vi: RS ere rer te Fe Tr é sr Pt ES à LEE ne 1 ni Br. f LR LL el % 4 4 TERRE Lun il Te QT he ge LL MÉMOIRES L’ACADEMIE des Sciences, Agriculture, Commerce: _ Belles-Lettres et Arts DU DÉPARTEMENT DE LA SOMME. AMIENS, Iventmerie DE Duvaz ET HERMENT, PLACE PÉRIGORD, N° 1. MDCCCXLVI, MÉMOIRES L’ACADÉMIE DU DÉPARTEMENT DE LA SOMME. 1 à 1 “à e r … AMIOMN p.510. 7 AMOS AMG TM HAT UE MÉMOIRES L'ACADEMIE des Sciences. Agriculture, Commerce, Belles-Lettres et Arts DU DÉPARTEMENT DE LA SOMME. EveRmMeRIE De Duvar ET Hermenr, fur, ne L'Acapëmie, PLACE PÉRIGORD, N° f. MDCCCXLVIT, | sa 2 CN | MAGADAU | arronmmso satire & APECIIC CLR AT “ “etui + eFal-ention h ad RE T TANT AE ta simtand't 7 20 Ce Ya JV 7 nana 1 #20 ROME AIT — ns LS AMEN IAE DISCOURS SUR LA CULTURE DES BEAUX-ARTS, ProNoncé par M. DAMAY, DANS LA SÉANCE PUBLIQUE DU 3i AOUT 1845. Messieurs, Un beau spectacle offert à la méditation est celui des rôles divers distribués aux différents génies par l'activité de l'esprit humain, Quand on se sépare un moment de la passion du jour, qu'on s'élève au-dessus du nuage dont l'intérêt individuel couvre toujours un peu les plus claires vues, on contemple avec admiration toutes ces cohortes de législateurs, de politiques, d’économistes, de théologiens, de philosophes, dans lesquelles chacun semble avoir sa tâche imposée, son idée à produire et à pousser pour la faire vaincre, vastes ruches où ne manquent ni les bourdonnements ni les piqüres, en attendant le miel but de tout ce travail. Ce n’est pas au miel encore que nous en sommes, confessons-le. Ainsi, la politique destinée à mettre l'or- 6 — dre au monde, fait elle-même bien du bruit en plus d’un lieu. Nos économistes sont loin d'être en paix avec la pratique, sur leur fameux laissez faire et laissez passer. Les cultes les plus charitables se maltraitent un peu trop, ce semble, en famille. Quant à la philosophie, ne subit-elle pas, pour demeurer orthodoxe, le sort de ce voisin de Sganarelle (1), qui veut mettre la paix au ménage, et ne réussit qu'à se faire battre des deux côtés ? Je le dis sans amertume, car il n’y a point à perdre l'espérance. Et cependant bénissons la bonne nature d’avoir, dans un jour d’indulsence, formé pour ceux qui ont soif de paix et d'amour, comme un sol neu- tre, hors de la mêlée et de la poussière, fraiche Oasis où s'offrent toujours de doux fruits, et dont les ruches ont déjà leur miel. Je parle, Messieurs, de la culture des beaux arts, tâche la moins grave dans le labeur de l'humanité, mais à qui la destinée de celle-ci ne doit pas moins de gratitude peut-être qu'aux plus sérieux travaux de ses sages et de ses penseurs, Ce thême est un sermon pour des convertis, je Île sais, dans une académie qui comprend les beaux arts sous sa tutelle, et dont le juste empressement couronne aujourd'hui même le statuaire compatriote (2) qui s'est si heureusement révélé. La cité a aussi bien des fidèles à leur culte, témoin la prospérité croissante des associa- tions qui se partagent le domaine des beaux-arts, et où l'entrainement gagne jusqu’au sexe timide et mo- (1) Dans le Médecin malgré lui. (2) M. Forceville. Te deste le mieux formé pour en goûter et en faire éprouver les charmes. Pourtant il n’est pas rare encore de ren- contrer des tiédeurs, des préventions peut être, et même d’austères et respectables inquiétudes. Ce sont là, disent-elles, des inutilités brillantes et non productives, grand reproche aujourd’hui ! des jeux agréables, mais en dehors des plaisirs de l'intelligence ; un culte tout sensuel, propre à détourner l'attention de l’homme des misères salutaires de sa destinée ; coupe empoisonnée où les générations s’enivrent, et qui les conduit, chancelantes dans leurs chaines de fleurs, à l'oubli de la liberté. Ecartons vite ce dernier reproche, avec l’histoire elle- même. Des peuples y sont vus, sans contredit , tomber dans la servitude, habiles à manier le pinceau et à toucher la lyre. Mais pour imputer à qui de droit l’abat- tement des courages, demandons ce que faisaient alors, pour fortifier les âmes, les graves penseurs, écrivains, urateurs, ministres des dieux, ces guides de l'esprit public. Interrogeons la littérature, le conseiller si jus- tement responsable de la société. Et puis les exemples plus significatifs que les théories : Ainsi quand le des- potisme ingrat des Médicis opprime Florence, quel front voyons-nous repousser le joug ? Quelle main tenter de le briser ? Quel génie épuiser toutes les ressources de la science militaire et du courage, contre la coalition d'un empereur et d’un pape? Le front d’un artiste, Messieurs; la main et d’un peintre, et d’un statuaire, et d'un architecte, et d’un poète: car elle eueillait toutes ces palmes ! le génie de Michel-Ange. ! Plus près, lorsque 89 ramène en Europe l'ère de la liberté, où sonne sa première heure? au centre de Rs l'empire des arts. Plus près encore, à la deuxième heure, à qui 1830 porte-t-il sa couronne ? À un prince que les arts inontraient comme leur ami et leur pro- tecteur ; au roi qui les fera ministres de ses libérales inspirations, pour secouer de dessus Versailles la pous- sière des temps despotiqnes et en faire le temple de toutes les gloires de la patrie. « Les beaux-arts ont pour domaine l’univers sensible. » Eh ! sans doute : mais ce domaine est-il done tant à mépriser ? Je n’entends pas rabaisser celui de la pure intelli- gence. Par la seule puissance de l'esprit, quand un atome animé étudie l'univers où il est comme perdu, pénètre ses lois, s’approprie les forces de la nature pour s’en défendre contre elle même, au sein de tous les dangers dont elle le menace, certes, il y a de la grandeur dans cette lutte inégale. L'étude du monde moral grandit l'homme encore, alors que constatant la règle en lui-même, il pose la borne à ses propres passions, et déduit toutes les lois de l’association humaine du dogme naturel du juste. Enfin, il s'élève au plus haut de ses forces, au de-là peut être, quand il dirige leffort de sa faible vue jusqu’au principe des mondes, et, dans sa curiosité inquiète, fait descendre jusques dans la nuit de la tombe le flambeau vacillant de la raison. Honneur donc aux sciences qui nous mettent, jus- qu'où elles peuvent, en participation de l'intelligence suprèéme. Mais honneur aux beaux-arts : car ils sont un reflet du pouvoir créateur qui ne s’est pas montré si dédaigneux , ce semble, du monde matériel et sensible. Que sont en effet tous ces soleils qui brillent à la NE voûte céleste ? Qu'en savons-nous que ce que nos sens nous apprennent? Sans eux, comment faire dans l'im- mensité ces excursions qui nous énorgueillissent ? Sau- rions-nous seulement qu’il est d’autres hommes? Peut- être, répond le somnambulisme triomphant. A la bonne heure. Mais avec nos sens, nous en sommes sürs, sans dormir. Nous les touchons. Nous les aimons. Nous en sommes aimés. Nous eutrons en possession de nos meil- leurs biens sur la terre. On fait une objection aux arts de viser au beau avant tout. Adorateurs de l'ufile, prenez garde : le beau n'est- il pas le dernier terme en beaucoup de choses, et dans toutes, le meilleur des moyens ? Pour éprouver ce qu'il vaut, il y aurait une épreuve à faire : l'enlever de partout, et voir ce qui resterait; voir ce que deviendraient mille choses, graves on non, où nous ne sentons plus, par habitude, l’artifice qui les embellit. Tout d’abord périrait un art bien cher aux filles d'Eve. Allons: brisons ces miroirs conseillers de la beauté. Plus de dentelles, de diamants , de tissus soyeux. Plus de modes nouvelles qui font renaître sous une autre forme. L'art de la parure est supprimé. La grave justice elle-même avait recours à un digne appareil. À quoi bon, sévère Déesse, vous couvrir ainsi de velours, d'or et d'hermine ? Vous êtes assez respec- table par vous-même, dans l’ordre intellectuel. Orateur que suit la foule, la vérité n'a besoin ni de fard, ni de parure. Quoi! toutes les pompes hu- maines du langage , toutes les finesses d’une dialecti- que éblouissante, toute la magie de la passion même, — A0 — dans la chaire et sous ce sévère habit! Eloquent Domi- nicain , irrésistible Lacordaire, contente-toi done d’être vrai, charitable et simple... Ah! plusieurs le font tous les jours : mais la foule empressée, je ne la vois plus. Je la retrouve dans ce temple antique où nous ap- pelle une douce harmonie. Là, sur les murs de splen- dides tableaux. Partout de l’or, des fleurs, des statues. Mille feux brillent sur l’ombre du sanctuaire. Des voix mélodieuses s'élèvent. L’orgus tour-à-tour pleure et chante, et les longues files des vierges passent avec des chants célestes, tandis que l’encens monte et enivre l'air... Votre cœur s'oppresse ; vos yeux se lèvent ; vos genoux fléchissent...….. Penseur austère, ton anathème contre l’art sensible, où est-il ? La foi elle-même se garde bien de le prononcer. Elle adopte tout l'homme tel que Dieu l’a fait, Elle consacre entre le corps et l’âme comme un hymen fidèle, et défend, par son plus cher dogme (1), à la mort impi- toyable de rompre éternellement leur nœud. C'est qu’elle honore le beau, partout où elle en voit l'empreinte. Aussi ses plus glorieux pontifes s’élevant au-dessus d’uu rigorisme étroit, accueillaient-ils, sous le manteau de l’art, ses plus profanes productions. Parcourons l’Italie : tout l'olympe païen y a trouvé refuge jusques chez ses vainqueurs. Un saint pape le premier avait été l'hôte de cette Vénus un peu vagabonde qui vint un instant charmer notre Louvre à la suite de nos drapeaux vic- torieux. Et jusqu'aux trois Grâces, savez-vous où elles sont encore réfugiées, les déesses déchues , voilées, dans (4) Celui de la résurrection des corps, qui réduit tant l'importance de la question sur la différence des deux substances. SA = leur dénüment, de leur seule beauté? Dans la cathé- drale de Sienne, Messieurs, dans la sacristie des cha- noines de ce saint lieu. Mais quoi ! l’indalgence du ciel pour le beau visible n'éclate-t-eile pas dans toute la création ; dans toutes ces parures, toutes ces élégances prodiguées, auprès des- quelles les nôtres ne sont rien ; dans les suaves par- fums que la corolle des fleurs exale, et les couleurs si brillantes qui la décorent ; dans tous ces fards jetés à profusion jusques sur les insectes; dans ces enlu- minures merveilleuses qui font des oiseaux comme des fleurs volantes ?... Car c'est là, voyez-vous, le grand artiste : c’est Dieu !... Dieu, le premier statuaire, quand il forme l’homme du limon ; le plus grand architecte, quand il bâtit la terre, demeure de l’homme , et courbe au-dessus la voûte du ciel ; le plus habile des pein- tres, quand, avec les sept nuances de l'arc en ciel, sa palette, il colore ces horizons, ces mers, ces monts, ces ciels inimitables ; le plus puissant des musiciens enfin , disposant de gammes sans limites , depuis le chart de ses oiseaux et le murmure des ondes et des om- brages, jusqu'aux grands bruits des tempêtes, aux rou- lements et aux éclats du tonnerre, immense orchestre dont nos Meyerbeer et nos Rossini s’inspirent, sans sans pouvoir l’égaler !... Et maintenant les beaux arts ne parlent-ils donc qu'aux sens, et point à l'intelligence et à l'âme? La méprise nait du charme ‘extérieur qui les envi- ronne. Mais qui pourrait ne voir que de la pierre tail- lée, à la voûte des temples, que ce soit Saint-Pierre de Rome ou le Parthénon ? sous les arcs de triomphe de Napoléon ou de Constantin ? en face des statues que la France reconnaissante élève partout à ses héros et à ses bienfaiteurs ? Qui ne comprend les hautes lecons vivantes sur la toile, dans tous ces tableaux des mai- tres, je prends au hasard : Le serment des trois Sauveurs de la Suisse (1), sou- venir qu'il te faut garder, nation généreuse ! Hippocrate (2?) dont le pur patriotisme repousse les présens du dispote étranger ; Et Socrate (3) recevant la coupe que le fanatisme païen le condamne à boire, et vers laquelle, sublime pensée! il étend comme une main indifférente, tout préoccupé de la vérité philosophique qu'il poursuit ; Quoi encore? Brutus, celui de Lethière, où l’on voit la victoire du citoyen sur le père, mais victoire pleine d'angoisse, pour l'honneur de l'humanité ; Léonidas aux thermopyles, que le pinceau de David traçait, en 1813, pour la France découragée ; Une seule «tation encore : Ge tableau du déluge où Regnault a vaincu le Poussin lui-même par la pensée : l'épisode est celui d'une mère qui périt en soulevant son nouveau-né au-dessus des flots : Comment mieux exprimer ce que la terrible colère d'en haut, qui per- siste, avait d'irrévocable ? Non, ce n’est pas là seulement de la couleur et de la forme ! c'est la figure animée, dans le monde moral, (4) Par Steube, en 1824. Acheté par le Roi, alors duc d'Orléans, (2) Par Girodet. (3) Par David. du vrai, du beau , du juste ; et ne pourrions-nous pas, dire que la force logique conduit à les réaliser en ac- tions, à les incarner en soi-même ? Les beaux arts ne prétendent pourtant pas au rang de panacée sociale universelle. Mais accordons leur qu'ils élèvent les pen- chants, et les épurent. A titre de parure seulement, ils écarteraient déjà de ce qui peut souiller. Ainsi le comprenaient bien les anciens , dans leur gra- c'euse mythe des Mnses vierges sans tache. Ils avaient fait Dieu des beaux-arts le soleil qui éclaire et féconde. Dans leur bon temps, la lyre d’Amphion bâtissait des villes. Et plas près de nous, Fénélon qui nous montre Apollon fait homme, réduit à garder les troupeaux d’Admète , et chassant d’autour de lui la barbarie et la brutalité, ne nous assure-t-il pas que bientôt, avec leurs flûtes, les bergers étaient devenus plus heureux qne les Rois. Comme définition du bonheur des artistes, je eon- fesserai bien que l’apologue du bon évêque exagérerait un peu, mais pas autant qu'on le pourrait croire : que manque-t-il en effet dans leur destinée ? Ce n'est pas la gloire : leurs grands noms brillent sur la nuit du passé d'un éclat que le temps ‘semble aviver encore. Leur lustre s'étend à quiconque les à honorés. Ainsi l’histoire associe les souvenirs de Phidias et de Périclès. Elle enregistre avec honneur le mot de l'empereur Maximilien qu'il peut faire à volonté des nobles et non pas un Albert Durer. Elle passe bien des choses à François LT, pour avoir pressé dans ses bras Léonard mourant. Mais écoutez : les rives du Rhin re- tentissent encore des acclamations qui saluaient l'effigie de Bethowen. Des rois et des reines étaient dans la foule, — NY = inclinés les premiers devant la majesté du génie (À). Cependant les dieux vivent d’encens, mais non pas leurs ministres. Le siècle, par un retour sur ses pra- pres faiblesses, pardonne à l'artiste qui le charme, son penchant pour les couronnes d’or. Il les lui donne, avec de tels témoignages d'admiration et de tendresse que l'or se dissimule sous tant de fleurs et de bravos. Oui, les artistes s'élèvent dans l’estime publique, à mesure que la raison qui toujours marche, s’est plus avancée vers l'aristocratie des mérites vrais. Comme Christine de Suède, cette reine qui se fit honneur de toucher la main du Guerchin, qui avait, dit-elle, fait tant de belles choses, notre temps serre la main de ses artistes. Il applaudit quand le signe de l'honneur récom- pense la pureté et l'élévation du talent de Ponchard. Un des regrets de Napoléon à Ste.-Hélène, où il en eut plus d'un, le grand empereur, n'était-il point de n'avoir pas décoré Talma ? Au reste, la valeur de l’art pour l'artiste, est sur- tont dans l’art lui-même. Je n'entends faire allusion ici ni à l'indépendance, dont il a meilleure part; ni aux consolations qu'il y puise contre tant d’infortunes qui troublent la vie, ou se cachent dans le cœur ; ni aux vertus que le culte du beau développe, l'élévation des idées, la dignité fière, le dévouement des amitiés, l'entrainement des sacrifices généreux. Je prends l’art en lui seul, dans ses actes, et ce (4) Le roi et la reine d'Angleterre ont assisté aux fêtes données pour l'érection de la statue de Bethowen. RUE — qui me frappe comme un privilège unique, c'est l'heu- reux sentiment lié à ses créations mêmes. Partout ailleurs quel mélange d'amertume ! Prenons les professions les plus hautes, celles du médecin, du prêtre, du magistrat, du militaire. En elles sont assu- rément de beaux devoirs à remplir, et qui encoura- gent: mais que le bien y est souvent pénible et même cruel à faire ! C'est pour nous étourdir sans doute que nous chantons si haut les victoires : Sous les plus beaux lauriers, j'aperçcois toujours trop de sang répandu. Rien de pareil dans les beaux-arts, fées toutes fa- vorables, qui ne révélent leur pouvoir que par la bien- faisance et le plaisir. Sachons le comprendre : jouir ce n'est pas avoir, mais sentir. Que ne possèdent-ils donc pas ces inspirés d'un art qui fait naître tous les sentiments dont il soit donné à notre âme de tressaillir ! Les échos de cette salle où je parle s’en souviennent: ici même, dans nos solennités musicales, plus d'un instrument habile, (nommons Kontsky ou Hermann, ) nous a tenus sous son charme. Comment l'artiste par- veuait-il, puissance de l'art! par le son qui vibre, à dérouler tant de poèmes divers, si clairement expres— sifs pour le cœur? c’est, n'en doutons pas, qu'il s’eni- vrait le premier à ses accords, et que retentissaient d'abord en lui-même ces mélodies où tour à tour par- lent, dans toutes leurs nuances, toutes les vives et douces émotions, passion, pitié, souffrance, amour, dédain, prière, désir, plaisir, bonheur !.. A quelle for- tune humaine appartient-il de prodiguer ainsi les tré- sors de la vie ?” Si le feu de la création, dans d’autres arts, a moins LG d'entrainement et d'ardeur, il a des délices plus con- tenues, plus prolongées pour méler leurs illusions au travail. Autour du peintre, devant sa toile, combien d'appa- ritions ravissantes ! car rien qui ne subisse la loi ma- gique d'un pinceau et de quelques couleurs broyées ; rien au monde, si grand qu'il soit, si sacré, si orgueil- leux, si timide, si mystérieux, si pudique, rien de ce qu'il aime, de ce qu'il appelle, qui résiste à l’évocation. Est-ce la richesse et son éclat? A lui les châteaux, les vêtements d’or, les pierreries, les chevaux, les meutes, les pages, et la châtelaine, s'il lui plait. Est-il amant de la belle nature? En dépit de l’in- dustrie qui l’exile, des voies de fer qui la mutilent, elle revient d'aussi loin qu'il commande, et la voilà devant lui jeune et pure, ciel bleu, mers calmes ou agitées, forêts profondes, fleuves sinueux, routes qui s’'égarent, horizons sans noire fumée. S'il se complait aux grandeurs terrestres, que d’em- pereurs et rois à sacrer ! que de courtisans à courber devant la puissance ! A-t-il l'humeur guerrière? Alignez-vous et marchez, soldats de la France : De Marengo à la Smala le gé- néral Vernet ne vous conduit qu’à la victoire. Mais son cœur s'élève plus haut encore. Au ciel même est l’image qu'il poursuit. Il aspire à la beauté idéale et suprême. Qu'il soit done Raphaël, et du ciel des- cendra, sous des traits chéris, la vision qu'il appelle. d qui pourrait dire tout le charme du travail pour l'artiste, sur cette ressemblance adorée! Qui pourrait comprendre, quand il dépose palette et pinceaux près du modèle, lineffable illusion qui lui montre sa Forna- NT rine comme transfigurée sous lauréole de la pudeur divine, de la céleste virginité !... . . . . . . . . . . . - . . . . . Je m'arrête, Messieurs, car si ce n'est pas assez pour ma thèse, c'est trop pour ceux qui m'écoutent. Dans cette séance que j'avais le devoir d'ouvrir, je me ferais, en prolongeant ce discours, une part léonine, et je n'ai rien du droit qu'il faudrait pour m'en justifier. Fe bras. pos * D (og (a Fute E COMPTE-RENDU DES TRAVAUX DE L’'ACADEMIE, PA PENDANT L'ANNÉE 1844-1845, Par LE SECRÉTAIRE-PERPÉTUEL. Messieurs , Le règlement qui veut qu'une analyse de vos tra- vaux vous soit présentée annuellement, dans cette séance solennelle, ne pèse pas moins, croyez-le bien, sur ce- lui qui la fait que sur ceux qui l’écoutent. Si je res- sens quelque peine à provoquer l’impatience d’auditeurs veanus ici pour entendre de belles pages et de beaux vers, je n’eu éprouve pas une moindre à la pensée de mutiler, de torturer vos ouvrages, La rose, la fleur d'oranger , soumises à l’alambic, peuvent perdre leur éclat et leurs couleurs, mais leurs précieux parfums, leurs suaves odeurs sont conservés; et je vous le de- mande, quels parfums reste-t-il aux extraits que je snis forcé de faire? Les plus maltraités de mes collè- gues sont certainement ceux que je couche impitoya= blement sur mon lit de Procuste, non pas, hélas! pour les agrandir, mais pour en faire des pygmées. 2e — AN) — Que ceux donc sur qui vont tomber mon scalpel et mes ciseaux veuillent bien me le pardonner : notre charte academique commande, il lui faut obéir, quelles qu’en puissent être les conséquences. Les collègues, que la mort ou d’autres circonstances avaient séparés de nous, venaient d’être remplacés lors- qu'un nouveau vide est survenu dans nos rangs. L'un d'eux, à jamais regretté, va recevoir d'un ami, de celui qui lui a succédé, pendant quelques mois seule- ment, un hommage auquel tous vous vous êtes as- sociés. Les deux cours fondés par l’Académie, celui de droit commercial, en faveur des jeunes gens qui se desti- nent au négoce, à l’industrie; celui de lecture musi- cale, dans un intérêt de moralisation et de sage dé- lassement, professés ou dirigés avec le mème dévoü- ment par MM. Hardouin et Decaïeu, ont été suivis avec le même succès. L'Académie a continué ses paisibles et utiles travaux : vos séances ont été constamment remplies par la lec- ture de nombrenx rapports, de substantiels mémoires, c'est parmi ces derniers que je prendrai ceux dont je vais esquisser l’imparfaite ébauche. Dans un mémoire sur le développement de la lumière, M. Porrer vous a rappelé qu'on avait soumis Îles rayons du soleil à de nombreux essais, qu’on les avait pour ainsi dire torturés, pour les contraindre à se dé- naturer et à fournir, par les modifications qu’on leur imposait, des données plus ou moins probables sur leur origine. Tandis que l'esprit de l’homme errait dans des régions inconnues, la lumière artificielle qui, durant la nuit, nous restitue, du moins en partie, les NN = bienfaits du jour, demeurait négligée, livrée à l'oubli. Il n’y a pas plus d’un demi-siècle qu'on s’est enfin de- mandé comment il se fait qu’une bougie allumée répand de la lumière. Ce fut l'invention de l'éclairage au gaz qui appela les recherches des savants sur la structure et la lumière des flammes. A la suite d’un sérieux exa- men, Davy formula les idées qui passèrent bientôt pour l'expression la plus exacte de la vérité. La flamme est considérée comme une matière gazeuse échauffée par sa propre combustion , au point d’être lumineuse, et dont la température égale au moins la chaleur blanche des corps solides. Des objections faites à cette supposi- tion, si naturelle qu'elle paraisse, donnent à penser que les idées émises par l’illustre physicien anglais sont inexactes peut-être, ou tont au moins incomplètes. De- puis l’époque où Davy les a proposées, la science a marché à pas de géant et a centuplé son domaine ; l'électricité surtout s’est enrichie d’un nombre infini d’acquisitions : de nos jours, il est incontestablement établi que sa puissante influence contribue à la pres- que totalité des phénomènes de la nature. Lorsque le fluide électrique assiste à toutes les combinaisons chi- miques comme effet et comme cause, ne pouvait-on pas espérer d'obtenir une explication plus rigoureuse des propriétés de la flamme, en faisant iutervenir l’élec- tricité, au lieu de se borner à la chaleur, dont l'in- fluence est reconnue insuflisante? Une des plus belles expériences qu'on ait faites avec la pile ayant pleine- ment confirmé la constitution toute matérielle de l'étin- celle électrique, Ia présence de l'électricité dans la flamme cesse d’être une conjecture que des analogies manifestes rendent infiniment probables, c’est une vé- 199 — rité que l'expérience soutient de son irrécusable auto- rité. M. Pauquy vous a entretenus des modifications que des botanistes du premier ordre ont apportées à l’ar- rangement des plantes cultivées dans le Jardin des Plantes de Paris, classées, jusque dans ces derniers temps , d’après la méthode de Jussieu, et sur l’opportu- nité d'opérer des changements analowues au jardin bo- tanique de notre ville. Il a rappelé les caractères des trois principaux systèmes adoptés successivement : celui de Tournefort, qui na considéré que la fleur et le fruit; celui de Linnée, qui consiste à compter et à mesurer des étamines et des pistils, et celui de Jus- sieu, qui seul embrasse l’ensemble de la plante, l’e- tudie dans ses développements, et forme de toutes les plantes similaires des groupes ou familles dont le nom- bre s'élève aujourd’hui à 296, réparties jen 15 classes. M. Pauquy examine les classifications que MM. Bron- gniart, Adrien de Jussieu et Richard proposent de substituer à la méthode naturelle. La première est re- gardée par tous les botanistes et par son auteur lui- même comme une sorte de ballon d'essai, où les don- nées de la science présente ont été outrepassées, au point d’exciter une certaine rumeur parmi les élèves et les amateurs. La classification de M. Adrien de Jussieu manque de clarté; établie sur des caractères dissem-— blables et qui ne sont pas comparables entre eux, elle sort entièrement des règles indispensables à toute bonne classification. Enfin , la méthode de M. Richard, bonne pour faciliter l'étude des familles aux élèves en méde- cine, est reconnue comme n'étant pas d’une parfaite exactitude. Au milieu de l'incertitude qui règne en- DD — core sur la classification la plus rationnelle, M. Pau- quy propose de faire subir à la méthode de Jussieu quelques changements qu'il croit tout-à-fait indispen- sables. Ils consisteraient à subdiviser en deux classes la première classe de la méthode naturelle, à réunir en une seule les troisieme et quatrième, puis les cin- quième, sixième et septième , puis enfin les neuvième, dixième et onzième; il arrive ainsi à ne faire que onze classes des quinze classes de Laurent de Jussieu. M. TaverNIER vous a fait assister aux principales transformations de l’art de guérir, depuis les temps les plus reculés jusqu'a nous. Mystique et superstitieuse à son origine, la médecine devint philosophique avec Py- thagore, avec Hippocrate , le père vénéré des sciences médicales. Mais la lumière dont elle brillait alors ne jeta qu'un éclat passager , et bientôt ce n’est plus la Grèce qui éclaire le monde, e’est Alexandrie qui acquiert une immense célébrité; Rome même, cette reine or- gueilleuse, est obligée d'appeler de l'Egypte les sa- vants et les philosophes; Galien, élève de l’école d’A- lexandrie, ne lui appartient que par son séjour dans cette capitale du monde. Rome, en un mot, n'eut pas d'institution médicale. Passant de la médecine ancienne à ce qui ne fut plus l’art médical, mais à ce quien tint lieu pendant les temps de barbarie, M. Tavernier remarque avec chagrin que tandis que les princes chré- tiens restaient indifférents aux travaux de l'esprit, les califes fondaient des académies et cette éccle de Cor- doue , si renommée dans le monde entier. Ce n’est qu'au x siècle que cesse la longue léthargie de l’art mé- dical, et qu'apparaissent les écoles de Montpellier et de Paris. Les sciences ont épuisé leurs plus mauvais jours; Us l'imprimerie est découverte, et l’heureuse alliance qui s'établit entre les sciences et la religion hâte les pro- grès des connaissances humaines. La France échappe aux réformes de Paracelse, ce novateur fougueux, cet enfant de l’alchimie, qui se disait le roi des médecins grecs, latins, français et italiens, et qui vint mourir misérable et méprisé dans un hôpital de Strasbourg. Plus tard, Harvey découvre la cireulation du sang , Haller crée la physiologie et pose la limite définitive entre la médecine ancienne et la médecine moderne ; puis arrive, au commencement de ce siècle, la chi- mie pneumatique parlant par la voix imposante de La- voisier et de Fourcroy ; puis le système de Brown qui règne quelque temps; puis, enfin, la doctrine de Broussais, qui, fondée sur les lésions organiques , ra- mènera nécessairement et toujours à l'étude vraie de la nature. M. Tavernier n'hésite point à attribuer à Broussais l’heureuse barrière qui a empéché les rêve- ries de l'homæopathie de faire irruption en France , et il espère que, grâces au bon esprit des médecins fran- çais, les buveurs d’eau ne passeront jamais la fron- tière. Au nombre des causes auxquelles M. Hippolyte Henrior attribue la décadence de l’industrie amiénoise , il signale la distinction qui existe, depuis cinquante ans, d’une manière si tranchée, et qu'on ne rencontre point ail- leurs, entre l'industrie et le commerce, entre le fa- bricant et le négociant. Des ouvriers probes et intelli- gents , mais privés des capitaux nécessaires pour créer de grands établissements, ont montè un grand nombre de petites fabriques où se travaillaient princi- palement le coton et la laine et les tissus unis. Au lieu = 9 d'expédier eux-mêmes leurs produits au dehors, ils les vendaient , pièce à pièce et au comptant, aux négociants; ceux-ci, qui les achetaieut bruts, les faisaient teindre et apprêter, et en faisaient l’objet de leur commerce. On ne peut méconnaître que ce système ne soit pro- fondément vicieux, puisqu'il met en présence deux in- térêts hostiles, qu'il grève le produit industriel de deux bénéfices au lieu d'un, et surtout parce qu'il prive l’industrie de cette unité d’action qui est la pre- mière condition de force et de durée. Ce système a pourtant procuré , pendant plus de trente ans, à l’in- dustrie et au commerce d'Amiens, une prospérité pres- que non interrompue. Mais il arriva un moment où, sous peine de végéter et de s’éteindre, l'industrie dut, par suite du progrès et de la concurrence, améliorer , innover et lutter sans cesse. Amiens a-t-il bien com- pris, bien observé cette loi inexorable? M. Hippolyte Henriot ne le croit pas. Lorsque Roubaix, quoique placé dans des conditions moins favorables, étudie, or- ganise, exploite toute industrie nouvelle et réalise déjà d'immenses bénéfices, Amiens en est encore à recher- cher ce qu'il est à propos de faire. Ainsi, sauf quel- ques établissements exceptionnels, notre industrie manu- facturière se traine péniblement à la remorque du progrès, et glane à peine là où d’autres font d’abon- dantes moissons. Toutefois , quelque grave que soit là situation de l'industrie amiénoise, elle est loin d’être désespérée; il ne dépend que de nos concitoyens de la relever bientôt plus florissante que jamais. A la fa- brication des tapis, à la filature du lin, qui prennent chaque jour une nouvelle extension, M. Hipp. Henriot voudrait qu'Amiens joignit encore le tissage de cette LE dernière matière. Mais ce tissage ne peut se passer du système Jacquart, devenu aujourd'hui l’âme de toute nouveauté industrielle; et bien qu'Amiens compte plus de deux mille métiers à la Jacquart , l'éducation publi- que est encore à faire, les préjugés de l’ouvrier con- tre toute inovation sont encore à vaincre. M. Hipp. Henriot émet le vœu qu'il soit créé à Amiens, par les soins de l’administration municipale, une école du sys- tème Jacquart, où la pratique puisse être jointe à la théorie, la démonstration au précepte; il souhaite, enfin , que notre ville secoue le joug humiliant de la routine et ne tremble plus sur son avenir. M. CRETON ayant à examiner un mémoire de M. Raoul Duval, sur la propriété forestière en France et sur les moyens d'en arrêter les défrichements, a eu l’occasion d'émettre ses propres idées sur cette importante ques- tion. Aux bonnes raisons que donne M. Duval pour fa- voriser les défrichements, M. Creton en oppose de non moins puissants pour les prohiber, dans de certaines li- mites; et ces raisons, il les puise dans la nécessité, pour une nation, de se perpétuer sur le sol queile occupe, dans cette loi suprême, le salut du pays. Il démontre en effet qu'à l'exception des terrains fores- tiers fortement inclinés, il en est bien peu dont le sol défriché ne fût plus productif qu'avant le défrichement. Les forêts de l'Etat, déchargées de tout impôt et pla- cées dans les conditions les plus favorables, ne don- nent annuellement que 22 fr. 74 c. par hectare. La prohibition ou la restriction des défrichements ne lui paraissent pas constitner un droit rigoureux qui porte atteinte à la propriété; il lui semble, au contraire, que la prohibition en matière forestière, qui existe en France ST. depuis cent cinquante ans, est le droit écrit, le droit commun, parce qu'une nation ne peut être tenue de voter son agonie et sa mort. Il dit à ceux qui tien- nent des bais de leurs ancêtres, comme aux nouveaux possesseurs : Voyez à quelles conditions ont acquis, ont possédé vos pères; prenez vos contrats, et lisez les lois sous l'empire desquelles vous avez acheté; vos plaintes ne sont pas plus fondées que ne le seraient celles des riveraius des cours d'eau navigables qui ré- clament contre les servitudes de halage, ete. M. Cre- ton voudrait que, dans chaque département, il n'y eût de défrichement possible que lorsque la superficie fores- tière, comparée à celle des terres arables, aurait at- teint une proportion déterminée; que toutes les deman- des formées, dans le cours d'une même année, fussent classées, selon l'étendue des bois qui existeraient dans chaque arrondissement, puis dans chaque canton, puis dans chaque commune, et qu'enfin, en cas de con- cours entre les propriétaires d'une même commune, le droit de défricher fût admis dans la proportion des bois respectivemeut possédés. M. Dusois vous a communiqué les observations qu'il a recueillies pendant le voyage qu'il a fait récemment en Afrique. Il a pu se convaincre dans tont le pays qu'il a parcouru , à Philippeville, à Constantine, à Bône et à Alger, que le sol de l'Algérie possédait une force , une richesse de végétation incalculables, mais que pour en tirer parti, il fallait beaucoup de temps, beaucoup de bras, et surtout beaucoup d'argent. Là, comme ailleurs, ce sont les plaines qui offrent le sol le plus fécond: mais ces plaines sont marécageuses, et le premier soin de celui qui veut les exploiter, c’est SRE. 2 de se débarrasser des eaux surabondantes, et ensuite, de les défricher à une grande profondeur, pour en ex- traire les broussailles qui les encombrent. Les hauteurs présentent encore de plus grandes difficultés au défri- chement. La culture suivie par les Arabes est appro- priée à leurs besoins si restreints et à leur paresse. Ils choisissent tous les ans, sur les pentes des montagnes, un terrain pas trop rapide, mais à l'abri des inonda- tions ; ils l’écorchent avec une méchante charrue atte- lée de deux petits chevaux maigres et efflanqués; ils sèment du blé, de l'orge, des fèves, et se confient à la Providence. La moisson faite, ia terre est abandon- née à elle-même, et bientôt toute trace de culture a disparu. L’Arabe ne plante pas d'arbres; il place son camp près d’un olivier, d’un palmier, mais jamais l'i- dée ne lui viendra de favoriser la reproduction de l’ar- bre qui l’abrite. Point d'arbres fruitiers, point de lé- gumes ; pour nourriture, des galettes d'orge, du cous- coussou bouilli avec du lait, des dattes qu’on lui apporte du désert; pour boisson, l’eau du torrent. L'Arabe n’est point cultivateur, il est pasteur, et rien de plus. Ses troupeaux sont nombreux et constituent toute sa richesse. La culture des Européens n’est pas beaucoup supérieure à celle des Arabes. Sans doute ils ont de meilleurs instruments , ils labourent mieux, mais aussi ils escomptent la fertilité du sol, ils récol- tent des céréales cinq ou six ans de suite. La culture maraichère est seule très-avancée dans le voisinage des grandes villes : quand nos hortillons font deux, trois ou quatre récoltes dans le cours d’une année, on ne peut être surpris de voir le même résultat en Afrique. Après avoir indiqué les cultures auxquelles les colons ni — doivent principalement se livrer, M. Dubois rappelle que toute médaille a son revers; celui de l'Afrique, c’est une sècheresse dévorante , ce sont les sauterelles. Il a compris que les sauterelles eussent été une des plaies de l'Egypte, quand il a vu le soleil obscurci par des avalanches de ces insectes. Quant à la coloni- sation , il n'y en a point encore en Afrique, à part quel- ques exceptions trop rares. Îl n’y a encore qu’une ar- mée et une population avide et rapace qui la suit, pour exploiter ses besoins et ses vices. Admis dans le sein de l’Académie, M. Bouraors y retrouve des juges qui l'ont autrefois couronné, et des collèeues qui viennent de lui accorder leurs suffrages ; il se félicite de pouvoir acquitter deux dettes à la fois. Après avoir exposé ses idées sur l’objet de l'institution de l'Académie et sur l'efficacité des résultats qu'elle peut produire, M. Bouthors déclare que, devenu in- différent aux travaux d'imagination , il se livre aujour- d'hui exclusivement à l'étude de lhistoire et de l’an- tiquité. La découverte de quelques vieux parchemins a fait de lui un paléographe, un archéologue et un feudiste. Il a essayé de réhabiliter quelques-unes des institutions de nos ancêtres, et de démontrer que l’u- nité se fait jour dans le péle-méle de dispositions les plus confuses et les plus contradictoires, et que , ces coutumes si diverses apparaissent comme la conséquence d'un système politique fortement organisé : selon lui, l'influence du sol sur la législation n’est nulle part plus évidente que dans nos coutumes. Dans les villes fer- mées et les bourgs, aussi bien que dans les vallées marécageuses et les plaines stériles, la possession col- lective jouit de tous les priviléges et de tous les avan- “M — tages d’une organisation municipale. L'égalité fait la lot des partages, et le patrimoine de la famille passe du père aux enfants sans intermédiaire. — Dans les cam- pagnes, la possession individuelle est subordonnée à une foule de devoirs et de prestations serviles ; le droit civil interdit l’aliénation de l'héritage, et ne laisse pas mème la liberté de le diviser entre les enfants; le possesseur ne peut disposer que de ses acquêts, et à sa mort, tous ses immeubles font retour au domaine du seigneur, qui en donne l'investiture à l'héritier auquel la coutume le rèserve. M. Bouthors indique, en terminant , les considérations d’un ordre élevé, dans les- quelles il faut chercher les motifs de la distinction établie, par le droit civil, entre la possession bourgeoise et la possession rurale. Le passé, s'est demandé M. Damay, dans sa réponse à M. Bouthors, n'est-ce pas toute la science? Le problème de la sûreté du progrès dans le développe- ment de la civilisation, ne serait-ce pas, que de ce qu'elle acquiert, rien ne se perdit jamais? Ce but n’a pu encore être touché. La tradition nous à valu cette masse d'erreurs et de superstitions qui circulent sur tous les points du globe. L'époque des manuscrits, bien que meilleure, livre la science humaine au petit nombre , qui nécessairement la mesure à son intérêt. L'imprimerie a été un succès immense; mais il faut reconnaitre que, malgré des progrès certains, elle est encore, pour le plus grand nombre, comme si elle n’exis- tait pas; d’un autre côté, combien de travaux accom- plis pour le bien de l'humanité; combien de faits pré- cieux se trouvent oubliés, perdus et de plus en plus recouverts de cette poussière que le temps, Vésuve in- D — tarissable, ne cesse de répandre sur nous! Honneur donc au courage qui a fait retrouver, sous la cenûre, tant d'Hercuianum intellectuels, et su ramener à la lumière leurs trésors enfouis! Toutefois, parmi les ex- plorateurs du passé, M. Damay blâme ceux qui ne de- mandent pas si c’est utile, si c’est beau, mais si c'est vieux, et qui forment, de ces nouveautés fossiles, des entassements prétendus historiques, d'où toute philoso- phie, tout intérêt humanitaire sont bannis. Il adresse un reproche plus grave au système de l'histoire fata- liste, pour qui tout se justifie, parce que tout s'en- chaîne, qui sait trouver successivement bons , quoique se dévorant l’un l’autre, et l'invasion romaine, et celle des barbares, et la féodalité, et les croisades, et le despotisme de Louis XIIT; glorifiant tout au nom de la nécessité, leur souveraine. M. Damay loue les auteurs qui, comme M. Bouthors, font dominer, dans leurs écrits, le sentiment de la moralité la plus élevée, qui savent aïlier le respect d’un culte vénérable au senti- ment de la dignité humaine , et se gardent bien d’é- tendre leur vénération jusqu'aux gothiques abus qu'ils ont à retracer. M. QuenogLe s'est proposé de comparer les deux lé- gislations anglaise et francaise sur les jeux de hasard. La première déclare nulles toute créance, toute obli- gation contractées pour argent perdu au jeu ; elle pour- suit non seulement les joueurs , mais tous les assistants, mais le perdant lui-même, auquel elle inflige une amende égale à cinq fois le montant de sa perte. La législation francaise est plus simple : au civil, point d'action pour une dette de jeu, pas même pour la répétition de ce qui aurait été volontairement payé, à moins qu'il n'y ait dol ou suspicion; en matière cri- minelle, emprisonnement et amende contre ceux qui ont tenu une maison de jeu, et une faible amende de 6 à 10 fr. contre ceux qui tiennent dans les rues, chemins ou lieux publies, des jeux de hasard. Prohi- ber le jeu, tel est certainement le but des deux lé- gislations; mais les moyens d’ÿ parvenir appartiennent à des points de vue bien distincts. Pour qu'un sys- tême de législation füt efficace, dit M. Quenoble, ül faudrait qu'il füt établi sur les principes fondamen- taux du vrai; mais qu'est-ce que le juste et le vrai pour les disciples de Condillac, de Kant, de Bentham et de de Maistre? Les uns interrogent la raison et la couscience; les autres nient la conscience et mutilent la raison; les derniers n’avouent 11 conscience et ne reconnaissent la raison que pour les avilir et les dé- troner. Trois codes criminels, dont l’un serait l'ouvrage d'un Kantiste, l'autre d'un disciple de Bentham, le troisième d'un admirateur de de Maistre, ne se res- sembleraient pas plus que ne sont identiques entre eux le principe du devoir, le principe de l'intérêt et le principe théocratique. Selon les théologiens, le sort est une chose destinée, de sa nature, à connaître la volonté de Dieu, et con- séquemment une chose religieuse; ils en concluent que tout jeu de hasard, par la profanation qu'il renferme, est un vice intrinsèque qui ne saurait engendrer au- cune obligation, même dans le for intérieur. C'est le principe de la législation anglaise, comme il avait été celui de nos anciennes ordonnances sur le jeu. La législation anglaise, en traquant les joueurs, en ose — prodiguant es pénalités, a dépassé le but; notre légis- lation, en dédaignant , en méprisant le jeu, en lui refusant dans tous les cas son appui, a disposé d'une manière plus sage, plus morale et plus conforme à l'o- pinion publique. M. DaupuiN vous a présenté, sur le Purgatoire du Dante, un travail analogue à celui quil vous avait présenté l’année dernière sur l'Enfer. Cette analyse a pour but de mettre à nu le plan et les ressorts du poëme, d'éclairer les faits contemporains, de faire connaître les personnages mis en scène, de rappeler enfin les croyances du moyen-âge et sa théologie scho- lastique. Le Purgatoire, dans le poëme du Dante, est uue montagne qu'il suppose précisément à l’antipode de Jérusalem. Le Dante y est parvenu en perçant les en- trailles de la terre, où le poète a placé son Enfer. De la base au sommet, il règne, à divers étages, des plate- formes circulaires où s’accomplissent les épreuves expia- toires ; au pied de la montagne sont disséminées plu- sieurs classes de pécheurs qu’un repentir in extremis a sauvés de la damnation éternelle, et qui attendent le moment d'être admis aux saintes purifications. Cel- les-ci varient, sur chaque terrasse, dans l’ordre des fautes à expier, les âmes s'épurant à mesure qu’elles approchent de la cime du mont. Au sommet est placé le Paradis terrestre, où fleurit l’arbre de la science, où se manifeste sous des figures saisissantes l’union de l’ancienne et de la nouvelle loi. Dans ce lieu, où l’on sent un avant-goùt des béatitudes célestes, le poëte s'arrête avec complaisance; il multiplie ses peintures sublimes dans l'espace de huit chants entiers, comme s’il essayait ses fortes aîles pour son dernier voyage à 3. 19340 travers les sphères. Le Dante avait eu Virgile pour guide lorsqu'il traversait l'Enfer et gravissait la mon- tagne du Purgatoire. Mais au moment où il met pied dans le Paradis, qui est interdit au poête païen, c'est Stace qui remplace Virgile auprès du Dante, Stace que les deux voyageurs avaient rencontré parmi les prodi- gues, initié à la foi chrétienne, pénitent régénéré et prenant son essor vers les cieux. C’est ce dernier qui va introduire le Dante dans le Paradis. M. Marmeu a entrepris de montrer que s'il est vrai, en ce qui concerne les minéraux, les végétaux et les animaux, que la nature ne procède que par voie de gradation, ce principe cesse d'être applicable à l’homme , quant à son être moral. Sous ce dernier rapport, l'homme diffère tellement de tous les êtres visibles, qu'en arrivant à lui, la gradation dont on avait supposé l'existence doit nécessairement se trouver interrompue. Ses preuves, M. Mathieu les puise dans un seul caractère distinctif, aussi merveilleux quim- portant, qui n'appartient qu'à l’homme seul, dans la Réflexion, cette puissance d'action de l’âme sur elle- même, qui fait qu'elle se voit, qu'elle se parle, s'éconte, s'interroge, se répond, se modifie et réunit eu elle l'effet et la cause. Quel que soit l’objet sur le- quel se portent les forces humaines, la Réflexion les combine, les augmente et leur fait produire les plus grands effets. Le génie lui doit l'excellence de ses œuvres ; le goût les règles les plus sûres; le Parnasse ses lois, et c'est de son foyer que portent ces rayons qui éclairent tout l'empire des lettres. Chez les ani- maux, les manières d'agir et l'existence de la réflexion sont incompatibles. Quant à l'homme, il réfléchit, il Æ— est perfectible, donc sa nature diffère essentiellement de celle de l'animal, donc, entre l'animal et Jui, point de gradation possible. Cette conséquence n'est pas l’ef- fet d’un sentiment d’orgueil. Faut-il la rejeter quand elle nous élève? l’adopter quand elle nous abaisse ? Agir ainsi ne serait plus de l'humilité, ce serait de l’ab- surdité. L’honime debout sur le globe qui l'emporte à travers l’espace, élevant vers le ciel un regard où brille un feu divin, entouré d'êtres soumis à son em- pire, est, aux yeux de M. Mathieu, plns grand que ce globe lui-même. dont il pèse la masse et mesure la vitesse; plus grand que ces autres globes semés au- tour de lui, parce qu'il se voit et que ces globes ne se voient pas, et parce que la puissance de se voir, la Réflexion, est le plus grand, le plus étonnant , le plus rare des priviléges. L'homme est un animal rai- sonnable, dit Aristote; c’est une âme servie par un corps, dit Platon; c’est une intelligence servie par des organes, dit M. de Borald; malgré ces oracles pro- noncés par des esprits de cette trempe, M. Mathieu hasarde aussi sa définition, qu'il croit plus rapprochée de la vérité : l’homme est le seul de tous les êtres visibles qui puisse dire à lui-mème, à ses semblables : je suis un esprit servi par un corps. Ma tâche est finie; c’est maintenant à des collègues plus heureux que moi quil appartient de réveiller l’at- tention. C'est à ceux qui vont produire leurs propres œuvres, à ceux qui vont lire de noblss strophes sur la victoire d'Isly, que je laisse le soin de dédommager l'assemblée, je n'ose pas dire de l'ennui, mais tout au moins du peu d'intérêt d'un compte-rendu. DRE 4 3% * ANALYSE D'UN MÉMOIRE INTITULE : SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA LUMIÈRE, PAR UN NEWTONIEN, Par M. POLLET. 7 OSEO EE DE me——— Messieurs, Un auteur dont le nom m'est inconnu m'a récem- ment adressé un mémoire sur la théorie dela lumière. En se déclarant chaud partisan des idées newtonien- nes, il cherche contre le système des ondulations quel- ques arguments décisifs. Je m'’abstiendrai soigneuse- ment de vous répéter ses doléances sur la ruine de son hypothèse chérie. Pour vous donner une idée des regrets, j'ose dire exagérés, qu'il en éprouve, je nè saurais mieux Comparer sa douleur qu'à celle d’un père au lit de mort de son fils. Heureusement, il se console par l'espoir d’une résurrection prochaine. « La science, dit-il, subit l'empire de la mode, et, » comme cette dernière, elle tourne dans un cercle. » Toute question débattue à une époque, et qui pa- » raissait résolue de manière à ne pouvoir plus être me te » remise sur le tapis, se relève quelque temps après, » et finit presque toujours par triompher des objec- » tions sous lesquelles on s'était efforcé de l’ensevelir. » Tel sera sans doute le sort réservé à la théorie de » l'émission. » Pour häter autant qu’il est en lui cette époque de réhabilitation, il multiplie ses expériences , et demande au travail l'énergie qui lui fait supporter, oublier son cuisant chagrin. Les résultats de ses efforts persévérants me paraissent le tenir encore bien éloigné du but scientifique auquel il veut atteindre. Je ne pense pas que les changements qu'il propose au sys- tème newtonien soient propres à entraîner Beaucoup de convictions, ni que l'on accepte comme préférable aux mouvements ondulatoires du fluide éthéré un mode de propagation formulé en ces termes : « Si nous plon- » geons dans un flacon plein d'oxigène un fil de fer » roulé en hélice et portant à son extrémité un mor- » ceau d’amadou enflammé, la combustion du fer ne » tardera pas à se produire en développant une quan- » tité de lumière considérable, et en même temps, on » remarquera que le fer en combustion projette de » tous côtés de petits globules enflammés qui viennent » s'incruster au travers des parcis du flacon. Chacun » de ces globules enflammés est lui-même le centre » d’un mouvement qui détermine la projection de par- » ticules de plus en plus ténues, lesquelles finissent » ainsi par arriver à l'organe de la vue. » L'idée de ne nous faire voir un morceau de fer rouge qu’en introduisant dans notre œil des molécules de ce fer incandescent me semblerait difficilement admissible. Mais, Messieurs, le mode de transmission de la lu- miére est chose toute différente de la cause même qui Le 30 produit la lumière. Veut-on que la sensation nous ar- rive par des particules que lanceraient les corps lu- mineux? Encore faudra-t-il assigner la puissance qui, arrachant la matière à son inertie, lui communique la faculté passagère d'imprimer aux atômes lumineux leur incalculable vitesse. Veut-on, au contraire, que la vision résulte des agitations ondulatoires de l’éther ? La même difficulté subsistera toujours, puisque de pareil- les agitations supposent la préexistence nécessaire de mouvements vibratoires dans les molécules des corps pondérables. Des observations de l'auteur naît, à cet égard, une théorie également compatible avec l’une et avec l’autre doctrine. Elle a pour elle une excessive simplicité; elle rend compte de faits inexpliqués jusqu'alors ; elle se fonde sur des analogies manifestes et sur des preuves expé- rimentales d'une irrésistible évidence; enfin, elle res- serre les liens étroits qui unissaient entre eux les agents impondérables de la nature, je veux dire la chaleur, la lumière, le magnétisme et l'électricité. Peut-être ce dernier avantage m'’a-t-il disposé à une trop facile in- dulzence pour quelques lacunes : j'ai la conviction que les phénomènes du monde matériel, au milieu de leur variété, de leurs caprices apparents, ne sont néan- moins que les conséquences et le développement régu- lier d'une loi posée par le Créateur; et nous nous laissons si aisément séduire par des explications con- formes à nos propres vues! Quoi qu'il en soit, cette partie du mémoire m'a paru capable d'intéresser l’Aca- démie ; dès-lors, j'ai regardé comme un devoir de lui en présenter l'analyse. Les phénomènes qui nous touchent de plus près, que it nous pouvons observer incessamment et reproduire à notre gré pour en étudier à loisir et les lois et les cau- ses, attirent en général notre attention moins vive- ment que ceux qui, placés loin de nous, ne sauraient se prêter à une investigation aussi facile et aussi sûre. À combien d'essais n'a-t-on pas soumis les rayons du soleil? On les a, si j'ose ainsi parler, torturés de tou- tes les facons, pour les contraindre à se dénaturer et à fournir, par les modifications qu'on leur imposait, des données plus ou moins probables sur leur origine. Non content de Îles disséquer eux-mêmes, l’homme a voulu s'élever jusqu’à leur source, et il s'est égaré dans d’interminables débats sur la nature du soleil, sur l'atmosphére qui l'enveloppe, sur les changements qu'il parait éprouver. Tandis que son esprit errait dans ces régions inconnues , la lumière artificielle, qui, durant la nuit, nous restitue, en partie du moins, les bien- faits du jour, demeurait négligée, livrée à l'oubli. Il n'y à pas plus d’un demi-siècle qu'on s’est enfin de- mandé comment il se fait qu'une bougie allumée ré- pand de la lumière. Pour conduire à cette question, si naturelle pourtant, il n’a pas fallu moins qu’une de ces découvertes qui, promettant dans un art une ré- volution complète, provoquent l'examen par le désir du perfectionnement. Ce fut l'invention de l'éclairage au gaz qui appela les recherches des savants les plus distingués de l'Angleterre sur la structure et la lumière des flam- mes. À la suite d'un sérieux examen, Davy formula sa manière de voir sur le fait principal et sur les par- ticularités qu'il présente. Ses idées, adoptées par tous les physiciens d'Europe, ont passé depuis pour l’expres- sion la plus exacte de la vérité. UE La flamme est considérée comme une matière ga- zeuse échauflée par sa propre combustion au point d’être lumineuse, et dont la température égale au moins la chaleur blanche des corps solides. Un corps solide interposé dans une flamme la refroidit en s'é- chauffant lui-même. S'il a une masse considérable, la chaleur qu'il emprunte à la flamme se propage dans ses nombreuses molécules, qui n’en reçoivent indivi- duellement qu'une faible portion : la température du corps solide n’éprouve ainsi qu’une élévation lente et peu sensible, en sorte qu'il devient pour la flamme la cause d’un refroidissement énergique. Voilà pourquoi les toiles métalliques serrées empêchent l’inflammation de s'étendre à travers leur tissu. Que la masse du corps solide soit, au contraire, fort petite: il aura bientôt pris, sans refroidir sensiblement la flamme, la tempé- rature élevée qu'elle possède : devenu alors incandes- cent, il joindra son éclat à celui de la matière ga- zeuse. Voilà pourquoi le gaz hydrogène carboné, le phosphore, le zinc projettent des flammes si brillantes : des matières solides s'y trouvent momentanément sus- pendues. L’hydrogène, l’oxide de carbone ne donnent qu'une faible lumière, parce que rien de solide ne traverse le jet enflammé. Plusieurs objections peuvent être opposées à cette in- terprétation, si naturelle et si complète qu’elle pa- raisse. Lorsqu'on fait circuler un fluide élastique à travers un tube de porcelaine chauffé au rouge blanc, ce fluide quitte le tube sans être devenu lumineux. Une seule circonstance existe où des gaz semblent devenir incandescents sous l'influence d’une chaleur forte et su- = MT be bite : c’est le cas où on les comprime dans le briquet pneumatique. Mais cette incandescence apparente n'a ja- mais été réalisée que sur l’oxigène, l'air et le chlore, substances incombustibles. Encore M. Thénard s'est-il assuré que la lumière observée ne provient pas véri- tablement du gaz, mais de la graisse dont on enduit le piston pour en assurer le jeu. Admettre qu'un fluide aériforme s’échauffe en brülant au point de devenir la- mineux , c'est donc faire une hypothèse qui, loin d’être autorisée par des faits positifs, est repoussée par toutes les analogies. Dira-t-on que la chaleur développée par la combus- tion d'un gaz est infiniment supérieure à celle qui se communique à un tube de porcelaine chauflé au rouge blanc? D'abord, cette supériorité serait au moins dou- teuse pour le plus grand nombre des gaz. À coup sûr, elle est incontestable pour l'hydrogène, dont la flamme, plus chaude que le plus violent feu de forge, fond des matières infusibles par tous les autres moyens. Mais n'est-il pas singulier que ces flammes exception- nelles, dont la température dépasse toat ce que nous pouvons atteindre en ce genre, jettent une lumière à peine visible? Et la lueur pâle qu'elles répandent ne confirme-t-elle pas les objections qui s'élèvent contre l’idée d'attribuer à la chaleur seule le vif éclat de jets moins échauffés ? A la vérité, aucune matière solide ne se dépose dans la flamme de l'hydrogène. Mais l'acide hydrosul- furique laisse déposer du soufre, l'hydrogène arseni- qué laisse déposer de l'arsenic. Pourquoi donc ces deux fluides n’ont-ils qu’une flamme bleuâtre presque insensible ? Et si la présence d’un corps solide en sus- lo i— pension est la cause du brillant éclat de certains gaz, d'où vient l'énorme augmentation d’intensité que subit la flamme de l'hydrogène bi-carboné lorsqu'on entoure le jet embrasé d’une cheminée de verre? D'où vient l'augmentation plus prodigieuse encore qne cette lu- mière éprouve , lorsque la flamme est dirigée dans un flacon d'oxigène pur? La combustion devient alors plus complète; le charbon , consumé presque tout entier, ne se dépose plus qu’en parcelles peu nombreuses ; à sa place est un gaz, l’acide carbonique résultant de sa combinaison avec l'oxigène. D'après la théorie de Davy, la lumière ne devrait-eile pas être infiniment moins vive? En présence de pareilles objections, on est obligé de reconnaître que le phénomène de la flamme, consi- déré comme le résultat de l’incandescence d'un fluide aériforme, au milieu duquel se dépose une matière so- lide en particules très-petites, ne recoit point ainsi une explication satisfaisante, et que les idées émises par l'illustre physicien anglais sont inexactes peut-être, ou tout au moins incomplètes. Depuis l’époque où Davy les a proposées , la science, marchant à pas de géant, a centuplé son domaine. Dans chacune des parties qui la composent, l’observa- tion est venue ajouter de nombreux documents aux faits antérieurement constatés; mais, au milieu de ce mouvement, l'électricité surtout s’est enrichie d’acqui- sitions dont l'importance et le nombre ont dépassé tout ce qu'il eût été permis d'espérer du progrès le plus rapide. Au commencement du siècle dernier, cet agent n'était connu que par la propriété que le frottement donne au verre et à la résine fd’attirer les corps lé- SRE gers. De nos jours, il est incontestablement établi que sa puissante influence contribue à la presque totalité des phénomènes de la nature. Des causes autrefois dis- tinctes viennent peu à peu se ranger parmi les effets de cette puissance universelle, dont elles ne sont que des modifications plus ou moins profondes. C’est ainsi que, sous la main d’Ampère, les aimants se sont trans- formés en courants électriques ; c’est ainsi que, par les travaux d’une foule de savants, l’affinité chimique sem- ble près de s’anéantir, pour se confondre à son tour dans l'immense série des effets dus à l'électricité. Du moins est-il certain que le fluide électrique excite ou favorise la plupart des combinaisons; que, par une action opposée, il dissocie des éléments dont l'union intime ne cède que péniblement à d’autres moyens. Il est certain encore que jamais combinaison ou dé- composition ne s'opère sans provoquer un développe- ment considérable d’éleetricité. Ainsi le fluide électrique assiste à tous les phénomènes chimiques, comme effet ou comme cause. Ne peut-on pas dès-lors espérer d’ob- tenir une explication plus rigoureuse des propriétés de la flamme , en faisant intervenir l'électricité qui, sans doute, y réside, au lieu de se borner à la chaleur, dont l'influence est reconnue insuflisante ? Parmi les nombreuses expériences auxquelles s'est livré l’auteur, dans le but d'éclairer cette question, je choisirai la suivante, parce qu'elle est d’une exécu- tion facile, et qu'elle réunit, si je ne me trompe, tous les caractères d’une démonstration complète. Un jet de gaz s'élève par un orifice étroit. Après l'avoir allumé, l’on suspend vers la pointe supérieure du dard de flamme un fil de platine; un autre fil du RS 2 même métal s'introduit dans le jet, à son origine. Si l'on attache les deux fils aux rhéophores d'un galvano- mètre, l'aiguille aimantée s'agite aussitôt, et, par une série d'oscillations décroissantes, elle va s'arrêter enfin dans une position nouvelle : la déviation qu’elle éprouve manifeste un courant énergique. Les travaux des physiciens nous ont appris qu'un circuit métallique est traversé par un courant, lors- qu'un échauffement inégal de ses parties contraint le calorique à se propager dans sa masse : rompant l'é- quilibre des fluides électriques, la chaleur les entraîne avec elle dans le mouvement qui l’emporte. Mais dans l'expérience qui fait actuellement l’objet de notre exa- men, le courant qui agite l’index magnétique ne sau- rait être le simple résultat de l’échauffement des fils de platine. On ne parvient, en effet, à créer dans un circuit des courants thermo-électriques qu'en opposant à la marche de la chaleur quelque obstacle qui la ra- lentisse ; en la forçant, par exemple, à traverser une spirale très-serrée, ou bien encore en échauffant un point où deux métaux appartenant au circuit sont sou- dés l’un à l'autre, tandis qu'une soudure semblable demeure à la température de l’atmosphère. Rien de pareil n'existe dans la disposition que j'ai décrite. Et d’ailleurs, il est un caractère qui distingue essentielle- ment les courants ordinaires de ceux que la chaleur excite. Les premiers traversent les liquides, et quand on les dirige dans l'eau, ils la décomposent en ses deux principes, s'ils ont une énergie suffisante. Les autres, quelle que soit l'intensité qu'ils manifestent dans un conducteur métallique , s'arrêtent brusquement lorsqu'on cherche à les en détourner pour les conduire 00 — dans une masse fluide. Rien de plus aisé que d'appli- quer ce caractère au courant de la flamme. Au lieu d'unir aux rhéophores d’un galvanomètre les fils de platine destinés à le transmettre, on les plonge dans une eau légèrement acidulée : aussitôt une foule de bulles gazeuses, apparaissant contre les deux fils, an- noncent une décomposition du liquide. En sorte que l'on réalise un appareil fort simple, jouissant de la propriété singulière de produire d’un côté de la vapeur d’eau par la combustion du fluide aériforme qui l'ali- mente , tandis qu’il sépare d’un autre côté les éléments de l’eau qu’on lui présente toute formée. La présence de l'électricité dans la flamme n’est done plus une simple conjecture que des analogies manifestes rendent infiniment probable ; c’est une vérité que l’ex- périence soutient de son irrécusable autorité. Mais avoir confirmé par une preuve directe un fait qu'il était à peu près impossible de révoquer en doute, ce n'est pas encore établir l'importance de ce fait comme élé- ment d'une théorie dont il formerait le point de dé- part. La chaleur et l'électricité se trouvent indubita- blement réunies dans la flamme. La lumière qui les accompagne est-elle un effet de leur influence égale et simultanée, ou si l’un des deux agents contribue seul , ou tout au moins avec une efficacité prépondérante , à la production de la lumière, quel est celui qui rem- plit ainsi le rôle principal? Pour découvrir la solution de ce problème, on compare, d'un côté, les dévia- toins de l'index galvanométrique sous l'influence de flammes obtenues avec des gaz très-différents par leur nature; d’un autre côté, les écarts que cet index éprouve sous l'action d'un même gaz brülant d'une — 110 — manière plus ou moins complète, et, par suite, avec un éclat plus ou moins vif. On reconnait de cette ma- n:ère que le courant qui fait tourner l'aiguille prend une intensité croissante, non pas quand la flamme ac- quiert plus de chaleur, mais quand elle jette un plus brillant éclat. Ainsi, la lumière de la flamme et l’éner- gie du courant qui la traverse ont une liaison , une dépendance mutuelles, qui est loin d'exister entre la lumière et la chaleur de cette même flamme. En at- tribuant à la chaleur tout l'effet lumineux, Davy avait donc omis l'élément le plus essentiel, pour ne se préoccuper que d’une cause véritablement accessoire : si l’on veut arriver à une explication plus réelle et plus complète, c’est dans les principes de l'électri- cité qu'il faut la rechercher. Quelques effets bien con- nus de la pile voltaïque facilitent beaucoup cette re- cherche, et conduisent, pour ainsi dire, forcément à une théorie très-plausible. Lorsqu'un fil conducteur non interrompu réunit les deux pôles d’une pile, les fluides électriques incessam- ment renouvelés se rejoignent à travers ce fil, sans que le mouvement rapide qui les porte l'un vers l'au- tre se trahisse au dehors par aucun phénomène appa- rent. C’est là du moins ce qui arrive lorsque le fil conjonctif a des dimensions suffisantes pour livrer un facile passage à toute la matière électrique développée dans l'instrument ; mais les résultats sont tout diffé rents si quelque portion du circuit, se réduisant à un diamètre trop faible, ne permet plus aux fluides un écoulement instantané : arrêtées dans leur marche, les électricités s’accumalent, se pressent, font effort pour jaillir par d’autres voies; une lutte s'établit entre elles fees et la matière pondérable qui leur résiste. De là, une agitation violente dans les molécules du conducteur ; et cette agitation se communiquant au fluide éthéré, se transforme en chaleur ou en lumière. Ainsi se trou- vent expliqués tout à la fois l’échauffement, l'incan- descence d’un fil métallique interposé dans le circuit de la pile, et la nécessité constatée par l'expérience d'employer un fil très-fin pour réaliser ces eflets. Les mêmes considérations peuvent s'appliquer au cas où un conducteur composé de deux parties séparées par un court intervalle établit entre les extrémités de l'appareil une communication imparfaite. Les fluides électriques, amenés séparément dans les points les plus rapprochés des deux fils, s'y condensent, et, par leur attraction mutuelle , cherchent à se frayer un chemin pour se réunir. Quand leurs efforts sont devenus assez puissants pour triompher enfin de la pression que leur oppose l'atmosphère ambiante, ils jaillissent l’un vers l'autre : alors ils déchirent en quelque sorte les con- ducteurs dont ils se détachent avec violence et dont ils entraînent quelques parcelles. Celles-ci doivent être douées d'une chaleur intense, par suite de la vive agitation qui leur est imprimée; aussi marquent-elles leur passage par l'apparition instantanée d’une étincelle. Cette constitution toute matérielle de l’étincelle élec- trique est pleinement confirmée par l’une des expérien- ces les plus belles que l'on ait faites avee la pile. Un globe de verre est armé de deux armures métalliques. La première est munie d’un tube à robinet que l’on peut visser à la machine pneumatique, afin de faire le vide à l'intérieur du ballon. Elle porte, en outre, une tige qui se termine à quelque distance du centre par D — une petite capsule. La seconde armure est traversée à frottement dur par une tige également terminée par une capsule. On arme l’une et l’autre capsule d’un cône en charbon fortement caleiné et éteint dans le mercure ; on pousse la tige supérieure pour que ces cônes se touchent par leurs pointes , et, après avoir fait le vide, on met les deux armures en communication avec les deux pôles d'une pile énergique. Aussitôt les pointes rongissent. On peut alors les écarter graduel- lement par le mouvement de la tige supérieure, et l'intervalle qui les sépare ne cesse pas d'être sillonné par des jets lumineux fort intenses. L'éclat qui remplit le globe est éblouissant et n'a rien de comparable, si ce n'est l'éclat du soleil lui-même. J'ai pu réaliser cette expérience, il y a deux ans : le cabinet de phy- sique où se fait le cours communal était plongé dans l'obscurité la plus complète au moyen des volets dont les fenêtres sont garnies. Le globe lumineux y répan- dit une clarté suffisante pour qu'il devint facile de lire dans toutes les parties de la chambre. J'aurais vive- ment désiré vous rendre témoins de ces effets: mais la pile qui venait d’être rétablie s’est depuis affaiblie par l'usage, en sorte qu'elle ne fournit plus qu'une incan- descence faible et peu durable. En lançant ainsi de la lumière, les charbons ne de- meurent pas intacts, bien qu'ils soient dans le vide, Celui qui communique au pôle positif s'arrondit et se creuse; l’autre, au contraire, s'allonge par le dépôt de particules nouvelles sur son extrémité. Il est donc incontestable que des parcelles arrachées au premier servent de véhicule à l'électricité, qui les abandonne en entrant dans le second. 4, Dr — L'application de ces principes à la flamme se présente d'elle-même. Un jet de gaz embrasé est traversé par un courant électrique: done il devra jeter de la lu- mière dans les circonstances ou un conducteur unis- sant les pôles d'une pile devient lui-même incandes- cent. Un fil métallique non interrompu ne rougit pas, s'il n’oppose par la petitesse de son diamètre une résis— tance au mouvement des fluides électriques. Pareille ment, un jet de gaz ne prend un vif éclat que sil est très-délié. Dans l'éclairage ordinaire, des trous ca- pillaires sont distribués à d'égales distances sur la cir- conférence d'un cercle horizontal : le cylindre enflammé qui nous procure une si brillante lumière n'est donc en réalité qu'un assemblage de jets linéaires juxtaposés, et chacan de ces jets satisfait à la condition essentielle qui a été formulée. Que l'on compare l'éclat de ce système avec eelui du gaz oléfiant, lorsqu'il brüle sur toute la largeur d'une éprouvette; que l'on compare encore la flamme qui s'élève librement en s’éparpillant de toutes parts, et celle qu'une cheminée de verre contraint à se resserrer dans un petit diamètre : il sera impossible de ne point reconnaître une différence mar- quée dans l'intensité de la lumière, et de ne point ad- mettre la nécessité de réduire ainsi la flamme aux moindres dimensions pour en obtenir le plus haut degré d’éclairement. Tous les corps ne prennent pas un éclat égal sous l'influence de la pile : une conductibilité assez forte est nécessaire. C’est ainsi que les cônes de charbon placés dans le vide ne projettent qu’une lumière peu intense, lorsque le charbon s'est éteint spontanément : lorsqu'on Et = fait usage de charbons éteints dans le mercure, la lu- mière est extrêmement vive. Or, des parcelles de mercure arrachées à ces charbons établissent entre les deux poin- tes une communication métallique infiniment plus par- faite que la conduite opérée par de simples particules de charbon. De même, le pouvoir lumineux d'une flamme sera d'autant plus grand que le courant auquel la com- bustion donne naissance trouvera des conducteurs plus parfaits. L’hydrogène est un mauvais conducteur : l’eau qui résulte de sa combustion ne possède elle-même qu’une conductibilité fort restreinte. Il en résulte que ce gaz doit brüler avec peu d'éclat, bien qu'il produise une quantité fort grande de fluide électrique. Qu’un fil de platine soit interposé dans la flamme : ce fil, excellent conducteur, sera porté par le courant à l’incandescence, effet qui ne se réalise point lorsqu'on remplace le mé- tal par une matière isolante. Ainsi s'explique la lueur pâle de Pacide hydrosulfu- rique. Un corps solide infiniment délié se dépose bien dans le jet embrasé, mais ce corps est du soufre, l’une des substances les moins conductrices que nous con- naissions. Ainsi s'explique encore la brillante lumière du gaz oléfiant. Des parcelles de charbon traversent la flamme qu'elles éclairent, non-seulement parce qu’elles se dé- posent, mais parce qu'elles fournissent une chaine con- ductrice, un facile passage à lélectricité en mouve- ment. Cette chaine doit néanmoins, nous l'avons vu précé- demment, demeurer fort étroite pour que le courant la porte à l’incandescence. Aussi les toiles métalliques, en coupant la flamme, réduisent-elles à l'obscurité la 4.* D) — plus complète la portion du jet qui les a traversées. Dans la théorie de Davy, cet effet résulterait du re- froidissement occasionné par le tissu. Mais, s’il en était ainsi, la flamme reparaitrait avec tout son éclat lors- que la toile aurait pris elle-même une température élevée. Cependant l’affaiblissement de la lumière dure aussi long-temps que la toile demeure au nuilieu du jet, alors même qu’une épaisse fumée démontre la décom- position du fluide élastique et, par conséquent , l’exis- tence d’une forte dose de chaleur. De graves objections s'élèvent donc ici comme sur d’autres points contre la théorie de Davy, tandis que la théorie électrique de notre auteur ramène tous les faits à des principes gé- néraux ct bien constatés. Je m'arrète, Messieurs, dans cette analyse, qui, malgré moi, s'est prolongée outre mesure. Il fallait des détails assez étendus pour vous permettre d'apprécier le mérite d'un système naissant. Ce système n’est pas, sans doute, à l'abri de toute contestation, mais je pense qu'il se présente entouré de probabilités assez fortes pour mériter l'examen des savants, et qu'à ce titre, il était digne de fixer quelques instants votre attention. EXPOSÉ DE QUELQUES MODIFICATIONS APPORTÉES À LA MÉTHODE NATURELLE DE JUSSIEU, Par M. PAUQUY, Docreur Ex MÉvecine. MESSIEURS, Les classifications inconnues , nous pourrions même dire inutiles dans le début de la botanique, ne paru- rent que lorsqu'on sentit la nécessité de distinguer et de reconnaître un plus grand nombre de plantes jus- qu'alors nouvelles ou inconnues. À cette époque de la science , elles se multiplièrent tellement que nous ne pouvons mieux faire que de renvoyer, ceux qui vou- draient en avoir une idée, aux ouvrages d’Adauson et de Linné. Trois cependant se partagent encore le monde botanique et ont survécu à toutes les autres. Parmi ces dernières , on peut citer avec éloge , la méthode de notre compatriote Tournefort , comme aussi le système — 04 — si ingénieux, si vrai, et si poétique de Linné. Mais avouons-le , celle qui domine aujourd'hui est la mé- thode naturelle de Jussieu qui, chaque jour mieux appréciée, teud partout à se substituer à celle de lil- lustre suédois. En effet, la méthode naturelle de Jussieu met à profit tous les rapports d'organisation qui existent entre les végétaux. Dans les deux autres, celles de Tourne- fort et de Linné, on perd de vue que les plantes sont des êtres vivants, bien qu’on le sente, en effet, dans les écrits philosophiques de Linné, on l’oublie quand on ne fait que lire l'exposition de ses genres ou de ses espèces, et compter mécaniquement ou mesurer des étamines et des pistils. Peut-on se le reppeler davan- tage, quand avec Tournefort on s'arrête souvent à la forme d’une corolle. Dans la méthode naturelle , au contraire , on est naturellement occupé de l’ensemble, an est conduit à eomparer la plante au berceau avec la plante pubère ou adulte. La manière dont elle est nourri dans les premiers instans annonce quels seront ses développemens , et réciproquement ses développe- mens bien observés annoncent ce qu'elle était en sor- tant de la semence. Car un accord admirable règne en- tre tous les organes de la même plante ; entre les di- vers états par lesquels elle passe de la plus étonnante concentration au plus étonnant développement, celui qui possèdera bien la méthode naturelle en voyant une plante un instant, sait par ce quelle est ce qu’elle fut et ce qu'elle sera, il distinguera la place qu'elle occupe dans l’immense étendue du régne végétal, dans la grande chaîne des êtres organisés et dans l’ordon- nance générale de la nature. DD — Cet ordre, nuancé des productions. de la nature est, sans aueun doute, le plus parfait; mais pour l'établir on sent qu'il a fallu réuvir à la connaissance entière de toutes les espèces conuues, une étude approfondie de leur organisation, et y joindre même pour mettre chacune à leur place, ce discernement exquis qui n’ap- partient qu'à un petit nombre d'hommes. Aussi cette méthode, que repoussent les gens superficiels ou ceux qui, de toutes leurs facultés, ne voudraient mettre en jeu que leur mémoire , est-elle de toutes la plus en- trainante pour les hommes qui veulent s'occuper avec fruit de la seience des végétaux. La méthode naturelle oa pour mieux dire la méthode de Jussieu, car malgré les tentatives antérieures de Linné et d'Adanson , ce savant est le seul qui ait fait assez pour que cette méthode datât de son époque, se compose done de végétaux réunis par groupes, que l'on désigne sous le nom de familles, familles qui s’é- lèvent aujourd’hui au nombre de 296. FF. Ainsi, Messieurs, l'œuvre remarquable de Jussieu, ce monument souvent modifié, mais toujours respecté , élevé à la gloire française, ne consiste done pas seulement dans le court tableau qu'on présente souvent comme son résumé, tandis qu'il n'en est que fa clé systématique. Aussi, pour avoir une idée nette, précise de la méthode natureile, faut-il, si on ne peut se livrer à l'étude beau- coup trop vaste et trop longue de toutes les familles, en étudier au moins quelques-unes avec soin et se bien pé- nétrer de cet ensemble de caractères qui les constitue. Car alors seulement on pourra, par analogie, juger des autres et comprendre nettement ce qu'on entend par fa- mille. Si nous nous empressons d'établir ainsi une dis- — ii jonction marquée entre les familles et le court tableau qui les réunit, c’est que comme nous le verrons tout à l'heure, les progrès de la science sont venus faire une part bien différente à ces deux parties de la mé thode de Jussieu. En effet, toutes les familles ont été conservées avec les changements qu'amènent nécessairement les progrès de la science, soit en apprenant à connaître à fond des plantes qui n'étaient qu'imparfaitement étudiées , soit en en faisant découvrir un grand nombre de nou- velles pour lesquelles il faut ou former des cadres nou- veaux ou élargir les anciens; au contraire, quand au tableau dont nous avons parlé, et qui sert à covr- donner les familles , il a été souvent attaqué, non dans sa division fondamentale , admise universellement, mais dans ses divisions secondaires tirées de l'insertion des étamines par rapport à l'ovaire, ainsi au moment où les caractères que l'on en tire étaient encore regardés comme les plus solides et les plus invariables, on ar- guait déjà : 1.0 de l'extrême difficulté que les commen- cants éprouvaient pour déterminer le mode et la nature de l'insertion; 2.° des dissidences d’opinion qui exis- taient alors entre un grand nombre de botanistes, ponr fixer les limites des trois espèces d'insertion générale- ment admises. On pourrait aujourd’hui reprocher à cet arrangement systématique d'admettre beaucoup d’excep- tions, comme aussi dans les insertions des étamines au-dessus et autour de l'ovaire (étamines périgynes ou épigynes), de passer de l’une à l'autre position par une série de nuances telles, qu'il est difficile en certain cas de se prononcer d'une manière affirmative sur leur posihon réelle par rapport à cet organe. C'est EE ce qui, dans ces derniers temps, a fait réunir entre elles les insertions des étamines au-dessus et autour de l'ovaire, par MM. Bronguiart et de Jussieu fils, ce que ces savans ont exprimés en supprimant le terme épigyne par lequel on désignait autrefois le premier mode d'insertion et en donnant au second périgyne une signification toute différente et plus étendue. Ces modifications amenées par les progrès survenus dans la science et suite d'observations plus étendues, ont fait admettre un mode nouveau d’arrangement pour le jardin des plantes de Paris, ‘que M. Brongniart à divisé en 296 familles et en 68 classes. L'adoption, à Paris, de cette nouvelle méthode, les changements apportés par d’autres savans botanistes, et par M. Adrien de Jussieu lui-même, aux bases secondaires de la méthode de son père, rendent la classification de notre jardin des plantes, mis, il y a quelques années, au niveau de celui de la capitale, non-seulement en arrière des progrès amenés par le temps, mais le pri- vent encore de cette précision , de cette vérité tou- jours si désirables dans les sciences, puisqu'on y trouve comme désignation des classes des termes aujourd’hui devenus peu précis ou pourvus d'un double sens, ce qui peut nuire beaucoup aux commençants. C'est pourquoi dans leur intérêt comme dans celui des personnes qui cultivent la botanique dans notre ville, j'avais pensé qu'il serait peut ètre opportun de saisir ie moment où l’adiministration pourvoie si géné- reusement au remplacement des étiquettes du jardin, pour chercher à modifier la classification actuelle en substituant à des termes privés, aujourd'hui de préci- sion et de vérité, des désignations beaucoup plus claires, = 95 — beaucoup plus simples et surtout plus vraies. Ce n'était toutefois que fort de l’assentiment de M. Barbier, cet me conGant entièrement dans le concours qu'il m'avait bien voulu prêter, que je n'avais point craint de me livrer à un travail rendu uécessaire par l'état actuel de la science. Que si je croyais qu'il fallût se borner à un simple changement, c’est que pour suivre le mode de classification adopté à Paris, il aurait fallu trans- planter toutes les plantes du jardin, c’est qu'en outre il pouvait, selon moi, y avoir danger à introduire chez nous et prématurément une méthode basée en quelques points sur l'induction plutôt que sur une observation réelle, une méthode d'ailleurs qui s’éloi- gnant beaucoup des idées communément admises en botanique , pouvait éloigner de l'étude de cette belle science un grand nombre d'élèves ou d'amateurs. Pour- quoi d’ailleurs aurais-je cherché à trop innover quand en modifiant seulement les bases secondaires de Jussieu, je pouvais atteindre le but que je me proposais. Guidé par une sage prudence, je pensais devoir me renfermer dans ce qui était utile, car je tenais plus à l'approbation des hommes sages et modérés qu'aux élo- ges de quelques hardis novateurs. Cette apprnbation, je chercherai toujours à me la concilier en maintenant autant qu'il me sera possible, la science dans la vé- rité, en cherchant à lui conserver sa dignité et en ayant toujours pour elle, non ce servilisme , mais ce respect que devraient lui porter tous ceux qui sont char- gé de son enseignement. Ainsi, comme on peut le pressentir, ce sont ces mo- difications que je n'avais fait qu'indiquer dans un de mes discours d'ouverture au eours de botanique, que =. 50 — je me propose de développer et de prouver par des faits, par l'état de la science elle-même et par d'im- posantes autorités. Car ce que je n'aurais pu faire avec avantage pour la science devant un public même éclairé, il me semble le pouvoir faire aujourd'hui que je porte la parole devant des hommes qui s'intéressent à ses progrès et qui se recommandent par leur haute ins- traction. Mon but serait de démontrer : 1.0 Que tous les botanistes célèbres qui ont adopté les familles de Jussieu se sont cru légitimement fondés à abandonner les classes de cet auteur pour leur en substituer d’autres, ce qu'ils ont exécuté plus ou moins heureusement , mais en faisant subir aux familles un plus ou moins grand déplacement , et en les éloignant de l’ordre qui avaient dù leur être primitivement assi- gnées par le fondateur de la méthode naturelle. 2.° Que me fondant sur les mêmes motifs que Îles botanistes précédens , et abandonnant comme eux Îles classes de Jussieu, j'ai pu en recourant à d’autres divisions que les leurs, donner, non une méthode, mais constituer un arrangement très simple qui m'a permis de respecter entièrement l'ordre des familles de Jussieu, tel que ce célèbre botaniste l’a établi lui- même. » grandes difficultés, dit cet auteur, attachée à la » méthode de Jussieu , est sans contredit l'insertion re- « Laissons d’abord parler M. Richard : une des plus » lative des étamiues employées comme bases des dif- » férentes classes. Les caractéres que l’on en tire sont, » nous sommes loin de le contester , les plus solides, » ET. les plus invariables , mais l'extrême difficulté que les commençants éprouvent pour déterminer le mode et la nature de l'insertion , comme aussi les dissidences qui existent encore parmi les botanistes , pour fixer les limites des trois espèces d'insertion généralement admises, nous ont engagé à chercher dans d’autres considérations les bases nouvelles de notre classifica- tion. Or, après l'insertion relative des étamines, nous ue connaissous point de caractères plus fixes, plus généraux que ceux que l’on peut tirer de l'adhérence ou de la non adhérence de l'ovaire avec le tube du calice. C'est pourquoi nous croyons devoir remplacer les classes de Jussieu par un ordre artificiel, dont les caractères seront spécialement tirés de l’adhérence ou non adhérence de l'ovaire avec le tube du calice, c’est-à-dire de l'ovaire libre ou supère Eleuthérogynie adhérent ou infère Symphysogynie, classification déjà employée par quelques auteurs. » Cependant nous sommes loin d'ignorer que ce prin- cipe tout général, et bon qu'il paraisse , soit sujet à quelques observations qui semblent au premier coup d'œil en détruire l'uniformité, et que plusieurs fa- milles extrêmement naturelles réunissent des genres à ovaire libre ou adhérent, telles sont les Rham- nées Mélastomées ou d’autres, entièrement formées de genres à ovaire semi-adhérent Saxifragées , etc. ; mais cette classification a sur celle de Jussieu l’avan- tage d’être plus facile dans l'usage, en ce qu'il est sans contredit toujours aisé de déterminer si une plante a ou n'a pas l'ovaire libre. » Aussi se guidant sur le principe général que nous venons dénoncer, M. Richard, quoique divisant d’abord (01. — le règne végétal à l'exemple de Jussieu, en ÆAcotylé- donés, Monocotylédonés et Dicotylélonés, qu'il partagent de même en Apétalés, Monopétalés et Polypétalés , subs- titue bientôt aux trois classes de Jussieu, fondées pour chacune de ces divisions premières sur l'insertion re- lative des étamines en hypogynes, périgynes et épigynes, les deux classes suivantes : Ovaire libre ou Eleuthérogy- nie, Ovaire adhérent ou Symphysogynie. Cet auteur sup- prime aussi, comme la plupart des botanistes, la 15., classe de Jussieu , et réunit les Æpétalés diclines aux Apétalés hermaphrodites. M. Adrien Jussieu, dans l'exposé des familles natu- relles, procède aussi comme son père, du simple au composé. Comimençant par les végétaux Acotylédonés , et finissant par les Dicotylédonés; mais lui aussi rejette et abandonne au moins en grande partie l'insertion des étamines cemme base des quinze classes par lesquelles il remplace celles de son illustre père. Il va même plus loin, car dans les divisions qui les précèdent, au lieu de conserver l'ordre établi par le fondateur de la mé- thode nouvelle en Dfcotylédonés apétales , monopéta- les, polypétales et diclines; il croit à cette série devoir substituer la suivante : Diclines Apétalés, Polypétales et Monopétalés ; il se fonde sur ce que ces dernières plantes lui semblent offrir par la soudure intime des parties de leurs fleurs, un degré de composition su- péricure à celles des divisions précédentes, ce qui leur mériterait en conséquence la nouvelle place qu'il leur assigne comme la plus élevée dans l’ordre de composi- tion des végétaux. IL divise donc ainsi le règne végétal. Végétaux acotylédonés. — Monocotylédonés qu'il divise en -{périspermés ou Pé- rispermés , selon qu'il se trouve on non dans la graine une corps annexe du cotylédon. Ges derniers sont en outre partagés en Apérianthés où en Périanthés, selon que les plantes présentent ou non une enveloppe parti - culière distincte, nommé Périanthe par Linné. Dicotylédonés , comprenant d’abord les Apétalés di- clines et les Apéta!és hermaphrodites. Puis les Polypetalés se divisaut en cinq classes, la première fondée sur la place qu'occupe la graine dans le péricarpe , en y joignant cette circonstance que l'im- bryon est entouré d'un périsperme farineux ; la seconde et la troisième sont formées par les plantes à étamines hypogynes , divisées ensuite d'après l'insertion de leurs graines dans le péricarpe Placeutation axile où parié- tale ; la cinquième classe renferme les plantes à éta- mines épigynes et périgvnes, confondues ensemble sous le titre de perigynes seulement. Enfin les Monopétalés se partagent d'abord en hypo- gynes à corolle régulière ou irrégulière et en périgynes. Ce tableau par lequel M. Adrien de Jussieu a essayé de remplacer les classes fondées par son illustre père, est établi sur des caractères trop dissemblables pour pouvoir être facilement comparés entr'eux, delà vient sans doute qu'il parait trop compliqué pour quelques savants et qu'il semble pour d’autres s'éloigner des règles d'une bonne méthode : 1° en ce que les caractères des différents groupes du même ordre ne sont point de la même na- ture , de la même importance , ce qni empêche qu'ils soient comparables entr'enx; 2.° en ce qu'il présente tantôt des caractères tirés d’un état particulier de la — 465" — graine, que l'élève n’est point aple à reconnaître, tan- tôt et simultanément d'autres caractères établis d’après la fleur et le fruit, parties d'un végétal qu’il est si rare de rencontrer en même temps dans les conditions con- venables ; 3.° en ce que deux des classes ont pour ter- mes de désignation le mot Périgyne conservé quoique pris daas un tout autre sens que celui qu'y attache la plupart des botanistes, ce qui pourrait induire en er- reur les élèves et les amateurs en botanique. M. de Candolle partant aussi de ce même principe , que les divisions secondaires de Jussieu ne sont point exactes, créa une autre méthode , il adwet cependant la grande division des végétaux en trois embranche- ments, savoir : les végétaux cellulaires ow inembryo- nés acotylédonés ; les végétaux vasculaires ou embryo- nés, qu'il divise en végétaux endogènes ou Monocoty- lédonés , et en végétaux erogènes ow Dicotylédonés. Jus- sieu avait cru, comme nous l’avons dit, devoir com- mencer la série des familles naturelles par les plantes dont l'organisation est la plus simple ; celles des Algues, des Champignons, etc., afin de s'élever graduellement vers celles où cette organisation est la plus complète. M, de Candolle suit, au contraire, une marche in- verse , il prend pour point de départ les familles qui ont le plus grand nombre d'organes , et ces organes bien séparés , bien distincts les unes des autres ; puis il voit graduellement ces organes se souder, se confondre , disparaître petit à petit, et l’organisation se réduire aux conditions indispensables à la manifestation de la vie ; en conséquence, M. de Candoile commence par les Exogènes ou Dicotyldonés , partagés d'abord en deux groupes, selon qu'ils ont un Périanthe double ou ="Qhñù — simple ; les premiers se divisant ensuite ainsi qu'il suit : Les Thalamiflores, qui ont les pétales distincts et les étamines insérées sur Île réceptacle. Les Caliciflores , qui ont les pétales libres ou plus ou moins soudés , et les étamines insérées sur le calice. Les Corolliflores ayant les pétales soudés et les éta- minex insérées sur la corolle. Les Exogènes à périanthe simple , formant un seul groupe, sous le nom de Monochlamydés. Les Endogènes ou Monocotylédonés formant aussi un seul groupe. Puis arrivent les Cryptogames divisés : En £Ethéogames ou semi-vasculaires , Et en Amphigames ou cellulaires seulement. Quant à la classification introduite aujourd’hui dans le jardin des plantes de Paris par M. Adolphe Bron- gniart, laissons parler l’auteur lui-même. « Appelé, » dit-il, par l'extension donnée à l’école botanique du » Muséum, à la replanter en entier dans l'hiver de » 1842 à 1843, j'ai longtemps hésité si je me confor- » merais complètement à une des méthodes suivies, ou » si, profitant des idées déposées dans certains ouvra- » ges et de quelques recherches particulières, je me » déciderais à m'écarter en quelques points des ou- » vrages connus, j'ai été conduit à adopter ce dernier » parti par suite de la suppression que je voulais opé- » rer de la division des Dicotylédones apétales et de » la fusion des familles qu'elle comprenait parmi les » Polypétales, car il me semble qu'il devra arriver un (05 — » moment où tous les botanistes reconnaitront la né- » cessité de cette fusion. Mais un jardin botanique ne » se modifie pas comme l'ordre d’une collection de » plantes desséchées ou les pages d'uu catalogue, et de » même qu'il est quelqufois pendant longtemps en ar- » rière des travaux nouveaux, il doit, dans certains » cas, devancer les changements qui se préparent dans » la science. Cette disposition des familles Apétales par- » mi les Polypétales, contrairement à tout ce qui avait » lieu jusqu'ici, m'obligeant à modifier toutes les clas- » sifications déja admises, j'ai fait tous mes efforts » pour améliorer le groupement des 296 familles en » en formant 68 classes naturelles. » M. Adolphe Brongniart procède comme de Jussieu dans son exposé du règne végétal en partant des plantes les plus simples pour s'élever à celles dont l’organisa- tion est la plus complète. Ainsi, il commence par les Cryptogames qu'il partage en Amphigènes et en Acrogènes. Puis viennent les Phanérogames d'abord Monocotylé- dones divisées en deux groupes, les Périspermées et les Apérispermees. Les Dicotylédones se partagent ensuite ainsi qu'il suit : 1.0 En ÆAugiospermes d'abord Gamopétales à éfamines périgynes ou hypogynes; puis en Diapétales à éfamines hypogynes ou périgynes. 2.0 En Gymnospermes Nous passerons sous silence, omme on le pense bien, les 68 classes naturelles qui viennent s'ajouter à ce tableau et doivent en former le complément. 5. 166 == Maintenant laissons de nouveau parler M. Adolphe Brongniart. « Enfin, dois-je le dire, en indiquant les carac- » tères des classes dans lesquelles j'ai groupé les familles » et les divers caractères plus généraux d’après les- » quels j'ai rapproché ces classes, je dois faire re- » marquer que ces caractères sont ceux qui appartien- » nent à la majorité des plantes de chacun de ces » groupes et non des caractèrss absolus et sans excep- » tion. » C'est, sans aucun doute, cet aveu de l’au- teur et la connaissance de quelques caractères peu cer- tains qui auront fait dire de ces classes ou de ces groupes naturels intermédiaires entre les grandes classes et les familles, groupes déjà tentés par MM. Bartling et Lindley, botanistes anglais, par M. de Candolle, que ces rapprochements indiqués par ces auteurs étaient souvent heureux, mais qu'il ne trouvait point, selon lui, l'opinion générale des savants assez formée sur ces tentatives pour qu'on püt les introduire, soit dans Îles jardins botaniques particuliers, soit dans les ouvrages élémentaires. M. Richard, en parlant de l'application à la méthode naturelle des groupes intermédiaires aux familles et aux classes, dit « que les essais qu'il a lui-même tentés » jusqu'à présent ne lui ont pas encore permis d’arri- » ver à des résultats satisfaisants, et quil lui en sem- » ble de même de ceux des autres; cependant il pense » que les esprits justes et élevés qui comprennent bien » les principes sur lesquels repose la classification na- » turelle des végétaux doivent s'occuper avec persévé- » rance de ce point important de la philosophie de la » science botanique. » GT Enfin, citons l'opinion de M. Adrien de Jussieu sur le même objet. « M. Lindley, dit ce savant botaniste, » a distribué toutes les familles en une assez grande quantité de groupes qui en comprennent chacun un petit nombre. Il donne à ces groupes que M. Adol- phe Brongniart désigne sous le nom de classes le nom d'alliances. Dans l'ouvrage le plus complet qu'on possède aujourd'hui sur les genres, M. Endlicher a essayé aussi de réunir les familles en groupes plus élevés. Tout récemment enfin, dans la nouvelle plan- tation du jardin des plantes de Paris, M. Adolphe Brongniart a groupé 296 familles en 68 groupes dont il a tracé les caractères. On doit espérer que de ces savans essais et des perfectionnemens que recevra l'étude de la botanique finira par sortir une classifi- cation naturelle; mais il faut attendre ces pecfec- tionnements et la sanction du temps pour fixer dé- finitivement cet ordre tant recherché. Il fant que ces groupes, classes ou alliances, comme on voudra les appeler, aient été légitimés par l’assentiment gé- nérel, et leurs caractères bien arrêtés pour que de leur comparaison on en puisse déduire un système général. » Pour nous résumer sur chacune de ces classifica- tions méthodiques, qui toutes ont pour point de dé- part les familles naturelles de Jussieu, on voit: 4.0 Que celle de M. Adolphe Brongniart, établie dans le jardin des plantes de Paris est regardé, par tous les botanistes et par son auteur lui-même, comme une sorte de ballon d'essai où les données de la science présente ont même été outrepassées, d'où l'espèce de sensation qu’elle a produit à Paris même parmi les 5.* 108 — élèves “et les amateurs, d’où aussi l'opinion des sa- vants eux-mêmes qui, quoiqu'en en consacrant les prineipes, pensent que les essais des groupes tentés jusqu'alors ont été peu satisfaisants et demandent que le temps vienne les légitimer. Ajoutons, en outre, que beaucoup des caractères sur lesquels se trouvent établies les autres grandes divisions, tirées soit de l’etat de la graine, soit du mode d'insertion relative des étamines, bien qne vraies sans aucun doute, sont d'une application impossible ou au moins très-difécile pour l'étude. 2,0 La méthode de M. Richard, bonne, comme nous l'avons vu, pour faciliter l'étude des, familles aux élèves en médecine, car les classes en sont fondées sur un caractére plus saillant que Flinsertion des étamines par rapport à l'ovaire, c'est-à-dire sur l’adhérence ou la non adhérence de l'Ovaire au tube du calice est re- connue par l’auteur lui-même pour n'être pas toujours d'une parfaite exactitude, puisqu'il est des familles ou l'Ovaire est demi-adhérent Saxifragées, et d’autres fa- milles qui comprennent des plantes qu'on n'a pu dis- joindre, qui ont l'Ovaire adhérent ou libre Rhamnées Mélastomées , ete. 3.° Pour la méthode de M. de Candolle, elle est, sans contredit, la plus simple, la plus claire et la plas satisfaisante, car étant basée sur les différentes parties de la fleur, elle offre des caractères faciles pour l’étude. Seulement elle diffère plus que toutes les autres de celle de Jussieu, puisqu'elle commence, contrairement à celle de cet auteur, par les Renonculacées, plantes comprises parmi les Dicotylédonées polypétales et finit par les Algues, ce qui fait que la méthode de Jussieu, 260. commancant par procéder, comme on l'a vu plus haut, du simple au composé. Celle de de Candolle part au contraire des végétaux dont l'organisation est la plus complexe pour descendre toujours dans l’ordre de l'or- ganisation jusqu'à celle des plantes qui le sont le moins. Dans ces diverses classifications, les familles princi- pales de Jussieu n’ont point été sensiblement changées dans leur nature; mais on doit bien entrevoir qu'elles l'ont été dans quelques-uns de leurs rapports naturels, et cela parce que chacun de ces auteurs ayant créé ses classes sans tenir compte de la disposition primitive des familles, il a fallu en disjoindre un plus ou moins grand nombre et cela en divers sens dans chacune de ces méthodes pour pouvoir les faire rentrer normale- ment dans les classes établies. Quant à nous, au contraire, on verra qu'il a dû en être autrement; foroé par un jardin, déjà planté d’a- près la méthode de Jussieu, de respecter les disposi- tions assignées à chacune des familles par cet illustre auteur, il nous a failu voir si nous pourrions former des classes précises et vraies en respectant l'ordre des familles naturelles. Ce n’est donc point une méthode nouvelle que nous avons cherché à créer, c'est seule- ment un problème que nous avons été appelé à ré- soudre; savoir : substituer des classes vraies, précises, basées sur des caractères faciles à saisir par les élèves, à des classes devenues aujourd'hui fausses, pour la plupart, et reconnues, de tout temps, peu propres à favoriser l’étude; et cela sans changer, ni altérer, en quoi que ce fut, l'ordre des familles. C’est donc ce problème dont il me faut vous faire connaître la solution. = #9 Toutefois, avant de donner l'exposé des modifications que j'ai cru devoir apporter aux classes de Jussieu, qu'il me soit permis de fixer un instant votre atten- tion sur la différence qu'il y a entre l'insertion rela- tive et l'insertion absolue des étamines. Dans l'insertion absolue, on indique l'organe différent qui porte les étamines, tandis que dans l'insertion relative, on si- guale seulement les points différens d’un même organe d'où naissent les étamines; ainsi, pour ne parler que de l'insertion relative des étamines par rapport à l'o- vaire, On sait que les organes mâles peuvent être pla- cés au-dessous, autour , ou au-dessus de l'organe femelle, A la série de nuances que présente l'insertion rela- tive et qui toutes lui appartiennent en propre, on peut concevoir à quel degré de doute et d'incertitude elle doit conduire, dans quelque cas, sur son caractère réel. Car sans signaler que dans l'Hypogynie et la Pé- rigynie il arrive quelquefois que les étamines puissent avoir des rapports directs avec l'ovaire, c'est-à-dire adhérer à sa base ou à son pourtour, on sait encore qu’il y a des plantes faisant partie d’une même famille appartenant par cela même à une seule classe, dont les unes paraissent périgyniques et les autres hypogyni- ques, et cela par le fait de l'insertion de leurs éta- mines, Ces organes s'insérant dans les unes tout à fait à la base de l'enveloppe florale au point où celle-ci se confond avec le réceptacle, et dans les autres sur un point plus élevé et tont à fait distinct de cette même enveloppe. Ainsi, pour ne citer qu'un groupe naturel daus la famille des Liliacées, les Lis et la Tulipe pour- raient passer pour hypogyniques et la Scille serait pé- rISYDIQUE. = AR — Mais il surgit encore, pour l'insertion relative, une autre difficulté. Comment, en effet, l’élève pourrait-il savoir si dans les fleurs unisexuées les étamines doivent être hypogynes ou épigynes , c'est-à-dire placées au- dessous ou au-dessus de l'ovaire ; ces fleurs ne man- quent-elles point d’un caractère de rapport qui existe et qu'il peut saisir plus ou moins aisément la fleur hermaphrodite, rapport , au contraire, qu'il ne pourrait deviner ou reconnaître dans les autres que guidé par une induction savante et comparative que lui refusent ses faibles connaissances. Enfin , ces rapports de deux organes différens dans la fleur hermaphrodite, pour être plus faciles à saisir, en sont-ils plus certains, plus définis, c’est ce dont il est permis de douter quand on voit deux des botanistes les plus distingués n'être point du même avis. Ainsi, l'insertion serait périgynique pour de Jussieu toutes les fois que les étamines adhéreraient à la partie libre de l'enveloppe florale que l'ovaire soit d’ailleurs libre ou adhérent. M. C. Richard , au contraire, n’admet l'insertion périgynique que pour celles de ces plantes où l'ovaire est libre, il range dans l’épigynie, contrairement à de Jussieu , toutes celles de ces plantes dont l'ovaire est adhérent, que leurs étamines soient insérées au sommet de l'ovaire ou sur la partie libre et supérieure de l’en- veloppe florale. L'insersion absolue prenant, au contraire, toujours pour point de départ un organe différent, on conçoit qu'elle ne puisse donner lieu à aucun doute. Ainsi, tantôt les étamines naissent du point ;d’où sortent les autres organes de la fleur sans contracter d’adhérence avec aucun d’eux; elles sont alors insérées sur le ré- —_100— ceptacle (Torus), et cette insertion peut recevoir le nom de Torique. D'autre fois contractant adhérence avec un des organes de la fleur, les étamines prennent inser- tion sur lui; elles peuvent se souder avec la corolle, l'ovaire ou le calice, l'insertion peut donc être Corol- lique, Gynique, Calicique. Relativement à l'insertion des étamines sur la corolle, si l’on remarque que l'insertion générale de ces deux organes est toujours la mème quand il s’agit d’un or- gane semblable ; il sera facile de comprendre que les étamines et la corolle font partie d'un même système. On en devra conclure que cette insertion ne peut être considérée que comme secondaire. Ge fait apparaît dans tout son jour par la nécessité où s'est trouvé de Candolle de partager en deux séries distinctes des plantes qu'il eut dù placer sous le nom collectif de corolliflores; on sait que ce nom est applicable à toutea les plantes à corolle staminifère, il a dù le refuser à celles qui offrent une insertion calicique pour le laisser seulement à celles dont l'insertion est torique consacrant ainsi qu'il y avait force majeure de faire le sacrifice de cette insertion si secondaire des étamines à la corolle à deux insertions absolues, plus générales, plus distintes, et respectant les rapports naturels des plantes. Si donc la soudure des étamines avec la corolle ne constitue pas une insertion distincte, on voit dès-lors que celle-ci ne peut plus varier que la counexion des étamines avec l'ovaire et avec le calice. Ces deux in- sertions existent en effet. Mais s'il en est une qui soit plus importante et qui doive de beaucoup l’emporter sur l’autre, c'est l'insertion calicique que l'on trouve souvent isolée, tandis que l'insertion gynique peu com- D En mune est même douteuse dans un état d'isolement. En effet, cette insertion est liée dans le plus grand nombre des cas avec la soudure des étamines à un point donné de l'enveloppe florale. Ces prémisses établies, il est facile de voir que des trois insertions absolues, deux seules insertions cali- cique et torique fournissent les caractères les plus cer- tains et les plus généraux. Aussi remplacerons-nous par elles les Hypogynes, Périgynes et Epigynes de Jussieu, et prendront-elles rang parmi les autres modifications qui nous ont semblé devoir être apportées à la mé- thode de Jussieu, modifications dont nous allons faire l'exposé. Comme de Jussieu , dont j'ai conservé toutes les di- visions sauf les classes qu'il m'a fallu établir d'après e2 d’autres caractères, j'ai admis des végétaux. Acotylédonés partagés aujourdh'ui en deux classes par suite des progrès de la science, savoir : les Amphigènes et les Acrogènes, selon que les organes reproducteurs de ces plantes naissent au sommet d’un axe, d’une tige ou que dépourvus d’axe ou de tige ils croissent du centre à la circonférence. Monocotylédonés divisés en ÆApérianthés et Périanthés, selon que les organes essentiels de la fleur (les éta- mines et les ovaires) sont pourvus d’une enveloppe ré- gulière ou qu'ils en sont privés. Dicotylédonés. Parmi eux viennent les Apétalés for- mant un seui groupe. Puis les Monopétalés partagés en Toro corolli-staminie et en Calici corolli-staminie selon que dans ces plantes les corolles et les étamines ensemble ou séparément 08 = sont portées sur le réceptacle ou insérées sur le calice. Les Polypétalés divisés en trois classes comprenant : la première, les plantes qui offreut un disque épigyne sur lequel ou autour duquel sont insérées les éta- mines Disco pétali-staminie; la deuxième, celles qui ont les étamines portées sur le réceptacle Toro pétali- staminie ; la troisième , celles qui les ont soudées au calice Calici pétali-staminie ; enfin Île dernier groupe qui correspond à la A5.° classe de Jussieu renferme les plantes dicotylédonées unisexuées et porte le nom d’Idio- gynie. TABLEAU COMPARATIF de la Méthode de Jussreu et des modifications apportées à ses classes, en conservant chaque Famille dans l’ordre où elles ont été classées par l’illustre auteur de la Mé- thode naturelle. PLANTES PHANÉROGAMES. . PLANTES CRYXPTOGAMES. s CLASSES. FA Algues =] Z 8 à #4 £ Characées. Z | < | Te Naïadées à Etamines rer ; ë hypogynes. Cyperacées. E | A Ë E IIl:me Joncées = h £ Etamines : © HT: 5 périgynes. Iridées. 5 | ES IVe Cannacées à Etamines Le nes épigynes. Hydrocharidées, V.me Aristolochiées. Etamines épigynes. : à LRE nes ot = Etamines A £ périgynes. ee 4 VII.me anaratiacées Etamines hypogynes. EE | VIIIme ser us Corolle hypogyne. en E Te td ê 2 Coroll = orolle El a périgyne. ane Li ONE SE Sirientne # \ © {Corolle épigyne | Composées. > |S à anthères AM soudées. | LE Ylime Fe Corolle épygyne SNA ranthéres UE E : libres. | PO XII.me Etamines as épigynes. ÉA { Benoneuarées SE XIII.me É a Etamines Jan a hypogynes. © | F3 XIV.me LU | Etamines En | périgynes. sn DICLINES ones Re SX VS à IRRÉGULIÈRES. Coniférées PLANTES CRYPTOGAMES. SR PLANTES PHANEROGAMES. ACOTYLEDONÉES. MONOGOTYLEDONÉES. APÉTALÉES. MONOPÉTALÉES. ÉTRS LS DE À LS DYCOTYLEDONÉES HERMAPHRODITES. A TALÉES. Pozyré a a A DicoryLEDO- NÉES DICLINES. CLASSES. I.re— AMPHIGÉNIE. Point d’axe, ni d'organes ap- Algues pendiculaires "distincts : crois- sance périphérique , € c’est-à-dire à du centre à la circonférence ; re- ‘ k production par des spores ou em- Lichenées. bryons nus. À II.me — ACROGÉNIE. L . Axe etorganes appendiculaires Hépatiques distincts ; tige croissant par l'ex- trémité seule: reproduction par à des spores recouverts d’un tégu- ment, mais libres etn "adhérant point par un funicule aux Al ere des sporanges. ci és. III.me — APÉRIANTHIE. Naïadées Fleurs nues, entourées de soies ou munies d’une ou de plusieurs à écailles imbriquées et disposées sans ordre , renfermées où non Cyperacées. dans une spathe. IV.me — PÉRIANTHIE. Fleurs offrant une enveloppe à Joncées folioles ou divisions, presque tou- jours disposées par verticiles ter naires, lé plus ordinairement par deux qui sont ou semblables en- tr'eux, offrant l’un et l’autre l'ap- parence soit d’un calice soit d’une corolle ou differens l'extérieur alors calicoïde et l’intérieur pé- gs taloïde. V.me— APÉTALIE. Fleurs présentant une seule | Aristolochiées enveloppe florale, très-rarement disposée sur deux rangs et ayant le plus souvent l'apparence ca- : licoïde. Nyctaginées. VI.me— TORO COROLLI-STA- MINIE. Plumhaginées Corolle et Etamines insérées sur le réceptacle ou presque toujours étamines portées par la corolle qui alors s’insère sur le même Ebenacées. point; ovaire libre ou supère. ' VII.me — CALICI COROLLI- Rhodoracées STAMINIE. Corolle et Etamines insérées sur le calice ou souvent étamines portées par la corolle qui alors s'insere sur le même organe; Re ovaire adhérent ou infere. VIII.me — Disco PETALI- c STAMINIE. ornées Etamines et Pétales toujours insérés sur ou autour d’un disque épigyne; ovaire toujours adhé- 9 mbelliférées. rent ou infere. Omhelife IX.me— Toro PETALI- STAMINIE. Renonculacées Etamines et Pétales insérés sur le réceptacle où sur un disque libre ou soudé avec la base de Li l'ovaire; ovaire toujours libre ou inées. supère. X.me — CALICI PETALI- Paronychiées STAMINIE. Etamines et Pétales insérés sur le calice ; ovaire libre ou su- père , adhérent on infere. Pittosporées. XI.me — IDIOGYNIE. = Euphorbiacées Fleurs apérianthées où péri- anthées à étamines et ovaires tou- jours placés dans des fleurs dit- férentes. Coniférées, NOTE DU TABLEAU PRÉCÉDENT. Les Etamines considérées par rapport aux divers organes de la fleur ou à son support, présentent une insertion absolue ou relative. Si, comme nous avons cherché à le démontrer, l'insertion absolue des Etamines est toujours vraie et facile à distinguer quand elle a lieu sur le calice ou sur les torus (réceptacle), il en est autrement quand elle est relative, surtout par rapport à l'ovaire. Delà la difiicuité de bien reconnaître quelquefois les différents modes d’in- sertion de ces organes employés par de Jussieu, et de toujours en bien assigner les véritables limites. Ainsi l'insertion épigynique ou hy- pogynique devient impossible à déterminer de la part des élèves pour les plantes des familles placées sous ces titres, et qui ont des fleurs unisexuées, Aroïdées, Typhacées, Cypéracées, etc. D'autres fois, dans des plantes appartenant à une même famille et placées sous un seul de ces titres, on voit les unes présenter l'insertion périgyhique et les autres apparaître avec une insertion hypogynique, ce qui se présente dans les Asparaginées . Colchicacées, Liliacées, Chénopodées, etc. Enfin l'insertion épigynique qui se montre franchement dans les Orchidées et les Aristolochiées s’altère tellement et le plus ordinaire- ment par la soudure des organss mäles, soit simultanément avec le périanthe et l'ovaire , soit avec le calice seulement quand lovaire est tout-à-fait recouvert par cet organe, qu’elle finit par pouvoir être ré- putée absolument périgynique ou mixte, c'est-à-dire tenir de lin- sertion périgynique d’une part et de l'insertion épigynique de l’autre. 7h — Si c'est un principe généralement admis que dans toute bonne classification les caractères des différens groupes d’un même ordre doivent être de même na- ture , de la même importance , et par conséquent com- parables entre eux, il me semble avoir satisfait à cette condition. Ainsi, pour toutes les classes de Phanéroga- mes, cest-à-dire de plantes à fleurs visibles. J'ai pu, en évitant l'insertion des étamines par rapport à l’o- vaire, tirer pour toutes mes divisions, mes caractères d’un seul organe, la fleur. Ainsi, pour les Phanérogames Monocotylédonées, je les ai partagé en deux groupes selon que les organes sexuels, parties essentielles indispen- sables de la fleur, étaient ou non pourvus d'une en- veloppe régulière. Pour les Dicotylédonées, je les ai di- visé en trois groupes d'après l'insertion des étamines sur un disque épigyne constant, sur le réceptacle ou sur le calice. Si ces divisions, comme j'aime à le croire, sont fondées sur des caractères précis, clairs, faciles, et qu'un puisse aisément comparer entre eux; sur des caractères qui ne laissent aucune incertitude, sur des caractères enfin que l'élève ou le simple commencant puissent facilement comprendre et reconnaitre, je m'es- timerais heureux, puisque j'aurais atteint le but que je me proposais. Mais au seul énoncé de ces quelques modifications tentées dans l'intérêt de ceux qui veulent s'initier a l'étude des plantes et entreprises dans l'intention de mettre un jardin déjà classé à la hauteur où la science le voudrait aujourd'hui, il me semble voir se produire une multitude d’objections. Ainsi, pour n’aborder que les principales, parmi ceux qui voudraient voir les sciences rester stationnaires ou se résumer en un pro- Mn = gramme uniforme. Les uns se demanderont quelle uti- lité il peut y avoir à changer une classification pour si peu; d’autres, saus plus ample examen, se déclareront contre une œuvre créée dans Île pays et qui n’aura point reçu sa sanction d'un corps savant très-haut placé. D'autres plus progressifs se diront : si un change- ment est reconnu nécessaire que n'importe-t-on chez nous ce qui, en ce genre, existe à Paris. A ces hommes qui repoussent tout progrès, tout mouvement dans la science, je leur répondrai que c'est du choc des opinions que naît la vérité : que si longtemps les sciences sont restées stationnaires, cela n'a pu dépendre que du principe qu'ils voudraient voir sanctionner à nouveau, qu'il n'appartient à aucun homme d'immobiliser la science ou de créer des en- traves à l'intelligence de son semblable. Qu'enfin en voulant toujours imposer les idées anciennes on empé- cherait tout perfectionnement, toute découverte dans les arts et les sciences, et que pour ne parler de la botanique, s’il en eut toujours été ainsi, on se serait privé de ce système de Linné qui offrent le sceau du génie, comme de la méthode de Jussieu qui porte avec elle le cachet d'une rare sagacité et d’une savante ob- servation. Quant à mon arrangement, si je m'empresse de re- connaître , avec les premiers, qu'il est peu de chose, qu'il ne constitue pas une méthode nouvelle, mais qu'il est une simple modification apportée à la méthode d'un de nos plus grands maitres. Je ne voudrais point cependant qu'on s'étayät de cet aveu pour enlever à cette modification le degré d'utilité par lequel elle se recommande; utilité bien réelle sans doute si, comme PR tout le démontre, elle substitue des termes précis, clairs, positifs, vrais, à des expressions devenues fausses ou équivoques ; si enfin elle repose sur des caractères facilement applicables à l'étude des plantes. Avec les seconds, je consacre qu'il ne faille point laisser introduire trop facilement des méthodes nou- velles, de ces méthodes surtout qui, au lieu de rendre la science plus précise, semblerait venir mettre tous les principes admis en question; mais lorqu'il s’egit pour les provinces de simples changements favorables aux études, torsque ces changements sont l’œuvre d'hommes qui ont doté leur pays d'ouvrages utiles, ponrquoi leur refuser le droit de cité? Pourquoi, luttant contre un juste et noble sentiment de nationalité qui devrait se traduire pour chaque ville comme pour le pays tout entier, en appeler sans cesse à la capitale ? Ne serait-ce point dans ce moment, mieux peut-être que dans tout autre, dans ce moment où Paris semble, au détriment de nos provinces, vouloir tout centraliser, vouloir abaisser sinon détruire nos institutions scienti- ques qu'il conviendrait de s'arrêter dans un pareil mou- vement. Aussi sil n'étais permis de donner un conseil, m'empresserai-je de détourner d'une telle voie ceux qui, pour tous et toujours, voudraient qu'on en ap- pelât à un tribunal trop haut placé. N’allez point, leur dirais-je , en saisissant l’Académie des sciences de si mi- nimes objets, nous exposer aux risées de cet illustre aréopage. Inconséquens que nous serions, nous plaignant sans cesse d’une centralisation qui nous opprime ne nous hâtons point, d’en resserrer et d'en multiplier les liens et nous déclarant mille fois moins instruits que nous ne saurions l'être, n'autorisons point ces hommes de la PARA SE science vis-à-vis desquels nous irions faire appel à nous considérer comme les barbares et les ilotes de la science. Quant à l’opinion des troisièmes, permettez, Messieurs, que je ne la partage en aucune manière, Dépourvus de ces riches ressources de la capitale, faudrait-il donc, pour paraître plus riches que nous ne le sommes, nous couvrir des oripeaux d'un vain luxe qui ne sauraient nous rendre que ridicules. Non, Messieurs, au lieu d'en appeler saus cesse à Paris, sachons quelquefois être nous; au lieu de nous amoindrir soutenons-nous noblement, élevons nos institutions en raison de ce que peuvent nous permettre nos ressources. Pour nous, dés- lors, ces institutions nous intéresseront davantage, et pour l'étranger elles auront ce caractère de grandeur qui nait de la vérité. Rendre la science claire, précise, facile à compren- dre, et l’élevér en même temps à l'exacte vérité, tel est, Messieurs, ce me semble, le devoir de tout hômme chargé de son enseignement. Pénétré de cette idée, c'est donc l’arrangement que je viens de vous soumettre que je me propose de suivre pour faire, dans le cours dont je me trouve chargé, l'exposition de la méthode d'un de nos plus célèbres botanistes, je veux dire de la méthode de Jussieu. Il ne faut donc plus s'étonner dès-lors si j'ai pu avoir le désir de voir introduire, dans le jardin botanique de notre ville, cette utile mo- dification, modification d’où serait né, selon moi, un double avantage pour les élèves et les amateurs en bo- tanique, celui de voir l'exemple réuni au précepte, et pour l'école botanique celui non moins grand d’être vraie, tandis qu’elle manque aujourd'hui, pour ses classes, de l'exactitude que les savans seraient en droit de réclamer. Si — Chargé, à titre de suppléant, de l’enseignement de la botanique, je craindrais faillir à mon devoir si je ne suivais la science dans ses nouveaux dévelonpemens. Honoré de la mission qui m'est confiée, je me croi- rais. indigne de la remplir si, entièrement lié par des travaux anciens, je ne devais être que l'interprète d'i- dées plus que vieillies, d'idées déjà repoussées par le temps. Auteur de LA FLORE du pays, ouvrage que vous- même, Messieurs, avez couronné, ne démériterais-je pas entièrement de vos honorables suffrages si, reculant devant les moyens qui peuvent me permettre de per- fectionner ce travail, j'avais à me faire, chaque jour, l'application de ce vers d'Ovide : Meliora video , probo que, deteriora sequor. VAR Dre re ir nuls | À tes ct ren Le A LORS l'étves pomdidn deNana D Étériio, he, k (PL PM MEN ididéantr derbi D T0 NE PORTE PORTES Hbadtd du emii 2 télé tt tro rt at NE A veu RES o” LS Melle st mn 1. ie Var pui phéengte 06 | pi CT LUE UT LOT S OSESSET 1 4h Nat. CRAN de ie Hum gr DE LA CULTURE EN AFRIQUE, CE QU'ELLE EST, CE QU'ELLE DEVRAIT ÊTRE, Par M. Amasze DUBOIS. —33364È0- Wie pour vie, membre pour membre. Pour fixer les principes de la compétence des tribunaux criminels, il dira : Nul ne peut ébre jugé que par ses pairs, belle maxime qui peut-être a donné naissance à la plus précieuse de nos institutions judiciaires, celle du jury. L'influence du sol sur la législation n’est nulle part mieux démontrée que dans nos coutumes, car la con- dition des personnes varie selon les nécessités physi- ques du lieu qu’elles habitent. Dans les villes fermées et dans les boargs, il se forme des communautés d’ar- tisans unies entre elles par le lien de la garantie mu- tuelle et de la protection réciproque; de même, dans les vallées marécageuses et dans les plaines stériles cou- vertes de bruyères , il se forme des associatious de pas- teurs qui mettent en commun leur territoire, leurs troupeaux et leur énergie pour se soustraire à l'oné- reuse protection d’un seigneur; mais dans les campa- gnes où le sol, pour la commodité de la culture, est divisé en une infinité de parcelles, la délimitation des propriétés est aussi le signe, sinon de la servitude, du moins d’une liberté plus restreinte. — Ici la posses- sion individuelle est subordonnée à une foule de devoirs et de prestations serviles; là, au contraire, la posses- sion collective jouit de tous les priviléges et de tous les avantages d’une organisation municipale. La commune, c'est-à-dire la jouissance du sol en commun, est la conséquence de l'état pastoral, car rien n'est moins compatible avec l'exercice du droit de — Vi — pâturage que la possession à titre singulier. L'appro- priation individuelle qui a commencé par le manoir, par l’étroit espacé réservé à l'habitation du père de fa- mille , s'est étendue peu-à-peu dans la plaine et a fini par envahir la forêt. La plaine, quand elle a été sous- traite au domaine public, pour constituer le domaine privé des races conquérantes , fut d'abord livrée à des colonies d'esclaves qui la défrichèrent et la mirent en culture. La part de labeur affectée à chaque famille a déterminé ces divisions territoriales dont la trace s'est perpétuée jusqu’à nos jours ; mais aussi la condition des premiers colons a marqué leur possession d'un certain cachet de servilité dont celle-ci n'a jamais entièrement perdu l'empreinte, car c’est par allusion au travail quo- tidien des serfs ruptuarii que le nom de possession roturière est resté pour désigner celle de leurs descendants. Le droit civil, si nous faisons abstraction de l’état des personnes pour le considérer dans son application à l'agriculture et au commerce , le droit civil n'est pas le même dans les villes que dans les campagnes. Dans les villes, tout se mobilise pour faciliter les transactions. La propriété foncière n'y est que l'objet accessoire de la fortune des habitants; l'égalité fait la loi des par- tages, et le patrimoine de la famille passe du père aux enfants, sans intermédiaire, en vertu de la maxime : le mort saisit le vif. — Dans les campagnes, au con- raire, où tous les efforts du travail ont pour bnt l'a- grandissement et la fixité de la possession, le droit civil interdit l’aliénation de lhéritage, et ne laisse pas même la liberté de le diviser entre les enfants. Le pos- sesseur ne peut disposer que de ses acquêts, et, à sa mort, {ous ses immeubles sans distinction font retour — 105 — au domaine du seigneur , qui en donne l'investiture à l'héritier auquel la coutume les réserve. Je le demande, Messieurs, est-ce qu'un pareil état de choses ne fait pas supposer une cause plus intelligente que la tyrannie des seigneurs? Peut-on dire que, par pur caprice, elle se serait montrée ‘ libérale dans les villes et oppressive dans les campagnes? Non, certes, il n’en peut être ainsi. C’est donc dans des considéra- tions d’un ordre plus élevé qu'il faut chercher les mo- üifs de la distinction établie par le droit civil entre la possession bourgeoise et la possession rurale. Les inté- rêts rivaux de l’agriculture et du commerce ne peu- vent s'accommoger d'un système uniforme : ce qui est utile à l’une est souvent préjudiciable à l’autre. L’em- phythéose, c'est-à-dire le bail à long terme, si favo- rable aux intérêts de l’agriculture, sera toujours nui- sible aux intérêts du commerce, parce qu'elle est un obstacle à la libre disposition de l'immeuble qui en est grevé. L'homme des villes doit pouvoir disposer de ses immeubles pour réparer les suites d’une spéculation mal- heureuse ; mais l’homme des champs, qui ne peut ja- mais attendre de la fortune plus que les promesses d’une année d’abondance, ne doit pas non plus ris- quer plus que les chances d’une année de disette. Le droit civil lui permet, pour faire face à ses besoins, de disposer de ses acquêts, mais il lui interdit l’alié- nation de son héritage, qu'il considère comme un dé- pôt dont il n’a que l’usufruit. S'il gère avec maladresse ou imprévoyance, au moins il ne compromet ni l’ave- nir de ses enfants, ni l'exploitation qu’ils sont appelés à diriger à leur tour. N'allez pas induire de ces prémisses que je voudrais — 106 — voir la propriété foncière replacée sous la protection de la féodalité et de la main-morte. Non, Messieurs, non. Sans qu'il soit besoin de recourir au passé, il y a as- sez de ressources dans le présent pour nous mettre en garde contre les éventualités et les périls de lavenir. La loi, si elle est impuissante pour arrêter des divi- sions et des morcellements qu'elle-même favorise, peut au moins mettre un terme aux spéculations de l'agio- tage qui donne aux terres une valeur vénale hors de proportion avec le revenu. Elle peut encore augmen- ter la durée du bail à ferme; car, sans la fixité du domaine, l’agriculture n’est plus un art, mais un trafic qui, par les mutations fréquentes et l’inconstance des possesseurs, ne permet ni l'application des bonnes mé- thodes, ni la tradition des bons exemples. Je pourrais multiplier ces aperçus généraux , mais je m'arrête pour ne point anticiper sur les communica- tions que j'aurai encore à vous faire si vous daignez m'y encourager. Par les observations qui précèdent, vous pouvez apprécier l'importance de la publication que j'ai entreprise et la direction qu'elle a donnée à mes études. Il se peut que je m'’abuse sur l'utilité des enseignements que j'ai cru y découvrir; mais, même en en restreignant l'application à l'histoire , elle offre encore un intérêt immense, incontestable, ear elle permet d'étudier, mieux qu’on ne l’a fait jusqu'a ce jour , les mystérieux ressorts de l'organisation féo- dale. Permettez-moi, Messieurs, en terminant, d'exprimer une réflexion inspirée sans doute par les souvenirs que ce lieu me rappelle, Dans cette même enceinte siége une autre société pour laquelle, je dois le dire, j'é- — 107 — prouve les plus vives sympathies. Il faut que je me fasse une sorte de violence pour ne pas me sroire au milieu d'elle, puisque, à mes côtés, je retrouve des collè- gues qui, comme moi, ont l'honneur d’appartenir à la Société des Antiquaires de Picardie. Ai-je besoin d'a- Jouter que l'attention bienveillante dont vons m'hono- rez en ce moment ne fait que me rendre encore l’il- lusion plus complète ? me D'OPN AS © a] PAR CNNS \Z © © X) OL <@ FX de 1 1} . RS UNE idée” entra nid} tot Mn Sri ait Berg shot «5 va L'AD bat eu 4 LAS 2 | Dadé “care !démé ndsintersilge cs Sa ee: jade de dim fes RÉFLEXIONS SUR LES LOIS ANGLAISE ET FRANÇAISE, RELATIVES AU JEU, Par M. QUENOBLE, PRÉSIDENT A LA COUR ROYALE D'AMIENS. ——— #0) 4 6-0 a — À Messieurs, Les deux numéros du Journal de la Société de la Morale Chrétienne, qui m'ont été confiés, contiennent peu d'articles dignes de fixer votre attention, Il en est un cependant qui, ( sous l'influence, peut- être de mes préoccupations habituelles ), m'a paru pouvoir servir de texte à une lecture utile. Cet article a pour objet la législation anglaise sur les jeux de hasard. Notre époque se. recommande par des investigations aussi graves que nombreuses. L'étude des législations comparées occupe une place nécessaire dans ces labo- rieuses recherches ; il est peut-être utile de ne procé- der à cette étude que par abstraction ; cela aura, au moins pour vous, le mérite d'une spécialité mieux ap préciable ; pour moi, l'avantage d'être moins exposé à — 110 — transgresser les limites de mes forces. Toutefois, et sans sortir du cercle raisonnable que je me suis tracé, après vous avoir dit quelle est la législation anglaise sur le jeu, quelle est la nôtre sur la même matière, je déduirai de la comparaison que j'aurai faite la con- séquence qui me paraît être la plus juste. La législation anglaise, en matière civile, déclare nulles toute obligation, toute créance, toute hypothè- que quelconques contractées pour argent perdu a jeu. Il y à plus, elle dispose que toute somme de 250 fr. ou plus, perdue au jeu et payée, peut être réclamée au gagnant, qui est obligé de la rendre, et que si le perdant ne l’a pas réclamée dans l’espace de trois mois, toute autre personne peut poursuivre le ga- gnant, non-seulement pour la somme perdue, mais pour une somme triple de celle-ci, auquel cas elle at- tribue au poursuivant la moitié de cette triple somme, aux pauvres l’autre moitié. Il y a plus encore : dans les actions de cette espèce, on peut poursuivre tout inembre de la chambre des lords ou de la chambre des communes, sans que le membre de l’une ou de l’autre chambre, qui est en butte à cette poursuite, puisse demander un abri aux priviléges du parlement. Vous devinez, Messieurs, par les dispositions que je viens de vous faire connaître, la sévérité nécessaire du droit pénal. En effet, les teneurs de jeux sur les places publi- ques, dans les rues on promenades, sant, par ce seul fait, considérés comme vagabonds, et traités comme tels. La police a le droit, sur la plainte de deux pro- — HN — 73 priétaires, d'entrer de force dans les endroits signalés comme maisons de jeu, de briser les tables et instru- ments, de saisir l'argent et toutes les valeurs qui s'y trouvent, et de conduire en prison fous les assistants. Alors commencent des poursuites contre ceux-ci indis- tinctement : les directeurs de la maison de jeu sont condamnés à un emprisonnement de six mois et à une amende de 2,500 fr. ; les autres personnes, même les curieux , sont condamnés à une amende de 125 fr. Mais là ne se bornent pas les rigueurs de la loi : elle poursuit ceux qui perdent 250 fr. en une séance ou 500 fr. en un jour, et leur inflige une amende de cinq fois le montant de la perte. Et comme si elle était fatiguée de punir, elle crée une classe de suspects ; elle permet d'exiger caution de ceux qui sont soupconnés de vivre du jeu. Par une exception bizarre, que je ne dois pas omet- tre, le jeu, qui est si énergiquement défendu eirca omnes, est permis aux domestiques, apprentis et ou- vriers, un seul jour dans l’année, le jour de Noël, mais seulement dans la maison de leurs maîtres et en leur présence. Telles sont les dispositions de la législation anglaise. La nôtre est plus simple, (je dirai ultérieurement si elle me parait meilleure ) c’est brevitas imperatoria. Au civil, point d'action pour une dette de jeu. Point d’action, même pour la répétition de ce qui a été volontairement payé, à moins qu'il n'y ait eu dol ou escroquerie. En matière criminelle, l’art. 410 de notre Code pé- nal punit d’un emprisonnement de deux mois au moins x et de six mois au plus, et d'une amende de 100 fr, à , nn — 6,000 fr., ceux qui auront tenu une maison de jeu. L'art. 475 punit d'une amende de 6 à 10 fr. ceux qui auront tenu, dans les rues, chemins où lieux pu- blics, des jeux de hasard. Vous êtes sans doute frappés, Messieurs, comme nous l'avons été, des différences que présentent ces deux législations; on peut affirmer que si leur intention est identique, celle de prohiber le jeu, les moyens d'y parvenir appartiennent à des points de vue bien dis- tincts. C'est sans doute par la loi que le pouvoir exerce plus particulièrement la mission de déclarer, d'une ma- nière inpérative, dans la sphère de l’ordre public, les principes du juste et de l’injuste, du bien et du mal; c'est même là l'un de ses devoirs les plus impérieux. Ce devoir sagement rempli, on comprend l'influence puissante et directe que peut exercer le législateur sur les opinions et les mœurs. Mais pour que le système qu'il veut fonder soit ef- ficace, c'est aux principes fondamentaux du vrai qu’il faut d'abord remonter; or ces principes n’ont-ils pas toujours été un objet de controverse, pour ne pas dire davantage ? Demandez plutôt à l’école de Condillac et de Kant , aux disciples de Bentham, et puis aux pro- sélytes de de Maistre. Demandez-leur ce que c’est que le juste et le vrai, et comment il est donné à l’homme de le reconnaitre, Les uns interrogent la raison et la conscience, les autres nient la conscience et mutilent la raison; les derniers n’avouent la conscience et ne reconnaissent la raison que pour les avilir et les dé- trôner. Trois codes criminels, dont l’un serait l'ouvrage d'un — 113 — Kantiste, l’autre d'un disciple de Bentham, le troi- sième d'un admirateur des Soirées de Saint-Pétersbourg, ne se ressembleraient pas plus que ne sont identiques entre eux le principe du devoir, le principe de l’inté- rêt et le principe théocratique. Si de ces généralités nous descendons au sujet qui nous occupe, nous voyons, non sans quelque tristesse, que le jeu, lui aussi, a eu sa part dans ces incessan- tes dissidences. Selon les théologiens, le sort est une chose destinée de sa nature à faire connaître la volonté de Dieu, et conséquemment une chose religieuse; or c'est en faire une profanation criminelle que de l’'employer à un usage aussi profane et aussi puéril que le jeu; ils concluent que tout jeu de hasard, par la profanation qu'il ren- ferme, à un vice intrinsèque qui ne saurait engen- drer aucune obligation, même dans le for intérieur. C'est le principe consacré par la législation anglaise, comme ïl l'avait été par nos anciennes ordonnances, entre autres par celle de janvier 1629, qui ne déela- rait pas seulement nulles toutes dettes contractées pour jeu, mais qui déchargeait les joueurs de toute obliga- tion civile et naturelle. J'ai hâte de dire que l'opinion n'avait pas ratifié ces sévérités, et qu’il est même remarquable que le tribu- nal des maréchaux, juge des questions d'honneur, au- torisait même l’action en justice jusqu'à concurrence de 1,000 livres. Pothier, l'homme de bien. l’homme religieux, mais aussi le jurisconsulte peuple et philosophe, disait dans un langage qui n'appartient qu'à lui : « C’est sans raison que les théologiens prétendent que 8. — 114 — le sort est en soi quelque chose de religieux. Il est vrai que les apôtres l'ont employé à cet usage pour l'élection de saint Mathias à l'apostolat ; mais c'est par une inspiration particulière; cet exemple ne peut être tiré à conséquence ; et un collateur, qui aurait aujour- d’hui recours à la voie du sort, pour connaître la vo- lonté de Dieu sur le sujet qu'il doit nommer à un bé- néfice vacant, serait regardé comme extravagant. Dieu dirige le sort d’une manière naturelle, comme il di- rige tous les autres événements, et la conséquence né- cessaire n'est pas que le sort soit quelque chose de religieux, et que ce soit une profanation d'une chose religieuse que de s'en servir au jeu. — S'il m'est per- mis, ajoute-t-il, de dire mon avis, j'incline à penser que ceux qui ont perdu, sur leur parole, à des jeux défendus , sont obligés, dans le for de leur conscience, de payer, et que celui qui a gagné n'est pas obligé de restituer. » Il est incontestable que le jeu est un de ces incon- vénients inséparables d'une grande société, une de ces maladies incurables contre lesquelles il n’y a que des palliatifs. Qui oserait même affirmer qu'il n’est pas un besoin de notre nature? Dans tous les cas, il est cer- tain qu'exercé par des personnes honnêtes, dans des proportions qui ne peuvent pas gêner leurs facultés, il n'a rien que n’approuve la bonne foi. C’est sous l'influence de ces idées pratiques que nos législateurs modernes ont pensé que le jeu, considéré comme délassement, n’était pas du ressort des lois, auxquelles il échappait par son peu d'importance; que considéré comme spéculation, il offrait une eause trop vicieuse pour légitimer une action en justice. — 115 — Ils ont pensé que si le joueur, plus sévère à lui- même que la loi, s'est tenu pour obligé dans le for intérieur ; si, fidèle à sa passion et délicat dans ses égarements, il acquittait ce qu'il avait téméraire- ment engagé, il ne devait pas être reçu à répéter ce qu'il avait spontanément payé. Je doute que la législation anglaise, en traquant les joueurs, en les poursuivant de ses pénalités et de ses suspicions, en intéressant la délation, en contredisant la conscience du joueur qui s’est spontanément acquitté, n'ait pas dépassé le but qu'elle se proposait. La loi gouverne mal si elle gouverne trop. Je crois que notre législation, en dédaignant ou mé- prisant le jeu, en lui refusant, dans tous les cas, son appui, en laissant d’ailleurs à l’action publique le soin de le poursuivre et de l’étouffer dans ses repaires, a disposé d’une manière plus sage, plus morale et plus conforme aux mœurs et à l'opinion publique. ce Lo ere ie Li tue. nt Mgiciateurs madern 00e shine Alnssomenr, n'es sdtuddllls Al deisanpoit «par tint peer Wiaporisnce & que consilééé poune Fasrs fric nc eauss trop vicisose proc tégiiliner en Acta en justicos © 8 , £ É 1 d ñ = ST —— . DISCOURS SUR LA RÉFLEXION CONSIDÉRÉE COMME L'UN DES CARACTÈRES DISTINCTIFS DE L'HOMME, Par M. MATHIEU. 0 QO———— Messieurs, Telle est la multitude des êtres qui nous entourent, telle est la diversité de leurs manières d'exister, que pour rendre plus facile l'étude qu’il en veut faire, l'homme a dû les classer d’après leurs principaux traits de ressemblance. Delà, les trois règnes de la nature ; delà, dans chacun de ces règnes, des classes, des ordres , des genres, des espèces, des variétés; classi- fication qui montre les admirables facultés de discerner, de comparer et d’abstraire , dont est doué l'esprit humain. Mais quelque admirables qu'elles soient, ces facultés ne peuvent répondre à l'inépuisable fécondité de la na- ture. À mesure qu'il avance dans l'étude des sciences naturelles, à mesure qu’il donne à ses examens plus de profondeur, l’homme reconnait l'insuffisance des li- mites qu'il s'est efforcé de tracer. Sur ces limites mêmes, signes et moyens de séparation, des êtres ne. nouvellement découverts, ou des êtres déjà counus, mais mieux observés, viennent s'emparer d’une position qu'il est parfois impossible de leur faire abandonner. Envain le naturaliste fait subir des modifications à sa méthode; envain il augmente le nombre de ses divi- sions; à la difficulté surmontée succède une difficulté nouvelle ; et son esprit, vaincu par ces obstacles re- naissants, se lasse plutôt de modifier que la nature de fournir. C’est alors qu'il s'arrêie, étonné de la grada- tion qu'il aperçoit , et qu'il s'écrie dans son admiration : la nature dans ses œuvres procède par voie de transi- tion ; natura non facit saltus. Eu supposant ce principe vrai dans son application aux minéraux, aux végétaux, aux animaux, On se tromperait cependant, si l'on prétendait qu'il est vrai dans tous les cas, et qu'il est applicable à l'homme lui-même quant à son être moral. Sous ce dernier rap- port, l'homme diffère tellement de’tous les êtres visibles, qu'en arrivant à luila gradation dont on aurait jusque- là supposé l'existence , devrait nécessairement se trouver interrompue. C'est de cette vérité que, sans énumérer la plupart des preuves dont il serait possible de l'ap- puyer, j'entreprends aujourd'hui d'eflleurer l'examen, en ne considérant dans l’homme intellectuel qu’un seul caractère aussi merveilleux qu'important , et qui n'appar- tient qu'à lui seul. On le nomme Réflexion ; et le sens de ce mot doit m'occuper d’abord, car s'il faut toujours être clair, il le faut principalement en matière de ce genre. Qu'est-ce que la Réflexion ? Serait-ce la méditation ?.. Mais la méditation comprend la Réflexion. — 19 — Serait-ce l'attention ?... Mais on peut être attentif sans réfléchir. La Réflexion, dit le code du langage, est une action de l'esprit qui pense muürement et plus d'une fois à quelque chose ; définition qui nous montre la pensée, soumise, pour ainsi dire, à cette action de l'esprit , comme le fruit à l'action de la lumière, se dévelop- pant peu à peu, prenant sa forme et sa couleur, et parvenant ainsi à sa parfaite maturité. Développement successif de la pensée , action itérative de l’âme, tels sont les caractères que cette définition nous fournit ; et sans en contester La convenance avec notre sujet, nous voudrions cependant, par le moyen d’un nouveau trait, déterminer, d'une manière plus précise encore, le sens du mot qui nous occupe. Dans l’ordre physique, il désigne un phénomène qui nous montre, dans le mouvement des corps, un chan- gement de sens, parfois un retour direct vers le mo- teur; le seul de tous les phénomènes naturels qui permette à l'œil de se voir; le seul qui multiplie de telle sorte les images d’un même objet, qu'il devient impossible d’assigner à cette multiplication d'autre li- mite que la portée de notre vue; phénomène enfin que l'on a cru pouvoir comparer à ce qui se passe dans l'âme, sauf l'imperfection inévitable de toute compa- raison entre la matière et l'esprit. Dans l'âme en effet se manifeste une espèce de mou- vement différent des autres par le sens, se dirigeant, pour ainsi dire, de la circonférence au centre, et re- venant ainsi vers son point de départ. Par ce mouve- ment, l'œil intellectuel se considère, l'âme se voit dans ses impressions et ses actes, et le phénomène se multiplie aussi longtemps que le permet notre force morale. De semblables rapports ‘ont fait donner à ce phéno- mène le nom de Réflexion , et ce nom s'applique, tantôt à la puissance de l'âme qui le produit, tantôt à l’action de cette puissance, et tantôt à son effet; le premier de ces trois sens est celui qui 1ous convient. Nous considérerons done la Réflexion comme une puissance d'action de l'âme sur elle-même, principale- ment comine la puissance de se voir, car les actions subséquentes supposent cette première action; et nous avons à peine ajouté ce caractère à ceux dont nous avons parlé d'abord, que déjà nous nous trouvons en présence d’une merveille. Tout agent dans la nature exerce son action sur une substance différente de la sienne ; et si l’on voit quel- quefois des êtres agir sur eux-mêmes, ou bien leur action n'est pas immédiate, ou bien ce sont des êtres composés dont les parties agissent les unes sur les autres. L'action directe d’une substanee sur elle même, que nous chercherions envain dans le monde physique , et qui surprend notre intelligence, l'esprit humain la découvre en lui cependant, et ne peut l’y découvrir que par cette action même. En l'exercant , il aperçoit bientôt les phénomènes in- térieurs dont il est l’objet : luttes de la volonté, per- ception du témoignage des sens, travail de l'intelligence, il voit tout; avide de savoir, il cherche à pénétrer plus avant dans les mystères de son être; et le voilà se parlant, s'écoutant, s'interrogeant, se répondant , se modifiant, réunissant en lui la cause et l'effet, lob- servateur et l'observé, la science, le sujet de la science ÉOE et les moyens de lPacquérir ; le voilà se mettant dans son propre creuset, travaillant à son analyse, se fai- sant à lui-même sa psycologie, non pas en soumettant une faculté inférieure à l'examen d’une faculté supé- rieure, mais ne laissant rien en lui de si intime, de si excellent, jusqu'à sa réflexion même indéfiniment prolongée, reproduisant tout et se reproduisant elle- même, qui ne devienne l’objet de ses réflexions et de ses jugements. Possesseur, pour ainsi dire, d’un miroir merveilleux où toutes ses actions viennent se peindre elles-mêmes par leur propre lumière, et rayonnent en- suite vers leur centre, il ne peut faire un mouvement sans l’apercevoir aussitôt, et sans que cette perception ne se réfléchisse également, donnant ainsi, dans l’uuité de son essence, des signes d'une incompréhensible pluralité. Je n’entreprends pas, on le conçoit, d'expliquer ces signes de pluralité, et cette réunion dans l'âme du principe et de l’objet de l'action, que la Réflexion nous fait voir; j'ai seulement voulu les indiquer pour justi- fier l’épithète de merveillense donnée tout d'abord à la puissance de réfléchir ; et le langage qui doit nécessai- rement refléter les principales vérités psychologiques vient à l'appui de cette indication. Sans parler des verbes que les grammairiens appellent réfléchis, parce que le sujet en est en même temps le régime, ne dit-on pas tous les jours que l’on est vis- à-vis de soi-même, que l’on tient conseil avec soi- même, et souvent même n'emploie-t-on pas le pluriel pour énoncer le jugement qu'une délibération a précédé ? Le langage moderne présente une foule de locutions de ce genre, et le langage ancien ne peut en être dépourvu , puisque les vérités psychologiques que l'homme — 122 — porte avec soi, sont de tous les temps et de tous les lieux; et quoique les philosophes de l'antiquité ne se soient pas servi de la même figure, et u’aient pas em- ployé, comme les philosophes modernes, le mot ré- flexion, leur langage cependant doit présenter les traces d’un phénomène qu'ils ne pouvaient ignorer. Chez eux l’action itérative de l'âme, l’un des carac- tères de la réflexion morale, supposant toujours une action première faite ou reçue , comme la réflexion phy- sique suppose l'incidence, est fréquemment exprimée ; et, quand ils emploient les mots recogitare, pour rendre l’action de rassembler les idées, rursus perpendere, pen- sare, celle de les peser, reputare, celle de les purifier, ponr ainsi dire, et de les séparer de tout ce qui n'est pas elles, c'est toujours d’une action répétée qu'il s’a- git, ainsi que l'indique d'ailleurs la particule qui pré- cède plusieurs de ces mots. Les prépositions cv chez les Grecs, et cum chez les Romains, sont des signes d'union et de pluralité; unies à un mot, elles en modifient le sens d’une manière qui se rapporte à ce que nous avons avancé. Des verbes vos et scire, par exemple, signifiant penser et savoir, elles font suysouy et conscire, exprimant aussi les actions de penser et de savoir, mais avec réflexion, mais par la réflexion, mais avec les pronoms personnels £asrà, se, sous-entendus ; ainsi des noms sdyos et scientia, signifiant science ou vue, car la vue, le regard, est l’action principale de l'intelligence , elles forment suveducis et conscientia, qui signifient conscience, c’est-à-dire une science de soi-même, que l’on acquiert avec soi-même, sur le témoignage de soi-même, une science de la science, une vue de la vue. — 193 — Action réfléchie, souvent aussi manifestée dans Îles deux langues par l'identité du régime et du sujet; et la fameuse maxime of œuvroy, nosce teipsum, Si sou- vent répétée par les maîtres les plus célèbres et même par les oracles, maxime qui n’est autre chose qu'une invitation solennelle faite à l’homme de réfléchir, ex- prime bien en même temps l'action de l'être pensant sur lui-même, et l'extrême importance que les philo- sophes des anciens jours attachaient, avec raison, à cette action de l'esprit. Je dis avec raison; car, si le langage ancien, comme le langage moderne, nous fait apercevoir à chaque ins- tant les admirables effets du phénomènes de la ré- flexion ; si, comme nous l'avons vu, rien n’est plus merveilleux que ce caractère de l'esprit humain, rien aussi n’est plus important; et soit que nous considérions la Réflexion comme agissant sur l’être réfléchissant lui- même, sur ses facultés, sur la manière dont elles opé- rent, soit que nous la suivions dans les différents de- grés de perfectionnement qu'elle procure aux ouvrages de l'homme; toujours nous la verrons, sous chacun de ces aspects, se présenter à notre examen comme un caractère de la plus haute importance. Si l'âme se manifeste à elle-même sa propre existence, c’est par la Réflexion; et telle est la force du témoi- gnage qu'elle se rend à ce sujet, que l’on essaierait en vain de le détruire. J'enlève, dit Broussais, uu peu de matière sur le cerveau d'un malade, et ce malade qui ne parlait plus commence à parler ; donc son âme c’est son cerveau... Donc, aurait-il été forcé d'ajouter, les progrès de l’es- prit humain sont les progrès du cerveau ; donc le cer- — 124 — veau s’est trompé quand il a cru, pendant six mille ans, qu'il était au service d’une âme ; done, toute la différence entre les plus beaux génies et la brute con- siste dans un cerveau d'une plus grande capacité , d’nne organisation plus délicate; donc le caractère d'unité que l'on admire dans leurs ouvrages ne se trouvait pas dans les auteurs; done l'esprit, c'est la matière, la Psychologie, c’est l'Anatomie ; donc il faut changer le langage ; donc enfin uue série de conséquences , toutes plus étranges les unes que les autres, qu'il serait trop long d’énumérer et que chacun aperçoit... Donc cepen- dant, aurait dit, en présence du même fait, un autre que Broussais , l'âme, pour parler, doit trouver dans le cer- veau les conditions nécessaires au concoars dont elle à besoin. Si l'homme perd quelquefois la connaissance de ce qui se passe en lui-même, lorsque ses organes subis— sent une grave et subite perturbation, il n'en est pas de mème lorsqu'il survient dans son organisme des mo- difications moins importantes. La Réflexion alors lui fait apercevoir l'action qu’exerce sur sa parole, non seule- ment sur sa parole extérieure et sonore, mais sur sa parole intérieure et silencieuse , que lesprit seul entend, et que nous nommons la pensée , l'état de son cerveau, soit qu'il précipite, dans une excitation dont l'âme se défie, le cours de la parole, soit qu'il le rende plus lent et plus pénible, à cause de la fatigue et du re- lächement de son tissu ; dans le premier cas, l'âme cherche à modérer, et dans le second, à ranimer l’activité cérébrale. Moteur intelligent, uni d’une ma- nière inexplicable à un mécanisme merveilleux, elle examine et l’action qu’elle en reçoit, et les liens qui ut ly attachent, et les ressorts dont cette machine se compose ; examen qui prouve d'une manière invincible qu'elle ne peut être la machine elle-même, et que l'être qni juge ainsi de ses rapports avec un organe en est essentiellement différent. L'âme s'apercevant par la Réflexion comme une cause distincte du corps, a donc pu se dire à soi-même : Je pense, je suis pensante, je suis; et c'est parce qu'elle est capable de comprendre ces derniers mots, qu'elie à été capable de recevoir le langage et d'exprimer clai- rement sa pensée. Le langage, en effet, c'est le verbe, et les noms ne font pas plus le langage que les pierres ne font l'édi- fice. Sans le ciment qui les unit, sans leurs rapports de forme et de position, sans leur conformité avec le plan, les pierres, entassées au hasard , ne présenteraient à l'œil attristé que confusion et que désordre. Il en se- rait de même des noms, et sans l'affirmation des rap- ports qui se trouvent entre eux, entre les idées qu'ils représentent , le langage serait incohérent et confus, si toutefois on pouvait encore l'appeler un langage ; ce se- rait un Cahos où brillerait à peine une faible lueur. Mais le verbe est la lumière qui vient l’éclairer, l'ordre qui vient le débrouiller. Le verbe est l'expression de l'être, des qualités et des rapports des êtres ; et comme ces rapports et ces qualités n'existent pas en réalité sans les substances qui les possèdent , tout verbe com- prend, dans son sens, le verbe substantif, sans lequel il n’y aurait plus de verbes, et par conséquent point de langue. La langue repose donc tout entière sur le verbe être, et le verbe être lui-même sur la puissance de la réflexion qui permet à l’homme de le comprendre. — 126 — L'expression ou l'affirmation de l'être, de ses qualités et de ses rapports, c’est-à-dire de ce qui est, c’est- à-dire de la vérité, voilà donc le but du langage, le but auquel l'âme s'efforce d'atteindre. Elle voit ses idées , les compare, en affirme le rapport, elle pense; de deux pensées comparées elle en déduit une troisième, elle raisonne ; puis, avec les résultats de ses raisonne- ments, coordonnés, disposés par séries, elle forme la science. Telle est sa marche, soit qu'elle s'appuie sur l'expérience comme en physique, sur le témoignage comme en histoire, sur la liaison nécessaire des idées comme en mathématique; et dans cette marche la Ré- flexion non-seulement l'observe, la suit, la soutient , la rectifie, mais lui fournit les moyens d'avancer. On conçoit en effet que toutes les vérités ne peuvent être le résultat du raisonnement, puisque le raisonne- ment suppose l'existence de vérités préalablement ad- mises sans raisonner. Autrement, il serait impossible de raisonner, ou bien il faudrait raisonner à l'infini sans jamais arriver aux points de départ. Ces points de départ ne sont autre chose que des faits, visibles à la plupart des esprits, généralement admis comme incontestables; et sans rechercher ici quel doit être le premier de tous, chacun sait que les faits attestés par le sens intime, par la Réflexion, sont de la plus haute évidence, et qu'ils exercent sur l'âme un tel empire, que celle-ci ne peut presque jamais leur re- fuser son adhésion. Forte de ces vérités premières et de celles qu'elle obtient en les décomposant, l’âme exerce sa faculté de raisonner, et bientôt la Réflexion, manifestant à l'âme toutes les opérations de ce genre, permet au raisonne- — 127 — ment d'agir sur lui-même, et de tracer ses propres règles. Ainsi se forme la logique dont nous n'avons pas à suivre les développements ; il nous suffit de voir que la Réflexion est comme la base de cette science qui ne pourrait exister sans elle. Il en serait de même de la morale; car, si c’est en vertu de sa puissance de réfléchir que l’âme peut se dire à elle-même: je pense, c'est aussi en vertu de cette même puissance qu'elle peut se dire : je veux, et qu'elle voit parconséquent et sa volonté, et le but que sa volonté se propose, but qui doit toujours être le bien comme celui de l'intelligence est le vrai. Sans ce témoignage que l'âme se rend à elle-même sur sa volonté et sur son but , que deviendraient la conscience et ses arrêts? Que deviendrait la morale? Que devien- drait le bonheur ?... Est-il besoin d'insister davantage, et faut-il passer en revue toutes les facultés de l'âme, pour faire voir combien la Réflexion leur est néces- saire ? La Réflexion semble les surpasser toutes, pour ainsi dire, en ce sens qu'elles les aperçoit toutes, les dis- tingue, les centralise, et les appelle successivement au travail, non-seulement sur un même sujet qu'elle leur représente sous toutes ses faces, comme le for- geron présente le fer aux marteaux qui le frap- pent, mais encore sur elles - mêmes et sur leur action ; de sorte qu'elle les développe en augmentant leur force d'une manière indéfinie; sous ce rapport, on peut la regarder comme la source de la perfecti- bilité. Avec son secours, quelle force ne déploie pas la = 498 — volonté, le premier de tous les moteurs, le seul mo- teur véritable à proprement parler, s'il n’est comparé qu’à des moteurs matériels indignes de ce nom, le seul capable d'imprimer un mouvement qu’il n’a pas recu, le seul dont l'impulsion n’est pas soumise aux lois ob- servées dans la transmission du mouvement des corps! Quelle pénétration n’acquiert pas l'intelligence , et quelles vérités ne parvient-elle pas à découvrir! Un monde de prodiges s’ouvrirait devant nous, si nous voulions la suivre dans ses découvertes. Excitée par la volonté, développée par la Réflexion, nous la verrions devenir la première de toutes les forces et commander aux éléments; nous verrions le plus terrible , le feu, servir comme un instrument docile à l’exécution de ses des- seins; nous la verrions indiquer une direction à la foudre , la diviser, l’emprisonner, et la lancer ensuite comme un messager plus prompt que la lumière pour transmettre au loin sa pensée; nous verrions l’eau se composer et se décomposer à son gré, les images ré- fléchies des corps cesser d’être fugitives, et la nature qui jusque-là servait de modèle, forcée de devenir artiste à son tour, et de graver elle-même ses propres ouvrages, en faisant un burin d’un agent insaisissable; nous verrions la terre étonnée de présenter à sa sur- face ce quelle renfermait dans son sein; d’étroits et d’inébranlables sillons se prolongeant au loin, par- dessus les fleuves, à travers les montagnes ; sur eux, l’homme parcourant son domaine, et faisant traîner son char par un nuage brülant, rapide comme loi- seau, fort comme un tourbillon capable d’entrainer une armée; nous verrions les cieux s’abaisser, pour ainsi dire, afin d'approcher leurs mondes à la portée de nos ; —4h9 — regards; nous entendrions l'astronome appeler dans les profondeurs de l'espace une planète inconnue dont il proclame l'existence, dont il a déterminé d'avance la position , la masse, les mouvements, et l’astre, obéis- sant à sa voix, répondre comme aux premiers jours : me voici. Sur quelle série de merveilles déjà produites, et de merveilles espérées, j'aurais à promener vos re- gards, sur la terre et dans le ciel, si la nécessité de me renfermer dans mon sujet ne me forcait pas de vous l'indiquer seulement comme un effet de cette per- fectibilité que donne la Réflexion. Quel que soit l'objet sur lequel les forces humaines se trouvent dirigées, la Réflexion les combine, les aug- mente et leur fait produire les plus grands effets. Le génie lai doit l'excellence de ses ouvrages, le goût ses règles les plus sûres, l’éloquence ses principes, le Parnasse ses lois, et c'est de son foyer que partent ces rayons qui éclairent tout lempire des lettres. A sa lumière, la sensibilité morale se développe, se per- fectionne; l'amour da beau transporte Îles esprits; la matière se soumet aux formes que lui donne la pensée ; elle en devient l'expression, et les Beaux-Arts prennent leur essor. Mais en considérant l'importance de ses effets n'ou- blions pas qu'elle ne les produit que d’uue manière progressive. Avant d'imprimer le respect et l'admiration par la majestueuse figure de son Jupiter Olympien, le ciseau de Phidias aura brisé plus d'une ébauche, et ce nest pas sur une première toile que le pinceau de Raphaël a soulevé dans les airs la divine transfiguration. C'est par des efforts répétés, des tentatives maultipliées, et parfois infructueuses, que l'homme parvient aux ré- 9. — 130 — - sultats que nous admirons ; bien éloigné, sous ce rap- port, des animaux dont la manière toute différente d'agir nous démontre avec évidence, que ce caractère de la Réflexion, le plus merveilleux comme le plus important des caractères, n'appartient qu'à l'homme seul. Au lieu d'être l’objet de longues études comme celui de l’homme, au lieu de se développer par des améliora- tions successives, le travail des animaux se montre d’abord dans toute sa perfection ; et jamais, dans la longue suite des siècles, aucun changement ne s'y fait re- marquer. Les abeilles de nos jours construisent encore leurs alvéoles comme elles les ‘construisaient du temps de Virgile, et comme elles les construiront dans les siècles à venir; c'est, et ce sera toujours le même plan, toujours la même dimension, et toujours la même forme; et, ce qui nous parait très-remarquable , c'est que nulle autre forme, dans une construction de ce genre, ne pouvait mieux ménager la matière et l'es- pace ; de manière qu'en faisant des cellules hexagones, terminées en pyramide, ces mouches industrieuses ont résolu tout d'abord un problème dont les géomètres furent longtemps à donner la solution. Le plus habile de nos tisserands serait-il capable, je ne dis pas de faire une toile d’araignée , mais seule- ment d'indiquer la manière dont l’araignée de nos jar- dins doit s'y prendre, pour tendre , entre les arbres d'une allée, son premier fil? Peut-être son embarras serait grand. Pour l'insecte , au contraire , point de dif- ficultés ; et, quand il n'aurait jamais vu de travail de ce genre, quand il n'aurait jamais communiqué avec des insectes de son espèce, il va , sans hésiter , sus- — 131 — pendre et former ce délicat tissu dont il doit occuper le centre, et que le vent et la pluie ne détruiront pas. Il faut une boussole au marin pour se guider sur l’Océan ; encore se trompe-t-il quelquefois de route ; en faut-il une au pigeon pour se conduire dans sa na- vigation acrienne , dans cet océan de l'atmosphère plus vaste encore que le premier? Transporté dans une pri- son obscure, à plusieurs centaines de lieues de son pays, voyez-le, lorsqu'il recouvre tout-à-coup sa liberté, s'é- lever dans les airs, tourner sur lui-même ; une minute ne s'est pas écoulée, et déjà son parti est pris; le voilà qui s'élance dans l’espace, et décrit, par son vol rapide , celle de toutes les lignes qu'il était possible de prendre , qui conduit le plus directement à son nid. Que d'exemples de ce genre on pourrait citer encore, et dans lesquels on ne sait ce que l'on doit admirer le plus, où la difficulté de l’entreprise , ou la faiblesse ap- parente de l'être qui la surmonte ! Ils prouvent bien que l'intelligence des animaux se- rait, sous beaucoup de rapports, au-dessus de la uô— tre, si leur conduite était le résultat de leurs réflexions: et Sils n'étaient pas dirigés, dans ce que nous appelons leur instinct, par une intelligence supérieure qui les à parfaitement organisés pour la fin qu’elle se proposait. Leurs manières d'agir, et l’existence de la réflexion chez eux sont incompatibles ; et cette vérité se montre à tout observateur attentif. C’est pour cela sans doute que Rousseau à dit : L'homme qui réfléchit est un ani- mal dépravé ; et c'est aussi pour cela que nous dirons : L'homme réfléchit, l'homme est perfectible , donc sa nature différe essentiellement de celle de l'animal, donc, entre l'animal et Ini, point de gradation possible. 9.* — 132 — Conséquence certaine , et que l’on aurait tort de re- jeter comme l'effet d'un sentiment d’orgueil.….. Il ne s'agit ici, ni dorgueil, ni d’humilité ; il s'agit de la vérité ; et quand la vérité se montre avec d’inimita- bles caractères, le premier devoir d’un esprit droit n'est-il pas de lui rendre hommage ? Faut-il la rejeter, quand elle nous élève? L’adopter, quand elle nous abaisse ? Agir ainsi, ne serait plus de l'humilité, ce serait de l’absurdité. Aussi, ne craindrons-nous pas de le dire, l'homme debout sur le globe qui l'emporte à travers l'espace, élevant vers le ciel un regard où brille un feu divin, entouré d'êtres soumis à son empire , nous parait plus grand que ce globe lui-même dont il pèse la masse et calcule la vitesse, plus grand que ces autres globes semés autour de lui comme une brillante poussière, parce qu'il se voit et que ces globes ne se voient pas; et parce que la puissance de se voir, la Réflexion, est le plus grand, le plus étonnant et le plus rare des priviléges. En vain objecterait-on que l'animal peut être dressé, qu'il est capable d’acquérir par une éducation suivie, des connaissances qu'il n'aurait jamais eues sans elle, et que l’ou parvient par ce moyen à lui faire donner des preuves d'une intelligence étonnante. Nous sommes loin de nier ces résultats, et uous faisons observer que ce n'est pas l'animal qui les obtient en se modifiant lui-même, mais que c'est l'homme, intelligence supé- rieure , qui les amène et les combine en modifiaut l'a- nimal, en produisant chez lui des liaisons d'idées dont l'effet est facilement prévu ; l’idée de coups à recevoir, par exemple, dans une circonstance donnée , ou d'une — 133 — nourriture abondante à consommer dans une autre, Tous les ressorts qui font mouvoir l'instinct de l'animal, sont mis en œuvre par l'homme pour se faire obéir; et, si le maître cesse d’agir , l'élève a bientôt oublié les le- çons qu'il a reçues ; il ne les transmet jamais à ses semblables, ne va jamais au-delà, et toute sa science, s'il la conserve, meurt avec lui. Qu'il y a loin de cette science purement mécanique, de ces pensées confuses, de ces lueurs de raisonne- ment, avec la pensée clairement exprimée par le lan- gage , avec cette action progressive de l'être intelligent sur lui-même, avec la Réflexion ?..... La distance est immense , il faut en convenir. Et l’on en conviendrait effectivement, ajoute ici le partisan de la gradation continue, s’il n'existait que des hommes de génie ; mais l'enfant ?... mais l'insensé ?... mais l'idiot ?... Quand il s'agit de comparer des êtres, il faut les prendre complets, et non dans un état qui les empé- che de présenter tous les caractères de leur espèce. Irez-vous , pour déterminer le genre d'uue plante, chercher dans une cave un individu faible, étiolé, sur lequel les caractères distinctifs ont disparu? Ou bien choiïsirez-vous un embryon composé de rudiments im- perceptibles. Ce n'est pas ainsi que la science a cou- tume de procéder. Il faut, rous l’avons vu , pour le libre exercice des facultés de l'âme , pour l'exercice de ces facultés qu'elle possède en puissance, même lorsqu'elle ne peut en produire les actes, que les or- ganes auxquels elle est unie se trouvent dans les con- ditions exigées pour l'exercice régulier de leurs fonc- tions ; c'est une conséquence de son union avec le — 134 — corps. Choisir, pour juger de cet être intelligent, des individus dépourvus de ces conditions nécessaires , qui se trouvent ou qui sont tombés dans une situation tout- à-fait exceptionnelle, c'est prendre un point de vue capable de tromper. Le discernement d’ailleurs que fait l’homme de ce qui sort de son état normal , de ce qui rend son être in- complet, prouve en lui le sentiment de l'ordre et la paissance quil a de se voir et de se juger. Et puis- que cette puissance lui donne un caractère d’une si grande importance , puisqu'il est le seul , entre tous les êtres qu'il aperçoit, capable de se dire à soi-même : Je suis un esprit servi par un corps, pourquoi pré- tendrait-il continuer une gradation à laquelle s'oppose la siugularité de sa nature , et voudrait -il se ranger parmi les animaux dont il diffère essentiellement par ce qu'il trouve en lui de plus considérable. Le classifica- teur ne doit pas être classé. Certainement , il tient à la chaîne des êtres visibles par la matière organisée dont il est en partie formé; mais celui qui reconnaît l'existence de cette chaine, qui la suit dans ses développements, qui la construit par la yensée , est nécessairement supérieur aux éléments dont elle se compose. Pendant que son corÿs la touche, son esprit, libre dans son essor, plane sur elle et la juge; il la considère comme la réalisation d’une pensée créa- trice, comme soutenue par une invisible main ; en de- hors d'elle par la Réflexion, il la soulève pour ainsi dire , et l'offre à son auteur comme un effet merveil- leux d’une puissance infinie, effet lui-même plus mer- veilleux encore , puisqu'il est capable d'un tel acte et de s'apercevoir en le faisant. — 135 — En vain aurait-il voulu , dans son vol au-dessus de cette chaine immense , chercher un être qui fut, ou son image, ou son modèle ; aucun n'est capable de le connaître ; aucun ne se connait; nulle part la Ré- flexion. Et l’on voudrait qu'il cessät d’apercevoir la différence, ious dirons même l'opposition de sa nature avec celle des animaux; quil iwéconnut sa dignité; quil vint, repliant ses ailes brillantes, se placer obseur et immo- bile à côté de l’un de ces êtres rampants et qu'il dise : Regardez; moi aussi je prouve la gradation. Natura non facit saltus. Loin de nous cette triste pensée , la Réflexion, nous l'avons vu, repousse cette application de principe; elle nous défend de dégrader à ce point un être de cette excellence , d’éteindre dans la boue sa divine lumière, et d'enchairer ainsi l'explorateur des mondes, le ci- toyen de l’imrensité. ar rs von | doser couts abs rasionin üv can eah lot ds jrs nas à Hrhè br ot | svt out bed ai dit nosbaistbbe mes ailsn ser Ag ot coton Vas» d'essai hope 9 ratée otre Be de tenir en Mes ie incl. ‘Mist apr). A7 RH à # als. sde thai due, Mt hinflilee st pe Cane dun. h efu ne-pariie lurmé; anis nntisé mé déesse. 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MESSIEURS, A mesure que nous avancons dans la vie, l'expé- rience qui nous vient avec l'âge nous accoutume à cette idée, que la destinée humaine est une succes- sion de plaisirs et de souffrances, de satisfactions et de regrets; si quelque bonheur nous arrive, nos regards inquiets se portent sur l'avenir, et au travers du voile mystérieux qui l'enveloppe, nous craignons, souvent à bon droit, d'entrevoir quelque douloureuse compensa- tion. Pourtant, Messieurs, chaque homme, s'il main- tient sa vie dans le cercle borné de la famille, peut avoir ses instants de pure jouissance. — Qu'il se ren- ferme dans le présent, et il lui sera parfois donné de goûter sans trouble le bien qu'il y rencontre. Son ho- rizon est étroit, plus facilement le ciel en sera d'azur et le soleil sans nuage; mais c’est un privilége que cette espèce d'isolement peut seul couférer et dont ne — 138 — jouit point l'existence collective et multiple des socié- tés telles que la nôtre. Nous vivons, Mestieurs, dans chacun de nos collègues; dans chacun d'eux aussi nous sommes vulnérables, et quand vos fêtes annuelles vous réunissent ici, il est bien rare qu'une pensée de deuil ne vienne pas en attrister les joies. — Presque toujours une voix s'élève pour dire, non pas à vous qui en connaissez, qui en sentez l'étendue, mais à cette as- semblée bienveillante qui nous écoute, les pertes re- grettables que l’Académie a faites. Cette voix, ce sera aujourd'hui la mienne. A moi, nouveau venu dans vos rangs et qui n'ai fait qu'y passer, vous avez confié la mission douce et triste de ramener un instant parmi vous un collègue que la mort vous à ravis, un homme plein de cœur et de raison, que dans cette cité cha- cun à connu, que beaucoup ont aimé, que tous ont estimé ; un de ces hommes rares, en un mot, dont le nom vient se placer dans toutes les bouches quand il est question d'honneur, d'intelligence et de courage. Oh! je vous remercie, Messieurs, d'avoir transmis au succes- seur de M. Roussel, parmi les droits de son héritage, celui de glorificr sa mémoire! ‘Obligé d'abdiquer tous les autres, j'ai pu, grâce à vous, conserver celui-là, et je vais en user pour exprimer une fois encore les regrets universels qui se sont fait entendre quand nous l'avons perdu, — Ce ne sera point un panégy- rique, ce ne sera pas même un éloge : ce ne sera qu'un récit, auquel chacun de nos auditeurs pourrait, j'en suis sûr, ajouter une page. Cette mort, en effet, n'est pas de celles où Foubli vient après le deuil, et où s’effacent presque aussitôt les derniers vestiges d'un passé que la tombe a reçu AD — tout entier; non, Messieurs, il n'en est point ainsi dans de telles circonstances. Quand le temps, ce grand consolateur de toutes les souffrances morales, à dans son vol effleuré de son aile nos regrets les plus amers, il emporte avec Jui la douleur, mais il nous laisse le souvenir. C'est dans ces moments de calme qu'on juge et qu'on apprécie mieux l’homme utile et dévoué qui n’est plus. C'est alors qu'en jetant les regards autour de soi, on sent plus vivement le vide qu'a laissé sa disparition. — Ces impressions, Messieurs, vous Îles éprouvez certainement aujourd'hui, vous parmi lesquels M. Roussel, grâce à la variété de ses études, à la puissance de son organisme intellectuel, avait le pri- vilége de représenter à-la-fois l’Université, le barreau et la magistrature. — Chacune de ces trois carrières avait été successivement la sienne ; et telle était, Mes- sieurs, l’admirable docilité avec laquelle son esprit obéissait aux ordres de sa volonté, que dans ces trois positions si diverses , il apparut toujours comme une intelligence supérieure, à la différence de celles qui, trop souvent. perdent en profondeur ce qu’elles ga- gnent en surface. — Voué d’abord à iinstruction pu- blique, il s’y était livré avec cette ardeur sans réserve que les âmes de sa trempe envisagent comme un de- voir, jamais comme un effort. Sa jeunesse tout entière se passa dans les coiléges, sans que le monde püt réussir à le distraire des occupations souvent bien pénibles aux- quelles il s'était consacré. — Je lui ai parfois entendu dire, avec une simplicité dont il ne faisait point pa- rade, que , dans le cours de plusieurs années, alors que, devenu censeur des études, sa responsabilité était pour ainsi dire tout entière envers lui-même, une seule — 110 — fête, pendant une seule heure, l'avait séparé de ses élèves; et cette heure il la regrettait, Messieurs ! Une pareille abnégation ne devait pas rester complètement stérile pour lui; car il n’est pas de devoir qui, par un accomplissement aussi exact, n’élève l’âme ou n’agran disse l'inteliigence : c'est un bénéfice moral qui, dans le présent et dans l'avenir, dédommage l’homme de mérite auquel les autres récompenses ont fait défaut. — Ainsi M. Roussel, qui, pendant longtemps avait vu se développer sous ses yeux les progrès et les résul- tats de l’éducation publique, comprenait et expliquait mieux que personne le rèle immense qu'elle est appe- lée à jouer dans l’œuvre de la civilisation moderne. — L'éducation publique c'était pour lui un foyer ar- dent d'où s'élancent inépuisables les rayons de lumière qui viennent éclairer la. marche de l'humanité. — Que ne doit-on pas attendre, en effet, de cette grande im- pulsion commune qui saisit et rassemble les généra- tions presque à leur naissance, et dont tous les ef- forts tendent à établir la variété des idées avec l'unité des sentiments? N’est-elle pas le moyen le plus sûr de faire entrer ou fond de tous les cœurs l'amour du pays, la religion du devoir, l'attachement à la famille, le culte de la divinité? L'exemple de nos égaux, de nos pareils, sera toujours le plus énergique des enseigne- ments, et protégés par une surveillance vigilante, les bons exemples se propagent et fructifient ; sur-le-champ flétris, les mauvais sont frappés de stérilité et d'impuis- sance. — Voilà, pour le cœur humain, quelques-uns des avantages de l’éducation publique. — Bien pré- cieuses aussi sont les habitudes qu’elle enracine dans nos esprits. — L’échange des idées, la lutte des opi- — A41 — nions, la libre discussion des principes, le contrôle de leurs applications, ce sont là les bases de son ensei- gnement, c'est-à-dire qu'elle nous apprend à transpor- ter dans l’ordre intellectuel l'irrésistible puissance de l'association. M. Roussel était vivement frappé de ces considéra- tions, et par une conséquence rationnelle, il ne vou- lait pas que les germes d'intelligence heureusement fé- condés pendant la jeunesse pussent jamais retomber dans l’isolement et s'y dessécher. — Aussi toutes les œuvres entreprises, toutes les institutions fondées à cette fin étaient-elles sûres d'obtenir sa sympathie et son con- cours. — Vous en avez pu juger, Messieurs, lorsque le temps l’eut ramené parmi nous, au sein de son pays natal, et tari eufin pour lui cette source de re- grets que l’absence de la patrie ouvre toujours au cœur de ses enfants. — Riche de la science qu'il avait amas- sée, il n’en était point avare, et je n'ai pas besoin de rappeler avec quel dévoüment désintéressé notre regretté collègue, enfin reconquis au professorat, enseignait à cette ville industrielle les utiles notions du droit com- mereial. — Ce cours si intéressant, fondé sous vos auspices, ne périra point avec lui, nous en avons l'assurance; le collaborateur qui s'était associé à sa pen- sée en a recueilli l'héritage : bientôt nos élèves négo- ciants comprendront peut-être mieux quils ne le font aujourd'hui l'importance de cet enseignement; et ainsi, même au-delà du tombeau, M. Roussel aura encore rendu un éminent service à ses concitoyens. Appelé parmi vous depuis longtemps, il se montrait fier de vous appartenir; car il n'était pas de ces es- prits superficiels qui, laissant tomber un regard dédai- ’ = hi — gneux sur Îles Académies départementales, méconnais- sent sans examen la portée de leur mission ou l'efficacité de leurs efforts. — Dans son opinion sagement raisonnée, l'influence qu'elles exercent était pour le pays un ines- timable trésor, précisément parce qu'elle a sur celle des grandes compagnies savantes l'avantage d'être plus immédiate et plus locale. — Comme un de vos der- niers directeurs qui me permettra, à moi qui déjà ai beaucoup reçu de lui, de lui emprunter encore ses heureuses expressions, M. Roussel se disait que vos travaux gopularisent la science, la font descendre des hauteurs de la théorie, en préparent, dirigent, propa- gent les applications, et par mille voies faciles la font entrer dans la vie pratique (1). Quelques années avant l’époque où il pouvait ap- précier ainsi des travaux auxquels lui-même partici- ptit, une révolution s'était faite dans son existence. Des déceptions qu’un homme de sa valeur n'aurait pas dû rencontrer l'avaient déterminé à quitter l'Université. Mais il n'était pas, vous le savez, de caractère à se laisser accabler par un mécompte, et il se prit à re- construire courageusement sa vie. Déjà parvenu à son àge mûr, depuis longtemps professeur , il n'hésita point à se refaire écolier, et avec cette ténacité qui mène infailliblement au succès, il reporta sur l'étude da droit toutes les forces de son esprit. Ce qu'il fut au bar- reau , Messieurs, je ne vous l’apprendrai pas. La pro- fession de l'avocat a ce bel avantage qu'elle s'exerce au grand jour de la publicité, qu'elle met en relief tous les mérites comme elle signale tons les défauts. 4) Discours prononcé par M. Hubert, à la séance publique de 1840. — AS —— — M. Roussel sortit honorablement de cette épreuve, et personne äu Palais n'a oublié la sagacité avec la- quelle il creusait l'examen de ses affaires, la clarté qu'il portait dans leur exposé, la loyauté complète dont il empreignait toujours leur discussion. — Esprit vif et pénétrant chez lequel la rapidité de la pensée exagé- rait facilement l’ardeur de l'expression, chez lequel aussi ( pourquoi ne le dirais-je pas? } la concision souf- frait parfois de l'abondance des idées, il a dans ses luttes quotidiennes rencontré des adversaires, des ap- probateurs, des critiques et jamais un ennemi. — C'est qu'aux yeux de tous, Messieurs, il était le voir bonus, l'homme loyal et sincère, que lon combat, dont on triomphe si l’on peut, mais qu’on estime dans la dé- faite aussi bien que dans la victoire. La confiance publique ne pouvait manquer à un tel homme; elle ne lui manqua pas en effet, et nous pou- vons dire, sans crainte de contradiction, qu'en tout temps , sous tous les rapports , il l'a complètement jus- tifiée. — Au milieu de cet orage soulevé par une ten- tative insensée et dans lequei périt une dynastie , M. Roussel, au nom de sa ville natale, au nom de l'au- torité provisoire, accomplit dans l'intérêt du salut com- mun plus d'un mandat périlleux , et de ce que font en pareil cas les hommes d'énergie et d'action il n’ou- blia rien, si ce n’est de demander sa récompense. — Le danger passé, il se renferma dans l'exercice de sa profession et dans l'accomplissement des devoirs muni- cipaux qu’un choix flatteur ne tarda pas à lui im- poser. Dix ans s'écoulèrent ainsi jusqu’au moment où il vint prendre place dans la compagnie judiciaire qui ressen- — 144 — tira longtemps sa perte. — Dirai-je que son entrée y fut accueillie par un assentiment unanime? Non, Mes- sieurs; ce serait trahir la vérité, et Îa vérité sur M. Roussel est assez honorable pour qu’on ne craigne pas de la dire tout entière. Son arrivée parmi nous frois- sait de légitimes prétentions, elle ajournait la récom- pense due à des titres conquis dans la magistrature ; elle soulevait des appréhensions qui s’attachaient non à son caractère, mais à ses habitudes. — Personne, assurément , ne mettait en doute sa capacité; mais on se demandait avec quelque inquiétude si l’ancien avo- cat, franchissant tout d’abord les degrés inférieurs de notre hiérarchie, saurait se plier tout d'abord aussi aux exigences de ses nouvelles fonctions. Le barreau et la magistrature ne poursuivent, il est vrai, qu'un seul et même but, la découverte et le triomphe du bon droit. Mais leurs traditions et leurs allures sont si dif- férentes! — Chargé de faire valoir à l'appui de sa cause tous les arguments de bonne foi qu’elle peut invoquer, l'avocat les rassemble, les coordonne et les développe, plutôt qu'il ne les pèse; souvent même il doit s'attacher à des motifs de doute et d’hésitation qui lui suffisent pour le succès. — Appelé à pronon- cer, le magistrat, au contraire, s'exerce à discerner les raisons capitales au milieu des considérations se- condaires, à Îles comparer entre elles, et à faire sor- tir de cet examen l'élément décisif du jugement qu'il lui faut rendre. — Pour l'avocat, champion valeureux du bon droit qu'il croit toujours défendre , l’éloquence, l'entrainement, la passion sont des armes tout à-la-fois légitimes et redoutables; il lui est permis d’unir la dague avec l'épée. Le juge qui, placé au milieu des — 145 — émotions contraires dont on l’assiège, n'a pour guider sa marche que le flambeau de sa raison, ne doit ja- mais laisser s’en obscurcir la clarté. — Il lui faut donc rester calme et froid; il lui faut écarter avec fermeté toutes ces impressions violentes , tous ces ébranlements du cœur qui pourraient égarer son intelligence. — J'ar- rête ici le parallèle. Cette esquisse abrégée me suffit pour faire comprendre l'espèce d'alarme qu'avait fait naitre dans quelques bons esprits la nomination de M. Roussel. — Les conjectures heureusement ne tiennent jamais contre les faits, et il lui était réservé de nous montrer par un nouvel exemple ce que l’ordre judiciaire aura toujours à gagner, quand avec discernement et réserve on ouvrira ses rangs supérieurs aux membres du bar- reau qui auront fait vaillamment leurs preuves. Peu de mois s'étaient écoulés que déjà notre nouveau col- lègue avait acquis chez nous droit de cité et rendait à la toge du magistrat tout l'honneur que Ini-même en avait reçu. — Vif et rapide quand il formulait son opi- nion , il savait se faire calme et modéré pour la sou- tenir, Logicien toujours habile, il avait voulu cesser, il avait cessé d'être le luteur ardent à la contradic- tion. — Son exquise intelligence l'avait averti qu'il est des qualités qu'un changement de position peut trans- former en défauts, et sa ferme volonté avait retran- ché de ses habitudes tout ce qu'il eùt été dangereux de conserver. — De fortes études, des principes bien arrêtés, le savoir du jurisconsulte, et par-dessus tout, le vrai bon sens, cette qualité si rare que l'on croit si commune, constituaient pour lui d'inépuisables res- sources. — [Il nous a laissé un travail maintenant rendu publie et qui peut en fournir la mesure. — Les Cours 10. — 146 — royales avaient récemment à préparer par leurs avis la révision de notre système hypothécaire. — Qu'on lise le rapport que M. Roussel fit alors à sa compagnie, et l’on reconnaîtra avec quelle sûreté de vues, avec quelle netteté de principes, au milieu des difficultés sans nombre de cette matière ardue, il organise les deux réformes qu'appellent instamment les besoins du crédit immobilier, c’est-à-dire une publicité plus grande, une transmission plus facile des titres hypothécaires. Si je parle de ce qu'il fut comme magistrat civil , encore moins puis-je oublier en lui le président d'as- sises , dévoué à ses laborienses fonctions jusqu’au mi- lieu des douleurs qui déjà présageaient sa mort. J'ai- merais à m'étendre sur ce sujet et à vous détailler les mérites divers qu'ont signalés chez lui des débuts trop tôt, hélas! interrompus. —— Je me bornerai à vous faire connaître une partie de sa manière. — Le débat contradictoire des Cours d'assises est, chacun Île sait, le crible où s'épure enfin la vérité. Tout doit rester dessus ou passer à travers, rien ne doit tomber à côté. Le fait le plus petit en apparence contient par- fois le germe d’une démonstration tout entière. Il est done essentiel de ne rien omettre. Mais pour déga- ger la vérité, il est plus essentiel encore de faire tout venir à point, de mettre tout à sa place : c'est le premier et le plus difficile mérite du président. M. Roussel le sentait, et son esprit abondant , naturelle- ment ami des développements, avait entrepris de se faire analytique et classificateur. Sa mémoire vaste et sûre lui donnait pour arriver à ce résultat de merveil- leuses facilités. — Lorsque, au milieu des complications d'un débat animé, venait à se glisser presque inaperçu — 147 — quelque indice léger de culpabilité ou d'innocence , indice précieux , mais étranger à la diseussion du mo- ment, il se gardait bien de le relever sur-le-champ, il le plaçait comme en dépôt dans un des replis de sa pensée, et quand arrivait enfin l'instant favorable, il l'y retrouvait sans effort, mettait en lumière ce fait nouveau pour tous excepté pour lui, en pressait Îles conséquences, et parvenait souvent à en faire jaillir la vérité. Ainsi, vous le voyez, Messieurs, un temps bien court avait suffi à l’homme public pour révéler d'éminentes qualités. L'homme privé avait eu toute sa vie pour faire apprécier les siennes. Aussi n'est-il presque per- sonne qui de ces dernières ne puisse rendre témoi- gnage ; c'étaient, vous le direz avec moi, une sensi- bilité profinde que le seul récit d'une noble action émouvait jusqu'aux larmes, une sûreté complète de re- lations , une loyauté inaltérable, une franchise à toute épreuve , une fidélité inviolable à ses affections. La sincérité d'âme, la vivacité des sentiments ont quelquefois leurs dangers. Flles exposent à des entrai- nements que notre collègue ne savait pas toujours évi- ter et qui lui donnaient des torts légers, ionorés de lui-même, parce qu'ils étaient involontaires. Mais quand il vous avait froissé par un mot un peu rude, quand on s'était éloigné mécontent , il venait plus tard vous rechercher avec une bonne foi si naïve, il vous ten- dait la main avec une simplicité si confiante, qu’on ne songeait même pas à la repousser, et qu’en faveur de l'or pur, on oubliait sans peine ce petit grain d'al- liage. Aussi M. Roussel, qui s'était fait de nombreux amis, n'en a, que je sache, jamais perdu un seul, et 10.* — 118 — avec beaucoup d'entre eux, il pouvait échanger le mot de Montaigne : L'amitié ressemble aux vieux livres, c'est la date qui la rend précieuse. Tels étaient, Messieurs, dans leur ensemble, l'esprit élevé, le loyal caractère auxquels j'ai cherché à rendre hommage. De cet homme de bien, de ce collègue que vous regrettez, je n'ai plus maintenant qu'un mot à dire : Professeur, avocat, homme privé, magistrat, s’il a conquis tant d'affections, c’est que toujours et pour tous, il eut le sentiment profond de la justice. UNE VIEILLE HISTOIRE, Par M. Hirpozyre HENRIOT. —33308 06 6ccee Par un tiède jour de printemps, A Salamanque, autrefois, sur la rive Que baigne du Tormés l’eau claire et fugitive, Se promenait un de ces jeunes gens, Hidalgos sans le sou, mais dans leur indigence N'enviant de trésors que ceux de la science : Aux gymnases publics afin d’avoir accès Gratis (Or on sait bien que ce n'est pas l'usage ) Du gentilhomme Imberbe ils se font les valets, Et l'y suivent portant, en guise de laquais, Son scientifique bagage : Il se promène done le digne jouvenceau, Au soleil, dans un vieux manteau Encore tout souillé de l'hivernale boue, Quand l’accoste un plaisant qui la main sur la joue, ( Vingt témoins à l’entour regardaient en riant ) S'est écrié soudain : — Seigneur étudiant ! = he Une abeille me fit tantôt à la figure, Une douloureuse piqure, Mais il dépend de vous d'en amortir l'ardeur: Permettez seulement Seigneur , Que sur votre manteau, pour m’en frotter la joue, Je prenne un peu de boue : ous guettaient sur son front un air déconcerté, Mais ouvrant avec majesté Les maigres plis de sa mauvaise cape Dont un poudreux nuage au même instant s échappe, Au railleur l'Hidaigos réplique sans courroux, De quelle année en voulez-vous ? Gouvernemens d'échus , c’est bien là votre histoire. Des taches et même des trous, Vous en avez pour tous les goûts, Et vous en tirez presque gloire. L'HOMME HEUREUX. Fatigué des grandeurs, saturé de plaisirs, Le sultan Abul Far désormais sans désirs Dépérissait d’ennui : Ce monstre à face jaune Le jour à ses côtés s'assayait sur son trône, A la chasse, au sérail, à table le suivait, Et la nuit s’installait encore à son chevet : Rien n'amusait Abul, rien ne pouvait lui plaire : Or, si d'après les lois régissant la matière, Un homme ne peut pas toujours vivre et maigrir, Abul devait bientôt mourir : A sa cour vient dans l’occurrence Un Derviche , un oracle en sagesse, en science : — 151 — — Sa hautesse ne guérira Que lorsqu'elle revêtira Dit-il, (en cet endroit s’assombrit son visage ) La chemise d’un homme heureux : Il a dit, et déjà, chercheurs officieux, Nombre de courtisans de se mettre en voyage : — Où découvrir, se disaient-ils entre-eux, Cette précieuse ordonnance ? Ils vont chez la richesse, il vont chez la puissance, Mais qu'y rencontrent-ils ?.. lâches voluptueux Portant avec dégoût le fardeau de la vie, Ambitieux trompés que dévorent l'envie, Les regrets, les soucis, les désirs effrénés , En un mot des mortels les plus infortunés : En descendant l'échelle, ils trouvent des misères Qui sans avoir même solemnité, N'en torturent pas moins, vigilantes mégères , La triste humanité : Aussi bientôt force leur devait être De retourner près de leur maître Sans le tissu dont le secours Pouvait seul conserver ses jours : Ensemble ils s'y rendaient dans un imorne silence , Et la royale résidence Déjà se montrait à leurs yeux, Lorsqu'en traversant une plaine Du midi la brûlante haleine Leur porte les refrains gaiment harmonieux D'une voix énergique encore que lointaine : Ils approchent: e’était un pauvre laboureur Qui malgré soleil et poussière , Le front ruisselant de sueur, — 152 — Chantait en travaillant sans relàcle à la terre : La joie et le bonheur rayonnent dans ses yeux : — Tu te trouves donc bien heureux ? Disent les pélerins en s'arrêtant à peine : — Heureux! oui, certes, je le suis, Exempt d'ambition, de regrets, de soucis, On le serait à moins, mordienne !... Tout ici bas me tourne à bien, J'ai de jolis enfants, une excellente femme Que je chéris du fond de l'âme, Je suis fort, bien portant et ne manque de rien : Le travail n'est-il pas la première richesse ?.… Grâce à lui, quelquefois je donne encore du paiu Aux malheureux mourant de faim : Avec cela comment engendrer la tristesse ?.… Sur quoi les courtisans certains d’avoir trouvé L'heureux prescrit par l'ordonnance, Le dépouillaient déjà, malgré sa résistance, Déjà tous s'écriaient : le sultan est sauvé !.…. Mais on se tait soudain : à mécompte! à surprise! L'heureux n'avait pas de chemise. LES LUNETTES DE MATHURIN. Voici, Monsieur , un papier cacheté Par le facteur rural à l'instant apporté, Et qu'il m'a dit de vous remettre : Ainsi parlait à Monsieur Marcelin, Son fermier, le gros Mathurin, En lui présentant une lettre — 153 — — Elle vient de Bordeaux : C'est mon fils qui m'écrit, Dit Monsieur Marcelin : Mais où sont mes lunettes? Ah! probablement dans l'habit Que je portais hier en lisant les gazettes : Va me les chercher, mon garcon : — Très-volontiers, Monsieur , mais pour quelle raison ? — Pour la raison, faut-il donc te le dire? Que sans elles je ne puis lire : En faisant la commission, Et le reste du jour, voire la nuit entière, Car il n’en ferma la paupière, Mathurin ruminait : — Je saurai lire aussi, Dieu merci!!... Et sitôt que du jour l'aube vient à paraitre , Voilà que Mathurin Qui pour mieux surprendre son maitre, Ne souffla mot de son dessein, De la ville prend le chemin : D'un pas leste et rapide il franchit la distance, Une étape , et si grande est son impatience, Que chez l’opticien il s’est tout droit rendu : Monsieur, Monsieur, dit-il, il me faut des lunettes, Je ne marchande pas, mais qu'elles soient parfaites, Pour lire au mieux, bien entendu : Nous trouverons aisément votre affaire, Dit le marchand, et Mathurin Un livre en main, De mettre sur son nez une première paire, De la bien essayer, puis une autre, et puis trois, Et quatre , et cinq , toutes de choix, Sans qu'aucune arrive à lui plaire ; Sur quoi l'industriel à la fois intrigué Et fatigue — 154 — Que de telle sorte on méprise Une pareille marchandise, Vers notre liseur fait un pas, Regarde dans son livre et voit avec surprise , Qu'il est à contre-sens, soit le haut par en bas : Mon brave homme, dit-il, vous ne savez pas lire; — Eh! pardi, si je le savais, Croyez-vous que j'acheterais Des lunettes, Monsieur? — et le marchand de rire, Mais de rire si fort, qu’à cet accès joyeux Mathurin, rouge de colère, Jette avec de gros mots les lunettes à terre, En fait mille morceaux , et sans autres adieux, Prétend se remctitre en voyage, Et retourner à son village : Mais comme on juge en France aussi bien qu'A Berlin, Sur un bel arrêt Mathurin Dut débourser blanche monnaie : Qui casse les verres les paye, Et ce ne fut tout, car après Il dut encore payer les frais. L'APPRENTI SORCIER. (IMITÉ DE GOETHE.) Un élève en sorcellerie A son maitre surprend un jour Quelques paroles de magie Et veut aux éléments commander à son tour Là se trouve un bâton : au bâton il ordonne D'aller lui chercher en personne — 155 — De l'eau : Cet ordre étrange à l'instant s'accomplit , Et l’écolier s’énorgueillit De son pouvoir cabalistique Mais de son zélé serviteur Quand il veut arrêter le travail hydraulique, Il cherche, cherche encore la formule magique Et s'écrie, ah! Dieu , quel malheur, Je ne m'en souviens plus : alors dans sa frayeur D'un grand coup de hache il partage En deux morceaux le damué de bâton, Mais voilà qu'ils sont deux au lieu d’un à l'ouvrage , A l’envi se hâtant, versant l'onde à foison, Jusqu'à submerger la maison. Trop heureux l'imprudent s'il échappe au naufrage. Du temps qui court à combien d’écoliers Se pourrait appliquer ce conte fantastique! . En avons-nous des apprentis sorciers En industrie , en politique, En poésie, en peinture, en musique Et cœtera, Et Dien sait, mais pour moi je frémis quand je pense, Ou leur orgueilleuse ignorance Avec eux nous conduira. “'laigpoge edit menait HO we! 00 Tige paraille vadilfiamgiond'e milooët HE Vas “uit ongitsiledrocaiorse wow 9(i fégsrde dima sou Loetsetiente dlès: nor jabesiol Gui est à rompilasrbedoliarbtilehinaérmenin 15 bersO M un mn entre phcoaas orlsssdine, axes Il —r Hndhlqannr dopé 56810 dchaie pirod'e 34 Téppent necsuebmerle saubganoirirce. no'or où os ne torercogsteg ii adbn-ah drosdnbmg adQ rire «Mois de re did shéécnb ohcpa rhone usb el Ce SB6TÉMO lb deu brouafffe din aobéincs diup io ain M Jette aveë dégséoto ebive fonte à nel o ivnistl À En Alt mille miorhomosiorenhsegriennadn cifénpant. . sq 'esuobtegtnt | sé qorT Et meilond he neideros & tsmon iup eq u@ Mais come Gent ons somsu pitt dénsteteé Sur sveteione is hémifqe ab atouenovs Kô Dur Cbrntfeipiits es) sien bai nt | Ci tigepisearms, Su fiop us ; sis0q aa de ed one DT tot, srstepr él J sb hérenprehnèrt efeloiti roue alaur ; “rise ia “ï 4 ra sons toit sursbiur gro 2591 10 | | dubnos abou gs ETS k L'APRRENTI Honcten. S AOUTE - (paqrh bn Sémen, tu ‘ère on real rie À het outre METRE à prtn Qustqne paroles dé VE Fi bell aux Gdinesïla-csantédue à en (ous : Là te COM ER Gsur d'au Ban urdonine d: E'allqre ni herchuy sis ferpann MAITRE AU LOGIS, COMÉDIE EN UN ACTE ET EN VERS, IMITÉE DE L'ALLEMAND, Par M.' A. BREUIL. PERSONNAGES. M. ne NANGÉ. M.me pe NANGÉ. VICTOR , leur fils. CAROLINE , femme de Victor. ADAM, jardinier , au service de M. de Nangé. Un Domestique. Le scène se passe dans un jardin attenant à la maison de M. de Nangé. DES E- MAITRE AU LOGIS, jomédie en un acte et en vers. Le théâtre représente un jardin. Sur le premier plan, à gauche du spec- tateur , est un berceau bien ombragé ; dans le fond , à droite, se trouve un joli pavillon. SCÈNE PREMIÈRE. M. DE NANGÉ, assis dans le berceau, et tenant un livre à la main ; ADAM, portant un paquet sous le bras, et regardant NANGÉ , qui ne le voit pas. NANGÉ. Lire sous ce berceau, c’est un enchantement ! ADAM. C’est ce que me disait cet homme si savant Qui vint vous voir , monsieur , la semaine dernière. — 160 — NANGÉ. Ah! mon ami Verval, le célèbre antiquaire , Qui , des dames sans cesse accusant les défauts , Me soutient que l'hymen n'est fait que pour les sots. C'est un fou , n'est-ce pas? qu’en dis- tu ? ADAM. Moi, je pense Que quelquefois... NANGÉ, (II se lève , après avoir posé son livre sur le banc du berceau.) Tel homme est riche de science, Qui peut être très-pauvre en fait de jugement. Libre à lui de trouver le célibat charmant , Mais qu'il comprenne au moins que dans le mariage D'autres peuvent avoir le bonheur en partage. Depuis que j'épousai madame de Nangé, Combien en ma faveur le destin a changé ! Enfant, je fus soumis par ma mère imprudente, A l’injuste pouvoir d’une bonne méchante. Ensuite, je passai sous le joug des pédans ; Je croyais secouer mes chaines à vingt ans, Je révais le plaisir succédant à l'étude : Chimère ! on me gardait une épreuve plus rude, Et, voulant m'assurer un emploi lucratif, Dans de tristes bureaux on me retint captif. Personne , au moins, sur moi, maintenant n’a d'empire, Au sein de ma famille, à l’aise je respire ; Aux autres, à mon tour, je puis dicter ma loi, Car enfin, mon garçon , je suis maître chez moi. — 161 — ADAM. Chez vous, sans contredit, monsieur, vous êtes maître, Mais... NANGÉ. Quoi ! de mon pouvoir tu douterais , peut-être ?.…. ADAM. Non vraiment. NANGÉ. Dis-moi donc, qu’as-tu là sous le bras ? ADAM. Monsieur , c'est... NANGÉ. Mais encor ?..... ne parleras-tu pas? ADAM. C’est un petit paquet, que, ce matin, madame M'a dit d'aller chercher... NANGÉ. Comment , c’est pour ma femme! ADAM. ce A » . J'apporte en même temps la facture à monsieur. NANGÉ, Serait-ce , par hazard , un schall à rouge fleur , Dont , après maint débat, j'ai défendu l’emplette ? 11. — 162 — ADAM. C'est le schall. NANGÉ. Quoi vraiment! à mon tour , je m'entête : Tu vas le reporter bien vite au magasin. ADAM. Et madame au pays me renverra demain. NANGÉ. Tu parles-là , mon cher, avec extravagance ; On ne peut te punir de ton obéissance ; D'ailleurs , pour que mes gens soient barnis de chez moi, On ne peut se passer de mon avis , je croi. ADAM. Sans doute. et... cependant, monsieur , la pauvre Adèle Qui, cinq ans, vous servit avec le plus grand zèle, De la maison , peut-être , aujourd'hui sortira. NANGÉ. Qui dit cela ? ADAM. Madame... NANGÉ. Adèle restera. ADAM. Que j'aime à recevoir de vous cette promesse ! Vous savez à quel point Adèle m'intéresse ; — 163 — Vous me dotez avec l'étang et les deux prés, Si je l'épouse... NANGÉ. Eh bien, vous vous épouserez | ADAM, Quoi ! parce qu'il survient une femme de chambre Qui se mijote avec l’eau de Cologne et l’ambre , Fait la grimace, et sait , arrivant de Calais, Divertir ma maîtresse avec trois mots d'anglais , Cette intrigante ici sera la bienvenue, Et pour elle on mettra les autres dans la rue! NANGÉ. Mais que diable ! faut-il encor te répéter , Maraud , que ton Adèle au logis doit rester? N'ai-je pas dit : Je veux? ADAM. Pardon pour ma franchise. Vous vouliez marier mademoiselle Elise A monsieur de Verteil qui demande sa main ; Madame, cependant... NANGÉ. ..…... S'oppose à cet hymen, Qui ; mais je saurai bien braver sa résistance : Verteil sera mon gendre, et plus tôt qu’on ne pense. ADAM. De monsieur votre fils vous parlerai-je encor ? Cinq ans déjà passés, ce bon monsieur Victor, A — 164 — Par une froide nuit , à l'insu de son père, Quittant cette maison , partit pour l'Angleterre, Ce jeune homme souvent de là vous écrivait ; Touché de sa douleur , de son amer regret, Vous vouliez le revoir , l’embrasser ; mais madame, En disant qu'il fallait plus de fermeté d'ame , À juré que son fils n'aurait point de pardon... NANGÉ. Il l’obtiendra : je suis maître dans la maison: ADAM. Si monsieur accomplit ce qu'il vient de promettre, Certes, l’on conviendra qu'il est ici le maître. Que ferai-je du schall ? dois-je le reporter ? (A part). Dans son ordre voyons s’il saura persister. NANGÉ (embarrassé). Ce schall..... dis-tu ? ADAM (à part). Déjà son courage chancelle. NANGÉ. Mais je ne voudrais pas pour une bagatelle T'attirer aujourd’hui des reproches fâcheux , Et , dans ton intérêt, je crois qu'il serait mieux De porter sur-le-champ ce schall à ta maitresse. Tu souris?..... mais, morbleu ! j’agirai sans faiblesse ; Dans un instant j'irai le lui redemander. — 165 — ADAM (en sortant et à part). Madame est maintenant sûre de le garder. SCÈNE IL. NANGÉ, seul. Le marchand a vendu, le payer c’est justice. De mes trois cents écus je fais le sacrifice ; Madame de Nangé, par là, ne pourra plus À d’avares calculs imputer mon refus ; Mais elle se verra forcée à reconnaître Qu'en reprenant le schall je veux agir en maître, Et qu'un mari, le chef de la communauté, Au sein de son ménage a pleine autorité. Ce schall, me dira-t-on , que vous voulez reprendre, Qu'en ferez-vous ?..... parbleu, je le pourrai revendre, Ou j'en ferai cadeau , pour lui servir d’atours, A quelque Esmeralda dansant aux carrefours ; Je consens même encor qu’un voleur me le happe, Qu'il se perde , pourvu qu’à madame il échappe !.… . (Après une petite pause). Tu crois qu’il te suffit de former un désir, Pour que ton cher époux s’empresse d’obéir !...… SCÈNE III. UN DOMESTIQUE, NANGÉ. LE DOMESTIQUE. Pour arroser ses fleurs, madame va descendre Et dit que, sans retard, monsieur doit aller prendre — 166 — Les grands arrosoirs verts, et porter l'eau... NANGÉ. J'y cours. (LI sort ainsi que le domestique.) SCÈNE IV. CAROLINE (entrant par le côté opposé à celui par lequel NANGÉ vient de sortir.) — VICTOR (sortant du pavillon après l'avoir ferme.) VICTOR. Eh bien ! dis, Caroline , espères-tu toujours ? CAROLINE. Victor , plus que jamais , car j'ai su si bien faire, Que je suis maintenant au mieux avec ta mère. Oui , pour me retenir, madame de Nangé De sa femme de chambre apprête le congé, Dans sa place elle veut m'installer ce soir même : Qu'en dis-tu ? VICTOR. C'est charmant, et ma joie est extrême. CAROLINE. Sans soupconner en moi la femme de Victor, Elle m'a dit vingt fois que j'étais un trésor, Qu'elle avait rencontré la perle des soubrettes. — 167 — VICTOR. Merveilleux ! les Nangé sont nés pour tes conquêtes. Ensuite... CAROLINE. Elle ne m'a donné que peu d’instants ; Mais pour l’étudier , je n'ai point perdu temps. J'ai d’abord deviné ses faibles , ses caprices , Puis , par l'emploi discret de certains artifices , J'ai su dans sa faveur me placer bien avant. VICTOR. Oh ! je n’ai pas de peine à te croire, vraiment : Est-ce que ce talent, ces imanéges de femme, N'ont pas aussi trouvé le chemin de mon ame! CAROLINE. Penser ainsi, Victor , c’est une grave erreur ; Grâce à d’autres moyens , j'ai captivé ton cœur. Mon art est moins borné que tu ne l’imagines ; Tout ne t'est pas connu des ruses féminines ; Celles que, ce matin, j'ai mises à profit, Forment un code à part, pour Victor inédit. Voulons-nous sur un homme exercer notre empire , Il faut que la douceur vers nous d'abord J’attire; Puis , pour consolider notre possession , Vient à notre aide un peu de contradiction. On doit d’un choc léger surtout tenter l'épreuve, Quand de la bonté d’ame en résulte la preuve. Par exemple, messieurs , quand de vos traits piquants , Nous pouvons , par un mot , défendre les absents. — 168 — Aux femmes, par hazard , aspirons-nous à plaire, Il nous faut suivre alors un système contraire, Qui, flattant leur esprit toujours malicieux, Peut seul nous préserver d’un mécompte fâcheux. Pour elles , la douceur , c’est fade mignardise ; La bonté les ferait crier à la sottise ; Essayer de prêter au prochain notre appui, Quand les traits médisants tombent , pleuvent sur lui, Fi donc ! d’un tel secours l’on nous ferait un crime. Pour être aimable , il faut achever la victime , Et l'instant qui la voit immoler sans pitié , De deux femmes souvent fait naître l'amitié. VICTOR. A ces naïfs aveux j'étais loin de m'attendre, Et je vois que de toi je puis beaucoup apprendre. Près de ma mère, as-tu, ma chère, par hazard , Pu mettre en action les règles de ton art? CAROLINE, Oui certes. Le succès passe mon espérance, Et de la théorie il prouve l'excellence. VICTOR. Ah ! je suis curieux... CAROLINE. .... Ecoute... tout d'abord , Ta mère m'a parlé du baron de Rigord , Qui de me présenter avait eu l'obligeance ; C'est, dit-elle , un vieux fat, rempli d'extravagance , — 169 — Qui de ton faible père exploitant le détaut , Le domine souvent beaucoup plus qu'il ne faut. VICTOR. À ce discours , au moins , Caroline s’est tue , Des bontés du baron elle s’est souvenue. CAROLINE. Oh ! ma reconnaissance est grande , assurément , Mais j'ai dù la garder pour un autre moment : Le silence aurait fait échouer ma tactique, Il fallait de ta mère approuver la critique ; Aussi , renchérissant sur ses expressions , J'ai ridiculisé ce Nestor des lions. — Restait à m'expliquer au sujet de ton père... VICTOR. Qu'as-tu dit? CAROLINE. Qu'un mari n’a rien de mieux à faire, Quand , par hazard, sa femme a tant d'habileté , Que de se distinguer par sa docilité. VICTOR. Caroline , c'est mal! ma mère, je parie, Aura goûté fort peu cette plaisanterie. CAROLINE. Erreur ! elle a trouvé le mot charmant , divin ; Avec affection elle m'a pris la main , En disant : Que d'esprit a la petite folle ! — 170 — VICTOR. Ah! oui da! CAROLINE. De l'anglais tu sais qu’elle raffole : J'ai dù m'en souvenir durant notre entretien. En anglais l’on médit, en vérité , fort bien. VICTOR. Trop bien! le sifflement de ce maudit langage De celui des serpents est la parfaite image. — Voyons : te reste-t-il à faire quelque aveu ? ’ CAROLINE. Non, ma confession est au bout, grâce à Dieu ; Pour obtenir pardon devant toi je m’accuse. VICTOR. Les méfaits sont nombreux. CAROLINE. Mon but est leur excuse ; Un instant, si j'ai pu parler contre mon cœur : C'était pour assurer notre commun bonheur. Mais , Victor, conviens-en , d’un role difficile ; Je me suis acquittée en comédienne habile. VICTOR. Ne te hâte pas trop de vanter ce talent , Car nous ne sommes pas encore au dénoûment. — 171 — CAROLINE. On vient , je crois que c’est la principale actrice ; Il nous faut disparaitre et fuir dans la coulisse. (vicror rentre dans le pavillon , et CAROLINE sort par le fond du theâtre , à droite). SCÈNE V. M. DE NANGÉ, M.me DE NANGÉ. (Ils arrivent par le fond du théâtre , à gauche ; M. DE NANGÉ porte de chaque main un arrosoir). M.M€ DE NANGÉ. Comment , mon bon ami , si tel est mon plaisir, Mes gens de ma maison ne pourront pas sortir ? NANGÉ. Mais ta femme de chambre est une fille honnèéte. MADAME. Cela se peut. NANGÉ. Travail, fidélité parfaite , Ne sont-ce pas pour toi des titres suffisants ? MADAME. Non. NANGÉ. Adèle chez moi te sert depuis cinq ans. — 172 — MADAME. Cinq ans j'ai bien voulu conserver cette Adèle ; Maintenant je la chasse et veux me passer d'elle ; Voilà tout : est-ce clair ? NANGÉ. …. Oui, mais dans ma maison, Pour renvoyer les gens, il faut quelque raison. MADAME. Dans ma maison , monsieur , pour être bien servie, Je puis donner congé quand il m'en prend envie. Rien ne peut désormais ébranler mon dessein. NANGÉ. (Il pose à terre les arrosoirs en respirant avec effort , puis il dit avec un ton radouci :) Voyons, tu ne veux pas qu'Adèle soit sans pain, Je connais ton bon cœur, et je sais quel empire... MADAME. Oui, tu me juges bien ; mais, faut-il te le dire 2 JU , , Adèle est sur le point de s'engager ailleurs. Puis-je contre leur gré garder mes serviteurs ? NANGÉ. Adele. MADAME. Adèle ici ne parait pas contente, Et... voir les gens bouder est chose fatigante, — 173 — NANGÉ, Sans doute , mais encore... MADAME. Elle dit hautement Que le service lasse et devient un tourment , Quand dans une maison la dame est la maîtresse. NANGÉ. Comment ! il se pourrait ! oh! quelle hardiesse ! MADAME. Que depuis le cocher jusques à mon époux , Au bruit de mon tambour je vous fais marcher tous... NANGÉ. C’est trop fort. Sans retard je lui ferai connaître Qui, céans, a le droit de commander en maitre. MADAME. Mais enfin , grace à Dieu , l’on remplace aisément Une femme de chambre... NANGÉ. On peut en trouver cent, Et MADAME. Le hazard m'a fait rencontrer une fille, Qui , par l'honnêteté , par la décence brille ; — 174 — Elle s'exprime bien , parle anglais à ravir, Et, sans gages meilleurs , offre de me servir. NANGÉ. Allons , je le permets , engage-la bien vite, Et puisque Adèle mène une telle conduite, D'ici, dès ce soir même, elle peut détaler , Et n’épousera pas mon brave jardinier. MADAME. Mon ami, j'ai déjà retenu la personne. NANGÉ. Quoi déjà! tu... vraiment, ce n’est pas bien , ma bonne ; Il fallait ce matin me consulter d’abord. MADAME. Entre nous , maintenant, mon cher, tout est d'accord. Du reste , cette enfant te plaira , je le gage ; Et puis... elle demande à t’offrir son hommage... NANGÉ. Elle a du savoir-vivre..……. MADAME. Oh ! tu seras ravi! Dans de bonnes maisons elle a déjà servi. (Après une légère pause). Caroline a longtemps habité l'Angleterre. — 41975 — NANGÉ. À dire vrai , cela ne m'intéresse guêre ; Est-ce un titre à tes yeux ? MADAME. Oh! nou pas, mais, pourtant A ce séjour se lie un hazard étonnant. Sache que chez Victor , chez notre fils lui-même, Caroline a servi. NANGÉ. Ma surprise est extrême. Chez Victor? MADAME. Chez Victor. À Londres. NANGÉ. Alors je crois Que tu ne peux garder cette fille chez toi. MADAME. Si Victor est ingrat , si Victor est coupable, Devons- nous de ses torts la rendre responsable ? NANGÉ. Des fautes de Victor il s'agit bien, vraiment. (Tu le juges d’ailleurs un peu sévérement.) Mais, là, de bonne foi, penses-tu qu'une fille , Par son honnéteté , par sa décence brille, Et mérite , en un mot, quelque prix Monthyon, Lorsqu'elle va servir chez un jeune garçon ? — 176 — MADAME. Un moment ! garde-toi d’un soupcon téméraire. Sache que notre fils n'est plus célibataire ; Victor, mettant le comble à son égarement , A Londre est marié sans notre assentiment. NANGÉ. Victor est marié? mais c’est abominable. Quoi! sans me demander avis au préalable ! Et l’on agit ainsi dans ma maison , chez moi ! MADAME, Je ne te comprends plus : dis donc, hors de chez toi. Aurais-tu de ton fils oublié l'aventure ? Victor , épris des vers, de la littérature , Révait et les succès et la gloire d’auteur ; Nous , loin de caresser cet espoir séducteur , Dont souvent , à vingt ans, un jeune homme se berce, Nous voulions qu'il suivit la route du commerce ; Mais monsieur le rimeur , abdiquant la raison Sans ton consentement s'enfuit de la maison. Voilà cinq ans, je crois, que son absence dure. NANGÉ. Sans mon consentement... c’est la vérité pure. MADAME. Parce que sur ses torts ouvrant enfin les yeux, Il t’écrit sur vélin quelques mots doucereux , Toi, déjà tu voudrais accueillir ce rebelle , Comme s’il eût été toujours un fils modèle. — 177 — NANGÉ. Mais sa lettre exprimait un si vif repentir. MADAME. Cela ne prouve rien : sa lettre peut mentir. Si ses torts lui causaient une douleur sincère, N'en aurait-il point fait confession entière ? Or, c’est un pur hazard qui nous a, ce matin, À tous deux révélé cet hymen clandestin ; Pas nn mot de cela dans sa lettre hypocrite ! NANGÉ. Oui, c'est là, j'en conviens une indigne conduite. Il ne reparaitra jamais devant mes yeux , C’en est fait... MADAME. .…… Bien, Nangé, cet arrêt rigoureux Sied à la fermeté d’un père de famille. D'un pardon sans motif que penserait ta fille ? Ta fille qui , coupable aussi d’entêétement , Se permet , malgré moi , d'écouter un amant. NANGÉ. Cet amant , après tout, à sa main peut prétendre ; Ilest digne... MADAME (l'interrompant avec vivacité). Verteil ne sera point mon gendre. 12. — 178 — NANGÉ. Écoute, je veux bien que notre fils Victor Par un nouveau méfait soit plus coupable encor ; Ton courroux est le mien dans cette circonstance , Et je vais à l’ingrat écrire en conséquence ; Mais entre Elise et lui je ne vois nul rapport. Verteil est un parti qui, certes , me plait fort, Et contre un choix pareil, moi je n’ai rien à dire. MADAME. Alors j'ai d'autant moins de raisons d’y souscrire. Ton Verteil n’est encor que juge suppléant. NANGE. Il sera substitut, ma bonne , incessamment. MADAME. S'il voulait obtenir la main de notre fille, Il devait s'adresser d’abord à sa famille , À nous..…. NANGÉ. Mais ce devoir, il se l’est rappelé ; C'est au père d'Elise, à moi, qu'il a parlé. MADAME. Oh oui ! lorsqu'en secret, pour fui prouver son zèle Il avait envoyé des bouquets à sa belle , Lorsque , pendant un an , derrière tes talons , Il eut écrit , recu milie billets mignons ; En un mot, quand il crut sa conquête certaine , — 179 — De demander Elise alors il prit la peine. Le procédé te plait , n'est-ce pas, c’est fort bien? NANGÉ. Ils se seraient écrit sans que j’en susse rien ? Impossible ! MADAME. Il m'a dit dans son audace extrême : L'important est d'abord qu'une fille nous aime ; Son cœur , lorsqu'il s’agit d’un projet d’union, Est le premier degré de juridiction ; Ensuite les parents connaissent de l'affaire. NANGÉ. Peste ! un pareil langage est par trop téméraire. Puisqu'il fait cette injure au pouvoir paternel , Ce beau monsieur perdra son procès en appel. J'apprendrais le dernier ce qui chez moi se passe , Et de m'en avertir on me ferait la grace, C’est plaisant ! MADAME. Il verra comment, sans notre aveu , L'on obtient notre fille... NANGÉ. I! le verra, morbleu! MADAME. Et puis , à notre insu , nouvelle inconvenance : Il suit , avec ton fils, une correspondance ; 12. — 180 — Ainsi, par l'intérêt qu’il accorde à Victor, Dans sa rébellion il l’affermit encor. Avec sang-froid , mon Dieu, tu sais que j'envisage NANGÉ. se Je ne consens plus, ma bonne , au mariage, Et Verteil , recevant un billet de ma main, SCÈNE VI. ADAM (portant le paquet qui contient le schall). Les PRÉCÉDENTS. ADAM (à part). Voici madame. Ah! je la trouve enfin. MADAME (se retournant). Qu'est-ce donc ? ADAM. Je cherchais madame tout-à-l’heure Pour lui donner le schall. MADAME (prenant le paquet). C’est bien. (Adam fait mine de s’en aller.) Adam , demeure. D'un important dessein l’on veut te faire part. (Bas à Nangé) Puisqu'il est là, je vais l’avertir sans retard , — 181 — Que s’il est désireux de conserver sa place, Il ne peut épouser Adèle que je chasse. NANGÉ (bas aussi à madame , et avec embarras). ., Mon bijou , je voudrais... j'ai certaine raison, Pour annoncer moi-même à ce brave garçon... ADAM. Que veut madame? MADAME. Adam , une franchise entière... NANGÉ (la tirant par le bras et à voix basse). Avec lui laisse-moi terminer cette affaire. Du projet d'union puisque je suis l’auteur, Il n'appartient qu’à moi de détromper son cœur. Toi , tu veux brusquement dire à ce pauvre diable... MADAME. (Bas.) Faut-il tant de façons pour un sujet semblable ! (Haut à Adam.) Adam... NANGÉ (haut , et avec dépit). Madame ! MADAME. Eh bien ? NANGÉ. Vous me compromettez ! — 182 — MADAME. Chansons que tout cela! vraiment , vous plaisantez. NANGÉ. Je ne plaisante pas; car... malgré ma défense, Vous avez fait d’un schall l’inutile dépense. MADAME. Ah ! vous ne vouliez pas encor me l’accorder ? NANGÉ. Non ; car à vos raisons je ne saurais céder. (A part.) Ouf !! MADAME. Adam , laisse-nous. ADAM (en sortant et à part). Allons , gare l'orage ! C'est égal , cette fois il montre du courage. pal, g SCÈNE VII. M. DE NANGÉ , M.me DE NANGÉ. MADAME. Sans recourir , monsieur , à votre coffre-fort , Je puis payer ce schall qui vous déplait si fort. — 183 — NANGÉ. Ce refus ne m'est pas dicté par l’avarice , Crois-le bien , j'ai là-haut la somme à ton service. MADAME. Comment , vous voudriez...…. NANGÉ. Payer ; mais, franchement, Tu traites mes avis trop cavalièrement. Cela , tu le comprends, doit me peiner , ma bonne. MADAME (d'un ton sec). Je ne prends pas ce schall. NANGÉ. Tu... voilà qui m'étonne. MADAME (faisant mine de lui remettre le schall). Tenez... NANGÉ. Comme un cadean , reçois-le de ma main ; Je me hâte d'aller paver au magasin. (IL sort vivement.) SCÈNE VIIL. M.me DE NANGÉ , seule. Quelquefois il se fâche et veut me tenir tête, Mais je sais le moyen d'assurer sa défaite , — 184 — Je manœuvre si bien , qu’eût-il cent fois raison , Je l’amène toujours à demander pardon. Son cœur est excellent ; mais, à ce qu’il me semble, Depuis plus de vingt ans que nous vivons ensemble, Son esprit obstiné ne comprend pas encor Quel rôle lui convient pour nous mettre d’accord. Il rêve le pouvoir dans le sein du ménage : Sait-il que ce pouvoir , glorieux apanage , Si je lui permettais d’en user pleinement, Il le rejetterait comme un fardeau pesant ? Des hommes quelle est donc l'étrange inconséquence ! Pour les soins du logis ils n’ont que répugnance , Et , nous laissant toujours l’ennui d’y présider , Nous disputent pourtant l'honneur de commander. (Entre Caroline.) SCÈNE IX. CAROLINE , M.re DE NANGÉ. MADAME. Ah! Caroline! eh bien, mon enfant, ce soir même, Tu pourras t'installer. CAROLINE. Ma joie en est extrême ; Sans doute je pourrai par mon zèle assidu, Justifier l'espoir que vous avez coucu. MADAME, Tu me plais. Tout en toi, mais surtout le langage , De l'éducation révèle l'avantage ; — 185 — Peut-être tes parents t'avaient-ils destiné Un état moins obscur... CAROLINE. Vous avez deviné, MADAME. Quel hazard a donc pu tromper lenrs espérances ? CAROLINE. Il faut, vous le savez, céder aux circonstances. Je... j'ai d’abord servi chez monsieur votre fils. MADAME. Pauvre enfant !..... et le mal y passait les profits. C'est un triste début ! CAROLINE. Mais non, tout au contraire. MADAME. Est-ce qu'il te donnait un honnête salaire ? CAROLINE. Sans doute. On n’en pouvait espérer un meilleur. MADAME. Je le crois : Victor fut toujours dissipateur. CAROLINE. S'il est vrai que sa main fut pour moi libérale, Au moins ma gratitude aux bienfaits est égale. — 186 — MADAME. Ces bienfaits, mon enfant, ont donc été nombreux ? CAROLINE. Oui, madame. MADAME. Pour toi je puis faire encor mieux. CAROLINE. (A part.) Faire encor mieux ! Vraiment la chose est impossible. (Haut.) Madame, à vos bontés que mon cœur est sensible ! MADAME. Mais dis-moi , quand tu vins t’'engager chez Victor , Dans sa bourse , l'argent n’abondait point encor ; Ainsi, t’associant à son état précaire , Tu ne devais avoir qu’un modeste ordinaire. CAROLINE. Sans doute ; mais ses soins, ses égards délicats , Me faisaient un festin du plus frugal repas. Votre fils est si bon !...…. MADAME. (A part.) Je commence à comprendre... Durant le mariage un épisode tendre... La colombe est naïve. (Æaut.) Et sa femme, dis-moi , Voyait avec plaisir tant de bontés pour toi ? — 187 — CAROLINE. Le vœu le plus ardent que püt former sa femme , C'était qu'il me chérit , et de toute son ame. MADAME. (A part.) Vraiment. La chose encore est plus claire à mes yeux, Et l'épisode prend un tour plus curieux. (Haut.) Je connais bien Victor, et je suis convaincue Que sa femme en ce vœu n’a pas été déçue. De la beauté toujours il jugea savamment. CAROLINE (avec surprise). Comment l’entendez-vous , madame ? MADAME. Eh ! mon enfant, Il ne sert point ici de jouer l’ignorante ! Ne t’aurait-il jamais , dans son humeur galante, Quand du logis parfois sa femme s’absentait, Pris un tendre baiser? CAROLINE. Non pas, s’il m'embrassait, Sa femme à la maison devait être présente. (A part.) La conversation devient embarrassante. MADAME. Allons ! mais c'est charmant , surtout original ! Votre trio filait un roman pastoral. — 188 — (Après une pause.) Mais ma bru n'est plus jeune , elle est laide , je gage. CAROLINE. Non , elle n’est pas mal , et nous avons même âge. MADAME. (A part.) (Haut.) , Je m’y perds. Entre vous rien ne troublait la paix? Tu n’as jamais perdu ses bontés ? CAROLINE. Oh jamais ! MADAME. (A part.) Plus j'interroge , et plus cette énigme est obscure. (Haut.) Et son esprit a-t-il recu quelque culture ? CAROLINE. Je le crois... MADAME. De cela tu peux juger fort bien. CAROLINE. Mais... son savoir pourrait se comparer au mien. MADAME. Au reste, tout cela, vois-tu , très-peu n'importe, Car à ma bru jamais je n'ouvrirai ma porte. — 189 — CAROLINE. Quand elle connaîtra ce rigoureux arrêt, Son cœur sera bien triste , allez... MADAME. Il se pourrait ! CAROLINE, Oui, madame. De vous elle parle sans cesse. MADAME. De moi ?..... vraiment ? CAROLINE,. De vous. (4 part.) Ce propos l’intéresse. (Haut.) : À son mari souvent , et les larmes aux yeux, Elle disait : ami, que nous serions heureux , Si tes parents voulaient terminer ta disgräce , Si, sous le toit natal , ils te rendaient ta place, S'ils consentaient enfin à bénir nos amours ! MADAME (avec une attention marquée). Eh bien ! que répondait Victor à ce discours ? q P CAROLINE. Avant tout, disait-il, c'est de ma bonne mère Qu'il faut fléchir le cœur et calmer la colère ; Tant qu'elle n'aura pas entendu mon appel, Je ne puis espérer le pardon paternel. — 190 — MADAME. Victor disait cela? Ce langage, il me semble, Et ses facons d'agir, ne cadrent guère ensemble ; Le succès selon lui de mon pardon dépend , Et toujours à son père il écrit cependant. CAROLINE. Mais si, dans ce moment, et par mon entremise , Une lettre de lui devait être remise... MADAME. Une lettre pour moi? CAROLINE. Madame , la voici. Le portrait de l’auteur s’y trouve joint aussi. MADAME. Le portrait de Victor ! (Elle prend la lettre et le portrait , et examine le portrait.) Oh ! quelle ressemblance ! Ses traits se sont formés durant sa longue absence , Us sont même plus beaux. CAROLINE. On le trouve fort bien. MADAME (ouvrant la lettre). Voyons ce qu'il écrit... — 491 — CAROLINE (avec empressement.) Cela ne sert à rien : Sa lettre à ma mémoire est mot pour mot présente , Et j'en dois répéter la teneur suppliante , Jusqu'à ce qu’un pardon soit obtenu de vous. MADAME. Ah ! petite friponne , avec ton air si doux, Tu conspirais ici... ® CAROLINE. Vous pardonnez , madame. MADAME (vivement). (Après une pause.) Je n'ai pas dit cela... Du portrait de sa femme , Pourquoi Victor aussi n’a-t-il pas fait l'envoi ? CAROLINE. Madame, ce portrait, je le porte avec moi ; Mais je ne voulais pas vous le faire connaître Avant que l'espérance en mon cœur eüt pu naître. (Victor paraît à la porte du pavillon.) Ah ! de le dévoiler pourquoi craindrais-je encor® Vous voyez à vos pieds la femme de Victor. MADAME (avec émotion et surprise). Comment ? il est possible... ainsi Victor... — 192 — SCÈNE X. Les PrécÉDENTs. VICTOR , sortant du pavillon. VICTOR. ..….. Espère Recevoir son pardon dans les bras de sa mère. (11 court embrasser M." de Nangé.) MADAME. Mon fils! (4 Caroline) Relevez-vous. CAROLINE. Combien vous êtes bonne ! MADAME. Comme vous êtes, vous , une habile personne ! Tromper ainsi les gens, c’est fort mal à mes yeux... Je pourrais me fâcher..…. si je n’aimais bien mieux T'avouer le penchant que ton esprit m'inspire. (Elle prend la main de Caroline.) (4 Victor , après avoir remarqué son ruban.) Ce ruban que je vois, Victor , que veut-il dire ? VICTOR. e Lorsque je vous quittai , dans un malheureux jour , À Londres , tu le sais, j'établis mon séjour. Alors pour éviter l'imminente misère , J'essayai d'exercer mon talent littéraire. J'étudiai les mœurs , les arts chez les Anglais. — 193 — J'écrivis, et bientôt adoptant mes essais , Un journal de Paris en publia les pages. Moi , mettant à profit ces premiers avantages, Je redoublai de zèle, et mon labeur constant Fit à la fin éclore un ouvrage important. MADAME. Sous ton nom publié ? VICTOR. Non, sous un pseudonyme. Je recus de la presse un éloge unanime , Et le brillant succès à mon livre prédit , Au-delà de mes vœux promptement s accomplit. Que te dirais-je encor ? bientôt dans notre France On connut à la fois mon nom , ma résidence , Et notre ambassadeur , Mécène officieux , Demanda pour ton fils ce signe glorienx. MADAME. Bien, Mais dis-moi comment tu connus Caroline ? VICTOR. Chez mon hôte francais , vivait une orpheline , Sa nièce, qu'il aimait comme son propre enfant. Elle sut me charmer , et je la vis souvent. Parfois j'étais admis à lire devant elle Quelques vers inédits, ma dernière nouvelle, Et dans les jugements qu’alors elle portait, D'un esprit cultivé le bor goût éelatait. — 194 — Je l’admirai d'abord , et l'amour vint ensuite. Qui donc n'’eüt pas été sensible à son mérite , A sa beauté touchante, à ses douces vertus ! Vous la voyez, ma mère : ah! ne me blâämez plus. MADAME. Allons! pour le passé j'accorde grace entière ; Que chacun soit heureux, voilà mou vœu sincère. VICTOR. Alors ce bon Verteil peut espérer aussi ?...… MADAME (vivement). | Non , non, c'est de vous seuls que je m'occupe ici. VICTOR. Son zèle en ma faveur a causé sa disgràäce, Mais il peut être absous quand ma faute s'efface ; Et, si pour l'avenir le bonheur m'est rendu, Le bonheur à Verteil aussi n'est-il pas dû ? MADAME. Oh! ses mauvais conseils t’égaraient , j'en suis sûre. VICTOR. Tu te trompes, ma mère, et tu lui fais injure, Car en venant ici demander mon pardon, Je n'ai fait qu'écouter son inspiration. MADAME. Verteil avec ta sœur, contre la bienséance , Entretenait, mon fils, une correspondance. — 195 — VICTOR. Pour les torts de l'amour on peut être indulgent. MADAME, Mais s'il était au moins substitut maintenant. VICTOR. Dans deux jours , si j'en crois une lettre nouvelle, Sa nomination doit être officielle. MADAME (à Caroline, qui a fait un signe d'affirmation). Il arrive : comment est-il si bien au fait ? CAROLINE. Hier , chez son ami, madame, il se cachait. MADAME (ironiquement). Ah ! fort bien ! le complot voulait tout ce mystère! CAROLINE. Oui, nous avions tous trois conspiré pour vous plaire, Et pour vous rendre enfin favorable à nos vœux. MADAME. Eh bien donc, que Verteil à son tour soit heureux ! VICTOR ef CAROLINE , ensenble. Oh ! ma mére, merei. MADAME. Chut! mes enfants, silence! En À BU pre BIT FANS BTE C'est monsieur de Nangé qui vient ici, je pense. 137 — 196 — VICTOR. C'est mon père, dis-tu : nous courons | embrasser. MADAML. Il n’est pas temps encor : n’allons pas nous presser. Je désire à vos vœux le rendre favorable ; (Désignant le pavil!'on.) Entrez là... J'aurai soin au moment convenable De vous appeler — vite , entrez donc. (Ils entrent dans le pavillon.) SCÈNE XL. M.ve DE NANGÉ, seule. Maintenant Mon rôle dans l'intrigue est fort embarrassant, Car il me faut , changeant tout-à-coup de langage , Dans l'esprit de Nangé détruire mou ouvrage, Et servant d'avocat à ceux que j'accusais, Obtenir sans retard un tout autre succès. Pouvais-je aussi prévoir... SCÈNE XII. M. DE NANGÉ , Mme DE NANGÉ. NANGÉ. Ah! te voilà, mon ange ! Quand tes avis sont bons , aussitôt je m'y range ; Tiens, j'ai là le billet à Verteil destiné, Laconique , ilest vrai, mais joliment tourné. — 49 — MADAME (lisant le billet). Cher ami, ce billet est d’un excellent style, Mais tu peux le garder, car il est inutile. Oui... l’on doit à Verteil montrer moins de rigueur... NANGÉ. Ÿ penses-tu , mon cœur ? Il se moque des droits d’un père de famille , Sans ma permission il écrit à ma fille, Et tu veux que d’Elise il devienne l'époux ? MADAME. Réfléchis. Tu prendras des sentiments plus doux. Au fona tu n'as point tort; mais, mon Dieu! la jeunesse , Suivant un vieux dicton, a rarement sagesse , Etienne NANGÉ. Tous les vieux dictons ne sauraient m’adoucir; Non , à les marier je ne puis consentir. MADAME. Elise aime Verteil , et , j'en ai l'assurance , Nous céderons plus tard à leur vive insistance. NANGÉ. Nous céderons, dis-tu ? l’on verra bien , ma foi ! Je ne cède jamais : c'est ma règle , ma loi! — 198 — MADAME. Mais te conviendra-t-il de parler de la sorte, Si Verteil est nommé substitut ?..….…. NANGÉ. Peu m'importe! MADAME (désignant des papiers que son mari tient à la main). Cher ami, quel est done cet amas de papier ? NANGÉ. Ce n'est rien. MADAME. Comment rien? c’est un volume entier. NANGÉ (montrant une feuille détachée). C'est un certificat demandé par Adèle ; L'avenir ne doit pas être perdu pour elle, Et quels que soient ses torts... MADAME (interrompant). Nous pouvons la garder. NANGÉ. Quoi ! celle qui devait ici lui succéder... MADAME. N'entrera pas... =100-— NANGÉ. Comment ? MADAME. Certaine circonstance... NANGÉ. Mais rien ne peut d'Adèle excuser l’insolence. Quoi! n’a-t-elle pas dit que dans cette maison, L'on avait toujours vu régner le cotillon ? MADAME. Elle aura dit cela sans mauvaise pensée , D'un mot en l’air veux-tu que je sois offensée ? NANGÉ. Moi, je lui montrerai qui commande céans. MADAME. Adam à l’épouser songe depuis longtemps ; Si cette fille part, je crains qu’il ne nous quitte : Qu'il restent donc tous deux et s’épousent bien vite ! NANGEÉ. Sur le compte d'Adam je te crois dans l'erreur. La dot que j'ai promise à ce bon serviteur , A pour le retenir une vertu puissante. MADAME. Mais enfin je ne puis me passer de servante. — 200 — NANGÉ. Adèle sortira : le sort en est jeté , Morbleu !...… MADAME. Mon cher ami , quel langage irrité ! Calme-toi.….… sans aigreur tu peux me contredire. NANGÉ (uvec dépit). C'est qu'aussi..……. MADAME. Mais voyons... que voulais-je encor dire? Ah !..... d'écrire à Victor tu peux te dispenser. NANGÉ. La lettre va partir... je viens de la tracer. MADAME. Cette lettre n'est plus désormais nécessaire. NANGÉ. J'y déduis les raisons qui détournent son père D'accorder aujourd’hui le pardon imploré. MADAME. Tu peux de vive voix les déduire à ton gré, Car Victor est ici... NANGÉ (vivement surpris). Victor ei !...…. om 201 — MADAME. -. Sans doute. NANGÉ. Et sa femme ? MADAME. Avec lui s’est aussi mise en route. NANGÉ. Je vais les chapitrer de la belle facon. MADAME. Cela ne sert à rien... j'ai fait grâee en ton nom. NANGÉ. Quoi! sans m'avoir parlé , tu... c'est d’une imprudence!.…. Je ne puis excuser en bonne conscience... Mais où donc est Victor? MADAME. Ton fils impatient Attend là , près de nous , ton pardon indulgent. NANGÉ. Mais enfin... MADAME. Vainement tu prends ce ton farouche ; Ton bon cœur, j'en suis sûre , a démenti ta bouche. TE Tu brûles d'embrasser ce fils qui t'est rendu ; Oh !oui, de l'appeler le moment est venu ; (Appelant vers le pavillon). Mes enfants ! mon Victor, ton père te pardonne ! SCÈNE XIII. LEs PRÉCÉDENTS. CAROLINE , VICTOR. VICTOR. Ah ! mon père! (LU se jette dans les bras de Nangé, pendant que Caroline baise la main de ce dernier.) CAROLINE Monsieur ! NANGÉ (se tournant vers Caroline après une pause). La charmante personne ! (A part). L'émotion me laisse à peine respirer. (Se tournant vers Victor et fort ému). Mon fils !..... VICTOR. Dans le salon si vous vouliez entrer ? SCENE XIV. Les PRÉCÉDENTS. ADAM. ADAM. Ah ! bon Dieu! qu’ai-je vu ! je me trompe peut-être... Non . ma foi, c'est bien lui, c’est bien mon jeune maitre. — 203 — (S'approchant de Victor). Ah ! Monsieur ! vicror (lui serrant la main). Brave Adam ! ADAM (à part). Monsieur Victor ici ! Mais madame fait donc ce que veut +on mari ; Le monde est renversé !..... MADAME (s'approchant d'Adam). Pour qu'en cette journée , Une part de bonheur à chacun soit donnée , Notre femme de chambre avec nous restera, Et demain , s’il le veut, Adam l’épousera. (S'adressant à Nangé qui cause à voix basse avec W ictor). N'est-il pas vrai, mon cher... NANGÉ. Hein ! que dis-tu , mon ange ? MADAME (à Adam). Tout est d'accord. Lautest. oh! c'est vraiment étrange. MADAME (s'approchant de Caroline et lui présentant le schall qu'elle a déployé). Ma chère Caroline , acceptez maintenant Ce schall dont mon mari veut vous faire présent. Un — Je l'avais acheté d’abord pour ma toilette , Mais monsieur de Nangé critique cette emplette ; De moins vives couleurs, des bouquets moins nombreux A mon air, a-t-il dit, conviendraient beaucoup mieux. N'est-ce pas mon ami ?...…. CAROLINE (4 Nangé). Quoi ! d’un cadeau semblable NANGÉ (frès-embarrasse). Oui... je..... certainement. ADAM (à part). Oh ! c’est inconcevable ? MADAME. Au salon, mes enfants, nous allons tous entrer : Elise ne doit pas plus longtemps ignorer Que son père, comblant une vive espérance , De l’amoureux Verteil accepte l'alliance ; N'est-il pas vrai, Nangé ? NANGÉ (de plus en plus embarrassé). Sans doute... mes amis... Victor épousera.... non... qu'est-ce que je dis? Adèle épousera..….. Verteil..... non, non, Elise... Pardon , car le plaisir, ce retour... la surprise , Jettent dans mon esprit de la confusion. MADAME. L'on te sait toujours gré de ton intention. ? ir unité 00e (Ils s'éloignent ; Victor donne le bras à son père, Madame à Caroline ; et Adam, restant seul sur la scène , dit, après une légère pause :) Adèle reste ici de l’aveu de madame , Et, demain , si je veux, elle sera ma femme ; Mademoiselle Elise aussi vient d'obtenir Le mari que son cœur dès longtemps sut choisir ; Monsieur Victor revient, et, chose singulière, Sa femme obtient le schall qu’on refuse à sa mère : — Monsieur à donc tenu tout ce qu’il a promis, Et, ma foi, j'en conviens, il est Maître au logis. LA TOILE TOMBE. 3 > M h da ht anis s\panots mi en TUE ar rot Jshuraerehb, ln sAmiloss) à»: ‘1x mdurit vi Ms Cale | CAT IULINTE 20 Crea niéiqnl ane, Ain Gir AC 'obuntiirant fsass bléast-da oreslientét 2 M'eni-5e jure ( élu ut fa auwratle ,ainmeh , virordo"h trust ina outil #ffsaiontsbe M : tiairulo JPA 4 RES PT Guoe nos dup ira 01 S mroilugais ovuthu ab 'vesivnis- voit stirbastéo J om de É-ourie bo vb ados ul iusinio etre sà FUN AN OBS ÉTAT anof à nirterront er me Hi ,enoipeots et tar , 1 VAN LA part) oh Londl'renunte#tila 7 L LUI HAMOT RS so CA. dun Paie) re fer ou À dent Len urt pape‘: tie Pi ON ne plie longue harree Mu im | 2 ÂME cart win à ASE LL M lanete Vaciail TAN TT EN Note NT Alqie 4) Many À hihef ide quil up pa 400 ira resn tt) PUR TOLEE CU Je TE, Viobon APTE EL DL TON ART de tt ur DA ri i V tte ETIL 6% ; Men Aid 0 ut mène to FN Ur,.. ro an j tan POS uiré api réa PL ln enufuaion : Wars. #- CPL CZ TTRETE TE 3 FL Mr OU, Letters a LA VENGEANCE DES FLEURS, IMITATION DE FERDINAND FREILIGRATH, Par M.' A. BREUIL. — HONG — Vois : sur ce lit dort une jeune fille ; Ses longs cils noirs, profondément baissés , Par le pinceau semblent être tracés ; Sur chaque joue un vif incarnat brille. Près de la lampe au feu calme et discret, Repose un vase où des fleurs odorantes , Hier encor des jardins habitantes, Ont composé le plus riche bouquet. aps Le jour a fui : la nuit à pris l'empire Sans amener les brises sur ses pas, Et dans la chambre étroite , au plafond bas, L'air est brülant pour ie sein qui l’aspire. Que tout est calme à l'heure de minuit! Mais écoutons : les fleurs et la verdure Ont fait entendre un étrange murmure, Il s’enfle , il s'enfle, et devient un grand bruit ! Des corps légers, substances inconnues, Qui sont pareils, sous leurs aspects divers , A ces esprits peuplant l’onde et les airs, Sortent du fond des corolles émues. La rose s'ouvre : une femme aux doux yeux Sort de la fleur par Bulbul courtisée ; La perle brille en guise de rosée Sur sa poitrine et parmi ses cheveux. De j’aconit, qu'entoure un noir feuillage ge » Et dont la fleur montre un casque au sommet , Un chevalier, couvert de son armet. ? Sort !... la fierte siége sur son visage. Du lis, penchant sa coupe de san, S’échappe et glisse une vierge voilée ; La ronde toile en nos jardins filée , Est lourde au prix de son voile argentin. — 209 — La noble fleur qui porte une couronne, L'impériale , enfante un empereur ! Vois ces Trabans au glaive protecteur Que l'iris bleu pour sa garde lui donne. Mais du narcisse aussi va s’élancer Un beau jeune homme au front pâle et morose ; Il court au If où la belle repose Et sur sa bouche imprime un long baiser. Tandis qu'épris d’une ardeur amoureuse, Il baise encore et le front et les veux, Tous les esprits , essaim tumultueux , Chautent en chœur autour de la dormeuse : « Nous immolant, cruelle , à ton plaisir, Tu nous ravis ce matin à la terre Pour nous donner une prison de verre Où chaque fleur se fane et doit mourir. » Ah! sur le sein de la terre natale, Combien le vivre était hier charmant, Quand le soleil dans l’azur s'allumant Versait sur nous sa chaleur matinale ! » La des oiseaux résonnaient les concerts, Là le zéphir courbait nos tiges frêles , Et, dans sa fuite, emportait sur ses ailes Nos doux parfums qu'il semait dans Îles airs. 14. — 210 — » Là nous baignaient les limpides rosées : Ici nous ronge une eau prête à croupir ; Mais dans la fange avant de nous flétrir , Nous vengerons nos beautés méprisées ! » Quand des esprits a cessé la chanson, Tous, inclinés sur l'enfant sans défense , Pour consommer leur cruelle vêngeance Soufilent un air tout chargé de poison. Comme à sa perte ils s’acharnent sans trève ! Il semble, à voir sa fiévreuse rougeur , Et son beau corps crispé par la douleur , Qu'elle combat contre un horrible rêve. L'aurore a vu chaque fantome fuir, Comme un oiseau que le jour effarouche. La jeune enfant dort encor sur sa couche... Mais son réveil ne doit jamais venir! Las ! elle aussi, pauvre rose fance, Ne gardant plus qu'un reste de couleurs , Repose, morte, à côté de ses sœurs, Dont les esprits l'avaient empoisonnée. LE PAPILLON. Par M. S.r-A. BER VILLE. Un jour, dans la vallée humide, J'errais, par de riants sentiers, Entre le cours d’une eau limpide Et de frais buissons d'églantiers. Riche d’air libre et de silence, Enivré du parfam des bois, J'allais dans ma douce indolence, En révant aux jours d'autrefois ; En remontant vers l’heureux âge De l'espérance et des amours ; Beau temps, qui fuit comme un mirage, Et qui devrait durer toujours ! 1457 — 212 — Quand un papillon vif et leste, Frêle enfant de l’air et des cieux , Sur le sein d’une fleur modeste Abattit son vol gracieux : Et tout joyeux, battant de l'aile, Etalant ses mille couleurs , Il semblait une fleur nouvelle Qu'un vent balance entre des fleurs. Moi je disais : sur cet albâtre, Pauvre petit, repose-toi ; Heureux , de ton ébat folâtre De n'avoir pour témoin que moi! Si quelque autre était à ma place, Pauvret , que je plaindrais ton sort! Lui, voudrait te donner la chasse Pour te prendre et te mettre à mort ; Et pour le prix de sa victoire, Riche de meurtres superflus, I compterait dans son armoire, Demain , un cadavre de plus. Moi , j'aime à voir ta vive allure, Tes jeux, ton aimable gaité : Le vrai charme de la nature C'est la vie et la liberté. = 19f5 Avec moi l'oiseau du bocage Peut chanter sous l'abri du ciel, Sans avoir à craindre la cuge, Ni l'atteinte du plomb mortel. L'insecte à la robe splendide Peut voltiger sur le buisson, Sans peur de la gaze perfide, De l’épingle ni du carton. La blanche fleur de la prairie Peut s'entr'ouvrir, sans que ma main L’enlève à sa tige chérie, Pour qu’elle meure avant demain. L'homme , dans son instinet bizarre , Est l'ennemi de son plaisir, Et trop souvent sa main avare L’étouffe en croyant le saisir. Les biens qu’un Dieu montre à sa vue, En paix il ne peut les goûter ; Il arrache, il encage, il tue, Il touche à tout pour tout gâter. Pour moi le plaisir de détruire Est sans saveur et sans appas ; Je n'ai pas la fureur de nuire A l'être qui ne me nuit pas. — 214 — Je me regarde dans la vie Comme un hôte qu’on traite bien, Et qui, des dons qu'on lui confie Jouit, mais sans dérober rien. Par moi la nature est bénie ; Je n’ai garde de l'outrager , Et charmé de son harmonie, Je tremble de la déranger. 8ar cette corolle d’albâtre , Pauvre petit , repose-toi ; Heureux que ton ébat folâtre N'ait pas d'autre témoin que moi ! RAPPORT SUR LE PRIX DE SCULPTURE, Par M. ANSELIN. Messieurs , L'année 1845: comptera dans vos fastes comme une heureuse époque. Vous avez quelquefois, et toujours à regret, déclaré l'insuffisance des productions offertes à vos concours. — Cette année vous avez la. satisfaction de décerner une tfiple couronne. Les beaux-arts et la poésie ont répondu dignement à votre appel. Emus de toutes les gloires, vous avez été les pre- miers à provoquer le chant national de la bataille d’Isly, en même temps que vous demandiez à la sculpture la reproduction des traits d’un des hommes illustres de la cité. — Vos vœux ont été remplis — la victoire d’Isly vous a valu de nombreux, tributs — et dans quelques instants , les suffrages publics viendront, je n’en doute pas, confirmer votre jugement: — Quant au prix offert à la sculpture, le succès a dépassé votre espérance. — 216 — Depuis plusieurs années, Messieurs, vous n’aviez fait appel aux beaux-arts — la poésie , l'éloquence, ou des sujets d'une utilité incontestable, paraissaient les objets de votre prédilection , et cependant vous n'avez pas voulu laisser prescrire un des titres les plus glorieux de votre noble institution. — En proposant pour sujet de prix, le buste d'un des hommes qu'Amiens s'énorgueillit d’a- voir vu naître, vous rattachiez d’une manière plus iutime à l’histoire de la cité la gloire de ses enfants, et vous excitiez la noble émulation de ceux qu'une organisation privilégiée, appelle à marcher sur leurs traces. Aujourd'hui, Messieurs, epplaudissez-vous doublement du choix du sujet offert au concours. — C'est un de nos concitoyens ,;, un compatriote de Delambre , qui vient vous offrir le buste d'un savant’ dont la réputa- tion marche légale des plus illustres de celles que l’é- tude et la science ont consacrées. Déjà , Messieurs, repose dans vos archives l'éloge du collaborateur de Cassini, de La Place, de Dela- lande. Cet éloge, couronné par vous, était dû à la plame d'un de nos jeunes concitoyens, qu'une mort prématurée nous a trop tôt ravi. — Il a retracé les im- menses travaux et les longs services du savant astro- nome ; aujourd'hui, le marbre sculpté dans nos murs, en rappelant à ceux qui l'ont connu, les traits de Delambre , va transmette à nos neveux et son image et sa mémoire. Organe de la commission, chargée par vous, suivant l'usage , d'examiner le buste offert à l’Académie , ai-je besoin de dire que cette mission était purement hono- rifique. L'œuvre soumise pendant toute la durée de — 217 — deux expositions aux épreuves de la publicite et de la critique, n'avait partout recueilli que des éloges. -- La médaille d'or, obtenue par M. Forceville , n’était-elle pas la garantie la plus certaine du mérite de son œuvre. — Contentons-nous done sous le rapport de l'art, de la sanction émanée des juges les plus compétents, et bornons-nous à dire qu'il était impossible de rendre d'une manière plus heureuse le caractère , la bonhomie, la puissance de réflexion , la vérité de physionomie du savant et de l'homme de bien. Et lorsque nous qui l'a- vons connu, et qui comprenons la difficulté de l'exé- cution, nous pensons qu'un si beau résultat a été ob- tenu sous la foi d’un portrait médiocrement peint, nous nc saurions rendre trop de justice au talent du sculp- teur qui, dès les premiers pas dans la carrière, a si heureusement triomphé des obstacles et vaincu la dif- ficulté. En voyant ce marbre, Messieurs, en décernant à M. Forceville la médaille promise à l’auteur du buste de l’un de nos illustres concitoyens , vous ne pourrez manquer de faire un heureux rapprochement , et vous direz avec un sentiment de patriotisme dont l’orgueil vous sera pardonné : — Le savant célèbre, — Le panégyriste qui a remporté la palme de l'élo- quence , — Le sculpteur dont le ciseau a consacré par une œuvre couronnée les traits de Delambre, sont trois en- fants de la cité. Nous devons , Messieurs , de nouveaux remerciments à M. Forceville, c'est à sa ville natale qu'en fils gé- néreux, il avait fait don de son premier ouvrage ; c’est — 218 — à l’Académie qui le couronne aujourd'hui, qu'il à fait hommage du buste de Blasset ; de Blasset, le plus illus- tre statuaire que notre ville ait produit, de celui enfin dont chaque jour nous admirons les œuvres , dans notre cathédrale. RAPPORT SUR LE CONCOURS POUR LE PRIX DE POÉSIE, Par M. MACHART, Père. Messieurs , La mission des académies ne se borne pas à l'encou- ragement des sciences et des arts; un de leurs premiers devoirs est de travailler à développer le germe des sentiments élevés, en honorant les actes de la vertu et en glorifiant le courage des guerriers. Vous l'avez prouvé, Messieurs, par le sujet que vous avez choisi pour le prix de poésie de cette année. La victoire d'Isly n'est pas seulement un beau fait d'armes ; elle fut la lutte de la civilisation contre la barbarie, de la bravoure contre le fanatisme, de la science des combats contre l’aveugle élan d’une multi- tude sans discipline. Le résultat ne pouvait être dou- teux ; il a prouvé que nos généraux n'ont point oublié la lecon que Napoléon donna au pied des Pyramides, que nos soldats sont encore ceux dont les exploits éton- nêrent le monde, que l'esprit militaire, plus que jamais - 24800.— infusé dans nos mœurs, place notre indépendance au- dessus de toutes les rivalités qui pourraient la menacer. Considérée à ce point de vue, la victoire d'Isly était, je le répète, l’un des plus beaux sujets que vous pus- siez proposer aux inspirations de la poésie ; car tout ce qui est grand est poétique. Malheureusement , Messieurs, si de pareils sujets élè- vent et soutiennent le génie, ils ne le créent pas. Vingt- six pièces vous ont été adressées, et si l’on en excepte quelques-unes, on ne trouve dans les autres que des efforts plus ou moins impuissants. On peut les diviser en plusieurs séries : les pièces où le sujet n'est qu'indiqué ; — celles où il est traité mais de telle manière que, dans l'intérêt de ce sujet lui- même , il vaudrait pent-être mieux qu'il ne le füt pas; — celles où l’on trouve un tableau assez fidèle de la Bataille , mais où le dessin et la couleur manquent d'en- semble et d'éclat, c'est-à-dire de poésie ; — celles où des beautés réelles sont ternies par de graves défauts ; celles enfin qui ont offert une perfection assez soutenue pour partager les suffrages. Mais, pour arriver à celles-ci, que de bizarres con- ceptions il nous a fallu subir! Combien de prose rimée et de prétendus vers privés de rimes ! Combien de témé- rités prises pour de la hardiessse, d’emphâse donnée pour de la grandeur! Combien de gloire toujours ac- colée à la victoire! Combien d'idées pour lesquelles la critique elle-même n’a pas de nom. Devrons-nous le regretter? — Non, Messieurs, à cer- tain égard ; car le mauvais comme Île bon a ses ensei- gnements ; si l'un apprend ce qu'il faut faire, l’autre montre ce qu'il faut éviter. — Et puis, il faut l'avouer, ne l'admiration se lasse, et, après avoir applaudi aux nobles inspirations du talent, le lecteur n'est point fâché de leur comparer les vains efforts de l'impuissance. Impuis- sance et talent trouvent donc naturellement leur place dans un rapport qui, sans connaitre et sans indiquer les auteurs, doit se composer de justes critiques et d'éloges imérités. Un homme qu'il faut toujours citer quand il s'agit de goût, c'est-à-dire de véritable esprit et de ju- gement, a dit: Passez du grave au doux, du plaisant au sévère. Cela nous sera facile en citant ce que nous avons recueilli de meilleur et de plus mauvais dans les pièces qui vous ont été adressées. La premiére porte pour titre: CHANT NATIONAL. Mais, au lieu d’une hymne, on n’y trouve, dès l’abord, qu'une chanson ; l’auteur débute, en effet, par le couplet que VOICI : Braves Français, braves Francais, Sur les builetins de nos guerres, Quand on lit vos brillants succès, Ah! qu’on est fier d’être vos frères! Ah! qu'on est fier d’être français! Si l’on est forcé d’avouer que cela est beaucoup plus lyrique qu'héroïque, on reconnaît bientôt et avec plaisir que le talent ne manque pas à l’auteur ; il se relève, et, de chansonnier devenu poëte, il parle ainsi des soldats du Maroc : Ils n'ont jamais vu la colonne, Ce grand livre d’airain fait avec des canons, Dont le frontispice rayonne Et dont tous les feuillets sont couverts de vos noms. — 9222 — ils n'ont jamais passé sous l'arche triomphale Par où Napoléon revil sa capitale ! Digne porte ouverte au martyr... C'est vrai! Mais pour douter de vos cœurs intrépides, De Damiette et des Pyramides Le fdésert a-t-il donc perdu le souvenir ? Plût au ciel que toute la pièce füt écrite dans ce goût! Mais il n'en est point ainsi et d’ailleurs les règles ne sont pas toujours observées; l’auteur fait rimer moble avec noble, empire avec empire ; la licence est trop forte. Le poème suivant nous ramème du sévère au plai- sant ; l’auteur est élégiaque ; il ne dissimule pas qu'il n'a guères chanté que les Bosquets et les Ruisseaux, les Bergers et, par conséquent, les Bergères. Aussi, au lieu de se porter rapidement sur le champ de bataille, se place-t-il pastoralement sur ce qu'il nomme les rives sinueuses du modeste Audelot. Là s'élève une sainte cha- pelle, et, dans la chapelle, le poète voit: Poe … Non sans quelque surprise, Un grave personnage à barbe longue et grise Qui foule sous ses pieds des drapeaux ennemis ; Il brise entre ses mains des sceptres compromis , Et semble diriger, par son regard oblique, Sa pensée et son cœur vers le sol de l'Afrique. Le vieillard à l'œil oblique déclare qu'il est le génie de la France, et qu'il apporte dans la chapelle de saint Procule les drapeaux conquis par les Français. Puis, empruntant au jeune poête sa lyre pastorale, il s'en sert pour chanter la victoire d’sly. Par malheur, il la — 223 — chante de manière à prouver que s'il est le génie de la France, il n’est pas celui de la poésie ; voici comment il fait parler le général Bugeaud : Le plateau de l'Isly me paraît convenable ; Cette position nous sera favorable ; Passons l'Isly, surtout que ce soit à l'instant. Chaque bouche aussilôt répète en souriant : Passons l'Isly.…. Ce n’est pas ainsi que l'auteur de la pièce n.° 24 fait parler Abd-er-Rhaman : Enfin l'heure est venue où le crime s’expie, Où va tomber le joug de cette rame impie Qui voudrait, outrageant nos mœurs et notre foi, Nous choisir pour jouets de ses moindres caprices, Sous le nom de vertus, nous imposer ses vices, Des débris du croissant faire un trône à son roi! Comme il dessèche l'herbe au penchant des colines, Notre soleil de feu dévore leurs poitrines ; Ils respirent la mort dans le parfum des airs, Et s'ils cherchent, pour fuir, une route accessible, N'ont-ils pas, les tyrans, pour barrière invincible, L'Océan, d'un côté, de l’autre les déserts ? Tribus de Mahomet, marchez ! Dieu vous regarde ! Il sera votre force ; il sera votre garde. Allons! point de terreur! tous, d’un pas affermi, Défions ce ramas que le destin nous livre ; Tous soyons, dans ce jour où nous allons revivre, Les anges desiructeurs de ce vil enremi! J'ai cité Boileau, Messieurs, qui, dans une épitre à Louis XIV, a aussi décrit une bataille. Le courage ne — 224 — lui manquait pas ; cependant on voit que sa muse re— culait épouvantée devant les redoutables noms des villes allemandes Finissons (disait-il), aussi bien si la rime Allait mal à propos m'engager daus Arnheim, Je n’en sais, pour sortir, de porte qu’'Ildesheim. L'un de nos concurrents s’est montré plus hardi ; les noms arabes ne l’effraient pas : Au col de Teniah la lutte est sérieuse, Le col, pourtant dompté, nous mène à Médéah. La. mêlée, au retour, est en vain furieuse ; Nous restons pour toujours maîtres de Téniah… Mais bientôt un projet plus hardi nous appèle ; Il faut reconquérir les bords de la Tafna, Et, poussant vers Anglad toute tribu rebèle, Par un retour de l'Est rejoindre la Mina. Je vous fais grâce, Messieurs, de Tlemcen, Hachem et Mostaganem, du Bagar et du Chélif, de la Smalah surprise auprès de Gausilah. Le père Buffier n'eut pas mieux dit dans sa géographie en vers techniques qu'il nomme artificiels. Revenons à la poésie : L'auteur du n.° 16 nous ap- porte de véritables vers ; la mélée vient de s'engager : Vite, courbez la tête, Sectateurs du prophète, La mort est sur vos pas; C'est l'ange des ténèbres, L'ange aux ailes funébres, Ne le voyez-vous pas? EN Le Les prières, les larmes Sont de stériles armes Quand Dieu dicte sa loi; Sa parole est un glaive, Et chaque mort se lève S'il lui dit: lève-toi ! Si l’auteur peint Abd-el-Kader, il dit : Lui qui, faisant mentir les éternelles lois, Se montre à nos soldats en dix lieux à la fois. Quand le poête parle des décevantes espérances du Maroc, il les décrit ainsi : Il escompte déjà le prix de chaque tête; A vingt de nos soldats il en oppose cent, Et ses coursiers au loin portent notre défaite. Halte-là! Marocains, ralentissez vos pas; Si les fers sont tout prêts, l’esclave ne l’est pas. L'auteur fait-il parler le général français? C’est en ces termes : En avant! en avant! frappez et point de grâce ; Le succès suit toujours les généreux efforts. Soldats! j'espère en vous ; châtiez leur audace ; Ils comptaient les vivants ; nous compterons les morts. Toutes les muses, Messieurs, ne sont pas aussi bien inspirées que l’auteur dont je viens de vous citer l’ou- vrage. Si je consulte, à propos du maréchal Bugeaud, la pièce portant le n.° 21, au lieu d’une harangue 15. — 226 — éloquente, je trouve un portrait plus que bizarre, Île volCi : Les yeux vers l'ennemi, Bugeaud reste debout. Foyer incandescent, combien sa tête bout! Il se détourne à peine; ël est compris son signe! Et soudain notre France en colonne s’aligne. Descendre à la rivière et monter à ce camp, De Bugeaud voilà l'ordre et voilà le volcan. Explosion du cœur, électrique cratère ! Tu fais de nos soldats sentir le caractère, Car ils ont vu leur proie et l’ardeur va croissant, Et chacun de sa main veut casser le croissant. Un début heureux promettait, dans le n.° 3, une pièce digne de vos suffrages ; elle commence ainsi : Le jour où la fortune, insultant à la gloire, Trahit nos étendards usés par la victoire, Et renversa du trône un conquérant fameux ; Ce jour, dis-je, la paix, exauçons tous nos vœux, Du séjour éternel descendant sur la terre, Semblait avoir vaincu le démon de la guerre. Dans les champs ravagés des ossements épars Et les débris fumans des antiques remparts Marquaient encor les lieux où l'aigle impériale Poursuivit si longtemps sa course triomphale. Mais si ces vers promettaient , ce n’était malheureu- sement qu’une promessse. On voit avec regret : Que tandis que partout les nalions diverses Du chemin de la paix écartent les traverses, Le farouche africain à cet accord touchant Refuse de plier son naturel méchant. — 227 — On voit : Que tous les maux, les besoins, la fatigue Avec Abd-el-Kader contre nous font la digue ; Que la valeur les brave et l'arabe surpris Souvent nous croit vaincus au moment qu’il est pris. Nous trouvons un exemple de la même inégalité dans la pièce qui porte pour épigrapbe : EgrEgIos iNvrraANT PRÆMIA MORES. Dans une allusion au retard qu'a mis la France à tirer vengeance de l’affront fait à l’un de ses envoyés, l’au- teur nous donne d’abord ces beaux vers : Un grand peuple a t-il donc les haines du Vulgaire ? Faut-il, à tout propos, qu'esclave de son rang, Il sirrite, se venge et prodigue le sang ? Pourquoi, riches de gloire, acheter par des larmes Une lueur de plus à l'éclat de nos armes? Laissons les indigens demander au destin L'honneur nouveau pour eux d'un triomphe incertain. Pour nous qui sommes grands, pour nous dont les armées De la Seine au Volga, terribles, renommées, Ont du bruit de leur nom fatigué l'univers, Mépriser un affront n’est pas craindre un revers. Pourquoi faut-il qu'après cette poétique philosophie, l’auteur , comparant nos soldats à un roc inébranlable, ajoute : On les eut vus sans trouble et sans confusion, Agir avec le flegme et la précision Que l'on admire aux jours des paisibles parades. 16.* — 228 — La confusion , la précision et les paisibles parades sont sans doute des choses regrettables en vers; elles ne sont rien, toutefois, si on les compare aux détails tech- niques qu'offre la pièce n.° 23. On ne dirait pas mieux dans l’école du peloton écrite pour l'instruction de la garde nationale. Pendant ces faits vaillants, plus prompts que l'Aquilon, Morris, chef du second et troisième échelon, Voyant par le flanc droit que la cavalerie Fond en masse à grands coups sur notre infanterie, Soudain passe l'Isly, etc. Au signal de Bédeau, qui voit ce grand danger, Les chasseurs d'Orléans, le quinzième léger, Orgueilleux de combattre et suivi des zouaves, Volent rapidement au secours de nos braves. . . . . . Comme un essaim terrible enfin de toutes parts Débouchent les spahis, les chasseurs, les houzards. Sous leur glaive terrible et leurs mains meurtrières, A l'instant immolés roulent trois cents berbères. Par une sorte de poésie imitative, un autre concur- rent, pour nous donner une idée du courage avec le- quel nos soldats bravent les cohortes ennemies, se met à braver, avec non moins d’audace, toutes les règles de la versification : L'un des fils du Schérif, Muley-abd-er-Rhaman Commande en chef les troupes ; il ne veut pas d'Iman. = p999-— Il voulait nous surprendre, agir toujours en traître, Voulant, par ce moyen, du combat rester maître. Mais au poste d'honneur le français est debout, Et cette fois enfin déjoue le marabout. Cette rime harmonieuse a tenté un autre poète ; dans deux vers énergiques, il la reproduite avec d’autant plus de bonheur, qu’elle nous donne la date exacte de la bataille : Arrogant empereur, farouche marabout, C’est à vous de trembler... Voici le quatorze août ! Si l’auteur peint l’impétuosité de nos soldats, il s'écrie Réveillés aux accens de la trompe guerrière, On les voit se ruer comme une fourmilière. S'il veut une rime riche, il dit: Les Marocains vaincus et repoussés du sol, Nous ont abandonné jusqu’à leur parasol. Désirez-vous connaître, Messieurs, les noms de nos meilleurs généraux, un autre poète vous les indique : Tartas et Cavaignac, Gachot, Bastide, Houdaille Et cent beaux noms cités sur le champ de bataille. Non contents de l'harmonie des noms, voulez-vous celle des instruments guerriers, un autre poète vous la fournit : Le trombonne grondeur s’allonge comme un bras; La trompette, à côté du bugle qui sanglotte, Découpe nettement sa phrase note à note Et les clairons marquent le pas. — 230 — Et pourtant la pièce où se trouve ce quatrain est d'un homme doué d’une imagination riche et brillante ; elle renferme de fort belles choses qui, par malheur, ne peuvent être détachées. Cette réflexion me ramène du plaisant au sérieux. Une des plus belles images que le sujet pouvait offrir est la valeur calme de nos soldats sous le choc im- pétueux de leurs ennemis. Elle est peinte avec talent, quoiqu’en vers un peu durs, dans le n.° 11. Vainement la Mer écumante Brise au roc le flot mutiné, ; En vain la tempette tourmente Le chêne au sol enraciné : Plus fort que le roc et le chêne, Le devoir à leur poste enchaîne Nos officiers et nos soldats ; Debout, la poitrine frappée Ou par la balle ou par l'épée, Ils mourront, mais ne fuiront pas. Si l’on place ici les Français combattant en présence de la mort, vous les trouverez ailleurs, vainqueurs en présence des trésors laissés dans le camp marocain. Là c'est de la gaité, le sans-gêne, le laisser-aller qui va bien au militaire ; c'est Apollon en bonnet de police, la poésie du bivouac : Nos soldats, las de vraincre, enfin prennent haleine ; Sus les tapis de soie et le mol édredon Leurs membres fatigués s'étendent sans façon. Coussin, qui maintenant ployez sous la victoire, L'ouvrier V'a-t-il fait pour asseoir notre gloire ? Des pipes des vaincus les vainqueurs , nés malins, Savourept le tabac et les parfums divins. = 9 — Je passe sur la fin de ce tableau qui pourrait faire croire qu'il sort des mains de quelque muse grenadière qui laura tracé sur le lit de camp. Je passe également sur plusieurs autres ouvrages que je ne pourrais citer sans offenser le goût, et, ce qui est peut-être plus délicat encore , sans blesser quelques amours-propres. Il en est où l’on trouve de l'imagi- nation , de la verve, des parties très-remarquables , mais aussi des inégalités et des défauts. Parmi ces derniers, je signalerai les pièces qui portent pour épigraphes, savoir la première : Souvenez-vous de la journée d'Honein ; la seconde : Zrruunt cohortes ; la troisième : Alger est un empire ; la quatrième: #artus omnia vincit; la cin- quième : « Il y a toujours de l'écho en France dès qu'il « s'agit d'honneur et de patrie ; » la sixième : Egregios invitant præœmia mores ; la septième : Tout fuit, tout céde à nos armes; la huitième enfin, un Fragment du dis- cours du roi aux deux chambres. Tous ces poèmes ont été examinés avec soin. Deux (une ode et un dithyrambe ) ont paru très-supérieurs aux autres; aussi, est-ce entr'eux que le débat s’est engagé. Le jugement n’était pas facile, car les beautés qui distinguent ces deux écrits ne sont pas de même nature. Toutefois, l’un et l'autre se partageant les suf- frages, vous avez eru juste de partager le prix. Seule- ment, comme dans ce partage même, il fallait que Île rang des pièces fut fixé, vous avez pensé que le poème qui se recommande par le caractère le plus analogue au sujet, je veux dire la chaleur, la viva- cité, la variété d'un rithme savamment accordé avec les mouvement du combat, devait être cité le premier. C'est — DER — le dithyrambe. Il porte pour épigraphe le mot pris dans le sujet: Victoire ! L'auteur est M. Bignan, homme de lettres, déjà cou- ronné plus de vingt fois par d’autres académies. La seconde pèce (l’ode) a pour épigraphe ce vers d'Horace : CoNAMUR TENUES GRANDIA. L'auteur est M. Chevalier, doc- teur ès-lettres, à qui déjà, Messieurs, vous avez dé- cerné une couronne. Dans l'impossibilité de donner ici lecture des deux poèmes, je me bornerai à citer divers passages de celui auquel vous avez assigné le premier rang. O France! applaudis-toi! marche en levant la tête! Chante des Te Deum dans ton joyeux orgueil ! Que le bruit du canon, héraut des jours de fête, M'annonce un fraternel accueil ! Reconnais-moi, je fus ta vaillante compagne En Italie, en Allemagne, Aux bords du Nil, aux murs d'Anvers. Fille de la bravoure et mère de la gloire, Je suis ta sœur, je suis cette antique Victoire Qui pour toi conqgnit l'univers. J’accours de la terre africaine , De ce vieux sol d'où tes guerriers Sous Bonaparte et sous Duquesne Revinrent avec des lauriers, Témoin d’une triple bataille. Du soleil et de la mitraille Le front noir et fumant encor, Je viens en lettres triomphales Graver trois mots dans tes annales, Isly, Tanger et Mogador. 00] » Re), — LA De forbans un peuple barbare Ose insulter tes pavillons ! Dans le fol espoir qui l’égare Il foule aux pieds tes bataillons ! I1 se dit : « Je brave le monde » Qui dans les déserts ou sur l'onde » Ne peut m'atteindre nulle part. » Belliqueux enfant du Prophète, » Je suis gardé par la tempête, » Et l'Atlas me sert de rempart. » Allah de mes états partout défend l'entrée, » Et les affronts toujours me restent inconnus. » Des chrétiens, des Français sur ma terre sacrée » Ne viendront pas 2... » Ils sont venus! Leurs vaisseaux, balayant un perfide rivage, Ont lancé les feux du ravage Dans ces cités et dans ces ports, Et l’Arabe qui fuit consterné de sa perte, Leur laisse pour trophée une plaine couverte De butin, de sang et de morts. Ainsi sur sa double frontière Le Prince aux défis insolents D'une ceinture meurtrière A senti presser ses deux flancs. Un combat finissait à peine Que soudain , sans reprendre haleine, Vers un autre je m'’élançais ; Guerrière au rendez-vous fidèle , J'ai presque fatigué mon aile A suivre le vol des Français. O splendide reflet de l’astre de l'empire! De quel transport d'orgueil mon âme a tressailli, — 2354 — Quand les hardis exploits que ma présence inspire, Eclataient aux abords de l’Isly ! L'Isly ! nom désormais eutré dans la mémoire, Et sur la carte de l’histoire Marqué de mon glorieux sceau! Nom jusqu'alors obscur et maintenant illustre , Tant je sais, des hauts faits éternisant le lustre, Immortaliser un ruisseau ! Pour toi dans les sables d'Afrique Combien de palmes enfanta, O France! ta lutte énergique Avec le nouveau Jugurtha ! Mais en vain des tentes conquises, Des champs brûlés, des villes prises Prouvaient ta force contre lui. Dans une si longue épopée C'étaient de brillants coups d'épée Et c’est la bataille aujourd'hui ! Que le fils du sultan dans son aveugle joie Vante de ses tribus le nombre illimité ! Autour du parasol que son camp se déploie Plus grand qu'une grande cité ! Que des noirs escadrons qui tous se précipitent, Les trente mille bras agitent Leurs sabres altérés d’exploits ! Le Français soutiendra leur masse colossale. La chance entr'eux et lui n'est-elle pas égale, Puisqu’il combat un contre trois ? Arrière , arrière les cohortes De ces barbares mécréants , Qui n’ont pas les mains assez fortes Pour briser des fronts de géants ! Non, sous leur fougue mutinée Votre valeur disciplinée , Français! ne succombera pas. Gardez votre noble attitude. Ils ne sont qu'une multitude Et vous seuls êtes des soldats ! Leur tourbe vainement autour de vous s’amasse. Opposez le sang froid à leur aveugle ardeur , Et que nos bataillons de leur confuse masse Percent la vaste profondeur ! Tel l’agile vaisseau qui fend la mer immense, Vainqueur des flots dont la démence En rugissant vient le heurter, L'abime sous les pieds, la foudre sur la tête, Armé de ses agrès, traverse la tempête Qui le poursuit sans l'arrêter. Fantassins! que vos baïonnettes Vous ouvrent un sanglant chemin ! Cavaliers ! au son des trompettes , Chargez, vos sabres à la main! Artilleurs ! sur cette redoute, Sur cette colonne en déroute Pointez vos bronzes triomphants ! Achevez votre œuvre de gloire, Et méritez que la Victoire Reconnaisse en vous ses enfants ! Oui, je vous reconnais et vous admire encore. Des soldats de Kléber vous étes tous les fils, Et l'Isly voit briller une seconde aurore Du grand jour d'Héliopolis. Quatre heures de combat et la guerre s'achève. Le vaincu cède à votre glaive — 236 — Onze canons, vingt-deux drapeaux , Du rang impérial le belliqueux emblême , Et la tente nomade où le maître lui-même Sommeillait , la veille, en repos. . France ! quand aux autels tu suspends les trophées Que j'apporte à tes pieds d’un rivage lointain, Songe que des combats les fureurs étouftées Seraient le plus noble butin. O bonheur ! tu reviens tes foudres encor prêtes, Et du‘jeu sanglant des conquêtes Tu fuis le conseil suborneur. Ton front victorieux de deux palmes s’ombrage ; Ta main, en terminant la guerre avec courage, Signe la paix avec honneur, Lorsque, géante militaire , En tes rapides armements, Tu fais un pas, soudain la terre S'agite dans ses fondements. Mais si les nations rivales, Réveillant des haines fatales, S'enhardissaieñt de ton danger, Tes armes ont su les convaincre Que tu n'avais pas peur de vaincre A la face de l'étranger. Je termine, Messieurs, en regrettant de ne pouvoir vous lire cette pièce entière et de ne pouvoir égale- ment donner lecture de celle dans laquelle M. Che- valier lui a disputé vos suffrages. D HËG-0 1845--1846. — 46 — Lg rang lpé lt e Aetifquems cibén BC ta otre on" Ÿ6 aie Wprurtne encre tu ‘mile 1 oi abbalenti se Hu pl 4718 Trance } ousd ou, lite ee tremplin Les: Fruourtegh dé pasds d'oise foirtghn : Sony ne: dérmombnts fes chars. Sabre: re bd bte Bai: : Opusthgnte! 40 coin les Minis rinuit péëtes , A D Mu itate té osnstt enter, ] Je. 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MEssteurs, Une petite république de l'antiquité avait, dit-on, adopté cette singulière maxime : « Si quelqu'un parmi nous veut exceller, qu'il aille exceller ailleurs. » Cet exemple heureusement est unique dans l’histoire ; à quelque degré qu’un peuple ait poussé l’amour de l’in- dépendance personnelle, jamais on ne le vit sacrifier le sentiment de l’honneur national, en consacrant pu- bliquement l'empire de la médiocrité. Quelque part, au contraire , que l’on jette les yeux, il n'est pas de sen- timent dont on rencontre des témoignages plus constants et plus unanimes que le respect pour le génie. Des villes se disputent l'honneur d’avoir donné le jour à un grand homme. Le lieu de sa naissance est- il connu ? on s’empresse de le consacrer par des mo- numents ; des fêtes publiques sont instituées en son hon- peur. [’antiquité met ses héros au rang des Dieux ; souvent elle les place au-dessus de ses Dieux mêmes. — 240 — Est-ce l'admiration seule et la reconnaissance que l’on doit voir dans le culte du génie? L’admiration? point de sentiment qui se lasse plus vite. Près du chef-d'œuvre qui excitait la veille le plus vif enthousiasme, on passe indifférent le lendemain ; ou, si l'on y arrête un instant ses regards, ce sera peut- être pour se consoler, en v trouvant des défauts, de l’aveu qu'on regrette tout bas d’avoir fait de sa propre infériorité. La reconnaissance ? Vertu trop rare, hélas! chez les individus , plus rare encore dans les masses. Sans doute il n'est pas toujours vrai qu'on ne soit grand homme qu'après la mort ; mais Aristide exilé, Socrate buvant la cigüe , Manlius précipité de la roche Tarpeïenne, ne prouvent-ils pas assez qu'avoir enseigné à un peuple la sagesse par ses leçons et la vertu par ses exemples, que l'avoir sauvé même au prix de son sang, n'est pas toujours un titre suffisant, je ne dirai pas pour obtenir son amour, mais pour être exempt de sa haine. Cependant, en dehors des sentiments que semble de- voir le plus naturellement inspirer le génie, où cher- cher la cause des hommages dont il est entouré ? Où la chercher, Messieurs? dans cette sorte d'ins- tinct, si je puis m'exprimer ainsi, que Dieu, qui à fait de la société la loi de l'humanité, a donné aux peuples comme aux individus, pour assurer leur con- servation et leur développement. Toute réunion d'hommes ne mérite pas le titre de nation. Pour qu'elle en soit digne, il faut que des souvenirs transmis de génération en génération, lui donnent le sentiment de la continuité de son existence, et rattachent ses citoyens au sol illustré par leurs pères ; Il faut que des idées, des sentiments communs les unissent les uns aux autres ; Il faut qu’un caractère qui leur soit propre se con- serve tout en se développant dans la suite des temps. Ces conditions d'existence et de progrès peuvent se résoudre en une seule : il faut que la société produise des hommes assez grands pour résumer en eux la vie commune , pour être ses représentants dans le présent et le passé, ses guides vers l'avenir. Et de quel amour une nation ne doit-elle pas entourer ces pères de sa civilisation, alors que contemplant en eux sa propre image ennoblie par leur génie, elle songe à tout ce qu’à leur tour ils ont recu d'elle, et méle le juste orgueil de sa propre grandeur aux hommages qu'elle rend à ses enfants! On l’a remarqué avec raison : Il n’est point d'hommes plus attachés à leur patrie que ceux qui ont vu le jour dans les contrées les plus âpres et les plus sau- vages. L’habitant des montagnes ne les quitte un mo- ment que pour s'assurer les moyens. de retourner y finir ses jours. Enlevé à ses glaces natales, l'habitant du pôle meurt de regret au milieu du luxe de la civili- sation ; et cependant on voit le citoyen de la contrée la plus riche du monde abandonner l'ile paternelle pour promener en tout lieu l’accablant ennui qui le ronge, funeste enfant de sa patrie qui le tue quand il y rentre. D'où n'ait un tel contraste ? C'est qu'à chaque pointe de rocher, à chaque torrent, à chaque vallée, l’habi- tant des montagnes rattache un des tableaux de son existence passée, des fatigues subies, un danger sur- monté, un amour.….., une douleur peut-être. Tandis que, bercé au sein d’une civilisation uniforme dans ses 16. — 242 — merveilles, le riche habitant des villes manque de ces points saillants auxquels on a besoin de se pren- dre pour remonter Île passé. Des jouissances toujours les mêmes n'offrent à son esprit ni souvenirs ni espé- rances. Il ne vit que du présent et vivre du présent seul, c’est mourir. Ce que sont pour les individus les’ souvenirs pour ainsi dire iwatériels de la patrie , la mémoire des grands hommes le représente dans la vie morale des nations. Bien plus éloquemment ‘que le détail stérile des faits, le nom d’un héros, d'un poète illustre, d'un grand orateur résume à lui seul toute une époque de combat ou de gloire. C'est Clovis entrant le premier par le christianisme dans la civilisation, Charles Martel faisant reculer les flots de la barbarie musulmane, Charlemagne rallumant le flambeau des sciences, et réunissant sous son sceptre, les peuples encore à demi-sauvages qui devaient devenir les plus puissantes nations modernes , afin que la France n'eût de rivaux que. ceux dont elle a formé l'enfance. C'est un fils de cette cité, c'est Pierre l’'Hermite en- trainant l'Europe entière sur ses pas, pour aller fonder le royaume français en Palestine et l’empire français de Constantinople. Ici l’antique Allemagne abaisse son sceptre impériai devant l’épée de Philippe Auguste. Là Duguesclin et, plus grande encore , Jeanne d’Arce, arrachent par la force des armes à l'Anglais ces provinces qu’il retenait à titre d’héritage. Dans le nom de Bayard, la France résume les sou- venirs de sa grandeur chevaleresque. Avec le prince qui voulüt être armé de sa main, elle inaugure son = Ph = règne nouveau dans le domaine des sciences , des lettres et des arts. Depuis, combien de noms glorieux s'offrent à nos hom- mages! Mais pourquoi les rappeler ? Ne sont-ils pas dans la mémoire de tous? Chacun de ces noms ne retrace- t-il pas toute cette époque de gloire, grande par les armes, plus grande par les conquêtes de l'esprit, cette époque qui, par les prodigieux développemets donnés à la pensée, prépare jusqu'aux changements qui de- vaient, après elle, renouveler la face de la société, cette époque, en un mot, après laquelle il semblait qu'on ne püt que déchoir, et qui cependant aboutit, par une suite non interrompue de grands hommes, à une gloire plus grande encore peut-être, à celle du siècle de Napoléon ? Oui, Messieurs ! la génération sur qui brille l'éclat d’un tel nom, marche l’égale des plus glorieuses. Qu’im- porte qu'épuisée de sang , elle «it enfin succombé sous le nombre ? De ses combats, de ses triomphes, une part lui est restée, que le sort des armes ne pouvait lui ravir : C'est le sentiment national accru par la com- miunauté d'efforts, d’espérances et d'amour , exalté plus encore peut-être par la communauté de douleurs et de regrets. Tel est en effet l'un des plus éminents services que les grands hommes rendent aux sociétés : Ce sont eux qui en fondent l'unité, et ÿ développent l’amour et l'or- gueil de la patrie. Guerriers, c’est à l’exemple de leur dévouement que s'allume l'esprit militaire et que l’héroïsme devient une habitude nationale. Philosophes, savants, ils éveillent l'esprit de recherches, entraînent à leur suite les peu- 16.# … Où — ples dans les voies nouvelles qu'ils se fraient. Poètes, littérateurs, artistes, ils font plus encore peut-être : ils font passer dans les masses les idées, les sentiments embellis ou ennoblis par leur génie ; ils leur apprennent à penser en commun. Delà cette bienveillance qu'il est si naturel et si doux de porter à ses concitoyens. Sûr de retrouver chez eux les mêmes habitudes , les mêmes affections que l’on porte en soi-même, on se sent en quelque sorte vivre en eux ; et c’est parce qu’il augmente ainsi la faculté de sentir, parce qu'il agrandit l'âme en chassant l’égoïsme, qu'aux yeux de la plus froide raison, comme pour les instincts du cœur, le patriotisme est une vertu. Mais pour qu'il naisse et se développe chez une nation, il faut qu’elle possède, si l’on peut s'exprimer ainsi, une sorte de patrimoine moral dont l'usage com- mun rappelle sans cesse à ses enfants qu'ils sont frères. Aussi, qu’on ne le cherche pas chez les peuples abrutis par l'oisiveté et l'ignorance, ou pétrifiés par une civi- lisation immobile; qu'on ne le cherche pas sous le régime d’un despotisme ombrageux qu'alarme toute su- périorité sociale ; qu’on ne Île cherche pas dans ces empires formés par la conquête et dont le rapide ac- croissement sient quelquefois effrayer le monde. Assem- blages confus de peuples que tout sépare et que la violence seule unit, ce qui fait la force des sociétés librement formées, est ici cause de faiblesse. On ne suit qu'à regret wn drapeau sur lequel ne brillent point: inscrits des noms connus et chers. En vain la tyrannie s’efforcera-t-elle de faire vivre d’une vie commune les peuples opprimés ou plutôt de les faire mourir à la vie qui leur est propre. En vain s’attachera-t-elle à dé- — 245 — truire les monuments de leur grandeur passée, à briser leurs liens religieux, à changer leurs lois, leurs cou- tumes et leurs mœurs ; en vain veillera-t-elle avec un soin jaloux à ce que sur la terre esclave ne fleurisse plus le génie; il est des souvenirs contre lesquels elle est impuissante. Elle peut bien mutiler le présent, mais non point anéantir le passé ; et l’avenir aussi lui échappe. Ne pouvant plus vivre d’affections communes, le pa- triotisme l’alimentera de la commune haine: non plus source de progrès, mais instrument de vengeance et saint encore dans cette transformation terrible, gar- dant aux vaincus tous leurs droits au respect, tous leurs titres comme nation. Et que lon ne croie pas que, venant en aide à la force, les intérêts matériels suffisent pour fondre à la longue en une seule des populations ennemies. Où les mœurs diffèrent, les intérêts, fussent-ils communs, sem- blent devenir opposés. Aux temps où la féodalité mor- celait le sol de l’Europe, les besoins réels étaient-ils autres qu'ils ne furent depuis? Et cependant, lorsque des races étrangères les unes des autres se furent implantées sur le sol, que devinrent les relations créées entre les peuples, au sein de la civilisation romaine ? Des passions éphémères, des colères, des caprices suffi- saient à rapprocher, à désunir des alliées d’un jour, ennemis le lendemain. Que de siècles ne fallut-il point pour que les enfants d'une même patrie apprissent enfin qu'ils étaient frères ! Que d’efforts longs et pénibles ! mais pourquoi s'en éton- ner? Quelles traditions pouvaient s'établir, quel carac- tère national se développer chez des peuples incessam- ment bouleversés par la guerre, sans lois, sans limites — 246 — fixes et même sans langage à eux! Pour retrouver un principe d'unité, il fallut remonter jusqu'à l'antiquité, lui emprunter et sa langue et des débris de ses sciences et surtout l'ascendant de ses grands noms. Delà ce culte presque superstitieux qui, longtemps, courba la pensée même sous l'autorité des chefs adoptés par la civilisation renaissante. Ce culte, Messieurs, est passé jusqu'à nous. Tout riches qué nous sommes de notre propre fonds, ce sont encore les grands hommes de l'antiquité qui sont nos premiers maîtres ét nos premiers modèles. Hommage exagéré peut-être, non point injuste cepeudant! notre civilisatiou n'est-elle point fille de la leur? le génie national, les œuvres qu'il a créées, ne portent-ils pas l’empreinte profonde des traditions qu'ils nous ont lé- guées? N'est-ce pas à Rome que nous avons emprunté la plupart de nos lois? le plus puissant de nos senti- ments, l'esprit de liberté se serait-il développé si vite sans l'heureuse inconséquence, qui, sous le pouvoir absolu, entourait nos pères des glorieux souvenirs des anciennes républiques? Et notre littérature, à qui nous devons une suprématie incontestée même de nos plus fiers rivaux, que ne doit-elle pas aux génies immortels qu’elle a pris pour modéles ! Est-il sûr que nous aurions Racine sans Sophocle, Boileau sans Horace ? Molière lui-même ne doit-il pas quelque chose à Térence et La Fontaine à Phédre. ? Ah! ne craignons pas d'offrir à nos devanciers le tribut d'une juste reconnaissance. Une part assez belle nous reste, S'il est vrai, en effet, que les grands hommes aient de justes droits aux respects des peuples dont ils assurent et préparent tes destinées, combien à leur — 247 — tour ne doivent-ils pas à leur siècle et à leur pays! A chaque époque l’on sent, pour ainsi dire, eir- culer autour de soi certains sentiments, certaines idées dont nul ne pourrait préciser l'origine, et qui semblent éclore à la fois dans tous les esprits. Vagues et indé- cises pour le plus grand nombre, ces idées apparais- sent plus distinctes à quelques intelligences d'élite ; elles s’en emparent, les fécondent et en font sortir ces chefs- d'œuvre d'autant plus admirés que chacun y reconnaît comme un souvenir de ses rêves. Si, dans les œuvres de l'imagination, la part de l’au- teur est presque toujours la plus forte, dans les sciences et les arts, qui se perfectionnent par degrés insensi- bles, l’action des masses est telle que souvent elle se montre seule, et que les plus belles découvertes sem blent n'avoir pas eu d'inventeur. Etonnés du mystère qui entoure le berceau des connaissances humaines, les anciens en attribuaient aux Dieux la révélation; et, de nos jours, la même obseurité règne sur l’origine de faits presque contemporains. Newton et Leibnitz se dis- putent l'honneur de la plus belle découverte qui ait été faite dans le domaine des sciences mathématiques. La France la revendique au nom de Fermat. De nos jours, deux inventions partagent l'admiration universelle, et tiennent le monde dans l'attente des changements qu'elles doivent enfanter : la vapeur et les chemins de fer sont d'hier. À qui les doit-on? on l'ignore. Il est heureux sans doute que, dans les ouvrages de l'esprit , le cachet de l’auteur, plus distinct, garantisse mieux sa gloire. Mais si l'on doutait de la part qui en doit revenir à la société tont entière, que l’on com- pare entre elles les mœurs d'une même époque. Quel- — 248 — que différentes qu'elle soient par leur nature, par leur objet, on y trouvera des analogies, un air de famille, si je puis m'expliquer ainsi, qu'elles n’offrent plus avec les productions d’un autre âge. Tantôt leurs beautés, tantôt leurs défauts mêmes attestent leur commune origine. Jusque dans Corneille ne trouve-t-on pas des traces de cette affectation que les auteurs contemporains ne sürent pas racheter comme lui par des beautés su- blimes; et l'honneur ombrageux de son siècle n’a-t-il pas quelquefois dicté le langage de ses héros ? Si la majestueuse grandeur du règne de Louis XIV brille dans la beauté si calme et si noble de Racine, n'est-ce pas à l'élégance et à la grâce exquise de sa cour que l'on doit le misanthrope ? Au siècle de Voltaire, la philosophie gagne jusqu'aux poètes et aux géomètres, et, de notre temps, que trou- vons-nous dans tous les écrivains, poètes, romanciers, orateurs? de la rêverie et de la politique tour à tour ;- jallais presque dire: à la fois. : Dans la marche incessante de l'humanité, chaque gé- nération a sa tâche spéciale et, par conséquent aussi, s0n caractère propre qui se manifeste dans ses œuvres. De même, chaque peuple a recu une mission conforme à son génie national. Celle de la France parait être de perfectionner en tout les œuvres de la civilisation, d'y faire régner l'équilibre et l'harmonie. Aussi le don qu'elle a reçu par excellence est-il celui de l'ordre et de la logique. Delà l'unité de ses lois et de son admi- nistration ; delà le rigoureux enchainement d'idées qui caractérise sa langue, et qui en fait dans les traités la gardienne des droits des nations. Dans les œuvres — (1249. de l'esprit, le sentiment des perfections et des accords, linstinct des convenances a reçu un nom : c’est le goût, attribut presque exclusif de l'esprit francais, règle in- variable de ses grands hommes et source de leurs plus brillants succès-; le goût qui, uni à l’ingénieuse finesse de l’obsèrvation, à la délicatesse de la pensée ou à la grandeur des sentiments, devient tour à tour la rail- lerie de Molière, la grâce de La Fontaine, la noblesse de Racine ou la majesté de Bossuet. A divers titres, d’autres nations peuvent réclamer leur part de supériorité. L'Italie s'enorgueillit d’avoir pu seule donner des successeurs et, parmi eux, un rival à Vir- gile. L'Allemagne a ses penseurs et ses philosophes. L'Angleterre est fière, à bon droit, de l'énergie souvent sublime de ses poètes, de l’analyse aussi profonde qu’in- génteuse de ses romanciers. Ne méconnaissons point les titres de nos rivaux ; laissons à chacun son domaine ; mais gardons-nous de craindre qu'aucun d'eux puisse prétendre à l'empire. Si l’on comparait la valeur indi- viduelle des hommes, peut être, parmi ceux dont se vantent les nations étrangères , en trouverait-on d’égaux, de supérieurs même aux nôtres. Mais toujours il man- que à leurs œuvres quelque chose de cette perfection à laquelle pouvaient seules conduire l'obligation de se soumettre à une règle sévère et l'attente du jugement d’arbitres éclairés. C’est par là que la France surtout peut revendiquer une grande part dans la gloire de ses plus illustres enfants. En même temps que les idées propres à leurs temps leur fournissaient la matière sur laquelle devait s'exercer leur talent, le goût national leur faisait en- trevoir la forme suivant laquelle ils devaient la modeler. — 250 — Il proscrivait et l’enflure et les ornements recherchés qui déparent les beautés les plus réelles, l'affectation de profondeur qui conduit la pensée à se perdre dans les nuages d’une rêverie sans limite , l'alliance du ter- rible et du bouffon , du sublime et du grostesque. Avant que le plus sévère et le plus irréprochable des critiques ne s’inmortalisât en traçant le code du bon goût, l’ins- tinct national lui en avait à lui-même indiqué les règles. C'est ce que paraissent n'avoir point compris, dans quelques-unes au moins de leurs œuvres, des hommes vraiment supérieurs pourtant qui, remarquant avec raison que nos mœurs nouvelles n’admettent plus dans la lit- térature les formes du passé, se sont engagés dans les routes ouvertes par le génie étranger, au lieu de s’en frayer à eux-mêmes de nouvelles. Tout en admirant les beautés véritables, le sentiment publie a rejetté, l’al- liage emprunté à des littératures inférieures. Il n’ac- corde son admiration tout entière qu'aux œuvres em- preintes à la fois de l'esprit du siècle et de celui de la nation. Mais aussi avec quel enthousiasme sont accueillis les ouvrages qui présentent à la fois ce double caractère! les défauts mêmes semblent des qualités quand tout le monde les partage. Vous en avez une preuve, Mes- sieurs, dans l’homme illustre dont vous avez voulu aujourd'hui honorer la mémoire. Par la finesse, par la grâce, par l'esprit qu'il répand à pleines mains, Voiture est bien l'homme de son pays. Peut-être sa gloire eût- elle eu moins à souffrir du temps, s’il eût été moins l'homme de son siècle. Quoiqu'il en soit, c'est toujours un de ces moms dont une cité peut, à juste titre, être fière ; et, qu'il me soit permis de le dire, à au- — 201 — cune plus qu'à la nôtre, il ne convient de rappeler un tel souvenir. La franchise et la loyauté des habitants de cette province sont devenues proverbiales. Nul ne leur conteste ni-le courage, ni cette raison calme et ferme dont ïils ont donné tant de preuves; mais il faut les mieux connaître pour distinguer, sous des de- hors quelquefois rudes, l'esprit souvent railleur et fin, le tact délicat qu'ils aiment à voiler sous une naïveté apparente. A l’observateur inattentif qui leur conteste- rait ces qualités, comment pourrait-on mieux répondre qu'en citant les noms qui les rappellent au plus haut degré ? Il m'est interdit de les nommer tous dans cette enceinte ; mais, puisque je dois me borner au passé, si l’on est forcé d’accorder la justesse et la profondeur du jugement à la cité qui vit naître Ducange et De- lambre, peut-on refuser l'élégance et la délicatesse de l'esprit à la patrie de Gresset et de Voiture ? 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Cette fois encore, je me suis demandé si j'avais tort ou raison de persévérer dans la marche que j'ai constamment suivie, celle qui consiste à analyser séparément les mémoires qui vous ont été lus, sans chercher à rattacher ces analyses les unes aux autres, de manière à en faire un tout com- pact , un ensemble parfait. Quelques efforts que je pusse tenter, quelque bien inspiré que je pusse être à trouver des transitions heureuses entre des sujets aussi dispa- rates que ceux dont j'ai à vous rendre compte, j'ai été forcé de reconnaître, et vous reconnaitrez sans doute avec moi, qu'un tel travail ne serait jamais qu'une — 254 — pièce de rapports, une œuvre de marqueterie, et que mieux vaut peut-être laisser à ce travail son caractère propre, sa simplicité naturelle, que de lui donner des liens et des ornements au milieu desquels il paraitrait contraint et guindé. C'est donc sous l'empire de cette pensée que ee compte- rendu a été rédigé, et, comme par le passé, je me suis imposé l'obligation de conserver à ces extraits Ja physionomie, et le plus souvent, le style même des ouvrages d’où ils proviennent. Messieurs, l’Académie a fait, cette année, une perte qu'elle ressentira longtemps et qu'il lui sera bien dif- ficile de réparer. M. Spineux lui a été enlevé dans toute la force de l’âge et du talent. Une voix amie va tout- à-l'heure vous raconter la vie si pleine, si utilement employée de cet honorable citoyen, et vous compren- drez, comme nous, la grandeur du vide laissé, par sa mort, dans tous les corps qui s'étaient empressés de se l’attacher. Des deux prix que vous aviez offerts à ceux qui se livrent à la pratique de l’agriculture, à ceux qui se consacrent au culte des lettres, un seul a été rem- porté: le nom de l’heureux vainqueur sera bientôt proclamé : Je vais maintenant commencer. M. Awprieu vous a présenté des observations théo- riques et pratiques sur l'opération de la cataracte par dépression. Presque toutes les maladies chirurgi- cales sont aujourd'hui parfaitement connues, sous le rap- port de leurs phénomènes ; mais les indications du trai- tement qu'elles réclament n'apparaissent pas toujours clairement aux veux des praticiens qui, divisés sur le — 95be— traitement à suivre, attaquent le mal par des procédés différents. M. Andrieu trouve dans l'histoire de la ca- taracte, un exemple frappant de cette observation. Pour lui, les deux méthodes généralement employées ont leurs malheurs particuliers, leurs accidents communs. Elles comptent un nombre égal de succès , de telle sorte que le procédé le plus avantageux n'est, en définitive, que celui auquel le chirurgien s’est le plus longtemps exercé. Parmi les inconvénients attachés à l'opération, M. An- drieu vous a annoncé que le hasard l’a peut-être mis sur la voie d'un moyen qui lui permet d'éviter l’un des plus graves. Il vous a rendu compte d'opérations qu'il a faites sur plusieurs sujeis, et est entré dans des détails tellement techniques qu'un membre seul de la faculté pourrait l'y suivre et analyser son travail. Quoiqu'il en soit, simplicité dans l'exécution, sécurité précieuse pour le libre examen de l'œil à la lumière ; plus de compression possible de la rétine par le cris- tallin , tels seraient, selun M. Andrieu, les principaux avantages attachés à la dépression, si, comme il se le demande à lui-même avec inquiétude, il ne s’abuse pas en cherchant à frayer à la pratique une voie qui pour- rait bien être fausse. Avant de fixer par une définition précise ce qu’on entend par équivalents chimiques, M. Pozzer a d'abord indiqué ce qui constituait l’équivalence entre les bases salifiables , puis entre les acides, puis entre les corps simples. Du résultat des faits qu’il a exposés, il a tiré les conséquences suivantes : 1° Des quantités de bases sont équivalentes entre elles quand elle neutralisent un même poids d'un même acide. (2 — 256 — 2. Des quantités d'oxides métalliques équivalentes entre elles contiennent un même poids d'oxigène. 3.° Le poids d'oxigène contenu dans un oxide mé- tallique est toujours capable de former de l'eau avee la quantité d'hydrogène contenu daus un hydracide pouvant nentraliser l’oxide considéré. A. Des quantités d’acides sont équivalentes entre elles quand elles neutralisent un même poids d'une même base. 5.° Des quantités équivalentes d'acides hydrogénés con- tiennent un même poids d'hydrogène. 6. La quantité d'eau qui renferme ce même poids d'hydrogène est équivalente aux quantités d'acides dont il s'agit. 7. Des quantités de matières élémentaires capables de former, avec un même poids d'hydrogène, des hy- dracides, sont chimiquement équivalentes entre elles. 8.° Sont enfin chimiquement équivalentes des quan- tités d'hydrogène et d'un métal quelconque qui, avec un méme poids d’oxigène, forment des protoxides. Si, au lieu de former plusieurs elasses de quantités de matières équivalentes entre elles, en laissant le point de départ entièrement arbitraire, ou les rattache les unes aux autres, en les rapportant à une même base, l'hydrogène , par exemple , pris pour unité, ces quantités de matières chimiquement équivalentes prennent le nom d’éqnivalents chimiques ; ainsi, au lieu de dire que 23 parties de sodium, 8 d’oxigène, 35 de chlore, etc., sont équivalentes à une partie d'hydrogène, on dira que 23, 8, 35, ete., sont les équivalents chimiques du sodium, de l’oxigène, du chlore, ete. Voilà pour les corps simples. Quant aux composés binaires , si ce sont des hydracides, un équivalent d'hydrogène, et un équi- valent de base constituent l'équivalent de chaque hv- dracide. Pour les bases, comme l'équivalent d'hydrogène exige un équivalent d'oxigène, il faut que tout équi- valent de base en contienne un d’oxigène. Pour les acides, l'équivalent de chaque base étant fixé, celui de chaque acide s'en suit nécessairement. M. Macuarr fils vous a rappelé que, dans un mé- moire sur le moyen de tracer une route avec le moins possible de mouvements de terre , il était parvenu , par le calcul, à formuler deux conditions. L'une se comprend aisément et la nécessité en est évidente d'elle-même, c'est la compensation des déblais et des remblais ; l’autre, c'est l'inclinaison de l'axe. Cette dernière condition, qui n'offre aucune idée saisissable à l'esprit, ne lui paraissait pas alors pouvoir se traduire en un procédé pratique. Un nouvel examen a permis à M. Machart de l'interpréter d’une manière intelligible pour tout le monde : en langage ordinaire, elle signifie que si l'on veut avoir à faire le moins possible de terrassements, il faudra qu'après l'exécution des travaux, le centre de gravité du terrain n'ait pas varié, ou, en d’autres termes , il faudra que les transports de terre que l’on aura faits, en marehant de l'origine de la route vers son extrémité , soient égaux aux transports que l’on aura faits en marchant dans un sens opposé. Si la première règle donnée par le calcul était la compensation des déblais et des remblais, la seconde peut s'appeler la compensation des transports. Celle-ci, outre qu'elle as- sure, ainsi que le prouve la théorie, le minimum de terrassements, dans l'exécution d'un projet , offre encore l'avantage d'exécuter ces terrassements avec le mini- 17. —. 258 — mum de dépense. Il est clair, en effet, que c'est quand les transports se feront également dans les deux sens, qu'ils seront les plus courts et les plus économiques possibles. Le projet qui satisfera à cette double con- dition satisfera done de la manière la plus complète aux exigences de l'économie. La règle du calcul se trouvant d'ailleurs ainsi traduite, et appliquée à des quantités que l'ingénieur est toujours obligé de calcu- ler, il devient extrémement facile de s'assurer si elle est satisfaite, et de juger du mérite d'un projet, en voyant jusqu'à quel point il s’en approche, non seule- ment dans son ensemble, inais dans chacune des parties dont il se compose. Dans un mémoire qu'eu raison des documents impor- tants et des vues utiles qu'il renferme, vous avez cru devoir transmettre à M. le Ministre de l’agriculture et du commerce, M. Alp. Henrior à pensé quil fallait chercher les moyens d'améliorer le sort de la classe ouvrière, dans la moralisation et dans l'accroissement du bien-être matériel. Il assigne deux causes à la si- tuation si précaire de nos ouvriers, l'insuffisance des salaires, et le défaut de conduite et d’écanomie. La première provient de la perfection des machines qui permettent de remplacer un grand nombre d'hommes par des femmes et des enfants, et surtout de la con- currence étrangère, toutes les fois que Île travail na- tional n’est pas efficacement protégé. Quant à l’inconduite, elle est toujours le fruit d'une éducation nulle et même mauvaise. M. Alp. Henriot explique par quel enchaine- ment de circonstances, les industries de tous les pays en sont venues à condamner de faibles femmes, des en- fants chétifs, à quinze heures d’un travail pénible et — 259 — abrutissant. L'Angleterre, la première, à voulu porter remède au mal, mais placée entre sa philanthropie , et le besoin de eonserver sa prépondérance commerciale, la raison d'état l’a emporté, et des règlements fort sages sont demeurés inexécutés. On l’a vue même re- pousser avec effroi comme une mesure funeste la réduc- tion d’une heure, et d’une demi-heure sur la journée du travail des enfants. La France était dans une situa- tion moins affligeante, bien qu'agitée elle-même par le génie de l’industrie, lorsqu'à été promulguée, en 181, la loi sur le travail des enfants dans les manufactures. Après de longs détails sur les difficultés que présente l'exécution de cette loi, sur les lacunes qu’elle lui sem- ble offrir, sur les modifications qu’il croit nécessaire d'y introduire, M. Alphonse Henrivt se trouve amené à dé- clarer qu'on ne peut espérer de l'organisation actuelle de l'inspection, l'unité, la géuéralité et la continuité de la surveillance et de la répression, conditions in- dispensables pour réussir, et qu'il y aurait lieu de créer des inspecteurs spéciaux et rétribués ; un seul selon lui, pour- rait suffire à un ou plusieurs arrondissements. En cela encore, il faut imiter l'Angleterre où l'inspection salariée a prévalu. M. Alp. Henriot regrette vivement qu'une loi qu’il trouve bonne au point de vue de la morale et de l'humanité, comme au point de vue social et gou- vernemental , ne s'exécute que d'une manière illusoire. Il formule ainsi les conclusions de son mémoire : A.° Aucnn enfant au-dessous de 12 ans ne serait em- ployé dans les ateliers et les manufactures ; 2.° tout enfant de 12 à 46 ans devrait suivre une école du soir, quand il ne ferait pas preuve d’une instruction prinaire élémentaire suffisante ; 3.° les ateliers occupant 172 — 260 — moins de 20 ouvriers seraient soumis à l'inspection , &.° enfin les fonctions d'inspecteur seraient spéciales et rétribuées. M. Dusois vous a rendu un compte très-détaillé des opérations du congrès agricole tenu à Cambrai, au mois de novembre dernier, et auquel il a assisté, comme délégué de l'académie. Il vous a exposé les diverses questions qui y ont été discutées, les vœux qui ont été émis, et vous a fait connaître, sur les uns et les autres, son opinion personnelle. Ainsi, il demande avec le congrès, que le Conseil général de l'agriculture soit composé de 86 membres nommés dans chaque dépar- tement; que le conseil supérieur du commerce prenne le titre de conseil supérieur du commerce et de l’agri- culture et soit formé, pour moitié, d'agriculteurs Rela- tivement à l’enseignement agricole, le congrès désire 1.0 que l'instruction primaire ait une tendance plus agri- cole, que des livres spéciaux soient rédigés et mis entre les mains des enfants ; que dans l'instruction secon- daire, les sciences ayant des rapports avec l’agriculture soient plus étudiées, et que des principes d'économie rurale soient professés dans chaque collége. Sur ce der- nier point, M. Dubois pense que les écoles secondaires ne sont pas instituées pour diriger les enfants dans telle ou telle carrière, mais pour leur donner des connais- gances communes qui peuvent être utiles dans toutes les professions. Aller plus loin, ce serait dépasser le but. Quant à l'instruction spéciale en agriculture, elle serait donnée, soit dans des établissements tels que Grignon , soit dans des fermes modèles qu'on fonderait dans chaque département. Au vœu émis par le con- grès que la vaine pâture soit maintenue sur les terres — 261 — ct supprimée sur les prairies, M. Dubois répond que supprimer la vaine pâture, c'est supprimer les troupeaux communs appartenant à la petite culture, c’est dimi- nuer le nombre de bêtes ovines et augmenter forcé- ment le prix de la viande. M. Dubais est d'accord avec le congrès sur la nécessité d’astreindre au livret les domestiques de ferme , et sur celle d'investir les juges de paix du droit de juger les difficultés qui survien- nent entre les maîtres et les domestiques , dans les mêmes formes et dans les mêmes conditions que les conseils des prud'hommes. Il demande enfin que le droit sur le sel soit réduit à 10 centimes, le kilogramme; l’écono- mie sera peu considérable pour les individus, dont la consommation par jour n'est guère que de 16 grammes ; mais la réduction sera essentiellement profitable à l’agri- culture pour l'élève du bétail, et la consommation du sel en recevra un notable accroissement. Chargé de faire un rapport sur un mémoire de M. Alluaud, relatif au reboisement de la France, M. CRETON a trouvé ce travail tellement substantiel qu’une analyse succincte ne pourrait en donner qu'une idée imparfaite, Il croit toutefois que l’auteur se fait illusion sur le résultat du reboisement général des montagnes. Des terrains fortement inclinés , privés de leur végétation primitive, pourront-ils jamais se cou- vrir de véritables futaies? De rares exceptions peuvent- elles être invoquées, quand il s’agit de reboisement ? Il faut reconnaître en principe qu'à moins de se rési- gner à d'énormes sacrifices , on n’obtiendra jamais, dans les bois plantés sur un sol infertile, qu'une végétation lente et des dimensions médiocres. Conclura-t-on de là qu'il faille reboiser les plaines ? — M. Creton rèpond — 262 — par la négative. Si l’on a poussé beaucoup trop loin le défrichement des terrains fertiles, le mal est irréparable, il faut seulement se garder de l'aagmenter. Il ne faut pas que 8,600,000 hectares de forêts, dont l'existence est aujourd hui constatée , puissent être ultérieurement réduits , au moins, d’une manière notable. Fidèle aux vœux qu'il a précédemment émis, M. Creton voudrait qu'il y eùt prohibition absolue de défrichement : 1.° dans les départements dont le sol forestier n'égale pas le sixième de tout le territoire:; 2.° pour tous les terrains dont la pente ne serait pas au-dessous de 40°. Il vou- drait enfin que le droit de défrichement füt entièrement soustrait à l'arbitraire, et réglé dans l'ordre des arron- dissements, des cantons, des communes , et entre les particuliers, dans de certaines proportions. M. Roussez vous a fait, au nom d’une commission spéciale, un rapport sur une nouvelle méthode sténo- graphique, que M. Brouaye avait cru devoir soumettre à votre appréciation. Placée entre l'obligation de garder le secret de l'inventeur, et le devoir de mettre l'Aca- démie en mesure de porter son jugement , la commis- sion a soigneusement comparé le système nouveau avec ceux qui ont été employés jusqu'à ce jour , tant sous le rapport de la rapidité de l'exécution , que sous celui de la lisibilité, Elle a reconnu, vous a dit M. Roussel, que M. Brouuye avait résolu , d’une manière simple et ingénieuse , le problème qu'il s'était posé, celui de fondre la voyelle dans la consonne; de limiter le mouvement de la plume aux seuls sons émis ; de ne tracer, en un mot, qu'un signe par effet phonique, par syllabe prononcée. Plus expéditif, plus abréviatif que tous les autres , ce système a encore le mérite de tout écrire, — 263 — et quand il s’agit de relire ,} de ne rien laisser à faire à la mémoire et à l'intelligence. Après avoir rendu compte des épreuves auxquelles M. Brouaye s’est volontairement soumis , la commission, par l'organe de son rappor- teur , n’a pas ‘hésité à proclamer les avantages très- réels de la nouvelle méthode, et sa supériorité incon- testable sur toutes celles qui l’ont précédée. Elle vous a proposé, en conséquence, de déclarer que la méthode sténographique de M. Brouaye est vraiment digne de l'attention des hommes sérieux, et que son application est appelée à faire faire un grand pas à l'art du sté- nographe. M. Hipp. HenrioT vous a entretenus du goût dans l'industrie. Après quelques considérations sur le luxe qui lui paraît une suite naturelle du progrès de l'espèce humaine, et un avantage , puisqu'en augmentant les jouissances de l’homme riche, il soulage , par le prix du travail , la misère des classes pauvres, M. Hipp. Henriot pense que pour être mieux logés, mieux vêtus, les hommes n'en sont ni moins probes, ni moins gé- néreux , et il en donne pour preuve , ce que l'on a fait dans ces derniers temps pour réparer envers les malheureux les torts de la nature, et pour les con- duire, comme par la main, depuis leur berceau jus- qu'à leur dernière demeure. Grâces à ses immenses dé- veloppements, à sa prodigieuse influence , l'industrie est devenue , sauf de rares exceptions, le principe et Île but de toute politique , et l'expression la plus généra- lement vraie, la mesure la plus réelle de la ricnesse et de l'intelligence des peuples. L’Angleterre tient au- jourd'hui le premier rang dans l'échelle industrielle , mais elle est forcée de se créer sans cesse de nouveaux — 264 — débouchés , elle serait perdue du moment où elle com- mencerait à déchoir. Par le chiffre de sa production, la France m'occupe que le second rang, mais quelle na- tion pourrait lui disputer le premier pour le génie et l'in- vention ? N'est-elle pas toujours digne de la préférence qu'on lui accordait déjà au siècle dernier ? Que de chefs- d'œuvre sortent chaque jours des plus humbles ateliers, dans lesquels brillent l'esprit, l'invention et le goût. Selon M. Henriot, le goùt résume tout ce qu'il y a de noble et d’élevé dans notre nature ; il est à lin- dustrie ce que la grâce est à la beauté , l'élégance à la richesse , la politesse et l’urbanité au ton et aux ma- nières. Quelle meilleure preuve de la supériorité de notre industrie nationale, que le tribut que lui paient les capitales de l’ancien et du nouveau monde, qui non contentes de recevoir nos produits, attirent encore chez elles nos artistes et nos industriels. M. Hipp. Henriot, qui attribue à l'influence de la mode la plus grande partie de la prospérité des douze ou quinze principales villes manufacturières du royaume , s’afflige de ne pou- voir comprendre dans ce nombre la ville d'Amiens, dont l'industrie n’a encore rien terté pour sortir de la voie funeste où elle s'est laissée entrainer. Notre ville montre toujours la même insouciance en matière d'invention et de goût, bien que, sous tous les autres rapports, elle soit en progrès, et semble réservée aux plus brillantes destinées. M. Marmteu vous a lu deux mémoires sur la nécessité de maintenir , en France , le système protecteur. Il peut convenir à l'Angleterre de proclamer, dans son intérêt, qu'il faut désormais abandonner le principe de la pro- tection de l’industrie , que le commerce du monde doit être libre, il n'en demeure pas moins certain qu'il existe un intérêt commercial national, étroitement lié , par des rapports nombreux , à tous les autres intérêts nationaux, et que cet intérêt doit être nécessairement protégé, puisqu'il exerce, sur la vie nationale elle-même, une influence considérable. Pour les nations, comme pour les individus, c’est un droit et un devoir de veiller à la conservation de la vie nationale par tous les moyens que permet la justice éternelle. Comparant l'Angleterre et la France sous le rapport du développement de l'in- dustrie, M. Mathieu prouve que, plus que jamais, notre pays à besoin du système protecteur , attendu que, depuis sept ans, le sens du mouvement commercial à changé , et que nous achetons plus que nous ne ven- dons. Il réfute ceux qui reprochent au système pro- tecteur d'entretenir des rivalités et des haines parmi les peuples, de forcer à payer cher , en France, ce qu'on aurait ailleurs à bon marché. Ce qu'il faut au pauvre , c'est du travail, ce sont des salaires en proportion avec le prix des denrées, et pour cela, il faut que l’indus- trie et le commerce soient prospères, que l'agriculture surtout soit florissante, puisque c’est elle aussi qui vient à son secours quand la fabrication languit. Le principal motif qui fait agir l'Angleterre , c'est l'espoir de renver- ser le système protecteur qu'elle rencontre, de toutes parts, sur le continent, et qui lui présente un obstacle insurmontable. Elle se promet de trouver, dans le principe de la liberté commerciale, lors même que son exemple ne serait pas suivi, une source d'avantages ; rien ne peut la porter à se plaindre de ce que les autres na- tions ne l’imitent pas , mais cherchent aussi la prospé- rité à leur manière. Si cette prospérité ne devient pas aussi grande que la sienne, ce n'est pas pour elle que — 266 — le malheur sera grand. M. Mathieu craint que ces vé- rités n'apparaissent pas dans tout leur jour, que l’er- reur contraire, présentée sous la forme d'un principe très-simple , intelligible à tous les esprits, flattant cer- taines classes d'intérêts, ue l'emporte sur le principe contraire moins facile à saisir, et composé d'idées abs- traites dont la liaison ne se montre pas, tout d'abord, à toutes les intelligences. La France ne cédera pes aux invitations de l'Angleterre : à la liberté du commerce individuel, elle opposera la liberté, du commerce na- tional ; la liberté, pour chaque nation, de recevoir ce qui lui sert, de repousser ce qui lui nuit; de ne pas se laisser ruiner par une autre ; de protéger son indus- trie comme elle l'entend; de ne pes livrer ses travail- leurs, ses agriculteurs , à l'action destructive d’une concurrence irrésistible ; en un mot, de ne pas se sui- cider promptement ou avec lenteur. M. Breuiz, qui s'est livré à des recherches sur Île culte de saint Jean-Baptiste et sur les usages profanes qui s'y rattachent, vous a communiqué les chapitres qui traitent des feux de la Saint-Jean. Il a d’abord cons- taté l'ancienneté de leur application à la fête de saint Jean , et l’universalité de leur usage dans les diffe- rentes contrées de l'Europe. Si leur existence n’est que probable dès le cinquième siècle , au moins est-elle cer- taine au douzième. Plus tard, les feux ée la Saint-Jean se régularisèrent et se propagêrent dans presque toutes les villes de France, sous les auspices de l'autorité mu- nicipale. Mais, comme des pratiques superstitieuses et de grossières réjouissances déshonoraient souvent l'usage des feux, l'autorisation ecclésiastique voulut le sanctifier en établissant une cérémonie religieuse. Cette cérémonie — 267 — religieuse, supprimée depuis la révolution, s'est main- tenue dans beaucoup de villages de nos diverses pro- vinces et dans un grand nombre de villes du Midi. Les feux de Saint-Jean furent en honneur en Angleterre , en Grèce, en Italie, en Espagne , en Suède , etc., et dans la partie méridionale de l'Allemagne. Ils ne pu- rent jamais s’introduire dans le Nord de cette contrée où les feux de Pâques ont toujours régné sans partage. Recherchant ensuite l’origine des feux de Saint-Jean, M. Breuil rappelle que les peuples de l'antiquité avaient fondé leurs diverses religions sur l'observation des phé- nomènes de la nature ; que leurs principales divinités étaient des personnifications du soleil , et qu'ils célé- braient de grande fêtes aux moments les plus remar- quables du cours de cet astre, et notamment à l’époque du solstice d'été, et à celle du solstice d'hiver. Ainsi, c'est au mois de juin , que l'Egypte fêtait le dieu Horus, les Phéniciens et les Assyriens , leur dieu-soleil Ado- mis, et les Romains, leur déesse Vesta. Ces peuples cé- lébraient les fêtes solaires, en allumant, sous forme de flambeaux , de lampes ou de büchers, des feux spéciale- ment destinés à symboliser la glorieuse lumière du so- leil. Or, ces feux , trouvant d’ailleurs une application mystique aux fêtes du christianisme , se sont conser- vés parmi les usages des natious chrétiennes. Les feux de saint Jean, protégés d'abord par l'autorité civile , adoptés tardivement par le clergé, et uniquement pour les dégager des superstitions qui les entouraient, sont éminemment laïques, éminemment populaires, et leur origine ne saurait être expliquée que par la tradition païienne, et non par une métaphysique religieuse inac- cessible à l'intelligence du peuple. — 265 — L'archéologie, vous à dit M. Bouruors en vous ren- dant compte d’une histoire d’Abbeville et du comté de Ponthieu, n'est plus cette science impuissante et mé- prisée d'autrefois ; elle marche maintenant l’égale de toutes les autres. Elle est à l’antiquaillerie, ce que les belles découvertes de la chimie sont aux rêves et aux élucubrations de l'alchimie. Sans les souffleurs occupés à rechercher la pierre philosophale et la transmutation des cristaux, on ignorerait encore les agents secrets des phénomènes de la nature; sans les collecteurs de mon:- naies, de papyrus, de vieux parchemins, de bas- reliefs, ete., noas n’aurions que des idées fausses et incomplètes sur les arts, sur les mœurs et les institu- tions de nos ancêtres. Le grand instituteur de l'avenir, c'est le passé : c’est dans les trésors d’érudition amas- sés péniblement par l'archéologie, que l'historien, l’ar- tiste , le moraliste , le législateur, le poète , viennent puiser des faits, des sujets, des exemples, des idées, des inspirations. Comme sujets d'études, M. Bouthors préfère l'histoire locale à l’histoire générale ; il en est de l'histoire comme de la propriété foncière ; plus on la divise, plus on la morcelle, plus on en augmente les produits. Pour lui, rien de plus curieux à étudier que ces petites républiques du moyen-àâge , auxquelles nous avons emprunté plus d'une de nos institutions philantropiques, tels que les hospices d'enfants trouvés, les caisses de prévoyance , etc. Les histoires locales re- produisent tous les accidents de la vie du tiers-état. Dans les grandes villes, c'est le dualisme Ges intérêts rivaux qui en est l’expression la plus vraie. M. Bou- thors signale la diversité des oppositions que le pouvoir comœunal rencontre de la part des pouvoirs avec les- DO quels il se trouve inmédiatement en contact. Si l'a- gression vient d’un pouvoir séculier , elle est violente et tyrannique, mais intermittente ; si elle vient d’un pouvoir ecclésiastique, l'attaque est plus courtoise, mais elle est incessante et implacable. Dans l’histoire d'Amiens , au moyen-âge , le fait dominant c'est l’antagonisme de la commune contre le pouvoir royal. Ainsi, la politique des seigneurs , des princes , des rois, était à peu près partout uniforme ; c'étaient toujours des luttes du bon droit contre le bon plaisir ; luttes au milieu desquelles on aime à rencontrer souvent la résistance des parlements aux abus de l'autorité souveraine , et de nombreux ecemples de courage civil de la part des magistrats municipaux. Essayer de traduire fidélement Sophoele en vers fran- cais, est aux yeux de M. Huperr , une entreprise bien difficile et bien téméraire. Füt - on doué de toute la souplesse et de toute la flexibilité du talent de Racme, en s’asservissant au joug de nos rimes, comment faire revivre cette versification grecque d’un rhythme varié , dont une déclamation variée comme elle augmentait en- core l'harmonie ? Comment, dans une langue dédai- gneuse comme ja nôtre, où, à côté de la simplicité , vient si souvent se placer le trivial, comment rendre les artifices d’un style qui, s’élevant au sublime, et descendant avec aisance au familier, se prêtait à l’ex- pression forte ou naïve de toutes les affections ? Le plus grand obstacle dans toute traduction, c'est le génie même des différentes langues; il est plus facile de tra- duire d'une langue moderne que d'une langue ancienne ; toutes les langues vivantes sont sœurs, elles répondent toutes aux besoins d'une civilisation qui est à peu près — 270 — la même dans l'Europe entière. On peut même dire , avec une sorte d’orgueil national , que l'esprit de notre langue pénètre inserisiblement toutes les autres, et les envahit, en quelque manière, par une conquête paci- fique. Les grands , les impuissants efforts sont dans la traduction des écrivains de l'antiquité. Expression fidèle de l'esprit humain à une époque qui ne ressemblait nullement à là nôtre, les langues anciennes doivent différer entièrement de celles de nos jours. Pourquoi, chez les anciens , l’idée se produit-elle presque toujours dans un aspect et dans un ordre si contraires à nos habitudes? Pourquoi la construction, en quelque sorte immédiate à la pensée, paraît-elle ne connaître que le mouvement et la passion ? Tandis que, dans nos lan- gues dictées par un génie plus réfléchi, la parole sem- ble suivre , en esclave , l’ordre rigoureux de la logique la plus sévère. C'est là, selon M. Hubert, un fait impor- tant qu'il laisse à d'autres le soin d'expliquer, mais duquel dérive une des plus grandes difficultés de la traduction. Ici je m'arrête , Messieurs , forcé de me renfermer dans les limites de temps qui m'ont été tracées, je n'oi guères pu analyser que la moitié des mémoires et rap- ports qui ont été produits devant vous. J'ai dû laisser de côté l'examen approfondi des études administratives de M. Vivien, par M. Dauphin, divers mémoires de M. Hardouin , sur les origines du droit français et plusieurs rapports de nos collègues. Heureux, si par l'emploi que j'en ai fait, l'auditoire que vous avez convié à cette s0- lennité, n'a pas, au gré de sa juste impatience , trouvé trop long encore le temps dont je pouvais disposer. MÉMOIRE SUR L’OPÉRATION DE LA CATARACTE, Par M. ANDRIEU. Messieurs , La chirurgie a fait de nos jours de grands progrés, et semble avoir atteint, ou peu s’en faut, le plus haut degré de perfection dont elle paraisse être susceptible. Presque toutes les maladies chirurgicales sont aujour- d’hui parfaitement connues sous le rapport de leurs phénomènes ; mais les indications de traitement qu'elles réclament ne ressortent pas toujours clairement aux veux des praticiens, et ceux-ci réunis d'opinions quand à la nature de la lésion, sont souvent divisés, quand au traitement à faire, et attaquent le mal par des procé- dés différents. L'histoire de la Cataracte en est un exemple frap- pañt ; deux procédés opératoires se partagent pres- qu'éxclusivement le traitement de cette maladie; la cataracte , comme on sait, consiste dans l’opacité du = 279 — cristallin où de son enveloppe ; c’est-à-dire d’une len- tille maintenue dans une espèce de coque , placée de champ au milieu de l'œil, en arrière de la pupille et que doivent traverser, pour aller faire image au fond de l'œil, les rayons lumineux. Des deux méthodes généralement employées contre la cataracte , l’une consiste à extraire de l'œil le cristallin devenu opaque ; l’autre, à l’abaisser en le cachant au fond de l'organe , et dans les deux cas on fait dispa- raître du champ de la vision les membranes de la capsule quand l'opacité de celle - ci constitue la ma- ladie. Laquelle des deux méthodes est préférable à l'autre? Nul n’a encore pu l'établir. Chacune d'elle a ses malheurs particuliers , des acci- dents sont communs à toutes deux, et toutes deux comptent un nombre égal de succés ; de sorte qu'à mes yeux le procédé le plus facile, partant le plus avan- tageux n'est , en définitive, que celui auquel le chi- rurgien s'est exercé d'avantage. J'opère presqu'exclusivement par l’abaissement, et les inconvénients qu'à juste titre on reproche à cette mé- thode m’ont souvent préoccupé ; il m'est arrivé, comme à bien d’autres chirurgiens du reste, de laisser après une opération convenablement faite, mon malade dans les conditions les plus satisfaisantes et de voir bientôt se développer le cortége toujours effrayant des accidents consécutifs. Parmi les inconvénients spécialement attachés à l'opé- ration de la cataracte par abaissement, la pression qu'exerce le cristallin abaissé sur la rétine et la déchi- rure de cette membrane si délicate , ont été signalées — 273 — au premier chef par tous les ophthalmologistes. De ces accidents , le dernier est fort rare , et heureusement , car il traine à sa suite des douleurs vives qui persis- tent longtemps et amènent presqu'inévitablement de graves désordres dans l'œil. S'il est vrai d’un côté que la lentille abaissée repose souvent sur la rétine sans Ja fatiguer , l'expérience démontre aussi que le contact est parfois fatiguant , douloureux et nuisible, et que bien des insuccès n'ont pas reconnu d’autres causes. Quand on songe que la cataracte est toujours chose sérieuse ; que si le malade refuse de se soumettre à l'opération , il reste pour toujours privé de la vue, que s'il a recours à l'opération, le résultat est loin d'en être constamment heureux et le succès complet; on ne saurait trop donner d'attention aux inconvénients atta- chés à la méthode opératoire que l’on a choisie. J'ai signalé tout à l'heure l’un de ces inconvénients , le hasard m’a peut-être mis sur la route d'un moyen qui me permette de l’éviter, c'est ce que je me propose d'examiner ici. Ce n’est pas la première fois que le ha- sard secondant nos efforts, nous sommes conduits à faire des observations exactes et régulières , à les gé- néraliser , enfin à en déduire des conséquences. Mademoiselle G, âgée de dix-neuf ans, vint me prier de l'opérer d’une cataracte de l'œil droit, le gauche était parfaitement bou. Il est d'expérience que l'opé- ration faite sur l’un des deux veux, l’autre étant sain, peut compromettre ce dernier. Je fis tout ce que je pus pour dissuader mademoi- selle. Mais elle ne voulait pas avoir , disait -elle, un œil blanc, et puis : désir de fille est un feu qui dé- vore ; je dus me résigner à l'opérer, ce que fis à quel- 18. — 274 — ques jours de là, le 4 mai 1842. A peine l'aiguille avait elle pénétré dans l'œil, que mademoiselle fut prise de tremblements nerveux de tout le corps : alors déchirer le feuillet antérieur de la capsule cristalline, abaisser le cristallin, dégager l'instrument, tout cela dut être et fut l'affaire d'un moment. De véritables spasmes survinrent qui se calmèrent environ une demi- heure après, alors, et avant de quitter ma malade, j'examinai l'œil à l’aide d’un demi-jour , le cristallin ètait remonté à sa place. Vers le soir survinrent des vomissements ; la fièvre et la céphalalgie se mirent bientôt de la partie. Une potion autispasmodique et une forte saignée de bras ealmèrent ces accidents qui ne cessèrent cependant complètement qu’au cinquième jour. Du reste diète, séjour au lit, obscurité complète dans la chambre, applications résolutives sur l'œil ; aucun symptôme alarmant du eôté de eet organe. Le 10 j'exa- mine l'œil, la sensation seule d'une espèce de gravier sous la paupière occupait la malade, rougeur et gon- flement de la conjonetive surtout vers l'angle externe, larmoiement, enflure légère de la paupière supérieure ; du reste état général de l'œil satisfaisant. De douleurs internes, point, mais le cristallin était resté en place, et l’insuccès était flagrant. J'avais bien lu des histoires de cataractes opérées par abaissement où le cristallin remonté avait disparu, laissant plus tard le champ libre aux rayons lumineux. Cependant ces exemples que je me plaisais à me rap- peler pour ma consolation, ne me rassuraient guères. Boyer ne me disait-il pas, avec toute l'autorité de sa longue et imposante expérience : « Lorsque Ja cata- » racte cesse d’être contenue avec l'aiguille , elle peut — 275 — » remonter et reprendre la place qu'elle occupait. Si » cela arrive au moment de l'opération , rien-n’est plus » facile que de la déprimer une deuxième fois; en la » tenant plus longtemps assujétie, afin qu'elle se fasse » à son nouveau domicile, mais souvent cet accident » a lieu plus ou moins longtemps après ; et on ne » s'en aperçoit que lorsque venant à découvrir l'œil » pour voir les progrès de linflammation , la prunelle » se trouve bouchée comme elle était avant. On ne » peut se dispenser alors d'opérer une seconde fois. » Au milieu des préoccupations d'une vive et bien juste inquiétude , mademoiselle G.... restait assujétie à un régime sévère , et s'ennuyait doublement de ne pas y voir d'abord, puis d’être ainsi au lit dans une cham- bre à peine éclairée et dans l’inaction la plus com- plète. Un matin, c'était le vingt-cinquième jour après l'opération , elle me raconte qu'elle croit voir de côté avec l'œil opéré. Quelques jours plus tard elle m'af- firme qu'elle y voit un peu , bientôt elle en est cer- taine. Enfin, sept semaines après s'être confiée à mes soins , elle distingue à peu de distance les doigts de la main; elle veut retourner chez elle, je la retiens, mais elle s’en va huit jours après. Je ne la revois qu’au quatrime mois de là. A cette époque , un grain blanc assez semblable par la forme et la grosseur, à un grus grain d'orge-mondé, se voit en arrière de l'iris entamant un peu le champ de !a pupille du coté de l’angle interne de l'œil; ce grain est comme nuageux à son pourtour et tremblote à chaque mouvement brusque de l'œil. En faisant dilater la pu- pille on le voit facilement en entier; du reste la vision est nette dès ce moment. À la Pentecôte de l’année 18.* — 276 — suivante, je rencontre, par hasard, mademoiselle G...., je l'emmèêne chez moi, j'examine son œil, la pupille est parfaitemeut nette et je n’y vois pas le plus petit vestige du cristallin. Si l’on analyse maintenant cette observa- tion , on voit que les symptômes généraux qui ont été observés reconnaissent pour cause l'impression morale et l'introduction de l’aiguille dans l'œil, rend parfaite- ment des symptômes locaux. Le cristallin déprimé n’a pu étre fixé au fond de l'œil, il est remonté immédia- tement , mais ses communications vasculaires ou autres avec son enveloppe avaient été rompues, elles ne se sont pas renouées et la lentille s’est lentement resorbée à sa place normale , comme elle l’eut fait dans l'endroit où la fixe ordinairement l'aiguille du chirurgien. Pendant les longs jours d’une pénible atténte, j'ai dû souvent porter mon attention sur les faits de même nature et les auteurs en comptent d'assez nombreux. Déjà Pott, vers la fin du siècle dernier, a proposé de déchirer la lame antérieure de la capsale cristalline, et de confier ensuite à la faculté dissolvante de lhumeur aqueuse et à l'absorption des vaisseaux lymphatiques, la destruction du cristallin. Pott a opéré plusieurs fois de cette manière avec succès: Dans la cataracte lai- teuse, il se contentait de déchirer avec l'aiguille la capsule du eristallin, sans déprimer cet organe qui ne tardait pas à se dissoudre dans l'humeur aqueuse, et à disparaître. Les observations de Hey, de Latta et de Dubois prouvent également que dans le cas où la ca- taracte remonte se placer derrière la pupille après l'o- pération par abaissement, si la capsule du cristallin à été ouverte, la pupille s'éclaircit an bout d’un certain temps. On doit à Scarpa une méthode d'opération par PP — le broyement ; ne consiste-t-elle pas à déchirer la cap- sule cristatline et à fendre en plusieurs sens le cris- tallin lui-même sans le déplacer, à abandonner cet organe à J’absorption ? La méthode du déplacement à, sans contre dit, fait observer Delpech, l'inconvénient de ne pas préserver toujours du retour du cristallin dans sa situation naturelle ; mais quand l'opération est bien faite, cet accident est bien moins commun qu’on ne l'imagine. L'expérience a prouvé qu'en pareil cas, le cristallin ayant été complétement isolé, il ne peut se conserver ; qu'il ne manque pas de dissoudre, et d’être absorbé en sorte que cette espèce de cataracte secon- daire guérit le plus souvent spontanément si l’on ne se presse pas d'opérer une seconde fois ; d’ailleurs, les suites de l'opération par déplacement sont si simples or- dinairement , que l'inconvénient d'être obligé de recom- mencer ne serait pas aussi grand qu'il le paraît d'abord. Cependant des auteurs dont l'autorité est d’un grand poids dans la science , parlent de la nécessité de revenir à l’opération. Callison a observé le rétablissement de la vue seule- ment après une quatrième opération d’abaissement, et Samuel Cooper rapporte que Hey s'est servi sept fois de l'aiguille avant de réussir. Est-il nécessaire de faire observer qu'alors, on n'avait aucune idée que le cris- tallin détaché de ses moyens d'union put se dissoudre et être absorbé et qu'aussitot que les circonstances per- mettaient de le faire, on se hâtait d'opérer de nou- veau. Le cristallin, dit Boyer, remonte quelquefois à la place qu'il occupait, ce qui rend inutile l'opération déjà faite, cependant Boyer recommande plus loin, re- lativement à la cataracte secondaire récente , de ne pas — 278 — se hâter de recourir à une seconde opération, car ül est permis, dit-il, d'espérer que cette nouvelle cataracte se dissipe spontanément ainsi que l'expérience l’a bien souvent prouvé ; or, je le demande, ces cataractes se- condaires récentes dont parle Boyer, qui si souvent se dissipent, que sont-elles ? si ce n’est des cataractes dues à la réascension du cristallin. J'ai consulté l'expérience, j interroge maintenant les faits anatomiques : l'œil humain est fort compliqué, les organes qui le forment sont nombreux et délicats, les lois qui les régissent présentent encore des obscurités , mais le soin avec lequel le cristallin et ses accompa- gnements ont été étudiés , ce qu'on en sait aujourd’hui laisse peu à désirer. La capsule cristalline embrasse le cristallin, le loge dans son intérieur. Cette capsule ,est tapissée en arrière et en avant, dit-on, par un dédoublement de l’hyaloïde. D’imperceptible filamens parallèles seraient chargés de fixer la lentille à son enveloppe. A l'intérieur de la capsule, entre elle et le cristallin se trouve l'humeur de Morgagny, fluide transparent, peu abondant et qui s'échappe aussitôt que la capsule est ouverte ; son exis- tence n'est pas douteuse entre la lentille et le feuillet antérieur de la capsule; en arrière, Dugés en nie l’exis- tence. Le cristallin, lui, est composé de deux parties, l’une superficielle de consistance gélatineuse , l’autre profonde, plus dure. Ces deux substances se confondent par gra- dation insensible. Sa sensibilité est nulle, comment se nourrit-il? c’est ce que l’on est loin de savoir, on suppose qu'il se nourrit au moyen de liens qui le rat- tachent à son enveloppe, et ces liens, tous les anato- — 279 — mistes ne les ont pas vus. Zinn a bien pu, dit-on, injecter deux rameaux artériels dans le cristallin d’un jeune veau : Abbinus et Water, je crois, n'auraient pas été moins heureux ; mais d'ou vient qu'un anato- miste habile, M. Ribes n'ait jamais pu faire pénétrer les injections les plus fines dans cette partie? D'où vient que M. Denouvillers, qui a démontré avec tant de bonheur les vaisseaux de l'œil, n'ait pas mieux réussi ? Sans doute, en l'absence de vaisseaux nourriciers dont l'existence n'est pas démontrée on est fort embarrassé pour expliquer l’apparence de vitalité que possède Île cristallin ; mais ici les faits anatomiques seuls nous in- téressent et seuls ils ont de la valeur; à moins toute- fois que nous ne fassions comme Joung, qui annonce, en 1793, l'existence de vaisseaux et de nerfs dans Île enistallin , avoue, en 1800, n'avoir encore pu les dé- couvrir, mais n'en persiste pas moins dans sa première opinion. On voit bien, il est vrai, un rameau émané de l'artère de la rétine traverser le canal hyaloïdien, en arrière sur la lame postérieure de la capsule cris- talline, et se perdre dans cet organe en ramifications extrémement déliées dont plusieurs passent sur le bord exterue de la capsule et vont s’anastomoser avec des branches qui proviennent du bord du corps ciliaire ; mais de nos jours autun anatomiste n’a pu suivre un seul filet jusques au cristallin. Cet organe baigne dans un liquide très tenu, la capsule cristalline est l’inter- médiaire des connexions entre le cristallin et les parties voisines, voilà tout ce que l’on sait de positif. Quant au cristallin , il se dissout presqu'entièrement dans l’eav ; il n'a ni nerfs, ni circulation rouge, ni lymphatiques que l’on sache, où dont on ait pu du moins constater — 250 — la présence. Ce corps s'accroit comme (ous corps non organisés, par juxta-position ; il est formé de plusieurs couches qui s'emboitent les unes dans les autres, dont les plus récentes sont les plus extérieures et qui sont d'autant plus dures qu'elles sont plus profondes. Est-il done étonnant qu’arraché à des liens dont l'existence est au moins fort problématique, il ne puisse renouer de nouveaux rapports avec l'œil et retrouver son obseure vitalité. Enhardi plus que convaincu peut-être alors, je l'avoue , par ces considérations, j'ai, le 17 juin 1845, opéré d'une cataracte de l'œil gauche le nommé Coquet Charlemagne, du Quesnoy; l'œil droit était parfaitement bon, je déchirai la capsule du cristallin, j'abaissai cette lentille, et la ramenai en place après quoi dé- gageant mon aiguille par un léger mouvement de ro- tation, je la retirai de l'œil et l'opération fut terminée. Le lendemain, j'examinai l'œil : il était un peu rouge, des douleurs survinrent vers le sourcil, une large sai- gné fut faite, le régime fit le reste, au quatorzième jour l'œil était bien, au vingt-septième le cristallin paraissait être moins opaque ; à deux mois de l'opéra- tion, le malade distinguait un mouchoir blane, je ne l'ai revu qu’au mois de septembre 1844, plus d'un an après, il n'y avait plus qu’un reste transparent du cris tallin, il ne gênait pas la vision, bien qu'il fut de l'étendue d'une tête d’épingle ordinaire et presqu’au centre de la pupille. Le 16 mai 1845, le nommé Galet du faubourg de la Hotoye , atteint de cataracte aux deux yeux, fut opéré du côté droit par la méthode ordi- naire ; du côté gauche, par simple dépression ; la ré- sorbption du cristallin se fit d'abord sur le côté externe de la circonférence, elle a continué depuis, toutefois — 281 — elle a marché lentement et elle n’est pas complete encore; mais Galet voit des deux yeux. Le 27 mai mème année, Francoise Bellancourt de Fresnoy-en-Chaussée, vint me prier de l’opérer, un œil était depuis longues années perdu à la suite de petite vérole, l’autre offrait deux cicatrices qui attestaient d’an- ciennes ulcérations. Un renversement des cils y entre- tenait une irritation continuelle, l'œil était dans le plus mauvais état, et deux confrères avaient refusé de l'o- pérer. Gette femme désirait ardemment recouvrer la vue. Je dus lui donner mes soins. La cataracte fut opérée par dépression, le renversement des cils fut guéri par une légère opération ; elle se conduit, tricote et est heureuse aujourd'hui. Un autre malade de l'hos- pice des incurables a été, lui, complètement malheureux, c'est le nommé Cozette, atteint de cataracte double depuis longtemps , et de douleurs de tête continuelles qui pa- raissent être la cause de sa cécité, je l’opérai quoiqu'avec répugnance, ainsi que j’eus soin de le faire remarquer aux élèves qui m'assistaient alors, et je le fis d'un œil par abaissement, de l'autre par dépression ; les douleurs ont continué , il est resté aveugle et des deux côtés il s'est fait un grand désordre dans l'œil. Je ne fais que rapporter succinctement ici des ob- servations, dont j'ai dû conserver tout le détail. Leur nombre est sans doute trop insuffisant pour qu'on puisse en tirer des conséquences certaines. Moi même je n’ai pas osé en faire une régle générale dans les opérations que j'ai été appelé à pratiquer depuis plusieurs années. J'ai eu recours souvent à la méthode ordinaire et quel- quefois à la dépression, suivant que me l'inspiraient mes instincts chirurgicaux. Maintenant doit-on rester = 40 irrévocablement engagé dans les routes diversement frayées de la pratique actuelle; ou bien tenter d'en ouvrir une nouvelle sous le double entrainement du lan- gage des faits de l’organisation et des réalisations de la pratique? Serait-il prudent de secouer le joux d'habi- tudes non suffisamment justifiées peut-être, ou doit-on au contraire préférer le vague et les oscillations d'un passé sans doctrine, aux enseignements actuels. C’est une question complexe et qui me paraissait digne d’at- tention. Je l’ai abordée franchement devant vous, l’opé- ration par la dépression est fort simple ; le procédé con- siste à déchirer la partie antérieure de la capsule cris- talline, à presser avec l'aiguille de haut en bas le cris- tallin opaque, à le faire descendre jusqu'au dessous de la pupille et relever l'aiguille, et la dégager. Gomme il n’y a pas entre le corps ciliaire et liris un espace suffisant pour y fixer le cristallin, il remonte aussitôt. Ainsi simplicité daus l'exécution, sécurité précieuse pour le libre examen de l'œil à la lumière, plus de com- pression possible de la rétine par le cristallin, tels se- raient à mes yeux les principaux avantages attachés à la dépression. En vous soumettant ces recherches, je me demande avec inquiétude si je ne m'abuse pas étrangement en cherchant à frayer à la pratique une voie qui pourrait bien être fausse, et j'ai besoin, pour me rassurer un peu sur le jugement que vous allez porter, de me rap- peler que des efforts, dussent-ils être infructueux, de- viennent toujours estimables à vos yeux, et comme un hommage à la vérité et comme un témoignage de zèle et de dévouement, -0-DEI0>3 E0- MÉMOIRE SUR LES ÉQUIVALENTS CHIMIQUES, Par M. POLLET. LIT PRÉAMBULE. Je veux parler des équivalents chimiques. On me de- mandera naturellement et tout d'abord ce que c’est qu'un équivalent chimique. Ainsi procède assez ordi- nairement la science: définir, puis exposer les théories. J'ai consulté plusieurs ouvrages ; j'ai fait moi-même quelques essais. Nulle part, je n'ai trouvé aucune dé- finition claire des équivalents: mes efforts n'ont abouti qu'à me convaincre de l'impossibilité d'en donner une bonne. L'idée pourtant ne manque pas de netteté; mais il faut, pour la faire bien concevoir, un assez long développement. Ce développement donné, tout est fini, du moins à peu près: les équivalents sont mesurés. En sorte que, dans le cas actuel, il y a nécessité de traiter le sujet avant d'en fixer l'objet par une défini- tion. Ainsi ferai-je, ne pouvant faire autrement. Quelques incertitudes , je Vavoue , demeureront dans ce travail. Mais je n'ai point la prétention de conduire la science à la perfection. Je la prends telle qu'elle est, et des éléments qu'elle fournit je cherche — 284 — à tirer quelques conséquences. Il me semble que mon travail n'aura pas été sans fruit si, après l'avoir lu, on reconnait que les équivalents des corps sont lé- giimement fixés, à part deux ou trois exceptions. Il me semble surtout que mon travail n'aura pas été sans fruit si l’on reconnait que ma méthode pour la détermination des équivalents est plus rigou- reuse que la théorie tout hypothétique des atômes, ou que Îles définitions à priori que donnent certains auteurs, en y ajoutant des exceptions dont la multi- plicité démontre le vague et l'insuffisance des principes. La science débute par les éléments les plus simples et s'élève graduellement jusqu'aux plus complexes. Telle est, du moins, la prétention de ses interprètes. Cette prétention est-elle pleinement confirmée par les faits ? C'est ce que je ne cherche pas à discuter: non est hic locus. Pour mon compte, je n'y tiens pas le moins du monde. Etre clair, intelligible, tel est mon but unique. La fin justifiera-t-elle les moyens? Je le désire et je l'espère. Ainsi, je m'affranchis de toute autre loi que celle de la clarté. Je ne m'assujettis point à parler d'abord des corps simples, puis des composés binaires, et en- fin des composés plus complexes. Mon ordre est préci- sément inverse. La licence est un peu forte peut-être : j'en suis faché; mais, encore un coup, je n'ai qu'une devise : fiat lux. Aussi les sels fixeront-ils d’abord mon attention. Avant d'entrer en matière, j'ai besoin encore de bien arrêter le sens d’un mot qui se présentera souvent dans cette note. Tout le monde parle de métaux; mais a-t-on jamais tellement défini ce mot qu'il rappelle à tous les esprits une seule et même idée? Je ne le pense pas. — 285 — De là vient que tel corps est un métal, aux yeux de quelques chimistes, tandis que d’autres lui refusent le titre d’élément métaliique. Il en sera ainsi tant que, faute d’une convention nettement formulée, on laissera la classification arbitraire; tant que l’on n'aura point établi de distinction positive entre un métal et un élé- ment non métallique. Quant à moi, j'appelle métal tout corps simple qui peut, avec l’oxigène, constituer au moins une base salifiable. A ce titre, le potassium, le sodium, le calcium, ete., seront des métaux; mais le colombium, l’arsenic, le tungstène seront des élé- ments non métalliques. L'éclat, l'opacité, la ductilité, les propriétés physiques, en un mot, n'entreront plus pour rien dans la distinction des deux classes de prin- cipes: la nature des composés oxigénés sera seule prise en considération. Quand le créateur a formé les éléments, je ne crois pas qu'il se soit imposé la loi de les faconner à deux moules différents : si, pour fa- ciliter les études de notre faible intelligence, nous les classons dans deux séries distinctes, pourquoi vouloir à toute force chercher à revêtir d'un caractère naturel une division que l’art seul a établie ? DE L'ÉQUIVALENCE ENTRE LES BASES SALIFIABLES. L'analyse de quelques sulfates, neutres aux papiers réactifs, a fourni les résultats suivants : Sulfate d'ammoniaque : Acide suif. 40 parties : Ammoniaque, 17 parties. — de soude: ee 40 — soude : 31 — — de potasse: — 40 — potasse : 4T — — de chaux: — 40 — chaux : 28 — — de baryle: — 40 — baryte : 16 — Dix-sept parties d'ammoniaque ; 31 de sonde; 47 de = PRG — potasse; 28 de chaux; 76 de baryte; voilà des quan- tités de bases fort inégales en poids, Malgré cette iné- galité, elles se combinent avec un même poids d'acide sulfurique, elles en neutralisent un même poids. Ne sont- elles pas équivalentes en affinité chimique pour cet acide? L'analyse démontre encore que ces quantités iné- gales d’ammoniaque, de soude, de potasse, de chaux, de baryte, neutralisent un même poids [54] d’acide azo- tique, un même poids [36] d'acide oxalique. Elles sont donc équivalentes en affinité chimique pour l'acide azo- tique, équivalentes en affinité chimique pour l'acide oxalique. Généralement, s1, pour neutraliser une quantité A d'un premier acide, il faut la combiner avec des quan- tités de diverses bases exprimées par a, b, ce, d, etc.….; si, d'un autre côté, nne quantité B d’un second acide est neutralisée par la quantité a de la première base, elle le sera par les quantités b, ec, d, etc... des autres bases. La même chose étant vraie, quel que soit l’acide choisi en second lieu, il en résulte que les quantités a&, b, c, d, etc... des diverses bases considérées sont équi- valentes en affinité chimique pour tous les acides. Il sera donc permis de considérer comme chimique- ment équivalentes des quantités de bases capables de neutraliser un même poids d'un même acide. REMARQUES IMPORTANTES. Deux observations importantes doivent trouver place ici. 1.0 Parmi les composés inorganiques, l’ammoniaque seule est, à proprement parler, une base salifiable, sans étre un oxide métallique. Quelquefois pourtant l'hydrogène protophosphoré et l'hydrogène bicarboné manifestent des tendances basiques à l'égard de certains acides. 2. L'analyse des oxides basiques a prouvé que des quantités équivalentes de ces oxides contiennent un même poids d'oxigène. Par exemple : 31 part. de soude sont formées de 8 part. d’oxig. et de 23 part. de sodium. 4T — potasse — 8 — 39 — potassium, 28 — chaux — 8 — 20 — calcium. 176 — baryle — 8 e 68 — barium. La plupart des oxides métalliques ne font jamais su- bir aux acides qu’une neutralisation partielle et in- complète. Néanmoins, on admet par analogie que ls loi précédente s'applique aux oxides même les plus faibles. Bien que cette conclusion puisse paraître un peu forcée, je l’accepterai cependant, parce qu’elle se trouvera justifiée dans la suite de ce travail, Dès- lors, des quantités d’oxides métalliques basiques pour - ront être considérées comme chimiquement équivalentes lorsqu'elles contiendront un même poids d’oxigène. Cette définition, conséquence de la première, ou plutôt identique avec elle par le fait résultant de l’ana- lyse, est souvent plus commode dans les applications. DE L'ÉQUIVALENCE ENTRE LES ACIDES, Quarante parties d'acide sulfurique, 54 d'acide azo- tique, 36 d'acide oxalique, neutralisent 17 parties d’ammoniaque. Ces quantités d'acides, inégales en poids, sont donc équivalentes en affinité chimique pour l’am- moniaque. — 288 — Comme elles neutralisent aussi 31 parties de soude, elles sont encore équivalentes en affinité chimique pour la soude. On verrait de même qu'elles sont équivalentes en affinité pour la potasse, en affinité pour la chaux, en affinité pour la baryte, en affinité pour une base quel- conque. On est ainsi conduit à considérer comme chimique- ment cquivalentes des quantités d'acides capables de neutraliser un même poids d'une même base. REMARQUES SUR QUELQUES ACIDES. Si l’on adopte pour l'acide borique les idées géné- ralement recues, cet acide sera particularisé par une circonstance tout exceptionnelle. La quantité d'oxigène contenue dans l'acide d’un borate neutre sera six fois plus grande que celle de la base, et les borates offriront seuls une composition pareille. Frappé de cette anomalie, je me suis demandé s'il n'y aurait point là quelque erreur. Or deux hypothèses se présentaient à mon esprit. Ou bien les borates considérés comme neutres étaient véritablement acides, ou bien l'erreur avait été commise dans quelque autre genre de sels, dont l'analyse imparfaite rompait toutes les analogies naturelles. La première supposition tombe devant ce fait que le borax ou borate neutre de soude verdit le sirop de violettes et que, par conséquent, loin d'être acide, il possède un excès de base. Pour la seconde, quelques ressemblances de compositions dans plusieurs combinaisons m'ont porté à rechercher l'erreur dans les silicates, les colombates et les tungstates, Tous ont — 289 — une réaction alcaline; la plupart ont été peu étudiés : ce n'est donc qu'avec peu de certitude que l'on a admis que, dans le cas de neutralité, ces genres de sels contiennent dans leur acide trois fois plus d’oxi- gène que dans leur base. Puisqu'ils sont alcalins, alors que telle est leur composition, puisque, de l'aveu de tous, le terme de neutralité n'est pas bien fixé pour eux, en sorte que tel chimiste regarde comme neutre un silicate que tel autre appelle bisilicate, il sera bien permis de rétablir les analogies en attribuant la neu- tralité à ceux dont l'acide contiendra six fois plus d'oxi- gène que la base: c'est dans cette hypothèse que je raisonnerai. Les acides arsénique et phosphorique présentent une anomalie du même geare. Les arséniates et les phos- phates considérés comme neutres ne le sont point en réalité; car ils verdissent le sirop de violettes et réta- blissent en bleu le tournesol rougi par les acides. Dans ces composés, l’oxigène de l'acide est deux fois et demie l'oxigène de la base: les arséniates et les phosphates offrent seuls une semblable composition. N'y a-t-il pas lieu de croire que le terme de neutralité a été, dans ces cas encore, fixé d'une manière inexacte ? Si l’on considérait comme neutres les sels que l’on nomme aujourd'hui biarséniates, biphosphates, les ana- logies seraient respectées : car l’oxigène de l'acide serait quintuple de celui de la base comme dans les azotates, les chlorates, les brômates, les iodates. C'est une raison qui milite en faveur de cette nouvelle manière de voir. À la vérité, les biphosphates ont une réaction acide; mais le papier de tournesol, rougi dans leurs dissolu- tions, reprend presque toujours sa couleur bleue en 19. — 290 — se desséchant. Donc, en général, les biarséniates et les biphosphates approchent plus de la neutraité que les arséniates et Îles phosphates regardés comme neutres. C'est à eux que j'attribuerai la neutralité. Enfin, l'acide carbonique est si faible que jamais il ne peut neutraliser complètement une base. C'est donc arbitrairement que l’on regarde tel carbonate comme neutre plutôt que tel autre. Parmi les chimistes, les uns attribuent la neutralité aux carbonates dans lesquels l’oxigène de l'acide est double de celui de la base; les autres l’attribuent aux carbonates contenant une quantité deux fois plus grande d'acide carbonique. Je me range à ce dernier avis, parce que, à défaut de neutralisation complète, il me semble rationnel de considérer comme neutres les composés qui sont le plus près de la neu- tralité réelle. APPLICATION AUX HYDRACIDES. — MODE D'ACTION DE CES DERNIERS SUR LES OXIDES MÉTALLIQUES. Quarante parties d'acide sulfurique, avons-nous dit plus haut, neutralisent dix-sept parties d’ammoniaque : donc toute quantité d’acide capable de neutraliser dix- sept parties d’ammoniaque sera équivalente à quarante parties d'acide sulfurique. Cette règle appliquée aux hydracides fournit les résul- tats suivants : Acide hydrochlorique. . . 36 Acide hydrocyanique, . . 27 Acide hydrobromique. . . 79 | Acide hydrosulfurique . . 17 Acide hydriodique. . . . 127 Acide hydrosélénique. . . 41 Acide hydrofluorique . . . 20 Acide hydrotellurique . . 65 Ces quantités d'acides ne neutralisent pas seulement — 291 — dix-sept parties d'ammoniaque ; elles neutralisent aussi trente-et-une parties de sonde, quarante-sept de po- tasse , et généralement une quantité de base équiva- lente à dix-sept parties d'ammoniaque. Mais ces der- nières neutralisations s’opèrent par une réaction toute particulière. Prenons pour exemple l'acide hydrochlorique et la soude. Lorsque ces deux corps, par une combinaison apparente , se neutralisent l’un l’autre, ils ne se com- binent pas en réalité. Chacun d'eux se partage en ses éléments, et ceux-ci, entrant dans des arrangements moléculaires nouveaux , donnent naissance à de l’eau et à du chlorure de sodium. Cette transformation est for- mulée dans le tableau suivant Chlor. Ac. hydrochlo- rique. ini ae Eau. Z=Cblorure de sodium. ones 2 Soude. Sodium La réaction est complète lorsque les quantités d'acide hydrochlorique et de soude entre lesquelles elle s’opère sont 36 et 31. Pour qu'elle le soit, il faut évidem- ment que la quantité d'hydrogène contenue dans l'a- cide soit capable de former de l’eau avec la quantité d'oxigène contenue dans la base, Mais, comme une transformation toute pareille a lieu dans la neutralisa- tion d’un autre hydracide par la soude , il faut bien que les quantités de différents hydracides qui neutra- 19.* = 99% — lisent une même dose de soude et qui, par conséquent, sont chimiquement équivalentes entre elles, contiennent une même quantité d'hydrogène. Voici ce que constate effectivement l'analyse i part. d'hyd.et 8 part. d’oxigène forment 9 part. d'eau. 1 — 35 — dechlore — 36 — d'acide hydrochlorique. 1 — 18 — debrôme — 79 — d'acide hydrobrômique. 1 _ 126 — d’iode — 127 — d'acide hydriodique. 1 — 19 — defluor — 20 — d'acide hydrofluorique. 1 — 26 — decyanogène 27 — d'acide hydrocyanique. 1 — 16 — desoufre — 17 — d’acide hydrosulfurique. 1 — 40 — desélénium 41 — d'acide hydrosélénique. 1 — 6% — deteliure — 65 — d’acide hydrotellurique. Ajoutons que l'eau se combine avec bon nombre de bases salifiables, à l'égard desquelles elle joue le rôle d'acide ; que les combinaisons dont il s’agit s’opèrent toujours entre neuf parties d’eau et l’une des quantités de bases trouvées équivalentes dans cette note [31 par- ties de soude, 47 de potasse, etc.]; que, par consé- quent, on peut dire que neuf parties d'eau équivalent à quarante parties d'acide sulfurique, puisqu'elles se combinent avec un même poids de soude. Cette équiva- lence, à la vérité, n'est pas aussi complète que pour les acides proprement dits, puisqu'il n’y a point neu- tralisation ; mais elle existe du moins sous un rapport. RÉSUMÉ. Il sera bon, avant d’aller plus loin, de résumer ce que nous avons dit jusqu'à présent, afin que, les prin- cipes étant bien fixés dans l'esprit, les conséquences puissent être plus aisément suivies. A. Des quantités de bases sont équivalentes entre — 293 — elles, quand elles neutralisent un même poids d’un méme acide. 2.° Des quantités d'oxides métalliques équivalentes en- tre elles contiennent un même poids d’oxigène. 3.° Le poids d’oxigène contenu dans un oxide mé- tallique est toujours capable de former de l'eau avec la quantité d'hydrogène contenue dans un hydracide pouvant neutraliser l’oxide considéré. 4.° Des quantités d'acides sont équivalentes entre elles, quand elles neutralisent un même poids d’une même base. 5.° Des quantités équivalentes d'acides hydrogénés con- tiennent un même poids d'hydrogène. 6.° La quantité d'eau qui renferme ce même poids d'hydrogène est équivalente aux quantités d'acides dont il s'agit. DE L'ÉQUIVALENCE ENTRE LES CORPS SIMPLES. Tout ce qui précède se rapporte à des corps Ccompo- sés. J'arrive enfin aux corps simples. Quant à présent, je ne considère que ceux qui peuvent se ranger sous les deux titres suivants : A. Corps simples capables de former des hydracides. 2.° Hydrogène et métaux. Première série. — Corps simples capables de former des hydracides. L'oxigène , le chlore, le brôme , l’iode, le fluor, le soufre, le sélénium, le tellure, composent cette série. On à vu que 8 parties d’oxigène, 35 de chlore, 78 de brome, 126 d'iode, 19 de fluor, 16 de soufre, — m0 — 40 de sélénium , 64 de tellure, quantités de matières iné- gales en poids, se combinent avec un même poids [1] d'hydrogène, et que de ces combinaisons résultent des composés : 1° analogues par leurs propriétés acides ; 2. équivalens entre eux. Donc ces quantités d’oxigène, de chlore, de brôme, etc., sont équivalentes en aff- nité pour l'hydrogène. On se rappelle que 8 parties d'oxigène avec 23 de sodium forment la soude ou protoxide de sodium ; que, dans la réaction de l'acide hydrochlorique sur la soude, 35 parties de chlore et 23 de sodium forment le chlo- rure de sodium; que, dans une autre réaction du même genre, 126 parties d'iode et 23 de sodium forment l'iodure de sodium, ete. Les quantités d’oxigène, de chlore, de brôme, d'iode, etc., qui viennent d'être mentionnées, sont donc encore équivalentes en affinité pour le sodium. On verrait semblablement qu'elles sont toutes équi- valentes en affinité pour le potassium, en affinité pour le calcium, en affinité pour un métal quelconque. Concluons que des quantités de matières élémentaires capables de former avec un même poids d'hydrogène des hydracides sont chimiquement équivalentes entre elles. Observons, en passant, que 26 parties de cyanogène sont chimiquement équivalentes aux quantités d'oxigène, de chlore, etc., citées dans cet article. Deuxième série. — Hydrogène et métaux. Une partie d'hydrogène, 23 parties de sodinm, 39 de potassium , 20 de calcium , etc. , peuvent se combiner avec un même poids [8] d’oxigène, et former ainsi des — 295 — protoxides. Ces quantités d'hydrogène, de sodium, de potassium, de calcium, etc., inégales en poids, sont équivalentes en affinité pour l'oxigène. Ces mêmes quantités peuvent se combiner avec 35 parties de chlore, et former ainsi des protochlorures. Elles sont donc aussi équivalentes en affinité pour le chlore. On verrait également qu'elles sont équivalentes en affinité pour le brôme, en affinité pour l’iode, en affi- nité pour le fluor, etc. On peut donc regarder comme chimiquement équiva- lentes des quantités d'hydrogène et d’un métal quel- conque qui, avec un même poids d’oxigène, forment des protoxides. DÉFINITION ET DÉTERMINATION DES ÉQUIVALENS CHIMIQUES. La notion de quantités de matières chimiquement équi- valentes est suffisamment développée maintenant. De cette notion à celle d'équivalens chimiques, il n'y a qu'un pas. Nous avons formé plusieurs classes de quantités de matières équivalentes entre elles; mais, dans chacune de ces classes, le point de départ demeure entière- ment arbitraire. Par exemple, À partie d'hydrogène , 23 de sodium, 39 de potassium, sont des quantités équi- valentes; mais évidemment, 2 parties d'hydrogène, 46 de sodium, 78 de potassium , le seraient également. On peut donc, dans chaque classe, faire choix arbitraire- ment de l’une quelconque des quantités qui s’y trouvent ; le choix une fois fait, les quantités équivalentes à celle que l'on aura prise ainsi pour terme de comparaison seront nettement déterminées. — 296 — Dans la fixation de cette sorte d'unité, je suivrai les classes dans un ordre inverse de celui que j'ai précé- demment adopté, c'est-à-dire que je commencerai par la dernière pour terminer par la première. Hydrogène et métaux. — Dans la dernière classe, je choisirai le poids de l'hydrogène pour unité. Les quan- tités équivalentes des métaux rangés dans cette classe seront alors celles qui ont été citées dans les explica- tions. Le choix de l'unité pour représenter le poids de l'hydrogène est justifié par la simplicité des nombres obtenus ainsi pour représenter les quantités de matières équivalentes à ce poids : d’après MM. Dumas et Balard, tous ces nombres sont entiers (1). Corps simples capables de former des hydracides. —Dans la classe précédente, nous pourrions aussi choisir arbi- trairement le poids de l'un des corps; mais il y aura quelque avantage à le fixer d’après une règle. S'il était possible de découvrir entre les corps de l'une et de l’autre classe quelques substances dont l’é- quivalence chimique se manifestât, les deux classes, réunies en une seule par le lien qui les rattacherait ainsi l’une à l'autre, ne laisseraient plus liberté du choix que pour un élément, et, comme notre choix est déjà fait, nous n'aurions qu'à le conserver. Ces caractères d'équivalence entre corps rangés dans deux classes différentes ne sont plus, il est vrai, sen- sibles comme ceux que nous avons découverts jusqu’à (1) Toutefois, l'état de nos connaissances ne nous permet pas d’af- firmer que cette simplicité soit une vérité pour tous les corps: la discussion de ce point serait étrangère à mon objet. nt. | Des présent : il y en a pourtant quelques-uns qui permet- tent des comparaisons. Par exemple, 3 parties d'hydrogène avec 14 d'azote forment l’ammoniaque ; 378 d'iode avec 14 d'azote for- ment l’iodure d'azote. Sans doute, il n’y a point entre l’anmoniaque et l'iodure d'azote cette ressemblance de propriétés qui existe entre tous les acides ; mais tout au moins les résultats que fournissent les analyses de ces composés manifestent une certaine analogie d’affinité pour l'azote entre 3 parties d'hydrogène et 378 d'iode, ou bien entre À partie d'hydrogène et 126 d'iode. Ainsi encore 3 parties d'hydrogène et 76 d'arsenic forment l'hydrogène arseniqué ; 105 de chlore et 76 d’arsenic forment le chlorure d'arsenic; ce qui annonce une analogie d'affinité pour l'arsenie entre 3 parties d'hydrogène et 105 de chlore, ou bien entre À partie d'hydrogène et 35 de chlore. Si donc, à défaut de ressemblances plus frappantes, on se contentait de celles-là pour regarder 126 parties d'iode ou 35 de chlore comme équivalentes d'une partie d'hydrogène, elles le seraient nécessairement aussi de toute quantité de métal équivalente à une partie d'hy- drogène. Elles entreraient ainsi dans notre première classe, entraînant à leur suite tous les corps avec les- quels elles se trouvent intimement liées par l'équiva- lence dans la classe même dont elles font partie. Cette fusion des deux classes, pour être un peu hypothétique , n’en est pas moins licite, puisque, dans chaque classe, le point de départ est arbitraire. Il y a, d’ailleurs, avantage à l'opérer : l’on évitera ainsi la multiplicité toujours nuisible des unités; l’on atta- chera à toutes les substances des nombres qui, s'ils — 295 — n'expriment point d'une manière complètement certaine l’équivalence chimique de ces substances, rappelleront au moins les proportions suivant lesquelles se font le plus ordinairement leurs combinaisons; et 1l n’y aura aucun danger de confusion entre ces équivalences sup- posées et les équivalences véritables, car les premières ne trouveront jamais leur application dans la science. En conséquence , nous ne ferons plus des deux classes de corps simples qu’une série unique de quantités équi- valentes, ainsi formulées : Hydrogène, 1. Sodium, 23. Potassium, 39. Calcium, 20. Barium, 68. etc. Oxigène, 8. Chlore, 35. Brôme, 18. Iode, 126. Fluor, 19. etc. Rapportées de cette manière à une même unité, les quantités de matière chimiquement équivalentes prennent le nom d'équivalens chimiques. Ainsi, au lieu de dire que 23 parties de sodium sont chimiquement équiva- lentes à 1 partie d'hydrogène, on dira, d’une manière plus abrégée, que 23 est l'équivalent chimique du sodium. Les classes supérieures renferment les composés binaires. Hydracides. — Viennent d'abord les hydracides. Pour eux, point de difficulté. Un équivalent d'hydrogène et un équivalent de radical constituent l'équivalent de chaque hydracide. Bases. — Comme l'équivalent d'hydrogène exige un équivalent d'oxigène pour se transformer en eau, il faut que tout équivalent de base en contienne un d’oxigène: cela résulte des explications précédemment données. L'’ammoniaque seule ne rentre pas dans cette loi; mais il suit évidemment de ce qui a été dit que 17 est l'équivalent de cet alcali. —— 299 — Acides. — L'équivalent de chaque base étant fixé, celui de chaque acide s’en suit nécessairement. REMARQUES SUR LES ÉQUIVALENTS DES ACIDES. La considération de quelques acides oxigénés conduit à une remarque assez importante. L’équiv. d’ac. brômique est 118: ilcont. un équiv. de brôme et 5 d’oxig. — — perchloriqueest 91: — — de chlore etT — — — periodique est182: — — d’iode etT — — — sélénique est 64: — — de sélénium et 3 — — — sulfurique est 40: — — desoufre e3 — — — permanganique 56: — — de manganèse et 3 1/2 — — osmique est132: — — d'osmiumet# — — — vanadique est 93: — — devanadiumet 3— Ainsi dans l'équivalent de l'acide le plus oxigéné que puisse former un radical, toujours un équivalent de ce radical. Voici maintenant des acides qui semblent faire ex- ception à cette loi générale : L'équiv. d'ac. antimonique est 169 : il cont. 3 équiv. d’antimoine et 5 d'ox. — — chrômique est525: — 4 — 1/2 de chrôme et3 — — — molybdique est 72: — 2 — de molybdène3 — De là vient que beaucoup de chimistes, après s'être posé des règles pour la fixation des équivalens des corps simples, ont cru devoir s'en écarter, lorsqu'il s'est agi de l’antimoine, du chrome et du molvbdène : renon- çant à leur méthode uniforme, ils ont admis comme un fait positif que les équivalens des acides antimonique, chrômique et molybdique, devaient contenir un équi- valent de radical. — 300 — Si je ne partage point leur opinion, c'est que l'é- quivalence ainsi établie tombe entièrement dans le do- maine de l'hypothèse, au lieu d'être basée sur des analogies manifestes. Qu'on le remarque bien, en effet, la loi sur laquelle on s’appuie n'est appliquée, dans le cas actuel, que par convention arbitraire. Quel est vé- ritablement l'équivalent de l’acide antimonique ? Quel est celui de lacide chrômique? Quel est, enfin, celui de l'acide molybdique ? On n'en sait rien. Les antimoniates ont été fort peu étudiés: probablement, dit M. Berzé- lius, la quantité d'oxigène de l'acide est quintuple de celle de la base. Les chrômates considérés comme neutres verdissent le sirop de violettes. Quant aux molybdates, ils sont aussi peu connus que les antimoniates. Serait-il donc rationnel de se fonder sur des incertitudes pour rejeter des conséquences tirées de faits incontestables ? Si l’on n'avait aucun motif plausible pour se diriger dans la détermination de l'équivalent de l’antimoine, du chrome ou du molybdène, je concevrais que l’on cher- chât à s'étayer de la loi qui vient d’être citée: c’est ce que je ferai moi-même tout-à-l'heure. Mais que l'on veuille assujettir forcément des équivalens bien déter- minés à une loi, qu'on ne leur applique pas même avec certitude, c’est ce que ma raison ne saurait ac- cepter. CORPS SIMPLES OMIS. Quelques corps simples ont échappé aux règles que nous avons successivement établies : ce sont le phosphore, l'arsenic, l'azote, le carbone, le bore, le silicium, le colombiam et le tungstène. Comment fixer leurs équi- valens ? — 301 — Je rappelle d’abord que, pour le plus grand nombre d'entre eux , l'équivalent de l’acide le plus oxigéné laisse beaucoup d'incertitude. Sans répéter ici ce que j'ai dit ailleurs sur la détermination de ces équivalens d'acides, je cite sur le champ les nombres auxquels conduisent les probabilités que j'ai exposées plus haut: Acide phosphorique : 72; Oxigène: 40. Phosphore: 32. — arsénique: 115. — 40. Arsenic : 15. — azotique : 54. — 40. Azote : 14. — borique: 70. - 48. Bore : 22. — Ssilicique: 92. — 48. Silicium : 44. — colombique : 232. —_ 48. Colombium: 184. — tungstique: 238. — 48. Tungstène: 190. — Carbonique: 44. _ 32. Carbone : 12. Comme un équivalent d'acide au summum d'oxigéna- tion contient ordinairement un équivalent de radical, il est probable que les nombres consignés dans la der- nière colonne de ce tableau sont les équivalents des huit corps simples correspondants. Soumettons cette pro- babilité à quelques épreuves. En premier lieu, 32 parties de phosphore, 75 d'ar- senic, 44 d’azote, sont équivalentes en affinité pour l’oxigène. L'équivalent d'ammoniaque est formé de 3 équivalents d'hydrogène unis à 14 parties d’azote. Le gaz hvdro- gène protophosphoré joue quelquefois, ainsi que je l'ai dit, le rôle de base: il forme, par exemple, avec l'acide hydriodique un composé cristallin, un véritable sel. Or la quantité d'hydrogène protophosphoré qui, combinée avec un équivalent d'acide hydriodique, cons- titue ce sel, est formée de 3 équivalents d'hydrogène et de 32 parties de phosphore. Enfin, 3 équivalents — 302 — d'hydrogène avec 65 parties d'arsenic donnent l’hydro- gène arseniqué. Ainsi encore, 32 parties de phosphore avec 3 équi- valents de chlore, 75 parties d’arsenic avec 3 équiva- lents de chlore, forment des chlorures. Il existe aussi un chlorure d’azote; mais le peu de stabilité de ce composé, sa facile détonation, n'ont point permis d'en faire l’analyse : M. Dulong l’a essayé, et chacun sait les affreux accidents qui résultèrent de cette tentative. Mais l’analogie des propriétés du chlo- rure d'azote avec celles de l'iodure donne lieu de croire qu'il est composé de trois équivalents de chlore et de 14 parties d’azote. C'en est assez, je crois, pour qu'il soit permis d’ajou- ter à la liste des équivalents les nombres 32, 75 et 14 comme représentant ceux du phosphore, de l’arsenic et de l'azote. Notons, d’ailleurs, pour achever la justification de ce résultat, que 35 parties de chlore, 78 de brôme, 126 d’iode, forment avec 40 parties d’oxigène les équi- valents des acides chlorique, bromique, iodique, et se trouvent ainsi égaler en affinité pour l'oxigène les quantités de phosphore, d’arsenic et d'azote que nous venons de considérer. Pour le bore, le silicium, le colombium et le tungs- tène , la justification devient plus facile et plus com- plète. D'abord, 22 partics de bore, 44 de silicium, 184 de colombium, 190 de tungstène sont équivalentes en affinité pour l'oxigène. Elles le sont aussi en affinité pour le fluor; car elles forment des fluorures avec 114 parties ou 6 équiva- — 303 — lents de fluor : elles le sont de même en affinité pour le chlore. Ces rapprochements, que l'on pourrait multiplier, suffisent bien pour établir l’équivalence chimique des quantités de matières mentionnées. Mais sont-elles équivalentes à quelqu'un des équi- valents déjà trouvés ? Nous avons déjà vu plusieurs corps former avec trois équivalents d’oxigène des acides; tels sont le soufre et le sélénium ; ou bien avec trois équi- valents de chlore des chlorures, etc. Nous n’en avons trouvé aucun qui se combinât avec 6 équivalents d’un autre. Pour éviter ces combinaisons exceptionnelles, di- rons-nous alors que 11, 22, etc. et non 22, 44, etc., séront les équivalents du bore, du silicium, etc.? Remarquons bien que l'union d’une série d’équiva- lents avec les précédentes n’a besoin que de quelques analogies qui la justifient: car, je l’ai dit plus haut, le point de départ est arbitraire pour chaque série. Si le soufre et le sélénium soutenaient avec 11 parties de bore une comparaison complète, il n’y aurait aucune difficulté ; mais ils ne la soutiennent que relativement à l’oxigène; encore les quantités d’acide formées ainsi ne sont-elles pas équivalentes. Il me paraît donc plus rationnel de s’en tenir à l’analogie fondée sur la loi de composition des acides, et d'ad- mettre les nombres que nous venons de trouver, sans modification, dans la série des équivalents. Quant au carbone, je n'apercois, je l’avoue, au- cune autre analogie que celle qui résulte de la loi générale relative aux acides, pour justifier brièvement l'adoption du nombre 12 pour son équivalent. — 304 — CONCLUSION. Les équivalents des corps simples conservent, comme on le voit, quelques incertitudes que l'état de la science ne parait pas capable de détruire. C'est pour le carbone surtout que cette incertitude existe. Pour les autres corps, elle disparaît en partie, quand on les divise, comme je l’ai fait dans cette note, en quatre séries, savoir: 1.0 Corps simples capables de former des hydracides; 2° Hydrogène et métaux ; 2. Phosphore, arsenic et azote; 4.° Bore, silicium, colombium et tungstène. L'équivalence alors se manifeste assez clairement entre les corps d’une même série. Le doute n'existe plus que pour la fusion des séries entre elles. Mais comme je l'ai dit, cette fusion, bien qu’un peu hypothétique, est sans inconvénients réels: il suffit qu'elle soit justi- fiée par quelques analogies plus ou moins profondes. Or, je crois avoir signalé partout des rapprochements assez sensibles pour que le passage d’une série à l’autre ne soit pas dénué de fondement. MÉMOIRE DES DÉBLAIS ET REMBLAIS, Par M. MACHART, Firs. MEssrEURS , Il ÿ a déja plusieurs années que j'ai eu l'honneur de présenter à l’Académie quelques recherches sur la manière de déterminer l'axe d’un profil de route, de telle sorte que sa construction exigeàt le moins possible de mouvement de terre. J'étais parvenu , par le calcul, à deux conditions dont l’une se comprend tout d’abord : elle exige que le volume des terres fouillées soit pré- cisément égal à celui des terres à rapporter. C’est là ce que tous les ingénieurs connaissent sous le nom de principe de la compensation des déblais et des remblais, et sa nécessité est évidente d’elle même. Si l’on sup- pose, en effet, que cette compensation n’ait pas lieu, qu'il y ait, par exemple, un volume de déblais à faire plus grand que le volume des remblais, il est clair que si l’on exhausse graduellement le plan de la route 20. — 306 — on diminuera, de plus en plus, la quantité de terre à fouiller. Tant que l'on ne cessera pas d'en trouver l'emploi, c’est-à-dire tant que le volume des déblais ne sera pas supérieur à celui des remblais, le cube des terrassements à faire ira constamment en diminuant. On ne devra donc s'arrêter que quand on sera parvenu à l'égalité. Ainsi que je l'ai fait observer dans mon premier mémoire, la condition de l'égalité des déblais et des remblais ne suffit pas pour fixer la position de l'axe d’une route, puis qu’on peut toujours y parvenir en élevant ou abaissant cet axe parallèlement à lui-même, sous quelque pente ou rampe qu’on l'ait dirigé. Pour achever de déterminer le tracé, il reste done à en fixer l'inclinaison. La condition que donne à cet égard le calcul est beaucoup moins facile à interprêter que la première. Elle suppose la détermination des centres de gravité des déblais et des remblais, et, dans mes premières recherches, j'avais été obligé de me borner à indiquer théoriquement les moyens de trouver ces points, mais sans me dissimuler qu'une règle de calcul, qui n'offrait aucune idée saisis- sable à l'intelligence, ne pouvait guère devenir un pro- cédé pratique, et que, très-probablement, la condition de la compensation des déblais et des remblais resterait, en dépit de mes efforts, la seule condition à laquelle on crut devoir s’astreindre, bien qu'il me parüt prouvé qu'observée seule, elle n'était pas toujours une con- dition du maximum réel d’économie. Un nouvel examen m'a heureusement permis d’in- terprêter, d’une manière intelligible pour tout le monde, la seconde condition à laquelle j'étais parvenu. En à — 506 — langage ordinaire, elle signifie que si l'an veut avoir à faire le moins possible de terrassements , il faudra qu'après l'exécution des travaux, le centre de gravité du terrain n'ait pas varié. En d’autres termes, il faudra que les transports de terre que l'on aura faits en mar- chant de l’origine de la route vers son extrémité, soient égaux aux transports que l’on aura faits en marchant dans un sens opposé. La première règle prescrite par le caleul était la compensation des déblais et des rem- blais ; la seconde peut s'appeler la compensation des transports. En même temps que cette dernière condition assure, ainsi que le prouve la théorie d’où elle est déduite, le mininum de terrassement dans l'exécution d’un projet, elle offre aussi l'avantage d'exécuter ces terrassements avec le minimum de dépense. Il est clair, en effet, que c'est quand les transports se feront également dans les deux sens , qu'ils seront les plus courts et les plus éco- nomiques possibles. Le projet qui satisfera à cette double condition , satisfera donc de la manière la plus complète aux exigences de l'économie. La règle du caleul se trouvant d'ailleurs ainsi traduite et appliquée à des quantités que l'ingénieur est toujours obligé de cal- culer, il devient extrêmement facile de s’assurer si elle est satisfaite, et de juger du mérite d’un projet en voyant jusqu'à quel point il s’en approche, non seule- ment dans son ensemble, mais dans chacune des parties dont il se compose. S'il s’agit d’un tracé soumis à des conditions fort ri- goureuses, par exemple, d’un chemin de fer, dont les pentes ne peuvent varier que dans des limites extrê- mement étroites, et dont la hauteur est souvent déter- 20.* — 308 — minée par des points de sujétion tels qu'un passage à niveau, la traversée d'un cours d’eau, eitc., les condi- tions que je viens d'indiquer ne pourraient que rare- ment recevoir leur application pour la détermination des pentes et des rampes dont le profil en long doit se composer. Mais on peut, dans ce cas, les appliquer très - avantageusement à la détermination en plan du tracé sur le terrain. Supposons, en effet, qu'il s'agisse de tracer l'axe d'un chemin de fer dans une vallée, sur le flanc d’un de ses versants. Au moyen du niveau de pente, on tracera sur le terrain une ligne ayant l'inclinaison donnée d'’a- vance ou une inclinaison un peu moindre. On en lèvera le plan, et le problème, à résourdre au cabinet , con- sistera à substituer aux sinuosités irrégulières de cette ligne, un système d'alignements droits on de courbes d’un rayon donné qui s'en écarte ie moins possible. C'est ici un problème d'interpolation tout-à-fait identi- que avec celui dont il vient d'être question, et rien n'empêche d'opérer sur le tracé un plan dela même manière que sur le profil en long du terrain. Pour cela, il suffira de considérer comme remblais les sur- faces que l'axe du tracé cherché doit laisser, d’un côté, entre lui et la courbe du terrain, et comme déblais celles qu'il laisse du côté opposé. Les conditions trou- vées pour le cas d’un profil en long vertical s’appli- queront exactement à cette sorte de profil horizontal, et, par des calculs purement mécaniques que l’on peut confier à un simple employé de bureau, on parviendra à déterminer, sans tâtonnements, le tracé le plus avan- tageux qu'il soit possible de suivre. Si les conditions auxquelles sont assujéties les pentes — 309 — et les rampes permettent d'ailleurs l'application des règles posées ci-dessus, ce qui arrivera toutes les fois que la pente moyenne du terrain n'excèdera pas celle qu'il est permis d'adopter, on pourra avec certitude reconnaitre quel est le tracé le plus èconomique. Si les circonstances exigent que l’on s'en écarte, on pourra mesurer l'importance des sacrifices que l’on aura à faire aux convenances, et, ce qui est peut-être bien plus im- portant encore, on n'aura pas à craindre de se laisser aller à sacrifier à leur tour des convenances graves, peut-être même la sécurité publique , à l'espérance d’une économie souvent insignifiante et, dans plus d’un cas, entièrement illusoire. | tai plait x Porn u él Fadrlns zu xahbider Gedh- siatera À aubetitéer LAC sinuoditse ; irvéguides dé: dette … Hgte, Din piège T'aligitenienté rois. ‘ùde coûrhen CT TIETS Sont CARE écarte: le mains! pomilile, Cat ANUS probe. d'énterpetetions LT (PEUT ES que aveo foetaf . Aie: 5 Teiélul, 4 dre poeidon; ei nn n'emrâihe ppéren avr fresé mù plane du la edit : manière, que ai le profil nr long ‘du ferran. 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Les morceaux quil renferme furent publiés successivement dans la Revue des deux Mondes, que le talent de sa rédaction a mise au premier rang de nos recueils périodiques. Commencées par M. Vivien peu après sa sortie du mi- nistère, alors que rendu à la vie privée, il pouvait, pour la première fois depuis dix ans, se recueillir et fixer dans sa mémoire les résultats d'une expérience chèrement ac- (1) Etudes administratives, par M. Vivien, vice-président au Conseil d'Etat, député de l'Aisne. — 1846, = — 312 — quise, ces publications furent continuées depuis sa rentrée au Conseil d'Etat, malgré les travaux nombreux de sa vie officielle et parlementaire. Le succès qu'avaient obtenu les premiers articles signés de son nom, lui avait fait contracter une sorte d’engagement envers le public. Loin de s'y dérober, M. Vivien a payé largement sa dette. Jamais auteur ne connut mieux son sujet. Il dé- crit non seulement ce qu'il a vu, mais encore et le plus souvent ce qu'il a fait et pratiqué lui-même. -- Qui pouvait mieux mettre à nu la Préfecture de police que l’homme dont la fermeté patriotique et les lu- mières ont été à la hauteur de ce poste, en tout temps difficile à remplir, mais surtout redoutable à l’époque de crise où il lui fut confié? Le Conseil d'Etat, qui l'avait revu ensuite dans son sein, où il avait présidé le comité de législation, n'aurait pu sans doute charger un homme plus compétent du soin d'exposer sa cons- titution, et de justifier son existence. Sorti du barreau et des sommités de la magistrature, pour se donner tout entier à l’Administration qui le réclamait, et qui de- puis eut toujours les préférences de cet esprit net et pratique, il avait, en dix ans, pu acquérir des notions justes et complètes sur le pouvoir administratif. Là en- core il était sur son terrain, de même qu'en traitant des fonctionnaires publics, lui qui en qualité de Procu- reur-général et de Préfet de police, avait dirigé un nombreux personnel et appris à manier les hommes, il retrouvait une matière expérimentée, objet de ses travaux habituels et de ses méditations. — Le morceau intitulé théâtre s'explique aussi comme un appendice au traité de la législation des théâtres, publié en 1830, et dont M, Vivien est un des auteurs. M. Vivien, avait — 313 — trouvé dans ses fonctions de Préfet de police une pré- cieuse occasion d'étudier de plus près ce sujet; aussi l’a-t-il repris, après un intervalle de quinze ans, avec une riche provision de faits, et en l'éclairant au flam- beau de la législation anglaise. — Tel est, si je puis m’exprimer ainsi, l'historique des cinq morceaux, qui composent le recueil pablié par M. Vivien sous ce titre: Etudes Administratives ; et pour montrer le lien qui les unit, l’auteur a fait voir, dans ure excellente préface, qu'elles appartiennent toutes à la science administrative, science peu connue encore et nulle part enseignée, « Je me suis propose, dit-il, d'ouvrir la route; d’autres la suivront avec plus de succès ; je ne prétends qu'à un mérite, celui de la bonne foi et de l’impartialité. Cette préface et le morceau qui la suit: du Pouvoir Administratif, sont deux additions de lauteur, qui certes ne peuvent être regardées comme des hors- d'œuvre. Après avoir exposé dans la Revue des deux Mondes quelques parties de l'Administration, il a cédé aux tendances de son esprit généralisateur, et compris qu'il ne pouvait convertir ces fragments en corps d'ou- vrage , sans remonter aux principes, sans denner une base solide à la science qu'il venait inaugurer. M. Vivien abordant le pouvoir administratif, essaie d’en donner la définition. Il l’envisage dans ses rapports avec les pouvoirs législatif, politique et judiciaire. Il recherche quels sont ses principes constitutifs, et quelles garanties existent contre ses abus. Reprenons ces différents points. Qu'est-ce que le pouvoir administratif? En le circons- crivant dans l’administration proprement dite, on est loin d'en avoir donné une idée claire et précise; car celle-ci est tellement maltiple , elle touche de si près à tous — 314 — les pouvoirs de l'Etat, qu'il est difficile de reconnaître ses limites. « L’Administration, dit M. Vivien, c’est l'Etat » personnifié pour le règlemont de ses intérêts propres.» I ajoute: « C'est un pouvoir toujours en éveil qui » supplée à tous les autres, qui les complète, qui en » reçoit et leur imprime le mouvement, qui dirige les » affaires générales, et intervient dans la gestion des » affaires locales. » — Au premier coup d'œil cette dé- finition m'avait paru vague. Pourquoi, me disais-je, ne pas s’en tenir au texte positif de la charte? Le roi nomme à tous les emplois publics, et fait les régle- ments et ordonnances nécessaires pour l'exécution des lois. Mais j'ai senti bientot qu'avec plus de précision, ce serait s exprimer d'une manière moins complète, les pouvoirs administratifs dérivant de maints textes de lois qui leur tracent un cercle d’attributions variées. Si l'Ad- ministration résumait le pouvoir exécutif tout entier, il serait plus aisé de le concevoir nettement; mais M. Vivien la distingue avec raison du pouvoir politique, placé dans une région supérieure, et pesant sur elle, sans lui ôter toute indépendance. La réflexion fera com- prendre qu'audessus des règles qui déterminent le mode d'action, il y a le principe même de l'action, ou la pensée dirigeante appliquée au gouvernement, émanant du chef de FEtat sous la responsabilité des ministres. Là se trouve, sauf le contre-poids du pouvoir parle- mentaire , l'autorité souveraine du roi qui, d’après la charte, est investi de la direction suprême, commande les armées de terre et de mer, déclare la guerre, fait les traités de paix ou d'alliance. Là est la politique proprement dite, qui comprend les attributs de la sou- veraineté, domaine à part et tout-à-fait distinct des pou- — 315 — voirs administratifs. M. Vivien n'a fait ici que f’indiquer, mais ailleurs, en rendant compte, dans la Revue de la législation, d’un ouvrage nouveau de M. Dafour sur le droit administratif, il avait fait sentir toute l’im- portance de cette distinction, fondée sur les articles 42 et 13 de notre pacte constitutionnel, et il avait regretté que M. Dufour n'eût pas fait une excursion dans le droit politique, matière encore neuve et qui attend un travail sérieux. Distinguée du pouvoir politique avec lequel il semble d’abord qu'elle se confonde, plus profondément séparée des pouvoirs législatif et judiciaire, l'Administration à cependant des rapports avec ces différentes branches dé la puissance publique. Quels sont ces rapports ? M. Vivien en indique plusieurs, et montre en même temps comment tout en assurant, en garantissant l’action de ces pouvoirs, l'on a fait en sorte qu'ils ne pussent s’absorber l’un l’autre. Ainsi l'Administration touche au pouvoir législatif par son droit de faire des ordonnances et des réglements; mais ce droit se borne à tirer les conséquences des principes généraux posés dans la loi; conséquences qui n'appartiennent pas chez nous, comme en Angleterre, à la loi elle-même. Les limites du do- maine de l'ordonnance sont quelquefois fort délicates ; mais il est sûr au moins qu'elle ne peut édicter de peine, et qu'on ne doit pas obéissance à ce qui s'y trouve de contraire à la loi. — L’Administration a aussi des points de contact avec l'autorité judiciaire : en cas de conflit, elle est juge de l’empiètement; elle arrête aussi l’action publique contre ses agents, jusqu’à ce qu'elle ait pris connaissance des faits, et autorisé Ja poursuite ; mais c'est au conseil d'Etat, comme étant la — 316 — tête et non le bras de l'Administration, qu'a été remis le soin d'apprécier toute plainte dirigée contre un fonc- tionnaire; et d’autre part, le droit d'évocation cesse après que les tribunaux ordinaires ont rendu un juge- ment définitif sur le fond. — Enfin l'Administration est en contact habituel avec la politique, dont elle reçoit l'impulsion, à laquelle même elle est subordonnée pour la direction morale ou les vues d'ensemble. Mais M. Vi- vien soutient, et il revient sur cette idée, qu'elle a une sphère propre, où elle jouit de quelque indépen- dance. Toutefois il reconnait que l’asservissement de l'administration à la politique est un des écueils du gou- vernement parlementaire. « Dans cette confusion des deux » pouvoirs, dit-il, l’un et l’autre sont dégradés et altérés. » La politique abdique sa dignité. Elle ne fait plus appel » aux sentiments honnêtes. Réduite à n’entendre que des » conseils intéressés, à n’employer que des instruments » pervertis, elle marche au hazard et sans guide, n’en- » tend plus la voix de l'opinion, et court risque d’en » méconnaitre les vœux les plus impérieux. A son tour, » l'administration est détournée de ses voies les plus » régulières, et placée dans une sorte de forfaiture de- » vant les citoyens. Elle n'est plus que l’esclave d'un » parti, et voit s'éloigner la confiance et l'estime des » honnêtes gens. » Quels sont les principes constitutifs de l'Administration? C'est d'abord, aux yeux de l’auteur, la centralisation si magnifiquement célébrée par M. de Cormenin, con- quête du génie révolutionnaire, gardienne de l'unité na- tionale et patronne de l'égalité. Il en résulte , à part des inconvéniens réels, mais qu'il est possible d’atténuer, une force incaleulable qui, sous des institutions libres. — 317 — ne peut tourner qu à la grandeur et à la prospérité du pays. — Un autre principe constitutif de ladministration française, c'est l’unité d’action obtenue au moyen d'un agent, préposé seul à chaque service, mais entouré d’un conseil délibérant qui lui doit ses lumières et lui laisse la responsabilité. Enfin quelles sont les garanties des citovens dans leurs rapports avec l’Administration? ses propres règles, éparses dans le recueil volumineux de nos lois, et qui l'en- chaineront davantage, à mesure que la connaissance en sera plus répandue. Les intérêts privés sont d'ailleurs garantis par des recours soit aux préfets, soit aux mi- nistres revêtus d’un pouvoir juridique, soit aux conseils de préfecture, et au Conseil d'Etat. Ajouterai-je avec l'auteur la garantie qui couronne toutes les autres, la responsabilité ministérielle ? Mais si le droit de pétition, si le droit d’interpellation appartenant aux chambres, m'assurent que dans de graves circonstances, on arrêtera le mal, un mauvais ministre ne répondra-t-il de ce mal qu'en cédant la place à d'autres ? J’oserai suppéler au silence de M. Vivien, et proclamer ici l’urgence d'une loi qui rende les agents du pouvoir sérieusement responsables, en instituant des pénalités, des moyens de poursuite, des réparations efficaces. Voilà, Messieurs, dans un cadre bien resserré , les prin. cipales idées de l’auteur sur le pouvoir administratif. Les agents de ce pouvoir, répandus sur tout le sol français, devaient ensuite attirer son attention; car une machine, si ingénieuse qu'elle soit, ne vaut que par ceux qui la mettent en jeu. Il avait donc d’utiles considé- rations à présenter sur les fonctionnaires publics, sur leur condition en France, sur leurs droits et leurs de- 29h08: = voirs, sur les imperfectious du systême qui les régit. M. Vivien tout en relevant les mérites généraux de ce système, soit pour la collation des emplois et l’avance- ment, soit pour les salaires et les pensions de retraite, signale toutefois des parties faibles et des lacunes à remplir. Sa méthode essentiellement expositive lui permet de mettre en relief une multitude de faits curieux, restés jusques là enfouis au Bulletin des Lois, où dans le do- maine peu fréquenté de la statistique. Sait-on, par exem- ple, qu’il existe en France plus de 200 mille fonction- aires, non compris les ministres des différents cultes reconnus par l'Etat? que le personnel des finances en comprend à lui seul 80 mille? qu'il y avait, inserits au budget de 1845, plus de 42 mille prêtres catholiques, et autant de fonctionnaires ou agents de l’université ? Ces derniers chiffres, que M. Vivien donne sans ré- flexion, indiquent dans quelle mesure le clergé catho- lique et le corps universitaire se partagent la direction des intelligences. On voit que leur enseignement dis- pose de forces qui se balancent, j'aimerais mieux dire qui concourent au même but. Quand à la collation des emplois, l’auteur fait ob- server que les garanties d'aptitude exigées pour la plu- part des fonctions , manquent à la carrière diplomatique, et à celle de l'administration centrale proprement dite. Là le choix du roi s'exerce librement et sans condi- tion. La magistrature est livrée à un arbitraire moins étendu, puisqu'elle ne se recrute que parmi des licenciés ayant fait preuve d’études spéciales; mais on n’exige des candidats qu’un stage de deux ans au barreau, ce qui n’est pas, suivant l’auteur, un véritable noviciat judiciaire. — 319 — M. Vivien se plaint de ces exceptions, qui s’appli- quent à des services, où l'intérêt public réclame préci- sément le plus de garanties de capacité et d'expérience. Si partout ailleurs il existe des conditions d’épreuve, s’il y a des surnuméraires et même des aspirants au surnumérariat, des attachés, des élèves consuls, des auditeurs au Conseil d'Etat, d'où vient ce privilége d'entrer de plein saut dans les carrières diplomatique et judiciaire? d'obtenir d'emblée une Préfecture? La faveur est aussi nuisible aux vrais intérêts de l’Admi- nistration qu'aux libertés publiques. Aussi a-t-on pro- posé, dans ces derniers temps, de déterminer par une loi les régles d'admission aux emplois publics; entre- prise vaine, suivant M. Vivien, tant que nous n’aurons pas en France un enseignement complet des sciences po- litiques et sociales. Il sollicite à cet effet, non pas des chaires spéciales de droit publie ou administratif, dans les Facultés existantes, mais la création de Facultés nouvelles, c'est-à-dire d’un autre ordre, et appropriées à l’état de notre civilisation. On pourrait alors, comme en Allemagne, à l'aide d'examens, de grades et de con- cours, mettre d’utiles entraves à l'entrée de deux car- rières trop librement ouvertes Quant à la magistrature, les garanties d'études qui existent. déjà, laisseraient, dit l’auteur, peu de chose à faire, soit qu’on rétablisse l’auditorat purgé des vices de sa première institution, soit qu'on organise, sous un nouveau titre, un corps de néophytes qui trouvent à s'initier, dans le sanc- tuaire même, aux redoutables fonctions de Thémis. Sur ce dernier point, Messieurs, quelles que soient les lumières et l'expérience de l’ancien procureur-gé- péral d'Amiens, sa conviction fortement exprimée me — 320 — laisse douter encore de l'utilité d’un noviciat judiciaire. N'est-il pas dangereux ici d'établir un vestibnle condui- sant de plain-pied dans le temple ? de donner d'abord une qualité de peu d'importance, qui deviendra bien- tôt, quoiqu'on fasse, un titre à des fonctions réelles? Tel ministre qui, cédant à l'obsession , voudra bien essayer un sujet équivoque, y regarderait de plus près, s’il s'agissait de donner à un magistrat une complète investiture. Là est la garantie, ce me semble. Qu'on s'efforce de fortifier les études ; qu’on exige du candi- dat le grade de docteur, un stage réel au barreau, à la bonne heure. Mais les avantages d’une quasi-col- laboration avec les juges ne me paraissent pas com- penser les dangers inhérents à la nomination d’un ma- gistrat à l'essai, pris légèrement, et qu’on sera forcé de garder. Au surplus, à part cette question, j'entre dans toutes les idées de l’auteur sur les conditions d'admission, et sur les rêgles qui doivent présider à l'avancement. Je crois avec lui que, sauf pour certaines fonctions poli- tiques lièes à la marche du gouvernement, les nomina- tions devront être faites en général dans la classe ou le grade immédiatement inférieur , lorsqu'o1 aura créé, à l'entrée des carrières, des garanties applicables à tous les services, lorsqu'on aura organisé, comme point de départ, un enseignement sérieux et approfondi des scien- ces politique, administrative et financière. Alors des changements dans les règles d’admission et d’avance- ment seront possibles, et ils pourront avoir lieu, sans qu'il soit besoin d’une loi, par de simples règlements d'admiuistration publique. Parmi les devoirs imposés aux fonctionnaires, les moins = SPA — observés, selon M. Vivien, sont Îa discrétion et l'o- béissance hiérarchique. Un autre devoir, basé sur des convenances impérieuses, c'est celui de ne pas se mé- ler à des entreprises de spéculation. L'anteur y rap- pelle sévèrement les fonctionnaires, au nom de leur di- gnité compromise , et se croit d'autant plus autorisé à le faire qu'il se montre d’ailleurs fort jaloux de leurs droits, réclamant pour eux la liberté politique, c’est à-dire les fran- chises de la presse, du forum et de la tribune , disant à l'écrivain : Publiez vos opinions, mais que l’homme public ne tienne pas la plume ; à l'électeur : Travaillez au succès de votre candidat, mais sans faire servir vo- tre autorité à ce triomphe ; au député : Parlez et votez librement, mais ne vous faites point chefs de cabale, et abstenez-vous de toute violence de langage. M. Vivien a aussi fort à cœur la stabilité du fonc- tionnæire; mais, dans les emplois révocables, il com- bat l’utopie de ceux qui appellent de leurs vœux une charte administrative, comme si l'intérêt de l’Adminis- tration n'exigeait pas au contraire que le gouvernement usàt plus souvent de son droit, au lieu d'y renoncer. Il reproduit en faveur des agents du pouvoir, qui doi- vent être protégés, et mis à l'abri des poursuites té- méraires, son opinion connue pour le maintien de l’ar- ticle 75 de la Constitution de l'an vin. Il y voit plutot une égide salutaire qu'un asile inviolable, témoin le nombre des poursuites qui ont été autorisées dans les cinq dernières années , et qui excèdent le tiers du nom- bre des plaintes (133 sur 365). L'article 75 n'exclut pas la responsabilité ; mais ïl la fait remonter plus haut. Déjà il a été rendu inapplicable aux receveur des deniers publics, pour la répétition des sommes in- 24: — 322 — duement perçues. Si le vote libre de l'impôt a paru ré- clamer cette sanction, écrite à la fin de chaque bud- get, le droit électoral, cet autre boulevard de nos li- bertés, exigerait peut-être une seconde exception à l’article 75, afin d'écarter, en cette matière, jusqu'à l'apparence d’un déni de justice. M. Vivien est d'avis que la poursuite des fonctionnaires, qui seraient pré- venus d’avoir attenté aux droits électoraux, devrait être affranchie de l'autorisation préalable. Passant aux salaires des emplois publics, dont il ex- pose tout le système avec sa netteté ordinaire, l'auteur fait voir quils se composent de traitements fixes ou éventuels, ou progressifs. Le financier a des remises, le clergé ses oblations. il ya des suppléments pour cer- taines situations prévues, des indemnités accidentelles, pour frais de déplacement et de voyage. L'auteur, pre- nant en considération la mobilité des fonctionnaires, es- time que, sous ce dernier rapport, l'Etat qui dispose d'eux en les envoyant où il lui plait, ne fait pas assez pour les rendre indemnes. Il trouve dans le régime des établissements universitaires, dont les chefs et les pra- fesseurs sont rétribués à raison de l'accroissement de leurs colléges, un principe qu'il serait bon de généra- liser, le germe d’une amélioration applicable à beau- coup d’autres services. Quant aux taux des traitements, M. Vivien fait observer que s'ils absorbent chaque année 260 millions, c'est-à-dire le tiers du budget, plus de la moitié des fonctionnaires ne touche pas au-delà de 1,500 fr.; que cependant les gros traitements, loin d'être excessifs, seraient plutôt à augmenter qu’à ré- duire, eu égard à la rémunération des services corres- pondants rendus en dehors des emplois publics. Sur 250,000 fonctionnaires, il n'y en a que 102 dont le traitement dépasse 20,000 fr. ; 372 seulement recoivent de l'Etat de 15 à 20,000 fr. Les plus favorisés ensuite, dans les limites de 410 à 15,000 fr., ne sont qu'au nombre de 648. Ces gros traitements réunis forment bien une somme totale de 26 millions, le + de celle qui est inscrite au bud- set pour l’ensemble des services publics; mais M. Vivien se voit forcé d'admettre cette proportion, ea égard à la nécessité d'entretenir l’érulation par la graduation des salaires. {l reconnait d’ailleurs que beaucoup d'emplois sont mal rétribués, et croit possible de corriger cette insuffisance par une réduction du personnel des admi- nistrations, qui lui paraît trop nombreux. Il restait à considérer le fonctionnaire publie au terme de sa carrière. La raison veut que le terme soit fixé par des règles précises dans l'intérêt de l'Etat qui a besoin de serviteurs actifs. De là le principe de la re- traite forcée, principe général en France, quoique di- versement appliqué, soit que le fonctionnaire rencontre une limite d'âge inflexible, soit que l'appréciation des circonstances qui le rendent impropre à continuer ses fonctions soit remise à des commissions d'hommes com- pétents et impartiaux. [l n'y a guères d'exception en cette matière que pour les maréchaux de France et les amiraux, qui conservent leur titre et leur traitement jusqu’à la mort. Une autre faveur, qui se justifie d’elle- même , était düe aux officiers-généraux, que l’âge fait entrer dans la réserve avec un traitement supérieur à celui de la retraite. J'ai dit traitement, Messieurs, et ce mot n’est pas impropre, appliqué aux pensions de retraite. M. Vivien regarde celle-ci, avec raison, comme un complément de salaire dù à l’homme qui a consacré sa 1 * El, — 324 — vie aux fonctions publiques. Il déclare nettement qn'’elles sont une dette de l'Etat, et que ce principe de justice rigoureuse, s'il est restreint aujourd'hui aux pensions militaires, doit finir par être reconnu pleinement , et appliqué à tous les services dans la loi qui se prépare sur cette matière. Entre les deux systèmes proposés, M. Vivien préfère à l'établissement d'une caisse d'é- pargne spéciale, l'inscription de la dette au budget de l'Etat qui paierait, non plus à titre de subvention, mais comme débiteur assumant toute la charge, sauf à profiter de la retenue actuelle de 5 p. 0/0 sur les trai- tements. L'Etat devrait même , au sentiment de l’au- teur, prétendre à payer seul et sans le secours d’au- cune retenue, toute la dette, comme il s’acquitte en- vers l’armée ; idée grande sans doute, mais bien difficile à réaliser. M. Vivien termine ce chapitre intéressant des fonc- tionnaires par un tableau animé de ce qu'ils devraient être en conformité des lois, et de ce qu'ils sont par limperfection de notre nature. [Il résanme ses vues d'amélioration en les resserrant dans un cadre, où se montre, à côté des vives sympathies du fonctionnaire, la haute impartialité de l’homme d'Etat. Dans le morceau suivant, l’auteur est sur son ter- rain propre, et comme ïl parle de ce qu'il sait le mieux, tout serait bon à recueillir. Le caractère et le rôle du Conseil d'Etat sous le régime constitutionnel, son organisation et ses attributions sont tracés à grands traits dans cet écrit remarquable, qui Îles met à la portée de tous les lecteurs. M. Vivien n'avait plus à établir la constitutionnalité longtemps méconnue du Conseil d'Etat, depuis qu’une loi récente a consacré Ho son existence. Elle se justifie par cela seul qu'il faut au pouvoir central un conseil, comme il en existe un à côté de chaque branche du pouvoir exécutif.: Les bureaux et les commissions accidentelles ne sauraient suppléer à l'existence d’un corps permanent, compo- sé d'hommes d'élite, et le mieux placé pour faciliter, sans y prendre part, l'action administrative. Telle est, à première vue, la mission du Conseil d'Etat; et pour la mieux comprendre, il faut se rappeler ce qui a été exposé tout d’abord, sur le pouvoir administratif pro- prement dit, distingué de la politique et de la justice. Le Conseil d'Etat, comme l’auteur a soin de le ré- péter plusieurs fois, est étranger à la politique, c'est- à-dire à la pensée dirigeante, émanée du gouvernement ou du roi sous le nom de ses ministres responsables, et qui est l'attribut de la souveraineté. Mais hors de ce domaine, le Conseil d'Etat embrasse, éclaire toutes les parties de l'Administration, qui se partage, comme on le sait, en matières purement administratives et en matières contentieuses, En ce qui concerne les pre- mières, il est sans initiative; il prépare, sous forme d'avis, dans les cas prévus par la loi, une déci- sion ministérielle , ou une ordonnance royale; ou bien il se borne à donner une simple consultation sur une question qui lui est soumise; mais, en ce qui concerne les matières contentieuses, (on appelle ainsi, sous la notion la plus générale, les réclamations fon- dées sur des droits, en dehors du réglement des in- téréts, qui ne relèvent que de l'Administration), le Conseil d'Etat peut être saisi directement par les par- ties privées, et quoique là encore il ne fasse, dans la rigueur des principes, que préparer la décision du gou- = 5% — vernement, il statue réellement par un acte qui ne manquera jamais d'être converti en ordonnance du roi. — Il importe de distinguer ces deux grandes elasses d'affaires, auxquelles s'appliquent des formes de pro- céder différentes. Le contentieux appartient à l’un des six comités dans lesquels se partage le Conseil d'Etat. Les cinq autres, répondent à autant de ministères; mais il faut obser- ver qu'un seul comité embrasse l’intérieur et l'instruc- tion publique, un seul le commerce et les travaux pu- blics, un seul la querre et la marine. Les affaires du contentieux échappent à toute nomenclature par leur nature même, à l'exception de celles que des lois spéciales y ont rattachées par une extension de com- pétence, comme la vente des biens nationaux, les do- maines engagés... — Au contraire les affaires purement administratives sont réparties par ordre de matières. Le comité de législation, dont M. Vivien est le vice- président, a dans ses attributions, oatre Îles cultes, certaines affaires telles que les demandes des communes en autorisation de plaider, les plaintes contre les agents du gouvernement, les conflits et autres. Il devrait aussi rédiger les projets de loi, si (ce que M. Vivien déplore) l’usage n'était presque perdu d'en soumettre au Conseil dEtat qui n’est plus guère consulté que sar les lois d'intérêt local et sur les réglements d’admi- nistration publique, la loi exigeant que ces derniers lui soient toujours soumis. Les attributions des autres comités sont relatives aux différents ministères auxquels ils sont attachés; sauf que, par une anomalie dont on se rend diflicilement compte, ceux de la guerre, de la marine et des fi- — 327 — nances sont rarement consultés. Il en est de même du département des affaires étrangères, qui n'envoie guére au comité de ce nom que des liquidations de pensions; mais ici, dans ce domaine de la politique proprement dite, on concoit que le ministre se ré- serve les affaires; ce qui n'avait point lieu à l’origine de l'institution; car, ainsi que le remarque M. Vivien, le Conseil d'Etat était alors un corps politique supé- rieur aux ministres eux-mêmes, qui n'avaient que le second rang dans la hiérarchie administrative. La théo- rie du domaine de la souveraineté ne pouvait alors lui rien faire perdre. Telle est l’organisation des comités qui, sauf l'ad- dition de quelques annexes, n’ont point changé depuis l'origine. Quelquefois deux ou trois de ces comités se réunissent pour délibérer sur des questions qui inté- ressent leurs départements respectifs, et tous ensemble forment l'assemblée générale du Conseil d'Etat, à la- quelle doivent ètre portées toutes les affaires, hormis celles de trop peu d'importance. Quant à ces dernières, la loi du 19 juillet 1845 donne aux comités le pou- voir de les régler. C'est par cette loi longtemps attendue, qu'à été fixée enfin l’organisation du Conseil d'Etat, sans innovation grave, Sans atteinte à ses bases essentielles, mais avec des garanties qui lui donnent plus d'autorité et de force dans l'opinion. Ainsi ses membres avaient étè jusqu'en 1828 soumis aux moindres fluctuations de la politique, pouvant être révoqués par simple prétérition. La loi n'admet plus désormais ce mode d'exclusion qu’à l'égard des auditeurs de seconde classe, considérés comme étant à l’état d'épreuve. Le personnel est aussi 108 \ réduit, bien que le premier effet de cette disposition étrangement comprise ait été de l'accroitre d’abord. On a maintenu le service extraordinaire, qui a pour mission, comme le dit très-bien M. Vivien, de per- sonnifier l'administration active auprès de l'administra- tion délibérante. Mais on n'y souffre plus de titres honorifiques ; il n'y entrera que des hommes pouvant être appelés à prendre part aux travaux du Conseil, et dont le nombre n'exédera pas les 2/3 du service ordinaire, M. Vivien regrette ici qu'une idée émise en 1839 par une Commission de la Chambre des Députés, n'ait pas pris place dans la loi nouvelle, et n'ait pas per- mis d'adjoindre au Conseil, dans certains cas spéciaux, des fonctionnaires sans titre, mais riches d'expérience et de lumières. « Des magistrats, dit-t-il, éloignés de- » puis 1830 , et souvent regrettés avec raison, lui eussent » porté le tribut de leurs graves doctrines et de leurs » sévères traditions. » — Cet exemple était nécessaire pour montrer l'utilité du systéme d'adjonction; mais il en signale en même temps le vice; car si ces hommes, par les engagements de leur passé, ne peuvent entrer dans les services actifs, ils s’interdiront toute participation in- directe aux affaires, et si quelques-uns acceptaient cette position fausse, leur concours choquerait peut-être alors les susceptibilés ombrageuses du pays. L’auditorat si recherché aujourd’hui, et devenu dans les familles des hauts fonctionnaires l'objet d'une am- bition ardente, appelait surtout des règles sévères. On les tronve dans la loi du 19 juillet 1845, qui a réduit le nombre des auditeurs de 80 à 48, qui exige des can- didats le grade de licencié en droit ou ès-sciences , qui A les oblige à subir un examen devant une commission spéciale, tirée dn comité de législation. Voilà pour les conditions d'aptitude. —[.a même loi, pour fixer nettement lear position, les partage en deux classes, dans cha- cune desquelles il faut rester au moins deux ans avant de pouvoir être nommé Maitre des Requêtes. Dans la seconde classe, l'auditeur n'est qu’à l'état de premier essai, de telle sorte que la simple omission de son nom sur le tableau annuel, s'il a trois ans d'exercice, équivaut à une sentence d'élimination. L'auditeur de première classe n'est pas non plus à l'abri; sil n’a point obtenu d'emploi dans les six années de son ad- mission, il est rayé de plein droit. — M. Vivien ap- prouve fort qu'on ne se puisse perpétuer dans l’auditorat, et voit dans cette disposition un moyen d'en faire vé- ritablement, selon son but, une pépinière pour la haute administration. Mais ce sera, dit-il, à condition de vaincre les refus de ces jeunes-gens qu’on ne peut arracher à la vie parisienne. IL voudrait qu'ils fussent forcés d'accepter les emplois actifs, à peine de desti- tution. lei l’auteur donne l'essor à ses idées sur un sujet qui l’intéresse, expose un plan qui consisterait à établir entre l'administration et le Conseil d'Etat une espèce de roulement , utile au fonctionnaire, plus utile au service. L'auditeur, après avoir exercé les fonctions de Sous-Préfet par exemple, serait rappelé au Conseil d'Etat en qualité de Maitre des Requêtes, et après en être sorti de nouveau pour administrer une préfecture, il aspirerait à y rapporter quelque jour, avec plus de lumières, le trésor accru de son expérience. Tels sont les vœux de M. Vivien, qui pourraient être réalisés dès à présent par la seule volonté minis- — 330 — térielle. Ailleurs il exprime un regret, c'est que le comité du contentieux, qui n'a pas en cette matière une véritable juridiction, ne l'ait point obtenu de la loi qui vient d'organiser le Conseil d'Etat. Il faut sa- voir qu'en toute matière administrative, le réglement appartient au Roi, qui statue par voie d'ordonnance ; et qu'ainsi les actes mêmes, qui émanent de l'autorité réglée, et dont la critique, en tant qu'ils blessent des droits, forme le domaine du contentieux, relèvent du pouvoir ministériel. En ce dernier cas, c'est l’adminis- tration qui se juge elle-même, qui décide si elle s’est maintenue dans les limites tracées par la loi, ou par des réglements d'administration publique, ou par ses propres engagements. Aussi les affaires contentieuses, quoique soumises au Conseil d'Etat, ne sont-elles pas jugées par ce corps, qui prépare seulement, par son avis dans chaque affaire, une ordonnance royale. On s’est récrié contre cette omnipotence. En 1898, M. de Broglie, dans un célèbre article de la Revue française , avait osé nier, en théorie , l'existence d’un contentieux administratif. Il prétendit faire la part aux tribunaux et à l'Administration, ne laissant à celle-ci que la cennaissance des affaires purement administra- tives , et revendiquant pour l'autorité judiciaire les af- faires dites contentieuses qu'il soutenait lui appartenir par leur nature. C'était peut-être aller trop loin. Mais fallait-il qu'en ces matières l'Administration continuât d'être juge en sa propre cause, sans contrôle , et sans autre garantie que la responsabilité ministérielle ? Ne pouvait-on donner au Conseil d'Etat une véritable ju- ridiction , c’est-à-dire le pouvoir de rendre des arrêts, au lieu d'émettre des avis, sauf un droit d’évocation pour les affaires dont la solution pourrait toucher à quelque grave intérêt de gouvernement ? M. Vivien, qui s'était prononcé pour ce dernier parti, reproduit ici dans une discussion forte et lumineuse les motifs de son opinion qui n’a point prévalu. La décision est restée à l'Administration sous sa responsabilité, que M. Portalis, à la chambre des pairs , avait considérée comme la meilleure garantie. En tacticien habile, M. Vivien s'applique à atténuer les résultats de cette vic- toire. La loi nouvelle, dit-il, a maintenu l’état des choses , en ce qu’il faudra toujours , en matière conten- tieuse , une ordonnance du roi, et en ce que cette ordonnance pourra s'écarter de l’avis du Conseil d'Etat ; mais, en dernier cas, il ne saffira plus qu'elle soit contresignée par le garde-des-sceaux ; il faudra désor- mais qu'elle soit rendue de l'avis du conseil des minis- tres, et inséréé tant au Moniteur qu'au Bulletin des Lois. — L'auteur en conclut que , sauf la forme, qui laisse au pouvoir exécutif sa prérogative, les travaux du Conseil d'Etat, en matière contentieuse, continueront d'être en réalité de véritables décisions. L'intervention du conseil des ministres , en cas de dissentiment, mon- tre effet la nature de sa mission, mission purement politique , hors de laquelle il semble que l’ordonnance n'ait point à s’écarter de l'avis du Conseil d'Etat. Tout expliquer, tout justifier est aujourd'hui le pro- pre de beaucoup d'hommes qui ont manié les affaires publiques. M. Vivien, sans appartenir à cette école d’apologistes exclusifs, a néanmoins subi l'influence de l'atmosphère où il a vécu, et quoique son esprit soit resté essentiellement critique, son point de départ est — 332 — presque toujours l'approbation de ee qui est. Tel nous l'avons vu, tel il sera encore dans l'exposition du sys- tême de la police à Paris. Nulle part l’auteur n’a semé avec plus de profusion les documents curieux, que dans cet écrit substantiel. On sent que la main, qui tient aujourd’hui la plume, a dirigé tous les rouages de cette machine vaste et compliquée qui s'appelle la Préfecture de Police. On touche du doigt les principales pièces, on apprend à en suivre le jeu, en même temps que toute l’admi- nistration d’une ville immense , sa sûreté, celle du pays entier , ses prisons, ses subsistances , ses moyens de salubrité passent rapidement sous les yeux du lec- teur. Quoique la police, partout ailleurs qu’à Paris, ne soit qu'une branche du pouvoir du maire , là elle oc- cupe , elle fatigue de ses innombrables soins un fonc- tionnaire spécial, à qui d'aussi importantes fonctions ont valu le titre de Préfet. Paris, on le sait, à deux préfets ; Paris, qui confond en lui, par un privilége unique , la commune et le département, devrait n’a- voir qu'un seul magistrat à la fois préfet et maire, chargé de l’administrer. Mais ici l'avantage de l’uni- formité l'a cédé à de terribles souvenirs. Une législa- tion exceptionnelle, qui s’est perpétuée depuis le con- sulat jusqu’à nos jours, a morcelé l'administration de la commune de Paris, en y créant un préfet de la Seine, un préfet de police, et douze maires, sim- ples officiers de l’état civil. On ne réclame pas contre ce régime, en tant qu'il consacre une division de pouvoirs commandée par Îa nature des choses. Qu'importe en effet que, dans cette confusion des intérêts communaux et départementaux , l'administration soit dans une ou plusieurs mains, si elle s’exerce toujours suivant le droit commun, si elle continue d’être soumise aux règles générales qui sont tracées par les lois? Mais on désire, on attend depuis longtemps une loi qui détermine les attributions des deux préfets, ainsi que les droits respectifs de ces ma- gistrats et du conseil municipal ; loi facile à faire, selon M. Vivien ; car l'organisation générale laisse peu à dé- sirer ; il y a beaucoup moins à réformer qu'à mainte- nir; et quant aux attributions des deux préfets, la répartition de leurs pouvoirs ne soulève d’objection que sur quelques points peu essentiels. Entrons avec M. Vivien dans le domaine du préfet de police, et saisissons d’une vue générale le principe et les divers modes de son actiou si multiple. La police, qui fait partie du pouvoir municipal dans toutes les cowumunes de France , est administrative ou judiciaire. C’est en vue de la première que les maires prennent des arrêtés dans le cercle qui leur est tracé par la loi du 24 août 1790 et qu'ils les font exécuter. C'est au nom de la seconde qu'ils recherchent les con- traventions et livrent leurs auteurs aux tribunaux char- gés de les punir. Je ne parle point du pouvoir des maires comme juges de police, pouvoir qui expire aux portes du chef-lieu de canton , bien loin de les suivre dans la capitale du royaume. — A Paris, le préfet de police a d’abord cette double attribution, qui met dans ses mains une notable portion du pouvoir municipal ; mais ne relevant pas du préfet du département , com- me un simple maire, il est, comme administrateur, sous la dépendance immédiate du munistre de l’intérieur ; et, en sa qualité d’officier de police judiciaire, il à, de plus que les maires, la plénitude de compétente at- tribuée par l’article 10 du Code d'instruction criminelle à tous les préfets. Il est magistrat - instructeur pour toute sorte de crime et délit, pouvant, même hors le cas de flagrant délit, faire des perquisitions , et dé- cerner des mandats d'arrêt. Outre cette autorité qu'il possède par lui-même, il en exerce une autre, par délégation du ministre chargé de veiller à la sûreté de l'Etat. Li police politique née du besoin qu'a tout gouvernement de se conserver, et consacrée sinon par des textes formels, au moins par un long usage, n'est dans ses opérations tendant à pré- venir les attaques subversives, qu'une- branche de la haute administration, confiée aux préfets dans les pro- vinces, attribuée dans Paris, siéce du gouvernement et foyer des factions, au magistrat déjà investi de fonc- tions analogues. Ce second emprunt fait au pouvoir préfectoral justifie le titre donné à ce magistrat par le premier consul; ear la police politique et le droit d’ar- restation sont dans les attributions importantes, quoique d'un usage rare, des préfets, et tiennent de si près à l’action gouvernementale, qu'ils suffiraient à expiiquer pourquoi le préfet de police, bien que maire à certains égards, n’est point tiré du conseil élu de la commune, mais est laissé au choix libre et sans contrôle du roi. Le pouvoir que nous essayons d'analyser, se résume donc par ces trois mots: police politique, police ju- diciaive, (non restreinte aux matières de simple police, mais comprenant la police de süreté), enfin, police administrative. À ces trois branches répondent le cabinet particulier — 33) — du préfet, la division de süreté et la division admi- nistrative, qui constituent le service intérieur avec le secrétariat - général, qui s'est réservé les intérêts de l'administration elle - même, c'est-à-dire le personnel, le matériel et certains objets non classés dans les di- visions ci-dessus. Telles sont les bases de l’organisation de la préfecture , quant à ses bureaux qui en sont comme la pensée et l’intelligence, et auxquels se rattachent les services extérieurs. Ceux-ci, à ne compter que les agents vstensibles, commissaires de police, officiers de paix, inspecteurs, sergents-de-ville, agents ayant un titre et un traitement réguliers, garde-municipale et sapeurs- pompiers, forment une légion nombreuse , que M. Vivien évalue à plus de 5,000 hommes pour une population de 1,100,000. Gràces à d’ingénieuses combinaisons, ce personnel suffit aux innombrables détails dont il est chargé. Chacun des 48 quartiers de Paris a son com- missaire de police, magistrat sédentaire qui entretient des rapports journaliers avec je préfet; et dans chacun des 12 arrondissements est envoyé un officier de paix avec des inspecteurs. De plus il existe, à la préfecture même, un bureau central de police municipale, composé d’un commissaire, de plusieurs officiers de paix, d'ins- pecteurs et de sergents-de-ville. À ce bureau, qui est en permanence, sont attachés 600 agents qu'il répartit par brigades dans les 12 arrondissements, ou dont ül fait auprès de lui des brigades centrales prêtes à mar- cher suivant ses ordres. Enfin une force publique im- posante, sous le nom de garde municipale, prête son appui à ces différents services, prompte encore à se porter avec les sapeurs-pompiers partout où l'incendie ou quelque désastre réclame son aide. — 336 —- M. Vivien approuve cette organisation, et se borne à émettre quelques vœux en ce qui concerne les com- missaires de police : comme ils ont à servir deux mai- tres, il peut arriver que du parquet et de la préfecture il arrive des ordres qui ne sauraient être exécutés en même temps. M. Vivien voudrait que, sans subordonner la justice à la police, un concert préalable eût lieu. Il désire aussi que le commissaire de police, supérieur en titre à l'officier de paix, quoique celui-ci ait une circonscription plus étendue, obtienne la priorité dans ses conflits avec ce dernier agent, que sa mobilité rend moins circonspect et plus résolu. Il demande, dans l'in- térêt des administrés la construction d’édifices où il y ait place pour le commissaire et son secrétaire, pour un corps-de-garde, pour un poste de pompiers, où l’on trouve des brancards, des boîtes de secours et même un poste médical. Tous ces avantages, aujourd'hui dis- séminés, acquerraient plus de prix par leur réunion au centre de chaque quartier, et rendraient plus sensibles -les bienfaits de la police, contre laquelle s’élèvent en- core tant de préventions injustes. Abordant la police politique, essentiellement préventive, l’auteur fait remarquer qu'elle tend surtout à éclairer le gouvernement , qui reste le maitre de saisir les tri- bunaux , ou d’étonffer des menées coupables , suivant que l'intérêt de l'Etat l'exige. Eile agit dans l'ombre et em- ploie des agents secrets. M. Vivien exclut avec indigna- tion les agents provocateurs. Quelle que soit la perversité des hommes, dont les projets n’attendent que l’occasion de se traduire en actes, toute provocation est à ses. yeux sans excuse, Mais il soutient que contre les factieux et les artisans de complots comme envers les malfaiteurs, il est permis à l'Etat de se défendre, à la société de se conserver même par l'emploi d'agents secrets ; pourvu qu'ils se réduisent au rôle d’observateurs. Mais com- ment un esprit aussi juste n'a-t-il pas compris que cet observateur sera toujours un traître; qu'il aura dû, pour être admis dans le secret d’une coupable entreprise, donner des gages , feindre des passions mauvaises, prendre le masque du conspirateur? Est-il vrai dès-lors, comme le dit l’auteur, que le secret, nécessaire pour le salut commun, ne dérobe au public aucun acte que la con- science ait à désavouer? Les vols eux- mêmes et les brigandages seraient découverts à trop cher prix, s'ils ne pouvaient l'être que par des moyens aussi dégra- dants. Jamais je ne croirai qu'on ne puisse faire la guerre aux méchants que sous la livrée du vice, et je ne ferai point à notre état social l'injure de regarder comme un mal nécessaire ce honteux vestise de la mo- narchie absolue, quand je vois l'Angleterre, pays où le sens moral s'est fortifié par un long usage de la liberté, condamner tout emploi de l'espionnage et n'admettre que la dénonciation publique. Notre législation, hâtons-nous de le dire, n'a pas moins de souci de la dignité humaine; car eile veut que toute dénonciation soit signée; elle écarte du sanc- tuaire de la justice le dénonciateur salarié. Celui qui n’a point reçu de récompense pécuniaire est entendu en témoignage; mais il faut que le jury soit averti de sa qualité. Enfin, après acquittement de l’accusé, le pro- cureur-générai est tenu de lui faire conuaître, sur sa demande, son dénonciateur. En présence de textes aussi formels, comprend-on que la délation secrète, si évi- demment réprouvée par la loi, soit organisée, encou- 22. — 338 — ragéo, payée par un dépositaire éminent de l'autorité publique ! M. Vivien avoue le fait, et veut en vain le justifier, même au point de vue de l'utilité pratique: on croira toujours à la provocation, c'est-à-dire qu'on ne saura que penser d'un erime dévoilé par un homme qui a feint d'y tremper et qui se cache. Que devient alors la répression? et puis, pour un service rendu, combien de crimes commis par le délateur lui-même avec chance d'impunité! Quant à prévenir les complots, et même les attentats privés, le gouvernement n’a-t-il pas recu de la loi, surtout dans ces derniers temps, une armure complète! n'y a-t-il pas dans ces moyens d'intimidation une assez grande force préventive? C'est la seule, je l'avoue , que mes habitudes de légiste puissent ad- mettre; et je dis que la délation secrète est toujours mauvaise, en police judiciaire comme en politique, fo- mentée par l'autorité comme par les jésuites, exploitée au profit de la discipline d'un collége comme dans un intérêt gouvernemental. Après avoir marqué profondément ma dissidence avec l’auteur sur ce point, je me réjouirai avec lui de ce qu'aujourd'hui l’espionnage ne pénétre plus au sein de nos familles, pour des recherches purement domestiques. Je remercicrai la démocratie d’avoir, en portant ailleurs le danger, purgé les salons de la société parisienne des argus qui les infestaient. J’admettrai même que la police ne sert jamais des intérêts purement ministériels, par une inquisition bien inutile depuis qu’au lieu d'en vou- oir à la vie d’un premier ministre, on emploie haute- ment et publiquement tous les moyens de hâter sa chüte. Qu’aurait-elle iei à découvrir ou à éventer ? — 339 — Le domainé judiciaire du préfet de police comprend, comme on l'a vu, les simples contraventions et ia re- cherche de tous les délits. Il s’y joint, comme une dépendance naturelle, les prisons, les dépôts de mendicité et les maisons de débauche. Disons d'abord an mot des contraventions { à éet égard, les commissaires de police agissent, à Paris comme ailleurs, en vertu d’un droit qui leur est propre. IIS constatent es infractions aux ordonnances rendües par le préfet, dans le cercle des attfibutions municipales. Mais 1x s'arrête, même pour ce dernier magistral, une competence qui se borne à là poursuite, C’est un autre pouvoir, indépendant de lui quoique installé dans son hôtel, c'est le tribunal de simple police, qui prononée les amendes et quelque- fois l’emprisontement. M. Vivien regrette que ce tri- bunal, où monte à tour de rôle chacun des douze juges- de-paix, ne pèse pas les méêmés faits dans la même balance, qu'il ne s'y forme point de tradition pour l'application des peines, que ses lenteurs augmentent les chances d'insolvabilité des condamnés. « Il faudrait, » dit-il, emprunter à l'Angleterre ses tribunaux sommaires, » qui jugent immédiatement et sans désemparer, toutes » les contraventions de police et inême certains délits, » qui ont aveé les contraventions une étroite affinité. » Pour la recherche des crimes et délits, le pouvoir exceptionnel du préfet va jusqu’au droit de perquisition, de saisie des objets, et même d'arrestation de la personne ; pouvoir d’autant plus redoutable que, dans l'usage, il est délégué aux commissaires de police, transformés ainsi en véritables juges d'instruction, puisque ceux-ci peuvent seuls, hors les cas de flagrant délit, décerner des mandats. La süreté publique jastifie, à Paris: de — 940 — moins, cette attribution anormale, inutile dans Îles départements où elle demeure sans effet. Nous ne voyons pas en province, un simple commissaire de police in- terroger un prévenu sur mandat émané de la: préfec- ture, et, premier juge de l'arrestation, relâcher ou res- serrer arbitrairement les liens de sa captivité. Sans doute les mandats ne sont délivrés à Paris que par le préfet lui-même et en connaissance de cause. Des ordres en blanc ouvriraient une porte trop large aux abus, et M. Vivien, qui a été mis à l’œuvre, n’en suppose même pas la possibilité. Mais ce n'est pas trop vraiment contre un pouvoir aussi dangereux, que la vigilance de la presse, la liberté de la tribune, la responsabilité ni- istérielle , et les autres contrepoids que l’auteur trouve dans nos institutions et rappèle avec soin pour le faire accepter. Il entre ensuite dans les détails: il décrit les pa- trouilles grises, les sommiers judiciaires, qui contiennent 800,000 noms de condamnés, et d'autres moyens ima- ginés pour rassurer ia population parisienne et contenir les classes perdues de la société. Le tableau qu'il fait de ces classes perdues est d’une effravante vérité. Il faudrait le citer tout entier, pour donner une idée de la manière de l'écrivain, qui sait au besoin élever son style et colorer sa pensée. Les bienfaits de la police française ressortent par contraste de cette peinture. Celle de Londres , si vantée, ne lui est point supé- rieure, au sentiment de M. Vivien, qui se plait à mettre en parallèle les deux systèmes. Il reléve quelques erreurs échappées à M, Léon Faucher dans ses études sur l’An- gleterre, et souvent il explique la différence des procédés par celle des mœurs. Ainsi l'épée de nos gardes muni- — 3h — cipaux, dit-il, vaut mieux que le bâton des police-men. Le français ne considère que l'épaulette, et l'uniforme du soldat parait à l'anglais attentatoire à sa liberté. Les rues droites et larges des grandes villes anglaises, où toute une maison ne Contient souvent qu'une seule fa- mille, conviennent mieux à la police stationnaire ; et la police à l'aide de patrouilles est plus en rapport avec la disposition générale de nos rues étroites et tortu- euses, où chaque maison est ouverte à divers habitants qui ne se connaissent pas. Il existe en ce moment à Paris huit prisons, où se presse une population de 5,000 ämes , et dont une seule, destinée aux jeunes détenus, est soumise au régime cellulaire. L'utilité de ce mode de détention, encore problématique pour heaucoup de bons esprits, semble résulter de cette épreuve. M Vivien, tout.en sympa- thisant aux vues d'amélioration qui éclatent de toutes parts, rejète « cette philanthropie bâtarde et inintelli- » gente, qui flatte les détenus, et leur rend la prison » préférable à leur propre demeure. » Il ne dit qu'un mot du dépôt de mendicité, établi pour le département de la Seine, à Villers-Cotterets. Là se trouvent 7 ou 800 vieillards des deux sexes, dont l’entretien journalier ne coûte par tête que 50 ou 55 centimes, et auxquels il est permis , à tour de rôle, de sortir pour le travail ou la promenade. Des documents curieux fournis par l'auteur sur les maisous de débauche, je ne citerai que sa conclusion: « Le publie semble accepter les mesures actuellement » en vigueur comme la solution la moins mauvaise » d’un problème , qui n'en admet point d'irrépro- » chable. » — Il y a cependant dans cette solution = 4 = deux choses bien graves, et que le public ignore plu- tt qu'il ne les approuve : de jeunes filles en chambre sont inscrites d'office sur les registres de la police, après un simple avis donné à leurs familles ; et toute infraction aux réglements sur les femmes publiques est jugée par le Préfet lui-même, qui prononce arbitrairement et à huis-clos, sur les procès-verbaux des inspecteurs, des condamnations pouvant s'élever à un an de prison. — Quelque salutaire que soit cette discipline extra-lé- gale, il importe, ce me semble, il est urgent de la régulariser. Il y a enfin à la préfecture de police La division administrative, dont les sections principales ont pour titre : Subsistances. -— Circulation. — Salubrité. — Le ma- gistrat chargé d'assurer la tranquillité de la capitale, duit encore lui procurer le bien-être en tout ce qui peut dépendre d’une vigilante et sage administration. Paris jouit de ce bien-être, sans presque savoir d’où il lui vient; mais que de soins, que d'habiles mesures pour que l’ordre, si difficile à établir au sein d’une population immense, devienne un état habituel et presque insensible ! Sans la caisse de Poissy, qui procure aux marchands de bestiaux l'avantage d’être payés au comp- tant, sans l’utile institution des facteurs, qui se chargent des ventes dans les marchés, moyennant une légère remise, et qui épargnent même aux producteurs tout déplacement de fonds, les approvisionnements n'au- raient pas cette régularité qu’on admire. Si les bou- langers ne formaient pas une corporation qui doit aux greniers d’abondance nne réserve de farine, soigneu- sement entretenue pour 31 jours, et si leur privilége, modéré par la taxe du pain, ne les plaçait dans des SN — conditions d’aisance, qui éloignent d'eux les embarras momentanés, une disette apparente pourrait quelquefois se faire sentir. M. Vivien se demande si ce régime exceptionnel, étendu aux bouchers, n'est point une des causes du prix excessif de la viande, et si la li- berté de l'industrie ne serait pas ici sans danger et profitable aux consommateurs. Quelque admirable que lui paraisse l'ensenble des mesures relatives aux sub- sistances, il est d'avis qu’il reste quelque chose à faire. «JL faudrait, dit-il, mettre enfin à exécution le » projet conçu en 1811, et repris en ces derniers » temps, de construire une vaste halle centrale. Il » convient d'interdire les perceptions de taxes, qui » ont lieu dans certains marchés au profit de parti- » culiers, en vertu de tolérances ou de concession, sans » valeur. Il serait bon que le droit, perçu au profit » de la ville dans les marchés d’approvisionnement, » sur les ventes à la criée ou de gré à gré, fût rem- » placé par uné taxe d’octroi à la barrière. » La circulation n'est pas aisée à maintenir dans plus de 2,000 rues, sillonniées par 6,000 voitures, dont une seule espèce, les omnibus, transporte journellement un nombre de personnes évalué à 60,000. La police ad- ministrotive y pourvoit encore. Elle emploie 500 ou- vriers au balayage des quais, des places et des carre- fours. Elle donne 500,000 fr. à un entrepreneur pour l'enlèvement des boues. Enfin, par ses agents nombreux et divers, elle éloigne ou supprime toutes les causes d'infection qui existent dans une grande ville. M. Vi- vien vante beaucoup les services rendus sous ce rap- port par le Conseil de salubrité, « qui, entre autres » attributions, s'oceupe des professions dont l'exercice — SAR — » peat mettre en danger la vie des ouvriers, et s'at- » tache à introduire dans les arts les procédés les plus » propres à prévenir tont effet nuisible, » En terminant cette revue si complète, l’auteur se plait à se représenter Paris au commencement du siècle, et à le comparer avec celui qu'il a sous les yeux. Quelle différence au profit des habitants, dans leurs commodités et leur bien-être! M. Vivien rapporte en partie ce résultat à l'administration qu'il s'honore d'avoir dirigée, et qui lui paraîtrait ne mériter que des éloges, si elle s'occu- pait davantage de lamélioration du peuple , soit par des publication utiles et pratiques, sauf en provoquant des institutions publiques ou privées, afin d’écarter les vices qu'engendre l'oisiveté ou la misère. Une dernière étude sur une matière connue, mais féconde en préjugés et en erreurs, l’article Théâtres, rejeté par l’auteur à la fin de son recueil, quoiqu'il ait été publié, en 1844, avant celui des fonction- naires publics, se recommande par l'irtérêt des faits ou des documents mis en lumière, Il sort du lieu com- mun, en ce que M. Vivien s’y montre administrateur, comme en 1830 il se montra légiste dans un sujet riche des impressions de sa jeunesse, et plein de sé- ductions, qui auraient exposé à de brillants écarts un esprit moins sérieux, un écrivain moins sûr de sa plume. Ayant traité ailleurs de la législation des théâtres, l’auteur se borne ïiei à en rappeler les points saillants, nécessaires au tableau qu'il veut présenter de l’état actuel de la scène française et des améliorations qu’elle réclame. Quelques documents fort curieux l'ont mis à même de comparer sous ce rapport notre système avec velni de l'Angleterre. Il à eu entre les mains la vo- =) — lumineuse enquête faite en 1832, par ordre du Par- lement , et suivie de deux bills, qui forment aujour- d'hui le code anglais en cette matière. La conclusion qu'il tire de ces rapprochements est remarquable: En Angleterre comme en France, les entreprises drama- tiques sont en souffrance, la condition des comédiens malheureuse, la décadence de l’art sensible. Il aurait pu ajouter que, dans les deux pays, les théâtres exercent aujourd'hui une action démoralisante, et que leur in- fluence politique, dirigée par la censure, est aux yeux de tous, à quelque opinion qu'on appartienne, et pour le gouvernement même qui s'en sert, plutôt wauvaise que bonne; chose incontestable pour moi et facile à expliquer par plus d’une raison. Et cependant que n’a-t-on pas fait, dans l’ordre des idées gouverne- mentales, pour soutenir les théâtres de ces deux nations! Il est curieux d'observer comment, partant du même principe, et sans concert sans doute comme sans des- sein d'imitation, nos voisins sont arrivés à des mesures législatives et à des résultats, qui ressemblent sirgu- lièrement à ce que nous voyons en France. Je trouve dans le beau travail de M. Vivien, et je résume rapidement les garanties qu'ont obtenues par- mi noue les divers intérêts engagés dans la question des théâtres, depuis la première année de l'empire, époque du retour à ce que j'appellerai le système ancien. Le Pouvoir a recouvré son droit d’autorisation et la censure. Dans l'intérêt de l’art, le droit d'autorisation a enfanté le privilése, et imposé la distinction des genres. Une école de chant et de déclamation , sous le nom de Conservatoire, a été chargée de former des sujets pour nos principales scènes. Les faveurs n'ont pas manqué eng non plus aux entreprises théätrales. On sait qu’à Paris, les théâtres royaux, soumis à la surveillance protectrice d'un corumissaire du roi, recoivent de l'Etat des sub- ventions considérables ; que l'Opéra, outre les bals mas- qués dont il a le privilége, enlève encore à toutes les scènes secondaires le vingtième de leurs recettes. La Comédie-Française et l'Opéra-Comique ont été, par le dé- cret de 1806, reconnues propriétaires des pièces tom-— bées dans le domaine publie, et qui faisaient partie de leurs répertoires respectifs. De plus, le Théätre-Fran- cais a conservé la prérogative singulière d'attirer à lui, par un ordre de début, quoique engagés ailleurs, et même contre leur volonté, les sujets qu'il eroit pouvoir lui faire honneur. En province, les entreprises dramatiques sont classées dans des circonscriptions qui les mettent du moins à l'abri de la concurrence, Le directeur d'une troupe sédentaire ou ambulante, n'est plus grevé des charges de l’entreprise à laquelle il succède. Il peut aussi revendiquer le privilége des bals masqués, pré- tendre aux subventions municipales, et prélever un cin- quième sur les recettes des spectacles ou exhibitions de tout genre, qui ont lieu dans son arrondissement théàâ- tral. Les auteurs à leur tour ont leur part d'avantages, et notamment le droit de représentation, qui consiste dans le prélèvement d'une quotité de la recette, à cha- que représentation de leurs pièces, à Paris ou en pro- vince. Enfin plusieurs mesures ont été prises dans l’in- térêt des acteurs qui, rendus au droit commun, ne peuvent aujourd'hui, sur un caprice du parterre, être envoyés au Fort-l'Evêque, et qui trouvent, dans le cautionnement des directeurs, un gage de leurs enga- gements envers eux. — HN Voda, Messieurs, fout ce qu'a fait une législation bienveillante en faveur de l'art dramatique. Ajoutez une somme de 120,000 fr., inscrite annuellement au bud- get, pour subventions et encouragements de toute na- ture, Qui n'aurait dù croire que ce système protecteur ferait la fortune de nos théâtres, et que la scène fran- çaise Jui devrait un redoublement d'éclat? Comment au lieu de ces prospérités attendues, au lieu de ces mer- veilles en perspective, ne voyons-nous partout que dé clin, Jangueur, état de souffrance ? M. Vivien, qui constate cette situation fächeuse, a recherché les causes du mal, et il croit les avoir trou- vées dans plusieurs faits dont je suis loin de nier l'importance : il se peut que le nowbre des théâtres, maintenant ouverts à Paris, soit hors de proportion avec l'accroissement de la population, et que sous ce rap- port le privilése n'ait pas atteint un but. Il est trop vrai que la société des auteurs dramatiques , fondée en 1839, qui tarife elle-même les droits qu'elle recouvre par ses agents, partout où ces droits dépendeut de conventions particulières; qui tend à les régler sur le pied de 12 p. 0/0 de la recette brute ; qui met en in- terdit le théâtre qui ose se refuser à ses demandes, en lui retirant à la fois toutes les pièces qu'il tient de ses associés; qui est allée jusqu'à grossir sa caisse de se- cours par l'inposition d’une taxe illégale sur la représen- tation des ouvrages tombés dans le domaine public, pèse cruellement sur les directeurs, et nuit aux entreprises théâtrales comme aux intérêts de l'art. Il existe encore, à ne considérer que les causes se- condaires, bien d’autres faits, bien d'autres exigences ruineuses , qui n'ont point échappé au coup-d'œil elair- — 348 — voyaut de l’auteur. Le nouveau drame par exemple, et l'application de ce genre à l’Opéra-Français, ont né- cessité pour la représentation de grands ouvrages, un luxe de décirs et des frais de mise en scène, que les directeurs de province ont été forcés de subir. On peut en juger par ce qu'il en a coûté au Théäâtre-Français lui-même, jeté hors de ses habitudes , et donnant 40,000 fr. par an à ces dépenses inusitées. Et puis, les en- treprises gémissent sous le joug des auteurs en renom, des auteurs chers au public, et qui tous leur dictent des lois intolérables. Les uns se font payer leur vogue en primes de lecture, en reprises d'ouvrages peu goû- tés, en billets d'auteurs qu'ils vendent au-dessous de leur valeur; les autres en appointements énormes, qu'ils gagnent en jouant des rôles taillés à leur mesure. Pour utiliser tant d’avances, le malheureux directeur se prive encore du bénéfice autrefois considérable de la première représentation, en remplissant la salle de spectateurs intéressés au succès. Îl entretient en tout temps un emploi de claqueur à gages ; il réserve des loges gratuites pour certains fonctionnaires, et subit beaucoup d'eutrées de faveur. Quelquefois il feint d'être généreux pour cacher sa misère, en prodiguant Îles billets gratis; ou il trahit honteusement sa détresse , en se faisant concurrence à lui-même, en émettant des billets d'administration qu'il fait vendre moins cher qu'à la porte. Comment les exploitations théâtrales ne seraient-elles pas réduites à ces indignes ressources, lorsqu'à tant d’exi- gences ruineuses viennent s'ajouter la rareté des bons acteurs, dont le recrutement est mal assuré, et l'insuffi- sance du Conservatoire, depuis que, dans le dédain où — 349 — sont tombées les muses tragique et comique, il ne se forme plus de comédiens en province? Pour compléter ce tableau, il faut encore montrer le directeur de province obligé, au milieu de ces difficul- tés, de composer une troupe qui cumule tous les gen- res, opéra, drame et vaudeville, afin d'offrir un spec- tacle varié qui tienne lieu de tous ceux de la capitale. I faut faire voir combien l'art souffre de ces tendances nouvelles : « L'esprit de négoce, dit énergiquement M. Vivien, » a tué chez les poêtes l'enthousiasme du talent. La » plupart d’entre eux ont fait de leur esprit un gas- » pillage impie. Après de brillauts débuts, on les à vus » descendre degré par degré jusqu'aux scènes infimes , « déserter le théâtre pour le feuilleton, qu'un spécu- » latenr couvre d'or, et puis reprendre ces feuilletons, » qui ont repu le vulgaire, pour les découper en mau- » vais drames. » En présence de ces causes de ruine si nombreuses, et qui expliquent trop bien la crise douloureuse de nos théâtres, l’auteur encore tout plein des souvenirs de leur ancienne prospérité, indique un moven de salut : c'est de remonter les ressorts de la législation qui, à son avis, les a déjà sauvés une fois, c’est d'appliquer ce régime tutélaire avec plus de discernement et de suite qu'on ne l'a fait jusqu'ici. Le droit d'autorisation et la censure ont d’autres fruits à porter, et il serait facile d’en obtenir les biens qui étaient dans la pensée du législateur de 1806. On arrêterait les désastreux effets de la concurrence en réduisant le nombre des privi- léges, en profitant de ce que les concessions sont tem- poraires et pour la plupart sur le point d’expirer. On — 350 — rétablirait ba hiérarchie des théâtres, si importante au point de vue de l’art ; et ït suffirait pour cela de ré- partir les genres bien classés, mieux définis, entre les différentes scènes qui auraient été conservées. La cen- sure, jusqu'ici purement négative, pourrait êtré aussi élevée au rèle qu'avait éntreévu, sous la Cônvention nationale, la commission de l'instruction publique. Tous les gouvernements ont appelé à leur aide les représen- tations dramatiques. « N'est.il pas temps, s’écrie M. Vi. » vien, de diriger vers ur but de perfectionnement » moral le plaisir des classes les plus nombreuses, les » plus dignes de notre sollicitude?... » On pense bien que l'auteur ne prétend pas ajouter une plume aux ciseaux du censeur, ni transformer son bureau en officine administrative Mais sa mission ac- tive, $a force dirigeante consisterait dans lés promésses d'encouragement qu’il serait autorisé à faire, dans un meilleur emploi de 1,200,000 fr. affectés à cet objet, et dont les 3/4 subventionnent aujourd’hui le chant et la danse. Des prix institués dans cette vüe pour les meilleures compositions littéraires et musicales seraient encore un moyen de donner aux théâtres uné direction utile. L'auteur demandé aussi que l'autorité soit plus ferme, et meilleure gardienne de tous les intérêts ; qu'elle réprime les empiètements de l'association des auteurs dramatiques, et fasse cesser une tyrannie aussi funeste aux oppresseurs qu'aux victimes, én rompant une coalition qui tue les entreprises, en tarifant off- ciellement les droïts d’auteür, en se $substituant en un mot à une société illégale, qui n'aura plus de raison d'exis- tence, lorsque les auteurs seront protégés à leur tour contre les fraudes des directeurs. — 301 — M. Vivien condamne lPusage des billets d'auteur, des loges gratuites, et raconte à ce sujet qu'un jour, eu lan XJ,on soumit à Napoléon l’état des loges occupées à l'opéra par ce qu’on appelait les autorités constituées, Il prit une plume et écrivit au bas: « A partir du A. nivôse, toutes les loges seront payées par ceux qui les occupent. » M. Vivien trouve un moyen de conserver au théâtre français sa prérogative , et de con- cilier les ordres de débnt avec la liberté personnelle de l'acteur, en les subordonnant à son aveu, mais en le déliant, sans dédit , de son engagement antérieur. Il juge nécessaire , afin de parer à l'insuffisance du Conserva- toire, qu'un ou deux fhédtres d'essai soient élevés et encouragés pour les élèves qmi étudient isolément, et sous l'inspiration d’un professeur particulier. Enfin il complète ses idées de réforme, en exprimant le vœu que la tutelle des théâtres, appartenant aujourd’hai au ministre de l'intérieur, soit rendue à la liste civile, plus intéressée dans une matière qui touche en quelque sorte à l’honneur de la couronne. Voila, certes, des idées justes, saines, applicables. Voilà un ensemble de mesures bien appropriées à l’état de l’art dramatique en France. L'auteur, fermement attaché aux principes restaurateurs des décrets impé- riaux, qui constituent encore le régime administratif des théâtres, ne pouvait chercher le remède ailleurs, ni le demander à une réforme radicale, que personne m'iovoque plus aujourd'hui. IL combat au contraire ces moyens extrêmes, en se déclarant comme il Favait faié dès. 1829, partisan de la censure, qu'il juge néces- saire, et dont il approuve l'organisation actuelle. On sait que par ces mots de la charte de 4850 : La cen- — 992 — sure ne pourra jamais étre rétablie, les entreprises théâtrales s'étaient crues affranchies. Le gouvernement lui-même, comme le dit M. Vivien, avait douté de son droit ; et grâces à ce moment d’hésitation , l'expérience du régime libre, inauguré par l'assemblée constituante, fut reprise alors dans des circonstances plus favorables. M. Vivien cite quelques exemples des excès qui ont deshonoré la scène, pendant cette seconde période, et rappèle qu'un projet de loi, substituant à la censure un régime répressif, fut alors proposé; qu'il souleva les plaintes de ceax qu'on avait cru favoriser, et n'ob- tint pas même les honneurs d’une discussion. Quelques soient les vrais motifs de son retrait, j'a- vouerai que je le regrette. C'était une dernière expé- rience à faire, avant de répudier un droit proclamé en 89, avant d’entraver une des plus belles manifestations de la pensée. Au reste, rien n'est plus curieux au- jourd'hui que ce document sans modèle, sur une ma- tière entièrement neuve, Îla répression des délits com- mis par la voie des représentations dramatiques. C'est Casimir-Périer, ministre de l'intérieur, qui déclare à la tribune , en 1831, que la censure a été tuée par les censeurs, et qu'il faut la remplacer par un régime libre ; il est beau de voir un hamnie de cette trempe, abor- der de front la difficulté ; reconnaitre que le délit en cette matière naît seulement de la représentation ; fonder ses garanties sur la classification des délits déjà adoptée en matière de presse, et sur la sévérité des peines ; ne créer qu'un seul délit nouveau, résultant de la mise en scène d’une personne vivante, ou morte depuis moins de 25 ans ; établir ici, indépendamment de toute offense personnelle, une présomption de malignité correspon- — 353 — dante à celle du public ; enfin attribuer libéralement au jury la connaissance des faits même correctionnels, au jury que ce ministre regarde comme le juge le plus compétent en cette matière. Je le répète, ce sont là de nobles efforts, et il est bien regrettable que les quatre années données à l'ex- périence d'un régime bâtard et mêlé d’arbitraire, d'un quasi-affranchissement de Îa censure (laquelle n’a été rétablie formellement que par les lois de septembre en 4835), n'aient pas été employées à l'essai d'un régime répressif, institué sur les bases du projet de Casimir- Périer. Pourquoi, la commission, qui comptait dans son sein Etienne et Viennet, n’a-t-elle point fait son rapport? Le ministre, en présentant la loi dont le pre- mier article abolissait la distinction des genres, annon- cait d’autres mesures qui devaient compléter l’émancipa- tion des théâtres ; il déclarait positivement que les di- rections seraient affranchies des impôts exceptionnels qui les grèvent. Il entendait sans doute que le privi- lége ne pouvait pas plus être maintenu que la censure. Pourquoi toutes ces choses n'ont-elles pas été essayées, avant le retour pur et simple aux principes des dé- crets impériaux! On aurait vu si la concurrence est là plus à craindre que duns les grands établissements fon- dés par l'industrie ; si, hors des étreintes de la cen- sure, des talents jeunes et vigoureux n'auraient pas pris l'essor ; si l'originalité, les idées neuves, les heureuses témérités des auteurs n'auraient pas étendu le domaine de l’art; enfin si directeurs, auteurs, artistes et pu- blic, tout le monde n'eùt pas gagné au régime libre. M. Vivien lui même, quoique ses convictions bien ar- rêtées n'aient pas besoin de cette expérience, au- 23. — 354 — rait été plus sûr de la faire partager à ses lecteurs. Par cette analyse des études administratives, analyse bien incomplète encore malgré son étendue, on peut juger quels trésors de savoir et d'expérience renferme ce livre éminemment instructif. Toutefois, je n'ai pas encore signalé son principal mérite, ce qui le distingue à mes yeux des autres productions de l’auteur. Jusqu'ici on ne distinguoit pas dans M. Vivien l'écrivain de l'ad- ministrateur. Sa plume laborieuse, appliquée à des tra- vaux officiels ou à d'excellents rapports, ne paraissait être que l'instrument de ses hautes fonctions. Ses écrits étaient encore des actes dans une vie si occupée, et trop envahie par les affaires pour donner à chacune d'elles plus que sa part indispensable. Possesseur d’une juste et légitime influence dans les régions du Pou- voir, haut placé dans l'estime des hommes spéciaux qui se préoccupent des intérêts positifs du pays, il n'avait pas encore cherché la gloire de l'écrivain dans une composition étudiée, œuvre d'art et de style. M. Vivien a mis enfin le pied dans le champ de la littérature. Sa vive et brillante imagination qu’il s'était depuis long- temps efforcé de contenir, a résisté à la poudre des dossiers, aux tristes réalités de la police, aux épines du contentieux, au travail ingrat des bureaux de la chambre. Nous retrouvons son feu et sa verve d’autre- fois dans ces articles éminemment littéraires, malgré la sévérité des sujets, et destinés aux gens du monde, si délicats, si difficiles à intéresser. M. Vivien a conquis leurs suffrages par un style clair, élégant et ferme, dans des matières où la précision et l'exactitude, qua- lités indispensables, sont trop souvent voisines de la sécheresse et de la vulgarité. — Je ne parle ici que de — 305 — la forme, qui paraîtra remarquable, si l'on considère combien il est difficile de donner de la couleur à des détails d'administration. Mais l'Administration , sous la plume de l’auteur, prend un corps et une âme. Elle respire , elle vit dans ses tableaux pleins de vérité, de relief et de mouvement. Somme toute, les études administratives ne sont pas seulement un livre utile; j'y vois encore une œuvre littéraire d’un haut mérite, et qui, si l’amitié ne m'a- buse, assure à son auteur une place parmi les bons écrivains de notre temps. DS péciaux Sr etes ner épremeripremuer \ nt “chéretsa: da gidice de té ethenbne vlan Sp poid dti, cauede dre let de istyhés AL. Vivien Éerieté ét os Bec bone oder da tiératnge HAN Etre ER era ren pas o- “tin, » A ie ap plies trs: hôreex LL A dns dur Martietdet Étatmèm Jittéralaies mardi “Birité dos vojeusr à doyticés aft geis à sonde; à, MEME, ni dieites litéresnt Af-Vition à énaquie | dre "hafngue :pir “ni apte nine, Mégont ‘et: Rare, détie deu aline ou 18 pifoisiont 1 d'exaoditdle), qu'és ds: Ep ontebDns: sème» op: ouvent: tobinesdila * 06 NE QU pti Te Met Birs EXAMEN DE LA LOI SUR LE TRAVAIL DES ENFANTS DANS LES MANUFACTURES, Par M. Arr. HENRIOT. MESSIEURS, Que cherche l’homme sur la terre? quel est l'objet de tous ses désirs, le but de tous ses efforts? C’est le bonheur. Mais où le trouver? Dans la vertu, vous diront le moraliste, le philosophe, l’homme religieux, c’est-à-dire, dans le contentement de soi-même; c’est là un privcipe éternel, immuable. Si une conscience tranquille suffit au bonheur, ils ont raison. L'homme de bien se trouvera heureux dans quelque situation que le sort l'ait placé. Mais ce bonheur pur, il est aussi rare que la vertu parfaite. D'ailleurs pour le gouter sans mélange, il fau- drait l'aller chercher dans la solitude. En effet l’homme vertueux ne saurait être égoïste. Comment donc se trouverait-il parfaitement heureux, en voyant tant d'infortunes qu'il ne peut soulager toutes. ET Destiné à vivre en société avec ses semblables, il mé- ditera sur les moyens de répandre autour de lui le plus de bien-être possible. Législateur, homme d'Etat, économiste, c'est par les lois et les institutions appropriées à l'état social exis- tant, qu'il s’efforcera d'atteindre son but. Ici plus de principes absolus, plus d'idées immuables. Il faut marcher avec le siècle. Ces réflexions m'ont été suggérées par la lecture d'un mémoire, distribué, il a quelques mois, aux membres de l’académie, sur les échanges entre les peuples et les traités de commerce. L'auteur déclare, qu'après avoir été partisan de la liberté illimitée des échanges, il s’est trouvé amené peu à peu à modifier ses opinions, et à se rallier au sys- tème protecteur. Il entre dans des considérations d'une haute portée pour expliquer ce changement ; les hommes, dit-il, ne sont ni assez parfaits, ni assez sages, pour user avec modération d'une liberté dans les transactions, qui leur assurerait la plus grande somme de jouissances à laquelle ils puissent prétendre; avantageuse aux s0- ciétés naissantes, cette liberté serait dangereuse aujour- d'hui, car les peuples divers qui couvrent le globe, se sont créé des intérêts rivaux qui se froisseraient par le contact. On sent que l’auteur est revenu, par la force des choses, mais non sans regret, aux idées pratiques, et voudrait bien conserver l'espérance que ses théories fa- vorites ne sont qu'ajournées. Tout ami raisonnable de l’humanité pensera de même, et tout en faisant des vœux pour qu'un état social plus parfait vienne augmenter le bien-être général, il se — 399 — ralliera aux systèmes commandés par les circonstances. J'exprimais naguères les mêmes sentiments devant vous, quand vous m'avez fait l'honneur de m'appeler dans cette assemblée. Je m'y suis encore confirmé de- puis, en inspectant les manufactures de notre ville, où des enfants sont employés comme ouvriers. Mon but, en écrivant ces lignes, a donc été de re- chercher les moyens d'améliorer le sort de la classe ou- vrière, si nombreuse, si intéressante, et si indispen- sable à notre prospérité, dont, par contre, il est bien juste qu'elle ait sa part. Ces moyens sont de deux sortes. La moralisation. L'accroissement du bien-être matériel. On verra qu'ils se prêtent un mutuel appui, et que le système protecteur, appliqué aux transactions com- merciales, doit exercer une grande influence sur leur succès. La situation des ouvriers de nos manufactures est en général fort précaire. On peut assigner deux causes à ce malaise. L'insuffisance des salaires ; Le défaut de conduite et d'économie. L'abaissement du prix de la main-d'œuvre doit être attribué à la perfection des machines, à l'emploi des femmes et des enfants, enfin, à la concurrence étran- gère, toutes les fois que le travail national n'est pas suffisamment protégé. Le défaut de conduite est presque toujours le fruit d’une éducation nulle et même mauvaise. Quelques économistes philantropes ont déploré l'in- vention des grandes machines. Ils oublient que plus — 360 — d'une doit sa naissance à l'indiscipline et aux exigences des ouvriers. D'ailleurs, si elles ont leurs inconvénients, ils sont compensés par bien des avantages : en effet la consommation a cru avec la production; bienfait réel pour les consommateurs, famillle immense dont les tra- vailleurs aussi sont membres, et sans les machines, que de jouissances, devenues aujourd’hui des besoins, ces- seraient d’être, par leur prix et leur abondance, à la portée de tous! Acceptons donc, sans arrière pensée, soit comme un bien, soit comme un mal nécessaire, ces œuvres mer- veilleuses du génie, et cherchons comment il serait possible de détruire ou au moins d'affaiblir les autres causes de malaise que nous avons signalées. A la concurrence étrangère nous opposons le sys- tème protecteur. A l'emploi abusif des femmes et surtout des enfants, nous proposerons des limites plus étroites, une surveil- lance et une répression plus efficaces. A l'inconduite, enfin nous appliquerons la moralisation dès l'enfance. Examinons d'abord rapidement l’enchainement de cir- constances, qui a amené par degrés la situation actuelle des ouvriers de nos manufactures. L'industrie, affranchie des entraves que lui avait im- posées l'ancien régime, mais paralysée et presqu’anéantie pendant les troubles de notre première révolution, com- menca à renaître et à prospérer sous la main puissante d'un héros organisateur. L'impulsion, une fois donnée, puisa en elle-même des forces nouvelles. Chaque jour a production s'accrut d’une manière rapide. L’aisance pénétrait partout, Le fabricant s'enrichissait. L’ouvrier — 361 — était largement rémunéré. Le consommateur achetait à plus bas prix, et des objets de luxe, longtemps le par- tage exclusif des grandes fortunes, devenaient peu à peu accessibles aux fortunes plus modestes. Fallait-il s'arrêter en si beau chemin; ou s’abandonner sur cette pente, qui offrait dans son parcours une si brillante perspective ? Le mouvement est un besoin de l'homme. Quand il n'avance pas, il recule. Or, pourquoi aurait-il reculé, quand il voyait la richesse naître sous ses pas. Il avança donc, au risque de dépasser le but. Mais dans cette lutte incessante , les profits du producteur, et par contre le prix de la main-d'œuvre, dimiuuaient de jour en jour. Quaad les salaires devenaient insuffisants, comme l'ou- vrier ne pouvait faire peser sa gêne sur personne, il prolongeait la journée de travail pour en maintenir le taux au niveau des besoins de sa famille. La surabon- dance de produits qui en résultait, amenait une nou- velle baisse de prix; on redoublait d'efforts pour obtenir les mêmes résultats, et toujours l’ouvrier y perdait quel- que chose. Ainsi nous voyons sur les champs de ba- taille, l’ambitieux sacrifier des milliers d'hommes à sa puissance, et s'élever glorieux sur un pavois formé de ses victimes. Cependant la science et le génie offraient de toutes parts à l'industrie les moyens de diminuer cette main- d'œuvre , qui devait encore paraître trop coûteuse, dès qu'on pouvait la remplacer avec avantage. La méca- nique enfanta des prodiges, et l’ouvrier dont l’habi- leté, fruit d'une longue habitude, se trouvait tout à coup dépassée par une précision toute automatique , — 902 — fut réduit à surveiller et à diriger les machines, qu'il avait vues avec douleur et colère , prendre sa place, et rendre son sort encore plus précaire et plus misérable. Il semblait impossible d'aller au-delà. La machine ayant remplacé l'homme, ïl fallait au moins l'homme pour en guider les aveugles mouvements. Mais la concurrence n'avait pas encore dit son der- nier mot. L'homme coûtait trop cher. On le renvoya à l'agriculture , ou aux travaux pour lesquels la force musculaire unie à l'intelligence , n'avait pas encore pu être suppléée. La femme que la nature a destinée aux soins du ménage et de la famille ; l'enfant dont le corps a besoin d'air et de liberté, dont l'intelligence veut être déve- loppée par l'éducation , furent enlevés par l’appât d’un modique salaire, l'une à la maison, l’autre à l’école et aux jeux de son àge, pour aller croupir et s’étio- ler dans l’atmosphère malsaine des ateliers, bien plus nuisible à leurs organes faibles et délicats, qu'à la constitution robuste de l’homme fait. Si du moins on avait proportionné le travail à la faiblesse ou à l’âge, mais il fallait, avant tout, ré- duire les frais généraux , et l’abus fut souvent poussé jusqu’à la cruauté. On a vu de faibles femmes, de pauvres enfants , astreints à quinze heures et plus d'un travail abrutissant , ayant à peine le temps nécessaire pour prendre leur nourriture et réparer leurs forces par le sommeil. Le mal semblait s'aggraver , et s'étendre de plus en plus. Nos voisins , nos rivaux , sinon nos maîtres en industrie , s'en sont effrayés les premiers et ont essayé d'y porter remède. Ils ont fait des règlements fort — 363 — sages; mais les ont-ils appliqués d'une manière effi- cace ? C'est ce dont jusqu’à présent les rapports offi- ciels permettent de douter. On voit le mal; on le dé- plore : mais il se lie à des intérêts si nombreux et si importants, qu'on hésite à le guérir. Le résultat bisarre de la motion de lord Asthley a bien prouvé que dans cette lutte entre l'humanité et la raison d'état, la dernière devait l'emporter. L'Angleterre veut, avant tout, conserver le plus longtemps possible le rang qu'elle occupe dans le commerce du monde. Un ralen- tissement notable dans son industrie serait le présage de sa ruine. Elle voit les autres nations de l'Europe envier ses progrès, et marcher sur ses traces ; aussi, redoublant d'efforts et d'activité, elle a repoussé avec effroi, comme une mesure funeste , la réduction d'une heure, d’une demi-heure sur la journée de travail, et pour maintenir sa prépondérance , elle n’a pas hé- sité à sacrifier une partie de ses enfants. On a signalé à cet égard des faits qui font frémir. L'histoire nous offre de mémorables exemples d'hé- roïques dévouements à la patrie; mais l'ouvrier exté- nué de travail et de privations, l'enfant arrêté dans son développement, et vieux ou infirme dès l'adoles- cence , comprendront — ils jamais que leur misère soit utile, indispensable à la gloire et à la puissance de leur pays. La France, à la fois agricole et industrielle, est , grace au ciel, dans une situation moins terrible. Ses fabriques moins multipliées et moins gigantesques , trouvent déjà un vaste marché à l'intérieur, dans une population de trente-cinqg millions d'ames, où l'aisance domine. Elle cherche sans doute oussi à étendre ses — 3064 — relations au-dehors ; mais ce n’est pas pour elle une question de vie et de mort, et elle trouverait encore dans son isolement des éléments de prospérité. Cependant le génie de l'industrie l'agite ; elle suit d'un œil jaloux les merveilles enfantées de l’autre côté du Détroit. Elle s'efforce de balancer la puissance pro- ductrice de son éternelle rivale. De là pour la elasse ouvrière des résultats. analogues, sinon aussi graves. Le mal toutefois a paru assez grand pour éveiller la sollicitude du gouvernement , et le 22 mars 1841, une loi a réglé le travail des enfants employés dans les manufactures. Elle à statué principalement sur la durée du travail journalier auquel il serait permis de les astreindre, et sur le degré d'instruction qu'ils devraient avoir pour être admis dans les ateliers. Ainsi, un enfaut de huit à douze ans ne travail- lera que huit heures par jour, et fréquentera une école primaire. Tout travail de nuit est interdit jus- qu'à treize ans. De douze à seize ans, la journée de travail pourra être de douze heures. Mais l'enfant suivra une école, s'il n'a pas reçu l'instruction primaire élémentaire. De treize à seize ans, le travail de nuit pourra être toléré, soit dans les établissements à feu continu dont la marche ne saurait être suspendue, soit comme con- séquence d'un chômage. Ces dispositions ne sont applicables qu'aux fabriques occupant plus de vingt ouvriers réunis en atelier. Des inspecteurs dont les fonctions sont gratuites, ont mission de faire exécuter cette loi, et de constater les contraventions. + Sept inspecteurs ont été d'abord nommés pour Amiens et sa banlieue. Ils ont divisé cette étendue en sept sections, qu'ils se sont partagées. Ils se réunissent à des époques déterminées pour se concerter et faire con- naître à M. le Préfet le résultat de leurs efforts. C'est l'aperçu de ces travaux, et des obstacles qu'ils éprouvent, que je vais essayer de vous offrir. J'y join- drai quelques réflexions sur les lacunes que la loi me semble présenter , et sur les modifications qui me paraissent utiles pour qu'elle soit mieux exécutee et plus profitable aux êtres faibles et sans défense, qu'elle a pour but de protéger. J'ai pensé qu’un pareil sujet ne serait pas sans inté- rêt pour l'académie. C’est une question complexe à la- quelle se rattachent : La prospérité de l'industrie amiénoise ; Les progrés de l'iudustrie primaire élémentaire parmi le peuple , ou elle pénètre avec tant de peine ; Enfin la conservation de notre race que le régime abusif des ateliers tend à faire dégénérer de plus en plus. | Cette question intéresse donc les industriels , les com- mercants , les hommes de lettres , les médecins , les naturalistes. C'est de plus une question d'humanité. Elle ne saurait vous être indifférente , et vous accueillerez avec indulgence des détails parfois arides ou minu- tieux. La première opération à laquelle se livrèrent les ins- pecteurs , fut un relevé général en novembre 1842, des enfants travaillant dans les ateliers soumis au ré- dm SE: gime de la loi, c'est-à-dire , occupant plus de vingt ouvriers réunis. Ce nombre s'élevait à 800, qui furent classés com- me ci-après : 350 de huit à douze ans. 450 de douze à seize ans. 240 sachant lire plus ou moins. 560 n'ayant aucune notion de lecture. 140 sachant écrire. 660 ne le sachant pas. Ces chiffres prouvent à quel point l'instruction pri- maire est négligée parmi les enfants de la classe vu- vrière, et cela est facile à comprendre. Si un enfant commence dès l’âge de sept ou huit ans, à travailler dans un atelier, il ne sait rien en- core, où il aura bientôt oublié le peu qu’il a pu ap- prendre, privé qu’il est des moyens de continuer à s'instruire. En effet, retenu pendant le jour au tra- vail, il quitte son atelier quand les écoles primaires sont fermées ; car elles n’ont pas de classe du soir. Joignez à cet obstacle la mauvaise volonté des enfants et l’insouciance des parents, et vous serez encore presque surpris du nombre de ceux qui savent quel- que chose. Ce nombre se composait presqu’entièrement d'enfants au-dessus de douze ans, auxquels leurs pa- rents, moins aveugles, avaient, jusques vers cet âge, fait suivre une école. Quant à ceux de huit à douze ans, leur ignorance était à peu près générale. Un des premiers soins des inspecteurs fut de rappe- ler aux manufacturiers, que les enfants de huit à douze ans ne devaient pas travailler plus de 8 heures par jour. Dans quelques ateliers, notamment chez les impri- meurs sur étoffes, dont l’industrie ne peut s'exercer qu'à la clarté du jour, c'était chose déjà faite, ou à peu près. Les autres manufacturiers aimérent mieux renoncer aux enfants de cet âge, et ne prendre que ceux de la deuxième catégorie. Rien de mieux, si cette exclusion devait favoriser leur développement phy- sique et moral. On ne peut malheureusement répondre qu'il n'ont pas été recueillis par les petits ateliers, qui échappent jusqu'à présent à toute surveillance, sans que leur régime soit plus doux et plus paternel. En renonçant aux enfants de huit à douze ans, à une époque où justement jes affaires étaient très-calmes, on les avait remplacés sans peine et sans préjudice. Mais quand la fabrique redevint active, la main-d'œuvre fut plus recherchée, et l’on reprit ces mêmes enfants, en essayant divers systèmes pour les utiliser, tout en se conformant à la loi. Les uns ont des relais d’en- fants qui alternent. Les autres laissent reposer quelques métiers pendant une partie da jour. Mais il ne faut pas se dissimuler que la fraude est facile, et demande une très-orande surveillance. Comment en effet con- naître les contraventions sinon par le flagrant délit, qu'il est si difficile de constater? Interrogera-t-on l’ou- vrier? Mais il est le complice forcé du maitre qui lui donne du travail et du pain! Je n’en citerai qu'un exemple. Dans un atelier visité pour la première fois, l’ins- pecteur demandait aux enfants leur âge, et tous, ou à peu près, avaient moins de douze ans. Quelques temps après, les mêmes enfants, interrogés de nou- veau, avaient tous douze ans accomplis. On leur avait fait la leçon. — 368 — Les livrets, qui portent la date de la naissance, mettent aujourd’hui obstacle à cette fraude. Sans écoles gratuites du soir, la loi était inexécutable dans une de ses prescriptions les plus essentielles. Il fallait y pourvoir. L'administration municipale s’adressa aux frères de la Doctrine Chrétienne, qui offrirent d'ouvrir une classe du soir dans leur maison centrale, la règle de leur ordre ne leur permettant pas de sor- tir après le coucher du soleil. Ce local trop éloigné des quartiers de l’industrie, ne pouvait convenir. Une année entière s'écoula, et l'on ne savait trop quel parti prendre, quand la société, fondée en 1817 pour la propagation de la méthode d'enseignement mu- tuel, informée de ce fàacheux état de choses, proposa d'établir une classe du soir pour les garçons, dans le vaste local qu'elle doit à la bienveillance de l’ad- ministration; ce local, situé à portée du plus grand nombre des manufactures, peut contenir plus de 200 enfants. Cette proposition, à laquelle le conseil municipal s'empressa de s'associer par un vote de fonds, fut acceptée avec empressement et reconnaissance. L'école fut ouverte le 18 mars 1844, et pendant toute la belle saison, présenta les résultats les plus satisfaisants. Car elle fut constamment remplie; et ou mois de septembre, époque des vacances, des prix des- tinés à encourager et à fortifier ces bonnes dispositions, purent être donnés aux enfants, qui s’en étaient ren- dus diynes par leur exactitude, leur bonne conduite et quelques progrès. Ces heureux commencements faisaient bien augurer de l'hiver. Si les enfants, retenus pendant l'été jus- Le HP — qu’au soir dans les ateliers, s'étaient pour la plupart montrés zélés et assidus à l’école, quand le beau temps devait leur faire préférer les jeux en plein air, que ne devait-on pas espérer pour la saison rigoureuse, pendant laquelle le froid et l'ebscurité leur rendraient encore plus sensibles les avantages d’une salle bien chauffée et bien éclairée. Il n’en fut pas ainsi pourtant. Quand la classe fut rouverte au mois d'octobre, les enfants y vinrent en petit nombre, et dans plusiers sections, les inspecteurs éprouvèrent une vive résistance de la part des manu- facturiers. « La loi, disaient ces derniers, m'est exécutée nulle » part. Pourquoi nous traiter avec une rigueur toute » particulière, et bouleverser notre industrie? De » tout temps, pendant l'hiver, on a veillé dans nos » ateliers jusqu'à 9 heures du soir. L'assistance des » enfants est indispensable aux ouvriers adultes. Si » nous sommes obligés de les envoyer à l’école, il » nous faudra supprimer les veillées, c'est-à-dire deux » heures de travail. Nos ouvriers, payés à façon, n’v » trouveront plus leur compte et nous quitteront pour » des ateliers où ils n'auront pas à redouter les mêmes » exigences. » D'ailleurs, nous’ nous conformons à la loi. Nous » n'avons pas d'enfants au-dessous de douze ans , et nous » ne leur demandons que 12 heures de travail jour- » nalier, divisées par des repos. » Îl est vrai qu'ils ne savent pour la plupart, mn » lire ni écrire: mais voici un certificat du maire de » leur commune, attestant qu'ils ont, pendant trois ou » quatre ans, suivi une école primaire. S'ils n'ont rien 24. — 370 — » appris, en apprendront-ils davantage en continuant » de la fréquenter? et parce que pas un peut-être ne » possède une instruction suffisante, faut-il les ren- » yoyer tous, aux trois quarts de la journée, ou » nous passer d'eux entièrement? L'un et l’autre parti » nous seront également funestes. Voulez-vous donc » nous ruiner et faire mourir nos ouvriers de faim? » Que pouvaient faire les inspecteurs, désireux qu'ils étaient de concilier autant que possible les intérets de l'enfance et ceux de l'industrie ? Quand nos manufactures, sortant d’un état d'infério- rité et de décadence, faisaient d'heureux efforts dont notre dernière exposition a rendu de si brillants té- imoignages , fallait-il leur porter un coup fatal et arrêter leur essor? Fallait-il priver de travail des ouvriers laborieux, dont les métiers demandaient impérieusement le con- cours d’un enfant? Fallait-il enlever à de pauvres familles le supplément de ressources qu'elles trouvaient dans le travail de leurs enfants ? Fallait-il enfin encombrer les écoles devenues sans doute insuffisantes, d'enfants paresseux et de mauvaise volonté ? Ces mesures extrêmes répugnaient aux inspecteurs. Voici l'accomodement qui fut proposé et adopté, non toutefois sans contestation. La classe du soir avait été, oomme celle du jour, fermée pendant le mois de septembre. Ces vacances furent supprimées pour l'avenir et reportées en hiver, pour se prolonger pendant les mois de décembre, jan- vier et février. À cette époque de l'année, disait-on, = SA = la journée de travail commence tard, et peut se pro- longer jusqu’à 9 heures du soir pour les enfauts, sans que la loi soit violée. À une heure aussi avancée ül n’est pas possible de Îles envoyer à l'école. Pendant le reste de l’année au contraire, les jours sont plus longs; la journée, commencée plus matin, doit se terminer vers 7 ou 8 heures du soir, et les enfants peuvent passer une heure ou deux en classe. Les adversaires de cette proposition répondaient que l’adopter , c'était méconnaître le but bienfaisant de la loi, et en faire une funeste application ; qué l’en- fant de douze ans, appelé à l'atelier dès 5 heures du matin pendant Îles longs jours, a besoin d'air et de repos à 7 heures du soir, et qu'il est cruel de l’enfermer de 7 à 9 heures dans une école, au lieu de lui laisser prendre un exercice salutaire et indispen- sable à son développement. La loi bien entendue, di- sait-on, veut, ou que l'enfant de douze ans soit af- franchi par une instruction suffisante de la fréquentation de l’école, où s’il en doit suivre une, qu'il soit assi- milé pour la durée du travail aux enfants de huit à douze ans. Qu'on ajoute en effet à 12 heures d'atelier, 2 heures d'école, 2 heures de répos consacrées aux repas de la journée, le temps nécessaire à l'enfant pour se lever, se rendre à l'atelier, quelquefois fort éloigné de son domicile, retourner chez lui le soir et souper; on verra qu'il ne lui reste pas assez de temps pour ré- parer par le sommeil ses forces épuisées. Malgré ces objections, les vacances d'hiver furent adoptées. Ah! si jamais l'enfant des ateliers à pa comtempler 24.* ET la joie qui brille dans les yeux des jeunes élèves de nos colléges, quand arrive la douce époque de l'an- née que rappelle ce mot magique, combien le petit malheureux a dû trouver amer et dérisoire, ce même mot, signifiant pour lui la suspension du travail de l'intelligence, remplacée par la prolongation du travail matériel. L'industrie elle-même s'’accommodera-t-elle de cette transaction ? Il est permis d'en douter. Que veut-elle en effet? Que le travail du soir n'é- prouve pas d'entraves. Eh bien! ‘1 commence dès le mois d'octobre, et se prolonge jusqu'en avril, ce qui fait au moins 6 mois. Croit-on que les plaintes du manufacturier seront moins vives, parce qu'on le laissera disposer des enfants 3 mois sur six. Il ne verra que les trois mois pendant lesquels il en sera privé, et ne saura nul gré d’une concession fort insuffisante à ses yeux, toute exorbi- tante qu'elle soit en réalité. Nous en avons eu la preuve au printemps dernier. Les enfants sont revenus à l’école d’une manière très- tardive et très-incomplète, la prospérité de nos ma- nufactures rendant alors leur concours bien plus né- cessaire et bien plus précieux qu'au printemps de 1844, époque à laquelle notre fabrique était moins active, Une autre difficulté s'est encore présentée. Certaines manufactures sont établies dans des endroits trop peu importants pour qu'on y puisse ouvrir d'école du soir. Les chefs de ces établissements se déclarent disposés à exécuter la loi sous le rapport de l’instruc- tion primaire, comme ils disent l'observer déjà rela- = 3 — tivement a la durée du travail, en n’occupant que des enfants de douze ans, et seulement 12 heures par jour. Maïs ils demandent comment ils doivent s'y prendre, et quel moyen leur sera fourni pour satis- faire aux prescriptions de la loi. Sans doute le législateur n'a pu prévoir tous ces dé- tails d'exécution, et les inspecteurs sans s'arrêter aux circonstances, devraient peut-être réclamer purement et simplement le renvoi hors des ateliers, des enfants qui n’ont pas reçu l'instruction exigée. Mais cela se- rait-il juste; et est-ce la faute de ces manufacturiers, s'il n'y a pas d'école dans leur voisinage? Faut-il les priver pour cela des moyens d'exercer leur industrie et donner à leurs concurrents de la ville un avantage considérable ? Pour concilier toutes ces exigences, on a pensé qu'ils pourraient, à certains moments de la journée, faire venir chez eux un instituteur pour instruire les en- fants. Ce moyen a été adopté dans plusieurs manufac- tures, et tout porte à croire, qu'avec une active sur- veillance, il pourrait produire de bons résultats. Il fallait aussi pourvoir à l'instruction des jeunes filles, qui sont nombreuses dans nos fabriques; une classe du soir leur a été ouverte dans la salle Morgan. Il en existe une troisième à St.-Maurice pour les enfants de ce faubourg industrieux, et trop éloigné de la classe centrale. Mais ces excellentes mesures ne sauraient avoir de force et d'efficacité, que si elles sont combinées avec une inspection fortement organisée. Autrement, plus l'industrie sera prospère, plus le manufacturier aura intérêt à dépasser la durée légale du travail, et à — 374 — courir les chances d’une contravention , dont Ia ré- pression accidentelle lui sera moins préjudiciable, que l'infraction elle-même ne lui aura été avantageuse. Certaines fabriques sont tellement excentriques qu'elles ne peuvent être inspectées fréquemment. La frande leur est facile, et c’est ce dont se plaignent leurs con- eurrents placés dans des conditions qui rendent la sur- veillance plus efficace. D'autre part, beaucoup d'ouvriers, élevés eux-mêmes dans une ignorence absolue, empéchient leurs enfants de suivre l’école. Sont-ils mus par un sentiment d’envie ? Regretteraient- ils de les voir plus instruits qu'ils ne le sont -eux- mêmes? Regardent-ils l'instruction comme complètement inutile? Spéculent-ils enfin sur le faible salaire de ces petits malheureux, quelquefois nécessaire sans doute au soutien de la famille, mais le plus souvent dépensé au cabaret. Que de fois n'at-on pas vu, chose mons- trueuse et incroyable, des ouvriers consommer dans l'oisiveté et l'orgie le produit du travail de leurs femmes et de leurs enfants. Ils appellent cela avoir des rentes. Je ne puis résister au désir d'opposer à cette affli- geante dépravation, le tableau consolant d'une famille élevée dans l'amour de Dieu et du travail. Dans un village peu distant d'Amiens, est un homme qui, après avoir porté les armes pour son pays, re- vint chez lui et s'y maria. Sa femme en mourant lui a laissé six enfants, dont deux sont encore en bas âge. Il est pauvre, mais plein de confiance en la bonté divine. Voici l’ordre et la discipline qu'il a établis dans sa nAISON. — 975 — À 5 heures, tout le monde se lève. L'un des en- fants fait la prière à haute voix, puis le travail com- mence. Le père et les deux aînés tissent des velours. Les deux cadets préparent des trames. A 8 heures on déjeune avec du pain sec, et l’on prend une demi heure de repos. Puis les trois premiers se remettent à l'ouvrage. Les deux autres vont à l'école jusqu'à midi. On dine frugalement, et la besogne recommence pour tous de 2 à 4 heures, les deux plus jeunes re- tournent à l'école, puis ils reviennent travailler. A 8 heures, on soupe, on fait la prière en commun, et l’on va dormir. Le dimanche, toute la famille assiste régulièrement aux offices. Je comparais cette éducation laborieuse et chrétienne à celle que recoivent tant d'enfants pauvres, ce bon père à tant d'autres ou- blieux des devoirs que ce titre sacré leur impose, et j admirais une vertu si modeste et si rare. La loi dit, article 5, que les enfants au-dessus de douze ans seront dispensés de suivre une école, lors- qu’un certificat du maire de leur résidence attestera qu'ils ont reçu l'instruction primaire et élémentaire. Les inspecteurs sont dans l'usage de vérifier par eux-mêmes le degré d'instruction des enfants; mais que doivent-ils faire, si un enfant d'une ignorance absolue produit le certificat demandé. Cela, dira-t-on, n'est pas possible, à moins qu'il n'y ait surprise où erreur. Eh bien! ce cas peut se présenter fréquemment. En effet, parce qu'un enfant n'a absolument rien ap- pris à l'école, un maire refusera-t-il de certifier qu'il l’a fréquentée pendant plusieurs années. Ce fait est plus commun qu'on ne pense, et il me semble qu'il serait utile de bien préciser le sens de ces mots qui terminent l’article 5: Aétestera qu'ils ont recu l'instruction primaire élémentaire. I faudrait savoir jusqu'à quel point on peut se montrer exigeant envers un enfant qui n'a jamais voulu rien apprendre, et si, parce qu'il n'a rien fait à l’école pendant deux ou trois années , il faut l’abliger à continuer d’y perdre son temps. Autre embarras. La loi du 28 juin 1833 sur l’ins- truction primaire, prescrit la lecture, l'écriture, la grammaire, le calcul et le système métrique. Eh bien, je le déclare; il n’y a peut-être pas un seul enfant de la classe ouvrière qui sache bien tout cela. S'il importe d’instruire et de moraliser les jeunes ouvriers, il n’est pas moins important de veiller sur leur santé et leur développement physique. Les résul- tats du recrutement dans les centres manufacturiers comparés à ceux quil présente dans les cantons agri- coles, prouvent combien le régime des ateliers est nuisible à la constitution. Ge fait a été si souvent si- gnalé, que je regarde comme inutile d'y insister. Ceci posé, croit-on avoir fait assez pour l'enfant de douze à seize ans, en l’envoyant passer deux heures à l’école après quatorze heures d’atelier, dont deux pour le repos et la nourriture. Pense-t-on qu'il croitra et se fortifiera par seize heures de clôture quotidienne. J'en doute fort, et je persiste à dire que l'enfant de douze ans qui n'est pas dispensé de suivre une école, devrait être assimilé à l'enfant de 8 ans pour la durée du travail. Le législateur, en autorisant avec quelques restrictions le travail de huit à douze ans, a cru faire une con- cession nécessaire. Que n'a-t-il cru pouvoir le prohi- — 371 — ber? Combien l’exéeution de la loi eut été simplifiée , et le sort des enfants amélioré. Alors plus de fraude possible, plus d’embarras pour l'inspecteur. Pour quelques enfants, en bien petit nombre, dont Île travail réellement utile à leur fa- mille, eut été supprimé, que de milliers eussent été détournés au grand profit de leur bien-être physique et moral. J'ai parlé de fraudes possibles. Voyez en effet que d'intérêts ligués pour éluder une loi si utile et si bien- faisante, mais qui déplaît à tous ceux qu'elle atteint, même quand elle a pour but de les protéger. Ce sont d’abord les manufacturiers. Ils voient dans la réduction de la journée de travail, un accroisse- ment proportionnel de frais généraux , et une diminution de bénéfices. Viennent ensuite les ouvriers adultes. La plupart d’entr'eux, le tisseur, l'imprimeur, et d’autres encore, ont besoin d'enfants auxiliaires qui ne doivent pas les quitter un seul instant. Quant aux enfants, ils ne quittent le travail de l'atelier que pour celui de l’école, ce qui, je crois, leur est au moins indifférent. Ils aimeraient bien mieux jouer et courir. Les parents enfin (non pas tous sans doute) ne veulent pas perdre le mince salaire destiné à leurs plaisirs bien plus souvent qu’à leurs besoins; ils ne craignent pas de lui sacrifier la santé, l'instruction, la moralisation de leurs enfants. Que résulte-t-il de cette unité d'intérêts. C'est qu'on se ligue pour dissimuler la vérité aux inspecteurs, et qu'asec l'expérience qu'on acquiert peu à peu des — 378 — moyens d'éluder leur surveillance, toutes les fois qu'on y trouvera son compte, elle deviendra de plus en plus difficile à exercer d'une manière efficace. L'horloge de la fabrique marchera d’une manière irrégulière. On :aéduira vu on supprimera le temps des repas. Des enfants, embrigadés par 1/2 journées, travaille- ront le même jour dans deux ateliers différents. Et qu'on ne dise que ce sont là des craintes vaines. On peut en juger par un fait analogue, arrivé der- nièrement à l’un de nos plus honorables manufacturiers. Il avait dû, pour un travail d'urgence, faire mar- cher un de ses ateliers pendant quelques nuits. Mais les ouvriers qu'il y employait, remplacés le jour par d’autres, prenaient alors un repos nécessaire: il le croyait du moins, quand il s’aperçut que plusieurs d'entr'eux, en quittant le matin sa fabrique, ne pre- paient pas le chemin de leur domicile. Il les surveilla et parvint à savoir qu'ils travaillaient le jour dans un autre atelier, en demandant à l’eau-de-vie des forces pour cette double tache. Gar c'est un préjugé populaire que l'eau-de-vie fortifie; préjugé funeste, mais, eomme tant d’autres, bien difhcile à détruire. Le manufacturier s’empressa de renoncer à un ex- pédient qui pouvait amener de tels abus, et suppri- ma le travail nocturne. Malheureusement, tous ne ressemblent pas à celui que je viens de citer, plusieurs foulant aux pieds tout sentiment d'humanité ne rougissent pas de deman- der à l'enfance des efforts impossibles altérant ainsi bientôt en elle les sources de la santé, et quelquefois même de la vie. Mais que leur importe? Une généra- + BD) — tion étiolée, suffit, grace aux machines, aux besoins de la manufacture. Elle n'en sera que plus docile et plus maniable. Nos hopitaux offrent de temps en temps de doulou- reux exemples de cet abus monstrueux. Dernièrement encore, il est mort à l'Hôtel-Dieu d'Amiens, une jeune fille qui avait travaillé à St-Denis dans une manufac- ture, jusqu'à 20 heures par jour. Je tiens ce fait d'un des inédecins de cet hospice, et l’un de nos honorables collègues. Un de ces hommes sans entrailles à été stigmatisé, par ceux que j'appellerai ses victimes, d’un surnom bien expressif. On l'appelle uwseur de monde. Que de choses terribles dans ce mot d’une vulgaire énergie. En présence de semblables difficultés, on comprendra sans peine combien la mission des inspecteurs est ar- due, et combien d'abus doivent leur échapper. Les hommes, qui, par philantropie, ont accepté ces pé- nibles fonctions, peuvent-ils suffire à une aussi rude tâche? L'expérience est là pour répondre. Surveillance incessante de jour et de nuit, de grand matin, ou fort avant dans la soirée ; Déplacements coûteux et fatiguants dans toute saison. Sévérité soutenue pour toutes les contraventions; Des devoirs aussi rigoureux peuvent-ils se concilier constamment avec la situation sociale, et les senti- ments de modération de citoyens animés des meilleures intentions, mais peu habitués aux mesures acerbes. Aussi les résultats obtenus jusqu'à ce jour sont-ils peu importants, et cependant les inspecteurs ont dé- ployé souvent un zèle très-actif. Mais la surveillance et la répression ne sont efficaces et même justes, qu'à — 380 — la condition d'être appliquées partout avec une éga- lité parfaite. Le défaut d'ensemble paralyse les efforts individuels, et si une impulsion constante et régulière ne part pas de l’administration supérieure, centre na- turel de ces actions isolées, le bien opéré reste in- complet, et ne porte pas de fruits. Je l'ai dit plus haut; les maitres, les ouvriers adultes, les enfants et les parents eux-mêmes sont ligués ta- citement pour la résistance. S'ils cèdent à la persuasion, s'ils se soumettent à l'injonction, leur retour à la légalité dure aussi long- temps que leurs craintes. Se croient-ils pour quelque temps délivrés d’une surveillance incommode, ils re- prennent leurs habitudes quand, toutefois, ils n'ont pas trouvé d’abord moyen d’éluder des prescriptions qui les gènent. Et presque toujours la lutte à soutenir avec des ma- nufactures rivales, traitées avec plus d'indulgence, à servi de motif ou de pretexte à ces infractions. Ce qui manque donc, et ce qu’il est presqu'impos- sible d'espérer de l’organisation actuelle, c'est l’unité, la généralité, la continuité de la surveillance et de la répression , conditions cependant indispensables pour réussir. Les inspecteurs actuels ont encore, en dehors de ces fonctions, bien d’autres devoirs à remplir envers l'Etat, la société, la famille. Ils ne peuvent donc s’y consa- crer exclusivement; et cependant, les lacunes, les in- terruptions ramènent les choses au point de départ. C'est sans cesse à recommencer. Pense-t-on que cela soit bon, et que le manufacturier en soit encore à s'apercevoir de l'impuissance de la loi, et de l'impu- nité dont il lui est facile de s'assurer le bénéfice? Tous les hivers, ce seront les mêmes résistances ou les mêmes illusions. Des inspecteurs gratuits , concitoyens et souvent amis de ceux qu'ils sont chargés de surveiller, peu- vent-ils réunir les conditions désirables pour accomplir cette importante et sévère mission ? Si quelques-uns parviennent à la remplir complète: ment , soit que leur caractère les y porte, soit que les circonstances leur soient plus faciles, tous seront- ils à même de le faire? Il faut s'attendre au contraire à des différences, et la tolérance des uns paralysera le sévérité des autres. Qu'y a-t-il done à faire pour que la loi ne soit pas une lettre morte? Il faut avoir une organisation préventive moins pa- ternelle, composée d'’inspecteurs spéciaux et rétribués. Un seul devrait suffire pour un et même pour plusieurs arrondissements , suivant l’importance de leur industrie. Livré exclusivement à ses laborieuses fonctions, il par- courrait continuellement les manufactures et les écoles ouvertes aux enfants des ateliers. Il s'y présenterait à l’improviste , non seulement le jour, mais aussi la nuit, quand il soupconnerait qu'on fait travailler des enfants à ces heures défendues. Il serait partout , apporterait l’unité dans ses opérations, et je ne doute pas qu'en peu de temps, il ne parvint à modifier sensiblement l'état de choses actuel. Il est bien entendu que la mesure serait générale, l'unité d'action étant aussi indispensable entre les di- vers centres d'industrie, qu'entre les manufactures voi- sines et rivales. — 382 — En Angleterre l'inspection salariée a prévalu. On à compris sans doute qu'elle seule pourrait être efficace. Qui veut la fin, veut les moyens. Sans doute, le bien à opérer blesse tant d'intérêts, porte atteinte à tant d'abus, rencontre tant de résistances, qu'il ne saurait s'improviser. Mais voici une loi qui aura bien- tôt cinq années d'existence. Eh bien , je le demande aux hommes qui ont été à même den apprécier les effets ; a-t-elle répondu jusqu'à présent à ce qu'on en devait attendre ? | J'invoquerai, pour prouver le contraire , un docu- ment officiel, et dont personne une récusera le témoi- gnage, C'est le rapport présenté au Roi le 25 juillet dernier, par M. le ministre de l’agriculture et du com- merce, sur le travail des enfants dans les manufac- tures. Il constate que la durée du travail est observée pour les enfants de douze à seize ans, sauf quelques ex- ceptions, mais que la situation n'est pas aussi satis- faisante , en ce qui concerne les enfants de huit à douze ans. Dans le paragraphe relatif à l'instruction primaire élémentaire, il est dit que bien des communes manquent d'écoles , et que beaucoup d’autres n'en ont que d'in suffisantes. Enfin le rapport reconnaît que jusqu'au mois d'oc- tebre 1843, les commissions de surveillance s'étaient bornées aux moyens de persuasion. « Ce délai, dit le » ministre, avait été assez long ; le temps était venu » de constater les contraventions, et de les déférer aux » tribunaux. Mais il était à craindre qu'en arrivant à » cette période de l'application de la loi, l'action des — 383 — » commissions de surveillance ne répondit pas avee la » fermeté indispensable à la rigueur da devoir qui allait » leur être imposé. J'ai cru qu'il était conveneble de la » renforcer par le concours d'une autorité régulière, » hiérarchiquement constituée, et familière avec Îles » règles de la répression. Ce concours , je l'ai trouvé » dans le service des poids et mesures. » Plus loin , enfin, il est dit : « L'action des inspecteurs » ne, peut être juste, qu'à la condition d'être égale » envers tous. » On le voit, les arguments abondent en faveur du système de l'inspection rétribuée. Le ininistre craint la tolérance des inspecteurs gra- tuits. Il compte beaucoup plus sur des fonctionnaires inté- ressés à montrer du zèle, et familiers avec la répression. Il prévoit les inconvénients d'une surveillance inéga- lement répartie. Comment, en effet, l'action pourrait-elle être égale envers tous, avec l'organisation actuelle ? Les vérificateurs des poids et mesures, dit-on, ont par la fermeté et l’activité de leur surveillance, obtenu de véritables progrès. Il faudrait induire de ces termes, que le concours des autres inspecteurs n'a pas été aussi soutenu, Cette observation, qu'il me soit permis de le dire, n'a pu être faite à Amiens, où la division en sections limite l’action de chaque inspecteur. D'ailleurs tout en rendant justice au zèle de M. le vérificateur , je dois constater que les quelques procès-verbaux qui ont été faits, n'émanent pas de lui, ce qui prouve qu'il n'a pas été seul à remplir son devoir. …— 86 — Quoiqu'il en soit, il résulte du rapport, que M. le ministre du commerce , compte surtout sur ces fonc- tionnaires, quoique non salariés comme inspecteurs , parce qu'ils sont les agents d’une administration dont dépend leur avenir , que la nature de leurs occupations leur permet une surveillance plus soutenue, et qu'ils ont moins de ces considérations qui retiennent les au- tres inspecteurs. Que faut-il conclure de tout cela, c'est que le bien qu’ils opèrent, est en grande partie neutralisé , faute d'un ensemble justement signalé comme indispensable , tandis que par le choix d'hommes tout-à-fait spéciaux, il se ferait complètement et sans obstacle. Il est fâcheux de voir une loi vieille de plusieurs an- nées, s'xécuter encore dans beaucoup de lieux d'une manière incomplète, pour ne pas dire illusoire. Si elle est inopportune , on peut l’abroger ou l'oublier. Si elle est utile, il faut prendre les moyens convenables pour qu'elle s'exécute. La loi est bonne , non-seulement au point de vue de la morale et de l'humanité, mais encore au point de vue social et gouvernemental. Enumérons rapidement les avantages qu'elle présente sous ces trois rapports. Elle intéresse l'Etat en ce qu'elle aura pour résultat d'arrêter l’amoindrissement de notre race. Sinon, un jour viendrait, où la patrie menacée n'aurait guère pour défenseurs que des hommes au corps chétif et à l’ame flétrie. La loi est sociale et humaine. En effet, une époque qui se glorifie du progrès des lumières et de la civilisation , devrait -elle voir une — 385 — grande partie de &a jeune génération , assimilée aux animaux que l’on multiplie et qu’on élève en vue de leur utilité et du profit qu'on en espère? Quelle différence cependant semble-t-on faire entre la bête de somme , et l'enfant qu'on se hâte d’enfer- mer dès l’âge de sept ou huit ans dans un atelier, où, loin de recevoir les leçons destinées à former son es- prit et son cœur , il aura sous les yeux des exemples dangereux , propres à hâtér en lui le äéveloppement des habitudes vicieuses et des passions grossières ? des enfants ainsi élevés deviendront -ils souvent de vrais citoyens et de bons pères de famille? La loi enfin servira l'industrie elle-même en la sau- vant de ses propres excès. Il est malheureusement des hommes qui ne craignent pas de proclamer que l’ouvrier doit être tenu dans une dépendance absolue; que, s’il est sobre, rangé, économe, il fera bientôt la loi au maître , dont l'intérêt veut au contraire que l'ouvriér dépense bien où mal tout ce qu'il gagne, et même qu'il ait son livret chargé de quelques avances. Abrutir pour dominer , telle est la maxime de ces hommes. Ils sont , je dois le dire pour l'honneur de lhu- manité, ils sont üne exception à la règle générale; mais ils entravent, ét même paralysent les dispositions bien- veillantes dont sont animés beaucoup de manufacturiers. C'est ainsi qu'autrefois les Romains et de nos jours les Colons se sont opposés à ce qu'aucune instruction fnt donnée aux esclaves, craignant de fournir des armes contre leur tyrannie. C'est ainsi qu'aux Etats- Unis, il est expressément défendu , sous peine d’une forte amende , à tout possesseur d'esclaves, de déve- lopper leurs facultés intellectuelles. 5. is — 386 — Ces thévries barbares devraient-elles trouver des pro- neurs dans un pays de liberté et d'égalité, même quand elles ne seraient pas aussi fausses que honteuses ? D'ailleurs , que résulte-t-il presque toujours de ce sordide calcul ? Nous allons le dire. Dans les moments de stagnation industrielle, l’ou- vrier endetté se trouve à la discrétion de son maître, qui réduit alors le salaire au taux le plus bas. Il faut bien pourtant que l’ouvrier mange du pain et en donne à sa famille : il travaille donc davantage et accroît ontre mesure la production , dans un moment où il ny a pas de demandes. Le commerce redevient-il actif et prospère , l’ouvrier s'empresse de prendre sa revanche ; il faut l’augmen- ter , sous peine de chômage ; car il est sùr de trou- ver de l'ouvrage ailleurs. Mais du moins en payant plus cher, le fabricant aura-t-il en abondance les produits dont il a besoin pour satisfaire aux nombreuses demandes qu'il recoit ? Pas du tout! L'ouvrier qui a été si malheureux pen- dant la stagnation , se hâte de se donner les jouis- sances dont il a été longtemps privé : il a de l’ar- gent ; pourquoi travaillerait-il sans relâche, quand, en trois ou quatre jours, il a gagné de quoi passer le reste de la semaine joyeusement au cabaret? Pourquoi serait-il prévoyant? lui a-t-on appris à l'être ? l’a-t- on élevé dans des idées d'épargne et d'avenir? Hélas non ! Aussi il ne songe qu’à vivre au jour le jour , et je le tronve en cela bien plus à plaindre qu’à blamer. Ses plaisirs, que sont-ils? Ce que dans l'état de for- tune Île plus modesie nous regardons comme la satis- —. 387 — faction des besoins indispensables de la vie journahère. L'abus qu'il en fait de temps en temps équivaut -il à la jouissance habituelle et facile que tant d’autres pos- sèdent. Exploité quand les circonstances le permettent (et c'est le cas le plus fréquent ), peut-on reprocher de courts instants de joie au malheureux qui sait par expérience que bientôt il lui faudra reprendre, ce qu'i appelle dans son langage expressif, le collier de mi- sère. Que gagne le manufacturier à cette lutte conti nuelle ? Surabondance de produits, quand il n’a pas de demandes, et rareté quand les demandes pressent. Si une manufacture formait pour ainsi dire une fa- mille , l'ouvrier bien traité apprendrait à estimer et à aimer son maître. Il inspirerait à ses enfants les mêmes sentiments , et ainsi s'opérerait peu à peu cette amé- lioration morale, qui, essayée dans les écoles, trouve tant d'obstacles au sein des familles qui devraient la seconder. Un autre danger , annoncé par de nombreux symp- tômes , menace aujourd'hui l'industrie. Je veux parler de ces coalitions qui se succédent depuis quelque temps. L’impulsion est donnée. Tous les travailleurs voudront jouir à leur tour des avantages conquis par quelques- uns ; et que les manufacturiers ne se flattent pas de prolonger leur exploitation, en essayant d'appesantir le joug ! La corde trop tendue finit par se rompre. Il serait plus sage de chercher à diriger ce monve- ment peut-être irrésistible. Il faudrait pour cela traiter l’ouvrier avec bienveillance ; préférer l'homme rangé au débauché , encourager le travail du lundi, enlever aux 25.* — 388 — écoles le moins d'enfants poosible , ne prendre que ceux qui ont acquis à un degré suffisant l'instruction primaire, réduire le travail de ceux qu'on emploie, de sorte qu'ils puissent , s'ils en ont besoin, fréquen- ter les écoles du jour. Oui manufacturier s’écriera qu’on lui demande l'impossible ; , toutes ces mesures sont excellentes ; maïs le que les besoins de son industrie doivent passer avant ces considérations, et s'opposent à tant de ménage- ments; que d’ailleurs, l’ouvrier adulte et l’enfant ne lui sauraient nul gré de ses efforts, et ne méritent pas tant d'égards. À qui la faute? L'ouvrier n'est-il pas ce qu'on l'a fait, et n'est-ce pas par le maitre que devrait com- mencer la réforme ? Et cependant un jour aussi on désertera son atelier, il aura à débattre cette grave question des salaires avec des hommes aigris, qui n'ont pas appris à l’ai- mer et à le respecter. Cette perspective est-elle bien rassurante ? Quelque rigoureuses que puissent paraître au pre- nier aspect les exigences de la loi qui nous occupe, les amis de l'humanité la subiront avee bonheur, quand ils n’auront plus à craindre que la bonté de leur cœur ne nuise à leurs intérêts, en les plaçant pour leur industrie dans des conditions moins favorables que leurs concurrents. Le seul moyen d'obtenir ces résultats, c'est d'orga- niser une surveillance incessante et une répression sévère. Des inspecteurs spéciaux et rétribués, offriront seuls, à mon avis, la constance et l'unité d’action in- dispensables. — 389 — Aussi longtemps que le système de l'inspection divi- sée et gratuite continuera à prévaloir, on peut être assuré que les inspecteurs feront tout le bien qui sera en leur pouvoir. Mais leur organisation le laissera tou- jours incomplet et partiel. Je crois en avoir dit suffi- samment les causes. Témoin oculaire du régime intérieur de nos manu- factures amiénoises, de la situation des adultes et des enfants qu'elles emploient , les considèrations que je vous présente ici, sont le résultat de mes observations, et de celles qu'ont recueillies les inspecteurs mes col- lègues. Mais des renseignements assez précis nous por- tent à croire qne les choses se passent à peu près de même dans d’autres centres manufacturiers. La sollicitude du gouvernement , si justement éveil- lée en faveur des enfants de la classe ouvrière, ne complétera donc le bienfait, qu’en vivifiant par des moyens d'exécution plus actifs une loi dont les effets sont encore trop peu sensibles. J'ai essayé d'indiquer quelques - uns de ces moyens. Ils peuvent se résumer ainsi : 1. Aucun enfant au-dessous de 42 ans ne serait em- ployé dans les ateliers et manufactures. 2.° Tout enfant de 12 à 16 ans devrait suivre une école du soir, de 7 à 9 heures, quand il ne ferait pas preuve d’une instruction primaire élémentaire suffisante. 3.° Il serait pourvu à l'établissement de ces écoles, partout où le besoin s’en ferait sentir. 4. Les ateliers occupant moins de vingt ouvriers, se- raient soumis à l'inspection. 8.° Les fonctions d'inspecteur seraient spéciales et rétribuées. — 390 — Le Ministre dit dans son rapport qu'il attend les do- cuments de quelques grands centres industriels pour préparer les réglements d'administration publique, prévus par les articles 7 et 8 de la loi. Je m'estimerais heureux, Messieurs, si mon travail vous paraissait contenir quelques renseignements utiles, et quelques vues pratiques. En commencant cette trop longue lecture, j'ai re- connu la nécessité actuelle du système protecteur. Le sujet que j'ai essavé de traiter, est un nouvel argu- ment en sa faveur. La concurrence sans restriction des manufactures étran- gères, en nuisant à notre industrie nationale, mettrait obstacle aux efforts tentés pour l'amélioration matérielle et morale de la classe ouvrière. Il est juste d'offrir à nos fabriques un dédommagement des obligations qu'on leur impose, en renfermant dans nos frontières une lutte qui, nécessaire au progrès, permet ainsi toutefois de concilier les intérêts de la richesse nationale et les droits imprescriptibles de l'humanité. Peu exercé dans l’art d'écrire, je n’ai pas su éviter, comme je l'aurais désiré, les longueurs, les redites, et quelque confusion dans le développement de mon sujet. De crainte de ne pas dire toute ma pensée, je sai peut-être délayée outre mesure. Si j'ai abusé de votre attention bienveillante, veuillez m'excuser, Messieurs, en faveur de la bonté de mes intentions. 2PERI= 3 E- QUELQUES MOTS SUR LES NOUVEAUX PRINCIPES DE Sir ROBERT PEEL, EN MATIÈRE COMMERCIALE , LUS A LA SÉANCE DU 14 Mars 1846, Par M. MATHIEU. a Les droits protecteurs ne sont pas un bien; le prin- » cipe de la protection de l'industrie nationale doit être » abandonné; le commerce du monde doit être libre. » (4) À peine ces paroles importantes avaient-elles été pro- noncées dans la chambre des communes, à peine re- produites par la presse avaient-elles franchi le détroit, que déjà des écrivains français s’emnpressaient d’applau- dir à lord Peel (2), et de témoigner pour sa doctrine la plus vive sympathie. (1) Voyez les discours prononcés par sir Robert Peel vers la fin de jan- vier et le commencement de février 1846. (2) On donne ici le titre de lord à sir Robert Peel, parce qu'il était à celte époque premier lord de la trésorerie. == He Les vieux systèmes, les vieux sophismes, sont rui- nés de fond en comble, se sont-ils écriés avec la promp- titude de l'écho ; comme si désormais la nouveauté devait être le caractère de la vérité, comme s'il fallait mé- priser tout ce qui se présente avec la sanction du temps, et comme si l'amour de la patrie lui-même n’était pas un vieux sentiment, plus vieux encore que les Grecs et les Romains dont il a fait battre les cœurs. Ainsi Colbert et Montesquieu se sont trompés, tous les économistes qui pensaient comme eux se sont trom- pés, la France et l'Angleterre se sont trompées, tous les peuples civilisés se sont trompés, lord Peel et lord Ashley se sont trompés, quand ils ont cru que l'in- dustrie d'un peuple devait être protégée par son gou- vernement; ce principe êtait une erreur, et c'est le contraire qui est vrai. Maintenant il est reconnu que dans les échanges internationaux, le devoir d'un bon gouvernement consiste à ne plus protéger, ni l’agricul- ture, ni l'industrie, ni le commerce de la nation qu'il représente, quand même les nations étrangères ne paie- raient çet abandon par aucune mesure de réciprocité. Protéger, maintenant, c’est abandonner, et les droits protecteurs ne sont en réalité que des droits qui ne protègent pas. Voilà le principe dont l'application doit être vraiment avantageuse pour tous les peuples, voilà ce que tout esprit éclairé doit admettre, sous peine de passer pour rétrograde, voilà ce que lord Peel nous propose à croire, sinon d'une manière explicite, au moins comme une conséquence de la nouvelle maxime inscrite sur son drapeau. En présence de semblables affirmations, ne dirait-on pas que telle est la nature du langage, transmis à £ — 393 — l'homme pour dire la vérité, qu'il semble se révolter contre nous, quand nous voulons l'employer à démon- trer l'erreur ou le mensonge ? Ne pensez pas cependant que ce soit une utopie que l'illustre orateur voudrait nous imposer: tout raison- nement doit tomber devant les faits; et le ministre anglais à pour garant de ce qu'il avance la prospérité sans exemple dont son pays jouit depuis trois ans, depuis que l’on a fait subir aux droits d'entrée une première diminution. Il est vrai que si l’on vient à lui conseiller la con- servation d'un tarif qui donne, après un temps si court, de si beaux résultats, l’on apprend bientôt que la prospérité dont on parle a cessé depuis trois mois, qu'il faut une nouvelle baisse, et même, en plusieurs cas, la suppression des droits d'entrée. Qu'il convienne à lord Peel de proposer à ses con- citoyens des mesures de ce genre, comme Français nous n'avons pas d'objections à faire, et nous regar- derions même ces mesures comme utiles pour nous, si toutefois nous étions assez ‘sages pour ne pas être imitateurs ; mais que sa prétention soit de nous en- trainer à sa suite dans la voie nouvelle qu'il juge à propos d'ouvrir en ce moment, alors notre intérêt nous défend de le suivre. Nous croyons, et cela nous parait clair comme le jour, qu'il existe dans le commerce extérieur un in- térêt national étroitement lié par des rapports nombreux à tous les intérêts nationaux, et qu'il doit être protégé, puisqu'il exerce sur la vie nationale elle-même une influence considérable. A Quoiqu'il ne soit jamais sans relation avec l'intérét — 394 — individuel , l'intérêt national en diffère cependant comme la vie de la nation diffère de la vie de l'individu, soit par rapport à la durée, soit par rapport à la né- cessité de la défense, soit par rapport an milieu dans lequel le mouvement s'opère. De cette différence de nature doit résulter une diffé- rence de direction, et de celle-ci la différence des forces dirigeantes; et comme l'intérêt individuel possède dans la volonté de l'individu le pouvoir dont il a besoin, l'intérêt national de son côté ne peut être privé d'un pouvoir qui le développe avec mesure dans les condi- tions nécessaires à son existence. L'exercice de ce pou- voir limite, sans le détruire, le pouvoir individuel, tandis que l'exercice illimité du pouvoir individuel dé- truirait nécessairement l’action du pouvoir national. Dans la plupart des circonstances , les intérêts particu- liers, abandonnés à eux-mêmes, agiraient contrairement à ce qu'exige l'intérêt commun ; et la liberté sans li- mite serait pour chacun d'eux la liberté de nuire à l'intérêt national, en même temps qu'elle ôterait à celui-ci la liberté de se défendre. Pour ce dernier, ce serait l'esclavage. Rappeler ici tout ce que nous avons dit il y a deux ans pour démontrer cette vérité, serait nous engager dans une trop longue dissertation. Nous avons vu que le sens des mouvements commer- ciaux, considérés dans leur ensemble, ne peut être sans effet sur-la fortune publique, et qn’une nation qui laisserait prendre à son égard par les autres nations, la position de vendeur, de préteur, d’entrepreneur pour ses travaux, de courrier pour ses dépêches, de com- missionnaire pour ses transports, verrait bientôt ses — 395 — finances épuisées par la foule des moyens absorbants dont elle aurait souffert l'application. Vous savez également que le prix n’est pas, pour la valeur des choses , une véritable mesure, que les objets d’un même prix n'ont pas tous la même valeur nationale, qu'il n'est pas. indifférent pour un peuple d'avoir des métaux et des chevaux, ou bien des cigarres et des parfums, et qu'il faut par conséquent diriger le mou- vement commercial de manière que les objets dont on obtient la possession soient égaux ou supérieurs aux objets donnés en échange, quant à la valeur nationale. Nul doute que les moyens à employer par le pouvoir dirigeant ne doivent être en rapport avec la position de la nation dont il s'occupe; et comme les positions des nations sont différentes, les moyens employés pour les conserver et les développer ne doivent pas être les mêmes. Prétendre les assujettir toutes à l'emploi de moyens parfaitement identiques , serait aussi injuste que de vouloir soumettre au même régime, dars tous les climats, des corps de différents âges et de complexions différentes. On concoit en effet, que les marchandises tendent à se porter partout où les attirent des prix plus élevés; de manière qu'une nation qui chez elle aurait fait baisser les cours par l'exploitation de sources fournis- sant à peu de frais des matières importantes, par la multiplicité et le bas prix de ses moyens de transport, par la puissance. de ses machines et l’abondance de son charbon, pourrait sans crainte baisser les droits sur des produits qu'il est impossible à l'étranger de lui fournir ; mais son exemple, résultat d'une position par- ticulière, n'impose à personne l'obligation de l’imiter. — 396 — Evidemment la France ne se trouve pas dans une position de ce genre, et quiconque connait un peu la vérité sur l’état de ce pays, n'a pas besoin, pour s'en convaincre , de se livrer à de pénibles recherches. Pour elle d’ailleurs, le sens du mouvement commercial est changé; depuis sept années, elle achète beaucoup plus qu’elle ne vend; une pente rapide semble l’entrainer dans ce sens; et si jamais elle eut besoin du systême protecteur, e& est surtout en ce moment où l’on vou- drait qu'elle en proclamät l'abandon ! Qu'il serait triste, qu'il serait douloureux, pour tous les cœurs que l’égoisme n’a pas entièrement desséchés, de voir une nation intelligente comme la nation française travailler elle-même à sa ruine , renverser de ses propres mains les barrières qui la défendent, et se livrer dé- sarmée comme une proie à la cupidité de l'étranger ! C'est ainsi diront nos adversaires, c'est en soutenant une pareille cause que l’on entretient entre les peuples la rivalité et la haine, obstacles incessants à une paix durable, que l’on fait payer à des classes d'individus l'impôt qui n’est dù qu'à l'Etat, que l’on achète à l'in- térieur ce qui serait bien moins cher au dehors, et que l'on vient priver le pauvre de vivres et de vête- ments à bon marché. Et d’abord, loin de nous la pensée de fomenter entre les peuples la rivalité et la haine. Tous les hommes sont frères, ct s'il peut exister entre eux une louable émulation pour le bien, la haine devrait toujours être bannie de tous les cœurs. Loin de nous le désir de voir malheureux les autres peuples ; nous désirons au contraire leur bonheur, et nous demandons seulement qu'ils ne cherchent pas à le faire à nos dépens. Nous — 397 — savons qu'il faut, autant qu'il est possible, éviter la guerre; mais nous savons aussi que le premier moyen pour l'éviter, c'est d'être juste, et que ce serait une souveraine injustice de vouloir faire lutter des travail- leurs placés dans des conditions inégales, avec la cer- titude que les uns triompheront, et que les autres devront nécessairement succomber. Pour éviter la guerre, il faut être en état de la faire, et pour être en état de la faire, il ne faut pas laisser passer ses finances dans les mains de ses rivaux. Le sacrifice des finances nationales, l'abandon du travail national, seraient plutot des causes de guerre que des moyens de l’éviter, et ce ne serait pas vouloir la paix que de s’affaiblir soi- uême en ruinant ses défenseurs. On ne doit l'impôt qu'à l'Etat, et non pas à une classe d'individus; c'est vrai. Aussi est-ce à l'Etat et pour l'Etat qu'on le paie, même lorsqu'une classe d'in- dividus en profite. Pense-t-on qu'un général d'armée , qui fait protéger un régiment menacé, ne le fait seule- ment que dans l'intérêt de ce régiment, et non pas aussi dans l'intérêt général de l'armée qui veut cette protection ? On oublie donc que la nation est un être collectif, et que cet être collectif a comme tel un in- térêt commercial dans lequel tous ses membres sont intéressés? Si l’on oublie, si l’on met de côté, cet in- térêt collectif et réel, ce n’est plus de l'économie politique que l’on fait, c'est de l’économie domestique, et souvent même de l’écononrie domestique malentendue. Vous trouvez qu'il est injuste de vous faire payer plus cher à l'intérieur ce qui coûterait au dehors meilleur marché. Vous ne faites pas attention que l'ar- gent payé par vous à l'intérieur ne cesse pas d'appar- — 398 — tenir et continue d'être utile à l'association commerciale et politique dont vous faites partie; qu'au dehors au contraire, si vous y achetez sans que votre achat se trouve compensé, cet argent passe dans une autre association qui peut l’employer contre vous; que dans la plupart des cas l’objet dont vous avez fait l’emplette disparait bientôt par la consommation , tandis que votre argent ne disparaît pas; que cet objet et l'argent peu- vent bien être d’un même prix, mais qu'ils n’ont pas urdinairement la même valeur nationale; et que vous pouvez gagner par rapport à ce que votre intérêt pré- sente de particulier, en faisant perdre cependant l'in- térêt national qui ne peut coïncider en tout point avec votre intérêt privé. Vous parlez de l'intérêt du pauvre; je vous en ap- plaudis de toutes mes forces. Conservez lui donc, par le moyen des tarifs, un travail constant, un travail assuré; pour lui, du travail c'est du pain. Que lui servira d’avoir des denrées à plus bas prix, s'il ne peut gagner ce prix nécessaire pour les obtenir. Ce .qu'il lui faut, ce sont des salaires, et des salaires proportionnés au prix des denrées; employez done Île mouvement des tarifs pour conserver les salaires, et pour empêcher la hausse excessive des denrées de pre- mière nécessité. Conservez l'industrie florissante, e’est l’industrie qui le fait travailler; conservez l'agriculture florissante, c’est elle anssi qui lui donne du travail, et qui vient à son secours quand la fabrication languit. N’appelez donc pas des plaideurs les délégués de l’agriculture et de l'industrie, parcequ'ils ne partagent pas vos opinions, et parcequ'ils veulent être protégés comme ils ont droit de l'être... Les agriculteurs et les = (499 = industriels, des plaideurs!... Mais, vous ny pensez pas?... Les avez-vous comptés?... Avez-vous compté leurs juges? .. Ils plaident cependant, ïl est vrai; mais en plaidant leur cause, ils plaident pour les in- térêts de la France, et devraient-ils avoir besoin de plaider ! Ah! Les économistes français qui se font applaudir à Londres devraient bien réfléchir sur la responsabilité qui péserait sur eux, s'ils se trompaient, comme nous croyons en effet qu'ils se trompent, et si ce qu’ils appellent la science pure n'était rien autre chose qu’une pure erreur. Contre la défense du travail national, contre le prin- cipe d’une protection bien entendue, toutes les objec tions nous paraissent impuissantes; et telle est, pour tout gouvernement qui comprend ses devoirs, la nécessité de protéger l’industrie de la nation quil représente, que lord Peel veut protéger celle de l'Angleterre, alors même qu'il déclare abandonner la protection, et qu'il serait, s'il en était autrement, un ministre prévarica- teur. Que veut lord Peel?... Que prétend-il?... Est-ce seule- ment subvenir à l’insuffisance de la dernière récolte? Une exemption temporaire de droits suffisait pour cela? Que veut-il donc? Si ce n’est favoriser le développe- ment, déjà si redoutable pour la liberté des mers, de la marine et de l’industrie de son pays; si ce nest préserver cette industrie de la stagnation des affaires , et de la décadence qui en serait la suite. Or, préserver de la décadence, favoriser le développement, n'est-ce pas protéger ? Que lord Peel nous dise qu'il change ses moyens de protection, qu'il regarde son pays comme — "400 — se trouvant dans une position exceptionnelle, dans une position telle qu'il gagnera d'abord à la liberté du conimerce, que si l'agriculture y perd, l’industrie devra gaonet plus que l'agriculture ne perdra; alors, nous pourrons le croire. S'il change ses moyens de protection, si sa manière de protéger est de dire qu'il ne protège plus, son but est toujours le même. Que lui faut-il en effet pour développer constamment l'industrie de sa nation? Des ventes, toujours des ventes, et des ventes de plus en plus nombreuses; et voila pourquoi dans son discours, il ne parle pour ainsi dire que d'achats. La raison de cet apparent mystère, la voici: Pendant la dernière guerre , l'industrie anglaise trou- vait sur le continent Napoléon qui lui ferimait les ports, et brülait toute marchandise introduite au mépris des lois. Cet obstacle à été brisé. Maintenant elle se trouve en face du système pro- tecteur, et ce système, plus puissant que Napoléon, la imaintiendrait dans de justes bornes, s’il était appliqué partout comme l'intérêt national l'exige. Indignée de voir cette barrière arrêter son essor, et ne pouvant la briser à coup de canon, comment donc l'Angleterre s'y prendra-t-elle pour la faire tomber? Un seul moyen lui reste, remarquez le bien, un seul. C'est de persuader aux gouvernements et aux peuples que le système protecteur est contraire à leurs véritables intérêts, qu’il repose sur une erreur, et qu'il faut le remplacer par une doctrine plus favorable aa bonheur de tous. Heureuse doctrine en effet, si toutefois elle pouvait la répandre, et d'autant plus heureuse pour elle qu'elle pourrait en profiter sans y croire! Mais — 401 — comment persuaderait-elle que le système protecteur est pernicieux, si elle-même continuait de le suivre? Il faut donc de toute nécessité qu’elle en proclame l’aban- don pour elle-même, au moins en apparence, sauf à le reprendre plus tard, si son intérêt exigeait qu'elle le reprit. Un changement de ministère suffirait pour opérer ce mouvement. L'espoir de renverser le système protecteur est donc l’un des principaux motifs qui font agir lord Peel; et sil n'avait pas cet espoir, il se garderait bien de pro- clamer la liberté du commerce. Il affirme, je le sais, que son système &'abandon est avantageux à son pays, même dans le cas où les puis- sances étrangères n’accorderaient aucune mesure de réciprocité. Devenu tout-à-coup d’une générosité sur- prenante , il donne et ne demande rien en retour. Ici, permettez-moi de le dire, je regarde cette affirmation au moins comme une erreur. D'abord que donne-t-il? La possibilité, soit apparente, soit réelle, de lui faire des ventes. La position de ven- deur, dans son opinion, est donc en général une po- sition favorable, puisqu'il prétend, en offrant la pos- sibilité de vendre, donner un avantage. Mais il prétend que ces ventes lui seront utiles, même sans réciprocité, et que c'est dans l'intérêt de son pays qu'il les permet ; alors, que lui doit-on? Si lord Peel n’a pas besoin de réciprocité, si l'exé- cution de son projet doit être utile à l'Angleterre, même sans aucune imitation de la part des autres peuples, pourquoi présente-t-il comme un motif pour l'adoption de ce projet, d'abord l'espérance, puis la probabilité, puis la certitude que son exemple sera suivi? Pourquoi 26. = 10 = dit-il que dans le cas où les gouvernements résiste- raient, les peuples entraineraient les gouvernements, et pourquoi fait-il voir que si l’action des peuples ne pouvait entrainer les gouvernements, la contrebande finirait par avoir raison des droits protecteurs. Comme, dans son système, les droits protecteurs sont un mal, la contrebande qui les détruirait pourrait s'appeler un bien. Ce ne serait plus alors un trafic illicite, deshon- nête, immoral, comme il l’appelle d'une manière tout-à- fait édifiante, lorsqu'il s’agit d'introduire à Londres, non seulement des soieries françaises, tissu léger, bien plié, facile à cacher, mais des pièces d'eau-de-vie, mais d'énormes füts d'esprit que les argus de ses douanes, entourés par la mer, ne sont pas toujours en état d’apercevoir. Vous le voyez; il n’a aucune garantie que l'on fera ce qu'il fait, mais il n'en doute pas. Il compte, et il dit que l’on peut compter sur l'adoption de son système par les nations étrangères. Si les gouvenements ne veulent pas; il leur montre la volonté populaire pour les y contraindre, et à défaut d’une volonté populaire assez puissante, la contrebande sur une grande échelle. Si l'Angleterre, même dans le eas où son exemple ne serait pas suivi, devait trouver dans le principe d'abandon ‘une source d'avantages, rien ne la porterait à se plaindre que les autres nations ne l’adoptent pas. Profitant seule de ce nouveau secret qu'elle a découvert pour prospérer, sa puissance relative n'en serait que plus grande, et son intérêt même demande qu'il en soit ainsi. Il est vrai que sa philantropie doit la porter à répandre au dehors ce qu'elle regarde comme utile — 403 — au genre humain. Mais, avec nn tel sentiment, elle doit être patiente, et quand les conseils charitables demeurent sans effet, elle doit plaindre l'erreur, et souffrir que l’on continue d'employer pour être heureux les moyens qu'elle même a si longtemps employés. Ne peut-elle pas supporter que des nations rivales se fassent un peu de tort avec le système protecteur, puisqu'elle sait bien endurer que les Chinois s'empoisonnent avec l’opium qu'elle leur vend, malgré la défense de l’em- pereur, assez ignorant pour ne pas savoir comme lord Peel qu'il faut laisser circuler libremeut les fruits bien- faisants de la nature? A coup sùr, le système protec- teur ne fait pas mourir, et l'Angleterre le sait bien. Qu'elle veuille donc nous permettre de chercher aussi la prospérité à notre manière, et si cette prospérité ne devenait pas aussi grande que la sienne, le mal- heur pour elle ne serait pas grand. Pourquoi d’ailleurs un projet, si bon pour l'Angleterre seule, rencontre-t-il tant d'opposition dans ce pays? Jamais cependant les Anglais n'ont passé pour des hommes qui n’entendent pas leurs intérêts. et lord Peel ne néglige rien pour s'en montrer le défenseur. C'est dans votre intérêt que j'agis, dit-il aux in- dustriels; vous pouvez, sans vous faire aucun tort, abandonner le maintien des droits; vous aurez les ma- tières premières à bon marché, et nul ne sera capable d'entrer en lutte avec vous. Ce sont vos intérêts que je soutiens, dit-il aux agri- culteurs ; votre art est encore dans l'enfance , mais vous lui ferez faire des progrès; vous aurez à bas prix des graines et des bestiaux ; vos produits deviendront plus abondants, et vous pourrez soutenir la concurrence 26.* — 104 — avec les cultivateurs étrangers. Que ne pouvait-il ajouter, et il le fallait cependant pour être juste, je vous donnerai des terres plus étendues et plus fertiles, et comme il faut de la chaleur pour murir vos moissons, je vous donnerai du soleil. A tous, je demande des sacrifices, si toutefois ce sont des sacrifices que je demande; ce sont plutôt des bienfaits que je répands; et si je délivre l'Agriculture de certaines charges, ce n'est pas une compensation, c'est une augmentation de bienfaits que j'accorde. Sin- gulier système en effet, que celui qui demanderait sans nécessité des sacrifices à tout le monde pour l'adoption d’un principe nouveau, très - contestable et très-contesté, si l’on ne comptait pas sur l'étranger pour les payer avec surabondance. Oui, ce sera l'étranger, si toutefois l'étranger y con- sent, ce sera la France, si nous le voulons bien, ce sera tout peuple enthousiaste de la nouvelle doctrine, qui devra payer, et bien au-delà, tous les sacrifices que lord Peel demande à son pays de faire, même sans réciprocité. Pour assurer le gain d’une partie, il ne suffit pas toujours de bien jouer, il faut encore que l’adver- saire joue mal, et pour qu'il joue mal, il faut qu'il ne connaisse pas bis où se trouve! son véritable intérêt. Lui faire prendre le change à cet égard semble de- venir par le temps qui court le comble de l’habileté. Mais comment, dira-t-on, faire prendre le change aux nations étrangères sur leurs véritables intérêts ? Ces nations n'ont-elles pas aussi, parmi les individus qui les composent, des hommes éclairés, et lord Peel ne possède pas le monopole du bon sens. — 05 — Certainement la vérité se dira; mais la discernera- t-on, mais la croira-t-on? Et l'erreur n'a-t-elle pas pour elle de nombreuses chances de succès ? Qu'une erreur se présente sous la forme d'une pen- sée très-simple, qu’elle pénètre avec la plus grande facilité dans tous les esprits, qu’elle s'exprime par un mot qui plait à toutes les oreilles, qu'elle flatte plu- sieurs classes de personnes, qu’elle s'adresse aux in- térêts particuliers toujours enclins à se préférer à l’in- térêt général, que son premier effet soit agréable, que des savants renommés la défendent , que des orateurs distingués la préconisent, qu'une puissance en grande réputation d’habileté la proclame, et cette erreur ne pourrra-t-elle pas l'emporter sur le principe contraire, moins facile à saisir, et composé d'idées complexes dont la liaison n'apparaît pas d’abord à toutes les intelligences. En économie comme en astronomie, il y a des ap- parences, et des apparences contraires à la réalité. Com- bien n'iront jamais au-delà | Lord Peel d’ailleurs ne va pas rester inactif; il a le plus grand intérêt à réussir. Depuis trois ans les matiè- res premières entrent en franchise ou à peu près. Il ne craint pas les’ fabricants étrangers qui paient un fret plus élevé, des combustibles plus chers, et dont les établissements moins considérables exigent des frais plus importants pour une quantité donnée de produits. Les marchandises manufacturées n'entreraient donc pas en Angleterre en quantité beaucoup plus grande qu'elles ne le font en ce moment; elles en sortiraient au con- traire plus nombreuses que jamais, et n’attendent qu'un moment favorable pour s'élancer en masse sur le continent. — 106 — Tout est donc prêt. De là cette doctrine que l’on proclame avec tant de solennité, et que lon est si jaloux de répandre; de là tous ces conseils que l’on vient nous prodiguer. Laissez, nous dit-on, laissez ces vieux systèmes, ces vieux sophismes, ces vieilles erreurs dont on vous à trop longtemps bercés. Ne soyez pas assez ignorants, assez mal avisés pour ne pas comprendre vos véritables intérêts. Ne refusez pas la liberté, ne refusez pas le bonheur. Baissez s'il vous plait vos barrières, sir Ro- bert vous le demande, non dans son intérêt, mais mais dans le vôtre. Baissez-les et ne tardez pas, ou sinon... il saura bien vous forcer d'être libres. La con- trebande en grand est à ses ordres, la contrebande directe ou indirecte, et c'est pour votre plus grand bien, c’est pour le bonheur du genre humain qu’il la fera; sa bienveillance ne peut souffrir que vous restiez en arrière pendant que son pays marche à pas de géant dans une voie de prospérité. A de semblables discours, ne dirait-on pas que notre vieille terre s’agite, et que se lèvent autour de nous les anciens défenseurs de notre industrie. Français, semblent-ils nous dire, quelle sera votre réponse? Céderez-vous à ces invitations? Craindrez-vous ces menaces! Laisserez-vous sans direction tous vos intérêts nationaux? Sacrifierez-vous votre avenir, l'a- venir de vos enfants, l'avenir de votre patrie, pour l’avantage trompeur d'une abondance passagère?... Qu'il n'en soit pas ainsi. Au cri de liberté poussé par lord Peel au sein du parlement anglais, à ce cri qui va retentir d’un pôle à l’autre, et remuer dans ses profondeurs le monde — 407 — commercial, répondez, vous aussi, par un cri de li- berté. A la liberté du commerce individuel que proclame l'Angleterre, opposez la liberté du commerce national. Oui, liberté pour chaque nation de ne pas se laisser ruiner par une autre; liberté pour chaque nation de recevoir ce qui lui sert, de repousser ce qui lui nuit; liberté pour chaque nation de protéger son industrie comme elle l'entend ; liberté pour chaque nation de ne pas livrer ses travailleurs, son agriculture, ses fabri- ques, l'exploitation de ses mines, à l’action désastreuse d’une concurrence irrésistible ; liberté de préférer l’ordre et la conservation des intérêts nationaux à l'anarchie commerciale, et la lutte régulière, en bataille rangée , à la confuse mêlée des intérêts particuliers ; liberté pour chaque nation de repousser le suicide. Maintenez cette liberté, votre intérêt l'exige; l’inté- rét même de l'humanité le demande. L'intérêt de l’hu- manité ne demaude-t-il pas que les différentes associa- tions politiques et commerciales dont le genre humain se compose , se développent régulièrement, sans trouble et sans confusion, sans injustice et sans violence? La pluralité des gouvernements n’implique-t-elle pas la pluralité des intérêts nationaux? Est-il possible d'an- nuler tous ces intérêts en prétendant les remplacer par un seul composé de fractions innombrables, et flottant, pour ainsi dire, au hasard, sans pouvoir et sans direction? Ne faut-il pas à chacun d'eux un pou- voir qui le dirige, comme à chacun de ces pouvoirs la liberté de servir et de défendre ce qu'il est chargé de diriger? Et la nation qui renoncerait à cette li- berté, ne ressemblerait-elle pas à l'individu qui re- — 108 — noncerait à l'usage de ses mains, même en cas d’in- cendie ? Avec la liberté du commerce national, les échanges équitables, les échanges durables sont favorisés, parce que la production des objets propres aux échanges existe partout ; et cette production existe partout, parce qu’elle trouve partout, dans le profit qu’elle donne, sa raison d'exister. Avec cette liberté, la po- sition géographique et la multiplicité des agents de production ne sont plus des moyens sûrs d’écraser tous ses rivaux; chaque peuple tire parti des ressources qui lui sont données par la Providence, et le succès ap- partient à la direction la plus prudente et la plus sage, la plus conforme aux intérêts nationaux. Sans doute cette direction ressent toujours l'influence d'une posi- tion défavorable ; mais elle sait en combattre, en di- minuer, en neutraliser les effets. Par elle, l'intelligence et l’activité prospèrent, la paresse et l'ignorance perdent, mais malgré ces changements inévitables et justes, les grands bouleversements sont évités, l'équilibre se main- tient dans le monde commercial, et nul peuple ne de- vient capable de ravir au genre humain l’une de se libertés les plus précieuses, la liberté des mers. MÉMOIRE SUR LE GOUT DANS L’INDUSTRIE, Par M. Hier, HENRIOT. 22330 KAÈBO Le mémoire que vous avez couronné ne contient pour épigraphe que ces trois mots : « Rerum cognoscere ecausas. » Cette épigraphe résume tout l'ouvrage. On voit, en effet, que , pour apprécier dans Voiture l’homme et l’écri- vain, je veux dire pour juger de son caractère et de celui de ses écrits, l’auteur du mémoire se reporte aux circonstances de temps et de licu qui ont fait de Voiture et de ses œuvres ce qu'ils ont été. Le discours est divisé en trois parties : Coup-d’œil sur le 16.° siècle ; — L'hôtel de Rambouillet ; — Voiture. L'auteur remonte à l’état de la littérature au 46.° siècle ; il rappelle le travail dont la langue fut l’objet de la part des écrivains de cette époque ; ils lui avaient donné la force , mais en lui laissant la rudesse; il lui fallait l’é- nergie sans dureté, la précision sans sécheresse. — L'hôtel de Rambouillet, sans dessein formellement arrêté, mais par la tendance naturelle des esprits qui le eompo- saient, concourut à épurer et à polir le langage. Mais, en le dégageant des grossiers éléments dont le pédan- tisme l'avait infecté, cette société célèbre y substitua la recherche et l'afféterie, expression naturelle d'une galanterie saus amour. — À l'apparition de Voiture, si ces défauts ne disparurent point, ils furent sensiblement diminués. Il fit de la correction de la langue son étude assidue. Sous son heureuse influence, le genre précieux fait place à la finesse et au badinage d'une galanterie ingénieuse et quelquefois ironique ; le goût commence à se former ; on entrevoit l'aurore des beaux jours promis = HU = à la littérature française... Mais hélas! Voiture meurt et le perfectionnement s'arrête ; les vices qu'il avait combat- tus renaissent ; le pédantisme reprend sa morgue , l’affec- tation ses recherches. « Rassurons-nous , s’écrie en finissant , l'auteur » du discours; rassurons-nous! le rideau du théà- » tre de Molière se lève sur les précieuses ridicules et » les femmes savantes! Silence donc! notre tâche est » terminée ; voilà le grand siècle qui commence! » Je ne m'arrêterai point ici, Messieurs, à d'inutiles éloges ; l’auteur les trouve bien honorablement impri- més dans la médaille où son nom , placé près de celui de l'académie, rappelle et la main qui traçca une œuvre élégante et judicieuse et la compagnie qui en récom- pense le mérite. Une courte citation prouvera que cette distinction était méritée ; l’auteur peint l'hôtel de Rambouillet. « L'hôtel Rambouillet! — A ce nom ne voyez-vous pas apparaître toute une société élégante et spirituelle? C’est le temple du goût ; la délicatesse, la galanterie, la poli- tesse, les grâces de l'esprit, toutes ces vertus de la vie intime, trouvent un sanctuaire dans ce brillant asile. Au dehors tout est grossier et brutal ; les orages politiques grondent dans les rues du vieux Paris; la borne de la rue de la Féronuerie est encore teinte de sang, le ca- davre du maréchal d'Ancre a laissé une trace récente sur le pont du Louvre, et déjà le cardinal de Richelieu a commencé, contre la reine-mère, ce terrible combat dont vous savez la fin. Au milieu de toutes ces préoc- cupations, fatigués des clameurs de la place publique et des violentes agitations de la cour, las d’user sans — 72 — cesse leur existence dans le tourbillon des affaires et des intérêts du moment, les beaux esprits, ceux qui aiment à vivre de la vie de l'intelligence, sortent de temps à autre de la foule, s’échappent des assemblées tumul- tueuses du Louvre, et viennent à l'hôtel Rambouillet, chercher le calme ami de la pensée, et une causerie fine et galante qui puise un charme toujours nouveau tantôt dans les vives étincelles d’un esprit facile, tantôt dans les délicates inspirations du cœur. » On respire ici un parfum pénétrant d'élégance et de recherche exquise ; on y sent l'influence d’un esprit su- périeur guidé par le bon sens, éclairé par le bon goût ; ses vues sont droites ; mais elles ne s’arrêtent pas à con- sidérer seulement l’ensemble de l’œuvre, elles descen- dent dans les détails les plus minces, elles embrassent scrupuleusement toutes les parties diverses du monument sans en négliger aucune ; — c'est un esprit subtil, délié, essentiellement analytique et amoureux de la forme, — c'est l'esprit d’une femme. » Catherine de Vivonne, marquise de Rambouillet , dès les premières années du dix-septième siècle, se sentant mal à l'aise dans le monde de la cour, au milieu des désordres des assemblées du Louvre, sortit brusquement de la foule pour n’y plus retourner. » C'était une organisation nerveuse et délicate, une vive intelligence, un esprit pénétrant et distingué, un cœur excellent dans lequel tous les beaux sentiments trou- vaient naturellement leur place. La vie heurtée et fié- vreuse du monde ne pouvait pas être la sienne; il lui fallait une société choisie, des sympathies justifiées par les solides qualités du cœur aussi bien que par les bril- lants mérites de l'esprit. — 73 — » Aussi vit-on alors cette femme jeune et belle, renon- cant aux succès nombreux qui l'avaient accueillie à la cour, prendre elle-même le crayon de l'architecte et tracer d’une main habile le plan de l'hôtel dont elle voulait se faire une retraite élégante (1). Rien n’é- chappe à son coup-d'œil, à son goût sûr, à son tact exquis : l'esprit de réforme, grâce à elle, s'étend à toutes choses, depuis le choix des couleurs dans les tentures jusqu’à la distribution des appartements, jusqu’à la forme et à la place des fenêtres (2), et Marie de Médicis en- voie les architectes du palais du Luxembourg étudier la belle suite de galeries et de salons et les dispositions intérieures de l'hôtel de Rambouillet. » Bientôt la vie cireule dans cette solitude avec la foule ; — mais qu’elle foule! — Les hommes les plus éminents, depuis le sévère Montausier, cet homme que l’ancienne Rome eût appelé Caton, jusqu’au jeune duc d’Enghien ; les femmes les plus brillantes, depuis la princesse de Condé jusqu’à la jeune M.lie de Bourbon, si célèbre de- (1) L'hôtel de Rambouillet fut construit sur le terrain de l'hôtel Pisani, près des anciens Quinze-Vingtz (aujourd’hui rue de Chartres et l’ancien Vaudeville). (2) « C’est la première (M.me de Rambouillet) qui s’est avisée de » faire peindre une chambre d’autre couleur que de rouge ou de tanné; » et c’est ce qui a donné à sa grande chambre le nom de la Chambre- « Bleue. » (T. des Réaux.) « La chambre bleue était parée d’un ameublement de velours bleu DAECHAUSSÉ ON EIIAT ER el lee re » . . . . Les fenêtres, sans appui, qui règnent du haut en bas, » depuis son plafond jusqu’à son parterre, la rendent très-gaie, et ÿ laissent jouir , sans obstacle , de Fair, de la vue et du plaisir du jardin. » (Sauval, antiquités de Paris.) — 74 — puis sous le nom de duchesse de Longueville. Là, c’est le cardinal: de La Valette, le comte de Guiche, le ma- réchal Schomberg ; plus loin c'est le comte d'Avaux, c'est Chavigny, c'est le président de Maisons, tous les grands noms de France, toutes les gloires de cette époque. Autour de la marquise de Rambouillet viennent se ran- ger ces femmes qui devaient, avec elle, avoir une si grande influence sur les mœars de leur siècle : au pre- mier rang, sa fille, la gracieuse Julie d’Angennes, di- gne objet de l’amour de Montausier et de l'admiration de tous, M."e de Sablé, Mme de Clermont, M.ve des Loges, Mile Paulet, la belle lionne aux cheveux d’or et à la voix enchanteresse, et tant d'autres qui viennent ap- porter à ces réunions les charmes de leur beauté et les grâces de leur esprit. Et comme toutes les aristocraties doivent ici avoir leurs représentants, voici maintenant le vieux Malherbe , Chapelain , Combaut, Vaugelas, les plus hautes célébrités littéraires de ce temps. » Ainsi s'est formé le dernier creuset par lequel la lan- gue française doit passer; ici elle perdra ses formes trop rudes, elle se dépouillera de sa raideur primitive ; l’é- légance , la délicatesse, l'énergie sans brutalité, la pré- cision, l'expression fine et juste tout à la fois, telles sont les qualités brillantes, inestimables qu’elle va ac- quérir, Travail difficile, réforme lente, laborieuse, pa- tiente qui s’accomplit jour par jour, à chaque instant, tâche immense enfin par la multitude de détails qu’elle embrasse ! — Et la reconnaissance de la postérité a fait défaut à cette œuvre si utile, si féconde en résultats ! On ne se souvient plus que du ridicule jeté sur les précieuses, et on oublie qu'il n'était donné qu'aux femmes peut-être, à leur sensibilité native et à leurs instincts — 475 — délicats de faire acquérir à la langue la plupart des qualités essentielles qui lui manquaient. » Tout est prêt; le firmament créé par Arthénice (1) brille dans la chambre bleue ; mais au milieu de ces astres une place est vide; cette place, c'est la première, la plus large, la plus haute, et aucun but ne pourra être atteint, aucun mouvement régulier ne pourra se faire tant qu'elle demeurera inoccupée ; lorsqu'elle sera remplie , au contraire , l’ordre et l’activité se répandront autour d’elle, et, — pardonnez-nous cette ambitieuse comparaison que le goût de ce temps n'aurait pas re- poussée, — les étoiles graviteront alors dans leurs brillants orbites autour de l’astre-roi, principe de vie, de cha- leur et de lumière. » Or, celui qui doit venir s'asseoir sur ce trône de l’es- prit, celui qui doit venir se poser en maître et sei- gneur au milieu de cette assemblée dont tous les noms retentissent , cet homme qui va régner, n’a pas vu le jour sous les lambris d’un palais; il n’a ni blason ni puissance ; il est né à Amiens (1598) dans une maison portant, dit-on, l'enseigne de je ne sais quel Pigeon blanc, c’est le fils d’un marchand de vin, suivant la cour, c’est un enfant du peuple; il se nomme VINCENT VoiTURE. » Telle est l’œuvre , Messieurs, que vous avez couron- née. Un mot suffit pour en résumer l'éloge : Voiture y trouve un hommage digne de sa mémoire. L'auteur est M. Gresse , homme de lettres à Amiens. (1) Nom donné par Malherbe à M.me de Rambouillet, — C'est une espèce d’anagramme du mot : Catherine. 13230800 6€EE— sarbréuse | of. la en re . posts rLAU Le A A po préciguans,. oi ii + dun qu ‘éux Fersen avct-être |A D cn où à roue bond LISTE DES MEMBRES RÉSIDANTS DE L’ACADÉMIE. MEMBRES HONORAIRES. MM. Le premier Présipenr de la Cour royale. Le PRÉFET de la Somme. L'Évêque d'Amiens. Le Marre d'Amiens. Le Procureur-GÉNÉRAL près la Cour roya'e. Le Recreur de l’Académie universitaire d'Amiens. LemercuIER # , docteur en médecine, médecin en chef des hospices St.-Charles et des incurables. Jourparx (Léonor }, professeur de belles-lettres et de langues vivantes Mazcer-Drsprez %, négociant, membre du Conseil gé- néral du commerce. SRE MEMBRES TITULAIRES MM. BARBIER %#, médecin en chef de l'Hôtel-Dieu , directeur de l’école préparatoire de médecine et de pharmacie, membre associé de l’Académie de médecine de Paris, etci etc. RicozLor , médecin ordinaire de l'Hôtel-Dieu , professeur à l’école préparatoire de médecine et de pharmacie, ete. Macnarr (Auguste) pêre #, conseiller à la Cour royale. ANSELIN , avocat à la Cour royale, doyen dn conseil de Préfecture, adjoint au secrétaire-perpétuel. Cneussey #, architecte de la ville et du département. Huserr %, inspecteur de l’Académie universitaire. CRETON , avocat à la Cour royale. Ogry, ancien avoué, avocat à la Cour royale. Pauquy, docteur en médecine , professeur à l'école pré- » | paratoire de médecine et de pharmacie. Decaïeu, conseiller à la Cour royale. MaroTTE #, secrétaire-général de la Préfecture. Duroyer %, Maire d'Amiens, Secrétaire-Perpétuel. Bourzer %, Le président de la Cour royale. Davezuy %#, négociant, président du tribunal et de la chambre de commerce. QUENOBLE #, président de chambre à la Cour royale. DewaiLzy, ancien propriétaire-cultivateur à Cagny. GaRNIER, professeur, conservateur de la bibliothèque communale. VGA ES Tavernier %, docteur en médecine, professeur à l’école préparatoire de médecine et de pharmacie. Damay 3%, procureur-général près la Cour royale. RousseL ( Martial), directeur de la maison de correction. PozLer , professeur de physique et de chimie au collége royal, etc. Bor, pharmacien, ete. Dugots (Amable), docteur en médecine, etc. ANDRIEU , docteur en médecine, etc. Daurxin, conseiller à la Cour royale. BreuIL (Auguste ), juge-de-paix. MaTiIEU , ancien négociant. FÉvez (Ferdinand ), docteur en médecine, etc. Bouruors, greffier en chef de la Cour royale, membre la Société des Antiquaires de Picariie. Hexrior (Hyppo'ite), ancien négociant. ALLOU , avocat. ForcEviLLe-DuvETTE , ancien négociant. 33H Q DEEE de = 44 — DR slooë't 6 auosmagrra oi en, swmto Je ananas vaT Mo RUE ab de sionbbn sb EL “Sleqor m6) si s61q lbabg-wsurong * ami Muioemai sbréériee et shhréstostibé hitirole } yreatredh 09 HE OMS AR SE SEPT PAIE ob Apocié de LE de Er i Pret MEFIP. ; F4) , jte f asiosaeifq AT LPPPTTR Nc hdi nn de ab pie à 'écalà ue Jeenb (oem E so Mäcéiée (regle PE ele TS : hotes voeu à 300,6! 6 palin nuapaf Préfecusre, adjoisl suriogeihéquper(euuÀ ) urosntl Onnuss y #, éréhitécte dé “faniotihne need é patient . += Hoter .93, ioniochème de ne Sendo cols audi sb sde 40 rsifr any, sodien crotisait.eh punto, | rer Pioocr, docteut em gr IE protuire de wiédorine et de phinadiisoors.sU0LLA Dvcsire . oomeillmaiodgstensiancy pirera oc Manorte 3%, seorélairé général de la, Préfeatope, ia Dexovin Maire: d'Amiens, Sndrétuèns d'orpétae). 1 Bocriwr, 4, Er prénident de Ja Goun voiles Ex É Dates 6 :négoclant robes ds lt LÉ tn chuabre dé, commerces € Quevins.e M, mrédden de. dhatibres la Cou: royale, Dewaitse, nant propriétaire Cain à Lagayn iassten; griiamEnennésentenr do la ‘bibiéthéqe rotmmunale “ LISTE ASSOCIÉS-CORRESPONDANTS DE L’ACADEMIE. a A — MM. Dumériz, membre de l'Institut, à Paris. Lagouisse, membre de la société des belles-lettres. BerviLe, A1. avocat-général près la Cour royale de Paris. Herpin, secrétaire de la société académique de Metz. Juzienx, directeur de la Revue encyclopédique, à Paris. Liapières, chef de bataillon du génie, officier d’ordon- nance du Roi, à Paris. DELEAU, médecin, à St.-Mihiel. DEJEAN, lieutenant-général, pair de France, à Paris. Mancon ne LALANDE, ancien directeur des domaines, à Paris. Duponr, colonel du génie, à Abbeville. Mourqurs, ancien préfet. Morin, médecin, à Rouen. PoxGERvVILLE (Sanson de), membre de l’Institut, à Paris. 31. — 482 — Bazer (Adrien), géographe, à Paris. JacquEmMyNs, médecin. BoucHErR DE PERTHES, directeur des douanes, à Abbeville. DAUVERGNE, pharmacien, ‘à Hesdin. Maro (Charles), homme de lettres, à Paris. Moreau (César), à Paris. D'Henpecourtr, ancien conseiller à la Cour royale d’A- miens, ancien membre titulaire. De Lacoste (Aristide), préfet des Bouches-du-Rhône. LouanprE, bibliothécaire et archiviste de la ville d’Abbe- ville. Le Gzay, archiviste du département du Nord, à Lille. Bureux , membre du Conseil général et maire de Fransart. PascALIs, ancien procureur-général à Amiens. Duranb , ancien recteur, ancien membre titulaire, à Paris. Hiver, avocat, membre du Conseil général , à Péronne. Burvour, membre de l'Institut, à Paris. Beucuor, littérateur, à Paris. PHicipparT, professeur d'agriculture, à Grignon. Fumerox D'ARDEUIL, ancien préfet, conseiller d'état, à Paris. Vivien, ancien membre tütulaire , ancien ministre de la justice, etc. SOULACROIxX, ancien recteur à Amiens , recteur de l’Aca- démie de Lyon. G£orGe, secrétaire de l'Académie de Nancy. Mercier , médecin, à Arras. BréGEAuT , pharmacien, à Arras. — 183 — BoisTez , professeur de seconde au collége Rollin, à Paris, De CayroL, ancien membre titulaire, à Compiègne. RAvENEL , sous-bibliothécaire de la ville de Paris. Dusois, sous-préfet, à Vitré. GÉNiN , professeur de la faculté des lettres de Strasbourg. MEAUME, ancien membre titulaire , ancien inspecteur de l’Académie universitaire. BosQuicLon DE FoNTENAY , ancien avocat général à Amiens, ancien membre titulaire, conseiller à la Cour royale, à Paris. n Mazcer DE CuiLiy, propriétaire, à Orléans, CouTuRE, père, conseiller à la Cour de Douay. Monnier, professeur de seconde à Gap. Gresser , l’ainé, à Abbeville, Mazzer (Charles), professeur de philosophie, à Versailles. PaLas, médecin militaire , à St.-Omer. Micuer-Beer, membre de la société philotechnique, à Paris BressEau, propriétaire, à Poix. La DoucertE ( baron de), secrétaire-perpétuel de la société philotechnique. IGxox, secrétaire-perpétuel de la société académique de Mende. Ravin, docteur en médecine , correspondant de l’academie royale de médecine, à St.-Valery sur-Somme. Duranp, professeur au collége Louis-le-Grand , à Paris. Bazennery (Frédéric), procureur du Roi, à Compiègne. — 184 — JouRDAIN (Youis), ancien membre titulaire, proviseur du collége royal de Toulouse. M.me DéÉvoix (Fanny), à Beauvais. GrRARDIN, professeur de chimie, à Rouen. DE MowtrÉmowr ( Albert }, homme de lettres, à Paris. Tizzerre DE CLERMONT-ToNNERRE, propriétaire , à Cambron. BoccuirTé , inspecteur de l’Académie de Paris, à Versailles. DELORME, ancien membre titulaire, professeur au col- lége Charlemagne, à Paris. CAHEN , traducteur de la Bible, à Paris. DE Morren (Charles), à Liège. Du Souicu , ingénieur des mines, à Arras. DE SANTAREM , ancien ministre en Portugal, à Paris. Lecanu, pharmacien, à Paris. Cozsox, chirurgien en chef des hôpitaux de Noyon. Lapourr, ancien procureur du Roi, à Doullens. CARESME, ancien membre titulaire, recteur de l’Aca- démie de Bourges. Fozzer , chirurgien militaire à l’armée d'Afrique. Macnarr (Auguste), ingénieur à Châteauroux. Harpouin, avocat à la Cour de cassation et au Conseil-d’Etat. LEBRETON Ÿ, ingénieur en chef des ponts-et-chaussées. —2323-0 © 0-€E<-e—- TABLE DES MATIÈRES. PAGES. DISCOURS sur la culture des beaux-arts, prononcé par M. Damay , Directeur de l’Académie COMPTE-RENDU des travaux de l’Académie, pendant l'année 1844-1845 , par le SECRÉTAIRE-PERPÉTUEL. ANALYSE d'un mémoire intitalé : sur le Développe- ment de la lumière; par un newtonien. Par M. PoLLer. MSN BAG ES EXPOSÉ de quelques modifications apportées à la méthode naturelle de Jussieu, par M. Pauquy, docteur en médecine . L DE LA CULTURE en Afrique, ce qu’eile est, ce qu'elle devrait être, par M. Amable Dusors DISCOURS sur l'importance des études archéolo- giques , par M. Bouruors 19 37 99 — 186 — PAGES. RÉFLEXIONS sur les lois anglaise et française , rela- tives au jeu, par M. QuenogrE, président à la Cour royale d'Amiens . ue DISCOURS sur [a réflexion considérée comme l’un des caractères distinctifs de l’homme, par M. Marmieu. NOTICE sur M. Louis Roussel, par M. Raoul Duvaz. UNE VIEILLE HISTOIRE, par M. Hipp. Henrior MAITRE AU LOGIS , comédie en un acte et en vers ; imitée de l’Allemand, par M. A. BREUIL à LA VENGEANCE DES FLEURS, imitation de Ferdi- nand Freiligrath , par M. A. BReui. LE PAPILLON , par M. S'-A. BERvILLE So RAPPORT sur le prix de sculpture, par M. ANSELIN. RAPPORT sur le concours pour le te de poésie, par M. Macnarr père. ; ne PIE: DISCOURS d'ouverture prononcé par N. MACHART fils, Directeur de l'Académie. COMPTE- RENDU des travaux del’ URPLPAS ue, l'année 1845-1846 , par le SECRÉTAIRE-PERPÉTUEL MÉMOIRE sur l'opération de la cataracte, par M. ANDRIEU : fers pri sr pole ee MÉMOIRE sur les éguivaene SA ALU par M. POLLET , sLlers el fu LONSOk MÉMOIRE sur le caleu! des déblais et remblais , par M. Macarr fils bhcs toto COMPTE-RENDU de l'ouvrage de M. Vivien , intitulé : Etudes administratives, rapport fait à l'Académie d'Amiens, par M. Daupuin, conseiller à la Cour royale . 109 283 305 a11 PIS TRES PAGES. EXAMEN de la loi sur le travail des enfants dans les manufactures, par M. Alp. HENRIOT . . . . 357 QUELQUES MOTS sur les nouveaux principes de sir Robert Peel , en matière commerciale, par M. MATHIEU . . ur re AC OT ER AR 01 MEMOIRE sur le goût dans l’industrie, par M. Hipp. MENRIOE do 0 NN ESA ER ER UN nt 0 DE LA COULEUR ET DE L'HARMONIE (extrait d'un ouvrage sur la peinture), par M. ANSELIN RE 02 RAPPORT sur la traduction en vers de l’Antigone de Sophocle , par M. E. Johanneau. Par M. Hugerr . 433 NOTICE sur M. Spineux , par M. Dusois . PR RAPPORT sur le concours d'éloquence, par M. MACHART pêre. . . RATER DT et A RAD LISTE des Membres résidants de l’Académie . . 477 LISTE des Associés-Correspondants de l’Académie. 481 Amiens. — Imprimerie de Duvaz et HermenrT, place Périgord, 1. COMPÉE: AM AU ay rage 0 M, M ut ® Eiudus édminispétiontfepport Fnét à | dentiis told, RS LA « —… " — + vs e pri re pa on dl Le TRS x Le 13 Fou Fr