2 Ars At À VE à MÉMOIRES DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES, INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES DE TOULOUSE. Troisième Série. TOME IV. TOULOUSE, IMPRIMERIE DE JEAN-MATTHIEU DOULADOURE , RUE SAINT-ROME , 41. 4 1848. MÉMOIRES DE L'ACADÉEMIE ROYALE DES SCIENCES, INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES DE TOULOUSE. s PRE MÉMOIRES L'ACADEMIE ROYALE DES SCIENCES, INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES DE TOULOUSE. —— 0 — Troisième Série. TOME IV, TOULOUSE, IMPRIMERIE DE JEAN-MATTHIEU DOULADOURE, RUE SAINT-ROME , 41. 1848. ÉTAT DES MEMBRES DE L'ACADEMIE AU 1° JANVIER 188. OFFICIERS DE L’'ACADÉMIE. M. JOLY , Professeur à la Faculté des sciences, Président. M. U. VITRY % , Professeur à l'Ecole des arts, Directeur. M. DUCASSE %, Directeur de l'Ecole de médecine, Secré- taire perpétuel. M. NOULET , Professeur à l'Ecole de médecine, Secrétaire adjoint. M. LARREY (Auguste), Docteur en chirurgie, Trésorier perpétuel. ASSOCIÉS HONORAIRES. Mgr. l’Archevèque de Toulouse. M. le Premier Président de la Cour royale de Toulouse. M. le Préfet du département de la Haute-Garonne. M. Araco, C. 2%, Secrétaire perpétuel de l'institut de France, pour les Sciences mathématiques. M. le Comte ve Sazvaxpy, G. C. %<, Membre de l'Institut de France , Ministre de l'instruction publique. M. le Baron Tuexar, G. O. %, Pair de France, Membre de l'Institut. ASSOCIÉS ÉTRANGERS. M. Lrouvizce *, Membre de l’Institut de France. M. Berzeuus , O. 35, à Stockolm. M. Visconti (le Commandeur), Commissaire des Antiquités à Rome. M. Micugcer % , Membre de l'Institut de France. vj ÉTAT DES MEMBRES ACADÉMICIEN-NÉ. M. le Maire de Toulouse. ASSOCIÉS LIBRES. M. Léox (Joseph), ancien Professeur à la Faculté des sciences. M. Dessozze (Jean-Gabriel) , O. 3%, ancien Préfet. M. Vicugnte (Charles-Guillaume), O. #£, Docteur en chirurgie. M. Durrourc (Guillaume), Docteur en médecine. ASSOCIÉS ORDINAIRES. CLASSE DES SCIENCES. PREMIERE SECTION. SCIENCES MATHÉMATIQUES. Mathématiques pures. M. Sanr-Guicmem ÿe, Ingénieur en chef des Ponts et Chaussées et du Canal latéral. M. Brass , Professeur à l'Ecole d'artillerie. M. Mouws , Professeur à la Faculté des sciences. Mathématiques appliquées. M. Macuis (Jean-Polycarpe), O. #, Ingénieur en chef des Ponts et chaussées et du Canal du Midi. M. Ganrier (Louis-François) #, ancien Professeur à l'Ecole d'artillerie. M. Virry (Urbain) ##, Professeur à l'Ecole des arts. M. Gers (Joseph-Auguste), C. #,X, Colonel du génie en retraite. Physique et Astronomie. M. pe Sacer (Charles) #, propriétaire. M. Penrr, Directeur de l'Observatoire, correspondant de l'institut de France. DE L'ACADÉMIE. vi) DEUXIÈME SECTION. SCIENCES PHYSIQUES ET NATURELLES. Chimie. M. Couseras , Pharmacien , Econome de l Académie. M. Macxes-Lanexs | Charles) , Pharmacien. M. Funoz (Edouard) , Professeur à l'Ecole de médecine. Histoire naturelle. M. Frizac (François) %, ex-Conseiller de préfecture, Bi- bliothécaire de la ville. M. Moquix-Taxnox % , Professeur à la Faculté des Sciences et Directeur du Jardin des plantes. M. Levuerte, Professeur à la Faculté des sciences. M. Jocy , Professeur à la Faculté des sciences. Médecine et Chirurgie. M. Ducasse (Jean-Marie-Augustin) #, Directeur de l'Ecole de médecine. M. Larrey (Auguste), Docteur en chirurgie. M. Noucer, Professeur à l'Ecole de médecine. M. Gavssaiz , Docteur en médecine. M. Desparreaux-BEerxarD , Docteur en médecine. CLASSE DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. M. ou Më6e (AJexandre-Louis-Charles-André) +»K, ex-Ingé- nieur militaire, l'un des Directeurs du Musée de Toulouse. M. Pacës, Avocat et Député. M. Gariex-Anxour (Adolphe-Félix}, Professeur à la Faculté des lettres. M. pe Morrareu | Alexandre), Avocat, ancien Magistrat. M. Hume, Professeur à la Faculté des lettres. vii] ÉTAT DES MEMBRES M. Sauvace % , Doyen de la Faculté des lettres, M. pe VacQuiE, Avocat, ancien Magistrat. M. Becnoume , Conservateur des archives du Languedoc. M. Ducos #%, Conseiller de préfecture, Bibliothécaire de l'Académie. M. Barry, Professeur à la Faculté des lettres. M. Bexecu #$ , Professeur à la Faculté de droit. M. Mouner , Professeur à la Faculté de droit. M. Dusor (Marcel) , Propriétaire. ASSOCIES CORRESPONDANTS. CLASSE DES SCIENCES. PREMIÈRE SECTION. SCIENCES MATHÉMATIQUES. Mathématiques pures. M. Revnacr, Professeur «de mathématiques, à Estagel { Pyrénées-Orientales \. M. Tissié, ancien Professeur de mathématiques, à Mont- pellier * (1). M. Francoeur %, Professeur à la Faculté des sciences, à Paris. M. Vasse pe Sanr-Ouen #, Inspecteur d’Académie en retraite. * M. Borrez % , Ingénieur en chef, à Vierzon. * M. Desrevrous, Professeur suppléant à la Faculté des scien- ces, à Paris. (1) Les Associés correspondants dont les noms sont suivis d’un astéris- que *, sont ceux qui ont élé associés ordinaires. DE L'ACADÉMIE. ix Mathématiques appliquées. M. Lenwier % , Commissaire en chef des poudres et salpé- tres, en retraite, à Dijon. M. Larëxe (Edouard), O0. #£, Colonel d'artillerie. Physique et Astronomie. M. Barsey , Professeur au Collége royal de Besancon. M. Soru , Professeur au Collége royal de Tournon. M. Cnaumonr % , Officier supérieur du génie maritime, à Cherbourg.” M. le Baron »'Houenes-Firmas #, Correspondant de l'Institut de France, à Ælais (Gard ). M. Decun , Professeur de physique, à Zyon. * M. Roger , Professeur, à Paris. M. Dauriac (Matthieu), de Toulouse, à Paris. M. Sanuqué (Adolphe), de Poitiers, à Paris. DEUXIÈME SECTION. SCIENCES PHYSIQUES ET NATURELLES. Chimie. M. LaBarRAaQuE , Pharmacien, à Paris. M. Bouis, Pharmacien , à Perpignan. M. François, Ingénieur des mines , à Vicdessos | Ariége). M. Foxran (Amédée) #<, Docteur en médecine, à Bagnères- de-Luchon. M. Dusarnnx , Doyen de la Faculté des sciences de Rennes. * M, Fauré, Pharmacien, à Bordeaux. M. Barrzrar , Pharmacien , à Mâcon. M. BoxEax, Pharmacien, à Chambéry (Savoie). x ÉTAT DES MEMBRES Histoire naturelle. M. Jonax DE Cuarpenrier , Ingénieur des mines de S. M. le Roi de Saxe, Directeur des mines de Pex, en Suisse. M. Lorsezeur pe LonGcnames, Docteur en médecine, à Paris. M. TourxaL fils, Pharmacien , à Narbonne. M. Bourée (Nérée), à Paris. M. pe CHesnez , à Paris. * M. Farnes , Pharmacien , à Perpignan. M. Lacrëze-Fossar , Avocat, à Moissac. M. px QuarreraGes % , Docteur ès sciences et en médecine, à Paris.” M. Rozravn pu Roquax (Oscar), à Carcassonne. M. Sismoxpa (Eugène), Docteur, à Zurin. M. Meruer , Professeur au Collége de Marseille. M. Parepar, Directeur du Jardin des plantes , à Versailles. M. Lerepouzcer, Professeur à la Faculté des sciences de Strasbourg. M. Durour (Léon) %%, Docteur médecin, Correspondant de l'Institut, à Saint-Sever (Landes ). M. Scameer, Conservateur des collections de la Faculté des sciences et du Muséum d'histoire naturelle de Strasbourg. M. Mouesor , Docteur médecin , à Bruyères (Vosges). Médecine et Chirurgie. M. Hernanpës %<, premier Médecin de la marine en retraite, à Toulon. M. ScourertTen *< , Docteur en médecine, à Metz. M. Prerquis DE GEemecoux, Inspecteur de l’Académie , à Grenoble. M. Hari (Jules) #, Docteur en médecine, agrégé à la Faculté de Paris. M. Mare , Docteur en médecine, à Strasbourg. M. Muxarer , Docteur en médecine , à Zyon. DE L'ACADÉMIE. x) M. Hunx (Félix), O0. %e, Chirurgien en chef de l'Hôtel des Invalides, à Paris. M. Payax (Scipion), Chirurgien en chef, à l'hôpital d’#ix. M. Lanrey (Hippolyte) %, Professeur à l'hôpital du Val-de- Grâce , agrégé à la Faculté de Paris. M. Le Cour , Docteur en médecine, à Caën. CLASSE DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES, M. Jonaxneau (Eloi), à Paris. M. ve Roquerortr (J.-B.-B.), à Paris. M. Dam, Avocat, à Condom (Gers). M. Rexou, C. #, Conseiller au Conseil royal de l'instruc- uon publique , à Paris. M. CnamrozLiox-Ficeac #$, Officier de l'Université, à Paris. M. Weiss %, Bibliothécaire de la ville de Besançon, Cor- respondant de l'Institut de France. M. Axorœux , Professeur de rhétorique au Collége royal de Limoges. M. Puicéart, ex-Principal du Collége de Perpignan. M. le Baron Cnavpruc pe CRazannes %, Correspondant de l'Institut de France, Maître des Requêtes , Officier de l'Univer- sité, Sous-préfet , à Castelsarrasin (Tarn-et-Garonne ). M. Davezac DE Macaya %, garde des archives de la marine, à Paris. M. le Baron Lamorae-Laxcox (Etienne-Léon) , ancien Sous- préfet, à Paris. * M. pe Gorgery O. ‘%, Correspondant de l'Institut de France, Procureur général, à Besancon. M. Foresr, Sous-préfet d'Oloron. M. Cnarces-Maro Ye, à Paris. M. CuarPenTiER DE Saint-Presr (Jean-Pierre), Professeur au Collége de Louis-le-Grand , à Paris. M. Berçer DE Xivret | Jules } %<, Membre de l'Institut de France , à Paris. xi] ÉTAT DES MEMBRES DE L'ACADÉMIE. M. Rarx, Professeur royal Danois, à Copenhague. M. Rraun , à Marseille. M. ve Lasouïsse-Rocugrorr, à Toulouse. M. ne Caumowr #%, à Caen, Correspondant de l’Institut de France. M. Navraz , Juge de paix, à Castres. M. Sovauer , Avoué , à Saint-Girons. M. Ozanvgaux, O, %e, Inspecteur général de l'Université , à Paris.” M. Duraurier (Edouard) +, Professeur à l'Ecole royale des langues orientales vivantes, à Paris. M. pe Sawr-Feux-Mauremonr , %, »% , ancien Préfet , à Mauremont. M. Mas-LarRe (Louis }, de l'Ecole des chartes, à Paris. M. Cros-Mayrevigicce , Docteur en droit, Inspecteur des monuments historiques , à Carcassonne. M. Bresson (Jacques) , Négociant, à Paris. M. Merce , Avocat, à Castelnaudary. M. pe Brière, à Paris. M. Barsavez , Docteur en médecine, à Carpentras. M. Couses (Anacharsis), à Castres. M. og Lacuisine fe , Conseiller à la Cour royale de Dijon. M. Durcor ne Morras % , à Paris. M. Ricarp ( Adolphe }, Secrétaire général de la Société archéologique , à Montpellier. M. Pecer (Auguste) #£, Inspecteur des Monuments histo- riques , à Mismes. M. GarriGou (Adolphe), Propriétaire, à Tarascon (Ariége). M. Tuwauzr, Officier de l’Université , principal du Collége de Roanne (Loire). M. Czausozces, Homme de lettres, à Paris. * M. Forrour # , Doyen de la Faculté des lettres, à Æëx.* M. pe Laverexe, O. %, Maître des Requêtes , à Paris. * M. Baron De Monr8EL #, ancien Ministre. * M. Jacouemn , Homme de lettres , à 4rles ( Bouches-du- Rhône). MÉMOIRES DE L'ACADEMIE ROYALE DES SCIENCES, INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES DE TOULOUSE. COMPTE RENDU DES TRAVAUX DE L’ACADÉMIE ROYALE DES SCIENCES, INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES DE TOULOUSE PENDANT LES ANNÉES 1845, 1846 ET 1847 ; Par MM. BRASSINNE, JOLY et DU MÈGE. L’ACADÈMIE a décidé qu'ilserait fait, chaque année, une anal yse succincte des travaux lus dans son sein, mais non imprimés dans ses Mémoires ; les communications qui s’y trouvent re- produites en entier devant être rappelées par une simple men- tion, MM. Brassixe, Joy et nu MÈce, chargés de cette ana- lyse , le premier pour les Sciences mathématiques , le second pour les Sciences physiques , naturelles et médicales, le troi- sième pour les Inscriptions et Belles-lettres, ont présenté le Compte rendu qui va suivre, et qui, pour cette fois seulement , embrassera les trois années 1845, 1846 et 1847. (1) L'Académie déclare que les opinions émises dans ses Mémoires doi- vent être considérées comme propres à leurs auteurs, et qu’elle n'entend leur donner aucune approbation ni improbation. 3.° $8. — TOME IV. 1 2 MÉMOIRES SCIENCES MATHÉMATIQUES. ANNÉE 1845. Séance da M. Pixaup présente Quelques théorèmes nouveaux sur la 50 janvier. yisibilité des nombres. (Mém. de l’Acad. 1845, p. 341 et 347.) 6 février. M. BrassivxE lit une Note sur quelques expressions algé- briques. (Non imprimée.) 20 février. M. BRASSINNE fait un rapport favorable sur un Mémoire de M. Despeyroux , relatif à la Théorie des surfaces isothermes et de latiraction des ellipsoïdes. (Loc. cil., p. 215:) 6mars. M. PETiT communique à l’Académie des Recherches sur les Bolides. . (Non imprimé.) wavil. M. Perrr lit un Mémoire sur un Bolide du 27 octobre 1844. (Loc. cit., p. 303.) gmai. M. BRassiNne présente l'Enoncé de divers théorèmes de géométrie. (Non imprimé.) i8mai, M. Brassine lit l'Eloge de M. d Aubuisson. (Loc. cit., p. 265.) M. Perir lit une Note sur la quantité d'eau tombée dans l'année à Toulouse. 29 mai. (Non imprimé.) 5juillet. M. Pixaup lit un Mémoire sur une nouvelle pile à courant constant. (Mém. de l’Acad. 1846, p. 169.) 2% juillet. M. Mouns lit une Note sur le mouvement circulaire et uni- forme d'un point matériel, situé sur une surface de révolu- tion et soumis à l'action d'une force centrale. (Non imprimé.) DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 3 M. Pau litun Rapport sur les moyens d'assainissement que réclame l'état des hôpitaux et des autres établissements communaux de la ville de Toulouse. (Non imprimé.) M. Perrr communique des Observations faites à Limoux sur les éloiles filantes, par M. Mellies. (Non imprimé.) ANNÉE 1846. M. BrassinxE présente la Démonstration géométrique de quelques théorèmes de M. Molins , insérés dans le journal de M. Liouville, tom. vur, pag. 38. (Non imprimé.) M. Perir lit une Note sur les positions relatives de l'ancien et du nouvel Observatoire de Toulouse. (Mém. de l’Acad. 1846, p. 179.) M. BrassE lit un Mémoire sur l'intégration des équa- tions du mouvement elliptique des comètes. (Loc. cil., p. 333.) M. BrassxE lit un Mémoire sur une nouvelle méthode générale pour parvenir aux formules dinterpollation , et présente divers problèmes de géométrie. (Non imprimé.) M. Brassixe lit un Mémoire sur la discussion des équa- tions différentielles. (Loc. cit., P 326.) M. Mouns lit un Mémoire intitulé : Du Mouvement d'un point soumis à l’action d’une force centrale et situé, sur une paraboloïde de révolution. (Non imprimé.) ANNÉE 1847. M. Brassinne présente la Démonstration d'un théorème re- latif à la variation des constantes arbitraires. (Non imprimé.) 31 juillet. 21 août. 29 janvier. 26 février. 12 Mars. 23 avril, 7 mai. 20 mai. 22 avril, 20 mai. 17 Juin. 30 juillet. 9 janvier. 16 janvier. & MÉMOIRES M. Mouws lit une Note sur le problème des trois corps. (Non imprimé.) M. Per lit un Mémoire intitulé : Détermination de la latitude du nouvel observatoire de Toulouse, et de l'influence que la chaîne des Pyrénées exerce sur cette détermination. (Mém. de l’Acad. 18/7, p. 257.) M. Perir lit un Mémoire sur un bolide observé le 23 juillet 1847. (Non imprimé.) SCIENCES PHYSIQUES, NATURELLES ET MÉDICALES. ANNÉE 1845. M. Couserax lit une Note sur le purgatif antimonial per- pétuel, et il met sous les yeux de l’Académie le singulier appareil qui portait autrefois cette bizarre dénomination. « Cet appareil, dit M. Couseran, consiste en un gobelet d’antimoine et en une balle de même métal. Les anciens faisaient séjourner pendant vingt-quatre heures un verre de vin blanc dans ce gobelet , qui contenait la balle ou pillule métallique. Le malade qui devait être purgé ingérait le vin et la balle, et selon ses dispositions ou son état pathologique , il y avait vomissements ou déjections alvines. Avec ces dernières était rendue la balle ou pillule perpétuelle, qui, après avoir été lavée, était remise dans le gobelet, et servait ainsi au même usage une infinité de fois. » On conçoit facilement , sans que nous ayons besoin de les indiquer, les motifs qui ont fait aban- donner une semblable médication. Dans cette même séance, M. Frmoz communique à l'Aca- démie une Note sur la préparation de l'oxyde de carbone , et sur celle de l'iodoforme. (Mém. de l'Acad. 1845, p. 164 et 166.) M. N. Joiy lit un Mémoire sur un agneau monstrueux du genre Dérodyme. Après quelques considérations générales sur les mostruo- sités, l’auteur donne la description anatomique du monstre DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 5 qu'il a disséqué , et il cherche à se rendre compte des phé- nomènes physiologiques que cet animal eût présentés s'il eût vécu. N. B. Ce travail a été imprimé dans le Journal de Médecine de Tou- louse, année 1844-45, p. 222. + M. Moquix-Tavpox lit une Note sur deux plantes nouvelles pour la Flore de Toulouse ; ee sont le Mélilot à petites fleurs (Moelilotus parviflorus) et le Paturin dur (Poa dura). La première de ces plantes a été trouvée au pied des coteaux de Pech-David , la seconde non loin de l'Embouchure. M. N. Jocyx communique le plan du travail qu'il a entrepris, de concert avec M. Lavocat, Sur l'anutomie de la girafe morte à Toulouse. (Voyez plus bas, Séance du 14 août.) M. Moquix-Taxoox lit une Note sur deux plantes nouvelles pour la Flore de Toulouse; Yune (l'£Echinaria capitata de Desfontaines) a été trouvée à Pech-David par M. Arrondeau , professeur au Collége royal ; l’autre (le Labrea aquatica , de Saint-Hilaire } a été recueillie dans une mare, à Sipière, par M. Rodet, professeur à l’École royale vétérinaire. M. Levuerie lit un travail intitulé : Exposition d'un plan pour la carte et la description géologique du département de la Haute-Garonne. (Mém. de l’Acad. 1845, p. 202.) M. Ducasse lit un Mémoire sur les Métastases. (Mém. de l’Acad. 1846, p. 40.) M. Gaussais lit un travail intitulé : De la perte de la parole considérée sous le rapport du diagnostic et du traitement dans les maladies du cerveau. (Loc. cit. 1846, p. 313.) Dans cette même séance, M. le Colonel Gzezes fait un ARap- port sur un procédé de conservation des bois de construction , proposé par M. Margoton. (Loc. cit. 1845, p. 285.) 16 janvier, 30 janvier. 16 février, 20 février, 13 mars. 3 avril. 10 avril. 22 mai, 5 juin. 6 MÉMOIRES M. Moqui-Tannox lit une Vote sur sept plantes nouvelles pour la Flore de Toulouse : les six premières ont été trouvées par M. Arrondeau ; la découverte de la septième est due à M. Sarrat de Gineste. M. Gaussaiz lit en son nom, et au nom de MM. Jocx et Esrevexer, ses collaborateurs, une Note sur un fœtus lumain monstrueux, appartenant au genre Cyclocéphale. (Loc. cit. 1846, p. 144.) Dans cette séance, M. N. Joy communique au nom de M. LEREBOULLET , correspondant , un Mémoire sur une péritonite aiguë développée sur un caiman. (Loc. cit. 1846, p. 59.) M. Ficnoz entretient l’Académie de ses Etudes sur la com- position chimique des vins de la Haute-Garonne. (Loc. cit. 1846, p. 156.) Dans cette séance, M. Larrey communique un Mémoire sur les inhumations précipitées. On frémit d'horreur lorsqu'on lit dans les ouvrages des Winslow, des Alberti, des Ruyschlang , des Bruhier, des Nysten, etc., les nombreux exemples d’inhumations précipitées que ces auteurs ont consignées dans leurs écrits. IL n’est donc pas étonnant que, guidés par le désir de contribuer à empêcher à l’avenir de semblables catastrophes, ou du moins à les rendre moins fréquentes, certains philanthropes aient laissé en mou- rant des legs plus ou moins considérables, destinés à fonder des salles mortuaires où l’on déposerait tous les corps avant de les enterrer. C’est à l’occasion d’un legs semblable, fait par un citoyen de notre ville, que M. Larrey a communiqué à l’Aca- démie les réflexions dont voici le résumé. L'auteur commence par poser en principe qu’il n'existe aucun signe certain, infaillible , à l’aide duquel on puisse distinguer la mort réelle de la mort apparente, si ce n’est toutefois la pu- tréfaction. Et cependant quelle négligence coupable, quelle apathique indifférence Fautorité n'apporte-t-elle pas lorsqu'il s’agit de constater un décès ! Les familles elles-mêmes n’ont-elles DE L’'ACADÉMIE DES SCIENCES. 7 rien à se reprocher à cet égard. A peine un père , une femme, un époux que l’on disait adorés ont-ils clos la paupière, qu'on se hâte de les porter à leur dernier asile. On va même jusqu'à éluder la volonté du législateur, qui a expressément ordonné que les inhumations ne pourront se faire que vingt-quatre heures au moins après la mort; or, bien souvent elles ont lieu avant la vingtième heure. Il importe done de faire cesser d'aussi déplorables abus. Quelques villes du royaume se sont déjà imposé de lourds sacrifices, en établissant des salles mortuaires, qu'elles entre- tienent à leurs frais. Toulouse est sur le point de suivre leur exemple. Mais est-ce bien là le moyen qu'il convient d'em- ployer pour arriver au but qu'on se propose? M. Larrey ne le croit pas. Il fonde son opinion sur l'impossibilité, ou du moins sur la difficulté grande de trouver « un Médecin capable et ins- » truit, qui consente à fixer son domicile dans un lieu où il » n'aura pour clients que des cadavres. » D'ailleurs , en admet- tant qu'il y eût dans notre ville un homme assez dévoué au bien de l'humanité , pour accepter ces tristes et pénibles fonctions de gardien de la mort, la ridicule et dangereuse pratique d'en- velopper complétement , de coudre même, dans son linceul l'individu qu’on présume avoir cessé de vivre ; la pratique plus barbare encore de le placer presque immédiatement dans un cercueil ; le transport à l'église, et de l'église au cimetière où la salle mortuaire serait bâlie ; ou bien, ce qui revient au même, le manque d'air, l'exposition à une température tantôt froide, glaciale, tantôt pluvieuse ou caniculaire; des ballotte- ments, des secousses violentes ; toutes ces causes réunies ne sont-elles pas plus que suffisantes pour éteindre un reste de vie, s’il en restait encore, et par conséquent pour rendre dange- reuses ou inutiles les salles dont il s'agit? M. Larrey n'hésite pas à se prononcer pour l'affirmative. Les inconvénients qu’entraînent avec elles les visites à domi- cile faites par un médecin spécial, salarié par la commune ; les difficultés de toute espèce que ce médecin doit nécessairement rencontrer lorsqu'il s'agit de remplir son mandat ; les répugnan- 24 juillet. 1 août. 8 MÉMOIRES ces si légitimes qu’il ne peut vaincre : tels sont les motifs qui portent l’auteur du Mémoire que nous analysons, à se prononcer contre un mode de procéder qui a cependant trouvé des par- tisans dans quelques-unes des villes du territoire français. Aux salles mortuaires si dispendicuses, aux visites à domicile du médecin des morts, M. Larrey propose de substituer la constatation du décès par le médecin qui a mérité la confiance de la famille du défunt. Une attestation, soumise à certaines for- malités, serait présentée, par les personnes intéressées, au bureau de l’état civil, et alors seulement celui-ci délivrerait le permis d'inhumer. Ces précautions si simples et si faciles à mettre en pratique, suffiraient pour empêcher à l'avenir la reproduc- tion de ces accidents terribles, dont on ne trouve malheureuse- ment que trop d'exemples. M. N. Jocv communique des Recherches historiques sur les corsets. Il y a dans la toilette des dames une pièce très-essentielle, un ornement dont elles ont usé ou plutôt abusé depuis qu’elles ont cherché à plaire, et auquel elles ont attribué, entre autres qua- lités merveilleuses , celles de contenir les superbes, de soutenir les faibles, de rappeler les égarés , et de suppléer les absents (1). C'est sur cette partie du vêtement féminin que M. N. Joly a fixé un instant l'attention de l’Académie , en lui faisant part des recherches qu'il a entreprises , dans le but de préciser l'origine, et d'indiquer les transformations successives du corset. A ces notions purement historiques , l’auteur a fait succéder quelques réflexions sur les dangers que présente l'usage abusif des corsets, ces ridicules cuirasses qui, selon lui, de- vraient être très-sévèrement proscrites. M. N. Jocy présente à l'Académie , en son nom et au nom de M. le professeur Lavocat, son collaborateur , un Mémoire in- (1) Logogriphe cité par Réveillé-Parise, dans ses Zludes sur l’homme , tom. 11, pag. 448. DE L’ACADÉMIE DES SCIENCES. 9 titulé : Recherches historiques , zoologiques , anatomiques et paléontologiques sur la girafe (1). Pour donner une idée de ce travail , et rappeler les circons- tances à l'occasion desquelles il a été entrepris, nous croyons ne pouvoir mieux faire que de reproduire textuellement ce qu'en a dit M. Isidore Geoffroy Saint-Hilaire , dans un rapport lu à l'Institut de France, séance du 13 octobre 1845. Voici comment s'exprime l'illustre rapporteur : « Disons d'abord quelle circonstance a donné naissance aux recherches de MM. Joly et Lavocat. » Vers le commencement de l’année 1844 , une girafe récem- ment arrivée d'Abyssinie en France, et que l'on conduisait de ville en ville pour l’exposer à la curiosité publique , vint mourir à Toulouse. A la demande des professeurs de la Faculté des sciences, désireux de mettre à profit cette occasion d'enrichir la science et leur Musée , le Conseil municipal de Toulouse s'em- pressa d'acquérir la girafe. Elle fut mise à la disposition de M. Joly , qui s'adjoignit aussitôt M. Lavocat, chef des travaux anatomiques à l'Ecole vétérinaire de la même ville. L'ouvrage dont nous avons à rendre compte, est le fruit des recherches communes de ces deux auteurs, secondés, dans la longue et pénible dissection du gigantesque quadrupède , par M. Bonnes, secrétaire de l'Ecole vétérinaire, par M. Traverse , préparateur d'histoire naturelle à la Faculté des sciences, et par cinq élèves de la Faculté et de l'Ecole. » Les deux auteurs paraissent ne s'être d’abord proposé pour but que de donner une description aussi complète que possible des organes de la girafe, et de remplir les lacunes qui restaient encore dans l’histoire anatomique de ce ruminant. Mais le désir de donner plus d'intérêt à leur travail, les a conduits à étendre considérablement ce cadre déjà si vaste, et c’est ainsi qu’ils viennent d'enrichir la science, au lieu d’un Mémoire anatomi- (1) Un volume in-4° de 122 pages, avec 17 planches lithographiées. Stras- bourg , 1845. Imprimé aux frais de la Société du Muséum d'histoire nalu- relle de Strasbourg. 10 MÉMOIRES que, d’un ouvrage que l’on peut considérer comme une Mono- graphie presque complète de la girafe. » Des quatre parties dont il se compose, la première est toute d'érudition. Les auteurs donnent un résumé analytique de ce qui a été écrit avant eux sur la girafe, soit dans les temps mo- dernes, soit chez les anciens, et jusque dans la plus haute antiquité. Ils adoptent, avec auelques réserves toutefois , l'opi- nion de Mongez, qui considérait le zemer de Moïse comme n'étant autre que la girafe , animal dont Moïse à pu, en effet , voir des représentations en Egypte , puisqu'on l'y trouve figuré avec d’autres quadrupèdes éthiopiens sur plusieurs monuments, particulièrement , selon une remarque de notre confrère M. Jo- mard , dans les typhonium. Après Moïse, et avec plus de certi- tude, MM. Joly et Lavocat citent comme ayant connu et indiqué la girafe, un grand nombre de géographes, de voyayeurs, d’his- toriens , de poëtes et de naturalistes. Parmi eux, nous nous bornerons à mentionner Agatharchides , auteur de la plus an- cienne description de la girafe qui nous soit parvenue ; Strabon, qui a donné sur elle des notions très-exactes , et Héliodore , qui, dès le 1v° siècle, a indiqué l’amble comme l'allure naturelle de la girafe. Quant à Aristote, il ne nous a transmis sur ce rumi- nant aucun détail; il se borne à le mentionner sous le nom d'irrapdrov : etencore, malgré l'adhésion que MM. Joly et Lavocat donnent à une interprétation déjà présentée par Alla- mand, Pallas et Gottlob Schneïder , il n’est pas entièrement certain pour nous que | imrdoduv soit la girafe. » La partie historique de l'ouvrage de MM. Joly et Lavocat , est le fruit de longues et consciencieuses recherches. Il sera facile aux naturalistes placés près des grandes bibliothèques , de compléter sur divers points les indications qu’ils donnent , et d'ajouter quelques noms à la longue liste des auteurs qu'ils citent. Mais leur travail, tel qu'il est, est d'un intérêt réel pour la science, et servira de point de départ à toutes les re- cherches ultérieures sur le même sujet. » Dans la partie zoologique, les auteurs, après une synony- mie très-complète de la girafe, décrivent avec soin toutes ses DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 11 parties extérieures, particulièrement ses organes sensitifs , et résument ce que l’on sait de ses allures et de ses mœurs. Cette partie se recommande surtout par la précision et la clarté des descriptions : après tous les travaux dont la girafe a été le sujet, et particulièrement après le Mémoire publié sur elle par M. E. Geoffroy Saint-Hilaire, les auteurs, comme ils le disent eux-mêmes, ne pouvaient espérer d'enrichir beaucoup la science. » Nous ne dirons qu’un mot de la partie paléontologique , la plus courte de l'ouvrage. Les auteurs, n'ayant point été à même d'ajouter aux découvertes de leurs devanciers, se bornent à présenter un résumé succinct des travaux de MM. Cautley, Falconer et Duvernoy. » Dans la partie anatomique , un champ beaucoup plus vaste s’ouvrait devant MM. Joly et Lavocat. Avant eux, un grand nombre d'auteurs, particulièrement Allamand , MM. Pander et d’Alton , Cuvier, Geoffroy Saint-Hilaire, avaient fait d'inté- ressantes observations sur l’ostéologie de la girafe, mais ils n'avaient pu faire l'anatomie des parties molles. Plus heureux que ses prédécesseurs, M. Owen put disposer , en 1838 , d'une girafe morte à Londres ; et l’année suivante, la naissance d'un jeune individu qui ne vécut que quelques jours, fournit à ce cé- lèbre anatomiste une précieuse occasion de compléter ses pre- mières recherches, et particulièrement de décrire les membranes de l'œuf. Après un tel devancier placé dans des circonstances si favorables , MM. Joly et Lavocat ne devaient avoir et n'ont eu bien souvent qu'à revoir et à confirmer des résultats déjà acquis à la science. Il en a été ainsi du squelette, à l'égard duquel ils ont fait connaître néanmoins quelques faits nouveaux ; de l’ap- pareil digestif, de l'appareil reproducteur chez la femelle, de l'encéphale, et en général des viscères. Mais ils ont décrit beau- coup plus complétement que M. Owen , les autres parties molles. Nous citerons surtout comme dignes d’eloges , leurs recherches sur un système d'organes jusqu'alors à peine étudié chez la girafe, les ligaments , et surtout leur travail sur les mus- cles, qui donnerait , à lui seul, un très-grand prix à l'ouvrage 28 août. 22 janvier. 12 MÉMOIRES que nous analysons. Non-seulement les muscles sont décrits avec soin, mais ils sont partout comparés à leurs analogues chez le cheval et chez les ruminants domestiques , en sorte que, soit pour la précision des résultats, soit pour la méthode suivie , la partie myologique de l'ouvrage de MM. Joly et Lavocat peut être mise à côté des meilleurs travaux que la science possède en ce genre. » L'ouvrage dont nous venons de rendre compte est complété par un atlas de dix-sept planches dessinées par M. Joly. Les unes sont de curieux fac simile de figures antiques on ancien- nes de la girafe; d’autres reproduisent les principaux faits anatomiques exposés dans le texte... » M. N. Jocy communique à l’Académie un Rapport sur les collections paléontologiques de M. Lartet. Ce Rapport, adressé à M. le Maire de Toulouse, a pour but d'engager le Conseil municipal de cette ville à voter les fonds nécessaires pour acquérir la riche collection d’ossements fossiles découverts par M. Lartet dans le département du Gers. Après cette lecture , l’Académie, d’une voix unanime, dé- clare s'associer complétement au vœu exprimé par le rappor- teur, et l’un des membres de la Société ( M. le docteur Noulet} offre généreusement sa belle collection paléontologique à la ville de Toulouse , dans le cas où cette ville consentirait à faire l'acquisition de celle de M. Lartet (1). ANNÉE 1846. M. le Colonel Gzerzes lit une Note sur une réclamation de priorité relative aux procédés employés aujourd'hui pour la conservation des bois de construction. Cette note a été rédigée dans le but de répondre à une récla- mation de M. le Docteur Lafont-Gouzi, relative à lomission des travaux de M. Astier, dans un rapport fait par M: le Colonel Gleizes sur un Mémoire de M. Margoton. (1) On sait que, depuis celle époque , la collection Lartet a été achetée par l'Etat au prix de 30,000 fr. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 13 M. Macwes-Lauess fils présente un Aésumé de l'histoire de la pharmacie en France, suivi de quelques réflexions sur le congrès médical de 1845. (Mém, de l’Acad. 1846, p. 135.) M.N. Joux communique à l’Académie l'Analyse du lait d'un boue (1), faite par le docteur Schlossberger , de Stuttgard , et il rappelle à cette occasion les exemples analogues fournis par d’autres mâles lactifères, et notamment par l'homme ; puis il termine en disant : « Les faits que nous venons de rapporter, prouvent que la sécrétion laiteuse peut avoir lieu indépendamment de l’état de grossesse, et en dehors de toute influence du sexe féminin. Le sang des mâles, comme celui des femelles , renferme donc tous les éléments nécessaires à la formation du lait. Partout où il existe des glandes mammaires , il peut donc y avoir sécrétion laiteuse. Il ne reste plus qu’à savoir si cette sécrétion diminue ou cesse tout-à-fait chez les mâles à l’époque du rut, époque pendant laquelle les testicules jouissent de la plus grande acti- vité vitale, et semblent détourner au profit de la reproduction de l'espèce, une partie des matériaux nutritifs destinés à la conservation et à l'accroissement de l'individu. » M. N. Jocv communique ses Recherches sur les OEstrides. Au nombre des familles d'insectes les plus anciennement connues, il faut sans contredit ranger celle des OEstrides. Déja mentionnés dans la Bible: connus d’Aristote, d’Elien et de Pline le naturaliste ; chantés par Virgile et Oppien , les OËstres ont été étudiés sous le rapport zoologique par Vallisnieri, Réaumur , Degcer , et bien plus récemment par le célèbre vété- rinaire anglais Bracy-Clark. Mais quelque estimables que soient les travaux relatifs à l’histoire de ces insectes , ils renferment , de l'aveu de leuts auteurs, bien des lacunes importantes. On n’y trouve même aucun détail anatomique. On en sera peu surpris, si l’on songe aux difficultés que l'on éprouve pour (1) Voyez le Journal de Médecine et de Chirurgie de Toulouse , année 1542-46, p. 214. 5 février. 19 février, 26 février. 1% MÉMOIRES se procurer ces dangereux parasites, pour aller les saisir dans l'estomac du cheval , dans la tête du mouton , sous le cuir épais du bœuf, sous la cuirasse impénétrable du rhinocéros , et jus- que sous la peau de l'homme. Désireux de remplir les lacunes laissées par ses devanciers, peut-être même excité par les obstacles qui leur avaient paru insurmontables, M. N. Joly a entrepris des Æecherches zoologiques , anatomiques , physio- logiques et médicales sur les OEstrides en général , et parti- culièrement sur les OEstres qui attaquent l’homme, le cheval, le bœuf et le mouton (1). C’est du résultat de ces Recherches que l’auteur a aujourd'hui entretenu l’Académie. Son travail est divisé en trois: parties bien distinctes. La première est exclusivement historique et bibliographique. Dans la seconde, M. Joly s'occupe des caractères généraux, et de la classification des OEstrides : puis, passant à l’histoire particulière de ces insectes, il décrit leur organisation extérieure et inté- rieure , sous leurs divers états d'œuf, de larve, de nympbhe et d'insecte parfait ; il les suit dans leurs métamorphoses ; il fait connaître leurs instincts et leurs mœurs; il rend compte de quelques expériences physiologiques auxquelles il les a soumis ; enfin il indique les moyens qui lui paraissent les plus efficaces pour délivrer nos bestiaux de ces dégoütants parasites. La troisième partie du travail de M. Joly renferme un Essai descriptif et monographique des genres et des espèces au- jourd'hui connus, appartenant à la tribu des OEsrrines. Huit planches in-4°, lithographiées par l’auteur, accompagnent le Mémoire dont nous venons de faire une courte analyse. N. B. Ce travail a été imprimé aux frais de la Société royale d’Agricul- ture, Sciences et Arts utiles de la ville de Lyon (2). Il a été reproduit depuis, avec quelques légères modifications, par le Journal des véléri- naîres du Midi (1847-1848), publié à Toulouse , sous la direction de M. Prince, Enfin quelques fragments de cette Monographie ont été insérés dans le Bulletin de la Société d'Agriculture du département de l'Hc- raull, année 1846, (1) Un vol. in-4° de 149 pages , avec 8 planches lithographiées par l’au- teur. Lyon, 1846. (2) Voyez es Annales de cette Société pour l’année 1846. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 15 M. Nourer lit un Mémoire sur quelques coquilles fossiles 5 mars. nouvelles, découvertes dans la partie aquitanique du bassin sous-pyrénéen. (Voy. plus bas, séance du 19 mars.) M. Gaussaiz communique à l'Académie des Fragments d'é- 19 mars. tudes sur l'hérédité pathologique. (Loc. cit. 18/7, p. 1.) Dans cette même séance, M. Noucer lit la suite de son A6- moire sur quelques coquilles fossiles nouvelles , découvertes dans la partie aquitanique du bassin sous-pyrénéen. ( Loc. cit. 1846 , p. 225.) M. Levmenre rend compte verbalement d’une Excursion qu'il 3o avril, vient de faire dans les basses montagnes de la Haute-Ga- ronne. Noyez le Mémoire rédigé postérieurement par cet aca- démicien. (Loc. cit. 1846, p. 289.) M. Funos lit un Mémoire sur les falsifications qu'on fait ;4 mai. subir aux farines alimentaires, et sur les moyens de les re- connaître. (Loc. cit. 18/7, p. 35.) M. Ducasse communique une Observation d'abcès placés 38 mai, sur la face convexe du foie. (Loc. cit. 1846, p. 305.) M. Levwenre lit en son nom, et au nom de MM. Novrer et ; juin Joy, un ÆRapport sur le concours pour le prix d'histoire naturelle à décerner en 1846. (Loc. cit. 1846, 252.) M. le Docteur Dessarreaux-BernarD lit une Notice biblio- 30 juillet, graphique sur Pierre Fabre, médecin à Toulouse au xrar° siècle , avec quelques apercus sur le spagyrisme (1). L'auteur de cette Notice nous apprend que Pierre Fabre, de (1) Voir le Journal de Médecine et de Chirurgie de Toulouse | année 1847-48, p. 50 et 90. 16 MÉMOIRES Castelnaudary, a été à la fois l’un des derniers et des plus fervents adeptes des doctrines spagyriques , c’est-à-dire , qu'il faisait partie de cette classe de médecins philosophes qui cherchaient dans la chimie l'explication de tous les phénomènes de la nature. « Ils reconnaissaient , nous dit M. Bernard, un Dieu éternel, essence première, infinie, incompréhensible, qui crée d’abord un principe producteur à la fois spirituel et matériel, dans lequel se trouveront, comme dans le chaos, tous les éléments de l'univers. De la partie la plus éthérée de cette substance pre- mière, il forme les intelligences célestes et l’'empyrée ; d’une portion moins précieuse, le firmament et les astres ; et enfin de la partie la plus grossière, les quatre éléments inférieurs. Ces éléments recèlent en eux une force primordiale appelée quin- tessence, qui agissant comme Je sang dans l'organisme , les pénètre, les alimente et les modifie constamment. Le dieu spagyrique a en lui le type idéal de toutes les créations ; mais renfermé, comme les dieux d'Epicure, dans le repos de la grandeur infinie, il confie à une puissance secondaire, la Nature, la charge de produire, de conserver et d’harmoniser toutes les parties de son œuvre. » L'indication des ouvrages qu'a publiés Pierre Fabre, et l'appréciation des doctrines spagyriques terminent cette Notice intéressante, à laquelle nous emprunterons encore le passage qui suit : « Sans parler des découvertes chimiques dont la science est redevable aux médecins spagyristes, nous leur devons, au point de vue médical, l'introduction dans notre pharmacopée de la plupart des préparations médicales encore employées de nos jours ; nous léur devons d’avoir remplacé une thérapeutique inoffensive, mais insuffisante, par l'emploi raisonné des médi- cations énergiques et spéciales. N’avaient-ils pas, dans ces mixtes, dans cette quintessence insaisissable qu’ils poursui- vaient dans les trois règnes de la nature, soupçonné en quelque sorte la véritable donnée de l'analyse chimique , et ouvert la voie à la recherche des corps simples, qui devait plus tard de- venir la base de la science moderne ? DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 17 » Observateurs à vue courte , ils étudiaient la nature sur le lit de Procuste pour la ramener à la mesure de leur hypothèse. Mais , dans tout cela , Messieurs , quelle bonne foi, quelle assu- rance de convictions, quelle inébranlable certitude ! L'idée scien- tifique était pour eux devenue un dogme ; et l’on sait que, à l'exemple des premiers chrétiens , ils auraient défendu leur foi Jusqu'au martyre. » M. le Colonel GLewzes lit une Notice sur les travaux exé- cutés pour la dérivation des eaux de la Durance amences à Marseille. (Loc. cit. 1847, p. 45.) M. Moquix-Taxpox lit une Notice sur la consommation des sangsues médicinales en France. ( Loc. cit. 1847, p. 133.) ANNÉE 1847. M. Covsera lit un Résumé de l’histoire de l'embaumement des corps , suivi de quelques réflexions sur l'ordonnance royale du 29 octobre 1846 , relative à la vente et à l'emploi des substances toxiques pour les embaumements. (Mém. de l’Acad. 1847, p. 138.) M. Gaussaiz communique à l’Académie une Observation d'hémiplégie et de cécité lystériques guéries spontanément el sans médication. (Loc. cit. 18/7, p. 300.) M. N. Jorx lit une Note sur les effets des inhalations éthérées. (Loc. cit. 1847, p. 95.) M. Moquix-Taxpox communique, au nom de M. Raymond, une Note sur le lichen esculentus. Pall. (Loc. cil., p. 333.) Dans cette même séance, M. Gaussaiz fait un rapport verbal sur deux Mémoires de M. Faure , ayant pour titre, Le premier : Sur la respiration ; Le second : Essai physiologique et psychologique sur un aveugle sourd-muet. 3.° $.— TOME IV. 2 13 août, 28 janvier. 18 février, 25 février, 15 avril, 12 mu. 20 mai, 2 juin. 18 MÉMOIRES M. Fiznoz a communiqué à l'Académie une série de Recher- ches sur les volumes spécifiques (1), dont les principaux résultats sont les suivants : 1° Les volumes spécifiques des corps isomorphes sont égaux , ainsi que M. Dumas l'avait depuis longtemps annoncé ; 2° La loi de M. Kulfer, relative au rapport qui existe entre le poids atomique, la forme cristalline, et la densité des corps, ne peut pas être considérée comme exacte ; 3° La méthode indiquée par M. Persoz pour calculer à priori la densité des corps d’après leur poids atomique, conduit à des résultats qui ne sont'pas toujours vrais, parce qu'il n’y est pas tenu compte de l'influence de la forme cristalline ; L° La loi exposée par M. Ammermuller relativement aux changements que subissent les éléments des divers composés lorsqu'ils se combinent, n’est pas exacte ; 5° L'étude des volumes spécifiques conduit à des résultats qui sont lout aussi favorables à la théorie généralement admise pour exprimer la constitution des sels ( celle de Lavoisier }, qu’à la théorie des hydracides, contrairement à ce qui a été écrit sur ce sujet par M.°Kopp ; 6° La condensation qu'éprouvent les éléments des corps pen- dant la combinaison est teile, que, dans un grand nombredecas, le rapport qui existe entre les densités calculées de deux com- posés appartenant au même geure ( chlorure, sulfate, etc... \, est le même que celui qui existe entre leurs densités réelles ; il en résulte la possibilité de calculer à priori la densité réelle de quelques-uns de ces composés, d’après celle de leurs élé- ments. M. Fisnoc communique à l’Académie l'Analyse de la clo- che de l'église de Saint-Pierre de Moissac (2). M. Lermier, correspondant , adresse à l’Académie des Ob- servations sur le reboisement en France, faisant suite à un (1) Ce travail a été imprimé dans les Annales de Chimie et de Physique, 1847, pag, 415. (2) Ce travail sera imprimé dans les Mém. de l’Académie , année 1848. : DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 19 premier Mémoire imprimé qui a pour titre : Sur les principales causes du déboisement. M. Ducasse communique à l’Académie une Observation de gangrène sèche, suivie de cancer. (Loc. cit. 1847, p. 301.) M. Moouix-Taxnon dépose sur le bureau un Catalogue des mousses qui croissent dans le département de la Haute-Ga- ronne , et donne verbalement une idée des contenus de ce tra- vail. (Ce travail sera imprimé.) M. N. Jocy communique à l'Académie, au nom de M. Leymerie et au sien, des Recherches sur les Nummulites, et sur l'orga- nisation présumée de l'animal qui les habitait. (Ce travail sera imprimé.) INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. ANNÉE 1845. M. Sauvace a lu un Mémoire intitulé : Nouvelle ponctuation d’un passage de l Art poétique d'Horace. (Ce travail sera imprimé.) M. pv Mèce lit un Mémoire sur cette question : Est-il vrai que lAvocat genéral Duranti ait donné, en 1572, l’ordre de massacrer les protestants , prisonniers dans la concier- gerie de Toulouse. (Mém. de l’Acad. 1845, p. 220-250.) M. Barry donne lecture d'un Mémoire ayant pour titre : Fragments de géographie historique. Cet ouvrage a été im- primé dans le Recueil de l’Académie, sous ce litre nouveau : Discours sur la marche et les progrès des connaissances géographiques chez les Grecs. (Loc. cit. p. 72-90.) M. Ducos lit un Mémoire ayant pour titre : Quelques Idées sur la certitude. (Loc. cil. p. 73.) 1e juillet. 8 juillet, 30 juillet. 16 janvier. 23 janvier. 28 janvier. 13 février. 20 février. 20 MÉMOIRES L'écrivain qui retrace l’histoire de l’un de ces hommes qui par leur position sociale, et par les luttes de leur vie, ont acquis une célébrité plus ou moins éclatante , entreprend une tâche difficile, surtout alors qu'il doit faire poser devant lui des hommes vivants encore , et qu'il doit apprécier les erreurs , les systèmes , les vérités, que l’on a vu se succéder sur la scène du monde pendant plus d’un demi-siècle. Ce travail offre encore plus de difficulté quand il faut parler des divi- sions profondes qui existèrent entre deux classes de prêtres , les uns proscrits par les lois de l'Etat , et les autres se substi- tuant à ceux que la tempête avait écartés. M. Mere, corres- pondant de l'Académie , a affronté ces écueils en retraçant la Biographie de M. Belmas, évêque de Cambrai. Suivant l’au- teur, cet ecclésiastique , estimé pour ses lumières, montra un courage peu commun , lorsque, sous le règne du Directoire , il réclama fortement en faveur de l’une de nos plus précieuses libertés , celle des cultes , et qu'il résista à des hommes égarés qui voulaient attenter à cette liberté. Notre honorable corres- pondant suit M. Belmas dans les diverses phases de sa vie pas- torale , sur le siége de Cambrai ; il n'oublie rien de ce qui peut honorer la mémoire de ce prélat, et il nous a offert le bronze numismatique qui en conserve les traits. M. Sauvace a communiqué à l’Académie une Dissertation sur.ce passage de l'Art poétique d'Horace : Æmilium cirea ludum faber imus el ungues Exprimet et molles imitabilur ære capillos. nfelix operis summdé , quia ponere tolum Nesciet.…. Ces vers font partie de l’ingénieux et riche développement du précepte, connu de tous les gens de goût : Denique sit quodvis, simplex duntaxat el unum. Notre confrère n’a point voulu, dans sa Dissertation, discuter le fond de la maxime qui, ainsi qu'il le dit, n’est pas sujette à contestation, mais exposer les motifs d’après lesquels il a pensé qu'entre les deux leçons qui se disputent le premier vers, DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES 21 Jaber unus et faber imus , il y a lieu de préférer la dernière , et d'expliquer ensuite dans quel sens il faut entendre le mot substitué, car il y à plusieurs sentiments à cet égard. L'auteur examine les diverses opinions émises à ce sujet ; celle de l'abbé Galiani est particulièrement l’objet de ses remarques. IL expose ensuite, après avoir rejeté la lecon faber unus, pourquoi il préfère l’autre, et comment il l'entend. I croit que le mot imus doit être pris « d’un élève ou d’un artiste en sous-ordre, qui, dans l'atelier d’un sculpteur , aurait pour objet de traiter ce qu’en termes de l'art on appelle les extré- milés , et qu'uniquement occupé de cette partie , il peut parvenir à y atteindre une grande supériorité. Ce qui doit rendre ma Aésumption peu digne, et de l'Académie, et des auteurs qui lui ont présenté leurs ouvrages, c’est l'obligation de ne donner que quelques lignes sur des Mé- moires qui mérileraient , non une sèche analyse, mais de longues citations. C’est par celles-ci, c’est par la discussion et la comparaison des textes, que la philologie et la critique litté- raire s'éclairent, et nous aurions essayé de donner plus d’éten- due à cette note, si M. Sauvage lui-même ne nous avait en quelque sorte indiqué qu'il ne fallait point s'appesantir ici sur les détails. M. Bexecn lit une Zatroduction à des études sur Horace, appliquées au droit civil des Romains. Depuis, l’auteur nous a fait connaître tout son travail sur Horace ; il y montre d'abord ce que l'histoire, la critique, la philologie peuvent retirer de l'étude des anciens, qu'il appelle avec raison, Les ressources indirectes du droit antique. M a divisé son travail en trois parties. Dans la première, il examine tous les passages d'Horace, qui se réfèrentaux matières du droit concernant les personnes : dans la seconde, il s'occupe des pas- sages dans lesquels le poëte latin a fait quelques allusions, ou donné quelques aperçus sur ce qui était relatif aux biens, sur les modes d'acquisition et les obligations ; enfin dans la der- nière, notre confrère examine les fragments où Horace parle des actions. 6 mars et 17 avril, 13 mars. 24 mars. 8 mai. 22 MÉMOIRES Notre honorable confrère ayant publié à part cet ouvrage, nous ne pouvons entrer ici dans fune analyse plus circons- tanciée. M. pe Vacquié a lu un Mémoire sur deux chartes inédites , concédées aux habitants de Ferlhac-Tescou (Tarn-et-Garonne). La charte primitive fut donnée par Raymond V, Comte de Toulouse, en 1144. La seconde, confirmative de la première, est signée par Elie de Talleyrand , seigneur de Verlhac ; elle porte la date de l'an 1306. (Loc. cit. p. 319340.) M. Forrouz lut un Mémoire sur les manuscrits des Trou- badours, encore conservés dans quelques bibliothèques d'Italie. Ce mémoire n'existe point dans nos archives. M. Cros-MavrevIgILLE , correspondant , donne lecture d’un Mémoire ayant pour titre : Considérations sur l'histoire du comté el de la vicomté de Carcassonne. Suivant cet écrivain, le territoire qui forma, au moyen âge, cette principauté féodale, fut tellement étranger aux événements généraux dont la France a été le théâtre, qu'il est impossible aux auteurs qui écrivent l'histoire de ce royaume, de faire en- trer dans leur travail les documents relatifs à Carcassonne. Ainsi la domination des Wisigoths avait fini dans la Gaule mé- ridionale en 507, et elle dura encore à Carcassonne jusqu'aux premières années du vi siècle : la France ne connut les Sar- rasins que par leurs ravages , tandis que sur les bords de l'Aude l'autorité de kalifes reçut une organisation régulière : plus tard, une révolution politique , accomplie dans les murs de Carcas- sonne, par la bourgeoisie , place le véritable siége du gouver- nement au delà des Pyrénées, à Tolède, à Cordoue, dans la Catalogne ou l'Aragon. Mais un fait éminemment national , la croisade contre les Albigeoïis arrive à un dénoüment complet sous les murs de Carcassonne, et donne à l'histoire de cette cité une importance générale. LesAnnales du comté de Carcassonne méritent donc une attention toute particulière. M. Cros-Mayrevieille a examiné si DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 23 les auteurs qui ont spécialement traité ce sujet avant lui, avaient rempli les termes du programme encyclopédique tracé de nos jours aux historiens. L'auteur du Mémoire assure qu'il n'en est pas ainsi, et qu’il y avait même, en ce qui concernait les faits connus, de nombreuses erreurs. Ainsi l'Art de vérifier les dates, le nouveau Gallia christiana , les livres historiques publiés par Marca et Cateï, ont besoin d'être réformés dans certaines parties : les auteurs modernes, tels que M. Lebas et M. Fauriel, au lieu de relever les erreurs commises par les Bénédietins de Saint-Maur, en ont augmenté le nombre. La numismatique ne présentait pas de solutions plus heureuses. Ceux qui s’en sont occupés ont avancé des opinions qui sont contredites par les données historiques. En ce qui concerne le gouvernement local , M. Cros-Mayrevieille affirme les théories de M. Raynouard sur les municipes et les systèmes d’autres publicistes, sont en opposition avec les documents manuscrits relatifs à Carcassonne. Après l’'énamération d’une foule d'erreurs, l’auteur du Mé- moire est arrivé à ces deux conclusions : 4° Que l'histoire du comté et dela vicomté de Carcassonne n’était pas faite; 2° qu'elle ne pouvait être écrite qu'avec des documents originaux. Il a an- noncé en même temps à l'Académie, qu'il se livrait depuis plusieurs années à des recherches historiques dans les archives des principales villes du Midi, ainsi que dans les archives du royaume, à Paris, et qu’il serait bientôt à même de publier une histoire du comté et de la vicomté de Carcassonne. Depuis la lecture de ce Mémoire , M. Cros-Mayrevieille a publié le premier volume de cette Histoire. M. Barry termine la lecture de ses Recherches historiques sur les Pelasges (1). M. Forroëz a lu un Mémoire intitulé : Æssai sur la théorie et l'histoire de la peinture chez les Anciens et les Modernes. Cet opuscule n’a pas été déposé dans nos archives. (1) Ce travail a été inséré dans l'Encyclopédie nouvelle. 24 mai. 19 juin, 17 juillet. 7 août, 24 MÉMOIRES M. Sauvacs lit une Dissertation sur ce vers d’ Horace : Cùm flueret lutulentus, erat quod tollere velles. L'auteur a repris ce travail pour ajouter de nouvelles preuves à celles qu'il avait présentées en faveur de son opinion. M. Become a lu un Mémoire sur l'ancienne temporalité de lévéché de Toulouse. Après la destruction des Manichéens Albigeoïs , l'évéché de Toulouse fut doté d’une riche temporalité ; de nombreux béné- fices , des fiefs considérables avec tous les droits de juridiction , haute , moyenne et basse, entrèrent dans son domaine. Déjà , en 1279, une transaction entre le roi Philippe-le-Hardi et l’é- vêque Bertrand de Lille, avait réglé la marche juridique , pour le ressort de la seigneurie temporelle de l'évêché de Toulouse en matière d'appel, le recours devant avoir lieu, du juge d’ap- peaux de la temporalité , à l'Evêque lui-même , et de l'Evêque directement au Roi. L'auteur nous apprend que le Sénéchal de Toulouse ayant, dans les commencements du xiv° siècle, vers le temps où le siége fut transformé en archevêché , empiété sur cette juridiction , un conflit s'éleva entre lui et les procureurs du prélat. Voici à quelle occasion. Eu 1337, le bailli et les consuls de Beaupuy , près Gragna- gue, l’une des terres seigneuriales de l’archevêché, ayant fait arrêter le nommé Pierre Simon, l'avaient jugé et condamné pour ses méfaits à être noyé dans la rivière de Lhers. Celui-ci ayant fait appel de ce jugement au juge d'appeaux de la temporalité, qui le confirma , releva appel au Roi de cette sentence ; le Sénéchal prétendit que c'était à lui que l’on devait relever appel des arrêts du juge d’appeaux de la temporalité ; et, sans s'arrêter aux protestations qui eurent licu , il s'empara de la procédure et en fit faire l'examen par un commissaire , qui ayant con- firmé la sentence , lui livra le condamné pour l'exécution de celle-ci. Alors le Sénéchal s’empara de Pierre Simon , et le fit noyer dans la Garonne. « Le procureur de l’évêque appela au Roi de cette entre- DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 25 prise , et le Parlement de Paris ayant décidé que le Sénéchal et son commissaire avaient mal et injustement procédé , les con- damna , par arrêt du 24 mai 1337, à la restitution de Picrre Si- mon, en faveur de l'Archevêque, par la représentation et la re- mise qu'ils devaient faire de son efligie aux officiers du prélat; une lettre exécutoire fut adressée au Juge mage de Cahors, qui procéda contre le Sénéchal de Toulouse et son lieutenant pour qu'ils eussent à remettre en la possession des gens de l’Arche- vêque l'effigie de Pierre Simon , et à la placer dans les prisons dont on l'avait tiré , leur intimant de la part du Roi d’avoir à obéir à l'arrêt et à s’y conformer. Le 17 septembre de la même année, Auger de Sagne et Jacques de Florac , l’un châtelain et l'autre notaire de la Cour neuve de Toulouse , s’acheminaient , en vertu du commande- ment du Sénéchal , vers le lieu de Balma , l'un des principaux châteaux de la temporalité de l’archevêché ; Géraud de Lagarde et Raymond Jean de Moulins, procureurs de PArches êque , se trouvaient sous le porche de l'entrée inférieure du château. Les envoyés du Sénéchal leur présentèrent une figure , ou plutôt une masse informe, faite de paille et recouverte de toile , les invitant à l’accepter pour l'effigie de Pierre Simon. Mais ce mannequin n'avait ni tête , ni pieds, ni mains, et les procureurs de l’Archevèque ne l’acceptèreut point , disant qu’ils voulaient qu'on leur offrit une vraie figure d'homme , avec les formes et les membres qui constituent le corps. « Revenus à Toulouse sans avoir pu remplir leur commis- sion , les deux délégués du Sénéchal se rendirent de nouveau à Balma. Là, sous le même porche , Antoine Marca , bailli archiépiscopal , les attendait ; une nouvelle effigie lui fut pré- sentée. Celle-ci était mieux faite que la première , la masse de paille , recouverte de linges, supportait une tête , tous les membres étaient représentés , les pieds avaient une chaussure de cuir noir, des gants recouvraient les mains, un capuchon jaune était placé sur la tête. Le bailli conservateur des droits de l’Archevêque , ayant été requis de recevoir cette figure comme elle l'aurait été par le 19 février. 5 mars. 25 avril. 26 MÉMOIRES procureur qu'il remplacait, déclara qu'il la trouvait insuff- sante et qu'il ne l’acceptait qu'en vue de l'arrêt qui devait re- cevoir son accomplissement. Après cette déclaration, les délégués du Sénéchal laissèrent l'effigie sous le porche, où elle resta attachée à un poteau. Ainsi fut terminée cette affaire, qui donna lieu à une longue pro- cédure , retrouvée dans les collections des anciens titres de la temporalité de l’archevêché de Toulouse. En finissant , M. Belhomme fait remarquer que ce n’était pas toujours avec le Sénéchal , ou ses officiers, que l’Evêque de Toulouse avait des différends à démêler au sujet de ses juri- dictions temporelles ; il arrivait assez fréquemment que les Capitouls retournaient et évoquaient à eux les causes qui ressor- tissaient de la Cour ecclésiastique. Souvent , dès le xm° siècie, les clercs justiciables de l’Archevêque étaient pris, mis en prison et condamnés par eux. Ce fut pour remédier à ces abus que le Roi écrivit, en 1292 , au Viguier de Toulouse , une lettre que rapporte l’auteur du Mémoire. Dans la même séance M. Himez a donné lecture d’une Disser- tation, intitulée : Quelques détails sur Théocrite , tirés des Idylles de ce poite. (Mém. de l’Acad. tom. 2, année 1846, p. 125.) ANNÉE 1846. M. Barry a présenté à l’Académieun Mémoire sur quelques médailles Numides et Mauretaniennes , découvertes à Tennis ( Tenez ), à quelque distance de l'antique Cæsarea. ( Loc. cit. p. 149.) M. pe Vacouié envoie à l’Académie un Mémoire sur les coutumes de la commune de Villebrumier | département de Tarn-et-Garonne), données aux habitants de ce lieu, en l'année 1268 , par Pierre de Lombaresses , leur seigneur. Ce travail, lu dans la même séance où il a été recu, fait partie du 2° volume des Mémoires de la Compagnie , page 196. M. Axacmarsis Comses , correspondant de l’Académie, à Cas- DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 27 tres, lui a présenté un fragment de l'Histoire de l’école de Sorèze ; ce fragment est intitulé : Notice sur François Ferlus. On sait que cet homme de lettres avait appartenu à la savante congrégation des Bénédictins de Saint-Maur, et que lorsque Dom Despaulx quitta la direction de l’école de Sorèze , ce fut Dom François Ferlus qui le remplaca , et qui fut même installé dans ses fonctions par l'administration du département du Tarn. M. Combes, après avoir rappelé les événements qui furent les causes immédiates de la nomination de F, Ferlus , examine les titres antérieurs de celui-ci, son caractère , ses principes sur l'éducation, sa situation de 1791 à 1799 ; les tentatives de ses collaborateurs pour le déposséder , les circons- tances par lesquelles il devint propriétaire exclusif de l'établis- sement. L'auteur fait connaître ensuite, d’après D. Ferlus lui- même, les améliorations et les changements apportés au régime de l’école ; il parle des sacrifices faits par ce directeur pour con- server à celle-ci tous ses avantages. Il le montre agrandissant le plan d'études, raccordé avec les exigences du temps. Il s'occupe ensuite de ceux qu’il désigne comme les ennemis sys- tématiques et personnels de Sorèze , et de leurs attaques contre F. Ferlus; il fait connaître les réponses de ce dernier , et ne le quitte qu’à sa mort, arrivée le 11 juin 1812. Cette Notice ,| agrandie, a été publiée par M. A. Combes , dans son Æistoire de l'école de Sorèze (4) , et la loi qui nous est imposée de ne nous occuper spéciaiement que des ouvrages inédits des membres ou des correspondänts de l'Académie , nous oblige à nous arrêter ici. M. le Colonel LarÈxe , correspondant, a lu une Notice impri- mée, intitulée : Détail sur l'exploration du champ de bataille du 10 avril 181%, devant Toulouse, fait par Soliman- Bey. C'est une suite de l'ouvrage du même auteur , ouvrage dont la seconde édition, sous le titre d'Evénements militaires devant Toulouse en 181%, a été publiée en 183#. (1) Un volume in-8°. Toulouse , 1847. La notice sur Dom F. Ferlus se re trouve dans ce livre, de la page 43 à la page 84. 17 mai. 20 mai. 4 juin. 18 juin. 6 août. 28 MÉMOIRES M. ne Vacquié a lu l'Eloge de M. de Malaret, membre de la classe des Inscriptions et Belles-Lettres. (Mém. de lAcad. tom. 2, p. 280.) M. pu Mie a lu dans cette séance l'Eloge de M. Dralet, membre de la classe des Sciences. (Mém. de l’Acad. om. 3, p: 232.) La mort de Grégoire XVI, la convocation des cardinaux pour élire un nouveau Pape, l'attente des événements que ce choix pouvait faire naître, tels sont les motifs qui ont porté M. de Mortarieu à présenter des Recherches sur le Conclave. L'auteur n’a pas déposé ce travail dans nos archives: M. Larrey a lu un Mémoire sur l'histoire de l'Académie. Ce travail est relatif aux travaux des deux classes dont se compose notre association pendant un siècle entier. (Loc. cit. p. 97-132.) M. Hamez a lu un Mémoire sur Théocrite. Cet ouvrage, sur l'un des plus aimables puëtes de l'antiquité, a été inséré dans le tome 2° de la troisième série de nos Mémoires, page 125. M. Becuoume a lu un opuseule intitulé : Ze Médecin astro- logue. Dans les commencements du xvi° siècle parut, à Toulouse, un Médecin , se disant natif de la Flandre. A la réputation de savoir que lui donnaient des connaissances variées et l'étude des sciences exactes, se joignait celle qu'il avait acquise dans son art. Médecin de plusieurs personnages distingués, et notamment des papes Pie I, Jules II et Léon X, après la mort de ce dernier, il avait, en qualité d’interprète , accompagné l'ambassadeur de la cour de France en Angleterre, d’où il était venu se fixer à Toulouse, pour se livrer à l'exercice de sa pro- fession. Tels sont les premiers documents concernant la vie du doc- teur Nicolas de Beaumont, ou Arnoult, que fournit un conflit de juridiction élevé à son sujet, en l’année 1522, entre messire Jean d'Orléans, archevêque de Toulouse , et frère Ramon Gousin, inquisiteur de la foi. “ DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 29 Dans cette procédure , retrouvée par M. Belhomme, dans les anciennes archives départementales dont il opère le classement , Nicolas de Beaumont est représenté comme coupable de magie, et il a été pris par ordre de l'inquisiteur, et retenu dans ses prisons. Les perquisitions faites au domicile du docteur , avaient amené la découverte de plusieurs livres magiques, entre autres, de la Clavicule de Salomon , et de plus, comme le dit l'avocat de l'in- quisiteur, « il s'étoit trouvé saisi de figures en forme d’un » homme à cheval, couronné de mandragores très-bien acous- » trées et aornées , et le lieu où les tenoit, étoit très-odiférant » de plusieurs espèces de pouldres si odiférantes , que plus » honorablement ne les pourroit tenir. Il s’étoit trouvé aussi » dans ung coffre deux mandragores, in utraque sexu, vestues » de damas etentourées de parfums. » De plus le docteur Nicolas de Beaumont avait avoué qu'il s'était occupé de dresser des nativités pour plusieurs enfants de Toulouse, notamment pour le fils d’un marchand de cette ville , qui estoit âgé de douze ans, observations d’astrologie judiciaire que M° Sabatery, avocat de l'Inquisiteur , réunissait contre Nicolas de Beaumont à celles des figures dont il a été question, et d’autres objets auxquels il donnait une importance particulière , pour prouver un com- merce, une intelligence entre le docteur et les puissances dia- boliques , d'où il concluait que c'était avec justice qu'il avait été pris par ordre de l'inquisiteur, mis en prison, et que procès allait lui être fait. Mais l'avocat de l'Archevèque résu- mant les faits et les appréciant à leur juste valeur, s'élevait contre les prétentions de linquisiteur, qui n'avait, disait-il , à s'oceuper que de ce qui concernait l'hérésie, et non d’une affaire où il n’en était nullement question , et qui dans tous “les cas ne devait ressortir que du tribunal de l’officialité. Cette procédure , dans le style de l'époque, toute surchargée de cita- tions latines et de textes divers, offre à cet égard plus d’un motif d'observations et un point de vue remarquable , sous le rapport historique, et qui fait regretter qu’elle soit incom- plète. 4 février. 19 février. 4 mars. 11 Mars, 18 et 26 mars. 22 avril. 30 MÉMOIRES ANNÉE 14847. M. Jorx lit l'éloge historique d Aloys Sennefelder ; inven- teur de la lithographie. (Mém. de l’Acad. 1847, p. 61.) M. Bars a lu un Mémoire intitulé : Quelques lettres du Cardinal de Richelieu, 1635 , 1642. (Loc. cit. 1847, p. 148-164.) M. pu Mèce a présenté un Opuscale intitulé : Mémoire sur les monuments romains , attribués dans Toulouse à la Reine aux pieds d'oison. (Loc. cit. p. 165.) M. Beneca a présenté un Tableau du Barreau romain dans le premier et le second siècle de l’ère chrétienne. Ce tableau fait partie de la suite de ses études sur les classiques latins. M. Hamez a fait connaître, sous le titre d'Idylles bucoliques de Théocrite , une partie des productions de ce poëte grec. (Loc. cit. p. 271.) M. Merce, correspondant à Castelnaudary , a envoyé une Notice biographique sur le médecin François Barrié. Les souvenirs de l’ancienne Université de Toulouse doivent être placés parmi les titres de gloire de cette ville. Pendant la longue durée de son existence , celte Université a répandu sur la France des lumières , alors peu communes, et les noms de plusieurs de ceux qui y ont enseigné sont toujours grands, tou- jours honorés. Alors que l’on s'occupe de l'histoire de leur temps, on voit que l'étude du Droit romain et du Droit canoni- que y attirèrent à la fois , si l’on en croit Minut (1), dix mille - escoliers. (1) Dans l’ouvrage intitulé : « De la Beauté, discours divers, pris sur deux fort belles façons de parler, desquelles l'hebrieu et le grec usët, lhebrieu 5 Lob , et le grec 24)0y xyalor, voulant signifier, que ce qui est naturellement beau, est aussi naturellement bon ; avec la Paule-gra- phie, ou description des beautés d'une Dame Tholosaine , nommée La Belle Paule ; par Gabriel de Minut, Chevalier, Baron de Castera , Seneschal DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 31 Mais il manquait à cette institution , qui remontait à la pre- mière moitié du xm° siècle , un enseignement aussi utile , s'il ne devait presque le devenir davantage, je veux dire celui du Droit français. Les fondements de la nouvelle chaire furent jetés en 1679. D'après un édit, renouvelé par un autre du 23 mars de l'année suivante, et organisé par les déclarations du 6 août 1682 et du 20 janvier 1700 , cet enseignement à été continué jusqu'à l’époque où une loi supprima toutes les Universités. Dans un écrit intitulé : De l'enseignement du Droit français dans la Faculté de Droit civil et canonique de E Université de Toulouse, notre confrère, M. BENECH, a examiné l'époque de la création de la chaire de Droit francais à Tou- louse ; l'état de la Faculté au moment de cette création ; la série des divers professeurs qui y ont été successivement chargés de l’enseignement du Droit français ; les motifs de la création de la chaire où ils étaient professeurs ; les diverses branches de cet enseignement et les dispositions réglementaires qui s’y réfé- raient , le mode de nomination du professeur, sa position dans la Faculté , les divers priviléges dont il jouissait ; des détails biographiques sur les professeurs qui ont possédé cette chaire ; l'analyse et l'appréciation de leurs œuvres ; leurs méthodes d'en- seignement et l'influence qu'ils ont exercée. L'auteur termine son ouvrage par une comparaison entre l'état de l’ancien ensei- gnement et celui de l’enseignement actuel du Droit français. M. Benech a lu dans nos séances particulières plusieurs frag- ments de cet ouvrage publié par lui depuis peu de temps (1). de Rouergue. A Lyon, par Barthelemi Honorat."Au Vase- d’or, 1587. On lit, pag. 219, après une énumération de quelques objets que l’on regardait comme des choses remarquables, dans Toulouse : » La troisiesme estoient les Estudes, où l’on enseigne la loy ciuile et Pon- tificale , ou il y a trois salles aussi belles, grandes et spaliues (sic), el aussi bier basties, compassées et commodées qu’il y en ayt quelque part que l’on sache aller. EL là où aussi, l’on a veu autrefois (comme de ce estant tes- moing oculaire j'en peux faire foy) dix mille escoliers tant de ceux du pais, que d’autres plusieurs et diuers lieux, et fort loingtains , estudians en la jurisprudence , sous la doctrine de six docteurs aussi doctes et resolus juris- consultes, qu'ils en fussent en toute l’Europe. » (1) Un volume in-8° 1847. 29 avril. 12 mai, 21 mai. 32 MÉMOIRES M. ou Mëce a lu un Mémoire sur quelques inscriptions votives découvertes dans la vallée de la Neste et consacrées au dieu ERGE. Cet Opuscule fait partie du tome 3 de la troi- sième série de nos Mémoires , page 346. M. le Colonel GLezes a présenté à l’Académie une suite d’en- viron deux cents lettres du roi de Prusse (Fréderie Il) et de M. de Maupertuis. Il a fait précéder cette communication d’une note sur les rapports de ce prince avec le savant que nous venons de nommer et avec à l'Académie de Berlin, qui lui dut sa restauration. Cette note est pleine d'intérêt. M. Gleizes la fait précéder d’un Mémoire, dans lequel il rend compte de tout ce qui est relatif à l’Académie de Berlin, pendant la vie de Mau- pertuis. Suivant notre honorable confrère , cette correspon- dance est inédite. Elle se compose, comme or l’a dit, de plus de deux cents lettres , dont les autographes étaient restés chez M. de Maupertuis , à qui le roi de Prusse avait confié la charge de réorganiser l’Académie de Berlin, dont il lui conféra la présidence à vie. Il existe une copie de ces lettres parmi les nombreux manuscrits laissés par feu M. de la Beaumelle , qui appartenait, comme on le sait, à nos contrées, et qui fut lun des plus constants amis de M. de Maupertuis. Elle est de la main du premier. La correspondance embrasse, à partir de l’année 1738 , une période de dix ou douze ans. C’est à ‘cette époque, si féconde en événements militaires et politiques, que le grand Frédéric, réalisant les rêves de sa jeunesse , s’entoura de savants et de littérateurs appelés auprès de lui, non comme des protégés , mais comme des membres de cette république des let- tres à laquelle ils honorait d'appartenir. Rien n’est plus attachant que cet échange de pensées intimes qui s'était établi entre le roi philosophe et le directeur de cette Académie de Berlin , devenue si célèbre. M. Bernarp-DessarrEaux a présenté un Coup d'œil bio- graphique et littéraire sur un auteur dramatique. Ce travail a été réservé par le comité de librairie et d'impression. M. ou Mic à présenté un Recueil d'inscriptions romaines , la plupart inédites, et parmi lesquelles on distingue surtout DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES, 33 celle qui paraît relative à la famille de Paulus Sergius , le premier évêque et l’apôtre de Narbonne. Ce Mémoire n’a pu, faute d'espace , être inséré dans nos publications. M, Ducos commence ainsi ses Observations sur les compa- raisons de lIliade. « Les travaux épiques dans lesquels je me suis engagé en composant un poëme sur les croisades contre les Albigeoïis , m'ont procuré l’occasion d'étudier les modèles du genre. A ce titre, Homère avait droit à mon premier hommage. J'ai relu avec attention le chef-d'œuvre de ce patriarche.de la poésie, comparé par les Anciens , à l'Océan , père de tous les fleuves , de ce Mæonides à quo , comme le dit Ovide, Seu fonte perenni, Vatum Pieriis ora rigantur aquis. » Cette nouvelle lecture m'a pénétré de la plus grande admi- ration pour l'Iliade, ce type éternel de la poésie épique; les légères imperfections qui tiennent à l'enfance de l'art et à la naïveté de ces mœurs presque primitives, s’efacent devant le vaste ensemble de magnifiques tableaux. Je me suis surtout attaché , ajoute l'auteur, à l’une des parties les plus brillantes, bien qu'accessoires, du grand poëme d'Homère, celle où il a le plus prodigué la poésie, où il a le plus déployé les richesses de son imagination : je veux parler des comparaisons. » En constater le nombre, la manière dont ellès sont distri- buées dans les diverses, parties de ce poëme, les classer par catégories , signaler les répétitions qu'on y découvre, les longueurs dont elles ne sont pas exemples, et enfin les plus célébres imitations qui en ont été faites, tel est l'objet de celle note... » Entrant dans tous les détails de son sujet, ne négligeant rien de ce qui s’y rapporte, M. Ducos dit: « J'ai fait le relevé du nombre de comparaisons que renferment les vingt-quatre chants de l’Iliade ; elles s'élèvent en totalité au nombre de deux cent dix-neuf, ce qui ne fait environ qu'une moyenne de neuf par chant. Mais il y a ceci de remarquable, qu'elles sont distribuées 3.° $. — TOME 1Y. 3 10 juin, a" juillet, 34 MÉMOIRES de la manière la plus inégale. Ainsi, lorsque ledix-septième chant en entasse jusqu’à vingt-trois, le premier n’en compte pas une. L'auteur divise en plusieurs catégories les comparaisons que l'on trouve dans l'/liade. Ainsi la première est formée de celles prises des météores; la seconde offre celles qui sont relatives aux dieux; la troisième offre une série de comparai- sons tirées de la nature, dans ses grandes créations, telles que peuvent l'offrir les fleuves et les montagnes ; la nature végétale compose en entier la quatrième série de comparaisons ; la cin- quième se forme des comparaisons prises dans le règne animal... En présentant ces diverses comparaisons , en les comptant même, notre honorable confrère ne s’est point borné au rôle de nomenclateur ; il a formé différents groupes des richesses poéti- ques du vieil Homère ; il leur a conservé leur grâce, leur éclat, leur grandeur. Il faudrait transcrire ici tout le Mémoire de M. Ducos , pour bien faire sentir la justesse de ses appré- ciations, la pureté de son goût et même les richesses de son imagination. Il a prouvé dans ce travail que ce sont surtout ceux qui cultivent la poésie héroïque avec succès, quiéprouvent les plus vives émotions à la vue des charmes de la Muse an- tique. M. Noccer a lu une dissertation sur quelques Chronogram- mes inédits, en langue Romane, que l'on trouve dans le manuscrit de Gaiïlhac. (Mém. de l’Acad. 1847, p 324.) M. Viry a présenté une Note sur l'ancienne mesure toulou- saine, nommée Brachiata, où Brassa , mesure dont la men- tion se trouve dans une foule d’actes anciens. (Loc. cit. p. 336.) M. Sauvace a lu une Dissertation sur le joueur de flüte de C. Grachus. Cet ouvrage a été réservé par le comité de librairie et d'impression. . DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 35 ANALYSE DE FRAGMENTS D'UNE CLOCHE DE L'ÉGLISE SAINT-PIERRE , A MOISSAC ; Par MM. COUSERAN, MAGNES et FILHOL. L'axazyse dont nous allons exposer les résultats, a été entre- prise par nous, à la demande de l’Académie des Sciences de Toulouse, pour satisfaire au vœu exprimé par M. le Maire de Moissac, qui lui avait demandé la solution des questions sui- yantes : 1° Dans quelles proportions se trouvent l'étain et le cuivre dans le métal de cette cloche ? 2° Renferme-t-elle de l'or, de l'argent, du zinc, de l’anti- moine ? dans quelles proportions ? 3° L’étain perd-il la propriété de s’oxyder plus facilement que le cuivre, à une température donnée, lorsqu'il forme un alliage avec ce dernier métal? si l’étain ne perd pas cette pro- priété, quelles seront les quantités relatives d'étain et de cuivre qui seront oxydées pendant la fusion de la vieille cloche, et par suite quelle serait la quantité d'étain qu'il faudrait ajouter à la matière de cette cloche, pour que l’alliage obtenu fût dans les proportions déterminées par la science ? k° Jusqu'à quel degré du pyromètre doit-on pousser la fu- sion ? Quatre analyses faites avec beaucoup de soin , dans lesquelles l’étain a été dosé à l'état d'acide stannique, et le cuivre à l’état d'oxyde, ont donné les résultats suivants : 36 MÉMOIRES Poids Acide Oxyde Composition en centième. de l’alliage. stannique, de cuivre. Etain. Cuivre. N° 1 2,217 M0 GB Mere LOTO series DDR 7087 N°2 BOL EE el: 200me ner 4,807 e 24,32 L.... : 95,68 No 3 1.009 Je. O, 1). ce 1,625 ..... 23,89 -.... 76,11 N°4 4,045 vence 13244 ocre 3,840 ..... 24,18 -.... 75,82 Moyenne......... 24,17 ..... 75,83 Le titre le plus ordinaire des cloches est le suivant : Cuivre... 78,20 Élain..s...se.e 1/21,90 100,00 Comme on le voit , la proportion d’étain se trouve dans cette cloche au-dessus de ce qu’elle doit être d’après la théorie ; la différence paraîtra plus considérable encore, si l'on se rappelle qu'il est démontré par l'expérience que la proportion du cuivre par rapport à l'étain doit être plus forte dans les grosses cloches que dans les petites. Cette cloche ne contient pas d’or; elle renferme une quan- tité à peine appréciable d'argent , une trace de plomb ; elle re contient ni zinc ni antimoine. La réponse aux deux premières questions se déduit assez di- rectement de notre analyse, pour que nous n’ayons pas besoin de 12 formuler. Nous dirons relativement à la troisième , que l'étain s'oxyde plus facilement que le cuivre à une haute tempé- rature , lorsqu'il forme un alliage avec ce métal ; du bronze qui est fondu à plusieurs reprises, devient plus riche en cuivre, après chaque opération. Cette oxydation n'a été bien étudiée que pour le bronze des canons dont la composition est fort diflé- rente de celui des cloches, et qui, placé dans les mêmes condi- tions que ce dernier, peut très-bien ne pas s’oxyder de la même manière. Il nous est done impossible de dire s'il sera nécessaire d’ajonter à la matière de cette eloche une proportion quelconque d'étain. L’alliage actuel étant déjà trop riche en étain, et les grosses cloches devant contenir un peu plus de cuivre que les autres, il serait possible que, pendant la nouvelle fusion, la quantité de cuivre , qui est actuellement trop faible , füt rame- DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 37 née à ce qu'elle devrait être; mais il nous est impossible d'être affirmatifs à cet égard, car la proportion d’étain qui sera oxydée variera avec le nombre des fourneaux dans lesquels l’alliage sera fondu ; la disposition de ces fourneaux , la durée de la fusion , la nature du combustible , la manière dont l’alliage sera brassé, de telle sorte, qu'en indiquant un chiffre à priori, nous serions exposés à commettre une erreur qui pourrait être fort grave ; le meilleur parti consisterait , à notre avis, à fondre la cloche sans aucune addition , à couler un petit lingot de l’alliage refondu , le soumettre à une analyse exacte et rapide , et ajouter ensuite la quantité de l’un des deux métaux qui scrait jugée convena- ble, pour obtenir le titre auquel on désire arriver. C'est ainsi qu’on opère dans les fonderies de canons, pour obtenir des alliages à proportion bien définie, l'analyse pou- vant être faite dans un espace de temps très-court ; il n'y aurait d'autre inconvénient que celui d'employer un peu plus de combustible ; mais en revanche, on aurait l'avantage d'obtenir un alliage approchant autant que possible des propcr- tions convenables. &° Question. — Jusqu'à quel degré du pyromètre doit-on pousser la fusion ? On ne peut pas répondre d'une maniêre précise à cette ques- tion. Nous dirons d'abord que, lorsqu'il s’agit de fondre des masses aussi considérables , on est difficilement maître de diri- ger la combustion, de manière à pouvoir répondre d'un petit nombre de degrés pyrométriques; la température moyenne à la- quelle est porté l’alliage des canons est comprise entre 2,000 et 2,500 du pyromètre de Wedgwood ; mais elle s'élève quelque- fois à plus de 4,000, et se trouve quelquefois au-dessous de 2,000. Ce qu'on peut dire de plus sûr, c'est que le bronze est d'autant plus homogène et d'autant plus dense, qu'il a été coulé plus chaud ; la pureté du son étant sans doute liée à la densité et à l'homogénéité de l’alliage qui constitue les cloches , il n'y aura pas d’inconvénient à chauffer très-fortement. L'état de l'in- téricur du four, dont les briques éprouvent un commencement 38 MÉMOIRES de fusion à une certaine température , avertit que cette dernière est suffisamment élevée. La cloche dont nous venons de faire connaître la composition était fort ancienne ; elle avait été coulée en 1263. Son poids était de 20,000 kilogrammes ; on à dù la refondre, parce qu'elle était cassée, et ne rendait plus que des sons désagréables. On trouve quelquefois de l'argent dans les cloches fondues à cette époque. Les fondeurs avaient, en effet, l'habitude d'insinuer à ceux qui les faisaient fabriquer , que l'addition de ce métal leur donnait un timbre argentin ; mais l'argent passait en réalité le plus souvent dans leur poche. DE L ACADÉMIE DES SCIENCES. 39 COUP D'ŒIL BIOGRAPHIQUE ET LITTÉRAIRE SUR UN AUTEUR DRAMATIQUE DU 17" SIÈCLE ; Par M. DESBARREAUX-BERNARD. Ux des rêves les plus séduisants de la bibliographie, c'est, en fouillant la fosse commune où dorment, dans la poussière et l'oubli, tant de livres et tant de noms inconnus, d'exhumer de loin en loin un ouvrage précieux ou un homme de génie dont l'obscurité reste inexplicable , et de réparer ainsi par un tardif hommage l'injustice des contemporains ou l'indifférence de la postérité. Mais ces rencontres, toujours intéressantes parce qu'elles sont rares , acquièrent encore plus de prix quand il s'agit de relever de cette espèce d'ostracisme un compatriote méconnu , qui pourtant semble digne d'une certaine illustration. Alors, Messieurs , les jouissances littéraires deviennent plus vives et se multiplient, comme dirait un algébriste, en raison composée du talent de l’auteur et des sympathies de clocher. Amoureux des vieux livres, — je laisse à d’autres le titre ambitieux de bibliophile, — j'ai, dans mes explorations à travers les limbes des bouquins oubliés , arrêté mes regards sur un auteur dramatique languedocien , qui fut victime, à mon avis, d’un des caprices de la renommée , et dont les ouvrages, sans être des chefs-d'œuvre, ne méritaient certainement pas l'aban- don où ils sont tombés. Leverrier d’un nouveau genre, je vous demande la permis- sion de vous dire quelqnes mots de ma xébuleuse liliéraire. Ce Languedocien s'appelle Guyon Guérin de Bouscal , et il vivait dans la première moitié du xvnf siècle. 40 MÉMOIRES Les biographes, ordinairement si prodigues de détails à l'en- droit des gens de lettres, et surtout des poëtes, se sont montrés, envers notre pauvre compatriote, aussi avares que la gloire. Clément et l'abbé de la Porte, dans leurs Anecdotes dra- matiques (1), nous apprennent que notre Poëte, qu'ils nom- ment Guyon Guérin de Bouscal, était fils d’un notaire, et mourut en 1657, Si nous ouvrons la Biographie Michaud, nous n'y trouvons que quelques lignes empruntées par M. Beuchot aux Frères Païfaict (2). « Bouscal { Guyon Guérin de}, auteur dramatique du » xvi® siècle, né en Languedoc, Consciiler du Roi, Avocat au » Conseil { en Languedoc ), eut pour clerc Coras, auteur du » Jonas. On ignore le temps de sa naissance et de sa mort. » Suit la nomenclature de ses œuvres. De son côté, le chevalier de Mouhy raconte, dans son Abrégé de l'Histoire du Théâtre français (3), que Bouscai fut clerc de Jean Coras , le Jurisconsulte. Ces deux versions, l'une qui donne pour clerc à Bouscal l’auteur du Jonas , et l'autre qui place Bouscal au même titre chez Jean Coras, me paraissent également inadmissibles. Jean Coras, l'illustre et malheureux professeur , fut pendu, en 1572 , à l'ormeau du Palais de Toulouse. Or Bouscal est mort en 1657, quatre-vingt-cinq ans après. Pour admettre qu'il eût pu travailler sous la direction de Coras, il faudrait qu'il fût mort au moins centenaire, circonstance que les hio- graphes n'auraient pas manqué d'indiquer. Dans cette supposi- tion encore, il aurait été âgé de soixante-dix-neuf ans lorsqu'il donna sa première pièce de théâtre. Ce seul rapprochement suf- firait pour faire écarter la version du chevalier de Mouhy. Quant à celle des Frères Parfaict et de M. Beuchot, qui don- (1) Anonyim. Paris, 1775. (2) Histoire du Théâtre français depuis son origine jusqu’en (1721), par les frères Parfaict, Paris, 1745-49. 15 vol. in-12, (3) Paris , 1780. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 1 nent pour clerc à Bouscal Jacques de Coras, le chantre de Ninive pénitente, elle n’est pas plus acceptable, puisque Jac- ques de Coras est né en 1630, et que c'est en 163% que Bouscal fit représenter son premier ouvrage. Bouscal ayant renoncé complétement à la magistrature avant de se livrer au théâtre, il faudrait admettre que Coras fût entré dans la basoche avant l'âge de quatre ans, ce qui indiquerait chez lui une précocité trop invraisemblable pour être vraie. D'ailleurs ce Coras , qui répondait aux attaques de Boileau par d'assez méchants vers , et par une jolie lettre, trop peu connue, embrassa d’abord la carrière des armes ; nous sayons même qu'il fut cadet dans les gardes françaises, tandis que nous ne trouvons nulle part qu'il se soit jamais occupé de procédure. Ici les biographes ont répéte, sans l'examiner, une erreur qu'ils ont trouvée dans les mémoires qui leur étaient fournis ; mais de ce que ces mémoires s'accordaient à mettre notre au- teur en rapport avec l’un ou l'autre des Coras, ne pourrait-on pas induire, avec quelque probabilité, que Bouscal habitait Toulouse , où le premier est mort, et où le second est né ? Le chevalier de Mouhy a très-naïvement consacré deux arti- cles différents à notre pcëte : d'abord à la lettre B, Bouscal ( Guyon Guérin de), ensuite à la lettre G, Guérin de Bouscal ( Gugon ). Dans ces deux articles, qui reproduisent presque textuellement les mêmes données , l’auteur assure que, par amour pour une comédienne , Bouscal abandonna la profession d'avocat au Conseil, et se fit comédien. Puis il ajoute, dans un français quelque peu équivoque ; « qu'enchanté des tendres » marques qu'elle lui donna de cette preuve de son amour, il » se livra au travail du théâtre, et mourut aimé et heureux » en 1657. » Tels sont, Messieurs, les seuls renseignements que nous ayons pu trouver sur Bouscal ; renseignements bien incomplets, puisqu'ils nous laissent même ignorer l'année et le lieu de sa naissance. Mais, en combinant ces quelques lignes de biogra- phie avec les indications que nous fournissent les œuvres mêmes de Bouscal, et plus particulièrement encore, les dédicaces k2 MÉMOIRES dont il les rehaussait habituellement , en se rappelant d’ailleurs la vie tourmentée qui caractérise les existences littéraires, depuis Villon jusqu’à Garnier, il ne serait pas impossible de recons- truire par induction l'histoire probable de cette destinée roma- nesque et aventureuse, d’un homme de robe devenu comédien , et ensuite poëte, — tout cela par amour. En partant donc de ces éléments traditionnels de la vie de Bouscal, qu’à défaut de preuves certaines , nous devons consi- dérer comme vrais, nous le verrions d’abord, fils d’un tabel- lion, élevé dès son enfance dans l'ombre d’une étude , et dans le respect des dossiers , tâcher, sans goût comme sans ré- pugnance, de s'inilier aux travaux de la profession la moins poétique du monde. L'heure de l’enthousiasme n’a point encore sonné pour lui, et au fond de sa province, dans la retraite sérieuse et monotone où s’usent ses belles années, il n’a pu entendre qu'un rare ct vague écho des acclamations soulevées dans un monde lointain par les succès des hommes du jour , Cyrano de Bergerac , Scu- dery , la Calprenède, le vieil Hardy et le jeune Corneille. Tout à coup sa vie est bouleversée ; une fée, un sylphe, un génie, — celui de la poésie dramatique sans doute, — lui apparaît sous les traits d’une comédienne : il la voit, jeune et belle, récitant de beaux vers, dans une langue si pure et avec un accent si harmonieux, que le latin du Code et le jargon de la basoche lui deviennent à l'instant même insupportables. L'amour était entré dans son cœur, et le voilà bientôt après qui suit l’enchanteresse , abandonnant sans retour la toque magis- trale et les sacs à procès. — Les voies de Dieu sont infinies !.… Notre Gascon se fit comédien par nécessité, vivant désormais au jour le jour, courant les villes et les bourgades, s’enivrant , comme l'oiseau échappé de sa cage, d’une liberté jusqu'alors inconnue, et savourant cette existence de bohémien, tantôt heureuse , tantôt misérable, toujours insouciante, dont Scarron nous à laissé, dans son Roman comique , un tableau si frap- pant de vérité. Dans cette folle vie, cependant, tout n’était pas rose, et plus d'une fois sans doute le déserteur du temple des DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 43 lois dut comparer involontairement le siége fleurdelisé du pré- toire avec les tréteaux nomades de Thespis ; mais le charme durait toujours, et quand des souvenirs importuns {raversaient son esprit, quand l'idée de son abaissement se représentait trop vivement à sa pensée , il trouvait auprès de lui son excuse, sa consolation , et noyait ses regrets dans les yeux adorés de sa Cydalise. Un beau jour, cependant , on arrive à Paris. Là le gen- tilhomme de robe se réveille , et lancé bientôt dans le tour- billon des beaux esprits, l’ex-avocat sentit naître en lui le poëte ; il fit des madrigaux , tourna des sonnets , et grâce à une certaine facilité , grâce aussi peut-être à l'audace native , ( n'oublions pas , Messieurs , que c'était un Gascon ), il se fit assez facilement homme de cour. Admis au palais Cardinal , assidu à l'hôtel de Rohan, il y trouva un double patronage pour ses œuvres futures ; et comme le vent littéraire soufflait alors au théâtre , l’auteur dramatique ne se fit pas attendre. La première pièce de Guérin de Bouscal fut jouée en 163%, et est intitulée la Doranise (1), tragi-comédie pastorale. On remarque dans ce début le mauvais goût du temps , et l'on y sent le comédien vagabond tout imbu des méchantes pièces que, depuis les premiers essais de Corneille, la ville et la Cour commencaient à délaisser, mais qui avaient encore conservé le don de charmer la province. C’est une confusion d'événe- ments déraisonnables dont cette analyse ne vous donnera qu'une faible idée. Son A. R. le feu Duc d'Orléans a dit fort plaisamment d'une comédie contemporaine où le héros changeait trop souvent de costume : C’est une pièce en cinq actes elen cinq pantalons. Nous dirons de la Doranise que c’est une tragi-comédie en vers, en cinq actes et en trois naufrages. Le héros est un jeune prince d'Arabie , le beau Crisante, très-amoureux et très-aimé de la (1) La Doranise , tragi-comédie en 5 actes, en vers, dédiée à Mile Mar- guerite de Rohan. Paris, Marbre-Cramoisy , en la boutique de Langellier. 1634 , in-8° kh MÉMOIRES belle Doranise, princesse de Chypre. Comme il est d'usage au théâtre , leurs illustres parents refusent de les unir. Réduits au désespoir, les amants vont consulter l’oracle de l'endroit, qui leur répond sans hésiter : Voguez hardiment sur Neptune ! Ils s'embarquent avec confiance ; mais à peine voguent-ils sur Neptune , qu'une borrible tempête fond sur eux, les sépare, et jette Doranise sur les côtes de l'ile de Lidie. La princesse éplorée veut se donner la mort ; mais un nouvel oracle la dé- tourne fort à propos de cette funeste pensée , et la pièce, me- nacée un instant d'être interrompue à son début, peut continuer paisiblement et atteindre, sans encombre, la fin de ses cinq actes. Doranis® est recueillie par des bergers et des bergères qui habitent l'ile de Lidie, en compagnie de Satyres, de Sylvains, de Démons , de Dryades et de Magiciens ; il paraît que dans cette île singulière , la société est passablement mêlée. Crisante, de son côté, est pris par des corsaires, qui, pour se débarrasser de lui , trouvent ingénieux de le jeter à la mer pen- dant son sommeil. L'infortuné prince est réveillé assez désa- gréablement par la fraîcheur de l'onde amère. M allait périr, lors- que, par bonheur, passe un navire prédestiné qui le reçoit à son bord. Ce navire portait le sage Amintas , espèce de Mentor, que le père de notre héros , le roi Philamante, envoyait à la recner- che de son Télémaque. Nos voyageurs en sont à peine aux premiers embrassements, qu’une seconde tempête encore plus furieuse que l’autre vient les surprendre et engloutit le navire, corps et biens. Crisante seul échappe au naufrage général en s’accrochant à une planche, qui ne peut, on le conçoit, le porter ailleurs que vers l’île de Lidie. En touchant terre , il est attaqué par des voleurs qui veulent sans doute le dépouiller de sa planche , seul débris de sa grandeur passée , lorsque l’arrivée du généreux Orminte vient fort à propos mettre les larrons en déroute. Cet Orminte, berger de son état, ne manque pas d'offrir DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 45 l'hospitalité à son nouvel ami, et tous deux se dirigeaient fra- ternellement vers le domicile d'Orminte, lorsqu'ils trouvent l’occasion d’arracher quelques bergères égarées à la brutalité des Satyres , et parmi ces bergères , vous l'avez deviné déjà, Cri- sante reconnait sa Doranise ! Cependant le père Philamante , de plus en plus inquiet, s est mis lui-même à la recherche de son ambassadeur et de son fils, Il aurait pu courir ainsi fort longtemps , sans l’heureuse in- tervention de la troisième et dernière tempête , qui le pousse lai aussi vers l'ile de Lidie, cet asile inévitable des princes naufragés. Le vieux Roi qui, pour un arabe, me semble un peu bien Geronte, éprouve beaucoup de désagréments de la part d’un magicien de sa connaissance, contre lequel Crisante et Orminte se mettent en campagne avec le plus heureux succès. Nous sommes au cinquième acte : Une voix miraculeuse se fait alors entendre — Deus ex machinä — et révèle au respec- table monarque que Orminte est son fils cadet qui lui fut enlevé au berceau. L'heureux père , transporté d'allégresse, bénit le ciel, et, abjurant ses vieilles rancunes , il unit Doranise à Crisante, et Orminte à la bergère Arsenise, — Les rois épousaient encore des bergères. — Enfin , pour que tout le monde soit content , Philamante marie tous les bergers amoureux à leurs maîtresses. Joie et bonheur général ; tableau. Cette accumulation bizarre d'événements empruntés à tous les âges , et qui rappelle tout à fait les romans en vogue à cette époque , vous paraît, j'en suis sûr, quelque chose de très-ridi- cule ; mais le poëte, qui écrivait pour les admirateurs de l’As- trée , et de sa nombreuse et affligeante posterité, n’avait-il pas pour excuse le mauvais goût de l'époque ? D'ailleurs, Messieurs, avons-nous le droit d’être bien sévères pour ces princes d'Arabie et ces princesses de Chypre dont s'enthousiasmaient nos grands- pères de 1620 , nous qui nous sommes intéressés lant de fois aux roitelets qu'un vaudevilliste-académicien aime à faire régner sur les provinces d’une Allemagne fantastique ; nous, Français de 1847, qui avons été mis en émoi, pendant plus d'une année, A MÉMOIRES par laventureux souverain d’un duché germanique inconnu aux plus savants géographes ; le grand duc Rodolphe de Gérolstein! et puis l'incroyable succès de certaines pièces féeries, qui obtiennent à Paris jusqu’à deux cents représentations, ne pourrait-il pas justifier la faveur accordée , il y a deux siècles, à cette invraisemblable Doranise, qui privée, nous l’avouons, des splendeurs de la mise en scène, avait au moins sur les fée- ries absurdes de notre temps l'avantage d’une certaine tournure littéraire ? La Doranise, mal conçue, mal écrite, encore plus mal versifiée , était peu faite pour plaire, et pourtant , telle était la faiblesse relative des auteurs contemporains, qu’elle obtint d’il- lustres suffrages , et que la dédicace en fut agréée par M'° Mar- guerite de Rohan. Outre la pastorale dont je viens de vous entretenir, Messieurs, Bouscal donna dix autres pièces dont voici les titres : La Mort de Brute et de Porcie, ou la Vengeance de la mort de César. 1637 (1); L’Amant libéral. 1637 (2) ; Cléomène. 1639 (3) ; Don Quichotte de la Manche. 1638 (4) ; Don Quichotte de la Manche, 2° partie. 1639 (5) ; Le Goavernement de Sanche Pansa. 1641 (6) ; Le Fils desadyoué ou le Jugement de Théodoric, roi d'Ita- lie. 1641 (7) ; La Mort d’Agis. 1642 (8) ; Oroondate ou les Amants discrets. 164h (9) ; Le Prince rétabli. 1647 (10) ; (1) Trag.-com. avec un prologue en vers de la Renommée , dédiée à Mgr. le Card. de Richelieu. Paris, Toussaint-Quinet, 1637, in-4° (2) Trag.-com. en 5 actes et en vers. Paris, Toussaint-Quinet, 1637. in-4° (3) Trag.-com. Paris. Ant. de Sommaville , 1640. in-4° (4) Com. en 5 actes et en vers. Paris, Toussaint-Quinet, 1640. in-4° (5) Com. en 5 actes et en vers. Paris, A. Sommaville. 1640, in-4e (6) Com. en 5 actes et en vers. Paris, A. Sommaville. 1642, in-4° (7) Trag.-com. Paris, A. Sommaville. 1642, in-4° (8) Tragédie. Paris , A. Sommaville. 1642, in-4° (9) Trag.-com. Paris, A. Sommaville. 1645, in-4° (10) Trag.-com. Paris, Toussaint-Quinet. 1647, in-4° ; dédiée à Mgr. le Maréchal de Schomberg. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. h7 J'ajoute pour mémoire une paraphrase du Psaume 17° en vers français, 1643, avec le latin à la marge, in-4°. Vous voyez que dans l'espace de treize années, de 1634 à 1647, Bouscal produisit onze pièces de théâtre. Toutes sont en cinq actes et en vers. À dater de ses premiers ouvrages , il sut presque toujours éviter les fautes grossières où tombaient ses confrères en Apollon, et souvent il s'éleva à une assez grande bauteur. Ainsi , dès son second ouvrage , il entre en lice avec un des poëtes les plus goûtés du public, et je le dirai même avec un certain orgueil, Messieurs, notre compatriote l'emporta de beaucoup sur son rival. En 1636, George de Scudery, — ce bien heureux Scudery dont la fertile plume a été si impitoyablement tympanisée par Boileau , — avait donné la Mort de César, tragi-comédie , avec un prologue du Tibreet de la Seine (1), et il avait dédié son œuvre au cardinal de Richelieu. — Bouscal ne craignit pas un aussi rude antagoniste ; nouveau débarqué de sa province , à peine connu depuis /a Doranise , il fait audacieusement re- présenter, un an après, (1637) (a Mort de Brute et de Porcie ou la vengeance de la Mort de César, avec un prologue de la Renommée ; et pour que la rivalité soit plus évidente, il dédie, lui aussi, sa tragédie au grand Cardinal. Seudery , que les biographes nous représentent avec des allures de Tranche-Montagne et de Capitan, dut naturelle- ment, en voyant celle témérité, éprouver un violent dépit. Il jura de se venger, et malheureusement l'occasion se présenta bientôt. Bouscal travaillait à sa troisième tragi-comédie ; / Æmant libéral, et comme sa célébrité naïssante le faisait rechercher, il lisait quelquefois dans les cercles des fragments de son œuvre. Scudery , vindicatif comme un poëte , c’est tout ce qu'il avait de commun avec cette race irritable, comme l'appelle Horace , (1) Paris, Auguste Courbé. 1636, in-4° k8 MÉMOIRES s'empara du sujet de Bouscal , sujet tout d'invention , le rima avec sa malheureuse facilité ; et le pauvre Languedocien apprit avec effroi que les comédiens de l'hôtel de Bourgogne répétaient déjà l’Amant libéral de Scudery, lorsque le sien était encore loin d’être achevé. Ne sachant comment détourner le coup qui le menaçait, et pour ne pas perdre le fruit de ses veilles , il appelle à son aide son ami Charles de Beys ; tous deux se mettent à l’œuvre avec ardeur, et ils firent si bien, que le jour même où l'on jouait Scudery à l'hôtel de Bourgogne, Bouscal était représenté sur le théâtre du Marais. Mais cette précipi- tation et la disparate d’une collaboration improvisée nuisirent au succès de la pièce, et Scudery dut être satisfait de sa ven- geance. Ceci, Messieurs, se passait en 1637 ; depuis, ces rivalités se sont renouvelées souvent. Ce fut d’abord l'antagonisme de Corneille et de Racine, puis celui de Racine ct de Pradon ; enfin , pour ne citer que les morts , la lutte prolongée de Crébillon et de Voltaire. Il ne sera peut-être pas sans intérêt de comparer quelques vers de nos deux rivaux , afin de voir si la postérité fut juste en oubliant complétement Bouscal, tandis qu’elle conservait à Scudery une célébrité. quelque peu entachée de ridicule, mais qui, à un certain point de vue, paraîtra peut-être préférable à un entier oubli. Dans la Mort de César de Scudery, Porcie s'exprime ainsi en parlant à Brutus : « On verra que je suis (quoi que l’on exécute), » La fille de Caton et la femme de Brute ; » Que l'Univers entier s'assemble contre tot, » Aussi bien que ton cœur subsistera ma foi. » La peine la plus grande et la mieux inventée , » Dont l'âme d’un mortel puisse être tourmentée, » Me verra conserver tout ce que J'ai promis , » Etje ferai pâlir tes plus fiers ennemis. » Ma force et ta vertu feront honte à leur vice ; » Je trouvera la gloire au milieu du supplice, » Et toute leur puissance et Loute leur rigueur » N'ébranleront jamais {on âme ni mon cœur. » DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 49 Voici les paroles que Bouscal, dans la situation correspon- dante, met dans la bouche de Porcie : « Que le ciel conjuré se range pour Octave ; » Que le peuple Romain demande d'être esclave ; » Que, par ses changements , l'espoir te soit Ôté » De jamais rétablir l'antique liberté ; » Après être bannis de notre chère terre, ) Que l'empire assemblé nous déclare la guerre, » Et que tous les malheurs accompagnent nos pas: » Si je suis avec toi, je ne me plaindrai pas! » Certes, aucune comparaison ne peut être établie entre les vers sans art et languissants du célèbre Scudery, et les Alexan- drins nerveux de l’obscur Bouscal. On voit que le Cid, joué deux ans auparavant , avait révélé à notre Toulousain un nou- veau monde poétique, vers lequel il s'était élancé avec enthou- siasme ; on pressent, dans cette vigoureuse Porcie, ces vieux Romains que Corneille devait inaugurer deux ans plus tard par Horace, et l’on doit tenir compte à l'auteur de /a Mort de Brute d'avoir, dans l'atmosphère des pastorales, encore à la mode, donné à sa Porcie cette couleur antique et républicaine, avant que le grand Corneille eùt créé l'énergique figure de Camille, La meilleure tragédie de Guérin de Bouscal , c'est le Prince rétabli. Le sujet de cette pièce est purement historique. Isaac l'Ange , empereur d'Orient, a été détrôné par son frère Alexis ; il a été plongé dans un cachot, après avoir eu les yeux crevés. Son fils, soutenu par les croisés vénitiens et français, chasse l'usurpateur, et rétablit son père sur le trône. La tragédie se termine par cette allocution que prononce Baudouin , le chef des croisés : «Ne considérez plus ce que nous avons fait ; » Mais adorez la cause en recevant l'effet : » Ce n'est pas notre bras qui force les murailles , » C’est la puissante main du grand Dieu des batailles ; » Lui seul , comme il lui plait , fait et défait les rois , » Et nous n'avons rien fait qu'exécuter ses lois. » Chers compagnons , choisis pour ce beau ministère , 3.° S.— TOM. IV. n COPIE. Le MÉMOIRES Va 7: Reconnaissons l'honneur-qu'il a daigné nous faire ; », Poursuivons notre course ; et sortant de ce lieu, | ae » Allons venger ailleurs la querelle de Dieu. » Toute la Palestine attend notre assistance , » Da tyran qui l’opprime allons prendre-vengeance , » Rendre le Jordain libre une seconde fois, » Et planter sur Sion l’étendard de la croix!» Voilà , sans aucun doute , de très-beaux vers; et le public de- vait saluer par des bravos frénétiques le nom de l’auteur qui terminait son cinquième acte par des paroles d’une poésie aussi élevée. de | Boustal avait le mérite, fort rare à cette époque, si l'on excepte le grand Corneille, de nuancer parfaitement les caractères deses personnages. Nous en citerons , pour exemple , un passage de Don Quichotte ( 1° partie }. Saas doute, Cervantès a beaucoup servi à l'auteur francais: mais ne faut-il pas savoir gré à notre compatriote d’avoir compris ce qu’il y avait d'esprit charmant, et de profonde philosophie dans le romancier espagnol , au milieu des Clélies, des Ærlamènes , de toutes les chevaleries et de tontes les bergeries qui infestaient les esprits de son temps ? _ Le soleil se lève : Don Quichotte, chevaleresque et poétique, le salue en poëte et en chevalier : «Déjà, de toutes parts la terre est éclairée, » Apollon a quitié la couche de Nérée, » Les.étoiles, de peur, se cachent à nos yeux » Sous un épais manteau de la couleur des cieux ; » Hisemble qu'au sommet les montagnes s’allument , » Que les bois sont dorés et que les plaines fument ; » Déjà les laboureurs mènent leurs bœufs aux champs , » Tous les cogs du logis ont achevé leurs chants. » Mille oiseaux éveillés , d'une voix ravissante, » Saluent à l’envi la lumière naissante, » L'ombre s'évanouit, la clarté suit ses pas (1), » Et bref, il est grand jour, et nous ne partons pas ! (1, B y a ici incorrection. Bouscal veut dire que la clarté succède au jour, landis que suit ses pas signifie, d’après la construction de sa phrase : la clarté s’évanouil. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 51 Sancho , lui, est peu lyrique de sa nature , il fête l'aurore à sa manière , en campagnard positif et gourmand : « Déjà , dedans Séville, à la place publique , » On entend jargonner maint courtaud de boutique ; » Déjà, l'on voit trotter nombre de crocheteurs, » De pages, de laquaïs et de solliciteurs, » Et déjà, maint buveur!, pour soulager sa tête, » Dedans le cabaret prend du poil de la bête : » Ici,-dans le logis, tout le monde est debout, » La maitresse a! soufflé les chandelles partout ; » L'hôte, les bras troussés, et le bonnet en tête, » Goûte du bout! du doigt les sauces qu'il apprête ; » Déjà le marmiton commence de couper » La cuisse d'un poulet qui resta du souper ; » Déjà , de tous côtés, les poules déjuchées » Vont hecquer près du coq pour être recherchées ; » La plupart des pigeons ont déjà pris l'essor, » Le vacher a donné le dernier coup de cor ; » La truie et'sés cochons vont fouiller dans la plaine ; » Rossinante et Grisoa ronflent , après l'aveine, » Plutôt qu'après le jour de nos sanglants combats, » Et bref, ïl est grand jour et nous me partons pas!» : À part quelques fautes de style, l'invocation de Don Quichotte est parfaite, celle de Sancho est pleine de traits charmants : Cette maîtresse de maison économe, qui éteint ses bouts de chandelle , le cuisinier qui goûte les sauces , ce souvenir tou- chant d’un poulet qui resta du souper, etenfin cette préférence, qu'à l'exemple de Sancho, Æossinante et Grison donnent à l'aveine sur les combats, sont parfaitement dans le caractère du gros écuyer : ce sont des traits heureux qu'on rencontre rarement dans le théâtre de cette époque, presque exclusive- ment voué à la déclamation et à l'enflure. Nous ferons une dernière citation, Messieurs, pour démon- trer que Bouscal possédait ce don inappréciable à Ha scène que les anciens appelaient vis comice. C'est au Sancho gouver- neur que nous l'empruntons. Sancho va prendre possession de l'ile de Barataria, et son très-iliustre scigacur lui adresse ses dernières instructions. Entre autres défauts, Don Quichotte 52 MÉMOIRES reproche à son écuyer l'abus qu'il fait des proverbes. « C’est vrai , répond Sancho : « J'en saisrplus qu'un grand livre ; et quand je veux parler, » Ils veulent tous sortir, jusqu'à se quereller. » Mais le chevalier de la Manche représentant à Pança qu’une pareille inlirmité est fort déplacée dans un gouverneur , le gros homme jure ses grands dieux, que pas un seul proverbe ne sortira oncques de sa bouche, et pour confirmer son dire, il lâche un feu roulant de maximes aussi incohérentes qu'étran- gères au sujet de l'entretien : « Qui ne sait son métier doit fermer sa boutique ; » La science partout vaut mieux que la pratique ; » Jamais, sans l’appetit, on ne fait bon repas; » On verrait, sans la peur, de courageux"soldats, » Et j'ai toujours tenu pour promesse assurée » Que bon renom vaut mieux que ceinture dorée. D 'esssosssessresoreeeres ses ssessscness.euess » La plus grande finesse est de n’en point avoir. D'onsonssrsesens rennes see » Qui se fera brebis sera mangé des loups, etc. et cela continue sur ce ton pendant quelque trente vers, jus- qu’à ce que le valeureux chevalier de la triste figure , lui qui a bravé les ennemis les plus redoutables, mais qu'épouvante cette avalanche de proverbes, prenne la fuite, et laisse le gouverneur maître de la place. Cette scène est du meilleur comique; sans doute une grande part revient à Cervantès : mais Bouscal a tiré fort bon parti de la donnée du maître, et il ne faut pas oublier qu’il écri- vait son Sancho dix-neuf ans avant la première comédie de Molière (1). (1) Voici , du reste, le jugement que M. Paul Lacroix porte sur les deux Don Quichotte et sur le Gouvernement de Saneho : « Celle trilogie dramati- que, Lirée du roman de Ceryantès , qui était déjà traduit et très-estimé en France , est une des œuvres capitales de cette époque. » ( Voy. le Catalogue de la Bibliothèque dramatique de M. de Soleinne ; Paris, 1843.) sit ne DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 53 Ce sujet de Sancho gouverneur , a été plusieurs fois mis à la scène; Dufresny donna sous ce titre une comédie en trois actes et en prose, qui fut représentée le 17 janvier 169%, et le 15 novembre 1712 Dancourt fit jouer un Sancho gouver- neur , en cinq actes et en vers. Molière , si riche de son propre fonds, ne craignait pas d'em- prunter aux anciens et aux modernes , les traits piquants qu'il savait si bien mettre en œuvre. Il appelait cela prendre son bien où il le trouvait : c'est ainsi qu'il a pris dans une mé- chante pièce de Cyrano de Bergerac, le germe de sa meilleure scène des Fourberies de Scapin. Personne n’eût osé l'en blà- mer , car ce vers du Joueur semble avoir été fait pour lui : « Sous ses heureuses mains , le cuivre devient or ! » Disciple respectueux de ce grand maitre, et peu inventif de sa nature, Dancourt chercha lui aussi où il pourrait prendre son bien. Seulement il préférait l'or tout fait, au cuivre qui, sous ses mains, serait probablement resté cuivre. Aussi retrouvons- nous textuellement dans son Sancho gouverneur , toute cette charmante scène des proverbes qu’il a eu l'audace de copier, vers pour vers, et de voler sans vergogne à un prédécesseur qu'il savait tombé dans l'oubli. Il avoue bien dans sa préface, qu'il a emprunté quelques passages à une ancienne comédie ; mais il n'a garde de nommer Bouscal, chez qui l’on aurait retrouvé les meilleurs de ses vers, et le plus clair de son esprit. Tous les cours de Littérature, Messieurs, citent Dancourt après Molière et Regnard , et il faut fouiller les nomenclateurs les plus complets qui se soient occupés du théâtre, pour trouver une mention de Bouscal : Sie vos non vobis. Si je ne craignais d’avoir déjà trop abusé de votre attention, je vous cilerais encore quelques passages de Bouscal, et vous y retrouveriez , comme dans les précédents, l'allure franche et nette de l’alexandrin, la rime riche et facile, et enfin cette coupe incisive si propre au dialogue, et dont Molière semble avoir emporté le secret dans sa tombe. Le + MÉMOIRES Voilà , Messieurs , tout ce que mes recherches m'ont permis de réunir sur Bouscal. Dans un siècle où chaque matin, en li- sant son journal, on est sûr de trouver le nom d’un homme de génie , il eût été très-facile de lui élever un piédestal plus pom- peux ; mais pour cela , il lui eût fallu un autre panégyriste. Tout ce que j'ai voulu, Messieurs, c’est rattacher un nom de plus à la liste déjà fort remarquable de nos illustrations locales, et compléter cette pléïade d'auteurs dramatiques toulousains, -qui commence à Palaprat, et qui finit à Soumet. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 55 BULLETIN DU MOIS DE JANVIER. L'ACADÈMIE fait sa rentrée. Séance du £. 6 janvier. Il est donné lecture de la correspondance très-volumineuse ; reçue pendant les vacances. M. le Président nomme les Commissions chargées de rendre compte à l'Académie de plusieurs pièces de cette correspon- dance. Par délibération du même jour, M. Gaxrier , ancien profes- seur à l'Ecole d'artillerie, qui était passé correspondant , est réintégré dans la classe des associés ordinaires (section des Mathématiques appliquées), à laquelle il appartenait avant son changement de domicile. | M. Ficnor fait la lecture d'un mémoire sur /’ Analyse de 3 janvier. l'eau d'Aulus (ce mémoire est imprimé ). L'Académie nomme M. Dusor (Marccl\, propriétaire , à l’une des places d’Associé ordinaire vacantes dans la classe des Ins- criptions ct Belles-Lettres. M. Bexecn communique à l’Académie un compte rendu d'un janvier. livre intitulé de l'interprétation des Institutes de Justinian , avec la conférence de chaque paragraphe aux ordonnances royaux , arrêts de parlement et coutumes générales de la France. M. Brassivxe fait un rapport verbal sur le Calendrier perpé- tuel de feu M. Laugé, ancien curé de Goulier (Ariége). Les con- clusions de ce rapport sont favorables. 27 janvier. 56. MÉMOIRES M. Joiy, Président, présente l'analyse des mémoires relatifs aux Sciences Physiques, Naturelles et Médicales, qui ont été lus pendant les années 1845, 1846 et 1847, et qui n’ont pas été imprimés dans le Recueil de l’Académie. Cette analyse a été approuvée et imprimée. M. Nouzer, Secrétaire adjoint , fait un rapport verbal sur un ouvrage de MM. Schimper et Mougeot, ayant pour titre : #ono- graphie des plantes fossiles du grés bigarré de la chaîne des Vosges. Les conclusions de ce rapport sont favorables, et sur la proposition de M. Noulet d'accorder le titre d’Associé corres- pondant aux auteurs de ce remarquable travail, l’Académie adopte d’abord les conclusions du rapporteur, et prend en consi- dération sa proposition , sur laquelle il sera statué dans la pro- chaine séance , conformément aux usages de l’Académie. 2 “+ Écats L. TABuse en 1847 (Nouvel Observatoire). TE CEE ANNÉE 1847. SEPTEMBRE. | OCTOBRE. | NOVEMBRE. | pécEMpRE. | Résuné général ———— — — — —— 747,877 747,412 6,569 6,612 7 uteurs moyenne! | 4 baromètre métriqg 74 { 4 4 ISIN ,503 17,11 20,16 21,92 18,57 15,99 21,79 AE LT mpératures moy nes en degrés ci tigrades. ..,.. 71,18 01,63 57,63 58 20 65,50 dications moyen de l’hygromètre ürs de pluie..., 7 jours. urs de brouillar 2 jours, urs de gelée... » ne 172, 'ÉESRES urs de neige. . » EE — rs de grêle ou » urs d'éclairs.. 2jours. urs de tonnerre » vurs d’aurüres b: » ——————_ — antité de pluie 14mm,75 ——————— : $ 2jours. sursoù Je vent / © g* ulesdirec-|® e : Fos ie (€ 8 jours. en- ! e $ a : Î 12 JOurs. TOO € 4 jours. Î » [i » $ 2Jours. 2 Jours. où Le vent à # C 15 jours. té général. ursoülecielaé 7juurs. généralement. 16 jours. 7 jours. —— 745,387 | 748,309 | 744,864 Dai chne | PA eo hole | ÉPE 74h70S | 747,950 | 744515 749,30a 745,207 744 635 13,57 8,83 4,83 17,91 11.75 7:10 17:97 11,91 7,24 15,15 10,23 5,78 13,19 8,89 SAT 18,25 12,54 7,96 9.50 5,94 2,96 81,01 88,70 93,65 LATE 78,97 88,77 6,89 76.05 88.01 72,27 83,58 95,52 73,37 88,53 93,24 12 Jours, 19 Jours. 2Jours. 14 Jours, 4 jours. giours. —— — » » 4 jours. » » | » —_—_— —————— | ——_— 4 Jours. » » 2 Jours. » » 1 juur, | 5;mm,00 Sim 50 Limm, 20 4 Joers 6 jours. 8 jours. .» 4 jours. 1 jour. 6 jours. 7 jours. 5 jours. 5 jours. 2 jours. 6 jours. 2 jours. 1 jour. » » 10 » » » » 6 jours. 8 jours. 7 jours. ÿ Jours. 2 jours. 4 lours. 15 jours. 12 jours. 16 jours, ù ou:s. 10 Jours. 12 Jours. 12jours. 12)Jours. 7 jours. 4 Juur > 7 jours, 20 jours Det "meme. Let ares yulr eo ln me de —— ———— | — _— pour L'ANNÉE, 586 1107 5294 On O1 Enr be SISISISIST CESSE .— 79516 70,091 66,2:7 71,722 77138 1957 Jours. ‘6 jours. — 45 jours 13 jours. 3 jours. 0 jours. 4 720m,05 36 jours. 12 jours 88 jours 57 jours. 20 juurs. 4 jours. 3 jours. 6; jours. {8 Jours. 153 jours. 97 jours. l 1:50 jours, 12qQjours. TABLEAU général des Observations météorologiques faites à l'Observatoire de Toulouse en 1847 (Nouvel Observatoire), RTE ESA LE. ANNÉE 1847. HEURES. —— midi. 3h soir Gl soi SOire auteurs moyen nesdu baromètre métrique (ui malin. = gb malin. Fempératures moyen- midi. nes en degrés cen- sb soir... Gb soir... gh soir... MATE « MER, « ——— ——— digrades. sers. gb matin. Indications moyennes| midi. ... de l'hygromètre. . . 4 3h soir... (oi SOIT, + « gh soir... ours de pluie..........,,.... Jours de brouillard, ..,....... Jours de gelée. .............. ours de neige..,...,........ Jours de grêle ou de grésil...... Dot EE E66608 0200008 Jours de Lonnerre.. .. Jours d'aurores boréales..,. —— — Quantité d pluieen millimètres. | S et SSO. Jourso Jevent / © SO et USO. aeulesdi ll lions m qu 0 ou UNO. NÉ nage an et NNO. N et NNE, NE et ENE, E et SE. SE et SSE .0ùle vent a {Va Yaniallcmereses ftévenéral,.t durs obleciel a êté Braner eee #énéralement. Nuageux... Couvert... NII ETS INIST NI NI RER e Cie + Or TeRoUc PÉVRIER. NS ui£ + D D'Or [SAT] 10 Jours. 10 Jours, LD Si © ISIN SI I TISSU CEST 9 jours. MARS. cie D NI ER SRE 5 o 2 ne = RE ES D: D 7 jours, ANRIL. | III NII EE EE EXT “1 © Calme,nul ou faib. | el jours. 3 jours. 3 jours. 1 jour, 1 Jour. 4jours. 5 jours. 14 jours. 7 jours. 5 jours. 16 jours. 7 Jours. 8 jours. 1 jour. 2 jours. » 8 jours. 3 jours. 8 jours, 11 jours. 14 jours, 6 jours. 13 jours. 0e Et 6 jours. LEE à Fine » “ 2 rs » Le 1 jour. » 1 TU 1 Bt | » » ET » 56mu,48 » 2 jours. 15 jours. 13 jours. 1 jour. » » 1 jour. ———__— » 13 jours. 2 jours. 7 Jours, 21 Jours. AOÛT. 10 Jours. 10 jours, 11 JOUrS, 10 Jours, 14 jours. 8 jours. 13 jours. jours. 16 jours. 1/4 jours. 13 jours. 4 jours. NT EEE 74 CAVE r/ 7445544 744799 74 74 74:93 74 5,975 || 74 74 749,870 744050 74 74 744996 | 741,875 74 74 19,18 19,87 5 21,56 22,00 22,29 28,51 24,15 22,71 23,24 29:57 25,40 20,16 21,06 37,05 CET 16,61 17,09 22,00 19,05 23,70 424 30,83 20,53 12,42 12,99 10,92 15,69 70,5q 68,62 65,18 7 6o,0b 7,02 54,1x 61,53 58,36 3,82 43,00 5 63,43 59,22 20,56 05,13 64,15 6g,où 62,63 70,63 11 jours. 14 jours. 6 jours. 12 jours, 1 jour U jour. » » » » » » » » » » 1 jour. » » » 5 jours. 5 jours. 10 Jours. 11 jours. ER ë 7e Fe o Jours. 1 Jour. J Jours, G Jours. » » » » 26mm, 31 Jomm,6q 5um,25 772,43 3 jours. 2 Jours. 2 jours. 1 jour. : jour. 1 Jour, » » 4jours, 7 jours. 3 jours. 15 jours. 5 jours. 10 jours, 15 Jours, 7 Jours. 2 jours. 2 jours. 4 jours. » » » » » » » » » 12 Jours. 2 jours. 1 jour. 5 jours. 4 jours. 6 jours. jours, 3 jours. 7 Juurs. 5 jours. 1y Jours. 7 Jours. SEPTENBRE. 7 jours. 2 jours. 2 jours. OCTOBRE. | EH + En SN CN € STE NC bp Gi —-1 SI SI SI SI SA PRESSE ST 13,57. 17,91 17:57 15,15 2 19,19 18,25 9,50 81,61 7o,1t 6 ;,89 72:27 75,37 5 jours. 1 jour. » » 4 jours. | EE + RS © III NI NOVEMBRE. 12 jours. 2Jours. jours. » (1 É CEMBRE. io fgénfrl 2 ANNÉE, 2 45,586 414 45,107 4 41,554 31 5 14,802 4 45,347 83 12,924 ,10 15,056 ,24 16,357 178 l OS oc v Er NN NI NII SERRES SFR CRE INIST NI | DIU UNI + 06 8149 88.01 66,257 93,52 71,722 99,24 77138 19jours. |197 RUE 14 Jours, 10 LE giours. 45 JE 4 jours. 13 jours. » 3; DEEE » 2 jours. » 2 jours. » 8 jours. 12 JOurs. 4 jours. » » 2 jours. 2 jours. 15 jours, 7 jo ilSe 16} Jours, 7 jours 5;2m,00 4 joers » 6 jours. 5 jours. 2 jours. » » 6 jours. 8 jours. 15 Jours. 12jours. 12)JOurS. » 4o jours. » 17 jours. 1 juur, I jour. Sium5o | U5mm,0, | 47anm,95 6 jours. 8 jours. 36 jours. 4 jours. 1 jour. 12 jours 7 jours. 5 jours. SS jours 2 jours. 6 jours. 57 Jours. 1 jour. » 2 juurs. » » 4 jours. » » 3 jours. 8 jours. zjours. | 65 juurs. 2 jours. 4 ours. 45 l' urs, 12 jours. 1Gjours. |: DU ; F ÿ jours. 4 juuts 97 jours. 10 jours. ziours. |139jours. 12 Jours. 20 jours 12q jours, RE LARMES LT L CNE LEO TS ETE AT RTESS RE me Lies Vins DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES, 57 MÉMOIRE SUR UN NOUVEAU GENRE DE MONSTRES CÉLOSOMIENS, POUR LEQUEL L'AUTEUR PROPOSE LE NOM DE DRACONTISOME ; Par M. JOLY, Professeur à la Faculté des Sciences. Lu dans la séance du 3 février 1848. Au nombre des déformations les plus singulières que puisse présenter l’organisation animale, je crois pouvoir placer le monstre qui fait l'objet de ce Mémoire , et que je soumets à la bienveillante attention de l'Académie. Ce monstre , appartenant à l'espèce bovine , est né à Saint- Pierre d'Yrube , près de Bayonne, dans le courant de février 1846. Immédiatement après sa mort, arrivée très-peu de temps après sa naissance, il fut envoyé (1) à M. le Directeur de l'Ecole vétérinaire de Toulouse, qui, sur la demande de M. le pro- fesseur Lavocat , eut l'obligeance de le mettre entièrement à ma disposition. Frappé des nombreuses anomalies qu’il présentait , (1) M. Miremont, vétérinaire non breveté, à l’intelligence de qui nous devons la conservation du monstre que nous allons décrire, a bien voulu nous transmettre les details suivants : « Je puis assurer que ce monstre a fait quelques mouvements après sa sortie de la matrice. » La grossesse de la mère a é1é très-bonne jusqu’au moment de sa parturi- tion ; seulement, au 7° mois, le ventre de la vache a pris un volume déme- suré : J'ai cru dès lors que la vache était hydropique. Le liquide renfermé dans le ventre était considérable. Les eaux de l’amnios avaient la couleur , la consistance ordinaire, et n’offraient rien de remarquable pour la quantité. Indépendamment des eaux de l’amnios, à l’autojsie j'ai trouvé le tissu de la matrice comme divisé en deux feuillets, et renfermantune trentaine de litres d’un liquide glaireux. De plus, dans la cavité du péritoine , j'ai trouvé quinze litres environ de sérosité claire et limpide. » 3.° S.—TOME IV. 5 58 MÉMOIRES je m’empressai de le dessiner et d'étudier ses formes bizarres, et son organisation pius bizarre encore. ” = . . » RL Description des formes extérieures du monstre. Un arrêt de développement bien marqué dans la mâchoire inférieure , frappa d’abord mon attention. Celte mâchoire était si courte cet si étroite, qu’elle atteignait à peine le tiers anté- rieur du museau, et qu'elle laissait complétement à découvert une portion de la langue, de la voûte palatine , et presque tou- tes les dents molaires supérieures. En jetant un coup-d’œil sur la figure de mon veau mons- trueux (1), on comprendra sans peine que j'aie, dans le prin- cipe, éprouvé quelque embarras pour distinguer, d’après leur position , les membres antérieurs de l'animal de ses membres postérieurs. En effet, si la jambe antérieure gauche avait conservé une situation à peu près normale , il n’en était pas de même de la droite, qui paraissait terminer le corps à sa partie postérieure , tandis que les membres abdominaux semblaient attachés à sa partie moyenne, et avaient leurs extrémités libres dirigées vers la téte , qu'ils émbrassaient entre eux. Le fémur et le tibia de la patte postérieure droite sortaient d’une espèce de fourreau formé par la peau invaginée sur elle- même , à la manière d’un doigt de gant à demi retourné. Un fourreau analogue renfermait le ticrs supérieur de la cuisse gauche, dont les deux tiers inférieurs passaient sous une sorte de pont, moitié osseux, moitié cartilagineux , formé par les quatre dernières côtes droites et gauches, et par les cartilages costaux correspondants. La portion du membre contenue dans ces espèces de poches y jouait très-librement, et se trouvait , comme ces poches elles-mêmes , recouvertes de poils très-fins , beaucoup plus courts que ceux du reste du corps. La queue , ne (1) Pour l'intelligence de tout ce qui va suivre, 1l est essentiel de faire observer que‘nous supposons l’animal couché sur le dos, comme nous l’a- vons ici représenté. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 59 plusieurs fois recourbée sur elle-même , était entièrement ren- fermée dans la poche droite , et n'apparaissait pas au dehors. Enfin l'on apercevait entre les deux cuisses de l'animal, ou plutôt au niveau de l'articulation fémoro-tibiale de la jambe droite , et vers le tiers supérieur de la cuisse gauche, deux paires de trayons peu développés, et séparés entre eux par l’ex- trémité libre et contournée de la queue (4). Quant à la poitrine et à l'abdomen , il n'était pas aisé de les reconnaître au premier abord, et d’assigner les lieux qu'ils occupaient. D'ailleurs, ainsi que nous le verrons bientôt, le thorax était pour ainsi dire double, ou du moins il occupait tout à la fois la face dorsale et la face inférieure du monstre , tandis que l'abdomen {si tant est que l’on puisse appeler ainsi un vasie sac membraneux contenant les viscères digestifs), et une partie des organes génito-urinaires étaient placés à la partie postérieure du corps. La description du squelette rendra plus intelligibles les détails qui précèdent ; c’est pour ce motif que nous croyons devoir ne pas la retarder plus longtemps. Description du squelette. A l'exception de la mâchoire inférieure , qui était beaucoup plus courte qu'à l’état normal, et dont les branches s'étaient écartées l’une de l’autre et contournées, au point que leurs bords dentaires regardaient tout-à-fait en dehors, le reste de la tête osseuse n'offrait aucune particularité qui nous ait sem- blé digne d’être ici mentionnée. Nous en excepterons pourtant le nombre des incisives qui se trouvait réduit à six. Atteinte d’une fissure spinale dans ses diverses portions, sauf la partie dorsale , la colonne vertébrale du monstre présentait (1) On sait que chez le taureau les mamelles sont réduites à un tubereule inguinal, situé de chaque côté du fourreau qui contient le pénis. Nul doute pourtant que les tubercules inguinaux des mâles ne soient ici les analogues des trayons de la femelle. Chez notre monstre , l’analogie est bien plus évi- dente encore, puisque le nombre des mamelons correspond exactement à celui qu’on observe sur la masse mammaire de la vache. 60 \ MÉMOIRES plusieurs déviations remarquables. qui avaient entraîné dans une voie tout-à-fait insolite la plupart des appendices qui s’y rattachent. Ainsi, à partir de la septième vertèbre cervicale , elle s’infléchissait d'abord à droite, puis à gauche, en se tordant sur elle-même, de manière que le corps des cinz premières vertèbres dorsales regardait en haut, tandis que le corps des huit autres était tourné du côté gauche. La portion lombaire dessinait une courbure à concavité supérieure ; ici les corps des vertèbres regardaient en bas et en arrière. Enfin le sacrum et la queue décrivaient une autre courbe dirigée dans un sens opposé à celui que suivait la portion lombaire, c’est-à-dire, à concavilé inférieure. Dans cette dernière partie du rachis , les corps vertébraux étaient tournés en haut. Le nombre des côtes était normal ( treize), mais ces appen- dices avaient subi , soit dans leurs formes, soit dans leur direction , des modifications tellement singulières que nous croyons devoir les décrire avec quelques détails. Ainsi, les côtes gauches, qui occupaient la convexité de S formée par la portion dorsale du rachis, étaient , on le conçoit, plus écartées entre elles que celles du côté droit, dont les têtes n'avaient pas même trouvé, dans la concavité de l'S déjà décrit , l'espace nécessaire pour se loger sans empiéter les unes sur les autres. Bien plus, ces côtes, au lieu de se réunir àaun sternum unique et médian, s'étaient pour la plupart éloignées de la ligne moyenne du corps , au point de de- venir horizontales | comme les fausses côtes des dragons), et elles avaient emporté avec elles la moitié correspondante du sternum où elles devaient venir aboutir en commun. Les quatre dernières paires seules se réunissaient au moyen de longs cartilages qui constituaient avec elles une deuxième poitrine, un vrai thorax dorsal. Du reste, il est à noter que toutes les côtes gauches formaient des arcs convexes en dedans, au lieu de l’être en dehors, ei que la troisième , la quatrième, la cinquième , la sixième et la septième étaient soudées ensemble à peu près sur la moitié de leur longueur. La huitième était remarquable par sa largeur et son aplatisse- DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 61 ment. Les cinq dernières n'offraient rien de particulier, si ce n'est une longueur inaccoutumée, et la direction singulière que nous avons indiquée tout à l'heure. Mais c’est surtout en exa- minant les arcs costaux du côté droit, que l’on peut voir com- bien la nature est ingénieuse jusque dans ses écarts. Bornée ici par le défaut d'espace , et obéissant néanmoins à cette loi d’af- finité mystérieuse qui semble attirer les unes vers les autres les parties similaires, la nature à fait ici pour le côté droit de l'animal, le contraire de ce qu'elle avait établi au côté gauche. Elle a rapetissé les arcs costaux, elle les a rapprochés, elle les a soudés plus intimement encore; enfin, elle les a dirigés vers la face dorsale du monstre, afin qu'ils pussent aller re- Joindre leurs homologues du côté gauche , et constituer avec eux cette seconde poitrine dont nous avons déjà parlé. Et voyez comment pour atteindre son but, clle a presque anéanti les dernières apophyses épineuses de la région dorsale, comment elle fait passer les quatre dernières côtes sous cette vaste co- quille osseuse formée par la réunion de toutes les autres, à l'exception pourtant des deux premières, qu'elle a laissées libres et horizontales. Quant aux membres antérieurs, le gauche était placé et conformé comme à l’état normal. Le droit, au contraire , offrait des anomalies de forme et de position qui méritent de nous occuper un instant. Ainsi, l'omoplate était moins longue, mais un peu plus large que sa congénère ; de plus , elle manquait de col et de cavité glénoïde. Son épine se confondait avec son bord cervi- cal, en sorte que la fosse sus-épineuse n’existait pas non plus. En vertu de la loi du balancement organique , la fossé sous- épineuse avait acquis de plus grandes dimensions. L'humérus droit , beaucoup plus petit que le gauche , était aplati trans- versalement dans sa moitié supérieure , et ne s’articulait point avec l'omoplate qui , ainsi que nous l'avons vu , était privée de cavité glénoïde. La tête de cet os était logée dans un enfon- cement situé au niveau des 12° et 13° vertèbres dorsales, c'est-à-dire à une très-grande distance de sa place ordinaire. . 62 MÉMOIRES Bien plus , elle était dirigée de teile manière que la face postérieure de l'os du bras était devenue antérieure ; le cubitus avait suivi la même déviation. Le radius avait tourné sur lui-même , de manière que sa face antérieure était devenue latérale et interne , et qu’il avait entraîné dans la même di- rection le reste du membre, qui se trouvait ainsi affecté de pied-bot. En raison de la torsion considérable et du redresse- ment de la colonne vertébrale vers la face supérieure de la- nimal , le bassin se trouvait affecté de plusieurs modifications extrêmement curieuses à observer. Ainsi , les bords supérieurs des os des îles s'étaient écartés l’un de l’autre , au point que les faces in(ernes de ces os étaient placées sur un même plan hori- zontal. Ils formaient un angle droit avec les ischions , et ces os eux-mêmes s'articulaient avec les pubis, de facon que la sym- physe ischiopubienne regardait en haut (1), et que les tubero- sités ischiales étaient tournées du côté de la tête. Le peu de développement des os pubiens et le rapprochement des ischions avait tellement amoindri la cavité du petit bassin , qu'il ne contenait plus que le col de la vessie , les prostates et les canaux éjaculateurs. Le membre abdominal gauche passait dans le thorax dor- sal (2) ; les os qui le composaient avaient une configura- tion à très-peu de chose près normale. Le membre abdominal droit était placé en dehors du thorax formé par les quatre dernières paires de côtes , mais il occupait aussi la véritable face dorsale du corps ; et, de plus, il était affecté de pied-bot, comme le membre droit antérieur : nouveile preuve que les cffeis de l’éventration avaient surtout exercé leur influence de ce côté, (1) On se rappelle que nous supposons notre monstre couché sur le dos. (2) Bien qu’on aît avancé que les monstres reproduisent assez fréquemment quelques trails de l’organisation normale des êtres placés plus bas qu'eux dans la série; bien que celui que nous étudions en ce moment confirme ce principe par l’étrange direction de ses neuf premières paires de côtes, nous avouens ne connaître aueun animal chez lequel un des membres postérieurs traverse de part en part un thorax devenu dorsal. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 63 Appareil digestif. Une poche membraneuse placée à l'extré- mité postérieure du corps contenait tous les viscères digestifs , à l'exception du pharynx et de l'œsophage qui n'offraient d’ail- leurs aucune anomalie digne d’être citée. Je n’ai pu voir, ni l'estomac , ni le foie , ni les intestins grêles, ces organes ayant été enlevés avant l'envoi du monstre. Mais il résulte des ren- seignements qui m'ont été obligeamment communiqués par M. le vétérinaire Miremont , auteur de cet envoi , que, à l'in- verse de ce qu'on observe ordinairement dans les bisulques , l'estomac était formé d’une seule poche qui représentait tout à la fois le ramen , le bonnet, le feuillet et la caïllette. Le foic existait plus volumineux, plus dur, plus arrondi, mais moins aplati qu’à l'état normal. La rate manquait , au dire de M. Mi- remont ; j'ignore s'il existait un pancréas. Enfin, l'intestin grêle était beaucoup moins long qu'à l'ordinaire. Quant au gros intestin , il flottait au-devant des os iliaques , et , après avoir décrit quelques courbures , il pénétrait dans le petit bassin , pour aller déboucher dans la poche cutanée qui con- tenait la queue, la cuisse droite et les mamelles du même côté. Appareil génito-urinaire. On trouvait dans la poche abdo- minale flottante au-devant des os des îles , deux reins multi- lobés de volume inégal , recevant chacun une veine et une . artère volumineuses , mais presque privés d'urélères. On voyait pourtant quelques vestiges de ces conduits urinifères à la place qn'ils occupent ordinairement sur la vessie. Leurs ori- fices internes étaient distincts. Quant à la vessie elle-même , trop volumineuse pour être contenue dans la cavité très-rétrécie du petit bassin , elle pen- dait à l'extérieur, au-dessus de la symphyse pubienne et au- devant du paquet du gros intestin. Ses parois étaient com- plètes et plus épaisses que de coutume. Son col, très- allongé , était renfermé dans le petit bassin et aboutissait à un pénis à peu près normalement constitué. L'ouraque manquait. Je n’ai pas vu de testicules, et cependant il existait deux canaux éjaculateurs qui venaient s'ouvrir dans lurètre , à 64 MÉMOIRES une grande distance des urétères. Des trois prostates propres aux didatyles , la médiane était absente : la gauche était beau- coup moins développée que la droite ; leurs orifices excréteurs , bien moins nombreux qu’à l'ordinaire, se voyaient en arrière du verumontanum. Appareil circulatoire. Malgré lécartement considérable des côtes , malgré la vaste ouverture thoracique qui en était le résultat , le cœur avait conservé sa place accoutumée ; sa structure ne différait non plus en rien de ce qu'on observe chez le fœtus à terme, si ce n’est pourtant par la grandeur considérable du trou de Botal ; ajoutons ‘qu'il était compléte- ment enveloppé par le péricarde. Au nombre des anomalies les plus remarquables du système circulatoire , nous placerons l’étonnante longueur des artères rénales, et surtout la jonction des deux artères ombilicales en un canal unique, qui allait déboucher dans l'aorte, dont il pa- raissait être simplement la continuation. Il était d’ailleurs com- plétement isolé de la veine ou plutôt des veines ombilica- les (1). Cet isolement de l'artère et de la veine ombilicales mérite d'autant plus d'être remarqué , que jusqu’à présent on ne cite, je crois, qu'un seul cas analogue à celui dont il est en ce moment question (2). Quant à l'unité de lartère du cor- don , s'il est jusqu'à un certain point possible de l'expliquer, avec M. Serres , par le déplacement de la veine et par l’ab- sence de l’ouraque , d’un autre côté, la présence de la vessie semble ne pas s’accorder avec l'ingénieuse et féconde théorie de cet illustre anatomiste (3). (1) Unique chez l’homme, la veine embilicale est réellement double chez les autres mammifères, el notamment dans l'embryon du mouton et du bœuf, jusqu’au moment où elle quitte le chorion pour pénétrer dans l’abdomen. (Voy. 4. Lavocat , Traité complet de l’Analtomie des animaux domestiques, G° livraison , 2° part. , p 550. Paris, 1847.) (2) Voy. dans les Mémoires de l’Académie des Sciences de Paris, année 1709. (3) « Ainsi, dit M. Serres, l’anité de l'artère ombilicale dans le cordon reconnait pour cause le déplacement de la veine, et dans l’abdomen cette unilé artérielle provient de l'absence de la vessie et de l'ouraque : les cpl DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 65 Je regrette vivement que les mutilations que notre monstre avait subies avant son arrivée à Toulouse , ne m'aient pas per- mis de constater la disposition relative des veines ombilicales. Bien que la lettre de M. Miremont ne me permette pas de douter qu'elles n’allassent aboutir au sinus hépatique (1) , il eût été très-intéressant de pouvoir s'assurer si , l'ouraque man- quant , l’allantoïde manquait aussi, et si par suite, avant leur entrée dans le sac abdominal , les deux veines ombili- cales ne s'étaient pas confondues en un seul tronc. Malheureu- sement nous ne pouvons admettre cette fusion que comme ({rès- vraisemblable. Il est à présumer que la distribution des artères qui se rendent au foie, au pancréas , à l'estomac , et à l’in- testin grêle , était à peu de chose près normale. Probablement aussi , le trajet des veines n'avait rien qui dût fixer notre attention , puisque partout où nous avons pu les suivre , ces vaisseaux nous ont paru se comporter, à de faibles exceplions près , comme chez les sujets régulièrement cons- tilués. Appareil respiratoire. Ves poumons , divisés en une foule de petits lobes, pour la plupart indépendants les uns des au- tres, recevaient chacun une branche de l'artère pulmonaire, dont les ramifications étaient aussi extrêmement nombreuses. Un diaphragme très-imparfait et des parois abdominales pres- deux artères primilives, obéissant dans ces cas à /a loi de conjugaison, s'u- nissent el se confondent en un seul tronc. » Serres. Anatomie trascendante, 4° mémoire. Annal. Science. nat. T.xxt, p. 30, 1"° série. (1) « Le cordon ombilical, nous dit M. Miremont, s’attachait directement au foie, passant sur le devant de la poitrine sans y adhérer. Dans l’envoi que j'ai fait, on a pu retrouver un cordon ombilical. Je n’ai pas remarqué s’il renfermait une veine ou des artères. » Or, le cordon ombilical qui restait sur le monstre était évidemment formé par les deux artères confondues en une seule ; il est donc probable que celui qui allait se rendre au foie élait également constitué par les deux veines ombilicales réunies entre elles. Nous croyons inutile de faire observer que, trompé par la bizarre confor- mation du monstre, M. Miremont a pris pour la poitrine ce qui n’était rien autre chose que l’abdomen singulièrement déplacé. 66 MÉMOIRES que nulles , telles étaient les modifications importantes que l'appareil respiratoire avait subies chez notre monstre , et qui auraient suffi à elles seules pour l'empêcher de vivre. La trachée- artère , le larynx et les bronches étaient d’ailleurs bien con- formés. La glande thyroïde n'offrait rien de particulier. N'ayant étudié d’une manière complète , ni le système ner- veux, ni l'appareil musculaire, je dois me borner à trans- crire ici les quelques notes que j'ai prises au moment de la dissection. Encéphale réduit en bouillie, impossible à décrire : distri- bution des nerfs des membres réguliers. Muscles de la poitrine, de l'abdomen et des lombes très-imparfaits ; plusieurs manquent. Par suite de la singulière disposition de l'humérus droit, le grand dorsal ( dorso-huméral, Rigot) äu même côté, a ses fibres antérieures dirigées en arrière. L'huméro-sternomastoïdien gauche a ses attaches etsa longueur accoutumées ; le droit man- que d'attache sternale , et son insertion humérale à lieu par un tendon d’une longueur démesurée. Les autres modifications qu'a subies le système musculaire , sent une conséquence natu- relle du déplacement et des déformations de l'appareil osseux. Je termine ici cette description déjà bien longue. Convaincu, comme l’illustre auteur de Faust, qu'en général, nous par- lons trop et ne dessinons pas assez, jai voulu éviter ce reproche, en joignant à mon travail des figures assez exactes et assez nombreuses pour épargner des paroles inutiles. En ce qui concerne les détails descriptifs dans lesquels je n’ai pas cru de- voir entrer , je renvoie donc à mes dessins. Si l’on nous a suivi avec quelque attention, il ne sera pas difficile de dire à quelle famille de monstres appartient le veau qui fait le sujet de cette Notice. L'éventration considérable dont il est atteint, la fissure complète du sternum, suffisent à elles seules pour prouver qu'il doit être rangé parmi les célo- somiens de M. Is. Geoffroy Saint-Hilaire. Mais à quel genre faut-il le rapporter? Ici le problème devient moins facile à ré- DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 67 soudre. Comparé aux genres Pleurosome et Célosome , notre monstre se rapproche du premier par la conformation vicieuse et par le développement imparfait du membre thoracique droit ; mais il s'en distingue essentiellement , en ce que chez lui l’éven- tration, au lieu d'être simplement latérale, est devenue médiane. Il ressemble aux Célosomes par ce dernier caractère et par la fissure du sternum ; mais il en diffère par le non déplacement herniaire du cœur , par la torsion considérable du rachis , par l'écartement non moins remarquable des côtes , par la réunion en une seule plaque osseuse de la plupart des arcs costaux du côté droit, par la direction anormale du bassin, ct par une foule d’autres particularités, qui le rapprocheraient plutôt du genre Chéloniscme que nous avons proposé en 1845 , et qui a été définitivement adopté par l'institut (1). Mais chez notre Chélonisome, si les côtes offraient des soudures qui rappelaient la conformation des tortues, il ne faut pas oublier qu’elles s’é- taient en même temps redressées au point d'être devenues ver- ticales, et qu’elles renfermaient non-seulement les membres thoraciques , mais encore les membres postérieurs de l'animal. Ici, au contraire, la plupart des côtes sont devenues simplement horizontales comme les fausses côtes des dragons. Les quatre dernières paires , il est vrai, se sont redressées vers la région dorsale, où elles forment, pour ainsi dire, un second {horax. Mais, d’un autre côté, la jambe postérieure gauche est le seul membre qui soit contenu en partie dans cette poitrine dorsale. Enfin lapparcil génito-urinaire est beaucoup plus complet que chez les vrais Chélonisomes. Ces différences suffisent, ce me semble, pour exiger l'établissement d’un genre nouveau dans la famille déjà si nombreuse des monstres Célosomiens (2). (1) Voyez, dans les Comptes rendus de l'Institut, Vanalyse que M. le pro- fesseur Serres a bien voulu faire de notre travail. Voy. aussi les Anal. des Sciences nat., L 11, p. 374, 3° série, où ce travail a été inséré en entier. (2) Je sais bien que rien n’est si aisé que de créer un genre et de lui donner un nom composé d'éléments grecs, arabes, hébreux ou chinois. Que de naturalistes aujourd’hui ne se font pas scrupule de prendre à cet égard des licences que le bon goût réprouve et que la science condamne ! On 68 MÉMOIRES Je propose cette innovation avec d'autant plus de confiance , que j'ai à cet égard obtenu le précieux assentiment de l’un de nos plus habiles tératologues. En effet, lors de mon dernier voyage à Paris, après avoir soumis mon veau mons{rucux à l'examen si éclairé, au coup-d’œil si sûr de M. Is. Geoffroy Saint-Hilaire, j'ai recu de lui l’assurance que les caractères sur lesquels j'ai basé ma détermination générique, sont au moins égaux en valeur à ceux qui ont servi à l'établissement des divers genres dont se compose aujourd'hui la famille des Célo- somiens. Afin de me conformer à la nomenclature adoptée pour les monstres de cette famille, et dans le but d'indiquer une des particularités les plus curieuses de l'animal que je viens de décrire, j'avais d'abord songé à lui donner le nom de Diplo- thoracosome ; mais effrayé moi-même de la longueur et du peu d'harmonie de ce nom, je lui ai préféré celui de Dra- contisome , qui aura également l'avantage de rappeler à l'es- prit un des caractères les plus saillants du monstre, tout en écorchant moins l'oreille. Voici ma diagnose : Genre Dracowrisome. Eventration médiane abdominale et thoracique; appareil génito-urinaire incomplet, Colonne verté- brale très-flexueuse, et comme tordue sur elle-même. Sternum divisé en deux moitiés très-écartées entre elles. Côtes, pour ignore ce que c’est qu'un caractère générique ou spécifique, el pourtant on s’empresse de multiplier les genres et les espèces, et cela bien sou- vent dans l'unique but W’accoler aux noms qu’on invente un orgueilleux nobis, quelquefois même pour des motifs bien plus mesquins encore. Aussi la mémoire la plus fidèle ne pourra-t-elle bientôt plus #6me retenir les dénominations baroques sous lesquelles on désigne des êtres dont les caractères différentiels sont tellement peu tranchés, que le langage et le dessin sont impuissants pour les faire saisir. Il serait temps qu’un génie organisateur fit justice de tant de genres arbitraires, de tant d’espèces illé- gitimes. Il serait temps d’en revenir aux procédés si simples et si philoso- phiques_tout à la fois des Linné, des Jussieu , des Fabricius, etc. Il serait temps enfin de se persuader que c’est appauvrir et rabaisser la science que de la surcharger de cet altirail fastueux de dénominations sous lesquelles , Ja plupart du temps, on cherche en vain l’idée scientifique qui aurait dû leur donner naissance. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 69 la plupart horizontales ; comme chez les dragons, les quatre dernières paires se réunissant à la face dorsale du monstre pour former une seconde poitrine, que traverse un des membres postérieurs. Les trois autres membres plus ou moins anormaux , quant à la forme ou à la position. Si, comme j'en ai l’espérance, le nouveau genre que je pro- pose est adopté par les tératologues , il est évident qu'il devra prendre place entre les Célosomes proprement dits, et les Chélonisomes. Quant à moi, je m'estimerai heureux si j'ai pu combler une de ces lacunes que M. Is. Geoffroy Saint-Hilaire signalaïl , en 1836, à l'attention des observateurs, et contribuer ainsi, pour ma faible part, à compléter la classification d’une des familles les plus nombreuses de la série des monstres (1). EXPLICATION DES FIGURES. PLANCHE I. Fig. 1. Veau DRACONTISOME. T. Tête, dont la mâchoire inférieure m à est frappée d’un arrêt de développement. R. P. Région pectorale antérieure dont on ne voit qu’une petite portion du côté gauche; le thorax dorsal est caché par la patte postérieure du côté droit. R. B. Région pelvienne, au-devant de laquelle flottait une poche membraneuse qui renfermait la dernière portion del'inteslin I, avec les glandes rénales. V. Vessie qui pendait au-devant de la poche ci-dessus mentionnée. OE. OEsophage traversant, au niveau de la dixième côte gau- che, la membrane ! diaphragme?) qui unissait les neuf pre- miers arcs Costaux de ce côté avec ceux du côté opposé. (1) En 1836, la famille des monstres CéLosomiexs ne se composait que de six genres. Nous y avons ajouté depuis les genres Chélonisome et Strepto- some. 70 MÉMOIRES C. O0. Cordon ombilical, qui allait s'insérer très-près du pubis, presque à l'endroit où le col de la vessie pénétrait dans le petit bassin. R. D. Région dorsale , ou plutôt espace recouvert par la peau, où se trouvaient logés, 1° l'extrémité dorsale de l’omoplate gau- che; 2° les apophyses épineuses des 3°, 4°, 5° et 6° vertèbres dorsales ; 3° une partie de lomoplate droite; 4° les côtes sou- dées en coquille du même côté ; 5° la face postérieure de l'humérus droit ; 6° enfin le côté droit de la région lombaire. P. A. D. Patte antérieure droite. On voit en H. d. la saillie formée par l'extrémité inférieure de l’humérus. P. À. G. Patte antérieure gauche. P. P. D. Patte postérieure droite, dont le fémur F et le tibia T sont contenus dans une poche formée par la peau , invaginée sur elle-même à la manière d’un doigt de gant à moitié re- tourné. On voit en X la saillie formée par l'articulation du fémur avec le tibia (genou). P. P. G. Patte postérieure gauche, dont on n’aperçoit ici que le pied et le tibia, au moment où ils sortent de la poitrine dorsale. Q. Queue. R. Rein droit. PLANCHE II. Fig. 1. Squelette du veau Dracontisome vu dans la position où se trouve l’animal représenté sur la planche I (1). Afin d'éviter la confusion , on a seulement laissé tomber la queue et relevé la patte antérieure gauche, ainsi que la patte postérieure droite. T. Téte, avec sa mâchoire inférieure mi arrètée dans son déve- loppement. v. c. Vertèbres cervicales. ap- ép. Apophyses épineuses des 3°, 4°, 5° et 6° vertèbres dorsales. v. L. Vertèbres lombaires. v. s. Vertèbres sacrées. v. q. Vertèbres caudales. c. g. Les neuf premières côles gauches, vues ici par leur face externe devenue concave. Ces côtes sont réunies à leur extré- mité antérieure par une portion de sternum incomplétement développé. EEE) (1) Ce squelette a été monté, sous ma direction, par M. Traverse , pré- parateur des cours d'histoire naturelle à la Faculté des Sciences de Toulouse. L 5 gr. na ] Hd di EE À VEAU DRACONTISOME. | l..4 DÊ L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 74 co. y. Les quatre dernières côtes gauches , allant s'unir par de longs et grèles cartilages aux côtes correspondantes du côté droit *”, pour former avec elles un vrai thorax dorsal. c. d. Côtes droites soudées de manière à offrir une certaine ressem- blance avec la coquille vulgairement appelée bénitier. 0. d. Bord spinal de l'omoplate droite. H. d. Extrémité inférieure de l'humérus du même côté. Cu. Cubi- tus. R. Radius. Ca. Os du carpe. C. Canon. ph. Phalanges. 0. g. Omoplate gauche. P. A. G. Patte antérieure gauche. P. P. G. Patte postérieure gauche, qui traverse le thorax dorsal, et se trouve même en partie recouverte par la face externe des côtes gauches formant le thorax de la face ventrale. F. Fémur. Ti. Tibia. ta. Os du tarse. C. Canon. ph. Phalanges. P. P. D. Patte postérieure droite. B. Bassin. IL. d. Os des iles du côté droit, vu par sa face externe. L g. Os des iles du côté gauche , vu par sa face interne. Is. Les deux ischions. Pu. Pubis presque rudimentaires. sy. symphyse ischio-pubienne. P. P. G. Patte postérieure gauche. Fig. 2. Squelette vu du côté droit. De 1—13, les treize côtes gauches vues par leur face interne. a, b, les deux premières côtes droites restées libres, mais deve- nues horizontales comme la plupart de celles du côté gauche. c. Troisième côte formant le bord antérieur de la coquille constituée par sa réunion avec les six suivantes. On voit en d les tètes des côtes ainsi soudées entre elles. v. d. Vertèbres dorsales vues par leurs faces antérieures. O. d. Omoplate droite vue par sa face interne et par son bord postérieur ou dorsal. * Angle inférieur ou huméral , privé de col et de cavité glénoïde. H. d. Humérus droit. P. P. G. Patte postérieure gauche traversant le thorax dorsal. Les autres lettres ont la même signification que dans la figure précédente. Fig. 3. Colonne vertébrale représentée du côté gauche, afin qu’on puisse bien voir les côtes droites , et surtout la coquille. T. h. d. Thorax dorsal. 72 MÉMOIRES a, b. Les denx premières côtes droites. Co. Les sept côtes suivantes soudées entre elles. ap. ép. Apophyse épineuse de la première vertèbre dorsale. ap’. ép. Apophyse épineuse de la cinquième vertèbre dorsale. Les autres lettres comme dans la figure précédente. Fig. 4. Omoplate droite réduite aux deux tiers de sa grandeur na- turelle et vue par sa face externe. b.c. Bord cervical. b. d. Bord dorsal. b.s. Bord spinal. a. à. Angle inférieur privé de col et de cavité glénoïde. Fig. 5. Tète vue en dessous. mi. Mächoire inférieure arrêtée dans son développement. ! Lan- gue. v. p. Voûte palatine. c. p. Crèles palatines. p. j. Papilles des joues. d. Dents molaires supérieures du côté droit. Fig. 6. Vessie urinaire vue par sa face postérieure. u. d. Urétère droit. u. g. Urétère gauche. p. d. et p. g. Prostates latérales , droite et gauche. c.j. c. j. Canaux éjaculateurs. g. C. Glandes de Cowper. pé. Pénis coupé. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 73 E——_—_—_—_—_—_—_—_————————————….….…"…——…"…"…"."_—..—".——"—"—————————_—————————————— ANALYSE CHIMIQUE DE L'EAU MINÉRALE D'AULUS; Par MM. E. FILHOL et A. PINAUD (1). (Lune dans la séance du 13 janvier 1848.) L'eau d’Aulus est limpide, inodore ; sa saveur est légèrement - amère ; sa densité, prise à la température de +- 10° centigr., est de 1,0027. Un thermomètre, plongé pendant un quart d’ bete dans la source, marquait 20°; la température de l'air au même instant était de 11,5. Exposée à l'air, cette eau se trouble au bout de quelque temps et dépose un précipité rougeàtre. Soumise à l’action du calorique , elle laisse dégager avant l'ébullition un peu d'acide carbonique, et abandonne en même temps un précipité pareil à celui que nous venons de men- tionner. L'eau d'Aulus ramène lentement au bleu le papier de tour- nesol rougi par les acides. Essayée à l’aide des réactifs, elle a fourni les résultats sui- yants : Azotate d'argent ; léger précipité insoluble dans l'acide azo- tique , soluble dans l’ammoniaque. (1) Les recherches qui font l’objet de ce travail étaient à peine terminées, quand l’Académie eut la douleur de perdre, dans la pérsonne de M. le Pro- fesseur Pinaud , l’un de ses membres les plus distingués. 3.° S.— TOM. IV. 6 7% MÉMOIRES Chlorure de baryum ; abondant précipité blanc insoiub'e dans l'acide azotique. Ammoniaque ; précipité blanc floconneux , insoluble dans la polasse. Eau de chaux ; léger précipité blanc se dissolvant avec ef- fervescence dans l'acide azotique étendu. Eau de savon ; abondant précipité blanc grumelé. Acétate de plomb ; très-abondant précipité blanc. Bichlorure de mercure ; trouble léger après quelques heures. Cyanure jaune de potassium et de fer ; très-légère coloration bleue ne se produisant qu'à la longue. Oxalate d’ammoniaque ; abondant précipité blanc. On peut conclure des réactions précédentes que l'eau d’Aulus renferme : Des chlorures ; Des sulfates ; De la magnésie ; De la chaux ; Du fer ; De l'acide carbonique. Analyse quantitative. Deux litres d’eau, puisés à la source dans une bouteille neuve et bien propre, ont été immédiatement mélangés avec un excès de solution de chlorure de baryum mêlée d’ammoniaque ; Il en est résulté un précipité blanc qui pesait, après avoir été lavé et séché avec soin , 8 gr. 360. Traité par de l’acide azotique étendu, ce précipité s'y est dis- sous en partie, en produisant une effervescence assez vive ; la partie insoluble pesait 7 gr. 390, et consistait en sulfate de baryte. La solution mélée avec un petit excès d'acide sulfurique a fourni un précipité blanc qui pesait, après avoir été convena- blement lavé et séché, 0 gr. 761; il était formé de sulfate de baryte et correspondait au carbonate de la même base, que ren- sit DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 75 fermait le précipité brut, c'est-à-dire à 0 gr. 640 de carbonate de baryte, représentant 0 gr. 241 d'acide carbonique, ce qui donne pour la proportion de cet acide contenue dans un litre d'eau , 0 gr. 1205. Dix litres d'eau évaporés à siccité à une très-douce chaleur, ont laissé un résidu très-considérable d'un blanc légèrement jau- nâtre, qui a été épuisé par de l'alcool à 86° bouillant ; la solu- tion alcoolique évaporée à siccité a laissé un résidu jaunâtre , dans lequel on voyait une matière saline engagée au milieu d'une masse d'apparence extractive ; le poids du mélange était de 0 gr. 176 ; calciné dans un creuset de platine, il est devenu d'une blancheur parfaite , il ne pesait plus alors que 0 gr. 072, et avait perdu , par conséquent , 0 gr. 104 de matière orga- nique. La matière saline était déliquescente ; elle fut dissoute dans un peu d'eau distillée et additionnée d’un excès d’azotate d’ar- gent; le précipité de chlorure d'argent qui en résulta fut lavé et séché, il pesait 0,240 ; l’eau mère fut mélée avec un léger excès d'acide chlorhydrique pour séparer l'excès d’azotate d'ar- gent, saturée exactement par l'ammoniaque et mêlée avec un excès d'oxalate d'ammoniaque ; ce réactif y détermina la for- mation d'un précipité blanc , qui fut lavé , séché et chauffé au rouge ; son poids était de 0,0303 ; il consistait en chaux vive. Les eaux de lavage furent évaporées à siccité ; le résidu sec fut calciné dans un creuset de platine ; il resta dans ce dernier 0 gr. 012 de chlorure de sodium. La portion de matière saline , que l'alcool avait refusé de dis- soudre, pesait, après avoir été chauffée au rouge sombre , 22 gr. 39% ; nous l'avons traitée par 500 grammes d’eau dis- tillée bouillante ; la partie insoluble a été layée à plusieurs re- prises avec de petites quantités d'eau distillée froide, que nous avons réunies à la solution ; cette dernière a été analysée comme il suit : Un excès de chlorure de baryum versé dans le liquide y a produit un abondant précipité blanc insoluble dans l'acide az0- 76 MÉMOIRES tique ; ce précipité , lavé, séché et chauffé au rouge sombre, pesait 5 gr. 675. La liqueur séparée du précipité précédent contenait un petit excès de chlorure de baryum , que nous avons décomposé par quelques gouttes d'acide sulfurique ; filtrée de nouveau, elle a été saturée par de l’ammoniaque mêlée avec une solution d’oxa- late d'ammoniaque ; il en est résulté un précipité blanc qui a été lavé , séché et calciné dans un creuset de platine; son poids était de 0 gr. 350 ; il consistait en chaux vive. Après avoir réuni l’eau mère aux eaux de lavage, nous l'avons évaporée à siccité ; la matière saline, résultant de cette opéra- tion, a été chauffée au rouge, pour chasser le sulfate et l’oxa- late d'ammoniaque qu’elle renfermait ; nous avons redissous le résidu de cette calcination dans de l’eau distillée, et mêlé la so- lution avec un exeès de sulfure de baryum ; ce réactif y a déter- miné la production d’un précipité blanc, que nous avons recueilli sur un filtre et lavé soigneusement ; le précipité bien lavé a été épuisé par de l’eau acidulée par l'acide sulfurique , qui en a dissous une petite quantité ; le soluté filtré ct évaporé à siccité a laissé un résidu qui pesait, après avoir été chauffé au rouge , 2 gr. 093 ; il était formé en totalité de sulfate de ma- onésie. La liqueur, séparée du précipité produit par le sulfure de baryum , contenait un excès de ce réactif ; nous l'avons mêlée avecun peu d’acide sulfurique, pour décomposer ce sulfure. Fil- trée et évaporée àsiccité , elle a fourni un résidu d’une blancheur parfaite qui pesait, après avoir élé chauffé au rouge, 0 gr. 120; il consistait en sulfate de soude. Les matières que l’alcool et leau distillée avaient refusé de dissoudre , furent épuisées par de l'acide chlorhydrique pur ; il se produisit un vif dégagement d'acide carbonique , et une quantité notable de substance entra en dissolution ; la partie insoluble fut recueillie sur un filtre et lavée à l’eau distillée ; les eaux de lavage furent réunies à la dissolution. L'analyse de cette dernière fut effectuée comme il suit : Le liquide fut évaporé à siccité à une très-douce chaleur ; le résidu DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 77 sec, épuisé par l'alcool bouillant, ne fut dissous qu'en partie par ce véhicule ; la partie indissoute consistait en sulfate de chaux , ct fut réunie aux matières insolubles, provenant du trai- tement par l'acide chlorhydrique. Le soluté alcoolique fut étendu d'eau et maintenu en ébul- lition , pour chasser l'alcool ; il fut ensuite acidulé par l'acide chlorhydrique et mêlé avec un excès d'ammoniaque ; il en ré- sulta un précipité rougeâtre d'apparence gélatineuse qui pesait, après avoir été lavé et chauffé au rouge, 0 gr. 046, et consis- tait en oxyde de fer. L'eau mère, réunie aux eaux de lavage, et additionnée d’un excès d’oxalate d'ammoniaque , donna lieu à un abondant préci- pité blanc, qui pesait, après avoir été lavé et fortement calciné, 0 gr: 710 ; il était formé de chaux vive. Le liquide séparé du précipité précédent, réuni aux eaux de lavage, fut desséché ; le résidu calciné avec soin laissa dans le creuset une poudre blanche légère, insoluble dans l'eau , pos- sédant tous les caractères de la magnésie ; son poids était de 0 gr. 186. La matière qui avait résisté à l’action dissolvante de l'alcool, de l’eau et de l'acide chlorhydrique, possédait tous les caractères du sulfate de chaux; épuisée par l'eau distillée froide dont il fallut employer une quantité énorme, elle ne laissa qu'un léger résidu composé de silice, pesant 0 gr. 076. Les expériences de M. Walchner ayant démontré que les eaux ferrugineuses contiennent presque toutes des traces d’ar- senic et de cuivre, nous avons été curieux de rechercher ces corps dans le dépôt ferrugineux, recueilli à la source, dont une assez forte proportion nous a été remise par M. Degeilh , pro- priétaire de ces eaux. 46 grammes de ce dépôt séché à 100° ont été dissous dans de l'acide sulfurique étendu ; la solution introduite dans un ap- pareil de Marsh alimenté par du zinc et de l'acide sulfurique purs et bien essayés, a fourni bientôt un bel anneau d’arsenic et des taches d’un brun fauve, miroitantes, solubles dans l'hypo- chlorite de soude, solubles dans l'acide azotique froid ; cette 78 MÉMOIRES derniére solution évaporée à siccité laissait un résidu blanc qui prenait une couleur rouge bien prononcée lorsqu'on l’hu- mectait avec une solution d’azotate d'argent neutre. 15 grammes de”’dépôt ferrugineux ont été dissous dans de l'acide chlorhydrique pur et étendu d’eau ; nous avons mis au fond de la dissolution une capsule de platine, au fond de laquelle était déposé un morceau de zinc ; au bout de quelques heures, la surface de la capsule de platine fut revêtue d’un enduit cui- vreux bien manifeste ; après avoir lavé son intérieur à l’eau distillée, nous y versâämes quelques gouttes d'ammoniaque ; la teinte cuivreuse disparut , et l’ammoniaque prit une belle teinte bleue ; nous fimes évaporer à siccité la solution ammoniacale ; le résidu, repris par une goutte d'acide azotique pur, étendu d’un peu d’eau distillée, fournit une solution qui précipitait en brun marron par le cyanure jaune de potassium et de fer, en noir par l'acide sulfhydrique, et possédait tous les caractères des sels de cuivre. 5 grammes du même dépôt ferrugineux furent traités par de l’acide chlorhydrique pur et étendu d’eau ; la solution tiède fut mêlée avec un excès de carbonate de baryte ( artiliciel ) ; après plusieurs heures de digestion, le précipité fut séparé de la liqueur par filtration, le liquide clair fut additionné d’un peu d'acide sulfurique, pour séparer le chlorure de baryum qu'il renfermait ; filtré de nouveau et saturé par lammoniaque, il fournit avec le sulfhydrate d’ammoniaque un précipité de cou- leur rose, possédant tous les caractères du sulfure de manga- nèse, nous n'avons pas pu doser ce dernier corps, vu sa trop faible quantité. Nous avons dit au commencement de ce travail que le résidu salin qu'abandonnait l'eau après son évaporation , avait une teinte jaunâtre qui disparaissait après une calcination peu pro- longée au contact de l'air. Désirant connaître la nature de cette matière, nous avons fait évaporer à une douce chaleur cinq litres d’eau : nous avons fait bouillir le résidu sec avec une dis- solution de potasse caustique, cctte dernière s’est fortement colorée en brun ; acidulée par de l'acide acétique, et mêlée DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 79 d'acétate de cuivre , elle a fourni un léger précipité brunâtre , présentant les caractères de l'apocrénate de cuivre ; ce précipité lavé et séché à 100° pesait 0 gr. 065. La liqueur séparée du précipité d'apocrénate de cuivre, étant mêlée avec un peu de carbonate d'ammoniaque et chauffée, a produit un nouveau précipité vert bleuâtre, possédant les ca- ractères du crénate de cuivre ; ce précipité lavé et séché à 100° pesait 0 gr. 125. En résumant les données qui précèdent, on trouve que dix litres d’eau renferment : Acide carbonique libre. ........ 0,650 Chlorure de calcium. ......... 0,060 —— de sodium........... 0,012 Sulfate de chaux. ............ 18,177 — de magnésie. ...... ti 12,095 tar coule... 0,120 Carbonate de chaux........... 1,268 —— de magnésie. ....... 0,386 Oxyde defer..2....:., 158: 0,046 Dico in Lt in à. + DOTE Acide crénique et apocrénique. .. 0,064 Manganèse. ess me aie e « Che. Sd ee Le 6) (TACES ArSeniDs 1, dmité 3 PTT 80 MÉMOIRES COMPTE RENDU D'UN LIVRE INTITULÉ : De l'Interprétation des Institutes de Justinian, avec la Conférence de chaque paragraphe aux ordonnances royaux, arrêts de Parlement et coutumes générales de la France ; Ouvrage inédit d’Etienne Pasquier, Avocat général du Roï en la Chambre des comptes ; publié par M. le Duc Pasquier, Chancelier de France, Membre de l’Académie française ; avec une introduction et des notes de M. Charles Giraud, membre de l’Académie des Sciences morales et poli- tiques; in-4° de 793 pages ; Par M. BENECH. La publication du livre dont je me propose de rendre compte à l’Académie , a produit dans le monde des jurisconsultes une vive sensation. La nature de l'ouvrage, le nom de l’auteur , l'époque à laquelle il remonte, sufisaient pour légitimer l'ac- cueil qu’il a recu. La position éminente de celui qui a présidé à cette publication , et le nom de l'érudit qui l’a enrichie d’une savante introduction , devaient concourir d’ailleurs à augmenter l'intérêt qu'a excité le travail d'Etienne Pasquier. On sait qu'Etienne Pasquier a été l’un des esprits les plus sérieux et les plus distingués du xvr° siècle. Ses recherches de la France, œuvre d'une érudition si solide et si variée , où se trouvent des documents précieux sur le droit public, sur l'his- toire des Universités, sur les origines de notre langue, ont fixé depuis longtemps sa place parmi les écrivains de premier ordre. Pasquier a été successivement avocat au Parlement de Paris , el avocat général du Roi en la chambre des comptes: avocat, 24 DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 81 il fut appelé à plaider les causes les plus importantes , et notam- ment le célèbre procès de l'Université contre les Jésuites , procès auquel il a attaché son nom. Magistrat, il prit pendant vingt ans la part la plus active aux travaux de la Chambre des comptes , qui rendit à la cause publique de si utiles services ; homme politique, député aux Etats généraux de Blois en 1588, il remplit fidèlement son mandat. Homme privé, il cultiva les plus nobles et les plus illustres amitiés , et vécut dans l'intimité de tous les personnages les plus considérables de son époque. La postérité l'a classé au nombre de ces grands caractères que firent éclore les luttes et les agitations dont les dernières années du xvi° siècle ont été les témoins. * Son livre des Recherches de la France avait paru succes- sivement, pendant sa vie, par fragments détachés ; il eut le loisir de les retoucher et de les remanier plus d’une fois, et prit ainsi lui-même possession de la renommée que cette collec- tion de mélanges lui avait acquise. Il n’en fut pas de même de son Zaterprétation des Tnstitutes de Justinian ; il ne l’en- treprit que lorsqu'il se fut retiré des affaires, et qu'il se fut démis de sa charge d'avocat général. C’est vers la fin de l’année 1609 qu'il commença de dicter à deux deses petits-fils, Jacques Favereau et Francois Pasquier, ce travaii destiné à l'usage exclusif de ceux-ci, et pour leur servir de lecons ou de cours de Droit élémentaire. L'auteur était alors âgé de plus de quatre-vingts ans. Il choisit pour calque le texte des Institutes de Justinien. C'est dans l'ordre des matières de ces Institutes qu'il expose les principes géné- raux du Droit public et du Droit privé français. L'ouvrage doit donc être apprécié sous un double point de vue , d'abord comme interprétation exégélique des Institutes de Justinien , et ensuite comme exposition des règles du Droit français. Le côté le plus saillant et le plus utile du livre de Pasquier n’est pas dans l'interprétation des Institutes de Justinien. On lit sans doute avec plaisir la plupart de ses dissertations sur les textes latins ; mais elles n'ajoutent rien de nouveau à la somme 82 MÉMOIRES des connaissances acquises à cette époque. Les travaux de Cujas et de Doneau resteront toujours comme les vrais trésors de la science. Notons d’ailleurs que le progrès imprimé de nos jours à l'enseignement du Droit romain par des découvertes assez récentes (1), décolore sensiblement à nos yeux les travaux accomplis dans des temps antérieurs. Ce qui attache pourtant dans l'examen de cette partie du livre, c’est le caractère des observations quelquefois piquantes dont il est assaisonné; c’est le naturel du discours, c’est surtout la fraîcheur et la variété des images qui s’y trouvent répandues au moyen des nom- breuses citations empruntées aux sources les plus pures de la littérature grecque et latine. Pasquier avait été le disciple des maîtres les plus célèbres de son époque. Il avait été habitué de bonne heure au culte des plus grands modèles de l'antiquité. En 1547 , à peine âgé de dix-huit ans, il était venu à Toulouse pour y faire ses premières études sur le Droit, sous Cujas, qui avait ouvert son cours sur les Institutes. Là, il partagea les tra- vaux consciencieux de ces jeunes gens d'élite qui, pleins d’ar- deur pour les exercices les plus sérieux, « étoient debout à » quatre heures du matin, et qui ayant prié Dieu , alloient à » cinq heures du matin aux études avec leurs gros livres sous » les bras, oyoient toutes les lectures, et ensuite, après leur » dîner, lisoient par forme de jeu Sophocle ou Aristophane » ou Euripide, et quelquefois Démosthènes , Cicéron, Virgi- » lius, Horatius , et qui le soir encore , après souper , lisoient » en grec eten latin. » — Ces mœurs sévères, si différentes des mœurs de nos jours, c’est un des compagnons d’études d'Etienne Pasquier qui nous les a révélées ; car les paroles que je viens de citer, sont extraites textuellement des Mémoires d'Henri de Mesmes, qui étudia aussi, en l’année 1547, à Toulouse , et assista aux lectures de Cujas (2). (1) Notamment la découverte des Institutes de Gaius et des Vaticana Frag- menla. (2) Ce fragment des Mémoires d'Henri de Mesmes se trouve dans le tome 1er du Traité des Etudes de Rollin, page 10. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 83 Elevé ainsi dans ce commerce incessant avec les plus beaux chefs-d'œuvre de l'esprit humain , Pasquier en fit constamment depuis l’objet de ses méditations. Il ne faut donc pas s'étonner si, nourri depuis longtemps de leurs textes , il les semait à pleines mains dans son interprétation du Droit romain ; il se plaisait à constater lui-même que l’ancienne barbarie des glos- sateurs avait fait place au beau latin parsemé de fleurs d'histoire et de sentences. Aussi trouve-t-on à chaque page l'autorité de Platon, d’Aristote, des fragments de Cicéron, de Suétone , de Tacite, d'Aulu-Gelle, des séries de vers empruntés à Horace, à Virgile, à Martial, à Juvénal. Cette méthode, disons-le en passant, était excellente; elle a eu une grande influence sur les destinées du Droit romain ; elle a été une des gloires de l'école de Cujas. Il importe beaucoup de la faire refleurir de nos jours; car l'étude des classiques qui réfléchis- sent si bien la vie et la civilisation antiques , ne contribue pas seulement à l’ornement de l'esprit, elle le féconde et l’épure en même temps qu'elle l'élève ; elle est indispensable, soit pour suppléer à l'absence des textes juridiques , soit pour les inter- préter. C’est donc plutôt la forme que le fond qui , dans cette partie du travail, mérite d'être remarquée. Une chose qui nous a paru encore digne d'être notée, c’est la rigueur avec laquelle Pasquier appréciait quelquefois les textes ou les institutions du Droit civil romain. Assurément il n’était pas du nombre des détracteurs de cette science ; il ne s'associait pas aux censures, ou plutôt aux diatribes si véhé- mentes et si exagérées , que Francois Hotman accumula dans PAnti-Tribonien. Notre auteur rendait hommage, comme tous les hommes éminents de son siècle, à la richesse de l’ensemble du corps du Droit romain, et à la beauté sévère de ses formes archéologiques. Il admirait, comme eux, la haute sagesse de la plupart de ses maximes ; il aimait à reconnaître avec eux les nombreux emprunts que notre jurisprudence lui avait faits, etles secours précieux qu’elle en avait retirés. Ils’expliquait très- nettement à cet égard , dans une de ses lettres qu'il adressait à 84 MÉMOIRES Robert , avocat au Parlement de Paris (1). Mais Etienne Pasquier n'était pas de l’école des romanistes purs, de ces romanistes ardents et exclusifs, qui, conservant dans l’âge mür toute la vivacité de leurs impressions premières et des souvenirs de l’école, ou subordonnant leurs opinions juridiques à leurs opinions ul- tramontaines, tendaient à étouffer le droit national sous le Droit romain , à faire prévaloir celui-ci dans la pratique des tribunaux, et à le faire considérer comme le droit commun _de la France. Dévoué de cœur et d'âme aux institutions de son pays, à ses mœurs, il voulait que le Droit national restät pro- fondément dégagé du Droit Romain, qu'il conservät ses allures propres, et se constituât de plus en plus indépendant du joug des théories romaines. Plein d’une juste susceptibilité et d'un légitime orgueil , il n'admettait pas plus l'infériorité du Droit national par rapport au Droit romain, qu'il n’admettait l'infériorité de notre langue et de notre littérature par rapport à la langue ct à la littérature des Romains. Ami sincère du progrès , il entendait continuer l’œuvre des Beaumanoir et des Bouteiller , marcher dans la voie qu'ils avaient ouverte, et s'associer ainsi aux nobles efforts et aux généreux travaux de Dumoulin, d'Antoine Loisel, de Pierre Pithou, et de Guy Coquille ses contemporains et ses amis. C’est ce culte profond de Pasquier pour la conservation et le développement des insti- tutions indigènes qui constitue comme le fond de son carac- tère , et devient le mobile de toutes ses actions. N'est-ce pas, en effet, dans ce sentiment patriotique , où, comme il le disait, dans son amitié pour son pays (2), qu'il puisa l'idée de ses Recherches de la France , c'est-à-dire, des origines de nos principaux établissements administratifs et judiciaires, de la monarchie, des libertés de l’église gallicane, des sources et des progrès de la langue française ; œuvre beaucoup plus politique que scientifique , dont le but principal, peut-être unique , était de prouver deux choses, à savoir que la France ne procé- (1) Lettre xy, livre x1x, tom. 11 des OEuvres de Pasquier. (2) Plaidoyer contre les Jésuites. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 85 dait pas de Rome, qu'elle lui avait peu emprunté, et qu'elle n'avait rien à lui envier ? N'y puisa-t-il pas aussi la fermeté avec laquelle il défendit la cause de l'Université contre les Jésuites , et plus tard, au milieu des troubles de la ligue , les vives sympathies qu'il manifesta pour la cause d'Henri IV ? Etienne Pasquier , l'homme national ou gailican par excellence, est, selon moi, tout entier dans cette unité de vues, de pensées, de convictions et d'efforts. Sa vie, qui se résume tout entière en un long et glorieux combat pour les libertés publiques , n’est qu'une aspiration constante vers ce but, l'indépendance de son pays et de ses institutions. Il ne voudra donc pas que les tra- ditions des pays de droit écrit envahissent celles du Nord. I ne voudra pas laisser déborder l'esprit qui nous vient d’au delà des monts. Il travaillera constamment dans l'intérêt de la ré- sistance à l'invasion des doctrines étrangères. Il ne négligera rien pour que le Droit francais constitue enfin une science à part, ayant ses règles propres, digne de se poser en face de la science du Droit romain. 11 épanchait ses idées à cet égard , et caractérisait les appréhensions que faisaient naître les tendances des disciples les plus avancés de l’école romaine, dans une lettre qu'il adressait à M£° Brisson , Conseiller au Conseil d'état du Roi , et Président au Parlement de Paris, il lui disait : « Il est » désormais temps qu'ostions cette folle appréhension qui occupe » nos esprits, par laquelle mettant sous nos pieds ce qui est du » vrai et naïf droit de France, réduisons tous nos jugements » aux jugements des Romains, ne nous advisant pas que tout » ainsi que Dieu nous voulut séparer de l'Italie par un haut » entrejet de montagnes , ainsi nous en sépara-t-il presque en » toutes choses, de mœurs, de lois de nature et de complexion. » Il ajoutait bientôt après : « Mon Dieu , que j'ai de honte que, » pour sauver nos causes, nous perdions le Droit de la France ! » Enfin il écrivait : « Et cequi m’excite encore le plus le courroux, » c'est que s’il y a quelque cas indécis par nos coutumes, soudain » nous sommes d'advis qu'il faut avoir recours au Droit commun, » entendant par Droit commun, le Droit civil romain (1). » (1) Lettre r, livre x1x. 86 MÉMOIRES Ces idées qui, comme on le voit, le préoccupaient vive- ment, lui inspirèrent des préventions contre le Droit romain ; et ces préventions augmentèrent sous l'influence du vif dé- plaisir que lui faisait éprouver le système des ultramontains absolus. — Il les laisse éclater dans l’'Opuscule qu'il publia en l’année 1560 , sous le titre de Pourparler du prince. On y lit, en effet , les paroles suivantes, que l’auteur adresse à un de ses interlocuteurs supposés : « Car quant au Droit civil » que tu as dit que ton prince apprendroit pour développer » les subtilités des parties, vois et reconnois, je te prie que » ce Droit civil dont tu parles ; tant s’en faut qu'il produise » cet honorable effect que tu estimes ; qu’au contraire lui seul » est le motif par lequel nous entrons en un labyrinthe de » procès , parce que n’estant basty d’une seule piece , ainsi » recousu de divers échantillons , un chacun s'en fait une » couverture à sa guise, et ne se trouva jamais procès qui » n’eust d’une part et d'autre assez de loix pour se soustenir. » Parce que pour ne te desguiser ce que j'en pense, je ne sais » si nous ne ferions aussi bien de nous passer de celte curio- » sité des loix romaines , ayant les nostres au poing, sur » lesquelles en ce moment les bailliz qui furent des gens de » robbe courte et illettrés , rendirent longuement droict aux » parties en cette France, sans aide de tels livres romains (1). » Les mêmes préventions se font quelquefois jour à travers l'in- terprétation des Institutes de Justinien. Ainsi, par exemple, dans le livre IL, chap. 94, sur le titre des Institutes de Tes- tamentis ordinandis (2), l'auteur disserte sur les diverses espèces de testaments qui ont été successivement en usage chez les Romains. Il expose, d’après un fragment de Boëce sur les Topiques de Cicéron et d’après la paraphrase grecque de Théo- phile, le caractère propre du testament per æs et libram, ainsi qualifié, parce qu'il s’opérait sous la forme d’une manci- pation, c’est-à-dire d’une vente fictive que le testateur faisait (1) Edition de 1607, page 315. (2) Page 388. that here anamemenne-nmenms DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 87 de son patrimoine à son héritier. Puis il ajoute : « Car bien » que Théophile et Boëce aient voulu apporter l'explication » telle que dessus , nous en sommes aussi savants comme au- » paravant, et s'il m'étoit permis de m'exprimer librement » contre cette imaginaire venddition , je dirais volontiers que » jamais police fut si sotte que celle-là. » La critique est, comme on le voit, formulée dans les termes les plus sévères , mais est-elle fondée? Sans doute si on se borne à comparer froidement le testament per æs et libram des Romains aux formes des testaments, telles qu’elles étaient au xvi° siècle et telles qu'elles existent de nos jours, on sera d'autant plus frappé de la différence profonde qui les sépare, que ce mode romain de tester était déjà lui-même tombé en désuétude avant Justinien On se demandera donc naturellement pourquoi la nécessité d'une mancipation pour la validité des dispositions dernières ? Que si on veut rester à la surface des choses et ne tenir au- un compte des habitudes romaines , on répondra difficilement à cette question ; mais celui qui descendra au fond et voudra réfléchir non-seulement sur les caractères du Droit civil , mais sur la manière dont les Romains modifiaient leurs lois ou leurs coutumes juridiques, celui-là n'éprouvera plus le même em- barras. Il est, en effet, certain que les deux premières espè- ces de testament , c’est-à-dire les testaments 7 procinctu et calatis comiliis, étaient tout-à-fait insuffisantes. La première était spéciale aux militaires , et la seconde , qui était propre aux non militaires, privait souvent un grand nombre de citoyens du droit de tester , puisque les comices ne s’assemblaient dans cet objet que deux fois par an. Il fallut donc créer une nouvelle manière de tester dont on püt faire usage en tout temps et en toute occasion : mais les Romains n’abrogeaient pas aisé- ment leur droit civil ; ils ne le détruisaient pas violemment et ostensiblement pour le remplacer au même instant par un droit entièrement nouveau. Pleins de respect pour le passé , s'ils comprenaient le besoin de modifier ou de réformer les lois en vigueur, ils procédaient à ces modifications ou à ces 88 MÉMOIRES réformes d’une manière insensible, par voie oblique ou dé- tournée. Sous l'influence de cette habitude, les prudents intro- duisirent une nouvelle manière de tester , ou , si l’on veut , ils admirent qu'on pouvait disposer de l'hérédité par une manci- pation, masquant ainsi latteinte profonde que cette innova- tion portait en réalité aux institutions en vigueur ; cest là tout le secret du testament per æs et libram. Qu'on juge maintenant si cette police est aussi sotte que le prétend Pasquier. Cette épithète ne doit-elle pas nous surprendre sous la plume d'un écrivain, qui, dans les diverses parties dont se compose son livre des Recherches de la France, a procédé constam- ment à l’aide de la méthode philosophique apptiquée à l'his- toire ? On est tout aussi surpris, dans les lignes qui précèdent la critique dont nous venons de parler, qu'il ait déclaré que de l'étude des trois anciennetés de testament il n'y avait à retirer ni plaisir, ni profit, lui qui, passionné pour l'étude de l'antiquité , a recueilli de si précieux enseignements de ses recherches sur nos origines nationales , et qui n'ignorait pas qu'un grand nombre de principes relatifs à la capacité ou à l'incapacité de tester , plus spécialement l'incapacité des pro- digues, comme aussi certaines conditions requises pour la validité du testament , par exemple , l'unité de contexte, ne peuvent s'expliquer que par la forme des testaments. Je pourrais faire encore d'autres citations pour établir les mêmes préventions d’Etienne Pasquier à l'endroit de plusieurs solu- tions romaines , préventions dont il ne me serait pas encore difficile de démontrer le peu de fondement. Mais cette cri- tique m’entraînerait au delà des limites ordinaires d’un compte rendu , et je compléterai l'examen de cette première partie en signalant des inexactitudes assez graves que j'ai remarquées en plus d’une rencontre. Ainsi, pour n’en citer que deux, sur le titre des Institutes quibus modis testamenta infirmantur , où il énumère les diverses causes qui peuvent casser un testament ( je me sers de son expression), il dit : « En troisième lieu , le testament » est cassé quand après un testament fait par quelqu'un , DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 89 » capite minulus est non tamen quâlibet capitis diminutione » sed maximé, dont nous avons traité au premier livre qui » est porté par le paragraphe Æz10 , hoc titulo (1). » Or, il résulte de ce paragraphe lui-même, d'accord d’ailleurs avec l'ensemble de tous les principes, que non-seulement le plus grand changement d'état (ou, si l’on veut, la plus grande diminution de tête }, mais un changement d'état quelconque était suffisant pour rendre inutile un testament valable dès son origine. Justinien dit, en effet : Æ/io autem modo testa- menta jure facte infirmantur, veluti , cum is qui fecit testamentum, capite deminutus sit (2); et Ulpien avait dit avant lui : Frritum fit testamentum , si testator capite demi- nulus fuerit (3). — Les textes ne distinguent donc pas entre les divers changements d'état, ce qui s'explique aisément , car si le testateur éprouve le moyen changement , il devient étranger ; s'il éprouve le plus petit , il devient fils de fa- mille. — Comment Pasquier n'a-t-il pas vu cela ? — Un peu plus loin, sur le titre 30 du m° livre, quibus modis tollitur obligatio , il dit en parlant de l’acceptilation, « qu'elle »est une quittance que baille le créancier à son débiteur » quandil est de lui payé(#). » Cette définition est évidemment erronée, car le paragraphe premier au titre des Institutes que l’auteur examine, caractérise l’acceptilation de payement fictif, est autem acceplilatio imaginaria solutio ; et Ulpien , dans un de ses fragments devenu la loi 19, $ 1°, au Digeste , de acceptilatione , a nettement établi la différence qui existe entre l’acceptilation , payement fictif, et la quittance constatant un payement réel , lorsqu'il a dit : Znter acceptilationem ct apocham hoc interest , quod acceptilatione omni modo libe- ratio contingit , licet pecunia soluta non sit ; apocha , non alias quam si soluta sit. Ces erreurs ou ces inexactitudes (1) Page 411. (2) Instit. liv. n, tit. 17, À 4. (3) Frag. tit. 23, 6 4. (4) Page 418. 3.° S. — TOME IV. 90 MÉMOIRES peuvent-elles s'expliquer autrement que par des préoccupations involontaires, ou par l’affaiblissement des souvenirs d'Etienne Pasquier, qui diet ss le plus souvent de mémoire son interpréta- tion des Institutes Je passe à l'examen de cette partie de son travail qui regarde le Droit français. Elle est sans contredit la plus intéressante ; c’est celle que l'écrivain a le plus affectionnée. L'interprétation des Institutes de Justinien n’était que l’objet accessoire de son travail. Le but principal qu'il se proposait , c'était, comme on le sait , de tracer, RORE ses petits-fils, un résumé des principes du Droit publie et du Droit civil français ; s’il explique le texte des Institutes , ce n’est qu'un thème qu'il choisit pour placer en regard les principes de notre jurisprudence ; voilà ce que Pasquier a voulu : établir des contrastes pour mieux}! dessiner les caractères du Droit qui s’observait en France. Le principe de cette méthode, indiqué par la nature même des éléments dont se composait la science à cette époque, comme par la marche qu’avaient suivi les développements du Droit national , servait de type à tous les travaux des Jurisconsultes. Mais si la méthode que Pasquier venait d'adopter était naturelle , elle offrait néanmoins les difficultés inhérentes à tout travail de conférence. —- Hätons-nous de dire que , dans l’exécution , l’au- teur a souvent triomphé de ces difficultés. L'exposition des doctrines y est nette et précise , les divers éléments du Droit français qui se composent des ordonnances royaux , des arrêts des Parlements , des coutumes générales de la France y sont classés et fondus avec art. Pasquier n'entre pas dans de trop longs développements, car il ne fait pas un commentaire appro- fondi. Il ne veut dicter à ses disciples que des institutes ou des rudiments. En fait d'ordonnances , il ne signale que les principales. Il use de la même sobriété et du même discernement en matière d’arrêts. il se borne presque toujours à citer ceux du Parlement de Paris. La jurisprudence de ce Parlement, à la barre duquel il avait longtemps plaidé, lui est particulièrement connue. On DE L'ACANÉMIE DES SCIENCES. 91 aime à le suivre dans l’exposé des espèces jugées par des arrêts rendus sur ses plaidoiries, et dans lesquelles figurent, comme ayant joué un rôle actif, soit en qualité d'avocats , soït en qua- lité de juges , des hommes qui furent l'honneur du barreau ou la gloire de la magistrature , Gilles Lemaistre, Dumenil, Dumou- lin, Edouard Molé, Christophe de Thou , Achille de Harlay. Quant aux coutumes , il se restreint aussi à la coutume de Pa- ris, qui était, selon ses expressions , le moule ou le miroir de la plupart des autres coutumes de la France. Qui pouvait mieux en connaître les secrets que celui qui, en l'année 1580, avait été appelé à préparer, en compagnie de huit autres com- missaires choisis dans le barreau, le projet de réforme de cette coutume ? C'est donc du droit coutumier qu’il traite presque exclusivement. Les règles suivies dans les pays de droit écrit s’y trouvent à peine mentionnées deux ou trois fois. En retour de cette espècé de prétérition, Serres et Boutarie viendront, au xvin siècle, dans un même travail de conférence exactement calqué, comme celui de Pasquier, sur les Institutes de Justinien, traiter principalement des principes adoptés par les contrées méridionales de la France. Le droit féodal et le droit canonique occupent , dans les pages du livre que nous étudions, la place à laquelle ils devaient na- turellement prétendre. A l’occasion des premiers titres du pre- mier livre des Institutes de Justinien , relatifs à l'esclavage et à la manumission , l'auteur établit parmi les personnes les diverses catégories que l'on distinguait à cette époque. Il décrit l’état et la condition des différentes espèces de serfs recues en certains pays : serfs taillables , serfs de formariage , serfs de mainmorte, serfs de poursuite. L'influence du droit canonique se fait sentir bientôt dans le cours de l'explication du titre de nuptiis ; sur les textes du premier titre du second livre il asseoit l'exposé de la doc- trine sur les distinctions multiples qui existaient entre les biens, entre le domaine du roi et celui de la couronne. Dans le livre suivant, les titres retatifs à l’hérédité ab intestat Vamènent à développer les règles reçues chez nous en matière de succession, règles qui étaient si variées et si différentes, selon qu'il s'agis- 92 MÉMOIRES sait d’acquêts ou de propres, de meubles ou d'immeubles, de biens roturiers , de biens nobles ou de biens de franc-alleu. Ses solu- tions sont généralement exactes et participent de l'autorité , qui s'attache aux opinions d'un jurisconsulte formé depuis longtemps par l'étude des textes, imbu de la lecture des ouvra- ges les plus sûrs, en contact habituel avec les légistes les plus distingués de son temps, éprouvé et müri par une longue pra- tique des affaires, passé par le milieu des luttes du palais. Le style est simple, lucide, empreint de cette naïveté attachante que l’on retrouve dans les écrivains distingués de ce temps , et à laquelle le livre des Recherches de la France et la collec- tion des Lettres de Pasquier nous avaient habitués. Le tour y est plus d’une fois élégant et incisif. Pasquier écrit sur le droit civil et sur le droit public comme ses illustres amis. Il a la concision sentencieuse de Loisel, la précision de Pi- thou , la vigueur, ou si l’on veut, la verve de Gui-Coquille; et tous ces écrivains méritent à plus d’un titre d’être placés sur la méme ligne que Montaigne et Amyot (1). C'estune vive jouissance pour nous, qui possédons une langue depuis longtemps perfec- tionnée , de relire des pages écrites à une époque où elle était encore en état d'élaboration. Les Romains des siècles postérieurs au siècle d’Augaste ne relisaient-ils pas avec délices les œuvres d'Eenius, de Nævius, de Plaute ? C’est donc au point de vue des études du Droit français, que le livre nouveau d’Etienne Pasquier est principalement remar- quable. Tous ceux qui s'occupent de l'histoire de notre Droit, et cherchent à éclairer ses textes par des comparaisons empruntées à l’ancienne jurisprudence, doivent faire de ce livre le sujet de leurs méditations. L'ensemble de l'ouvrage respire d’ailleurs ce parfum de can- deur et de philosophie que l’on trouve dans toutes les autres productions de Pasquier. Il porte partout les traces de son culte pour les institutions de son pays, culte qui fut, comme je l'ai (1) M. Dupin en faisait la remarque dans le Discours qu’il prononça en 1829, à la rentrée des travaux de la Conférence du Barreau de Paris. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 93 déjà dit, sa passion dominante ; il trahit partout son amour sincère de la justice et de la vérité, objets constants de tous ses travaux et de toutes ses pensées ; enfin , il met en relief les tendances bien prononcées de son esprit à écarter les préjugés, et à n’adopter que ce qui est conforme à la raison qui, selon lui , devait être le fanal du Droit. Ne croyez pas, toutefois, que le livre de Pasquier, considéré comme étude sur le Droit français , soit de tous points irrépro- chable. J'ai cru y trouver plus d'une fois des propositions inexactes et des théories fausses, ou du moins hasardées; comme aussi , j'ai regretté que des parties importantes du Droit fran- çais y soient ou entièrement omises , ou traitées d'une ma- uière trop sommaire. Essayons de justifier ces divers reproches. En parlant de la distinction des biens, il énumère les diverses espèces de biens meubles, et classe parmi eux les offices vénaux ; il dit : sixièmement , tout office qui est vénal est pareillement réputé chose mobilière (1). Cette proposition générale, érigée ainsi en axiome, est inexacte par cela même. Sans contredit, les offices vénaux étaient, dans l’ancienne jurisprudence, chose mobilière sous plus d'un rap- port. Ils constituaient d'abord un meuble par leur nature ; puis ils étaient considérés de la même manière, quand il s'agissait de la distribution du prix de l'office entre les divers créanciers du titulaire dépossédé. Mais eu égard à leur valeur et à leur im- portance, et aux droits qu'avaient les créanciers de les faire dé- créter et vendre , non par simple subhastation , mais par criées solennelles, ils étaient considérés comme immeubles, si bien que la coutume de Paris réformée avait fait prévaloir ce dernier caractère ; elle l'avait déclaré dominant, puisqu'elle avait dit dans son article 95 : office vénal est réputé immeu- ble , etc., etc. Ainsi, la proposition de Pasquier a le tort grave, pour ne pas dire irrémissible , de heurter de front le texte de la coutume, (1) Page 505. 5% MÉMOIRES ou plutôt de dire {out le contraire de ce texte. L'écrivain ensei- gne, en effet, que tout office est réputé mobilier , tandis que la coutume le répute emmobilier. Pour être exact, l’auteur, après avoir reproduit la formule de l’article 95 , devait l’ac- compagner des distinctions que j'ai énoncées , que tous les au- teurs faisaient, et qu'un des plus compétents d’entre eux sur ces matières, Loyseau, exposait nettement daus son trailé des Offices (1). Ailleurs , conférant les principes du Droit romain avec les principes du Droit français sur les successions ab intestat , il enseigne ce qui Suit : « À Rome, pour n'être déclaré héritier, il suffsoit que le plus » proche lignager nese füt immiscé aux biens de la succession , » chose qu'ils appeloient abstention ; chez nous, ce n’est pas » assez de s’en abstenir ; ains avec cela faut une renonciation » expresse à la succession du défunt, qui soit faite ou en plein » jugement ou par-devant notaires , etce , parce que nous avons » une règle générale en France, que le mort saisit le vif le plus prochain habile à succéder, de manière que , soudain qu'un homme est mort, son plus proche parent et héritier, sans autre appréhension, est estimé et censé son seul héritier, et pour celte cause il faut nécessairement que , non-seulement » il s'abstienne du maniement des biens du défunt, mais que » nommément il déclare qu'il renonce à cette maxime générale : » Le mort saisit le vif (2). » L’exactitude de cette théorie sur un point capital, en ma- tière de successions , est très-douteuse ; aussi, était-elle forte- ment contestée, à l'époque où elle fut émise par Etienne Pasquier. Elle est douteuse ou hasardée , si elle n'est pas fauste, parce que l’auteur exagère la portée de la règle, Le mort saisit Le vif, édictée par l’article 318 de la coutume de Paris ct reçue dans toute la France, et il l’exagère parce qu'il ne la combine pas » » » » (1) Chap. 1v ; sé les offices vénaux sont meubles ou immeubles, page 17 el suivantes. (2) Page fr. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 95 avec une autre règle tout aussi certaine, également reçue dans toute la France , et formulée aussi par la coutume de Paris en son article 316 : Z{n’est héritier qui ne veut. Tousles juriscon- sultes étaient d'accord sur ce point, qu'il s'induisait de la pre. mière de ces maximes , que l'habile à succéder était saisi active- ment de tous les droits héréditaires , qu'il les transmettait à ses propres héritiers, s’il mourait avant d’avoir fait acte d’adition, que, sans avoir besoin de prendre possession, il pouvait intenter les actions, non-seulement pétitoires, mais encore les actions possessoires que le défunt aurait eu le droit d’intenter lui-même. Tout cela était admis sans difficulté (1). Mais si l'habile à suc- céder était saisi activement , était-il aussi saisi passivement de l'hérédité , en ce sens que tant qu'il n'avait ni accepté ni répu- dié, il fût tenu du payement des dettes et des legs? Ici le dissen- timent commençait , et ce dissentiment était fort grave. Pasquier, on le voit, s’est prononcé pour Faffirmative; mais des juriscon- sultes d’un grand crédit avaient adopté un sentiment contraire. De ce nombre étaient plus particulièrement d’Argentré (2) et Tiraqueau ; et l'autorité de ce dernier était d'autant plus consi- dérable , qu’il avait professé cette opinion dans un traité spécial sur la maxime : /e mort saisit le vif (3). Ces jurisconsultes fondaient leur opinion et sur les motifs qui avaient fait introduire en France la maxime : le mort saisit le vif, et sur l'énergie de la maxime : à n’est héritier qui ne veul , destinée à contraster avec les théories romaines sur les héritiers nécessaires. Ils disaient que la première de ces maxi- mes avait été introduite par les civilistes français , pour réagir contre le droit féodal, d’après lequel les seigneurs avaient joui longtemps du privilége d’accorder le vest aux héritiers lé- gitimes (#). Ainsi admise en faveur de ces derniers, elle ne pou- (1) Fid. les nombreuses autorités citées dans le Commentaire de Claude Ferrière, sur l’article 318 de la coutume de Paris, (2) Sur l’article 509 de la coutume de Bretagne. (3) Partie vu. — Déclaration 1 ,r° 1, (4) Vid. les observations d’Eusèbe de Lauriere sur Loisel, et les autorités indiquées, — Institutes de Loisel. 1, pag. 371 el 372. 96 MÉMOIRES vait être rétorquée contre eux. La saisine active ne devait donc pas entraîner la saisine passive. D'un autre côté, le second prin- cipe : n'est héritier qui ne veut, était destiné à abroger les théories romaines qui divisant les héritiers en plusieurs caté- gories, admettaient des héritiers nécessaires et des héritiers siens et nécessaires. Or, vouloir (ainsi que le veut Pasquier) que l’habile à succéder fût tenu de renoncer pour n'être pas es- timé heritier , c'était exiger de lui plus qu'on n’exigeait de l’hé- ritier sien, qui, par cela seul qu'il s’'abstenait , sans être obligé de faire aucun acte, sans rien demander au Préteur, était à l'abri des actions des créanciers héréditaires {1). Ces idées se firent jour dans la rédaction ou la révision de plusieurs coutu- mes, ct notamment dans l'article 43 des placités de Normandie, et dans l’article 278 de la coutume du Poitou, Enfin, le Parle- ment de Paris les consacra par un arrêt du 8 février 1590 (2). Lebrun , qui dans le siècle suivant fit uñe étude toute parti- culière de ces théories, pour la rédaction de son traité des suc- cessions, n'hésita pas à se prononcer en faveur de la même cpinion. « La seconde chose, dit-il, que signifie la maxime n'est héritier qui ne veut, c'est qu'il ne faut point d'acte de renonciation pour n'être point héritier, ce qui a lieu, tant en ligne directe qu’en ligne collatérale ; car on n’a pas le droit de dire contre un fils, filius ergo hœæres, ni de conclure qu'il est héritier, parce qu'il n’a pas renoncé. Encore un coup, c'est un abus que cela, qui n'a jamais eu cours que chez ceux qui ignoraient les véritables principes de notre jurisprudence, qui sont : qu'il faut avoir accepté ou s'être immiscé pour être déclaré héritier, et qu'autrement le simple défaut de renoncia- tion ne suffit pas pour faire un héritier en quelque ligne que ce soit, comme il a été jugé, pour la directe même, par un arrêt du Parlement de Paris , du 8 février 1590 , qui est de » la 3° Chambre des Enquêtes (3). » CAPE NC NUE EUR CEURC EC (1) Loi xir, de adquirend. vel amittend. hæredit. (2) Rapporté znfra. (3) Traité des Successions, livre 1, chap, 1, pag. 398 et 399. — De nos DE L'ACAPÉMIE DES SCIENCES. 97 De ce qui précède , il résulte donc que Pasquier a exposé une doctrine qui était non-seulement contraire à l'opinion des au- teurs les plus accrédités, mais encore proscrits par le Parlement de Paris. Le fragment de Lebrun prouve qu'au xvn* siècle elle avait définitivement succombé. J'ai annoncé que certaines parties du Droit avaient été, malgré leur importance, ou passées sous silence, ou traitées d'une ma- nière trop succincte. Ainsi, j'ai remarqué que l'auteur n'avait rien dit sur le titre 24, du 2° livre des Institutes, de singulis rebus per fideicommissum relictis. m'a paru aussi qu'il n’a point suffisamment mis ea relief l'influence que les textes du titre 20, de legatis, au même livre, ont exercée sur les théories françaises correspondantes ; enfin, que ce qui a trait dans le ke livre à la procédure civile et à la procédure criminelle, est sensiblement écourté. Après ces diverses observations critiques, qui ne sauraient porter aucune atteinte au mérite de l’ensemble, m'attacherai-je à comparer le livre de Pasquier aux travaux de ses contem- porains? Mais ceux qui connaissent la bibliographie juridique du xve siècle, savent bien que toute espèce de comparaison serait impossible , et qu'aucune production de la même époque ne peut être assimilée, du moins quant aux cadres adoptés par l’auteur, à celle de Pasquier. Il est le seul qui ait traité toutes les matières du Droit civil, en suivantexégétiquement l'ordre des Institutes de Jastinien , le seul qui ait fait marcher l'exposition des principes du Droit public de front avec l'exposition des principes du Droit privé. Les Znstitutions au Droit francais de Gui-Coquille, sont le livre qui a le plus d’analogie avec celui de Pasquier ; mais elles en diffèrent sous ce rapport, qu'elles ne traitent que quelques-unes des branches du Droit public ou du Droit privé. jours, M. Merlin a reconnu l'exactitude de la doctrine de Lebrun dans plu- sieurs passages de son Répertoire, et notamment verbo Austexriox et verbo MERITIER , Section nu, paragraphe 11, n° 3. 98 MÉMOIRES Conviendrait-il mieux de comparer l'{nierprétation des Institutes aux Recherches de la France ? Ce rapprochement serait tout aussi impossible , puisque le sujet des deux ouvra- ges est tout-à-fait différent, Dans les Recherches de la France, il est question , je l'ai déjà dit, de l’histoire de quelques bran- ches de droit public ou politique , des Universités, de l'origine de nos diverses magistratures, de quelques-uns de nos usages nationaux, enfin de l'origine de notre langue. Il y a bien çà et là quelques chapitres consacrés au Droit civil (1); mais ils sont très-peu nombreux. Dans l’uterprétation des Fastitutes , au contraire , il s’agit exclusivement de Droit public et de Droit privé. Le rapprochement n’est donc pas possible, et la seule conclusion que nous ayons à tirer de l'examen attentif des di- vers travaux de Pasquier, c’est que la publication qui vient d’a- voir lieu , accroîtra considérablement la réputation de l’auteur comme civiliste. Elle le fera monter au premier rang parmi les chefs de l'école française comparative, et de l’école coutumière, et le classera en même temps au nombre des précurseurs ou , si l’on veut, des fondateurs de cette école rationnelle qui don- nera plus tard à la France , Domat, d’Aguesseau, Pothier. Pasquier appartient désormais à toutes les branches ou à toutes les grandes subdivisions de cette école française du xvi° siècle , qui se posa la rivale de l’école romaine dont elle était des- cendue. — Il reste sans doute inférieur à Dumoulin, le premier des jurisconsultes français ; mais il prend place à côté des autres jurisconsultes les plus estimés, à côté de Charondas, à côté de Gui-Coquille et de Loisel, dont les noms viennent si souvent se grouper autour du sien. On est même autorisé à penser, que s’il n’a pas plus de vigueur que la plupart d’entre eux, il les surpasse tous par l'étendue et la variété de son éru- dition. L'interprétation des Institutes, qui va faire briller au- tour de lui une auréole nouvelle, a éonc couronné dignement sa longue et brillante carrière. (1) Voir notamment le chapitre De la communauté de Biens entre conjoints. . DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 99 Cicéron écrivait à l’âge de soixante-trois ans son traité de la Vieillesse. Il y disait qu'il aimait dans ses vieux jours à s'occuper encore d’un grand nombre d’études importantes, et notamment à travailler sur le droit des augures, sur le droit des pontifes , et sur le droit civil : Jus augurum, jus pontificum , jus civile tracto (1). Pasquier aime aussi, comme l'Oratcur jurisconsulte dont il a étudié plus particulièrement les œuvres et qu'il cite avec une sorte de prédilection , à consacrer les derniers instants de sa vie à des travaux sur le Droit ; et ce qu’il y a d'assez re- marquable, c’est que Pasquier dicte le plus souvent de mémoire l'interprétation des Institutes, de même que Cicéron avait , dans le cours d’un voyage sur mer , composé de mémoire son traité des Zopiques, qu'il adressa au jurisconsulte Trebatius (2). Ainsi l’un avait écrit pour un ami, l’autre pour l'instruction de ses petits-fils. Félicitons-nous de ce que, par les soins de M. le Chancelier de France, l'interprétation des Institutes de Justinien puisse servir maintenant à l'édification du public. Je n'ai rien à dire sur les pages que M. le Duc Pasquier a placées comme avertissement en tête du livre de son parent; elles sont d’une simplicité que commandaient les rapports qui l'unissent à l’auteur. Quant à l'Zatroduction , qui est l'œuvre de M. Giraud , qu'il me suflise de constater qu'elle est digne de son auteur. La biographie d'Etienne Pasquier y est exposée d’une manière complète ; le langage est ferme , souvent élevé, toujours plein d'autorité, à la hauteur des grands événements qu'il raconte, en harmonie avec la figure sévère èt imposante qu'il est appelé à dessiner, Les annotations qui illustrent le texte sont nombreu- ses, et portent avec elles ce cachet d'érudition grecque, latine et germanique qui est familière à M. Giraud. Telles sont les observations qui m'ont été suggérées par la lecture attentive d’une publication considérable, destinée à im- (1) De Senectute, 11. (2) Topiq. 1. 100 MÉMOIRES primer un mouvement aux études sur le Droit français. Cette publication, qui sera accueillie partout avec reconnaissance, m'a paru devoir exciter parmi nous un intérêt tout particulier. C’est, en effet, à Toulouse, comme je l'ai déjà dit, qu'Etienne Pas- quier vint faire ses premières études sur la jurisprudence. Les hommes voués au culte du Droit sur le sol où Etienne Pasquier vint s'inspirer au foyer qu'y alluma notre immortel conci- toyen, s’'empresseront de saluer d’un hommage mérité ce tra- vail destiné exclusivement à la science du Droit civil. Pasquier n’oublia d’ailleurs jamais la cité qui l'avait accueilli bien jeune dans son sein comme une mère tendre , et lui avait donné des maîtres qui développèrent en lui le premier amour de l'étude. Indépendamment des leçons qu’il y recueillit , il s’y lia par d’é- troites relations avec plusieurs hommes qui s’illustrèrent plus tard comme lui, avec Antoine Loisel, devenu son confrère au barreau du Parlement de Paris, avec Paul de Foix, qui fut suc- cessivement ambassadeur, ministre du Roi, et archevêque de Toulouse. Aussi Pasquier, plein d’un pieux souvenir pour la ville de Tolose, se plaisait à reconnaître « que ce n’étoit pas » un petit honneur pour elle, qu'après la grande ville de Paris, » elle soit la première de la France en laquelle on ait assis » Parlement et Université (1). » Le livre de Pasquier sera cher principalement aux membres de l’Université. Ils n’ignorent pas que son auteur fut, dans des temps difficiles, le défenseur aussi ferme qu'éloquent de l’an- cienne Université de Paris , et qu’en défendant les prérogatives de ce corps célèbre contre les prétentions d’une société puis- sante (2), il soutint les intérêts de toutes les autres Universités solidaires avec leur aînée. Ils savent aussi que son dévouement à cette mémorable cause lui suscita des inimitiés qui le pour- suivirent pendant toute sa vie, et qui ne s'apaisèrent pas de- vant son tombeau. Il sera cher surtout aux membres de l'Université de Tou- (1) Recherches de la France, chap. Des Universités, live 1x, Ut. 37. (2) La Société des Jésuites demandait d’être incorporée à l’Université. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 101 louse, qui aiment à se ressouvenir qu'Etienne Pasquier fut l'un des premiers élèves de Cujas; qu'il se plut à décerner à notre vieille Faculté de Droit civil et de Decretz, de justes éloges ; qu’il proclama souvent dans ses écrits le mérite de nos maitres les plus célèbres , d’Accurse, de Ferrier, de Coras, de Grégoire, dont il a cité plus d’une fois les noms avec honneur, même dans l’Interprétation des Institutes de Justi- nien. — Ils se ressouviennent enfin qu'il fut l'ami intime du docteur régent Cadan (1), qui lui envoya l'extrait des bulles du Pape Grégoire, portant création de notre Université, bulles que Pasquier a transcrites en entier dans son chapitre des Universités de France (2). Celui qui a étudié parmi nous, et qui, devenu maître à son tour, a glorifié nos illustrations universitaires, ne saurait être un étranger pour nous. (1) Pasquier l’appelle Ze sien ami. Recherches de la France ; des Univer- silés, Liv. 1x, c. 37. (2) Ibid. 102 MÉMOIRES BULLETIN DU MOIS DE FÉVRIER,. 5e M. Jocv, Président, donne lecture d’un mémoire sur un nouveau genre de Monstres Célosomiens dont il fait voir le squelette, et pour lequel l'auteur proposele nom de Dr'acontisème. (Ce mémoire est imprimé. ) M. ou M£GE communique l'analyse des Mémoires de la classe des Inscriptions et Belles-lettres qui ont été lus pendant l’an- née 1545, et qui n'ont pas été imprimés dans le Recueil de l’Académie. ( Cette analyse est imprimée. ) L'Académie procède, aux termes de ses statuts, à l'élection de deux associés correspondants dans la classe des Sciences physi- ques et naturelles. MM. Schimper et Mougeot ont obtenu la ma- jorité des suffrages. Ils correspondront avec M. Joly. M. Fimoz fait un rapport verbal favorable sur deux ouvrages de M. Bonjean, pharmacien à Chambéry, ayant pour titre : 41° Analyse des Eaux minérales d Aix en Savoie ; ® Faits historiques relatifs à l'empoisonnement. Le rapporteur propose d'accorder à M. Bonjean le titre d’Associé correspondant. Cette proposition ayant été prise en considération , il y sera statué dans la prochaine séance , conformément aux statuts de l’Aca- démie. : M. ou Mie termine l’analyse des Mémoires de la classe des Ins- cripüons et Belles-lettres qui ont été lus pendant les années 1846 et 1847, et qui n'ont pas été imprimés. (Cette analyse est im- primée. } M. BrassinxE énonce quelques Théorèmes de géométrie géné- DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES, 103 rale ; il donne une extension du nouveau Théorème de M. Ba- binet aux courbes des surfaces. M. Noucer rend un compte verbal et favorable des ouvrages d'Agriculture adressés à l'Académie par M. Bonjean, pharma- cien à Chambéry, et conclut, comme M. Filhol l'avait fait dans la séance précédente, à accorder à cet auteur le titre d’Associé correspondant. L'Académie procède , d’après les billets de convocation , à la nomination d’un Correspondant. M. Bonjean, ayant réuni la majorité des suffrages, est proclamé Associé correspondant dans la classe des Sciences (section de Chimie). Il correspondra avec M. le colonel Gleizes. M. Perir lit un mémoire sur un Bolide qui a été observé à Paris et à la Chapelle , près Dieppe , le 19 août 1847. (Ce mémoire sera imprimé. ) M. Ducos lit un mémoire sur les paroles attribuées au Légat Arnaud , au sac de Béziers. Ces parolessont : Tuez-les tous, car Dieu connaît ceux qui sont à lui. M. Barry met sous les yeux de l'Académie un collier gaulois de bronze, découvert il y a quelque temps en ltalie. Cet Acadé- micien croit trouver dans un texte de Polybe le nom gaulois et national de cet ornement militaire, quel’on ne connaissait jus- qu'ici que sous le nom latin de torques. 17 févrie 24 février : ’ ‘ "4 1% DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 105 NOTICE SUR UN BOLIDE OBSERVÉ LE 19 AOÛT 1847, A PARIS ET À LA CHAPELLE PRÈS DIEPPE ; Par M. PETIT. Les météores lumineux paraissent destinés à jeter un grand jour sur plusieurs points de la physique céleste ; et à ce titre leur étude semblerait ne pas mériter l'abandon dans lequel elle a été si longtemps délaissée. I est rare, en effet, que chacune des apparitions, qu’il est possible de calculer, ne fournisse pas quelques aperçus nouveaux sur lesquels il sera sans doute inté- ressant de pouvoir un jour être éclairé par d’autres apparitions et d’autres calculs. C'est ainsi, par exemple, qu'indépendam- ment de l'existence de plusieurs zoncs d’astéroïdes, les premiè- res recherches faites à ce sujet ont montré, d’une manière à peu près irrécasable, que les bolides brillent souvent d’un éclat très-vif bien au delà des limites de notre atmosphère; d’où il paraît naturel de conclure que leur incandescence, au lieu de se produire par le frottement de l'air, serait due au contraire, du moins en général, au frottement d'un autre milieu jusqu’à présent impondérable, maïs ayant néanmoins une densité sensi- ble, et qui s’étendrait à une assez grande hauteur au-dessus de la surface de la terre. Hypothèse vérifiée en partie par les observations du décroissement de a chaleur dans l'atmosphère, ettout-à-fait conforme d'ailleurs aux principes de la mécanique ; puisque l'existence, généralement admise aujourd'hui, d’un milieu éthéré répandu dans les espaces célestes, ne pourrait avoir lieu, sans que ce milieu se condensàt par l'effet de l'attraction autour des astres qui le traversent. 3.° S. — TOME IV. 8 106 MÉMOIRES D'autres bolides, et entre autres celui du 5 janvier 1837, ont révélé parmi les astéroïdes , qui se montrent si souvent aux ha- bitants de la terre, l'existence probable de corps d’un volume extrêmement considérable, relativement à ceux avec lesquels on a l'habitude de les classer ; de corps qui passent souvent très- près de nous , et dont la rencontre ne pourrait manquer d’occa- sionner les plus grands ravages à la surface de notre planète. Ainsi, celui du 5 janvier 1837, dans l'hypothèse assez naturelle d'une densité moyenne égale à celle de la terre et avec sa vitesse relative de 4800 mètres par seconde, vitesse dont plusieurs considérations importantes conduisent cependant à regarder l'évaluation comme étant encore beaucoup trop faible, aurait possédé néanmoins une force vive d’un effet comparable à celui qui serait occasionné par dix mille pièces de canon tirant sans interruption pendant soixante-treize mille ans, et lançant cha- cune un boulet de 24 par minute, avec une vitesse de 500 mè- tres à la seconde ; circonstance bien digne assurément , même abstraction faite de son intérêt scientifique, d’exciter l'attention des habitants de la terre, et d’engager les personnes instruites que le hasard favoriserait, à fournir, par des observations rele- vées avec soin, des moyens d'investigation aussi précis que pos- sible. Malgré l’énormité des chiffres qui précèdent et qui pour- raient au premier abord paraître effrayants, il n'est pas sans doute nécessaire d'ajouter ici que les effets produits, dont la probabilité du reste est excessivement faible, seraient tout-à-fait locaux , et que la marche générale de notre planète n’en éprou- verait pas de dérangement tant soit peu sensible ; la durée du jour, par exemple, ne pourrait être altérée , même dans le cas le plus défavorable , que d’une fraction très-faible (0,0002) de seconde sexagésimale. De nouvelles recherches ont appris encore que tous les bolides ne circulent peut-être pas autour du soleil, et que quelques-uns d’entre eux pourraient bien n'être que des satellites de la terre ; tandis que d’autres au contraire nous arriveraient de la région des étoiles, et seraient susceptibles, par conséquent, en tombant sur notre planète, de nous donner, pour ainsi dire, des nou- DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 107 velles matérielles de ces régions stellaires , dont la lumière elle- même , malgré son étonnante vitesse, emploie cependant quel- quefois des milliers d'années à nous parvenir. Ces divers résul- tats ne peuvent être regardés encore sans doute comme complé- tement démontrés, à cause du vague qui existe malheureusement trop souvent dans les observations. Mais il n'en est pas moins vrai que la réalité de chacun d'eux est loin aussi d'être entière- ment dépourvue de probabilité ; et, malgré l'incertitude qui régnera peut-être longtemps encore sur un pareil sujet, ce n’est pas, il me semble, faire une chose dépourvue d'intérêt , que de commencer, par des recherches conscienciceuses et précises, à appeler l'attention sur divers points de vue dont la vérifica- tion ne restera certainement pas toujours impossible, malgré les obstacles que l’inexactitude ou la difficulté des observations feront bien souvent renaître. La théorie des comètes, aujourd’hui à peu près complète, n'était-elle pas elle-même, il y a trois siècles à peine, bien moins avancée peut-être que celle des bo- lides ne l’est en ce moment; et malgrécela , les essais qui peu- vent résulter des observations même les plus vagues , des obser- vations que nous ont laissées les anciens Chinois , par exemple, ne fournissent-ils pas cependant aux astronomes modernes des moyens de rapprochement qui sont loin d’être sans intérêt et sans importance ? A ces divers titres, chaque déduction, chaque résultat nou- veau qui viendront s'ajouter à l'histoire des bolides, me parais- sent mériter d'être signalés ; ear un jour peut-être ils seront appelés, par leur comparaison avec d’autres, à fournir des traits de lumière précieux. Cette considération m'a souvent déterminé à faire connaître les diverses conséquences auxquelles m'ont conduit successivement mes recherches sur les bolides. Elle m'engagea en particulier, il y a bientôt trois ans, à indiquer le résultat et les applications scientifiques qui semblaient devoir se déduire de l'apparition du 27 octobre 1844 ; résultat dont l'annonce fut alors, il est vrai, trouvée (éméraire par quelques personnes , mais dont l'idée est cependant assez naturelle pour qu'un autre astronome, M. Leverrier, ait cru pouvoir l’ériger, 108 MÉMOIRES pour ainsi dire, en principe, dans ses recherches récentes sur les comètes. La même considération doit me décider, à plus forte raison aujourd'hui, à publier des recherches qui viennent ajouter un nouveau et un très-puissant degré de pro- babilité à l'existence de certains corps auxquels , dans mon mémoire de 1845, je donnais le nom de corps intrastellaires. Ces recherches sont celles que je viens communiquer à l’Académie. Le bolide qui leur a donné naissance fut déjà de ma part, il y a quelques mois, l'objet d’un premier travail; ou plutôt ( car je ne disposais alors que d'observations incomplètes), ou plutôt d’une première ébauche qui a été publiée dans les Comptes rendus des séances de l’Académie des Sciences de Paris, et que d’autres occupations m’avaient, jusqu’à ce jour, empêché de terminer. Ce corps, lorsque je commençai à m'occuper de son étude, avait été observé à la Chapelle près Dieppe, par M. Nell de Bréauté , correspondant de l’Institut pour la section d’astro- nomie, et à Paris, dans la rue Saint-Victor , par M. Doyère ; mais la portion de trajectoire qu'indiquait le second des deux observateurs était peu étendue , et l'évaluation du temps employé pour parcourir cette portion de trajectoire n'avait pasété donnée. Aussi les moyens de vérification, si utiles pourtant dans ce genre de recherches , me manquaient-ils complétement ; et je dus me féliciter en trouvant, quelques jours plus tard, dans les Comptes rendus , une nouvelle observation parfaitement bien faite et bien détaillée qui avait été communiquée par M. Guibourt, professeur à l’école de pharmacie de Paris. Cette observation , combinée avec celle de M. Nell de Bréauté, a présenté, pour l'évaluation de la vitesse apparente du bolide, une vérification très-remarquable, et qui me paraît, par cela même, devoir mériter aux résultats un grand degré de con- fiance. Elle conduit aussi, du reste, à la conséquence que l'observation de M. Doyère avait déjà indiquée ; seulement , comme les détails en sont plus circonstanciés et que ces détails paraissent en même temps plus précis, j'ai préféré l'employer seule afin d'obtenir des résultats numériques qui ne fussent pas DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 109 seulement des résultats limites, mais qui se trouvassent aussi près que possible de la vérité. Voici maintenant le tableau de ces résultats avec celui des données qui leur ont servi de base : Pour M. Nell de Bréauté.| Pour M. Guibourt. Latitude boréale de l'observateur. ......|= 49°. 49. 9/,7 — 48°. 50’.35/,0 Longitude orientale..... SOINS RER RÉ re KR: 1: 13/0 eccidentale. .... ...... OPEN OR OASA MRS. 3 Point de départ du bo-{Ascension droite..|— 309°. —= 2610. HOB- Fo rerese +... Déclinaison...... = + 15°. —=+ 10°, Point d'arrivée du bo-(Ascension droile..|— 4. — 1347. lide..............{Déclinaison......|= #30 = + 8o°. Heure du commencement de l'observation (en temps moyen de Paris), le 19 août 1847. MMS 5 6h elfes s016 108 die n 010 0/6 à à9h.923./42",Gisoir Durée de l’observation. ...............|3 secondes. de 6 à 7 secondes. moy. adoptée G°.5 Distance du bolide à la terre aux moments| Par M: de Bréauté. Par M. Guibourt. ou Sut aperct est star id «2.119700 211900 Position du point de la terre au-dessus|Latitude boréale. . .|— 49°. 8'. 0”. = duquel passail a- Longit. occidentale.|— — oo, 25/33 |—=— 419.39. 0”. lors le bolide. Distance du bolide à la terre quand il disparut. . ... sesssessessssseses...|68900 mèt. 101700 mèl. Position du point de/ Pour M. de Bréauté. Pour M, Guibourt. h k + “1 la terre au-dessus| Latitude boréale. . .|5o0, 14 15% 49°. 26/. 30”. duquel ‘passail a- Longit. orientale... |— #0». 18.37% |............. rs lors le bolide. occidentale.|. .......s...e..|—— 0°. 10/21 Vitesse apparente du bolide, d’après! de M: de Bréanté. de M. ar lPobservalion........... éslestetés doté ete 41463 1mèt. 41824 mèt. D'où j'ai déduit pour la vitesse absolue le nombre 7009% mètres, et pour les éléments de l'orbite que le bolide aurait décrite autour du soleil au moment de son apparition si l'action de la terre n'eût pas existé , les valeurs suivantes : Excentricité........ fous. sooccs 4,257882 Inclinaison sur l’équateur.......... 170.51".24",8 Ascension droite du nœud ascendant sur l’équateur. ...ss..sssssereee 13°,11°.2/,0 Distance périhélie. ......,......, ( 0,9783952\ Ja distance moyenne du soleil Demi grand axe. «es... | 0,2385498/ àla terre étant l'unité. Passage au périhélie , le 27 août, à 1°,5m,38s,4 du mat. (T. moy. de Paris.) Sens du mouvement héliocentrique en asc. droile, direct. 110 MÉMOIRES L'orbite était par conséquent une hyperbole; par conséquent aussi en vertu de cette orbite le bolide aurait dû venir de la région des étoiles. Cependant comme l’action de la terre l’em- portait de beaucoup, au moment de l'apparition , sur l'attrac- tion du soleil, j'ai cru devoir chercher si cette action n'aurait pas pu changer en éléments hyperboliques des éléments qui auraient primitivement appartenu à une orbite elliptique. Cette recherche m'a fait connaître , comme il était du reste assez facile de le prévoir daus le cas actuel, d’après la grandeur de la vitesse, que les perturbations occasionnées par la terre p’avaient pas changé la nature de l’orbite ; et qu'avant d’éprou- ver l’action de notre planète, le bolide se mouvait également dans une hyperbole dont voici les éléments, avec le tableau des modifications que ces éléments avaient éprouvées. Différences avec les:éléments troublés, Eléments primitifs, moins éléments troublés. Excentricité. ...2......4. 3,91340: «0e ete soie so e 0e 0—10ÿ306542 Inclinaison........ ete 18020018 3eme tennis ee 0P:28 040 Asc. dir. du nœud ascendant. 10°.34.48",4........... : — 2°.36/.14,6 Distance périhélie......... 0,9562587 /la distance eh — 0,0221365: Demi grand axe......... .. 0,3240083\ Gant l'unité. terre) | 0,0854585 Passage au pér Elie le … août à 7". 10m./7s,1 du matin (temps moyen de Paris). . DD ob HaC oc: D 0 he VE dTer bm,85,7 Sens du mouvement M en ascens. diris......e direct. Ainsi, il paraît maintenant hors de doute que le bolide du 49 août 1847 se mouvait dans une orbite hyperbolique autour du soleil, et que par conséquent ce corps venait de la région des étoiles. Jajouterai, en terminant, car ce n’est pas là une des particularités les moins curieuses de cette étude , que pour arriver de la distance des étoiles les plus voisines , de celles dont la parallaxe annuelle serait d’une seconde par exemple , le bolide, dans son mouvement hyperbolique, n’aurait pas dû employer moins de 37339*",7. J'ajouterai encore que je me suis assuré , à l’aide de l'orbite, également hyperbolique , dans laquelle se mouvait le bolide autour de la terre , lors de son apparition , que le 49 août à 67. 14. 205, à 6°. 41m 10°, et à 7! 8" du soir, moments où il passait dans la région de la DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 111 lune et auxquels la lune aurait pu commencer à agir sur lui, le lancer de sa surface , ou cesser d'agir, ces deux corps s’é- taient trouvés l’un de l’autre à des distauces de 17200, 14700 et 12200 myriamètres ; c’est-à-dire à des distances toujours deux fois plus grandes environ que le rayon d'activité de notre satellite, IT eût pu être sans doute intéressant de rechercher aussi dans quelle orbite se serait müû le bolide après avoir échappé à l’action de la terre ; mais la trajectoire obtenue ayant fait connaître que ce corps avait dù tomber sur notre globe vers les côtes de la Belgique, dans la mer du Nord, la recherche dont je viens de parler n’eût été qu'une recherche de simple curiosité , et dès lors je n'ai pas jugé à propos de l’entreprendre. Néanmoins , il ne sera pas inutile de faire observer , à cette occasion , que les bolides sont peut-être destinés à nous ap- prendre plutôt que les comètes , si réellement notre système solaire possède des corps qui ne lui aient pas toujours ap- partenu. 112 MÉMOIRES EEE — ÉLOGE DE M. MAGNES; Par M. E. FILHOL. Messieurs ,. Parmi les membres de l’Académie dont chacun de nous dé- plore la perte, il en est qui, par les services nombreux et écla- tants qu'ils ont rendus à l'humanité, par l'impulsion remar- quable qu'ils ont imprimée à la science, ont acquis une grande: et juste célébrité. Le véritable éloge de ces hommes a été fait pendant leur vie ;, eur mémoire n’a rien à gagner dans un récit soit exagéré , soit même sincère, des actes honorables qu’ils ont publiquement ac- complis. À côté de ceux que je viens de signaler, il en est d’autres qui ont passé leur vie tout entière dans l’abnégation la plus ab- solue , ont fait le bien d’une manière secrète, élaborant silen- cieusement des recherches utiles et pénibles, les livrant avec “réserve dans les moments difficiles , et dont les services , SOU- vent très-considérables , ont été pour la plupart inapereus ou mal compris. Pour ceux-ci, Messieurs, un récit exact et consciencieux de Jeur vie tout entière, récit simple et modeste comme cette vie elle-même, est un devoir que la reconnaissance commande, et que l'amitié doit être heureuse d'accomplir. C’est à cette dernière classe qu’appartenait le membre hono- rable dont vous m'avez confié l'éloge. Je serai heureux Si , dans cette esquisse rapide que j'ai tâché de rendre vraie avant tout, j'ai su apprécier celui dont je vais avoir l'honneur de vous entretenir, d’une manière digne de lui, et digne de l’Académie elle-même. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 11% Jeax-Pierre MAGNES était né, en 1776, à Moissac, départe- ment de Tarn-et-Garonne , de parents peu fortunés, mais jouis- sant dans le pays d'une très-grande considération. Les premières années de sa vie ne présentèrent rien de re- marquable ; il fit ses études au collége des Doctrinaires de Mois- sac. Peu de temps après les avoir aæehevées , il sollicita et obtint dans sa ville natale les modestes fonctions de Scerétaire de la municipalité. Un goût naturel l’entrainait vers l'étude des sciences positi- ves ; il leur consacrait tons ses moments de loisir, et ne tardx pas à former le projet de se vouer d’une manière définitive à lune d'elles : il hésita d'abord sur le choix d’une spécialité ; cependant son hésitation fut de courte durée ; la chimie, nouvel- lement révolutionnée par le génie de Lavoisier, attirait à elle de nombreuses et belles intelligences ; les découvertes qui, dans les temps ordinaires se produisent avec une certaine len- teur, se succédaient brillantes et rapides ; sur les débris de cette vieille chimie, dont l'édifice depuis longtemps ébranlé venait de s'écrouler définitivement sous les coups hardis que lui avait portés lillustre et regrettable novateur français, s'élevait une chimie nouvelle et séduisante vers laquelle il se laissa décidément entraîner. Ses progrès furent rapides, et bientôt il fut appelé par la confiance da Gouvernement à diriger la fabrication du sal- pêtre ; c'était, remarquez-le bien, à une époque où les besoins de Parmée donnaient à cette fabrication une très-haute importance. C’est ici que notre honorable confrère trouva, pour la première fois de sa vie, l'occasion de rendre à son pays un de ces services éminents qu'il lui rendit plus tard en grand nembre ; il s'ac- quitta de cette belle mission avec un zèle et une intelligence qui Jui valurent des éloges bien mérités. Cependant, son goût pour les sciences n'était pas satisfait ; il lui avait fallu peu de temps pour comprendre que l'étude des théories nouvelles , qui constituait sans doute le côté le plus agréable de la chimie, n’était pas suffisante , et que des recher- ches pratiques variées devaient compléter les notions purement 11% MÉMOIRES scientifiques ; sa fortune ne lui permettant pas de se livrer aux travaux: de laboratoire , il jeta les yeux sur cette profession trop peu considérée peut-être, qui avait fourni dans peu de temps à la science plusieurs hommes de génie, qui tous furent au moins aussi remarquables par leur modestie que par le nom- bre et l'importance de leurs découvertes. Vous m'avez compris, c'était la profession de Schecle. Il se rendit donc à Toulouse où il acquit les premières notions de pharmacie , sous la direction de M. Lahens qui appartenait alors à notre Académie, et jouissait dans cette ville d’une répu- tation grande et bien méritée. Ses qualités furent bientôt appréciées à leur juste valeur. L'élève ne tarda pas à devenir le confident et l'ami du maître, qui commença de nourrir un projet dont l’accomplissement eût fait la joie de ses vieilles années, mais qui se réalisa trop tard pour quil lui fut donné d’en jouir. Après avoir acquis chez M. Lahens une connaissance suffi- sance de l’art pharmaceutique, M. Magnes retourna à Moissac où son séjour fut de courte durée. Des bienfaits nombreux si- gnalèrent son passage ; il y consacra ses moments de loisir à préparer des médicaments pour les pauvres, et dirigea gratuite- ment la pharmacie de l'hôpital de cette ville. Bientôt le désir de perfectionner ses études lui fit arrêter le projet de se rendre à Paris, où les moyens d'instruction {si rares alors en province) abondaïent de toutes parts. Il partit, en effet, peu de temps après. Son assiduité aux leçons des grands maîtres le fit remar- quer par la plupart d’entre eux ; son intelligence et sa modestie rendirent ses rapports de plus en plus intimes, et dans peu de temps il posséda l'affection de Vauquelin, Parmentier, Deyeux, c’est-à-dire, des hommes les plus éminents de cette époque : cette affection sincère, qu'il avait honorablement acquise, ne se dé- mentit jamais. La confiance qu'inspirait notre honorable collègue était fort grande ; elle lui valut l'offre d’une place de pharmacien en chef dans les hôpitaux civils de Paris. Peu soucieux des hon- neurs, M, Magnes la refusa. Ses études étant alors aussi com- DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 115 plètes qu'il pouvait le désirer, il songea à subir les épreuves qui devaient lui valoir le grade de pharmacien , et à rentrer à Toulouse, Il subit ses examens avec distinction, et, quelques mois plus tard, de retour dans notre ville, il succédait à M. La- bens, dont il épousa la fille. A partir de ce moment , sa vie, déjà si laborieuse et si bien remplie, devint d’une activité surprerante ; les soins que néces- silaient la direction de son officine et la surveillance de la phar- macie des hôpitaux de Toulouse, ne lempéchèrent pas de se livrer à des recherches utiles, et de publier une série de mé- moires originaux, dont le nombre et l'importance vous éton- neront sans doute comme ils m'ont étonné moi-même , lorsque, pour rendre à notre confrère toute la justice qui lui était due, j'ai voulu les relire en entier, afin que votre appréciation comme la mienne püt être aussi vraie que possible. Les travaux que M. Magnes à communiqués à notre Académie sont au nombre de vingt-deux ; savoir : seize Mémoires origi- naux et six rapports, dont quelques-uns sont de véritables Mé- moires. En dehors de ceux qu’il a présemtés à l'Académie, se trouvent à peu près autant de Mémoires ou Rapports imprimés dans les journaux scientifiques ou les recueils des Sociétés de Médecine et d'Agriculture de cette ville. Je me bornerai à choisir, parmi ces nombreuses recherches , celles qui m'ont le plus frappé, tant par le caractère d'origina- lité dont elles sont empreintes, que par l'exactitude et la nou- veauté des aperçus qu'elles renferment. Les travaux de M. Magnes peuvent être classés comme il suit : à 1° Recherches purement chimiques , vingt-huit Mémoires ; 2° Recherches pharmaceutiques , trois Mémoires ; 3° Travaux sur divers points d'hygiène ou d'utilité publique, dix Mémoires. Les Mémoires de chimie pure comprennent l'Analyse des eaux minérales d’Audinac, de Sainte-Quiterie de Tarascon, d'Ax, d'Ussat, de Flourens , de Sainte-Marie, d'Encausse, de Ba- guères de Bigorre , de Rennes, du Castera Vivent, d'Adabre , 116 MÉMOIRES de Cransac. Il faut ajouter à toutes ces analyses celles de l’eau de Salies, dont il fut chargé par le Préfet du département de la Haute-Garonne , pour évaluer les droits qu’on pourrait pré- lever sur leur exploitation. Toutes ces recherches, que je me contente de citer, fureat exécutées avec un soin remarquable ; elles décèlent un chimiste érudit, en même temps qu'un manipulateur habile et conscien- cieux. M. Planche avait observé la formation d’un peu d’éther acéti- que dans la liqueur de nitre camphré des pharmaciens. L’acide acélique ne se trouvant pas au nombre des éléments qui servent à préparer cette liqueur, il fallait admettre qu’il s'était produit par la décomposition de lun de ces derniers. Ce savant émit l'opinion que le camphre avait pu contribuer à la formation de l'acide acétique. Notre confrère publia peu de temps après une note sur le même sujet; il attribua sans hésitation la présence de l'acide acétique à la réaction mutuelle de l'alcool et de l'oxy- gène de l'air, sous l'influence des matières organiques. Les idées qu'il développe dans ce travail sur la fermentation acétique, sont fort remarquables ; elles étaient neuves pour l’époque, et ce sont celles qui sont admises aujourd’hui. La fabrication du sucre de betteraves fut, pendant quelques années , l’objet de recherches très-suivies de la part de M. Ma- gnes. L'un des premiers en France, il fit connaître tout le parti qu'on pouvait tirer du charbon pour décolorer les mélasses et en retirer le sucre qu'elles abandonnent si difficilement ; sous ce rapport, il rendit un grand service à l’industrie. Une petite note qu'il publia en 481%, surle moyen de se pro- curer de l'encre de bonne qualité, peut donner une idée de la perspicacité avec laquelle il savail saisir ces légers détails, des- quels dépend presque toujours le succès des opérations ; il éta- blit dans cette note qu'on obtient de l'encre plus belle et plus durable, en substituant, dans les recettes familières, le sulfate de fer calciné au gris blanc seulement au sulfate cristallisé. Ce fait, qu'il se contenta d'exposer, a été tout nouvellement étudié au point de vue théorique, par M. Baresvil, qui a démontré, DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 117 par une série d'expériences fort ingénieuses, que les composés bleus auxquels le fer peut donner naissance, ne se produisent que lorsque dans le sel qui sert à leur préparation l'acide est combiné en partie à du protoxyde, en partie à du sesquioxyde de ce métal. Or, la calcination du sulfate de fer au contact de l'air, facilitant la formation d’un peu de sulfate de sesquioxyde , produisait précisément le mélange nécessaire. A ce petit travail, succède un Mémoire fort important sur les maladies des vins. Qu'il me suffise de citer un seul fait parmi ceux à la découverte desquels notre confrère fut conduit dans ses recherches : les vins de nos pays sont sujets à une altération peu connue , et malheureusement très-fréquente , qu'on désigne sous le nom de poux ou pousse des vins. M. Magnes proposa l'emploi de l'acide tartrique , pour prévenir cette altération ; ce même moyen a été recommandé dans ces derniers temps par M Batilliat, et j'ai fait remarquer à l’Académie, en lui rendant compte de l’ouvrage de ce dernier chimiste, que M. Magnes avait employé l'acide tartrique bien longtemps avant lui. Je puis ajouter que l'on réussit dans la majeure partie des cas à rétablir, à l’aide de cet acide , la saveur ct l'aspect primitif des vins , lorsqu'on a recours à ce moyen au moment où l'alté- ration n'est pas très-avancée. Je pourrais encore m'étendre beaucoup sur les recherches purement chimiques de notre confrère ; mais ce que je viens de dire me paraît suffisant pour en faire apprécier la valeur ; je me contenterai donc de citer les travaux suivants : Analyse chimique de la houille de Cramaux, comparée à celle de Rive-de-Gier, près Saint-Etienne ; Analyse du plâtre des environs de Paris, comparé à celui de nos contrées ; Mémoire sur les cendres du tabac ; Analyse d'un calcul vésical ; Mémoire sur la chaux de Gaillac. Je vais essayer maintenant d'analyser ses travaux sur l'hy- giène publique. 118 MÉMOIRES Ces derniers sontceux sur lesquels j'insisterai le plus ; ce sont en effet, à mon avis, ceux qui ont été les plus utiles à notre cité. Une série d'analyses faites avec le plus grand soin, lui avait démontré que l’eau des puits des prisons de la ville, dont on employait alors des quantités notables pour préparer les ali- ments des prisonniers, contenait des matières organiques , des sels ammoniacaux , des azotates de potasse, de chaux , de ma- gnésie ; il s'empressa de publier ces faits, afin que, cessant de préparer les aliments des prisonniers avec cette eau malsaine , on cessät de compromettre leur santé. Il examina aussi l’eau des puits de la Maison de justice, alors située dans les bâtiments du Capitole ; il y trouva les mêmes sels que dans la précédente, et de plus une matière excrémen- titielle qui provenait d’une fosse d’aisances voisine. De pareils faits devaient nécessairement attirer l'attention de l'autorité ; aussi, MM. Magnes et Dispan furent-ils chargés par elle de faire un travail complet sur l'eau des puits de la ville ; il ne faut pas oublier qu’à cette époque les boulangers em- ployaient l’eau des puits à la fabrication du pain. Ce travail long et pénible fut consciencieusement exécuté ; le résultat le plus essentiel des nombreuses analyses qu'il néces- sita , fut la découverte d’une assez forte proportion de carbonate d'ammoniaque et de matières organiques, dans l’eau de tous les puits qui furent examinés. Toutes ces impuretés provenaient du voisinage des fosses d’aisances. L'autorité municipale ne tarda pas à interdire aux boulangers l'emploi de cette eau sale et nui- sible, et à leur imposer l’usage de l’eau de la rivière. En 1831, une mortalité considérable régnait dans les écuries de l'artillerie de Toulouse , et cette mortalité cessa aussitôt que, d’après les conseils de notre confrère, on remplaça l’eau des puits de l'enceinte de l’école dont on abreuvait les chevaux, par celle de la Garonne. A peu près à la même époque , l’eau de nos fontaines prit subitement, pendant les chaleurs de l'été, une odeur et une saveur désagréables. L'Académie, consultée sur la cause de cette DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES, 119 altération, et sur les moyens qu'il conviendrait d'employer pour la faire disparaître, nomma une commission qui reconnut bien- tôt qu'il fallait attribuer ces inconvénients au développement d'une végétation marécageuse, et d’une quantité considérable de coquillages et de reptiles dans le bassin filtre ; on fit périr cette végétation et ces animaux , en mettant le bassin à l'abri de la lumière , et l’eau devint pure comme auparavant. La même altération se reproduisit l’année suivante ; on re- marquait alors à la partie supérieure du château d'eau , dans le bassin circulaire qui verse l’eau dans les tuyaux de descente, des conferves qui se multiplièrent à tel point que les tuyaux de conduite des fontaines établies dans la rue des Couteliers , en furent plusieurs fois engorgés. M. Magnes fut chargé en même temps , par l'Académie et par les autorités, de les examiner tant sous le rapport physiologique que sous le rapport chimique. Il détermina d’abord les espèces botaniques ; c’étaient d’après lui le byssus aurantiata et le byssus elongata de Decandolle. Il en fit ensuite l'analyse chimique ; enfin, il démontra , par des expériences simples et précises, que l’eau puisée dans la Garonne à Braqueville, à demi-lieue à l’amont du filtre, ne contenait pas de germes de ces conferves, et que ces germes de- vaient par conséquent exister dans le terrain du filtre. Dans ce même travail, notre confrère reconnut que les ma- tières organiques contenues dans le sol favorisaient la dissolu- tion du fer dans l’eau ; il déclara, en outre, que le dépôt ferrugineux que l’on remarquait sur nos fontaines, et notam- ment sur celle de la Trinité, cesserait de se former, si l’on pre- nait les précautions suivantes : éloigner toutes les matières or- ganiques en décomposition spontanée qui pourraient se trouver sur les bords de la Garonne à l'amont du filtre : supprimer les plantations qui avoisinent ce dernier, sans négliger les racines. La dissolution du fer par les matières organiques, est aujour- d’hui un fait parfaitement démontré ; M. Magnes a été l’un des premiers à l’observer. Je dois ajouter que l'autorité s'empressa de suivre ses conseils, et que leur exécution conduisit à d'excellents résultats. 420 MÉMOIRES Voilà bien des recherches , et cependant j'aurais encore beau- coup à dire, si je voulais rendre compte de tous ses travaux ; mais je crois en avoir dit assez, pour que chacun de vous ait pu apprécier l'activité ingénieuse de son esprit, et son dévouement continuel au bien-être &e la société. Appelé très-souvent par les Magistrats à résoudre les questions les plus délicates, il leur prêta constamment un concours éclairé, loyal et plein de désintéressement. Il dut à la confiance de l'autorité d'être, pendant plusieurs années, membre du Jury médical de netre département. La Société de Médecine de Toulouse, qui s'était empressée de l’accueillir, lui confia, au bout d’un petit nombre d'années, l'honneur bien rarement accordé à un pharmacien, de diriger ses travaux. Il était aussi l’un des membres les plus actifs de la Société d'Agriculture de notre ville. Il fut longtemps vice-Président du Conseil de Salubrité de Toulouse, aux travaux duquel il prenait une grande part. Mais j'en ai dit assez sur sa vie publique ; permettez-moi de vous entretenir un instant de sa vie privée. M. Magnes possédait un caractère d’une douceur et d'une simplicité admirables ; sa bienveillance le faisait aimer de tous ceux qui l'entouraient, en même temps que son savoir lui va- lait leur considération ; sa modestie était exemplaire, et Je ne puis me résoudre à terminer ce rapide tableau de sa vie sans vous faire connaître l’un des traits les plus curieux qui l'ont signalée. Les services qu'il avait rendus, non-sculement à la ville, mais à la société tout entière, étaient nombreux et considéra- bles ; ils méritaient une récompense à laquelle lui seul n'avait nullement songé, mais qu’on n’eût pu lui refuser sans injus- tice. M. Desmousseaux , préfet de la Haute-Garonne, crut devoir faire des démarches afin d'obtenir pour lui la décoration de la Légion d'honneur. Averti à temps, M. Magnes fit arrêter ces démarches, et refusa cette distinction flatteuse, si rarement ac- cordée à cette époque. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 121 De tels faits caractérisent un homme; ils en disent plus que n’en dirait le plus long de tous les éloges ; on doit les citer sans commeutaires, car les commenter, ce serait en diminuer la va- leur. Les dernières années de la vie de M. Magnes furent marquées par des travaux moins nombreux ; sa santé visiblement affaiblie ne lui permettait plus la vie active à laquelle il était accoutumé. Cependant vous l'avez vu, peu de jours avant sa mort, assister à nos séances et prendre part à nos délibérations. Il fut subi- tement enlevé à ses nombreux amis par une maladie qui dura à peine quelques jours. Le souvenir de ses vertus et de ses nembreux services vivra longtemps dans nos cœurs ; et s’il nous était possible de les oublier un instant, son fils, que nous aimons tous, et dont nous avons depuis longtemps apprécié les nobles qualités, n’est- il pas au milieu de nous pour nous les rappeler sans cesse? 3.° $S.— TOM, IV. 9 MÉMOIRES — 19 15 NOUVELLE PONCTUATION D'UN PASSAGE DE L'ART POÉTIQUE D'HORACE. DISSERT ATION LUE A L'ACADÉMIE LE 46 JANVIER 4945 ; Par M. SAUVAGE. I y a un endroit de l'Art poétique d'Horace qu'on a mal ponctué jusqu'ici, ce me semble, et que, par suite, on a mal entendu. C’est le célèbre passage où il est dit que le bon Homère sommeille quelquefois : Quandoquè bonus dormitat Home- rus. Les éditions les plus accréditées s'accordent toutes pour faire dépendre le sens de ces derniers mots de ceux qui les pré- cèdent immédiatement , et pour les y rattacher par la construc- tion. Je crois que cette leçon n’est pas bonne, qu'elle est con- damnée par le sens général et l’économie du couplet tout entier, par les principes que l'auteur y pose, par les choses comme par les mots, par l'ordre logique comme par l'ordre grammatical, et notamment par le caractère habituel de la critique d'Horace. C’est ce que je me propose d'établir, quand j'aurai d'abord trans- crit la tirade entière à laquelle appartient le passage qui est l'objet de cette discussion. Après avoir indiqué le but de la poésie, posé les règles et si- gnalé les écueils de quelques genres ; après avoir marqué le point de perfection de chacun, qui consiste à réunir l’agréable à lutile, selon la formule célèbre : Omne tulit punctum qui miscuit utile dulci, auteur de l'Art poétique , convaincu plus qu'un DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 123 autre, qu'il est rarement donné à l'infirmité humaine d’attein- dre à cette perfection , ajoute tout de suite : Sunt delicta tamen quibus ignovisse velimus. Nam neque chorda sonum reddit , quem vult manus et mens, Poscentique gravem persæpè remittit acutum - Nec semper feriet quodcumque minabitur arcus : Verüm ubi plura nitent in carmine, non ego paucis Offendar macelis, quas aut incuria fodit : Aut humana parüm cavit natura : quid ergo est ? Ut scriptor si peccat idem librarius usque , L Quamvis est monitus, venià caret ; et citharædus Ridetur, chordâ qui semper oberrat! eâdem : Sic mihi qui, multüm cessat, fit Chœrilus ille Quem bis terve bonum cum risa miror. et idem Indignor : quandoquè bonus dormitat Homerus : Verüm opere in longo fas est obrepere somnum. La substance de ce morceau, où il y a plusieurs traits devenus célèbres, c’est qu’il faut faire grâce à certaines fautes , et ne pas s’offenser, quand les beautés dominent, de quelques taches échap- pées à la négligence ou à la faiblesse humaine : Ubi plura ni- tent, non ego paucis offendar maculis. H est impossible d’être plus clair et plus explicite. Cependant, comme on pourrait abuser de cette maxime sur la tolérance de la bonne critique, et qu'il importe d'ôter touteéquivoque, Horace s'excite lui-même à compléter sa pensée. Quid ergo est? se demande-t-il : Qu'est- ce donc à dire? Et il répond aussitôt : « Comme un copiste de livres est inexcusable de retomber sans cesse dans une faute dont on l’a repris, venié caret ; comme on se moque du joueur de luth qui se méprend constamment sur la même corde , il en est de même du poëte qui bronche toujours ; il est ponr moi ce Chærile chez lequel j’admire , en souriant, deux ou trois pas- sages, en même temps que je m'indigne de ses fautes continuel- les : Quem Lis terve bonum cum risu miror , et idem indi- gnor. » Car c'est ainsi, selon moi , qu'Horace a dû couper les mots et les idées, dans ce développement si plein de sens et d’in- térêt. En effet, s'il est raisonnable d'être indulgent pour des fautes inévitables , il ne l’est pas moins d'être inexorable pour 12% MÉMOIRES des fautes continuelles ; ct le venid caret, qui s'adresse au mau- vais joueur de luth, amène nécessairement l'indignor qui re- garde le méchant poëte, dans un morceau notamment où tout est d’une symétrie parfaite, où les principes sont à peine posés, qu'ils sont soutenus et comme éclairés par des applications. Aussi, quoi de plus naturel, dans mon hypothèse, que les exemples qui suivent et les réflexions qui les accompagnent ? Après Chærile, le mauvais poëte qui se trompe toujours , vient Homère, le grand poëte qui se néglige quelquefois, le premier pour justifier l’indignation, le second pour justifier l'indul- gence. Cette indulgence, dont le principe posé dès le début , sunt delicta tamen , etc, s’est reproduit vers le milieu, r'erüm ubi plura nitent, etc., et se retrouve à la fin, comme conclusion de tout ce raisonnement, verüm opere in long'o fas est obrepere somnum. Mais ce n’est pas seulement par la liaison nécessaire des idées qu'on peut défendre la nouvelle ponctuation que je propose. IE y a des raisons de l’ordre littéraire ct grammatical qui me pa- raissent l’appuyer aussi, et qui viennent me confirmer dans l'opinion que le sens doit être suspendu après le mot ixdignor. Comme il n’est pas ordinaire que la même personne ou la même chose, soient en même temps l’objet de deux sentiments aussi opposés que l'admiration d’un côté, et l'indignation de Fautre, il fallait ici qn’un tour particulier, vif, précis, saisis- sant, Ôtât toute équivoque à cet égard, füt-ce même par une re- dondance. C’est à quoi l’auteur me paraît avoir merveilleusement réussi par cet élégant pléonasme, et idem indignor, auquel il eût été inutile de recourir pour exprimer un sens vulgaire et convenu. Du reste, cette coupe si brusque, et si heureusement appropriée à la situation d'esprit où se trouve en ce moment le poëte, me fait songer qu'avec la leçon que je défends, la cons- truction des quatre derniers vers échappe à la langueur dont, au contraire, elle demeure frappée, du moment qu'il faut lire, tout d’une haleine, les trois premiers, les terminer par une pause, et renouveler l’intonation pour le quatrième, qui se trouve ainsi tout-à-fait isolé du mouvement de la période. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 125 Puisque j'ai abordé des considérations de ce genre, je ferai encore une pelite remarque qui n’est peut-être pas sans portée. S'il avait été dans la pensée d'Horace de rattacher par le sens et idem indisnor à quandoquè, il eût préparé, ou du moins mar- qué ce passage , si inattendu , de son admiration pour Chærile , à son indignation contre Homère , Par une formule adversative, et il eùt dit at idem au lieu de et idem , ce qui était indifférent pour la mesure, mais non pas pour Île mouvement et la suite des idées. L'opinion que je soutiens ressort encore évidemment d'un autre passage du même auteur. Dans sa célèbre épître à Auguste, il est question du même Chærile; et en rappelant que ce mau- vais poëte fut honoré de l'attention d'Alexandre, et que, pour quelques vers faits sans talent et sans art, énerltis versibus et male natis, il recut de ce prince des pièces d’or à l'empreinte de Philippe ; Horace s'indigne à la fois et contre le poële et con- tre le prince. Comme l'encre souilie, dit-il, les doigts qui la touchent , ainsi les louanges d'un poële méprisé salissent des ac- tions brillantes, carmine Jœdo splendida facta linunt, et ce roi, si bon juge d'ailleurs des Lysippe et des Apelle , lai sem- ble né dans l'air épais de la Béotie, Bœétum crasso in aëre , quand il applique si mal le même discernement aux œuvres de l'esprit. Ainsi, tout justifie la ponctuation que je propose : les pro- cédés de la pensée, comme ceux du style, comme ecux de l'analyse grammaticale , indépendamment de l'autorité du pas- sage que Je viens de citer. Tout, au contraire » est plein d'embarras dans l'hypothèse de la leçon généralement reçue. Après avoir posé en principe , par une allusion évidente à Homère, comme la suite le prouve , qu'il ne faut pas , là où les beautés dominent, s’offenser de quelques taches , on s'indigne- rail pourtant contre ces mêmes taches qui viennent se perdre au milieu de tant et de si grandes beautés. Cela n’est pas admissi- ble; si l’on songe surtout qu'Homère est appelé bonus, dans ce même passage où il serait l’objet d'un sentiment plein de vio- lence. 126 MÉMOIRES Mais ce que le raisonnement condamne, l'opinion vulgaire ne l’admet pas davantage. Qui ne sait que le passage en ques- tion est devenu proverbe ‘et que, pour excuser, du moins pour expliquer les fautes échappées aux hommes supérieurs, On va répétant sans cesse, de siècle en siècle, et-dans un sens absolu , quandoquè bonus dormitat Homerus… de plus ce sommeil d'Homère a toujours été jugé avec une extrême indulgence, ou, pour mieux dire, les plus grands esprits n'ont pas voulu le re- connaître. Aristote a consacré le vingt-quatrième chapitre de sa Poétique à chercher comment on peut exeuser les fautes d'Homère, et il trouve douze réponses, ni plus, ni moins, à faire aux cen- sures : naïveté charmante, dit Châteaubriand, dans un aussi grand homme. Un autre éminent critique, Longin, a remarqué, dans le chapitre trente-troisième de son traité du Sublime, que, si l'on prenait la peine de ramasser les fautes d'Homère , elles ne feraient pas la millième partie des belles choses qu'il a dites. Enfin, Quintilien, tout en admettant, d'après Cicéron, que Démosthène sommeille aussi quelquefois, à l'exemple d'Homère, el après avoir remarqué que ce sont de grands hommes, mais des hommes pourtant, summi enim sunt , homines tamen , recom- mande de ne parler de ces grands hommes qu'avec réserve et circonspection : Modestè tamen, et circumspecto judicio de tantis viris pronuntiandum est ; et il aimerait mieux un lec- teur à qui tout plairait en eux , qu'un autre à qui beaucoup de choses déplaisent. C'est là, ce me semble, le caractère de la vraie et grande critique, et le principe dont il faut se pénétrer pour saisir le vrai sens du passage que je viens de discuter. Or, Horace est de Ja famille , ou, plutôt, il est le chef de ces esprits excellents dont la modération et la mesure sont le trait distinc- tif. Quand il n'aurait pas posé et acerédité, par cela même, la maxime, verüm ubi plura nitent, etc., ne résulterait-il pas du caractère général de son esprit que l’indulgence en était le fond? Comment donc pourrait-on séparer sa critique de sa phi- losophie , de cette philosophie qui consiste à fuir tous les excès, principe, comme on l’a dit, également fécond pour le goût et pour le bonheur ? DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 127 Concluons que la leçon vulgaire , dans le passage que je viens de discuter, n’est point admissible ; qu’une ponctuation forte et bien arrêtée, est nécessaire après le premier mot de l’avant-der- nier vers de tout le couplet, 2adignor ; qu'ainsi le veulent la donnée générale du morceau, l’enchainement des idées, les procédés de l'art d'écrire, les nécessités grammaticales , et no- tamment le sens exquis du poële à qui l’on doit, entre autres -préceptes, pleins de raison, les sages maximes dont se trouve particulièrement semé le passage qui vient d'être l’objet de cette dissertation. 128 MÉMOIRES NOTE SUR LES PAROLES ATTRIBUÉES AU LÉGAT ARNAUD, AU SAC DE BÉZIERS : TUEZ-LES TOUS ; CAR DIEU CONNAIT CEUX QUI SONT À LUË. ( Lue le 24 février 1848.) Par M. DUCOS. L'sToRE ne consiste pas seulement dans la narration stérile des faits dont se composent les annales d’un peuple ; sa mission est plus élevée. Elle a un but philosophique qui se révèle par la mise en scène des personnages qui ont produit ou accompli les événements. Elle intéresse surtout, en déroulant sous nos yeux ces caractères que les actesmémorables mettent en relief, et que quelques paroles prononcées dans un moment décisif, font mieux connaître que de longs commentaires. Ilest des mots fatalement célèbres que l’histoire a conservés comme des stygmates qu'elle applique à certains noms. Elle a recueilli les paroles du Conventionnel, qui, en parlant des exécutions horribles de la terreur, disait : On bat monnaie sur la place de la Révolution. Elle a aussi enregistré l’axiome meurtrier d’un Pair de France, qui défendait de cette manière la peine de mort, introduite dans une fameuse loi : « En ma- » tière de sacrilége, la peine de mort n'est autre chose que le » renvoi du coupable devant son juge naturel. » M en est de même des paroles attribuées à Arnaud, légat et généralissime de l’armée des Croisés, qui présidait au sac de Béziers. Arnaud a-t-il récilement proféré ecs trop fameuses paroles DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 129 qu'un historien allemand met dans sa bouche? Telle est la question agitée par des écrivains qui se sont occupés de ces évé- nements , et sur laquelle des doutes raisonnables se sont élevés. Le nouvel éditeur de l'Histoire générale de Languedoc a enri- chi l'ouvrage des Bénédictins d'une longue note sur le sac de Béziers. Dans cette note, pleine de cette érudition de bon goût qui caractérise les ouvrages de M. du Mège (qu’il me soit permis de le nommer), l'on voit qu'il incline à penser que les fameuses paroles n’ont pas été prononcées. Voici comment s'exprime mon savant confrère : « C’est le même auteur qui a raconté des cir- » constances évidemment fabuleuses, car il attribue à l'abbé de » Citeaux une action trop remarquable, pour que eelui-ci ne » l'eût pas rapportée dans sa lettre au pape Innocent lil. » M. du Mège ajoute au bas de la page : « Nous voulons parler » ici de l'ordre de tuer tous les malheureux réfugiés dans » l'église de la Magdeleine, et parmi lesquels on craignait » qu'il n’y eût quelques catholiques ; ordre terrible, formulé » ainsi, a-t-on dit, par l'abbé de Citeaux : 7wez-les tous ! Dicu » connaîlra bien ceux qui sont à lui! Mais ce fait n’est nulle- » ment attesté par les écrivains du pays; et, ce qui est plus » digne de remarque encore, c’est qu'il ne se trouve point dans » le récit de P. de Vaulx-Cernay, qui aurait, sans aucun doute, » trouvé le mot sublime et approuvé avec une sainte joie ect » ordre barbare. » Quelque estime que je professe pour l'opinion de mon savant confrère , il me sera permis d'exposer une opinion contraire, et de déduire les motifs qui peuvent lui servir d'appui. de n’ai pas la prétention de donner une solution à ce problème historique ; je me bornerai à remplir les fonctions de rapporteur ; les lec- teurs lireront la conclusion, Voici d’abord comment-dom Vayssette raconte le fait : « Un » historien contemporain, mais étranger, assure que cent mille » habitants furent tués dans le massacre de Béziers. Ce dernier » rapporte une circonstance que quelques auteurs récents révo- » quent en doute. I dit « qu'avant le sac de Béziers , les croi- » sés Gemandèrent à l'abbé de Citeaux ce qu'ils devaient faire 130 MÉMOIRES » en cas qu'on vint à prendre la ville par assaut, dans l'impos- » sibilité où on était de distinguer les catholiques d'avec ceux » qui ne l’étaient pas. L'Abbé, ajoute cet auteur, craignant que » plusieurs hérétiques ne voulussent passer pour orthodoxes, » dans la vue d'éviter la mort, et qu’ils ne reprissent ensuite » leurs erreurs , répondit : Tuez-les tous, car Dieu connaît » ceux qui sont à lui. Ainsi, on ne fit quartier à personne, » — ( Cœæsar Heisterb. 1. 5, c. 21.) Ainsi, ect auteur, étranger il est vrai, mais contemporain, affirme que le terrible arrêt, qui a coûté la vie au moins à quinze mille habitants de Béziers, nombre avoué par le légat Arnaud dans sa lettre à Innocent HT, a été prononcé par l'abbé de Cîteaux. Pour infirmer son assertion , on oppose : 1° qu'il est le seul entre tant d'écrivains de l’époque qui ait rapporté ces paroles ; 2° que Pierre de Valcernay, témoin oculaire des évé- nements, n’en a rien dit, et qu’il n’eût pas manqué d'en parler avec cette joie naïve qu'il laisse éclater chaque fois qu'il rend compte de l'exécution des hérétiques par le feu. Ces objections me paraissent susceptibles de quelques obser- vations. D'abord , l’auteur allemand qui affirme était contemporain ; et cette circonstance donne un poids singulier à son assertion. Mais est-il bien vrai qu’il soit le seul qui ait rapporté ces pa- roles ou des paroles analogues ? Voici ce que nous lisons dans l’auteur anonyme, qui était aussi contemporain , et qui a écrit en langue romane le récit de la Croisade contre les Albigeois. — L'évèque de Béziers, Régi- nald , était allé, au nom de l'abbé de Cîteaux, enjoindre aux habitants de cette ville de lui livrer les hérétiques ; et les habi- tants avaient répondu par un refus formel , que l'Evêque rap- porta à l'Abbé, généralissime des Croisés : « Et quand lodit » Leguat aguct ausida ladita resposta, facha per lodit Evesque, » se per avan era corrossat, ny enmalignat contra ladita villa, » adonc en es estat may ; el & qjurat que en lodit Beziers no » laissera peira subré peira , que lout no fasse mettre à fuoc » et sang ; tant home que femme et petits enfans , QUE uw DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 131 » SOL NE SERA PRÉS À MARCÉ ; laquellu causa fech , ainsin que » sera dit aisy apres ben al long. » Il faut convenir qu'il y a un grand air de famille entre les paroles rapportées par l’auteur allemand et celles écrites par l'écrivain languedocien. Toutefois, on doit reconnaître qu'elles n'auraient pas été proférées au moment même du sac; mais l'auteur allemand dit aussi avant le sac. En secoud lieu , le silence des autres écrivains n'est pas un argument péremptoire. L'on sait que les auteurs n'ont pas tou- jours écrit l’histoire avec liberté. Le propos était atroce, et l'on pouvait avoir quelque raison de ménager un personnage aussi puissant que l'était alors l'abbé de Citeaux , généralissime de l’armée des Croisés, et devenu bientôt après archevèque de Nar- bonne. D'ailleurs il est à remarquer que l'opinion publique s'était élevée avec force contre l'exécution de Béziers, et que l’on ne larda pas à se repentir des horreurs qui y avaient été com- mises. La preuve en est dans ce que dit Pierre de Valcernai lui-même, au chap. 20 de son livre, où il raconte la prise de Carcassonne. On y lit : « Ces choses ainsi passées, les nostres » eurent conseil comme ils debvaient prendre la cité, se prenans » garde, que d'i faire, comme avoit élé fait à Béziers, ce » serait détruire la cité et consumer tous les biens d'icelle, et » par ce moien, destituer celuy à qui la‘garde du païs serait » baillée, du moien de pouvoir vivre, et pouvoir tenir soldats » pour la garder. » ( Traduction d'Arnaud Sorbin.) En troisième lieu, le silence de Pierre de Valcernai n'est pas plus concluant. La force que l’on veut donner à ce silence repose même sur une erreur. On ne cesse de répéter que Pierre de Valcernai avait été témoin oculaire de l'événement. On se trompe ; le sac de Béziers eut lieu dans l'année 1209, au début de la croisade. Or, Pierre de Valeernai n'est venu à la suite de son oncle Gui, abbé de Valcernai , que lorsque celui-ci eut été élu évêque de Carcassonne , c'est-à-dire, en 1212. C'est ce qu'il explique lui-même au chap. 15 in fine, &e son histoire de la guerre des Albigeoïs. On y lit que l'abbé Gui ayant été élu évêque de Carcassonne, et étant venu prendre possession 132 MÉMOIRES de son évêché, 11 amena avec lui son neveu qui était religieux, « de France en terre étrangère, afin d'avoir compagnie dans » la nouvelle vie qu'il allait embrasser et le nouveau pays qu'il » allait habiter : Electus autem Carcassonensium , de quo » supra tetigimus, erat in civitate ill (Albi&), et ego cum » 00, ME ENIM ADDUXERAT SECUM DE FRANCIA, OB SOLATIUM » SUUM IN TERRA ALIENA PEREGRINUS, Cm essem monachus et » nepos ipsius. » Ainsi, il faut ôter à Pierre de Valcernai sa qualité de témoin oculaire du sac de Béziers. Maintenant voici les faits : 4° L'abbé de Citeaux commandait l’armée des Croisés, on ne peut le nier ; 29 IL est constant que les Croisés égorgèrent tous les êtres humains qu'ils trouvèrent dans Béziers, vieillards, femmes, enfants, prûtres, laïques. Ici les textes abondent. Pierre de Valcernai dit { chap. 18): « Entrans là-dedans, tuèrent tout, » du plus petit jusqu'au plus grand, et mirentle feu à la cité. » Nous lisons. dans la canso de la Crosada contr’els ereges d'Albigés, verset 21 : » Que trastotz los aucisdron ne lor podo far pis » E totz sels aucisian quel mostier se son mis » Que nols por gandir crotz, autar ni cruzifis » E los clercs aucisian li fols ribautz mendics » Æ femnos e efans cane no cug us nichis » DIEUS RECEFIA LAS ARMAS SIL PLATZ EN PARADIS » Cane mais tan fera mort del temps sarrasinis, elc. (1) La férocité de ce massacre est comparée à la férocité des mas- sacres commis par les Sarrasins. (1) «On ne pouvait leur faire pis; on les égorgea lous; on égorgea jusqu’à » ceux qui s'étaient réfugiés dans Ja cathédrale ; rien ne peut les sauver, » ni croix, ni crucifix, ni autel. Les ribauds, ces fous, ces misérables ! » tuèrent les clercs, les femmes, les enfants ; il n’en échappa, je crois, pas » un seul. Que Dieu reçoive leurs âmes, s’ii lui plait, en paradis ! car ja- » mais, depuis le temps des Sarrasins, si fier carnage ne fut, je pense, ré- » solu, ni exécuté, » (Traduction de M. Fauriel.) DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 133 L'auteur anonyme, qui a écrit en languedocien, est en- core plus explicite : « Et talamen an fait les uns et les altres, que dins la villa » de Béziers son intrats non obstant touta defensa et resistansa » faita per losdits de la villa ; on fouc fait lo plus grand murtre » de gens que jamais fossa fait en tout lo monde ; car aqui non » era sparnyat viel ny jove, non pas les enfans que popavan, » los tuavan et murtrisian, laquella causa vesen per losdits de » la villa, se retireguen los que podian dins la grand gleysa » de sant Nazary , tant homes que femas ; là ont los capelas de » aquella se retireguen , fasen tirar las campanas, quand tout » Jo monde fossa mort. Mais no y aguel son, ny campana , D NY CAPELA REVESTIT, NY CLERC , que {out non passés per » le trinchant de lespasa, que ung tant solamen non scapet , » que nou fossen morts et tuats, que foue la plus grand pietat » que jamay se sia ausida et facha , que fouc ladita tueria ct » murtre ; et la villa piliada , meteguen lo foc per tota la villa, » talamen que touta es piliada et arsa, ainsin que encaras de » présen , et que non y damoret causa viventa al monde, que » fouc une cruela vengensa, etc. » L'on voit par ce passage que personne ne fut épargné, ni jeunes ;, ni vieux, ni enfants à la mamelle, ni clercs, ni prêtres revêtus de leurs ornements ; tout fut passé au fil de l'épée ; pas un seul n'échappa. En supposant que les fameuses paroles : Tuez-les tous, car Dieu connaît ceux qui sont à lui, (ce qui veut dire, quand ils seront tous morts, Dieu recevra les siens dans son para- dis) ; en supposant que ces paroles aient été prononcées, il faut convenir que cet ordre atroce ne pouvait pas être mieux exécuté. Et maintenant comment admettre qu'une exécution aussi barbare ait pu être faite sous les yeux d’un général en chef, sans son ordre ; que des croisés aient égorgé, sans ordre, non- seulement les enfants à la mamelle, mais des prêtres revêtus de leurs ornements, ces objets de leur vénération , au pied même des autels ; qu'ils aient pu commettre un si horrible sacrilége, ct sus. 134 MÉMOIRES Que l'on n’objecte pas le défaut d'autorité d’un général sur une troupe si nombreuse, et que son nombre aurait rendue in- disciplinée. Arnaud sut bien faire respecter son autorité quel- ques jours plus tard. Après la prise de Carcassonne, on avait rassemblé le butin immense qui s'était trouvé dans cette ville ; on avait préposé un certain nombre de chevaliers de l’armée pour le garder. Quelques croisés en ayant détourné pour une valeur de cinq mille livres, le Légat excommunia ceux qui avaient commis ce vol ; et par là, il les força à la restitution ; mais à Béziers , il avait gardé le silence. Reste l’imprécation du légat Arnaud , plus haut copiée, lorsque l’évèque de Béziers lui porta le refus des habitants, de livrer les hérétiques : « Il jure que dans Béziers on » ne laissera pas pierre sur pierre , qu'il fera mettre tout à > feu et à sang ; que ni homme , ni femme , ni petits enfants, > que pas un seul ne sera reçu à merci : chose qu'il fit, ajoute » l’anonyme Languedocien, ainsi qu'il sera dit ci-après tout au » long. » Voilà les paroles d’Arnaud. Il est vrai que l’on n'y lit point celles-ci : Dieu connaît ceux qui sont à lui. Mais, à part cette assertion rassurante , l’ordre au fond n'est-il pas le même ? Enfin , l’auteur de la canso n’a-t-il pas traduit et consacré les paroles d’Arnaud par ce vers déjà cité : » Dieus recepia las armas sil plalz en paradis !» « Que Dieu, sil lui plaît, recoive leurs âmes en paradis ! » Nous nous abstenons d'émettre une opinion sur la question soulevée. Il nous suffira d’avoir réuni quelques éléments qui peuvent mettre le lecteur à même de former la sienne. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 135 NOTES SUR LES MONUMENTS ÉGYPTIENS CONSERVÉS A TOULOUSE ; Par M. pu MÈGE. Ex prononçant, dans le sein de l’Académie des Sciences de Toulouse, l'éloge de mon illustre ami, M. Champollion , je disais (1) : « Ce ne sera pas seulement par des révolutions poli- tiques , par le fracas des conquêtes , par cette conflagration Eu- ropéenne, dont nous éprouvons encore l'influence, que les com- mencements du dix-neuvième siècle exciteront l’étonnement de l'avenir ; ce sera aussi par les plus étonnantes découvertes ; et, dans le nombre, on distinguera toujours celle qui nous a rendu l'Egypte antique; l'Egypte, dont l’histoire réelle semblait se dérober aux regards, comme la mystérieuse divinité de Saïs, sous les voiles qui recouvraient sa statue. » Tant que l'on n’a pu retrouver le sens des caractères qui recou- vrent les monuments égyptiens , on n’a dü les considérer que comme de simples objets de curiosité. IL n’en existait qu'un très-petit nombre à Toulouse , et seulement dans le cabinet de l’Académie et dans celui de M. de Montégut. On donnait le nom banal d'Osiris, à toutes les figurines au menton desquelles exis- tait une barbe ; les autres étaient des représentations d’Jsis et d'Aorus. Mais, à l'instant où les recherches philelogiques et archéologiques indiquèrent, à la science des anciens jours, l’im- portance incontestable de tous les monuments de l'Egypte, j'en recueillis un grand nombre. Placés maintenant dans l’une des galeries du Musée de cette ville , avec ceux qui proviennent (1) Mémoires de l Académie des Sciences , Inscriptions et Belles-lettres de Toulouse , 2° série, tom. in, pag. 69. 136 MÉMOIRÉS du beau cabinet de M. de Clarac, ils forment une collection, en- core trop peu étendue , sans doute, mais qui, cependant, offre de puissants moyens d'instruction. C’est de cette série de monuments que je vais entretenir Académie. Elle verra que l’on peat déjà se livrer, avec l’aide de ces objets, à l'application du système, si important, des écritures égyptiennes, à l'étude de la mythologie enseignée dans les temples de la vallée du Nil, et, aussi , à celle des habitudes du peuple qui l'habitait, et qui nous a laissé tant de traces de son passage. Je diviserai ces Notes en plusieurs sections. La première sera relative aux figures des divinités. | Monuments mythologiques. Ammon-Ra était, selon un monument du Musée de Turin, de Dieu Grand, manifesté dans les deux firmaments, et le chef des autres grands Dieux. M prend souvent dans les inscrip- tions lépithète de Dieu pur. On sait qu’Æmmon, le Zeus des Grecs, le Jupiter des Latins, était le principal Dieu de Thèbes. Le Musée possède plusieurs statuettes qui le représentent ; les unes sont en émail, d’autres en bronze, quelques-unes en bois. La tête du dieu est surmontée, le plus souvent, de deux grandes plumes. Quelquefois cette tête est couverte du Pschent , orné de l'urœus, et alors Æmmon-Ra tient le pedum ou sceptre , et le fléau. On le voit aussi ayant une tête d'épervier, et coiffé du disque et de l'urœus. Deux de ces statuettes le montrent porté sur un lion ; il est là, coiffé aussi de deux grandes plumes, et couvert du pagne ou de la tunique courte. Ce dicu, offert sous la forme humaine , eut assez souvent une tête de bélier. Alors ces figures assimilent Æmunon à Knef, ou Xnouphis, représenté de cette manière douze fois dans le Musée de Toulouse. Dans les inscriptions égyptiennes , le nom d'Ammon est formé d’ane feuille, ou plume, d’un parallélo- gramme , quelquefois crénelé, d'une ligne brisée et d’une ligne DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 137 horizontale , ce qui offre tous les éléments du commencement du nom de ce Dieu ; la feuille étant la voyelle À, le parallélo- gramme la lettre M, et la ligne, soit brisée, soit horizontale, VN. Ce nom se retrouve sous des images humaines, à tête de bélier, et distinguées, soit par un wrœæus, placé entre les cor- nes, soit par une coiffure toute différente de celle d’'Æmmon. Mais, dans les inscriptions, après l'indication du nom d’Æmoun, ou Æmoun-Re, ou Ra, on trouve celui de NEV ou NEF, qui rappelle le principal dieu de la Thébaïde qui, suivant Plu- tarque et Eusèbe, était désigné par le nom de Knef ( Kvwro), qui ne paraît pas différer du Kyouo-1 de Strabon. Le syn- chronisme des deux divinités serait démontré d’ailleurs par les inscriptions, et surtout par celle des cataractes, si bien expli- quée par M. Letronne, et qui annonce qu Ammon est aussi Knouphis où Knoubis. Auyow o za Xvoube. Sur l’une des stèles en terre cuite de notre Musée, M. de Clarac a cru reconnaître, d'un côté, en relief, l'image du dieu Knef, assis, la tête surmontée du disque solaire, entouré d’un urœus. Le dieu tient à la main le sceptre ou gum à tête de Coucouphah. Au revers de cette stèle, qui n’est point funéraire, est gravé , en creux, le symbole de la vie divine. Le dieu Phtha, qui devint l'Æephaistos ( Hegaicroç) des Grecs, et le Vulcain des latins, ajoute souvent à son nom, dans les monuments égyptiens, celui de Socharis. Quelquefois il prend l’épithète de Stabiliteur, de Seigneur de justice et de Roi du monde terrestre. Le Musée de Toulouse renferme un bon nombre de figures de ce dieu. Quelquefois ses jambes sont contrefaites. L’une des plus remarquables, actuellement dans cette collection , représente Phtha Socharis, ayant sur sa tête le scarabée, emblème de la génération et du monde matériel ; il tient dans ses mains un xrœs, placé sur sa poitrine. Deux éper- viers sont sur ses épaules ; il appuie chacun de ses coudes , à droite, sur la déesse Zsis ; à gauche, sur la déesse Nephtys; sur la partie postérieure , on croit reconnaître, comme sur un mo- nument du Musée Charles X, la décsse Æthor, couvrant Phtha de ses ailes. Ce dieu prend quelquefois le nom de Thré 3.9 S.— TOME IV. 10 138 MÉMOIRES ou de Thoré , lorsque, comme dans cette figure , sa tête est sur- montée d’un scarabée. Ainsi que je l'ai dit ailleurs : « Quel que soit en apparence le grand nombre des dieux adorés par les anciens peuples , on s'aperçoit bientôt, en remontant vers les époques les plus recu- lées, que les systèmes religieux tendaient fortement vers l'unité. Ainsi, les prêtres égyptiens réunissant, sur un seul être divin, les attributs de quelques autres , voulaient indiquer cette unité. Ils le firent pour Æmmon-Ra , nommé par eux l'Ordonnateur du firmament , le Roi des dieux , selon des inscriptions hiéro- glyphiques ; et, souvent, les autres divinités ne sont que des émanations de ce Dieu. L’une d’elles fut la déesse Bouto ou Thermouthis , la Grande Mère , qui est la forme primitive de Neith. Parmi les statuettes de cette déesse, actuellement conservées dans le Musée, on en distingue une en bronze, qui provient du cabinet de l'Académie. Sa tunique est très-serrée ; ses bras sont pendants, sa tête est coiffée du Psencht. Les inscriptions hiéroglyphiques donnent le nom de Djom à l’Hercule égyptien, pris, par Champollion, pour l’une des formes de Kneph-Demiurge. Le Musée en a reçu plusieurs fi- gures provenant du cabinet de M. de Clarac; quelques-unes sont en bel émail bleu, une autre en émail jaune. Ce Dieu est, le plus souvent , coiffé de longues palmes, ayant la figure bar- buc, le bas du corps entièrement découvert. Ses formes généra- les sont celles de Pygmée , ou de Patæque. Hathôr, surnommée , quelquefois, l'OEt/ du soleil, la Rec- trice de tous les dieux, la Dame du ciel , était l'épouse de Phtah. Ce fut, pour les Égyptiens , la Vénus céleste. L'une de ses figures , dans notre Musée, la représente assise. Sa tête est couverte d’une coiffure formée par le vautour, surmontée d’un urœus, et ayant devant lui douze autres wrœus , de plus petites dimensions. Le dieu Harsiesi, ou le premier Æorus, portant le doigt indi- cateur sur la bouche , a aussi plusieurs de ses images dans notre Musée. L’une en marbre blanc, rapportée par le général Dugua, DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 139 gouverneur de la Basse-Egypte, date peut-être du temps des Pto- lémées. Dans la même galerie est le dieu Xons, ou Xonso, l'une des formes d'Æaroeri ou d’'Harpocrate. Là aussi, est la déesse léontocéphale Herephta. C'était la grande déesse de Memphis , et l'épouse de PAtah. Champollion croyait y retrouver l'une des formes de Z'hermouthis ou de Neith. Dans les mêmes vitrines on remarque onze statuettes de Phré ; elles sont toutes hiéraco- céphales, c'est-à-dire, à tête d'épervier. Phré était le roi du monde physique ; il était fils de PAtah et de Neith, nourrisson d'Athor et père des dieux de la seconde classe. Osiris, ce dieu si mal connu de ceux qui ont borné leurs in- vestigations aux détails qu'on lit dans les dictionnaires de mythologie, où même à ce que l'on trouve sur lui dans les écrits de Plutarque, n'était pas le plus puissant des génies adorés par les Égyptiens, mais c'était peut-être le plus populaire. Son image se retrouve sur un grand nombre de monuments renfer- més dans l’une des galeries du Musée de Toulouse. Il est debout, barbu , enveloppé d’un vêtement étroit, quelquefois de bande- lettes , pour rappeler qu'il avait, lui aussi, été sujet à la mort. Sa tête est couverte du Pschent. I tient d’une main le fouet et le pedum, emblèmes de la double faculté que possédait ce dieu , d'imprimer le mouvement et de le suspendre à volonté. Sur plusieurs de nos figurines sa coiffure est flanquée de deux plumes, symboles de la justice, et qui indiquent qu'il est chargé de décider des destinées des morts. Fils de Scev (le Saturne des autres peuples) et de Nephté où Rhea , on lui donne les épi- thètes de Stabiliteur et de Seigneur du ciel. W avait, pour femme, Zsis-Neith, incarnation de Neith, et chargée du soin d'organiser la société humaine. Nous possédons plusieurs figures d’Isis, en bronze et en terre émaillée. Près d'elles se retrouvent celles de Nephtys, sœur d'Osiris et d'Jsis, fille de Nephté et de Scev, mère d'Ænubis , et nourrice d’ÆZorus. Anciennement les antiquaires l'avaient presque toujours confondue avec Zsis, allai- tant son fils Æorus ; mais on peut facilement la distinguer à la corbeille et à l'espèce d'édifice qui surmontent sa coiffure , car ces objets expriment, en langue égyptienne, le vrai nom de cette 140 MÉMOIRES déesse. Nous la retrouvons , dans ce Musée, faisant partie de plusieurs Zriades, où l'on voit Fsis, ou Néith, placée à gau- che, à droite Nephtys, au milieu Æorus. La déesse Saté, à tête de chat, Typhon, Thaoeri, ou Thouéris, concubine de celui-ci, la déesse Oph ou Nephté, considérée comme mère de Zyphon, sont représentées dans nos collections par plusieurs statuettes. L’une d’entre elles, prise pour celle de Thaoeri , et qui offre l'image d'un hippopotame, pourrait être la figure de la déesse Ont, dans laquelle on croit reconnaître là constellation de la Grande Ourse , nommée le Chien de Typhon, et le Cerbère de l'enfer égyptien. Le Musée possède d’ailleurs un bon nombre de figures d'Omt , ou Ombo , en terre émaillée. On y trouve aussi plusieurs statuettes du dieu Ænubis, à tête de chakal. L'une d'elles est en bois , et d’un travail très-fin. On sait que quatre génies, ou dieux particuliers, étaient at- tachés au service de l'ÆAmenthi ou de l'enfer égyptien. Le beau rituel funéraire, publié dans la Description de l'Égypte, ret- ferme ce passage : « Les dieux Æapi, Omscth, Soutmautf et Kebhsniv, ont pour père Æorus, et pour mère sis. » Ils étaient représentés, et on les voit sur plusieurs des monuments de notre Musée, sous la forme humaine. Mais si Omseth, ou Amseth, a une tête d'homme, api a une tête de cynocéphale ; le corps de Soutmauif est surmonté d'une tête de schakal, et, le dernier, est hiéracocéphale , ou à tête d'épervier. Ces têtes servent de couvercles à un bon nombre de vases en albâtre et en grès, qui font partie de nos collections, et qui proviennent des hypogées. On sait que ces vases renfermaient les intestins des personnes embaumées , ou momies. Le Musée possède plusieurs figures des animaux sacrés, em- blèmes des divinités égyptiennes ; Fepervier, coiffé du Pschent , Les taureaux 4pis ct Mhnevis, le bélier d’Æmmon, la truie, sym- bole de Thouéris, le cynocéphale qui l'était du second 7ot, la mygale où musaraigne , consacrée à Néith-Thermoutis, ou Bouto , le sphinx sans tête, qui recevait, tantôt celle de PAré, tantôt celle d’Ætmou , seconde figure du soleil , emblème de ces DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 141 deux êtres mythologiques... Là aussi, se trouve une série de scarabées, et l'œil droit d'Osiris, et le vase Heri, et les grandes plumes que l'on plaçait sur la tête d'Ammon-Ra, que les inscriptions hiéroglyphiques nomment le Roi des dieux et le Maitre des trois zones de l'univers. IL. Monuments historiques. Si nos séries mythologiques sont assez riches pour suffire à de premières études sur le système religieux des Égyptiens , il n'en est pas de même de la suite de nos monuments historiques ; el l'on sent que l’empressement de ceux qui ont formé, pour les diverses capitales de l'Europe, des collections de ce genre, n'a presque rien laissé à recueillir en ce genre aux amateurs peu fortunés, aux villes qui venaient trop tard pour réunir ces objets si précieux, qui nous font connaître le peuple le plus anciennement civilisé , et les dynasties qui, durant une lon- gue suite de siècles, ont régné sur lui. Cependant, si le Musée de Toulouse n'offre point aux regards curieux des statues Pharao- niques et des stèles royales, il possède cependant beaucoup d'ob- jets qui doivent être classés parmi les monuments historiques , car ils ont été à l'usage du peuple égyptien ; on y retrouve les arts de celui-ci, on y étudie ses habitudes, Mais, la troisième classe de nos séries égyptiennes est beaucoup plus importante, et nous terminerons par elle ces Notes, tracées à la hâte, mais qui sont le résultat des plus consciencieuses études. IT. Monuments funéraires. Le dogme consolant de l’immortalité de l'âme était, en Égypte, la base sur laquelle s'appuyait la morale publique. Des peines attendaient le méchant qui avait souillé sa vie : des récom- penses éternelles attendaient, dans l'Æmenthi, séjour de la justice et d'un Dicu rémunérateur, les âmes des justes. Ces âmes, on les avait représentées sous la forme d'un épervier 10* 142 MÉMOIRES à tête humaine, et notre Musée possède quelques-unes de ces images , quelquefois coiffées du Pschent , flanqué de deux plu- mes, et surmonté du disque solaire. Un épervier coiffé ainsi était, comme on le sait , l'emblème d’une âme royale ou céleste. On a dit, avec raison, que les Égyptiens s’occupaient bien plus de la vie future que de la présente. Leur respect pour les morts était extrême. Leurs hypogées , les caisses qui renferment leurs corps momifiés, offrent une foule d'objets qui nous révè- lent les pensées de ce peuple, ses croyances , son désir de l'im- mortalité. On voit, étalés sur les tablettes de notre galerie, des scarabées funéraires qui sont couverts, dans leur partie plate, de lignes en caractères égyptiens, ou d’images saintes. Le scara- bée , cet insecte sacré, symbole, comme je l'ai dit, de la gé- nération et de la renaissance, ou résurrection , était placé dans l'estomac, dans les mains, sur la poitrine, ou derrière l'oreille des corps embaumés ; et, «si l’on s'arrête, dit Champollion , à l'hypothèse que les scarabées de terre émaillée purent faire lof- fice de petite monnaie , comme les couris de l'Inde, on pourra voir, dans les grands scarabées funéraires, des espèces de mon- naies d’un grand module, portant le nom du défunt, et tenant lieu de l’obole que d’autres peuples plaçaient dans la bouche des morts, pour payer leur passage au nautonier Caron, dont le nom et le mythe tout entier sont incontestablement d'origine égyptienne. » Les inscriptions de ces scarabées offrent d’ailleurs une prière constamment la même, et ne diffèrent que par le nom propre du défunt. Plusieurs de nos scarabées offrent, depuis scpt jusqu’à douze lignes de caractères hiéroglyphiques : les uns sont en émail, beaucoup en terre vernisséc, quelques-uns en pierre dure, d'autres en hématite. La série des stèles funéraires du Musée de Toulouse est digne de beaucoup d'intérêt. Ainsi que je l’ai dit dans un autre ouvrage : « Chacun de ces monuments était encastré dans le mur des hypogées, près de la momie du personnage en l'honneur duquel il avait été sculpté, soit en relie*, soit en creux. Là, quelquefois, une DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 143 famille tout entière est représentée faisant des offrandes aux dieux de l'Æmenthi, ou à celui dont elle regrettait la perte. Chaque chef de famille devenait en quelque sorte un dieu, lors- que , après avoir terminé une vie passagère , il avait été admis dans le séjour du bonheur éternel , par Osiris et par les autres déités , ses parèdres. Les stèles funéraires étaient les monuments de ce culte intime , et aussi des vœux adressés aux immortels pour ceux qui n'étaient plus. Les unes offrent des actes d'adora- tion à Osiris, à Horus, vengeur de son père Osiris, à Isis, qualifiée des titres de Grande Mère divine, de Dominatrice du ciel, de Rectrice de tous les dieux ; et l'on y voit aussi des enfants pieux, présentant, à leur parents défunts, des libations, des fruits, des fleurs de lotus. Dans d’autres, on fait un acte d’adoration à Osiris, seigneur de la Région de stabilité , et aux autres dieux, pour qu ils accordent une demeure pourvue d'aliments, de bœufs, d’oies, de parfums, de cire, à celui qui en fait la demande. Toutes les stèles du Musée de Toulouse, à l'exception de deux qui ont fait partie du cabinet de M. de Clarac, étaient autrefois placées dans ma collection particulière. Chargées de longues ins- cripüons , ornées des figures des déités de l_Æmenthi et de celles d'un grand nombre de personnages des deux sexes , elles four- nissent des éléments précieux pour la connaissance des croyances et des coutumes de l'Égypte, à des époques très-reculées. J'ai déjà mentionné les vases funéraires dont les couvereles sont façonnés en têtes d'épervier, de schakal et d'homme , indi- quant les Génies des morts. Il existait en Égypte une classe de prêtres chargés spécialement de l'embaumement des corps ; on les nommait Taricheutes et Colchytes; des papyrus, retrouvés depuis peu d'années, donnent des détails sur celte caste sacerdo- tale. Ils retiraient, des corps, les viscères et toutes les parties in- térieures, et ils les préparaient à part; le cerveau , le foie, ete., étaient enveloppés dans des langes ; après avoir été imprégnés d'une liqueur conservatrice ; on en formait plusieurs paquets , d'une forme cylindrique. Ces paquets étaient ensuite déposés dans des vases qui avaient tous le même galbe , mais dont les 144 MÉMOIRES couvercles étaient différents, selon les parties qu’ils renfer- maient. Ils représentaient, comme on l'a vu, les têtes symboli- ques des quatre génies des morts dont j'ai déjà parlé... Ces génies , frères d'Ænubis, nommé quelquefois /e surveillant des corps, étaient censés présider à l’'embaumement. Quatre ou cinq vases, ainsi formés , étaient placés près de chaque mo- mie, et chacun affectait dans son intérieur la forme cylin- drique , afin de renfermer avec exactitude le dépôt qu'on y plaçait, et qui, ainsi que je l'ai dit, était aussi roulé en cylindre. Quelques-uns de nos vases funéraires sont chargés d’inscrip- tions hiéroglyphiques , dont les caractères sont relevés par une teinte bleue que le temps n’a pas sensiblement altérée. On sait que de simples feuilles de papyrus nous ont conservé, soit la mémoire de faits importants que l'histoire n'avait pas re- cueillis, soit le rituel funéraire des peuples de l'Egypte. Nous n’en possédons que des fragments, mais qui offrent un grand inté- rêt ; plusieurs de ces manuscrits sont en caractères hiératiques. « IL est certain, dit M. Letronne, que les caractères hiératiques étaient une espèce de caractères sacrés, puisque , selon saint Clément d'Alexandrie, c'était celle dont les Aièrogrammates, ou greffers sacrés, se servaient. Ces caractères n'étaient autre chose que des hiéroglyphes cursifs ou abrégés ; » espèce de tachygra- phie hiéroglhyphique..…... Champollion la nomma écriture sacerdotale, comme étant employée par les prêtres dans les manuscrits, tandis que l’écriture hiéroglyphique était pro- prement l'écriture monumentale, ainsi que l’exprime le mot tepoyhuquea , littéralement : caractères sacrés sculptés. Plusieurs caisses peintes, renfermant des momies, font par- tie des collections du Musée. Elles seront l’objet d'un travail spécial dont l'intérêt ne saurait être douteux. Mais les monuments les plus nombreux dans notre collection et dans toutes celles qui ont été formées, sont, sans aucun doute, les images funéraires, que l'on retrouve dans les hypogées ct les tombeaux. Ces images représentent ordinairement un per- sonnage étroitement serré dans des bandelettes, sauf les bras qui se croisent sur la poitrine ; chaque main tenant une char- DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 145 rue, une houe, etle cordon passant par-dessus l’une des épau- les, et auquel est suspendu un sac plus ou moins orné. Tout le monde sait que ces instruments d'agriculture étaient destinés , selon les croyances de l'Égypte, à travailler, à féconder le sol heureux, placé sous la domination d'Osiris, et que devaient habiter à jamais les âmes justifiées. Le sac renfermait les se- mences qui devaient germer, croître et fructificr dans les champs, devenus la demeure des sujets du roi de l'Æmenthi. Ces figurines offrent toujours les mêmes formes ; presque loutes sont chargées d’une inscription en caractères hiéroglyphiques. Quel- quefois celle-ci consiste en une simple invocation ; quelquefois aussi elles sont très-étendues , et l'on y trouve les noms d’une foule de personnages qui ont occupé un rang plus ou moins élevé dans l'antique Égypte. On y reconnaît les membres des di- verses classes de la société. On a cru même pouvoir, avec leur aide , retrouver quelquefois la filiation de plusieurs maisons célèbres ; les rois et les derniers personnages du peuple sont meulionnés dans ces inscriptions , trop peu étudiées encore. Je pourrais fournir à ce sujet quelques exemples , si les bornes de ce Mémoire me permettaient d’eatrer à ce sujet dans des dé- tails qui ne seraient pas dépourvus d'intérêt, Je l'essaicrai peut-être un jour. Plusieurs de ces figures offrent des cartou- ches royaux, mais en partie mutilés. Sur lune d'elles, nous en remarquons un qui contenait huit signes, parmi lesquels un seul, la Lgne ondulée , a presque entièrement disparu, et je lis, comme le docteur Ricci, à Sabout el Kadém , le nom de Mandouvï, serviteur de Phtah, pour toujours. C’est V Æchen- chérès des chronologistes, qui fut le successeur d'Owsirer, et qui régna vingt ans et trois mois. Mandoueï fut le treizième prince de la XVII dynastie, et l'époque de son avénement répond, à peu près, à la 1585° année avant Jésus-Christ. Ainsi, cette figurine, en bois de sycomore, fragile et léger monument, a traversé plus de trente-quatresiècles, pour parvenir jusqu'à nous. 146 MÉMOIRES NOTE SUR QUELQUES FAITS RELATIFS A L'HISTOIRE DE L'ARSENIC ; Par M. E. FILHOL. Les deux faits que j’ai l'honneur de communiquer à l’Acadé- mie font partie d’un travail plus étendu que j'espère lui sou- mettre dans quelque temps. Je n’ai rédigé la note actuelle que pour conserver mes droits à la priorité de leur découverte. On sait que, pour caractériser les taches présumées arséni- cales , les chimistes les dissolvent habituellement dans l'acide azotique , font évaporer la solution, et versent sur le résidu sec de l’azotate d’argent qui produit (si elles sont réellement formées par de l’arsenic), soit un précipité, soit simplement une colo- ration rouge brique due à la formation d'un peu d’arséniate d'argent. Je propose de substituer à ce procédé le mode opératoire sui- vant, qui conduit plus facilement au même résultat, et qui m'a paru préférable sous le rapport de la sensibilité : Placer dans une soucoupe ou une capsule pareille à celle sur laquelle se trouvent les taches, un mélange d’hypochlorite de potasse ou de soude, et d’acide sulfurique étendu de vingt fois son volume d’eau ; recouvrir ce mélange par la capsule ou la soucoupe qui porte les taches ; au bout de deux minutes au plus, les taches ont disparu ; verser alors sur la place qu'elles 2ccupaient, de l’azotate d'argent, qui fait paraître immédiate- ment le précipité rouge brique d’arséniate d’argent ; une tache suffit pour produire une réaction bien tranchée. Le deuxième fait est relatif à la composition chimique de l’ar- sénile d'argent. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 147 On attribue à cet arsénite la formule aso #, 2 ago ; plusieurs analyses m'ont démontré qu'il fallait lui attribuer la formule aso 5, 3 ago. Voici la moyenne de six analyses : Calculé d'après la formule trouvé. aso, 3 ago. Acide arsénieux.. 23,05 Acide arsénieux. 23,00 Oxyde d’argent.. 76,95 Oxyde d'argent. 77,00 100,00 100,00 Séance du 2 mars. 9 mars. 16 mars. 30 mars. 148 MÉMOIRES BULLETIN DU MOIS DE MARS. M. Firmoz donne lecture de l'Éloge de M. C Magnes- Lahens père. Ce travail est adopté (il sera imprimé } M. Jocy fait un rapport verbal et très-favorable sur un 7raité d'anatomie des animaux domestiques , adressé à l’Académie par M. Lavocat, Professeur à l’école vétérinaire de Toulouse. CS M. pu MÈëce donne lecture de Notes sur les monuments Égyptiens conservés dans le Musée de Toulouse. M. Hauez commence la lecture d’un Mémoire ayant pour titre : Aperçu sur l’histoire de la Comédie grecque. M. Levuerie donne lecture de la partie géologique d’un Mémoire sur les Nummuliies considérées zoologiquement et géologiquement, travail dont M. Joly avait déjà traité la partie zovlogique dans une précédente séance. {Les Mémoires de ces deux Académiciens seront imprimés. } M. Nourer fait un rapport verbal favorable sur un ouvrage de M. J. B. Gassis ; d'Agen, ayant pour titre : Essai sur le Bulime tronqué. Le Rapporteur propose d’accorder à M. Gassis le titre d’Associé correspondant , qu’il sollicite. Cette proposition ayant été prise en considération , il y sera statué dans la pro- chaine séance. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 149 MÉMOIRE SUR LES NUMMULITES CONSIDÉRÉES ZOOLOGIQUEMENT ET GÉOLOGIQUEMENT ; Par MM. N. JOLY et LEYMERIE, Professeurs à la Faculté des Sciences de Toulouse. BUT ET PLAN DE CE MÉMOIRE. La Nature est si riche et si féconde , le champ qu’elle offre à nos observations est si vaste , que l’on ne peut en explorer attentivement la plus faible partie, sans voir bientôt le nombre des faits s’'augmenter , les aperçus se présenter en foule, et les déductions se multiplier au point de ne pouvoir plus être con- tenus dans les limites que l’on avait voulu d’abord s'imposer. Bien plus, un plan était tracé, où chaque partie se trouvait d'avance placée et proportionnée à l'égard des autres de manière à garantir l'unité et l'harmonie ; mais telle est la faiblesse de l'esprit humain, que bien souvent nous sommes forcés de mo- difier et même de changer complétement l'ordonnance et les proportions d’un travail que nous croyions avoir définitivement arrêté. Ainsi, tel point dont nous considérions l'étude comme purement accessoire , acquiert, dans bien des cas, et presque malgré nous , une importance que nous étions d’abord bien loin de lui supposer, et qui nous oblige à le reprendre en sous- œuvre et à le traiter à part. Une circonstance de ce genre a donné naissance au Mémoire que nous soumettons aujourd'hui au jugement des zoologistes et des géologues. En effet, dans le principe de nos recherches, nous n'avions en vue qu'un travail purement spécifique , dont 3.° S.— TOM. IV. 11 150 MÉMOIRES le but était la description des FoRAMINIFÈRES qui caractérisent les couches secondaires supérieures des Pyrénées. Mais en nous occupant du genre Nummulite, le plus important de tous ceux que nous avions à décrire , nous ne lardämes pas à nous apercevoir de l'insuffisance des ouvrages où l’on traite des corps singuliers que ce genre renferme, et des erreurs dans les- quelles la plupart des naturalistes sont tombés à leur égard. Des circonstances favorables nous ayant d’ailleurs révélé des faits propres à jeter un jour nouveau sur les points fondamentaux de leur histoire naturelle, nous n'avons pas hésité à suspendre notre premier travail (4), pour donner tous nos soins à un Aémoire destiné à faire connaître nos observations et nos vues touchant les MNummulites considérées d’une manière générale. Le désir d’être tout à la fois aussi utiles et aussi complets que possible, nous a déterminés à faire précéder ces nouvelles observations d'une Revue historique et bibliographique des principaux au- teurs qui ont parlé des Nummulites, et à présenter ensuite, sous la forme d’un résumé, l’état actuel de nos connaissances sur ces fossiles embarrassants. La partie géologique de notre travail aurait pu , à la rigueur, ne consister qu’en une indication générale des principaux gise- ments des Nummulites. Mais, prenant en considération l’ac- tualité de la question relative à l’âge des terrains que caractérise particulièrement ce genre de débris organiques ; bien convain- cus, d'un autre côté, que la divergence qui existe à cet égard entre les géologues dépend beaucoup des points de vue trop locaux où ils se placent, et de l'influence qu'ils subissent de la part des théories reçues , nous avons cru rendre un véritable service en indiquant, aussi complétement que nos faibles res- sources en province ont pu nous le permettre , les limites , l'é- tendue cet les caractères généraux de ces terrains, considérés indépendamment de toute idée systématique. Une esquisse ra- pide des principales opinions émises au sujet du classement des (1) La publication de ce travail suivra de près celle du Mémoire que nous faisons paraître aujourd’hui. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 151 couches nummaulitiques par les savants qui en ont fait une étude spéciale , nous a également paru pouvoir trouver ici une place toute naturelle. Notre Mémoire sera donc divisé en deux grandes parties, l'une zoologique, l'autre géologique, et chacune de ces parties offrira des divisions dont les principales sont indiquées dans le tableau suivant. PARTIE ZOOLOGIQUE. SECTION À. HISTORIQUE. SZ. Noms variés, souvent bizarres, donnés aux Nummulites. $ HI. Revue des principaux auteurs qui ont parlé des Nummu- lites; opinions successivement émises au sujet de ces fossiles. SECTION B. EXPOSÉ DE NOS RECHERCHES. SECTION C. RÉSUMÉ DES CONNAISSANCES ACTUELLES SUR LES NUMMULITES. PARTIE GÉOLOGIQUE. SECTION À. NOTIONS PRÉLIMINAIRES,. SECTION B. GISEMENT DES NUMMULITES. $ X. Gisement septentrional ou Océanique. SEX. Gisement méridional ou Méditerranéen. SECTION C. EXPOSÉ SUCCINCT DE NOS CONNAISSANCES ACTUELLES SUR LE TERRAIN A NUMMULITES MÉRIDIONAL. SI. Caractères généraux de ce terrain. $ XL. Revue critique des principales opinions émises sur la place que ce terrain doit occuper dans l’échelle géologique. 152 MÉMOIRES L. PARTIE ZOOLOGIQUE. SECTION AÀ. HISTORIQUE. $S I. Noms variés, souvent bizarres, donnés aux Nusmimulites. Dgpuis Strabon jusqu’à nos jours, une foule d'auteurs ont pu des Nummulites ; mais il faut traverser une longue série de siècles avant de trouver dans leurs ouvrages des notions raisonnables et quelque peu précises sur ces curieux fossiles. Une des preuves les plus frappantes de l'incertitude de leurs opinions à cet égard, c’est le grand nombre des dénominations qu'ils ont tour à tour appliquées à ces débris organiques dont nous allons nous-mêmes tracer l'histoire. Quelques-uns de ces ‘noms nous paraissent curieux à citer, parce qu'ils sont à eux seuls l'expression la plus fidèle des idées scientifiques qu'on y attachait à l'époque où ils avaient cours. Comme on pouvait s'y attendre, la plupart d'entre eux consacrent une erreur ou une absurdité. Ainsi, les dénominations de pierres lenticulai- res, pierres numismales , tout en rappelant la ressemblance des Nummulites avec une lentille ou une pièce de monnaie, rap- pellent aussi la pieuse crédulité des habitants de Vicence et des ‘Eransylvaniens. En effet, pour expliquer la présence des Num- mulites dans leur pays, les Vicentins racontent sérieusement que ces corps ne sont autre chose que des lentilles de la soupe d'une vieille dévote, pétriliées par un miracle de la Vierge, tandis que les habitants de la Transylvanie prétendent que.ce sont autant de pièces d’or converties en pierres par le saint roi Ladislas, qui avait à cœur d'empêcher ses soldats de s'arrêter, au moment où les Tartares fuyaient précipitamment devant leurs armes victorieuses. Les noms de lentes lapideæ, pietra frumentale | pierre À DE L’ACADÉMIE DES SCIENCES. 153 fromentaire }, pietra migliara (pierre de millet) (1), Aim- michstein, Kummelstein (pierre de cumin ou de carvi) (2), Jolium salicis, monnaie de saint Pierre ou de saint Boniface, monnaie du diable, deniers de sphinx, ont une origine aussi peu raisonnable , et (émoignent de cette paresse si naturelle à Fhomme, qui, bien souvent, aime micux se laisser guider par de fausses apparences, que de chercher attentivement la vérité. Malheureusement, le vulgaire, étranger à la science, n'est pas le seul à qui ce reproche puisse s'adresser. Nous voyons les sa- vants eux-mêmes partager plus d’une fois ses erreurs, et leur prêter l'appui d'un nom célèbre et digne de faire autorité. Ainsi , Linné conclut évidemment de la forme à l’organisa- tion des Nummulites, lorsqu'il les appelle tour à tour Aa- drepora, Helmintholitus , et enfin Nautilus. En employant les noms de Nwmmulie, de Licophre , d'Egéone et de Rotalie, Montfort prouve incontestablement qu'il n'a pas fait une étude suffisante des fossiles pour lesquels il invente ce luxe de dénominations. Bruguière ne préjuge rien sur la nature de ces corps restés si longtemps problématiques , lorsqu'il erée pour eux le nom de Camérine , que G. Cuvier a cru devoir adopter. Lamarck les divise à tort en deux groupes, qu'il rapporte à deux familles distinctes, et qu’il range sous les dénominations génériques de Nummulites et de Lenticulina. On pourrait adresser le même reproche à M. de Blainville, pour avoir séparé ses Æélicites des véritables Nummulites. M. Alcide d'Orbigny lui-même nous paraît n'avoir eu aucune raison valable pour changer le nom de Nummulite en celui de Nummulina, qui est pourtant assez généralement adopté aujour- d'hui (3). (1) Mots employés par les habitants de Casciana pour désigner Les Mum- muliles. (2) Dénominalions en usage, du temps de Scheuchzer, chez les paysans de la Suisse et de plusieurs contrées de l'Allemagne. (3) M. Alcide d’Orbigny affirme que certaines espèces de Nummulites vivent encore dans nos mers, et c’est pour celle raison qu'il a cru devoir 154 MÉMOIRES s Enfin, Fortis était bien moins excusable encore, lorsqu'il confondait sous le nom de Discolithe , non-seulement les Num- mulites et les Operculines, mais encore les Æ/véolines et divers Polypiers des genres Porpite , Orbitolite, ete. (1). $SIX. Revue des principaux auteurs qui ont parlé des Nummenmulites ;: opinions successivement émises au sujet de ces fossiles. a. Nature des Nummulites. — Écoutons d’abord le géogra- phe Strabon : « Nous ne croyons pas, dit-il, devoir passer sous silence une des choses singulières que nous vimes aux Pyramides. Ce sont des monceaux de petits éclats de pierre, élevés en avant de ces monuments. On y trouve des parcelles qui, pour la forme et pour la grandeur, ressemblent à des lentilles, on dirait même quelquefois à des grains déballés. On prétend que ce sont les restes pétrifiés de la nourriture des travailleurs, et cela est peu vraisemblable , car nous avons aussi chez nous (Æmasea) une colline qui se prolonge au milieu d’une plaine, et qui est rem- plie de petites pierres de tuf, semblables à des lentilles (2). » changer cette dénominalion en celle de VMwmmuline. Avant lui, Lamarck avait déjà dit en parlant de ses Lenticulines : « J’en possède dans l’état frais ou marin qui ont été trouvées en avant de Ténériffe, à 125 pieds dans la mer.» (Anim. sans vert. tom. xt, p.295). Mais, comme ni Lamarck, ni M. d’Orbigny n’ont décrit ces espèces soi-disant vivantes, nous nous croyons autorisés à ne pas les admettre , et à conserver l’ancien nom donné aux espèces fossiles, les seules dont nous ayons d’ailleurs à nous occuper dans ce Mémoire. (1) Voyez Fortis, Aémotres pour servir à l'Histoire naturelle, et principa- lement à l’'Oryetographie de l'Italie , tom.w, p. 5 etsuiv. Paris, an x. 2 vol. in-8o avec figures très-médiocres. (2) Géographie de Strabon, Liv. xvnr, p.397 du tom. v de la traduction de Du Theil. Paris, 1819. | R La plupartdes scuoliastes ont lu 0vx artoixe de ce qui n’est pas sans Vrai semblance. Mais Guettard fait observer avec raison qu’en admettant cette interprétation évidemment faulive, les pensées du géographe grec n’ont plus ni suite, ni liaison. M. Du Theil, à la traduction de qui nous avons emprunté le passage précédent, partage, sans la connaître, l'opinion de Gueltard , qui est aussi la nôtre. « De ce que le pays de Strabon, dit-il, renferme une colline où se trouvent DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 155 Pline a très-clairement indiqué les Nummulites de l'Egypte, dans le passage qui suit. I dit, en parlant du sable qui envi- ronne les pyramides : « Ærena latè pura circum, lentis simi- litudine, qualis in majori parte Africæ (1). » Mais cet auteur ne s’est point expliqué sur la nature des corps dont il parlait. Nous ne mentionnerons que pour mémoire les noms de Langius, d’Aldrovande (2), de Ferrante Imperato (3), qui, tout imbus des préjugés de leur siècle, regardaient les corps dont nous nous occupons, comme des caprices bizarres de la nature. Nous ne parlerons pas davantage de Bruckmann (4) qui, après s être demandé si les pierres numismales ne sont pas l’œu- vre des Egipans et des Esprits souterrains, ou des jeux que la nature s'est permis pour {uer son temps, « temporis fallendi gralià , finit par avouer qu'il ne sait « parmi quelles espèces de corps il convient de les ranger. » Nous ne dirons rien non plus du Père Kircher, pour qui les Nummulites étaient des feuilles de saule, ni da Père Torru- bias qui les prenait pour des œufs de poisson. Quant à l'opi- des cailloux qui ressemblent à des lentilles, ce n’est pas une raison pour que - les amas de petites pierres semblables à des grains, qui existent au pied des pyramides, soient en effet les restes de la nourriture des ouvriers em- ployés à les construire. Il est clair que Strabon, en mettant toutes ces idées en rapport, a fait le raisonnement suivant : Cette opinion sur l’origine de ces pierres n’est pas vraisemblable; car, comme nous avons chez nous une colline remplie de pierres lenticulaires , ce serait donc à dire qu'elles ne sont aussi que des lentilles pétrifiées ; il est plus simple de leur chercher une cause naturelle, de même qu'aux cailloux roulés de la mer et des Jleuves , ete. De cette manière seulement , ses idées se suivent et s’enchainent; d’après le texte, Strabon n’aurait point su ce qu'il voulait dire. Au lieu de cbr aresixe dE, ce quin’est point invraisemblable, j'ai donc luovzémtouxe de, ce qui n’est point vraisemblable. » Les voyageurs Niebuhr, Clarke, Forskal, etc. , ont confirmé sur les lieux le témoignage de Strabon, dont Graves a fort mal à propos suspecté la véra- cité. Forskal donne aux prétendues lentilles pétrifiées le nom de Zestacea Jossilia kahirensia. (1) Historia mundi, lib. xxxvi, cap. xvu, t. xx, p. 166, édit. Panckoucke. (2) Musœum metallicum, Vib.1v, pag. 486, 843, 863. (3) Historia naturale, ib. xxix , pag. 579, in-fol. Venetiis, 1672. (4) Essai sur la pierre numismale de Transylvanie, cité par Fortis. 156 MÉMOIRES nion de Bourguet (1), qui voulait persuader à ses contemporains que nos fossiles étaient des opercules d Ammonites , elle se réfute assez d'elle-même, pour que nous ne prenions pas la peine de la combattre. Qu'il nous suffise de dire que la présence des Nummulites exclut, d’une manière presque absolue , celle des Ammoniles , celles-ci ayant déjà disparu à l’époque où les Num- mulites ont pris leur développement. Du reste, le bon sens pu- blic a fait depuis longtemps justice des assertions de Bourguet, aussi bien que des Ærchées, de l'Esprit architectonique , des Vertus actinoboliques et formatrices, des Idées sigillées, des Raisons séminales, etce., ete., auxquelles on attribuait jadis l'origine de toutes les pétrifications, et dont l’auteur des Lettres sur la formation des cristaux a eu raison de se moquer. Que dire de l'opinion de Spada (2), qui prend les Nummu- lites pour des coquilles bivalves, et de celle de Lancisi, qui voit en elles des écussons d’Oursin ? Deluc (3) et Fortis (4) les considéraient comme les analogues de l'os qu'on trouve sous le manteau des Seiches. Quant à Scheuchzer (5) et à Breyn (6), ils comparent ces (1) Voyez ses Lettres philosophiques sur la formation des sels et des cristaux , elc., et son Traité des pétrifications, p. 63. Paris, 1778, in-8°. (2) Catalogus lapidum Veronensium, pag. 46. (3) Méroire sur la lenticuline des rochers de la perte du Rhône. (Journal de physique, an. vi, pag. 216.) (4) Mém. pour servir, ele., t. 1, p. 119. (5) Specimen lithographiæ helveticæ curiosæ, quo lapides ex figuratis helvelicis selectissimi ært incisi sisluntur et describuntur, p. 30. Tiguri, 1702, in-6°. Il est incontestable que c’est Scheuchzer qui, le premier, a comparé les Nummulites aux Mollusques Céphalopodes à Lest extérieur, puisqu'il les dé- signe sous le nom de MNovum cornuum Ammonis genus. On a done eu tort d'attribuer aussi le mérite de celte idée à Breyn, qui n’a fait que l’adopter. Bruguière (ÆEncyclopéd. méth. article Cauérixe), n’était pas non plus dans le vrai lorsqu'il a dit : « Ce n’est qu’en 1758 que Jean Gessner, savant natu- raliste de Zurich, ouvrit sur leur nature un sentiment qui me paraît fondé, » Cet auteur estimable dit que les pierres zumésmales sont la pélrification des coquilles marines qui approchent des Ammonites et des Nautiles par leur spire intérieure chambrée, et par leur ouverture sur le bord de la coquille. » (6) De Polythalainis. Gedani, 1732, in-4e. / DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 157 fossiles, l’un aux cornes d’Ammon, l’autre au test des Nau- tiles. Bien qu'elle soit complétement erronée, cette opinion a longtemps trouvé faveur auprès des maîtres de la science. A quelques modifications près, Bruguière (1), Lamarck (2), Cuvier (3), de Blainville (4), ont cru devoir l'adopter. Jusqu'en ces derniers temps, les travaux de M. Alcide d'Or- bigny lui-même (5) n’ont fait que répandre de plus en plus celle erreur. Nous ne saurions clore cette longue liste d'auteurs, sans faire connaître l'opinion de M. Ehrenberg (6), au sujet du fossile qui nous occupe. Ressuscitant une ancienne manière de voir de Linné, il com- pare les Nummulites, sur lesquelles on n’observe point d'orifice buccal, à ces pièces cartilagineuses qui soutiennent le corps gé- latineux des Méduses du genre Porpita, ou la crête des Velelles. Or, personne n'ignore qu'on ne trouve, dans le disque cartila- gineux des Méduses, ni loges, ni cloisons , ni tables spirales. Comment donc M. Ehrenberg peut-il s'étayer d'une ressem- blance très-imparfaite dans la forme extérieure , pour conclure que les Numismales ne sont point des coquilles, mais bien de simples disques calcaires, logés dans le corps de certaines Æe«- lêples, qui auraient disparu depuis longtemps du sein des mers ? . Cette manière de voir paraîtra bien moins admissible encore, si l'on songe que M. Ebrenberg se condamne lui-même, en regar- dant comme une vraie coquille extérieure le test des Nummu- lites, que Lamarck avait réunies dans son genre Zenticulina. (1) Voy. dans l'Encyclopédie méthodique, art. Camérixe. (2) Animaux sans vertèbres, tom. xt, pag. 294 et 304. (3) Règne animal, lom. 1, pag. 22. Paris, 1830. (4) Malacologie, pag. 372, et Dictionn. des sciences naturelles, artüéle Nouuviire. (5) Tableau de la classe des Céphalopodes. Annal. scien. nat., t. vu, P: 295, première série. (6) Ueber die Bildung der Kreidefelsen und Kreidemergels durch un- sichtbare Organismen , pag. 111; dans Abhandlungen der kôniglichen Akademie der Wissenschafter. Année 1838. 158 MÉMOIRES L'identité des deux genres Nummulites et Lenticulina , Lam. étant aujourd'hui bien prouvée (1), il est done impossible de prendre le test des unes pour un disque analogue à celui des Méduses , et celui des autres pour une coquille extérieure. b. Structure des Nummulites. — Bien qu'il écrivit à une épo- que éloignée de nous de près d’un siècle et demi, Scheuchzer a donné des Nummulites une description assez exacte, pour que nous croyions devoir la reproduire ici comme un spécimen digne de fixer un instant l’attention du lecteur. Selon lui, les MNummulites ont la forme « d’une lentille biconvexe, c'est-à-dire, composée de deux segments de sphère, et tout-à-fait semblable à une lentille de verre, avec cette ex- ception pourtant que la surface de celle-ci est lisse, extrême- ment polie, et sa masse tout-à-fait diaphane, tandis que les Nummulites présentent , sur l’une et l’autre de leurs faces con- vexes, des stries qui s'étendent du centre à la circonférence, tantôt en ligne droite (fig. #3 ), tantôt, et le plus souvent, en formant des lignes obliques et recourhées en arc (fig. #4). Or, il est bon de faire observer que nos lentilles de pierre ne sont point solides , et qu’elles ne consistent point en une masse uni- que et uniforme. Elles se composent , au contraire, de 3,k%, 5, 6, 7, 8, ou d'un plus grand nombre d’enveloppes toutes striées, toutes se recouvrant les unes les autres, et dont plu- sieurs se voient distinctement dans certains cas, ainsi que le montre la fig. #5. Dans la fig. 42, où nous avons représenté (1) La ressemblance des Lenticulines avec les Vummulites estsi frappante, même à l’intérieur, que la présence d’une bouche chez les unes, et son ab- sence assez fréquente chez les autres, n’ont pas paru à M. d’Orbigny et ne nous paraissent pas à nous-mêmes Consliluer un caractère suffisant pour main- tenir la division en deux genres établie par Lamarck parmi les Vummulites. Nous sommes même intimement convaincus que, dans bien des circonstan- ces, on a pris pour la vérilable bouche des VNummuliles des ouvertures pu- rement accidentelles. Ne sait-on pas d’ailleurs que chez les Forammirères, de même que chez beaucoup de Polypes proprement dits, l’occlusion de la bouche ou des pores de la coquille est très-communément un effet de l’âge adulte, Jusqu'à démonstration contraire , nous continuerons donc à regarder les VNummulites el les Lenticulines de Lamarck comme appartenant à un seul el mème genre. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 159 ces lentilles divisées en deux moitiés par une section perpendi- culaire, on voit que les stries parallèles ne sont rien autre chose que les vestiges des enveloppes elles-mêmes. Remarquez encore que ces enveloppes sont reliées entre elles par de petites lignes transversales, de manière que leur ensemble constitue une trame ou une espèce de réseau formé d'ovales parallèles, et de fila- ments , qui s'étendent du- centre à la périphérie { fig. 46, 47, 48). Là ne finit point encore cette curieuse anatomie : si on les divise horizontalement, nos lentilles de pierre offrent deux len- tilles plan-convexes, résultant d'une seule lentille biconvexe (fig. #6, #7). Sur la face plane de chacune d'elles, on aper- çoit des canaux spiraux roulés sur eux-mêmes, à la manière des serpents, et marqués de petites stries qui traversent ces cercles petits comme elles, de manière à former un nouveau genre de cornes d’Ammon, dans lequel on distingue jusqu’à sept, huit et même neuf tours de spire (1). » (1) Le chapitre auquel nous empruntons cet extrait est intitulé : « Lentes lapideæ striatæ, utrinque convexæ, vitreis figuré similes, in massd lapideë vario sub schemate conspicuæ. » Voici le texte de Scheuchzer : « Quèd si massæ lapideæ vinculis dextrè liheretur, et sibi, ut ita loquar , reddatur vario sub schemate Indens, et imperilis facilè imponens lapillus, patebit, esse Lentem utrinque convexam, seu è duobus sphæræ segmentis composilam , vilreis prorsüs similem, exceplo quôd in his superficies sit polila seu summi lævoris, et corpus uniforme diaphanum, in illis autem utraque convexitas sit striala, striis à medio versus peripheriam nunc rectè, fig. 43, nunc et plerumque arcualim , et obliquè excurrentibus, fig. 44. Porrd notandum , Lentes nostras lapideas non esse solidas, ut constentex unicà et uniformi massä, sed conflatas esse 3, 4, 5, 6,7, 8, pluribusve crustisitidemstriatis, etinvicem superinductis, quarum aliquando plures dislinetè conspiciuntur , ut in fig. 45. Patet hinc in fig. 42, delineari Lentes per sectionem perpendicularem dimidiatas, esseque strias illas parallelas ipsa crustarum vestigia, de quibus insuper notandum , illas aliquandè per transversas lineolas invicem colligari, ut texturam cons- tituant ex ovalibus parallelis, et aliis à centro ad peripheriam tendentibus filamentis veluti reticulatam, fig. 46, 47, 48. Nondüm autem hic est curiosæ anatomes finis; exhibent Lentesnostræ Lapideæ, si dimidientur horizontaliter, duas Lentesconvexo-planas, orlas ex una convexo-convexa (fig. 46, 47), elcom- parebunt in planà superficiespérales tractus serpentum instar in se convoluté, striis insuper minutis orbes hosce ilidem exiguos trajicientibus insigniti, ila ul novum cornuum Ammonis genu, idque orbibus seu spiris pluribus id est septenis, octonis, novenis prædilum constituant. » Specimen Lithographiæ helvelicæ, p. 33.) 160 MÉMOIRES Bien des années se sont écoulées depuis Scheuchzer jusqu’à nous ; bien des auteurs, après lui, se sont occupés de la struc- ture des Nummulites ; mais, dans ce long intervalle, aucun d'eux n’a découvert une particularité nouvelle ; aucun d’eux n’a décrit plus exactement ces fossiles toujours problématiques. Tous s'accordent à nous représenter les Mummulites comme des espèces de coquilles lenticulaires à spire interne, dont les tours sont recouverts, en dessus et en dessous, par un certain nombre de tables qui vont se réunir aux deux centres du dis- que. Ils nous disent que chaque tour de la spirale est divisé en une multitude de petites loges formées par des cloisons trans- verses qui, tantôt se prolongent entre chacune des tables jus- qu’au milieu de la coquille, tantôt finissent par se perdre entre ces mêmes tables, avant d’avoir atteint la partie centrale du fossile. Du reste, Lamarck, MM. de Blainville, Deshayes, etc. , affirment que les cloisons des Nummulites n’offrent ni siphon , ni aucune ouverture destinée à faire communiquer les loges en- tre elles. Cuvier lui-même ajoute qu'on n'y trouve aucune ouverture apparente à l'extérieur. Quant à M. A. d'Orbigny, il ne s’est point exprimé catégori- quement à cet égard ; mais la place qu’il assigne aux Nummu- lites (4) indique clairement qu’il admet par analogie l'existence des trous , non-seulement dans les cloisons des loges, mais en- core sur les parois du test. Cependant, ni M. A. d'Orbigny, ni aucun des naturalistes qui l'ont précédé ou suivi, n'a cherché à constater, par des observations directes et d’une manière cer- tainc, la présence de ces perforations (2), sans lesquelles la structure des Nummulites, l'organisation de l'animal qui les construisait, sa manière de se nourrir et de se mouvoir, toutes ses fonctions, enfin , devaient rester autant d’énigmes indéchif- frables. (1) Il les range parmi les ForAmINIFÈRES. (2} Les naturalistes qui nous ont précédés croyaient même si peu à l’exis- tence de ces perforations que, dans l’article Nummuline de l'Encyclopédie méthodique, tom. nt, pag. 640 (1832), nous voyons M. Deshayes blâämer en quelque sorte M. d’Orbigny d’avoir réuni les Vummulites aux FoRAMINIFÈRES. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 161 Cependant, dès qu'on crut avoir acquis la preuve que nos fossiles avaient appartenu à des animaux, on ne tarda pas à chercher la solution des questions suivantes, qui s'offraient si naturellement à l'esprit des observateurs. c. Forme et classement de l'animal des Nummulites. — Quelle était la forme de l'animal constructeur de la Nummu- lite ? Quelle position occupait-il par rapport à son test ? Com- ment s’y prenait-il pour l'agrandir au fur et à mesure qu'il grandissait lui-même ? Rappelons en peu de mots les diverses opinions qui ont régné tour à tour sur ces divers points de l'histoire des Nummulites. Quelle était la forme de l'animal dont la dépouille a donné lieu à de si nombreuses divagations, ou bien, ce qui revient à peu près au même , à quelle classe, à quelle famille faut-il rap- porter cet être embarrassant ? Nous avons vu que Scheuchzer et Breyn assimilaient les Nummulites, Yun aux cornes d'mmon, Vautre aux Nautiles prolythalames. Mais il est de toute évidence que ni Fun ni l’autre ne pouvaient avoir une idée nette de la configu- ration extérieure de l’animal, dont ils avaient sous les yeux la coquille, puisque ce n’est que grâce aux recherches récentes de Richard Owen , que nous avons eu connaissance du Nautile, et que nous avons pu nous représenter, par analogie, la forme de l'animal des Æmmonites. Ce n'est donc ni à Scheuchzer, ni à Breyn que nous devons nous adresser pour obtenir une réponse précise à la question qui nous occupe. Quant à Linné lui-même, ses nombreuses hésitations, sur la place qu’il devait assigner aux Mummulites , prouvent assez qu'il ne savait à quoi s’en tenir sur la forme des animaux cons- tructeurs de ces coquilles. Aussi, le voyons-nous les ranger d'abord parmi les Madrépores, sous le nom de Madrepora simplex, orbicularis, plana , stellä convexé. Quelques années après, il les désigne sous la dénomination d’Æelmintholitus Zoophyti Medusæ , et il en fait des AcazëPnes, dont il croit avoir retrouvé le type dans une Héduse rapportée des Indes par Lagerstroem. Puis il revient à son idée première, mais il les 162 Fe MÉMOIRES nomme cette fois Æelmintholitus Madreporæ deperdite , vou- lant faire entendre par là qu'il ne croyait plus à lexistence de ces corps à l’état vivant. Enfin, dans l'édition du Systema Naturæ, publiée par Gmelin, nous retrouvons encore les Nummulites sous la dénomination nouvelle de Nautilus He- licites , dénomination qui semble indiquer qu'ils sont alors con- sidérés comme des Céphalopodes à test extérieur polythalame. Guettard (1), qui a longuement écrit sur les Nummulites, ne se prononce ni sur la nature de ces fossiles , ni sur la forme de l’animal qui les habitait. Bénédict de Saussure le compare vaguement à l’un de ces êtres qui composent la nombreuse famille des vers ou des polypes. Enfin, Bruguière, Cuvier, Lamarck, de Blainville, Des- hayes, en classant les Nummulites parmi les Mollusques Cépha- lopodes, nous indiquent assez clairement l’idée qu'ils se fai- saient de l'être auquel appartiennent ces débris. Tel était l'état de la science au sujet des Nummulites , lors- que, en publiant son Tableau méthodique des Céphalopodes (1826), M. AL d'Orbigny vint modifier l'opinion à peu près généralement adoptée sur la foi de ses prédécesseurs. Après avoir créé dans cette classe de Mollusques un ordre nouveau qu'il désigna sous le nom de ForaminIFÈREs, il y plaça toutes ces petites coquilles chambrées, dont les cellules ne communiquent entre elles que par des trous, et non par un siphon, comme chez les vrais Nautiles, auxquels on les avait jusqu'alors compa- rées. C’est à cet ordre qu’il rapporta les Nummulites. Bien que M. Al. d'Orbigny n'ait pas donné de l'animal constructeur de ces coquilles une description particulière, les caractères qu'il assigne à l’ordre tout entier, prouvent qu'il comparait cet ani- mal avec celui des Seiches de nos mers actuelles. En effet, d’a- près cet auteur, le corps de ces Mollusques est bursiforme, et prend quelquefois un grand volume, comparativement à celui de la tête, qui est très-petite, peu ou point saillante, distincte du reste du corps, rétractile et terminée par des tentacules nom- (1) Sur Les pierres lenticulaires et numismales. Mém. t. 11, p. 185. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 163 breux , formant plusieurs rangées autour de la bouche , qui est centrale, Du reste, ces animaux sont entièrement privés de locomotion , et leurs sexes sont probablement réunis sur un seul et même individu (1). Ces assertions, uniquement basées sur des observations plus qu'imparfaites, obtinrent faveur à l'époque où elles furent émises, et elles régnèrent à peu près sans contrôle, jusqu'au moment où M. Dujardin publia ses importantes Recherches sur les prétendus Céphalopodes microscopiques (2), et prouva, de la manière la plus péremptoire, que les Forammrères de M. d'Orbigny n'étaient point des Mollusques, et encore moins des Mollusques céphalopodes. Éclairé par un guide aussi ha- bile, l’auteur du Zableau méthodique abandonna l'opinion qu il avait émise dans ce premier travail. Loin de continuer à regarder les ForaminiRèREs comme un ordre particulier de la classe des Mollusques, il en fait aujourd’hui une classe à part , indépendante, qu'il place dans l’embranchement des rayonnés, entre les Pocvrters et les ECHINODERMES. Les ForaminirÈREs sont maintenant pour M. d'Orbigny, « des animaux microscopiques, non agrégés, à existence individuelle toujours distincte, composés d’un corps (masse vivante de con- sistance glutineuse) entier et alors arrondi, ou divisé en seg- ments, placés sur une ligne simple ou alterne, enroulés en spirale ou pelotonnés autour d’un axe. Ce corps est, dans toutes ses parties, recouvert d’une enveloppe testacée , rarement carti- lagineuse, modelée sur les segments et en suivant toutes les modifications de forme et d’enroulement. De l'extrémité du der- nier segment, sortent, soit par une ou plusieurs ouvertures de la coquille, soit par de nombreux pores de son pourtour, des filaments contractiles, incolores , trés-allongés , plus ou moins grèles , divisés et ramifiés , servant à la replation , et pouvant encroûter extérieurement le test enveloppant (3). » (1) Annal. des sciences natur., tom. vu, pag. 245, 1"° série. (2) Annal. des sciences natur., lom. ur, pag. 312, 2° série. (3) Foraminifères du bassin tertiaire de Vienne, p.3, Paris, 1846, grand in-4°, 16h MÉMOIRES Malgré la métamorphose complète qu'il fait subir à ses pre- mières opinions relatives aux ForammirÈres, M. d'Orbigny n’en continue pas moins à ranger parmi eux les Vrmmulites , qu'il nomme maintenant Nummulina, et dont il dit même avoir observé deux espèces à l'état vivant. Il est à regretter que ce naturaliste ait laissé échapper une aussi précieuse occasion de faire cesser les incertitudes de la science relativement à la forme et à l'organisation des animaux dont il s'agit. Quant aux Nummulites fossiles, comme il paraît n’avoir aperçu ni les trous du test, ni ceux qui font communiquer les cellules entre elles, il est évident qu’il ne pouvait non plus se faire une idée précise de l’animal auquel ces dépouilles ont appartenu. Aussi garde-t-il à cet égard le plus complet silence (1). d. Disposition du test relativement à l'animal. — Les avis les plus divers, on pourrait même dire les plus opposés, ont été émis sur la question de savoir quelle était la place que la Nummulile occupait relativement à l'animal auquel on en attribueit la formation. L'opinion la plus ancienne à cet égard paraît être celle de Scheuchzer, qui, en comparant notre fossile aux Æmmonites, avoue implicitement qu'il la regarde comme une coquille exté- rieure. Breyn et Gessner se rangent aussi de cet avis. De Saussure suppose que l'animal de la Nummulite vivait (1) Dans le travail d'ensemble que nous préparons sur les Foraminifères du bassin sous-pyrénéen, nous ferons voir que les idées actuelles de M. Al. d’Orbigny n’ont pas élé accueillies partout avec la même faveur. En Allema- gne, elles ont trouvé un redoutable antagoniste dans M. Ehrenberg, dont tout le monde connait la rare habileté comme micrographe et comme anato- miste. M. Ehrenberg ne s’est pas contenté ’asserlions vagues, de déductions basées sur de simples analogies. Le scalpel à la main, il a étudié de visu l’or- ganisation de plusienrs ForamnirÈres qui vivent encore aujourd’hui dans nos mers, el 1l nous semble avoir prouvé de la manière la plus évidente que celle organisation diffère en bien des points essentiels de ce que M. Al. d’Or- bigny nous annonce avoir vu. Comment se fait-il donc que les travaux du savant Berlinois, publiés en Allemagne il y a bientôt dix ans, aient eu chez nous si peu de retentissement, que nous ne les trouvons pas même mention- nés dans les ouvrages les plus modernes? La connaissance trop peu répandue de la langue allemande suffirait-elle pour expliquer une semblable omission ? DE L’ACADÉMIE DES SCIENCES. 165 dans la dernière loge de sa coquille, à l'extrémité extérieure du canal spiral. Bruguière ne partage point cette Opinion. « Il me paraît, dit-il, plus vraisemblable de croire que la dernière loge qui constitue l'unique ouverture apparente de la coquille ne reçoit que la plus petite partie du corps de l'animal et qu'elle sert d'attache au ligament qui l'unit à sa coquille. » Puis il sup- pose que « quelque prolongement charnu , analogue à celui du manteau des porcelaines , se développe sur les deux faces de la coquille jusqu'à son axe , et l'enveloppe à peu prés tout entière, de telle sorte que l'animal la contient plutôt qu'il n'y est contenu (1). Après une comparaison plus ingénicuse que vraie de la Nu- mismale avec l'os qu’on trouve sous le manteau des seiches , Deluc regarde ce fossile comme une coquille entièrement inté- rieure , Opinion qui ne peut pas soutenir un instant d'examen, puisque aucun Céphalopode à test intérieur n’a encore présenté une disposition spirale dans les lames dont ce test est formé. Lamarck et Cuvier pensaient, comme Delue, que les Num- mulites étaient enchâssées tout entières dans la partie posté- rieure du corps du mollusque Céphalopode, auquel ils rappor- taient ces débris organiques. M. Defrance partage la même opinion (2). Enfin, M. Al. d'Orbigny considère aujourd'hui nos fossiles comme des coquilles extérieures. e. Mode d'accroissement de la coquille. — Comment l'animal de la Nummulite s'y prenait-il pour accroître son test? Voilà encore une de ces questions qui ont été bien diversement ré- solues par les naturalistes. On en jugera par les citations qui vont suivre. Dès l’année 1789, Bruguière attribuait la formation des lo- ges de la spire au corps de l'animal ; celle des tables du test » à quelque prolongement charnu , analogue à celui des vers des (1) Encyclopédie méthodique , article Camtrixe. (2) Dictionnaire des sciences naturelles, article Nuuuvuine. 3.° $,— TOME 1Y. 12 166 MÉMOIRES porcelaines , dont il supposait que l'habitant des Nummulites était pourvu. Selon lui, le prolongement en question se dévelop- pait sur les deux faces de la coquille jusqu'à son axe, et for- mait par sa transsudation ces lames qui s’étendaient en tournant sur les côtés de la coquille, à mesure que l'animal, s’acCrois- sant dans toutes ses parties , était forcé de déplacer celle qui se trouvait fixée dans la loge de l'ouverture. « Si le mécanisme que je décris pouvait jamais être démontré vrai par l’olservation, continue Bruguière, il en résulterait que la formation de la coquille aurait lieu dans les Camérines, d'une manière contraire à celle qu'on a observée sur tous les autres coquillages , où la juxtaposition de la matière testacée se fait de l’intérieur à l'extérieur ; il en résulterait aussi que leur animal, au lieu de trouver une retraite dans sa coquille, serait au contraire fixé sur elle et placé au-dessus ; mais, tout extraor- dinaires que semblent ces conséquences , elles ne me paraissent pas moins nécessaires , si l’on ne perd pas de vue la singulière structure de ce fossile, la petitesse de son ouverture , comparée à son volume, et les cloisons transverses dont le tuyau de la spire est obstrué. » Elles acquièrent un plus haut degré de vraisemblance, sion éonsidère que cet animal ne peut être logé en totalité dans la cavité de l'ouverture, sans être obligé de chercher un autre moyen pour concilier son extrême petitesse avec l'étendue de ses travaux. Puisque donc l'existence des lames extérieures, qui s'étendent des bords de la spire jusqu’au centre de la coquille, prouve la nécessité d’un travail extérieur, et suppose à cet ani- mal une étendue qui ne pouvait cadrer avec la petitesse de la loge où il devait être contenu ; il est donc nécessaire de con- clure qu'il ne peut ressembler à aucun de ceux que l'on con- naît déjà parmi les vers testacés, et que peut-être il enveloppe en totalité sa coquille, sans pouvoir jamais être reçu dans sa cavité (1). » (1) Encyclop. méthod. Hist. natur. des Vers, tom. vi, pag. 398, article CAMÉRINE. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 167 Par cela même que l'explication de Bruguière est en opposi- tion avec toutes les lois connues , relativement à l'accroissement des coquilles, on pouvait déjà douter de sa justesse. L'examen attentif que nous avons fait de la structure des Camérines, nous a prouvé qu'elle est complétement erronée. A la même époque que Bruguière, Bénédict de Saussure cher- chait à faire prévaloir une opinion ingénieuse, mais malheu- reusement peu conforme à la vérité. « Je supposerais, dit-il, que l'habitant de la Numismale a été un ver, ou plutôt quelque animal marin qui vivait dans la dernière loge , à l'extrémité extérieure du canal spiral : que cet animal se propageait en poussant par sa partie antérieure un nouvel animal ; que ce nouvel animal produisait une nouvelle loge ; que, pendant ce temps, l’ancien animal périssait ; que sa cellule se formait par une cloison, qui servait de fond à la loge du nouveau-né , et qu'ainsi , il se formait successivement une continuité de loges, appliquées les unes aux autres en forme de spirale... (1) » « On pourrait exiger, ajoute de Saussure , que, pour con- firmer cette explication , je montrasse dans les cellules quelques vestiges des animaux que je suppose y avoir été renfermés. Mais quel vestige peut-il rester d'un animal si petit, et purement gélatineux ? » Lorsqu'il traçait ces lignes, l'illustre auteur du Voyage dans les Alpes était loin de penser qu'un demi-siècle après lui, les géologues exposeraient à nos yeux étonnés des traces sensibles de corps gélatineux , tout-à-fait analogues à ceux des Nummu- lites , et comme eux ensevelis depuis des millions d'années dans les entrailles du globe (2). Quoi qu'il en soit, l'explication proposée par de Saussure s'écarte trop des faits jusqu'à présent observés, pour qu’il nous soit possible de nous ranger à l'opinion de ce naturaliste. (1) Voyage dans les Alpes, lom. 1, pag. 342. (2) Voyez plus loin, pag. 170, note (2). 168 MÉMOIRES - SECTION B. EXPOSÉ DE NOS RECHERCHES. a. Structure de la coquille. — Une des causes principales qui se sont opposées si longtemps à ce que l’on acquit des idées nettes sur la véritable structure des VNummulites, c'est que les nom- breux auteurs qui ont parlé de ces fossiles , ont presque tous né- gligé de les étudier à l'aide du microscope. Et cependant, de la connaissance de la coquille devait découler tout naturellement celle de l'animal qui l'habitait. On conçoit donc que notre atten- tion a dü se porter tout d’abord sur ce point important de la question ; mais ce n’est qu’à force de persévérance et après des observations bien souvent répétées , que nous croyons être par- venus à l’éclaircir. Sur plusieurs individus dont les loges étaient vides, et dont la fossilisation n’avait pas confondu les diverses parties en une seule masse compacte, nous avons pu enlever une à une toutes les tables qui entraient dans la composition du test. En examinant avec une forte loupe les parties séparées par cette espèce d'anatomie, nous avons très-distinctement aperçu, tantsur la face interne que sur la face externe des tables, des granulations hémisphériques (1) ou de petits enfoncements circulaires qui (1) Deluc a parlé de ces granulations (Journal de Physique, an x, lom.1, p- 175), mais il n’en a pas mème soupçonné la signification. Voici ce qu'il dit à cet égard : « La surface des jeunes Numismales est le plus souvent cou- verte de petits grains qui cessent de paraitre dans les dernières couches: elles sont alors lisses, mais cette grainelure existe intérieurement ; car lors- qu’une Numismale est devenue en partie siliceuse , et qu’on la plonge dans l’eau seconde, ces grains qui, de même que les filets, s’imprègnent plus fa- cilement de la substance siliceuse, se montrent en relief. » Sur certaines Nummulites, Fortis avait aussi observé des trous et des gra- nulations ; mais il regardait les uns et les autres comme des anomalies indi- viduelles où même comme de simples accidents ; selon lui, les trous sont l'ouvrage de « très-petils vers lithontriptes , qui se sont logés dans la coquille après la mort de l’animal , comme ils se logent dans presque tons les Lestacés, dans les madrépores, dans les coraux déserts et abandonnés au fond de la mer. » La seconde altération accidentelle de la discolithe , dit un peu plus DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 169 correspondaient à ces granulations , et qui n'étaient évidemment rien autre chose que les perforations dont la coquille était criblée durant la vie de l'animal. Les figures 3 et # de la planche I sont destinées à rendre sensible aux yeux cette curieuse parti- cularité. Restait à savoir si, comme l'ont avancé Bruguière, Lamarck, Cuvier, de Blainville, Deshayes, etc. , les cloisons des loges sent réellement imperforées, ou, ce qui revient au même dans la pensée de ces grands naturalistes , s’il n'existe aucun moyen de communication d'une loge à autre. Or, à l’aide de préparations faites avec soin , et en soumet- tant ces préparations à la loupe et au microscope, nous nous sommes convaincus que chaque cloison d’un tour quelconque de la spire forme une espèce d'arcade au-dessus du tour précédent, et donne ainsi naissance à une ouverture à peu près demi-cireu- laire (1). ( Voy. pl. IL, fig. 5,6,7et 8.) Quant au reste de la cloison elle-même, il nous a toujours paru imperforé. D'ailleurs, pourquoi aurait-il été percé de trous, puisque l'existence de ces trous n’était plus nécessaire, dès l’ins- tant qu'une voie de communication, suffisante pour laisser passer une partie du corps de l'animal , se trouvait établie en- tre les différentes loges de la coquille? Il nous a été impossible de constater sur toutes les espèces l'existence des perforations du test, et les ouvertures situées au- dessous des cloisons. Les exemplaires, dont la fossilisation a formé des masses pierreuses, dures, compactes ; ceux chez les- loin le même auteur, « n’est que le résultat de la décomposition de la partie la moins compacte de la bandelette, qui en a épargné les points les plus soli- des, et les a fait devenir saillants. » Fortis, Mémoires , etc., L. 11, p. 117. Quant aux points élevés remarqués par Lamarck sur les Vummulites scabra , et par Bruguière sur sa Camerina tuberculosa, ils ne sont pas autre chose que les traces encore subsistantes des perforations du test. Ces points ne sauraient donc conslituer un caractère spécifique d’une bien grande va- leur, puisqu'on les rencontre aussi chez d’autres espèces, différentes de la Nummulite scabra et de la Camerina tuberculosa. (1) Nos observations ont porté principalement sur les W, lœvigata (Lam) oblusa (nobis) , el Fasca (nobis). 170 MÉMOIRES quels les loges ont été compiétement remplies par la matière inorganique , ont toujours résisté à cette espèce de clivage qui nous avait été si favorable et si utile dans l'examen de certains autres échantillons, appartenant quelquefois à la même espèce. Conclure de là que la structure de ces coquilles, en quelque sorte réfractaires, différait totalement de celle que nous venons de faire connaître, ce serait, selon nous, violer toutes les lois de l’analogie. En usant à la meule les coquilles dont il s'agit, on voit encore assez souvent à la surface, et sur la tranche des tables, des granulations {N. obtusa (1), nob.) ou des espèces de cylindres (N. spissa, nob.), dont la couleur tranche sur le fond général , et qu'il nous paraît tout rationnel de prendre pour des indices de perforations antérieures. Du reste, qui ne com- prend que ces trous si minimes ont pu être obstrués avec la plus grande facilité pendant la fossilisation ? Qui sait même si Fanimal de la Nummulite n’en bouchait pas un certain nombre, à-mesure qu'il vicillissait? Qu’y a-t-il donc d'étonnant à ce qu’il soit aujourd'hui presque impossible de les reconnaître ? A ces raisons, qui nous paraissent péremploires, nous pou- vons encore ajouter une observation qui vient tout-à-fait à l’ap- pui des idées que nous émettons en ce moment. Par ses intéres- santes Recherches, insérées dans les Transactions philosophi- ques de la Société royale de Londres , pour l’année 1846, M. Gédeon Mantell nous apprend que chez certains Foramini- FÈREs fossiles du genre Aotalia , il a vu souvent les perfora- tions du test masquées par un enduit calcaire ; d’autres fois, ces trous étaient occupés par une matière noire, comme si, dit lauteur, les bases des tentacules qui sortaient par ces trous, étaient restées à l'état de Molluskite (2). (1) Nous sommes forcés de nous servir ici par anticipation des noms que nous avons dû donner aux espèces inédites où trop incomplètement indi- quées avant nous. La descriplion de ces espèces paraïtra incessamment dans le Mémoire que nous avons annoncé plus haut. (2) M. Mantell désigne sous ce nom la substance charbonneuse en laquelle s’est transformé le corps des Mollusques testacés qui, suivant lui, abondent dans différents calcaires. Il se sert aussi de la même dénominalion pour indi- quer l’élat dans lequel il a trouvé quelquefois les parties molles et même les DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 171 Il y a trop d'analogie entre le fait décrit par M. Mantell et celui que nous soupconnons avoir eu lieu pendant la fossilisa- tion de certaines Nummulites, pour que nous croyions néces- saire d’insister plus longtemps sur ce point. \ Nous avons dit que les cloisons se prolongent assez ordinai- rement sous forme de filets très-étroits , entre les diverses tables dont se compose la coquille. Les prolongements qu'elles forment ressemblent quelquefois à des rayons courbes allant de la cir- conférence au centre (N. F’asca, nob.) D’autrefois, ce sont des filets plus ou moins sinueux qui s'étendent dans la même direction (N. Ætacica, Leym.). Ces filets se réunissent dans cer- tains cas deux ou plusieurs ensemble, et donnent lieu à des bifurca- tions. (N. Atacica, Leym.). Enfin, il n'est pas rare de voir les prolongements des cloisons s’envoyer réciproquement des filets secondaires. Ceux-ci, venant à se rencontrer sous des an- gles très-variés , constituent ainsi une sorte de réseau, destiné , comme les filets principaux eux-mêmes, à augmenter la résistance des tables, en leur servant d’étais. ( N. Garansiana , nob. ) Quant à la contexture du test des Nummulites, on peut, au moins, dans certains cas, y distinguer deux parties nettement ca- ractérisées, savoir : 1° une partie d’un aspect terreux, que l’on peut appeler substance corticale, et qui forme presque toute l'épaisseur des tables et des cloisons ; 2° une substance vilreuse plus compacte, mais moins épaisse que la première, dontelle revêt toute la surface extérieure. Si l'on veut bien voir ces deux subs- tances, il faut choisir des exemplaires dont l'état de fossilisation ressemble à celui auquel sont parvenus les Mollusques des terrains tertiaires des Landes et de Grignon. Nous avons pu les observer très-facilement sur deux espèces de Nummulites qui provien- nent de Garanset deBiaritz (N. Garansiana a N. Vasca, nob.). œufs des Rotalies, qui composent en grande partie la craie et le silex pyro- maque du Sud-est de l’Angleterre. Sur ces faits curieux consultez le Mémoire de M. G. Mantell, intitulé : Oz fossil remains of Foraminifera discovered in the Chalk and Flint of the South-East of England. Loc, cit, part, tv , p. 465. 172 MÉMOIRES b. Classement des Nummulites. — A Y'aide des recherches qui précèdent, nous croyons avoir clairement établi que les Nummulites étaient des coquilles de Foramirères. Voyons maintenant quelle était la forme et l’organisation de l'animal auquel on doit rapporter ces débris. c. Forme ct organisation de l'animal des Nummulites. — Malgré l’imposante autorité de Bruguüière , de Lamarck, de Cuvier, de Blainville , ete. , qui ont assimilé l'animal des Num- mulites aux Mollusques Céphalopodes ; malgré les premiers travaux de M. AL. d'Orbigny, qui ont tant contribué à corrobo- rer celle erreur, presque personne aujourd'hui ne croit plus que l'animal dont il s’agit doive occuper la place que ces auteurs lui avaient primitivement assignée. Ressemblait-il aux Méduses, comme l'avait d'abord pensé Linné, comme l’a prétendu récem- ment encore un homme à qui ses belles recherches sur les infusoires ont fait une réputation si justement méritée ? ( Ehrenberg. ) Selon nous, l'animal des Nummulites offrait une grande analogie avec celui des Rotalies et des Nonionines, c’est-à-dire, qu'il était formé d’un corps gélatineux, à nombreux segments, dont chacun était renfermé dans une des loges de la coquille, et communiquait avec ceux qui le précédaient ou le suivaient , au moyen d'un tube (siphon) qui servait en même temps de canal digestif. Chaque segment était muni d’un double appen- dice en-forme de languette, qui s’étendait de chaque côté entre les tables, dans les divers compartiments formés par les prolon- gements des cloisons. De nombreux tentacules ( pseudopodes) servaient à opérer les mouvements de préhension ct de locomo- tion, que voulait exécuter l'habitant de la Nummulite. Proba- blement très-extensibles , susceptibles de varier à chaque instant de longueur, de se ramifier même, ces tentacules ou pseudopo- des sortaient ou rentraient au gré de l'animal, par les perfora- tions dont sa coquille était criblée. L'habitant de la Nummulite réunissait vraisemblablement en lui les deux sexes ; mais on conçoit que nous manquons des données suffisantes pour en décrire ici les organes. Aussi, nous DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 173 bornerons-nous à représenter iconographiquement et par analo- gie la position probable de l'ovaire, que nous supposons avoir été placé au-dessus du canal digestif, où il venait peut-être déverser ses produits. jruguière pensait que les Nummulites étaient des coquilles pélagiennes, qui vivaient dans les plus grandes profondeurs de la mer. Les faits qui seront exposés dans la partie géologique de ce travail , tendent à établir, au contraire, que ces animaux se tenaient près des rivages, et à des profondeurs en général bien peu considérables. d. Mode d'accroissement de la coquille des Nummulites. — Si, loin de penser avec de Saussure que l’animal de la Num- mulite n’habitait à la fois qu’une seule loge , on admet avec nous qu'il les occupait toutes simultanément, il ne sera pas dif- ficile de concevoir l'accroissement de la spire, et par suite celui de la coquille tout entière. On peut croire, en effet, qu'à Ha partie antérieure de l'animal, et à des époques probablement très-rapprochées , il se produisait une espèce de bourgeon qui donnait naissance à un nouveau segment, et, par suile, à de nouveaux appendices. Ce segment , et les prolongements qui lui faisaient suite, sécrétaient la substance calcaire , destinée à former les loges et les cloisons du test. Enfin, cette matière se déposait de l'extérieur à l’intérieur, par un procédé tout-à-fait analogue à celui qui a lieu chez les Mollusques, et notamment chez les Céphalopodes. D'après ce qui précède, on voit que notre opinion diffère essentiellement de celle de Bruguière, 1° en ce que nous admet- tons un nombre d’appendices double de celui des segments du corps , lesquels étaient extrémement nombreux. Bruguière n’ad- mettait que deux prolongements beaucoup plus grands que le corps unique , logé, suivant de Saussure et lui, dans la der- nière loge de la coquille. Nous différons encore du dernier de ces naturalistes, en ce que nous pensons que les appendices chargés de sécréter la ma- tière des tables étaient placés au-dessous de ces dernières, et non pas au-dessus. Loin d'envelopper la coquille , ils étaient recou- 174 MÉMOIRES verts par elle. En un mot, selon nous, le mode de production des loges et celui de la coquille tout entière , n’offrait rien qui s'écartät des règles que suivent dans leur développement les êtres appartenant à la classe dont font partie les Nummu- lites. Quant à la manière dont la coquille augmentait d'épaisseur , rien de plus facile à expliquer. Comme les loges s’enveloppaient en chevauchant les unes sur les autres à chaque tour de la spire, le test devenait par cela même plus épais et partant plus solide. Si les tables enveloppantes devaient être contiguës , ou au moins peu distantes de celles qu’elles recouvraient , les cloisons transversales se perdaient entre elles avant d’avoir atteint le centre de la coquille ; si, au contraire, ces tables devaient être séparées par un assez long intervalle, les cloisons s’étendaient en diminuant de hauteur verticale, à partir de la circonférence jusqu’au centre du test, qui, grâce à ces espèces d’étancons , placés de distance en distance, était, ainsi que nous l'avons déjà fait remarquer, beaucoup mieux en état de résister à la pression considérable à laquelle il pouvait être soumis dans les eaux de l’ancien Océan. SECTION C. RÉSUMÉ DES CONNAISSANCES ACTUELLES SUR LES NUMMULITES. a. Forme des Nummulites. — Les Nummulites sont des corps pétrifiés, orbiculaires, plus où moins convexes à leur partie centrale, et ordinairement amincis vers leur bord, lequel est irrégulièrement circulaire et quelquefois très-on- duleux. b. Dimensions. — Beaucoup d’entre elles ont à peine 2-3 millimètres de diamètre ; d’autres atteignent #0-50 milli- mètres. Il en est dont l'épaisseur n’est guère plus grande que celle d’une carte à jouer. Plusieurs espèces , au contraire , sont très- DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 175 renflées au centre, quelquefois même au bord. D'autres , enfin, sont presque globuleuses. c. Surface. — Leur surface est entièrement lisse, ou granu- leuse, où marquée de lignes légèrement saillantes, qui vont en rayonnant du centre à la circonférence. Assez souvent, ces lignes présentent dans leur trajet une double courbure, et, lorsqu'on les envisage en masse, on peut leur trouver quelque analogie avec des mèches de cheveux ondoyants. (Voy. pl. I, fig. 6). Quelquefois aussi, on les voit se réunir deux ou trois ensemble, avant d’avoir atteint le centre de la coquille. d. Structure. — Pour se faire une idée exacte de cette struc- ture , il faut se représenter les Nummulites comme des coquilles spirales à spire embrassante , non visible à l'extérieur, à pa- rois perforées. Les tours de spire sont très-rapprochés , géné- ralement nombreux , et constitués par des lames ou tables cal- caires qui, du bord de la coquille, s'étendent des deux côtés , jusqu’à son centre, en chevauchant les uns sur les autres , de manière que le dernier formé enveloppe tous ceux qui le précè- dent dans l’ordre de formation. La bouche de la coquille, placée contre le retour de la spire, est le plus souvent masquée dans l’âge adulte. Si l'on fait une section horizontale du test des Nummulites, ou mieux encore, si l’on examine ces fossiles après qu’ils se sont Spontanément divisés en deux moitiés égales et symétriques ; les tours de spire se présentent comme des demi-canaux très-étroits, contigus les uns aux autres, et divisés transversalement par une foule de cloisons qui partagent la coquille en autant de compar- timents , et que tous les naturalistes ont eu le tort de dire im- per/orées. En effet, quand, l'œil armé d’une forte loupe, on regarde une quelconque de ces cloisons sur une section faite perpendiculairement au test, on la voit très-distinctement décrire, au-dessus du tour précédent , une espèce d’arcade qui établit une communication entre la loge qui la précède et celle qui la suit. Les extrémités de cette arcade, ou plutôt les parties latérales de la cloison elle-même, se prolongent de chaque côté du plan 176 MÉMOIRES horizontal de la coquille, dont elles atteignent assez souvent le centre, mais en diminuant de largeur, au fur et à mesure qu’elles s’éluignent de la circonférence. e. Animal de la Nummulite.— L'animal constructeur de la Nummulite offrait, comme nous l'avons déjà dit, une grande analogie avec celui des Rotalies et des Nonionines, c’est-à-dire, qu'il était formé d'un corps gélatineux, multisegmenté, qui occupait à la fois toutes les loges de la coquille. Les nombreux segments qui le composaient présentaient chacun deux appen- dices latéraux, portant les pseudopodes ou tentacules locomo- teurs, et ils étaient unis entre eux au moyen d'un tube ou siphon , qui servait en même temps de canal digestif. Cet ani- mal s’accroissait en produisant de nouveaux segments qui venaient s'ajouter dans un même plan à ceux qui existaient déjà, et qui étaient bientôt enveloppés par la matière calcaire qu'ils sécrétaient à l'instar du manteau des Mollusques. f. Classement.— Enfin, l'habitant de la Nummulite n’était ni un Polype , proprement dit, ni une Méduse, ni un Annélide, niun Mollusque, soit Bivalve , soit Céphalopode, maïs bien un de ces êtres si longtemps méconnus, pour lesquels M. Al. d’Orbigny a créé le nom de ForamINFÈRES. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 177 à À PARTIE GÉOLOGIQUE. SECTION À. NOTIONS PRÉLIMINAIRES. La plupart des Foraminifères, parmi lesquels, ainsi que nous venons de le faire voir, on doit placer les Nummulites, pul- lulent encore de nos jours, comme ils le faisaient aux époques géologiques, dans les sables et dans les vases de nos côtes. Néanmoins, et malgré la ressemblance assez grande qui existe entre les corps qui nous occupent et le test de certains genres ac- tuellement vivants (Nonionine, Rotalie...), on n'a pas encore trouvé un seul individu bien authentique de Nummulite que l'on puisse rapporter à l’époque actuelle (1). Tous les Foramini- fères de ce genre que nous connaissons sont fossiles et paraissent n'avoir vécu et ne s'être développés, dans les temps géologiques, si on les considère dans leur ensemble, qu'à une seule époque qui doit correspondre, ainsi que nous chercherons à le faire voir plus loin , à la période crétacée (spécialement la partie la plus récente ) et au commencement de l'époque tertiaire (2). L'analogie qui lie les Nummulites aux genres voisins, les- quels appartiennent à la Faune de nos mers, et leur association constante , dans les couches terrestres , avec des coquilles , des crustacés et des polypiers essentiellement marins , ne peuvent laisser aucun doute sur l’origine marine de ces fossiles. Leur structure si admirable de solidité les rendait propres à résister aux plus grandes pressions, et leur permettait, sans doute , de vivre à de grandes profondeurs dans les mers ; mais, si les données de la géognosie confirment quelquefois cette con- (1) Voyez la note 3, page 153. (2) Voyez le nota ci-après. Les Nummu= lites ne se trou- vent qu'a l'état fossile; époque à laquelle elles ont vécu. Ces fossiles sont marins, et le plus souvent littoraux. 178 MÉMOIRES sidération zoologique, il arrive bien plus souvent qu’elles indi- quent clairement un habitat Zttoral conforme, d’ailleurs, à celui des Foraminifères vivants, avec lesquels les Nummulites ont le plus de rapport. tatdesNum- Le test de ces fossiles est ordinairement calcaire ; quelque- lites dans 1 . . . RS . DT hes qui Je, LOIS Cependant il a subi une pétrification par la silice ou l'oxyde ferment. de fer. Presque toujours, dans le 7errain à Nummulites méridional, les loges de ces Foramiuifères ont été remplies par la matière même qui a pétrifié le test, et le tout ne forme alors qu'une masse plus ou moins solide et compacte. Mais dans certains in- dividus, qui appartiennent généralement aux couches spéciale- ment tertiaires, il arrive assez fréquemment que les vides laissés par l'animal lors de sa décomposition, sont imparfaitement remplis, et alors ilest facile de reconnaître la structure inté- rieure du test, et d'en faire même une espèce d'anatomie, comme nous l'avons vu dans les considérations zoologiques (1). Libres dans les roches en désagrégation, les Mummulites sont le plus souvent empâtées dans des calcaires de consistance variable, fréquemment compactes et marmoréens, où la pré- sence de ces fossiles échapperait ordinairement à l'observateur , sans l'assistance du poli ou des influences atmosphériques. SECTION B. GISEMENT DES NUMMULITES. De ce que le développement des Nummulites peut être rap- porté à une seule époque, il ne faudrait pas conclure qu'il n'existe pour ces fossiles qu'un seul gisement. Il est essentiel , (1) En raison de celle structure, la circonférence des Nummuliles et le cercle que cette ligne circonscrit, offrent un lieu de moindre résistance suivant lequel ces fossiles tendent à se diviser en deux segments égaux. Cette division s’opère d'elle-même avec une grande netteté dans certaines espèces, lorsqu'on les plonge subitement dans l’eau froide après les avoir assez for- tement chauffées. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 179 au contraire , d'en admettre deux principaux qui doivent être soigneusement distingués, savoir : 1° Un gisement septentrional ou Océanique, qui se développe au N. de Paris, en Belgique, et dans la partie S. E. de l'Angleterre ; 2° Un gisement méridional , dont la partie un peu connue semble coordonnée à la Méditerranée et aux petites mers inté- rieures qui en dépendent. Nous donnerons successivement des notions succinctes sur le développement géographique de ces deux gisements, et sur leur constitution et position géognostiques, passant rapidement sur le premier qui est bien loin d’avoir l'étendue et l'impor- tance de l’autre. Celui-ci, d’ailleurs, mérite d'autant plus de notre part une attention spéciale, que les terrains qui en dé- pendent sont en ce moment l’objet de l'intérêt et des controver- ses des géologues. Nota. Dans le synopsis des invertébrés fossiles du Piémont que M. Eu- gène Sismonda vient de faire paraitre , nous trouvons quatre espèces de Nummulites associées à deux espèces d’Operculines et à une Alvéoline. Si les couches qui renferment ces fossiles appartiennent réellement au terrain Miocène , comme l'indique M. Sismonda , les environs de Turin constitueraient un gite spécial que l’on devrait distinguer des deux pré- cédents , en ne lui attribuant toutefois qu’une très-faible importance. Les quatre espèces dont il s'agit ont été signalées pour la première fois et décrites par M. Michelotti, qui les considère comme différentes de celles des gisements principaux qui viennent d'être indiqués. Voici les noms que ce savant leur a imposés : Nummulites Fichteli. Nummulites irregularis. N......... globulina. N......... marginata. $ I. Gisement septentrional ou Océanique. On sait que la craie, proprement dite, forme la charpente ou l’ossature du sol géologique des environs de Paris et de Lon- dres, et du N. de la France. Ce terrain, depuis son dépôt, a été corrodé par les eaux et même soulevé par des actions venant de l’intérieur du globe, et c'est sur sa surface ainsi modifiée , que s’est formé un nouveau dépôt très-développé aux environs de Paris, où il a été étudié pour la première fois par MM. Cu- 180 MÉMOIRES vier ct B'ongniart ,-et décrit sous le nom de Zerrain tertiaire. Ce terrain se prolonge des environs de Paris, d’une part, jusqu'en Belgique, où il se montre principalement autour de Bruxelles ; et, d'autre part, il couvre une assez grande surface en Angleterre. Il ne faut pas le considérer cependant comme for- mant un tout bien continu dans tout cet espace ; car, d’après les observations de M. d’Archiac (1), il s’est d’abord déposé de chaque côté d’une arête proéminente de craie, qui s'étend du département des Ardennes en Angleterre, dans la direction de l'E. S.E. à l'O. N.O., sans autre interruption que le détroit de la Manche. D'où il résulte qu’on doit réellement y distinguer quatre parties que l’on désignera , si l’on veut, par le nom de bassins ; savoir : sur le continent, le bassin de Paris et celui de Bruxelles, et, en Angleterre, le bassin du Æampshire et celui de Londres. Jusqu'à présent, on n’a pas trouvé une seule Nummulite dans la craie ; c’est dans le terrain tertiaire, et même exclusi- vement dans certaines parties de l'étage inférieur ( £ocène de Lyell), que l’on doit chercher leur gisement. Or, cet étage, le plus important de tous dans les contrées dont il s’agit, peut être subdivisé lui-même en trois parties principales ou assises, sa- voir : & 4° L’argile plastique et les sables inférieurs ; 2° Le calcaire grossier et les sables et grès moyens (grès de Beau- champ); 3° La formation marno-gypseuse. C'est la deuxième assise, c'est-à-dire le calcaire grossier ettes grès qui en dépendent, qui constitue le véritable niveau des Nummulites. On en trouve bien, il est vrai, dans la partie supé- rieure des sables de la première assise , mais seulement dans certains lits adhérents au calc. grossier et qui pourraient, à la rigueur, être considérés comme lui appartenant. On n’en ren- contre jamais ni dans la formation gypseuse ni dans l'argile (1) Essai sur la coordination des terrains tertiaires du Nord de la France, de ta Belgique et de l'Angleterre. Bull. Soc. géol. t. 10, p. 168. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 181 plastique, ce qui, au reste , n’a rien de bien surprenant , puis- que les couches , qui composent ces assises, sont presque entiè- rement lacustres , ou au moins fluvio-marines. On pourrait être plus étonné de leur absence dans le calcaire pisolitique, dépôt évidemment marin dont on ne retrouve plus que des lambeaux en certains points , à la surface de la craie, sous l'argile plas- tique, Le développement géographique des Nummulites dans le ter- rain tertiaire Océanique, doit correspondre, d’après ce que nous venons de dire, à celui du calcaire grossier. Or, les affleu- rements de ce terrain se montrent d’une part au N. O. de Paris, parallèlement à la Seine , jusqu’à la hauteur d'Evreux, et d’au- tre part, suivent le cours de l'Oise et de l'Aisne, où ils s’élar- gissent d'une manière remarquable dans le Soissonnais. Le gîte dont Bruxelles est le centre, s'arrête à une petite distance du côté S.; mais il s'étend au N., jusques près d'Anvers, et, de l'E. à l'O., entre Waëstricht et Courtray. Nous ne donnerons aucun détail sur les gites d'Angleterre , qu’on pourrait presque passer sous silence, sous le rapport des Nummulites, puisque ces fos- siles n'y ont été cités jusqu'à présent qu'en un seul point à la falaise de Stubbington dans le Hampshire. Les espèces de Nummulites propres au bassin parisien et à celui de Belgique, se réduisent à quatre , savoir : Nummulites planulata. (Sables inf. , lits supérieurs.) (Lenticulites planulata. Lam.) {1) Ne imoe lœevigata. Lam. (Caleaire grossier inférieur.) N........ lenticularis. Fich. (Calcaire grossier supérieur.) N........ variolaria. Lam. (Sables et grès moyens.) (Lenticulites variolaria. Lam.) £ ss Ces espèces sont représentées par un nombre immense d'in- dividus, dans certaines localités, et particulièrement dans le e (1) Les M. scabra et globularia citées par Lamarck, dans le bassin de Paris, ne sont, d’ après M. d’Archiac, que des variétés del a N. lœvigata. IL est probable aussi que la Lenticulites rotulata Lam. et les N. numis- malis et rotundata , citées sans noms d’auteurs dans le grand ouvrage de MM. Cuvier et Brong. se rapportent aux espèces que nous venons de ciler. 3.° S.—TOME IY. LE 182 MÉMOIRES Soissonnais. Elles sont accompagnées d'Orbitolites, d'Alvéolines et d’une foule de foraminifères microscopiques, au milieu d’un nombre considérable de Mollusques et de Polypiers marins. La NN. lœvisata doit être signalée particulièrement comme for- mant un horizon constant à la partie inférieure du calcaire grossier | glauconie grossière ). Les N. variolaria et planulata marquent aussi, d’une manière assez prononcée, les niveaux qui leur sont assignés dans la liste précédente. On cite trois de ces mêmes espèces dans le terrain £ocène de la falaise de Stubbington ; ce sont : N. lœvigata. Lam. N. elegans. Sow. N. variolaria. Lam. N. planulata. Lam. S IL. Gisement méridionar ou Méditerranéen: Lorsque l’on étudie comparativement les terrains sédimen- taires du nord de l’Europe et ceux qui constituent la partie méri- dionale de cette contrée et les parties voisines de l’Asie et de l'Afrique, on est frappé de la différence que présentent les carac- tères géognostiques des uns et des autres , différence si considé- rable et si brusque que le géologue habitué à l'étude des terrains du Nord se trouve tout dépaysé, pour ainsi dire, s’il vient à parcourir la région du Sud, et qu’il éprouve beaucoup d'embar- ras surtout quand il veut chercher à les rapporter un peu pré- cisément aux types de l'Angleterre et des environs de Paris. Un des principaux traits de ce faciès que l’on pourrait appeler Méditerranéen , car il paraît affecter spécialement les régions qui bordent la Méditerranée , est offert par certaines assises qui ont été observées en un grand nombre de localités appartenant aux régions dont il s’agit, et qui ont été considérées jusqu’à présent par les géologues qui ont eu l’occasion de les suivre sur un vaste espace, comme se rattachant toutes à un grand en- semble qu’ils ont désigné par la dénomination de Système ou Terrain à Nummulites , faisant, pour ainsi dire, abstraction du gisement à Nummulites du Nord à cause de son peu d'impor- tance relativement à celui-ci. DE L'ACANÉMIE DES SCIENCES. 183 Ce système Méditerranéen offre, en effet , un développement immense lorsqu'on le considère surtout sous le rapport de l’é- tendue géographique. Nous allons donner d’abord une idée de cette étendue et de la distribution du terrain dont il s'agit à la surface du globe ; nous tâcherons en même temps d'indiquer , pour les principales localités, ses caractères géognostiques. Nous dirons ensuite quel est l'état de la science au sujet de son classement dans l'échelle générale jusqu’à présent adoptée. a. Limite de ce gisement. — Pour l'exécution de ce plan, la marche la plus rationnelle serait d'indiquer la limite septentrio- nale du terrain à Nummulites et de marcher ensuite vers le Sud , à partir de cette ligne, dans les principales régions Médi- terranéennes jusqu’aux contrées inexplorées sous le rapport dont il est ici question; on s’occuperait ensuite d’un résumé général et enfin du classement. Or cette limite si importante puisqu'elle doit s'éloigner assez peu des anciens rivages de la mer dans laquelle s’est déposé le grand système méridional dont le ter- rain à Nummulites n'est qu'un élément, n’a Pas encore été éta- blie, et nous nous trouvons dans l'obligation , par conséquent, d'en donner, ayant tout » Un {racé approximatif, en nous basant sur les observations faites jusqu’à ce jour. L'extrémité occidentale de cette ligne est réellement couverte par les eaux de l'Océan ; mais le point où elle commence à être visible et accessible a pu être déterminé d’une manière précise sur les côtes de cette mer immeñnse. Depuis longtemps l'on sait , d’après les observations de M. Dufrénoy , que ce point se trouve dans le golfe de Gascogne , un peu au N. du phare de Biaritz, à l'endroit où la falaise abrupte de cette partie du littoral cède la place aux plages sableuses et aux dunes qui les accidentent. Longitude 43° 1/2. N. Latitude 8°. O. La position de l’autre extrémité n’est pas susceptible d’être appréciée aussi exactement : peut-être les observations futures nous auloriseront-elles à la reporter à l'Est jusqu'en Chine ; quant à présent, nous ne pouvons la placer certainement que 184 MÉMOIRES vers les confins N. de la grande presqu'île Indienne dans les environs de Zahore non loin de l'Indus. Longitude 32°. N. Latitude 72. E. Entre ces points extrêmes , la limite que nous cherchons se développe sous la forme d’une ligne accidentée par des zigzags et des ondulations très-prononcées , ct qui embrasse , à la lati- tude moyenne de 40° à peu près, plus d’un cinquième de la circonférence du globe. La direction générale de cette ligne s'élève assez rapidement à partir de son extrémité occidentale dont la longitude est 43° */, , vers le N. E. jusque vers le 49° de longitude {au Zatra des Carpathes) ; après quoi elle revient obliquement vers le S. jusqu’à la latitude de 35°. Il est remar- quable qu’elle longe dans son cours, du côté extérieur, les principales chaînes de montagnes. (Pyrénées , Alpes occiden- tales, Alpes du Tyrol, Carpathes, Caucase...) Cherchons maintenant à ajuster les linéaments de cette li- mile, autant du moins qu'il est possible de le faire au moyen des travaux des géologues. En partant de l'extrémité occidentale de cette ligne, point que nous avons dit se trouver à l'extrémité N. de la falaise de Biaritz, on la voit suivre d’abord le pied des Pyrénées en pas- sant un peu au S. de Dax, au N. de Montfort , à Saint-Séver, au S. de Pau, au N. de Bagnères de Bigorre, au S. de Bou- logne ,à Martres, Varilhes et Chalabre. Nis-à-vis ce dernier point elle se transporte plus au N. sur le versant S. de la Monta- gne Noire, depuis f’erdun jusqu'à Bize où elle semble dispa- raître sous les terrains plus modernes pour ressortir, un instant seulement, dans l'Hérault aux environs de Balaruc. I est pro- bable qu’elle passe ensuite sous les eaux de la Méditerranée ; d'où résulte une interruption sur la terre ferme jusqu'à Wice où elle se montre de nouveau. Là elle change brusquement sa direction E., pour courir vers le N. le long des Alpes occidentales. On peut la suivre sur les contreforts de ces hautes monta- gnes, dans les départements des Basses et des Hautes-Alpes : mais elle semble laisser une lacune dans le Dauphiné. En Savoie, DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 185 on la retrouve presque sans interruption depuis Chambéry jusqu’au lac de Genève, à Thonon. Elle se montre plus au N sur les montagnes qui bordent à l'E. la vallée de la Suisse, en passant aux environs des villes de Thun, de Lucerne, de Schwitz et de Glaris. Elle sort de Suisse à l'E. du lac de Constance pour suivre la lisière de la Bavière par Sonthofen et Traunstein , au pied des Alpes du Tyrol ; elle longe ensuite les Alpes de l'Autriche par Gmunden et Wand, et remonte , par les petites Carpathes, jusqu’à la grande chaîne Carpathique qu’elle semble longer du côté septentrional. IL nons serait difficile d'en indiquer des traces entre cette dernière chaîne et la Mer Noire; mais presqu’au sein de cette mer , au S. de la presqu'île de Crimée, elle fait une apparition avant de passer en Asie où elle commence par longer le Caucase à sa base septentrionale. Il est assez probable qu’elle traverse ensuite la mer Caspienne pour pénétrer en Perse; toutefois nous manquons de documents pour nous permettre d’en indiquer la marche de ce côté; mais nous pouvons presque à coup sûr faire arriver le terrain à Nummulites jusqu’à la petite chaîne qui sépare la Turquie d'Asie de la Perse à l'E. de l'Euphrate. Plus loin , notre limite semble suivre, à une certaine distance, le golfe Persique et entrer ensuite dans le Belouchistan d’où elle remonte l'Indus jusque vers Caboul. Le point le plus oriental où nous puissions la suivre sûrement, est sur la rive gauche de ce fleuve, aux envi- rons de Zahore. b. Etendue ; notions géognostiques. —Le terrain à Nummt- lites se trouve tout entier au S. de la ligne dont nous venons de donner un tracé approximatif, Il s'agit maintenant d'indi- quer , d’une part, les principales contrées où ce terrain a été reconnu jusqu’à présent , et de donner une idée succincte de sa constitution géognostique pour celles de ces contrées où il pa- raît offrir des traits caractéristiques. En procédant, comme nous l'avons fait précédemment , de pyrénées fra l'O. à l'E., on peut suivre ce terrain tout le long des Pyrénées 186 MÉMOIRES françaises dont il forme la lisière pour ainsi dire , car immédia- tement après commence, au S., le grand bassin tertiaire sous- Pyrénéen. Nous voyons d’abord cette formation se développer au- tour de Bayonne, et particulièrement au S.S.0. de cette ville sur la côte de Biarilz, puis suivre l’Adour et la partie inférieure du gave de Pau. À partir de là, elle s’avance beaucoup vers le N., dans les Landes ; maiselle nes’y montre que dans le fond des vallées ou des écorchures du sol tertiaire qui la couvre. Dans le département des Hautes-Pyrénées, la bande sous-Pyrénéenne se rétrécit considérablement ; mais elle s’élargit dans la Haute- Garonne, Dans l’Ariége, elle redevient très-étroite. C’est dans le département de l’Aude qu’elle offre le plus grand développe- ment. Elle s’y double, pour ainsi dire, en constituant, d’une part, la partie N. des Corbières, et, vis-à-vis, un ruban étroit sur le versant méridional de la Montagne Noire. Dans tout ect intervalle, le terrain à Nummudites est loin d'offrir des caractères uniformes et constants. On peut y distin- guer trois types très-différents qui correspondent aux deux extrémités et au milieu de la bande. Gite desLan- En combinant Ics observations qu'il est si facile de faire à Fe la falaise de Biaritz et celles qui résultent de l'examen détaillé des marnières du département des Landes, on arrive à recon- naître dans le type occidental deux étages distincts. L'un supérieur qui est constitué par un calcaire grossier , riche en fossiles tertiaires , la plupart à l’état de moules , souvent pétris de Polypiers et de Milliotites, associé à des marnes et même à du grès. Les espèces de Nummuliles y ont une petite taille, et sont souvent accompagnées d'Operculina complanata. Ces espèces sont : N. Garansiana , nobis. N. Biarüzana, d'Archiac. N. Vasca, nobis. L'étage inférieur renferme des Nummulites plus grandes et plus variées , associées à des Orbitolites (Or. paradoxa prin- cipalement), et à de grandes Operculines (Op. orbitolites). DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 187 Ici les fossiles tertiaires deviennent plus rares, et l'on trouve quelques coquilles crétacées au milieu d'espèces spéciales qui sont les plus nombreuses. Ordinairement les Nummulites sont dans des calcaires et les Orbitolites dans des marnes. Celles-ci, à Biaritz, sont supérieures au calcaire à Nummulites, tandis qu'elles sont inférieures, au contraire, dans les Landes. Voici les noms des Nummulites propres à cet étage : N. Aturica, nobis. N. millecaput, B. N. lœvigata, Lam. N. Atacica ,Leyw. (celle-cirare). N. obtusa , nobis. Ce terrain paraît reposer sur un calcaire crayeux, souvent chlorité, dont les principaux fossiles sont des Echinides créta- cées , et sur des calcaires en partie marneux , fissiles, à Fucoïdes, Inocérames, Ammonites, ete. — Il se trouve recouvert, dans les Landes, par des couches calcaires et marno-sableuses riches en coquilles marines, et en débris de Poissons et de Cétacés, connues dans le pays sous le nom de alhun bleu et de Fahlun jaune. A l’autre extrémité des Pyrénées, dans les Corbières, les roches qui constituent ce terrain, consistent principalement en des calcaires ordinairement compactes, souvent miliolitiques à faciès jurassique, eten marnes grises, bleues ou jaunâtres. Les mar- nes alternent quelquefois avec les calcaires ; maiselles se dévelop- pent principalement au dessus ; elles-mêmes sont, en beaucoup de points, recouvertes par des grèset des poudingues. Ces couches renferment un grand nombre de fossiles propres associés à une vingtaine d'espèces de mollusques caractéristiques , pour la plu- part, du calcaire grossier Parisien ; ces derniers fossiles affectent principalement les marnes où nous devons signaler à part la Turritella imbricataria qui s'y trouve souvent en nombre immense. C’est encore ici dans les calcaires que se trouvent le plus ordinairement les Nummulites, où elles sont acompagnées d'une prodigieuse quantité d’Alvéolines et d'Operculines. Les espèces dominantes sont : N. Alacica, Leym. N. lenticularis ? N. globulus, Leym. Gites de l'Aude et de l’Ariége. 188 MÉMOIRES On doit encore citer comme un trait caractéristique de ce gîte, la présence de coquilles d’eau douce vers la partie inférieure du terrain. Le terrain à Monmulites des Corbières repose, en partie, sur le système à Æippurites, système qui manque presque compléte- ment dans la partie O, des Pyrénées (1). Dans la Montagne Noire ce même terrain est immédiatement plaqué sur les couches de transition. Quand il est recouvert, c’est par le terrain mio- cène du bassin sous-P yrénéen. Gite de a Le gisement de la Haute-Garonne n’est pas aussi facile à Haute-Garonne. Fe caractériser que les deux précédents, car il est intimement lié aux couches crétacées (2). Les roches en sont calcaires, en général ; la plupart des fossiles sont tout spéciaux à cette con- trée. Les Nummulites appartiennent à de petites espèces et ne s'y montrent que dans quelques couches calcaires (Aurignac, Mancioux, Mauran) avec des Operculines et des Alvéolines ( espèces de l'Aude). Les espèces de Nummulites de ces couches, sont : N. lenticularis ? N. Vasca? N. globulus ? Caractères gé Le terrain à Nummulites des Pyrénées françaises , souvent nn < Rd ment des Pre. Presque horizontal dans les Landes, est ordinairement très- nées françaises. redressé et bouleversé dans les Corbières et dans la Haute- Garonne, par l'influence des ophites qui s’y montrent fréquem- ment accompagnées de gypse et quelquefois de sel gemme et d'eaux thermales. La présence du lignite dans certaines couches (1) On dit cependant qu’il existe des Hippuriles aux Eaux chaudes (dé- partement des Basses-Pyrénées). Jusqu’à présent j'avais cru que le dernier gisement de Audistes du côté de l’ouest était celui d’Auzas près Saënt-Mar- tory, que j'ai découvert il y a deux ans. Dans cette localité , on ne trouve pas d’Hippuriles , mais seulement des Sphéruliles plus petites que celles des bains de Rennes (Aude), accompagnées de Vénus dans un état magnifique de conservation. (2) Cette liaison se manifeste d’une manière bien remarquable à Gensac où J’on voit l’Orbitolites paradoxa , la Terebratula tenuistriata et V’Ostrea lateralis, si caractéristiques du terrain à Nummulites de Biarilz, des Landes et des Corbières, au milieu d’une faune essentiellement crétacée. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 189 de ce terrain , et particulièrement dans des grès qui en dépen- dent , est assez constante pour qu'il soit permis de la considérer comme un caractére. Il atteint 500 mètres d'altitude au Mont- ÆAlaric dans les Corbières, où sa puissance est d’ailleurs consi- dérable. Sur le versant Espagnol, une bande parallèle à la chaîne, comme la précédente, mais beaucoup plus large, s'étend même au delà de l'extrémité occidentale des Pyrénées jusqu’à l'Océan, par les Asturies et la Galice. On sait que ce gite offre ectte cir- constance remarquable, que les couches qui en font partie s’é- lèvent sur le versant et atteignent même une des principales sommités au Mont-Perdu où les Nummulites se trouvent par- ticulièrement dans un calcaire compacte noir. Ce gite des provinces Pyrénéennes de l'Espagne offre des caractères assez peu différents de ceux que nous avons indiqués sur le versant N. Il rappelle surtout le type des Corbières. Dans la vallée de l'Essera , ce terrain se compose , d'après M. Dufrénoy, de marnes et de grès avec Nummulites, Alveolines, Turritelles etc... divisés en deux assises par un poudingue. Il constitue une grande partie de la Catalogne où il renferme des mines de sel. Onsaitquele Wont-Jowy, à Barcelonne, esten partie constitué par des marnes à Turritelles identiques avec celles des Corbières. Si en partant de cette ville, on suivait les bords de la Médi- {erranée vers le S. , on rencontrerait, sans doute , fort souvent, à quelque distance dans les terres, le terrain à Nummulites. Son existence a été positivement constatééprès d’Ælicante , de Murcie et de Baza,à Alhama près Grenade et aux environs de Malaga. Les couches à Térébratules et Oursins que M. Leplay a signalées vers la base méridionale de la Sierra-Morena au N. de Cor- doue , que cet ingénieur rapporte au deuxième étage tertiaire , appartiennent probablement à ce même terrain qui constitue aussi , sans doute , une partie des collines des environs de Séville. Pour le poursuivre plus au S., il faudrait passer en Afrique par le détroit de Gibraltar ; et on le verrait constituer en Bar- barie un des élémentsles plus importants des terrains secondaires Espagne. Barbarie, Nice. 190 MÉMOIRES supérieurs. On sait par des observations récentes de M. Coquand, qu'il joue un grand rôle dans le Maroc où il repose sur le calcaire à Chama Ammonia de Provence, tandis qu’un puissant dépôt de Macisno et d’_Albérèse en tout semblables à ceux d'Italie, en forme la partie supérieure. Ce dernier terrain , caractérisé par les Æucoïdes, comme en Italie, constitue une partie des montagnes du Tétouan et semble régner uniquement dans tout l'intervalle qui sépare le grand du petit Atlas (1). Les couches à Nummulites proprement dites sous-jacentes au Macigno et à l'Albérèse, sont beaucoup moins développées. On y trouve de très-grandes Nummulites (N. Millecaput ? ) accompagnées de Térébratules. Malgré l’état peu avancé de nos connaissances sur la géogno- sie de l'Algérie, on peut citer le terrain que nous étudions en quelques points. On sait qu'il existe, par exemple, aux envi- rons de Mascara et dans la province de Constantine où il se trouve lié, d’après M. Boblaye, au calcaire à Hippurites. Dans le beau travail sur la richesse minérale de l'Algérie, qu'il a récemment soumis au jugement de l’Académie des Sciences de Paris, M. Fournel cite, dans cette même contrée, un calcaire compacte noir à silex dont il a recueilli des échantillons pétris de Nummulites au sommet du T'oumietz. Ce calcaire repose sur un grès qui joue un rôle important dans la constitution de ce pays. — Les célèbres schistes blancs à Ichtyolites d'Oran sem- blent devoir être rapportés à la période nummulitique. L'état de Tunis offre également des couches de cet âge. On sait, au moins, que des roches à Naummulites constituent en partie le Cap-Bon. Au N. de Nice se montrent des calcaires assez semblables à ceux des Corbières. Les Nummulites et les Operculines s’y trou- vent associées à de nombreuses espèces de Polypiers et de Mollus- ques dont un certain nombre sont identiques avec des espèces du bassin Parisien. (1) Ce terrain constitue notamment le sol de la ville de Tanger, où il pa- rait très-viche en impressions de Fucoïdes. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 191 Parmi les Nummulites propres à cette localité, on peut citer le N. Atacica et une autre espèce très-6paisse et charnue que nous proposons de désigner par le nom de N. spissa. C'est là que l'on peut placer l'origine d’une longue zone qui contourne presque tout le massif des Alpes, et dont la largeur peut atteindre jusqu'à dix lieues. Le terrain à Nummulites y présente un caractère important que nous n'avons pas rencontré dans les Pyrénées, c’est d'offrir une assise schisteuse (flysh), riche en impression de Fucoïdes, qui occupe ordinairement la partie supérieure de la formation. Je dis ordinairement , parce qu'il existe des régions où ces impressions végétales pénètrent dans les couches inférieures. Cette zone suit généralement les contreforts du massif Alpin , où elle s'élève parfois jusqu’à une hauteur considérable, sans jamais cependant atteindre les parties centrales. D'après M. Scipion Gras, le terrain dont il s’agit forme au pied des Alpes françaises, une bande continue d'environ sept à huit lieues de largeur et longue de vingt-sept lieues. Il atteint jusqu’à mille mètres de puissance, et forme des montagnes très- élevées. Les couches à Nummulites y sont essentiellement compo- sées de calcaires ordinairement noirâtres ou gris foncé, souvent pétris de ces Foraminifères, avec marnes et grès subordonnés dans la partie supérieure. Le fsh qui les recouvre constam- ment dans ces contrées , offre une série très-puissante de schistes argilo-calcaires et de grès schisteux micacés à Fucoïdes. L'ensem- ble du terrain repose d’une manière indépendante sur le terrain jurassique ordinairement, et, lorsqu'il est recouvert, c’est , comme à la base des Pyrénées, par la molasse soit marine, soit d’eau douce , et en stratification discordante. L'étage nummuli- tique offre , en certains points, un grand nombre d'espèces de Mollusques dont la plus grande partie sont propres au terrain , tandis que l’autre partie se retrouve dans la Faune du calcaire grossier de Paris. En suivant la limite du terrain à MNummulites, nous avons trouvé une interruption correspondant au Dauphiné. Ce terrain ne paraît donc pas exister là ; mais il se représente plus loin en Alpes françai- ses. Savoie. 192 MÉMOIRES Savoie au nord de Chambéry où il se trouve morcelé. Au voisi- nage du lac de Genève, il prend une extension considérable. Dans cette partie de la zone Alpine, les caractères géognosti- ques de notre terrain sont presque identiques à ceux que nous ve- nons de signaler dansles départements des basses et hautes Alpes; seulement il paraît que le fysh s’y trouve lié, pour ainsi dire, aux couches à Nummulites par la présence des Fucoïdes même dans ce dernier étage (1). Les calcaires y offrent aussi des cou- leurs plus claires. Dans la partie supéricure des couches à Nummulites, existent, comme dans les Pyrénées, des amas de lignite exploité. On y rencontre aussi très-fréquemment des dents et des écailles de Poissons qui se rapportent à des genres crétacés, d’après M. Agassiz. Ces débris de Poissons se montrent même dans le flysh. Alpes Suisses. La zone nummulitique se continue tout le long de la vallée de la Suisse qu’elle borde du côté oriental. Entre le lac de Genève et celui de Thun , elle se trouve divisée en deux bandes par un massif Jurassique. C’est à la plus intérieure de ces bandes qu'appartient la localité des Diablerets, célèbre par les observa- tions de M. Brongniart. Les Nummulites s'y trouvent dans un calcaire noir carbonifère associé à des couches riches en fossiles d'apparence tertiaire. Entre les lacs de Thun et de Lucerne, le terrain dont il s’agit se réduit de nouveau à une seule bande assez étroite qui a été spécialement étudiée par M. Studer. Ce savant géologue y signale des calcaires et des grès à Nummulites recouverts par le flysh à Fucoïdes le tout reposant sur des couches à Hippurites. Les seules espèces citées par M. Studer sont : N. elegans, Sow et N. lœvigata, Lamk. La Nummulite grande comme une pièce de 6 fr. qu'il se contente d'indiquer, est probablement notre N. millecaput. (1) D'un autre côté, M. Favre (Biblioth. de Genève , 1847, n° 18), signale des discordances (probablement locales) entre le Flysh et Le terrain à Num- mulites dans ces mêmes contrées. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 193 Au S.E. de Glaris , la zone Alpine offre un élargissement con- sidérable qui l'a fait parvenir jusqu'à Disentis. À Glaris, le système à Mummulites offre cette circonstance particulière que les deux étages qui le constituent dans les Alpes, se trouvent séparés par une assise de schistes à empreintes de Poissons que M. Agassiz associe aux espéces crétacées. En sortant de Suisse, au S.E. du lac de Constance, la bande nummulitique se continue au pied des Alpes du Tyrol et des Alpes Autrichiennes et forme une bordure aus. des plaines de la Bavière et de la basse Autriche , où elle prend déjà quelques caractères Carpathiques. Une partie des calcaires compactes qu'on a dési- gnés par le nom de Calcaires Alpins, et les couches ordinai- rement arénacées à Fucoïdes qui leur sont superposées appartien- nent à ce système. Parmi ces couches dont l'étude est ordinaire- ment très-difficile à cause des soulèvements et des modifications qu'elles ont éprouvés, on trouve cà et là des parties pétries de Nummulites et d’autres à Rudistes. Ces contrées ont été d’ailleurs signalées depuis longtemps, notamment par M. Boué, comme offrant au milieu des formations précédentes , des gîtes de fossi- les à physionomie tertiaire, [ Cressemberg près Traunstein (Bavière), Gosau (Alpes Autrichiennes), Gmunden (Autriche) etc. ] accompagnés de quelques fossiles crétacés. Si l’on n’a pas trouvé de Nummulites dans les protubérances qui semblent lier les Alpes aux Carpathes en passant par Vienne, les caractères généraux de certaines couches qui entrent dans leur constitution , les Fucoïdes du Grès Fiennois semblent au- toriser à considérer ces couches comme appartenant au terrain que nous étudions. On sait que les Carpathes, en y comprenant même les mon- tagnes qui séparent la Transylvanie de la Moldavie, sont prin- cipalement composées de roches arénacées que l’on connaît sous le nom de Grès des Carpathes. Dans Ja partie de ce grès quise développe principalement sur les deux versants de cette chaîne et qui offre fréquemment des empreintes de Fucoïdes, on trouve aussi des calcaires et des marnes riches en Nummulites qui doi- vent leur être associés. Ce terrain s’avance en Bukovine et se Tyrol, Autri- che. Carpathes. 19% MÉMOIRES développe beaucoup au S. de Xronstadt en formant, de ce côté, la séparation entre la Transylvanie et la Valachie. rransykanie. L'intérieur de la Transylvanie offre un bassin très-vaste dont le sol marno-sableux est riche en Vummulites et en fossiles d'apparence tertiaire qui ont été décrits par Fuchsel. Nous pen- sons que ce bassin doit aussi appartenir au gisement général que nous cherchons à faire connaître. Hongrie. Ce terrain à Nummulites existe encore dans la petite chaîne de montagnes qui, partant de Bude en Hongrie, va longer, au N., le lac Balaton. M. Beudant y a signalé plusieurs espèces de Num- mulites qu'il dit être répandues avec profusion en plusieurs localités dans des calcaires blanc-jaunâtres terreux, où l’on trouve aussi des Æ/véolines et des coquilles marines en grand nombre. Crimée, Depuis l'extrémité des Carpathes jusqu’à la mer Noire, le terrain à Nummulites existe sans doute, puisqu'on le retrouve dans la presqu'île de Crimée, mais il est caché, par les dépôts tertiaires qui couvrent presque toute la Valachie et la Bulgarie. Un affleurement qui se montre à Brahilow vers le milieu de cet intervalle, semble bien appuyer cette supposition. Mais il est temps de poursuivre nos recherches dansles contrées intérieures, au S. de la bande que nous avons jusqu’à présent étudiée. Après nous être acquittés de ce soin , nous reprendrons l'étude de cette bande extérieure jusqu’à la limite oriemtale , et nous terminerons par celle des gîtes situés au S. de cette dernière partie. Provincestur- NOUS avons déjà indiqué les MNummulites au centre de la. ques; Grèce. Hongrie à l'O.S.0. de Bude. Si l'on quitte ce royaume pour entrer en Turquie, on voit le terrain caractérisé par des Nummulites et par des Hippurites prendre un développement extraordinaire ; car il constitue presque toute la Servie, la Bosnie , la Croatie, l'Herzegovine , V Albanie , V Epire, la partie S.O. de la Macé- doine, la Livadie occidentale , presque toute la Morée et l’île de Crête (Candie). Il paraît même que ce terrain existe sous les dépôts tertiaires qui séparent ce grand massif de la Mer Noire ; car on en a reconnu-des traces tout le long de la chaîne des Balkans. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 195 Dans les provinces Turques , il offre comme roches dominan- tes, des schistes argileux , des grès et des calcaires compactes de couleur claire à rognons siliceux, calcaires quise développent dans la partie supérieure du système et qui deviennent la roche domi- nante à mesure qu'on avance, vers le S., en Albanie, en Epire et en Macédoine. Dans cet immense massif encore si vaguement étudié et dont la détermination est d’ailleurs si difficile à cause du bouleversement des couches et du métamorphisme qui en a altéré et uniformisé les caractères originaires, les roches de l’âge du terrain dont nous recherchonslestraces, sont intimement liées aux autres roches secondaires , et particulièrement à celles qui renferment des Hippurites, et ce n’est qu’en des points dissé- minés çà et là que les géologues voyageurs ont pu les reconnai- tre d’une manière positive. Toutefois , il paraît que des couches pétries de Nummulites forment une bande continue dans la partie occidentale de l’Albanie et de l'Epire; ces couches , d’après MM. Boué et Viquesnel sont principalement composées de calcaire compacte très-puissant avec des marnes et des grès subordonnés. En Morée c'est encore dans la partie occidentale que se mon- trent particulièrement les MNummulites. On les retrouve de ce côté tout le long de la mer sur la côte ou à une petite distance. D'après MM. Boblaye et Virlet, ces fossiles y existent à deux ni- veaux différents comme dans les Landes. Au niveau inférieur, une très-grande espèce associée à de plus petites , se trouve dans des calcaires et des marnes bleus et noirs à Rudistes ; l’autre niveau est principalement caractérisé par de petites Nummulites encore réunies à des Rudistes, au milieu de calcaires compactes blancs à silex et de grès gris ou verdätres. Ces deux horizons sont d’ailleurs séparés par une autre assise de calcaire compacte et de grès sans fossiles. Ces roches de la Grèce comme celles de la Turquie n'offrent de fossiles que par exception , soit qu'elles aient été déposées, en général, dans une haute mer, ou que les débris organiques y aient été effacés par des actions postérieures. Nous venons de reconnaître le terrain à Vummulites tout le Dalmatie,Croa- ie, provinces long de l'Adriatique , depuis le cap Matapan à l'extrémité S. de yriennes. Lombardie , Wéronnais, Vi- centin, 196 MÉMOIRES la Morée , jusqu'aux confins de l’Albanie. Plas au N. il continue à côtoyer ce golfe de la Méditerranée sous la forme d’une bande qui occupe la plus grande partie de la Dalmatie , de la Croatie et des provinces Illyriennes. Dans ce prolongement qui embrasse notamment presque toute l’Istrie, le terrain que nous étudions est constitué par des calcaires compactes avec rognons siliceux et par des calcaires marneux très-riches en Nummulites. Des grès marneux plus où moins fissiles se montrent dans la partie supé- rieure où ils offrent souvent des impressions de Fucoïdes (1). Les Hippurites paraissent encore ici se lier aux Nummulites. est évident, d’après ces caractères , que ce gite passe au type si nettement caractérisé que nous avons indiqué sur le versant oc- cidental des Alpes. Le gisement de l'Illyrie ressemble encore à celui des Alpes de la France, de la Suisse et de l'Autriche, en ce qu'il offre des localités spéciales où les Nummulites se trouvent associées à des fossiles tertiaires éocènes. La présence de lignites bitumineux est encore un nouveau trait de ressemblance. Après avoir pénétré, comme nous venons de le voir, au centre des provinces Illyriennes, la bande nummulitique s’infléchit brusquement à l'O. pour longer le versant méridional des Alpes jusqu'aux environs du lac Majeur , les collines situées au N. de P'érone et de Vicence célèbres par les observations de Fortis et de M. Brongniart, de si regrettable mémoire, appartiennent à ce gîte. On sait que ces localités offrent cette circonstance remarquable que les couches sédimentaires princi- palement constituées par des calcaires plus ou moins coquilliers, y alternent avec des roches pyrogènes en partie tufacées. (1) D’après M. Morlot , qui vient de faire une reconnaissance suivie de VIllyrie sous le rapport du terrain à VMummuliles , le calcaire caractérisé par ces fossiles recouvrirait constamment le grès à Fucoïdes ( fucoëdes intri- catus, furcatus, etc.). Bien plus, ce grès qu'il assimile (opinion bien sin- gulière) au lias et même au keuper, serait inférieur, dans ces contrées, comme dans les Pyrénées , au calcaire crétacé à Rudistes. M. Boué , auquel nous devons la communication des observations de M. Morlot, annonce que parmi les fossiles du calcaire à Nummulites rapportés par ce géologue , se trouvent notre VNummulités Atacica et V’'Echinolampas conoïdeus. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 197 Parmi les fossiles qui caractérisent ces calcaires , M. Brongniart a signalé des coquilles évidemment Parisiennes et d’abondantes Nummmulites dont l'espèce dominante doit être, d’après la des- cription de M. Brongniart, notre Naummulites Atacica.Ve Monte Bolca qui appartient à ce gite , est célèbre par ses magnifiques Ichtyolites qui semblent indiquer, d'après M. Agassiz , un pas- sage entre le terrain crétacé et le terrain tertiaire. La localité de Trente , qui appartient à ce gîte sub-Alpin , a été ré- cemment visitée par M. de Verneuil qui en a rapporté une belle suite de fossiles parmi lesqueis on remarque des espèces caracté- ristiques de l'£picrétacé de l'Aude (Nummulites Atacica, Vé- nericardia minuta) et de Biaritz (principalement des oursins). Des couches à F'ucoïdes se montrent encore dans cette bande. 11 est assez curieux de les voir, dans la Brianza, pénétrer jusqu’au dessous de calcaires compactes pétris de Nummaulites. Le terrain secondaire Méditerranéen forme presque toute la charpente de l'Italie. Les couches caractérisées par les Nummu- lites ne se voient pas partout dans ce massif. Toutefois elles paraissent, avec interruption , il est vrai, dans presque toute l'étendue de la chaîne Apennine. Elles forment d’abord toute la Ligurie occidentale en se liant au gite de Nice, déjà signalé comme point de départ de la bande occidentale des Alpes. Après une interruption, elles apparaissent de nouveau dans le pays de Gênes d’où elles passent en Toscane par le Duché de Modène , de là on peut les suivre dans les États de l'Église, surtout dans les Apennins de Bologne. Dans leroyau- me de Naples on les retrouve, particulièrement dans la Pouille. Les roches qui constituent ce terrain sont des calcaires ordi- nairement compactes et même conchoïdes parfois (scaglia), contenant des Nummulites qui se trouvent associées, dans le bas, à des Hippurites et à des fossiles crétacés. Les couches su- périeures , qui sont de beaucoup les plus développées et qui souvent constituent même le terrain à elles seules , sont formées par des grès micacés à ciment calcaire ( macigno) souvent assez solides pour être employés comme pierre de taille (Toscane) et par des calcaires marneux et des schistes connus sous le nom 3.° 8, — TOME IY. 1% Italie, 198 MÉMOIRES d'Albérèse qui occupent ordinairement le haut de l'étage et qui paraissent devoir correspondre au f/sh des Alpes Suisses. On cite quelques Nummulites et même, ce qui est assez singulier , des Æ{mmoniles dans le macigno; mais ce sont des raretés, et les fossiles caractéristiques sont les impressions de Fucoïdes que nous avons déjà tant de fois signalées dans cette situation. Nous devons ajouter ici que cet ordre de superposition n’est pas abso- lument constant; car on cite des localités où le macigno passe sous le calcaire à Nummulites (1). Sicile. En Sicile, le terrain à Nummulites occupe avec interruption le côté S.O. de cette île triangulaire, entre Trapani et le cap Pessaro. Les roches que l’on cite commeéléments de ce terrain sont des calcaires blancs ct des marnes blanches à rognons sili- ceux. Îci les Nummulites sont encore associées aux Hippurites d’après tous les géologues qui ont eu l’occasion d'étudier ce p pays. ans PEe + Le macigno est le terrain dominant de l’île d’Elbe. En Corse, les Nummulites accompagnées des fossiles tertiaires et autres occupent une bonne partie du versant oriental, d’où elles doivent passer , très-probablement , en Sardaigne. Egype. Nous avons déjà indiqué le terrain à Nummulites dans le Maroc, en Algérie et dans le pays de Tunis. Il est probable qu'il existe aussi dans l’État de Tripoli d’où il irait former le gisement de l'Égypte. Ce dernier, le seul qui soit un peu connu en Afri- que, commence à se montrer , sur les bords du Nil, aux envi- + rons du Care, vers la pointe du Delta, et remonte ce fleuve à partir de ce point jusqu’à £sné au moins. On ne connaît pas bien ses limites dans le sens transversal; cependant on sait qu'il constitue la chaîne Libyque qui encaisse la vallée du côté occidental, et qu'aus. du Caire, il s'étend à l'O. jusqu’à Syouah et qu'il pénètre à l'E. en Arabie Pétrée, d'où il irait peut-être se lier avec les montagnes secondaires de la Palestine. Il est es- ————_—_—_—_————— (1) M. L. Pilla voudrait faire du macigno d'Italie un système constamment supérieur el indépendant ; mais il ne nous est pas possible de voir les choses ainsi au point de vue général où nous nous sommes placés. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 199 sentiellement composé, dans ces contrées, de calcaire compacte quelquefois subsaccharoïde de couleur claire, ordinairement blanche, et de calcaires subcrayeux et marneux subordonnés. Les Nummulites qui pullulent en certaines parties de ces cal- caires, appartiennent, en général, à nos espèces Pyrénéennes. En consultant les figures données dans le grand ouvrage de la Commission française (1) et la collection rapportée par feu M. Lefèvre (Muséum d'histoire naturelle de Paris), il nous a été facile de reconnaître les espèces suivantes : N. millecaput. N. Aturica. N. obtusa ? N. Atacica. N. globulus ? Ces calcaires à Nummulites renferment aussi des coquilles marines et des Echinodermes, parmi lesquels nous avons re- marqué, dans la collection déjà citée, un certain nombre d'es- pèces de l’Aude, et notamment un Cérite gigantesque, la Nerita convïidea , l'Echinolampas conoïdeus , etc. D'après M. Lefèvre, il y aurait, en Egypte , association et même liaison intime entre les Nummulites et les Hippurites, observation importante que nous avons déjà faite en beaucoup d'autres lieux, et surtout en Grèce et en Italie. Il est assez probable que le terrain à Nummulites existe en- core au N. de l'Egypte et de la Barbarie, en Abyssinie et dans le grand désert; mais nous n’osons l’affirmer faute de données suffisamment précises. Les anciens auteurs parlent de petites pierres lentieulaires dont le sable de ces vastes solitudes serait en partie composé : seraient-ce des Nummulites ? Reprenons maintenant et poursuivons jusqu'à son extrémité orientale notre bande nummulitique extérieure. Nous avons dit qu'elle subissait une interruption presque complète entre les Carpathes et la Mer Noire. Dans la partie Sud (1) Ces VNummulites se trouvent réunies sur des échantillons du calcaire qui forme la pierre de construction principale des pyramides de la Basse- Egypte. Crimée. Caucase, Ar- ménie, Géorgie. 200 MÉMOIRES de la presqu'île de Crimée, il en existe un lambeau sur lequel MM. Dubois de Montpéreux et de Verneuil nous ont donné d’ex- cellentes notions, et qui offre cette particularité précieuse, que le système secondaire Méditerranéen s’y trouve , pour ainsi dire, enchevètré avec le système Océanique. Les roches du terrain nummulitique de Crimée consistent en des calcaires marneux blanchâtres ou jaunâtres, passant, en certains points, à des mar- nes argileuses ou sableuses, le tout constituant un massif de 20 à 25 mètres de puissance seulement et reposant sur une vérita- ble craie grise à Ostrea vesicularis et Belemnites mucronatus (1) superposée elle-même à des couches analogues au Greensand etau terrain Néocomien. M. de Verneuil a signalé le premier l'analogie qui existe entre ce gîte et celui de l'Egypte et des Pyrénées. On y trouve en effet le N. millecaput et d’autres espèces plus petites que nous pourrions encore reconnaître si elles étaient micux et plus complétement figurées dans les planches de M. Des- hayes, avec le Cérite gigantesque déjà signalé, l’Echinolam- pas conoïdeus, Turritella imbricataria,Ostrea gigantea; etc. Ce terrain à Mummulites de Crimée forme une transition à celui qui longe la chaîne Caucasienne sur les deux versants, et qui offre à très-peu près les mêmes caractères. Nous avons déjà vu , en traçant la limite septentrionale de la formation dont il s’agit, qu’elle ne s’étendait pas au delà de la chaîne du côté du Nord; mais, au Midi, elle forme une bande assez large pour embrasser la Géorgie et une grande partie de l'Arménie , et que l’on peut suivre, dans le sens de la longucur, depuis la Mer Caspienne jusqu’à la Mer Noire (Dubois de Montperreux ). Ce terrain offre d’ailleurs une assez grande ressemblance avec les calcaires du Vicentin à cause de l’association des Nummulites et de fossiles tertiaires éocènes, d’une part, et, d’un autre côté, par l’intercalation, entre ses couches , de tufs trappéens et de roches d’éruption. (1) D’après une récente communication de M. Dubois (Réunion de la Soc. géol. à Chambéry), les Vummulites (petites espèces) reparaitraient encore sous la craie, fait qui serait extrêmement curieux. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 201 Au S. de ce gîte, après une interruption, on retrouve Île Asie Minenre, terrain à Nummulites très-développé dans toute la région occu- pau Mr pée par la partie haute du cours de l'Euphrate et du Tigre d'où il passe en Natolie. 11 joue aussi un rôle important dans la couslitution de la grande chaîne du Taurus, et longe avec cette montagne la côte N. de la Méditerranée en Asie Mineure, d'où il passe sur la rive orientale le long des montagnes de la Syrie et de la Palestine. On ne cite pas , il est vrai , de Nam- mulites dans ces dernières contrées ; mais le calcaire à Hippu- rites a été observé par M. Botta dans le Liban, et nous ne serions pas étonnés que les VNummulites s'y trouvassent aussi en quelques points. Nous n'osons indiquer ces fossiles dans l'Arabie Asiatique ; sspie. cependant ils pourraient bien exister à l'orient des montagnes primitives qui bordent la côte orientale de la Mer Rouge , et, du côté opposé , le long du golfe d'Oman à partir du détroit d'Ormus. De l’Asie Mineure , le terrain à Nummulites se prolonge en pere, me- Perse le long du Golfe Persique par les montagnes de Zagros, "1" et va former , dans le Mckran , une bande parallèle à la côte nord de la Mer des Indes. Plus loin il se montre sous la forme d'une crête sur la rive droite de l'Indus où il constitue notam- ment les sommités du Mont-Hala, et au N. O. de Caboul dans le Caucase Hindou. On le connaît , enfin, de l’autré côté de l'Indus , dans la contrée { Penjab ) qu’arrosent les principaux affluents de ce fleuve (1) et dans le pays de Cutch (2). La liaison que nous avons fait remarquer en Crimée, entre Enchevétre- le système secondaire du N. et celui que nous avons nommé "7 à C sysiwmes du N. Méditerranéen , paraît se continuer non-seulement dans le Cau- ©! 4 5: dns le Caucase et l'Asie Mineure. (1) Deluc indique positivement des VNummulites el des Alvéolines dans le royaume de Lahore (Journal de physique, L. 54, an x.) Des deux espèces figurées comme Nummulites par cet auteur, l’une nous parait être notre N. obtusus ; l'autre est une Operculine, Operc…. nummiformis. nobis ? (2) D’après M. Boué, la formation nummulilique pourrait bien s’étendre beaucoup plus loin par lPHimalaya , l’Assam seplentrional et la Tartarie Chinoise, d’une part, et, d’un autre côté, par les iles de la Sonde (Java) et l'Australie. 202 MÉMOIRES case , mais encore en Asie Mineure où le terrain que nous étu- dions est principalement constitué par des calcaires fossilifères (Ostrea gigantea), des grès avec gypse et sel gemme, reposant sur une craie assez analogue à celle de la Russie méridionale. Etendue de La reconnaissance à laquelle nous venons de nous livrer, peut ee nous donner une idée du rôle que joue actuellement le terrain à Nummulites à la surface du sol ; car nous n’avons parlé que deses affleurements. Quant à son développement réel , on doit penser qu'il est bien autrement considérable. IL suffira pour s'en convaincre de rappeler que les couches de cet âge se trouvent fréquemment au pied des montagnes qui entou- rent les plaines tertiaires dont elles doivent par conséquent former la base, au moins dans beaucoup de cas. D'un autre côté , les relations si remarquables de ce terrain avec la Mé- diterranée indiquent bien qu’il occupe une place importante dans la constitution du fonds de cet immense bassin. De là , il est facile de conclure que la mer dans laquelle le terrain nummulitique a dù se déposer , occupait , non-seulement la place de la Méditerranée actuelle, mais encore une grande partie du S. de l'Europe, de l'Afrique septentrionale et du S. O. de PAsie. Les Pyrénées et les Alpes formaient des îles non loin des bords de cettemer (1). Quant à ces bords eux-mêmes, il serait difficile de Les reconstituer un peu exactement; souvent ils ont été effacés par les révolutions subséquentes que le globe a dû subir. IL est assez remarquable, cependant, d’en trou- ver une portion presque intacte sur le versant S. de la Mon- tagne Noire. Ce gisement, l’un des plus riches en Nummulites et en Alvéolines associées à de nombreuses coquilles littorales , semble nous indiquer que les fossiles qui font l’objet de ce tra- vail habitaient de préférence les côtes et les hauts fonds, malgré la solidité de leur structure , conséquence confirmée d’ailleurs par beaucoup d’autres faits de ce genre , et notamment par la circonstance que ces fossiles abondent surtout au pied des chaînes de montagnes. (1) Ces montagnes toutefois offraient alors un relief différent de celui qu’on leur voit aujourd’hui. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 203 SECTION C. EXPOSE SUCCINCT DE NOS CONNAISSANCES ACTUELLES SUR LE TERRAIN À NUMMULITES MÉRIDIONAI. $S I. Caractères généraux de ee terrain. Avant de passer à la détermination géognostique du terrain que nous étudions, il est nécessaire de chercher À reconnai- tre, au milieu de tous les caractères qu'il nous a présentés par- tout où nous venons de le suivre, ceux qui pourraient servir à donner une idée générale de ce grand système pris dans son ensemble. D'abord , relativement à la composition géognostique , il n'y a rien ici de bien spécial ; car les roches qui le constituent sont, comme dans tous les terrains de sédiment possibles, des cal- caires , des marnes et des grès. Il faut remarquer cependant que les Nummulites se trouvent principalement dans des cal- caires de pureté et de consistance variables, souvent compactes, et que la partie supérieure est fréquemment formée par des couches arénacées , calcaires et argileuses souvent schisteuses. Si lon considère maintenant les Nummulites sous le rapport de leur association avec d’autres fossiles et à leur distribution dans la masse du terrain , on peut dire que ces Foraminifères sont presque toujours accompagnés de Rudistes avec lesquels ils se trouvent liés, dans beaucoup de cas, et même mélangés dans la partie inférieure du système. Plus haut les Nummulites tendent à se développer seules et à se dégager, pour ainsi dire, des Rudistes qu’elles laissent alors au-dessous d'elles. Enfin , ces couches purement à Nummulites sont , en gé- néral , recouvertes par les couches ordinairement schisteuses , dont nous avons déjà parlé, qui ne renferment ces Foramini- fères que très-rarement , mais qui offrent en revanche de nom- breuses impressions de Fucoïdes (flysh, macigno , albérèse ). Nous devons dire toutefois que cette place qui est assignée 204 MÉMOIRES ici aux Æucoïdes ne doit pas être considérée comme tout-à-fait constante ; cer on voit, en certaines localités , ces végétaux fossiles passer aussi dans les couches inférieures , circonstance qui vient bien appuyer l’idée -que le flysh et le macigno font partie de l'ensemble de la formation nummulitique (1). Cette assise supérieure à Æucoïdes manque dans la zone Pyrénéenne : elle paraît d’ailleurs très-faiblement représentée , au moins avec les caractères que nous venons de lui assigner, dans la moitié orientale de toute la région ( Egypte, Grèce , Caucase , Turquie }. Nous venons de dire que les couches essentiellement num- mulitiques étaient ordinairement liées aux assises à Hippu- rites ; il faut ajouter qu’il n’en est pas ainsi partout , et que dans certaines contrées elles montrent comme des velléités d’in- dépendance ( Montagne Noire, Alpes françaises, Toscane. ). Il est bon de rappeler d’ailleurs qu'en Crimée et en certaines contrées sub-Caucasiennes , les couches spécialement nummu- litiques reposent sur une assise analogue à la craie propre- ment dite. C'est une exception remarquable due à un enche- vêtrement facile à concevoir , à la limite commune, des ré- gions Méditerranéenne et Océanique. Il est assez curieux que l'absence des Rudistes, et la présence de couches analogues à la craie du Nord sous les couches à Nummulites existent en- core dans les Basses-Pyrénées, à l’autre extrémité de la zone extérieure. Lorsque des coquilles fossiles se montrent dans les couches qui renferment à la fois des Nummulites et des Rudistes , elles appartiennent ordinairement à des espèces crétacées ; mais les couches où règnent les Nummulites à l'exclusion des Rudistes, (1) Nous croyons devoir rappeler à cette occasion que des couches schis- teuses très-puissantes, caractérisées par les mêmes espèces de Fucoïdes, for- ment un des éléments les plus importants du terrain crétacé des Pyrénées- Occidentales, où elles occupent constamment une position inférieure à celle des assises nummulitiques : ces mêmes fossiles ont d’ailleurs été signalés par l’un de nous dans l’assjse supérieure du terrain Néocomien de Cham- pagne. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 205 offrent une Faune spéciale avec mélange assez habituel, dans leur partie supérieure, de coquilles identiques à celles qui ca- ractérisent le calcaire grossier Parisien. Quand la formation à Nummulites est recouverte , c’est pres- que toujours par la molasse, soit marine, soit d’eau douce , qu’on est dans l'usage de rapporter , peut-être un peu trop ex- clusivement , à l'étage moyen du terrain tertiaire. Le lignite, souvent compacte et bitumineux, est un acci- dent presque habituel du terrain à Nmmulites où il affecte principalement des couches de grès. C’est vers la partie supé- rieure de ce terrain que se trouvent un assez grand nombre de gîtes de Poissons plus ou moins célèbres { Glaris, Monte Bolca , Oran , Caucase... }. La formation que nous étudions est, en général , très-puis- sante : elle atteint plusieurs milliers de mètres. Outre les sou- lèvements généraux qu’elle a eus à subir principalement à l'époque Pyr énéo- Apennine de M. E. de Beaumont , elle à été disloquée et modifiée postérieurement , en un grand nom- bre de points, par des roches éruptives ({ mélaphyres ophites, serpentines... |, surtout dans les régions sous-Pyrénéennes , en Lombardie, en Ligurie , et au pied du Caucase... Les prin- cipales modifications que ces roches leur ont fait éprouver, ont produit des calcaires cristallins , des dolomies , des gypses, avec émanations de sel gemme, de bitume, de fer oligiste.…. Le terrain à Nummulites forme ordinairement, à la base des hautes chaînes, des collines ou des montagnes d’une mé- diocre élévation, souvent crêtées, crénelées, pierreuses et arides. Quelquefois aussi , il s'élève sur les flancs, et même jusqu'à la crète de ces grandes protubérances ( Mont-Perdu , Elbrouz.., ). Il est bien remarquable qu’il forme une bordure presque continue au pied des hautes chaînes de la grande ré- gion qu'il contribue si bien à caractériser { Pyrénées, Alpes , Carpathes , Caucase, Taurus, Apennins , Atlas?... }, 206 MÉMOIRES S II. Revue critique des prineipales opinions émi- ses au sujet de In place que doit occuper ce terrain dans l'échelle géognostique. Les Rudistes, et particulièrement les Hippurites, sont un indice certain du terrain crétacé. Ainsi il n'y a aucune diffi- culté pour le classement des couches à Nummulites qui con- tiennent des fossiles appartenant à cette famille, ou qui se trouvent dans une position inférieure relativement à des cou- ches qui en renferment. D'ailleurs, la présence de coquilles crétacées de la région Océanique vient , dans un grand nombre de cas, confirmer cette détermination. Mais il n’en est pas ainsi pour les assises à Nummulites qui se montrent sans cette association dans la partie supérieure de la formation , et qui offrent ordinairement parmi des fossiles propres nombreux , des espèces de Mollusques connues pour appartenir au terrain tertiaire inférieur du bassin de Paris. Ce terrain nummulitique proprement dit, que l’un de nous a proposé de désigner par le nom d'Épicrétacé , il est très-difficile de le faire entrer dans le cadre préparé pour les terrains de la région Océanique ; aussi les géologues sont-ils loin d'être d'accord sur la place qu'il pourrait y occuper. Notre intention ne peut être d'entrer à cet égard dans une discussion qu’on regarderait probablement , et à bon droit, comme déplacée, en se rappelant le but et le plan de ce mémoire. Nous nous contenterons de mettre sous les yeux de nos lecteurs, les opinions principales qui ont été émises sur ce difficile sujet, et de faire suivre chacune d'elles des objections les plus importantes qu'elle soulève. cts Le terrain dont il-s’agit étant recouvert presque partout par il tertiaire? Ja molasse que l'on rapporte ordinairement tout entière, peut- être d’une manière trop générale , à l'étage tertiaire moyen ( miocène }, et renfermant, d’un autre côté, des coquilles tertiaires éocènes du bassin Parisien, ces fossiles s’y trouvant d’ailleurs associés, comme dans le N. de la France, à de nom- breuses Nummulites, il paraît, au premier abord , naturel de DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 207 rapporter ce système à l’étage tertiaire inférieur ( éocène) , et de combler ainsi une lacune qui semblerait exister dans la région Méditerranéenne. Cette opinion serait d’ailleurs appuyée par la circonstance exceptionnelle que les couches épicrétacées reposent en Crimée, et même dans les Landes, sur une craie analogue , au moins par les fossiles , à la craie blanche de Meudon près Paris. Voici maintenant les difficultés qui s'opposent à l'adoption de cette détermination. D'abord le terrain épicrétacé, S'il affecte en quelques localités des allures indépendantes ( Aude , Toscane, Alpes françaises... } , ne paraît pas pouvoir se séparer, dans la plupart des cas, des couches où l’on a trouvé les Nummulites mêlées avec des Hippurites et avec des fossiles crétacés. Le tout paraît former un grand ensemble déposé à peu près dans des circonstances analogues et sans discontinuité. Ajoutons ici qu'il existe des localités, et nous en avons reconnu et cité dans la Haute-Garonne, où les fossiles habituels du système épicré- tacé qui ailleurs sont accompagnés de coquilles tertiaires Pa- risiennes, se montrent en abondance au sein de Faunes où le rôle principal est joué par des fossiles très-caractéristiques des trois étages crétacés du Nord. D'un autre côté, les couches à coquilles tertiaires du terrain à VNummulites n’affectent pas tou- jours la position supérieure qu'elles devraient occuper si elles étaient réellement éocènes. Elles sont très-souvent recouvertes, notamment dans les Alpes, par une assise très-puissante de roches schisteuses à ÆFucoïdes , et ces Fucoïdes elles-mêmes passent quelquefois dans et même sous les couches dont il s’agit (Lombardie, Illyrie, Toscane, Basses-Pyrénées.. }. Enfin l'opinion que nous essayons de combattre ici , ne satisfait pas aux exigences du soulèvement Pyrénéo-Apennin , comme nous allons le dire ci-après. L'idée qui a été émise en Angleterre, de faire de ce terrain un quatrième étage tertiaire inférieur aux trois étages actuels (oldest eocen ), se rattache immédiatement à la précédente , et soulève les mêmes objections. Dans la théorie qui vient d’être indiquée, on admet virtuelle- Est il crétacé ? 208 MÉMOIRES ment que le terrain tertiaire éocène a pour type les couches infé- rieures de Paris et de Londres, qui reposent immédiatement sur la craie, dont les caractères géognostiques et paléontologiques diffèrent totalement de ceux des couches dont il s’agit ; et c’est principalement le changement brusque de faune qui indique le changement de terrain. Mais si l’on admet avec M. E. de Beau- mont que le soulèvement qui a donné aux Pyrénéeset aux Apen- nins leur relief actuel , a eu une influence presque universelle , et que c’est à ce grand phénomène qu'il faut attribuer la fin de l'époque crétacée, et, par conséquent aussi, de l’époque secon- daire, la plupart des difficultés relatives au classement du terrain épicrélacé disparaissent ; car il est évident que sa place est à la partie supérieure de la formation crétacée. Telle est l'opinion de MM. E. de Beaumont et Dufrénoy, partagée par presque tous les géologues proprement dits qui ont observé le terrain dont il s’agit sur une assez grande échelle et qui regardent les clas- sifications géologiques actuelles comme établies d’une manière définitive ; l'assimilation pure et simple au terrain tertiaire, n'étant guère soutenue que par les paléontologistes , lesquels attribuent une importance exclusive au seul caractère qui soit dans le domaine de leurs études. M. E. de Beaumont admet que le terrain en contestation si développé, comme nous l’avons vu dans la région Méditerra- néenne , n'existe dans le N. de l’Europe qu’à l’état rudimentaire ( Calcaire pisolitique, Craie de Maëstricht, de Cyply, du Danemarck...….. ). La plus forte objection qu’on puisse faire à cette théorie, c’est que les fossiles crétacés ne se montrent qu’accessoirement et comme par exception, dans le terrain à Nmmulites, tandis que les coquilles tertiaires y jouent un rôle important. Celles-ci, d’ailleurs, appartiennent, en général, à la Faune du calcaire grossier Parisien , où les Nummulites les accompagnent comme dans le bassin Méditerranéen. Dans l'hypothèse actuelle , il sem- blerait que ces Foraminifères devraient abonder plutôt dans la craie de Waëstrich ou de Danemarck, dans le calcaire pisoliti- que;.... en un mot, dans les terrains du Nord, dont l'ensemble DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 209 a été désigné récemment par le nom de Zerrain Danien. Or, jusqu’à présent , ces terrains n’en ont offert aucune trace. On pourrait encore objecter que, dans ce système, l'éocène Parisien n'aurait aucun représentant dans la région Méditerranéenne , où l'on voit presque toujours la molasse recouvrir immédiate- ment le terrain épicrétacé (1). Les couches que nous avons nommées épicrétacées , ayant été affectées par le soulèvement Pyrénéo-Apennin , en même temps que les couches crétacées proprement dites , l'opinion des Zer- liairistes ne satisfait pas, comme nous l'avons déjà dit, à la con- dition imposée par ce grand fait, en admettant , avec M. E. de Beaumont, qu'il ait eu lieu entre la période crétacée et la pé- riode tertiaire. Nous devons ajouter ici que cette discordance disparaîtrait , si l’on supposait , avec M. de Boucheporn, que le système de montagnes dont il s’agit a pris son relief actuel dans l'intervalle qui a séparé l’époque évcène de celle qui correspond au dépôt de la molasse, Mais, avec cette modification même , cette théorie laisse subsister les objections qui naissent de la liaison qui unit si étroitement le terrain épicrétacé aux couches crélacées incontestables. Du temps de Werner, et même assez longtemps après lui , la classification des terrains se faisait empyriquement et par régions ; mais, dans ces derniers temps, la géognosie a conquis deux grandes lois, qui lui ont enfin permis d'établir une classifica- tion générale, et la divergence d'opinions que nous ayons signalée tient surtout à cette circonstance que ces lois, ordinai- rement très-concordantes , lorsqu'elles s'appliquent aux terrains du N., cessent de s’accorder quand il s’agit de certains types dépendant de la zone Méditerranéenne, et spécialement dans la (1) M. Dufrénoy a cité, il est vrai, des couches horizontales de calcaire coquiller marin à Saënt-J'ustin (Landes) et dans les environs de Dax ; mais, outre que ce fait parait Lout spécial pour l’extrémité occidentale des Pyré- nées, MM. Delboy et Raulin, qui ont repris avec plus de détails l’étude de ces contrées , prétendent que ces couches doivent être rapportées à la mo- lasse el non au calcaire grossier parisien. Opinion des Tertiaristes,mi- se en rapport avec les idées de M. de Bouche- porn. Terrain Fpi= crétacé. 210 MÉMOIRES question du terrain épicrétacé. D'où vient cette divergence ? Ne pourrait-on pas l'attribuer à ce que ces lois sont exprimées d'une manière {rop absolue, en tant qu'on veut leur assujettir toute la croûte terrestre? Et, pour ne pas sortir des bornes de notre sujet, les considérations de géographie géologique, qui indiquent si clairement deux régions géognostiques distinctes , l’une Océanique et l’autre Méditerranéenne , ne devraient-elles pas entrer pour quelque chose dans l'énoncé ct dans le dévelop- pement de ces lois fondamentales ? C’est sous l'empire de cette pensée, que l’un de nous a proposé et publié une théorie nouvelle, dont nous allons rappeler ici succinctement les bases. La ligne de séparation des deux régions dont il s’agit n’a pas encore été déterminée ; mais elle différerait assez peu, dans son ensemble, de la limite que nous avons tracée approximative- ment, pour le terrain à Nummulites. Si, de part et d'autre de cette ligne, on étudie comparativement les terrains sédimentai- res, on est frappé dela différence qu’ils offrent dans leurs carac- tères les plus essentiels. Cette différence, qui n'exclut pas des analogies assez grandes , devient très-sensible pour tous les ty- pes de l'échelle géognostique, supérieurs au terrain houiller ; mais elle se manifeste surtout d’une manière frappante, à partir du groupe Jura-liassique. Ce dernier type présente, dans la région méridionale , un faciès tout spécial. L’étage supérieur du Nord paraît manquer ici, tandis que les deux autres étages semblent s'y confondre avec le lias, réduit, en général, à sa partie supérieure, et offrant , d’ailleurs, de singulières anoma- lies. Le terrain crétacé est principalement caractérisé dans ce gîte méridional, par des Rudistes appartenant, en général, à des genres et à des espèces que M. d’Orbigny considère comme ca- ractéristiques d’une zone qu'il a désignée par le nom de Zone Méditerranéenne. Souvent ces Rudistes y sont accompagnés de Nummulites. Plus haut apparaissent ces couches si puissantes à Nummuliteset à Fucoïdes dont on ne retrouve aucun analogue dans le Nord. Pour compléter la liste de ces types Méditerra- néens, citons enfin la molasse et le terrain sub- Apennin , qui DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 211 sont en relation si évidente avec la Méditerranée , et qui ne pa- raissent dans l’autre région qu’à titre de prolongements. Il faut bien remarquer que ce système méridional, au moins la partie suffisamment connue, qui occupe un espace très-con- sidérable, se trouve, pour ainsi dire , coordonné à la Méditer- ranée et aux petites mers qui en dépendent, comme s'il avait été déposé dans un bassin qui aurait occupé une position analogue à celle de la Méditerranée actuelle , mais avec beaucoup plus d’étendue (1). Rappelons encore que dans tout le vaste espace qu'il occupe, le système Méditerranéen forme un tout bien homogène, et toujours distinct du système Océani- que. Ajoutons, enfin, cette considération fondamentale, que lestypes Méditerranéensne passent pas aux types Océaniques, par des modifications successives, et que, au contraire, de part et d'autre de la ligne de séparation des deux régions, les différences se montrent brusques et tranchées. Cet état de cho- ses peut être reconnu plus ou moins, en franchissant la limite des deux régions en un point quelconque. Nous indiquerons spécialement le passage du Périgord et du Quercy, aux Pyré- nées, par le bassin miocène lacustre de la Gascogne ; celui de la Bavière aux montagnes du Tyrol, de la Pologne en Hon- grie, de la Russie méridionale en Turquie par le Caucase, et surtout le passage du Jura aux Alpes de la Suisse. Nulle part les différences entre les deux systèmes ne se montrent plus brus- quement e! d’une manière plus complète que dans cette der- nière région , et cela à une distance de quelques lieues ou de quelques kilomètres. Il existe même en Suisse , d’après M. Stu- der, des localités où les types Océaniques et Méditerranéens se touchent, en conservant cependant leurs caractères respectifs avec leurs différences tranchées. Ces considérations ne portent-elles pas d’une manière puis- sante à faire admettre que les terrains de la région Méditerra- (1) Si l’on est conduit plus tard à admettre définitivement la prolongation de ce système jusqu’en Chine et en Australie , il prendrait des proportions immenses , et le nom de Méditerranéen ne pourrait plus être appliqué qu’à la partie que nous considérons presque exclusivement dans ce Mémoire. 212 MÉMOIRES néenne ont été déposés, ainsi que nous l'avons déjà indiqué ci-dessus, dans un bassin variable, entre certaines limites assez resserrées, aux diverses époques géologiques , et qui ne communiquait pas largement avec celui qui a reçu les dépôts du N. de l'Europe? Et, si l’on admet avec nous cette séparation plus ou moins complète, n’est-il pas naturel de penser consé- quemment que les choses ne se sont pas passées identiquement de la même manière dans les deux bassins, et que le change- meut de Faune, qui s’est opéré brusquement après le dépôt de la craie par une catastrophe géologique, a pu avoir lieu, dans le bassin Méditerranéen , à une époque un peu antérieure, et sans cause violente immédiate. De la sorte, le terrain à Nummulites et à fossiles tertiaires pourrait correspondre à la fois à la fin de la période crétacée, et au commencement de la période ter- tiaire (1). Les noms de Tertiaire et de Crétacé, qui se rappor- tent à des époques déterminées, dans l'échelle des terrains du Nord , qui, jusqu’à présent , a servi de régulateur général, ne conviendraient donc, ni l’un ni l’autre, au terrain dont il s’agit ; et il deviendrait indispensable, par conséquent, de le désigner par un nom spécial. Le nom de Terrain Nummulites, étantévidemment impropre, puisque cesForaminifères manquent dans+la plus grande partie des roches de ce système, et qu’il permet, d’ailleurs, une confusion avec les couches à Nummu- lites du Nord , le besoin d’un nom nouveau qui püt s'appliquer (1) La paléontologie elle-même semble venir appuyer celte espèce de passage ; car presque lous les géologues ont cité des coquilles crétacées dans le terrain à Nummulites. D'un autre côté, les espèces de F'ucoëdes caracté- ristiques du flysh supérieur, gisent en Illyrie, à Bidache , et dans la Cham- pagne, dans des couches crétacées inférieures. Enfin, tous les gites de Poissons contemporains des VNummuliles, où mème postérieurs (ceux du flysh) , étudiés par M. Agassiz, lui ont rappelé les genres et les espèces de la craie, el nullement ceux de l’époque tertiaire. Les Poissons si célèbres du Monte Bolca semblent même, d’après ce profond naturaliste, indiquer une transilion entre les deux périodes. Il est assez curieux de le voir consi- dérer le terrain dont il s’agit, comme crélacé en partant des Poissons, tandis que l’étude des Mollusques l’amène à l’assimiler au calcaire grossier Pa- risien ; tant il est vrai que dans les queslions géologiques, un peu de géo- logie est et sera toujours indispensable ! DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 213 à tout l'ensemble, se faisait évidemment sentir. Celui d'£picré- tacé nous à paru assez bien représenter la position de ce type, et sa liaison avec le terrain crétacé incontestable. Il a du reste l'avantage de ne rien faire préjuger absolument sur son âge pré- cis, lequel sera éternellement controversé, tant que les géolo- gues resteront divisés en deux camps , les uns partant de la loi paléontologique, les autres de la théorie des soulèvements, sans tenir aucun compte des deux grandes régions géognostiques. 3.° 8. — TOM, I. 15 21% à MÉMOIRES EXPLICATION DES FIGURES. PLANCHE I. Fig. 1. Nummulites millecaput (Boubée) de Bastènes, près Dax (Landes). Dans cette espèce, les tours de spire sont extrême- ment nombreux , très-rapprochés , et les cloisons très-pelites, comme on le voit sur cette coquille, dont on a enlevé la por- tion a b. Grandeur naturelle. Fig. 2. Quelques tours de spire d’une jeune N. millecaput. a Cel- lule centrale. Grossie. Fig. 3. Coupe transversale d’une N. millecaput , provenant de Préchat (Landes). Cette figure est destinée à faire voir les tables calcaires qui composent la coquille. Ces tables ne sont pas toujours parfaitement distinctes sur les exemplaires recueillis à Bastènes. Fig. 4. N. Atacica (Leymerie) de Bize (Aude). Grand. natur. Fig. 5. Autre exemplaire de la même espèce, vu sur sa tranche. Fig. 6. Autre exemplaire dont on aperçoit quelques tables qui se recouvrent mutuellement , ou plutôt dont on ne voit que les lignes rayonnantes qui représentent le moule intérieur des loges appartenant à chacune de ces tables. Grossie. Fig. 7. N. Atacica usée à la meule. On voit en « quelques lignes ondoyantes analogues à celles de la figure qui précède. Grossie. Fig. 8. Coupe transversale d’une N. Atacica , destinée à faire voir . , . . # la disposition respective des diverses tables qui forment cha- cun des tours de la coquille. Grossie. Fig.9. Nummulites Garansiana (nob.), jeune, de Garans (Landes). Grandeur naturelle. Fig. 10. La même, grossie, dont on a enlevé une portion de la table extérieure pour faire voir l'espèce de réseau formé par les ramifications des cloisons. Ces ramifications , toujours bien moins sensibles que les prolongements des cloisons qui leur donnent naissance , ne sont probablement rien autre chose (ANTTEAARE STRUCTURE ET ORGANISATION DES NUMMULITES Fig. Fig. Fig. Fig. Fig. Fig. Fig. Fig. Fig. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 915 que des-dépôts de substance calcaire, laissés çà et Jà par l'ex- trémité libre de chacun des segments du corps de l'animal. 11. Coupe transversale de la même. Grossie. 12. N. Garansiana , adulte. Grandeur naturelle. 13. N. obtusa (nob.) adulte. Grandeur naturelle. 14. Coupe transversale de la même. 45. MNunmulites Vasca (nob.). Grandeur naturelle. 16. La même, usée à la meule et grossie. Les tours de spire paraissent sinueux , parce que l'usure ne s’est pas étendue jus- qu’au milieu de l'épaisseur de la coquille. 17. N. Vasca, grossie. On a enlevé la table extérieure , afin de faire voir les lames qui s'étendent , sous la forme de rayons courbes , du centre à la circonférence de la coquille. 18. Un des segments du corps de la Nummulite, vu de face. a, b, partie du segment qui remplit la portion de cellule placée au-dessus du tour enveloppé. c, e, prolongements latéraux logés dans la portion de cellule qui occupe les côtés dn même tour. d, d, pseudopodes ou tentacules. e, ouverture du siphon. f, portion du tour enveloppé. (Voy. pl. IE, fig. 2.) N. B. Nous empruntons les trois figures qui suivent au Mémoire de M. Ehrenberg, intitulé : Ueber noch jetz lebende Thierarten der Kreidebildung und den Organismus der Polythalamien.Voy.dans les Mém. de l’Acad. des sciences de Berlin (année 1839), p. 81, pl. H, fig.1c,1e, et1 f. 19. Nonionina germanica (Ehrenberg), Foraminifère de la famille des Rotalinées ( Rotalina Ehrenberg ), vivant dans la mer du Nord, près de Cuxhaven. Cette figure représente l'animal avec sa coquille, et dans le mouvement de reptalion. La première chambre, a, paraît vide ; mais elle est en réalité occupée”"par un des segments du corps très-transparent de l'animal, Toutes les autres chambres contiennent , outre les segments , des masses de couleur jaunâtre, b, b, qu'Ehrenberg con- sidère comme autant d'ovaires remplis d'œufs. La surface entière de la coquille est criblée de trous , par lesquels passent les pseudopodes ou organes locomoteurs de l'ani- mal. c,c, quelques-uns de ces pseudopodes dans l’état d'extension. 216 MÉMOIRES Fig. 20. Animal de la Nonionina germanica retiré de sa coquille. Dans plusieurs des segments du corps, on aperçoit des Va- vicules et des infusoires de la famille des Bacillariées , qui ont été avalés par l'animal. L’intestin n’est qu’une vaste poche articulée, dont les articles sont réunis entre eux par des parties intermédiaires rétrécies. Ces espaces rétrécis forment une espèce de tube ou siphon par où s’introduisent les aliments. Toute la surface du corps pa- raît comme chagrinée , et cetle apparence est due aux pseudopodes maintenant contractés. Fig. 21. Un des segments du corps vu de profil. De a en b, espace occupé par l'intestin. On aperçoit à l’inté- rieur de celui-ci des coquilles vides de Bacillariées. De b en c , l'ovaire placé à côté de l'intestin. d, siphon ou canal de communication entre les segments. Son extrémité extérieure forme la bouche de l'animal. e, un des prolongements du segment , contenant des parties d’une telle transparence , qu'il a été impossible à Ehrenberg d’en déterminer les formes et les usages. Les trois figures qui précèdent sont destinées à faire res- sortir l’analogie qui existait , selon nous, entre les Num- mulites et les Nonionines. PLANCHE II. Fig. 1. Coquille de la Nummulite supposée à l’état frais. 4, ouver- ture buccale. b, b, trous à travers lesquels passent les pseu- dopodes ou tentacules. Fig. 2. Animal de la Nummulite idéalement restauré. Afin de ne pas trop compliquer la figure, nous n’avons représenté que les segments logés dans le dernier tour de spire de la coquille. Chacun de ces segments porte des tentacules nombreux , les uns étendus, les autres supposés, contractés ou coupés. On voit en « l'ouverture buccale ; en b le siphon qui unit entre eux tous les seg- ments el sert avec eux de canal digestif; en c place supposée des ovaires. Z b À G i 10 ; A F « STRUCTURE ET ORGANISATION DES NUMMULITES. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 217 Fig. 3. Nummulites obtusa (nob.), de Dax (Landes). Grossie. On a enlevé à dessein l’une des moitiés du dernier tour de spire (sauf le centre 0), ainsi qu'une partie de l’avant- dernier , dont la portion & , b est seule restée en place. Sur cette portion, de même que sur la face externe de l’antépénultième tour de spire, on aperçoit très-distinc- tement les granulations et les petits enfoncements circu- laires qui indiquent , selon nous , les perforations dont la coquille était criblée pendant la vie de l'animal. Fig. 4. Portion de l’avant-dernier tour de spire de la coquille précédente, vue par sa face interne. Fortement grossie. Les trous a et les granulations ou mamelons b correspon- daient, ceux-là à des mamelons de la surface externe de l'antépénultième tour de spire ; celles-ci à des perforations de cette même surface. Nous avons dit dans le texte que ces espèces de mamelons n'étaient rien autre chose que la substance pétrifiante, déposée et moulée dans les perfora- tions du test. Fig. 5. Nummulites levigata (Lamarck ) de Cuise-Lamotte. Portion de deux tours de spire contigus, destinée à faire voir en «4 l'espèce d'arcade formée par les cloisons au- dessus du tour qu'enveloppe celui auquel elles appartien- nent, elen D, b, les prolongements de ces mêmes cloisons vers la partie centrale du test. On aperçoit en c, c, d’autres arcades formées par chacune des lames du tour enveloppant À au-dessus du tour enveloppé B. Celui-ci nous montre en d , d , quelques-unes de ses cloisons brisées, en e sa substance corticale, et en f la substance vitreuse qui recouvre la première. Fig. 6. Mème espèce que la précédente. Une petite portion d’un tour enveloppant À, avec une des cloisons représentée presque de face, afin de faire voir l'ouverture en arcade « placée au-dessus du tour précé- dent ou enveloppé B. La surface dorsale de celui-ci présente des stries parallèles. b prolongement de la cloison vers la partie centrale de la coquille. Fig. 7. Nummulites Vasca (mob. ) de Biaritz (Basses-Pyrénées ). Cette figure montre , sous un autre aspect, les mêmes parti- cularités que la figure précédente. On y voit de plus une 218 MÉMOIRES cloison , spontanément brisée dans son milieu, el suspen- due comme une arche de pont à demi démolie au-dessus du tour de spire enveloppé. Fig. 8. Nummulites garansiana (nob.) de Garans (Landes). Cette figure montre plusieurs cloisons à demi brisées, qui surplombent la partie dorsale du tour de spire dont on aperçoit une portion au-dessous du tour enveloppant. N. B. Dans ces deux dernières figures, les lettres 4, B, a , b, dési- gnent les mêmes objets que dans la figure 6. Fig. 9. Nummulites Aturica (nob.), de la Fontaine de la Médaille, près de Monfort (Landes). Grand. nat. Fig. 10. La même, vue sur sa tranche. Cette espèce complète la série de celles que nous croyons nouvelles , et que nous nous proposons de décrire pro- chainement, C’est peut-être la N. Crassa de M. Boubée ; mais il nous est impossible d’avoir à cet égard aucune certitude, cet auteur n’ayant donné que quelques mots de description sans figures. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 219 EEEZE————_————— BULLETIN DU MOIS D'AVRIL. . M. pe VACQUIÉ n'assiste pas à la séance ; mais il envoie à Séance du 6. l'Académie un Mémoire intitulé : Motice sur un Calendrier du 16° siècle. M. Gaussaic fait un rapport verbal favorable sur plusieurs ouvrages adressés à l’Académie par M. Cazeneuve , Professeur à l’hôpital militaire de Lille ; il propose d'accorder à l’auteur le titre d’Associé correspondant. Cette proposition ayant été prise en considération, il y sera délibéré dans la prochaine séance, ainsi que sur une pareille demande faite par M. le Général de division Pelet. M. Finor lit une Note sur quelques faits nouveaux relatifs à l’histoire de l’arsenic (imprimé). à D'après le billet de convocation , l’Académie procède à l'élec- tion d'un Associé correspondant. M. Gassies (d'Agen), ayant réuni le nombre des suffrages requis, est proclamé Corres- pondant dans la classe des Sciences , section d'Histoire na- turelle. M. Noucer donne communication de deux Poésies romanes Séance du 15, de Beranger de l'Hôpital, Lauréat du consistoire de la Gaie Science , et les fait précéder de quelques Considérations sur l'état de la Littérature romane à Toulouse , à l'époque de la Renaissance. MM. Cazexeuve , Professeur à l'hôpital militaire de Lille , et le Général de division Pelet, Directeur du dépôt général de la 290 MÉMOIRES guerre, à Paris, sont proclamés Associés correspondants de l’Académie ; le premier dans la classe des Sciences , section de Médecine , et le second dans la classe des Sciences, section de Physique et d' Astronomie. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES, 221 NOTE SUR LA COURBE QUE FORMERAIT UN FIL FLEXIBLE DONT LES DIVERS ÉLÉMENTS SERAIENT SOLLICITÉS PAR DES FORCES VERTICALES PROPORTIONNELLES AUX DISTANCES PE CES ÉLÉMENTS A UN MÊME PLAN HORIZONTAL ; Par M. MOLINS. Ox suppose le fil homogène, inextensible et partout de même diamètre ; la courbe qu’il formera sera visiblement située dans un plan vertical, et on la rapportera à deux axes rectangulaires ox, 07, dont l’un (l'axe des y) sera vertical et passera par le point le plus bas de la courbe. La force verticale qui sollicite chaque élément mm" ou ds peut être repré- sentée en grandeur absolue par Kyds, K étant une quantité constante dans toute l'étendue de la courbe ; sa com- posante parallèle à ox est nulle, et celle parallèle à oy est —Kyds. © Soit T la tension du fil en m, force dirigée suivant la portion mt" de la tangente ; ses compo- dx dy santes sont HS —T=, et les composantes de la tension au point m»' (laquelle est dirigée suivant m't) dx mdx dy dy 2. sont T=—+ d( re), LE d(TS). Si l’on exprime que Pélément ds est en équilibre sous Paction des forces 3.° S.— TOM, IV. 16 292 MÉMOIRES : . ; . dx qui le sollicitent, on aura les équations d (TE )=0, dy : x é dx d (TS) -Krds=o; la premiere donne TA quan- tité constante qu’on déterminera au moyen de la tension du fil au point C le plus bas, car en ce point _ et —+ ds : par SE h est égal à cette tension elle-même. On a donc T = =, a valeur qui portée dans la seconde équa- tion de équilibre, donne 2 af )— —K yds=—0o, ou bien dy d()-atyds=o, K . - ee - en posant+—2/. Cest là l'équation différentielle de la courbe cherchée. Pour Le remarquons que l’on a ds=dyÿ 14% 1 TE d'où pee Pen dy — dy ds d& 7. À d dy dy? par suite (TE )=d ©. 720 et l’é- ds? DA (& tr de ap | aie quation différentielle devient ds dy Eye +2/y=0o. = | 2 (7 On abaisse cette équation au premier ordre par la formule dur q : (u— 1)" Sid: FR en multipliant l'équation par dy et intégrant on obtient ds PR P+C, ds? CPR | € étant une constante qu’on déterminera en faisant y = y, à une constante arbitraire près ; DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 223 ordonnée du point C le plus bas, et Do; on trouve ly°+C NE ds* 1 par suite DRM M rep er El enfin VA? 4C}—1 C=—/y,;+1.Decette équationon üre®— T4 d ; œil Le irooastruction ‘4e 1x éoafbé par V{y*+CP—: Je points est ainsi ramenée aux quadratures. On remarquera d’abord qu’elle est symétrique par rapport à o y. Si l’on désigne la longueur de la normale par N, on a N=yV: += Sy +0) Le rayon de cour- dx\°?, CH r L y: bure b sera donné par la formule ER dy? or on trouve ge he. 21y(ly240C) dy [(y+C}—1]# us (+ CO) cb CY P— y +C) — HF: : Mais de l'expression de N on tire (+0)=T, valeur par suite qui portée dans lexpression de p donne cette relation : 2 2.p=—; ce qui montre que la courbe possède cette > propriété , que son rayon de cour- bure est proportionnel au carré de la normale divisé par le cube de l’or- donnée, Cette relation permet de cons truire fort simplement le rayon de b N: I I ourbure, car-—— ns RE EE ÿ AN] 1 r cos MT x T HOP N © CT 29}. MÉMOIRES 1 I ï 1 = MTz cola PKeclfle HR Mer vertu de légalité des triangles rectangles PHK, MLG); donc “et le rayon de courbure est en raison inverse de la ligne MG qui s'obtient en projetant l’ordon- née M P sur la normale en ML, et cette projection M L sur l’ordonnée en M G. Donc la courbe est telle que son rayon de courbure est en raison inverse de la projection sur l’ordonnée de la projection de cette mème ordonnée sur enfin 2 /p=— ee 1E ro A Q la normale. La quantité — désigne le carré d’une ligne 21 EN ©; car Kyds étant une force, son rapport à l'intensité de la pesanteur g est un dote abstrait, par conséquent K peut être remplacé par 5, m étant une ligne de longueur m° e] o déterminée : d’un autre côté la quantité À désignant une dx : : 2 force 1e peut ètre re par f.g, f étant un Ke 77 nombre; donc + ou 2 = m7 = = où enfin p=f;;c- : ji Nous remarquerons encore que la formule p=——=— 2 TJ N° —— - pouvait être déduite immédiatement de l'équation aix ds? différentielle de la courbe , car cette équation donne GE ONG æy dx dx D Eve s0ronap— "x de ln SE. GT ds? priété du rayon de courbure conduirait donc immédiate- ment à l'équation différentielle de la courbe, et peut être regardée comme sa définition. Le rayon de cbure étant exprimé en fonction algébrique de Pordonnée y, on doit DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 225 en conclure que la développée de la courbe donnée est une courbe rectifiable, Désignons par w le segment de courbe COP M, nous ÿ F . aurons à. Her — Er fe à ou bien 0 yeV(E + CY—1 u=— ne por , d’où + C++ Cr 5 ve en multipliant les deux membres par 27° +C— Vur+c — 1, On tronve ly +C— VGr+€ ÿY—1 Er etenfin en ajoutant ces deux équations,on obtiendra cette relation assez simple: —2l De EYTee Le site 2 D Désignons enfin par U la surface de révolution qu’engen- drerait lare CM en tournant autour de Ox; on aura Lys C d PL EC U=ar fo 4s= 37% fatiose 5 / +0), d’où He +C) =: ee D'un autre côté on a Gr +Cy= (et 4e 74); égalant ces deux expressions de (/y°+C)°, on trouve BU: : {a 2lu —2lu ) 1/ 2lu ER Th - € —2 |==-|(6e — € 7° ride ai 4( 4 à … = f/ 2lu —olu enfin U=7(e — ) relation qui lie entre elles les surfaces & et U. On peut encore mettre æw et U sous une autre forme : appelons ® angle que fait la tangente de la courbe avec Fhori- 236 MÉMOIRES dx zontale, on a ds SP d ’où /y° += e et VOr+CY =. Les expressions de x et U de- viendront u=— pe oem — L. cot(45°— : 1 =) ER cos @ 25e) Ca se ; A TV ÉePEEr tang ©; ainsi la surface qu’engendre arc de la courbe CM compté du point le plus bas, est propor- tionnelle à la tangente de l’inclinaison sur l’horizontale de la tangente menée à l’extrémité de l'arc. Un cas particulier à remarquer est celui où la cons- tante c est nulle; on aura dans ce cas Fin Les ex- pressions de Nets deviennent N—/7;, F—- y; donc =", ce qui montre que la courbe possède cette propriété re- marquable, que son rayon de courbure est la moitié de Ja longueur de la normale. Cest ce qui résulte aussi de la forme de l'équation diflérentielle de la courbe qui est ici : dx __ L dy JE constante arbitraire, l'équation des courbes qui possèdent ; car c’est aussi, en supposant que Æ soit une SF. 3 Là r N la propriété énoncée. De ce que p—, on en conclut que la distance du centre de courbure à l’axe des x est égale , 3 . ; | : à -y : soient x’, y’ les coordonnées de ce point qui ap- 2 . : 2 L 4. partient à la développée de la courbe, on aura y’ == dx — CEE 2 44 : L 3 V0 ‘—1,et en remplaçant y par 37 équation différentielle de la développée sera 5 RER I Or la forme de cette équation montre que la développée DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 227 est une trajectoire orthogonale des courbes comprises dans l'équation FT #0 1 ‘ dy" 16 L es) | 157 jee | gr! V4 I ces courbes sont de la nature de la chaînette dont Péqua- tion est CLP - dry a=r . Donc la développée de cette chaïînette est une , sauf qu’il faudra remplacer Z par trajectoire orthogonale d’une série de chaînettes de même nature. Si l’on appelle S' un arc de cette trajectoire compté du cs où elle touche l’axe des y, on ge = Pr) Ur = à) 998 MÉMOIRES SNS A THÉORÈMES. DE GÉOMÉTRIE ; Par M. E. BRASSINNE. Lu à l’Académie le 10 février 1848. J'ai l'honneur de présenter à lPAcadémie quelques théorèmes dont j'ai envoyé le mois dernier les énoncés au Rédacteur des Annales Mathématiques. 1° M. Babinet, dans un des derniers numéros des comptes rendus de l’Institut, a énoncé le théorème sui- vant : «Si par un point d’une surface courbe quelconque , » on mène une normale , et par cette normale 72 plans » de section , faisant des dièdres successifs égaux chacun tN2a TT . » à —, la somme des rayons de courbure des sections m » normales, au point que l’on considère , élevés chacun à » la puissance —1 , sera égale à une constante, multi- » pliée par le nombre 72 des sections. » On peut donner à ce théorème l'extension suivante : «La somme des puissances — p , des rayons de cour- » bure des 7» sections, sera encore une constante, multi- » pliée par m, si 2 p dZ dZ de“ 1 Pr AE)=7 de eh En 0 dZ | dZ | & aise az | — D 7 AË ed(3 74 = A SAP DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 233 De là il résulte qu’on peut ramener la somme des trois équations à une différentielle exacte moins une quantité . NT ET LIÉE JTE PDT AE, on aurait des termes ULLñES pour les Rede variables , alors le terme soustractif prendrait la forme : qui a pour expression : — Ô MRC OA ENT —AÏL+SAIELTEE — A cÉre lequel reste le même, si on sihc he fe carestéristique à A et réciproquement. Donc pour Péquation précédente on déduit un théorème tout semblable à celui de Lagrange. Considérons enfin équation : dZ, r APE ANNE ER PS et deux autres pareilles relatives aux coordonnées 4, ©. Multipliant par AË, AŸ, Ao après avoir différentié par rapport à à , on pourra eflectuer les transformations pré- cédentes, en se servant de la formule (4) et faisant 22 DL dE? ; D—AË. le terme == d”. dE moyen de la formule, exprimé par une somme de diffé- a= AË , serait, au r . dZ { A rentielles exactes F tn) AË‘”), et de même pour les autres termes. Donnant ensuite à y,, 1,, les valeurs + 1 +1 + r etc. nous parviendrons à des conclusions analogues. Ce que nous avons dit suffit pour lintelligence des calculs. 234 MÉMOIRES SUR DIVERSES ÉQUATIONS DIFFÉRENTIELLES DU PREMIER ORDRE, ANALOGUES A L'ÉQUATION DE RICATTI; Par M. E. BRASSINNE. A0 Il est très-aisé de démontrer que l'équation (1) b : ce dy+ay dx==dx+C x" dx est intégrable dans une : gas —L infinité de cas. Posons en effet = +iu (3 et u étant deux fonctions inconnues de x et L, une constante indéterminée), Substituant dans Péquation (1) nous trou- L.d L? oL.z.u vons : as tadu+uds+a( & “+euw)dæ= = xt Ca" dx. Déterminons L de telle sorte que L+al®—b=o et soit p une racine de cette équation : . 2pu D 6) posons ensuite z (du l'ax)=0 ou u=x V. Il nous restera l’équation x P. dz + a x, dx SCT Posons encore x”? du=dt d'où PET CG p+ 1)4 et I I x=(2p+#1) PTT 42P TT, nous aurons : dz+ a z° dt— M—2p (Mm—2p) —2P —2p C(2p+ 1) PF18 2P HI Lo pHi PHP +i di m—h4p m—'\p C(2p+1) PTT 4 2P T1 dé, Equation intégrable par le DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 23% m— 4 p P+ procédé de Ricatti, toutes les fois que = pourra se —Ài mettre sous la forme —* ni: Soit proposé, par exemple, de déterminer les cas d’inté- grabilité de équation ; dy+r'dx=(2+Ca") dx(r). posons = +. u La transformée sera : Ldx+dz. uz.dup( het, w)dx= —==du+ Ca" dx. Posons L°+LL—12—0 d’où L=3,L——4 la première . : Gu racine donne en faisant du——dx=ou— x° ; donc, en faisant x°dx=—dt, on trouve : dz:+zdi=c — tal? à qui est intégrable toutes les fois que 2772 tb, Fa: Equation indéterminée dont on pourra trouver une infi- nité de solutions. On voit par cette équation que si #2 est entier, il ne peut être impair. La seconde solution m——4 conduit à la condition m+ 16 —4 (Tai Corollaire. Toute équation de la forme dy+aydx= d’intégrabilité b ' : dx+Cx"dx+dx"dx(2) peut se ramener à une équation de même forme, mais dans laquelle lexposant m égal à zéro : il suffira pour cet eflet de poser mn" © = . et de déterminer D’ dans la transformation Péiente qu’on appliquera à l'équation (2) de telle sorte que l’exposant m— 0. 2° Considérons l'équation de Ricatti ; dy+y dx=A x" dx (1) 236 MÉMOIRES et posons F=u.v —L nous trouverons : v.dutu.do+(u.v—2Luv+Ttr)dx=A x" dx()). Posons u(dv— 2Ledx)=0.v—e L? ce qui donne : due ** 1 LT) x =A x dx + L'dx. Divisons par eeet posons LT qr de, de Dr d’où : n dt x log(2Lt), dx; par suite : et ; log(2Lt}r\ dt dut di=+ (1 HAS Je Posons 2 Lit on trouve : —ib7/3 A \ 72 dt du+u A ED a posant A —# (2 Dre D es on voit que l'équation générale (1) du+udi=D T4 (logs) L est intégrable dans tous les cas de l'équation de Ricatti. On pourrait reproduire d’autres équations plus compli- quées en répétant sur cette dernière équation la trans- formation ci-dessus. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 237 MÉMOIRE LE DROIT DE PUNIR ET SUR LA PEINE DE MORT ; Par M, Vicror MOLINIER, Professeur à la Faculté de Droit. Lu dans les séances des 18 et 31 mai 1848. « Nè in tutti i luoghi nè in tutte le circostanre nè in tutte le età delle popolazioni possono accadere le stesse necessità , gli stessi stimoli e lo stesso grado di forza impulsiva a delinquere , e perû nè sempre nè dappertuto esistere pu la necessità di usare la stessa specie e lo stesso grado di forza ripulsiva di pene... Come dunque si oserebbe affrontare una generale soluzione della quis- tione ; e quel che è peggio affrontarla senza porre a calcolo tutti i termini di diritto e tutte le condizioni di fatto che supporre si debbono ? » Romacxosr, Memoria sulle pene capitali. Je vais avoir l'honneur d'entretenir l'Académie sur un sujet de Droit philosophique qui n’a pas le mérite de la nouveauté, mais qui offre par lui-même un grand intérêt, et qui puise dans les circonstances actuelles une importance trop généralement sentie, pour qu'il soit nécessaire de la faire ressortir. C’est sur le droit de punir et sur la peine de mort que je me propose, Messieurs, de vous présenter un travail à la fois philosophique, historique et juridique. Il s’agit d’un sujet qui touche à la sécu- rité générale, à la vie des citoyens, et qui va très-prochainement être soumis à un débat législatif pour recevoir une solution nouvelle. 11 m'a semblé que l’Académie écouterait peut-être avec quelque intérêt un exposé qui, à défaut d'autre mérite, pour- rail avoir celui de mettre au jour l’état actuel des opinions, et 3.° S.— TOM, IV. 17 238 MÉMOIRES de signaler Fétendue des réformes qu’il est possible de réaliser. Permettez-moi de réclamer, pour une œuvre commencée et exécutée au milieu des préoccupations qui absorbent en ce mo- ment les esprits, cette bienveillante indulgence à laquelle je dois l'avantage, si précieux pour moi, d’avoir l'honneur d'oc- cuper ce fauteuil. Des cœurs généreux, inspirés par une noble philosophie et par l'amour de l'humanité , proposent de renverser l’échafaud et de consacrer dans la loi, d’une manière absolue, l’inviolabilité de la vie humaine. D’un autre côté, des légistes, qui ont étudié les faits sociaux et les nécessités de la sécurité générale, se demandent s’il est possible d'effacer immédiatement de nos codes la peine de mort, et de l’abolir pour tous les crimes, sans exposer à des dangers des vies précieuses que l'absence d’une répression suffi- sante pourrait livrer aux coups des assassins. L'Assemblée natio- nale est appelée à vider prochainement ce grave débat. Parmi les hautes questions dont elle a à s'occuper, il en est peu qui tou- chent à des intérêts plus élevés que celle de la peine de mort, il en est peu qui offrent des difficultés plus grandes sous le rapport de la doctrine pure et sous celui de l'application. Lorsqu'on veut, en effet, remonter aux sources philosophiques du droit de punir pour mesurer l'étendue de ce droit, et pour examiner s'il peut autoriser le sacrifice de la vie du coupable, pour protéger celle des autres citoyens, on n'arrive, à travers les abstractions, qu'avec difficulté à des déductions exactes et propres à bannir de l'esprit toute incertitude (1) : sion veut, au contraire, se ren- fermer dans l'examen des faits historiques, dans le domaine du Droit appliqué aux nécessités pratiques de la répression pé- nale, on est obligé de se livrer à des analyses difficiles, à une étude approfondie de la puissance des mauvais penchants de la nature humaine et dela valeur répressive des peines, qui n’amè- (1) «Il diritto di natura..….. dette nella questione della pena di morte armi atle a sostenerla , ed armi atte a combatterla , specie de Saturno pro- creatore e divorator de? suoi figli... Carmienani, teoria delle leggi della sicurezza sociale , tom. u1, pag. 152. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 239 nent qu'à des solutions trop souvent conjecturales. Cependant, il y a nécessité de vider d'une manière satisfaisante ce grand débat , car il s'agit de la vie humaine , et il pourrait résulter d’une mauvaise solution, ou une injustice irréparable à l'égard d’une classe assez nombreuse de condamnés, ou la mort d'un plus grand-nombre de citoyens honnêtes, succombant, d'une manière douloureuse , par le fer, par le feu, par le poi- son. Aussi l'opinion la plus sûre sur cette question vraiment formidable, sera celle qui livrera la vie humaine à moins de dangers, qui conduira à une solution définitive par l’action de la société , et en faisant la moindre part possible aux éventua- lités de l'imprévoyance. C’est vers ce but que tendra le tra- vail que je vais avoir l'honneur de vous communiquer. Pour arriver plus sûrement à une solution satisfaisante, je commen- cerai par exposer quelques aperçus historiques sur les origines du droit de punir ; je m’occuperai ensuite plus spécialement de la peine de mort, et je rechercherai si elle peut être légitime- ment infligée par la société, si elle est utile, si elle est néces- saire , si elle peut et si elle doit être définitivement proscrite de notre législation. DU DROIT DE PUNIR,. Ce n'est que par l'histoire, par l'étude des faits qui se sont produits au sein de l'humanité, qu'on peut arriver à une notion exacte et à une saine appréciation des principes et des institu- tions qui se sont formulés dans les lois. En remontant au ber- ceau des sociétés, nous rencontrons bien dans le cœur de l’homme le sentiment inné du juste et de l'injuste , avec l'idée de l’expia- tion ; mais nous n’apercevons presque rien qui ressemble à la justice criminelle de nos époques civilisées. Un acte violent, un attentat contre les personnes ou contre le droit de propriété, de- vient une cause de guerre qui n'arme pas la justice humaine du glaive de la loi. Le pouvoir social humain n'a pas encore reçu une organisation assez forte pour commander et pour avoir la puissance d’infliger des peines à ceux qui enfreignent les pré- 240 MÉMOIRES ceptes du Droit. Les particuliers vengent eux-mêmes leurs injures (1). Lorsqu'un homicide, lorsqu'un attentat contre la propriété , lorsqu'une voie de fait injuste ont été commis, les parties courent aux armes, les familles de l’offensé et de l’of- fenseur entrent en guerre ; le pouvoir social n'intervient que comme médiateur , pour éteindre les hostilités et pour ménager un traité par lequel la paix sera rétablie au moyen d'une com- position , d’une indemnité pécuniaire (2). Cependant, lorsqu'un horrible forfait a jeté l’épouvante au sein de ces sociétés barba- res, si la justice humaine reste impuissante , la crainte qui a créé l'idée de la divinité (3), permet l’action de la justice des prêtres. L'homme, dans cet état de barbarie , comprend que les lois divines ont été violées par une action atroce, que le mal exige une expiation, et que la divinité ne peut être apaisée que par un sacrifice. Alors le sentiment religieux transforme le prêtre en magistrat, le supplice devient un acte expiatoire, accompagné de supplications adressées aux dieux, le coupable, ou son représentant en vertu de la solidarité que le crime fait peser sur la société entière , est la victime vouée aux dieux et à la mort par cette redoutable formule que nous ont transmise les antiques monuments du Droit de Rome : Sacer esto. La (1) GE pur luogo d’oro d’Aristotile ne’ medesimi Libri (politici), ove ri- ferisce che l’antiche repubbliche non avevano leggi da purire l’offese, ed ammendar à torti privati : e dice tal costume esser de’ popoli barbari; per- chè i popoli per ci ne’ lor incomminciamenti sono barbari, perchè non sono addimesticati ancor con le leggi. —Questa degnilà dimostra le necessità de’ duelli e delle ripresaglie ne’ tempi barbari ; perchè in tali tempi man- cano le leggi guidiziarie. » Vico, Scéenza nuova, Ub.1, n° 85; opere, vol. v, p. 122. (2) «Chez les Germains, dit M. Micxer, ce que nous appelons crime était un simple fait de guerre qui se terminait par un traité pécuniaire entre les deux parentés intéressées. Le caractère moral de l’action n’existait pas. Dès que la parenté mécontente était satisfaite et la paix rétablie , les traces étaient effacées. Les actions répréhensibles ne relevaient pas encore de la morale et du Droit, mais de la passion et dela force. » Mémoires histo- riques, lom, 11, p. 120. (3) Primos in orbe Deos fecit timor. — V. Vico, Scienza nuova, lib. t, n° {o ; opere, tom. v, pag. 108. - DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 241 puissance des prêtres et la crainte du courroux des dieux peu- vent seuls imposer le frein des châliments à la fierté des peuples barbares. « Chez les Germains, dit Tacite, les prêtres seuls ont le droit de sévir contre un homme, de l’enchaïner, de le frapper, et ce n’est point pour le punir par ordre d’un chef, mais bien par ordre du Dieu qui préside aux combats (1). » Cependant, à mesure que l'organisation des sociétés progresse et que le pouvoir devient fort par l'extension des liens qui rap- prochent et unissent les hommes, les guerres privées disparais- sent , l'action de la société se substitue à celle des familles pour assurer la réparation des injures, la vengeance frappe les cou- pables au nom du pays. Si nous parcourons les anciennes cou- tumes, les monuments qui nous offrent le Droit criminel du moyen âge, nous voyons le Droit pénal se formuler par la dé- finition des délits, par l'établissement des peines qui seront infligées au nom de la société et par la société. Un crime est-il commis, ce n'est plus la famille seule de la victime qui exerce la vengeance, c’est la société entière qui fait saisir le coupable, qui le conduit devant des juges, qui le frappe , qui le retranche de son sein. Sous la féodalité, le droit de punir trouve, en grande partie, sa source dans un véritable contrat social, dans une convention de garantie mutuelle, par laquelle chacun se soumet au châtiment, s’il vient à troubler l'ordre et la paix publique , et en vertu de laquelle tous doivent prêter leur con- cours contre chacun des coupables, pour assurer la répression des délits. Sous cette organisation si digne d’être étudiée, les peines sont souvent bizarres, mais elles sont, en général, moins cruelles que sous le pouvoir royal. Le principe sur lequel elles s'établissent, c'est ordinairement la loi du Talion. La mort est infligée pour les attentats contre la vie ; elle est aussi assez sou- vent infligée pour le vol, car ceux qui organisent la pénalité (1) « Cæterum neque animadvertere , neque vinci, nec verberare quidem, nisi sacerdotibus permissum ; non quasi in pœnam , nec ducis jussu, sed velut Deo imperante , quem adesse bellantibus credunt. » Germania, VIL. V. Cæsar , de bello Gallico:, lib. vi, 16. — Srnasox, lib, 19. 242 MÉMOIRES tiennent à protéger fortement leurs propriétés. L’adultère et les faits qui offensent les mœurs sont en général réprimés par des peines empreintes d’un cachet particulier de barbarie. Ces pei- nes tombèrent dans la suite en désuétude , ou purent être rache- tées par des amendes, à mesure que les principes qui avaient édifié la société féodale primitive s’altérèrent, et que la cor- ruption eut fait des progrès (1). À côté de cette pénalité civile, qui prend sa source dans des conventions, se produit aussi la justice sacerdotale, celle de l'église qui frappe également les coupables, en les privant des biens spirituels, en les retranchant de la société religieuse. Le Droit pénal ecclésiastique repose sur le dogme chrétien de l’ex- piation , sur l'autorité que les pasteurs exercent envers les fidè- les. IL n’inflige pas aux coupables des peines afflictives ; la foi vive et les croyances religieuses lui fournissent une autre ma- tière pour ses châtiments. L’interdiction des actes religieux et la mort spirituelle, avec la menace des peines de l’autre vie, lui suffisent pour sanctionner ses préceptes. Aussi, la justice ordinaire de l'Eglise ne dressera pas des échafauds ; elle impo- sera au coupable la pénitence dans une prison cellulaire ; elle le lavera par le repentir, et lorsqu'il aura recouvré la vie spirituelle par un retour à la vertu, elle l’admettra à rentrer dans le sein de la société catholique. Mais cette pénalité, qui suppose la foi, manquera de ce qui fait la matière de ses châti- ments, et n'aura plus de puissance à l'égard des hérétiques. Aussi l’église se verra contrainte de les livrer au bras séculier, et lorsque l’hérésie menacera d’anéantir l'orthodoxie des croyan- ces, s'élèveront de toute part des büchers et des flammes , d’où l'humanité poussera un affreux cri de douleur qui retentira à travers les siècles, et auquel répondra un jour un autre cri non moins immense, qui proclamera l’affranchissement de la pensée et la liberté des cultes religieux. Cependant, au seinde la société féodale et de la société ecclé- (1) Histoire générale du Languedoc des Bénédictins ne Vic et Vaissete, liv. xxvi, ch. 64. DE L’ACADÉMIE DES SCIENCES. 243 siastique , se produit un pouvoir qui rallie autour de lui le peu- ple , et qui engage une lutte contre la féodalité et l'église. La royauté crée aussi une justice. Elle protége et rassemble autour d'elle les légistes ; elle encourage l'étude du Droit romain que proscrivent les papes (1) ; elle aspire à concentrer dans ses mains la souveraineté , et elle finit par s'emparer au moyen de l'appel, de la poursuite par prévention, de l'introduction des cas royaux et des cas privilégiés, de l’administration de la justice criminelle. Alors le droit de punir n’a plus sa source que dans la puissance que les rois prétendent tenir de Dieu pour éta- blir et faire régner l’ordre au sein des sociétés humaines. La peine ne dérive plus d’un contrat, d’une convention par laquelle le citoyen a promis d'observer un précepte , en se soumettant à un châtiment s'il vient à l’enfreindre ; elle émane de la puis- sance qui commande , et dont la main est armée d’un glaive avec lequel elle frappe ceux qui méconnaîtront sa volonté. Sous la justice royale, les peines ne peuvent qu'être sévères , car l'obéissance s'obtient par l'intimidation. Le délit est une rébellion qui compromet l'autorité du monarque. Il a promis de maintenir l'ordre, et il ne peut accomplir cette promesse qu'en vengeant son autorité , lorsque ses commandements sont méconnus , qu'en infligeant des supplices qui laissent des im- pressions vives et qui répandent au sein des populations la terreur. Deux ordres de coupables doivent subir les coups de la justice royale : ceux qui attentent aux droits des particuïiers ; ceux qui attentent aux pouvoirs du souverain. Les premiers doivent être frappés par la justice ordinaire, qui a pour mis- sion de maintenir la paix entre les sujets. Les seconds , se met- tant en état de rébellion directe contre le pouvoir, sont traités en ennemis : le glaive de la loi les frappe dès que le soupcon (1) Voir le remarquable travail de M. Trorcoxc relatif à l’énfluence des légistes sur la civilisation française , inséré dans la Revue de législation et de Jurisprudence , tom. 1°, pag. 400 et suiv. — Voir la Bulle du Pape Ho- noré II, de l’année 1220, qui défend d’enseigner le Droit romain en France, c’est-à-dire dans les pays situés au nord de la Loire, Pasquier , Recherches de la France, liv. 1x, ch. 36. 24% MÉMOIRES les atteint; la peine de mort leur est prodiguée , et le souve- rain qui ne veut pas mettre son autorité à la merci des corps judiciaires , les fait juger par des commissions qui s’inspirent de sa pensée pour prononcer leurs arrêts. Mais à mesure que les sociétés progressent et s'éclairent, la raison étend son empire , l'esprit d'examen pénètre dans l'étude du Droit, et le flambeau de l'analyse éclaire les abus et prépare la réforme des institutions. Bientôt la peine n’apparaît plus que comme un moyen propre à assurer la sécurité, et non comme un acte de vengeance. Ce qui la rend légitime, c’est son utilité; de là la conséquence qu’elle ne doit être infligée que dans la mesure de ce qui est strictement nécessaire , et que tout excès dans la pénalité n’engendre qu’un mal qui n’est compensé par aucun profit. Alors on entreprend de proscrire du langage juridique ces expressions de vengeance publique , de vindicte publique qui doivent désormais manquer d’exac- titude. La société ne frappe plus le coupable, parce qu'il a fait le mal; elle le punit, afin d'éviter que le mal ne se reproduise (1). Pour arriver à une juste proportion entre les nécessités de la répression et l’intensité de la peine, les juristes tentent de mesurer la force émpulsive des divers mobiles qui entraînent l'homme vers le crime , et celle de la force répulsive contraire, que peut fournir l'intimidation qui résulte de la crainte qu’inspire chaque espèce de châtiment. Des théories ingénieuses se produisent et formulent les lois d’une sorte de dynamique morale. Sous l'empire de ces doctrines, la justice criminelle se départ de toute idée de vengeance, elle n'agit plus avec passion , elle n’est plus dirigée dans son action que par le mobile rationnel. Elle mesure les peines sur les nécessités de la protection due à la société (2). Une réforme profonde s’opère (1) «Nemo prudens punit quia peecatum est, sed ne peccetur, » PLaro, ër Protagora. — Voir Fisaxciert, Scienza della legislazione, lib. in ; Cap. 27. (2) Jérémie Bexrnau, Théorie des peines et des récompenses ; — Romi- GNost, Genesi del diritlo penale ; — Frversacn, Lehrbuch des gemeinen in Deustschland gülligen peintichen Rechts. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 245 dans le droit pénal et dans la procédure criminelle. La peine de mort ne cesse pas d’être infligée , elle est considérée comme légitime , par cela qu’elle est jugée nécessaire ; mais elle cesse d'être accompagnée de ces tourments affreux qui outrageaicnt l'humanité, et dont le public ne subissait plus le spectacle qu'avec un sentiment d'horreur. En s'inspirant des doctrines de l’école utilitaire , les législateurs établissent encore une pénalité ri- goureuse, qui ne recule devant aucunes nécessités politiques , et qui puise une intimidation puissante dans la sévérité des châtiments (1). Si l'utilité et la nécessité engendrent le droit de punir , elles ne sauraient seules établir la mesure et la légitimité des peines. Ce qui peut être avantageux pour le corps social, n’est pas toujours juste. S'il est investi du droit de se protéger en me- naçant d'une peine celui qui enfreindra les préceptes qui éta- blissent l’ordre et qui assurent à chacun la jouissance et l’exer- cice de ses droits, il ne doit réaliser cette menace que dans la mesure qu'autorise la justice et en tenant compte des mœurs , des idées et des besoins de chaque époque. La haute raison d'Horace avait proclamé ce principe il y a déjà plus de dix- huit siècles, dans des vers à la fois remarquables par lélé- gance des expressions et par la profondeur de la pensée : Adsit Regula, peccatis quæ pœnas irroget æquas; Ne seuticà dignum, horribili sectere flagello. La peine, pour être juste , doit être en rapport avec l'étendue du détriment social qu’elle a pour objet de prévenir. Elle n'est efficace et elle ne produit une impression salu(aire qu’autant qu'elle est populaire, c’est-à-dire qu'elle obtient l’assentiment de la nation. Tel est l'esprit qui préside aux réformes que Ja législation criminelle subit de nos jours chez les nations du monde civilisé. Ces réformes, sous l'influence salutaire d’un ———_—_—_—_—_—_— (1) C’est ce qu’atteste la sévérité du Code pénal de 1810, rédigé sous l'inspiration des doctrines utilitaires. Voyez les Observations de M. Tancer, sur le projet du Code criminel. (Locnt , légistat. civ., elc., tom. xxx, p. 7.) 246 MÉMOIRES heureux ecclectisme , s’inspirent de deux principes. L'un voulant qu'une action ne soit punie qu’autant que la société a intérét à la réprimer, et dans la mesure seulement de ce qui est nécessaire pour produire une somme d’intimidation capable: d'engendrer un obstacle préventif : l’autre principe exige qu'on ne punisse que les actions qui blessent la justice, et que la peine, proportionnée à la moralité de chaque fait, ne prive le coupable que des droits qu'ila perdus en enfreignant les lois sociales (1). Ainsi, d’après ces idées, la peine de mort ne sera légitime qu’autant qu’elle ne frappera que le coupable qui à perdu le droit de conserver la vie, qu’autant qu’elle sera utile, qu’autant qu'elle sera nécessaire. DE LA PEINE DE MORT. A travers la marche providentielle des faits humanitaires , la peine de mort apparaît sans cesse dans les institutions des na- tions. Le barbare frappe lui-même le meurtrier de son parent, et fait de sa tête un trophée qu’il place devant sa demeure parmi les têtes des ennemis qu’il a vaincus (2). La justice féo- dale prend pour emblème des échelles, des instruments de supplice, des piliers servant de fourches patibulaires gravés sur le fronton des châteaux (3). La justice royale prodigue aussi la peine de mort, et le premicr objet qui impressionne l'étranger lorsqu'il approche des murs d’une ville, ce sont des têtes placées au-dessus des portes dans des cages de fer ; ce sont des gibets, des fourches patibulaires auxquels sont suspendus (1) De Broeure , du Droit de punir et de a peine de mort, Revue fran- çaise , septembre 1828, pag. 1. — Ross , Traité de droit pénal, Wiv.1®. (2) «Si quis caput hominis , quod inimicus suus in palo miserit, sine per- missu judicis, aut illius qui eum ibi posuit , tollere præsumpserit , DC dena- riis, qui faciunt solidos C, eulpabilis judicetur. » Lex salica emend. zxix. V. Panneseus, Loi salique, p. 320 et 658. — Lenvenou, des instilutions me- rovingiennes et carolingiennes, lom. 2, pag. 370. (3) «Pilori, échelle, carquant et peintures de champions combattants em l'auditoire, sont marques de haute justice.» Lovsez, Znstilules coutumières, liv.u,tit. 2, n° 47. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 247 les cadavres des suppliciés. La justice des peuples qui concourent à la confection de leurs lois, apparaît sous l'emblème d'une femme armée d'un glaive, et dresse aussi des échaufauds ; mais elle res- treint à des cas peu nombreux l'application de la peine de mort , et elle aspire à l'effacer de ses codes. À mesure que lidée sainte et impersonnelle du Droit pénètre dans les esprits, des doutes s'élèvent sur la légitimité de cette peine; on se demande si elle peut se concilier avec le dogme social de l’inviolabi- lité de la vie humaine; l'incertitude sur une question aussi grave, exerce souvent une influence dangereuse sur les juge- ments : l’action de la justice n’est plus aussi sûre et aussi entière lorsque la légitimité des coups qu’elle frappe est mise en doute. Il y a nécessité de sortir d'une pareille situation. Reconnaissons le terrain sur lequel se place la controverse , et tâchons d'arriver à la vérité par la raison , en évitant de nous laisser égarer par le sentiment. C'est dans le livre des Délits et des Peines de Beccarta , que se sont produites, au xvrn° siècle, les principales objections qu'on a renouvyelées de nos jours contre l'emploi de la peine de mort. En partant de l’idée de la formation des sociétés humaines par un contrat social, ce célèbre publiciste soutient que l'homme a bien pu se soumettre à perdre une partie de sa liberté pour ob- tenir la sécurité, mais qu'il est impossible d'admettre qu'il ait entendu conférer au souverain le pouvoir de le priver de la vie, de celui des biens en vue duquel il a voulu s'assurer tous les autres. S'il eût d’ailleurs voulu, il ne l’eût pas pu. Com- ment, en effet , concilier la validité d’une pareille convention , avec le principe qui veut que l’homme ne puisse pas se priver lui-même de la vie? La peine de mort ne prend donc pas sa source dans #7 droit conféré à la société par chaque individu ; elle n'offre qu'un fait de guerre de la nation contre un citoyen dont la mort est jugée nécessaire ou utile dans l'intérêt de tous (1). (1) «Qual pu essere il diritto che si attribuiscono gli uomini di trucidare i lorro simili ? Non certamente quello da cui risultano la sovranità e le leggi. 248 MÉMOIRES Ce raisonnement de Beccaria repose sur deux bases distinctes. Il suppose d’abord , suivant les idées d'Hobbes, un état pri- mitif evéra social qui n’est qu'imaginaire, et la réunion des hommes en société, au moyen d'un contrat qui manque de réalité. On serait donc autorisé à dire que ce raisonnement pèche par la première de ses bases. Cependant, en partant d'une toute autre idée qui est vraie, de celle de la souveraineté du peuple, on arrive à dire que ies membres du corps social , en conférant à des délégués le droit de faire des lois , peuvent assi- gner à ce droit de justes limites. On rencontre dès lors, avec Bec- caria, une question d'interprétation de volonté : chaque citoyen, comme membre du corps social, en conférant aux Représen- tants de la nation le droit de le soumettre à des peines s’il vient à enfreindre les lois naturelles ou les lois civiles, a-t-il entendu conférer des droits sur sa vie? C’est en ces termes que la question se pose sous notre organisation politique. Pour la résoudre , il faut considérer que les pouvoirs du législateur dérivent chez nous d’un mandat général, qui investit les Repré- sentants de la nation d’un pouvoir discrétionnaire pour établir les peines qui leur paraissent ne pas blesser la justice, et qu’ils jugent nécessaires pour assurer l’ordre et la sécurité. Ce mandat est plein et entier , et pendant que les Représentants de la nation en sont investis, à eux appartient le droit d’en déterminer les limites. S'ils établissent la peine de mort , ils manifestent , par ce fait, le jugement qu'ils portent sur l'étendue de leurs pou- Esse non sono che una somma di minime porzioni della privata libertà di ciascuno. Esse rappresentano la volontà generale, che è l’aggregato delle particolari. Chi è mai colui che abbia voluto lasciare ad altri uomini l’ar- bitrio d’ucciderlo ? Come mai nel minimo sagrifizio della libertà di ciascuno vi puo essere quello del massimo tra tutl’i beni , la vita ? Ese cio fu fatto, come si accorda un tal principio collaltro, che Puomo non è padronedi uccidersi ? Eï doveva esserlo, se ha potuto dare altrui questo diritlo, o alla società in- tera. — Non è dunque la pena di morte un diritto, mentre ho dimostrato che tale esser non puè ; ma è una guerra della nazione con un cittadino, per- chè giudica necessaria o utile la distruzione del suo essere : ma se dimostrerà non essere la morte nè utile nè necessaria, avr vinto la causa deill’uma- nità....» Beccaria , dei Delitti et delle pere, $ XVI. DE L’ACADÉMIE DES SCIENCES. 249 voirs, et ce jugement exprime juridiquement la pensée de la nation elle-même. Ainsi la première partie du raisonnement de Beccaria manque de fondement dès qu'on admet que la volonté de chaque citoyen se confond, par rapport à l'établissement d'une peine , avec celle de la représentation nationale. On arrive ainsi à la seconde partie de objection qui seule est sérieuse : le citoyen a-t-il pu conférer au législateur le droit de disposer de sa vie ? Il est des obligations et des droits qui émanent de l’ordre immuable des destinées que Dieu a assignées à l'humanité et à chacune des invidualités qui la composent. La loi positive ne saurait les altérer. La force matérielle peut les méconnaître : le législateur doit les respecter et ne peut pas les anéantir. L'existence que Dieu donne à l'homme en lui imposant une destinée à accomplir, tombe-t-eile dans le do- maine de la loi humaine , peut-elle devenir la matière d’une peine? Le citoyen peut-il conférer au législateur des droits sur sa propre vie ? Voilà la question posée dans les termes qui sont à la fois et les plus simples et les seuls vrais. Rousseau, en réfutant Beccaria, dans son Contrat social , a répondu à cette question en faisant remarquer qu'on ne peut pas induire l'illégitimité de la peine de mort de la négation de tout droit de l’homme sur sa propre vie. « On demande, dit-il, comment les particuliers , n'ayant pas le droit de dis- poser de leur propre vie , peuvent transmettre au souverain ce même droit qu'ils n’ont pas... Tout homme a le droit de ris- quer sa propre vie pour la conserver... Le traité social a pour fin la conservation des contractants. Qui veut la fin veut aussi les moyens , et les moyens sont inséparables de quelques ris- ques , même de quelques pertes... C'est pour n'être pas vic- time d’un assassin qu'on consent à mourir si on le devient. Dans ce traité, loin de disposer de sa propre vice, on ne songe qu'à la garantir, et il n’est pas à présumer qu'aucun des con- tractants prémédite alors de se faire pendre (1). » (1) Du Contrat social, Liv. u, ch. 5. 250 MÉMOIRES Ce raisonnement de Rousseau repose sur cette idée vraie que l’homme peut , sans blesser les lois naturelles, exposer sa vie à un danger pour s’en assurer la conservation. « A-t-on jamais dit, s’écrie-t-il , que celui qui se jette par une fenêtre pour échapper à un incendie, soit coupable de suicide ? A:t-on jamais imputé ce crime à celui qui périt dans une tempête dont, en s’embarquant , il n'ignorait pas le danger? » Pour bien apprécier ces raisons du Philosophe genevois , ne remontons pas à un état de nature purement hypothétique ; plaçors-nous dans le domaine des faits réels , faisons une supposition qu’on puisse vérilier dans l’histoire. Admettons une société vivement agitée par une tourmente qui a anéanti l’action des lois répres- sives. Des crimes nombreux jettent l’effroi et la désolation au sein de cette société. Les grandes routes n’y sont plus sûres. Le père de famille n’y jouit plus, dans les lieux isolés, de la sécurité. Sa maison est envahie par des bandes de malfaiteurs qui ne craignent pas de joindre le meurtre au vol, et qui font subir à la famille entière les tortures les plus affreuses devant le foyer domestique , pour avoir révélation du lieu dans lequel ses dernières ressources ont été cachées et enfouies (1). Sup- posons maintenant qu'un pouvoir naissant reçoive mandat de rétablir l’ordre et la sécurité au sein de cette société. Aura-til le droit d'établir la peine de mort, s’il est constant que cette peine soit la seule qui puisse efficacement protéger les vies des bons citoyens ? Remarquons bien la position sur laquelle je vais baser mes raisonnements , je la suppose telle que toute au- tre peine que celle de mort ne pourrait pas apporter un remède assez prompt et serait, au moins pendant longtemps , ineffi- cace. Devra-t-on frapper un certain nombre de têtes coupables pour assurer la vie d'un nombre beaucoup plus grand de bons citoyens ? Je n'hésite pas à reconnaître , avec Rousseau , que les membres du corps social auront le droit de faire une loi (1) La France était dans une position à peu près semblable en l’an IX et en l’an X. Voir ce que M. Tuises dit des Chauffeurs au livre vin de son Histoire du Consulat et de l'Empire, tom. 1, pag. 304 et suiv. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 251 qui engagera leurs vies pour les protéger et pour en assurer la conservation. Comment la société pourrait-elle être dans l’obli- gation de subir l'assassinat lorsqu'il y aurait possibilité de l'éviter en frappant les têtes qui viendraient elles-mêmes s'expo- ser aux coups de la justice ? Eh bien, voilà la légitimité de la peine de mort établie en théorie pure, car en reconnaissant qu'il est des circonstances dans lesquelles elle peut être employée, on reconnaît qu'elle n’est pas repoussée par le Droit pur, par le Droit absolu , et on restreint le débat à une question d’uti- lité et de nécessité contingente. IL est cependant quelques objections auxquelles je voudrais faire une réponse directe pour m’efforcer de lever tous les dou- tes. Le grand et sublime principe de l’inviolabilité de la vie humaine se présente toujours à l'esprit avec ses exigences et domine sans cesse la question de la peine de mort. Est-il permis , peut-on dire , de racheter des vies aux prix d’une autre vie ? Peut-on légitimement mettre à mort l'assassin pour prévenir des assassinats qu’il ne commettra pas lui-même , mais dont la société est seulement menacée ? Est-il digne , est-il moral que l'homme qui a à se laver d’une faute par une expiation toute individuelle , soit sacrifié comme moyen ; dans le seul intérêt de la sécurité de ses semblables ? II me paraît que ces objections perdent leur force lorsqu'on considère que la vie sociale est une loi de l'humanité, et que le principe de l’in- violabilité de la vie humaine , loin de recevoir une atteinte , trouve, au contraire , sa sanction dans la loi écrite , lorsque la peine de mort n’est infligée que pour satisfaire aux justes né- cessités de la défense sociale. Remarquons , en effet, que ce grand principe n'oblige pas celui qui est menacé, à subir la mort lorsqu'il peut conserver sa vie en sacrifiant celle d’un assassin ? Si une bande de chauffeurs envahit mon domicile , leurs vies seront-elles inviolables , serai-je obligé de les respec- ter ? Faudra-t-il que je me résigne à subir les supplices affreux qu'ils me réservent , lorsque je pourrais , en leur donnant la mort , racheter mon existence et celle des nombreuses victimes futures qui succomberont sous leurs coups ? J'userai assuré- 252 MÉMOIRES ment de mon droit en repoussant la force par la force, en étei- gnant l'existence de ceux qui attentaient à la mienne. Le prin- cipe de l'inviolabilité de la vie humaine ne reçoit donc aucune atteinte lorsqu'on ne donne la mort que pour racheter la vie, lorsque le fer ne frappe que celui qui a lui-même attenté aux jours de son semblable. Ici se produit une objection qui n’a, à mon avis, acquis quelque importance que parce qu'elle a été mal appréciée. Le droit de légitime défense, a-t-on dit, ne doit pas être confondu avec le droit de punir ; il cesse avec l'agression et la nécessité qui l'ont fait naître. Dès que celui qui a attaqué est désarmé , dès qu’en est devenu maître de sa personne , sa vie redevient inviolable et doit être respectée , il a recouvré le droit de ne pas la perdre (1). Tout cela n’est vrai que de particulier à par- ticulier, au sein d’une société bien organisée, et dans ce sens seulement que celui aux jours de qui on a attenté doit livrer le coupable au bras de la justice , afin que la peine ne lui soit infligée qu'après que sa culpabilité aura été constatée suivant les formes légales. Mais avant l'établissement de la justice sociale , au sein d’une société qui n’est encore que dans son enfance , est-il aussi vrai de dire que les particuliers attaqués n’ont que le droit de se défendre et ne peuvent pas exercer le droit de punir. pour se protéger par l'intimidation contre des attentats futurs ? L'histoire des nations barbares nous a montré les chefs de famille se protégeant eux-mêmes par la défense di- recte et par la défense indirecte qui résulte des châtiments. En nous plaçant donc au berceau des sociétés , lorsque le droit naturel apparaît dans sa simplicité comme une révélation de la pensée divine qui établit l’ordre au sein de l'humanité et qui dirige les hommes vers les voies du progrès , l'idée de la pu- nition se rattache à celle de la légitime défense. La famille, au sein de laquelle un assassin a porté le deuil , s'empare de l'injuste agresseur et le sacrifie. Si elle exerce en cela (1) Charles Lucas, du système pénal er général et de la peine de mort en particulier, 1° part,, ch. vr. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 953 un acte de vengeance , c'est avec le double sentiment de la justice de l'expiation qu'elle inflige au coupable , et de l'utilité du sacrifice qui se gravera profondément dans les souvenirs . et qui, pendant longtemps , arrêtera par l'effroi, le bras de ceux qui seraient tentés de renouveler un forfait pareil à celui qui a été puni. La logique de l'instinct qui inspire la justice du barbare n'est pas en discord avec celle de la raison. L'homme qui attaque la vie de son semblable perd , par ce seul fait, l'inviolabilité de sa’ propre vie , puisqu'on peut légiti- mement lui donner la mort. Ce droit qu'il a perdu , il ne le recouvre pas par la consommation de son attentat. Le sang de la victime ne peut pas réintégrer l'assassin dans la possession d'un droit qui s’est éteint par l'injuste attaque qu'il a dirigée contre un autre homme (1). Le droit à la vie est un , absolu , indépendant de toute circonstance accidentelle , et ne peut pas revivre lorsqu'il est éteint, car la mort ne saurait res- saisir l'existence. L’assassin , par son crime, s’est mis au ban de l'humanité. Chacun devenant le ministre de la loi na- turelle , peut, là où n'existent pas les formes de la justice sociale , se protéger en lui donnant la mort. Celui qui le pre- mier baigna la terre du sang de son frère, comprit qu'il avait aussitôt perdu son droit à la vie. Tout homme qui me rencon- trera , s'écria-t-il, pourra donc me tuer ! Ommnis igilur qui invenerit me, occidet me. Dieu commua sa peine , parce qu’il voulut le réserver à l’accomplissement de ses mystérieux des- seins ; mais il lui imposa un signe pour le soustraire au juste châtiment qu'il avait encouru : Posuitque Dominus Caïn signum , ut non inter ficeret eum omnis qui invenisset eum (2). C'est ainsi que la justice sociale , en imitant celle de Dieu : peut intervenir pour racheter, par un autre châtiment , la vie (1) «Dovremo noi supporre, che l’aggressore, che aveva perduto il diritto alla vita prima di perfezionare il delitto , lo riasquisti dopo che il delitto & consumaio ? Dovremo noi credere , che l’istessa causa (il delilto) possa pro- durre un momento prima, e un momento dopo due effetti diametralmente opposli ?» Fizaxcient, Scéenza della legtslazione, lib. III, cap. 29, L. 4, p. 236. (2) Gexesis, cap. 1v, 14, 15. 3.° $,— TOME IY. 18 254 MÉMOIRES du coupable dont la mort ne lui paraît pas nécessaire ; mais en le frappant avec son glaive , elle ne blesserait assurément aucun droit. Il me paraît donc démontré que le droit pur autorise l’ap- plication de la peine de mort, et que les peuples qui l'ont écrite dans leurs codes, pour réprimer les attentats les plus graves contre les personnes, loin de méconnaître le sublime principe de l'inviolabilité de la vie humaine, l’ont au contraire sanctionné. En quittant les théories abstraites pour examiner l'état des opinions et les législations positives, on constate qu'on peut in- voquer en faveur de la légitimité de la peine de mort appli- quée aux parricides, aux assassins , aux empoisonneurs, l’au- torité des hommes le plus profondément versés dans la philoso- phie du Droit, et l’assentiment universel des peuples. En Italie, sur cette terre classique du droit criminel, les idées de BEccaRIA contre l'emploi dela peine de mort, n'ont jamais trouvé que peu de partisans et ont eu beaucoup de contradicteurs. FianGeni les combattit à Naples, à leur apparition, dans un livre inspiré par un ardent amour de l'humanité, et dans lequel se manifeste une noble candeur jointe à cette rare indépendance qui puise ses décisions dans ses seules convictions, sans basse adulation pour les idées du jour (1). Cremanr, RomaGnosi, RaraELLr, Laura , CARMIGNANI , ne les ont pas adoptées. En Belgique , le judicieux professeur Havs, en s’occupant des réformes à intro- duire dans la législation de son pays, reconnaît que la peine de mort appliquée aux atténtats les plus graves contre les per- sonnes, a l’assentiment unanime des nations de notre époque (2). En Allemagne, le génie transcendant de Kant donne à la ques- tion la même solution que esprit exact et pratique du célèbre rédacteur du code pénal de la Bavière, du criminaliste FeuEr- ac, Ils considèrent tous deux la peine de mort comme légi- time. En Angleterre, l’apôtre du principe de l'utilité et l’ardent (1) La scienza della legislazione del cittadino Gaetano Firancrert. (2) Observations sur le projet de révision du Code pénal présenté aux chambres Belges, tom. 1, pag. 96 et suiv. Gand , 1835. DE L’'ACADÉMIE DES SCIENCES. 255 propagateur des réformes, Jérémie Bexrmam , a analysé et mis au jour, avec sa profondeur ordinaire, etavec une remarquable netteté, les qualités et les défauts de la peine de mort. En té- moignant le désir de la voir remplacée par un emprisonnement perpétuel et laborieux , il reconnaît qu’elle peut être conservée ën terrorem pour les crimes qui portent l'horreur publique au plus haut degré, pour les meurtres accompagnés de circons- tances atroces, et surtout pour la destruction de plusieurs vies (1). Enfin, en France, les publicistes les plus éclairés du xvin® et du xix° siècle, se sont toujours bornés à demander que l'application de la peine de mort fût restreinte à des cas peu nombreux ; mais ils n'ont pas contesté sa légitimité, et ils n’en ont pas demandé l'abolition absolue. Il suffit de citer les noms de Moxresqueu (2), de J.-J. Rousseau (3), de Marzy (4), de Benjamin Coxsraxr (5), de M. pe Broëute (6), de M. Rossi (7), pour démontrer que cette peine, lorsqu'elle n’est appliquée qu'aux attentats les plus graves contre les personnes, n'est désavouée ni par le cœur, ni par la raison. Si nous passons des livres des philosophes et des publicistes aux travaux législatifs, qui ont préparé et opéré les réformes que la législation criminelle française a subies depuis 1789 jus- qu'à nos jours, nous voyons que la légitimité de la peine de mort a été peu contestée par les hommes qui ont eu la volonté constante de consacrer dans nos lois des dispositions libérales. En 1791, LaPeLLETIER-SAINT-FARGEAU , qui avait été successi- vement avocat général, puis président à mortier au Parlement de Paris, présenta à l'Assemblée constituante, au nom des co- (1) Théorie des peines et des récompenses , lom. 1, ch. xiy, pag. 308 de l'édition française publiée par M. Dumont. (2) Esprit des Lois, liv. xu, ch. 4. (3) Du Contrat social, lix. nu, ch. 5. (4) De la Législation ou Principes des Lois, liv. ui, ch. 4. (5) Notes sur Filangieri. (6) Hevue française, septembre 1898. (7) Traité de Droit pénal, iv. in, ch. G, Lom. nr, pag. 138. 256 MÉMOIRES mités de constitution et de législation criminelle , un projet qui subit quelques modifications, et qui contenait les bases du code pénal qui fut voté le 25 septembre. Il proposait, dans son rapport , de substituer à la peine de mort un emprisonnement solitaire très-rigoureux, précédé d’une exposition publique pen- dant trois jours, et qui n’eût fait que remplacer l’échafaud par les angoisses douloureuses d’une longue et cruelle agonie. 1 y a une farouche philanthropie dans ce projet et dans le rap- port deLepelletier-Saint-Fargeau (1). Ilest même à remarquer que (1) Ce rapport est une œuvre très-remarquable. Lepelletier y reconnait d’abord la légitimité de la peine de mort. « Dans la discussion de celte haute et redoutable théorie, dit-il, nous ne nous arrêterons pas sur la première partie de la question , savoir, si la société peut légitimement ou non exercer ce droit. Ce n’est pas là que nous apercevons la difficulté ; le droit nous parait incontestable, mais la société doit-elle en faire usage? … Voilà le point sur lequel des considérations puissantes peuvent balancer et partager les opinions... Si le fond du droit est incontestable , de sa nécessité seule dérive la légitimité de son exercice : el de même qu’un particulier n’est dans le cas de l’homicide pour légitime défense que lorsqu'il n’a que ce seul moyen pour sauver sa vie, ainsi la société ne peut légitimement exercer le droit de vie et de mort, que s’il est démontré impossible d’opposer au crime une autre peine suffisante pour le réprimer. » Après avoir contesté à la peine de mort, réduite à la simple privation de la vie, son efficacité répressive, le célèbre rapporteur continuait ainsi : « L'homme sage ne saurait prendre le parti de détruire le moyen de répres- sion usité jusqu’à présent, sans s'être convaincu de l'efficacité d’une autre mesure pour défendre la société contre le crime. — Voici ce que nous proposons de substituer à la peine capitale. — Nous pensons qu’il est conve- nable d'établir une maison de peine dans chaque ville où siége un tribunal criminel , afin que l'exemple soit toujours rapproché du lieu du délit. C’est | une maison par département. Avant d’y être conduit, le condamné sera exposé pendant trois jours sur un échafaud dressé dans la place publique ; il y sera attaché à un poteau; il paraitra chargé des mêmes fers qu’il doit porter pendant la durée de sa peine. Son nom, son crime, son jugement, seront tracés sur un écriteau placé au-dessus de sa têle. Ce écriteau présen- tera également les détails de la punition qu’il doit subir. — Cette peine ne consistera pas en coups ni Lortures : il sera fait, au contraire, les plus sévères défenses aux gardiens des condamnés, d’exercer envers eux aucun acte de violence. C’est dans les privations multipliées des jouissances dont la nature a placé le désir dans le cœur de l’homme , que nous croyons convenable de chercher les moyens d'établir une peine efficace. Un des plus ardents désirs de l’homme, c’est d’être libre : la perte de sa liberté sera le premier carac- tère de sa peine. La vue du ciel et de la lumière est une de ses plus douces DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 257 la peine de mort n’y est pas supprimée d'une manière absolue, puisqu'elle y est prononcée contre le chefde parti qui serait dé- claré rebelle par un décret du corps législatif. Par suite de fa présentation de ce projet , la question suivante fut posée à l'As- semblée constituante : « La peine de mort sera-t-elle ou non conservée (1) ? » La discussion fut ouverte sur cette grave ques- tion, dans la séance du 30 mai, par M. Patéxox, qui parla contre l'abolition de la peine de mort. RogesPierrEe monta après Jui à la tribune pour prononcer ce discours auquel ses actes politiques donnèrent plus tard un si sanglant démenti, et dans jouissances : le condamné sera détenu dans un cachot obscur. La société el le commerce de ses semblables sont nécessaires à son bonheur; le con- damné sera voué à une entière solilude. Son corps et ses membres porteront des fers. Du pain, de l’eau, de la paille, lui fourniront, pour sa nourriture el pour son pénible repos, le strict nécessaire. On prétend que la peine de mort est seule capable d’effrayer le crime ; l’élat que nous venons de décrire serait pire que la mort la plus cruelle , si rien n’en adoucissait la rigueur ; la pitié même dont vous êtes émus prouve que nous avons assez et trop fait pour l’exemple : nous avons donc une peine répressive, » Hätons-nous de dire que Lepelletier proposait d’alténuer celle peine en limitant sa durée à un intervalle de douze à vingt-quatre années, partagé en périodes diverses qui devaientchacune amener un adoucissement, Le tra- vail devail être offert au condamné à Litre de consolation pendant deux jours seulement de la semaine dans les premiers temps, et pendant trois jours ensuile. Il devait lui être permis, ces jours de travail, d'ajouter au pain et à Peau qui formaient sa seule nourriture habituelle, une subsistance plus douce et plus abondante au moyen des produits qu’il aurait confectionnés. « Ainsi, continuait Lepelletier , le jour du travail il pourra être mieux nourri; ses chaines lui seront ôtées; il sortira de son cachot; il verra la lumière du jour ; il respirera Pair sans toutefois sortir de l’enceinte de la maison ; et un exercice salutaire préviendra l’altération ou l’épuisement de ses forces. — Vos comités ont pensé que les condamnés à la peine du cachot, devaient toujours travailler seuls, puisqu'ils ont attaché à la solitude absolue un des caractères les plus pénibles et les plus efficaces de celte punition. Une seule fois par mois, les peines du condamné ne seront pas solitaires. Les portes du cachot seront ouvertes ; mais ce sera pour offrir au peuple une imposante leçon. Le peuple pourra voir le condamné chargé de fers au fond de son doulourenx réduit ; et il lira, tracés en gros caractères, au-dessus de la porte du cachot, le nom du coupable, le crime et le jugement. Voilà quelle est la punition que nous vous proposons de substituer à la peine de mort. » Moniteur des 31 mai et 1°° juin 1791, p. Ga et G29. (1) Séance du 30 mai 1991; Moxireun du 31 mai, pag. 620, 258 MÉMOIRES lequel il s'efforça d'établir ces deux propositions : 1° « Que [a peine de mort est essentiellement injuste ; 2° qu'elle n’est pas la plus réptimante des peines, et qu'elle multiplie les crimes beaucoup plus qu’elle ne les prévient. » Je n’analyserai pas cette œuvre de Robespierre, je me bornerai à faire remarquer qu'on y lit ces paroles : « Aux yeux de la vérité et de la justice, ces scènes de mort, que la société ordonne avec tant d'appareil, ne sont autre chose que de lâches assassinats, que des crimes solen- nels, commis, non par des individus, mais par des nations entières, avec des formes légales (1). » Le débat continua, et le discours le plus remarquable fut celui d’Adrien Duporr, qui parla dans le même sens que Robespierre , et qui eut le regret de voir que sa voix était peu écoutée (2). La discussion fut close par une proposition de M. Merci , qui tendait à l’ajournement de toute décision définitive et à l'admission d’une mesure tran- sitoire. Cette proposition fut écartée ; on vota, et voici ce que constate le Moniteur : « L'Assemblée décide, presque à l’una- nimité, que la peine de mort ne sera pas abrogée (quelques applaudissements partent des tribunes) » (3). Des applaudisse- ments lorsqu'on vote le maintien de l’échafaud !!... Cela serait barbare, si on pouvait y voir autre chose que l'expression du sentiment que l’âme éprouve, lorsqu'un grand acte de justice vient à se produire ou lorsqu'elle passe de la crainte à la sécu- rité. N’allons pas commettre une méprise : si une nation aussi civilisée et aussi éclairée que la nation française applaudit lors- qu’on lui accorde léchafaud , ce n’est pas parce qu'elle se com- plaît à voir couler le sang ; c’est parce que la peine de mort infligée à l'assassin lui paraît un acte de justice, c’est surtout parce que la proposition d’abolir cette peine lui avait causé des (1) Moniteur du 1% juin 1791, pag. 630. (2) On remarque qu'il s’écria, à suite de quelques murmures d’impa- tience qui s’élevaient dans l’assemblée : « Je vois que je ne fais que retarder d’un quart d'heure l’établissement de la peine de mort.» Moniteur du 2 juin 1791, pag. 638. (3) Moniteur du 2 juin 1791, pag. 638. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 259 alarmes, ct parce que les citoyens se sentaient rassurés par un vole qui protégeait leurs vies. La pensée d’abolir la peine de mort se produisit aussi au sein de la Convention , au milieu de la sanglante et laborieuse tourmente politique qui signala son règne (1). Mais la réalisa- tion de cette pensée fut toujours rejetée dans l'avenir. Arriva enfin l'heure dernière de cette formidable Assemblée, elle dé- créla alors par le dernier de ses actes législatifs, qu'à dater du jour de la paix générale, la peine de mort serait abolie (2). Sous le consulat, lors de la Paix d'Amiens, une loi du 8 ni- vôse an X ajourna l'exécution du décret de la Convention , en décidant que la peine de mort continuerait d'être appliquée jusqu’à ce qu’il en eût été autrement ordonné. Les circons- tances dans lesquelles on se trouvait justifiaient pleinement cette mesure; les campagnes étaient encore désolées par des bandes de brigands qui y portaient la terreur et la désolation (3). Comment eüt-on pu ne pas maintenir la peine de mort, lorsque la multiplicité des crimes attestait l'impuissance de la justice ordinaire, et lorsqu'on venait de créer des tribunaux spé- ciaux (#). Le Code pénal de l'Empire s’inspira d’un esprit réactionnaire, et ne se borna pas à conserver la peine de mort, il la prodigua , el il l'inscrivit dans presque tous ceux de ses articles qui répri- maient des crimes politiques. La Restauration adopta cette législation draconienne. Elle n’y introduisit qu'une légère ré- (1) Voir le Résumé des faits et débats législalifs qui ont marqué en France les progrès de la question d’abolition de la peine de mort, lu à l’Académie des sciences morales et politiques, par M. Ch. Lucas, aux séances des 11 et 18 mars 1848. ( Revue de législation et de jurisp., année 1848, lom. 1°, pag. 258 et suiv.) (2) Décret du 4 brumaire an 1v. (Moniteur du 14 brumaire, pag. 175.) (3) Voir l’Exposé des motifs de cette loi du 8 nivôse an x, fail par M. Reaz au corps législatif, et le Rapport fait au Tribunat, de M. Ganr, dans le Moniteur du 27 frimaire an x, pag. 350, et dans celui du 9 nivôse suivant, pag. 396. (4) Loi du 18 pluviôse an 1x. — Voir l'Histoire du Consulat et de l'Em- pire de M. Tuiers, tom. 1, pag. 339. 260 MÉMOIRES forme par la loi du 25 juin 1824, qui autorisa [es Cours d'assises , lorsqu'elles constateraient l'existence de circonstances atténuantes, à commuer, pour la mère coupable d’infanticide , la peine de mort en celle des travaux forcés à perpétuité. Ce ne fut qu'après les événements de 1830 que la peine de mort fut soumise à un nouveau débat parlementaire. Des péti- tionnaires, parmi lesquels figuraient des citoyens blessés aux journées de juillet, en demandèrent l'abolition (1). M. de Tracy avait déjà présenté à la séance de la Chambre des Députés du 10 août 1830, une proposition qui tendait à abolir d’une manière absolue la peine de mort en France, Cette proposition fut renvoyée à une Commission , au nom de laquelle M. Bé- RANGER présenta un rapport le 5 octobre. La suppression de la peine de mort rencontra, au sein de cette commission, des dispositions favorables. On y reconnut assez généralement qu'on devait l’effacer de nos Codes pour les matières politiques ; mais On conslala, en même temps, qu'on ne pourrait l’abolir , en matière de erimes privés, qu'autant qu’on aurait établi préalablement une autre peine pour la remplacer, et qu’on au- rait organisé un système pénitentiaire. La commission, tout en exprimant par l'organe de son rapporteur, des vœux pour une réforme, conclut à l’ajournement de la proposition de M. de Tracy, en appelant le Gouvernement à s'occuper lui- même de la question et à préparer les changements qu’il serait convenable d'introduire dans la législation. La discussion s’ou- vrit sur ce rapport dans la séance du 8 octobre 1830. Elle n'aboutit qu'à une adresse par laquelle le Gouvernement fut invité à préparer une réforme de nos lois criminelles , qui füt propre à amener l'abolition graduelle de la peine de mort (2). On ne s'occupa de cette réforme qu’assez tard, et elle ne fut opérée que d’une manière peu libérale et peu intelligente par la loi du 28 avril 1832. La peine de mort ne fut retran- chée, par cette loi, du Code pénal de 1810 que pour neuf (1) Moniteur du 9 octobre 1830 , pag. 1274. (2) Moniteur du 9 octobre 1830, p. 1276. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES, 261 cas (1); on la laissa écrite dans trente-un articles (2). Ce fut un tort que de lui conserver une existence qui ne devait être que nominale pour les crimes purement politiques. Ce qu'il y eut de particulierement remarquable dans la loi du 28 avril, c'est que le pays se trouva appelé à porter son jugement sur la sup- pression ou le maintien de la peine de mort, au moyen du pouvoir qui fut conféré aux jurés d'amener l’abaissement de la peine d'un ou de deux degrés, en déclarant en faveur des ac- cusés les circonstances atténuantes. Aussi est-il indispensable , pour bien apprécier la pénalité maintenue par cette loi, de tenir sans cesse compte du large pouvoir dont elle investit les jurés et les juges, par l’article #63. Tel cas pour lequel le Code prononce la peine de mort peut, aujourd’hui, n'être puni, lorsqu'il existe des circonstances atténuantes, que d’une peine temporaire , qui peut être abaissée jusqu’au minimum de cinq années de travaux forcés. Tel était l'état de notre législation , lorsqu'un décret du Gouvernement a proclamé législativement , le 26 février der- nier, l’inviolabilité de la vie humaine, et a déclaré la peine de mort provisoirement abolie pour les crimes politiques. Ce décret , lu devant l'Hôtel de ville, fut accueilli par le peuple avec de vives acelamations (3), et vient clôturer la série des (1) Ces neuf cas sont : 1° les complots non suivis d’attentat; 20 la fabri- calion de la fausse monnaie ; 3° la contrefaçon des sceaux de l’état et l’usage des sceaux contrefails; la contrefacon ou falsification des effets du trésor public ou des billets des banques publiques ; 4° plusieurs cas d’incendie ; 5° le meurtre joint à un simple délit, quand la relation de cause à effet n’existe pas entre les deux faits; Ge le vol avec les cinq circonstances aggravantes ; 7° le recel des objets obtenus à l’aide d’un crime puni de mort; 8 l’arresta- tion exéculée avec un faux costume , sous un faux nom ou sous un faux ordre de l’autorité ; 9° l’arrestation illégale avec menace de mort (art. 86, 87, 132, 139, 434, 304, 381, 63 et 344 du Code pénal de 1810). (2) Ces articles sont lessuivants : 56, 75, 96, 57, 79, 80, 81, 82, 83, 86, 87, 91, 92, 93, 94, 95, 96, 97, 125, 233, 302, 303, 304, 313, 316, 344, 361, 365, 434, 435, 437. Quinze de ces articles punissent des crimes poli- tiques. (3) Voir le Moniteur du 27 février 1848. — Nous avons publié dans le nu- méro de la Revue de Droit français et étranger du mois d'avril, un travail 262 MÉMOIRES actes législatifs que nous avions à parcourir. On voit par ce que nous venons d'exposer , que la peine de mort n’a jamais été effacée de nos lois d’une manière complète , et que nos assem- blées l'ont sans cesse jugée légitime. Elles ont, sans doute , plusieurs fois écouté avec faveur les propositions qui tendaient à l’abolir ; mais elles se sont bornées à restreindre l’applica- tion de cette peine, et elles ont toujours réservé pour l'avenir son abolition absolue, parce qu’elles ont craint de compro- mettre dans le présent la sûreté. Les votes de nos assemblées législatives n’ont pas seuls ex- primé le jugement du pays sur la légitimité de la peine de mort, et sur la nécessité de la maintenir. Nous venons de voir que les jurés peuvent, depuis la loi du 28 avril 1832, écarter le fer des têtes coupables en déclarant les circonstan- ces atténuantes. On semblait d'abord penser, d’après la ten- dance des idées, que ces dispositions nouvelles amèneraient , en fait, la suppression de l’échafaud. Eh bien , il n’en a pas été ainsi; les condamnations à mort ont, sans doute, été moins nombreuses, mais elles n'ont pas cessé d’être prononcées et exécutées depuis 1832. En parcourant les statistiques publiées par le Ministre de la justice, on voit qu'à partir de l’année 1826 jusqu'à 1831 inclusivement, dans un espace de six années , 662 individus ont été condamnés à mort, ce qui donne une moyenne de 110 environ par année. De 1832 à 1835 inclusivement, le total pour quatre années est de 219 condamnés à mort, et la moyenne annuelle 55. De 1836 à 1840 , le total est de 197 , et la moyenne de 49. De 1841 à 1844 , le total est de 193, et la moyenne de #8. Enfin la der- nière statistique publiée , constate que le nombre des condamnés à mort ne s'élève, pour 1845, qu'au chiffre de 47 , à savoir , 21 pour des assassinats consommés , 10 pour des tentatives du même crime, 5 pour des empoisonnements, # pour des parricides, 2 pour des meurtres accompagnés d’autres crimes , dans lequel nous avons essayé de résoudre les difficultés pratiques que peut soulever l’application de ce décret. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 263 2 pour des infanticides, 3 pour des incendies volontaires d'é- difices habités. Sur ces #7 condamnés, 37 ont recu la mort sur l’échafaud , les autres ont obtenu des commutations de peine (1). Ces résultats attestent hautement que la partie de la nation qui est appelée à composer les jurys, loin de penser que l'ap- plication de la peine de mort blesse la loi naturelle , estime, au contraire, qu'il est des crimes qui ne peuvent être expiés que par la perte de la vie. On conçoit qu’on aurait tort de m'ob- jecter que les jurés n’ont à apprécier que le fait et la culpabi- lité de l'accusé; qu'ils ne doivent pas se préoccuper des consé- quences de leurs déclarations par rapport à la peine. IL suffit d'ouvrir les statistiques et de parcourir les débats législatifs qui préparèrent la loi de 1832, pour constater qu'à toutes les époques la pénalité a exercé une grande influence sur leurs dé- clarations (2). Il est done constant que la partie de la nation” qui concourt à l'administration de la justice criminelle, a donné son approbation au maintien de la peine de mort pour les cri- mes les plus graves. Il serait intéressant de connaître également la pensée de la (1) Compte général de l’administration de la justice criminelle en France pendant l’année 1845, page xx du Rapport, el p. 19, tableau n° 10. (2) «Il est notoire que le Jury recule souvent devant les conséquences de sa déclaration, disait le rapporteur de la Commission de la Chambre des Députés lors de la discussion de la loi du 28 avril 1832. Qu'on parcoure les statistiques criminelles publiées par la chancellerie , on sera étonné du petit nombre de cas où la peine prononcée à suile de la déclaration du Jury est celle que fait supposer le titre de l’accusation. En 1829, sur cent quarante- deux condamnés par suite d’une accusation d’assassinat, cinquante-deux seulement ont été condamnés à mort. Sur quarante-cinq condamnés par suite d’une accusation d’infanticide, sept seulement ont été condamnés aux travaux forcés à perpétuité... Il serait facile de multiplier les exemples. On verrait presque toujours, que, pour la majorité des condamnés, l’exclusion de quelques circonstances aggravantes prononcées par le Jury transforme et atténue le crime , et même le réduit souvent à un simple délit, Sans doute il arrive plusieurs fois que la circonstance aggravante , niée par le Jury, n’a réellement pas existé; mais il arrive aussi très-souvent que cette cir- constance aggravante est écartée à litre de commutation de peine et en vue de la sévérité de la loi. » (Moniteur du 12 novembre 1831 , p. 205.) 264% MÉMOIRES partie des citoyens qui n'a pas été, jusqu’à présent, appelée à composer les jurys , afin de vérifier si la peine de mort obtient l’assentiment de toute la nation. Pour m'éclairer sur ce point, J'ai essayé de m’enquérir de l'opinion des habitants des campa- gnes et des ouvriers des villes. Je me suis adressé à des hommes doués d’une intelligence naturelle, qui avaient de la probité, et qui étaient exempts de toute idée préconcue. Je leur ai posé la question de la peine de mort. Ils m'ont paru, en général, étonnés d'apprendre qu'on eût élevé des doutes sur la légitimité de cette peine appliquée aux parricides, aux assassins, aux empoisonneurs. Certains d’entre eux, se laissant entraîner par un sentiment excessif de réprobation pour le crime , me disaient qu'on devrait encore envoyer à l'échafaud les malfaiteurs qui se livrent habituellement au vol. Il m'était assez facile de les ramener à des idées plus modérées par rapport aux voleurs ; mais quant aux assassins, aux empoisonneurs, et surtout aux parricides, ils ne faisaient aucune concession, et ils les ju- geaient , avec une profonde conviction, dignes de mort. Je dois ajouter que je me suis assuré que l’opinion de ces hommes simples, mais pleins de droiture, n’était pas le résultat des préjugés et de l'éducation morale qu'ils avaient reçue au sein de notre société. Le jugement qu'ils portaient sur la peine de mort, reposait à la fois, sur l'idée du Talion, de la justice absolue, et des nécessités de la défense sociale, « Celui, me disaient-ils, qui a tué volontairement son semblable , n’a plus le droit de vivre et doit subir la mort. On peut la lui donner sans injustice. Nous serions exposés à être assassinés et brülés dans nos maisons, si l’échafaud n'existait pas, Nos assassins conserveraient la vie avec l'espoir de s'évader, tandis que nous succomberions sous leurs coups : cela ne peut pas être (1). » (1) «Tout me dit qu’il n’y a plus d’ordre, de règle, de sûreté, ni de droit sacré parmi les hommes, si le sort d’un citoyen vertueux est pire que celui d’un meurtrier : c’est cependant ce qui arriverait si je perdais le premier , le plus grand et le plus irréparable des biens , tandis que mon assassin conserverait la vie. » Mas, de la Législation , Liv. 1, ch. 4. DE L'ACADÉMIS DES SCIENCES. 265 L'opinion générale n’est done pas contraire en France au maintien de la peine de mort appliquée aux attentats contre la vie des personnes. Cependant , il faut aussi reconnaître que l'emploi de cette peine a des dangers qui devraient la faire rejeter, si elle n'était pas'à la fois utile et nécessaire. Les juges ne sont pas à l'abri d'une erreur, et un des plus grands mal- heurs qui puisse arriver à une société , c’est assurément celui de faire mourir un innocent sur léchafaud (1). Il nous reste donc à examiner , en passant des théories absolues à l’application , si la peine de mort a une grande utilité, et s'il y a nécessité de la maintenir dans notre législation. Beccaria (2), M. Livixésrox (3), M. Charles Lucas (4) ont contesté l'utilité de l’'échafaud. M. Livingston et M. Lucas invo- quent des faits constatés dans une enquête ordonnée par le par- lement en Angleterre. Des témoins, qui avaient pratiqué pen- dant de longues années les cours de justice , attestèrent , devant un comité de la Chambre des communes, que la peine de mort ne causait aucun effroi aux voleurs ordinaires, et qu’elle était plutôt parmi eux une cause de raillerie que de considération sérieuse. L'approche d’une mort prochaine et ignominieuse ne paraissait faire sur eux aucune impression. Au lieu de rentrer en eux-mêmes et de manifester des sentiments moraux, ils re- connaissaient simplement que la chance avait tourné contre eux, et ils se consolaient en s'appliquant ce précepte : MN’est pas joueur qui toujours gagne (5). (1) On trouve le développement de cette pensée dans Adam Suiru, 7hco- rie des sentiments moraux, partie 11, ch. 2. (2) Dei Delitti e delle pene, $ xwr. (3) Rapport sur le Projet d’un Code pénal, fait à l Assemblée générale de d'état de la Louisiane, p. 63 et suiv. (4) Du système pénal et du système répressif en général, de la peine de mort en particulier, p. 219 et suiv. (5) « Un témoin plus compétent que nul autre, en cette matière, le Minis- tre de Newgate , interrogé : « Avez-vous observé l’effet de la sentence de » morLsur les prisonniers? » a répondu : « Elle n’en produit presqu’aucun; la » plupart des condamnés à mort pensent et s’occupent à toute autre chose 266 MÉMOIRES Je ne puis pas contester ces faits, et je veux bien croire qu’en Amérique, et surtout en Angleterre, où la peine de mort est prodiguée , où on l’applique pour le vol, et où l'égoïsme et la misère ravagent si profondément la société, les hommes pervers tiennent peu à la vie, et en font avec facilité le sacrifice. Mais ce qu'il y a de certain, c’est qu'il n’en est pas ainsi en France. Qu'on aille aux audiences de nos cours d’assises, et on y verra dans toutes les affaires capitales les accusés faire constamment des efforts pour échapper à l'échafaud. Ils pensent, lorsque les preu- ves les accablent , obtenir un heureux succès, s'ils ne sont con- damnés qu'aux travaux forcés à perpétuité. Un jour, lorsque J'étais magistrat, je me trouvai dans la maison de justice au moment où on ramenait de la cour d’assises un homme reconnu coupable d’assassinat, qui venait d'échapper à la peine de mort, grâce à une déclaration de circonstances atténuantes qu’il de- vait, peut-être, à la franchise de quelques aveux propres à éclairer la justice. La cour d'assises l’avait condamné aux tra- vaux forcés à perpétuité. La peine, comme on le voit, était grave, puisqu'elle lui faisait perdre la vie civile, et le vouait à un esclavage perpétuel. Je n’oublierai jamais ce que je lus sur la figure de ce malheureux, et ce que j'entendis lorsqu'il passa devant des prisonniers pour se rendre dans son cabanon. Tout son être exprimait ce sentiment qui absorbe l’äme et qui l’inonde au moment où s'évanouit un danger qui menacçait la vie. Ses compagnons de captivité, sur lesquels pesaient aussi des accu- sations plus ou moins graves, le félicitaient sur l’heureuse issue » qu’à se préparer à ce moment.» Interrogé relativement à l’effet produit sur l'esprit du peuple par l’exéculion capitale, il a répondu : « Je pense qu’elle » produit un mouvement instantané de saisissement et d’horreur sur la » jeunesse et l’inexpérience ; mais l’impression n’est pas durable, et la scène » est à peine terminée que l’image en est effacée. Les vétérans expéri- » mentés disent que /a chance a tourné contre le palïent; que cela ne » prouve rien, el qu’on doit s'attendre à ces accidents; maïs leur esprit ne » reçoit aucune impression sérieuse, J’ai eu occasion d’aller dans les cours » de la prison une heure et demie après une exécution, et j'ai trouvé les » autres s'amusant , jouant à la pomme, aux palets, comme s’il ne füt rien » arrivé. Voir Lavincsrox, ébéd., p. 79. — Cnarzes Lucas, ébid., p. 225. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 267 de son procès, et paraissaient satisfaits de voir que la justice ne déployait pas toujours toutes ses rigueurs. Je crus comprendre que l’idée de la peine de mort impressionnait tellement tous ces hommes , qu'elle effaçait, dans ce moment-là , celle de la peine perpétuelle, que le condamné avait à subir. f’allai visiter un autre prisonnier qui avait à se défendre aussi contre une accu- sation capitale, et sur lequel pesaient des charges graves. Je lui parlai de l'arrêt qui venait d’être rendu , et il me sembla que cette nouvelle lui causait une satisfaction que je n’attribuai pas entièrement à un sentiment de sympathie pur du tout égoïsme. Je demeurai convaincu , en sortant de la maison de justice, que la peine de mort était chez nous beaucoup plus redoutée que toutes les autres peines. Depuis, j'ai toujours pensé que les con- damnés qui témoignent du mépris pour la mort en montant sur l'échafaud , font des efforts pour déguiser ce qu'ils ressentent au fond de leur cœur, et accepteraient avec joie, dans ce moment suprême, une commutation de peine qui leur laisserait l’exis- tence. On ne s’est pas borné à contester à la peine de mort son uti- lité, on lui a encore reproché de démoraliser les masses en les familiarisant avec la vue du sang humain , et en leur donnant le spectacle dangereux de l’homicide. Cet inconvénient se ma- nifeste surtout , a-t-on dit , dans les pays où les exécutions sont fréquentes ; elles ont pour résultat inévitable de rendre le peu- ple féroce. Dans ceux , au contraire , où elles sont rares, elles ne produisent qu’une impression pénible sur les spectateurs , elles leur inspirent de la pitié pour la victime , et elles soulèvent leurs sentiments moraux contre l’atrocité de la peine (1). Il y a du vrai dans cette observation , et j'avoue que j'ai tou- jours éprouvé un sentiment de dégoût , en parcourant les récits des journaux qui attestent cette avidité étonnante du peuple pour les exécutions judiciaires. Je n’ai jamais vérifié par moi-même la nature des impressions que le supplice produit sur les masses ; j'ai seulement vu des personnes qui venaient d'assister à cet (1) Livingston , p. 73. 268 MÉMOIRES affreux spectacle, et je dois dire avec cette franchise qui est une dette de la conscience , qu’elles me paraissaient n’en rappor- ter que la satisfaction d’avoir assouvi une impie curiosité. IL est bien vrai que l’idée de l'expiation doit se rattacher à la vue du sang qui coule sous Le couteau de la loi; mais cette idée toute morale ne conduit assurément pas le spectateur sur la place où se fait l'exécution. Ce qui l'y attire , c'est la curiosité ; ce qu’il recherche, ce sont des émotions; ce qu'il voit, c’est un malheureux dont les derniers moments sont donnés en spec- tacle au public. Je n’aperçois dans tout cela rien d’utile et de moral. Le supplice n'offre pas parmi nous un enseignement, et n’est pas un moyen d'intimidation. La force répressive d’une peine ne résulte pas, en effet, de l'appareil avec lequel elle est infligée ; elle résulte, ainsi que l’a fait remarquer avec raison Carmignani (1), de la menace écrite dans la loi. Pourvu que le public sache que cette menace n’est pas vaine, et que la hache atteint inévitablement les têtes coupables, le but que se propo- sait le législateur est atteint. La publicité des exécutions n’est pas une condition nécessaire du maintien de la peine de mort. Il me paraît qu'il serait plus digne et plus convenable defaire subir cette peine dans l’intérieur d'un bâtiment public, en présence seulement d’un petit nombre de citoyens, appelés comme témoins, afin qu'il füt impossible de supposer qu’un condamné püt être soustrait au glaive de la jus- tice. Lorsque la procédure criminelle était secrète, lorsque l'action des tribunaux ne se produisait au dehors que sur les piloris , sur les échafauds et dans les carrefours ; lorsque les peines laissées au pouvoir discrétionnaire du juge n'étaient pas écrites dans la loi, les exécutions publiques étaient nécessaires pour montrer au peuple comment les crimes étaient châtiés. Il n’en est plus de même aujourd'hui; la codification des lois pénales et la publicité des jugements, manifestent suffisamment l'action-de la justice répressive. On pourrait donc, sans incon- vénient, se départir, pour l'application de la peine de mort, (1) Teoria delle leggi della sicurezza sociale , tom. nt, p. 174. DE L'ACANÉMIE DES SCIENCES. 269 de cette publicité qui n’a plus l'utilité qu'elle avait autrefois. La terreur qu'inspirerait le glaive de la loi n’en serait pas moins profonde , car l'imagination dépeint ce que l'œil ne peut pas atteindre , et crée des images presque toujours plus vives que la réalité. La peine ne perdrait rien de sa force répressive, car elle puise cette force dans elle-même et non dans l'ignominie du supplice. Au moyen de ce changement, on échapperait aux re- proches qu’on a adressés aux exécutions publiques, et on conci- lierait micux les intérêts de la morale avec ceux de la justice répressive. La peine de mort, ainsi infligée, conserverait l'avantage d’être très-répressive, en produisant toujours une intimidation profonde , de retrancher de la société les coupables dont l'existence est propre à jeter l'alarme dans son sein, d'être analogue au délit, car on ne l’appliquerait qu'aux attentats graves contre la vie, et de jouir, en se rattachant à l'idée du Talion , d’une popularité propre à sanctionner linviolabilité de l'existence des bons citoyens. Il ne suffit pas cependant que la peine de mort soit juste et utile, pour qu’elle doive être maintenue; il faut encore qu’elle soitnécessaire, car si elle pouvait être remplacée par une peine simplement privative de la liberté, douée d’une force égale de répression, on n'aurait aucun motif raisonnable pour la con- server; la prudence exigerait même qu’on l’effaçät de nos codes, parce qu’elle a le défaut de n'être ni réparable, ni rémissible, En envisageant la question sous ce nouveau point de vue, on arrive à l'examen des systèmes de pénalité qu’on a proposé de substituer à celui qui est consacré par notre législation actuelle. Je ne me propose pas d'aborder aujourd’hui ce vaste sujet, je veux me renfermer dans ce qu'il est possible de réaliser immé- diatement , par rapport à la peine de mort, sans altérer pro- fondément l’économie de nos codes. Cette peine est appliquée par nos lois à trois ordres de crimes, les crimes politiques, les crimes privés , les crimes militaires. Voyons ce qu'il est possi- ble de faire, sans trop de dangers, par rapport à ces trois espè- ces de crimes qui se présentent dans des conditions diverses et avec des caractères spéciaux. 3.° 8, — TOME IV. 19 270 MÉMOIRES Pour les crimes purement politiques , nous nous trouvons en présence d’un fait. La réforme opérée par la loi du 28 avril 1832 avait bien laissé écrite dans notre Code pénal la peine de mort pour les attentats de cette nature ; mais cette peine n’était plus appliquée , et l'un des premiers actes de la révo- lution qui vient de s'accomplir, a été de l’effacer de la loi aux acclamations du peuple (1). Quel est l'homme doué de sagesse qui oserait aujourd'hui proposer de revenir contre un fait accompli par la puissance des idées et par le progrès des mœurs publiques ? Depuis trés-longtemps , au reste, nos publicistes avaient fait remarquer que l'application de la peine de mort aux crimes politiques est pleine de dangers , a souvent été très- dommageable pour la société et n’est pas nécessaire (2). Les souvenirs si douloureux et les regrets qui se rattachent à la mémoire d'André Chénier, de Lavoisier, du maréchal Ney, n'offrent-ils pas, au nom des lettres , des sciences et de la gloire militaire , une haute protestation contre les exécutions politi- ques ? Disons-le avec franchise, la société serait aujourd'hui alarmée si on rétablissait la peine de mort pour les crimes purement politiques , et celui qui apporterait la première pierre pour relever cet échafaud , ne le ferait pas sans craindre de la baigner un jour de son propre sang. La peine de mort ne doit rester écrite dans la loi que pour protéger les existences et non pour les mettre en danger. Elle doit rassurer la société au lieu de devenir pour elle un sujet d'alarme. Hors du cas de l’homicide volontaire , et par rapport à des faits dont l’ap- préciation varie avec les événements, ce supplice n'offre plus qu’une odieuse violation du Droit, un oubli déplorable des limites que les châtiments ne doivent pas dépasser pour qu'ils soient légitimes. Une ligne de démarcation profonde sépare les crimes politiques des crimes privés. Celui qui attente à la vie d’un autre homme , commet une action qu'il considère lui- même comme coupable, est mü par de basses passions , par (1) Voir le Moniteur du 27 février 1848. (2) Guizor, de la peine de mort; Paris, 1822. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 271 le ressentiment , par la haine, plus souvent encore par la cupidité. Nul n'émet des doutes sur la qualité de l'acte qu'il a accompli ; chacun comprend la justice du supplice qui est infligé à l’empoisonneur , au parricide , à l'assassin. Il n'en est pas de même pour les crimes politiques. Le coupable est souvent considéré comme un homme plutôt égaré que criminel ; ses intentions peuvent être droites ; ses actes ne sont que le résultat de ses convictions profondes. La peine de mort à pour lui peu de puissance d'intimidation. Sa vie agitée est un enjeu qu'il se détermine à hasarder avec plus de facilité peut-être que sa liberté. Si on l'envoie à l’échafaud , il y paraît entouré des sympathies de tous ceux qui partagent ses idées ; son nom doit appartenir à l’histoire, sa mémoire pourra être un jour vénérée ; la socièté voulait frapper en Jui un criminel , elle court le ris- que de faire un martyr. Un autre motif bien puissant doit encore faire repousser la peine de mort, lorsqu'il s’agit de crimes politiques ; c’est l'influence du pouvoir et des passions , même dans les temps calmes, sur les jugements. N’appliquons pas une peine irrépa- rable, lorsque la timidité des juges peut se laisser imposer, par les égarements de l'opinion publique ou par les abus du pouvoir, un arrêt injuste , lorsque le glaive de la justice peut s'égarer et peut frapper des coups qui amèneront plus tard de cruels regrets. La peine de la déportation écrite dans nos lois pénales , s'adapte très-bien à la nature des crimes politiques, et est suffisante pour les réprimer. On peut , sans déranger l’é- conomie de nos Codes , la substituer à la mort pour ces cri- mes , par une simple disposition de loi. Cette disposition briè- vement et convenablement conçue, peut même procurer le triple avantage de mettre les principes en barmonie avec les idées et avec les faits, de donner plus de vérité au système des cir- constances atténuantes , et d'introduire dans toute l'étendue de l'échelle pénale un abaissement d'un degré, très-convenable pour des crimes définis , en général, par des dispositions com- préhensives , dont l'ampleur et l'élasticité peuvent embrasser des cas très-divers. Ainsi, lorsqu'une accusation pour un 272 MÉMOIRES attentat grave contre la sûreté de l'Etat sera portée devant une Cour d’assises, on ne verra plus les jurés mentir à leur cons- cience pour soustraire l'accusé à la peine de mort, en décla- rant les circonstances atténuantes. Lorsqu'une affaire présen- icra des caractères propres à diminuer la culpabilité , les jurés , en présence d’une pénalité plus douce qui permettra de descendre de la déportation à la détention et au simple bannissement , ne prononceront plus des acquittements scan- daleux. Faisant un usage légal ct rationnel du pouvoir dis- crétionnaire que leur accorde l’art. 463 du Code pénal , ils concilieront la vérité avec la justice en rendant un werdict de culpabilité accompagné d’une déclaration de circonstances atténuantes. La loi fonctionnera ainsi d’une manière toute rationnelle et selon le. vœu du législateur, parce que ce vœu sera l’expression des idées de la nation et de la volonté gé- nérale. En passant des crimes politiques aux crimes qui sont dirigés contre la vie et la fortune des particuliers, on ne rencontre plus les mêmes éléments et la même pénalité. Le personnel des coupables offre des hommes presque toujours profondé- ment corrompus et qui ne peuvent être contenus que par la crainte des châtiments. Les passions les plus basses , les ha- bitudes les plus vicieuses , la haine, la vengeance , la cu- pidité, la paresse qui convoite la richesse sans vouloir l’ob- tenir par letravail, sont les mobiles, malheureusement très- puissants , auxquels la loi n'oppose qu'avec peine un frein au moyen de toute la pénalité que consacrent nos Codes. Aussi me paraît-il de toute impossibilité de supprimer dans ce moment la peine de mort pour les crimes privés. Par quoi la rempla- cerait-on ? car il ne suffit pas d’abroger, il faut encore rem- placer la peine qu'on abolit par une autre peine qui ait une puissance de répression suffisante. Pour les crimes politiques, on peut, en conservant l'échelle actuelle, abaisser la péna- lité d’un degré, parce qu’en cela on ne fait que consacrer un état de choses qui a subi l'épreuve de l'expérience et qui existe déjà depuis longtemps en fait pour la peine de mort. La posi- DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 273 tion n’est plus la même pour les crimes privés, la peine de mort est appliquée , et celle qui vient après elle au second degré de l'échelle pénale, ce sont les travaux forcés à perpé- tuité. Or, il est malheureusement constant que la peine des travaux forcés n'a plus qu'une faible puissance d’intimida- tion pour les hommes sans honneur, familiers avec le crime et qui vivent dans un état d’hostilité constant envers la société. Ils ne redoutent plus le bagne ; ils préfèrent même les travaux forcés à la reclusion , et il résulte de cet état de choses , que l'échelle graduelle de la pénalité existe, en fait, vis-à-vis d'eux, à l'inverse de ce qui est établi dans la loi (1). Cela est si vrai, qu'on voit des condamnés commettre des crimes dans les maisons centrales où ils subissent la reclusion , pour se faire envoyer dans les bagnes. Les septuagénaires eux- mêmes , disait M. Charles Lucas dans une pétition adressée aux chambres en 1828, ne veulent pas profiter de la dispo- sition de la loi qui leur permet de quitter le bagne pour aller passer le reste de leurs jours parmi les reclusionnai- res (2). Le travail en plein air, la vue du ciel, le mou- vement extérieur et une liberté étroite , il est vrai, mais dont on ne peut complétement les priver, offrent aux forçats des adoucissements qu’ils ne rencontrent pas sous le régime claustral des maisons centrales. On ne doit donc pas songer à (1) L'échelle pénale est établie , par notre législation actuelle, de la ma- nière suivante pour les crimes privés : 1 La mort ; 2 Les travaux forcés à perpéluilé ; 3 Les travaux forcés à temps ; 4 La reclusion ; 5 La dégradation civique. Elle se trouve établie ainsi pour les crimes politiques, depuis l’abolition de la peine de mort prononcée par le décret du 26 février 1848 : 1 La déportation ; 2 La détention ; 3 Le bannissement ; 4 La dégradation civique. (a) Appendice à la Théorie de l'emprisonnement, p. 146. 19° 274 MÉMOIRES remplacer la peine de mort par les travaux forcés à perpé- tuité , ce serait laisser la société sans défense pour les grands crimes et à l'égard des plus grands scélérats. La puissance ré- pressive que la seule perpétuité de la peine pourrait fournir , serait détruite par l'espoir et par les chances d’une évasion (1). On ne peut donc abolir la peine de mort pour les crimes privés qu'en changeant le système pénal actuel et en remplaçant l'é- chafaud par un ensemble dechâtiments qui soient très-redoutés et qui n'infligent cependant pas une mort lente et douloureuse à la place de la mort prompte donnée avec le fer. On a proposé introduire en France l'emprisonnement solitaire comme peine uaique privative de la liberté , qui serait graduée par sa durée et par un isolement plus ou moins rigoureux. Dans mon opi- nion , cette peine peut infliger au condamné un cruel et per- pétuel supplice, en le jetant entre les murs de sa cellule, dans un isolement et dans une immobilité qui effacent la marche du temps et qui peuvent offrir l’image de la mort. Il me paraît douteux qu'elle amène la réformation de l’homfe profondé- ment corrompu , car l'âme du méchant est un foyer d'erreur et de mal qui ne peut que se développer par la concentration des pensées. On a beaucoup écrit sur la réforme pénitentiaire ; ce qu'il y a de très-certain, c'est qu'il est nécessaire de sup- primer le plus promptement possible les bagnes, et c’est qu'en les supprimant, la peine de l'emprisonnement solitaire est la seule qui puisse , dans notre position actuelle , les remplacer convenablement. Je crois qu’elle peut fournir plus de tortures que Féchafaud. Mais il ne suffit pas qu’une peine soit en elle- même redoutable pour que le but que se propose lo législateur soil atteint , il est indispensable qu'elle soit redoutée, afin que la crainte qu’elle inspire exerec une action préventive suffisante. (1) « Proclamer aujourd’hui, dit M. Charles Lucas dans un travail déjà cité, l'abolition de la peine de mort, en face du séjour des bagnes comme peine destinée à la remplacer, ce serait donner une prime d’encouragement à l'assassinat. » Æésumé des faits et des débats législatifs relatifs à la ques- tion de la peine de mort. (Revue de législal. et de jurisp., année 1848, tome 1, p. 290.) DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 275 Ainsi que le fait, avec raison , remarquer Bentham , l'utilité et l'efficacité d’une peine résulte moins du mal qu'elle inflige , que de l'opinion que le publie se forme de ce mal (1). N'est-il pas à craindre que les rigueurs de l'emprisonnement solitaire ne soient pas , dans les commencements , bien appréciées et bien comprises par ceux sur lesquels la crainte doit exercer son action ? Cette peine a d’ailleurs l'inconvénient d'être plus ou moins grave, selon que le régime auquel elle soumet les con- damnés leur est appliqué avec plus ou moins d’exactitude et de rigueur par les agents de l'administration. Elle laisse un vaste champ aux espérances du condamné. Il est encore une consi- dération qui me paraît avoir de l'importance : un principe du droit criminel prescrit d'appliquer aux délits auxquels entrai- nent les mouvements désordonnés des passions , des peines sim- ples , dont l’image impressionne vivement , et qui infligent un mal dont toute l'étendue puisse être immédiatement saisie sans le secours de la réflexion. La peine de mort possède cette qualité. Qui pourrait dire combien de fois l'image sanglante de l'échafaud a arrêté des mains coupables prêtes à se lever pour commettre un homicide ? L'emprisonnement solitaire offre au contraire une peine complexe qui inflige des maux, dont toute l'étendue ne peut être bien saisie qu'à l’aide de la réflexion. Dites à un homme qui est dans la voie du crime : tu cours à l’échafaud , il vous comprendra, il se troublera et il s'arrêtera subitement plein de crainte. Dites-lui : {u compromets ta liberté ; tu L'exposes à passer de longues années dans la solitude d’une cellule où ton cœur sera déveré de rage , d’ennui et de déses- poir ; il vous comprendra peu , il ne sera pas subitement im- pressionné par un sentiment de terreur capable de dominer ses passions. Il est donc à craindre que le système pénitentiaire ne soit pas , dans les premiers temps surtout, bien compris , et ne jouisse pas immédiatement de toute la puissance d'inti- midation qu'il doit naturellement posséder. Je crois done qu'il serait sage de ne pas effacer la peine de mort de nos Codes , (1) Théorie des Peines et des Récompenses, chap. 1v, p. 21. 276 MÉMOIRES en organisant un nouveau système de pénalité , et de s’en re- mettre pour son abolition aux données de l'expérience et au jugement du pays représenté par les Jurés. Le système des circonstances atténuantes , mal apprécié dans les commence- ments , et qui, depuis, a obtenu l'approbation des hommes instruits , offrirait un heureux moyen d’éprouver le régime cellulaire en laissant à la peine de mort, qui resterait écrite dans la loi, sa puissance d’intimidation. Si l'emprisonnement solitaire convenablement organisé , amenait des résultats ras- surants pour la société, les condamnations à mort devien- draient de plus en plus rares, et le législateur , sans s'être livré à des éventualités hasardeuses , pourrait un jour sup- primer l’échafaud. Telles sont nos opinions sur l'abolition de la peine de mort par rapport aux crimes privés ; il nous reste à dire quelques mots sur les crimes mulitaires. Cette nouvelle face de la question offre une importance d'autant plus grande , que ceux qui considèrent la peine de mort comme illégitime , et qui invo- quent le principe de l'inviolabilité de la vie humaine pour en réclamer l'abolition absolue , l’ont, en général, négligée. On sait combien nos lois militaires sont sévères , et combien elles prodiguent la peine de mort; peut-être devons-nous en partie à cette sévérité l’admirable discipline qui règne dans nos armées. Cependant on reconnaît assez généralement qu’il convien- drait de faire subir à ces lois des réformes dont on s’est même, à plusieurs reprises, occupé. Ces réformes ne pourraient pas méconnaître les nécessités impérieuses de la discipline pour les armées de terre et de mer. Lorsque je me représente les hauts intérêts et le grand nombre de vies que la trahison, la révolte envers les supérieurs, et la désobéissance peuvent compromettre, je n’hésite pas à déclarer que la peine de mort ne peut pas dis- paraître de nos lois militaires. Quelle peine veut-on qu'un con- seil de guerre prononce, dans les pays occupés par nos armées, contre les traîtres qui se vendent à l'ennemi , contre les cou- pables qui compromettent par leur insubordination la réussite d’une opération et les vies de leurs compagnons? Quelles me- DE L’ACADÉMIE DES SCIENCES. 977 sures veut-on que le commandant d’une flotte prenne contre les fauteurs d'une révolte armée qui ont refusé d'exécuter une manœuvre dans un moment de danger , et qui ont ensanglanté le bord d’un vaisseau ? Qu’on leur inflige , dira-t-on , une peine ignominieuse. Je conviens que l'honneur est , pour le militaire français, un bien plus précieux que la vie. Mais le traître qui a conçu le projet de vendre des services coupables à l'ennemi ; mais le lâche qui refuse de marcher au feu ; mais l’espion qui entretient de coupables intelligences ; mais l'embaucheur qui démoralise l'armée, seront-ils arrêtés par la crainte de perdre un honneur qu'ils n’ont jamais eu, ou dont ils ont fait , par avance , le sacrilice? Que faire d’eux lorsqu'on les surprend au milieu de l'exécution de leurs coupables complots? Faut-il se con- tenter de les mettre en état d’arrestation , de les détenir , de les soumettre à des peines disciplinaires ? On ne peut pas toujours avoir des prisons, des gardiens, dans les camps el sur le terri- toire ennemi. Les peines privatives de la liberté sont souvent im- praticables au sein des armées, et y seraient dépourvues de toute puissance d'intimidation par rapport aux crimes capitaux , lorsque les résultats éventuels des opérations militaires offri- raient aux coupables des chances journalières d'échapper à leur application. Il est des tristes nécessités que l'humanité doit subir : toutes les peines, en général , et celles de mort en par- ticulier , rentrent dans l’ordre de ces tristes nécessités. L'homme ne peul progresser par le développement de ses facultés intellec- tuelles et physiques , qu'avec l’ordre qui établit l'unité d’action , et il ne peut obtenir l’ordre au sein des sociétés , qu'en se sou- mettant aux châtiments. Il est, sans doute, triste de voir la liberté, l'honneur , la fortune, la vie de chaque homme donnés en gage à la société pour assurer l’accomplissement des devoirs de chacun envers chacun, de chacun envers tous: mais un pa- reil état de choses est avoué par la raison lorsqu'il est com- mandé par la nécessité, et n'offre en lui-même rien d'injuste , lorsqu'il ne dépasse pas une sage mesure. On voit qu'en par- tant, pour la solution de la question de la peine de mort , d’un principe absolu, on va échouer contre des impossibilités. En par- 2738 MÉMOIRES tant au contraire des besoins relatifs de chaque peuple, de chaque époque, de chaque position , on suit le progrès social en l'aidant, et on arrive à des conséquences réalisables. C'est que, si les principes considérés en eux-mêmes comme des règles idéales sont absolus, au-dessus de toute action de l'espace et du temps, leur application, au contraire, revêt des formes diverses et se modifie à travers la mobilité des événements bu- mains. Au sortir de la barbarie, les lois qui menacaient l’as- sassin de ces supplices dont la seule description suffit aujour- d’hui pour affecter notresensibilité, protégeaient la vie humaine et proclamaient son inviolabilité. Nous leur devons la paix et l'ordre qui se sont établis au sein des sociétés modernes. De nos jours l'abolition des supplices et la suppression graduelle de la peine de mort émanent de cette même idée. Puissions-nous bientôt arriver à un état social qui permette la plus large mani- festation de ce grand principe sous cette forme nouvelle ! Mais, en attendant, ne méconnaissons pas les justes nécessités de notre position présente, et gardons-nous , en matière de légis- lation, de compromettre inconsidérément la marche du pro- grès, en voulant, au licu de la suivre, la devancer. Pour résumer les idées que je viens d'émettre , et pour dé- terminer avec précision les changements que je crois immédia- tement réalisables dans notre législation criminelle , par rapport à la peine de mort , j'ai formulé comme suit les dis- positions auxquelles on pourrait donner force de loi. Arr. 4 La peine de la déportation remplacera la peine de mort dans tous Les cas où cette dernière peine est prononcée pour des crimes politiques. Arr. 2. Sont réputés politiques pour l'application de la précédente disposition , 4 Les crimes définis et réprimés par lesarticles suivants du Code pénal : 75,76, 77, 19, 80, 81, 82, 83, 87,91, seulement pour ce qui est re- Jatif à l'attentat dont le but est d’exciter la guerre civile; 92, 93, 94, 97 pour les dispositions seulement qui se réfèrent à l’art. 87 et à la dispo- sition susdite de l’art. 91, 125 ; 90 Les crimes punis par l’art. 5 de la loi du 2% mai 183% sur les dé- tenteurs d'armes ou de munitions de guerre. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 279 ART. 3. Dans tous les cas où il y a lieu à l'application des dispositions ci-dessus , si les circonstances ont été déclarées atlénuantes, la peine à infliger sera celle de la détention ou du bannissement. Arr, 4, La peine de mort continuera d’être appliquée pour les autres crimes, jusqu'à ce qu’il en ait été autrement ordonné. ART. 5. L'art. 26 du Code pénal est ainsi rectifié : « L'exécution se fera sur l'une des places publiques du lieu où l'arrêt portant condamna- tion contradictoire aura été prononcé. — Les exécutions réelles des con- damnations à mort seront faites dans l'intérieur d’un bâtiment public dé- signé par l'autorité administrative, en présence au moins de douze ciloyens domiciliés dans le lieu, inscrits sur les listes du Jury, et, à cet effet, appelés en qualité de témoins par le ministère public. Leur pré- sence sera constatée par le greffier sur son procès-verbal, qui sera im- médiatement imprimé et affiché. — Les noms de ces douze témoins et de quatre témoins supplémentaires appelés à remplacer ceux qui justi- fieraient d'empêchements légitimes, seront tirés au sort en audience publique de la Cour d'assises ; la veille du jour fixé pour l'exécution , et suivant les formes prescrites par l’art. 388 du Code d'instruction crimi- nelle. Les dispositions des art. 80 et 82 du même Code leur seront appli- quées par le Président. » 280 MÉMOIRES | EEEEEZE—_—_—_—_—_ BULLETIN DU MOIS DE MAI. —————— — ace du 4. M. Morixs lit une Note sur la courbe que formerait un fil flexible dont les divers éléments seraient sollicités par des forces verticales proportionnelles aux distances de ces éléments à un même plan horizontal. (Imprimé. ) M. Gaussaiz donne lecture d’un Mémoire intitulé Etudes sur l’'aliénation mentale : un second Mémoire sur le même sujet sera présenté incessamment par cet Académicien. Duu. M.Barry appelle l'attention de l'Académie sur une statue inédite récemment découverte à Venise, et qu'il croit pouvoir attribuer à l’âge des Ptolémées et à l’école greco-égyptienne d'Alexandrie. M. SAUVAGE appelle également l'attention de l'Académie sur un vers de l'Art poétique d’Horace , dont il se propose de donner une nouvelle explication. Du18. M. MoriNiER commence la lecture d’un Mémoire sur Le droit de punir et sur la peine de mort. Du 25. M. BrAssiNE lit un Mémoire sur la théorie des constantes arbi- traires ; il généralise pour des équations des ordres supérieurs au second un théorème de Lagrange qui donne une relation indépen- dante du temps. Après cette communication , M. Brassinne fait un rapport verbal sur une brochure de M. Auguste Nougarède du Faget, intitulée : Nouvelles bases d’une théorie physique et chimique. Cet ouvrage est ensuite renvoyé, sur la demande de M. Brassinne lui-même, à M. Filhol, pour en examiner la partie chimique. Du. M. MoziniER termine la lecture de son Mémoire sur Le droit de punir et sur la peine de mort. (Imprimé.) DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 281 EEE DE LA NATURE DES ANIMAUX, COMPARÉE A LA NATURE HUMAINE. Discours prononcé à l'ouverture de La Séance publique du 18 Juin 1848 ; Par M. N. JOLY , Président. « Il serait peu curieux de connaitre ce que sont » les bétes, si ce n'était pas un moyen de mieux » connaitre ce que nous sommes. » ConniLLac. MESSIEURS , est dans l'histoire des sciences des pages fanèbres que lon voudrait effacer ; il est des souvenirs qui oppressent , mais qui survivent au temps comme des témoins à jamais accusateurs d'un fanatisme stupide ou d’une aveugle intolérance. Les noms des Galilée, des Campanella, et de tant d’autres victimes héroï- ques, nous rappellent encore ces époques funestes où toute pensée était un crime qu'il fallait expier par d’atroces tortures, ou payer de sa vie sur les büchers de l’Inquisition. De nos jours, rendons en grâces au ciel, la Théologie a compris que ses ana- thèmes contre la Science seraient plus qu'un anachronisme ; au- jourd'hui, sans risquer d'être accusé d'irréligion ou d’athéisme, sans craindre les foudres de l'Église ou les persécutions de la Sorbonne, nous pouvons consacrer quelques instants à l'examen d'une question qui n'a rien de bien neuf, sans doute, mais qui jusqu'à présent, peut-être , n'avait pu être discutée avec cette 3.° S. — TOME IY. 20 282 MÉMOIRES liberté d'esprit et de conscience que la Science réclamait depuis si longtemps, et qui sera, je l'espère, une des plus précieuses conquêtes de notre gloricuse révolution. Comparer la nature des animaux à celle de l'homme, et tirer de cette comparaison quelques inductions philosophiques et mo- rales, tel est le sujet sur lequel je me propose d'appeler un ins- tant votre attention ; sujet délicat et plein de difficultés, que je ne me flatte pas de résoudre , et que peut-être je ne devrais pas même aborder, si je consultais bien mes forces ou plutôt mon insuffisance. Un ardent amour de la vérité, un désir profond de la connaître, me serviront d’excuse auprès de vous. Une au- tre pensée me rassure ; c’est que, pendant ces trois années où j'ai eu l'honneur, je le sais, bien peu mérité de présider ces paisi- bles fêtes du travail et de l'intelligence , votre fraternelle bien- veillance a constamment soutenu ma faiblesse : j'ose donc espérer qu'aujourd'hui encore elle daignera guider mes pas mal assurés , et encourager mes efforts pour arriver au but. Et d’abord, Messieurs, gardons-nous de cet esprit étroit ct anti-philosophique , qui s’indignerait d’un parallèle dont la con- clusion ne saurait être douteuse pour tout observateur sincère , exempt de préjugés. Assez de nobles prérogatives relèvent la dignité humaine, pour que l’homme consente à poser un instant devant nous à côté de l'animal. D'ailleurs, quel que soit son or- gueil , quoi qu’en aient dit certains philosophes, selon nous peu dignes de ce nom , l'homme a incontestablement sa place mar- quée parmi les animaux. En le classant ainsi, nous n’altérons en rien sa nature, nous n’ôlons rien à sa supériorité ; nous cons- tatons un fait, et ce fait nous est fourni par l'examen attentif de son organisation physique et intellectuelle, comparée à celle des animaux qui lui ressemblent le plus. Contemplez la charpente solide du corps humain ; considérez les unes après les autres les pièces si artistement construites , si habilement agencées qui la composent ; étudiez avec la même attention le squelette de l’orang-outang , de la chauve-souris , de l'éléphant , de la baleine , de la tortue, de tous les animaux DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 383 vertébrés, en un mot, et dités-moi si vous ne saisaissez pas à chaque instant des ressemblances qui vous étonnent , des ana- logies qui vous portent à vous écrier avec Newton lui-même : « Tous les animaux sont soumis au même mode d'uniformité. » Et remarquez-le bien, Messieurs, cette idée toute hardie qu'elle vous paraisse, est loin d'être nouvelle. On la trouve en germe dans les ouvrages immortels du maître d'Alexandre. Au xvr siècle, Belon lexprime d'une manière tout à la fois originale et rigoureuse, en dressant le squelette d’un oiseau en face d'un squelette humain , et en inscrivant les mêmes lettres sur les par- ties correspondantes, « pour faire apparaître, dit-il, combien l'affinité est grande des unes aux autres. » Deux siècles plus tard, le génie du Buffon proclame « que le pied d’un cheval, en apparence si différent de la main de l'homme, est cependant composé des mêmes os. » Herder va plus loin encore, car la Nature, dans la variété infinie qu'elle aime , lui semble avoir construit tous les êtres vivants d’après un seul et même type d'organisation : l’homme lui paraît être « une créature centrale entre les animaux, c’est-à-dire, la forme la plus parfaite, qui réunit les traits de tous dans l'abrégé le plus complet. » Peu de temps après, le plus grand poëte de l'Allemagne quitte pour un instant sa lyre harmonieuse ; il va s'asseoir avec Schiller sur les bancs de l’amphithéâtre, où le professeur Loder fait entendre ses instructives lecons. Comme Schiller, ilarme sa main du scal- pel de l’anatomiste, et, confiant dans cette idée féconde que la Nature aspire à l'unité , il cherche et trouve dans le crâne hu- main une des pièces osseuses que les savants de profession avaient déclarées appartenir exclusivement aux animayx (/es os intermaxillaires). Enfin, à la même époque, Vicq-d'Azir et surtout E. Geoffroy-Saint-Hilaire proclament le grand principe de l'unité de composition organique, et en appuient la dé- monstration sur des faits aussi curieux qu'incontestables (1). Ces ressemblances des animaux avec l'homme deviendraient (1) Au moins en ce qui concerne les Vertébrés, 28% MÉMOIRES bien plus sensibles encore, si nous mettions en parallèle les divers organes au moyen desquels s’exécutent les fonctions de la vie dite physiologique , et les modes variés suivant lesquels ces fonctions s'accomplissent. Que d’analogies évidentes ne nous offriraient pas les instruments qui, chez les bêtes comme chez nous, servent à élaborer lessubstances alimentaires, et à en opérer les merveilleuses transformations ! Quelles admirables machines hydrauliques que leur cœur et le nôtre ! Comme nous, les ani- maux consument dans leur appareil pulmonaire cet oxygène bienfaisant, source de chaleur et d'énergie; comme nous ils obéissent à cette grande loi de la Nature qui détruit les indivi- dus pour assurer la perpétuité des espèces. Les voies qui les font naître sont identiques à celles qui nous donnent à nous- mêmes l'existence. L'évolution mystérieuse de leur être ne diffère pas essentiellement de celle à laquelle l’homme lui-même est soumis: « Omne vivum ex ovo ,» avait dit le célèbre Harvey, il y a déjà plus d’un siècle. La Science moderne a fait, pour ainsi dire, toucher du doigt, même en ce qui nous con- cerne, ce fait curieux si longtemps regardé comme une simple ct ridicule hypothèse (1). Enfin, le cerveau, cette condition ma- térielle de la pensée ; les nerfs, ces espèces de télégraphes élec- triques qui servent à transmettre au cerveau les impressions parties du monde extérieur, et à porter aux organes les ordres de la volonté ; les muscles, qui exécutent ses ordres avec tant de précision et de rapidité : tout cela se trouve chez la brute la plus stupide comme chez l’homme dont le génie calcule le cours des astres, mesure l’immensité des cieux et en sonde les mys- téricuses profondeurs. Ainsi, Messieurs, organes, fonctions, tout nous dit que l'animal se rapproche de nous par une foule de côtés; que, comme nous, il jouit pleinement de la Pre physiologique. Ajoutons qu'il jouit aussi, bien qu'à un moindre degré que nous (1) Voy. Pouchu. Théorie positive de l’ovulation spontanée et de la fe- condation des mammifères et de l'espèce humaine. (Ouvrage couronné par l’institut de France). Paris, 1847. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 285 n’en jouissons nous-mêmes, de cette autre vie plus élevée , infi- niment plus noble, à laquelle les philosophes ont réservé le nom de Vie psychologique. Ici, Messieurs, nous touchons à l’une de ces graves ques- tions dont la solution intéresse, au plus haut point, la science de la Nature, à l’une de ces questions auxquelles la philoso- phie, et mal à propos peut-être la religion elle-même, ne sont Jamais restées complétement étrangères. Ai-je besoin de vous rappeler, Messieurs, les longs et passion- nés débats qui s'élevèrent jadis entre les sectateurs d’Aristote et les partisans de Descartes ? Personne n’ignore que les plus grands esprits du xvn° siècle prirent part à la querelle. I fut même un temps où il n'était plus permis de se dire Cartésien, à moins de refuser aux animaux tout sentiment , toute connaissance, à moins de les regarder comme de vraies machines, comme des automates montés pour la génération. On alla jusqu'à dire que les bêtes n'ayant pas péché, elles ne pouvaient souffrir ; et l’aus- tère Malebranche lui-même répondait à ceux qui soutenaient la sensibilité des animaux, qu'apparemment ils avaient mangé du foin défendu. En vain , le sens commun se révoltait-il contre de pareilles idées ; en vain, la nièce de Descartes trouvait-elle que sa fauvette avait plus d'esprit que son oncle; en vain, M* de Sévigné écrivait-elle à sa fille, à propos de sa petite chienne Marphyse : « Parlez un peu au cardinal de vos machines qui aiment , qui ont une élection pour quelqu'un ; de machines qui sont jalouses , de machines qui craignent ; allez, allez, vous vous moquez de nous, et jamais Descartes n’a prétendu nous le faire croire (1). » Malgré le sens commun, malgré les spirituelles railleries du Père Boujeant et de M"° de Sévigné, malgré l'évi- dence, et uniquement parce que le maître l'avait dit , les disci- ples allaient répétant partout que les bêtes n'étaient que des horloges bien montées, « et que s’il y avait de telles machines qui eussent les organes et la figure extérieure d'un singe, ou de quelque autre animal sans raison, nous n'aurions aucun (1) Edit, Montmerqué, 2° vol., p. 369, 286 MÉMOIRES moyen de reconnaître qu’elle ne serait pas en tout de même nature que les animaux. » Qui lecroirait? ces idées singulières trouvèrent surtout faveur chez les théologiens, et la Science se vit longtemps obligée de s’incliner devant de saintes absurdités. On regrette de voir Baffon lui-même manquer de courage, au moins autant que de loyique, en se bornant {antôt à mitiger l'automatisme de Des- cartes, tantôt en le surpassant par ses ridicules exagérations. Accorder aux animaux des sensations, du sentiment, de la mémoire, des appétits, des passions et même des qualités mo- rales qui devraient faire envie à plus de la moitié des bumains ; puis expliquer par un grossier mécanisme , par des ébranle- ments organiques toutes les actions de ces mêmes animaux ; dire que le chien qui a été corrigé, battu, refuse de toucher à la proie qu’on lui offre, parce que « les ébranlements de la dou- leur se renouvellent en même temps que ceux de lappétit se font sentir ; » ajouter que si le chien se décide à recevoir cette proie de la main de son maître, « c’est que l’ébranlement causé par l’action de son maître, de la main duquel il a souvent reçu ce morceau qui est l’objet de son appétit... devient la cause déter- minante du mouvement ; » ne voir dans les cellules des abeilles, dans ces hexagones tant vantés, tant admirés, qu'un simple résultat d’une compression réciproque, analogue à celle qu’exer- ceraient les uns sur les autres, des pois renfermés avec de l’eau dans un vase cylindrique (1) ; n'est-ce pas là se laisser égarer par l'esprit de système le plus étroit et le plus exclusif? n'est-ce pas répudier, en quelque sorte, ces pages éloquentes, où sont re- tracées, avec tant de charme et tant de vérité, les mœurs du chien , du cheval, du cerf et du chameau ? n'est-ce pas se mettre en contradietion avec soi-mème ? n'est-ce pas surtout rabaisser la Nature et son propre génie au niveau des petites passions hu- maines, que d'écrire à l’ingénieux auteur des Lettres sur l’in- telligence des animaux : West bien différent de faire parler les bêtes à Nuremberg, ou de les faire parler à Paris. » (1) Voy. Buffon, Discours sur la nature des animaux. Mist, nat. , L. 1v, édit, de l’imprimerie royale. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 287 Oh ! que j'aime bien mieux cet autre peintre de la Nature, ce philosophe naïf et sincère qui ne craint pas de sacrifier son ad- miration pour Descartes à l'amour de la vérité ! Combien j'es- time le bon la Fontaine, lorsque , dans un de ces petits drames où souvent , Du plus sot animal il a fait notre maître , je l'entends s’écrier, avec un accent de conviction qui me touche : Qu'on m'aille soutenir, après un tel récit, Que les bêtes n'ont point d'esprit. Pour moi, si J'en étais le maitre, Je leur en donnerais aussi-bien qu'aux enfants. Ceux-ci pensent-ils pas dès leurs plus jeunes ans ? : Quelqu'un peut donc penser ne se pouvant connaître, ete. (1) Et plus loin , à propos de ce vieux chat-buant qui parquait un troupeau de souris qu'il avait mutilées, afin de s'en nourrir tout à son aise : Puis , qu'un Cartésien s’obstine A traiter ce hibou de montre et de machine ! Quel ressort pouvait lui donner Le conseil de tronquer un peuple mis en mue ? Si ce n'est pas là raisonner , La raison m'est chose inconnue. Voyez que d'arguments il fit. Quand ce peuple est pris, il s'enfuit : Donc il faut le croquer aussitôt qu'on le happe. Tout; il est impossible. Et puis pour le besoin N'en dois-je pas garder ? Donc il faut avoir soin De le nourrir sans qu’il échappe. Mais comment? Otons-lui les pieds. Or, trouvez-moi Chose par les humains à sa fin mieux conduite. Quel autre art de penser Aristote et sa suite Enseignent-ils par votre foi (2)? Oui, Messieurs, avec la Fontaine, avec Leibnitz, avec les Cuvier, les Flourens, les Geoffroy-Saint-Hilaire, avec tous les (1) Voyez la fable intitulée : Les deux Rats, le Renard et l'OEuf. Liv. x, fab. : (2) Fable 1x, Liv. xu. 388 MÉMOIRES hommes dont l'orgueil , la crainte ou le préjugé n'ont pas altéré la raison, nous croyons que les automates de Descartes et de Buffon, que les bêtes machines des théologiens, ont recu des mains du souverain Dispensateur une dose d'intelligence pro- portionnée à leurs besoins ; nous croyons que, outre ce faible rayon d'intelligence, Dieu leur a donné l'instinct, ce guide presque toujours infaillible, quoique aveugle, ce maître si ha- bile, quoique inintelligent ; nous croyons, en un mot, qne les bêtes sentent , connaissent et pensent ; nous leur refusons seulement la réflexion, que Buffon a si bien définie « la puis- sance des idées générales et l'intelligence des choses abstraites. » Mais j'entends les objections qui s'élèvent de toutes parts. Accorder l'intelligence aux animaux, nous dit-on, c’est leur donner une âme; c’est égaler leur destinée à celle de l’homme ; c’est proclamer un principe subversif de toute idée religieuse et morale. Grâce aux progrès de la raison humaine, nous n'en sommes plus au temps où Descartes pouvait dire sans trouver de contra- dicteurs : « Après l'erreur de ceux qui nient Dieu , il n’y en a point qui éloigne plutôt les esprits faibles du droit chemin de la vertu, que d'imaginer que l’âme des bêtes soit de même na- ture que la nôtre , et que, par conséquent, nous n'avons rien à craindre ni à espérer après cette vie, pas plus que les mou- ches et les fourmis... (1) » De ce que nous accordons une âme aux bêtes, répondrai-je, il ne s'ensuit nullement que nous allions jusqu’à conclure que cette âme, bien que de même nature que notre âme , c’est-à- dire force simple comme elle, et comme elle cause de tous les faits psychologiques, ait une destinée identique à la nôtre. Nous disons seulement, ce que Descartes ne dit pas , que chaque animal, sans en excepter les mouches et les fourmis , a sa des- tination à remplir ici-bas, et qu'il participe à l’accomplissement de cette destination ; mais, ainsi que l’observe un profond pen- (1) Discours de la Méthode, 5e partie. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 289 seur : « Il ne lui est point donné de comprendre qu'il en a une, ni quelle elle est ; il lui manque pour cela ce degré supérieur d'intelligence qu'on appelle raison, et sans laquelle l'entende- ment est réduit à connaître sans comprendre, et à servir en esclave, au lieu de gouverner en maître (1). » Quant à la question de savoir si cette âme est impérissable , elle appartient à la théologie bien plus qu'à l’histoire naturelle ; aussi nous bornerons-nous à répéter après Leibnitz : « Si les âmes des bêtes sont immortelles , elles n’ont qu’une immortalité métaphysique ; l’immortalité morale est réservée à l'âme hu- maine. » Concluons donc avec les Maine de Biran, les Cousin, les Jouffroy, les Bouillier, avec tous les bons esprits qui savent s'affranchir des préjugés, et qui pensent qu'une vieille erreur n'en est pas pour cela plus respectable ; concluons sans hésiter que les bêtes ont une âme, inférieure quant au degré à l'âme humaine , différente de la nôtre par sa destination , mais iden- tique par sa nature. Et cependant Descartes insiste encore. De ce que les bêtes ne parlent pas, il conclut que : « non-seulement elles ont moins de raison que les hommes, mais qu'elles n’en ont pas du tout. » Si par langage on entend une réunion de signes artificiels, arbitraires, convenus , nul doute que Descartes ne soit dans le vrai , lorsqu'il soutient que les bêtes ne parlent pas. Mais, si par ce mot langage, on comprend les s'annissements de l'amour, les cris de la douleur, les accents de la joie, de la colère, du désir, de la crainte, la pantomime si variée des poses, le jeu si expressif de la physionomie , on ne saurait nier que cette sorte de langage n'existe chez les animaux, et qu'elle ne leur suffise pour exprimer le peu d'idées qu'ils ont conçues, les sentiments et les passions dont ils sont agités. Oui, la parole leur manque; mais n'ont-ils pas les gestes qui sont mille fois plus éloquents ? Voyez cette lionne qui s'apprête à défendre ses lionceaux ; voyez ce tigre impatient de dévorer sa proie; re- (1) Jouffroy, Mélanges philosophiques, p. 397. 290 MÉMOIRES gardez ce chien qui accable de ses caresses un maître chéri qu'il revoit après une longue absence ou dont il veut désarmer la colère; entendez ses cris de joie, lorsque de joyeuses fanfares annoncent le départ pour la chasse ; contemplez ces poussins qui viennent tout effrayés s’abriter sous l'aile de leur mère, qui les avertit de l'approche de l’autour ; voyez ces jeunes canards dociles à l'appel de la poule, cette nourrice étrangère, à qui l'on a confié le soin de leur enfance, et dites si pour être ins- ünctif , invariable comme l'espèce et natif comme ses formes, ce langage, moins savant, il est vrai, que le vôtre, n’a pas aussi son éloquence. Oui, Montaigne a raison : « les mouvements des animaux discourent et traitent ; » et si, comme nous, ils ne parlent pas leur pensée , ils expriment leurs sentiments, leurs affections dans un langage qui a du moins le mérite de la sincé- rité. Mais, tout en convenant que les bêtes ont un langage, tout en avouant même qu'elles comprennent par association quelques mots de nos idiomes , n’ayons pas la vaine prétention de toujours comprendre le leur. Gardons-nous surtout de l’exagé- ration dans laquelle sont tombés certains auteurs modernes, qui se sont crus assez habiles pour écrire le dictionnaire des Ouis- titis, la grammaire des Moutons et la prosodie des Oiseaux. Au- tant vaudrait affirmer avec Elien que les Thons connaissent l'astronomie et les mathématiques. Et maintenant , Messieurs, si nous voulions étudier les ani- maux sous le rapport de leurs instincts, c’est-à-dire, si nous voulions vous retracer le tableau si animé de leurs jeux, de leurs combats , de leurs industries, si nous pouvions examiner avec vous leurs sociétés politiques , que de ressemblances singulières ne retrouverions-nous pas entre eux et les humains ! que de fois la morale des loups pourrait même éclairer la nôtre! Comme nous , en effet, les animaux sont sensibles à la crainte, à la joie, à la tristesse, à l'ennui même ; comme nous, ils connais- sent les fureurs de la jalousie, les transports de l’amour ; leurs amitiés sont plus désintéressées, plus fidèles, plus constantes que les nôtres. Que dirai-je de la tendresse des femelles pour leur progéniture ; à combien de mères, dont la coupable indif- DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 291 férence usurpe parmi nous ce beau nom, ne peuvent-elles pas servir de leçon et d'exemple ! Parlerai-je des secours mutuels dont les animaux nous don- nent si souvent des preuves? N'a-t-on pas vu des hirondelles s'appeler, se réunir pour délivrer une compagne devenue cap- tive, ou pour murer dans le nid de l’une d'elles l'audacieux moineau qui s’en était emparé au mépris de tous les droits ? Quoi de plus touchant que la conduite de ce cheval qui broyait l'avoine et le foin pour son camarade, dont les dents usées par l’âge ne pouvaient plus remplir l'office auquel les a destinées la nature? Quoi de plus admirable que cette organisation du travail dont les Castors , les Abeilles , les Fourmis, les Termi- tes nous offrent non l'utopie, mais le modèle ; quoi de plus par- fait que leurs sociétés, ces espèces de gouvernements impossi- bles à réaliser parmi les hommes, et où les formes républicaines s'assoc'ent d’une manière si heureuse aux formes monarchi- ques ! Chez quel peuple, autre que celui des fourmis amazones trouverez-vous l’heureux type de ces sociétés exemptes d'abus, où la servitude, cette plaie hideuse des sociétés humaines, « s’al- lie à l'intérêt commun, où les esclaves s’attachent à leurs ravis- seurs , se livrent à leur activité naturelle, ne connaissent ni travaux forcés ni violences, et jouissent même d’une assez grande autorité? » Que de leçons, Messieurs, que d'enseignements empreints d’une haute moralité découlent de ces exemples choisis presque au hasard, de cette étude toute rapide et toute superficielle de la nature des animaux, comparée à la nature humaine! En vain notre orgueil se révolte de cette comparaison : l'expérience et la raison nous disent que ces êtres qui nous rendent de si éminents services, et envers lesquels nous nous montrons si ingrats, si crucls quelquefois , offrent avec nous de nombreuses et incontestables ressemblances physiques, intellectuelles et morales. Contentons-nous donc d'occuper le premier rang parmi eux , longo sed proximus intervallo ; ne leur refusons point, sous de vains prétextes, les facultés que la Providence elle-même leur a 292 MÉMOIRES départies dans son infinie sagesse, dans son inépuisable bonté ; montrons-nous humains, compatissants à leur égard ; ce sera un acheminement pour le devenir envers nos semblables ; étu- dions les animaux pour apprendre à mieux connaître les hom- mes; jouissons des nobles priviléges réservés à notre âme libre et immortelle , et n'oublions jamais que si nous sommes les maîtres de la terre, nous ne devons point en être les ty- rans. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 293 RAPPORT SUR LE CONCOURS POUR LE PRIX D'HISTOIRE (1); Par M. BARRY. Messieurs , Le Mémoire sur lequel j'arrêterai un instant votre attention au nom de la Commission qui m'a choisi pour organe , vous est connu en grande partie. Ce n’est au fond , malgré une in- troduction toute nouvelle et des additions quelquefois considéra- bles, que l’un des deux Mémoires que j'appréciais ici l’année dernière à pareille époque, et que l'Académie a honoré d’une de ses récompenses. L'auteur y reproduit , à quelques remanie- ments près, les recherches analytiques que vous connaissez déjà sur la nature des institutions consulaires, sur les rapports du consulat avec le grand Conseil et l’Assemblée du peuple , sur le mode d'élection des officiers municipaux , sur la nature et l'étendue de leurs attributions. Elles forment encore, à vrai- ment parler , la partie principale etessentielle de son travail. La seule addition importante que nous ayons à vous signaler ici, est un chapitre étendu dans lequel l’auteur essaie d'apprécier par ses résultats et par ses effets, le système des institutions consulaires qu'il vient d'étudier en elles-mêmes, et nous initie avec une grande netteté et un charme réel d'exposition à la vie (1) La question proposée par l’Académie était la suivante : « Etudier dans sa formation, dans ses monuments et dans ses conséquences » la constitution et le régime municipal du Midi de la France au moyen » âge, etc. , ele. » 294 MÉMOIRES municipale, à la police publique et privée d’une grande ville consulaire. Dans cette série d'analyses qui n'ont d'autre tort peut-être que de n'être pas complètes, l’auteur conserve presque toujours ces qualités sérieuses et réelles que nous vous avons déjà signa- lées dans notre dernier Rapport, une critique ferme et simple tout à la fois, une sagacité mêlée de bon sens et de réserve , l'habitude souvent heureuse de voir et d'apprécier les faits sous leur côté réel et pratique. Il nous est impossible cependant de n'être point frappés du caractère technique et formaliste dont est encore marquée celte exposition tout entière. Il ne réduit plus , comme il le faisait dans sa première rédaction, le ré- gime municipal des villes du Midi à ce que les Bénédictins appelaient le consulat. Son cadre s’est élargi : le titre de son Mémoire a changé (1); mais on sent toujours que c’est l’institu- tion qui le frappe, et qu’elle le frappe plutôt par ce qu'elle est que par ce qu’elle exprime. Le consulat devient chez lui une espèce d’entité mystérieuse dont le principe abstrait et fécond une fois déposé au sein des municipes , y féconde à son tour tout ce qu’il touche : le commerce , l’industrie , les scien- ces, les arts eux-mêmes (2). Tout préoccupé de questions d’at- tribution, de juridiction, de compétence , il oublierait , on oublierait, en le lisant, si quelques traits énergiques ne le rappelaient de loin en loin, qu'il s’agit ici d’une révolution profonde, pleine de portée et d'avenir, que M. de Montlosier appelait avec raison la révolution-mère, et le point de départ de toutes les révolutions modernes. On se rappelle que c'était à des causes extérieures, accidentelles (1) Recherches sur le régime municipal dans la province de Languedoc au moyen àge. (2) «L'Histoire se plait à attribuer aux magistrats municipaux l’impulsion » donnée à la province dans ces voies de progrès. Investis de pouvoirs très- » étendus, excilés par la rivalité qui régnait dans les villes entre les citoyens, » dans la province entre les villes, ils joignirent au désir d’être utiles le » moyen de le satisfaire ; aussi leur apparition devint le signal d’améliora- » lions nombreuses, » (Mém. manusc. ch. 1x, p. 170.) DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES, 295 en partie, à l'influence d’un pays voisin, l'ltalie, à l'exemple d’insurrections heureuses, celles des villes lombardes, que l'au- teur attribuait dans son premier mémoire l'origine de la révolu- tion municipale du Midi de la France. Peut-être cette conclusion hardie tenait-elle plus intimement qu'on ne serait tenté de le croire à celte manière étroite d'envisager les institutions consu- laires elles-mêmes, en les détachant pour ainsi dire de la société qu'elles expriment, du mouvement dont elles sont l'expression , des réalités de tous les genres qui ont fait leur puissance. Sans causes intimes et profondes , ce grand mouvement se réduit pour lui à un accident heureux dont il est à tout moment con- duit à atténuer les effets, à amoindrir l'importance, parce que c'est du dehors pour ainsi dire , du point de vue des institutions et de la société générale qu'il l'apprécie. Est-ce sur les observations , très-bienveillantes d’ailleurs, que provoquait de notre part cette solution tranchante que nous n’a- vions jamais vue aussi crûment formulée ; est-ce par un scru- pule toujours louable de conscience historique que l’auteur a senti le besoin de soumettre à un plus mür examen cette doc- trine absolue , de la vérifier pour ainsi dire, en suivant d'époque en époque les transformations et l’histoire du régime municipal lui-même, depuis la chute de l'empire d'Occident jusqu à la renaissance des municipalités au xn° siècle? Ce qu'il nous suffit de constater ici, c’est que ses convictions sont sorties de cet examen, ébranlées et modifiées sur plusieurs points graves; qu'elles ont perdu sur tous de leur rigueur et de leur äpreté systématiques. Il admet aujourd'hui, et même dans des limites assez larges, cette persistance du régime romain , qu'il était tenté de nier d'une manière absolue. Il la suit de siècle en siècle jusqu'à l'époque féodale proprement dite , où elle disparaît à ses yeux ; et s’il pèche quelquefois dans ces appréciations historiques où nous allons essayer de le sui- vre à notre tour, c'est plutôt en exagérant {chose étrange à son point de vue) qu'en atténuant la perpétuité du régime ro- main , de son esprit, de ses formes elles-mêmes. 296 MÉMOIRES Epoque wisis'othique.— C'est à l'époque wisigothique que le régime municipal de l'empire a subi ses premières altérations, et que commence ce travail de transformation dont l’auteur essaie de suivre les phases. Elles sont très-nettement indiquées dans un Code auquel il a accordé avec toute raison une atten- tion particulière. Nous voulons parler du Breviarium Alarici ou Alaricianum, compilation judiciaire, rédigée en l’année 509 par ordre du roi Alaric Il, pour ses sujets de race ro- maine, et où des textes choisis de l’ancienne législation impé- riale ( {ex ) sont accompagnés d’un commentaire perpétuel ( 27- terpretatio ) destiné à en faciliter l'intelligence et la pratique. Que le système municipal des derniers temps de l'empire se maintienne à l’époque wisigothique dans ses traits généraux , dans ses formes essentielles au moins, c'est ce que personne n’a jamais contesté d’une manière sérieuse. Il suffirait , pour en être convaincu, de jeter un regard sur ce Code lui-même où la législation du décurionat a passé presque entière. Mais il est évident aussi que la constitution municipale s’y est déjà modifiée d’une manière intime , qu’il s'opère dans son sein une réaction sourde, une espèce de révolution organique toute favorable à la liberté. C’est ainsi, pour nous borner à quel- ques traits, que les attributions judiciaires de la curie s’é- tendent aux dépens de la juridiction du Comte barbare, héritier du Præses, l’ancien gouverneur romain ; que cette juridiction elle-même tend , en se généralisant , à devenir un droit , une attribution de la curie tout entière. Quelques- unes des hautes magistratures de la curie, celle du curator , par exemple, semblent déjà devenues électives, et électives comme l'était celle du defensor par le corps entier des citoyens. Irait-on jusqu’à affirmer, en s’autorisant de ces données, que la curié s’affranchisse dès cette époque de ses obligations fiscales , de cette charge plus onéreuse tous les jours de percevoir l'impôt et de l’acquitter sous sa responsabilité collective? L’assertion serait téméraire peut-être en présence de tous ces textes de lois impériales qui semblent impliquer ces obligations par une DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 297 foule de dispositions préventives. Rien n'indique d'une manière formelle que le système tout barbare de la perception de l’im- pôt par le comte et par ses agents , remonte en réalité jusqu’à l'époque wisigothique ; ce que l'on peut au moins regarder comme certain , parce que le fait ressort de la teneur du com- mentaire tout entier, c'est que la curie tend à se dégager , et se dégage en effet sous ce nouveau régime de ce réseau de défiances, de contraintes et de rigueurs qui pèse encore sur elle légale- ment peut-être plutôt que réellement. C'est pour cela sans doute que le defensor, étranger jusqu'ici à la eurie qu'il avait pour mission de protéger, comme il protégeait contre elle les possesseurs et les tributaires , se confond dès ce moment avec elle, et en devient un des magistrats en attendant qu’il en de- vienne le chef. Convertie par le régime impérial en une sorte de corps responsable, par lequel le pouvoir atteignait fiscale- ment la cité sans fatigue et sans frais, rôle doublement faux pour elle, car il la mettait en lutte d’un côté avec le pouvoir, de l’autre avec la ville, la curie retourne évidemment à son état normal, à son rôle naturel, elle redevient ce qu'elle sera bientôt sans éclat, mais sans partage, le corps municipal de la cité, C'est dans le commentaire , il est vrai, que ces précieuses indications se trouvent disséminées , et l’auteur paraît beaucoup plus frappé de la lettre de la loi, lettre morte ou mourante pour tout ce qui touche au régime municipal que de ce com- mentaire vivant qui oppose l'esprit à la lettre, le présent au passé. Il ne semble préoccupé que de saisir des rapports de ressemblance entre les deux régimes qu'il assimilerait vo- lontiers , et il tombe de l’époque romaine à l'époque barbare du système municipal, sans s'être nettement aperçu qu’il avait sous la main la transition qui les réunit, le point de départ des altérations postérieures que l'on peut déjà d'ici mesurer et prévoir. Vous savez, Messieurs , ce que devint le Midi de la Gaule, après la bataille de Vouillé, et cette victoire de la barbarie or- thodoxe du Nord, qui rappelle par plus d'un trait la conquête orthodoxe aussi des croisés du xm° siècle. A cette domination 3.° $,— TOME IY. 21 298 MÉMOIRES nationale, tolérante, à moitié civilisée des Wisigoths , succéda une domination étrangère et purement barbare qui adminis- trait le Midi en pays vaincu, et l’exploitait en manière de propriété privée, populations, territoires, cités. Ce régime de conquête et de violence se prolonge jusqu’à l'époque où le Midi, profitant de l’affaiblissement des Franks et de leurs gucrres intestines , reprend une espèce de vie nationale et dis- tincte sous les descendants de Charibert. Est-ce à dire que cette organisation municipale, si réelle et si complète encore dans le Breviarium , s'efface ou disparaisse violemment sous la pres- sion de ce pouvoir étranger? Nous sommes au contraire tout disposés à croire que c’est à cette époque que s’accomplit ou s'achève cette révolution intérieure dont nous venons d’entre- voir le germe dans le Code romain des Wisigoths , et qui nous paraît tenir de très-près à l'émancipation politique de la curie, à l'exemption des charges fiscales que lui imposait le gouver- nement impérial. C'est à cette époque, en effet, du vi° au vue siècle, que l’on voit pour la première fois l'élection ou la notabilité se substituer aux anciennes conditions de propriété et de cens, et les curies devenir accessibles aux professions libérales , au clergé, aux corporations d'artisans, tout en res- tant l'apanage des familles sénatoriales. C’est à cette époque que l’évêque, en empiétant sur les attributions du defensor, tend à devenir partout le premier magistrat de la curie; que le droit de juger, transporté des magistrats au corps entier de la curie, devient la plus importante et la plus réelle de ses attributions. La curie se retrouve elle-même , sous ces in- fluences toutes démocratiques, en rapport plus intime avec le corps entier.des habitants, dont l'intervention dans les affaires de la cité devient plus active et plus fréquente. L'auteur n’au- rait eu, pour trouver la preuve de ces transformations qui lui échappent, qu’à ouvrir au hasard les biographes, les annalistes, les historiens, les formulaires de la première race. Dans les for- mulaires surtout la curie occupe encore une grande place ; elle y reparaît avec un certain éclat , investie de ses anciennes attri- butions pour tout ce qui concerne, par exemple, la juridiction - DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 299 volontaire, rédaction des testaments , validation ou insertion des actes dans les registres municipaux que les notaires gallo- romains nous décrivent en de longs récits sous des formes dra- matiques et dialoguées (1). C’est à des villes du Centre et du Nord de la France qu'appartiennent , il est vrai, la plupart de ces documents , à la cité des Arvernes, à Paris, à Strasbourg, à Angers surtout, où la vie municipale paraît douée d’une énergie et d’une vitalité remarquables. Mais comment admettre , lors même que mille indications de détails ne nous l’attesteraient pas, que ce que nous retrouvons ici sous des formes si complètes et si vives, se soit complétement éteint dans les villes du Midi ? Serait-ce parce que la civilisation romaine y était tout à la fois plus ancienne et plus profonde, parce que le Droit romain s’y maintenait presque sans altération sous les formes mêmes de ce Code wisigothique qui fait une part si large à la vie muni- cipale ? Serait-ce parce que la conquête barbare y avait toujours été moins réelle et moins solide, ou parce que le Midi reprend au vu® siècle une sorte d'indépendance et de dignité nationale qui devait tout ce qu’elle avait de réel à ces souvenirs et à ces débris ? 11 suffirait de lire avec attention cette admirable histoire de Grégoire de Tours, pour rester convaincu que tout était ro- main encore dans les villes sous l'administration mérovingienne : langue, usages privés ou publics, législation, institutions, et que la conquête barbare , cantonnée pour ainsi dire dans les campagnes auxquelles s'attache à ce titre une sorte de supré- malie politique, y avait à peine pénétré. Époque carlovingienne. — A l'époque carlovingienne, sur (1) Personne ne me semble avoir saisi l’histoire de ces transformations avec un jugement historique aussi sûr, avec aulant de netteté el de réserve que ne l’a fait M. Augustin Thierry dans le v° chapitre de ses récits méro- vingiens. J’ose à peine rappeler, en présence de ces magnifiques formules qui résument Lout ce que l’on sait et qui disent Lout ce que l’on sent, que j'avais entrevu , il y a neuf ou dix ans, quelques-unes de ces solutions dans mon enseignement à la faculté des lettres , où j'ai consacré plusieurs années à l'étude des origines romaines et à l'histoire des classes inférieures de la sociélé française. 300 MÉMOIRES laquelle l'auteur s'arrête avec une prédilection marquée , ces caractères s’altèrent ou s'effacent en partie. Le Midi vient de succomber de nouveau dans une lutte nationale qui aboutit pour lui à une nouvelle conquête plus sérieuse et plus réelle que la première. Sous le gouvernement énergique de Charle- magne , les principes et les formes de l'organisation barbare ont pris un ascendant marqué sur les principes et Îles formes de l’organisation romaine qui disparaissent, pour ainsi dire, de l'histoire. Il faut ajouter que jamais ce mécanisme de la société barbare n'avait fonctionné avec autant d'ensemble et de régu- larité. Tout ce que les documents contemporains nous appren- nent de ces villes romaines que nous retrouvions partout sous le régime précédent, ce sont quelques signes matériels de décadence ou de ruine; ici la chute d’un temple ou d’un forum de fondation romaine , ailleurs des murailles détruites ou des monuments spoliés comme à Nimes , pour fortifier ou embellir quelque résidence carlovingienne ; de loin en loin quelque acte de rigueur ou de vengeance qui vient fondre sans cause connue sur quelque cité mécontente ou rebelle , comme cette ville de Verdun sur la Meuse , contre laquelle chacune des deux conquêtes franques semble avoir eu des vengeances à exercer. Comment admettre pourtant que ce mécanisme muni- cipal qui fonctionnait encore au vn° et au vf siècle avec une sorte de régularité , s'arrête brusquement au 1x° sans cause connue , sans raison déterminante ; car les actes contempo- rains n'indiquent aucune mesure qui ait eu pour objet de le supprimer ou même de le restreindre. L'auteur a très-bien compris que les municipalités d’origine romaine avaient dû conserver, sous le gouvernement des comtes carlovingiens, une partie des attributions dont nous les trouvions investies un siècle auparavant, et que les plus importantes de ces attribu- tions étaient toujours leurs attributions judiciaires. Mais il était indispensable ici de se rendre nettement compte des formes toutes nouvelles que ces attributions revêtent alors. Au système judiciaire purement germanique des Mérovin- giens , aux simples hommes libres , assesseurs ou jurés qui DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 301 siégeaient à côté du comte sous les noms de Rachimbourgs, d'Ahrimans, de boni homines , les Carlovingiens avaient subs- tilué une magistrature régulière , un véritable corps de juges nommés et révocables par le comte, et revêtus à ce titre d’un caractère public ; on les appelait, d’un nom germanique, les scabins { scabinei, scabini, de skepen). Recrutée d'après un principe uniforme , cette nouvelle magistrature semble mar- quée partout d'un caractère commun. Les plaids carlovin- giens du 1x° siècle, que noustrouvons résumés en grand nombre dans les actes contemporains , présentent extérieurement les mêmes formes, les mêmes appellations, la même hiérarchie judi- ciaire. Mais il est bien évident que la composition et l'esprit de ces tribunaux changeaient considérablement , suivant le lieu où se tient le plaid, suivant la loi, c'est-à-dire , suivant la race de ceux qui y figurent. Dans les campagnes les scabius et leurs assesseurs seront des Barbares le plus souvent, des Franks de race, jugeant suivant la loi salique revisée par Charlemagne. Dans les villes , au contraire, où les causes sont jugées en ma- jeure partie d’après le Droit romain , ces scabins seront pour la plupart comme les boni homines, des Romains de naissance, scabinei, scabini , ou judices romani, comme le disent si souvent les actes méridionaux. Etait-ce au hasard que les comles désignaient ces juges de race romaine ? Etait-ce à des gens sans connaissance de la loi romaine , sans pratique de ses usages , qu'ils confiaient ces fonctions devenues diflciles dans l'ignorance générale ? Il est presque impossible , en y réflé- chissant, de ne point retrouver sous ces noms barbares quelques débris de la curie , légalisés, utilisés , pour ainsi dire, par la conquête , quelques-uns de ces officiers judiciaires qui conser- vaient seuls dans les villes romaines la connaissance et l’habi- tude des lois. Ces plaids municipaux de l’époque carlovin- gienne sont présidés le plus souvent par le vicarius du comte ou le vice dominus ( vidame plus tard ) qui tend à prendre partout un caractère urbain ; et il est remarquable que dès le ix° siècle , ce vice dominus se confonde à Angers avec le defensor qui était devenu , comme nous l'avons dit , le prin- 302 MÉMOIRES cipal magistrat de la curie, et que nous retrouvons sous son nom au commencement du x‘ siècle, dans un acte daté du château d’Anduze, à côté des Lonorati, que cette ville obscure semble aussi avoir conservés jusqu'alors. . En poursuivant attentivement ces rares lueurs, ces traits de lumière épars et perdus dans les actes contemporains, plus con- cluants ici que les lois générales des capitulaires, l’auteur aurait pu ajouter quelques faits nouveaux aux faits trop peu nombreux que la science possède ; il aurait peut-être pénétré plus profondément dans l’organisation et le mécanisme de ces tribunaux barbares et romains tout à la fois. Mais il ne semble préoccupé que de ce type de l’ancienne curie dont il n’a point saisi les altérations déjà profondes à l’époque wisigothique, et il perd un temps précieux à en rechercher dans les capitulaires les noms, les distinctions hiérarchiques, les titres de magistra- ture. Les textes les plus disparates, Romains, Lombards, Car- lovingiens, des faits d'ordre et de dates diverses, le régime barbare et le régime romain, sont bizarrement confondus et invoqués dans cette recherche, sans résultat possible (4). Ce qui est plus grave, c'est que l’auteur oublie, au milieu de ces distinc- tions , l’état réel des villes elles-mêmes, les progrès rapides et menaçants pour ces derniers débris de la vie municipale, que faisaient dans chaque ville les pouvoirs toujours rivaux du comte (1) Le thème de cette longue dissertation est le texte suivant des Capitu- laires qui n’est pour nous qu’une énuméralion de tous les officiers judi- ciaires de l’empire , que l’usage désignait encore sous des noms distincts suivant leur diversité d’origine ou d’emploi, tandis que l’auteur lapplique exclusivement aux villes et veut y retrouver à Lout prix les principales ma- gistratures de la curie : «Ut judices, vice domini, præposili, advocati, » centenarit, scabinei bont et veraces et mansueli cum comile et populo » eligantur et constiluantur.» (Cap. ann. 809, Bal. &. 1, p. 466). Nous ne voyons dans ce capitulaire , comme dans beaucoup d’autres de la même forme , que des instructions résumées remises au moment du départ aux Missi Dominici, dont les inspections d’ailleurs n'étaient nullement bornées aux villes romaines de leur ressort. Deux des textes dans lesquels il croit retrouver à l’époque carlovingienne le nom de la curie (curiæ suæ connu- meret) , sont tout simplement des textes de lois romaines, reproduits comme beaucoup d’autres textes de lois impériales dans le recueil des Capi- tulaires d’Auségise (Bal. t, 11, p. 905, 944, 1163). Un autre texte, dont il DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES, 303 et de l'évêque. Quoique les tendances soient à peu de chose près les mêmes , les prétentions aussi intéressées et aussi avides des deux côtés, il y aurait peut-être, sous ce rapport, des dis- tinctions à faire entre le pouvoir épiscopal et le pouvoir tout féodal des comtes. Tout en dépouillant le pouvoir central, l'un et l’autre travaillaient, comme l'a très-bien vu l'auteur, à dépouiller les villes de ces droits de péage, de télonées, de marchés, de foires, qui leur appartenaient depuis un temps immémorial, et qui formaient le plus net de leurs revenus. Tout indique pourtant que le pouvoir épiscopal , pouvoir tout électif encore, pacifique par nature, populaire par intérêt, ne sépara jamais aussi franchement sa cause de celle des villes, dans le Midi surtout, et ne rompit point complétement avec un passé et un ordre de choses dont il était sorti presque tout entier. Époque féodale. — C'est au moment où le système féodal atteint son développement complet, que le régime municipal semble arrivé au dernier degré de désorganisation et de dé- cadence. La cité, ce dernier asile de la liberté civile et de la vie municipale, est militairement envahie par la féodalité qui travaille avec toute l’ardeur de l'intérêt personnel à y régula- riser sa puissance, à faconner ce monde nouveau pour elle à ses-habitudes et à ses besoins. Les juridictions se cantonnent comme les pouvoirs , se limitent l'une l’autre, s'équilibrent si elles le peuvent. Des villes distinctes et jalouses s’organi- sent , se constituent , s’entourent de murailles dans l'enceinte de la même ville. lei, c'est le comte qui possède et qui gou- verne héréditairement, en vertu de l’ancienne autorité impériale dont il était le mandataire , et dont il a successivement usurpé tous les droits. Ailleurs, c'est l'évêque qui, en vertu d’an- s’autorise pour retrouver dans les præpositi du capitulaire les exactores du breviarium , n’est autre chose qu’un texte de la loi lombarde (cap. excerpt. de lege longobard., $ 1, Bal. L n, p.33). Nous glissons sur une foule de rapprochements contestables, d’inductions superficielles ou de con- clusions matériellement fausses. 30% MÉMOIRES ciennes concessions émanées des rois ou des empereurs, possède et administre en toute souveraineté un tiers, une moitié de Fa ville. Chacun d'eux y travaille sans relâche à constituer féodalement sa domination, à substituer le principe du vas- selage à celui de l'élection populaire, à convertir en fiefs les an- ciennes charges judiciaires ou municipales, à subordonner en toutes choses l’action et l'intérêt de la cité à l'intérêt et à l’action de la seigneurie. Nous persistons cependant à croire que l'on a été beaucoup trop loin en concluant, comme on l’a fait quelquefois, que les derniers vestiges de l'organisation municipale achèvent de s’ef- facer sous ce nouveau régime. Il faudrait prouver, pour l’éta- blir, et prouver sans réplique que l’action de la féodalité, dans cette espèce d'envahissement, a été partout également forte et irrésistible, quelque inégaux que fussent d’ailleurs ses repré- sentants, qu'aucun élément ancien n’a résisté à cette action , qu'aucune forme particulière d'organisation ne lui a échappé, pas même dans la classe moyenne et dans les rangs inférieurs de la population urbaine, où les corporations , comme nous l'avons dit, touchaient de très-près aux corps municipaux, et finissaient quelquefois par les dominer. Sans parler des diffé- rences que nous entrevoyions tout à l'heure, dans le Midi sur- tout, entre la féodalité ecclésiastique et la féodalité laïque des comies , vicomtes et viguiers, est-il démontré, est-il vraisem- blable même que cette œuvre d’assimilation féodale se soit par- tout accomplie de la même manière, qu’elle ait été aussi facile et aussi complète dans l’ancienne cité romaine qui reste distincte sous son ancieit nom (la cité) de tout ce qui s'élève autour d'elle, bourg et faubourg, que dans la ville cantonale, née de l'ancienne organisation barbare du pagus, que dans la ville abbatiale, où les relations du servage paraissent avoir précédé toute autre relation? Peut-être est-ce déjà fausser les faits dans ces questions éminemment complexes que de vouloir les ramener par assimi- lation à une identité qu'ils ne comportent point. Serait-il im- possible d’ailleurs que ces appellations de nobiles et de milites qui se substituent dans les actes contemporains, à dater de cette DE L'ACADÉMIE DÉS SCIENCES. 305 époque, à celles de scabini et de judices (1), ne recouvrissent à leur tour quelques débris du régime antérieur, quelques digni- taires des municipalités carlovingiennes transformés dans un sens en vassaux , dénaturés par les relations de cette nouvelle dépen- dance, mais restés fidèles en même temps à leurs anciennes attributions, aux vieux priviléges de leur famille, de siéger dans les plaids, pour y entendre les causes et y terminer les jugements , suivant la teneur du droit écrit et les formes de la juridiction municipale (2)? On a remarqué déjà (3) que si le nom de consul était nouveau , les noms de scabins {échevins), de capitulaires, de prud'hommes, de syndics , de jurats, étaient d'origine ancienne , quelquefois immémoriale ; qu’ils repré- sentaient pour ainsi dire diverses époques et diverses formes d’un régime municipal antérieur, qui ne disparaît point tout entier sous la réforme consulaire elle-même, et qui doit, par con- séquent, avoir traversé l’époque féodale , soit dans les relations et sous les formes féodales que nous venons d'indiquer , soit en dehors deces relations, sous les noms de cives, de burgenses , de boni homines même, que les actes anciens opposent encore aux appellations féodales de nobiles et de milites (4). Ce qui nous frappe ici plus encore que toutes ces considéra- (1) Les boni homines se maintiennent même alors. (2) Le comitat, l’épiscopat étaient dans le Midi surtout des priviléges de fimille : pourquoi n’en aurait-il pas été de même des dignités municipales ? Si la féodalité les a dénaturées , ce n’est point en y ajoutant ce privilége de l’hérédité dont beaucoup de familles municipales jouissaient en fait. (3) M. Augustin Thierry (/oc. cit.) (4) Il est bien certain, par exemple, que dans beaucoup de villes du nord et du centre de la France, le scabinat carlovingien avait échappé à cette espèce d'absorption exercée. dans les villes par la suzeraineté féodale, et qu’il y formail toujours une juridiction distincte, indépendante en partie du pouvoir féodal. On trouve à Metz, pendant tout le cours du x: siècle , un collége d’échevins et un maitre échevin (prémus scabio), élus par l’évêque et par le peuple. (Hist. gén. de Metz, par deux Rel. Bénédictins, tom. HF, pr. p. 90. — M. Aug. Thierry, ib. p. 254.) Dans les villes du Midi , où l’ins- titulion du scabinal n'avait pas jeté d’aussi profondes racines, elle disparait presque partout. Mais de nombreuses indications du xi° siècle nous montrent les cèves comme formant dès cette époque une communauté (cominaltat) ou 306 MÉMOIRES tions, ce qui nous a (oujours paru l'argument le plus concluant en faveur de cette vitalité à toute épreuve du régime municipal, c'est que c’est à l'époque même où ses dernières attributions et ses derniers priviléges semblent s'éteindre sous la pression de la féodalité victorieuse, que s'annonce et que commence sourde- ment la réaction énergique qui allait lui rendre une vie nou- velle. Ce n’est point instantanément , quoi qu’on en dise, qu’é- clatent ces révolutions profondes qui entraînent ou renouvellent tout sur leur passage. Que des influences extérieures en aient hâté ici , ailleurs déterminé l'explosion ; qu’elles leur aient sur- tout offert des types, des modèles de constitution, c’est ce que nous ne prétendons point nier d’une manière absolue. On aurait mauvaise grâce à contester, dans le temps où nous sommes, ce qu'il y a de contagieux dans le sentiment de l'indépendance, dans l'espoir d'améliorer une condition mauvaise , dans l’exem- ple de ces luttes et de ces succès faciles. Ce que nous croyons en même temps, et ce que l’auteur oublie trop, c’est que cette révolution se préparait depuis longtemps par une antipathie sourde, par des répugnances instinctives, par une opposition qui date du moment où a pénétré dans les villes ce régime individualité collective ayant une existence distincte et indépendante de celle des comtes, et avec laquelle les papes à ce titre traitaient isolément. Vir sacer Urbanus romanus papa secundus (+ 1099 ). Esse cimeterium præcipit hoc comitum Insuper, ut didici, jubet illos hèc sepeliri, Sacro mandato civibus indè dato. (Epitaphe de l’un des fils du comte Alphonse Jourdain , citée dans les his- toriens du Languedoc et de Toulouse.) Ce sont les représentants de cette communauté que nous retrouvons dans les actes, sous ces appellations de cives et de burgenses, revèlus même d’un certain caractère judiciaire, comme l’étaient les boni homines , auxquels ces actes les assimilent. Peut-être là aussi une partie de la municipalité avait- elle échappé à l’action du pouvoir féodal pendant que le reste (zobiles, mili- tes), se féodalisait. Au xr° siècle, d’ailleurs, comme au 1xe, cette commune de Toulouse paraît douée d’une certaine force de résistance et même d'initiative. «…Factione, solito more Tolosanorum qui comilibus suis eandem civi- tatem supplantare sunt solili. » (Annal. franc. Bertin. ann. 863 Roux t. vin, p. 81. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 307 nouveau , le plus antipathique peut-être à la libre constitution des municipes et qui s’y révèlent, dès ce moment, par des actes de mécontentement ou de résistance. Il suffirait de lire avec attention quelques-unes des biogra- phies épiscopales du x° et du xi° siècle, pour être convaincu que mille choses résistaient et échappaient dans les villes au pouvoir féodal, au moment même où son action y semble le mieux assurée. Ici, c'était l'esprit turbulent des masses, qui se ranime comme toutes choses se raniment alors ; ailleurs, de vieilles ha- bitudes démocratiques inhérentes à la vie municipale comme à la vie religieuse du moyen âge, et qui se traduisaient dans les villes en réunions tumultueuses sur la place ou dans les églises, en conflits électoraux, en émeutes ; de loin en loin quelques dé- bris d'institutions antérieures , municipales ou judiciaires, qui semblent une protestation permanente contre l'ordre de choses nouveau dans lequel elles sont bizarrement enchässées, qui renouent les traditions d'une époque à l'autre en réveillant les souvenirs, en ranimant les regrets. C’est souvent de ces villes où la révolution municipale s’est accomplie à des époques très- anciennes et par une sorte d'évolution naturelle presque in- sensible , qu'est parti et que s’est répandu de proche en proche le mouvement d’émancipation municipale. Sur les bords du Rhin, par exemple, et sur ceux de la Moselle où l’on voit dès la fin du x° siècledes villes se fonder et se constituer, comme parle un vieil acte, sous le privilége de la liberté romaine, le point de départ de cette réforme locale ne paraît être autre chose que cette grande ville romaine de Cologne où s'étaient conservées en pleine Germanie, comme à Trèves et à Metz, sous la pres- sion d’une féodalité aussi puissante au moins que celle du Midi, quelques-unes des traditions de la municipalité romaine (1). Tel était à Cologne ce tribunal particulier pour les actes de la juri- diction volontaire, pour la cession de biens entre autres que (1) «In loco qui dicitur Salsa, urbem decrevit fieri sub libertate ro- manä. » (Vita S. Adelh. imper. script. rer. Brunsw., t. 1, p. 265.) 308 MÉMOIRES M. Eichhorn regarde avec raison comme un débris de la curie. La date de ce mouvement de réforme exclurait seule ici l’hypo- thèse d’une influence italienne. Nous ajouterons que le nom de consul , quand il y pénètre, n’a jamais été là qu'une appellation sans valeur , exclusivement réservée aux conseillers de la com- mune. Dans le centre de la France, où ne paraît point avoir pénétré non plus ce que l’on appelle aujourd'hui le courant de la réforme consulaire, dans la France centrale qui reste pour ainsi dire isolée entre le mouvement municipal du Midi et le mouve- ment communal du Nord, c’est sur un fond ancien que renaît aussi sous des formes originales et distinctes cette vie municipale qui ne s'était jamais éteinte dans les grandes villes de Poitiers , de Bourges et de Limoges, qui y passait à ce titre pour un droit immémorial et imprescriptible. C'est lorsqu'on s'attache exclusivement aux noms, aux for- mes, aux institutions, lorsque l’on étudie , comme le fait l’auteur, le commun conseil après le consulat, l'assemblée du peuple après le commun conseil , que l’on est surtout frappé de ces influences étrangères. Pris historiquement et d’une ma- nière plus large, ce mouvement de renaissance municipale ne nous paraît qu’une forme caractéristique et féconde de cet esprit de résistance et de révolte que semble avoir provoqué partout l'établissement féodal , qu'il provoquait surtout dans les pays de traditions et de souvenirs meilleurs. C’est cet esprit d’oppo- sition qui protestait dès le 1x° siècle dans les guerres annuelles de la Marche d’Espagne contre le système hiérarchique du vas- selage, qui parvenait à s'y soustraire au moyen de ces terres d'aprision , espèce de franc-alleux de montagnes, qui ne rele- vaient que de celui qui les avait conquises et défrichées. Au x°, c'est le tour des couvents qui se soulèvent et réclament partout contre la dépendance ou la protection féodale , aussi vexatoires l’une que l’autre, et leur opposaient par une sorte de pressen- timent instinctif ce pouvoir encore inaperçu de la papauté qui allait au siècle suivant arborer le drapeau et se faire l'organe des mécontentements légitimes du moyen âge. Au xi° enfin etau xn', DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 309 éclate presque partout à la fois ce dernier et énergique mou- vement d'émancipation qui soulevait dans les villes les cor- poralions et la bourgeoisie contre les injustices du régime féodal , réduit à capituler partout pour sauver ses droits de suzeraineté ; mouvement égoïste et expansif tout à la fois qui se propage en moins d’un siècle jusqu'aux bourgs et aux villages, et faisait pénétrer par la communauté de situation et d'intérêts une certaine communauté d'idées et de foi politique dans ces alvéoles municipales où a grandi obscurément la démocratie française. Tout est-il dit d’ailleurs sur la marche et les elfets de ce mouvement de propagande qui se réduit au fond à quelques coïncidences de dates, à quelques ressemblances de noms ou de formes? Très-distinctes par leurs constitutions des grandes ré- publiques italiennes , où le peuple et le grand conseil jouent le rôle principal, les communes du Midi ne diffèrent-elles point les unes des autres par des traits essentiels, intimes , qui lien- nent à un ordre de choses antérieur dont les formes et les noms ont quelquefois survécu à la révolution consulaire elle-même ? En le regardant comme un fait admis et réel, ce courant n’au- rait-il pas été arrêté sur quelques points, neutralisé sur d’au- tres par des courants opposés, dans l'Ouest de la province surtout , où l’auteur est frappé avec raison du caractère parti- culier que présente la plus ancienne constitution de Toulouse ? L'Espagne, pays de Droit romain et de libertés urbaines , la Navarre espagnole où la conquête arabe n’a jamais pénétré , avait ses libertés nationales ou municipales, bien longtemps avant l’époque où éclata l'insurrection des villes lombardes. Comme les populations espagnoles de la Navarre , les popula- tions francaises du Béarn se régissaient aussi par des fors et des coutumes (1), dont les chartes sont de beaucoup antérieures aux chartes municipales du Languedoc, car les plus anciens (1) Se regiban per fors et costumas. (Préambules des fors du Béarn). 310 MÉMOIRES fors du Béarn sont cités dans un acte de 1080 ; les chartes de Morlaas et de Saint-Sever , sont datées de l’an 1088 et 1092 ; et ilest aujourd’hui bien établi que c’est des hautes régions du Béarn , des vallées d’Aspe et de Bigorre , voisines de l'Espagne, que ce mouvement d'émancipation s’est répandu dans l'Arma- gnac et la Gascogne si voisine-du Toulousain (1). Dieu nous garde, Messieurs, de mettre à la place de la théorie que nous attaquons comme étroite et comme exclusive encore, un système aussi contestable peut-être et plus difficile à étayer. Nous ne voulionsici que rétablir quelques faits, que rectifier quel- ques doctrines, que resserrer la chaîne des vicissitudes du régime municipal que l’auteur ne nous semble point avoir nettement saisies, et ces dissentiments de détails ne doivent point nous faire perdre de vue les parties essentielles et parfois excellentes de son travail, auquel nous sommes heureux de maintenir (x) Cest un fait à noter aussi, que l’emploi habituel, dans ce pays de montagnes, du titre de consuls et de proconsuls que se donnent, dès le commencement du x‘ siècle , les comtes et les vicomtes du pays. Est-ce, comme nous le croyons, à limitation de ces petits suzerains si supérieurs à leur siècle en lumières et en esprit administratif, que les comtes de Tou- louse adoptent et prennent le même titre dans leurs actes? Chez les uns comme chez les autres, il nous semble, quoi qu’il en soit, l’indice du rap- prochement qui s'opère de bonne heure dans Île Midi entre la féodalité éclairée et la tradition romaine dont la vie municipale était alors la seule forme subsistante. 11 ne faut pas oublier que ces villes du Béarn et de la Bigorre que repeuplaient les évèques et les comtes (a questa ciudad que ere despoplade : Chartes municipales, passèm, chez les historiens du Béarn), en reconnaissant leurs franchises et leurs libertés municipales étaient encore des civitates au temps de la reine Brunichild, dont elles formaient avec Bordeaux, Limoges et Cahors la dot, et le morgengab (en 587. — Vid. Greg. de Tours, traité d’Andelot), et qu’elles faisaient partie de cette Aquitaine, une des contrées les plus romaines et les plus civilisées de ‘la Gaule au temps de Sulpice-Sévère et de Salvien. — Ce for de Morlaas , qui constituait ou reconslituait en corps politique la communauté des habitants, devient aussi dans ce pays une espèce de type municipal qui se propage de proche en proche à d’autres villes, à Orthez par exemple (après 1104) au bailliage d'Ostabals, quelquefois même à la population d’une vallée tout entière, comme celle de la Soule (Sous Gaston), qui s’assimile ainsi à une commu- nauté urbaine, L'Espagne offre de nombreux exemples de ce fait qui explique en partie à son tour la supériorité de sa classe agricole. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 311 tous nos éloges, auquel votre Commission voudrait pouvoir décerner deux fois la même récompense. L'Académie ayant adopté, dans sa séance générale et motivée du 15 juin 1848, les conclusions du rapport ci-dessus, a dé- cidé qu'il n’y avait pas lieu de décerner de nouvelle récom- pense. L'auteur du Mémoire n° 1, est M. Louis-Henri Fonps- Lamorme , avocat à Limoux (Aude), qui avait obtenu, l’année précédente, une médaille d'argent à titre d'encouragement. 312 MÉMOIRES ÉLOGE DE M. J. ABADIE ; Par M. UrBain VITRY. Lu dans la séance publique du 18 juin 1848. Vide quanta quotidiè moliantur, quanta distribuant... quantis imbribus..….. venas fontium arentes redintegrent, et infuso per occulta nutrimento novent. Omnia ista sine mer- cede, sine ullo ad ipsos perveniente commodo faciunt, SENEQ. de Beneficiis, lib. 1v, c. 25. Si est des hommes dont les honnêtes gens doivent chercher à perpétuer le souvenir, c’est surtout ceux qui, sortis de la classe des ouvriers, se sont élevés autant par les qualités de l’in- telligence et du cœur, que par une inébranlable persévérance dans des habitudes d'ordre, de probité et de labeur. Ce souvenir doit être religieusement conservé, afin que leur vie serve encore de modèle à tous, et d'encouragement à ceux qui se sentent fléchir dans la voie aussi difficile qu’honorable de l'industrie et du travail. Jean ABADIE, ingénieur mécanicien , dont le nom est devenu si populaire dans le midi de la France, fut un de ces hommes. Né, le 14 novembre 1773, à Soueix, canton d’Aspet, arron- dissement de Saint-Gaudens, département de la Haute-Garonne, il reçut de son père, modeste horloger de village , les premières notions de mécanique ; dès l'enfance, il se fit remarquer par son esprit actif, ingénieux et réfléchi ; la nature l’avait doué de si heureuses dispositions, qu'à douze ans, devenu orphelin, DE L'ACADÈMIE DES SCIENCES. 313 il était déjà assez habile pour terminer et mettre en p'ace deux horloges commencées par son père, pour les petites villes de Saint-Martory et de Miramont. Après l'achèvement de ce pieux travail, le jeune Abadie quittant son village, vint chercher de l'occupation chez un horloger de Saint-Gaudens, nommé Larival, ancien ami de son père, et qui jouissait d'une assez grande réputation d'habileté. Bientôt le maître n'ayant plus rien à enseigner à son jeune ap- prenti, voulut le retenir près de lui pour en faire son succes- seur ; mais cette soif d'apprendre, cette voix intérieure qui appelait Abadie vers un but inconnu et plus élevé, lui firent refuser des propositions si brillantes pour son état actuel de for- tune, et le déterminèrent à venir travailler chez Hubert jeune, horloger à Toulouse. Adonné tout entier au travail et à l'étude, il n'avait point entendu le bruit terrible que faisait autour de lui l'écroulement de la vieille société. Le décret du 16 août 1793, par lequel la Convention nationale ordonnait la levée en masse du peuple francais , vint, en le réveillant, lui apprendre qu'il était devenu citoyen, qu'à ce titre il avait des devoirs à remplir, et qu'il devait courir aux armes pour repousser la coalition formée contre la France et sa jeune république par l'Autriche, la Prusse, l'Empire, l'Angleterre, la Hollande, l'Espagne, le Portugal, les deux Siciles, l'Etat ecelésiastique et le roi de Sardaigne. Incorporé dans l’armée des Pyrénées, Abadie se comporta en brave soldat ; mais sa santé fut assez profondément altérée par des fatigues auxquelles il n’était point habitué ; ses pieds fu- rent gelés:; une idée assez originale lui fit obtenir le congé dont il avait besoin pour rentrer dans ses foyers pendant quelques mois. Deux corps de l’armée dont il faisait partie étaient séparés par une rivière, grossie par des pluies torrentielles. Des ordres devaient être transmis aux troupes détachées sur la rive opposée Abadie se trouvait auprès d'un groupe d'ofliciers supérieurs qui cherchaient vainement à se faire entendre, soit par des cris, soit par des signaux. Il s'approche : Crloyens, ditil, si on veut 3.° S.— TOM. IY. 22 314 MÉMOIRES envoyer des dépêches sur l'autre rive, le moyen est bien sim- ple ; on n’a qu'à amener un obusier, le mettre en batterie en montrant , à ceux de la rive opposée, les dépêches qu'on pla- cera dans lobus, et tirer à demi-charge. Ce moyen, auquel on n'avait pas songé , fut employé ; il réussit , et devait réussir, car il a été souvent mis en pratique. À quelque temps de là, le jeune soldat, devenu très-souf- frant, demanda un congé fort difficile à obtenir, par suite des nombreuses désertions qui affaiblissaient l’armée ; le chef qui le lui refusa était un de ceux auxquels il avait donné l'idée de l'obus ; il lui rappela ce fait, et le congé de trois mois lui fut immédiatement accordé. A l'expiration du délai fixé, Abadie quittait une seconde fois son village pour rejoindre son régiment; mais il ne devait pas y arriver, et Dieu , qui avait fixé sa destinée, ne voulut point sans doute qu’une balle ennemie vint briser cette intelligence d'élite, créée pour les travaux pacifiques des arts industriels. En passant à Toulouse pour rejoindre son corps, il y fut retenu pour entrer comme ouvrier mécanicien à la fonderie de canons que l’on élevait alors dans cette ville. Les fonderies de Douai et de Strasbourg ne pouvant suffire aux besoins pressants qn’exigeait le salut de la république, on se hâta d’en créer de nouvelles sur divers points du territoire ; Paris, Avignon, Toulouse devinrent des dépôts considérables d'armes et de munitions. Notre ville, placée sur le Canal des Deux Mers, à la frontière d'Espagne, devait fournir le maté- riel nécessaire à l’armée des Pyrénées , et devenir l’arsenal le plus important dans le cas d'invasion. On choisit pour l’établis- sement de ect arsenal le vaste couvent des Chartriux, dont le cloître et les bâtiments furent de suite transformés en vastes ate- liers ; l’église attenante de Saint-Pierre des Cuisines fut affectée à une première fonderie, où des entrepreneurs essayèrent sans succès l’art de fondre des canons. D’autres spéculateurs leur succédèrent ; une seconde fonderie placée dans l’église Sainte- Anne ne produisit pas de meilleurs résultats. C’est alors que le comité de défense envoya à Toulouse Dupont DE L’ACADÉMIE DES SCIENCES. 315 de Rochefort , créateur de la fonderie d'Alger, et neveu de Gor, le célèbre fondeur de la statue équestre de Louis XV. Les ateliers de Saint-Pierre et de Sainte-Anne furent abandonnés par le nou- veau directeur ; deux anciens couvents fixèrent son attention , celui de la Magdelaire près le pont, et eelui de Sainte-Claire sur le Canal de faite du Moulin du Château ; Dupont donna la pré- férence à ce dernier, parce qu'on pouvait y utiliser les eaux de la Garonne, comme moteur de la forerie et des autres ma- chines nécessaires à la fabrication. Huit jours suffirent à cet homme de génie pour arrêter les dispositions principales , pour transformer les cloîtres et les dé- pendances du couvent en une vaste moulerie, et pour jeter les fondations de plusieurs fourneaux de 10,25 et 50 milliers : en même temps, une forerie provisoire à deux banes et à manége, était établie dans l'église Saint-Antoine; dix mois après, une première fonte de bouches à feu de 36 ne laissa rien à dé- sirer. Comme toutes les intelligences supéricures, Dupont savait choisir les hommes ; il rencontra Abadie que l'amour de l'étude avait appelé sur le chantier ; quelques minutes de conversation avec le jeune soldat lui firent apprécier sa capacité, et il l’atta- cha à la fonderie. Cet établissement étant dès lors organisé sur des bases solides, le Gouvernement le remit à MM. Bertha et Lehodry. Ces entrepreneurs offrirent à Dupont un intérêt dans le marché ; il refusa pour servir la république , mais il laissa Abadie , et c'est là le point de départ de la brillante carrière parcourue par notre mécanicien ; qui le reconnaissait lui-même avec bonheur, et ne parlait de M. Dupont qu'avec l'expression d'une reconnaissance toute filiale ; il en a laissé le témoignage dans une note manuscrite sur la fonderie, note extrêmement intéressante , et retrouvée dans ses papiers après sa mort. « Quant à moi, dit-il, qui ai servi sous ses ordres , je puis dire que c’est à la confiance dont il m’a honoré, et que les entrepreneurs ont bien voulu me continuer, que je dois l'état que je professe. » MM. Bertha et Lehodry, puissamment aidés par l'intelligente 316 MÉMOIRES collaboration d’Abadie, continuèrent avec fruit les travaux de la fonderie. En l'an V (1797), la course ayant été autorisée, les arma teurs des ports de mer du Midi s'adressèrent aux entrepreneurs de Toulouse, pour avoir des bouches à feu en bronze plus légères que celles en fer. Les brillants résultats du premier corsaire de Bordeaux (/e F'errailleur) augmentèrent de beaucoup les deman- des, et la fonderie prit pendant quelques années un immense développement. En 1800, l'horizon politique venait de s’éclaircir; les prodi- gieux événements enfantés par le génie du général Bonaparte , son élévation au consulat, la paix humblement sollicitée par les souverains coalisés ,.tout faisait prévoir à M. Bertha, demeuré seul entrepreneur de la fonderie , une diminution considérable dans les commandes ; il chargea Abadie de la rédaction du pro- jet et de l'exécution d’un laminoir et de martinets pour le cuivre, à l'usage de la marine. Ce bel établissement, créé de 1801 à 4802, tout auprès de la fonderie, eut un plein succès. Une prise d’eau, pratiquée à la digue du Moulin du Château, met- tait en mouvement les huit moteurs hydrauliques dont il se com- posait; et, après un demi-siècle d'existence, cette usine est encore aujourd’hui en voie de prospérité. Une semblable création avait mis en évidence les talents d'Abadie, qui avait tout à fait abandonné l'horlogerie, pour se livrer exclusivement à l'établissement des grosses machines. L'administration des finances lui confia immédiatement l’exécu- tion des découpoirs de la monnaie, qui furent élevés tout au- près de la fonderie et da laminoir, dans le lit même, et au- dessus du canal de fuite du Moulin du Château. En 1806, la Société d'Agriculture lui décernait une médaille d'or pour l'invention et la construction d’une machine à mouve- ment de conversion, destinée à élever les eaux pour les irriga- tions. Le nom d'Abadie commencait à sortir de l'obscurité, et la même année on l’appelait à Souria en Catalogne, pour établir une filature de coton , la première qui ait été construite en Es- DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 317 pagne. Forcé de quitter ce royaume par suite de la guerre de 1808, il perdit toutes ses petiles économies, el rentra à Toulouse où M. Bertha lui offrit de nouveau la direction de ses ateliers. Le 15 février 1809, le Gouvernement le nomma contrôleur de la fonderie impériale des canons ; ces nouvelles fonctions n’absorbant pas tout son temps, lui per- mirent de se livrer à la construction des machines, d'établir son système de cardage et de filatures pour laines grasses, et de rédiger le premier croquis des fontaines de Toulouse, qui fut adressé à la Mairie le 5 décembre 1812. La chute de l'Empire et les revers de 1815 avaient paralysé et presque anéanti tous les éléments de travail ; mais la fortune de la France a quelque chose de vigoureux , de providentiel qui la fait se relever avec énergie, et réparer, comme par miracle, les plus grands désastres. C’est le spectacle imposant qu'offrit notre patrie pendant les premières années de la Res- tauration ; cette activité, cette ardeur qu'elle avait montrée pendant vingt-cinq ans sur les champs de bataille, elle les tourna vers les travaux de l’industrie, pour continuer la lutte avec l'Angleterre, dans une arène plus pacifique, mais tout aussi glorieuse. Abadie fut dans le Midi l'un des chefs de cette lutte nouvelle. Le 7 avril 1816, il avait été nommé une seconde fois con- trôleur de la fonderie royale des canons, mais il abandonna presque immédiatement ce service pour se livrer exclusivement à la construction de grands ateliers. Dès cette même année, il faisait élever à Carcassonne la filature de laines grasses, située dans l’île dite du Moulin du Roi. A la même époque, il termi- nait la filature de Cazères , et jetait les fondements des magnifi- ques usines de Chalabre. Peu de temps après, il reconstruisait les mouvements hydrauliques de la manufacture royale de Car- cassonne. Dans toutes ces œuvres, Abadie s'était montré aussi habile ingénieur en fait d’hydraulique, que mécanicien fertile en ex- cellentes idées. Sa réputation allait en grandissant chaque jour, el bientôt aux établissements déjà construits sous sa direction , 318 M£HOIRES succédèrent ceux de Castres, de Salvages et de Miramont. Une circonstance heureuse vint lui fournir Poccasion de mettre le sceau à celte réputation, et de révéler toute léten- due du génie dont la nature l'avait doué comme mécanicien , c'est la construction des fontaines publiques de Toulouse. Je n'essaierai pas de retracer ces diverses phases de la créa- tion de ce grand établissement d'utilité publique, et la part qu'y prit Abadie ; l'intéressante et savante histoire dont M. d'Aubuis- son à enrichi nos Mémoires, me dispense de ce soin (1). I est cependant un rapprochement de dates que je crois devoir indiquer, parce qu’il est glorieux pour notre Société. Tout le monde sait que si nos fontaines ont été érigées après piusieurs siècles d'études et de projets tour à tour abandonnés, on le doit à l'acte de civisme du capitoul Charles Lagane. Le testament, par lequel ce magistrat léguait 50,000 fr. à la ville, pour qu'une fontaine füt établie au moins dix ans après Ja mort de son épouse, est du 10 août 1788. Or, en 1780, l’Académie royale des Sciences, Inscriptions et Belles-Lettres de Toulouse, proposait, comme sujet de prix, pour 1783 et 1784, la question relative aux fontaines (2); et c'est peut-être cette initiative, prise par nos devanciers, qui ins- pira à Lagane la pensée de son legs patriotique. Nous avons déjà vu que, dès 1812, Abadie avait soumis aux magistrats de la cité une première esquisse des fontaines ; le projet qu'il présenta au concours ouvert en 1848 était complé- tement développé, et l'emporta sur ceux des huit concurrents qui étaient entrés dans la lice. Ce projet fut cependant entièrement refondu et amélioré par (1) Histoire et Mémoires de l’Académie royale des Sciences, Inscrip- tions et Belles-Lettres de Toulouse, in-8°, L. 2, 1"° partie, p. 159 et suiv. (2) Déterminer les moyens les plus avantageux de conduire dans la ville de Touloüse une quantité d’eau suffisante, soit des sources éparses dans le territoire de cette ville, soit du fleuve qui baigne ses murs, pour fournir en tout temps dans les différents quartiers aux besoins domestiques, aux incendies el à l’arrosement des rues, des places, des quais et des prome- ndes. (Histoire de l’Académie royale des Sciences, Inscriplions et Bel- les-Lettres de Toulouse.) In-4°, tom. 1*, pag. 19. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 319 lui, à la suite d'un voyage qu'il venait de faire dans le nord de la France, en Allemagne et en Angleterre, cette terre classique de la mécanique. E mit la main à l’œuvre en 1823, et le 25 mai 1825, 200 pouces de l’eau du fleuve, élevés à plus de 20 mètres au- dessus de son lit, venaient se déverser par les fenêtres du chà- teau d'eau, aux applaudissements d’un immense concours de spectateurs, qui avait douté jusqu'à cet instant de la possibilité d'un pareil résultat. « Ce fut un jour de fête, dit M. d’Aubuisson ; les habitants accoururent en foule pour jouir d’un spectacle aussi nouveau qu'inattendu ; ils avaient peine à en croire leurs yeux ; quoique depuis plus de trais ans ils fussent témoins des grands travaux qui se faisaient pour les fontaines publi- ques , l’incrédulité était générale. Les hommes instruits eux- mêmes furent frappés d'un spectacle non moins remarquable ; ils virent une énorme machine , au moment même où elle ve- nait d’être terminée, mise en mouvement sous les yeux du public, marcher de suite et avec majesté, comme exercée depuis longtemps à un pareil travail : tous payèrent à son auteur un juste tribnt d’éloges. » Cette machine , remarquable par la simplicité des moyens et la grandeur de l'effet, jouit d’une réputation méritée dans le monde savant ; elle est l’objet de l'admiration de tous ceux qui l'ont visitée , (ant par la beauté de son ensemble que par celle de ses détails. Les deux roues hydrauliques, d'une construction particulière à Abadie, sont d'une rare élégance ; les arbres en fonte, les manivelles qui les terminent, et la précision avec laquelle ces roues tournent dans leur coursier , sont au-dessus de tout éloge. Déjà , dans quelques pompes on avait substitué aux pistons or- dinaires des cylindres montant et descendant dans des boîtes à étoupes ( Stuffen-Box); mais nulle part il n’en avait été fait une aussi belle application et sur une aussi grande échelle ; les triples clapets de retenue, imités d’une contruction qu'Abadie avait remarquée en Angleterre, sont un très-bel ouvrage. Ce qui augmente le mérite de cet ingénieur, c'est la diffi- y VV YOU OY VU YO VV v v v 320 MÉMOIRES culté de se procurer en province des ouvriers capables d'exéct- ter ses pensées ; il à fallu , pour vaincre tous les obstacles, son incroyable activité, son aptitude et son coup d'œil de travail- leur. Ainsi, non-seulement la conception et le tracé du plan furent son ouvrage, mais encore les épures, les modèles, les pièces de forge, tout dut être fait par lui ou sous sa direction immédiate, et la machine a été exécutée avec celte préeision qui ne semblait propre qu'aux meilleures machines à vapeur. Aussi , l'établissement de nos fontaines publiques a rendu la mémoire d’Abadie éternellement populaire à Toulouse. Qu'il me soit permis d'ajouter que je dois à cette œuvre la constante amitié dont m'honora jusqu'à la fin de sa vie cet habile artiste. La construction de la première fontaine , celle de la place de la Trinité, dont un concours n'avait chargé, me mit nécessairement en relation avec lui ; il guida ma jeune expérience avec une bienveillance toute paternelle, et pendant plus de vingt ans il a existé entre nous un de ces liens que cha- que jour rend plus intimes , el que la mort seule peut briser. Après l'achèvement des fontaines, la célébrité d'Abadie s'éten- dit dans tout le royaume ; il était appelé de toutes parts. En 1824, ramené sur le terrain qui avait été le témoin de ses pre- miers débuts , il créait dans la fonderie ae Toulouse une ma- gnifique forerie à quatre bancs et à eau , pour le compte et avec la participation du nouvel entrepreneur, M. Ad. Mather. L'ancienne forerie à manége du couvent Saint-Antoine avait été remplacée, en 1816, par une autre du même genre, établie dans l’ancienne église du couvent de Sainte-Claire ; mais le petit nombre de bancs et la nature même du moteur n'avaient permis de fabriquer, de 1816 à 182%, que #12 bouches à feu ; avec la nouvelle forerie , établie par Abadie, et dans le court espace de trois années (de 1824 à 1827), M. Mather put en livrer &80 , toutes en pièces de siége et de place. A peine cette forerie était-elle terminée, qu’Abadie fut chargé de contribuer à la création du grand établissement métallurgi- que, construit à la cataracte nommée le Saut de Sabo. A une lieue au-dessus d'Albi, le Tarn entier se précipite DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 321 d’une hauteur considérable ; c’est en aval de cette chute , sur la rive droite”, qu'on a placé les laminoirs et les martinets de cet établissement : les 32 moteurs hydrauliques qu'il renferme sont alimentés par une dérivation de la rivière, au moyen d'un aqueduc taillé dans le roc, et conduisant à l'usine 12 mètres cubes d'eau par seconde ; un mur d'enceinte colossal de 12 mè- tres de hauteur et de 7 mètres d'épaisseur à la base, met les ateliers à l'abri des inondations. La singularité du local, la solidité des murs de défense, qui ont en quelque sorte dompté la fureur du torrent, la belle dis- position de ses parties , en font une des plus magnifiques usines de la France. De pareils travaux devaient trouver de justes appréciateurs dans le sein de notre Académie, et le 23 février 1826, Abadie fut appelé à en faire partie ; la Société royale d'Agriculture imitail cet exemple le 8 janvier 1828 ; enfin le jury de la pre- mière exposition des beaux-arts et de l'industrie, ouverte à Tou- louse en 1827, lui accordait, par acclamation , la médaille d’or. Tout entier à ses travaux utiles, Abadie ne s'était jamais occupé de politique. Néanmoins, à la révolution de 1830 , il fat compris dans la nouvelle composition du conseil municipal de Toulouse. Ses habitudes simples et laborieuses l’amenèrent presqu'aussitôt à résilier ces fonctions ; mais le 10 août 1832, ce même conseil municipal votait en sa faveur une pension via- gère de 2,400 fr. , motivée sur le désintéressement et le talent dont il avait donné des preuves dans l'établissement des fontai- nes publiques. Une ordonnance royale, du 20 mars 1833, sanctionna ce témoignage de la reconnaissance d’une cité, dont il avait fait sa patrie d'adoption {1). (1) Registre des délibérations du Conseil municipal de Toulouse , séance du 10 août 1832. « Le Conseil municipal, réuni en session ordinaire dans le lieu de ses séances. » Considérant qu’il est incontestable que la création du sieur Abadie est l'œuvre admirable d’un profond génie; qu’elle est sinon unique, du moins supérieure à toutes les conceptions connues du même genre ; qu’elle ne fait pas seulement Porgueil de la cité puisqu'elle est l'objet de l'admiration sen- tie des étrangers et des savants; mais qu’elle a résolu le grand problème 322 MÉMOIRES En 183%, le jury de l'exposition nationale le plaçait en pre- mière ligne parmi les artistes non exposants , en lui donnant la d’appeler sur tous les points de la ville , si élevés au dessus du niveau de la Garonne , les eaux clarifiées et abondantes de cette rivière ; » Que par là, et sous le rapport de la commodité et des besoins satisfaits, comme sous le rapport de la propreté et de l’assainissement, M. Abadie a rendu à la ville de Toulouse un service inappréciable, qu’il l’est d’autant plus que l'exécution des projets mis au concours avec celui de M. Abadie, et dont il est douteux que la ville eût recueilli les mêmes résultats, présentaient une dépense quintuple , même décuple de celle occasionnée par l’exécution du plan de M. Abadie : » Considérant que la somme annuelle de 1000 fr., accordée pour quatre ans à M. Abadie par la délibération du 13 mars 1830 ne peul être considérée que comme traitement ordinaire d’un mécanicien quelconque, chargé de la direction et de la surveillance de la machine hydraulique, mais que la ville de Toulouse doit en particulier à l’inventeur de cette machine un témoignage de gratitude et de reconnaissance ; » Qu'on avait senti avec raison que ce témoignage ne serait légitimement accordé avec discernement, loyalement acquis, que lorsque la machine au- rail fonctionné assez longtemps pour montrer que, par son exécution, elle accomplissait toutes les promesses de l’artiste et réalisait toutes les espérances de l’administration ; » Que ce moment est venu , et que la position intéressante de M. Abadie ne permet pas d’ajourner l’acquittement et d’hésiter sur le mode d’acquitte- ment d’une dette imposée à la ville par le sentiment d’une juste reconnaissance; » Par ces motifs, » Le Conseil est d'avis qu’il soit alloné à M. Abadie une pension annuelle et viagère de deux mille quatre cents francs, payable à compter du premier de ce mois, et dans laquelle néanmoins sera comprise là somme de mille fr., déjà allouée à M. Abadie pour la direction et la surveillance de la machine hydraulique dont il s’agit, direction et surveillance qu’il sera tenu de con- tinuer ; et que, pour le payement en 1832 de l’augmentation accordée, il soit ouvert un crédit extraordinaire sur le budget de ce mème exercice. » Présents et opinauts, M. Arxôex, premier adjoint , occupant provisoire- ment le fauteuil ; MM. Gasc, Anzac, Aurmier, Murez, Vivext, JANoLE, Mirués, Romcuières, Decaye, Ouivier , ArmenTtER , CAvALIÉ , Bizas, Courrois, Ducasse fils, Socomrac, Borues, Cassainc, Noël Forxier, CiBiez jeune, Durrour, Mani, Macaner, Cassacne, Rovcouce, Durewrs, Gaurax et Sans. » Un tiers de celte pension viagère a été continuée à la veuve de M. Abadie par délibération du conseil municipal en date du 23 décembre 1847. En outre , la proposition d'élever, aux frais de la ville, un monument fu- néraire à la mémoire de cet habile mécanicien, avait élé renvoyée à une commission du Conseil municipal. Les événements politiques ont arrèté les effets de cette proposition, qui sera reproduite sans doute , et Toulouse acquittera Lôt ou tard celte dernière dette de reconnaissance. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 323 médaille d'or (1). Jusqu’alors , les chefs d'établissement avaient seuls reçu des récompenses aux expositions des produits de l’in- dustrie française à Paris ; des idées plus libérales, plus pro- gréssives commencaient à germer, et l'ordonnance du 4 octobre 1833 appela à participer à ces récompenses tous les travailleurs, ingénieurs et ouvriers, qui s'étaient distingués par leurs travaux d'invention ou de perfectionnement ; la première application de cette ordonnance eut lieu en faveur d'Abadie. Toulouse n'avait plus rien à décerner à son habile mécani- cien ; il ne lui restait que des vœux à émettre ; aussi, à l’occa- sion de la nouvelle exposition ouverte dans cette viile en 1835, le jury délibéra à l'unanimité que l'administration était instam- ment priée de solliciter pour Abadie la croix de la légion d'hon- neur (2). Les autorités des départements voisins joignirent (1) Rapport du jury central par le Baron Ch. Dupin, tom. n1, pag. 495. (2) Voici le texte de cette délibération : « Le Jury est ensuite appelé à se prononcer sur les travaux de M. Abadie, ingénieur-mécanicien à Toulouse. » IT résulle des documents fournis par divers membres, que le Midi de la l'rance doit à cet habile mécanicien les innovations importantes et les ma- chines remarquables qui ont le plus contribué, depuis vingt ans, aux pro- grès et à la prospérité de son industrie. C’est par le secours de son esprit in- veutif et fécond en idées heureuses, de son talent d'exécution , et surtout du noble désintéressement avec lequel il ne cesse de prodiguer son temps et le fruit de ses veilles à tous ceux qui ont recours à lui, que se sont élevés nos principaux établissements, que se sont développées les richesses de notre industrie, et cela ; le plus souvent, au détriment des propres intérêts de cet honorable ciloyen. » M. Abadie a déjà reçu les médailles d’or des exposilions de Toulouse et de Paris. » Le Jury, n'ayant plus à sa disposition de moyens de récompenser digne- ment M. Abadie pour les anciens services qu’il a rendus d’une manière aussi fructueuse que désintéressée , décide à l'unanimité : » En premier lieu , que M. Abadie sera placé hors de rang pour les récom- penses à distribuer par le Jury ; » En second lieu , que M. le Maire sera instamment prié de solliciter pour M. Abadie la décoration de l’ordre royal de la Légion d'Honneur , el de faire toules les démarches nécessaires pour que celle récompense puisse être re- mise le 29 juillet prochain avec les autres récompenses accordées aux expo- sants de notre ville. » Copie de la présente délibération sera adressée à M. le Maire par les soins dé M. le Président. » 324 MÉMOIRES leurs démarches à cette manifestation, et le 23 avril 1836, une ordonnance créait chevalier l’ancien horloger de village, devenu l'homme de talent, qui avait rendu de si grands services aux arts industriels du Midi. Ces hommages , ces distinctions, dont Abadie était l'objet, sans qu'il les eût jamais recherchés, ne ralentirent point son activité et son énergique persévérance. Sous sa direction on ajoutait dix nouvelles meules à chacun des moulins du Bazacle et du Château à Toulouse , sans augmenter la dépense d’eau que faisaient précédemment ces usines, eten se bornant à mieux appliquer effet utile de la puissance motrice, fournie par la Garonne. Il faisait également établir les mécaniques de l’importante fa- brique de faïence et de porcelaine de MM. Fouques et Arnoux à Valentine , où il savait tirer de la même rivière, devenue en quelque sorte sa vassale, une force hydraulique de plus cent chevaux. La construction des fontaines de Toulouse avait excité au plus hant degré l’émulation de la plupart des villes du Midi ; mais presque partout se rencontraient d'immenses difficultés à vaincre ; on eut recours à Abadie. Il fit exécuter les fontaines de Mirepoix , de Bagnères de Luchon, de la cité de Carcassonne, d’Orthez et de Bayonne ; il fut chargé de rédiger des projets sem- blables pour Saint-Gaudens, Castres, Auch, Lourdes, Pau, Périgueux , Cahors , Troyes, ainsi que ceux si importants de Bordeaux et de Nismes ; il avait conçu pour cette dernière ville un système de turbines propres à élever l'énorme masse de 1,400 pouces d’eau, c’est-à-dire, sept fois plus qu'à Toulouse. Enfin, une compagnie espagnole lui ayant demandé une distri- bution d'eau pour Madrid, il s'était rendu dans cette capitale pour étudier les localités. Une vaste entreprise, celle de l'assainissement du port de Marseille, avait été l'objet de ses méditations. On sait que tous les aqueducs de cette populeuse cité se déversent dans le port qu'ils encombrent d’immondices, en remplissant l'atmosphère d'émanations aussi incommodes qu’insalubres. Le projet rédigé par Abadie portait ce cachet de simplicité qui distingue toutes DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 325 ses œuvres. Îl consistait dans un aqueduc de ceinture pratiqué dans les quais, au-dessous du fond du port. Les eaux, se frayant une issue à travers cet aqueduc, auraient été rejetées en pleine mer, au moyen de pompes à vapeur placées à l'entrée du goulet. Une partie des inconvénients auxquels le projet d’Abadie devait remédier, sera atténuée par la dérivation des eaux de la Durance qui a donné lieu à l'érection du célèbre viaduc de Ro- quefavour. A propos de cette gigantesque construction , notre confrère , M. le colonel Gleyses, vous a fait connaître le système de syphons qu'Abadie avait imaginé en remplacement de cet édifice somp- tueux , syphons composés de cinq tuyaux de fonte accolés, dont la dépense n’eût été que d’un million , tandis que celle du pont monumental s'élèvera à la somme énorme de six millions (1). Pour se délasser de ces grands travaux , qui ne pouvaient ab- sorber loute l’activité de son esprit, Abadie employait ses loisizs à des œuvres moins importantes de mécanique. Ainsi on remar- qua aux diverses expositions de Toulouse plusieurs machines agricoles , une éprouvette pour la poudre à canon, des tondeuses ou forces pour les draps (2) , un ingénieux tourne-broche à va- peur, imité de l'éolipyle d'Héron (3) , des produits de l'atelier de menuiserie à la mécanique qu'il avait fondé à Toulouse (4), ainsi que ceux de la fabrique de grosse horlogerie dans laquelle il fit confectionner les belles horloges du Capitole (5) et de l'École vétérinaire, celles de Montauban, de Labruyère , de Penne et d’autres villes du Midi. Enfin, dans les dernières années de sa carrière , il voulut s’as- socier au projet d'aménagement des eaux thermales de Bagnères de Luchon (6). 1) Mémoires de l’Académie, déjà cités, 3° série, tom. 3, pag. 54. 2) Exposition de Toulouse en 1829, in-8°, pag. 100. 3) Idem 1827, page 119. 4) Idem 1840, page 188. 5) Idem 1827, page 118 ; idem 1829, page 97 ; idem 1835, page 115. ( ( ( ( ( (6) Idem 18/45, page 83. 326 MÉMOIRES Cette prodigieuse fécondité, ce nombre considérable de ma- chines ou d'établissements exécutés et dirigés par lui, ce tra- vail incessant, épuisaient les forces d’Abadie, malgré la sobriété et la régularité de sa vie. Pius que septuagénaire , il consentit à revenir en Espagne , pour élever à Tolosa une grande fabrique de draps. Domp- tant, par la force de sa volonté , le dépérissement d’une santé profondément altérée par les veilles et les fatigues, il fit plu- sicurs voyages, rédigea tous les projets , et, quelque temps avant sa mort, il traca les fondations de cet établissement , digne pendant de celui du Saut de Sabo , par le grandiose du plan et la beauté de l'exécution. Cette immense fabrique, terminée par son fils, son élève et son digne émule, est aujourd’hui en pleine activité. Ses forces l’abandonnant de plus en plus, le bon vieillard se hâta de rentrer à Toulouse pour finir, dans les bras de sa fa- mille et de ses amis, une vie si pleine et si honorable. Sa vive intelligence ne l’avait pas abandonné ; il mourut le 8 mars 1846, avec le calme d’une âme pure et chrétienne. Telle fut l'existence d’Abadie ; j'ai cherché à la raconter sans emphase, avec cette simplicité, cette modestie dont il ne se départit jamais, et son éloge le plus vrai m’a paru devoir consister dans l’énumération fidèle et rapide des travaux qu'il avait accomplis. Un immense cortége, composé de toutes les classes de la société, mais surtout d'ouvriers et de chefs d'atelier, suivit son cercueil. Sur sa tombe, encore ouverte, une sorte de fatalité appela à exprimer nos regrets l’un des plus jeunes académiciens , celui-là même qui devait, hélas! le suivre sitôt dans le sein de l'éternité ; l’infortuné Pinaud trouva dans son cœur si aimant et si digne de comprendre Abadie, de nobles et touchantes paro- les. Permettez-moi de les rappeler, en terminant, parce qu’elles honorent à la fois la mémoire de ces deux confrères , qui furent ravis presque simultanément à notre amitié. « Je ne vous ai parlé, dit Pinaud, que du mécanicien habile, » que la nature seule avait formé; de l'artiste ingénieux qui, % OÙ Ù N'OSE WU v EG vw y DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 327 dans toutes les industries auxquelles il a apporté le secours de ses lumières et de son expérience pratique, s’est signalé, par des innovations heureuses et des simplifications remar- quables. À ces hautes qualités, Abadie joignait encore toutes les vertus qui distinguent le père de famille, et font aimer l'homme privé. D'un caractère doux, affable, modeste au- tant que désintéressé, simple de mœurs, avide d'instruction, préoccupé sans cesse du désir d’être utile , il se fit partout des amis , depuis le plus humble ouvrier jusqu'au savant le plus éminent. Sa famille, la cité, le Midi tout entier, ont fait une perle immense. » Heureuse cependant la famille dans laquelle se produi- sent des hommes si rares et de si nobles exemples ! Heureux lui-même l'homme de bien qui, paraissant après de longs jours devant son souverain Juge, peut, comme Abadie, apporter au pied du tribunal suprême, les mérites d’une vie pure, laborieuse et utile ! » 398 . MÉMOIRES DISSERTATION SUR LE JOUEUR DE FLÛTE DE C. GRACCHUS ; Par M. SAUVAGE. Das le soixantième chapitre du troisième livre de ses Dialo- gues de l’Orateur, Cicéron rapporte que GC. Gracchus faisait cacher, derrière lui, lorsqu'il parlait en public, un musicien habile qui lui donnait le ton sur une flûte d'ivoire, et l’empé- chait ainsi de trop baisser la voix, ou de s’abandonner à des éclats trop violents. L'objet de cette dissertation n’est pas d'établir l'authenticité d'une anecdote qui n’est pas contestée, et qui a été reproduite sans contradiction , après Cicéron, par Valère-Maxime, Quinti- lien, Plutarque ct Dion Cassius. Si elle pouvait, d’ailleurs, être révoquée en doute, il suffirait de quelques simples réflexions pour la rendre probable, et pour faire disparaître ce qu’il peut y avoir d'étrange, au point de vue moderne, dans le fait d’un joueur de flüte assistant un orateur à la tribune. On sait que chez les anciens, la tribune et le barreau étaient , comme la scène, en plein air ; que les auditoires s’étendaient , par conséquent , à perte de vue et de voix, et n’avaient d’autres limites que celles des places où se pressait la foule qui venait écouter les orateurs. Au théâtre, par exemple, pour que la voix de l'acteur füt entendue des derniers rangs, on avait recours à des moyens acoustiques de la plus grande énergie. La bouche de son masque, indépendamment d’une grande ouverture, en forme de cornet, était intérieurement garnie de feuilles d’ai- rain, ou de lames d’une pierre nommée calcophone, retentis- DE L'ACADÈMIE DES SCIENCES. 329 sante comme lairain , et qui conservait aux sons toute leur net- teté ; de plus, sous les gradins où devaient s'asseoir les specta- teurs, les architectes ménageaient de petites cellules entr'ouvertes, et y placaient des vases destinés à recevoir, dans leur cavité, les sons qui venaient de la scène, et à les reproduire d'une manière forte , harmonieuse et claire. Enfin, indépendamment du mo- nologue , qui était toujours chanté, comme j'aurai occasion de le faire remarquer plus bas, il y avait pour le dialogue même une sorte d'accompagnement ou de modulation, destiné à em- pêcher la voix de l'acteur de tomber ou de se perdre. Les orateurs n'étaient pas placés dans des conditions moins difficiles ; ils n'avaient pas moins à redouter le jugement de l'oreille, le plus sévère des juges, comme dit Cicéron, judicium aurium superbissimum. Entre autres qualités qu’on exigeait d'eux , et dont on peut voir le détail dans tous les rhéteurs, on voulait qu'ils eussent l'organe des acteurs tragiques, et le geste des plus habiles comédiens : vox tragædorum, gestus penè summorum actorum est requirendus. Comment expliquer autrement cette célèbre gymnastique à laquelle nous savons que se livra longtemps Démosthène, soit pour dompter un organe rebelle à la prononciation de certaines lettres, soit pour donner plus d'étendue à sa respiration. D'un autre côté, il est certain que les peuples de l'antiquité étaient doués d’une organisation plus délicate , à cet égard, que la nôtre ; ce qui blessait la bienséance les offensait moins peut- être que ce qui altérait la langue ou rompait l'harmonie. Le plaisir de l'oreille , comme dit Cicéron, était la première loi du discours, et ilest souvent question chez lui, et dans Denys d'Ha- licarnasse, des soudaines réclamations de tout un auditoire, contre une expression impropre, où une intonation fausse, ou une faute de quantité. Démosthène lui-même s’est plus d’une fois impatienté contre ces délicatesses d’une multitude assez frivole , pour soumettre son âme, son esprit et sa raison à l’em- pire des sens. « Qu'importe, disait-il aux Athéniens, quand je vous parle de vos intérêts les plus pressants, les plus sacrés, qu'importe quels sont les mots que j'emploie, et de quel côté 3.° S.— TOME IY. 23 530 MÉMOIRES je porte la main ? » Aussi, l'étude de la musique est-elle sans cesse recommandée par les rhéteurs anciens, non pas seulement pour Îles agréments @e la vie privée, mais pour les nécessités de la vie publique. Aristote la considère comme un des moyens d'arriver à la vertu, Cicéron comme une des compagnes de l’élo- quence, et Quintilien a consacré un chapitre tout entier de ses Institutions , à faire sentir combien il importe à l’'orateur de s'être familiarisé avec cette étude. En un mot, pour bien com- prendre tout ce qui tient à Pémission de la voix chez les an- ciens, C'est-à-dire, à l’action oratoire ; pour se faire une idée du souci que leur donnait cette partie de l’art, et ne pas s'étonner de la singularité de quelques-uns de leurs préceptes sur ce point , il ne faut pas perdre de vue l’état de leur civilisation , la forme de leurs gouvernements, la composition de leurs tribunaux et de leurs assemblées, ni surtout la mobilité de leurs organes et l'influence de leur climat. C’est , en effet , en vue de toutes ces conditions , que les mai- tres de l’art les plus éminents , parmi eux , n’ont pas dédaigné d’abaisser leur génie jusqu'à étudier l'effet d’une brève ou d’une longue à la fin d’une phrase. Aristote, le plus profond de leurs penseurs, Cicéron, le plus grand de leurs écrivains, le premier écrivain du monde peut-être, après avoir indiqué, avec une étude minutieuse, dans leurs immortels trai- tés, les pieds plus nombreux et les cadences les plus heureuses, ne se croyaient ni naïfs, ni puérils, lorsqu'ils donnaient la préférence, selon le génie de leurs divers idiomes, le premier au pœæon, le second au dichorée, pour assurer à la période une chute plus harmonieuse. C’est qu'ils savaient que le succès - de l’éloquence est à ce prix, et l’auteur de l'Orator, après avoir rapporté une phrase qui, dans la bouche d’un tribun, avait été accueillie par les plus vives acclamations , ne craint pas de dire que c'était au nombre que s’adressaient les applaudisse- ments. Quæro, nonne id numerus effecerit ? Quoi qu’il en soit, et ces courtes considérations étaient peut- être nécessaires pour expliquer l'étrangeté de l’anecdote qui a douné lieu à cette discussion , je reviens au passage où Cicéron DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 391 la rapporte , et qui lui a valu, de la part d’Aulugelle, une assez vive crilique. L'auteur des Nuits Attiques ne conteste pas le fait du joueur de flüte dont C. Gracchus se faisait assister quand il parlait en pu- blic ; mais il n’est pas d'accord avec Cicéron sur le genre d'of- fice que le musicien rendait à l'orateur. « Il n’est pas vrai, » dit-il, comme le prétend le vulgaire, que le joueur de flûte, » qui se tenait derrière cet orateur, eût pour objet , soit de Lem- pérer l’ardeur de son action et de son âme , par ses modula- tions, demulcere animum, actionemque ejus, soit de lui donner plus de force et de ton. Quelle absurdité de croire que la flûte pût marquer à Gracchus, parlant en public, la me- sure, le rhythme et les différentes cadences, numeros el modos » et frequentamenta quædam , comme elle règle les pas de » l'histrion sur le théâtre, ut planipedi saltanti. Les auteurs » qui sont le mieux instruits du fait, rapportent qu'un homme » caché près de lui, lavertissait par un son lent et grave, » » | A CN 2 ©. qu’il tirait d’une flûte courte, de modérer les éclats trop vio- lents de sa voix, car le génie, naturellement emporté de » C. Gracchus, n'avait pas besoin, je le pense, d'excitation exté- » rieure , lorsqu'il était à la tribune. M. Cicéron croit toutefois » que Gracchus employait ce joueur de flûte à une double fin, » soit à donner du ton et de la force à son discours, lorsqu'il » s’affaiblissait, soit à le moldérer , lorsque l’orateur se laissait » aller à sa fougue et à son emportement. {ut demissam jacen- » demque orationem ejus crigeret, aul ferocientem sœvien- » lemque cohiberet. » Cette critique comprend deux griefs. Aulugelle suppose d’abord que Cicéron a voulu parler d'un accompagnement con- tinu qui se serait mis en rapport, non-seulement avec l'état mo- ral de l’orateur, animum , mais avec les divers accidents de son action, actionemque, en marquant la mesure, le rhythme et les différentes cadences; ensuite il lui reproche de croire que le joueur de flûte füt à double fin, tantôt pour calmer, tantôt pour exciter l’orateur, parce que, dit-il, la fougue naturelle de Gracchus n'avait pas besoin d'une excitation extérieure. 332 MÉMOIRES Si Aulugelle avait écrit de mémoire, je comprendrais sa mé- prise ; mais comme il a soin de citer le passage de Cicéron à l'appui de sa critique, il faut reconnaître, ou qu'il en a bien mal entendu le sens, se trompant à la fois, et sur la valeur des mots, et la pensée qui préoccupe l'écrivain en cet endroit, ou qu'il a tiré à dessein de son imagination une foule de détails auxquels Cicéron n'avait pas songé, pour se donner le facile avantage de les contredire, De quoi s’agit-il , en effet, dans le chapitre où se trouvent les quelques lignes que j'ai traduites, et dans les quatre chapitres qui précèdent. Cicéron y traite de l’action oratoire, et, parmi les éléments qui concourent au succès et au prestige de cette partie importante de l’art, donnant à la voix le premier rang, ad actionis usum atque laudem, maximam sine dubio partem vox obtinet, il remarque que rien ne contribue à la soutenir, comme d’en varier les inflexions, et, babitué qu'il est à répan- dre le charme de l'exemple et l'intérêt du récit sur les matières les plus abstraites, il rapporte aussitôt une anecdote célèbre, et raconte comment Gracchus s’y prenait, pour éviter une décla- mation tendue et monotone. C’est là l'esprit du passage, et le critique, en ne prenant pas garde à l’objet que traite Cicéron en cet endroit, et à l’idée qui l’occupe exclusivement, a été en- trainé à se tromper sur la portée des mots. Mais, même en mettant de côté l’objet, et en ne tenant compte que du texte qui est si simple et si précis, était-il possible d’at- tribuer à Cicéron une absurdité pareille à celle que le critique lui reproche avec une si grande légèreté, et un manque d’égards si sensible, quand il s’agit d’un aussi grand écrivain ? Il en- trait si peu dans la pensée de Cicéron d’assimiler le joueur de flûte de Gracchus au musicien qui accompagne un danseur, que les termes dont il s’est servi excluent toute idée d'un accompa- gnement con{inu, et ne peuvent s'entendre que d’une noteisolée, donnée à propos, et tout à coup, pour le besoin du moment, Qui inflaret celeriler eum sonum, quo aul r'emssUM excuaret, aut à contentione revocaret, c'est-à-dire qui embouchait tout à coup sa flûte, pour en faire sortir, par un coup de langue DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 333 unique, la note destinée à rabaisser ou à élever le ton de l'orateur. Du reste, cette inconcevable méprise du critique, en me don- nant lieu d'examiner avec une attention plus particulière le passage dont il s’agit, m'a suggéré une idée, que je demande la permission de vous soumettre, et qui , de l'état de conjecture où elle s'est d'abord présentée à mon esprit, est maintenant passée pour moi à l'état de certitude, par suite des recherches aux- quelles j'ai dû me livrer. Je n'hésite point à croire que l'instrument dont se servait le musicien de Gracchus, et que Cicéron désigne sous le nom de petite flûte d'ivoire churneolà fistul&, et qu'Aulugelle appelle lui-même une flûte courte, breui fistulé , n'était point une flûte proprement dite, un instrument complet, capable de suffire à un accompagnement continu, mais une sorte de dia- pason , un instrument tonal, propre seulement à donner les notes , c'est-à-dire les consonnances que la voix fait le plus sou- vent entendre dans le débit oratoire. Je raisonne ici, non-seu- lement d'après le texte de Cicéron, et d’après celui de Plutarque, que je mettrai tout-à-l'heure sous vos yeux, mais encore par voie d'analogie. Après une longue controverse sur une question que le der- nier siècle a fort débattue , il semble qu'on se soit accordé à reconnaître que, sur les (héätres anciens, si le canticum ou monologue était toujours chanté, il n’en était pas ainsi du dialogue, c'est-à-dire que la déclamation n'était pas notée, à proprement parler, mais que l'instrument qui accompagnait la voix de l'acteur, n'était destiné qu'à la soutenir de temps en temps, pour l'empêcher de trop monter ou de trop descendre, Or, c'était précisément le genre d'office que le joueur de flûte rendait à Gracchus , et, pour ce simple ministère, il devait suf- fire d’un instrüment spécial, d’une étendue bornée. C’est ce qui me paraît résulter de l'examen de deux endroits, où Plutarque rapporte la fameuse anecdote , et surtout d’un passage beaucoup plus concluant de Quintilien. Plutarque termine ainsi, dans la vie des Gracques , le pa- 23* . 33% MÉMOIRES rallèle qu'il a établi entre les deux frères, dès les premières pages de leur biographie. « L'un était doux et gracicux, l’autre violent et colère, de sorte qu'en haranguant, il se laissait aller quelquefois à son courroux contre sa volonté, jusqu’à hausser sa voix en un {on plus aigu ; mais parce qu'il se sen- tait sujet à de semblables saillies, il usa d’un tel remède. Il avait un serviteur qui avait un instrument de musique dont on se sert pour enseigner à hausser et abaisser les tons, etc. », povacxxdy dpyavoy, dit le texte, & Tab obévyyouc avabu6élouct, v 2% Wu © v ete. : et ailleurs, dans le traité intitulé TeoÙ dopynoixc, C'est- à-dire des moyens de réprimer la colère , il appelle le même instrument du nom de ovgivyuv, c'est-à-dire petite flûte, en lui attribuant la même destination, à savoir celle qui consiste à faire passer tout doucement la voix de haut en bas, et de bas en haut, et dont les maîtres de chant se servent pour enseigner à entonner. Il semble qu'après ces deux passages, il n’y ait plus rien à désirer sur le genre et l'attribution de cet instrument. Toute- fois, Quintilien va le désigner sous un nom tout à fait spécial et technique, qui ne laisse plus aucun mérite à ma conjecture, tant il me paraît lui donner le caractère de la certitude. Dans un chapitre consacré à démontrer la nécessité de l'étude de la musique pour l'orateur, amené à dire que celui qui pratique l'éloquence doit avoir un soin particulier de sa voix : « conten- » lons-nous, poursuit-il, sans anticiper sur ce sujet, d’un seul » exemple, de celui de C. Gracebus, le plus grand orateur de » son temps. Toutes les fois qu'il parlait en public, un musicien » se tenait derrière lui, et sur une flûte appelée TOVAPLOV » quam rovagwv vocant, lui donnait le ton convenable. » Il me semble qu'il n’y a plus maintenant d’équivoque sur le vrai sens du passage de Cicéron , ni de moyen de douter du genre et de la destination de l’instrumeut dont se servait le mu- sicien de Gracchus. Mais la critique d’Aulugelle, si on se rappelle le passage que j'ai transerit plus haut, a deux parties. Ceux , dit-il, qui ont rapporté le fait d'une manière plus exacte, disent que le joueur » DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 335 de flûte n'était pas là pour une double fin , parce que le génie, naturellement emporté, de Gracchus n'avait pas besoin d’une excitation extérieure. Je discuterai ce second reproche, quoiqu'il me semble bien puéril. Je crois, avec Cicéron, dont Valère-Maxime et Quintilien ont répété l'assertion , que le musicien avait un double office à remplir, précisément à cause de la fougue et de la véhémence dont parlent Plutarque , Aulugelle et Dion Cassius, et c’est la raison qu’en donne Valère-Maxime : « parce que, dit-il, la cha- » leur et l'emportement de son action le mettaient hors d'état » d'apprécier lui-même le tempérament qu'il fallait garder : Quia ipsum calor atque impetus actionis , attentum hujusce lemperamenti æslimatorem esse non paliebatur. On ne peut pas supposer, d’ailleurs, que Caius füt dans un état habituel de surexcitation ; et si l'office principal et en quelque sorte originel du joueur de flûte, était de calmer les éclats de sa voix, ül pouvait arriver à cet orateur, dans des moments plus calmes, comme il arrive à (ous ceux qui parlent en public , mais préci- sément à lui, quand la violence de son action l'avait fatigué, que sa voix vint à baisser, et que, par l'effet d’une dégradation successive, tombée dans les tons trop graves, elle ne fut plus entendue des extrémités de l'auditoire. Alors le musicien don- nait tout à coup, comme dit Cicéron, celeriter, une note pour la relever et la rétablir dansle medium, en la ramenant au point de départ. « En effet, dit Quintilien, il faut laisser à la musique le son » très-grave el le son très-aigu; ils ne conviennent point à l'ora- » teur. Le premier n'a pas assez d'éclat, il est trop plein pour » remuer l'âme ; le second , trop délié et trop clair, est évidem- » ment forcé, et ne peut dès lors être assoupli par la pronon- » ciation..... Il faut donc recourir à des sons moyens , mediis » ergo ulendum sonis, sauf à les animer, si on veut leur donner » plus de vigueur, ou à les modérer, si on veut en amoindrir » l'effet. » Ce sont là les vrais principes, et Cicéron n’en a point d'au- tres. Il parle aussi de ce medium de la voix dont il faut partir, 336 MÉMOIRES et où il faut revenir sans cesse , après en avoir parcouru tous les tons, à l’aide d'une variété qui la conserve, la soutient, et donne de la grâce au débit. Quant au joueur de flûte, dit-il, en terminant toute cette discussion pleine d'intérêt, par un de ces traits charmants dont il a l'habitude, vous le laisserez chez vous, mais vous ferez bien d'apporter au forum l'esprit de sa méthode. En résumé, je crois avoir démontré, contre l'opinion d’Au- lugelle, que les termes dont s’est servi Cicéron, n’insinuent, en aucune facon , l’idée d’un accompagnement continu, et d’une pratique du théâtre, transportée à la tribune ; qu'il est plus que probable, en second lieu , que l'office du joueur de flûte était à double fin , et que la note même qu’il avait le plus habituelle- ment à donner, suffisait pour les deux cas, en ramenant l’ora- teur au medium de sa voix, c’est-à-dire à lintonation du départ ; enfin , que la flûte dont il faisait usage pour cet objet, était un instrument {onal , Tovagov, comme dit Quintilien , d’une échelle très-bornée, et commele font entendre les diminutifs dont se servent, chacun dans leur langue, Cicéron, Aulugelle et Plutarque. Je terminerai par une remarque qui n’est peut-être pas sans importance. C'est que les mots fistula et ovpévyiov, exclusi- vement employés par les écrivains dont j'ai parlé, indiquent, non une flüte droite ou oblique, à bec ou à trous, mais une sorte de flüte ou de sifflet pastoral , à tuyaux, vulgairement ap- pelée flûte de pan : remarque, si elle était fondée, qui appuie- rait, je crois, l'idée que j'ai émise et que j'ai défendue, d’un instrument qui aurait appartenu à l’ordre de la tonalité. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 337 BULLETIN DU MOIS DE JUIN. M. Barry donne lecture de la traduction d’un Récil contem- Séance du 8. porain de la dévastation de la chartreuse de Saix par les religionnaires de Castres, en l’année 1567 , écrit par un religieux de l'abbaye. Au nom de la section de chimie, M. Covserax propose, et l'Académie arrête que le sujet du prix à accorder en 1851 scra une question de chimie. (Voyez ci-après.) Cette séance a été consacrée à entendre les Académiciens qui Pu 15. doivent lire à la séance publique. Séance publique. M. Jory, Président , a ouvert cette séance Du 18. par un Discours sur la nature des animaux comparée à la nature humaine. M. Barry a présenté le Rapport sur le concours pour le prix extraordinaire de l’année 1848. M. Virry , Directeur , a lu l'Éloge de M. Abadie, Associé ordinaire. M. SauvacE a ensuite donné lecture d'une Dissertation sur le Joueur de flûte de C. Gracchus. (Ces lectures sont im- primées. ) M. le Président annonce que l'Académie a décerné à M. Louis- Henri Foxps-Lamorue , Avocat à Limoux (Aude), le rappel 338 MÉMOIRES de la médaille d'argent qu'il obtint l'année dernière sur la même question du Régime municipal dans le Midi de la France, au moyen âge. La séance a été terminée par la lecture et la distribution du programme des sujets de prix proposés par l’Académie pour les années 1849, 1850 et 1851. Voici ce programme : «L’AGADÈMIE rappelle que le sujet du prix à accorder en 1849, est la question suivante : Exposer , d'après l’état actuel de la science , 1° La nature et le véritable siége de la maladie connue sous le nom de colique saturnine (vulgairement colique des peintres) ; 2° Les signes qui peuvent la faire distinguer des affections abdo- minales qui ont avec elle quelque ressemblance ; 3° Les indications curatives qu'elle présente, et la médication la plus rationnelle pour Les remplir. Le prix sera une médaille d’or de 500 fr. L'Académie propose pour sujet de prix de l’année 1850, la question suivante : Rechercher quelle a été l'influence de la Littératare Française sur la Littérature Romane ? Le prix sera une médaille d’or de la valeur de 500 fr. L'Académie propose pour sujet de prix de l'année 1851 , là question suivante : Fésumer les travaux. les plus remarquables qui ont été publiés jusqu'à ce jour, sur le rapport qui existe entre la composition chimique et l’activité des engrais ; discuter la valeur de ces travaux ; rechercher si certaines plantes , et surtout Les plantes alimentaires , empruntent leur azote, soit en totalité, soit en partie, à l'atmos- phère, tandis que d’autres ne l'emprunteraient qu'au sol. Le prix sera une médaille d’or de la valeur de 500 fr. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 339 L'Académie , usant de la faculté qu'elle s'est réservée dans l'art. 26 de ses règlements, a décidé qu’elle pourrait décerner , comme prix extraordinaires, Ceux qui n'auraient pas été remportés les années précédentes. Les savants de Lous les pays sont invilés à travailler sur les sujets proposés. Les membres résidants de l'Académie sont seuls exclus du concours. Les auteurs sont priés d'écrire en français ou en latin, et de faire remettre une copie bien lisible de leurs ouvrages. Ils écriront au bas une sentence ou devise, et joindront un billet séparé et cacheté portant la même sentence , et renfermant leur nom , leurs qualités et leur demeure. Ils adresseront les lettres et paquets, francs de port, à M. le Docteur Ducasse , Secrétaire perpétuel de l'Académie, ou les lui feront remettre par quelque personne domiciliée à Toulouse. Les mémoires ne seront reçus que jusqu'au 31 mars de chacune des années pour lesquelles le concours est ouvert. Ce terme est de rigueur. Les mémoires des auteurs qui se seront fait connaître avant le jugement de l'Académie , seront exclus du concours. L'Académie proclamera, dans sa séance publique , le premier dimanche après la Pentecôte, la pièce qu'elle aura couronnée. Si l’auteur ne se présente pas lui-même, M. le Trésorier perpé- tuel de l'Académie ne délivrera le prix qu’au porteur d’une procu- ration de sa part. L'Académie , qui ne prescrit aucun système , déclare aussi qu'elle n'entend pas adopter tous les principes des ouvrages qu’elle couronnera. » L'Académie procède aux élections des Membres du bureau séance du 22 pour l’année 1849. Le dépouillement successif du scrutin à donné les résultats suivants : M. Noulet a été proclamé Pré- nce du 29. 340 : MÉMOIRES sident ; M. Vitry a été réélu Directeur ; M. Hamel a été nommé Secrétaire adjoint. M. Bexecn communique à l’Académie les deux premiers chapitres d’un Mémoire intitulé : Dés atteintes portées chez les Romains au droit de propriété privée. M. Duror donne lecture à l'Académie d’un Mémoire sur l'origine des antiquités de Vieille-Toulouse. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 341 MÉMOIRE SUR L'ÉTABLISSEMENT DES VOÜTES ELLIPTIQUES EN BERCEAU ; Par M. SAINT-GUILHEM , INGENIEUR EN CHEF DES PONTS ET CHAUSSÉES. L. Pour qu’une voûte appuyée sur un plan fixe soit en équilibre, il suffit que les trois conditions suivantes soient satisfaites : 1° que la résultante des pressions sur chaque joint vienne rencontrer le plan du joint sur le joint même ; 2° que cette résultante, estimée suivant la normale au joint, soit inférieure à la limite au delà de laquelle les matériaux de la voûte s’écraseraient; 3° que langle de cette résultante avec le plan du joint soit plus grand que celui qui permettrait le glissement des voussoirs suivant ce joint. Pour savoir si une voûte projetée restera en équilibre, il suffit donc de connaître pour chaque joint l'intensité, la direction et le point d'application de la résultante des pressions qu'il supporte; or, dès qu’on aura déterminé cette résultante pour un joint particulier, une simple composition de forces, la construction dun simple paral- lélogramme donnera immédiatement , comme la très- bien observé M. Méry, la résultante des pressions sur un joint quelconque. Toute la difficulté de la question de 3.° S.— TOME IV. 24 342 MÉMOIRES l'équilibre des voûtes se réduit donc à trouver, pour un joint particulier, intensité de la résultante des pressions sur ce joint, le point où elle le rencontre et la droite suivant laquelle elle agit. Coulomb a donné le premier, dans son mémoire sur les murs de revêtement et l'équilibre des voutes , une solu- tion de ce problème pour tous les cas où une voûte est sur le point de se rompre. Les géometres ont successive- ment adopté et développé les idées de cet illustre physi- cien. Ils les ont traduites en formules algébriques ou graphiques qu’ils ont appliquées, à l'aide d’un coefficient de correction , au cas où les voûtes sont dans un état d'équilibre stable. Malheureusement ces formules sont d’une application longue et rebutante (*); beaucoup de constructeurs re- noncent à s’en servir, et se bornent à faire usage de for- mules empiriques qui ne sont souvent justifiées que par le sentiment artistique. On comprend dès lors combien il serait avantageux et désirable d’avoir des tables présen- tant tout calculés, pour les cas usuels, les coeflicients d'une équation très-simple dont la solution serait Pin- connue du problème. M. Petit, ingénieur militaire, a exécuté ce travail pour les voûtes en arc de cercle et les voûtes en plein cintre. Les tables qu'il a calculées sont d’une grande utilité, mais d’un usage beaucoup trop restreint, attendu qu’elles ne comprennent à proprement parler qu’une seule espèce de voûtes, les voûtes en arc de cercle. Dans le travail qui va suivre nous considérerons généralement une voûte (*) La formule graphique de M. Méry est sans doute d’une simplicité remarquable ; mais son application suppose toujours la détermination du poids et du centre de gravité d’une somme de voussoirs; et c’est là qu'est presque toute la difficulté de la question. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 343 quelconque dont lintrados est une ellipse; cette courbe comprenant le cercle comme cas particulier, nos tables ] simplifier, qu’il existe au milieu de la voûte un joint ver- tical. ) Or, supposons que la voûte donnée soit sur le point de se rompre : la résultante des pressions exercées sur le joint vertical sera une force horizontale appliquée en un point de lextrados; son intensité sera égale à la pression maxi- mum que supporterait l’arête supérieure du joint de clef en supposant que tous les joints deviennent successivement le joint de rupture. C’est ainsi que Coulomb a déterminé cette force à laquelle il a donné le nom de poussée hori- zontale. Toutes les expériences qui ont été faites avant et après l’exposition de cette méthode, n’ont fait qu’en confirmer l’exactitude. Si la voûte étant comprise entre deux surfaces cylin- driques , comme nous le supposons ici, est terminée par deux plans perpendiculaires aux arêtes de ces surfaces et que la maçonnerie qui la compose soit sensiblement homogène , il est évident qu'on pourra toujours réduire la voûte à son profil en admettant que chaque élément superficiel du prolil est multiplié par la densité de la voûte et par la longueur de celle-ci. Nous supposerons dans tout ce qui va suivre que cette réduction a été faite. Nous supposerons aussi que les voussoirs en nombre infini sont infiniment minces; qu'ils ont leurs faces de joint planes et perpendiculaires à lintrados, comme cela a lieu ordinairement, et qu'ils n’ont aucune adhérence entre eux. 346 MÉMOIRES Cela posé, soit : x;y les coordonnées horizontale et verticale d’un point quelconque de l’intrados de la voûte en prenant pour origine un point situé au-dessous du sommet de l’intrados sur la verticale qui passe par ce point ; b lordonnée du sommet de l’intrados ; e le rayon de courbure de lintrados au point æ, y; {Ja longueur du joint correspondant au même point; e la longueur du joint vertical; & l’angle aigu que la normale à l’intrados au point D 2 à fait avec la verticale ; S l’aire du profil de la voûte comprise entre le joint vertical et le joint 7; M le moment de laire S considérée comme un poids par rapport à l’axe des y; P la poussée horizontale ; P' la force horizontale qui, appliquée au sommet de lextrados, maintiendrait le poids $ en équilibre autour du point x,y supposé fixe. Nous supposerons, pour abréger, que la longueur de la voûte entre les têtes est égale à Punité linéaire et que la densité de la maçonnerie est égale à lunité de densité; dans le cas où la longueur de la voûte serait égale à L et la densité à À on devrait multiplier P et P' par le pro- duit LA. Ces notations et suppositions établies, il est facile de voir qu’on aura la relation Sxz—M (= Mers. ou mer 6 Pour avoir la quantité P, il suffira de chercher le maxi- mum de P’ en faisant varier la position du point x, y; mais cette détermination suppose essentiellement que lon DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 347 connait S et M; déterminons donc les expressions généra- les de ces quantités. Pour cela observons que l'élément 4S est compris entre deux normales successives qui font entre elles un angle égal à da; il est terminé d’une part par l'arc de l’intrados dont le rayon est p; d’autre part par une ligne qu’on peut considérer comme se confondant avec l’arc dont le rayon est p+ 7; donc (2) dS=I($+=1)de ou , en observant que pda— ET G) dS=1 + da. Pour obtenir ZM on remarquera que le centre de gra- vité d’un quadrilatère quelconque n’est autre URL que le centre de gravité d’un triangle qui aurait pour sommet l'intersection des deux diagonales du quadrilatère et pour base la droite qui retranche du plus grand segment de chacune des diagonales une longueur égale au plus petit segment. Cette construction appliquée au quadrilatère infiniment mince qui représente dS, démontre que le centre de gra- vité de cet éliment est situé sur le joint qui divise l’angle dx en deux paies égales, à une distance du milieu de ce E joint égale à — 12 p4il on conclut de là que l'élément M sera donné par la formule (4) dM=dS(x+7sina) + P sin da ou en mettant es dS sa valeur : (5) am, ; tanga dx +- =Pxda+: Fsinada 348 MÉMOIRES les formules (3) et (5) étant intégrées donneront les va- leurs de S et de M ; celles-ci étant substituées dans équation («) donneront la valeur générale de Pet cette dernière étant ensuite traitée par la méthode de maximis et minimis fera connaître la valeur de la poussée hori- zontale. Mais , quelque simples que soient les courbes d’intrados et d’extrados, les équations auxquelles on est conduit sont des équations transcendantes qu’on ne peut résoudre qu'approximativement., Selon nous, on peut, dans tous les cas, éviter cette difficulté en observant que la voûte ne doit pas seulement se soutenir en équilibre, lorsqu'elle ne porte aucune surcharge, mais qu’elle doit aussi pouvoir résister à une surcharge déterminée placée dans la posi- tion qui la ferait rompre le plus facilement, c’est-à-dire au sommet de Pextrados. Supposons donc que lon ait placé au sommet de lPextrados un poids 2 Q supérieur au plus fort poids que la voûte ait jamais à supporter , et que l'équilibre soit sur le point de se rompre avec cette sur- charge. Déterminons la poussée dans cette hypothèse, nous aurons évidemment au lieu de Pexpression (1) la suivante : (hop ÉRRR té h (La charge se trouvant répartie sur les deux demi-voûtes est réduite à moitié pour l’une d’elles ). Mais si le point x, y est l'extrémité du joint de rup- ture on aura à la fois b+e— y et p—4lS+ Q)x—M} TE d\b+e—r} J DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 349 ou en observant que dr | dy COSæ sin on aura à la place de cette dernière (8) P—(S+Q)cota—!.#— 1. 2 ss Cette équation, quoique remarquablement simple, vu sa généralité ; n’est pas susceptible d’être combinée avec l'équation (7) pour fournir les valeurs de P et de +. Toutefois observons que la quantité Q n’est qu’une limite au-dessous de laquelle il n’est pas permis de descendre ; mais qu’on peut dépasser sans autre inconvénient que de donner un excès de stabilité à la voûte; que le joint de rupture se trouve toujours vers le milieu des reins. De ces observations il résulte que si lon prend x à volonté vers l’angle de 45°, on aura deux équations du 1° degré entre P et Q qui détermineront, par une équation du 1°" degré à une seule inconnue , ces quantités. Toutefois, si Q était au-dessous de la limite donnée, on devrait faire varier « d’un certain nombre de degrés, de manière à se trouver au-dessus de cette limite. Si la quantité Q était au contraire beaucoup au-dessus de cette limite, on ferait varier « de manière que la valeur de Q obtenue fut con- venablement rapprochée, ce qui n’exigera jamais qu’un petit nombre d'essais. Ainsi nous aurons satisfait d’une manière à la fois sim- ple et rationnelle à la condition que la poussée calculée soit celle qui correspond à une certaine stabilité de la voûte ou du moins à une stabilité minimum. Nos tables sont construites pour ce mode de calcul, sans toutefois exclure l’ancien, comme nous le montrerons un peu plus Join. 350 MÉMOIRES DEUXIÈME PARTIE. FORMULES RELATIVES À L'ÉTABLISSEMENT DES VOÜTES ELLIPTIQUES EN BERCEAU. Nous admettrons maintenant que la courbe d’intrados est une ellipse; que le demi-petit axe —1; que le demi- grand axe — a; que lexcentricité ou a— 1 =c;nous ad- mettrons aussi que l’origine des coordonnées est le centre de la courbe et que par suite celle-ci est représentée par les deux équations —=asin®, ÿ— COS étant un angle auxiliaire où l'amplitude de Pare ellip- tique. Nous conserverons d’ailleurs les notations employées précédemment. Pour calculer S et M, il est indispensable de connaitre la courbe d’extrados, ou, ce qui revient au mème , de sa- voir la loi de variation de la longueur / du joint. La pression normale sur un joint allant toujours en augmentant (*) à mesure que ce joint s'éloigne du joint vertical, il paraît convenable d’augmenter aussi la longueur du joint pour arriver à une distribution plus uniforme de cette pression sur les divers joints. Nous admettrons comme EEE (*) IL est facile de voir que la pression exercée sur le joint qui fait un angle # avec la verticale étant estimée suivant la normale au joint sera représentée par l'expression (SHQ)sinet P cos; la différentielle de cette expression est {(S4Q)cote— P sine da sin « dS ; or on voit clairement, en ayant égard à l'équation (8), que cette der- nière expression est essentiellement positive ; donc la pression normale va en augmentant. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 351 une des hypothèses les plus simples qui satisfont à cette condition , et comme une de celles qui se prêtent le plus facilement au calcul, que les divers joints de la voûte sont déterminés par la condition que leur hauteur verticale est constante, c’est-à-dire que l’on a genéralement (9) = 7 Cosæ formule de laquelle il résulte évidemment que lépaisseur de la voûte correspondante à un joint quelconque est d'autant plus grande que ce joint est plus éloigné du joint vertical; que cette épaisseur serait infinie au point où la voûte aurait un joint horizontal; que par conséquent, dans le cas où le joint des naissances est horizontal ou peu in- cliné à l'horizon, l’extrados doit être interrompu à une certaine hauteur au-dessus des naissances. Nous supposerons toujours qu'à partir du joint dont lextrémité inférieure est à une hauteur, au-dessus du plan des naissances, égale à la moitié de la montée, l’ex- trados se brise pour se prolonger horizontalement jusqu’à laplomb du parement extérieur du piédroit, lequel pare- ment sera vertical. Dans l’exécution , au lieu de prolonger lextrados horizontalement, on lui donnera une faible in- clinaison dont il est inutile ici de tenir compte. Ces diverses hypothèses étant admises, on observera que lon a les relations dy tanga=— 7" —="tange L I (10) Coste — La 7stanpf ? da Ed COS’# acos’9 que, par suite de ces relations, les équations (3) et (5) se transformeront facilement dans les suivantes. 352 MÉMOIRES sin?@ 7 dS—=ea cosg de+< lp+e cos s cos? (11) Le Lion ‘cos a 3° a? cos? ces deux dernières équations peuvent elles-mêmes être exprimées sous les formes suivantes : (6) P={(S+Q)A-M}.S (7) P=f(S+Q)B—R).À dans lesquelles les quantités N, B,R étant représentées comme 1l suit : |» R=e(ro+re+r,e) on aura : A=a sin @ No 1— COS @ b,—=a coto.n, b,=acote 354 MÉMOIRES et les équations (16) et (17) pourront être remplacées par les deux suivantes (18) SFO—T (19) P—{(S+Q)A-—M}.— Les tables jointes à ce mémoire donneront, toutes cal- culées, les valeurs de 5, 5,, M, m,,m,, À ,n, bo, b,, To, T, > ', pour les valeurs de © qu’on peut se borner à essayer. Lorqu’on effectuera les calculs , il conviendra d’opérer comme il suit : on prendra pour première valeur de ©, savoir : @— 52°; un Calcul très-simple donnera à laide de l'équation (18) et de la table I la valeur de Q; si cette valeur est convenable, l'équation (19) donnera la valeur de P correspondante ; si elle n’est pas convenable, si elle est trop petite par exemple, on fera le même cal- cul pour 9— 45° et ainsi de suite jusqu’à ce qu’on trouve une valeur de Q qui ne soit pas au-dessous de la sur- charge de stabilité n1 beaucoup au-dessus. Après deux ou trois essais au plus on arrivera à une valeur de Q convenable , la valeur correspondante de P sera la poussée. Si on voulait calculer la poussée qui correspond à une surcharge donnée, on y parviendrait facilement d’une manière très-approximative, à laide de notre table I, ainsi qu'il suit. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 355 Imacinons que lon ait fait successivement dans nos formules : p=300, 4o0,144°, 48°, 520, 56°, 6a°,.68° désignons par ®,_,, @ns Pur,» trois valeurs successives parmi les précédentes telles que les valeurs correspon- dantes de P’ représentées par P’ P’,,, P’,., aillent en augmentant en passant de P’,,_,, à P’,, et en diminuant en-passant de P’,, à P’,,,, la valeur de © qui correspond au maximum P' sera évidemment comprise entre ®,,_, et Pn+,3 elle s’éloignera peu par conséquent de 9,,_, de ©. et de 6,:,, si l’on appelle 6,+x une valeur quelconque de € ? on pourra admettre que pour une valeur de + voisine dé ®, On à généralement (20) P'=A+Bx+Cx m—1) m) Cette formule sera suffisamment exacte pour la valeur de æ qui correspond au maximum de P’ et aussi pour celles qui correspondent à P—= Qui P—Pns P—Pnr19 c'est-à-dire pour @…——4°, p=0, —+4°; or ces trois dernières hypothèses donnent : A — —P! pli Pom: C un + Py, —2P, £ m3 T' NT E Te 32 elles font connaître, par conséquent , les trois coefficients de la formule (20) de laquelle on déduit immédiatement par la méthode de maximis et minimis B Cette méthode d’approximation, qui est très-simple, a été donnée par M. l'ingénieur Garidel, dans le n° 12 du Mémorial de l’oMicier du génie. Nous avons dit précédemment qu’on pouvait se servir de nos tables pour calculer la poussée théorique telle 356 MÉMOIRES qu’on la considère ordinairement; on voit en effet que, dans ce cas, il suffit de calculer la poussée qui correspond à une surcharge nulle. Détermination de l'épaisseur des piédroits de la voûte. Nous rappellerons qu’à partir du joint dont l'extrémité inférieure est à une hauteur égale à la moitié de la montée au-dessus du joint des naissances, l’extrados se brise et se prolonge suivant un plan horizontal jusqu’à la rencon- tre du parement extérieur du piédroit. Dans cette hypo- thèse, si l’on désigne par ®’,«,S',M' les valeurs de o, «, S et M correspondantes au joint où se termine la courbure de lextrados, c’est-à-dire au joint ED pour Le- quel @=6o°; par S” l'aire AEB CD G comprise entre le joint vertical et la verticale qui correspond au parement intérieur du piédroit dans la demi-voûte que lon consi- dère; par M” le moment de Paire S” par rapport à la es OC qui correspond au sommet de la voûte ; par 3 l'épaisseur cherchée AN des piédroits ; par L leur LAS on aura d’abord S'—=BEDC+HAGIF-IDE-AEF BEDCSSS AGIF=a(1—sing )(cos® +e) IDE—etange, LL A ER EEE pr / ; AEF—— (£ g— sin? cos) r étant la demi-circonf. dont le rayon — 1 on aura ensuite : moment de S/— moment de BEDC + moment de AGIF— moment de IDE— moment de AEF, tous ces moments étant pris par rapport à la verticale O C DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 357 ONE dE à M le moment de BEDC............ ds Déters sn 2] 2] 2 4 A à à u SJ 4 le moment de AGIF.......... = (cos? +e) cos’? 1 . T le moment de IDE... —; € tanga’.a sing’ +zetang x le moment de AEF.. trees ge a cos" donc ; =S"+a(i-sin')( cos +e)—| DE L’ACADÉMIE DES SCIENCES. 361 plus grande que celle que nous avons trouvée dans lhypo- thèse où le pont est chargé de {0 tonnes, peut être admise sans inconvénient ; alors en mettant pour SÆ Q sa valeur dans la formule p—(5+@QA—M — N on aura : P=o,372rr. Cette valeur de P étant trouvée, ainsi que la valeur de Q correspondante , il sera aisé, à l’aide de la table IT et des formules S'— ss! e M'=m",+m'.e+ me de calculer les trois coefficients k=h+et+ k,=Q+S" | k,—2{\P(2+e+1)+M"—(Q+S")a après quoi on déduira immédiatement la valeur de z en mètres au moyen de la formule —k,+ VRHRR, b FN 2 Fc . dans laquelle b est la montée en mètres. On trouve pour le problème que nous avons posé S'— 0,39265 M"=—0,33996 D ko=1,90 k,=0,45355 k=1,10038 3—23%,8010 Les tables publiées par Sganzin dans son Traité des constructions, donnent, pour le cas dont il s’agit, z = 40,30. On voit que l’on peut en toute sécurité faire une grande économie de maçonnerie. Pour g=56°onaurait 2Q—0,0451, valeur trop petite. 362 MÉMOIRES Taece [, donnant les coefficients des termes de la formule qui sert joints ont une hauteur 360 | 0,67428 40 |0,76291 4% |0,85690 48 |0,95747 82 |1,06616 86 |1,18305 60 |1,31696 64 |1,15591 68 |1,63794 36° |0,93935 40 |1,04428 4% |1,15014 48 |1,25759 52 |1,3674 56 |1,48090 60 |1,59967 64 |1,72628 68 |1,86461 36° | 1,21892 40 |1,34564 4% |1,47049 48 |1,59344 52 |1,71509 56 |1,83608 60 |1,95752 64 |2,08114 68 |2,20794 0,36327 0,41953 0,48284 0,55531 0,63997 0,74198 0,86603 1,02515 1,23754 0,24218 0,27970 0,32190 0,37020 0,42665 0,49%19 0,57735 0,68343 0,82503 0,18163 0,20977 0,24142 0,27765 0,31998 0,37064 0,43301 0,51237 0,61877 0,21193 0,26651 0,32942 0,40178 0,48506 0,58126 0,69315 0,82469 0,98188 0,63098 0,74690 0,87319 1,01082 1,16196 1,32956 1,51919 0,73018 0,88631 1,05347 1,23008 1,41656 1,61221 1,81815 2,03639 2,27143 0,23607 0,30541 0,39016 0,49448 0,62427 0,78829 1,00000 1,28117 1,66947 0,44903 0,53765 0,69177 0,86111 1,08130 1,37950 0,21916 0,27851 0,34913 0,43313 0,53430 0,65799 0,81250 1,01130 1,27800 Plein-cintre: | 0,08798 | 0,19098 | 0,58779 0,11735 |0,23396 |0,64279 0,15542 | 0,28066 | 0,69466 0,20558 | 0,33087 |0,74314 0,27305 | 0,38434 |0,78801 0,36633 | 0,44081 | 0,8290% 0,50000 | 0,30000 | 0,86603 0,70063 | 0,56163 |0,89879 1,02160 | 0,62539 |0,92718 Votes surbaissées 0,03910 |0,19098 | 0,88168 0,05216 |0,23396 | 0,96418 | 0,06893 | 0,28066 | 1,04199 0,09137 |0,33087 | 1,11421 0,12134 |0,3843% |1,18201 0,16281 |0,44081 | 1,24356 0,22222 | 0,50000 | 1,29904 0,31139 | 0,56163 | 1,34818 0,48374 |0,62539 | 1,39077 Voûütes surhaissées 0,02200 | 0,19098 | 1,17558 0,0293% | 0,23396 | 1,28558 0,03886 | 0,28066 | 1,38932 0,05139 | 0,33087 | 1,48628 0,06826 | 0,38434 | 1,57602 0,09158 | 0,44081 | 1,65808 0,12500 | 0,50000 | 1,73206 0,17516 | 0,56163 | 1,79758 0,25525 |0,62539 | 1,85436 | € DE L’ACADEMIE DES SCIENCES. 363 à calculer la poussée des voûtes elliptiques dans le cas où les verticale constante. D a—1l. | 0,26289 | 1,37638 |0,14590 |0,88419 | 0,62955 | la montée dé vote | 0,27883 |1,19175 |0,19936 |1,02554 |0,74150 | la demi-ouverture —a M À|0,29063 |1,03553 |0,27420 |1,21769 |0,89559 { l'épaisseur älaclef —e D |0.20792 | 0.920040 lo,36948 | 1,48485 |1,14262 | ! demi-surcharse =Q) | ) > la poussée horizontale —P 0,30033 | 0,78129 |0,50700 | 1,86811 | 1,42830 0,20783 |0,67451 |0,70485 | 2,43033 |1,90633 | 0,28867 | 0,57735 |1,00000 | 3,33333 |2,66667 | m0, peter 0,27393 |0,48773 |1,46127 | 4,98529 | 3,95670 | N—» +e | 0,25267 | 0,10403 | 2,22824 [7,52910 |6,34140 | B=2.+be au tiers; a—1,50. Lu Lbrsn.f) 0,3943% |2,06457 | 0,11790 |0,67077 | 0,27980 | 0,41824 |1,78762 | 0,15359 | 0,73358 | 0,32956 | S+Q=— 0,43595 |1,55329 |0,19837 | 0,81850 | 0,3980% io 2-9 o,41688 |1,35060 |0,25612 |0,93771 | 0,49450 | P= N 0,45041 |1,17193 | 0,33207 |1,10800 | 0,63480 ces | 0,44599 |1,01176 | 0,43571 | 1,35970 | 0,84726 | 0,43301 |0,86603 | 0,58333 | 1,75927 | 1,18520 0,41089 |0,73160 |0,80546 | 2,49258 |1,75853 0,37901 |0,60604 | 1,18520 | 3,62332 | 2,81840 au quart; a— 7%. 0,52578 |2,75276 |0,10810 |0,59606 | 0,15739 | 0,55766 |2,38350 |0,13757 |0,63138 | 0,18537 0,58126 |2,07106 |0,17305 | 0,67942 | 0,22390 0,5958% |1,80080 | 0,2164# |0,74622 | 0,27815 0,60066 |1,56258 |0,27087 0,84201 |0,35707 0,59466 | 1,34902 |0,34151 | 0,98483 | 0,47658 0,57734 |1,15470 |0,43750 | 1,20833 | 0,66667 | 0,54786 |0,97546 | 0,57591 | 1,62083 | 0,98917 | 0,50534 :0,80806 | 0,79162 | 2,25725 | 1,58535 56% MÉMOIRES Tasse Î, servant à calculer les quantités S, M° qui entrent dans l'équation relative à la détermination de l'épaisseur des piédroits. 772 7/1 11 0 c be ms, m, m, Observations. | | 1.00 0,02169 |1,45093 |0,02083 |0,81815 |0.25000 S'— 5"0 +5", e 1.50 |0,0325% |1,80062 | 0,04688 |1,44321 |0,11111 y», meme 2.00 |0,04338 |2,22546 |0,08333 |2,31815 | 0,06230 Tarce , donnant la longueur de l'arc d'ellipse compté à partir du pelit axe pour des valeurs de @ qui croissent de 5 en 5 degrés à partir de O jusqu'à 90°. © E E’ E’ Obsurvalions, 5° |0,08727 | 0,08720 |0,08718 40 |0,17453 | 0,17404 |0,17387 à FR Lea eut E,E, E" sont des arcs d’ellipses dons = ) ; ) l’amplitude est @, ces ellipses ayant 25 |0.43633 |0,42881 |0,42612 respeclivement pour leur demi-petit 30 |0,82360 |0,51073 |0,50609 axe ,1, = 35 |0,6:087 | 0,59068 | 0,58332 40 |0,69813 | 0,66844 | 0,65746 45 |0,78539 |0,74382 | 0,72822 50 |0,87266 | 0,81647 | 0,79538 55 |0,95993 | 0,88709 | 0,85879 60 |41,04720 | 0,95496 |0,91839 65 |1,13446 |1,02043 | 0,97427 70 |1,22173 | 1,08362 | 1,0266% 75 |1,30900 | 1,15088 | 1,07586 80 |1,39626 | 1,20496 | 1,12249 85 |1,48353 | 1,26376 | 1,16726 90 |1,37080 | 1,32202 | 1,21106 Demi-grand axe —1. ® = arc sin x. 2 EE DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 365 . * NOTE I. Où l’on donne une formule générale pour déterminer l'épaisseur à la clef de toute espèce de voûte. La formule donnée par Perronnet pour lobjet dont il s’agit est la suivante : 1 eu =. 2 —$) +0", 325 dans laquelle e est l'épaisseur cherchée en mètres, et D l'ouverture de la voûte exprimée également en mètres. Cette formule a deux défauts reconnus par les ingénieurs : 1° elle donne des résultats trop forts pour les voûtes en plein-cintre de grande dimension ; 2° elle ne Lient pas compte du surbaissement des voûtes. Selon nous , on peut lui substituer avec avantage la formule qui suit : e= À (D—f)+0",35 dans laquelle f est la flèche ou la montée de la voûte exprimée en mètres ; D et e ont les mêmes significations que précédemment. Comparons les deux formules. Voütes en plein-cintre. Pour D—6"%, 12%, 18%, 24", 30", 36" la formule de Perronnet donne =D, 0,74, oÙ,00, 110,100. 10: notre formule donne €—=0",90 10 09, 0 300, 0,00 L,10, 17;3e Nous croyons ces épaisseurs parfaitement suflisantes , et nous le croyons d'autant mieux que nous avons vu bien des voûtes qui dans des conditions ordinaires pour la qualité des matériaux et pour le mode d'emploi ont même des épaisseurs moindres. Voûtes surbaissées au tiers. Pour les mêmes valeurs de D on trouve : par notre formule , 6=0",55, 0",754 000% 4159360755; par la formule de Perronnet , e=0",53,0",74, 0,05, 1,15, 1,00) 07; 366 MÉMOIRES d’où l’on voit que dans ce cas les deux formules s’accordent presque exactement ; nous croyons en effet que dans ce cas la formule de Perronnet est parfaitement applicable. Pour les voûtes très-surbaissées , les voûtes en arc de cerele, par exemple, les deux formules donnent des résultats sensiblement dif- férents ; nous ne citerons qu'un exemple : La voûte du pont de Lena est une voûte hardie, établie dans les conditions les plus convenables ; l'ouverture est de 28", la flèche de 9,90. La formule de Perronnet donnerait pour l'épaisseur à la clef É— 1,20, Notre formule donne e— 1,58. La dimension suivie dans l'exécution est e— 1,44. Le résultat fourni par la formule de Perronnet nous semble un peu faible , le nôtre est trop fort de 14 centimètres; il vaut mieux que la différence soit en plus qu'en moins. Aucune des deux formules précédentes ne tient compte de la ré- sistance des matériaux à l’'écrasement. Nous croyons qu'on pourrait sans danger adopter la formule suivante : dans laquelle R est la résistance des matériaux à l’écrasement, en prenant pour unilé de résistance celle de la brique supposée de 1 kilogramme par millimètre carré. NOTE IE. Où l’on détermine la poussée et l'épaisseur des piédroits d'une voûte en urc de cercle. Dans les voûtes en arc de cercle, le joint de rupture coïncide généralement avec le plan du coussinet ; nous admettrons qu'il en est ainsi pour la voûte que nous allons considérer; la suite des calculs apprendra si cette hypothèse est ou non admissible. Nous admettrons aussi, comme pour les voûles elliptiques, que les joints ont une hauteur verticale constante et que la surface d’ex- trados déterminée par cette loi se prolonge jusqu'au plan du cous- sinet. À partir du plan du coussinet le massif sera terminé dans la partie supérieure par un plan horizontal. Pour calculer d’abord la poussée, on aura loujours recours aux formules suivantes : DE L’ACADÉMIE DES SCIENCES. 367 M—R p—(S+Q)4A-M N dans lesquelles , # étant l'angle du plan du coussinet avec la verticale, ER . J'+sin La S—e. = log que rés tange 8— —— « p3 è ao? M=—e.log —— +" (= 1) +e. gang D N=fni00 A=sin« B=—N cot« R—IN. + (iii ) 2 cos ,æ 3 cos Si la valeur de Q qu'on déduira de ces formules est supérieure à la demi-surcharge de stabilité, la valeur de P correspondante sera la vérilable poussée; dans le cas contraire, on sera averti que le joint de rupture est plus haut qu’on ne l’a supposé : il sera nécessaire de le relever. Pour calculer l'épaisseur des piédroits, représentons par D l’ou- verture de la voûte, par f la flèche, par h la hauteur des piédroits depuis la base jusqu'à la naissance de l'intrados de la voûte, par z l'épaisseur cherchée ; toutes ces quantilés étant exprimées en sup- posant le rayon de l'intrados égal à l'unité. Nous trouverons faci- lement , dans le cas actuel. 2(h+e)+az(S+Q)—2 (PCR + 0e) +M—(S+Q.:D} dans laquelle on a fait pour abréger + 1 S=S— ; lang M,=M— 2e lang? # Le plus souvent l'arc de l’intrados des voûtes en arc de cercle est de 6o° et par conséquent le demi arc est de 30°, dans ce cas on aura : S—0,54931e—+0o,2886: e? M—o0,14384 e+0,15450e + 0,05556 e3 N—f+e A—=0,5 B=—N. 1,73205 R—; N(1+0,:6980 e )e?. 368 MÉMOIRES NOTE IIL. Où l’on détermine La poussée horizontale d'une voûte elliptique extradossée parallèlement. Les notations du mémoire élant admises, si l’on appelle E l'arc elliptique compris entre le sommet de l'intrados et le point +, y; © un angle tel que Fon ait C Cos g —= COL w on aura les relations suivantes : æ— 4 Sin @ y—Cos 9 1 tang & — = tang o COS & — & COS @ Sin © dE—pde 2? cos # 2 cos? & ; du —de=usin? «d@ a cos” ® csnçode— Ca PAP n° Au moyen de ces relations, les formules générales (3) et (5) devien- nent : dS=edE+"e de __ea do re TAC G Res dM=— te sinpgde+=. : dote sin & dœ on déduit de là par les règles ordinaires du calcul intégral les deux formules suivantes : SEE 2 ( log.tang - o—log.tang . D — _ 2) + a° | à +{ 1—cos9+T(a—a)} indique la somme de tous les Lermes sem- 370 MÉMOIRES blables à celui qu’affecte ce signe depuis le joint impair n° 1 jusqu’au joint impair qui précède le joint pair auquel on s'arrête, Ces expressions ne sont évidemment autre chose que la traduc- tion graphique des formules (2) et (4) du texte. Remarquons que l’on a 1 l Rat) ge 2 î 1 TT EU pæ+=l pl e donc on aura aussi : 72 p+=l Cette dernière expression est indépendante du rayon de courbure et peut s’évaluer très-facilement avec le compas. On n’a, en effet, qu'à prendre avec le compas la différence C— c qui sera toujours très-petite, et à la porter sur C autant de fois qu’elle peut y étre contenue ; si n est ce nombre de fois, on aura : 12 DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 371 OBSERVATIONS SUR LES MACHOIRES DES HÉLICES DE LA FRANCE ; Par M. A. MOQUIN-TANDON. SI. Les Æélices présentent, dans la bouche , en haut , derrière la lèvre supérieure , une petite mâchoire ( Peigne dentaire Blainv.) dure, cornée , en forme de croissant , placée transversalement le bord concave dirigé vers le bas, et plus ou moins courbée d'avant en arrière. Dans sa belle anatomie de l'Aelix Pomatia , Cuvier a bien décrit et bien figuré cette mâchoire (1). La plupart des auteurs qui ont parlé du système digestif des Æélices , n'ont fait que répéter la des- cription succincte du célèbre anatomiste. Quelquefois même, ils se sont bornés à reproduire sa figure (2). M. Vanbeneden, professeur à l'Université de Louvain, auquel nous devons une bonne anatomie de l’Æelix Algira (3), a fait ressortir les différences de structure qui éloignent cette espèce de l'Aelix Pomatia ; il a montré que sa mâchoire offrait une organisation particulière qui rappelait assez bien le bec des Céphalopodes ou , si l'on veut, la mandibule supérieure d'un bec de perroquet. Cette structure remarquable m'a inspiré le désir d'examiner les mächoires des autres Æélices de la France. Il m'a semblé qu'un organe, d’une si haute importance dans la Taxonomie des Vertébrés et des Articulés, devait avoir quel- (:) PI. 2, f. 4. (a) Voy. Feruss. pl. 23, f. 5. ‘3) Ann, scienc. nat. mai 1836. 372 MÉMOIRES que valeur dans l’embranchement des Mollusques. J'ai décrit et dessiné les mâchoires de presque toutes les Æélices signalées comme Françaises. J'ai reconnu bientôt que ces mâchoires étaient organisées d’après deux systèmes différents, Les types de ces deux systèmes nous sont offerts assez exactement par les Æelix Pomatia et Algira. Les mâchoires de la première forme sont légèrement courbées d'avant en arrière. On remarque, sur leur face antérieure, des côtes plus ou moins verticales, parallèles ou à peu près paral- lèles, qui dépassent le bord libre où elles forment autant de denticules plus ou moins pointues. Les mâchoires de la seconde forme sont fortement arquées d'avant en arrière, quelquefois même carénées dans le milieu. On n’y observe ni côtes antérieures, ni denticules marginales ; mais elles présentent, vers la partie moyenne du bord libre , une saillie plus ou moins large offrant quelquefois l'apparence d'un bec. La présence de ces deux sortes de mâchoires se lie avec des différences notables dans le reste de l’organisation. Ç II. Denis de Montfort a proposé, en 1810 (1), d'établir un nouveau genre, pour l’Æelix Algira, sous le nom de Zonites. Ce genre correspond en partie à la première section ( Verticelli) des Hélices Aplostomes de Ferussac (2). IL est fondé uniquement sur la structure de la coquille; mais il doit être maintenu, puisqu'il est confirmé par l'organisation de l'animal (3). M. Gray, dans sa nouvelle édition du Manuel des Mollusques terrestres et fluviatiles des iles Britanniques, par William Tur- ton (4), a adopté le genre dont il s’agit, en y faisant entrer avec raison, les Æélices hyalines de Ferussac. Il divise Îles DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 373 Zonites en deux groupes , les verticillatæ | Perticilli Fer. ) et les Ayalinæ (1). Je partage entièrement l'opinion de M. Gray ; je ferai remarquer seulement que l'Æelix rotun- data de Müller ( Zonites rotundatus Gray ) , quoique sa co- ‘quille représente une coquille d’Æelix Alvira en miniature , ne doit pas être compris dans ce genre ; car sa mâchoire est pourvue de cannelures antérieures et de denticules marginales, J'en dirai autant de l'Æelix rupestris de Draparnaud ( Zoni- tes umbilicatus Gray ). C’est sans doute la largeur de l’ombilie, dans ces deux Mollusques, quai les a fait rapprocher par Fe- russac de l'Aélice Algérienne, et qui a condait M. Gray à les placer dans le genre Zoxites ; mais les ressemblances des coquilles sont quelquefois trompeuses, comme l'ont fait obser- ver avec raison MM. Deshayes et de Blainville. S IE. Le genre Zonites , réduit à ses espèces légitimes, me paraît un genre naturel. L'animal est ordinairement grêle et couleur d’ardoise plus ou moins foncée. Il sécrète un mucus assez aqueux ; il ne cons- truit pas d'épiphragme; il s'enfonce habituellement dans la terre humide et paraît plus nocturne que la plupart des Æélices ordinaires ; il aime les substances végétales et animales en décomposition ; il est très-carnassier et s’introduit dans l’inté- rieur des coquilles des /Zélices pour en dévorer l'habitant ; il exhale une odeur particulière, surtout quand on le dissèque ou quand on l’a plongé dans l’eau bouillante. Cette odeur paraît plus ou moins alliacée. Enfin , ce qui achève d'établir la valeur réelle de ce genre, son appareil génital ne présente ni dard , ni bourse à dard (2), ni vésicules multifides (3). (1) Comme Montfort, M. Gray fait le genre Zonites masculin. J'ignore pourquoi il donne aux noms de section une désinence féminine. (2) Draparnaud a décrit, dans son Prodrome (p. 95) et dans son grand ouvrage (p. 115) le dard de l’Helix A/gira; s'est évidemment trompé. (3) D’après M. Vanbeneden , ces vésicules sont représentées dans l’Æetix Algira par un corps glanduleux sans appendice. Ce corps parait être une proslale. 3.° S. — TOME IV. 26 374 MÉMOIRES La coquille des Zonites est mince, luisante, un peu transpä- rente et munie d’un péristome simple , c’est-à-dire , ni épaissi, ni bordé, ni réfléchi. Une des Æélices de France qui, au premier abord , paraît s'éloigner le plus du genre Zonites , 'Helix candidissima de Draparnaud, présente au contraire tous les caractères de ce groupe; ce qui confirme encore la défiance qu'il faut avoir pour les rapprochements uniquement fondés sur les coquilles. Cette Héliceest pourvue d’une mâchoire fauve , légérement orangée , sans côtes, ni stries, ni denticules. Au centre du bord libre, se trouve une saillie obtuse. Dans l'appareil génital il n’y a ni dard, ni vésicules multifides. L'animal est noirâtre et odorant. Sa coquille présente un péristome à peu près simple. Les différences qui distinguent cette espèce des vrais Zonites sont l'épaisseur de la coquiile, son épiphragme crétacé et ses habitudes moins nocturnes. L'animal , fixé aux rochers, résiste facilement aux ardeurs du soleil. Il est digne de remarque, que dans le même genre, viennent se ranger des espèces à têt fort mince et une espèce à coquille très-épaisse. IV. Le genre Zonites , ainsi que le fait observer M. Gray, paraît intermédiaire entre Îles vraies Aélices et les genres étrangers Stenopus et Nanina. On pourrait subdiviser les Zonites en quatre sections : 1. CONULUS. (Genre Conulus, partim Fitzing. 1833. — Helix, sous-genre Conulus Charpent. 1837). Coq. conique, très-mince , demi-transparente, lisse, lui- sante, imperforée. Epiphragme nul. Z. fulvus. 2, HYALINIA. (Helix, sous-genre Helicella, Aplostomæ hyalinæ Fer.1822. — Sous- genre Hyalinia Agass. 1837. — Zoniles, sous- genre hyalinæ Gray 1840 ). DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 375 Coq. déprimée, très-mince, demi-transparente, très-lisse, | très-luisante, ombiliquée (rarement perforte ou imperforée). Epiphragme nul. Z. hyalinus, crystallinus, nitidus, nitidulus, nitidosus, radiatulus, nitens, cellarius, lucidus, fulgidus , oliveto- rum..….… 3. VERTICILLUS. (Helix, sous-genre Helicella, Aplostomæ Verticilli Fer. 1822. — Zoniles, sous-genre verticillatæ Gray 1840 ). Coq. déprimée, mince, à peine transparente , légèrement striée, peu luisante, largement ombiliquée. Epiphragme nul. Z. Algirus (1). &. CALCARINA. Coq. globuleuse , épaisse , très-opaque , lisse ou striée, mate, obliquement perforée. Epiphragme crétacé, Z. candidissimus (2). $ V. Les vraies Hélices sont caractérisées par une mâchoire pourvue de côtes antérieures et de denticules marginales. Dans la plupart des espèces , j'ai compté de 5 à T7 côtes bien distinctes. Il y en a 6 dans les Æelix lapicida, Pyrenaïca , apicina , k dans l'arbustorwm et le splendida , de 3 à 5 dans le serpenlina et le personata , de 2 à 4 dans le zozata , 3 dans le Raspailii et 2 seulement dans le Pisana. D'autres espèces en présentent un plus grand nombre. J'en ai observé de 7 à 9 dans les Zelix fruticum et maritima , 10 dans le conspur- cata , lobvoluta et Vexplanata, 12 dans le rotundata , le (1) A la même section appartiennent les Helix verticillus Fer. Gemonensis Rossm. Croatica Müblf., A/banica Zieg\., compressa Liegl., actes Partsch. (2) Plusieurs Hélices étrangères, telles que les Helir Jeannotiana Terv. cariosula Mich. cariosa Oliv. tectifurmis Wood , viendront sans doute se grouper autour du Zoaîtes candidissimus , quand on aura étudié les ani- maux qu’elles renferment. Peut-être en sera-t-il de même des Helix macu- Losa Born , desertorum Forsk., irregularis Fer. et Arabica Roth?.... 376 MÉMOIRES conica et l'hispida, 45 dans le strigella, de 15 à 20 dans le variabilis , 20 et peut-être davantage dans le limbata et le carthusiana. Ces côtes paraissent grosses et saillantes , quand elles sont en petit nombre. On les trouve au contraire peu marquées quand il en existe plus de 5 ou 6. Les côtes maxillaires sont assez écartées dans les Æelix Pomatia , zonata , aperta , nemoralis, arbustorum et très- serrées au contraire dans les conspurcata , rotundata , his- pida , Carascalensis, pulchella et surtout dans les strigella, carthusiana et limbata. Les côtes de plusieurs Æélices sont disposées de manière à diverger un peu supérieurement ; disposition facile à cons- tater dans les mâchoires des Æelix aspersa et vermiculata. L'écartement dont il s'agit devient très-fort dans l’aperta , de manière que les côtes maxillaires ressemblent à autant de rayons convergeant vers l'axe de la bouche. Au contraire, dans les Æelix Pomatia , zonata , lapicida et surtout dans les melanostoma , muralis et serpentina les côtes sont très- verticales et parfaitement parallèles. Les denticules des mâchoires paraissent plus ou moins pointues et plus ou moins irrégulières. Assez habituellement , elles sont taillées obliquement du côté qui regarde le milieu de la mà- choire. Les ÆHelix aspersa, vermiculata, nemoralis , muralis , Pisana , cornea, aperta et fruticum en présentent de sail- lantes. Les ZZelix ericetorum , Carascalensis, Cantiana villosa , Pyrenaïca , serpentina en offrent de très-émoussées qui ressemblent plutôt à des crénelures qu’à des dents. Dans les Helix ericetorum , obvoluta , lapicida , rotundata , apicina , elegans , rupestris et surtout dans le lmbata et le carthusiana , les crénelures sont à peine prononcées. Les jeunes Æélices ont moins de côtes et par conséquent moins de denticales que les individus adultes ou âgés. Ce sont les côtes médianes qui paraissent les premières ; leur nombre augmente en allant du centre vers les extrémités de la mà- DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 377 choire Par conséquent l'apparition des denticules suit exac- tement le même ordre que celui des dents chez les Vertébrés supérieurs. Dans quelques espèces qui possèdent des côtes peu nom- breuses , épaisses et distantes , quand l'animal vieillit, on remarque des côtes accessoires qui se développent dans les in- tervalles des premières. Ces nouvelles côtes sont en général très-peu saillantes. La couleur de la mâchoire est fauve ou brune , quelquefois un peu orangée, d’autres fois légérement jaunâtre. Dans les petites espèces , son tissu paraît un peu transparent. Ordinai- rement , la couleur est plus foncée vers le bord concave ou libre que vers le bord supérieur. $ VI. La structure de la mâchoire pourrait fournir d'excel- lents caractères spécifiques ; malheureusement cet organe n'est pas facile à observer, surtout dans les Æélices très-petites. La mâchoire des Arions est organisée comme celle des ZZé- lices ; celle des Limaces ressemble à celle des Zonites (1). Dans les Æmbrettes , je n'ai remarqué ni côtes, ni den- ticules. La saillie moyenne du bord libre est prononcée, comme dans les Zonites , mais les deux extrémités de la mâchoire s'allongent et descendent presque verticalement , de manière à donner à l'organe la courbure d’un fer à cheval. La mâchoire des Pulimes est arquée , longitudinalement et finement striée à sa face antérieure, et crénelée sur le bord d'une manière presque imperceptible ; sa structure s'éloigne très-peu , comme on le voit, de celle des Æélices. La même organisation se rencontre dans la mâchoire de l'Achatina folliculus et dans celle de l'Æzeca tridens. Les Maillots et les Clausilies présentent une mâchoire plus ou moins courbée , offrant, dans les grandes espèces , quel- ques stries verticales peu distinctes , mais le plus souvent pri- vée de côtes , de stries et de denticules. ere =. (1) Lister a bien figuré celte dernière, mais en sens inverse; il l'appelle dens tricuspis. 378 MÉMOIRES La mâchoire du Planorbis corneus ne diffère pas beaucouÿs de celle des Æélices ; elle a des stries verticales demi-effacées corresjondant à des denticules inégales médiocrement mar- quées. Cet organe est d’an brun foncé noirâtre. Dans les Limnées , je n'ai, observé ni stries , ni denti- cules ; mais les mâchoires sont au nombre de 3, une supé- rieure et 2 latérales. La supérieure est plus ou moins lisse et peu courbée. La saillie de son bord libre paraît large et tranchante , Surtout dans le Limnea palustris. La mâchoire est d’un brun noir dans cette dernière espèce , fauve dans le Limnea auriculuria , et couleur d'ambre dans le Zimnea truncatula. Les mâchoires latérales sont beaucoup plus petites et moins cartilagineuses. Celles du Z. siagnalis semblent noirâtres sur le bord, lequel se trouve légèrement convexe et non pas concave, ainsi que Cuvier l’a figuré. Dans les autres espèces , surtout dans les petites, les mâchoires latérales sont à peu près rudimentaires. Dans le Physa acuta, il n'existe qu'une seule mâchoire placée en haut, comme celle des Æélices, en forme de che- vron à sommet un peu allongé. Eile a trois branches carénées en avant, les deux latérales plus longues que la supérieure , égales , un peu obliques de haut en bas , striées longitudina- lement et crénelées sur le bord libre. Le système maxillaire de la Paludine vivipare est tout diffé- rent de celui des Gastéropodes pulmonés. Cuvier n’en parle pas dans le beau travail qu'il a publié sur l’organisation de ce Mollusque. A la place d’une mâchoire unique ou de trois mâchoires , cette espèce en offre deux , l’une à droite , l’au- tre à gauche. Ces mâchoires, indiquées par Lamarck, sont cor- nées, convexes , sans côtes, sans denticules , et roussâtres prin- cipalement sur le bord (1) ; elles représentent assez bien les mâchoires latérales des Zimnées. On sait que la Paludine vivipare est pourvue d’une petite trompe charnue et cylindrique. C’est vers la partie antérieure (1) Elles ont à peu près un millimètre de largeur. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 379 de cette trompe qu’on observe les mâchoires dont il vient d'être question. Dans cette même trompe, on remarque une langue allon- gée (1), étroite , légèrement courbée en gouttière, un peu dilatée et comme bifide antérieurement. L'organisation de cette langue paraît assez curieuse : qu'on imagine cinq rangées lon- gitudinales , parallèles , de lamelles cartilagineuses , un peu crétacées , transparentes , disposées en travers et appliquées obliquement et symétriquement les unes contre les autres (2). La partie antérieure de l'organe est repliée de haut en bas sur elle-même , du moins dans l’état de contraction ou de repos ; la partie postérieure est enfermée dans une gaîne membra- neuse. Cette langue est mise en mouvement, comme dans beaucoup de Gastéropodes marins et particulièrement dans les 7wrbo, au moyen d’un appareil particulier composé de plusieurs mus- cles et de deux pièces demi-cartilagineuses , oblongues, apla- ties , transparentes , placées latéralement et horizontalement dans le fond de la bouche , épaisses et arrondies sur le bord libre, amincies et plus ou moins sinueuses sur le bord adhé- rent (3). La surface de ces pièces est couverte d’une multi- tude de petits points verruciformes peu marqués. Le Cyclostome élégant et la Néritine fluviatile sont pri- vés de toute espèce de mâchoire ; mais on trouve , chez ces Mollusques, une langue proportionnellement plus longue et plus forte que celle de la Paludine vivipare (4). La plus (1) Dans une Paludine , de taille ordinaire, la langue m’a offert huit mil- limètres de longueur. Cuvier décrit cet organe, comme un petit tubercule hérissé qui fait une légère saillie sur le plancher de la bouche. A vrai dire, la langue tout entière n’est pas contenue dans la trompe. (2) Les lamelles de devant sont brunes; celles de la rangée médiane ont une forme semi-circulaire; celles des rangées placées à côté sont un peu plus grandes et oblongues : les marginales sont encore plus grandes, étroi- tes , linéaires et légèrement arquées. (3) Ces pièces présentent environ trois millimètres de longueur. (4) La langue du C. elegans a de sept à huit millimètres de longueur et celle de la W. fluviatile environ six millimètres. 380 MÉMOIRES grande partie de cet organe n’est pas logée dans la cavité buccale et pénètre dans l’intérieur du corps, au-dessous de l’œsophage, enveloppée de son fourreau membraneux , et formant comme un cœæcum plus ou moins courbé en S. La langue du Cyclostome élégant ressemble beaucoup à celle de la Paludine vivipare ; elle offre aussi cinq rangées longitudinales de Famelles disposées avec ‘beaucoup de régu- Jarité ; mais celles-ci sont toutes transparentes. M. Berkeley paraît avoir bien décrit la structure de cet organe. Il ne n'a pas été possible encore de consulter son Mémoire. Les pièces cartilagineuses , destinées à mouvoir la langue , sont plus fortes et plus dures que dans la Paludine vivipare , et leurs points rugueux plus grands et plus distincts. Ces pièces s’ajustent en arrière avec deux autres plus petites et de forme irrégulièrement arrondie (1). La languc de la Néritine fluviatile présente six rangées de papilles ou lamelles uniformes ; elle a été mal à propos dé- crite par la plupart des auteurs , comme une languc denti- culée (2). Dans un individu adulte , j'ai compté de 80 à 84 lamelles à chaque rangée. Ces lamelles sont transparentes , excepté celles des bords qui ont une couleur brunâtre dans la partie antérieure (3). Mon savant ami, M. Charles des Moulins, a bien observé cet organe ct m'en a communiqué une excellente description. Les pièces cartilagineuses , attachées à la langue, se trou- vent au nombre de quatre, comme dans le Cyclostome élé- gant, mais peu solides et à peine pointillées. Deux sont allon- gées , déprimées , presque cuncïformes , et deux ovalaires , plus petites et comme articulées avec l’extrémité obtuse des deux autres, (1) Les grandes pièces cartilagineuses ont environ deux millimètres de longueur et les petites à peine un millimètre. (2) C’est aussi très-inexactement qu’on attribue à ce Mollusque une bran- chie pectiniforme. Son organe respiratoire est bien différent de la branchie, ou, pour mieux dire, des branchies de la Paludine vivipare. (3) Dans une Weriline de taille ordinaire, j'ai vu trente-quatre lamelles latérales colorées. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 381 Je reviendrai plus tard sur l’organisation du système maxil- laire des Mollusques terrestres et fluviatiles de la France (1). Les rapports ou les dissemblances qui existent entre les diffé- rentes pièces qui le constituent , étudiés dans tous les genres , ne peuvent que contribuer au perfectionnement de la classi- fication. (1) N'ayant eu d'autre but, dans ce Mémoire , rédigé depuis longtemps, que de traiter de la mâchoire des Hélices , c’est accessoirement et seulement comme termes de comparaison, que j'ai parlé de la mâchoire ou des mä- choires des autres genres de Mollusques. Voici quelques notes qui rendront ces dernières indications moins incomplètes : La mâchoire de la Zestacelle Ormier ressemble à celle des Limaces ; mais son bord libre est presque droit ; il n’y a pas de saillie médiane rostriforme. La langue est oblongue, obtuse, charnue, un peu bombée en dessus et cou- verte de papilles étroites, formant des rangées obliques, parallèles, qui s'unissent sur la ligne médiane de l'organe, et produisent ainsi une série de chevrons emboïtés les uns dans les autres. La mächoire et la langue de la Testacelle n’ont pas été signalées par Cuvier. La mâchoire du Carychium minimum est large d’un donzième de milli- mètre, médiocrement arquée , très-étlroite , transparente et légèrement roussâtre ; elle ne présente ni côtes, ni denticules, ni saillie dans le milieu du bord libre. L’Ancyle fluviatile et la Valvée Planorbe n’ont pas de mächoire. La langue de la première espèce est carlilagineuse , mince, étroite , dia- phane, un peu dilatée et presque elliptique antérieurement, et munie, dans loule son étendue, de stries transversales parallèles, fines et légère- ment flexueuses. 382 MÉMOIRES OBSERVATIONS sun LES VÉSICULES MULTIFIDES DES HÉLICES DE LA FRANCE ; Par M. A. MOQUIN-TANDON. SI. Il existe, dans l'appareil génital de l’Aelix Pomatia, un organe pair, de forme singulière, désigné par Cuvier sous le nom de vésicules multifides. Qu'on se figure trente où quarante petits tubes gréles , aveugles , s’unissant deux à deux , trois à trois, avant de se confondre en un canal commun qui pénètre, de chaque côté, dans le cloaque génital. Ces vésicu- les sont remplies, surtout à l’époque de la reproduction, d’une liqueur opaque, assez fluide, blanche comme du lait. Plu- sieurs analomistes considèrent ces petits tubes, comme des vésicules séminales ; mais la liqueur blanche, dont il vient d'être question, n’est pas de la semence; et, d’un autre côté, d’après la remarque de Cuvier, le canal déférent de l’Æelix Pomatia communique directement avec la base de la verge, à une certaine distance des orifices des vésicules multifides. M. de Blainville est porté à regarder cet organe comme une prostate. Malheureusement pour cetie appréciation, qui paraît assez con- forme à la nature, dans la plupart des espèces, les vésicules dont il s’agit ne présentent pas un caractère glanduleux. SIL Lister et Cuvier ont reconnu, dans d’autres Æélices , que le nombre des petits cæcums, composant les vésicules mul- tifides , se réduit à 5 ou 6. Ce dernier anatomiste n’en a point trouvé dans la Zimace rousse ( Ærion des charlatans). La plupart des malacologistes ont pensé, que les vésicules multifides se rencontraicnt dans toutes les /Zélices , et qu’elles DE L'ACADÈMIE DES SCIENCES. 383 étaient propres à ce genre seulement. On a même signalé leur présence comme un des caractères différentiels les plus tran- chés, pour distinguer les ÆZélices des genres les plus voisins , tels que les Bulimes et les Maillots. IL est très-vrai que, dans ces derniers genres, de même que dans les Æmbrettes et dans les Clausilies , les poches ra- meuses dont il est question n'existent pas. Mais j'ai déjà fait remarquer ailleurs, qu'on ne les observe pas non plus dans les ZZélices pourvues d’une mâchoire sans côtes et sans denti- cules { Zonites). D'un autre côté, Cuvier a constaté la pré- sence d'un organe analogue dans le Parmacella Olvieri , Gastéropode dont l'organisation n'est pas très-différente de celle de l'Æelix Pomatia. SIIE. Dans les Æélices à mâchoire cannelée et denticulée , c’est-à-dire, dans les vraies /élices, les vésicules multifides sont pourvues, tantôt d'un grand nombre de ramifications , tantôt de quelques branches seulement. Les espèces à vésicules très-ramifiées sont peu nombreuses. J'ai compté 64 branches dans l'Æelix vermiculata, 40 dans le Pomatia, 25 dans le melanostoma , 24 dans l'aperta, 1% dans le neglecta, 12 où 13 dans le cæspitum, et 8 ou 10 dans l’ericetorum...…. Un grand nombre d'élices m'en ont offert seulement de 2 à 8. Ainsi, j'en ai observé 8 dans l’aspersa et le strigella , 5 dans le splendida, & dans le conspurcata , Vapicina , le villosa, Vhispida, le limbata et le Raspailii, k ou 3 dans l'elegans et le nemoralis, 3 dans le sylvatica et 2 seulement dans le serpentina..…. Quelquefois le nombre des branches n’est pas le même dans chaque vésicule. Ainsi, il y en a 5 d’un côté et 8 de l’autre dans l'ÆZelix hortensis, 3 d'un côté et # de l’autre dans le Carascalensis et le carthusiana. En général ces petits cœcums sont d'autant plus grêles qu'ils se trouvent plus nombreux. Ceux des Æelix vermiculata et melanostoma paraissent presque capillaires. Dans plusieurs espèces , il n'existe, à droite et à gauche du 384 MÉMOIRES cloaque, qu'une seule vésicule ; c’est alors un tube simple al- longé, légèrement sinueux, vermiforme ; telles sont les vési- cules des ÂZelix arbustorum, Pisana , muralis, zonata, cornea, lapicida , obvoluta , personata.…. Lister et Cuvier avaient eu connaissance de cette organisation particulière ; ce dernier compare avec raison ces vésicules non ramifiées à celles du Parmacella Olivieri (1) ; il regardait sans doute cette circonstance comme un fait exceptionnel ; autrement il n’au- rait pas appelé mullifide, un organe qui souvent n’est pas ramifié. Il serait peut-être plus convenable de désigner ces vésicules, sous le nom de vésicules vermiformes , dénomina- tion qui s'applique également au type simple et au type mul- tifide, et qui ne préjuge rien sur la fonction de ces curieux organes. Les vésicules simples sont généralement plus longues et plus grosses que les vésicules ramiliées. La couleur des unes et des autres est blanchätre ou légère- ment gristre, Ç IV. Dans l’Æelix Pyrenaïca , il existe, à la place des vésicules vermiformes, un corps glanduleux sinucux, frangé et disposé comme une collerette , intestiniforme, blanc, qui entoure la base de la verge. Dans l’Aelix fruticum , on observe également un corps glanduleux ; mais il est composé de # ou 5 lobes courts , irré- guliers, fortement pressés les uns contre les autres. Dans les Æelix Cantiana, rotundata, rupestris et dans quelques autres espèces , je n’ai trouvé ni corps glanduleux , ni vésicules. De tout ce qui précède, on doit conclure, que les vésicules vermiformes sont tantôt simples et tantôt ramifiées, qu'elles ne se rencontrent pas dans toutes les Æélices, et que ces Gasté- ropodes ne sont pas les seuls qui présentent ces organes. (1) Les vésicules de cette espèce sont ovales (Cuvier). La Parmacelle pré- sente aussi un dard. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES, 385 $ V. Le tissu des vésicules vermiformes ne ressemble pas beaucoup à celui des organes sécrétoires. Dans les vésicules multifides, très-ramifiées, la paroi des petits cœcums parait mince et membraneuse ; dans les vésicules simples , cette même paroi est plus ou moins épaisse, et comme demi-tendineuse. D’après cette organisation , il paraîtrait que les sacs dont il s’agit sont plutôt destinés à conserver la liqueur blanche qu’à la sécréter ; ce seraient des réservoirs , peut-être même des organes d’éjaculation , et non des glandes. Quand on fait une incision au cou d'un Helix zonata , on voit les deux vésicules de son appareil génital se contracter légèrement et se tordre quelquefois dans tous les sens. Ces vésicules sont longues de 20 à 25 millimètres, larges de 1 à 2, simples, un peu subulées au sommet, légèrement sinueuses et composées d’un tissu manifestement musculo-tendineux. Le tube paraît un peu raide et jouit d’une assez grande irritabi- lité. Quand on le coupe, il se contracte et pousse en dehors une partie de la liqueur laiteuse qu'il renferme. $ VI. Dans les Æelix fruticum et Pyrenaïca, le parenchyme de l'organe qui tient la place des vésicules vermiformes, semble offrir au contraire un caractère glanduleux; mais cet organe est-il réellement le représentant des vésicules vermiformes ? Un corps à peu près semblable, mais moins développé , a été dé- couvert par M. Yanbeneden , dans le Zonites Algirus ; il est mince , homogène , granuleux. On doit considérer , comme des prostales , ous ces organes qui ne sont ni ramifiés, ni tubuleux , et qui ressemblent à des glandes ; mais quelle est la fonction des vésicules vermiformes ? Faut-il adopter l'opinion de M. de Blainville et les regarder aussi comme des organes prostatiques ? Dans ce cas, la paroi interne des petits cœcums devrait avoir une nature glandu- leuse (1)? Jon tp sun) (1) Voici un fait qui donne quelque vraisemblance à cette supposition. On trouve, chez la Paludine vivipare mäle , dans l’intérieur de la cavité bran- chiale et à droite, un organe vermiforme, lrès-grand, regardé par Cuvier 386 MÉMOIRES Les vésicules ramiliées paraissent jouer un certain rôle au moment de l'accouplement ; elles sont gonflées et pleines de liqueur laiteuse avant cet acte; on les trouve vides quand il est accompli ( Blainville ). $ VIT. Draparnaud a divisé les ÆZélices de la France en quatre sections, offrant chacune trois sous-sections. Cette clas- sification , fondée sur la coquille , est purement artificielle. Denis de Montfort, Lamarck, Leach, Ferussac, Fitzinger , Agassiz, Gray, Hartmann ont cherché à distribuer ce genre en groupes naturels. Les uns l'ont fractionné en plusieurs genres séparés, les autres ont établi un grand nombre de sous- genres. Malheureusement, dans tous ces essais, on a toujours adopté , comme éléments taxonomiques, la forme générale de la coquille, la présence ou l'absence de la carène, la largeur ou locclusion de l’ombilie, la simplicité ou l’épaississement du péristome. On n’a tenu presque aucun compte de l’organisation de l’animal. Après avoir comparé entre eux, et apprécié à leur juste valeur, tous les travaux tentés pour l'établissement d’une dis- tribution naturelle des Æélices , M. Deshayes est arrivé à con- clure que ces Gastéropodes ne devaient être classés que systé- matiquement. IL me semble, qu'il est possible d'obtenir quelque chose de mieux qu'un arrangement artificiel, en combinant les carac- tères fournis par les vésicules vermiformes et par plusieurs au- tres organes importants , surtout par les mâchoires, avec les caractères tirés de la coquille. J'aurai l'honneur de soumettre à l’Académie, dans un autre Mémoire, un essai de classifica- tion, pour les Æélices de la France, fondé sur ces nouveaux principes. comme la verge enfermée dans son fourreau. Cet organe est creux ; il pré- sente des parois très-épaisses et très-musculeuses; sa tunique interne parait rugueuse et glandulaire ; il contient une liqueur peu épaisse, d’un beau rouge, bien distincte de la semence qui est jaunâtre. Cet organe commuri- que d’un côté avec le testicule, et de l’autre avec la verge placée à l’extré- mité du tentacule droit. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 387 OBSERVATION DE CARCINOME A LA FACE ; Par M. DUCASSE. Je n’attache pas en général une grande importance, en mé- decine , aux faits rares et extraordinaires. Ils peuvent satisfaire notre curiosité, nous familiariser avec ces efforts puissants que dans des altérations profondes , la nature consacre quelquefois au rétablissement de l'équilibre ; mais , sous le rapport de leur utilité pratique , ces exceptions ne doivent occuper qu’un rang secondaire, et c’est avec raison qu'on a répété de tous les temps, rara non sunt artis. Cependant je ne puis résister au désir de vous raconter l’histoire d'un de ces faits curieux que Je viens d'observer, et qui, s'il ne présente aucune indication positive dans l'intérêt de la science , aura du moins l’avan- tage d'y occuper une place réservée , car, malgré les recherches auxquelles je me suis livré, je n'ai pu découvrir son congé- nère dans les écrivains qui se sont plus particulièrement occupés du cancer. Madame L... est âgée de quatre-vingt-onze ans. Sa santé a été constamment bonne, et, à l'exception d’une disposition névralgique dont les crises légères se font ressentir à des épo- ques plus ou moins éloignées ; sans affecter néanmoins un organe spécial , ses fonctions n’ont jamais éprouvé une altéra- tion remarquable. A l’âge de quatre-vingts ans, elle vit se développer sur plu- sieurs points du côté droit de la face , des boutons peu élevés , 388 MÉMOIRES se couvrant d’une croûte légère qui tombait le plus scuvent sous la pression des ongles, pour se reproduire ensuite avec une démangeaison plus intense, Il y en avait trois placés, l’un sur la joue, au-dessus de la base de la mâchoire inférieure, à tro s centimètres de la commissure des lèvres ; le second sur la pommette ; le troisième , entre le grand angle de l'œil et la côte du nez. Ces boutons, si communs chez les vieillards, lorsque la peau tannée par l’âge est réduite à son état de cho- rion, ne fixèrent sérieusement l'attention , ni de la malade, ni du médecin. Celui-ci recommandait seulement le respect le plus grand pour les croûtes qui se formaient par la dessicea- tion d’une sérosité plastique qui s'échappait de leur surface dénudée, et quelques lavages froids pour diminuer la force des démangeaisons dont elles étaient le siége. A l’aide de ces moyens de simple propreté, les deux boutons supérieurs se dissipèrent, et il ne resta plus au bout de plu- sieurs années , que la plaque maxillaire, dont l’étendue n'avait éprouvé jusqu'alors aucun changement. Empêcher les frottements constants de cette partie en la couvrant d’un linge légèrement mouillé de cérat, défendre surtout l’arrachement de la croûte qui semblait cependant de- venir plus épaisse, telles furent les seules précautions que nous primes , en présence de ce désordre local dont, il faut le dire, nous redoutions les suites, mais que nous n’osions pas attaquer sérieusement par les caustiques, car la malade approchait alors de la quatre-vingt-dixième année. Nos craintes n'étaient que trop fondées. Sans aucune cir- constance qu'on püt raisonnablement invoquer , la tumeur , car alors elle faisait une saillie marquée sur le tissu cutané, prit, presque tout d’un coup, un développement considérable. Elle s’étendit à la fois en hauteur et en largeur. Des bourgeons charnus , une véritable végétation surgirent de sa surface , et ressemblèrent à un champignon , qu’à sa coloration rouge blanche, son tissu serré, sa surface fendillée et saignante au plus léger attouchement, à la nature lancinante des douleurs qui s'y faisaient ressentir, et surtout à l'odeur spéciale de cet DE L’ACADÉMIE DES SCIENCES. - 389 ichor qui s’en écoulait avec abondance, et exigeait des soins d'une propreté incessante , nous reconnümes offrir évidemment tous les caractères du carcinome. Son élévation au-dessus du derme, était de quatre centimètres et demi , el sa circonférence de treize centimètres. Son siége spécial était la peau. La mu- queuse buccale était intacte; les ganglions sous-maxillaires dans l’état normal, et à part l'inquiétude occasionnée par le bandage appliqué sous la mâchoire, et qui en génait les mou- vements , la santé générale était excellente. On sent bien qu'en présence d'un mal aussi violent , et contre lequel nous ne dirigions qu'une médication aussi simple, les conseils des commères du quartier devaient être intarissables. Chacune proposait un moyen infaillible. Enfin un vendeur de remèdes parvint jusqu’à faire dire à la malade, dont il n'avait pourtant jamais vu l'infirmité, qu'il lui assurait sa guérison dans quatre jours, si elle voulait se soumettre à sa médication. Tous ces bruits, toutes ces promesses , sans altérer en rien la confiance qu'elle avait en moi , puisqu'elle était la première à me les faire connaître, ne laissaient pas cependant que de faire sur M L.... une impression fâcheuse. D'un côté une guérison rapidement miraculeuse montrée par les uns ; de l’autre une dévotion complète à la patience que je lui avais con- seillée, en lui disant qu'il fallait quelquefois vivre avec ses enne- mis, pouvaient {tôt ou tard égarer son jugement , et l'engager à tenter une expérience funeste. J'en avertis les parents, et ponr faire cesser à cet égard toute espèce de commérage, je demandai à voir la malade avec un de mes collègues , et je choisis M. Viguerie. La tumeur avait tous les caractères que J'ai déjà signalés : plusieurs jours avant , à la suite d’un frotte- ment un peu plus brusque qu'à l'ordinaire , il s'en était écoulé une si grande quantité de sang , que cette hémorragie avait en- trainé la syncope, et la syncope à quatre-vingt-onze ans! Aussi il ne fut pas diflicile à ce chirurgien distingué, de reconnaître la nature du mal, l'impossibilité et l'imprudence , à un âge aussi avancé , de tenter la plus légère opération, ni même la ligature , car la base de la tumeur avait une étendue qui en 3.° S. — TOME IY. 27 390 MÉMOIRES aurait renda l'usage inutile. Le traitement fat donc continué avec les mêmes précautions. Seulement si les souffrances de- venaient plus aiguës, nous devions recourir à l'extrait de bel- ladone ; et nous nous conformâmes au sage précepte de Lecat , aut seca , aut blandiri. En attendant, et pour prévenir le retour de la perte du sang qui cette fois aurait été mortelle, et ne pas ramollir encore davantage le tissu carcinomateux , j'en fis couvrir les bour- geons avec de la charpie sèche, et renouvelée deux ou trois fois par jour. Au bout d’une semaine, je vis avec plaisir la suppuration , ou pour mieux dire , l'ichor qui en découlait, diminuer de quantité. L’odenr même semblait avoir un peu perdu de ses qualités putrides. Il y avait comme un affaisse- ment, une espèce de rétraction des tissus dans l’ensemble de la tumeur qui, très-voisine de la commissure des lèvres , parut s'arrêter à la limite des deux membranes. Enfin, assis- tant un jour au pansement , je vis sur la charpie, qui du reste, se détacha avec facilité , un lambeau de chair qui s'était spon- tanément séparé de la tumeur, vers la partie la plus déclive, sans douleur, sans hémorragie, comme si cette portion avait resté sous les étreintes d’une ligature, car elle était molle , flasque , décolorée, privée enfin de toute espèce de vitalité. Plusieurs jours après, le même phénomène se reproduisit vers le milieu du champignon , et ainsi successivement des parties inférieures aux parties supérieures de la masse carcinoma- teuse, de telle sorte, que dans l’espace de trois mois, sans application spéciale, la joue fut entièrement débarrassée de cette excroissance. La peau rouge d’abord , rugueuse, inégale, un peu plissée, a repris insensiblement sa texture, ses qua- lités normales , et aujourd’hui ce n’est qu'après une attention délicate, un examen scrupuleux, que l’on peut soupçonner que cette partie de la peau a pu être pendant si longtemps le siége de tant de désordres. La malade a quatre-vingt-douze ans. Notre honorable con- frère M. Gaussail, a bien voulu, sur ma recommandation , lui faire une visite, et il n’a pu s'empêcher de témoigner son DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 391 étonnement au récit de ce que je viens de raconter , et à la terminaison si extraordinaire d'une altération la plupart du temps irremédiable. On ne doit pas, effectivement , confondre ce cas pathologi- que avec ces terminaisons par la gangrène qui arrive quelque- fois dans le cancer. Ledran , Fages, Amand , Richerand, et le docteur Saint-Amans en ont observé quelques exemples. 11 s'établit alors, soit par une cause accidentelle , soit par une action spontanée, une inflammation violente dans un cancer ulcéré. La mortification des parties en est la conséquence, et la tumeur, privée de vie ou de toute communication avec les organes voisins , par un véritable cordon sanitaire, se détache spontanément des parties au milieu desquelles elle avait jus- qu'alors vécu : semblable dans le mécanisme de sa chute , à la séparation de toute espèce d’escarre. Encore même dans les faits rapportés, la guérison n’a pas été définitive, puisque la cicatrice n'existait, douze ans après, que dans l'observation de M. Saint-Amans, tandis que dans les autres cas, la maladie s'était reproduite quelque temps après , où avait entraîné la mort des individus. Ici, comme on a pu facilement le remarquer , les circons- tances sont entièrement différentes. Point d'inflammation vio- lente , ni dans la tumeur carcinomateuse, ni dans les tissus des organes voisins. Point de ces réactions naturelles, de ces efforts conservateurs qui, au milieu d'un désordre profond , d'une modification en apparence dangereuse des fonctions vi- tales, préparent une amélioration salutaire , et que” l’art seul essayerait vainement d'imiter. Nous n'avons eu à combattre le développement d'aucun accident, soit sous le rapport général, soit sous le rapport local, et si je puis me servir de cette com- paraison , la tumeur a semblé s’affaisser sur elle-même , comme privée des sucs ordinaires de son alimentation , et tomber, se détacher en fragments , ainsi qu'à la suite de l’action successive de plusieurs ligatures. La chute d'un fruit dont le pétiole est desséché, peut donner une juste idée de ce que j'ai observé sur celte malade. 392 MÉMOIRES Peut-être pourrait-on comprendre parmi les causes de ce phénomène , l’âge avancé et la dessiccation , en quelque sorte, que les années apportent dans le tissu dermoïde. Ses vaisseaux nourriciers diminuent de calibre , s’oblitèrent ; et comme, dans ce cas, la peau était plus spécialement le siége du carcinome , celui-ci, privé de ses éléments de nutrition, a pu tomber par une atrophie véritable. Mais s'ensuit-il que , dans nne circonstance semblable, le praticien ait le droit de vouloir imiter la nature , et d'apporter sur la base de la tumeur, autant de ligatures pour faciliter la séparation partielle, et pour ainsi dire individuelle, de son volume? Qu'on me permette de poser cette question sans la résoudre. Ce que je sais, c’est que je n’oserais pas tenter ce moyen dans une situation analogue, si elle venait à se reproduire. Il faudrait multiplier le nombre des ligatures, pour qu'elles fussent efficaces. L’aiguille seule pourrait servir à les placer. Or ne serait-il pas à craindre qu’en les faisant pénétrer dans ces tumeurs si vivantes, si gorgées de sang , elles ne pussent successivement produire des bémorragies si dangereuses à cet âge, et si difficiles à arrêter. Ne serait-il pas même à re- douter des récidives promptes et plus funestes , car la ligature ne pourrait que saisir la tumeur à ses adhérences avec le derme, sans parvenir à empêcher la communication de ses vaisseaux avec la portion restante de l’excroissance. DE L’ACADÈMIE DES SCIENCES. 393% A ———E———Z—_—_————— QUELQUES RECHERCHES LES DÉBUTS DE L'IMPRIMERIE A TOULOUSE ; Par M. DESBARREAUX-BERNARD. Messieurs , Au milieu des préoccupations et des inquiétudes que les événements politiques nous apportent chague jour, dans un temps où la cupidité et le sophisme, abrités sous le drapeau de la philanthropie et de la fraternité » portent audacieusement la hache sur toutes les institutions sociales, il vous paraîtra inopportun, je le crains, de m’entendre encore une fois vous entretenir de livres poudreux et d'auteurs oubliés ; mais pour celui à qui vous avez daigné tout récemment confier le soin de votre bibliothèque, c'était presque, — et c'est là mon excuse, — Un pensum obligatoire. Une idée, qui n’a pas certes le mérite de la nouveauté, mais qui frappe tous ceux qui se trouvent en présence des pre- miers monuments de l’art typographique , c’est que l'inventeur, quel qu'il soit, de cet admirable procédé , n’a pu évidemment comprendre toute la portée de sa divine inspiration. Qu'il eût été fier, ce pauvre et modeste ouvrier mayençais , s'il eût pu seulement entrevoir à demi, dans le vague des âges à venir, le rayonnement immense qui attendait son ingénieuse décou- verte! Car, on peut le dire sans hyperbole, depuis que, au moyen de quelques signes, celui que la tradition nous a appris à nommer Cadmus, eut trouvé l’art de figurer la parole, ja- 39% MÉMOIRES mais plus grande pensée n'était tombée dans la téte d'ur homme. Que Colomb double notre vieux monde, que Newton, par une intuition de son génie, surprenne , pour ainsi dire, le secret de Dieu, ce sent, j'en conviendrai, d’admirables ré- sultats ; mais combien , à mes yeux, ceux de l'imprimerie Îles surpassent! Dans ce mince morceau de métal gravé que vous présente Guttemberg , il y a l’affranchissement de l'esprit hu- main, la transmission indéfinie des fumières, la vérité absolue ; il y a tous les grands intérêts de l'humanité sauvegardés , dé- veloppés, agrandis. A ce tableau si séduisant, Messieurs , vous opposez déjà , dans votre esprit, la propagation trop facile des erreurs et des faux systèmes , l'introduction dans toutes les institutions reli- gicuses et sociales, du principe d'examen, dissolvant univer sel qui les mine depuis trois siècles, et qui, de nos jours, concentré, élaboré sans relâche par la presse périodique , offre à toute pensée qui veut se produire, pour l'attaque de l’ordre établi , l'arme la plus puissante dont ait jusqu'à présent disposé lin- telligence humaine. Immenses abus , dangers réels, toujours renaissants , que l’on peut combattre mais non détruire; car la liberté de la presse, plus forte que les barrières qu'on voudrait lui opposer , nous domine et nous entraîne malgré nous : Æ£ mala sunt vicina bonis. kevenant donc à ma première pensée, je dirai, que tous ces merveilleux résultats échappèrent aux premiers typogra- phes, qui ne cherchaient-et ne voulaient trouver dans leur pro- cédé qu’un moyen de faire à la lente et coûteuse industrie des copistes une concurrence avantageuse. N'est-il pas, Messieurs , un peu honteux de voir la plus grande des inventions humaines entrer dans le monde sous la forme d'une contrefacon, d’un délit, pour dire le mot ; et s’il s'était trouvé alors quelque pro- cureur du roi désireux d'avancement , ou protecteur un peu rigide des droits acquis et du travail national, nous aurions couru risque de voir la pensée de l’homme de génie confisquée , et l'imprimerie aller mourir méconnue sous l'arrêt de quelque prévôt. Depuis , il est vrai, on n'a que trop fait suivre à la DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 395 presse le chemin du préloire ; mais heureusement pour nous que les rigueurs ne sont venues que lorsqu'elle a été de force à les supporter. Fille du peuple, modestement obscure à son début , l'impri- merie , qui ne devait trouver que plus tard les splendides asiles des Maximis, des Aldes , des Manuces , s'est vue dans les pre- miers temps réduite à une sorte d'existence furtive et nomade. L'imprimeur , pauvre ouvrier en général, Allemand d'abord , ltalien plus tard , se rendait de ville en ville, le cassetin sur l’é- paule , offrant ses services au libraire qui voulait bien l'employer, et qui naturellement ne lui commandait pas la reproduction des chefs-d'œuvre ou trop longs ou trop coûteux, mais celle du livre qui pouvait convenir au plus grand nombre d'acheteurs ; puis, son travail fait , le voyageur repartait et allait ailleurs tenter la fortune. 11 n'avait pas de nom à soutenir, pas de réputation à conserver, ce qui explique la négligence de la plupart des premiers typographes à placer leur nom sur les produits de leurs presses , et à en indiquer le lieu d'impression ou la date. De là naturellement aussi des controverses sans nombre entre les bibliographes pour fixer l’année ou la ville dans lesquelles ont été publiées certaines éditions princeps. Les produits des presses toulousaines antérieurs à 1500 , ont précisément soulevé une controverse de ce genre , eton a voulu les attribuer à Tolosa d'Espagne , au lieu de les laisser à notre ville, à laquelle, selon moi , ils appartenaient incontes- tablement, La question existe surtout pour le premier en date, imprimé en 1#76, et qu'une heureuse trouvaille me fournit l’occasion de mettre sous vos yeux. Je vais en faire la description et l’analyse aussi sommaire- ment que possible, pour pouvoir développer ensuite les motifs sur lesquels se fonde mon opinion. Ce livre est intitulé : Repetitio solemnis rubrice de fide instrumentorum. Edita per excellentissimum virum et juris utriusq; monarcham diuum dominum Andream Barbaciam siculum Messa- nensem. 395 MÉMOIRES A la fin : Clarissimi juris utriusqg; Monarce ac serenissimr Regis Aragonum ëc (etc. ) nobilis consiliarii Do. Andree Bar- batie siculi de fide instrumentorum solemnis repeticio T ho- lose est impressa. xrr. calendas julii m. cecczxxrr. C'est un petit in-#° gothique à longues lignes de 108 {F, sans chiffres , réclames ni signatures , avec initiales dessinées à la main ei paragraphes rubriqués. Ce livre est tellement rare, que le savant et judicieux Branet, qui lui a consacré un article, n'en parle que par ouï-dire, d'après une lettre de M. de Mac- Carthy à l'abbé Mercier de Saint-Léger, en date du 27 août 1777, dans laquelle il est dit : qu'un exemplaire de ce livre, le même, sans doute, que possède aujourd’hui la bibliothèque du Collége de Toulouse, était conservé précieusement chez le président Bardy. Quant au sujet, c'est, comme vous l'avez remarqué, une exposition en forme de lecon d’un des titres du Digeste, De fide instrumentorum , de la foi due aux actes. Il paraît même certain, d'après une des phrases du début, que cette lecon de droit, cette repelitio, aurait réellement été faite par l'auteur à l'école supérieure de Bologne ( primario Bononiensi studio), et devant un illustre auditoire qu’il traite fort révérencieuse- ment de veñerand patres, de domini optimi et de scolares præstantissinn ; ce qui le confirmerait du reste, ee sont les mots par lesquels l’auteur termine son exposé. Après avoir indiqué une opinion du jurisconsulte Baide , conforme à sa thèse, il ajoute “LT: quia hora est tarda et reverentiæ vestræ nimis lassæ sunt, finem imponam huic scolastico documento ad laudem et gloriam optimi clementissimi Dei et sue Matris Virginis gloriosæ et beati Bernardi totiusque curiæ triom- phantis ac sacrosanclæ romane Ecclesiæ in hoc famosissimo studio Bononienst xrx mensis februarii m. ccccezri. Je voudrais être quelque peu clerc pour pouvoir vous parler en connaissance de cause du mérite de cette leçon, et juger si l’auteur, renommé du reste en Italie pour de nombreux travaux du même genre, a bien justifié les pompeuses épithètes DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 397 que lui donne son éditeur , de wir excellentissimus, de divus, etenfin de juris utriusque monarcha. Par malheur je suis ré- duit à confesser humblement ma honteuse ignorance en matière . de digeste et de glose , et à vous renvoyer , si vous voulez étre mieux fixés, soit au livre lui-même, soit à ceux de nos collè- gues qui se trouvent aujourd'hui les dignes émules du respec- table Barbatia. Je crois, du reste, que vous prendriez assez peu de goût aux nombreuses questions que pose notre auteur, soit pour établir les conditions de validité des actes, soit pour prévoir les cas de nullité qu'ils peuvent présenter. Droit civil , Droit canonique, Docteurs, Pères de l'Eglise, il cite tout, et avec une politesse grave dont, un demi-siècle plus tard, ia polémique passionnée et injurieuse de la Réforme devait bien corriger les savants, il ne combat jamais l'opinion d’un adversaire dissi- dent, sans qualifier l’auteur d'i/lustrissimus, et l'opinion d'ingeniosa ou de doctissima. Je n'insisterai pas davantage sur la partie littéraire ou scien- tilique de ce livre, ayant hâte d'arriver à la question qui seule peut vous intéresser, celle de son origine toulousaine: A cet égard , Messieurs, une réflexion : Les erreurs qui échappent aux hommes de mérite , et sur- tout à ceux qui passent pour compétents sur une matière , ont ce grave inconvénient qu'elles se perpétuent par l'autorité d'un nom respectable , et que lon finit bientôt par les accepter comme des faits établis et désormais au-dessus de la discussion. C'est ce qui est arrivé, Messieurs, pour l'établissement de l'imprimerie à Toulouse. M. de la Serna Santander ayant dit , assez légèrement , dans son excellent Dictionnaire bibliogra- phique du xv° siècle : & Qu'il était difficile de distinguer » d’une manière certaine et précise les éditions de cette épo- » que portant le nom de Tolosa, et de désigner avec assu- » rance celles qui ont été exécutées à Toulouse, capitale » du Languedoc, et celles qui Font été à Tolosa d'Espagne, » tous les bibliographes qui l'ont suivi, ont fait, passez-moi l'expression , comme les moutons de Panurge ; ils ont cru le maître sur parole , et sauté de plain-pied par-dessus la difli- 398 MÉMOIRES culté, sans se donner la peine d'examiner si leur savant de- vancier l'avait ou non résolue , et s’il n'avait pas voulu , sous ces expressions dubitatives , réserver une solution qui ne ren- trait qu'incidemment dans son sujet , ou qui, à ses ycux, peut-être , ne valait pas la peine d'être recherchée. Cette in- différence du savant amateur belge a passé pour un juge- ment approfondi, et l'on a conclu, de ce qu'il était parfaite- ment apte à résoudre la question, qu’il l'avait en effet jugée. Puisque M. de la Serna a dédaigné d'établir nos quartiers de noblesse en matière d'imprimerie, ne trouvez pas mauvais , Messieurs , que, malgré mon insuffisance, j'essaye de le faire à sa place. Je ne suis pas le premier Toulousain à qui l'amour du pays natal a inspiré l'idée de notre réhabilitation typographique ; je ne viens qu'après un de nos compatriotes qui consacra les loisirs de sa noble vieillesse à la recherche des produits des presses toulousaines depuis leur début jusqu'à la fin du xvn° siècle : je veux parler de feu M. le Marquis de Castellane, auquel nous devons un essai de catalogue chronologique de l'imprimerie à Toulouse. Dans cet ouvrage bien incomplet sans aucun doute , et où l'absence de discussion ne se fait que trop sentir, l’auteur n’en a pas moins combattu pour la défense de la cité ; et s’il n’a pas assuré le triomphe de la bonne cause, c’est que la réserve modeste dans laquelle il aimait à se ren- fermer a ôté à ses arguments la plus grande part de leur force virtuelle. Un autre de nos concitoyens a aussi manifesté son opinion à ce sujet; mais, bien loin de ressembler à M. de Castellane , il a épuisé contre la ville, dont il prétendait écrire l'histoire, tout ce que son esprit a pu trouver de dénigrement et de cri- tique chagrine. Jaloux de nos gloires les plus incontestables , il s’est plu malignement à déposséder notre ville de ce que j'appelais tout à l'heure ses titres typographiques ; et quoique notre savant confrère , M. du Mège , dans l'un de ses derniers ouvrages , ait courageusement relevé le gant en indiquant les arguments généraux qui rentraient dans la nature de son su- je DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 399 t, il reste encore , je le crois , quelque chose à dire ; aussi, afin de combattre tout à la fois et l'erreur accréditée par M. de la Serna Santander et les assertions partiales de notre mal- veillant historien , vais-je vous lire x extenso le passage du livre de M. d'Aldéguier : » » » YU VENU UV YVUUV Y Y » « L'époque du renversement de la maison d'Armagnac, est une des plus importantes de notre histoire ; car elle fut aussi celle de l'invention de l'imprimerie, qui eut une si grande influence sur la civilisation de l'Europe. L'Église ne vit pas cette belle découverte de bon œil : elle sembla pressentir l'effet qu’elle aurait un jour contre les abus de ses doctrines et contre le despotisme absolu auquel elle tendait depuis les édits de Constantin. Elle s’opposa ouvertement à la propagation de l'imprimerie dans certaines localités ; mais, plus sage dans d’autres, elle en profita elle-même pour propagerses principes. Le clergé de Toulouse se rangea du parti de l'opposition et parvint presque à paralyser entièrement l'imprimerie dans cette ville, si bien que dans le quinzième siècle, à la fin duquel elle avait déjà fait de très-grands progrès en Europe, Toulouse n’eut pas un seul imprimeur , et que l'on ne con- naît aucune production typographique sortie incontestable- ment de ses presses ; et cependant , à cette époque, vingt-deux villes d'Espagne jouissaient amplement du bienfait de limpri- merie : au nombre de ces villes était Tolosa. Cette conformité de nom avec la capitale du Languedoc avait fait supposer à quelques savants que c'était des presses de Toulouse qu'étaient » sortis quelques ouvrages imprimés dans le quinzième siècle , » portant la date de Tolosa; mais un examen approfondi nous » a malheureusement convaincu que c'est à Tolosa , ville d'Es- » pagne , et non à Tolosa, de France, que ces éditions appar- » » » tiennent. La vérité historique nous oblige d'ajouter que, pendant trois siècles, il n’est pas sorti des presses de Tou- louse une seule édition remarquable, même d'un ouvrage commun , et qu'aucun des grands ouvrages qui se recom- mandent par leur étendue, l'importance des malières qui y sont traitées, et la célébrité de leurs auteurs, n'y ont été 400 MÉMOIRES » éditionnés (sic). Les presses n’y travaillèrent presque pendant » toute cette période, que pour les moines Jacobins et pour les » Jésuites, c'est-à-dire pour l'ignorance et le fanatisme, ou > pour un système particulier, et souvent dangereux , d'ensei- » gnement. Les Jésuites y ont fait imprimer une quantité » prodigieuse de trailés ou de poëmes qu'ils composaient pour » leurs élèves ; le mérite de ces productions au-dessous du » médiocre (à l'exception des œuvres de Vanières), fait qu’à » peine elles sont nommées dans les notices bibliographiques » les plus étendues , et qu’elles chargent inutilement les rayons » de nos bibliothèques. » À qui attribuera-t-on cette désolante pénurie, si ce n’est > au système d'éducation e d'instruction que l’Inquisition avait » établi et perpétuait à Toulouse? » Voilà l'attaque , vous allez maintenant juger de sa valeur. Et d’abord, Messieurs , la difficulté est-elle réellement sé- rieuse ? Pour lous ceux qui connaissent la manière dont l’im- primerie s’est propagée et répandue en Europe, n'est-il pas évident que les Universités, ces ferventes agglomérations d’hom- mes lettrés et de jeunes gens avides d'apprendre , durent être pour la nouvelle invention l'asile où elle trouva ses plus actifs et ses plus impatients propagateurs ? N’est-il pas présumable , dès que la renommée eut proclamé dans les écoles les mer- veilles de la typographie , et surtout la rapidité miraculeuse avec laquelle elle pouvait reproduire les travaux de l'esprit , que maitres et élèves durent chercher à l’envi et par tous les moyens possibles à jouir au plutôt des bienfaits de cette féconde innovation ? Elle réunissait l'économie de temps à l’économie d'argent, double avantage auquel la plupart des hommes res- tent rarement indifférents. Par conséquent Toulouse , avec ses facultés , ses écoles , ses riches couvents, toute sa population de clercs, devait offrir aux ouvriers qui auraient voulu s’y établir , un champ plus vaste , un théâtre plus séduisant qu'une petite ville perdue dans les vallées de la Navarre. Elle devait leur offrir dans le clergé , dans la magistrature , dans les lettres, des protecteurs plus DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 01 puissants et surtout plus généreux. Suivons le développement de l'imprimerie dans tous les grands centres de population , et nous le verrons partout provoqué , facilité, encouragé par des hommes éminents dans les lettres ou dans les sciences qui se faisaient les patrons, les Mécènes de ces premiers et obscurs missionnaires de la presse. Dès l'an 1463, la bonne ville de Mayence , subissant le contre-coup des innovations qu'elle avait caressées , se donnait des airs de capitale et jouissait déjà da privilége d’avoir des émeutes. Les élèves de Guttemberg , in- dignes aïeux de la plus turbulente des postérités , n'avaient soupconné dans leur naïveté primitive, ni les bienfaits de l'or- ganisation du travail, ni le doux loisir des ateliers nationaux. Aussi , prenant maladroitement l'alarme , ils émigrèrent en toute hâte pour fuir ce que leur ignorance germanique et, si j'ose le dire, quelque pieu réactionnaire, appelait innocem- ment le règne du désordre. Alors ils se dispersent et se répan- dent en Allemagne et surtout en Italie. Là ils sont appelés par les évêques et les chefs des grands ordres religieux qui n’hé- sitent pas à ouvrir aux fugitifs leurs immenses dépôts de ma- nuscrits. Les typographes se mettent à l'œuvre avec toute l'ar- deur de néophytes enthousiastes , et c'est à cette première sève que nous devons cette admirable série d'éditions princeps des classiques latins et grecs qui jusqu'à ces derniers temps ont fait la richesse et la renommée des belles bibliothèques ita- liennes. Appelés à Rome en 1467 par le célèbre Evêque d'Alerie et par les deux frères Pierre et Francois de Maximis , qui ne dédaignèrent pas de se faire souvent eux-mêmes correcteurs d'épreuves , ils publièrent, cette même année, sous ce puissant patronage , la belle édition des Epistolæ familiares de Cicé- ron , qui marque d'une manière si splendide le début de l'im- primerie à Rome. Si nous les suivons en France , nous verrons également que c'est à deux savants membres de la Sorbonne que l'on doit l'introduction et l'établissement de l'imprimerie à Paris. En 1469 , Guillaume Fichet et Jean de la Pierre , docteurs en &02 MÉMOIRES théologie , firent venir d'Allemagne trois ouvriers imprimeurs , Ulric Gering, Martin Crantz et Michel Friburger, auxquels ils fournirent une salle dans la Sorbonne même , et en 1470 les trois étrangers mettaient au jour les Epistolæ de Gasparin de Pergame , et quelques autres ouvrages sans date. À juger par l’analogie , comment croire que les ouvriers qui parvinrent dans l'Est de la France , et plus tard dans le Midi , eussent dédaigné Toulouse, et préféré franchir les Pyrénées pour aller mettre leurs presses en œuvre dans une toute petite ville de la Biscaye , fondée depuis deux siècles à peine, et qui, privée d'université , d'écoles , de corporations savantes , n’a- vait pas d'aliments à fournir à leur industrie. Laisser Tou- louse pour aller s'établir à Tolosetta, comme les Espagnols appelaient quelquefois la capitale du Guipuscoa pour la dis- tinguer de notre ville , c’eût été presque de la déraison. Non- seulement Tolosa d'Espagne n'avait pas d’école , mais la pro- vince dont elle était le centre en fut longtemps privée, puisque l'université d’Onate n’a été fondée qu'en 1548. Toulouse au contraire , Messieurs , en possédait une qui remontait à plus de deux siècles , et qui déjà jetait dans le Midi un assez grand éclat ; ville depuis longtemps parlemen- taire , capitale du Languedoc , importante encore à cette épo- que par le souvenir tout récent de ses Comtes , luttant de poésie avec la Provence et l'Italie par son Académie du Gay Savoir, ne devait-elle pas mille fois plutôt qu'une pauvre petite ville d’au-delà des monts , attirer à elle la primauté des con- naissances et des découvertes scientifiques ? Mais si ces raisons ne paraissaient pas suffisantes , si le silence des bibliographes espagnols, dont pas un seul, à ma connais- sance du moins, n'a revendiqué pour Tolosa d'Espagne la priorité typographique que lui réservent si bénévolement-ceux de France et de Belgique , ne trouverions-nous pas mille au- tres arguments à l'appui de notre thèse ? I y à d’abord la différence orthographique que présentent les noms des deux cités homonymes. Le nom de la ville espa- gnole, comme l’a fort bien fait observer M. du Mège , à tou- DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 103 jours été écrit et imprimé sans 4 , tandis que, pour le nom de la nôtre, les impressions comme les manuscrits de la fin du xv° siècle, placent invariablement une 4 après le 7. Une raison plus forte encore , et que le simple bon sens aurait dû indiquer à nos contradicteurs , c’est qu'il était d'usage pour tous les livres imprimés en latin , de placer au titre ou à la souscriplion le nom romain de la ville au lieu du nom moderne. Or le nom romain de Tolosa d'Espagne est Jturissa , et je ne l'ai trouvé dans aucun des livres latins que l'on a voulu attri- buer à la ville espagnole. On comprend que pour des livres imprimés en espagnol , on trouve le nom vulgaire de Tolosa , mais pour les livres latins , l'absence constante du nom anti- que me paraît une preuve décisive. C'est ainsi que dans les premières éditions latines de Paris, on trouve Lutetia et non pas Parisis ; de même dans les éditions de Leyde, on trouve Lugduni Batavorum pour les livres latins , Zeyre pour les livres français, et Leyden pour ceux écrits en hollandais ou en allemand. Faudra-tl enfin, Messieurs , pour établir plus sûrement les droits de Toulouse , faire une application toute spéciale de la statistique cet examiner en détail les diverses impressions qui forment les pièces du procès ? Ici les résultats seront , s'il le faut , encore plus concluants. Si nous réunissons , en effet , aux indications que nous fournissent les ouvrages de Maittaire et de Brunet, celles que nous offrent nos recherches personnelles , nous trouverons de 1476 à 1500 , un total de dix-neuf ouvrages au moins, dont le plus grand nombre, sinon la totalité, aurait, selon nos adver- saires , été imprimé à Tolosa d'Espagne. Cinq de ces ouvrages sont en latin, et traitent des matières de droit civil et de droit canonique ; Trois sont en français , et portent la désignation non équivo- que de Thoulouse ; Cinq en latin traitent de matières théologiques , et trois notamment sont des commentaires de la Cité de Dieu de saint Augustin ; #04 MÉMOIRES Quatre de philosophie, dont un en latin , deux en espagnol , et le dernier en roman, c’est-à-dire , dans le dialecte vulgaire connu sous le nom de langue limousine , qui établissait un lien de parenté entre nos provinces méridionales et le nord de la Péninsule ; Un d'histoire en espagnol ; Et enfin la traduction en espagnol du roman français : La belle Mélhisine. Les ouvrages de droit ont été évidemment imprimés à Toulouse. Leur sujet, leur forme doctorale, tout indique qu'ils étaient destinés à des élèves de droit, et, comme nous savons que ni Tolosa, ni les provinces Basques ne possédaient d'écoles de ce genre , ils doivent demeurer acquis aux presses toulousaines. Deux de ces livres portent le nom de Jean Teutonicus, et les deux autres ressemblent tellement aux premiers, pour les caractères et le papier , qu’à l'exemple de Brunet et de M. de Castellane, nous ne pouvons pas hésiter à les attribuer au même imprimeur, qui, selon toute apparence, aura été l'in- troducteur de l'imprimerie dans notre ville. Le cinquième, Quoilibeta juridica, porte le nom essentiellement toulousain de Colomiés , dont, vous le savez, les descendants ont exercé la même profession dans notre ville pendant près de deux siècles. Les trois ouvrages français qui portent le nom de Thoulouse, ne peuvent pas offrir le moindre doute. Je ferai sur les ouvrages de théologie la même observation que sur ceux de droit. De longs commentaires sur le même traité de saint Augustin, et par des auteurs français, imprimés la même année (1479), et comme en concurrence les uns des autres , ont dû plutôt l'être à Toulouse, ville peuplée de nom- breux monastères , centre de fortes études théologiques , que dans une ville de second ou de troisième ordre. Des quatre ouvrages de philosophie, trois ont été imprimés par Jean Patrix où Paris et Etienne Clébat, imprimeurs associés qui ont exercé leur profession dans notre ville, et dont les noms indiquent d’ailleurs une origine locale. Les deux autres, en espagnol , l'ont été en 1489 et en 1490, DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 405 par Henric Mayer Alaman, ou, si vous aimez mieux, Alle- mand pour traduire la forme essentiellement languedocienne de ce sobriquet national. Mais ce même Henry Mayer qui avait imprimé en 1488 la fameuse Imitation de Jésus-Christ en français, qui porte la souscription décisive de Zholose , n’a pas pu se trouver dans les deux villes à la fois, et nous devons nécessairement en conclure qu'il imprimait à Toulouse des livres espagnols pour des libraires francais, ou, si nous vou- lons faire cette dernière concession à nos adversaires , pour des libraires espagnols. Restent maintenant, 1° /a Coronica d' España , contrefacon évidente de l'édition originale imprimée en 1482 à Burgos , et 2° l’Aistoria de la Linda Melosyna, dont nous avons déjà fait mention. Mais le premier de ces ouvrages a été imprimé par Mayer en 1489, peu de mois après limitation de Jésus- Christ en français et datée de Tholose , et le second par Jean Paris et Estevan Clébat en 1489 aussi, la même année où ces imprimeurs éditaient l’un des trois ouvrages de philosophie, dont nous croyons avoir déjà suffisamment démontré l’origine toulousaine. Pour que nous fussions en défaut au sujet de la Coronica et de la Linda Melosyna, faudrait que ces impri- meurs eussent, à la fois et par un concert inexplicable, trans- porté leurs ateliers d’une ville dans l’autre, ce qui, à une époque où les communications étaient loin d’être faciles , rend la chose tout à fait invraisemblable. Si je me suis expliqué clairement, si mes déductions logi- ques vous ont paru péremptoires, vous êtes parfaitement à même d'apprécier à leur juste valeur , et l'opinion de M. de la Serna Santander et les déclamations erronées de M. d’Al- déguier. J'ai voulu connaître les vingt-deux villes d'Espagne qui, suivant ce dernier, jouissaient amplement , au xr° siècle, du bienfait de l'imprimerie. Je n'en ai trouvé que seize, dont deux en Portugal, Lisbonne et Porto. L'erreur n'est pas grande; mais, de la part d’un historien aussi tranchant, on avait le droit d'attendre plus d'exactitude. 3.° S.— TOM. IV. 28 #06 MÉMOIRES Que penser d’ailleurs en lisant le passage déjà cité , où il ne craint pas d'affirmer : « que pendant trois siècles, il n’est » pas sorti des presses de Toulouse une seule édition remar- » quable, même d'un ouvrage commun... L’assertion paraîtra étrange de la part du conservateur de l’une de nos bibliothèques publiques, d’un homme qui par sa position pouvait être mieux renseigné que personne, puisqu'il n'avait qu'à étendre la main pour trouver rangés sur ses ta- blettes les chefs-d’œuvre typographiques sortis des presses des Guerlins , des Colomiés, des Bosc, des Jagourt , et de tant d’autres ! Pendant trois siècles, dites-vous , il n’est pas sorti des presses de Toulouse une seule édition remarquable, même d’un ou- vrage commun , et pourtant les Pères de l'Eglise y ont été plu- sieurs fois imprimés. Depuis le commencement du xvi* siècle, les ouvrages de médecine, les traductions d'Hippocrate abon- dent, tous les classiques grecs et latin fourmillent, et je n’en finirais pas si je voulais citer tous les produits remarquables de nos presses. Enfin, M. d’Aldéguier attribue cette « désolante pénurie au » système d'éducation et d'instruction que l’inquisition avait » établi à perpétuité à Toulouse. » L’argument est assez pauvre, quand précisément l’auteur oppose , comme un pays de progrès, celui où l'inquisition a pris naissance, et dans lequel l'instruction théocratique a régné exclusivement jusqu’au commencement de ce siècle. Vous le voyez, Messieurs , trois lignes erronées de M. de la Serna Santander, me coûtent à moi vingt pages de commen- taires, et à l’Académie vingt minutes de sa séance, Qu'elle ne regrette pas ses vingt minutes , et qu'elle pardonne à mes vingt pages , en faveur du sentiment jaloux des gloires toulousaines , qui a éveillé l’idée de ce mince travail. 1 Médaille Gauloises des Tolosates. : 2 (Grandeur exacte de la médaille. DE L'ACANÉMIE DES SCIENCES. k07 a — ESSAI D'ATTRIBUTION D'UNE MÉDAILLE GAULOISE INÉDITE ; Par M. BARRY. Ux concours de fatalités et de maladresses que j'ai bien des fois déplorées depuis, m'a rendu impossible l'inquisition d'une monnaie gauloise inédite que j'ai eue plus de quinze jours entre les mains , et à laquelle j'attachais beaucoup de prix. Je n'en ai même point pris d'empreinte, ce qui m’eût été bien facile alors, convaincu que j'étais de pouvoir me procurer l'original lui-même. Je m'étais borné, pour l'étudier plus à loisir, à un dessin exact, quoique grossier, que j'ai conservé. C'est sur ce dessin et sur la description sommaire dont je l’a- vais accompagné, que j'essayerai de la décrire , afin d’en con- server an moins le souvenir à la science. Quant à l'authenticité de la médaille elle-même, en supposant que mon témoignage ne suffise pas aux yeux de quelques personnes , j'en pourrais donner pour garant l’orfévre auquel elle appartenait, et un numismaliste bien connu dans notre ville, M. le capitaine Drieux d'Ilancourt, par l'intermédiaire duquel j'en avais eu connais- sance. La médaille, qui atteint à peine le module des quinaires , 0,010, est en or , et du poids d’un gramme 6 décigrammes ; elle porte à l'avers une tête nue imberbe, vue de prolil ( à droite }, et grossièrement dessinée, dont les cheveux se réunissent et tombent en manière de queue derrière la nuque. Des espèces de coins alignés successivement au-dessous du cou, et dirigés de haut en bas, sont destinés sans doute à figurer un vêtement, La légende, écrite en latin, porte en caractères ROS MÉMOIRES très-nets, quoique rognés au sommet par l'envahissement de la tranche, les cinq lettres ou tronçons de lettres IOLOS. Le champ entre la tête et la légende est marqué de cinq points globuleux , disposés successivement de haut en bas sur deux lignes parallèles. Le revers porte au centre l'effigie d’un oiseau huppé à queue allongée , représenté aussi de profil. Il regarde de droite à gauche, et serait perché sur une petite branche terminée en fourche, sil était certain que ce prolongement horizontal ne soit point la partie inférieure de la patte de l'oiseau repliée sur elle-même et terminée par une griffe à trois doigts. Cette patte, remarquablement longue, laisserait supposer, dans cette dernière hypothèse , que l'oiseau dont ce revers nous offre l’image , ap- partient à la famille des grues ou des cigognes, que l’on trouve en effet représentées sur quelques monuments gaulois d’une date assez récente, sur l'un entre autres des autels découverts à Paris, au siècle dernier , dans les fondations de Notre-Dame. Autour de ce symbole circule une légende de neuf lettres en caractères latins, à l'exception d’un seul que l'on serait tenté de prendre pour un © renversé , et d’un autre, le second , qu'il est difficile de déterminer. En partant de l'E placé au-dessus de la tête de l'oiseau , et qui est incontestablement plus grand , comme les lettres qui le suivent, que celles qui le précèdent immédiatement , cette légende donnerait le mot, ou tout au moins les syllabes ELIS où ERISORMON ou ELISORMEN. Que cette monnaie soit d’origine et de fabrique gauloise, c'est un point que nous croyons inutile d'établir scientifiquement. Ce symbole insolite du revers, l'absence de la croix, du calice, du nom royal, suffiraient, à défaut des indications accesssoires que nous fournissent la fabrique, le style, l'épaisseur du flan, les globules, etc. , pour écarter toute idée du moyen âge auquel nous avions d’abord songé. Mais il reste, ce qui est toujours difficile et délicat dans la numismatique gauloise , à déter- miner le sens de cette monnaie, à retrouver , si la chose est possible , le personnage Brenn, Rix ou Vergobret , dont elle nous a conservé le souvenir, l’époque, la tribu , ou la ville DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 109 à laquelle elle a réellement appartenu. Le revers sous ce rap- port ne nous fournirait que bien peu de lumières, quelque caractérisque que soit d’ailleurs, sur un coin gaulois, cet oiseau huppé à longue queue, qui n’est ni une imitation des aigles éployées de l'Italie méridionale , ni une réminiscence de la victoire ailée qui vole au-dessus du bœuf androcéphale d'Em- poriæ. En admettant même, ce qui reste encore problématique pour nous, à cause de la petitesse de l'oiseau et de la rudesse du travail, qu'il soit question ici d'une grue ou d’une cigogne , nous ne voyons pas de bonne foi quelles inductions il y au- rait à tirer de cette particularité pour la provenance et l’origine de notre monnaie ; lors même que l'on s’obstinerait à voir dans ce symbole une allusion à quelque culte topique , à quel- que événement d’une histoire qui nous restera toujours complé- tement inconnu. On a peut-être abusé dans ces derniers temps de ces inductions hasardées, qui ne vont à rien moins qu'à décré- diter la numismatique gauloise , à laquelle nous avons encore d'utiles renseignements à demander. Quant à la légende qui accompagne ce symbole, nous avouons très-franchement que nous n'en avons rien pu tirer, malgré toutes les combinaisons que nous avons essayées. ELis ou Erisonmox où oRMmEx qu'on lit assez distinctement en commençant par l'E d'apparence majuscule dont nous avons parlé, n'a pas plus de sens pour nous que n’en auraient RISORMONE | mené ? } ISORMONER, SOR- MONERI, ORMONERIS OU NELIS, etc. En rétablissant l'O antepé- nultième dans la première de ces lectures, et en attachant une valeur à chacune des lettres dont la légende se compose , on arriverait à un nom de peuplade ou de tribu, les xeris ou NÉLISORMES , {out aussi acceptables en ce sens qu'il est tout aussi inconnu que le nom des LONGOSTALETS OU LONGOSTALÈTES qu'on lit constamment , en beaux caractères grecs, au revers d'une monnaie gréco-ibérienne que l'on ne rencontre nulle part aussi fréquemment qu'aux environs de l'Oppidum où Emporium gau- lois de Vieille-Toulouse. Nous reculons pour notre part devant cette attribution téméraire, en présence surtout d’une légende contestable en partie, fournie d'ailleurs par un seul exemplaire, 410 MÉMOIRES et nous aimons tout autant y voir un de ces assemblages trop communs dans l’épigraphie numismatique de la Gaule, de lettres incohérentes qui ne fournissent aucun sens , quelquefois même aucun son articulable dans nos systèmes actuels de pro- noncialion. Mais il n’en est pas de même de la légende de l’avers qui est franche , nette , suivie, et dont l'explication m'avait frappé à la première vue par sa facilité même. Des cinq lettres dont se compose cette légende , quatre sont induhitables, malgré la forme un peu irrégulière de l’L, et donnent incontestablement la finale OLOS. Le premier des cinq caractères, qui est rogné à sa partie supérieure , laisserait seul matière à lhésitation. Mais il devient évident , en y réfléchissant, que ce caractère ne peut être autre chose dans l'alphabet grec que ler ou PI, dans l'alphabet latin que l'I , VF ou le T, entre lesquels se ré- duit l'alternative. Le T grec pourrait s’écarter d'avance et sans examen , par la considération que les deux légendes réunies n'offrent pas un seul caractère qui soit incontestablement grec. L'F qui donnerait le mot étrange de FOLOS est à peu près inadmissible d’ailleurs, à cause de l'absence certaine du trait central qui constitue F. I0LOS que donnerait l'I n’a pas plus la physionomie celtique que latine, et ressemble encore moins à un nom de lieu qu’à un nom d'homme. Le T dont la barre transversale , emportée par le ciseau , ne dépasserait point d’ailleurs la ligne supérieure de la légende , nous donne seule un nom d'allure franchement gauloise et qui réponde à quel- que chose de connu , le nom de TOLOS dans lequel nous retrouvons avec une remarquable exactitude orthographique le radical du nom des Zolosates, abrégé de la même manière que celui des Ændecavi dans la légende Ændec , celui des PBetarrates dans la légende Betarr, ete. (1) Ce qui ajoute un x degré de vraisemblance de plus à cette attribution qui se pré- {1) El est assez remarquable que les historiens , les géographes et les ins- criplions anciennes soient à peu près d'accord sur l'orthographe de ce nom de lieu , qui répond exactement à celle de notre monnaie. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 114 sente pour ainsi dire d'elle-même , tant elle est naturelle, c'est que c'est , en effet , dans le territoire des Volces Tecto- sages , à quelque distance de la ville actuelle de Toulouse ( commune de Caujac , canton d'Auterive , arrondissement de Muret) , qu'a été découverte la monnaie que nous venons de décrire. Malgré la prospérité que paraît prendre dès les premiers temps de l'empire la cité des Tolosates | prospérité qui suppo- serait seule une certaine importance à l'époque antérieure) , dans la période gauloise proprement dite on ne connaissait point, jusqu à l’époque de cette découverte, de monnaie auto- nome et épigraphe de la capitale des Tolosates. Ce ne serait point cependant à une raison suffisante pour nier d'une manière absolue qu'elle en ait jamais possédé. Aucune peut-être des pro- vinces de France ne fournit en aussi grande quantité que le Haut-Languedoc , et que Vieille-Toulouse en particulier, de ces monnaies gauloises de fabrique Barbare , que l’on désigne dans le pays sous le nom de Médaille à la Croix ou à la Roue, à cause du type marseillais de la roue qui est constamment reproduite , cantonnée d'ordinaire d'ornements ou de sym- boles divers. M. de Lagoy a récemment attribué aux Volces Tectosages , une petite monnaie (leg. Vol.) qui a d'intimes rapports avec la monnaie bien connue des Volces Arécomiques { leg. Vole. Arec.), et l'on ne comprendrait point comment la capitale des Tectosages , déjà commerçante et riche à l'époque celtique , comme le prouvent les débris de tous les genres que l'on découvre tous les jours dans l'Emporium de Vieille-Tou- louse , n'aurait point exercé ce droit de l'autonomie numismati- que dont jouissaient nou-seulement la Namas (Nemäs, Nemaus, Nemausus } des Arécomiques , mais des villes vraisemblable- ment inférieures à celles-là , comme celles des Æuskii (Auch ) et des Betarrates | Béziers) ; car nous persistons, en dépit des assertions contraires d’un récent numismatiste , à attribuer à Bétar ou Béter de la Narbonnaise , le grand bronze qui porte pour légende le mot grec BHTAPPAT, comme nous inclinons à attribuer à l'Emporium de Vieille-Toulouse, et à l'époque de k12 MÉMOIRES l'influence commerciale des Grecs et des Ibères , la monnaie historiquement obscure des AOTTOCTA AHTAON , où l'écriture ibérienne se mêle quelquefois à l'écriture grecque et que l’on ne irouve nulle part aussi fréquemment que là (1). IL est remarquable , nous l’avouons , que la première mon- naie connue et certaine des Tolosates soit précisément un aureus. Quoique l’on trouve de loin en loin dans le Haut-Languedoc (1) Pour rassurer M. Duchalais (Descript de Méd. gauloises de la biblio- thèque royale, pag. 35) sur l’exactitude de l’attribution de la monnaie de bronze des BHTAPPATES à la ville gauloise de BAITAPPA ( Béziers), altri- bution acceptée d’ailleurs par la plupart des numismatistes, nous nous bor- nerons à lui affirmer que c’est non-seulement de la France, mais de la Nar- bonnaise et des environs même de Béziers, que proviennent tous les exem- plaires que nous en connaissons dans le Midi, ceux entre autres que possédait M. Margerin , le dernier directeur du télégraphe à Montpellier. Elles lui étaient apportées, chaque année , mélées à des v#æærer, à des Vole. Arec., et des coloniales de Nimes par les vignerons et les laboureurs du pays, que Iui adressaient les employés de son administration. M. Ricard, de Montpel- lier, en possède un autre exemplaire trouvé el acheté dans le pays. Quant à l'attribution proposée par M. Duchalais (2bid., pag. 90), et bien autrement contestable à notre sens, de la monnaie des Longostalètes ? à la ville toute moderne de Perpignan , nous nous contenterons de remarquer que nous n’avons jamais entendu parler de monnaies de cette espèce décou- vertes en certain nombre dans le Roussillon , tandis qu’on les trouve très- fréquemment sur les collines de Vieïlle-Toulouse et dans la plaine des en- virons, mélées à des Massaliètes d'argent, à des Ibériennes de l'Espagne du nord, à des Phéniciennes de France, au revers du Cabire. Les dix ou douze exemplaires que possède un numismaliste bien connu dans notre ville, M. Soulage, proviennent presque tous des fouilles qu’il y a fait exécuter. Un exemplaire d’une grande beauté, que j'ai acquis il y a quelques années, avail été trouvé à Toulouse même, en creusant les fondements du tribunal de 1° instance. Nous aurons peut-être un jour l’occasion de discuter cette monnaie singulière et les légendes ibériennes accolées à la légende grecque, sur lesquelles s’est appuyé M. Duchalais pour émettre cette attribution au moins Léméraire. Qu'il nous suffise de remarquer pour le moment que les monnaies des Bétarrates el des Longostalètes? qui offrent l’une avec l’autre quelques rapports éloignés de type, de fabrique, de module même, sem- blent frappées Loutes les deux sous l'influence monétaire des Massaliètes, dont le commerce se croisait ici avec celui des villes ibériennes du nord, unies par le sang et par d'anciens et intimes rapports avec les populations de l’Aqui- taine. Ibériennes de métal, de fabrique et d'apparence générale, toutes les deux ont adopté avec l’idiome écrit des Phocéens de Massalia quelques- uns de leurs symboles favoris, le lion à Béziers, le trépied chez les Longos- talètes 2. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES, 513 des monnaies celtiques anépigraphes en or, d'une fabrique analogue aux médailles d'argent à la croix et à la roue que la terre nous livre tous les jours , il a été jusqu'ici extrême- ment rare d'y rencontrer des monnaies d'or portant une légende. La seule monnaie gauloise et épigraphe en or que connüt, il y a quelques années , le savant auteur de la numis- matique de la Gaule narbonnaise , M. de la Saussaye , est la pièce devenue célèbre qui porte pour légende le mot Solima , écrit du reste, comme le 70/os de notre monnaie, en caractères latins, et que l’on attribue généralement à la gaule Belgique { Solimariaca , Soulosse ). Mais nous ne croyons point non plus que l’on puisse tirer de cette particularité un argument concluant et décisif à une époque où les découvertes se succè- dent si rapidement , dans la numismatique gauloise surtout, que chaque année ajoute quelque nouveau nom en métaux divers à la liste déjà longue de l'autonomie gauloise, ce qui tient tout simplement à ce que l'attention des archéologues et des collecteurs s’est portée , depuis quelques années, sur ces monnaies barbares qu'elle a dédaignées trop longtemps , et que l'on sauve maintenant du creuset une foule de pièces qui y passaient jadis sans hésitation. Nous ajouterons que l'emploi de ce métal précieux a quelque chose de moins surprenant dans un pays où il était proverbialement commun , où presque cha- que découverte archéologique apporte de nouvelles preuves à l'appui de cette richesse proverbiale , témoins les beaux tor- ques où maniaques gaulois en or, découverts en 1836 à quel- ques lieues de Carcassonne , et ceux bien autrement riches encore qui ont été trouvés en 1841 auprès de Toulouse même, en creusant le canal latéral à la Garonne. L'existence des aurei barbares dont nous parlions tout à l'heure, et que l'on reucontre quelquefois dans le Haut-Languedoc, ne permet point de douter d’ailleurs que les Volces Tectosages ne monnoyassent ce métal précieux longtemps avant l'époque où à été frappée la monnaie que nous venons de décrire. Quant à l’âge de cette monnaie , que nous n'avons point la prétention de déterminer d'une manière précise , nous nous h14 MÉMOIRES bornerons à remarquer que les caractères grecs , dont quel- ques-uns tiennent si longtemps bon dans les légendes gauloises, ont fait complétement place ici à l'écriture latine, ce qui sem- ble indiquer une époque de fabrication relativement récente. Un autre fait, qu'elle servirait à établir avec une certaine précision , si l'attribution que nous proposons était acceptée , c'est que la numismatique, jusqu'ici fort peu connue, des Volces Tectosages, aurait suivi à peu près dans son développement les mêmes phases que celle des Volces Arécomiques , c’est- à-dire qu’elle aurait commencé comme celle-là par des autono- mes grecques ( AOTTOCTA AHTON , BHTAPPAT, NAMASAT ) frappées évidemment sous l'influence des Grecs de Massalia ou des villes greco-ibériennes du littoral ( EMIIOPIAI, etc.), pour arriver comme elle à des autonomes latins { TOLOS , NEMA }), contemporains , suivant toute apparence, des monnaies 2» ge- nere des deux provinces { VOL. VOLC. AREC) encore in- dépendantes alors. Nous pensons, comme M. de Lagoy, que cette ère latine de l'autonomie gauloise , à laquelle appartient la monnaie que nous venons de publier, a pu précéder de quel- que temps l'époque de la conquête et de l'occupation romaine, qui date, dans la province, de l’année 121 avant J. C. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 415 BULLETIN DU MOIS DE JUILLET. M. Ducasse donne lecture d’une Observation sur un car- Séance du 6. cinome de la face. (Imprimé. ) M. Sauvace présente quelques remarques à l'occasion du travail de M. Benech , et relatives aux atteintes portées chez les Romains aux droits de propriété. Un Membre propose d'accorder à M. Foxps-LaMOTHE, Avocat à Limoux et Lauréat de l'Académie, le titre de Correspondant. Cette proposition ayant été prise en considération , il y sera délibéré dans la prochaine séance. M. Bexecn termine la lecture de son travail sur /e Droit de Du 15. propriété chez les Romains. D'après le billet de convocation , l'Académie procède à la nomination d'un Correspondant. M. Foxps-LamoTHE , Avocat à Limoux (Aude), ayant obtenu le nombre de suffrages re- quis , il est proclamé Correspondant dans la classe des Inscrip- tions et Belles-Lettres. M. Moquix-Tannox lit à l’Académie un Mémoire intitulé : Du 20. Observations sur les mâchoires des Hélices de la France. (Imprimé. ) M. Desparreaux-BErnarp lit un Mémoire , avec les pièces à l'appui, ayant pour titre : Quelques recherches sur les débuts de l'imprimerie à Toulouse. (Imprimé. ) M. Astre, Avocat près la Cour d'appel de Toulouse, écrit à p, ». l'Académie pour demander l'autorisation de lui communiquer 416 MÉMOIRES un travail littéraire sur un auteur italien du 16° siècle. Cette autorisation lui est accordée , et l’Académie charge son Secré- taire perpétuel d'informer M. Astre de vouloir se rendre à la prochaine séance pour faire sa lecture. M. Larrey, Trésorier, communique une observation sur un cas de calvitie complète sur un enfant de huit ans, dont la cause est restée inconnue. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. k17 EEE BULLETIN DU MOIS D'AOÛT. M. Sawr-Guicnem donne lecture d’un Mémoire sur l'éla- Séance du 5. blissement des voûtes en berceau. (Imprimé.) M. Astre, Avocat, lit un travail littéraire sur les œuvres de Louis Alamanni, poëte italien du 16° siècle. M. Desbarreaux- Bernard est chargé de faire un Rapport à l'Académie sur ce Mémoire. M. Ducos fait un rapport verbal sur deux ouvrages de M. Tempies, de Marseille, dont le plus important, celui qui a fixé l'attention de l’Académie, est intitulé : £tudes historiques sur l'autorité de l'église et du pouvoir civil. M. Ducos propose d'accorder à l’auteur le titre de Correspondant qu'il a demandé ; celle proposition ayant été prise en considération, il y sera délibéré dans la séance prochaine convoquée spécialement. D'après le billet de convocation , l'Académie procède à l’élec- Du 10. tion d'un Associé correspondant; le dépouillement du scrutin ayant donné à M. Tempies, de Marseille, le nombre des suffrages requis, M. le Président l’a proclamé Correspondant de l’Académie dans la classe des Inscriptions et Belles-Lettres. M. Moquix-Taxvox donne lecture d'Observations sur les vésicules mullifides des Hélices de la France. (Imprimé.) M. Barry fait un rapport verbal sur un ouvrage de M. Julia, de Cazères, ayant pour titre : Un dernier mot sur Gerson , auteur de l’Imitation de J. C. M. Nouzer lit une note sur le Raphanus Laudra Monerrt, pu :7. naturalisé autour de Toulouse , où il se montre abondant depuis ; plusieurs années. nce du 24. #18 MÉMOIRES Le même Académicien dépose sur le bureau un billet cacheté pour être déposé aux archives ; le Secrétaire perpétuel l'a paraphé , ne varielur. M. Mounir a fait un rapport verbal sur un ouvrage de M. Fabre, Avocat, ayant pour titre : Solution du problème social par l'association de Pagriculture et des capitaux ; sur les conclusions du Rapporteur , l'Académie vote des remer- cîiments à M. Fabre. M. Barry lit une Note sur une médaille gauloise, en or, modèle qu'il croit pouvoir attribuer aux Volces-Tectosages et aux Zolosates en particulier. (Imprimé. ) M. Dessarreaux-BERNaRD fait un rapport écrit sur la traduc- tion du premier livre du poëme della Coltivazzione de Louis Alamanni, faite par M. Astre, Avocat à Toulouse, et sur les travaux biographiques dont le traducteur a enrichi son Mé- moire. M. Becuowe lit un Mémoire ayant pour titre : Aperçu général sur la composition de la série ancienne des archives départementales de la Haute-Garonne. M. Joux, Président, communique quelques détails sur les mœurs des Termites , et il met sous les yeux de l'Académie un individu femelle appartenant à ce genre curieux d'insectes. TABLE DES MATIÈRES. Etat des Membres de l'Académie au 1° janvier 1848..........,. Compte rendu des travaux de l’Académie royale des Sciences, Ins- criplions et Belles-Lettres de Toulouse pendant les années 1845 , 1846 et 1847 ; par MM. BrassiNnE, Joy et pu MEGE. ....... Analyse de fragments d’une cloche de l'église Saint-Pierre à Moissac; par MM. CousEeran , MAGNEs et FILHOL. ........... Coup d'œil biographique et littéraire sur un auteur dramatique du xvne siècle; par M. DESBARREAUX-BERNARD. . . ...... 3 Bulletin du mois de janvier 1848. ........................... Tableau général des observations météorologiques faites à l’obser- vatoire de Toulouse en 1847 ; par M. Petir. Mémoire sur un nouveau genre de monstres Célosomiens, pour lequel l’auteur propose le nom de Dracontisome; par M. Jory... Analyse chimique de l'eau minérale d’Aulus; par MM. E. FiznoL CRI FNAUDS + he ssovauale dde cos dép simetaete Compte rendu d'un ouvrage inédit d'Etienne Pasquier , intitulé : De l’Interprétation des Institutes de Justinian: par M. BENECH. Bulletin du mois de février 1848.............. RIRES À Notice sur un bolide observé le 19 août 14847, à Paris et à la Chapelle près Dieppe ; par M. PeTiT. .......... Home ds seme ms side te Eloge de M. Magnes ; par M. E. Et PTE EE FF FACE LS Nouvelle ponctuation d’un passage de l’Art poétique d'Horace, — Dissertation; par M. SAUVAGE........... Joe sreeecsennee Note sur les paroles attribuées au légat Arnaud , au sac de Béziers : Tuez-les tous, car Dieu connaîl ceux qui sont à lui; par M°D06D92 tn. e-cemsanes essence. ose Notes sur les monuments Eg gypliens conservés à Toulouse ; par MODO MEGES 280 -ccsee ses eee sent etensesh nest Note sur quelques faits relatifs à l histoire A l'arsenic ; par MF, FILHOL. Rene -nssheneuesnse tes oder Bulletin du mois de mars 1818. .................. Spies Mémoire sur les Nummulites considérées zoologiquement et géolo- giquement ; par MM. N. Jory et LEYMERIE. ................. Bulletin du mois d'avril 1848. : . ... sono 0e 000 00 eo 122 128 135 146 148 149 219 :920 TABLE DES MATIÈRES. Note sur la courbe que formerait un fil flexible dont les divers éléments seraient sollicités par des forces verticales proportion- nelles aux distances de ces éléments à un même plan horizontal ; DAT M MOINS ER A eehelale en seven de se emotion see ee eIeleiele Théorèmes de géométrie ; par M. E. BRASSINNE. ee... Théorème relatif à une classe d'équations différentielles simultanées, analogues à un théorème employé par Lagrange dans la théorie des perturbations; par M. E. BRASSINNE............. se. Sur diverses équations différentielles du premier ordre, analogues à l'équation de Ricatti; par M. E. BRASSINNE. ............... Mémoire sur le droit de punir et sur la peine de mort; par M. VICTOR MOLINIER.... eee conso sesseoososenoecesenece Bulletin du mois de mai 1848.......eveessenescoesoveoscssne De la nature des animaux, comparée à la nature humaine ; discours prononcé à l'ouverture de la séance publique du 18 juin 1848; par M. Joy. .....ss..tt trees ts fn RER LAS Rapport sur le concours pour le prix d'histoire ; par M. Barry... Eloge de M. J. Abadie; par M. U. Vitry. soso. Dissertation sur le Joueur de flûte de C. Gracchus ; par M. SAUVAGE. Bulletin du mois de juin 1848. ....... es... Mémoire sur l'établissement des voètes elliptiques en berceau ; par M. SAINT-GUILHEM. secoue se ossococmoseveseseresootres Observations sur les mâchoires des Hélices de la France ; par MATASEMOQUIN-TANDONAMMAS See clone - se teletaelelaleie » elelo ele one Observations sur les vésicules multifides des Hélices de la France ; par M. A. MOQUIN-TaNDON. .............ssses eee Observalions sur un carcinome à Ja face; par M. Ducasse. ...... Quelques recherches sur les débuts de l'imprimerie à Toulouse ; par M. DESBARREAUX-BERNARD........,................... Essai d'attribution d’une médaille gauloise inédite ; par M. Barry. Bulletin du mois de juillet 1848........ etes us.e soso du mois d'août 184840. Me ane EN TOULOUSE, IMPRIMERIE DE JEAN-MATTHIEU DOULADOURE, VO à ù & D es GA OT à à EX pr Gr vi LT LA