JUN VV ÿ Nav vt, NU VV EX. «ce 1 CC. CR ETATS A. =, < LC. CC QE uC ECC AR F = J'UA — AR AIN V4 VO U VTT RU gUVE V XE x 4, Ts CRAN tn is CRT LES MÉMOIRES DE L'ACADÉMIE IMPÉRIALE DES SCIENCES, ARTS & BELLES-LETTRES DE CAEN. TURIN EE A ITS CHEZ A. HARDEL, IMPRIMEUR DE L'ACADÉMIE, RUE FROIDE, 2 1855. D ‘MÉMOIRES | DE L'ACADÉMIE | ax DE CAEN. MÉMOIRES L'ACADÉMIE IMPÉRIALE DES SCIENCES, ARTS & BELLES-LETTRES DE CAEN. A ECTS » CHEZ A. HARDEL, IMPRIMEUR DE L'ACADÉMIE, RUE FROIDE, 2. 1855. ee PT SEM ME CT AMG AD" 1 3Q AUAMIMIME AAUAA TR À sg 6 ,Atont ami 668 N'h 7 PRÉFACE. L'Académie de Caen, depuis qu’elle a publié son dernier volume (1852), semble être entrée dans une nouvelle phase , et avoir acquis plus d'importance : elle est devenue propriétaire. Deux de ses membres les plus regrettables, M. Le Sauvage et M. Lair, dé- cédés, l’un le 10 décembre 1852, l’autre le 2 janvier 1853, lui ont fait des legs dont nous devons consigner ici les termes. Dans le testament olographe de M. Le Sauvage , on lit : & & = « Je lègue à l’Académie des sciences, arts et belles- lettres de Caen une somme de douze mille francs dont l'intérêt accumulé servira à établir tous les deux ans un prix. Le sujet du concours sera choisi plus particulièrement dans les sciences physiques, d'histoire naturelle et médicales. » Le testament de M. Lair contient ce qui suit : « J'aurais bien désiré pouvoir consacrer à chacune des Sociétés savantes et littéraires de la ville de Caen, auxquelles j'ai l’honneur d’appartenir, une somme suflisante pour fonder des prix; mais ces VI PRÉFACE, « Sociétés étant nombreuses, je n'ai pu satisfaire « entièrement à mon désir, quelque vif qu’il fût. Je me « suis borné à offrir une somme de douze mille francs « à l'Académie des sciences, arts et belles-lettres et à « la Société d'agriculture et de commerce de Caen, « dont je suis un des fondateurs, et auxquelles j’ap- « partiens depuis cinquante ans. En conséquence, je « Jègue cette somme aux deux Sociétés pour qu’elles « distribuent , tous les ans, des prix sur des sujets de « littérature, d'agriculture et de commerce. « Elles disposeront , chaque année, et chacune à « leur tour, à commencer par l’Académie, de la « rente produite par les douze mille francs que ma « succession remettra, un an après ma mort, aux « Présidents des deux Compagnies, afin d’être placés « par eux en rentes sur l’État. J'ai une idée trop « avantageuse du bon esprit qui anime mes collègues « pour leur tracer un plan sur les sujets de prix à « proposer. Il me suffit de leur recommander d’avoir « toujours en vue l'intérêt public et l'honneur du nom « normand. » Dans une autre partie de ce même testament, M. Lair continue en ces termes : « J'ai fait frapper, en 1815, une médaille en « l'honneur de Malherbe. J'en ai déposé les coins à « l'Hôtel des Monnaies de Paris, le 25 janvier 1844, « sous le n°. 267. Je les lègue à la ville de Caen, enla « priant de donner, chaque année, une épreuve en « argent de cette médaille au jeune homme qui « remportera au collége le prix d'honneur de rhéto- « rique. Je réclame aussi de la ville d’autres épreuves PRÉFACE, VII « également en argent, pour les lauréats qui seront « couronnés par l’Académie des sciences, etc., de « Caen, à laquelle j'ai fait plus haut un legs pour dis- « tribuer, tous les deux ans, des prix au concours. » Les héritiers de M. Le Sauvage et de M. Lair ne faisaient aucune difficulté pour la délivrance des sommes léguées ; mais la Compagnie, qui était entrée dans le troisième siècle de son existence, qui avait obtenu des lettres-patentes de Louis XIV, et que la Restauration gratifia du titre de royale, n’était pas ce qu’on appelle une personne civile, et ne pouvait légalement recevoir; il fallait qu’elie fût reconnue comme établissement d'utilité publique. Les formalités une fois remplies. le décret ne s’est pas fait attendre. Rendu à Saint-Cloud , le 10 août 1853, il est ainsi concu : NAPOLÉON, par la grâce de Dieu et la volonté nationale, Empereur des Français, A tous présents et à venir, salut. Sur le rapport de notre Ministre Secrétaire d'État au département de l’Instruction publique et des Cultes ; Vu la demande formée par l'Académie des sciences , arts et belles-lettres de Caen, à l'effet VIIT PRÉFACE. d'être reconnue comme établissement d'utilité publique ; Notre Conseil d’État entendu ; AVONS DÉCREÉTÉ ET DÉCRÉTONS CE QUI SUIT : AXE. LES. L'Académie des sciences, arts et belles- lettres de Caen est reconnue comme établis- sement d'utilité publique. Les statuts joints au présent décret sont approuvés. AP 2 Notre Ministre Secrétaire d’État au dépar- tement de l’'Instruction publique et des Cultes est chargé de l’exécution du présent décret. Fait au Palais de St.-Cloud, le 40 août 1853. Signé : NAPOLÉON. Par l'Empereur, Le Ministre Secrétaire d'État au département de Instruction publique et des Cultes , H, FORTOUTL.. Pour ampliation : Le chef du Secrétariat, Signé : Cu. FORTOUL. Pour copie conforme : Le Conseiller de Préfecture Secrétaire-général , HUREL, Lei on JERRÉ PRÉFACE. IX Les formalités pour l’acceptation des legs de MM. Le Sauvage et Lair ayant à leur tour été remplies, un décret du 27 février 1854 a autorisé l’Académie à toucher les 12,000 francs du premier testateur. Voici la teneur de ce décret : « NAPOLÉON , par la grâce de Dieu et la volonté nationale, Empereur des Français, « À tous présents et à venir, salut. « Sur le rapport de notre Ministre Secrétaire d'État au département de l’Instruction publique et des Cultes; « Vu le décret du 10 août 1853 , aux termes duquel l'Académie des sciences, arts et belles-lettres de Caen a été reconnue comme établissement d'utilité publique; « La section de l'Intérieur, de l’Instruction publique et des Cultes de notre Conseil d'État entendue ; « AVONS DÉCRÉTÉ CE QUI SUIT : Ars « L'Académie des sciences, arts et belles-lettres de Caen est autorisée à accepter le legs d’une somme de 12,000 fr. qui lui a été fait par M. Le Sauvage, aux termes de son testament olographe en date du 24 octobre 1851, et aux clauses et conditions énoncées audit testament. Art. 2, « Le montant de ce legs sera placé en rentes sur l'État. Art. 3. « Notre Ministre Secrétaire d'État au département X PRÉFACE, de l’Instruction publique et des Cultes est chargé de l'exécution du présent décret. « Fait au palais des Tuileries , le 27 février 1854. « Signé : NAPOLÉON. « Par l'Empereur, « Le Ministre de L'Instruction publique et des Cultes, « Signé : H. FORTOUL. « Pour ampliation : « Le chef du Secrétariat , « Signé : Cu. FORTOUL. « Pour copie conforme : « Le Conseiller de Préfecture Secrétaire-général, « HUREL. » Les héritiers de M. Le Sauvage se sont empressés de verser la somme léguée à l’Académie; et, déduction faite des droits de mutation et des honoraires du notaire acquittés sur les 12,000 fr. , il restait entre les mains de M. le Trésorier, le 25 mars 1854, une somme de 10,784 fr. 20 c. Déposée à la Recette gé- nérale du Calvados, elle a servi quelques jours après à l’acquisition d'une rente sur l’État, de 540 fr. en k 1/2 pour °},. Une Commission , nommée pour rédiger le pro- gramme du premier concours, a fait son Rapport à lAcadémie, le 26 mai 1854; son programme, adopté dans cette séance, a été imprimé le lendemain et publié dans un grand nombre de journaux. Il va suivre cet exposé. LL PRÉFACE. XI Quant au legs de M. Lair , il est encore à payer. L’exécuteur testamentaire a paru plus d’une fois im- patient de verser les 12,000 fr. acceptés par l’Aca- démie et par la Société d’agriculture et de commerce; mais l’union des deux Compagnies , dans la clause ltestamentaire , n’a pas permis à l’une de toucher une somme dont la jouissance appartient à toutes deux alternativement. Or, la Société d’agriculture n’a été reconnue établissement d’utilité publique que dix mois après l’Académie, et l'autorisation demandée pour entrer en possession des 12,000 fr., légués par M. Lair, n’a pas encore été obtenue. Dès qu’elle le sera (nous en avons la certitude }, les deux Compagnies toucheront la somme qu’elles ont acceptée d'avance , et elles s’empresseront d’en consacrer le revenu à l'exécution des vues du testateur. Ces Compagnies, du reste, n’ont pas attendu les formalités légales, relatives aux 12,000 fr., pour rendre un éclatant hommage aux vertus de M. Lair. Leurs bureaux s'étaient entendus quelques jours après sa mort; en conséquence , la Société d'agriculture a pris, dès le 21 janvier 1853, une délibération con- signée dans son procès-verbal, et que nous croyons devoir copier ici : « La Société d'agriculture et de commerce de Caen, ayant décidé par acclamation , dans sa séance du 21 janvier dernier, qu’une souscription serait ouverte, sous son patronage, pour consacrer un monument simple et durable à la mémoire de M. Lair, son vénérable doyen, et ayant fait un appel aux XII PRÉFACE. autres Sociétés savantes de la ville, a arrêté, avec les délégués de ces Compagnies le programme suivant qui doit réaliser sa pensée : = « Un buste de grandeur naturelle, en bronze, d’après le portrait de M. Lair, dû à l’habile pinceau de M, Faucon (M"*. Pigault), sera solennellement inauguré dans le lieu ordinaire des séances des Sociétés savantes de la ville de Caen. « Le costume de ville, que portait habituellement M. Lair, sera celui de la représentation. « Au-dessous de la tête, un cartouche portera les nom et prénoms, ainsi que l'indication du lieu et date de la naissance, du lieu et date du décès. « Sur le socle sera gravée cette inscription , tirée : d'Horace : ...... Cui Pudor, et, Justitiæ soror, Incorrupla Fides, nudaque Veritas, Quando ullum invenient parem ? « L’inauguration aura lieu dans une séance s0- lennelle, à laquelle seront invitées les Sociétés savantes de a ville. « Les Sociétés correspondantes des cinq départements de l’ancienne province de Normandie seront priées de prendre part à celte solennité, en sy faisant représenter par des députations. « Une médaille d'or de lavaleur de 600 fr. est offerte par l’Académie des sciences, arts et belles-lettres et par la Socicté d'agriculture et de commerce de Caen , à l’auteur de la meilleure Notice biographique sur M. Lair. PRÉFACE. XIII « Les coneurrents devront adresser leurs manuscrits au Secrétaire de la Société d’agriculture , avant le 4e, mars 1854. Les membres de la Commission d'examen seront seuls exclus du concours. « La Société rendra son jugement dans une séance extraordinaire , tenue quinze jours au moins avant celle indiquée pour l'inauguration du buste, et le prix sera décerné dans cette même séance d’inau- guration, lors de laquelle l'ouvrage couronné sera lu, soit par son auteur lui-même, soit par un membre de l’assemblée. « Aucun autre discours ne sera prononcé. « Indépendamment de ce qui précède, la Société fera frapper une médaille de moyen module, portant d’un côté la tête de M. Lair, gravée d’après le buste, avec les dates de sa naissance et de sa mort en exergue; et, au revers, une couronne de chêne au centre de laquelle seront ces mots : A P.-A. LAIR L'AGRICULTURE RECONNAISSANTE. « Des exemplaires en bronze de cette médaille seront distribués aux souscripteurs et joints à tous les prix décernés par la Société, dans le courant de l’année qui suivra l'inauguration du buste. « Le présent programme sera imprimé et publié par les soins de la Commission déjà nommée, aux fins de préparer les moyens d’exécution. Cette Commission demeure ainsi composée : MM. BER- TRAND, président ; G. MANCEL, secrétaires DE XIY PRÉFACE. « GUERNON-RANVILLE ; PIERRE; DUFELGRAY ; TRAVERS ; « DONNET, chargé de recevoir et de centraliser les « fonds souscrits, » On voit, par ce qui précède, que le concours pour la Notice biographique sur M. Lair est fermé. Nous savons que deux concurrents sont en présence, et que la Commission ne s’est pas encore réunie pour juger leurs œuvres. Le buste, d’ailleurs , et la mé- daille sont toujours en projet, et les souscriptions annoncées et promises n’ont été versées qu’en partie. Nous en faisons la remarque, non comme uu reproche, mais pour fournir une occasion à quelques personnes de réparer un oubli involontaire. Tant d’affaires el de plaisirs préoccupent les hommes de nos jours ! Nous qui nous permettons d’avertir les autres, nous justifierons notre hardiesse par un aveu : nous sommes nous-même en retard. Le Secretaire de l’Académie , JULIEN TRAVERS. 3 avril 1855. RU * Le PRIX LE SAUVAGE. MÉDAILLE D'OR DE LA VALEUR DE HUIT CENTS FRANCS. TR pe re es. LL Née ec | L neue Éeatdr, pad qpeut bn, Reina, de por jones! + Bou eat vos ROM LEA Mes sue, vois Li Danone + ete ul a nd k aëur-wotnse ei CRAEAPAR Énehe 6 1 Le AE 0 | ; nr UT 4 # l sl PATENT ta v: 1 "v L L | , ; PROGRAMME DU PRIX LE SAUVAGE. L'Académie des sciences, arts et belles-lettres de Caen met au concours la question suivante : ACTION DE L'ÉLECTRICITÉ SUR L'ORGANISATION HUMAINE, DANS L'ETAT DE SANTE ET DANS L'ÉTAT DE MALADIE. Les concurrents exposeront d’abord, dans une rapide introduction , l’état actuel de la science. Quant au fond même de leur travail, ils ne devront pas se borner à une simple exposition de faits anté- rieurement constatés; ils seront tenus de présenter des résultats qui leur soient propres, soit pour appuyer ou infirmer des théories déjà émises, soit pour en établir de nouvelles. L'Académie, pour laisser plus de liberté aux con- currents, ne détermine pas tel ou tel point de vue spécial sur lequel leurs recherches pourraient se con- centrer ; mais elle désire qu’ils circonscrivent eux- mêmes leur question, et s’attachent plus particulière- ment à une de ses faces. Le prix consiste en une médaille de la valeur de ! PROGRAMME DU PRIX LE SAUVAGE. 800 francs, qui sera décernée dans la séance publique de 1856. j Les concurrents devront adresser leurs mémoires franco à M. Julien TRAVERS, secrétaire de l’Académie, avant le 1%. juillet 1856. Les mémoires devront être écrits en francais ou en latin, Les membres titulaires ou associés-résidants sont exclus du concours. 2 SÉANCE PUBLIQUE DU 24 NOVEMBRE 1853. La séance publique du 24 novembre s'est tenue dans la grande salle de l'Ecole de Droit, de 2 à 4 heures après midi. Le programme avait été arrêté ainsi qu'il suit : Discours d'ouverture, par M. Cara, président. Rapport sur les travaux de l’Académie , par M. Travers, secrétaire. Rapport sur le concours ouvert pour un prix à décerner à l’auteur de la meilleure Notice biographique et littéraire sur les deux Porée, par M. Hrpreau , professeur de lit- térature française. , Anecdote normande, par M. Taéry, recteur de l’Aca- démie. Deux pièces de vers, par M€, pe MonTaRan. DISCOURS D'OUVERTURE PRONONCÉ Par M. A. CHARMA, Président. ee ——istime Q D'Q-Q Qi MESSIEURS , Après les émotions toutes récentes d’une fête dont, cette année, tant d’heureuses circonstances concouraient à rehausser l'éclat , quand cette salle retentit encore des éloquentes paroles que vous y avez si vivement et si justement applaudies (1), vous nous trouverez bien téméraires sans doute d'élever ici la voix à notre tour et de nous exposer à une comparaison qui ne saurait nous être avantageuse. Aussi l’orateur qu'un usage (1) Nous voulons parler de la rentrée solennelle des Facultés qui eut lieu cette année dans la grande salle de la Faculté de Droit, le 16 novembre, et qui fut présidée par M. le Sénateur Le Verrier, inspecteur-général des études, On y entendit, outre les rapports 8 DISCOURS D'OUVERTURE. À antique et solennel oblige à subir le premier cette rude épreuve, se hâtera-t-il, avec votre agrément, de s’effacer lui-même, et d'appeler l’attention que vous voulez bien lui accorder, sur un sujet qui, je l’espère, ne vous en paraîtra pas indigne ; c’est de votre Académie des Sciences, Arts et Belles-Lettres que je vous demande la permission de vous entretenir. L'Académie, Messieurs, qui se présente aujourd’hui devant vous, entre, cette année même, dans son troisième siècle. Vous savez quand et par qui elle a été mise au monde. C'était en 1652, 17 ans après la fon- dation de l’Académie française (1). Quelques amis de la littérature et des arts, MM. de Grentemesnil, de Prémont-Graindorge , Halley , üGe Vicquemand et Moysant de Brieux (2) se rencontraient une fois la semaine, à jour fixe, chez un libraire nommé Lebour- geois, pour y lire la gazette et se communiquer leurs idées sur les ouvrages qui seraient, dans l'intervalle accoutumés de MM. les Doyens des Facultés de droit, des sciences, et des lettres et de M. le Directeur de l’École de médecine, une allocution de M. Le Verrier à laquelle répondit M. le Recteur, et un brillant discours de M. Georges Besnard, | (1) G'est la date qu’on assigne généralement aux premières réunions des savants qui sont regardés comme les pères de l’Académie ; toutefois je trouve dans le premier volume des Mémoires de l’ Aca- démie des Belles-Lettres de Caen, in-8°., 1754, p. 9, que cette Société littéraire commenca a se réunir en 1651, (2) Je ne puis songer à recueillir ici les détails curieux que l’his- torien futur de l’Académie devra nous donner sur ces différents per- sonnages : je ne veux que signaler en passant une des productions de l’un d’entr’eux. En 1662, Marie Yvon imprimait très-convenablement à Caen (ce qui aujourd’hui souffrirait peut-être quelques difficultés } DISCOURS D'OUVERTURE. 9 d’un lundi à l’autre, venus à leur connaissance. Ils ne tardèrent pas à se demander pourquoi, au lieu de se donner rendez-vous dans la boutique d’un libraire, ils ne se réuniraient pas plutôt chez l’un d’entr'eux. M. de Brieux demeurait au centre de la ville, sur la place Saint-Pierre; il offrit sa maison, aujourd’hui l'hôtel de la Bourse , à ses amis qui aussitôt s'y instal- lèrent. Le Gouverneur, M. de Montausier; l'Intendant, M. de Chamillart; le Lieutenant-général, M. de Mal- herbe furent informés du but de ces réunions qu’ils approuvèrent et autorisèrent; la modeste association put dès-lors fonctionner. Les séances se tinrent d’abord tous les lundis, de- puis quatre heures du soir jusqu’à sept (1). La pre- mière heure était abandonnée à une causerie familière sur les nouvelles du moment; pendant la seconde heure, on agitait quelques questions de littérature; le reste du temps était consacré à la lecture des pièces soit en vers soit en prose que les sociétaires présen- taient. Cependant la Compagnie faisait des recrues ; toutes les notabilités littéraires de la ville s’y affilièrent peu à peu, et le nombre des associés s’éleva bientôt à trente. On y remarquait des hommes éminents à des un poëme grec de 198 vers hexamètres intitulé, en grec bien entendu : Dialogue des Dauphins sur la naissance du Dauphin, premier-né du trés-illustre Louis, roides Français l'an de Jésus-Christ 1661 et signé Gnrenremesnis. La bibliothèque de Caen en possède un exemplaire. (1) Moreri ( Le grand dictionnaire historique, v°. caen ) dit : de- puis cinq heures jusqu’à sept ; mais il était mal informé, & 40 DISCOURS D'OUVERTURE. titres divers : ici, ce Métel de Bois-Robert dont notre collègue , M. Hippeau, nous racontait naguères avec tant de grâce la vie légère, bizarre, aventureuse (1) ; là , le futur évêque d’Avranches, Pierre-Daniel Huet, dont M. de Gournay a si patiemment étudié les œu- vres; plus loin, Samuel Bochard , qui meurt, comme l’a dit un de ses biographes, au champ d’honneur, c'est-à-dire en pleine Académie , au milieu d’une ar- dente discussion dans laquelle il s'était oublié pour ne songer qu’à la thèse qu'il avait à soutenir (2); et le profond Étienne Morin, et le savant Ménage, et le gracieux Segrais et d’autres encore dont l’histoire conserve le souvenir. Les réunions étaient , je le sup- pose, constamment présidées par le maître de la maison où elles se tenaient ; ce qui semble le prouver, c’est que, pendant ses vingt-deux premières années, de 1652 à 1674, la Société, quelle que fût son orga- nisation , si elle en avait une, n’était guères désignée que par le nom de son hôte; c'était l’Académie de M. de Brieux (3). En 1674, Moysant de Brieux laisse vide par sa mort (4) Voyezles Mémoires de l’Académie des Sciences, Arts et Belles- Lettres, pour l’année 1852, p. 413-416. On regrette que M. Hippeau: qui écrivait cette Notice pour l’Académie ait oublié de rappeler que Bois-Robert en était membre. (2) Voyez le Discours d'ouverture prononcé par M. de Fontette dans la séance publique que tint l’Académie des Belles-Lettres de {aen le 6 décembre 1753 : ce discours qui résume l’histoire de l’Académie depuis son origine jusqu’à cette époque, ouvre le pre- mier volume des Mémoires de la Compagnie. (3) Voyez, pour cette première période de l’histoire de l’Académie, FL DISCOURS D'OUVERTURE. al le trône académique qu'il avait dignement occupé. Après un court interrègne , pendant lequel la Société, quoiqu’elle eût alors M. de Matignon à sa tête, parait s'être gouvernée elle-même, Segrais s'empare du sceptre, en recevant chez lui ses collègues , et l'Aca- démie de M. de Brieux devient l’Académie de M. de Segrais. C’est encore un beau règne , Messieurs, et sous lequel la Compagnie ne dégénère point ; elle pa- rait même en progrès, du moins sous le rapport du nombre ; le secrétaire d'alors , l’abbé Belin, curé de Blainville, et, d’après lui, M. De La Londe qui nous est bien connu, grâce à l’excellente notice de M. La- trouette (1), y comptent, à cette époque , trente-neuf volontaires (2), prenant tous une part active à l’œuvre qu'ils accomplissent en commun (3). dans Mosanti Briosii poematum pars altera , Cadomi, J. Cavelier, 4669, in-18, la première des sept lettres qui terminent le volume , p. 101-108 ; ou, à son défaut, G. Mancel, Biographie de Moisant de Brieux , fondateur de Ll'Acudémie de Caen, dans les Mémoires de l'Académie des Sciences, Arts et Belles-Lettres de Caen, pour l’année 4845, p. 333-347. (4) Voyez cette Notice biographique dans les Mémoires de l’Aca- démie pour l’année 1851, p. 29-46, el surtout la publication à part que M. Latrouette en avait faite, en 1850, et qu'il avait enri- chie de notes qui manquent à l'édition donnée au nom de Ja So- ciété, (2) « Il n’y avait point d’autres statuts que ceux que dictait l’émulation, Le bon goût seul en était le protecteur. C'était une Académie de volontaires que la liberté ne rendait que plus assidus et plus laborieux. » De Fontette, Discours d'ouverture (voy. supra, p. 8, note 2), p. 6. (3) J'emprunte ces détails à un manuscrit de seize pages, pelit 42 DISCOURS D'OUVERTURE. En 1701 , les lettres perdent Segrais. L'Académie ne restera pas pour cela sans asile et sans direction. Le président de Croisilles lui ouvre son hôtel , et l’in- tendant Foucault en accepte le patronage. Un homme comme Foucault ne touche pas à une institution sans y laisser son empreinte. Sous sa main puissante, la So- ciété qui n’avait eu jusque-là que des formes indécises, se donnera une constitution. Désormais elle comptera trente titulaires et six surnuméraires qu’on choisira dans les congrégations religieuses dont les statuts ne leur permettaient pas d’y entrer à un autre titre. Le bureau se composera d’abord d’un protecteur qui ré- sumera en lui tous les pouvoirs; ensuite , d’un direc- teur qui présidera les séances en l’absence du chef suprême; puis, d’un secrétaire, et enfin d’un lecteur. Cette dernière fonction ne sera pas une sinécure. La Compagnie qui se réunira en séance particulière une fois la semaine , donnera tous les mois une séance publique dans laquelle celui de ses membres à qui cette tâche incombera, lira les productions de ceux qui pour une raison ou pour une autre ne pourront se lire eux-mêmes. Cette organisation ainsi arrêtée, l'intendant appellera sur elle les faveurs de l’État. Au lieu de cette existence tout au plus tolérée dont elle avait dû sé contenter, elle aura une existence légale ; elle prendra rang parmi les corps savants dont le Gou- vernement , en les reconnaissant, assure la durée. En in-folio, rédigé par De La Londe, et intitulé : Mémoires pour servir à l’histoire de l’Académie des Belles-Lettres de Caen , par M. De La Londe, membre de cette Académie, que son petit-fils, M. de For- migny, a bien voulu me communiquer. + + DISCOURS D'OUVERTURE. 43 4705 (cest la date de cette seconde naissance), F4, e Louis XIV lui accorde des lettres-patentes qui l’insti- ‘tuent et l’établissent à perpétuité dans la ville de Caen : ces mêmes lettres en nomment l’intendant Foucault protecteur , et l’abbé Belin secrétaire (1). Tant que M. Foucault et après lui son fils, M. de Magny , présidèrent aux destinées de l’Académie (2), elle se maintint sur le pied où elle s'était précédem- ment placée; c'était, comme le reconnaissent tous les contemporains , une des Sociétés savantes de l'Eu- rope qui déployait le plus d’activité et réunissait le plus d'hommes éminents dans son sein. Mais lorsque le père d’abord et ensuite le fils lui eurent été en- levés, de mauvais jours se levèrent pour elle. Le président de Croisilles qui la logeait chez lui, abusa de l'influence que lui donnait cette fâcheuse dépen- dance pour violer ses réglements et se constituer lui- même , sans la consulter , son directeur perpétuel (3). (1) Ces lettres-patentes et les statuts de l'Académie qu’elles auto- risent sont deux pièces d’une importance capitale pour notre histoire ; on en trouvera un exemplaire, à Ja bibliothèque de Caen, dans un volume de pièces diverses tant imprimées que manuscrites, recueillies par le P. Martin. (2) Ce fut en 1709 que M. de Magny, en quittant l’intendance de Caen, se sépara de l’Académie, qu'il semble avoir sincèrement re- greltée. (3) C'est ce que j'apprends de quelques passages d’une corres- pondance inédite (M. Abel Vautier, qui en est le propriétaire, a bien voulu m'en donner communication) de l’évêque d’Avranches “avec son neveu, M. de Charsigné, procureur-général au bureau des finances à Caen. L’oncle et le neveu faisaient partie de l’Académie. « Le P, Brumoy, jesuite (écrit Huet à M. de Charsigné, le 25 oc- 4 14 DISCOURS D'OUVERTURE. De ce moment, les liens de confraternité qui unis- saient entr’eux les membres de la petite république se relâchèrent; les réunions, que les fréquentes absences de l’autocrate rendaient d’ailleurs de plus en plus dif- ficiles, devinrent de plus en plus rares, jusqu’à ce qu’enfin elles s’interrompirent. C’est, Messieurs, à l’année 1714, date néfaste pour nous, que se rap- porte ce triste événement; il faut voir avec quelle dou- leur les académiciens du temps, De La Londe entr’au- tres, le déplorent (1)! tobre 1713), m'est venu voir venant de Caen. Il m'a dist bien du bien de vos garçons. Il m'a dit que l’Académie de Caen est entiè- rement tombée et que le sujet de sa décadence est que M. de Croi- silles se porte pour protecteur et prend un fauteuil et la place d'honneur sans la donner aux autres. » Dans une autre lettre du ! même au même, en date du 23 mars 1713, on lisait déjà : « Vous m'avez mandé que M. de Croisilles a si bien fait qu’il s’est enfin rendu directeur perpetuel de votre Académie. Il a fort bien fait puisque vous voulez bien le souffrir. Car le remede est entre vos mains. Qui vous empesche de demander la raison qui a empesché que suivant l’usage et les statuts on n’ait pas pracédé à l'élection or- dinaire des ofliciers ; que si cela se néglige, il n’y a plus d'Académie, et que vous requerez au nom de toute l’Academie qu’on face inces- samment une convocation ad hoc. Y a-t-il quelqu'un qui ose s’op- poser à une demande si juste ? » (4) « Les feuilles (manuscrites) que M. Belin (secrétaire de l'Académie) m’avoit remises avec les lettres-patentes imprimées ne font plus mention des années 1712 et 1713. Il y eut cependant quelques séances ; car j'y ai trouvé le nom de M. Aubert, professeur de philosophie du collége des arts, qui fut choisi directeur pour 4744 ; ce fut au commencement de cette année que les académiciens cessèrent de s’assembler. Depuis M. de Brieux jusqu’à ce moment , l'Académie avoil continué de tenir exactement ses séances ; il étoil y DISCOURS D'OUVERTURE 15 Cette mort apparente se prolongea durant l’espace de dix-sept ans. Ce fut monseigneur de Bayeux, Albert de Luynes, qui, en 1731 , ayant à peine pris possession de son siège, accepta la rude tâche de protéger et préalablement de relever l’Académie tombée. Il se mit donc à en recueillir les débris; il l’installa dans son palais, présida ses réunions, lui témoigna en toute occasion l'intérêt le plus vif, la plus affectueuse bien- veillance, Mais toute cette bonne volonté ne put rendre à ce corps si long-temps engourdi sa vivacité pre- mière (1). Les séances étaient peu suivies et mal remplies. On fut même obligé d’en venir d’une part aux mesures de rigueur pour réunir huit ou neuf bien triste de la voir finir après soixante-deux ans d’assiduité ; mais ce serait se tromper de croire qu’elle fut éteinte entièrement... » De La Londe, Mémoires pour servir à l’histoire de l’Académie des Belles-Lettres de Caen , p. 40. (1) Il faut dire aussi que le bon accord qui existait d’abord entre Mgr. et l’Académie avait été troublé par quelques incidents fàcheux, M. de Luynes avait maintenu comme membres de la Société tous les protestants qu’il y avait trouvés; mais il avait exprimé l’intention de n’en plus admettre à l’avenir « à moins d’un mérite rare : à cet égard nos académiciens en usèrent, dit le père André ( Recueil Mezerai, p. 193), d'une manière assez malhonnêle vis-à-vis du prélat et en son absence, sans l'en prévenir, en adoptèrent plusieurs autres ». Voilà pour les procédés de l’Académie à l'égard de son protecteur : voici pour ceux du protecteur à l'égard de l’Académie : c’est le même père André qui parle; je copie sa note textuellement : « Assemblée extraordinaire de l’Académie convoquée par M. de Luynes : se fait attendre long-temps; et puis envoie faire des excuses de ne pouvoir venir : on sçut qu'il étoit allé à Lyon (sic, Lion-sur- Mer, près Caen) pour une partie d'échecs ; les académiciens très- choqués, » 16 DISCOURS D'OUVERTURE. membres sur trente-cinq ou trente-six, et de l’autre aux expédients, c'est-à-dire aux discussions orales qui dégénérèrent bientôt en conversations désordonnées et tumultueuses , pour que les procès-verbaux eussent quelque chose à mentionner (1). De l'administration toute paternelle, mais peu vivifñante de l’évêque, un seul détail est resté, qui révèle pourtant dans l’Aca- (1) Dans le procès-verbal officiel de la séance particulière du 29 novembre 1736 « ou presidoit monseigneur le protecteur » je lis ce qui suit : « Ensuite sur ce qu'il a été representé que souvent il ne se trouvoit point assés d'ouvrages pour remplir les séances particu- lières il a été convenu que ceux de M". les académiciens qui liroient quelques livres nouveaux en feroient un rapport sommaire à la Compagnie; que l’on nommeroit même quelquefois un des académi- ciens pour lire les nouveaux livres qui meriteroient quelque atten- tion et pour en rendre compte dans les assemblées particulières afin de rendre ainsi le travail d’un seul utileà plusieurs; que M". le di- recteur en fonction proposeroit de tems en tems queiques queslions à résoudre dont la discussion ne demande pas un trop long détail et qui puisse cependant exercer agréablement l'esprit en lui faisant acquérir des connaissances utiles : que l’on prendroit communication des Journaux des Scavants et que l’on discuteroit plus au long les matières qui y sont indiquées. »…… Une autre pièce du même genre constate qu’à l'ouverture de la séance publique du 13 novembre 1749, il ne s'était trouvé que 9 académiciens et qu’à celle du 20, dans laquelle on devait élire un nouveau directeur, il s’en était présenté un si petit nombre qu’on n'avait pas jugé convenable de procéder à cette élection : on avait donc décidé « qu’il y auroit une délibération sur les moyens les plus convenables au rétablissement du bon ordre ». Journal de l’Académie royale des Belles-Lettres de Caen, commencé le jeudy 48 novembre 1734 jour de La rentrée de l'Académie , ms. qui contient les procès-verbaux des séances jusqu’au 13 janvier 1763, et que son propriélaire a bien voulu me commu- niquer. DISCOURS D'OUVERTURE. 4ÿ] démie la conscience plus prononcée qu’on ne serait disposé à le croire , de sa personnalité , c'est le cadeau que son protecteur lui fait, sur sa demande, d’un sceau et d’un cachet à son usage (1). Vingt - deux longues années s’écoulent pour la Compagnie dans ce demi-sommeil où elle se complait. (4) « Aujourd’huy 29 febvrier 4748... la Compagnie a chargé le “secrétaire d'écrire à Monseigneur le protecteur touchant la nécessité d’un sceau pour l’Académie... Aujourd’huy 44 de mars 4747 (sic. 1. 1748), le secrétaire a lu une lettre de Mg”. le protecteur, lequel demande le gout de l’Académie par raport au sceau ou ca- chet qu’il entend faire executer pour l’usage de la Compagnie; sur quoy ayant été délibéré, il a été convenu de supplier Mg”. le protec- teur de faire graver la devise prise par l’ancienne Académie, sur un cachet un peu plus grand que les cachets ordinaires, de manière que le dit cachet puisse servir à deux fins... Aujourd’huy 27 juin 1748... le secrétaire a présenté a la Compagnie le sceau et le cachet qui luy ont été addressés par Mg’. le protecteur pour l'usage de l’Académie. » Journal de l Académie royale , ci-dessus cité, p. 44, note 1.— Je ne connais ni cette ancienne devise de l’Académie, ni le sceau et le cachet qui ont dû la reproduire; ce sont des sou- venirs que conservent, s’il en existe encore, les Lettres d'association ou diplômes, délivrés, sous M, de Fontette, aux correspondants. Depuis sa renaissance en 4801, elle a eu deux cachets; le premier, dont je trouve l'empreinte sur ses publications de 1805, 1821, 1896, etc., représente le génie des lettres assis sur un nuage et tenant à la main une guirlande de fleurs dont il pare le fronton d’un temple, celui des muses sans doute : au bas se lisent ces mols : ACADÉMIE DE Caen ; le second , que je regrette de ne pas voir figurer sur les vo- lumes qu’elle publie, représente d’un côté la figure de Malherbe avec ces MOIS : ENFIN MALHERBE VIT ; de l’autre une sorte de cou- ronne dont le champ est occupé par ces mots : ÉTUDE EF AMITIÉ, et qu’enveloppe cet exergue : AGAD. DES SCIENCES ARTS ET BELL. LETTRES DE GAFN; l’Acedémie en doit le coin à la générosité de M, Lair. 18 DISCOURS D'OUVERTURE. Mais, en 1753, lorsque Monseigneur de Bayeux est promu à l’archevêché de Sens, deux circonstances heureuses la tirent tout-à-coup de sa torpeur. Jusqu'ici l’Académie , comme vous l’avez vu, n'avait pas de demeure fixe; elle plantait sa tente là où la générosité, je dirais presque la charité d’un maître lui permettait un moment de s’asseoir. L'administration municipale (nous ne saurions trop, Messieurs, l'en féliciter et l’en remercier) l’affranchit de cette hu- miliante tutelle; en 1753 , elle offre aux muses errantes une salle modeste, mais où elles s’établissent en pleine sécurité et d’où elles ne craignent plus d’être expulsées par la mort ou le caprice d’un homme (1). Et comme si un bonheur devait toujours en amener un autre, au moment où M. le maire, Blouet de Than (c'est un nom à retenir), relevait l’Académie à ses propres yeux en l’associant plus étroitement à la vie (4) « Aujourd’huy 7 de novembre 1753, dans une séance extra- ordinaire tenue chés M", De La Ruë exdirecteur.. mon dit sieur De La Ruë a communiqué à la Compagnie... une copie de délibération faite à l’hotel de ville le 5 de ce mois, a luy remise par M. Blouet, maire de la dite ville et membre de cette Académie. » Notre Journal n’en dit pas davantage ce jour-là, mais bientôt il s’expliquera. « Aujourd’huy, neuvième jour de novembre 1753, l'Académie s’est assemblée chez M. De La Ruë... M. De La Ruë a de nouveau donné lecture de la lettre et de la délibération mentionnée dans la précé- dente [séance] ; sur quoy ayant été délibéré, la Compagnie. a estimé et déterminé unanimement qu'il luy est avantageux d’avoir un lieu fixe pour ses séances tant publiques que particulières. Pourquoy elle déclare qu’elle accepte avec beaucoup de reconnoissance le logement que M'°. les Maire et Echevins veullent bien luy accorder dans l'hotel de ville... » DISCOURS D'OUVERTURE, 19 municipale, un magistrat se rencontrait qui allait verser dans ses veines glacées et y faire rapidement circuler le feu de la jeunesse. L’intendant de la géné- ralité, Orceau de Fontette, qu’il faut mettre au premier rang parmi nos bienfaiteurs, remplace comme vice- protecteur Mgr, de Luynes à qui, par une louable déférence, la Compagnie conserve le protectorat. Aussitôt un mouvement marqué se manifeste ; la Société se complète au-dedans; au-dehors, elle s'étend et se ramifie; plus d’un nom glorieux est inscrit dans ses cadres, et des académies justement considérées s’ho- norent de correspondre avec elle (1). M. de Fontette fit plus encore; nous lui devons un privilége qui fut (1) Entre les lettres-patentes de 4705 et l’avénement de M. de Fontette au protectorat en 1753, l'Académie avait apporté quelques modifications à son organisation : outre ses trente titulaires et ses six surnuméraires, elle pouvait reconnaître 4°. des vétérans ou académiciens émérites ; 2°. des membres honoraires dont, par une délibération du 6 décembre 1752, le nombre est réduit à deux, et qui ne me paraissent se distinguer des titulaires que par la qualifi- cation qu'ils portent ; 3°. des associés ; nous les appellerions aujour- d'hui correspondants ; le nombre n'en était pas limité. Entre les noms célèbres à divers titres que l’Académie doit à M. de Fontette, je remarque le comte de Tressan, lieutenant-général des armées du roi, membre des Académies royales des Sciences de Paris, de Lon- dres, de Berlin, d'Édimbourg, etc., etc.; le président Hénault; le duc de Saint-Aignan; Fréron ; De La Lande, etc., etc. L’Aca- démie royale de Nancy, avec laquelle, comme on disait alors, l’Académie royale des Belles-Lettres de Caen était associée ( procès- verbal de la séance du 44 novembre 1754) lui envoie (procès- verbal de la séance du 43 novembre 4755) « un exemplaire en trois volumes de ses Mémoires, » 20 DISCOURS D'OUVERTURE, dans notre existence académique une véritable révo- lution. La Société avait beaucoup travaillé, beaucoup pro- duit, malgré ses heures d’affaissement et de repos, pendant le siècle que déjà elle avait mesuré. La poésie, l'histoire, la critique littéraire, la jurisprudenee, la philosophie, et même les sciences naturelles qui d’abord consignées à la porte se la firent enfin ouvrir (4), y avaient été dignement et largement représentées. Mais que devenaient ces piquantes lectures, ces savantes dissertations, ces curieux mémoires? La solennité qui en avait été décorée les voyait naître et les voyait mourir. Je ne connais avant l'avènement de M. de Fon- tette que trois publications provenant en tout ou en partie non pas de l’Académie, mais de quelques-uns de ses membres qui n’en étaient certes pas l'expression la plus haute et la plus vraie : ce sont 1°. un Discours prononcé le 22 novembre 1708 à l'ouverture de l’Aca- démie des Belles-Lettres de Caen, par M. Hébert, ecclé- siastique, lecteur de cette académie, in-4°. de 15 pages, imprimé à Caen, en 1709, chez Francois Vauvrecy, demeurant à Froiderüe; œuvre médiocre dans laquelle (4) « Cette Académie des Belles-Lettres s'étant renfermée dans l'étendue de ce terme, les matières de physique et de mathéma- tiques n’y furent point admises. C’est ce qui engagea quelques membres de ce corps qui avaient du goût pour ces dernières sciences, d’ériger, à l’occasion de la comète de 1664, une petite Académie particulière qui tint ses assemblées chez M. Huet, qui a été dans la suite évêque d’Avranches. On destina à ces assemblées l’après-dinée du jeudi de chaque semaine. » Moreri, Le grand dic- tionnaire historique , V°. CAEN, DISCOURS D'OUVERTURE, 21 l’auteur fait l'éloge obligé de Louis XIV et qu’il dédie aurévérend père Le Tellier, confesseur du monarque; — 2, un Discours prononcé a l’Académie royale des Belles- Lettres de Caen, par M. le chevalier de St.-Jory, le jour de sa réception, le18 janvier 1731, in-4°. Ge 4 pages, imprimé à Caen la même année chez la veuve de Ga- briel Briard, rue Froiderüe ; le récipiendaire y rappelle en quelques lignes les titres académiques de Maltot d’Auval dont il venait occuper le fauteuil (1); — 3°. des Nouvelles littéraires pour l’année 1741, in-8°. de 430 pages, de l’imprimerie de la veuve Godes-Rudeval, grande rue St.-Étienne, et qui paraissaient feuille par feuille au prix de trois sous chaque ; on y trouve, au milieu d’un grand nombre de morceaux en prose et en vers, étrangers à la Compagnie, les comptes-rendus de ses séances publiques pendant l’année 1740-1741 et plusieurs des pièces qu’on y avait entendues. N’était-il pas à désirer, Messieurs, dans l'intérêt commun des écrivains dont l’Académie était fière, de la cité sur laquelle leur célébrité devait rejaillir, des lettres et des sciences aux progrès desquelles leurs travaux ne pouvaient pas ne pas contribuer, que la Société, plus soigneuse de sa gloire , se chargeât elle- mêwe de recueillir ses productions et de les répandre? Mais il lui fallait, pour livrer ses œuvres à l'impression, (1) Peut-être faut-il prendre ce mot à la lettre; on dirait que chaque titulaire avait à l’Académie de Caen, comme à l’Académie francaise, sa place marquée, sinon numérotée : c’est du moins ce que j'induis de ce passage des Mémoires de De La Londe : « 1747. M, De La Londe, qui s’éloit absenté de l’Académie depuis 1734, reprit son ancienne place. » 9 22 DISCOURS D'OUVERTURE. une autorisation expresse du prince, et cette auto- risation, elle ne l'avait point. M. de Fontette qui en sent tout le prix, la demandera et l’obtiendra pour elle. Ce fut un de ses plus heureux jours que celui où furent déposées sur le bureau, en mars 1754, les lettres-patentes du roi qui, voulant favorablement traiter sa bien amée Académie de Caen, lui permet de faire imprimer, pendant quinze années consécutives, par tel imprimeur qu’elle choisira, tous les ouvrages qu’il lui conviendra de faire paraître, en tels volume, forme, marge, caractères et autant de fois que bon lui semblera. Ce même jour, séance tenante, l’Académie s’entendait, pour ses publications futures, avec Jacques Manoury, libraire, grande rue St.-Étienne, et dans l'intervalle de huit années, de 1754 à 1762, cinq bons volumes etune brochure in-8°., contenantses Mémoires, sortaient des presses de Pierre Chalopin qui demeurait rue Froiderüe, dans la maison même que notre im- primeur, M. Hardel, occupe aujourd’hui (4). Nous venons, Messieurs, de traverser la plus bril- lante période de notre histoire; c’est en quelque sorte notre âge d’or. A partir de 1762, l’Académie, comme si les travaux des huit années précédentes l’avaient épuisée , se repose et même se néglige. Une des raisons (1) Le privilége du roi et la cession de ce privilége pour le temps de cinq ans au sieur J. Manoury, sont imprimés en tête du premier volume des Mémoires de l'Académie. — En 1760, ce privilége passe aux mains de Gilles Le Roy, pour en jouir jusqu’au 3 fevrier 4769, jour de son expiration ( Journal de l’Académie, au bas de la Liste des Académiciens vivants lors de l'ouverture de l'Académie du Jeudy h°. décembre 1760). DISCOURS D'OUVERTURE, 2 Lu] 9 J peut-être qui contribuèrent à ce découragement marqué, c’est la tendance qui emportait alorsles esprits vers les questions d'économie politique ; tendance que M. de Fontette, sans mauvaise intention à coup sûr, faisait de plus en plus prévaloir au sein de la Société. Cinq prix (c’est à lui encore que cette heureuse in- stitution est due) avaient été successivement proposés et donnés à ses frais, au meilleur mémoire sur des questions qui toutes se rattachaient soit à la culture du pommier en particulier, soit aux intérêts plus généraux de l’agriculture et du commerce dans la Basse-Nor- mandie (1). L’un des lauréats, le procureur du roi (4) Voici les questions proposées, comme nous les donne notre Journal : —1°. 7 juin 1759. M. De La Londe a lu l'annonce du prix dont M. le vice-protecteur veut récompenser celui qui aura mieux réussi à démontrer, savoir : S’il est plus nuisible qu'avanta- geux de planter en Normandie des pommiers destinés à produire du cidre dans une bonne terre propre au labour; ce prix sera une médaille d’or de la valeur de 300 Ÿ;— 2°. 6 décembre 1759. M. le vice-protecteur a annoncé que le sujet du prix de l’année prochaine serait : La meilleure manière de planter et de profiter de la récolte des pommiers ; — 3°. k décembre 1760. M. de Fontette annonca le sujet du prix proposé pour l’année prochaine, qui a pour titre : Quelles sont les branches d'agriculture qui sont ou qui seraient Les plus avantageuses en Basse-Normandie ? — 4", 3 décembre 1761, M. de Fontette parla de l'arrêt du Conseil du 46 août 1764, dont l’objet est de favoriser les défrichements... et c’est pour entrer dans ses vues que l’Académie propose pour sujet du prix de l’année 1762 : Quels sont les moyens de vaincre juridiquement , sans frais et sans nuire aux intérêts des propriétaires , les obstacles que la confusion et l’incertitude des droits de propriété apporte au défrichement des terres incultes ?— 50, 2 décembre 1762 : M. le vice-protecteur an- nonça pour sujet du prix de l’an 1763 : Quelles ont été les révolu- tions du commerce dans la Basse-Normandie et que peut-on faire pour le rendre aussi florissant qu’il en est susceptible ? 2h DISCOURS D'OUVERTURE, pour les eaux et forêts, M. Rouxelin, devait même à ce succès non-seulement son entrée à l’Académie , mais encore les importantes fonctions de secrétaire dont il avait été immédiatement investi. Ce caractère pratique avait son bon côté sans doute ; mais enfin, tandis que les hommes positifs parlaient impôts, po- pulation, défrichement, manufactures, eaux-de-vie de cidre et de poiré, la poésie, l’éloquence et même la philosophie s’enfuyaient à tire-d’ailes, et bientôt tous eesgrands problêmesse discutaient dans le désert. Nous ne voyons même pas que nos économistes (l’Aca- démie avait-elle perdu son privilége faute d’en avoir demandé après les quinze années expirées le renouvel- lement?) aient songé à publier leurs élucubrations. Pour ma part, je ne connais, dans le dernier siècle, après la brochure de 1762 , d’autre publication, rap- pelant qu’il existe à Caen une Académie, qu’un Discours lu dans une de ses séances par M. Foucher, docteur en médecine, Sur l’analogie qui existe entre les vertus civiles et les talents littéraires ; elle est de 1765 (1). Ici, Messieurs, s'arrête cette page d'histoire an- cienne que je me proposais de vous donner. Ge qui s’est passé depuis la chûte de l’Académie en 93 avec le système auquel elle était liée et dont elle devait (4) « Analogie visible entre les vertus civiles et les talens litté- raires, par M. Foucher, docteur en medecine et licentié ès loix, ou caractère de l'homme de lettres en titre du côté des mœurs, pour servir de suite au discours de réception du même auteur à l’Aca- démie royale des Sciences et Belles-Lettres de Caën. M.DCC.LXV.» Tel est le titre exact et complet de cette composition ; c'est un iu-8 . de 66 pages sans nom de ville ni d'imprimeur. DISCOURS D'OUVERTURE. 25 partager le sort; son rétablissement en 1800 sous le général Dugua, préfet du Calvados; les accroissements que, depuis, chaque année lui apporte, tout cela vous est assez conpu, Mais il est un évènement d’une date récente, qui intéresse au plus haut degré notre avenir, qui complète notre individualité académique, et qu’en terminant je me fais un devoir en même temps qu’un bonheur de vous signaler. L'Académie, Messieurs, elle est loin d’en rougir, a vécu jusqu'ici dans un état voisin de l’indigence; elle a Su, il est vrai, à force d'économie, satisfaire et au- delà à toutes ses obligations ; mais enfin elle n’a pas pu ne pas reconnaître en plus d’une occasion qu’un peu d’aisance lui eût donné le moyen de mieux faire. C’est ce sentiment, que nous éprouvons tous, qui à déterminé deux de nos plus honorés et de nos plus regrettés collègues, M. Pierre-Aimé Lair et le savant docteur Le Sauvage à nous laisser l’un et l’autre en mourant une touchante marque de leurs généreuses sympathies. Ici s'élevait pour nous une grave difficulté ; une donation nous élait faite; mais nous n'avions pas qualité pour la recevoir. Les Sociétés savantes sont, en général, inhabiles à posséder, incapables d’ac- quérir. Un titre nous manquait qui seul pouvait nous conférer ce droit, cette aptitude; il fallait que le Gouvernement voulût bien classer l’Académie au rang des Établissements d'utilité publique et la constituât ainsi personne civile, comme on dit. Nous avons donc présenté, à l’effet d'obtenir ces nouvelles lettres-pa- tentes qui devaient achever pour nous ce qu’avaient commencé dans le dernier siècle MM. Foucault et de 26 DISCOURS D'OUVERTURE. Fontette, notre humble requête au protecteur né de tout ce qui cultive dans notre belle France les sciences et les lettres, à M. le Ministre de l’Instruction publique et des Cultes, et bientôt, grâce à sa bienveillante et toute puissante intervention (Qu’il nous permette de lui offrir ici l'expression bien sentie de notre profonde gratitude), nous recevions du chef de l'État, par l'entremise de M. le Préfet et de M. le Maire, la ré- ponse que je vais vous lire : NAPOLEON , PAR LA GRACE DE DIEU ET LA VOLONTÉ NATIONALE, ÊMPEREUR DES FRANÇAIS, A tous présents et à venir, salut. Sur le rapport de notre Ministre secrétaire d'État au département de l'Instruction publique et des Cultes; Vu la den ande formée par l’Académie des Sciences, Arts et Belles- Lettres de Caen, à l'effet d’être reconnue comme Établissement d'utilité publique ; Notre conseil d'Etat entendu ; Avons décrété et décrétons ce qui suit : ARTICLE l°'. L'Académie des Sciences, Arts et Belles-Lettres de Caen est reconnue comme Établissement d'utilité publique. Les statuts joints au présent décret sont approuvés. ARTICLE 2. Notre Ministre secrétaire d'Etat au département de l’In- DISCOURS D'OUVERTURE. 27 struction publique et des Cultes est chargé de l'exécution du présent décret. Fait au palais de St.-Cloud, le 40 août 1853. Signé : NAPOLÉON. Par l'Empereur, Le Ministre secrétaire d’État au département de l'Instruction publique et des Cultes, Signé : H. FORTOUL. Pour ampliation , Le chef du secrétariat , Signé : Ch. ForTouL. Pour copie conforme, Le Conseiller de préfecture, Secrétaire-général , Marc. Je m’arrête, Messieurs; après de pareils actes toute parole serait mal venue, et la reconnaissance est un sentiment sur lequel il est bon de rester ! ee” CE RAPPORT SUR LES TRAVAUX DE L’ACADÉMIE, Par M. Julien TRAVERS, Secrétaire. MESSIEURS , . Nous avons à remplir devant vous un premier devoir. Dans nos Rapports précédents, nous vous parlions des confrères que nous avions perdus, et ces pertes semblaient circonscrites aux nécessités de la nature. La nature, Messieurs, depuis notre dernière réunion publique, a semblé hâter parmi nous la destruction de son œuvre; la mort a moissonné dans nos rangs avec une impitoyable rigueur. La jeunesse elle-même et la force de l’âge ont succombé. Serait-ce une de ces compensations mystérieuses qu’établit la Providence ? Devions-nous expier le bonheur d’avoir eu parfois à notre tête quelques-uns de ces mâles vieillards , l'amour de la cité, aussi bien que l'honneur de l’Académie ? Ne cherchons pas trop curieusement le mot de ces énigmes : un païen même nous à mis en garde contre ces dangereuses investigations : « Tu ne quæsieris, « RAPPORT SUR LES TRAVAUX DE L’ACGADÉMIE. 29 scire nefas: » Ce crime de connaître nous est d’ailleurs interdit, et nos muarmures seraient inutiles. Quand s’accomplissent les lois éternelles, nous devons y voir un avertissement pour nous-mêmes, et puiser dans le spectacle changeant de ce monde, dans la fragilité de la vie et des honneurs, le pénible mérite d’une rési- gnation sainte et douloureuse. Pour nous, Messieurs, le sacrifice est consommé : nos cœurs ont gémi, et n’ont pas été abattus; l’espé- rance philosophique, la certitude religieuse du retour de tous dans la commune patrie, ont cicatrisé des plaies qu’autrement rien ne pouvait guérir. De là cette liberté d’esprit avec laquelle nous allons rappeler nos pertes, simplement , brièvement, laissant les détails à ceux qui se sont chargés de consacrer le souvenir de leurs confrères dans des notices nécrologiques. Le premier titulaire que nous ait enlevé la mort, c’est M. THIERRY, doyen honoraire de la Faculté des sciences. Souvent il vous avait apporté les prémices de ses découvertes en chimie, et plusieurs de ses travaux ont enrichi vos Mémoires. Il était votre pré- sident lorsque s’agita la question du chemin de fer de Paris à Cherbourg; ce fut lui qui formula énergi- quement vos réclamations en faveur del’embranchement projeté entre Chartres et Alencon. Son amour du bien égalait ses vastes connaissances. M. Thierry avait joui du repos au sein de laretraite; il avait fourni sa carrière universitaire de trente-huit années, terme accessible à si peu de professeurs! Mais M. Rossy, à quelle distance il était de la vieillesse! 30 RAPPORT p] Quel déchirement pour un cœur sensible comme le sien, que d'abandonner une femme jeune, un enfant en bas-âge, et des travaux qui promettaient la gloire! Quelques mois après, nous perdions M. LE SAUVAGE, et la science perdait en même temps l’une des lumières de la province. Souvent il étonnait les docteurs et les naturalistes de la capitale par des faits nouveaux qu'on avait vus, qu’on n’avait pas observés; on était surpris de la hardiesse de ses inductions, et leur bonheur faisait admirer tôt ou tard sa sagacité ingénieuse et sa rare pénétration. L'Académie n’oubliera jamais qu’il a été son premier bienfaiteur ; que le legs de 12,000 fr. qu’il lui a laissé est le premier qu’elle ait recu, et le prix qu'il a fondé sera une occasion périodique de rappeler dignement sa mémoire. Peu de jours après M. Le Sauvage, s’éteignait le vénérable M. LAIR, le second bienfaiteur de notre Compagnie; M. Lair, dont le deuil des pauvres a fait le plus touchant éloge, et que notre cité tout entière suivit, pleine de tristesse et de regrets, à son dernier asile; M. Lair, cet hôte aimable de tant d'étrangers illustres, ce sage des temps antiques, qui passait avec une simplicité si noble au milieu du luxe moderne, admirant tant de merveilles et se les refusant pour léguer cent mille francs ànos établissements publics. Des voix légères ont blâmé cette économie louable; elles ont été couvertes par une admiration réfléchie pour une longue carrière de sacrifices et de vertus. Une dernière séparation a eu lieu pour M. RAISIN, qu’avaient déjà séparé de nous ses infirmités, et qui ne pouvait plus, depuis long-temps, nous apporter le + SUR LES TRAVAUX DE L'ACADÉMIE. 31 tribut annuel de ses Rapports sur l’état sanitaire de la maison de Beaulieu. M. Raisin avait été votre président, et, dans l’âge de la force, il rédigeait souvent pour vous des observations médicales que les journaux de la science s’empressaient de recueillir. Que dirai-je de M. de BOISLAMBERT , qu’une modestie portée à l’excès éloigna trop long-temps des candi- datures à l’Académie, comme elle lui interdit des travaux qui répandraient au loin sa réputation? Cet esprit distingué luttait, depuis plus de vingt années, contre des maux physiques auxquels il a succombé dans l’âge de la force et du talent, regrettant de ne pouvoir écrire, de ne pouvoir lire devant vous d'importants mé- moires qu’il avait résolu de rédiger pour nos séances. Le dernier titulaire qui nous a été enlevé, Messieurs, était peut-être le plus jeune. M. DURAND, comme plusieurs parmi nous, sortait de l’une de ces familles laborieuses et vertueuses, qui ont donné tant d'hommes de mérite à la France moderne, Il n’eut point pour aiguillon les encouragements paternels ou l’éclat d’un nom à soutenir : il ne rencontra que des obstacles, et son grand honneur est d’en avoir triomphé. Tous étaient aplanis : il s’était fait une place dans le monde; il s’en faisait une dans la science; l’Institut avait accueilli ses derniers travaux, et la longue carrière que lui promettait son âge lui laissait entrevoir la célébrité et le berçait de tous les rêves d’une illus- tration durable. Sa fin prématurée les a fait évanouir; mais les amis de la physiologie végétale conserveront quelques-uns de ses mémoires, tiendront grand compte de ses observations , et loueront toujours son zèle et sa perspicacité, 32 RAPPORT f Trois de nos associés-résidants nous ont aussi été enlevés par la mort, depuis notre dernière séance. L'un d'eux, M. CHANTEPIE, avait perdu , dans un âge très-avancé , ses goûtslittéraires; mais cet ancien élève des Pères de l’Oratoire avait été un grammairien d'autant plus poli qu’il aimait la poésie, et qu’il la cul- tivait en traduisant des chefs-d’œuvre de la littérature italienne. —M. BOISARD avait aussi cultivé la poésie ; de là l’élégance de son style dans ses Annuaires, et dans ses Notices sur les hommes célèbres du Calvados. —M. : BOURDON nous était connu ; nous regrettions ce savant modeste ; mais nos regrets doivent être bien plus vifs depuis que nous connaissons l’étendue de notre perte par les révélations de son biographe, La mort n'a pas été moins impitoyable au-dehors. Elle a frappé, parmi nos correspondants, MM. ESCHER, sous-intendant militaire à Oran , qui se flattait, en nous quittant, de revenir bientôt occuper au milieu de nous sa place de membre titulaire; — Eugène BuRNour, le grand orientaliste, que l’Académie des Inscriptions venait d'appeler à son secrétariat, vacant par le décès de Walckenaër ; — BAILLY DE LA LONDE, qui montra la sagesse de ses opinions dans le récit de son Voyage en Suisse ; —TAILLEFER, qui traduisit à Falaise un moraliste anglais, traduit à Caen par Vastel, et résuma dans un bon livre élémentaire les préceptes des anciens sur la rhétorique ; —l’abbé LALMANP, journaliste par vocation, qui se distinguait de ses confrères par l’excès de lin- dulgence ; — CASSIN, long-temps notre compatriote, qui écrivit avec une rare impartialité sur les bases de l'ordre social, mais qui ne put conjurer les orages SUR LES TRAVAUX DE L’'ACADÉMIE. 33 prêts à fondre sur la France et sur l’Europe ; —COUPPEY, qui jeta un jour nouveau sur la pratique ancienne du jury et sur d’autres institutions du moyen-âge , qui fut notre ami, notre coilaborateur à l'Annuaire de la Manche pendant vingt-cinq années, et qui négligea de prouver par des ouvrages de longue haleine qu'il était l’un des hommes les plus savants de la Normandie; — LE HÉRICIER DE GERVILLE, le doyen de nos antiquaires, l’opiniâtre investigateur des archives de son dépar- tement, l'historien de ses églises, de ses abbayes et de ses châteaux, que le zèle emporta jusqu’à lui faire préférer des opinions douteuses, indifférentes, sur des points d'archéologie locale aux bonnes relations et aux douceurs de l'amitié; — GRATET-DUPLESSIS, qui fut inspecteur de notre Académie universitaire, recteur à Lyon, recteur à Douai; et qui a fini ses jours à Paris, après avoir été quarante ans le plus spirituel des bibliophiles, et laissé, pour dernier souvenir de ses travaux, les principales compilations et les meilleurs volumes de la collection populaire d’Hilaire-le-Gai;— FAYOILE, successivement mathématicien, poète et compilateur, qui vint en aide à Choron pour son Dic- tionnaire des musiciens; — M°°. LIÉNARD enfin, lauréat de notre Société Philharmonique, auteur d’un charmant volume et d’autres œuvres inédites dont quelques-unes sont achevées et paraîtront sans doute dans un avenir prochain. Ici, Messieurs, se bornerait cette douloureuse no- menclature de nos pertes, si les journaux ne nous avaient point appris la mort de deux correspondants étrangers, dont l’un, M. Bonarous, de Turin, membre 34 RAPPORT correspondant de l’Institut de France, est connu de tous les naturalistes de l’Europe; l’autre, Thomas MOORE , a fait battre par ses Mélodies Irlandaises les cœurs ulcérés de ses compatriotes, et s’est placé par d’autres poèmes à côté de lord Byron. Ainsi, Messieurs, la mort a décimé notre Académie , et pourtant nos rangs sont aussi complets qu’à notre dernière séance publique, et la liste de nos correspon- dants est plus considérable. C’est que de toutes parts se sont produites des candidatures , et que, à l'étranger comme en France, on brigue l’honneur de vous ap- partenir. Si vous ne présentez pas annuellement une masse compacte d’impressions, on sait qu'aucune co- tisation ne vous est imposée ; on sait aussi que la plupart de vos membres tiennent à d’autres Compa- gnies , et qu'ils les enrichissent de mémoires spéciaux qui vous seraient apportés si le mouvement scientifique et industriel, provoqué par vous-mêmes depuis deux siècles, n’avait pas fait créer tant de Sociétés nou- velles, rameaux détachés d’un tronc robuste, enfants laborieux d’une mère active, destinés peut-être à re- venir tous, un jour, au foyer commun. En attendant, nous voyons les membres des diverses Compagnies se réunir au sein de la nôtre, et payer les tributs variés de la science et de la littérature. Et d’abord rappelons les premiers. M. EUDES-DESLONGCHAMPS , dont le nom est si grand parmi les naturalistes, vous à lu un mémoire plein de recherches curieuses sur un coléoptère signalé par M. de Caumont, et qui fait depuis plusieurs années de notables ravages dans les pins de la Normandie. — I SUR LES TRAVAUX DE L'ACADÉMIE. 30 vous à lu aussi un Rapport sur le 1‘, volume de la Surdi-Mutité, ouvrage neuf et remarquable, dû à l’un de nos correspondants, M. le docteur Blanchet. — M. LE SAUVAGE avait dès long-temps appelé votre attention sur la pêche du poisson de nos côtes et sur la récolte du varech. Il vous apprit, au mois d’avril 1852, que le gouvernement allait réviser les régle- ments relatifs à ces matières, et que M. le Commissaire de marine de Caen désirait être éclairé des lumières de l’Académie ; il insista pour qu’elle s’occupât des ques- tions soulevées par le futur réglement , et qu’elle pro- tégeût , autant qu’il était en elle, les intérêts compli- pliqués de la pêche et de l’agriculture. Après des observations faites par des hommes compétents à des points de vue fort opposés, les questions relatives à la récolte des varechs, à la pêche, aux dangers de la des- truction du frai, enfin à la montée, furent renvoyées à une Commission, dont le rapporteur, M. G. Mancel, s’est chargé de rédiger les observations. — Un mémoire de MM. Joly et Filhol, sur un monstre pygomèle de l'espèce bovine, a été pour M. Le Sauvage, l’occasion d’une Note où il a nié la co-existence de deux individus appartenant à des sexes différents, cas qui détruirait sa théorie sur les diplogénèses monstrueuses et qu’il regarde comme impossible. Quelque temps après il nous envoyait de son lit de mort, et nous faisait lire par M. Durand des Recherches sur les polygénèses mono- variennes, qui ont trouvé place dans les comptes- rendus de l’Institut de France. — M. DURAND lui-même, qui ne devait survivre que peu de mois à son ami! nous a lu des mémoires neufs 36 o RAPPORT et hardis sur des points contestés de physiologie vé- gétale, sur la sève, sur l’opinion souvent émise, que les racines ont des tendances naturelles à chercher la bonne terre; nous lui devons encore l'Analyse d’une bonne étude du lait au point de vue physiologique et économique, par M. Doyère, l’un de nos correspon- dants. — Ordinairement les hommes de la science expéri- mentent d’abord, et font part ensuite de leurs obser- vations. M. LE COEUR a pris une autre voie à l'égard d’une opération qu’il se proposait de faire sur le bras d’une jeune fille. 11 a montré ce bras malade, moulé en plâtre; il a indiqué les effets qu’il comptait produire et fait voir les appareils qu'il avait inventés pour le succès de l’opération. En répondant à toutes les objec- tions qu’on lui adressait , il a laissé la couviction que, dans le cas même où des circonstances malheureuses et que l’art le plus éclairé ne peut prévoir , viendraient à tromper les espérances fondées de notre confrère, il n’en mériterait pas moins des éloges pour la sagacité de ses raisonnements et de ses mesures en présence d'un cas difficile. — Nous devons encore à M. Le Cœur un travail étendu sur l’hydrophobie. — M. DAN DE LA VAUTERIE nous à lu un morceau remarquable, intitulé : Observations et réflexions sur l'emploi du feu, ou du cautère actuel en médecine. L’au- teur y rappelle l'attention des praticiens sur un mé- moire du docteur Valentin, de Nancy, trop oublié après quarante ans de publication. Il en fait l’analyse et y joint le résultat de ses observations sur la même ma- tière; il énumère les principales maladies dans les- 2? SUR LES TRAVAUX DE L'ACADÉMIE. 37 quelles il s’est applaudi d’avoir employé la cautérisa- tion, notamment la maladie longue et compliquée d’un de ses confrères. — Le tremblement de terre du 1*. avril 1853 a donné à M. LEBOUCHER l’occasion d'écrire sur ce phé- nomène une Note importante, qui s’est accrue des ob- servations nombreuses faites dans une séance de l’Aca- démie. —M. PIERRE vous a présenté, avec une circonspection pleine de ménagements , les observations que lui ont suggérées les conjectures de M. Gaïetta sur Le chlore. — Des communications scientifiques de ce même M. Gaïetta sur des matières variées et difficiles, ont été plus sévèrement jugées par M. BONNAIRE, qui à fait justice de ces témérités de l'imagination, égarée dans des domaines où l’on ne peut marcher d’un pied sûr qu'appuyé sur l’expérience. — M. ARTUR a exposé devant vous la théorie et la construction d’un Vernier, applicable à toute ligne droite ou courbe divisée en parties inégales. Il a déposé ensuite sur le bureau un mémoire sur le sujet dont il avait entretenu la Compagnie. Dernièrement il a remis au secrétariat un Vernier qu’il vous offre et auquel il a joint plusieurs de ses ouvrages. — M. LE PRESTRE est un amateur d’ornithologie, qui nourrit beaucoup d'oiseaux et se plaît à étudier sur eux la nature vivante. Vous l’avez entendu vous donner d’intéressants détails sur une couvée de cygnes noirs d'Australie, éclos chez lui cette année, et qui sont le premier exemple de la reproduction de ces oiseaux en France. 38 RAPPORT —M. Th. Du MONCEz est venu plusieurs fois vous faire part de ce qu’il a trouvé en physique et en méca- nique ; il vous a montré des modèles en petit de ses ingénieuses inventions, Grâce à ses démonstrations, vous avez pu apprécier l'importance de ses découvertes sur le magnétisme statique et le magnétisme dynami- que, sur ses applications du dia-magnétisme et du para-magnétisme; sur l’anémographe, établi sous sa direction à l'Observatoire de Paris, et dont l'agent est l’électricité. Avec l'appareil fort simple de cette nou- velle invention, la marche des vents et leur in- tensité, leur direction et les variations multipliées qu’elle subit, sont marquées avec une rapidité et une précision admirab'es, au moyen de deux instru- ments placés, l’un sur une montagne, l’autre dans le cabinet de l’observateur. La littérature a été plus féconde que la science, et il ensera toujours ainsi dans votre Compagnie. C’est vous, Messieurs, que consulte, comme arbitres du goût, le prosateur et le poète, alors qu'ils aspirent aux suf- frages d’un public que la satiété n’a rendu que plus difficile. Si des murmures flatteurs ont accueilli sa lec- ture, l’auteur peut croire au succès; il se désabuse , au contraire, sur ses espérances, si vous l'avez entendu froidement. —- Le plus zélé, le plus fécond de nos confrères est depuis quelques années M. DE GourNay. Il est de toute justice de le mentionner ici le premier. Nous l'avons entendu lire une {atroduction à un grand tra- vail sur les Comédies de Plaute, dans laquelle il passe SUR LES TRAVAUX DE L’ACADÉMIE. 39 en revue , apprécie et redresse quelques jugements sur les comiques en général et sur Plaute en particu- lier ; — un mémoire sur Meénandre, ce grand peintre du cœur humain , que l’Académie française avait pro- posé récemment à l’étude des hellénistes littérateurs ; — des recherches fort intéressantes sur De Bras, l’his- torien de Caen, sur Malherbe, son poète, sur Huet, . l’un de ses érudits, et ces recherches consciencieuses ont une telle étendue , que la lecture de chaque mé- moire a occupé plusieurs séances. Nous devons en- core à M. De Gournay des Rapports sur quelques ou- vrages offerts à l’Académie. -— M. HIPPEAU, dont la merveilleuse facilité se plie aux travaux les plus divers, s’est délassé des études de bénédictin qu’il faisait pour son histoire de l’abbaye de Saint-Étienne, en traçant la plaisante figure de l’abbé de Boisrobert. Vous lui avez confié différents ouvrages qu’il a analysés et jugés avec goût et sagacité, notamment le Résumé de l’histoire de France, en vers français, manuscrit de M. Julien Le Tertre. C’est lui enfin que la Commission, chargée de juger les con- currents pour le prix Porée, a prié de rédiger ses appréciations. — M. LECERF occupe avec ardeur tous les loisirs de sa retraite. Il vous a provoqués à une polémique sur l'origine du droit, et vous avez craint d’avoir à le suivre sur le terrain des controverses religieuses que s’interdisent sagement les Académies. Vous avez donné toute votre approbation à son mémoire sur la passion du jeu et sur les moyens de la modérer dans les salons. Vous l’avez également donnée à ses Considérations sur 0 RAPPORT les Facultés qui composent le haut enseignement uni- versitaire. Il a rappelé leur origine et leur objet, il a démontré de la façon la plus frappante le danger d'abandonner une telle institution; il a émis le vœu (et ce vœu a été entendu!) que le gouvernement conserve et dirige un enseignement d’une importance d'autant plus grande aujourd’hui, qu’il est un aliment sain et fécond pour les jeunes esprits, pleins d’ardeur et d'activité, auxquels semblent être interdites désormais les discussions prématurées sur les matières politiques. Vous avez encore entendu les Études de notre confrère sur la douleur; un Rapport sur un ouvrage de M. Chassay ; un autre enfin sur les Petits Traités, publiés par l’Académie des sciences morales et politiques. Dans ce dernier, il fait la critique de la raison hu- maine, l’accuse d’être impuissante à repousser les assauts livrés à la société française par le socialime contemporain, et cherche à démontrer comment la philosophie de chacun des Petits Traités, s’ils se fussent appuyés sur la révélation , aurait pu avoir sur le peuple une toute autre influence. Ses judicieuses observations ont rendu encore plus difficile cette question depuis long-temps posée : « Quelles sont les conditions d’une littérature populaire, aussi intéressante que morale ? » — Le zèle de M. CHARMA ne s’est point ralenti. Il vous a signalé l'existence du testament de Huet, de beaucoup de ses lettres et de papiers qui le concernent, devenus la propriété de M. Abel Vautier; il vous a signalé encore l’existence d’un registre qui contient nos procès-verbaux de 1734 à 1762, et qui ne peut avoir d'autre propriétaire légitime que l’Académie. M. SUR LES TRAVAUX DE L’ACADÉMIL. li Charma vous à lu la fin de la 1°, partie de son mémoire sur le Sommeil, mémoire qui a pris les proportions d’un livre; —un brillant Rapport, fait au nom d'une Com- mission, sur l’église St.-Étienne-le-Vieux ; — une Biographie de M. Bourdon, qui nous l’a fait connaître sous un jour entièrement nouveau; —le début d’un Cours élémentaire de philosophie qu'il allait livrer à l'impression. Ce dernier morceau prouve une fois de plus que les bons livres d'enseignement ne sont faits que par les hommes spéciaux, consommés dans la science, dont seuls ils sont capables de bien exposer les éléments. — M. Georges MANCEr vous a parlé de Lettres inédites de Malherbe, publiées par le Comité historique. En y ajoutant d’autres lettres, en les annotant, il en a fait un complément naturel du travail de M. De Gournay, et vous avez jugé convenable de ne pas les en séparer quand vous avez mis sous presse le dernier volume de vos Mémoires. Vous devez encore à M. Mancel des Rapports sur les premiers envois de l’Institution Smi- thsonienne, fondée à Wasington par la munificence d’un citoyen des États-Unis, M. Smithson, qui a pu léguer dans ce but cent cinquante, quelques-uns disent cent quatre-vingt mille francs de rente: royale fondation d’un républicain! Les premiers mémoires analysés par notre confrère , sont consacrés aux antiquités de la vallée du Mississipi, et ce qui frappe dans les monuments des Sauvages américains (car {ous sont antérieurs à l'établissement des colonies euro- péennes), c’est l’analogie ou la ressemblance entre ces monuments (vases, baches, instruments de toute 12 RAPPORT sorte, tombeaux, etc.) et les monuments de même espèce des Gaulois et des Gallo-Romains, Le rapporteur a fait des rapprochements curieux, et lu sa traduction d’un passage relatif aux anneaux. Parmi les morceaux qui l'ont frappé dans d’autres envois de l’Institution Smithsonienne, se trouve un article consacré aux bibliothèques publiques des États-Unis. Il y a vu avec surprise qu’on à réparti les envois du gouvernement français entre beaucoup de villes d’une médiocre im- portance, et qu’il n’y a pas, dans toute l’Union Amé- ricaine , un seul grand centre qui possède une biblio- thèque remarquable : de là nécessairement des obstacles aux fortes études, des difficultés pour les savants du pays, des inconvénients graves qui n’existent pas dans les capitales de l’Europe. … — Avant que la presse périodique appelât M. ENAULT sur un théâtre plus élevé où brille son esprit abondant, délicat et fin, il nous avait lu d’élégantes dissertations sur la bourgeoisie et la propriété au XIX*. siècle, sur l’origine des idées démocratiques dans l’histoire de notre pays, sur la mémorable époque de Charlemagne. Re- montant au triple élément, gaulois, romain et franc, il nous a fait pressentir l'intérêt qui doit s’attacher à ces luttes successives des classes inférieures dont les efforts ont abouti aux grandes révolutions modernes. — M. DuPoN? vous a rendu compte des Études de M. Léopold Delisle sur l’état de l’agriculture et des agriculteurs en Normandie pendant le moyen-âge. Analysant l'ouvrage, chapitre par chapitre, il a fait ressortir les avantages du temps présent sur le temps passé, qui paraît de moins en moins regrettable à SUR LES TRAVAUX DE L'ACADÉMIT. h3 mesure qu’on l’étudie avec plus de soin. Il vous a lu quelques fragments deses Considérations sur les dynasties de la France, et une Notice biographique sur Félix Bogaerts. D’autres ont apprécié les œuvres de ce pro- fesseur ; M. Dupont, en écrivant sa vie , s’est attaché à peindre la douceur de son caractère, la noblesse de son âme , le charme de ses relations. Les souvenirs du touriste normand à Anvers ont été retracés avec autant d’élégance que de sentiment. — Peu de temps avant que M. MorisoT emportât loin du Calvados les regrets de ses administrés et ceux de l’Académie, vous l’aviez élu votre président. Vous vous rappelez qu’il vous remercia de cet honneur dans un discours écrit dont vous avez ordonné l'insertion dans le registre de vos procès-verbaux. — Le premier magistrat de la Cour, qui devait, l’année suivante, remplacer M. Morisot dans le fauteuil de la présidence, M. JALLON avait conquis à l’avance vos suffrages par des titres irrécusables; il vous avait lu un épisode de l’histoire de France (14, 15 et 16 novembre 1591), l’Assassinat du président Brisson, épisode rendu éminemment dramatique par des scènes de mœurs où l'intérêt des détails n’altère en rien la vérité historique. — M. CAUSSIN DE PERCEVAL avait repris au milieu de vous la place qu’il y occupait si dignement avant son premier départ. Il était heureux dans vos réunions ; fils d’un membre de l’Institut, brillant élève de Bur- nouf , il donnait aux lettres ses loisirs et témoignait à ses confrères toutes ses sympathies. Ses successeurs l’ont imité; M. le Procureur-Général, comme M. le Ll ? RAPPORT Premier Président de la Cour impériale, aime à se trouver à nos séances; et M. RAYNAL n'y manquait jamais sans d’impérieux motifs. Vous vous rappelez, Messieurs, le jour où il nous offritla seconde édition des Pensées, Essais, Maximes et Correspondance de Joubert, recueillis et mis en ordre par M. Paul Raynal. Avec quel charme et quelle sensibilité vraie M. Louis Raynal nous traça la vie de Joubert! Il nous raconta comment l’ami de Fontanes et de Châteaubriand jetait ses pensées sur de petits papiers, sur des livrets, qu’il avait l'habitude de porter sans cesse avec lui, et qui ont été la source de la publication posthume de ses œuvres; il fit l’histoire de cette pu- blication, dit comment cette nouvelle édition, pré- parée par son frère, M. Paul Raynal, devint pour lui . une sorte de charge pieuse après la mort prématurée de ce frère ; il finit en esquissant le plan de l’édition, en caractérisant le mérite supérieur de Joubert, qu'il fit entièrement apprécier par des citations. — M. CHAUVIN, qui vous a lu récemment une Notice d’un grand intérêt sur Me, Liénard, vous a fait un premier Rapport sur les questions relatives à la pêche et à la récolte du varech. Dans ce Rapport, il a exposé le plan de la Commission, qui se propose de continuer activement ses recherches, et de se garder toutefois d'apporter, par un zèle inconsidéré , des conclusions prématurées ; « Car, disait sagement notre confrère « en terminant, il n’arrive que trop souvent que la « science, dans ses rapports avec la pratique, se « trouve compromise par l'émission de doctrines ha- « sardées, qui la discréditent d’une manière absolue, SUR LES TRAVAUX DE L'ACADÉMIE. &5 « et semblent autoriser, paf suite, les praticiens à « dédaigner de recourir aux documents théoriques, « lors même qu'ils seraient essentiellement appli- « cables. » — M. ROGER vous a fait un Rapport sur le 1°. vo- lume de M. Chassay : Le Christ et l'Evangile; M. CHAUVET, sur les deux ouvrages de M. Duval-Jouve : Instruction de morale , et Traité de logique. — Une lettre de M. GAUTIER, relative aux honneurs à rendre à la mémoire de M. Lair, a été prise engrande considération et renvoyée à la Commission d'impression, chargée de s'entendre avec la Commission spéciale nommée par la Société d'agriculture. — M. JoLY vous a lu une Notice ou plutôt une étude élégante et savante sur un trouvère Normand, trop brièvement traité par l’abbé De La Rue, sur Gautier Map, chapelain de Henri II, roi d'Angleterre. — Il y à peu de mois, M. THÉRY venait de terminer ses Lettres sur la profession d’instituteur. Avant de les mettre sous presse, il vous en lut quelques morceaux, et vous n’eûtes aucun doute sur le succès de cet ex- cellent ouvrage. — Je me reprocherais d’omettre ici un remarquable mémoire de M. BERTAULD, sur le droit de punir. L'auteur ne l’a point lu dans l’Académie; mais il l’a composé pour justifier sa candidature, si bien accueillie et si légitime! —Vous avez entendu, Messieurs, avec un indulgence dont il croit devoir publiquement vous remercier, plusieurs lectures de votre secrétaire : la Biograplue de François Boisard, celle de Charles-Gabriel Porée, une 6 RAPPORT critique de la Traduction de Sophocle en vers français, par M. Guiard, enfin une protestation, au nom du bon sens et du goût, contre deux attaques de M. La- martine aux Fables de La Fontaine, et de M. V. Hugo au Théâtre de Voltaire; la première, dans le Conseiller du peuple, de janvier 1850 ; la seconde, dans l'Enquête faite sur les théâtres par une Commission du Gonseil d’État. Au dire de M. Lamartine , la philosophie de La Fontaine est dure, froide, égoïste ; ses Fables ne sont pas du lait, mais du fiel. Au dire de M. V. Hugo, le Théâtre de Voltaire est l’une des œuvres les plus in- formes que l'esprit humain ait jamais produites. N’est- il pas de toute évidence qu’il manque à de tels juges plus que le sens politique ? Nous n'avons parlé jusqu'ici que d'œuvres en prose. La poésie est venue fréquemment faire entendre son magique langage. Si les Muses antiques avaient encore des favoris, nous les accuserions d’être partiales et de protéger plus particulièrement leur sexe : nos accu- sations seraient justifiées par les vers de Mesdames COUEFFIN, DE MONTARAN et QUILLET. — MM, Alphonse LE FLAGUAIS, BORDES et Julien LE TERTRE vous ont aussi apporté le tribut de leurs chants, et nous ne craignons pas de dire au public que, chez nous, le culte de la poésie se conserve, malgré les préoccu- pations du siècle pour les merveilles de la science et de l’industrie, malgré même l'indifférence générale des hommes de lettres pour les ouvrages en vers. Je ne vous parlerai point, Messieurs, des concours ouverts pour des NOTICES BIOGRAPHIQUES ET LITTÉRAIRES SUR LES TRAVAUX DE L’'ACADÉMIE. h7 sur LIOULT DE CHÊNEDOLLÉ et sur les deux PORÉE. Nous n’avons pu donner que l’une des médailles d’or, et vous allez entendre le Rapport de M. Hippeau sur le second de ces concours. Désormais nous proposerons régulièrement des prix, grâce aux legs de MM. Lair et Le Sauvage. À Permettez-moi de vous rappeler, en finissant, que la considération qui s'attache à l’Académie lui a fait adresser quelques dons par le gouvernement et par les particuliers; entre autres le portrait de François-Ri- chard De La Londe et deux cadres renfermant des plans de.cet ingénieur , offerts par M*°. de Formigny. Cette considération croissante de notre Compagnie lui a fait également adresser des invitations pour qu’elle envoyât des délégués à des réunions scientifiques ou à des fêtes littéraires. C’est ainsi que vous avez chargé plusieurs de vos membres de vous représenter à Hébertot pour l'inauguration du monument élevé à la mémoire de Vauquelin; au Havre, pour l'inauguration des statues de Bernardin de Saint-Pierre et de Casimir Delavigne; à Lisieux, pour la distribution des prix du concours régional en 1850; aux divers Congrès des Sociétés savantes, où vous vous êtes fait représenter par M. de Caumont, leur fondateur en France, leur directeur , leur propagateur , qui tient dans sa main tant d’esprits et leur fait produire tant d'œuvres diverses. Messieurs, encore un mot et je cède la parole. Quelques jours après la dernière séance publique, nous mettions sous presse un volume qui a paru : demain nous en commencerons un nouveau avec les matériaux de cette séance. sur le concours ouvert pr L L: POUR UNE NOTICE BIOGRAPHIQUE ET LITTÉRAIRE SUR LES DEUX PORÉE, Par M. C. HIPPEAU, Pi Professeur de littérature française à la Faculté des lettres de Caën, Membre de la l’Académie. L'Académie des Sciences, Arts et Belles-Lettres de Caen avait, en 1851, mis au concours une Notice bio- graphique et littéraire sur les deux frères Porée. L'aîné, Charles, né dans la paroisse de Vendes, près de Caen, en 1675, fut un des membres les plus laborieux et les plus estimables de la Compagnie de Jésus, et se dis- tingua dans une Société qui compta tant de maîtres habiles et savants, comme professeur de rhétorique au collége de Louis-le-Grand, où il eut, comme on sait, Voltaire pour disciple; le second, Charles-Gabriel, né à Caen le 16 mai 1685, après avoir été bibliothé- caire de Fénelon pendant deux ans, fut successivement curé de Noyant (41 juin 1718), de Louvigny, près RAPPORT SUR LE CONCOURS. h9 Caen (21 juin 1723), chanoine de St.-Patrice de Bayeux (19,mai 1729), et mourut à 85 ans, le 17 juin 4770 , chanoine du St.-Sépulcre de Caen. En appelant l'attention sur les deux frères, l’Aca- démie a pensé que, si la Normandie doit être fière des grands hommes qu’elle a vus naître, elle ne s'honore pasymoins en se montrant reconnaissante et juste à Pégard de ces renommées moins éclatantes et de ces mérites plus modestes , que l’histoire n’a pas placés au premier rang. Pourquoi ne dirais-je pas aussi qu’en ouvrant ce concours , l’Académie a été inspirée par un sentiment analogue à celui qui engagea autrefois les chefs d'une grande nation à faire remonter jusqu'aux ancêtres les titres de noblesse conférés à leurs descendants ? Nous avions encore parmi nous le petit neveu des Porée (1), et il était difficile qu’il ne rejaillit pas sur les grands-oncles quelque chose de cette douce sym- pathie et de cette affectueuse estime qui s’attachaient au nom du véritable doyen de nos Sociétés savantes. En demandant une notice biographique et littéraire, l’Académie désirait que les aspirants au prix se missent également en garde contre certaines traditions, en vertu desquelles on s’est contenté trop souvent d’écrire quelques pages éloquentes, plus propres à faire res- sortir le mérite des concurrents qu’à faire connaître les hommes qu’il s'agissait de louer, et contre l’en- trainement qui porte aujourd’hui les biographes à re- chercher avec une curiosité minutieuse une foule de (1) M. Lair. 50 RAPPORT SUR LE CONCOURS. détails destinés à éclairer les coins les plus cachés et les plus obscurs de la vie des hommes célèbres, au lieu de marquer fortement les traits essentiels de leur caractère ou de leur talent. Deux mémoires ont été envoyés à l’Académie. L’un d’eux est moins une notice que la matière d’une notice. Il a pour épigraphe; Poesi an eloquentia , pietate an ingenio, modestia major an fama? Pressé par le temps, l’auteur s’est trouvé sans aucun doute placé entre le désir de donner à V’'Aca- démie une preuve de sa bonne volonté et la crainte de lui déplaire en lui envoyant un travail inachevé. Il s’est arrêté à ce dernier parti, et confiant à huit ou dix mains différentes , dont quelques-unes sont fort peu exercées, la copie d’un manuscrit qui n’a pas moins de 150 pages petit in-4°., il a cru que, pour arriver au but, c’est-à-dire pour ne pas dépasser le délai fixé par le programme, il lui suffisait de courir, tandis qu’il eût été plus sage de partir à point. Enlevant au père Charles Porée son droit d’ainesse, il commence par le curé de Louvigny, dont il raconte d’abord la vie en peu de mots et dont il analyse ensuite les différents ouvrages. Il suit le même procédé à l'égard du professeur de Louis-le-Grand. Malgré l'extrême simplicité d’un plan qui, comme on le voit, n’a pas exigé de grands frais d’imagination, il était possible d’en faire la base d’un travail esti- mable; mais l’auteur du mémoire est loin de l'avoir rempli d’une manière satisfaisante. Si la biographie d’un homme célèbre consiste à indiquer dans l’ordre chronologique les divers événements de sa vie; si c’est le faire connaître, que de donner la date de sa nais- RAPPORT SUR LE CONCOURS. 51 sance et celle de sa mort, la liste des fonctions qu’il a remplies, et, lorsqu'il s’agit d’un littérateur, de pré- senter un rapide examen de ses ouvrages, ce que l’au- teur a dit des deux frères Porée, pourrait ressembler à une biographie. Mais, pour donner satisfaction à la curiosité légitime qui nous attache à tout ce qui fait connaître les sentiments et le caractère de cesillustres morts, à ce qui peut nous révéler le secret de leurs courtes joies et de leurs longues douleurs, il faut du temps et du soin : ce n’est pas trop que d'étudier avec une scrupuleuse attention tout ce qu'ils ont écrit, et de demander sur eux des révélations aux auteurs con- temporains, aux différents personnages qui les ont approchés, à leurs amis surtout (les amis sont si indis- crets, heureusement pour les biographes! ). Cette sorte de résurrection opérée par le talent de l’historien, nous ne pouvions la demander à l’auteur du mémoire. Il n'avait pas à sa disposition les matériaux qu’il lui au- rait fallu réunir, et, les eût-il trouvés sous sa main, aurait-il songé à en user avec cette sagacité ferme et prudente qui condense en quelques pages les résultats d’un patient labeur, et qui, pour ne pas ennuyer , se garde bien de tout dire; lui qui, sur les quatre pages consacrées à l’histoire du plus jeune des Porée, en emploie deux pour apprendre qu’il a été membre de l'Académie de Caen, et qu’il a signé pendant un certain nombre d'années les procès-verbaux ce ses séances, en qualité de secrétaire ? La vie du père Porée est plus complète : là les docu- ments abondaient. La célèbre corporation à laquelle il appartenait, était trop intéressée à opposer à ses 52 RAPPORT SUR LE CONCOURS. nombreux ennemis les titres par lesquels se recom- mandaient ses membres, pour laisser dans l’oubli un homme dont les ouvrages pouvaient faire honneur à cet enseignement littéraire qu’elle considérait comme son plus beau titre de gloire, un homme dont les vertus commandaient l’estime et le respect. En em- pruntant ces documents soit au journal de Trévoux, soit au P. du Baudory, au P. Griffet, au P. Bougeant, ou au P. de la Sante, l’auteur du mémoire a réussi à faire un bon travail préparatoire. Le compilateur avait rassemblé des matériaux ; l’homme de talent n’avait plus qu’à les mettre en œuvre. partie littéraire, c'est-à-dire celle qui est con- sacrée à l’analyse des œuvres des deux frères, est traitée sans doute d’une manière plus convenable. Mais, il faut l'avouer encore, l’auteur qui passe en revue tous les ouvrages sortis de la plume élégante et facile des deux écrivains normands, nous a plutôt présenté des tables de chapitres que de véritables analyses. Je n'aurais pas cru devoir insister comme je viens de le faire, Messieurs, sur un ouvrage qui offre une si large part à la critique, si la Commission n’eût reconnu qu’elle avait à y signaler, non l’absence du talent, mais l'inconvénient d’une précipitation sur laquelle je me plais à faire peser en grande partie la responsabilité des reproches que je viens d'adresser à l’auteur. L'homme de valeur se révèle dans plusieurs passages qui prouvent qu’il sait, quand il le veut bien, revêtir d’une forme convenable des pensées fortes ou judi- cieuses , et qu’il aurait pu réaliser ce que l’on était en RAPPORT SUR LE CONCOURS. 53 droit d'attendre d’une vive intelligence et d’un esprit ingénieux. C'est ainsi qu'après avoir raconté (je vou- drais pouvoir dire résumé) ua roman de l’abbé Porée, D. Ranuccio d’Alétès, il exprime en bons termes les raisons qui peuvent permettre d'attribuer à un homme aussi profondément religieux que l’excellent curé de Louvigny , un livre qui attaque le clergé régulier avec une liberté si étrange. Cette mordante satire qui, ainsi qu’il le fait observer avec beaucoup de justesse , se rapproche, quant à la forme, des œuvres du même genre qu'a produites le XVIIF. siècle, en diffère néanmoins d’une manière essentielle. Le scepticisme philosophique prodiguait la raillerie et l’insulte à un corps qu’il s’ef- forçait de détruire; le zèle tout religieux de l’abbé Porée attaquait les abus pour sauver l'institution elle- même. Il serait injuste de ne pas signaler encore dans ce premier mémoire, d’autres pages écrites avec élégance sur les succès obtenus par le père Porée comme pro- fesseur à Louis-le-Grand, et sur l’attachement profond qu'il sut inspirer à ses élèves ; les traauctions qu’il donne de quelques-uns des discours latins de l’écrivain jésuite, et principalement de celui qu’il avait composé pour prouver (il lui fallait beaucoup d'esprit pour y réussir )} que les Français ne méritent point le re- proche de légèreté qui leur a été adressé si souvent ; enfin toute la conclusion dans laquelle l’auteur du mémoire, après un parallèle ingénieux entre les deux frères, explique les différences qui existent entr’eux par celle du théâtre sur lequel chacun d’eux avait été placé par la Providence , et où il montre l'un et l’autre l 5 RAPPORT SUR LE CONCOURS. luttant avec plus de talent que de succès contre les irrésistibles tendances du siècle qui préparait la révo- lution française. Il est permis de penser que si l’Académie avait pu renvoyer les concurrents à une autre épreuve, l'ouvrage dont je viens de signaler, au nom de la Commission, les qualités et les imperfections, lui serait revenu avec des défauts de moins et un bon nombre de mérites de plus — Mais l’auteur du mémoire n°. 1, ne l’a pas permis. Lui-même, après avoir l’année dernière été l'objet d’un renvoi à correction, dont il a heureuse- ment profité, semble avoir eu conscience du progrès remarquable qui s’est accompli dans son talent, en nous envoyant son nouveau travail avec l’épigraphe : Vires acquirit eundo. On ne pouvait répondre d’une manière plus satis- faisante aux espérances de l’Académie. Elle a lieu de se féliciter, Messieurs, d’avoir provoqué une œuvre aussi consciencieuse et aussi remarquable. La Notice biographique et littéraire sur les deux Porée, répond de la manière la plus complète à tout ce qu’on avait le droit d'attendre de la nature du sujet traité et du genre de composition qu’il comporte. Il est aisé de voir, à la scrupuleuse exactitude avec laquelle l’auteur a consulté toutes les sources qui pouvaient l'aider dans son travail , qu’il n’a pas obéi seulement à une curiosité littéraire. Il a écrit sous l'empire de cette vive et profonde sympathie qu’il a signalée comme tra- ditionnelle dans la famille des Porée, à laquelle il ap- partient; et il a pu éprouver par lui-même quelles sont les premières conditions requises pour acquérir RAPPORT SUR LE CONCOURS, 59 un véritable savoir. L'intelligence n’y arrive sûrement que lorsqu’elle est conduite par le cœur. L'auteur n’a pas, dans son beau travail sur les frères Porée, séparé l’homme de lécrivain. Quelles que soient les circonstances au milieu desquelles se trouve l’homme de lettres , ce sont encore ses écrits qui peuvent le mieux servir de jalons à sa vie et marquer les diverses stations de son voyage sur la terre. Grâce à cette méthode lumineuse et féconde, nous pouvons assister aux événements qui ont signalé l’existence des deux frères, en même temps que nous voyons se dé- rouler à nos regards l’histoire tout autrement intéres- sante de leur développement intellectuel et moral. On apprend ainsi à juger jusqu’à quel point les circon- stances modifient le génie de l’homme, et comment l’homme à son tour peut réagir par la force de son caractère sur les événements extérieurs. L'auteur si- gnale d’abord l'influence exercée sur l'intelligence et le cœur des frères Porée , par cette éducation de famille dont il aime à rappeler la douceur et les charmes et dont il déplore l’absence dans notre XIX°. siècle. Il regrette de n’y plus trouver ce respect pour les maîtres, et ce tendre et mutuel attachement qui paissaient naturellement autrefois au foyer paternel. « Dans ces familles, dit-il, un intérieur calme et régu- « lier, une certaine austérité tempérée de douceur « entouraient les enfants comme d’une atmosphère « saine et féconde, où ils puisaient des enseignements « de bonheur pour toute la vie. La révolution fran- « Çaise n’a pas respecté ces leçons du foyer paternel. « Aujourd’hui les enfants ont hâte de vivre de leur vie FC 56 RAPPORT SUR LE CONCOURS. « propre, comme s'ils avaient tout à recommencer dans « le monde, comme si tous de bonne heure ils étaient « orphelins. » En reconnaissant la toute-puissante influence des vertus de famille , nous n’en attribuerons pas, comme le fait l’auteur , le privilége exclusif au XVIII°. siècle. Que répondrait-il à celui qui, défendant la thèse op- posée, ferait ressortir les nombreux exemples qu’offre le temps présent, de familles saintement unies et de maîtres justement respectés, et s’aviserait même pour lui prouver combien notre époque est supérieure sur ce point à celle dont il flétrit ailleurs en termes éner- giques l’immoralité scandaleuse , de lui montrer toutes les familles du XVIII. siècle dans celle du Régent , et tous les professeurs dans le cardinal Dubois? Les jeunes gens abandonnent ordinairement à ceux qui ont fait un plus long apprentissage de la vie le triste privilége de vanter le passé au détriment du présent. L'auteur du Mémoire , que je suppose jeune encore, aura, je n’en doute pas, modelé, par une illusion naturelle, toutes les familles du XVIII. siècle sur celle des frères Porée, et généralisé pour les mettre sur le compte de la révolution française , qui n’en peut mais, quelques faits qui, au temps présent comme dans les époques précédentes, ne doivent être considérés fort heureusement que comme des exceptions. Après avoir indiqué les traits de caractère communs aux deux frères, l’auteur du mémoire signale comme décisive pour l'avenir littéraire de Charles Porée, son entrée dans l’ordre des Jésuites , auquel , en effet, il dut appartenir avant de s’appartenir à lui-même. Dans les RAPPORT SUR LE CONCOURS. 57 rangs de cette milice si fortement organisée, et dont les chefs se demandaient avant tout, non si la fonction convenait à l’homme, mais si l’homme convenait à la fonction, Porée reçut l’ordre de se consacrer à l’édu- cation de la jeunesse, et de s'asseoir dans la chaire où il devait se montrer le digne successeur des Pétau, des Cossart, des La Rue et des Jouvenci. Pour développer le goût littéraire de ses disciples, il fallut leur faire composer , selon la méthode alors en vigueur , des récits, des plaidoyers , des fables , des vers français et latins; Porée sut choisir avec discerne- ment les matières sur lesquelles devaient s'exercer ces jeunes et ardentes intelligences; et il eut soin, comme le fait tout bon professeur , de travailler lui-même sur tous ces sujets, afin de pouvoir offrir à la fois des pré- ceptes et des modèles. La Société, croyant sans doute que le moyen le plus propre à faire connaître aux jeunes gens la théorie des compositions dramatiques , était de faire déclamer des tragédies, jouer des co- médies et même danser des ballets, voulut que le père Porée présidât à ces attrayants exercices; et le père Porée composa, par ordre, des pièces de théâtre qu’il fut chargé de faire apprendre, répéter et repré- senter par ses élèves de rhétorique. La société, enfin, reconnut en lui un organe agréable, une élocution fa- cile, un extérieur plein de distinction; il dut par con- séquent monter en chaire, se faire un nom comme prédicateur et se résigner , malgré sa modestie, à voir imprimer ses sermons. Ces différents ouvrages sont de la part de l’auteur du mémoire l’objet d’un examen rapide, mais plein d’aperçus ingénieux et de jugements en général bien motivés. 58 RAPPORT SUR LE CONCOURS. Malgré les efforts tentés par un critique spirituel dont l’auteur me paraît avoir accepté les appréciations avec trop de confiance (1), il me serait difficile de trouver dans les tragédies et les comédies du père Porée un autre mérite que celui de s'être tiré avec honneur d’un labeur ingrat, en composant avec des phrases imitées de Senèque des drames que son premier soin devait être de dépouiller , pour les faire accepter de son auditoire, de tout ce qui est de nature à exciter avec quelque puissance la terreur et la pitié. Plus à l’aise dans la comédie, le père Porée peut, même dans les étroites limites où il doit se renfermer, imaginer quelques scènes plaisantes , aiguiser quelques traits d'esprit, donner quelqu’animation au dialogue; mais , condamné à cette raillerie innocente et pleine d’urbanité, dont le loue l’auteur du mémoire, il ne peut que se laisser aller à ce genre de gaîté enfantine que comporte une comédie de collége, c’est-à-dire , émousser tous les traits piquants, affaiblir tous les caractères, eflleurer tous les ridicules, rétrécir tous les horizons, et se tenir toujours par conséquent en- dehors des conditions du véritable comique : c’est tout ce que pouvait faire, et ce qu'a fait réellement le père Porée avec un talent incontestable, mais borné, En citant à propos quelques scènes, en reproduisant adroitement quelques saillies spirituelles, quelques heureuses réparties, l’auteur du mémoire parvient à se faire sur le mérite de ces pièces une illusion, que l’on pourrait partager jusqu’à un certain point, (4) M. Saint-Marc Girardin. RAPPORT SUR LE CONCOURS. 59 si l’on s’en rapportait à ses piquantes analyses; on se détromperait bien vite à la lecture des pièces origi- nales : ce ne sont pas assurément des modèles du genre dramatique. Impuissantes comme leçons et comme modèles de bon goût, ces représentations ne pouvaient- elles pas offrir des inconvénients plus graves? Et les critiques auxquelles dut répondre le père Poréeétaient- elles de tout point dénuées de fondement ? On peut en douter , malgré les efforts du digne professeur de Louis-le-Grand, et la défense qu'il fit du théâtre, dans un discours très-bien caractérisé par son biographe, discours que le père de la Sante a eu l’idée, au moins singulière , de mettre en ballet. Entrainé par un goût irrésistible vers la poésie, le père Porée, ainsi que le fait remarquer l’auteur du mémoire, avait eu àlivrer contre sa vocation littéraire, plus d’un combat, dont le chrétien sincère et fervent sortit vainqueur. C'était pour concilier ensemble ces deux tendances qu’il aimait à se laisser aller à la trom- peuse illusion qui lui faisait croire à la possibilité de convertir le théâtre en une école de vertu. L'esprit moderne a décidé (et plusieurs faits, présents encore au souvenir des habitants de Caen, confirmeraient au besoin la sagesse de cette décision), que les représenta- tions de collége pouvaient sans inconvénient être suppri- mées, et qu'il était possible de gouverner la société sans faire jouer par les écoliers les pièces morales du père Porée, du père Lejay ou du père Du Cerceau. Les rapports qui existèrent entre le grand adversaire des Jésuites et le père Porée, sont indiqués: par l’au- teur avec une touchante délicatesse, Si les flatteries que Voltaire prodigua aux Jésuites u’étaient que le ré- 60 RAPPORT SUR LE CONCOURS. sultat d’un de ces calculs et de ces ménagements hypo- crites justement reprochés à l'élève du père Porée, toutes les gracieusetés qu’il se fit toujours un devoir d'adresser à son professeur partaient véritablément du cœur. Voltaire aima le père Porée, non pas seulement à l’âge où l’auteur du mémoire se le représente comme réalisant ce type charmant de la crédulité naïve et de la bonhomie confiante qu’il devait nous offrir dans Candide (Voltaire at-il pu ressembler jamais à l’élève du docteur Pangloss? ), mais long-temps après son en- trée dans cette période de la vie où l'esprit de parti vient obscurcir l'intelligence et refroidir le cœur. Il me semble que dans ces conditions, l’inaltérable atta- chement que l’auteur de Zaïre conserva pour son an- cien maître honorait d'autant plus le père Porée, qu’il était exceptionnel. Examinant le père Porée comme auteur de ser- mons, de panégyriques et de discours académiques, l’auteur du mémoire a fait connaître directement ou indiqué dans des notes instructives toutes ces œuvres qui ne sont pas ses moindres titres de gloire. Mais il se contente de les considérer dans leur en- semble et de prononcer sur toutes un jugement général. On pourrait lui reprocher d’être tombé à cet égard dans un défaut contraire à celui que nous avons cru: devoir reprendre dans le mémoire n°. 2. Ce jugement géneral ne nous semble vrai qu’à quelques égards ; et pour que justice soit faite au père Porée orateur, il y aurait plus d’une distinction à faire. Les qualités qui le distinguent sont l’esprit , la finesse , une délicatesse un peu étudiée, soutenues par un grand fonds de moralité et par une piété douce et bienveillante. S'il était dé- RAPPORT SUR LE CONCOURS. 61 pourvu des hautes qualités qu’exige l’éloquence de la chaire, et si, malgré l’admiration du père Bougeant, ses sermons sont bien inférieurs à ceux de nos grands prédicateurs , il se relève dans ses discours, ou plutôt dans ses dissertations académiques et littéraires, dont quelques-unes sont de véritables chefs-d’œuvre. Ces réserves faites , on peut louer la forme modeste et élé- gante à la fois, sous laquelle l’auteur de la notice pré- sente ses jugements, l’abondance des renseignements et des preuves qu’il produit à l'appui de ses assertions, enfin le ton général d’une composition dans laquelle il parvient à donner une idée avantageuse de celui qu’il loue, sans compromettre sa renommée par l’exa- gération de ses éloges, écueil rarement évité par les panégyristes. Il se contente de résumer ce qu’il pense du père Porée en s’en rapportant au jugement de l’au- teur du siècle de Louis XIV : « Son plusgrand mérite, dit celui-ci, fut de faire aimer à ses disciples les let- tres et la vertu. » * Les qualités qui distinguent le mémoire n°. 1 se soutiennent dans la deuxième partie, consacrée au plus jeune des Porée. L'auteur , fidèle à l'esprit qui le porte à présenter les faits sous le point de vue le plus général, indique comme le point capital de la vie de Gabriel Porée, le bonheur d’avoir été dès le début de sa carrière placé, grâce à son frère, auprès de Fénelon. Les nombreuses citations qu’il produit ne permettent guères de douter de l’impression profonde et durable que produisit sur son esprit le spectacle de cette piété fervente, mais éclairée, sincère, mais douce et tolérante, dont la renommée s’est plu à considérer l’archevêque 62 RAPPORT SUR LE CONCOURS. de Cambrai comme le plus parfait modèle. Gabriel Porée fut comme lui doux, humain et bienfaisant. Aimer ses semblables et leur faire du bien, par suite de cette bienveillance de caractère qui résulte d’une heureuse constitution morale, ou parce que l’on croit à la justice et à la reconnaissance des hommes, c’est une vertu assez commune, que dis-je? c’est à peine une vertu. Mais les aimer et leur faire du bien, après avoir éprouvé, comme Fénelon, jusqu’à quel degré peuvent aller l’ingratitude et la méchanceté humaines, c’est plus que de la bienveillance : on sait quel nom la religion donne à cette vertu. Ce qui semble avoir préoccupé le plus l'abbé Porée pendant sa longue et laborieuse existence, c’est la pensée d’épurer la religion, en attaquant sans ména- gement et l’hypocrisie qui couvre d’un voile respecté ‘ les plus coupables faiblesses, quelquefois les crimes les plus odieux, et la superstition qui, aveugle en sa cré- dulité, franchit par un écart funeste les limites que l'Église elle-même a tracées autour de la foi religieuse. Seulement il pourra paraître étrange que le digne abbé ait cru devoir recourir, comme l'avait fait l’auteur du Télémaque, à une fiction romanesque pour mieux assurer le triomphe de ses principes. Mais on n’oubliera pas que son dom Ranuccio d’Alétès était publié au milieu du XVIIT:. siècle (1), et que Gabriel Poréea pu espérer pour son livre, bien que composé dans un tout autre (1) La première édition de cet ouvrage parut en 1736; la seconde en 1758, sous ce titre : Histoire de D. Ranuccio dAlétes écrite par lui- même, avec figures, à Venise, aux dépens de la Compagnie, 1758, 2 vol. in-32, RAPPORT SUR LE CONCOURS. 63 ordre d'idées, le succès obtenu par l’aüteur de Gil- Blas, qu’il a évidemment cherché à imiter, L'auteur du mémoire, après avoir montré le même esprit présidant à d’autres écrits de l’abbé Porée, à ses deux ouvrages sur la prétendue possession des filles de la paroisse de Landes, par exemple (1), au deuxième discours préliminaire de sa Mandarinade, à ses Lettres sur la sépulture des églises , etc. (2), pe en revue quelques-uns des travaux auxquels ilse | ivr. en sa qualité de membre de l’Académie des Sci Arts et Belles-Lettres de Caen. Il avait pris son titre a au sérieux, et toutes les questions qui lui parurent in- téresser la littérature, la philosophie, la religion, la morale, l’industrie même , devinrent de sa part l’objet d'autant de lectures propres à répandre le plus grand intérêt sur les séances de la Société. Les travaux de l’académicien, toujours un peu superficiels, parce qu’ils embrassent une grande variété de sujets, qu’il a rarement le temps d'approfondir, ont moins pour résultat d'assurer à leur auteur une solide renommée, que d'offrir des encouragements et des exemples, et (1) Les titres de ces deux ouvrages sont : 4°, Examen de la Pré= tendue possession des filles de la paroisse de Landes (diocèse de Bayeux), ou réfutation du mémoire, par lequel on s’efforce del’établir, à Antioche, chez les héritiers de Ja bonne foi, à la Vérité, 4737, in- 4°. avec la date de septembre 4735; 2°. Réponse de l’auteur de l'examen de la possession de Landes à la lettre de M. De P. À. P, D. N. pour servir desuite au Pour et au Contre, à Antioche (Rouen), 1739, in-8°, (2) Publiées en 4743, augmentées d'observations et de réflexions en 1745 ; le tout fut réimprimé en 4749, format in-12. 64 RAPPORT SUR LE CONCOURS. de satisfaire” au besoin de culture intellectuelle, qui sera toujours l'honneur des sociétés avancées. Bien qu'ayant eu moins de retentissement que les discours et les dissertations du père Porée, les divers écrits du secrétaire de l’Académie de Caen méritent d’êtreconnus, et l’on sait gré à l’auteur du mémoire de les avoir énumérés avec une pieuse exactitude et de les avoir dignement appréciés. alyse excellente qui peut être considérée comme une des parties les mieux traitées de son mémoire : je veux parler de la Mandarinade (1). On se figure difi- cilement que les faits racontés par l’abbé Porée et résumés avec un grand bonheur d’expression par l’auteur de la notice, aient été des faits réels , dont il est impossible de ne pas reconnaître l’authenticité. Oui, la ville de Caen tout entière a pu un jour (c'était au plus beau moment du siècle de Louis XIV), en s’associant avec la jeunesse de ses écoles, guidée par un grave magistrat et forte de l'appui d’un des éche- vins de la cité (c'était le poète Segrais lui-même), avec le concours du marquis de Coigny, son bailli et son gouverneur, conspirer contre un vieillard, contre un recteur de l’Université, et abuser de sa vanité cré- dule pour lui offrir, au nom du roi de Siam et par la main d’un de ses prétendus ambassadeurs, le bonnet (1) La Mandarinade ou histoire comique du mandarinat de M. l'abbé de Saint-Martin, marquis de Miscou ; La Haye, 1738, 1 vol. 12, et les suites, 4739, 2 vol. in-12, RAPPORT SUR LE CONCOURS, 63 de mandarin; et cela, au milieu des scènes les plus divertissantes, et de cérémonies dont l'éclat bouffon dépasse de bien loin ce qu'avait pu imaginer l’auteur du Bourgeois Gentilhomme. Le respect s’en va, disait, il y a plusieurs années, un orateur, qui croyait résumer ainsi notre époque, tandis qu’il ne faisait qu’ériger en loi générale quelques faits isolés ou exceptionnels. Le respect s’en va, auraient pu dire avec tout autant de raison les contemporains du pauvre abbé de Saint- Martin , oubliant aussi que rien de tout ce qui tient aux éléments essentiels et constitutifs de la famille et de la société ne s’en va; et que ce qui semble avoir dis- paru revient bientôt, après une éclipse qui d’ailleurs ne peut jamais être que partielle. L'abbé Porée eut le bon esprit de ne pas croire que tout était perdu parce que, en un jour de folie, les habitants de la ville de Caen lui avaient fourni l’occasion de composer un de ses plus agréables ouvrages. , C'est par l’analyse de la Mandarinade que l’auteur du mémoire a terminé sa Notice. La connaissance de plusieurs manuscrits conservés dans la famille des frères Porée lui aurait fourni le moyen de faire voir que l’âge n’avait fait que ranimer l’activité philosophique et littéraire de Gabriel. L'Académie des Belles-Lettres, Sciences et Arts de Caen ne doit pas oublier que l’an- cien curé de Louvigny lui consacra ses dernières an- nées, et qu’il composa pour les séances publiques de cette Compagnie un grand nombre de dissertations , de mémoires et de pièces de vers. Il avait fondé en 4740, sous le titre de Nouvelles littéraires, une feuille périodique destinée à mettre en lumière les produc- tions en prose et en vers des écrivains Normands. Une 66 RAPPORT SUR LE CONCOURS. Vie inédite du pere Gourdan, et une collection de notes, d’additions et de corrections écrites sur un exemplaire de la dernière édition du Dictionnaire de Trévoux , con- servée à la Bibliothèque publique de Caen (1), sont d’autres titres que l’auteur de la notice n’aurait pas manqué de faire valoir. Gabriel Porée s’éteignit doucement à Caen le 17 juin 1770 , après avoir encouragé les débuts de l’illustre et infortuné Malfillastre, dont il avait deviné le génie, léguant à ses nombreux amis le souvenir d’une exis- tence consacrée à la pratique des vertus ecclésiasti- ques, et à ces études littéraires qui s’associent si heu- reusement à toutes les conditions de la vie. La Commission chargée d’examiner les deux com- positions envoyées au concours, a été unanime pour reconnaître dans le remarquable travail inscrit sous le n°. 4 , une œuvre digne d’être couronnée; et l’Aca- démie a été heureuse de pouvoir décerner à l’ancien petit-fils d’une sœur des frères Porée, a M. Alleaume, ancien élève de l’école des Chartes et avocat à la Cour impériale de Paris, un prix, dont la première idée était due au collègue vénéré qu’elle a eu la douleur de perdre depuis , et qui, en venant au monde, avait été béni sans doute par celui qui avait pressé la main de Fénelon. (4) Ces notes sont généralement extraites de journaux scientifi- ques, de mémoires littéraires, de dissertations de toute espèce, auxquelles l’ancien secrétaire de l’Académie de Caen empruntait tous les mots nouveaux ou employés dans des acceptions nouvelles, M. Pierre-Aimé Lair a fait hommage à la Bibliothèque publique de Caen de l’exemplaire du Dictionnaire de Trévoux, sur lequel sont écrites les notes de l’abbé Porée. RAPPORT SUR LE CONCOURS. 67 APPENDICE. Nous empruntons à une Notice lue dans une des séances de l’Académie de Caen, par M. Travers, son secrétaire , le fragment suivant , où nous trouvons des particularités dont la connaissance a échappé aux dif- férent$ biographes du second des Porée. Le père de Gabriel Porée était Thomas Porée et sa mère Madeleine Richer. Il fut baptisé , le 21 mai 1685, à St.-Étienne-le-Vieux. Cette date est certifiée par un Extrait des registres des baptêmes fais et célébrés dans l’église de St. -Étienne-le-Vieil de Caen, au bas duquel on lit: Collation faite sur le dit registre par nous, docteur en théologie, pro- fesseur au collège du Bois et curé de la dicte paroisse de St.-Estienne, ce 9°. jour de septembre 1712. Signé Maloun. Gabriel Porée avait eu à l’âge de vingt-cinq ans le malheur de se casser la jambe. Livré jusqu'alors à des goûts assez frivoles , il se mit à lire et à réflé- chir d’une manière plus sérieuse; l’étude devint, à dater de ce moment, la plus douce occupation de sa vie; et, pour se vouer plus spécialement aux lettres, il entra dans la congrégation de l’Oratoire, qu’il quitta lorsque la protectionde son frère l’eut fait entrer dans la maison de Fénelon. Un certificat des vicaires-généraux de Cambrai, à la date du 15 février 1715, atteste que Porée a étudié dans la bibliothèque du défunt ar- chevêque ( Fénelon était mort le 9 janvier précédent. 68 RAPPORT SUR LE CONCOURS. Son ordination toutefois n’eut lieu que le 19 septembre 1716 , et ce ne fut pas sans peine qu’il s’engagea défi- nitivement dans le sacerdoce. Ses hésitations et son inconstance naturelle se remarquent dans la lenteur avec laquelle il parcourt successivement les degrés qui doivent l’y conduire. Il se présente à différents évêques sans raison impérieuse et même sans motif plausible. Ainsi les lettres de tonsure lui sont délivrées par Mg’. de Noailles le 26 mai 1709; les letttres d'ordres mineurs par Brulart de Silleri, évêque de Soissons, le 25 mars 1712; Louis de Clermont , évêque de Laon, lui confère le sous-diaconat le 15 avril 1713; de Brancas, évêque de Lisieux , le diaconat, le 20 avril 1715; ce n’est enfin que le 19 septembre de l’année suivante qu’il reçoit ses lettres de prêtrise de Turgot, . évêque de Séez. En 1717, Porée subit avec un grand succès, devant l’Université de Caen , ses épreuves pour le baccalau- réat et la licence en droit civil et en droit canon. Le 11 juin 1718, l'archevêque de Bourges Île nomma à la cure de Noyant. Le 30 du même mois, il en prit possession par procureur, et bientôt il se mit à la tête de son troupeau. Son caractère aimable et liant lui fit des amis nom- breux, et il entretint un commerce de lettres fort étendu, avec une foule de jeunes prêtres, dans les diocèses de Cambrai, de Soissons, de Rouen, de Séez et de Bayeux. Plusieurs de ces correspondants étaient de jeunes étourdis que l’âge devait calmer et accoutumer à des fonctions auxquelles ils avaient été appelés par la volonté de leurs parents plus que par à SUR LE CONCOURS. 69 leur vocation. D’autres étaient graves, et s’occupaient des lettres en même temps que du soin des âmes. Malgré la variété des matières dont ils entretiennent le curé de Noyant, tous se taisent sur les opinions qui divisaient l’Église. Une seule lettre, dans la collection que nous avons parcourue, touche en passant les doctrines nouvelles ; mais cette lettre venait du Val-Dieu, d’un frère de Charles et de Gabriel, d'A. Porée, qui avait promis à la littérature un homme de talent, et qu’un amour contrarié avait jeté chez les Chartreux. Sa famille pos- séda long-temps les lettres brûlantes qu’il avait écrites à celle qu’il voulait épouser. Une tante de M. P.-A. Lair, par un scrupule de dévotion, jeta au feu ces reliques d’un amour profane, et il ne reste rien de l’ardent cénobite. Je me trompe, il reste la lettre dont il est question plus haut. Elle est à la date du 3 janvier 1721. En la lisant, il est facile de voir à quelles plaintes de Gabriel elle répond, et de juger quel zèle religieux anime le disciple de saint Bruno : « Quoi! mon très-cher frère, il semble, suivant les termes de votre dernière lettre, que vous craignez de mourir, ou du moins de vous voir oublié dans mon cœur ? Eh! d'où, je vous prie, lui viendraient de si grandes fai- blesses ? car je suis assuré que ni le temps, ni la distance des lieux, ni la solitude qui nous rend insensibles à bien des choses, ne lui ôteront rien de la sensibilité qu'il a tou - jours eue pour ses frères et pour ses amis. Que les années changent, il ne changera point à votre égard. Il vous suivra pendant celle-ci, que je vous souhaite toute heu- reuse, comme il a fait les précédentes. 5 70 RAPPORT SUR LE GON(QRES- « Oui, mon très-cher frère, je veux vous accompagner dans toutes vos fonctions pastorales, je veux être présent à tous les discours chrétiens, publics et particuliers, que vous ferez pour ruiner un système qui fait du plus graud plaisir la fin et le bonheur de la vie humaine. J'aurai la consolation de vous y voir combattre en même temps un autre système, qui, bien que plus nouveau, et enveloppé de termes radoucis pour éblouir les simples, est encore plus odieux : c'est ce plaisir indélibéré, nécessitant , effi- cace par lui-même ; c'est cette délectation céleste, cette suavité répandue du ciel. Je me transporterai avec vous chez un pauvre mourant : si le souvenir de ses crimes, l'idée de l'éternité , la crainte des jugements de Dieu vou- laient le jeter dans le trouble et dans le désespoir, en lui ordonnant de mieux espérer, vous lui découvrirez le fonds d’une miséricorde inépuisable ; vous lui mettrez devant les yeux un Sauveur mort pour lui comme pour tout le reste des hommes , qui, en tout temps et à toute heure, a les bras ouverts pour recevoir les pécheurs repentants, qui offre les trésors de sa grâce à tous ceux qui veulent bien la recevoir ; en un mot, dans son juge vous lui ferez voir un père. « Que j'applaudirai volontiers à une voix qui se fera ainsi entendre ! Mille fois je bénirai le ciel de vous avoir mis dans l’heureuse nécessité d'aller à pied d’un bout de votre paroisse à l’autre, la nuit comme le jour, dans le mauvais temps comme dans le beau, avec le même em- pressement pour le pauvre qne pour le riche, administrer les sacrements au dyssentérique et même au pestiféré dans le besoin. « Je sais qu'il en coûte à la nature, et qu’elle souffre beaucoup dans ces occasions. Mais lorsque la charité a sanctifié tous ces dégoûts, la récompense est certaine, tous les pas sont comptés. RAPPORT SUR LE CONCOURS. 71 « Il est un état plus commode, où vous auriez pu aller en carrosse donner des spectacles dans la chaire, où vous vous fussiez vu assis à la table de la comtesse ou de la marquise pour y faire une chère délicate , dogmatiser de- vant ces personnes vaines, passionnées et décisives, y déclamer contre la morale relâchée en prenant gracieuse- ment et avec art deux ou trois prises de café. Ah! mon cher frère, ne le regrettez pas cet état, ni la société de ceux qui y vivent. Réjouissez-vous plutôt de ce que vous êtes du nombre de ceux qu'on appelle les corrupteurs de là morale de Jésus-Christ, en pensant comme vous pensez et en pratiquant ce que vous pratiquez. « À toutes ces congratulations qui partent de la sin- cérité de mon cœur , sont ajoutés tous les jours des vœux pour demander à Dieu qu’il vous donne les forces d'esprit et de corps et les autres secours dont vous avez besoin pour remplir votre ministère. Si vous croyez que je puisse vous donner des marques d'un souvenir plus vif et plus opé- rant, faites-les moi connaître ; personne ne peut être plus à vous que je né suis, etc. F.-A. PoRée, c. i. Les relations de Gabriel avec le chartreux, son frère , cessèrent bientôt , et celles qu’il entretint avec Charles ne furent jamais actives. Moins ami de son indépendance et plus ambitieux, il eût profité de la faveur du célèbre jésuite. 11 n’eut que la noble émula- tion de se distinguer aussi par ses talents, et se trou- vant trop éloigné des livres à Noyant, il se fit nommer, le 21 juin 1723, à la cure de Louvigny, près de Caen. Les longues années qu’il avait encore à vivre se passèrent dans les fatigues du ministère et dans les délassements de la littérature. Nommé chanoine de 72 RAPPORT SUR LE CONCOURS. St.-Patrice de Bayeux le 19 mai 1729, il renonça à sa cure en 4741, et se retira dans sa ville natale où il mourut le 47 juin 1770. Bien avant qu’il quittât Louvigny , Porée avait été nommé membre de l’Académie des Belles-Lettres de Caen, où il faisait de fréquentes lectures. De 1754 à 1759 il en fut secrétaire, et cette époque est celle des beaux jours de cette Compagnie au XVIII. siècle. De 1754 à 1760, en effet, elle publie ses Mémoires. Grâce à l’activité de Porée, on a des actes authentiques de l'existence et des travaux de ce corps célèbre , envié à la ville de Caen par les cités les plus opulentes de nos anciennes provinces. Dès 1740, le curé de Louvigny avait fondé une feuille périodique, sous le titre de Nouvelles littéraires, destinées à mettre en lumière les productions en prose eten vers des écrivains Normands. Morval les continua ; mais la direction secrète en revint à Porée de l’année 1742 à l’année 1744, la dernière de ce recueil, qui, comme le Trésor de littérature , publié par l'abbé Saint (Caen, 41741, 2 vol. in-8°.) a conservé beau- coup de pièces d’auteurs caennais et beaucoup de faits relatifs à l’Académie des Belles-Lettres. PIERRE HUET. TN D 7 WW E= NH. MH. N= Par M. THÉRY, PRÉSIDENT ÉLU POUR L'ANNÉE 4854, Recteur de l’Académie universitaire du Calvados. Bien au-dessous des personnages historiques qui ont contribué à la gloire ou aux malheurs d’un siècle, et qui le caractérisent , sans avoir eu toujours l’étoffe de leur renommée, vit une foule, composée de médiocrités ambitieuses et de médiocrités sages , dans laquelle se cachent quelques âmes d’élite , destinées à passer sans éclat, à souffrir sans bruit, et pourtant pleines d’une poésie intime; pures et brillantes à l'œil de Dieu, quoique ignorées des hommes , ou se révélant tout au plus à quelque observateur obscur qui leur garde le secret. Le hasard m’a fait connaître , il y a bien des années, une de ces âmes de choix, un pauvre vieillard, plein d'expérience et de sagesse, qui a long-temps vécu dans ombre, et qui, après un jour de gloire, s’est endormi doucement dans la paix du Seigneur. Le 1°. septembre 1707, huit ans, jour pour jour , 7h PIERRE HUET. avant la mort de Louis XIV, naissait d’une humble famille de cultivateurs, dans un petit village de la Basse- Normandie , un enfant qui devait voir trois longs règnes de notre antique monarchie, les merveilles et les fureurs d’une révolution populaire, la reconstruction de la société par le génie du Consulat et de l’Empire, et mourir, à cent dix-neuf ans, presque au pied de la statue de Louis XIV, relevée par ses pe- tits-fils. Pierre Huet ( c'était son nom) avait passé son enfance et une partie de sa jeunesse dans le pauvre manoir paternel. Il y avait entendu prononcer avec respect le nom de son parentéloigné, l’illustre évêque d’Avranches. Ce n’était pas le savant, mais l’homme de Dieu qu’on admirait au village. On ne s’y informait guère si Huet, à quatre-vingt-dix ans, assistait encore à toutes les séances de l’Académie française ; mais on se souvenait du prélat pieux et bienfaisant , et la famille qui portait son nom en était fière. Le vénérable curé de la paroisse avait pris Pierre en amitié, parce qu’il montrait de bonne heure des sen- timents de piété et un esprit curieux de s’'instruire. Sous ce patronage, il apprit à connaître, à aimer la religion; il sut lire, écrire; les premiers éléments du calcul complétèrent sa provision de science. De plus. le bon curé lui prêta quelques livres sérieux, qu’il dévorait , attiré surtout par les beaux récits de batailles et par les utiles leçons morales dont l’étude de l’histoire enrichit ceux qui ont le jugement sain et le cœur pur. En 1725, une épidémie cruelle ravagea plusieurs communes , dans cette partie de la France. Toute la NOUVELLE. 75 famille de Pierre Huet fut enlevée par le fléau, Demeuré seul, à dix-huit ans, il s’enrôla, et resta perdu dans les rangs, pendant toute cette période d’une longue paix , troublée seulement en 1734 par la guerre d’Italie, qui donna la Lorraine à la France. En 4741, lorsque le roi de France tenta de faire un empereur d'Allemagne, Huet se trouvait au siége de Prague; il monta le troi- sième à l’assaut, Cet exploit lui valut une grave blessure, qui ne le tira pas de l’oubli , et qui le rendit incapable du service militaire; mais il avait plus de philosophie encore que de courage. En cessant d’être soldat, il se fit artisan. Il épousa une bonne ei simple ménagère, et il passa , caché dans l'ombre du peuple, la honteuse époque où M". de Pompadour nommait les ministres et les généraux d'armée ; les vingt années du règne de Louis XVI, cette agonie prolongée de la monarchie; enfin la tumultueuse et sanglante période où l’anarchie décimait la France, tandis que, au-dehors, nos armées soutenaient glo- rieusement le nom français. Le bon sens de Pierre Huet répugnait à tout excès en tout genre. Cette calme et noble nature aspirait à l’ordre , comme à la première loi de la société. Aussi, plus que nonagénaire à l’apparition du Consulat, presque centepaire à la proclamation de YEmpire, salua-t-il de tous ses vœux l’ère nouvelle que le génie d’un grand homme faisait naître pour son pays. Le Consul Bona- parte, l'Empereur Napoléon ressuscitait pour lui ces héros civilisateurs dont il avait tant aimé à lire l’his- toire et qui avaient toujours charmé ses rêves, les César, les Charlemagne! Sa vue ne s'était pas afrai- 76 PIERRE HUET. blie. 11 lisait avidement les bulletins de la grande armée : Austerlitz! puis Iéna! puis Friedland! puis Wagram! éclatants souvenirs dans la mémoire des hommes ! Depuis quelque temps, il avait voulu ajouter une honnête industrie à la rente modique qui le faisait vivre, lui et sa femme octogénaire, toute soumise et presque timide devant la dignité séculaire de son mari. Non loin de la boutique célèbre de l'Ingénieur Che- vallier , dont le thermomètre régulateur était visité par tous les oisifs de la grande ville ; à gauche du Palais-de- Justice, aux massives colonnes et aux sombres galeries; en face du riant Marché aux fleurs, le vieillard avait choisi, comme disent nos romans du jour , une place au soleil, et, adossé au pied de la vieille Tour de l'horloge, il vendait je ne sais quelle poudre merveilleuse pour la conservation des dents. Pierre Huet, il faut le dire, prêchait d'exemple aux acheteurs. Il était impossible de voir des dents plus blanches, plus au complet, mieux rangées que celles du centenaire. C'était au point d’exciter le doute; mais il était toujours prêt à vous démontrer que ce ratelier si beau, si intact, était bien à lui, à lui, né en lan 1707, huit ans avant la mort de Louis-le- Grand. Aussi prenait-on de sa poudre, et le raison- nement des acheteurs, peu concluant en lui-même, n'était point inutile aux intérêts du vieux couple. On croyait la poudre efficace ; elle l'était. Hélas! combien ne compterions-nous pas d'illusions parmi nos cer- titudes ! NOUVELLE. 71 Pierre Huet, indépendamment des habitués ou des passants qui achetaient sa poudre conservatrice , s'était formé une clientelle d'amis. C’est qu’il avait une com- plaisance active, une obligeance un peu babillarde, un-péu conteuse, mais qui ne se démentait pas: Dans ce labyrinthe , qu’on nomme Paris, une foule degens cherchent sans cesse leur route, et vont demandant à ceux qu’ils rencontrentun itinéraire détaillé, On trouve à chaque pas de modestes érudits pour qui lescarrefours, les places, les enfilades de rues n’ont point de secrets, et qui vous récitent des formules hérissées de chiffres, pour vous guider sans erreur dans tous les détours d’un quartier. Pierre Huet était de ces érudits. Il souriait dans sa longue barbe blanche, lorsqu'un clerc affairé Jui demandait la route du palais, ou lorsqu'un myope, le nez appuyé contre son oreille, venait s’enquérir du thermomètre de l'Ingénieur Chevallier. Mais il ne se permettait jamais de moquerie. Il se levait gravement de la petite chaise de paille où il demeurait assis dans la saison favorable, près de la table où était enfermé son gagne-pain, et, d’une voix douce et claire, il in- diquait la route demandée; il lui arrivait mêmesouvent d'accompagner , quelque cinquante ou soixante pas, le voyageur novice , et de l’affermir dans la bonne voie avant de le quitter. Ecolier , et presque enfant, j'avais été, moi aussi, remis dans mon chemin par le centenaire du Pont-au- Change; mais je ne me bornai pas à une question indif- férente. Frappé de sa gravité douce, de son extérieur imposant , de ce contraste entre une vie obscure et des manières distinguées , je liai avec lui conversation, et 18 PIERRE HUET. bientôt connaissance. Je m’attachai d'imagination et de cœur à cet homme dont l'esprit était orné, le souvenir frais, l'entretien abondant et simple, et qui me faisait vivre jusque dans un autre siècle, moi qui ne con- nafssais que des livres, et qui ne savais rien du monde ni de moi. Pierre Huet, en 1814, quand je le connus, avait encore, à cent sept ans, la démarche ferme, l’œil vif, l'esprit présent. Lesinfirmités ne savaient pas l’atteindre. Ce n’était point un vieillard à la tête dépouillée ; outre sa barbe vénérable, il possédait une chevelure épaisse, des flocons de cette neige qui descendait sur le front des Patriarches. La mode que suivait le centenaire était celle des an- ciens jours. Il portait un de ces habits sans revers dont le devant s’arrondit et va rejoindre les pans par une dégradation insensible ; lequel habit était garni d’énor- mes boutons de métal, qui brillaient au soleil, comme les diamants du pauvre. Ajoutez-y une culotte d’un jaune clair, sur laquelle montaient le plus haut pos- sible de longs bas rouges. La seule partie un peu mo- derne de son accoutrement était une casquette à visière, qui protégeait sa tête contre la brise du soir et l’ardeur du jour. C’est dans cet équipage que je le trouvais, lorsqu'il m’arrivait (et cela m’arrivait souvent) de diriger ma promenade vers le Pont-au-Change, pour deviser avec mon vieil ami. Et véritablement il l'était devenu, ou plutôt, privé d’enfants, il avait pris à mon égard le ton et presque les sentiments d’un père. Il m’appelait son fils. Oh! que nous avions de choses à nous dire dans cette NOUVELLE. 79 terrible année 1814, où l’Empire s’écroulait, où les hordes du Nord profanaient Paris, notre ville sainte; année de sang et de larmes, qui devait être suivie d’une autre plus désastreuse encore! 1814! 1815! temps où la patrie, voilée de deuil, pleurait sans pou- voir être consolée, parce que tant de ses généreux enfants n'étaient plus ! Pierre Huet, malgré sa longue habitude des boule- versements du monde politique, avait dans l’âme un patriotisme grave et profond, Il ne s’étonnait plus des passions et des fureurs des hommes, et, d'ordinaire, aucun signe d'enthousiasme ne trahissait en lui un reste d’illusion. Mais il aimait la France; il \ ait pas impunément combattu pour elle, et suivi du cœur toutes ses fortunes, Napoléon quitta l’île d’Elbe, et, de son style de fer, il grava dans l’histoire la page des Cent-Jours. Il en- traina après lui la France haletante, et Waterloo, tra- hissant le génie, acheva d’épuiser ce qui nous restait #de sang. Louis XVIII revint de son second exil. Un jour, pendant que je causais gravement avec Pierre Huet des espérances et des craintes qu’inspirait le nouveau gouvernement, le facteur de la poste aux lettres lui remit une missive datée d'Orléans. Le ca- chet était noir, ce qui fit tressaillir le centenaire. Il ouvrit la lettre, et je vis ses yeux se remplir de larmes, Un neveu qu’il aimait comme un fils, et qui portait son nom, venait de mourir à Orléans, atteint d’apo- plexie, à l’âge de 84 ans. Le coup avait été foudroyant ; il n’y avait pas eu d'intervalle entre la santé et la mort. 80 PIERRE HUET. Depuis ce temps, Pierre Huet s’attacha davantage à moi. Frappé dans l’une de ses affections, il éprouvait le besoin d’une affection nouvelle. La mort de sa femme , survenue en 1820, nous rapprocha bien plus encore. Je lui rendais toute sa sympathie, et je faisais souvent tort à Virgile et à Cicéron des moments de loisir que je pouvais passer , assis en plein air, à la porte de l’Ingénieur Chevallier. Je quittai Paris; mais jy revenais souvent, et chacun de mes voyages avait toujours deux heures marquées pour une visite à mon vieil ami. L'an 1822 arriva. Pierre Huet entrait dans sa 445°. année. Il conservait toutes ses facultés, sa voix sonore et touchante, sa démarche ferme, son geste animé. J'admirais cet homme d’une génération écoulée, dont ‘la présence renouait les temps et rattachait les souve- nirs. A cette époque, la monarchie, ébranlée par le poi- gnard de Louvel, qui avait tué le duc de Berry, disait-il, parce qu’il faisait souche, voulut se placer sous l’invo-® cation d’un protecteur tout-puissant, de Louis XIV. Une statue équestre du Grand-Roi fut demandée au ta- lent de Bosio. Elle devait orner cette place publique, nommée par la Victoire, où s'élevait assezridiculement autrefois la statue pédestre du monarque, armé d’une massue et couvert d’une peau de lion, ayant à ses pieds un Cerbère et des esclaves chargés de chaînes, au-dessus de sa tête des palmes tenues par une Vic- toire ailée ; le tout gâté encore par cette devise em- phatique, inscrite sur le piédestal : VIRO IMMORTALI ; au héros immortel; monument de mauvais goût et de + mél NOUVELLE. $1 flatterie , et moins encore de flatterie que de mauvais goût. On fixa, pour l'inauguration de la nouvelle statue, le 26 août, lendemain de la St.-Louis, comme pour rassembler toutes les forces que pouvaient prêter à la dynastie ses plus illustres souvenirs. Vers le milieu de juillet, je fis au centenaire ma vi- site accoutumée. Je le trouvai dans une agitation d’es- prit qui m’inquiéta. La joie brillait dans ses regards; mais son visage portait l'empreinte de la fatigue. Je vis qu’un grand étonnement l’avait saisi. D’aussi loin qu’il m’aperçut : Accourez, mon cher fils, me cria-t-il d’une voix forte encore, mais trem- blante d'émotion ! Accourez auprès de votre vieil ami, ou vous ne le retrouverez pas vivant! Quel honneur inattendu! Quel bonheur pour moi! Dans un mois, j'aurai assez vécu. Je craignis un moment que la raison de Pierre Huet ne se fût subitement affaiblie, et je le regardai avec un sentiment intime de compassion et de respect. Ses yeux flamboyaient et ses lèvres remuaient sans former de nouvelles paroles. — Vous me croyez fou, reprit-il enfin, et vraiment une telle gloire passe tellement les espérances d’un vieux soldat obscur , que j'aurai de la peine à garder ma raison jusqu’au jour de mon triomphe. Quelle étrange vanité enflait tout-à-coup le cœur du vieillard que j'avais connu si modeste? Quel triomphe était à sa portée? et qu’avait-il donc à dé- mêler avec la gloire ? Je m'y perdais. — Sachez, ajouta Pierre Huet en se redressant, que 82 PIERRE HUET,. j'ai reçu ce matin une lettre d’un ministre du Roi de France! Elle m’annonce que notre sage Prince s’est fait rendré compte de mes services ; qu’il honore en moi (oui, cette propre parole! ), qu’il honore en moi le représentant du siècle de Louis XIV et le doyen de l’armée française; que, le jour où le monument du Grand-Roi sera découvert aux acclamations de la foule, moi, Pierre Huet, je siégerai au pied de la statue, portant sur ma poitrine létoile tant souhaitée des braves. Oui, mon enfant, continua-t-il avec un naïf enthousiasme , cette couronne m'était réservée au terme de mon humble carrière ! N'est-ce qu’un songe? oh! alors, ne me réveillez pas! — Et il me tendait fièrement la lettre précieuse, ornée de son large cachet en cire rouge, qu'il n'aurait pas échangée contre le blason des plus grands seigneurs ! _ J'admirais, non sans une secrète ironie, le sage qui, à 415 ans, retrouvait les illusions de Pamour- propre et le langage d’une grande ambition satisfaite. Je m’applaudis cependant de voir que le bon vieillard goûterait une joie vive avant de sortir de ce monde de misères; je le félicitai en l’embrassant. Le grand jour arriva, J'avais promis à Pierre Huet de venir le visiter dans sa gloire. Je tins parole. Quand j'approchai de la place des Victoires , le cortége était déjà en marche. Je voyais les fenêtres pavoisées de drapeaux blancs et ornées de feuillage ; les balcons garnis de dames aux toilettes fraîches et brillantes. J’entendais des cris d’impatience et des cris de joie, et je saisissais au passage quelques-unes de ces rudes et naïves paroles que le peuple jette aux NOUVELLE. 83. ordonnateurs de ses fêtes, et qui, dans notre bon pays de France, tiennent toujours plus de la satire que de l’amour. | Au centre deMawplace s'élevait la statue voilée. Autour de la statue se rangea un détachement d’Inva- lides, la pique à la main, musique et tambours en tête. Ils rendaient hommage par leur présence au fon- dateur de l’asile ouvert à ces glorieux débris. Par toutes les issues débouchèrent des corps de la garde nationale, de la garde royale , et des troupes de la garnison, qui se mirent en bataille. Sous un beau soleil d'été, les casques, les fusils, les p étincelaient de toutes parts. Des spectateurs innot b s, pleins d’une avide curiosité, s'étendirent À un cercle mobile et immense autour des sol- dats , et comblèrent l'intervalle, jusqu’au pied des maisons, chargées elles-mêmes d'un autre peuple de spectateurs qui se groupaient aux croisées. Des chaises, des escabeaux, des planches élevées sur des tréteaux et médiocrement affermies se louaient chèrement aux plus curieux, Je fus de ce nombre , et, servi par le hasard ou par mon adresse , je me trouvai debout, à trois pieds de terre , en face de la statue, et dominant les têtes de la foule et les bonnets mêmes des grena- diers. Deux pavillons élégants, construits pour la fête, reçurent les ministres , les maréchaux de France et les divers états-majors. Midi sonna et le corps municipal, ayant le préfet à sa tête, entra dans le carré d’hon- neur, Les vieux airs nationaux de Henri IV et de Ga- brielle se firent entendre et furent suivis d’un profond re Re + è eat” . nie, à ” . 8h + PIERRE HUET. silence. Tous les regards étaient tendus loue cles cœurs battaient d’impatience. nil Je cherchai des yeux le centenai si je l’en croyais, le héros de ] près le Grand- Roi; mais je ne l’aperçus pas, et je ne pus me dé- fendre d’un sentiment d’inquiétude. Tout-à-coup, le préfet de la Seine, M. de Chabrol, enlève le voile; Louis XIV apparaît! Le Roi de France est vêtu à la romaine; le bâton de commandement est dans sa main, et son cheval se cabre, contenu par sa : ain puissante. Des acclamations s'élèvent et roulent , qui devait être , mme le bruit prolongé du tonnerre , et l'hôtel des Invalides salue de cent-un coups de canon l’apothéose de son fondateur. Sr Le piquet d’Invalides qui entoure la statue s'ouvre alors, et j'aperçois mon vieil ami, Pierre Huet, le ‘vieillard obscur du Pont-au-Change, assis aux pieds de Louis XIV. Il est revêtu de son ancien uniforme, de celui qu’il avait porté dans le régiment de royal-cava- lerie; et cet uniforme lui sied bien, car la joie et l’orgueil du triomphe lui rendent quelque chose du feu de la jeunesse. Le préfet de la Seine s’avance vers lui, place la croix sur sa poitrine, et lui adresse, d’une voix émue, ces mots que l’histoire retiendra peut-être : « Contemporain de Louis XIV ! recevez ce signe de l'honneur. Le Roi décore en vous le doyen des soldats français ! né sujet du Grand-Roi, vous avez vu les géné- rations se succéder; vous êtes témoin que son règne, comme sa gloire , sont immortels! » Belles et simples paroles d’un magistrat à qui la " NOUVELLE. , 85 ville de Paris ne saurait refuser sans ingratitude un long souvenir. Les gouvernements passent; les dynasties s’'écroulent ; mais la mémoire de l’homme de bien, du savant qui consacre ses graves et fortes études au bien- être de ses compatriotes, doit survivre aux dynasties et braver la chute des gouvernements. Pierre Huet était radieux. Sa gratitude éclata en quelques mots qui ne parvinrent pas jusqu’à moi; mais je le vis aussitôt descendre de l’estrade qui soutenait son fauteuil, traverser la place d’un pas ferme, la tête droite et haute, et passer en:‘saluant devant les pavillons des maréchaux et des ministres, qui se levèrent pour lui faire honneur. Il me sembla qu’il m'avait reconnu dans la foule , et je crus surprendre sur son visage un sourire amical, comprimé par la conscience du rôle solennel qu’il remplissait. Les applaudissements suivaient cet homme d’un autre âge; ils redoublèrent au moment où Pierre Huet s'éloigna dans une chaise à porteurs escortée par des Vétérans, fiers d’avoir été choisis pour honorer leur vieux compagnon d'armes. Les rangs s’ouvrirent; la foule s’écarta respectueusement sur son passage, et , tandis que les troupes défilaient, drapeaux déployés, devant la statue du Grand-Roi, le centenaire était con- duit triomphalement à l’hôtel des Invalides. Son heure de gloire était écoulée ; mais désormais rien ne devait manquer au repos de ses derniers jours. J’allai le voir un instant, un seul instant, dans sa nouvelle demeure; car je voulus ménager ses forces. Il ne me dit rien, mais il me serra la main avec ex- pression, et me montra le ciel, comme s’il voulait 6 86 PIERRE HUET. m'indiquer qu’il était prêt à partir pour la dernière et véritable patrie. Cependant, il vécut encore près de quatre ans, toujours serein, bienveillant ; je redoutais de le perdre, car il m'était devenu nécessaire; mais la mort se rit de nos craintes et de nos espérances. L'heure inévitable sonna. Le 26 janvier 1826, Pierre Huet fut surpris par une défaillance. Il put cependant se reconnaître , et mourut en chrétien. C’est par les journaux que j’appris la fin de cet homme de bien, de ce sage modeste; je pleurai, comme un fils retenu loin de son père, et qui n’a pu lui fermer les yeux. Ad ‘ruiné am NOTICE BIOGRAPHIQUE ET LITTÉRAIRE SUR LES DEUX PORÉE, Par M. ALLEAUME , Ancien élève de l'École des Chartes, avocat à la Cour impériale de Paris. La vie des deux Porée et l’étude de leurs ouvrages sont intéressantes sous plus d’un rapport. Elles peuvent contribuer à faire connaître une époque et des mœurs aui diffèrent chaque jour davantage de l’époque et des mœurs actuelles. Éducation de la famille, instruction classique , idées religieuses , usages , tout a changé, et il n’y a pas lieu peut-être de se féliciter de tous ces changements, surtout sous le rapport de l’éducation. Ces contrastes méritent de fixer l’attention de l’obser- vateur , et l’histoire littéraire doit mentionner des ou- vrages trop peu lus aujourd’hui, sans doute à cause de la langue dans laquelle ils ont été écrits. Le nom du père Porée éveille tout de suite le souvenir de Voltaire 85 NOTICE BIOGRAPHIQUE ET LITTÉRAIRE qui semble planer sur tout le XVIII: siècle, et le nom de l’abbé Porée , moins connu , quoique digne de l’être , emprunte un modeste éclat à la gloire de Fénelon. Le père Porée et l’abbé Porée étaient normands; ils avaient l’esprit du terroir, esprit fin, délicat, et raisonneur en même temps. Ils appartenaient à cette haute bourgeoisie qui s’était élevée, enrichie patiemment , où un grand bon sens traditionnel se joi- gnait à la simplicité des mœurs et des habitudes. Dans ces familles, un intérieur calme et régulier, une cer- taine austérité tempérée de douceur , entouraient les enfants comme d’une atmosphère saine et féconde où ils puisaient des enseignements de bonheur pour toute la vie. La Révolution française n’a pas respecté ces lecons du foyer paternel. Aujourd’hui les enfants ont hâte de vivre de leur vie propre, comme s’ils avaient tout à recommencer dans le monde, comme si tous, de bonne heure, ils étaient orphelins. On sent à chaque page, dans les ouvrages des deux Porée, cette influence de l’éducation première : le père Porée a certaine- ment dû à ces inspirations de la famille le sentiment si sûr et si vrai qui l’a guidé dans l'instruction de la jeunesse. C’est sans doute un souvenir de ces rapides années dont la mémoire parfume toute la vie, qui a fait naître ce gracieux tableau : « Oui, j'ai été jeune « et je me suis abandonné à tous les plaisirs de la jeu- « nesse, sous le regard bienveillant de mon père ; « lui-même il nous engageait à nous livrer à nos jeux « le soir, après diner... lui-même, avant le jeu, dis- « tribuait à chacun de nous sa petite somme. Alors, « sœurs et frères, chacun de nous jetait le dé à son SUR LES DEUX PORÉE. 89 = tour. Quand le hasard amenait un des joueurs dans le puits ou au cabaret, c’étaient des rires! — Mais « ils n’offensaient personne. Notre bon père lui-même, « attentif à chaque coup, se mêlait de temps à autre à notre jeu. — Holà! mon enfant, disait-il à celui-ci, « vous allez bien souvent au cabaret; prenez garde « d’y trop rester et d’y mangertout votre bien !—Holà, « ma fille, disait-il à celle-là , sortez bien vite du la- « byrinthe et faites en sorte de ne pas retomber dans « un piège plus dangereux ! Ainsi nous savions jouer « entre nous, sans ennui, sans dommage, et puis « chacun de nous se retirait, en paix avec lui-même « et avec les autres (1). » Les deux Porée appartenaient à « une famille hon- « nête et bien alliée (2). » C’était le style de l’époque, « = (1) Misoponus, acte 3. Traduction de M. J. Janin, Théâtre Eu- ropéen , 1835. (2) Mémoires de Trévoux, mars 4741. —C. Porée, Tragædiæ , editæ op. P. C. Griffet, Præfativ. Ils étaient fils de Thomas Porée, sieur du Buisson, lieutenant au régiment de cavalerie du Maine, et d’Anne Challemel, de la pa- roisse de la Ferté-Macé. Cela résulte du contrat de mariage de « Jacques de la Mellière , « écuyer, sieur de Launay, fils et unique héritier de défunt Fran- « cois de la Mellière, écuyer, sieur de Launay, et de défunte da- « moiselle Françoise de Pillois, ses père et mère, de la paroisse de « la Ferté-Macé, accordé, le 25 déc. 4721, avec damoiselle Anne « Porée, » sœur du père et de l’abbé Porée. Ce contrat a été passé à la Ferté-Macé, devant François du Pont, notaire royal, le 25 décembre 1724. L'auteur de ce mémoire est petit-fils, par sa mère, d’une demoi- selle de la Mellière, dame Saulnier de Gugnon, petite-fille elle-même 90 NOTICE BIOGRAPHIQUE ET LITTÉRAIRE et on se souvient de ce qu’on entendait sous l’ancien régime par le mot « honnête homme. » Charles Porée naquit le A septembre 1675, dans la paroisse de Vendes, près de Caen; Charles-Gabriel na- quit dix ans plus tard, en 1685. Cette différence d’âge a dû contribuer à l'influence très-grande que le père Porée exerça bien certainement sur l’esprit de son frère. Du reste, une grande analogie paraît avoir existé entre leurs caractères; si l'abbé se distingue par quelque chose de plus mondain , les comédies du père Porée nous fourniront un point de comparaison, et nous reconnaîtrons bientôt * cet air de famille, » dont parlait avec raison M. de Fontette (1). Les deux frères ont beaucoup de traits communs : l’éducation pre- mière , l’esprit d'observation et le génie comique. Les ‘de Jacques de la Mellière et d'Anne Porée. Le père et l’abbé Porée avaient un frère, Augustin-Charles Porée, sieur du Buisson, greflier aux bailliage et siége présidial d'Alençon; il fut marié, et Marie- Anne Porée, épouse de M. Michel-Gabriel Bourlier, sieur du Parc, aussi greflier audit bailliage, était sans doute sa fille; elle épousa Michel Bourlier, en 1741. Augustin-Charles Porée mourut en 4777, et la dame de la Mellière était sa seule héritière. MM. Lair sont également petits-neveux du père et de l’abbé Porée. Les la Mellière étaient, au XIVe. siècle, vassaux des rois de France; ils tenaient en foi et hommage divers fiefs dans les paroisses de Maigny, de Briouze et du Mesnil, le fief du Teilleul qui était un huitième de fief de haubert, et ils possédaient le lieu et manoir seigneurial de St.-Morice, par suite de leur association pour la douzième partie de la « baronie et provosté de la Ferté-Macé. » Armes : d’argent, à trois molettes de sable, 2 et 4, à la bordure de gueules , chargée de huit besans d’argent posés en orle, Devise : Christus vincit , regnat. (1) Mémoires de l’Académie des Belles-Lettres de Caen, 1754. SUR LES DEUX PORÉE. 91 romans de l’abbé, les comédies du jésuite peignent les mœurs de l’époque ; leurs ouvrages nous serviront à apprécier l’état des esprits en matière religieuse. Dans le père Porée, nous trouverons deux hommes, le jésuite, professant pour la Société, prenant la plume contre Grenan; l’homme, le chrétien, ne cédant pour publier ses harangues qu’aux ordres de ses supérieurs, constamment en lutte avec lui-même et sacrifiant sa vocation littéraire à sa vocation religieuse. La vie de l'abbé nous paraîtra plus unie, et les modestes fonc- tions du curé de Louvigny s’accorderont avec les tra- vaux de l’académicien de Caen. Les deux Porée étaient doués d’une imagination vive, et celle de l’aîné se tourna de bonne heure vers les idées religieuses. Après avoir fait d’excellentes études au collége du Mont, à Caen, il entra dans la Compagnie de Jésus à l’âge de dix-sept ans, le 8 sep- tembre 1692; il se destinait aux missions. Deux an- nées de noviciat augmentèrent encore sa ferveur ; mais l'esprit religieux ne présidait pas seul à ce noviciat; de fortes études étaient les préliminaires de l'admission dans la Société, et Porée consacra une année à repasser ses études d’humanités. En 1695, il fut envoyé à Rennes, puis à Rouen, suivant le P. de la Sante (1), pour y (4) . . . «quem « Post Rhedonas et Rothomagum « Lutetia « Docentem audiit, . . . .» ( Épitaphe du P. Porée). C’est à Rennes que Porée prononçca son premier discours, en 92 NOTICE BIOGRAPHIQUE ET LITTÉRAIRE commencer son cours de régence. Porée était naturel- lement éloquent; les supérieurs reconnurent bien vite ses dispositions et le chargèrent de la rhétorique. L'année suivante, il fut rappelé à Paris pour se pré- parer à entrer dans les ordres sacrés. On lui confia « une nombreuse chambre de pensionnaires. » Les Jésuites étaient en possession d'élever une grande partie de la noblesse soit d'épée, soit de robe, et, suivant la remarque mordante d’un contemporain janséniste, au sujet des représentations du collége de Louis-le- Grand, « il était certain qu’ils avaient de plus grands « acteurs à former. » Mais la supériorité des Jésuites, comme corps enseignant, était incontestable. La Société formait une milice habilement choisie, dans laquelle tous les talents, dressés en quelque sorte pour la lutte, étaient mis en œuvre avec un discerne- ment exquis. Chacun avait sa place marquée, et la place qui lui convenait pour le plus grand avantage du corps. Élever une génération, c’est s’en rendre maître , et les Jésuites se croyaient maîtres de ces gé- nérations qu’ils avaient élevées avec un art et un soin infinis. De là un choix de professeurs tout-à-fait remar- quables, et parmi eux le professeur de rhétorique était le plus important. Il achevait l’œuvre commencée; il donnait la dernière empreinte à ces jeunes esprits dont le monde allait s'emparer. C’est ainsi que Porée, après avoir achevé ses études de théologie, après avoir dé- buté avec succès dans la chaire, devint, en 1708, 4699 : « Quæ debeant esse vola Galliæ, pro seculo proxime futuro. » SUR LES DEUX PORÉE. 93 malgré son zèle de missionnaire, et par l’ordre de ses supérieurs , le collègue du P. Le Jay dans la chaire de rhétorique , et le digne successeur des Pétau, des Cossart, des La Rue, des Jouvenci. Porée consacra à l’éducation de la jeunesse cette même ardeur qui l'aurait porté à verser son sang pour la conversion des infidèles. Il se dévoua à ses devoirs de professeur ; ils devinrent pour lui « un apostolat, « par lequel il cherchait à se dédommager de celui « auquel on l’avait obligé de renoncer (1). » La mé- thode du père Porée consistait dans un heureux mé- lange d’enseignement moral et littéraire ; l'éducation et l'instruction, trop souvent séparées, se donnaient toujours la main dans ce système si simple en appa- rence et trop rarement appliqué. Le père Porée s’adres- sait toujours au cœur de ses élèves; mais il avait dans son cœur une source féconde d’émotions qu’ilcommu- niquait à son auditoire. Aujourd’hui la règle stricte et minutieusement appliquée remplace le sentiment que le maître devrait inspirer au disciple. De là un ordre tout extérieur , une régularité toute factice, et la dis- simulation dans l’esprit de l’enfant. Cet enseignement était avant tout religieux : l’idée de Dieu en était la base. A cette idée venaient se rattacher tous les prin- cipes qui président à la vie de l’honnête homme et du chrétien (2). (1) Mémoires de Trévoux, déjà cités. (2). . . « Il leur parlait sur tout cela avec tant de dignité, « avec une effusion de cœur si naturelle, d’un ton si pathétique et « si touchant, nous dirions presque si inspiré, que, persuadés d’ail- 94 NOTICE BIOGRAPHIQUE ET LITTÉRAIRE Le père Porée ne mettait pas moins de soins à cul- tiver les dispositions de ses élèves. Il apportait une inépuisable fécondité dans la composition des matières qu’il leur dictait ; il s’attachait à développer les talents qui se révélaient dans leur travail de chaque jour. Ges matières comprenaient des déclamations , des fables et des poésies morales, en français et en latin, Le recueil, qui était considérable, n’a jamais été publié. Le père Porée excellait surtout dans des plaidoyers ou jeux aca- démiques en français, comme les appelle le père Bru- moy; ce genre d'exercices avait été institué par le père Le Jay. Le père Porée, en donnant à ses élèves le dessein et le plan de ces plaidoyers, les accommodait à l’âge et à la qualité de ses jeunes orateurs. Il tenait compte de la position qu’ils devaient occuper, des occasions où ils pouvaient se trouver plus tard, et il leur faisait prendrelestyle et le ton appropriés à ces circonstances. Les élèves perdaient ainsi cet air gauche et emprunté que l’on contracte trop souvent sur les bancs de l’école, et ils acquéraient de bonne heure l’usage du monde. Les drames du collége de Louis-le-Grand avaient le « leurs qu’il ne leur disait rien dont il ne fût lui-même pénétré, « ils le quittaient rarement sans être touchés jusqu’au fond de l'âme, « et souvent on les voyait attendris jusqu'aux larmes. C’est sur quoi « nous ne craignons point d'en appeler au témoignage d’un grand « nombre de personnes qui tiennent aujourd’hui les premiers rangs « dans l’Église et dans l’État. » (Mémoires de Trévoux. } Faut-il parler du revers de la médaïlle, des cuistres, ces dignes précurseurs des maîtres d’études ? Damiens avait été cuistre au col- lége des Jésuites, « collége », dit Voltaire, « où j'ai vu quelquefois les écoliers donner des coups de canif, etles cuistres rire. » “dE SUR LES DEUXS@PORÉE. 95 même but, et la méthode du père Porée ét Ces représentations dans les colléges des l’année scolaire et attiraient de nombreux spectateurs, un public d'élite, composé de dignitaires de l’Église , de gens de cour, d'hommes de lettres. Aux pièces chrétiennes succédèrent bientôt les sujets classiques, et même des sujets tirés de notre histoire nationale. Le goût des spectacles s’était répandu de plus en plus, et les Jésuites s'étaient conformés à ce goût du siècle, que le Jansénisme censurait avec amertume. « Le Ratio Studiorum » autorisait ces représentations (1). À l’époque dont nous nous occupons, elles avaient lieu surtout sur le petit théâtre du collége de Louis-le- Grand, et c’est là que furent jouées d’abord plusieurs tragédies du père Porée, Agapit, Hermenigilde, Brutus et Morice (2). L'auteur formait lui-même les acteurs, ce qui est sur tous les théâtres possibles une des premières conditions du succès. Sans doute le talent de l’acteur fait valoir souvent des ouvrages médiocres; mais ce succès tou- jours incomplet pèche contre la loi d'ensemble, qui veut que le comédien soit l'expression vivante de la (1) « Les tragédies et les comédies ne doivent être faites qu’en « latin ; l'usage doit en être très-rare ; elles auront un sujet saint et « pieux; les intermèdes en seront toujours enlatin ; onn’y introduira « aucun personnage de femme, etc. » Ces règles, sauf la dernière, n'étaient pas toujours strictement observées. Sur ces représentations, consultez M. Walckenaër, Mémoires sur Me, de Sévigné, t. IT, et les notes. (2) Titon du Millet, Parnasse français , Paris, Coignard, 1732, c ses élèves à jouer ses pièces, et il se donnait les peines inouïes pour atteindre le but qu’il se pro- posait et que lui-même nous fait connaître dans son discours sur les théâtres. Il ne s'agissait pas seulement d’habituer les jeunes gens à donner à leur voix des in- tonations agréables, de l’élégance à leurs gestes, de la dignité à leur démarche, des grâces naturelles à leurs attitudes; le père Porée ne négligeait pas tous ces détails dont l'utilité se faisait sentir dans presque toutes les circonstances de la vie; mais en tirant ses élèves de la poussière de l’école, en les conduisant des bancs accoutumés sur une scène plus élevée, il les dressait , par un apprentissage qui devenait un plaisir, aux fonctions qu’ils devaient occuper dans l’État; il les _habituait à l’avance à jouer leurs personnages, à éviter le ridicule, à se rendre dignes de l'approbation du monde. Aussi les acteurs du père Porée savaient tou- jours garder une juste mesure, qui les distinguait des acteurs de profession. Ils se conformaient à leurs rôles, avec l’aisance qui convient à des jeunes gens bien élevés, sans exagération dans les gestes, comme sans abandon affecté; un naturel parfait présidait à leur contenance, à leur démarche, aux mouvements de leurs têtes, de leurs bras, de leurs doigts même. Leur voix s'élevait ou se baissait suivant l'intention de la scène , et l’illusion était complète. Ces représentations charmaient une assemblée distinguée, « qui ne dédaignait pas », dit Porée , « d’assister à ces spectacles enfantins , de prendre « sa part des rires et des larmes de ces jeunes acteurs « et d'apprendre encore peut-être avec eux. » SUR LES DEUX PORÉE. 97 Le père Porée ne cherchait pas la renommée : il la méritait, ce qui n’était pas une raison pour l'obtenir, et la renommée alla le trouver en quelque sorte en franchissant les murs d’un collége : chose rare, et que Voltaire a relevée avec raison. Les élèves du père Porée, une fois entrés dans le monde, n’oubliaient pas leur ancien professeur , et les plus grandes maisons lui furent ainsi ouvertes. Le théâtre du collége de Louis- le-Grand avait fait connaître le poète dramatique; la chaire fit connaître l’orateur. Assemblage qui nous paraît bizarre aujourd’hui : le père Porée fut à la fois homme du monde, poète, orateur éloquent et jésuite. ; Enfin le grand maître du XVIII:. siècle, Voltaire eut pour professeur ce jésuite, ce membre d’une corpo- ration que depuis... Mais Voltaire alors était le Candide “dont plus tard il écrivit l’histoire. Examinons les titres du père Porée à cette célébrité qui est restée attachée à son nom. La supériorité des Jésuites dans l’enseignement tenait à une supériorité littéraire incontestable. Les ennemis les plus acharnés de la Société étaient forcés de rendre hommage aux talents variés deses membres. Bayle rapporte (1), sans vouloir conclure, une curieuse (4) Bayle, art. Alegambe. « Avez-vous pris garde comme moi, au nombre considérable de « gens illustres qui se trouvent présentement dans leur collége de « Paris ? Le père Benier est si consommé dans les langues, que tous « les étrangers d'Europe et d'Asie vont le chercher, et converser « avec lui, comme s’il étoit de leur nation. Peut-on voir une plus « vaste littérature que celle du père Hardouïn? Le père Commire « n’est-il pas un des plus grands poëtes latins qui soient aujourd’hui + 98 NOTICE BIOGRAPHIQUE ET LITIÉRAIRE conversation qui eut lieu à Delft, en 1697, entre des gens de lettres qui avaient accompagné les plénipo- tentiaires de France, des réfugiés français et des savants du pays. On convint de la décadence de l’érudition, et on fit remarquer que cette décadence était très-sen- sible chez les Jésuites , que la place des Bellarmin, des Sirmond, des Pétau était vacante. Il fut répondu que les universités de France n’avaient plus de Fernel, ni de Syivius; que le parti protestant n’avait plus de Ca- saubon, de Scaliger , de Saumaise , et que l’érudition … avait fait place à un goût plus fin, à une culture plus . délicate de l'esprit. Le XVI: siècle compte plus de savants que le XVII. ; mais de combien ce dernier siècle ne l’emporte-t-il pas sur l’autre par l’étendue des lumières! Ce résultat est dû à l'influence de la philosophie de Descartes. Les Jésuites avaient suivi ; comme toujours, la pente du siècle. Les ouvrages du père Porée portent l'empreinte bien prononcée de cette heureuse influence qui caractérise le mouvement littéraire du règne de Louis XIV. Les tragédies révèlent une étude approfondie de Corneille et de Racine; les comédies contiennent plusieurs em- prunts faits à Molière, et emprunter à Molière, c’est emprunter à la nature. Les harangues nous présentent les qualités etles défauts inhérents au genre d’éloquence « au monde? Où est l’homme, qui, pour le françois et pour « le bon goût de la composition, surpasse le père Bouhours, ou, en « fait d’humanités, le père Jouvenci, ou, en beau latin, le père de « la Beaune, qui vient de dônner les œuvres du père Sirmond ? Y u a-t-il en France de meilleures plumes que le père Le Tellier, le « père Daniel, le père Doucin, etc, ? » w" SUR LES DEUX PORÉE. 99 que le père Porée affectionnait et dont Sénèque est le modèle (1). 4 L’imitation de Sénèque le tragique n'est. as moins évidente dans Brutus et dans les autres. uw édies de Porée ; cette imitation se retrouve surtout dans lestyle:. le rhéteur s’y fait trop souvent sentir. Mais pour le fond, ces tragédies sont françaises. Brutus, les martyres de saint Hermenigilde et de saint Agapit, Maurice ont € inspirés par Horace, Polyeucte, Héraclius. Sen contient un gracieux souvenir de Joas, de « cet aimable enfant enlevé à la rage » d’Athalie. Mais Seby Myrza appartient en propre au père Porée, et ils’y trouve une scène d’un grand effet dramatique. C’est le pathétique qui domine dans les tragédies du père Porée, et elles semblent faites pour prouver que l'amour, dont on a tant abusé sur la scène , n’est pas le seul ressort dramatique à l’aide duquel on puisse émou- voir et toucher. Mais il ne faut pas oublier que ces pièces ont été écrites pour le théâtre du collége de Louis-le-Grand. Voltaire, qui, sans parler du style, fut supérieur à Crébillon par l’emploi du pathétique, et qui a emprunté au Brutus du père Porée « quelques traits suilimes (2), » ne goûtait pas les scènes d’attendris- (1) G. Porée, e S. J. Tragædiæ editæ opera P. CI. Griffet, ejus- dem S. sacerdotis, 1745, in-12. Chez Bordelet. Ejusdem Orationes , 1735 , 2 vol. in-12, — 1747, 3 vol. in-12. Ejusdem Fabulæ dramaticæ , 1749 , in-12. Nous ne parlons pas de quelques vers que Titon du Tillet a con- servés et qui datent de la jeunesse de Porée. Ces vers, suivant nous, ne méritaient pas de voir le jour. (2) « C'était, j'imagine, de la part de l’élève une manière d’at- " # F ent ré ue e demandait entre Méropem 5 ils 1e la même différence qui existait sde profession et les jeunes acteurs s pour eux et des pièces composées pour la « Voltaire, avant tout, veut frapper fort : « Quand oignard est dans la plaie, il l’enfonce, Je re- irne et ne le lâche plus. » Ce système que l’on a attaqué , est celui qui convient le mieux à notre % ster sa reconnaissance et son attachement pour son ancien maitre. » (M. Saint-Marc-Girardin. } À , … Ne moriar idem invisus, et tantum feram Luctum sub umbras, excipe amplexu pio Amans amantem : hoc munus extremum dato. Age, pande nato brachia.... ‘ « À cet infortuné daignez ouvrir les bras ; « Dites du moins, mon fils, Brutus ne te haït pas. » Accede, quamvis horreo, amplexum pete. « Lève-toi, triste objet d'horreur et de tendresse. » — vos. Forsan tuis Meisque forsan perfidus tectis latet, Qui jam obligarit Regibus dextram, et caput, Hostemque celet fronte; testemur Deos, Nunquam futurum, Regibus quisquis favet , Per nos inultum. « O Mars, Dieu des héros, de Rome, et des batailles... « Sur ton autel sacré, Mars, reçois nos serments.. « Si dans le sein de Rome il se trouvait un traître « Qui regrettât les Rois et qui voulût un maître, « Que le perfide meure au milieu des tourments! » —..… Rupit vincula, ut nobis daret Graviora Consul. « Ils ont brisé le joug pour l’imposer eux-mêmes, » SUR LES DEUX PORÉE. 401 caractère national, « Jamais, » dit Voltaire, « une « passion réciproque n’éncut le spectateur: il n’y a « que les passions contredites qui plaisent... toute « scène doit être un combat... il n’y a que l'usage « du monde et du théâtre qui puisse rendre sen- « sible cette vérité... » Mais Voltaire n’a pas senti « tout d’abord cette vérité », et son OEdipe prouve, que , lorsqu'il aborda le théâtre , il était « plein de « la lecture des anciens et des leçons de son pro- ‘ fesseur. » Porée qui avait affaire à un public plus patient, ne recule pas devant les lieux communs, et il a des pas- sages d’une éloquence simple et touchante. Tels sont les adieux d’Hermenigilde à sa femme et à son enfant : « L'heure de la mort va sonner pour moi, et je laisse « une femme malheureuse, un enfant bien jeune en- « core... ils ne recevront pas mes embrassements! Tu « lui remettras cet anneau, ce doux gage de notre « union. Mon amour ne périra pas, tu lui diras que « j'ai voulu conserver la foi qu’elle m'avait inspirée , « et que mon père m'a livré à la main du bourreau. « Qu'elle ne pleure pas ma mort. Je suis content de « mourir. C’est elle qu’il faut plaindre : c’est pour « elle que je verse des larmes. Elle devait recevoir de « moi une couronne sur la terre : une autre couronne, « moins fragile, l’attend dans le ciel; elle est digne « de la porter. Qu'elle la fasse toujours briller aux « yeux de notre enfant; que cette espérance lui donne « la force de résister aux maux qui lui sont réservés. « Que sa douce voix fasse pénétrer ses enseignements - dans le cœur de mon fils. Qu'elle l'aime comme une 7 102 NOTICE BIOGRAPHIQUE ET LÎTTÉRAIRE « mère; qu’elle linstruise, comme l'aurait fait son « père (1)! » La pièce est froide : c’est l'inconvénient du sujet. Un fils immolé par son père qui veut en vain lui faire embrasser l’arianisme, ne nous offre pas l'intérêt de Polyeucte immolé par Félix. L'amour fraternel joue dans Hermenigilde un rôle moins important que dans Brutus. « Dans son Brutus, » dit M. Saint-Marc-Girardin, qu'il faut toujours citer en fait de critique, « Porée a fait « un admirable usage de l’amour fraternel. Dans Vol- (1) En mortis hora proxime impendet mihi. Cum prole tenera conjugem oppressam malis, Relinquo moriens. Hispalis clausam tenet. Olli supremum ferre non possum vale, 14, me perempto, deferes. Fidei datæ Hoc dulce pignus, annulum referes simul. Ingundem amabam vivus, extinctus quoque Amabo : vivet usque pos! cineres amor, Tu me, jubente patre, carnificis manu, Cecidisse dices, mente quod firma sacram Fuerim secutus, ipsa quam suasit, fidem. Urgere nostram fletibus parcat necem. Lugenda non est. Sorte sum felix mea. Tpsa, ipsa sortem patitur heu flendam nimis..… Olli rependo , quas mihi lacrymas nego, Regnare per me potuit; at jam non potest. Ne sibi coronam exoptet in terris brevem ; Aliam meretur, melior in cœlo manet. Hanc sæpe tenero principi ostentet procul : Hac spe ingruentes doceat ærumnas pati : Et voce blanda pectus informans rude, Amore matrem se probet, monitis patrem, SUR LES DEUX PORÉE, 103 « aire, c’est l'amour que Titus à pour la fille de Tar- «“ quin, amour qui paraît gauche et mal à l'aise au « milieu de l’austérité républicaine du sujet, qui pousse « Titus à trahir sa patrie. Dans Porée, c’est pour « sauver son frère que Titus consent à devenir cou- « pable, et c’est de là que naît le pathétique du «a drame. » La scène troisième du quatrième acte entre Brutus et ses deux fils est fort belle. Elle rappelle la scène du quatrième acte d’'Héraclius; mais elle produit plus d'effet. parce que la situation est plus simple et plus naturelle. Phocas s’écrie : « Hélas, je ne puis voir qui des deux est mon fils, « El je vois que tous deux ils sont mes ennemis. » Brutus ne peut savoir lequel de ses deux fils est cou- pable : « Ce père que vous méprisez, » leur dit-il, « deviendra votre juge. » Le contraste entre les deux frères est bien tracé, et la résignation touchante de Titus repose l’âme du spectateur, trop violemment émue par l'horreur du dénouement. Le sujet de « la mort de l’empereur Maurice » a été puisé dans « l'Examen d’'Héraclius (1). » Dans la pièce (4) « La supposition que fait Léontine d’un de ses fils pour mourir « au lieu d'Héraclius, n’est point vraisemblable, mais elle est his- « torique; elle n’a point besoin de vraisemblance, puisqu'elle a « l'appui de la vérité qui la rend croyable, quelque répugnance « qu’y veuillent apporter les difliciles. Baronius attribue cette action « à une nourrice, et je l'ai trouvée assez généreuse, pour la faire « produire à une personne plus illustre, el qui soulint mieux la di- « gnité du théâtre. L'empereur Maurice reconnut cette supposition, « et lempêcha d’avoir son effet, pour ne s'opposer pas au juste 104 NOTICE BIOGRAPHIQUE ET LITTÉRAIRE de Porée. c’est Priscus, gouverneur de Justin, le plus jeune fils de Maurice, qui met Héraclius, son fils, à la place du jeune prince, afin de le sauver. Le pa- thétique de la pièce résulte du dévouement d’Héra- raclius et des remords de Maurice, qui reconnaît la supposition et déclare à Phocas qu'Héraclius est le fils de Priscus. Le monologue de Maurice à la vue du trône où va s’asseoir l’usurpateur et le monologue de Phocas lorsque Maurice est conduit au supplice , sont encore des lieux communs; en revanche, il y a dans cette pièce un trait sublime. Justin, le plus jeune fils de Maurice, veut combattre à ses côtés ; Maurice s’y oppose : « Ton âge ne le permet pas, mon fils. JUSTIN. « Mon amour pour vous le permet: il l’'ordonne. MAURICE. « Que peux-tu pour ton père ? JUSTIN. « Je puis mourir. » Dans Sennacherib, Porée s’est heureusement inspiré « jugement de Dieu qui voulait exterminer toute sa famille (Examen « d’'Héraclius). » Maurice avait laissé massacrer plusieurs milliers de captifs qu’il aurait pu racheter à vil prix. Il vit dans sa chute une punition de Dieu. SUR LES DEUX PORÉE. 105 de Racine (1). Dans ces représentations classiques, les spectateurs savaient gré au poëte de leur rappeler les chefs-d’œuvre de notre scène, nés au soufile de l’anti- quité. Sephæbus Myrsa à été imité par Chamfort, dans (1) Anael, jeune hébreu, a été élevé à la Cour ; Sennacherib l’in- terroge sur sa croyance, et Anael répond à peu près comme Joas ré- pond à Athalie : SENNACHERIB. Quid ille possit, quid meus possit Deus Lubet experiri.…… ANAFL, Quin potius illum supplici exarmas prece ? Hac arte sola vincitur noster Deus, Amatque vinci; jam tua infensam manum Sensere castra, senties illam quoque Nisi avocabis quod tibi vulnus parat. SATHALIE. « Que vous dit cette loi ? Joas. Que Dieu veut être aimé, « Qu'il venge tôt ou tard son saint nom blasphêmé , « Qu'il est le défenseur de l’orphelin timide, « Qu'il résiste au superbe et punit l’homicide. » On trouve plus loin l’imitation de ce vers : « Ai-je besoin du sang des boucs et des genisses ? An ille vero sanguinem hircorum bibit ? Mactata numquid membra taurorum vorat ? Sennacherib mourut maudit, comme Athalie, le dieu des Juifs : « Dieu des Juifs, tu l’emportes! » Anael, triumpha ; me Deus vicit tuus! Il y a aussi dans cette pièce une imitation d'Iphigénie. L 106 NOTICE BIOGRAPHIQUE ET LITTÉRAIRE Mustapha et Zéangir (1); mais le suicide de Zéangir est loin d’égaler la scène qui termine la pièce de Porée. Cette scène est fort belle. Seby Myrza a été sacrifié : il a bu le poison que Barsanes s’est empressé de lui envoyer; Abbas fait apporter la coupe, et se venge de Barsanes en le forçant d'offrir lui-même à son fils le reste du poison. ABBAS, « Approche et regarde. DATAMES. « Un voile s’étend sur mes yeux... une sueur glacée « inonde mon visage... le frisson parcourt mes‘mem- « bres.. mes genoux se dérobent sous moi... je « chancelle... soutiens-moi, mon père. BARSANES. « Ah! mon fils, c’est moi qui suiston assassin !.. Hélas! « ses traits sont inanimés ! ABBAS. « Comme les traits de mon fils! (1) Abbas et Soliman soupçonnent tous les deux leurs fils victo- rieux de conspirer pour leur enlever la couronne : Roxelane veut perdre Mustapha, et Zéangir, fils de Roxelane, veut le sauver ; Barsanes, ministre d’Abbas, veut perdre Seby Myrza, et Datames, fils de Barsanes, veut aussi le sauver. Soliman cède aux prières de Zéangir, comme Abbas aux prières de Cursuga. Une sédition sou- levée par les ennemis des deux princes, vient raviver les soupçons d’Abbas et de Soliman. Enfin Roxelane et Barsanes, après avoir atteint leur but, sont punis de la même façon, par la mort de leurs fils. SUR LES DEUX PORÉE. 107 BARSANES. \pâleur couvre son visage ! ABBAS. « La pâleur de Sephæbe. » Toute cette scène est vraiment dramatique. Sephæbus et le Martyre de St.-Agapit sont accom- pagnés d’intermèdes en vers français qui ne manquent ni d'élégance ni &’harmonie. Ils prouvent que le père Porée avait un goût naturel pour la poésie (1). Mais c’est dans ses comédies que Porée se montre vraiment original. Le génie comique est rare. Molière, qui s’y connaissait exprimait sa pensée , et une pensée vraie, quand, « pour la difficulté il mettait un peu « plus du côté de la comédie que de la tragédie. » « Lorsque vous peignez des héros, » dit Dorante, dans la Critique de l’École des femmes, « vous faites ce que (1) Citons ce tableau de la mort d’un martyr : « La tête d’Agapit, à mes pieds abattue, « À glacé tout mon sang et fait frémir mon cœur. « Je n’ai pu cependant en détourner la vue ; « Elle n'inspirait point d'horreur ; « En la faisant tomber sous l'effort de ses armes, « On eût dit que la mort eût respecté ses charmes; « Ses yeux n'avaient que la langueur « D'un bel œil qui s'endort ou bien qui se réveille ; « Sa bouche entr'ouverte et vermeille « M’a semblé, par deux fois, appeler le Sauveur ; « On voyait sur son front une blancheur pareille, « A la douce päleur du narcisse ou du lys, « Abattus par la pluie et fraîchement cueillis, » 108 NOTICE BIOGRAPHIQUE ET LITTÉRAIRE « vous voulez... mais, lorsque vous peignez les hom- « mes, il faut peindre d’après nature. » L ont donné raison à Molière ; nous avons eu , apr eille et Racine, des poëtes tragiques remarquables , et Vol- taire marche à leur tête. Mais la bonne comédie, qu’est-elle devenue? Quand on a cité le Joueur, les Ménechmes, Turcaret, le Méchant et la Métromanie, tout est dit. Voltaire, si fin, si spirituel, dans ses ro- mans, est froid et languissant dans ses comédies. Le père Porée excellait dans ce genre si difficile. Ses comédies sont écrites en latin, pour le collége, et cependant ce sont de véritables comédies, qui peignent les mœurs de cette haute société, que le père Porée avait vue de près, et à laquelle appartenaient la plupart de ces jeunes élèves qui y jouaient un rôle. C’est dans ces ouvrages que se révèlent cette finesse d’observation, cette tournure d’esprit ironique qui ont dû exercer sur Voltaire une influence plus durable que les leçons du professeur en matière de tragédie. Mais la raillerie du père Porée est innocente et pleine d’urbanité. « Sa gaité, » comme l’a fort bien dit M. Saint-Marc-Gi- rardin, « estfranche , naturelle et toujours de bon goût, « digne vraiment de la gaîté des enfants qui lui servaiént « d'acteurs, de cette gaîté du jeune âge, où il n'ya « encore ni cynisme , ni mauvais ton, ni grossiè- « reté. » Le Joueur, le Libertin, le Paresseux sont tous les trois des jeunes gens de la Régence, et la corruption des mœurs, la décadence des maisons nobles, le mépris des traditions de la famille, qui caractérisent cette époque, ressortent d’une manière bien frappante des + SUR LES DEUX Ni 109 tableaux que le père Porée fait passer sous nos yeux. A la mort de Louis XIV, on jeta le masque, et bien des pères eurent sans doute à déplorer les désordres de leurs fils; bien des joueurs vendirent, comme Pézophile, leur patrimoine à des usuriers et à des traitants. Ecoutez ce vieillard, ce fermier qui vient trouver l’oncle du Joueur; il ne se plaint ni de la sécheresse ni d’un ouragan, mais d’un nouveau maître, qui accable tous ses vassaux d’injures et de coups. Voyez le Parvenu prendre, avec un luxe insolent. possession de sa nouvelle demeure : « Six ou huit « jours après, nous arrive un homme à l’air important, « menant grand train avec une longue suite, une chaise « à quatre chevaux, des chevaux de selle caparaconnés, «_ ettout brodé d’or lui-même, vous m’entendez bien?» — Chrysore dit au fermier de continuer, et comme Chrysore , nous avons reconnu tout de suite Turcaret à cette description. — « J'étais dans l'avenue; il me « fait appeler par un domestique. Je lui apprends que « vous éliez tous deux absents, vous et Pézophile; il « me répond que désormais il est le maître des terres « et du châteauet m’en demande lesclefs. Je les refuse; « ilme menace et se dispose à employer la force. Que « faire? Je les lui donne. Depuis cet instant cet homme « impérieux commande en seigneur ; il plante d’arbres « stériles les champs les plus productifs; il trace des « jardins d'agrément; il fait démolir les anciens bâti- « ments pour en faire reconstruire de nouveaux. Au- « dessus de la porte de l'avenue , il a fait poser son « écusson. Cet écusson porte trois... oui, il porte trois « champignons blasonnés; mais cela ne fait rien à la ca mi nous, avec de l'argent se « noble qui veut (4). » Et ce riche bourgeois qui vient demander à Chrysore des renseignements sur les hôtels qui appartenaient à son frère, est-ce de Pézophile qu’il veut les acheter ? Non, mais de l’usurier auquel Pézophile les a vendus, puisqu'il faut parler ainsi pour se conformer à la lettre . du contrat, à cette lettre qui tue véritablement. Ges deux scènes sont le testament d’un joueur, l’oraison Munèbre d’une famille noble et puissante jadis. Pézophile n’est pas le seul que le jeu ait ruiné. Cet Atychès qui vient supplier Pézophile de recevoir son fils dans sa compagnie, Atychès « était riche autrefois; « il avait un nom connu de la capitale et de la cour. « Maintenant il traîne une vie ignorée dans un village. « la mer n’a pas englouti ses richesses ; il était noble « et ne s’est pas livré au commerce; sa fortune a fait « naufrage , mais loin de l'Océan. Atychès ne s’est pas « ruiné en entretenant à grands frais des chevaux et « des meutes pour la c£asse; il n’a pas dévoré son « bien en procès; l’écueil fatal à sa fortune a été la « table des joueurs. » Et cet exemple ne corrigera pas Pézophile; il jouera encore, il jouera toujours, il perdra tout, tout jusqu'à la compagnie que son oncle lui a achetée. Tel est le joueur du père Porée ; à côté de ce joueur, vient se placer un valet qui a peut-être un peu trop d'esprit qu’on lui pardonne facilement; car c’est avec (1) Traduction de M. Gourmez; Notice, par M. Saint-Marc-Gi- rardin. Théâtre Européen. Paris, 1835. “ Le) à SUR LES DEUX PORÉE. if cette monnaie qu’il paie les créanciers de son maître. Parmenon touche la moitié de ses gages, cent écus, etil rêve la fortune : « de valet il deviendra maître et” « noble de roturier; il changera de nom et de race; « Ou, en ajoutant une toute petite lettre à son nom, « de Parmenon il deviendra Parmenion, larrière « petit-fils d’un Parmenion dont il a lu l’histoire; » il fera souche d’honnêtes gens, comme le Frontin de Turcaret. Parmenon avait cent écus, ainsi que le savetier de La Fontaine; mais il n’avait pas lu la fable du Pot au lait. Le valet joue ses cent écus et les perd : le maître se récrie : « Comment, misérable ! « risquer au jeu cent écus? » Parmenon se rejette sur le mauvais exemple. « Malheureux que je suis! » s'écrie Pézophile, « avec ces cent écus je pouvais ra- « mener la fortune. C’est toi, parricide, toi qui as _ « d’un seul coup ruiné ton avenir et le mien. » Mo- lière n’aurait pas trouvé mieux. On voit tout de suite la différence qui existe entre le Joueur de Porée et celui ä&e Regnard; Porée est à la fois un moraliste et un auteur comique : il nous fait rire, mais il nous instruit. Regnard aussi nous fait rire et d’un rire plus vif peut-être; mais il nous peint la passion du jeu avec l'indifférence d’un homme du monde, et comme le ferait un joueur rompu à cette escrime nocturne du tapis vert. Etes-vous joueur ? Tant pis pour vous. Consolez-vous en riant vous-même de votre folie dont ma pièce vous offre l’image fidèle. Voilà ce que Regnard semble dire. Porée vous montre l’écueil et les débris des naufragés. Ecoutez maintenant l’oncle du joueur : « Il avait un DH À Led ÿ à 112 NOTICE BIOGRAPHIQUE ET LITTÉRAIRE « fils unique, son unique amour; il fréquenta des « compagnies pernicieuses. En vain son père le rap- « pela auprès de lui, l’attrait du plaisir l’emporta; « après avoir énervé son âme et son corps, il mourut « bientôt, enfant par l’âge, vieillard par ses vices. » Cet enfant, c’est Eraste, Eraste qui se meurt, Eraste qui ne se connaît plus. Il a un ami, Philédon, livré comme lui au plaisir, et qui se reproche de lui en avoir inculqué les préceptes, de lui en avoir donné l'exemple. Philédon n’est plus le même depuis quelques jours; son valet ne comprend rien à ce changement, l’abat- tement a succédé à la gaîté. Pourquoi Philédon ren- voie-t-il le peintre qu’il a fait appeler ? En vain celui-ci lui trouve-t-il le visage plein et animé, les yeux vifs et brillants; Philédon est dévoré par l’inquiétude. Son . libraire lui a apporté par mégarde un « Traité de phi- « losophie chrétienne sur l’immortalité de l'âme, » et Philédon se demande avec effroi ce que deviendra l’âme immortelle d’Eraste. Eraste meurt, et ses compagnons de débauche accueillent ainsi la nouvelle de sa mort : « Cela m'étonne; il paraissait robuste et bien constitué. « — J'en suis fâché; il dansait avec grâce. — Il buvait « bien; il n’aurait pas dû mourir si tôt. » -— Philédon seul pleure et va confier à une pieuse retraite ses re- grets et ses remords. Misopon appartient à une famille parlementaire; il a fait de bonnes études, il a de l’esprit, du savoir, et cependant il veut vendre la charge de son père : Mi- sopon est paresseux; il deviendra, si la paresse l’em- porte, le joueur ou le libertin que nous venons de voir finir misérablement. Il ne tient pas à de certains amis, Li SUR LES DEUX LORÉE. Là 415 comme il y en a tant, que Misopon reste toute sa vie le président d’une « Académie de paresseux; » mais ,n grâce aux bons conseils de la famille, la raison prend le dessus, et Misopon deviendra un magistrat distingué. Cette pièce est charmante; elle abonde en détails heureux, en développements spirituels et ingénieux. Voici un petit tableau flamand que Brillat-Savarin n’a pas connu, et qui manque à la Physiologie du Goût : « Le thé! Le café! Des fébrifuges! Fi donc! Ce sont « des ennuifuges. Ils dissipent l’ennui, ils chassent les « vapeurs, vous préparez votre café avec tous les soins « copvepables ; — vous le mettez au feu; — il est bouil- « Jlant;s — vous le versez dans votre tasse; — vous le « sucrez à votre goût complaisamment ; — vous le « versez dans la soucoupe en arrondissant le bras; « — vous y portez vos lèvres doucement murmurantes; « — enfin vous l’aspirez lentement et goutte à goutte; « — et cependant le temps s'écoule sans ennui; et ce- « pendant du fond de la tasse vous arrivent un à un, « en bouillonnant, mille joyeux traits d'esprit qui font « la grâce et le charme de la conversation (4). » Prenez-y garde cependant; l'esprit de doute et d’in- crédulité va se répandre : cette liqueur est amère. Méfiez-vous de « tous ces buveurs d’eau chaude qui « vont puiser dans le fond de leur tasse je ne sais « quelle ironie impie et maudite, qu’il est impossible « de tolérer. » Voltaire connaissait-il ce passage ? Misopon sera un magistrat sérieux. Mais que dites- (4) Voyez l’élégante traduction du spirituel fenilletoniste des Débats, J, Janin. M. J. Janin a traduit une pièce du P, Porée, et a écrit une Notice sur ses comédies, CE 414 NOTICE BIOGRAPHIQUE ET LITTÉRAIRE vous de ce père de famille qui ne veut pas que son fils Wainé lui succède sur son siège? Ce jeune homme m anque-t-il de sens, d'esprit? Ses mœurs sont-elles mauvaises ? Non; il n’est pas bien fait de sa personne; il n’a pas une belle voix : son maître de chant a dû désespérer @e lui. — « Il vous faut un magistrat et non « « pas un chanteur. » —« Mais, » objecte le père, il ne sait pas danser (1)! » Cette réponse suffit à tout : il ne sait pas danser! Pends-toi , Figaro (2)! Au magistrat petit-maître succède le petit abbé, son digne acolyte. Regardez : il passe sous vos yeux. « = I a, dans son armoire, une soutane longue qu'il porte une ou deux fois par an, à l’occasion de quel- que cérémonie. Le vêtement que vous lui voyez est plus court, noir, mais propre et recherché. Au lieu de ces manches étroites qui ressemblent à deux four- reaux, il a des manches qui s’élargissent à partir du coude : elles sont élégammentretroussées. Il n’est pas emprisonné dans son vêtement boutonné du haut en bas; le sien est ouvert sur la poitrine et livre pas- sage à du linge fin et d’une éblouissante blancheur. Son petit manteau léger, étroit, rejeté sur ses épaules pour plus de commodité , tombe gracieuse- ment derrière lui. Son chapeau fin et soigné n’a pas de ces larges bords étalés en cercle ou rabattus non- chalamment : celui de devant est relevé et donne à la physionomie un petit air provoquant. Le rabat part du cou pour s’entr'ouvrir légèrement sur le (1) Les vocations forcées, « Liberi in deligendo vitæ instituto coacti.» (2) « On pense à moi pour une place, mais par malheur j'y étais propre; il fallait un calculateur, ce fut un danseur qui l’obtint, » ® SUR LES DEUX PORÉE. w 115 « haute la poitrine; il est d’une extrême finesse*et « a toute la raideur convenable. Les cheveux coupés « avec art, frisés, pommadés, poudrés, sont relevés « sur les tempes, pour laisser voir les oreilles petites « et rosées; ils se cacheront au besoin sous une k 2 « ruque blonde, courte, élégante; car le petit a d « ne doit pas vieillir. Que le tracas des affaires im- « prime ses rides sur le front du magistrat, que le vi- « sage du militaire soit sillonné par les cicatrices, où » brûlé par l’ardeur du soleil : c’est leur état. La figure « du petit abbé doit conserver l’éclat d’une jeunesse « immortelle; c’est tout au plus s’il peut toucher à © « l’âge mur. Le luxe, les plaisirs, les spectacles, les « petits soupers, voilà sa vie! » On le voit : le père Porée est bien le poète comique selon Dorante, le poète qui : peint d’après nature ;— « dont les portraits ressemblent; — qui y fait recon- « naître les gens de son siècle. » — « Je regarde le « père Porée aujourd’hui, » dit M. Saint-Marc-Gi- rardin, “ comme un de nos meilleurs auteurs comi- « ques, et cela sans paradoxe. » Aussi Porée a beau imiter Molière (1), il est toujours original. D’ailleurs comiment ne pas imiter Molière ? (1) Dans la pièce : « Cœeus amor patrum, » où Porée met sur la scène un père injuste pour le fils qui l'aime, et faible jusqu’à l’excès pour le fils qui ne l’aime pas, Patricius est désabusé sur le compte deses enfants de la même manière qu'Argan sur le compte de Béline. L'’engouement de Patricius est parfaitement dépeint ; la scène où il interroge le précepteur de ses fils sur leurs caractères est une scène de bonne comédie et qui rappelle : « Le pauvre homme ! » Il y a aussi dans la pièce des Vocations forcées, un tartufe, et, par e 116 NOTICE BIOGRAPHIQUE ET LIPTÉRALRE “Molière soutenait que « tous les hommes.sont fous, « et que néanmoins chacun croit être sage tout seul. » Cette thèse, si vraie au point de vue de la philosophie … et peut-être de la médecine, contient une source iné- isable de comique. L’ingénieux badinage d’Erasme Re sur cette idée que Desmarests a maladroitement mise en œuvre dans sa comédie des Visionnaires ; c’est la piquante moralité de la fable de la Besace : « Le fabricateur souverain « Nous créa besaciers tous de même manière, « Tant ceux du temps passé que du temps d'aujourd'hui : O « Il fit pour nos défauts la poche de derrière, « Et celle de devant pour les défauts d'autrui, » C’est sous ce point de vue que la vie humaine est réellement une comédie, et une comédie que Molière seul était capable de faire passer sur la scène. Céli- mène et les personnes qui composent sa société, puisent dans « la poche de devant » et oublient « la poche de derrière. » Porée possède l’art de ces contrastes si frappants. Dans la comédie intitulée : « Cœcus amor patrum, » ce père qu’une injuste prédilection aveugle sur le compte de ses enfants, adresse de vifs reproches à un de ses amis, au sujet de la mauvaise éducation qu’il donne à son fils par excès d’indulgence; de même, parenthèse, un tartufe janséniste, qui s’est emparé de l'esprit d’un père de famille. Cette pièce attaque le préjugé qui imposait d'avance, dans les familles nobles, tel ou tel rôle aux enfants, suivant l’ordre de leur naissance. SUR LES DEUX PORÉE. 417 dans la comédie des Vocations forcées , le père qui veut contraindre ses fils dans le choix d’une carrière, blâme un de ses amis qui, lui aussi, a deux fils et ne veut pas permettre au plus jeune de se consacrer à l'Église. Les comédies du père Porée sont trop peu connues: écrites dans une langue morte , elles contenaient une peinture vivante des mœurs d’une époque singulière , et à ce titre elles sont curieuses aujourd’hui. Elles nous révèlent la tournure d’esprit du père Porée, et ce qu’il eût été, comme auteur , s’il n’eût pas sacrifié sa voca- tion littéraire à sa vocation religieuse. L'auteur ne vit pas seulement de gloire; mais la gloire est l'aliment de son génie. Le chrétien, le prêtre reportent tout à Dieu, même le talent qu’ils ont reçu de lui, et s’enveloppent dans leur humilité. Porée ne consentit jamais à laisser publier ses œuvres drama- tiques. Il cédait ses harangues aux ordres de ses supé- rieurs; le recueil incomplet fut publié à son insu, en 1735. On obtint de lui avec beaucoup de peine qu’il les retoucherait. Il y a un contraste frappant et qu’il ne faut jamais perdre de vue, entre l’esprit d’une corporation et les qualités individuelles des membres qui la composent. Jamais cette observation n’est plus nécessaire que lors- qu’it s’agit de la Société de Jésus. Le père Porée était véritablement humble ; mais il n’était pas de l'intérêt de la Société que ces harangues prononcées avec tant de succès, dans des occasions d’éclat , restassent igno- rées. Il ne convient pas à un prêtre d’encenser les grands de la terre; mais il importait à la Société que la 8 118 NOTICE BIOGRAPHIQUE ET LITTÉRAIRE mémoire de Louis XIV, de ce roi qui avait des Jésuites pour confesseurs , fût dignement célébrée; que le Ré- gent, favorable d’abord aux Jansénistes, recût des éloges ; que le jeune Roi fût adulé ; enfin il était néces- saire pour l'illustration de la Société, que la réputation d’un professeur tel que le père Porée, se répandit au loin. Voilà ce qui explique tant de choses qui nous pa- raissent singulières aujourd’hui dans les discours d’ap- parat (Orationes panegyricæ) du père Porée, et les exagérations du père Bougeant et du père Baudori au sujet de Porée lui-même. Gette distinction nous expliquera encore tout à l’heure la querelle du père Porée avec Grenan, et les contradictions de Voltaire, lorsqu'il parle de ses anciens maîtres. D'ailleurs, si les Jésuites ne laissaient passer aucune occasion de faire leur cour, cela était conforme à l'esprit de l’époque. Mais trop souvent la postérité dément l’orateur. Le père Porée a beau écrire sur la tombe du Dauphin, fils de Louis XIV, cette inscription louangeuse : « Filio optimo, Parenti optimo, Principi a Optimo » ; l’histoire portera le même jugement que Saint-Simon sur « cet homme sans vice ni vertu... « absorbé dans sa graisse et dans ses ténèbres, qui, « sans aucune volonté de mal faire, eût été un roi pernicieux (1). » L'histoire aussi a dit ce qu’étaient « les vertus » du Régent et ce que sont devenues les espérances qu’in- (1) S. P. Ludovici Franciæ Delphini laudatio funebris (171). Parisiis, in-4°. SUR LES DEUX PORÉE. 419 spirait à Porée l'enfance de Louis XV (1); elle n’a pas encore jugé peut-être « ce maître de la paix et de la « guerre, ce châtieur des nations , cet homme immortel « pour qui on épuisait le marbre et le bronze, pour « qui tout était à bout d’encens (2) » ; maiselle fournit un commentaire final, tracé en caractères de sang, pour les vœux que Porée prêtait à la France, alors qu’il saluait l’aurore du XVIIT°, siècle (3). (1) De Principe, qualis futurus sit; utrum jam inde ab ejus pueritia augururi liceat (4717). Parisiis, Mougé, 1727, in-4°. (2) Saint-Simon. — Ludovici magni, Fronciæ et Navarre Regis Laudatio funebris (1715). Parisiis, Papillon, in-4°, Il y a une traduction française de ce discours par l'avocat Man- nory, le même qui, après avoir reçu de Voltaire l’aumône, a fait contre lui un libelle, — Paris, Mougé, 1716, in.-8°. Lettre du R. P. C, Poree, J., a M. Grenan, au sujet de l’Oraison funébre du Roy, qu’il a prononcée en Sorbonne le A1 décembre 4745, in-42 , 4746. — Réponse de l’auteur de l’'Oraison funébre du Roy a la Lettre du pére Porée , j. Ensemble, 1747, in-12, 35 pages. Voici les Litres des autres discours que le père Griffet a intitulés : Orationes panegyricæ. Gallis ob victoriam reducem Gratulatio 1743). Ludovico XV, Regi Christ., recens uncto et coronato, Gratulatio (1722 ). Regi Christ. Ludovico XV, regni moderamen capessenti Gratu- latio (1723). Parisiis, Barbou, in-4°. In ortu S. Delphini Gratulatio (1729). Aussi Louis XV, qui avait souvent entendu parler du père Porée, « voulut bien, » lorsqu'il apprit sa mort, « l’honorer de son regret « et de ses éloges. » Ces oraisons funèbres et les autres discours étaient prononcés devant les prélats qui tenaient pour la Constitution, les cardinaux de Bissy, de Rohan, etc. (3) Quæ debeant esse vota Galliæ, pro seculo proxime futuro 120 NOTICE BIOGRAPHIQUE ET LITTÉRAIRE Bossuet seul pouvait faire entendre aux maîtres de la terre « ces grandes et terribles lecons » que leur réserve la Providence. Quant aux panégyriques con- temporains, ils deviennent l'arrêt des princes qui trompent l'attente de leurs sujets. Le genre d’éloquence auquel visait Porée est tout-à- fait éloigné de la sublimité religieuse qui convient à l’oraison funèbre. Le père Porée est avant tout un homme d’esprit; ses comédies nous l’ont fait connaître sous ce rapport. C’est un homme d’un esprit vif, bril- lants il veut produire de l’effet à chaque pas, il pro- digue les antithèses ; il tombe dans la recherche et dans l'affectation (1). Le débit de l’orateur était, à ce qu’il paraît, merveilleusement adapté à ce style : beaucoup de feu, de vivacité, une pantomime expressive ; du reste une taille élevée, une physionomie heureuse , une voix sonore. Pour ce qui est de la latinité, quand ona signalé limitation du style de Sénèque, on a dit tout ce qu’il est possible de dire. Ajoutons que le gallicisme se fait partout sentir dans les ouvrages du père Porée, et surtout dans ses comédies. C’est le style des tragédies qui nous paraît le plus pur et le plus élégant, sous le (4699). « Attu, vive diu, Lodoix, vive, non unius, sed gemini « seculi future gloria et felicitas.. vivant nepotes.…. » (1) Nous citerons pour exemple ce passage de l’Oraison funèbre de Louis XIV, dans lequel Porée représente Louis XV enfant, recevant la bénédiction de son aïeul : « Accedit, flet, admonente jam natura « quid amittat, licet docente nondum cupiditate quid acquirat, » Ce passage servit de prétexte à Grenan pour accuser la morale des Jésuites. Porée s’est laissé séduire par une antithèse déplacée : voilà tout, SUR LES DEUX PORÉE. 121. rapport de la latinité. Il est vrai que Porée les avait travaillées et revues avec un soin infatigable, Porée a tracé lui-même le plan de son Oraison fu- nèbre de Louis XIV : « Vous voulez faire l’éloge de « Louis XIV, de ce prince qui a reçu plus de louanges « que tout autre prince, et auquel on n’en donnera ja- « mais trop, si on lui donne celles qu’il a méritées, « je n’exige pas de vous que vous rapportiez en temps « et lieu toutes les paroles remarquables, toutes les « actions d'éclat, toutes les mesures importantes qui « ont signalé la vie de ce monarque; la prétention « serait injuste, un pareiltravail n’aurait pas de bornes. « Laissez nos historiens réunir leurs efforts pour sou- « lever ce fardeau que pas un d’eux peut-être n’est de « force à porter. Ils exploreront toutes les parties de « ce long règne, et suivront toutes les périodes de « cette vie si pleine et si mémorable. Ils nous montre- « ront cet enfant donné par Dieu, envoyé par lui pour « l’honneur et l'accroissement de cet empire, comme un présent manifeste de sa bonté toute-puissante ; triomphant déjà avec l’aide de Dieu, quoiqu’inca- pable encore de combattre par ses mains; apprenti « dans le métier des armes, et déjà capitaine. Jeune « homme, ils nous le montreront volant aux combats « en toute saison, et d’un mot, d’un geste, d’un signe, « dissipant de nombreuses armées, emportant des « villes fortifiées, subjuguant des provinces entières. « Nous verrons l’homme mûr tantôt répandre son ac- « Livité au dehors et tenter de grandes entreprises, tantôt rester dans son royaume, faire tout mouvoir sans trouble, diriger tout par ses avis d’un bout à 2 = 129 NOTICE BIOGRAPHIQUE ET LITTÉRAIRÉ l’autre de la France. Nous verrons ce Roi, vieux seu- lement par sa prudence, supporter , sans en être ac- cablé, le poids des ans et de la royauté, soutenir seul le fardeau des affaires. Traités, réformes de la législation, encouragements donnés aux arts, ré- pression de l’hérésie, présent d’un Roi à l'Espagne, un nombre infini de miracles de tout genre, aux- quels la postérité croira d’autant plus facilement qu’elle aura plus de peine à se les représenter , rien ne sera oublié par l'historien. Il décrira tout avec un soin que soutiendra toujours la crainte d’être accusé de négligence. » « Mais ce n’est pas un discours historique, que vous voulez faire : il vous suffira dès-lors de considérer toutes les vertus de ce Grand-Roi, de chercher quelles sont celles qui ont jeté le plus d’éclat sur sa vie et qui ont dominé en quelque sorte toutes les autres, d’en choisir deux ou trois. Montrez-nous sa modé- ration dans la prospérité, sa fermeté dans le mal- heur , son attachement à la religion ; montrez-nous ce Roi grand dans la guerre , plus grand encore dans la paix, mais tout-à-fait grand par son amour pour la religion. » Ce passage se trouve dans le discours « De pane- gyricis orationibus » (1716), qui semble avoir été composé pour servir de réponse à Grevan et aux au- tres professeurs engagés dans sa querelle (1). Pa (4) On peut voir dans le Dictionnaire des anonymes de Barbier et dans la Bibliothèque française de l'abbé Gouget, la liste des ou- vrages composés à l’occasion de cette polémique oubliée avec raison aujourd'hui. e SUR LES DEUX PORÉE. 423 Bénigne Grenan était professeur de rhétorique au collége de Harcourt; il prononca en Sorbonne une Oraison funèbre de Louis XIV, le 11 décembre 1715, un mois après celle de Porée. Le jésuite qui avait ap- pelé la doctrine du Jansénisme « la fille exécrable « d’une exécrable mère, » en l’assimilant au Calvinisme, écrivit à Grenan pour lui reprocher d’avoir « donné à « « = entendre que Louis XIV avait été exposé à l'illusion au sujet du Jansénisme, et qu'il avait poursuivi un fantôme. »—« Vous est-il permis d'ignorer, » ajoutait Porée , que le Jansénisme est une hérésie réelle, et qu’il a étécondamné en France plusieurs fois comme tel ? Que penseront de vousles vrais catholiques, lors- qu'ils liront votre Oraison funèbre, s’ils y voient traiter d’illusion le zèle d’un des plus religieux monarques qu’aiteusla France? Pensez-vous qu’en faisanttomber la séduction sur les Jésuites qui ont eu l'honneur d'approcher de Sa Majesté, vous mettiez à couvert la réputation du Roi et la vôtre? » Grenan fit imprimer cette lettre avec sa réponse. On n’a conseillé, » dit-il,« de ne pas répondre à une pareille lettre venant d’un jésuite; » ce qui ne ’em- pêche pas de riposter à l’attaque par une véritable escobarderie : « Le Jansénisme condamné par l’Église « « « « « est une hérésie réelle, que j’abhorre aussi bien que vous ; mais le Jansénisme que vous poursuivez avec tant de fureur , est un fantôme dont vous vous servez pour sacrifier à votre haine tout ce qui ne fléchit pas le genou devant l’idole de votre orgueil. » Mensonge de part et d'autre. Le Jansénisme n’était qu’un prétexte : la vieille lutte de l’Université et des 124 NOTICE BIOGRAPHIQUE ET LITTÉRAIRE Jésuites, voilà la cause de la querelle! Mais ne sem- blerait-il pas singulier d’y voir figurer le père Porée, si l’on ne se rappelait cette discipline qui faisait de chaque jésuite un soldat ? Le parti janséniste se crut tout-puissant lorsque le duc d'Orléans prit en main la régence. Tout contribuait à enfler les espérances de ce parti long-temps op- primé : l'éloignement du père Le Tellier, le crédit du cardinal de Noailles, le rappel des exilés pour les affaires de la Constitution, l’accueil fait à l’Université, et enfin le déchaînement de tout Paris contre les Jé- suites , qui furent enveloppés dans cette ardente réac- tion contre le système suivi par Louis XIV, pendant les dernières années de son règne. Peu s’en fallut qu’on ne mît le feu à leurs trois maisons. Depuis long-temps _ la fille aînée des rois de France se plaignait de voir les pères de famille « mener leurs enfants à des sources « beaucoup moins anciennes, et qui, certainement, » disait Coffin, « ne seront jamais plus pures. » Les Jé- suites enseignaient gratis; de plus un jeune jésuite en- seignait, dans le court espace de cinq ans, grammaire, syntaxe, poésie, et laissait bien loin derrière lui tous les maîtres ès-arts qui avaient vieilli dans le même genre de littérature. En conséquence, les écoliers affluaient dans les colléges des Jésuites; c'est ce que l'Université ne leur avait jamais pardonné. Les deux Oraisons funèbres furent prononcées dans ces circonstances : les adversaires étaient en présence et s’épiaient. Grenan, dans sa Réponse, se moque de l'assimilation du Jansénisme avec le Calvinisme , et dit que « beaucoup de personnes riaient en écoutant l’ora- SUR LES DEUX PORÉE. 125 « teur, » Nous ne savons pas si « beaucoup de per- « m4 riaient, » mais nous soupçonnons fort Grenan d’avoir ri, et ce fait expliquerait la conclusion de Porée : « Je vous prie... de songer que Dieu est un « juge sévère , qui nous jugera sur nos paroles comme « Sur nos actions (4). » Quoi qu’il en soit, les supérieurs de la Société, voyant les Jansénistes relever la tête, n'auront pas attendu un défi, et Porée aura pris la plume pour écrire sa Lettre à Grenan. Le père Porée était sincère : à ses yeux, le Jansénisme n'était qu’une dangereuse hérésie ; mais la Lettre est due aux inspirations puisées dans l’esprit de la Société. Cette querelle dégénéra en une discussion de profes- seurs épluchant des discours de rhétorique. D’un côté, on mettait en avant Cicéron et Quintilien; de l’autre, Pline-le-Jeune et Sénèque. Aux anciens on opposait les. modernes, et leurs défenseurs, Fontenelle et Lamotte. Nous retrouvons la lutte entre les Jésuites et les Jan- séuistes à propos de la question des spectacles, de cette polémique à laquelle se rattachent tant de noms illus- (4) L'abbé La Fargue, en demandant quelles étaient les personnes qui avaient pu rire, et en voulant bien supposer que Grenan n’était pas du nombre, vient à l'appui de notre hypothèse : « M. Grenan, » dit-il, « a été surpris des applaudissements donnés au père Porée ; « son indignation alla presque jusqu’au courroux... il est de ces « passionnés adorateurs de l'antiquité, que les miracles de nos « jours endurcissent dans leur aveuglement. » ( Réponse a La cri- tique faite par M. G. (Guérin), professeur de rhétorique au collége de Beauvais , sur L'Éloge funèbre de Louis-le-Grand, prononcé par le père Porée. Paris, 1716, in-12, 108 p.) 126 NOTICE BIOGRAPHIQUE ETeLITTÉRAIRE tres, Bossuet, Nicole, Bourdaloue , Racine, Boileau , J.-J. Rousseau, et qui, sans cesse renouvelée, rappe- lait, suivant les expressions du père Porée , « ces ba= « tailles équivoques, après lesquelles de part et d'autre « on s’attribue bien ou mal la victoire. » « Le Théâtre changé en école de vertu, » tell@est la thèse développée par le père Porée, dans un discours qui est à coup sûr le plus brillant de tous ceux qu’il a composés; telle est aussi le titre d’un ballet du père de la Sante, qui semble avoir mis en action le discours du père Porée (1). Du reste, Porée appliquait cette ré- forme à tous les genres de littérature, et dans les ro- mans, dans la poésie, comme sur la scène, il con- damme sévèrement les peintures amoureuses (2). On peut donc dire que Porée veut épurer la littérature, etsurtout le théâtre. C’est un rêve sans doute, et, comme celui du bon abbé deSt.-Pierre, le rêve d’un homme (1) Theatrum sitne, vel esse possit schola informandis moribus idonea (1733)? avec la traduction du père Brumoy. Paris, Coi- gnard, in-4°. Critique sur le discours des théâtres du père Porée, Bibliothèque Ste.-Geneviève, mss. Y, f 4. 1468, in-4°. 494 p. Ce manuscrit est de la même année, 1733 ; l’auteur, qui était sans doute un profes- seur de l’Universilé, dit « qu’on lui a envoyé depuis quelques jours « la traduction du père Brumoy. » On sent dans cette critique l’amère austérité du Jansénisme ; sous le rapport littéraire, elle rappelle celle de Grenan et de Guérin à propos de l’Oraison funèbre de Louis XIV. (2) De librorum amatoriorum fuga ; parmi les discours que le père Griffet a intitulés : Orationes sicræ , et qui étaient prononcés les veilles des principales solennités. 11 y a dans le recueil cinq autres discours de ce genre : 1n natali SUR LES DÉUX PORÉE, 197 de bien; mais nous voyons dans ce discours autre chose qu’ « une longue figure, un jeu d’esprit, cimbalum « resonans, » comme le prétend un critique contem- porain, et lui-même nous sert de guide lorsqu'il dit : « D’autres pensent que le père Porée a voulu justifier « son goût particulier pour la comédie (1). » En effet, nous voyons un homme de talent, doué d'une imagination vive, se dévouer pendant trente- trois ans à la mission la plus difficile et la plus ingrate peut-être, à l'éducation de la jeunesse; ses confrères nous disent qu’ « il fut toujours le même... qu’il ne « connaissait que deux objets, les devoirs de la piété et « ceux de son emploi (2); » et nous en concluons tout simplement que cet homme fut un homme vertueux’, mieux que cela , un parfait chrétien, Mais que de luttes il faut soutenir contre soi-même pour arriver à cette Christi; —De Christo patiente ; —De adventu Spiritus Sancti ; —In Festo Sanctorum omnium ;—De amicorum delectu. Et parmi les discours intitulés : « Orationes Academicæ , » De Libris , qui vulgo dicuntur Romanenses. Ce discours, ainsi que celui Sur Le choix des amis, ont été tra- duits par Garcin de Neufchâtel, vers 4756, in-8°., t. III et V du Choix littéraire de Vernes. (4) « L’Apologie du Théâtre (quoi qu’il puisse être) est un ouvrage « un peu profane pour un membre de la Société de Jésus. Nam quæ « conventio Christi ad Belial ? Mais si l’on joint à la profession de « jésuite, celle d'homme de lettres, de bel esprit, et de curieux qui « en est inséparable, il n’y a plus lieu de critiquer notre auteur sur « le choix de la matière : elle est tout-à-fait de son ressort. » (2) Le père Bougeant, Lettre à l’évêque de Marseille, dans les Amusements du cœur et de l'esprit. Gette lettre est trop longue et écrite d’un style emphatique, 128 NOTICE BIOGRAPHIQUE ET LITTÉRAIRE perfection ! Que de combats qui n’ont que Dieu pour témoin, et dont seul il peut donner la récompense! Voilà tout un côté agité d’une vie si calme en appa- rence, et tout un côté inconnu, éclairé seulement par la lumière céleste qui brille dans les âmes humbles et pieuses. Ah! cette guerre continuelle que le chrétien se livre à lui-même, nul ne peut la raconter : le bien seul qu’il a fait annonce sa victoire (1). Le père Porée avait un goût très-vif pour la poésie, une véritable vocation littéraire, et nous croyons qu’il ne la sacrifia pas sans peine à ses devoirs de prêtre. Il n’y à pas jusqu’au gallicisme habituel de son style, sans parler du caractère mondain des comédies , qui ne nous révèle cette tendance réprimée par les pratiques ferventes de la religion. Nous nous trompons peut-être ; mais l’effort tenté par le père Porée pour reconcilier le théâtre avec la morale chrétienne, nous semble un ré- sultat de cette disposition de son esprit. Ce n’est plus un rhéteur ; c’est un chrétien sincère, qui veut tourner au profit de Dieu les dons précieux que Dieu lui-même a faits à l'intelligence de l’homme. Illusion, soit ! mais cette illusion honore l’orateur au lieu de le ra- baisser. Porée ne défendit pas seulement la morale du chris- tianisme ; il défendit le dogme catholique : « In doc- « trinis quanti referat neque nimis, neque minus « credere. » Ce « neque minus credere » s'applique à (1) « Le père Porée avait vécu dans une guerre continuelle avec « lui-même... Tous les jours, il passait sans le moindre intervalle du « tribunal de la pénitence à l’autel. » (Mémoires de Trévoux ). SUR LES DEUX PORÉE. 129 la doctrine religieuse , et en effet le temps était arrivé où les croyances religieuses allaient se compter en moins. Les « Pensées sur les comètes » avaient annoncé la venue d’un astre fatal au christianisme, et qui ré- pandait sur le XVIILe, siècle son lugubre éclat (1). (4) Bayle. — « Jurisperilus sine lege, judex sine tribunali, we « sine gladio, civis sine patria, historicus sine fide, criticus sine = probitate, censor sine pudore, philosophus sine opinione, theo- & logus sine religione, omnis homo, et nullus homo... » — « Homo « malo publico natus, qui, quo primum tempore de cometis nugari « adorsus est, jam tum præsagire potuit Europa, quam ferale et « exitiosum rei christianæ sidus in illo ingenio maligne splendido « orirelur. » Ce discours a été prononcé devant le cardinal de Poliguac. Et dans le discours : De criticis (4731) : « Quam sibi religionem dari velit, « dicat ipse, vel ejus lectores. Ego nullam adimo ; nullam do. » Porée a vu avec raison dans le Dictionnaire critique l'arsenal où l'incrédulité du siècle devait puiser ses traits les plus acérés. Voici les titres des autres discours académiques : De eloquentia. Quare varia sit apud varias gentes, mutabilis apud eandem gentem eloquentiæ forma ? De satyra. Utrum satyra in civitate bene morata, et quatenus admittenda sit (1710)? Utrum jure, an injuria, Galli levitatis accusentur (1725)? Traduit par Rossel, Mélanges de littérature , de morale et de phy- sique, par Mme, d’Arconville, publiés par Rossel; Amsterdam, 1775, 7 vol, in-12, 7°, vol. Utrum informandis heroibus sit magis idoneum Regnum, an Respublica (1727)? dédié au prince de Conti, et traduit, sur la demande du prince, par le père Brumoy. Ut in castris, sic in foro suum heroicis virtutibus locum esse (1729 ). De usu ingenii, sive in eos qui non utuntur ingenio , vel ingenio abutuntur. 130 NOTICE BIOGRAPHIQUE ET LITTÉRAIRE Cet astre s’éclipsa cependant, mais devant Vol- taire, devant cette gloire si funeste à l'esprit sacerdotal; et ici se présente une question inévitable : Comment se fait-il que l'éducation donnée à Voltaire par ces maîtres habiles, par ce prêtre vertueux dont nous venons de raconter la vie exemplaire, ait fait de Voltaire un aussi auvais chrétien? et comment expliquer les contra- ons flagrantes de Voltaire à l’égard de ses anciens maîtres ? La réponse est bien simple. Voltaire a recueilli l'héritage de la philosophie épicurienne, de cette morale fondée sur l'intérêt bien entendu et si commode à l’égoisme éternel du cœur humain; Voltaire a recueilli l'héritage de Rabelais, de Montaigne, de Gassendi; cette philosophie couva sous Louis XIV : le Régent en fut la vivante expression, et Louis XV, touten voulant conserver le dogme , la mit en pratique et en donna du haut de son trône le plus scandaleux exemple. Ce ré- sultat fut préparé par les dernières années du règne de Louis XIV : l'hypocrisie et l'intolérance amènent tou- jours à leur suite la licence et l’incrédulité. Le germe existait, et Voltaire l’a fécondé. Le père Le Jay ne s’y trompail pas lorsqu'il lui prédisait «qu’il serait en France « le coryphée du Déisme. » Joignez à cela cette marche incessante vers le but de toute sa vie , la destruction des abus et du fanatisme, cette lutte de tous les instants contre les obstacles qui paissaient des institutions et des préjugés, cette irri- tabilité exaspérée par la résistance, par la persécution , et qui le poussa par degrés au plus désolant scepticisme, et vous comprendrez les étranges anomalies que nous allons signaler. SUR LES DEUX PORÉE. 131 Rien ne pouvait être plus antipathique à Voltaire.que l'esprit de la Société de Jésus. Qu'on se rappelle le père Tout-à-Tous, dans l’Ingénu, et dans Candide, le cri des Sauvages : « Mangeons du jésuite ! » mais l’Ingénu, Candide avaient été d’abord le jeune Arouet, et une date explique tout. D’ailleurs Voltaire, si hardi pour jouir de sa libre et curieuse pensée, était très-prudent, très-circonspect dans la conduite de la vie, et il se ménagea toujours desintelligences dans le camp ennemi. Les Jésuites, par prudence aussi, ne voulaient pas s’aliéner ce disciple redoutable , et perdre tout le fruit de cette grande renommée littéraire. De là un com- merce très-délicat, et qui dura tant que vécurent les anciens maîtres de Voltaire. Il y a deux choses dans ses lettres à son professeur, le père Porée : les sentiments sincères qu’il lui avait inspirés, tout-à-fait indépendants de sa qualité de jé- suite, les souvenirs classiques dus à son enseignement, et ces adroites concessions que sut toujours faire le philosophe de Ferney (1). Mais il y a aussi les progrès de l’âge et de l’expérience, le désenchantement, la désillusion qui s'affichent d’une si triste facon dans (1) La lettre au père de la Tour, si souvent citée, a été écrite pour faciliter l’admission de Voltaire à l’Académie. « Rien n’effacera dans mon cœur la mémoire du père Porée, qui « est également chère à tous ceux qui ont étudié sous lui. Jamais « homme ne rendit l'étude et la vertu plus aimables. Les heures de « ses lecons étaient pour nous des heures délicieuses, et j'aurais « voulu qu’il eût été établi dans Paris comme dans Athènes, qu'on « pôt assister à tout âge à de telles lecons : je serais revenu souvent « les entendre, » (7 février 17/6. ) 132 NOTICE BIOGRAPHIQUE ET LITTÉRAIRE Candide. Ce Pococurante, las de tout, de Raphaël et d'Homère, ce Pococurante qui, à propos d’'Horace ne voit pas quel mérite il peut y avoir à dire à son « ami Mécénas, que s’il est mis par lui au rang des « poëtes lyriques, il frappera les astres de son front « sublime; » et qui a soin d’ajouter que « les sots « admirent tout dans un auteur estimé, » ce Poco- curante, c’est Voltaire; mais trente ans auparavant, en 1728, suivant Fréron, Voltaire écrivait ces lignes au père Porée : « Si la Henriade vous plaît, si vous y « trouvez que j'ai profité de vos leçons; alors sublimi « feriam sidera vertice. » Voltaire était jeune alors, un noble enthousiasme l’animait, et celui qui plus tard écrivit la Pucelle, disait à son ancien professeur : « Regardez-moi comme un fils qui vient, après plu- « sieurs années, présenter à son père le fruit de ses « travaux dans un art qu'il a appris autrefois de lui... « Surtout, mon révérend père, je vous supplie in- « stamment de vouloir bien m'instruire si j’ai parlé « de la religion comme je le dois, car, s’il y a sur cet « article quelques expressions qui vous déplaisent, ne « doutez pas que je ne les corrige à la première édition « que l’on pourra faire encore de mon poème. J'am- « bitionne votre estime , non-seulement comme auteur, « mais comme chrétien (1). » (1) Œuvres de Voltaire, édit. de M. Beuchot, t. LI. —Cette lettre a été publiée pour la première fois par Fréron, en 4769, dans l'Année littéraire, t. VII. La lettre porte pour suscription, « À Paris, rue de Vaugirard, « près de la porte St.-Michel, » SUR LES DEUX PORÉE. 133 Dans la seconde lettre datée du 7 janvier 1730, suivant M. Beuchot, le persifilage a déjà remplacé l’en- thousiasme; mais Voltaire se persiflle lui-même. Il s’agit d'OEdipe et des observations du tripot comique au sujet de cette tragédie. La lettre est charmante : « J'étais extrêmement jeune. je travaillai à peu près « comme si j'avais été à Athènes. Je consultai M. Dacier, « qui était du pays; il me conseilla de mettre un chœur « dans toutes les scènes, à la manière des Grecs: « c'était me conseiller de me promener dans Paris avec a la robe de Platon... » Il n’y avait pas de rôle pour l’amoureuse : « Les comédiennes se moquèrent de « moi... les acteurs, des acteurs petits-maîtres et « grands seigneurs, refusèrent de représenter l’ou- « vrage. » Et comme Voltaire est courtois dans la polémique littéraire! Est-ce bien l’auteur de l’Ecossaise qui parle ainsi ? « Je ne suis de son avis sur rien » (il s’agit des deux OEdipes de La Motte ); « mais vous m'avez « appris à faire une guerre d’honnête homme. J'écris « avec tant de civilité contre lui, que je l’ai demandé « lui-même pour examinateur de cette préface, où je « tâche de lui prouver son tort à chaque ligne, et il a « lui-même approuvé ma petite dissertation polémique. « Voilà comme les gens de lettres devraient se com- « battre; voilà comme ils en useraient, s’ils avaient « été à votreécole; maïs ils sont d’ordinaire plus mor- « dants que des avocats, et plus emportés que des Jansénistes. Les lettres humaines sont devenues très- «a inhumaines; on injurie, on cabale, on calomnie, on fait des couplets. Il est plaisant qu’il soit permis 9 à = 434 NOTICE BIOGRAPHIQUE ET LITTÉRAIRE « de dire aux gens par écrit ce qu’on n’oserait pas « leur dire en face! Vous m’aviez appris, mon cher « Père, à fuir ces bassesses , et à savoir vivre comme « à savoir écrire. » Au sujet d’OEdipe, Voltaire est d’accord avec son ancien professeur ; mais lorsqu’en 1739, il lui soumet Mérope (1), le disciple se montre moins docile , et avec tous les ménagements possibles, il fulmine contre les lieux communs. Il est vrai qu’il s’excuse bien vite : « Songez seulement, mon cher Père, que ce n’est pas « un lieu commun que la tendre vénération que j'aurai « pour vous toute ma vie. » Il y a quelque chose de touchant dans ces rapports d’un grand poète avec son ancien maître : « Je vous « devais Mérope, mon très-cher Père, comme un hom- « mage à votre amour pour l'antiquité et pour la pu- « reté du théâtre; il s’en faut bien que l’ouvrage soit, « d’ailleurs, digne de vous être présenté; je ne vous a l’ai fait lire que pour le corriger. » Et Voltaire se justifie d’avoir fait une faute de géographie ancienne : « Messène n’est point une faute de copiste. » De son côté, le père Porée avait envoyé à Voltaire un extrait d’un ouvrage sur l’Optique, composé par un jésuite, peut-être le père Castel, et Voltaire trouve que cet ouvrage « suflirait pour mettre Newton à la « tête des physiciens. » Il paraît qu’on avait rapporté à Voltaire certaines paroles du père Porée, qui sans doute renfermaient un (1) Cette pièce, refusée par les comédiens français en 1738, fut corrigée par l’auteur et représentée le 29 février 1743. SUR LES DEUX PORÉE, 435 blâme des opinions philosophiques de l’élève. Voltaire avait touché ce point délicat, et Porée s’était expliqué à ce sujet dans sa réponse. Aussitôt Voltaire se soumet : « Je n’avais pas besoin de tant de bontés, et j'avais « prévenu par mes lettres l’ample justification que vous « faites, je ne dis pas de vous, mais de moi; car si « vous aviez pu dire un mot qui n’eût pas été en ma faveur, je l’aurais mérité. J’ai toujours tâché de me « rendre digne de votre amitié , et je n’ai jamais douté « de vos bontés.. je vous conjure de dire à vos amis « combien je suis attaché à votre Société. Personne ne me la rend plus chère que vous. » Ces rapports entre le maître et son élève sont une des bonnes traditions de l’ancien régime qu'il est permis de regretter. Cette lettre nous apprend que la santé de Porée était déjà altérée :« Je vous supplie de conserver votre santé, « d’être long-temps utile au monde, de former long- « temps des esprits justes et des cœurs vertueux. » Porée demandait en vain un successeur : il voulait quitter Paris et ne plus s’occuper que de Dieu. « De- puis plusieurs années, » dit le père Bougeant , « il ne « connaissait que deux objets, les devoirs de la piété et ceux de son emploi. La prière et le travail l’oc- « cupaient tout entier tour à tour; la charité seule « avait droit de prendre sur son temps quelques mo- « ments qu’il donnait à solliciter en faveur du mérite « et de la vertu indigente. » Le père Porée fut absent de sa classe un jour seule- ment; il lutta contre la fièvre, et, trois jours avant sa mort, il avait repris, au grand étonnement de tous, à 2 & 136 NOTICE BIOGRAPHIQUE ET LITTÉRAIRE ses pénibles fonctions, et célébré la messe. « Le 10 «a janvier (1741), on lui administra le saint via- « tique, et le 11, à cinq heures du matin, l'extrême « onction : il souhaita ensuite qu’on lui dit la messe ; « elle était à peine finie, qu’il expira sans agonie, « étouffé par une obstruction au pilore avec inflam- « mation... il conserva jusqu’au dernier soupir une « connaissance pleine etentière (1). » Cette simple phrase empruntée à l’histoire du siècle de Louis XIV, contient un digne éloge de Porée : « Son plus grand mérite fut de faire aimer les lettres « et la vertu à ses disciples. » Porée avait placé, en 1712 environ, son jeune frère auprès de Fénelon, comme bibliothécaire. Ce jeune ‘ homme n’avait pas rencontré des professeurs aussi ha- (1) Mémoires de Trévoux. Il était âgé de 65 ans, 4 mois et 6 jours. 11 fut inhumé dans l’église du collége de Louis-le-Grand. Le père de la Sante fit son épitaphe, et les deux vers mis au bas du portrait de Porée, gravé par Balechon, in-4°. : Pietate an Ingenio, Poësi an Eloquentia, Modestia major an Fama? Le père Baudori fut le successeur de Porée, et il fit son éloge dans son discours « sur la difficulté de succéder aux hommes illustres. » Nous empruntons le fait suivant à une Notice sur Porée, insérée dans la publication des « Normands illustres » (1846) : « On rap- « porte que, lors de la suppression de l’ordre, les commissaires du « parlement recherchèrent son corps dans le caveau où il était « déposé, et que, l'ayant trouvé sain et entier, ils y firent jeter de « la chaux vive. » On trouve deux lettres inédites de Porée dans la Correspondance du père André, publiée par MM. Charma et G. Mancel. SUR LES DEUX PORÉE. 137 biles que son frère, et leur excessive sévérité avait amené comme toujours chez l’élève le dégoût de l’étude. Gabriel Porée n’eut que cette seule ressource pour charmer les loisirs de la convalescence, après avoir eu le malheur de se casser une jambe. Il avait alors vingt-cinq ans. Il entra dans la congrégation de l’Ora- toire ; elle passait pour être entachée de Jansénisme , et cette circonstance engagea peut-être le père Porée à en faire sortir son frère, et à l'envoyer auprès de l'archevêque de Cambrai. Fénelon mourut le 7 janvier 1715 ; l'abbé Porée fut donc son bibliothécaire pendant deux ans au moins, et il put connaître l’âme de Fénelon, « cette âme grande, « noble, tendre, compatissante , bienfaisante, géné- « reuse. » Qui s’étonnerait de semblables éloges lorsqu’il s’agit de Fénelon? Comment n’aurait-il pas inspiré à l’abbé Porée les sentiments d’une tendre vé- nération? Il faut lire dans le discours sur ce pro- verbe : « Après moi le déluge, » et dans la « con- « clusion de la Mandarinade , » l'expression touchante de ces sentiments. Il faut entendre l’auteur parler des « conversations du prélat, plus riches encore que ses « écrits. »— « La liberté des entretiens secrets lui » permettait de découvrir ce qu'il était trop prudent « pour confier au papier. Quelque admirable que soit « la facilité de son style, coulant sans inégalité , gra- « cieux sans affectation, naturel sans négligence, fleuri « sans ornements superflus , il fallait entendre M. de « Cambrai pour connaître toute la vivacité de son « esprit, toute la profondeur de ses réflexions, tout « le feu de son imagination , et la force inimitable de 138 NOTICE BIOGRAPHIQUE ET LITTÉRAIRE « ses expressions. Il peignait, pour ainsi dire, conti- nuellement , tant il sentait fortement les choses, La facilité ne diminuait rien de la justesse. Jose dire qu'il parlait encore mieux qu’il n’écrivait. On ne pouvait bien juger de la totalité de son mérite qu’en s’efforçant de lui trouver quelque endroit faible. Plus il était pénétré, plus il devenait admirable. L'examen le plus critique était pour lui le plus avantageux. Dans tous les points de vue, il paraissait un ouvrage fini. Quand on rassemblait toutes les qualités de son cœur et de son esprit, on était tenté de le regarder comme élevé au-dessus d’une condition mortelle. » N’est-on pas tenté de s’écrier , comme M. de Fon- tette, vice-protecteur de l’Académie de Caen : « Que « « vous êtes heureux d’avoir été aimé de ce grand homme! » L’abbé Porée est un véritable disciple de Fénelon. S'il fait tomber le masque dont se couvrent d’indignes ministres des autels, s’il combat la superstition et l’im- posture, c’est qu’il veut « épurer la piété. » —« Nous « « avons assez de dévotions grimacières et de pure montre. Je travaille, autant que je puis, à établir dans ma paroisse une solide piété, et les sentiments d’une religion qui ait son principal siége dans le cœur... quelques personnes m’accusent de vouloir trop simplifier la piété, sous prétexte de l’épurer (1). » Qui ne reconnait ici l'esprit des ouvrages de Fénelon? (4) Lettres sur la sépulture dans les églises. — Le curé Heurtin, l’auteur des impostures d’Evrecy et de Landes , reprochait à l’abbé Porée , entre autres choses, « un mépris affecté pour les pratiques u de la religion, » SUR LES DEUX PORÉE. 139 Ranimer le sentiment religieux, étouffé par la contro- verse, par des pratiques minutieuses et machinales, froissé à la fois par l’autorité impérieuse du sacerdoce et par l'hypocrisie : tel paraît être le but que ce grand homme se proposait d'atteindre, et que Bossuet entre- voyait avec un indicible effroi. Epurer la piété; tel était le grand besoin religieux de l’époque , en présence des envahissements de Pin- crédulité. Les vices du clergé, favorisés par les rési gnations des bénéfices et les droits de collation des patrons et des dignitaires, mettaient obstacle à cette réforme, et ce sont les vices du clergé que l'abbé Porée a constamment combattus. Tous ses ouvrages en font foi, et nous devons croire qu’ils contiennent fidèlement la pensée de Fénelon, recueillie par son bibliothécaire. L'histoire de D. Ranucio d’Alétes (1), sous la forme (4) Venise, chez Francisco Pasquinetti, 1736, in-12, figures. Histoire de D. Ranucio d’Aléetés , histoire véritable, id., 1738, in-12, fig. 3e, édit., Hist. de D. R. d’Alétés, écrite par lui-même. Venise, aux dépens de la Compagnie, 1758, in-12, fig. Quelques exemplaires, suivant Barbier, contiennent une clef im- primée ; il nous a été impossible de nous procurer cette clef. Raphaël d’Aquilar, ou les moines portuguais, histoire véritable du XVIII*, siècle, publiée par M. de Rougemont. Paris, Grandin, 4820, 2 vol. in-12. Nous reproduisons ici une note curieuse miseà la tête de l’exem- plaire de la Bibliothèque nationale, éd. 1738, Y ,; cette note est de la main de M. du Mersan et signée par lui, avec cette date : 46 octobre 1842. « M. de Rougemont a fait réimprimer ce roman 140 NOTICE BIOGRAPHIQUE ET LITTÉRAIRE d’un roman, n’est pas autre chose qu’une peinture très-exacte et très-spirituelle des mœurs du clergé. « Tous les vices des hommes, » dit l’auteur dans la pré- face, « doivent, comme on le sait, leur tribut à la « censure; et il n’y a que le préjugé populaire qui en « ait pu exempter jusqu'ici parmi nous ceux qui la mé- ritaient peut-être davantage, je veux dire les moines et le clergé. » C’est surtout contre les moines que cet ouvrage est dirigé; ils sont très-bien définis : « Une compagnie a d'hommes, à qui pour la plupart le dépit et l’étour- « derie a fait prendre le parti de vivre aux dépens des « simples qui les admirent. » Le roman de Porée se compose d’une série de ta- bleaux entre lesquels il ne faut pas chercher un lien bien étroit, mais qui divertissent toujours le lecteur. ‘ Le licencié Alétès, le financier Grapina, le patriarche de Lisbonne sont des personnages du temps; nous re- connaissons tout de suite le curé de campagne à « sa « face enluminée et relevée d’un grand nombre de « rubis bachiques, à ses yeux bordés du plus vif in- R à a sous son nom, en 4820, sous le titre de D, Raphaël d'Aquilur , etc. Il s’est borné à changer les noms des personnages, et il a sup- « primé dans le deuxième volume une allégorie rabelaisienne qu’il a n’a pas comprise. » « Barbier dit, dans son Dictionnaire des anonymes et des pseudo- nymes : « Si M. de Rougemont échappe à l’accusalion de plagiat, il le devra à l’équivoque du mot : publiée, » « J'avais prêté ce roman à Rougemont qui venait de publier son u roman des Missionnaires; il l’a fait réimprimer sous son nom, « sans même m'en prévenir. » e = SUR LES DEUX PORÉE. 441 « carnat, à ses joues telles qu’on en donne à Borée, à « son menton qui lui descend à triple étage sur la poi- « trine; » le financier, à sa stupidité digne de Tur- caret, et l’évêque, à son orgueil. Le conte du « Diable « malade » est une charmante fantaisie rabelaisienne; la bataille des licenciés au sujet du prince Albaniusæ est une allégorie très-transparente; il s’agit de la que- relle du Jansénisme , de l'appel au futur concile, et il est facile de reconnaître Clément XI dans le prince Albanius, la Société de Jésus dans Dona Inès Loyolina, la constitution Unigenitus dans le fils issu de leur union, le père Le Tellier dans le vieux druide gaulois Tellerio, « qui avait ensorcelé un des plus grands empires du « monde, à qui il avait fait adorer des tableaux et des « poupées à la place du vrai Dieu; » allusion évidente à l'affaire des cérémonies chinoises. L’elixir diabolique” composé par ce vieux druide, est une allusion à la feuille des bénéfices, qui était aussi essentielle à la puissance du confesseur du Roi que les sceaux l’étaient au chancelier. La vente des bénéfices dont le cardinal de Noailles avait accusé le père Le Tellier, n’est pas oubliée. Une autre allégorie plus obscure, celle de la guerre des singes et des castors, nous semble concerner la persécution contre les Huguenots et la révocation de l’édit de Nantes. Mais ce chapitre « exercera l'esprit « de plus d’un lecteur, » ainsi que le titre l’annonce. En un mot, ce roman est rempli d’allusions aux affaires du temps. On trouve même une allusion au fils du Ré- gent, le dévot, qui étudiait le syriaque pour mieux se pénétrer de la Sainte-Écriture. Le récit est entremêlé d'épisodes et de nouvelles 142 NOTICE BIOGRAPHIQUE ET LITIÉRAIRE qui amusent, tout en atteignant le but de l’auteur. La maltôte monastique sur la vendange est un tableau flamand tracé de main de maître. L'abbé Porée est artiste dans ses descriptions; il peint. Ges moines , en uniformes différents, assis chacun sur un tonneau , ces danses de vendangeurs, cette discussion soulevée par un paysan qui prétend que celui qui ne travaille point ne doit point manger, le soin avec lequel certains rats de cave tirent à pleins seaux leur dîime du vin, le sermon du religieux monté dans un des cuviers et descendant bien vite pour courir après un mâtin affamé qui s'était emparé de la mandille monacale et du gigot qu’elle contenait, enfin la lutte entre le mâtin et son adversaire, la chute du moine et le partage forcé de la sainte guenille , tout cela forme une scène incom- Parable et digne du pinceau de Goya. La prédication des missionnaires et la plantation de la croix ne sont pas choses moins plaisantes. Qu’on se figure trois moines montant en pleine église sur une corde tendue, et l’un d’eux, pour figurer la liberté de l’homme placé entre le bien et le mal, se tenant en équilibre, malgré les secousses que donnent alterna- tivement à la corde les deux autres confrères travestis, l’un en diable et l’autre en ange, jusqu’à ce que le moine se casse le nez et prouve par sa chute la fragi- lité humaine; qu’on se figure les vierges et les femmes se disputant l’honneur de lever la croix, invoquant, les unes la présence de la Vierge et de la Madelaine au crucifiement , les autres les droits de la Vierge au dou- ble titre de femme et de vierge, et ceux de la Made- laine au simple titre de fille ; enfin la discussion finis- SUR LES DEUX PORÉE, 143 sant par une mêlée générale des saintes Bacchantes. L'abbé Porée n'a pas ménagé les abus qui résultaient . du mélange du sacré et du profane sur les théâtres des ” Jésuites; mais cette satire frappe sur les colléges de province, car il ne faut pas oublier qu’il s’agit dans tout ce roman des mœurs de la province, L'aventure qui le termine rappelle un opéra-comique fort connu : «Ranucio, déguisé en nonne, se trouve enfermé dans un couvent de religieuses, où il est témoin de désor- dres trop fréquents alors, et dont Mademoiselle de Montpensier parlait déjà dans ses Mémoires. ” Dans le second discours préliminaire de la Manda- rinade , l'abbé Porée s’est encore élevé , avec l'accent d’une vertueuse indignation, contre « ces oiseaux vo- « races qui mangent la moëlle des cèdres du Liban. » Il a très-bien expliqué dans l’Examen de la prétendue possession des filles de Landes, la cause de ce mal invétéré : « La superstition, vers laquelle les hommes « ont un penchant qui n’est que trop déclaré, est for- « tifiée et entretenue par l'intérêt d’un grand nombre « de personnes qui tirent avantage de la faiblesse et « de la crédulité des peuples; il y a sur cet article « une espèce de monotonie dans tous les siècles et « chez toutes les nations. Le christianisme naissant « avait donné de rudes atteintes aux prestiges des ora- « cies et à toute la manœuvre des magiciens; mais le « grand nombre des fidèles était encore désintéressé. « On ignorait alors cette fausse spiritualité qui a cano- « nisé la mendicité et la fainéantise, le travail des mains était en honneur. Au V°, siècle parurent des hommes vagabonds, qui, sous un nom autrefois AR 2 Au NOTICE BIOGRAPHIQUE ET LITTÉRAIRE « respecté, enlevoient par leurs quêtes ce qui aurait « dû être employé à la subsistance des veuves et des « orphelins. S. Augustin (De opere monachorum), . « employa inutilement contre eux cette plume victo- « rieuse du paganisme et de plus d’une hérésie : on a « vu reparaître la fainéantise el la mendicité sous, de s « nouvelles formes ; l'ignorance et la superstition, « leurs compagnes inséparables, se sont accréditéesw « auprès du vulgaire. On ne connaît que trop leurs fu- « nestes progrès; leurs partisans se sont rendus aussi « redoutables qu’ils sont nombreux. » L'abbé Porée s’en tient à « la saine philosophie qui * « est l'accord de la raison avec la foi. » Cette heu- reuse définition qui nous fait connaître Porée comme un chrétien, comme un prêtre formé à l’école de Fé- velon, est développée dans un passage remarquable sous le double rapport de la pensée et du style : « Deux sortes de personnes ignorent la religion, les « libertins et les dévots. Les uns et les autres s’ar- « rêtentà l'extérieur. Les premiers, qui en sont blessés, « se révoltent et conçoivent de l’aversion pour cette « religion, qui est infiniment respectable et aimable » pour ceux qui la connaissent à fond. Les autres s’ar- « rêtent à des pratiques menues et arbitraires, et se « nourrissent de cette écorce sèche et insipide. Pour « plaire constamment et sans dégoût , la religion doit « être étudiée , connue et approfondie. Or, cela de- « manderait une sérieuse application et une solidité « d'esprit, dont les dévots et les libertins sont presque « tous également incapables. Ceux-ci ne sauraient « justifier leur incrédulité; ceux-là ne peuvent dé- + SUR LES DEUX PORÉE, 445 + « fendre leur croyance. Savoir laguelle de ces deux « personnes fait plus de tort à la religion ,£’est un « problèm à résoudre. Je crois, sauf meilleur avis, « a secte des dévots est la plus dangereuse : ils PP e les vices des incrédules, à quoi ils ajoutent « la duplicité, l'hypocrisie et une envieuse malignité. « Les incrédules sont des rochers éminents dans la mer; « leur élévation au-dessus de la superficie des eaux, « avertit de n’en pas approcher si l’on craint le nau- « frage. Les dévots sont des brisants cachés sous la sur- « face trompeuse des flots qui les couvrent; on les « aperçoit toujours trop tard. » 1 Nous n’avons pas besoin de faire remarquer la sou- plesse et l’énergie de ce style nerveux, coloré, où la justesse de l’expression ne nuit jamais à la force de l’image. Ge style est également naturel, vif, enjoué. II semble que l’abbé Poree ne doit pas moins à Fénelon sous le rapport de la forme littéraire, que sous celui de ia pensée philosophique et religieuse. Dans les deux ouvrages que Porée a composés sur la Possession de Landes (1), c’est encore la supersti- tion et l’ostentation dans les pratiques religieuses, qu’il (4) Examen de la prétendue possession des filles de la paroisse de Landes , diocèse de Bayeux , et Réfutation du mémoire par lequel on s'efforce de l’établir. À Antioche (Rouen), chez les héritiers de la Bonne Foi, à la Vérité, 1737, 4°. avec cette date : 6 septembre 4735, 27 pages. Préface, avertissement, x pages. (M. Barbier a mal relaté le titre, et s'est trompé sur la date; M. Weiss n’a pas connu cel ouvrage), Le Pour et le Contre de La possession des filles de Landes , diocése 146 NOTICE BIOGRAPHIQUE ET LI1TÉRAIRE : : combat avec cettejuste mesure , indice d’une foi sin- cère. En 2, peu de temps avant les miracles opérés sur la tombe du diacre Pâris, une prétendue possession fit beaucoup de bruit dans toute la province. Des fa ts” extraordinaires se passaient, disait-on , à Landes, chez des personnes de condition; ils furent bientôt connus de tout le monde : « M. Leaupartie distribua dans le « public, en 1735, un Mémoire pour établir l’obses- « sion et la possession de ses enfants, et de quelques « autres filles qui avaient copié les extravagances de « ces jeunes demoiselles. » Cette imposture fut l’œuvre d’un sieur Heurtin, curé de Landes, et directeur-général de toute la famille de M. de Leaupartie. Ce prêtre avait déjà été interdit au sujet d’une visionnaire, appelée la Sainte d’Évrecy. Il trouva dans les demoiselles de Leaupartie des instru- ments dociles. « Dévotion outrée, lecture continuelle « de légendes qu’une sage critique n’avait point épu- « rées ; méditations forcées et mal assorties à un âge « tendre ; récitations multipliées de rosaires ; confes- « sions et communions indiscrètement ordonnées; his- « toires ensuite de possessions et de maléfices; dis- « cours sur les magiciens et les sorciers; prônes et « catéchismes où il était plus parlé des Démons que de « la Divinité, de l’enfer que du ciel. Telle avait été « l’éducation bizarre et mal entendue des filles de M. de Bayeux, Antioche (Rouen), 1738, 8°. (du Douet, célèbre mé- decin de Caen, a travaillé à cet ouvrage ). Mémoire justificatif de la conduite du sieur Heurtin, curé de Landes , en 2 parties , 1739, 4°, 139 pages. SUR LES DEUX PORÉE, 447 « de Leaupartie..….. Toute la paroisse de Landes voyait « avec édification de jeunes filles de condition prier et « méditer jusqu'à huit et neuf heures du soir dans « l’église, à la compagnie de leur curé. C'était cepen- « dantle corps de ces demoiselles que le Démon avait choisi pour y faire sa résidence depuis plus de trois « aps. » Les scènes les plus scandaleuses se passèrenttbientôt dans l’église de Landes. « A son retour de Paris, M. « de Bayeux (de Luynes) fut fort sollicité de venir à « Landes; il n’avait pas beaucoup d’envie de basarder « le voyage ; il prit le parti de faire venir ces demoi- « selles à Villers : il les vit, il leur parla; il reçut « même un souflet, et dès-lors il crut qu’il n’y « que le Diable qui fût capable de s'échapper à une pareille irrévérence ; il ne douta plus de la pos- session. » L'Évêque fit venir à Caen les prétendues possédées, et le Diable subit un nouvel examen en présence des docteurs des deux facultés de théologie et de médecine, et des supérieurs des communautés, tant jansénistes que molinistes indistinctement. Les médecins, MM. du Douet, de la Ducquerie et Boullard , ne s’y trompèrent pas : ils ne virent qu’un accident très-naturel dans l’insensibilité de ces filles pendant leurs syncopes. « La servante fut tourmentée « en différentes manières : on la piquait, on lui brûlait « la peau, et elle ne montrait point de sentiment. Il « n’y eut que l’esprit de sel ammoniac que le sieur « Desfontaines-Boullard, chirurgien, lui enfonça dans « lesnarines, qui fitun effet auquel M. et M”°. de Leau- = = & 148 NOTICE BIOGRAPHIQUE ET LITTÉRAIRE « partie ne s’attendaient pas. Les larmes coulèrent a d’abord des yeux de cette servante; elle jura ensuite « contre les b. de médecins et le b. de chirurgien qui « avait fait l'opération. Étant tombée quelques mo- « ments après en syncope devant les mêmes personnes, « dès qu’elle vit le sieur Boullard s’apprêter à lui « donner un pareil remède, elle sortit de cet état 4 affegté, et cria qu’elle voulait s’en retourner, et « qu’elle ne demeurerait pas davantage à Caen entre « les mains de ces b. de médecins qui la réveillaient « si incivilement. » L'Évêque de Bayeux, poussé par M. de Leaupartie, fit venir de Paris un sieur d’Herbinière, ancien vicaire Sainte-Opportune , chassé de la paroisse à cause de es rêveries au sujet des diables, et élève d’un prêtre nommé Charpentier, exorciste alors fort célèbre à Paris. Ce Charpentier avait été prié de faire le voyage; mais il lui avait été impossible de quitter une ville telle que Paris, « où le clergé était, » disait-il, « tout « perverti, et où le Diable faisait tant de ravages. » Enfin il prit le parti d’aller combattre lui-même le diable normand qui ne voulait pas démordre. Son ar- rivée devait être le signal du départ de tous ces dia- bles assemblés dans l’église de Landes : « C’était une « affreuse mélodie que le concert qu’ils y faisaient. » Enfin l’Évêque, conseillé par des personnes prudentes , soumit Charpentier à une épreuve devant laquelle le magnétisme a reculé également de nos jours. Un écrit connu seulement de l'Évêque et mis sous enveloppe, devait être divulgué par les possédées. Charpentier fut confondu : il se tira d’affaire en disant que les preuves SUR LES DEUX PORÉE, 449 déjà obtenues étaient suffisantes, que Dieu ne per- mettait pas au Démon de se manifester de nouveau. L’évêque ouvrit les yeux : Charpentier fut chassé , et le curé Heurtin reçut un ordre de la Cour de se rendre à l’abbaye de Bellestoile, ordre de Prémontré; les demoiselles de Leaupartie entrèrent dans différentes communautés, tant à Caen qu’à Bayeux. Tels sont les faits que Porée examine. Cet ouvrage est fort curieux. Il faut remarquer la parfaite mesure avec laquelle l’auteur a traité un sujet aussi délicat à cette époque. Dans l'avertissement , Porée réfute une feuille imprimée que les possessionistes répandaient furtivement, et dans laquelle on voulait prouver la possession des filles de Landes par la possession des religieuses d’Aussonne (1662). Porée examine ensuite les préjugés généraux et particuliers qui prédisposent les esprits au merveilleux; il raconte les faits, y joint des réflexions aussi justes que piquantes, et discute la décision de douze docteurs de la Sorbonne , auxquels M. de Leaupartie avait présenté un mémoire. Les doc- teurs, au lieu d’imiter la réserve des médecins de Paris que M. de Leaupartie consulta également, avaient eu l’art d’embrouiller la question. Porée termine par un parallèle de quelques possessions , avec celles des filles de Landes. Les Lettres sur la sépulture dans les églises (1), sont encore curieuses à examiner, au point de vue religieux. Elles se rattachent à l’un des actes les plus importants (1) Lettres sur la sépulture dans les églises, a M. de C.... à Caen, chez Pyron, 4745, in-12. 10 150 NOTICE BIOGRAPHIQUE ET LITTÉRAIRE du culte, aux prières prononcées sur la tombe des morts. Voulez-vous connaître les sentiments religieux d’un peuple? Visitez ses tombeaux. Cette simple vue vous instruira mieux que tout le reste. N'est-ce pas la religion qui seule dirige les regards de l’homme vers une autre vie? L'abbé Porée, attaque avec raison, comme l’a fait Voltaire , l'usage d’inhumer dans les églises (1). Il pro- pose de placer les cimetières hors des villes : c’est le plan qui a été mis plus tard à exécution (2). Mais il est à regretter que nos cimetières ne présentent pas le (1) Une dame s’excuse ainsi vis-à-vis de son curé, qui lui re- proche son peu d’empressement à fréquenter les offices : « J’entrai « un jour dans votre église, on y respirait une odeur insupportable. .« Des fosses nouvellement ouvertes, et qu'on n'avait point encore « refermées, exhalaient une vapeur empestée. J’aperçus même, sous « un banc, une portion de cadavre, que les fossoyeurs y avaient « oubliée, » y Et l’auteur ajoute en note : « Ceci n’est point une fiction : il y a peu de temps que cela s’est passé. » Porée indique la cause du mal : « La sépulture dans les églises « est une des ressources de nos fabriques. » (2) L'auteur ne prévoyait pas un autre abus, la fosse commune. Le gouvernement s'occupe actuellement de cette réforme, réclamée à la fois par la religion et par l'esprit de nos institutions nouvelles. Porée a du moins indiqué une mesure qui a été récemment adoptée : « Il y aurait dans les villes des charriots publics, pour le transport « des morts, après qu'on leur aurait rendu dans les églises les de- « voirs prescrits par la religion. Après le service public, deux ou « plusieurs ecclésiastiques les accompagneraient jusqu’au lieu de la « sépulture. Il y aurait pour les pauvres des charriots entretenus « par la piété des fidèles, » Des ecclésiastiques ont été récemment attachés aux différents ci- SUR LES DEUX PORÉE. 151 caractère éminemment religieux que Porée voulait leur donner , le caractère d’une ville morte et recueillie , placée, comme un sublime enseignement, à côté de la ville des vivants. Déjà, dans son roman satirique, Porée avait tracé, au sujet d’un enterrement, une scène scandaleusement plaisante. Le licencié Alétès demande six ducats à un paysan pour enterrer sa femme : — « Six ducats! elle « ne les valut jamais, » s’écrie le paysan. Il mar- chande , il finit par obtenir du licencié qu’il se contente de la moitié de la somme. Mais quelle messe! « Jamais « basse-messe ne fut si courte, que la grande qu'il « chanta. Les vivants ne furent pas beaucoup étourdis « du carillon de la défunte, on ne se servit que des « ornements les plus communs : bref, on en donna « au bon homme Pérès pour son argent. » Porée avait le droit de satire sur ses confrères : ce droit, il l’avait conquis par une vie irréprochable, consacrée aux fonctions du saint ministère. De la cure de Noyant en Auvergne, il passa , le 21 juin 1723 , à la cure de Louvigny , près de Caen, fut nommé cha- noine de St.-Patrice de Bayeux en 1729, et se retira dans sa ville natale en 1741. Porée se retrouvait auprès de ses parents, dans le voisinage d’une cité célèbre depuis long-temps par le grand nombre de beaux esprits qu’elle ren- fermait. Caen possédait une Académie fondée par metières de la capitale, à l'effet de prononcer sur la tombe du pauvre les dernières prières de l'Église, Porée voulait à coup sûr que ces prières fussent récitées sur le cercueil du pauvre, au moment où il va être confié à la terre, 12 NOTICE BIOGRAPHIQUE ET LITIÉRAIRE Moysant de Brieux, en 1651, « une Académie de vo- « lontaires, » comme disait M. de Fontette , et quels volontaires! Huet, Bochard, Segrais. M. Foucault, in- tendant de la généralité de Caen, avait obtenu, en 1705, des lettres-patentes pour létablissement de cette Académie , célébrée par Bayle. Il ne nous appartient pas de faire l’histoire de l’Aca- démie de Caen; mais elle nous pardonnera d’avoir rappelé ses titres de noblesse : elle a été confirmée par Louis XIV , elle se rattache au grand siècle. Porée s’empressa d’obtenir le titre d’académicien, le « cordon bleu » des beaux esprits, suivant Segrais. Il fut recu en 1730, et il composa alors son discours sur la naissance et le progrès des sciences et des arts. M. de Luynes , évêque de Bayeux, protecteur , lui in- diqua ce sujet, et ce discours servit en quelque sorte d'introduction au renouvellement de l’Académie. L'auteur examine l’origine et les progrès des arts et des sciences chez les Assyriens, les Égyptiens et les Grecs. La Genèse, prise dans le sens convenu, lui sert de point de départ; il montre la nécessité enfantant les arts et les sciences qui se produisent mutuellement ; la guerre fécondant le sillon tracé par la nécessité ; l'Orient élevant les premières cités du monde ; les cal- culs astronomiques dégénérant bientôt en astrologie et en manichéisme; la médecine sortant du sein des tem- ples ; l'Égypte passant des hiéroglyphes à la peinture et à la statuaire ; la Grèce poétisant la religion et di- vinisant la poésie ; les langues anciennes si riches, si souples , si variées ; les Grecs donnant à l'architecture ses ordres, à la musique ses différents goûts et ses SUR LES DEUX PORÉE. 153 divers caractères ; l’éloquence devant ses plus grandes victoires à l’amour de la liberté, et attendant de la re- ligion chrétienne la gloire d’une seconde naissance et d’une nouvelle splendeur ; la philosophie moins im- puissante sur l’art de penser et la doctrine des mœurs que sur l’explication des êtres naturels et des différents phénomènes ; le théâtre grec supérieur à tout ce que nous ont laissé les autres nations; enfin les Romains marchant sur les traces des Grecs et attachant pour ainsi dire les Muses à leur char. Tel est le tableau varié que l’abbé Porée met sous nos yeux; il termine par un bel éloge de la France que visitait le czar Pierre I, et par un vœu qui se réalise de nos jours : « Ayons moins d’éloignement pour l’éru- « dition et pour l’étude des langues savantes, que « l'amour de la nôtre nous fait trop négliger, sûrs de « plaire à tous les siècles, lorsque , par un heureux « accord, nous joindrons à la délicatesse française la « solidité anglaise et l’érudition germanique. » Ce discours est plein de vues ingénieuses et spiri- tuellement exposées. L’érudition y est habilement mise en œuvre , et laissè toujours voir l’homme qui pense. Elle est dirigée par un goût sûr , et n’a rien d’affecté, de prétentieux. Enfin le style présente les mêmes qua- lités que nous avons déjà signalées, la force et l'énergie jointes à l'élégance et à l'éclat. L'abbé Porée n'avait pas attendu pour résigner sa cure que le fardeau lui parût trop pesant. Nommé chanoine honoraire du Saint-Sépulcre, il put se livrer tout entier à l'étude. Dès 1740 , il avait fondé les Nou- velles litiéraires, qui se composaient de mémoires fournis par les académiciens et d’autres pièces en- PA 454 NOTICE BIOGRAPHIQUE ET LITTÉRAIRE voyées par les littérateurs de la province (1). L’Aver- tissement contient une heureuse apologie des Aca- démies : « Les Académies réunissent des personnes « de différents états et de professions diverses. Dans « ce concours chacun apporte ce qu’it a d’avantageux, « et se met en garde contre ce qui pourrait lui a être reproché. L'homme de guerre s'y présente «a avec cette franchise et cette politesse dont les « armées sont la meilleure école. Le magistrat et le « jurisconsulte y montrent un esprit orné de con- « naissances utiles, et rempli de ces principes d’équité « que l’on puise dans l’étude du droit naturel. Le mé- « decin et le philosophe y parlent de la nature et de « ses effets avec une aménité qui fait honneur à la sagesse et avec une profondeur qui fait admirer -« l’art de Dieu, si j’ose m’exprimer ainsi. » Porée défend aussi les Recueils littéraires, et in- dique le but que l’Académie se proposait : « Notre « principal dessein est d’exciter à l'étude la jeunesse « qui vient se former en cette ville. Nous nous efforçons « de lui inspirer le goût de la littérature. Nous lui in- « diquons les ruisseaux pour l’engager à remonter aux « sources. Nous lui donnons occasion de juger, et, par « le plaisir flatteur d’exercer son jugement, nous lui « offrons quelques moyens de le former. » Cette préface montre avec quel zèle Porée travaillait, = (1) Nouvelles littéraires, à Caen, Mr°. Rudeval, 4 vol. in-8°. 1740-1744. — Morval s’occupa de cette feuille en 1741 ; dès 1742 Porée fut consulté pour tous les n°‘, , et la direction appartint à lui seul en 4744. Dans l'Avertissement de celte dernière année, on lit : « Nous allons donc succéder à ceux qui l'ont servi (le public) les “ années précédentes. » SUR LES DEUX PORÉE. 455 de concert avec l’Académie , à entretenir et à répandre le goût des lettres dans la province. Les améliorations matérielles n'étaient pas oubliées. « Une preuve bien frappante, » dit-il, « de l'utilité des Sociétés lit- téraires est la perfection du goût dans tout ce qui est du ressort des beaux-arts et principalement de l'architecture... Nous avons lieu de nous congra- tuler à présent sur cet amour du bien public ranimé dans la personne de nos sages magistrats, qui Con- spirent efficacement à procurer la commodité et l’em- bellissement de notre ville, qui, par sa situation, s’en trouve fort susceptible. Considérez lélargissement de ses rues, la propreté de ses places, l'agrément de ses promenades, et vous ne pourrez que regretter les dépenses qui n’ont pas eu ces objets légi- times (1)... Heureux les citoyens dont les princi- paux sont mus par l’amour de la patrie. Comme ce qui est public appartient à tous, le pauvre partage tous ces avantages avec le riche : communication pleine d'humanité, qui ramène les hommes à une égalité dans l'essentiel. » (4) Ces réformes étaient nécessaires à en juger par ce passage de l'épître dédicatoire de la Mandarinade : « Le plus mince bourgeois Li = se pique aujourd’hui d’avoir du vin en cave, liqueur réservée de mon temps » (c’est l'abbé de Saint-Martin qui parle,) « pour les autels, ou pour les malades, tout au plus pour ces festins que nous faisions aux étrangers inaccoutumés aux liqueurs du pays. Encore aujourd’hui, il n’y a point de festin public, ou de con- frérie, où l’on ne dépense assez pour faire paver les places publi- ques, qui ne sont qu'un amas de boue, en hiver, el un tas de pous- sière dont le vent forme des tourbillons, en été. » 156 NOTICE BIOGRAPHIQUE ET LITTÉRAIRE Nous avons vu Porée défendre la religion bien en- tendue, et donner les préceptes d’une véritable piété : nous trouvons maintenant en lui un citoyen zélé pour le bien public et mettant sa plume au service de toutes les réformes utiles. Il s’occupait de l’histoire de l’Académie : « L'histoire de cette Académie, qui compte bientôt un siècle d’antiquité, est un ouvrage qui paraîtra un jour, lorsque la personne qui s’en est chargée , aura ra- massé les matériaux qui doivent servir à sa compo- sition. La difficulté est de recouvrer les documents épars, cachés ou retenus dans les cabinets, et dans les bibliothèques, il serait à souhaiter que ceux qui en sont dépositaires, devinssent plus communicatifs, et qu'ils eussent plus à cœur la gloire de notre pro- vince. On devrait réfléchir que cette gloire devient en partie la nôtre, et qu’elle est une source d’ému- lation. Je m'en suis déjà plaint plus d’une fois; on n’est aujourd’hui occupé que de soi-même, quelque- fois d’une manière assez basse. Parvenir à l’opu- lence et par l’opulence à des titres qui n’honorent pointréellement, est presque l’unique étude. L'amour de la patrie, si vif chez les anciens, est ou ignoré ou irès-languissant parmi nous. J’en pourrais assi- gper plusieurs causes très-sensibles ; mais il est de la prudence de se taire, quand il est dangereux, et qui plus est, quand il est inutile de parler. » Ces causes , Porée les a signalées dans l’épître dé- dicatoire de la Mandarinade et dans l'Avertissement qui précède cet ouvrage : « Avec son vin etses repas, » dit l’ombre de l’abbé de Saint-Martin, « Caen a-t-il SUR LES DEUX PORÉE. 45 « aujourd’hui autant de poètes et de savants qu’il en a eu autrefois? Il y a encore beaucoup d'esprit, « j'en conviens; mais songe-t-on aujourd’hui à le cul- « « « tiver ? Les études ne se font plus que pour la forme et pour posséder les charges et les emplois; on s’imagine follement qu’un peu de brillant peut sup- pléer à tout. » « —Au goût des lettres qui régnait alors, » dit Porée dans l'Avertissement de la Mandarinade , « a succédé « « « le goût du siècle présent; c’est-à-dire un désir fu- rieux de s'enrichir par toutes sortes de voies, une avidité insatiable, qui n’est plus honteuse à force d’être publique, et qui se croit canonisée parce qu’elle se trouve dans les professions les plus saintes, et enfin un mépris orgueilleux du mérite, lorsqu'il est destitué d’un dehors éclatant. Qu'on me par- donne ce trait; ce n’est point le chagrin qui me l'ar- rache, c’est une vérité à laquelle ma plume n’a pu se refuser. » Et plus loin : « Le désir de s’immortaliser, si vif chez les anciens, est maintenant presque éteint dans tous les cœurs , lamour-propre se renferme tout en lui- même; il veut tout pour soi, et presque rien pour le public; il veut tout pour le présent, et presque rien pour un avenir éloigné. Tout ce qui est au-delà de cette vie, paraît une chimère » Il y a deux causes à ce mal : « La première est l’obscurcissement de la vérité de l’immortalité de l'âme, dont l'Épicurisme et le Spinosisme ont ruiné ou affaibli la croyance dans un grand nombre d’es- prits. La seconde qui tient à la première, c’est que 158 NOTICE BIOGRAPHIQUE ET LITTÉRAIRE « presque toutes les richesses du royaume ont passé « et passent encore tous les jours dans des familles « qui s'élèvent par les moyens que l’on sait... Il n’y « a pas beaucoup plus à espérer de la noblesse; l’an- « cienne est pauvre, ou mal dans ses affaires ; la nou- « velle, malgré son orgueil, est sans élévation dans ses « sentiments, et la roture originale influe presque « dans tout ce qu’elle fait. » Qu'on joigne à ces observations celles qui précèdent et qui concernent l’état des esprits en matière reli- gieuse ; qu'aux tableaux de mœurs tirés du roman de D. Ranucio d’Alétès, on ajoute ceux que nous avons extraits des comédies du père Porée, et on aura une idée de la première moitié du XVIIF°. siècle , de cette singulière époque où tout se décomposa, où la société laïque et cléricale sembla prendre plaisir à se rendre décrépite comme les institutions. Les Nouvelles littéraires contiennent de Porée, outre « le discours sur la naissance et le progrès des « sciences et des arts, » une jolie fable : « Hannon de « Carthage. » Hannon dresse des oiseaux à répéter ces mots : Hannon est un Dieu; puis il rend la liberté à ses captifs qui oublient bientôt la leçon et « Si quelqu'un par hasard chantait d’un ton agreste : « Hannon... Hannon est un... L'oiseau sifilait le reste, » — + Des réflexions sur la taille gigantesque attribuée « par un savant aux premiers hommes. » Ces réflexions concernent une table dressée par M. Henrion, de l’Acadéinie des Inscriptions et Belles- Lettres, et dans laquelle il prétendait établir la diffé- rence des tailles humaines depuis la création du monde # SUR LES DEUX PORÉE. 159 jusqu’à la naïssance de J.-C. Adam avait, suivant M. Henrion, 123 pieds 9 pouces de haut ; Éve 118 pieds 9 pouces trois quarts; mais Noë avait déjà 20 pieds de moins qu'Adam, etc. Porée démontre facilement la futilité de pareilles suppositions. Un discours sur le paradoxe : « De la nature du pa- « radoxe, de son étendue et de ses usages. » Porée passe en revue divers paradoxes scientifiques et littéraires, et recommande l'emploi d’une exacte analyse pour découvrir si le paradoxe a des fondements légitimes, ou s’il n’a qu’une écorce spécieuse. En 1753, nous retrouvons l’abbé Porée secrétaire de l’Académie. M. de Luynes, évêque de Bayeux, ve- nait d’être nommé archevêque de Sens; il était le protecteur de l’Académie, et elle tenait chez lui ses séances. Dès-lors elles eurent lieu à l’Hôtel-de-Ville; « et si l’Académie errante avait pu languir, elle dut se « ranimer en respirant son air natal (1). » Cet Hôtel- de-Ville était la maison de Moysant de Brieux, fonda- teur de l’Académie. Porée ne fit pas preuve de moins de zèle comme secrétaire de l’Académie que comme rédacteur des Nouvelles littéraires. L'Académie savait ce qu’elle pouvait attendre de lui, et M. de Fontette fut son digne interprète sans doute lorsqu'il dit à l’ancien bibliothécaire de Fénelon : « Que « vous êtes heureux, Monsieur , d’avoir été aimé de (1) Mémoires de l Académie des Belles-Lettres de Caen. 1754-55- 57-60-62. in-8°. — Année 1754, Discours de M. de Fontette, vice-prolecieur. j 160 NOTICE BIOGRAPHIQUE ET LITTÉRAIRE « ce grand homme! Votre témoignage, qui ne peut « « « être suspect sur rien, l’est encore moins sur ses sen- timents. Ils ont passé dans vos ouvrages qui res- pirent tous l’amour du bien public. » Porée venait de lire un discours sur ce proverbe : Après moi le déluge, » et en faisant l’éloge de l'amour de la patrie, il avaitrappelé ces paroles mémo- rabies de Fénelon : « J'aime mieux ma famille que moi- « « « même ; j'aime mieux ma patrie que ma famille ; mais j'aime encore mieux le genre humain que ma pa- trie. » «Paroles que le marbre et le bronze devraient rendre immortelles. Tel était l’ordre, telle était l'étendue de sa bienveillance. Elle atteignait à toutes les distances, en s’éloignant du centre, elle croissait en force et en vivacité. L'exercice de la bienfaisance suit un ordre inverse dans la pratique, il est vrai, parce que cet exercice est limité dans son pouvoir ; mais dans la concurrence d’un intérêt général , avec un intérêt particulier, avec un intérêt personnel, l’interêt général doit l'emporter, suivant les degrés de son étendue. Un auteur peut enseigner de belles maximes, et peindre des sentiments qui lui sont étrangers. L’illustre Fénelon a écrit comme il a pensé et comme il a vécu. Ses ouvrages sont le por- trait d’une âme grande, noble, tendre, compatis- sante, bienfaisante, généreuse, et cette âme était la sienne. L'âme en effet agrandit et perfectionne son être dans la proportion de la bienveillance qui l’anime. Destituée de bienveillance, l’âme est faible, étroite, petite, rampante, l’envie la retient, la cu- pidité la resserre, la crainte l’affaiblit. » SUR LES DEUX PORÉE. 161 À partir de cette époque, l'abbé Porée lut dans les séances publiques de l’Académie un grand nombre de dissertations : M ROM © À -O cr. n na À — Quel est le style propre à la philosophie ? Porée fait ressortir l'importance de la philosophie : Elle embrasse toutes les connaissances divines et bumaines. Elle s’occupe de tout, elle traite de tout, elle enseigne tout ce qui est du ressort de la raison; elle médite et elle découvre ; elle cherche et elle est quelquefois assez heureuse pour rencontrer ; elle doute, ensuite elle se décide; elle fait des expé- riences, elle les réitère, et puis les expose ; elle soutient provisionnellement ce qui lui paraît vrai, et combat ce qui lui semble faux; elle élève des systèmes , et elle en détruit; elle admet des hypo- thèses, et elle en réfute; elle soutient des thèses, et compose des traités. » On ne se serait jamais avisé, à cette époque, de dé- crier l'antiquité au profit du moyen-âge , et de jeter, au nom de la pureté de la foi, je ne sais quelle ab- surde réprobation sur la pureté et l'élégance du lan- gage : « C’est le mépris des bons modèles qui a rendu = LS & £ = LS LS LS barbares les ouvrages des scholastiques, si juste- ment décriés aujourd’hui ; déserteurs de la saine an- tiquité, ils s'étaient fait un idiome particulier, qui était uniquement à eux, et qui n’était entendu que parmi eux. Héritiers de la haine des Goths pour le nom romain , il semble qu’ils eussent conspiré contre la langue latine. » Porée conclut « que les philosophes doivent joindre les agréments à la solidité, l’aménité à la force, la 162 NOTICE BIOGRAPHIQUE ET LICSSQAIRE « décence à la dispute, la modéraiionfif critique , « la douce émotion des sentiments aux preuves con- «a vaincantes de la raison, si la matière le comporte. » — Trois lettres sur la nature de la douleur, sur ses effets et sur ses usages (1755). — Observations sur l'imposition des noms propres et des surnoms (1755). — Essai sur le bâillement (1756). Porée a traité d’une façon intéressante un sujet qui semblait assez ingrat au premier abord. Il y a dans cette dissertation quelques passages d’un caractère tout-à-fait mondain, qui nous rappellent les comédies du père Porée. - « Si nous avions un parfait empire « sur le bâillement , la plupart des dames se l’interdi- « raient pour toujours; mais ce mouvement prévient « le consentement de la volonté; elles consultent le « miroir pour ouvrir la bouche avec agrément. « Peu parviennent à être contentes d’elles-mêmes : « le bâillement ne se prête point aux grâces, ainsi que « le sourire et les larmes. Pour cacher le désagrément « d’une bouche béante, elles ont recours à l'éventail, « dont l'exercice a plus d’un usage. L'hiver, elles « opposent leur main , heureuses si elle est d’une « forme à se faire admirer, ou si quelque diamant de « prix appelle les yeux des spectateurs; alors elles « s’efforceront mollement de cacher cette marque « d’ennui; elles pourront même l’affecter : ce qui ne « convient pas aux unes peut être favorable aux au- « tres. On en a vu qui craignaient tant de laisser voir « le plus léger dérangement dans leurs traits, qu’elles « n’osaient manger et boire en présence des personnes SUR LES DEUX PORÉE. 163 « à qui Al ésiraient de plaire. N’est-ce pas là se rapprocher de l'attitude des idoles, et briguer le culte qui leur fut autrefois rendu? » Voici une scène qui se passe tous les jours dans les salons: « Un homme âgé se présente : le premier instant « « « « ne lui sera pas favorable , il verra sur le visage d’une jeune personne une impression triste et sérieuse; il parle , il dit des choses obligeantes et flatteuses, la glace versatile représente autrement; la jeune per- sonne oublie les traits surannés du vieillard, elle lui pardonne son âge, elle lui trouve encore une espèce de fraicheur. Un homme peu connu entre dans une compagnie habiilé simplement : que de froideur dans l'accueil qu’on lui fait! On vient à savoir qu'il est riche, opulent et qu’il a du crédit à la Cour, on l’écoute avec attention, on le regarde avec respect. Annonce-t-on un savant? On se prépare déjà à l’ennui, peut-être a-t-on déjà baïillé. Ce savant n’est pas un pédant, c’est un homme poli, vif, enjoué, badin, plein d’heureuses saillies; on s'étonne, on admire, et on a peine à croire qu'il soit philosophe, on lui accorde simplement la qualité de galant homme, homme d'esprit. Une belle personne, un cavalier bien fait, à qui on ne connaissait point d’engage- ment, sont introduits dans un cercle, on s'apprête à leur inspirer des sentiments et à en recevoir. Vient- on à savoir qu’ils sont mariés depuis peu? L'intérêt change , les émotions s’évanouissent, les prétentions cessent et la conversation prend un tour différent. » Voilà « l'air de famille » dont parlait M. de Fon- tette , à propos des ouvrages des deux frères. 164 NOTICE BIOGRAPHIQUE ET LITTÉRAIRE — Observation critique sur deux vers de Lucain, traduits par Brébeuf. k — Avis économiques sur la nécessité et les moyens de tenir propre et de conserver le linge d'usage (1758). — Avis économiques sur le cidre. Ces avis ne sont pas les mémoires les moins impor- tants et surtout les moins utiles de tous ceux que l'abbé Porée a composés, Ils peuvent être consultés avec fruit; mais on comprendra facilement l'impossibilité d’une analyse. De pareils travaux sont la meilleure réponse à faire aux critiques chagrins qui reprochent aux So- ciétés littéraires leur inutilité; mais Porée, qui les dé- fend avec raison sur ce point, ne veut pas non plus qu'un sombre rigorisme leur interdise l’agréable et le curieux. L'abbé Porée lui-même prêchait &’exemple, et il mettait en pratique le précepte d’Horace : il joignait dans ses écrits l’utile à l’agréable. Gette même plume qui donnait de sages avis pour l'entretien de la santé, qui indiquait les moyens d’obtenir « un cidre rafrai- « chissant, pectoral, favorable à la voix, ami de l’em- « bonpoint et d’une belle carnation , un cidre dont la « couleur brillante ressemblât au plus riche des mé- « taux, » cette plume, sérieuse et facile à la fois, traçait comme en se jouant le grotesque portrait d’un homme qui a eu long-temps le privilége de faire rire à ses dépens la ville de Caen tout entière : il l’avait pourtant embellie cette ville, toujours à ses dépens; mais, comme le dit Porée, « le vice et le ridicule « fixent plus sûrement le souvenir d’un homme, que « la vertu et le mérite, » Cinquante ans après sa mort, SUR LES DEUX PORÉE. 165 il n’était presque plus connu que par le surnom ridi- cule de Saint-Martin de la Calote. Un jour , cet homme , non content des neuf calottes et du capuchon qu’il portait en hiver, voulut y joindre un bonnet de mandarin, et c’est l’histoire comique de ce mandarinat que Porée nous a conservée (1). Supposez M. Jourdain marié à une demoiselle noble, ayant un fils digne de son père ; supposez ce fils plus vain encore que lui, et vous aurez une idée de ce qu'était l’abbé de Saint-Martin. Il était né vers le commencement du règne de Louis XIII; son père, riche marchand de St. -Lo, avait épousé une demoiselle de la ville de Caen, et il avait acheté une noblesse du Canada : il était devenu mar- quis de Miskou. Son fils fut envoyé à Caen; il eut un habit d’écarlate , un précepteur gentilhomme, et il fit dès-lors l’apprentissage des railleries qui devaient le poursuivre toute sa vie, Il voyagea , il alla à Rome, et tout ce qu’il rapporta de la ville éternelle fut le bonnet de docteur, une charge de protonotaire du Saint- Siége, et un indigeste ouvrage intitulé : « Gouverne- « ment de la ville de Rome. » Ce gros volume acheva de lui tourner la tête : on n’eut pas le courage de le critiquer. (1) La Mandarinade, ou Histoire comique du Mandarinat de M. l'abbé de Saint-Martin, marquis de Miskou, docteur en théologie et protonotaire du Saint-Siége apostolique, etc., à La Haye, chez P. Paupie, sur le Spuy, 1738. 4°, vol, in-12, ; 2°. et 3°,, 1739. Rare, — Portrait par Thomassin. . La première partie de La Mandarinade a été réimprimée en 4769; à Siam, et se trouve à Caen, chez Manoury fils. in-12, 434 p. 11 D] 166 NOTICE BIOGRAPHIQUE ET LITTÉRAIRE L'abbé de Saint-Martin s'établit à Caen, et il voulut mettre son livre en pratique : le voilà donc imitant les usages de la cour de Rome dans ses habits, son train, sa table et ses dévotions. Élu recteur de l’Université, il se met en tête de faire porter des robes grises et des toques à tous les étudiants , à la manière des colléges de Rome. Non content de batailler avec l’Université, il veut réformer la cave des Cordeliers chez lesquels il était logé ; mais Saint-Martin ne tenait pas seulement de M. Jourdain , il tenait aussi du Malade imaginaire : « Affublé de huit bonnets gras, « Botté de huit paires de bas, « D'un vent coulis la sourde atteinte « Me fait encor frémir de crainte, » Pour « faire la nique au plus grand froid et aux vents « coulis, ses ennemis irréconciliables , » Saint-Martin avait fait construire un lit de brique, ou plutôt un four natté en dedans et en dehors. Quand les Cordeliers voulurent le faire déloger, Saint-Martin plaida : Com- ment faire démolir et rebâtir, en hiver, un lit de brique dans l’espace de trois mois et un jour? L'affaire fut portée devant le marquis de Coigny, gouverneur et bailli de Caen, et il accorda au sieur de Saint-Martin le même délai qu'aux boulangers et aux pâtissiers, c’est-à-dire six mois. L'abbé de Saint-Martin eut un grand nombre d’aven- tures de ce genre; tout était burlesque en lui (1), et un sien cousin, docteur et professeur aux droits, (4) Vigneul-Marville l'a dépeint dans ses Mélanges d'histoire et de littérature, & I. SUR LES DEUX PORÉE. 167 « un grand homme , mélancolique, qui ne riait pres- « que jamais, » ne laissait pas à son extravagance le temps de s'endormir; M. de Saint-Martin semblait être venu au monde pour délasser M. Gonfrey de l’étude sèche et sérieuse du Code et du Digeste. L'abbé de Saint-Martin avait tout fait pour obtenir la gloire, et il n’avait recueilli que le ridicule. Il avait publié des Relations de ses voyages, des brochures, des éloges, des traités, des « Moyens faciles et éprou- « vés pour vivre près de cent ans, » « pour se donner « des enfants qui aient bien de l'esprit ; » il avait orné la ville de Caen d’un grand nombre de statues; il avait fait relever « la Belle-Croix » abattue par les Hugue- nots; il avait fait réédifier l’École de théologie ; il avait fondé à perpétuité une chaire de théologie morale dans le collége des Jésuites, etc. Tant de peine et de soins aboutirent à tune mystification (le mot n'existait pas alors, mais)if aurait fallu l’inventer }, qui fit de l’abbé de Saint-Martin la fable de toute la province. Le chevalier de Chaumont venait d’être nommé à l'ambassade de Siam ; deux ou trois beaux esprits de Rouen savisèrent d'écrire , au nom de l'ambassadeur , à M. de Saint-Martin, pour lui demander des conseils au sujet de cette mission. L'abbé, charmé de cette lettre, s’empresse de faire une réponse ridicule, adressée : «à Paris, chez le sieur Bigot, Indien, rue de la Vieille- « Monnoye, au Tabouret-Vert, » Voilà donc M. de Saint- Martin travaillant à un mémoire pour l’ambassadeur , s’empressant de le faire imprimer et de l’envoyer. Dès-lors il fut perdu! la mystification fut poussée jusqu’au bout avec une logique inexorable : réponses 168 NOTICE BIOGRAPHIQUE ET LITTÉRAIRE de l'ambassadeur , désir manifesté par le Roi de Siam d’avoir Saint-Martin à sa cour, visite d’un enseigne de vaisseau qui avait fait le voyage de Siam, et enfin ar- rivée à Caen d’un ambassadeur du Roi de Siam, man- darin äu premier ordre, et de huit autres mandarins, avec une grande suite et un nombreux cortége de cha- meaux , d’éléphants et de dromadaires. Les acteurs de cette scène singulière étaient les éco- liers de l’Université de Caen, presque tous parents de M. de Saint-Martin. Le mélancolique M. Gonfrey prési- dait à cette nouvelle cérémonie du bourgeois gentil- homme, et son fils était un des mandarins. Geci se passait vers le temps du carnaval de l’année 1687; les écoliers se peignirent le visage de plusieurs couleurs, prirent des habits de théâtre à la romaine , et se ren- dirent chez le nouveau mandarin qui, lui, avait pris ce jour-là son habit de protonotaire ; one harangue en siamois, on lui traduit une lettre du Hoi de Siam ; il accepte la dignité de mandarin, mais il fallait aller à Siam; voilà Saint-Martin dans le plus grand embarras : quitter sa patrie, à son âge! D’un autre côté, l’am- bassadeur voulait l'emmener de gré ou de force ; que faire ? Heureusement M. Gonfrey était là : que M. de Saint-Martin s'adresse à l’Intendant, au Colonel du régiment du Roi; ils lui prêteront main forte, Ces Messieurs, et surtout Segrais qui était alors pre- mier échevin de Caen, et dont Saint-Martin faisait les délices (1), n’avaient pas eu leur part de la fête; M. (1) Il avait fait placer, dans le lieu où se réunissait l’Académie, un grand nombre de portraits de personnages illustres de la province, et un petit buste de Saint-Martin, « avec son chapeau tel qu'il le « portail, pour marier le plaisant avec le sérieux. » SUR LES DEUX PORÉE. 169 Gonfrey s'était chargé de la leur procurer, M. de Gour- gues s’empresse de faire appeler Segrais, et il donne audience à Saint-Martin, qui, pour ne pas aller à Siam, fait valoir ses soixante-quatorze ans, ses infirmités, et demande la protection de l’Intendant. Segrais arrive , le Lieutenant-Général se rencontre là comme par ha- sard , et ces Messieurs discutent gravement la grande question de savoir si M. de Saint-Martin, après avoir reçu le bonvet de mandarin, peut refuser d’aller à Siam. Enfin le Lieutenant-Général trouve une raison tirée du fond de la cause , e visceribus causæ : c’est un médecin que le Roi de Siam croit trouver dans M. de Saint-Martin ; or M. de Saint-Martin n’est pas du tout médecin. Le Doyen de la Faculté de médecine s’empresse de déli- vrer à l’abbé une attestation de son ignorance en fait de médecine, pour lui valoir partout et jusqu’au bout du monde, « hic et ubique terrarum, » et l’intendant envoie chercher une escorte de grenadiers pour pro- téger M. de Saint-Martin contre les entreprises de l’am- bassadeur. Les grenadiers se rendent bien armés chez M. de Saint-Martin , et montent la garde à sa porte. L'abbé veut rendre visite à l'ambassadeur ; l’hôtesse qui avait le mot, envoie le nouveau mandarin au bout de la ville où les étudiants, tapis dans une grange soi- gneusement fermée, se mettent à braire de facon à imiter le cri de l'éléphant. Saint-Martin qui croit l'avoir vu à travers une fente de la porte, accepte les félici- tations de toute la ville et se prépare à recevoir le fameux bonnet. Cette comédie se termine par un souper que M. Gon- frey eut soin de faire payer à son cher cousin, On avait +70 NOTICE BIOGRAPHIQUE ET LITTÉRAIRE envoyé au Chancelier l'attestation du Doyen de la Fa- culté de médecine; on fit venir de Paris (Saint-Martin le crut) une lettre de cachet de la part du Roi, qui ne voulait pas priver son royaume d’un aussi grand mé- decin, et faisait défense à Saint-Martin d’aller à Siam. L'abbé fut ravis M. Gonfrey voyait là un casus bell entre le Roi de France et le Roi de Siam; mais le souper raccommoda tout. 11 fut magnifique et coûta plus de cinq cents livres. Saint-Martin reçut à genoux le bonnet pyramidal , fourré par dedans de peaux de lapin, en- vironné de trois cercles d’or, comme pour un mandarin du premier ordre, et surmonté d’une houppe très-belle et très-éclatante. Cette cérémonie fut accompagnée des circonstances les plus divertissantes; la maison était remplie de monde et tout fut public. Jamais peut-être pareil spectacle ne fut donné à une ville. M. de Saint-Martin était au comble de la joie ; il était mandarin, et il n’allait pas à Siam. Ses héritiers s’avi- sèrent de troubler son bonheur; ils présentèrent une requête en justice pour le faire mettre en curatelle. L'affaire fut plaidée , et l’avocat de M. de Saint-Martin , pour prouver les bonnes intentions de son client à l'égard de ses héritiers, demanda acte de l'abandon qu'il leur faisait, par avance de succession, de son riche marquisat de Miskou dans la Nouvelle-France. Voilà tout le profit que les héritiers tirèrent de ce procès. M. de Saint-Martin ne renonça pas à faire parler de lui, et il mourut trois ans après, bien persuadé qu’il était mandarin du royaume de Siam. Dans une épitre dédicatoire aux habitants de la ville Li SUR LES DEUX PORÉE. 471 de Caen, Porée a évoqué l'ombre de Saint-Martin, et cette ombre se plaint amèrement de loubli dans lequel sont tombés ses ouvrages, de l'abandon auquel sont vouées les statues élevées par ses soins : « On n’a « pu souffrir que le Prince des démons demeurût ter- « rassé sous les pieds du grand saint Michel mon pa- « tron! Il semble que l’on ait eu honte de la défaite « de cet ange superbe qui prétendait s’égaler à Dieu. « O douleur! on a fait main basse sur les quatre Évan- « gélistes qui ornaient le puits placé devant les Croi- « siers; le Sauveur du monde de la place de St.-Pierre « ne saurait plus bénir les passants, ayant perdu la « main droite ; celui de la place St.-Sauveur est privé « de l'instrument de notre salut, qu’il offrait aux yeux « de ces malheureux que leurs crimes conduisent au « supplice; le saint Martin de la porte de Bayeux, le « grand Thaumaturge dont ma famille portait le nom, « a perdu les symboles de son autorité épiscopale. » Tout ce morceau est une heureuse imitation de l’épître au comte de Gramont. L'Avertissement , les quatre Discours préliminaires , la Conclusion sont intéressants pour l’histoire de la ville de Caen et même pour l’histoire littéraire. On y trouve sur le médecin de Lorme, père de la célèbre Marion, des détails qu’on chercherait vainement ailleurs (1). (4) V. cependant les Remarques de Joly sur le Dictionnaire de Bayle, Le passage suivant de la Mandarinade nous fait connaitre l'origine de Marion de Lorme, et doit servir à rectifier l’article de Beuchot sur Marion , dans la Biographie universelle : « Une fille « naturelle et depuis légitimée, avec le droit de prendre le nom ct « les armes de son père, fut le fruit précoce d’une folle passion. 172 NOTICE BIOGRAPHIQUE ET LITTÉRAIRE LL L'abbé Porée mourut à Caen, le 47 juin 4770. H avait quatre-vingt-cinq ans. On voit que cette longue existence fut bien remplie (1). Un noble mouvement porte aujourd’hui les esprits vers l’étude du passé. Les diverses parties de l’ancienne France , réunies en un faisceau indissoluble , revivent dans leur histoire, que de savants travaux mettent en lumière ; tous les hommes qui ont bien mérité de leur patrie, reçoivent un digne hommage. La ville de Caen compte un grand nombre d'illustrations parmi les- quelles les deux Porée, trop peu connus peut-être , tiennent un rang distingué. La vie et les ouvrages de deux hommes de bien offrent toujours un utile ensei- gnement. Honneur aux citoyeus qui le propagent, et dont les encouragements éclairés favorisent cette heu- reuse tendance des esprits! ils donnent eux-mêmes un exemple qu’il sera glorieux de suivre. « C’est la fameuse Marion de Lorme... » Ce fait curieux est tiré du chapitre intitulé : Portrait en petit de M. de Lorme , dans l’ouvrage de Saint-Martin : Moyens faciles et éprouvées. pour vivre prés de cent ans (1682). Saint-Martin avait beaucoup connu de Lorme, — Beuchot a suivi Dreux-du-Radier, qui fait naîlre Marion, en 1612 ou 4645, d’une famille bourgeoise de Châlons en Champagne. On a cru découvrir récemment (mars 4854), à Blois, l’acte de naissance de Marion; l’erreur est évidente. — On a fait vivre Marion 430 ans : elle doit peut-être la longue existence dont on l’a gratifiée, à la réputation qu'avait son père de posséder les moyens faciles et éprou- vés , recueillis par Saint-Martin; mais il est douteux qu’elle les ait mis en usage, pas plus que Ninon, qui n’en a pas moins vécu jus- qu’à près de 90 ans. (4) L'abbé Porée a laissé pour une nouvelle édition du Diction- naire de Trévoux, de nombreuses corrections et additions. Voir la Bio- graphie de Ch.-G. Porée, publiée par M. J. Travers, en février 1854. SUR LES DEUX PORÉE. 173 CORRECTIONS. Page 21, ligne 24 de la note : mourut , lisez mourant, P. 30, lig. 49 : dans son, lisez dans un. P, 35, lig. 9 de la 2°. note : 1747, lisez 1746. 1b., lig. 42 : 4713), lisez (1743). P. 52, lig. 4 de la note : Balechon , lisez Balechou. P. 58, lig. 3 : flamand , supprimez ce mot. P. 64, lig. 26 : Enfin, supprimez ce mot. ADDITIONS. P. 5, note 2 : « Ils étaient fils, etc, » L'exacte et curieuse notice de M. Julien Travers sur Ch.-G. Porée nous permet de rectifier cette généalogie. Charles, le jésuite, Gabriel, l’abbé, et Augustin, le chartreux, étaient fils de Thomas Porée et de Magdeleine Richer, ainsi que Thomas, sieur du Buisson, lieutenant au régiment de ca- valerie da Maine. Anne Porée, dame de la Meslière , fille de Thomas, sieur du Buisson, et d'Anne Challemel, était donc la nièce du P. Porée, de l’abbé Porée et d’Augustin, Elle avait un frère, Augustin- Charles, sieur du Buisson, P, 45, lig. 5 de la 4re, note : « Nous ne parlons pas de quelques vers, etc. » 11 y a encore : Argumenta Carminum in Ludovici XV et Mariæ nuptias , 1726, in-4°, ; Cerebrum, carmen , ed. CI. Grifret, P. 42, lig. 7: « Dans un discours, etc. » Un passage de ce dis- cours, où le P. Porée appelle Racine Veneris columbulus , a excité l'indignation de Racine fils, V. les Réflexions sur la poésie, et les Mémoires sur la vie de J, Racine, P. 44, lig. 44 : « Cette tendance réprimée, etc. » C’est le lieu de citer cette anecdote, rapportée par Desessarts dans Les siècles littéraires de la France : « Le fameux Tribou, autrefois son élève, « en entrant à l'Opéra, vint le voir et lui ayoua le parti qu'il avait 474 NOTICE BIOGRAPHIQUE ET LITTÉRAIRE. « pris. Le Père gémit sur cette destinée de son élève, et l'exhorta « du moins à la vertu qui peut être de tous les états. Puis, entraîné « par son goût pour les arts, il veut juger par lui-même de ce que « ce jeune homme pouvait attendre du parti qu’il avait embrassé : « Tribou chanta un air fort tendre; le charme du talent produisit « tout son effet sur le bon et sensible vieillard, deux ruisseaux de « larmes coulaient de ses yeux; il embrassa Tribou en s’écriant ; « Ah! malheureux, vous ne sortirez jamais de là! » P. 50, lig. 27 et 28 : « Certaines paroles. » Peut-être ces mots de Porée à Desfontaines, au sujet de Voltaire : « C’est ma gloire et ma honte. » P. 67, lig. 25 : « D'une cité célèbre, etc. » Ce pays est beau, et Caen la plus jolie ville, la plus avenante, la plus gaie, la mieux située, les plus belles rues, les plus beaux bâtiments, les plus belles églises ; des prairies, des promenades, et enfin la source de nos plus beaux esprits. » (Sévigné, Lettres, Caen, jeudi, 5 mai 1689.) P. 68, lig. 7 : « Il ne nous appartient pas, etc. » Nous savons que M. Julien Travers, secrétaire de l’Académie des sciences, arts et belles-lettres de Caen, recueille les matériaux de cette histoire, si curieuse sous le rapport littéraire. | à MÉMOIRES. TE APRETE DRNRREENN 2 a ah Jet ii jrs Doha ae neige a 4 RO EC PET TNT 2 A LT Me teneurs: sm EEE Me" DT RE T ; f a AA Tant à 4 PR En UNE À | | MTUi Fe | î à l LR TG ui NL". . Ü TE a) DER CR Le & D | js AUS Un fr Û - 2% 11 l'an 7 Fa FU « fl Un (0x ÿ Eu ” je: PIE ” CN au RECHERCHES EXPÉRIMENTALES SUR LE POIDS SPÉCGIFIQUE DES GORPS SOLIDES ET SUR LES VARIATIONS QU'ÉPROUVE CETTE PROPRIÉTÉ, dans les corps solides, PAR LA TREMPE QU PAR LE RECUIT; Par M. JX.-Isidore PIERRE, Professeur de chimie à la Faculté des Sciences de Caen, etc. Lorsque, par le conseil de M. Regnault , j'entrepris, il y a treize ans, une longue série de recherches sur la dilatation des liquides, pour faire suite aux travaux de cet habile physicien sur la dilatation desgaz, je me proposais d'étudier ensuite la même propriété dans les corps solides. La principale difficulté que l’on rencontre, dans la détermination du coefficient de la dilatation des sub- stances solides, provient des erreurs qui peuvent être commises dansla mesure de leurs dimensions linéaires, lorsque celte mesure s'obtient par des observations directes. Les corps solides, en effet, n’éprouvent, sous l'influence d’une élévation de température, qu’un 478 RECHERCHES EXPÉRIMENTALES accroissement assez faible dans leurs dimensions ; une erreur de mesure qui, considérée d’une manière ab- solue, serait presque insignifiante , peut conduire ici à des résultats très-éloignés de la vérité. Un exemple fera beaucoup mieux comprendre ma pensée : supposons que , sous l'influence d’une certaine élévation de température, une barre d’un mètre se soit allongée d’un demi-millimètre ; supposons encore que, dans la mesure de cette barre, avant sa dilatation , il se soit glissé une erreur de are millimètre, et qu’une erreur de même ordre ait été commise également dans la mesure de la barre allongée. Si l’une de ces erreurs est en plus et l’autre en moins, la différence des deux longueurs de la barre, c’est-à-dire son allongement FA è 2 mesuré, différera de son allongement vrai Lt on 1 de-Tde millimètre; et comme nous supposons cet ë : AOPNE allongement représenté Pie millimètre , l’erreur com- mise s’élèverait ainsi à 20 °/.. Cette erreur pourrait être double , c’est-à-dire atteindre 40 °/, , si leserreurs commises dans la mesure des longueurs pouvaient atteindre de millimètre. L'emploi de la balance peut servir, indirectement, à déterminer avec plus de précision les dimensions des corps solides; Dulong et Petit en avaient déjà fait usage dans des recherches analogues à celles que je me proposais d'entreprendre. SUR LE POIDS SPÉCIFIQUE DES CORPS SOLIDES. 179 Si l’on représente par P le poids total d’un corps solide, par D le poids de l’unité de volume de ce corps, et par v son volume, on aura, entre ces trois quantités, la relation P—D.VY; connaissant P et D, le volume v sera donné par la for- mule V=—. D Le poids P d’un corps peut, dans beaucoup de cas, être obtenu à moins d’un milligramme d’erreur, avec une bonne balance ordinaire. Supposons que cette erreur puisse même s'élever à un centigramme : sur une barre de fer carrée d’un mètre de longueur et de 3 millimètres de côté, cette dernière erreur, qu’on 1 23000 chose mesurée ; l’erreur d’un milligramme , dans la 1 0000 atteindra rarement, ne représenterait que de la pesée, réduirait l’erreur de pesée à du poids total de Ja barre. Cette erreur d’un centigramme, dans le cas d’une dilatation d’un demi-millimètre sur une barre de fer comme la précédente, n’occasionnerait pas une erreur de plus de 3 à 5 pour 100 sur la valeur absolue du coefficient de dilatation; si l'erreur de pesée ne dé- passait pas un milligramme , l’erreur correspondante sur la valeur du coefficient de dilatation serait tout-à- fait insignifiante. Mais le raisonnement que nous venons de faire est 180 RECHERCHES EXPÉRIMENTALES basé sur la supposition que le poids de l’unité de volume , que l’on désigne habituellement sous le nom de poids spécifique, et quelquefois, mais improprement, sous le nom de densité, est connu avec exactitude , sans quoi la précision dont je viens de parler devien- drait tout-à-fait illusoire. Avant de m’engager dansun travail aussi considérable et aussi délicat que la détermination des coefficients de dilatation des corps solides, j'ai pensé qu'il était prudent de vérifier l'exactitude des poids spécifiques de ces substances, puisque, sans cette vérification préalable, je ne pouvais plus compter sur l’exactitude des nombres que je me proposais de déterminer, et je m’exposais à consacrer beaucoup de temps et de peine à un travail qui pouvait devenir sans utilité scientifique réelle. Ce sont les résultats de ce travail préliminaire, que j'ai l'honneur de présenter aujourd’hui à l’Aca- démie des sciences, arts et belles-lettres de Caen; elle comprendra sans peine comment je me suis trouvé dé- tourné du travail principal que j'avais d’abord en vue. La connaissance du poids spécifique des corps a toujours été considérée, avec raison, comme un élé- ment important de leur histoire, et presque tous les physiciens et les chimistes, qui ont laissé un nom dans la science, ont été conduits à faire des déterminations de poids spécifiques. Les minéralogistes, surtout, ont à chaque instant besoin de recourir à ce moyen d’ob- servation, qui leur est bien précieux. Les méthodes dont on a fait usage se sont perfec- SUR LE POIDS SPÉCIFIQUE DES CORPS SOLIDES. 181 tionnées à mesure que se perfectionnaient les données scientifiques dont les observateurs avaient besoin, J'avais à choisir entre l'emploi du flacon à densité, l'emploi de la balance de Nicholson, et celui de la balance hydrostatique. Le premier procédé n’a paru sujet à plusieurs chances d'erreur; d’abord, il est difficile d’opérer sur des échan- tillons d’un volume un peu considérable, sans que le poids du flacon et de son contenu atteignent bien vite des proportions qui compromettent la sensibilité des balances; 2°. il est difficile d’expulser toujours de la même manière, avec le bouchon, l’eau excédante , de sorte qu’on n’est pas toujours sûr d’avoir le même volume intérieur; 3°. enfin, il n’est pas moins difficile d’essuyer, d’une manière constamment uniforme, l’eau qui mouille les parois extérieures du flacon, soumis, d’ailleurs, aux influences d’un état hygrométrique ex- térieur très-variable. A ces difficultés, que je qualifierai de manuelles, viennent s’ajouter les causes d'erreur qui peuvent pro- venir de la température; tous les vases de verre ne se dilatent pas de la même quantité, pour une même élévation de température , de sorte que si la tempéra- ture varie d’une manière notable, pendant les déter- mivations, et cela est presque inévitable, on est em- barrassé pour tenir compte rigoureusement de la variation de capacité du flacon, qui en est la con- séquence. 2°. procédé. L'emploi de la balance de Nicholson ne permet pas d’opérer sur des échantillons un peu considérables, ce qui est un inconvénient , parce que 12 132 RECHERCHES EXPÉRIMENTALES les chances d’erreur sont presque toujours d'autant plus grandes que les échantillons d’essai sont plus petits. Les deux autres principales sources d'erreurs à craindre proviennent du peu de sensibilité de l’instru- ment , lorsqu'il est un peu volumineux, et de la dif- ficulté de tenir compte des variations de volume qu’il éprouve sous l'influence des variations de la tempé- rature ambiante. 3°. procédé. L'emploi direct de la balance ordinaire m'a paru sujet à beaucoup moins d’inconvénients, parce qu'aux erreurs que l’on peut commettre dans les pesées du corps soumis à l'expérience, ne viennent pas s'ajouter d’autres erreurs étrangères, du genre de celles que nous venons de signaler. C’est donc ce dernier procédé que j'ai choisi de préférence. J'ai donné aux corps solides sur lesquels je voulais expérimenter, la forme de plaques variant d'épaisseur depuis 2 millimètres jusqu’à 6 ou 7 millimètres, et dont les poids étaient habituellement compris entre 100 et 300 grammes, et j’ai fait usage d’une balance de Fortin, donnant franchement le milligramme; mais j'admettrai que les erreurs de pesée puissent atteindre an milligramme. Les plaques étaient d’abord parfaitement nétoyées et décapées, puis dépouillées avec soin de toutes les matières grasses qui pouvaient se trouver à leur surface (1); j'insiste un peu sur cette précaution, (4) Le dégraissage s’opérait à l’aide de l’alcool additionné d'un peu d’éther; puis on lavait les plaques dans l'alcool faible, et ensuite SUR LE POIDS SPÉCIFIQUE DES CORPS SOLIDES. 483 parce qu’elle m'a permis d'arriver à des résultats bien plus concordants. Il est même bon d'éviter de toucher directement avec les mains les plaques une fois nétoyées et dégraissées que l’on met en expérience. Les plaques une fois pesées dans l'air, il fallait les peser dans l’eau, pour constater la perte de poids qu’elles y éprouvaient, afin d’en conclure leur volume. Pour cela on les suspendait au-dessous de l’un des plateaux de la balance, à l’aide d’un fil de platine très-fin, qui s’enfonçait toujours de la même quantité dans l’eau, dans toutes les expériences, et dont il était tenu compte. Pour être sûr que la plaque avait bien acquis la température de l’eau dans laquelle elle était plongée, on l’y laissait pendant plusieurs heures, après lesquelles on plaçait le tout sous le récipient de la machine pneumatique, afin de faire dégager, dans le vide, les petites bulles d’air adhérentes à la plaque; on attendait qu'il ne se dégageÂt plus sensiblement d’air, et comme il en restait toujours quelques bulles au contact des plaques, on promenait sur celles-ci, sans les sortir de l’eau, un petit pinceau qui détachait ces dernières bulles (1). Un thermomètre très-sensible donnait la tempé- rature de l’eau. à grande eau dans l’eau distillée ; elles étaient ensuite séchées sur le papier buvard. (1) J'ai éprouvé les plus grandes difficultés pour éviter la présence de ces bulles de gaz sur l'argent et sur le platine; il se formait de nouvelles bulles peu de temps après que les autres avaient été déta- chées à l’aide du pinceau. 184 RECHERCHES EXPÉRIMENTALES On s’est toujours placé dans des conditions telles que cette température différât peu de 4° centigrades, afin de diminuer l'importance des corrections relatives à la température. J'avais appris, à mes dépens, dans des expériences préliminaires, toute l'importance de chacune de ces minutieuses précautions. Il est à peine nécessaire d’ajouter que j'ai tenu compte aussi de la perte qu’éprouvent, dans l’air , les poids étalonnés à l’aide desquels je déterminais le poids de chacune des substances que j'ai étudiées. Enfin, j'ai toujours fait usage de la méthode des doubles pesées par substitution. La formule qui na servi pour calculer les résultats bruts des observations a été établie de la manière suivante : soient æ le volume vrai du corps, « le poids spécifique de l’air au moment de la pesée, p. le poids du corps dans l’eau (1), p« Son vrai poids dans l'air (2), S le poids spécifique de l’eau, au moment de l'observation ; p,+-xe sera le vrai poids du corps dans le vide, pa—+ta—p, sa vraie perte de poids dans l’eau; comme, d’ailleurs, cette perte est représentée par le poids du volume d’eau déplacé xd, on aura Pa+Ta— pe=T , (2) C'est-à-dire le résultat obtenu directement, corrigé de la perte qu’éprouvent dans l’air les poids étalonnés, (2) Même observation. SUR LE POIDS SPÉCIFIQUE DES CORPS SOLIDES. 185 d’où ape Pe, C4 et comme le poids spécifique cherché D a pour ex- pression le quotient du vrai poids du corps divisé par son volume, on aura Deere T ou, mettant à la place de z la valeur qui vient de lui être assignée, (Pape) De he de dope dd mnt UE abs d—a Comme chacune de ces quantités ne peut être dé- terminée qu’approximativement par l'expérience , il en résulte que D n’a lui-même qu’une valeur plus ou moins approchée de la vérité; nous allons chercher à donner une idée des limites de l'erreur qui peut être commise. Désignons par € et par £’ les erreurs possibles dans la détermination de d' et de «. Appelons de même + et v/ celles que l’on peut com- mettre dans la détermination de p, et de p.. Supposons d’abord que toutes les déterminations aient concouru à donner à D une valeur trop grande, et désignons par e l’erreur résultante; nous aurons Pa Pa _ (—e)(1—p)pa—(a+el)(1+ 9')p. EE ——— — Pa— Pa p,(1—#)—pe(1+5) Avant d'effectuer les calculs, nous pouvons faire 136 RECHERCHES EXPÉRIMENTALES quelques remarques sur les limites des valeurs des, c’, 9 et y”. D’après les expériences de M. Despretz et d’après les miennes, l’erreur que l’on peut commettre sur la valeur de d est au-dessous de 0, 000 01 ; posons e—0, 000 01. Les expériences de MM. Dumas et Boussingault, et celles de M. Regnault, permettent de répondre de « à moins de 0, 000 01; soit néanmoins «—0, 000 01. Enfn, les poids p, et p, peuvent facilement être obtenus à moins de 0 gr. 002, avec une bonne balance, lorsque cespoids ne dépassent pas 200 à 300 grammes; il en résulte que l’erreur possible est également au- dessous de 0, 000 01 de la valeur mesurée ; soient néanmoins o— 0,000 01—%. Nous aurons ainsi === pl Nous pouvons remarquer aussi que les produits ev, ss” sont des quantités tellement petites que l’on peut négliger, sans changer d’une manière appréciable l’ex- pression de l'erreur, les termes qui les contiennent, La valeur de e devient, après ces suppressions, 2gepape— 2e0papet-sPprpa— Ep pe (Pa—Pe) \pa(1—2) —p.(1+6) | __ Pa(pa—20p.)—cp.(p— 2ap) 7 (pa—p.) |pa(1—e)—p.(1+e) | __efpa(pa-—20p.) — p.(p.—2ap.) | Si l’on suppose que p, soit compris entre 150et300 gr., et que p. soit compris entre 10 et 30 gr., il est facile de, reconnaître , en substituant ces valeurs dans la formule e—= SUR LE POIDS SPÉCIFIQUE DES CORPS SOLIDES. 187 précédente, que le maximum d'erreur à craindre ne doit pas atteindre le 4°. chiffre décimal; c’est-à-dire qu’il doit être moindre que 0, 0001. En faisant, sur le sens des erreurs e, <’, veto’, toutes les hypothèses possibles, on reconnaît également que la limite d'erreur qui vient d’être indiquée n’est jamais atteinte. Le plus ordinairement la valeur de e atteint à peine 0, 00001. Les détermipations que j'ai faites plusieurs fois de suite, à plusieurs jours d’intervalle, sur la même sub- stance, prise au même état, prouvent que la pre- mière de ces limites d'erreur doit souvent dépasser la réalité. C’est pour cette raison que j’ai conservé , dans tous les résultats qui vont suivre, le 5°. chiffre décimal. J'ai toujours eu soin, lorsque j’ai opéré sur plusieurs lames d’une même substance , de les prendre dans une même barre, s’il s'agissait de matières dificilement fusibles , comme le fer , l’acier , le verre, le cuivre, le bronze , lelaiton, etc. , ou deles obtenir par une même coulée, s’il s'agissait de matières faciles à fondre, plomb, zinc, antimoine , etc. J'ai eu soin également, après avoir effectué les dé- terminations, de m’assurer, en réduisant toutes les plaques en limaille, qu’il ne s’y trouvait pas de cavités intérieures dont la présence aurait eu pour effet de diminuer d’une manière notable le poids spécifique réel. J’ai considéré comme nuls tous les résultats ob- tenus avec les plaques dans lesquelles il se trouvait de pareilles cavités. . Voici maintenant les résultats obtenus. + 188 RECHERCHES EXPÉRIMENTALES 4 FER forge, de 4". qualité éd Poids spécifique. Plaque n°407" PRONONCE TE n°. 2, pris dans la même Darre, . 7 MO ZU TO On les a portées au rouge sombre, puis trempées dans de l’eau à 0°; après cette opération (1), Len°. 1 avaitpourpoidsspécifique 7, 628 22 Len) sue snitesibentte mana O2 TA Après avoir été recuites au rouge sombre Len. TA donne : 000 MN 7020 2 Lens 2 NU OMAN ST 70 2022809 portées au blanc naissant et trempées dans l’eau à 0°, Na lues obus tt nsinitnte Mie 413029 ,16 Dnetierusate bat uen at) Li AT OA I recuites au blanc naissant NOR CAE ME RER UPREION 7, 628 10 N°72 2 MEET NERO 0 SN CORRE GD 796 portées au blanc soudant et trempées dans l’eau à 0°, NP nitire ie obosafos 12: 6026,28 D dan due de donne ul 11022295 recuites au blanc soudant NEA EP NE ETC AS NOMD SAS RO etes PT RO L0M7S (1) Il est à peine besoin d’ajouter que la surface des plaques était remise en état, chaque fois qu’on devait en prendre de nouveau le poids spécifique, après qu’on les avait recuites ou trempées. SUR LE POIDS SPÊCIFIQUE DES CORPS SOLIDES. 4189 Il semble résulter de ces expériences que le fer n’est pas insensible aux effets de la trempe et du recuit; mais contrairement à ce qui arrive pour l'acier, le recuit paraît diminuer le poids spécifique du fer , tandis qu'il augmente celui de l’acier. ACIER fondu et réduit en barres. Les plaques n°. 4 et n°. 2 provenaient consécutive- ment d’une même barre ; Les plaques n°. 3 et n°. 4 provenaient également d’une même barre, différente de la précédente, et sortant d’une autre fabrique ; Ces deux échantillons passaient pour acier de très- bonne qualité. Poids spécifique. N°. 1 sortant de la fabrique. . 7, 826 06 N:12 id. 5 0 625787 N°. 3 id. sta 141, 817003 N°. 4 id. se ve 1 5 OZ 7 Portées au rouge sombre et trempées dans de l’eau à 0°, A ele Uri ie Ts 25108 RTL 2 7 DONS DR ee le es de VDS DR ER ee ere R ARTS "QE recuites au rouge sombre NACRE ps ME 1 NQMENN AS Hi HS S 8 d sde, je RO ANT ANNE ASS 6 15 MAUR E ÉPNES A 7, 822 44 190 RECHERCHES EXPÉRIMENTALES Portées au rouge cerise et trempées dans de l’eau à 0° Poids spécifique. NRA OO CES NN 0 190 08 PROS UE QUO NO ANNE VIMPÉRIESNTZ NAS AT ts EN 7, 811 11 NÉS EUR ne re FAAIONGI recuites au rouge cerise No A0 TN es 7, 828 91 N°. 2 . Ta 6 ra ee TN IG AAA OR CE CU (AC el No. Liu à ni dé RR 70622 0h portées au blanc soudant et trempées dans de l’eau à 0° APT EN NE a Pi CAE Ag a ie ES PAGT N°.2. Matt Al tr Mali 7652 NES EN OR RE OR à Ne. 4. 7, 768 43 recuites au blanc soudant LE par A on 0 ND EE PORN Sn N°.3. EE AA 822 28 AE SR A RE 2 =] ” Nous voyons que, dans l’acier, la diminution de poids spécifique occasionnée par la trempe est d’autant plus grande que cette trempe a lieu lorsque l’acier se trouve a une température plus élevée. Par le recuit à une température à peu près égale à celle de la trempe, l'acier revient à son ancien état. SUR LE POIDS SPÉCIFIQUE DES CORPS SOLIDES. 4191 Là PLOMB. Le métal qui a servi à ces expériences avait été préparé exprès, par la réduction d’une litharge très- pure. N°. 1, plomb fondu et simplement CODIGiL: eh bel. at 343,48 N°. 2, c’est le précédent, réduit au 4/4 de son épaisseur primitive parlelaminage 11, 334 41 N°. 3, provenant de la même sn 2 04, 5232167 N°. 4, provenant de la fusion des NPA EL Die es de sue NU 000, 73 N°. 5, IR ER RDS N°. 6,'n° h'martelé . . . . 411, 346 84 Done DOME. der AA PS5 1NAG Les résultats qui précèdent montrent que le laminage et le martelage ne produisent pas les mêmes effets sur l’arrangement relatif des molécules du plomb; le laminage semble les écarter un peu, tandis que le martelage les rapproche; mais, dans tous les cas, le changement de poids spécifique est peu considérable. ETAIN. L'échantillon qui m’a servi ne contenait ni plomb, ni cuivre, ni antimoine, ni arsenic en quantité appré- ciable : Fondu , il avait pour poids spé- CARO ses Mu 7 M 29 70 09 192 RECHERCHES EXPÉRIMENTALES Réduit, par laminage, au 1/3 de son épaisseur. . . .. 7, 295 97 EmiRem rs) 01 5 ON °,/987,%290 95 Refondu et écroui. . . . . 7, 302 27 L’étain nous conduit aux mêmes conséquences que le plomb, c’est-à-dire que, par l’écrouissage, il aug- mente de densité , tandis qu’au contraire il en diminue par le laminage. GUIVRE Obtenu par la réduction de l’oxyde noir. Poids spécifique. Fondu en culot. . . . . . 8, 789 89 NPA nn EU, SE MEAMEUNS. L 85665100 N°. 2, id. provenant de la même lame | +, 0. sn dE Sn S N°. 1, trempé au rouge cerise dans l’eau à 0°. 8, 852 59 ner), ILE PAT 8, 856 23 N°. 4, recuit au rouge cerise. . 8, 868 82 N°. 2, res, 200 MEN NTMSIB85E 48 N°. 1, trempé au blanc fondant dans Peau/ä 0° . . . ‘8, 852 21 N°2, tdi MU SPRICE CIQU MGM SATSS Le cuivre est donc sensible aussi à l’effet de la trempe, qui en diminue notablement la densité, tandis que le recuit le ramène sensiblement au même point qu'avant la trempe. BRONZE. Les deux plaques ont été coulées l’une après l’autre sans interruption et prises dans le même bain de fusion. SUR LE POIDS SPÉCIFIQUE DES CORPS SOLIDES. 193 " L'analyse y a cependant indiqué une petite différence de composition; j'y ai trouvé : Ne, 1. Ne. 2. CUIVIC OM ONE RE, 88, 15 Etain. . St anns 08 BIOMD: cr MA. 222 a hihi tart..103 Zinc. 1,28 1530 Poids spécifique. N°. 4, sortant de la fonderie. . 8, 632 07 N°. 2 id. PB 0001 N°. 1, trempé au rouge sombre dansde l’eau à 0°. 8, 629 49 N°. 2, id. 8, 64h 92 N°. 1, recuit au rouge sombre. 8, 601 95 N°. 2 id. 8, 596 57 N°. 1, trempé au rouge cerise. 8, 588 25 N722 id. 8, 639 36 N°. 1, recuit au rouge cerise. 8, 575 10 N°92 id. 8, 603 90 N°. 1, trempé au rouge clair. 8, 599 99 N°. 2 id. 8, 580 33 N°. 4, recuit au rouge clair. 8, 574 14 N°28 id. 8, 602 36 On voit, à l'inspection des résultats qui précèdent, que chaque trempe amène un changement sensible dans la condensation des molécules du bronze; que le recuit opéré à une température donnée diminue d’une 194 RECHERCHES EXPÉRIMENTALES manière appréciable, la densité acquise par l’alliage, sous l'influence de la trempe, à cette même tempé- rature. ALLIAGE DES CYMBALES. Get alliage, dont les Orientaux ont eu pendant long- temps le monopole, est très-fragile*, lorsqu'il vient d’être fondu et refroidi très-lentement : il acquiert. au contraire, par la trempe, la propriété de se laisser travailler au marteau, tandis que c’est l'inverse qui arrive pour l'acier. A cette différence de propriété entre les deux ma- tières en correspond une autre dans les variations de densité qu’elles éprouvent, par la trempe et par le recuit : l'acier devient cassant par la trempe et ductile par le recuit; la trempe fait diminuer sa densité, le recuit la fait augmenter. Au contraire, le métal des cymbales devient ductile par la trempe et cassant par le recuit; la trempe fait augmenter sa densité, le recuit la diminue. Poids spécifique. Plaque provenant d’une cymbale hors de service tpartie voisine deMombilic).. :.. . M. ‘8, 569206 La même, trempée au rouge SOADER. Te PROS 7 AR RES NRA Nouvelletrempeaurougesombre 8, 627 91 Recuite au rouge sombre 8, 611 12 Après nouvelle trempe au rouge sombre. 8, 633 51 duirds au rouge cerise. 8, 654 29 SUR LE POIDS SPÉCIFIQUE DES CORPS SOLIDES. 195 E Après nouvelle trempe à la tem- pérature decommencement de SUSION ME Dis Le de LRO 8, 765 67 Après recuit au rouge cerise. . 8, 742 63 Zac fondu. J’ai éprouvé d’assez grandes difficultés à obtenir des plaques parfaitement exemptes de cavités. N°. 1, aprèsrefroidissementlent. 7, 165 05 Ne 2 id. 11 LM 4062 N°, id. 08 AMG 16 N°. 2, après avoir été trempé à la température de 186°(1). 7, 172 93 Ne S,4trempé 2200... 7, 469 A3 N°. 2, recuit à 300°. … 47:67 60 N°5 trempe 436002) 7.060), 22467,79 Ici, comme pour le métal des cymbales, la plus grande malléabilité paraît correspondre à la plus grande densité. ‘ LAITON fondu. Composition f Cuivre. |. . . 73, 67 de la PARC TS ee a 26, 28 plaque n°. 1. BIO MEN 0, 05 100, 00 (4) Le zinc trempé à une température comprise entre 480 et 200° est beaucoup plus malléable qu’à toute autre température. (2) A 350°, le zinc est beaucoup plus fragile qu’à la température ordinaire, 196 RECHERCHES EXPÉRIMENTALES Need uonss ttes ct à aol brel N°. 2, provenant du même bain de fusion. 8, 256 86 N°. 1, trempée au rouge sombre. 8, 221 71 N°,2 id. 8 8, 249 95 N°. 1, recuite au rouge sombre. 8, 222 76 N°22 id. 8, 250 19 N°. 1, trempée au rouge cerise. 8, 213 77 N°. 2 id. dU 08, 250172 N°. 1, recuite au rouge cerise . 8, 204 89 N°. 2 id. 8, 236 32 N°, 1, trempée au blanc (com- mencement de fusion). 8, 224 61 N°: 224 honte PS EUR NERO RDNES Autre sorte de LAITON lamineé. Plaque n°. 1. Guivre, M6 H:719 Composition. 4 Zinc . . . 35, 64 Plomb. . . OT Les plaques n°. 1 et n°. 2 provenaient d’une même lame. Il en est de même des plaques n°. 3 et n°. 4, qui venaient d’une autre source , et dont la composi- tion était la suivante : N°3: N°, 4. GUIVEe.. suce studies at O7 ZINC, don set MODE A es NE SE 0e Plomb et étain. traces. traces. SUR LE POIDS SPÉCIFIQUE DES CORPS SOLIDES. N°.1. Se MR sr DE do ne DRE ENS Sd N°. h. N°. 1, trempée 4 fois de suite au rouge sombre. N°. 2, id. id. 1, GS QU Ne. &. N°. 1, recuite au rouge sombre pendant 3/4 d'heure. No 2, id. N°. 3, id. id. Nas id. id. . N°. 1, trempée au rouge cerise clair. - N°. 3,id. Not 4% id. E N°. 4, recuite au rouge cerise clair. N°. 4, id. IV Re N°. 1, trempée au blanc naissant (commencement de fu- sion sur un des angles). N°, 2, id. (fusion d’un 1/5 environ). N°. 4, trempée au blanc naissant, mais sans trace de fusion 197 Poids spécifique, Lhl 157 L07 107 L42 L56 405 400 Lhl L60 405 L12 L38 133 L26 L45 L04 L48 537 L38 04 A0 198 RECHERCHES EXPÉRIMENTALES — N°. 1, recuite au blanc naissant. 8, 462 11 — N°3, id. id. Le 8, 407 70 — N°4, id. Id. - … M SM 07 Autre sorte de LAITON Lamine, Connu sous le nom de cuivre a la croix. Les deux plaques dont je me suis servi ont été coupées sur une même lame. Leur composition était la suivante : Ne, 1. N°. 2. Guivre” 2 1n603,0080 7.472105 28 HiNCin - MR 0, 2 QE EP ANS NS 229 Biombuss 15020 ler se Or Poids spécifique. Plaque N°. 4 . 7, 968 33 — N°2. 7, 957 60 — N°.1, trempée au rouge cerise. 8, 469 73 — N°2, id. id. 8, 482 20 — N°. 1, recuite au rouge cerise. . 8, 459 37 — N°2, id. id, 8, 46 92 — N°. 1, trempée au blanc naissant 8, 449 23 — N°, 2, id. id. TL SEINS 3 — N°, 1, recuite au blanc naissant. 8, 448 52 — N°, 2, id. id. 8, 458 80 Alliage des MONNAIES D’ARGENT de France. Titre de l’alliage (argent fin sur 4000 parties ). N°. 4. N°.12° N°.,3. N°. 4. CIN NO OI OM ASSUME 6075 SUR LE POIDS SPÉCIFIQUE DES CORPS SOLIDES. N°. 1, sortant de sous le balan- poids spécifique. cier . 10, 298 71 N°. 2, id. 10, 304 39 N°. 3, id. 10, 275 56 N°. 4, id. 10, 304 00 N°. 2, trempé au rouge cerise. 10, 267 07 N°,.3;,, 14. id, 10, 258 62 N°. 4, id. id. ; PA 40; :218 42 N°. 2, recuit pendant 6 heures, à l’abri du contact de l'air, au rouge cerise. 410, 240 52 N°33 10, 248 65 N°. 4. 10, 236 34 N°. 4, fondu dans un creuset brasqué et trempé au rouge clair. 40, 170 52 No 24410. ssl A0 008 77 De me ide 0. en eee 01025250 N°. 1, refondu et recuit pendant 7 heures 10, 173 75 N°. 3, 14, 10, 262 26 N°. 4, id. 10, 259 62 199 On a refondu ensemble les 4 culots, qui ont formé ainsi un alliage au titre de, 897,9 millième de fin; le culot, recuit pendant 7 heures à l’abri du contact de l'air, avait pour poids spécifique . 10, 266 88 ARGENT chimiquement pur. Fondu et bien recuit pendant 6 heures, 10, 489 31 200 Ces résultats semblent montrer que le platine ac- quiert, par l’écrouissage , une augmentation de densité que le recuit peut lui faire perdre, et qu’une tempéra- ture très-élevée peut, ensuite, lui faire acquérir un accroissement sensible de densité que la trempe ne lui RECHERCHES EXPÊRIMENTALES Nouvelle détermination sur le même . FRE: EN REC Refondu et trempé au rouge cerise . Fortement écroui. . PLATINE. N°, 1, travaillé au marteau, sor- tant de fabrique N°20 10; id, N°. 1, recuit pendant 6 heures au rouge sombre dans de la chaux en poudre. N°22 tie id. N°. À , recuit au blanc naissant. N°. 2, id. N°. 1 , recuit au blanc soudant (à la température de fu- sion du cuivre). N°2, "1d id. N°. 4, trempé au blanc N°39 id. id. fait pas perdre. 10, 489 10, 484 10, 500 21, 307 21, 198 24, 201 91, 161 21, 158 21, 196 21, 187 21, 208 21, 200 pi 47 82 79 62 21, 290 98 L0 83 64 69 22 99 82 Cd SUR LE POIDS SPÉCIFIQUE DES CORPS SOLIDES. 201 ANTIMOINE purifie. Poids spécifique. N°. 4, fondu et.@oulé.... umo 6, 737 81 N°. 2 id. MR re 6, 739 92 Ne. 1, trempé à 360°. . . . 6, 725 30 Ne. 2 Me AU C6 TOR 23 J'ai éprouvé de très-grandes difficultés à obtenir des plaques exemptes de cavités, et j’ai dû répéter un très- grand nombre de fois les expériences, avant d’arriver à des résultats satisfaisants. Alliages divers de PLOMB et d’ÉTAIN. Ces alliages ont été brassés avec le plus grand soin, dans les creusets, avec des tiges de bois vert, avant d’être coulés; les pots étaient aussi maintenus con- stamment couverts de brasque pour éviter l’oxyda- tion. Alliage formé d’un équivalent de Plomb et d’un équivalent d’Étain. Formule PS, ne Plomb, :.1..8%63,7 Composition p. °/.. ù Etain ES 0,9 N°24, fondu: : ME RQ DER 2520 44 NE Ait ne AG Ne PRO 5 T5 OU N°. 14, laminé au tiers de son passeur. NO CDS Ut No; 28 id. id. ns dt 9,534 55 202 RECHERCHES EXPÉRIMENTALES Alliage formé d’un équivalent de Plomb et de deux équivalents d’Étain. Formule …. Pb,25,. Le Plomb. .””:44 468 Composition. ; Etain" 082 Plaque N°. 4 , fondue. . . . . . : 8, 594 41 —— NUE, NN SR RIM) 0. Os AUD 02 — N°. 3, trempée aussitôt que figée. 8, 588 24 Alliage formé de deux équivalents de Plomb et d’un équivalent d’Étain. Formule ….2Pb.S,. Plomb . . 77,9 Composition p. °/o. Eat 99 1 | « 2) 2 ed une atonds COR OS AOBETU = Neo tr Te 10, 161 40 — N°. 3, provenant de la refonte des précédentes. . . 10, 155 88 — N°, 4, provenant de la précédente refondue et trempée aussitôt que figée . . 10, 093 17 — N°, 5, provenant de la précédente refondue et trempée 9 ou 10 fois de suite . . 10, 090 90 Alliage de Plomb et d’Antimoine. Formule …, Pb. Sb. Plomb. . 61,6 Composition p. °/.. | Antimoine 38,4 . > SUR LE POIDS SPÉCIFIQUE DES CORPS SOLIDES. 205 Dette dodih diatbiumsot 00. oO Dos dnote-0n da Nd-uuitls"t ob 7 168406 Hs a ostbeet uen : ol 7 1 Si, dans un alliage, les métaux combinés s’unis- saient sans éprouver de contraction, de telle sorte que le volume du composé fût précisément égal à la somme des volumes des composants, en désignant par d et d’ les poids spécifiques de deux métaux alliés, par p et p’ les poids de matière employés pour corstituer l’alliage, et enfin par D le poids spécifique de l’alliage, on aurait: _p+p"_dd'(p+p') ,,, Pen ie LAN EE AR dd si l'alliage est formé par des proportions p, p’, p" de métaux ayant respectivement pour poids spécifiques d,d'!,d!", on aurait : CA au er d.d'd"(p+p'+p") p ,p' p" pd'd"+p'dd"+p'dd' d'd' d' si l’alliage est formé par des proportions p, p', p",p" de métaux ayant respectivement pour poids spécifiques d,d’,d", d", on aurait : or pri De one pr d'ait ai dr Es d.d'.d".d"(p+p+p"+p") — pd',d",d" Epld.d'd"+-p"d.d'd"+ p"d. dt. d" (2) ; 204 RECHERCHES EXPÉRIMENTALES Appliquons ces formules à nos divers alliages e Dans le cas de l’alliage Pb.Sb de plomb et d’anti- moine, On aura, pour la valeur de D calculée dans l’hypothèse que l’alliage s’effectue sans condensation , D—8,985 , Tandis la que valeur déduite de l’expérience directe s'élève à environ 7,773. La diminution s'élève ici à 4,213, et la dilatation de l’alliage s’élève à environ 13,5 pour 100. Si nous procédons de la même manière pour nos autres alliages binaires, nous arriverons aux résultats suivants : * Poids spécifique Poids spécifique Contraction Alliages observé, calculé. de l'alliage. ED enste UN 9, 5148 ... 9, 443 . . . — 0, 804, Ph2S% 0000.08 5881 CS Nr 60.0. VE N00 2Pb, Sn 0 » + slmgey 10,015 4e ©» 40, 406 +. - — 0, 4A Monnaies d'argent. . 410, 267 ... 10, 286 . . . + 0, 18 Laiton .. . . . 8, 2390 0... 8, 2951. 4 + 0, 68 Bronzedes machines. 8, 642 ... 8, 657 . .. “+ 0, 17 Les nombres qui précèdent nous montrent qu’à l'exception de l’alliage de plomb et d’antimoine, dans lequel il se produit une dilatation considérable , la plupart des autres éprouvent une petite contraction de volume. VERRE A GLACE d’excellente qualité. Poids spécifique. Plaque N°. 4, sortant de la fabrique . 2, 458 44 SUR LÉ POIDS SPÉCIFIQUE DES CORPS SOLIDES. 205 — N°. 2, provenant du même mor- ceau que le n°. 1. , 458 16 — "1 N° 3, id. id. , 457 Lh — N°. 4, id. id. , 458 25 NT 00; id. "57 02 — NP" trempée à 400 — N°2, id, , 458 13 ==H0N0, 43, id. ee — N°, 4, trempée à 360°. — N°, 5, recuite à 450°, — N° 5, recuite au rouge cerise . — N°. 5, recuite jusqu’à commen- NO NI NI KI KI KI K9 KI 9 5 _% L 21 SE F QU Où Qt Qt © 1 © = D DE er FE ND ON © M [= [SA Lu] [=] [= cement de fusion 2, 456 74 VERRE A VITRE. Plaque N°. 4, sortant de la fabrique et recuit pendant 6 heures à 100° 2;F53005a — N°, 2, id. id, 2, 529 66 — N°. 1, trempé à 100°. 2,528 S3 — N°2, id, 23052822 11 semble résulter de ces nombres que la trempe du verre, même à une température peu élevée, comme celle de l’eau bouillante, lui fait déjà éprouver une diminution sensible de densité. Beaucoup de physiciens avaient déjà reconnu ce fait d’une manière indirecte, par l'observation des déplacements du zéro, dans les thermomètres très-sensibles avec lesquels on observe des températures voisines de 100°. Depuis une quinzaine d'années , j'ai eu moi-même de fréquentes occasions 206 RECHERCHES EXPÉRIMENTALES de vérifier ce déplacement du zéro des thermomètres , qui venait trop souvent compliquer les milliers d’ob- servations auxquelles m'ont obligé mes travaux parti- culiers. Nous pouvons résumer ainsi les principales consé- quences qu’il me semble permis de tirer des résultats de ce travail : 1°. Presque tous les métaux usuels, ainsi que leurs principaux alliages, sont sensibles aux effets de la trempe et du recuit ; les uns diminuent de densité d’une manière plus ou moins prononcée, sous l'influence de la trempe, comme l’acier, l’antimoine, le fer, le cuivre, l’alliage des monnaies d’argent, l’alliage formé d’un équivalent d’étain et de deux équivalents de plomb. Sur d’autres, au contraire, l’effet de la trempe se traduit par un accroissement de densité ; tel est le cas des bronzes et des laitons; tel est encore le cas du zinc entre 180° et 200°. 2°, Soumis à l'influence du recuit , c’est-à-dire , chauffés à une température plus ou moins élevée, et abandonnés ensuite à un refroidissement très-lent , plusieurs de ces métaux ou alliages peuvent revenir à l’état où ils se trouvaient avant la trempe, et reprendre sensiblement leur première densité ; tels sont l'acier, le cuivre , et en général les métaux qui ont éprouvé , sous l'influence de la trempe, une diminution de densité. D'autres , au contraire, comme les bronzes, les laitons, et peut-être tous les alliages qui, sous lin- fluence üe la trempe, ont augmenté de densité, perdent SUR LE POIDS SPÉCIFIQUE DES CORPS SOLIDES. 207 une partie notable de cet accroissement, sous l'influence d’un recuit ultérieur, sans revenir, pour cela, à leur état primitif. 3°. En général, les substances qui perdent, sous l'influence de la trempe, une partie de leur densité , deviennent plus dures et plus fragiles. L'acier fortement trempé, le verre trempé sous la forme des larmes bata- viques, nous en fournissent de remarquables exemples. Au contraire , les substances qui deviennent plus denses par la trempe, acquièrent souvent, par ce fait, une bien plus grande malléabilité. Nous en avons un exemple du plus haut intérêt dans l’alliage des cym- bales et des tamtams. Le. S'il était permis de tirer une conséquence géné- rale d’un aussi petit nombre de faits particuliers , nous dirions qu’un même métal ou un même alliage est d'autant plus ductile ou malléable que, par un moyen physique quelconque, on augmente davantage sa den- sité; qu’il est, au contraire, d'autant plus fragile que l’on aura rendu, d’une manière permanente, sa densité plus faible. Les molécules du corps, plus écartées les unes des autres dans le second cas que dans le premier, sont moins dépendantes les unes des autres, et il faut un moindre effort pour vaincre leur cohésion, pour les soustraire aux effets de leurs attractions réciproques. Ces molécules sont alors dans une position d’équilibre moins stable, et telle est l'instabilité de cet équilibre dans les molécules des gouttes de verre trempé connues sous le nom de larmes bataviques, que le moindre dérangement dans l’une de ses parties, la rupture de la queue de la goutte, par exemple, produit dans 208 RECHERCHES EXPÉRIMENTALES toute la masse un ébranlement suffisant pour tout ré- duire en poudre. 5°. L’écrouissage des métaux purs ou alliés, soit à laide du marteau, soit à l’aide du balancier, produit généralement une augmentation dans leur poids spé- cifique. 6°. Le laminage peut produire une diminution sen- sible dans la densité de certains métaux; tel est le cas du plomb et de l’étain, qui augmentent cependant de densité par le martelage. Si nous revenons maintenant au but que je me pro- posais, en entreprenant le travail, beaucoup trop in- complet, dont je viens de présenter les résultats à l’Académie ; nous allons voir jusqu’à quel point étaient fondés les scrupules qui m’avaient conduit à l’entre- prendre , avant d'aborder la question délicate de la dilatation des corps solides. J'ai résumé, dans le tableau qui va suivre, les va- riations de densité que peuvent acquérir plusieurs métaux ou des alliages, suivant qu’ils ont été trempés, ou recuits à une température peu différente de celle de la trempe ; j’ai mis en regard les variations de volume correspondantes, et enfin leur dilatation sous l'influence d’un accroissement donné de température. SUR LE POIDS SPÉCIFIQUE DES CORPS SOLIDES. 209 VARIATION VARIATION VARIATION dedensitéentre d ] de volume le métal trempé F VIE depuis 0 etnontrempé. |correspondante.| jusqu’à 400. Len Acier . Cuivre. . . . .. 2 tue”. wa 800 7080 531 Bronze. . . . . . tu b H4ase , 267 2296 LIRC, SIMRERE À 526 » 750 5400 Les Li rene _s 1 ae À 800 6520 533 Alliage des mon- e À naies d’argent. =: » 1000 10 200 SR 1 Antimoine. . .. es 2 Ë 500 3365 , 1 4 Alliage S,,2Pb. . ga » 143 1450 Nous voyons, par les nombres inscrits dans ce ta- bleau, que, par l’effet de la trempe et du recuit, plu- sieurs de ces substances peuvent éprouver des variations de volume qui représentent une fraction très-considé- rable du changement de volume qu’elles éprouveraient, par suite d’un accroissement de 400° dans leur tempé- rature. L’acier, par exemple, suivant qu’on le prend 210 RECHERCHES EXPÉRIMENTALES. recuit ou trempé, éprouve un changement de volume qui représente 57 °/, de la dilatation qu’il subirait, en passant de la température de la glace fondante à celle de l’eau bouillante. Sans doute, cette différence, cette énorme cause d'erreur, peut être considerée comme une limite ex- trême; mais comme il est assez difficile de s'assurer que les métaux sont parfaitement recuits et que, d’ailleurs , ce recuit, dans les mêmes circonstances , ne donne pas toujours les mêmes résultats, je me suis trouvé en présence d’une incertitude devant laquelle j'ai cru devoir m’arrêter. Si j'ajoute encore que l’on observe quelquefois, entre les poids spécifiques de plaques prises soit sur un même _ morceau, soit dans un même bain de fusion, des difré- rences d’une importance comparable à celles qui peu- vent résulter de la trempe et du recuit, l’Académie comprendra mon hésitation, que plusieurs années de réflexion n’ont pu vaincre. J'aurais pu, sans doute, obtenir des résultats plus satisfaisants en bornant mes études à quelques métaux simples pris dans un parfait état de pureté; mais alors mon travail perdait à peu près toute l'utilité pratique et immédiate en vue de laquelle je me proposais de l'entreprendre , puisque la plupart des métaux ne sont jamais employés dans cet état de pureté. NOTES SUR LES SOLUTIONS SINGULIÈRES DES ÉQUATIONS BIFFÉRENTIELLES, Par M. Ch. GIRAULT, Professeur à la Faculté des Sciences. I. Pourquoi le procédé d'intégration des équations différenticlles par la série de Taylor ne fournit pas les solutions singulières. 1. Parmi les différentes méthodes au moyen des- quelles on peut intégrer les équations différentielles, la méthode d'intégration par la série de Taylor est, sinon la plus avantageuse dans les applications, du moins la plus générale, puisqu'elle convient à des équations d'ordre quelconque, pourvu que l’on suppose la fonc- tion inconnue développable en série. Toutefois, tandis que cette méthode fournit l’ente- grale générale de l'équation différentielle proposée , c’est-à-dire une solution renfermant autant de con- stantes arbitraires qu’il y a d'unités dans l’ordre de l'équation , il est remarquable qu’elle laisse échapper 212 SUR LES SOLUTIONS SINGULIÈRES certaines solutions tout-à-fait distinctes de la première et désignées pour cela sous le nom de solutions sin- qulières. Nous nous proposons de rechercher pourquoi, malgré leur généralité apparente, les procédés analytiques que l’on applique à la résolution de l'équation n’embrassent cependant pas la solution tout entière; et nous dédui- rons de cette recherche un caractère des solutions singulières. Mais, pour cela, il est nécessaire de reprendre d’abord l'exposition de ces procédés, et c’est ce que nous allons faire. 2. Soit l'équation différentielle de l’ordre m, dy d' dy) ( a di R T ; LE dx’ dx’? » A8 dx” que l’on peut écrire encore : ED US Tee Dee y"]=—0, ou, en résolvant par rapport à la dérivée de l’ordre le plus élevé, ge fe, y, y gl pe, ou enfin, pour abréger, (b) yim)=u. Admettant que, pour un choix convenable de x, et de x, la fonction inconnue y est développable par la formule de Taylor, on pourra poser (&—2%) —y bp, LE: er), n à À ae sente) Eng; (m—1) Labs Lestit ME MA” DES ÉQUATIONS DIFFÉRENTIELLES. 213 (T—To)m (z—2)"+1 (x—2%)" +2 —@— 7 (0) + ———_— 77 D 2 2, F1. … mŸ hrs AY sk dé À 2... m+27 + etc. OÙ Yo s Yo! s Yo! 5 ee Yol 1), ol), Yolm 1), Vol 2)... représentent les valeurs des dérivées successives, quand on y fait x égal à x... Or, de l’équation (b) on tire, en dérivant les deux membres par rapport à x : du du dy du dy! du dybr—41) me1 —— —————, CA, Et dy dx dy! dt" ay dz ou, en vertu de (b), y er en) Las HT ce qui peut s’écrire encore, pour abréger, sous la forme (c) ylm+ A), où v ne dépend que de la variable x, de la fonction y et de ses dérivées jusqu’à l’ordre m—1. Traitant l'équation (c) comme on a traité l'équation (b), on aura : dv dv dv dv JET y SET 1H … M Let ce que nous écrirons, pour abréger, sous la forme (d) ylr H2=w 5 et ainsi de suite, indéfiniment, toutes les dérivées 44 214 SUR LES SOLUTIONS SINGULIÈRES s'exprimant au moyen des m—1 premières, de la fonction et de la variable. Si, maintenant, on indique, au moyen de l'indice zéro, ce que deviennent les expressions U, V, W, ... quand on y change x en x, et, par suile, y, y’, y" .… yir—1) en Yo; Yo!; Yo! .… Yyol—1), On déduira de ce qui précède : (e) Yo ; YO FUE=V,, YF W, , etc. et l’on en conclura que la fonction y peut s’écrire : T—Ts T—T, )* D... ER ÿo+ Ex Yes. (x—x,)"—1 (z—xt)7 —————— y,ltr—1) = TU, CE Mr rt du Me (z— x) "+1 me: (z— x) 2 49 na een en Ne D 7 Reste à savoir quelles valeurs il faut y donner à Yale a ation TEA) 3. Or, on peut démontrer que ces valeurs sont com- plètement arbitraires, c’est-à-dire que la valeur de y de la formule (f) résout l’équation différentielle pro- posée , quelqu’hypothèse que l’on fasse sur %;, Yo’, Yol! je. Vol — 1), En effet, si l’on différentie m fois de suite les deux membres de (f), on obtient : Er. GER W+, ele 4 " 172 ia ‘ y) = vu, + Continuant à effectuer les différentiations et fai- DES ÉQUATIONS DIFFÉRENTIELLES. 215 sant æ égal à zx, dans tous les résultats, on en déduit : (9) pr, pin, pl + 2, , etc. mais = du du , du 22 AL 3 — del dy} dy} dy" Par suite, et en vertu de la première des rela- tions (g), du a} ’ de \ ll du { En PAPE ER Pre ou Vo en appelant u’ la dérivée de U par rapport à z pris implicitement et explicitement. De même et en vertu des deux premières relations (g), on aura NP PE AUS en indiquant toujours, au moyen d’accents, les dériva- tions. Les relations (g) peuvent donc s’écrire (h) YU 3 YF DU”, At #2)=u,/", etc; d’où l’on déduit , en ajoutant après multiplication par Mis À T—To (T—%) les quantités respectives 1, ot pas etc., et revenant des séries aux fonctions, l’équation ym)=U, qui n’est autre chose que l’équation proposée. 216 SUR LES SOLUTIONS SINGULIÈRES h. Ainsi , il semble qu’on soit en droit de conclure de ce qui précède, que toutes les solutions de l'équation (a) sont renfermées dans la formule (f) et qu'il suffit, pour les obtenir, de donner à %, y", Yo"! ,. yol—1) tous les systèmes possibles de valeurs. Nous allons voir pourtant que, pour certaines solu- tions de l’équation différentielle, les égalités yir+ =, ylrt-2)=w, etc. peuvent être défectueuses; en sorte que, pour ces solutions, la formule (f) obtenue au moyen des éga- lités précédentes, peut ne pas se trouver vérifiée. 5. En effet, supposons que u renferme une fonction 9 dezxz,y,y', y" .… ylu—1); d’après ce qui a été vu plus haut sur la forme de v, il y devra entrer une partie pouvant s’écrire du dy dy de . dy a : où fre est la dérivée totale de par rapport à x pris explicitement et implicitement. Cette partie doit être considérée comme la limite de Au A Au que — à A9 AT AT î la caractéristique A représentant des accroissements que l’on suppose nuls à la limite , et Au l’accroisse- ment de z, lorsqu'on y accroît x de Az dans + et non ailleurs. Mais, pour cela, il est essentiel que # ne soit pas DES ÉQUATIONS DIFFÉRENTIELLES. 207 identiquement nul en vertu de la valeur inconnue de la fonction y. Car, si cette circonstance se présentait , la transformation . Au . Au A du d lim— =lim— LME 9 Az 4p Ar de dx ne serait plus permise, parce que le membre intermé- de : : +. A+, NO: : diaire qui a la forme de lim —. Es est sans signifi- (e] cation et n’entraîne pas l'égalité des membres ex- trêmes, dont le premier est toujours nul, tandis que le dernier peut être nul, fini ou infini, en vertu de la valeur de y. Si donc, # étant identiquement nul , la quantité du dy d? dx ne l’est pas, elle se trouvera de trop dans v, et rendra fausse l'égalité yrr+1)=—v, On dirait la même chose pour l'égalité y +2=w et pour les suivantes. Ainsi, toute solution de l'équation différentielle pro- posée salisfaisant à la condition #—0, qui est une équation différentielle de l’ordre »#—1 au plus, peut ne pas se trouver renfermée dans la formule (f), si u est fonction de #. 6. Cela posé, si nous démontrons que toute solution de la proposée , qui renferme m constantes arbitraires distinctes, ne peut satisfaire à une équation de la forme ?—0, On en pourra conclure que, pour cette solution, 218 SUR LES SOLUTIONS SINGULIÈRES les formules (c), (d) sont exactes, et par conséquent aussi la formule (f). Or, rappelons que les "= constantes arbitraires sont dites distinctes lorsqu'on peut les déterminer de manière à faire prendre à #, ÿs”; Yo! s… yol"—1) des valeurs arbitraires, quelle que soit d’ailleurs la valeur que l’on ait choisie pour x. Si donc on pouvait avoir p{z, yo’ gl, gl 1l)=0, il en résulterait , pour z=z., Th don Tate do sr otlol re DO: quelles que fussent les quantités æ , Yo, Yo'+ Yo"; … y(m—1); ce qui est impossible , puisque y n’est pas supposé identiquement nul indépendamment de toute valeur attribuée à la fonction y et à ses dérivées. On conclut de ce qui précède que la formule (f) renferme toutes les solutions de la proposée, où il entre m constantes arbitraires distinctes. C’est la valeur gé- nérale de y fournie par cette formule (f), que l’on désigne sous le nom d’intégrale générale de l'équation différentielle. 7. Mais cette équation différentielle peut comporter en outre d’autres solutions, ne se déduisant pas de l'intégrale générale par un choix convenable des con- stantes, ne renfermant pas » constantes arbitraires distinctes , et satisfaisant à des équations différentielles de l’ordre m—1 au plus, où il n’entre pas de constantes arbitraires. Ces solutions sont dites des solutions singu- lières, et l’on voit qu’elles ont pour caractère de ne point vérifier le système DES ÉGUATIONS DIFFÉRENTIELLES. M9 y, yat 2)=w, etc. 8. Apphcation. Soit l'équation Y=A1+ (y 2) on en déduit : y'=a(y—x) "4" ÿl=0(2u—1)(y— x) 5%? y =a(2a—1)(30—2)(y—2) #4 S Or, y= zx satisfait à l'équation différentielle sans satis- faire au système des équations qui suivent, toutes les fois que « est moindre que l'unité. Par conséquent, y=æ est, dans ce cas, une solution singulière de l'équation proposée. On peut remarquer que la fonction que nous avions représentée par # dans le cas général est ici y—x. L'intégrale générale est d’ailleurs , en faisant T0: nu x? ss ya + y TU + 19 %Yo Ru. FT 7. a(2e—t)ye —- etc. où la constante arbitraire est y. Si « est égal ou supérieur à l'unité, tous les termes qui suivent le premier renferment y, à des puissances positives ; d’où résulte qu’en donnant à y la valeur particulière zéro, on obtient la solution particulière y—=æ. Mais si « est moindre que l'unité, les puissances de y, dans le second membre deviennent négatives à partir d'un certain terme, en sorte qu’on ne peut dé- terminer y, de manière à réduire à x ce second membre. 220 SUR LES SOLUTIONS SINGULIÈRES C’est ce que l’on voit plus clairement encore en sommant la série, ce qui donne 4 y=z+[ y ne: Ge f—* Ainsi, dans ce cas, y—=zx est une solution singu- lière. II. Procédé pour la détermination des solutions singulières des équations différentielles d’ordre quelconque. 9. Il importe d’abord d’établir certaines propriétés géométriques des solutions singulières. Si l’on considère la fonction y comme représentant l’ordonnée d’une courbe plane dont x est l’abcisse , l'intégrale générale de l’équation dif'érentielle représente alors une ligne L ayant m paramètres arbitraires, ou, si l’on veut, une infinité de lignes L ne différant les unes des autres que par les valeurs de ces paramètres. De ce que ces pa- ramètres sont en nombre m" et distincts, il en résulte d’ailleurs qu’il existe toujours une ligne L telle que, pour æ—x,, y, y’, y", yl—1) prennent les valeurs Yos Yo's Yo!, .… Y"—1), quelles que soient ces va- leurs. Quant aux solutions singulières, elles représentent des lignes A distinctes des lignes L. 10. Soit considéré un point M de la ligne A ; il passe toujours en ce point une ligne L; et , quelles que soient pour la ligne A, en ce point M, les valeurs de y’, y" ..…. yli—1), il y passe toujours une ligne £ pour laquelle DES ÉQUATIONS DIFFÉRENTIELLES. 221 ces derniers éléments sont IeS mêmés. Par conséquent, en vertu de l'équation différentielle, on peut affirmer que la valeur de yl") y sera la mênie pour la ligne A et pour la ligne particulière £ que l’on considère. Ainsi, en chacun de ses points, la ligne singulière A a un contact de l’ordre m avec une ligne £. Cette propriété distingue la ligne A de toute autre, qui, en chacun de ses points, ne peut avoir avec une ligne £ qu’un contact de l’ordre m—1 au plus. 11. Comme cas particuliers, on en conciut que les solutions singulières des équations différentielles du premier ordre représentent des lignes touchant en chacun de leurs points une ligne L; et que les solutions singulières des équations différentielles du second ordre représentent des lignes ayant en chacun de leurs points le même cercle osculateur avec une ligne L. 12. Ce qui précède étant établi, nous allons pouvoir déduire de l'intégrale générale toutes les solutions sin= gulières de l’équation différentielle. Soit en effet y=F(x; c,, c,,... c,) cette intégrale générale. Pour qu’elle représente la ligne particulière L qui a un contact de l’ordre m avec la ligne A au point M, il faut donner aux constantes des valeurs particu- lières qui dépendent de la position particulière du point M sur la ligne A, c’est-à-dire qui sont des fonctions de lx du point M. Soit #,, u,,.… u,, ces valeurs fonctions d’z; si on les substitue dans l’intégrale générale, on a la relation y=F(t, u,, u, pr. u,,) qui représente la ligne £ quand on n’y fait pas varier 15 2) SUR LES SOLUTIONS SINGULIÈRES æ dans u,,u,,... u,,5; Mais qui, lorsqu'on y regarde x comme étant le même explicitement et implicitement dans 4,, u,,.. u,, caractérise tous les points de la ligne À, et en est par conséquent l’équation. Or, les deux lignes L et A ont au point M un contact de l’ordre m; d’où résulte que l’équation précédente doit fournir les mêmes valeurs de y’, y!,.… ylm}, que l’on fasse ou non varier x dans 4, , u,,... u,,3 Ce qui, en représentant par c,, €,, … c,, les fonctions w,,,, .… uns Pour conserver les notations primitives , en- traîne les conditions de dc, dr de, 2 . dr dc, sn de, dx dc, dx He den dx , dr! dc, dr! dc, de! de, PE all du oO NT ol drtm—1) de, drim—1) de, drtn—1i de, | de, dz de; Fr EReT den dx _ où l’on désigne, au moyen d’accents affectant la carac- téristique F, les dérivées successives de la fonction (1) Y—=F(T, Ci, C, ... Cm) par rapport à la variable x considérée explicite- ment. Pour résoudre ces m équations, on commence par . . , de, dc» éliminer entr’elles les m—1 rapports —, ... _—; de, de, qui conduit à une équation de la forme ce (4) p(T; Cis Ci. Cm) 0 , DES ÉQUATIONS DIFFÉRENTIELLES, 223 qui donne aussi de dy dc, _ dc, dy den_, l _. Q de de, dx dde VAT dc. dx On tire de ces dernières relations les valeurs de c, et de _ On substitue dans m—1 des équations du T système (2), et l’on obtient m—1 équations différen- tielles linéaires simultanées du premier ordre, d’où l’on déduit les valeurs de c,, c,, .… Ch_,, et, par suite, au moyen de la relation (4), la valeur de c,,, en fonction de x et de m—1 constantes arbitraires au plus. Ces valeurs de c,, c,,.. c,, étant substituées dans l’équation (7), donnent une relation à laquelle doit satisfaire tout point de la ligne A. Cette équation est donc une équation de la ligne A, ou la solution singulière elle-même. Ainsi, la solution singulière peut renfermer un nombre de constantes qui varie depuis o jusqu’à m—1. 13. Application, Soit l'équation différentielle y" — 2x y" + hay —hy=0. Son intégrale générale est, comme on peut le vérifier, y=C + 20,4 Cr. On en déduit y'—=2c;+-20,x. Le système des équations (+) est ici (ce +20, dc pes LE dæ D 3 224 SUR LES SOLUTIONS SINGULIÈRES ce qui revient à dc 2c,—x—o, Le pad ; d’où l’on tire 1 zx C—=— ; ATEN où c est une constante arbitraire. . Substituant ces valeurs de c, et de c, dans l'intégrale générale ; on obtient pour solution singulière zh = IQcx+ —, y k T 14. Si l'équation différentielle est du premier ordre, l'intégrale générale ne renferme qu’une constante, et Ja solution singulière s’obtient en éliminant c entre les équations y=F(x, c) et days dc mais nous allons étudier à part ce cas particulier. III. Des solutions singulières des équations différentielles du premier ordre. 15. Si l’on donne le nom d’enveloppe des lignes L à l’ensemble des lignes qui touchent en chacun de leurs points une ligne L, on voit que cette enveloppe n’est autre chose que la représentation géométrique A de la solution singulière de l’équation différentielle supposée du premier ordre. DES ÉQUATIONS DIFFÉRENTIELLES. 225 D’après cette définition de l’enveloppe, il ne faut pas la confondre avec le lieu des intersections consé- cutives des lignes L. Ce lieu est une partie de l’enve- loppe, mais ne la constitue pas nécessairement tout entière. 16. Soit F(x, y, c) —0 l'intégrale générale de l’équa- tion f(x, y, y')—0. Considérons la surface S de l’équa- tion F(x, y, z)—0, rapportée à trois axes rectangulaires dont le troisième, celui des z, est vertical, Coupons la surface par un plan horizontal mené à une distance c de l’origine. L’équation de la projection horizontale de la section sera F(x, y, c)—0o; c’est-à-dire que la surface S jouit de la propriété de fournir toutes les lignes L, lesquelles sont les projections horizontales de toutes ses sections horizontales. Considérons maintenant le contour apparent de la surface S sur le plan horizontal, ou la trace horizontale du cylindre vertical tangent à la surface. Cette trace touche en chacun de ses points une ligne L. C’est donc la ligne A elle-même. Cette remarque fournit un moyen de déterminer la solution singulière quand on conpaît l'intégrale générale. 47. En effet, soit M un point quelconque de la ligne de contact de S avec le cylindre vertical. Désignant par æ, y, z les coordonnées de ce point et par x, Y,Z des coordonnées courantes, on a pour l’équation du plan tangent à la surface au point M, dE dr dr —!{x— — (Y—y)+ — (2—2)—0; FA HER y) DA ) 226 SUR LES SOLUTIONS SINGULIÈRES et, pour que ce plan soit vertical , il faut qu’on ait, ou OQUE bien — nul, sans que 2e et dr le soient ; ou bien pu et 2 dz æ dy dx dy infinis, sans que — le soit. Dans ces deux cas, le plan dz tangent étant vertical, la projection horizontale du point M appartient à la ligne A , représentation géomé- trique de la solution singulière. Il en résulte que, si d’une part on élimine z entre les équations F F=0 , ——0; dz si, de l’autre, on élimine z entre les équations dr F=—0 ;, ee ; ua devenant infini lui-même, chacune des équations finales obtenues représente une partie de la ligne A ; c’est-à-dire que chacune d’elles constitue une solution singulière, et il n’y en a pas d’autres. On peut d’ailleurs, avant l’élimination, rétablir c à la place de z, ce qui ramène la résolution du problême à des énoncés connus. Une discussion permettra d’écarter les solutions étrangères que la marche même du calcul peut in- troduire. On voit, par ce qui précède, que la connaissance de l'intégrale générale conduit toujours à la solution singulière. Mais, on va voir que cette connaissance n’est pas indispensable et que l’on peut déduire im- DES ÉQUATIONS DIFFÉRENTIELLES. 29" médiatement la solution singulière de l’équation dif- férentielle elle-même. 48. Il est évident que l’on obtiendra encore la ligne A, Si, au lieu d'employer la surface S de l’équation F(æ, y, z)—0, on emploie toute autre surface ayant même contour apparent sur le plan horizontal, ou ayant tous ses plans tangents verticaux communs avec la surface S. Or, cette condition est précisément remplie par la surface S, dont l’équation résulte de l'élimination de z entre les équations F(xæ, y, 2)—0 et y(xæ, y, z)—2z,—=0. En effet, æ, y, z, étant les coordonnées courantes d’un point de cette surface , on peut dire qu’elle a pour équation p(x, y; 2) —2, —0, en y regardant z comme une fonction de x et y déter- minée par la relation F(x, y, z)—0o. L’équation du plan tangent en un point de la surface S, est donc (+ are (+ dé Ten -E-20=0 dx dzdx TE d dz dz ou, après substitution des valeurs de — et de — dx dy déduites de F(x, y, 2)—0, ddr dodr],_ [dodr dodrl à. RTS Al er at Pet an D'une autre part, l’équation du plan tangent en un point de la surface S est 228 SUR LES SOLUTIONS SINGULIÈRES dr dr dF et, si l’on suppose que x et y soient les mêmes dans les deux équations , les deux points de contact sont situés sur une même verticale, à une hauteur z pour la surface S, à une hauteur z, pour la surface S,. Cela posé, supposons d’abord dy nul sans que ad at ie dz po + y le soient, les équations des deux plans tangents de- viennent dr - D E—a)+ € (x), "e à dy et représentent un seul et même plan vertical RIAD : aie dr Supposons ensuite — et — infinis, sans que — le dx ‘dy dz devienne, et désignons par « le rapport de de de : les dz dy équations des deux plans se réduisent à D(X—T)+Y— y—=0 et représentent encore un seul et même plan vertieal. Les deux surfaces S et S, ont donc tous leurs plans tangents verticaux communs , et par conséquent la seconde, aussi bien que la première, pourra servir à déterminer la solution singulière. 19. Remarquons maintenant que l'équation diffé- rentielle proposée f(x, y, y’)=0o peut être regardée comme résultant de l’élimination de c entre les équa- tions dr(x,y,c) PET Y» €) F(x, y, C)=0 et #6 isa y —0; E DES ÉQUATIONS DIFFÉRENTIELLES. 229 et qu’il revient au même de dire que léquation f&>; y, z,)=0, peut être regardée comme résultant de l'élimination de z entre F(x, y, z)=0 et de(z, y: 2) rs L.: PATES PE ‘ dx dy D’après ce qui a été vu au numéro précédent, on en conclut que la surfate de l’équation Pa 20 peut servir, aussi bien que la surface S, à déterminer la Solution singulière , laquelle comprendra , d’une part, l'équation finale résultant de l'élimination de z, entre 0. de l’autre, l’équation finale résultant de l’élimination de z, entre les équations 1—0 et Dies ÿ dx Sidevenant lui-même infini. y On peut d’ailleurs, avant l'élimination, rétablir y! à la place de z,, ce qui ramène la résolution du problême à des énoncés déjà connus. On peut aussi, comme au numéro 47, rencontrer ici des solutions étrangères à la question, et qu’une dis- cussion permet d’écarter. NOTICE BIOGRAPHIQUE SUR M. LIÉNARD (NÉE CHUPPIN DE GERMIGNY }, ASSOCIÉE-CORRESPONDANTE DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES, ARTS ET BELLES-LETTRES DE CAEN ; Par M. CHAUVIN, Professeur à la Faculté des Sciences. Dans l'opinion de bien des gens du monde, la dé- nomination de femme lettrée, est, qui ne le sait? l’objet de préventions toutes défavorables ; de la part de quelques-uns même, c’est une sorte de réprobation, impitoyable et sans merci. À les en croire, au-delà de l'éducation commune et dévolue par l’usage tradi- tionnel, il n’y aurait qu'inconvénients et périls pour la femme qui, ne limitant point le désir d'apprendre aux notions élémentaires , que l’on a coutume de transmettre uniformément à la première jeunesse, ose- rait aspirer vers une sphère d’idées plus générales et plus élevées. Dans cette aspiration , indice caractéris- tique néanmoins des intelligences privilégiées, on ne voudrait voir qu’une déviation de l’ordre de la nature, NOTICE BIOGRAPHIQUE SUR M", LIÉNARD. 231 qui aurait tracé autour de la faible compagne de l’homme, un cercle étroit , avec interdiction de le franchir jamais. L’injustice, parfois, va jusqu’à con- clure que, pour elle, il n’est pas de conciliation pos- sible entre le libre développement des facultés de l'esprit et l'épanouissement de ces douces vertus de l’âme et du cœur, si chérissables dans l’intimité de la famille et si précieuses encore pour le bonheur de la femme elle-même; bonheur qui, on ne peut en dis- convenir, comprend le nôtre dans sa dépendance, par une solidarité inséparable. Qu'un si austère rigorisme soit réellement applicable à ces individualités tristement exceptionnelles, que l'ambition de briller par les jeux de l'esprit passionne bien plus que l’ardeur de savoir et de comprendre; qu’il s’adresse sévèrement à ces imaginations désor- données, qui se figurent rencontrer le bonheur et la gloire dans les prétentions bruyantes d’une vanité sans mesure , à un pareil jugement qui ne s’empresserait de souscrire ? Mais aussi, qui aurait le courage de con- tester la considération et les justes hommages dus à la femme instruite, qui, sans sortir du rôle modeste qui lui est assigné, dans un monde où son premier devoir est de fuir l'éclat et l'agitation, ne le perd jamais de vue, consacre ses loisirs à la lecture, à la méditation et se résout quelquefois à fixer par écrit le fruit de ses observations, de ses réflexions, de son expérience, sans autre mobile déterminant que l'espérance d’en faire profiter autrui? Ne pourrait-on pas dire au con- traire qu’il est, dans la littérature, une place évidem- ment marquée pour les femmes ? C’est lorsqu'il s’agit de 292 NOTICE BIOGRAPHIQUE traiter des sentiments délicats et de leurs nuances in- finies. En tout ce qui touche aux études de mœurs, leur exquise sagacité ne réussit-elle pas souvent mieux que nous ne le pourrions faire nous-mêmes à expliquer, avec une précision parfaite, les mystères du cœur les plus secrets. Les observations de détail, les fins aperçus, l'analyse des agitations intérieures et des tendres im- pressions de l’âme , elles savent déchiffrer , traduire et exprimer tout cela, avec une exactitude savante et une perfection de langage qui porterait à croire que ces divers sujets sont comme leur domaine réseryé. Besoin n’est, j'imagine, de citer ici les femmes auteurs qui ont excellé en ce genre, et dont les noms, décorés d’une gloire pure, sont présents à la mémoire de tous, Cependant la qualification de femme de lettres, ap- pliquée à celle dont je trace ici la notice biographique, l’eût étonnée et effrayée peut-être : car elle avait cherché plus particulièrement dans les livres le moyen de per- fectionner en elle-même les qualités dont Dieu l'avait douée en naissant , sans songer le moins du monde à s’en prévaloir pour les vaniteuses satisfactions de lamour-propre ; et ce qui l'indique assez, ce sont les volumineux écrits qu’ignorait en partie sa famille, et qui ont été pieusement recueillis après sa mort, Aimant le calme de la retraite, autant peut-être que le monde, où elle tenait, à l’occasion, une place distinguée, on ne J’y remarquait tout d’abord, que pour l’aménité de son caractère bienveillant et la grâce élégante de ses manières. Capable de diriger aussi bien que de suivre une conversation sur les sujets les plus divers, elle pré- férait de laisser à d’autres le soin de l'initiative; elle SUR M'*°, LIÉNARD. 233 se contentait de suivre, avec un véritable abandon et une simplicité attrayante, le cours de la discussion , n’y mélant ses opinions les plus sûres et ses remarques spirituelles qu’avec une réserve timide ; qui témoignait d’une véritable modestie, S'il lui arrivait d'émettre quelques excellents avis, c'était toujours avec des mé- nagements tels, qu’elle semblait plutôt en demander pour son propre compte que de chercher à les imposer à autrui. Mais, sous l’apparence de cette défiance d’elle-même, se voilait néanmoins une âme d’une trempe énergique et, le cas échéant, un esprit ferme et résolu. C’est que pour l’une il y avait, comme appui, l’autorité de la conscience, et que l’autre était constamment soutenu par des principes solidement établis. Plus d’une fois , en effet, ce noble cœur de femme eut à subir, pendant son séjour sur cetie terre, des vicissitudes bien contraires et de rudes atteintes, au milieu desquelles on ne la vit point faiblir. La résignation aux caprices de la mauvaise fortune n’amoindrit jamais la fierté d'âme qui était l’une des forces vives de ce caractère habituellement si doux. C’est surtout au sein d’une famille, bien digne de toutes ses affections , qu’on la vit pratiquer , durant le cours de sa vie entière, le culte des plus rares vertus do- mestiques : dévouement de chaque jour, abnégation continuelle, c'était entre elle et les siens un échange incessant de sentiments tendres et délicats, qui faisaient de cette famille 1n modèle enviable à quiconque ob- tenait la faveur de pénétrer dans son intimité. Au-dehors, dans les relations ordinaires de l’amitié, 234 NOTICE BIOGRAPHIQUE c'était la confiance, l'abandon, la discrétion, l’aménité, sans que jamais ce commerce fût passagèrement troublé par aucune inégalité d'humeur. Aussi conservait-elle ses amis, qu’elle cultivait assidûment, comme lat- testent les nombreuses correspondances, entretenues Par elle avec bonheur. Aglaé-Emma Chuppin de Germigny naquit, de pa- rents nobles, le 15 septembre 1805, près de Wesel, duché de Clèves, Etats-Prussiens, dans un village fron- tière appartenant à la France , nommé Burick. Ce village n’existe plus; il a été rasé depuis par la Prusse, afin d’y établir les fortifications qui complé- taient le système de défense de Wesel; circonstance bizarre, qui faisait dire à Ml! Chuppin , avec un accent de gaîté mélancolique, qu’elle n’avait plus de lieu natal sur cette terre. Son père, Auguste-Charles-Henri Chuppin de Germigny , émigra pendant la première révolution , et sut à l'étranger se conquérir l'affection du prince de Condé. Des témoignages de gracieuse générosité, de la part de ce haut personnage, sont con- servés dans la famille , à titre de précieux souvenir. Il épousa, à Hambourg, Christine-Amélie Kitz, d’une an- cienne et honorable famille du pays. Gette femme ac- complie fut la digne mère de celle qui plus tard profita si bien de ses tendres lecons et des bons et beaux exemples qu’elle en avait recus. Le père exerçait à Burick les fonctions de receveur des douanes françaises. au moment de la naissance de la jeune Emma. Comme il arrive presque toujours pour les natures précoces, la santé de la première enfance annonça une constitution très-faible, qui eut besoin de toute la solli- SUR M'"*, LIÉNARD. 235 citude maternelle. Au lieu de la pétulance et de la dissi- pation bruyante, qui se remarquent ordinairement chez les enfants animés d’une vie luxuriante , les premières années révélèrent des habitudes sédentaires, douces et recueillies ; etbientôt purent s’entrevoir les germes des qualités éminentes, dont le développement se fit de bonne heure d’une manière progressive et si heureuse. Le temps des leçons de lecture était à peine passé , que le goût des livres s’empara de cette jeune intelligence. Bientôt elle sut captiver l'attention des personnes qui l’entouraient, par le charme et la naïveté des premières connaissances. Mémoire facile, conception prompte, justesse d'appréciation, tels furent, au début de la vie, les indices qui pouvaient faire pressentir dès-lors ce que l’avenir ne manqua point de réaliser. L’habitude toute spontanée de l’étude, qu’encou- rageaient les succès de chaque jour, devint un besoin, je ne dirai pas une passion : car un tel mot ne peut trouver place, sous aucune acception que ce puisse être, dans la vie dont j'ai à retracer les traits généraux. Au milieu de ses petits triomphes , la jeune Emma, à cause de sa beauté enfantine, de sa grâce naturelle, et de cette naïveté primitive , dont elle conserva toujours quelque chose, était, comme on l’imagine aisément , souverai- nement heureuse. Elle jouissait elle-même du charme qu’elle apportait dans une famille, dont plus tard elle deviendra l’orgueil. De bonne heure, les livres sérieux prirent rang dans ses lectures, selon les progrès de l’âge. Le français et l’allemand étaient cultivés simul- tanément. Des lecons de dessin, données par le père, qui peignait agréablement , produisirent de nouveaux 236 NOTICE BIOGRAPHIQUE succès. L'étude de la langue italienne vint ensuite, et quelques notions de latin, je crois, complétèrent la première instruction. A cet enseignement, la mère” ajoutait concurremment celui des menus travaux pro- pres à son sexe, et ce genre d'occupation était reçu avec le même zèle que ce qui pouvait plus agréable- ment flatter les tendances de l'esprit. L'enfant, devenue jeune fille, eut plus de liberté pour étendre et diversifier le choix de ses lectures et elle en profita, sans néanmoins jamais se permettre celles dont l’attrait dangereux ne sert qu’à satisfaire une vaine et frivole curiosité, Mais, sauf cette réserve prudente, elle voulut ne rester étrangère à aucune branche de connaissances. Qu’un bon livre lui fût signalé, quelle que pût être d’ailleurs la sévérité de la forme ou la gravité - du sujet, elle s’empressait de se le procurer et d’y butiner selon sa convenance. Aussi, plus tard, savait-elle trou- ver dans la conversation , même avec les hommes les plus graves, l’occasion d'insinuer , d’une manière inat- tendue , quelques observations pleines de sagacité, ou quelque ingénieuse question. Dans ses écrits, il est au reste aisé de reconnaître, à chaque page , la preuve évidente que l’auteur s'était pourvue de longue main d’une riche provision de connaissances sérieuses et variées. Malgré une vie assez errante, occasionnée par les fréquents déplacements auxquels son père était ex- posé, dans l’exercice de ses fonctions, M'e, Chuppin dé Germigny ne se laissa jamais détourner un instant de ses études favorites ; et, chose digne d’être honora- blement mentionnée, l'élévation de son esprit resta SUR -M"*, LIÉNARD. 237 sans cesse étroitement unie à un profond sentiment religieux ; montrant, en cela, une fois de plus, que la religion et l'instruction vraie peuvent se concilier, dans la plus parfaite harmonie. Après avoir successivement stationné, comme rece- veur principal des douanes, à Granville, Cherbourg , etc., M. Chuppin vint occuper la même place à Caen, où sa famille prit rang aussitôt dans un monde choisi. Elle était alors parfaitement heureuse du présent et confiante dans l’avenir , qui semblait à cette époque se présenter avec une riante perspective ; cette joie d’in- térieur ne fut pas de longue durée. Un accident très-inattendu, et qui ne devait être qu’une première épreuve , fit succéder, à la plus com- plète quiétude, de nombreux embarras et de bien graves soucis. M. Chuppin père, plein de vigueur et pour long-temps encore capable de continuer l’exer- cice des fonctions qu’il remplissait avec distinction, fut mis à la retraite (1830-31? ). par suite d’une mesure générale. Cette mesure atteignait pareillement tous les fonctionnaires de son ordre parvenus à une certaine limite d'âge. C'était là l'unique consolation qu’on püt lui faire accepter. La première Révolution avait ruiné, comme pour tant d’autres, le patrimoine de la famille ; la liquidation de cette retraite formait donc à peu près la seule fortune restant au père d'Emma; ressource bien insuflisante pour pourvoir aux nécessités du pré- sent et à ravenir de trois enfants, auxquels il faut joindre deux charmantes nièces. orphelines dès l’âge le plus tendre , et de l'éducation desquelles Mi°, Emma avait voulu se charger. 16 238 NOTICE BIOGRAPHIQUE Ce fut pour cette dernière une nouvelle occasion de montrer à quel point elle était susceptible de dévoue- ment aux intérêts de la famille, Elle prit soudain une résolution, à laquelle les grands parents ne consen- tirent pas sans quelque résistance. Il ne se présentait, en une pareille occurrence, qu’un seul moyen d’utiliser les connaissances acquises, c'était la pratique de l’en- seignement. Elle voulut donc, de son propre mouve- ment , se plier au rôle pénible d’institutrice , rompant ainsi courageusement avec le monde et ses plaisirs, sans laisser rien entrevoir aux siens des regrets que devait lui causer le sacrifice de ses doux loisirs et d’une chère liberté. Il existait alors à Caen un pensionnat an- glais, composé de jeunes personnes appartenant à des familles distinguées, et très-habilement gouverné par : M's, Roberts. Les directrices de cet établissement prospère furent heureuses d’y offrir, avec toutes sortes d'égards, une place à la nouvelle institutrice, pour des leçons daïlemand qu’elle donnait en anglais, en même temps que des lecons de peinture. Certes ce genre d'occupation contrastait étrangement avec celui qui charmait naguère ses loisirs en toute liberté. Il s’accordait mal surtout avec les exigences et les mé- nagements que réclamait une santé très-irrégulière et facilement altérable. Mais que ne peut une volonté bien arrêtée , et soutenue par les joies intérieures d'une conscience satisfaite ! A peine avait-on eu le temps de se familiariser avec cette première infortune , qu’un événement affreux vint fondre de nouveau sur cette famille et anéantir ce qu’il pouvait lui rester de courage et de patience rési- la LE! SUR M", LIÉNARD. 239 gnée. Alphonse, le jeune frère de M}, Chuppin, l’un des élèves distingués de notre école de droit, se noya (8 mai 1834) en voulant sauver la vie à un jeune homme de ses amis, qui était allé se baigner avec lui. Dire la consternation de cette famille si tendrement unie, serait chose difficile et superflue. Mais ce qu’on ne supposerait guère peut-être, c’est que ce fut M'}, Emma Chuppin qui, contre cette foudroyante catas- trophe, donna à ses malheureux parents l'exemple du courage et de la force d’âme. En véritable chrétienne, elle n’opposa que le calme austère de la résignation à ce coup funeste, et trouva dans son cœur inépuisable de nouveaux trésors de tendresse pour consoler , au- tant qu’il se pouvait, une mère, un père, et un frère désolés. Dans cette cruelle circonstance, la sympathie des amis de la famille lui montra de quelle considéra- tion elle était entourée dans le pays (1). (1) Une particularité fort étrange rend plus touchant encore ce tragique évènement. Quelque temps auparavant, le jeune Alphonse, par forme de conversation, discutait avec sa sœur la question de savoir : quelle devrait être la conduite d’un homme de cœur, en présence d’un malheureux qui se noie, dans l'hypothèse où le spec- lateur lui-même ne saurait point nager. L'opinion de ce généreux jeune homme était : qu’à tout risque, il fallait se jeter à l'eau et essayer, en désespéré, de porter secours à celui qui n’avait plus que celte chance douteuse de salut. Quinze jours étaient à peine écoulés, qu’il appuya sa théorie par un dévouement fatal. 1] était bon nageur pourtant; mais la jeune victime avait été confée à sa responsabilité et à son expérience ; après des efforts inouïs, il sacrifia la vie à ce qu'il jugeait être un devoir, C'était dans la Vieille riviere, presqu'en face de la Garenne, que périrent ces deux amis. Le plus 2h40 NOTICE BIOGRAPHIQUE C’est au sein de l’adversité surtout, qu’il est donné d’apprécier les ressources consolatrices de l'étude ; Mie, Chuppin se réfugia dans le sanctuaire des lettres plus avant qu’à aucune autre époque de sa vie, et elle y rencontra du moins une puissante diversion à l’amer- tume de ses tribulations et de ses ennuis. A quelque temps de là, M. Lair, de vénérable mé- moire, proposa un prix (dontil fit les frais) pour le meil- leur traité concernant l’Histoire de la musique en Nor- mandie. Mie, Chuppin eut la tentation de concourir. Le mémoire qu’elle présenta fut jugé préférable entre tous, et le prix lui fut décerné par la Société Philhar- monique, le 8 décembre 1836. Son vieux père, ému jusqu'aux larmes, vint recevoir des mains du président de là Société, dans une assemblée solennelle , la mé- daille destinée à perpétuer le triomphe de sa fille bien aimée. Ce fut ainsi une première récompense, pour un travail qui avait nécessité de longues et laborieuses re- cherches, et dont elle avait réussi à dissimuler l’aridité sous les ornements d’un style facile et élégant. Cepen- dant on avait eu de la peine à la dessaisir de cette œuvre remarquable. Elle lui avait été pour ainsi dire dérobée par son frère aîné, qui, sans en avoir obtenu le consentement , porta le manuscrit au secrétariat de la Société, la veille au soir du jour même où expirait le délai de dépôt. C’est que, si l'attrait de la compo- jeune était un anglais du nom de Jackson, excellent élève du col- lége de Caen. Lié d'amitié avec les deux familles, j’eus à diriger la recherche des deux cadavres. Elle dura près de 24 heures: l’im- pression qui m'en est restée ne s’effacera jamais de mon souvenir. SUR M°". LIÉNARD. 241 sition avait facilement séduit l’auteur , l'œuvre une fois terminée, la modestie avait repris son empire accou- tumé, Tant de patience et de vertueuse résignation mé- ritaient, dans l'avenir, une compensation aux misères du passé. Le temps était prochain, où la Providence, satisfaite sans doute de l’humble soumission aux rudes et longues épreuvessuscitées à cette respectable famille, devait venir enfin à son secours, en lui ouvrant un nouvel horizon. Sur cet horizon, il ne devait plus s'élever d’orages, du moins jusqu’à ce terme fatal, qui vient tôt ou tard briser, avec la même indifférence, les destinées les plus sereines aussi bien que les plus tour- mentées. Dans le salon d’une amie intime de la famille Chuppin (M. David) , où l’on se plaisait à rassembler, à des jours marqués, le monde artistique et littéraire de notre ville, M'e, Emma fut présentée à l’un des mem- bres de cette réunion; c'était un ingénieur de la marine en retraite, que des raisons de famille et de santé avaient décidé à se retirer du service avant le temps, afin de vivre libre et tranquille à Bayeux, sa ville na- tale. M. Liénard, homme de cœur et d’intelligence élevée, fut vivement frappé par tout ce qu’il entendit raconter , et plus encore par ce qu'il remarquait lui- même dans la personne de la jeune fille, qu’il rencon- trait pour la première fois. Il était assez naturel que la sympathie rapprochât deux êtres si dignes de se comprendre. Peu de temps après, M. Liénard épousa Me, Chuppin (le 10 juin 1839). Les deux familles entières se confondireut alors en v “ 242 NOTICE BIOGRAPHIQUE une seule et allèrent en commun s'établir à Bayeux. Là, dans le plus parfait accord , elles devaient vivre désormais en toute sécurité , heureuses de la libéralité d’un homme, à qui l’état de sa fortune permettait d’être généreux. Avec ce changement de situation, qui pro- curait à la jeune femme l’avantage de reprendre, sans inquiétudes et sans entraves , ses habitudes studieuses d'autrefois, il y avait en outre la joie ineffable de ne point être séparée d'aucune des personnes dont la pré- sence était nécessaire à son bonheur. Malgré le charme que lui présentait le monde des abstractions , où elle se complaisait avec délices, M”°. Liénard , dans sa nouvelle position, n’omit jamais de faire passer avant tout ses devoirs d’épouse et de mère, ne dédaignant aucun de ces soins du ménage, qui sont - parfois à charge aux esprits méditatifs, entrepris ailleurs et plus haut. L'éducation d’un fils, au sujet duquel elle concevait tant de rêves d’avenir, était l’une de ses plus incessantes préoccupations. Cependant, avec l’ingénieuse économie du temps, dont la pratique était depuis long-temps familière, on trouvait encore les moyens de consacrer d’utiles loisirs à la culture des arts. C’était, comme par le passé, une agréable distraction pour elle d’orner sa nouvelle et définitive demeure de gracieux paysages, choisis dans la coutrée qu’elle habitait. De plus, il ne se passait guère de jours que ne fussent ajoutées quelques lignes aux manuscrits, dont j'aurai bientôt à énumérer les tres. Treize années s’écoulèrent ainsi, courtes et rapides, dans le calme uniforme de lunion la plus étroite et r. SUR M"*°, LIÉNARD. 243 au milieu d’un monde admirablement assorti : mais à ce terme, la veine du bonheur était épuisée... Ce fut le 15 mai 1852 (1), qu'après une longue et douloureuse maladie , la mort vint enlever , à sa véné- rable mère qui survivait seule, et, à son mari , qui la chérissait, cette femme angélique, qui, torturée par les plus cruelles souffrances, soutint jusqu’au dernier soupir le courage défaillant des chers objets pressés autour de son lit de mort. Ame toute chrétienne et pleine de soumission aux décrets de la Providence , ce fut avec la plénitude de ses facultés , qu’elle envisagea la fatale séparation, cherchant à faire illusion, à ceux qui l’entouraient, sur les déchirements de ses regrets, et parvenant, par des efforts inouïs, à dissimuler la vivacité des angoisses auxquelles elle était en proie. Un fils de dix ans est le seul fruit de cette alliance , hélas! trop tôt rompue. Avec les traits de sa mère, cet enfant semble doué des meilleurs instincts. Puisse-t-il , s’inspirant des exemples et des préceptes maternels, s’élever à la hauteur du mérite de cette créature d’élite, qui restera honorée dans les souvenirs de tous ceux qui la connurent (2) ! (1) M#e, Liénard avait alors 46 ans, âge précis de la mort de la reine Mathilde, dont elle avait tracé l’histoire intéressante, dans un charmant petit livre, qui a pour titre : Les Broderies de la Reine Mathilde. (Bayeux , imprimerie de Léon Nicolle, 1847.) (2) Un article nécrologique parut, le 21 mai, dans l’Echo de Bayeux : il était signé G. Villers, adjoint au maire de la ville, Cet estimable citoyen, qui par ses études spéciales était un digne appré- ciateur de la perte que le pays venait de faire, avait saisi cette occa- y LA 1 « 244 NOTICE BIOGRAPHIQUE Des ouvrages de M"°, Liénard, deux seulement ont été, de son vivant, livrés à l'impression. Le premier, déjà signalé plus haut , avait pour titre : De l’état de la® musique en Normandie, depuis le LX°, siècle jusqu'à nos jours ; brochure in-8°. de 112 pages. . Le second fut publié en 1846 , sur les instances de M. Liénard; c’est un joli petit volume in-12 (216 pages) intitulé : Les Broderies de la Reine Mathilde, qui se compose d’une foule de documents recueillis avec un soin extrême sur la reine Mathilde, auteur certain, quoique contesté, de l’antique Tapisserie de Bayeux. Ce monument, on le sait, représente, en point de bro- derie , la longue Iliade de la conquête de l’Angleterre, par l’illustre prince normand. Cette production de M"°, Liénard, œuvre consciencieuse et attachante , où l’éru- dition se cache sous une forme gracieuse, fut appréciée dans l’Indicateur de Bayeux, le 19 août 1847, et aussi, le 16 juillet suivant, dans un journal de Caen, le Pi- lote, si ma mémoire ne me trompe. Ce dernier article était dû à la plume élégante de M. Alphonse Le Fla- guais, chantre de nos gloires normandes, littérateur aussi recommandable par les qualités du cœur, qu’il est partout justement considéré pour ses talents poé- tiques. C'était à lui qu'avait été dédié ce livre sur la Reine Mathilde. Voici maintenant la liste des écrits restés inédits (1) : sion d’honorer un talent vrai, et en jetant des fleurs sur une tombe, avait essayé d'apporter quelque adoucissement au désespoir d’une famille désolée. (4) Je dois à l’obligeance de M. Liénard lui-même la communica- tion textuelle de cette liste des écrits de Me, Emma Liénard. + + SUR M", LIÉNARD. 245 1. Traduction de l’Histoire des hommes du Nord, depuis les temps les plus reculés jusques et y compris la conquête d'Angleterre, par Guillaume , duc de Nor- mandie; auteur Henry Wheaton, membre honoraire des Sociétés scandinave et islandaise de Copenhague (450 pages in-8°. ordinaire). On doit regretter que cette translation , qui date d’au moins quinze ans, p’ait pas vu le jour à cette époque; elle eût eu alors plus de valeur qu’aujourd’hui, nombre d’articles ayant été publiés depuis dans diverses histoires de l'Angleterre, du Danemark, de la Norwège , de la Suède et des Iles Arctiques , pour lesquelles on s’est aidé de l’œuvre de Wheaton. Cet écrivain avait fouillé avec persévérance les Chroniques danoises, suédoises et norwégiennes, les Chants nationaux où Sagas. et surtout l'antique Histoire de Snorre Sturleson, en Islandais, vieil idiôme scan- dinave , antérieur au danois et au suédois (1); 2°, Abrégé d'histoire chronologique universelle , commencé par son frère Alphonse et continué jusqu’à la proclamation de l'indépendance des États-Unis d'Amérique , en 1774 (200 pages in-8°) ; 3. Traduction d'un Voyage en Normandie, publié, en 1831 , par l'anglais À. St.-John ; partie relative à un séjour de plusieurs mois à Caen; comprenant de mi- nutieux détails et renfermant des observations géné- rales applicables à toute la province (150 pages in-8°. ); h°. Deux séries de croquis, l’une coloriée, l’autre en noir , avec des explications , formant un tableau chrono- (4) Depuis on a publié une traduction francaise du livre plein d'érudition de Henry Wheuton, à : qe 216 NOTICE BIOGRAPHIQUE logique historique. Quoique ce travail ne soit qu’une ébauche , il mérite d’être signalé, puisqu'il renferme une idée féconde, et rien ne paraît mieux calculé pour aider la mémoire et y laisser des traces durables. Il ne lui manque peut-être que d’être exécuté avec la perfection qu'on apporte maintenant à l’interpré- tation des textes, au moyen des figures annexées ou intercalées dans les livres illustrés (55 pages in-8°.). Dans cet écrit, M". Liénard avait eu l'intention d'initier, sans trop de fatigues et sans ennui, son jeune fils aux premières notions de l’histoire; 5°. Traduction d’une Biographie d’auteurs allemands, qui devait se publier en collaboration avec des écri- vains de Paris. Une partie de ce travail, déjà fort avancé, fut envoyée à M. Venedey, je crois, M”*°. Lié- nard annonçant, par cet envoi, que de nouveaux devoirs ne lui laissaient plus le loisir de continuer cette coopération ; 6°. Notice historique sur la ville de Bayeux, depuis l’époque Celtique jusqu’à nos jours, indiquant les diverses transformations qu’elle a subies dans son étendue, dans son enceinte, dans ses monuments; la disparition des Druides devant la civilisation romaine, de celle-ci devant Les hordes saxonnes ; la conversion de ces dernières au christianisme , etc. ; des détails sur les arts qui s’y sont pratiqués, sur les populations qui l’ont tour-à-tour oc- cupée (155 pages in-8°. ); 7°. Abrégée de la Grammaire allemande de Shade, of- frant un résumé complet de l'ouvrage (481 pages in-8°.); 8. Biographie des musiciens célèbres, sous forme de conversations d’une mere avec ses enfants ; " SUR M'*. LIÉNARD. 247 C’est en quelque sorte un appendice à son Histoire de la musique en Normandie (170 pages in-8°.); 9. Episode de Rudi, tiré du roman allemand de Leo- nard et de Gertrude, ouvrage de Pestalozzi de Zurich , consacré à l'amélioration intellectuelle des classes in- férieures. C’est plutôt une imitation abrégée de l’œuvre entière, bornée à ce qui est le plus digne d'intérêt (150 pages in-8°. ); 10°. Fiz-Étienne, chronique du XE. siècle, dont la scène se passe à Bayeux. Cette composition contient une foule de peintures de mœurs du temps, pleines de vérité. où l’érudition se révèle malgré la simplicité du récit et des descriptions. Ce morceau remarquable est le développement dramatisé d’une anecdote mentionnée par M. Pezet, au ITT°. volume (page 125) des Mémotres de la Société académique de Bayeux (125 pages in-8°. ); 41° Une suite de Dix charmantes nouvelles, dont quelques-unes fondées sur des événemenis de sa propre famille. Get écrit témoigne d’un rare talent d’obser- vation , uni à une riante imagination et à une exquise sensibilité ; la fraîcheur et le coloris s’y parent d’une touchante simplicité. Leurs différents titres sont : Une chapelle au bord de la mer (la Déiivrande), Céline, Le portefeuille, Une demande , Blondine , Lancelot, Les grâces d'état, Trop serrée, La Corinne de Landerneau, Léovie (200 pages in-8°. ). Toutes ces œuvres réunies ne formeraient pas moins de quatre forts volumes in-8°. M®°. Liénard , nonobstant l’affaiblissement d’une santé profondément altérée, s’occupait encore, peu de temps avant de quitter ce monde , de la traduction 248 NOTICE BIOGRAPHIQUE d'un ancien roman anglais intitulé : Juhia Mandeville , livre dans lequel un duel , amené par une fatale mé- prise , vient briser deux existences, au moment où elles semblaient toucher au bonheur. Me, Liénard, on peut le reconnaître, après cette simple énumération, avait bien quelques droits à une place dans cette Académie , et vous l’y accueillites avec empressement. Elle se montra, comme on l’imagine aisément, fort sensible à cet honneur, dont, malgré sa modestie, elle ne devait pas se sentir indigne. Cepen- dant elle ne jugea point convenable de se faire plus amplement connaître à la Compagnie dont elle était désormais l’associée, par la communication d’aucune de ses œuvres manuscrites, tant elle était réservée et peu soucieuse de se produire. Quelques intimes amis seulement avaient connaissance de ses habitudes laborieuses et des écrits qui en étaient résultés. Dans une femme, chez laquelle les dons de l’imagi- vation s’alliaient à la culture de l'esprit, la poésie ne pouvait être absente. J’ai eu entre les mains un char- mant recueil de petites pièces de vers, que la famille conserve discrètement en souvenir, comme un parfum de celle qui a disparu. De nombreuses relations d'amitié, entretenues à distance par un long commerce épistolaire , ont fait sortir de cette plume exercée un grand nombre de lettres, qui, plus qu'aucun autre de ses écrits, por- tent l’empreinte de la douce vivacité de l'intelligence et de la sérénité du caractère de celle qui les écrivait. C’est là aussi que se révèlent le mieux les qualités de son style. Dans le cours de ces épanchements familiers, SUR M", LIÉNARD. 249 sous un fond de naturel doux et de vive sensibilité , perce çà et là une radieuse gaîté, qu’anime fréquem- ment le trait de l'expression et la saillie de la fine plaisanterie. Un choix de lettres, pris dans cette correspondance tout intime, serait, j'en suis persuadé, une lecture intéressante, quoique rien n’y ait été produit en vue de la publicité. Telle fut cette femme rare, excellente, dont j'ai es- sayé, bien imparfaitement sans doute, d’esquisser ici le beau caractère et les heureuses facultés de l'esprit. J'ai tâché d’être sobre d’éloges, dans la pensée que c’eût été lui déplaire que d’accuser ici plus fortement la louange due aux talents et aux qualités personnelles, qu’elle était, de son vivant, si attentive à dérober aux regards du monde. DÉCOUVERTE RESEDA ALBA, À. EN NORMANDIE, RAA OUTIDMIG 5 SE Par NE. CHAUVIN, Professeur à la Facu'té des Sciences. Pour le botaniste digne de ce nom, la découverte d’une plante entièrement nouvelle fait événement dans le cours de sa vie scientifique; et les joies intimes qu’il en ressent ne peuvent être bien comprises que par ceux que le hasard a favorisés du même bonheur. Une bonne fortune de cette sorte devient de plus en plus rare, dans un pays tel que la France ; mais le prix en est augmenté par cette rareté-là même. En effet, tant de naturalistes voyageurs ont par- couru, dans toutes les directions, le territoire fran- cais, qu’il est à peine un coin, si retiré soit-il, des Alpes et des Pyrénées, qui n'ait enfin livré ses trésors cachés à l’infatigable ardeur des botanistes nomades. De leur côté, les botanistes sédentaires de chaque DÉCOUVERTE DU RESEDA ALBA, L. 251 région, de chaque province , de chaque département, par l'exploration patiente et persévérante de la con- trée qu’ils habitent, ont naturellement dû en épuiser les richesses locales, et conséquemment rendre possible la rédaction d’une Flore générale, complète, sinon d’une manière absolue, au moins d’une manière très- approximative. De ces investigations partielles et multipliées sont donc résultées plusieurs Flores de la France, qui ont été publiées à des intervalles assez rapprochés, et dont la dernière (de MM. Grenier et Godron) , aujourd’hui en voie d'exécution, promet une statistique phytogra- phique de notre patrie, beaucoup plus exacte et plus satisfaisante qu'aucune des précédentes. En parlant ainsi de lPétat avancé, chez nous, de l'étude descriptive des plantes indigènes , et du peu d'occasions de découvrir des espèces tout-à-fait inob- servées , j'entends n’appliquer cette remarque qu'aux Phanérogames. Quant aux végétations Cryptogami- ques, sur lesquelles lattention des botanistes s’est portée plus tard, le catalogue va s’en augmentant chaque jour; au point que l’on peut assurer que le nombre des espèces a plus que doublé peut-être , de- puis une dizaine d’années environ. Mais il en est bien autrement en ce qui concerne les plantes à fleurs ; celles-ci, plus apparentes par leurs dimensions et leurs couleurs , d’une étude aussi plus accessible , ont, à cause de ces particularités , été re- cueillies et étudiées bien avant les autres. Infiniment peu d’entre elles ont échappé aux recherches inces- santes des Phanérogamistes, qui présentement sont 252 DÉCOUVERTE DU RESEDA ALBA, L. presque uniformément éparpillés sur tous les points de notre territoire national. Ce n’est pas cependant que l’on ne trouve assez fréquemment çà et là, dans des mémoires spéciaux , dans des Flores ou des catalogues de localité, l’intro- duction d’un certain nombre ‘d'espèces réputées iné- dites. Mais, le plus souvent, ces présentations à titre spécifique ne se justifient , ou plutôt ne s'expliquent, que par la tendance particulière de quelques esprits, enclins à voir dans les moindres caractères différen- tiels, une raison pour élever à la dignité d’espèce de simples modifications accidentelles et fugaces, qu'un ensemble de caractères plus compréhensifs devrait réduire à l’unité. C’est notamment pour les genres composés d'espèces ayant entre elles d’intimes aflinités, ou susceptibles de variations diverses, que l’on se laisse aisément aller à la tentation de baptiser d’un nom nouveau des êtres séparés seulement par des nuances indescriptibles et insaisissables à la lecture. L’appréciation de la validité spécifique, relativement aux êtres organisés, est d’ailleurs, oserai-je le dire ? une espèce d’instinct, que l’étude et la pratique don- nent rarement aux naturalistes, qui sont nés dépourvus de cette faculté originelle. C’est comme une sorte de sagacité intuitive, qui sert à éviter de confondre les objets réellement distincts et de fractionner les types uniques. Pour retenir les esprits dans la voie de la réalité, on ne saurait prescrire de règle fixe, de prin- cipes certains, de système directeur. Ils tromperaient , plus souvent peut-être qu’ils ne feraient arriver au vrai, celui qui s’attacherait à les suivre, C’est à la spon- EN NORMANDIE. 253 tanéité individuelle seule, qu’il est donné de savoir saisir ces traits véritablement diagnostiques des espèces. Aussi ces prétendues découvertes, auxquelles je fais allusion, ont-elles rarement eu pour objet de ces types nettement frappés, en faveur desquels le consensus de tous les botanistes prononce irrévocablement , aussitôt que cet être nouveau est soumis au critérium de lcb- servation commune. Si, pour la France en général, l'apparition d’une plante non encore décrite ou figurée est un fait, je dirais presque un accident très-rare, à plus forte raison en doit-il être de même d’une province telle que la Normandie , dont la richesse botanique est maintenant bien et dûment constatée, soit par des catalogues, soit par des Flores spéciales, de dates récentes. Cependant, à diverses époques , assez peu éloignées de ce temps-ci, plusieurs de nos compatriotes ont eu le bonheur de découvrir en Normandie, non pas sans doute des plantes étrangères à la France, mais des espèces que l’on ne devait guère s'attendre de ren- contrer sur le sol de notre ancienne province; des espèces dépaysées, pour ainsi dire, en dehors des con- ditions de sol, d'exposition, de climat qui leur sont propres; j'en vais citer quelques exemples : C’est ainsi que M. le docteur Le Sauvage, il y a quelque vingt ans (1833), signala à l'attention des botanistes de Caen l'existence, en abondance, dans les dunes de Merville , près de l'embouchure de l'Orne, de l’Astra- galus baïonensis, Lois., dont l'habitat, selon toutes les Flores préexistantes, était fort éloigné de nous. Cette plante n’avait encore été recueillie alors qu'aux lieux 17 254 DÉCOUVERTE DU RESEDA ALBA, L. dont voici l'indication : les sables maritimes de l'Ouest; Bayonne, le Mosset, la Teste-de-Buch et le long du bassin d'Arcachon; le Vieux-Boucau , Bouceau-Neuf, le Cap Breton, l’île d'Oléron ; Pennmark (Finistère ). Depuis, l’Astragalus baionensis a été trouvé dans une nouvelle localité, à Trouville, selon la Flore de MM. Grenier et Godron. Quelques années plus tard, la Normandie vit encore augmenter sa Flore d’une Papavéracée intéressante . le Meconopsis cambrica, Vig., plante qui croît sponta- nément dans les Pyrénées et en Auvergne. M. Mo- rière, en 1837, M. le docteur Vastel, en 1843. dé- couvrirent l’existence de cette jolie plante : le premier aux environs de Condé-sur-Noireau, le second tout près de Caen , sur un vieux mur, à Mouen. Antérieu- -rement (avant 1836), un seul gisement était cité dans notre voisinage, à St. - Hilaire - du - Harcouet (Manche); on en devait la connaissance à M. Gau- thier de la Chaïze. Enfin, en 1845 ? M. Le Jolis distingua, dans ses her- borisations aux environs de Cherbourg, une char- mante petite Gentianée, pour laquelle le Prodromus de De Candolle ne mentionnait que deux stations, fort distantes l’une de l’autre : les Açores (I. Terceira) et Morlaix ; c'était l’Erythræa diffusa de Woods. Aucune des Flores françaises, excepté celle de MM. Grenier et Godron , dans le volume imprimé en 1852, n’avait reconnu le droit de naturalisation à cette jolie espèce, parfaitement distincte de ses congénères (1). (4) Dans la presqu'île de la Manche, un botaniste doué d’une € = EN NORMANDIE. 55 Des faits de cette sorte présentent un bien autre in- térêt que la satisfaction de faire insérer quelques unités de plus sur les catalogues ou dans les Flores d’une ré- gion plus ou moins naturelle. Ge sont autant d’éléments devant servir plus tard à formuler les lois qui prési- dent à la distribution générale des plantes. La Géogra- phie Botanique, par les lumières qu’elle emprunte à la Géologie et à la Météorologie, tend à devenir une science de généralisation et d'application tout à la fois. En même temps qu’elle fournit matière aux spécula- tions théoriques de l’ordre le plus élevé , elle sert di- rectement les intérêts de la culture et de l’acclimata- tion, pratiques auxquelles l’homme doit tant de recon- paissance, pour les ressources qu’il a su en tirer, alors même qu’il ne pouvait procéder que par voie de tâton- nements. Je viens aujourd’hui, à mon tour, proposer l’inser- tion parmi les plantes de la Normandie, d’une espèce de la famille des Résédacées, inconnue jusqu'alors dans la contrée. C’est le Reseda alba, L. ( Reseda suf- fruticulosa , KL. ), que j'ai eu le bonheur de recueillir , le 24 août 1853, sur les bords du Couesnon , tout près du pont qui conduit de Pontorson en Bretagne. Ma surprise fut très-vive, ce jour-là, d’apercevoir en par- fait état de végétation , avec fleurs et fruits, une plante de l’Europe australe , dont l’existence n’est mentionnée sagacité d'observation remarquable, M. le docteur Lebel, a su dé- couvrir, pour la région qu'il explore avec succès, plusieurs espèces de phanérogames d'une grande rareté ou qui n’y avaient point été reconnues avant lui. 256 DÉCOUVERTE DU RESEDA ALBA , L. en France que dans le voisinage du littoral Méditerra- néen, depuis Perpignan jusqu’à Nice. Dans sa Flore Agenaise, il est vrai, M. de Saint- Amans a décrit ce Reseda alba, L. , comme ayant été trouvé près d'Agen, sur les bords de la Garonne, où l’auteur la suppose amenée par les débordements; elle est notée par l’auteur, comme y étant d’une extrême “rareté. C’est là le point le plus excentrique de cette jolie plante et le plus intérieur dans les terres; car sa station habituelle est en général beaucoup plus rap- prochée du rivage de la Méditerranée. Mes échantil- lons, recueillis à Pontorson, ne diffèrent en rien de plusieurs autres specimen , que je conserve en herbier , provenant de Toulon, de la Grèce (Ile Sapience , Milo) , de Malte et aussi de la Dalmatie. Par quelle cause fortuite, une plante aussi méri- dionale s’est-elle ainsi égarée jusque dans notre voisi- nage? Je ne risquerai pas de conjectures à cet égard. Le Reseda dont il s’agit, n’est point (il convient de le faire remarquer ) de ces végétations aux habitudes er- ratiques, que l’on ne serait point surpris de rencontrer disséminées , comme au hasard, dans les lieux les plus éloignés. On ne peut supposer non plus que cette es- pèce soit échappée des jardins, où je ne l’ai jamais vue cultivée. Toujours est-il qu’au lieu où je l’ai ob- servée, elle avait tout le facies d’une végétation luxu- riante ; ce qui indiquerait évidemment que l’évolution n'avait été gênée en rien par les conséquences de ’émigration. Plusieurs larges touffes, hautes de plus de 80 centimètres , eussent fourni des centaines d'échantillons d’Herbier. J’eus le regret de n’en cueillir EN NORMANDIE. 257 qu’un très-petit nombre , pressé que j'étais de n’ache- miner vers l’intérieur de la Bretagne; étant d’ailleurs dépourvu de tout ce qui convient pour la dessication d’une pareille récolte. Que j'en eusse eu le loisir, je aurais certes pas manqué de parcourir les environs de cette intéressante localité, afin de constater le degré de rareté de ce Réséda, que je voyais vivant pour la première fois ; et, peut-être, céderai-je à la tentation de retourner visiter de nouveau la contrée, libre cette fois de toute préoccupation étrangère à la botanique. J'ai dû consulter, pour me servir de renseignements, un grand nombre de Flores, et j'ai été surpris de re- marquer que pas un des descripteurs n’a eu soin de noter l’odeur faible, mais délicate et suave, qu’exhale la fleur du Reseda alba. En considération de cette qua- lité, aussi bien que pour son aspect agréable, cette plante mériterait assurément qu’on essayât de la sou- mettre à la culture. Un autre point, sur lequel les Phytographes ne sont point d’accord , c’est la durée d’existence qui doit être assignée au À. alba, L. Les uns le notent du signe annuel , d’autres le font bisannuel, pour d’autres enfin il serait vivace. Je serais assez disposé à lui attribuer ce dernier caractère, en raison de la frutescence très- prononcée de la tige , vers la partie inférieure. Ce serait donc là une chance de plus, pour la prospérité future et la multiplication de cette étrangère, sur le sol de la Normandie , où elle m’a paru croître tout-à-fait spon- tanément. NOTICE SUR L'ABBE MASSIEU, Par M. THÉRY, Président de l'Academie, Recteur de l’Académie universitaire du Calvados. Dans les familles qui s’honorent d’une longue suite . d’aïeux, et qui conservent leurs images, il arrive qu’un portrait modeste, relégué dans l’ombre, reste inaperçu, tandis que d’autres resplendissent à la lumière, Les hommes dont le nom est historique, et dont la gloire est le plus riche patrimoine de leurs descendants, ont bien droit à une préférence; mais, parmi ceux qui se cachent, et dont les visiteurs ne distinguent pas nette- ment les traits, peut-être en est-il qu’un soin pieux essaierait avec justice d’éclairer au moins d’un demi- jour. C’est là ce que je voudrais faire, Messieurs. La Normandie a ses grands hommes qui lui forment une galerie d’illustres ancêtres; elle a raison de les en- tourer d’une brillante auréole ; permettez-moi de placer au-dessous d’eux , dans une lumière moins favorable, mais en vue cependant, un simple portrait SUR L'ABBÉ MASSIEU. 259 de famille, celui d’un enfant de la cité , le portrait de VPabbé Massieu. J'userai avec sobriété des détails biographiques; je ne crois pas qu’il soit jamais utile de les jeter à pro- fusion. Les grands noms peuvent se passer de ces pures curiosités qui les amoindrissent; les noms plus humbles risquent d’y perdre même la mesure d'intérêt qu’ils comportent. Je choisirai donc, entre les faits se- condaires , ceux qui caractérisent l’homme , ou qui donnent lieu à quelques vues d’une portée moins restreinte que le cadre même du tableau. Guillaume Massieu naquit à Caen. le 13 avril 1665, selon ses biographes (1). Ou cette date est inexacte, ou il faut supposer que l’enfant fut seulement ondoyé à sa naissance ; car les registres de l’état civil que j'ai consultés nous apprennent qu’il fut baptisé, à l’église de St.-Sauveur, le dimanche 2 août de cette même année, c’est-à-dire près de quatre mois plus tard (2). Il était fils de Marin Massieu , droguiste ; sa mère se nommait (1) Gros de Boze, Eloge de Massieu , prononcé à l’Académie des Inscriptions en 4723; —Houteville, Discours de réception à l’Académie française, en 4723; — Niceron, Mémoires pour servir a l’histoire des hommes illustres de La république des lettres , t. IT; — L'abbé Goujet, Histoire du Collège Royal.—Le Dictionnaire de Moréri ; — Boisard, Hommes illustres du Calvados. — Moréri normand , ma- nuscrit de la Bibliothèque publique de Caen. — Athenæ Norman- norum , manuscrit du P, François Martin ; même bibliothèque; — Weiss, Biographie universelle , etc. (2) Registres des actes civils de la paroisse St.-Sauveur , à l’hôtel-de-ville de Caen, 1665. — Une sœur de Massieu, baptisée sous le nom de Catherine, était née le 15 avril 1664. C’est peut- être là ce qui a donné lieu à une confusion de dates. 260 NOTICE Gratieune Gots. C'était , à ce qu’il paraît, une bonne et simple famille, qui n’était pas riche, mais qui avait une réputation de probité et d'intelligence. Le jeune Guillaume passa le temps de ses premières études à Caen, au collége du Bois (1); il y termina ses humanités. Comme il annonçait des dispositions heureuses, on l’envoya à Paris, au collége des Jésuites, pour suivre un cours de philosophie. Il avait alors seize ans. Ses maîtres reconaurent bientôt en lui un de ces talents vifs et souples , qui prennent toutes les formes avec succès, et qui, à la première vue, sem- blent nés pour chacune des études qu’ils ont entreprises. On lui fit entendre que l'Ordre désirait acquérir un jeune homme d’une aussi belle espérance : il se laissa persuader, et, après son noviciat, il fut chargé d’en- seigner les humanités au collége de Rennes. Cet enseignement fortifia en lui le goût décidé qui le portait vers la poésie, et qui devait marquer, pour ainsi dire, toute sa vie littéraire. Revenu à Paris pour étudier la théologie, les succès qu’il obtint firent illusion à ses maîtres; on décida qu’il professerait ce qu’il savait si bien. Massieu, qui n’avait pu éviter de réussir dans cette étude, comme dans toutes les autres, trouva l'arrêt trop dur à exé- cuter. 11 ne vit plus que les épines de cette science qu’on lui ordonnait d'enseigner, et, comme le dit, non sans grâce, le savant de Boze (2) : « L'amour des (1) A l'angle des rues St.-Sauveur et au Canu. C’est aujourd’hui l'hotel de la Paix, (2) Claude Gros de Boze, né à Lyon en 1680, numismale fort SUR L'ABBÉ MASSIEU. 261 lettres enjouées et fleuries, qu’il avait respiré dans son commerce intime avec les Rapin, les Bouhours et les Commire, gémit de cette contrainte et le rappela dans le monde à son premier état » (1). Voilà donc Massieu révolté contre l'exigence des Pères Jésuites, qui veulent, de cette nature élégante et toute littéraire , faire un grave théologien. Ces hommes si fins, si habiles à déméler les aptitudes, s'étaient trompés cette fois. Massieu les quitte vail- lamment pour l’amour des belles-lettres. Par malheur, l'amour des belles-lettres n’est pas un état; il fallait trouver quelque poste acceptable, qui permît d’étudier la poésie sans mourir de faim. Le talent de Massieu avait été remarqué par de bons juges, et, entr’autres, par l'avocat Louis de Sacy, le célèbre traducteur de Pline-le-Jeune (2). Sacy accueillit avec empressement le fugitif . et le chargea d’enseigner à son fils la géographie et l’histoire. Dans cette position douce et honorable , Massieu put se livrer avec ardeur à ses études de prédilection. Il ne devint pas un érudit profond ; la nature de son esprit répugnait à cette per- sévérance obstinée, à cette gravité ardente des hommes qui creusent une science ; mais il appliqua sa facile distingué, Ce fut lui qui mit en ordre et publia les quinze premiers vo- lumes des Mémoires de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. (1) Eloge de Massieu , lu à l'Académie des Inscriptions, en 1723. (2) Louis de Sacy, né à Paris en 1654. Sa traduction des Lettres de Pline-le-Jeune le fit admettre en 4701 à l’Académie Française. Il traduisit aussi avec succès le Panégyrique de Trajan. Son fils, élève de Massieu, à fait un roman intitulé ; Histoire du marquis de Clemes et du chevalier de Pervannes. 262 NOTICE intelligence à une étude très-sérieuse de l'antiquité, et, tel nous le voyons dans ces premiers travaux, tel nous le retrouverons au milieu des honneurs litté- raires; plus instruit que savant , plus homme de lettres qu’érudit ; d’un talent trop solide pour être qualifié de superficiel, mais auquel pourtant a manqué le poids nécessaire pour se vérifier lui-même et se contrôler sévèrement, Dans cette maison hospitalière, Massieu contracta une amitié utile. Il se lia avec l’abbé de Tourreil, qui travaillait à sa traduction de Démosthènes (1), et qui réclamait les conseils du jeune professeur. Une telle mission , acceptée et remplie par Massieu , lui laissa un souvenir qui corrigea quelque peu ses instincts tout poétiques. Démosthènes fut à peu près le seul écrivain ‘grec en prose à qui une place d'honneur fut réservée dans sa bibliothèque, en compagnie d’Homère , de Théocrite et de Pindare. Quelques économies, péniblement amassées par l'abbé Massieu, lui furent enlevées par une faillite. Heureusement, bien qu’il n’eût encore rien publié, sa réputation avait grandi et ses amis pouvaient com- mencer sa fortune. L'Académie des Inscriptions et Médailles, qu’on ap- pela depuis et que l’on nomme encore l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, née en 1663 sous les (4) Jacques de Tourreil, né à Toulouse en 4655. Sa traduction de Démosthènes a bien des défauts ; mais on remarque un morceau de cent et quelques pages, placé en tête de la premiène Philippique, et qui traite de l’histoire de la Grèce, Le savant Daunou en fait l'éloge. Biogr. univ. article Tourreil, SUR L’ABBÉ MASSIEU, 263 auspices de Colbert, et sortie du sein de l’Académie Française (1), comprenait des membres honoraires , des pensionnaires , des associés, enfin des élèves, qui étaient à la nomination des pensionnaires. Gette sin- gulière organisation ne se modifia qu’en 1716, par la suppression de la dernière catégorie, dans laquelle personne ne daignait plus entrer. Mais en 1705 on était moins difficile. Tourreil, qui avait le titre de pensionnaire, usa de son droit en faveur de son ami. Ainsi, à quarante ans, Massieu se trouva élève de l’Académie des Inscriptions. Il prononça , comme tel, un discours de réception dont le sujet ( vous allez re- connaître, Messieurs, la direction de ses idées) était l’usage de la poésie. Ce discours a été reproduit sous le titre de : Défense de la poésie , en tête de son : Histoire de la poésie française, dont je vous parlerai un peu plus tard. Les qualités de son esprit, la finesse, la dé- licatesse , le goût, une certaine pénétration sans pro- fondeur , brillent dans ce premier essai public de son talent. J’en donnerai pour preuve un passage où il établit que, dans les poètes anciens, et, en général, dans les poètes, la morale est plus vivante et plus persuasive que dans les moralistes. « Un auteur, dit-il, ne peut-il pas être instructif et moral, s’il n’écrit comme Sénèque ? Ces poètes habiles connaissaient trop la nature pour donner dans cette manière hautaine et fastueuse ; ils savaient qu'elle est plus propre à révolter qu’à instruire. Elle blesse la délicatesse de l’homme, qui ne haïit pas seulement (4) Mémoires de l’Acad. des Inscriptions, L. I, 264 NOTICE qu’on le reprenne , mais qui veut qu’on le respecte en le reprenant. On souffre impatiemment qu’un homme paraisse avoir assez bonne opinion de lui-même, pour se croire en droit de prêcher ouvertement les autres. On a beaucoup de penchant à croire que, par cet amas de sentences brillantes, il songe bien moins à former les mœurs qu’à faire parade de son esprit. On aime aussi à se persuader qu’il porte les choses à l'extrémité , et que le degré de perfection qu’il pro- pose est au-dessus des forces humaines. Quelquefois on compare sa conduite avec ses maximes, et l’on trouve, à la honte du philosophe , que l’une détruit ce que les autres établissent. Mais lorsque, dans un ouvrage, vous ne faites simplement qu’exposer les actions de quelque grand homme , vous évitez tous ces inconvé- -nients, vous ne vous chargez point de ce que lin- struction a d’odieux; ce ne sont plus vos leçons, ce sont les vertus des autres qui nous instruisent (1). » Il y a dans cette page, à mon avis, un mélange de verve et de grâce que nous retrouverons souvent dans les productions de l'abbé Massieu. Au reste, le discours tout entier eut un succès assez rare dans les fastes des Académies. La lecture n’en était faite qu’à moitié lorsque cinq heures sonnèrent. C’était au mois de no- vembre ; il était presque nuit et la pluie menaçait. Les académiciens , par ménagement pour l’auditoire, pen- sèrent qu’il convenait d'interrompre cette lecture; ils se levèrent. Un murmure significatif et flatteur pour (4) Défense de la poésie, en tête de l'Histoire de La poesie fran- caise, publiée en 1739 à Paris, par les soins de Sacy le fils. SUR L'ABBÉ MASSIELU- 265 le récipiendaire les obligea à se rasseoir. L'abbé Mas- sieu repriten main son manuscrit et usa de l’exception pendant une grande demi-heure, aux applaudissements du public (1). Moins d’une année plus tard, Massieu devint membre associé de l’Académie des Inscriptions, et, en 1710, nous l’y retrouvons en qualité de pensionnaire. A cette époque sa condition changea. Des grands seigneurs , des personnages en crédit, essayèrent , sui- vant l’usage du temps, de s'attacher, à titre d'ami et de familier, un académicien en réputation. L'abbé Massieu , naturellement modeste, prit un milieu. Il ne resta pas chez lui; il n’accepta pas les offres des plus orands seigneurs; il devint le commensal de M. de Bercy, gendre du contrôleur-général des finances , Desmarets, qui luttait péniblement contre les consé- quences du cruel hiver de 1709 (2), et il garda, dans cet intérieur agité par des revirements soudains de fortune (3), toute la dignité compatible avec une manière de vivre qui serait si peu comprise et si ru- dement qualifiée de nos jours. Un changement plus grave s’opéra, en la même année 1710, dans la vie de l'abbé Massieu. Le mérite réel dont il avait fait preuve dans l’enseignement privé, ses études sur Démosthènes, que son ami, l'abbé de Tourreil, avait fait valoir, son goût bien conuu pour (1) Eloge de Massieu par de Boze, prononcé en 41723 devant l’Académie des Inscriptions. (2) Niceron, Mémoires pour servir a l'histoire des hommes il- lustres de la république des lettres ,t. XIT, p. 54. (3) Ibid., Voltaire, Siècle de Louis XIV, € 11, p. 88. 266 NOTICE l'antiquité et surtout pour les grands poètes de la Grèce, le firent appeler à une chaire de langue grecque au Collége Royal de France (1). Dès-lors, et pendant douze ans, c’est-à-dire jusqu’à sa mort, il fut un pro- fesseur admirable par la conscience, par l’exactitude, et aussi par le charme qu’il savait répandre sur ses lecons. Tous les témoignages nous le représentent portant dans sa chaire , non pas seulement l'attention qui pénétrait les difficultés d’un texte, mais la variété, l’enjouement, ce trait constant de son caractère (2). Homère , Pindare, Théocrite , ses trois poètes favoris, Démosthènes, seul prosateur grec, vous le savez, qu’il eût admis dans la compagnie des poètes, rem- plirent toutes ses leçons. Ses commentaires ne restaient jamais secs et ne se hérissaient pas de science; il croyait que l’agrément était une partie de son devoir de professeur , et il soutenait l’intérêt de son auditoire par des citations et des comparaisons perpétuelles , empruntées aux meilleurs auteurs anciens et modernes. Massieu paraît avoir eu, dans toute sa force, le don d’enseigner. Je sais, Messieurs, qu’il faut se défier des illusions contemporaines, et peut-être même des souvenirs , si doux cependant, de la fraternité académique. Je ne vais pas jusqu’à dire avec de Boze, collègue de Mas- sieu à l’Académie des Inscriptions, à propos du discours latin prononcé par le nouveau professeur, le jour de son installation : « On croyait entendre un romain (1) De Boze, Niceron, ubi supra. (2) Niceron, ibid. , etc. SUR L’ABBÉ MASSIEU, 267 de la cour d’Auguste, qui envoyait son fils se perfec- tionner à Athènes (1). » Ces exagérations ne sont pas de l’histoire. Je reste dans le vrai en louant, d’après le sentiment unanime, le talent de l'abbé Massieu pour l’enseignement. Membre de l’Académie des Inscriptions, professeur au Collége Royal, il ne lui restait plus qu’à obtenir le comble des honneurs littéraires en entrant à l’Aca- démie Française. C'était la grande Académie, Y’aînée, la plus brillante; celle des Inscriptions n’était que la petite Académie ; ainsi la nommaient encore , il y avait peu d'années, Colbert et le public (2). L'infatigable amitié de l'abbé de Tourreil s’efforça, pendant quatre aus , de faire adopter son ami; mais Tourreil mourut à la peine, Il avait cependant préparé les voies. car, peu de temps après sa mort, en 4714, l'abbé Mas- sieu fut élu, en remplacement de Clérembault, un des noms les plus modestes de cette illustre Compa- gnie, auteur d’un abrégé fort inconnu du règne de Louis XIV, qualifié pourtant, en pleine Académie, de : Chef-d'œuvre trop accompli pour entreprendre d’y rien ajouter (3). (1) De Boze, Eloge de Mussieu. (2) Mémoires de l'Acad. des Inscriptions, t. I. (3) Discours de Rose, président de la Chambre des Comptes, ré- pondant à Clérembault ; Recueil des harangues prononcées à L' Aca- démie Française. — Le récipiendaire était fils du Maréchal de Clé- rembault. Sa famille avait été attachée au cardinal de Richelieu, sous les auspices de qui l’Académie Française s'était constituée. Rose appelle le nouvel académicien : Creéature héréditaire de l’auguste protecteur de l’Académie. Clérembault remplaçait La Fontaine. 268 NOTICE On remarqua, dans le discours de réception de l'abbé Massieu , un éloge délicat et mesuré de l'abbé de Tourreil , à la mémoire de qui il faisait hommage de son succès. Les nouveaux devoirs que le titre de membre de l’Académie Française imposait à l’abbé Massieu ne firent que redoubler son activité consciencieuse. Il partageait son temps entre le Collége Royal et les deux Académies, et compensait par de nombreux travaux, souvent dignes d’estime, la lenteur de ses premiers essais. La période la plus laborieuse de sa vie littéraire est comprise entre les années 1745 et 1721. Le professeur traduisait Pindare; le membre de l'Académie des Inscriptions enrichissait d’ingénieuses disser{(ations les Mémoires de cette savante Compagnie ; le membre de l’Académie Française écrivait l’histoire de la poésie nationale; enfin, l’ami de l’abbé de Tour- reil se mettait en devoir d’acquitter envers le public une dette de son ami. En général, Messieurs, ce ne sont pas des événe- ments qu’on peut raconter dans la vie des hommes de lettres ; ce sont des idées; le récit de leurs travaux est la substance même de leur histoire. A ce point de vue, j'ai besoin d’entrer ici dans quelques développements, que j'abrégerai , s’il le faut, à votre premier signal. L'interprétation habituelle des poètes grecs au Col- lège de France conduisit naturellement l’abbé Massieu à essayer du métier de traducteur. Il choisit, comme les travailleurs qui aiment la lutte, le plus rude joûteur sans contredit, le plus difficile des auteurs expliqués à SUR L’ABBÉ MASSIEU. 269 son cours, l’intraduisible Pindare. Deux Olympiques et deux Isthmiques furent lues à l’Académie des In- scriptions ; elles ont été insérées dans le tome VI des Mémoires (1). Ces traductions, médiocres, il faut le dire, sont accompagnées de notes historiques et philo- logiques qui peuvent être étudiées avec fruit. Elles portent surtout l’empreinte d’une conviction littéraire qui fait honneur au goût de l'abbé Massieu. C'était le temps où Lamotte-Houdart continuait la guerre de Charles Perrault contre les écrivains de l'antiquité, guerre tour-à-tour sérieuse et burlesque, doni M. Nisard , avec sa critique fine et clairvoyante. racontait, il y a peu de jours, les piquants détails (2). Massieu, comme vous le pensez bien, Messieurs. était décidé- ment classique. Il appelait Perrault « le patriarche d’une secte qui, malgré les coups mortels qu’elle avait recus, ne laissait pas de conserver encore un reste de vie. » Il disait, en parlant de Lamotte : « Un homme qui, par un grand nombre de très-beaux ouvrages, s’est acquis une juste réputation, et auquelilne manque, pour estimer les anciens, que de connaître un peu mieux leur langue et leurs usages (3). » Cette ironie douce et de bon goût, soutenue par les recherches bien ménagées d’une honnête érudition, caractérise en général la critique de l’abbé Massieu dans ses commentaires sur la poésie la plus ardue de (4) Niceron, ubi supra, — Mémoires de l'Académie des Inscrip- tions, t. VI. (2) Cours d’éloquence française, professé à la Faculté des Lettres de Paris; lecons d'avril et de mai 1854. (3) Mémoires de l'Académie des Inscriptions, ubi supra. 18 270 NOTICE la Grèce ancienne. Il avait traduit Pindare en entier; mais ses notes n'étaient rédigées qu'aux deux tiers, lorsqu'il mourut , et il légua cet ouvrage, comme plusieurs autres écrits, au jeune Sacy (1), dont il avait été le précepteur. La traduction complète de Pindare n’a jamais paru, et, si nous la jugeons par les extraits donnés au public, nous regretterons peu ces utiles ca- hiers de professeur que la parole vivante ne pourrait plus animer. Les dissertations que je rencontre dans les tomes I, IT et III des Mémoires de l’Académie des Inscriptions, ont beaucoup plus de valeur. Elles ne sont pas toutes de même force, et Massieu n’a pas la patiente érudition d’un Hardion, encore moins la profonde sagacité d’un Fréret (2); mais il a le talent de la mise en œuvre, et il sait présenter avec lumière et avec agrément des détails suffisamment étudiés pour instruire les hommes du monde. Presque tous les sujets qu’il a traités, soit par son propre choix, soit sur l’invitation de ses confrères, ont rapport à la poésie et aux poètes. On sent qu’il est plus à l'aise, lorsqu'il promène sa critique dans le champ libre de la fantaisie, non qu’il se plaise dans le vague, ni (1) Cette famille n’a rien de commun avec celle des Le Maistre de Sacy, ou Saci, qui a donné à Port-Royal un de ses plus grands noms, et à laquelle appartenait l'illustre Orientaliste, dont le fils a été nommé récemment membre de l’Académie française. (2) Hardion, né en 1686, membre de l’Académie des Inscriptions et de l’Académie francaise. Il avait été admis dans le premier de ces deux corps savants sur la demande de l’abbé Massieu. —Fréret, né en 14688, secrétaire perpétuel de l’Académie des Inscriptions, un de nos plus profonds érudits. SUR L'ABBÉ MASSIEU. 271 qu’il manque du sentiment de la réalité, mais parce qu’il s'opère, dans ces régions poétiques , un naturel et facile mélange d’idéal et de réel, de sévère et de gracieux, qui souriait à cette élégante intelligence. Elle se complaisait dans la science, pourvu que la science ne fût pas triste ni prude , et qu’elle tendît volontiers la main à l’ima- gination. Le début de sa dissertation sur les Grâces donnera une juste idée de sa manière : « Si la théologie des poètes anciens, dit-il, n’était pas trop sensée, on ne peut disconvenir qu’elle ne fût du moins très-agréable. Il est vrai que le bon sens souffrait de cette multitude de dieux qui ne leur coûtaient rien à enfanter; mais l'imagination y trouvait son compte. Ils la promenaient, par le moyen de leurs fictions, dans des enchantements continuels. Le ciel, les arbres , la mer, la terre, toute la nature devenait, dans leurs principes, vivante et animée. De quelque côté qu’on tournât les yeux, on ne voyait autour de soi que des objets qui, en apparence matériels et insensibles , avaient, au fond, et du sentiment et de l'intelligence. Se pro- menait-on le long d’un fleuve, c’était un Dieu en personne, penché sur une urne et couronné de ro- seaux ; les fontaines étaient des grottes de cristal, où les Naïades faisaient leur demeure. Les Oréades ha- bitaient les montagnes , et les remplissaient de je ne sais quelle horreur religieuse ; dans la solitude des forêts, on se trouvait au milieu des Faunes, des Satyres et des Dryades , et, pour peu qu’on eût de foi poétique. on entendait leur voix » (1). (1) Mémoires de l’Académie des Inscriptions, ubi supra. 272 NOTICE Les idées de ce morceau ne sont pas neuves assu- J rément , et vous avez tous présents les beaux vers de Boileau : Ce n'est plus la vapeur qui produit le tonnerre, etc. (4). Je ne vous ferai pas même remarquer les tours heureux qu’on pourrait louer dans le passage que vous venez d'entendre ; j'ai voulu seulement prendre sur le fait quelques traits du talent et du genre d’esprit de l'abbé Massieu. Combien il eût été malheureux, à la place du poète Santeul , qu’il avait entendu gourmander, vingt- cinq ans auparavant, par l’austère Bossuet, pour avoir osé parler de Pomone {2)! La vivacité de sa foi ne _ l’empêchait pas de croire que l’emploi des fictions de la mythologie est une ressource poétique fort légitime pour les modernes, et qu’il y aurait une exigence in- tolérable à vouloir les bannir. En terminant cette dissertation sur les Grâces, à laquelle le Père Martin, auteur du livre inédit et cu- rieux, intitulé : Athenæ Normannorum (3), donne sans (1) Boileau, Art poétique ; chant III, vers 167. (2) Santeul, en 1689, adressa au célèbre de la Quintinie, que Louis XIV avait chargé de dessiner les jardins royaux, une pièce de vers latins, intitulée : Pomone «à Versailles. Bossuet gronda le poète d’avoir manqué à la parole qu’il avait donnée de ne plus traiter de sujets profanes. Santeul fit amende honorable dans une seconde pièce, quelque peu payenne encore , et Bossuet lui écrivit pour le complimenter , en lui disant : Voila ce que c'est, Monsieur, que de s’humilier. (Lettre du 45 avril 4690. ) Voir les œuvres de Santeul, 3°, édition, 4729, t. II, p. 202. (3) Bibliothèque de la ville de Caen; mss, SUR L'ABBÉ MASSIEU. 273 hésiter le premier rang entre les travaux d’érudition de l’abbé Massieu, celui-ci croit devoir s’excyser auprès de ses doctes confrères d’avoir traité un sujet qui peut paraître frivole. Il s’abrite derrière l’exemple de Speusippe, disciple et successeur de Platon, qui avait placé dans son école un tableau représentant ces charmantes divinités; « tant on était convaincu alors , s’écrie-t-il, que les Grâces doivent présider , dans ces assemblées même où l’on traite les matières les plus sérieuses et les plus sublimes » (1)! Rassurée par cet exemple, l’Académie des Inscriptions applaudit , et il fut reconnu en principe qu’une Compagnie savante peut se dérider quelquefois. En regard des Grâces, Massieu, par un contraste cherché ou fortuit, plaçca les Gorgones qui, dans l'origine , formaient une nation toute féminine , rivale des Amazones, avec qui elles étaient souvent en guerre (2). « On peut bien juger qu’elles avaient des démêlés fréquents , dit assez malicieusement notre auteur: elles étaient femmes et voisines. » Passons sur les autres dissertations qui ont pour objet les Hespérides , les boucliers votifs, les serments chez les anciens, un parallèle entre Homère et Platon, et plusieurs questions de ce genre (3). La plus faible est le parallèle. C’est un pur jeu d’esprit, une suite de comparaisons arbitraires. La plus remarquable est celle qui roule sur les serments dans l'antiquité. Vous y (1) Mémoires de l’Académie des Inscriptions, t, II, p. 8. (2) Ibid., p. 51. (G)Mbid. ET, 1p. 177-4945 00 OTEMPMEREMTIP pI28 5 ME AU p. 44, 95, 209, 274 NOTICE trouveriez, Messieurs, de la science de bon aloi, et des vues nobles. rendues dans un style habituellement élevé. Pourtant, comme l’enjouement naturel de l’abbé Massieu devait se faire jour dans toutes les matières , vous remarqueriez qu'il y rappelle, à propos de l’âge d’or, ce mot de Juvénal : Dans les premiers jours du monde naissant , les Grecs n’étaient pas toujours prêts à jurer (1); et ce mot plus âpre encore de Boileau, mot qui ne devait pas se rencontrer peut-être sous la plume d’un enfant de la Basse-Normandie : Le Normand même alors ignorait le parjure (2) ! J'arrive à un des morceaux importants que l’abbé Massieu nous ait laissés, à un de ceux qui parurent aux contemporains, qui peuvent nous paraître à nous- _ mêmes une œuvre de sens exquis et de fine élégance. Ce n’est qu’une préface, mais une préface heureuse- ment inspirée par le goût et par l’amitié. Vous vous rappelez que l’abbé de Tourreil avait en- trepris de traduire Démosthènes, et que, malgré le haut prix qu’il devait mettre à laisser un cachet tout personnel sur cette œuvre de sa vie entière, il avait invoqué en plus d’une occasion les conseils et les se- cours de l’abbé Massieu. Publiée pour la première fois en 1691. cette traduction, alors incomplète, ne satisfit pas les juges sévères. Racine , avec ce goût pour l’épi- gramme qu’il savait allier à l'inspiration tragique, (1) Nondum Græcis jurare paratis Per caput alterius. . . . . Juvénal, satire VI, vers 46 et 17. (2) Boileau, Épitre IX, vers 120. SUR L'ABBÉ MASSIEL. 275 s’écria : Le bourreau ! Il fera tant qu'il donnera de l'esprit à Démosthènes (1)! Boileau, qui ne pouvait rester en arrière, quand il s’agissait de venger le bon goût, disait à la même époque : Tourreil n’est pas un sot, mais son Démosthènes est un monstre! N'est-ce pas un monstre, qu'un homme démesurément grand et bouffi (2)? L'emphase était, en effet, le grave défaut de cet ou- vrage. Tourreil le remania , le compléta, et en donna une nouvelle édition en 1701. L'événement ne répondit pas encore à son courage. Naturellement porté à l’en- flure , il devint souvent plat en cherchant à être simple. Avec une modestie et un dévouement trop rares pour ne pas être loués, il refit une troisième fois sa traduc- tion; la mort le surprit au milieu de ce travail, et Mas- sieu , son ami, son confrère à l’Académie des Inscrip- tions, fut chargé par son testament de publier la troi- sième transformation du grand orateur (3). Il exécuta les dernières volontés de l’abbé de Tourreil avec un soin religieux; il les dépassa même, car il recueillit toutes les productions, assez médiocres, il faut bien le dire, de ce laborieux académicien , revit avec scrupule et acheva la traduction de Démosthènes, sans y ajouter un mérite sensible. En 1721, six ans après la mort de Tourreil, parut l'édition de ses œuvres, précédée de la préface , qui a été l’occasion de ces détails. Dans ce morceau, difficile pour un ami qui voulait être en même temps un critique, Massieu n’exagère (4) Daunou, article Tourreil, dans la Biographie universelle. (2) Ibid. (3) L'abbé Goujet, rectifiant Niceron; Bibliothèque française. 276 NOTICE pas l’éloge. On pourrait même dire que le blâme, un blâme déguisé sous une parfaite courtoisie, y vient tempérer et parfois annuler la louange. Ce n’était pas de sa part une finesse d'intention , une malice enve- loppée, mais tout simplement l’effet de la conscience littéraire, qui réclamait avec ménagement , mais avec force, contre les entraînements d’une vieille affection. Si nous en croyons l'abbé Goujet (1), la préface dont il s’agit est #n chef-d'œuvre de goût et de solidité, aussi utile par la justesse des réflexions dont elle est remplie qu'agréable par la manière dont elles sont exprimées. II ne faut pas prodiguer le titre de chef-d'œuvre, et je me contenterai de dire qu’il y a en effet dans cette pré- face , outre l’impartialité relative que jy ai reconnue, des vues saines, un style animé, et un goût très-vif pour le bon sens. Quelquefois même on pourraittourner contre l’auteur du livre, à qui l’on reprochait surtout des ornements hors de saison, les observations pi- quantes du critique sur le mauvais goût général. Entendons l'abbé Massieu juger les défauts de la lit- térature de son temps, de cette époque intermédiaire entre le XVII°. siècle qui s’éteignait et le XVIII. qui n’était pas encore en possession de ses plus brillantes renommées : « On ne veut rien dire qu'avec esprit, écrivait-il; autant de mots, autant de traits. Une ode n’est aujourd’hui qu’une suite d’épigrammes rangées méthodiquement bout à bout. Une préface n’est qu’un amas d’expressions alambiquées , revêtues de phrases brillantes. Dans tous les autres ouvrages, de quelque (1) Goujet, Bibliothèque française; A74A. 4 SUR L'ABBÉ MASSIEU. 277 pature qu’ils soient. et sur quelque matière qu’ils rou- lent, tout étincelle, tout pétille. Au lieu de semer les fleurs par pincées ainsi que l’ordonnent les maîtres de l’art, on les verse avec la corbeille, On fait des mots de son autorité privée ; on abuse de ceux qui sont faits, et on les allie si monstrueusement que les lecteurs sont tout étonnés de les voir à côté les uns des autres... ce qu’il y a de certain, c’est que, dans le péril dont les lettres françaises sont menacées, ceux qui les aiment et qui s'intéressent à la gloire de notre nation ne peu- vent faire trop d’efforts pour retenir le bon goût qui nous échappe, pour repousser le mauvais qui nous gagne, et pour conserver au moins notre langue dans le degré de perfectionnement où nos pères l’avaient portée (1). » Ainsi, dans son enthousiasme d'homme de goût, Massieu frappe, sans le vouloir, et sur le traducteur emphatique et bizarre dont il publiait les œuvres, et même sur son auteur de prédilection, sur Pindare, à qui la célèbre Corinne avait fait précisément le re- proche que Massieu adresse au mauvais goût du jour (2). Au reste, il écrivait ces lignes en présence de La- motte-Houdart et de Fontenelle, qui sacrifiaient trop (4) Traduction de Démosthènes par Tourreil, publiée en 1721 ; Préface , par l'abbé Massieu. (2) Corinne avait conseillé à Pindare de jeter des fictions dans ses poèmes; Pindare entassa dans une pièce de vers tout ce qu’il put recueillir de traditions fabuleuses. « Tu verses le sac , lui dit Co- rinne, quand il faut semer grain à grain. » Pindare recut fort mal, dit-on, cette critique judicieuse, et cependant il en profita. —Voi Plutarque, De gloria Atheniensium. 278 NOTICE souvent la justesse à la nouveauté, et avant que Vol- taire, J.-J. Rousseau, Montesquieu et Buffon eussent donné au XVIII: siècle l'illustration littéraire qui lui est propre (1). Il faut convenir que le critique de 1721 disait alors des vérités énergiques, qui pourraient être profitables même au XIX°. siècle, et qu’il les exprimait avec une verve digne de nos bons écrivains. J’ai à parler maintenant d’un ouvrage qui aurait dû être le principal titre de gloire de l'abbé Massieu, mais auquel il n’a pu mettre la dernière main, et qui est même resté inachevé; je veux dire son Histoire de la poésie française, qu’il projetait de conduire du XI°, au XVIII siècle. La mort l’a forcé à s'arrêter avant le règne de François I%., c’est-à-dire précisément à l'époque où commençait l'intérêt vraiment populaire de ces annales. I] n’a donc terminé, je dirais mieux esquissé, que les parties les plus arides et les plus obscures, et, comme il devait arriver, dans l’accom- plissement de cette rude tâche qui exigeait tant de re- cherches, il a laissé échapper un certain nombre d’er- reurs historiques, que les savants lui ont reprochées durement (2). Les plus graves sont notées à la main par le docte De La Rue , ancien doyen de notre Faculté des Lettres, dans un exemplaire de l'Histoire qu’un de (1) La Henriade parut en 1727 ; le Discours sur le progres des Sciences et des Arts de J.-J, Rousseau en 1749, ainsi que le pre- mier volume de l'Histoire naturelle; les Lettres persanes furent publiées en 1721, précisément dans l’année où Massieu écrivait ce morceau. (2) La Rue, Notes manuscrites: Weiss, Biogr. univ. article Massicu, elc. . SUR L’ABBÉ MASSIEU. 279 nos honorables collègues à eu sous les yeux (1). Elles consistent surtout dans des assertions générales qui eussent été certainement vérifiées par un travail posté- rieur. Ainsi, Massieu affirme, sans preuve, que le nombre de nos poètes s’accrut considérablement vers le temps de Hugues Capet; qu’ils se multiplièrent sous les règnes de Philippe I‘. et de Louis-le-Gros, et que, à l’époque des premières Croisades, les poètes français semblaient sortir de terre aussi bien que les armées (2). D’autres erreurs de détail viennent malheureusement aggraver ces assertions gratuites, et n’ont pu être rectifiées dans un livre qui en est resté au premier jet. Il paraît donc superficiel, bien qu’il soit rempli de curieux détails et d’études très-laborieuses, et il ne nous reste que le droit de louer l'agrément avec lequel il est écrit. D'abord , il abonde en citations piquantes, heureu- sement choisies pour exprimer au vif la physionomie de nos anciens poètes, celle, par exemple, de ce Martin Franc, d'Arras, ecclésiastique pieux et modeste, qui, après avoir été secrétaire du duc de Savoie , de- vint chanoine de Lausanne, puis secrétaire de deux papes, Félix V et Nicolas V (3), et qui composa le Champion des Dames , naïf et singulier poème, où il établit que Les hommes sont de tout point fort inférieurs (1) Histoire de la poésie française, publiée en 4739 par Sacy le fils. M. Travers, secrétaire de l’Académie des Sciences, Arts el Belles-Lettres de Caen, a copié sur son exemplaire les notes écrites par M. De La Rue, en marge d’un exemplaire ayant appartenu à M. Galeron, ancien procureur du Roi à Falaise, (2) Ibid. , p. 405. (3) Tbid., p. 237. 280 NOTICE aux femmes. « Les preuves, dit avec gaîté l’abbé Mas- sieu, sont quelquefois plus dévotes que concluantes. Il se prévaut beaucoup contre nous de ce que la sainte Vierge est de l’autre sexe, ne prenant pas garde qu’on pouvait là-dessus lui faire une objection à laquelle il n’y a point de réponse : c’est que notre Seigneur est du nôtre (1). » L'Histoire de la poésie française à une qualité qui peut rendre plus indulgent pour ses défauts; elle est réellement intéressante. J'y ai remarqué une curieuse et savante monographie de la rime, où ceux même qui savent trouveraient à apprendre, et des vues ingé- nieuses sur l’emploi fait à propos des termes empruntés à notre vieux langage : « Ne poussons pas la délica- tesse, dit-il, plus loin que Marot et Saint-Gelais sous François I‘., que Voiture, Sarrazin, Pellisson et La Fontaine dans ces derniers temps. Ils se sentaient une vraie tendresse pour nos vieux rimeurs, et croyaient qu’on ne pouvait avec trop de soin en conserver les précieux restes. Quelquefois il se servaient, dans leurs ouvrages, d'anciennes expressions qu’ils empruntaient d’eux, et dans lesquelles ils trouvaient une naïveté et une force que n’avaient point, à leur gré, les expres- sions modernes... apprenons de ces écrivains illustres à juger avec retenue. Ne condamnons point une bonne pensée à cause d’un vieux mot; mais faisons grâce au vieux mot en faveur de la bonne pensée (2). » Ces vieux mots, empruntés à Marot et à d’autres (1) Ibid, , p. 246. (2) Ibid. , p. 76, 207. SUR L'ABBÉ MASSIEU. 281 anciens poètes, étaient ce que La Fontaine appelait : Les mots de sa connaissance. I regrettait fort de n’avoir pu les faire admettre par l'Académie française, dans les séances où il l’aidait à composer son Dictionnaire, et un illustre critique moderne , homme d’un goût difficile, M. Villemain , d'accord en cela avec Fénelon et La Bruyère (1), a regretté hautement à son tour, et en face des académiciens ses collègues, que le bon- homme »’ait pas eu plus de crédit à l’Académie (2). Je p’ai rien dit encore, Messieurs, d’un petit ou- vrage qui me paraît cependant supérieur, au moins pour la forme, à toutes les productions de l’abbé Massieu. Il est court; il roule sur un sujet frivole ; il est écrit dans une langue morte... voilà bien des rai- sons pour que ma préférence vous étonne. J'espère cependant la justifier. Il y aurait peut-être un chapitre assez neuf d’histoire littéraire à écrire , sur ce qu’on pourrait appeler : La littérature latine en France. On y verrait cette belle langue des Romains, d’abord mêlée à la langue de nos pères, par suite de la colonisation et de la con- quête ; long-temps dominante dans les actes publics, dans les monuments de la science, dans l’enseigne- ment; gardée scrupuleusement par l’Église , à titre de langage universel; perdant peu à peu son ascendant et sa popularité dans la littérature, et attaquée par de (4) Fénelon, Lettre a M. Dacier , sur les Occupations de l'Aca- démie française ; — La Bruyère, De quelques usages. (2) Préface du Dictionnaire de L Académie française , 6". édition, 1835. 282 NOTICE nombreux adversaires, par Boileau lui-même (1), après la réforme opérée dans la poésie et dans la prose par notre Malherbe et par Balzac; conservant toujours cependant ses partisans déclarés, ses Fidèles incorruptibles; se réfugiant des traités philosophiques dans les livres d’érudition, des commentaires dans les poésies de cloître et de collége; brillant même, dans cette sorte d'ouvrage, d’un éclat qui se répandait jusque dans le monde, et qui mettait en lumière les noms des Santeul , des Rapin, des Vanière, des Com- mire, des La Rue (2); jusqu’au moment où Voltaire, avec sa froide et vive ironie, laissait tomber ces pa- roles, ou plutôt cet arrêt, sur le poète latin Commire: « Il réussit parmi ceux qui croient qu’on peut faire de bons vers latins, et qui pensent que des étrangers peuvent ressusciter le siècle d’Auguste, dans une langue qu’ils ne peuvent pas même prononcer » (3). Ce ne serait pas un des épisodes les moins piquants de cette histoire, que la dispute violente, acharnée, qui s’éleva, en 1673, sur la question de savoir si les (1) Passim, et spécialement dans le Fragment d’un dialogue contre les modernes qui font des vers latins, où figurent Santeul et Dupérier. — V. Boileau, t. III, p. 92, de l'édition publiée par M. Berriat-Saint-Prix. (2) Les Hymnes de Santeul, les Jardins de Rapin, la Maison rustique de Vanière, les Poésies de Commire, jouissent d’une répu- talion mérilée. La célébrité des Sermons de La Rue a fait un peu oublier ses Poésies latines, qui sont cependant dignes d'estime. (3) Siècle de Louis XIV, t. II.—I1 dit aussi, à propos de Santeul : « Il passe pour excellent poète latin, si on peut l'être. .., Je me défie beaucoup des vers modernes latins, » SUR L'ABBÉ MASSIEU. 283 inscriptions à placer sur les monuments dont Louis XIV embellissait Paris seraient composées en latin ou en français. C’étaient, d’une part , Charles Perrault, Desmarets, Charpentier , et un nom beaucoup plus illustre que tous ces noms, le grand Colbert, tenant pour la langue française ; de l’autre, l’ardent Santeul, l’élégant Commire, le premier président de Bellièvre, combattant pour la langue latine, qui triompha (1). Mais ce n’est pas ici le lieu de raconter une querelle qui pourrait être étudiée à part, et qui mériterait bien, Messieurs, de tenter une des plumes ingénieuses de cette Compagnie. Je me borne à l'indiquer , et je m’empresse de revenir à l’abbé Massieu, Elève du jésuite Cossart , qui tournait les vers latins avec un talent inégal, mais assez énergique (2); admi- rateur de La Rue et de Commire , Massieu appliqua sa facilité gracieuse à la poésie latine, et il nous reste de lui une pièce intitulée : CafJaeum, le Café. Cette œuvre légère a trouvé une place honorable parmi les poèmes didactiques dont le Père Oudin et l’äbbé d’Olivet furent les premiers éditeurs (3), et qui, sous le titre de Poemata didascalica, figurent dans toutes nos bibliothèques; sorte d’escrime savante dans la- quelle la faiblesse même du sujet accroissait la difi- (4) Voir les œuvres de Santeul, t. IL, p. 412 et suivantes. (2) Les œuvres de Cossart ont été publiées par La Rue, en 1675. Santeul a célébré sa mémoire en vers latins, dans le T'umulus Cossartii. (3) Delalain, en 1813, en a donné une nouvelle édition. Il à fondu en deux volumes les trois de la première, et ajouté un troi- sième volume qui comprend un grand nombre de pièces nouvelles. 284 NOTICE culté de la lutte, et laissait à la mise en œuvre toute l'importance qui ne pouvait appartenir à la ma- tière (1). * Le talent de Massieu, plein de souplesse et de res- sources, devait briller dans cette épreuve. Aussi son petit poème est-il une perle d'élégance, un vrai joyau dans un riche écrin. Pour en sentir le mérite, il suffit de le comparer à un poème sur le même sujet, imprimé à la suite dans le même recueil, et qui a pour auteur le Père Fellon, un des bons poètes latins de cette époque (2). Il n’y a pas dans le Faba Arabica de ce dernier la grâce, le sentiment exquis de latinité , l’ai- sance au milieu des détails techniques , que nous pouvons admirer dans le CafJaeum de Massieu. Gette bagatelle, au reste, n’est pas sans défaut. L'ordre des idées laisse à désirer ; il y a des répétitions, des cir- constances oiseuses. Je ne voudrais pas répéter, après un des panégyristes de l’abbé Massieu, que , st Horace et Virgile avaient connu le café , on leur eût facilement attribué le poème de l’academicien moderne (3); mais, si nous le considérons comme une œuvre d'art, comme une ciselure de fantaisie , les caprices même de ce bijou poétique séduiront notre sévérité. (1) Par exemple, les Echecs, les Songes, l’Or, le Thé, les Mon- tres, les Volières, les Serins, les Oranges, la Vitrerie, les Poules, la Pipée, le Cerveau, etc. , etc. (2\ Fellon, jésuite, professeur de rhétorique à Lyon. On à encore de lui un poème sur l’Aimant (Magnes), qui a été inséré dans le recueil des Poemata didascalica. | (3) De Boze, loco citato. SUR L'ABBÉ MASSIEU. 285 Oserai-je croire, Messieurs, que ces motifs justifie- ront à vos yeux le dessein que j'ai formé de vous offrir , traduits en vers français, les deux ou trois cents vers latins de l'abbé Massieu? Vous rappellerai-je ; pour sauvegarder votre gravité et la mienne, qu’on a nommé , un peu ambitieusement , le café : La boisson la plus intellectuelle (1)? Vous savez que Delille n’a pas dédaigné de lui consacrer des vers charmants dans un de ces poèmes où il unissait à la grâce le sérieux et la pensée morale (2). Enfin, je me suis souvenu, mal à propos peut-être, d’avoir essayé autrefois une lutte contre un poète latin, aux vers serrés et pres- sants (3); ce nouvel essai, quel qu’il soit, vous sera soumis à la séance la plus prochaine, et, à défaut de votre approbation, qui me serait assurément précieuse, vous voudrez bien m’accorder le bénéfice de vos conseils. Il me reste à dire, en quelques mots, comment finit cette carrière studieuse et honorable (4). (4) Voir dans le Dictionnaire de la Conversation l’article Café , par le docteur J.-J, Virey. (2) Ce sont les vers qui commencent par ces mots : Il est une liqueur au poëte plus chère . . . dans le poème des Trois Regnes, ch. VI. On peut citer aussi les vers spirituels de Berchoux dans le poème de la Gastronomie : Le café vous présente une heureuse liqueur, etc. (3) Satires de Perse et de Sulpicia, traduites en vers français, 4827. On connaît les vers de Boileau : Perse en ses vers obscurs, mais serrés et pressants, etc. Art poétique, chant II, vers 455. (4) On a encore de l'abbé Massieu une édition correcte du Nou- veau Testament en grec, publiée à Paris en 4745 ; 2 vol. in-12. 19 236 NOTICE Les infirmités assaillirent l'abbé Massieu dans les dernières années de sa vie, sans rien enlever ni à son amour pour l'étude, ni à son aimable enjouement. Il souffrait de fréquentes attaques de goutte, lorsqu'un mal plus cruel encore vint le frapper. Une double ca- taracte le rendit aveugle. Résigné , pieusement soumis à la volonté de Dieu, mais toujours passionné pour les lettres , il se fit conduire assidûment, pendant trois ans, aux séances des deux Académies dont il était membre. A la fin, cependant, il conçut un ardent désir de reprendre ses travaux particuliers ; il se dé- cida à subir l’opération pour un œil, et, dès qu’il en eut recouvré l’usage , il se remit avec une joie naïve à ses livres et à ses cahiers. Comme on lui demandait encore six semaines ou deux mois d’inaction pour guérir l’autre œil, et lui rendre ainsi la pleine jouissance de la vue, il s’y refusa : « Je tiens le second en ré- serve, dit-il avec une gaîté stoïque, comme une res- source contre un nouveau malheur (1). » Vers le milieu du mois d’août 1722, une paralysie partielle se déclara, et un violent tremblement des mains lui rendit le travail impossible. Le mois suivant, une attaque d’apoplexie le fit tomber dans une lan- gueur qui dura quelques jours, et, le 22 septembre, il succomba , à l’âge de 58 ans (2). Je ve sais, Messieurs, si votre goût ratifiera le ju- gement que je porte sur cet homme de bien et d’es- prit, dont je regrette de ne pas voir le portrait parmi (4) De Boze, Niceron, Goujet. (2) Ibid. SUR L'ABBÉ MASSIEU, 287 ceux que possède notre bibliothèque publique, et qui nous représentent, réunis dans le sanctuaire même de l'étude, les écrivains les plus distingués de notre pays. Massieu ne fut pas un auteur de génie; les grandes parties du talent, l'invention, l'originalité lui man- quèrent ; sa science ne fut pas irréprochable; le choix de ses travaux ne fut pas toujours heureux : mais sa réputation , exagérée par la facile admiration des con- temporains et des confrères, ne mérite pas de périr. Il est digne du second rang, par la justesse et la grâce de son esprit, par les vues utiles qu’il a semées dans ses ouvrages, par ce double honneur académique qu’il porta si bien, par cette chaire noblement remplie au centre même des lumières. L'abbé Massieu fut un homme de lettres fort estimable, et, après tout, ce qui n’est pas un éloge vulgaire, il fut un bon écrivain. La Normandie, la ville de Caen, justement jalouses de tout ce qui les honore, ne répudieront pas cette douce renommée : elles la mettront à sa place; mais, cette place modeste, qui de nous voudrait la lui refuser ? 288 L'ABBÉ MASSIEU, Le VW 2 D =>] fi Ÿ CARMEN , AUCTORE GULLIELMO MASSIEU, EX AGADEMIA GALLICA. Ut primüm in nostras Caffæum venerit oras, Divini laticis quæ sit natura, quis usus, Quàm præsens homini contra genus omne malorum Auxilium ferat, hinc facili describere versu Incipiam. Vos Ô blandi, vos sæpè liquoris Vim dulcem experti, si nunquam vestra fefellit Vota, nec eventu spes vestras lusit inani, Este boni, et nostris facilem date cantibus aurem. Tuque aded , cui vim herbarum plantasque salubres Nosse datum , et tristes membris depellere morbos, Adsis, Phœbe, favens ; nam te quoque muneris hujus Auctorem esse ferunt : populis tua pandere dona, Et totum late liceat vulgare per orbem. Trans Libyam longè , et tumidi septem ostia Nili, Quà se Asia immensis aperitlætissima campis; LE CAFÉ, POÈME, 289 AE CAMES, POÈME, PAR GUILLAUME MASSIEU, DE L’ACADÉMIF FRANÇAISE (1). Il est un fruit divin , mûri sous d’autres cieux Dont le secours puissant manquait à nos aïeux, Dont l’aimable liqueur sans trouble nous enivre , Et qui de tous les maux sûrement nous délivre. Amateurs délicats, épris de ce trésor, Qui goûtez ses douceurs pour les goûter encor, Dont jamais sa vertu n’a trompé l'espérance. Ecoutez! du Café je chante la naissance. Et toi qui connais seul des remèdes certains Pour charmer les douleurs que souffrent les humains, Toi qui sais les secrets des plantes salutaires, Phébus, inspire- moi ! je dirai les mystères Du plus beau des présents que ta main nous a faits : Je veux au monde entier signaler tes bienfaits ! Par delà le vieux Nil et les champs qu'il inonde, S'ouvre, au seuil de l'Asie, une terre féconde : 290 L'ABBÉ MASSIEU. Dives opum variarum, et, odoris consita sylvis, Pandit se regio : veteres coluère Sabæi. Credo equidem, natura, parens illa optima rerum, Hanc sedem ante alias tenero dilexit amore. Hic semper cœli spirat elementior aura ; Mite soli ingenium ; hic alieno tempore flores, Et fœtus varios gravido parit ubere tellus, Cinnamaque, et casiam, myrrhamque , et olentia thura. Illas inter opes , et ruris dona beati, Ad solem medium conversa , austrosque tepentes, Sponte suà superas arbor se tollit in auras, Nusquäm alibi veniens, priscisque incognita seclis. Illa quidem mole haud ingens , non brachia longè Diffundit patula, aut cœlo capui ardua tollit. Verüm humilis, myrti in morem lentæque genistæ, Surgit humo; dites curvat nux plurima ramos, Parva, fabæ similis , pallenti fusca colore, Quam tenuis medio distinguit cortice rima. Hanc ade nostros plantam traducere in agros Multi tentàrunt, atque omni educere curà, Nequicquàm : neque enim studio votisque serentüm Respondit seges, et longum frustrata laborem” Antè diem in tenerâ radix exaruit herbà : Seu cæli hoc factum vitio, sive invida tellus Sufficere apta neget peregrinæ pabula plantæ. Quare age, Caffæi quisquis capieris amore, Ne te, Arabum longè summoto ex orbe, salubrem Accersisse fabam pigeat; namque illius alma Hæc patria est : blandus primüm è regionibus illis Per gentes reliquas fluxit liquor ; indè per omnem Europam atque Asiam , et totum diffunditur orbem. LE CAFÉ, POÈME. 291 C’est l'antique Saba, qui, bravant les hivers, D'arbustes odorants parfume au loin les airs ; Pays aimé des cieux, pays que la nature De ses dons ies plus chers a comblé sans mesure. Là rayonne et sourit un éternel printemps; Le sol inépuisable, à l'abri des autans, Produit avec amour des fleurs, des fruits sans nombre : Voici le cannellier et son feuillage sombre, La myrrhe aux sucs amers, l’encens béni du ciel. Dans ce luxe des champs, Eden universel, Sous les feux du midi qui font bouillir sa sève, Un arbre merveilleux modestement s'élève (2). Ce fils de l'Arabie, autrefois ignoré, Ne dresse point dans l’air un front démesuré ; Plus humble que le myrthe et le genêt sauvage , De ses rameaux pendants il épaissit l’ombrage, Et sa fève mignonne, aux doux reflets dorés, S'arrondit en deux grains unis et séparés. Plus d’un ami des champs essaya sur nos rives De nourrir, d'élever ces hôtesses craintives… Fol espoir! la récolte a trompé tous les vœux. Malgré de longs efforts, des soins religieux, Nos froids soleils glaçaient la tige languissante ; Elle essayait de vivre, et retombait mourante ; Peut-être un sol jaloux, tourmenté vainement, A l’arbuste exilé refusait l'aliment (3). Vous donc qui du Café connaissez la puissance, Ne lui reprochez pas de manquer à la France! Si son heureux berceau fut placé loin de nous, Si l'Arabe ignorant l’a vu naître pour vous, Soyez reconnaissants! Saluez cette terre D'où coula jusqu'à nous sa liqueur salutaire, D'où ce nectar, aimé de vingt peuples divers, Vint réveiller l'Europe et charmer l'univers ! 292 L'ABBÉ MASSIEU. Ergo , quod satis esse tuos cognôris in usus, Tu longè antè para : largam sit cura quotannis Collegisse penum, et parva horrea providus imp'e ; Ut quondam, multô ante memor prudensque futuri, Colligit à campis segetes , tectisque reponit Agricola, et curas venientem extendit in annum. Nec minus intereà reliqua est curanda supellex ; Vascula sorbendo non desint apta liquont, Ollaque , cui collum angustum, sub tegmine parvo, Cui sensim oblongum venter turgescat in orbem. Cüm provisa tibi hæc fuerint, sit proxima cura Et torrere fabas flammis, et frangere tostas. Nec cesset multo contundere malleus ictu, Donec duritiem ponant , penitüsque subactæ Exiguus fiant pulvis; quem protinüs abde Aut sacco, aut tales fabricatà pyxide in usus, Et corio involve , ac molli cireùm illine cerâ, Ne pateant rimæ angustæ, occultique meatus; Quos nisi præcludas, furtivo tramite sensim Particulæ tenues, et quidquid purius exstat, Totaque vis vacuas aheat dilapsa per auras. Est etiam parvæ in speciem cava machina turris, Quam dixere molam ; tostæ quâ munera frugis Atterere, et crebro possis contundere frictu. Nucleus in medio, faaili versatilis axe, Ænea contorquet stridente volumina buxo. Scilicet axis apex capulo transfixus eburno , Qui manibus versandus erit, per mille recursus, Mille per et gyros nucleum ciet. Huc ubi glandem Injicies, capulumque manu currente rotabis , Haud mora, sub multo raptim crepitantia morsu Pulveris in morem minui mirabere grana. LE CAFÉ, POÈME. 295 Préparez , chaque année , et recueillez d'avance Tout ce qui doit suffire à votre prévoyance : Dans vos petits greniers serrez votre moisson; Ainsi, le laboureur, dans la chaude saison, Rassemble en sa demeure et conserve en famille Les blés que dans les champs moissonna sa faucille. D'ustensiles choisis sachez vous entourer. La coupe où la liqueur en fumant doit couler , Et le vase au long col, au couvercle docile, Qu'élargit par degrés une courbe facile, De l'œuvre qui s'apprête ontle premier honneur ; Puis, le grain, dépouillé de sa blonde couleur, Est bruni par la flamme, et déjà sa rudesse Cède et meurt sous les coups du pilon qui le presse (4) Frappez, frappez long-temps ! exigez que ses fruits En poudre imperceptible à la fin soient réduits. Alors , daus un coffret, né pour ce digne usage, Dans un vase ample et sûr, enfermez votre ouvrage ; Que sous ses plis étroits un cuir souple, onctueux, Le sauve du contact d’un air pernicieux ; Car, si vous négligez ce périlleux symptôme, L’essence la plus pure et le plus doux arôme, Tout s'envole à la fois, emporté par le vent, Il est d’autres moyens. On préfère souvent Un meuble ingénieux , en forme de tourelle. Le moulin {c'est son nom) prend la graine rebelle, La brise, quand la flamme a noirci ses contours, La réduit en poussière et la réduit toujours. La noix aux dents de fer, inflexible étamine, Fait crier son pivot au cœur de la machine, Et le manche d'ivoire, au sommet attaché, Imprimanrt à la roue un mouvement caché , Tourne sous votre main dans un cercle rapide. Les grains sont-ils versés ? l'amateur intrépide 4.5 294 L'ABBÉ MASSIEU. Quæ contusa semel gremio capit hospite cella Inferior, capsæ fundo interiore reposta. At quorsum hæc autem circum leviora moramur ? Nos majora vocant. Jam dulcem haurire liquorem Tempus erat, seu cùm primi sub lumine solis Mane novo poscit jejunus pabula venter, Splendida seu lautæ cum post convivia mensæ Oppressus nimiâ stomachus’sub mole laborat, Externique impar petit adjumenta caloris. Ergô age, supposito cùm jam olla rubescit in igne, Jamque tumescentem commixto pulvere lympham Cernes cireüm oras fervescere, subtrahe flammis. Ni facias , subitd exundans erumpat aquæ vis, Et laticem inclusum subjectos spargat in ignes. Quarè, ne similis tua turbet gaudia casus, Sedulus observes , cùm jäm se non capit unda, Exultatque æstu : dein ollam terque quaterque Redde foco , medio düm pulvis in igne vaporet, Atque superfusæ penitus se immisceat undæ. Arte coqui debet blandus liquor, arte bibendus , Non quo more solent alios haurire liquores : Namque ubi fumantem rapido subtraxeris igni, Et sensim fundo fæx tota resederit imo , Non illum impatiens uno libaveris haustu ; Sed potius sorbe paulatim , interque bibendum Dulces necte moras, et longis tractibus hauri Exsugens, dum fervet adhuc, uritque palatum. Tunc etenim melior, tune intima permeat ossa, Et sese penitüs præcordia in ima , medullasque LE CAFÉ, POÈME 295 Précipite le choe, et le fruit écrasé Sous la dent qui le mord tombe pulvérisé ; Un cellier qui s'étend au pied de l'édifice Recueille du Café la poussière propice. Mais quittons ces détails; un soin plus important Nous appelle ; voici le favorable instant De charmer notre goût par ce divin breuvage. Soit que du frais matin la brise nous engage, Et de notre appétit stimule les ardeurs; Soit qu'après un festin trop chargé de douceurs, Notre estomac plaintif, sous le poids qui l'oppresse , Réclame un aiguillon qui pique sa paresse : Il est temps ! sur le feu quand le vase a rougi, Sitôt qu'en bouillonnant le liquide élargi Monte, effleure ses bords , retirez-le saus crainte ; Autrement, la vapeur franchirait cette enceinte, Et sur les feux éteints le nectar répandu, Emportant voire espoir, hélas! serait perdu. Observez le moment où l’onde impatiente Enfle ses tourbillons. et, d’une main prudente, Reculez , rapprochez le vase précieux, Jusqu'à l’heure où , mêlant ses sucs délicieux A l'eau qui le recèle et le métamorphose, Infusé doucement , le Café se repose. Avec art il s'apprête ; 1l se boit avec art. Les vulgaires boissons s’absorbent au hasard ; Mais lui, dès qu'à la flamme on a pu le soustraire, Dès qu'il a déposé ce limon qui l’altère, Vous devez , à longs traits, l’aspirer lentement, Le quitter, le reprendre avec recueillement , Tandis qu’il brûle encore le palais qu’il enchante. C’est alors qu'il triomphe, et sa vertu puissante Pénètre nos tissus, circule en tous nos sens, Rend la chaleur, la vie, aux membres languissants. 296 L’ABBÉ MASSIEU., Insinuans, vegeto membra irrigat omnia suCco. Sæpè etiam è fundo quæ sursm purior aura Exilüt, totis illam excepere trahentes Naribus : in dulci tanta est nidore voluptas! Jamque hic restabat nostri pars altera cœpti, Divini occultas laticis recludere vires. Eximias sed quis speret comprendere dotes Et tam magna sequi miracula posse. canendo ? Namque ubi secreto penetravit in ilia lapsu, Intùs agens sese, vitalem in membra calorem Inspirat, lætumque afflat sub pectore robur. Tum, si quid crudi est, admixto concoquit igne, Occultasque vias paulatim, et tenuia laxat Spiramenta , quibus se trudat inutilis humor, Et totis fugiant morborum semina venis. Quare agite, o! vestræ vobis si cura salutis, Vos queis propendet triplex in pectora mentum, Qui tardum magno trahitis molimine ventrem, Vos decet imprimis calido indulgere liquori. Namque malam humorum, quæ vestros obruit artus, Colluviem coquet, et sudoris corpore toto Proliciet rivos : nec longum tempus, obesi Paulatim tumor incipiet decrescere ventris , Oppressosque artus injustâ mole levabit. Felices populi, quos primo lumine Titan Aspicit exoriens {! Hic Bacchi largior usus Non unquàäm nocuit; laticem libare Lyæum Lex et sacra vetant; Caffæo hic vivitur ; ergô Hic lætis agitant florentes viribus ævum, Et quid sint morbi, ignorant, quid filia Bacchi, Lautitiæque comes Podagra, et quæ fœdere pacto Innumeræ nostrum pestes grassantur in orbem. LE CAFÉ, POËME. 297 Du réservoir profond quand l'arôme invisible Monte et vient chatouiller votre odorat sensible , Je vous vois respirer avec félicité Le suave parfum , par un souffle apporté. Ainsi le doux nectar dans nos veines s'infuse. Mais un sujet plus riche embarrasse ma Muse : Qui dira la puissance et les rares vertus Que le Café suscite en nos corps abattus ? Dès que son feu secret parvient jusqu’à notre âme, La vie à flots pressés y coule avec la flamme ; 11 y verse et la force et la vive gaîté. Des aliments ingrats dissout la crudité, Prépare les conduits que leur masse doit suivre, De toute humeur nuisible à l'instant nous délivre, Détruit de tous les maux les germes impuissans. Vous qui, tristes , pensifs, trainez vos pas pesants, Dont le triple menton se soulève avec peine, Et dont le veutre énorme en tombant vous entraîne, Buvez, buvez souvent la féconde liqueur ! Affaibli, dissipé par son effort vainqueur , Des épaisses humeurs le poison s’évapore : D'abondantes sueurs vous soulagent encore ; Votre embonpoint fatal par degrés se réduit; Le fléau s'intimide et loin de vous s’enfuit ! Heureux le peuple enfant que le Soleil, son père, De ses premiers rayons complaisamment éclaire! Là, jamais de Bacchus le nectar défendu N'agite le Fidèle, à prier assidu ; Proscrit au nom des lois, interdit par Dieu même, Le Vin cède au Café l'influence suprème (5). Aussi, d’or et de soie ils filent tous leurs jours. Jamais la maladie en son horrible cours, La Goutte , effroi du riche et fille de l'ivresse , Ni les monstres sans nombre issus de la mollesse, 298 L'ABBÉ MASSIEU. Nec minüs et tristes pellit de pectore curas, Exhilaratque animos almi vis blanda liquoris. Vidi aliquem, dulci sese eùm nectare nondüm Proluerat, lento taciturnum incedere gressu : Triste supercilium, et tetricis frons aspera rugis. Idem vix dulci guttur perfuderat haustu ; Haud mora, contractæ fugiebant nubila frontis, Gaudebatque omnes salsis aspergere dictis. Non tamen hi quemquam risu assectantur amaro , Nec liquor innocuus lædendi inspirat amorem ; Virus abest, blandique placent sine felle cachinni. Atque hic in toto mos est Oriente receptus, Jamque peregrinum tu servas, Gallia, morem, Potando in vicis Caffæo publica tecta Ut pateant. Invitat euntes pensile signum, Aut hedera, aut laurus. Huc totà ex urbe frequentes Conveniunt , et grata diem per pocula ducunt. Cumque semel tepido incaluit mens icta vapore, Tunc rixæ dulces , jucundaque jurgia gliscunt : Fit strepitus , festo resonat vicinia plausu. At nunquàam epotus mentes liquor obruit ægras. Quin potius, si quando oculos sopor urget inertes, Mensque hebet, et torpent obtusæ in corpore vires : Somnum oculis, segnem fugatimo ècordeveternum. Quarè his profuerit dulci se aspergere rore, Queis longi incumbit series immensa labonis, Quosque opus eststudium in seras extendere noctes. Atque hic, quis blandi laticis monstraverit usum, {Nam virtus latuit multos ignota per annos) Expediam , et primä repetens ab origine pandam. LE CAFÉ, POÈME. 299 De ces peuples élus ne troublent la santé. Source de l’enjoùment, de la franche gaîté, Le Café des soucis chasse encor la cohorte. Voyez-vous ce rêveur qui devant votre porte Passe, les plis au front, les sourcils contractés , Lugubre philosophe aux pas lents et comptés?.. Il n’a pas absorbé l’arôme salutaire. Mais l’a-t-1l savouré? déjà sa mine austère Sourit, et son esprit, brülant d’un feu nouveau, Eclate en traits malins partis de son cerveau. Pourtant, rassurez-vous ; la liqueur innocente N’arme pas ses bons mots d’une pointe blessante : Il se moque sans fiel ; il railie sans mépris. Partout dans l'Orient , déjà même à Paris (6), Les carrefours nombreux et les places publiques Vous offrent, embellis d’enseignes authentiques J D'un lierre, d'un laurier, ces aimables réduits Où le Café fumant dissipe les ennuis. Là, tous les citadins, que le signal attire, Passent de longs moments à converser, à rire. Quand la vapeur féconde a pénétré les sens, On échange à l’envi des mots fins et plaisants ; C'est un joyeux murmure, une fête unanime. Pour l'estomac blasé que le Café ranime, Plus d’engourdissement, plus de lourdes vapeurs. Quand un sommeil de plomb, fruit d'immenses labeurs , Ferme nos yeux vaincus, nous abat, nousenchaine… Le Café nous éveille et son feu nous entraine. Savants qui, pour jouir d'un renom glorieux, Prolongez dans la nuit des travaux studieux, Rajeunissez par lui votre vigueur usée ! Mais ce remède offert à la force épuisée, Qui nous l’a fait connaître, et quel homme inspiré Révéla ce pouvoir si long-temps ignoré ? 300 L'ABBÉ MASSIEU. Ducebat teneras ad pascua nota capellas Pastor Arabs ; illæ errabant per devia tesqua, Tondebantque herbas, multis cùm turgida baccis, Nusquam visa prius, sese illis obtulit arbor. + Continud, utpoterant humiles contingere ramos, Incipiunt crebro frondes convellere morsu, Et teneros carpunt fœtus : invitat amaror. Nescius intereà molli sub gramine pastor Cantabat, sylvisque suos narrabat amores. At postquäm exoriens campis decedere vesper Admonuit, saturumque gregem sub tecta reduxit, Sensit oves molli non claudere lumina somno, Sed , mirà præter solitum dulcedine lætas , Per totam noctem saltu exsultare petulco. Obstupuit subità trepidus formidine pastor, Atque hæc fraude malà vicini, et carmine demens Ac magicis fieri putat artibus. Haud procul indè Augustas sedes secretà in valle locärat Sancta manus Fratrum , queis Divüm psallere laudes Cura erat, et meritis onerare altaria donis. At, quanquam magno per noctem rauca tumultu Obstreperet campana, sacramque vocaret in ædem, Illos sæpè toro properans aurora morantes Repperit, oblitos mediä consurgere nocte ; Tantus amor somni ! Præerat sanctæ arbiter ædi Longævus senior, moderabaturque volentes, Canitie multä capitis barbâque verendus, Hunc pastor festinus adit, remque ordine narrat, Auxilium implorans : senior sub pectore risit ; Ire juvat, cansamque rei explorare lateniem. LE CAFÉ, POÈME. 301 Un Arabe, un berger menait à l'aventure Ses troupeaux vagabonds qui cherchaient la pâture (7); Ses chèvres, ses brebis broutaient l'herbe des champs. Tout à coup un arbuste aux rameaux fléchissants ; Un arbuste inconnu se penche à leur passage. Tout voisin de la terre, il livrait son feuillage, Ses fruits tendres , amers, à leur avidité; Leurs dents, par un assaut mille fois répété, Le dépouillent. — Le pâtre, assis sur la fougère, Rêve et charme les bois du nom de sa bergère. Quand l'étoile du soir, annonçant le retour, À chassé le troupeau des gazons d’alentour, Les chèvres, les brebis, sans fermer la paupière, À sauter, à bondir, passent la nuit entière. Le berger s'épouvante ; à ces ébats joyeux, D'un sorcier, son voisin, il reconnaît les jeux: C'est, à n’en pas douter, l'œuvre de sa malice | Non loin de là s'élève un modeste édifice, Au fond d'un frais vallon qu’arrosent deux ruisseaux. De saints moines , à Dieu consacrant leurs travaux, Ensemble du Seigneur y chantent les louanges, Et brûlent un encens que lui portent les anges. Mais si, durant la nuit, la cloche au son dolent Fait retentir pour eux son appel vigilant, Leur troupe reste sourde à ces bruits inutiles, Et l'aurore, en passant, les retrouve immobiles.…. Le sommeil est si bon!...— L’arbitre du couvent, Celui qui règle tout — qui gourmande souvent, — Est un sage vieillard blanchi par les années. Le berger court à lui : « Mes brebis sont damnées! » Dit-il ; puis, en pleurant , il raconte le fait. Dans sa barbe d'argent le vieillard souriait. Bien sùr que le Malin ici n'a rien à faire, 20 302 L'ABBÉ MASSIEU. Ut ventum in colles, permixtos matribus agnos Ignoti cernit fruticis corrodere baceas: Atque: Hæccausa mali! exclamat. Nec pluralocutus, Extemplô teretes gravidà legit arbore fœtus, Fertque domum, tritosque in pur diluit undà Igne coquens,pateramqueingenteminterritus haurit. Continuo calor it venis. diffusa per artus Vivida vis, pulsusque senili à corpore languor. Tüm demüm invento senior sibi munere lætus Gratatur, fratresque bonus partitur in omnes. OI certatim , primæ sub tempora noctis , Suavibus indulgent epulis, et grandia siccant Pocula ; nec jam illis molli decedere lecto, Ut prius, et dulcem labor est abrumpere somnum. O fortunati, quorum præcordia dulcis Sæpe lavit liquor! Haud illorum pectora segnis Torpor habet : vegeti præscripta ad munia surgunt, Et primi gaudent prævertere luminis ortum. Vos quoque, queis curaest divino pascere mentes Eloquio, dictisque animos terrere nocentüm, Vos etiam blando decet indulgere liquori. Scilicet invalidum firmat latus ; acer in artus Hinc gliseit vigor, et toto se corpore fundit. Hinc vestræ veniet nova vis, nova gratia voci. Vos autem , infesti quos vexant sæpe vapores , Queis ægrum importuna quatit vertigo cerebrum, Eia agite, in dulci præsens medicina liquore est, Nec tenues alius melior componere fumos. Has ipsi. ut perhibent, vires insevit Apollo : Res est digna cani. Phœbei montis alumnos Hæc quondam invasit capiti infensissima pestis. LE CAFÉ, POÈME. 305 Il part, il veut lui-même éclaircir ce mystère. On se presse; on arrive aux verdoyants coteaux Où les grasses brebis et leurs tendres agneaux Paissent l'arbre inconnu... Le moine vénérable S'écrie à cet aspect : « Je tiens le vrai coupable! » Il dit, cueille les fruits de l’arbre tout entier, Les emporte au logis, les brûle à son foyer, En infuse la poudre au sein d’une eau brülante, Et vide d’un seul trait une coupe géante! Dans ses veines , voyez ! circule un feu soudain. Ce n'est plus un vieillard au pas lent, incertain; Il se sent rajeuni dans ce grand jour de fête, Et partage entre tous son utile conquête. Les moines tour à tour , lorsque tombe le soir, Puisent, rangés en cercle, au large réservoir, Et l'aurore étonnée , en visitant ces rives, Ne les surprit jamais dans leurs couches oisives. Heureux qui peut souvent goûter ton suc divin, Marveilleuse liqueur ! aux rayons du matin, Rejetant du sommeil le fardeau léthargique, Il se lève dispos, frais , agile , énergique (8). Vous qui, dans vosdiscours des méchantsredountés, Nourrissez les esprits d'augustes vérités, Usez, usez souvent du précieux breuvage ! Il redouble la verve , affermit le courage ; Ii doune à vos accents la grâce et la vigueur. Vous aussi, qu'importune uue sombre langueur, Dont le cerveau se trouble , ému par un vertige; Pour effacer du mal jusqu'au moindre vestige, Implorez le secours du nectar tout-puissant! On dit qu’Apollon même , auteur de ce présent, Le doua du pouvoir que l'univers admire. Les poètes frappés d’un bizarre délire, 304 L'ABBÉ MASSIEU, Grassatur latè, cerebroque illabitur imo. Jam tota hoc morbo gens ingeniosa laborat , Desertæque suis languent cultoribus artes. Pars etiam morbum simulat, fictumque dolorem Prætendens, vitæ sese devovit inerti. Displicet ingratus labor ; exitialis ubique Gliscit mollities; curarum, operumque solutos , Securæ cunctos juvat indulgere quieti. Non tulit ulteriùs multm indignatus Apollo Noxia tam blandæ contagia serpere labis. Utque omnem posthac fingendi vatibus ansam Eriperet, diti è gremio telluris amicam Elicuit plantam , quâ non præsentior ulla Seu fessum studiis animum reparare labori, Sive importunos capitis lenire dolores. O planta, humano generi data munere Divèm! Non tibi plantarum è numero certaverit ulla. Te propter nostro solvunt è littore nautæ, Ventorumque minas, syrtesque atque horrida saxa Impavidi exsuperant : almo tu germine vinCis Dictamnum,ambrosiamque, etodoriferam panaceam ; Te tristes fugiunt morbi ; tibi semper adhæret Fida valetudo comes, et, lætissima turba, Garrulitas , rixæque leves , dulcesque susurri, LE CAFÉ, POÈME. Le front pesant, les yeux d'un nuage obscurcis, Ne savaient plus chanter d'harmonieux récits. Des hauteurs d'Hélicon leur troupe languissante Descerdait, etles arts pleuraient leur gloire absente. On en vit quelques-uns , malades prétendus, Préférer la paresse aux travaux assidus. Tout essai les fatigue et tout effort les blesse; Ils végètent sans honte au sein de la mollesse, Et, perdant tout souci de leurs nobles travaux, S'endorment de concert dans un lâche repos. Apollon indigné, d'un coup de sa puissance, Des poètes menteurs réveilla l’indolence. De tout prétexte vain il leur ôta l’espoir ; Il fit jaillir du sol l'arbre dont le pouvoir Sait calmer les douleurs de la tête allourdie. Et rendre le ressort à la veine engourdie. Arbre donné du ciel! bienfaiteur des humains! Quel autre égalerait tes charmes souverains ? Pour toi, loin de nos bords, le navire intrépide Va braver la tempête et l’écueil homicide. Le merveilleux dictame aux épis odorants, La céleste ambroisie aux parfums pénétrants, Le cèdent à toi seul! A ton heureux breuvage La pâle maladie, en fuyant, rend hommage ; La santé t'accompagne, et les Ris et les Jeux Folâtrent dans la coupe où tu verses tes feux (9)! 305 306 L'ABBÉ MASSIEU. NOTES. (4) Ce poème fut composé et lu à l’Académie des Inscriptions, vers 14718. L'usage du café n'était pas encore ancien en France, mais il s'étendait de jour en jour. Voir la note 6. (2) Le cafier ou caféïier, est originaire de l’Yémen. Il fut porté d’abord à Moka , puis à Batavia, et de là au jardin d'Amsterdam (De Jussieu, Mémoires de l’Académie des sciences , 1713). (3) Cependant il paraît que M. de Ressons, lieulenant-général d'artillerie et amateur de botanique, donna eu Jardin des Plantes de Paris un pied de cet arbre, qu'il avait fait venir de Hollande et qui réussit à merveille. Le cafier fut porté de là aux Antilles et en- ‘richit l'Amérique. (4) C’est la méthode turque. Roques, Traité des plantes usuelles ; Brillat-Savarin, Physiologie du goût , 6°. méditation, af- firment que le café pilé avec un pilon de bois, dans un mortier de marbre, est très-supérieur au café moulu. (5) On sait que Mahomet, dans le Koran, défend l’usage du vin aux fidèles musulmans. Il n'avait pas prévu le café, qui se trouve ainsi exempt de la défense. (6) D’après le Nouveau dictionnaire des origines, qui emprunte ces détails aux Mélanges tirés d’une grande bibliothèque, le café ne fut connu en Europe que dans le courant du XVIe. siècle, presqu’en même temps que le tabac. En 1669, Soliman-Aga, ambassadeur de Turquie auprès de Louis XIV, introduisit le café dans la bonne compagnie, et en distribua aux dames, selon l'usage de sa nation. Quoique la couleur en fût noire, le goût âpre et amer, la singula- rité et la nouveauté le firent réussir. Il se prenait alors sans sucre, Après le départ de Soliman, on chercha à se procurer du café et on voulut le prendre à la turque. On imita les cabarets vernis, on se procura des Lasses de porcelaine et des serviettes de mousseline à æ LE CAFÉ, POÈME. 307 franges d’or, avec lesquelles les Turcs servent le café. En 1672, quelques Arméniens établirent un café public à la foire St.-Ger- main, et, hors le temps de la foire, dans la rue de Bussy qui n’en était pas éloignée. Quelque temps après, deux garcons de ces Arméniens, Grégoire et Procope, s’établirent dans la rue des Fossés- St.-Germain, en face de la Comédie-Française, Cinquante ans plus tard, on voyait encore les boutiques de leurs enfants très-fréquentées, Avant la fin du siècle on a vu s'ouvrir les cafés du pont St.-Michel et de la place de l'Ecole, le premier fréquenté par les militaires et les recruteurs, le second par les beaux-esprits. Enfin, vers 4718, le café de la Régence, sur la place du Palais-Royal, et celui de Foix ou Foy, dans le jardin de ce palais, ont été les plus célèbres et les meilleurs de Paris. Depuis quelques années, dit le même écrivain, dont le livre pa- raissait en 1827, la multiplication des cafés leur a fait perdre beau- coup dans la considération publique, mais l’usage de cette boisson a continué d’être général en France, Il s’est étendu dans toutes nos provinces, et de là par toute l'Allemagne et dans le Nord. L'établissement des cafés, ajoute naïvement notre auteur, a fait tomber celui des cabarets, où les honnêtes gens ne rougissaient pas auparavant d'aller s’enivrer l’après-dinée, {7) Cette anecdote, mise en doute par Brillat-Savarin, est rap- portée dans toutes les monographies du café. Elle est mentionnée dans les Mémoires de l’Académie des sciences. Cela suflit pour au- toriser un poète à s’en emparer. (8) On remarque que Massieu ne fait pas mention du sucre, qu le P. Fellon, au contraire, dans son Faba Arabica , recommande à plusieurs reprises. Il n’y a peut-être là qu’une différence de goûts. (9) Notre savant confrère, M. Charma , n’a pas dédaigné de citer le café dans la douzième lecon de sa Logique, à propos de {a pro- duction de la pensée artificielle. I recommande l’usage doucement gradué de celte boisson, afin que l'excitation imprimée par elle au système nerveux soit soumise à la loi du progrès. Là L ‘ db : INTRODUCTION A UN COURS DE PHILOSOPHIE POPULAIRE, THÉORIQUE ET PRATIQUE, Par M. LE CERF, Professeur honoraire à la Faculté de Droit de Caen. _ Ayant conçu le désir de rédiger un cours de phi- losophie populaire, j'ai dû me demander d’abord si la philosophie est une science; car si une matière quel- conque peut devenir l’objet de recherches et d’études plus ou moins profondes et plus ou moins fructueuses, je crois qu’il n’y a qu’une science qui puisse être l’objet d’un enseignement : c’est donc à l’examen de cette question que cette introduction sera consacrée. Le mot science me paraît présenter nécessairement à l'esprit l’idée d’une collection de faits, de principes et de règles sur un objet déterminé, à l’aide desquels on peut apprendre à connaître cet objet sous tous ses rap- ports, à préciser les connaissances que l’on a acquises, à leur donner les développements dont elles sont sus- ceptibles, enfin à les transmettre aux autres par l’en- seignement. Toute science, pour mériter ce nom et pour devenir " | + INTRODUCTION A UN COURS DE PHILOSOPHIE. 309 l’objet d’un enseignement possible et utile, doit donc réupir les conditions suivantes : 1°. Etre constituce , c’est-à-dire , être fixée et limitée dans son sujet ; 2. Etre organisée, c'est-à-dire, avoir ses grandes et véritables divisions , et ses questions capitales connues et déterminées. Tant que ces deux conditions ne sont pas accombplies, une science n’en est qu’à l’état de recherches et d’é- tudes ; mais, dans cet état, elle ne peut pas raison- nablement être enseignée , soit verbalement, soit par écrit. Cela posé, essayons d'abord de découvrir si la philo- sophie est constituée , c’est-à-dire, si elle a un sujet ou un objet déterminé et limité. Il paraîtrait naturel de commencer par consulter les définitions que les philosophes en ont données. Sur l'immense quantité qui existe, en voici quelques-unes seulement qui pourront donner une idée de ce qu’elles sont : L C’est l’amour de La science ; c'est la science de la rai- son de toutes choses ; c’est la science des choses divines et humaines ; c’est la science des idées ; c'est la science de l'absolu; c’est la science de la légitimité des opérations de l'intelligence ; etc. , etc. , etc. Il serait sans doute bien difficile de trouver dans ces définitions la désignation et la précision d’un objet déterminé dont la philosophie devrait s'occuper. Si nous voulons chercher cet objet dans les ou- vrages des philosophes qui, depuis vingt ou vingt-cinq siècles, ont écrit sur la philosophie, et dans les ques- 310 INTRODUCTION tions qu’ils ont agitées, nous sommes encore plus em- barrassés, Dans le commencement, les hommes qui avaient le titre de philosophes, avant même que 16 nom de philo- sophie fût inventé, s’occupaient de tout ce que lesprit humain pouvait concevoir, étudier et apprendre , et ils confondaient dans l’objet de leur étude , qu’ils nom- mèêrent philosophie , la religion, la poésie, la méde- cine, la législation , enfin toute étude à laqueile il était possible de se livrer. Nous avons vu encore dans le siècle dernier, la physique, les mathématiques et plusieurs autres sciences exactes, comprises dans les chaires de philosophie, et enseignées par le même pro- fesseur. Je sais que l’on ne réclame plus pour la philosophie un aussi vaste champ d’action , ni des sujets aussi nom- breux. Je sais que l'astronomie, la géologie, l’histoire naturelle, la physique, la chimie et plusieurs autres sciences exactes se sont successivement constituées et organisées , el qu’elles ont leurstraités, leurs chaires et leurs professeurs spéciaux ; je sais qu’il en est de même de plusieurs sciences spéculatives, telles que la méde- cine, le droit, la théologie; je sais que la division, la distinction et le classement des sciences se fait aujour- d’hui avec un si grand soin que l’Institut de France est d’abord divisé en cinq académies qui s'occupent d'objets différents ; que chaque Académie est elle-même divisée en sections, et que l’Académie des sciences morales et politiques, dans laquelle se trouve comprise la philo- sophie, est divisée en cinq sections portant les titres de : section de philosophie, section de morale, section À UN COURS DE PHILOSOPHIE. 311 de législation, de droit public et de jurisprudence , section d'économie politique et de statistique, et sec- tion d’histoire générale et philosophique; je sais enfin que quelques personnes la restreignent aujourd’hui à l'étude et à la connaissance de l'esprit. Cet objet , auquel on paraît vouloir restreindre la philosophie, n’est pas aussi simple ni aussi déterminé que son nom est bref. On distingue, en effet, l'esprit parfait et incréé, qui est Dieu, de l'esprit imparfait et créé, qui est l'esprit ou l’âme de l’homme, et l’on arrive à placer dans la philosophie Ja théodicée, la psychologie , la logique et la morale. à Parmi ces quatre objets il y en a bien trois qui sont réclamés par une autre science, que l’on appelle la théologie, et qui a voulu aussi s'affranchir de l’omni- potence philosophique. Cette science fondée sur la révélation , revendique , comme lui appartenant, le droit d’apprendre aux hommes ce qu’est Dieu, ce qu’ils sont eux-mêmes, ce qu’est leur âme, quelle est leur origine, quelle est leur destination, enfin les prin- cipes de morale qu’ils doivent suivre pour arriver à cette destination et accomplir d’une manière conve- pable les œuvres qui leur sont imposées pendant la vie terrestre. Si la philosophie accédait à cette prétention, il ne lui resterait plus pour objet que la logique, ce qui cepen- dant serait suffisant pour constituer une science. Aussi je ne prétends pas contester à la philosophie un objet, et je veux bien même supposer pour un moment qu’elle puisse s'occuper, non-seulement de la logique, mais encore de la théodicée , de la psychologie et de 312 INTRODUCTION la morale; j'accorde que, par conséquent, elle remplit la première condition essentielle à unescience.Maiscelane suffit pas, il faut encore, pour mériter le titre de science, il faut, pour obtenir les honneurs de l’enseignement, qu’une étude soit organisée, c’est-à-dire que ses vé- ritables divisions soient déterminées, et que ses ques- tions capitales soient résolues et adoptées d’une ma- nière générale. Voyons donc où en est aujourd’hui, à cet égard, la philosophie , en lui laissant pour objet la théodicée, la psychologie, la logique et la morale. Il est évident qu'au nombre des grandes questions que les quätre divisions de la philosophie que je viens d’énoncer offriront, on trouvera nécessairement les suivantes : Dieu existe-t-il? Quelle est sa nature? Quelles sont ses qualités et ses attributs? Quels sont ses rapports avec l’univers en général et avec l’homme en particu- lier ? Quelle est la nature de l’homme ? Est-il composé d’un corps matériel et d’une âme immatérielle? Dans quel but l’homme a-t-il été créé, et quelle est sa vraie destination ? Y a-t-il une seconde vie, et quelles seront les conditions de cette vie? La manière dont l’homme se conduit et agit dans la vie présente aura-t-elle de l'influence sur son sort dans la vie à venir ? Quelle conduite l'homme doit-il tenir dans la vie présente envers Dieu, envers ses semblables et envers lui- même , etc., etc. Si nous consultons sur ces questions les philosophes anciens et modernes, nous trouverons presqu'autant de solutions différentes, et même opposées, qu’il existe d'individus qui les ont traitées. A UN COURS DE PHILOSOPHIE. 313 Est-ce dans les œuvres de Pythagore, de Démocrite, d’Aristote, de Platon, de Zénon, d’Epicure, de Bacon, de Descartes, de Leibnitz de Malbranche, de Locke, de Kant, de Hegel , et de tant d’autres que l’on peut trouver des solutions complètes, satisfaisantes et uni- formes sur ces graves questions? Est-ce avec ces solu- tions qu’il est possible de former un corps de doctrine, un ensemble de préceptes, une unité de principes, qui permettent de fonder une science et d'établir un en- seignement ? Ce n’est pas seulement dans les opinions isolées des philosophes qui ont rendu leur nom célèbre, que l’on trouve cette divergence d'opinions si regrettable; elle existe parmi les innombrables écoles de philosophie, dans lesquelles se sont rangés, depuis près de trois mille ans, tous ceux qui ont voulu faire une étude spé- ciale de la philosophie , et qui, sous les noms d’Ecole stoïcienne, d’Ecole épicurienne, d’Ecole sceptique, d’Ecole mystique, d’Ecole sophistique , d’Ecole sensua- liste, d’Ecole Spiritualiste, d’Ecole éclectique, etc. ,etc., ont enseigné des théories et présenté des systèmes si contraires et si disparates. Faut-il conclure de là, que tous les hommes qui ont pris ou reçu le nom de philosophes sont tombés dans une erreur absurde, quand ils ont pensé qu’il existait une science que l’on devait appeler la philosophie, et que c’étaient des hommes dénués de force et de rec- titude dans leur esprit? Non, sans aucun doute, et ce n’est point là du tout la conséquence que je veux tirer. Je reconnais et je dis hautement que ces homines ont été de puissants génies ; je reconnais qu’ils ont sérieu- 314 INTRODUCTION sement et profondément étudié ces immenses questions dont ils voulaient constituer une science; mais il faut aussi que l’on m'accorde que, malgré toute la puissance de leur génie, la persévérance de leurs travaux et l'étendue de leurs connaissances , ils n’ont pu résoudre d’une manière uniforme et certaine ces grandes ques- tions qui doivent constituer et organiser la science, et il faut encore que l'on m’accorde le droit de con- clure de là ou que ces questions sont insolubles , ou que l’on n’a pas encore trouvé la méthode et la marche nécessaires pour les résoudre. Dans la première hypo- thèse, la science qu’elles constitueraient n’existera jamais; et dans la seconde hypothèse , la science n’existe pas encore. Mais, me dira-t-on, s’il est vrai que la philosophie qui voudrait comprendre autre chose que la logique, n’existera jamais comme science , ou seulement sil est vrai qu’elle soit encore à l’état d’étude et n’existe pas encore à l’état de science, comment prétendez-vous écrire un Cours de philosophie, et même un Cours de philosophie populaire ? Je réponds avec un grand génie moderne , fondateur et chef d’une Ecole de philosophie, M. Victor Cousin : « Oui, on peut, on doit même enseigner au peuple la « philosophie, si la philosophie n’est point une chi- « mère, si elle est, comme elle le prétend, la science « des grandes vérités intellectuelles et sociales. » Et si l’on insiste en me demandant comment cet en- seignement est possible, je réponds encore avec M. Cousin : « Mais entendons-nous bien. Il y a deux sortes « de philosophie : l’une artificielle et savante, réservée A UN COURS DE PHILOSOPHIE. 319 « à quelques-uns; l’autre naturelle et humaine , et qui « est à l’usage de tous. » Ici se présente naturellement une grave question : cette philosophie naturelle et humaine, que M. Cousin oppose à la philosophie artificielle et savante, est-elle quelque chose de sérieux et d’important? peut-elle être de quelqu’utilité, peut-elle satisfaire à quelques be- soins ? C’est encore M. Cousin qui va répondre à cette ques- tion. IL compare les deux philosophies qu'il vient de distinguer, et il dit : « L'homme qui jouit d’un assez grand loisir, au lieu de s’en tenir aux naives et solides croyances que lui fournit la nature, et qu'il retrouve partout confirmées dans la langue dont il se sert et dans les discours de ses semblables , peut leur appliquer une réflexion plus ou moins exercée, une critique plus ou moins sévère , au risque de les mettre en péril en les examinant de trop près, car la libre réflexion amène souvent le doute, et le doute est une épreuve où la foi naturelle peut succomber, comme aussi, grâce à Dieu, elle en peut sortir triom- phante et plus sûre d'elle-même. De là les systèmes philosophiques , tantôt faux, tantôt vrais, la plu- part du temps mêlés de faux et de vrai, et qui at- testent la liberté, la puissance et les bornes du génie de l’homme. Nés dans le berceau de l'humanité. ils se développent avec elle, et la suivent dans tous ses progrès. Ils ont leur langue, leur Bistoire, et ils composent une science particulière qui a ses périls, comme tout ce qui est libre et grand, mais qui sera toujours le besoin impérieux et l'invincible attrait 316 INTRODUCTION des esprits assez fiers, assez intrépides pour aban- donner les paisibles rivages de l'opinion commune et chercher à travers les orages et les abîmes de la réflexion le rameau d’or de la philosophie. Mais ces hardis navigateurs ont été et seront toujours peu nombreux. Évidemment la philosophie spéculative, comme les hautes mathématiques, n’est pas faite pour le peuple. « Mais le peuple a sa philosophie, et pour ainsi dire une métaphysique naturelle qui sort des sug- gestions spontanées de la conscience. Cette méta- physique-là est tout à la fois le point de départ, la règle et le juge de l’autre métaphysique, plus su- blime, mais plus périlleuse, qui s'y doit appuyer sans cesse et ne la perdre jamais de vue, si elle ne veut pas s’égarer en de vaines spéculations. La vraie philosophie n’est en effet que l’expression la plus « haute du sens commun. Le sens commun est déjà une philosophie bornée, mais solide, ou plutôt complète en son genre, et à laquelle manquent seule- ment les développements illimités et hasardeux de la réflexion. Le plus grand des philosophes ne tire pas des études de toute sa vie, et n’a pas, au bout du compte , une croyance essentielle de plus que le paysan ou l’ouvrier un peu cultivé; et le mauvais philosophe qui n’a pas su triompher du doute, et n’est point arrivé à une science supérieure, mais conforme au sens commun, peut avoir perdu plus d’une bonne croyance que possède intacte et pure cet ouvrier , Ce paysan. » A côté de la philosophie artificielle, savante et dan-- DE PHILOSOPHIE. 317 gereuse, qui évidemment n’est pas faite, qu’il faut laisser à l’état d'étude et abandonner aux esprits fiers et intrépides, il existe donc une philosophie naturelle, bumaine, utile et certaine, et c’est elle que j'entre- prends d'enseigner dans cet ouvrage. Je définis et je précise son objet en disant qu’il consiste à apprendre aux hommes à se conduire d’une manière juste et con- venable dans tous les actes de leur vie. Je définis ei je précise les questions principales que son enseignement renferme, de la manière suivante : 1°. Quelle est la nature de l’homme ? 2°. Quelles sont les conséquences de cette nature ? 3, L'homme a-t-il besoin d’une règle de conduite? L°, Où l’homme peut-il trouver cette règle de con- duite ? 5°. Quelles sont les maximes et les préceptes de cette règle de conduite? Voilà ce qui constituera la première partie de mon enseignement , partie qui contiendra la théorie. Dans la seconde partie, qui renfermera la pratique , je m’attacherai à développer les principes posés dans la première partie en en faisant l'application aux hommes dans les diverses positions qui leur sont faites par la nature, par leurs travaux et par leurs efforts, et enfin par les événements qui peuvent se présenter (1). (4) L'auteur se propose de publier prochainement l'ouvrage dont on vient de lire l’Introduction. 21 ® HUET, ÉVÊQUE D'AVRANCHES. SA VIE ET SES ŒUVRES, v > AVEC DES EXTRAITS DE DOCUMENTS INÉDITS (1); Par M. de GOURNAX . Membre titulaire, Son mérite fut immense. Géometre , physicien, antiquaire, hébraïsant, hellé- niste du premier ordre, latiniste délicieux, poëte enfin, rien ne lui manque. (Joseph de Masrre. ) Si l’on demandait quel est le savant de France, (1) M. Abel Vautier, membre du Corps législatif, notre honoré concitoyen, a eu la complaisance de me communiquer ce qu’il possède de documents inédits sur Huet, à savoir : 1°. deux liasses de lettres écrites par l’illustre prétat à son neveu Piédoüe de Char- signé, procureur-général au bureau des finances de Caen, notam- ment au sujet des abbayes d’Aunay et de Fontenay, depuis le 20 mars 1708, jusqu’en l’année 1714 inclusivement; 2°. une assez longue correspondance de l'abbé Piédoüe de l’Aunay, aumônier et secrétaire de Huet, avec Piédoüe de Charsigné, son frère, touchant la grande maladie de leur oncle, en l’année 4712 ; 3°, un double du testament olographe de Huet, portant la date du 16 mai 1716; 4°. le diplôme de membre de l’Académie Française délivré à Huet SA VIE ET SES OEUVRES. 319 quel est cet autre Varron (1) qui, sous le règne de Louis XIV, dans une existence de presque un siècle, ne passa devant aucune science sans l’aborder , la cul- tiver et l’approfondir; qui put allier avec succès la poésie latine et les lettres grecques aux mathématiques et aux sciences naturelles; qui fut, par son ardente curiosité scientifique, un continuateur du XVI°. siècle et de la Renaissance; qui pouvait raisonner et dis- serter, pour ainsi dire, sur toutes les connaissances humaines , de omni re scibili ; tous, nous répondrions sans hésitation : c’est Pierre-Daniel Huet , né à Caen, le 8 février 1630, en la paroisse St-Jean, où sa fa- mille avait maison et résidence. Son père, qui portait aussi le prénom de Daniel, était un digne magistrat, conseiller du roi et secrétaire ordinaire en la cour de S. M. ; c'était un ex-calviniste converti sincèrement à la foi catholique, un gentil- homme sans vanité (2), un homme de bonne compa- le 13 août 1674 ; le manuscrit autographe de Diane de Castro ou le faux Inca, composé par Huet en sa vingt-cinquième année et publié seulement sept ans après sa mort, (1) Le P. Le Camus disait : « Toute l’Europe savante compare « Huet à Varron; il a tout lu et n’a rien oublié, » (2) Huet a rappelé qu’un jugement avait, de son vivant, re- connu ses titres de noblesse. Commentarius, p. 187 et 188. Ses armes étaient d’azur, à deux hermines d’or en chef, et trois grelots sonnants, de même, en pointe. Elles étaient empreintes sur tous ses livres et sur toutes ses lettres, quoiqu'il eût l’air de ne point tenir aux titres nobiliaires. En effet, le 16 mai 4742, il écrivait à son neveu Piédoüe de Charsigné : « Vous souvient-il de ce que « vous me mandiez dernierement sur le sujet d’un soupé que vous « donnastes à de certaines gens, ou l’on se cousina et ou vous 320 HUET, ÉVÊQUE D’AVRANCHES. gnie qui, sans être très-lettré , aimait les arts et jouait même du luth, un citoyen honorable et riche qui fai- sait du bien aux indigents et parfois des largesses à quelque couvent nécessiteux. Il était déjà sur l’âge lorsqu'il épousa une jeune Rouennaise , une femme d'élite, du nom d'Isabelle Pillon de Bertouville (1), dont il eut deux fils et quatre filles. Les grâces enjouées de l’adolescence venaient s'unir aux habitudes sérieuses de la vieillesse. Pierre- Daniel se ressentit de cette double influence. I] fut, en effet, vif et même passionné dans la discussion orale, trouvant au besoin le bon mot et le trait d’es- prit comme sa mère; puis il rentrait, la plume à la main, dans les limites du sens rassis, de la raison froide et trop froide peut-être, à l'instar du vieux * magistrat, son père. Il eut aussi quelques-uns des avantages extérieurs de sa mère : le teint blanc et trop délicat pour un homme, la peau fine, les mains « remarquastes un certain coup d'œil qui fut donné entre le pere “et la fille a l’occasion de ce cousinage. Vous me mandiez sur « cela qu’il y avoit beaucoup de vent dans celte boutique. J'y en « decouvris l’autre jour plus que je n’aurois cru. Ce mesme pere “ se fait traitter par ses gens de M. le Marquis, et son fils aisné de « M. le Comte. Je pensay tomber de mon haut entendant cela. « Je n’aurois pas cru le pere capable d’une telle niaiserie. » Cor- « respondance inédite. (1) Huet, dans son Commentarius , dit que sa mère s'appelait Isabelle Pillon de Bertouville. Puis il est prouvé par des actes au- thentiques, et notamment par le contrat de mariage de son père et de sa mère, qu’une faute d'orthographe s’est glissée dans son acte de naissance, à l’endroit du nom de sa mère qui y est dite se nommer Isabeau Pillin. SA VIE ET SES OEUVRES. 321 blanches, de beaux yeux bleus, le front grand, de belles dents, les cheveux d’un blond châtain, la taille assez élevée. De plus, Marie-Eléonore de Rohan, abbesse de Caen, à qui nous devons ce portrait, lui écrivait un « jour : « La grandeur de vos traits et de votre vi- « sage fait que vous avez quelque chose de ces mé- « dailles qui représentent les hommesillustres... Pour « de lesprit, vous en avez assurément autant qu’on « peut en avoir, et votre esprit ressemble à votre « visage ; il a plus de beauté que d'agrément, etc. » Il manquait, en effet, à la beauté de son esprit, celte fleur sur laquelle le goût d’une femme ne se trompe jamais, ou, pour mieux dire, cette grâce plus belle encore que la beauté. François, un de ses frères, et Valentine, une de ses sœurs, survécurent de peu de jours à leur nais- sance. Pierre-Daniel devait, au contraire, fournir une carrière longue et illustre, tout en se plaignant de fréquentes Ophthalmies et d’un mauvais estomac que l'abus des médicaments avait encore altéré. Aussi disait-il que Virgile et Horace semblaient lui avoir légué chacun leur infirmité. Et par reconnaissance des bons effets du thé sur son estomac, il consacra une pièce de vers à louer la vertu de cette plante chinoise (1). (1) Huet écrivait à Grævius, en novembre 1687, que l'usage qu'il faisait du (hé lui rendait la gaité, en mème temps que la santé et les forces. I lui envoyait son poëme sur celte plante, Sa lettre 322 HUET , ÉVÊQUE D'AVRANCHES. Dès l’âge le plus tendre, Huet perdit son père qui mourut hydropique. La tutelle fut confiée à sa mère qui, durant les trois années qu’elle vécut, administra avec prudence la personne et les biens de son fils et de ses trois filles : Marie, Suzanne et Gillonne. Il avait à peine cinq ans, lorsque les premiers élé- ments de la langue lui furent enseignés par un prêtre du voisinage que sa mère lui donna comme précepteur. Et déjà il avait fait quelques progrès, lorsque cette femme affectueuse et tendre mourut, à peine parvenue à sa quarantième année (1). Il fut recueilli par une de ses tantes, épouse de Gilles Macé, mathématicien en renom, et placé dans le monastère des PP, Croisiers pour faire ses premières études; puis il passa au collége du Mont, où, durant cinq ans, il fitses humanités sous la direction des Jé- suites. En dépit des années qui effacent tant de sou- venirs, il se rappelait avec délices, en un âge avancé , avait été commencée à la campagne, conlinuée à Caen et achevée à Paris : Adeo negctis, molestisque enccor , tempusque mihi mi- sere perit. (A) « Je la perdis à l’âge de six ans, écrivait Huet. Et, quoique « cet âge ne soit guère sensible à la tendresse et à la reconnaissance « et aux passions douces du cœur, je puis assurer néanmoins que « je n'ai jamais senti une si longue et si vive douleur, » Hueliana , p. 252. SA VIE ET SES OEUVRES. 323 l'Université de Caen où il s'était nourri de bonnes doc- Vtrines. I aimait à la revoir, et, à son aspect, il lui semblait respirer un air meilleur et comme une odeur de jeunesse et de patrie. Il écrivait un jour à son neveu de Charsigné : « On me fit aller au collége, à l'age « de huit ans. J’entray en cinquieme a Pasques, et « Pannée suivante en quatrieme (1). A l’age de 42 ans, « j’estois premier Empereur en seconde, et les 12 ans « n’estoient pas encore expirez quand j'entray en « Rhetorique (2). » Pendant qu’il achevait ses études au collége des Jé- suites de notre ville, il avait pour condisciple Bernard Gigault de Bellefond qui, en 1694, devint maréchal de France. et qui avait eu, dans son enfance, pour pré- cepteur Brébeuf, traducteur de la Pharsale de Lucain. « Déjà, dit-il, je ne pouvois supporter les dédains « de Brébeuf pour Virgile, et ses préférences pour « Lucain que ce traducteur enthousiaste élevoit au- « dessus de tous les poëtes de l’antiquité. » Les exercices du corps lui devinrent familiers. Il ne rougit pas de révéler qu’il excellait dans les arts de l'équitation et de l’escrime; qu’il était léger à la course, habile nageur et plongeur , et qu’en un mot, il brillait dans tout ce qui tient à la gymnastique. Ses facultés intellectuelles se développèrent de bonne heure (3). A treize ans, il entrait en philosophie et (1) Paris, 8 janvier 4712. Correspondance inédite. (2) 16 mai 4712. Ibidem. (3) « Le précepteur que j'ay eu jusqu’en philosophie, écrivait- il à son neveu de Charsigné, le 417 août 4743, estoit fort homme . m" 324 HUET, ÉVÊQUE D’AVRANCHES. sortait de la maison commune où ses cousins, nés de Catherine Pillon, sa tante maternelle, n'avaient pu lé dégoûter de l’étude par leurs mauvais exemples. Sous la direction de Halley, habile professeur et poëte latin distingué , il se corrigea de mainte erreur, d'autant plus vite que l’élève savait la pieuse affection , la bien- veillance toute paternelle que lui vouait son maitre. Il suivit aussi les lecons de philosophie du P. jésuite Mambrun, qui, après avoir, pendant quatre années, enseigné la rhétorique à Paris, était venu occuper une chaire de philosophie à Caen, comme pour trouver le repos dans le sein du plus noble enseignement. À l'exemple de Platon qui repoussait de son auditoire tout étudiant qui n'avait aucune teinture de la géo- métrie , Mambrun excita son élève à l’étude de cette science. L’exhortation porta ses fruits. Les jours et les nuits furent consacrés aux mathématiques, et le jeune Huet fut vaincu par la puissance, je n’ose dire par le charme du calcul (1). Sa seizième année avait à peine sonné. Il lui fallut retourner à la philosophie et se sé- parer momentanément de ses figures géométriques ; « de bien, et du costé de la piété il faisoit très-bien son devoir, mais « il estoit très-ignorant, ne m’apprenoit rien du tout, et j’aurois esté «a plus propre a estre son precepteur qu'il ne l’estoit a estre le mien. « Mais en recompense j’estois foüetté et balu barbarement, » Cor- respondance inédite. (4) Dans sa Démonstration évangélique, il commence ainsi l’é- loge de la géométrie : « Si quis Geometriæ contemnat opem , maxi- u mis se ipse eœuat commodis , eique ritu ferino vita ducenda sit. « Hanc olim studiose coluimus , etc. » T. I, , p. 27. 4 SA VIE ET SES OEUVRES. 325 puis il se plongea dans la science du droit où il énétra avec distinction. Mais voilà que lui passe sous les yeux la Géographie sacrée de Bochart. Il sent combien est pauvre son ba- gage d’antiquaire, et il résout d’étudier à fond le grec et l’hébreu (1). A l'exemple de Scaliger, il étudie seul ces deux langues, et, en même temps, il trouve le moyen de s’introduire auprès de Bochart qui l’accueille avec bienveillance. Cette entrevue fut le commence- ment d'une liaison que malheureusement altéra la dissidence de leurs opinions religieuses. Encore imberbe, Huet déjà sortait de la ligne d’étu- diant. 11 se mêlait aux hommes d’un savoir consommé, il cultivait les deux Cahaignes et notamment le mé- decin de ce nom, qui a écrit en latin la Vie abrégée des hommes illustres de Caen, et qui correspondait avec Joseph Scaliger. En ce temps-là, il s’initiait aussi à la société de deux savants hellénistes, Louis Thouroude et Jacques Le Paulmier de Grentemesnil, qui furent de l'Académie de Caen avec Bochart, Ménage, Graindorge, Halley et d’autres savants du premier ordre, Grentemesnil com- posait des vers grecs « qui, disait Huet, avaient la « couleur et la saveur de l'antiquité. » Il se souvenait avec plaisir de l'avoir entendu, à sa terre de Vendeu- vre, lire une de ses narrations grecques assaisonnée (A) « J’avois, écrivait-il, fort négligé là langue grecque dans « mes premières études, et la poésie avoit fait ma principale ap- « plication. Après ma sortie du collége, je ne fus pas longtemps « sans reconnoître ma faule, elc, » Huctiana, p. 187. , + 326 HUET, ÉVÊQUE D’AVRANCHES. de sel attique, et où, déjà vieux, il racontait plai- samment les aventures de sa jeunesse (1). « Je pro « fitai aussi, dit-il, de la connoissance que je fis de « Thouroude qui froncoit parfois le sourcil, à la lec- « ture que je hasardois de mes épigrammes grec- « ques. » Il s'était lié enfin avec Jacques Graindorge de Prémont, versé dans les antiquités romaines et dans la science numismatique, non moins que dans la phi- losophie et la physique. En fréquentant les cercles d'hommes et de femmes d'élite, le jeune Huet cheminait avec honneur vers sa vingt et unième année, époque d’affranchissement d’une longue tutelle. Il avait toutes les élégances d’un adolescent du bel-air, et déjà il étudiait le monde qui est aussi un grand livre. Paris était son point de mire. C’est là que, plus qu'ailleurs, il aspirait à converser avec les hommes de savoir. Il voulut d’abord se faire une bibliothèque, et tout ce qu’il pouvait dérober d’argent aux fantaisies et même aux besoins de l’estomac, il le donnait aux libraires, au point que sa bourse fut bientôt, comme celle de Catulle , vide d'argent et pleine de toiles d'araignées. I s'était fait une belle collection de li- vres de choix, et toute sa crainte était que cette bi- (4) « Jacques Le Paulmier, sieur de Grentemesnil, disait Huet, a « signalé dans ses écrits l’érudition qu’il avoit acquise par une « longue étude dans les lettres grecques et latines. Sa réputation me « fit rechercher son amitié, quoiqu'il fût déjà dans un âge avancé « et respectable, et approchant de la vieillesse, et que je fusse à « peine sorti du collége. » Huetiana , p. 198. SA VIE ET SES OEUVRES. 327 bliothèque , acquise à tant de frais et avec tant de soin, pe fût un jour dispersée. Mais le temps se joue des prévisions et des volontés de l’hommë. Les pré- cautions testamentaires de Huet n’empêchèrent point la dispersion de ses livres chéris. Il n’avait point prévu la destruction de l’ordre des Jésuites auquel il en con- fiait le dépôt (1). Combien, dans cette ville de Paris, foyer de lu- mière et d'incendie, eut-il d’ardeur à s'appliquer au culte de l'esprit! Couvert de la poussière de l’école, voyez-le rechercher la conversation d’un savant âgé de presque un siècle, qui écrivait encore des com- mentaires, et qui, par l’urbanité de son langage et l’élégance de ses manières, faisait croire que sa science avait habité la cour. C'était ie vieil et respectable Sir- mond qu’il cultivait en première ligne (2); puis il s’adressait au P. Petau (3) qui, malgré son humeur sérieuse , se complaisait dans la compagnie d’un jeune homme de mérite, et qui sacrifiait volontiers des heures entières à lui expliquer les passages les plus (4) Après la destruction de l’ordre des Jésuites par l’édit de Louis XV, rendu en novembre 41764, cette bibliothèque fut mise en vente avec celle de ces religieux. Le légataire de Huet y mit opposition, et un arrêt du Conseil du Roi, rendu le 45 juillet 4765, lui accorda gain de cause. On dit que l’impératrice de Russie lui fit offrir cinquante mille écus de la bibliothèque de son oncle; mais qu'il en fit hommage à Louis XV, qui assura au donateur une rente de 4,750 livres, au capital de 35,000 1. (2) À vingt ans, il écrivait une très-agréable lettre latine à Jacques Sirmond. {3) Il y a plusieurs lettres latines de Huet au R. P, Petau. 328 HUET , ÉVÊQUE D'AVRANCHES. difficiles des anciens auteurs. Il eut aussi des rapports littéraires avec les poëtes latins qui, sous le christia- nisme , s’inspiraient à tort de la muse païenne : Rapin, Commire, Guyet et quelques autres. Quel éloge ne donne-t-il pas au trésor d’érudition de Philippe Labbe, de Gabriel Cossart, de Jean Garnier , des deux frères Dupuy! Mais il recherchait et surtout il aimait Gabriel Naudé, conservateur de la Bibliothèque Mazarine, tellement enrichie par les soins et les voyages de ce savant, que seule la Bibliothèque Royale pouvait l’éclipser. Décidément Huet avait, dès ses premières années, une ardeur encyclopédique; il voulait par- courir la science universelle, autre navigation immense et difficile où sont rares les Christophe Colomb. Il était rentré en sa ville natale, joyeux de sa riche moisson de livres; il en jouissait tranquillement en ses studieux loisirs, lorsque Christine , reine de Suède. amie des lettres et protectrice des savants, appela Bochart à sa cour, sur le rapport favorable que Vossius lui avait fait du grand savoir de ce ministre protestant. Bochartinvita le jeune Huet à l'accompagner dans ce voyage. Le désir de voir et de s'instruire pressait celui-ci; le départ fut résolu, et le voyage qu’il projetait en Italie fut ajourné. IT. Dans ce grand voyage de 1652, on aime à suivre Huet à Copenhague , où il monte à l'Observatoire con- truit par Christian IV ; où il voit, dans le Collége Royal, le globe d’airain fabriqué par le célèbre astro- SA VIE ET SES OEUVRES. 329 nome Ticho-Brahé, glorieux produit d’un travail de vingt-cinq ans appliqué à la description de toutes les constellations célestes ; où il remarque , au milieu des ruines du temple adhérent à la tour d’observation, de grosses pierres revêtues d'inscriptions en caractères runiques ou ancienne écriture gothique; car c’est ainsi que les Goths, dit-on, transmettaient à la pos- térité le souvenir des grands faits historiques et la mémoire de leurs grands hommes. Après une courte résidence en Danemark, Huet s’avança vers la Suède et vers les rives du lac Vetter aux champs d'herbes et de fleurs odorantes, aux bois parfumés de fraises et rougis de cerises, au jardin royal orné de serres et de châssis où croissaient la pomme et le melon comme chez nous. « C’est là. dit- « il, qu’au milieu des grandes chaleurs de l'été, je « vis des maisons de bois aux toits verts et fleuris « comme les faîtes des chaumières d’Italie décrits par - Virgile; c’est là que se reproduit le phénomène des « parhélies, venant de ce que le nuage plus dense y « remplit l'office de miroir (1); c’est là que, dans les « lacs glacés par l'hiver, se réfugie l’hirondelle, « comme aux bords de l'Orne elle se cache dans le « creux des rochers; c’est là qu’on sait se chauffer, « durant la froidure , au moyen de cheminées à foyer « et à conduit de forme ronde, placées à l’angle de (4) Huygens (Christian), contemporain de Huet, trouvait la cause des parhélies dans des gouttes de neige sphériques ou cylin- driques qui flottaient en l'air, environnées d’une couche d’eau ou de glace transparente. 390 HUET, ÉVÊQUE D'AVRANCHES. « l'appartement, pour qu'aucune partie wen soit « privée de chaleur. » La reine Christine avait eu la gracieuse attention d'envoyer un guide à Bochart et à Huet. Aussi, dès qu'ils furent arrivés à Stockholm s’empressèrent-ils de faire leurs salutations à la reine que son médecin francais cherchait alors à détourner des études, à cause des dangers qu’elles faisaient courir à sa santé. Or, l'esprit de Christine était si flexible et si malléable , qu’il se pliait au jugement de ceux qui par leur mérite avaient conquis son estime. Ces conseils de repos, donnés par le premier médecin de la Reine et suivis ponctuellement par elle, nuisirent à Bochart qu’elle n’accueillit pas selon son mérite, et à Vossius qu’elle avait envoyé de Suède en Hollande , quelques mois au- paravant. De temps à autre pourtant, elle daignait causer avec le jeune Huet. Un jour, par plaisanterie, car elle aimait à rire, elle s’avisa de le détourner du mariage pour lequel elle se sentait elle-même de la répu- « gnance : « J'ai lu, dit-elle, dans Pausanias, qu’un « grec, votre homonyme, surprit autrefois sa femme « en conversation criminelle. Or, ce fait est pour vous « d’un très-mauvais augure ; gardez-vous donc de vous « exposer à la même disgrâce. — Madame, repartit « Huet, le grec en question s'appelait Yÿrros, mais moi « je m'appelle Yércoç qui est un des surnoms de Ju- « piter (1). » En supposant que cette répartie n’ait (4) Huet fut d’abord, comme on le remarque, un leltré spirituel el agréable qui pouvait, au besoin, tourner lépigramme ou le madrigal. SA VIE ET SES OEUVRES. 331 point été faite après coup, elle ne manquait ni d’à- propos ni de sel. Il ne tarda pas à se rendre à la Biblio- thèque Royale où il remarqua, au milieu d’une immense collection d'ouvrages de choix, un volume grec assez grand, antique, écrit à la main, qui contenait quelques fragments des Commentaires d'Origène sur saint Matthieu. C’est de cette découverte que date l’ori- gine de l’édition des mêmes Commentaires qu’il publia quelques années après. (1668, in-f°. à Rouen; 1680, in-f°. à Cologne.) Il visita aussi le tombeau de Descartes qui , mandé par Christine, était mort, il y avait à peine deux ans, à Stockholm. Le monument était de bois peint en couleur de pierre; et comme l’auteur de l'inscription avait gravé ces mots : Swb hoc lapide, un plaisant y avait furtivement ajouté le mot ligneo. Puis, se repentant de ce voyage ingrat, et ayant hâte de quitter un peuple jaloux des étrangers, il prit congé de la Reine avant l'approche de l'hiver, ayant pour compagnon de route Pierre Cahaignes, neveu d’Etienne Cahaignes de Caen, jeune homme qui était venu en Suède, sous les auspices de Bochart à qui ses parents l'avaient confié. A Leyde, il alla saluer les princes de la littérature, et d’abord le savant Daniel Heinsius dont il trouva l'esprit considérablement baissé. À Amsterdam), il revit Vossius et Alexandre Morus; il y fit aussi la connais- sance du rabbin Manassé-ben-Israël , et c’est à la suite de conférences et de controverses avec cet érudit. qu’il mit sous presse sa Démonstration évangélique. Le retour en son pays natal le pressait. Des diffi- cultés de situation se présentaient pour lui comme pour 332 HUET , ÉVÊQUE D’AVRANCHES. son jeune compagnon. Aussi, marchant de toute vitesse, arrivèrent-ils à Paris, où Huet se fit un accès auprès de Ménage qui le prit en amitié. Rentré bientôt à Caen, il apprit que, durant son absence, en 1652, une société de gens d’esprit et de savoir s’y était formée sous le titre d’Académie; que cette société se réunissait, à jours fixes, en l'hôtel de Jacques Moysant de Brieux, ancien conseiller au parle- ment de Metz et devenu depuis le zélé desservant des Muses ; que les fondateurs et doyens de cette Académie naissante étaient les sieurs Moysant de Brieux, Le Paulmier de Grentemesnil , Jacques Graindorge de Prémont, Antoine Halley, Louis Thouroude, Jean- Regnaud de Segrais, Gilles Ménage, et autres gens de mérite dont les noms sont moins connus. Il fut très- ‘ flatté, à son retour, d’être associé avec Bochart à cette compagnie de savants et de lettrés (1). III. Depuis deux ans environ, Huet avait laissé en Hol- lande les bagages qu’il avait rapportés de Suède. Or, comme, depuis ses plus tendres années, il brüûlait du désir d’être un des soldats de l’église militante, et que, pour l’accomplissement de ce dessein , il jugeait con- (4) Le 20 octobre 1713, il écrivait à son neveu de Charsigné : « Le P. de Brumoy, jésuite, m'est venu voir venant de Caen. Il m'a « dit que l’Académie de Caen est entièrement tombée, et que le « sujet de sa decadence est que M. de Croisilles se porte pour Pro- « lecteur et prend un fauteuil et la place d'honneur, sans la donner « aux autres, » Correspondance inédite. SA VIE ET SES OEUVRES. 333 .venable d'entreprendre l'interprétation et l’éclaircisse- ment des Commentaires d’Origène , il souhaitait ar- demment de recouvrer tous les ouvrages et mätériaux qu’il avait recueillis à cet effet. Enfin le précieux dépôt lui fut rendu. Il se mit aus- sitôt à l’œuvre, en se retirant dans la solitude avec ses livres ; mais il se fatigua tellement la vue , que reparut le mal d’yeux dont, à de fréquents intervalles, il avait été atteint dans son enfance. Son premier soin avait été de retoucher les Com- mentaires d'Origène, qu’il avait traduits en latin et ac- compagnés de notes et d'observations. Bochart ayant pris communication du manuscrit, voulut lire le pas- sage controversé sur l’Eucharistie. Dans son exem- plaire, Huet avait omis par mégarde une demi-ligne qu’il s’empressa plus tard de restituer, aussitôt qu’il eut revu le texte de la Bibliothèque royale. « Mais Bo- « chart, dit-il, par des lettres qui coururent l’Europe, « sans égard pour notre ancienne amitié, et par un « zèle outré pour ses co-religionnaires, se plaignit « qu'Origène n'avait pas été interprété de bonne foi « par celui-là même dont il avait pu, depuis long- « temps, apprécier la candeur et la fidélité. » Huet ressentit avec douleur cet injurieux procédé, qui rompit les rapports d’affection entre ces deux illustres docteurs (1). Cette dispute décupla le zèle de l’auteur pour son ouvrage, Et comme, pour le compléter , il avait besoin (4) Dans une de ses lellres à Grævius, dalée de février 1469?, il se plaint que Bochart ail voulu le faire passer pour faussaire, 6) 33h HUET, ÉVÊQUE D'AVRANCHES. des secours de la Bibliothèque royale, il n'épargna point les voyages à Paris, et dix ans s’écoulèrent avant que le livre fût achevé. Ces études d’interprétation lui inspirèrent l’idée de joindre le précepte à la mise en œuvre. Pour bien tra- duire , en effet , il faut être pénétré des règles de la traduction, et Huet était né pour l’enseignement. Aussi entreprit-il la composition du livre intitulé : De claris interpretibus ac de interpretandi ratione , imitant en cela Cicéron qui a écrit sur les orateurs illustres. La publication de ce travail fut vivement approuvée par son ancien et savant professeur Halley, qui lui avait appris à écrire en latin avec pureté et élégance. Auet profita aussi de la critique bienveillante d’un profond érudit, nommé Jean Baptiste Cotelier, qui était versé dans la correction des livres des saints Pères. Averti des erreurs qui lui étaient échappées, il s’empressa de les faire disparaître dans les exemplaires de l’Origeniana qui n’avaient pas encore vu le jour. Dès sa rentrée à Paris , il avait revu ses anciennes connaissances et fait de nouvelles amitiés, entre les- quelles il place au premier rang sa liaison avec Chape- lain, mauvais poëte, dont il prenait à tort la défense (1), mais littérateur instruit, philosophe et mathématicien (4) 11 gourmandait les détracteurs de Chapelain, en disant que leur malignité s’exerçait sur ce qu'ils ignoraient, vu qu’une moitié de l'épopée était restée inédite, et que, par conséquent, ils ne con- naïissaient ni la fable ni l’action entière, pas plus que le plan et la contexture du poëme. Aussi blamait-il l'arrêt de condamnation pro- noncé par Montausier et par Conrart que, par testament, Chapelain avait institués juges de son poëme. SA VIE ET SES OEUVRES. 339 | estimé, au point que Gassendi s’honorait d’être au nombre de ses amis. Il garda toute sa vie un bon souvenir de cet acadé- micien , le mieux renté des beaux-esprits du temps (1). Il lui devait d’utiles relations, notamment avec Louis Habert de Montmor (2) et avec Gassendi. Cependant Huet fut pris du désir de voir le P. Mam- brun, son ancien maître, qui s’était retiré à la Flèche (3). L'ancien élève lui confessa le projet qu’il avait de s’af- filier à la Société de Jésus; mais le P. Mambrun l’en détourna. Ses amis, d’un autre côté, l’engageaient à fixer sa demeure à Paris, lieu de délices pour tout esprit supérieur ; mais ses revenus ne lui permettaient pas encore les dépenses que la fréquentation de la haute société de la capitale aurait nécessitées. De retour à Caen, il vit Pierre Patris, originaire de (1) On trouva, au décès de Chapelain, 240 mille livres, selon les uns, 99 mille écus selon les autres, qu’il avait entassés par ses épargnes; car il était d’un intérêt sordide. Aussi un plaisant dit-il qu'il était mort comme un meunier au milieu de ses sacs. Voir Talle- mant des Réaux sur la cause de sa mort, (2) « M. de Montmor, dit Charles Perrault dans ses Mémoires , « étoit un conseiller d’ Etat, amateur de toutes les sciences et de tous « les savants, comme aussi de tous ceux qui étoient en réputation « d’exceller en quelque science, soit dans le royaume, soit dans les « pays étrangers. » Page 34. C’est à lui qu'on doit ce distique sur la Pucelle de Chapelain : Illa Capellani dudum expectata Puella Post tanta in lucem tempora prodit anus. (3) « Le P. Mambrun, jésuite, qui m'a enseigné la philosophie « pendant trois ans, fut le premier qui me donna le goût de la « langue arabe. » Huetiana, p. 479. 330 HUET, ÉVÊQUE D’AVRANCHES,. cette ville, attaché à la cour depuis plusieurs années , homme renommé par l'agrément de son esprit, compté parmi ceux qui honoraient leur patrie, et qui avaient pénétré le plus avant dans les bonnes grâces de Gaston, duc d'Orléans, oncle du roi. De plus, trois érudits , revenus récemment de la Hollande et enrichis des dé- pouilles de l'Orient, savoir : Etienne Le Moyne, le pasteur Etienne Morin et Jean Baillehache entrèrent dans son amitié. « Etienne Le Moyne, dit-il, était un « orientaliste distingué , auquel il ne manquait qu’un « peu plus de pureté et d'élégance dans sa latinité. I « attribuait aux Arabes l’origine des chiffres, contre « l'opinion que j'ai émise dans ma Démonstration « évangélique. » Etienne Morin (1) hébraïsait et Jean Baillehache grécisait. C’est ainsi que Huet se fortifiait dans l'étude des langues qui sont les clefs de toutes les sciences. A cette époque, le prince Henry d'Orléans, duc de Longueville, était gouverneur de Normandie, Huet rappelle que ce grand personnage, durant sa résidence momentanée à Caen, l’invitait de temps en temps à faire la partie d’échecs. Il eut beaucoup à se féliciter de ce puissant patronage , qui lui vint quelquefois en aide aux heures difficiles. (1) Morin, professeur de Jangues orientales à Amsterdam, et auparavant ministre protestant à Caen. Dans une lettre latine à Grævius, datée de Caen, octobre 1685, Huet cherche à démontrer que les chiffres arabes ont du rapport avec les lettres grecques par leur configuration, et conclut que ces chiffres proviennent de l’altération des lettres de l’alphabel grec. SA VIE ET SES OEUVRES, 337 Il mentionne aussi avec respect l’abbesse de Ste.- Trinité de Caen, Marie Eléonore de Rohan, qui joi- gnaïit à l’éclat de la naissance toutes les séductions de l'esprit, et dont la conversation avait autant de charme que ses écrits. Elle avait composé un ouvrage estimé sur les Cantiques de Salomon. Il donne un souvenir mérité à sa pieuse parente, Jacqueline Boüette de Blémur, dame religieuse du même monastère, et qui était auteur de plusieurs ouvrages recommandables , notamment de l'Année Bénédictine (1) et d’une Vie des Saints. (2) En même temps, il rappelle douloureusement à la mémoire sa jeune sœur Gillonne qu’il perdit, lorsqu'elle avait à peine afteint sa vingt-cinquième année. Elle était morte religieuse au couvent de St.-Dominique , à Pont-l’'Evêque. C'était une sainte fille, qui joignait aux avantages d’une haute intelligence et d’une incompa- rable mémoire . la force d’âme victorieuse de toutes les douleurs (3). Il achève ses confidences, en nous révélant que sa bibliothèque recut un accroissement inattendu de Ja libéralité de son parent Macé, fils du mathématicien et son ancien tuteur. Celui-ci lui donna tous les livres etinstruments de son père, propres aux mathématiques, {4) 7 vol. in-4°. (2) 2 vol. in-f. (3) « Ayant oui dire qu’une extrême soif étoit une des plus grandes peines que la nature pût supporter, elle résolut de s'abstenir entièrement de boire, Cette conduite ne pouvoil pas aller loin, et LS « la nature succomba bientôt à une si terrible épreuve. » Huetiana, p. 254. 338 HUET, ÉVÊQUE D’AVRANCHES. à la physique et à l'astronomie, cadeau précieux qui réveilla lamour assoupl de Huet pour ces nobles sciences. IV. Huet approchait de sa trentième année. Il habitait Paris, en 1659, fréquentant de plus en plus la société savante et lettrée. Parmi les littérateurs contemporains, il voyait Desmarets de Saint-Sorlin et Charles Perrault, qui ne manquaient pas d’un certain talent poétique; mais qui le surfaisaient au point de se donner l’avan- tage sur Homère et Virgile, sur Pindare et Horace qu'ils voulaient détrôner. « L’un et l’autre, dit-il avec « quelque malice, auraient peut-être pensé autre- « ment, s'ils eussent eu une plus grande connaissance « de l'antiquité. » Il est pourtant vrai que Desmarets, auteur d’un Clos, poëme épique qu’on ne lit pas, défendait une cause littéraire qui définitivement a triomphé , celle de la poésie chrétienne : par malheur l’art nouveau qu’il enseignait n’était pas soutenu du mérite de la mise en œuvre. Huet donnait plus d’éloges à Paul Pellisson : « La nature, dit-il, lui avait donné les grâces de l’esprit, « pour le dédommager des imperfections du corps. « Elle l'avait traité comme Ange Politien. » IL voyait aussi Conrart « qui était, ajoute-t-il, étranger à la littérature ancienne ; mais qui passait « pour être versé dans les lettres modernes. » Comme par aumône, il jette quelques mots sur Jean- Baptiste Santeul et sur Charles Duperrier « tous deux L2 L_3 SA VIE ET SES OEUVRES, 339 « poëtes latins estimés , et rien autre chose. » Quel dé- dain au fond de ce laconisme! Au contraire il traite avec réserve et distinction un homme de génie, Christian Huygens, celui-là qui dé- couvrit, le premier, un satellite à la planète de Sa- turne ; celui que Newton honora du nom de grand, summus Hugenius, et que Leibnitz et Bernouilly appe- lèrent 2rcomparable. « Ses grands travaux, dit Huet, « me rappelèrent à l'étude de l'astronomie. » La société des dames lettrées ou savantes l’attirait aussi comme un aimant. Il complimentait Ménage de lui avoir fait faire la connaissance d’une femme, qui joignait les agréments du langage à ceux de la com- position, je veux dire M". de La Fayette, auteur du roman de Zaïde, que, par modestie, elle publia sous le nom de Segrais. Et, pendant qu’il résidait chez les Pères de l’Ora- toire, auprès desquels l'avait introduit le P. Tho- massin , auteur d’un glossaire hébraïque universel qu’il compare à une terre légèrement défrichée, il reçut la visite de Georges Regnaud, frère de Jean Regnaud de Segrais, qui venait, au nom de la reine Christine, l'inviter à se rendre à Rome. Là, elle lui promettait tout le confort de la vie, des monts d’or, une fortune d’Attale, des conférences scientifiques, ses bons oflices et sa haute protection à la Cour de Rome. Tout cela était singulièrement engageant, surtout pour un homme qui désirait voir l’ancienne capitale du monde et toute l'Italie. « Mais, dit-il, mes travaux sur Origène étaient « des chaînes qui me retenaient ; puis, le souvenir de « l'humeur changeante de la Reine me revenait à * l'esprit , et mit obstacie à mon voyage. » 340 HUET, ÉVÊQUE D’AVRANCHES. Il ainia mieux visiter lawmaison de Rambouillet, où trônaient les beaux-esprits de l’époque. Catherine de Vivonne, veuve depuis Dr du marquis de Rambouillet, célébrée par Malherbe sous le nom d’Ar- tenice, entretenait chez elle les belles manières qu’on trouverait aujourd’hui guindées , la spirituelle causerie que , de nos jours, on accuserait de prétention, mais qu’alors on appelait le bon ton du siècle. Son hôtel était le rendez-vous de ce que la cour et la ville ren- fermaient de plus poli et de plus cultivé. Huet y fut, à juste titre, accueilli avec bienveillance. Il dédia son livre De Interpretatione au duc de Montausier qui avait épousé Julie d’Angenne, une des filles de la marquise , celle pour laquelle fut composée la Gurlande. Dans sa fréquentation du monde lettré, ilse plaisait à ‘voir aussi Scarron dont la poésie originale lui semblait réjouissante. Il avait. en même temps, des respects et des politesses pour M'°. de Scudery, une des femmes qu’il plaçait à côté de Christine de Suède et de Marie Schurmann d’Utrecht , pour son érudition et ses talents littéraires. Le savant Huet ne s’apercevait pas des fa- deurs romanesques de l’illustre Sapho. Dans la littéra- ture française, il n’était pas homme à faire ou à suivre une réforme; il se complaisait dans la tradition. En pleine monarchie, il demeurait citoyen d’Athènes ou de Rome. Mais voilà qu’il retourne à Caen, en 1662. Bientôt il sait que l’Académie y donne tous ses soins aux belles- lettres et néglige les sciences. Cette application ex- clusive lui déplaîit non moins qu’à Graindorge : aussi conviennent-ils de fixer des jours périodiques , où. SA VIE ET SES OEUVRES, 3/1 dans la maison de Huet, on consacrera quelques heures à la physique et aux autres sciences. Ainsi fut instituée, en cette ville, une Académie nouvelle qui ne tarda pas à correspondre avec la Société royale de Londres. « Et moi, dit-il, quiétais myope et qui avais de « mauvais yeux, je disséquai plus de trois cents yeux de « divers animaux, pour comparer cet organe, à longue « ou à courte vue, dans les différents volatiles. » En possession des instruments astronomiques de Gilles Macé , il observa le passage de la comète qui apparut en l’année 1664. « Sur mon globe céleste, « dit-il, à l’aide d'un fil, je montrais à mes amis le « parcours de cet astre. Mes prédictionsse vérifièrent. » Il cultivait aussi la chimie. Le fruit de ses études et de ses manipulations fut le poëme De Sale dont il fit présent au duc de Montausier , le 1°. janvier 1670. Dans sa nouvelle Académie des sciences. il reçut un médecin nommé Hauton, qui s’occupait de la con- version des métaux, et, ce qui valait mieux, de la vaporisation de l’eau de mer et de sa réduction en eau douce et potable. Parmi ses savants confrères, on dis- tinguait aussi Jean Gosselin, qui avait dressé un plan pour rendre l'Orne navigable, et qui voulait qu’on creusât un port dans la fosse de Colleville ; Nicolas de Croismare , qui fabriquait des miroirs d’airain fusible , d’un plus grand poids et diamètre que ceux qui avaient paru jusque-là . etc. Colbert, ayant appris les succès de cette Académie naissante, en fit son rapport au Roi qui lui octroya une subvention pour faciliter les expériences. Puis, sa re- nommée venant à croître, le duc de Beauvilliers de 342 HUET, ÉVÊQUE D’AVRANCHES,. Saint-Algnan , membre de l’Académie Française , s'ho- nora d’en faire partie et fut élu un de ses membres. Pour n’être pas distrait de ses études favorites, Huet refusa une place de conseiller au parlement de Rouen, qui lui fut offerte en l’année 1662, car il était docteur in utroque jure. La munificence de Louis XIV, qui en- courageait les savants par des récompenses et Gespen- sions, vint le trouver dans sa retraite, à peu près dans le temps où Fléchier passait par Caen, pour se rendre dans le Cotentin. Celui-ci vint le surprendre et l’em- brasser , car ils se portaient depuis long-temps une af- fection fraternelle. Il rappelle que, à cette époque, ce futà sa recommandation que le célèbre Lebrun peignit le tableau du baptême de Jésus-Christ, destiné à l’église Saint-Jean, où notre savant compatriote avait été bap- tisé. Il vit aussi, à Caen, le jésuite Parvilliers qui revenait de Syrie, et qui, à Damas, avait publiquement enseigné, durant dix années, la littérature arabe. Son séjour mo- mentané en notre ville, d’où il partit bientôt pour la Flèche, rappela Huet à l’étude de l'arabe et du syria- que, où il désirait devenir l’émule de Bochart, qui mourut subitement d’une attaque d’apoplexie, au sein même de l’Académie de Caen, le 16 mai1667, pendant qu’il discutait chaudement avec Huet, sur l’origine de quelques médailles espagnoles (1). (1) « Huet, disait Mc de Rohan, abbesse de Caen, soutient ses « opinions avec une impétuosité si grande, qu'il semble qu'elles lui « deviennent une passion. » Dans sa lettre du 9 juillet 4712, Huet écrivait à M. Piédoüe de SA VIE ET SES OEUVRES. 343 En l’année 1670, Huet publia son essai sur l’Origine des romans. En tête du roman de Zaïde , par madame de La Fayette, parut sa Lettre a Segrais. Aussi cette dame disait-elle plaisamment : « Nous avons marié « nos enfants. » Ne soyez pas surpris de ces légèretés d’esprit. Dès son bas âge, Huet faisait ses délices de la lecture des romans. Très-jeune encore, il avait traduit en latin les Pastorales de Longus, indiscrétion dont il s’accuse, mais dont alors il ne comprenait point la portée (1). Il avait aussi composé le petit roman de Diane de Castro ou le faux Inca. Une année auparavant, ce qui était plus édifiant, il avait dédié une hymne latine à Notre-Dame de la Dé- livrande. Par mandement de l’évêque de Bayeux, ce petit poëme lyrique fut consacré parmi les chants d’Eglise, mis en musique et chanté durant plusieurs an- nées , puis gravé sur une table de marbre qui fut ap- pliquée contre un des murs de la chapelle. Vers ce temps-là, il était lié d’amitié avec Segrais, Charsigné, son neveu : « La mort de M. Bochart ne luy fut pas causée « par notre dispute, sinon en partie. Il estoit déjà attaqué d’un mal « dangereux, dont les accès le mettoient en péril, et un de ces accès « luy fut causé par l'émotion de la dispute et l’emporta. » Correspon- dance inédite, Moysant de Brieux composa ce quatrain sur la mort de Bochart, son confrère à l’Académie : Scilicet hic cuique est data sors æquissima, talis Ut sit mors, qualis vita peracta fuit. Musarum in gremio teneris qui vixit ab annis, Musarum in gremio debuit ille mori. (4) De l’origine des romans, p. 98 et suiv. 344 HUET, ÉVÊQUE D'AVRANCHES. quoique leurs goûts différassent ; car Segrais ne fran- chissait guère les limites de la poésie française. Mais il ne tarda pas à remarquer de la froideur, puis de l’ai- greur et de l’animosité même dans la conversation du poëte, Une querelle survint entre eux, à l’occasion de quelques vers des Géorgiques (1), où Virgile suit l’opi- nion des anciens sur les sources du Nil. Comme eux, il les place dans l’Inde (2). Segrais prit feu sur cetteexpli- cation, qui indiquait l’origine de l’erreur échappée au poëte de Mantoue. « Mais, dit Huet avec humeur, « n'étant guère propre à commenter lesécrits de l'anti- « quité, encore moins à en restituer le texte, il répon- « dit par des mots piquants qui ne prouvaient que de « limpertinence. » Cependant le président Picart de Périgny, précepteur du Dauphin, vint à décéder. Le duc de Montausier pro- posa pour le remplacer Ménage, Bossuet ou Huet. Le Roi choisit Bossuet pour précepteur et Huet pour sous- précepteur. A peine relevé de maladie, celui-ci cédant aux pressantes missives du duc de Montausier, se mit en route avec ses livres et ses instruments de physique et de chimie (1670). A Saint-Germain où il vint saluer le Roi, il trouva le Dauphin alité d’une maladie légère, mais longue et tenace, (4) Lib. IV, v. 287eLsq, (2) «Il est à peine croyable combien l'ignorance des anciens sur la géographie a étégrossière. » Huet, XZ, dissertation, dans le recueil de l'abbé Tilladet, t. I, p. 54. Les anciens confondaient l'Inde avec l'Ethiopie. SA VIE ET SES OEUVRES. 345 Arrivé à la cour où il allait faire partie de la maison du Dauphin, il s’empressa de rendre ses devoirs au duc d'Orléans, frère de Louis XIV, au prince de Condé, et aux autres membres de la famille royale. I ne tarda pas à attirer l'attention bienveillante d’'Hardouin Péréfixe , archevêque de Paris; mais il ne put jouir long-temps de cette heureuse connaissance. Le prélat qui bientôt vint à mourir, eut pour successeur François de Harlay, archevêque de Rouen, qui, en l’an- née 1656, avait donné à Huet la tonsure ecclésiastique. Malgré les soins assidus et journaliers de l'éducation du prince, Huet ne perdit pas de vue son travail sur Origène, et, pendant dix ans, il passa une grande partie des nuits à faire des recherches et des extraits dans la Bibliothèque royale. Cet homme d’un autre âge était né pour devenir un moine Bénédictin, plutôt qu'un homme de cour et un évêque. Il publia son autre important ouvrage de la Démons- tration évangélique (1679) : « Je m'étonne, dit-il avec « quelque amertume, que cette œuvre, entreprise dans un but de piété, soit attaquée par mes compatriotes « catholiques, et qu’elle soit approuvée et louée, à « l'étranger, par des savants hors de la sainte Eglise. » Samuel Puffendorf , qui avait hautement fait l'éloge du livre, avait en effet engagé l’auteur à entreprendre un autre travail sur la conciliation des controverses, en ma- tière de foi et de religion. LS 56 HUET, ÉVÊQUE D’AVRANCHES. A ces importants travaux, il en joignit un autre, à la recommandation de Montausier. Il entreprit l’explica- tion et l’annotation des classiques latins, à l’usage du Dauphin. Parmi les savants qu’il appela à son aide, il cite avec honneur Anne Lefêvre, qui se montrait digne de l’habile enseignement de son père, et qui est plus connue sous le nom de madame Dacier. Tandis qu’iltravaillait à sa Démonstration évangélique, il sentait croître sa vocation pour le sacerdoce. Il ne se hâta pourtant pas de prendre les Ordres sacrés, pour lesquels il ne se croyait point encore assez mûr ; mais, par tout son extérieur, il annonçait déjà la sainte car- rière qu’il désirait embrasser. « Et d’abord, dit-il , je « changeai la forme de mes habits. Quoique je fusse « jusques-là vêtu à la mode des gens de cour, et, pour « ainsi dire, à celle des hommes d’épée, je m'y pris si « graduellement, qu’à peine s’aperçut-on du change- « ment opéré dans ma manière de me vêtir. Je m'’étu- « diai plus encore à conformer mon esprit et mes « mœurs aux règles de l'Eglise, » En réalité, à le bien prendre, il y a eu deux hommes dans Huet; le cavalier, l’homme poli, élégant, enjoué ; puis , l’homme posé , grave, rêveur, raide et sec. L'Académie Française florissait. Le Roi en était alors le protecteur, depuis la mort de Pierre Seguier, chan- celier de France, à qui ce titre avait été laissé par Ri- chelieu , fondateur et patron de la Société. En l’année 4674 , Huet fut élu un de ses membres, pour ainsi dire malgré lui. « Les chefs de la conjuration, dit-il, pour «quej'enfisse partie, furent Bossuet, Pellisson, Dangeau, « Fléchier, Mezeray. » Il eut donc un fauteuil parmi les SA VIE ET SES OEUVRES. 347 Quarante, au nombre desquels étaient Pierre Corneille, Jean Racine, Roger de Bussi-Rabutin, Quinault, Bense- rade. Le jour de la réception de Huet, ce fut Fléchier qui fit, devant un public nombreux, le discours en réponse à celui du récipiendaire. On y remarque cet éloge dé- licat du protectorat de Louis XIV : «Il étoit juste que « le Roi apprit à ses peuples à bien parler , après les «avoir obligés à bien vivre. » On aime à voir Huet compter La Fontaine parmi ses amis, tout en condamnant certaines libertés de sa muse. Il admirait la modestie de ce grand poëte, qui si volon- tiers s’effaçait, pour rendre hommage au mérite et à la gloire des anciens. Il s’applaudissait aussi de l’amitié du duc François de la Rochefoucauld, auteur des Maximes , homme si ti- mide , qu’une réunion de six ou sept personnes pour l'entendre , suflisait pour qu'il se trouvât mal (1). « Je cultivais, dit-il, dans le même temps, le savant « orientaliste Herbelot, auteur de la Bibliothèque orien- « tale, précieux abrégé de toute la science de l'Orient « auparavant éparpillée en une infinité de volumes. Je « me plaisais également dans la société d’Adrien Auzout, « versé surtout dans les mathémathiques et l’astrono- « mie, et qui, comme moi, avait observé la comète de « l’année 1664. Ses observations et les miennes étaient « en parfaite concordance. » … Alors Huet touchait à sa 46°. année. Croyant avec rai- (1) Huet a fait un bon article de critique sur le livre des Maximes,. Voir le Huetiana, p. 494. + 518 HUET, ÉVÊQUE D’AVRANCHES. son qu’il ne suflisait pas d’avoir les dehors d’un prêtre, il résolut d’en prendre le respectable titre. Entré dans les Ordres mineurs sous François de Nesmond, évêque de Bayeux, il demanda au Souverain Pontife une dis- pense en abréviation de délai. Il l’obtint, et, après de pieux exercices pendant trois jours consécutifs, il fut ordonné prêtre, en l’année 1676, par Claude Auvry, évêque de Coutances, dans la crypte, près du tombeau de sainte Geneviève. « De là, dit-il, j’espérai que mon « sacerdoce tournerait à mon salut, non moins qu’à la « gloire de Dieu. » 11 conserva toute sa vie une grande dévotion pour cette sainte, en l'honneur de laquelle il faisait encore , aux jours de sa vieillesse, d’agréables vers latins. Nommé abbé d’Aunay, en 1678, à la mort de Char- ‘les Fournier, il ne put prendre possession de son abbaye qu’au mariage de son royal élève. Il avait passé les dix plus belles années de sa vie à la cour. Avec quel ravis- sement revit-il les bords de l'Orne, qui lui étaient si chers et qu’il appelait son Tempé. (1). C’est une suave (1) Cette abbaye d’Aunay lui causa plus d’un embarras et d’un désagrément. Les moines lui coupaient ses bois. Il ne pardonnait point à l’un d’eux, nommé le P. Le Gobien, pour avoir dit à M®*. de Charsigné, que «le bien de l’abbé était le patrimoine des religieux.» Maxime scélérate, écrivait-il à son neveu, et digne de punition. Let- tre inédite du k avril 4743. Le chapelain clerc, du nom de Lefèvre, était convaincu d’avoir vendu à musse-pot du cidre et du poiré à des ivrognes, qu'il retirait dans un des appartements de l’abbaye. Or, ce Tempé était bien hérissé d’épines. « Vous ne réprimerer, «écrivait-il, la rapacité des larrons de bois, que par une poursuite « vive et rigoureuse et par un exemple, » Lettre inédite du A*T, mai 1714. Lu SA VIE ET SES OEUVRES, 349 poésie imitative de celle d’'Horace, qu'on rencontre en ces vers : O ubi molles Cadomi recessus ? Illa præ cunctis mihi ridet ora. C’est ainsi que le poëte de Venouse peignait sa villa de Tibur, avec une plus riche couleur de style et une grâce encore plus souriante. Heureux au fond de sa retraite d’Aunay, il s’y sentit à l’aise eten veine; il y composa ses Alnetanæ quæstiones de concordia ra- tionis et fidei; sa Censura philosophiæ Cartesianæ; sa Dissertation sur la situation du Paradis terrestre ; celle intitulée : De navigationibus Salomonis ; ses notes sur l'Anthologie des épigrammes grecques ; ses Origines de Caen; une nouvelle édition de ses Poemata latina et græca ; les Nouveaux Mémoires pour servir à l’histoire du Cartésianisme. Délivré des entraves de la cour, il rentra librement dans le cercle de ses anciennes études; il revint à l’hébreu, au syriaque et à l’arabe dont il s'était oc- cupé sans maître, au temps de sa jeunesse; et, pendant trente années, il ne laissa point écouler un seul jour, sans s'appliquer, durant deux ou trois heures, à cette littérature primitive. « Ni affaires, “ disait-il, ni voyages, ni maladies ne ralentirent « mon ardeur. » Les sciences naturelles partageaient son application incessante. Il inventa un hygromètre, un instrument de gnomonique (1) et un anémomètre; mais pour- (1) Avec cet instrument il traçait à l'instant, en tout lieu et sur loute surface, un cadran solaire, 23 350 HUET , ÉVÊQUE D'AVRANCHES. quoi se borne-t-il à mentionner ces inventions ? Il eût été convenable qu’au moins il décrivit les deux appareils propres aux observations météorologiques. Ces mécanismes ingénieux étaient-ils de nature à en- courager les recherches, au milieu des causes pertur- batrices de l’équilibre atmosphérique ? C’est ce qu’il n’est pas donné de vérifier. Il serait pourtant agréable de reconnaître, là et ailleurs, l’homme de progrès, inventeur ayant le culte et l'enthousiasme de la science, et ne se bornant pas au seul rôle d’érudit. Il fut, un moment, distrait de ses exercices scien- tifiques par une discussion vive et même amère avec Boileau, sur le passage du Swblime de Longin qui rappelait le Fiat lux (1) de la Genèse. Huet trouvait seulement sublime la merveille racontée. Quant au mode de récit, il le jugeait simple, ce qui lui faisait présumer que Longin avait puisé son exemple, non pas à la source de Moïse, mais à celle d’hagiographes plus récents. Boileau qu’il n’aimait pas et qu’il appe- lait maledicorum poetarum princeps, répondit, dans une nouvelle édition de ses satires, d’un ton que Auet crut être offensant. Cette petite guerre, à vraidire, était peu digne de ces hommes illustres. Ce fut, vers les commencements de cette querelle, en l’année 1685, que Huet reçut la nouvelle que le Roi l’appelait à l'évêché de Soissons. Les brouilleries qui s'étaient élevées entre la cour de Rome et celle de France, firent que, durant sept ans, l’évêque nommé attendit vainement ses bulles. Et sur ces sept années, (1) Amsterdam, 1706, in-16. SA VIE ET SES OEUVRES. 351 quatre s'étaient déjà écoulées, lorsque Brulart de Sillery, évêque d’Avranches, permuta avec lui son évêché, afin de se rapprocher l’un et l’autre du lieu de leur naissance. Cet accord se fit en l’année 1689; mais ce ne fut que trois ans après, en 1692, que Huet recut ses bulles et fut consacré évêque d’Avranches, selon le rit et avec les solennités de l'Eglise. IL resta dix ans à la tête du diocèse qui lui avait été confié, et s’y appliqua à rétablir la discipline déchue. Il publia, à cet effet, des Statuts Synodaux , en l’année 1693 (1), et, en cette même année, il fit répandre, à l’occasion du jubilé, des prières en latin et en français , à la tête desquelles parut son mandement plein d’onction et de charité. Mais quand ses devoirs épiscopaux étaient remplis, il retournait à l’étude qui fut la passion de toute sa vie. Aussi arriva-t-il que quelqu'un demandant à l’entre- tenir pour une affaire, on lui répondit: Monseigneur étudie, ce qui fitcourir ce mot plaisant : « Nous deman- « derons au Roï un évêque qui ait fini ses études. » Des causes de santé le forcèrent d'abandonner son troupeau qu’il avait si bien gouverné (2). Le Roi accepta son abdication, en l’année 1699, et, pour le consoler, le nomma abbé de Fontenay. Par là, Huet se trouvait (4) Trois suppléments aux Statuts Synodaux furent lus et publiés, en 1695, 1696, 1698. Caen, in-8°, (2) Huet se plaignait de la crudité des eaux d'Avranches qui, dé- coulant à travers des roches siliceuses, lui causèrent d’affreuses co- liques, au point que, durant les deux dernières années de son épis- copat, il fut obligé de s'abstenir de l’usage de ces eaux. 392 HUET, ÉVÊQUE D'AYRANCHES. rapproché davantage de son pays ; aussi, dans la pre- mière effusion de sa joie, appelait-il cette abbaye leport de sa vieillesse. X1 mit donc tous ses soins à réparer etem- bellir les bâtiments, à cultiver les jardins, à pourvoir la communauté des meubles nécessaires. « Mais le temps, « disait-il, me fit comprendre que mes anciens amis et « mes alliés, dont le voisinage me semblait devoir être si « consolant et si doux, m’étaient au contraire les plus « hostiles, et que celui qu’on aime ou qu’on feint d’ai- «“ mer, quand il est loin, on le déteste souvent quand il « eSt près, » Aussi se plaignait-il de la pluie de procès dontil futinondé (1). De plus, il paraît qu’il fut trompé par un parentrevêtu de ses pouvoirs et de sa confiance. « Il eût consommé ma ruine, ajoutait-il, si sa fraude «n’eût été surprise et enfin démasquée par l'équité «clairvoyante de mes juges. » Pendant son séjour à l’abbaye de Fontenay, il reçut la visite de Mabillon, qui venait explorer les chartes et les vieux titres de la communauté, étant en quête de matériaux pour l’histoire de l'Ordre des Bénédictins qu’il avait entreprise, Huet eût bien voulu retenir quelques jours ce savant homme qu’il aimait, et qu’il considérait comme l'aigle des antiquaires de son temps; mais les affaires de la communauté rappelaient le R. P. à Paris. (4) N'y avait-il point un peu de sa faute? Il fait cet aveu-ci dans une lettre du 7 juillet 4709, qu'il écrivait à son neveu de Charsigné : « Quand j'entray en differend avec M. de Chamarande « pour les réparations de Fontenay, presque toute la ville (Caen) « se declara contre moy, » Correspondance inédite, SA VIE ET SES OEUVRES. 353 VI. On comprend que Huet ne dut pas faire une longue résidence dans une abbaye, où il avait essuyé tant de contrariétés et de déceptions. Déjà, avant son départ de Paris, il était tombé d’accord avec les PP. Jésuites, qu’ils lui réserveraient un logement dans leur maison- professe de la rue St.-Antoine où il se retirerait, quand ses affaires le rappelleraient dans la capitale. Il se réfugia donc en leur monastère, et il n'eut point d'autre domicile dans la cité, après sa retraite de l'évêché d’Avranches (1). Vers ce temps-là , il perdit un de ses bons et savants amis, Ménage, avec lequel il avait constamment entre- tenu des rapports de science et d’amitié. Ménage lui avait envoyé, pour le consulter, son ouvrage sur Diogène de Laërte, et Huet lui avait, à son tour, communiqué ses Commentaires sur Origène , afin de s’éclairer de sa cri- tique. Il confessait que, à la mort de ce confident de ses pensées, il ne lui restait plus d’autre compagnon d’étude auquel il ouvrit son cœur et son esprit : « Je « regrettais en lui, disait-il, la convenance des mœurs, « l’aménité du caractère, les agréments de la conver- « sation, lurbanité de la controverse. » (4) Quoiqu'il aimât les Jésuites, il n’épargnait pas au besoin les épigrammes contre quelques-uns d’entre eux. Ainsi il disait du P. Hardouin, à cause de son esprit paradoxal : « Il a passé quarante « ans à détruire sa réputation, sans pouvoir y réussir, » 354 HUET, ÉVÊQUE D’AVRANCHES. Quelques années après, il perdit aussi Daniel Macé, son cousin et ancien tuteur , qui mourut conseiller au bailliage et présidial de Caen, magistrat intègre qu’il avait honoré comme un père, dès son enfance, et aimé non moins qu’un frère, à cause de la facilité de son commerce ét de la continuité de sa bienveillance. Un an après, pendant qu’il était torturé de la goutte, il perdit sa sœur aînée, femme de mérite, qui, veuve de très-jeune âge , avait élevé deux fils et deux filles dans l'amour de Dieu et du travail. Il lui appliquait ce distique , autrefois composé par Halley, son maître , à l'adresse d’une autre honorable dame : Præbuit hæc vobis exemplum nobile, matres; Nam fuit in templo Magdala, Martha domi. Sa sœur cadette ne tarda pas non plus à quitter la terre, de sorte que la mort fauchait sans pitié tout ce qu’il avait aimé et respecté : c’est le malheur de ceux à qui la Providence réserve de longs jours. Il eut encore à regretter Bourdaloue qu'il aimait tendrement, à cause de son cœur ouvert et, pour ainsi dire, trans- parent. Il le recherchait aussi pour la finesse et l’en- jouement de son esprit. Dans l'intention de se distraire de la peine que ces pertes si graves lui avaient causée, il s’occupa de la cinquième édition de ses poésies latines. Il en confia l'impression à Jacques Estienne, typographe renommé. Il ne négligea pas non plus la muse française. On lit, dans son Commentarius , que c’était en voiture et en promenade publique, au milieu des mille rumeurs SA VIE ET SES OEUVRES. 35) de la rue et &es boulevards, qu’épanouissait sa verve et qu'éclosait sa poésie (1). Cette manière de com- poser des vers lui paraissait suspecte, on n’a point de peine à le croire, et il n’était resté dans son porte- feuille qu’un petit nombre de ses œuvres poétiques. Encore auraient-elles toutes péri, sans une mair amie qui se hâta de les recueillir; c’était celle de l’Intendant de Caen, Foucault. Huet, avec raison, ne tirait aucune vanité de ces bagatelles littéraires, nées de ses loisirs de jeunesse. Il était vieux pourtant, lorsqu'il composait encore des vers; mais ils étaient grecs ou latins, et notre grand érudit croyait ainsi ne point déroger à son titre de docteur 2x utroque jure. A 82 ans, il composait une épigramme grecque , un sixain, Où il rappelle l’origine de Caen, les goûts et les études littéraires de son enfance . son nom de Huet qui signifie pluvieux, surnom de Jupiter pris pour l’air atmosphérique , l'influence d’Apollon sur ses pensées, et l’amour de Dieu qui l’anime et le protège, au milieu de la corruption du siècle : mélange bizarre d’idées paiennes et chrétiennes ! Du reste, travailleur infatigable , il écrivait encore, avec beaucoup de netteté d'écriture et de style, de longues lettres d’affaires où il est rare de remarquer une rature. Il rédigeait en deux doubles son testament (4) Le 15 mars 1712, il écrivait à son neveu de Charsigné : « Je « vous envoye deux petites Eglogues que j'ay faites dans mes visites « sur le pavé de Paris, et le matin en me levant, car je n’en fais « point autrement. n Correspondance inédite. 4 356 HUET, ÉVÊGUE D’AVRANCHES. olographe, le 16 mai 1716. Il y instituait légataire universel de ses biens Jean-Baptiste Piédoüe , sieur de Charsigné, son neveu, procureur du roi au bureau des finances de Caen, qu’il chargeait d’acquitter divers legs particuliers. Cet acte, revêtu du style de juriste, témoigne de la foi de Huet, de son humilité, de sa bienfaisance et de sa haute raison. Il n’aurait pas été mieux fait par un notaire exercé. Le testateur léguait tous ses livres, tant imprimés que manuscrits, à la maison-professe des Jésuites de Paris; son vestiaire et son mobilier d’évêque à différentes églises ; des sommes d’argent et des rentes viagères à ses domestiques; ses papiers d'affaires et d’études , ses recueils de lettres et autres manuscrits à M. de Charsigné. Sa prodigieuse mémoire, jointe à un rare esprit de détails, n'avait rien oublié (1). Dans ces écrits, était comprise sa correspondance avec une grande partie des person- nages les plus illustres du siècle de Louis XIV. Le (4) Tous les livres de Huet marqués de ses armes portaient cette inscription latine : Ne extra hanc Bibliothecam efferatur. Ex obedientia. Ces inscriptions répétées confirmaient son acte de dernière volonté en faveur des Jésuites. Le nombre des volumes de sa bibliothèque s'élevait à 8,312, non compris les manuscrits. Dès le 44 novembre 1708, Huet avait écrit à son neveu : « Vous « saurez donc, que dès les premiers voyages que je fis à Caen, Je « fs mon testament et que je l’ay réiteré de tems en tems avec « les changemens que j'ay jugé à propos d'y faire. J'en ay toujours « fait deux copies holographes. L'une est dans la casselte que je « porte avec moy dans mes voyages, et j'ay coustume de remettre SA VIE ET SES OEUVRES. 357 croirait-on ? C’est dans un grenier de la maison du savant prélat, cour du Grand Manoir à Caen, que ces lettres curieuses et regardées par un arrière-neveu comme papiers de rebut, ont été retrouvées, en l’année 1825. Huet , à l’âge de 86 ans, en 1716, publia son His- toire du commerce et de la navigation des anciens, une de ses œuvres capitales. En dépit d’an teint blême, de mainte attaque de goutte, de maux d'estomac et d’entrailles, et d’une grande maladie qu’il fit en 1712, il vécut encore neuf ans, depuis cette dernière date. Cette maladie qui mit ses jours en péril, avait quel- que peu altéré ses facultés : « Cette volubilité et cette « fécondité diminuent, écrivait, le 26 septembre « 1712, M. Levaillant à M. de Charsigné. Les expres- « sions qui venoient en foule se font quelquefois « rechercher, et cette mémoire qui a esté un prodige « hesite souvent. Le feu qui brilloit dans la conver- « sation languit un peu (1). » Cependant il est à croire que cette altération ne fut que momentanée, car on comprend ce qu’il lui fallut de mémoire pour rédiger en latin l’élégant Commentarius qui m’a aidé à faire cette notice, et qui fut son dernier ouvrage. Enfin, riche d’érudition et de bonnes œuvres, il rendit son âme à Dieu, le 26 janvier 1721, à l’âge « toujours l’autre entre les mains de Mme, d'Harcourt, supérieure « de la Visitation, à l'imitation de César qui avoit déposé le sien « entre les mains des Vestales, etc. » Correspondance inédite. (1) Ibidem. 358 HUET , ÉVÊQUE D'AVRANCHES,. de 91 ans, dans la maison des Jésuites où il avait fixé sa demeure définitive. Il serait dificile de trouver une vie plus et mieux remplie que la sienne, et ce n’est point une tâche légère que la critique sommaire des œuvres de ce célèbre auteur polygraphe. Dans cet examen , je suivrai l’ordre des matières plutôt que la date des publications, en commençant par les œuvres littéraires. VIT. ŒUVRES LITTÉRAIRES. & 1er. LETTRE A SEGRAIS SUR L'ORIGINE DES ROMANS. Cette longue épître, écrite à l’occasion du roman de Zaïde, par M. de La Fayette, est plutôt un essai qu'un traité sur la matière. La sagacité de l’antiquaire et le goût du littérateur y sont parfois en défaut; le talent de l'écrivain y est presque toujours nul. C’est une toile d’un faible tissu , où sont groupées un assez grand nombre de figures sans traits caractéristiques et sans couleur décidée : c’est la faute du peintre. Après cet essai, on n’est point surpris que Huet se soit quelque peu exercé dans le genre romanesque , aux jours de sa jeunesse ; que, par exemple, il ait composé un roman intitulé : Diane de Castro ou le faux SA VIE ET SES OEUVRES. 359 Inca (A), et qu'il ait laissé en manuscrit une traduction latine des Amours de Daphnis et Chloë de Longus. 2. DIANE DE CASTRO OU LE FAUX INCA. Le faux Inca est don Alonzo qui, déguisé en Indien , n’est pas reconnu de la belle Diane de Castro, veuve de don Luis de Ribera, son amante , ce qui est d’au- tant plus invraisemblable qu’elle a tout le temps de le voir et de l'entendre, et que leur séparation est d'assez fraîche date. Cette femme, sauvée par lui et par lesclave Zirita de la prison où elle devait subir la mort, raconte longuement ses amours honnêtes à celui-là même qui en est l'objet, sans se douter du déguise- ment. Je ne comprends guère d’abord , au point de vue moral, comment Huet a pu, sans crainte, prêter une (1) Huet avait 25 ans, lorsqu'il composa cette nouvelle, qui fut publiée pour la première fois, en l’année 4728, sept ans après la mort de l’auteur. Huet n’y attachait aucun prix. Aussi écrivait-il, le 7 juillet 4709, à son neveu de Charsigné: « Pour la petite nouvelle, « si tant degens ne l’avoient pas veüe comme venant de moi, je l’au- « rois donnée à qui l’auroit voulue; mais présentement qu’on la con- « noit pour estre de moi, pour rien je ne souffrirois qu’elle parust en « public, et je serois bien esloigné de l'humeur d’un Eveque, qui « aima mieux quitter son Evesché que de consentir que son Roman « fust bruslé. » Correspondance inédite. L'édition de 4728, chez Gabriel Martin, à Paris, m'a paru conforme à l’autographe. 360 HUET, ÉVÊQUE D’AVRANCHES. ardente passion à une femme mariée , jeune et belle, pour un cavalier également jeune et beau. Gette union des âmes , si chaste qu’elle soit, a ses dangers dans la peinture même qui en est faite. Ensuite, sous l'aspect littéraire, ce roman n’éveille aucun intérêt, car il cho- que les vraisemblances d’un bout à l’autre. Don Alonzo aime Diane avant de l'avoir vue: « C’est une erreur de « croire, dit cette veuve , qu’il faut voir avant que « d'aimer. » Au défaut d’invraisemblance des senti- ments , se joint celui de l’absence de toute action , de tout nœud , de toute intrigue. Le drame se passe en de longs récits de l’amante et de l'amant, et finit par un mariage. Ajoutez un style tel que celui-ci : « Ce qui « lui donna la curiosité de scavoir ce que c’étoit que de « moi (1).» Là, certes, ne brille point le talent de _ notre célèbre compatriote. S 3. POÉSIES FRANÇAISES, LATINES ET GRECQUES. Huet fut-il poëte ? Il n’y aurait rien d’extraordinaire dans ce fait-là, quoique l'inspiration et l’érudition n'aient aucune parenté. Ennius et Varron furent les deux grands philologues et antiquaires de leur siècle, etils eurent l’un et l’autre du talent poétique. Mais ils écrivirent leurs poëmes dans leur langue, et d’ailleurs il ne reste de leurs œuvres que de trop courtsfragments, pour apprécier leur génie. (1) Pag. 105. SA VIE ET SES OEUYRES. 361 Ce qui reste des poésies françaises de Huet, montre qu'il n’eut pas le souflle de la muse. On reconnaît, dans quelques-unes, de l'esprit et de la facilité, mais rien de ce qui constitue le poëte. N'écrivait-il pas lui- même à son neveu M. de Charsigné , le 7 juillet 1709 : « La perte des poësies francoises que vous regrettez, « sera fort peu importante. M. Foucault depuis long- « temps a pris soin de les ramasser. Il ne laisse pas de «me tourmenter pour luy en donner davantage. Il en « vient de nouvelles à toute heure, selon les occa- «sions ; mais en tout cela rien de fort sérieux. Jamais «je ne me suis appliqué tout de bon à faire des vers, « mais seulement par boutades et en me divertissant. La « plupart des Latins ont esté faits à Aunay, en me pro- « menant à la Manchonnière ; les François ont esté « faits en répoñdant à des Dames et toujours en badi- « nant (1). La collection de ses poésies latines se compose de métamorphoses, d’élégies, d’odes, de pièces histori- ques, d’un poëme sur le sel, d’un autre sur le the, d’épitres à divers, etc. Des figures mythologiques, des réminiscences de locutions d’Horace , de Virgile et d’Ovide , de la stéri- lité de pensées, voilà ce qu’on y remarque trop sou- vent. On a quelquefois vanté son hymne à la sainte Vierge. Pour la forme lyrique, c’est ce qu’il a fait de mieux. Mais ce qu’on cherche dans l’ode, c’est autre chose qu'une coupe harmonieuse : on veut y trouver de la verve , de l’enthousiasme, les épanchements du (1) Correspondance inédite. 302 HUET, ÉVÊQUE D’AVRANCHES. cœur , les aspirations de l'âme. Or, Huet n’a pas le mens divinior qui comprend ces diverses qualités. 11 offre pourtant quelques jolis vers sur Caen, sa ville natale, quoiqu'il écrivit un jour de l’abbaye d’Aunay : « Il y a longtems que je suis aguerri aux coups de « bec et aux langues venimeuses de ma chère patrie, . qui, pour reconnoissance de l’affection sincere que j'ay toujours conservée pour elle, n’a perdu guere d'occasion de me faire paroistre peu d’estime et en- « core moins d'amitié {1). » Enfin il a laissé, en vers grecs, une épigramme contre les quêteurs de repas, nommés parasites ; une = & (1) Huetiana. Le 27 septembre 4708, il écrivait à Piédouësde Charsigné, son neveu : « Outre trente particuliers dont j’ay fait la fortune à Caen, « j'ay servi votre Compagnie et le Presidial. Pour reconnoissance , LC quand je vais à Caen, j’y trouve envie, haine, medisance et « mepris. Dieu soit beni ! C’a esté le sort de Notre Seigneur qui doit nous servir d'exemple et nous consoler. » Correspondance inédite. Le 40 février 1712, il écrivait à ce même neveu : « Je scais de quel œil je suis regardé à Caen. Peu d'amitié, beau- coup d'envie et de malignité. » Tbidem. Dans un manuscrit conservé à la Bibliothèque impériale, se trou- vent un grand nombre de lettres de Huet au P. Martin, notamment celle-ci du 12 décembre 4712, au sujet de ses Origines de Caen : « Pendant les trois jours que je passay a Caen, il me revint de plu- « sieurs d’endroits ( sic) que mon ouvrage avoit reçu beaucoup de « contradictions , mesme qu'il n’y avoit pas un pédagogue ou de « regenteau a l’Université, pas de fainéant et de batteur de pavé et « de debiteur de fausses nouvelles du carrefour qui ne se donnat la licence d’y exercer leur indocte et maligne critique, jusqu’à dire que je n'y parle pas francois et reprendre quelques SA VIE ET SES OEUVRES 365 élégie sur la mort d’un jeune homme de belle espé- rance, et un sixain sur lui-même. Ces petites pièces n’ont, au fond, rien qui les recommande. C7 gs DE INTERPRETATIONE. Cet ouvrage est un long dialogue où Isaac Casaubon, de Thou et Fronton du Duc, jésuites, s’entretiennent de la meilleure manière de traduire et des plus célè- bres traducteurs ou interprètes. Dédié à André Graindorge de Prémont, il offre un élégant et gracieux exorde en l’honneur de Jacques de Prémont, son frère. On sent là, contre l’ordinaire, quelque chaleur d'âme. Huet gardait un pieux souvenir de ce savant ami, qu’il regardait comme un de ses meilleurs maîtres, et dont il disait : /s èncondita hac pueritiæ protervitate a me abstersa, animo rudi et aspero prèmos urbanitatis sensus instillavit. C'était à l’exhortation de celui-ci qu’il avait entre- pris cette dissertation, divisée en deux livres. Le premier livre contient une série de préceptes dont voici les principaux : « termes dont je me suis servi. J'ay donc bien peu profité pendant « quarante ans que j'ay passes à la source de la pureté de la langue «et pendant trente ans que j'ay frequenté l’Académie, si J'ay « besoin de venir lapprendre à Caen, des nigauds de la rue de « Geosle, du Vaugueux et du Bourg-l'Abbé, » 564 HUET , ÉVÊQUE D’AVRANCEHES. « Pour bien traduire, il faut d’abord s'attacher à la « pensée de l’auteur et ensuite aux mots eux-mêmes « autant que le permet le génie des deux langues, afin « de rendre l'originalité du texte en toutes ses parties, « Sans restriction ni exagération. Autrement, la tra- « duction ressemble à un miroir faux. Si le traducteur, « par exemple, change la diction calme et douce de « Xénophon en un style vif et impétueux; s’il trans- « forme en aigle l'abeille attique, il montrera le « masque et non pas la physionomie de l'historien « grec. » Huet veut que le traducteur ressemble à Protée, et prenne les couleurs variées du caméléon. Il blâme la méthode de l'interprète qui, aimant l'abondance et la richesse du style de Cicéron, les transporta dans sa version des œuvres d’Aristote, dont le langage est précis et serré. Il cite saint Jérôme qui, pour les saintes Ecritures, conseille l'explication littérale , quoique en toute autre circonstance il permette de s’écarter de cette règle. Dans l'interprétation des Pères de l'Eglise il requiert la même exactitude, lorsqu'ils exposent les préceptes et les dogmes de la foi. La dignité du sujet religieux de- mande que la traduction des saintes Ecritures soit uni- quement simple et fidèle. Ornari res ipsa negat , contenta doceri. Les grammairiens et les historiens doivent aussi être traduits simplement : le caractère de l'historien doit transparaître dans la traduction. Quant aux orateurs et aux poëtes , il convient d'en conserver la fleur de style, SA VIE ET SES OEUVRES. 365 sans pourtant être astreint à une version littérale qui devient impossible. 11 suffira que le poëme dans la tra- duction ressemble à un arbre dépouillé de ses feuilles par l'hiver, mais n’ayant rien perdu de ses branches, de son tronc et de ses racines. Ici la comparaison, quelque agréable qu’elle soit, semble devoir être mo- difiée ; car l’idée qu’elle exprime ne coïncide pas avec l'obligation imposée ci-devant au traducteur de con- server les ornements du style. Trois conditions sont requises pour une bonne tra- duction : une religieuse exactitude dans la manifesta- tion des pensées, une fidélité sévère dans la transcrip- tion des mots, puis un soin intelligent dans l'emploi des couleurs. Le traducteur doit se souvenir qu’il est enfermé dans des limites hors desquelles il ne lui est point permis de sortir, qu’il est engagé et lié à son modèle, de manière à ne pouvoir se conduire à sa guise, mais à suivre au contraire la loi d'autrui. Aussi n'est-il point donné à tout le monde de se livrer à cet exercice dont les difficultés viennent de la diversité des langues, où les genres, les cas, les nombres, les articles , les pronoms ne se ressemblent souvent pas. Ici les conjugaisons abondent, là elles sont rares; tantôt l’article est employé et tantôt il ne l’est pas; plus loin , les idiotismes d’une langue ne peuvent point passer dans une autre sans ridicule. Dans ce dernier cas, Huet veut que le traducteur n’invente pas une locution équivalente, mais qu’il se borne à donner la signification du passage intraduisible, comme il le ferait de mots ambigus ou obscurs, en marge ou en note de l'écrit. N'est-ce point pousser trop ioin le rigo- 24 366 HUET, ÉVÊQUE D'AVRANCHES. risme, que de ne point permettre qu’une métaphore soit rendue par une autre métaphore ? J’admets bien l’ex- plication marginale , mais je ne m’opposerais point à l'essai d’une figure d'imitation. Cet essai est même nécessaire si la traduction est en vers. Les épines dont la traduction est hérissée font qu'avec raison Huet la dit être au-dessus de l'effort des demi- savants. Il faut, en effet, pour y réussir, être plié aux lois du style par un long exercice, connaître la pro- priété de tous les mots, sonder et creuser l'esprit de son modèle, et en revêtir tellement la forme, que le lecteur ne croie voir que l’auteur. Le second et dernierlivre intéresse principalement les théologiens. Huet y suit l’ordre chronologique des versions des saintes Ecritures, depuis la plus ancienne qui est celle des Septante. Gette partie très-scientifique de l’ouvrage n’est point susceptible d'analyse ; c’est un recueil de documents à consulter, lorsqu'on veut savoir par combien de filières ont passé l'Ancien et le Nouveau Testament. Il termine sa revue par une nomenclature des prin- cipaux traducteurs profanes. En tête, il place les tra- ducteurs français et commence par l'éloge de Guillaume Budé, pour finir par celui d’Amyot et même par celui de Malherbe qui s’exerça aussi dans l’art de traduire. Gette dissertation ne peut être regardée comme un traité complet sur la matière (1). L'art de traduire les (4) Segrais n’était qu'à moitié dans le vrai, lorsqu'il écrivait ces mots : « Jl ne se peut rien ajouter à ce traité, Lant pour la bonté de « son style et pour la force de ses raisons, que pour la doctrine SA VIE ET SES OEUVRES. 367 anciens dans notre langue n’était pas, à une ou deux exceptions près, porté loin du temps de Huet. Le pro- grès en cela était réservé à notre siècle fertile en essais de tout genre. $ 5 LETTRES, DISSERTATIONS ET OPUSCULES DIVERS. Il reste de Huet des lettres tant françaises que latines écrites à des savants qui l’interrogeaient, comme un OEdipe , sur des inscriptions difficiles ou sur des faits obscurs de l’antiquité. Quelques-unes des lettres françaises font partie du recueil de l'abbé Tilladet. Je n’en analyserai ici que les plus importantes. Dans la lettre à Perrault sur le Parallèle des anciens et des modernes, Huet disait : « J’estime les anciens, « mais je ne les-adore point; je ne les tiens pas im- « peccables.... On ne manquera pas de vous répondre « ce que vous répondez pour la défense de Saint- « Amant, qu’il faut condamner les partisans de l’anti- « quité sur ce qu’ils disent et non pas sur ce que vous « leur faites dire. » Ailleurs, il disait : « Comment « Perrault a-t-il osé se constituer juge de ce fameux « différend , et condamner les anciens sans les con- « noître? N'est-ce pas juger le procès, una tantum « parte audita? » “ qui est incompréhensible en un homme aussi jeune qu'était « alors M. Huet. » Préf, de Virg., n°, 22, 368 HUET , ÉVÊQUE D’AVRANCHES, Ce pauvre Perrault, qui pourtant ne manquait pas d'esprit, avait affaire à un redoutable joûteur. Il est vrai qu’il méritait plus d’une épigramme , à cause de ses dédains pour la lyre d’Horace, et notamment pour l’ode Pastor quum traheret, et pour l’ode Integer vuæ , etc. Aussi Huet ne pouvait-il s'empêcher d'écrire à ce présomptueux contempteur des anciens : « Dieu vous « fasse la grâce d'éviter les coups de patte des patrons « de l'antiquité (1)! » La lettre au duc de Montausier est un examen du sentiment de Longin sur le passage de Ia Genèse: « Dieu dit: Que la lumière soit, et la lumière fut. » Huet reconnaissait que Moïse rapportait un fait sublime, mais qu’il l’exprimait d’une manière simple. « Je ne me serais jamais attendu, disait-il, à voir « Longin canonisé et moy presque excommunié, comme « nous le sommes par M. des Préaux. » En réalité, si le sublime était dans le fait, il était aussi dans les paroles brèves de l’hébreu : Vajÿjomer Elohim jehi or , vajehi or. C’est en vain que Huet disait qu'on pourrait ainsi appeler sublime tout le récit de la création. Le sublime est à la fois dans la merveille et dans la rapidité du commandement par lequel elle est opérée. Avec quelques mots de plus, Moïse eût manqué tout l'effet du récit, et Huet était plutôt homme d’esprit que logicien , lorsqu'il concluait avec malice : « 11 me « semble que j’ai droit de demander à mon tour ce que « nous dirons d’un homme qui, bien qu'éclairé des (A) Ecrite à l'abbaye d’Aunay, le 40 octobre 4692, Recueil de l'abbé Tilladet, t. 1, p. 477 et suiv. SA VIE ET SES OEUVRES. 369 « lumières de l'Evangile , a osé faire passer Moyse « pour un mauvais rhétoricien (1). » Ses lettres latines , dont un certain nombre sont adressées à Thomas Gale, à Græviuset à d’autres, révèlent la connaissance supérieure qu’il avait de l'antiquité. Plusieurs de ces lettres portent le titre de Quesita et Responsa per epistolas. Le Huetiana est un autre recueil de pensées et d’ar- ticles de Huet publiés par l’abbé d’Olivet. Une érudition variée y abonde et les jugements y sont généralement bien portés. Sa critique de Montaigne est assez pi- quante pour que j’en extraie au moins ce court passage: « Son esprit libre, son style varié et ses expressions « métaphoriques lui ont valu cette grande vogue où « il est encore aujourd’hui; car c’est, pour ainsi « dire, le breviaire des honnêtes paresseux et des « ignorantsstudieux qui veulent s’enfariner de quelque « connoissance du monde et de quelque teinture des « lettres. A peine trouvez vous un gentilhomme « de campagne qui veuille se distinguer des pre- a neurs de lièvres, sans un Montaigne sur sa che- « minée (2). » Il reste encore de Huet des Remarques sur Manilius et sur Les Notes de Scaliger. « Je n’ai écrit sur Manilius, « disait-il, que pour faire voir que Scaliger, dans les (4) 26 mars 1683. Recueil de l'abbé Tilladet , t. II, p. 4 el suiv. Par sa lettre du 24 novembre 1713, il annonçait à son neveu de Charsigné qu'il s'était brouillé avec le P. Tournemine qui avait pris fait et cause pour Boileau, en attaquant Huet dans le journal de Trévoux. Correspondance inédite. (2) Recueil de Tilladet. per - 370 HUET, ÉVÊQUE D’AVRANCHES. « trois éditions de ce poëte, a entassé fautes sur fautes « et ignorances sur ignorances. Il a très-superficielle- « ment entendu la matière qui y est traitée ; il a pres- « que toujours pris de travers le sens du poëte, et la « plupart de ses restitutions dont il s’applaudit et se « sait si bon gré, sont des corruptions plutôt que des * corrections, etc. (1). » Enfin rien ne prouve mieux la variété de ses connais- sances que ses letires et ses dissertations. Il a écrit sur l'origine de la rime, sur l'antiquité des jets d’eau, sur les progres de La chimie, sur l’origine de la rougeole et de la petite vérole, sur la manière d’expliquer la sainte Ecriture, etc. , etc. VIIL. ŒUVYRES GÉOGRAPHIQUES ET HISTORIQUES $ L. TRAITÉ DE LA SITUATION DU PARADIS TERRESTRE. L'Académie Française, et l’on sait combien de grands hommes la composaient alors, avait demandé à Huet qu’il voulût bien interpréter le passage de la Genèse relatif à la situation du Paradis terrestre, et en tracer (4) A la fin du Manilius de la Faye, ad usum Delphini. Paris, 1679, in-4°. SA VIE ET SES OLUVRES. 371 la carte topographique , d’après les indications données par Moïse. C’est ici que l’érudition de Huet triomphe, et qu'il fait preuve d’une rare sagacité. Cette question purement spéculative est en dehors de la foi, de sorte qu’il est permis de se séparer d’opinion sur ce point d’érudition transcendante. Mais, après avoir lu la sa- vante dissertation de notre auteur, il serait difficile de le contredire, lors même qu’on serait aussi bon hé- braïsant que lui, tant ses conjectures paraissent vrai- semblables. Moïse dit que « Dieu planta un jardin en Eden du « côté de l'Orient. Un fleuve sortait d’Eden pour ar- « roser le jardin. Il se divisait en quatre branches; « deux supérieures, le Tigre et l’Euphrate ; deux in- « férieures, le Phison et le Gehon : le Phison qui ar- « rose la terre de Chavilah, fertile en or, en perles « et en bdellium, en onyx et en toute sorte de pier- « reries; le Gehon qui arrose la terre de Chus; le a Tigre qui se dirige vers l’Assyrie, et l’Euphrate qui « à conservé sen nom jusqu’à présent. » D’après ces indications, Huet pense que le Paradis terrestre était situé au confluent du Tigre et de l’Eu- phrate qu’on nomme aujourd’hui le fleuve des Arabes, entre ce point de jonction et la division que ce fleuve opère, avant de se jeter dans le golfe Persique. On est, après examen, forcé d’avouer que son ex- plication est satisfaisante , en ce qu’elle coïncide avec la topographie de Moïse (1). (4) Bayle, dans sa lettre 104, dit que l'ouvrage de Bochart sur le Paradis terrestre est perdu. « Maïs il se trompe, a écrit l'abbé LA e 372 HUET , ÉVÊQUE D'AVRANCHES. $ 2. HISTOIRE DU COMMERCE ET DE LA NAVIGATION DES ANCIENS. Une question, non moins difficile à traiter et d’une utilité plus pratique . lui fut proposée par le ministre Colbert, qui était en quête de documents sur tous les points de l’économie sociale. Surintendant général du commerce et de la navigation du royaume , il deman- dait l’histoire de l’objet de son ministère. Huet fit beaucoup plus que le ministre ne lui demandait; car celui-ci cherchait seulement des lumières dans le passé, pour en tirer des conséquences pratiques. Notre grand érudit, qui tenait encore au XVI°. siècle par plus d’un point de contact, crut de son devoir d’écrire une longue histoire où il remonte jusqu'aux temps antédiluviens. « de La Rue dans ses notes sur les Origines de Cuen par Huet. Je « lai vu manuscrit dans la bibliothèque de M. Colleville, à Rouen. « Dès 4691, Huet avoit publié son ouvrage sur le même sujet. Quel- « ques auteurs l’ont accusé de plagiat; mais c’est à tort qu'on l’a « accusé à cet égard. Je crois seulement que le prélat, ami de Bo- “ chart, et en correspondance avec lui pendant bien des années, » avoit connu son opinion et les motifs qui l’appuyoient, et que Bochart étant mort sans publier son ouvrage, Huet déjà instruit « de la question dans les savantes et fréquentes conférences qu'i avoit eues avec le ministre, aura plus facilement traité ce sujet. » J'ajoute que, dans sa lettre latine à Grævius, datée de Paris, le 45 février 14692, Huet écrit que Bochart, dans son Phaleg, place le Paradis aux environs de Babylone, et que, dans son Hierozoicon, il le transporte vers le golfe Persique. Huet ne l'avait donc pas £ copié, ed SA VIE ET SES OEUVRES. D1110 Ce livre substantiel contient de nombreux documents, et je ne suis nullement surpris qu’il ait eu cours dans son siècle , ainsi que l’annonce Voltaire (1). Mais il a le malheur d’être trop long et de renfermer quelques inutilités : aussi n’est-il lu que rarement. C'était, du reste, chose curieuse et utile à connaître, que le mouvement du commerce et de la navigation, depuis les anciens temps jusqu’au commencement du XVIII: siècle, où Huet publia son savant ouvrage. Pourquoi n’en reproduirais-je point quelques traits principaux ? La construction de l’arche de Noé, dit-il, fait sup- poser un art de navigation antérieur. Les premiers marins se servirent de radeaux de jonc ou d’autre matière pouvant flotter sur l’eau. Mais l’industrie ne s'était pas encore, suivant toute apparence, élevée à la construction de navires qui auraient, comme l'arche, échappé aux ravages du déluge. Après l’abaissement des eaux et la dispersion des enfants de Noé, les premiers navigateurs conous furent les Egyptiens, qui firent le commerce d’Orient par la mer Rouge, et les Phéniciens, qui firent le commerce d'Occident par la Méditerranée, et qui entrèrent même dans l'Océan par le détroit de Gibraltar. Ce dernier peuple, avec une langue de terre, parvint à une très-grande puissance, tant il y a de vérité dans cette maxime : Qui est maître de la mer est maître de la terre. Elle à été traduite en ce beau vers de Lemierre : Le trident de Neptune est le sceptre du monde. 4) Siècle de Louis XIV, 374 HUET, ÉVÊQUE D'AVRANCHES. Qui est-ce qui n’a pas entendu parler de la prospé- rité et des richesses des deux Tyr, de Carthage, de Corinthe , de Rhodes, d'Alexandrie? Aussi les souve- verains avisés ne négligèrent-ils rien pour se rendre maîtres de la mer. Alexandre fonda Alexandrie, établit des ports à l'embouchure de l’Indus, envoya ses flottes parcourir les côtes de l’Asie, pour rouvrir la voie au négoce des Indes et au renouvellement de leur correspondance avec l'Egypte. Dès les premiers temps de leur république, les Ro- mains eurent des préfets de l’annone chargés de l’ap- provisionnement de la Cité, Ils firent venir des blés de Sicile, de Sardaigne, d’Afrique, d'Egypte, sous les premiers empereurs , enfin de Marseille et des Gaules dans le déclin de l'empire. Dès l’an 259 de Rome, un collége de marchands fut institué. Jules César rétablit Corinthe. Auguste releva Car- thage et envoya des escadres dans l'Océan pour re- connaître les côtes. Rome honorait les villes qui se dis- tinguaient dans le commerce ou dans la construction des vaisseaux, ou par l’ouverture de quelque port considérable, Ce qui favorisa surtout son commerce, ce fut la réduction de l'Egypte en une de ses provinces. Depuis qu'Alexandrie avait été bâtie, l'Égypte était devenue l’entrepôt général entre l'Orient et l'Occident. Sous Auguste, Rome fut aussi puissante sur mer que sur terre. Elle porta, vers le Nord, sa navigation jus- qu’à la Chersonnèse Cimbrique. Dans l'empire et le bas-empire, les gens de mer furent protégés. Par le Code Théodosien, ils furent SA VIE ET SES ŒUVRES. 379 affranchis de tous tributs. Les possesseurs de certaines terres étaient assujettis au service de la marine. Il y a plus : Huet semble doué de l'esprit prophé- tique dans ce qu’il dit de l'empire créé par Pierre-le- Grand : « Les Moscovites tireraient des profits im- « menses de leur situation, s'ils ne se manquoient à « eux-mêmes par leur négligence et leur grossièreté « qui les empêchent de cultiver les arts , et par l'esprit « défiant et soupconneux de leurs princes... S'il s’éle- « voit parmi eux quelque jour un prince avisé, qui, - reconnoissant les défauts de cette basse et barbare politique de son Etat, prit soin d’y remédier, et façonnât l’esprit féroce et les mœurs âpres et inso- « ciables des Moscovites,... cette nation deviendroit formidable à tous ses voisins (1). » En somme, l'ouvrage de Huet semble digne du grand ministre, chargé par Louis XIV dela direction générale du commerce et dela navigation du royaume. En lui montrant le passé, il l’aidait à envisager l’avenir d’un œil plus prudent et plus sûr. Le savant donnait ici la main à l’homme d'Etat, qui méditait et qui accomplit de grandes choses. a $ 3 DE NAVIGATIONIBUS SALOMONIS (2). Il ne serait pas indifférent de connaître la force et (4) Chap. xx1v. (2) Amsterdam, 1698, in-8°. Amsterdam, même année, in-f°. dans le recueil des Critici sacri, t. vus, p. 4542 et suiv. 376 HUET, ÉVÉQUE D'AVRANCHES. l'étendue des ressources commerciales de Salomon, et d'étudier dans le passé le port de Joppé ou Jaffa qui, aujourd'hui, est le rendez-vous des pèlerins de quelque côté qu’ils viennent, soit pour entrer en Terre Sainte, soit pour en sortir. « C’est dans cette ville la plus « ancienne du monde (1), écrivait récemment l’avant « dernier patriarche de Jérusalem (2), qu'Hiram en- « voyait les cèdres que Salomon lui demandait pour « Ja construction du premier temple élevé à la gloire « de Jéhovah (3). » Mais cette assertion est-elle vraie? J'en doute, car, selon Huet, la question de savoir en quels pays Hiram, roi des Syriens, et Sa- lomon , roi des Hébreux , envoyaient leurs vaisseaux, est controversée entre les savants. « Le roi Salomon, dit l'écrivain sacré, fit construire .« une flotte dans le port d’Asiongaber près d’Ailath, « sur les bords de la mer Rouge; et Hiram envoya ses « esclaves, marins expérimentés, pour instruire et aider les esclaves de Salomon à la manœuvre. » Or, on demande comment Hiram pouvait envoyer ses vaisseaux de Tyr qui est sur la Méditerranée, au port d’Asiongaber qui est sur la mer Rouge. Ces deux mers, répond Huet, se communiquaient déjà par un canal. (1) Si l'on en croit la tradition, Noë y aurait construit l’arche qui le sauva avec sa famille. (2) Feu M. Valerga. (3) Annales de la Propagation de La foi, numéro de juillet 1853. Selon quelques auteurs, la ville de Joppé, quoique assise sur le bord de la mer, n'avait point de port. Asiongaber était situé sur un golfe de la mer Rouge, et ne peut être confondu avec Joppé situé sur la Méditerranée. SA VIE ET SES ŒUVRES. 377 Strabon veut qu’il ait été ouvert par Sésostris avant la guerre de Troie. D’autres auteurs disent que ce canal fut creusé avant l’avènement de Sésostris, et que, né- gligé et bouché, il fut rouvert par ce monarque. Du reste, Salomon retirait de ses navigations de grandes sommes d'argent. Il faisait venir des cèdres, des sapins, des citronniers du royaume d’Hiram. Il avait, de son côté, des forêts dans le voisinage d’Asiongaber : il en tirait des bois de construction pour la marine. Son peuple ignorait la mer; il lui ouvrit une source de richesses en faisant venir des marins de Phénicie, pour apprendre la navigation à ses sujets. Il envoyait régu- lièrement des vaisseaux à Ophir, sur la côte de Zan- guebar, chercher de lor, des pierres précieuses, etc. (1},et à Tharsis sur la côté d’Afrique et d’Espagne, chercher les productions du pays. Lesnaviresrevenaient d’Ophir tous les ans, et de Tharsis tous les trois ans. Dès ce temps-là , ils doublaient le cap de Bonne- Espérance. Cette étude de Huet est un appendice de son his- toire de la navigation des anciens. & 4. LES ORIGINES DE LA VILLE DE CAEN. Ce travail de patiente et difficile recherche avait été commencé avec succès par le laborieux et excellent M. de Bras. Il appelait un complément, à raison du (4) Ophir, selon Huet, était Sofala. 378 HUET, ÉVÊQUE D’AVRANCHES. grand âge de ce premier historien, qui n’eut pas le temps de voir et de trier tous les matériaux. Huet était très-capable d’entreprendre ce labeur. Mais l’amour du paradoxe lui fit commettre quelques erreurs. Puis, le trop de confiance qu’ileut dans ses correspondants lui fit faire d’autres méprises (1). Ce fut aussi le défaut de nos anciens antiquaires, de s'attacher plutôt à l’histoire des monuments qu’à celle des hommes. Il n’y a pourtant que de la curio- sité à satisfaire dans les vieilles pierres, quelque véné- rable que soit leur antiquité; tandis que, dans les mæurs et les institutions de nos pères, nous trouverions des exemples à suivre ou à éviter. Toutefois, avec ses imperfections, cet ouvrage de Huet est curieux et utile. Souvent même il est consulté. Il fournit, sur les changements subis par Caen, dans le cours des siècles, des documents qui n’avaient pas été mis au jour. Il donne en outre quelques étymologies satisfaisantes, et se termine par le chapitre des hommes illustres de la cité. $ 5. COMMENTARIUS DE REBUS AD EUM PERTINENTIBUS, Après avoir écrit très-sommairement la biographie de 136 personnages de Caen plus ou moins renommés , (4) Ces correspondants étaient notamment Nicolas du Moutier sieur de la Motte, et Jean Le Blais sieur du Quesnay. SA VIE ET SES OEUVRES. 379 il était juste que Huet reservât pour lui quelques pages de biographie, et que, au sein de la retraite de son choix , il confiât au papier ses souvenirs et ses confi- dences. Il avait long-temps vécu avec les savants et avec les livres. Il avait voyagé au loin, observé, lu et retenu beaucoup de choses. Homme de Cour avant d’avoir été homme d’Église, il joignait l'esprit d’à- propos et l’agrément de la conversation à une haute intelligence et à une mémoire phénoménale. C’est pourquoi ses amis, qui lui avaient entendu raconter avec charme différentes anecdotes de sa vie, l’avaient pressé d’en écrire le journal. Ce fut donc, quelques années après sa grande maladie de 1712, qu’il céda à leurs sollicitations et se mit courageusement à l’œuvre. Ses Mémoires n’ont rien de commun avec les confes- sions et les confidences scandaleuses d’autres écrivains célèbres. Rien de mondain n’y transpire. De plus, cette œuvre d’un écrivain, âgé de 86 ans, n’a rien de senile ni de languissant. L'arbre est vieux, mais encore vert, et prêt à produire des fleurs et des fruits. Quoique la maladie de 1712 ait altéré quelque peu son incom- parable mémoire, tout semble encore présent aux sou- venirs de l’auteur dans cette revue d’un passé long et bien rempli. C’est là aussi que réfléchit la lumière d’une raison tour à tour enjouée et sérieuse qui, tout en poursui- vant les abstractions des sciences les plus ardues, ne se refuse point les distractions légères et le mot pour rire; c’est là surtout que se révèle la préférence donnée par Huet à la science sur la littérature. On y remarque aussi le désir qu’il a de publier ce qu’il sait en mathé- 380 HUET, ÉVÊQUE D'AVRANCHES. matiques (1) ,en physique (2), en histoire naturelle (3), et même en astronomie (4). Il nomme les instruments par lui inventés, mais il ne les décrit point. Il men- tionne ses calculs et ses prédictions astronomiques. mais il n’a rien survécu de ces divinations. Je suis enclin à le croire sur parole; mais j'aimerais mieux, pour sa gloire, invoquer un témoignage autre que le sien; quoique, à cet égard, je n’aie à produire aucun motif de défiance. Enfin, s’il nous est permis de juger son style dans une langue qui n’était pas plus la sienne qu’elle n’est la nôtre, c’est là qu’il s’est montré le plus châtié, le plus pur, le plus élégant, le plus digne des modèles de l’antiquité. Sa prose latine a beaucoup plas de couleur que sa prose française. Il semble que la langue de Cicéron lui sourie davantage, et qu’il s’y trouve plus à l’aise pour donner toutes les nuances à sa pensée. Ce que j'admire le plus, dans le Commentarius, c’est l'humilité de cœur et la candeur d'âme de l’auteur, c'est cette bienveillance générale qui ne se dément jamais, c’est cette supériorité d'intelligence inaccessi- ble à l’envie, jointe à une piété ferme et prête à com- battre pour la défense de la foi. Heureux si, dans ce noble et saint exercice , il s’était toujours servi d’armes courtoises ! (4) Lettre sur un problème de géométrie à Ismaël Bouillaud, Recueil de Tilladet, t. 11, p. 315. (2) Dissertation intitulée : De la nature de la rosée ; p. 246. (3) Sur La pourpre; ibid., p, 251, et Sur la salamandre, p, 420. (&) Sur La nature des comètes ; ibid,, p, 232, SA VIE ET SES ŒUVRES. 381 IX. ŒUVRES PHILOSOPHIQUES $ 1. DE LA FAIBLESSE DE L'ESPRIT HUMAIN. Auet, par l’exagération d’un bon principe, prêcha le pyrrhonisme chrétien, le scepticisme le plus complet. Dans le monde religieux et moral, il ne reconnaissait d’autre lumière certaine que celle de la foi. Ainsi l’auteur, par attachement à la foi, est tombé dans le paradoxe et a donné des armes au scepticisme, en niant absolument la raison. Il a divisé son traité en trois parties. Dans la pre- mière , il essaie de prouver que la vérité ne peut être connue sûrement et clairement par l'esprit humain; dans la seconde , il expose sa méthode philosophique; dans la troisième et dernière, il réfute les arguments de ses adversaires. Dans cette dissertation, comme ailleurs, il fait plutôt montre d’érudition que de critique; il est plutôtantiquaire païen et chrétien que penseur, écrivain paradoxal et subtil que philosophe profond et sensé. Ce n’était point, en effet, le catalogue des sceptiques qui ont nié que l’homme sût la moindre chose, mais de l’argumentation forte qu’on attendait en pareille 25 382 HUET, ÉVÊQUE D’'AVRANCHES. matière , et l’on n’y trouve à peu près qu’une érudition variée et une latinité facile, dans la traduction qu’il fit lui-même de l’ouvrage ci-dessus. $. 2. ALNETANÆ QUÆSTIONES DE CONCORDIA RATIONIS ET FIDEI. Cette œuvre, composée à l’ombre des bois de l’abbaye d’Aunay qu’il appelait son Tempé, affecte les formes du dialogue , à l’imitation des Tusculanes. L’inter- locuteur de Huet est son ami et compatriote du Hamel. La raison , selon l’auteur , est incapable de découvrir la vérité que Dieu nous révèle par la foi; la raison doit donc être éternellement en tutelle, et la foi doit seule commander. Un tel accord est un esclavage or- ganisé. encore bien que Huet remplace le mot ancilla par les mots adjutrix et ministra. Nous ne sommes donc pas surpris que Racine estimât peu ce travail dont il avait fait un extrait (1). $ 3. CENSURA PHILOSOPHIÆ CARTESIANÆ. Arnault a dit de ce livre : « Huet renverse la reli- « gion en outrant le pyrrhonisme; car la foi est fondée (4) Mémoires sur la vie de Jean Racine , par son fils. SA VIE ET SES ŒUVRES. 385 « sur la révélation dont nous devons être assurés par « la connoissance de certains faits. Il n’y a donc point « de faits humains qui ne soient incertains, s’il n’y à « rien sur quoi la foi puisse être appuyée. » C'était là penser juste et ruiner une longue déclamation par un court et bon argument. Il aurait pu ajouter que Huet contredisait ainsi les preuves qu'il donnait de la vérité du christianisme dans sa Démonstration évan- gélique. L'illustre docteur a porté sur la Censure un jugement que, après lecture du livre, nous approu- vons sans réserve : « Je ne sais, dit-il, ce qu’on peut « trouver de bon dans le livre de M. Huet contre « M. Descartes, si ce n’est le latin; car je n'ai jamais « vu de si chétif livre pour ce qui est de la justesse « d'esprit et de la solidité du raisonnement. » & 4. NOUVEAUX MÉMOIRES POUR SERVIR A L'HISTOIRE DU CARTÉSIANISME (1). Partout, dans ce pamphlet (1692), Descartes est représenté comme un charlatan qui s’approprie les inventions d'autrui. C’est un visionnaire qui a résolu de se retirer en Laponie avec Schluter , son valet, et (1) Ces mémoires furent publiés, sous le pseudonyme de M. G. de VA. , c’est-à-dire, Gilles de l'Aunay , homme célèbre, qui tenait des conférences à Paris, et qui voulut bien prêter son nom à l’auteur de ce pamphlet, 384 HUET, ÉVÊQUE D'AVRANCHES. le lapon Store , son disciple , depuis que Christine pa- raît ne point goûter sa philosophie comme il l'avait espéré. C'est un partisan de cabaie et de sciences occultes, qui se croit assuré de cinq cents ans de vie. Or, il fait semblant d’être malade, puis de mourir, pour sortir de Suède et se rendre à la côte d'Uma, près du golfe de Bothnie , avec son Lapon. L'heure du trépas imaginaire a sonné. Descartes a demandé à être enterré dans l’église de l'Ile des chevaliers, où sont inhumés les rois et les grands seigneurs. Un mannequin mis à sa place est emmaillotté, et le philosophe s’esquive avec son Lapon et son valet de chambre. Ainsi se joue cette comédie peu spi- rituelle. Cet écrit paraît en désaccord avec le caractère, l’âge et le talent de Huet. X. ŒUVRES THÉOLOGIQUES. Si DEMONSTRATIO EVANGELICA. Dans aucun de ses ouvrages de longue haleine, Huet n’a porté plus loin l’érudition que dans la Démonstra- tion évangélique. Et c’est, à ce point de vue seul, qu’il SA VIE ET SES OEUVRES. 389 m'est permis de l’envisager. Sous le rapport de la doc- trine , je m’en rapporte volontiers à Bossuet qui, dans son approbation en latin de cette œuvre théologique, dit : « Les Juifs et les autres ennemis de la religion « n’y sont pas moins abondamment que solidement « réfutés. En cette matière ce savant homme est telle- « ment versé , que non-seulement il n’a blessé en rien « la saine doctrine, mais encore qu’il l’a victorieuse- « ment défendue. De tous côtés il a fortifié la citadelle « sainte , et l’a défendue avec ces armes qui facilement « dispersent et terrassent les insurgens. » Huet prétend que la vérité du christianisme peut se démontrer comme un théorême de géométrie. C’est pourquoi, à l’exemple des géomètres, il donne par des définitions une première notion du sujet; puis il met en avant certains axiomes qui sont concédés de tout le monde, pour en venir à une série de proposi- tions, où il prouve que le corps des saintes Ecritures émane des auteurs dont elles portent les noms. Il cite le témoignage: de chrétiens contemporains et d’un hérétique même, du nom de Cerinthus, qui donnait son approbation exclusive à l'Evangile de saint Matthieu. Il prouve ensuite la vérité des histoires du Nouveau Testament, par l’accord des écrivains qui y ont con- couru et par les suffrages d'auteurs étrangers. Dans un chapitre suivant, il démontre que Jésus est le Messie annoncé par les Prophètes. Cette partie de l’œuvre a reçu l’approbation générale. Lorsqu'il passe aux livres de Ancien Testament, il croit reconnaître que la mythologie païenne n’est autre que l’Ecriture altérée. I soutient que Moïse représente 386 HUET , ÉVÊQUE D’AVRANCHES. tous les dieux de la fable, jusqu’à Priape, à cause de sa fécondité , et que toutes les déesses ne sont autres que Séphora. C’est là donner l’occasion de sourire en matière très-sérieuse, et je ne peux mieux faire, sur ce point, que de m’en référer au sentiment de l’abbé Houtteville qui a dit : « Chercher Moyse dans les premiers siècles de « l'idolâtrie, est Le demander au temps où il n’étoit pas encore. » Ce critique pense que Huet ne peut tirer aucun avantage contre les incrédules des parallèles qu’il fait, et finit son article par cette réflexion : « Get exemple doit instruire quiconque écrit sur les « matières de religion, à n’employer jamais que des. « preuves qui tranchent et qui décident par le fond « même. Celles qui sont foibles et contestables , à plus « forte raison, celles qui sont défectueuses doivent « être soigneusement évitées, parce que ici tout ce « qui ne sert pas devient nuisible (1). » Mais si la conjecture de notre grand érudit n’est guère admissible, cela n’est qu'une veine douteuse dans une mine d’or. En effet, quelle richesse d’érudition n’a-t-il pas répandue dans la discussion des origines des Livres saints! Quel prodige de travail dans l'examen des prophéties de la Bible et des livres des Prophètes ! Quel savant exposé de la mission divine de Jésus- Christ! Je m’arrête, car je ne dois pas oublier qu'aux seuls théologiens appartient le droit de pénétrer dans les secrets de la plus haute science, qui est aussi la plus consolante. (1) & Racine n'approuvoit pas l'usage que ce savant écrivain vouloit faire, en faveur de la religion, de son érudition profane; il SA VIE ET SES OEUVRES. 387 $ 2. ORIGENIANA. Huet a laissé, en outre , un grand travail sur Origène, sous le titre : Origenis Commentaria in sacram Scrip- turam , græce-latine, cum latina interpretatione, notis et observationibus Petri Danielis Huetii (1). Ses notes et observations, consignées à la fin du second volume des Commentaires, attestent de nouveau la plus grande éru- dition. Son édition contient les Commentaires grecs d’Origène sur les saintes Ecritures, traduits en latin par divers auteurs, tels que saint Jérôme, Viger, Tarin, Petau, Cordier , etc. ; les écrits de l’auteur précédés d’un sommaire et même les ouvrages qui lui sont douteu- sement attribués. Avec quelle autorité ne contrôle-t- il pas la science de ce célèbre catéchiste , que saint Jérôme regardait, après les apôtres, comme le grand maître des églises! « Il était, dit-il, très-initié à la « connoissance des Livres saints, mais peu versé dans « celle de l’hébreu; il ignoroit presque entièrement « le samaritain. Cependant il avoit étudié avec soin les « interprètes de l’Ecriture, les écrivains ecclésiastiques « etles philosophes païens, à cause de la vraie doctrine. » appliquoit au livre de la Démonstration évangélique ce vers de Térence : Te cum tua Monstratione magnus perdat Jupiter! Mémoires sur La vie de Jean Racine , t. 1, p. 112, édition d’Aimé- Martin, » (1) Rouen, 1668, 2 vol, in-fol, ; Paris, 4679, et Cologne 4685. à 388 HUET , ÉVÊQUE D'AVRANCHES. Huet dévoile les erreurs qui lui étaient échappées sur le mystère de la Trinité et sur d’autres articles de foi. Il indique le nombre, la valeur et l’autorité de ses ouvrages , et montre de quelles éditions des Livres saints il avait coutume de se servir. Il interprète enfin lui-même en latin le texte grec du Commentaire sur saint Matthieu. Une œuvre pareille userait toute une vie d'homme de nos jours. Et encore trouverait-on un érudit capable de l’entreprendre et de la mettre à bonne fin? $ 3. STATUTS SYNODAUX, Huet a aussi laissé des Statuts synodaux pour le diocèse d’Avranches, lus et publiés dans le synode tenu à Avranches , l’an 1693 ; trois Suppléments aux- dits statuts synodaux, lus et publiés dans les Sy- nodes tenus à Avranches, dans les années 1695, 1696 el 1698. La critique de cette autre partie des études de Huet appartient encore aux théologiens. Je me borne donc à énoncer ici les titres seuls de ces travaux aposto- liques , par des motifs de réserve et de discrétion (1). (4) Je craindrais, si je touchais à ces fruits de haute saveur, qu’on ne me fit l'application de ce passage curieux d’une des lettres de Huet. Le 41 août 1742, il écrivait à M. de Charsigné, son neveu : a À l'égard de ce passage, que j'écrivis autrefois à M. Bochart sur « la doctrine d'Origène touchant l'Eucharistie, je n’ay rien dit dans SA VIE ET SES OEUVRES. 389 Je touche au port, et, un peu fatigué de la traversée, j'ai hâte de plier la voile. Huet fut doué d’une tête en- cyclopédique. La science universelle est un monde dont il aspirait à faire le tour. Il ne sut pourtant pas toute chose, car il ne fut, il n’est et il ne sera jamais de savant universel. Mais il sut à peu près tout ce qu’on pouvait savoir dans son siècle, et ses naïves confidences sur son goût pour l'étude trouvent ici na- turellement leur place : « Je cède volontiers, disait-il, à beaucoup de gens « studieux , la gloire du succès de leurs études ; mais, « pour l’amour des lettres, je ne le cède à personne « du monde. J’ai apporté cette passion en naissant. « À peine avois-je quitté la mamelle, que je portois « envie à ceux que je voyois lire. Quand on me mit à « l'étude , je m’y portois avec une ardeur qui me faisoit « quitter tous les autres plaisirs de mon âge. Je volois « de science en science, et je croyois n'avoir rien « celte lettre que ce que j'avois dit auparavant dans mes notes sur « Origène, qui sont imprimées et publiques il y a quarante-cinq « ans. Je n’ay nulle mémoire que M. d’Auge m'ait jamais tenu le « discours qu’on vous a rapporté. Il estoit trop sage pour cela et « trop modeste pour entrer dans de telles matieres qui n’estoient « pas de sa compétence, et qui demandent beaucoup d'usage des « Péres de l'Eglise , des Conciles et de l’histoire ecclésiastique qu'il « n’avoit pas. J'honoroïs fort M. d’Auge pour sa piété et sa vertu, « pour le bon esprit que Dieu luy avoit donné, et parce qu'il avoit « esté mon premier maistre, mais non pas comme homme de let- « tres, ce qu’il n’estoit pas et ne prétendoit pas estre. Pour vostre « ecclésiastique, qui vous a fait ce récit, donnez luy le conseil « qu'on donnoit aux disciples de Pythagore, d’estudier, et se taire. » Correspondance inédite, 390 HUET, ÉVÊQUE D’AVRANCHES. « appris, quand je voyois qu’il me restoit encore « quelque chose à apprendre... A l’âge de vingt ans, « je me vis en commerce avec les Sirmond, les Petau, « les Dupuy, les Bochart , les Blondel, les Labbe , les « Bouillaud, les Naudé, les Saumaise, les Heinsius, « les Vossius , les Selden , les Descartes, les Gassendi « et les Ménage. Rien n’a pu dompter cet amour in- « domptable de l’érudition qui m’a toujours possédé ; « et, dans l’âge avancé où je suis, je sens cette passion « aussi vive qu’au plus fort de mes études (1). » Avec ce goût profond et inné, Huet eut une mémoire incomparable, une intelligence et une volonté fortes qui en firent un homme rare et justement célèbre (2). S'il n’est point à mettre en première ligne parmi les poëtes, les littérateurs, les historiens et les philosophes, il doit être élevé au plus haut rang entre les linguistes et les philologues (3). Personne aussi ne connut mieux que lui la géographie ancienne , et n’eut un plus grand mérite d’humaniste. Choisi, à juste titre, pour diriger la publication des œuvres classiques annotées à l’usage du Dauphin, il ne devait, dans ce cercle d’études, céder le pas à aucun savant de l’Europe. L'enseignement fut son lot, et, s’il y eût consacré toute sa vie, personne (1) Huetiana. (2) Il écrivait à Grævius, au mois d'octobre 1685, à l’occasion d’une nouvelle édition de la Démonstration érangélique qu'il pré- parait : Ampla messis , vires exiguæ , supellex curta, tempus op- pido breve, atque itineribus, sulutationibus et negotiis satis im- peditum. Erectus interim animus et prolixa voluntas. (3) Je n’ai point l'autorité qu'il convient pour le classer comme théologien. SA VIE ET SES OEUVRES. 391 n'aurait pu l'y surpasser, peut-être même l’y égaler (1). Il semblait avoir tout lu et tout retenu , dans son com- merce avec les écrivains de Rome et d'Athènes qu’il aimait et jugeait bien. Tout ce qu’il entreprit , il le fit avec amour et pas- sion. Les sciences et les lettres furent ses idoles dans tout le cours de sa longue vie. Trop d’ardeur et de vivacité dans la controverse, quelque sécheresse de style en français, des inexactitudes comme antiquaire, voilà ce qu’on peut lui reprocher. Mais combien il rachète ces défauts par un savoir inépuisable, une méthode sûre, une dialectique généralement bonne en matière religieuse! Seul il pouvait tenir tête à Bochart (2), A vingt-deux ans à peine, il avait été son compagnon de voyage en Suède, et, quelques mois (1) Il préférait avec raison l'éducation publique à l'éducation privée; il écrivait, le 16 mai 1712, à son neveu de Charsigné : « Je n’ay jamais veu d’enfans s’avancer beaucoup par cette voye « dans les lettres (l'éducation privée). Ils perdent le fruit de l’emu- « lation qui est un grand aiguillon, et qui avoit sur moi un sou- « verain pouvoir. Mais ils perdent encore le fruit du commerce de « ce petit monde, dans le quel l’esprit se façonne et se polit, et « dans le quel on apprend à vivre, et à connoïstre les hommes de sa « volée. Je ne vous dis pas cela pour vous faire aucune contrainte « sur l’education de vos enfans, dans la quelle vous devez avoir « toute votre liberté. Mais j'ay cru vous devoir cet avis, que je sui- « vrois dans l’éducation de cinquante enfans, si je les avois. » Cor- respondance inédite. (2) Iléclairait avec urbanité Bochart sur le vrai sens de certains mots hébreux, et, à son tour, Bochart le redressait quelquefois sur la signification de mots arabes. Huet reprenait un jour Halley, son ancien maître, pour une faute de quantité et un néologisme, Voir le recueil de Tilladet, t, II, p. 139 et 292. 392 HUET, ÉVÊQUE D’AVRANCHES. plus tard, il s’asseyait avec lui parmi les savants et poëtes illustres que comptait l’Académie de Caen, à son origine. Il ouvrit la voie aux expériences scientifiques, en instituant dans cette ville des cours de physique, de chimie, de dissection et d’autopsie auxquels il prit lui-même une large part. Docteur en droit civil et en droit canon, il aurait pu facilement l’être aussi en théologie , en médecine (1), dans les sciences et dans les lettres, en un mot, dans toutes les facultés. Et, s’il fut un prodige d’application et de savoir, il ne fut pas moins un homme droit, liant, spirituel et aimable dans le commerce ordinaire de la vie séculière ou ecclésiastique (2). Exempt d'envie, ilse plut à peindre les portraits des savants, ses contemporains, et ses _ Mémoires biographiques en sont une curieuse galerie. Ce qui lui manqua, c’est l’élégance et la grâce du style dans sa langue. Il n’eut ni le coloris de l'artiste, ni le feu sacré de l’homme de génie. Le désir immo- déré de connaître presque toutes choses refroidit son (4) Dans sa lettre du 25 octobre 1713, à son neveu de Charsigné, il écrivait : « Je n’ay nulle mémoire de vous avoir jamais dit que « je voulois donner à l’hospital général mes instrumens d’ana- « tomie. » Correspondance inédite. Dans la lettre du 25 novembre suivant, il se retracte et déclare qu'il veut bien en faire présent à l'hôpital de Caen. (2) Il écrivait, le 10 août 1709, à son neveu de Charsigné : « Je lui ay mandé (à l’évèque de Bayeux) la mort de M. de La- « moignon arrivée le 7 de ce mois. Il en sera bien fasché, et je ne « le suis guère moins que luy. J’y pers un amy de près de cinquante # ans. » lbid. SA VIE ET SES OEUVRES, 393 imagination et la rendit quelque peu stérile. Toutefois ce qu’il reçut du ciel en pur don, joint à ce qu’il acquit par le travail, suflit pour rendre son nom im- mortel. Ge qui aussi jette un peu d’ombre sur l'éclat de cette grande figure, c’est le démêlé avec Descartes, où Huet fut homme de parti plutôt que philosophe, où sa raillerie fut toujours aigre et dure, et sa logique in- certaine et nébuleuse. Le sentiment religieux qui l’ani- mait, et rien ne m'en fait suspecter les témoignages , l’entraina hors des bornes de la discussion. Il parut être l'ennemi, lorsqu'il ne pouvait être que l'adversaire de l’auteur de la Méthode, Les grands hommes ont leurs faiblesses. Malgré cette éclipse , il fut une des éclatantes lu- mières du clergé. Bossuet et Fénelon furent de plus grands écrivains et de plus forts penseurs que lui; mais, plus érudit qu’eux, il eut plus d’aptitudes di- verses. Cette triple intelligence combinée en une seule tête, serait Fidéal du génie et de la science de l'homme. L'âme , le cœur et l'esprit seraient réunis là, dans leur plus vigoureuse sève et meilleure culture. Ses lettres d’affaires révèlent un homme exact, cal- culateur , pointilleux quelquefois et ne reculant point devant la procédure. Il eût été en Normandie un ex- cellent avocat (1). Mais, à travers cette minutieuse (4) Le 3 mars 1712, il écrivait à son neveu de Charsigné : « Gela fera voir à ce gaillard-là que Je suis résolu de me defendre, « el je ne suis point fasché qu'il le sache; mais je vous prie que « mon exploit ne tarde pas à estre signifié. » Le 41 du même mois, il lui écrivait, au sujet des fermiers de 394 HUET , ÉVÊQUE D’'AYRANCHES, : exactitude , transparaît l’ordre et l’économie de l’hon- nête homme (1). Huet avait ici le défaut de ses bonnes qualités (2). IL était toutefois intéressé sans être Fontenay : « Que s’ils ne veulent point traitter sans une assurance « préalable de remise, rompez net avec eux, en leur déclarant que « je pousseray l'affaire jusqu'a un arrest définitif, quelque loin que « la chose puisse aller, et que ce sera alors que les frais seront « taxez et payez à la dernière rigueur. » Le 7 avril suivant, il lui écrivait encore : « Quand ils m'ont « chicané et fait faire des frais pendant trois ans, ont-ils appréhendé « de me faire crier? Mon avis est que, s’ils crient, vous les laissiez « crier, et que vous criiez encore plus haut qu'eux. » Corespon- « dance inédite. (4) Le 29 août 1712, il écrivait à ce même neveu : « Vous « croyez bien que j'aimeray toujours mieux la paix que le procez; « mais j'aimeray mieux le procez que la perte assurée de ce qui « est deu. » 1bid. (2) Le 31 décembre 41712, Pierre Daniel de Piédoüe, sieur de lAunay, prêtre, écrivait à Piédoüe de Charsigné, son frère, au sujet de Huet, leur oncle : « C’est une terrible chose quand on est « attaché à l'argent; on en auroit par dessus la teste, qu’on crain- « droit encore d’en manquer. » Quelques autres lettres de ce prêtre qui servait de secrétaire à l’ancien prélat, révèlent la régularité sévère des comptes domestiques de celui-ci : « J'espère, écrivait-il à son frère, le 46 décembre 1712, « qu’il sera bientôt en estat de reprendre ses clefs, ce qui me don- » nera lieu de demander mon congé. » Lors de sa convalescence, Huet fit compter à son neveu ses sacs d’écus, et le gronda fort pour n'avoir point tenu d’écritures assez régulières touchant la dépense de sa maison. Correspondance de l’abbé de Charsigné avec son frère. Toutefois, il était coulant et facile avec son neveu de Caen qu'il avait chargé de ses affaires ; car il lui écrivait, le 26 novembre 1708 : « Dressez le traité comme il vous plaira ; j'aime mieux le finir mal SA VIE .ET SES OEUVRES, 395 avare, et il se montrait jaloux de ses droits sans être processif (1). Il aimait à faire l’aumône, et s’informait si les sommes qu’il donnait avaient été bien distri- buées (2). « que de ne le finir point. Je vous ay mandé ce que je croiois rai- « sonnable, ayez tel egard qu'il vous plaira, Jusqu’icy vous m’avez « fait plier à toutes vos volontez, en me faisant force complimens, « mais ne vous relaschant sur rien. Soyez le maistre du traité « jusqu'a son entiere conclusion, je subiray la loy qu’il vous « plaira de m'’imposer. Coupez, tranchez, taillez, mais finis- « sez. » Ibid. (1) Il défendait expressément qu’on abattit aucun bois des ab- bayes d’Aunay et de Fontenay sans sa permission. Aussi ayant appris que les religieux en avaient abattu malgré sa défense, il écrivit, le 43 avril 4714, à son neveu de Charsigné : « Je suis bien « estonné de la hardiesse que l’on a eüe de faire ce dégast. Je m'en étonne moins à Aunay, qui est un pays de forest, mais « l’audace est grande à Fontenay et très grande de les sier (sic) = « par la moitié, comme vous le mandez.... Je suis fort d’avis que « vous ne négligiez aucun des moyens qui pourroient arrester ce £ désordre : informations , monitoires , poursuites, condamnations « et punitions rigoureuses, voilà quel est mon avis. » A cette dernière phrase, ne croirail-on pas reconnaître le style d’un habitué du Palais de justice. Toutefois qu’on se garde d'en prendre l’auteur pour un homme processif; car, dans une autre lettre il blämait sa sœur des procillons qu’elle avait intentés en son nom. C'est pour- quoi il Jui avait retiré sa procuration. Correspondance inédite. (2) Lettre du 4 septembre 4708. Correspondance inédite. Dans une lettre du 22 janvier 4709, il écrivait à son neveu de Charsigné : « Dans ce temps si rigoureux où les pauvres ont tant à « souffrir, je vous prie de faire donner quatre écus blancs aux « pauvres de St.-André et de St.-Martin. » Dans une autre lettre du 29 mai de la même année, il lui écri- vait : « La taxe pour les pauvres que vous m’annoncez est un sur- 396 HUET, ÉVÊQUE D’AVRANCHES. De plus, il brille comme une des plus grandes célé- brités littéraires dont notre ville justement s’honore. Après Malherbe, elle le cite avec orgueil, car il fut une des gloires du siècle de Louis XIV, le plus grand siècle du monde. « croist de ruine, mais celle pourtant à laquelle je me sousmets « plus volontiers. » Jbid. IBAN-FRANÇOIS SARASIN, Par M. €. HIPPEAU, Membre titulaire, S'il s’agissait seulement ici d'écrire la biographie ou d'apprécier les œuvres de ce spirituel écrivain nor- mand , plusieurs travaux estimables auraient d'avance rendu le mien inutile. Mais je me propose de le suivre dans ses rapports avec les personnages au milieu desquels il a vécu , afin d'étudier la part d'influence qu'il a exercée sur eux, et celle qu’ils ont eue eux- mêmes sur son caractère et sur son génie. Envi- sagé sous ce point de vue, mon sujet est loin d’être épuisé. Jean-François Sarasin était né , en 1604, comme l’attestent Huet et Segrais, à Hermanville-sur-Mer , près de Caen. Tallemant-des-Réaux qui, à tout ce qu’il sait de désobligeant sur ceux de ses contempo- rains qui figurent dans ses Historiettes , ajoute volon- tiers des particularités, qu’il trouve toujours assez authentiques lorsqu’elles lui semblent piquantes , fait 26 ” 398 JEAN-FRANÇOIS SARASIN. du père de Sarasin une sorte de parasite de M. Fou- cault, trésorier des finances, à Caen, qui le logea chez lui et lui vendit sa charge, dont il ne tira que 7 à 8.000 livres. Après la mort de M. Foucault, Sarasin épousa la veuve de ce vieux garcon ; et comme le roi, à cette époque, obligea les trésoriers de Caen de se faire conseillers de la Cour des aides de Rouen, notre poète se trouva être le fils d’un trésorier de Caen, qui était en même temps conseiller à la Cour des aides de Rouen. Aussitôt qu’il eut terminé ses études , en l’Université de Caen , il courut à Paris, où l’appelaient à la fois le désir de faire fortune et le besoin de donner l’essor aux brillantes facultés dont il était pourvu. Il avait alors pour tout bien sa terre d’Hermanville, qui valait 30,000 livres; car il ne pouvait compter comme lui appartenant sa charge de trésorier , dont il devait le prix. ME, Paulet le présenta, comme un homme de bonne maison , à la marquise de Rambouillet, chez laquelle il devint en peu de temps le rival de Voiture et de Benserade. C’est là qu'il vit pour la première fois la belle Anne de Bourbon, la future duchesse de Lon- gueville, qui ne pouvait manquer d’être distinguée, dit son biographe (1), dans une pareille académie , quel- que matière que l’on y traitât. « Tout s’embellissait entre ses mains , et les propos les plus communs , en passant par une imagination aussi fleurie que la sienne, (4) Villefore, Histoire de Mme, de Longueville, t, 1°r,, p. 84, 1734. JEAN-FRANCÇOIS SARASIN. 399 \ prenaient une teinture de délicatesse , mais sans l’éta- lage d’érudition qu’elle abandonnait à Sarasin et à Voiture , comme en étant les dispensateurs, dans cette société charmante. » 1 s’y lia avec Ménage, qui l’aima toujours; avec Charleval , autre Normand non moins spirituel que lui, auquel il a adressé quelques-unes de ses poésies ; avec Scudéry qu’il avait loué avec une exagération, qui n’était, pour l’auteur d’Alaric, qu’une justice rendue àa son mérite, dans ses Réflexions adressées à l’Acadé- mie française, sur sa tragédie de l’Amour tyrannique ; avec Balzac, empressé d’écrire à un homme dont il se hâta de vanter l’esprit, dans une de ces belles lettres qu’il composait si bien ; avec Madeleine Scudéry (1), et par suite avec Pélisson, dont l’amitié honorait ceux qui en étaient l’objet (2) ; avec Chapelain, auquel il a (1) « Cette fille, dit Tallemant , était persuadée de Sarasin, et croyait mal à propos qu'il ferait beaucoup pour elle, C'était un chien de Normand, qui avait été dix ans sans la voir, quand il revint ici pour négocier le mariage de son maître. Cette vision est cause que Pélisson l’a tant loué dans sa Préface, » (2) La première édition des OEuvres de Sarasin (Courbé 4656), dont les écrits avaient été recueillis avec un soin affectueux , par Ménage et Mie. de Scudéry, est précédée d’un long et, il faut bien l'avouer, fort ennuyeux panégyrique, dù à la plume de Pélisson. Cette préface est une très-belle chose, dit cependant le P. Bouhours, dans son Entretien sur la langue française. On a réuni plus tard en 2 volumes (Paris 4675) d’autres ouvrages de Sarasin et, en- tr'autres, une Apologie de la morale d’Epicure , attribuée à Saint- Evremond ; Myrtil , imité du Myrtillus d'Hugo Grotius ; la Guerre espagnole et Rollon-Conquérant (Mémoires de littérature du mar- quis de Sallengre , t, I, p. 442, cités par M. Gérusez ). 00 JEAN-FRANCÇOIS SARASIN. adressé une épiître versifiée, qui ne méritait pas le uom pompeux d’ode , que lui ont donné les éditeurs de ses OEuvres. Il ne pouvait devenir l'ami de Chapelain et de Ménage , sans s’éprendre de passion pour ces belles dissertations savantes, si chères à ces deux érudits. C’est d’après leur inspiration , sans doute, qu’il com- posa son Dialogue sur la question de savoir s’il faut qu'un jeune homme soit amoureux. Sarasin y a pour interlocuteurs ses deux amis et M. de Trilport, qui, dans la conversation la plus pédantesque , hérissée de citations empruntées aux auteurs anciens , après avoir rapporté lourdement tout ce que peuvent leur offrir sur l’amour, les poètes, les philosophes ou les ro- manciers de tous les temps, concluent avec Platon, Aristote , Lucrèce , Sénèque , Épictète, saint Augustin, Arioste et le Tasse, que « rien n’est si nécessaire à un jeune homme, pour devenir accompli, que de servir une honnête femme. » I y a beaucoup moins de prétention et plus de mérite dans sa dissertation sur le nom et sur l’origine du jeu d'échecs. L'auteur y démontre, contre l'opinion de quelques savants, que ce n’est pas le jeu désigné par les Romains sous le nom de Latruncules ou Larrons, et qui semblerait plutôt être notre jeu de Dames. Il soutient, en s'appuyant sur l'autorité de son savant compatriote Bochart, que le nom et le jeu d’échecs ont une origine orientale. Le mot schah a toujours eu chez les Persans la signification de roi, et le terme échec et mat a évidemment le même sens que lPexpression JEAN-FRANÇOIS SARASIN. LOL schach-mat (en italien scacco-matto) , qui signifie Le roi est mort (1). On pourrait encore considérer, comme le résultat de l'influence exercée sur lui par ses savants amis , ses vers latins et son Bellum parasiticum (2), satire dans laquelle il avait employé tout son latin, si l’on en croit Ménage. Son Histoire du siège de Dunkerque an- nonçait un véritable talent d’historien, et donnait des espérances pleinement justifiées par sa Conspiration de Valstein , considérée, avec raison, comme un des plus beaux fragments historiques que possède notre littéra- ture. Ce style sobre, ferme et rapide, rappelant la manière des grands écrivains de l’antiquité, annonce ce qu’aurait pu faire Sarasin, s’il eût employé à la composition de quelqu'œuvre sérieuse, les rares fa- cultés qu’il possédait. On a souvent cité comme un modèle du genre, son Portrait de Valstein. Le morceau suivant , dans lequel sont exposés les divers sentiments qui durent agiter l’âme de cet homme extraordinaire , au moment où il se décida à couspirer contre l'Empereur, ne me semble pas moins remarquable : « Valstein étant demeuré seul, inquiet et rêveur, com- mence à agiter en son esprit la grandeur et la difficulté (1) Opinion du nom et du jeu des eschets, à M. Arnauld, mestre de camp, général des Carabins de France. (2) Attici secundi G. Orbilius Musca , sive Bellum parasiticum , Satira. Cet ouvrage, ainsiquele Testament de Goulu, fut composé par Sarasin en faveur de Ménage, dans la guerre suscitée par l'irascible érudit contre le parasite Montmaur, h02 JEAN-FRANÇOIS SARASIN. de la chose qu’il voulait entreprendre, les mesurant tantôt par la crainte qui rend tout malaisé, tantôt par l'ambition qui ne trouve rien qui le soit. L’impossibilité d’usurper la domination sur un prince légitime, et de soulever des peuples qui font un point de religion de l’obéissance au souverain; le danger de confier un tel secret ; l’infidélité, ordinaire aux esprits factieux; les supplices et l’infamie, s’il réussissait mal, sinon le meur- tre, le poison et la défiance de toutes choses , l’épou- vantaient. D'autre part, la colère des mauvais traite- ments reçus, la haine , l'appétit de vengeance, et, plus que tout, l’avidité de régner ne pouvant s’éteindre dans cet esprit immodéré, le précipitaient aveuglé- ment. « Il voyait plus de la moitié de l'Allemagne soumise . au roi de Suède, le reste presque branlant et mal as- suré; les potentats de l’Europe ligués avec Gustave, ou mal intentionnés pour la maison d’Autriche ; cette maison sur le déclin; et jugeait, par ces conjonctures , le temps très-propre à la nouveauté. Il savait bien que la seule extrémité des affaires ayant forcé le duc de Bavière et les Espagnols , puissants à Vienne, de con- sentir à son rétablissement , il ne devait point attendre d’autre récompense de ses travaux, s’il affermissait l'empire , que de retourner à une condition privée et à une vie honteuse et obscure ; et partant il trouvait plus juste de se servir des forces que ses ennemis lui mettaient entre les mains, pour hasarder de les ruiner et de s’agrandir , que pour les rétablir et se perdre. » c’est sans doute dans le voyage qu'il fit en Alle- magne, où il s’acquit l'estime de la princesse Sophie, JEAN-FRANÇOIS SARASIN,. 05 fille du roi de Bohême et amie de Descartes, que Sarasin eut la première idée d’un ouvrage, pour le- quel il avait réuni d'importants matériaux, mais qu’il pe put malheureusement achever. Ménage , qui ne dit que quelques mots de ce séjour de Sarasin dans la patrie de Valstein, rappelle avec satisfaction les lettres qu’il recevait alors de son ami: « Vous êtes, lui di- sait celui-ci, dans une de ces lettres, sur mon cœur et sur mon ongle, et cela vous est d’autant plus glorieux , que plus je vais, moins j'y mets de gens. » Il lui disait une autre fois: « J’ai toujours la même constance pour mes amis, et la même gaîté pour me faire la comedia a me stesso, al dispetto della fortuna (1). » Son Discours sur la tragédie ou Remarques sur l’A- mour tyrannique, de M. de Scudéry, n’est pas une œuvre de critique bien remarquable , et ne vaut pas mieux que la dissertation de Balzac sur l’Herodes in- fanticida, d'Heinsius; mais ce n’est pas , comme le dit un spirituel écrivain (2), une mauvaise action , quoi- qu’il y adresse, des éloges outrés au rival ridicule du grand Corneille, et qu’il y ait quelques flatteries aussi ampoulées à l'adresse du cardinal de Richelieu. Les exagérations dans lesquelles entraîne l’esprit de cama- raderie affectaient presque partout la forme hyperbo- lique employée par Sarasin. « L'Amour tyrannique de M. de Scudéry, disait-il , est un poëme si parfait et si achevé, que si le temps n’eût point envié au siècle de Louis-le-Juste la nais- (1) Menagiana , t. IL, p. 207. (2) M. Gérusez, Essais d'histoire littéraire , p. 231. 04 JEAN-FRANCOIS SARASIN. sance d’Aristote , ou que M. de Scudéry eût écrit sous l'empire d'Alexandre, je pense avec raison que ce philosophe aurait réglé une partie de sa Poétique sur cette excellente tragédie, et qu'il en aurait tiré d’aussi beaux exemples que de celle d'OEdipe, qu’il estimait singulièrement. » | On croirait entendre Balzac, ou plutôt Scudéry lui- même vantant les OEuvres de Scudéry. Sarasin écrivit enfin pour Conrart, le père de l’Aca- démie française, sa Ballade du goutteux sans pareil, production assez médiocre, dont les trois couplets, l’'Envoi et l’Apostille obtinrent de Conrart, sortant de son silence prudent, une réponse composée sur le même plan, pour plaindre la misère du goutteux. Sarasin terminait ainsi sa ballade : Si tu te plais à ces vers-ci Que pour te plaire je t'envoie , Crois que j'en aurai de la joie ; Mais s'ils ne te plaisent aussi, Fais d'eux, sans aucune merci, Ce que les Grecs firent de Troie. Conrart répondait : Depuis que j'ai lu ta ballade, Je ne suis quasi plus malade ; Par là, tu peux voir à quel prix Je mets les vers que tu m'écris. Quant à ceux-ci, que je t'envoie, Tu n’en recevras pas de joie, Je le confesse et le maintiens : Fais-en donc avecque justice JEAN-FRANÇOIS SARASIN. h05 Ce que tu voulais que je fisse, A tort et sans cause, des tiens (1). Il plut à M. de Chavigny , secrétaire d’État , qui, comptant sur une finesse et une habileté généralement vantées, voulut l’envoyer auprès du pape Urbain VIIT, certain qu’il trouverait les moyens de se concilier les bonnes grâces du Souverain-Pontife, homme éclairé, savant , et toujours disposé à accueillir les hommes de lettres que lui députait la France. Sarasin reçut, pour se mettre en équipage, une somme de 4,000 livres, qu’il alla manger , dit toujours Tallemant, avec une dame de la rue Quincampoix. Cette première faute, qui devait être suivie d’un assez grand nombre d’autres du même genre, ne lui fit pas perdre la faveur de M. de Chavigny, s’accoutumant déjà à traiter Sarasin comme un bel esprit qui amuse, plutôt que comme un homme qu’on estime. Quelques années de séjour à Paris avaient ruiné Sa- rasin. Il crut pouvoir réparer les désastres de la fortune en épousant (triste ressource ! ),une femme riche, mais laide, vieille et du caractère le plus détestable, M”. de Piles, veuve d’un Maître des comptes. Il eut lieu de se repentir de cette union si mal assortie. Raïllé par ses amis, il voulut d’abord alléger ses infortunes conjugales, en se raillant lui-même. Il y fait ainsi allusion , dans un poëme intitulé : Le Voyage, dont il n’est resté qu’un fragment : Je disais, quand l’hymen me tenait dans sa nasse, (4) Valentin Conrart, né en 1603, fut le premier secrétaire de l'Académie francaise, Il mourut le 23 septembre 4675, 406 JEAN-FRANÇOIS SARASIN. Qu'il n’était plus saison de songer au Parnasse ; Et que je ne savais rien de plus décrié Parmi les gens d’esprit, qu’un rimeur marié. Tallemant parle de je ne sais quels articles de ma- riage, écrits en prose, dans lesquels il établissait, en- tr’autres clauses plaisantes , que sa femme ne le laisse- rait plus désormais sans croix ni pile. Mauvais jeu de mots, dont son biographe conteste même la justesse : il n’était pas sans croix, car sa femme le tourmentait sans cesse; mais il était sans pile, car elle ne lui don- nait pas un sou. Dans ces conditions , le mariage ne pouvait convenir long-temps à Sarasin; il se sépara de sa femme. Il retourna donc au sein de cette société qui, avide de tous les plaisirs, mettait du moins au premier rang les _ jouissances de l'esprit, et à la quelle l'avaient déjà rendu cher les grâces de sa conversation, sa gaîté, ses im- promptus, ses couplets et ses vives saillies. Admis dans la brillante cour que réunissait, tantôt à Paris et tantôt à Chantilly, la mère du prince qui allait être le Grand- Condé, du prince de Conti et de la duchesse de Lon- gueville, Sarasin , convié à toutes les fêtes, homme de tous les plaisirs, beau, bien fait, spirituel, devint le poète en titre, et bientôt l’hôte indispensable de cette illustre maison. Ce fut le plus beau temps de sa vie, que celui pen- dant lequel, profitant des jours de la bonne régence, célébrés par Saint-Evremond, il put prendre sa part des plaisirs de Chantilly , au milieu des personnages si dis- tingués qui y accouraient. Là , ils se dédommageaient de la contrainte qui avait pesé sur eux pendant les der- JEAN-FRANGOIS SARASIN. 407 nières années du règne de Richelieu, sans prévoir les malheurs qu’allait entraîner la guerre ridicule, ter- minée par le triomphe de la monarchie absolue. Sarasin était sûr de se faire écouter dans les salons de l'hôtel de Condé, ou sous les frais ombrages de Chantilly, lorsqu'il lisait son ode sur la prise de Dun- kerque (1647), lorsque, plus heureux encore et plus véri- tablement poète, il célébrait, en beaux vers, la victoire de Lens (20 août 1648); lorsqu’aussi, au risque de faire rougir la jeune et belle du Vigean, la seule femme que le prince de Condé ait véritablement aimée , il disait, en s'adressant au héros dont il célébrait les exploits: Enghien, délices de la Cour, Sur ton chef éclatant de gloire, Viens mêler le myrte d'amour A la palme de la victoire. Une autre fois, il faisait applaudir , par cette société d’élite, son poëme mêlé de vers et de prose , la Pompe funèbre de Voiture, un petit chef-d'œuvre, et ce fameux sonnet adressé à Charleval, sur la première femme coupable de coquetterie , dont le ton un peu leste n’effarouchait nullement un auditoire de dames, en l’année 1648. Sonnet , à M. de Charleval. Lorsqu’Adam vit cette jeune beauté, Faite pour lui d’une main immortelle, S'il l’aima fort, elle, de son côté , (Dont bien nous prit) ne lui fut point cruelle. Cher Charleval , aiors en vérité h08 JEAN-FRANÇOIS SARASIN. Je crois qu'il fut une femme fidèle, Mais comme quoi ne l’aurait-elle été ? Elle n'avait qu’un seul homme avec elle. Or en cela nous nous trompons tous deux ; Car, bien qu'Adam fût jeune et vigoureux, Bien fait de corps et d’esprit agréable, Elle aima mieux, pour s’en faire conter, Prêter l’oreille aux fleurettes du Diable, Que d’être femme et ne pas coqueter (1). Maïs ce qui devait flatter le plus M°, de Longueville, c'étaient ces stances sur le sonnet de Benserade, qui sont certainement ce que l’on a composé de plus spiri- tuel, lors de la fameuse querelle survenue à l’occasion des deux sonnets de Job et d’Uranie (2). C’est après le retour de Munster, où M"°. de Lon- gueville avait accompagné son époux, qu’elle avait eu lieu. Sarasin avait naturellement pour le sonnet de Voiture les yeux de M". de Longueville, et il pouvait d’ailleurs s’autoriser du jugement de l’Académie, de Caen , solennellement consultée sur ce grave sujet, comme nous l'avons dit ailleurs (3). (1) Ménage à traduit ce sonnet en vers latins. Voir Menagiana, t. I, p. 228. (2) C'est un peu trop outrer les choses que de voir, comme l'abbé Arnauld, dans cette guerre littéraire, une des causes de la guerre de la Fronde (Mémoires d’Arnauld, p. 280). Retz prend avec raison les choses d’un peu plus haut (Voir la magnifique introduction his- torique dont il fait précéder le récit des événements, t, Ie*., collection de Petitot ). (3) Notice sur Saint-Évremond dans les Mémoires de l Académie des Sciences, Arts et Belles-Lettres de Caen , 1851. JEAN FRANÇOIS SARASIN. 409 Glose à M. Esprit, sur le Sonnet de Benserade (1). Monsieur Esprit, de l'Oratoire, Vous agissez en homme saint, De couronner avecque gloire JoB DE MILLE TOURMENTS ATTEINT. L'ombre de Voiture en fait bruit , Et, s'étant enfin résolue De vous aller voir cette nuit, Vous RENDRA SA DOULEUR CONNUE. C’est une assez fâcheuse vue, La nuit, qu’une ombre qui se plaint ; Votre esprit craint cette venue, ET RAISONNABLEMENT IL CRAINT. Pour l’apaiser, d’un ton fort doux Dites : « J'ai fait une bévue, Et je vous conjure à genoux Que vous N’EN SOYEZ POINT ÉMUE. » « Mettez, mettez votre bonnet, Répondra l’ombre , et sans berlue Examinez ce beau sonnet, Vous VERBEZ SA MISÈRE NUE. « Diriez-vous, voyant Job malade, Et Benserade en son beau teint, Ces vers sont faits pour Benserade, IL S’EST LUI-MÈME 1CI DÉPEINT ? (1) Toutes les particularités relatives à la guerre des deux sonnets ont été recueillies par M. E, de Beaurepaire dans une Étude sur le XVII, siècle, publiée dans la Revue de Rouen et de Normandie, Mars 1852. 10 JEAN-FRANÇOIS SARASIN. « Quoi! Vous tremblez, Monsieur Esprit ? Avez-vous peur que je vous tue ? De Voiture, qui vous chérit, ACCOUTUMEZ-VOUS A LA VUE, « Qu’ai-je dit qui vous peut surprendre, Et faire pâlir votre teint? Et que deviez-vous moins attendre D'uN HOMME QUI SOUFFRE ET SE PLAINT ? « Un auteur qui dans son écrit, Comme moi reçoit une offense, Souffre plus que Job ne souffrit, BIEN QU’IL EUT D'EXTRÈMES SOUFFRANCES, « Avec mes vers une autre fois Ne mettez plus dans vos balances Des vers, où sur des palefrois ON VoiT ALLER DES PATIENCES. « L'Herty , le roi des gens qu'on lie, En son temps aurait dit cela : Ne poussez pas votre folie PLUS LOIN QUE LA SIENNE N’ALLA, » Alors l’ombre vous quittera Pour aller voir tous vos semblables, Et puis chaque Job vous dira S'IL SOUFFRIT DES MAUX INCROYABLEFS, Mais à propos, hier , au Parnasse, Des sonnets Phæbus se mêla, Et l’on dit que de bonne grâce IL S'EN PLAIGNIT , IL EN PARLA. « J'aime les vers des Uranins, Dit-il; mais je me donne aux Diables, Si pour les vers des Jobelins J'EN CONNAIS DE PLUS MISÉRABLES, » JEAN-FRANÇOIS SARASIN. 11 En écrivant à la suite les uns des autres les der- niers Vers de chacune des stances, on avait le sonnet de Benserade, dont il était difficile de faire une plus charmante critique. Citons encore, comme offrant un modèle de grâce facile et enjouée , quelques-uns des vers qu’il adressait sur cet admirable séjour de Chantilly, à M”, de Montausier (Julie d’Angennes), par ordre de la prin- cesse de Condé: Quand l'aurore , sortant des portes d'Orient, Fait voir aux Indiens son visage riant, Que des petits oiseaux les troupes éveillées Renouvellent leur chant, sous les vertes feuillées , Que partout le travail commence avec effort, A Chantilly l’on dort, Aussi, lorsque la nuit étend ses sombres voiles, Que la June brillante, au milieu des étoiles, D'une heure pour le moins a passé la mi-nuit, Que le calme a chassé le bruit, Que dans tout l’univers tout le monde sommeille , A Chantilly l’on veille. Entre ces deux extrémités, Que nous passons bien notre vie, Et que la maison de Sylvie À d’aimables diversités ! Les sens y sont enchantés, Les bois, les étangs et les sources, Et les ruisseaux qui, dans leurs courses, D'un pas bruyant et diligent, Font rouler leurs ondes d’argent ; Les jardins, les forêts, les côteaux, les prairies , Le superbe bâtiment 112 JEAN-FRANÇOIS SARASIN, Paré de tapisseries, Où la matière et l’art combattent noblement , Et que vous connaissez particulièrement, Peuvent-ils pas passer pour un enchantement ? Ici nous avons la musique De lutbs, de violons et de voix, Nous goûlons les plaisirs des bois, Etdes chiens, et du cor, et du veneur qui pique; Tantôt à cheval nous volons, Et brusquement nous enfilons La bague au bout de la carrière ; Nous combattons à la barrière, Nous faisons de jolis tournois, Nous allons tous à courre à l’ombrage des bois, Et nous donnons le bal tous les soirs une fois, Joignant l'humeur galante avec l'humeur guerrière, Et quant à nos festins , ils valent beaucoup mieux Que le festin des Dieux. Ni le nectar , ni l’ambroisie, Qui sont mets fort légers, selon ma fantaisie, N’égalent pas nos bons perdreaux, Ni les gros poissons de nos eaux, Ni nos fruits très-bons et très-beaux, Ni nos melons, qu’on croirait d'Italie. Conterai-je dans cet écrit, Les plaisirs innocents que donne notre esprit ? Dirai-je qu'Ablancourt, Calprenède et Corneille, C'est-à-dire vulgairement Les vers, l’histoire , le roman, Nous divertissent à merveille, Et que nos entretiens n’ont rien que de charmant ? etc. Comment Sarasin n’aurait-il pas été le bienvenu dans cette société incomparable, dont il était l'âme, JEAN-FRANÇOIS SARASIN. UE) et dont il célébrait si dignement les plaisirs ? Son esprit se prêtait à tout ce qu’on pouvait exiger de lui. M", de Longueville lui disait : . Sarasin, prêchez comme un cordelier. Et Sarasin prêchait comme un cordelier, c'est-à-dire, en parlant avec une éloquence pleine de noblesse, qui ravissait son auditoire. Maintenant, prê- chez comme un capucin. Et Sarasin prêchait comme un capucin, de manière à faire rire à gorge déployée. Il eût prêché comme Bourdaloue, dit Segrais, si Bour- daloue avait alors existé. » Un jour le prince de Conti qu’il accompagne, est harangué par les échevins d’une ville. L’orateur reste court à sa seconde période, et Sarasin s’élançant du carrosse, reprend gravement le discours au point où il venait d’être laissé, le continue en l’assaisonnant de plaisanteries et de louanges délicates, en style si ori- ginal , que le prince a beaucoup de peine à contenir son sérieux. On ajoute que les échevins, pleins de re- connaissance , lui offrirent, comie au prince, le vin de la ville. Cet esprit flexible et toujours en verve, est bien celui qu'a saisi Me, Ge Scudéry, dans le portrait qu’elle fait de Sarasin, désigné, par elle, sous les noms d’Amilcar (4) et de Polyandre : « Ami dévoué, négociateur habile et adroit, hardi avec grâce , et d’une galanterie vive et enjouée. » Livré tout entier à ce monde brillant, le poète ne pouvait être qu’un de ces (4) C'est un Amilcar, dit une des Précieuses de Molière, qui connaissait bien sa Clélie, pour caractériser le genre d'esprit du marquis de Mascarille ou du marquis de Jodelet. 27 hi JEAN-FRANÇOIS SARASIN. improvisateurs qui plaisent trop à leurs contemporains, pour composer des œuvres dignes de l'admiration de la postérité. « I1 y a dans Sarasin, dit Boileau, la matière d’un grand esprit, mais la forme n’y est pas. » La forme, le travail seul peut la donner; et Sarasin n’était pas homme à se mettre l'esprit à la torture pour cadencer une période harmonieuse, ou chercher à donner un tour inattendu à une fin de lettre. « J’envie, disait-il, le sort de mon procureur, qui commence toutes ses lettres par J’ai reçu la vôtre, sans qu’on y trouve à redire. » Il aurait pu cependant, sil l'avait voulu, ajouter de nouvelles formules à celles dont l’in- vention avait coûté tant de peine à Balzac et à Voiture. « Je ne suis pas encore si endormi, écrit-il, à la fin de sa lettre à M°, de Montausier , que je ne sache bien qu’une lettre qui commence par Madame, doit aussi finir par je suis, etc. (1).» Je voudrais pouvoir m'arrêter plus long-temps sur cette heureuse période de la vie du poète d'Herman- ville; mais, dans l’existence des individus comme dans celle des nations , elles passent vite, ces belles et brillantes années de la jeunesse , bientôt attristées par les déceptions et les mécomptes de l’âge mûr! La joyeuse société qu'animait Sarasin, se dispersa (4) Ménage a exprimé heureusement le caractère des compositions de Sarasin, dans les vers qu’il lui adressa au sujet de son Bellum parasiticum : Leporum pater et facetiarum,..... Paptim scribere nec laboriose, O te, talia qui potes, beatum ! JEAN-FRANÇOIS SARASIN. hA15 aux bruits précurseurs des orages. Dans une épître en style de Marot, adressée au comte de Fiesque, le poète, presque sérieux malgré lui, écrivait sous l'influence des préoccupations sinistres qui pesaient sur la cour, sur la ville, sur la France entière, lors- que M“. de Longueville revenait de son ambas- sade à Munster , où se négociait une paix douteuse encore : Pas bien ne sais comme ira la besogne, Et moult en crains, car les gens déclarés Pour faire paix, sont aux couteaux tirés. La paix se fit cependant; mais, tandis qu'elle se signait, éclataient à Paris les premiers symptômes de la guerre civile. Il ne nous est pas aisé de suivre Sarasin pendant ces quatre désastreuses années, qui couronnèrent si tristement la régence d’Anne d'Autriche. Mis à la Bastille pour des coupiets contre le roi, il en sortit, se promettant bien de ne plus s’exposer à y retour- ner. Mais engagé comme il l'était dans le parti des princes, lié avec le fameux coadjuteur, ami de Marigny et Gu burlesque auteur Ge la WMazarinade, il lui aurait été bien diflicile de ne pas prendre part à cette guerre de pamphlets, de bons-mots et de chansons , qui accompagnait une autre guerre beaucoup plus sérieuse, ce semble, que ne l'ont cru quelques-uns des historiens de la Fronde; guerre plaisante, sans doute, pour un grand nombre, terrible pour plusieurs, et, comme toutes les guerres civiles, désastreuse pour tous. h16 JEAN-FRANÇOIS SARASIN. Parmi ceux qui assistent en riant à cette tragi- comédie , il faut compter Sarasin. Même au milieu des circonstances les plus graves, il semble qu’écrivant à ses illustres protecteurs, il se croie encore à Chan- tilly. La duchesse de Longueville est proscrite par un édit royal, vérifié par le Parlement de Paris, le 7 mai 1650. Sarasin lui écrit, lorsqu’après avoir couru à Dieppe les plus grands dangers , elle est arrivée à Rotterdam (4) : Objet en tous lieux adoré, Et la reine et son fils ont dit et déclaré Que vous étiez une rebelle; Vénus et Cupidon en ont bien dit autant : Avec Anne et Louis videz votre querelle, Mais au moins contentez Vénus et son enfant. Lorsque les princes de Condé, de Longueville et de Conti sont mis en liberté par Mazarin partant pour Brublt, le Parlement, toutes les chambres assemblées, absout la duchesse; et Sarasin lui écrit encore, dans ce style galant et leste qui montre à la fois l'esprit de la société de Chantilly, et le degré de liberté qu’elle avait laissé prendre au poète : Aujourd’hui le Parlement Vous absout d’être rebelle ; Recevez le compliment Que je vous en fais, la belle. Vous n'êtes plus criminelle, Si ce n’est de lèse-amours ; Mais, ma foi! vous êtes telle Que vous le serez toujours. (1) Mémoires de la duchesse de Nemours , p. 37. JEAN-FRANCÇOIS SARASIN. 117 Sarasin, on le voit, n’était nullement disposé à prendre les choses sur un ton tragique. Il y a lieu de croire qu'il rit plus d’une fois, avec son voisin Scarron, et des hommes et des événements, dans ces joyeuses causeries qui faisaient oublier au malade de la reine Anne ses atroces souffrances, C’est pour se plaindre de son absence, que l’auteur de la Mazarinade adres- sait à Sarasin ces vers trissyllabes, admirés de quelques- uns de nos poètes romantiques, à l’époque déjà éloignée où l’on avait la prétention de renouveler notre poésie, en affectant des formes surannées, qui n’ont d’autre mérite que celui de la difficulté vaincue : Sarasin, De tes deux Mon voisin, Chevaux gris, Cher ami, Mal nourris, Qu'a demi Y venir Je ne voi, Réjouir, Dont, ma foi i Par tes dits J'ai dépit, À Ébaudits, Un petit ; Un pauvret N'’es-tu pas Très-maigret, Barrabas, Au col tors, Busiris , Dont le corps Phalaris, Tout tortu, Ganelon, Tout bossu, Le félon , Suranné, De savoir Décharné, Mon manoir Est réduit, Peu distant, Jour et nuit, Et pourtant, A souffrir, De ne pas Sans gémir, De ton pas Des tourments Ou de ceux Véhéments ? L18 JEAN-FRANÇOIS Si Dieu veut, Qui tout peut, Dès demain SARASIN. Et verras Si j'ai tort D'être fort Mal Saint-Main, En émoi Sur ta peau, Contre loi. Bon et beau, Mais, pourtant , S'étendra, EL fera Si tu viens, Et te tiens Un moment KRepentant , Tout ton cuir , Convertir , En farcin. Seulement Lors, mal sain Avec nous, Et pourri, Mon courroux Bien marri Finira. Et cœtera. Tu seras, Vers l’année 1651, le pauvre Scarron, toujours logé à l'hôtel de limpécumosité, écrivait encore à Sarasin , qu’il était décidé à aller chercher en Amérique la santé et la fortune : « Mon chien de destin m’emmène dans un mois aux Indes-Occidentales. Je me suis mis pour mille écus dans la nouvelle Compagnie, qui va faire une colonie à trois degrés de la Ligne et sur les bords de l’Orénoque. Adieu, France! adieu, Paris ! adieu, tigresses déguisées en anges! Adieu, Ménage, Sarasin, Marigny! Je re- nonce aux vers burlesques , aux romans comiques et aux comédies, pour aller dans un pays où il n’y aura ni faux béats, ni filous de dévotion, ni inquisition , ni hiver qui n’assassine, ni fluxion qui mestropie, ni guerre qui me fasse mourir de faim! » Ce voyage, que Segrais devait faire avec Scarron , v’eut pas lieu, comme on sail; mais ce fut à celle oc- ue JEAN-FRANÇOIS SARASIN. h19 casion que l’auteur de l'Énéide travestie vit pour la première fois cette jeune et belle Françoise Agrippa d’Aubigné, dont il fit sa femme, et qui, devenue veuve de celui qui se disait un misérable raccourci des misères humaines (1), devait épouser un roi de France! Cependant Mazarin ne succomba point sous le poids d’une haine dont quelques mots de La Rochefoucauld, qui s’y connaissait, nous donnent tout le secret : « La haine pour les favoris n’est autre chose que l'amour de la faveur. Le dépit de ne pas la posséder se console et s’adoucit par le mépris qu’on témoigne de ceux qui la possèdent, et nous leur refusons nos hommages, ne pouvant leur ôter ce qui leur attire ceux de tout le monde. » Mazarin acheta un à un les chefs de parti, qui n'avaient conspiré, pour la plupart, que pour se faire acheter, Et le combat finit, faute de combattants. Sarasin était alors attaché, en qualité de secrétaire des commandements, au prince de Conti, dont Île rôle parmi les Frondeurs n’avait pas été le moins ridi- cule , et il ne le quitta plus. Ici commence pour lui une nouvelle histoire , dont les détails n’ont été révélés que depuis peu de temps. La première partie de sa vie nous a fait assister aux faciles triomphes d’un esprit dont personne n’a contesté la supériorité. (4) Voir, sur le courage avec lequel Scarron supportait ses dou- leurs, la lettre de Balzac à Costar, et le passage de Cyrano de Bergerac que cite M. Gérusez, dans ses Essais littéraires, h20 JEAN FRANCOIS SARASIN. Nous verrons maintenant se dessiner son caractère, dont les indiscrétions de Tallemant des Réaux ne nous avaient déjà pas fait augurer très-favorablement , et dont les événements que j'ai à raconter dévoileront toutes les faiblesses. Triste récit, dans lequel on voit ce qu'ont à gagner les hommes d’esprit et de cœur qui descendent au rôle de domestiques des princes, et les princes qui se mettent à la merci d'hommes intéressés à flatter ieurs passions, afin d’en tirer parti pour eux-mêmes. En s’attachant au prince de Conti, dont il devint, bientôt après, lintendant (1), Sarasin s’imposait l'obligation de mettre en pratique tout ce que la na- ture lui avait donné d’esprit, d’habileté et d'adresse , pour ménager sa fortune et tirer parti de sa position. Il n’était pas homme à perdre de vue les avantages qu'elle lui offrait. Mais la cour du prince servait de point de mire ou de centre à un certain nombre de personnages, dont l'ambition était au moins égale à la sienne; et il lui fallut à la fois lutter contre des in- térêts rivaux, et se tenir en garde contre la capricieuse inconstance d’un maître, auprès duquel il ne put se maintenir que par la connaissance approfondie qu’il avait acquise de son caractère, de ses bonnes et de ses mauvaises qualités, de ses passions et de ses fai- blesses. Armand de Bourbon, prince de Conti, destiné (4) « Intendant des affaires de notre cher et bien-aimé cousin, le prince de Conti, » est-il dit dans le privilége accordé, en 1655, à Ménage, pour l'impression des OEuvres de Sarasin, JEAN-FRANÇOIS SARASIN. 21 d’abord à l’état ecclésiastique , s'était jeté dans le parti de la Fronde , à l’instigation de la duchesse de Longueville. Elle avait opposé ce singulier généralis- sime (1) à son frère, le Grand-Condé, qu’elle avait essayé vainement de détacher du parti de la cour. Brave, mais dépourvu de talents militaires, il s'était adonné au métier des armes avec d’autant plus d’obs- tination que son organisation physique semblait l'y rendre moins propre. Il avait, sur un corps difforme, une belle tête, ornée d’une longue chevelure; sa figure était pleine d’amabilité et de grâce. Il se distinguait , comme tous les princes de sa maison, par un goût prononcé pour les Lettres, qu’il avait cultivées avec succès. C'était un des côtés par lesquels Sarasin, le vif et spirituel poète, était entré dans sa faveur, et il aurait trouvé dans la faiblesse et l’indécision de son caractère les conditions les plus propres à assurer son crédit , si ces défauts n’eussent pas eu pour résultat de mettre le prince à la merci de tous ceux qui pour- raient prendre de r’ascendant sur lui. Sarasin eut à disputer les bounes grâces du prince de Conti à Barbezières, à Chémeraut, à d’Angerville, comme lui gentilhomme de Caen, et à l’abbé Daniel (4) On sait que le Prince de Condé présentant à la Reine un petit bossu, lui dit : Voilà le généralissime de l’armée de Paris. Le car- dinal de Retz le traite rudement : « Ce chef de parti était un zéro, qui ne se multipliait que parce qu’il était prince du sang. La mé- chanceté faisait en lui ce que la faiblesse faisait en M. le duc d’Or- léans. Elle inondait toutes ses autres qualités, qui n'étaient d’ailleurs que médiocres et toutes semées de faiblesses ( Mémoires de Retz, p. 312, collection Petilot ). LE h22 JEAN-FRANÇOIS SARASIN de Cosnac, depuis archevêque d’Aix , dont les impor- tants Mémoires , récemment publiés par la Société de l'Histoire de France, permettent de pénétrer, plus intimement qu’on ne l'avait fait jusqu'ici, dans l’ap- préciation du caractère de notre poète et dans l’his- toire des dernières années de sa vie. Ils avaient tous suivi le prince à Bordeaux , lors- qu'après la rentrée triomphante de Mazarin à Paris, la Guienne , où s'était réfugiée la femme du prince de Condé, était devenue le rendez-vous des derniers défenseurs de la cause des princes. Il n’était pas aisé de gouverner les affaires du prince de Conti, au milieu de tous les intérêts que le hasard avait réunis sur le même point, pour continuer une lutte entreprise dans des vues si diverses. Tandis que la duchesse de Lon- gueville et son frère, la princesse de Condé et le jeune duc d’Enghien, son fils, le Parlement de Bordeaux et les bourgeois, poursuivaient leurs projets, à travers des lâchetés et des trahisons mutuelles, une armée, plus redoutable pour eux que ne l'était celle du duc de Candale, s’était organisée et n'avait pas tardé à effrayer les imprudents qui avaient voulu faire servir au profit de leur cause les passions populaires. Les &0,000 Ormistes (1), commandés par le boucher (4) Lorsqu’en 4650 le roi fit grâce aux Bordelais révoltés et leur promit de remplacer le duc d’Épernon par un autre gouverneur, le peuple, voyant que l’on tardait à donner un successeur au duc, se révolta de nouveau, et voulut contraindre les Jurats à se soulever contre l'autorité royale. Les mutins se réunirent près des ruines du château du Hà, sur une vaste esplanade plantée d’ormes, ce qui fit donner à leur assemblée le nom d’'Ormée. Le roi se hâta de substi- JEAN-FRANÇOIS SARASIN. 423 Duretête et l’aventurier Las Floridès , ne songeaient pas moins que les princes à faire la guerre pour leur propre compte, bien que le prince de Conti eût cru faire acte de bonne politique en se déclarant leur chef, et ils annonçaient hautement qu’il s'agissait pour eux de tout autre chose que de renverser le Ma- zarin (1). Je n’ai pas à raconter ici cette dernière phase de la guerre de la Fronde , trop imparfaitement étudiée par les historiens ; je suivrai seulement Sarasin au milieu des basses et misérables intrigues qui se croisaient au sein de la petite cour qu'il dirigeait, et où il travaillait à ses propres affaires, sous prétexte de faire celles du prince. En complétant ainsi sa biographie , grâce aux révélations de son ami Cosnac, je trouverai l’occasion de montrer jusqu’à quel point les personnages qui oc- cupent les premiers rangs de la scène, servent souvent d'instruments à leurs subalternes. En étudiant de cette manière les particularités de la petite histoire qui se fait toujours à l’ombre de la grande, on apprend que certaines actions, considérées comme le résultat d’in- spirations personnelles ou la suite de grands desseins, n’ont eu quelquefois pour mobiles que des volontés étrangères , conduites elles-mêmes par des motifs fort peu respectables. Quelque temps après l’arrivée à Bordeaux de lPabbé tuer le prince de Condé au duc d'Épernon, qui eut en échange le gouvernement de la Bourgogne ( Mémoires du P. Berthod). (4) Villars, un des ofliciers qui commandaient à Bordeaux pendant cette époque d’anarchie, demanda à la cour 30,000 écus pour avoir, disait-il, empêché la ville de se républiauer. h24 JEAN-FRANÇOIS SARASIN. de Cosnac, il prit au prince de Conti un de ces accès de dévotion , qui succédèrent plus d’une fois aux excès dans lesquels le faisaient tomber son goût pour les plaisirs et sa passion désordonnée pour les femmes. Sarasin comprit que le crédit du secrétaire allait être amoindri de tout ce que devait gagner celui du con- fesseur. Il essaie d’abord , avec Barbezières, d'enlever le prince à ses préoccupations religieuses, en lui pro- curant les divertissements auxquels il le sait être le plus sensible ; mais l’esprit de pénitence et de dévotion persévérant , les deux courtisans s’empressent de suivre l'exemple du maître et de blâmer hautement la vie qu'ils pratiquent en secret. Ils servent chaque jour publiquement la messe à M. le Prince , avec une piété exemplaire, dont lui seul ne suspecte pas la sincérité, maintiennent ainsi leur crédit, et, lorsque les choses ont repris leur cours ordinaire , ils recommencent, en compagnie du prince de Conti, la vie de dissipation et d’intrigues à laquelle celui-ci ne pouvait jamais re- noncer bien long-temps. Entre les divers partis qui s’agitaient à Bordeaux, celui que dirigeaient la duchesse de Longueville et le prince de Conti était loin d’être le plus fort, et les efforts tentés pour diviser le frère et la sœur dimi- nuaient encore la faible part d'influence qui leur était dévolue. Sarasin s’attacha d’abord à les maintenir en bonne intelligence , non qu'il cherchât dans leur union le moyen d’être utile à l’un ou à l’autre, mais parce qu’en homme prévoyant , il ne se souciait nullement de se brouiller lui-même avec la duchesse. Il avait eu JEAN-FRANÇOIS SARASIN. h25 déjà l'adresse de la soustraire à l’ascendant du duc de La Rochefoucauld, et de la rapprocher, par consé- quent, du prince de Conti. Lié avec M'e, de La Verpil- lière , fille d'honneur de la duchesse , il s’était concerté avec elle et avec le marquis de Jarzai, pour introduire auprès de M"°, de Longueville le beau duc de Nemours, et comme celle-ci détestait la duchesse de Châtillon, sa rivale, elle avait cru obtenir un grand triomphe en lui enlevant cet amant. Blessé dans son orgueil, La Rochefoucauld avait rompu avec la duchesse, à la- quelle il fit payer cher son infidélité. Mais au moment où Sarasin s’applaudissait d’avoir éloigné La Roche- foucauld, le prince de Conti, excité par Chémeraut, rompit violemment avec sa sœur. Comme il voulait que ceux qui l’entouraient entrassent dans tous ses intérêts et épousassent toutes ses passions, Sarasin se trouva dans un assez grand embarras. Son esprit souple et délié lui permit, pendant quelque temps, de se maintenir au milieu de cette position difficile. En présence du prince de Conti, il applaudissait à ses emportements , et, persuadé d’un autre côté que Me, de Longueville reprendrait tout son ascendant sur son frère, aussitôt qu’elle le voudrait, il lui donnait avis de tout ce qui pouvait être dit ou tramé contre elle , sacrifiant ainsi, dit Cosnac, le plus adroitement et le plus secrètement qu’il pouvait, son bon maître et son cher ami Chémeraut. Le prince ayant tout découvert, s’emporta , comme il le faisait souvent , contre Sarasin, et commanda à Cosnac de lui porter l’ordre de se retirer. Mais les agréments de son esprit étaient trop nécessaires au h26 JEAN-FRANÇOIS SARASIN. prince pour que sa disgrâce pût être de longue durée ; et l’abbé Cosnac assure qu’il le réconcilia lui-même avec son maître , toujours disposé à pardonner. Quelque temps après , d'Angerville trouvait le moyen de supplanter ses rivaux dans la faveur du prince , en lui présentant M”°. de Calvimont. Mais comme l'amour ne pouvait entrer dans son âme sans y être accompagné d’une violente jalousie , d’Angerville n’avait pas tardé à lui donner de l’ombrage, et, pour prix du service qui lui avait été rendu, le prince, dont tous les sentiments étaient extrêmes, lui avait ordonné de s'éloigner de Bordeaux. Bien que M"°. de Calvimont fût dépourvue des qua- lités propres à lui assurer une influence durable sur l'esprit du prince de Conti, c'était pour Sarasin une concurrencetrop redoutable pour qu’il ne cherchât pas à en prévenir les effets. Le moyen le plus sûr était de se concilier les bonnes grâces de cette dame et de la mettre dans ses intérêts. Mais pour ne pas éprouver le sort de d’Angerville, il voulait que ce fût le prince lui-même qui l’introduisit auprès d’elle. Gelui-ci resta sourd à ses insinuations ou à ses prières ; ik résista même long-temps à M°, de Calvimont, qui, d’après les instructions données par Sarasin lui-même, manifesta le plus grand désir de voir celui qu’on lui avait dépeint comme le plus enjoué et le plus divertissant des hommes. A la fin, ce fut Sarasin qui, sous prétexte de communi- quer au prince une affaire importante, alla lui parler, lorsqu'il se trouvait chez sa maîtresse. Après qu’il eut exposé au prince en particulier l’objet de sa visite, il entra en conversation avec les deux amants, et comme JEAN-FRANGOIS SARASIN. 4h27 il s'était d’avance sans doute préparé à les divertir, il y réussit si admirablement bien , que le prince ne fut pas moins émerveillé que M, de Calvimont, en entendant les folles plaisanteries et les spirituelles saillies de son secrétaire. Le succès de la première entrevue en amena d’autres, et Sarasin crut pendant quelque temps pouvoir, par le moyen de la maîtresse, rétablir ses affaires, compromises par sa conduite à l'égard de M. de Longueville, et travailler efficace- ment à l'agrandissement de sa fortune. Pendant que le temps se perdait au milieu de ces intrigues , l’armée royale, commandée par le duc de Candale, s’approchait de Bordeaux, et la ville, gagnée secrètement par les émissaires de la cour, ne songeait qu’au moyen de se soustraire à l'autorité des princes (1). Ceux-ci, fatigués eux-mêmes d’une guerre sans ré- sultat, ne demandaient pas mieux que de traiter avec Mazarin , devenu maître de la situation. La duchesse de Longueville et son frère quittèrent la ville : la pre- mière , pour s’abandonner entièrement aux sentiments d’un pieux et sincère repentir; le prince, pour se rendre dans son petit gouvernement de Pézénas. C'était tomber bien bas, après de si ambitieuses espérances. Une profonde mélancolie s’empara du prince de Conti, lorsqu'il put comparer la glorieuse (1) Beaumont de Péréfixe et d’Artagnan, envoyés par Mazarin, s'étaient insinués auprès des chefs de l’armée et faisaient connaître tous leurs plans à l’armée royale (Villefore). Les curieux mémoires du P, Berthod donnent une idée exacte de l’état dans lequel se trou- vaient les divers partis à Bordeaux et dans le reste de la Guienne, 4 128 JEAN-FRANÇOIS SARASIN. réception que fit Bordéat au duc de CGandale, à la retraite honteuse et furtive à laquelle il s’était sou- mis, d’après les termes de la capitulation. Cosnac et Sarasin seuls l'avaient accompagné à sa sortie de la ville. Ce fut le dernier qui releva son courage abattu. Entendant le prince exalter le triomphe du duc de Candale et le bonheur de commander, comme lui, à une armée victorieuse : « Il ne tiendra qu’à vous, Prince, lui dit-il, d’être bientôt dans un poste aussi glorieux, et de vous faire envoyer même à la tête de l’armée que commande le duc de Candale, — Comment l'entendez-vous , demanda le prince? — Faites , dit Sarasin , ce que va faire M. de Candale. » M. de Candale était sur le point d’épouser M'°, de Martinozzi, une des nièces du cardinal Mazarin (1). Ainsi fut jetée la première idée d’un mariage qui devait se conclure, en effet, quelques mois après. Cosnac ne partagea pas les espérances que Sarasin paraissait avoir fondées sur l'alliance du prince de Conti avec la nièce du riche et puissant cardinal : c'était abandonner cent milie écus de bénéfices , pour s'attacher à la fortune d’un homme qui, déjà chassé deux fois du royaume, pouvait bien l'être encore. Tous les efforts de Gosnac pour dissuader le prince furent inutiles. Sarasin , qui avait reçu de Paris des instructions précises, ne pouvait manquer de réus- sir, en lui faisant entrevoir comme conséquence de cet (4) Voir la Conversation avec le duc de Candale, dans les OEuvres choisies de Saint-Evremond que nous avons publiées chez Didot; Paris, 4852 (p. 262). biens - A SARASIN. 129 hymen, la souveraineté de Brouage et l'épée de Conné- table. Il fut chargé d’aller trouver le Cardinal, afin de traiter directement avec lui cette importante affaire. Pour s'assurer, pendant son absence, l'appui de M, de Calvimont, Sarasin engagea le prince de Conti à installer sa maîtresse dans son château de la Grange. Lorsqu'elle y fut, elle eut la fantaisie d’y faire appeler des comédiens. Deux troupes se trouvaient alors dans le voisinage : l’une avait pour chef Cormier, et l’autre Molière, dont le nom était alors inconnu. On a raconté que le prince de Conti s'était empressé d’accueillir le futur auteur du Misanthrope, qu’il avait connu autrefois à Paris. Les choses ne se passèrent pas tout- à-fait ainsi. La troupe de Molière, à laquelle s'était adressé Cosnac, ayant tardé à arriver à la Grange, celle de Cormier se fit agréer par M”°. de Calvimont , au moyen d'un riche présent qui lui fut fait par le directeur; et lorsque Cosnac représenta au prince qu’il avait, par ses ordres, pris des engagements avec Molière, il répondit qu’il venait lui-même de s’en- gager avec Cormier. « Il est plus juste que vous man- quiez à votre parole, que moi à la mienne », ajouta-t-il sèchement. Cependant Molière arrive ; il demande qu’au moins on lui paie ses frais de voyage; le prince de Conti refuse, et Cosnac lui donne mille écus de sa bourse, pour qu’il puisse donner des représentations à Pézénas. Le prince, piqué d’honneur, consent à ce que sa troupe vienpe jouer une fois par mois à la Grange. Il se décida enfin à trouver du talent au grand comédien et aux sujets distingués qu’il dirigeait, lorsque Sarasin, devenu amoureux de la Duparc, eut 28 30 JEAN-FRANÇOIS SARASIN. gagné leur cause aunre Me, de Calvimont. Alors seulement, le prince congédia la troupe de Cormier et fit donner une pension à celle de Molière. Plus tard, le prince de Conti , lorsqu’eurent lieu les États de Languedoc, se souvint de Molière et de ses succès au château de la Grange , et voilà comment il accorda à Molière une faveur exclusivement attribuée, par Grimarest , à la pénétration avec laquelle le prince avait deviné, dans l’acteur de Pézénas, un homme de génie. Le hasard et l'intrigue y ont eu, comme on le voit, Sarasin aidant , au moins autant de part que le bon goût et le discernement du prince. Le prince de Conti retrouva Molière à Montpel- lier , où fut appelé, vers la fin de l’année 1654, le grand acteur-poète, qui venait de donner à Lyon l'Étourdi et le Dépit amoureux (1). I] est peu pro- bable que le prince lui ait alors sérieusement offert la place de secrétaire, laissée vacante par Sarasin , comme le prétend Segrais. C’est un fait rapporté néanmoins dans toutes les biographies; et sil était vrai, j'admettrais difficilement, avec Grimarest, que Molière eût refusé, « parce qu’il aimait à parler en public, et que cela lui aurait manqué chez M. le prince de Conti. » Les raisons que M. J. Taschereau donne de son refus me sembleraient beaucoup plus probables (1) On montre encore, à Pézénas, le fauteuil où Molière venait s’asseoir les jours de marché, chez le barbier Gély, dont la boutique était le rendez-vous des oisifs, des campagnards et des beaux-esprits de l'endroit. JEAN-FRANÇOIS SARASIN. h31 et plus dignes de Molière (1). Quoi qu'il en soit, si le prince de Conti encouragea les débuts de Molière, on sait qu’il expia plus tard ce qu’il dut considérer comme une faute, lorsqu’ayant abjuré à son tour tous les goûts profanes , il écrivit un gros livre contre la Comédie, « Il aurait mieux fait, dit Voltaire, d’en écrire un contre la guerre civile. » 11 fallait que le prince de Conti comptât beaucoup sur l’habileté de Sarasin, pour le charger de la délicate mission qu’il lui avait confiée, en l’envoyant à Paris négocier son mariage. Il savait, par expérience, à quoi s’en tenir sur l'affection qu'avait pour lui son intendant, et sur l’étendue de son dévouement. Lorsqu'il était parti de Bordeaux , il avait eu beaucoup de peine à se débarrasser des fournisseurs et des marchands, qui réclamaient le paiement de leurs avances. La caisse du prince était vide, et Sarasin avait déclaré qu’il était lui-même dans l'impossibilité de lui venir en aide. Il fut obligé d’avoir recours à la bourse de ses amis, qui parvinrent à le tirer d’embarras. Grande fut la co- lère du prince lorsqu'il apprit, quelques mois après, que Sarasin aurait pu mettre alors à sa disposition une somme de 20,000 écus, fruit de ses économies. Me. de Bacalan, maîtresse de Sarasin , s'étant vue, en effet, à l’article de la mort, avoua que celui-ci avait déposé cette somme entre ses mains, avant de quitter Bordeaux; l’on ne manqua pas de faire connaître ces détails au prince. (4) Histoire de la Vie et des Ouvrages de Molière, 3°, édition. Paris, Hetzel, p, 20. 39 JEAN-FRANGOIS SARASIN. Pendant que Sarrasin, chargé de porter au cardinal Mazarin la demande de son maître et de débattre ses intérêts, voyait chaque jour le rusé ministre retran- cher quelque chose des avantages qu'il avait d’abord promis de faire à sa nièce, le prince de Conti quittait M°*°. de Calvimont pour M“. de Calvière, par les conseils d’un nouveau favori, M. d’Aubijoux, et se laissait entraîner ensuite, par ce même gentilhomme , dans les honteux excès, qui eurent pour sa future épouse , la belle et vertueuse Martinozzi, et pour toute la race des Conti, de si déplorables conséquences (1). Toute l’habileté de Sarasin ne put triompher de la résolution, prise par le ministre, de n’accorder la main de sa nièce au prince de Conti, que s’il se contentait d’une dot de 200,000 écus. Ce fut dans ces conditions que se conclut un mariage qui avait fait concevoir au frère du grand Condé de si brillantes espérances, heureux encore de rentrer à ce prix dans les bonnes grâces du Roi. Sarasin, du reste, n’eut pas plus à se louer de la générosité du ministre que de celle de son maître , qui, dansles moments surtout où il manquait d'argent, lui reprocha plus d’une fois de lui avoir conseillé ce qu’il appelait une bassesse. On a même cru, jusqu’à présent, sur la foi de Tallemant des Réaux et de Segrais, que Sarasin était mort par suite d’une fièvre chaude , occasionnée par les mauvais traitements qu'il avait recus du prince de Conti, qui s'était emporté jusqu'à le frapper d’un coup de pincette à la tempe. Cosnac, mieux à même (1) Voir les Mémoires de Cosnac, JEAN-FRANÇOIS SARASIN. h33 de savoir la vérité, nie le fait. « Le prince, dit-il, était incapable d’une telle violence, même envers le moindre de ses domestiques. » Le conte n’en a pas moins passé pour une histoire. Sur l'autorité de Segrais, Perrault l’a accueilli comme” un fait réel dans ses Hommes illustres , ainsi que Gatien des Courtils, dans ses Mémoires d’Artagnan, et Bona- venture d’Argonne, dans ses Mélanges de littérature. Un Journal de la Haye (1) rapporte lépigramme suivante, qui y fait allusion : Deux charmans et fameux poètes , Disciples de Marot, Du Cerceau, Sarasin , Ont éternisé les pincettes, Le premier par ses vers, et l’autre par sa fin. Ce qu’il y a de certain, c’est que depuis long-temps les marques de confiance ou d'affection que Sarasin pouvait recevoir, ne le trompaient nullement sur les véritables sentiments du prince. On avait recours à lui, parce que l’on croyait pouvoir tirer un parti avanta- geux de sa capacité ; et lui-même ne se montrait em- pressé et serviable que dans la mesure de son intérêt particulier. Après la campagne de Catalogne, le prince de Conti le présenta au Cardinal, comme il le lui avait promis, afin qu'il fût désigné, avec M. de Besons, pour assister, en qualité d'homme du Roi, aux États de Languedoc. Mais il avait écrit secrètement à Cosnac pour lui or- donner de faire tous ses efforts auprès du ministre (1) Journal littéraire de Lu Haye, t. IX, 4e, part, p, 427. L3h JEAN FRANCOIS SARASIN. afin d'empêcher qu’on accordât à son secrétaire la faveur qu’il avait sollicitée pour lui. Sarasin n'aurait pu, lors même que le prince lui aurait tenu parole, prendre place à cette assemblée des États du Languedoc, dont il avait désiré faire partie. La veille du jour fixé pour la tenue des États, le prince de Conti apprit que Sarasin, qui était alors à Pézénas, se trouvait à l'extrémité (1). Le lendemain, se promenant au mail, à Montpellier, avec l'abbé Gosnac, il aperçut un vieillard qui se dirigeait de son côté. « Voilà, dit-il, un homme qui nous apporte des nou- velles de Sarasin. » C'était, en effet, un ecclésiastique qui lui remit une lettre du P. Talon, son confes- seur. Elle commençait par ces mots : Frater noster morluus est. « Le prince, dit Cosnac, parut plutôt surpris qu’afiligé de cette mort. Il rentra dans la ville et (4) Les États de Languedoc s’ouvrirent vers le milieu du mois de décembre 14654. C’est donc à tort que Baïllet fait mourir Sarasin vers l’année 1658. Loret écrivait, à la date du 5 décembre 1654, dans sa Gazette: Sarasin, cet aimable esprit, Dont on voit maint sublime écrit, Est, à Pézénas, si malade, Qu'il n’use plus que de panade. Et le 49 du même mois : Enfin la rigoureuse Parque A ravi cet homme de marque, Ce monsieur Sarasin, normand, Dont l'esprit était si charmant, JEAN-FRANÇOIS SARASIN, h35 monta à la chambre de la princesse pour lui faire part de cette nouvelle. Je me retirai dans la mienne , d’où, une heure après, il m’envoya quérir. Je trouvai autour de lui beaucoup de gens devant lesquels il faisait le triste : il me prit même à témoin des pleurs qu’il p’avait pas versés, et je lui en fis crédit. Mais dès le même soir, ne sachant à quel moyen recourir pour se consoler , il fit jouer chez lui la comédie. Pour moi, je fus bien éloigné d’y vouloir assister , et je reconnus que j'aimais Sarasin beaucoup plus que je n’eusse pensé. Je dois lui rendre cette justice, qu’il mourut dans les plus chrétiennes dispositions du monde , s’écriant à tous moments, les yeux baignés de larmes : « Discite justiliam moniti, et non temnere Divos! » est encore Cosnac qui nous apprend la véritable cause d’une mort si triste et si prématurée. Sarasin avait été empoisonné, à Perpignan, par un mari dont il courtisait la femme, qui, victime elle-même de la jalousie qui le faisait périr à l’âge de 43 ans, était morte quelques jours avant lui. Montreuil, qui vit son tombeau à Pézénas , écrivait à une demoiselle qu’il n’y avait aucune différence entre la pierre qui le couvrait et celle que l’on avait placée sur la tombe d’un cordonnier. « Et cependant, ajoute-t-il, je gage que le cordonnier n’a jamais fait de si bons sonnets que celui « Que d’être femme et ne pas coqueter. » Pélisson, qui visita aussi, en 1655, le tombeau de l'ami dont il pleurait la perte , fit célébrer + h36 JEAN-FRANÇOIS SARASIN. un service pour lui, et, tout protestant qu’il était alors, lui fonda un anniversaire. Il fit aussi cette épitaphe : Pour écrire en styles divers, Ce rare esprit surpassa tous les autres ; Je n’en dis plus rien, car ses vers Lui font plus d'honneur que les nôtres (1). Sarasin n’oublia jamais qu’il était Normand; il saisit toutes les occasions qui se présentaient de louer le pays qui l'avait vu naître. La charmante rivière de Dive lui fournit, dans son Ode sur la bataille de Lens, la comparaison suivante : Comme dans le gras herbage, Où la Dive étend son cours, Deux taureaux pleins de courage Combattent pour leurs amours; Le moindre, prenant la fuite, Se dérobe à la poursuite De son superbe vainqueur, Qui, dans la vaste prairie, Mugissant avec furie, Le chasse, et glace son cœur. Il parle avec amour des beaux villages, des côteaux verdoyants, des prés, des bois qu’il parcourt, dans son Embarquement de Poissy : Nous passons sous les ponts de Meulan et de Mantes, Et nous voyons enfin, après cent tournoiements, Le pays à pommiers des fidèles Normands. Je ne décrirai point la beauté des villages, (14) Histoire de l’Académie française, par l'abbé d’Olivet, JEAN-FRANCOIS SARASIN. h37 Ni les côteaux tout verts, ni les roches sauvages, Ni les prés, ni les bois, ni tant d’aimables lieux, Que les rives partout présentent à nos yeux. N'oublions pas la chanson dans laquelle il vante le pays de Caux : Je le dirai, disant pays en Normand, Le pays de Caux est le pays de Cocagne. Et citons au moins un couplet de cette joyeuse bal- lade : Tous les mardis y sont de gras-mardis. De ces mardis l’année est composée : Cailles y vont dans le plat dix à dix, Et les perdreaux tendres comme rosée ; Le fruit y pleut, si que c’est chose aisée De le cueillir, se baissant seulement ; Poissons en beurre y nagent largement, Fleuves y sont du meilleur vin d'Espagne , Et tout cela fait dire hardiment : Le pays DE CAUX EST LE PAYS DE COCAGNE. Sarasin avait, dans la dernière année de sa vie, composé un petit poème, qui atteste qu’au milieu d’une existence malheureusement en proie aux habitudes de la plus déplorable dissipation, et absorbée par des préoccupations propres à abaisser de plus en plus la dignité du caractère, il avait conservé tout son esprit et tout son enjouement. Il avait écrit, avec sa facilité et sa verve ordinaires, son Dulot vaincu, ou la défaite des bouts-rimés, poème héroï-comique en ‘ L38 JEAN -FRANÇOIS SARASIN. quatre chants, composé, dit Pélisson , en cinq ou six jours (1). Un mauvais poète normand , nommé Dulot, se plaignit un jour (c'était en 1639), en présence de plusieurs personnes, qu’on lui avait dérobé quelques papiers, et particulièrement trois cents sonnets, qu’il regrettait plus que tout le reste. Quelqu'un s’étonnant: qu’il en eût composé un si grand nombre, il répliqua que c’étaient des sonnets en blanc, c’est-à-dire les bouts-rimés de tous ces sonnets, qu’il avait dessein de remplir. Cela sembla plaisant; et de ce que Dulot avait fait sérieusement, quelques gens d'esprit es- sayèrent de faire un objet d’amusement. Pendant quelque temps, on ne s’occupa dans les cercles que d'imaginer les rimes les plus bizarres, que l’on tâchait de remplir aussi heureusement et aussi facilement qu’il était possible, On avait fini néanmoins par renoncer à ce jeu fri- vole, lorsqu’en 1654, un sonnet composé sur la mort d’un perroquet, par un homme bien moins illustre, dit encore Pélisson , par ses grandes charges que par ses grandes qualités ( Fouquet), vint ranimer jusqu’à la fureur cette passion pour les bouts-rimés , que l’on pouvait croire éteinte. Sarasin fil, comme tous les beaux-esprits du temps, son sonnet sur le perroquet; mais, comme s'il eût été honteux d’avoir payé son tribut au mauvais goût, il tourna en ridicule et Dulot et le genre misérable dont il était l'inventeur. (4) Préface de Dulot vaincu, dans les OEuvres de Sarasin , p. 417. JEAN-FRANÇOIS SARASIN. 39 Il suppose que Dulot, auquel il donne pour père un fou, dont on parlait alors beaucoup, nommé Le Herty (1), fait révolter contre les bons vers la nation des Bouts-rimés. Il les amène sous les murs de Paris conduits par quatorze chefs, qui sont les quatorze rimes que le sonnet sur le Perroquet rendait alors si célèbres. Il décrit l’armée des bons vers auxquels la bataille est livrée dans les plaines de Grenelle, la défaite des Bouts-rimés, les peines imposées aux vaincus, et enfin la mort de Dulot, l’Achille ou le Turnus de cette plaisante épopée. I y aurait de l'injustice à examiner de trop près et à juger avec rigueur cette ingénieuse composition. Semblable aux brillants et spirituels entretiens qui faisaient rechercher avec tant d’empressement la so- ciété de l’auteur, elle n’avait aucune prétention litté- raire, et n’était destinée qu’à l’amusement de quelques gens d’esprit. La Bruyère dit, avec raison, que Sarasin et Voiture (il les met tous deux sur la même ligne ) ont été pré- cisément ce qu'ils devaient être pour l’époque dans laquelle ils ont brillé l’un et l’autre. « Ils ont paru, dit-il, dans un temps où il semble qu’ils aient été attendus. S'ils s'étaient moins pressés de venir, ils (1) Dulot lui-même aurait pu, sans injustice, être mis, comme Le Herty, aux Petites-Maisons. Il était prêtre et précepteur du fils de M. de Tillières. On s’aperçut , dit Tallemant, qu'il était fou, lorsqu'un jour qu'il était à l’autel à dire la messe, il dit, en se re- tournant vers l'assistance, au lieu de Dominus vobiscum , « M. de Tillières, vous êtes un sot ». « La profonde méditation, dit Col- letet {Discours du sonnet, p. 143), lui avait fait évaporer l'esprit. » A0 JEAN-FRANÇOIS SARASIN. arrivaient trop tard; et j'ose douter qu'ils fussent tels aujourd’hui qu'ils ont été alors. Les conversations légères, les contes, la fine plaisanterie, les lettres enjouées et familières, les petites parties où l’on était admis seulement avec l'esprit , tout a disparu; et qu’on ne dise point qu'ils les feraient revivre : ce que je puis faire en faveur de leur esprit, est de convenir que peut-être ils excelleraient dans un autre genre. Mais les femmes sont de nos jours ou dévotes, ou coquettes, ou sérieuses, ou ambitieuses , quelques- unes même tout cela à la fois. Le goût de la faveur, le jeu, les galants, les directeurs ont pris la place et la défendent contre les gens d’esprit. » Le célèbre écrivain semble considérer la société de son temps comme inférieure à celle qui applaudissait aux saillies et à l’enjouement de Sarasin et de Voiture. Il paraît croire que l'esprit n’était plus qu’une puis- sance déchue, à laquelle échappaient sans retour l’au- torité et l'empire. Il se trompait : le temps n’était pas éloigné où un homme, qui, pendant un demi-siècle, tint entre ses mains le sceptre de l'esprit, prouvait que la France n’avait pas perdu son goût pour ces vives et charmantes productions, qui avaient valu tant d’admirateurs aux deux héros de l'hôtel Rambouillet. NOTICE SUR LE CHEVALIER DE CLIEU, BIBLIOGRAPHIE DU CAFÉ; Par M. Louis DU BOIS, Membre correspondant (1). NOTICE. La plupart des détails que nous allons donner sur cet importateur courageux du Cafier aux Antilles (1) Cette Notice et cette Bibliographie sont extraites d’un travail considérable qui, sous le titre d'Encyclopédie des amateurs du Café, réunit aux recherches de l’érudition les données de la statistique et les renseignements les plus utiles sur l'usage de cette plante, dont l’aimable liqueur, si l'on en croit Delille, Sans altérer la tête, épanouit le cœur. M. Louis Du Bois, qui, dans sa 82°, année, a conservé toute sa h42 NOTICE françaises, ne se trouvent pas dans nos Dictionnaires historiques ; la Biographie Universelle elle-même ne fait connaître ni sa naissance , ni sa mort, ni son pré- nom, ni son nom bien orthographié. Gabriel de Clieu (et non Desclieux), chevalier , seigneur et patron de Dorchigni, de Neuvillette, et d’Anglequesville-sur-Saâne (Seine-Inférieure), naquit en 1688. Il était, en 1720, capitaine d'infanterie à la Martinique , lorsque des affaires personnelles le rap- pelèrent en France. Plus occupé (dit-il dans une lettre adressée au rédacteur de l'Année Lütéraire) du bien public que de ses propres intérêts , sans être découragé par le peu de succès des tentatives qu’on ‘mémoire, toutes ses facultés , à lui-même fait une exacte analyse de son livre, à la page 6 de son Discours préliminaire : « Après avoir donné, dit-il, l’histoire détaillée et fort curieuse du Café d’après les plus soigneuses recherches, sa physiologie végétale, son analyse chimique , sa préparation bien appréciée pour la table, ses effetssur le corps et ses vertus médicinales, nous avons cru devoir compléter notre travail par un choix de ce que la littérature a produit de meilleur sur cet important végétal, c’est-à-dire que nous avons recueilli les plus beaux vers dont il a été le sujet, notamment les deux poèmes latins de Fellon et de Massieu, en regard desquels nous avons mis une traduclion en prose. Nous terminons par Ja biblio- graphie du Cafier et du Café, et par Ja biographie du chevalier de Clieu , sur lequel nos longues recherches, relatives à la Normandie 5 nous ont procuré les documents exacts qui avaient manqué à tous les Dictionnaires historiques. » M. Du Bois, dont le désintéressement égale l'érudition, céderait volontiers son manuscrit à un libraire qui prendrait l’engagement de léditer avec un soin convenable, ( Note du Secrétaire de l’Académie ). SUR LE CHEVALIER DE CLIEU. h43 avait faites depuis quarante années pour introduire et paturaliser ie Café dans nos îles, il fit de longues dé- marches pour en obtenir deux jeunes pieds du Jardin des plantes. Il paraît que ce fut dès 1720 , par con- séquent six ans après la réception du Cafier à Paris. que le chevalier de Clieu, qui joignait à son grade de capitaine celui d’enseigne de vaisseau, porta le Cafier à la Martinique, d’où il se répandit ensuite dans les autres Iles-sous-le-Vent. Les vicissitudes de ce voyage sont dignes d’être rap- portées. De Clieu veillait sur les deux jeunes Cafiers que lui avait fait obtenir le docteur Chirac; il les arrosait avec sollicitude; on eût dit qu'il pressentait la haute destinée de l’un d’eux. Rien ne put sauver l'autre. La traversée fut longue ; en vain de Clieu fit-il le sacrifice d’une partie de sa ration d’eau pendant plus d’un mois (1) ; l’un des jeunes arbustes périt ; le (1) Ce dévouement est consacré dans ces vers du poème de La Navigation, par Esménard : Rappelez-vous Clieu. Sur son léger vaisseau Voyageait de Mokha le timide arbrisseau : Le flot tombe soudain, Zéphyr n’a plus d’haleines ; Sous les feux du Cancer l’eau pure des fontaines S’épuise, et du besoin l’inexorable loi Du peu qui reste encore a mesuré l'emploi. Chacun craint d’éprouver les tourments de Tantale ; Clieu seul les défie, et, d’une soif fatale Étouffant tous les jours la dévorante ardeur, Tandis qu'un ciel d’airain s’enflamme de splendeur, De l'humide élément, qu’il refuse à sa vie, Goutte à goutte il nourrit une plante chérie. L'aspect de son arbuste adoucit tous ses maux ; häl NOTICE second, « qui n’était pas plus gros qu’une marcotte d’œillet » , survécut, malgré la blessure que lui fit un perfide passager. « Cet homme, dit le chevalier de Clieu, dans la lettre que nous venons de citer, jaloux du bonheur que j'allais goûter, d’être utile à ma patrie, et n'ayant pu parvenir à m’enlever ce pied de Café, en arracha une branche ». Arrivé à la Martinique, de Clieu planta son jeune et frêle Cafier qui , comme il le dit fort bien, lui était devenu plus cher par les dangers qu’il avait courus et par les soins qu’il Jui avait coûtés. Au bout de dix-huit ou vingt mois, il obtint une récolte abondante, qui lui facilita les moyens de multiplier le précieux arbuste, au point d’en pour- voir assez abondamment la Guadeloupe et la partie française de St.-Domingue. En moins de trois ans, on comptait par millions les Cafiers de nos Antilles. En 1746, de Clieu revint en France. Il fut présenté à Louis XV, quelque temps après, par Rouillé de Jouy, ministre de la marine, administrateur d’un grand mérite, qui fit valoir celui d’un officier distingué, auquel l’Amé- rique, la France et le commerce étaient redevables de la plantation et de la culture du Cafier dans nos prin- cipales colonies. Le généreux citoyen qui avait mis tant de zèle, de persévérance, de dévouement même, et qui avait dépensé des sommes considérables pour servir sa patrie et son prince, réclama vainement le remboursement d'une partie de ses avances. Toutefois Clieu rêve déjà l'ombre de ses rameaux, Et croit, en caressant la tige ranimée, Respirer eu liqueur sa graine parfumée. SUR LE CHEVALIER DE CLIEU hh5 il obtint quelques distinctions honorables. Après avoir été lieutenant-de-roi à la Martinique, il fut nommé gouverneur de la Guadeloupe et créé commandeur de l’ordre de Saint-Louis. Il servit près de quarante ans dans les Colonies Françaises, d’où il se retira honorablement pauvre, après avoir dépensé pour le bien public la plus grande partie du prix de trois établissements considérables qu’il avait fondés dans les Antilles : il était tellement désintéressé qu’il refusa un don de 150,000 fr. que les colons de la Guade- loupe et de la Martinique lui offrirent pour qu'il pût tenir un état conforme à son rang et à son mérite. Ses lumières , son expérience judicieuse , son équité reconnue et son caractère aussi conciliant que ferme, le firent choisir par le Gouvernement pour aller au Port-Louis régler les contestations dont les officiers de terre, de la marine et de la Compagnie des Indes fatiguaient le ministère. De Clieu , comme on s’y attendait, eut le bonheur de réussir dans cette mission délicate. Lors du bombardement odieux du Havre, en 1759, il se distingua dans le commandement des batteries flottantes qui lui fut confié. Il n’est pas exact de dire que le fondateur des pros- pérités de la Martinique ne fut récompensé que par la plus décourageante ingratitude, et qu’il soit mort ignoré dans la colonie qu’il avait enrichie : c’est une double erreur qu’a commise, dans la Biographie Uni- verselle, le savant Du Petit-Thouars : l’histoire des ingratitudes humaines est déjà bien assez volumineuse en réalité, sans l’accroitre encore par des erreurs. 29 kh6 NOTICE Lorsque de Clieu se retira du service. il jouissait depuis quelque temps d’une pension de 6,000 fr. Louis XVI, étant monté sur le trône, s’empressa de réparer les torts de son prédécesseur : il envoya au bienfaiteur des Antilles la décoration de Grand-Croix de l’ordre de Saint-Louis. Malheureusement de Clieu, qui venait de quitter sa retraite, où il exerçait hono- rablement , c’est-à-dire sans faste, sa bienfaisance et sa bienveillance, avec ce reste d'activité généreuse qu’il avait jadis déployée sur un plus grand théâtre, âgé de 87 ans et plus, ne reçut cette faveur que la veille desa mort, et la brillante décoration ne servit qu’à parer un cercueil. Enfin, sous le gouvernement de l’amiral Villaret- Joyeuse, l'administration de la Martinique fit élever un monument de reconnaissance à la mémoire de de Clieu. Ce fut vers 1805 (1). Gabriel de Clieu était mort à Paris, le 29 novembre AT: Voici ce que je lis dans une note des Affiches de (1) M.D. (V. le feuilleton dela Gazette de France du 12 avril1816) rapporte qu’un M. Dorns..…., riche Hollandais, passionné pour le Café, ne se crut quitte envers la mémoire de de Clieu qu’en faisant peindre à grands frais, sur un service de porcelaine, tous les détails de sa navigation et de son heureux résultat, J'ai vu ces tasses... Dans un dernier cadre, autour duquel courent des branches de Cañfer, parées de leurs fleurs et de leurs fruits, s'élève un monument sépulcral où sont écrits ces mots : Nobili Gallico des Clieux qui, divina quadam inspiratione monitus , Coffeam Arabicam , non sine labore , in Americam importavit, Ex quo surculo, totius Europæ deliciæ. SUR LE CHEVALIER DE CLIEU. h47 Normandie ( décembre 1774 ) : « Il était aimé, respecté et estimé de tout ce qui le connaissait ; il fut le père des pauvres, surtout des familles nom- breuses, mariant et dotant les filles indigentes des villages voisins de sa terre. Gomme ses jours furent comptés par des bienfaits, ilne pouvait manquer d’être regretté de tous ceux qui le connaissaient. » Terminons en disant que de Clieu fut un citoyen utile, généreux et modeste , remarquable par sa capa- cité et son désintéressement, préférant l'innocence et le calme de la retraite aux intrigues et aux démarches cupides, fier et simple à la fois, trouvant et sachant goûter dans sa propre satisfaction le prix de ses actions, véritablement nobles, parce qu’elles étaient vérita- blement belles et grandes. C’est à ces titres qu’il faut le rappeler à la mémoire de ses compatriotes, ei surtout à la reconnaissance qui, comme on l’a dit justement , est la mémoire du cœur. BIBLIOGRAPHIE. : Pour compléter notre travail sur le Cafier et le Café, nous allons donner la liste des principaux auteurs qui en ont parlé. Cette nomenclature, par ordre chrono- logique, a pour objet de faire connaître les meilleurs ouvrages qui se sont spécialement occupés du Café. M. le docteur Chaumeton qui, dans le Dictionnaire des sciences médicales, a donné la bibliographie de cette LAS BIBLIOGRAPHIE DU CAFÉ. véritable Encyclopédie de la médecine, eut raison de ranger les écrivains par ordre de chronologie , ordre auquel, tout en le copiant complètement, M. de Méry a eu tort de substituer le classement alphabé- tique. M. Chaumeton termine ainsi son article : « Parmi les autres écrits moins importants qu’il eût été fasti- dieux d’énumérer , il en est quelques-uns dont je crois devoir citer les auteurs. Ceux-ci ont tracé lhistoire, la description, la préparation, les vertus du Café : tels sont Togni, Langen, Blégny, Houghton, An- toine Jussieu, Ludolf, Civinini, Gmelin, Ellis, Ottleben, Buc’hoz, Gentil, etc. Geux-là ont essayé de prouver que lusage habituel de cette boisson est très-nuisible : tels sont Duncan, Gayant, Nilscher, Zannichelli, Ittner, Eloy, etc. Bradley a regardé le Café comme un excellent prophylactique des maladies contagieuses , et même de la peste ; Biet a fait l'éloge du Café volatif; Constantini, Forster, Weickard, Christ , et beaucoup d’autres ont indiqué, comme propres à remplacer le Café, une foule de substances indigènes dont aucune ne peut soutenir la compa- raison. » Aux vingt ouvrages cités par M. Chaumeton, nous en avons ajouté quelques autres dont il n’avait point parlé, et qui avaient échappé à ses savantes inves- tigations : I MEISNER est auteur d’un Traité du Cafe, qui fut imprimé en 1621. I. STrAUSS (Laurent) : Dissertation inaugurale, qui a pour titre : De potu Coffeæ. Giessen, 1666, in-4e, et Francfort. même année et même format. BIBLIOGRAPHIE DU CAFÉ, 449 III. NAIRONI (Fauste), maronite, né au Mont- Liban, professeur de syriaque au Collége de la Sapience, à Rome, mort en 1711 : De saluberrima potione Cahve seu Café nuncupata discursus. Rome , 1671, in-24. — Jbid. 4675 , in-12. Traduit en italien et en français. IV. Four (Philippe-Sylvestre, plus connu sous le nom de Du), né à Manosque, vers 1622, mort vers 1685, commerçant d’un grand savoir : Traités nouveaux et curieux du Café, du Thé et du Chocolat. Lyon , 1671 et 1684; La Haie, 1685; Lyon, 1688; toujours in-12. L'édition de 1671, qui n’était qu’une sorte de version du Discours de Naironi, est beaucoup moins complète que celles qui la suivirent. Jacques Spon traduisit en latin ces Traités, auxquels il réunit diverses pièces difficiles à rassembler. Ils furent aussi traduits en allemand et imprimés à Bautzen, en 1686. V. GALEANO ( Joseph ) , médecin de Palerme, né en 1605 , mort en 1675 : Îl Cafe con pia diligenza esaminato. Palerme, 1674, in-/4°. VI. MARSIGLI ( Louis-Ferdinand), né à Bologne le 10 juillet 1658, y mourut le 1°, novembre 1730 : De potione asiatica, seu notitia a Constantinopoli circa plantam quæ calidi potus Coave subministrat materiam. Vienne en Autriche, 1685 , in-12. VIL Mappus ( Marc), né à Strasbourg , en 1632, mort en 1701 : De potu Coffeæ. Cette dissertation inau- gurale fut imprimée à Strasbourg, en 1693, in-4e. VIII. FELLON (Thomas-Bernard) , né à Avignon, le 12 juillet 1672 , mort le 25 mars 1759, publia Faba Arabica, en hexamètres latins. Lyon, 1696, in-12. 450 BIBLIOGRAPHIE DU CAFÉ. D'Olivet l’a recueilli dans sa précieuse collection des Poemata didascalica. IX. GALLAND (Antoine), né à Rollot, près de Mont-Didier, en 1646, mort le 17 février 1715, membre de l'Académie des Inscriptions et professeur d’arabe au Collége royal : Lettre sur l'origine et les progrès du Café; extrait d’un manuscrit arabe de la Bibliothèque du Roi, 1696. — Traué de l'origine du Cafe. Caen, 1699, in-12. X. ANDALORI (André) : Il Cafe descritto ed esami- nato. Messine, 1703, in-12. Traité ridicule, dans lequel l’auteur cherche à prouver que la vertu du Café provient moins du grain du Cafier que de l’eau chaude qu’on emploie. XT. .JussIEU (Antoine de), né à Lyon, le 6 juillet 1686, mort à Paris,le 22 avril 1758, membre de l’Académie des Sciences : Histoire du Cafe; relation lue à cette savante Compagnie, en 1713; travail qu’il rectifia et étendit d’après les observations qu’il avait faites sur le Cafier envoyé, en 1714 , de Hollande au Jardin des plantes de Paris. Ce fut dans cet état que Jussieu lut à son Académie, le 4 mars 1715, son ouvrage com- plété, qui fut imprimé dans le volume publié par cette Compagnie pour 1743. XIL ROQUE (Antoine de La), né à Marseille en 1672, mort à Paris en 1744 : Voyage de l’Arabie- Heureuse en 1708, 1709 et 1710, avec la Relation particulière d’un voyage fait du port de Mokha à la cour du Roi d’Iémen , dans la seconde expédition de 4711, 1712 et 1713. Ces récits sont suivis: 4° d’un Mémoire concernant l'arbre et le fruit du Cafe, dressé BIBLIOGRAPHIE DU CAFÉ, 51 sur les observations de ceux qui ont fait ce dernier voyage; 2. d’un Traté historique de l’origine et du progrès du Café, tant dans l'Asie que dans l’Europe, de son introduction en France et de l'établissement de son usage à Paris. Paris, 1715, in-12. C’est dans ce dernier ouvrage qu'ont puisé tous les écrivains qui ont voulu parler du Cafier et du Café dans les divers écrits publiés en France. Dans le Mercure de septembre 1744 (p. 1965 à 1982), de La Roque publia une Leure qui a pour objet l’éloge et l'utilité du Café, mais qui ne nous apprend rien d’utile ni de curieux. XIIL. FAGON (Gui-Crescent), né à Paris en 1658, y mourut en 1718; médecin et naturaliste : Lüteratis- ne salubris Café usus? Dissertation inaugurale, dans laquelle lPauteur se prononce pour laflirmative et prouve bien son opinion. Paris, 1716, in-4°.—Reims, 1790; même format, XIV. PLAZ (Antoine-Guillaume) : De potus Coffeæ abusu, catalogum morborum augente. Leipzig, 1723, in-4°, Dissertation. XV. FISCHER (Jean-André) : De potus Coffeæ usu et abusu. Dissertation qui parut in-4°. à Erfurth, en 1725. XVI. BRETON (Le), jésuite, missionnaire à La Mar- tinique : Observations sur la plante qui porte le Cafe. Journal de Trévoux ; mars, 1726, p. 466 à 469, XVII ALBERTI ( Michel) : De Coffeæ potus usu noxio. Halle, 1730 , in-4°. Dissertation. XVIII. FÈVRE (Jean-Francois Le), médecin à Be- sançon : Trauté sur la nature, l'usage et l'abus du Café, du The, du Chocolat et du Tabac. Besancon , 1737, h52 BIBLIOGRAPHIE DU CAFÉ. in-4°, Cet ouvrage, que nous n'avons pas sous les yeux, est écrit en latin. XIX. MAssiEu (Guillaume), né à Caen le 13 avril 1665, mort à Paris le 26 septembre 1722 : Caffæum, carmen, imprimé dans le recueil intitulé : Poetarum ex Academia Gallica, qui latine aut græce scripserunt Carmina. Paris, 1738, in-12, et dans les Poemata didascalica. XX. GEYER (E.-E.) : An potus Café dicti vestigia in hebræo Sacræ Scripturæ codice reperiantur ? Disser- tation afflirmative. Wurtemberg, 14740 , in-4°. XXI. JUSSIEU (Joseph de) , médecin et botaniste : Luüteratisnesalubris Caffeæ usus? Dissertationinaugurale sur le même sujet que Fagon avait traité en 1716. Paris, 1744, in-Ae, XXIL BONA (Jean della) : Dell uso e dell abuso del Cafe. Dissertation historique et médicale (contre le Café). Venise, 1761 , in-4e. XXII. SPARSCHUCH (Henri) : Potus Coffeæ ; disser- tation inaugurale (Upsal, 1761, in-4°.), imprimée dans les Amœænitates academicæ de Linnée ; ouvrage savant, plein de faits curieux. L'auteur, après avoir largement traité le sujet du Café, propose plusieurs succédanées, inefficaces comme tous ceux qu’on a essayé de mettre en vogue et en pratique au commen- cement de ce siècle. XXIV. CALVET ( Esprit -Claude-François) : An potus Caffé quotidianus valetudini tuendæ vitæque producendæ noætus ? Dissertation affirmative, — Quæsiio medica ex hygiene deprompta : Réponse de Joseph-Marie Collin. Avignon, 1762 , in-4°, BIBLIOGRAPHIE DU CAFÉ, h53 XXV. MONNIER (Louis-Guillaume Le}, né à Paris, en 1717, mort le 7 septembre 1799 : Lettre sur la culture du Café. Paris, 1773, in-12. XXVI. CLIEU (Gabriel de), et non pas Desclieux, comme on l'écrit partout, né en 1688 dans la Haute- Normandie, mort à Paris le 29 novembre 4774. C’est à lui qu’on doit les détails curieux de l'importation qu’en 1720 il fit du premier pied de Cafer à la Marti- nique. On trouve ces détails dans une lettre qu'il écrivit, le 22 février 1774, à Fusée-Aublet, qui l’inséra dans ses Observations sur la culiure du Cafe; détails que de Clieu avait adressés aussi à Fréron, qui les imprima dans son Année Littéraire. XXVIL BARROTTI (Laurent), ecclésiastique italien : Il Cafè, canti due, Parme, imprimerie royale, 1781. Ce poème est annoncé dans VEsprit des Journaux de décembre 1781 {p. 110 à 120). XXVIITL. BOEHMER (Georges-Rodolphe ), professeur de botanique à l’Université de Wirtemberg : De varts Coffeæ potum parandi modis. Wirtemberg, 1782, in-4°. Dissertation. XXIX. MOsELEY (Benjamin) , docteur en médecine, anglais : À treatise on the Coffee.” Londres, 1785, in-8°. Ce traité fut, l’année suivante, traduit en français, sur la troisième édition anglaise , par F. Le Breton, qui y joignit des Observations de Fusée-Aublet sur la culture du Cafier. Paris, 1786, in-1 2." C’est une apologie complète du Café. XXX. GENTIL (André-Antoine ), né à Pêmes( Doubs), en 1731, mort à Paris en 1800, bernardin : Disser- tation sur le Café et sur les moyens propres à prévenir ANT ? FT: EM à h5h BIBLIOGRAPHIE DU CAFÉ. Les effets qui résulient de sa préparation, communément vicieuse , et en rendre la boisson plus agréable et plus salutaire. Paris, 1787, in-8°. XXXL Étrennes à tous les amateurs de Café ; conte- nant l’histoire, la description, la culture, les propriétés de ce végétal; on y a joint la traduction française du poème latin de Massieu sur le Café. Paris, 1790, 2 parties en 1 vol. in-12, C’est, pour la partie historique, la reproduction des documents recueillis par La Roque. L’auieur , qui mal à propos présente comme rare le poème de Massieu , n’a pas connu celui de Fellon sur le même sujet. XXXII CADET DE VAUX ( Antoine- Alexis) , né à Paris, le 43 janvier 1743, mort à Nogent-les-Vierges , le 20 juin 1828 : Dissertation sur le Café, son historique, ses propriétés, et le procédé pour en obtenir la boisson la plus agréable, la plus salutaire et la plus économique ; suivie de son analyse, par Gharles-Louis Cadet, phar- macien de l'Empereur. Paris, 1806, in-12. XXXIIT. MÉry (M. C. de) : Le Café, poème accom- pagné de documents historiques , d'observations médicales et hygiéniques. Paris et Rennes, 1837, in-18. Ce poème en deux chants occupe peu de place dans le travail de M. de Méry, qui à réuni avec goût les divers renseignements sur le Cafier et son fruit, notions qui sont éparses dans un grand nombre d’auteurs. XXXIV. TRIFET (M. le D.), lauréat de la Faculté de Paris : Du Café, de ses effets sur l’homme et sur les organes génitaux ; stérilité, impuissance ; de son efjica- cité contre les maux d'estomac, les digestions pénibles , les maux de tête, l'asthme, et les divers empoisonnements. Paris, 1847, in-8°. BIBLIOGRAPHIE DU CAFÉ. 455 XXXV. THÉRY , recteur de l’Académie de Clermont, Traduction, en vers français, du poème latin de Guil- laume Massieu, imprimée à la suite de la biographie de cet auteur. Caen, Hardel, 1854. Puisqu'il nous reste une page blanche, nous allons donner aux confrères de M. Louis Du Bois et au public qui lui doit d’impor- lants ouvrages, une idée plus complète de l'Encyclopédie du Café, que nous avons sous les yeux. Voici la division du livre en dix chapitres : Ch. I. Histoire du Cafe. — IL. Introduction du Café en Europe. Suite de son Histoire, — III, Production et commerce du Café. — IV. Physiologie végétale et description du Cafier. — V. Culture du Cafier. — NI. Analyse du Café. — NII. Torréfaction et suite de l'analyse, — NIX. Infusion et divers emplois. — IX. Anciennes préparations. — X. Effets diététiques du Cafe. Outre la Notice et la Bibliographie qu’on vient de lire, on trouve dans le manuscrit de M. Louis Du Bois un choix de morceaux littéraires et d’anecdotes sur le Café, Nous laissons les anecdotes, pour indiquer les morceaux littéraires, Ce sont : les Poèmes latins de Fellon et de Massieu , plus un Fragment du Praædium Rusticum, de Vanière, latin-fr. en regard; Je tout traduit en prose par M. Du Bois, traducteur de Columelle (3 vol. in-8°.\, dans la seconde série de Panckoucke; — l'Éloge du Café, chanson en 24 couplets, imprimée pour la première fois à Paris, chez Jacques Estienne, in-4°., en 4741 ; — La Cafetière renversée, par Lainez, insérée dans le Journal de Verdun; mars 4753 ; — Le Café, fragment du Le. chant de La Grandeur de Dieu dans les merveilles de la nature, par Dulard, de Marseille ; — Sur de Clieu et le Cafier, par Es- ménard, extrait du 6°. chant du poème sur La Navigation; — Le Café, extrait du 4°. chant de La Gastronomie , par Ber- choux ; — À mon Café, stances, par Ducis; — Le Café, extrait du poème sur Les trois règnes de La nature , par J. Delille ; — Le 456 BIBLIOGRAPHIE DU CAFÉ, Café, stances anonymes, insérées dans la Macédoine poétique ; 1824 , in-18 ; — Sur le Café, par le marquis de Langle; extrait de son Voyage en Espagne, qui dut à une condamnation du Parle- ment l’honneur non mérité de six éditions, de 1785 à 1796. ( Note du Secrétaire de l’Académie. ) POÉSIES. PREMIÈRE OLYMPIQUE DE PINDARE, n Par M. Julien TRAVERS, Secrétaire de l’Académie, M. le Doyen de la Faculté des lettres de Caen tomba malade à la fin de la dernière année scolaire (juillet 1854), etje le suppléai quelques semaines dans sa chaire de littérature grecque : c'était au moment même où cet habile professeur arrivait à Pindare. Pindare fut donc pour moi l'objet d'une sérieuse étude. Grâce au travail de Benoit, au commen- taire de Dissen et à la traduction de M. Poyard, couronnée, en 1851, par l'Académie Française, je ne trouvai plus dans le grand lyrique que ces difficultés dont ne peuvent triompher, après tant de siècles, ni la persévérance des érudits , ni la sagacité des traducteurs. Je me crus même assez maitre de mon auteur pour es-— sayer de le traduire en vers, et j'eus la sagesse de me borner à la première Olympique. Un moment je me flattai d’une fidélité au texte et d’une sobriété de paraphrase , qu'on ne trouve pas toujours dans les versions en prose de Pindare, appréciées par ceux- là seuls qui lisent ce poète dans sa langue. Or, combien de tels juges ne sont-ils pas difficiles ? Comme ils répètent, pleins de leur Horace : Pindarum quisquis studet æmulari.. ! Leurs dédains ne sont que trop légitimes. Pindare ne peut avoir ni émules sérieux, ni vrais traducteurs. Ses odes mêmes, jadis chantées et représentées, aujourd'hui re- AGO PREMIÈRE OLYMPIQUE DE PINDARE, produites sur un froid papier , isolées de la musique et du chœur, ne sont plus ses odes : ce sont des thémes remar- quables , des motifs dont souvent la hardiessetétonne ? on ignore et l’on ne connaîtra plus l’œuvre accomplie qui arrachait aux Grecs des cris d’enthousiasme. La tâche du traducteur est de donner une idée de ces thèmes ou motifs . et, quand on les examine avec atten- tion, Pindare ne paraît pas avoir cette fougue du génie qui se laisse entraîner à des écarts où se perd le fil des pensées. Si nous le jugeous d'après les odes qui nous restent, il est un des poètes les plus méthodiques qu'offre l'antiquité. Chacune de ses pièces a son plan scrupuleu- sement suivi : à la gloire du vainqueur se joint celle de sa famille et de sa patrie; tout ce qui les relève appartient au sujet, et comme elles avaient leur histoire, leurs tra- ditions , leurs légendes, ces légendes, ces traditions , cette histoire, sont rappelées, soit par des récits, soit par des allusions , mais sans que jamais l'auteur oublie, dans le feu de l'inspiration, le but qu’il se propose et la marche qu'il s’est tracée. Quant au style , il fait le désespoir de ceux qui l’étudient pour le reproduire. C’est un fréquent mélange de tous les tons depuis les plus familiers jusqu'aux plus sublimes ; c’est le mot le plus simple que heurte une image des plus hardies, parfois même sans souci de l’incohérence; c'est toujours l’œuvre d'un maître plus préoccupé de ses pensées que de leur expression. Pour nous, copistes de ces créations dont le mérite nous échappe en partie, nous sommes embarrassés, tantôt par l'absence des transitions, tantôt par les évolutions de la phrase, qui s’affranchit des liens logiques , et se prolonge d’une strophe dans une antistrophe , d’une antistrophe dans une épode; tantôt par l'étrangeté des métaphores et la bassesse des termes, du moins dans notre langue , où les mots sont classés, et ont PREMIÈRE OLYMPIQUE DE PINDARE. 61 leur noblesse ou leur roture, selon le bon vouloir de ce maitre suprême qu'on appelle l'usage. Aussi ne sommes-nous pas surpris que les poètes-tra - ducteurs aient passé silencieux devant Pindare. Les versi- ficateurs eux-mêmes, qui s’arrogent le droit de tout oser, ont reculé devant la tâche, et nous ne connaissons aucune traduction complète, en vers français, du plus illustre des lyriques grecs , avant celle de M. Fresse-Montval, due sans doute à l'appel de l’Académie (1) : grande preuve assurément de la difficulté de l’entreprise, et qui nous semble un titre à l’indulgence. A HIÉRON DE SYRACUSE, VAINQUEUR À LA COURSE ÉQUESTRE, {TIe, Olympiade, 172 ans avant 1,-C.) Argument. — Rien de plus digne des chants de la lyre que les victoires remportées aux Jeux d'Olympie. Gloire d'Hiéron, couronné dans une lutte équestre ; d'Hiéron, roi de Syracuse, renommé dans un pays où brilla Pélops. Incrédulité du poète sur les traditions relatives à ce fils de Tantale, Il leur substitue une histoire moins déshonorante pour les Dieux; et, venant à Tantale lui-même, il raconte la cause qui l’a rangé, lui favori de l'Olympe, parmi les grands criminels, et qui a fait perdre à son fils le privilége (4) Nous avons lu récemment ce Pindare qui venait de paraitre, trois ans après qu'il avait obtenu les suffrages de l’Académie Fran- çaise, et nous aurions hésité à publier cette première Olympique, si notre système de traduction ne différait pas entièrement de celui de M, Fresse-Montval. 30 Li. k62 PREMIÈRE OLYMPIQUE DE PINDARE. de l’immortalité. Les circonstances de l’hymen de ce dernier avec Hippodamie, fille d'OEnomaüs, roi d'Élide , sont ensuite rappelées , ainsi que les honneurs rendus au tom- beau de Pélops, près de la carrière Olympique. Nouvel éloge de la gloire qu’on y acquiert, Le poète se flatte de chanter un jour Hiéron, vainqueur à la course des chars, plus glorieuse que la course équestre ; il mêle à l'éloge de ce Roi, des conseils de modération, et finit par un vœu pour l'illustration de son propre génie. Auguste Bœckh, le célèbre philologue, dit que la 1", Olympique fut chantée dans le palais d'Hiéron, à Syracuse, vers la fin d’un festin splendide où se trouvaient Pindare et d’autres poètes renommés. Le premier élément , c'est l'eau, c’est l’eau féconde (1); Et. comme dans la nuit éclale un feu soudain, L'or, parmi les splendeurs du monde Brille et domine en souverain. Toi, pour chanter les Jeux, ne cherche, à mon génie, Ni dans l'immense éther un autre Dieu du jour, Ni des sujets, plus qu’Olympie, Dignes d’enflammer ton amour. Olympie ! à ce nom l'hymne de la victoire (4) Le début Aprotoy pëv ddwp , optima quidem est aqua , n’est pas ce qui embarrasse le moins les commentateurs. D’après Dissen : « dicitur &peotoy dwp, quia saluberrimum habetur. » Parmi les explications de l’épithète &peotov , on remarque celle qui lui donne le sens de principe des êtres , d’après l'opinion de Thalès, de Milet. Si on l’adoptait, en précisant le vague de l'expression grecque, on pourrait dire : Le principe de tout, c'est l’eau, cette eau féconde! PREMIÈRE OLYMPIQUE ne PINDARE. 463 Part el s'enlace au cœur du poète inspiré, Qui redit dans toute sa gloire De Saturne le Fils sacré (1), Aux foyers d'Hiéron, doux, opulent, propice, Et qui, de la Sicile accroissant le bonheur, Tient le sceptre de la justice, Et des vertus cueille la fleur (2). Il aime aussi les vers; la musique l’enivre Quand, après les festins, il entend nos accords … Mais que du clou vite on délivre (3) La Iyre qui de tes transports Brûüle de seconder la rapide énergie, La lyre dorienne . aux sons graves et purs, Qui, donnant la gloire et la vie, Va sauver des siècles obscurs Et Pise et Phérénice (4). alors que sans menace, Sans voix, sans éperon, l’impétueux coursier Assura, dévorant l'espace, La victoire à son cavalier, (1) Les Jeux Olympiques étaient consacrés à Jupiter. (2) Apétoy pèy 40pvoù GpeTav Gro mucäy. « Non igitur dicit omnes virtutes habere Hieronem, sed principes omnium virtutum s. decora summa carpere. Intelliges nominatim certaminum nobile studium, hospitalitatem erga poetas et artium musicarum amorem, » Dissenrvs. (3) M. Fresse-Montval rend ainsi celte brusque injonction de Pindare à sa muse : Poëtes ! saisissons la lyre de Dorie, Suspendue à son toit sacré. Ce n’est pas au toit que la lyre était suspendue, mais au mur de la salle. M. Poyard rend le mouvement de l’auteur et ne recule pas devant le mot : AX)&... ro mucowdou }&u6uve , détache du clou. (4) Nom du cheval d'Hiéron. AG4 PREMIÈRE jo: TMPIQUE DE PINDARE. Ce dompteur de chevaux, qui règne à Syracuse, Et vainquit où Pelops établit ses colons (1), Pélops qui long-temps à la muse Fournit d’étranges fictions. Neptune, dès qu'il vit son épaule d'ivoire Sorlir du vase pur où Clotho le plongea (2), Aima cet enfant dont l’histoire En conte infâme se changea. Gardons-nous de nier tout prodige... la terre En a vu! mais, féconde en sa variété, Souvent la fable mensongère Nous trompe sur la vérité. Tout est charme, entouré du miel de poésie ; L'homme si doucement s'abandonne au plaisir ! Mais il avance dans la vie, Et quel témoin que l'avenir ! Si l’on parle des Dieux , il faut qu’on les honore; On est moins criminel. Je veux dire sur toi te que l’on n’a pas dit encore; Fils de Tantale, écoute-moi. Convive de l’'Olympe, en relour, à sa table Ton père dans Sipyle avait reçu les Dieux : Banquet juste, digne, honorable (3) : D'où Neptune, d’un bras nerveux, (4) Dans l’Élide qui, comme les autres parties de la presqu’ile, prit de Pélops, venu de Lydie, le nom de Péloponèse. (2) Nous suivons le sens de Dissen, dont le commentaire sur ce passage est très-curieux. Il est impossible de mettre plus de flegme dans l'étude d’un poète lyrique. (3) Epavoy ebvouæruroy , littéralement un banquet très-juste, par opposition à la légende populaire, ce qu’explique ainsi Dissen : « non cruentum cæde filii, » M. Poyard, dont la traduc- PREMIÈRE OLYMPIQUE DE PINDARE- 465 T'emporta, sur un char trainé par ses cavales, Aux lieux où Ganymède, au-delà de l’éther, Cédant à des flammes égales, Fut aimé du grand Jupiler. De zélés serviteurs, sur l'ordre de ta mère, Te cherchaient vainement... de perfides voisins Dirent qu’une ardente chaudière Avait terminé tes destins, Is dirent que les Dieux, se jouant de ta vie, Avaient tranché ton corps avec un coutelas, Et, dans leur barbare furie, Mangé tes membres délicats. Quoi ! de tels appélits chantés par les poëles ! Les maîtres de l’Olympe.....?., Ah ! des maux infinis Que font des langues indiscrètes Les coupables seront punis. Je m'abstiens, je me tais.. je redoute le blâme.— Mais quel homme des Dieux reçut le plus d'accueil ?.… Ce fut Tantale, que son âme Enivra d’un funeste orgueil. Son bonheur l’égara ; précipité du faite, Il tombe... et quel supplice !.. un énorme rocher S'agite au-dessus de sa tête, Toujours prêt à se détacher. Pour le fuir, il s'épuise en efforts incroyables, De la peur renaissante éprouve le tourment , Et de trois autres grands coupables (1) Il partage le châtiment ; Car à ses compagnons, dans un repas impie, tion est remarquable par la fidélité jointe à l'élégance, rend-il tout le sens du poète par superbe festin ? (4) Sisyphe, Ixion, Titye. # & à h66 PREMIÈRE OLYMPIQUE DE PINDARE, Il versa follement, par un vol criminel, Et le nectar et l’ambroisie : On ne trompe jamais le Ciel. Le Ciel ! il se vengea de ce vol sacrilége ! Tantale l’expia dans sa postérité : Dépouillé de son privilége, Son fils perd l’immortalité. Quand eut grandi Pélops, et qu'aux fleurs du visagt Venait poindre déjà l'ombre d’un duvet noir, Dans la fougue de son jeune àâge, I conçut un brillant espoir, L'espoir de posséder la main d'Hippodamie, Fille d'OEnomaüs, roi de Pise .…. un héros! La nuit, près de la mer amie, Il appelle le Dieu des flots. A deux pas apparail l'impétlueux Neptune. « Pour toi, dit le mortel, si des dons de Cypris « La douceur n’est pas importune, « Si de Pélops tu fus épris, « Neptune, donne-moi ton char le plus rapide « Pour aller conquérir d’un beau-père inhumain « L'allance..….! du Roi d’Elide « Ecarte la lance d’airain. « Treize amants ont péri sous celte horrible lance ; « Le fier OEnomaüs attend (1), et, plein d'ardeur, « Je vole à ce péril immense : « Qui le brave n’est pas sans cœur. (4) Les prétendans à la main d'Hippodamie étaient provoqués, par OEnomaüs, à la course des chars. 11 les vainquait et les égor- geait. Benoît donne leurs noms. Voir, pour une foule de détails sur les personnages fabuleux de Pindare, la savante Mythologie de Natalis Comes (Noël Le Comte). 4 PREMIÈRE OLYMPIQUE DE PINDARE. h67 « Eh! puisqu'il faut mourir, pourquoi des jours sans gloire « Oùdes ans lentement se traîne le progrès ? « Je tenterai cette vicloire; « Que je te doive le succès. » Neptune l’entendit : le Dieu l’'arma lui-même ; De ses coursiers ailés il dirigea l'essor; Le Roi, dans sa lutte suprême, Trouva la défaite et la mort. Le vainqueur eut six fils, chefs de peuples célèbres, Et, chez tous, les vertus fleurirent en faisceau ; Maintenant les honneurs funèbres Sont prodigués à son tombeau , Qui, vénéré, se dresse aux rives de l’Alphée (1) : La l'étranger pieux, en des jours solennels, Le visitant comme un trophée, Charge d'offrandes ses autels. Le grand nom de Pélops, de ces Champs Olympiques Rayonne, de ces Champs où les hardis lulteurs, Montrani leurs forces athlétiques, De courage enflamment les cœurs ; De ces Champs où des pieds lutte aussi la vitesse : Admirables efforts, combats dont les héros Jusqu'à la dernière vieillesse Trouvent la gloire et le repos. La gloire, ebjet des vœux, le repos, bien suprême, Après tant de travaux, sont le prix des vainqueurs, Et le plus brillant diadème A moins d'éclat que ces honneurs (2). (1) Fleuve qui passait à Olympie. (2) Sunt quos curriculo pulverem Olympicum Collegisse juvat, metaque fervidis Evitata rotis, palmaque aobilis Terrarum dominos evehit ad Deos, Hor, ce 168 PREMIÈRE OLYMPIQUE DE PINDARE, « Pour le noble Hiéron, qu'admire Syracuse, Dis sur le nome équestre (1) un chant éolien; - : De ton vol sublime, Ô ma Muse, Est-il un plus noble soulien ? Poèle, je le sais, non, jamais la cadence Du vers, capricieux en ses hardis écarts, N'a célébré plus de puissance Chez un monarque, ami des arts. Si ton Dieu protecteur bientôt ne t'abandonne, A Lon char on verra tes coursiers triomphans ; Une plus brillante couronne Appellera de nouveaux chants ; EL je viendrai, tenant ma ]yre auxiliaire, La lyre des combats que voit le Chronios (2), Cette lyre puissante et fière, Fière en présence des héros. Aux chefs des nations le faile de l'empire ; Aux poèles un rang soumis à d'autres lois : Noble Hiéron, jamais n’aspire Au-dessus du trône des rois; Puisses-lu, toujours grand, marcher haut dans la vie (3) ! Moi, chantre des vainqueurs , puisse la Grèce , un jour , Muette , admirer mon génie, Et m'entourer de son amour ! (1) « Ex antiqua musica nomi equestres et curules. » Dissen. (2) Le Chronios ou mont de Saturne, consacré à ce Dieu, et d’où lon voyait les luttes solennelles qui avaient lieu dans la plaine d’Olympie. » (3) Nous empruntons à peu près ce vers à la prose hardie de M. Poyard, qui traduit : « Puisses-tu toujours marcher haut dans la ie! » Qi RACINE, POÈME , Par M. Alphonse LE FLAGUAIS, Membre titulaire. I. Comment le prononcer d'une lèvre attiédie Ce nom, toute splendeur et toute mélodie , Qui parle à nos cœurs enchantés ? Comment ne pas sentir son ascendant suprême, Et ne pas l’entrevoir, projetant du ciel même Les éblouissantes clartés ? La gloire du grand siècle, où Boileau fut prophète, O Racine! sans toi ne serait pas complète ; C’est par Loi qu'il est couronné. N’en es-tu pas le goût, la dignité, la grâce ? Dans l'empire de l’art, quel rival te surpasse, O poète prédestiné! Le sort l'avait ravi les baisers d’une mère ; Tu fus nourri, bercé par la muse d'Homère Qui le révéla ses accords : De ses mâles beautés ton âme fut éprise ; Mais à ton âge mür Samuel et Moïse Réservaient de plus saints trésors. Oh! malheur à celui qui ne saurait comprendre Ton génie à la fois religieux ct tendre, Cette source d'émotions! #« : « 70 RACINE. Dans Les héros touchants que de grandeur éclate! Achille, Agamemnon, Oreste, Mithridate Ennoblissent leurs passions. Quels types imposants ton fier pinceau dessine : Clytemnestre éperdue ou l’altière Agrippine, 3 L'amour et l'orgueil maternels ! Nul n'a su mieux que toi remuer l’âme humaine; Et lu sais ramener la pensée incertaine A ses principes éternels ! Quel amour généreux , quel dévoment sublime Font agir Bérénice, Atalide, Monime ! Elles s’immolent sans efforts ; Et si dans ses fureurs Hermione est païenne, Phèdre, qui brûle et meurt, n'est-elle pas chrétienne Dans sa honte et dans ses remords ? , Quelle touche! quel art ! quelle ampleur magistrale ! Esther, sans abaisser la dignité royale, Tremble dans un auguste lieu; Abner soutient l'honneur des guerriers de l'Asie ; Et Joas est toujours la fleur de poésie, Quand Joad est la voix de Dieu! 11. O Racine! tes vers ont enchanté ma vie; A leur suave accent ma jeunesse ravie Se créait un monde idéal. Inilié dès-lors à la langue divine, 11 me fallut plus tard les chants de Lamartine Pour retrouver un charme égal. Ce n’est pas seulement l'héritier de Corneille, Le Sophocle français, qui dans mon âme éveille Un feu pur, un sentiment grand, RACINE. h71 Ce n'est pas seulement ta lêle radieuse foudroyant d'un regard l'envie audacieuse Que j'admire en te célébrant ; Ce n’est pas seulement le poète adorable ; L'artiste harmonieux; le peintre inimitable Que j'aime et que j'honore en toi ; Ce n’est pas seulement le vainqueur d’Euripide Qui rend mon âme émue et ma paupière humide, C’est le chrétien rempli de foi. Mon héros! ce n’est pas seulement l'interprète De celte antiquité dont l'éclat se reflète Dans tes poèmes immortels ; Le maître qui créa Roxane , 1phigénie, Qui fil rugir Véron et soupirer Junie, Mais Racine au pied des autels ! C’est Racine cachant son étoile qui brille, Racine, simple et bon, de sa jeune famille Aimant à partager les jeux ; C’est Racine au devoir fenant l'âme asservie, Racine calme et sage au midi de la vie Après un malin orageux. C'est Racine brisant son trophée el ses armes, Et sur quelques erreurs versant de nobles larmes Dont le Seigneur savait le prix ; C’est Racine abaissant sa haute renommee, Et dispersant dans l'air comme un peu de fumée Des plaisirs trop long-temps chéris ! Qu'il est beau d'abdiquer sa gloire et son génie, De quitter saintement des honneurs qu'on renie ! Un tel courage vient de Dieu. Le monde, on peut le fuir; mais se quiller soi-même, Abanbonner son art, sa dignilé suprême, C'est le plus héroïque adieu ! 172 RACINE Se faire humble et petit lorsqu'on est grand, sublime, Redescendre au ravin lorsqu'on touche à la cime, Pour l'ombre abandonner le jour : A la muse éplorée , Agar que l'on délaisse, Peut-être avec effort, mais du moins sans faiblesse, Reprendre en entier son amour; De toutes les vertus n'est-ce pas la plus rare ? Et n'est-ce pas ainsi qu'au monde se déclare L'abnégation du chrétien ? Si l’apôtre aisément se dévoue au martyre, Le poète ose-t-il fouler aux pieds sa lyre P... Cet héroïsme fut le tien. HT. Mais le Seigneur réserve aux plus beaux sacrifices Les bonheurs les plus vrais, les plus pures délices ; On retrouve tout avec lui. Dédaignant tes succès après chaque victoire, Ton génie applaudi s’appuyait sur la gloire, Ton cœur voulut un autre appui ! Écartant les lauriers d’Andromaque et de Phèdre, Tu préféras cueillir l’hysope sous le cèdre Où l'aigle va se reposer. Le monde n'élait plus qu’une ombre fugitive Pour tes yeux éclairés ; et dans la source vive Ta sainte ardeur alla puiser. Nul ne dira jamais tes transports el ta joie Quand ton pas fut rentré dans la céleste voie, Plus grand de ton humilité. La lèvre humide encor du miel de poésie, Tu priais. par ton cœur élait enfin choisie La plus belle immortalite. RACINE. Tu connaissais des cours les ennuis, les caprices ; Tu savais la valeur des merveilles factices Et le poids d’un vêtement d’or. Fatigué du palais de ton illustre maitre, Tu vis l’astre de Dieu dans l’azur apparaitre, Et vers lui tu pris ton essor ! C’est alors que brilla ta vertu surhumaine, Car il te fallait mieux qu'une majesté vaine A célébrer dans tes concerts. Ta fis taire en ton sein l’ardente turbulence, Et ta voix désormais ne rompit le silence Que pour pleurer de pieux vers. Ce n’était point assez d'offrir ton harmonie Au Dieu qui régnail seul dans la maison bénie; 11 demanda ton Benjamin. Tendre père , à son culte offrant ta jeune fille, Tu vis sans murmurer se refermer la grille Ouverte à ses vœux par ta main. Des grâces du Seigneur sentant la plénitude, Son Évaugile alors fut ton unique élude, Et sa croix ne te pesail pas. Le joug du Bon-Pasteur est plus doux que la chaine Rivée à notre cou par la main souveraine D'un roi dont nous suivons les pas. Si la muse à ta vue osa paraitre encore, C’est qu’elle L’apportait cette harpe sonore Présent de Job et de David ; Cette harpe où la force à la douceur s'allie, Élément créateur d’Esther et dAthalie, Qui touche l’âme et la ravit ! Et Lon ancienne amante, hélas! répudiée, Modulait maintenant la page étudiée Par toi-même aux livres sacrés. h73 ” h74 RACINE. Elle avait entouré ses altraits des saints voiles, Et couronné son front des brillantes étoiles Dont les seuls anges sont parés. Oh! que j'aime ce fils dont la plume attachante Écrivil pour nos cœurs cette histoire touchante 5 Doux mystère de ton foyer! Un grand nom est un poids sous lequel on succombe ; Mais, celle fois, au moins, sur sa tête il retombe Quelques feuilles de ton laurier, IV. Pour le dernier départ Lu préparas ton âme ; En élevant ses vœux, en épurant sa flamme Où brülait un parfum d’encens. Tu mourus saintement, el Dieu, doublant ta gloire, Aujourd’hui t'a donné le céleste auditoire ? Pour applaudir à tes accents. De la postérité reçois toujours l'hommage. Que ton nom vénéré soil un éternel gage De l’art inspirant la vertu! Ton génie est un cygne à l'aile immaculée , D'une chaste beauté qu'on n’a point égalée Par le ciel même revêtu. Tes chefs-d'œuvre divins sont l'honneur de la France : D’an saint temple au théâtre ils donnent l'apparence ; Ils font les Talma, les Rachel. Ei quand la poésie appelle la louange, On dit que si Corneille en est le Michel-Ange, Racine en est le Raphaël. Mais encenser l'artiste est peut-être une offense Pour l'ombre du chrétien qui me fait la défense De renouveler ses regrets. RACINE. h75 T'accusant de travaux que tu nommes profanes , Ces merveilleux accents, eh quoi ! Lu les condamnes!... Faut-il respecter tes arrêts ? Tu choisis en mourant pour demeure dernière, Afin d’abriter mieux ta fervente poussière , L'enclos sacré de Port-Royal : Tu croyais reposer en paix sous les ombrages Où les oiseaux du ciel, par leurs plus doux ramages, Formaient comme un chœur triomphal. Mais une main hardie a remué les restes Qui dormaient sous Je marbré,et dans ces murs modestes Altendaient leur dernier réveil, Puis les a déposés sur ce mont qui s'élève, Protégé par deux saints : Etienne et Géneviève, Pour les rapprocher du soleil. A toi qui crus devoir expier ton génie, En le sacrifiant à la gloire infinie, Celui qui visite ce lieu, Celui-là pourrait-il refuser pour offrande Cette aumône du cœur que ton ombre demande : Une prière devant Dieu ?..…. LES FILETS DE LA VIERGE, LÉGENDE, Par le Méme. Les beaux jours de l'été finissent, Mais l'automne opulent survient: Les bosquets épuisés jaunissent , Mais de leurs fleurs on se souvient, Dans les cieux le soleil plus pâle, A travers ies nuages gris, Jette une chaleur inégale Sur les gazons bientôt flétris ; Mais la tendre mélancolie Répand sur les champs et les bois Un charme dont l’âme est remplie, Et qui prend pour elle une voix. Dans les airs, pleins d'un doux arôme, Nous voyons de longs filets blancs Descendre sur les toits de chaume, Se suspendre aux rameaux tremblants,. Flotlant comme des banderolles Sur les fleuves et les ravins, Ils semblent les heureux symboles Du retour des printemps divins. LES FILETS DE LA VIERGE. 477 Ils sont les liens d'espérance Qui rattachent la terre au ciel : Et vers le port de délivrance Ramènent la nef d’Ariel. Par eux les âmes, égarées Dans les espaces infinis , Retrouvent les saintes contrées, Comme les fauvettes leurs nids. Ils sont de la Vierge Marie Le chaste et gracieux travail ; Sa quenouille, de lis fleurie, Pour ce monde est un gouvernail. Oui, c’est d’elle-même que naissent Tous ces beaux filets argentins , Où les cœurs croyants reconnaissent Que sont attachés leurs destins. C'est pour vous surtout , jeunes filles, Pour vos voiles immaculés , Trésors des époux , des familles, Que ces filets sont déroulés. C’est pour vous, jeunes aspirantes, Roses mysliques de l'autel, Qui, dans vos âmes odorantes, Brûlez de l’amour immortel. Priez donc la Vierge divine De travailler incessamment A vos parures qu'illumine Le blanc reflet du firmament. 34 k78 LES FILETS DE LA VIERGE. Priez-la d'être favorable Au frère un instant égaré, Et que par sa main secourable Le mal commis soit réparé ; Car plus d'un filet qu’on réclame Au myrle, au cyprès, au tilleul, Commence quelquefois la trame Dont est formé notre linceul. Lorsqu'il s'apprête... ah! que l'on sache Pieusement s'en revêtir ! Ce qui vient du ciel est sans tache, Et sans lache il faut y partir. Filez , filez, à Vierge sainte ! La robe des prédestinés; Une lampe jamais éteinte Éclaire vos doigts fortunés. Pour nos pleurs et notre prière Vous avez un cœur maternel ; Travaillez, divine Ouvrière , A notre salut éternel ! EMMA LIÉNARD, SONNET ; Par le Même. Elle eut été l'honneur des lettres et des arts, Si le monde eût vaincu sa douce modestie. Comme la violelle , aisément pressentie, Elle se trahissait en fuyant les regards. Quand notre histoire à nous se fardait, travestie, Quand nos vieux monuments croulaient de toutes parts Sa muse, prolégeant nos anciens élendards , Aux splendeurs du passé gardail sa sympathie. Son cœur poétisait les plus beaux dévouements; Ses touchantes verlus, ses nobles sentiments Étaient comme l'or pur où le feu divin brille. Elle habitait dans l'ombre un studieux séjour ; Mais l’auteur de Corinne , au milieu de sa cour, Eùl dit, en l’accueillant : « Elle est de ma famille! » É L UNE RENCONTRE À LA GRANDE-CHARTREUSE, Par M. MICHAUX (Clovis). Membre correspondant. Pour une âme qui plane en son vol poétique , Que la nature est grande, aimable et magnifique! Et que l'homme est petit, gonflé de vanités , Dans ces tristes prisons qu’il nomme des cités! Le temps fuit; l'air est tiède et le ciel sans nuages; Allons respirer Dieu dans ses vastes ouvrages; Devant cet Océan, pour nous désert sans fin, Mais, pour lui, goutte d’eau qui tremble dans sa main ; Et devant ces grands monts, sphinx aux têtes voilées, Du temple universel somptueux propylées. Partons ; mes yeux ont vu dans l'air, en longs sillons, Des oiseaux voyageurs cingler les bataillons , Et j'aspire, comme eux, à déployer mon aile. Partons ; le jour est court et la nuit éternelle. J'ai pris l’essor ; je touche à ces bords opulents Où la Saône, sans bruit, roule des flots si lents Qu'on croit parfois la voir remonter vers sa source. Mais le Rhône fougueux la rejoint à la course; Il l’enjace, il l’entraiîne en son lit orageux, Et vers le même abîme ils s'élancent tous deux. A gauche des vallons où s’épanchentleursondes, Voyez-vous ces beaux champs, ces collines fécondes S’élancer en gradins jusqu’à ce piédeslal Où l'énorme Mont-Blanc dresse un front colossal ? Non loin de ses glaciers, dans une sombre enceinte, Se cache une demeure antique eltrois fois sainte, UNE RENCONTRE À LA GRANDE CHARTREUSE. 481 Un cloître sépulcral, où des chrétiens fervents Ont osé, dans leur foi , s’ensevelir vivants. Le premier , sous ces rocs, écho de la prière, Bruno vint de ses pieds secouer la poussière, Et, du camp des mondains illustre déserteur , Chercher un sûr asile au sein du Créateur. Quel séjour à ses vœux eüùt offert, loin du monde, Abri plus inconnu , retraite plus profonde ? Un rempart de granit l’enferme, et le soleil, Non plus qu'à son couchant, n’y brille à son réveil. La verlu ne mourut jamais sans légataires. Disciples de Bruno, de pieux solitaires , Huit cents ans après lui, sur la croix appuyés, Mettent toute leur gloire à vieillir oubliés. Ici l’orgueil humain prie avec vigilance, Et l'humilité garde un facile silence. Mais le cœur n’est pas mort; sa douce charité Mit sur le seuil l’autel de l'hospitalité. Le jour fuit; l'air piquant flagelle mon visage ; Allons chercher un gîte au célèbre ermitage. Entre deux rocs à pic un seul passage ouvert Ménage au pélerin l'accès du saint désert; J'en franchis à pas lents le sauvage portique. Je m'avance; j'arrive à ce manoir mystique, Où les blessés du siècle, invalides pieux, Ont les pieds sur la terre et l'esprit dans les cieux. Je frappe, un bon chartreux à m’accueillir s'empresse : « Frère, vous êtes las, dit-il; la faim vous presse ; « Le froid vous glace ; entrez ; soyez le bienvenu. » —« Ah! dis-je, quel accueil pour un pauvre inconnu ! » —« Hé quoi? me répond-il, égaux dans leurs miséres, « Tous les enfants d'Adam ne sont-ils pas des frères ? » Et ses yeux souriaient, el, pleine de fraicheur, Sa voix de sa parole égalait la douceur. Dans une humble cellule il me’conduit dugeste ; Près d’un souper frugal'j'y trouve unlit:modeste, Dont la douce chaleur, bientôt me réchauffant, 482 UNE RENCONTRE À LA GRANDE-CHARTREUSE. Me verse le sommeil d’un pâtre ou d'un enfant. Au milieu de la nuit, long-temps avant l'aurore, Dons le vaste couvent gémit l'airain sonore : Il rappelle à l'autel tous ces hommes de foi. Je les suis, et comme eux baise humblement Ja terre, Pendant que s’accomplit l'ineffable mystère, Mais qu'ai-je vu ? parmi ces bons religieux, Un ami de quinze ans vient de frapper mes yeux. A travers la pâleur, sur son visage empreinte, J'ai reconnu le feu de sa jeunesse éteinte. Tout ému, je l’abordé au sortir du saint lieu : — « Je Le revois, lui dis-je, et j'en rends grâce à Dieu; «Mais par quels coups du sort dans cette Thébaïde « Te vois-je consommant un pieux suicide ? » Il me sourit, m’embrasse, el ma main a frémi En pressant sous le froc la main d'un vieil ami. —« Vous voulez, me dit-il, savoir mon humble histoire ? « Elle est courte. Eussiez-vous présente à la mémoire « De mes jours douloureux la première moitié, « Voici ma vie entière ouverte à l'amitié : « Le ciel, dès le berceau, me priva de mon père, « Me laissa, faible enfant, sous l’aile de ma mère, « Ange qui s'efforca , depuis ce triste jour , | « De réparer ma perte en redoublant d'amour. « De quei prix j'ai payé son aveugle tendresse! « Sans respect pour son choix, mon altière jeunesse , « Repoussant le parti qu’elle me destinait, « Préféra la beauté dont l'œil me fascinait ; « Pauvre, mais chaste fille, aimable créature « Qui m'offrait la vertu dans toute sa parure. « Au mépris des refus et des pleurs maternels, « J'osai serrer des nœuds que je crus élernels. « Hélas ! qu'ils durent peu les liens de la terre ! « Avant de se briser ils m'ont coûté ma mère ; « Car, j'en crois mes remords, mes rebelles amours « De ma mère offensée ont abrégé les jours. « L'heure du châtiment tôt ou tard devait Juire, * UNE RENCONTRE A LA GRANDE-CHARTREUSE. 483 « Lorsque, dans les accès d’un furieux délire , « De tous se: magistrats méconnaissant la voix, « Le peuple de Paris s’arma contre les lois, Au fort de cette guerre impie et fratricide , « Un jour, de toutes parts, siflait le plomb rapide ; « Macompagne, à son sein portant son nouveau-né, Regagnait en fuyant notre toit fortuné ; « Une balle {on l'a dit, hélas ! la balle est folle ) « Vint frapper dans ses bras son enfant, notre idole. « L'un d'eux, quand ils tombaient au seuil de ma maison, « Avait perdu la vie et l’autre la raison. « Je crus la perdre aussi dans ce malheur suprême. « En me voyant ainsi ravir tout ce que j'aime, « J'oubliai Dieu ; mon âme, en proie au désespoir, « Se fit de la vengeance un atroce devoir. «Soldat sans chef, guidé par les clameurs voisines, « Je cours, je vole au feu. Deboutsur des ruines, « Un homme au loin semait l’'épouvante el la mort; « Je l'ajuste et le tue : horrible jeu du sort ! « La victime à mes pieds roule. c'était mon frère. « —Arthur»— ui! Maudit soit l'inventeur de la guerre! « Entre peuples du moins quelque gloire l'attend ; « Mais la guerre civile est l'œuvre de Satan, « Un seul jour lui suffit, que dis-je? un jour ! une heure, « Hélas! pour m'arracher trois êtres que je pleure. « La mère de mon fils le suivit au tombeau ; « Et moi, portant mes jours comme on fraîne un fardeau, « Qu'avais-je à faire encor sur cette:triste terre, « Qu’à prosterner mon front devant le Dieu mon père ? « Coupable et malheureux , prêt à désespérer , « J'avais soif du désert pour me régénérer. « Dans ces rochers affreux je vins mourir au monde. « Comme le sauvageon qu’un fer tranchant émonde , « Ici l'homme, espérant porter des fruits plus beaux, « Retranche de son cœur tous les grossiers rameaux , « Le mutile avec joie, et, dans la solitude, « D'oublier tout, hors Dieu , fait son unique étude. Aux grandeurs de la croix quand l'âme ose aspirer , x 84 UNE RENCONTRE A LA GRANDE-CHARTREUSE. « Il est oiseux d'apprendre, il est doux d'ignorer, « Et d'ouir, d’une oreille à jamais assouwie , « Expirer à ses pieds tous les bruits de la vie; « Triste vie où tout passe ; où, bientôt séparés, « Les cœurs les mieux unis gémissent déchirés! « Il n’en est qu’une vraie , et c’est celle où Dieu même, « A l’âme uni sans fin, devient son bien suprême ; « Où l'homme , préparant son immortalité , « En fait son seul désir , son but, sa volupté, « Et, planant comme l'aigle en son vol solitaire , « Sous ses pieds ne sent plus, n’aperçoil plus la terre. » — « Ah! m'écriai-je, au cœur d'un vulgaire mondain « Vous jetez de la vie un si profond dédain, « Qu'il est tenté, s'armant d’un généreux courage, « De déposer ici son bâton de voyage. » — « Non, dit-il; mürissez ce saint amour du port : « Peut-être votre esquif y viendra sans effort. « Tous doivent-ils, d'ailleurs, vivre dans la retraite ? « Dieu sourit au nocher comme à l’anachorète ; « II dédaigne les cœurs trop tôt découragés, « Et du cloître l'abri sied aux seuls naufragés. « Allez donc, l’œil fixé sur l'éternel rivage, « Frère, braver encor la fatigue et l'orage. « Priez pour moi; pour vous je vais prier ; adieu ! « Même au sein du plaisir, souvenez-vous de Dieu. » Et soudain , l'œil brillant de pleurs qu'il dissimule, Le bon chartreux s'apprête à gagner sa cellule. Et moi, triste et pensif, abandonnant sa main, A travers les vivants je repris mon chemin, Dans un monde , en douleurs trop fertile sans doute, Mais où le pélerin trouve au moins sur sa route, Pour soutenir ses pas, le bras de l'amitié, Et l'amour de la femme ou sa douce pitié. A NONGE D'UNE IEUNE FILLE DANS UNE NUIT D'ÉTÉ, Par M. PA. VIEILLARD , Membre correspondant. STANCES. Quel amant des beautés que la nature étale, Lorsque renaît le jour, ou même au sein des nuits, Quand monte au haut du ciel la lune virginale, Ne cède au charme heureux qui suspend ses ennuis ? Sur le tronc d'un vieux saule, à cette heure, appuyée, Des rochers, à l’entour sur la bruyère épars, Vers la sombre forêt dans la vapeur noyée, Rèveuse, je portais mes pensers, mes regards. Je contemplais le dais, tout parsemé d'étoiles, Dont l'onde réfletait l’azur, les feux brillants, Et des nuages blancs, comme de légers voiles, Couraient, et se jouaient au caprice des vents. Hs erraient dans l’espace, ainsi que mes pensées, Couvraient, sans les cacher, les célestes clartés , Et s'évanouissaient, sous les brises pressées , En sillonnant l'Éther de leurs traits argentés. L’astre aux douces lueurs, poursuivant sa carrière, Blanchit les noirs sapins, de ses pâles rayons ; Puis, déroulant aux cieux son voile de mystère, Il en toucha les eaux, et les bois, el les monts. L86 SONGE D'UNE JEUNE FILLE, Transparentes alors, les ombres s'étendirent.. Tout se calma... la brise expira dans les airs. Sans disparaître encor, les formes s'obscurcirent, Et la terre exhala des parfums, des concerts. Ma tête s’inclina sur ma poitrine ardernte ; Des sons, nouveaux pour moi, parvinrent à mon cœur ; D'un jour prestigieux la lumière éclatante Découvrit à mes yeux des scènes de splendeur. LE Les Chérubins ailés, en se voilant la face, % d Chantaient l'hymne éternel, autour d’an trône d'or ; Une femme céleste illuminait l'espace, Où d’autres visions resplendissaient encor ! Eblouie, à mon tour, je tombai prosternée, Croyant mêler ma voix à ces concerts divins..… Bientôt, je m'éveillai palpitante, étonnée, ‘Cherchant encore et trône, et Vierge, et Chérubins. Les oiseaux seuls chantaient, au retour de l'aurore ; Les souffles du matin balançaient les rameaux... Aux sens, au cœur, le ciel se révélait encore Dans les splendeurs du jour, de la terre, el des eaux ! EMITATION D'UN SONNET DE SHAKESPEARE ; Par Île Même. Oh! quand je serai mort, ne me donnez de pleurs Que tant que lintera l’airain de la prière, Annonçant mon départ de ce lieu de douleurs, Pour partager des vers la couche hospitalière. En lisant ces adieux, ah! tàchez d'oublier La main qui les écrit... A mon heure suprême, Je préfère l'oubli du cœur de ceux que j'aime Aux regrels dont mes soins ne sauraient les payer. Si vous me rappelez, endormi sous l'argile, Perdez ce vain désir, et que mon nom fragile S'efface , en ne laissant nulle trace aprèssoi ! Mais, s’il vous reste cher, que rien ne le révèle! Car le monde si sage, épris d'un autre zèle, Rirail peut-être, hélas! et de vous et de moi. OUVRAGES OFFERTS À L'ACADEMIE DEPUIS 1852. MM. AKERMAN. Remarks on some of the wWeapons of the celtic and teutonic races. — Remains of pagan Saxon- don, etc. (2°, et 3°. livraisons). ARTUR. Théorie et construction d’un Vernier ap- plicable à toute ligne droite ou courbe, divisée en parties inégales. BELLIN. Tableaux judiciaires et administratifs pour le service de l’audience , la confection des distributions et ordres, et l’accomplissement des opérations électo- rales et du recrutement. BERTRAND. Rapport lu dans la séance de rentrée des Facultés de l’Académie du Calvados, le 15 nov. 1852. BERVILLE. Fragments oratoires et littéraires. — Mé- lodies Amiennoises. — Épître à Messieurs les fumeurs. BORDEAUX (Raymond). Biographie de M.S. Gaillard de Saint-Germain. — Démolition de l’étage supérieur du cloître de la cathédrale d'Évreux. 90 OUVRAGES ORFERTS A L'ACADÉMIE BORDES. Foyer solitaire, poésies. BOUCHARD. Biographie de Matthieu de Bonafous. BOUILLIER. Mémoire sur la vision en Dieu , -de Male- branche. BOULLAY. Méthode de déplacement. — 4". Lettre sur les sources minérales des Pyrénées. — Discours prononcé sur la tombe de M. L.-A. Planche, au nom de l’Académie de médecine. — Sur les-eaux thermales et l'établissement de Bagnères-de-Luchon. Rapport.— Mémoire sur la production d’un nouvel amide obtenu par l’action de l’ammoniaque sur l'huile et la graisse. — Mémoire sur l’état de combinaison du soufre dans les eaux minéraies des Pyrénées. — Allocution pro- noncée à la Société d’horticulture de Seine-et-Oise, le 7 déc. 1843. — Notice historique sur le figuier et sur Sa Culture aux environs de Paris, — Rapport sur la session du Congrès ües Sociétés savantes des dépar- tements, 2 avril 4851. BOULLÉE. Étude sur Clarisse Harlowe. BUSSCHER ( Edmond de). Le livre de la corporation des peintres et sculpteurs Gantois. Notice. — Ruines de l’abbaye de St.-Bavon, à Gand. — Rapport sur état et les travaux de la Société royale des beaux- arts et de littérature de Gand. Cauver. Les ruines en Italie, — De la philosophie DEPUIS 1852. 91 du droit. — Du maintien de l’organisation judiciaire actueile, — De l’organisation de la famille, d’après la Coutume de Normandie. CHARMA. Charles-Julien Bourdon, notice biogra- phique. — Sur les fouilles pratiquées à Jort pendant les années 1852-53. CHATEL (Eug.), Étude sur J.-J. Rousseau, par un auditeur au cours de M. Saint-Marc Girardin. CHEVALIER et DUCHESNE. Des dangers que présente l'emploi des papiers coloriés avec des substances toxiques. CocET. Notice historique et descriptive sur l’église de Sigy. — Étretat, son passé, son présent, son avenir. COUDERT DE LA VILLATTE. Vie de saint Pardoux. CUSsON. Aunuaire du Calvados pour 1853. DE BARMON. Seigneurs de Lonvilliers, ascendants de l’impératrice Joséphine. DE BEAUREPAIRE (Eugène \. Notes pour servir à l’histoire archéologique de l’ancien diocèse d’Avran- ches. DE BEAUREPAIRE (Charles). Entrée et séjour du roi Charles VIII à Rouen , en 1485. h92 OUVRAGES OFFERPS A L'ACADÉMIE. DE GAUMONT. Annuaires de l’Institut des provinces pour 1853, 1854 et 1855.— Annuaire de l'Association normande, 19°. volume. — Congrès scientifique de France; 19°. session, tenue à Toulouse en septembre 1852. + Len DE CHENNEVIÈRES-POINTEL. Recherches sur la vie et les ouvrages de quelques RUES provinciaux de l’an- cienne France , tome 5°. DECORDE. Dictionnaire du patois du pays de Bray. — Une page d'histoire, 1789-1793. — La Croix ou le dernier jour du Christ, recherches historiques et ar- chéologiques sur le crucifiement de J.-C.— Notice sur un vase romain, découvert au Hallais, en 14854. — Almanach du pays de Bray, années 1852, 53, 54 et 955. DE DUMasT. L’Orientalisme rendu classique. — Supplément qui termire la deuxième édition de l'Orientalisme rendu classique dans la mesure de l’utile et du possible. DELACODRE. De l’immortalité , de la sagesse et du bonheur , ou la vie présente et la vie ire traité de philosophie pratique. DELISLE ( Léopold). Extraits d’un compte de la sei- gneurie de Neubourg, en 1413. — Notice sur les attaches d’un sceau de Richard Cœur-de-Lion. — Vie DEPUIS 1852, 93 de Gauzlin, abbé de Fleury et archevêque de Bourges ; par André de Fleury. DE MONTARAN (M"*°. ). Poésies. DE PONTGIBAUD. Mosaïque. — Arabesques et figu- rines. — Crésus, roi de Lydie. DE SouzA BANDEIRA. Memento das Questôes de philosophia (traduction portugaise des Questions de philosophie, par M. Charma ). DIGARD DE LOUSTrA. Visions d’un poète. — Joseph- Laurent Couppey; sa vie et ses écrits. DinaUx. Bataille de J. César contre les Nerviens. DoyÈèRE. Mémoire sur l’alucite des céréales. Du Bois (Louis). Ballades Normandes. DurFEUGRAY. De la rue de la Boucherie. Du MonceL. Des observations météorologiques, de leur utilité et de la manière dont il faut les faire. — Mémoire sur le magnétisme statique et le magnétisme dynamique. — Le manoir de Tourlaville. — Exposé des applications de l'électricité. — Exposé sommaire des principes et des lois de l'électricité. — Théorie des éclairs. DUPONT ( Gustave ). Félix Bogaerts. 32 h94 OUVRAGES OFFERTS A L'ACADÉMIE DURAND et ManouRyY. Sur l'accroissement en dia- mètre des plantes dicotylées. EGGEr. Apollonius Dyscole. Essai sur l’histoire des théories grammaticales dans l’antiquité. GARNIER. Inventaires du trésor de la cathédrale d'Amiens. — Catalogue descriptif et raisonné des mss. de la bibliothèque d'Amiens. — Cinq Rapports sur les travaux de la Société des Antiquaires de Picardie. GERYAIS. Sur la révolution dans la valeur des métaux précieux , à la fin du XV°. siècle. GIRARDIN et Molière. Résumé des conférences agricoles sur les fumiers, faites dans les cantons ruraux. GIRAULT. Note sur une simplification de calcul dans la détermination numérique du rapport de la circon- férence au diamètre, — Démonstration des lois de Képler. GISTEL (Jean). Cinq brochures sur des matières de sciences naturelles et de littérature (en allemand). GuiARD. Théâtre complet de Sophocle , traduit en vers français. HAINL. (Fr.-Georg.). De la musique à Lyon, depuis 1813 jusqu’à 1852. DEPUIS 1852. 495 HAMMER-PURGSTALL. Texte et traduction en vers allemands d’un poème arabe. HELLIS, Rapport sur le concours relatif à l'éloge de Lepecq de la Clôture. HOLLAND. Crestien von Troies. HOMOLLE et QUEVENNE. Mémoire sur la digitaline et la digitale. JUBINAL. Catalogue des livres, tableaux, etc. , donnés par M. A. Jubinal ou par son entremise à la ville de Bagnères-de-Bigorre, pour former une bibliothèque et un musée. LAMBERT. Notice biographique sur Michel Beziers. LATROUETTE. Note additionnelle à la Notice bio- graphique sur Françcois-Richard De La Londe, LAURENT. Histoire de Marguerite de Lorraine, duchesse d'Alençon, bisaïeule de Henri IV, fondatrice et religieuse du monastère de S",.-Claire d’Argentan. LEBRUN (Isidore). Tableau statistique et politique des Deux-Canadas. — Biographie du contre-amiral Dumont-d'Urville, — Tubercule de l'Amérique septen- trionale ( picquotianc). — L’exhibition internationale à Londres. — Observations sur les monuments hono- rifiques. h96 OUVRAGES OFFERTS A L'ACADÉMIE LECADRE. Observations et dissertations médicales. LE FLAGUAIS. A l’empereur Nicolas. -— Guillaume et Mathilde, légendes. LE Jois ( Auguste). Note sur l’adipode voyageuse, ou sauterelle de passage trouvée à Cherbourg. — Mémoire sur l'introduction et la floraison, à Cherbourg, d’une espèce peu connue de lin de la Nouvelle-Zélande, et revue des plantes confondues sous le nom de Phormium tenax. — Observations sur les Ulex des environs de Cherbourg. Liais (Emmanuel). Considération sur le climat de Cherbourg. — Théorie mathématique des oscillations du baromètre, et recherche de la loi de la variation moyenne de la température avec la latitude. — Note sur les observations faites à Cherbourg, pendant l’éclipse du 28 juillet 1851. — Mémoire sur la sub- stitution des électro-moteurs aux machines à vapeur, et description d’un électro-moteur d’une grande puis- sance et d’une horloge électro-magnétique à force régulatrice rigoureusement constante, — Mémoire sur un bolide observé dans le département de la Manche, le 18 novembre 1851. — Procédure au XV°, siècle, relative à la confiscation de biens saisis sur un Anglais, et à leur adjudication en faveur d’un capitaine de Cherbourg. — Notice sur l’origine et l'établissement de la foire St.-Clair, de Querqueville. — Quelques réflexions sur l’étude de la botanique, et détails sur le mode de reproduction les algues zoosporées. DEPUIS 1852. 97 Lonp£. Discours prononcé aux funérailles de M. Duval, le 19 mai 1854. MancEL (Georges). Rondeau inédit de Malherbe sur l’Immaculée Conception. MARCHAND (Eugène). Des eaux potables en général, et en particulier de celles des environs du Havre. — Note sur les eaux stagnantes. MARTIN ( Th.-H. )}. Mémoire où se trouve restitué, pour la première fois, le Calendrier lunisolaire chaldéo- macédonien, dans lequel sont datées trois observations planétaires citées par Ptolémée. — Examen d’un mémoire posthume de M. Letronne, — Recherches sur la vie et les ouvrages d'Héron d'Alexandrie, et sur tous les ouvrages mathématiques grecs, conservés ou perdus, publiés ou inédits, qui ont été attribués à un auteur , nommé Héron. MauRrY (Alfred). Essai historique sur lareligion des Aryas, pour servir à éclairer les origines des religions hellénique , latine , gauloise et slave. MicaAUx (Clovis). Une causerie. L’arrière-boutique, poésies. — Histoire d’un bonhomme, MOREAU. L'Univers maçonnique. PErir (le Révérend J.-L. ). Notes on examples of ecclesiastical architecture in France. 498 OUVRAGES OFFERTS À L'ACADÉMIE PEZEI. Les Barons de Creully, étades historiques. PIERRE ( Is. ). Études sur les engrais de mer des côtes de la Basse-Normandie, — Discours prononcés à des distributions de primes, de prix et de médailles, dans les concours agricoles, en 1852. — Chimie agri- cole, ou l’agriculture considérée dans ses rapports avec la chimie, lecons faites à la Faculté des sciences de Caen pendant les années f848 à 1852. — Note sur l’ammoniate de l'atmosphère. — Résumé de deux lecons sur le drainage. — Recherches expérimentales sur le poids spécifique des corps solides et sur les variations qu’éprouve cette propriété, dans les corps solides , par la trempe et par le recuit. — Résumé de leçons sur les substances alimentaires. POIGNANT. Histoire de la conquête de la Normandie par Philippe-Auguste , en 1204. PUISEUX. Rapport sur une charte relative à l’histoire maritime de la Normandie au XVE. siècle. QUEVENNE. Mémoire sur l’action physiologique et thérapeutique des ferrugineux. RABoOuU. Discours prononcé, le 4 novembre 1841, à l’audience solennelle de rentrée de la Cour royale d’Orléans.— Discours prononcé à l’audience solennelle de rentrée de la Cour impériale de Caen, le 3 novembre 1853. REGNAULT. Vie de Thomas Langevin de Pontaumont. DEPUIS 1852. 99 R£INVILLIER. Cours élémentaire d'hygiène en 25 lecons. RENAULT. Revue monumentale et historique de l’ar- rondissement de Coutances, 2°. et 3°. livraisons. REMBAULT (M.-A.-Gabriel). Obsèques du docteur Rigollot, décédé à Amiens, le 29 décembre 1854. REQUIN. Notice sur Fouquier. SAISSET. Discours prononcé au Collése de France pour l’ouverture du cours de philosophie grecque et latine. SAUVAGF. Recherches historiques sur larrondis- sement de Mortain. — Sourdeval-la-Barre. SCHWEIGHÆUSER ( Alfred). De la négation dans les langues romanes du midi et du nord de la France. SELLIER. Notice biographique sur M. de Jessaint. Simon. Observations concernant le rapport fait au Conseil municipal de Caen, sur l’amélioration de la navigation de l’Orne entre Caen et la mer. SIMON ( Jules). Le Devoir. SPENGLER. Ems, ses sources minérales et ses en- virons.— Études balnéologiques sur les thermes d’Ems. 500 OUVRAGES OFFERTS A L'ACADÉMIE Taéry. Lettres sur la profession d'’instituteur. — Pierre Huet, nouvelle. — Modèles de discours et allocutions pour les distributions de prix dans les lycées, colléges et autres établissements d’enseigne- ment secondaire. — Modèles de discours et allocutions pour les distributions de prix dans les écoles pri- maires des deux sexes. — Notice sur l'abbé Massieu. THOMINE. De la gare de Caen. TISSERON et DE QUINCY. Revue mensuelle, 12°. année. TOUSSAINT, Précis historique sur les statues de Bernardin de Saint-Pierre et de GC. Delavigne, érigées au Havre , le 9 août 1852. TRAVERS (Julien). Rapport sur les travaux de l’Aca- démie de Caen (24 nov. 1853). — Biographie de Charles-Gabriel Porée, suivie d’un Appendice ren- fermant des pièces inédites, parmi lesquelles hi vers inédits du poète Malfillatre , etc. — Notice sur M. Pierre- Bernard Durand.— Annuaire du département de la Manche pour 1853. — Id. pour 1854. — Une question de propriété à l'occasion des archives publiques et des amateurs d’autographes. — Première Olympique de Pindare. — Note sur quelques manuscrits. Van DER HEYDEN. Notices historiques et généalo- giques sur les maisons de Kerckhove-Varent, Van Den Winckele et Van Der Donckt. — Extrait du Nobiliaire DEPUIS 1852. 501 de Belgique concernant la famille de Kerckhove- Varent. VIEILLARD (P.-A.). Babet, anecdote rustique. — Études sur la psychologie médicale, par M. Dumont; et l’Idée fixe, par M. Vieillard. VINGTRINIER. Remarquable exemple d’intoxication par venin animal, ou cause de la mort du docteur Quesnel, de Rouen. — Des aliénés dans les prisons et devant la justice. — Utilité de la sévère exécution des lois sur la police des cimetières. LA LD j PA ob sm Arpiimisond open -15h ONF TEN LL 4l omphedit: oo boun todatéués.4 ) Garaatart bratocomatt. M 454, rotor other 6 bite zut Mots ot s9bE aobimizoeïh samezs unes .HAMINTOAIY vapésah D Moc che sanes.to, eme minor ‘160 Jo enoeliq 298 eacb bands 200 — ,n900f:9b , Jose) oh aoûnièra 914vè8e5i 9h IUU — ,40beni #1 1a6r9b egrolanis 28h noiloa el rue aiol RÉGLEMENT DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES, ARTS ET BELLES-LETTRES DE CAEN. ART. 1°", — L'Académie des sciences , arts et belles- lettres de Caen se compose de membres honoraires, de membres titulaires, et d’associés-résidants ou cor- respondants. ART. II. — Le nombre des membres honoraires n’est pas limité. Ils ont rang immédiatement après le bureau, et jouissent des mêmes droits que les membres titu- laires. ART. III. — Le nombre des membres titulaires est de trente-six. ART. IV. — Celui des associés-résidants ou corres- pondants est illimité. Ils prennent place parmi les membres titulaires, dans les séances publiques ou par- ticulières, mais sans avoir voix délibérative. ART. V. — Toute nomination de membre honoraire 504 RÉGLEMENT. est précédée d’une présentation faite par écrit, signée par un membre honoraire ou titulaire, et remise ca- chetée au président ou au secrétaire. Tout membre titulaire qui en fait la demande devient de droit membre honoraire. Les membres titulaires ne peuvent être pris que parmi les associés-résidants. Toute nomination d’associé-résidant ou correspon- dant est précédée d’une présentation dans les mêmes formes que lorsqu'il s’agit d’un membre honoraire : elle doit être, en outre, accompagnée d’un ouvrage imprimé ou manuscrit , composé par le candidat. La présentation et les pièces à l’appui sont renvoyées à l'examen de la Commission d'impression, qui fait, à la séance suivante, un rapport sur les titres du can- didat. Dans le cas où ia Commission conclut au rejet du candidat, elle doit en informer le membre qui a présenté. Celui-ci peut retirer sa présentation. Les lettres de convocation annoncent s’il doit y avoir des élections ou des nominations. ART. VI. — L'Académie, après avoir entendu le rap- port de la Commission, procède immédiatement aux nominations . ou les renvoie à une autre séance, qu’elle détermine. ART. VIL — Lorsqu'il s’agit d’un membre titulaire, l'élection a lieu au scrutin et par bulletins nominatifs. — S'il s’agit de la nomination d’un membre honoraire, d’un associé-résidant ou correspondant, il est voté par out Ou par non sur chaque candidat proposé. RÉGLEMENT, 505 Pour être élu ou nommé, il faut avoir obtenu la majorité absolue des suffrages exprimés et le tiers au moins des voix des membres titulaires composant l’Académie. Si des membres honoraires prennent part au scrutin, il faut, pour être élu ou nommé, obtenir, en sus du nombre de suffrages qui vient d’être exprimé , un nombre de voix égal à la moitié au moins de celui des membres houoraires ayant pris part au scrutin. En cas d'élection d’un membre titulaire, si le pre- mier tour de scrutin ne donne pas de résultat, l’Aca- démie procède immédiatement à de nouveaux scrutins, ou renvoie à une séance ultérieure qu’elle détermine. En cas de nomination d’un membre honoraire, d’un associé-résidant ou correspondant, il faut, pour qu'il y ait lieu à un second tour de scrutin, que le candidat ait obtenu la majorité des suffrages exprimés. ART. VIII. — Les officiers de l’Académie sont : un Président , un Vice-Président, un Secrétaire, un Vice- Secrétaire et un Trésorier. Ces dignitaires sont indéfiniment rééligibles, à l'exception du Président, qui ne peut être réélu qu'après un an d'intervalle; il devient de droit Vice- Président. ART. IX.— Il sera créé une Commission d'impression composée de six membres titulaires nommés à cet effet, auxquels seront adjoints le Président et le Secrétaire de l’Académie. La Commission ainsi composée choisit dans son sein 506 RÉGLEMENT. un Président et un Secrétaire : elle se réunit sur la convocation de son Président. En cas de partage, son Président a voix prépondérante. Ses fonctions sont d'examiner et de faire connaître, par des rapports ou par des lectures, les titres des can- didats, les travaux offerts à l’Académie, les manuscrits que renferment les archives ; d'établir avec les Sociétés savantes de la France et de l’Étranger les relations qu’elle croira utiles aux sciences, aux arts et aux lettres; de prononcer sur les travaux qui pourront être lus en séance publique, ou imprimés dans les Mémoires de l'Académie. ‘Tous les membres sont invités à déposer, dans la bibliothèque de la Compaguie, un exemplaire de chaque ouvrage qu’ils ont publié ou qu’ils publieront. Aucun rapport ne sera fait, dans ies séances, sur les travaux imprimés ou manuscrits, offerts par les mem- bres titulaires et par les membres associés-résidants. ART. X. — De nouveaux membres pourront être temporairement adjoints à la Commission d’impression, et des Commissions spéciales être créées toutes les fois que l’Académie le jugera convenable. ART. XI. — Les membres du Bureau sont renouvelés chaque année dans la séance de novembre, à la ma- jorité absolue des suffrages des membres présents. Si la majorité n’est pas acquise aux deux premiers tours de scrutin, il est procédé à un scrutin de ballotage entre les deux membres qui ont obtenu le plus de voix au second tour. En cas de partage égal des voix, le plus âgé obtient la préférence. RÉGLEMENT. 507 Les six membres de la Commission d'impression sont nommés pour deux ans, au scrutin, par bulletins de liste, à la majorité absolue des suffrages des membres présents ; et, dans le cas de non-élection au premier tour de scrutin, la pluralité des suffrages décide au second. Ils sont renouvelés par moitié tous les ans à la première séance de novembre. Les membres sor- tants ne sont rééligibles qu'après un an d'intervalle. ART. XII. —Toutesles nominationsse font au scrutin; les autres délibérations se prennent de la même ma- nière, à moins que le Président ne propose d’y pro- céder à haute voix sans qu’il y ait réclamation. ART. XIII — L'Académie tient ses séances le quatrième vendredi de chaque mois, à sept heures précises du soir ; le jour et l'heure des séances peuvent être changés. Elle prend vacances pendant les mois d'août, de septembre et d'octobre. ART. XIV. —L'Académnie tient, en outre , des séances publiques. Le jour , l'heure, le lieu et l’objet de ces séances sont fixés par une délibération. ART. XV. — Les fonds dont dispose l’Académie pro- viennent des cotisations qu’elle s'impose, des sub- ventions qui peuvent lui être accordées par le Gou- vernement, le Conseil général ou tout autre corps administratif, et des dons et legs faits par des parti- culiers. Ces fonds sont consacrés aux fonds de service de la 508 RÉGLEMENT. Compagnie , à l'impression de ses Mémoires, aux prix qu’elle décerne, et à toutes dépenses imprévues. Le trésorier est chargé des recettes et des dépenses. Il acquitte les mandats à payer sur les signatures du Président et du Secrétaire. Chaque année il rend un compte détaillé de sa gestion à une Commission spéciale de trois membres, nommée dans la séance de rentrée, et qui fait son rapport sur l’état de la caisse dans la séance suivante. ART. XVI. — Une cotisation annuelle est imposée aux membres titulaires et aux membres associés- résidants. Elle est de dix francs pour les premiers, de cinq francs pour les seconds, et se paie dans le mois de janvier. : A quelque époque de l’année qu’un membre soit élu ou nommé, il doit immédiatement la cotisation imposée à sontitre, et la paie en recevant son diplôme. ART. XVII. — Tous les membres titulaires sont tenus d'assister au moins à cinq séances dans l’année. Il est distribué des jetons de présence, dont l’Aca- démie détermine la forme et la valeur. Le prix en est perçu, indépendamment de la cotisation fixée par l’article XVI. ART. XVIII — Les membres titulaires qui auraient laissé passer une année sans paraitre à aucune séance, ou deux années sans présenter aucun travail, et ceux qui auraient cessé de résider à Caen, deviennent de droit membres associés. Îl sera pourvu sans retard à leur remplacement. LISTE DES MEMBRES HONORAIRES, TITULAIRES, ASSOCIÉS- RÉSIDANTS ET ASSOCIÉS-CORRESPONDANTS DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES, ARTS ET BELLES-LETTRES DE CAEN, AU 15 MARS 15655. = bureau POUR L'ANNÉE 1851-1855 : MAI. SOUEF , président ; CHARMA , vice-président. TRAVERS , secrétaire, ROGER , vice-secrctaire, MM. SOUEF, CHAUVIN, trésorier, 157) : . Ve É LL'OuMUMSSLON À Lun peedatour. TRAVERS , Î membres de droit. 39 510 MM. LISTE DES MEMBRES HIPPEAU , DE FORMEVILLE , CHAUVIN, RABOU , GERVAIS, ROGER , membres élus. a a dbeubres Bonotaires : MM. MÉRITTE-LONGCHAMP, membre de la Société des Antiquaires de Normandie. ROBERGE , de la Société Linnéenne de Normandie. DAN DE LA VAUTERIE, de la Société de Médecine. ‘BLANCHARD, ancien ingénieur. bembres titulaires : MM. . EUDES-DESLONGCHAMPS, doyen de la Faculté des sciences. ROGER , professeur d'histoire à la Faculté des lettres. LE CERE , professeur honoraire de droit civil. DE CAUMONT , correspondant de l’Institut. BERTRAND , doyen de la Faculté des lettres. ÿ. LE FLAGUAIS ( Alphonse ), homme de lettres. . TRAVERS, professeur de littérature latine à la Faculté des lettres. DE L'ACADÉMIE. 511 DES ESSARS , conseiller à la Cour impériale, BONNAIRE , professeur honoraïre à la Faculté des sciences. . SIMON, ingénieur , directeur du cadastre. . VASTEL, directeur de l’École de médecine, . DE FORMEVILLE, conseiller à la Cour impériale. CHARMA , professeur de philosophie à la Faculté des lettres. MANCEL , bibliothécaire de la ville de Caen. . GUY, architecte. PUISEUX , professeur d'histoire au Lycée. . CHAUVIN, professeur à la Faculté des sciences. GERVAIS, de la Société des Antiquaires. TROLLEY , professeur à l'École de droit. PIERRE, professeur de chimie à la Faculté des sciences. . HIPPEAU, professeur de littérature française à la Faculté des lettres. DESBORDEAUX, de la Société d'Agriculture et de Commerce. . LATROUETFE , docteur ès-lettres. + LEBOUCHER , professeur (le physique à la Faculté des sciences. . MORIÈRE, secrétaire de l'Association normande. . DUFEUGRAY, ancien préfet. . SOUEF , premier président de la Cour impériale. THOMINE , ancien professeur à la Faculté de droit. . RABOU, procureur-général. BERTAULD , professeur à l’École de droit. DE GUERNON-RANVILLE , ancien ministre, . GIRAULT, professeur à la Faculté des sciences. 512 LISTE DES MEMBRES 33. TONNET, préfet du Calvados. 3h. BESNARD , professeur à l’École de droit. 35. FRANCOIS, recteur de l’Académie. 36. DEMIAU DE CROUZILHAC, conseiller à la Cour impériale. n . 7 Var Abenbecs add -E2 dans : MM. DELACODRE , notaire honoraire. MOUNIER , ancien ingénieur en chef. TOSTAIN , ingénieur en chef des travaux maritimes. . LE CŒUR, professeur à l’École de médecine. LE BASTARD-DELISLE, conseiller à la Cour impériale. GAUTIER, professeur de langues vivantes. CHAUVET , professeur de philosophie au Lycée. BOUET , peintre , de la Société des Antiquaires. COURTY , de la Société des Antiquaires. JOLY , professeur ile rhétorique au Eycée. VAUTIER (Abel), député au Corps législatif, CAUVET , professeur à l'École de droit. DUPRAY-LAMABÉRIE, substitut du proc.-impérial, LE PRESTRE, professeur à l'Écoie de médecine, ROULLAND , docteur en médecine. MELON , président du Consistoire. VARIN, curé de Vaucelles. LE TELLIER , inspecteur en retraite. CHATEL, archiviste du Calvados. DE L'ACADÉMIE. 113 ) DR 11)" Ateuwubres afsocies-cotrespoudartec à [4 MM. BOULLAY, membre de l’Ac. de médecine, à Paris. DE TILLY (Adjutor), ancien député, à Villy. DU BOIS (L.), ancien sous-préfet, à Mesnil-Durand. LESCAILLE, ancien ingénieur, àSt.-Germain-en-Laye. VIGNÉ, médecin , à Rouen. JACQUELIN-DUBUISSON, médecin, à Paris. DE MAIMIEUX , homme de lettres, à Paris. GUITTARD, docteur en médecine, à Bordeaux. DE LA RUE, ancien juge de paix, à Breteuil. DAWSON TURNER , naturaliste , à Yarmouth. VIEILLARD (P.-A.), bibliothécaire du Sénat. MAGENDIE, de l'Académie des Sciences, à Paris. LE TERTRE, bibliothécaire , à Goutances. DE SURVILLE , ingénieur. THURET , homme de lettres, à Rouen. DE HAMMER , à Vienne ( Autriche). AGAARD , naturaliste, à Lunden ( Suède). BOURDON, de l’Académie de médecine , à Paris. LONDE , id, id. BOYELDIEU , avocat, id. POLINIÈRE, médecin des hospices , à Lyon. ARTUR, professeur de mathématiques, à Paris. DE BEAUREPAIRE, à Louvagny, près Falaise. JOLIMONT , peintre , à Paris. DIEN, graveur , id. SERRURIER , docteur en médecine, id. DE VENDEUVRE , aucien préfet, à Vendeuvre. ol LISTE DES MEMBRES ELIE DE BEAUMONT , ingénieur des mines, à Paris. GIBON, maitre de confér. à l'École normale, id. LAMBERT , conservateur de la Bibliothèque, à Bayeux. DUPIN (Charles), sénateur , à Paris. DE MONTLIVAULT , ancien officier de marine, à Blois. DESNOYERS (Jules), naturaliste, à Paris. COUEFFIN, ancien ingénieur géographe , à Bayeux. PETITOT , statuaire , à Paris. CHESNON , ancien principal de collége, à Évreux. AMENTON , homme de lettres , au château de Meudon. GREY JACKSON , à St.-Servan. HERBERT SMITH (Édouard), membre de l'Académie de Cambridge (Angleterre ). PESCHE , ancien juge de paix, au Russey (Doubs ). ue, COUEFFIN (Lucie), à Bayeux. GIRARDIN , professeur de chimie , à Rouen. GATTEAUX , graveur et sculpteur, à Paris. DE LA MARE, chanoine , à Coutances. WOLF ( Ferdinand). à Vienne. TOLLEMER (l'abbé ), à Valognes. REY, homme de lettres, à Paris. LE NOBLE , id. id. MARTIN, doyen de la Faculté des lettres, à Rennes. MASSON , agrégé près la Fac. des sciences de Paris. PILLET , professeur de rhétorique, à Bayeux. LE BRETON (Théodore), bibliothécaire , à Rouen. GUILLAUME, juge au tribunal de Besancon. A. BOULLÉE, ancien magistrat , à Paris. BOUCHER DE PERTHES, directeur des douanes , président de la Société d’émulation d’Abbeville. SANTAREM (le viconte de}, à Paris. DE L'ACADÉMIE. 515 MOLCHNEHT (Dominique ), sculpteur, id. ROCQUANCOURT , ancien directeur de l’École mili- taire de Saint-Cyr. SIMON-SUISSE , agrégé près la Fac. des let. de Paris. BATTEMAN , jurisconsulte anglais. DE BRÉBISSON, naturaliste, à Falaise. LA FRESNAYE, id. id. BOULATIGNIER, membre du Conseil d'État, à Paris. DE TOCQUEVILLE, membre de l’Ac. Française, id. LE PREVOST, correspondant de l’Institut, à Bernay. VÉRUSMOR , homme de lettres, à Cherbourg. LAMARTINE , membre de l’Ac. Française , à Paris. DOYÈRE, prof. d’hist. nat. au lycée Henri IV, id. BEUZEVILLE , homme de lettres, à Rouen. RAVAISSON, membre de l’Institut, à Paris. DE LA SICOTIÈRE, avocat , à Alençon. HOUEL (Ephrem), inspecteur des haras, à SL. -Lo. MUNARET , docteur en médecine, à Lyon. BAILHACHE,, professeur de 2°. au lycée du Mans. D'HOMBRE-FIRMAS, naturaliste, à Alais. HUREL, professeur de 2°, au collége de Falaise. VINGTRINIER , docteur en médecine, à Rouen. LAISNÉ , ancien principal du collége d’Avranches. DUMÉRIL (Édélestand) , homme de lettres, à Paris. PEZET , président du tribunal civil de Bayeux. BELLIN , avocat, à Lyon. ANTONY-DUVIVIER, homme de lettres, à Nevers. SAISSET , professeur au Collége de France. BERGER , prof. de rhétorique au lycée Charlemagne. VIOLLET , ingénieur , à Paris. SCHMITT , principal du collége de Lorient. 516 1ISTE DES MEMBRES DESAINS , prof. de physique au lycée Bonaparte. SANDRAS, ancien recteur de l’Académie de Rennes. LE FILLEUL DES GUERROTS, homme de lettres, au château des Guerrots (Seine-Inférieure ). RICHARD, préfet du Finistère. PORCHAT , ancien recteur, à Lausanne. QUATREFAGES , naturaliste , à Paris. LALOUEL , ancien professeur de langue anglaise. MAIGNIEN, doyen de la Fac. des lettres de Grenoble. ROSSET , homme de lettres, à Lyon. DE ROOSMALEN, prof. d'action oratoire, à Paris. CAP , directeur du Journal de pharmacie, id, CASTEL, agent-voyer chef, à St.-Lo. JAMIN , professeur au lycée Louis-le-Grand. FAURE , professeur à l'École normale de Gap. DELACHAPELLE, secrét. de laSoc. acad. de Cherbourg. DANJOU , organiste de la métropole, à Paris. AMIOT, professeur au lycée St.-Louis. DE LIGNÉROLLES, docteur en médecine, à Planquery. DUMONT, avocat, à St.-Mihiel. A. DELALANDE, avocat, à Valognes. MAGU, à Lizy-sur-Ourcq (Seine-et-Marne ). SYIÉVENART, doyen de la Faculté des lettres, à Dijon. DÉZOBRY (Ch. ), homme de lettres, à Paris. DE BANNEVILLE, diplomate. TURQUETY (Edouard), homme de lettres, à Rennes. CHARPENTIER, directeur de l'Éc. normale d'Alençon. RENAULT , vice-président du tribunal, à Coutances. JAMES ( Constantin), docteur en médecine, à Paris. LE HÉRICHER , prof. de rhétorique, à Avranches. SALVANDY, ancien ministre, à Paris. DE L'ACADÉMIE. 547 LE VERRIER, sénateur, directeur de l'Observatoire. HUE DE CALIGNY, lauréat de l'Ac. des Sc. .à Versailles. EGGER, membre de l’Institut, à Paris. DELAVIGNE, prof. à la Fac. des lettres , à Toulouse. MAILLET-LACOSTE, professeur honoraire de la Facuité des lettres de Caen , à Paris. BOCHER , ancien préfet du Calvados, à Paris. GASTAMBIDE , procureur-général, à Toulouse. EDOM , ancien recteur de l’Académie de la Sarthe. SORBIER , 1%. président de la Cour impériale d'Agen. CAMARET , ancien recteur de l’Ac. de Caen, à Douai. RIOBÉ , substitut, au Mans. BOUILLET , inspecteur de l’Académie de Paris. BORDES, conservateur des hypothèques, à Poat- l’Évêque. ENDRÉS, ingénieur des Ponts-et-Chaussées, au Mans. LE CHANTEUR DE PONTAUMONT, trésorier-archi- viste (le la Société académique de Cherbourg. LEPEYTRE , ancien procureur-général à Caen, M, QUILLET , à Pont-l'Évêque. M'e, Rosalie DU PUGET , à Paris. MOREL, lauréat de l’Académie de Caen , id. DE KERCKHOVE, à Anvers. MÉNANT (Joachim), substitut , à Alencon. HOCDÉ, officier d’Académie , à Paris. COCHET, curé de Neuville-le-Pollet, membre de plu- sieurs Sociétés savantes, BLANCHET , docteur en médecine, membre de plu- sieurs Sociétés savantes , à Paris, HOLLAND , homme de lettres, à Tubingen, DELISLE (Léopold), antiquaire, à Paris. 518 LISTE DES MEMBRES CHASSAY (Pabbé)\, prof. à la Fac. de théol. , id. CHÉRUEL, maître de conférences à l'École normale. POTTIE} (André) , bibliothécaire, à Rouen. BOUTLLIER , doyen de la Fac. des lettres, à Lyon. DE BUSSCHER , secrétaire de la Soc. royale de Gand. HALLIWELL (James-Orchard), antiquaire, à Londres. ROACH SMITH (Charles), id id, Mme, EUGÈNE D'HAUTEFEUILLE , à Agy. M. DE MONTARAN , à Paris. DUVAL-JOUVE, inspect. de l’inst. pub.. à Strasbourg. GÉNIN , homme de lettres, à Paris. GURNEY (Daniel), à North-Rancton ( Norfolk). LE BIDARD DE THUMAIDE, procureur du roi, à Liége. LE GRAIN, peintre, à Vire. DE GIRARDOT , antiquaire , à Bourges. CLOGENSON, conseiller à la Cour imp. de Rouen. DANIEL , évêque de Coutances et d’Avranches. DEVALROGER , professeur à l’École de droit de Paris. WALRAS, inspect. de l’instruct. publique, à Pau. MERGET , professeur au lycée de Bordeaux. QUENAULT-DESRIVIÈRES , proviseur , à Nimes. LEROUX (Eugène ), dessinateur-lithographe, à Paris. DE CHENNEVIÈRES , inspecteur des musées, id. CHOISY , bibliothécaire de la ville de Falaise. DECORDE, curé de Bures (Seine-Inférieure ). SIRAUDIN , à Bayeux. TARDIF (Adolphe }, de l’École des chartes, à Paris. TARDIF (Jules) , id. , id. LUNEL ( Benestor ), homme de lettres , id. DE SOUZ\ BANDEIRA (Herculano), professeur de philosophie à l’Académie des arts, à Fernambouc. DE L'ACADÉMIE. 19 VALLET DE VIRIVILLE, prof. à l'École des chartes. LOUANDRE (Charles), homme de lettres , à Paris. DE SOULTRAIT , antiquaire , à Mâcon. HAURÉAU , homme de lettres, à Paris. MORISOT , ancien préfet du Calvados, id, BOSQUET (Mi, Amélie), à Rouen. LE NORMAND (René), naturaliste, à Vire, LAMBERT, inspecteur des écoles, à Nogent-sur-Seine. DE BEAUREPAIRE (Eug. ), avocat, à Avranches. DES ROZIÈRES , professeur à l'École des chartes. BORDEAUX (Raymond), avocat, à Évreux. MICHAUX {Clovis) , juge d'instruction, à Paris. DAVID (Jules-A.), orientaliste, à Joigny. HÉBERT-DUPERRON, principal du collége de Bayeux. LOTTIN DE LAVAL, homme de lettres, près Bernay. WRIGHT (Thomas), corr. de l’Institut, à Londres. PETTIGREW , antiquaire , id. AKERMAN, sec. de la Soc. roy. des ant. de Londres. MAURY, bibliothécaire de l’Institut, à Paris. Me, PIGAULT , peintre, id. ÉNAULT (Louis), homme de lettres , id. DESROZIERS, inspecteur près la Fac. des sciences, id. LANDOIS , inspecteur (le l'Académie de Paris. RAYNAL, avocat général à la Cour de cassation. JALLON, conseiller à ja Cour de cassation. CAUSSIN DE PERCEVAL,. 1%, présid. , à Montpellier. SUEUR-MERLIN , de plusieurs Soc. sav. , à Abbeville. LE PELLETIER , avocat , à Avranches. BOVET , bibliothécaire , à Neuchatel (Suisse ). DU MONCEL (Théod.), président la Soc, des sciences naturelles de Cherbourg. GARNIER , sec. de la Soc, des antiq. de Picardie, mani L 4 RS nn 2 520 LISTE DES MEMBRES DE L'£CADÉMIE. LEBRUN (Isid. }. homme de lettres, à Paris. SAUVAGE , avocat, à Mortain. THÉRY , recteur de l’Académie de Clermont. MITTERMAIER , à Heidelberg ( Duché de Bade). DE GENS, secr. de la Soc. d'archéologie de Belgique. DE PONTGIBAUD (César), à Fontenay. LIAIS (Emmanuel), à Cherbourg. LE JOLIS (Auguste), id. LE SIEUR, chef de la 4", division au ministère de l'instruction publique. LECADRE , docteur en médecine , au Havre. DU BREUIL DE MARZAN, à La Brousse-Briantais , près Matignon (Côtes-du-Nord ). PETIT (J.-L. ), antiquaire, à Londres. POGODINE (Michel) , à Moscou. ENGELSTOFT , évêque de Fionie. SICK , à Odensée, DARU , ancien vice-président de l'Assemblée législative, à Chiffrevast. LAFFETAY , chanoine, à Bayeux. CUSSOXY, secrétaire de la mairie de Rouen. GISTEL , professeur , à Munich. LE TOUZÉ, juge d'instruction , à Domfront. ALLEAUME , de l’École des chartes , à Paris. DIGARD DE LOUSTA, à Cherbourg. BERVILLE, président de chambre à la Cour impé- riale de Paris. REIN VILLIER , docteur en médecine, à Paris. LAURENT , professeur de rhétorique , à Argentan. SCHWEIGHÆUSER , de l'École des chartes, à Paris. MARCHAND, pharmacien , à Fécamp. DE GOURNAY ,insp. de lPinstr. pub. , à Vannes. APPENDICE. ADDITION DU SECRÉTAIRE DE L'ACADÉMIE A SON RAPPORT DU 24 NOVEMBRE 1853. On lit, page 46 : « Enfin une protestation , au nom du bon sens et du goût, etc. » Les réclamations inattendues excilées par ce passage, el la protection soudaine accordée aux paradoxes lit- téraires de MM. Lamartine et Victor Hugo, me déter- minent à faire imprimer ici la lettre incriminée : « Caen, 22 février 1850. « MoNSIEUR LE PRÉSIDENT, « Une circonstance imprévue m'empêche d'aller à la séance de l'Académie. Soyez assez bon pour prier mes honorables confrères de m'excuser aujourd'hui; je ne m'absente qu'à mon grand regret. « Je suis d'autant plus fâché, Monsieur le Président, de ne pas assister à la séance de ce soir, que mon inten- tion était d'y protester, au nom du goût et de la saine littérature, contre deux jugements qui viennent d'être portés sur deux ouvrages qui font un grand honneur à notre patrie, jugements d'autant plus graves qu'ils sont de deux membres de l'Académie Française. « Le premier est de M. Lamartine sur les Fables de La Fontaine : le second, de M. V. Hugo sur les Tragédies de Vollaire. « Dans le Conseiller du peuple de janvier 1850, sous le titre Entretien avec le lecteur, l'auteur des Méditations parle de son enfance : « On me faisait bien apprendre aussi par « cœur, dit-il, quelques fables de La Fontaine; mais ces 522 APPENDICE. « vers boiteux, disloqués , inégaux, sans symétrie ni dans « l'oreille ni sur la page, me rebutaient. D'ailleurs, ces « histoires d'animaux qui parlent , qui se font des leçons, « qui se moquent les uus des autres, qui sont égoïstes, « railleurs, avares, sans pitié, sans amitié, plus méchants « que nous, me soulevaient le cœur. Les Fables de La « Fontaine sont plutôt la philosophie dure, froide et « égoïste d’un vieillard, que la philosophie aimante, gé- « néreuse , naïve et bonne d’un enfant : c'est du fiel, ce « n’est pas du lait pour les lèvres et pour les cœurs de cet « âge. Ce livre me répugnait; je ne savais pas pourquoi. « Je l'ai su depuis : c’est qu’il n'est pas bon. Comment le « livre serait-il bon ? l'homme ne l'était pas. On dirait qu'on « lui a donné par dérision le nom de bon Lu Fontaine. La « Fontaine était un philosophe de beaucoup d'esprit, mais « un philosophe cynique. Que penser d'une nation qui « commence l'éducation de ses enfants par les leçons d’un « cynique? » « Ilest difficile de formuler plus durement un plusétrange paradoxe. Ainsi La Fontaineest un cynique et ses Fables un mauvais livre! L'Université empoisonne ses élèves en leur faisant étudier cette philosophie dure , froide, égoïste! cette philosophie qui n’est pas du lait, mais du fiel! Nous n’osons dire ici toute notre pensée sur ce jugement de M. Lamar- tine; mais, en attendant que nous le relevions plus sévè- remeut , nous citerons l'opinion plus saine d'un confrère du poète, d’un membre vivant de l’Académie Française : « Philosophe moraliste, ami de l'humanité, indulgent pour « ses semblables, plein de pitié pour le pauvre et l’op- « primé, La Fontaine est un conseiller que l’on trouve à « toute heure et qui vous enseigne le devoir en toutes « choses. Avec les traits épars dans ses Fables, on forme- « rait un recueil de maximes dignes de Socrate et de Sa- « lomon, et ces maximes, revêtues le plus souvent de toutes APPENDIGE, 523 « les grâces de l'expression poétique, se graveraient aisé- « ment dans la mémoire. » « Que nos confrères choisissent entre M. Lamartine et M. Tissot. « Ma seconde réclamation, Monsieur le Président, est contre M. Victor Hugo, qui, dans une enquête sur les théâtres, faite récemment par une Commission du Conseil d'État, n’a pas craint de s'exprimer ainsi sur le premier de nos poèles dramatiques, au XVIII. siècle : « Je range « les tragédies de Voltaire parmi les œuvres les plus in- « formes que l'esprit humain aït jamais produites. » « La plume tombe des mains quand elle a copié de telles hérésies littéraires. Je me contente aujourd'hui de les signaler à l'Académie de Caen, bien résolu de revenir quelque jour sur ces monstrueuses assertions d’une critique intéressée, « J'ai l'honneur d'être, « Monsieur le Président, « Votre affectionné serviteur et dévoué confrère, « Julien TRAVERS. » Nous croirions faire injure à nos lecteurs , si nous imprimions ici tous les témoignages que nous avons rassemblés en faveur des deux ouvrages si hardiment attaqués par MM. Lamartine et Victor Hugo (1). Il nous (1) M. Victor Hugo n’a pas toujours porté un jugement si défa- vorable sur Pimmortel auteur de Mérope. En voici un, par exemple, qui se trouve à la page 49, tome [I de Littérature et philosophie mêlées ( OEuvres comPLèTEs pe V, Hvco, 4°, éd, 1834): « Quant à \ dut er at Re "| 47 D 7 524 APPENDICE. suffira d'observer que les Fables de La Fontaine sont au nombre des livres français sur lesquels l'Université fait interroger les candidats au baccalauréat ès-lettres. Nous ajouterous que le Théâtre de Voltaire est parmi les classiques sur lesquels doivent répondre les can- didats au grade de licencié. Ce suffrage des chefs de notre enseignement public est la confirmation des jugements portés par les littérateurs les plus renommés qui aient tenu, en France, le sceptre de la critique depuis le milieu dw dernier siècle. — On peut com- battre un si imposant suffrage; mais deux faits acquis , définitivement acquis , c’est que les Fables de La Fon- taine lui ont valu l’épithète d’inimitable ; et que le Théâtre de Voltaire à mis l’auteur au rang des dix plus grands poètes tragiques de toutes les littératures, Les ses tragédies, où il se montre réellement grand poëte , où il trouve souvent le trait du caractère, le mot du cœur , on ne peut àis- convenir, malgré tant d’admirables scènes , qu’il ne soit resté assez loin de Racine, et surtout du vieux Corneille. Et ici notre opinion est d'autant moins suspecle, qu’un examen approfondi de l’œuvre dramatique de Voltaire nous a convaincu de sa haute supériorité au théatre. » M. V. Hugo, esquissant les travaux de Voltaire, avait dit : « Il fit deux nouvelles tragédies, Brutus el César , dont Cor- neille eût avoué plusieurs scènes, » Quelques lignes plus bas, il parle de Zaire, « chef-d'œuvre conçu et terminé en dix-huit jours. » Zaire , ajoule-t-il, eut un succés prodigieux et mérité. » Et à la page suivante : « Mérope , également composée à Cirey , mit le sceau a la réputation dramatique de Voltaire, » Ainsi donc les années, qui d'ordinaire apportent l'expérience et élèvent les grands esprils au-dessus d'eux-mêmes, ont altéré le goût de M, V. Hugo, et fait descendre ce poèle au rang des critiques parliaux, sans réserve, sans valeur, sans autorité. LT [ * dd hs #3 APPENDICE. 525 Welches du XIX°. siècle, comme les appellerait Pauteur de Zaïre, d’Alzire, de Mérope, peuvent témoigner de leur goût pour la barbarie; nous avons cru, nous, * devoir par position protester contre des opinions qui nous semblent dangereuses à tous les points de vue : il n’y à pas d'erreurs indifférentes. + 1% » # - me é Li “+ + Ÿ AT ni | de ADDITION DE M. ALLEAUME À LA NOTE dE 7 PAGE 136. Après la dernière ide la note qui Lermine en, + : page 136, ajouter ce qui SU * - e “ « Dans ces deux lettres, parée engage, comme ami, le P. André à renoncer au malebranchisme : « C’est à vous, « mon Révérend Père, à voir s'il ne waudroit pas mieux « vous conformer au jugement de ceux que Dieu nous a « donnés pour nous gouverner, que de vous arrêter à vos : « propres sentiments. » « M. Cousin a cité ces lettres dans son Introduction aux Œuvres philosophiques du P. Andre. M. Cousin parle de la manière de Porée. Ce reproche ne peut s'adresser qu'aux harangues. . « M. Cousin ajoute que « les ouvrages de Porée ne sont » « guère que des écrits de collége, des discours et des , « poésies. » Les tragédies et les comédies ont été com- * posées pour le collége, mais sont autre chose que des écrits ” de collége. Le jugement qu'en a porté M. Saint-Marc- Girardin le prouve suffisamment. «M. Cousin fulmine contre la Société de Jésus : proscrire l'enseignement de la philosophie de Descartes et de Male- branche, et dix ans plus tard être obligée de lui rendre justice ! {4 526 APPENDICE. « La Société se composait de Jésuites : voilà son crime aux yeux de M. Cousin. « Dureste, Porée a rendu justice à Descartes et à Male- branche dans son discours : De credulitate in doctrinis : « Quis ingenii sagacitate acrior, quam ille recentioris « philosophiæ parens , Cartesius, qui, tamdiu tritos tot « « sapientium vestigiis CS deserere ausus , ipse sibi dux, LA # É. * magister et archite us, nova edidit mundi elementa; etc.? .% ; Sen r, quam ille veritatis in- AVIS. Le Secrétaire de l’Académie recoit fréquemment des réclamations, soit des Sociétés savantes, soit des mem- bres correspondants ; qui croient avoir des lacunes dans leurs collections, parce qu'ils ont vu plusieurs années s’écouler sans recevoir aucune Dubheaiion de l'Académie de Caen. Cette Compagnie ne s'étant imposé aucune cotisation avant l’année 1851, n'a pu “faire imprimer qu’un petit nombre de volumes. En voici la liste : 2. Mémoires de L'ASAGÈNIE des D les-MMttres de Caen... . es TN OP A ou Ci 14. (1). PR PT (4) Nous avions indiqué la date de 1756 pour ce volume, et voici d'où venait notre erreur, Tous les exemplaires qui nous avaient passé par les mains étaient sans titre, et cominençaient par un Extrait de la séance publique du 18 novembre 1756. Cette absence de titre à tant d'exemplaires s'explique par la facilité avec laquelle il s'est délaché du volume. Nous avons récemment acquis un exem- plaire avec titre, et ce titre est un simple feuillet, collé fort légè- rement, qui s’est très-facilement décollé, et que possèdent aujourd'hui peu d'amateurs. JL est certain qu’il porte la date de M.DCC.LVIT. L'oficieux critique, qui nous a si judicieusement repris pour celle date de 1756 au lieu de 1757, erreur que nous aurions volontiers rectifiée sur la moindre observation , nous semble avoir commis une faute un peu plus grave en indiquant ce volume de 1757 comme le quatrième de La collection : il n’est que le troisième, Ce qui à fait Ph TRE » 4 nc ez, ,2 528 Mémoires de l'Académie des belles- lettresade Caen TOME". 01700, 1°Vol: id Ne SORA RE | 4760. Rapport général sur les travaux de l’Académie des sciences, arts et belles-lettres de Caen, jusqu’au 1. janvier 1811, par P.-F.-T. Delarivière, secré- taire, sa D ETES 1511 T'VOI. vu 1, TONER LE 1816, id. _ Mémoires de l’Académ ie royale des sciences, arts et belles-lettres de Caen. 18925, id. IR 1999, id, IDR RE . 1536, id. PORC RE? 1840, id. MORE . 1845, id. croïre sans doute qu'il était le 4°., c’est que les Extraits qu'il ren- ferme commencent au 43 novembre 1755; tandis que les Extraits qui forment le 3°. volume, commencent, comme nous l'avons dit, au mois de novembre 1756. Il ne fut cependant publié qu’en 1760, par des raisons que nous ferons connaître dans l'Histoire de lAca- démie de Caen, dont nous cherchons présentement les matériaux et pour la réunion desquels nous faisons appel à tous nos confrères. Un second volume parut, en 4760 pour l’année 1758. Il est si rare que nous n’en avons vu jusqu’à ce jour qu'un exemplaire complet. On en donnait par mois un cahier de deux feuilles, qui s’égaraient, se perdaient, et ne furent que peu collectionnées. De là, sans doute, l’excessive rareté de ce volume, édité par Le Roy, tandis que le 4°», de la même année (1760) l’avait été par Jacques Manoury. (1) A ces cinq volumes on joint un demi-volume intitulé : Séance publique pour la rentrée de l'Académie royale des belles-lettres de Caen, le deuxième décembre 1762, où présidoit M. de Fontette , intendant de la Généralité, vice-protecteur. À Caen, chez G. Le Roy, libraire, à Froide-Rue. M. DCC. LXI. “ 529 = Mémoires de l'Académie royale des sciences, arts et belles-lettres de Caen. 1847, 1 vol. ". ORSLAE SAN. CAC CRAMDAIE Mémoires de l'Académie des scierices, arts et belles-lettres de Caen. . . . 1851, id. Mémoires de Ac: he des sciences , arts € gCGaenrs |". e L'Académie ne p membres ou des Sc deux derniers volt nes Er de mere TRS PL (4) Outre ces volumes 4 Hi brochures qu'elle ne peut donner à p ue les possède pas toules dans ses à ° vs as gr s..* nn .. « R . . Discours he parM. Cana, président. = Raprort SUR LES TRAVAUX DE L'ACADÉMIE; par ME TRAVERS, Demnelae Le ue + + « RaPPORT SUR LE CONCOURS OUVERT POUR UNE NOTICE BIOGRAPHIQUE ET LITTÉRAIRE SUR LES DEUX PORÉE ; par M. HIPPEAU. . . . . . Prerre Huer. Nouvelle; par M. Tuéry. À - NOTICE BIOGRAPHIQUE ET LITTÉRAIRE SUR LES peux Porée; par M. ALteauME {couronnée parl'Académielse «on. AREA ES re MÉMOIRES MP 0 0 CON RECHERCHES EXPÉRIMENTALES SUR LE POIDS SPÉ— CIFIQUE DES CORPS SOLIDES ET SUR LES VARIA- TIONS QU'ÉPROUVE CETTE PROPRIÉTÉ, DANS LES CORPS SOLIDES , PAR LA TREMPE OU PAR LE RECOLL SpAT M. SAIRRRE Ne. NC Ce dE, de. DR = Li TABLE DES MATIÈRES, 531 NOTES SUR LES SOLUTIONS SINGULIÈRES DES ÉQUA- TIONS DIFFÉRENTIELLES ; par M. Giraurr. . 211 NOTICE BIOGRAPHIQUE suR M€. Liéxarn (née Chuppin de Germigny ) ; par M. CHauvin. . 230 DécouvEeRTE DU RESEDA ALBA EN NORMANDIE, le 24 août 1853 ; par le Mème. . . . . . . 250 Norice sur L’aBBé Massreu ; par M. THéry. .: 258 Carræum CARMEN, auctore GUILLELMO M À 288 Le Caré, poèn t ê INTRODUCTION 4 PULAIRE , THÉOR CERF. . Huer, ÉVÈQUE D'A avec des extraits M. De Gourway.. À 2 JEAN-FRANÇOIS Saras rM - Hier AU. rs es NOTICE SUR LE CHEVALIER DE Caen ET ; BiBEto- 5 GRaPHIE DU Caré; par M. Louis Du in AA dd » s LS | st PA BOBSIE. "POP IP TN \ PREMIÈRE OLYMPIQUE DE PINDARE : par M. Tra- MERS» ue 5 A Raciwr ; par À M. Anse De hace 1. D 469 Les Ficets DE La VierGe ; par le Mème. . . . 476 Euma Liénarn, Sonnet; parle MËmr. . . . 479 UNE RENCONTRE 4 La GRANDE-CHARTREUSE ; par Ne Meeapa Clovis) NE «, 40. . 460 SOoNGE D'UNE JEUNE FILLE DANS UNE NUIT . D'ÉTÉ ; par NDAVITEILLARDES TN. 1,40) IMITATION D'UN SONNEI DE SHAKESPEARE ; par JEMMEME 1.0... - mn Ne. ABT Ouvrages offerts à l’Académie buis 1852. CR EE 15 RSRIEmEn te re +. ee | 008 Liste des membres de l'Académie, ,. . . . . 509 Appendice. . . . Avisdu Sectétaitéour suprimer « Table des matières. TABLE DES ni à "e Caen ,Imp. de As Hardels 521 20597 . 530 rot 4 ER Ace QT ee SA 1 k É Le gs BV x | PT ; ts K Ç 4 Ni , i n = Fe, . : | 0 or “ 4 - # £ *# A , t ’ r# né ”… 5 Le (6 , À 7 , {+ rn LL EXTRAIT DU CATALOGUE DB LA LIBRAIRIE DE A. HARDEL , IMPRIMEUR-LIBRAIRE, RUE FROIDE, 2; A CAEN. ——208S— ABÉCÉDAIRE OU RUDIMENT D'ARCHÉOLOGIE (archi- tecture religieuse}, par M. De Caumont, fondateur des Congrès scientifiques de France. 1 vol. in-8°. orné de près de 600 vignettes. Prix : 9 fr. 50. ABECEDAIRE OÙ RUDIMENT D'ARCHÉOLOGIE ( archi- tectures civile et militaire), par le Même. 1 vol. in-&. orné d’un grand nombre de vignettes. Prix : sfr" 5o. COURS D’ANTIQUITÉS MONUMENTALES , par le Même, 6 volumes in-8°. et atlas; chaque volume se vend séparément avec un atlas. Prix : 12 fr. BULLETIN MONUMENTAL ou collection de mémoires et de renseignements pour servir à la confection d’une statistique des monuments de la France, classés chronologiquement, par M. 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