but ont été infructueuses Mais si l’on consentait à tolé- rer momentanément les anciennes pratiques et que lon se boruât à les étudier, des connaissarices théo- riques ne sufliraient elles pas ?

La physiol gie végétale a fait de grands progrès : les principaux phénomères de la nutrition sont bien connus ; et Le jeu des organes des plantes peut

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être éludié avec fruit daus Lous les systèmes d'agri- culture. Que l'on se contente de provoquer l'esprit d'observation en répandant des connaissances scien- tifiques qui peuvent être facilement mises à la por- tée des intelligences les moins développées ; et bien- tôt les habitans des campagnes fiers de ces nou- velles facultés qui se seront révélées en eux , et renonçant à suivre mécaniquement le sillon tracé par leurs pères, ne reconnaîtront plus d'autre autorité que celle de la raison. Ils se livreront d'eux-mêmes aux petits perfectionnemens dont ils comprendront le motif, et il suffira de leur tendre la main pour les conduire dans la route ils refusent obstiné- ment de s'engager aujourd'hui.

Ces premières difficultés vaincues, il resterait encore la difficulté d'un capital mobilier plus consi- dérable. Ajoutons qu’une partie des dépenses exi- gées par la transition aux cultures perfectionnées reste enfouie dans la terre et ne se retrouve que daus l'augmentation de la valeur foncière Il estdonc juste que le propriétaire du sol intervienne dans une opération à laquelle il «est directement inté- ressé.

La nature de ces nouvelles relations entre les cultivateurs et les propriétaires doit conduire à des formes de conventions peu habituelles et dont on trouve déjà quelques exemples dans de véritables

associations qui placent auprès de l'homme d'action.

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un surveillant et un observateur attentif. J'aimerais à voir s'introduire dans nos usages ce genre de contrats : l'associé, dégagé des soins minutienx et de la responsabilité de l'administration, conserve- rait plus de liberté d’esprit pour méditer sur les principes de l’art qui se pratiquerait sous ses yeux, el pour cultiver avec succès les sciences naturelles qui en forment la base. Mais craignons de céder à l'entrainement dont vous venons de signaler les dangers; sans nous oc- _cuper de toutes les conséquences que le temps seul peut développer, mettons la main à l'œuvre, éclai- rous les classes laborieuses, nous les rendrons meil- Jeures , et nous préparerons ainsi l'heureuse alliance des prospérités publiques avec le bien-être indivi- duel de nos concitoyens.

NOTE DU SECRÉTAIRE.

Le vœu émis dans ce discours a été entendu. Le Comice agricole de l’arrondissement d'Amiens a établi un cours d'agriculture à l’école normale de cette ville , et l'Académie à voté deux cents francs pour l'impression d’un certain nombre de lecons choisies du professeur.

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DISCOURS

PRONONCÉ LE 28 AOUT 1836 , À LA SÉANCE PUBLIQUE DE

L'ACADÉMIE D'AMIENS ,

PAR M. DAVELUY Fus,

DIRECTEUR POUR CETTE ANNÉE.

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Messieurs ,

Ox l'a dit, il y a long-temps , et quelque bril- lantes que soient les découvertes dans les sciences, dont notre siècle s’honore , on peut le répéter au- .jourd'hui ; à quelque hauteur que puisse s'élever dans le cours des âges, le génie de l’'hornme , on le pourra dire toujours , nous marchons environnés de mystères. L'homme est à lui-même un incompré- hensible mystère. S'il porte son regard sur son être physique , la série de merveilles qui se déroule à ses yeux , l'étonne , le confond et ne lui laisse d'autre sentiment que celui de son insuffisance à se les expliquer ; mais si, voulant pénétrer plus avant au fond de sa nature , il cherche à examiner cet être intelligent et caché , qui échappe à tous ses sens , et dont tous ses sens cependant proclament l'existence , son étonnement redouble , et dans l'im- puissance il est d'exprimer son admiralion , il

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ne peut plus convenablement Lerminer ses études de l'homme, qu'en imitant ce médecin des temps anciens, et entonnant , comme lui, un cantique de louanges, eu l'honneux de la divinité.

L'être immatériel et simple qui anime le corps de l’homme , plus favorisé que son œil qui voit tout et ne saurait se voir, se replie sur lui-même, se sonde, et se perd dans la contemplation de ses mys- térieuses et étonnantes facultés. Mais que dis-je ? L'âme peut-elle réellement se contempler elle- même par ses seules forces et sans aucun secours étranger ? Ÿ avez-vous quelquefois pensé, Mes- sieurs ? Avez-vous essayé, quand il s’agit d'objets incorporels, de réfléchir, de comparer , de juger , sans avoir présent et sensible à l'esprit, aucun mot, aucune parole...? Que se passe-t.il dans votre intel- ligence, qu'y voyez-vous ? demande, un de nos plus célèbres publicistes. Quoi donc! Cette union de la substance spirituelle et de la substance inaté- rielle , estelle si étroite , si obligée chez l'homme ,. que , dans ses fonctions les plus intimes , ses opéra tions les plus intellectuelles, son âme ne se puisse dépouiller de son enveloppe grossière , ni faire usage’ même de la pensée, si ce n'est à l'aide de quelque chose qui tienne encore à la matière, je veux dire , à l'aide du langage ? Sans vouloir ici discuter cette intéressante question , perinettez-moi de vous demander, si vous avez quelquefois exa-

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miné tout ce que le langage renferme d'admirable: Rien de plus commun , sans doute, que l'emploi de la parole, rien peut-être que la plus grande par- tie des hommes ait moins approfondi. Veuillez ; Messieurs , arrêter un moment avec moi votre at- tention sur quelques-unes de ses merveilles. Ce court exposé nous conduira à rechercher ensemble quelle est son origine.

Le style c'est l’iomme, a dit un auteur célèbre par l'élégance et la noblesse de sa diction. Le pein- tre ne devrait-il pas réclamer contre cette assertion, lui, dont l'ingénieux pinceau retrace si fidèlement les traits du visage, les habitudes du corps, et qui, si souvent , en face d’un portrait, a fait dire de l'original , ‘c’est bien lui ; cependant, on ne dira jamais, en parlant du portrait le plus ressemblant , c’est l'homme. Car cetle expression le comprend tout entier , et l'homme vit bien moius de cette vie extérieure et sensible ; dont le talent du peintre se borne à nous retracer quelques traits ;'que de celte vie intérieure et cachée, au fond de laquelle se trouve le principe de toul ce que nous pouvons concevoir d’immortelles espérances. Oui, le style, e'est l’homme ; parce qu'il nous peint cette vie inté- -rieure, cet homme caché ; qu'il nous dévoile ses sentimens ; ses affections , Lout son être , et que cest vraiment qu'est l’homme.

Mais si on retrouve l’homme dans ses écrils , et

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surtout dans ces écrits familiers , le cœur s'épan- che au sein d’un ami, quoique l'écriture ne soit que la pensée morte, que dirons-nous de la parole qui eu est l'expression vivante ? Ne devrons-nous pas aussi y retrouver l’homme ? Oui, Messieurs, tout l’homme, et jusqu'à ce mystère inexplicable des deux substances qui le composeut et de leur incompréhensible union ; car, en même temps que le son vient frapper mon oreille, la pensée qui le suit, vient frapper mon intelligence , et le discours ne se fait pas moins bien entendre au plus intime de mon être spirituel , qu’à l'organe physique char- de recevoir la percussion de l'air. La parole est donc douée d’une double nature, elle est en même- temps, et le son et le sens ; elle comprend la ma- tière et l'esprit, âme et corps tout s'y trouve, il y a union indissoluble de l’une et de l’autre dans cet être mystérieux et indéfinissable, Cette réunion de merveilles vous étonne peut-être ? Cependant, il n'en fallait pas moins pour que la parole püt ac- complir ses hautes destinées. En effet, l'homme ne peut exister même physiquement , que dans la société. Il ne pouvait arriver à lPétat de perfection nous le voyons , que par la société. Société domestique et de famille, société civile et poli- tique , société morale et religieuse. Mais, pour for- mer ces sociétés , il ne suffisait pas de rapprocher les corps : il fallait établir des relations entre les

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intelligences et les cœurs Il fallait donc au moyen destiné à opérer ces grands effets , une double puis- sance sur -les esprits et sur les corps. C'est aussi l’étonnante propriété de la parole , et, comme je vous le disais, il n’en fallait pas moins pour qu'elle arrivât à ses fins glorieuses.

Jusqu'ici, tout le monde est d'accord, tous, sans exception , conviennent qu'à la parole seule est dûe l'existence de l’état social. Mais la parole elle- même , à qui doit-elle son existence ? C'est que les opinions se divisent. Les uns la regardent comme un don que l’homme tient de Dieu, de même que toutes ses facultés naturelles. Ils croient que lhom- me a été créé pensant et parlant, comme il a été créé marchant , entendant et voyant. Les autres veulent que l'homme soit resté pendant un temps plus ou moins long dans un état de mutisme , et que la parole soit dûe à son génie , soit de son in- veniion.

Cette question , Messieurs, de l'origine du lan- gage n'est pas une de ces questions futiles qui out quelquefois occupé les loisirs des philosophes ; c'est une des plus sérieuses. que l'esprit de l'homme puisse soulever. En effet, entre les deux opinions qui la rapportent, l'une à Dieu, l’autre à l’homme, il y a toute la distance qui sépare le fini de l'infini, le Créateur de la créature. Il s’agit de savoir si Dieu ou l’homme est l’auteur de la société , si les lois

2.

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naturelles, morales et religieuses émiment de Dieu ou de l'homme. La solution de cette question est donc de la plus haute importance pour parveñir à la connaissance des êtres et pour affermir sur leurs bases les fondemens mêmes de la société.

On a beaucoup écrit , depuis soixante ans , sur la possibilité de l'invention du langage, je n'ai pas l'in- tention de vous présenter ici le résumé des r6m- breux ouvrages faits en Allemagne , en Angleterre et en France pour ou contre cette imjiossilulité , mais je ne puis me dispenser de vous en dire quel- que chose:

Remarquons , avaul tout, que celte opinion u'eu cours principalement à l'époque , les beaux es: prits du siècle regardaiént comme des hypothèses démontrées l'antiquité indéfinie du monde, la tas: sance spontanée de l'homme sous une forme étran- gère à son espèce, un état iusocial et brut du genre humain ; mais aujourd'hui que les Deluc, les Do: —lomieu , les Cuvier, par leurs immortels travaux, ont renversé l'échafaudage élevé par les partisans de: la vieillesse du globe ; aujourd'hui que les savans reculent devait cette chimère de la naissance spon: tanée de l'homme et que tous admettent un Dieu créateur ; aujourd’hui enfin , que par les traditious oriebtales , aussi bien que par les traditions bibli- ques ; nous touchons de la müin aa berceau du monde, et que nous tronvots loujours lhoinme

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vivant eu société ; il semblerait que le système de l'invention du langage, appuyé sur ces fondemens ruinés, aurait crouler avec eux. Il n'en est pas ainsi. Un certain nombre de philosophes veulent encore la croire possible. Voyons donc , si l'honime forcé de reconnaître un Dieu créateur de soii être physique, sous peine de tomber dans les plus mons: trueuses contradictions , pourra, avec avantage, revendiquer ses droits préteudus sur son être spi- rituel, et s'en faire déclarer le Créateur en s’attri- buant l'invention du langage.

Et d’abord, qu'est-ce que le langage? Le langage est le sens propre et véritable de notre être spiri- tuel ; de notre âme. Cette assertion vous surprend peut-être , elle est cependant de la plus rigoureuse exactitude.

Le sens intellectuel doit selon le mot, ét par une analogie évidente, être dans l'esprit, ce que le sens matériel est daus le corps. Les sens physiques sont des facultés par lesquelles l'âme se met en relatiou avec les objets corporels qui lenvironnent. Le sens intellectuel doit done être le moyen qui met l’in- telligence en rapport avec les vhjets spirituels. Or, l'homme uen possède pas d'autre que la parole. Les sourds ne connaissent pas les sons, ni les aveugles les couleurs, ces objets sont pour eux comme s'ils n'exislaient pas, ils sont privés des sens physiques qui pourraient leur en transmettre

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D

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la connaissance. De même sans la parele , une foule d'objets spirituels seraient pour l'âme de l’homme comme s'ils n’existaient pas, elle serait privée du moyen de se mettre en communication avec eux, c'est-à-dire en d’autres termes, du sens intellectuel. Les Âmes seraient absolument étrangères les unes aux autres. Avec la parole , au contraire, l'être spi- rituel de l'homme, se produit au dehors, se.rend sensible , ainsi il y a une analogie vraiment remar- quable entre la manière d'être de son âme et celle de son corps, et comme de la similitude des idées, nait la similitude des expressions, axiomes que toutes - les langues viennent confirmer, on dit, le sens d'un mot, le sens d’un discours, le sens in- lime, le sens commun, pour désigner le moyen par lequel l'âme perçoit les objets intellectuels ,.et communique ses pensées aux autres intelligences. La langue elle-même nous conduit donc à appeler la parole le sens intellectuel, le sens de l'âme, puis- qu'elle remplit auprès d'elle pour les objets spiri- tuels , des fonctions semblables à celles que nos sens physiques remplissent pour les objets corporels. Aussi en décomposant la parole y trouve-t on, com- me je vous l'ai dit, le son el le sens, et ce dernier mot qui s'adresse à l'intelligence , qui ne regarde qu’elle, démontre lui seul la vérité de ce que j'a- vance.

Or , Messieurs , qui jamais s'est imaginé de dire,

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que l'homme a inventé ses sens physiques ? il les a reçus et en à fait usage, quoiqu'il ne puisse s'ex- pliquer le mystère de leur organisation, et se manifeste l’action puissante d’un être supérienr à l'homme , d’un être qui a créé son corps ; mais si le corps n'a pu se donner ses sens , prétendra-t-on que l'âme s’est donné le sien , ou en d’autres termes, qu'elle a trouvée la parole? non sans doute, la contradiction serait par trop évidente ; mais dès- lors, il faut avouer que l'invention du langage est impossible à l'homme. Îl n’y a qu'un moyen d’'é- chapper à cette accablante conséquence; c’est de nier que la parole soit le sens de l'âme: mais on n'en sera pas plus avancé. Pour éviter un écueil on se précipite sur un autre. Car en même tempsil faudra nier que la similitude des expressions naisse de la similitude des idées , et comme on re- trouve ces similitudes adoptées par tous les peu- ples , il faudra se mettre en contradiction avec tous les élémens du langage et supposer que le génie le plus étonnant, celui qui a appris la race humaine à parler n’a pas su rendre ses propres pensées. A quelles tristes conséquences se trouvent donc né- cessairement conduits, les partisans de linvention du langage. Pour soutenir leur hypothèse , ils sont forcés de se jeter dans d’inextricables embarras. S'ils veulent que le langage ait été inventé tout d'un jet, ils ruinent dans son principe, Jeur

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syslème favori, des théories progressives, car les temps modernes n'ont rien à opposer à cette ma- gnifique découverte de la parole; s'ils veulent une longue suite de siècles pour former peu-à-peu le langage et le porter à sa perfection, le genre hu: main tout entier se lève avec ses traditions et ses monumens, pour altester sa jeunesse. Les langues elles-mêmes protestent contre cette perfection pro- gressive, en se montrant à nous plus belles et plus parfaites, à mesure que nous remontons vers l’ori- gine du monde. Ainsi ceux qui veulent que le lan- gage ait été inventé, ne rencontrent partout que contradictions ou démentis formels, tant est mani- feste l'institution divine du langage! tant est mar- quée dans la construction même des langues , l'em- preinte de leur origine céleste! témoignages écla- taus, transmis de bouche en bouche depuis le premier homme jusqu'à nous, témoignages qui se transmet- tront de même jusque daus les âges les plus re- culés. Voilà, Messieurs, les titres glorieux de son origine que la parole porte avec elle, voilà ses ütres de noblesse, titres indestructibles qui subsis- téront aussi long-temps que les langues elles- mêmes , titres que les hommes et le temps loin de pouvoir effacer, ont servi et serviront toujours à multiplier dans tous les lieux el sous toutes les formes. F

Mais il y a plus, quand la possibilité de l'inven-

LA

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tion du Jangage, serait aussi évidemment démon- trée, que l'est la proposition contradictoire , cette démonstration ne nous menerait encore à rien. Il y a Join de la possibilité d’un fait à son existence, et l'invention du langage est un fait historique et même des plus importans, qu'il faudrait prouver comme tout autre fait.

Moïse nous répréseute Dieu parlant à l'homme dès Je moment de sa création , et ce n'est qu'après ces entretiens, qu'Adam impose des noms aux ani- maux. Voilà le fait que rapporte le plus ancien historien connu. Voilà sur quelle autorité est fon- dée l’opimion de ceux qui disent que le langage est d'iustitution divine. Voyons si dass l'antiquité quel- que traditiun vieut coutredire ce récit , nous ver- rons ensuite si ce qui se passe sous nos yeux est de nature à infirmer la force de ce témoignage.

Si nous consultons Quiutilien , il nous dira que l'homme a reçu le langage de la nature, en même temps que sou existence; que le Dieu auteur de lout ce qui existe n’a jamais mieux distingué l'hom- me des antres êtres, que par la faculté de parler qu'il lui a communiquée. Platon ne tieut pas un autre langage , il fait dire à Cratyle : pour moi, je tiens comme un sentiment très-vrai, qu'il a fallu un pouvoir plus excellent que celui de l’homme pour imposer les premiers noms aux choses, ce qui fait qu'ils sont si justes. Les Orieutaux partagent ce

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même sentiment. Dans une traduction que nous a donnée le savant M. Colebrocke ; nous lisons: la communication verbale a toujours quelque chose de divin, puisque l'association qui lie un son arti- culé à un sens, n’est pas conventionnelle, mais originelle ; mais perpétuelle. Les Payens eux-mé- mes, en attribuant à Mercure la communication du langage rendent hommage à la même vérité, puis. qu'ils n'ont osé l’attribuer à un homme. Tout ce qui nous reste de vestiges des traditions antiques disent la même chose, je ne vous fatiguerai re de cette longue énumération,

Les faits ont toujours quelque chose de plus im- posant que les paroles, interrogeons les. Remontons

l'origine des Empires. Nous leur verrons à tous un autel pour berceau. Tous sont environnés de prêtres, et pourquoi? ils veulent‘par leur canal ; conserver les communications du ciel avec la terre. Les législateurs n'osent proposer leurs loix , qu’en leur donnant une origine céleste. Voilà des Gite que les historiens des Égyptiens, des Grecs et des Ro: mains établissent d'une manière incontestable. Re- imontons encore plus haut. Allons puiser dans ces traditions orientales dont notre siècle a ouvert la source féconde, qu'y verrons-nous ? le Chinois nous présente son Chou-King et ses autres livres sacrés, le Persan, son Zend-Avesta, l’Indien, ses Vedas, le Juif, sa Loi. Je n'examine pas ici l'authenticité

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de ces livres sacrés ou réputés tels. Je m'empare seulement du fait que leur existence constate, et que toute l'antiquité publie, celui de relations établies entre l'homme et la divinité, ce fait reçoit de l’universalité de sa croyance les caractères les plus saillans de vérité. J'ouvre ces livres, j'y re- marque en un point une coïncidence singulière , c'est que tous renferment des préceptes moraux , c'est-à-dire, des loix. Un moment d'attention, s'il vous plait , Messieurs , et j'espère porter dans vos ésprits, la vérité dont je vous entretiens, à son plus haut degrél'évidence.

‘Qu'est-ce qu’une loi? une loi suivant sa définition la plus générale est l'expression d’une volonté, qui a droit de commander , à laquelle il faut obéir, vo- lonté dès lors nécessairemeut connue Mais sans le secours de la parole, ( et par j'entends les autres signes transmitifs de la pensée , qui tous lui doivent l'existence ) sans la parole, quel moyen y aurait-il de faire connaître une volonté? aucun. Toute loi suppose donc l'existence de la parole, en d’au- tres termes l'existence d’une voix qui l’a manifestée. Or, si comme tout le monde en convient, il est des lois immuables, des lois éternelles, ce n’est pas dans le monde nous habitons qu'il faut chercher la voix qui les a promulguées. Ii faut qu'elles aient une autre fondement , un autre sontien, que l'être éphémère et changeant dont la terre est le domaine.

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Oui, s'il est des lois éternelles, c'est qu'il est'aussi une parole éternelle sur laquelle elles reposent, et la voix qui les a intimées, n'est pas restée telle- ment renfcrmée dans l'enceinte des cieux, qu'elle ue se soit quelquefois fait entendre à la terre. Voïlà la vérité incontestable, la vérité fondamentale que proclament ces nations antiques, quand'elles nous préseutent leurs livres sacrés, leurs enseiguemens écrits sous la dictée d’une voix céleste, dont le Jau- gage humain m'est dès-lors qu'une émanation, une . copie, et qui doit aller chercher en haut sou typetet son origine. ù

Et voyez ; Messieurs , pour le dire en passant, comme les doctrines catholiques se trouvent en har- monie avec les traditions primitives, et aussi , avec les conséquences les plus rationnelles que puissent déduire nos intelligences , quand elles nous mon- trent dans les profondeurs de l'éternité une parole toujours subsistante, et de laquelle émanent des lois immuables, les lois éternelles de l'ordre moral, qu'il n’est pas plus donné à l’homme de poser que celles de l’ordre physique.

Aussi c’est dans les Lemps modernes que la ime- rale a élé réputée, par quelques philosophes ; l'œuvre de l'homme. Dans toute l'antiquité , elle a été regardée comme venant du ciel. C'est celte pen- sée qu'un conterhporain a rendue d’une manière: si heureuse , quand il a dit: /a morale est une plante

27 qua a sa racine dans le ciel, et dont Les fleurs et les frunts parfument ei embellissent la terre. La parole, nous l'avons vu, est sa nourrice et sa mère, mais quelle voix morielle oserait réclamer l'honneur de lui donner la vie et de lui fournie sa nourriture ?

La société qui ne saurait subsister sans morale et sans lois, doit donc aussi son origine à la parole. Si l'homme est inventeur du langage, il est donc aussi créateur de la société. Maïs ne voyons nous pas dans le siècle nous vivons , environnés des lu- mières qui rayonnent de toutes parts, nos plus su- blimes esprils occupés à discuter sur quelles bases repose la société. Quoi! l’homme en serait le créa: teur, et dans le siècle le plus poli, il ne saurait re- lrouver comment il a fait son ouvrage? c'est ainsi que ce qui se passe sous nos yeux, va contribuer à nous affermir davantage dans la croyance, que le langage a été transmis et non inventé.

Ici permettez-moi, Mesdames , de m'adresser particulièrement à vous. Vous qui chargées de la première enfance, cultivez avec tant de succès , de sollicitude et de tendresse les facultés intellectuelles et physiques des jeunes êtres confiés à vos soins. Long-temps avant que votre nourrisson ait pu com- prendre votre langage , vous lui avez adressé la parole, mais malgré votre sagacité, malgré votre vigilance ; avez-vous jamais pu déterminer le mo- ment précis, l'enfant a écouté d’une manière uli-

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,

le, les entretiens affectueux que vous aviez avec lui? non sans doute. Pourriez-vous mêmes nous dire, comment l'enfant a deviné, que la parole bien différente de tout autre bruit, avait une signi- fication ? il vous est impossible de nous satisfaire. L'enfant n'a pas encore proféré un seul mot ; et déjà il a compris votre discours, déjà l'expression du refus à fait couler. ses larmes. Qui donc lui a dé- couvert la force et la valeur d’un non? vous avez parlé , l'oreille de l'enfant a reçu la parole, nour- rilure de son intelligence, comme sa bouche a sucé le lait, aliment de son corps; il s’est fait, dans son intérieur physique:et spirituel, un travail dont la science ne peut se rendre raison; ses forces intel- lectuelles et. physiques se sont développées , sans que vos yeux puissent apercevoir la main cachée qui opère ; sou corps a grandi, sans votre concours, son intelligence a compris , sans explication de votre part, et vainement en eussiez-vous donné, son. intelligence a compris qu’un sens était attaché à la parole. Ah! il faut bien l'avouer, il y a ici un “mystère que toute la sagacité de l'homme ne peut pénétrer. On remarque entre son être spirituel et son être matériel , des analogies vraiment étonnan- tes. Le même organe, la langue, est destinée à préparer la nourriture de son corps'et celle de son intelligence, la nourriture du corps n'est pas plus nécessaire que celle de l'intelligence. On re préten-

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dra pas que la premiére a pu être inventée, sur quoi donc se: fonder pour soutenir possible l'inven- tion de la seconde ?

L'enfant parle ; et toujours la langue de sa mère la langue qu'il a entendue , jamais un autre. Il parle comme on lui parle, et parce qu'on lui a parlé. En éffet que la parole ne vienne pas frap- per son oreille, n'importe par quelle cause, l’en- fant ne parlera pas, il est condamné au mutisme. Ainsi les enfans trouvés au milieu des bois, comme on en a quelques rares exemples, n'avaient aucun langage. L'enfant privé de l'organe auditif ne parle pas , c'est un sourd-muet. Maïs quoi! l'homme pri- de la vue conserve l'usage de tous ses autres sens; l'organe vocal est il affecté ? l'homme ne parle pas, ilest vrai, mais il voit, il entend. Pourquoi le vice organique de l'oreille a-t-il un tout autre effet? pourquoi opère-t-il le mutisme en même temps que la surdité? réfléchissez un moment sur cette singu- gulière dépendance se trouve la parole, et con- cluez sans crainte de vous tromper, que la parole nous a élé connue par l’ouïe, qu’elle a été transmise et non inventée , qu'elle: a été reçue avant dé. pou- voir être communiquée.

Enfin, Messieurs, considérez le spectacle que uous présentent les sauvages: du nouveau monde. Depuis trois siècles, ils sont en face de notre civilisa- tion, ils sont en contact avec les peuples les plus

+

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policés de la vieille Europe, et cependant ils ne se eivilisent pas, Ils ont uue langue au moyen de la- quelle nous pouvons leur faire comprendre tout ce que les nôtres savent exprimer , el ik faut qu'un autre. homme vienne les introduire dans :le sanc- tuaire de la civilisation, d'eux-mêmes ils ne pour- raient en franchir le seuil. Depuis plus de trois cents aus du sein de ces immenses populations , il ne s’est pas élevé un seul génie qui ait fait faire à ses com- patriotes le premier pas. Et l'on voudrait me faire croire que l’homme sans la parole; placé sur l'é chelle de l'intelligence à un degré bien inférieur à celui du sauvage lui-même, aurait, par ses propres forces, franchi l'espace immense qui sépare l’hom- me muet de l'homme parlant, quelle étrange pré- tenLion! sur quelles preuves me faire admettre une assertion aussi étonnante ? ses fauteurs n’en présen- tent aucune, ils se contentent d'offrir leurs hypo- thèses, Ne dirait-t-on pas qu'il s’agit de la chosé la plus indifférente ? cependant , nous l'avons dit, et il est vrai, c'est par la parole que l’homme est tout ce qu'il est. Famille, société, morale, gouverne- ment, arls et sciences, rien ne subsiste que par elle. Tous les prodiges de notre civilisation, cette création seconde, entée sur la première, doivent leur existence à la parole de Fhommne , comme nous lisons dans le plus ancien livre connu au nronde, que ce vasle et magnifique univers dût sa nais-

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sance à la parole de celui qui n'eut qu'un mot à prononcer ; pour le faire jaillir du néant. À ces traits frappans de ressemblance ; pourrions_nous méconnaître filiation divine de la parole? quand’ l'homme parle en effet, fait il donc autre chose qu'exhaler de sa poitrine , le souffle qu’il reçut de la bouche de Diea même, au jour de sa création, et les merveilles qui accompagnent sa parole, ne sont elles pas assez nombreuses , ne sont elles pas assez éclatanutes, pour justifier cette noble et céleste origine! La parole a donc évidemment été donnée à l'homme , elle est le lien nécessaire de la société : elle en est la perfection et le charme Mais homme peut abuser de ce présent du ciel, et ne l'ayant reçu que pour conserver l'ordre social, il peut le faire servir à sa destruction La parole est une arme terrible, et de nos jours elle a reçu par la presse périodique , un accroissement de puissance , qu'il n'est plus possible de caleuler. Reconuaissons donc l'énergie et la vérité de cette expression méta- phorique si souvent employée ; le glaive de la pa- role. Oui c'est un instrument de vie ou de mort, et pour celui qui a observé la marche des événe- mens et compris sou siècle, les destinées de la so- ciété, tout l'avenir de notre civilisation, reposent sur le bon emploi de la parole. Qu'elle tombe done du haut de la tribune natio- nale pleine de force et de sagesse ! Qu'elle soit dans

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le sanctuaire de la justice, linébranlable appui de l'innocence et du bon droit ! Que dans nos réunions littéraires , elle se montre parée de fraîcheur, de décence et de grâces ! Qu'elle brille dans les majes- tueux récits de l’histoire , de tout l'éclat de la vérité! Que tous ceux qui possèdent ce don précieux, craignent surtout d'en profaner l'usage ! "Qu'ils réu- nissent leurs efforts, rivalisent de zèle, pour ac- complir l’auguste mission qui leur est confiée ! Quant à nous, Messieurs , formons le dessein de l’employer pour payer à celui de qui nous la tenons le tribut de notre reconnaissance, et aussi, de la faire servir, dans toutes les occasions, à la prospérité, comme au bonheur de nos concitoyens.

RAPPORT ANALYTIQUE

DES 3

TRAVAUX DE L'ACADÉMIE

-

DU 15 NOVEMBRE 1855 Au 98 AOUT 1836.

PAR M. N. DELAMORLIÈRE,

SECRÉTAIRE PERPÉTUEL.

Messieurs , £

Vous présenter, une analyse succincte des: tra: vaux qui ont rempli vos séances ; pendant l'année académique, c'est vous rappeler vos efforts constans pour lencouragement et le progrès des sciences , de l’agriculture ; du commerce, des lettres ‘et dés arts ; nous allons le faire, selon l'üsage, en ob servant la division F4 classe ‘adoptée par votre rè- glement.

PREMIÈRE CLASSE,

SCIENCES NATURELLES , PHYSIQUES ET PAPAPRQBES

M. Re yous. à 5 ; dans diverses séances, cinq rapports. Le premier sur l'histoire des .sang-

93 De

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sues, de M. Dereims, pharmacien à St.-Omer , membre correspondant. Il vous a donné la descrip- tion anatomique ce ver d'après l'auteur et pré- senté des considérations physiologiques sur ses or- ganes, des notions étendues sur-les moyens de le conserver , sur sa reproduction , ses maladies , son application , et vous à fait apprééiér l'utilité de cet ouvrage dans la pharmacie ; : Le second, sur uii mémbiré du même auteur, touchant les moyens de découvrir la présence du sulfate de cuivre dans le païh et sur le mode d'agir de ce sel dans la panification, recherches dont M. Dereims fut chargé par l'autorité. La consternation des habitans de St.-Omer était au comble ; ils ve- naient d'être avertis par une multitude d’aceidens graves, que la cupidité des boulangers introduisait dans leur aliment joufnalier des substances véné- neuses. Le rapporteur en suivant une à uñe,.les expériences du chimiste, vous a fait remarquer tout ce qu’elles offraient d'intérêt pour la théorie de la science ; et les observations qui en étaient résultées sur la manière d’agir du sulfate de cuivre dans:di- verses proportions Ce sel, à ce qu'il paraît, ac- célère la fermentation de la pâte qu'il commence - presque instantanément, et sauve aux, boulangers assez pervers pour l'employer, la nécessité de Ja pétrir longueiñént, et d'y faire éntrer beaucoup de levure; ce qui produit éconoiie de terips ét’ de fer-

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ment. En déplorant des abus si criminels, M. Rey- nard exprime le vœu que la surveillance de l’auto- rité parvienne à préserver les populations de leurs suites funestes ;

Le troisième , sur l'examen des travaux chimi- ques de M. Pallas , médecin militaire à Saint Omer, aussi membre correspondant, et d’un échantillon de sucre brut tiré du maïs. Il a ajouté à son travail beaucoup de détails et de calculs de l'auteur consta- tant l'importance du rapport avantageux de ce vé- gélal ;

Le quatrième , sur une notice de M: Robiquet , membre de Vinstitut et de votre académie, sur les eaux de Néris, notice remarquable par le style et les observations de l'auteur qui rend compte des bons effets qu’il en a éprouvés lui même ;

Le cinquième sur un essai assez élonnant de peinture sur verre d’un simple ouvrier couvreur qui fut mentionné à la dernière exposition. Il vous a lu à ce sujet une notice historique sur cet art que Lon avait cru perdu, et qui, au contraire, a fait d’im- menses progrès par l’admirable emploi que l’on sait faire aujourd’hui des oxides iuétalliques , par la supé- riorité du dessin et de la peinture et l'habileté avec la- quelle on les applique d’une imanière invariable sur le verre. 11 vous'a cité à ce sujet, d'après les jour- naux, plusieurs panneaux des fenêtres de l’église de Fontainebleau ; la maïn habile de l'une de nos

3."

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jeunes princesses, a consacré par le dessin, la riches- se et l'éclat des couleurs, son remarquable talent:

M, Routier vous a fait un rapport sur la partie médicale des travaux de l'académie des sciences de Rouen , (1835) dont il a, apprécié toute l’impor- lance. |

M. Delorme vous a rendu compte de la.partie scientifique et littéraire de ces mêmes travaux; il vous a présenté aussi une analyse critique d’un mé- moire de M. Cagnazzi, membre. de: l'académie royale de Naples , sur la détermination des mesures romaines de poids et de longueur, au moyen des mc- sures trouvées dans les fouilles d'Herculaiumæet de Pompéi:

Il n'existe entre les conclusions de M. Cagnazzi el les évaluations adoptées par notre callèk tt dans! les tables qu'il a publiées, l'année dernière, qu'une différence très-petite et :qui, tombe tout-à-fait:dans: les limites de l'incertitude inséparable de ce genre de recherches.

M. Cocquerel a lu une notice historique sur les mines de charbon ouvertes, à diverses. époques; dans les départemens du Pas-deCalais:et dela Somme , et notamment à Bouqnemaison , arrondis: sement de Doullens , dans les années 1784285: {La zone houillère reconnue et exploitée, depuis: les! bords du Rhin jusqu’à Hanichef près de! Douai, ayant pour axe une ligne droite dont, la ‘direction

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ont. :

moyenne est de l'est nord-est à l'ouest sud ouest , de ce fait géologique et très-remarquable, on a dé- duit la conséquence que la zone précitée pourrait bien se prolonger plus à l'ouest, et passer sous le sol du Pas-de-Calais et de la Somme. Pour le premier de ces départemens , la conséquence esL tout-à-fait confirmée , puisque en 1806, comme en 1835, les travaux d'art exécutés à Mouchy-le-Preux et à Vis en Artois, ont conduit à la découverte de travaux houillers, et que, dans ce moment, des capitalistes sont en instance pour obtenir une concession d'usine de houille aux environs d'Arras. |

Quant aux recherches de Bouquemaison, M. Coc- querel rend compte des renseignemens qu'il a re- cueillis, sur les lieux, de l'examen qu'il a fait de de quelques fragmens de matières extraites à la profondeur de 720 pieds, et ilen conclut que les probabilités en faveur de lexistence du terrain houiller. sont assez grandes pour encourager à re- prendre les recherches, et surtout à faire des sonda- ges avec les moyens perfectiounés que l'on possède aujourd'hui,

Dans de telles circonstances, etau milieu du mou- vement qui s'opère autour de nous , les capitalistes et les industriels resteraient-ils inactifs ? C'est ce que ne présume pas M. Cocquerel , en faisant re- marquer , d'une part , le déboisement inconsidéré des forêts , l'épuisement successif des tourbières , et

28.

d'autre part, tes besoins toujours croissans de la population et de l’industrie.

M. Marotte vous à donné une idée du travail qu'il prépare sur la statistique, et qui consiste en tableaux des dons et legs faits dans le département de la Somme , pendant une période de cinq ans , au profit

1 ° des communes,

2.° des hospices et bureaux de bienfaisance , 3.° des fabriques , 4.° des congrégations religieuses.

Il trace le plan qui doit servir à la classification des documens et à la formation des tableaux.

Ce travail présente des rapprochemens d’un haut intérêt tant sous le rapport des effets des actes de générosité, que sous celui des causes qui ont pu les déterminer.

Le plus important des travaux de la première classe ayant été imprimé, nous ne pouvons mal- heureusement que le rappeler ici : il traitait des in- térêts les plus puissans de ce département et de sa capitale. Vous devinez, Messieurs , que nous vou- lons parler du mémoire rédigé par M. Duroyer au nom de la commission pour le chemin de fer, mé- moire qui, sur la provocation si patriotique de M. le Maire, fut fait en quatre jours et immédiatement imprimé.

39 DEUXIÈME CLASSE. AGRICULTURE ET COMMERCE.

Nous devons dans l'intérêt de l'industrie agricole du département de la Somme , vous rappeler ici, Messieurs , la lettre de M. le Préfet du 28 décembre 1835, annonçant que, d'après le compte qu'il a ren- du au Conseil général des résultats obtenus dans ce département sur la culture du mürier blanc et sur l'éducation des vers-à-soie , dont vous fûtes les premiers promoteurs, ce Conseil s'est convaincu de la possibilité d’acclimater le mürier blanc dans ce pays , et d'y obtenir de la soie propre aux fabri- ques ; et qu'en conséqueuce, il a voté au budget fa- cultatif de 1836 , une subvention de 400 fr. , dont 200 fr. serviront à de nouveaux achats de plants qui seront distribués par les soins de M. Riquier, membre de l'académie. 200 fr: seront remis à ütre de prime, aux personnes qui auront fait sur leurs terrains, les plantations les plus nombreuses et les plus appropriées à l'éducation des vers-à- soie.

M. Riquier , dans le rapport qu'ila fait sur l’em- ploi des fonds votés par le Conseil général , à émis le vœu qu'il voulüt bien continuer de favoriser une entreprise qui promet les résultats les plus avanta- geux ; el le jury d'exposition, qui a remarqué les échantillons de différentes étoffes confectiounées par

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M. de Rumilly, fabricant dans cette ville, ne man- quera pas d'encourager les commencemens d’une in- dustrie qui promet les plus heureux résultats.

M. N. Mallet, dans un mémoire sur les sucres iu- digènes, vous a donné l’analÿse des discussions qui viennent d’avoir lieu dans les divers conseils appe- lés à l'examen de la question de l'impôt sur ces sucres et sur les intérêts qui y sont liés sous le rapport des colonies, des finances de l'État, de la marine et des ports de mer. Il s'est montré favorable au sucre indigène dans ses conclusions : il croit qu'un impôt si minime qu'il fût , outre qu'il serait préra- turé , entraînerait la ruine des nouvelles fabriques qui n’ont pu encore couvrir leurs frais d’établisse-

ment, et compromettrait l'existence d’une industrie dont la France s’honore , et qui, .en cas de guerre, deviendrait une indispensable et puissante ressource pour la France et l'Europe.

M. Riquier vous a lu un examen critique du mé- moire de M. Gillet-Grandmont, adressé à l'académie des sciences sur une nouvelle ruche à miel rappor- tée d'Angleterre , dite ruche nutte. Sur son invi- lation , vous avez chargé la section d'agriculture de visiter la ruche inventée nouvellement par M. Le- prince , et dont la supériorité paraît démontrée.

M. Duriez a fixé votre attention sur le part avantageux que l'on tire maintenant du semoir Hugue dans les environs d'Amiens.

AT

Il vous a rendu compte aussi du résultat hono- rable pour notre département du dernier concours de charrue : on à reconnu de nouveaux perfection- nemens , de nouveaux progrès dans les instrumens aratoires qui y ont fonctionné, et ont mérité des médailles à leurs auteurs.

TROISIÈME CLASSE.

ÉLOQUENCE, POÉSIE ET BEAUX-—ARTS.

M. Louis Jourdain, qui consacre ses loisirs à la littérature Sanscrite , après vous avoir exposé dans des réflexions préliminaires ce qui peut faire comprendre une poésie l’on trouve une mytho- logie, des mœurs et des noms si bizarres, vous a lu la traduction d’un épisode du Mahâ-Baratha, contenant l'histoire de deux amans, épisode plein de beautés de lous les genres.

Dans une seconde lecture, M Jourdain ne vous a pas causé moins de plaisir, quoique sa traduc- tion füt littérale , en vous faisant connaître les quatre derniers chapitres de l'épisode de Sakoun - tala du même poème, également rempli d’élo- quence et de poésie.

M. Marotte a lu une pièce de vers intitulée l'In- sensé, que vous jugerez sans doute digne de RREr dans le recueil de vos mémoires.

Madame Fanny Dénoix , de Beauvais , correspon-

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dante.de l'académie , vous a adressé un poème dans le geure épique, intitulé Jeanne Hachette, M, Ma- chart vous a fait ur rapport favorable sur cel heu- reux essai d'un talent digne de se consacrer à la gloire de son sexe. 3

Plusieurs pièces de vers du même auteur vous sont parvenues. Nous ne vous en rappellerons point ici les Litres; l’un de nos collègues étant chargé de vous faire un rapport spécial à ce sujet, et de vous lire plusieurs morceaux brillans que ces ouvrages renferment.

Mademoiselle Fanny Balleroy vous a fait aussi l'hommage d’une élégie touchante adressée à sa mère.

L'Académie qui donne ordinairement pour le con- cours du prix de poésie des sujets d'autant plus poétiques , qu'ils intéressent la France ou même l'humanité , voyant tout prospérer et s’embellir au- tour d'elle, et désirant que nos jeunes poètes entrent dans la lice , avait proposé un sujet d’uu intérêt pu- rement local, maïs qui avait aussi sa poésie pour ceux qui aiment et chérissent leur ville natale, qui savent apprécier son industrie, le grand nombre et la beauté de ses promenades , la majesté de ses monumens. . Ce sujet était ainsi formulé :

[84 ; « Amiens en 1835, ses embellissemens uouyeaux, ». ses progrès dans l'industrie, le commerce et les

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» arts ». Une seule pièce vous fut adressée et sou au- téur étant membre correspondant elle doit compter parmi vos travaux. L'auteur était en droit de con- courir ; mais un motif de délicatesse l'a empêché de le faire; sa pièce sera du moins entendue dans cette séance , et l'on jugera si, quoique l’on ait dit, du sujet , le talent de l’auteur n'a point su lui donner aulant de charme que d'intérêt.

M. Creton vous a lu une pièce de vers inli- tulée la Conscience , dont nous regretlons de ue pouvoir vous donner que l'idée ;

C’est dans sa conscience que l’homme trouve sa consolation ; en vain cherche-t-il le bonheur dans les vains plaisirs du monde ; il n’en est pas sans la paix du cœur; mais ilen est en dépit de la ca- lomnie.

Nous ne voulons point terminer celle classe qui comprend les beaux-arts, sans vous rappeler le ma- guifique envoi que vous à fait notre compatriote et collégue M. Lesueur, de la plupart des partitions de sa musique religieuse, consistant en ses célèbres oratorios notamment celui du couronnement de l'empereur et beaucoup d’autres non moins estimés, des messes , te Deum etc , le tout composant neuf volumes in-folio. M. Marotlte a été chargé de vous faire à ce sujet un rapport qui mérite de prendre place dans le recueil de vos travaux.

44 QUATRIÈME CLASSE. HISTOIRE, ANTIQUITÉS, PHILOSOPHIE , PHILOLOGIE.

Le grand nombre des travaux de cette classe, la plus féconde de l'Académie et dont les ouvrages ont le plus d'étendue , ne nous permettra point de déve- loppemens dans une séance publique l'attention redoute d’ailleurs la fatigue des analyses |

M. Louis Jourdain , daus le compte qu'il vous a rendu du Manuel de philosophie dont notre collègue M. Ch. Mallet, actuellement professeur de philoso- phie à Grenoble, vous a fait hommage , vous a dit que ce texte court et précis destiné à servir de guide

aux élèves pour la leçon plus développée du pro- fesseur , et à les aider à retrouver, au sortir de la classe, les points principaux de celte lecon dans une analyse nette et substantielle , atteignait parfai- tement le but que l’auteur s’élait proposé. M. Jour- daïn ne s’est point trompé dans ses prévisions. Ce ma- uuel vient d'être adopté par le conseil de l’université.

M. Obry vous a communiqué plusieurs ouvrages que leur étendue ne nous permettra que de vous indiquer.

1.° Un ouvrage sur les Cosmogonies indiennes , hébraïques et persanes ;

2.2: Un mémoire sur la création selon les Fndiens;

3.° Un autre sur l’immortalité de l'âme , d’après les livres hébreux de l’ancien testament ;

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4. Un rapport sur un mémoire très-curieux de M. Burnouf , membre de l'institut et votre corres-: pondant , que l’auteur vous a adressé , sur deux inscriptions cunéiformes trouvées près d’'Hama- dan: (1), et à propos duquel M Obry vous a fait remarquer les énormes difficultés qu'a eu à vaincre ce savant pour les expliquer.

M, Barbier vous a lu un extrait de la partie his- torique des antiquités de Poix , de M. Bresseau , volre correspondant , intitulé : mémoire sur l'ori- gine du mot Picardie , ouvrage curieux et d’une grande -érudition.

"M: Crétou a ‘rendu compte de deux envois nouveaux de M. Eusèbe Salverte , député et nôtre collègue ; l'un est l'article diplomatique que cet écrivain à composé pour le Dictionnaire de la Conversation, l’autre un ouvrage sur la civilisa- tion.

M. Rigollot a fait deux rapports, l’un sur les tra- vaux de l'académie de Mandes ( 1831 ) , l’autre sur les cinq volumes dont M. Tenon , secrétaire perpé- tuel de cette Académie , vous a fait hommage. Après avoir rendu justice au mérite de ces ouvrages , il a exprimé le regret, à propos de la Biographie des hommes célèbres de l'Auvergne , que le manque

(4) Ce rapport a été publié dans le nouveau journal asiatique de Paris , cahier d’octobre 1836.

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dés - ouvrages essentiels: pour traiter cette-mälière ait empêché M. Ignon, de compléter celte intéres= sante Biographie:

Il vous à entretenu ensuite d’une notice assez curieuse de M. Picard d'Abbeville, sur des instru: mens celliques en corne de cerf trouvés dans les en- virons de cette ville, des fragmens de colonnes et aulies débris découverts en creusant es fondemens des bâtimèns de la rue Napoléon, qui font présumer qu'il existait en cet endroit un temple Roinain. IL vous a aussi parlé d'un cercueil plomb décou- vert dans les environs du Petit Faubourg de Beau- vais, contenant les restes d’un squelette, une fiole, des vases en terre et un miroir métallique, qui an- noncent la même origine. J'aurais voulu vous par- ler aussi d’un discours remarquable sur l'origine du langage par M. Daveluy notre président ; mais l’au- teur vient de vous mettre à même de l’apprécier,, et il doit être imprimé dans votre recueil.

Je m'arrête, Messieuts, je serais fâché de retar- der plus long-temps des lectures d'un intérêt plus puissant dans cette ‘solennité,

_ PREMIÈRE GhASSLE

Sciences Naturelles ,

Physiques et Mathématiques.

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Ti

SUR L'ÉTUDE

DE La

MÉTÉOROLOGIE,

PAR M. CARESME.

Messieurs ,

À mesure que l'esprit humain s’est développé dans les différentes sphères de son activité, et que le do- maine de nos connaissances s’est enrichi de décou- vertes nombreuses ajoutées aux découvertes antéri- eures , chacune de ces connaissances en particulier re- cevant des subdivisions nouvelles, a donné naissancé à de nouvelles branches. C’est ainsi que jadis il était facile au philosophe de résumer en lui seul toute la science de son époque , et qu'aujourd'hui ce n’est pas trop de la vie d’un homme pour scruter les profondeurs d’une science spéciale , qui apparais- sait à peine, il y a quelques années, connne un point sur le tableau du développement de l'intelligence humaine. Sur ce vaste tableau, la philosophie natu- relle nous présente uu embranehement principal sous le nom de Physique proprement dite. L'étude

4

50

de la Physique a pour but, après avoir constaté les propriétés générales et particulières de la matière , de faire connaître les différens agens ou causes ou forces , qui semblent en quelque sorte animer , et se dérobant à nos sens par leur extrême sub- ülité, ont par cela même échappé pendant long- ternps au regard du génie observateur. Ces agens sont au nombre de quatre , la pesanteur , le calo- rique , la lumière et l'électricité. Étudier les actions diverses qu'ils exercent sur les différens corps de la nature, quelque soit leur état ; observer les phénomènes nombreux qui en résultent ; constater les lois qui servent à lier entre eux ces phénomènes malgré toute leur variété : tel est le vaste cliamp que le physicien doit parcourir ; et qui depuis quel- ques années s’est agrandi comme miraculeusement par suite de découvertes nombreuses relatives sur: tout à l'électricité.

Quelques divisions de la Physique n'ayant reçu dans l'espace de plusieurs siècles que de faibles développemens, le cercle plus étroit dans lequel elle se trouvait circonscrite, permettait d'y com- prendre ; comme application immédiate des prin- cipes , l'étude de quelques-uns des phénomènes terrestres ou atmosphériques. Les autres ou de- meuraierit inconnus , ou avaient été observés d’une manière inexacte et incomplète. De résultaient souvent des idées plus ou moins singulières, des

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systèmes plus ou moins bizarres sur les lois qui président à la matière, et en règlent les mouvemens. C'est d’ailleurs ce qui se manifeste presque toùjours dans l'étude des faits naturels, quand, cédant au noble besoin qui le pousse à la recherche de la vérité, l'homme soumet la matière à ses laborieuses et patientes investigations , quand il observe les phénomènes , qui se pressent autour de lui, agis- sent sur ses organes , et l’étonnent par leur gran- deur et leur variété, quand se repliant sur lui- même par l'effort de la pénsée , il tend à remonter des effels vers les causes. Si les observations sont insuffisantes, si les bornes de ses connaissances l’a- busent, il est conduit à l'erreur, et substitue à la réalité les fantômes de son imagination. Pendant combien de siècles l'apparition de certains météores n'a-t-elle pas excité la frayeur dans les esprits, comme présage de grandes calamités? C'étaient dés globes de feu qui, de même que les éclipses et les comètes, précurseurs de la colère céleste , annon- çaient les révolulions d’un empire ; c'était le ton- nerre que l'on personnifiait, des langues de feu qui, au sommet des piques des soldats , jetaient la ter- reur dans les rangs d’une ‘armée , c'était Iris qui venait reconcilier le ciel avec la lerre ; c'étaient les vents qui sortaient de cavernes -profondes ; la na- ture qui avait horreur du vide; c'était enfin une foule de causes oocultes, qui en disparaïssant ; ont

A

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emporté avec elles et les merveilles et les présages menaçans.

Aujourd'hui , l'explication de la plupart des phé- nomènes terrestres et atmosphériques est connue : quelquefois , il est facile d'en reproduire une image fidèle ; souvent aussi l'observateur, incapable d'imi- ter la nature dans la puissance et la richesse de ses moyens , est réduit à attendre les faits sans pouvoir les provoquer, et à les saisir comme au passage pour en étudier les circonstances et les causes. C'est ainsi que, peu à peu, l'étude de la météorologie est entrée dans le domaine de la science , sa place était marquée. Descartes, Huyghens et Newton ramènent, aux lois ordinaires de l'optique les phé- nomènes de l’arc-en-ciel , des parhélies et des halos ; Newton , Daniel Bernoulli, et après eux Laplace, assujettissent aux règles du calcul tous les caprices du flux et du reflux de la mer ; avec un tube de verre et du mercure , Pascal et Torricelli nous appren- nent à peser l'atmosphère ; Wels fait connaître la cause de la rosée , il analyse le phénomène dans ses moindres détails ; D’Alembert assigne les causes principales des vents qui agitent l'atmosphère et en troublent l'équilibre ; Franklin devine le principe du tonnerre , l'illustre et modeste Franklin , qui craint ingénument de verser sur lui le ridicule des hommes à l'instant son génie conçoit la pensée hardie d'aller interroger la foudre dans les nues , à

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Piustant même il va lui commauder de descendre ; et de nos jours encore , w’avons-nous pas vu Monge improviser l'explication du mirage sur le lieu même de l'observation ? Que de résultats, que d'analyses importantes devons-nous pas aux travaux de Pois- son et de Fourrier sur la chaleur terrestre , aux tra- vaux de Gay-Lussac qui ne craint pas d'exposer ses jours pour aller explerer les hautes régions de l’at- mosphère , aux travaux de De Humbolt, et de tant d’autres voyageurs, physiciens ou géologues qui w'ont rien épargné pour aller expérimenter sur les points les plus éloignés du globe, sous la zone tor- ride ou sur les glaces des pôles , dans les profon- deurs des mines, ou sur les sommets des montagnes les plus élevées par delà les neiges perpétuelles ? Faut-il s'étonner alors que la météréologie ait reçu de nos jours d'immenses développemens pro- pres à lui faire prendre le rang d'une science spé- ciale ? Liée d’une part à la physique, de l’autre à la géologie , elle est une conséquence de la pre- mière et sert de base aux recherches de la seconde. C'est de la météorologie que mon intention est de vous entretenir quelques instans ; je vous indique- rai, en peu de mots, son but, ses divisions prin- cipales , et les objets nombreux qu’elle embrasse ; je conclurai de l’umportance de son étude et l'intérêt qu'elle doit offrir, soit par elle-même , soit par ses relations avec les autres sciences ; je par-

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lerai enfin de lutilité et de la facilité des observa- tions météorologiques qui , faites dans les diffé- rentes localités., doivent , par leur exactitude et leur ensemble, concourir aux progrès d'une science éminemment expérimentale et de faits.

Notre globe terrestre est, comme on sait, un sphéroïde aplati, assujetti au double mouvement de translation dans l'espace et de rotation autour de son axe. La couche profonde de l'atmosphère, qui l'enveloppe de toutes parts, partage avec Jui ce double mouvement. L'ensemble des faits qui, résultant de l’action isolée ou simultanée des forces physiques, se manifestent au sein de l'atmosphère , à la surface ou dans la profondeur des continens et des eaux, appartient à l'étude de la météorologie. Le météorologiste observe ces phénomènes, ilanalyse les circonstances diverses qui les accompagnent, les suivent ou les précèdent ; il en rapporte les causes aux principes qui régissent Îles différentes actions des forcés physiques , il déduit de quelque loi générale sur la constitution actuelle du globe , sur son état antérieur , et sur l'avenir qui semble lui être réservé. Les divisions de la science simples et faciles se rapportent aux divisions mêmes de la phy- sique : il faut étudier successivement les phéno- miènes qui dépendent de la pesanteur, du calorique, de la Jumière,et de l'électricité. Les lois de la pe- sanleur, appliquées aux différens corps de Ja na-

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ture, donnent naissance à tous les faits qui résul- tent tantôt des pressions exercées par l'air , tels que les vents et les mouvemens du baromètre, tantôt des pressions exercées par les solides et les, liquides, tels que les marées, les fontaines jaïllissantes, et les éruptions volcaniques: Je citerai aussi comme résultat de la pesanteur la chüte des aérolithes , qu'il est curieux d'étudier dans leur origine , leurs propriétés et les apparences diverses sous lesquelles ils se présentent.

Les hauteurs de la colonne baremétrique varient suivant les différentes latitudes; elles varient avec les élévations auxquelles sont faites les expériences, avec les heures du jour et de la. nuit. Ces variations sont accidentelles ou périodiques. Il importe de les déterminer, d'en examiner les causes, et de reclier- cher l'influence qu'exerce sur elles l'état hygromé- trique de l’air. j

Les questions relatives aux vents forment un su- jet si vaste et si compliqué que tout en leur assi- gnant quelques causes générales , telles que des condensations ou des dilatations subites au sein de atmosphère , on est loin de pouvoir encore donner du problème une solution complète Les vents alisés , les brises , et les moussons plus faciles à observer par suite de leur durée et de leur retour périodique , ont le plus souvent exercé la sagacité des méléorologistes : 11 faut avouer qu'à cet égard

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les observations sont encore bien incomplètes , beaucoup trop inexactes, et trop peu nombreuses pour conduire à une théorie.

La science est plus avancée quant au flux et au reflux de la mer. La question des marées est tout à la fois une question de météorologie, et l’un des problèmes les plus importans de la mécanique cé- leste. La marée est le résultat de l'attraction des astres, le plus sensible, le plus près de nous, et l'un des plus dignes de notre attention. Nevton s'en était occupé mais d'une manière peu satisfai- sante , lorsqu’en 1740 l'académie des sciences pro- posa cette matière pour le sujet d’un prix, qui fut remporté par Daniel Bernoulli. Depuis, l’illustre Laplace a abordé la question, et l'a traitée avec toute la profondeur de son génie. La théorie qu'il a développée, tout à la fois rigoureuse et fondée sur les principes du mouvement et les lois de la pe- santeur upiverselle satisfait d’une manière remar- quable à la plupart des résultats fournis par l’ob- servation; son accord avec les hauteurs et les in- tervalles des marées, en la mettant hors d'atteinte, sert en même temps à confirmer la grande loi de l'attraction universelle démontrée déjà par l'ensem- ble des phénomènes célestes.

Des fontaines jaillissantes se présentent naturel- lement dans plusieurs localités, telle par exemple la fameuse source du Geyser en Islande, d'é-

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normes colonnes d'eau à la température de 82.° s'élancent d'un bassin de 60 pieds de diamètre à la : hauteur de 300 pieds au-dessus du sol ; l'explication de ce genre de phénomènes est facile; mais ils n'en méritent pas moins toute l'attention des météorolo- gistes, et par l'intérêt qu’ils excitent, et parce qu'ils se rattachent à la grande question des puits arté- siens, dont l'usage limité d’abord au nord de la France et de l'Italie s’est répandu bientôt en Alle- magne et en Angleterre, et depuis n'a cessé de prendre une extension dûe surtout aux travaux de MM. Garnier et Héricart de Thury.

Le spectacle imposant des éruptions volcaniques a toujours été pour l'observateur un grand sujet de inéditation. Les esprits les moins cultivés le re- gardent avec étonnement, le contemplent avec ad- miration. Les solutions diverses qui , de tout temps, ont été proposées sur ce point difficile de la science , ont été accueillies avec plus ou moius de faveur , suivant qu'elles se rapprochaient ou s’éloignaient des systèmes admis sur la température primitive de notre globe. Les voyages nombreux entrepris depuis quelques années dans l'intérêt de la science ont conduit à une foule de remarques concernant l'agglomération des volcans et leur position géogra- phique soit en lignes droites, soit en groupes circu- laires : de leur relation avec les tremblemens de terre , de leur disposition à se rattacher aux grandes

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chaînes de montagnes, aux grandes fractures de l'é- corce du globe, de la connexité qui existe entre ces divers phénomènes observés à des distances im- menses , on a conclu que les éruptions volcaniques , dernière expression des révolutions de notre pla- uète , résultaient de l'influence exercée par linté- rieur du globe sur son enveloppe extérieure aux différentes époques de son refroidissement. C’est ainsi que tout concourt à rappeler cette vieille hy- pothèse du feu central qui , dépassant aujourd'hui les limites du probable, semble, pour ainsi dire, une de ces vérités jetées d’abord sans démonstration dans l'esprit des peuples, et que le secours de la science vient peu à peu confirmer et mettre en évidence.

Tout se lie daus la nature , et les causes des phé- üomènes sont généralement complexes ; de les dif- ficultés que présente leur analyse ; de les erreurs résullant de ce qu'on attribue trop ou trop peu à chaque cause en particulier : c'est ainsi que les variations dans la colonne barometrique et les chan- gemens dans la direction des vents sont influencés par les actions diverses du calorique. Cet agent d'ailleurs ainsi que la pesanteur produit un ordre de faits non moins nombreux, et non moins impor- tans que ceux sur lesquels je viens d'appeler votre attention, | g

L'examen de l'état thermométrique du globe est sans contredit dans l'étude de la philosophie natu-

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-relle une des questions les plus belles, les plus in- téressantes qui jainais aient été traitées. Des mo- difications de tonte espèce ont été apportées soit dans la construction, soit dans l'usage des thermomè- tres ; et ces instrumens devenus exacts et compara- bles se sont prêtés merveilleusement à la solution de tous les problêmes auxquels donnent lieu pour notre globe les actions plus ou moins intenses du calorique. Aux expériences anciennes faites comme au hasard ét avec peu de précision, ont succédé des observations nouvelles, qui se multiplient chaque jour ét peuvent déjà former un ensemble imposant et par leur nombre et par l'exactitude avec laquelle elles ont été faites. Depuis près de trente ans les recherches des physiciens se sont dirigées de ce côté : on a expérimenté de toute parts avec ardeur ; on à appliqué l'analyse la plus savante aux ques- tions relatives au calorique , et à cet égard les mé- moires de Messieurs Fourrier et Poisson ne sont pas un de leurs titres les moins assurés à la reconnais- sance du monde savant. L'examen de l’état thermo- métrique du globe conduit à déterminer d’une part la température de l'air à la surface du sol et dans les hauteurs de l'atmosphère, de l'autre la tempéra- ture de la terre et des eaux jusques dans leurs cou- ches les plus profondes. Observer la température de air à la surface du sol, c'est rechercher pour chaque point de la terre de lun des pôles à l'autre,

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el sur les divers méridiens la température moyenne des jours , des mois et des années ; c'est com- parer entr'elles les moyeunes obtenues aux diffé- rentes latitudes , et déduire de la répartition exacte du calorique sur l'enveloppe du . globe terrestre. Ce vaste sujet embrasse , dans toute son élendue , la grande question de la climato- logie. L'action du calorique est de plus en plus faible pour chaque lieu de la terre , à mesure que l'on s'élève dans la direction verticale. Ce décroissement, résultant des propriétés physiques de l’air et des corps étrangers, qui s'y trouvent suspendus ou interposés , n’a pas lieu et ne pou- vait se faire en effet suivant uue loi bien régulière. Les expériences se sont multipliées et, d'accord avec la théorie , elles ont renversé les hypothèses étranges que l'imagination avait accumulées avec un véritable luxe d'invention. On a pu se rendre compte du froid qui règne sur les montagnes et de son intensité croissante, à mesure que l’on ar- rive aux régions les plus élevées ; et les neiges perpétuelles au sommet des Cordillières sous la zone torride n’ont pas eu plus de mystères , que celles qui blanchissent les Alpes et les Pyrénées dans nos climats tempérés.

JL existe partout à une distance variable .au- dessous de la surface du sol une couche, dont la température est constante avec les années el à par-

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tir de laquelle le thermomètre porté à des profon- deurs graduellement croissantes annonce des inten- sités également croissantes de calorique. C’est à celte couche que viennent s’éteindre les oscillations de l'instrument ; et les variations de température à peine sensibles dans l'espace de longues années nous signalent l'extrême lenteur du refroidissement de notre globe ; delà les considérations les plus élevées relatives à son élat primitif.

De nombreuses observations ont été failes sur les températures des différentes sources, des fleuves, des lacs et des mers; on a été conduit à les sonder dans leur profondeur pour connaître la distribution de la chaleur dans leurs diverses couches, détermi- ner les causes de cette chaleur, et de passer à l'explication des immenses montagnes de glace qui eouvrent les régions polaires.

Que de belles recherches, combien de travaux importans n'ont pas élé tentés sur l'origine et les causes des météores aqueux ! Quelle foule de phé nomènes ne sont pas dûs à l’évaporation de l’eau produite au sein de l’atmosphère ou à la surface du sol sous l’action du calorique ! Est-elle sans impor- tance la science qui nous montre ce corps, si ré- pandu dans la nature à l’état liquide, se réduire en vapeur, se mélanger à l'air atmosphérique en quan- tités variables, en modifier les propriétés , s'élever dans la profondeur de ses couches aux régions les

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plas hautes jusqu'aux limites de l'atmosphère , tan- tôt. se. déposer à la surface du sol sous forme de rosée ou de givre, tantôt se condenser pour consti- tuer les nuages, les brouillards , et retomber .en- suite sous forme de pluie, de neige ou de grêle.

Voilà donc la seule question de la chaleur qui, appliquée au globe terrestre, embrasse les sujets les plus vastes, les plus dignes de l'attention de | l'homme, puisqu'ils emportent avec eux l'origine même de notre planète ! EL remarquons qu'un simple instrument de physique , un thermomètre dans des mains habiles et savantes peut conduire à la solution de tant de problèmes. Il y a de ces rap- prochemens qui nous étonnent et sont bien faits pour jeter au cœur de l’homme l'amour du savoir. Qu'on me donne un levier et un point d'appui et j'ébranlerai le monde, disait Archimède : il s'agit ici d'explorer notre globe , d'en expliquer Îles merveilles, et d'en dévoiler les mystères; l'instra- ment est donné : le point d'appui c’est le talent, le courage , la patieuce de lobservateur aidé du se- cours de la science. |

Les premiers phénomènes relatifs au magnétisme terrestre , remontent à une haute antiquité ; les Chinois paraissent avoir connu la boussole , plus de mille ans avant notre ère chrétienne ; mais ce n’est que depuis un siècle environ que cette partie de la science a reçu quelques développemens De nos

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jours seulement, les expériences se sont multipliées sur les perturbations et les variations diurnes de l'aiguille aimantée ; c'est de nos jours que sa décli- naison et son inclinaison ont élé étudiées avec quel- qae précision ; qu'on a fixé la posilion des pôles , de l'équateur et du méridien magnétiques ; de nos jours enfin, on a constaté l'identité du magnétisme et de l'électricité, et nous devons aux progrès de la physique dans la connaissance des phénomènes électriques tous les développemens donnés depuis quelques années à cette partie de la météorologie.

La premiere découverte relalive à l'électricité atmosphérique date de 1752. Les causes et les lois du plus grand phénomène atmophérique présen- tèrent alors au monde savant un vaste sujet de recherches. On a voulu déterminer les sources de l'électricité répandue au sein de l'atmosphère ; on s'est occupé de la formation des nuages orageux , du bruit et de la lumière électrique, des effets di- vers et prodigieux du tonnerre, des moyens de s’en préserver ; on s’est occupé des trombes et des ra- vages qu'elles exercent. La science en effet pou- vait-elle rester indifférente au spectacle imposant, terrible , majestueux que lui présente la nature au sein des orages ?

Il n'y a pas moins de grandeur et de magnificence dans les effets brillans que produisent à travers l'atmosphère les rayons lumineux déviés de leur

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roule et soumis aux lois de l'optique. Tantôt c'est l'arc-en-ciel avec sa forme circulaire, et les mille couleurs du prisme ; tantôt comme dans le mirage, le ciel et tous les objets qui dominent le sol se re- flètent sur une terre brûlante ; un monde magique vient se créer aux yeux de l'observateur, et produit sur lui l'illusion la plus complète ; ici, des cou- ronnes brillantes environnent le soleil et notre sa- tellite ; là, de faux soleils apparaissent sur l'hori- zon , images de l'astre qui nous éclaire , et dont les rayons confondus dans l’espace produisent tous ces jeux de lumière.

Il est impossible, sans doute , qu'un coup d'œil jeté sur tant d'objets divers qu'embrasse la mété- orologie , qu’une simple énumération sèche et dé- colorée puisse représenter avec bonlieur tant de richesse et de variété. L'apparence d’un squelette ne saurait rappeler l'image d'un corps qui est en réalité plein de vie, de force et de grâce. J'ai vou- lu seulement prouver qu'il y avait un puissant intérêt à l’étude d’une science trop peu connue et trop peu cultivée, d’une science qui force l’homme à porter un regard observateur sur le globe qu'il habite, l'invite à rechercher les lois qui président à son ensemble, et lui fait retrouver au milieu de tant de phénomènes complexes une nouvelle preuve de l'harmonie qui règne dans la uature : il m'a semblé que se trouvait une source féconde de jouissances.

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La météorologie d'ailleurs n'est pas une science isolée ; elle se rattache à toutes les autres branches de la philosophie naturelle; elle acquiert par ses applications , et ses rapports avec plusieurs d'en- tr'elles un nouveau degré d'importance ; et encore est confirmé ce principe , que toutes les sciences se tiennent par des liens communs et tendent de plus en plus à se confondre en uue seule. Une liaison in- time unit la physique à la météorologie, puisque tous les phénomènes terrestres et atmosphériques sont le résultat des lois immuables qui règlent les actions des forces physiques. Les sciences mathé- matiques ont pu seules, par l'application de l’a- nalyse aux données de l'observation , féconder ces données et hâter les progrès de la météorologie. L'astronomie elle-même ne vient elle pas lui prêter son appui toutes les fois qu'il s’agit de la théorie des marées, toutes les fois qu'il faut déterminer de combien les astres sont déplacés par la réfraction astronomique, corriger cette illusion invincible qui nous les fait voir hors de leur position réelle, ex- pliquer enfin ces apparences multipliées qu'ils nous présentent lorsque nous les regardons à travers les couches plus moins pures de l'atmosphère. Sans parler de ces sciences diverses, sans parler de l'hy- giène qui recoit un secours efficace des résultats mé- téorologiques obtenus sur la température de l'air, son état hygrométrique ; et les substances qui s’y trou-

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vent mélangées ; sans parler de la géologie, qui se rattache le plus à l'étude des phénomènes terrestres et atmosphériques, paisque dès l’origine de notre planète l'air et l'eau ont produit et produisent en- core chaque jourde grandes altérations sur son é- corce, puisque la plupart des grandes questions telles que celles des volcans, des climats, et des vents s'éclairent par les secours mutuels que se pré: tent ces deux sciences; laissant de côté tous ces rapporls qui établissent l'importance de la mété- orologie , qu'il me suflise d'entrer dans quelques détails sur ses applications à l'agriculture.

. Les variations du calorique exercent une influence prodigieuse sur tous les êtres organisés, et parti- culièrement sur ceux qui appartiennent au règne végétal. Les climats ne sont pas sous le rapport de la chaleur caractérisés seulement par la température moyenne de l'année, mais aussi par les variations de température pour les jours, les mois et les saisons: les climats constans, Les climats variables et les climats éxcessifs , ceux pour lesquels de grandes différences se manifestent dans le cours d’üné: an- née eritre les extrêmes de chaleur et de froid; et puisqu'il suffit souvent de quelques degrés de cha- léur de plus pour faire mûrir un fruit, et de quel- ques degrés de froid de plus pour faire mourir une plante, puisque deux lieux situés sur un même parallèle , avec dés températures imoyennes sénbi-

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blement égales, peuvent néanmoins avoir des cli- mats excessivement différens, il en résulte qu'il ne suffit pas seulement de noter les températures moyennes des années, et de s’en tenir à ces distinc- tions tranchées, insuflisantes pour caractériser un climat; mais qu'il importe de déterminer exacte- ment la distribution de la chaleur dans tous le cours d'une année; ce que l’on peut obtenir seulement par une série d'expériences journalières , bien faites, et entreprises dans les diverses localités. Une con- séquence analogue se déduit d’un raisonnement semblable , lorsqu'on considère l'inflaence exercée par les pluies, les brouillards et les vents sur tous les phénomènes de la végétation; et si de l’ensem- ble des observations ne jaillissent pas quelques lois générales , du moins sera-t-il possible d'en obtenir des données plus ou moins probables, susceptibles presque toujours de nombreuses applications , et qui, dans tous les cas heureusement combinées avec les notions de la science agricole , remplaceront avec avantage ces absurdes prophéties , ces pronos- tics mensongers répandus avec profusion, propagés dans les campagnes, et accueillis avec une faveur d'autant plus marquée, qu'ils s'adressent à la rou- tine et à l'ignorance.

Je me borneraï à vous citer pour exemple la cul- ture du maïs , celle du mürier, et l'élévation des vers à soie, objets pour lesquels l’Académie a imani-

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festé déjà plusieurs fois le plus vif intérêt. Admet- tons que des tables météorologiques dressées avec soin dans les diverses localités , ces végétaux se cultivent, et s'élèvent les vers à soie, puissent être comparées à des observations semblables faites dans les divers arrondissemens de nos départemens du Nord ; sans avoir besoin de recourir à des ren- seignemens donnés le plus souvent d'une manière vague et incertaine, ne pourrait on pas déjà dé- duire de cette comparaison , sous le rapport de la température et de l'état hygrométrique de Fair, s'il existe des circonstances favorables ou désavan- tageuses au but que l’on se propose; s’il est facile de profiter des unes , et de se préserver de l’in- fluence des autres

Il est vrai que les tables météorologiques ne peu- vent avoir quelqu'utilité qu’autant qu'elles sont le : résultat d'expériences faites continument et depuis longues années ; ce n'est qu’au moyen de comparai- sons faites avec des séries nombreuses d'observations, que des probabilités peuvent se déduire; mais il en est des essais que l'on ferait en ce genre comme de la plupart des travaux auxquels l’homme con- sacre ses veilles : le temps seul les féconde , et ils ne sauraient perdre de leur importance par la rai- son qu'il est réservé à l’avenir d'en recueillir les fruits.

Les expériences d’ailleurs sont faciles et peu dis-

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pendieuses; il suffit de quelques instrumens conve- nablement disposés , observés avec exactitude et sagacité. Déjà, depuis plusieurs années, de sembla- bles recherches sont suivies dans les principales villes de l'Europe. Désirer qu'il leur soit donné plus d'extension , c’est désirer les progrès d’une science qui va chaque jour se perfectionnant par suite de ses rapports intimes avec la Physique et la Géologie , mais dont l'utilité me paraît eucore trop méconnue , trop faiblement appréciée , quoiqu'elle ne le cède ni en intérêt , ni en importance à la plupart des sciences positives , dont les progrès rapides et brillans sout pour le 19.° siècle un de ses titres de gloire les plus beaux, les mieux fon- dés et les pius assurés.

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NOTICE

SUR DES RECHERCHES

DE

MINES DE HOUILELE

DANS LE DÉPARTEMENT DE LA SOMME, PAR M. COCQUEREL.

SÉANCE DE L'ACADÈMIE Du ÂA1 sUrzLET 1836.

Messieurs ,

Depuis quelqués années les bésvins Loujours croissaus des arts industriels üiit donné en France , uu grand intérêt à la recherche et: à l'expicitalion des mines de houille. , l'existence de ce pré- cieux combustible était bien constalée , on a vu les travaux d'extraction prendre un développement considérable , tandis que dans les lieux les observations iudiquaient quelques chances den trouver, les capitaux s'y sont porlés avec une

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conslance qu'explique très-bien la nécessité d’ob- tenir abondamment et à bas prix, une matière pre- mière indispensable, que l’on a justement qualifiée d’élément des élémens. -

Le département &u Nord qui occupe, sans con- -tredit, le premier rang pour la richesse de son agri- cullure, la variété de ses industries et l’activité de ses habitans tient le second dans l'ordre des quan- ütés de houille qu’il fournit à la consommation ; la production annuelle de ses mines a atteint en 1835 sept millions d'hectolitres, c’est-à-dire, le tiers de la production totale du royaume , et la valeur brute du charbon extrait s'est élevée au chiffre de huit millions de francs.

Cette richesse minérale tend sans cesse à s’ac- croître , soit par l'effet d'une plus grande extension donnée aux anciennes exploitations, soit par celui de la découverte de nouveaux pgîtes houillers dont l'existence vient agrandir l’espace dans lequel: on s'élait circouscrit jusqu’à ce jour.

Si l'on parcourt la contrée qui récèle les couches de houille actuellement exploitées , si l’on observe la nature du sol, on est grandement surpris de n’y rencontrer à la surface aucun des caractères géo- gnosliques qui dénotent la présence de 11 forma- tion houillère. Pour la découvrir il a fallu traverser une série de terrains argileux et calcaires dont l’é-

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paisseur dépasse quelquefois deux cents mètres, et n'est jamais au-dessous de soixante.

Quelles considérations ont donc pu déterminer l'inventeur de cette découverte à la prévoir et à la poursuivre , aucun indice extérieur ne pou- vait servir de guide? et qui pouvait expliquer la per- sévérance des travaux, au milieu de terrains renfer- mant , pour ainsi dire, des mers souterraines qu'il fallait pourtant traverser , en opposant aux eaux des obstacles insurmontables ? tout cela a été le résultat de l'observation d'un fait non moins vrai que très- remarquable, c’est que le grand nombre de mines de houille qui sont ouvertes au delà de la rive droite du Rhin jusqu’à en Belgique sont toutes situées dans une sorle de zone ayant au moins 25 myriamètres de longueur , et près d’un myriamètre et demie en largeur. La direction générale de cette zone et celle des couches de houiile est de l’est-nord-est à l’ouest- sud-ouest.

Une ligne tirée par les villes de Liége et de Va- lenciennes et faisant avec sa méridienne un angle de 72 degrès , en donne une idée assez exacte.

Un tel faitbien constaté devait conduire à des con- séquences d’un grand intérêt ; on a du croire en effet qu'en se tenant dans l'intérieur de la zone houillère et en se plaçant à l'ouest des exploitations connues pourrait retrouver le terrain houiller et aussi le combustible fossile qu'il récèle.

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Cette présomption formée par M. le Marqnis de Desandroins très-riche propriétaire, et par M, Ma- thieu habile mineur, s’est réalisée, el c'est aux ef forts réunis de ces deux hommes que sout dues les découvertes successives des mines de houilles de Fresnes, de Vieux-Condé et d’Anzin près Valen- ciennes en 1717 et années suivantes , et plus tard, en 1777, de celles d’Aniches aux environs de Douai.

Toutefois une grande différence se fait remar- quer dans la manière d'être des gîtes houillers sur les bords du Rhin, dans la Belgique et dans le Nord de la France.

Chez nos voisins ; le terrain houiller vient pres- qu'affleurer à la surface du sol, ce qui rend les re- chetches et l'exploitation du charbon faciles et peu dispendieuses ; dans le département du Nord, au contraire , comme je l'ai déjà dit , le même ter- rain houiller est recouvert par des formations mi- nérales très récentes et d’une très-grande épaisseur les travaux de recherches sont plus problématiques én même temps que l'extraction de la houille ne peut se faire que très-difficilement et avec des dé- peuses considérables. |

Malgré toutes ces circonstances défavorables , et ei S'appuyant toujours sur le même principe qui avait fait découvrir les mines de houille des envi- rons de Valenciennes et de Douai , on s’est risqué à entreprendre d’autres recherches dans l’espace com-

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pris entre celte dernière ville et Arras , et le ter- rain houiller reconnu à Tilloy et à Naux en 1777 ; en 1806 à Monchy-le-Preux , l’a été aussi à Ste.Cathe- rine, à Pelves et à Vis-en-Artois, dans les années 1885 et 1836 ; tout fait espérer maintenant que l'approfondissement de deux fosses entrepris par M. Boca et C.° conduira à la découverte de veines de houille exploitables.

Les détails dans lesquels je viens d'entrer étaient indispensables pour arriver à l'historique des tra- vaux d'exploration exécutés à Bouquemaison, près de Doullens , dans les années 1784 et 1785.

En comparant la situation de Bouquemaison à celle des lieux du département du Nord et du dé- partement du Pas-de-Calais, qui ont été ou sont encore le siége de travaux d'exploitation et de recherches | on voit de suite le motif qui a pu déterminer à s'établir dans le département de la Somme ; ce motif est tout simplement que l'empla- cement de Bouquemaison se trouve encore dans la direction de la zone houillère et dans les limites de la largeur moyenne qu’on lui a reconnue.

Seulement en réfléchissant mieux sur la nature et l'épaisseur des terrains dits morts, on aurait été conduit à ne pas se placer immédiatement sur un plateau élevé de 145 mètres au-dessus du niveau de mer, lorsque dans la voisivage de Bouque- maison on pouvait trouver d’autres points aussi

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propres à des recherches, et élevés seulement de 70 à 75 mètres au-dessns du même niveau.

Quoiqu'il en soit, la fosse pratiquée à Bouque- maison a atteint une profondeur de 250 mètres au- dessous du sol; on a traversé toute la série des terrains morts se composant, comme on le sait, de couches de marne, d'argile et de craie. À, 235 mètres environ, on a rencontré une veine de quel- ques décimètres d'épaisseur d’une substance noire vitriolique, brûlant assez difficilement , et qu'on a prétendu être du charbon de terre. C'est une er- reur ; cette terre noire vitriolique que l’on a éga- lement rencontrée , lors des recherches faites dans les départemens du Nord et du Pas-de-Calais , dif- fère essentiellement de la houille tant par sa com- position que par son gissement.

À la plus grande profondeur de 250 mètres à laquelle on était parvenu à Bouquemaison, et que l'on n'a pu dépasser à cause de l'inondation qui vint arrêter et submerger les travaux, on était dans un terrain composé de pouüdingues à pâte cal- caire et à noyaux siliceux. Ces caractères, appar- tiennent à la roche que les mineurs du Nord nom- ment Zourtia, et qui se trouve toujours au-dessous de la formation crayeuse dont elle forme la dernière limite ; c'est-à-dire que cette roche est la plus voi- sine du terrain houiller en Belgique comme en France.

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Quant à l'existence réelle du Tourlia sous le sol de l'arrondissement de Doullens , je n’ai aucun moyen direct d'eu articuler la preuve ; tout ce que je rapporte à ce sujet, je l'emprunte à divers ren- seignemens déposés aux archives de la Préfecture de la Somme , et aux déclarations que j'ai obtenues en 1834 de divers individus de Bouquemaison qui avaient travaillé ou assisté au percement de la fosse, et dont , un eutr'autres, avait été chargé moyenne- ment un prix convenu du recomblement de cette fosse.

J'ajouterai néanmoins, qu'ayant appris qu'un voyeu distant d'environ deux cents mètres du puits avait été remblayé avec une partie des matières extraites , sur la fin des travaux , je fis fouiller ce voyeu , et jy trouvai en effet des morceax d'une roche qui m'a paru appartenir au Tourtia.

L'abandon des tra aux de Bouquemaison , au moment il était si importaut de les continuer , est un fait déplorable qu'il faut attribuer à l’arrivée subile d’une masse d’eau considérable qui se fit jour à travers les sables verts, et contre laquelle on ne put opposer que des moyens impuissans pour la contenir et l’épuiser. L'emploi d’une machine à vapeur était devenu indispensable , mais les fonds manquaient pour s’en procurer une et pour conti- nuer l'approfondissement du puits ainsi que l'ou- verture d'une ou de deux galeries dans le terrain houiller , si on avait pu le traverser en partie.

18

C'est ainsi que fut délaissée une entreprise qui avait élé assez bien conçue, et dont la poursuite devait jeter une grande lumière sur la possibilité de trouver des gîtes houillers dans le département de la Somme ; mais les motifs qui ont pu faire entreprendre les travaux dont je viens de parler subsistent dans leur entier ; on peut même ajouter qu'ils ont acquis une nouvelle force, soit par le résultat des explorations faites récemment dans l'arrondissement d'Arras , soit par le grand déve- loppement que prennent les diverses branches d’in- dustrie dans notre département, et dont le succès est subordonné à l'abondance et au bas prix d’un combustible fossile.

Il est d'autant plus urgent de s'assurer si notre sol renferme ou non de la houille que chaque jour nous voyous augmenter le prix du bois et de la tourbe, ce qui tient au défrichement inconsidéré des forêts et à l'épuisement rapide des tourbières.

Ce serait donc un projet vraiment patriotique que celui qui aurait pour but de tenter de nouvelles explorations dans l'arrondissement de Doullens , après s'être entouré de tous les renseignemens qu'on peut déduire des travaux déjà exécutés dans les dé- partemens voisins, et après avoir choisi les points qui , en raison de leur situation dans les vallées ou de leur voisinage des voies de communication créées ou à créer, permetlraient d'arriver au méilleut

79

résultat dans le moins de temps et avec le moins de dépenses possibles.

Un semblable projet est facile à réaliser, grâces à l'esprit d'association qui produit de si grands effets sans jamais compromellre sérieusement les intérêts des associés, lors même que le succès ne couronne pas les efforts les mieux combinés. J'ajouterai que les perfectionnemens introduits , dans ce derniers temps, dans les procédés de sondages, permettent de vaincre des difficultés jadis réputées insurmon- tables , et qu’à cet avantage immense se joint celui d'arriver à de grandes profondeurs , sans être obligé à des dépenses trop considérables.

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DEUXIÈME GLASS

Agriculture et Commerce.

RAPPORT

SUR LA

DIVISION DE LA SURFACE

DU

DÉPARTEMENT DE LA SOMME ,

PAR M. RIQUIER.

SÉANCE DU 50 JUILLET 1833.

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Messœurs ,

CHARGÉ de vous présenter la division de la surface du département de la Somme sous le rapport de la destination , nous venons vous soumettre le résultat de nos recherches, et les trois tableaux que nous avons dressés à ce sujet pour la stalistique de ce département.

Si ce travail eût été entrepris en 1793 ou en l’an ‘XU, nous aurions eu un point de départ certain et des résultats plus positifs, puisqu'ils auraient re- posé sur des opérations faites par les ordres du gou- vernement dans les années qui précédaient ces deux époques. à

Maintenant nous ne pouvous avoir un chifire ma-

= 6.*

84

thématiquement exact que pour une partie seule- ment du département , celle des cantons cadastrés.

Cette circonstance excite d'autant plus nos re- grets , Messieurs, qu'il est impossible, sur une même question, d’être aussi peu d'accord, et de voir ure différence aussi grande que celle qui existe sur le chiffre donné pour la superficie du dé- partement de la Somme.

En effet, d’après les -procès-verbaux de 1792, la superficie du département de la Somme est de 697,867 hectares 65 ares, pour les objets impo- sables seulement , et auxquels, par conséquent, (1) il faut ajouter 30,122 hectares (2) pour les ob- jets non imposables, tels que les chemins, les ri- vières, les ruisseaux , les rues , les places, les promenades publiques, la superficie des églises, des presbytères , des bois de l'Etat, etc. ; ce qui élève la superficie totale du département, d’après lesdits procès-verbaux , à 727,989 hectares 65 ares.

Les matrices foncières de détail formées en l’an x1 , font monter cette superficie à 567,001 hectares. M. Rivoire, dans son annuaire statistique et ad- ministratif du département de la Somme pour Fan-

(4) Et encore en ne s’attachant qu'aux chiffres fournis par les matrices foncières de détail formées en l’an xr. : L @) Boïs de PEtat. . . . . . . . 44,245 h. 40 a.

Chemins , rivières , ett. . . . . 18,906 90

\

Énsemble. . . 30122 hectares.

85

née 1806, page 8, porte celle superficie à 747,294 hectares 4 ares.

M. Binet, fils aîné, dans son annuaire statistique pour 1826 , page 4 , ne porte ce chiffre qu’à 491 ,000 hectares , mais en observant toutefois que l’almanach. royal pour 1825 le porte à 604,456 hectares.

D’après aussi peu d'accord et des différences aussi sensibles, nous avons dû, Messieurs, abandonner ces notions, et nous occuper à travailler sur d’au- tres données.

Comme mode pius rationnel et devant nous pro- curer un résultat général, sinon plus mathémati- quement exact, du moins le plus approchant de la vérité, nous avons pris pour guide les opérations cadastrales qui ont été faites, et c’est d’après ces bases et les documens qu'ont bien voulu nous four- nir MM. le Sous-Inspecteur des forêts, l'Ingénieur en chef du département, et M. le Directeur des Contributions directes , que nous avons établi les- trois tableaux que nous avons l'honneur de vous présenter. (1)

Le premier renferme les cantons cadastrés , et offre pour superficie totale de ces cantons 383,481 hectares 65 ares 11 centiares.

Ce chiffre est exact, Messieurs , et foi peut y _ être donnée.

Le second tableau présente les quatorze cantons

(4) Ces tableaux sont à la fin du volume.

86

restant éncore à cadastrer , et donne pour superficie approximative 219,129 hectares 68 ares.

Ce chiffre, quoique donné seulement comme ap- proximatif, peut cependant , nous le pensons, être considéré à peu près comme réel , parce que étant le résultat d’une règle de proportion basée sur les con- tenances nouvelles trouvées par le cadastre compa- rées aux anciennes, nous sommes certains que la différence qui pourra résulter pour ces 14 cantons, quand ils seront cadastrés, ne devra jamais être bien importante.

Ainsi, récapitulant les contenances de ces deux tableaux , la superficie totale du département est de 602,611 hectares 33 ares 11 centiares. |

Dans ces 602,611, 33, 11, les bois se trouvent compris pour 54 à 55,000 hectares, dans lesquels les cantons cadastrés figurent pour 35,114 hectares et lés cantons non cadastres, pour 19 à 20,000 hec- tares environ.

Dans les 35,114 hectares précités, les bois ap- partenant aux particuliers y sont compris pour 30,016 hectares 64 ares 12 centiares, ceux de l'Etat pour 4,268 hectares 61 ares 12 centiares, et ceux des communes et autres établissemens publics pour 828 hectares 36 arés 19 centiares. :

L’essence des bois de l'Etat consiste principalement en chênes et hêtres. Leur aménagement est à 18 et 25 ans ; ilest à 33 ans pour la forêt de Crécy.

87

Il existe , dans les bois de l'Etat , des réserves que l’on n'exploite qu'à 35, 40 et même 45 ans.

Les bois appartenant aux communes et autres établissemens publics, dans l'arrondissement d'A- miens , se composent de chênes, hêtres et charmes, et chacun par tiers à peu près. Ils sont aménagés à 10,12,15et 16 ans.

Ceux dans l'arrondissement d'Abbeville consistent en chênes et hêtres par moitié environ , et sont amé- nagés à 15, 16 et 18 ans.

Ceux dans l'arrondissement de Péronne sont gar- nis de chênes, et comme ceux de l'arrondissement d’Abbeville , sont aménagés à 15, 16 et 18 ans.

Ceux de l'arrondissement de Montdidier, consis- tant en chênes et hêtres, et sont aménagés à 10, 12,15 et 16 ans, comme ceux dans Parrondisse- ment d'Amiens.

Enfin l'essence des bois appartenant aux com- munes et autres établissemens publics , dans l'arron- dissement de Doullens , est le hêtre et le chêne, leur aménagement est à 18 ans.

Quant aux bois appartenant aux particuliers , le chêne peut y être compté pour moitié ; l'autre moi- tié se compose de hêtres, charmes, bouleaux et blancs ; leur aménagement est à 12, 15 et 20 ans, suivant la qualité du sol et les essences des taillis ; la forêt de Lucheux, par exemple, ne s'exploité qu'à 20 ans.

88

Depuis 1792 jusqu'au commencement de 1821 , on a défriché , dans le département de la Somme , 1,463 hectares de bois, ci. 1,463 h. »'a: »'c.

Et depuis 1821 jusqu’au 20 mai dernier 1833. . : 1,862 57 28

Au total. . . . 8,325 57 28 Parmilesquelsl'arrondisse- ment d'Amiens figure pour. 1,017 h. 85 a. 73 c. Celui d'Abbeville pour. . 447 04 33 Celui de Péronne pour. . 824 27 02 Celui de Montdidier pour. 775 63 59 Et celui de Doullens pour. 260 76 GI

Ensemble chiffre égal à ce- Jui ci-dessus. . . . . . . 3,325 7:17 28

Mais dans ce chiffre ne se trouvent pas compris les bois au-dessous de quatre hectares, qui, quand ils ne sont pas près d’autres plus importans , peuvent être défrichés sans autorisation, n'étant pas soumis au régime forestier ; aussi l’Administration forestière n'a-t-elle pu nous fournir aucun renseignement à cet égard , et nous n'avons trouvé ailleurs aucune don- née qui nous fixât sur ce point et nous fit connaître, même approximativement , la quantité et la conte- nance des bois de cette espèce qui avaient été dé- frichés pendant ce même laps de temps.

Le troisième tableau présente le revenu total des contenances ‘des cantons cadastrés , lequel s'élève à

89

12,163,560 fr. 85 cent., ce qui, terme moyen, porte Le revenu de l’hectare à 31 fr. 71 cent.

Nous avons consulté plusieurs personnes sur ce revenu , mais nous ne les avons pas trouvées d'ac- cord ; les unes pensent qu’il est trop élevé , les autres qu'il ne l'est pas assez. Ce sera à ceux de nos collègues, qui traiteront celte question, à vous fixer, Messieurs, sur ce point, et à déterminer positive- ment le revenu des diverses natures de propriétés.

Les recherches auxquelles nous nous sommes li- vrés nous ont fait faire plusieurs remarques que uous croyons du plus grand intérêt pour notre dé- partement. Notre première pensée avait été de vous les soumettre , mais , après y avoir réfléchi, nous avons reconnu, Messieurs, que ce serait aujour- d’huï une chose prématurée , et nous nous réservons de vous présenter ces remarques dans une notice particulière , lorsque la statistique sera entièrement achevée.

Nous nous empresserons aussi, Messieurs , de terminer la tâche importante que vous nous avez donnée , aussitôt que l'achèvement du cadastre, dans le département de la Somme , nous aura donné la possibilité de le faire.

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NOTICE

SUR LES

BUREAUX DE BIENFAISANCE,

PAR M. MAROTTE.

SÉANCE DU Â5 JUILLET 1834.

Les Bureaux de bienfaisance n’ont pas , comme les hospices , une origine qui remonte aux temps les plus reculés du moyen âge. Ce sont des éta- blissemens d'institution moderne , sortis de la tour- mente révolutionnaire et du sein de la terreur, comme pour attester que les droits de l'humanité sont imprescriptibles, et qu'après s'être saturée de désordres , l'âme fait toujours un retour sur elle- même , et trouve une heureuse diversion dans le doux penchant qui la porte au bien.

Il n’y avait point , autrefois , de service adminis- tratif régulier, pour assurer le soulagement des mal-

heureux. Les maisons religieuses étaient la principale

92

+

source d’où s’écoulaient les secours accordés à l’in- digence et aux infirmités. Ces maisons possédaient des biens considérables ; elles employaient, pour la plupart, un grand nombre de bras à leurs tra- vaux agricoles , et répandaient sous le chaume d’a- bondantes aumônes. Comme elles étaient, en quel- que sorte , en possession de la fortune publique , il était juste que , par compensation , elles s’occu- passent du sort des malheureux.

D'autres établissemens religieux, les Cathédrales, les Collégiales , les Paroisses , les Confréries , avaient reçu des dotations , avec la charge de se- courir les pauvres. Des fondations avaient été aussi conslituées , en faveur des Curés , avec des charges de la même nature.

Partout ,. la bienfaisance s’exerçait, sous l’aîle protectrice de la religion ; et ceux qui s'étaient voués à l'édification de leurs semblables , par une vie solitaire, par de beaux exemples de vertus et de piété, par les principes de la morale évangé- lique, étaient encore appelés à exercer la plus douce , la plus pure de toutes les influences , celle de la charité.

Maïs il est de l'essence des choses humaines de - s’altérer et de perdre , tôt ou tard , leur caractère primitif. Avec les revenus immenses qui venaient, chaque jour , accroître leurs dotations , les cou- vens virent arriver le relâchement de la règle plus

93 -

ou moins sévère , sous laquelle vivaient leurs pai- sibles habitans. Le luxe , les jouissances d’une vie toute mondaine , s'introduisirent dans les retraites avaient régné , jusque , la simplicité, la pu- reté des mœurs , le silence de la méditation et l’a- mour de l'étude.

Peu à peu, les idées philosophiques se propa- geant , à l’aide des études scholastiques et de cer- tains écrits, firent ouvrir les yeux sur les désordres scandaleux dont plusieurs monastères étaient deve- nus le théatre. On se demanda à quoi pouvaient servir des institutions qui engloutissaient , comme des gouffres dévorans , au préjudice des familles , des richesses immenses , affranchies de toute chargc envers l'Etat,

On s’habitua insensiblement à ne plus voir, dans lès corporations religieuses, que de vaines pra- tiques , sans aucun but d'utilité. La retraite dans laquelle vivaient ces corporations , fut considérée , moins comme une austérité , que comme un moyen de couvrir plus sûrement leurs écarts d’un voile impénétrable.

S'il est vrai de dire qu'un grand nombre de mo- nastères étaient dignes , par leurs débordemens, de l'espèce d’animadversion qui planait alors sur les institutions religieuses , il faut reconnaître , cepen- dant , que beaucoup méritaient une honorable ex- ception , et avaient su se conserver purs , au nii-

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lieu de la dépravation générale ; mais , telle était la force de l'entraînement, qu’on ne leur tint au- cun compte de leur régularité de conduite, et qu'on les enveloppa dans la commune disgrâce.

Alors , arriva la grande époque de 1789 ; alors s'établit, entre les trois ordres de l'Etat, cette lutte terrible dans laquelle succombèrent le clergé et la noblesse. Les biens ecclésiastiques de toute origine furent réunis au domaine public, vendus comme biens nationaux, et passèrent dans la for- tune des particuliers.

En proclamant les principes qui forment aujour- d’hui les bases de notre ordre social , on avait pro- scrit la monstrueuse anomalie des priviléges ; la raison , l'équité , la morale se trouvaient ainsi plei- nement satisfaites ; mais , au milieu de ces grandes conceptions , l'esprit humain avait encore révélé sa faiblesse et son impuissance : il n'avait pu faire dis- paraître la misère , le plus criant , le plus dur de tous les priviléges , cette lèpre qui est due, autant à l'inconduite et à l'imprévoyance , qu'aux coups imprévus du sort, et qui s'attache à l'humanité comme la scorie auxmétaux.

L’abolition des maisons conventuelles , en faisant passer , dans la fortune des particuliers , les biens qu’elles possédaient, avait tari la source des bien- faits qu’elles répandaient sur les malheureux ; et,

95

dans certains pays, des populations entières res- tèrent privées de ressources.

Les cris de détresse , qui se faisaient entendre de toutes parts, prouvèrent enfin au Gouvernement di- rectorial, qui venait de succéder à la Convention , qu'il était urgent de s'occuper des moyens de sou- lager tant d'infortunes. Il sentit que la délivrance des secours était devenue une dette collective de la société envers le malheur , puisqu'elle avait profité des biens de main-morte. Alors parurent les lois des 16 veñdemiaire et 7 brumaire an v, qui, en redonnant une nouvelle existence aux hospices, créèrent d’autres établissemens , sous le titre de Bu- reaux de bienfaisance. Alors, la charité fut sécula- risée et forma l’une des branches les plus essen- tielles de l'administration publique. °

Depuis la promulgation de ces deux lois, diffé- rens actes réglementaires, émanés du directoire , du consulat, de l'empire et de la restauration , déterminèrent , successivement, les attributions des Bureaux de bienfaisance , et fixèrent le système de leur comptabilité. Ces établissemens , hors des cas exceptionnels , sont régis par cinq administrateurs amovibles , sous la présidence du maire. La recette en est confiée à un receveur , dont les remises et le cautionnement sont proportionnés à l'importance du service et à celles des revenus dont ilala gestion.

Les recettes des bureaux de bienfaisance se-com-

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posent de biens-fonds, de rentes sur l'Etat et sur particuliers , de subventions sur les revenus com- muvaux et du produits des quêtes.

Leurs charges consistent à entretenir des travaux de charité, quand les villes et communes ne pour- voient pas , elles-mêmes , à cette dépense, à venir au secours des familles malheureuses , en leur dis- tribuant du linge , des vêtemens, du pain, de la viande et le combustible nécessaire à leur chauf- fage. Ils entretiennent encore , sur leurs revenus , et d’après des fondations spéciales , des écoles gra- tuites , fondées pour les enfans de la classe indi- gente.

Les Bureaux de bienfaisance trouvent un concours efficace, dans l'assistance des ecclésiastiques , des dames charitables qui se consacrent au service des pauvres. Les visites faites, dans le sein des familles indigentes , révèlent les besoins vraiment urgens auxquels il faut satisfaire. Partout l’action des Bu- reaux de bienfaisance est secondée, avec les soins les plus scrupuleux ; partout, les règles de la jus- . tice sont conciliées avec les sentimens de l’huma- nité.

Comme ces établissemens sont municipaux de leur nature, ils ne profitent nécessairement qu'aux populations des communes ils sont situés , ils ne seront donc considérés , dans les détails qui vont suivre, que pan rapport à ces populations.

97

D’après le tableau qui accompagne cette notice, il existe, dans le département de la Somme , vingt-un Bureaux de bienfaisance régulièrement organisés, (1) savoir : siz dans l’arrondissemet d’Abbeville, quatre dans l'arrondissement de Doulleas, quatre dans l'ar- rondissement de Péronne , deux dans l’arrondisse- ment de Montdidier, et cing dans l'arrondissement d'Amiens.

Les communes qui figurent , sur le tableau , pré- sentent une masse de population de 100,230 âmes.

Le nombre de personnes secourues , par les bu- reaux de bienfaisance , est de 7,822 ; ce nombre est réparti entre les catégories suivantes ;

SAVOIR :

1. Vieillards ou infirmes incapables détrarailiérlé D 72 DEPARNE 416

[ndividus qui peuvent s’aider un peu du produit de leur travail 720

3.° Pères de famille qui ne peuvent

suffire aux besoins de leurs enfans STONE A MIUL TC ATIONIQE 980

4. Individus admis aux secours, pendant une partie de l’année. 1,690 °5.° Femmes en couches . . .-. 16

Toraz pareil . . . 7,822

(4) Le nombre en est plus considérable aujourd’hui.

98

Douze Bureaux de bienfaisance entretiennent des écoles gratuites, en faveur des enfans des deux sexes appartenant à la classe indigente. 665 enfans, dont 390 garçons et 275 filles, sont reçus dans ces écoles.

Il existe 61 employés, préposés , elc. pour le ser- vice des Bureaux de bienfaisance. En voici le détail :

1.0. Sœurs de charité . . . *} % 9 Aeolnstitüteurs Loi 109 AG0 IN A acinsütuimcestislivion #6 O4 Dr 6

Médecins, chirurgiens et autres etployémh. 4, so046101 100 SD RSS TorTaz pareil .:, . |. #61

MM. les Médecins attachés aux bureaux de bien- faisance d'Abbeville et d'Amiens , font ce service gratuitement.

Dans toutes les autres villes et communes le ser- vice de santé est salarié, comme tous les autres em- plois qui se rattachent aux Bureaux de bienfaisance.

Les rapports, entre le nombre de personnes se- courues et la population générale des communes de la situation des Bureaux de bienfaisance , est de 1 à 13; mais celte proportion varie dans chaque localité. On ne peut, à cet égard , que renvoyer au tableau.

Les revenus de toute nature possédés, par les Bureaux de bienfaisance , s'élèvent, en lotalité , à la somme de }73,623 fr. 50 c Leurs dépenses

99

montent à 147,851 fr. 50 c. , et la balance , entre leurs ressources et leurs charges, présente un excé- dant de 25,772 fr. Pour quelques-uns , les dépenses absorbent la totalité des revenus.

Les excédans proviennent, dans certaines loca- lités, de ce que la classe ouvrière ayant trouvé du travail, n’a pas eu besoin de recourir aux secours publics. Les fonds ainsi économisés sont tenus en réserve , pour servir, en cas de stagnation commer- ciale ou d’autres calamités.

On remarquera que, nulle part, il n'existe de déficit, parce que l'administration s’attache, en réglant les budgets, à ne point permettre que les dépenses excèdent les limites des revenus.

Le taux moyen de la dépense, par individu se- couru , est de 18 fr. O1, pour la dépense générale des vingt-un bureaux, comparée à la population générale des communes. Mais, comme on a eu l’oc- casion de le faire connaître, relativement aux per- sonnes secourues, ce taux varie dans chaque localité.

On a cru devoir se bornér à donner ici les ren- seignemens en masse, et renvoyer , pour les détails, au tableau dont il a été parlé plus haut.

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OBSERVATIONS.

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Les médecins des pauvres d’Abbe- ville nereçoiventaucun traitement.

Les médecins des pauvres à Amiens ne reçoivent aucun traitement.

D’après l'intention du fondateur , le bienfait doit d’abord profiter aux indigens , ses plus proches parens.

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NOTICE

SUR

DEUX NOUVELLES

RUCHES A MIEL

PAR M. RIQUIER.

SÉANCE DU 9 AOUT 1836.

RD MESSIEURS ,

Les nouvelles ruches à miel dont nous venons vous entretenir sont celles de M. Nutt , propriétaire dans le Lincolnshire, et de M. Auguste Leprince, notre compatriote.

Les éditeurs des journaux des connaissances usuelles et pratiques (1) et des connaissances utiles (2), s'étendent fort au long sur la ruche de M. Nutt,

(4) Cahiers de décembre 1834, janvier , février et mars 1835.

(2) Cahier de mars 1835.

102

importée d'Angleterre par M. A. Gillet de Gram- mont, qui en a fait rapport à l'Académie des Sciences de l'Institut.

Ces journaux s'accordent à dire que cette nou- velle ruche est digne de fixer l'attention des agri- culteurs , autant par les produits abondans qu'elle donne , que par la certitude de la récolte et la nou- veauté du système employé dans cette méthode.

Mais , quelque prise que laisse contre nous notre ignorance dans cette branche d'industrie , nous ose- rons émettre une opinion beaucoup moins favorable, et cela, d’aprèsles recherches que nous avons faites et les renseignemens que nous avons pris auprès de divers agriculteurs.

D'abord cette ruche est d’un prix trop cher et les produits, qu'on en obtient, sont même inférieurs à ceux des ruches ordinaires.

La nouvelle ruche de M. Nutt coûte 80 francs. Nos cultivateurs, et, surtout, nos pauvres cam- pagnards, qui s'occupent d’abeilles , et qui , déjà , ont bien de la peine à débourser 75 centimes pour une ruche en osier, et ‘1 franc 235 centimes pour une ruche en paille, ne feront certainement pas la dépense de 80 francs, surtout , si, comme nous le pensons , les produits ne peuvent pas les couvrir de cette dépense.

Pour expérimenter sa ruche , M. Nutt a introduit trois essaims qui , d'après M. Gillet de Grammont ,

103

out produit 296 livres anglaises de-miel, c'est-à- dire 129 kil. et une fraction ou environ 260 livres de France ; produit excessif, incroyable , produit qui , s'il a eu lieu, est un véritable phénomène et un de ces phénomènes qui ne se renouvellent pas deux fois dans la vie de l’homme. En effet , cette récolte aurail été faite en 1826. Depuis cette époque , on a bien parlé de la nouvelle ruche ; mais on n’a rien dit qui pût faire croire à la continuation de ces beaux résultats. Pourquoi ce silence, si ce n’est parce que ces résultats ne sont pas possibles ; ici, tout concourt à en démontrer l’exagération. Si nos ruches ordinaires produisent moins , en revanche , elles se multiplient davantage. En effet, trois es- saims en auraient pu produire chacun deux autres, ensemble neuf ruches à la fin de l’année. Chaque ruche, à la fin de l'année suivante , aurait pu peser 40 à 50 livres, en tout 360 à 450 livres. On aurait eu neuf populations. Avec la ruche de M. Nutt, on w'en à qu'une seule, plus forte à la vérité, mais moins avantageuse en définitif. .

Telle est également sur cette ruche , Messieurs , l'opinion de M. Bertin , membre de la société royale d'agriculture du département de Loir-et-Cher , dans son mémoire sur les abeilles, dont lPaualyse a été présentée à celle société, dans sa séance générale de 1835 : « Quelque chose qu'on réduise, dit M. » Bertin, sur le produit annoncé de la ruche de M.

104

» Nuit, on pourra toujours en conclure qu’un en- » thousiasme emphatique a dicté une semblable » annonce. »

Et, d’ailleurs, quel cas faire d’une ruche coûteuse dont l'emploi ne peut que nuire à la multiplication des abeilles ? En effet , est-il croyable , est-il même possible , qu’une reine seule puisse fournir la popu- lation nécessaire à la ruche de M. Nutt? Et, si la reine meurt , tout est fini. Le procédé de M. Nutt est donc mauvais et ne mérite aucun encouragement. Nous n’en voudrions pour preuve que l’article sui- vant du journal des eonnaissances usuelles et pra- tiques (1), article rédigé par M. Fleury de Long- jumeau , propagateur de la nouvelle ruche de M. Nutt.

« Celle année est une des plus contraires aux » abeilles, que nous ayons jamais éprouvées aux » environs de Paris. La sécheresse et l’aridité des » mois de mai, juin, juillet et août ont brûlé nos » prairies artificielles sur lesquelles l'abeille fait sa » plus grande provision, détruit non seulement la » récolte de miel, espoir de l’agriculteur, mais » encore réduit les ruches dans un tel état de pé- » nurie, que l'hiver, s’il se prolonge comme en » 1834, détruira, à n'en pas douter, une grande » quantité d’abeilles qui, languissantes et accablées

() Cahier d'octobre 4835 , pages 445 et 446.

105

» sous le poids des chaleurs excessives de l'été, » ont traîné leur existence jusqu'à ce jour. Les » souscripteurs aux ruches de M. Nuit onteu, » dans'ces contrées, des pertes et des tourmens » qui, quelquefois , découragent et luissent une » 2mpression désarantageuse des innovations : la » désertion de quelques essaims de leurs ruches » nouvelles, par défaut de provision, l'embarras » de la nourriture que réclament les abeilles qui sont restées fidèles à leurs habitations, et qui » n'ont, pour la plupart, que des rayons vides de » miel, sont, pour quelques personnes , des causes » de découragement. »

Cet article démontre suffisamment que les pos- sesseurs de la nouvelle ruche de M. Nutt ont éprou- vé, en 1835, des déserlions d’essaims, des pertes, des tourmens et des embarras de nourriture qui les découragent et laissent une impression désavanta- geuse sur cette innovation.

À la vérité, l’anteur de l’article, possesseur lui- même de nombreuses abeilles , dit que ses mouches, par suite également des grandes chaleurs et de l’ari- dité de l’été en 1835 n’ont pas donuéde meilleurs produits. L’assertion est trop positive pour nous per- mettre d'en douter. Mais ce qu'il y a de certain, c'est qu'à Amiens el dans ses environs , les chaleurs de l'été de 1835 n'ont pas été défavorables aux es- saims. M. Auguste Leprince, notre compatriote ,

106

dont nous parlerous bientôt, nous à même assuré que, pour lui commune pour les autres éducateurs d’abeilles, la récolte de miel en 1835 avait été su- périeure à celle de 1834. Ce fait est prouvé par le prix du miel, qui en 1835 ne s’est élevé dans notre ville qu'à 70 centimes la livre ( 12 kilogramme }, première qualité, tandis qu'en 1834 il est mouté de 90 centimes à { france.

Tout nous porte à penser que l'annonce de la uou- velle ruche de M. Nutt est une véritable spéculation. Si vous en doutez, Messieurs , nous vous citerons ut fait qui nous paraît de nature à vous convaincre: Les rédacteurs de journaux précités ont annon- à plusieurs reprises qu'ils recevraient avec plai- sir les observations qui leur seraient adressées. ét qu'ils y répondraient avec. exactitude ; eh bien, notre concitoyen, M. Auguste Leprince, leur en à adressé de fort étendues, de très-explicites , il leur a signalé à peu près les divers inconvéniens dont nous venons d’avoir l'honneur de vous rendre * compte ; il a affranchi sa lettre ; il a fait plus, ila fait déposer la copie de ses observations au bureau du journal des connaissances usuelles et pratiques , et malgré ces précautions, les rédacteurs de cette feuille ont gardé à son égard le silence le plus abso- lu.

Faut-il conclure de tout ceci que l’on doit rester dans la routine exclusive de nos ancieunes ruches ,

107

el ne pas s'occuper de leur amélioration ? telle n’est pas notre pensée. Cette industrie, autant que les autres, demande qu'on ne lu laisse point en arrière ; mais l’on ne doit s'arrêter aux innovations que quand les avantages en sont démontrés. Ceux de la nouvelle ruche de M. Nutt ne sont rien moins que certains.

Pour l'éducation des abeilles, nous ne pouvons mieux faire, que de renvoyer à la ruche inventée il ya dix aus par notre honorable concitoyen , M. Auguste Leprince. Cette ruche, sans aucun des in- convéniens de celle de M. Nutt, présente des avarn- tages réels ; elle ne coûte que 1 franc 50 cen- times, et le produit annuel est de 20 à 30 livres de miel , sans nuire aux essaims et sans les détruire.

Depuis vingt-cinq ans, M. Auguste Leprince a des abeilles. Pendant tout ce laps de temps, il n’a cessé de faire des expériences Il a lu tous les au- teurs qui ont écrit sur cette branche d'industrie. Il a eu des ruches de toutes les formes ; il peut pré- senter les dessins de 25 au moins, et signaler les défauts et les avantages de chacune.

Voici, selon notre compatriote, ce que l’on doit avoir en vue dans toute construction de ruches à miel , et généralement dans l'éducation des abeilles :

1.9 La sûreté de ces peuplades laborieuses contre

leurs ennemis et contre l'intempérie des

Saisons ;

108

2.0 Le rafraîchissement de l’intérieur de la ruche;

3.° Le dépouillement facile de la ruche ou la ré-

colte du miel ;

4.° La facilité de leur donner de la nourriture ;

5.° L’agrément de les voir travailler sans risque ;

6.° La possibilité d'empêcher le départ desessaims; 7.° Les moyens de faire des essaims artificiels, et de réunir de faibles essaims ;

8.° Ceux de tirer une petite ou une grande por-

tion de miel ;

9,° Le renouvellement de la cire, en Ôtant seu- | lement la vieille :

10.0 La confection de boîtes garnies de cire pour

recevoir des essaims ; 11.° Enfin le moyen de ea une ruche peu coù- teuse.

Pour obtenir une ruche qui réunisse tous ces avantages , M. Leprince a pris ce qu'il a reconnu de bon dans toutes les inventions de ce genre qui ont paru jusqu’à ce jour.

Sa ruche se compose de deux demi-boîtes, cons- truiles chacune suivant le dessin n ° 1, à la fin du volume.

Toutes les demi-boîtes étant pareilles, on peut s'en servir à droite, à gauche, par devant, par derrière , par-dessus , par-dessous.

Il y à trois trous l'on met des bouchons , quand ils sont à l'extérieur ; et ils servent de pas-

109

sage aux abeilles, quand ils sont à l’intérieur. Une moilié de bouche, qui sert de passage aux abeilles , doitavoir trois pouces de long à chaque demi-ruche, et trois lignes de haut. Six à sept lattes forment la division ntérieure, et empêchent les abeilles d'unir leur travail de droite à gauche, et facilitent la sépa- ralion.

MANIÈRE D'OPÉRER.

On recoit un essaim dans une ruche composée de de deux demi-boiîtes, voir le dessin n.° 2,

L'année suivante au printemps, on soulève la ruche et l’on met deux boîtes semblables à la figure n.° 7, l'on détache les ficelles ou fils de fer qni unissent les deux demi-boîtes ensemble. On les sépare , et l’on met à côté de la demi-boite qui reste en place sur l'apied (1), une demi-boîte vide.* Sur cette demi-boîte vide, on met la demi- boîte pleine, et, à côté, on met encore une demi- boîte vide ; ce qui donne la forme du dessin n.° 3.

De cette manière , on peut retirer du miel très- blanc , en Ôtant, en juillet, une des demi-boîtes qu'on a mises vides, et qu'on peut ne pas rem- placer ; ou , sion la remplace, on la retire au prin-

(1) Terme employé par les éducateurs d’abeilles pour désigner le bâti sur lequelils posent leurs ruches,

110

temps afin d’avoir des gâteaux neufs pour recevoir un essaim.

La forme des ruches de M. Leprince procure l'a- vantage de toute sorte de dispositions , telles que celles des dessins n.° 4 à 9.

Le trou qui est sur les demi boîtes , a un pouce de diamètre, et il faut une planche pour couvrir la demi-boîte qui est isolée, comme aux dessins n.°* 4 et 6.

Pour couverture, on attache deux planches l'une contre l’autre , et on a un toit. ( Figure n.° 10.)

On voit par ce qui précède que toutes les opéra- tions nécessaires à l'éducation des abeilles sont ren- dues faciles et sans danger. Il est donc inutile, pour retirer un produit, de porter au milieu de ces inno- centes peuplades le fer et Je feu, la destruction et la mort. Tel a été le but des recherches de M. Le-

prince, et il croit avoir réussi. F

RAPPORT

SUR L'ETAT ACTUEL DE LA CULTURE

DU MURIER BLANC

ET SUR L'ÉDUCATION

DES VERS A SOIE

DANS LE DÉPARTEMENT DE LA SOMME, PAR M. RIQUIER.

SÉANCE DU 9 JUILLET 1856.

MEssIEuRrs ,

L’acceuiz favorable que vous avez bien voulu ac- corder à notre projet d'introduire , dans le dépar- tement de la Somme, la culture du mürier blanc et l'éducation des vers à soie, nous impose le de- voir de vous rendre de nouveau compte de l’état actuel des résultats de nos essais.

Dans notre rapport de l’année dernière , nous vous, avons. donné le détail des plantations que nous avons failes , et indiqué les divers terrains . elles ont été exécutées. Nous vons avons égale-

112

ment fait connaître, Messieurs , les divers essais d'éducation de vers à soie de plusieurs de nos con- citoyens.

état partout prospère de nos différentes espèces de mäûriers blancs et les échantillons de soie pro- venant de ces essais d'éducation , ont convaincre l'Académie , et, après elle, le Conseil général du département de la Somme , auquel notre rapport a élé adressé par vos soins, de la possibilité d’accli- mater cet arbre précieux dans nos contrées et d'y élever des vers à soie.

Toutes les fois que l’occasion s’est présentée d’ap- peler votre attention sur nos diverses plantations de mäûriers , nous vous avons loujours signalé comme prospérant le mieux celle qui existe dans les pépinières de la Hautoye , dont le sol léger et un peu humide paraît favorable aux espèces dites Dandolo et Muliicaule. En effet, dans ce terrain, ces deux espèces ont végété d’une manière éton- nante et y ont fait des pousses de 7 à 8 pieds de hauteur. Mais, en même temps que nous vous si- gnalions , Messieurs, ces pousses extraordinaires , nous ne vous avons pas laissé ignorer (1), que ces deux espèces, mais surtout la dernière qui est en- core plus poreuse , ayant été prises, encore en

() Rapport sur le mémoire de M. le baron d'Hombres relatif au mûrier multicaule des Philippines.

113

pleine végétation, par les gelées de l'hiver de 1833- 1834 , on avait été obligé de les rabattre jusqu'aux pieds. Ces gelées, cependant , n'influèrent en rien sur les racines qui poussèrent, pendant l'été sui- vant, des branches hautes et vigoureuses.

Dans la même plantation de la Hautoye , les gelées de l'hiver dernier (1835) frappèrent égale- ment ces deux espèces ; et cette fois elles n’atta- quèrent pas seulement les branches, mais encore les pieds et occasionnèrent la perte d'au moins trois cents müriers.

Cette perte, Messieurs , nous ne pouvons l’attri- buer qu’au terrain, puisque , ni chez M. Leprince, ni au Blamont, nous n'avons perdu aucun mürier des gelées de ces deux hivers. A la vérité , le mü- rier végète moins vigoureusement au Blamont, les pousses sont moins hautes, moins fortes , mais la sève s’y prolongeant moins long-temps qu’à la Hau- toye , et le bois , par suite , ayant le temps de dur- cir, ces mêmes espèces ne sont pas aussi susceptibles d’être atteintes par la gelée; ce qui, certes, est un bien grand avantage. Aussi nous félicitons-nous de plus en plus de ce terrain, et profitons nous avec empressement de cette occasion pour réitérer à l'Ad- ministration municipale d'Amiens toute notre gra- titude de ce qu’elle a bien voulu le mettre à notre disposition.

8.

114

Use partie des mûriers plantés dans les pépi- nières de la Hautoye devant être ôtée par suite nouvelles dispositions arrêtées par le Conseil muni- cipal, nous avons profité, pour augmenter , notre plantation du Blamont , de la permission , que nous a accordée M. Pointin, de prendre dans un champ qui lui appartient près cet endroit, toute la terre végétale dont nous aurions besoin. En conséquence, et dès avant l'hiver , nous nous sommes occupés de faire pratiquer les trous nécessaires. Au printemps, avec l'aide de deux ateliers de charité que M. le Maire (1) a bien voulu mettre à notre disposition , nous avons fait remplir tous les trous de bonne terre végétale et nous avons planté 280 nouveaux pieds de diverses espèces de müriers. Nous avons apporté à cette plantation la surveillance la plus active, les soins les plus assidus , et, pour en assurer pleine- ment le succès , nous avons mis, à chaque nouveau pied du fumier de vache bien consommé. Nous én avons mis également aux anciens pieds en les faisant détourer soigneusement, et nous y avons ajouté un peu de nouvelle et bonne terre des champs.

Enfin, les müriers plantés au Blamont, le long

(4) Nous sommes heureux de pouvoir témoigner à M. Lemerchier, Maire de la ville d'Amiens , notre honorable et digne collègue, notre vive reconnaissance -de sa biënveillance pour nous et de son zèle ardent pour tout ce qui peut contribuer à l’industrie départementale et Amié- noise.

1i5

du rideau'vers l’ouest, se trouvant dans un sol ar- glleux, et, par cette raison, végétani peu et ne poussant pas convenablement, nous les avons fait arracher et remplacer , après avoir pratiqué en cet endroït une tranchée de 2 mètres 17 centimètres de krgeur sur 1 mètre 50 centimètres de profondeur que nous avons également fait remplir de terre vé- gétale.

Au moyen de cette amélioration, tant par une bonne terre, que par treize grandes voitures à trois chevaux d’excellent fumier de vache, notre plan-

tation du Blamont est aujourd'hui parfaite et pré- | sente la p'us belle végétation. Aïnsi augmentée, nous ne doutons pas que, dans deux ans, c’est-à-dire au commencement du printemps 1839, cette plan- tation ne suflise à elle seule pour faire une éducation de 160 à 200 mille vers à soie, de sorte qu’en établissant une magnanerie avec le système de ven- tilation de M. Darcet, on pourra, à l'aide de cette seule plantation obtenir 260 à 325 kil. de cocons, soit 26 à 33 kil. de soie.

Le mauvais temps qui s'est excessivement pro- longé cette année, ne nous à pas permis de remplir les intentions du Conseil général, en employant, suivant ses désirs , les 200 fr, votés par lui en achat de nouveaux plants de müûriers.

N'étant pas en mesure auparavant, nous n'avons pu faire nos demandes à ce sujet qu'au commence-

8.*

116 :

ment du mois de février dernier. M. Soulange- Bodin , directeur du jardin de Fromont à Ris, et M. Philippar , professeur de botanique et d’horticul- ture à Versailles , et membre correspondant. de l'Académie , à qui nous nous sommes successive- ment adressés , nous ont répondu que les müriers ayant été recherchés cette année , ils étaient au regret de ne pouvoir remplir notre attente.

Dès-lors nous avons concentrer tous nos soins sur notre plantation du Blamont et y opérer les améliorations dont nous venons de vous entretenir. Nous espérons , Messieurs , que vous approuverez, et que le Conseil général approuvera lui-même la destination que nous avons donnée aux 200 fr. qu'il a bien voulu voter dans sa dernière session : l’em- ploi que nous en avons fait a été pour le bien de la chose même ; et d’ailleurs le but que le Conseil général s’est proposé par cette subvention, a égale- ment été atteint , les pépinières , que nous avions en réserve , ayant suffi aux demandes qui nous ont été faites.

Nos plantations, sur les talus des boulevards depuis la fontaine des Frères jusqu’à la porte de Beauvais, et depuis le bastion de Longueville jusqu’à la porte de Paris, sont également en très-bon état de prospérité. Les sarclures et ratissures que nous avons fait faire aux pieds, et, surtout l’agrandisse- ment des jattes autour pour y conserver l'eau, leur

t

117

ont fait le plus grand bien, et ont activé leur végé- tation.

L'exposition du bastion de Longueville à la porte _de Paris étant extrêmement favorable aux müriers qui, dans cet endroit, peuvent donner des feuilles trois semaines à un mois au moins avant les autres, et, conséquemment, avancer d'autant les éduca- tions, M. le Maire, à notre demande, nous a per- mis d'augmenter sur ce côteau la plantation de cet arbre précieux ; nous aurions besoin pour cela d’en- virons 140 à 150 pieüs.

Pour mettre de l’uniformité dans cette planta- tion , et obtenir plus de succès , les espèces, selon nous, les plus favorables et les plus propres au site seraient , ainsi que celles qui y sont déjà, les es- pèces dites Dandolo et multicaule. Malheureusement nous n’en avons plus ou presque plus de disponi- bles ; la perte que nous avons faite cette année à la Hautoye , nous ayant non-seulement privés de ces deux espèces, mais encore réduits à l'impossible d'en faire des boutures.

Cette perte, Messieurs , est d’autant plus grande, que , d’après ce que nous a mandé M. Philippar, ces espèces que nous avons payées , il y a deux ans, cent francs , valent aujourd’hui cent soixante francs, par suite des demandes considérables qui en ont été faites l'année dernière.

Quant aux 200 francs votés également par le

118

Conseil général, dans sa dernière session, et desti- nés à être distribués à titre de primes aux personnes qui auront fait , sur leurs terrains, les plantations les plus nombreuses et les plus appropriées à l'édu- cation des vers à soie, il ne paraît pas qu'ils puis- sent recevoir cette destination. Nous ne connais- sons en ce genre aucune plantation particulière, et, cependant, cette allocation, comme celle pour achat de nouveaux plants de mûriers, a été, par nos soins , annoncée dans les journaux du département. Plusieurs personnes paraissaient disposées à faire des essais en grand, mais , soit que la rareté , ou même le manque de müriers dans les pépinières, soit que le haut prix auquel ils se trouvent portés, ayent paralysé leur zèle , toujours est-il que, cette année, aucune de ces personnes ne s’est déterminée à planter. Parmi elles, il en est encore plusieurs qui n’ont pas abandonné ce projet, et nous sommes bien certains qu’elles le réaliseraient, si elles avaient l'espoir d'être dédommagées, par des primes un peu importantes, d’une partie de leurs déboursés.

Ce même espoir et l'exemple détermineront sans doute d’autres personnes à s'occuper également en grand de la culture du müûrier blanc, ne serait-ce même que par spéculation et pour en vendre la feuille aux éducateurs ; car il est certain qu'il n’y a pas de culture qui puisse offrir le même avantage. Ainsi, ne perddns pas courage , Messieurs, et per-

119

sévérons dans notre louable et utile entreprise: Tout.se fait lentement en France, et surtout dans le département de la Somme, mais on avance, et c'est beaucoup. Perséverons donc, et soyons bien convaincus que nos efforts seront tôt ou tard cou- ronnés d’un plein succès. L'intérêt est l'âme des actions , et l’on finira par reconnaître que , par suite des besoins extraordinaires de la soie pour nos fabriques, il n’est pas de gain plus grand et plus assuré que celui que devront produire an dé- partement et surtout à la ville d'Amiens, les deux branches d’industrié agricole et manufacturière qui attirent votre sollicitude.

Après ces détails sur nos plantations de müriers, il nous reste à vous parler de ce qui regarde l'é- ducation des vers à soie.

Ainsi que nous avons eu l'honneur de vous le dire l'année dernière , plusieurs personnes, à Amiens , se'sont occupés d'élever des vers à soie , entr'autres, M. Leprince et M. Rumilly , fabricant et retordeur , qui ont réuni leurs produits. M. Rumilly s’est chargé de dévider les cocons , et le résultat en soie qu’il a obtenu de son éducation et de celle de M. Leprince a été de treize onces et quelque chose. Avec ces treize onces de soie , et après les diverses manuten- tions convenables , M Rumilly a fait une chaîne qui a tiré 25 à 26 aunes. Ces 25 à 26 aunes ont suffi à ce fabricant , dont on ne saurait trop louer le talent

#

120

et le zèle, pour fabriquer six coupons d’étoffes va- riées qu'il a fait teindre en différentes couleurs.

Un de ces coupons qui est tout en soie et les cinq autres qui sont en soie et laine et désignés sous le nom de Casilda, font partie de l'exposition dépar- tementale. Ils ont été provisoirement déposés à la Halle au blé, dans la galerie à droite en entrant, et, aujourd’hui, ils sont avec toutes les marchandises teintes dans la grande salle de l’'Hôtel-de-Ville.

* Les cinq coupons laine et soie, qui sont très- bien , tant pour la fabrication que pour la teinture, laissent encore quelque chose à désirer sous le rap-

port de l'apprêt.

Quant au coupon toute soie (et le fabricant en est lui-même convenu avec nous ), comme il n’est pas assez en compte , il se trouve trop léger et trop mince ; de plus, la couleur et les apprêts de ce cou- pon , sont tout à fait manqués. Mais ceci tient ex- clusivement à l’inexpérience.

Au reste , cette échec loin de décourager M. Ru- milly, n’a fait, au contraire, qu'augmenter son zèle , et nous avons le plaisir de vous annoncer, Messieurs , que ce concitoyen s'occupe dans ce mo- ment d'une éducation beaucoup plus nombreuse que celle de l’année derniére. Ainsi, nous espérons, l'an prochain, vous annoncer des produits plus im- portans et plusparfaits, tant sur le rapport de la

121

fabrication et des qualités, que sous celui des cou- leurs et des apprêts.

Quoiqu'il en soit , Messieurs , les produits a M. Rumilly sufliront pour vous convaincre de nouveau de la possibilité d'élever des vers à soie dans notre département, et, avec de la persévérence , de le doter de cette nouvelle branche d'industrie, surtout lorsque, comme chez M. Camille Beauvais, aux bergeries de Sennart , près Villeneuve-St.-Georges , comme chez M. Henri Bourdon, à Ris, et comme chez d'autres éducateurs du centre de la France, nous aurons des magpaneries , et que dans ces ma- guaneries nous aurons introduit le système de ven- tilation simple et peu coûteux de M. Darcet.

Cette nouvelle branche d'industrie procurera au département et particulièrement à notre ville non- seulernent la facilité de faire des articles nouveanx, mais encore, au moyen des métiers à la Jacquart , dont l'instruction va être donnée à Amiens , de di- versifier ses produits, d’angmenter ses débouchés , et, par suite, ses affaires et ses bénéfices.

Elle aura de plus l'avantage, en élevant le prix de la main-d'œuvre , d'augmenter le bien-être de la classe ouvrière, la plus nombreuse de la société , celle qui, sous ce rapport seul, mériterait toute l'attention , toute la sollicitude de la haute admini- stration.

En résumé , l’état extrêmement prospère de nos

122

plantations de müriers, au faubourg de Noyon , chez M. Leprince ; à Saleux , chez M. Delaporte ; à St.-Roch , chez M. Hullot ; surtout au Blamont et sur les coteaux des boulevards, et l'exposition de M. Rumilly, de divers coupons d'étoffes faites avec les produits de son éducation et de celle de M. Leprince , nous donnent plus que jamais la certi- tude qu'avec les soins convenables , le mürier blanc et l'éducation des vers à soie réussiront parfaite- ment dans le département de la Somme , et qu'on ne saurait trop encourager et protéger ces deux nouvelles branches d'industrie agricoles et manu- facturières.

En conséquence, nous vous proposons , Messieurs de prier M. le Préfet, de vouloir bien, à la pre- mière session du Conseil général , appuyer , auprès de ce Conseil notre demande : 1.° d’une subvention de 400 francs , ( au lieu de 200 fr. ) afin de pou- voir reparer les pertes faites celte année aux plan- tations de la Hautoye, augmenter la plantation exis- tante depuis le bastion de Longueville jusqu’à la porte de Paris , maintenir nos autres plautations au complet , et faire l’acquisition de nouveaux plants de mûriers , tant pour rétablir notre pépinière au Blamont , que pour continuer d'en distribuer aux personnes qui en demanderont ; et 2.° d'une nou- velle allocation de 200 francs , qui, joints aux 200 fr. votés l'année dernière et dont on n’a pas disposé,

123

formeront la somme de quatre cents francs pour être distribués à titre de prime aux personnes qui auront fait sur leurs terrains les plantations les plus nombreuses et les plus appropriées à l'éducation des vers à soie , et cela en considération des avan- ces considérables que le haut prix actuel des mü- riers rend nécessaires pour des plantations en

grand.

NOTE DU SECRÉTAIRE.

Dans sa session du mois d’août dernier , (séance du 98}, le Conseil général du département, à l'unanimité, a al- loué les huit cents francs demandés.

Par suite de ce vote , M. Riquier a présenté à l'Acadé- mie un programme de concours entre les planteurs. L'Aca- démie l’a adopté et a décidé qu’une somme de quatre cents francs serait distribuée ; en conséquence , trois mé- dailles d’or , la première de 200 fr. ; la seconde de 120 fr. ; et la troisième de 80 francs, seront décernées par elle dans sa séance publique de 1838 aux personnes qni auront rem- pli les conditions du programme.

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PROISIÈME CHASSE

Eloquence . Poésie et Beaux-Arts.

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AMIENS

EN 15855 ;

SES EMBELLISSEMENS ; SES ÉTABLISSEMENS NOUVEAUX ; SES PROGRÈS DANS L'INDUSTRIE, LE COMMERCE ET LES ARTS,

PAR M. S.: A. BERVILLE.

2520 6S55r——

Le sujet proposé en 1835 par l’Académie n’était pas , comme quel- ques personnes ont paru le penser, les embellissemens d'Amiens pendant le tours de cette seule année. Par son programme , que nous transcrivons littéralement , cette Société demandait un tableau d'Amiens , tel que l'avaient fait , en 1835 , époque du concours , les progrès de tout genre accomplis durant les dernières années qui l'avaient précédé. C’est à cette pensée que nous avons essayé de répondre dans la pièce qu'on va lire.

Cette pièce n’a pas été et n’a pas être présentée au concours: L'auteur ne s'était proposé que d'offrir un hommage à sa ville natale et un tribut à l’Académie.

Sur la rive lointaine exilé dès l'enfance, J'arrive ; j'ai revu le lieu de ma naissance ; Amiens , je te salue , et mon œil attendri S'enivre avec amour de ton aspect chéri.

Des larmes de bonheur ont mouillé ma paupière : Tel pleure un fils pieux que Dieu rend à sa mère.

128

J'ai retrouvé ces murs pleins de mes souvenirs ; Ce Cours, théâtre heureux de mes premiers plaisirs ; Ce temple harmonieux dont une main savante Elança dans les airs la structure imposante,

Et qui, simple et sublime , apparaît à nos yeux Comme un premier degré sur le chemin des cieux ; Ce fleuve aux treize bras, pour les arts qu'il féconde Epancbant à flots d’or les torrens de son onde ;

Et ces nombreux vergers qu'il baigne en ses retours, Jardin sorti des eaux , ville aux mille détours ,

du Batave actif important la culture ,

L'homme a fondé le sol et créé la nature.

Mais que toutest changé! combien d’heureuxeffortis De ta fertile enceinte ont accru les trésors ! Moi-même , si rempli des lieux qui m'ont vu naître, À peine quelquefois puis-je les reconnaître. Partout de frais décors , des monumens nouveaux , Partout le mouvement, la vie et les travaux. D’élégans boulevards , vivante architecture , Pressent tes vastes flancs de leur jeune ceinture : Leur ombre, faible encore, grandit , et quelque jour Couvrira de son voile et l'étude et l'amour.

Autour d'eux, prolongeant la cité maternelle, Croit et s'élève encore une cité nouvelle ; Orgueil de la forêt , tel un chêne sacré

De rejetons naissans se déploie entouré.

Pour conduire en ton sein le cristal des fontaines , L'aquéduc arrondit ses voûtes souterraines.

«

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Des marais que la Selle inondait en son cours, Vingt digues aujourd’hui protègent les contours, Et leur douce verdure , encadrant tes prairies , Du promeneur pensif nourrit les rêveries. Des taureaux égorgés les membres palpitans Souillaient , naguère encor , tes carrefours sanglans : Ges spectacles d'horreur , ces scènes de carnage, Pour le peuple et l'enfance affreux apprentissage, Relégués désormais hors de nos boulevards, Ne révolteront plus nos cœurs et nos regards.

Mais de hauts peupliers une plaintive allée M'a conduit , solitaire, au fond de ta vallée. s'élève un lieu saint , par la mort habité ; s'arrête le temps devant l'éternité. Des pieux souvenirs c'est le touchant asile. Mon âme en contemplant ce champ morne éntrenquihé Se pénètre à longs traits d'un deuil religieux, Et du sein des tombeaux s'élève vers les cieux.

L’Hautoye , au portsuperbe, au front chargé d’ ombrage, Si noble quand les vents luttaient dans son feuillage, Vieillissait , et déjà ses ormes sillonnés Curbatèse. vaincus des ans, leurssommetscouronnés: Voyez la reverdir, et, fraîche adolescente , Sourire en étalant sa beauté renaissante.

Dans vingt quartiers nouveaux , mon œil, de tout côté, De quelque œuvre récente admire la beauté. Ta noble basilique , honneur de nos vieux âges, Du temps qui l’iusulta répare les outrages,

9.

130

Et riche de passé ; riche encor d'avenir , Rend gloire à l'art puissant: qui la sut rajeunir. Thémis , pour se montrer au peuple qui l'appelle, À trouvé dans tes murs nn temple digne d'elle. Le savoir. a le sien : sous un toît studieux S'ouvre de ses trésors le dépôt précieux , : A l'ombre d’un portique , bientôt nos hommages De tes plus n. bles fils salueront lés images. Des débris offusquaient nos regards afiligés ; En quinconces rians l'œil les revoit changés. Thalie, enjolivant sa demeure folâtre , De plus vivés couleurs a paré son théâtre. Ton fleuve , époux grondeur , dont les rapides eaux , Jalouses , loin de toi repoussaient les vaisseaux , En canal aplani, sur sa nappe immobile Livre au navigateur une route facile. Grâce au ressort puissant par Fulton inventé , La nef glisse, fond l'onde avec agilité, Et, traçant après elle un sillon de fumée, Bat le flot qui frémit sous son aîle enflammée. Déjà, pour recueillir son fardeau précieux, Ton port s'est élargi ; sur ses quais spacieux Il reçoit ces présens qu’à ta riche industrie L'Océan tributaire incessamment charrie , Qui, versés dans ton sein, iront de toutes parts Nourrir , en circulant, le commerce etles arts. Le commerce et 1, arts | ,.ces mots sont tôn histoire Amiens ; en les traçant j'ai raconté ta gloire,

*

131

surtout a brillé ton génie inventeur,

surtout tes progrés , surtout ta splendeur. Voilà le vrai laurier dont tu dois être fière : L'utile est des cités la parure première. Voyez-vous , sur les bords de ces nombreux canaux, D'un peuple industrieux fermenter les travaux ? Dans ces mille ateliers d’où jaillit l'abondance, Temples qu’à la fortune élève l’espérance , Voyez-vous, dès l'aurore, accourir empressés Ces essaums d'ouvriers , réunis , dispersés,

Qui viennent en chantant, diligentes abeilles, De l’art qui les nourrit préparer les merveilles ? : L'un vient filer la laine ou le coton léger ;

, Ailleurs , le tissu même emprunte à la teinture

En tissu précieux l'autre va les changer ;

De ses feintes couleurs l'agréable imposture ;

Le lustre des apprêts les relève à nos yeux ;

La presse les varie en dessins gracieux.

Un magique pouvoir, au sein de nos usines ,

Agite ces métiers, auime ces machines

Qui, de cent bras unis remplacant le concours,

Des travaux languissans précipitent le cours.

Plus loin , j'entends rugir , esclave turbulente ,

La vapeur qui frémit dans sa prison brülante ,

S’enfle , et contre le poids qui foule son ressort,

De sa fureur contrainte accumule l'effort :

Pareille à la pensée , indépendante , active ,

Qui repousse en grondant la main qui la captive : 9.*

132

Tel le géant qu'on voit, sous l'Ethna renferme, Ébranler le volcan dont il est opprimé.

Dansles murs, hors des murs , tout marche , tout prospère L'humble toit , que jadis attristait la misére, D'une aisance modeste a connu les bienfaits ;

Le travail y conduit l'abondance et la paix.

pleurait la misère, dormait la paresse, S’éveille l'industrie et sourit la richesse.

Bientôt un jour brillant va luire à nos regards : Nos monumens , changés en élégans bazars ,

Fiers du nouvel emploi de leurs voûtes oisives, Ont reçu de nos arts les riantes archives.

Ils souvent... accourez, enfans de la cité ! Compagne de la paix et de la liberté, L'industrie, étalant ses dernières conquêtes,

Le sceptre d'or en main , vous convie à ses fêtes. Tous de la noble reine ont entendu l'appel ;

Tous ont voulu parer ce concours solennel

par ses propres fils notre Amiens couronnée De leurs titres d'honneür triomphe environnée. J'admire tour-à-lour, devant moi déployés,

De l’utile atelier les produits variés ,

Les œuvres du pinceau , les fruits de la culture , Qui seconde, corrige et soumet la nature.

Là, des fils délicats , des tissus onduleux

Nos métiers ont fourni le luxe fructueux ;

Là, pendent aux lambris , entre les vieux modèles, De leurs rivaux futurs les épreuves nouvelles ;

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Ici, vivans décors , fleurissent sous nos pas

Cent végétaux surpris d'embellir nos climats, Tributs de Orient , présens du nouveau monde, Qu'’accueille notre sol , que notre main féconde, Et qui, de nos jardins ornemens séducteurs,

- Ainsi que leurs parfums confondent leurs couleurs. Honneur à l’industrie, honneur à ses miracles! Mais, ainsi que les yeux, le cœur a ses spectacles :

Ce tableau d'opulence et de prospérité,

Viens en doubler l'attrait, touchante humanité. Monument dont j'ai vu l'ébauche encore grossière , Salut , asyle saint, retraite hospitalière,

la vieillesse en paix coule ses derniers jours, l'enfance au berceau trouve un premier secours ! C’est toi qui, respectant l'ombre qui l'environne, Recueilles l'orphelin que sa mère abandonne ,

Sa mère , dont l'amour égara la pudeur ,

Et qui vient par un crime effacer une erreur.

Mais la charité veille ; elle attend en silence

Le dépôt qu'à ses soins promit la providence,

Et ce berceau , commis à son zèle pieux,

Est pour elle un trésor envoyé par les cieux.

Non loin , sous d'humbles murs, qu'elle seule décore, Auprès de la douleur je la retrouve encore Répandant ses secours sur ces infortunés

Qu’à souffrir sans espoir le ciel a condamnés. Ailleurs , l'instruction, en bons fruits si fertile,

Au pauvre, par ses mains , s'offre aimable et facile.

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Ici, pour ses vieux jours ménageant un appui,

Tutrice prévoyante, elle épargne pour lui.

Des asyles nouveaux , qui s'ouvrent pour l'enfance,

Vont des soins paternels soulager l'indigence.

Mais pourquoi ces concerts, ces chants harmonieux ?..

C'est de la charité l'appel ingénieux.

Au profit du malheur sa généreuse adresse

Emprunte des beaux-arts l’amorce enchanteresse :

Le talent , la beauté secondent ses projets,

Et os plaisirs aussi deviennent des bienfaits. Tandis que, rassemblant des images si chères,

Amiens , je souriais à tes destins prospères,

D'un prochain avenir le tableau glorieux

Ainsi qu'en un miroir se peignit à mes yeux.

À ces PR progrès dir Hs ARE à

Des progrès plus récens venaient s’unir encore :

Chaque jour, chaque instant, prompt à les accomplir,

Semblait revendiquer l'honneur de t'embellir.

Dans tes murs assainis vingt fontaines limpides

Promenaient la fraîcheur de leurs perles humides.

, des grands citoyens parmi nous vénérés,

Les traits par le ciseau revivaient consacrés.

Des temples s'élevaient ; d’une aimable verdure

Nos routes , nos jardins revêtaient la parure.

Sur le fleuve étendus des ponts majestueux

Dominaient, rois des eaux , son cours tumultueux ,

Et de son vain courroux maîtrisant les orages,

De liens fraternels joignaient ses deux rivages.

135

Lancés par la vapeur, mille chars sans coursiers , Dans leurs sillons de fer agiles prisonniers , Glissaient comme les vents, et d'Amiens à Lutèce Effaçaient la distance à force de vitesse.

Ce n’était point un songe , un prestige imposteur ; Non, non, tu m'as dit vrai, pressentiment flatteur. El ! quelle autre cité , sur le sol de la France, D'un avenir plus beau dut nourrir l'espérance ? Cultivant à la fois l’industrie et les arts,

Un peuple ingénieux se presse en tes remparts ;

De nobles souvenirs leur hisloire est empreinte ; Une onde bienfaitrice en traverse l’enceinte,

Court à la mer , et joint, par un heureux accord, A l'Océan voisin ton rivage et ton port.

Ton sîle, qui te pose entre trois capitales ,

Appelle dans ton sein leurs richesses rivales ; Quelque jour , grâce à lui, de trois états puissans , Les produits couvriront tes marchés florissans. Eh bien! poursuis , Amiens, tes belles destinées : Que tes prospérités , l’une à l’autre enchaînées, Du ciel qui te protège attestent la faveur, Comblent ton avenir de gloire et de bonheur !

Et moi , puissé-je , au sein de ma cité chérie, Marcher de jour en jour plus fier de ma patrie P

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RAPPORT

SUR LA

MUSIQUE DE LESUEUR ,

PAR M. MAROTTE.

SÉANCE DU 25 MARS 1837.

Messieurs,

M. Lesueur, ancien Surintendant de la musique -du Roi, a fait don , à l’Académie , dont il est mem- bre, des œuvres musicales qu’il vient de publier ; et son intention est de continuer à vous adresser , successivement , toutes celles qu'il doit publier en- core. Vous avez renvoyé à mon examen les ouvrages que:vous avez reçus de lui jusqu’à ce jour , et vous avez désiré que je vous en rendisse compte.

La communication de mon rapport est fort tar- -dive «sans doute; mais j'ai quelques droits à votre indulgence , par la nature même du travail que je me: suis imposé. Privé des moyens d'apprécier, par - l'audition , les partitions que j'avais sous les yeux, j'ai été obligé de suppléer ce mode d'examen, par

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une lecture meutale. Les personnes qui ont fait une étude de l'harmonie savent que l’on pense en mu- sique , comme dans tout autre langage. Elles com- prendront facilement la puissance ‘qu'exercent les fibres cérébrales , dans une pareille opération.

Je suis forcé de l'avouer : il m'est arrivé souvent, dans le cours de ma lecture, de douter de la to- nalité et de la nature de certains accords. Ceci pro- venait, tantôt de la forme sous laquelle le dessin était présenté, tantôt du degré de renversement de l’accord. Quelquefois aussi le doute était à la préoccupation , suite inévitable d’un travail aussi abstrait. Je procédais, alors, par voie d'analyse ; je débarrassais l'harmonie de sa dentelure et de ses ornemens ; je la ramenais à sa plus simple ex- pression ; je m’attachais à saisir la provenanceide l'accord , à en suivre la direetion , et je parvenais ainsi à éclaircir ce qui d’abord m'avait paru in- intelligible.

Cette incertitude n'aurait certainement pas lieu , si tous les intervalles étaient, chaque fois , complè- tement remplis. En effet , la comparaison et le rap- prochement des divers degrés conduiraient facile- ment au rétablissement de l'accord dans sa position naturelle et génératrice ; mais il y aurait trop d’in- convéniens à faire entendre , sans cesse , toutes les notes de l'accord. Ce serait introduire , dans l’har- “monie ( qu'on me passe l'expression }, un empâ-

139

tement perpétuel qui étoufferait la mélodie. Ou se priverait, d'ailleurs, ainsi, des moyens les plus puissans qui agissent sur l'auditeur , ceux qui naissent de la variété et des oppositions.

I m'a fallu lire et analyser plus de onze cents pages de partition , et j'avais peu de temps à donner à cet examen. Toutefois, si le travail qu’il m'a occa- sionné m'a forcé de différer la rédaction de mon rapport , il a eu, pour moi , l'immense avantage de minitier au faire du compositeur : c’est une notion qui ne peut manquer d’avoir son utilité.

Ces explications m'ont paru nécessaires, pour vous prouver que j'avais à cœur de me conformer à vos intentions , et que si je ne vous ai pas soumis plus tôt le résullat de mon travail, ma bonne vo- lonté a été mise en défaut.

Loin de moi, Messieurs ; l'idée de porter un ju- gement, sur des compositions appréciées depuis long-temps , et mises au rang des chefs-d'œuvre de la musique sacrée. Je ne viens point vous faire une dissertation sur l’art, mais bien la confidence des émotions que j'ai éprouvées.

Je n’employerai pas le langage technique. Je m'attacherai à donner à mon rapport une phy- sionomie telle que ma pensée puisse être facile- ment comprise. En un mot, je parlerai des œuvres de notre vénérable collègue, d'après les règles de sensations les plus vulgaires. Avant de les produire.

*

140

sous vos yeux , qu'ii me soit permis de vous sou- mettre quelques observations préliminaires.

Aujourd'hui, l'instrumentation donne au compo- Siteur des moyens étendus et puissans , pour rendre ses inspirations. Aussi voit-on les partitions dé- ployer les aïîles immenses de leurs accolades ,-et mettre les chefs d'orchestre en émoi. Mais fait-on des richesses harmoniques , léguées à l’époque ac- tuelle, un emploi discret et bien entendu? C'est une question grave que je ne me permettrai pas de résoudre.

Depuis que j'ai vu prodiguer, au théâtre, les trombonnes, les ophycléides, les buccins, les tim- bales et toute la partie bruyante de l'orchestre, pour accompagner un simple duo, dans lequel deux jeunes personnes se font la confidence de sen- timens qui ne sont rien moins que tumultueux , je me trouve réduit à douter du discernement de nos contemporains. On pourrait, selon moi, les com- parer , avec quelque raison, à ces enfans , que leurs pères ont investis d'un riche héritage , et qui, dé- pensant leurs revenus, avec profusion, ne savent pas même se procurer les douceurs ni les commo- dités de la vie.

L'amour du bruit semble s'être emparé de la grande majorité du public. Il n’est pas un seul or- chestre , où, à côté des timbales, ne figure le grand

141

tambour musical armé de ses cymbales obligées. Ce grand tambour a envahi jusqu’au théâtre italien, ce noble sanctuaire qui aurait être un réfuge as- suré, pour ceux qui recherchent la douce et pai- sible jouissance des voluplés musicales. Parlerai-je des concerts quotidiens, de ceux de Muzard , par exemple, l’on vient, tout récemment, d'imaginer une crecelle monstre , dont le roulement ressemble au fracas produit par la chûte d’un édifice, et ré- paud, dans l'assemblée , un paroxysme frénétique?

* N'est-ce pas là, en bonne foi, Messieurs , répu- dier les précieuses conquêtes d’un art qui a tiré le bruit de son cahos , analysé ses effets , opéré le ma- riage des sons , et fait les délices de nos sens, par d'heureuses et savantes combinaisons ? N'est-ce pas là, remonter vers les temps de la barbarie , substi- tuer le désordre au raisonnement musical, et rem- placer, par de sauvages émotions , ces jouissances

délicates, qui seules sont dignes d’un peuple ci- vilisé?

Au milieu de ces écarts d’exagération et de dé- vergondage , il est bien doux de pouvoir faire repo: ser l'esprit , sur des œuvres sages , raisonnées , dans lesquelles les effets sont le résultat d’une véritable inspiration , d’une prudente et _ingénieuse distribu- tion des masses harmoniques.

Telle est l'impression qu’on éprouve , en lisant

142:

les compositions de notre compatriote. Rien de plus simple , de plus suave, mais, en même lemps , rien de plus corréct , de plus sévère , de plus noble que sa prosodie musicale. Tout, dans ses œuvres, suit les lois de la gradation. À mesure que l'idée <e développe, on voit l’orchestration se dilater , aug- meñter de volume et déployer toutes ses richesses. Jamais l'effet n’est manqué , parce que tout est cal- culé et va au bnt.

M. Lesueur , après s'être fail un nom à la scène lyrique , et avoir préludé , -par les belle partitions de la Caverne , d'Ossian et de la mort d'Adam , s’est consacré exclusivement à la musique religieuse. Il a renoncé à la peinture des passions humaines , pour aller puiser ses inspiratious dans les livres sa- crés , dont les paroles ont aussi leur véhémence , mais l’on trouve une. véritable grandeur. Les mouvemeuns de l'âme qui portent l'homme vers la divinité sont rendus, par le compositeur , avec une majesté et une énergie remarquables. Il n'est, nulle part, inférieur à son sujet.

Les oratorios de M. Lesueur , peuvent se classer en deux catégories bien distinctes. Dans la pre- mière , je rangerai les faits historiques empruntés aux saints écritures , et qui, par leurs formes scé- niques , peuvent être considérées comme de vérita- bles drames religieux. Dans la seconde, figureront les simples prières ou motels.

143 I. CATÉGORIE. ACTIONS SCÉNIQUES. Super flumina Baby lonis , illic sedimus et flevimus.

Dans cet oratorio, les Hébreux racontent leur captivité, et se félicitent de leur délivrance.

Le murmure de l'Euphrate est heuresement imi- té, dans lorchestration. Les chants plaintifs des flûtes qu’on entend, pendant ce murmure, ressem- blent à des larmes limpides qui se mêlent aux eaux troubles et limoneuses du fleuve.

La joie qu'éprouve le peuple de sa délivrance est fort bien exprimée. IL y a, dans la peinture de ce sentimeut, un mélange d’exallation et d'inspiration divines.

On remarque un air d'une belle facture mis dans la bouche d’une femme. C’est , selon moi, bien re- sumer les actions de grâces du peuple envers le ‘ciel.

Les visions d'Ezéchiel , qui forment la conclusion de l’oratorio, sont décrites avec une majesté, tout à la fois saisissante et terrible. :

Ruth et Noémi, Ruth et Booz.

Tels sont les titres que donne le compositeur à des aciions distinctes qui font l'objet de deux oratorios séparés. ;

On peut regarder la première de ces act’ons

144

comme un drame et la seconde comme une pasto- rale. Qui ne sait le dévouement si noble et si atten- drissant de Ruth pour Noémi, sa belle-mère ? qui ne connaît l'accueil plein de bonté que cette autre Antigone recut du vénérable Booz, la récompense dont fut payée sa courageuse abnégation d’elle- même ?

Les poètes ont mis à profit ce trait touchant raconté dans la bible ; et, malgré tous leurs talens, ils n’ont pu faire oublier le charme qu’on éprouve à la lecture d’une narration qui tire tout son lus- tre de sa simplicité même.

Le compositeur n’a point prêté l'appui de ses accords à l’une de ces poéliques inspirations qui ne sont que la froide paraphrase d'un texte plein de chaleur et concision ; c’est ce texte lui-même qu'il s’est attaché à colorier , en l’animant par une prosodie musicale et par une harmonie bien ap- propriée. C'est le dialogue primitif, soumis à une accentuation mélodieuse.

Dans les oratorios de Ruth et Noëmi , et de Ruth et Booz , le sentiment se fait jour à l’aide d’une mu- sique gracieuse , suave et expressive. Rien de plus enchanteur. Toute la simplicité antique repose dans cette œuvre.

Debbora.

C'est un oratorio historique à grands chœurs.

Sizara a succombé sous la vengeance du peuple hé--

* .

145

breux dont il était l’oppresseur. Les crimes et la chûte du tyran sont racontés par la prophétesse Deb- bora.

Ilya, dans celle composition , dont la couleur s’harmonise parfaitement avec le texte’ de la bible , une exaltation à la fois religieuse et guerrière. Le récit de Debbora est interrompu par des chœurs, dans lesquels le peuple et les guerriers répondent par des imprécalious contre l'oppresseur terrassé , et par des actions de grâces envers la divinité.

Il est inutile, de dire que la musique prend, tour-à-tour , le caractère des sentimens qui se suc- cèdent. dans cet oralorio.

Rachel.

Ce sujet a élé puisé , entre aulres séurces, dans les prophéties d'Isaïe, le poète par excellence. Rachel pleure sur sa race ; mais elle cest consolée et recoit l'assurance que sa postérité prospérera ; que d'elle naîtra le libérateur du monde.

Ily a, dans l'accent de la douleur de Rachel, quelque chose qui saisit et entraîne. C’est une dou- leur surhumaine qui porte à la méditation. Les dé- véloppemens sont ädmirables, Le finai, surtout , se fait remarquer par la variété et la richesse du des- sin. L'instrumentalion est compliquée et doit pro- duire les plus grands effets. On voit, dans certaine partie de l'accompagnement , les systèmes binaires 10.

- 146

et ternaires employés simultanément ; sans cepen- dant produire de confusion. La conclusion: de ce:fi- nal peint l’ébranlement de l'univers, à la mort du Sauveur. Toute la nature semble-se dissoudre. Au milieu de celte dislocation et de ce fracas:, la prière se fait entendre , calme et pure, et monte au ciel, pour proclamer la délivrance du monde. En cet endroit, le compositeur se surpasse dui- même , et s'élève jusqu'au sublime.

Oratorio de la Passion.

Les lamentations de Jérémie, sujet de cet oratio, sont rendues avec toute l'énergie des paroles , L'or- chestration peint les angoisses et les sarglots. Dans cetle composition , un duo formant fugue se dé- tache de la masse et se confond ensuite avec le chœur qui en suit la marche et en revêt tour à tour le dessin.

Ici la science du compositeur semble avoir pris à tâche de se jouer des difficultés. Rien, toule- fois, ne sent la recherche. Tout est naturelle- ment amené. Cette simplicité apparente est. un mérite de plus.

2.e CATÉGORIE.

PRIÈRES ET MOTETS.

Autre Oralio de la Passion.

Dans celle œuvre, la musique sert d’interprèle

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aux lilanies qui, suivant l'usage , sont précédées du kyrie. C’est une composition d’une belle facture. Quant-au kyrie, c’est une chose de toute mise, que les compositeurs ont reproduite, dans tous les sens, Ici l'on ne remarque point, comme dans les autres ouvrages de M. Lesueur, ces détails scéniques qui en font toute la beauté et tout le charme. -

Tontefois, si l'intérêt n’est poiut excité, dans cette œuvre, à un aussi haut degré que dans les autres, ce n'est pas la faute du compositeur, mais bien le résultat d’un défaut de mouvement dans les paroles qu’il avait à faire valoir. On remarque, néanmoins, dans cet oratio , la touche du grand maître, el surtout la correction qui le distingue si éminemment,

Ÿ Introibo in domum tuam domine.

C'est le titre qne porte le 3.° oratio du carême.

Une marche religieuse sert d'introduction à cette composition. Un Plain-chant antique, dans lequel on remarque les tons et modes naturels de la mu- sique a été adoplé pour thême par le compositeur.

Le morceau entier se distingue par un belle et large facture. Les dessins sont très-variés ; l'or- chestration renferme de savantes combinaisons. Le

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chant se compose de coryphées et de chœurs. On peut regarder cet oratio comme une œuvre clas- sique de contre-point.

_ In virtute tud.

Cette prière dont le chant procède, d’après le système ternaire , renferme des canons , des duos, des trios et des chœurs. Cest une œuvre bien agen- cée ; on n'y remarque rien de saisissant. Sauf la science du maître qui se révèle , à chaque instant , en retrouve dans la mélodie l’uniformité du motet.

Trois te deum.

Ils se distinguent, par un chant large, très-con- venable au sujet, une belle instrumentation, une science harmonique bien développée, des coupures bien entendues. Mais ici, je ferai la même obser- vation que pour le kyrie et les litanies : ce ne sont point des paroles qui peignent une attion scénique. Elles ont une teinte d’uniformité. La musique doit nécessairement s’en ressentir. Cette uniformité n’est : pas sauvée, par le dessin, bien qu'il ait été très- habilement varié, par les solos, les duos et jes trios et par des changemens de mouvement.

CÉRÉMONIES DU COURONNEMENT.

Elles se composent de trois oratorios, dont les deux premiers,sont seuls publiés jusqu'à ce jour.

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1. Oratorio.

L'œuvre commence par une marche religieuse , d'un caractèrenoble. Puis, s'ouvrent successivement toutes les scènes qui préludent à l’auguste solen- nité. J'ai rangé cet oratorio et celui qui en fait la suite , dans la deuxième catégorie, parce que leur destination leur donnent , selon moi, le caractère du motet.

Les chants, les prières, les cris de joie se font entendre. Ils expriment, tour à tour, les divers in- cidens qui précèdent le sacre , l’arrivée successive des personnes de la cour, celle de la première princesse du sang ou de l'épouse du monarque. La musique revêt les couleurs qui conviennent à cha- cun’ de ces incidens. Pendant le final arrive le monarque, Les chants sont alors pleins d'expres- sion et de joie.

2e Oratorio.

Cet'oratorio est divisé en six scènes religieuses.

Dans la première , on appelle les bénédictions du Ciel sur le prince. On y remarque un motif simple et gracieux qui se reproduit en canon et en imita- tion. L'orchestration suit les divérses nuances du chantet prend un dessin plus large , vers la fin, toutes les voix se marient.

Dans la seconde scène , on va chercher les inst- gnes de la souveraineté, pour les placer sur l'autel.

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Des basses-lailles récitantes ‘expriment la joie du peuple. Cette joie va toujours croissant. L’orches- tralion en appuie l'apogée.

Dans la troisième scène, est lu le livre des pro- phéties. Elle se distingue par une progression sem- blable dans les effets. |

La quatrième scène montre au peuple le prince choisi, par la Divinité , pour prendre les rènes de l'état. Ici règne plus de simplicité dans l’orchestra- uon. On remarque un chant alternatif à la manière antique. Les deux chœurs se marient ensuite , et tout l'orchestre s’y joint.

Dans la cinquième scène , on appelle l'appui du Ciel sur le prince. Elle se compose de récitatifs et chœurs alternatifs , et se distingue par un dessin bien approprié et une orchestration en rapport ayec les effets rendus.

La sixième scène exprime les actions de grâces du peuple. Elle renferme une fugue perpétuelle , un canon antique, des chœurs ét récitatifs alternatifs. Le dessin est analogue à celui de la cinquième scène. L'orchestralion offre , cependant , un caractère différent. La conclusion présente un accroissement d'effet , et une imitation des cloches mises à toute volée ; signe caractéristique du triomphe de la reli- gion et de la joie des fidèles.

M. Lesueur vous a fait don aussi d’une messeique je n'ai pas eue sous les yeux , l'Académie l'ayant

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* mise:à la disposition de la maîtrise, pour la faire exécuter.

Ici, Messieurs, se termine la nomenclature des œuvres dont notre collègue nous a fait présent, d’une manière si gracieuse. Je n'ai pu , malgré tous mes efforts , vous donner qu'une idée imparfaite des beautés qu’elles renferment. Ce que je vous en ai dit, est fort au-dessous de la vérité, et les expres- sions n’ont pu suffire pour vous rendre , dans toute leur étendue, les impressions délicieuses qu’elles ont faites sur moi.

C'est peu que M. Lesueur se recommande par une grande habileté dans un art dont il a été chargé de répandre les notions aa Conservatoire de Paris; il révèle ‘encore , À chaque pas , dans ses belles

partitions , les vastes connaissances qu'il possède

L sur les diverses phases que cet art a traversées. D: s’est attaché à le reproduire, dans plusieurs de ses compositions, avec tous les caractères de sa primi- tive simplicité: Tantôt il emprunte aux temps les plus reculés!, à l'antiquité elle-même ; de mysté- rieuses et puissantes mélopées ; tantôt il exploite le moyen âge , et relève, par la richesse du dessin et le prestige de l'harmonie , le plain:chant, trop généralement méconnu et dédaigné. Il prouve, ain- si , que la science et le bon goût savent féconder les choses que le vulgaire laisse passer inaperçues.

En musique , comme en littérature ; il ny a

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d'œuvre vraiment féconde que le précepte se vivifie par les trésors de l’érudition : que les conceptions naissent d’une observation approfondie, du rapprochement et‘de la comparaison des genres. Avec un pareil fonds , on peut se livrer à ses propres inspirations , sans craindre d’être tribu- taire de la mode, de cette divinité capricieuse qui rejette le lendemain ce qu'elle accueillit la veille. On donne, ainsi, naissance, non pas à des -ori- peaux sans consistance, mais à des œuvres graves et nobles qui résistent à l’action du temps. Tel est, à mon avis, le caractère distinctif de la mu- sique de M. Lesueur.

Que ne m'est-il permis ; au lieu d'une froide et sèche analyse, de vous faire entendre ses mé- lodies , tour à tour simples , touchantes et ma- jestueuses, ses divines et ravissantes harmonies ! Mais il m'eût fallu , pour cela , avoir à ma dis- position une légion d'artistes. On conçoit qu'une musique, celle du sacre, par exemple, qui a été exécutée, par 400 chanteurs et 300 instrumen- tistes, a produire un effet imposant et mer- veilleux.

Il serait à désirer que la Société Philharmo- niqne püt faire connaître au public Amiénois , dans un concert spirituel , l’un des oratorios scé- niques de Debbora, de Rachel , de Ruth et Noémi. Mais il n'y faut point penser encore. Cette Société

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est trop jeune d'institution ; et d'ailleurs, tant que les dames n'auront point surmonté les scru- pules de leur modestie , il faut renoncer à ‘orga- niser la musique d'ensemble, sous le rapport du chant. Espérons que , plus tard , cet obstacle disparaîtra ; que la ville d'Amiens pourra ‘enfin rivaliser avec les autres grandes villes du royaume, et ‘se faire remarquer, par la culture d’un art si favorable à l'épanchement des sentimens de l’âme.

Au nombre des œuvres dont vous êtes posses- seurs , il en est une, le deuxième oratio du sacre, qui est spécialement dédiée à l'Académie. C'est là, Messieurs , plus qu'un simple cadeau ; c'est un véritable hommage ; c'est une preuve de l’impor- tance que M. Lesueur , membre de l'Institut de France , attache au titre de voire collègue. Il n'a pas oublié qu'il a reçu à Amiens, l’on possède encore quelques uns de ses essais en com- position , les premières leçons de l’art dans le- quel il est devenu , lui-même , un guide et un modèle. M. Lesueur est originaire de ce dépar- tement. Le sentiment si naturel aux belles âmes, le rapproche, par la pensée, des lieux auxquels se rattachent ses premiers souvenirs. La patrie ne perd jamais ses droits.

Si M. Lesueur s'applaudit d’appartenir à l'Aca- démie , elle ne se félicite pas moins de le voir figu- rer parmi ses membres. Elle doit , surtout, atta-

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cher du prix aux richesses dont il a bien voulu doter ses archives. Je vous propose , Messieurs ; d'engager la société philharmonique à faire usage de tous les moyens en son pouvoir, pour être bientôt à même de faire ‘savourer les accords du grand maître. Je vous propose également de témoigner à M. Lesueur tonte la reconnaissance de l’Académie, pour les témoignages de: souvenir et de bienveil- lance qu'elle a recus de lui, et pour ceux qu'il a le projet de lui douner encore , en lui ‘adressant les nouveaux ouvrages qu'il doit publier.

«

L'INSENSÉ.

PAR M. MAROTTE.

,

Fa SÉANCE DE L'ACADÉMIE DU 9 AVRIL 1836.

MEssreurs.

IL est, dans le monde , une classe de malheu- reux dont l’aspect fait naître, presque toujours, la répugnance : je veux parler de ces hommes, à qui le génie et la raison ont été refusés, de ces êtres destinés à traîner , sur la terre, une exis- tence toute végélalive. On dirait que la nature, si riche, si féconde dans ses productions , ait voulu témoigner, en les formant, qu'il est pourtant des choses son impuissance se manifeste. Comme le grain imparfait que le crible laisse échapper à tra- vers son réseau , l'insensé est rejeté, mis à l'écart ; et, pour lui, les trésors de la morale et de la religion semblent entièrement superflus.

Cependant , Messieurs , pour peu qu’on réflé- chisse, quel touchant intérêt ne doivent point in- spirer ces hommes que l'enfance prend au berceau et qu'elle conduit jusqu’à la tombe , en traversant,

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avec eux, toutes les phases de la vie ! Si l'âme iu- telligente est sujette à faillir, elle a, du moins, la puissance de se relever, elle connait le prix que le ciel réserve à ses actions, bonnes ou mau- vaises ; mais que dire de l’insensé, privé du dis- cernement nécessaire ,. pour distinguer le vrai d'a- vec le faux, le bien d'avec le mal?

Il y a un profond mystère qui effraye l'ima- gination et pénètre le cœur d’attendrissement.

Tels sont , Messieurs , les sentimens que j'ai essayé de rendre, dans les vers dont je vais avoir l'honneur de vous donner lecture.

L'INSENSÉ.

Pauvre âme!.. par le ciel comme au hazard lancée!. ,

Dans l'organe imparfait qui devint ta prison,

tu vis, en esclave, asservie et froissée ,

Tu revêtis l'aspect de ta triste maison.

Le jour, tombant à faux, a fasciné ta vue ;

Tes yeux n'ont contemplé qu’un sol sans horizon.

Ta pensée en travail , d'espace dépourvue,

Décèle la contrainte; elle voudrait envain _Secouer.,, dans l'essor , le joug qui la tourmente.

Sous la main qui pétrit la pâte ne fermente

Que lorsqu'en liberté peut agir son levain.

- Ce levain te manqua ; pour toi, la Providence Faut avare des dons que, sur le genre humain , Elle versa toujours avec tant d’abondance…

Mais, si de la raison et de l'intelligence

Tu n'obtins les trésors , du moins tu ne crains pas

Que l'orgueil ne t’aveugle et n’égare tes pas.

Tu ne possèdes point cette arme dangereuse, Dont l’homme, trop souvent , fit un coupable emploi, Cet esprit qui, prenant la vanité pour loi,

Du sarcasme cruel, blessure douloureuse ,

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Enfonce l’aiguillon jusqu’au sein d’un ami,

Ou qui, n’osant , en face , attaquer la puissance ,

Et d'un triomphe aisé-cherchant la jouissance ,

S'acharne , sans pitié, contre un faible ennemi. La douce bienveillance, ici bas, te protége :

Si, jusques à frapper , le courroux t’'emporta ,

De l'enfance tes coups ayant le privilége ,

On en souffre, et l’on plaint la main qui les porta.

La gêne violente ta vie est étreinte ,

Commande le pardon en causant ta fureur:

De tes sombres accès pour éviter l'atteinte,

On enchaîue ton bras; mais on absout ton cœur.

De crime et d’innocence assemblage bizarre ,

Ta vie est un cahos, sans lumière , sans loi ;

En aveugle , tu suis le sentier qui t’'égare…

Rires , pleurs , bien et mal, tout se confond en toi.

Être mystérieux , dont toute l'existence

Est le vivant tableau de la négation ;

Dont nul ne s’applaudit et dont nul ne s’offense ,

Neutre , dans le repos et dans l'impulsion. |

Enfant capricieux qu'un atôme exaspère ,

Que du moindre flambeau la lumière éblouit,

Qui demeure impassible aux éclats du tonnerre,

Affrontant , du regard , l'éclair qui brûle et luit. Mélange singulier d'audace et de faiblesse ,

semble du Très-Haut échouer la sagesse ;

Transfiguration qui de l'humanité

Met à nu le géant el la fragilité ;

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l’on voit.refléter. la lumière du monde ,

Ses tristesivanités , sa misèré profonde;

s'offrent réunis la douceur et le fiel,

Et la nuit des enfers et la clarté du ciel!:.

Oh! qui pourrait sonder l’abyme et le mystère

Qui de l'âme insensée environne la sphère !.…

Qui pourrait dire va ce flambeau vaillant, Dont l'air fait tournoyer le foyer scintillant ; Vers quels lointains récifs ce navire qui flotte

S'en va faire échouer sa poupe sans pilote ?

Qui peut dire, quand Dieu la lança de son sein, Sur cette âme en émoi quel était son dessein ?

Folie !... 6 mal divin que l'Orient révère,

Comme un type que Dieu prolége sur la terre, Es-tu donc, en effet , cet état précieux

Par l’homme , en passant , doit arriver aux cieux, Cet esprit de simplesse et de mansuétude

Qu'on répute le seuil de la béatitude ?

Sur la terre, qui peut présager ton destin ?...

Qui sait si Lu n’es pas la brume du matin,

Dont la sombre vapeur, lorsque l'aube commence , De la voûte des cieux nous dérobe l’azur ,

Et, par degré, fait place au jour limpide et pur, l'univers paraît dans sa magnificence ?..

Qui sait si tu n'es pas un instrument discord, Dont les cordes , long-temps entre elles désunies , N’attendent qu’une main qui les mette d'accord , Pour exhaler un jour de saintes harmonies ?

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Ah ! sur l’âme insensée en portant le regard, Reconnaissons de Dieu la force et la prudence ….. Adorons les décrets de sa loute puissance... Tout existe par lui, rien ne vient du hazard !..

LA CONSCIENCE,

PAR M. CRETON.

( 1833.)

Le bonheur; c'est la paix de l'âme : L'espoir dont nos cœurs sont épris Et le désir qui les enflamme Tiennent mal ce qu'ils ont promis. L'homme rêve , et suit sa chimère ; Il veut se tromper ; il espère Se sauver de son propre cœur. L'esprit le plus léger s'arrête , Et, dans la nuit d’un jour de fête, Nait l'amertume et la douleur.

La joie est souvent un délire. Tel pour le plaisir semble , Sur sa bouche erre le sourire : C'est peut-être un infortuné. Peut être que , dans la carrière ,

Telautre, triste et solitaire ,

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Moins malheureux s’est avancé. Pensif , il cherche le silence

Et s’abandonné à l'influence

De l’avenir et du passé.

Par l'erreur obsédé sans cesse L'homme prépare ses tourmens ; Il dit : « Jetons une faiblesse « Dans l'immense abîme du temps ! » Malheureux ! la faute commise Pèse sur le cœur et le brise ; Le repentir est sur ses pas. Reste alors la seule espérance ; Car ; le repos de l'innocence Perdu ne retrouve pas.

Ainsi, quand à la foi jurée , L'amant ; infidèle un seul jour , Reviént à la femme adorée Dont il eut le premier amour , Aimé toujours ; ikaime-encore , Mais , un mal secret le dévore Ët s'attache à Jui-désormais : Le pardon a suivi l'offense ; | Mais l’'amante soupire et pense, Et l'oubli ñe viendra jamais.

En noûùs-mêmes sachons descendre ,

\

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En nous cheréhons force et ’secours, Et pourtant gardons-noûs d'attendre Un sort exempt de mauvais jours La Calownie au front livide

D'un fer lichement homicide

Frappe le sein de l'innoceht!"

Est-il üne vértu si püré/

Que’ sur elle passe l’injure

Comme sur leaü glissé le vent ?

Alors les arts} amis fidèles, Verserit l'oubli consolatéur: ; L'esprit plus libre étend les’ aîles Et remonté vers son auteur.

Le pinceau forme un doux ombrage , Dérobe à l'histoire une page,

Ou fait revivre un souvenir ;

Uñé “céleste mélodie

Süspend les'chaînées de la vie

Et s'éxhalé comme tin soupir.

Ilest surtout digne d'envie Le niortel bien aimé des’cieux . Qui sait aux'élaris du génie! Unir'dés mots harmonieux. Le mètre, d’abord indocile,

Bientôt devient souple et facile Et se forme au éréateur ; < 1

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Le vers s’adoucit ou s’anime , Passe du touchant au sublime Et de la joie à la douleur.

Et tandis qu’un monde frivole Sourit en le voyant rêveur , Du prestige qui le console Ne concevant point la douceur , Lui, dans sa langue cadencée, Module et chante sa pensée Pure comme l’azur du ciel : Dans son innocente manie Il veut imiter l'harmonie Des ouvrages de l'éternel.

Tout ce que l'univers embrasse À ses phases et ses retours, Les flambeaux lancés dans l'espace Avec ordre observent leur cours ; La vague au rivage poussée Retourne mollement bercée Vient, s’en va, retourne et s'enfuit, Et de la source qui bouillonne Le frémissement monotone Double le charme de la nuit.

Ainsi, plein de sa rêverie Et par la mesure inspiré

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Le poète embellit sa vie,

Souvent du vulgaire ignoré.

Il vit sans fiel et sans colère ;

C'est douce comme la prière

Que sa plainte s'élève aux cieux ; L'immortalité qu’il envie

Est dans la céleste patrie

Qui s'ouvre au loin devant ses yeux.

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RAPPORT

LU À LA SÉANCE DU 928 JANVIER 1853,

SUR L'OUVRAGE DE M. BUTEUX ,

AYANT POUR TITRE :

PRÉCIS

DES ARTS DU DESSIN , ETC.

PAR M. ANSELIN. SO

MEessœurs ,

L'ux de nos collègues désigné pour être le rap- porteur de l'ouvrage de M. Buteux sur les arts du dessin , de la scupture et de la danse etc. , a bien voulu se reposer sur moi du soin de vous en pré- senter l'analyse rapide. Bien que le premier de ces arts ’ait été pour moi , depuis ma jeunesse l'objet d’une étude favorite , j'ai senti en lisant le livre de M. Buteux, l'immense différence qu'établissait entre ses travaux et la culture de l'art par forme de dé- lassement , les ‘recherches savantes el curieuses auxquelles il s'est livré et la supériorité que lui

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donne le mérite révélé à chaque page, d'une grande érudition et d’un goût exercé.

Je n’ai d'autre prétention ,MM., que de vous don- ner une idée générale de l'excellent livre de M. Bu- teux, de vous présenter, ce qui lui manque peut- être, une table des matières, non dans l’ordre al- phabétique, mais dans l’ordre des sujets trailés.

Le but de l’auteur est de rendre vulgaires , et de propager des notions trop ignorées de ceux-là même qui ont la prétention d'émettre une opinion, ou de disserter , sur cette partie des beaux-arts, dont les élémens les plus simples leur sont incon- nus. Car, dans son histoire du dessin et de l’architec- tecture , M. Buteux ne se borue pas à signaler les progrès ou la décadence de ces arts ; à indiquer les noms des artistes célèbres ; il reproduit avec net- telé et élégance les observations que les œuvres des grands maîtres et la sanction des gens de goût ont érigées en règles invariables.

La sculpture et la peinture ; L'architecture de tous les âges et de tous les peuples; Un mot sur les jardins ; Puis un appendice sur l'origine , les variétés de Fart de la danse; telle est la division adoptée par M. Buteux.

L'auteur prend la sculpture à son origine ; il la suit chez les Egyptiens, les Phéniciens, les Baby- loniens et les Perses , qui l'ont cultivée bien avant qu'elle fût connue en Europe et surtout dans l’'Eu-

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rope septentrionale. Il fait voir même que, dans la Grèce, les progrès de la sculpture ont été fort lents ; il pense que la sculpture a être cultivée avant la peinture. Oui sans doute avant la peinture proprement dite ; mais non avant le dessin au trail, qui a être le premier essai et commencer la re- présentation de la Silhouette, dont la projection naturelle des ombres, a donner l'idée.

Les divers espèces de sculpture d'après la nature des matières employées, M. Buteux les réduit à quatre : 1.° la sculpture Plastique ou en argile cuite ; 2.° la Statuaire ou sculpture en brouze ; 3.° celle le marbre seul est employé ; 4.° la sculpture . Toreutique, l’on fait usage de différentes matières telles que marbre, métaux , minéraux et même substances animales , comme l'ivoire.

La question de savoir si les Etrusques connu- rent la sculpture avant les Grecs n'est pas résolue par M. Buteux ; néanmoins il penche vers l'opi- nion adoptée maintenant, selon lui, par plusieurs archéologues , que les Etrusques ont pu précédér les Grecs. Après avoir parcouru les différentes époques de la sculpture, et les progrès qu'elle fit sous les Grecs ; énuméré les chefs-d'œuvre qu'elle produisit , l’auleur fait connaître les noms des sculpteurs les plus fameux, indique leurs ouvrages et le siècle dans lequel ils ont fleuri. Les plus re- nommés, vous le savez, MM. , sont Lysippe , Praxi-

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teles et Phidias ; nés plus de trois siècles avant J. C: et dont le ciseau devait immortaliser les noms bien au delà du 19e siècle de l'ère chrétienne. Car, il y 2 cela,de consolant pour les arts que sion les trouve poussés au plus haut degré dans l’anti- quité, si même ils sont parvenus à une perfection nou encore atteinte par les modernes , Les noms des anciens, dont les œuvres ont traversé les siècles de barbarie , ont wnaintenant une garantie -d’im- mortalité , daus la civilisation qui régit les contrées leurs chefs-d'œuvre sont répandus. En sorte que quoiqu'il en ait pu coûter à notre amour-propre national, à notre goût inné pour les -heaux-arts, nous devons nous rassurer sur le sort de cette ravis- sante crèalion, la Venus Aphrodite, qui, née sur les bords de la mer Egée, sous le ciel brülant de la Grèce, subit. maintenant l'exil sur les bords de la Néva.

En vain, les Grecs portèrent en Italie le feu sacré ; peu d'artistes romains ont illustré leur patrie dans les temps anciens Les Romains dominateurs du monde ; guerriers et conquérans , laissaient ‘aux étrangers le culte des beaux-arts, dont la Grèce était le:berçeau La Grèce était pour Rome ce que l'Italie est devenue pour nous ; mais comme si deux contrées n'eussent à la fois rivaliser par cet éclat que donnent les arts , quand le flambeau du génie fut éteint en Grèce, il s'alluma en Italie. M. Buteux nous y fait voir la sculpture et la peinture

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preudre tout-à-conp leur essor. Dès le 13° siècle, Donatello, en 1383, fut digne du nom d'artiste ; on lui doit la première statue en bronze qui ait été fondue sous les modernes. Bientôt, sous Léon x, sur- git celte foule d'artistes, dont les noms prennent pla- ce à côté de ceux de l'antiquité. Michel-Ange, Tatti, Bandinelli, Bernini, Benvenuto Cellini, Propertia Tussi, uée en 1530, la seule femme qui se soit livrée à la sculpture, suivant M. Buteux. L'auteur en con- signant cette remarque ne songeait pas sans doute , qu'au milieu de nous, dans une famille protectrice des beaux-arts, il sortait d’uu ciseau savant et suave, des productions dignes de figurer parmi les meil- leures , si la modestie de la jeune fille n’égalait le ta- lent de l'artiste.

Enfin , devait naître l’école française : vers le die du 16°siècle, Jean Goujon devait doter sa patrie de quelques beaux ouvrages ; le pre- amier il cultiva ayec succès la sculpture en France ; bientôt les Puget, les Girardon , les Coustou, les Coisevox , les Falconet, devaient peupler nos Sglises, nos villes, et nos palais de créations indi- gèneset on vit la France, jusqu ‘alors tributaire de l’T- talie, ou empruntant à l’antiquité ses trésors, se parer avec orgueil du travail de ses enfans. Cependant quand nous arrivons au siècle de Louis xiv, nous rencontrons des morceaux empreints d'un style guindé et prélentieux qui se propagea jusqu'au

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siècle suivant. Bientôt vers la fin du 18° siècle, le vrai goût du beau , de l'antique, du sévère et du suave qui produisait l'Apollon, la Vénus de Mé- dicis , celle de Milo supérieure encore, le Laocoon , le Torse du Belvédère , la Diane Borghèse , ranime le ciseau de nos artistes, et place l'école française au premier rang après celle d'Italie, si même en quelques compositions elle n’a marché sa rivale.

Une remarque échappée à M. Buteux, bien qu’elle surgisse de l'énumération des artistes, c'est que le goût de la sculpture , est beaucoup plus rare vers les contrées septentrionales , que dans celles l'ar- deur du climat développe les passions. Et cepen- dant la sculpture est un art de patience le feu de la composition doit s'attiédir par la lenteur de l'exécution ; la peinture excite par la couleur ; elle permet la multiplicité des personnages , la vivacité de l'action paraît y réssortir avec plus d'énergie et il semble que le génie y puisse traduire plus promptement sa pensée ; mais aussi il faut convenir que, pour vaincre les obstacles matériels, oub'ier le temps, se passionner pour un marbre incolore , il faut une organisation plus ardente , une étincelle plus vive de ce feu sacré , qui fait les ar- listes ; ainsi peuvent s'expliquer des faits qui paraf- traient contradictoires, en comparant la nature du travail matériel, l’organisation de ceux qui se lim- posent , et la zone qui les a vu naître.

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Nous ne garderons pas un silence désobligeant en taisant le nom d'Albert Durer, le premier et presque le seul sculptenr de l'Allemagne ; nous nous mon- trerons aussi équitables envers l'Angleterre en vous nommant Grinting-Gibbons, bien que John Flax- mann s'acquit quelque réputation. Tous deux sont du 17° ou du commencement du 18 siècle.

Après quelques mots sur la Glyptique ou sculp- ture en pierre fine, dont Laurent de Médicis fut le plus ardent promoteur , M. Buteux arrive à la sec- tion deuxième de la partie de son précis relative à la sculpture. |

Dans cette section, il s'étudie à retracer les regles générales consacrées par les grands artistes. C'est la partie morale de l’art qu'il présente dans ce cha- pitre assez court , mais rempli d’utiles observations et de bons préceptes. Ceux-ci, une fois bien com- pris des lecteurs , doivent rectifier leur jugement , développer leur goût et les préparer aux vives jouis- sances qu'inspire la vue des chefs-d'œuvre , en les prémuuissant contres les exagerations par lesquel- les le charlatanisme , en l’absence du génie, cher- che à exciter l'enthousiasme.

Dans ce chapitre , comme dans tout le livre au- reste , indépendamment des réflexions qui lui sont propres , M. Buteux appuye ses maximes de l'au- torisé d'écrivains recommandables ; l'histoire de la peinture en Italie, de Fréderic Stendhal , les re-

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flexions sut le goût par Mengs', l'encyclopédie imé- thodique des beaux arts, l'essai sur l'anitation par M: Quatremère de Quincy , sont les sources l'auteur puise ses autorités. Les précéptes donnés sur le Né, sûr l'expression , le mouvement , lem- ploi de déäperies , soit assaisonnées d'exemples choisis ; de réflexions pleines de goût et présentés aveé grâce ; le livre de M. Buteux n’est pas seule- ment instructif, 1 offre encore un grand intérêt

comme lécture.

PEINTURE.

Arrivé à la peinture on en recherche l’origine chez les différens peuples , dans les temps les plus reculés. Il-y à cela de remarquable que l'emploi de la couleur , même avec mitelligence , a précédé la correction du dessin. C'est ce que prouvent d’an- tiques fragmens de penitures Egyptiennes de plus grande fraîcheur et d'un coloris brillant ; maïs dans lesquels on ne voit aucune idée dessin: Dans ces morceaux qui datent de‘ six à sept éerits ans avant J: C toutes les figures raïdés et’sans grâce , sont de profil. Point de perspective, point de ‘raccourcis: L'art vers cette époque et inême beaucoup plus ‘tard, se présente da. ns le même état on ER dans Vfnde , chez les Perses et à la Chine | cepéñdant il parait in il est maintenant en progrès. |

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La mosaique et la tapisserie comme arts d'imi- tation ; prennent place à côté de la peinture. La Perse offrait de magnifiqes tapis , même du temps d'Alexandre, Inhabiles à produire sur la toile, on voit les Persans , faire un heureux’ mélange des plus belles couleurs sur des: tapis’; célèbres dans nos contrées , bien avant que la manufacture des Gobelins ait effacé les plus belles productions du genre:

Les premieres peintures des Grecs furent Mono- chrômes, ou d’une seule couleur; ce qu'on/a nommé depuis Camaïeu. On eu attribue l'invention à Cleo- phaute de Corynthe 1410 ans avant J.°C. On se servait de cinabre rouge d'Inde. Le meilleur: ta- bleau en geure-ést au musée de Naples , il repré- sente Thésée terrassant le Minotaure. | les Grec$ peignaïent à la détrempe à dent caustique, et’ à fresque par des procédés qui nous sont incon nus.

Les peïntures trouvées à Herculanum:sont , pour la plupart ; ouvrage des Grecs; qui, suivant le té: moignage des auteurs anciens ; se distiriguaiént eornme dans la sculpture ; et nolamment par la correction du: trait: ILest permis de ‘penser que:la chimie! ne -venant pas du secours ‘du’ coloriste , les peintres de cette époque avaient moins ‘dé res- sources ; et cependant les raisins de Zeuxis , ri- deah d’Apelles , feraient supposer un grand talent

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d'imilation ; eucore bien que de nos jours celte imitation exacte , ne soit pas regardée comme le premier mérite de la peinture ; puisque certains tableaux, désignés sous le non de trompe-l'œil me tiennent pas ‘dans l'opinion des. connaisseurs le même raig que d’autres composilions l’ini- taion est moius parfaite.

Comme dans la sculpture, les Etrusques pa- raissent avoir précèdé les Grecs. Au temps de Pline, ilexistait à Ardea , des peintures antérieures à la fondation de Rome. La peinture grecque ne mérite pas d'être citée avant le 5.° siècle qui a précédé l'ère chrétienne ; mais elle fit de rapides progrès. Zeuxis qui commença à idéaliser ses per- sonnages , Apelles qui porta la peinture au plus haut degré de perfection dans l'antiquité florissaient , l’un 380 , l'autre 330 ans avant J.-C.

En peinture, comme en sculpture les Grecs furent aussi les maîtres des Romains. Peu d'ar- tistes ont illustré Rome, Fabius , surnommé Prctor, fut, 304 ans avant J.-C., le premier peintre de condition libre. Quelques grands personnages tels que Marius Messala ; Lucius Scipion, peignirent les batailles qu'ils avaient livrées ; mais s'ils n'a- vaient eu pour transmettre leurs noms à la pos: térité , d'autre célébrité que celle de leurs pin- ceaux, leur existence ne nous eût point été révélée.

A]

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Nous ne suivrons pas M. Buteux dans la des- cription de tous les genres de peinture connus des anciens , dont les procédés nous ont échappé, et auxquels a succédé presque exclusivement la pein- ture à l'huile, découverte en 1430, par Jean Van- Eick, plus connu sous le nom de Jean de Bruges. On a cependant revendiqué cette découverte pour l'Allemagne, quelques écrivains ont prétendu qu'elle s'était introduite dès le 11° siècle, La peinture sur verre, dont il nous reste tant de monumens, à cause de son inaltérabilité, fut introduite en France au 9.° siècle; mais ne commença qu’au 12.° à produire des ouvrages remarquables.

C'est de la découverte de la peinture à l'huile, que date la résurrection des écoles, depuis le moyen-âge ; époque qualifiée du nom glorieux de renaissance. C’est par l'Italie que commença celte résurrection. M. Buteux distingue quatre écoles auxquelles doivent être rapportés quelques genres mixtes ou dans lesquels la manière n’est pas aussi tranchée. En les désignant, nous rappellerons les caractères principaux qui distinguent chacune d'elles.

C'est d'abord l'Ecole Florentine : fierté, expres- sion force, de grandeur , un peu exagérée dans le dessin. Elle commence par Cimabué, en 1240 , et ses dernières productions citées, sont de Pietra da Cortonne, en 1596. Léonard de Vinci,

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Michel-Ange Buonorotti, Andrea dél Sarto, sont les chefs de cette école.

Puis l'Ecole Romaine : science du dessin , beauté des formes, grandeur de style, justesse d’expres- sion. Elle commence en 1446, par le Pérugin , et termine en 1625 ‘par Salvator Rosa. Dire qu'elle enfanta Raphaël et Jules Romain, c'est signaler ses titres à l’immortalité. |

L'Ecole Vénitienne : richesse de couleur , har- diesse d'exécution, belle entente du clair-obscur. Les Bellin Jean et Gentil , furent ses fondateurs, en 1421 et 1422. Palme le vieux , en 1548, est le dernier nommé. Le Titien et Paul Véronèse, Tin- toret , Giorgione , sont les sommités de cette école.

Vient enfin l'Ecole Lombarde: grâce et goût de dessin, plus agréable que correct, coloris sédui- sant, manière un peu romantique pour le temps. Illustrée par les Carache, Michel-Ange, le Carra- vage, le Guide, l'Albane, le Dominiquin, com- mençant par le Corrège , en 1494 , et se terminant par le Guerchin , en 1597.

L'auteur passe en revue les autres Ecoles euro- péennes, qu'il caractérisse, comme il a fait celles d'Italie et nous fait connaître successivement :

1.° L'Ecole Allemande : caractère grave, ex- préssif, mais un style un peu raide. Nous y voyous figurer Albert Durer, déjà cité comme le

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seul sculpteur remarquable. L'origine de cette école remonte à 1380.

L'Ecole Flamande : couleur , riche composition , expression. Citer les Breugle, Rubens , Vandick, le meilleur peintre de portraits, Van der Meer, Téniers et Van der Meulen, c'est lui assigner le rang distingué qu'elle a mérité,

3.0 L'Ecole Hollandaise : couleur , fiui, imi- tation exacte de la nature, patience dans les: dé- tails. nous lui devons Rembrant , Van Ostade , Gérard Dow, Paul Potter, Mièris, Van der Velde , Ruis Dael ; Van Huisum et Van der Weld, heu- reux et brillans rivaux de la nature , dans un pays la passion des fleurs , créait sur un sol disputé à la mer , les célèbres jardins de Harlem.

L'Ecole Espagnole : se distingue par la cou- leur et la noblesse du caractère des figures. Peut- être eussions-nous contesté ce dernier trait à l'école qui produisit Murillo et Valasquès de Silva, si les merveilles de cette école , récemment exposées, ne nous révélaient de nouveaux mérites, en faisant mieux connaître ses productions. Mais il faut re- conuaître la hardiesse du coloris et l'expression qui -est moins la recherehe de l'idéal, que la traduction du vrai.

4. L'Ecole Française: est , par M. Buteux, classée en ancienne et en nouvelle.

L'ancienne commence à Jean Cousin, 1589 , ei

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se termine à Greuze, en 1725. Aucun caractère spécial ne saurait lui être assignée, elle tient de toutes les écoles , parce qu'elle a pris partout ses modèles. Bien que dans ses derniers temps un mau- vais goût ait prévalu, il ne faut pas se montrer sévère envers une école qui a produit Nicolas Pous- sin, Philippe de Champagne , Lebrun, Lesueur, Vernet, Wattelet, Greuze, Guaspres et Claude le Lorrain , le plus riche, le plus célèbre des pay- sagistes.

Avec la nouvelle école, un nouveau goût se ré- vèle , il donne moins aux caprices, aux formes de convention. Vien peut en être considéré comme le fondateur , les manières de Boucher et de Vanloo sont abandonnées , le pinceau historique de Darid , ouvre même une ère nouvelle dans cette nouvelle époque, puis se succèdent ou marchent de front Girodet Trioson , Gros, Guérin, Léopold Robert, Gérard, dont la mort récente ajoute aux pertes nombreuses, qui, depuis peu afiligent les amis des arts.

Enfin , Messieurs , vient l'Ecole Anglaise : sagesse de composition, trop peut-être, formes assez cor- rectes , couleurs brillantes , souvent heurtées , voilà les caractères distinctifs des peintres d’outre- mer, parmi lesquels Reinolds et West, tiennent le premier rang.

La gravure tient de trop près à la peinture pour

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n'être pas l'objet de quelques réflexions. Elle fut prati- quée pour la première fois en Italie, vers le milieu du 13.° siècle, par Maso-Finguerra. Suit une nomen- clature des plus célèbres graveurs, trop étendue, au reste, pour trouver place dans ce simple ex- trait. Un mot sur la litographie à laquelle les beaux- arts sont si redevabies et qui a vulgarisé tant d'ex- cellentes compositions, termine cette section 1.'° sur la peinture.

On regrettera peut-être de ne pas trouver dans le livre de M. Butenx , une notice sur l’histoire de la lithographie , un aperçu de ses procédés. La li- thographie est une invention contemporaine, il est vrai; mais l'utilité du livre de M. Büteux est des- tinée à se prolonger, au-delà de notre époque, et dans un certain nombre d'années on n’eût pas été fâché d'y trouver consignés quelques souvenirs de la décou- verte d’un moyen qui est presque aux arts et aux sciences ce que l'imprimerie fut pour la littérature. Quand on réfléchit aux longueurs des procédés de la gravure , au temps qu'elle absorbait, au prix élevé qui en résultait, on ne saurait trop s’ap- plaudir d'une découverte qui reproduit rapidement et presque simultanément les meilleures œuvres de ños artistes ; en porte promptement partout et la traduction, retient plus que la gravure , le faire de celui qui tient le crayon, offre des effets plus justes du style et de la première intention. Enfin

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qui, prêtant secours à la propagation de la science, vient à peu de fraisenrichir de planches et de figures explicatives , les livres et les démonstrations qui ont besoin de parler aux yeux. Oui, nous le ré- pétons , de même que l'imprimerie semant partout la pensée a contribuée à la civilisation , de même, la lithographie , en initiant le vulgaire à la connais- sance des productions des arts, fait germer le goût du beau dans les lieux l’on se douterait à peine qu'il en existe quelques notions , et certes il n’eût pénétré que quelques siècles plus tard.

Je reviens à la section 2 du livre qui nous oc- cupe.

Cette section , comme la seconde du précédent chapitre , est consacrée à la position des règles; il en est quelques-unes qui sont communes à la sculp- ture ; d’autres qui , à raison de la complication dont les tableaux sont susceptibles et de la magie de la couleur, sont spéciales à la peinture. Ici, comme dans la section 2 de la sculpture , M. Buteux s’ap- puye d’un grand nombre d’autorités bien choisies.et appliquées à propos. Ses observations sur le groupe principal ou le swjet, sur la lumière, le clair- obscur, le n# et l'emploi des draperies, sont sages et signalent sinon un artiste, du moins un judicieux observateur. Il attaque l’allégorie ou trop explicite ou trop mystérieuse. On peuttraduire sa perisée en disant qu'il ne veut qu’elle soit ni une enseigne nt

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une énigme. Il fait un peu la guerre, sous ce rap- port, aux œuvres de Rubens , auxquelles , allégorie à part, il faut rendre justice, au moins comme cha- leur de composition et fraicheur de. coloris ; mais qui vraiment fatignent et inquiètent le goût par ce perpétuel mélange d’allégories mythologiques et chrétiennes, nou moins étonnées d’être réunies, que le spectateur ne l'est de les voir dans un même cadre.

Nous terminerons l'analyse de cette partie , l’une des plus intéressantes du livre, qui porte autant sur. le matériel que sur la métaphysique de l'art, en faisant remarquer que M. Buteux n’a dit non plus qu'un mot des panoramas. Les effets magiques obte- nus par ces procédés il faut joindre à une grande connaissance des lois de la perspective linéaire, une connaissance non moins approfondie de la perspec- tive aërienne , méritaient aussi quelques dévelop- pemens.

Quiconque a vu Navarin, Alger, la Forêt Noire et Ja Messe de Minuit, ce lableau animé la lu- mière tantôt réfléchie, tantôt réfractée , fait passer alternativement du jour à la nuit, de la franche et vive clarté des rayons solaires , à la ciarté douteuse et sombre des cierges qui va se perdre sous les voûtes nébuleuses. de la nef sacrée ; cette création spontanée d'un peuple de fidèles, qui presque à votre insu a percé les dalles de l'église et vient se

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placer inaperçu d’abord, sous l'œil attentif du spectateur ; quiconque, disons-nous, a été témoin de ces merveilles, ne peut refuser à M. Bouton le titre de fascinateur et par conséquent de grand peintre. Nous savons bien que ce titre est contesté par quelques-uns, qui ont fait de la peinture un art de convention ( ce qui est vrai jusqu'à un cer- tain point). Mais nous ne croyons pas nous trom- per , en disant que lorsque la peinture , après l’ob- servation exact du dessin , a fait voir du relief il n’y a qu’un trait, de la lumière il n’y a que la couleur , de l’espace et une profondeur il n’y a qu'une surface, a dignement rempli sa mission. Il est entendu que nous mettons hors ligne la compo- sition , la poésie de l’art , le genie enfin.

ARCHITECTURE.

Nous voici, Messieurs , arrivés à l'Architecture. Il est évident que M. Buteux a un goût particulier pour cet art; que ses connaissances archéologiques l'entraînent et le fixent pour ainsi dire malgré lui. Il subira, en passant par ma plume, une cruelle mutilation. C’est malheureusement le sort de l’au- teur d’être soumis aux caprices ou aux affections du rapporteur, et puis après cela , jugez d’un livre sur la foi du rapport! n'ayant en effet de connais- sance en architecture, que tout juste ce qu'il en faut pour n'être pas un parfait ignorant; je serai

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un peu plus bref dans Panalyse de cette partie, et je crains que la prédilection de M. Buteux ne m'adresse, comme à petit Jean, ce reproche :

Il dit fort posément ce dont on n’a que faire, Et court le grand galop quand il vient à l'affaire.

Tout ce qui dans l'architecture , Messieurs , n’est pas dessin et ornement , est Hs positive ou bon sens. Choses peu susceptibles d'analyse. Nous avons cependant l’histoire de l'architecture , à partir de la simple cabane avec ses arbres pour soutiens , son toit en pente, faisant attique ou fronton, sur le devant, ses poutres inclinées , formant corniche , etc. Tout le monde sait cela, et bien qu'il soit bon de le dire dans un livre démentasie ,iln'est point nécessaire de vous en entretenir.

Après avoir passé en revue les architectures égyptienne, persane , syrienne , phénicienne , in- dienne et chinoise , l’auteur arrive à l'architecture étrusque, et enfin à celle des Grecs : c’est sur celle- ci qu'il donne les plus grands développemens , et en effet le sujet en est digne. Puis il revient aux architectures romaine, ogivale et gothique, fort dignes encore d'intérêt ; enfin c'est par le Nouveau- Monde que M. Buteux termine sa revue, non sans avoir consacré un agréable chapitre aux jardins ; surtout aux jardins irréguliers que nous devons aux

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Anciens et à l'Inde, et non aux Anglais , dont nous leur avons mal à propos donné le nom.

Un mot , Messieurs , sur ces différentes parties de l'excellent précis.

ARCHITECTURE ÉGYPTIENNE.

La partie méridionale de l'Égypte offre seule des restes de l'architecture égyptienne proprement dite: M. Buteux ne considère pas comme de véritables monumens d'architecture ; ceux des environs de Memphys, les Pyramides , le Sphinx, bien qu'ils soient empreinls du génie égyptien.

Les plus anciens monumens d'Égypte qui ont plus de 4000 ans , sont les mieux conservés. Il résulte des observations faites sur ces monumens , que les Égyptiens n'employaient pas volontiers la forme ronde en architecture. Quelques colonnes rondes ou polygones se voyent cependant. Leurs monumens sont carrés, leurs soutiens carrés, leurs voûtes plates, c'est-à-dire, formées de vastes pierres trans- versales sur de solides appuis. La voûte à clef et l'ogive, mal qualifiée quelquefois de voûte égyp- tienne, ne leur étaient pas connues. En revanche è nul Pepe na mieux pratiqué l’art d'extraire des carrières , d'immenses blocs de pierre, deles trans- porter, de les dresser. Si leurs temples ne brillent pas par l'élégance, ils résistent aux efforts du temps

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par leur solidité. Et, soit dit en passant , l'excès de solidité tient plus à l'ignorance qu’à la science de la construction.

Les dimensions de leurs édifices étaient immenses; Le temple de Karnac, auquel communiquait le pa- lais de Luxor par une allée de 600 sphinx et de 58 béliers de chaque côté, tous d’une grandeur colos- sale, avait une demi-lieue de tour ; et le temple de Jupiter à Thèbes, 1400 pieds de long sur 350 de large. Les obélisques étaient presque toujours les ornemens de l'entrée des temples. Je n’ai pas besoin de vous parler de celui de Luxor qui par les soins d’un habile architecte a pris dans notre capitale le droit de cité.

PERSANE.

Les ruines de Persépolis, brülée par Alexandre , peuvent seules nous donner une idée de l’ancienne architecture persane , assez analogue à celle d'É- gypte. Quinze colonnes de 72 pieds de hauteur sur environ 17 de diamètre , soutiens d’un palais qu'on croit avoir été la demeure des souverains, attestent le grandiose , sinon le goût de ces constructions. Des détails curieux sur ce palais, ses ornemens, ses bas-reliefs et les divers monumens épars sur le

sol antique de la Perse, remplissent cet article. PHÉNICIENNE.

Les environs de Smyrne offrent un des monumen:

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les plus antiques; c'est le tombeau de Tantale , père de Pélops, il date de 1359 ans avant J.-C. et con- siste en un tumulus revêtu d'un soubassement cir- culaire, d'appareil pélasgique. Nous ne suivrons pas l’auteur dans la description de plusieurs autres vestiges d'architecture phénicienne.

INDIENNE.

Le caractère principal de l’ancienne architecture indienne est la force ; les souterrains semblent en être le type et le modèle. Plusieurs vestiges de temples ou pagodes taillés dans le roc existent encore. Tels sont les souterrains de Milossa, de Ara-Bïlhod de Mont-Sauson, de Tchel-Minor et le temple d’'Elephanta près de Bombay. Partout absence complète de voûtes, et même talent que les anciens Égyptiens pour l’extractiou et le tran- sport d'énormes monolythes.

CuiNorsE.

L'architecture chinoise n'offre rien qui ne soit connu par les nombreux dessins qui nous en sont venus. Je n’en exeepte pas même les paravents , sur lesquels on a conservé , bien qu’exagéré , le type de cette architecture ; savoir , la légéreté, une certaine élégance bizarre , et l'emploi au-dehors de couleurs éclatantes et heurtées. Ces caractères , comme le dit judicieusement M. Buteux, tiennent aux mœurs primitives des Chinois ; ces peuples, dans l'origine,

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étaient nomades comme les Tartares ; ils ont campé avant d’avoir des villes, et les édifices de leurs villes ont retenu la forme de la tente : ce qu'avait observé Depau.

C'est par l'architecture étrusque que passe nolre auteur pour arriver à l'architecture grecque. Il nous reste peu de monumens de la première à la- quelle est du l’ordre Toscan , transmis des Etrus- ques aux Romaius. Le tombeau de Porsenua, un temple Toscan de Jupiter Latialis, bâti par Tar- quin le superbe et le temple de Cérès, construit à Rome , 494 aus avant J.-C., sont des édifices, restes remarquables de l'architecture étrusque ; qui, comme le prouve une porte de Volterre, employait la voûte et le ceintre formé de cla- veaux.

Nous voici donc à l'architecture grecque. C’est à l'occasion de celle-ci seulement que M. Buteux croit devoir poser les vrais principes , les règles de goût , de solidité , d'élégance qui en forment le code et en font tout à la fois une science et un art. Ces règles sont si nombreuses et d’une application tellement spéciale qu’elles ne prêtent guère à l’'a- nalyse ; il faudrait tout transcrire et c'est ce que ne comportent pas les bornes d’un rapport, que sans doute vous avez déjà trouvé bien long. Qu'on me permette cependant .de rappeler en quelques lignes les bases fondamentales de l’art.

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La solidité doit être réelle et apparente. Le fort doit supporter le faible. L'emploi de toutes les parties doit être jus”

tifié par le besoin.

Rien n'est beau que ce qui est bon et utile.

Les parties doivent être subordonnées à l’en- semble.

La symétrie et la régularité sont liées à l'ordre et à la solidité.

Les rapports simples sont les plus beaux.

Toutes ces règles se déduisent de la formation : de la cabane , qui, comme nous l'avons dit, est l'origine de toute architecture. Ramenée à cette origine, dit M. Buteux, d’après M. Quatremère de Quincy, larchitecture contracterait plus de simplicité, et parviendrait à cette grandioisté , qui se trouve chez les anciens , l’art n'avait perdre encore de ses vrais principes. Tout ornement qui n'est qu'ornement est de trop, di- sait Fénélon , en parlant de l’éloquence ; ainsi est-il de tous les beaux-arts ; gardonus nous ce- pendant de trop généraliser, Messieurs, et n'al- lons pas dans cette manie de rapporter tout à un principe , dire comme l'architecte Auvrard qui voulait appliquer l'harmonie de la musique à l’ar- chitecture : la base attique est un accord de si, mi, sol, si. Bien que Vignole et Alberti aient dit, avant lui, que le plaisir que procurent les proportions

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dans l'architecture , venait des rapports des nombres, comme dans la musique , ce qui au sur- plus n’est pas sans vraisemblance.

La section de ce chapitre est consacrée ,. moins à la description, simple, aux proportions et aux ca- ractères des diverses ordres , ( ce que j'aurais dé-

siré ) qu’à leur emploi. Ces ordres vous le savez Messieurs, sont :

Le Toscan -- ancien et moderne. Le Dorique -- ancien et moderne. L'Tonique.

Le Corinthien.

Et le Composite.

Je ne puis entrer duns les détails de l'emploi de : ces ordres. Je glisserai sur la section IIL® ayant pour titre : notice sur les constructions anciennes et modernes , c'est une nomenclature des différentes espèces d’édifices et de leurs noms techniques.

Le paragraphe suivant offre la déscription des édifices grecs les plus remarquables. C’est une con- tinualion du précédent, avec quelques applications aux monumens les plus célèbres de chaque espèce. Viennent ensuite les édéfices romains. Il ÿ a dans ces deux sections une grande érudition, des obser- vations curieuses, d'un grand intérêt historique ; demême que dans celle employée à la description deS édifices modernes ; tout cela , Messieurs , est aussi digne d’être que peu susceptible d'analyse,

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Le $ i.®' de la section 1v, contient d'une ima- nière fort abrégée l'histoire de l'architecture grecque. Agamidès et Trophonius , qui vivaient 1400 ans avant J. C. sont les premiers architectes dont l'histoire fasse mention. Libon vers le milieu du cinquième siècle avant l'ère chrétienne , construisit le temple de Jupiter. Au temps de Périclès les mai- sons de l’Attique étaient encore en bois, pendant la guerre on les demontait et on les apportait à Athè- nes , dit Thucydide. C'est cependant de cette épo-. que ( de Periclès) que date l'illustration de l'ar- chitecture en Grèce ; mais vers l’an 320 avant J. C. l'abus de l’ornement qui commençait à s’introduire, commençait déjà le déclin de l'art. |

L'histoire de l'architecture Romaine occupe le $ 2. On conserva long-temps la maison de Romu- lus sur le Capitole; elle était formée de roseaux _d’osiers, que, suivant Vitruve , les prêtres renou- vellaient à mesure que la vétusté les dégradait. Vi- truve est le seul écrivain de l'antiquité, dout les ouvrages sur l'architecture nous soient parvenus. C'est aussi dans son siècle , ( celui d’Auguste ) que l'architecture acquit le plus haut degré de perfec- tion elle atteignit chez les Romains. L’architec- ture de tous les genres fut leur art favori; partout dans leurs conquêtes , ils laissaient des monumens de grandeur ou d'utilité publique , dont long- temps après eux les peuples conquis recueillirent

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les avantages. Avantages trop achetés sans doute par la despotisme des vainqueurs, mais qui surve- curent à l’asservissement. | + Un demi-cercle ou une portion de cercle , -for- mait toutes les voûtes des anciens. On aurait cru l'invention des arcs surbaissés , due aux modernes si les Thermes de Caracalla n’en offraiert un mo- dèle.

Après la décadence de l’art, une période assez longue s'écoule et M. Buteux reprend l’histoire. de l'architecture en Italie, avant la renaissance, dès le 10.° siècle, et la conduit ainsi jusqu’au 14.° Jean de Pise décorait le Campo Santo , dans sa ville natale. Au 15° siècle, le calme renait dans l’Eu- rope et de nombreux édifices s’élevent. La protec- tion des Médicis à laquelle les arts sont redevables ‘de tant de belles créalions , celle des ducs de Milan, la connaissance des ouvrages de Vitruve , tout cou- tribue au rétablissement de l'architecture, et l'art fleurit de nouveau, jusqu’au 17.° siècle, qu’un besoin désordonné d'innovation , vint encore le faire reculer et remettre en question les règles du goût , de l'unité, du simple et du beau.

Cependant il s'était formé , en France , sous le règne de François 1.** un genre qui n’était pas sans élégance et provenait du mélange des profils de l'architecture grecque, et des imitations du système des ornemens des arabes. Sous la régence de Louis

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x1y , la simplicité, le grandiose et la pureté des dé- “tails se rencontrèrent, dans la colonnade du Louvre, les Invalides etc. Mais sous la régence, pendant la plus grand-partie du règne de Louis xv le mauvais goût domina. Ce fut aussi le siècle de souffrance de la peinture comme nous l’avons remarqué plus haut. Mais nous pouvons le dire avec orgueil, Messieurs , à aucune époque, il ne régna parmi nous autant d'élégance et un meilleur goût que dans les constructions actuelles. Les progrès de l'art se sont étendus des palais, des monumens publics , aux édifices particuliers ; partout un style épuré préside à d'utiles travaux ; le commerce a vu s'élever un temple , tel qu'en aucun lieu, un semblable sanctuaire ne lui fut dédié ; une église nouvelle efface en beautés de tous les genres ce que. Paris nous présentait de plus imposant; tandis que la noble colonne de bronze et l'arc immense de l'Etoile échangeant un regard au-dessus de la rue de Rivoli, cette autre merveille , semblent s'enor- gueillir d’immortaliser dans leurs détails et dans leur ensemble la gloire de nos guerriers et le ta- lent de nos artistes,

Vous n’attendez pas, Messieurs, que je suive M. Buteux, dans la liste qu’il nous donne des plus célèbres artistes , ( le nombre en est trop grand. } nous retrouverions parmi ceux qui ont orné LT: talie plusieurs peintres ou sculpteurs fameux; Mi-

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chel-Ange , en 1474, construisit le dôme de St.- Pièrre, Raphaël d'Urbin, Jules Romain , furent de bons architectes. Ce dernier construisit le palais Alberuini, à Rome et la cathédrale de Mantoue.

Pérault, Puget, Mansart, Desbrosses, Soufflot , Chalgrin, Vignon, Huvé, ont parmi nous immor- talisé leurs noms.

Pour arriver à l'architecture Romane, ogivale ou gothique , je franchis le chapitre consacré aux jardins , et je m'étonne même que l'auteur ait ainsi coupé son travail et scindé l’histoire de l’archi- tecture monumentale.

M. Buteux remarque comme une singularité dans l’histoire des arts, qu'on ait ainsi donné le nom d'un peuple presque sauvage et sans indus- trie, à un genre d'architecture qui régna dans toute l'Europe , depuis le 5.° jusqu'au 15.° siècle. Il la considère ainsi que la sculpture de la même époque , comme une corruplion de la sculpture et de l'architecture Græco - Romaine i modifiée par le génie inculte du moyen-âge. Ce qui; Selon lui-appuye cette opinion , c'est que les croyances et les opinions des peuples du Nord y sont moins rappelées que celles du paganisme et du christianisme.

Les guerres que Charles-Martel et Charlemagne eurent avec les Arabes , en France et en Espagne , donnèront lieu aux ES du style de leurs

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édifices , que l'on retrouve dans notre architec- ture gothique des 7.° et 10.° siècles, et qui lui a fait donner quelquefois le nom de Mauresque ou Arabe. Au lieu de la lourdeur du gothique an- cien , on voit les édifices élevés à Aïx-la-Chapelle , du temps de Charlemagne , s’élancer en fuseaux déliés et se charger d’ornemens d’une sculpture plus fine et mieux découpée. Plus tard, on -en vint à cette hardiesse qui caractérise les monu- mens des 13.° et 14.° siècles, les murs furent découpés à jour comme une dentelle. « Les ogives, dit M. Quatremère de Quincy, ne sont autre chose, dans les constructions gothiques, que les arrêtes saillantes des voûtes à lunettes, ou pendentifs ima- ginées par les Romains.

Quelques savans ont pensé que l’ogive fut im- portée de l'Orient , elle avait été en usage de- puis l'an 223 jusqu'à 637 de notre ère chrétienne,

Dans la Période romane , l'Italie a fourni des ar- chitectes à la France et celle-ci à l'Angleterre.

Ce fut vers de 11.° siècle ou au moins dans le 12.° que l'ogive parut et remplaça le plein-ceintre. Ce fut aussi vers le temps de la période ogivale que les toîts devinrent si aigus ; apparemment pour revêtir , en s'accommodant à leurs formes , les voûtes ogives de l’intérieur des édifices. 11 est à remarquer que ce genre cessa d'être en usage , en

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Italie plus tôt qu'ailleurs: Le retour à l'architecture grecque et romaine y fut plus prompt.

Les plus beaux mouumens de cette architecture sont sans contredit. les vastes roses qui, dans les églises.de cette époque, ornent.les deux extrémités de la croisée ; elles tirent un nouvel attrait des peintures si vivement et si diversement colorées qui les décorent. L'immensité des nefs, la hauteur et la légèreté des clochers, montrent , dans les architectes gothiques , une habileté incontestable. Cependant, il est à remarquer qu'une grande partie des objets de: notre admiration dans ces mo- numens ; pêche contre les règles de l'architecture. En effet, les trompes, les rosaces en pendentifs , les culs de lampe suspendus , les grandes roses pour les vitraux, ne tiennent qu’au moyen. d’armatures de fer et ne présentent qu'une solidité factice.

A ce chapitre, terminé par des. réflexions d'un grand intérêt, qui appartiennent à M. Buteux ou qu'il puise aux bonnes sources que nous avons indi- quées., succède une énumération avec détail , des plus beaux édifices.que nous a légué ce genre in- termédiaire. Vous pensez bien, MM. , que notre ca- thédrale y tient un rang distingué , celle de Chartres, - de Strasbourg , de Salisbury surtout avec. ses douze portes, ses.360 fenêtres, ses 8640 colonnes, em- blèmes des mois des jours et des heures de l’année , s’y. fout remarquer, La flèche de notre basilique:

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haute de 374 pieds, doit le céder en hardiesse à celle de Strasbourg qui s'élève à 437 pieds.

Avant de parler de l'architecture américaine, M. Buteux consacre quelques mots, dans son chapitre 1x à J'architecture mauresque ou arabe. Vers de siècle, celui de la décadence de l'architecture , le mahométisme se répandit jusqu'en Espagne et en Si- cile ; les Arabes perpétuèrent leur domination dans le midi de l'Europe peudant plusieurs siècles, de l'empreinte de leur goût dans les monumens élevés sous celte domination.

La Mosquée de Cordoue est un des beaux édi- fices de l'Europe, elle fut commencée en 770. L'A- lambra, forteresse et palais qui domine la ville de Grenade , offrait en ornemeris des objets du goût le plus recherché ; des marbres précieux, des carreaux de fayence le décoraient , des eaux abondantes , et savamment dirigées y entretenaient la fraicheur.

Avant de quitter la vieille Europe, pour tra- verser l'océan et jeter un coup-d’œil sur les restes de la splendeur des nations da nouveau monde, je ferai encore une interversion de l’ordre adopté par M. Buteux , pour fixer un instant votre attention > Messieurs , sur ce chapitre l’auteur traite de l'ar- chitecture Celtique, Druidique, ct Scandinave. W ue s'agit plus ici de l'application des grandes règles de l'art, ni même d'aucune règle. Il semble qu'il soit question des efforts isolés et sans ensemble de

\

199

géans soulevant des masses sans plan combiné, et l'on est encore à s'étonner comment sans procédés mécaniques perfectionnés ( nous savons ce qu'à coûté l'érection de l’obélisque ) des masses énormes - aient être transportées el dressées , ou comment la mécanique en ayant fourni les moyens , il n'existait pas quelques notions de sciences, d’ar- chitecture concomitante, pour en régler l’arrange- gement. Cette réflexion chez quelques peuples su: perstitieux a donné lieu à l'opinion que les monu- mens druidiques étaient düs à une puissance sur- naturelle.

Hs portent en plusieurs lieux le nom de pierres de sorciers.

On distingue dans ces monumeus informes les pierres levées dont la hauteur hors de terre s'élève jusqu’à 20 pieds.‘On les regarde comme des idoles, ou des souvenirs de batailles.

Les trilithes dont le nom indique toujours des pierres perpendiculaires et une superposée.

Les dolmens ou autels druidiques , ils sont ré- pandus partout, et notre département en possède plusieurs, un des plus considérables est la pierre d’Oblicamp, dont j'ai pris le dessin sur les lieux.

Les pierres branlantes dont on ignore la desti- nation offrent. un assemblage de pierres superposées de manière à être facilement mises en mouvement.

Les allées oouvertes ou grottes de fées, .les

200

pierres superposées imitent : la voûte plate à:la manière des Egyptiens , telle est celle de Bayeux près de Saumur. La plus grande pierre a 22 pieds sur 21.

Les cirques ou enceintes comme celui d’Aveburÿ dans le Willshire, d'environ 3,000 pieds de diamètre.

Les pierres plantées comme celles de Karnac en Bretagne , composées de 11 files sur une longueur de 4578 pieds et dont les plus hautes sont de 18 à 20 pieds au-dessus de terre.

Arrivons à l'architecture américaine, qui n’a rien de commun avec celle des Egyptiens , des Grecs ou des Chinois. Bien que dans ces derniers temps or ait exhumé des monumens qui ont quelques rap- ports avec l'architecture égyptienne.

M. de Humbolt a vu au Mexiqué et au Pérou , à une hauteur de 16 à 1800 toises , des ruines de pa- lais et de bains.

Les Mexicains ont aussi leurs Téocallis ou pyra- mides. Dans le golfe de Californie , se trouvent les rüines colossales du château des M die

M. Buteux présente quelques dessins qui donnent une idée de cette architecture ; et notamment de l’é- Gifice de Pallenque, près de Guatimala. Rien n’a révélé l'époque de ces constructions , et cependant, Messieurs , quelques savans sont disposés à croire’, d'après un passage de Diodore de Sicile, que les

201

constructions de Pallanque sous dues aux Cartha- ginois ; mais cette opinion est combatilue par de bons argumens.

L'architecture américaine se distingue comme celle de l'Inde , par la précision et le fini de la taille des pierres , plusieurs édifices ont été con- sidérés comme formés par juxta-position sans le secours du mortier.

Ici, Messieurs, se termine l'ouvrage de M. Bu- teux, dont nous w'avons dans ce rapport que vous retracer bien faiblement le mérite ; une addition contient un précis sur la danse ancienne et moderne.

Comme histoire cet appendice offre des parties d'un haut intérêt et mériterait des développemens assez étendus qui pourraient faire la matière d’un rapport. En rattachant la danse aux mœurs et aux coutumes , M. Buteux , a ouvert une carrière nou- velle et un vaste champ à l'observation, quoiqu'il n'ait qu'effleuré le sujet , il y a profit à lire même cette partie de son ouvrage. J'y renvoye , Messieurs, ceux de vous que le rapport prolongé n'aura pas fatigués , et je puis leur garantir un intérêt, dont la faible esquisse que j'ai tracé peut à peine donner

l'idée.

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SES CRAN E La

POURQUOI JE SUIS POÈTE :

A MES DÉTRACTEURS.

PAR MADAME FANNY DÉNOKX,

MEMBRE CORRESPONDANT.

Mais pourquoi chantais-tu ? Demande à Philomèle Pourquoi , durant les nuits , sa douce voix se mêle Au doux bruit des ruisseaux sous l’ombrage roulant.

À. DE LAMARTINE,

Pourquoi je suis poète ? oh! je vais vous le dire,

À vous qui voudriez , me pliant à vos lois,

Condamner mes penchans , anéantir ma lyre ,

Entraver ma pensée , élouffer mon délire, Paralyser ma voix !

Aveugles! vous criez anathème à la fenitae" Qui, marchant votre égale , ose invoquer le lutkh ; Oh! laissez avec lui, laissez couler son âme ! Il est l'unique don , l'appui qu’elle réclame , Son ancre de salut.

204

Je suis poèle, moi, parce que cetle vie,

Vous appelant en foule à la félicité,

Ma de mille revers constamiment poursuive ,

Que mon être , des biens auxquels elle convie S'est vu deshérité !

e

Dans la coupe des jours vous. buvez l'ivresse,

Comme vous je n'ai pas trouvé des flots de miel ;

Ma lèvre sur ses bords errant , errant sans cesse ,

Au lieu de son parfum , s’abreuva de tristesse , De dégoût et de fiel !

Le signal du plaisir n'a point à mon oreille

Répété des concerts qui chassent le chagrin ;

Soit que je m’assoupisse ou bien que je n'éveille,

Devant mes yeux lassés pas d’aurore vermeille , Pas d'horizon serein.

Je n'ai pas folâtré dans vos brillantes fêtes ,

A ces joyeux accords vibrant sous votre main;

Je n’ai point, en rival, envié vos conquêtes ;

Je n’ai point couronné mon front, comme vos têtes, Des roses du chemin!

Je n'ai pas traversé l'onde des mers lointaines Pour arracher au sol des trésors comme vous ,, Recherché d’un grand nom les chances incertaines ; Par l'intrigue acheté ces louanges hautaines

Dont vous êtes jaloux !

\

205

Non, je n'ai pas voulu de la foule frivole Poursuivre , sans l'aimer , le bruyant tourbillon : Son idole ne put devenir mon idole ; Je preférai rester le sort, qui m'immole,

Me traçait un sillon !

Mon âme n'aurait pu comprendre le langage

Du monde insoucieux je n’ai pas d’échos ;

J'aurais rougi de honte au vil apprentissage

De ses vides plaisirs , de son double visage, De ses lâches complots !

Je n'ai pas dans ma main pressé la main cherie

D'un ami véritable à mon destin lié ;

Nul de vous n'eût quitté sa carrière fleurie

Pour venir , sans regret, de ma route appauvrie Embrasser la moitié !

Moi, je n'eus pas des jours tissus d’or et de soie ; Des Ris et des Amours je n'ai pas vu l’essaim ! J’ignore le délire votre âme se noie ; Jamais un cœur ému de tendresse et de joie

N'a battu sur mon sein !

Si, quand je languissais , une parole aimée

En suave rosée eût tombé sur mon cœur,

Ma vie , en la goûtant , se serait ranimée,

Et jamais je n'aurais, en elle renfermée, Rêvé d'autre bonheur.

206

Mais , hélas! je ñe sus jeter ma pensée ; Autour de moi, dans moi, c'était l’affreux désert! Mon âme en vain battait ma poitrine oppressée ; Sous son aîle de feu , d’une teinte glacée

Tout demeurait couvert !

Quelques-uns me disaient : « Insensée , il faut suivre » Des molles voluptés le sentier enchanteur, » À tes lèvres offrir leur philtre l’on s’enivre. » Je ne comprenais pas... de leur façon de vivre

Oh! j'avais de l'horreur!

Et je me repliais sur moi, faible, isolée,

Comme un frêle rameau , craignant les aquilons ;

Sans désir , sans espoir, du grand jour exilée,

Et n’entrevoyant plus d'autre sphère peuplée Que les bois , les vallons!

Enfin ne pouvant plus contenir de mon âme La vive-émoiion, les ennuis, les sanglots,

Je voulus à sa peine essayer un dictame ; 5 De nouveau je cherchai pour ses élans de flamme

De fidèles échos!

Je cherchais... j'écoutais .. quand un ange céleste

Déposa sous mes doigt un luth tout palpitant,

Disant : « Il ornerà ton destin si funeste.

O femme! pauvre femme ! à"tes côtés qu’il reste Comme un ami constant! »

207

Tout-à coup je l'emporte, entre mes mains, tremblante Tantôt je le pressai cent fois contre mon cœur, Snr ma paupière encor larmes ruisselante ; Tantôt je le collai sur ma lèvre brûlante Comme un sceau de bonheur !

Déjà , déjà mon luth avait compris mon être ;

Il devint mon ami, mon amant à la fois.

Je fus heureuse ; j'eus peine à me reconnaître ;

Telle à la voix d’un Dieu , je me sentis renaître À $a magique voix.

Et le monde dès-lors, qui me croyait muette,

S'étonne de m’entendre exhaler des accens :

Il s'indigne , il menace ; et sa rage décrète

L'opprobre, l'anathème à mon nom de poète, À mes goûts innocens !

Va, monde, il n'est plus temps , rien ne saurait détruire Cette intime union entre mon luth et moi ; Désormais au silence on ne peut me réduire : Des jaloux, des méchans qui cherchent à me nuire Je méprise la loi.

Oui , monde, je saurai dédaigner ta colère ;

Ma lyre, de complots en vain tu l'investis ;

Si tu veux l’arracher à mon toit solitaire,

Tu me verras bondir ainsi que la panthère , Défendant ses petits.

208 -

Lyre! douce compagne, ô ma vie! oui, je t'aime!

Sois donc mon avenir , ma richesse, mon tout :

O toi, que je préfère au plus beau diadème,

Aux chimères du monde , à l'or, à l'amour même, Tu me suivras partout !

Avec toi, j'ai vaincu la fureur erinemie,

Qui de mon existence épuisait le flambeau ; Ma peine auprès de toi soudain s'est endormie ; Ensemble demeurons , ne nous quitlons, amie,

Qu’au seuil du noir tombeau !

esse

CE QUE J'AIME.

PAR MADAME FANNY DÉNOIX,

MEMBRE CORRESPONDANT.

Chaque homme , dans son cœur, crée à sa fantaisie Tout un monde enchanté d’art et de poésie.

VICTOR HUGQ.

Oh! j'aime le lever de l'aurore vermeilie

Et le souffle embaumé qu'exhale le zéphir ;

J'aime , au fond des forêts, du ramier qui s'éveille L'harmonieux soupir !

J'aime le doux repos sous l'arbre de la rive, A l'heure le soleil s’élance à l'horizon ; J'aime le léger bruit de l'onde fugitive

| À travers le gazon.

J'aime la nuit d'été, ses romantique voiles,

Sa brise qui soulève en passant mes cheveux ,

Et son dôme d'azur des milliers d'étoiles Réfléchissent leurs feux.

_ J'aime à rêver au sein d’une vaste campagne, A confier ma barque au fleuve transparent , 14

210

À voir tomber des flancs de la haute montagne Le rapide torrent.

J'aime , l'œil arrêté sur un abîme immense, A ralentir més pas sur son funeste bord ; Puis, estimant mes jours, méditer en silence Lo c à] l Qu'il recèle la mort!

J'aime le sifflement de la sombre tempête,

Son prélude imposant qui donne de l'effroi ;

J'aime à sentir la terre , aux éclats qu'elle jette’, D'horreur trembler sous moi !

J'aime de l'Océan la sublime étendue , Ses hasards , ses écueils , sa rage ou son repos ; À rester sur la vague un instant suspendue ,

A plonger dans les flots !

J'aime de mon coursier l'humeur impétueuse ,

Sa crinière superbe et son œil plein d’éclairs ,

Ses fiers henuissemens , et sa course fougueuse Qui traverse les airs!

J'aime le calme heureux de ma douce demeure 1 ma lyre fidèle el mes livres chéris ;

Sûrs amis, qui trompant le cours trop lent de l'heure, | Consolent mes esprits.

J'aime au temple rustique à porter ma prière Vers celui qui soumet l'univers à sa loi ;

211

À lui dire : Mon Dieu ! fixe sous ma paupière Le flambeau de la foi!

J'aime à diminuer le poids de la souffrance

De l’indigent qui pleure au milieu du chemin ;

À ma lèvre arracher la coupe d’abondance Pour l’offrir à sa main.

De ma Julietta j'aime la simple grâce,

Son langage enfantin, ses baisers innocens ;

Oh! oui , j'ai du bonheur quand ma fille nenlace Dans ses bras caressans !

D'un ami j'aimerais à goûter la tendresse ,

A lui faire, en retour, l'abandon de mou cœur ;

Mais croire qu'un ami vous aimera sans cesse , N'est-ce pas une erreur ?

Ce que j'aime bieu mieux, c’est l'enivrante gloire ,

Le nom qu'elle promet de dire à l'avenir,

Quides temps, en vainqueur, remplissant la méinoire, Empèêche de mourir !

Oui; voilà tout le bien que mon âme désire, Celui dont la pensée orna mes plus beaux jours, Celui qui du bonheur m'apporta le délire,

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LITTÉRATURE SANSKRITE.

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NOTICE

RAGHOUVYANSA .

PAR M. LOUIS JOURDAIN,

1 SROFFSSEUR AU COLISÈGE ROYAL D'AMIENS.

HO) OO +e ——

Messieurs,

LE poème indien dont j'aurai l'honneur de vous entretenir, a reçu dans l'Inde les titres de grand et de divin, et je crois qu'il possède, en effet, quelques-unes des qualités qui distinguent l'épopée sanskrite : on y trouve à chaque page de l'éclat, de la grandeur et surtout des traits d’une sensibilité naïve, la grâce de l'expression n'exclut ni ia force ni la profondeur ; mais ce poème n'est. pas sans quelques tâches : il appartient à l'une de ces époques l’on s’égare facilement, parce que Les voies la nature:et le goût nous auraient conduits ,

* Racauvansa , Kélidäsæ curmen , sanskritè et latine edidit À, F, Stenzler.—London , 1532,

214;

ont été battues depuis-des siécles ; et que l'ambition personnelle ou les caprices du public exigent qu'on s'ouvre une route nouvelle.

J'avais voulu d’abord offrir à l’Académie l'analyse complète de ce poème ; elle l'aurait apprécié tout entier par elle-même et now d'après.moisrson ju- gement aurait été beaucoup plus sûr. Je trouvais aussi l’occasion d'appeler en passant son attention sur quelques points d'usages et de mœurs qui me paraissaient valoir li peine d'être ‘observés : nous remuons les ruines et les tombeaux pour en inter- roger la poussière ; mais nos frères d'autrefois ont-ils plus laissé d'eux-mêmes que dans leurs li- vres ? j'aimerais, Messieurs , à vous faire connaître tout ce qui m'attache dans l'étude de ces antiques poésies, malgré les épines dont elles se hérissent pour mon ignorance ; mais il. est des bornes qu'une lecture ne doit point dépasser ; j'ai réduire-mon premier travail aux proportions d'une notice : j'ai relevé moi-même les, fautes que j'ai cru rencontrer ; et vous soumets quelques-unes des réflexions qu'elles m'ont suggérées ; quelques extraits vous indiqueront ce que l'ouvrage peut offrir d'intérêt historique; et la traduction dequelques pages, sans vous don- ner tout le plaisir que j'éprouvai moi-même après l'étude du texte, vous fera sentir pourtant ee que l'auteur possédait, malgré ses défauts , de véritable poésie. ;

F 215

Le Raghouvansa(1), d'aprés les témoignages in- diens , a été composé dans le premnier siècle de notre ère:il n'y faut donc plus chercher cette vigueur, pri- mitive qui caractérise partout les äntiques épopées, et qui semble n’appartenir qu'aux premiers âges des nations ; l’art y est plus avancé peut-être ; le rythme est plus savant, la disposition des parties plus ha- bile ; il y a moins de répétitions , moins d’épithètes inutiles ; mais on sent que le poète n’est plus l’homme du peuple ; il n’est plus libre de ses inspirations , et les cherche beaucoup plus dans ses lectures d’érudit que dans les traditions nationales.

Pour que la poésie soit tout ce qu’elle doit être, il faut , si je ne me trompe , que le poèle soit maître de son œuvre , et cette indépendanee il re l’a pas à moins d'être populaire : or, il n’est dans là.vie d'uné, nation qu'une époque où. celte conditiou puisse, être parfaitement remplie ; c'est lorsque le poète est, comme le prêtre , institué ; pour ainsi diré, en vertu d’un besoin général qui lui assure auprès de tous intelligence et sympathie ; c'est. lors- qu’il peut, comme Homère , payer de ses chants sa place au foyer d'un hôte , ou lorsqu'à l’exemplé des. bardes et des skaldes , il-entonné l'hymne de la bataille et de la victoire , et dans les veilles des. camps redit ou les anciens. exploits ou ces longs récits de. douleur. et. d'amour. que la foule

CL)! Genis Raghuis ;. seu Raghuidæ; a famille de Raghou.

%16

a cent fois entendus et veut toujours entendre , semblable à ces enfans de Goethe qui se font chaque soir conter la même histoire, si bien qu’ils peuvent au besoin aider à la mémoire du conteur. Ces temps passés, il n’y a plus pour la poésie de véritable popularité ; quelques-unes de ses inspirations pour- ront encore amuser un instant les loisirs du peuple, mais elles ne resteront plus gravées dans sa mémoire, parce que d’autres besoins ont remplacé les besoins d'autrefois ; il peut vivre sans elle , et ne la cherche plus: Alors le poète chante et compose pour une aristocratie de rang et de savoir qui peut aussi se passer de ses œuvres, et n’y voit en les acceptant qu’un moyen de plaisir ; il devient homme de lettres ; esclave de l’opinion, parce que sa gloire et sa fortune en dépendent, rangé de force sous le drapeau d'une école, parce :qu'il ne peut affronter sans amis les dégoûts superbes de lec- teurs blasés , il ne demande plus à son génie les lois dictées par la nature ; il consulte la mode, se règle sur les modèles du jour, et ne s'inspire que par ré- flexion : je crois qu’alors la poésie peut encore s'é- lever parfois au-dessus de la terre, mais on voit traîner sa chaîne, et son vol pénible n’atteint plus les cieux. | Et ces temps malheureux ne sont point seulement pour le génie un âge de servitude, ils amènent aussi d'ordinaire : l'épuisement et la stérilité.

217

Quelles que richesses que la nature ou les annales d’un pays puissent offrir à la poésie , quelque vive et féconde que soit l'imagination du peuple qui lhabite, un temps doit venir le poète ne trouvera plus dans les traditions nationales un souvenir que d’autres n'aient déjà célébré , dans les scènes de la vie ou dans la nature un tableau dont ses lecteurs ne soient fatigués , dans le cœur de l’homme une passion que les talens de toute mesure n’aient pas exploitée. C’est alors qu'on innove pour le mètre, pour la langue , pour la poétique , véritable âge de fer la minutieuse exactitude du genre descriptif est la dernière ressource de qui prétend à faire preuve de puissance. -- Les muses anciennes pé- rirent en décrivant : plus heureux , nous croyons avoir découvert pour nos poètes un nouveau-monde dans l'intimité de la conscience; peut-être n'avons- nous fait que porter ailleurs par un dernier effort le scalpel de l'analyse ; au moins , si nous retour- nons à la poésie par ces voies détournées , elles nous éloignent bien autrement encore de l'intelligence et de la sympathie du peuple. Les littératures grecque et latine n’ont point connu nos terres nouvelles de- la poésie intime, bien moins encore cellés de la poé- sie humanitaire ; et quant aux lettres sanskrites , que les habitudes spéculatives de l'Orient sem- blaient pouvoir y conduire , le genre descriptif me semble avoir été leur dernière limite.

218

Ce n'est point que l’auteur du Raghouvansa ne fasse que décrire ; son. poème ne serait. plus une épopée ; mais il peint beaucoup. plus qu'il ne-:ra- conte. Si je ne me trompe, la poésie sans- krite n’abandonna jamais entièrement les formes épi- ques ; mais les élémens dont le «parfait accord à fait dans l'Inde, comme ailleurs, la: poésie des grands siècles , brisèrent enfin leurs harmonieusés proportions : c'était une manière de produire du neuf ; l'élément descriptif domina tous les autres, et le fond'ne répondit plus à la forme. Les narra- tions du Raghouvansa ont peu de développement , les descriptions s'y prolongent ; c’est un tribut que l'auteur devait payer à son époque ; malheureuse- ment ce n’est point la seule faute qu’elle lui ait fait commettre : ce qu'il n'eût point fait, je crois, quelques siècles plus tôt, il met parfois l'esprit à la place du sentiment , et l’érudition l'imagination devait se montrer seule ; son expression m'est pas toujours exempié, de recherche ; sa phrase!, pres- que toujours formée d’une seule proposition , pré- sente souvent dans sa construction quelque chose de savant et d’artificiel ; enfin il abuse de Ja richesse de sa langue et de la facilité avec laquelle les mots y passent du propre au figuré, pour employer à la fois le même terme dans les deux sens , et préseu- - ter ainsi des images le dictionnaire le conduit bien plus que la nature. Ce, sont là, Messieurs ,

219

des fautes où.le poète ne tombe pas, quand sa muse est encore. fille du peuple ; car le peuple ne saisit guère le ,sel d’un trait d'esprit ; l’afféterie de l'ex- pression le séduit peu , parce qu’il est plus occupé des choses que des mots ; il ne sent point , par la même raison , ce qu'il peut y avoir: d'art et de science dans. l'arrangement d’une période habile- ment, construite ; de longues descriptions l’ennuient, parce que l'éducation ne lai a point appris à sou- mettre froidement à l’analyse ce qui charme ou sur- prend ses regards :ses émotions sont trop vives pour lui permettre l'examen , ses sens trop impar- faits pour qu'il y réussisse ; s’il peint , c'est à grands traits, et, pour en être compris, c’est ainsi qu'il faut lui parler : telle est, Messieurs, la poésie d'Homère , téllé aussi, je crois, celle. des ancien- nes épopées de l'Inde.

En rendant compte du travail de Sleuzler, sur le texte du Raghouvansa (1), M. E. Burnouf a émis doute que ce livre fût vraiment de Kälidäsa, l’auteur de la charmante pastorale de Sakountalà ; s'il m'était permis d'être plus sévère après un tel juge , j'exprimerais plus qu’un doute. Sakountalà est bien de la même époque ; quelques traits lais- sent apercevoir aussi que l’auteur peint un autre âge que le sien ; mais si le poète cherche quelque-

( 4) Journal Asiatique , XI, p. 505!

«

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fois à éblouir ses lecteurs, c’est par la perisée , ja- mais par les mots ; or, tels ne sont pas: toujours’ les principes d'après lesquels procède l’auteur du Raghouvansa ; il compte sur l'expression , se laisse diriger par elle, et, si je ne me suis pas trompé , s'abandonne parfois à des jeux d'esprit indignes de la poésie : Sakountalà ne compte pas une seule faute de ce genre. Mais le Raghouvansa contient heureuse- ment assez de véritables beautés pour racheter ces. erreurs de goût ; j'espère , Messieurs, que vous le reconnaîtrez tout-à-l’heure : j'insiste sur la critique par prudence autant que par conscience , aimant mieux pécher par sévérité que par excès d'in- dulgence ; l’auteur n'en souffrira pas ; Dante et Pé- trarque n'ont pu éviter les concetti , et n’en sont . pas moins les pères et les maîtres de la littérature italienne. |

Je blämerai encore dans le Raghouvansa le choix même du sujet. Ce poème contient , comme le titre l'indique , l'histoire de la famille de Raghou. Dix- sept noms y figurent l’un après l’autre ; sans autre lien qne celui d'une succession généalogique ; il n'y a donc ni unité d'action, ni unité d'intérêt; c’est une généalogie , telle qu'étaient sans doute celles d’Asius de Samos et des autres Homérides qui trai- tèrent cette partie des annales de la Grèce. Il est vrai que trois ou quatre de ces noms illustres remplissent la majeure partie du poème, etique les

221

autres se pressent dans un même chant; mais les lois d'unité n’en sont pas moins violées, et cependant leur . observation tient de trop près à l’essence même de l'art , pour ne point l’exiger dans toute épopée , quels que soient le siècle et le pays qui l’ont vu naître. Je crois pourtant que pour être justes avec les poètes épiques de l’Inde, nous ne devons pas oublier que chez eux l’histoire et l'épopée ne se séparèrent ja- mais: sicette considération ne peut excuser dans leurs ouvrages l'infraction des règles fondamentales de l’art, elle peut au moins servir à l'expliquer. Les différens cycles épiques qui formaient avec l'Iliade et l'Odys- sée l’histoire des premiers âges de la Grèce , ont présenter pour la plupart les mêmes imperfections : c'est un défaut qui tient aux origines de ce poème, et qui n'exclut pas la poésie.

Je crois, Messieurs , ne pouvoir mieux vous faire connaître le sujet du Raghouvansa, que par l’expo- sition même du livre : elle est assez complète pour donner une idée de l’ouvrage entier. L'auteur m'y semble assez bien saisir le ton qui lui convenait ; il a su le varier à propos , sans jamais le laisser tom- ber ; c'est une de ses qualités. Vous pourrez obser- ver aussi qu'il ne chante point seulement les com- bats : il semble en effet que les vertus guerrières ne doivent point former seules tout le domaine de la muse épique; l’homme peut être grand ailleurs encore que sur un champ de bataille , et le poëte le

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peut suivre partout sa nature s'élève. Après avoir invoqué , non pas sa muse , les poètes indiens n'en ont point , mais le dicu Siva et son épouse Pâr- vali, dont le culte dominait sans doute alors la reli- gion populaire, l'auteur du Raghouvansa continue ainsi : il ne faut pas oublier que Raghou appartient à la dynastie solaire : |

» 2 Ma faible voix osera-t-elle QE les enfans, du lait? 4 insensé , lancerai-je mon frêle esquif sur ces mers immenses ? |

». 3. Dans ma folle ambition pour la gloire du- poèle , m'exposcrai-je au rire de la foule, sembla- ble. au nain chétif qui tend son bras vers le fruit qu ’un géant seul peut atteindre ?.

» 4. Mais les chantres des temps passés mont ouvert un accès dans les annales de cette auguste lignée ; j'y puis pénétrer après eux , comme la soie traverse la gemme ouverte par l'angle du diamant.

5. Princes fameux, purs à votre entrée dans la

vie, qui persévériez dans vos œuvres jusqu'au succès ; qui gouverniez la terre jusqu'aux bords de l'Océan, et lanciez vos chars de guerre jus- qu'au ciel d’Endra ; ; _.» 6. Chastes gardiens du feu sacré, qui mesu- riez vos dons aux vœux de l'indigent , qui puissiez selon la faute et veilliez selon l'heure ; :

17 N'épargnant l'or qu'afin de le répandre à

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éloquens pour le triomphe de la vérité , conquérans pour votre gloire, époux pour propager votre race; 8. Qui passiez dans l'étude votre pieuse en- fance, qui obéissiez dans la maturité aux désirs de vos sens (1), dont la vieillesse s’écoulait dans les austères retraites de l'anachorète, et qu'au terme de la vie les efforts d'une méditation puissanté déli- vraient des entraves du corps ; |

» 9. Noble famille de Raghou, je vous chan- terai donc, inalgré la faiblesse de ma voix : le bruit de vos actions ne pouvait frapper mon oreille , sans m'inspirer celte audace.

» 10. Que l'homme vertueux écoute l’histoire de ces princes, afin de mieux distinguer entre le bien et le mal (2) : c'est par le feu que l’on appreskl si l'or.est pur mélangé. »

Vous aurez observé, Messieurs, que l’auteur re-

(4) Je conserve la lettre du texte : pour les trois eates pures, la vie se partagc en quatre époques ; la troisième, celle des maîtres de fa- mille , est la seule l’on puisse obéir à l'impulsion des sens ; mais il est Pen entendu qu’il ne s’agit que des devoirs et des droits FUEL ( Man. Ill).

(2) Sadusadvyaktihetavah, ce que Steuzler rend par vértutuni vitiorum- que arbitri: je crois que la suite des idées exige que ce mot soit pris d’une autre manière , el traduit ainsi littéralement : 4oni malique dis- tinctionem (tanquam ) causam habentes ('scilicet , hæc audiendi ). La vertu de l’homme même le plus vertueux est rarement sans mélange ; qu’il la compare donc à celle de ces princes ; cétte comparaison lui apprendra ce qui reste en lui d’imparfait |, comme le feu révèle Le impu- retés de l'or.

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connait ne suivre qu'une voie déjà frayée ; il s'en félicite, mais je doute qu’il soit en cela bien sin- cère ; il est fâcheux , comme je l’ai dit, d’avoir à traiter un sujet déjà illustré par d’autres, et l’au- teur du Raghouvansa l’a certainement senti: sil garde la route d’autres l'avaient précédé, s’il suit des guides, c'est en s’efforcant de ne poser le pied que leur trace est le moins marquée ; il abrège tout ce que ses devanciers ont développé, et développe à son tour ce qu'ils n’ont qu'efileuré. Il est inutile de dire qu'avec cette manière de pro- céder , la marche du poème est gênée , et que l'on n'y trouve point cette justesse de proportions né- cessaire dans toute œuvre d'art. Le neuvième chant du Raghouvansa offre un exemple frappant du sys- tème adopté par l’auteur; je le mettrai sous vos yeux, parce que j'ai lieu de croire que, dans les derniers âges de la littérature sanskrite , on a sou- vent appliqué le même procédé aux œuvres d'é- poques plus heureuses : l’auteur du Nalodaya , par exemple , a refait le charmant épisode de Nalus, du Mahâbhârata, précisément comme notre poète re- prend ici quelques-unes des plus belles pages du Rä- mâyana. Dans la magnifique épopée de Välmiki, (1)

(4) Des raisons d'état contraignirent Râma à répudier son épouse ché- rie , la belle Sità : élle était alors enceinte ; recueillie dans l’hermitage de Välmiki, elle mit au monde deux fils jumeaux , qui furent élevés par

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le roi Dasaratha, qui sent approcher sa fin, appelle dans la nuit une de ses femmes, et lui révèle pour- quoises fils sont tous exilés loin de lui, et ne viennent point fermer sa paupière. Autrefois, lui‘dit-il , lorsque les feux de la jeunesse nourrissaient encore l'ardente inquiétude de son âme, il se rendit aux premiers jours du printemps dans une forêt pro- fonde, pour s’y livrer aux dangereux plaisirs de la chasse : les lions, les buffles, les tigres, tombèrent en foule sous ses coups. Emporté par son ardeur, il s'écarla de sa suite, et se dirigeait seul vers un fleuve prochain, lorsqu'un bruit vint frapper son oreille : il crut entendre, derrière les buissons qui couvraient la rive , un éléphant qui remplis- sait d'eau sa trompe pour s’en abreuver ensuite : Dasaratha tendit son arc, et sa flèche alla tra- verser le feuillage ; mais une voix humaine se fit entendre aussitôt, le prince courut , et trouva un jeure Brahmane étendu mourant sur la rive qu’il inondait de son sang : il était venu au fleuve puiser de l’eau pour l'offrande du matin, et les débris de sa cruche étaient encore près de lui. Ce récit est connu par la traduction élégante de

M. de Chézy; il me suffit donc de le rappeler

länachorète. Il composa pour eux le poème fameux qui porte le nom

- de Rémäyana ( les courses de Râma ) ,«et les jeunes princes chantaient auprès de Sità les exploits de leur père , et la consolaient ainsi des dou- leurs de la séparation. » ( Raghouvansa, xv , 74 ).

15.

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à votre souvenir : l'effroi du prince , la pieuse résignation du jeuue homme, son dernier ordre à son meurtrier , la touchante erreur de ces vieillards aveugles qui prennent Dasaratha pour leur fils, leur douleur enfin , lorsqu'ils se jettent sur le corps sanglant de leur fils, et l'éloquente imprécation du père, toutes les parties de ce drame pathétique présentent un intérêt trop vif, pour n'avoir point laissé de traces dans vos mémoires. Or, cette his- toire de la mort du jeune Yadjnadatta était trop cé- lèbre pour que l'auteur du Raghouvansa se per- mit de la supprimer, elle était trop bien rendue pour qu’il prétendît mieux faire : quel parti prendre? Il réduit à quelques vers les scènes pathéliques qui forment presque tout le récit du Rämäyana, et s'arrête à décrire avec toute la richesse de sa verve les charmes du printemps, sa puissante influence sur la nature animée , et les exploits du roi Dasa- ratha dans sa guerre aux peuples des forêts. Comme vous le voyez, Messieurs , l’auteur appartient bien évidemment à l’une de ces époques secondaires l'on se détourne sciemment des sources les plus fécondes , parce qu'il faut éviter le dangereux pa- rallèle d'inspirations semblables, et surtout parce qu'auprès de lecteurs fatigués , désormais insen- sibles aux véritables charmes de Ja poésie, le pre- mier mérite , de seal même peut-être, c’est celui d'être neuf. C'est aimsi que l’auteur du Nalodaya

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s'est mis à la torture pour refaire , vous disais-je, l'histoire de Nalus dans un mètre les entraves de la prosodie se joignent à celles d’une rime qui porte, non sur une syllabe, comme chez nous, mais sur Lrois, souvent même sur quatre, et cette rime extravagante il la ramène toujours trois ou quatre fois par vers ou par distique : quant au poème , il l'a réduit aux plus étroites proportions, pour y introduire de son crà le tableau d’une scène de gynécée digne des pinceaux d’un peintre des palais de Louis xv.

À en juger par les apparences , le Nalodaya , bien qu'attribué aussi à Kâlidâsa, doit être d'une date plus récente encore que le Raghouvansa : celui-ci rachète du moins par des beautés qui lui sont propres les défauts de son époque, et, s'il décrit souvent au lieu de raconter, il le fait toujours avec talent. Les derniers vers de la description du printemps me rappelant les stances qui terminent dans la Jé- rusalem celle des jardins d’Armide , j'ai voulu com- parér les deux poètes ; il m'a semblé, malgré le charme d'une langue plus familière à mon oreille, que dans ce morceau justement célèbre le poète italien restait au-dessous du chantre indien de toute la distance de la fiction à la réalité: le second n'i- magine pas, il voit ce qu'il décrit , il connait, pour en avoir senti l'influence , ce magnifique réveil de la nature dans ces- belles contrées, ce développe-

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ment de la végétation la plus riche et la plus vi- goureuse dont le créateur ait paré la terre, ces premières ardeurs d'un soleil des tropiques , et cette fièvre des sens que parait éprouver alors tout ce qui respire dans ces brülans climats : rien de fictif; aussi l'imagination s'enivre à ces tableaux , et, lorsqu'elle échapperait à leurs puissans attraits, elle demeurerait encore frappée de leur graudeur.

Je crois, Messieurs , en avoir fini avec la cri- tique ; vous êtes prévenus des fautes l'auteur du Raghouvansa s’est trouvé conduit par le goût de son époque , et surtout par le choix d’un sujet déjà traité par d'autres : je puis donc maintenant vous présenter sans crainte quelques-uns des pas- sages qui m'ont le plus frappé. Je n'essayerai point de séparer l'intérêt littéraire de celui qui tient à Ja peinture des caractères et des mœurs : ce que je pourrais ne vous ciler que sous le rapport de l’art, vous intéresserait encore pour l'étude de l’homme , et ce que j'analyserais sous ce dernier point de vue, n’en aurait pas moins, comme œuvre litté- raire , un charme que votre expérience saurait aper- cevoir malgré l’aridité d'un extrait Si vous jugez l'abstraction nécessaire , il vous sera toujours fa- cile de l'opérer.

Vous vous rappelez que, si la loi brahmanique tolère la polygamie , la femme indienne n’en jouis-

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sait pas moins de quelque liberté dans le choix de son époux : les filles mêmes des rois , par un privi- lège qu’elles ont rarement ailleurs, étaient libres alors de tout contrôle : celte élection d’un époux se faisait dans les cours indiennes avec une solen- nité que le Raghouvansa nous a retracée , en mê- lant à sa description quelques traits d’une origina- lité naïve qui vous plairont sans doute.

Le roi des Vidarbhes avait fait connaître par ses ambassadeurs aux princes ses voisins, que le mo- ment était arrivé sa sœur Indoumati devait faire le libre choix, pour me servir de l'expression sans- krite. Les prétendans se mirent donc en route, voyageant comme voyagent les princes d'Orient, avec des chars de guerre , des éléphans et toute une armée. Le roi des Vidarbhes les reçut dans les pa- lais qu'il avait fait préparer pour chacun de ses hôtes , et leurs cortèges dressèrent leurs tentes sous les murs de la cité royale. Le lendemain , aux pre- miers feux du jour, des chœurs de jeunes chan- teurs vinrent se placer sous les fenêtres des princes, qu'ils réveillèrent par des chants à leur honneur ; les princes se parèrent , et se rendirent ensuite au lieu destiné pour la cérémonie : tout se passe en plein air.

Des trônes avaient été placés sur des estrades richement ornées ; c’est que les rois vinrent s’as- seoir : la foule curieuse se pressait à l’entour ; des

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hérauts ; instruits dans la science héraldique , célé- braïent cette illustre assemblée de rois ; les ins- trumeris de musique faisaient retentir les airs, étla fumée de laloès roulait vers les étendards ses tour- billons embaumés. Bientôt , assise sur un char à quatre roues, la jeune princesse s’avança par la large voie que l’on avait laissée entre les trônes des princes ; elle avait revêtu la robe nuptiale, et des hommes traînaient son char.

Fidèle à ses habitudes descriptives , le poète dé- peint les différentes attitudes des princes amoureux à l'approche d’Indoumati ; c’est un tableau de co- quetterie masculine. L'un agite aulour de sa tête une fleur de lotus, et semble jouer avec les äbeilles qui voltigent sur la fleur ; un autre, la figure à

-demi-détournée , replace une guirlande tombée de son épaule , et qui s'était arrêtée aux perles son bracelet ; celui-ci regarde derrière lui , tandis qu’a- vec négligence il balance l’escabelle de son trône d’un pied dont les doigts légérement courbés mon- trent des ongles de la coupe et du coloris le plus parfait ; celui-là , le bras gauche appuyé sur le dos de son siège, s’entretient avec un ami, tandis que de la main droite il raffermit le diadême d'or qni pare son front : il en est un qui, pour mieux ployer à la fois toutes les grâces de sa personne , s'occupe à faire voltiger en l’air des balles d'ivoire, variant dans ce jeu d'adresse les cercles et les fi-

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gures avec celle élégante facilité que des jongieurs de ces contrées viénnent quelquefois encore montrer sur nos théâtres : tous enfin , s'efforcent de capti- ver le cœur de la belle Indoumati en charmant ses regards par les poses qu'ils jugent les plus pro- pres. à la séduire. |

Indoumati est accompagnée par ure femme du palais chargée de veiller à la garde des portes ; c'est une fonction importante dans les cours indieu-- nes. Le char s’avance, et vient s'arrêter devant le roi de Magadha ; Sounandà, la compagne d'Indou- mati ; proclame à haute voix les titres de naissan- ce, les hauts-faits et la puissance de ce prince ; mais la princesse n’a point incliné son front, sa ‘bouche ne s’est point ouverte ; le roi de Magadha n’est point accepté , et Sounandà conduit la jeune reine vers le trône suivant, « comme sur le sein « d'un lac, dit le poète, le vent, en effleuraut « londe , mèue d’une fleur à l’autre un cygne aux « ailes déployées ».

Les-rois d'Anga , d’Avat , de Souraséna, et beau coup d’autres furent refusés de même : vainement Sounandà s'efforce d'attirer l'attention d’Indoumali sur le puissant roi d'Hastinapoura ; la princesse ne paraît point l’enteudre. Enfin le char s'est arrêté de- vant le trône d’Adja, le fils de Raghou ; la prin- cesse cache à peine l'émotion qui l'agite; Sounan- l’a devinée, et l'éloge d'Adja fait oublier celui

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de ses rivaux. Quand elle eut cessé de parler , une vive rougeur colora le front d’Indoumati; sa bouche ne pouvait parler, mais tout en elle indiquait le plus brûlant amour ; « continuons notre marche, » lui dit sa conductrice avec unsourire ; mais le choix d'Indoumati était fait : elle répondit à Sounandà par un regard irrité , et , le front baissé, elle remit dans ses mains la guirlande de fleurs qui devait pa- rer la tête de son nouvelépoux. La foule applaudit, puis l'assemblée se leva , ct se divisa en deux par- ties ; d’un côté était avec le frère d’Indoumati l’heu- reux Adja et ses nombreux amis, de l’autre les princes refusés. | F

Le chant qui suit, contient les cérémonies nup- tiales , et le récit de la victoire d’Adija sur les prin- ces ses rivaux que la jalousie arma contre lui; c’est le complément de la scène qui précède, Tandis que ces princés se retiraient daus leurs camps, le fils de Raghou rentrait dans la ville avec Indou- mati et le prince son frère ; les rues étaient jon- chées de fleurs , les arches des portes étaient riche- ment ornées, et les étendards déployés dans les airs arrêlaient les rayons du soleil. A l'approche du corlège , les femmes accourent aux fenêtres » pour voir passer et saluer les époux; la plupart ont quit- les soins de leur toilette encore incomplète : si le poète ne parle pas de rideaux , il faut penser que l'usage n’en était pas connu dans l'Inde ; il est vrai

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que les négligés imaginés par l'auteur indien ne sont pas au désavantage de son tableau. Ce mor- ceau appartient encore au genre descriptif; l'au- teur a voulu donner cette fois une scène de curio- sité féminine ; j'avais cru voir d'abord une inten- tion maligne , mais je m'étais trompé ; en général , je crois qu'on peut trouver dans la littérature Sans- krite quelques morceaux les faiblesses du carac- tère de la femme sont altaquées avec sévérité, mais la malignité ne s’y montre jamais.

Le cortège rentré dans le palais, le prêtre atta- ché à la maison du roi, jeta dans le feu sacré le beurre clarifié et les autres offrandes , prit Agni à témoin de l'union qu'il allait former , et mit dans la main du prince celle d'Indoumati: c’est une des formes du sacrement nuptial d’après le Dharma- sâstra. Indoumati jeta ensuite dans la flamme quel- que grains de riz , et la fumée qui s'en éleva vint

effleurer son visage , ce qui était d'un favorable au- gure. Enfin les deux époux quittèrent l'autel pour venir s'asseoir sur le même siège, et les maîtres de famille, le roi, et les femmes engagées dans les A . , à mêmes liens, s’approchèrent d'eux par files, et répandirent sur leur tête des grains humides. J'i- gnore le sens de ce dernier usage qui reparaît dans des circonstances toutes différentes , et ne fait point partie des cérémonies nuptiales. Les Romains et les Grecs jetaient aussi l'orge sacrée sur la tête de 8

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leurs victimes ; il n'est pas impossible que ces usa- ges ue différent point d'origine. (1) = Les princes refusés reçurent du frère d’Indou- mati les présens et tous les honneurs que leur rang demandait ; ils les reçurent avec l'apparence de la joie, mais la colère $e cachait dans leur cœur, « comme le serpent au sein des lacs » ; leurs projets étaient arrêtés; ils partirent avant Adija , et l'atter- dirent à quelques journées de marche. -Lé combat fut terrible ; les Apsarâs , descendues sur la scène: du carnage , comme les Walkyries de Wodden, n'é- taient pas assez nombreuses pour conduire aux cieux sur leurschars toutes les âmes des guerriers immolés.

Je trouve dans le récit de ce combat quelques- faits d'armes tels que l’Arioste en raconte ; mais dans un poème sérieux ces extravagances refroïdis- sent l'imagination et n’excitent point d'intérêt : heu- reusement pour le lecteur, ces descriptions de com- bats ne sont point celles le poète se complait ; son poème pouvait lui en fournir plusieurs , il n’en a donné qu’une seule , et ce n’est à la vérité qu'une esquisse où'les traits principaux sont les seuls in- diqués : ce qu'il semble préférer, c’est la peinture dés sentimens tendres et délicats. Le début du troisième chant offre un morceau de ce genre d'un

(1) On remarquera que les formes du sacrement nuptial et lés céré- nionies qui le.suivent n’indiquent pas que la femme entre à litre d’infé- rieure dans 11 maison de son époux. ( Cf, Man. 1141. )

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charme inexprimable : le poète nous introduit dans la famille du roi Dilipa, dans l’intérieur du gyné- cée , et retrace le bonheur avec lequel ce prince voit approcher le moment ses affections paternelles auront enfin se reposer ; et, l'œil toujours fixé sur son épouse bien-aimée dont la beauté pâlit sans s'altérer, suit avec une inquiétude mêlée de la plus délicieuse ivresse ces progrès qui lui révèlent cha- que jour l'existence du fils que le ciel a pr. mis à son orgueil. Le poète a mis dans ce tableau naïf une chasteté qui ajoute au charme de sa poésie; en même temps le mélange de grâce et de dignité qu'il a su répandre sur cette femme objet dans son état d’un si respectueux amour , m'a paru propre , com- me beaucoup d’autres traits du même livre, à ré- former des erreurs trop généralement adoptées sur le sort de la femme et son rang dans la famille en Orient : je nai pu résister au plaisir de traduire ce morceau , bien qu'il présentât des difficultés, et que je craignisse , je l'avouerai , que celle candeur et cette simplicité toute primitive ne provoquas- sent le sourire , malgré la poésie de l'expression ; mais je me suis reproché ma crainte ; notre nature n'a pu changer tout-à-fait avec les habitudes de notre esprit , et, si l’on n’avoue plus des sentimens de ce genre , j'aime à croire qu'on les éprouve encore. | | Comme dans ces vieux contes qui ont char-

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mer votre enfance comme la mienne , le roi Di- lipa n'avait point d'enfant de son épouse favo- rite , et pourtant il désirait beaucoup en avoir. Nos ayeux auraient fait un pélerinage : c'est aussi ce que fit Dilipa ; il se rendit avec Soudakchinä, sa. femme bien-aimée , à l'hermitage d'un célebre anachorète qui l’avait élevé, et revint avec la promesse que ses vœux allaient être exaucés. Les deux premiers chants du poème contiennent le récit de ce pélerinage ; le troisième commence ainsi : 5: 15

1. » Soudakchinä reçut dans ses flancs un germe précieux , qui combla les vœux de son époux, mit la juie dans le cœur de ses amis , comme l’astre des nuits à son lever, et assura pour jamais la li- gnée des fils d’'Ikchväkou. (1)

2. » La reine alors déposa une partie de sa parure dont les liens ne pressaient plus ses mem- bres amaigris : pâle comme les fleurs du rodhra, elle parut comme Ja nuit , à l'approche de l’au- rore, à l'heure s’affaiblit l'éclat de la lune, et quand les étoiles peuvent encore se compter.

3. » A vue même de ses compagnes, le maître de la terre baïsait sans cesse son front parfumé, semblable à l'éléphant , dans les derniers jours

’élé, lorsqu’au fond des forêts il fatigue de ses lèvres l'herbe humide encore de la rosée des nuits

() Premier prince de la dynastie solaire.

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5. » Eh quoi! la fille du roi de Magadha » nose-t-elle m'exprimer ses désirs ? quels vœux » a-t-elle formés? » disait à chaque instant le prince inquiet aux plus tendres amies de son épouse.

4; 6 » Quelque souhait qu’elle concût dans les fa- tigues de la grossesse, elle le voyait aussitôt rem- pli : elle ne pouvait rien désirer , fallüt il le ravir au ciel, que l’arc invincible de son époux ne püt lui procurer

7. » Cependant l’époque des souffrances était pas- sée pour Soudakchinà : déjà croissait le fruit qu’elle portait dans ses flancs : elle avait recouvré l'éclat de sa beauté, comme la plante au printemps, lors- que tombent les feuilles que l'hiver a flétries.

8.» De jouren jour elle voyait gonfler ses ma- melles et leurs extrémités s’humecter et brunir, plus belles que deux fleurs de lotus au sein des- quelles se cacherait l'abeille...

10. » Le pieux Dilipa fit accomplir, à partir de la conception , tous les sacremens , et le fit avec une magnificence digne de son amour, de sa grandeur d'âme, et des richesses qu’ilrecevait des régions les plus lointaines.

Al. » Chaque fois qu'il rentrait dans son palais, il aimait à voir son épouse, dont le sein recélait

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l'essence même des dieux les plus grands {1}, se lever lentement de son siége , joindre avec peine les mains pour le saluer, et ne fixer sur lui qu’un re- gard incertain. | |

12. » Le prince avait entouré son épouse de mé- decins officieux, habiles dans les soins que réclament pour l'enfant les premiers jours de la vie : il la” contemplait avec bonheur , conduite enfin au terme désiré, comme la nue féconde prête à répandre sur la terre les trésors de son sein. |

13. » Alors , au temps précis , l’heureuse Sou- dakchinà mit au monde un fils, tandis qu'au plus haut des cieux cinq planètes brillaient sans gra- viter vers le soleil, signe certain d'une fortune prospère. .

14. » Le ciel était pur à tous les points de l’ho- rizon ; un vent doux rafraichissait les airs; la flamme sacrée, en ondoyant vers la droite , sem- blait vouloir saisir l’oblation dans les mains du sa- crificateur : tout donnait dans ce moment les pré-

(1) L'auteur fait allusion à ce passage du septième livre de Manou.

3. . . . Pour la conservation de tous les êtres , le Seigneur forma un roi, | Fe

‘A. En prenant des particules éternelles de la substance d'Ingra ; d’A- nila , de Yama , de Soürya , d’Agni, de Varouria , de Tchandra et de Kouvéra;

5. Et c’est parce qu'un roï a été formé -de particules tirées de l’es- sence de ces principanx Dieux , qu’il surpasse en éclat tous les autres mortels. " s

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sages les plus favorables : de tels hommes naissent pour la félicité du monde (1). ..

16. » L’esclave du gynécée quila première fit en- tendre au roi la délicieuse nouvelle qu'un fils lui était né, fut invité à choisir le don que son cœur préférait ; l'heureux prince n'excepta que trois choses , l'ombrelle et les deux éventails, insignes de sa royauté.

17. » Le roi contempla avec ivresse la figure de son fils, attachant sur lui des regards immobiles, comme la fleur du lotus que nul soufle n'agite : il ne pouvait contenir la joie qui bouleversait son âme ; tel s'émeut l'Océan , lorsqu'il voit paraître l'astre des nuits dans toute sa splendeur. »

Je crois, Messieurs, que pour être exprimée sous des traits plus uaïfs, l'affection du roi Dilipa n'est ni moins pure, ni moins poétique que les sentimens de même nature présentés, je ne dirais point par les poètes et les romanciers du jour, mais dans le petit nombre de nos livres les plus chastes : or, un sentiment pur élève toujours l'être qui en est l'objet ,et des mœurs aussi dou es sup- posent le bonheur : je crois que si la femme dans le gynécée indien ne s'élevait point au niveau de l'homme , sa position n'était pourtant ni sans di- gnité , ni sans véritable bonheur. Cela ressort de la

(1) Ce fils était Raghou.

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législation. du Dharmasâstra, et j'espère pouvoir un jour rappeler votre attention sur ce point.

Si l’auteur du Raghouvansa aime à prendre la langue du sentiment , et réussit dans ces peintures tendres et gracieuses , ce n'est point qu'il n'ait varié son sujet, ct ne prenne plus d’un ton ; mais lors même qu'il ne parle qu'à l'imagination, quelques traits du même genre’ viennent encore s'adresser eu cœur , et soutenir l'intérêt : j'en citerai un exemple. Le douzième chant contient l'enlèvement de Sîtà, la femme de Râma , par le roi de Ceylan, et la vic- toire du prince indien sur le ravisseur : les exploits de ce héros avaient élé chantés dans la grande épopée du Râmäyana ; l'auteur du Raghouvansa passe donc rapidement sur tous ces fails, mais il prend sa revanche au livre suivant. Râma et son épouse, portés l'un et l’autre sur un char aérien, regagnent ainsi les forêts le prince doit terminer son exil ; des hautes régions de l'air , Râma nomme à sa compagne les montagnes, les fleuves, les fo- rêts, les rivages qui s'offrent à leurs regards : c’est une description dont nos poètes offrent plus d’un exemple ; tous n'y ont pas réussi aussi bien que le poète indien. Si les traditions mythologiques avaient consacré quelques-uns de ces lieux, si les austé- rités de pénitens fameux en avaient illustré d’autres; il en était dont la vue rappelait à Râma des sou- venirs que son cœur aimait à retrouver : c'est au

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bord de ce ruisseau que Sità l'attendait au retour de la chasse ; c'est dans ces prairies qu'il choisissait pour elle la fleur que les jeunes filles indiennes suspendent à leurs oreilles ; plus loin s'offrent à ses yeux les ombrages qui retentirent les premiers de ses cris, lorsqu'au sortir d’un combat la vic- toire l'avait couronné, il appelait vainement Sità, s'imaginant encore qu'elle se cachait pour jouir uu moment de son inquiétude ; partout il aperçoit les antres ,.les forêts, les plages désertes témoins de sa douleur , lorsqu'il demandait à l'Inde entière son épouse bien-añnée. Comme vous l'observez , Mes- sieurs , l'auteur du Raghouvansa , trouvant exploité déjà tout ce que la fable de Râma présentait de véritablement épique , nous a donné la topographie de la péninsule indienne, à quoi ses devanciers plus heureux n'avaient sans doute pas songé ; mais il l'a fait en poète.

Je choisis, Messieurs , parmi tout ce qui m'a at- taché dans le Raghouvausa, et , je l'avouerai , c'est à regret que je laisse tel morceau pour lequel j'au- rais voulu pouvoir étendre davantage les bornes de cette lecture ; mais je puis au moins en indiquer quelques-uns. Je vous signalerai, par exemple , un hymne au dieu Vichnoa , créateur , Conservateur et destructeur des êtres, et, comme tel , résumant dans sa triple unité tous les principes du monde : il est vrai qu'il m'aurait fallu traduire cet hymne,

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et que cette. traduction me parait à peu près im- possible : la littérature sanskrite semble posséder plusieurs chants de ce genre, la métaphysique s'élève jusqu'à la poésie à force d'abstraction.; je doute qu'aucune autre langue puisse chanter sur ce ton , au moins ce n’est point la nôtre. Je vous indi- (juerai aussi la partie du seizième livre Koumoud- vati, ou plutôt le génie qui présidait aux destins de celte cité royale , apparaît à Râma dans le silence de la nuit, et se plaint de l'abandon ses rois l'ont laissée : les plaintes de la ville déserte rap- pellent le ton et quelques-unes des images de Jéré- mie, et la conception en elle-même a de singuliers rapports avec l'apparition de la Patrie dans la Pharsa- le de Lucain ; mais l'effet de cette grande figure est plus complet dans le Raghouvansa, parce, qu'elle est plus développée et mieux en harmonie avec le reste du poème. Enfin , Messieurs, je n’aurais point traduit, ni même analysé le dernier chant du Ra- ghouvansa, mais il me paraît pourtant avoir quelque mérite sous le rapport de l’art et du goût, et les données qu'il renferme ne sont pas sans valeur : les historiens grecs et latins nous parlent de, certains rois d'Orient qui s’ensevelissaient un, jour dans l'ombre de leurs immenses palais , et qui, dès-lors inaccessibles à tous les soins de la royauté, s'étei- guaient avec eur dynastie dans l'épuisement des plaisirs ; mais ces hisloriens ne rappellent que le

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fait; ils écrivaient trop loin de l'Asie pour nous ouvrir les palais de ces rois : dans son dernier chant., l’auteur du. Raghouvansa nous fait assister à ces déplorables.scènes de mollesse et de licence sans frein comme sans repos, et, s'il peint les plaisirs, il en retrace aussi les tristes effets sur leur. victime qui meurt de lassitude sans être rassasiée. IL y a dans ces tristes peintures de la mesure et du goût; l'auteur a su conserver assez de diguité pour ne point souiller ses pinceaux : aussi ce chant, la dynastie de Râma vient expirer ainsi après tant de hauts-faits et de vertus, me semble un de ceux l'auteur du Raghouvansa a déployé le plus de véri- table talent : c'est une leçon d’un grand poète à l'usage des royautés de son pays.

Qu'il me suflise, Messieurs , de vous avoir indi- qué le caractère et le sujet de ces morceaux : si vous ne craignez pas la latinité embarrassée et pres- que toujours obscure d’une version à peu-près litté- rale, vous pouvez les lire vous-mêmes à la suite du texte; il est vrai qu'ils auront perdu beaucoup en revêtant cette forme barbare, mais enfin vous y retrouverez le fond de la pensée. Il ne me reste maintenant , pour avoir atteint le but que je m'étais proposé, qu’à vous donner la traduction d’un épi- _sode qui vous offrira un ensemble complet dans des limites assez resserrées : ce morceau n’est pas irré- prochable ; il y a encore des longueurs et de Ja

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recherche, mais c'est un de ceux l'auteur à mis le plus de sensibilité, et peut-être celui de tous qu'il a le plus travaillé. Je vous prie de ne point oublier que je traduis aussi fidèlement qu'il m'est possible, et ne cherche point à corriger mon auteur. Vous avez assisté tout-à-l’heure à l’hymen d’Adja et d'Indoumati ; c'est la séparation des deux époux que le poète essaie maintenant de nous raconter.

( Chaut VIITe. )

32. » Dejà le ciel avait plusieurs fois fécondé l'hymen d'Adja et d'Indoumati : uu jour ces heu- reux époux se promeuèrent dans une forêt voi- sine de leur cité, comme Indra et la belle Satchi dans les célestes bosquets.

33. » Nârada (1) se rendait alors vers les plages méridionales de l'Océan, à Gokarna, (2) pour y charmer le dieu Siva par les sons de sa lyre : il sui- vait la route par laquelle le soleil abandonne les contrées septentrionales. |

34. » Sa lyre était couronnée de fleurs que la terre . n'avait pas vu naître: épris de leur délicieux par- fum , un veut impétueux vint souffler à l'entour 2 et ravit la guirlande embaumée..….

36. » Quel lieu sur la terre pouvait recevoir l’im-

(4) Nârada , fils de Bramhä , et l’un des dix grands Saints ( Mou- nis ou Richis ;) il ,est V’'inventeur de la lyre indienne, et le législa” teur de la musique.

(2) Gokarna , lieu de pélerinage sur la côte du Malabar.

245 mortelle parure , dont l'éclat et le parfum surpas- saient tous les trésors du printemps ? Elle vint tomber sur le sein de l'épouse bien-aimée d’Adija. 37. » Mais à peine Indouwmati eut-elle aperçu ces fleurs qui n'avaient touché qu'un moment son beau sein , elle ferma les yeux , et ne respira plus : telle s'évanouit la douce clarté de la nuit, quand un dieu jaloux saisit la lune dans les cieux.

38. » Son corps ne la soutenait plus; elle tomba, et bientôt son époux la suivit dans sa chûte , com- me la lumière d'une lampe tombe avec l'huile qui la nourrissait.

39. » Effrayés des clameurs confuses que poussa leur suite éplorée, les oiseaux s’élevèrent aux alen- tours du milieu des fleurs , et la même douleur semblait inspirer leurs cris.

40. » Rappelé à la vie par la douce fraîcheur de l'air que l'en agitait sur lui, le prince rouvrit les yeux; mais Indoumati demeurait immobile : que peuvent l'art et les soins, lorsque s’est éteinte la flamme de la vie ?

41. »Le prince la prit dans ses bras, et la tenait assise, comme il s'était plu à la tenir tant de fois ; mais son âme s'était exhalée , et elle était comme une lyre détendue sous la main qui l'interroge en- vain.

42. » Il la pressait. de ses bras, muette el déco-

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lorée , pâle et faible lui-même comme le disque la lune aux premiers feux du jour.

43.» D'une voix entrecoupée de sanglots, il exha-

lait. des plaintes amères ; sa force d’âme n'était plus : si le fer lui-même s’attendrit , comment le cœur ne céderait-il pas ?

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«

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: 44: » Si des fleurs, disail-il, frappent de mort l'être qu’elles ont touché , hélas ! est-il rien dont le destin cruel ne puisse armer sa colère?

45. ». Ah! la mort sans doute choisit ses armes selon ses victimes ; n'ai-je pas vu quelques flo- cons de neige flétrir la fleur du lotus® 46. » Peut-être les dieux jaloux de ma félicité ont-ils imaginé pour la détruire cette foudre nou- velle ;, l'arbre n’a pas été touché, mais ils ont frappé la liane qui s’attachait à ses bras et crois- sait avec lui.

47. » Maïs toi, qui ne m'as jamais repoussé, lors même que j'implorais un pardon , pourquoi tout-à-coup ue daignes-tu plus me répondre, quand mon cœur est fier de son innocence ?

48. » Ah! je n’en doute pas, tu as cru que mes lèvres n'étaient point sincères , que je fei- gnäis près de toi; s'il n’en était pas ainsi, tes ÿeux se rouvriraient pour m'adresser au moins «un regard d’adieu...…

51. » Hélas! je n’avais rien fait, rien pen-

qui püût t'offenser ! pourquoi m'as-tu quitté ?

«

LCA

247

Que m'importe ce titre d'époux el de maître de la terre? Il n’était pour moi de bonheur qu'eri toi !

52. » À chaque souflle du vent qui soulève les anneaux de ta blonde chevelure, à chaque mouvement des fleurs qui parent encore ta tête , l'espoir fait battre mon cœur.

53. » Je t'en conjure, romps ce fatal sommeil ; que ton doux sourire vienne calmer l'anxiété qui

m'oppresse, comme au fond des cavernes, sur les

montagnes , l'herbe radieuse dissipe tout-à coup les ténèbres.

54 » Je souffre tant à voir ta bouche rester ainsi muette sous tes longues boucles que j'eu

écarte envain, semblable au lotus solitaire qui

sommeille daus l'ombre sans une abeille qui

< murmure au fond de sa corolle.

55. » La nuit revient à l’astre qui l’éclaire , l’a- mour ramène au tchakravaka sa compagne ; l’ab- sence pour eux n'a point d'insupportables ennuis; mais toi , qui m'abandonnes pour jamais, à quels maux ne me laisses-tu pas ?

56. » Le pli d'une feuille aurait blessé sur ta

couche tes membres délicats ; Ô ma bien-aimée , oserai-je te placer sur le bois d’un bûcher ? ..….

38. » Tu às laissé au rossignol le charme de ta voix, au cygne la grâce de ta démarche languissante d'amour , à la gazelle ton regard

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craintif, aux fleurs agitées par le vent les doux éclats de ton ris folâtre :

59. » C'est pour moi qu'en télevant vers les cieux tu a$ laissé sur la terre ce qui t’embellis- sait; mais tu n'es plus avec moi,et rien ne pourra consoler mon cœur......

63. » Pourquoi le sommeil a-t-il fermé ta paupière, avant que Lu eusses lerminé la guir- lande qui devait former ta ceinture ? A peine en avions-uous ensemble tressé la première moitié avec les fleurs du valkoula moins embaumées que ton haleine P 64. » Tu n'avais point de peine que ne parla- seassent tes compagnes , point de joies qui ne leur fussent communes ; cet enfant, ton fils et le mien , est beau comme l'astre du matin ; et moi je ue trouvais de bonheur qu'en toi seule : comment, cruelle , as-tu pu nous laisser ?

65. » Ah! j'ai vu périr ma félicité; la vie n’a plus de plaisirs , l’année plus de fêtes pour moi ; je ne chanterai plus, je n’aimerai plus à parer ma lête ; ma couche est à jamais solitaire.

66. » Mon épouse chérie, ma compagne, mon amie , la confidente de mes pensées, mon ai- mable disciple dans l’art aimable du chant , ah! dis-moi, ma belle Indoumati , quel bien la mort ne me ravit-elle pas, quand sa cruauté t'enlève

. à ma tendresse?

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67. » O ma bien-aimée , tes lèvres aitérées ont » tant de fois puisé sur les miennes une si douce . LU »-ivresse.; supporteront-elles l'amertume de cette » onde mêlée de larmes , seul nectar offert aux » ombres de l’autre monde? (1) _ 68. » Je suis encore le maître de la terre, mais » tous verront qu'il n'est plus pour Adja de féli-

M 2

cité : il n’est plus de charmes qui puissent me

- >

. séduire , le bonheur n’était qu'en toi seule. » 69. » Ainsi leroi pleurait son épouse bien-aimée, et les arbres même semblaient touchés de ses plaintes.

70. » Alors ses amis enlevèrent avec peine Indou- mali de ses bras ; ils la revêtirent de funèbres pa- rures , et livrèrent aux flammes son beau corps sur un bücher de sandal et d’agallochus.

71. » Si le prince ne se jeta pas au milieu des flammes, ce n’est point l'amour de la vie qui le retint : il craignit qu'il ne lui fût reproché d’avoir oublié son titre de roi pour suivre dans sa douleur une épouse enlevée par la mort.

72. » Le dixième jour arrivé, lorsqu'il ne lui res- tait plus d'Indoumati que le souvenir de ses vertus, il se rendit dans la forêt voisine pour y célébrer ses funérailles avec magnificence,

(f) Les Indiens faisaient tous les jours aux dieux mânes une libation d’eau pure ; c’est une partie du Sraddha journalier des mânes. ( Man. HIT , 202.

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73 » Puis ilrentra sans elle daus sa ville, pâle comme l’astre au disque d'argent, lorsqu'a disparu la Nuit, son amante : les femmes de la triste Kosala versaient toutes des larmes | et le roi relrouväit dans leurs yeux son amère douleur.

74 » Alors, par la puissance de la méditation, l'anachorète qui l'avait élevé connut dans soli- tude que ‘son âme était abaltue par l'affliction ; J1l lui énvoya l’un de ses ét are pour lui parler alusi :

75. » Le sage et ist anachorète n'ignore point » la cause de ta douleur ; maïs il n’a point terminé » les cérémonies comimencées , ét n’a pu venir lai- » thême fortifier ton âme.

76. »5 Il m'a confié les paroles qui renferment » en peu de mots ce qüe mande sagesse : » prince illustre et puissant, écouté ces ii et » püissent-elles pénétrer ton cœur :

77. » Car, par l'œil toujours ouvert de la science » divine, mon vénérable maître aperçoït dans l’âmé » éternelle des mondes le triple spectacle passé E » du présent et de l'avenir.

78: » Autrefois Vichnou , redoutant le pouvoir » dés austérités auxquelles Trinavindou s'étäit » soumis, envoya près de lui la divine Harini j » afin qu'elle troublât par sa présence ses médi- » tations. à

79. » L'anachorète fut insensible aux chéfinéé

»

»

- 251

qui s'offraient à ses yeux ; mais la colère inter- rompit ses dévotions , et jeta le trouble en sa pensée, comme l'orage aux flots de l'Océan ; il maudit Harini, et voulut qu’elle ne fût plus qu'une simple mortelle.

80. 5 Harint s’efforca d'implorer son pardon ;

elle n'était que la servante du dieu qui l'avait envoyée : Trinavindou fut touché de ses larmes, et permit qu’elle revit les cieux , quaud les fleurs de sa patrie s'offriraiént à sa vue.

81. » Née sur la terre, dans la famille des princes des Vidarbhes , elle a été long-temps ton

épouse ; quand la guirlande fleurs qui devait

terminer son exil, tomba du ciel et vint la tou- cher , elle rendit aussitôt la vie. 82. » Cesse donc de pleurer son départ : tout

ce qui.naît doit périr. Regarde la terre ; c'est la seulé épouse des rois.

83. » Toujours ferme jusqu'alors , tu avais

} montré ta sagessé en évitant l’orgueil dans la prospérité ; sois sage encore aujourd'hui, quand

ton âme est dans la douleur, et ne laisse point

-faillir ton courage. sis

. 84. » Pourquoi pleurer , lorsquen mourant

»

»

«même .de: ta douleur ; tu ne retrouverais pas

cèllé qüé tu as perdue? Au sortir de la vie, les mortels suivent des voies différentes selon la manière:dont ils ont vécu.

252

85. » Banunis le chagrin de ton cœur, el réjouis

» par lés oblations funèbres lon épouse perdue. Les » Jarmes sont pour les morts, dit la loi, un feu qui

» les:consume.

86. » La mort est l’état naturel, dont la vie nous

» écarte un moment : si courte que soit l'existence,

» l'on est heureux, quand on a pu la connaître. 87. » L'ignorant regarde la perte d'un être chéri comme une épine éenfoncée daus son cœur ; pour » l’homme sage et ferine c’est une épine arrachée » du sien; parce que la mort est la porte qui con- » duit au salut: (1)

88. » Si l'âme même et le corps peuvent, d'a-

» près les Védas , s'unir et se séparer , le sage » doit-il s’affliger en se séparant d'objets exté-

» rieurs ?

O toi, le modèle de la modération sur » la terre, ne va point tomber comme l’insensé

(4) Le lecteur attentif apercevra ici quelques contradictions ; le $ 86 présente la vie comme un bien, le $87 en fait un mal. Quoique les auteurs indiens soient moins rigoureux que nous dans l’exposition de. leur pensée, je crois cependant qu'il faut attribuer aux copistes la plu- part des fautes de ce genre Le sens de leur phrase devant toujours se terminer avec le sloka, les poètes sanskrits sont plus exposés que d’au- tres aux interpolations , aux transpositions , aux altérations de toute es- pèce. Les auteurs grecs et latins qui ont employé le distique élégiaque, n’ont pas toujours échappé aux dangers d’un rythme ainsi divisé: les poésies de Tibulle et de Properce en offrent plus d’un exemple. L’inter- polation était d'autant plus facile dans ce passage du Raghouvansa, que le jeune anachorète parle par sentences et ne lie pas ses idées,

253

» sous Je joug de la douleur : en quoi différeraient: » l'arbre et la montagne , si les vents ébranlaient » l’un et l’autre ? »

80. » Le roi recut avec respect les conseils de son vénérable maître, et congédia son disciple : mais ces paroles ve pénétrèrent point son âme trop pleine de sa douleur, et retournèrent pour ainsi- dire à celui qui les avait prononcées.

91. » L'âge de son fils le contraignit à vivre en- core huit années, qu’il passa dans la tristesse, les yeux sans cesse fixés sur l'image de son épouse chérie , cherchant partout ses traits , et se nourris- saut dans le sommeil de douces , mais courtes illu- sions.

92. » La douleur pénétrait chaque jour plus avant dans son cœur, comme les racines du figuier entre les dalles d'un pavé qu'elles ébraulent : impatient d'aller rejoindre son épouse, il se réjouissait que l'art du médecin n'eût point de remède à son mal.

93. » Quand son vertueux fils eut revêtu la cui- rasse, et reçu de ses mains les iusignes de la royauté, le roi, pressé de quitter le triste séjour d'un corps miné par le chagrin, résolut de ne plus prendre aucune nourriture.

94. » Lorsqu'il eut abandonné sa dépouille terres- tre aux lieux le Gange et la Sarayou confondent leurs ondes sacrées , il fut aussitôt reçu parmi les immortels , se reunit dans les cieux à son épouse

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bien-aimée , plus belle encore qu’autrefois , et re- trouva près d’elle le bonheur dans les célestes hos- quets d'Indra. » :

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LA BARQUE DU PÊCHEUR.

—— 2410 Oct ——

BALLADE

PAR M. Frépéric BAZENERY,

MEMBRE CORRESPONDANT.

Désa l'astre du’ jour , achevant sa carrière ;

Inondait l'occident d’un torrent de lumière.

Un vieux pêcheur ,’assis au fond de son bâteau , De ses filets rompus tissait l’étroit réseau.

Il calculait gaîment les nombreuses rasades

Que boit le nautonnier en l'honneur des Naïades. Mais las! un coup de vent le pousse avec fureur , Et soudain s'éloigna la barque du pêcheur.

il cherche vainement , et sa voile et sa lance. Les agrès sont reslés sur la plage de l'anse.

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Vers sa femme éplorée 1l tourne ses regards...

Les yeux levés au ciel, et les cheveux épars,

Elle implore son Dieu , les hommes : tout sommeille.… Ses cris du nautonnier viennent frapper l'oreille. Cette voix gémissante a déchiré son cœur ,

Tandis que s’éloignait la barque du pêcheur.

Ah ! quelle nuit terrible il passa sur les ondes ! L'Océan tout couvert de ténèbres:profondes , Et les flots mugissaus , et la foudre, et les vents, Tout le remplit d’effroi, de noirs pressentimens.… Le poids de tant de maux trouble, accable son âme ; En appelant vers lui ses enfans et sa femme Il pleurait , il pleurait ... Vaine était sa douleur, Car toujours s’éloignait la barque du pêcheur.

Devant l'immensité des eaux tumultueuses, Et sur les flots déserts de ces mers orageuses , Ses yeux le lendemain s'ouvrent avec horreur! Tout ce qui l’environne augmente sa terreur. L'orient , le midi sont privés de lumière ,

Et dans ce vide affreux; par une tabs) pag , Il espère du Ciel apaiser la rigueur , Mais toujours s ‘éloignait la barque du pêcheur.

Déjà brillait pour lui la quatrième aurore, Un vaisseau s'est montré !... Son regard le dévore !., 11 vogue à l'horizon cet envoyé des Cieux !

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La faim qui du pêcheur rongeait le sein livide , Semble avoir oublié sa fureur homicide. L’infortuné répand des pleurs délicieux , Et son cœur palpitant renaît à l'espérance ; Mais, 6 destin cruel! pour comble de souffrance , La voile disparaît sur l’abime en fureur ,

Et toujours s’éloignait la barque du pêcheur.

Bientôt il est poussé vers une île déserte, D'écueils, de rochers nus , et de débris couverte ; Cependant il s'écrie : e O mon Dieu, laisse-moi » Atteindre cette plage, y vivre encor pour toi.

» Oh! qu'il me serait doux de toucher ce rivage,

» Dussé-je, abandonné dans cette île sauvage,

» Voir lentement ma vie y terminer son conrs;

» Dieu juste , Dieu puissant ! ah! protège mes jours!» 11 dit, court à la proue, il la serre , il l’embrasse, La terre est à... tout près. il va toucher . il passe!.…. Ses efforts impuissans le remplissent d'horreur , Car toujours s’éloignait la barque du pêcheur.

Enfin, semblable au trait décoché dans la nue, Vers cette région aux hommes inconuue l'horreur de la nuit se prolonge six mois, jamais un mortel ne se vit qu’une fois, d’éternels frimas ont glacé la nature, Sans qu'un être animé fit entendre un murmure, 17.

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gisent les débris des baleines , des ours , . La barque du pêcheur disparut pour toujours.

*

Le vieux pêcheur c’est l’homme et sa barque la vie. P

QUATRIÈDNE CLASSE

Histoire . Antiquités, Philosophie ; Philologie . etc.

17.5

NOTICE

SUR LA VIE ET LES OUVRAGES

DE

GRESSET ,

PAR S.' A. BERVILLE.

La poésie légère est un genre facile ; mais en au- cun genre il n’est facile d’exceller. Parmi le grand nombre d'écrivains qui l'ont cultivée en France, deux seulement sont en première ligne , Lafon- taine et Voltaire: un troisième , sans les égaler , s'estplacé nou loin d'eux ; c'est l’auteur de Ververt. En 1734 , lorsque déjà les bons vers devenaient chose rare en France , on vit apparaître un petit poème tout rempli de gentillesse , de gaîté , de fine et délicate plaisanterie. Le. héros. de: cette .badine

262

épopée était un perroquet , le théâtre un couvent , le sujet les innocens et légers ridicules du cloître. Ce n’était rien ; mais de ce rien le poète avait fait un petit chef-d'œuvre. Une fécondité brillante , un vers souvent heureux , toujours facile , un enjoue- ment plein d'élégance , un ton de bonne compagnie, tout annonçait un homme du monde et une plume exercée. On fut surpris d'apprendre que l'ouvrage était d’un religieux de vingt-cinq ans, élevé chez les jésuites et professeur en province dans un de leurs colléges.

Jean-Baptiste-Louis GRESSET était dans Amiens en 1709. Sa famille paternelle , d’origine anglaise, s'y établit au 17° siècle , et fit alliance avec des fa- milles distinguées du pays ; Jean-Baptiste Gresset, son père, était conseiller du Roi ; sa mère , Cathe- rine Rohaut , descendait du célèbre physicien de ce nom.

Gresset étudia chez les jésuites d'Amiens. C'était un brillant élève : ils voulurent se l’attacher. A 16 ans, on ne voit guères que par les yeux d'autrui : Gresset se laissa recevoir novice et se vit porter du berceau sur l'autel (1). Il vint à Paris achever son éducation au collége de Louis-le-Grand ; puis, suivant l'usage de son ordre , il dut recommencer comme professeur le cours d’études qu'il venait de

\

(4) Expression de Gresset lui-même.

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terminer comme élève. IL alla donc professer les humanités à Moulins , à Tours , à Rouen , son jeune talent s'exerça dans divers genres : il compo- sa des sermons, des morceaux pour les exercices des colléges ; il rima quelques odes. Dans ces es- sais de jeune homme , on sentait déjà du nombre et de la tournure : pourtant ce n’élaient encore que des essais de jeune homme : Ververt parut l'œuvre d'un maître. L'ouvrage eut un succès de vogue, trois éditions en une année, et, ce qui ne valait pas moins , le suffrage public de Jean - Baptiste Rousseau. C'était, disait ce vétéran de la poésie française , le naturel de Chapelle , mais son natu- rel épuré, embelli, étalé dans toute sa perfection.

L'auteur se vit bientôt rechercher avec empres- sement. Admis dans les meilleures sociétés de la capitale , il fréquenta surtout l’hôtel de Chaulnes , que visitaient une foule d'hommes d’élite en tout genre. Ou y voyait l'évêque de Lucon , Bussy-Ra- butin, cousin de Sévigné, non moins aimable qu'elle; de Vallier , homme d'esprit et plaisir , conou par de piquantes aventures , de président au Parlement devenu capitaine au régiment de Champagne , et mangeant gaiment le fonds de quatre-vingt mille livres de rente ; de la Faultrière , magistrat ; La- place , homme de lettres, traducteur de Tom- Jones ; d'Orléans de la Mothe , depuis prélat trop zélé , alors gai conteur, improvisaut des facéties

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_et de rimes légères , et n'ayant d'émule en ce gen- re que Gresset, dont il fut bientôt l'ami ; les deux Chauvelin , le marquis et l'abbé , l'un devenu plus tard l'ambassadeur de France à Turin et l'hôte de Voltaire ; l’autre, membre du Parlement , bossuw spirituel , grand ennemi des jésuites qu'il dénonça plus tard, maïs très-porté d'inclinationu pour leur élève. Les maîtres du logis n'étaient pas indignés d’une telle société : Ja duchesse de Chaulnes était aimable ; le duc, ami de Picards ses compatriotes , souriait aux sailles de Gresset comme à celles d’un fils bien-aimé. Ce fut dans les jardins de Chaulnes, sous les bosquets de Minerve , que Gresset composa son épitre au père Bougeant et cette jolie Char- treuse, que Jean-Baptiste Rousseau regardait avec raison comme son chef-d'œuvre , la plus aimable: philosophie s'épanche en vers toujours faciles ; tou- jours mélodieux. Déjà, depuis Ververt, avaient paru le Caréme impromptu et le Eutrin vivant , ingénieuses bagatelles , se révèle encore ce ta- lent , propre à Gresset, de féconder les moindres sujets par l'agrément des détails et le tour piquant de l'expression. En même temps, il s’essayait sur les Bucoliques , dont, peu d'années après , il donna: une traduction complète. Elle est loin de rappeler le coloris antique.et pur de l'original ; maiselle est: coulante , elle se fait lire, et c’est un mérite que les traductions n’ont pas toujours.

265 -

Malgré l'agrément qu'il trouvait dans le monde, malgré son peu de goût pour le cloître et le collége, peut-être Gresset füt-il resté jésuite , seulement parce qu'il avait commencé de l'être : heureuse- ment , une lracasserie survenue acheva de le déta- cher.

Etant professeur de rhétôrique" à Rouen, Gresset avait composé un discours latin sur l’ Harmonie. Il eut tort , car le discours ne valait rien : maïs c'est un de ces torts innocens qui ne font d'affaires avec persoune. 11 en eut un autre : en parlant de mu- sique, il semblait naturel de parler d'opéra, de vaudéville, de ballets : nôtre jeune étourdi alla donc parler de tout cela. Un religieux parler d'opé- ra! quel scandale ! l'affaire fut prise au sérieux. On garde encore eu manuscrit les notes qui lui ser- virent à écrire sa défense.

Quand parut Ververt, ce fut bien pis. Du moins, le discours sur l'Harmonie était en latin : mais des vers français , el , qui pis est , de. jolis vers ! c'était une indécence inouie ! Un incident survint , plus fâcheux que tout le reste. Gresset avait ri aux dé- pens des Visitandines ; or ; il se trouva justement que la supérieure générale de la Visitation avait un frère ministre. On sent que , dès lors , sa que- relle devenait une affaire d'état. La supérieure de se plaindre au ministre, le ministre à la compa- guie de Jésus, laquelle, comme on sait , n'aimaië

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pas à se brouiller avec les puissances. Le pauvre auteur fut envoyé à la Flèche , lieu d’'exil la so- ciété reléguait ceux de ses membres qui avaient encouru la disgrace des supérieurs.

Même chose arriva depuis au père Bougeant , pour son Amusement philosophique sur le langage des Bétes. On dit qu'il en mourut, ce qui n'est pas vrai. Mais, en tout cas, Bougeant n'était plus libre, et Gresset l'était encore. IL obéit pourtant, se rendit à la Flèche, écrivit, à la facon de Cha- pelle , un gai récit de son voyage, réclama près de son provincial: peu content de la réponse , il prit son parti, jeta le froc et rentra dans le monde. II avait vingt-six ans.

D'autres ont quitté le cloître pour suivre leurs passions : mais Gresset n'avait point de passions. Son caraclère indépendant , mais modéré, n'était fait ni pour plier sous l'esclavage, ni pour abuser de la liberté. Il se sépara de ses anciens maîtres en galant homme , leur adressa pour adieux quelques vers affectueux et touchans (1). Les Rouitlé, les Bou- geant , les Brumoy restèrent ses amis ; le père La- gneau , dont les leçons avaient dirigé son enfance , eut de lui un pienx souvenir dans l'Épitre à la ville d'Arras, écrite quelques années plus tard. Cet estimable religieux s'était fait une devise bien

\

(1) Adieux aux Jésuites, adressés au Père Marquet.

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convenabie à ses fonctions d'instituteur : les talens et les mœurs ; ce fut celle de son élève. C'est elle qui semble avoir dicté cette Épitre à sa Muse, où, redevenu libre et près d'entrer dans la carrière des lettres , il se trace à lui-même les règles de sagesse et d'honneur qui devront-l'y guider, Bien traité par l'opinion, Gresset le fut aussi par le pouvoir : il eut des pensions sur la cassette, sur le Mercure , et le titre de Poëte de -lu ville de Paris , avec 5,000 livres d’appointemens.

Quelques années se passèrent ainsi à cultiver des succès de société , à jeter de temps à autre daus le public quelque pièce légère et toujours bien reçue. Mais les succès qu'on prise le plus en France, ce sont les succès du théâtre : Gresset les rechercha. Il n’était jeune poète eu ce temps qui ne se crût obligé de faire sa tragédie : le chantre de Ververt se fit auteur tragique comme une autre. EYouard TITI, joué en 1740 , n’était pas plus mauvais que mille autres pièces du même genre : il réussit ; l'au- teur était aimé. On passa sur l'intrigue romanesque, sur le style dénué de force tragique: on applaudit quelques bons vers sur le suicide et la nouveauté hardie d’un coup de théâtre. C'était alors , en effet, . quelque chose de très-hardi que de montrer un per- sonnage poignardé sur la scène : l’art , depuis , s'est cruellement perfectionné.

Sidner , donué: cinq ans après Edouard, révéla

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un progrès sensible. Ce drame , plus triste qu’inté- réssant , n'est pas resté ét n’a pas rester au ré- pértoire : mais un slyle élégant ; des morceaux'bien frappés , un bon rôle de valet le font lire encore avec estime. Un progrès plus décisif se manifesta dins le Mé- chant, l'un des meilleures comédies du dix-hui-- tième siècle ; non qué l'ouvrage soit bien remär- quable par l'intrigue , les situations , la force co- mique : mais les grâces piquantes du style, l'urba- nité du dialogue , la satyre ingénieuse et vraie des mœurs de l’époque, une foule de vers devenus pro- verbes en naissant, lui assignent une place ‘émi- uente sur la scène française (1). Qui le croirait ? le Méchant fut d'abord refusé des comédiens. Ne les blâmons pas trop pourtant : sés beautés devaient plutôt frapper les gens de lettres, ses défauts les gens de théâtre. Gresset perdait courage , quand des amis puissans intervinrent. Cette fois, chose rare , la faveur eut raison. Le suecès: du’ Méchant fut un succès d’éclat : la pièce eut visgt-quatre re- présentations successives , et ouvrit à Pauteur Îles portes de l’Académie (2) Ici la faveur weut pas

(1) Gresset fréquentait la maison de madame de Forcalquier , *3 se réunissait une société renommée par les agrémens de l'esprit. On l’ap- pelait la sôciété du: Cabinet vert. C’est là, prétendait-on, qu'il avait recueilli les traits les plus saillans de sa comédie.

(2) Elu le 24 mars) 4748 ; reçu le 4 avril suivant,

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besoin d'intervenir ; « Il y fut reçu, dit d'Alembert, ».aux acclamations du public et des gens de let- » tres , sans qu'aucun criât à l'injustice , sans » qu'aucun protecteur lui prêtât l'inutile appui de » sesimportunes sollicitations, sans qu'aucune fem- » me eût besoin de parler pour lui. »

Ce n'étaient pas les femmes non plus qui avaient introduit notre poète à l'Académie de Berlin, l'on sait qu'elles avaient peu de crédit. Un échange de courtoisies s'était établi depuis quelques années entre Gresset et Frédéric, poète aussi, autant du moirs qu'un Allemand peut l'être en Français. Lors- qu'en 1740, ce dernier monta sur le trône de Prusse, Gresset fit une ode sur son avènement. Frédéric n’était pas homme à demeurer en reste : il rendit ode pour ode: peu de rois en auraient fait autant. La sienne se terminait par une invitation de venir à Berlin. Plus tard il renouvela ses instan- ces: On crut un moment la chose arrangée : déjà Voltaire, peut-être un peu jaloux de son Alcine , annonçait le départ de Gresset, qu’il appelait par ayance le Prussien. Tous se trompaient. Gresset partit , mais pour Amieus , sa ville natale. Content de ce qu'il avait recueilli de succès littéraires , il voulut en jouir au sein d’une patrie à laquelle, jeune encore , il avait consacré les premiers accens de sa lyre , et qui renfermait les objets de ses plus

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chères affections. Il y pfit une épouse (1), Char. lotte Galland , fille d’un négociant d'Amiens et pa- rente du traducteur des Müille et une Nuits. Elle n'élait plus jeune ; mais les agrémens de l'esprit remplaçaient en elle ceux de l’âge et de la beauté. Depuis son mariage, Gresset ne retourna plus à Paris que pour y satisfaire à ses devoirs d’Acadé- micien.

C’est ainsi qu'en août 1754, il y vint recevoir comme directeur Boissy , nommé successeur de Destouches. Il y revint , la même année , répondre à d’Alembert, qui remplaçait l’évêque de Vence (2). Ce dernier événement amena dans son existence une révolution singulière.

Sans être ambitieux ni courtisan, Gresset , jus- qu’alors , avait été bien avec le pouvoir ; il avait même écrit deux pièces pour le théâtre de la Cour. Mais , dans l'éloge de M. de Vence , il fit une faute grave ; il vanta l'exactitude à résider devant des évêques qui ne résidaient pas, et même il se per- mit quelques traits malins contre les prélats de cour: « Bien différent, disait-il, de ces prélats » agréables et profanes, crayonnés autrefois par » Despréaux ; et qui, regardant leur devoir comme » unennui, l'oisiveté comme un droit , leur rési-

(4) 22 février 1754. (2) 19 décembre 4754.

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» dence naturelle comme un exil , venaient prome- » ner leur inutilité parmi les écueils , le luxe et la » mullesse de la Capitale , ou venaient ramper à la » Cour et y traîner de l'ambition sans talent , de » l'intrigue sans affaires , et de l'importance sans » crédit. » De telles paroles étaient très-cano- niques , sans doute; mais elles n’en étaient que plus coupables ; elles frappaient juste. On se sou- leva : la phrase téméraire et mal sonnante fut rayée du registre de l'Académie , et lorsque l'auteur aila présenter son discours à Versailles, le Roi, qui le

prit pour un phélosophe , lui tourna le dos. C’était Louis XV.

Gresset fut attéré..... Pardonnons-lui cette fai- blesse. Racine lui-même , le grand Racine , n'était- il pas mort de moins que cela? Gresset ne mou- rut point : son chagrin prit un autre cours ; il se fit dévot. |

L'évêque d'Amiens se trouvait être justement ce même de la Mothe, que Gresset avait connu à l’h6- tel de Chaulnes. De la Muthe avait des vertus ; il était charitable , sincère dans sa foi, mais plus ar- dent qu’éclairé dans son zèle C’est lui dont les mo- nitoires , fanatisant une multitude superstitieuse , préparèrent, depuis , le supplice du malheureux Labarre. Gresset , soit qu'il eût à cœur de démen- tir l'opinion qu'on avait donnée de lui à la Cour, soit que seulement , dans sa déconvenue , il de-

L

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mandât des consolations à la religion et à -l'amitié , se livra tout entier à l’évêque, qui, de son ami de- vint encore son confesseur. Quelques hasards secon- dèrent cette influence : un ami de Gresset mourut de mort subile ; un jeune libertin d'Amiens , saisi de la grâce au milieu d’un bal masqué, s'enfuit à la Trappe , d'où il fulmina une brûlante homélie con- tre les vanités du siècle. Gresset eut l’esprit frappé. Puis , l'espoir de rentrer en faveur , d'élever peut- être le jeune duc de Bourgogne ;..….. tout fit son effet. Gresset se conrertit , comme on disait alors, brûla ses comédies , promit de ne plus écrire pour le théâtre , et rendit sa résolution publique par une lettre insérée dans les journaux. (1)

On se figure quel déluge de brocards accueillit cette bizarre publication. Piron fit la-dessus deux malignes épigrammes ; Voltaire , rude au péché de dévotion , flagella vivement dans le Pauvre diable notre nouveau converti. Avouons-le : Gresset avait un peu prête le flanc au ridicule. Ne pouvait-il ces- ser d'écrire pour la scène sans en informer le pu- blic ? « Si, disait plaisamment Voltaire , tous ceux » .qui ne font pas de comédies en avertissaient tout » le monde, il y aurait trop d’averlissemens im-

> primés. »

Tout annonce , au reste, que celle conversion

(4) 44 mai 4759.

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fut'sincèré ; aussi , fut-elle persévéranté. De ce jour , Gresset n'écrivit plus pour la scène ; la poé- sie même ne fut plus:guères. pour lui qu'un amuse- ment de société. À peine, depuis lors , vit-on de lui quelques pièces fugitives. Cependant toujours assis du à, l’'Academie d'Amiens , il manquait rarement d'apporter son tribut aux séances publiques. En 1767 , il y prononca l'éloge de l’un des Chauvelin; mort intendant des finances ; il y récita, en 1771, le petit poème du Gazetin. Il pouvait, en quélqué sorte, se regarder comme le créateur de cette Aca- démie: Lorsqu’après le succès du Méchant , Gresset revivt fixer dans sa patrie ; il y trouva une so: ciété littéraire ; quiss’empressa de l'appeler dans son sein. IL voulut payer sa bienvenue, et}: secondé par de duc de Chaulnes ; gouverneur de: la province il obtint que la société fût érigée en Academie. (1) roi confirmait en même temps le éhoix que la compaguie avait fait de Gresset pour son président pérpétuel. Cette faveur fit: des jaloux. C'était avoir des envieux à bon marché. Gresset fut sage , il vint, comme président , installer la nouvelle Académie , lut un discours sur la liberté littéraire et philoso- phique, et, en terminant, il abdiqua la présidence (2). Fontenelle avait agi de même en pareille oc-

{4) Juin 4750.

(2) 47 Octobre 4750. $ of 1 18

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casion : il refusa la présidence perpétuelle de l'A- cadémie des sciences , ne voulant pas se priver , disait-il , du bonheur de vivre avec ses égaux. La démission de Gresset fit tomber toutes les suscep- tibilités ; on le pressa même de la reprendre: il eut le bon esprit de persister. Aujourd'hui encore , l'A- cadémie d'Amiens s’honore de nommer Gresset pour son fondateur. “H La vie de Gresset à Amiens était douce et paisi- ble. T1 vivait en famille , et sa famille était aimable. On y distinguait surtout cette sœur chérie qui, plus jeuue , lui avait prodigué de si tendres soins dans la maladie dont il faillit mourir : Gresset , de retour à la santé, lui avait dédié l’épitre touchante qu'il composa sur sa convalescence. Il l'y nommait sa Mi- nerve, et madame de Toulle était digne d’un tel hommage. Aux vertus de son sexe, elle joignait la beauté, l'esprit et les talens. La plus’sincère amitié les unit durant toute leur vie, et la mort même ne les a pas long-temps séparés : madame de Toulle n’a pas survécu un an à son frère. . Il possédait au Pénceau , près d'Amiens , une maison de campagne qu’il ne manquait pas un seul jour d'aller visiter. On a découvert, etseulement après sa mort, qu'il en avait consacré le revenu tout entier au soulagement des pauvres. Heureux dans son intérieur, Gresset n'aimait pas à le quit- “ter pour le grand monde, surtout s’il pouvait soup-

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çonner qu'on l’eût invité à titre de bel-esprit et pour amuser quelque grand ou quelque homme en place. Plein d'enjouement et d'expansion dans la société intime, il affectait alors une tenue plus que négligée et une taciturnité plus qu'ordinaire. On ma conté qu'un jour, le prince de... arrivant dans la ville, un grand diner fut donné en son honneur à l'intendance. L'auteur de Ververt fut au nombre des conviés. Gresset vint en habit rapé , la barbe longue, les cheveux noués avec une ma- pière de ficelle. II entre , salue et ne dit mot. On se met à table : Gresset mange et continue à se taire. On lui parle , il répond par monosyllabes. L’inten- dant ( d’Agay ) avait compté sur lui pour égayer le repas ; il se désolait quand le prince , auquel il confiait son désappointement , lui dit: « laissez » faire :'je vais le rendre aimable ». Puis , s’adres- sant au poète : « M. Gresset , lui dit-il, je sais un » trait qui vous touche et que peut-être ne serez- » vous pas fâché d'apprendre. Lorsque votre Ververt » parut , on l’apporta au Roi, pendant qu'on dis- » posait sa chasse. En attendant , il se le fit lire : » mais lorsqu'il l’eut entendu , il contremanda la » chasse et voulut qu'on lui lüt l'ouvrage une se- » conde fois. » La ruse eut son effet: l’auteur, flatté , rompit le silence , devint gai, brillant , et fit les délices de la soirée (1).

() Le fait raconté par le prince était-il véritable ? on peut en dou-

18.*

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En.1767, J. J. Rousseau passa par Amiens en revenant d'Angleterre. Il y fut comblé d’honnear ; corps municipal voulut lui envoyer le vin deville; les personnes les plus notables du pays s'em- pressèrent à le visiter. Lui-même alla rendre visite à Gresset, quil ne connaissait pas encore!;° mais dont il avait lu avec attendrissement le Siècle pas- toral, gracieuse idylle à laquelle il'avait:même ajouté quelques :stances. Gresset et, Ronsseau se rencontrèrent encore dans un dîner. ; Rousseau apprit à Gresset comment il s'était porté son. dé- fenseur à la première représentation Méchant. Des censeurs blâmaient le titre de la pièce ; Gléon , disaient-ils, n’était pas proprement un inéchant. « I] ne vous le paraît pas, reprit Jean-Jacques, »-parce que vous l’êtes plus: que lui ».. Tous. deux se quittèrent, contens l’un. de l’autre: En se reti- rant :.« Vous ne vous attendiez pas, dit Rousseau, ». à me trouver tel que vous m'avez vu; mais: qui »fait parler si bien les perroquéts peut bien: ap- » Iprivoiser les ours » » (1):

ter. Rousseau , dans ses. Confessions , rapporte une anecdote à peu-près Semblable, touchant la Vouvelle Héloïse : cela m’a bien l’air d’une amorce qu’en des occasions différentes la finesse du courtisä aura ten- due à Pamour-propre de l’homme .de lettres. Au reste ; si c'était une supercherie , il n’en est point de plus innocente ; tout le monde ,y gagnait.

(1) Nous ne dissimulerons pas que ce récit est contraire à celini du P. Paire et à la tradition Ja plus répandue dans le pays. Mais M. Renouard

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Malgré la douceur de celte vie intime et simple , Gresset s'y dérobait quelquefois pour s'acquitter de de ses devoirs à l’académie française. Quand le sort l'en nommait directeur , il allait passer à Paris le trimestre de sa présidence. A l'avènement de Louis X VI et de Marie Antoinette , c'est lui qui fut , au- près du couple royal, l'organe de sa compagnie (1). S'il n'avait pas obtenu , comme il.paraît qu’on l'en avait flatté , l'honneur d'élever un fils de France, ül eut, .du moins, dans cette occasion , un petit retour de faveur. Un homme qui l’aimait, Bertin , était ministre alors ; peut-être Gresset dut-il à ses bons offices l'accueil flatteur que, cette fois ; il reçut de

la cour. Bertin ne s’en tint pas ; la manufacture de Sèves était dans ses attributions; il y fit faire pour son ami un joli cabaret de porcelaine , dont chaque pièce représentait quelque scène de Ververt. Gresset se plaisait à dire en montrant ce cadeau : voilà mon poème , édition de Sèves. (2).

Lui-même avait eu précédemment l'occasion d'o- bliger le ministre. Le président, Rosset , qui venait d'achever son poème de l'Agriculture , sollicitait pour lui les honneurs de l'imprimerie royale. Bertin :

dont n nous avons suivi la version , nous parait avoir puisé aux sources les plus dignes de foi. = (4) 5 Juin 1774.

(2) Un artiste habile , Raux , a aussi représenté en émail les aventures de lervert.

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ne demandait pas mieux que de contenter le prési- dent ; mais l'ouvrage , tel qu'il était , ne valait guère la dépense. 11 obtint de l’auteur que son poème fût revu par un sien ami de province , littérateur éclai- , modeste et discret. Gresset fut cet ami. De une volumineuse correspondance , qu'on à conser- vée , et qui dura deux ans, (1771 et 1772). Un journal du temps parle aussi d’un travail particu- lier dont-il aurait été chargé en 1773 par des or- res supérieurs, et dont il fut récompensé par une pension de 800 livres. Peut-être était-ce le même, et peut-être le ministre bienveillant a-t-il cherché à colorer ainsi une faveur accordée au talent et à l’a- mitié.

Gresset revint encore à Paris, recevoir Suard , nouvel élu de l'académie. Cette fois, il fut moins heureux. Il avait voulu traiter de l'influence des mœurs sur le langage, sujet riche , mais l'écrivain manqua au sujet. Il voulut peindre les ridicules de la société parisienne , qu'il ne connaissait plus ; on juge ce qui dut arriver. L’orateur fut dans le faux d’un bout à l’autre ; le public montra peu d’indul- gence , et l'échec fut des plus complets (F).

Gresset y fut sensible ; on le voit par une lettre qu'il fit imprimer avec son discours ; mais les fa- veurs du gouvernement consolèrent bientôt celte

(4) 4 Aoùt 1774.

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petite disgrace. En 1775, il reçut des lettres de no- blesse , que l’intendant d'Agay fit lire en séance pu- blique à l’academie d'Amiens. Deux ans après, il fut fait écuyer et chevalier de l’ordre de Saint-Michel, et le comte d'Artois le nomma historiographe de l'ordre de Saint-Lazare. Tout cela n'était pas alors sans quelque importance. Gresset jouit peu de ces derniers honneurs. Aux premiersjours de juin 1777, il fut atteint de la fièvre , et le 16 , au quatrième ac- cès , il mourut d’un abcès qui lui creva dans la poi- trine, à l’âge de 68 ans. Il n’a point laissé de posté- rité.

Par un hasard singulier ; d'Alembert}, que Gres- set avait reçu à l’academie Française, fut appelé lui-même à recevoir l'abbé Millot, son successeur.

Amiens devait d'éclatans hommages à la mémoire de l'écrivain qui l'avait illustré. L’académie , le corps municipal assistèrent à ses obsèques : le cinq juillet suivant, l'académie fit elle-même célébrer un service en son honneur. Le secrétaire-perpétuel, Baron, lut son éloge funèbre à la séance de la Saint- Louis. La compagnie voulut avoir son buste, et chargea le sculpteur du roi, Berruer , de l’exécu- ter d’après un beau portrait peint, en 1741, par Nattier : c'est le même buste que l’on voit aujour- d'hui à la bibliothèque d'Amiens. L’inauguration s’en fit le 25 août 1787, par un discours de M. Boistel

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de Bélloi , académicien et neveu du poète (1). Le distique suivant, composé pour les funérailles de Gresset ; Jui a servi d’épitaphe :

Hunc lepidique sales lugent , yeneresque pudicæ,, Sed prohibent mores ingeniumque: mori.

En 1785, l'académie d'Amiens mit, pour la qua- trième fois, son éloge au concours. Quatorze dis- coùrSs furent envoyés ; nul n’obtint le prix. Deux pourtant sont remarquables, au moins par le nom de leurs auteurs. L'un était Sylvain Bailly, depuis président de l’assemblée constituante et maire de Paris ; son discours eut l’accessit : l'autre s'appelait Maximilien Robespierre ; il n’eut point de distine- tion ; sa vocation n'était pas pour le genre acadé- mique..

Pendant la révolution, l'église de Saint-Denis , reposaient les cendres de Gresset , fut dévastée : le lieu de sa sépulture fut changé en étable. En des jours plus calmes, l'académie, qu'il avait créée , s'indigna de cette profanation et fit transférer dans l'église cathédrale d'Amiens les restes mortels de son fondateur (1). Un monument modeste leur fut éle- vé, avec cette inscription : Sit nomen prè monu- mento. Cette translation devint , pour l’année. sui-

(1), IL avait épousé une demoiselle de Toulle.. (2) 46-Août 1844.

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vante , le sujet d’un concours poétique, dont la pal- me échut à M. Natalis Delamorlière , depuis mem- bre et plus tard secrétaire-perpétuel de l'académie. Déjà , en 1809, année séculaire de la naissance du poète, M. Bailleul avait fait représenter sur le théâtre d'Amiens /e triomphe de Gresset , intermède lyrique , orné par M. Bulan d'une musique gra- cieuse et terminé par une apothéose. L'auteur. avait eu l’ingénieuse modestie ‘de ‘composer son œuvre entière des propres vers de Gresset lui-même.

‘On montre encore au Pinceau ; sur le penchant d'une vallée baignée par la Somme , la maison de campagne de Gresset. Sur un des murs, naguère encore , on lisait ce vers d'Ovide :

Tempus edax rerum murum nomenque vorabit.

Dans un des coins de l’enclos se voit an arbre re- nommé par sa vétusté. La tradition populaire veut que Saint-Firmin , patron de la ville, se soit repo- sons son ombrage , et attribue à la faveur du Saint le miracle de sa longévité. Elle serait mira- culeuse en effet : Saint-Firmin vivait au -comméen- cement du quatrième sièele.

* Grésset était d’une Laille médiocre , d’une com- plexion délicate : a figure était “éténble son esprit plus agréable encore , bien que, dans sa vieillesse , il'eût par fois des accès de’ morosité. Il aimait à

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- conter, et contait bien. Son caractère était vrar, ami du repos et de l'indépendance, ses mœurs pures, son âme bienfaisante, son commerce sûr et doux dans l'intimité. Comme éerivain , Gresset est jugé depuis Jong-temps. Tous s'accordent à louer en lui l'enjouement aimable, le-tour facile et naturel; la fécondité des détails , l’élégante correction du style , l'euphonie des vers ; l'art de soutenir et d’en- chaîner la période poétique sans fatiguer l'oreille et sans nuire à la clarté. Peut-être , pour atteindre au premier rang , ne lui a-t-il manqué qu'une parcelle de plus de ce feu sacré qui fait le génie :. du moins est-il de ceux qu’on nomme immédiatement après les maîtres.

Peu d'auteurs ont mérité mieux que lui le titre d'écrivain honnête homme. Ni la satyre., ni la li- cence n’ont jamais souillé sa plume. C’eût été de tout temps un sujet d'éloges; c'en était un plus grand à l'époque il a vécu.

C'est à Tours que Gresset publia ses premiers. ouvrages , l’ode sur /’ Amour de la patrie (1730), et l’ode à sa mère sur la mort d’un fille, religieuse à l'Hôtel-Dieu d'Amiens (1731). L’ode au Roi sur la Guerre, le discours latin sur l’Harmonie furent composés à Rouen. Ce fut aussi pendant son pro- fessorat que Gresset fit réciter en public, par un de ses élèves une pièce en vers latins , intitulée Cha- rites (les Grâces) , qui, dit-on, n’est pas indigne

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de son titre, mais qui n’a jamais été imprimée. Ververt parut à Rouen , en 1734 : la mêrne année vit paraître , à Blois, un premier recueil des poésies de notre auteur ; on y trouvait la traduction de six églogues de visites Un recueil plus complet parut à Amsterdam, en 1741 : il comprenait la traduction entière des Bucoliques , précédée d’une ode à Vir- gile, intitulée Æuterpe ou la vie champétre ; le Siècle pastoral , idylle, quelques pièces fugitives et sept nouvelles odes. Dans l'intervalle , l'auteur avait donné séparément le Carême impromptu et le Lu- tron vivant, publiés à Rouen en 1734, et réimpri- més l'année suivante ; la Chartreuse (1735) ; lE- pôtre à sa muse ; la traduction française du discours sur l’'Harmonie ; l'épitre au père Bougeant (1737); les Ombres ; l'Epitre à sa sœur (1738). Edouard III fut joué le 22 janvier 1740 ; Sidnei , le 3 mai 1745 ; le Méchant, le 15 avril 1747. Vers 1751 , il avait terminé deux pièces demandées pour le théâtre de la cour , l'Esprit à la mode et l'École de l’'Amour-propre : allés n’ont point paru. En 1753, il lut à FAcadémie d'Amiens un chant intitulé ?” y vroir ou le Laboratoire de nos sœurs : c'était, dit- on ; une suite de Ververt, qui pourtant paraît être un ouvrage complet. Cet opuscule, lu de nouveau à la cour en 1775 , ainsi qu'un autre chant, Les Pen- sionnaires , et qui., assure-t-on , contenait d’agréables détails ; u’a point été retrouvé.

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En 1757, après lattentat de Damiens!, Gresset eut la bizarre idée de vouloir faire changer le nom de la ville d'Amiens en celui de ZLouis-Valle. Il en adressa la demande, dans une épître en vers , à ma- dame de Pompadour. Heureusement pour l'auteur de Ververt, le corps-de-ville, qu’il avait oublié de consulter, fit échouer ce projet peu sensé.

Le Gazetin, lu à l'Académie d'Amiens en 1771 ; était un persiflage dirigé contre le vieux médecin Gosset, grand ennémi du froid et grand amateur de journaux : il ne paraît pas que la perte de cel opus- cule soit fort à regretter.

On pensait que Gresset avait terminé les quatre Facardins , d'Hamilton ; mais il n’est point resté de traces de ce travail.

Ververt , dans sa nouveauté, fut traduit en vers latins : depuis, en 1810, le premier chant a été tra- duit de nouveau par M. Alexandre , alors élève distingué au Lycée d'Amiens, aujourd’hui proviseur du collége Bourbon à Paris.

Gresset avail promis de donner lui-même. une édition de ses ouvrages : il n'a pas tenu parole. On sait qu'à l'époque il céssa de travailler , pour le théâtre , il supprima des ouvrages terminés, en abandonna d’autres commencés ; et _recommanda que rien de ce/qui pourrait en réster ne vit le jour après :sa mort; prescription trop bien accomplie. Parmi ces ouvrages, :se:trouvait ; dit-on ;! deux

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pièces de théâtre : l'une, Ze Secret de la Comé- die, lue à quelques amis qui l’avaient trouvée pleine de gaieté ; l’autre , dont on ne connaît que le titre, le Monde comme il est. Plus tard, il pa- raît que Gresset se décida encore à d’autres sacri- fices. Les deux chants ajoutés à Ververt ( les Pen- sionnaires et l'Ouvroir ), le Gazetin n'ont point été retrouvés. Îl n’en est point de même d’un autre poème , le Parrain magnifique, que M. Renouard a fait paraître en 1810, sur un manuscrit commu- niqué par M. Croft, savant anglais. On doit au même libraire une édition de Gresset , augmentée de quelques pièces et précédée d’une notice inté- ressante. Plus récemment , un meinbre de l’'Aca- démie d'Amiens , M. de Cayrol , en compulsant des papiers que lui avait confiés la famille de Gresset , a retrouvé des morceaux inédits , des fragmens de l'Ouvroir , des corrections pour le Parrain magni- fique. 1 a découvert aussi le plan de l'édition que Gresset voulait donner , écrit de sa propre main. On y lit cette mention curieuse : Ververt en six chants ; ce qui confirme pleinement l'intention an- noncée de donner une suite à cet ouvrage. On dit que M. de Cayrol se propose de consigner ces pré- cieuses découvertes dans une édilion qu'il prépare des œuvres de notre poète : il méritera la recon- naissaissance des compatriotes de Gresset et celle de tous les amis des lettres.

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OBSER V ATIONS

SUR

UN BAS-RELIEF

CATHÉDRALE D'AMIENS,

PAR M. J. B. F. OBRY.

SÉANCE DU 8 AvRIL 4837.

———————— Op

Les religions anciennes ressemblent ‘aux ruines de la vallée de Thèbes. Ce sont des édifices bâtis avec les débris d’édifices plus anciens qui , à leur tour , avaient succédé à d’autres dont la date se perd dans la nuit des temps. Nés des besoins de la civilisation, ces systèmes successifs reposent cha- cun sur une idée principale qui leur a donné naïis- sance et qui domine l’ensemble ; mais les idées ac- cessoires , les formes , les symboles, n’ont presque pas, changé. On s'est borné, pour ainsi dire, à en faire une nouvelle application. Dans l'Asie centrale, Zoroastre et Bouddha se revêtent des dépouilles du Brahmanisme , comme dans le désert de Sinaï,

283

Moïse, élevé selon la sagesse des Egyptiens (1), réunit les traditions de l'Egypte et de la Chaldée, pour en CoMpySes pus législation sacerdotale que les Hébreux, après la captivité, compléteront à l’aide des doctrines Persanes. Les chefs de la pri- mitive église suivent l'exemple des Juifs et des Gen- tils, et Mahomet fait un mélange des dogmes de la Perse, de la Palestine et la Chrétienté. En un mot, il n'est pas de théorie religieuse qui, envisagée sous des rapports purement humains , ne se présente comme le résultat d'un syncré- tisme plus ou moins habile.

Ces réflexions, que sugoère l'examen des mo- nnmens sacrés de l'antiquité , sont surtout appli- cables au culte d’une divinité indo-bactrienne qui a joué un grand rôle dans notre occident, dès les I.ers siècles du christianisme. Je veux ‘parler l’invincible Mithra, de ce dieu-soleil qui , tout en conservant l'empreinte de son origine orien- tale, s'identifia en quelque sorte avec l'Hercule et le Bacchus grecs, avec M et l'Osiris Egyptiens (2). Elles s'appliquent aussi à quelques bas-reliefs chré- tiens du moyen-âge, Christ, à son tour, prend quelques ‘attributs de Mithra. Tel était celui du grand portail de l'église Notre - Dame de Paris , avant sa reSfauration en 1771. On y voyait le Saëe

(1) Exode, ch. 2, v: 40. Actes des apôtres, ch. 7 , v. 22. (2) Voir Relig. de l'antiquité, I, 2.° part. , p. 743—747.

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veur debout sur l'agneau, le bélier céleste, r.°* signe printanier du zodiaque (1), tenant un sceptre d’une main et de l’autre la boule du monde (2); de même que sur l’un des nombreux morumens mi- thriaques (3), Mithra est représenté debout sur ke taureau équinoxial , tenant un glaive d’une main et de l’autre la boule symbolique. Tel est aussi , comme nous espérons le montrer dans ce mémoire , le bas-relief du jugement deruier qui décore le grand portail de la cathédrale d'Amiens.

L'opinion généralement répandue au 10.° siècle dans la chrétienté, que la fin du monde arriverait en l’an mille de J.-C., n'ayant pas été justifiée par l'événement , on répandit des doutes sur la résur- rection des morts. Les Manichéens qui niaient ce dogme , relevèreut la tête et firent de nombreux prosélytes (4) ; tandis que les orthodoxes, ajour-

(1) Le Bélier céleste s'appelle PAgneaw dans les livres parsis. Zend- avesta II, p. 349—353, en note , 357 etc.

(2) Origine des cultes , par Dupuis, V. p. 552, note 29 , édit. de 1823.

(3) Dupuis, ubi suprà et planche 17 ; et Th. Hyde, de veter. Pers. relig. p. 443, tab. 1.

() Ils se répandirent en Italie et en France , surtout dans la Lom- bardie, le Languedoc et la Provence. Un concile, assemblé par ordre du roi Robert , les anathématisa et le roi en fit un auto-da-fé , l’an 4022. Ces malheureux se précipitèrent dans les flammes avec de grands trans- ports de joie , et de leurs cendres sortirent , comme d’habitude , de nou- veaux sectaires. Voy., dictionnaire des hérésies , par l’abbé Pluquet , au mot Manes.

19

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nant la fin du monde à l'an 2000 ou à l'an 3000, élevaient ces grandes basiliques qui devaient durer jusqu'à la consommation des siècles. Les prédicäteurs et les architectes, pour raffermir la croyance déjà ébranlée par quelques ‘esprits inquiets, prirent pour sujet principal de leurs sermons et de leurs bas-reliefs le jugement deruier. Delà vient que ce tableau entre généralement dans la décoration des portails des églises construites dans les 12.° et 13.e siècles (1). Cette recrudescence du Manichéisme ue fut peut-être pas sans influence sur les détails du sujet; car les artistes de cette époque mélaient volontiers les idées hétérodoxes aux idées purement chrétiennes. Elle put faire ressortir avec plus de force l'opposition des deux principes lumièretet té- nebres, doctrine persane , commune aux Manichéens et aux Catholiques, mais plus tranchée chez les premiers, qui en formaient la base de leur théorie religieuse , tandis que les seconds insistaient plus spécialement sur le dogme de la résurrection des corps , également emprunté de la religion des Perses.

Quoiqu'il en soit, le bas-relief de la cathédrale d'Amiens n'est pas sans rapporls avec les monumens mithriaques ; M. Rigollot père, membre de notré Académie , la déjà examiné sous ce point de vue,

(@) Voir descript. historiq. de la basilique métropolitaine de Paris ; par M. Gilbert, p. 57 et 58, à la note.

rer

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dans une lettre publiée en 1806 (1); mais les cri- tiques que l'on a faites de son opinion nous ont paru de nature à motiver un nouvel examen.

MM. Rivoire (2), Rigollot père (3), H. Duse- vel (4) et Gilbert (5), ont décrit ce grand bas-re- lief, avec plus ou moins d’étendue. Nous suivrons ici la description de M. Gilbert, comme étant la plus complète , en la rectifiant néanmoins dans quelques accessoires , d’après la vue même du mo- nument.

Sur le trumeau de pierres qui partage en deux vantaux la grande porte d'entrée de la cathédrale d'Amiens ou la porte du milieu du grand portail, dite Porte du Sauveur , on voit Jésus-Christ debout donnant de la main droite sa bénédiction. La main gauche est mutilée; elle portait probablement le livre des évangiles, comme sur les portails des cathédrales

(4) Lettre à M. Rivoire sur quelques passages de sa description de la cathédrale d'Amiens, brochure in-8.° de 52 pages. Le sens astronomique de ce monument n’a point échappé à la sagacité de Dupuis ,. mais. ce qu’il en dit (mém. explicatif du zodiaque chronol. et mythol. , p. 47 et 427 ) prouve qu'il n’en avait point une connaissance très-exacte.

(2) Description de l’église cathédrale d'Amiens, p. 29 à 34.

(3) Lettre à M. Rivoire , p. 9 à 44.

(4) Notice- historique et descriptive de l’église cathédrale de Notre- Dame d'Amiens, p. 40-44, (Amiens, 1830, in-8.° de 68 p.) et Histoire dela ville d'Amiens ; I , p..476—179 , Amiens 4832.

(5) Description historique de la cathédrale d'Amiens (Amiens et Paris 1833 , in-8.° ) 19*

292

L,

Chartres (1) et de Paris (2) Le Sauveur est envi- ronné de ses douze apôtres, dont les statues dé- corent les deux murs latéraux du portail. 1l foule, sous le pied droit, un lion, et sous le pied gauche, un dragon aîlé, à queue de serpent. Le socle de cette statue est orné de pampres et de ceps de vignes en- lacés ; et, sur les retours de ce même socle, figu- rent , à droite ou au nord, un coq, et à gauche ou au sud , un animal amphibie, à têle de chien et à queue de poisson (3).

Au-dessous du Sauveur, dans une petite niche, on voit une statue couronnée , tenant d'une main pour sceptre un thyrse, surmonté d'une pomme de pin, et de l'autre main un rouleau déployé, tel qu'en portent beaucoup d'autres figures de ce por- tail. Sur le côté droit de cette statue , au-dessous du coq, est représenté, dans un vase , le lys blanc ou lotus des bords du Nil ; et de l’autre côté , au- dessous de l’animal amphibie, se voit , également dans un vase , un rosier bien reconnaissable à ses feuilles et à ses fleurs. Suivant M. Gilbert , ce per- sonnage n'est point Bacchus , comme l'avait pensé

: (4) Voir descript. histor. de l’église cathédrale de Notre-Dame de Chartres , par M. Gilbert, p. 40, ( Chartres, 4821, in-8.° )

(2) Voir descript. histor: de cette cathédrale, par le même, p. 63.

(3) Lettre à M. Rivoire, par M. Rigollot père , p. 9. M. Gilbert (des-

cript. de la cathédrale d'Amiens , p.31), se borne à dire que ce chien et cet amphibie sont des animaux chimériques…

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M. Rigollot père (1), mais le roi Philippe-Auguste, sous le règne duquel a été commencé l'édifice de cette cathédrale (2). Cela peut-être; maïs il n’en est pas moins singulier de voir ce monarque repré- senté avec les attributs du dieu des vendanges , du conquérant des Indes. Quant au lys et à la rose que M. Gilbert prend pour un emblème de l’ancien sceau de la ville d'Amiens, appelé le sceau des - : Marmousets (3), il est permis d'y voir, avec M. Rigollot père (4), deux symboles des mystères du paganisme ; car une rose et un lys placés dans deux vases distincts peuvent difficilement représenter un sceau portant des fleurs-de lys au pourtour et une rose au centre.

Le chambranle de la porte est orné de sculptures diverses : sur les deux jambages sont dix statuettes en demi-relief, placées dans des niches, et repré- sentant : 1.° à droite, les cinq vierges sages de l’é- vaugile , tenant leurs lampes droites et pleines ; 2.0. À gauche, les cinq vierges folles, qui tiennent léurs lampes vides et renversées. Plusieurs de ces figures sont mutilées, et quelques-uns des emblèmes ont disparu. Ainsi, à droite, il n’y a plus que la -première figure d’en bas qui ait conservé son vase,

EN Lettre de M. Rivoire , p. 20 et 21.

(2) Gilbert, , descript. de la cathédrale Pneus p. 932. (3) Gilbert , ibid , p. 32—33.

(4) Lettre à M. Rivoire , p. 27 à 29.

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mais les quatre autres vierges sages placées au- dessus et dont les mains sont mutilées, tiennent Jeurs avant-bras dans la même position que la pre- mière. À gauche, on voit des flammes sortir du vase que tient en main la plus haute des vierges folles et se diriger vers le bas. La quatrième figure en des- cendant n’a plus son vase ; mais on aperçoit encore, au-dessous de l'endroit quil occupait , quelques flammes qui courent sur les vêtemens , dans la même direction que les premières (1).

Au-dessous de ces personnages allégoriques, fi- gurent deux arbres à peu-près semblables à ceux. des monumens mithriaques , et placés, comme eux, en regard l’un de l’autre. L'arbre qui se trouve au bas de l'encadrement des vierges sages, est dans toute la vigueur de végétation et porte deux lampes droites. suspendues à ses branches. L'autre. arbre , celui que l’on voit au-dessous de l’encadre- ment des vierges folles, est entièrement dépouillé de ses feuilles et presque desséché. On y remarque les restes d’une barre profonde qui traversait obli- quement son tronc, et que l’on peut prendre à vo-

(4) Les dix vierges figurent aussi à la cathédrale de Chartres , maïs sur Te portail de la façade septentrionale. Cette allégorie a été reproduite- sur la plupart des grandes églises du moyen-âge. Voyez description de- cette cathédrale par M. Gilbert , p. 49 et 50. Les dix vierges étaient aussi. représentées sur le grand portail de la cathédrale de Paris. Voy. descript.. de cette cathédrale par M. Gilbert, p. 64.

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lonté ou pour une entaille faite avec la coignée (1) ou pour la place vide d’une torche renversée (2), eomme dans les monumens de Mithra.

Dans le tympan qui remplit le fond du cadre ogive, immédiatement au-dessus des deux battans de la porte, est représenté le sujet du jugement dernier , comme sur les portails des cathédrales de Chartres (3).et de Paris (4).

Ce grand bas-relief se subdivise en quatre parties bien distinctes.

Au milieu de la première partie, au-dessus de la tête du Sauveur, apparaît St.-Michel-Archange., l'arbitre des destinées du genre humain, pesant, sous un sens figuré , les âmes des mortels. La balance qu’il tenait suspendue ayant été mutilée , ainsi que lavant-bras de l’Archange , on ne voit actuellement que l'un des bassins qui contient l'agneau sans tache ; l'autre a été détruit. Il portait probablement une dune sous figure humaine , comme dans le bas-reiief de la cathédrale de Chartres (5). Aux deux pieds

(4) M. Gilbert ( descript. de Ja cathédrale d’Amiens , p. 34 ) cite à ce sujet Daniel (ch. 4, v. 7 et suivans) et St.-Mathieu ( ch: 3, v. 40). Mais il a oublié de remarquer que , dans ces textes, la coignée n’est pas, comme ici, au milieu du tronc : elle est à la racine des mauvais arbres.

(2) Lettre à M. Rivoire, p: 23.

(8) Voir descript. de cette cathéârale par M. Gilbert , p. AA et 42.

(&) Voir descript. de cette cathédrale par le même , p. 57 et 58.

(3) Ubi suprà, p. 42. Il n’y avait pas d’uniformité sur ce point dans les bas-reliefs chrétiens. A Chartres , par exemple, l’un des bassins con-

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de St.-Michel , étaient le bon et le mauvais ange du mort. Le premier, qui se trouvait au pied drnit, est entièrement mutilé; on ne distingue plus que le bas de ses vêtemens ; l’autre , placé au pied gauche, subsiste encore. Il est tout nu et tellement petit qu'on ne saurait dire s’il s'efforce de faire pencher la balance, comme le démon du bas-relief de la ca- thédrale de Paris (2). Des deux côtés de la pesée des âmes , les morts ressuseitent et sortent nus de leurs tombeaux , entre quatre anges qui sonnent de la trompette. Deux de ces anges sont placés dans la direction des deux animaux que le Sauveur foule aux pieds, et les deux autres au-dessus des cinq

tenait la figure d’un juste et l’autre celle d’un démon qui s’efforçait de faire pencher la balance de son côté. En suivant cette analogie , je con- jecture qu’à Amiens le bassin opposé à celui qui contient l’agneau , ren- fermait la figure d’un réprouvé. A Arles, sur le portail de l’église de St.-Trophîme , les plateaux contiennent deux personnes qui se servent mutuellement de contrepoids ; et une troisième , qui à été pesée , semble s'élever au ciel. ( Voy. voyages de Millin dans le midi de la France, IIX, p- 595 et la planche). Il paraît qu’à Paris, le démon posait le doigt sur le bord du fléau pour le faire pencher de son côté , et que, plus bas, un petit diable, armé d’un crochet, s’efforçait d’attirer à lui le plateau qui renfermait la pesée. ( Voir descript. de la cathéd. de Paris , p. 63 ). Ceci rappelle la psychostasie égyptienne anubis , à tête de chacal, porte la main au fléau de la balance ( voy. Religions de l'antiquité , de MM. Creuzer et Guignaut , I, 2.° part., p. 889 ; ibid. Explic. des pl., p. 74 et 78;, et planches 182 et 184 ).

(2) Voy. descript. de la cathéd. de Paris, par M. Gilbert, p. 63. Ce bas-relief n’existe plus , la porte il se trouvait ayant été remplacée par une autre en 1771 , sur les dessins de Souffot.

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vierges sages et des cinq vierges folles. IE était im- possible de représenter autrement sur ce bas-relief les quatre points cardinaux du ciel.

Dans la deuxième partie s'opère la séparation des élus et des réprouvés. Les premiers , vêtus de robes, se dirigent vers le paradis qui est situé sur la droite à l'extrémité de ce plan. Trois anges sont placés à son entrée pour les recevoir Leur petite proportion ne permet de les bien distinguer qu’à l’aide d’une lunette. Le plus élevé pose une couronne sur la tête du premier des élus qui se présente ; le deu- xième tient un encensoir ; le troisième , placé plus bas, porte un cierge sur son chandelier. Un démon , à tête de singe , pousse vers la gauche les réprouvés, dans un état de pure nature. L'un d'eux porte une grande bourse suspendue à son cou; un autre a la tête ornée d’une couronne ; un troi- sième tient une crosse à la main, elc. Ils sont sai- sis au passage par un autre diable, sortant de la gueule d'un énorme dragon qui s'ouvre pour les engloutir. :

La terrasse qui supporte ces figurés est ornée, du côté des élus, de feuilles de vigne et de raisins, et, du côté des réprouvés, de feuilles de chêne et de chardons. Le dessous de la terrasse supérieure, qui sépare celte deuxième partie de la troisième, est formé par des anges qui tiennent, d’un côté, des couronnes sur la tête des justes, et de l'autre,

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des épées flamboyantes , avec lesquelles ils chassent les méchans.

Au centre de la troisième partie du tympan, pa- raît le fils de l'homme , assis sur son tribunal, pour juger les vivans et les morts. Il a les mains éle- vées , et la lête appuyée sur un nimbe ou cercle lumineux, orné d’une croix grecque (i): A ses cô- tés sont deux statues ageuouillées et suppliantes , ayant les mains jointes : celle de droite est la S.'<- Vierge qui intercède auprès de son fils ; celle de gauche paraît être St.-Jean l'évangéliste, que l'on distingue très-bien sur d’autres bas - reliefs sem- blables (2); car ici lesculpteur a revêtu cette seconde figure du camail des anciens chanoines , comme ül a donné à un roi de France le thyrse de Bacchus.

Derrière la mère du Sauveur ,' on voit deux

(1) Sur le bas-relief de la cathédrale de Paris ( voy. descript de cette: Cathéd. par M. Gilbert , p. 59 ), qui représente le même sujet , le nimbe- ou disque lumineux du Sauveur est également orné d’une croix grecque et doré. L’usage du nimbe remonte à une haute antiquité, et on le trouve autour de la tête des principales divinités égyptiennes et indiennes. C’est tout bonnement la couronne radiée du soleil , uniqne divinité apparente du monde pour les anciens. {

(2) Sur ceux de Chartres et de Paris , par exemple ( voir descript. de la cathédr. de Chartres, par M. Gilbert , p. 41 , et descr. de la cathéd. de Paris. par le même, p. 59). M. H. Dusevel ( notice de la cathédr. p. 41) pense que cette 2.° figure représente St.-Firmin auquel est dé- dié le portail de gauche , comme celui de droite l’est à Marie. La con- jecture est ingénieuse. Mais les calvaires la S.te-Vierge et le disciple bien-aimé figurent aux pieds du Christ expirant, me font pencher en fa- veur de l’opinion de M. Gilbert.

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anges , l'un debout, tenant le signe de la rédemp- tion , et l’autre agenouillé, les mains jointes. On voit de même , derrière St.-Jean l'évangéliste , deux autres anges, dont l’un, debout, porte les clous de la passion, et dont l’autre est aussi à ge- noux , les mains jointes.

Dans la quatrième partie du tympan, au-dessus de la tête du Sauveur , est placé le Père Eternel , élevant les bras , et la tête appuyée sur le triangle mystique. À ses pieds sont agenouillés deux anges : Fun, placé à droite , semble présenter aux regards du spectateur un soleil radieux et flamboyant ; l'autre, à gauche , tient de la même manière la lune dans son croissant.

Enfin, l'intérieur de ce porche se termine par une profonde voussure, dont les arcs multipliés présentent une maltitude de personnages , qui , pour la plupart, out un grand rapport avec divers passages de l’apocalypse. On voit dans les premiers cintres les vingt-quatre vieillards, prêtres et rois, avec des couronnes d’or, assis sur des trônes, te-

van divers instrumens de musique , ainsi que des phioles d'or remplies de parfums, chantant aux noces de l’agneau un nouveau cantique avec la harpe, le sistre et le psaltérion, qui sont les prières des saints (1). Les nations et les tribus, revêtues de

(4) Les mêmes sujets gurent au grand portail de la cathédrale de-

400

/

longues robes , y sont également représentées , te- - nant des palmes dans leurs mains , et tous les anges qui , avec eux , entourent le trône du lout-puissant, selon l’ordre de la hiérarchie céleste.

Il est inutile de mentionner ici les peines de l’en- fer et les joies du paradis qui sont figurées, à droite et à gauche , dans une suite de compartimens disposés sur les tailloirs des chapiteaux des colonnes de ce portail (2). Ces scènes sont tirées presque toules de l'apocalypse et plusieurs personnages , hommes et démons, s’y montrent dans des postures fort indécentes. Mais nous devons dire, en terminant cette longue description , que le sommet du pignon central du porche est surmonté de la statue colos- sale de St.-Michel-Archange, revêtu d'une cuirasse , armé d'un bouclier et d’un glaive , et foulant aux pieds le diable , sous la forme d’un dragon , tel que les peintres et les sculpteurs l'ont représenté dans les temps modernes (3).

Chartres , l’on distingue, parmi ces instrumens de musique , le violon à trois et à quatres cordes. ( Voy. descript. de cette cathédr. par M. Gil- bert, p. 22). :

(2) On peut consulter là-dessus l'ouvrage de M. Gilbert, p. 38 et suivantes.

\

(3) L'un des portails de la cathédrals de Paris ( celui de la Vierge, placé à gauche du spectateur en entrant ) présente , dans l’un des petits bas-reliefs latéraux , St.-Michel appuyé sur un bouclier, terrassant le diable sous la forme d'un dragon ; l’Archange est revêtu d’une tunique

301

En examinant avec attention les divers emblêmes de ce grand bas-relief, M. Rigollot père fut frappé de la ressemblance qu'ils offrent avec ceux de l’an- cienue religion des Perses. Il en signala les rap- ports dans un mémoire lu à l’Académie et qui n'était pas destiné à l'impression ; ce qui n’em- pêcha point son collègue M. Rivoire de le cri- tiquer sur un ton peu académique, dans sa descrip- tion de la cathédrale d'Amiens , publiée en 1806. M. Rigollot père répondit , la même année , à son antagoniste par une brochure sur laquelle celui-ci jugea prudent de garder le silence. Depuis cette époque, les archéologues qui eurent l’occasion de décrire ce monument, ont*à peu-près usé de la mêmé réserve (1). Si nous nous permettons de re-

et de vêtemens semblables à ceux que les peintres grecs appliquaïent aux anges que l’on revêtait quelquefois d’une chape. ( Voy. descript. de cette cathédr. par M. Gilbert , p. 89 ).

(1) Excepté M. Jorand qui, dans les mémoires de la Société royale des antiquaires de France ( VII, p. 273 ), s’écrie qu'il n’y a plus d’art, plus de science, si l'on peut se permettre avec M. Rigollot de faire de l'agneau pascal le bélier , signe du zodiaque , et de donner les vierges folles et les vierges sages pour les deux principes du manichéisme. Le critique a voulu dire pour les emblêmes des deux grandes saisons de l’année que se partagent les deux principes dans la religion persane. C’est en ce sens que M. Rigollot père s'était exprimé ( lettre à M. Ri- voire , p. 21—?3) , et cela est un peu différent. A l’égard de l'agneau pascal , M. Jorand n’a songé ni à l'agneau des Perses, ni au dieu-bélier des Egyptiens : il s’arrête à l'agneau des Juifs, sans se douter le moins du monde que Moïse aurait très-bien pu imiter en cela les prêtres de Thèbes ( Origine des cultes V. p. 115—120 et les notes). M. de Chä-

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venir sur ce sujet, après la savante réponse d’un ancien collègue dont nous regrettons tous la perte , c'est moins pour dire quelque chose de nouveau que pour rendre hommage à sa mémoire , et mon- trer que ceux qui l'ont combattu ne l'ont pas com- pris.

Sans doute, les principaux personnages qui fi- gurent sur cet intéressant bas-relief, les attributs qui les caractérisent, les scènes auxquelles ils pré- sident, les détails enfin sont puisés dans la bible. La plupart au moins s'expliquent par le nouveau- testament ; et l’on ne saurait blâmer les efforts de MM. Rivoire , H Dusevel et Gilbert, qui veulent les ramener tous , bon gré malgré , aux types de la religion chrétienne. Toutefois, comme quelques-uns de ces symboles s'expliquent avec au- tant de facilité dans d’autres systèmes religieux venus de l'Orient ; comme il en est quelques autres dont l'apocalypse même , toute élastique qu'elle est , ne saurait donner une interprétation com- plète et satisfaisante ; comme enfin , il est au-

teaubriand eût sans doute été moins affirmatif sur ce sujet ; car il dit quelque part: « Ceux même qui ne voient dans le christianisme que » d’antiques allégories du ciel , des planètes, des signes etc. , ne détrui- » sent pas la grandeur de cette religion : il en-résulterait toujours qu’elle » serait profonde et magnifique dans ses mystères , antique et sacrée dans » ses traditions , lesquelles , par cette nouvelle route, iraient encore se » perdre au berceau du monde, » ( Génie du christianisme , VIII, p. 307—308 , in-42 , 1809 ).

303

jourd'hui reconnu que l'idée des bas-reliefs qui décorent nos grandes églises du moyen âge est une importation de lAsie (1), aussi bien que l'archi- tecture dite gothique ou sarrazine , ce n'est pas s'éloigner du gros bon-sens , quoi qu'en ait dit le premier des trois archéologues ci-dessus nom- més (2), ni faire divorce avec la vérité , que de remonter ici aux religions qui ont précédé, amené et, en quelque sorte, motivé le christianisme. Si l’es- prit a ses écarts et l'érudition ses dangers, la pré- somption et le demi-savoir ont aussi les leurs ; et, dans les matières d’antiquité , on risque moins de s'égarer, en marchant sur les traces d'un savant modeste, judicieux et profond , qu'en prenant pour guide un écrivain tranchant , partial et superfi-

ciel. (3).

(4) Les temples ou palais de l’Inde , de la Perse, de la Syrie et de l'Esypte , étoient ornés de figures, de zodiaques et de symboles, que les sculpteurs du moyen-âge mêlérent avec les monumens de notre religion. Des architectes Sarrasins allèrent en Grèce , en Italie , en Sicile et dans d’autres contrées. Un grand nombre d’artistes chrétiens se réunirent à eux : ils formérent ensemble la grande confrérie des Francs-Macçons qui . avait ses lois et ses statuts secrets, renouvelés des anciens mystères du paganisme, ( Voir leçons sur l’histoire et la théorie des beaux-arts, par A. G. de Schlegel , traduct. franc. , p. 498).

Es

(2) M. Rivoire , descript. de la cathédr. d'Amiens , p. 34 et 35.

(3) Voir dans la préface de la descript. de la cathédr. d'Amiens , par M. Gilbert , le jugement que ce savant antiquaire porte de M. Rivoire.

304

Nous n’entendons pas dire que les exécuteurs de ce bas-relief s’écartaient sciemment de la ligne or- thodoxe , encore moins que c'était de propos déli - béré qu'ils appliquaient au culte chrétien des sym- boles du paganisme (1). En général, les érudits du moyen-âge ne portaient pas leurs vues si loin ni si haut. Ils avaient plus de bonhomie que de lumières. Ils consultaient plutôt leurs lectures et leurs souve- nirs que les règles de la saine critique ; et, en cela, ils tendaient , sans le savoir peut-être, à ramener le christianisme à ses véritables origines. Ils conti- nuaient, pour ainsi dire , la tâche , aujourd'hui fa- cile, qu’avaient cominencée plusieurs pères éclec- liques de la primitive église, et que poursuivent avec plus de science et de secours les écrivains re- ligieux de l'Allemagne. Quelques - uns pourtant meltaient dans leurs procédés beaucoup plus d’a- dresse qu'on ne serait tenté de leur en accorder. Leur complaisance pour les fidèles alla même jus- qu'à la témérité ; car ils ne se faisaient pas scrupule

(4) M. Gilbert ( descript. de la cathédr. d'Amiens , p. 59) , convient lui-même, au sujet des signes du zodiaque sculptés sur le portail de gau- che, que l’isnorancc de ces temps a fait un singulier mélange de toutes les parties d’ornemens, d’allégories fabuleuses , de détails tronqués et incohérens , enfin de toutes sortes de débris échappés à la destruction, des monumens antiques. Il ajoute qu’on les copiait sans se douter de leur signification ancienne , ni même qu'ils en eussent eu jadis une ; assertion que je n'admets pas en son entier , parce que les artistes francs-maçons du moyen-âge étaient moins ignorans qu’on le suppose.

305

de transformer en saints les dieux des gentils, pas plus que d’invoquer des ouvrages apocryphes , tels que les oracles de Zoroastre ou de la sibylle, à l'appui des livres canoniques. Pour témoins de ces métamorphoses, on peut citer S£.-Bacche, à Pa- ris (1), S€.-Mithre, à Arles (2) , et plusieurs autres

encore qu'il serait trop long d'énumérer ; mais sur-

tout cette noire [sis tenant dans les bras son jeune fils Horus, statue qu'un pieux pélerin avait rap- portée de l'Egypte, pendant les guerres des croi- sades , et qui fit tant de bruit, de miracles et de dupes dans la ville du Puy en Velay, sous le titre de Notre-Dame du Puy (3). Quoiqu'il en soit, nous voulons bien admettre ici que l'ignorance eut plus

(1) Histoire de Paris, par M. Dulaure, I, p. 196, 226 et 303, in-12.

(2) Des sciences occultes, par M. E. Salverte , I , p. 68. Arles pos- sède-une statue de Mithre , comme Paris avait un autel de Bacchus, (Voy. Millin, voyages dans le midi de la France, planche 36, n.° 5 , et Du- laure ubi suprà ).

(3) La statue apparut en songe à Durand Chapuy , et lui ordonna d’an- noncer la paix au monde ( la Guyenne et les pays voisins étaient alors infestés de brigands, nommés Routiers ) , à condition que chacnn porte- rait, sous peine de mort subite , un chaperon de toile blanche et une image de la vierge, en plomb ou en étain. Le clergé du Puy fit deux cent mille dupes et gagna quatre cent mille livres. La farce finit par nn mas- sacre de l’armée des Chaperons. Ceci se passait vers la fin du 42. siècle. La statue d’Isis n’en continua pa; moins d'attirer au Puy, tous les ans, jusqu’à la révolution , une foule de pélerins , roturiers , nobles et prin- ces, qui venaient lui faire leurs dévotions au 45 août. ( Voir un article de Legrand-d’Aussy, dans les notices et extraits de la biblioth. royale , VII, p. 290 et suivantes ). 5

20.

306

de part que le savoir à l'exécution de notre bas- relief.

Cela posé, reprenons de haut en bas l'examen des principales figures de ce tableau ; et voyons si en effet M. Rigollot père en a mal saisi le sens.

Le première qui frappe les regards est celie de ce guerrier colossal , armé el cuirassé; qui terrasse un dragon. Les chrétiéns y voient avec raison leur belliqueux St.-Michel, vainqueur du diable on du prince des ténèbres (1). Mais les Grecs y auraient reconnu leur Hercule, foulant aux pieds le dragon du pôle, ou leur Apollon, vainqueur du serpent Python (2). Les Égyptiens, à leur tour, l’auraient pris pour leur dieu Horus, combattant Typhou qu’il vainquit et enchaîna (3) ; enfin , les Perses n’au- raient pas représenté autrement leur Mithra, armé et frappant Ahrimane , son ennemi (4). Pour tous,

(1) Origène contre Celse, liv. 6, p. 304.

(2) Voir Origine des cultes, VI, p 360—363.

(3) Plutarch. de Iside , p. 358. Sur un monument découvert à Thèbes, et dont M. A. Lenoir possédait le dessin, Anubis-Horus est représenté comme St.-Michel , portant une cuirasse , armé d’une lance et perçant un monstre dragon à queue de serpent. ( Voy. mém. de J’Acad. cel- tique , IL , p. 411—12 ). Ce serpent mythique est le éragon apoph ( apo- phis ) , le géant ennemi des dieux. I] joue un rôle important dans les ta-

bleaux astronomiques religieux. Son nom, dit M. Champollion jeune

( Grammaire égyptienne , p. 426), fut souvent déterminé par un carac- tère iguratif représentant le monstre expirant sous les épées des dieux qui le vainquirent. AE

(4) Zend-avesta , IT , p. 204 , 206, 208, 214, 222.

et En 079 VU

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en un mot, ce belliqueux personnage aurait été, comme le remarque très-bien M. Rigollot père, l'expression la plus fidèle du triomphe de la lumière sur les ténèbres (1), et, par extension, la victoire du bon principe sur le mauvais , du bien sur le mal , de la vie sur la mort. Aussi l’archange Michel n'était-il, pour les Juifs comme pour les gnosti- ques chrétiens , qu'une forme particulière ou qu’une copie de l’Hercule grec , de l’'Horus égyptien et du Mithra persan. Les Kabbalistes l’appelaient soleil ou esprit du soleil et le peignaient avec uue tête de lion (2). C’est ainsi que les Grecs représentaient leur Hercule , revêtu de la peau du lion de Némée ; les Égyptiens, leur Horus, portant une tête de lion , armé et vêtu en guerrier (3), et les Perses, leur dieu Mithra , avec une tête de lion, sur quel- ques-uns de leurs monumens figurés (4). Mithra , Horus , Hercule et St.-Michel , étaient tous quatre parés de l’altribut du lion solsticial, signe qui ser- vait de domicile au soleil, dans la distribution as- trologique des planètes entre les douze constel-

(4) Lettre à M. Rivoire , p. 49.

(2) Origène C. Celse, liv. 6, p. 304. Kircher , OEdip. II. 2.° part. p. 235. Dupuis, Origine des cultes , II, p. 79, 154 et 608, note 41.

(3) Relig. de l'antiquité, explicat.-des planches, p. 49—50, et planch. 32 et 37, n.°° 461 et 161 à.

(4) Luctatius, in Statii Thébaïd. 1, p. 745, et Relig. de l'antiquité, I,

A,sre part. p. 375. 20*

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lations du zodiaque, de même que tous quatre ils étaient armés du glaive du bélier équinoxial (1) ou du signe dans lequel le soleil avait sou exaltation , suivant le même système (2).

Comme génie solaire, ce guerrier représentait l'astre du jour dans son action bienfaisante à l’équi- noxe du printemps et au solstice d'été ; c'est ce que signifiaient le glaive ou la massue et la tête du lion dont il était paré. Mais considéré sous un point de vue moins élevé, il n’était qu'un simple assesseur du soleil ; et alors son siége au ciel était dans l’Zn- geniculus Hercule agenouillé, grande constel- lation qui se développe sous la balance , le scorpion et le sagittaire et dont le pied gauche s'appuie tout entier sur la tête du dragon du pôle. La sphère grecque le représente armé du glaive ou de la mas- sue, couvert d’une peau de lion et écrasant du pied le dragon des Hespérides(3). Dans la sphère persique il était figuré par un homme qui a l'air menaçant, qui tient en main une balance, et auprès duquel est la tête d'un dragon {4). Par son lever du soir, à l’équinoxe du printemps , il annonçait l'agneau

(4) C'était le glaive de Mars, qui avait son domicile au bélier. Por- phyr. de antro nymph. C. 24.

(2) Origine des cultes , I, p. 392 et suivantes.

(3) Hygin. germanic. Erathost. etc. , cités dans l’Origine des cultes , VI, p. 360. (4) Scalig. not. ad manil. p. 343.

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équinoxial , sur le dos duquel le soleil était assis ; servait, en quelque sorte, de précurseur à cette di- viuité bienfaisante , et lui préparait les voies au ciel, en terrassant le dragon , son ennemi. Il of- frait le même aspect astronomique par son lever du matin, à l’équinoxe d'automne, il accom- pagnait le soleil, alors entré dans la balance. C'est peut-être pour cela que nos ayeux célébraient à la fin de septembre la fête de St.-Michel , dans son union avec le, soleil d'automne , et, aux pro- cessions des rogations et de St.-Marc , la défaite du dragon allégorique , que l’on promenait dans les champs, la Llête en bas et la queue en l'air, par dérision. Ces dernières fêtes correspondaient au temps la première moitié du printemps était

écoulée, même dans nos climats froids et plu- vieux (1). Elles pouvaient aussi, comme l’autre fête de St.-Michel placée au huit mai, avoir pour origine l'union du soleil printanier avec Persée , génie mithriaque , armé du glaiveflamboyant, vain- queur de la Gorgone, qui accompagne au ciel le taureau équinoxial. Ou sait, en effet, que les an- ciens , dans leurs fables , ont quelquefois confondu Persée avec l'Ingéniculus , par la raison toute simple que ce sont deux génies solaires, parés à

(4) Des sciences occultes, p. M. E. saisere; Il, p. 28 et 299,et passim , 2.° appendice.

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peu-près des mêmes attributs et paranatellons l’un de l’autre, c'est-à-dire se faisant lever et coucher mutuellement. Ce qu'il y a de certain, c'est que nos ancêtres donnaient à l’archange Michel les mêmes attributs que les Perses donnaient au génie solaire Mithra. IL était Lars eux le prince de l’ar- mée du ciel (1), comme l'était Mithra pour les Perses. Ils le représentaient tenant une épée dans. la main droite ( le glaive du bélier ou de l'agneau équinoxial ) , et, dans la main gauche, une balance, signe de l’équinoxe d'automne et de la pesée des âmes (2). Tel il avait apparu à un pieux pasteur de Siponto, qui, par des prières et des jeünes conti- nués pendant une année entière , avait obtenu que ce prince de la milice céleste lui déclarât en quel endroit du mont Gargan ( aujourd'hui mont St.-Ange , au royaume de Naples ) , il voulait être adoré (3).

L’apocalypse est le seul livre de la bible ce

belliqueux archange apparaisse avec le caractère de guerrier ou de héros triomphateur qu'il a sur

(4) Baillet , vies des Saints, VI, p. 406.

(2) Arma ferens, dextrâque ensem, læväque bilancem. ( Fastes du Mantouan , livre 9 , 350, cités par Beausobre, histoire du Manich. II, p. 625).

(3) Mêmes fastes du Mantouan , dans Beausobre , ubi en Voy. aussi Baillet, vies des Saints, VI, p. 407.

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notre monument (1). La victoire qu'il y remporte avec ses anges contre le dragon et son armée, par la vertu du sang de l'agneau (2), ressemble beaucoup, soit au triomphe d’'Horus et de ses com- pagnous sur le serpeut Apophis qui poursuivait Latone , prête à accoucher d’Apollon (3), soit à ce- lui qu'Ormuzd et son peuple céleste obtiennent sur Ahrimane et ses suppôts, au mois farvardin ou à l'équinoxe du printemps (4.

Du reste, l’archange Michel n’est plus nommé que dans deux autres textes de Ja bible , par le pro- phète Daniel et par l'apôtre St.-Jude (5). Le pre- mier en parle comme de l'un des principaux chefs de la milice céleste, comme de l'ange protecteur des Hébreux (6). Le second raconte que l’archange

(} Apocal. ch. 42. Il y est envisagé sous un point de vue astronomique que Dupuis a savamment développé. Voir Origine des cultes , V, p. 510 et 524.

(@) Apocal. ch. 12, V. II.

(3) Plutarch. de Iside, p. 358 et 360.

(4) Th. Hyde , de veter. persar. relig. p. 440. Bounde hesch , zend- avesta , IL , p. 348 et 351.

: 6) L'ange qui apparaît à Josué sous la forme d’un homme , tenant une épée nue à la main, et qui lui dit : Je suis le chef de l’armée de Jéhoväh (Jos. ch. 5, v. 13 et 14), est sans doute St.-Michel , de même que l’ar- change dont la voix, selon St.-Paul ( épit. 2, aux Thessalon, ch. 4, v. 16), donnera le signal du jugement dernier. Mais, dans ces deux en- droits , il est pas désigné par son n6m.

(6)- Daniel, ch. 40 , v. 43 et 21 et ch. 42, v. 1.

=

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eut une dispute avec le démon, touchant le corps de Moïse, sans dire en quoi consistait cette alter- cation (1). Il y a bien de l'apparence que St.-Jude avait Liré ce fait d'un ancien livre apocryphe de l'assomption de Moïse, cité par quelques anciens pères grecs (2), et aujourd’hui perdu (3) , de même que plus bas il cite l'ouvrage apocryphe d'Enoch (4).

En revanche, ce livre d'Enoch donne expressé- ment à St.-Michel le rôle qu'il joue dans l'apocalypse et sur le pignon du grand portail de la cathédrale d'Amiens. Il ÿy est dit que ce prince des archanges fut chargé de combattre Semi-Axas, chef des mau- vais génies , et de l'enchaîner dans les lieux les plus profonds de la terre , jusqu’au moment du jugement il sera précipité dans l'étang de feu et de souf-

() Il paraît que le diable revendiquait l’âme ou le corps de Moïse, parce que ce législateur avait tué l’Esyptien dont il est parlé dans l’Exode, ch. 41, v. 41 et 42, Si l’on en croit les pères de l’église cités dans la bible de Vence , III, p. 74 et suiv.— Sur un bas-relief égyptien , relatif à la pesée des âmes , on voit une grande balance dont les plateaux sont te- aus en équilibre par Horus, fils d’Isis, à tête d’épervier, et par Anubis, fils de Nephthys, à tête de chacal ( Relig. de l’antiq. , planche 45, n.° 4184 ). N'est-ce point à quelque tableau analogue mal compris qu’est due la fable hébraïque de Samaël (anübis).ou de l’ange de la mort , disputant à St.-Michel (horus) , l’âme de Moïse ?

(2) Tels qu'Origène, Clément d’Alexandrie, Evode et autres. Voyez bible de Vence, IIL, ubi suprà.

(3) Les livres hébreux intitulés pétirath mosé (assomption de Moïse}, publiés par Gaulmin, ne contiennent point les passages rapportés par les anciens. (Même bible , ubi suprä).

(à) Epitre de St.-Jude , v. 14 et 45.

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fre (1). L'apocalypse nous retrace aussi cet événe- ment. On y fait descendre du ciel un ange, ayant la clef de l’abîme et une grande chaîne en sa main ; il saisit le dragon , l’ancien serpent , qui est le diable et satan , ‘porte le texte, et le lie pour mille ans: Il . le jette dans l’abime , l’enferme et met le sceau sur lui, afin qu'il ne séduise plus les nations , jusqu'à ce que les mille ans soient accomplis (2). Quand le terme est expiré , Satan est délié de sa prison. Il sort pour séduire les nations qui sont aux quatre coins de la terre , les assemble en bataille et cerne le camp des Saints et la cité bienheureuse. Mais Dieu fait descendre du ciel un feu qui dévore cette armée rebelle ; le diable est jeté dans l'étang de feu et de souffre, lui et les siens seront tour- mentés jour et nuit, dans les siècles des siècles (3). Au même instant , s'opère la résurrection géné- rale (4).

Ces dernières scènes figurent dans la cosmogonie des Perses. Le dragon enchaîné est Ahrimane (5), l’ancien serpent (6); les mille ans, pendant lesquels

(4) Ex primo libro Enoch , apud syncellum, chronographia , p. 11 , 12 et 43,— St.-Pierre y fait allusion dans sa épitre , ch. 2, v. 4.

(@) Apocalyps. c. 20, v. 1, 2 et 3.

(3) Apocalyps. c. 20, v.7,8,9 et 10.

(&) Ibid , c. 20, v. 41 à 15.

(5) D veste , IL, p. 347, 348, 350.

(6) Ibid. I, 2. part., p. 112, 264, 305, et n.° 5, et 377 ; EL, p. 495, 204, 351, 255 et 416.

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il reste enchaîné , représentent les trois mille ans durant lesquels Ahrimane est lié de son côté (1). Ses combats contre le camp des Saints et la cité sainte , sont ceux d’Ahrimane et de ses mauvais gé- nies contre le peuple céleste d'Ormuzd (2). sa dé- faite et sa punition ressemblent à celles d’Ahrimane, et le vainqueur à Ormuzd, le dieu de lumière qui triomphe à la fin du prince des ténèbres (3), le pré- cipite dans le douzakh (l'enfer) (4), et le fait pas- ser par un fleuve de métaux fondus (5).

Nous nous sommes arrêté long-temps sur cette grande figure de St.-Michel, parce qu'elle résume à elle seule toutes les scènes sculptées sur le bas- relief qui nous occupe. Elle nous anuonce que , dans l’ordre des saisons, nous sommes à l’équinoxe du printemps, à la fin de la lutte des ténèbres contre la lumière, à l’époque du passage du Sei- gneur , la Péâque , ou, comme diraient les payens , à l'époque du passage du soleil dans les régions bo- réales. Elle nous indique aussi que, dans l’ordre des siècles, nous arrivons à la fin du monde, au grand jour de la résurrection générale , au triomphe final des justes et à la défaite complète des mé-

(1) Ibid. p. 347, 348, 350.

(2) Ibid. Il, p. 351, 355.

(3) Ibid. II, p. 345, 347, 348, 350. (4) Ibid. II, p. 355.

(5) Ibid. II, p. 416.

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chans. Aussi nous allons voir, en passant sous le porche , que le bas-relief, considéré dans toute sa longueur , depuis lehaut jusqu’en bas , est divisé en deux parties égales, dont l’une, la droite, au nord, est affectée aux enfans de la lumière ou aux élus, et dont l’autre, la gauche , au midi , est affectée aux enfans des ténèbres ou aux réprouvés. Cette oppo- sition de la droite et de la gauche, du bien et du mal, de la vie et de la mort, est conforme sans doute au langage et à l'esprit du christianisme ; mais elle n’y est pas aussi fortement marquée que dans les religions égyptienne et persane. elle prend un caractère décisif et se montre tellement à découvert qu’il n’est pas difficile d’en apercevoir l'origine astronomique. Le triomphe du principe bienfaisant sur le principe du mal, a sa source dans la victoire du soleil printanier sur l’hiver, de la lumière sur les ténèbres. Notre bas-relief chrétien est entièrement calqué sur ce thême aillégorique ; et les phénomènes naturels y sont mis en action pour caractériser les idées morales et religieuses , avec une allusion manifeste aux traditions de la Perse, et quelquefois même à celles de l'Egypte.

D'abord, les trois principaux personvages éche- lonnés ae 1e cadre ogive , au-dessus de la tête du Sauveur , ont cela de singulier que, sans le symbole de la croix et les deux figures agenouillées qui ac-

e

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compagnent le second (1), il serait facile de les prendre pour trois personnages de la religion de Zoroastre. Le père éternel ou l’ancien des jours (2), avec son triangle mystique , représenterait Zervan- akarana ou le temps sans bornes ; le fils de l'homme, assis sur son tribunal , figurerait Ormuzd, jugeant les vivans et les morts, et l’archange Michel avec sa balance, serait l'Ized Mithra , pesant les âmes sur le pont Tchinerad (3). L’agneau placé dans l’un des bassins, à la place du taureau , ne ferait pas difficulté ; car, dans la cosmogonie persane , c’est par l'agneau équinoxial que commence le règne d'Ormuzd (4); et Mithra lui-même, monté sur le tau- reau , son symbole primitif, était armé du poignard du bélier (5). L'absence du Saint-Esprit ne nous éton- nerait nullement, parce que les monumens figurés de la Perse n'offrent point de génie ou de divinité de ce genre. Les quatre anges sonnant de la trom- pette aux quatre coins du moude, ou les quatre

(4) Cette croix et ces personnages à genoux devant le fils de l’homme, pourraient à la rigueur être comparés à la croix de Sérapis et aux deux déesses de l’Amenthi , suppliant Osiris, le juge des morts. Mais ce rap- prochement serait peut-être plus spécieux que solide.

(2) Daniel, ch. 7. v. 9, 43, 22.

(3) Voy. les passages cités dans la table générale du zend-avesta , aux mots temps sans bornes, Ormuzd, T'chinevad. Voy. aussi lettre à M. Ri- voire , p. 47—18. *

(4) Zend-avesta, II, p. 349, 353, à Ja note, 357, 359.

- (3) Porphyr. de antro nymphar. ch. 24.

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Izeds, préposés à la garde des quatre parties du ciel (1); les morts qui ressuscitent ; les élus con- duits dans le paradis par les anges de la lumière, les réprouvés chassés dans l'enfer par les génies des ténèbres ‘et engloutis par le graud dragon ; les premiers marchant à droite , côté affecté au bon principe , les seconds repoussés vers la gauche , côté affecté au mauvais principe , etc., elc., sont toutes images tellement familières aux Perses que rien ne serait plus facile de les rapporter aux traditions religieuses de ces peuples. Enfin le soleil et la lune qui brillent aux deux côtés du père éternel, ont ici tant de rapport avec les mystères de Mithra et si peu d’analogie avec le tableau chrétien du jugement dernier, qu'il n’est guère possible de les ramener au texte des évangiles. Le soleil west point obs- curei, comme le vent la bible, mais radieux et flam- boyant ; la lune n'est point privée de sa lumière, Mais son croissant paraît lumineux (2)

Ces deux astres présentés au dieu suprême par deux anges , placés l’un à droite et l’autre à gauche da père éternel , ne représentent-ils point les deux instrumens , désormais inutiles, de l'ascension et de la descente des âmes, suivant la théorie mys-

(4) Zend-avesta, II, p. 349—350.

(2) ‘Sol contenebrabitur et luna non dabit splendorem suum , et stellæ cæli erunt decidentes. ( St.-Marc, ch. 43, v. 24 et 25). Sur notre bas- relief, on ne voit point d'étoiles tombées ou tombantes.

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tique des anciennes religions sacerdotales ? le soleil est à droite, au-dessus de l'agneau et des justes : c'est le symbole de l'ascension au ciel, de la régé- nération , de la béatitude céleste. La lune est à gauche, au-dessus du démon et des méchans : c'est l'emblême de la descente sur la terre , de la géné- ration , de la dégradation ou des tourmens de l'enfer.

En second lieu , la Psychostasie , ou la pesée des âmes que l'on remarque sur le 3.° plan, au milieu des morts qui sortent de Jeurs tombeaux, ne figure point dans le récit évangélique du jugement der- nier ni dans aucun autre texte sacré. À la vérité, Daniel raconte que le roi Balthasar a été pesé dans la balance ; qu'on l’a trouvé léger ; que son règne va finir, et que son royaume divisé sera immédia- tement donné aux Mèdes et aux Perses (1). Mais il ne s'agit point du jugement dernier, pas plus que dans les poèmes d'Homère et de Virgile, l'on représente Jupiter pesant les destinées d’A- chille et d'Hector (2) ou celles de Turnus et d'E- née (3). Au reste , on sait que Daniel était chef des mages, des astrologués, des Chaldéens ei des devins,

(4) Daniel, ch. 5, v. 26—28.

@) Iliad. liv. 22, v. 209. Le poète dit que le plateau d’Achille s’éleva jusqu'aux cieux et que celui d’Hecter descendit jusqu'aux enfers, parce que le héros Troyen devaitsuccomber dans sa lutte contre le fils de Pelée.

(3) Æneïd. liv. 42, v. 725.

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et le conseiller intime, tant des rois de Babylone, que des rois de Perse, leurs successeurs ou leurs maîtres (1). Il ne serait donc pas étonnant qu'il eûl puisé dans sa captivité cette notion de la pesée figu- rative des âmes. C'était un idée familière aux Perses eaux Egyptiens. On la retrouve dans les livres parsis et sur les monumens de l'Egypte (2). Ici, Anubis et Horus, son_frère, pesent les âmes. On voit, dans l’un des bassins de la balance, le vase con- tenant les péchés du inort , et dans l’autre, l’image de la déesse Satr ou Saté (justice et vérité). Au- dessus est Osiris-Soleil, juge suprême de l'Amen- thi (3). le pesage s'opère sur le pont Tchinerad, qui sépare le ciel de la terre, par Mithra et Ras- chnérast, son assesseur , et le juste juge Ormuzd

(4) Daniel, ch. 2, v. 48. ch. 5, v. 11 et ch. 41, v. 1.

(2) Les Gnostiques s’en sont emparés (voir hist. critique du Gnosti- cisme, par M. Matter, explic. des planches, :p. 50—53). On la voit aussi représentée sur une patère étrusque Mercure psychopompe et Apol- lon pèsent dañs une balance, non plus les destinées, mais les âmes d’A- chille et de Memnon, sujet qu'Eschile avait traité dans une tragédie in- titulée psychostasie ( voir saggio dit lingua etrusca, par Lanzi, II, prem. partie, p. 224—225 ; ou nonumens antiques inédits, par Millin, II, p. 33—35.

(3) Matter, hist. du Gnostic. ubi supra, p. 54, cite à ce sujet un ou- vrage allemand de Bachmann que je n’ai pu consulter. Sur un papyrus égyptien dessiné dans voyage de Dénon, planche 441 , on voit dans l’un des bassins une petite figure accroupie (c’est la déesse Sati ou Saté} et dans l’autre un objet que Millin (ubi supra, en note ) n’à pu détermi- ner : C’est sans doute le vase des péchés du mort.

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prononce la sentence définitive (1). Nous w’oserions affirmer , faute de monumens figurés , que les Perses eussent placé dans l'un des plateaux , en re- gard du mort, l'image du laureau équinoxial ou cosmogonique , Symbole du bon principe. Mais nous serions assez tenté de le croire , lorsque nous lisons dans la cosmogonie persane que les morts ressuscile- ront par ce qui viendra du taureau (2), et que nous nous rappelons en même temps que ce taureau symbolique jouait dans les mithriaques un rôle analogue à celui de l'agneau des chrétiens. Quoiqu'il en soit, la cathédrale d'Amiens nous présente ici, comme l'église de Saint - Trophime d'Arles (3), comme la cathédrale de Chartres (4), comme l’ancienne porte principale de Notre-Dame de Paris (5), l’archange Michel tenant la balance de la justice divine et pesant figurément les âmes, à l'exemple d'Horus et de Mithra , qu'il représente... Aussi les rabbins lui dounaient-ils les épithètes ho- norifiques de Grand Scrihe , de médiateur eutre Dieu et les hommes, et de sacrificateur du Dieu vi-

(4) Sadder , porta I, dans Th. Hyde, de veter. pers. relig, p. 436.— Zend-avesta I, 2.° part. p. 131. M. de Hammer, dans ses mithriaca, p. 472 , assure que la tradition musulmane a fait de Mithra et de Raschné- rast les deux anges du jugement, Nékir et Munkir.

(2) Zend-avesta IT, p. 387 et 415.

(3) Millin, voyages dans le midi de la France, III, p. 595.

(4) M. Gilbert, descript. de cette cathédr. p. 41 et 42.

{5) Id.— Descript. de cette cathédr. p. 62 et 63.

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vant (1). Le Christ, sous la figure de l'agneau , se place dans l’un des bassins de la balance , de même que le faisait la déesse Sati, symbole de justice et de vérité ; ce qui ne l'empêche pas de siéger au- dessus de cette scène , sous la figure du fils de l’homme , à titre de juge des vivans et des morts, parce qu’il se trouve dans des conditions différentes. C'est ainsi que Mithra apparaît sur les bas-reliefs sous le double emblème du taureau égorgé et du jeune homme au bonnet phrygien qui limmole. Cet agneau est, comme le dit l'apocalypse , celui qui a été égorgé pour nos péchés dès l'origine du monde (2). Son corps est le poids commun, le poids du sanctuaire, suivant lequel les hommes-seront tous pesés ; et le juge souverain sera le Christ lui- même , à la fois sacrificateur et victime. Si nous avions sous les yeux un tableau mithriaque, il suffi- rait de substituer à l’image de l'agneau sans tache, celle du taureau cosmogonique, également immolé dès l’origine du monde (3). L'Ized-Mithra tiendrait la balance , et Ormuzd-Mithra remplirait la fonction de juge suprême. |

(1) Ils l’appelaient Metatron. (Voy. cemot fs le lexicon chaldaïcum de J.. Buxtorf ), nom que l’on croit dérivé du latin Metator , mais qui pourrait bien n’être qu’une altération par redoublement du mot Mitra, pris à l’accusatif. ( Voyez aussi Histoire des Juifs par Basnage , vol. 7, p. 283—209.

(2) Apocal. ch. 43, v. 18. Voir aussi St.-Jean , ch. 1 , v. 36, et St.-

Paul, 1." épit. aux Corinth. c. 5, v. 7. (3) Zend-avesta I, part. 2, 174— II, p. 354—3566.

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En troisième lieu , plus bas on remarque , sur le trumeau de la porte, la grande image du Sauveur foulant aux pieds le lion et le dragon ; ces deux animaux figurent sur presque tous les bas-reliefs mithriaques , avec des sens divers. Tei on pourrait y voir, après Dupuis ; les deux constellations du lion et de l'hydre de Lerne, qui sont voisines l'une de l'autre et dont la premièae figurerait comme signe affecté au domicile du soleil, de même que le bélier ou l'agneau l'était à son exaltation (1). On trouve- rait ainsi sur ce bas-relief le Sauveur dans deux po- sitions différentes ; au haut du portail, il apparaî- trait dans son triomphe au signe de l'agneau ; sur le trumeau de la porte, il serait dans son règne au signe du lion , la tête tournée , comme Mithra, vers l’équinoxe d'automne , position que désignent et son visage regardant l’ouest , et son pied droit posé sur le lion, et son pied gauche placé sur l'hydre. On peut aussi, avec M. Rigollot père, prendre le dra- gon pour le serpent d'Ahrimane ou d'automne , qui se lève avec la balance et le scorpion (2) ; car, sur Ja pierre d'azum , le dieu soleil Horus tient de la main gauche un lion par la queue, et, de chacune des deux mains , un scorpion également par la queue, pour indiquer qu'en Egypte son règne s'étend sur

(4) Origine dee cultes I, p. 372 et suiv. et mémoire nc du zc- diaque chronol. et mythol. p. 47.

(2). Lettre à M. Rivoire , p. 24 et 25.

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toute la durée de l'inondation du Nil, depuis le solstice d'été jusqu à l'équinoxe d'automne (1), re- présenté, tantôt par le scorpion, tantôt par le ser- pent d'Ophiuchus, son paranatellon ou son assesseur au ciel. Nous aurions ainsi dans le lion et le dragon les deux symboles de la lumière et des ténèbres , que le Sauveur foule aux pieds, comme maître de Ja vie et de la mort , comme créateur et su- périeur du bon et du mauvais principe, dont ils sont encore les emblèmes. Mais tout porte à croire que ce dragon n'est pas différent de celui que St.-Michel terrasse au sommet du pignon central du porche, c’est-à-dire qu'il n’est autre que le dragon du pôle, souvent confondu par les anciens avec le serpent d'Ophiuchus, constellation voisine de l’Hercule agenouillé, parce qu'il monte au ciel ou en descend avec ce dernier. Il figure ici comme assesseur du verseau , signe opposé au lion, ou plutôt comme astre qui domine au ciel pendant les longues nuits d'hiver , de même que le lion règne durant les longs jours d'été ; ainsi, de même que le lion est le symbole de la lumière , de la chaleur et de la vie ; de même le dragon est l’emblême des ténèbres, du froid et de la mort. En même temps, ces animaux font aussi allusion à l’as-

(1) Voyage en Nubie, par Bruce, I, planche 7. Descript. de l’Egypte, mém, antiquités, I, p. 260. Macrob. sat. lib. I, c. 48.

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cension et à la descente des âmes, figurées dans la théologie néo-platonicienne par les signes solsticiaux du cancer ou du capricorne; car, plus ancienne- ment , le lion et le verseau avaient marqué les solstices , ou les portes du soleil et des âmes, par lesquelles l’astre du jour montait au plus haut point de sa course dans l'hémisphère boréal, ou descen- dait au point le plus bas dans l'hémisphère austral , chargé d’âmes qu’il conduisait au ciel ou dans les enfers. Tel était le sens primitif de ces deux sym- boles , dans le culte de Mithra, comme nous pen- sons l'avoir démontré dans des recherches encore inédites sur les mystères de ce dieu Indo-Persan. Le lion y était le signe de l'ascension des âmes , et le dragon celui de leur descente. Les rôles ont été interverlis plus tard , notamment dans les mystères de Bacchus, parce que le soleil, arrivé au lion, commençait sa course descendante, et que, par- venu au verseau , représeuté ici par le serpent , il commençait sa course ascendante. Mais dans l’ori- gine , ils désignaient le contraire ; et les Perses ont conservé plus fidèlement à ces deux emblèmes leur signification ancienne.

Sur notre bas-relief, on voit le lion à droite, du côté des élus , et le dragon à gauche, du côté des réprouvés. Le Sauveur les foule tous deux aux pieds, soit pour marquer que sa puissance s'étend sur les deux hémisphères, soit plutôt pour exprimer

pen

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que ces deux signes de l'ascension et de la descente des âmes sont désormais inutiles , comme les deux grands flambeaux da jour et de la nuit qui avaient servi d'instrumens pour leur génération et leur ré- génération : en effet, à quoi serviraient désormais

‘ces appareils d’un état de choses qui n’est plus ? les

mondes sont détruits ; le temps a cessé ; l'éternité commence. On invoque contre cette interprétation un demi-verset du psalmiste, portant : ef conculcabis leonem et draconem. Mais d’abord , est sur notre bas-relief l'application de la première moitié de ce verset : Super aspidemet basiliscum ambulabis (1). Nous ne voyous ici ni aspic ni basilic. Et puis, lors même que laspic et le basilic figureraient à côté du lion et du dragon , connait-on assez les sphères orientales pour aflirmer qu'ils ne seraient point comme représentant les signes des deux équinoxes ? les serpens Xnouphis et Urœus étaient en grand honneur chez les Egyptiens, et, dans les planisphères de Kircher , on voit paraître deux ser- pens sous les cases du bélier et de la balance (2). Les savans s’accordent à dire que le serpent Urœus n’est aulre que l’aspic ; le basilic a très-probable-

(1) Psalm. 90, v. 43. ;

(2) Voy. planche VI de l’atlas de l’Origine des cultes, ou l’OEdipe du P. Kircher, II, part. 2, p. 206. Dans les zodiaques trouvés en Egypte par les savans qui accompagnaient l’expédition française , on remarque plu- sieurs serpens près du taureau et du scorpion.

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ment été représenté par le serpent Knouphis. Le psalmiste aurait donc pu faire allusion aux constel- lations qui marquaient les quatre points cardinaux dans l'astrologie orientale, et indiquer par ce verset que le personnage mystique dont-il parle avait la domination souveraine sur les quatre régions du ciel. |

En quatrième lieu , le coq et le chien à queue de poisson, le rosier et le lys blanc qui figurent autour de la pliñthe que surmontent le lion et le dragon, déterminent le sens astronomique de ces deux der uiers emblêmes et de tout le tableau, de manière à ne point laisser prise au doute.

Le coq était pour les Égyptiens et pour les Perses un symbole d'Horus et de Mithra, ou du soleil sols: ticial. Tel il figure sur les monumens gnostiques de l'Egypte (1). Tel on le voit sur les bas-reliefs mi- thriaques (2). Il était l’'emblême de la vigilance de l'astre du jour, de son réveil matinal , c'est-à-dire de sa plus haute élévation vers les régions du nord, | des plus longs jours, de la lumière la plus brillante, enfin du solstice d'été. Aussi paraît-il sur notre bas- relief au-dessous du hon.

(1) Il s’y combine ordinairement avec le serpent. Voir les planches de Yhistoire critique du Gnosticisme.

@) Voir les Mithriaca de M. de Hammer ,p. 39 et les planches. Il

est appelé Houfraschmodad , dans le Zend-avesta, I, 2.° pant, , p. 225, 227 ; II, p. 162 , 172; 173,222.

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L'animal amphibie , ou le chieu à queue de pois- son, qui figure de l’autre côté , au-dessous du dra- gon, n'est autre chose que le capricorne uni au chien céleste, son paranatellon. C'est un symbole égyptien de la plus grande dépression du soleil vers les régions australes, des plus longues nuits, des ténèbres les plus profondes , du solstice d'hiver en- fin (1). Ici c'est le capricorne , et non plus le ver- seau, qui représente le solstice d'hiver , parce que le solstice d'été est au cancer et nou plus au lion. Cet état du ciel est prouvé par le zodiaque astrolo- gique sculpté sur le portail du nord ou de Saint- Firmin, dont le premier signe est le cancer (2).

(4) Lettre à M. Rivoire , p- 26 et 27.

(2) M. Gilbert ( descript. de la cathéd. d'Amiens , p. 56 ), remarque avec raison que les 42 sigues du zodiaque sont placés ici dans uu ordre qui ne s'accorde pas avec le commencemeut de l’année à Pâques ou en mars , au signe du bélier , tel qu'il était fixé à l’époque de la construction de ce portail. Mais c’est à tort qu’il y soupçonne une erreur provenant de l'ignorance de l'artiste. Ce zodiaque, probablement importé de By- sance ou d'Alexandrie , est fondé sur la théorie astrologique de la des- cente et de l’ascension des âmes. Celui que l’on voit à Notre-Dame de Paris, sur le portail de gauche, et dans lequel M. Gilbert ( descript. de eette cathédr., p. 93 ) croit également trouver des irrégularités , est très- régulier , en-ce que les 42 signes y sont rangés six par six , dans l’ordre des domiciles planétaires , ayant ep tête , d’un côté, le cancer , domicile de la lune , et de l’autre, le lion , domicile du soleil ( voir Origine des cultes , V, p. 99). Quant au zodiaque de la cathédr. de Chartres ( dest cript. de cette cathédr. p. 24 et 25), M. Gilbert est mieux fondé à y trouver des transpositions. IL commence aussi par le cancer , ne contient ‘que neuf signes , et prouve par la dispositon très-régulière des trois der- niers qu’il était également dressé suivant l’ordre des domiciles.

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Ainsi le coq et l'animal amphibie représentent le cancer el le capricorne , et déterminent le sens du lion et du dragon , comme anciens signes solsticiaux de l’ascension et de la descente des âmes.

Le lotus et le rosier placés en dessous, aux deux

côtés de la figure d’un monarque tenant un thyrse à la main , paraissent correspondre au soleil et à la lune que l’on voit tout au haut de la voussure. Le lys blanc du Nil ou lotus était, comme chacun sait, la plante d'Osiris-soleil, de même que le rosier était celle d’Isis-lune (1). Enfin les sujets représentés sur les deux pilastres qui servent d'encadrement à la porte, des deux côtés du Sauveur, concourent à l’ensemble du ta- bleäu et le complètent : nous voulons parler des cinq vierges sages et de l'arbre chargé de feuilles que l’on voit à droite, ainsi que des cinq vierges folles et de l'arbre desséché que l’on remarque à gauche.

Ces arbres et ces vierges, nous le savons, figurent en paraboles dans les évangiles (2). Mais ce sont des allégories tirées de l’enseignement des mystères. Dans les fêtes secrètes de Bacchus , de jeunes vierges porlant des flambeaux , attendaient l'arrivée du Dieu-Sauveur , le saluaient du titre de nouvel

(4) Lettre à M. Rivoire , p. 27—29. (2) St.-Mathieu , ch. 7, v. 47 et ch. 25, v. 1 à 42.

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époux , de lumière nouvelle, et célébraient son union mystique (1), comme les vierges de l'évangile at- tendent la venue de l'époux, avec leurs vases.

Il est d’ailleurs remarquable que les cinq vierges sages, tenant leurs lampes droites et pleines , et les cinq vierges folles, tenant leurs lampes vides et renversées , forment avec les deux arbres, l’un ver- doyant et l’autre desséché, qui les suivent, le nombre de douze, égal à celui des mois l’année ; que l'arbre de droite porte deux lampes allumées, analogues aux vases des vierges sages placées au-dessus , et que, dans le zodiaque sculpté sur le’ portail de Saint-lirmin , les signes affectés aux six mois de l'été ont chacun un arbre chargé de feuillage (2), comme celui qui figure sous les vierges sages ; d'où l'on peut conclure que nous avons ici , sous d’autres emblêmes , les six préfectures d'Ormuzd ou du dieu de lumière, et les six préfectures d’Ahrimane ou du géuie des ténèbres.

Quant aux arbres , considérés isolément, leur présence se remarque sur plusieurs bas-reliefs de

(4) Jul. Firmic. de errore prof. relig. p. 59 , édit. de Wower. Voyez recherch. sur les mystères du pagan. par le baron de Sainte-Croix , I : p. 365 et suiv. ; II, p. 81, 82, 87.

(2) Ce sont.le bélier , le taureau, les gémeaux , le cancer, le lion et la vierge. Les trois premiers sont accompagnés d’arbres bien reconnais- sables. Les deux derniers n’ont que des espèces de rameaux et de bran- ches. On ne voit plus de traces de branches ni d'arbres dans la case du cancer.

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\

Mithra. Le monument romain de Lefréri | par exemple, nous les montre plantés , comme ici, en regard l’un de l’autre ; celui de droite est chargé de feuillage et porte à son irone un flambeau dressé et allumé ; celui de gauche porte des fruits et l’on voit au tronc un:flambeau renversé et éteint, symboles frappans des deux équinoxes. Pour mieux préciser le sens de ces emblêmes , une tête de taureau , sigrie du printemps , accompagne le flambeau allumé , et un scorpion , signe de l'automne , figure à côté du flambeau éteint (1). Sur notre bas-relief, le pre- mier arbre est en pleine végétation, et deux lampes suspendues à ses branches annoncent que c'est l'arbre du prince de lumière ou Farbre de vie. Le second est entièrement dégarni de ses feuilles, et la profonde entaille faite à son tronc, marque de Îa coignée ou d’une torche éteinte, indique que c'est l'arbre du prince des ténèbres ou l'arbre de mort, l'arbre qui sera coupé et jeté au feu. Aussi l'héré- siarque Manès , qui connaissait les rapports de la reli- gion des Perses avec celle des Chrétiens , invoquait- il (2) à l’appui de sa croyance sur les deux prin- cipes et comme symboles de ces deux divinités con- traires , le bon et le mauvais arbre de l'évangile (3).

(4) Voir Origine des cultes, planche 17, ou Mithriaca, par M. de Hammer , planche 2.

(2) Lettre de Manès à Marcel , dans l’histoire du manich de Beausobre,

1, p. 220. (3) St.-Mathieu, ch. 7, v. 17, 48 et 49.

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L'auteur de l'apocalypse place’ l'arbre de vie près du trône de l’agneau (1), c’est-à-dire près du signe équinoxial sur lequel le soleil réparait la nature , rétablissaif le monde de Jumière et ramenait les âmes au séjour céleste. L'arbre de mort, que la Ge- nèse appelle arbre de la connaissance du bien et du mal (2), figure sur les bas-reliefs mithriaques à côté du scorpion, c’est-à-dire près du signe d'au - tomne sous lequel le serpent engourdissait la terre, rameuait les ténèbres et faisait décheoir les âmes de leur première félicité, par les fruits pernicieux, mais agréables au goût, qu'il leur avait fait man- ger (3).

En résumé, le bas-relief chrétien que nous ve- nons d'examiner, après M, Rigollot père, a des rapports manifestes avec la religion persane ; et, s'il était vrai de dire avec M. Gilbert que les pré- lats qui présidèrent à son exécution n'auraient pu en abandonner les détails au caprice du sculpteur , sans se mettre en opposition formelle avec l'un des

(1) Apocal. ch. 22, v. { et 2. (2) Genèse, ch. 2, v. 9.

G) Genèse , ch. 3, v. 6.— Zend-avesta , II, p. 378. Les Juifs et les Perses font manger des fruits aux premiers ancêtres du genre humain, après leur création dans un lieu de délices. Mais . selon la doctrine se- crète du paganisme , c’étaient les dmes qui se perdaient en buvant dans le ciel à la coupe de la vie ou de lindividualité. (Voir De la eligion, par M. Benjamin Constant , V ; p. 47 et suivantes).

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canons du second concile de Nicée (1), il faudrait en conclure , ce qui du reste est prouvé par d’autres monumens , que le christianasme a fait de nombreux emprunts aux traditions religieuses de la Perse. “Toutefois , ce serait aller trop loin que de mettre sur Île compte de nos anciens évêques toutes les fan- taisies de leurs artistes. Sans rappeler ici ces bizarres emblêmes , si communs sur les églises du moyen- âge, de la true qui file et de l'âne qui joue du violon, nous citerons pour exemple un singulier bas-relief qui figurait autrefois dans lune des cha- pelles placées autour du chœur de notre cathédrale. Ce monument contenait les douze signes du zodiaque, accompagnés de vers latins en l'honneur de la vierge qui était représentée au milieu , ayant la poitrine découverte et disant à son fils : Æili mi, respice ubera quæ succisti ? Deux chanoines à ses pieds ouvraient la bouche pour recevoir le lait virginal, que leur distillaient les deux mamelles de la vierge- mère (2). Ce tableau , qui assimile en quelque sorte la sainte-vierge à la Mayd dés.Hindous, à l'Isis des Egyptiens , à la Cérès des Grecs, à la déesse- nature enfin , n’a sans doute été conçu ui dirigé par un prélat. Nous n’oserions en dire autant d’un autre

(1) Descript. de la cathédr. d’Amiens , p. 39.

(2) Descript. de la cathédr. d'Amiens , par M. Rivoiré , p. 46.— Dés- cription de la même cathédr. , par M. Gilbert , p. 231.

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sujet que voici. Sur le portail de droite, appelé Porte de la mère de Dieu, l’adoration des Mages est représentée avec des circonstances qui ne sont pas consignées dans nos évangiles. Ces Mages voya- gent dans une barque, conduits par un nauton- nier dont la tête et les épaules sont couvertes d’un chaperon. Hérode donne les ordres à deux servi- teurs de brüler ce petit vaisseau ; l'un d'eux est armé d’une torche ; ils mettent la barque eu pièces et en jeltent les morceaux au feu. Ces détails sup- posent , selon M. Gilbert , que l’on possédait , à l'é- poque de l'exécution de ce bas-relief, plusieurs tra- ditions qui ne sont point parvenues jusqu’à nous (1). Cette conjecture est confirmée par un ancien livre imparfait sur St.-Mathieu, attribué communément à St,-Jean-Chrysostôme. L'auteur de cet écrit prend les rois Mages pour des Indiens , habitans de la mer orientale (2). ce qui suppose naturellement que ces trois personnages seront venus de l'Inde en Ju- dée , par le chemin que suivaient autrefois les vais- seaux de Salomon dans leur voyage d’Ophir (3). Certes, il n’y a qu'un membre du clergé qui ait pu

(4) Description de la cathédr. d'Amiens, p. 52. (2) Voir le passage entier , dans Beausobre , hist. du Manichéisme , I, p. 90—91.

(3) Ophir était l’ile de Goa , qui tient presque à l’Inde-Méridionale. Voir les preuves de cette assertion dans le #hesuurus linguæ hebrs et chadd. de Gesenius , I, p. 141—142, ne

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diriger l'artiste dans l’exéculion de ce second ta- bleau.

Au surplus , soit que les scènes du jugement der- nier retracées sur le grand portail appartiennent toules aux réminiscences du sculpteur , soit que cet artiste ne les ait exécutées que sous la direction d’un chanoine ou d’un évêque, soit enfin, ce qui est plus probable , qu’on les doive aux talens réunis de l'un et de l’autre, toujours est-il que, pour la plu- part , elles conviennent autant à la religion persane qu’à la religion chrétienne, et que quelques-unes mêmes ont plus d’analogie avec la première qu'avec la seconde.

Ce fait au surplus ne doit pas nous surprendre car les artistes du moyen-âge , instruits à l’école de la franc-maçonnerie , héritière des traditions mysté- rieuses du paganisme , mêlaient avec plus ou moins de goût aux idées orthodoxes des notions payennes, puisées pour la plupart dans les monumens figurés de l'antiquité. Les clercs, à leur tour , étaient de- puis long-temps en possession de faire servir au culte du vrai Dieu tout ce qu'ils pouvaient enlever aux anciennes religions , suivant en cela les conseils d'un pape illustre , St.-Grégoire-le-Grand , qui leur avait donné l'exemple avec le précepte. (1) Enfin

(4) Voir l'ouvrage intitulé Conformaités des Cérémonies modernes avec les anciennes , chap. 4. Amsterd. 4744 , in-12,

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les systêmes religieux ne se fondent pas d'un seul jet comme les ouvrages d'imagination ; personne n'ignore que le chritianisme qui, du temps des apôtres , n'était guère qu'un perfectionnement de la législation mosaïque , se perfectionna bientôt lui- à l'aide des doctrines orientales ou gnostiques , et que, dans le choix de ces doctrines, on fit une large part à celles de la Perse les Juifs n'avaient cessé de puiser depuis leur retour de la captivité.

FIN.

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TABLE DES MATIÈRES.

D BSDOGSSSE—— eu PAGES. DISCOURS prononcé par M. Decareu, Directeur, dans la Séance publique du 30 août 1835. . ÿ: DISCOURS prononcé dans la Séance publique du 26 août 1856, par M. Daveruy, fils, Directeur pour cette année . . 0e SF PATTES RAPPORT analytique des Travaux de pcdene du 15 movembre 1835 au 26 août 1856 , par M. N. DeraMoriërE, Secrétaire-Perpétuel. :: : 33.

PREMIÈRE CLASSE.

rt

( SCIENCES NATURELLES, PHYSIQUES ET MATHÉMATIQUES.

SUR L'ETUDE de la Météorologie, par M. CARESME 49.

NOTICE sur des recherches de Mines de Houille dans le département de la Somme , par M. BRODMEn U oe e0 eu er ee oi me

DEUXIÈME CLASSE. ( AGRICULTURE ET COMMERCE. )

RAPPORT sur la division de Ka Surface du dépar- tement de la Somme, par M. RiQuien . . + #5.

NOTICE sur les Bureaux de Bienfaisance, par M. MAROTTE . Mari pes : SRE

NOTICE sur deux nouvelles Ruches à Miel, par M. RiQuIER . Sp UT :

RAPPORT sur l'état actuel de la culture du Müù- rier blanc et sur l'éducation des Vers à Soie

dans le département de la Somme, par- M. Rr- QUIER .

TROISIÈME CLASSE.

( ÉLOQUENCE ; POÉSIE ET BEAUX-ARTS. }

AMIENS en 1835 ;:ses Embellissemens ; ses Eta- blissemens nouveaux ; ses. progrès dans, l'In- dustrie , le Commerce et, les:Arts, par M. S.'-A. BERVILLE . AN AMHMAAE 7 E

RAPPORT sur la sp de Lesueur , par M. MAROTTE .

L'INSENSÉ , par M. Marorre. LA CONSCIENCE, par M. CRETON

RAPPORT sur l'ouvrage de M. Buteux, RE

pour titre : Précis des Arts du Dessin, etc., par M. ANSELIN

POURQUOI je suis. Poète : à mes détracteurs, par

M.me Fanxy Denorx , Membre-Correspondant . CE QUE J'AIME, par la même . NÉS NOTICE sur le D par M. Louis Jour-

DAIN . : -

PAGES.

LA BARQUE DU PÉCHEUR : Ballade, par M. Frédéric Bazenery, Membre - Correspondant .

+3 4 or

QUATRIÈME CLASSE.

( HISTOIRE, ÂNTIQUITÉS , PHILOSOPHIE, PHILOLOGIE, ETC. )

NOTICE sur la vie et les Ouvrages de Gresset, par M. S.'-A. BERVILLE . . . 261. OBSERVATIONS sur un Bas-Relief de Fa Cathé- drale d'Amiens, par M. J.-B.-F. Ornx . . . 275.

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» nont cadastrées à l'exceplion de 3. Voy. l'obserr. du seul ® col. 21.

N. M. Les 520 Communes composant les 23 Cantons portés dans la prem

à | | Petits Chemi BOIS CANAI RIVIÈRE (Ccuemins |L LANDES || vicinaux,r TOTAI | [isa pi DIFFERENCI TOTAI PRÉ D nr E LA Mat )! Av PR vi AUX © o ERAL DE iux ROUTES | [Promenatespubiiqu lc | Ke f ] | | n moins T IN TERRES TERRAINS U | | | | | | Mans | com : LACS l'écstraraux |Vrmnnrs vais ls, | conreu EEE a! FATIS LADOURABLES.| PLANTES aux ac AUPANOS TTC) a | | | pour | C à [Lex ct | AVIÈRES | RUISSEAUX | DE LA GR 1e T vAc et des Bätimn | D'Ar ET | | mi | | | d'utitité poblique, ete. | | Île cinasmr. DIFFERENCES | ranriounens, |couvenveatenr | , OT TT | | ! avicauus. ETANGS, erc YIGIsA mr 1 dre \DasTRs | | < | L | $ ) ï | mn 1 ï | 1 j 16 19 21 = | | | : | l HAS T in A, c. [NT A LAC TU TÉL AE H, À fl. A. c, | H. 4. HA ut I. A. H. A. H. 4. H. À. C ï 1 t mn 0 00 00 5 00 11 50 89 || 64 07 0 00 00 lt 00 | 101 08 74 50 67 15,441 Gt 64 || 12,750 02 00 10 59 6. 0 00 00.| ù 1 7 on 00 00 ) 500182 16 | 514 8 67 764 5 00 i 0 00 1 Ù ) 00€ [ L 0 1 1 14 14 00 00 371071 17,821 62 0 17 7 00.| 7 1 ) 00 P point | | 8 à ) i ù 1 7 7 1 74 001) 2 18 2 00 09 | 1 0 00 4 61 il ! 0 00 00 | 17400 11 95 551 08:58 ÿ 9514 ne |: 7195 0 0n00 | 11 1 16 160 1 850 1 1 ; 00° 19 80 52 | | | l 8 in 1 17 i 917 80 74 osso 41 35 |123,594 0 1 oo | 8,727 54 8.807 54 12 | | Û ) Ù 1 7: 1 98 vo ) 504195 90 0 02,80 [ua S\841 71 000! 1,862 74 15 0 00 ç0 | I a 1 ) (I ) 00 1 116 50 4 } 1 1 ) #9 00 1] 1 08 - 2 | | î ! , û ) Û 0 00 00 1171 25 92 n7 00 8 397 18 71 198 07 84 11 SITE 00 17 0 00 00 | : ë | 2] { 4 60 700000 | 0 11 | 26408 | 000€ 1 52 4 sos || 24,910 02 87 | 49681,65/00 2 We Ë 1 (l 7 . > 1] 7 ) 1,77 [6 a fl Us 2 1 d û j ü 00 © ) 0 t ri 505 4 5 1 57 1 7% 00Ù| 100 150 51 0 00 00 ) ( anal 16,687 10 91 | 16,1 uo | j 1 3" ; | | - - D ss 4 117 04 5 00060 | 00000 | 0 00 00 19 +5 05 /|MsUeS mono aoresres] | Lessons ere |rssars ou oo 150 51 24 RU | Gi . : j 00 0 56 51 | 14 5000 476055 12 50 18,805 17 00 ï 2 00 2 ji | | 16 12 do 02 0 i ) 9 84 48 3800 | 02 86 566 841 18 8 480 16,982 2000 roso 18 13 | 0 n0100 me | . 11 1 ] 0 70 00 0 00 00 0 00 00 0 00 | 15 77 40 15 25 05 68 | 3 2 ; 147 06 8 15,1 © oc 50 14 3 00 1 l Même diér 1 \7 1 14 0 00 00 [107 0 00000 27 (0707 00 45 18 14 94 02 00 9 9 19 7 16,579 42.00 à ü 00,00 1,008 9! [l 1 | | 7 °0 25 00 | ) 118 59 14 d ( 00 10 0: 02 00 )2 d0 84 | 1 12 û 15 | 48 50 00 607 56 1,608 58 01 71,811 42 58 | 63,420 © 6,20 5 ae A L | | 1 Û 0 11 | | | 1 0 00700 [0 0000 |. 0 00 si 00000! #scool «oc oo | 547 ss se | 17,655 00 90 | 17,207, 40)00 155.60 00 û 00 00 | | | | 1 ) (Q ) ) | 44 1 100 310 06 7 0 00 0,00 00: 6 99 00 CT 14,996 67 O1 | 14,480 04 00 16 63 01 000 (0 | to 11 #0! ! ri | | | 1 0 00 00 | von on 0 00 00 | 00000 | 00000 20 8$ 00 8 29 8: SU 47 72 15,414 95 18 0 00 110 71 82 : | | | | ° Ô f het) 1 DS 14,00) INTER EI0 2 ) 04 | 1.6 5 26 40 2 52 00 sois on | 14195 04 71 0J00,00/|#2,458 À | | y a | 14 | r 4 É , ü 123! B4T4 | 0 0 | MH 00 || 70 8 54 9 74 40 | 51 40 0 00 00 | 17 08 00 û7 11,721 59 06 | 0 00 00 | 1,707 04 e | | | | | x] | 7 42 | 60, 10 02 7 )4 #4 70 40 # ) ' » Lan: 26 | | l 17 | 45,| 240 82 20 su7.02 26 | 108 an co | 5600 80 | s0 1000 | 500880 Mtoitason | risnso 26 | = L | | | TE 10,545 03 24 |-6,480 30 00 | 15,000 37 05 20 18 12 | 34 30 10 | 417 70 20 | 1,150 04 71 | 100 00 05 11t 150 07 04 1 560,262 01 UD [8,112 90 40 | 4,803 26 20 [

Re e Pare :

TABLEAU 2.

Présertant par Arrondissement el gar Canton ,

s aux contenances nouvelles tronvées par le Cadastre,

d'après les matrices foncières de détail de Fam XE ct une moyenne proportionnelle des contenances aneie

La superficie totale des cantons non cadastrés divisée entre les principales natures de Propriétés.

| SNSENERCESNE | CONUENENQS | CONTENANCE DES TOTAL TOTAL DIFFÉRENCE | DIFFÉRENCE TOTAI | | 1 .— ——_—_— DES BOIS ——., a GEXENAL METRIQUE In à pl nr ET La E = : | | | | des ue en E ; OBSERVATIONS. ira éd | ane An : e TEXANGES ONTEXANCE LE CADASTRE LE CADASTRE DIRrÉAENCE ù ox. | ranricozir É | | #2 A | | | | aSS | | 6 sn LRETs. COR RE mm. 0e | een [ = 28996 \ \ Ve Vorges | Vergos.| H. À. C HA IC| HA AG | AC H AC E A | Î | | | | | 1 15,1 178,1 it 00 19,158 10,655 1 00 | 0 & 00 11,00 7 00 0! | 62. 1 00 | 0 00 0! 104,057 (7,07 5,442,854 15,825 1,520,84 | 19,081 00 | ] 00 | 58 00 00 | «117 99 00 0 00 0 128996 À st 10,08 19,655 50,567 1,267 15,02 3,634,727 00 | 405350 | asist 8 oo | 650 8s 00 00 | 19/825 00 NT 00 | ) 00 00 | | | | | | | 128996 À 1 11 ) #45 81 00 1,661 87 0 8 00 2511 38 0 00 00 0 00 00 «214:

701 500 5 15,1 1 168,507 15 164,105 00 2,158, 10 11,408 20 00 415 87 00 11,822 07 00 15,718 09 00 1,896 02 00 0 00 00

17,4 84,457 34,93 5,0 201,2 10,252 94,77 51,713 151,472 10,266 78 00 | 10,618 79 00 | 49521 85 00 | 1,705 04 00 ) 00 0 F | È | 9,041 18 00 | G = 154 66 00

00

50,419 80 00 o vo

| 5,250 1,130,225 17,282 68 00 | 605 62 00 1T,886 20 00 19,846 25 00 || 1660 05 00 0 00

5 on | 1,660 05 00 | 0 00 00 | 0 00

125,478 00 ), 100 07 0,960 204,406 14,777 218,687 00 | s045,481 | 12,819 4 00 542 35 00 | 15,201 87 00 2,744 54 00 00 S4T 33 00

ms) 30,658, | 00 106,590 16,501 80 10 74) 00 10,812 %4 00 16,477 80 00 0 00 694 74 00

17,018 HO 00 1,645 94 O0 | 49,102 44 00

155,548 oo | 262,014 0,702 #2,so7 | oovers | iso | som | 4,076 1,51,002 | 18,307 16 00 650 87 18,998 03 00 18,450 67 00 0 00 00 G67 56 00

57,818,014 | n8,451 | A7,540,875 100,766 50. 00 6,972 928 00 | 206,758 78 00 | 219,420 68 00 14,200 53 C0 1,809 45 00 12,590 90 00

oo UrE Ur SI hs Mslags DE 5H: 5 : à = = | E 3 | F a le 8 2 © | 2 | | = = | 2e 2 | à E 8 | 3 5 L CS] a . | + | - 5 5 | DOMINER NE = Bas pe 2 | 55 | 235 |] > | SUÈRE æ | SuS 8 8 & | FF S | ] F ele, M | PNR EEE = | = | = | 8 8 : | &E | | ICRR AE : 8 2 8 | SRSINS e | 2 e | 2 | 2 ge 2 e ——, RE |

pp NN

IBRE des

OPRIÉTAIRES.

27,450

158,481

OBSERVATIONS.

le nombre des propriélaures

2

REVENL NOMBRE | OBSERVATIONS

au revenu lotal | des Be —_— = GIE. PROPAIÉTALRES | | MATHICE nou bâties bâties |

des | ÉGAI

PROPIÉTÉS

RS | oo, NE | NE | . | | |

D r. oc h | 2 =. | | | | 687,284 75 | A1 02 | 35,945,671 75 | 53,910 | | | | | | 801,664 90 | 387,042 10 | 2,188,707 00 | 27,450 | | | |

| | | ,298,765 47 | 141,904 1,440,664 82 | 14,482 | | | | 516,968 43 | 216,314 530 75 | | | | | . sl 7h 5 | 28,960

827,914 80 12,165,360 |

Fig 5. Fig. 4 0

œ

|

eo | = | - Es

Un faible Essaim.

Ag.

| | ls /

= = Pr Lnree. Zméation de AC Nurz

Tmitation de Nr Hatrop.Serain

ET EE EL _

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arch

..