Bones corrceeanems MÉMOIRES DE LA SOCIÉTÉ IMPÉRIALE D'AGRICULTURE SCIENCES ET ARTS D'ANGERS (ANCIENNE ACADÉMIE D’ANGERS) NOUVELLE PÉRIODE TOME TROISIÈME — PREMIER CAHIER. ANGERS IMPRIMERIE DE COSNIER FT LACHÈSE Chaussée Saint-Pierre, 13 1860 SOMMAIRE . Coup d’œil sur les travaux de la Société, par M. J. Soin, président. . Discours prononcé aux funérailles de M. Louis Pavie, vice-prési- dent, par M. COURTILLER. . Notice sur M. L. Pavie, vice-président, par M. E. LACHESE. . Notice sur M. le président de Beauregard, par M. COURTILLER. . Observations médico-légales sur la mort du colonel de Beaurs- paire, par M. le docteur A. LACHÈSE. . Rapport sur le mémoire de M. A. Lachèse, par M. A. LEMARCHAND. . Concours pour le prix de 1860. SOCIÉTÉ IMPÉRIALE D'AGRICULTURE, SCIENCES ET ARTS D’'ANGERS (ANCIENNE ACADÉMIE D’ANGERS ). MÉMOIRES DE LA NOCIÉTÉ IMPÉRIALE D'AGRICULTURE SCIENCES ET ARTS D'ANGERS (ANCIENNE ACADÉMIE D’ANGERS) NOUVELLE PÉRIODE TOME TROISIÈME ANGERS IMPRIMERIE DE COSNIER ET LACHÈSE Chaussée Saint-Pierre, 13 COUP D'ŒIL SUR LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ PAR M. J. SORIN, PRÉSIDENT (Séance du 18 janvier 1860). Messieurs , Naguëre et presque simultanément, la mort nous enlevait deux des hommes que, depuis longtemps, il nous était doux de voir à la tête de notre compagnie. Je ne viens pas vous rappeler les titres qu’ils avaient à notre attachement respectueux et qu’ils conservent à notre reconnaissant souvenir. Deux fois déjà, ce pieux devoir a été dignement rempli à l'égard de M. Pavie (1); (1) Aux funérailles de M. Pavie, par-M. le conseiller Courtiller, alors président de la Société, et dans la séance du 21 décembre 1859, par M. le conseiller E. Lachèse, secrétaire général. Dar Ge il devait l’être non moins dignement aujourd’hui au sujet de M. de Beauregard (1). Une circonstance im- prévue nous force de remettre à la prochaine réunion cet hommage si mérité. Mais j'ai la certitude , Mes- sieurs , de répondre à votre unanime désir, en expri- mant le regret qu’à ces pertes irréparables M. Cour- tiller en ait ajouté une, Dieu merci moins absolue, et toutefois bien vivement sentie. Les deux années pen- dant lesquelles il a dirigé nos travaux ont inauguré pour la Société une êre de rajeunissement. Que n’a-t- il voulu continuer son œuvre, et que ne l’avez-vous remise en de meilleures mains! Sous son impulsion, une activité plus vive s’est manifestée parmi nous. Un empressement plus marqué à entrer dans nos rangs y a fait naître des espérances, promptement réalisées, de précieuse collaboration. Nous avons été spécialement “heureux de voir, par plusieurs adjonctions, se produire dans la magistrature ce mouvement vers nous, flat- teuse récompense de nos efforts et au besoin garantie publique du bon esprit qui nous anime. _ De leur côté, les deux excellentes institutions nées dans le sein de la Société et qui s’y conservent, en s’honorant de leur origine, comme elles lui font hon- neur, la Commission archéologique et le Comice hor- ticole, se montrent de plus en plus à la hauteur de leur mission. De tous ces faits , grâces soient rendues , pour une grande part , à l'honorable président qui, par l’habi- tude d’allier les études libérales de l’homme privé avec - (1) Par M. le eonseiller Courtiller. RE l’accomplissement des devoirs publics, a pu, au dehors _comme au dedans de la Société, lui prêter l’autorité de l’exemple et l'appui d’un dévouement éclairé ! Soyez-en félicités également, vous tous, Messieurs, qui avez compris qu’un redoublement de zèle nous était imposé par des circonslances que je me permets de rappeler, non certes dans une intention agressive (loin de vous et de moi cette pensée !), mais comme ayant été et comme devant être encore la source d’une fraternelle et féconde émulation. En vous trouvant, non pas frappés, mais plutôt gratifiés d’une concur- rence , pleine de la généreuse ardeur qui anime tous les débuts, vous n’y avez vu qu’un mutuel stimulant à bien faire, une sorte de chevaleresque défi, aussi loya- lement accepté qu’offert, de marcher à l’envi vers un but identique par des voies distinctes, sans être oppo- sées. Et alors, Messieurs , ce que vous avez fait était la meilleure réponse possible à un mot qui circulait au- tour de vous : « Les anciennes Sociétés savantes d’An- » gers ont, disait-on, fait leur temps. » Cest déjà quelque chose, en ce monde, que d’avoir fait un temps. Ne vieillit pas qui veut ; et, dans une certaine mesure, avoir vécu c’est une garantie de pouvoir vivre encore. Vos émules ont signalé leur entrée dans la carrière par de louables travaux. Personne plus que vous n’apprécie leurs efforts, n’applaudira volontiers à leurs succès ; mais, tout en reconnaissant avec un sympathique empressement combien ils sont dignes de se présenter dans la lice, vous ne vous re- gardez pas comme obligés de répéter, même d’un ton Ps, US beaucoup plus modeste, le mot du vieil Entelle : Artem cestusque repono. Vous ne‘dites à personne avec l’octo- génaire de la fable : Tout établissement vient tard et dure peu La main des Parques blêmes | De vos jours et des miens se joue également. Encore moins ajouteriez-vous : Je puis... compter l'aurore Plus d’une fois sur vos tombeaux. Non, Messieurs, non; vos prétentions ne sont pas telles, tels ne sont pas vos désirs. Vous admettez sans difficulté qu’on soit viable en naissant après vous ; mais aussi vous demandez humblement la permission de ne pas vous croire tout à fait morts. Cetie conscience de ce qu’il y a en vous de vie ac- tuelle et de légitime espoir de durée, vous avez tenu à montrer qu’elle n’était pas le résultat d’une trop présomptueuse illusion. Vous vous êtes rappelé lar- gument pratique du philosophe grec. On niait le mou- vement ; vous avez marché. Que vous reste-t-il à faire, Messieurs ? Rien autre chose que de vous avancer dans la voie où vous êtes entrés. Vous la connaissez trop pour que j'aie besoin de vous dire qu’elle n’a pas de ramifications qui ne soient agréables et utiles à parcourir. Laissez-moi ce- pendant vous en indiquer une entr’autres comme digne d’être fréquentée. Je le ferai d'autant plus volontiers que je m’appuierai sur des conseils revêtus maintenant de ce caractère plus imposant que la mort ajoute à = 40 une autorité déjà respectée. Une des dernières fois, la dernière même de toutes, si je ne me trompe, que notre vénérable vice-président, M. Pavie, faisait enten- dre ici sa voix toujours si bien écoutée, il nous exhor- tait à ne pas perdre de vue que, si avec raison=nous tenons à honneur d’être une compagnie littéraire , le titre de nos études porte néanmoins au premier rang le mot : Agriculture. Ce n’est pas moi, Messieurs , et j'ose dire que vous le savez bien, ce n’est pas moi qui viendrais vous engager à déserter les plus riants do- maines de l'intelligence pour vous renfermer dans un cercle exclusivement matériel. Loin d’abjurer ainsi le culte et le bonheur de ma vie entière, je serais bien plutôt disposé à inscrire en tête de tout programme offert à des esprits éclairés la noble devise du cygne de Mantoue : Dulces ante omnia Musæ! Toutefois, je me plais à le reconnaître , on calomnierait le premier et le plus utile de tous les arts, si l’on considérait les études sur l’agriculture comme inconciliables avec ce que les autres applications de l’intelligence ont de plus séduisant et de plus délicat. Au besoin, j’en donnerais pour preuve l’exemple même du grand poête que Je viens de citer. Car, Messieurs, l’auteur des Géorgiques n’aimait pas seulement la campagne comme les autres poëtes, qui ne vont y chercher, en répétant la déli- cieuse exclamation d’Horace , qu’un calme fécond en méditations philosophiques, en douces rêveries et en brillantes peintures : , 0 rus, quando ego te aspiciam ? quandoque licebit AO Virgile faisait plus et mieux encore. Lui aussi, il en- viait aux agriculteurs un bonheur qu’ils ne savent pas toujours apprécier (1). Lui aussi, plus que personne même , avec son âme si tendre, il goûtait les charmes de la nature champêtre (2), et il lui demandait, comme son voluptueux ami, le chantre de Tibur, cette paix que les agitations de la ville et de la cour leur rendaient si chère (3). Mais en outre , dans un poème auquel vingt siècles de durée n’ont rien enlevé de son éclat et de sa fraîcheur, il enseignait à l’homme des champs Quid faciat lætas segetes, quo sidere terram Vertere ;..…… , ulmisque adjungere vites Conveniat ; quæ cura boum, qui cultus habendo Sit pecori ; apibus quanta experientia parcis. Connaissez-vous, Messieurs, beaucoup de Sociétés savantes qui eussent à rougir, si ces quatre vers que vous venez d'entendre formaient le premier article de leur règlement ? Le nôtre, il faut bien l'avouer, est écrit en style moins brillant; mais enfin il dit à sa manière ce que Virgile disait à la sienne. Or, puisque le prince de la poésie latine se faisait volontiers propagateur de la science agrono- mique telle qu’elle existait de son temps, nous ne nous compromettrons pas en accordant à l’agriculture (1) 0 fortunatos nimiüm, sua si bona nôrint Me dans nos études une place d'honneur. Qu’à l'avenir donc , s’il se peut, elle y soit plus souvent appelée et dignement accueillie. Nos autres sujets de méditation n’y perdront rien; ils y gagneront, au contraire, le piquant de la variété, et nous n’en trouverons que plus de charme dans l’ensemble de nos travaux. Ce charme, si attrayant par lui-même, comment ne vous y laisseriez-vous pas entraîner, quand vous y êles excités encore par de précieux encouragements ? Il y a quelques jours à peine , le premier magistrat de ce département exprimait avec la plus grande bienveillance à votre conseil d'administration son ap- probation pour votre passé et l’assurance de sa haute protection pour l'avenir. Chaque année vous apporte une nouvelle preuve de la sympathie du Conseil général. Vous remplissez donc un devoir de reconnaissance envers l'autorité publique et envers l'élite de vos con- citoyens , en vous efforçant de justifier l'intérêt dont on vous honore. En outre, et nous n’avons garde de l'oublier, si mo- deste que soit sa position dans le monde scientifique et littéraire, il n’est pas permis à une Société d’études de rester inactive, quand elle a pour présidents d’hon- neur : D'abord l’illustre secrétaire perpétuel de l’Académie française, M. Villemain, dont le nom peut être cité sans commentaire, parce qu'il est à lui-même son commentaire le plus expressif, Vel sine laude, satis per se memorabile nomen! nr AE Puis un autre membre de la même Académie, nom glo- rieux aussi et qu’à double titre une compagnie agricole et littéraire doit être fière de pouvoir revendiquer commé sien. Car, Messieurs, vous le savez, M. de Falloux n’est pas seulement un habile écrivain; il est encore un généreux et dévoué protecteur de l’agricul- ture. Aussi, pardonnerez-vous facilement à mes vieilles réminiscences classiques de remarquer avec orgueil pour l’Anjou que, comme la politique dans l’ancienne Rome, la haute littérature a trouvé dans notre contrée son Cincinnatus. Rappeler ainsi, Messieurs, tout ce qui doit vivifier vos travaux, c’est expliquer comment celui à qui vous venez d’en confier la direction a pu accepter un hon- neur aussi peu attendu que peu mérité. Il a eu besoin de comprendre que sa tâche consisterait moins à.sti- muler votre zèle qu’à en constater les résultats. Cette tâche d’ailleurs lui sera rendue facile par les collabo- rateurs que vous lui avez donnés. Ce qui manque en lui, il sera sûr de le trouver auprès de lui. Pour ce qui le concerne, en reconnaissance de la haute mar- que de confiance dont vous l’avez honoré, il ne peut, Messieurs , vous offrir qu’un entier dévouement à l’œuvre commune. Vous ne l’ignoriez pas; permettez- lui d'espérer que vous voudrez bien vous en contenter. DISCOURS PRONONCÉ AUX FUNÉRAILLES DE M. LOUIS PAVIE VICE PRÉSIDENT Par M. le Conseiller COURTILLER, alors président LE 3 NOVEMBRE 1859. « Messieurs, » L’affluence qui se presse aux obsèques de M. Pa- vie, les larmes sincères qui se répandent devant nous suffisent pour faire connaître que la ville d'Angers vient de perdre un de ses meilleurs citoyens , un ad- ministrateur éclairé, un père de famille modèle de toutes les vertus domestiques, un chrétien voué aux actes de la charité la plus active. Cette vie pure et modeste n’aurait pas besoin d’autres éloges; mais la Société d'agriculture, sciences et arts, que j’ai l’hon- neur de représenter ici, serait ingrate si, dans cette D Jp douloureuse circonstance, elle n’exprimait les vifs re- grets que lui inspire la perte qu’elle vient de faire. M. Pavie était l’un de ses vice-présidents et avait été l’un de ses fondaleurs. Entré jeune dans cette profes- sion distinguée de l’imprimerie qui s’allie si bien aux études littéraires, et suivant l’exemple que lui avaient donné tant d'illustres imprimeurs, il savait. goûter, méditer et apprécier ces chefs-d’œuvre de l'esprit hu- main que son art devait reproduire et multiplier. Mais travailler seul,, étudier seul ne suffit pas à l’activité d’un esprit éclairé, il sentit que les hommes qui par- tagent les mêmes goûts ont besoin de se trouver en- semble, de se communiquer leurs pensées, et secondé par quelques-uns de ses amis, il eut le premier l’idée de rétablir à Angers une société littéraire. C'était chez lui que se réunissaient, dans les premières années du siécle, le petit nombre d'hommes qui, après nos trou- bles politiques, avaient conservé le goût des études paisibles et l'amour des sciences. Cette société fut le germe qui, en se développant, devint la Société d’agri- culture, sciences et arts. Assidu aux séances de cette dernière société Lant que sa santé le lui permit , il y lut plusieurs fois des travaux pleins d'intérêt; mais ce que n’oublieront pas ceux qui ont assisté à ces séan- ces, c’est la conversation de M. Pavie, cette finesse de goût, cette vivacité d'esprit, ces saillies si piquantes qui ont donné si souvent tant de charme à nos réu- nions, et dont on était d'autant plus frappé qu’elles s’alliaient chez M. Pavie au sens le plus droit et à la raison la plus élevée. Nous en avons eu la preuve losque , dans une de nos dernières séances , il nous Ne US rappelait la direction que nous devions donner à nos travaux et les sujets qui doivent être le principal objet de nos études. » Notre compagnie gardera longtemps le souvenir de ce vénérable collègue et des rapports si doux et si affectueux que nous avions avec lui. » NOTICE SUR M. L. PAVIE, VICE-PRÉSIDENT par M. le conseiller E LACHÈSE SECRÉTAIRE GÉNÉRAL Lue dans la séance du 22 décembre 1859. Lorsqu'une famille voit frapper par la mort un de ses membres les plus justement entourés d'amour et de vénération, aux émotions cruelles des premiers ins- tants se joint bientôt le désir de conserver, de ras- sembler pieusement tout ce qui peut rappeler et, pour ainsi dire, perpétuer au milieu de nous celui qui n’est plus. On bénit alors le crayon qui ressaisit ses traits évanouis ; on interroge vingt fois les témoignages qui retracent sa pensée et son cœur. Or, s’il est vrai et désirable toujours qu’une cité ne soit qu’une famille, AU, 7 ue par l'affection commune de ses habitants envers ceux qui lui donnèrent tant de fois des conseils et des exem- ples, nul ne devra s'étonner de nous voir, au lende- main d’un deuil que l’on eût dit un deuil public, es- sayer de fixer dans l’esprit de nos contemporains le nom d’un homme qui, pendant un demi siècle, n’a cessé de s'associer aux travaux littéraires, aux efforts artistiques et, surtout, aux actes de bienfaisance dont peut s’en- noblir notre ville. M. Pavie (Louis-Joseph-Marie-François) est né à An- gers le 25 août 1782 et y est mort à l’âge de 77 ans passés. Son père, originaire de la Rochelle et apparte- nant à une famille d’imprimeurs ancienne et estimée, était venu s'établir et se marier dans notre ville. Ac- ‘cusé d’avoir, au mois de juin 1793, époque de l’entrée des Vendéens à Angers, imprimé des proclamations royalistes, il fut arrêté et dirigé sur Paris; mais il sut se soustraire par la fuite à la sentence de mort qui l’atiendait sans doute au tribunal révolutionnaire, et se réfugia en Espagne. Sa femme, arrêtée en même temps, fut enfermée au château d'Amboise ; les presses furent saisies, les scellés mis sur les papiers de la maison. C’est au milieu de ces scènes cruelles, de ces terreurs de chaque jour, que Louis Pavie, alors âgé de 11 ans, dut conquérir son instruction première. Orphelin de fait et recevant tour à tour l'hospitalité de divers mem- bres de sa famille, il étudiait çà et là, tantôt à Angers, tantôt à la Flèche, et n’en parvenait pas moins à jeter dans son esprit les bases d’une bonne éducation litté- raire, en même temps qu'il acquérait dans l’art musi- cal des connaissances élevées et précises à la fois. Cest SOC. D’AG. 2 Ô — 18 — alors qu’il se rendit à Nantes, où il ne tarda pas à remporter le prix de grammaire générale. La joie de ce jour fut féconde pour lui, car c’est dans cette solennité et au bruit même des fanfares célébrant son triomphe, qu’il lia avec MM. de Nerbonne, Fétu et Depeigne, l’un amateur, les deux autres artistes musiciens d’An- gers, invités et venus exprès pour la cérémonie, des re- lations que la mort seule devait rompre. De retour dans notre ville, il y suivit les cours de l'École centrale, où il rencontra Béclard, devenu le célèbre professeur d’anatomie, le peintre Cadeau, Che- vreul, David. Ce dernier était de dix ans plus jeune que lui; il ne s’en établit pas moins entre eux une amitié que ni l'éloignement, ni les dissentiments poli- tiques n’altérèrent jamais. Enfin, les cours, les collections, les entretiens sa- vants de la capitale purent lui offrir pendant quelque temps leurs vivifiantes richesses. Histoire, littérature, art et poésie, il cultiva tout et sut, avec une facilité à laquelle s’associait une étude constante, s’assimiler et coordonner dans son esprit ces éléments si divers. Il avait la raison pour comprendre, la sensibilité pour ad- mirer, l’ardeur pour atteindre. Angers, cependant, le rappelait, et le rappelait pour toujours. Son père avait succombé de bonne heure aux tourments de l’époque révolutionnaire ; sa mère, femme d’une grande force morale et d’une éducation supé- rieure, avait remis en action les presses que l’exil et la persécution avaient si longtemps paralysées. Sa place était près d'elle; son cœur le lui disait plus haut en- core’ que sa raison. Îl vint joindre son labeur au sien — 19 — et se fit imprimeur à l’âge de 19 ans. On devine que, dans cette position nouvelle, Louis Pavie demeura fidèle à ses études et à ses goûts : nul homme mieux que lui, en effet, ne resta constamment lui-même. Les travaux d’affaires laissèrent donc une large place aux essais littéraires, à la versification élégante et légère, aux plaisirs d’une exécution musicale sérieuse et choisie. Prompi à écrire les comédies de salon, les couplets , les allocutions de ciwconstance, musicien excellent, doué d’une belle voix de basse, instrumentiste peu brillant mais infaillible , il suivait ainsi tout à la fois les diverses spécialités auxquelles fut fidèle le programme de toute sa vie. ; Il avait atteint ainsi l’âge de 26 ans. Une de ses pa- rentes, âgée de 16 ans, Me Eulalie-Monique Fabre, lui avait inspiré une affection aussi vive que profonde: il l’épousa le 22 février 1808. Mais, dès 1813, après cinq ans d’un bonheur qui réalisait pour lui l'idéal de la vie, la mort frappa sa compagne; elle lui laissait deux fils. Il avait, heureusement, pour l'aider à supporter cette perte cruelle, le secours des sentiments pieux qu’au cours de cette époque indifférente ou railleuse, lui avaient inspirés les exemples de sa famille, les en- seignements de sa mère. Sa blessure n’en fut pas moins trop profonde pour se cicatriser jamais. Il est, on le sait, pour quelques âmes, de ces noms tristes et chéris qui se lient à notre pensée, que l’on prononce fidèlement à toute vive émotion de peine ou de joie, et qui en pré- sence d’une faute possible, nous seraient comme un second ange gardien. Tel était sans doute pour M. Pavie le souvenir de celle qu’il avait perdue. Sous l’entrain SL M de sa parole et l’enjouement de son esprit, vivait inaltérée une douleur dont ses amis, ses enfants même pouvaient rarement surprendre le secret. Ce sentiment caché don- nait à sa bonté native une douceur nouvelle et, peut- être (car tel est le privilége des souffrances du cœur), à son amabilité un charme de plus. Vers 1815, une modeste réunion se forma par ses soins et dans sa maison même. Elle n’eut d’abord d’autre but que la lecture en commu des publications nouvelles, puis bientôt prit le titre de Société d'histoire naturelle. Qu’on nous laisse citer le nom de quelques- uns de ses membres. C'était MM. Daligny père, devenu plus tard conseiller à la Cour d’Angers, les docteurs Lachèse père et Guépin; Bastard, alors directeur de notre jardin des plantes; Millet, demeuré un de nos savants les plus aimables et les plus zélés. Cette réunion n’eut qu’une assez courte durée ; mais, après sa dissolution, quelques uns de ses membres eurent la pensée de doter notre ville d’une société sa- vante à l’exemple de celles qu’elle possédait avant la révolution. M. Pavie se montra le plus actif pour la formation de cette institution qui prit et porte encore son ancien nom de Société d'agriculture , sciences et arts d'Angers. Est-il étonnant que les membres de cette académie, dont un acte public a sanctionné l'existence, aient toujours conservé à M. Pavie une légitime recon- naissance et l’aient toujours porté parmi eux aux fonc- tions les plus hautes que sa réserve consentit à accepter? Une autre création, vrai progrès pour le temps, bien qu’elle puisse sembler minime aujourd’hui, fut celle d’un feuilleton de quinzaine joint aux Affiches d'Angers, ER = journal d'annonces que ses presses éditaient. Louis Pavie écrivit, en tête de la feuille ainsi renouvelée, ces mots : Sine literis vita mors est, pensée qui ne cessa d’inspirer toute sa vie. C'était ouvrir une nouvelle arène aux études de la contrée, et plus d’un de nos conci- toyens s’y présenta. MM. François Grille, Mordret, De- leurie père, Blordier-Langlois, enrichirent de leurs tra- vaux l’œuvre du fondateur qui, bientôt, vit son fils Victor y essayer ses premiers vers. En 4817, M. Pavie prit une part active à la formation du Concert d'étude, cette institution qui, pendant vingt- deux ans, a donné à notre ville de si belles soirées et lui a légué de si charmants souvenirs. Tant de zèle, tant d'efforts pour le bien demandaient à être reconnus hautement et comme consacrés par un titre public. Aussi, lorsqu'en 1826 M. Pavie fut nommé adjoint au maire d'Angers, un assentiment gé- néral et que la diversité des opinions alors si ardentes ne put amoindrir, répondit au choix proclamé. Nous n'avons pas besoin de dire ce qu’il fut dans cette position si honorable. Son patronage envers les lettres et les arts put s’exercer avec une puissance nouvelle, et il dut regarder comme un des jours les plus heureux de sa carrière administrative, celui où il obtint l’insti-. tution royale pour cette Société d’agriculture dont il avait semé et développé les premiers germes. 1830 vint mettre fin à ces fonctions. M. Pavie, qui, en 1836, cessa de gérer son imprimerie, ne s’en trouva que plus libre de se livrer à ses relations et à ses goûts de prédilection. Membre obligé de toutes les réunions littéraires ou philharmoniques, plus d’une fois il avait HEAR fait déjà émigrer en masse la musique angevine à sa campagne des Rangeardières, charmante habitation voi- sine de Saint-Barthélemy, pour célébrer quelque fête privilégiée, pour recevoir quelqu’artiste de renom, tel, par exemple, que Dérivis père, de l'Opéra, venu, au mois de juillet 1828, donner quelques représentations sur notre théâtre. Heureux qui a pu jouir de ces réu- nions, prendre part à ces banquets joyeux que charmait sans interruption la verve de bon goût, l'esprit sans apprêt ! D’ordinaire, l'exemple donné à cet égard par le maître de la maison était trop engageant pour ne pas devenir promptement contagieux. Quelquefois, c'était aux lettres que la réception était consacrée. De jeunes professeurs du collége étaient conviés à mettre en com- mun leurs idées et leurs tendances, plus ou moins dé- terminées, à suivre ou à combattre le mouvement roman- tique dont Victor Hugo s’était fait en même temps l’apôtre et le symbole. Plus d’une célébrité connut le chemin de cette riante demeure : Chevreul, lesavant chimiste, David, le statuaire. David !... combien est touchante la cons- tante affection que ce nom rappelle ! Louis Pavie n’a- vait jamais quitté du regard son ancien condisciple de l'Ecole centrale ; il avait deviné son talent; il avait encouragé ses efforts et, d'avance, salué sa renommée. Lorsque sonna pour l'artiste l'heure des revers polit:- ques et de l’exil, l’ami resta le même et attendit avec anxiété l’heure de l’oubli et du retour. Puis, David étant mort, c’est l’ami encore qui fit mettre au concours par la Société d'agriculture, sciences et arts, l’éloge de celui qu’il avait tant affectionné. Ù Nous avons parlé de MM. de Nerbonne , Fétu , De- LT peigne, ces musiciens rencontrés dans un Jour de fête et restés à jamais les associés des études artistiques auxquelles M. Pavie prenait part. C’est principalement dans le salon du premier d’entre eux que se tenaient les réunions ; M. Pavie en était l’âme , y montrait un talent sûr, un esprit que le flegme de M. de Nerbonne, souvent attaqué par lui avec autant de réserve que d'affection, semblait rendre plus brillant encore. Dans ces soirées surtout, on accueillait avec une cordiale bienveillance tous les essais, et tel exécutant, vétéran aujourd’hui, se souvient avec une reconnaissance sin- cère des encouragements qui furent donnés alors à ses premières et bien chancelantes tentatives. Hélas! presque tous les noms que nous traçons ainsi, n’expriment plus que des souvenirs! Veuf de tant de ses amis, des compagnons de ses premiers travaux, des confidents des pensées et des projets de sa jeunesse, M. Pavie sut conserver néanmoins et ses goûts et l’aménité de son caractère. Si, d’ailleurs, les années avaient fait tomber à ses côtés le plus grand nombre de ses affections, elles avaient plus près de lui encore, fait grandir et fructifier de bien chères espé- rances. Ses deux fils projetaient sur son nom le reflet des mérites qu'il avait toujours recherchés pour lui- même : l’un, répandant chez nous les trésors des lan- gues sémitiques et recueillant, des rives du Gange aux sommets des Cordilières, les sujets variés de récits re- cherchés de tous ; l’autre, créant chaque jour , de sa plume facile et convaincue ou de son vers vif et bril- lant, des fragments au mérite desquels nos littérateurs les plus célèbres ont rendu maintes fois un juste hommage. ENT L'âge rendait M. Pavie de plus en plus fidèle au calme séjour des Rangeardières. Il était ami des fleurs, membre du Comice horticole d'Angers ; chargé même, à ce dernier litre, de présenter, le 12 août 1843, un brillant spécimen de nos richesses à Mme la duchesse de Nemours , il avait prononcé une allocution dont la grâce exquise fut remarquée. Il consacrait, tant à cette section de-la Société d'agriculture qu’à la Société-mère elle-même, une'série incessante d'observations et de travaux. Toujours désireux d'activer parmi nous les études littéraires, il promit une médaille d’or à celui qui décrirait le mieux en vers l’imposant château de notre ville. L'idée, louable et généreuse en elle-même, obtint un brillant résultat. Deux prix et une mention ayant été accordés, une réunion solennelle dans la- quelle parlèrent avec éclat M. de Falloux, puis M. Vil- lemain, se tint, le 18 juin 1857, à l'hôtel de la Pré- fecture. M. de Beauregard, président de la Société d'agriculture, étant malade alors, M. Pavie, vice-prési- dent, fut chargé de faire les honneurs de cette fête qui était son œuvre. Même près de l’élégant historien de saint Pie V et du célèbre secrétaire perpétuel de l’Académie française, il sut, toujours fidèle à lui- même, charmer à sa manière et provoquer de ces bra- vos pleins d'émotion qui fêtent autant l’orateur que le discours. « M. Pavie, disait-on quelques jours plus tard » dans le compte-rendu de cette séance, a le bon goût d’é- » tre tout à fait de son temps, de ce temps où Jouy et » Etienne écrivaient, où chantait Désaugiers, où profes- » Sait l’auteur d’Anaximandre , l'aimable et spirituel » Andrieux, de ce temps, enfin, où l’on se plaisait en- EU » core à invoquer les Muses et à sacrifier aux Grâces. » On a trouvé en lui, ajoutait-on, les convictions af- » fectionnées du june homme, le langage pur du lit- » térateur , la parole touchante et le sourire auguste » du vieillard. » Une année plus tard, au mois. de juin 1858, une grande exposition eut lieu dans notre ville. Le Comice horticole, qui y faisait admirer ses nombreux et gra- cieux produits, offrit un banquet aux membres du jury d'appréciation et aux exposants étrangers à la cité. Après les toasts, il fallait des vers et, comme au bon temps, des vers chantés. M. Pavie fit entendre sa voix au milieu de cette assemblée dont la plus grande par- tie ne connaissait que son nom. Il n’eut pas besoin de dire comme le convive dépeint par Béranger : Daignez sourire aux chansons d’un vieillard! Il chanta, et, dès les premiers accents, le succès lui fut assuré. Il avait choisi ce refrain : Pour être d’une Académie Ne suis-je pas assez savant? Or, pour convaincre de son savoir, il vantait avec entrainement sa ferveur pour la gaie-science et sa fi- délité aux grands préceptes du bien-vivre. Puis tout en exaltant ainsi, dans sa fantaisie de convive , la pu- reté de ses doctrines joyeuses , il venait à jeter les yeux sur son auditoire et concluait par cette fin mo- deste : 90 — Devant vous, fils de la science, Il faut m'incliner tristement, Car cette fois, en conscience, Je ne suis pas assez savant. Pour bien apprécier ces vers, d’une douce et fran- che gaîté, il faut, par la pensée, les mettre en scène et les entendre chanter au milieu d’une nombreuse réu- nion toute à la pensée de fêter joyeusement d’utiles travaux et de paisibles triomphes. M. Pavie, toutefois, était loin de dépenser ses heures à des œuvres aussi légères. Se tenant au courant de la littérature, travaillant toujours , il préparait, nous l'avons dit, pour les diverses réunions dont il était membre, des communications utiles, des observations Judicieuses. On doit, entr'autres , garder souvenir d’une motion fort sage faite par lui en dernier lieu , pour que la Société d'agriculture, qu’en toute vérité il pouvait un peu nommer sa fille et à laquelle, par con- séquent, 1l avait bien le droit de donner - quelques conseils, renforçät les études que suppose la première désignation de son titre. Puis, une autre occupation n’a jamais cessé de solliciter son zêle de chaque jour, celle de la charité. Aussi, lorsque se forma dans notre ville la Société de Saint-Vincent-de-Paul, il y apporta pour première mise, l'exemple bien connu de ses constantes et généreuses inspirations. Ces soins divers le retenaient de temps en temps à la ville. Il avait pris pour pied-à-terre une modeste mai- son située rue de l'Hôpital. Assis au rez-de-chaussée, tantôt il lisait, tantôt il guettait parmi les passants un 59 visage de connaissance. Il en devait rencontrer sou- vent : il comptait tant de relations, tant d'amis et, sur- tout, tant d’obligés ! Parfois, quelque personne, non contente de lui adresser un salut, frappait et venait s'informer de sa santé. Malheur, alors, aux rendez-vous et aux affaires ! L’entretien, toujours vif et nourri, explorait les nouvelles de la cité, les questions du jour, les faits et les exemples du passé, de manière à tromper les heures, mais à laisser à l’heureux visiteur un bon et aimable souvenir de plus. C’est dans cette demeure que M. Pavie a expiré le lendemain de la Toussaint dernière, fête dont la so- lennité l'avait rappelé à la ville. Sa mort a été pieuse et calme comme toute sa vie. On savait qu’il n’était pas exempt de quelques - unes de ces souffrances qui sont trop souvent le triste cortége de la vieillesse; mais rien ne faisait présager une fin prochaine. Lorsque la pé- nible nouvelle se répandit, l’affliction fut profonde, universelle : on eût dit, d’un grand nombre, qu’ils perdaient un membre vénéré de leur propre famille. Aussi, le lendemain, aux obsèques, l’assistance en deuil remplit l’église et le convoi fut immense. Arrivé au terme de la conduite funèbre, M. le conseiller Cour- tiller, président de la Société impériale d’agriculture, prit la parole, et, d’une voix émue, paya à cette mé- moire qui commençait, un tribut aussi touchant que légitime. Ce fut le seul discours, mais ce ne fut pas le seul éloge. Au moment du retour, le nom de M. Pavie se murmurait de groupe en groupe et plus d’une fois se prononça avec des larmes. Après ce que nous savons de son intelligence et de son cœur , ces larmes doivent UT s’expliquer facilement, pour ceux mêmes auxquels il n’a pas été donné de le connaître. Qui ne porterait envie à une telle existence ?... Sans doute, presqu’au début d’une union qui lui était bien chère, il reçut une cruelle et incurable blessure. Plus tard, d’autres sources de larmes durent s'ouvrir pour lui, car nul de nous n’est à l’abri de ces coups sou- vent ignorés du monde, de ces douleurs de l’âme qui sont la rude et parfois salutaire école de la résigna- tion. Mais, à le voir, à l’entendre, à le suivre dans ses habitudes respectées par les ans, il n’en semblait pas moins, comme il eût pu le dire lui-même, que le che- min de la vie ne lui présentât ni aspérités ni épines, mais seulement des fruits et des fleurs. . Toutefois, ce qu’il faut signaler et désirer au milieu de son bonheur même, c’est la source de ce calme des jours, de cette permanence de goûts utiles à tous, que l’âge n’avait pas atteints. L'esprit et la science ne suffisent pas pour donner de tels trésors : c’est à la bienveillance de cha- que heure, à l'amour du bon, à la piété sincère, au témoignage intime de services rendus, qu’il appartient de maintenir, même dans les mauvais jours, cette sé- rénité de la pensée et du regard qui chez M. Pavie ne s’altéra jamais. À ce titre, le caractère constant de son amabilité non seulement le distingue , mais l’honore ; et, en recherchant le secret des-qualités qu’il porta dans le monde, nous trouvons un motif de plus au vif et respectueux souvenir sous l’impulsion duquel nous essayons en ce moment de rappeler sa vie et de crayonner imparfaitement ses traits. NOTICE NUR M. LE PRÉSIDENT DE BEAUREGARD par M. LE CONSEILLER COURTILLER LUE DANS LA SÉANCE DU 15 FÉVRIER 1860. <— Messieurs, Notre Société a fait, dans les derniers mois de l’an- née qui vient de s’écouler, deux pertes qu’elle a vive- ment senties : la mort de M. Pavie, notre vénérable vice-président, n’a précédé que de quelques jours celle de M. de Beauregard, à qui nous avions confié pen- dant si longtemps la direction de nos travaux, et qui avait rempli cette tâche avec un zèle et un dévoûment qui ne se sont jamais démentis. Appelé à la pénible mission d’exprimer sur la tombe de M. Pavie les sentiments de notre compagnie, je n’ai de: open pu, comme votre président, rendre le même hommage à M. de Beauregard dont les restes ne reposent pas au milieu de nous. Permettez-moi, imitant faiblement au- jourd’hui ce qu’a fait un de nos collègues pour M. Pavie, de vous rappeler quelle fut la vie de M. de Beauregard et les titres qui lui ont donné tant de droits à l'estime et aux regrets de tous ceux qui l’ont connu. M. Jean-Frédéric Sourdeau de Beauregard, mort à Angers le 28 novembre 1859, était né à Saumur, le 12 mai 1785, de Jean-François Sourdeau , chevalier’, seigneur de Beauregard, ancien maître des comptes de Bretagne. Son père avait plus de soixante-dix ans lorsqu'il épousa Mie Marthe-Louise de Fay, d’une ancienne et honorable famille des environs de Saumur. Les premières années de la vie de M. de Beauregard ne furent pas heureuses. Sa mère était occupée à donner des soins à deux jeunes enfants et à un vieillard infirme et octogénaire, lorsque les troubles de la Révolution et la guerre civile écla- tèrent. Après la prise de Saumur par l’armée ven- déenne et la retraite de cette armée, M. de Fay, père d’un émigré, fut arrêté avec ses cinq filles, au nombre desquelles était Mme de Beauregard, et conduit dans les prisons de Saumur. Les archives de la Préfecture ont conservé, parmi les nombreux documents de cette époque, plusieurs lettres dans lesquelles Mme de Beau- regard proteste énergiquement contre la mesure qui l’a privée de sa liberté. Elle fait un tableau déchirant de la position de son mari et de ses enfants, et rappelle un trait bien honorable pour elle. Au milieu des fu- reurs des partis, elle avait bravé le plus grand danger et même exposé sa vie pour sauver celle de cinq sol- ENS EE dats républicains. Dans ces mêmes archives, il existe une pièce plus précieuse encore et que nous n’avons pu toucher sans un profond attendrissement. C’est une lettre écrite par le jeune Frédéric de Beauregard, l’aîné des deux enfants, âgé alors de huit ans, et adressée aux membres du Comité révolutionnaire de Saumur. Le style et l'orthographe prouvent qu’elle ne lui a pas été dictée ; elle est ainsi conçue : _« Citoyens , rende nous notre maman. Cest elle qui » nous gouverne. Mon frère est toujours malade. Mon » papa abien des infirmités que maman soigne. Mon » papa est bien agé ill a 80 ant. Il est au désespoir. » Nous allons tous trois mourir de chagrin ci vous ne » nous rendé pas notre bonne maman. De grâce rendez » nous la et croyé à notre reconnoissans fraternelle. » Frederic et Hipolite Sourdeaux. 18 pluviose an 2 de » la république. » Cette date correspond au 6 février 1794. Croyons, pour l'honneur de la nature humaine, que les cœurs, si peu accessibles à la pitié, des membres du Comité révolutionnaire auront cependant été tou- chés des larmes de ces pauvres enfants presque orphe- lins, et que Mme de Beauregard a peut-être dû à son fils sa liberté et sa vie. Elle perdit bientôt son mari, et, restée seule avec ses deux fils, elle se consacra avec courage aux soins d’une éducation bien difficile .alors, puisque tous les établissements d'instruction avaient été détruits, et qu’il n’existait que de bien faibles ressources pour les rem- placer. Elle résidait dans la belle habitation que possède en- = 88 core la famille de M. de Beauregard, dans le village de Saint-Florent, prés de Saumur, sur les bords du Thouet, à quelques pas de la célèbre abbaye de Bénédictins, fondée au commencement du xt siècle, et qui venait de terminer une existence de plus de 700 ans. Les deux jeunes de Beauregard durent prendre sou- vent pour but de leurs promenades cet antique et vé- nérable monastère, et errer dans ces vastes bâti- ments, dans ces cloîtres abandonnés qui frappaient par leur grandeur et leur solitude, et surtout dans cette magnifique église, chef-d'œuvre du moyen âge et l’un des plus remarquables monuments de l’An- jou. Je me souviens d’y avoir aussi été conduit, au commencement de ce siècle, avec d’autres enfants. On nous faisait admirer deux immenses bas-reliefs repré- sentant le Paradis et l'Enfer, et je n’ai pas encore ou- blié l'impression que me firent éprouver les toits en ruine, les vitraux brisés, les voûtes mouillées par la pluie et le sanctuaire envahi par les reptiles et les her- bes parasites. Ce spectacle, chaque jour sous les yeux de M. de Beauregard, dut frapper: son esprit naturellement grave et sérieux,*et c’est peut-être de là que vint son goût pour l'archéologie qui fut une de ses études fa- vorites. ; Cependant, le calme avait succédé aux orages de la Révolution. L'ordre avait été rétabli par une main puis- sante, et sur les ruines de l’antique abbaye allait s’éle- ver un établissement qui dans l’idée de son fondateur devait aussi traverser les siècles, quoique sa durée n’ait été que bien éphémère. _, 83 — On a un peu oublié, au milieu des événements qui ont rempli la première moitié de ce siècle, la création des sénatoreries, de ces grands bénéfices civils accom- pagnés de dotations opulentes, qui étaient destinés à de hauts dignitaires, nouveaux missi dominici, dépositaires de la pensée du souverain, chargés de faire exécuter ses volontés, d'exercer une surveillance active sur toutes les parties de l'administration, et qui devaient en même temps rétablir dans les provinces ces grandes exis- tences que la Révolution avait fait disparaître. La sé- natorerie d'Angers comprenait les trois départements qui forment aujourd’hui le ressort de la Cour impériale. Un premier décret avait ordonné que le château de Montgeoffroy serait la résidence du sénateur. Plus tard on désigna le château de Craon. Le choix s'arrêta en- fin sur le monastère de Saint-Florent, où les religieux avaient fait élever depuis peu de temps de nouvelles et élégantes constructions. L'église masquait cependant un peu la vue de cette somptueuse résidence; ce fut alors que fut détruit ce monument qui avait échappé aux dévastations de la Révolution et à qui des répara- tions peu dispendieuses eussent rendu son ancien éclat. Ses débris furent enfouis dans un marais pour former une chaussée qui abrégeait le chemin de Saumur à Saint-Florent. Gémissons sur cette perte, et cependant ne soyons pas trop sévères pour les auteurs de ce que nous appelons aujourd’hui un acte de vandalisme. Per- sonne n’avait alors d’admiration pour ces merveilleux monuments du moyen âge. Déjà, au xvrre siècle, les hommes les plus religieux, Fénelon lui-même, n’en parlaient qu'avec dédain. C’étaient les œuvres d’un goût SOC. D’AG. 3 Un ue grossier el barbare. Avec ces idées el celles qu'était venu y joindre le xvirie siècle, on ne pouvait irop s’empres- ser de les faire disparaître. La Belle-d’Anjou, c'était le nom qu’on donnait à cette église, fut démolie sans pro- testations ni regrels. M. le sénateur Lemercier, établi à Saint-Florent, connut et put bientôt apprécier Mme de Beauregard. Le voisinage contribua à faire naître entre les deux familles des rapports d'intimité. Le jeune Frédéric fut présenté au sénateur, qui fut frappé de son main- tien grave et distingué, de son amour de l'étude et de son désir de se livrer à des occupations sérieuses et honorables. Pour mieux le juger, il lui donna pendant quelque temps auprès de lui un emploi de confiance, et lorsque M. Lemercier visita pour la première fois les trois départements de sa sénatorerie, il était accompa- gné du jeune de Beauregard. L'éducation des deux frères n’avait pu être complète- ment achevée à Saint-Florent. Mme de Beauregard se décida ‘à conduire elle-même ses enfants à Paris, où elle résida pendant plusieurs années. M. de Beaure- gard se livra avec zèle aux études les plus sérieuses. A dix-huit ans, il était reçu à l’École polytechnique; mais il en sortit au bout d’une année pour se préparer à entrer dans la carrière de la magistrature, qui avait été depuis longtemps celle de sa famille. Les lois et la jurisprudence furent alors pour lui l’objet d’un travail assidu comme l’avaient été les sciences mathématiques et physiques. Il fut au nombre des premiers élèves des écoles de droit nouvellement rétablies. Un décret du 16 mars 1808 avait créé près des tribu- — 39 — naux d'appel un corps de juges auditeurs. M. de Beau- regard obtint ce titre en 1810. C’est à cette époque que commença pour lui cette existence si honorable de ma- gistral que nous avons vu se terminer il y a peu de temps. Successivement auditeur à la Cour d’appel, et après l'institution des Cours impériales, avocat-général et président de chambre, sans avoir jamais quitté la Cour d'Angers, il mérita et obtint à tous ces degrés de la hié- rarchie judiciaire l'estime qui est due à un magistrat éclairé, consciencieux et esclave de ses devoirs. Cette vie régulière et paisible offre peu de faits à recueillir, et sous ce rapport nous n'aurions plus rien à dire de M. de Beauregard si nous ne devions signaler l’attache- ment qu’il avait conservé pour la compagnie dont il avait fait partie pendant si longtemps. Il se plaisait à dire qu’il considérait la Cour d'Angers comme sa famille, et après sa retraite, chaque fois que nous avions une de ces assemblées générales où les magistrats honoraires peuvent se réunir à leurs collègues, nous étions heureux de le voir venir reprendre son rang à notre tête. C’est ce qu’il faisait encore à la rentrée de la Cour, le 3 novembre dernier, en nous disant que c’était la cin- quantième fois qu’il assislait à une semblable cérémonie. Chevalier de la Légion-d'Honneur depuis longtemps, M. de Beauregard avait reçu depuis peu d'années la croix d’officier comme récompense de ses longs services. Président ou membre de diverses commissions, appelé à faire partie du Conseil académique, il n’était pas resté étranger aux affaires administratives. Lorsque les dispositions rigoureuses de la loi l’obligèrent à prendre sa retraite, il crut qu’il devait encore consacrer au ser- — 36 — x vice de son pays les forces qui lui restaient et une im- telligence que l’âge n’avait pas atteinte. Il accepia les modestes fonctions de maire de Saint-Florent, voulant ainsi terminer paisiblement sa carrière dans les lieux où se trouvaient les souvenirs de son enfance. Il nous reste à parler de M. de Beauregard sous les rapports qui intéressent principalement notre Société. A l'étude des lois civiles et administratives, il avait tou- jours joint celle des sciences et surtout de l’archéolo- gie; aussi ce fut avec empressement qu’il accueillit l'idée de faire revivre cette ancienne Académie d’An- gers où se réunissait l'élite des esprits distingués de notre province. Il fut un des fondateurs de la Société d'agriculture, sciences et arts. C’est à lui que nous de- vons l’orgamsation de cette Société, son règlement, l’é- tablissement du jardin fruitier qui fut confié à la direc- tion si habile de M. Millet, de la Commission archéo- logique et du Comice horticole. En 1849, il remerciait ses collègues de lavoir déjà appelé cinq fois au fauteuil de la présidence. Depuis cette époque, cet honneur lui fut conféré chaque année, sans interruption, jusqu’au moment où il le résigna volontairement, ayant cessé en 1857 de résider habi- tuellement à Angers. Vous n’avez point oublié quel amour et quel zèle il portait à ces fonctions. Il avait pour la Société, qu’il considérait comme son œuvre, une affection qu’on pourrait appeler paternelle; aux encouragements il ajoutait l’exemple. Il existe à peine un volume de nos mémoires dans lequel on ne trouve quelque travail important de M. de Beauregard, soit sur l’agriculture, soit sur l’archéologie ou l’histoire de l’An- FAUNE jou. Un ouvrage plus étendu, la statistique du dépar- tement de Maine et Loire, a été le résultat de longues et profondes recherches. Enfin il a enrichi la Revue de l'Anjou de plusieurs articles pleins d’intérêt. Nous pouvions compter encore sur cette collabora- tion si précieuse pour nous, lorsqu'une maladie rapide et cruelle a terminé cette vie pendant le cours de la- quelle M. de Beauregard, resté étranger aux passions et aux haines politiques, n’avait inspiré que des senti- ments d'estime et d'affection à tous ceux qui se sont trouvés en rapport avec lui. Dans ses derniers moments, il n’a pas oublié notre Société. Votre président, qui avait craint de ne pouvoir assister aux obsèques de M. Pavie, avait prié M. de Beauregard d’être à sa place votre interprète dans cette douloureuse circonstance. Sa santé, déjà profondément altérée, ne lui permit pas d'accepter cette mission ; il le regretta vivement, et peu de jours avant sa mort il renouvelait l'expression de ce regret dans une lettre touchante que sa main dé- faillante traçait avec peine. Il m’écrivait : « Mon cher collègue, je vous remercie d’avoir sacrifié » une audience de la Cour impériale pour rendre un » dernier devoir au respectable et si regrettable M. Pa- » vie. Lorsque vous vintes m’offrir cette mission et que » je vous dis que j'étais trop souffrant, j'ai craint que » vous eussiez pris mon refus pour de la mauvaise vo- » lonté ; mais j'étais alors sous la pression d’une grave » maladie dont je sentais déjà les atteintes; samedi elle » a fait explosion par d’horribles souffrances. Depuis » ce temps je ne quitte plus le lit. Heureux ceux qui » jouissent d’une bonne santé! Je vous souhaite que » vous conserviez la vôtre. » 22 FOR Quelques jours plus tard il avait cessé d'exister. Les restes de M. de Beauregard ont été transportés à Saint-Florent. Vous, messieurs, qui êtes en grande partie voués à l’étude, je pourrais dire au culte de lar- chéologie, vous penserez comme moi qu'il état diffi- cile de trouver une place plus convenable à la sépul- ture d’un ami de cette science. Il repose dans le lieu où s’écoula son enfance, auprès des restes du véné- rable monastère, devenus de nouveau un asile pieux consacré au recueillement et à la prière. Son tombeau est à peu de distance de celui de l’historien de Sau- mur et de l’Anjou, sur cette partie du côteau de la rive gauche de la Loire qu’on a appelée avec raison un mu- sée archéologique, tant on y trouve de monuments de tous les siècles, et surtout de ces constructions primi- tives, de ces dolmens dont l’origine se perd dans la nuit des temps. Antérieurs à la civilisation de la Grèce et de Rome, témoins aussi de la naissance de la nôtre, quand elle se sera éteinte à son tour, ils seront sans doute encore debout au milieu de forêts sombres et so- litaires comme celles qui les ont ombragés autrefois. OBSERVATIONS MÉDICO-LÉGALES SUR LA MORT DE M. DE BEAUREPAIRE COMMANDANT DU 1°° BATAILLON DES VOLONTAIRES DE MAINE ET LOIRE par M. LE DOCTEUR A. LACHÈSE Lues dans la séance du 18 janvier 1860. Toute ma vie j'ai entendu parler de la prise de Verdun par le roi de Prusse, en 1792; car toute ma vie j'ai eu des rapports plus ou moins fréquents, plus ou moins intimes avec d'anciens volontaires du 1er ba- taillon de Maine et Loire, bataillon qui faisait partie de la garnison de la ville assiégée. Longtemps, en recueillant les récits de nos compatriotes, j'ai espéré savoir la vérité sur la mort de M. le lieutenant-colonel ee : de Beaurepaire (1); mais loin de là, plus je question- nais, plus j'écoutais, plus l’incertitude devenait grande dans mon esprit sur les principales circonstances de (1) Pour fixer l'orthographe de ce nom, nous croyons devoir citer l'acte de mariage suivant, extrait des registres de l’état-civil de la commune de Joué : + « Le 19e jour d'août 1776... ont été épousés par nous, curé soussigné, messire Nicolas de Beaurepaire, lieutenant au corps des carabiniers de Monsieur, fils majeur des feu sieur Nicolas de Beaurepaire, ancien échevin de la ville de Coulommiers (en Brie), et dame Marguerite-Françoise Lallemand, ses père et mère, de la paroisse de Saint-Nicolas de Saumur, d’une part, et demoiselle Marie-Anne Banchereau-Dutail, fille majeure des feu sieur Jacques Banchereau-Dutail, négociant, et demoiselle Anne Phellipeaux, ses père et mère, de cette paroisse, d'autre part; en présence, du côté de l'époux, de messire Benoit-Joseph Carault, lieutenant des Carabiniers, de messire Jean-Baptiste Guilleminot , porte-étendard des Carabiniers, de maître François-Jacques Jouannes, notaire et conseiller du roi, tous de la ville de Saumur, paroisse Saint-Nicolas; du côté de l’é- pouse, de maître Jean-Pierre Guérin, fils aîné, négociant, ancien consul au consulat d'Angers, et de dame Rosalie-Françoise Banche- reau, son épouse, beau-frère et sœur germains, demeurant à Angers, paroisse Saint-Maurille, du sieur Antoine-Joseph Lenormant-Dumé- nil, négociant, et de-dame Aimée-Renée-Jacquine Banchereau, son épouse, aussi beau-frère et sœur germains, demeurant au Plessis- Beaudouin, paroisse de Joué, de dame Elaudine Banchereau, veuve de feu maître Matthieu Blouin, négociant, sa tante, demeurant pa- roisse de Montiliers, diocèse de La Rochelle, de monsieur maïtre Pierre-Jean Massé de Villeneuve, conseiller du roi et son président au siége du grenier à sel de Vihiers et avocat au parlement, et de dame Marie-Jacquine-Aimée Blouin, son épouse, cousins germains, demeurant paroisse de Saint-Laud d'Angers, et de plusieurs autres qui ont déclaré bien connaître lesdits époux, le lieu de leur domicile et ont signé avec nous... | » HOUDBINE, curé de Joué. » FAN AÈES cet événement qui a eu un si grand retentissement en France. L'opinion généralement admise me semblait ne reposer que sur des allégations plus ou moins décla- matoires, plus ou moins erronées, et J'entrepris de recueillir tous les documents à l’aide desquels je pour- rais m'en former une plus satisfaisante. Je commençai alors une espèce d'enquête médico-légale sur cette question : Comment est mort M. de Beaurepaire dans la nuit du 4er au 2 septembre 1792? s'est-il brûlé la cervelle ainsi qu’on le dit depuis 67 ans, ou n’a-t-il pas plutôt été assassiné ?.… C’est avec intention que je me suis servi du terme d'enquête médico- légale; j'ai voulu de suite faire comprendre que toute considération, toute discussion politique serait entiérement écartée de mon travail. C’est le 6 septembre, d’après le Moniteur, qu'on parla pour la première fois à l’Assemblée nationale du suicide de M. de Beaurepaire. — « A la suite de ces délibérations, dit le représentant Laporte, qui venait de donner lecture des différentes pièces de la capitulation de Verdun, M. Beaurepaire, commandant, voyant que les habitants exigeaient impérieusement la reddition de la place, s’est brûlé la cervelle (1). » C’est le simple énoncé d’un fait, rien de plus. j Quelques jours après, le mercredi 12 septembre, M. Delaunay aîné, l’un des représentants de notre ville, en demandant pour M. de Beaurepaire les hon- neurs du Panthéon, s'exprime ainsi (2) : « ÎL s’est (1) Moniteur n° 252, du 8 septembre 1792. (2) Moniteur no 258, 14 septembre (792. 7/0, ee donné la mort en présence des fonchionnaires publics lâches et parjures qui ont livré le poste confié à son courage. » Il est certain, d’après ces paroles, que le commandant s’est brülé la cervelle en présence du conseil de guerre, et c’est encore aujourd’hui l’opi- nion la plus populaire. Cependant elle repose sur une erreur matérielle, qui fut rectifiée de la manière la plus formelle le 9 février 1793 par le représentant Cavaignac, chargé par le Comité de sûreté générale et de surveillance de faire un rapport sur la reddition de Verdun. Après la plus minutieuse enquête, M. Cavai- gnac affirme (1) que le conseil de querre se sépara à sept heures du soir, après avoir accepté une suspension d’ar- mes ; que chacun se rendit à son poste ; que Beaurepaire se tint au sien jusqu'à deux heures et demie du matin ; qu'il se retira ensuite dans une chambre voisine, en di- sant aux soldats qui servaient auprès de lui qu'il allait y prendre du repos. Cette déclaration détruit radicalement celle de M. De- launay, et quand une semblable contradiction existe entre d'aussi graves personnages, quand un des deux a présenté à la tribune nationale un fait matérielle- ment faux, tout est remis en question pour qui sait réfléchir, et on reste nécessairement dans le doute et la méfiance jusqu’à ce que quelque circonstance im- prévue fasse jaillir la lumière et paraître la vérité. J’ai d’abord consulté les auteurs qui ont écrit sur la Révolution. Les uns, et en tête le plus grave et le plus circonspect de tous, M. Thiers, n’en parlent pas; (1) Moniteur no 42, du 11 février 1793. M es beaucoup citent le fait, mais sans y Joindre aucune réflexion; quelques-uns enfin, malgré les dénégations du représentant Cavaignac, ont conservé et même amplifié la version présentée dans les premiers jours par M. Delaunay; M. de Lamartine, par exemple, s'exprime ainsi dans son déplorable ouvrage des Giron- dins : « La capitulation fut décidée. Beaurepaire, rejetant la plume qu’on lui présentait et saisissant un pistolet à sa ceinture : « Messieurs, dit-il, j'ai juré de ne rendre qu’un cadavre aux ennemis de mon pays. Sur- vivez à votre honte, si vous le pouvez; quant à moi, fidèle à mes serments, voici mon dernier mot : Je meurs libre. Je lègue mon sang en opprobre aux lâches et en exemple aux braves!... » En achevant ces mots, il se tire un coup de pistolet dans la poitrine et tombe dans la salle du conseil. » J'avais donc inutilement consulté ces différents écrits sans y puiser aucun renseignement utile, lorsque M. le capitaine Alfred La Tour m’apporta de Verdun, où il avait séjourné plusieurs années comme officier du Génie, un ouvrage curieux intitulé Verdun en 1792, épisode historique et militaire, par M. Paul Mérat, lieu- tenant au 24e léger (1849). Je trouvai dans cette inté- ressante brochure, outre un exposé circonstancié des faits, avant et après la capitulation, deux pièces qui sont en original dans les Archives de la guerre à Ber- lin, et qui n’ont été jusqu'ici citées par aucun auteur français. Je crois devoir transcrire intégralement ici tout le récit de la mort de M. de Beaurepaire, c’est la pièce la plus importante de mon enquête : 2 (Ne « Le conseil s’ajourna au lendemain pour décider la rédaction de la capitulation, et M. de Beaurepaire, après avoir été visiter les remparts et les postes, rentra chez lui, bien convaincu de l’inutilité de la défense. — ]1 s’enferma dans son appartement en recomman- dant à son domestique de ne pas le déranger et à la sentinelle de ne laisser entrer personne, prétextant qu’il avait le plus grand besoin de repos. La chambre où il s'était retiré n’était pas son logement ordinaire, il habitait avec sa femme et son enfant dans la ville haute, près de la Roche; mais depuis qu’il était com- mandant de place, il avait fait disposer à la maison commune une chambre sise au premier étage, sur la rue, et dans laquelle on peut arriver également par la terrasse et par la grande salle du Conseil municipal. » Environ vers trois heures du matin, le sieur Benoît Petit, sergent au 1er bataillon de la Meuse et de planton à la mairie, se promenant dans la cour avec un officier municipal, entendit une détonation d'armes à feu. Comme aucun autre appartement n’était éclairé, ils montèrent chez M. de Beaurepaire, et comme nul ne répondit à l'invitation d'ouvrir, le municipal prit sur lui de faire enfoncer la porte. C’est alors qu'ils trouvèrent le cadavre de M. de Beaurepaire gisant à terre et la chambre remplie de fumée de poudre. On fit mettre à la porte de la chambre deux soldats et un caporal tirés du corps de garde de la mairie, fourni ce jour-là par les volontaires d’Eure-et-Loir, et 1l leur fut interdit de laisser entrer personne avant l’arrivée des magistrats. » Louis Perrin, juge de paix du canton de la ville Le MEN basse de Verdun, accourant aussitôt à la requête de M. Pichon, le commissaire des guerres, rédigea un procès-verbal de l'événement qui mettait toute la ville en émoi pour ne pas dire en révolution. » M. de Beaurepaire fut trouvé vêtu d’un habit de garde national, d’une veste de basin blanc, culotte de peau et botté; il portait la croix de St-Louis sur la poi- trine et l’épée au côté; deux pistolets étaient à côté de lui. » Le juge de paix, qui était assisté de deux officiers municipaux, MM. Collard et Cauyetie, trouva sur lui un portefeuille contenant deux assignats de 90 livres, trois billets de confiance de 5 sous et un billet de con- fiance de 10 sous, des papiers de famille qui furent trans- mis au juge de paix du canton de la ville haute pour être remis à Mme de Baurepaire et quelques papiers concer- nant la place, qui furent envoyés au sieur Leuaux, greffier secrétaire de la place. — Dans une bourse de soie étaient neuf assignats de 5 livres ployés ensemble, deux doubles louis d’or et 98 livres 5 sous en argent blanc; plus dans la poche du gilet une montre à boîte d’oretune clef; toutes choses qui furent également remises à Mme de Beaure- paire. » M. Charles l’Espine, maître en chirurgie, do- micilié à Verdun, après avoir visité et examiné ledit corps, nous a dit et rapporté qu’il avait trouvé le menton, les deux mâchoires tant supérieure qu’infé- rieure, la moitié du front, tout le côté droit de la tête, enlevés ; le crâne ouvert et la moitié de la tête em- portée, dont on a trouvé plusieurs morceaux de chair et d’os épars en la chambre ; que cette mort a été oc- casionnée par deux coups de pistolets que l’on a trouvés pe déchargés à côté de lui. — Qu’ilin’y a pas de doute que ce ne soit ledit sieur de Beaurepaire qui se soit donné la mort, ayant trouvé une quantité prodigieuse de sang répandu à côté de lui, qui a jailli jusqu’au plafond et aprés la boiserie de la dite chambre et sur le matelas qui s’y trouve. k » Les témoins qui signèrent avec MM. Perrin, Collard et Cauyette furent : Petit, sergent au 1er bataillon de la Meuse; Bohef, sergent à la 6e compagnie de l’Allier; Gillet, sergent à la 3e d’Eure-et-Loir ; Dupoux, volon- taire à la re de l'Allier; Langlois, caporal à la {re de Seine-et-Marne, tous de planton à l’Hôtel-de-Ville, et qui déclarèrent que personne n'avait paru ni remué dans la maison commune depuis huit heures du soir, moment de la rentrée de M. de Beaurepaire, jusqu’à l'instant où le bruit du coup de pistolet était parvenu à leurs oreilles. » Ainsi que je l'ai dit, ce procès-verbal, revêtu de toutes les formalités légales, est déposé en original aux Archives de la guerre à Berlin; il en existe une copie aux manuscrits du Dépôt de la guerre à Paris, et ce- pendant il n’a été mentionné par personne. Il aurait dû trancher la question qui nous occupe; mais il est rédigé de telle façon, qu’il ne peut fourmir le moindre argument tant soit peu concluant pour démontrer qu’il y à eu suicide. En médecine légale, on ne doit jamais dire qu’un fait est certain, si cette certitude n’est pas démontrée par des preuves irrécusables, et on ne trouve aucune de ces preuves dans les documents que je viens de citer. M. le juge de paix Perrin donne les détails les plus = précis sur les habits du commandant, sur l’argent et les billets qu’il avait dans ses poches; mais il ne dit pas un mot de la position du cadavre, etil ne dit rien non plus de la position exacte des pistolets. Ils étaient à côté de lui; mais l’un était-il à droite, l’autre à gauche du cadavre, ou étaient -ils tous les deux du même côté, ainsi que le procès-verbal pourrait le faire croire ? Avaient-ils récemment fait feu tous les deux ou un seul avait-il été tiré? Toutes ces indications étaient indis- pensables et on n’en dit pas un mot. Dans le procès-verbal de M. Charles Pl Espine, maitre en chirurgie, non seulement il y a aussi des omissions qu’il n’est jamais permis de faire en pareil cas, mais on trouve à la fin une affirmation aussi témé- raire qu'injustifiable. « Il n’y a pas de doute, dit le » médecin expert, que ce ne soit le sieur Beaurepaire » qui se soit donné la mort, ayant trouvé une quantité » prodigieuse de sang répandu autour de lui, qui à » jailli jusqu’au plafond, après la boiserie de ladite » chambre, et sur le matelas qui $ y trouve. » Pendant plus de dix ans, j'ai été chargé de la péni- ble mission de constater les morts violentes qui avaient eu lieu dans l’arrondissement d'Angers, de rechercher si elles étaient le résultat d’un acte volontaire, d’un crime ou d’un accident, et Jamais je n'aurais osé émettre même un soupçon, si je n’avais eu pour le justifier que des faits aussi peu probants que ceux présentés à l’ap- pui de son affirmation par M. le chirurgien de Verdun. Un de ces faits cependant aurait pu démontrer le sui- cide, si on l’avait constaté dans toutes ses particula- rités au lieu de l’imdiquer par un seul mot: c’est la er. ve présence du sang au plafond, où il avait jaïlli, pré- tend-on. S'il y avait réellement des taches au pla- fond, il eût d’abord fallu démontrer que ces taches étaient bien des taches de sang. Il est impossible d’ad- mettre que le sang ait jailli jusqu’au plafond, ainsi qu’on le dit; il n’aurait pu y être porté que par le pro- jectile, et c’est le passage, la direction de ce projectile qu’il aurait fallu surtout indiquer. Si, en effet, on avait trouvé près de ces taches, directement au-dessus de la tête du cadavre, la trace d’une ou plusieurs balles, le suicide était plus que probable; je pourrais citer à l'appui de mon opinion plusieurs faits que j'ai observés et qui sont aussi démonstratifs que possible. En ometiant ces diverses et nécessaires indications, M. le juge de paix et surtout M. l’Espine ont enlevé à leurs procès-verbaux toute espèce de valeur médico- légale. M. le chirurgien a eu de plus le grand tort de déclarer vrai un fait très grave, alors qu’il ne ba- sait cette assertion que sur des allégations qui ne prouvent nullement qu’il y a eu suicide. Même avec les documents si précieux que nous a fait connaître M. le lieutenant Mérat, il est donc impos- sible de trouver jusqu’à ce jour une seule preuve physique qui permette d'affirmer que M. de Beaurepaire s’est suicidé. Nous ne pouvons donc obtenir qu’une conviction morale basée .sur l'interprétation tout à fait hypothétique des faits constatés. Voici l'explication don- née par M. Mérat : « Rentré chez lui, seul, livré à ses pensées, au mi- lieu de la nuit, il se sentit effrayé de la responsabilité qui allait peser sur lui; il n’osa pts lutter contre le ADP = sort fatal qui lui avait fait écheoir le commandement d’une place abandonnée, peut-être même livrée à l’en- nemi avant qu’elle füt attaquée ; il vit que le conseil défensif voulait la capitulation... Sa tête se perdit, son exaltation l’égara; il se comprit déshonoré, traîné à l’échafaud, et le désespoir s’emparant de son âme, il résolut de prouver que s’il ne pouvait pas vaincre, tout au moins il savait mourir. Ce qui me porterait surtout à croire cela, continue M. Mérat, c’est cette lettre qui nous est restée de l'écriture, dit-on, de Beaurepaire, mais sans signature, et sur laquelle, à coup sûr, il médita longtemps avant d’en finir avec l'existence : « Du 1er septembre 1792, à trois heures du soir. » Le commandant de la place aura l’honneur de faire parvenir demain à M. le duc de Brunswick, avant l'expiration des vingt-quatre heures, sa réponse défini- tive aux conditions qui lui sont proposées ; mais il a l'honneur d’observer que deux corps de troupes de la garnison sont entrés avec chacun deux pièces de cam- pagne faisant partie de leur armement, et qu’ils espé- rent qu’on voudra bien les leur accorder comme une des conditions intégrantes de la capitulation proposée. , » Le commandant militaire de Verdun. » Cette version est certainement acceptable, et il est possible que les faits se soient passés ainsi. Tout autour du commandant était trahison et mort. S'il acceptait la capitulation avant un assaut, il lui fallait fuir la France SOC. D’AG. 4 Eee ou livrer sa tête au hideux couperet de la guillotine (1); s’il persistait à ne pas vouloir la signer malgré l’avis des corps administratif et judiciaire, malgré les démons- trations énergiques de la population et de la garde nationale, il s’exposait aussi à la mort dont le mena- çait l’émeute, et on conçoit que, dans une position semblable, une espèce de désespoir fasse accepter par un homme faible de caractère ou surexcité par les pas- sions politiques, les résolutions les plus extrêmes. Mais tel n’était pas M. de Beaurepaire Celles de ses lettres qui ont été publiées donnent à penser qu’il tra- versait avec un très grand calme les événements extraor- dinaires au milieu desquels il se trouvait lancé. Né le 7 janvier 1740, il avait plus de cinquante-deux ans au moment de sa mort. Entré au service comme soldat en 1760, il était, en 1768, officier et porte-étendard dans le magnifique régiment des Carabiniers de Mon- sIEUR, et en 1789 capitaine et chevalier de Saint-Louis. Dans ces conditions, avec de tels états de service, un militaire se préoccupe fort peu de ressembler à Caton ou à Brutus, mais il est inflexible sur le devoir, et il sait que l’honneur du soldat est avant tout de défendre, tant qu’il a un souffle de vie, le poste que la patrie lui a confié. M. de Beaurepaire le savait mieux que per- sonne, et il était décidé, j’en suis convaincu, à mourir (1) L'article 4er du décret du 25 juillet 1792 est ainsi conçu : « Tout commandant de place forte, revêtue ou bastionnée, qui la » rendra avant qu’il n’y ait brèche accessible et praticable au corps » de ladite place, qu’il n’ait soutenu au moins un assaut, dans le cas » seulement où il y aurait un retranchement intérieur, fait à l'avance » ou pendant le siége, sera puni de mort. » S SRE — l'épée haute et le commandement à la bouche, lors- qu'après avoir parcouru tous les postes, il rentra dans sa chambre et y trouva la mort. Si les contradictions qui ont existé dans les détails donnés dès les premiers temps à la tribune nationale; si les incertitudes maintes fois signalées dans les récits de nos compatriotes, anciens volontaires du 1er ba- taillon ; si l'absence, dans les procès-verbaux officiels du juge de paix et du médecin, des renseignements les plus nécessaires sur la position du cadavre et des pisto- lets, l’état des pistolets, le trajet et la direction du ou des projectiles (car il est impossible de dire si un seul coup de pistolet a été tiré ou s’il y en a eu deux); si l’ensemble de toutes ces circonstances doit faire regar- der comme très douteux le suicide de M. de Beaure- paire, il a de plus pour conséquence immédiate, forcée, de faire penser que si le commandant ne s’est pas donné la mort, il l’a reçue d’une main étrangère; et c’est ici le cas de parler d’un document presqu’aussi intéressant et tout aussi peu connu que le travail de M. Mérat. En 1836, le roi Louis-Philippe demanda au général Lemoine, qui avait assisté au siége de Verdun comme commandant en second du bataillon de Maine et Loire, de rédiger ses souvenirs sur ce sujet. Le général en- voya un mémoire qui fut ensuite, par les ordres du roi, porté aux manuscrits du Dépôt de la guerre. Nous y trouvons une nouvelle explication de la mort de M. de Beaurepaire ; la voici : « Le lendemain 2 septembre, à 5 heures du matin, dit le général Lemoine, lorsque le pont-levis, de la cita- Per delle fut baissé, on vint me prévenir que le commandant Beaurepaire s'était brûlé la cervelle dans sa chambre à coucher. Je courus à la maison de ville où je trouvai le corps du commandant sans vie, norriblement mutilé et baigné dans son sang par l'effet d’un de ses pistolets qui se trouva déchargé et qui parut avoir été tiré du côté de la face, ce qui lui enleva une partie de la tête. J'interrogeai le secrétaire, le domestique qui était à sa porte au moment de la détonation du pistolet; ce der- nier me déclara aŸoir entendu marcher sur la terrasse et ouvrir la porte de la chambre où reposait le com- mandant, et après la détonation, il entendit encore fermer cette même porte et marcher sur la terrasse avec précipitation et se dirigeant vers l’appartement où étaient en permanence les membres de la municipalité. » Cet appartement avait également une porte par laquelle on communiquait sur cette térrasse, et par conséquent avec l'appartement du commandant Beaure- paire. Nous fimes aussitôt des recherches dans ses papiers pour nous assurer s’il avait laissé quelques notes pour sa famille, pour moi ou pour quelqu’autre personne. Mais nous ne trouvâmes rien, absolument rien qui pût faire penser qu'il s'était préparé à cette catastrophe. Aussi je déclare hautement que je m’ai Jamais pu ployer ma raison jusqu’à croire que cette mort füt l'effet d’un suicide. » Tout dans ce récit me semble l’expression de la vé- rilé, de la part de l’homme qui mieux que personne devait connaître les plus intimes pensées de son com- mandant. M. de Beaurepaire, je le crois comme le géné- ral Lemoine, aimait trop tendrement sa femme et son 2e fils, qui l’avaient suivi dans sa périlleuse campagne, pour ne pas leur écrire quelques mots d'adieu avant de se donner la mort; il était trop bon militaire pour ne pas transmettre avant de mourir, à celui qui devait immédiatement le remplacer à la tête du bataillon, ses dernières volontés, ses dernières instructions, ses ordres suprêmes. J’admets donc de tous points l'explication donnée par le général Lemoine, et je crois d’autant mieux que cette opinion est la véritable qu’elle a été formellement émise et énergiquement soutenue par M. Gosselin, colonel du génie, dans un écrit que je n’ai malheureusement pas pu me procurer, mais dont on m’a fait connaître le sens et l’esprit. Après avoir ques- tionné souvent à Verdun les hommes qui par leur âge, par leur position, étaient le mieux en mesure de con- naître la vérité; aprés avoir causé avec eux de la ma- nière la plus intime, le colonel, qui est lui-même de Verdun, est persuadé qu’à l’issue de la séance du conseil de défense, à sept heures du soir, plusieurs officiers municipaux étaient restés à la: maison com- mune, ce que constate le procès-verbal de M. le juge de paix. On attendait avec anxiété la réponse que de- vait donner M. de Beaurepaire, et vers la fin de la nuit, comme tout devait faire croire que le commandant persisterail dans sa résolution de ne pas capituler, un personnage inconnu, porteur de la lettre au duc de Brunswick qu’on a trouvée non signée auprès du cadavre, a pénétré dans la chambre du commandant par la ter- rasse, lui a demandé s’il voulait signer, et sur son refus a fait feu, puis s’est retiré précipitamment par la même terrasse. L'explosion est entendue du sergent et de ; — 54 — l'officier municipal qui se promenaient dans la cour; ils heurtent chez le commandant, enfoncent la porte, et placent des factionnaires avéc consigne de ne lais- ser entrer personne. M. le juge de paix Perrin, M. le maître en chirurgie l’Espine, rédigent leur procès- verbal, et à cinq heures, lorsque le pont-levis est baissé, les volontaires du 4er bataillon, qui tous avaient passé la nuit dans la citadelle, apprennent que leur commandant est mort et qu’on a constaté qu’il s'était suicidé. Au même instant le conseil de défense se réunit de nouveau, accepte la capitulation avec des expres- sions presqu’identiques à celles de la lettre trouvée près de M. de Beaurepaire, et avant midi, Marceau, comme le plus jeune officier supérieur de la place, la remet- tait au roi de Prusse. Telle est, je n’en doute pas, la vérité sur la mort du commandant du {er bataillon de Maine et Loire, et sur la reddition de Verdun. Si cette vérité a été si longtemps méconnue, c’est qu’elle a été tout d’abord couverte d’un voile épais par des gens intéressés à le faire, qui ont présenté à sa place, comme un acte d’héroïsme , ce qui n’était réellement qu’un prudent et adroit mensonge. On ne se vante jamais d’avoir tué un homme par surprise, même quand, en se portant à cetle extrémité, on a pour but d’épargner à une ville les horreurs d’un bombardement et d’un assaut; on tâche au contraire, par tous les moyens possibles, de rejeler bien loin de soi la terrible responsabilité d’un tel acte. C’est ce qu’ont fait ceux qui, comme je le suppose, ont tué M. de Beaurepaire. Ils ont immédia- tement déclaré que le commandant s'était suicidé ; ils et l'ont fait constater avec toutes les formalités légales, et ils ont ainsi échappé à toute crainte d'enquête posté- rieure, d'instruction judiciaire, de représailles. En relisant même avec attention le post-scriptum qui ter- mine le procès-verbal, on se demande si en constatant que personne n’avait paru ni remué dans la maison commune depuis huit heures du soir, moment de la rentrée de M. de Beaurepaire, jusqu’à l'instant où on a entendu le coup de pistolet, on n’a pas voulu, dés le premier moment, détruire autant que possible un fait qui mieux qu'aucun autre pouvail conduire à la décou- verte de la vérité. De son côté, le gouvernement d’alors trouva dans le suicide de M. de Beaurepaire, un puissant moyen d’ac- tion sur les masses armées qu’il précipitait au-devant de la coalition qui envahissait la France. « Beaurepaire, disait M. Delaunay, n’est pas mort en homme faible et désespéré ; son trépas n’a été que le refus de revoir la lumière après qu’elle a éclairé des trahisons el des perfidies ; il a jugé que sa mort nous serait plus utile que sa vie, qu’il fallait que cette grande et terrible leçon encourageàt les timides, raffermit les chancelants ; qu’elle devint le premier supplice des cœurs lâches qui ont abjuré la liberté, et qu’enfin elle apprît aux satellites de la Prusse et de l’Autriche, qu’on n’asservit point un pays tant qu’il existe des hommes qui n’ont pas vaine- ment juré de vivre libres ou mourir. » Beaurepaire fut le héros populaire; on joua sur plusieurs théâtres des pièces qui finissaient, aux grands applaudissements de la foule, par le suicide et l’apothéose du commandant angevin, et dans presque toutes les villes, on donna à SEE l’une des rues les plus fréquentées le nom du chef de notre premier bataillon. Il était donc du plus haut intérêt pour un certain nombre d'habitants de Verdun de faire croire au suicide de M. de Beaurepaire, et personne n’avait intérêt à prouver le contraire; il était utile au gouvernement d’assimiler cette mort volontaire aux actes les plus fameux dans l’histoire de la vieille Rome et de la vieille Grèce, pour surexciter dans la nation un enthousiasme qui lui était plus que jamais nécessaire : un seul indi- vidu devait en souffrir si ce n’est dans sa personne, au moins dans le respecl qu’on devait à sa mémoire, et cet individu était M. de Beaurepaire lui-même. Tout l'enthousiasme dont je parlais tout à l'heure ne dura pas longtemps, car dans son fameux rapport, le repré- sentant Cavaignac prononçait, cinq mois aprés la prise de Verdun, cette phrase sévère : « Je ne ferai aucune réflexion sur la mort de Beaurepaire, je laisse à l’his- toire le soin d'apprécier une action qui lui a mérité les honneurs de l’apothéose. Je me contenterai d'observer qu’il est à regretter que cet officier, au lieu de se donner la mort, ne l’ait pas reçue de la main d’un ennemi sur la brèche ou dans la citadelle : c’est là que son sang pouvait couler utilement pour la patrie. » Quel démenti donné aux phrases ampoulées du rapport du mois de septembre !.….… Bien souvent, pendant cinquante ans, la mort de M. de Beaurepaire a été jugée comme elle l'avait été . en pleine Convention ; bien souvent elle a été stigma- tisée, d’une manière plus cruelle encore, au nom de la morale et de la religion, mais jamais dans une cir- LAN 7 PRE constance plus grave qu’en 1849, à Angers même, dans le sein du Conseil municipal, où l’on agitait la question de savoir si une statue serait élevée au commandant du 4er bataillon. Un militaire aussi brave que distingué, officier supérieur comme M. de Beaurepaire, comme lui chevalier de Saint-Louis (1), déclara formellement qu'il voterait contre un semblable projet: « Je ne consentirai jamais, dit-il, à honorer la mémoire d’un officier qui, chargé d’un commandement, aurait aban- donné son poste, et se brûler la cervelle quand on est en face l’ennemi, c’est la plus honteuse manière de déserter. » | Eh bien ! c’est pour détourner de M. de Beaurepaire une pareil note d’infamie, c’est pour augmenter et rendre plus irréprochable aux yeux de tous le prestige qui entoure encore aujourd’hui son nom; c’est par respect pour la mémoire de son fils qui m’honora souvent du titre d'ami; c’est par affection pour plu- sieurs de ses parents qui jouissent dans notre ville d’une haute et juste considération, que je voudrais porter dans tous les esprits la conviction qui s’est for- mée dans le mien, et faire admettre, contrairement à ce qui a été dit et écrit Jusqu'à ce jour, les conclusions suivantes : M. de Beaurepaire ne s’est point volontairement donné la mort à Verdun, dans la nuit du 4er septem- bre 1799 ; Décidé à rejeter une capitulation qu’il ne pouvait, sans se déshonorer, accepter dans les conditions où on (4) M. La Tour, commandant du génie. LR la lui présentait , il a été tué par ceux qui voulaient éviter à la ville les horreurs d’un bombardement et d’un assaut ; M. de Beaurepaire est mort à son poste; il l’a dé- fendu jusqu’à son dernier soupir, comme doit le faire tout brave et loyal officier. Si ces vérités avaient été reconnues et proclamées en temps opportun, les monuments votés pour immor- taliser le commandant du 1% bataillon de Maine et Loire, ne seraient pas restés jusqu’à ce jour de vains et stériles projets. RAPPORT SUR LE MÉMOIRE DE M. ADOLPHE LACHÈSE intitulé : ORSERVATIONS MÉDICO-LÉGALES SUR LA MORT DE M. DE BEAUREPAIRE Commandant du premier bataillon des volontaires de Maine et Loire (1), PAR M. A. LEMARCHAND. La mort de Beaurepaire est un de ces épisodes tra- giques qui ont le privilége de frapper tous les esprits. Mais cet événement doit nous inspirer un intérêt tout spécial, puisque le héros du drame était le chef d’un bataillon composé de volontaires angevins. Beaurepaire s'est-il donné la mort pour échapper à la honte d’une capitulation? Ou bien a-t-il été vic- time d’un assassinat, et peut-on dégager sa mémoire d’une popularité fausse et flétrissante? Telle est la question que M. Adolphe Lachèse s’est proposé d’exa- (4) Ce rapport a été présenté au nom d’une Commission composée de MM. Coutret, Farge et Lemarchand. miner dans le travail dont vous avez entendu la lec- ture.‘ Il s’est entouré de nombreux documents; il a recueilli de graves témoignages, soumis les assertions déclamatoires et passionnées au contrôle d’une raison sévère, et, tout bien pesé, il croit pouvoir affirmer, contrairement à l’opinion commune, que Beaurepaire ne s’est pas rendu coupable d’un suicide. Résumons les faits : Le 31 août 1799, les Prussiens et les émigrés, sous les ordres du duc de Brunswick, investissent Verdun et somment les habitants de livrer la place. Le Conseil de défense, formé, suivant les lois de l’époque, de tous les chefs de corps de la garnison, du commandant de la garde nationale et des membres du corps administratif, s’assemble à la maison de ville, et, après une longue délibération, il est décidé qu’on soutiendra le siége. Beaurepaire envoie au duc de Brunswick la réponse suivante, dictée à neuf heures du matin : « Le commandant et les troupes de la garnison de » Verdun ont l'honneur de faire observer à M. de » Brunswick que la défense de la place leur a été con- » fiée par le roi des Français, de la loyauté duquel » ils ne sauraient douter. En conséquence ils ne peu- » vent, sans manquer au roi, à la nation et aux lois, » livrer la ville, tant qu’il leur restera des moyens de » défense. Ils espèrent être assez heureux pour méri- » ter par là l’estime de l’illustre guerrier qu'ils ont » l'honneur de combattre. » Le soir du même jour (à six heures, suivant les uns, onze heures, suivant les autres) le bombardement Q- — 61 — commence. Îl est interrompu le 4er septembre, à une heure du matin; mais il reprend à trois heures et se prolonge jusqu’à huit. Verdun n’avait qu’une faible garnison et ses fortifi- cations étaient en mauvais étal. Le Conseil se réunit de nouveau et se déclare en permanence. Les ingénieurs, consultés, donnent des détails peu rassurants, et des murmures éclatent dans la ville. Quatre maisons sont réduites en cendres, et quatre-vingts menacent de s’écrouler. Les Prussiens envoient une nouvelle sommation. Le péril est extrême. Cependant le Conseil hésite encore à rendre la place, et demande une trève de vingt-quatre heures, qui lui est accordée. Il faut citer ici une pièce fort importante dont le texte a été reproduit par deux historiens du siége de Verdun, MM. François Grille et Paul Mérat. C’est une lettre adressée à Brunswick et ainsi conçue x « Du 1er septembre 1792, à 3 heures du soir. » Le commandant de la place aura l'honneur de » faire parvenir demain à M. le duc de Brunswick, » avant l’expiration des 24 heures, la réponse défini- » tive aux conditions qui lui sont proposées; mais il » a l’honneur de faire observer que deux des corps de » troupes de la garnison sont entrés à Verdun, chacun » avec deux pièces de campagne faisant partie de leur » armement, et qu'ils espèrent qu’on voudra bien les » leur accorder, comme une des conditions intégrantes » de la capitulation. » Le commandant militaire de Verdun. » DR |: QE Cette lettre, sans signature, aurait été, suivant M. Grille, portée au camp prussien, à l’insu du com- mandant des volontaires de Maine et Loire, et ne serait qu'une œuvre frauduleuse. M. Mérat est d’un autre avis. La pièce, suivant lui, ne fut pas envoyée. On la trouve encore aujourd’hui aux archives du Dépôt de la guerre, et elle est, dit-on, de la main même de Beaurepaire. Il serait important de vérifier l'exactitude de cette dernière assertion; car si elle est vraie, le caractère donné Jusqu'ici au commandant de Verdun se modifie singulièrement, et, à la place du stoïcisme antique qu’on à tant applaudi, on ne voit plus qu’in- certitude et perplexité. Quoi qu’il en soit, dès que la suspension d'armes fut obtenue, le Conseil se fit de nouveau rendre compte des ressources de la place. L’ingénieur Bousmard af- firme que la défense des remparts est impossible ; le commandant de l’artillerie, Verely, atteste que la plu- part de ses pièces sont démontées; et le commissaire des guerres, Pichon, déclare que les approvisionne- ments sont aux trois quarts épuisés. En présence de celte situation, vingt-trois membres des corps adminis- iratif et judiciaire éerivent au Conseil pour demander que la ville capitule. Pendant toute la journée du 1er septembre, on déli- bère, on discute ; mais aucune décision n’est prise, et il est fort difficile de savoir quelles sont les paroles prononcées par Beaurepaire, dans ces longs et orageux débats, tant les narrateurs ont ici mêlé le roman à l’histoire. A sept heures du soir, la séance est levée, et tous SIGN les officiers qui faisaient partie du Conseil retournent à leurs postes. Bcaurepaire, accompagné de deux officiers, va visi- ter les remparts. Vers le milieu de la nuit, il rentre à la Maison de ville, et s’enferme dans la chambre qu'il s’y était ré- servée depuis qu’on lui avait confié la défense de Ver- dun. On pouvait, dit M. Mérat, arriver dans cette chambre de deux côtés : par une terrasse et par la salle des délibérations du Conseil. Que fait alors Beaurepaire? Se jette-t-il sur son lit et s’y endort-il ? Ou bien réfléchit-il sur les événements de la journée, et pèse-t-il toutes les graves responsa- bilités de son commandement? (C’est le secret de sa tombe. Tout-à-coup, une détonation retentit. Un sergent du premier bataillon de la Meuse et un officier municipal, tous les deux de garde en ce moment, se promenaient dans la cour de la mairie, Ils s’élancent vers la cham- bre du commandant, qui était encore éclairée et d’où le bruit leur avait semblé venir : Beaurepaire gisait sur le sol, la tête fracassée. Quelques instants après, un juge de paix, Louis Perrin, accompagné de deux officiers municipaux et d’un maître en chirurgie, Charles l’Espine, arrive à la maison de ville et dresse procès-verbal. La nouvelle de l'événement se répand avec rapidité dans la ville, et produit une vive émotion parmi les volontaires de Maine et Loire. Cependant, dès cinq heures du matin, les membres du Conseil se rassemblent à la mairie, investissent du My), a commandement de Verdun M. de Neyon, lieutenant- colonel du %%e bataillon des volontaires de la Meuse, puis décident qu’il y a lieu de rendre la place. Dans la soirée du 2 septembre, la capitnlation est signée, et le lendemain, les troupes françaises sortent de Verdun par la porte de France, avec armes et bagages. Tels sont les faits incontestés. Rappelons mainte- nant les opinions qui ont été émises sur la mort de Beaurepaire. La première est celle de Charles l’Espine. D’après ce maître en chirurgie, qui verbalise d’une façon très laconique, il n’est pas douteux que le commandant des volontaires angevins ne se soit tué lui-même à l’aide de deux pistolets de on a trouvés déchargés près du cadavre. Vient ensuite la déclaration du représentant Laporte, qui, le 6 septembre 1792, annonce à l’Assemblée législative que Beaurepaire, n’ayant pu déterminer le Conseil de défense de Verdun à repousser les proposi- tions de Brunswick, s’est brûlé la cervelle. Le 12 septembre, dans une séance de la même Assemblée, M. Delaunay aîné, l’un des représentants de l’Anjou, reproduit la même assertion, mais avec amplification oratoire, afin d’obtenir pour le chef de ses concitoyens les honneurs du Panthéon. « Beaure- » paire, dit-il, s’est donné la mort en présence des » fonctionnaires publics, lâches et parjures, qui ont » livré le poste confié à son courage. » En 1793, le représentant Cavaignac est chargé de faire une enquête sur la reddition de Verdun, et le 9 février, il lit à la Convention un rapport dont on connaît les implacables conclusions. Cavaignac croit aussi au suicide, mais à un suièide accompli dans la solitude, sous l’empire d’un sentiment qu’il juge avec sévérité, non au suicide théâtral raconté par Delaunay. Enfin, en 1836, le général Lemoine, dans un mé- moire rédigé sur la demande du roi Louis-Phi- lippe, se prononce énergiquement contre l'opinion précédente. Lemoine avait fait partie du bataillon des volontaires de Maine et Loire, et assisté au siége de Verdun, en qualité de commandant en second. Il a in- terrogé, assure t-il, le soldat qui était de faction à la porte de Beaurepaire, à l'heure de l’événement, et cette sentinelle lui a déclaré qu’elle avait entendu un bruit de pas, avant et après la détonation, sur la terrasse dont nous avons parlé. Lemoine en conclut qu’il y a eu assassinat, et ce qui l’affermit dans sa conviction, c’est qu’on n’a trouvé près du commandant aucune recom— mandation adressée soit à sa famille soit à l’un de ses compagnons d'armes. M. Adolphe Lachèse adopte complétement les expli- cations données par le général Lemoine, et invoque, à l'appui du mémoire de 1836, un travail de M. Gosse- lin, colonel du génie, écrit dans le même sens. Mais notre collègue, qui a l'honneur d’appartenir au corps médical, s'attache surtout à faire remarquer tout ce qu’il y a de vague, d’incomplet, de peu concluant dans le procès-verbal du chirurgien Charles l’Espine. C’est là, dit-il, la pièce importante à consulter, celle qui de- vrait fournir les renseignements les plus précis. Or, toutes les conditions prescrites par la médecine légale SOC. D’AG. b) — 66 — y sont tellement méconnues, qu’elle ne saurait avoir la moindre autorité devant aucun tribunal, M. Lachèse souhaite donc vivement que la mémoire de Beaurepaire soit réhabilitée, et que l’histoire cesse de lui attribuer une action sur laquelle un gouvernement en lutte contre toutes les lois morales et religieuses a pu tenter d’ap- peler l'admiration de la postérité, mais qui sera tou- jours incompatible avec les principes sacrés et les no- bles traditions de l'honneur chrétien. On ne peut nier, messieurs, que les conclusions de M. Lachèse ne soient appuyées sur des inductions fortes et nombreuses, et nous nous plaisons à rendre hom- mage aux sentiments élevés qui l'ont guidé dans son travail. Cependant, il faut l'avouer, ses arguments n'ont pas produit la certitude dans l'esprit des membres de votre Commission. Sans doute, le procès-verbal fdu chirurgien de Ver- dun est fort imparfait. Mais il a été rédigé dans une ville assiégée , pleine de tumulte, et, pour ainsi dire, sous le feu de l’armée prussienne. Ce ne sont pas les conditions ordinaires des enquêtes médico-légales, et il y a lieu de se montrer indulgent envers M. Charles l’Espine. D'ailleurs, de ce qu’un rapport est incomplet, insuffisant, il ne s’en suit pas qu’il soit erroné ou men- songer, et pour contester le suicide de Beaurepaire, 1l ne faut rien moins qu’accuser d’ineptie l’auteur du pro- cès-verbal, ou, ce qui est plus grave encore, s'inscrire en faux contre les principaux détails de cet acte. D’un autre côlé, si le mémoire du général Lemoine est clair et circonstancié, il existe une pièce de la même main qui le contredit formellement. C’est une lettre 259 datée du 40 septembre 1792, c’est-à-dire écrite huit jours aprés la reddition de Verdun, et adressée aux administrateurs de Maine et Loire. On y trouve les lignes suivantes : … « M. de Beaurepaire se retira dans » sa chambre pour réfléchir au parti qu'il avait à » prendre, et c’est après avoir jugé qu’il ne pouvait » plus rien, que ses efforts allaient devenir nuls, qu’il » à terminé une vie qui nous avait toujours été utile » et qui nous serait très précieuse aujourd’hui. » Ilya loin de là, on le voit, au récit de 1836. Cette lettre est citée dans le recueil de documents publié en 1850 par M. Grille, pour servir à l’histoire du 1er bataillon des volontaires de Maine et Loire. M. Grille, il est vrai, ne dit pas où il l’a empruntée; mais rien ne prouve qu’elle ne soit pas authentique. Du reste, il est un autre fait qui est de nature à inspirer une certaine défiance à l'endroit des assertions du général Lemoine : nous voulons parler du démenti catégorique, donné par M. de Joinville, capitaine d'état-major et auteur d’une relation de la campagne de 1792, au passage du mémoire de 1836, dans lequel Lemoine se vante d’avoir défendu jusqu’au 4 septembre la citadelle de Verdun (1). M. Lachèse nous a signalé encore une phrase d’un discours prononcé à la Convention nationale, le 28 oc- tobre 1792, par le capitaine Delaage, l’un des volon- taires de Maine et Loire: « Beaurepaire n’est plus! » s’écrie l’orateur ; il n’est plus, citoyens, et ses assassins » vivent encore ! » Ainsi détachée, cette phrase semble (4) Verdun en 1792, par M. Paul Mérat, page 64. me, très probante et directement accusatrice. Mais on ne lui trouve plus le même caractère, quand on lit le dis- cours en enlier, ou, tout au moins, le sens en devient très équivoque. Le style du capitaine Delaage ressemble beaucoup à celui du citoyen Delaunay, et il est permis de croire que le mot assassins est employé en manière d’hyperbole pour désigner les membres du Conseil, dont la faiblesse ou la lâcheté aurait conduit Beaure- paire à se donner la mort. Le doute ! Voilà, Messieurs, tout ce que nous avons recueilli, après une longue exploration à travers les documents de la cause. C’est un fruit de saveur mé- diocre, pour qui n’a pas le palais accommodant de Mon- taigne; mais il serait imprudent peut-être de ne pas s’en tenir aujourd’hui à cet aliment inoffensif. Est-ce à dire que nous apprécions mal les laborieuses recher- ches de notre cher et savant collègue ? Non, Messieurs. Son œuvre, après tout, peut recevoir demain une consé- cration qui dissipe nos incertitudes, et votre Commission vous propose de lui donner place au meilleur endroit de vos annales. CONCOURS POUR LE PRIX DE 1860. La Société a décidé que le prix à décerner par elle, sous les auspices du Conseil général du départemênt, serait affecté, pour l’année 1860, à une question con- cernant l’agriculture. Le sujet mis au concours est ce- lui-ci : Ÿ Ÿ LA 2 « Etudier le drainage appliqué aux terres du dépar- tement de Maine et Loire. » Quelles sont celles de ces terres auxquelles il peut être utile ? » Comment doit-il être appliqué ? — Divers modes de drainage : drainage à ciel ouvert ; drainage sou- terrain ; différents syslèmes suivis pour ce dernier genre de drainage. » Pourrait-on réduire les frais qu’entraîne actuelle- ment le drainage ? » Sur tous les points de la question , produire au- tant que possible , à l'appui de la théorie , des ren- seignements recueillis auprès des propriétaires de Maine et Loire qui ont fait des expériences de drai- nage. » Pt, | Le prix, consistant en une médaille d’or , sera dé- cerné au mois d’août. Les mémoires seront reçus jusqu’au 15 juillet inclu- sivement. Ils devront être adressés à M. le conseiller E. Lachèse, secrétaire général de la Société, rue des Lices, 33. . Chaque mémoire aura pour épigraphe une devise, répétée sur la partie extérieure d’un billet cacheté, renfermant le nom de l’auteur. Angers, le 26 janvier 1860. e Le Président, Le Secrétaire général J. SORIN. E. LACHÈSE. r: MÉMOIRES DE LA NOCIÈTÉ INPÉRIALE D'AGRICULTURE SCIENCES ET ARTS D'ANGERS : (ANCIENNE ACADÉMIE D'ANGERS) NOUVELLE PÉRIODE TOME TROISIÈME — DEUXIÈME CAHIER. ANGERS IMPRIMERIE DE COSNIER FAT LACHÈSE Chaussée-Saint-Pierre, 13 1860 SOMMAIRE , Note sur la chaux de falhun, par M. le docteur FARGE. 2. Position des fossiles dans les derniers étages du terrain crétacé des environs de Saumur, par M. COURTILLER jeune. . Quelques mots sur le plain-chant, par M. E. LacHèse. . Epître à M. Bodinier, peintre, par M. A. MAILLARD. . Du droit d’anoblissement et de l’usurpation de la noblesse avant 1789, par M. Th. CRÉPON. . Procès-verbaux des séances: Séance du 18 janvier 1860. Séance du 22 février. Séance du 22 mars. Séance du 25 avril. Séance du 23 mai. NOTE SUR LA CHAUX DE FALHUN. En plaçant, à côté des terrains granitiques de la Vendée, les vastes dépôts calcaires qui bordent les deux rives du Layon, les révolutions géologiques avaient préparé la voie de la révolution agricole qui a trans- formé ce pays, et l’a placé au premier rang des grandes cultures de France (1). La chaux, en effet, rendant au sol argilo-siliceux des granits la plupart des qualités physiques et chi- miques qui lui manquaient, a été le point de départ et la base de cette richesse, de cette fécondité trop bien constatée pour que nous croyions devoir nous y arrêter aujourd’hui. Mais tous les calcaires de l’Anjou ne pré- (1) Voir tous les travaux sur l’agriculture de l’Anjou, de l'Ouest, etc. et notamment celui de M. L. de Lavergne. Bulletins de l’Académie des sciences morales et politiques , 1857. SOC. D’AG. () Ta Nes sentent pas la même composition, et c’est sur un nouvel élément de fécondité contenu dans quelques- uns d’entre eux que nous venons appeler l'attention. De Beaulieu à Chalonnes et au-delà jusqu’à Liré, les calcaires marbres (1) sur lesquels a porté princi- palement l'exploitation, sont remarquables par leur pureté. La proportion énorme de carbonate de chaux (87 à 93 0/0) qu'ils renferment et qui en rend presque la totalité assimilable, leur proximité des pays argi- leux, leur ont assuré pendant longtemps presque le monopole des amendements calcaires. Cependant il existe à l’est, de Gonnord et du Champ jusqu'aux linites de la Touraine, une vaste plaine où le calcaire grossier, connu sous le nom de molasse ou de falhun, offre une source de richesse encore trop timidement exploitée. Une nouvelle extension et des perfectionnements ap- portés par M. Ch. de la Guesnerie à cette exploitation, ont été pour nous l’occasion d’une étude dont nous venons vous présenter les résullats. Un peu moins riche en carbonate de chaux (75 à 77 0/6), un peu plus chargée desilice, la chaux de falhun rachète cette légère infériorité par la présence d’un élément précieux, exceptionnel et contenu dans d’im- portantes proportions, le phosphate de chaux. Les analyses exactes et multipliées dues au talent de M. l'ingénieur Brossard de Corbigny (2), ont démontré, (1) Terrain devonien ou de transition supérieur. (2) Ingénieur des mines, professeur de chimie à l’école d’enseigne- ment supérieur d'Angers. 7 — 73 — dans des échantillons variés pris à des carrières diverses, où puise M. de la Guesnerie, une moyenne de 5 °/, de phosphate calcaire. Nous donnons ici le tableau de ces analyses pour en faire apprécier la rigueur et démon- trer la constance du phosphate (note A). Le phosphate du falhun est dû aux ossements fos- siles de vertébrés rencontrés en proportion notable dans toutes les carrières. Les côtes ou vertèbres de la- mantins, os de halitherium, de métaxitherium, dents de squales, qn’on trouve fréquemment dans cet étage ne sont que du phosphate de chaux presque pur. Des essais de ces substances fossiles faits au laboratoire de l’école des ponts et chaussées, par M. Hervé Mangon, ont donné 63,6 et 66,9 0/, de phosphate pur. Nous joi- gnons également le texte de ces intéressantes analyses (note B). Dire maintenant l'importance d’un amendement phos- phaté en agriculture, serait revenir sur l’un des faits les mieux démontrés de la science, rappeler les succès du noir animal autrefois rejeté comme un gênant re- but, aujourd’hui vendu 15 fr. l’hectolitre, redire l’ac- tion des os recherchés partout, même sur les champs de bataille, par les agronomes anglais. Les coprolites broyées qui enrichissent les Ardennes, doivent encore leurs propriétés et leur prix au phosphate de chaux. « Ces sels sont, en effet, après les sels calcaires, les » éléments les plus abondants des cendres des, plantes » herbacées. Solubles à l’aide de l'acide carbonique, » ils pénètrent dans les plantes, s’y fixent et en ac- » tivent la végétation (1). ». (1) Ch. d’Orbigny , Géologie appliquée à l'agriculture, 2e édition, p. 431. VTT Mais laissons ces généralités qui forment un chapitre important de tous les ouvrages d’agriculture, pour ar- river à quelques applications spéciales à notre pays. Les sels de chaux conviennent en proportions di- verses à presque toutes les plantes de la grande culture, mais il en est qui réclament principalement ce corps à l’état de phosphate. Aprés les travaux de M. Bous- singault, les savantes -recherches de MM. Malaguti et Durocher sur les cendres des plantes éclairent cette question d’un nouveau jour (1). Nous y voyons figurer comme assez riches en acide phosphorique : les cendres des graminées (8 c/o), puis des solanées (9 0/), mais surtout au sommet de la série, comme très riches en acide phosphorique, les cruciféres et principalement les choux et les navets (15 0). Et si nous prenons la partie employée à la nourri- ture de l’homme et des animaux, les proportions d’acide phosphorique augmentent encore : Pomme de terre, tubercules, 41 0); Froment, grains, 47 0/0; Avoine, grains, . 45 °/o (2); Navets, racine, 17 0/0 (3). En choisissant dans ces tableaux les espèces les plus riches en prosphate, il semble, Messieurs, que nous ayons trié tout exprès les plantes spéciales à la grande culture vendéenne. Or cet élément indispensable et qui manque plus complétement que la chaux aux terres de la Vendée, (1) Annales de chimie et physique, t. LIV. (2) Boussingault, Chimie agricole. (3) Malaguti et Durocher. Loc. cit. Co TE leur était exclusivement fourni par les sécrétions ani- males contenues dans le fumier de ferme. Aucun amen- dement ne l'avait incorporé à la terre en proportions notables et permanentes, et telle est l’heureuse modi- fication apportée à l'amendement calcaire par la chaux de falhun. On comprend maintenant le succès des tentatives empiriques qui ont précédé de longtemps ces études : « La chaux de Thouarcé, nous disait un cultivateur, » est souveraine pour les choux , ce qui ne l'empêche » pas d’être très bonne pour le froment. » Quand elle n’aurait que cette supériorité d’être l’a- mendement par excellence des crucifères, la chaux de falhun aurait encore droit à nos encouragements. Donner aux terres de notre Vendée l'aliment des choux, qu’on nous passe cette expression, c’est l’enrichir par son grand côté agricole. Le choux, c’est la base de l’engraissement du bétail, et par le bétail vient l’argent au cultivateur et le fumier à la terre, et par le fumier froment au gremier, dit le proverbe. Mais permettez-nous encore une remarque sur cette utilité des phosphates, elle touche l'hygiène et fera peut- être pardonner au médecin cette excursion agronomique. Puisque les os des animaux sont principalement for- més de phosphates calcaires, il faut que les plantes dont se nourrissent les herbivores contiennent ces sels en pro- portions assez considérables. Il n’est donc pas indiffé- rent pour la santé du cheval, du bœuf, de la vache et de son produit, de l’homme même, car le lait est fortement phosphaté, que l'herbe, le navet, le chou, contiennent plus ou moins de phosphate. La plante du 70 sol phosporé est un aliment plus énergique et plus sain; privée de ce sel, elle expose à l’allanguissement, aux dégénérescences, comme le démontre l'observation suivante: « Un agronome anglais, voyant dégénérer ses » vaches et ses prairies malgré d’abondants fumiers, » résolut de rendre directement à la terre le phosphate » de chaux enlevé chaque année par le pâturage; à » cet effet, il fit répandre sur le sol des os pulvérisés. » En peu de temps, il rétablit ainsi des prairies rui- » nées, et ce qui est mieux encore, il réintégra ses » vaches dans leur état normal (1). » Vous savez si cet exemple a été suivi et avec quels succès ! En présence de cette incontestable valeur de la chaux de falhun, il convient d'indiquer en quelques mots les causes qui en ont retardé l’emploi. Les routes plus nombreuses et depuis longtemps tracées, l’habitude, limitation, et un peu la distance entraînent toujours le cultivateur vendéen vers le littoral de la Loire. Aussi l’industrie de l'Ouest avait-elle pris un vaste es- sor, tandis qu’isolés, difficilement abordables, les fours du bassin Est ne marchaient que timidement sur une plus faible échelle. Aujourd’hui que des routes nouvelles et faciles met- tent Gonnord et Thouarcé aux portes de l’arrondisse- ment de Cholet, le propriétaire généreux et éclairé que nous avons déjà cité, M. Ch. de la Guesnerie, est entré hardiment dans la voie du progrès. Le vaste four d’Orillé est établi d’après les données les plus rationnelles et les plus parfaites reconnues jusqu'ici. (1) Ch. d’Orbigny, Géologie appliquée à l'agriculture, p. 432. NE L'application du système de M. l'ingénieur civil Si- monneau (1), en permettant une grande économie de combustible, assure la rapidité, l’égalité de la cuisson. Une exploitation évidemment moins dangereuse, plus économique et plus régulière, semble donc marquer aujourd'hui une ëre nouvelle pour l’une des plus grandes et des plus bienfaisantes industries du pays. 4er mai 1860. Dr FARGE. Professeur d’histoire naturelle appliquée à l'École supérieure. NOTE A. Ministère des travaux publics. — Mines. — Sous-arrondissement minéralogique d’Angers. Analyse de quatre échantillons des calcaires fournis par M. de la Guesnerie. 4. 2. 3. L. ORILLÉ. |[FAVERAYE.| ORILLÉ. | ORILLÉ Perte par calcination. .| 36,10 | 36,80 | 38,17 | 35,40 Silice et oxide de fer. .| 48,50 | 14,30 | 17,55 | 16,80 Acide phosphorique...| 3,00 | 6,00 | 1,60 | 4,50 42,60 | 41,34 | 42,03 | 42,50 TOTAL: 7 100,20 | 98,44 | 99,35 | 99,20 Banane ga RE 3,80 | 6,40 | 4,30 | 3,50 Silice et oxide de fer..| 48,50 | 14,30 | 17,55 | 16,80 Carbonate de chaux...| 73,13 | 69,40 | 75,27 | 72,64 Phosphate de chaux...| 4,17 8,34 | 92,33 | 6,26 TOTAL... 100,20 | 98,44 | 99,35 | 99,20 (4) Voir le rapport de la Société d'encouragement pour l’industrie nationale, 1856. Lo QUE La silice et l’oxide de fer ont été dosés ensemble, la pro- portion d’oxide de fer n’excède nulle part 1 °/o. Il n’a été trouvé ni magnésie ni acide azotique. Angers , 26 avril 1860. L’ingénieur des mines, H. BRossarp. NOTE B. Ecole impériale des, ponts-et-chaussées. — Laboratoire. (Extrait du registre des essais). Echantillons de calcaires remis par M. Simonneau, au nom de M. de Charbonnier de la Guesnerie, proprié- taire dans les communes de Thouarcé, du Champ, de Gonnord et de Faveraye (Maine et Loire). Numéros À ET 2. Les n° 1 et 2 de cet envoi proviennent, d’après l'étiquette qui les accompagnait, de la carrière de Maisonneuve, commune de Thouarcé. Le premier était un fragment de vertèbre et le se- cond un os de metaxitherium, curieux animal voisin du laman- tin et du dugong. L’analyse de ces échantillons a donné : No1. N°2. Résidu siliceux insol. dans les acides. 0,3 0,2 Alumine et peroxide de fer.......... 13:01 145 Phosphate de chaux................ 63,6 66,9 Carbonate de chaux......... ANNEES 11,8 14,1 Eau et matières non dosées......... - 10,7 1,3 TOTAL. ..... 100,0 100,0 Ces fragments d’os sont de véritables phosphates naturels, il ne faut que les calciner très légèrement ou seulement les réduire en poudre pour les employer en agriculture. Eye en Numéros 3 et 4. Ces deux calcaires sont extraits de la carrière précédente ; l'un appartient à la’ couche supérieure , l’autre à la couche inférieure. No3. No. Résidu insoluble dans les acides. ..... 155229 ,1 Alumine et peroxide de fer.......... 1,0 1,3 Carbonate de chaux.......... nee 87,0 84,2 Carbonate de magnésie............. 0,2 0,2 Eau et matières non dosées.......... 0,1 0,6 TOTANAN SRE 100,0 100,0 La cuisson de ces calcaires donnera des chaux hydrauliques ordinaires ; ces produits ne renferment pas de phosphates en quantités sensibles. Paris, le 4 avril 1860. à H. MANGon. Vu par l'inspecteur de l'école , CAVALIER. POSITION DES FOSSILES DANS LES DERNIERS ÉTAGES DU TERRAIN CRÉTACÉ ENVIRONS DE SAUMUR Des sept étages qui, d’après d’Orbigny, forment l’ensemble des terrains crétacés, les trois derniers seu- lement sont visibles dans l'arrondissement de Saumur : ce sont les étages cénomanien, turonien et sénonien. L'étude de la partie supérieure de l'étage cénoma- nien qui se montre seul sur quelques points, ne peut pas nous faire connaître la disposition de ses fos- siles, qui semblent irréguliérement disséminés et donnent une faune nombreuse en espèces qu’on ne trouvait pas avant, et qu’on ne retrouve plus après. Il semble, d’après l’inspection des couches qui for- ment ces derniers étages, qu'après chaque période, la terre ait eu besoin de se reposer et que la création de nouveaux êtres n’ait pu avoir lieu qu'après un temps plus ou moins prolongé, comme le sol de nos champs, NT appauvri. par des cultures successives, a besoin de puiser des forces nouvelles pour continuer à nourrir les semences qu’on lui confie. Les premiers dépôts qui constituent et commencent l'étage turonien, ne contiennent que peu ou pas de fossiles. Ceux qu’on y rencontre semblent plutôt égarés dans cette masse compacte que placés dans un milieu où ils ont pu vivre, milieu formé en partie de sable trés fin et peut-être aussi de cette poussière des mers, produit des innombrables infusoires qui peuplent en- core aujourd’hui comme autrefois les profondeurs de l'Océan et en élèvent insensiblement le fond avec les débris microscopiques de leurs enveloppes. Lorsqu'on est arrivé à peu prés à moitié de cette formation, qui constitue dans son ensemble presque toute la hauteur des coteaux de la Loire, la vie prend tout-à-coup une grande activité: une couche de fossiles, parfaitement horizontale, de trente centimètres à un mêtre d’épais- seur, traverse tout l'étage et, sous le nom vulgaire de banc de Liron, sert de toit à toutes les exploitations du tuffeau qu’on extrait de nos carrières. Cest dans cette couche, où les coquilles entassées les unes sur les autres, se touchent et se pressent dans tous les sens, qu’on rencontre les débris d'animaux qui la caracté- risent. Des nautiles, d'énormes et nombreuses ammo- nites, des mollusques d’espèces variées, des restes de crabes, des os de tortues, des dents de sauriens, de squales, etc., annoncent qu’à cette époque la vie était dans toute sa puissance et arrivée à son apogée; car à mesure qu’on s’élève les débris dominent, quelques coquilles éparses se montrent encore, quelques échi- ER nides présentent leur test, autrefois hérissé de pointes, quelques zoophytes allongent encore leurs tiges ra- meuses et élégantes. Mais la vie semble s’éteindre peu à peu et disparaît complétement dans les couches su- périeures qui terminent cette sixième formation. Une nouvelle création va lui succéder et donner naissance à l’étage sénonien. Des sables très fins, d’une couleur verdâtre due à des petits grains d'oxyde de fer, se rassemblent et forment comme dans l'étage pré- cédent une masse assez importante, presque sans traces de fossiles; enfin quelques coquilles commencent à se montrer en nombre encore assez restreint ; l'élément calcaire a presque entièrement disparu et ces sables réunis offrent quelquefois la dureté du grès. À une élévation qui atteint souvent six à huit mètres, on ren- contre une nouvelle couche de débris d'animaux qui mesure quelquefois plus d’un mèêtre d'épaisseur et qui, comme dans l’étage précédent, renferme les espèces caractéristiques de cette époque; mais cependant com- posée en plus grande partie de bryozoaires, d’échino- dermes , de zoophytes, tous animaux d’un ordre infé- rieur, et qui dominent, si ce n’est par le nombre des espèces, au moins par le nombre des individus, puis la vie semble cesser encore. D’énormes dépôts de sable, tantôt d’une couleur ferrugineuse, tantôt parfaitement blancs, d'autrefois offrant des couches alternativement blanches et ferrugineuses, produit d’une mer calme et tranquille, recouvrent les fossiles précédents sans en présenter aucune trace; quelques débris de petites huïîtres, quelques mollusques, brachiapodes nouveaux, apparaissent bientôt; puis un dernier effort semble se DS PAR faire et, pour la troisième fois, une couche d’êtres or ganisés se présente, mais ayant à peine trente à qua- rante centimètres d'épaisseur. Là seulement se ren- contrent, mêlés à quelques mollusques d’un ordre in- férieur, tous ces nombreux amorphozoaires, tous ces spongiaires d'espèces si variées et si variables, classés comme appartenant à l’étage sénonien, derniers repré- sentants de l’animalité, espèce de gelée vivante, ne don- nant souvent pour tout signe de vie qu’un peu de sen- sibilité ou d’irritabilité. On dirait qu’arrivée à la fin de son existence, cette grande période des terrains secon- daires ne pouvait presque plus produire que les êtres les plus simples, avant de s’anéantir complétement. Enfin une légère couche de sable sans fossiles vient, comme un immense linceul, couvrir toutes ces géné- rations éteintes et disparues à jamais, et termine la série des terrains crétacés. Cette mer, jadis si vivante, si animée, épuisée main- tenant, se retire et laisse à découvert une partie des continents qu’elle a formés avec les débris accumulés par les siècles'de tous les êtres qu’elle a nourris dans son sein. La mort, seule alors, devait planer sur ces terres tristes et désolées. Mais au souffle de la divine puissance, la vie se réveille et surgit sur tous les points : une création nouvelle, pleine de force et de jeunesse, complète, instantanée, apparaît. (Peut-on comprendre des êtres créés sans une organisation parfaite et sans tous leurs moyens d’existence : comment le lion vivrait- il sans la gazelle, le mouton sans l’herbe des prairies, le papillon sans la fleur?) Les eaux pluviales, retenues dans les parties basses du sol, se peuplent de lymmées, ER: ne de paludines, etc., espèces inconnues jusqu’à ce jour, et forment ces premiers dépôts de terrain tertiaire dont les lambeaux couvrent encore une partie du sommet de nos coteaux, reste des anciens lacs, dont l’écoule- ment a dû creuser les vallées où serpentent nos fleuves et nos rivières. Sous l'influence d’une chaleur qui nous est maintenant inconnue , la terre se couvre de végétaux, dont les empreintes restées sur les sables solidifiés, les troncs fossiles des arbres et les fragments de succin répandus à sa surface, nous attestent l’exis- tence et la variété. Des mastodontes, des éléphants, des rhinocéros et d’autres animaux perdus, peuplaient ces forêts nouvelles où des palmiers balançaient leurs tiges longues et flexibles. La mer qui baignaïit ces rivages, animée de nouveau comme la terre, préparait en même temps les immenses dépôts de nos faluns, par une vie si active que, pour maintenir cette loi si merveilleuse mais si cruelle de l'équilibre des êtres, il fallait la pré- sence de ces immenses reptiles, de ces gigantesques requins dont plusieurs espèces avaient plus de quatre- vingts pieds de longueur. Telle est, en quelques mots, l'impression que pro- duit l'examen de tous les dépôts successifs qui forment ‘nos coteaux et que la géologie nous apprend à distin- guer, étude admirable qui, en nous dévoilant le passé, nous fait mieux apprécier le présent et nous permet d’entrevoir quelques-uns des sentiers, bien obscurs il est vrai, de cette voie immense qui conduit dans les profondeurs de l'infini. CouRTILLER jeune. QUELQUES MOTS SUR LE PLAIN-CHANT Méthode élémentaire et pratique de plain-chant, par M. l'abbé TARDIF, chanoïine honoraire. La Commission archéologique de cette Société m’a chargé récemment de lui présenter un rapport sur la Méthode élémentaire et pratique de plain-chant que vient de publier M. l’abbé Tardif, chanoine et directeur de la maîtrise de la cathédrale d'Angers. Après avoir le mieux qu’il m'était possible, rempli ma mission, il m’a semblé qu’il convenait de ne négliger aucun moyen de rectifier, sur la nature de chant à laquelle est consacré ce livre, des appréciations dont l'erreur est encore trop tape répandue et, pour atteindre ce but, je n’hésite pas à vous soumettre les réflexions que m’ont semblé devoir inspirer à tous, en celte circonstance, l’histoire et l'é- tude bien comprise des chants de nos sanctuaires. La Commission archéologique, vous ai-je dit, avait créé mon mandat. Cette origine était, à elle seule, un avant-propos pour mon sujet. C’est, en effet, au culte du passé dans tout ce qu’il a laissé de grand et de beau, à l'évocation des souvenirs dans tout ce qu'ils présentent du noble et d’exemplaire, que l’archéologie consacre son étude persévérante. Or, le caractère augusie que donne la longue consécration des siècles, le respect qu’inspire une institution rappelant des noms illustres et qui, dans les deux mondes, en paix comme en guerre, n’a cessé de s’associer à la célébration des grands évé- nements de notre histoire, comme elle s’associe encore aux prières dont retentissent chaque jour nos temples : tel est le premier trait qui frappe dans le sujet dont nous voulons vous entretenir. Nous ne sommes plus, heureusement, au temps où : il eût fallu de longs discours pour obtenir sur un tel objet l'attention bienveillante d’un auditoire. Depuis vingt ans, une foule d’écrits, les travaux d’un congrès spécial, les publications mensuelles du savant organiste Danjou et le recueil intitulé la Maîtrise, fondé par le savant compositeur Niedermeyer, ont appris à tous que le plain-chant était autre chose qu’un reste de bar- barie, et que certaines hymnes destinées, pensait-on il y a quatre-vingts ans, à périr dans la poussière des sacristies, dépassaient en grâce et en noblesse ce que peuvent produire les premiers maîtres de notre époque. LR MOT: 2 Mais, à part ces mérites de l’expression ou de la forme, qui ne comprend, à ne considérer même le plain-chant que sous son rapport purement historique, au seul point de vue de l’archéologie, comme nous l’avons dit il y a un instant, qui ne comprend à quel degré ce lan- gage se lie intimement, nécessairement, à la célébration du culte chrétien ? On n’ignore pas que, lorsque le Christ eut apporté la loi nouvelle, et à l'heure même où de pauvres igno- rants, devenus tout-à-coup d’éloquents apôtres, répan- daient au milieu des nations la semence de la doctrine qui devait régénérer le monde, une foule toujours croissante d’adeptes, aujourd’hui croyants, demain mar- tyrs, commença à célébrer les saints mystères au sein des catacombes ténébreuses qui, après avoir été pour beaucoup d’entre eux un lieu de retraite, étaient de- venues pour un nombre bien plus grand encore un lieu de sépulture. Tout ne rappelle-t-il pas, chaque jour encore, cet humble commencement, cette lueur que la puissance des empereurs semblait devoir éteindre si facilement et qui, bientôt, allait étendre son rayonne- ment sur le monde entier? L’autel ne garde-t-il pas la forme des tombeaux sur lesquels, en attendant les lic- teurs, se faisaient en commun les premiers sacrifices ; les cierges ne rappellent-ils pas, entr'autres significa- tions, les torches qui éclairaient ces assemblées primi- tives ? Chaque jour, on y priait pour les chrétiens morts | en témoignage de la foi commune et on célébrait leur exemple : aujourd'hui encore, dans le Canon de la messe, ne rappelle-t-on pas le nom de quelques-uns des martyrs, et l'Eglise ne consacre-t-elle pas un jour SOC. D’AG. , 7 = Que à la mémoire de chacun d’eux? Puis, lorsque le culte nouveau put sortir des ténèbres et que le paganisme commença à se retirer devant son irrésistible expan- sion, ne sait-on pas encore que les édifices servant aux assemblées de commerce et nommés basiliques, furent choisis pour réunir les fidèles, qui devaient plus tard transmettre ce nom tout terrestre à leurs plus splen- dides cathédrales ? à A la même époque, et pour chanter en commun les premières prières, on emprunta la mélopée antique dont les Grecs et les Juifs se servaient dans leurs céré- monies. On emprunta même les dénominations par- tielles de ce chant, telles que modes dorien, phrygien, lydien, myxolidien… Le christianisme, on aie devine, ne pouvait manquer de modifier et de rendre onto à ses hautes inspi- rations, ces chants déjà séculaires. Quelques-uns de ses plus illustres pontifes y apportèrent leurs soins éclairés. Dans le 1ve siècle, saint Damase, pape, né en Portugal, saint Ambroise, évêque de Milan, fils d’un préfet des Gaules, établirent sur ce point important des règles que compléta, à la fin du vie siècle, saint Grégoire-le- Grand, dont le nom de chant grégorien rappelle à ja- mais le souvenir. Dés lors, le culte chrétien eut sa mélodie; plus tard, il devait avoir son instrument, l'orgue. Il n’avait plus rien à joindre à ces richesses. Et en vain le talent et même le génie de l’homme a-t-il tenté de créer pour le sanctuaire des chants qui pussent lutter avec ceux-ci de solennité et d'expression... Nous avons entendu exécuter, non sans émotion, l'hymne nationale des Anglais, chantée par des voix nou nombreuses ; l'hymne impériale russe présente aussi un caractère imposant etgrandiose. Mais ces chants ne sont que beaux : nés d'hier, ils ne nous parlent, quel que soit leur éclat, que du‘présent, au lieu de nous appor- ter, comme le chant grégorien, le reflet des temps passés et le prestige attaché à toutes les choses dont l’origine se noie dans le lointain des âges. Une fois de plus, à l'égard de ces chants sacrés, on se plait à dire ces paroles que l’Eglise aime à répéter : Sicut erat in principio. Puis, si nous voulons restreindre notre pen- sée aux hommes de notre temps et de notre pays, nous demandons comment il serait possible de jamais rem- placer pour nous ces mélodies que nous avons enten- dues s’élever vers Dieu pour l’implorer aux jours de désastre ou le remercier aux jours de triomphe, qui ont eu des accents de fête pour les pompes qui réjouis- saient notre enfance, des accents funèbres pour bénir les morts que nous avons aimés!... Non, ces choses ne se refont pas et nous comprenons que de tels chants, selon l'expression de Mgr Pie, l’éloquent évêque de Poitiers, remuent « l’âme jusque dans les dernières profondeurs de son baptême! » Faut-il proclamer, toutefois, que le plain-chant donne le dernier mot de l’art musical et que la science des siècles derniers n’a pu perfectionner son langage ? Loin de là ; et, si l’on regarde hors du sanctuaire, on découvre parfaitement à quel point les règles de la musique laïque sont supérieures par leur fixité et leur clarté, à celles du chant grégorien. Ainsi, la musique du monde a ses tons majeurs et mineurs naissant toujours dans des conditions identiques et on ne peut plus aisés à — 90 — discerner, au lieu de ces tons authentiques et plagaux qui ne se forment pas tous d’une manière uniforme et qui sont souvent très-difficiles à bien saisir; elle a sur- tout, et c’est ici principalement que se trouve une dif- férence profonde entre les deux langages, elle a son chant parfaitement mesuré jusque dans le moindre dé- tail, jusqu'aux notes les plus rapides, jusqu'aux inter- valles de silence les plus courts, tandis que, dans le plus grand nombre des cas, le plain-chant ne forme son rhythme, indiqué il est vrai, mais indiqué d’une ma- nière très incomplète par la forme des notes carrées, en losange ou caudées, qu’à l’aide du sentiment essen- tiellement variable de la prosodie et, surtout, à l’aide de la tradition. Nous disons dans le plus grand nombre des cas, nous gardant bien d’oublier les mélodies rhyth- mées qui, d'abord répandues dans les Gaules par saint Hilaire à son retour de la Phrygie, où les Ariens, com- battus par lui, l’avaient fait envoyer en exil vers le mi- lieu du rve siècle, furent bientôt adoptées et régularisées par saint Ambroise : elles devinrent plus tard la source de ces hymnes, de ces proses, de ces séquences si remar- quables par leur grâce et leur onction, dont l'Eglise a placé les accents au milieu de ses principales solen- nités et parmi lesquelles nous nous contenterons de citer ici l'hymne Quid truces ras, qui se chante aux Ares vêpres de la fête de saint Maurice. Oui, nous le reconnaissons, sous ces divers rapports la musique li- turgique est restée étrangère aux progrès accomplis de- puis sa formation, mais nous nous bâtons d’ajouter que l'adoption de ces perfectionnements, du rhythme inva- riable surtout, aurait complétement changé sa physio- PR ES nomie et dénaturé son caractère. Qu’en conclure? c’est que, faite pour le sanctuaire et comme inspirée par la prière elle-même, vaste parfois comme le temple aux voûtes duquel elle monte avec l’encens, elle ne doit pas franchir le seuil de l’église, pas plus qu’elle ne doit donner asile aux mélodies du monde qui n'auraient pas pris soin de se conformer au langage pieux el grave de sa demeure et ne se seraient pas assez affranchies des formes recherchées du salon ou des accents passion- nés du théâtre. Considéré de ce point de vue et avec ces réserves, le chant liturgique , grave et austère comme l’habit des officiants qui le font entendre, n’a rien à envier aux combinaisons plus exactes et plus détaillées des mélo- dies du siècle, pas plus que les monuments révérés de l'antiquité n’ont à regretter les formes plus délicates et le poli plus parfait des œuvres de l'architecture et de la sculpture modernes. Après avoir ainsi insisté sur les mérites et sur l’im- portance du chant grégorien , qu’on nous permelte quelques réflexions sur l'utilité des enseignements que vient de donner M. l'abbé Tardif. Les précédents de ce diocèse offraient à cet égard un exemple, mais un exemple éloigné et surtout fort incomplet. En 1684, sous l’épiscopat de Msr Henry Ar- nauld, il parut à Angers un livre intitulé : Règles et pratiques pour chanter, à l’usage du diocèse d'Angers, les choses les plus ordinaires de l'office divin. Mais, comme l'indique ce titre, les règles générales du plain-chant n’y figuraient pas. L’Avertissement mis en tête du livre le dit nettement : « On n’a pas jugé nécessaire de don- 1100 » ner, dans cet ouvrage, les premiers principes du » chant, y ayant assez d’autres livres qui en traitent, » ainsi on suppose ou qu’on les sçait, ou qu’on peut » les apprendre ailleurs. » M. l'abbé Tardif avait à remplir une tâche bien au- trement étendue et sans restriction à ce diocèse de l'utilité qu’elle présente, quoiqu'il ait eu en vue tout d’abord, chose bien naturelle, les séminaires, colléges et écoles de ce diocèse même. Ne pouvant donner du contenu de son ouvrage une analyse qui, sous peine de n’être pas comprise, exigerait elle-même un premier traité de la matière et excéderait dix fois les bornes d’une simple notice, nous croyons devoir ici rechercher uniquement si son œuvre offre les avantages d’une méthode élémentaire et pratique, ainsi que le porte son titre, ou si elle offre plutôt les mérites élevés, mais plus rarement utiles, d’une explication théorique sur chacun des points de l'art dont il s’occupe. Le livre, à nos yeux, présente ce double caractère. Cest un avantage, sans nul doute ; mais sous la con- dition que les personnes tout-à-fait étrangères au plain- chant puissent commencer par connaître les indications élémentaires, les appliquer quelque temps par l’usage et, ainsi familiarisées avec les effets, passer à l’explica- tion des principes qui, sans ce préliminaire, risquerait de rester vaine pour eux. Le savant auteur semble l’a- voir un peu compris ainsi lui-même, car, tout en an- nonçant dans son avant-propos « qu'il se bornera à » exposer brièvement les principes et à en montrer » l'application par quelques exemples », il donne cet = = avis très important, croyons-nous, pour la prompte mise à profit de la lecture de son livre, « que les prin- » cipes fondamentaux seront toujours distingués de leurs » développements par un texte en caractères plus gros.» Cette seule indication suffira pour guider les personnes essayant pour la première fois cette étude, dans le choix des règles qu’elles devront retenir tout d’abord au mi- lieu des vingt-neuf chapitres et des trois cent sept ali- néas qui forment l’ouvrage. Nous ne hasarderions pas un tel conseil s’il s’agis- sait d'apprendre la musique ordinaire. Là, en effet, se rencontre dès le premier pas une étude sans laquelle tout essai demeure nul et toute mélodie reste informe, nous voulons parler de la mesure. La division des temps, la connaissance et surtout l’observalion exacte des signes qui marquent cette division, offrent une diffi- _culté telle, demandent une habitude de précision tel- lement grande et suivie, que nous voyons chaque jour des musiciens, doués d’ailleurs d'intelligence et de goût, se montrer à cet égard, on peut le dire, beau- coup plus sans peur que sans reproche. Se passer de la direction d’un maître serait donc ici chose bien dif- ficile et, si le maître intervient une fois, il pourra, en même temps qu’il guidera dans l’application des règles, expliquer d’une manière plus ou moins complète, se- lon l’aptitude de l’élève, la raison même de ces règles. Mais en général, la mesure exacte de la musique du monde reste étrangère et même doit rester étrangère au chant grégorien. L’auteur lui-même énonce (pages 19-175) cette vérité , que l’on reconnaît unanimement aujourd'hui. Or, cet obstacle enlevé, le commençant ne AA pourra bien vite arriver aux premiers essais en suivant l’exécution du chœur et la tradition, si puissante dans le chant liturgique. Sans ce moyen ou autre méthode d'application équivalente pour les intonations, son étude serait tout-à-fait sans fruit. Vainement, en effet, lirait- - il qu’une tierce mineure, par exemple, comprend un ton -et demi; il n’aura aucune idée précise de cet intervalle s’il n'entend pas les sons qui le forment. Quelques mois plus tard, il pourra passer à des études nouvelles sur des points que l’audition lui aura fait comprendre, et dont il demandera au livre l'explication théorique après les avoir tout d’abord acceptés de confiance. Nous in- diquerons comme devant figurer au premier rang de ces études rudimentaires, les intervalles (chap. 3), la notation telle que l’a créée Guy d’Arezzo, les posi- tions diverses des clefs d’ué et de fu, les formes des notes, indiquant leur durée et leur accent, l’altération de la note si , autrefois désignée par la lettre B, selon que ce B, d’une forme anguleuse ou carrée, prenait une forme molle et arrondie, d’où sont venus le bé- mol et le bé-carre, dont le nom s’est conservé, quoique en France, du moins, les lettres ne soient plus guëres en usage (1); une courte notion du dièze, les barres ver- ticales qui, selon qu’elles coupent seulement quelques- unes des lignes, ou s’étendent de la première à la qua- irième, ou enfin se montrent doubles, répondent à la virgule, au point avec virgule, ou au point du discours (1) Les facteurs s’en servent pour indiquer les notes que donnent les cordes du piano, ils s’en servaient encore il y a quelques an- nées pour marquer les corps de rechange de plusieurs instruments à vent, HN ordinaire (ch. 5); quelques exercices sur ces principes de notation (ch. 6); la connaissance et surtout la pra- tique des intervalles (ch. 7), un aperçu, sans toutefois qu’on doive y insister trop tout d’abord, sur les tons (ch. 9, $ 2, page 50) : telles sont les parties dont se- lon nous l'étude, aidée de quelques conseils, pourra suffire pour un commencement d'initiation. Viendra ensuite l’examen, bien autrement ardu, des divers {ons du plain-chant (ch. 10); puis peu à peu, en prenant ainsi le soin de bien assurer chaque pas, on arrivera, guidé par l’auteur, à posséder la partie essentielle des connaissances qu’exige cette étude d'autant plus difii- cile que, sur plus d’un point, elle est peu arrêtée. C’est alors aussi que l’on pourra lire utilement le cha- pitretrésintéressant (ch. 21) qui donneles règles de l’hym- nodie et cite des exemples nombreux de ces créations, si remarquables à la fois par la simplicité et le sentiment. M. l'abbé Tardif, voulant que rien ne manque à son œuvre, termine (ch. 29) par des considérations sur l’ac- compagnement du plain-chant. Sans restremdre d’une manière absolue à l'orgue, de tous points préférable pourtant, l’accomplissement de cet office, il exclut avec raison les instruments dont le son ne serait ni assez grave ni assez plein pour s’unir aux mélodies du sanc- tuaire. L’ophicléide, qni est venu par une fâcheuse in- novation remplacer les instuments de bois autrefois en usage, lui semble pouvoir être loléré, mais à condition, semble-t-il dire, qu’il sera joué avec assez de réserve et de douceur pour faire oublier qu’il est de cuivre. Il faut prendre note de ce conseil puisque, chose éton- nante, il n’est pas inutile. On pourrait, en effet, trouver VO certaines localités où des instruments d’un timbre aigu et criard viennent s’unir aux chants des offices, et, à part même du chant grégorien, nous avons entendu, il y a moins de deux ans, choisir parmi les richesses d’un orchestre, non pour faire retentir le Tuba mirum à l’mstar de l’œuvre de Berlioz, mais pour accompa- gner à l'élévation un O salutaris hostia, l'instrument favori des musiques en plein vent, un cornet à pistons. Un dernier paragraphe est consacré à l’accompagne- ment du grand orgue. — Comme on le voit, rien n'échappe aux soins de M. l’abbé Tardif. Après avoir tracé la route, il a voulu encore signaler les écueils qui l’avoisinent. C’est qu'il comprend toute l'importance d’une bonne exécution liturgique. Il y a bientôt deux siècles, l’évêque Henry Arnauld pensait ainsi et disait en recommandant les règles et pratiques dont nous avons parlé plus haut : « Le chant tient un rang considérable entre les fonc- » tions ecclésiastiques et peut notablement contribuer » à l'édification des fidèles. Nous reconnaissons pour- » tant tous les jours, avec un sensible déplaisir, que » la plupart des ecclésiastiques, particulièrement des » paroisses de la campagne, ont si peu de soin de le » bien apprendre et de s'acquitter comme il faut de » cette sainte fonction, qu’au lieu d’exciter par leur » chant la dévotion dans le cœur des fidèles, ils ne font » que les mal édifier.. » Cet avis si grave n’était pas isolé, car, au moment même où le satirique Boileau parlait dans son Lutrin de laisser à des chantres gagés le soin de louer Dieu, SE pee l'auteur du livre publié en 1684 disait : « Pour chan- » ter l'office divin d’une manière digne de Dieu, il faut » avoir une très grande estime de ce saint employ. » Or, la première preuve d’estime à donner à un em- ploi, c’est de le bien connaître et, grâces à l'ouvrage sur lequel nous venons de jeter un rapide aperçu, l’E- glise, notre diocèse surtout, va recevoir sur ce point des lumières toutes nouvelles. En écrivant ce livre, preuve d’un zèle aussi persévé- rant qu’éclairé, M. l’abbé Tardif, fidèle aux habitudes de toute sa vie, aura, une fois de plus, fait un acte méritoire et pieux. Nous sommes heureux de le pro- clamer, et notre plus vif désir serait de le faire com- prendre à tous. E. LACHÈSE. ÉPITRE À M BODINIER PEINTRE Manibus date lilia plenis. VIRGILE. Dans nos temps abaissés, où chacun n’a d’audace Que pour courir l'argent, où Le cœur se cuirasse Contre tout ce qui fut nos chères voluptés : L’illusion, pays des rêves enchantés, La poésie, assise en pleurs sur les ruines, L'art, portant la nature à des grandeurs divines: Dans nos temps, on devra réveiller en sursaut Tout le monde, et sonner la trompette bien haut, Dès qu’en un coin caché de la province obscure, La poésie et l’art, timides à l'injure Et faciles à fuir, n’osant pas résister, Trouvent un cœur d'ami qui les vient abriter. Ale) Gore Or, il bat près de nous, ce cœur vaillant d'artiste ; Quand tout cède et tout croule, il est là qui résiste. Non content de lutter, par son pinceau charmant, Contre l’insouciance, ou l’envahissement Des stériles calculs que le siècle suggère, Il convoite, à prix d’or, aux ferveurs de l'enchère, Pour l’arracher au pic des modernes païens, Et l’offrir en pur don à ses concitoyens, Quelqu'un de ces débris, qu’en leurs veines accrues, Complaisantes aux chars, effaceraient nos rues. Il veut que notre histoire ait encor ses jalons, Cette histoire locale aujourd’hui sans blasons. Voilà pourquoi, sauvant nos dernières masures, Lavant le front terreux de nos architectures, Il garde à nos neveux, moins vandales que nous, Du vieil âge qui fuit les trop rares bijoux. Dans l’un de nos quartiers hérissés d’encoignures, Où le cocher jurant écorche les voitures ; Près du modeste hospice où sourit la douleur Au baume que lui tend une angélique Sœur, IL est un noble hôtel aux royales façades, Qu’étreignent à l’envi vingt demeures maussades. Quand on était enfant , et qu’on sonnait, le soir, Aux portes, pour troubler les duègnes au dortoir, _ On s’effrayait parfois de ses hauts pignons sombres, Qui, dans la rue autour, accentuaient les ombres. Pourtant, ce n’était point un de ces lourds donjons, Qui, n’étant plus châteaux, s’attristent en prisons; Ce n’était point un fort criblé de meurtrières, Pour épancher la mort en des luttes guerrières Où se plurent souvent nos remparts angevins ; — 100 — Non : c'était la maison de graves échevins, L'Hôtel Pincé, connu pour ses fières tourelles, Dont les guivres, veillant comme des sentinelles, Profilant hors des toits leur poitrail menaçant, D’une triple cascade arrosaient le passant. C’est un logis qu'avait, dans sa magnificence, Pour éblouir les yeux, bâti la Renaissance, A l’heure où se voütaient les combles de Chambord. Aussi, l’on y verra serpenter sans effort Cannelures et fleurs, amours et salamandres, Qu’aux fenêtres tailla, dans nos basaltes tendres, Sur les plans somptueux d’un l’Épine, la main De quelque ciseleur pisan ou florentin. C’est un fouillis sans fin de dentelles de pierres. Il semble qu’une fée ait, jusques aux gouttières, Promené sa baguette, et qu’un magicien Des contes d'Arabie, à qui ne coûte rien, Sur chaque assise, au front de chaque galerie, Aït versé le trésor de sa sorcellerie. Or, cet hôtel peut-être, hélas ! ce beau réduit, Pour élargir la rue, un jour, on l’eùt détruit. Il ne füt rien resté de ses splendeurs passées, Sous la pioche, un matin, à plaisir renversées,; Et cet échantillon de l’art de Palladio, Se füt évanoui, dispersé par lambeau, Par moellons qu’un manœuvre ahuri met en pile; L’oubli l’eût englouti comme chose inutile ; Et l’Anjou, dans dix ans, n’eût pas même cherché De quel coin de son sol on l’avait retranché. — 101 — Voilà ce que craignaient notre peintre, et bien d’autres. Mais l’art n’est pas fécond en généreux apôtres Prêts à lui faire honneur, à lui sacrifier Cette bourse qu’on a tant peine à délier. Qui n’aime mieux raser de l’aile l’Italie, L'Espagne, caresser quelque sotte folie, S’acheter un cheval sarrazin, andalous, Jour et nuit encenser Aspasie à genoux, Prodiguer sur sa table un luxe ridicule, Où Falstaff trop gorgé devant les plats recule, Que d'offrir en hommage à ces beaux arts exquis Le délicat tribut qui relève un pays! Notre artiste fait mieux. Tandis que sa palette Par Robert saluée, attentive, discrète, Dans un calme dessin puissante de couleur, D’un rayon de Venise apporte la chaleur, Son génie en travail tente un autre problème : Il veut qu’un monument, fin chef-d'œuvre lui-même, Loge , — dût son pécule y sombrer tout entier, — Sur des bahuts luisants de chène ou de noyer, Sous le regard pensif de ses brunes Romaines, Ces urnes d’Étrurie aux formes souveraines, Ces médailles portant des faces de Césars, L’une au chauve profil, l’autre aux cheveux épars, Ces disques qu’à Pæœstum soulevaient les athlètes, Ces coupes, ces anneaux d’airain, ces bandelettes, Ces bustes grecs tirés des flancs de Pompei, Qu’en les noyant la lave arracha de l'oubli, Et que nous a légués, d’une main libérale, Crissé, doux bienfaiteur de sa ville natale. — 102 — Tel sera le destin du vieil hôtel Pincé : Servir d'écrin brillant aux joyaux des Crissé. Sa gloire, sans pâlir, s’est métamorphosée : Il n’était qu’un palais, il devient un musée. L’étranger, qui vantait ses merveilleux dehors, S'il entre, admirera de plus riches trésors. Car, dans les escaliers se tordant en spirales, Sous les caissons dorés qui plafonnent les salles, D'où retombe en glacon l’élégant pendentif, Partout s'ouvre un spectacle au savant, à l’oisif. La lumière aux paliers pavés de mosaïques N’arrive qu’à travers de longs vitraux mystiques. Sur les dressoirs d’ébène éclatent les émaux De Bernard Palissy, serpents, poissons, oiseaux. Bruges se reconnait aux tons rouillés des bistres, Madrid à ses portraits d’inquisiteurs sinistres. Voilà Poussin, Van Dyck, Rubens le grand, Holbein Près d’Erasme appendant la pâle Anne Boleyn ; Ceux qui peignent sur bois, ceux qui brossent sur toiles Soudards buveurs de gin, vierges aux chastes voiles; Ceux qui du Christ sanglant ont redressé la croix, Ou conduit vers Cana se délecter les rois Dans ces vaisselles d’or qu’allume Véronèse ; Ceux qui montrent le flot égrenant la falaise. Les cartons sont peuplés d’harmonieux crayons, D’autographes signés des plus illustres noms; L'Égypte a là ses sphynx, riant des figurines Dont notre moyen âge encombre les vitrines Où dorment côte à côte, en la mort apaisés, Cimeterres d'Asie et dagues de croisés, La fresque ailleurs se mêle aux groupes de statues, Et les missels d'église aux antiquités nues. C’est un miroitement radieux, infini, Qui rend à notre Angers un hôtel de Cluny. — 105 — Oh! quand un citoyen nous promet ces délices, Qu’il donne au lieu natal un de ces édifices, Vase vide, à remplir d’une noble liqueur, Qui ne battra des mains, ne sentira son cœur S’embraser tout-à-coup d’une flamme nouvelle ! Qui ne croira qu’enfin le siècle prend modèle Sur ces àges lointains, dans la poudre assoupis, Où vinrent Périclès, Auguste et Léon dix ! Ce culte tout sacré pour les choses vieillies, Ces fleurs dans le passé partout un peu cueillies, Ces monuments sauvés, par un suprême effort, Du pic qui jette à bas, du sarcasme qui mord ; Ces frises aux festons tournoyants et splendides, Du souffle du sculpteur éteint encore humides, Au moins proclameront qu'un généreux esprit Brava les préjugés par qui le beau périt. Sans doute, on n’abat plus par fiel et par envie, Mais pour s’accommoder une plus douce vie, Salons plus chauds, jardins plus frais, soleil meilleur : Mais le mou sybarite est bientôt destructeur. Or, celui-là qui fait la guerre au sybarite, Et n’a point de repos qu’il ne l'ait mis en fuite, Bien loin, dans la campagne , où l’on taille en plein drap, Conservera plus d’art que l’autre n’en perdra. Ce ne sont point les murs tout blancs qui nous enseignent; Ce sont ceux qui, vêtus de longs lierres, se ceignent Le front de giroflée, aux haleïnes de mai, Et balancent dans l’air un bouquet parfumé. À leur pied, qu’ils ont vu passer de nos ancêtres, Et de visages frais sourire à leurs fenêtres! Don Juan prit leurs balcons souvent pour confidens SOC. D’AG. 8 — 104 — Des sons de sa guitare, et des drames ardens Que , sous le réverbère , 1l tranche à coups d’épée ; Ils vous diraient Zerline ingénue et trompée. Qu'ils savent de berceaux , d’hymens brochés de fleurs, De cercueils descendus aux bras des fossoyeurs ! Ils furent les témoins de nos intimes choses, De nos jours parsemés d’épines et de roses, Des espoirs qu’on nourrit, des amours qu’on pleura, Des chants qu’au clair de lune en chœur on célébra, Des conseils qu’à pas lents dictait un ami sage Pour distiller la paix dans notre âme à l'orage. Si vous tuez ces murs, parce qu'ils sont trop vieux, Nos plus chers souvenirs s’en iront avec eux. D'ailleurs, ne font-ils pas un relief à l’histoire ? On y lit d'autant mieux que leur face est plus noire. Ici, nos durs aïeux bataillaient assiégés ; Là, des rois visiteurs un soir sont hébergés. Voici les écussons conquis en Terre-Sainte : Le granit en retient la féodale empreinte Aux portes d’où sortaient, sous leurs rouges cimiers, Nos ducs marchant en guerre avec leurs chevaliers. Près des tours par le fer, le feu, démantelées, Découpant leurs troncons dans les nuits étoilées , . Voilà le seuil qui fut l’asile des proscrits. La gloire et les revers sur les murs sont écrits. Donc, l'artiste qui lègue aux futurs antiquaires Un si pompeux festin de ces vivantes pierres , Et, sans voir s’il réduit son bien-être à l’étroit, Dote un hôpital neuf, ou rachète un vieux toit, Dans l’unanime accueil de la foule empressée Sent un écho partout répondre à sa pensée. — 105 — Qu'il s’asseye au théâtre, ou qu’il paraisse au bal, Qu'il parcoure à midi le boulevard banal, Chacun dira : Voilà le croyant, l’homme juste, Qui ne veut pas qu’on livre aux haches de Procuste Nos débris consternés du zèle des maçons. Quand il prêche si bien d'exemple, applaudissons ! C’est lui qui nous rattache aux vieux us, qu’on balaie, Lui qui de nos regrets cicatrise la plaie ; Qu'il soit béni ! Par lui nos enfants, transportés, Sauront ce que valaient de gothiques cités , Quand l’art y prodiguait sa chère fantaisie. Que sa place parmi nos maïtres soit choisie ; Qu'on grave, avec son nom, sur un double rinceau : Respect de la ruine et gloire du pinceau ! A. Marrranrn. DU DROIT D'ANOBLINNENENT ET DE L’USURPATION DE LA NOBLESSE AVANT 1789. 009 — 1 Un des faits dominants de la Révolution c’est la spon- tanéité, la fureur, l’ensemble des attaques dirigées contre la noblesse à laquelle il faut, en cela, associer le clergé. La noblesse a vraiment été traitée comme une ennemie par le reste de la nation, ce qu’il ne faut pas entendre seulement de cette partie du peuple, instru- ment de toutes les sanglantes orgies, mais encore des classes moyennes. Suffit-il, pour rencontrer l’explica- tion de ce mouvement, de reporter son esprit vers ce besoin d'égalité qui, dans ses dernières années, sem- blait travailler si vivement notre ancienne société fran- çaise? Je ne le crois point. Ce sentiment d'égalité était- il d’ailleurs aussi complet , ‘aussi puissant qu'on le suppose? Il est peut- “re permis d'en douter. Trés ab- solu quant à la répartition des droits et des charges, je suis porté à penser qu’il l’était moins quant aux personnes. Pour peu que l’on étudie, en efiet, notre . — 107 — organisation d'autrefois, on remarque vite que, s’il est un caractère qui lui appartienne, c’est la hiérarchie et le classement, et l’on est conduit à se demander où l'esprit public aurait puisé cette ardente et universelle pensée de nivellement, quand partout on s’en trouvait éloigné par les traditions reçues, le spectacle de ce qui se mouvait autour de soi comme les habitudes prises dans la vie de chaque jour. La distinction était partout, non-seulement entre les trois ordres principaux qui re- présentaient le pays, mais encore dans chacun de ces ordres ; non-seulement entre leurs principaux éléments, mais encore dans les plus petites de leurs fractions. Ainsi l’ordre de la noblesse, loin de se composer de membres égaux, se divisera en haute, moyenne et petite noblesse, et jamais le grand seigneur n’acceptera de laisser monter à son rang le simple gentilhomme. La bourgeoisie présentera le spectacle d’un nombre presque infini de classes et de corporations, mais ayant toutes leur place hiérarchique les unes vis-à- vis des autres, et dans chacune. de ces corporations, les individus également classés et rangés. Je veux bien que l'excès du classement ait pu pro- duire une réaction en sens contraire, et qu’on ait res- senti le besoin de briser tant de petits cercles dans les- quels l’activité individuelle commençait à se trouver irop à l’étroit; je n’en répète pas moins que l’habi- tude de la distinction et de l'inégalité avait dû résulter pour chacun d’un état de choses où, si l’on avait beau- coup de gens au-dessus de soi, on en trouvait presque toujours un plus SAT nombre au-dessous. L'esprit français, à l’heure même où nous vivons, — 108 — est un singulier assemblage d’instincts démocratiques et d’aspirations contraires. En réalité, loin de vouloir passionnément l’égalité des personnes, je le soupçonne d’être très amoureux de leur inégalité : nous sommes envieux des supériorités, mais tous nos efforts tendent à nous en créer ; les situations qui dominent la nôtre nous gênent jusqu’à ce que nous les ayons atteintes; nous crions encore par habitude contre le peu qui reste des distinctions nobiliaires, mais nous faisons volontiers de ridicules tentatives pour nous en donner les appa- rences ; de telle sorte qu'aujourd'hui, après la secousse de 1789, nous ne sommes parvenus , sous beaucoup d’aspects, à nous donner qu’un faux vernis d’idées et de sentiments démocratiques; au fond , nation vani- teuse, nous sommes demeurés partisans de tout ce qui distingue et de tout ce qui classe; fils de la Révolution, pour ce qui est de légalité civile et politique, il nous reste encore, au regard les uns des autres, beaucoup du sang et des idées de nos aïeux. Un fait d’ailleurs me frappe dans l’histoire de notre période révolutionnaire : c’est au moment où les privi- léges viennent d’être sacrifiés, où la noblesse aban- donne ces droits dont elle jouissait depuis tant de siècles, que les personnes sont attaquées avec un redoublement de fureur ; il y a là l’indice de colères amassées, de malédictions longtemps contenues que l'influence d’une idée et d’un principe est impuissante à expliquer, mais qui trouvent bien mieux leur cause dans les souffrances répandues sur tout le pays par d'intolérables abus. Pour comprendre ces souffrances et ce que devait être l'explosion des haines qu’elles avaient nourries, ce n’est — 109 — point assez de songer au nombre et au caractère des priviléges , il faut encore et surtout peut-être songer au nombre et au caractère des privilégiés, en suivre le développement successif, voir constamment grandir ces catégories de personnes qui nes’exemptaient des charges que pour les laisser retomber plus lourdement sur ceux qui demeuraient condamnés à les porter. C’est cette histoire que je voudrais esquisser pour l’ordre de la noblesse. Elle permet à elle seule de nettement aper- cevoir ce double travail : d’une part uhe augmentation constante et effrayante des charges ; de l’autre une di- minution non moins soutenue et dans des proportions non moins larges de ceux qui devaient les acquitter. La noblesse, en effet, loin d’être une caste fermée, était devenue au contraire, et depuis plusieurs siècles, une caste trop ouverte dans laquelle l'abus fait par la royauté du droit d’anoblissement, les prérogatives d’of- fices multipliés avec une imprévoyante prodigalité, et l’usurpation avaient introduit une immense quantité de familles. Son caractère primitif s'était ainsi altéré; les priviléges avaient perdu leur justification, en même temps que les exemptions dont elle jouissait, tout en blessant cette idée d'égalité des charges qu’une fois née le temps développe si vite, rendaient le fardeau plus insupportable pour ceux-là qui se trouvaient au-dessous d'elle. Quand une pareille situation ne se modifie pas par le fait même de ceux à qui elle profite, elle con- duit nécessairement à une catastrophe. Le système féodal imposait à la noblesse une grande et belle charge: la défense du territoire. Cette con- — 110 — tribution du sang, d’ailleurs si généreusement payée, aurait promptement épuisé des forces qui n’auraient point trouvé, par l’adjonction de nouveaux membres, à s’entretenir et à se réparer. Au xr11e siècle, on aper- çoit déjà deux votes ouvertes à la bourgeoisie pour pénétrer dans la classe supérieure et combler ainsi les vides que la guerre a faits dans ses rangs; je veux parler de l’achat des fiefs et du droit d’anoblissement exercé par la royauté. Des seigneurs qui avaient suivi le roi de France dans les guerres saintes, beaücoup avaient été dévorés par ces lointaines expéditions, beaucoup étaient revenus ruinés el avaient élé contraints de vendre leurs fiefs. La bourgeoisie déjà formée se trouva toute prête pour acheter les seigneuries vacantes et les terres de ceux qui ne les pouvaient plus garder ; une quantité consi- dérable de ses membres se trouva de la sorte agrégée au corps de la noblesse. Les établissements de saint Louis (1) qui posent en principe « qu’un roturier ac- quérant un fief, ses descendants sont nobles au troi- sième hommage du même fief et partagent noblement ledit fief à la troisième génération , » des passages de deux auteurs cités par Laurière : Desfontaines, qui écri- vait sous saint Louis, et Beaumanoir, qui vivail peu de temps après, ne peuvent laisser de doute sur ce point (2). Philippe-le-Hardi, en 1275, et après lui Phi- lippe-le-Bel, en 1291, consacrèrent pour les roturiers la faculté d'acquérir des héritages nobles, mais à charge (1) Ordonnances des rois de France, tome I, page 292. (2) Préface des ordonnances, par Laurière, art. 81 et 82. — Al — d’acquitter au profit de la royauté un impôt conservé par tous leurs successeurs et connu sous le nom de droit de franc-fief (1). Cette indemnité qui, en même temps qu’elle assurait de nouvelles ressources au tré- sor, semblait destinée à maintenir la qualité de ceux qui possédaient les terres, ne parait point, jusqu’au cours du xvi® siècle, avoir empêché les roturiers, ac- quéreurs de fiefs, d’y trouver la noblesse : « Les mar- chands et les artisans enrichis, dit Pogge, qui achètent un héritage dans la campagne où ils vont s’établir après avoir abandonné la ville, et se contentent des revenus de leur domaine, acquièrent une sorte de noblesse et communiquent à leurs descendants une noblesse réelle (2). » Henri III le premier, par l’ordonnance de Blois, posa nettement le principe du non-anoblisse- ment des roturiers par les terres. A côté du mouvement des fiefs, j'ai indiqué l’anoblis- sement par le souverain. Ce droit nouveau que sattri- bue et qu’exerce la royauté vers Ja fin du xirre siècle et principalement au commencement du siècle suivant, ce pouvoir de créer des nobles qui ne reléveront plus que de la volonté et du bon plaisir du roi, ne saurait à mon sens être trop signalé et l’on n’en pourrait trop faire ressortir la signification et la portée. Il fallait, en effet, que la suprématie de la royauté sur toutes les puissances féodales füt désormais bien conquise et bien incontestée, pour qu’elle pût prétendre seule à l'exercice d’un droit qui allait lui permettre (1) Ordonnances, pages 304 et 324. (2) Préface des ordonnances, Laurière, art. 85. — 119 — d'introduire dans les rangs d’une aristocratie remuante et toujours en lutte avec elle des hommes sans passé et sans histoire, et qui devaient trouver des titres suffi-: sants à de pareilles faveurs dans les services qu'ils lui auraient rendus. La royauté devenait ainsi, non-seu- lement le pouvoir dominant tous les autres, mais en- core le centre vers lequel allaient se diriger l’activité et les aspirations d’une fraction considérable du pays, de cette partie de la société qui s’éveillait à des besoins nouveaux et qui commençait à trouver que, si tout était bien dans le régime féodal pour les possesseurs de fiefs, ceux qui vivaient en dehors de cette aristo- cratie avaient peut-être le droit d’aspirer à une condi- tion meilleure. À bien des gens déjà tout devait sem- bler mort autour du fief, car l’homme du seigneur ne pouvait point espérer voir changer une situation qui se mouvait dans un cercle trop étroit. Du côté de la royauté, au contraire, on apercevait le mouvement et la vie, on entrevoyait la possibilité de faire accepter par elle des services qu’elle seule avait le moyen de magnifiquement récompenser. L’anoblissement allait d’ailleurs, dans un avenir pro- chain, apporter une altération: profonde au caractère que la noblesse avait conservé jusqu'alors. La noblesse, au xrr1e siècle, c'était uniquement les degrés supérieurs de la hiérarchie féodale. Elle avait ses charges et ses obligations en regard de ses béné- fices et de ses droits, et de telle sorte que les seconds ne semblaient qu'être la conséquence et la compensa- tion des premières. Si le vassal était tenu dans une étroite dépendance vis-à-vis de son seigneur , il trou- — 115 — vait aussi près de lui protection et défense; si le pays se sentait enserré dans les liens de la puissance sei- gneuriale, il avait dans l'aristocratie des feudataires une armée pour le défendre contre les entreprises de l’é- tranger. La noblesse était donc toute territoriale et toute militaire. Mais lorsque l’argentier du roi, le doc- teur és lois ou le grand propriétaire d’herbages en Normandie seront anoblis par le souverain, la no- blesse se trouvera grandement menacée dans son ca- ractère primitif et comme essentiel, car elle verra chaque jour pénétrer dans son sein des hommes qui auront désormais comme préoccupation constante d’é- carter les charges et les obligations pour ne conserver que les bénéfices et les droits. Enfin si l’on veut considérer que le pouvoir royal, loin d’être dirigé par le désir de conserver à l’aristo- cratie féodale toute sa grandeur, sera bien plutôt pré- occupé de l’amoindrir, on comprendra facilement que l’anoblissement puisse devenir entre ses mains une arme terrible à l’aide de laquelle il saura beaucoup mieux énerver et décomposer les forces de la noblesse que les entretenir et les réparer. C’est vers la fin du xirre siècle que paraît avoir com- mencé l'exercice du droit d’anoblissement : la première charte que l’on rencontre est celle par laquelle, en 1971, Philippe II le Hardi confère la noblesse à Raoul, l'orfévre. La royauté, en se donnant cette attribution nouvelle, prétend du premier coup se la réserver pour elle seule comme un gage et une conséquence de sa suprématie; et si des tentatives d’usurpation se pro- duisent de la part de quelque puissant vassal, elle sait — 114 — vite les réprimer car elle est désormais assez forte pour assurer le respect de tous ses droits (1). Avec Philippe-le-Bel, les chartes de noblesse appa- raissent déjà plus nombreuses en même temps que l’on aperçoit, par la carattère de ceux à qui elles sont concédées, de quel côtél le roi de France cherche et trouve des appuis dans ses luttes violentes contre la papauté. Ainsi parmi les nouveaux nobles on remarque Gilles de la Cour supérieure, Jean Jacques, natif de Cahors et Jean Marc, docteur ès lois à Montpellier, anoblis eux et leur postérité en récompense des agréables services qu'ils ont rendus (2). Les enfants de Philippe-- le-Bel se gardèrent de renoncer à une prérogative qui devait assurer tant de dévouements à la royauté et qui allait bientôt lui apporter tant de profits d’une autre corte (3). Dès lors le droit se trouvait consacré, et chacun des souverains qui allaient se succéder sur le trône de France devait en user d’autant plus largement qu’à cette faculté étaient venus se joindre des avantages que vraisemblablement n’entrevoyait point la pensée de celui qui le premier en avait doté la couronne. La royauté comprit vite quel parti elle pouvait tirer du pouvoir de faire des nobles et, toujours besogneuse d’argent, com- ment, en s’assurant des hommes, elle pourrait remplir (1) Arrêt du Parlement, 1280.. — Ord. de Louis XIL, mars 1498, Coll. Isambert, tome IT, p. 666. — Tome XI, p. 358. (2) Registre de la Chambre des comptes commencé en 1275. — La Roque, Traité de la noblesse, chap. xx1, édition de 1734. (3) Ibid. — 115 — ses coffres et se procurer des ressources qu’elle de- mandait trop souvent à la violence et à la fraude. Les premiers anoblissements avaient été faits sans finance et seulement pour récompenser des services rendus ; mais ce motif premier et d’un ordre supérieur fut bientôt dominé par des considérations moins élevées : en fai- sant payer les priviléges qu’elle conférait, en prélevant sur lanobli ce qu’on appelait une finance, la royauté s’ouvrit une voie dans laquelle elle se trouva presque immédiatement entraînée , et qui fatalement devait changer le caractère de la noblesse et le décom- poser. à Ce trafic de la noblesse par le roi ou, comme onPa appelé, cette pratique des anoblissements bursaux me paraît être une des causes les plus incontestables de décadence pour le corps dont j’examine les destinées. Dès maintenant, en effet, on peut apercevoir les con- séquences qui vont d’elles-mêmes sortir de cet usage introduit par la royauté de demander à l’anobli le paie- ment de la distinction qu’il reçoit. C’est par des luttes continuelles et des efforts sans relâche que le roi de France pourra maintenir vis-à-vis de l’étranger l’indé- pendance de ses Etats et ajouter à son royaume de nouvelles provinces ; les conditions de la guerre chan- geront : à la place de l’armée féodale fournie par le service des fiefs viendra l’armée permanente à la solde et à la charge du souverain ; le nombre de ces troupes qu’il faudra entretenir et payer ira toujours grandis- sant, parce que grandiront aussi les entreprises d’une politique engagée dans tous les mouvements de l’Eu- rope; le luxe et le faste des cours montreront des exi- — 116 — gences de plus en plus difficiles à satisfaire et dévore- ront une partie des ressources destinées à défendre l’honneur du pays ou à développer sa prospérité; de telle sorte que si la royauté est parvenue à remplacer des subsides temporaires par un impôt fixe et que ra- ménera chaque année, son trésor vite épuisé la con- traindra néanmoins de chercher autour d’elle et par d’autres voies l’argent que la taille ne lui apportera jamais assez abondant. Cest ainsi que l’on s’adressera sans modération et sans justice à ce moyen trop facile de trouver l'argent qui manque : l’anoblissement, et que l’on créera des nobles beaucoup moins pour ré- compenser des services que pour faire chèrement payer une qualité qui va de la sorte revêtir un caractère vé- nal. Î n’y aura point d’ailleurs à craindre de voir s’épuiser la liste de ceux qui solliciteront cette distinc- tion : la vanité et le profit combleront les vides qu’aura faits la munificence intéressée du prince. Prendre rang parmi la classe des seigneurs, jouir de tous leurs hon- neurs el de toutes leurs prérogatives, détenir des fiefs sans impôt qui rappelât incessamment la roture et, dans un temps où la taille apparaissait tous les ans plus avide, s’exempter de ces charges qui pesaient déjà si lourdement sur le vilain; c’étaient là autant d’appâts qui devaient faire poursuivre la conquête de la no- blesse avec une ardeur que les largesses de la royauté ne parviendraient point à éteindre. Les lettres de noblesse ne datent point encore d’un siècle, qu’on aperçoit déjà les ressources que le souve- rain puise dans leur concession. Ainsi en 1354, Jean de Reims paie sa charte d’anoblissement trente écus — 117 — d'or et l’année suivante Aimery de Cours verse pour la sienne la somme énorme de quatre-vingts écus d'or (1). Désormais la finance fournie par les anoblis est un des revenus habituels du trésor royal, et l’on ne verra plus que dans de très rares circonstances le roi de France créer des nobles sans rien vouloir en échange de la faveur et des priviléges qu’il leur confère. Le xve siècle, avec Charles VII, amena deux mesures qui devaient avoir sur les destinées de la noblesse une immense influence : la création d’une armée ré- oulière en dehors du service des fiefs et la permanence de la taille pour payer les troupes que le roi prenait à sa solde. D’une part la création d’une armée régu- lière allait permettre à une partie de la noblesse de se soustraire à sa principale obligation : la défense du pays par les armes ; de l’autre, l’exemption de la taille perdrait ainsi de plus en plus sa justification et devien- drait un sujet d'envie et de haine pour les classes sur lesquelles l'impôt retomberait si injuste et si lourd. Tout l'avenir se trouvait donc en germe, dans ces in- novations de Charles VIL. À la royauté qui modifiait ainsi l’organisation et les conditions de la vie sociale incombait le devoir de surveiller les effets des change- ments introduits par elle, de maintenir l’harmonie entre les priviléges et les charges, de faire disparaître les premiers quand on échappait aux secondes ; c’est pour avoir failli à ce devoir qu’elle a vu se former un orage qui un jour l’a emportée avec les institutions qu’elle n'avait pas su réglementer et contenir. (1) Comptes du trésor, de l’année 1471. — 118 — Les facilités offertes pour éviter l'impôt du sang, c’est-à-dire la vraie contribution du gentilhomme, n’é- taient point de nature à refroidir les ambitions et à calmer les désirs de ceux qui aspiraient à changer de classe. Aussi à partir de cette époque du xve siècle, voit-on les chartes d’anoblissement délivrées en sotibné presque infini. Louis XI, dans sa lutte contre l’aristo- cratie féodale, ne répugnait point à lui infuser le sang de ses fidèles bourgeois; il n’est pas un registre du trésor des chartes correspondant à ce rêgne ainsi qu’à celui de Chartes VIIT, qui ne contienne plusieurs lettres de noblesse (1). Ces lettres sont octroyées à des gens dans toute condition; les unes sont motivées sur des services et des mérites, les autres ne le sont point; les services sont de toutes sortes. Ce qui se ressemble presque {oujours, c’est la finance perçue sur l’ano- bli; non que j'aie l’intention de soutenir qu’il fallût voir dans ces créations de nobles seulement une spé- culation fiscale et jamais la récompense désintéressée d’éclatants services ; je veux simplement constater que si l’on rencontre un certain nombre d’anoblissements gratuits, la plupart cependant n'étaient concédés que moyennant indemnité pour le trésor. Un fait qui me paraît, mieux que toutes les consi- dérations, donner son caractère à l’usage que la royauté faisait du droit d’anoblissement, c’est celui-ci : Richard Graindorge avait entrepris le commerce des (1) Trésor des chartes, reg. 196-197, 201 , 211 et autres. — Or- donnances des rois de France, tome XVIT, p. 98, note 6; page 384, note 6. = MAD bœufs dans le pays d’Auge en Normandie; ses entre- prises avaient prospéré et Graindorge était devenu un gros marchand dont les coffres s’emplissaient d’écus en même temps que s’agrandissaient et que se peu- plaient ses herbages. Le Normand ne songeait point à devenir grand seigneur, non que la noblesse n’eût du bon en exemptant de payer l'impôt, mais parce qu’il eût fallu quitter le trafic et, en définitive, c’eût été, pensait-il, la payer trop cher que de lui sacrifier un commerce qui l’avait si bien jusque-là récompensé de ses travaux el de ses peines. Mais cela ne faisait point le compte du trésor royal qui espérait tirer de Richard Graindorge une finance que bien peu pourraient payer aussi belle et aussi ronde; or il arriva que le marchand du pays d’Auge fut anobli bon gré malgré, qu’il fut choisi en sa qualité de riche et aisé pour accepter ce pri- vilége el comme Graindorge, condamné à être gentil- homme, ne se soumellait point assez vite à un honneur que tant d’autres recherchaient, ce fut par voie de contrainte que l’on recouvra sur lui les mille écus aux- quels il avait été taxé par la chambre des Comptes (1). Avec le xvre siècle, on remarque l'apparition de deux causes sous l'action desquelles les rangs de la noblesse allaent être contraints, aux dépens de sa considération, d’indéfiniment s’élargir : je veux parler du trafic des charges et de l’usurpation. Les lettres de 1467 (2) qui accordaient l’inamovi- (1) La Roque, Traité de la noblesse, chap. XXI. — La Roque dit avoir vu les contraintes décernées contre Graindorge. (2) Ordonnances des rois de France, tome XVII, p. 25. — Loyseau, Traité des offices, liv. III, ch. 1. SOC. D’AG. : 9 — 190 — bilité aux Charges eurent vite pour conséquence leur vénalité. Sous Louis XI, en effet, le Parlement dissi- mulait déja le commerce des offices et Philippe de Commines pouvait s'étonner qu’en la ville de Paris tel office sans gages fût vendu jusqu’à huit cents écus et tel autre avec gages quinze fois plus que ses gages (1). Louis XII le premier voulut faire profiter la royauté d’un trafic toléré seulement entre particuliers. Pour couvrir les dépenses que nécessitaient les expéditions d'Italie sans écraser le peuple par de lourds subsides, ce monarque vendit un certain nombre d’offices (2); 1l était loin de prévoir les immenses abus qui allaient découler de cette mesure prise pour le soulagement de ses sujets et qui devait si rapidement tourner à leur oppression. Après lui François Ier pratiquait ouverte- ment la vente des charges qui figura dès lors dans les comptes comme un revenu ordinaire et habituel, et il érigeait en 1599 le bureau des parties casuelles « pour servir, dit Loyseau, de boutique à cette nouvelle mar- chandise (3). » On usait si largement de cet expédient, que les dix dernières années du règne de Henri II donnaient aux parties casuelles plus de soixante-dix millions de livres. La noblesse avait été de bonne heure attachée aux principales charges : c'était un des usages les plus éle- "vés et les plus utiles que la royauté püût faire du droit (1) Philippe de Commines, mémoires, édition Lenglet du Fresnoy, tome I, p. 42. (2) Loyseau, Traité des offices, liv. IT, ch. 1. (3) Ibid. — 191 — d’anoblissement. Les grandes fonctions supposent tou- jours chez ceux qui y parviennent des services rendus dans le passé et une aptitude à en rendre de nouveaux dans l’avenir : il y a donc pour l'Etat justice et profit à en rehausser l'importance et l’éclat. Mais ce caractère de grandeur que revêtait l’anoblissement par les charges publiques , tant que le choix seul du roi conduisit à celles-ci, disparut complètement par la vénalité. Ce fut bien alors que la noblesse devint chose tombée dans le commerce, marchandise ayant ses prix puisqu’elle se pouvait acheter avec la qualité et la fonction auxquelles : on l'avait attribuée. Si les lettres de noblesse ne s’oc- troyaient trop souvent qu'à ceux qui les pouvaient le mieux payer, cependant plus d’une était encore don- née sans finance el pour récompenser de vrais services rendus à la patrie; mais dans l’anoblissement par l’of- fice acquis à prix d’argent, rien ne venait racheter le caractère vénal résultant d’un pareil trafic. D’un autre côté, l’Etat se faisant vendeur de charges, devait tendre à en accroître la valeur; de là une disposition cons- tante à augmenter le nombre des offices anoblissants, la noblesse, par l’exemption des impôts et l’ensemble des bénéfices qu’elle entraïnait, étant une des conditions les mieux faites pour élever le prix de ce qu’on voulait vendre. A la fin du xvæ siècle, les cours souveraines , les chancelleries, les emplois dans les finances ouvraient déjà à la bourgeoisie un grand nombre de portes par lesquelles, pour prendre l’expression du temps, elle pouvait s’insérer au corps de la noblesse. J'ai parlé de l’usurpation. Si la vanité seule peut — 199 — enfanter aujourd’hui tant de prodiges, que devait faire la vanité quand elle était aiguillonnée par l’intérêt? Le temps présent, avec ses enseignements sur notre tem- pérament et notre humeur, vient ici compléter les in- dications de l’histoire et aider à comprendre la vivacité comme le nombre des efforts tentés autrefois pour con- quérir une qualité qui apportait avec elle honneurs et profits. Toutefois, s’il est bon en ce sujet de ne pas isoler complètement sa pensée du spectacle que fournit l'heure présente, il faut cependant reporter plus sou- vent ses regards dans le passé afin d’y cherhcer les exci- tations que notre temps n’offre plus et trouver ainsi les causes et l'explication d'entreprises que la royauté a si souvent et si inutilement tenté de réprimer. L’exemption de la taille n’était point le seul privi- lége qui appartint à la noblesse : on peut dire que la qualité de noble suivait celui qui en était revêtu dans tous les mouvements de la vie publique, politique, éco- nomique et civile. Les nobles avaient rang et préséance sur les roturiers dans toutes les assemblées, proces- sions et cérémonies ; seuls ils avaient le droit de porter l'épée et des armoiries timbrées; seuls encore ils pou- vaient posséder des fiefs sans payer l'impôt auquel était assujetti le roturier pour ses héritages nobles, et seuls prendre le titre des terres seigneuriales. Leur qualité les rendait capables d’être admis dans certains ordres réguliers, militaires et autres, dans certains chapitres, bénéfices et offices ecclésiastiques ou séculiers, leur ouvrait en un mot une foule de voies fermées au sim- ple bourgeois. Ils étaient exempts des banalités, corvées, logement des gens de guerre ainsi que d’autres servi- — 193 — tudes personnelles. Pour eux changeaient les règles de la compétence civile comme de la compétence crimi- nelle; pour eux encore le droit civil avait des disposi- tions particulières. C’était donc un magnifique ensemble de priviléges et de droits : isolées, chacune de ces pré- rogatives pouvait solliciter plus d’une ambition; réu- nies, que de convoilises elles devaient allumer, que d’espérances enhardies par trop de succès et par les facilités offertes pour y atteindre! Notre société, avec son organisation simple mais com- plète, où tous les droits sont protégés et assurés, mais aussi limités et contenus, où la surveillance du pou- voir qui administre et dirige descend dans les plus mi- nimes fractions du territoire et jusqu’au dernier degré de la vie sociale pour y maintenir le respect de la loi; où tout abus comme toute réclamation légitime trou- vent devant eux une autorité pour faire justice; notre société, dis-je, ne rend point compte des voies ouvertes dans l’ancien ordre de choses à des fraudes et à des usurpations qui seraient impossibles aujourd’hui. Il est besoin de faire remonter son esprit vers d’autres temps. On aperçoit alors, à un certain niveau , l’autorité pu- blique se fractionnant entre une foule de pouvoirs et de juridictions aux attributions mal définies, s’enche- vêtrant les unes dans les autres, sans cesse en conflit, mais toujours incertaines sur la limite de leurs droits, présentant ainsi des lacunes par lesquelles la fraude pouvait aisément pénétrer; puis, au-dessous de ce ni- veau, l’action et la surveillance de cette autorité s’a- moindrissant de telle sorte que, pour peu que l’on descende encore, on les voit presque entièrement dis- — 194 — paraître. Au xvIe et au XVIIe siècle, le pouvoir central apparaissait surtout dans les campagnes par ceux qui pour lui, chaque année, demandaient et recueillaient l'impôt : tristes représentants qu’il se donnait ainsi! Ce qui fait la force de notre organisation administra- tive, c’est que derrière le plus modeste agent se trouve tout le poids de la puissance publique et que, d’un autre côté, la responsabilité en remontant toujours, entraîne un contrôle qui prévient les abus et garantit à chacun le complet exercice de ses droits. Mais au temps dont je parle, l'appui et le soutien de la puissance publique était trop incertain et trop douteux pour que l’agent du dernier degré songeât à engager des luttes dont il avait tant de chances d’être la victime; la surveillance était trop lointaine et trop vague pour qu’elle pût empêcher des compositions et des fraudes sur lesquelles la cons- cience devait se montrer d’autant plus facile qu’on se croyait souvent chargé moins des intérêts de l'Etat que de ceux de fermiers et de spéculateurs uniquement préoccupés de s'enrichir aux dépens du pays tout en- tier. Les agents du fisc notamment, entre tous les rouages, se faisaient remarquer comme un des plus fragiles (1). Au-dessus d’eux, et chez ceux-là même qui, par leur caractère, semblaient destinés à faire dispa- raître les abus tolérés ou commis par les agents infé- rieurs, il n’était point impossible de rencontrer des complaisances qui ouvraient la voie à de faciles usur- pations. On remarque dans plusieurs ordonnances ou (1) Louis XIT, ord. de novembre 1508, art. 41. — Ordonnances des rois de France, t. XXI, p. 392. — 195 — déclarations des prescriptions par lesquelles il est en- joint d'imposer à la taille ceux qui auront usurpé la noblesse, « tant en vertu des sentences et jugements donnés par les commissaires députés pour le règlement des tailles ou des francs-fiefs que des sentences des élus et autres juges qui se trouveront avoir élé données par collusion et sous faux donné à entendre (1). » Ces moyens frauduleux de s’exempter de la taille, tant de fois signalés dans les actes royaux, durent conduire à un nombre très considérable d’usurpations de noblesse. Si les fraudes se pouvaient aisément commettre lorsque les pouvoirs fonctionnaient avec une régularité au moins apparente, combien ne devaient-elles pas se produire plus fréquentes encore lorsque des temps de trouble et de guerre civile venaient pour ainsi dire sus- pendre la marche de ces pouvoirs et plonger le pays dans une anarchie et un désordre au milieu desquels toute espérance semblait permise et tout succès pos- sible ? Le siècle de François Ier et des Guise, des luttes avec l'Empire et des troubles intérieurs, était plus que tout autre favorable à ces entreprises; aussi les plaintes sur ce qu'avaient produit de nobles la licence des guerres et la corruption de ces temps se retrouvent- elles pour ainsi dire à chaque page dans les remon- trances du corps de la noblesse et dans les motifs qui précèdent les ordonnances rendues pour la recherche des usurpateurs. La répétition de ces ordonnances, le nombre des mesures prises au cours du xvi® siècle, (1) Arrêt du Conseil du 30 décembre 1656. — Chérin, abrégé chro- nologique d’édits concernant la noblesse, édition Migne, p. 909. — 196 — montrent en même temps combien les fraudes étaient fréquentes et comment les efforts tentés par la royauté étaient impuissants à les réprimer (1). Le pouvoir royal lui-même, par l’abus des lettres de noblesse, avait d’ailleurs la plus grande part de res- ponsabilité dans le développement excessif que prenait le corps des privilégiés. À l’anoblissement que rece- vaient des personnes isolées était venu se joindre l’ano- blissement qu'on peut appeler collectif, c’est-à-dire donné en même temps à des catégories entières d’indi- vidus et de familles. J’ai indiqué les créations d’offices ; en dehors de ces voies constamment ouvertes à la bour- geoisie pour franchir le degré qui la séparait de la caste supérieure, il faut signaler différents édits de Charles IX et de Henri INT. Le premier qui, par un édit de 1564, avait fait douze nobles, en créait encore dans chaque ville par celui de 1568. Le second, par l’édit de Paris de juin 1576 et par des déclarations données à Blois le 20 janvier et à Poitiers le 10 septembre 1577 octroyait mille lettres de noblesse moyennant finance (2). La situation résultant déjà de tant d’abus se peut lire dans les considérants qui précèdent un édit rendu par Henri IV en 1598. La politique intérieure de Henri IV fut par-dessus tout une politique de répara- (1) Déclaration du 9 octobre 1546, compilation chronologique de Blanchard, t. I, p. 603. — Ord. du 26 mars 1555, La Roque, Traité de la noblesse, p. 384. — Edit de 1560, art. 110, Armorial de France, reg. Jer, seconde partie, p. 661. — Edit de juillet 1576, ibid., p. 665. — Edit de mars 4583, Chérin, p. 884. (2) La Roque, p. 58. — Armorial de France, reg. Ier, seconde partie, p. 665. à — 197 — tion; avec ce merveilleux bon sens qui s’appliquait à toutes choses, il aperçut l’excessif usage que la royauté avait fait de l’anoblissement, et lui qui aimait à se pro- clamer le premier gentilhomme de son royaume, qui, loin d’entretenir ceux de la noblesse dans « les bague- nauderies de cour, » les conviait plutôt à se retirer dans leurs terres et se riait du luxe de ceux « qui portaient leurs moulins et leurs bois de haute futaie sur leur dos,» il avait compris qu'en vendant la noblesse à ceux qui s'étaient trouvés assez riches pour l'acheter, on n'avait fait qu'énerver un corps qui était au demeu- rant une des forces vives du pays, et qu’une politique intelligente et forte devait savoir employer pour sa dé- fense et sa grandeur. C'était d’ailleurs le royaume tout entier qui souffrait d’un trafic dont un des buts prin- cipaux était de se soustraire à l'impôt. Qu'on en juge par ces paroles : « Il nous a été remontré, dit Henri, par les princes et principaux seigneurs de notre Conseil, et autres grands notables personnages de l’assemblée convo- quée en notre ville de Rouen, qu’il est impossible non-seulement que nos tailles soient levées, mais aussi l’agriculture continuée si l’abus introduit depuis plusieurs années en ça n’est osté; d'autant que plus ; les charges et impositions ont été augmentées, d’au- » tant plus les riches et personnes assez contribuables ÿ à nos-tailles se sont efforcez de s’en exempter : les » uns moyennant quelque légère somme de deniers ont » acheté le privilége de noblesse; autres, pour avoir » porté l'épée durant les troubles, l’ont imduement » usurpée et s’y conservent par force et violence ;...… SV VS S VS © Y — 198 — » autres ont acquis les priviléges d’exemption à cause » des charges et offices de judicature et finance dont ils se trouvent pouvus ;..…… lesquels reviennent au très grand préjudice de la chose publique, de cestuy notre royaume , foule , oppression et totale ruine de nos sujets qui paient la taille (1). » En conséquence, le roi révoquait tous les anoblisse- ments accordés depuis vingt ans. L’exécution de l’édit de 1598 ne fut point sérieuse- ment poursuivie, el aux Etats tenus à Paris en 1614, les cahiers des remontrances faites au roi par la noblesse du royaume contenaient les plaintes les plus amèêres contre l’envahissement de la roture : Sa Majesté était humblement suppliée d'arrêter les progrès de l’usur- pation et de révoquer « toutes lettres d’anoblissement accordées depuis trente ans, sinon celles qui avaient été données pour des services signalés dans les armées (2). » Richelieu, qui assistait aux Etats de 1614, ne devait point se sentir ému de ces protestations, el quand, peu d'années après, véritable maître et souverain de la France, il entreprenait, au profit de la royauté, une guerre implacable contre les derniers restes de l’aris- tocratie féodale, il est permis de penser qu'il n’aper- cevait point sans une secrète satisfaction l’élément bourgeois pénétrer un corps qu’il voulait placer dans la dépendance et soumettre au bon plaisir du roi. Tou- tefois, il semble qu’on voulut donner satisfaction à des plaintes qui s'étaient tant de fois produites, car, en ES OT MES IONST. (1) Ordonnances royaux, tome Ier, p. 694. (2) Armorial de France, reg. ler, seconde partie, p. 672. — 199 — 1634 (1), après avoir défendu d’usurper le titre de no- blesse à peine de 2,000 livres d'amende, le roi prenait l'engagement « de ne plus expédier aucunes lettres d’anoblissement, sinon pour de grandes et importantes considérations, » et comme si ce n’était pas assez, deux années après, Sa Majesté ordonnait qu’à l'avenir « ne seraient données aucunes léttres d’anoblissement ou dé- claration de noblesse, ni établissement ou création faite d'officiers nouveaux (2). » C'était une belle promesse ; mais la réalité devait lui infliger un trop complet démenti. Au xvrie siècle, et à la mort de Louis XII, les plaintes des vrais gentilshommes n'étaient que trop justifiées ; les vieilles races commençaient à se voir perdues au milieu de cette foule d’anoblis qui avaient trouvé, pour changer d’ordre, tant de facilités et tant de complai- sances. Le règne qui allait s’ouvrir, loin de réparer des forces qu’on épuisait pour les vouloir trop renouveler, devait compléter un abaissement que trois siècles avaient déjà conduit si loin. Quand on parcourt la longue série d’édits, d'ordonnances, de déclarations, d’arrêts rendus sur la noblesse pendant le gouvernement de Louis XIV, on voit, non sans une certaine tristesse, l’agrandisse- ment immense que Richelieu a donné à la puissance royale et comment l'aristocratie, désormais sans force propre et incapable de lutter contre un pouvoir qui avait tout envahi et tout affaibli autour de lui, se trouvait aban- (1) Armorial de France, reg. Ier, seconde partie, p. 675. (2) Règlement fait par le roi entre les trois ordres de la province de Dauphiné pour le fait des tailles, le 16 octobre 1639, Chérin, p. 900: — 130 — donnée et livrée à la discrétion du prince. Si Dangeau et Saint-Simon nous montrent les plus grands noms de la France rassemblés à Versailles pour quêter un sourire du monarque qui ne leur laisse plus d’autre droit que d’aspirer à l’honneur d’être comptés parmi ses courti- sans, l'étude plus sévère de la législation et des chartes ne fournit point un autre enseignement. Il ne se pas- sera, pour ainsi dire, pas une seule année du nouveau règne sans que napparaisse quelque règlement nou- veau intéressant la noblesse ; mais quel spectacle dans cette succession de volontés royales! Edits d’anoblisse- ment, révocation des lettres concédées, concession nou- velle moyennant finances des priviléges révoqués, créa- tion d’offices sans nombre emportant titre de noblesse, suppression de ces offices, impôt prélevé sur l’anobli sous prétexte de droit de confirmation, enfin offre de la noblesse au premier venant pour un prix fixé par arrêt, le bon plaisir du roi peut maintenant tout entreprendre et tout oser. Que sont devenues la puissance et la dignité de ce corps qui pouvait autrefois tenir la royauté en échec et qui plus tard, tout en s’inclinant devant la suprématie du roi de France, avait su conserver tant d'importance et tant de grandeur! Il faut insister sur cette époque de laquelle datent vraiment l’abaissement définitif et la ruine de la no- blesse. Les mesures prises aux débuts du règne de Louis XIV feraient facilement illusion et conduiraient à admettre une pensée sérieuse de réparation, si l’on ne prenait soin d'en pénétrer la portée et d’en reconnaître les véritables effets. C’est ainsi que l’on voit se produire — 131 — plusieurs édits dont les uns révoquent des anoblisse- ments précédemment accordés, et les autres prescrivent la recherche des usurpateurs de noblesse. Henri IV, par l’édit de 1598, avait ouvert la voie des révocations ; inspirées par uu désir sincère de soulage- ment pour des classes opprimées, elles auraient tou- jours eu cet inconvénient grave de présenter un man- quement à la parole donnée ; lorsque, dans la réalité, elles ne se traduisaient que par des déceptions pour ceux dont elles prétendaient améliorer le sort, mais aussi par. de nouveaux profits pour le fisc, le dom- mage causé au respect de l'autorité royale devait être bien plus grand encore. Or, tel fut constamment leur caractère sous le gouvernement de Louis XIV : les édits d’anoblissement s’exécutèrent toujours et l’on avait hâte d’en recueillr les profits ; les édits de révocation, comme en témoignent de nombreux arrêts ou actes royaux, ne s’exécutèrent jamais : on savait trouver plus d’un moyen de les éluder. Des anoblissements révoqués, les uns parvenaient à se maintenir ce qu'ils étaient avant l’édit, les autres se faisaient confirmer moyennant une indemnité versée dans les caisses du roi. Les premières recherches pour arrêter et réprimer l'usurpation ne donnèrent point des résultats plus heu- reux (1); confiées à des traitants, elles n’amenèrent que des vexations ou de nouvelles fraudes : « à l’égard des usurpateurs, dit un arrêt du Conseil; il a été fait des compositions avec aucuns, moyennant lesquelles les (1) Déclaration du 8 février 1661 ; — du 26 février 1665. — Arrêt du Conseil du 22 mars 1666. ques — 132 — exploits d’assignations ont été supprimés, et d’autres, sur des titres faux ou fort faibles, ont été déclarés nobles par la connivence desdits traitants (1). » Cette préoccupation ‘que causaient à la royauté des entre- prises sans cesse renouvelées et presque toujours heu- reuses, se conçoivent d'autant mieux qu’elle avait elle- même plus abusé du droit de faire des nobles, et que ceux qui parvenaient ainsi à conquérir une qualité si vivement ambitionnée, échappaient à l'indemnité que la concession de lettres les aurait contraints de payer au trésor. Les temps de la minorité de Louis XIV, les luttes de la Fronde avaient d’ailleurs offert à l’usurpa- tion les mêmes facilités qu'autrefois les guerres de la Ligue, et pour n’indiquer qu’une seule voie, si l’on veut songer à ce qu'étail alors la constitution de la propriété, on comprendra combien durent voir réussir des tentatives qu’une surveillance incessante eût à peine été capable de faire échouer. J'ai dit que le principe du non-anoblissement par les terres avait été posé par Henri III. L’acquittement du droit de franc-fief était désormais le seul signe qui pût assurer le respect de cette règle et maintenir la qua- lité du roturier vivant dans une terre noble; mais que par une circonstance quelconque, par la fraude ou par un privilége concédé, ce signe vint à disparaître, la qualité de la terre demeurait et devait nécessairement, au bout d’un certain laps de temps, se réfléchir sur celui qui la détenait. Or, en ne parlant point même des compositions avec les agents du fisc, l’exemption du (1) Chérin, p. 920. — 133 — droit de franc-fief avait été successivement octroyée non seulement à une foule d'individus isolés, mais encore à un nombre considérable de catégories de personnes et de villes dont les habitants pouvaient acheter toutes sortes de biens, sans être tenus de payer indemnité au trésor (1). La distance qui séparait de la noblesse les roturiers vivant dans de pareilles conditions devenait trop courte pour qu’elle ne füt pas franchie par le plus grand nombre. Malgré ces empiétements chaque jour répétés, les recherches d’usurpateurs non plus que les révocations d’anoblissements ne modifièrent donc point une situa- tion qui cependant, de l’aveu même de la royauté, ré- clamait bien vivement sa sollicitude et ses soins : « Les guerres et troubles survenus en notre Etat pendant notre minorité, est-il dit dans le préambule d’un édit de révocation de 1664 (2), nous ayant obligé, par cer- taines considérations, d’accorder grand nombre de lettres de noblesse et ensuite de tirer quelque légère finance pour la confirmation desdits anoblissements, pour aider aux dépenses dont nous étions lors chargé, cela a produit un si mauvais effet qu’il se rencontre que plusieurs paroisses ne peuvent plus payer leur taille à cause du grand nombre d’exempts qui recueillent les principaux fruits de la terre sans contribuer aux im- positions dont ils devraient porter la meilleure partie. » Ce qui explique mieux quelles étaient les préoccupa- (4) La Roque, chap. xxI; — Bacquet, traité du droit de franc- fief. (2) Ordonnances royaux, tome [[, p. 77. — 134 — tions cachées sous les mesures prises vis-à-vis des ano- blis, c’est le succès d’une nouvelle invention du génie fiscal digne assurément d’être signalée et qui fait bien comprendre ce qu'était devenu le droit d’anoblissement entre les mains du pouvoir souverain. La royauté avait conquis le droit de créer des nobles : elle avait introduit et fait admettre ce principe : que la noblesse émane du prince et que lui seul peut la con- férer. Poussant jusqu’à l'injustice et au manque de foi les conséquences de ce principe, elle en était venue à conclure que le roi pouvait bien retirer les lettres qu'il avait concédées, et en effet l’anobli, réduit à ne plus compter même sur la parole royale, s'était vu plus d’une fois déjà reprendre un privilége dont il avait dû croire la possession solidement assurée. De là à pré- tendre lever de temps à autre et presque périodique- ment une finance sur les nobles de création récente en décorant cet impôt du nom de droit de confirmation, il y avait à peine un pas, et la logique de finances tou- jours embarrassées aperçu vite les ressources qu’on pouvait tirer de cette situation dernière. Le 30 dé- cembre 1656 (1), dans une déclaration pour la recherche des usurpateurs de noblesse, il était dit « que Sa Ma- jesté voulant traiter favorablement les nouveaux anoblis, les confirmait dans leurs anoblissements à la charge de payer par chacun d'eux, dans le temps qui serait or- donné, la somme de 1500 livres et les deux sols pour livres.» Toute porte entr’ouverte par laquelle l'argent avait pénétré dans les coffres du roi ne se refermait (1) Chérin, p. 909. — 135 — plus : le droit de confirmation fut classé dorénavant parmi les expédients financiers auxquels on pourrait recourir à de certains intervalles; largement exploité par Louis XIV, on le voit encore, à différentes reprises, apparaître pendant le gouvernement de ses successeurs. Une de ses conséquences naturelles devait être d’en- gager de plus en plus la royauté dans la voie de l’ano- blissement et de l’inviter à ces créations de nobles déjà si imprudemment multipliées : chacune des lettres oc- troyées ne représentait-elle pas, pour le trésor, et la finance payée au jour de la concession et la série d’in- demnités pour confirmation que l’on pourrait prélever dans l'avenir ? Nous ne sommes encore qu’aux premières années du règne , aux temps des conquêtes faciles, des marches triomphales sur le Rhin; l’activité et le génie de Col- bert savent pourvoir à l’entretien des armées, aux exi- gences d’un faste inconnu comme à la création d’une marine et aux encouragements du commerce et de l’in- dustrie. Mais, pour toutes ces choses, les revenus ordi- naires sont bien insuffisants et il faut, en dehors des impôts réguliers, trouver des ressources qui permet- tent de soutenir l’éclat d’un règne commencé avec tant de grandeur et satisfaire les goûts d’un maître que le succès enivre. L’anoblissement a déjà fourni sa part dans ces millions dévorés à l'avance : les lettres de no- blesse ont été distribuées avec une facilité prodigue ; les anoblis se sont vus soumis à une série de mesures fiscales. Que sera-ce lorsque l'horizon s’assombrira, qu'il faudra, pour tenir tête à l’Europe coalisée, cou- vrir des frontières menacées de tous les côtés, lever et SOC. D’AG. L 10 — 136 — entretenir jusqu’à quatre cent cinquante mille soldats; quand la victoire ne s’achètera plus que par des efforts et des sacrifices qui la feront ressembler à un malheur et à un deuil; quand l'heure de la défaite aura sonné et que les calamités toutes ensemble viendront fondre sur le vieux monarque depuis si longtemps habitué aux caresses de la fortune; quand, à la place du grand Colbert, on ne trouvera plus que Chamillard ou Pont- chartrain ? Dés 1672, Colbert, impuissant devant les profusions de la cour et les dépenses d’une nouvelle guerre, était contraint de recourir à des moyens extraordinaires que repoussaient la droiture et la sévérité de son esprit, et il s’adressait à un expédient dont ses successeurs aux finances devaient si tristement abuser : je veux dire la création de charges nouvelles emportant, pour la plu- part, privilége de noblesse. En 1692, on reprenait ce qu’on peut appeler la ma- nœuvre des premières années, c’est-à-dire qu’on révo- quait afin de pouvoir réhabiliter et confirmer. Rien ne peut, mieux que l'étude de cet édit (1), montrer com- bien étaient illusoires et peu sincères les efforts tentés pour le soulagement de ceux qui payaient la taille : « Nous avons été informé, y est-il énoncé, que plusieurs des principaux habitants de nos villes, bourgs et pa- roisses, pour se soustraire aux impositions et charges roturières, ont par surprise obtenu de nous et des rois nos prédécesseurs des lettres de réhabilitation de no- blesse. » En conséquence, on révoque toutes les lettres (1) Versailles, décembre 1692. Coll. Isambert, 1om. xx, p. 172. — 137 — accordées depuis le 1er janvier 1600; mais on se ré- serve de confirmer celles qui auront été concédées pour services importants, et on en excepte encore les lettres qu’on aura pris soin de faire enregistrer à la Cour des aides, lesquelles sortiront leur plein et entier effet en payant, par ceux qui les représenteront, les sommes auxquelles ils seront modérément taxés. Y avait-il donc là autre chose qu’une spéculation fiscale ? En 1696, la situation devient de plus en plus mena- çante; il faut lutter contre les efforts réunis de l’Em- pire, de l'Espagne , de l'Angleterre et de la Hollande ; Pontchartrain, au lieu d’épargnes, trouve une dette qui grossit chaque année dans d’effrayantes proportions, et cependant Louis XIV, habitué à dicter la paix au monde, ne s'arrêtera point devant des ressources épui- sées , pour créer et entretenir plusieurs corps d'armée qui feront tête aux ennemis coalisés, le contrôleur &a- dressera à tous les moyens extraordinaires à la fois et en tirera les millions avec lesquels on pourra sauver encore l'honneur du pays et de son roi. On peul croire que l’anoblissement ne sera point oublié. Cinq cents personnes furent anoblies d’un seul coup : « La ressource fut passagère, dit Voltaire , et la honte durable. » Les motifs de cet édit (1) veulent être re- produits ; ils contiennent des enseignements de plus d’une sorte : « Si la noble extraction et l’antiquité de la race qui » donne tant de distinction parmi les hommes n’est que » le présent d’une fortune aveugle, le titre et la source (1) Versailles, mars 1696. Coll. Isambert, t. xx, p. 261. — 138 — » de la noblesse est un présent du prince qui sait ré- » compenser avec choix les services importants que les » sujets rendent à leur patrie. Ces services, si dignes » de la reconnaissance des souverains, ne se rendent » pas toujours les armes à la main; le zéle se signale » de plus d’une manière, et il est des occasions où, en » sacrifiant son bien pour l'entretien des troupes qui » défendent l'Etat, on mérite en quelque sorte la même » récompense que ceux qui prodiguent leur sang pour » le défendre. C’est ce qui nous a fait prendre la réso- » lution d'accorder cinq cents lettres de noblesse dans » notre royaume pour servir de récompense à ceux de » nos sujets qui, en les acquérant par une finance mo- » dique, contribueront à nous fournir les secours dont » nous avons besoin pour repousser les efforts obsti- » nés de nos ennemis. » Quel étrange langage dans la bouche d’un roi de France, et que de chemin parcouru pour qu’on puisse lire en tête d’un édit cette déclaration : La noble ex- traction et l'antiquité de la race sont les présents d’une fortune aveugle ; les véritables titre et source de la no- blesse sont un présent du prince! Dans moins d’un siè- cle, on retiendra la première partie de ce principe, mais pour lui faire porter de bien autres conséquences. Louis XIV ne semble-t-il point ici, même par les idées, le précurseur de la Révolution ? Quel renversement de toutes les notions ! Qu'importe le sang versé et la gran- deur des services ? Vous tous à qui je vends la noblesse et qui me la payez un bon prix, j'entends qu’elle ne vous soit tenue pour inférieure à celle des vieilles races qui depuis des siècles peuplent les armées de la — 139 — France, car j'avais besoin d'argent, et vous m’en avez donné ; il me fallait des millions, et vous m’en avez fourni. Désormais, la noblesse était tuée dans son prin- cipe : on lui enlevait le respect pour lui laisser l’en- vie: on effaçait ses services pour ne plus donner à voir que ses priviléges et ses profits. Veut-on savoir quelle était cette finance modique ré- clamée en échange de l’anoblissement ? Un arrêt du Conseil, rendu le 7 août 1696, l’apprendra (1); on y lit : « qu’en payant la somme de six mille livres et les deux sols pour livre ès-mains du chargé de la vente des cinq cents lettres de noblesse accordées par édit du mois de mars précédent, pour toute l'étendue du royaume, lesdites lettres seront expédiées. » C'était donc trois millions de livres qu’on espérait seulement de ce côté. Cette même année 1696, fut reprise et conduite avec une certaine vigueur la recherche des usurpateurs de no- blesse (2). Malheureusement il faut y voir un détail de mesures financières bien plutôt qu’un acte de politique éclairée et prévoyante : les 2,000 livres d’amende dont était frappé chaque usurpateur ainsi que les sommes qui devaient être arbitrées par les commissaires pour l’indue exemption, dans le passé, de la contribution aux tailles, se présentaient comme une source de profits que la pénurie du trésor linvitait à ne point dédaigner. Ins- pirées par de semblables motifs, les recherches pou- vaient bien, pour un instant, jeter le trouble parmi (4) Chérin, p. 958. (2) Déclaration du 4 septembre 1696. — Arrêt du Conseil du 16 février 1697. — 140 — ceux dont la qualité ne se sentait pas légitimement ac- quise; elles étaient impuissantes à assurer la répres- sion de la fraude, et plus d’un acte témoigne que, la sentence rendue et l’amende payée, l’usurpateur con- damné n’abandonnait point l'espérance de voir, par de nouveaux efforts, réussir une tentative dont il jugeait le succès non impossible mais seulement suspendu. Les malheurs des dernières années de Louis XIV, la fai- blesse et l’incurie des administrations qui succédèrent à la sienne, favorisèrent du reste ces persistantes en- treprises. Le traité de Ryswick était venu, pour un moment, interrompre les armements et apporter un peu de calme et de répit au contrôleur; mais en 1702 la lutte avait recommencé plus terrible et plus menaçante. La France, pour la soutenir, aurait eu besoin de toutes ses forces et de toutes ses ressources; quarante années de gloire les avaient usées et le pays n’était plus capable de sa- crifices qui auraient dû grandir à mesure qu’on lui en- levait la possibilité de les supporter et de les faire. L’1- maginalion des contrôleurs avait épuisé tous les moyens de trouver de l’argent : anoblissements, droits de con- firmation et de réhabilitation, créations de rentes, créa- tions de charges, augmentation de gages, on avait tout essayé ; il fallait donc recourir aux mêmes expédients et tenter de leur faire donner encore une fois quelques produits. On créa deux cents nobles qui devaient être choisis, si l’on en croit l’édit (1), « parmi ceux qui s'étaient le (1) Versailles, mai 1702. Coll. Isambert, t. xx, p. 410. — 1 — plus distingués pour le service du roi et par leurs mérites, vertus et bonnes qualités, » ce que l’on peut, sans trop d’audace, traduire par ceci : que la noblesse était à la disposition de ceux qui voudraient payer au trésor les 6,000 livres déjà fixées par l’arrêt de 1696 et qui furent encore établies comme prix de la création de 1702. Dans les années qui suivirent furent instituées une énorme quantité de charges nouvelles avec le privilége de noblesse pour un grand nombre (1). En 1705, on per- . mità ceux qui avaient été décrétés à la chambre de l’Ar- senal, pour fabrication de titres, d'acquérir des lettres de noblesse, innocentant ainsi en quelque sorte et en- courageant les entreprises de ceux qui poursuivaient Pusurpation même par le faux (2). En 1711, furent créées cent nouvelles lettres toujours destinées aux personnes qui se seraient le plus distinguées par leurs mérites et vertus (3); déclaration à laquelle donnaient un singu- lier démenti les termes de l’arrêt rendu par le Conseil, quelques jours après l’édit, pour la fixation de la finance à verser au trésor, puisqu'il y était simplement énoncé € qu’en payant, par ceux qui désireraient obtenir des lettres de noblesse, la somme de 6,000 livres entre les mains d’un préposé de Sa Majesté, lesdites lettres leur seraient expédiées en la forme et manière accoutu- (1) IL faut lire dans Forbonais, —/Recherches et considérations sur les finances de la France, — le détail, année par année, des créations d’offices faites de 1689 à 1711. (2) Chérin, p. 988. (3) Ibid., p. 997. — 149 — mées (1). » Les édits pouvaient bien, par pudeur, par- ler de services et de mérites; en fait, l’argent était alors la grande vertu qui faisait les nobles. Dans cet édit de 1711, on insistait d’une façon singulière sur les engagements pris, pour l'avenir, vis-à-vis de ceux qui se rendraient acquéreurs des lettres offertes; et vrai- ment, à voir les promesses de toutes sortes qui leur sont faites, on est forcé de conclure que la parole royale n’inspirait plus grande confiance et qu’il était besoin d’être deux fois rassuré contre ses changements et ses retours. Pour les acheteurs de 1711, non-seulement leurs priviléges ne pourront être supprimés, révoqués ou suspendus, mais afin qu'ils ne puissent êlre inquié- tés sous prétexte de confirmation ou autrement, Sa Majesté voulait que le tiers des sommes qu’ils paieraient fût censé et réputé pour taxe de confirmation. Cependant, malgré tant de garanties, l'événement devait prouver encore que les défiances étaient sages. Quatre années après 1711, le vieux roi se mourait, et, jetant un dernier regard sur sa royauté d’un demi- siècle et sur l’état dans lequel il allait abandonner la France, il apercevait les misères et les douleurs que sa politique avait imposées à toute une fraction du pays; sa pensée s’émouvait à la vue de sacrifices épargnés à tant de personnes pour les faire retomber plus lourds sur ceux-là qui se trouvaient plus incapables de les porter; il se faisait alors comme un suprême effort de cette volonté qui avait disposé de tant de choses, et, témoignage d’un esprit troublé bien plutôt que dernier (1) Chérin, p. 998. — 143 — acte d’une politique qui se continue jusqu’au seuil même de la mort, l’édit d'août 1715 (1) révoquait tous les anoblissements accordés depuis le 4er janvier 1689, et notamment ceux qui avaient été la conséquence des édits de mars 1696, mai 1702 et décembre 1711; il supprimait encore tous les priviléges el exemptions concédés moyennant finance à quantité d’officiers mili- taires ou de judicature; étrange tourment d’une cons- cience qui ne pouvait apaiser les souffrances des uns qu’en manquant à la parole engagée vis-à-vis des autres ! Encore cette révocation n’était-elle point franche et définitive : en se réservant d’excepter de cette mesure « ceux qu'il jugerait à propos pour considération de services importants rendus à l'Etat, » Louis XIV détrui- sait la force de son édit et rendait inefficace cette ten- tative de réparation ; il serait trop facile d'obtenir et d'acheter de ses indignes successeurs la faveur d’être placé dans lexception et compris dans la réserve. Si la noblesse des Etats de 1614 se croyait en droit d'adresser au roi de France les plaintes les plus amères et les remontrances les plus vives sur l’abus fait de l’'anoblissement, quelles plaintes et quelles remontrances aurait dû déposer aux pieds du trône la noblesse d'E- tats tenus en 1716, au lendemain de la mort de Louis XIV? Si le mal était profond déjà au commence- ment du siècle qui s’ouvrait avec la politique absolue et impitoyable de Richelieu, que devait-il être après les . Cinquante années de règne du grand roi et aux débuts (1) Chérin, p. 1005. — Brillon, Dictionnaire des arrêts, verbo ano- blissement: — 144 — de ce siècle qui allait avoir, pour réparer les prodiga- lités, les abus et les fautes du dernier gouvernement, le Régent et Louis XV? Quelle pouvait être désormais dans l'Etat l’influence d'un corps soumis au double régime de Versailles et des ordonnances? de Versailles qui . voyait les plus illustres familles de France humblement rangées pour les levers du roi et qui les avait réduites à mendier de lui une parole ou un regard; des ordon- nances qui avaient fait de la noblesse une marchandise dont le trésor royal traitait à bureau ouvert? Si Louis XIV ne doit point porter seul la responsabilité de cette dé- gradation où était descendu un des principaux ordres de l'Etat, la plus grande part lui en revient cependant. Le travail de transformation et de décomposition de la noblesse était avancé sans doute quand ce prince arri- vait au pouvoir, mais il avait, pour l’achever et le con- duire à son point extrême, plus fait dans cinquante années de gouvernement que les trois siécles qui l’a- vaient précédé. Et puis, monarque absolu, maître sou- verain , libre de toute opposition et de toute entrave, au lieu d'employer les forces de son pouvoir à relever et soutenir un corps trop peu puissant désormais pour inquiéter la royauté, trop grand encore pour qu’on ne le fit pas servir à l'honneur du pays, il n’en avait usé que pour l’abaisser et le détruire. L'histoire hésite à se montrer trop sévère pour l’administration d’un souve- rain qui à porté si haut le sentiment des grandes des- tinées de la France, qui a su lui donner si incontestée cette première place dans les conseils de l'Europe, qu’elle ne perdra qu'avec les gouvernements faibles et qu’elle reprendra toujours avec une direction forte et — 145 — puissante ; et pourtant il faut savoir revenir des éblouis- seménts causés par les splendeurs de son règne et com- prendre que les misères de la politique intérieure, les plaies faites au cœur même de la France veulent, pour la saine appréciation d’une époque, être mises en re- gard de ses aspects les plus brillants et les plus glo- rieux. On s’en est tenu longtemps à l'influence du xvirre sié- cle pour expliquer cette grande décomposition qui a précédé et enfanté la Révolution; il semblait que cette époque se fût violemment séparée des idées, des tra- ditions, des croyances qui avaient été celles des siècles antérieurs et que, par un immense effort de destruc- tion , elle eût suffi à renverser des institutions jusque là grandes et fortes. De nos jours, on s’est habitué à voir plus loin et à regarder plus haut et l’histoire, à la décharge de temps dont la responsabilité pèse encore assez lourde, doit proclamer qu’ils n’ont fait souvent qu’enlever les dernières pierres d’édifices dont bien d’autres avaient depuis longtemps presque achevé la démolition et la ruine. J'espère avoir démontré que, pour ce qui est de la noblesse, accuser le xvire siècle de l’abaissement dans lequel la trouvait 1789, serait une souveraine injustice ; non qu’il soit demeuré étranger à l’œuvre de destruc- tion, il l’a continuée à sa manière; mais enfin elle avait été conduite si loin, au moment où s’ouvrait l’époque appelée à recueillir l’héritage de Louis XIV, qu’elle pouvait presque passer pour définitive et irrévocable. Rétablir le crédit et l'influence de la noblesse, re- donner une vie sérieuse à celte grande institution, était- — 146 — il alors une entreprise qui se püt poursuivre avec suc- cès? Oui, si l’on veut se figurer un gouvernement idéal dépensant, pour relever et reconstruire, plus d'énergie et d'esprit de suite que Richelieu pour renverser et abattre ; plus de désintéressement et de sincérité que Louis XIV n’avait montré de convoitise et de manque de foi; assez fort pour refaire à son image une so- ciété où se remarquaient déjà tant de symptômes alar- mants, pour arrêter un mouvement que contenait à peine la main d’un vieillard encore puissant, mais que la mort de ce représentant d’un autre siècle allait pré- cipiter impélueux et violent. Non, si l’on veut rester dans les réalités de l’histoire et comprendre qu'après les excès de la toute-puissance qui avaient rendu si long le règne de Louis XIV, le gouvernement le plus honnêtement et le plus sincèrement dévoué aux intérêts des diverses fractions du pays n’aurait plus trouvé, pour ‘une œuvre de réparation, cette force dont on avail tant abusé pour énerver et détruire, qu’il ne s’agissait plus seulement d'abandonner au profit d’un des ordres de la nation quelque part de ce pouvoir dont on s'était montré si jaloux et qu’on avait voulu concentrer entre ses mains si exclusif et si complet, mais qu’il eût en- core fallu rendre à cet ordre les idées de gouverne- ment qu'il avait perdues ou plutôt, qu’à vrai dire, il n'avait jamais comprises, lui apprendre à ressaisir et à conserver une influence qu'il avait trop facilement accoutumé de ne plus exercer, qu'il eût fallu faire ac- cepter cette prépondérance renaissante à un tiers-étal dont les progrès étaient chaque jour si rapides et l’am- bition si intolérante. En un mot, l’élève de Fénelon y — 147 — eût été impuissant, et l’on trouvait à sa place la ré- gence et Mme de Pompadour. Les dernières volontés de Lonis XIV ne devaient trou- ver que des exécuteurs infidèles. Si le Parlement se hâtait de briser le testament qui disposait du gouver- nement et du pouvoir, le duc d'Orléans n'allait point se montrer touché par les remords de sa conscience royale et ne poursuivrait que inollement le soulage- ment de sujets opprimés en rendant à l’impôt ceux qui pouvaient plus facilement l’acquitter. On voit bien ap- paraître , dans les premiers mois de 1716, des arrêts du conseil d'Etat (1) pour l'exécution de l’édit rendu en août précédent; mais à ces décisions où l’on peut ne lire qu’une satisfaction donnée à des plaintes trop nombreuses el trop vives pour ne pas être un instant écoutées, succédaient bientôt des institutions de no- blesse (2) à un grand nombre de ceux qui se l’étaient vu enlever, et des mesures qui rappelaient les plus mauvais jours de Louis XIV. D’ailleurs, les misérables expédients du dernier règne, les combinaisons étroites et impuissantes des Pontchartrain, des Lepelletier, des Chamillart allaient faire place à une administration bien autrement large et féconde : l'invention du crédit et le génie financier de Law permettraient de lais- ser aux privilégiés leurs priviléges, tout en rendant moins lourdes aux taillables les contributions sous les- (1) Arrêts du Conseil de mars et d'avril 1716, (2) Edits de juin 1716, de septembre 1720. — Armorial de France, reg. 1, seconde partie, p. 724. — 148 — quelles ils succombaient. Malheureusement les illusions étaient de courte durée; le système s’usait vite et lais- sait les coffres du roi aussi vides et l'Etat plus obéré qu'auparavant. Aussi se hâtait-on de s’adresser de nou- veau à ces ressources extraordinaires qui semblaient cependant n’avoir plus rien à donner. Parmi les in- ventions du dernier règne on eut recours naturelle- ment à celle qui devait être la plus féconde, à ce droit de confirmation qui permettait de reprendre en une seule fois tous les anoblissements concédés depuis une date qu’on reculait à volonté pour leur faire payer une indemnité comme s'ils étaient de création nouvelle. En septembre 1793 (1) un arrêt du Conseil décida que tous les anoblis depuis l’année 1648 paieraient 2,060 livres sous peine de se voir retirer leurs priviléges de noblesse. C’était une contribution forcée, mais c’é- tait aussi la confirmation et le maintien de tous les anoblissements conférés pendant le règne de Louis XIV. La dernière pensée de ce prince était oubliée et mé- connue ; les sujets qui payaient limpôt devaient abandonner cette lueur d'espoir qui leur avait permis, pour un instant, d’entrevoir un peu de soulagement dans une meilleure et plus égale répartition des charges ; ils redevenaient une fois encore taillables et corvéables à merci. On se tromperait du reste étran- sement si l’on voulait prétendre que ces contributions imposées aux anoblissements eussent dû être considé- rées comme un rachat, une expiation, pour ainsi parler, de leurs priviléges et diminuer ainsi la vivacité et l’a- (1) Chérin, p. 1016. — 149 — mertume des plaintes de ceux qui se voyaient obligés d’acquitter la part dont on avait exempté les premiers : la taille était permanente, la contribution de l’anobli accidentelle ; elle était de plus indépendante de l'impôt, et n’apporlait aucun allégement à ceux des sujets que le collecteur trouvait inscrits sur ses rôles. Et maintenant si l’on veut songer à un état obéré, succombant sous une dette déjà énorme, obligé néan- moins de subvenir aux dépenses de guerres continen- tales et maritimes ; si l’on veut apercevoir à côté de toutes ces charges auxquelles il n’était point loisible de se soustraire, les honteux plaisirs de la Cour qu'il fal- lait entretenir et payer, on comprendra que le gouver- nement de Louis XV, loin d'abandonner ces tristes expédients parmi lesquels figuraient toujours les res- sources à tirer de l’anoblissement, en abusera comme on en avait abusé avant lui; ce qu’il ne trouvera plus, ce sera celle excuse que Louis XIV avait cherché dans les splendeurs d’un règne qui rachetait par son éclat tant de plaies faites aux institutions et aux forces du pays. On voit, en effet, pendant le xvine siécle, un double courant s'établir : d’une part, le nombre des privilégiés augmente, de l’autre, les plaintes contre les priviléges grandissent et deviennent chaque jour plus violentes. Les lettres de noblesse se distribuent avec une aveugle prodigalité; les offices anoblissants se multiplient chaque jour davantage : en 1750 (1), on crée une noblesse militaire et l’on donne aux offi- ciers de presque tous grades la faculté de devenir nobles (1) Coll. Isambert, t. XxI1, p. 238. — 150 — au service du roi. À la veille de la convocation des Etals-généraux, et comme un défi aux réclamations et à l'esprit du temps, on accorde encore la noblesse à des officiers inférieurs par la dignité et l'importance à ceux qui jusque-là s’étaient vu concéder cette préroga- tive (1). Enfin l’usurpation se poursuit avec une audace toujours croissante. Aux dernières heures de l’ancienne monarchie, Chérin le généalogiste écrivait (2) : « Les abus qui se sont introduits par l’usurpation sont montés à leur comble. Le mal s’est accru avec une telle rapi- dité qu’il est de nos jours presque universel. On voit aujourd’hui généralement dans tous les actes publics passés devant notaires, dans les actes de célébration de mariage, de baptême et de sépulture et jusque dans le tribunal même, usurper avec audace et sans aucune espèce de retenue, des qualités nobles, lorsqu'on n’est véritablement que roturier par la naissance. » En dehors même de cette dernière voie de mon- ter à la noblesse, voudrait-on savoir ce que moins de soixante années ont pu donner de nouveaux anoblis ? il suffirait de lire le premier article d’un édit de 1771. « Tous ceux des sujets de Sa Majesté qui, depuis le » 4er janvier 1715, ont été maires, échevins, jurats, » consuls, capitouls ou revêtus de quelques offices mu- » nicipaux des différentes villes du royaume ou autres » auxquels sont attachés les priviléges de la noblesse (1) Attribution de la noblesse aux lieutenants-généraux et particu- liers, civils et criminels, conseillers et procureurs du roi aux grands bailliages. Ord. de mai 1788. Coll. Isambert, t. xXVIIL, p. 548. (2) Discours préliminaires sur l’origine de la noblesse. Edition Migne, p. 849. — 151 — » transmissible, à l’exception de la ville de Paris ; tous » ceux qui on! été pareïllement anoblis comme ayant » obtenu des lettres de vétérance, après avoir été pour- » vus, soit au second degré d’offices de présidents tré- » soriers de France, avocats du roi, procureurs et » greffiers en chef au bureau des finances, des géné- » ralités et provinces du royaume, soit au premier » degré de pareils offices au bureau des finances et » chambre du domaine de Paris, comme aussi d’offices » de conseillers -secrétaires audienciers, gardes des » sceaux et autres, dans les chancelleries près des Cours » et Conseils supérieurs; tous ceux auxquels, depuis » ladite époque, il a été accordé des lettres d’anoblisse- » ment, lettres ou arrêts de réhabilitation, seront con- » firmés à perpétuité dans leurs priviléges de noblesse » en payant par chacun d’eux la somme de 6000 livres. » Quel renforts de privilégiés pour une armée déjà si nombreuse | La situation était devenue trop manifestement mau- vaise, ses abus créaient trop de dangers pour que la royauté ne songeât point à y porter remède, et lorsqu'on vit la conscience honnête et droite de Louis XVI, aidée par la puissante intelligence de Turgot, on dut croire un instant qu'une ère de sérieuses réparations et de redressements allait s'ouvrir. Mais pour la lutte contre cette innombrable quantité de priviléges qui, par les sacrifices mêmes faits pour les acquérir, prenaient tous les caractères et opposaient toutes les résistances de la propriété, ce n’était pas assez de la droiture et de l’hon- nêteté de la conscience, il fallait encore l’indomptable énergie de la volonté ; il n’était peut-être pas très dif- SOC. D’AG. 11 — 152 — ficile de prévoir que le ministère ne serait pas long- temps soutenu par le prince, et la joie indécente, les rires bruyants qui firent explosion jusque dans la cham- bre du roi (1), lorsqu'on sut à Versailles que Turgot avait reçu l’ordre de se retirer, firent bien voir la vio- lence des passions et des haines que devraient affronter ceux qui oseraient s'attaquer à des abus que le temps et leur nombre avaient rendus si puissants. On peut maintenant apprécier dans quelles condi- tions la noblesse se présentait devant la Révolution. Depuis quatre siècles ses rangs s'étaient démesuré- ment élargis : la royauté du xive, du xv° et du xvre siècle, par l’abus des lettres d’anoblissement, avait déjà al- téré son caractère et multiplié outre mesure le nombre des privilégiés ; la royauté du xvre et du xvirre siècle, par de nouvelles et plus imprudentes prodigalités, avait com- plété l’œuvre des précédentes époques. Par les offices s'était établi, de la bourgeoisie vers la noblesse, un mouvement d’ascension régulier et d’une effrayante rapidité. Necker (2), quelques années avant 1789, vou- lant se rendre compte du nombre des charges anoblis- santes, en faisait exactement le relevé et trouvait qu’en France il n’en existait pas moins de quatre mille. Quatre mille charges donnant la noblesse non-seulement à quatre mille personnes, mais à quatre mille familles, (1) Dupuy. — Mémoires pour servir à l'éloge de Turgot, prononcé à l’Académie des inscriptions et belles-lettres. (2) Necker. — De l'administration des finances de la France, p. 145. — 153 — puis, au bout de vingt années d’exercice, pouvant, par la vente, en investir quatre mille autres! Il fallait, on en conviendra, de la bonne volonté pour rester dans la roture et continuer à payer l'impôt. Enfin l’usurpa- tion qui, dès le xvie siècle, prenait d’inquiétantes pro- portions, avait résisté à tous les efforts tentés pour sa répression , et par elle le corps de la noblesse s'était vu inondé de membres qui ne trouvaient de titres que dans leur audace ou dans les fraudes de ceux qui les y avaient introduits. Les privilégiés étaient donc partout. La grande en- quête faite en 1788, à la veille de l'ouverture des Etats- généraux , le démontra bien manifestement. Pas une paroisse qui n’eût ses exemptset, pour beaucoup d’entre elles, quelle situation ! Je prends comme au hasard les feuilles de renseignements fournies par chacune des paroisses de la province d'Anjou (1) en la généralité de Tours, et je trouve des indications telles que celles- ci : À Saint-Aubin des Ponts-de-Cé, près Angers, on compte sept privilégiés parmi ceux qui tiennent les terres : en outre les biens ecclésiastiques montent à plus de la moitié de l’étendue de la paroisse et dans le meilleur fonds. À Saint-Barthélemy qui joint Angers d’un autre côté, cinq privilégiés nobles possèdent la plus grande partie des terres. «A part les provinces peu nombreuses où la taille se trouvait être réelle et non personnelle, c’étaient là les conditions économiques d’une grande partie des petits centres de population qui couvraient le royaume. (1) Archives du département de Maine et Loire. — 154 — Que l’on veuille bien mettre en regard de cet état de choses l’aggravation successive des charges et, partant du chiffre de 120,000 livres demandé à la taille par Charles VIT, le voir grossir chaque année, les millions s'ajouter aux millions sans que les exigences et l’avi- dité du fisc paraissent jamais apaisées et satisfaites ; que l’on se rappelle du temps de Henri IV lagricul- ture ruinée et devenant impossible, sous Louis XIV, les paroisses incapables de payer la taille; que l’on aper- çoive les gouvernements du xvire siècle contraints, pour ne pas succomber sous le fardeau que leur ont transmis les pouvoirs venus avant eux, et aussi pour subvenir aux nécessités engendrées par leurs propres temps, d'imposer de nouveaux sacrifices à des popula- tions depuis longtemps épuisées, et l’on comprendra les souffrances endurées, mais aussi les colères amassées pour ainsi dire année par année et comme jour par jour; on s’expliquera la haine, non-seulement des classes populaires, mais encore des classes moyennes, c’est-à-dire de la petite propriété écrasée d'impôts contre la grande propriété généralement libre de charges. La noblesse pouvait-elle être du moins protégée contre les effets d’une, constitution vicieuse par la con- sidération et le respect dont auraient continué d'être entourées l'institution el les personnes? On avait tout fait pour les leur enlever. Obligée de se défendre contre les rides et les atteintes du temps par plus de sacrifices et plus de vertus, la noblesse, à mesure qu’on multipliait pour elle les privilêges et les droits de toutes sortes , ne songeait qu’à rendre ses obliga- — 155 — tions plus légères et ses profits plus nombreux. Si, au xvrrre siècle, les gentilshommes des vieilles races étaient encore à Fontenoy ou sur les vaisseaux du roi, la foule des anoblis, cette multitude innombrable de personnes composant l’ordre des privilégiés et dont, suivant Ché- rin, un vingtième à peine pouvait prétendre à la no- blesse d’ancienne souche, ne se préoccupait guère que de jouir paisiblement et sans trouble des exemptions qu’elle avait conquises et des prérogatives qu’elle avait achetées. La royauté, en trafiquant de la noblesse, lui avait donné de bonne heure un caractère vénal; plus vénal encore était celui qui résultait de l’anoblissement par les offices. Enfin la facilité et le nombre des usur- pations avaient achevé d'enlever à l'institution ce res- pect que déjà trop de causes avaient affaibli. L'œuvre propre du dernier siècle fut de joindre la déconsidé- ration des personnes à la déconsidération de l’institu- tion elle-même. Les orgies de la Régence dont la haute aristocratie fournit les principaux acteurs, les débauches philosophiques auxquelles , avec une imprudence trop chèrement payée, elle prit une si grande part, com- plétèrent l’œuvre des temps écoulés et des gouverne- ments disparus. Non que je veuille dire que cette dé- gradation morale eût atteint la généralité des membres qui composaient l’ordre de la noblesse; quand l’heure de l’expiation sonna, on vit bien ce que l’on pouvait trouver encore d’héroïques vertus parmi ceux que pour- suivait la rage populaire ; mais la solidarité est une des impitoyables lois de l'humanité, et c’est la destinée des fractions qui la composent de voir souvent les vertus et la dignité du plus grand nombre compromises ou perdues par la dépravation de quelques-uns. — 156 — C’est ainsi que ce grand corps de la noblesse fran- çaise, qui avait fourni au pays tant de dévouements , qui lui avait donné tant de gloire, s’était vu conduit à ce point qu’on oubliait les sacrifices et le sang versé, pour ne plus songer qu'aux priviléges et aux souf- frances qu’ils engendraient; lui que l'étranger avait rencontré si souvent sur son chemin, une partie de la France allait le traiter comme un ennemi ! Mémorable exemple de ce que les meilleures institutions demandent de sollicitude honnête et de persévérants efforts pour être maintenues au niveau de leurs temps et ne Jamais demeurer en arrière de légitimes exigences. Au lendemain de la tourmente, alors que le prin- cipe même de la noblesse semblait à tout jamais chassé de nos institutions et de nos mœurs, ce principe était repris par l’homme providentiel qui avait reçu mission de contenir et refouler la Révolution, de débrouiller le chaos enfanté par elle, de refaire une société où les besoins nouveaux trouvassent satisfaction, mais où le passé reparût aussi avec les éléments de force que le présent pouvait accepter et recueillir. Aux yeux de ceux qui pendant quinze années avaient vu crouler tant de choses, une pareille tentative dut apparaître comme l'illusion d’un génie qui se croyait assez puissant pour relever et soutenir un édifice condamné. L'épreuve du temps a-t-elle confirmé ce jugement? Il est per- mis d'en douter. Qui ne voit avec quelle facilité le sentiment national a adopté ces grands noms qui rap- pellent nos plus belles gloires ? Aujourd’hui, après cin- — 157 — quante années d’une vie politique qui n’a fait que confirmer notre besoin d'égalité civile, est-ce que nous songeons à protester contre les titres qui consacrent le souvenir de nos derniers triomphes ? Pourquoi donc cette diversité d’appréciations et d’idées ? C’est que l’a- noblissement a repris ainsi son véritable caractère, le seul que puissent comporter nos sociétés modernes, à savoir : la récompense de services éminents rendus à la patrie. Il n’est plus dés lors la satisfaction donnée à un étroit sentiment de vanité individuelle ; il devient la satisfaction d’un grand sentiment : la vanité de toute une nation. Un peuple aime à trouver dans son his- toire des familles qui perpétuent les gloires de Monte- bello ou de la Moskowa, d’Isly ou de Magenta. T. CRÉPON. NOTE. Les charges anoblissantes se décomposaient ainsi : Charges de secrétaires du roi dans les grandes et les petites chancelleries. . . . 720 — de maîtres des requêtes au ii CONSEIL r UE PU ANT. 80 __ dans les Parlements. . . . . . 1050 — dans la Chambre des comptes. . . 700 — dans les Cours des aïdes.. *. . . 1470 — dans la Cour des monnaies.. . . A1 — dans les bureaux des finances. . . 660 — de diverses qualités. . . . . . 300 3721 Toutes ces charges-étaient vénales. — 158 — Il faut y joindre les charges de ville qui, dans un grand nombre de cités, avaient le privilége de conférer la noblesse. Cette faveur avait été successivement ac- cordée à la Rochelle, Poitiers, Angoulême, Saint-Jean- d’Angély, Saint-Maixent, Tours, Niort, Toulouse, An- gers, Bourges, Lyon, Péronne, Nantes, Perpignan, Cognac, Abbeville. Paris s'était vu, dès le principe, encore plus géné- reusement traité : tous ses bourgeois avaient reçu pri- vilége de noblesse avec permission de se parer d’ha- billements appartenant à l’état de chevalerie, comme nobles d’origine , et de faire porter des brides d’or à leurs chevaux. Le prévôt des marchands, les échevins, le procureur du roi et de la ville, le greffier et le re- ceveur avaient seuls, dans la suite, conservé ces pré- rogatives. En 1667, Louis XIV révoqua le privilége de noblesse pour toutes les villes auxquelles il avait été attribué. Mais il en fut de cette révocation comme de tant d’au- tres ; on trouva moyen de se faire donner à nouveau une grande partie des droits supprimés. C’est ainsi que les maires des villes de Bourges, Nantes, Angoulême, Angers, Poitiers, Lyon surent faire rétablir leur no- blesse. Toulouse conserva la même prérogative pour tous ses capitouls, et de la sorte demeura vrai ce vieil adage : De grand noblesse prend titoul Qui de Tholose est capitoul. Les charges de ville durent anoblir un nombre très considérable de familles, puisqu'elles n’étaient que tem- poraires et que l’administration communale se compo- — 159 — sait généralement de 20 à 30 échevins. Pour la seule ville de Lyon, on évalue à 2,000 environ les familles qui ont dû arriver à la noblesse par cette voie. Du reste, quand on compare cette noblesse des charges de ville à la noblesse par les offices vénaux, on se sent pris pour elle d’un sentiment de particulière estime. C’était en effer l'élection qui conduisait à la . mairie et à l’échevinage, c’est-à-dire le choix libre des concitoyens, c’est-à-dire encore l'importance et la con- sidération qu’on avait su conquérir au milieu d’eux; toutes choses que l’argent ne pouvait point remplacer. Et cependant, il paraît que les familles qui avaient trouvé l’anoblissement dans ces fonctions honorables ne tenaient point à en conserver le souvenir : « Ceux mêmes, dit La Roque, qui ont acquis leur noblesse par cette voie qu’on nomme communément de la cloche, ne veulent plus entendre parler de ce principe aussitôt qu’ils ont quelque degré de filiation (1). » Enfin il est nécessaire de mentionner l’anoblisse- ment trouvé dans la profession des armes. Il ne faudrait pas d’ailleurs se méprendre sur le sens qu’entraînaient pour nos pères ces mots : noblesse d’é- pée ; ils désignaient bien plutôt la fonction ordinaire et comme essentielle de la noblesse de race qu’un moyen offert à la roture pour monter dans une caste supé- rieure. On chercherait en vain dans les actes des rois de France, jusqu’à l'ordonnance de 1750 qui a orga- nisé la noblesse militaire, des édits ou déclarations por- tant concession du privilége de noblesse à ceux qui (1) La Roque, chap. xxxIx. — 160 — exerceront le métier des armes; l’exemption de la taille leur est largement accordée; mais là s’arrête la munificence royale. On voit en revanche les rois de France veiller à ce que leurs compagnies de gens d'armes fussent uniquement composées de gentilshommes et même pris dans les plus anciennes maisons. Les guerres * civiles vinrent troubler cet ordre assez strictement main- tenu jusque-là : au temps de la Ligue et de la Fronde, on ne se montra point scrupuleux sur la composition des armées et les titres des gens de guerre. Ceux qui pri- rent ainsi les places occupées jusqu'alors par les fils des vieilles races et qui combattirent à côté d’eux, tirérent profit de ce voisinage et, ayant fait métier de gentils- hommes, ils en conquirent, pour la plupart, le titre. Aussi, bien que les juristes posassent en principe que le métier des armes n’anoblissait pas; l’usage s'était introduit à la Cour des aides de décider que si l’on rencontrait successivement dans cette profession le père et l’aïeul, il y avait preuve de noblesse pour la troi- sième génération. L’édit de novembre 1750 vint régu- lariser et largement étendre cette jurisprudence en per- mettant aux officiers de presque tous grades d’anoblir eux et leur postérité. : > PROCÈS-VERBAUX DES SÉANCES. SÉANCE DU 18 JANVIER 1860. Sont présents au bureau, MM. Sorin, président, E. Lachèse, secrétaire général, Belleuvre, trésorier. Le procès-verbal de la séance du 22 décembre der- nier est lu et adopté. | Il est ensuite donné lecture d’une lettre par laquelle M. Anjubault, conservateur de la Bibliothèque publique du Mans, adresse à la Société ses remerciments et ses ‘éloges, à la suite de l’envoi de plusieurs numéros de plusieurs volumes contenant les travaux de cetle So- ciété. Il sollicite la continuation de ces envois. M. Dainville fils, architecte, fait connaître dans une lettre dont il est donné lecture, son intention de re- noncer au titre d’archiviste de la Société. Ses nom- breuses occupations sont la cause de cette détermina- tion : il n’en espère pas moins trouver le temps néces- saire pour consacrer à la Société quelques études et annonce que, dès la séance prochaine, il pourra sans — 162 — doute faire une lecture sur un point concernant l’art de construire. L’assemblée, tout en regrettant cette ré- solution, défère à l'invitation de M. le Président, de choisir un nouveau titulaire. Le scrutin est ouvert et M. l'abbé Chevallier est nommé archiviste. M. Sorin, président, prend la parole. Sous ce titre : Coup d'œil sur les travaux de la Société, il présente un aperçu aussi rapide qu’élégant des événements. qui ont marqué, pour l'institution, ces dernières années. Il signale l’encouragement donné aux travaux, le désir d’accession inspiré à plusieurs, par la présence et le nom des deux membres de l’Académie française, qui ont accepté et sont venus mettre en exercice leur titre de président d’honneur de la modeste académie de province. Il rappelle aussi le conseil que, peu de jours avant sa mort si regrettée, M. Pavie père donnait à la Société, en l’invitant à prendre fort au sérieux les re- cherches et les écrits relatifs à l’agriculture, ce grand art inscrit le premier dans le titre qu’elle a choisi. M. Sorin affirme que. les lettres peuvent, sans rien perdre de leur éclat et de leur pureté, faire une large place à ce genre d’études ei, à l’appui de sa thèse, il cite le nom de celui qui, tout en donnant des conseils à l’homme des champs et en chantant ses rustiques plaisirs, sut célébrer les héros avec des accents pour lesquels, depuis dix-neuf cents ans, l'admiration du monde ne s’est pas lassée. Virgile, en effet, nous le dit lui-même : Cecini pascua, rura, duces. M. le conseiller Courtiller, qui devait lire une no- : uce sur M. le président de Beauregard, fait connaître par une lettre adressée à M. le Président, qu'ayant reçu — 163 — seulement la veille du jour fixé pour la séance, des renseignements nouveaux sur le sujet qu’il doit traiter, il se trouve forcé de demander le renvoi de cette lec- ture à la réunion prochaine. Le Conseil d'administration propose, par l'organe de son président, que le prix à décerner cette année par la Société, au nom du Conseil général, soit consacré à une question concernant l’agriculture, des sujets de prose ou de vers ayant formé l’objet des concours pré- cédents ; il propose en outre qu’une Commission de cinq membres , à laquelle se réunira le Conseil d’ad- ministration, soit chargée de choisir et de publier dans le plus bref délai, le sujet du concours. — Ces deux propositions sont adopiées. La Société procède à la nomination de cette Com- mission. Sont désignés par elle, MM. Allain-Targé père, le marquis de Contades, le comte de Quatrebarbes, Joseph de Mieulle et le docteur Farge. M. le docteur A. Lachëse donne lecture d’un mé- moire intitulé : Considérations médico-légales sur un fait hisiorique contemporain. Sous ce simple titre, se révèle bientôt une des questions les plus controversées et, en même temps, les plus intéressantes pour l’ap- préciation d’un fait qui compte encore des témoins existants parmi nous. Le commandant de Beaurepaire s'est-il donné la mort, comme tant de personnes, tant d’écrits l'ont répété, et comme on a essayé de le faire dire par des monuments même? N’a-t-il pas été plutôt tué par un des habitants de Verdun, dans le but de soustraire cette ville aux périls du siége que les Prus- siens devaient commencer le lendemain et que le com- — 164 — mandant voulait résolûment soutenir ? Analysant les constatations médico-légales si imparfaites, opérées peu après la mort, puis interrogeant les principaux docu- ments, les opinions les plus graves données sur ce su- jet, M. A. Lachèse conclut que M. de Beaurepaire ne s’est pas donné la mort. Il se félicite de rencontrer une vérité qui lave la mémoire d’un honorable officier, du reproche de S’être soustrait par une mort inutile et, malgré toutes les déclamations du temps, d’un pernicieux exemple, aux obligations et à la haute responsabilité que lui imposait son titre de commandant. Le plus vif intérêt s'attache à cette lecture, qui est suivie de la nomination d’une Commission chargée de présenter un rapport sur le travail de M. A. Lachèse. Cette Commis- sion se compose de MM. Coutret, Lemarchand et Farge. M. l’abbé Chevallier fait, au nom de la Commission du budget, un rapport sur les comptes de l’année 1859 el sur le projet de budget pour 1860. Les comptes sont approuvés, ainsi que le budget proposé. M. le docteur Farge, rapporteur de la Commission chargée de présenter une étude sur la culture du colza dans le département de Maine et Loire, ayant fait con- naître qu’il ne pouvait assister à la séance de ce jour, la lecture de son travail est renvoyée à la séance pro- chaine. | Le bureau propose, par l'organe de son président : 4o de prier M. Duboys, premier président de la Cour impériale d'Orléans, de conserver le titre de membre honoraire de la Société, qu'il avait accepté étant maire d'Angers. 20 D’offrir le même titre à M. Montrieux, nommé — 165 — maire d'Angers, en remplacement de M. Duboys. — Ces deux propositions sont adoplées. La Société charge son Président d’en donner connaissance à MM. Duboys et Montrieux. M. le Président fait observer que, dans quelques- uns des procès-verbaux d’une date plus ou moins éloi- gnée, on a constaté que des candidats avaient été re- çus membres titulaires à l’unanimité. Il propose qu’à l'avenir, la réception des candidats soit mentionnée sans que l’on exprime si elle a eu lieu seulement à la majorité, ou à l’unanimité. L’assemblée reconnaît la justesse de cette remarque et y donne son plein assen- timent. Sont présentés comme candidats : 10 Par le Président et M. Léon Cosnier, M. Guillory, déjà membre du Comice horticole et qui, outre ses titres de président de la Société industrielle d'Angers, et de membre d’un grand nombre de réunions indus- trielles ou savantes, produit à l’appui de sa candida- ture un ouvrage récemment publié par lui sous ce titre : les Congrès de vignerons. — Renvoi à une Com- mission composée de MM. Bellier, Boutton-Lévêque et André Leroy. | 20 Par le Président et M. Belleuvre, M. Etienne de Livonnière, déjà membre de la Commission archéolo- gique de la Société. — Renvoi à une Commission com- posée de MM. Godard-Faultrier, Béclard, M. l’abbé Chevallier. Après avoir entendu le double rapport de M. Mail- lard, au nom de la Commission nommée à l’occasion des candidatures ci-après et composée de MM. Coutret, — 166 — Maillard et Belleuvre, sont proclamés, par suite du vote au scrutin, membres titulaires de la Société, MM. Bonneau-Avenant, propriétaire à Angers, Aubert, juge de paix du canton de Conlie (Sarthe). L'ordre du jour étant épuisé, la séance est levée. E. LACHÈSE. SÉANCE DU MERCREDI 22 FÉVRIER. Présents au bureau, MM. Sorin, président, E. La- chèse, secrétaire-général. M. Courtiller, président ho- noraire, et M. l'abbé Chevallier, archiviste, y prennent place également. Le procès-verbal de la séance précédente est lu et adopté. Il est donné lecture de la correspondance. M. Du- boys, premier président de la Cour impériale d'Orléans, dernièrement maire d'Angers, accepte avec empresse- ment l'offre de conserver le titre de membre hono- raire que lui a déféré la Société, et exprime la recon- naissance que lui inspire celte nomination. . Pareille acceptation et pareils sentiments sont expri- més par M. Montrieux, maire d'Angers, à qui le même titre a été conféré dans la dernière séance. « Soyez » assez bon, écrit-il à M. le Président, pour présenter » à votre Compagnie mes plus vifs remercîiments, et » pour assurer que l'administration municipale aura » toujours à cœur de lui prêter le concours le plus — 167 —- » sympathique; elle apprécie avec bonheur la salu- » taire influence que la Société impériale d'agriculture » sciences et arts exerce sur la ville d'Angers, par son » dévouement, ses études et ses travaux. » M. le Préfet de Maine et Loire transmet un exem- plaire d’une circulaire de M. le Ministre de l’agricul- ture, en faisant connaître que notre département a été désigné pour être le siége du concours régional en 1862. M. le Préfet adresse à la Société un exemplaire du catalogue des graines et végétaux mis en vente et dis- ponibles à la pépinière centrale du Gouvernement, à Alger, pendant la saison 1859-1860. Ce catalogue res- tera déposé au secrélariat de la Société, pour être com- muniqué aux personnes ayant quelque intérêt à le consulter. M. le Président de la Société d’agriculture de l’ar- rondissement de Mayenne adresse le premier numéro du bulletin trimestriel de cette Société et un exem- plaire de son règlement, en demandant qu’il soit fait entre les deux Sociétés échange de publications et as- sociation d'efforts, pour arriver à la réalisation d’un but commun : les progrès de l’agriculture. M. le Président propose à la Société d'écrire à M. Beulé, l’un de ses membres, pour le féliciter sur sa nomina- tion à l'Institut : les précédents de la Société et les plus évidentes raisons de convenance se réunissent pour recommander cette démarche. M. le Président est in- vité à vouloir bien être en cette circonstance l’inter- prète de la réunion. M. le Président propose, tout en maintenant dans SOC. D’AG. 12 _— 168 — leurs fonctions trois des membres faisant partie du comité de rédaction, d'en nommer un quatrième en remplacement de M. Sorin, auquel son titre de prési- dent donne une position différente. L'assemblée s’em- presse de désigner pour ces fonctions , aux termes de l’article 29 du règlement, M. le conseiller Courtiller. M. le Président propose d’avoir, pour les écritures et le rangement des publications reçues par la Société, un employé payé par elle; il expose les motifs qui rendent au plus haut point convenable, même indis- pensable, ce secours depuis longtemps désiré. Il de- mande qu'un crédit de 400 fr. soit alloué pour frais d'installation et première année de traitement. L’indi- cation de cet employé sera faite ultérieurement. L’as- semblée adopte cette proposition et vote le crédit de 400 francs demandé. M. le conseiller Courtiller donne lecture d’une no- tice sur M. le président de Beauregard, mort récem- ment, après avoir été pendant longtemps président de la Société, à la fondation de laquelle il avait puissam- ment coopéré. Il peint les agitations, les terreurs qui entourérent les premières années du jeune Frédéric de Beauregard, lorsqu’éloigné de sa mère que le Comité révolutionnaire avait fait arrêter, il écrivit de sa main enfantine aux membres du Comité de Saumur, une lettre de supplications que signait aussi son frère, lettre dont la lecture est écoutée avec une vive émotion par l'assemblée. Il retracé la vie si calme et si pleine de cet homme honorable qui, entré en 1810 dans la ma- gistrature, nommé plus tard avocat-général, puis pré- sident de chambre à la Cour impériale d'Angers, n’a — 169 — cessé de servir avec autant de zèle que de dignité les intérêts de la justice, jusqu’au jour où la limite d’âge, établie par un décret récent, a fait sonner pour lui l'heure du repos. Ami des champs et de l’agriculture, M. de Beauregard s’enfuyait, dès qu’il avait un instant de loisir, à sa riante habitation de Saint-Florent, près Saumur, site charmant, demeure jadis sénatoriale dont M. Courtiller vante avec bonheur le riche aspect et les délicieux produits. C’est là que M. de Beauregard a écrit la Statistique de Maine et Loire, travail aussi utile qu’étendu , et qu’il a consacré maints travaux à l’his- toire de son pays. En cela, il suivait heureusement l'exemple de notre antiquaire saumurois , Bodin , et il semble, en voyant aujourd’hui sa tombe placée prés de celle de cet écrivain, que les inspirations dues aux études qui lui furent toujours chères, aient indiqué au moment suprême le choix de cette dernière demeure. L'assemblée écoute avec un vif intérêt la lecture de cette notice et s’empresse d’en voter l'impression. M. Lemarchand, rapporteur de la Commission chargée d'examiner le travail lu à la séance précédente par M. le docteur A. Lachèse, et intitulé : Considérations médico- légales sur un fait historique contemporain, analyse les diverses opinions émises sur cel événement, qui est, on le sait, la mort du commandant de Beaurepaire à Verdun; celles, entr’autres, de M. le général Lemoine, l'un des volontaires que Beaurepaire commandait, et de M. le colonel Gosselin. En présence des senti- ments opposés exprimés à diverses époques sur la cause de la mort du commandant de la place de Verdun, la Commission déclare à la Société qu’elle reste dans — 170 — le doute; qu’elle n’a pas de documents suffisants pour se ranger à telle ou telle des opinions successivement admises. Nous croyons inutile d'analyser le rapport fait par M. Lemarchand, l'assemblée s’'empressant d’en voter l'impression. Il est fait à cet égard une observation sur la portée véritable de l’article 26 du règlement, portant que «les rapports ne sont pas imprimés, sauf ceux des- criptifs d'objets d'art. » Il est expliqué que cette dis- position ne s'applique qu'aux rapports donnant une appréciation d’une œuvre écrite sur un sujet délimité dans les faits ou les idées qui le constituent, et présen- tant sur ce sujet un aperçu qui, même aprés le rap- port, demeure le dernier mot de l'écrivain. Or les do- cuments énoncés dans le rapport offrent de nouveaux points à étudier dans la grave question qui, depuis si longtemps, divise les esprits. L'auteur de la brochure lui-même, M. le docteur A. Lachèse, annonce qu'il es- père pouvoir fortifier, par des éléments nouveaux, la thèse qu’il a présentée. Il y a lieu évidemment de re- cueillir ici et de rendre communes à chacun toutes les lumières acquises, et l'impression du rapport, à ce point de vue, est une nécessité que la Société n'hésite pas à reconnaître. M. le docteur Farge, rapporteur de la Commission chargée d'étudier la culture du colza dans notre dé- partement, commence la lecture d’un travail étendu et rempli d’intéressants détails, sur ce sujet peu étudié encore. Il fait remarquer que cette culture, introduite chez nous depuis dix ans à peine, alors que depuis plusieurs années déjà elle était en usage dans diverses contrées voisines, a été surlout répandue dans notre — 171 — Vallée par suite de l'inondation de 1856, qui avait forcé les cultivateurs à improviser une culture nou- velle en remplacement de la moisson presque prête que leur avaient enlevée les journées désastreuses du mois du juin. Il examine les caractères de cette plante oléagineuse d’abord présentée par notre compatriote , M. Millet, comme épuisante. Il passe successivement en revue la culture, le labour, les amendements, la nature de semis, le mode de récolte, le transport, le battage, le rendement et le revenu qui appartiennent à cette plante; puis compare les produits à ceux que le chanvre peut donner à l’agriculteur. La lecture de cet intéressant travail sera terminée à la séance prochaine. M. Dainville fils, absent, ne peut faire connaître l'Etude sur la construction des voûles en briques, portée à l’ordre du jour. Cette lecture est re- mise à la séance prochaine. M. Hossard est invité à donner lecture d’une lettre écrite par M. son frère, colonel d'état-major en re- traite, sur la machine exposée en dernier lieu à Angers par le sieur Duran, et présentée par ce mécanicien comme réalisant ce que de tout temps on a considéré comme une impossibilité , à l’égard de l’homme du moins, le mouvement perpétuel. M. le colonel Hossard ne fait sur ce point qu’une très courte remarque dont le résultat est que la ma- chine d’essai, présentée par le sieur Duran, ne prouve rien, et qu’il n’y a là -aucune raison suffisante pour éroire vaincue la difficulté réputée insurmontable contre laquelle tant d'efforts, faits à diverses époques, sont déjà venus se briser. — 172 — M. le docteur A. Lachèse présente, comme candidat, M. Dolbeau, ancien professeur au lycée d'Angers. Une Commission, composée de MM. Crépon, Lemarchand et de M. l'abbé Chevallier, est chargée de faire, à la pro- chaine séance, un rapport sur cette candidature. L'assemblée vote ensuite séparément sur la réception, comme membres titulaires de la Société, de MM. Guil- lory, rapporteur M. Bellier; et de Livonniére, rappor- teur, M. Godard-Faultrier. Ces deux candidats sont admis. L'ordre du jour étant épuisé, la séance est levée. E. LACHÉSE. SÉANCE DU 22 MARS 1860. M. le Président ouvre la séance par la lecture d’une lettre de M. Beulé qui remercie la Société de la sym- pathie qu’elle lui à témoignée lors de sa nomination à l’Institut. M. Courtiller propose de conférer à MM. Beulé et Che- vreul le titre de président d'honneur, titre précédem- ment acceplé par deux membres de l’Institut. La pro- position de M. Courtiller ayant été agréée, MM. Beulé et Chevreul sont nommés présidents d'honneur. Cette décision, toutefois, ne pose pas en principe que tout An- gevin, membre correspondant ou honoraire, élu membre de l’Institut, doive par le fait même devenir président d'honneur de la Société; M. Crépon fait remarquer — 173 — qu'un vote de cette portée serail contraire au rêgle- ment. M. le Président donne communication d’une lettre de M. Taillandier, membre correspondant, qui offre de représenter la Société d'Angers au Congrès des So- ciélés savantes et de rendre compte de nos divers pro- duits. Cette proposition est accueillie avec empresse- ment, et M. Leroy, président du Comice horticole, veut bien se charger de fournir à M. Taillandier les élé- ments de son rapport. De son côté M. Fosseret, de Grenoble, sollicite des renseignements sur la culture du chanvre. Interpellé à ce sujet, M. le docteur Farge ne se croit pas en me- sure de répondre à la demande de M. Fosseret; il est décidé, en conséquence, que M. Guillory sera prié de le faire. M. Hossard dépose sur le bureau cinq exemplaires d’une brochure sur le mouvement perpétuel, dont M. le colonel Hossard, son frère, fait hommage à la Société. Après avoir fait part à l’assemblée de la perte re- grettable de M. Thierry, peintre sur verre et membre titulaire ; après avoir annoncé la nomination de M. Gé- rard aux fonctions de bibliothécaire, M. le Président confie à MM. Béclard, Cosnier et Bougler l’examen du mémoire de M. Crépon sur la noblesse avant 1789, et passe à l’ordre du jour. M. le docteur Farge achève la lecture de son inté- ressant travail sur la culture du colza. Il nous raconte les déceptions des propriétaires qui s’adonnent à cette culture sans la réserve qu’elle exige, sans la connais- sance des procédés qui lui sont propres. La culture du . — 174 — colza est essentiellement absorbante, à ce point que la terre de vallée, malgré sa richesse, ne peut échapper aisément aux conséquences de l'épuisement. Faut-il à cause de ce danger renoncer à la culture du colza et douter de son avenir ? Nullement, seulement l’auteur croit devoir prémunir les agriculteurs contre un en- gouement qui pourrait compromettre le succès des autres cultures. Ce travail est renvoyé au comité de “rédaction. Nul de nous n’a certes oublié la rare et libérale ac- tion d’un artiste angevin, M. Bodinier, qui, de ses propres deniers, a fait pour la Ville l'acquisition du vieil hôtel Pincé. Ce que nous avions tous senti au fond du cœur et dit en humble prose, M. Adrien Mail- lard a voulu le chanter, ainsi qu’il convient à un poëte, en des vers d’un tour harmonieux et d’une touche aisée. L'auteur, après avoir flétri les stériles calculs du temps présent, loué ceux qui, comme M. Bodinier, se gardent de l’égoïsme, décrit d’une façon vive et pitto- resque le vieux logis. « C’est un fouillis sans fin de dentelles de pierres. » Le poète ne peut douter qu'un magicien arabe n’ait versé tous les trésors de sa sorcellerie « Sur chaque assise au fond de chaque galerie. » IL est décidé que cette, épître sera présentée à M. Bo- dinier par M. le Président de la Société et par M. Mail- lard. M. Dainville lit ensuite la première partie d’une étude sur la construction des voûtes en briques. Il convient d’altendre la suite de cette lecture pour ap- — 175 — ; précier la portée d’un travail dont on peut déjà pres- sentir l'intérêt pratique. Paysage! Tel est le titre d’une pièce de vers dont l'audition doit clore la séance. M. Victor Pavie objecte vainement qu'après la poésie les vers ne sont plus de saison, l’ordre du jour se montre inflexible; donc il lit et chacun écoute. Oui certes, voilà bien un paysage où rien n’est oublié : ni l'horizon, ni la lumière, ni l'ombre, ni le feuillage, ni les coteaux, ni la prairie, ni la rivière, ni même hélas! la passerelle glissante d’où tombent dans le torrent les vierges folles, qui vont au bal malgré leur mère. Quel drame et quel ensei- gnement ! Elle part, la rieuse fille parée pour la mort et hâtant le pas vers elle, tout en jetant ses gais re- frains aux buissons qui ne la verront plus ; puis, quel ques heures plus tard, sa froide dépouille rentre seule au logis de famille trop légèrement abandonné. Le père et la mère sont là mornes, muets, « Ombres devant une ombre ! » le regard fixé sans larmes sur la jeune morte ruisse- lante et déjà défigurée; quel contraste entre ce départ et ce retour! La morale du curé au prône du village, leçon écoutée pour huit jours, ajoute un dernier trait à ce poëme, où l’austérité de la pensée et les grâces multiples de la fantaisie se rencontrent et s’harmonisent sans se heurter jamais. Cette composition n’étant pas destinée au recueil de la Société, il n’y a pas lieu de la renvoyer au comité de rédaction. — 176 — La Société procède ensuite à l'élection de M. Dol- beau, qui est nommé membre titulaire. L'ordre du jour étant épuisé, la séance est levée. E. AFFICHARD. SÉANCE DU 95 AVRIL 1860. Etaient présents au bureau : MM. Sorin, président, E. Lachèse, secrétaire - général, Belleuvre, trésorier, Affichard, secrétaire - ordinaire et l’abbé Chevallier, archiviste. M. Affichard donne lecture du procës-verbal de la séance précédente; ce procès-verbal est adopté. M. le Président fait connaître à l'assemblée qu'il a présenté à M. Bodinier, notre concitoyen, l’épître dans laquelle M. Maillard a récemment rendu hommage aux nobles sentiments de cet artiste qui, non moins doué de générosité que de talent, vient de donner à notre ville le riche et élégant hôtel Pincé. M. le Président donne connaissance, en même temps, des remercie- ments par lesquels M. Bodinier s’est empressé de ré- pondre à cette démarche. M. Gérard, bibliothécaire de la Société, donne, sur l'invitation de M. le Président, connaissance des titres des ouvrages adressés depuis un mois à cette Société. M. Chevreul, membre de l’Institut, accepte le titre de président d'honneur que la Société lui a conféré dans une précédente séance, et exprime les sentiments de reconnaissance que cette distinction lui inspire. : — 177 — M. Beulé, également membre de l’Institut, auquel le même titre a été donné par la Société, fait égale- ment connaître sa vive gratitude, et offre en même temps à la réunion, plusieurs exemplaires d’un discours qu’il vient de prononcer dans son cours d'archéologie, sur la Peinture décorative. M. le Président remet ces exemplaires à ceux de MM. les membres qui, par leurs études et leurs tra- vaux, semblent indiqués pour en prendre les premiers connaissance. Après avoir donné lecture d’une lettre de M. Tail- landier, de Paris, relativement aux communications concernant l’agriculture qui auraient été faites à un récent Congrès, M. le Président annonce que MM. les membres de la Société, nommés au mois de janvier dernier pour éclairer la réunion sur les questions dé- pendant de cet important domaine, seront invités à s'entendre dans le plus court délai possible et à pré- parer un rapport sur l'Etat actuel de l'agriculture en France. M. le Président annonce également qu’à la prochaine séance, l'assemblée sera invitée à examiner une propo- sition récente et non sans gravité : celle de savoir si l’enseignement agricole doit ou non prendre place dé- sormais dans le programme de l'instruction primaire. M. le docteur Farge étant absent, la lecture de son rapport sur les Observations géologiques de M. Cour- tiller jeune, de Saumur, est renvoyée à la séance pro- chaine. M. E. Lachése lit des observations sur le plain-chant et sur le Traité élémentaire et pratique de cet art, pu- — 178 — blié récemment par M. l'abbé Tardif. Rechercher l’o- rigine ou au moins les premières applications bien constantes du plain-chant, montrer ce que ces mélo- dies ont de noble, de grave et à quel point le reflet d’un passé, qui remonte aux premières cérémonies du culte chrétien, les rend estimables et sacrées pour quiconque sait sentir et comprendre; indiquer la nature des études profondes faites sur ce point par M. l’abbé Tardif et l’aide puissante que ces indications devront apporter à l'étude d’un art si intimement lié à la splendeur des solennités de l’Église; tel est le double but de ce travail, qui est renvoyé à une Com- mission composée de M. l’abbé Légeard de la Dyriais, curé de la Trinité, M. l’abbé Bodaire et M. V. Pavie. M. le Président propose d’adresser au Conseil mu- nicipal d'Angers une demande, afin que l’une des rues dont, assure-t-on, l'ouverture est prochaine , puisse recevoir le nom de David. L'assemblée, ayant adopté avec empressement cette proposition, il est annoncé par M. le Président que le comité de rédaction sera invité à se réunir trés prochainement au bureau de la Société, pour arrêter les termes de la demande dont il s’agit. M. Lemarchand donne lecture d’une observation écrite par M. Courtiller, de Saumur, et qui, sous ce titre : Mœurs des insectes, fait connaître les manœuvres employées par un calicurgus, animai de la famille des hyménoptères, pour s'emparer d’une araignée. On sait que sous la plume de M. Courtiller, de tels récits sont plus que des peintures; ce sont de véritables drames dont il nous fait voir chaque détail, chaque progrès, — 179 — tant il les a bien vus lui-même, et dont il nous montre fidélement la mise en scène préparée souvent dans la crevasse d’une muraille ou dans le calice d’une fleur. M. Courtiller serait digne de posséder le fraisier de Bernardin de Saint-Pierre, et, comme cet éloquent ad- mirateur des œuvres de Dieu, semble se dire que les plus petits objets mêmes peuvent appeler son attention, puisqu'ils ont mérité celle de la nature. Ge fragment est renvoyé au comité de rédaction. M. Belleuvre donne lecture d’une pièce de vers inti- tulée : Les Ponts-de-Cé. Dans cette œuvre, l’auteur ne s'attache pas à peindre les charmes de ces rives déjà décrites tant de fois, mais à évoquer les souvenirs qui s’attachent à ces lieux. Devant le sable doré des grèves et le frais rideau des saules verdoyants, il regarde moins qu’il ne rêve, et nous entraîne avec lui dans le passé. S'il ne peut chasser l’image de l’aigle romaine planant sur ces bords et de notre ancêtre Dumnacus faisant entendre aux lieutenants de César le dernier cri de notre liberté, il rappelle avec bonheur que Rome a, de- puis, fléchi devant les enfants de la Gaule Tu ne dois rien au Tibre, dit-il au fleuve qu’il chante, « Que pourrions-nous, ce jour, convoiter de sa gloire, » Si tu portas ton joug, il a connu le tien. » ‘ Le poëte indique ensuite dans une énumération ra- pide les faits remarquables dont ces rives ont été le théâtre, les guerres du moyen âge, la Ligue, la Fronde, la Vendée; puis, attristé de ces pensées de discordes — 180 — et de ruines, il oublie tant de malheurs, en fixant les yeux sur les flots brillants qui passent à ses pieds. « Il ne reste après eux que ta grâce et ta gloire, » Je ne puis qu'admirer, et je ne puis plus fuir; » Je te vois.…, il n’est rien d’amer en ma mémoire, » Je ne puis qu’adorer, je ne puis plus haïr. » Cette composition est également renvoyée au comité de rédaction. L'ordre du jour étant épuisé, la séance est levée. E. LACHÈSE. SÉANCE DU MERCREDI 23 MAI 1860. Sont présents au burean, MM. Sorin, président, E. Lachèse, secrétaire-général et M. l'abbé Chevallier, archiviste. Le procès-verbal de la séance précédente est lu et adopté. Lecture est donnée par le bibliothécaire, de la liste des publications adressées à la Société depuis un mois. Parmi ces publications, M. le Président signale une nolice écrite récemment par M. le docteur Mirault, médecin à Angers, sur le Traitement de l’anévrisme ex- terne par la compression directe et, particulièrement, par la compression exercée avec les doigts. M. le docteur Farge demande la parole et fait brièvement ressortir l'intérêt puissant qui s'attache à ce moyen nouveau et éprouvé par des expériences multiples, de rendre plus — 181 — courte et moins douloureuse en même temps, une cure trop souvent accompagnée de vives souffrances et d’un redoutable danger. Un des membres fait connaître, pour donner un dernier complément aux observations de M. Farge, que, tout dernièrement, un Angevin qui commence à Paris son initiation à la science médicale, M. Godard-Faultrier fils, a pris sa part d’une garde de quarante heures environ, grâce à laquelle un ané- vrisme, comprimé sans relâche par les doigts des élèves, a été entièrement guéri. M. le Président donne lecture d’une lettre écrite le 30 septembre 1853 à la Société et retrouvée dans une brochure allemande examinée récemment; elle est de M. Gistl : ce savant dit s’être attaché particulièrement dans un premier travail, à rechercher si la nature fé- line est, ou non, celle du singe appelé Nychtipithecus trivirgatus. Cette communication n'ayant été suivie d'aucune autre et remontant à une époque éloignée déjà, l'assemblée, sur la proposition de M. le Prési- dent, pense qu’il n’y a pas lieu de donner suite à cette missive. M. le Président fait connaître qu’une découverte faite en de semblables circonstances, au moment du ran- gement des publications envoyées à la Société, a mis en sa possession une lettre écrite au cours de 1832, par la célèbre tragédienne , Mlle Duchesnois. On ne peut douter de l'authenticité de cette lettre, car elle a été montrée à des acteurs ou autres personnes connais- sant parfaitement l'écriture de la signataire. Le sujet de la missive est, du reste, sans importance aucune. Sur la demande de M. Lemarchand, bibliothécaire- 10 adjoint de la ville d'Angers , l’assemblé décide que la lettre de Mile Duchesnoïis sera déposée parmi les ma- nuscrits de cette bibliothèque. M. le Président rappelle qu’à la dernière séance, une Commission fut chargée d’adresser à M. le Maire d'Angers et au Conseil municipal, une demande ten- dant à obtenir que le nom de David füt donné à l’une des rues qui, assure-t-on, doivent bientôt s’ouvrir dans notre ville. Il demande si, pour garder un souvenir plus complet et plus précis de cette démarche, l’assem- blée ne devrait pas décider que le texte de la lettre écrite en cette occasion soit transcrit sur le registre de ses procès-verbaux La réunion adopte cette pensée et M. le Président dit que cette transcription sera opérée. La lettre est ainsi conçue : « À M. le Maire et à MM. les Membres du Conseil municipal d'Angers. » Messieurs, » En 1848, le nom de Dawd fut affecté à une des rues d'Angers qui en avait reçu antérieurement un autre. Depuis, on lui a rendu sa dénomination primitive et on a bien fait. Une fois consacrés par l’usage, surtout quand il s’y attache des souvenirs qui appartiennent à l’histoire, et qui ne sont pas de ceux qu’on voudrait pouvoir anéantir , les noms des rues doivent être in- variables. » Cependant il n’est personne à Angers qui ne désire que la mémoire de notre immortel sculpteur ait place — 183 — dans la nomenclature de nos rues, personne aussi qui ne demande que ce désir reçoive le plus tôt possible son accomplissement. Le moment paraît venu de faire droit à un vœu si légitime. On ouvre des rues nouvelles dans plusieurs de nos quartiers. En vous priant, Mes- sieurs, de donner à l’une d’elles le nom de rue Dauid, la Société d'agriculture, sciences et arts n’a pas la prétention de suggérer une idée qui, assurément, existe dans vos esprits. Elle se félicite de ce que la nature de ses études semble lui permettre de se faire auprès de vous l'interprète d’un sentiment général d’admira- tion et de reconnaissance pour un homme qui fut si grand comme arliste et si généreux comme Angevin.. » Nous vous prions, Messieurs, d’agréer l'expression de notre profond respect, » Les membres du Conseil d'administration de la Société impériale d’agriculture , sciences et arts : » J. Sorin, président; V. Pavie, vice-président; E. Lachèse, secrétaire-général; Affichard, secrétaire- ordinaire , Belleuvre, trésorier; l'abbé Chevallier, archiviste. » M. le Président fait connaître que, le 30 mars dernier, M. le vicomte de Tocqueville, au nom de la Société d'agriculture de l’arrondissement de Compiègne, lui a envoyé une pétition insérée dans l’Agronome praticien, journal de cette Société, tendant à ce que l’enseigne- ment agricolesoit désormais introduit dans le programme des établissements d'instruction publique. Par ce moyen, dit la pétition, la tendance si regrettable qu'ont, de- SOC. D’AG. 13 — 184 — puis le règne de Louis XIV surtout, les propriétaires et les travailleurs, à s'éloigner des campagnes, pourra être combattue, ce dont la production agricole et la moralité générale devront également s’applaudir. M. le Président fait remarquer qu’il y a difficulté sérieuse à ce que la liste des études, déjà si compliquée dans nos principaux établissements d’instruction, vienne en- core s’augmenter de cette étude nouvelle sur laquelle, du reste, on reçoit, dans toutes les écoles normales des indications précises et déjà assez avancées. En cet état, M. le Président demande si quelque proposition est faite à l’égard de la pétition dont il s’agit, ou s’il n’y a pas lieu de passer à l’ordre du jour. L'ordre du jour est prononcé. M. le docteur Farge donne lecture d’un An sur les Observations géologiques de M. Courtiller jeune. Il est également donné connaissance des conclusions des Commissions nommées pour examiner le Mémoire de M. Théophile Crépon, sur la noblesse avant 1789, et les Observations de M. E. Lachèse relatives au plain-chant et à la méthode de plain-chant publiée par M. l’abbé Tardif. Sur l’avis conforme des Commissions, ces trois tra- vaux sont renvoyés au comité de rédaction. M. Dainville fils, architecte, termine la lecture d’une Etude sur les constructions des voûtes en briques. L’exa- men de son travail est renvoyée à une Commission composée de MM. F. Lachèse, architecte, Blavier et Godard-Faultrier. M. le docteur Farge donne lecture d’une notice sur la chaux de falhun. Cette notice, d’un grand intérêt, - — 185 — est immédiatement renvoyée au comité de rédaction. M. Hossard donne lecture d’une pièce de vers sur l’'amilié fraternelle. Cette œuvre est renvoyée à l’exa- men d’une Commission composée de MM. Textoris, L. Cosnier et Béclard. MM. Brossard de Corbigny, ingénieur des mines, et Montaubin, avocat à Angers , sont présentés comme candidats. L'examen de ces deux candidatures est confié à deux Commissions composées, pour la première, de MM. Bla- vier, Bonneau-Avenant et Ad. Lachèse; pour la seconde, de MM. Courtiller, conseiller, E. Lachèse, conseiller et Affichard. L'ordre du jour étant épuisé, la séance est levée. E. LACHÈSE. PAP PROER % MAMAN RE AS AO L... Ÿ PTE Die DR 1 Ÿ PATES rc À MÉMOIRES DE LA OCIETÉ INPÉRIALE D'AGRICULTURE | SCIENCES ET ARTS D'ANGERS (ANCIENNE ACADÉMIE D'ANGERS) NOUVELLE PÉRIODE TOME TROISIÈME — TROISIÈME CAHIER. ANGERS IMPRIMERIE DE COSNIER FT LACHÈSE Chaussée-Saint-Pierre, 13 | 1860 & © ND SOMMAIRE . Etude sur une ode d’Horace et sur la traduction de M. Patin, par M. J. Soin. . L'avocat au criminel, fragment, par M. AFFICHARD. . Etude littéraire, par M. BOUGLER. . Description et figures de trois nouvelles espèces d’ammonites du terrain crétacé des environs de Saumur (étage turonien), et des ammonites Carolinus et Fleuriausianus à l'état adulte, par M. COURTILLER jeune. . Les Ponts-de-Cé, par M. Paul BELLEUVRE. . Procès-verbaux des séances : Séance du 18 juin 4860, sous la présidence de M. Villemam. Séance du 25 juillet. Séance du 22 août. ÉTUDE SUR UNE ODE D'HORACE ET SUR LA TRADUCTION DE M. PATIN, Par M. J. SORIN, Inspecteur honoraire d’Académie, président de la Société. Séance du 12 juin 1860, présidée par M. Villemain. Messieurs, Vous allez me trouver bien téméraire. En présence de l’orateur écrivain qui a porté la critique littéraire, jusque-là renfermée dans une sphère si modeste, à une hauteur où il n’est donné à personne de le suivre, je vais essayer de faire de la critique littéraire. En pré- sence de l’auteur d’un ouvrage auquel nous devons la certitude de voir bientôt, pour la première fois, se produire dignernent dans notre langue le grand lyrique des Grecs, je vais parler du grand lyrique latin. Devant l'illustre secrétaire perpétuel de l’Académie française , je vais étudier une page sortie de la plume d’un de ses plus savants collègues, et sur quelques points j'oserai m’avouer, un peu en dissidence avec l’éminent auteur de la page étudiée. Triple audace, j'en conviens ! mais qui, j'ose le penser aussi, porte en elle-même son SOC. D’AG. 14 Ms excuse. Quand les princes de la littérature daignent un moment honorer de leur présence nos humbles aca- démies de province, comment témoigner mieux notre reconnaissance qu’en leur montrant qu'à défaut d'autre titre à leur bienveillance, ils trouveront du moins parmi nous ce goût des études sérieuses auquel ils se plaisent à accorder l'influence vivifiante de leur contact? De quoi parlerons-nous à nos maîtres, si ce n’est de ce qu’ils nous ont enseigné, dussions-nous ne faire que balbutier quelques mots de ce qu’ils ont voulu nous apprendre, comme l’enfant, imparfait écho des accents qui charment son oreille et qu’il s’efforce en vain de répéter? Si même parfois, en cela encore trop sem- blables à l’enfant, nous paraissons vouloir engager, faibles pygmées , une lutte, évidemment bien inégale, avec ceux dont nous admirons et nous envions la force, loin de s’en offenser, ils souriront à cette naïve confiance. Ils se prêteront avec une condescendance paternelle à une gymnastique dans laquelle pour eux il n’y aura rien à perdre, pour nous il n’y aura qu'à gagner. C'est, Messieurs, un service de ce genre que le nou- veau traducteur d’'Horace va me rendre devant vous. M. Patin, je suis fier de le dire, a été un des maîtres de ma jeunesse, un de ceux à l’enseignement desquels je conserve le plus respectueux, le plus reconnaissant souvenir. Si jhabitais Paris, je serais heureux d'aller encore, écolier sexagénaire, nter éirones veleranus, prendre place au milieu d’une de ces nouvelles généra- tions qui, depuis tant d'années, se succèdent et se pres- sent autour de sa chaire. Ici même aujourd'hui, je viens lui demander une leçon; car étudier sa traduction — 189 — d'Horace , c’est pénétrer avec lui jusqu’au cœur de cette délicieuse poésie dont il a fait lui-même une si longue, une si profonde étude, et dont il sait avec tant de goût dévoiler les beautés. Cest en effet sur Horace et sur les tragiques grecs que M. Patin a particulièrement concentré les travaux d’une vie toute consacrée au culte de l’antiquité. Cette double prédilection avait déjà produit sur la tragédie grecque un ouvrage qui, dès son apparition, a pris rang parmi les plus précieux monuments de l’érudition et du goût. Elle vient maintenant d’enrichir le monde littéraire d’une traduction qui résume en quelque sorte et complète sur Horace l’enseignement favori de l’ha- bile et ingénieux professeur. Celte traduction a été, par tous les organes de la critique sérieuse, saluée d’éloges dont on trouve la substance dans quelques lignes de l’un d’eux. « Horace, » dit-il, ne revit-il pas là tout entier ?..... N'est-ce pas » le latin qu’on y croit entendre; et, si l’on ignore le » latin, n'est-ce pas la meilleure langue française, » celle du grand siècle, qu’on entend? (1) » Noble éloge et qui, bien mérité, honore à la fois le critique qui le donne et l’écrivain qui le reçoit! Car, chose triste à dire, Messieurs, nous en sommes venus au point que la langue du grand siècle, indignement pro- fanée par la masse de ceux qui, de nos jours, se pré- tendent écrivains, commence à être à peine comprise de cette autre foule d’aristarques sans mission, Quin- (1) M. Talbot, professeur au collége Rollin. — Journal général de l'instruction publique, n° du 21 mars 1860. l — 190 — tiliens du rez-de-chaussée des journaux (pardonnez- moi ce terme de leur jargon), qui, de leur autorité privée, se constituent juges suprêmes en matière de goût. Par bonheur, la langue de Corneille et de Racine, de Pascal, de Fénelon et de Bossuet, de La Fontaine, de Molière, de La Bruyère et de Boileau, ne pourra être complétement ni désapprise, ni méconnue, tant qu’elle restera sous la garde de cette Académie fran- çaise dont quelques membres surtout en conservent si bien le dépôt et la vivante tradition. Félicitons M. Patin d’être un de ces esprits d’élite, dignes héritiers de la langue qu’a parlée le siècle de Louis XIV, et non moins dignes interprètes de la langue qu'a parlée le siècle d’Auguste. Je me donnerais une tâche bien facile si je voulais me borner à établir combien 1l mérite ces deux titres, qui, à vrai dire, ne sont guère séparables l’un de l’autre; mais je ne ferais que répéter ici ce que vous avez pu voir, Messieurs, dans les recueils pério- diques où l’on s’est occupé de son livre. Il m’a semblé qu’il y aurait, avec plus d'instruction pour moi, peut- être aussi plus d'intérêt pour vous, à chercher en outre, dans l’analyse comparative d’une ode d’'Horace et de la traduction, une nouvelle preuve de l’excessive difficulté que présente le problème, accessible seule- ment à quelques esprits supérieurs, de faire passer d’une langue dans une autre les beautés des grands écrivains. J’ai pensé d’ailleurs que, si vous consentiez à me laisser ainsi rentrer avec vous dans mes habitudes de collége, ma parole recevrait du sujet et de l’audi- toire une force qui lui permettrait de franchir cette enceinte. Je me suis dit que, grâce à l’avantage d’avoir — 191 — été entendue de vous, elle pourrait, recueillie dans les publications de notre Société, stimuler encore à l’étude des vrais modèles du beau la jeunesse, que J'ai tant de fois exhortée à ce travail, mais jamais avec une pareille autorité. Vous voyez, Messieurs, qu'en consi- dérant ainsi les choses, j'ai pu sans trop de présomp- tion me promettre de votre part une indulgence dont je sentais vivement le besoin. Pour me l’assurer encore mieux, j'ai eu soin de demander au poête latin une de ses odes les plus justement vantées, celle où, en quelques strophes, se déroule avec sa majestueuse sim- plicité ce drame d’une si pure grandeur antique, le Dévouement de Régulus. (Hor. Od. IT. 5.) Vous avez tous, Messieurs, gravés dans la mémoire les beaux vers par lesquels s’ouvre cette ode : Cælo tonantem credidimus Jovem Regnare; præsens divus habebitur Augustus, adjectis Britannis Imperio, gravibusque Persis. Le premier vers, par la pensée et par l’image, rap- pelle un peu cet autre magnifique début d’une ode de Pindare : 'EaaTip Üméprare CpoyTäs ‘Axaavromndos Ze (1), début que je me garde bien de traduire ici. Quant au mouvement général de la phrase, il fait penser aussi à une règle du genre lyrique, si lyriquement formulée par Lebrun : (1) Olymp. 1v. — 192 — Au sommet glacé du Rhodope, Qu'il soumit tant de fois à ses accords touchants Par de timides sons le fils de Calliope Ne préludait point à ses chants. ? Plein d’une audace pindarique , Il faut que, des hauteurs du sublime Hélicon, Le premier trait que lance un poëte lyrique Soit une flèche d’Apollon. Voici la traduction de M. Patin : « La foudre nous » atteste que Jupiter règne aux cieux : comment dou- » ter ici-bas de la divinité présente d’Auguste, quand il . » ajoute à l’empire les Bretons et les redoutables Perses?» C’est là, Messieurs, incontestablement, une phrase riche de nombre, d'élégance et de noblesse. Néanmoins, sur ces premières lignes de son travail, j’aurais à sou- mettre quelques doutes à l’habile traducteur. Et d’abord, retrouve-t-on bien toute l'intention et tout l'effet du mot fonantem dans la foudre nous atteste que Jupiter, elc... ? Est-ce donc seulement. parce que la foudre retentit que nous reconnaissons la céleste royauté de Jupiter? Ne serait-il pas, sinon nécessaire, au moins utile, d'ajouter à l’idée de la foudre qui éclate l'image du bras puissant qui l’agite ? Cette union de l’image et de l’idée, confondues et cependant toutes deux saisissables dans le mot fonantem, ne manque- t-elle pas dans la phrase française ? N’a-t-on point en outre à y désirer l'opposition des mots cœlo et præsens, placés à dessein, si je ne me trompe, d’une manière symétrique au commencement de deux membres de — 193 — phrase, et qui rappellent le vers, si connu, attribué à Virgile : Divisum imperium cum Jove Cæsar habet? Si cette observation est fondée, les deux empires, celui des cieux et celui de la terre, ne devraient-ils pas aussi tout d’abord, dans la version française, appa- raître opposés l’un à l’autre? Cela pourrait conduire à traduire à peu près ainsi, en conservant le plus possible les expressions de M. Patin et surtout son élégante imitation du præsens divus : « Quand aux cieux il fait » gronder la foudre, nous reconnaissons que Jupiter »-en est le roi; ici-bas la divinité présente d’Auguste » nous est révélée, quand il ajoute à l'empire les Bre- » tons et les redoutables Perses. » Ce dernier mot provoque la patriotique indignation. du poëte, au souvenir de la honte qu’a subie le nom romain et qu'Auguste vient d'effacer enfin en se faisant rendre par les Parthes les drapeaux enlevés à Crassus. Milesne Crassi conjuge barbara Turpis maritus vixit? « Quoi! dit le traducteur, quoi ! le soldat de Crassus » avait pu vivre dans des liens honteux avec une » épouse barbare !.... » Liens honteux pour turpis ma- ritus, est une de ces expressions heureuses qui abon- dent dans la traduction de M. Patin et qui ont fait dire avec justesse qu’elle se recommande par une fidélité originale et par un caractère d'imitation équivalente à une création (1). Il ne pouvait manquer de saisir aussi (1) M. Talbot, article déjà cité. ao et il a conservé avec le même bonheur la portée du mot vixit. Peut-être cependant s’étonnera-t-on qu’au lieu de dire : « Le soldat de Crassus avait pu vivre, » il wait pas dit, sans changer le temps : « Le soldat de » Crassus a pu vivre... » Je comprends bien que ce changement a son explication dans la date de l’événe- ment qu'il rappelle; mais je ne sais s’il ne fait pas un peu tourner la traduction au commentaire chronolo- gique. Horace ne précise pas en historien l’antériorité relative d'un fait humiliant, suivi d’une glorieuse répa- ration. Sa pensée s’absorbe ici tout entière, d’une ma- nière absolue, sur ce fait, inconcevable à son orgueil de citoyen, que des Romains onf pu vivre (vixit) unis à des femmes barbares. Telle est, en outre, la force donnée à ce mot vixit par sa place à la fin de la phrase latine, qu’il est fâcheux que le génie de notre langue ne permette pas de la lui conserver dans la traduction pour peindre l’infamie d’une mésalliance dont la flé- trissure s’étend et pèse sur toute la vie, {urpis maritus vixit. J'essaierais du moins de rejeter aussi loin que possible l’imitation de vixit, en terminant par le mot liens, qui emporte aussi l’idée d’une honte prolongée jusqu’à la mort. Je proposerais : « Quoi ! le soldat de » Crassus, uni à une épouse barbare, a pu vivre dans » de honteux liens! » Horace ajoute : Et hostium (Proh curia, inversique mores!) Consenuit socerorum in armis, Sub rege Medo, Marsus et Apulus, Anciliorum, et nominis, et togæ — 195 — Oblitus, æternæque Vestæ, Incolumi Jove et urbe Roma! « Quoi ! devenu le gendre de son ennemi, (6 sénat, ô mœurs antiques!) le Marse et l’Apulien avaient pu vieillir dans les armées d’un roi Mède, oubliant et les anciles, et la patrie, et la toge, et les feux éter- nels de Vesta, quand le Capitole, quand Rome en- core élaient debout ! ». Remarquons d’abord qu’en disant : « Dans les ar- mées d’un roi Méde », M. Patin, au lieu de la leçon vulgaire ên arvis, adopte in armis, donné par Jean Bond et autres habiles commentateurs. Ajoutons que, pour la eorrection du texte, il fait lui-même autorité, suivant cette observation du critique déjà cité ci- dessus (1) : « Nous croyons inutile de nous attacher » » aux variantes des leçons que l’étourderie des copistes, la subtilité ou la hardiesse de certains commentateurs ont introduites dans le texte. L’érudition si conscien- cieuse et si étendue du nouveau traducteur, est un sûr garant que tout ce qui tient à la partie philolo- gique de son travail a élé longuement, patiemment, minutieusement étudié, pesé, discuté. D’où il suit qu'on ne s'étonne point de lui voir donner, sans _autre explication, le texte que sa science et sa raison lui ont démontré le plus net et le plus logique, et traduire en conséquence. » Cela posé, ici encore la période du traducteur se dé- veloppe avec une harmonie peu commune dans la (1) M. Talbot ; article indiqué plus haut. — 196 — prose; mais encore ici je croirais voir quelques ré- serves à faire quant à l’exactitude de limitation. Je de- manderais si, par l’exclamation, d’ailleurs énergique et rapide, 6 mœurs antiques, la pensée de inversique mores est assez fortement accusée, quand on supprime la re- production littérale de énversi. Je ne m’arrêterais pas à soulever une mauvaise chicane grammaticale sur le participe oubliant, qui se rapporte à le Marse et l'Apu- lien et qui se trouve un peu irréguliérement accolé à roi Mède; mais je demauderais si la peinture d’une vieillesse déshonorée par l'union avec une race ennemie et par l’asservissement à un roi barbare, ne devrait pas, pour mieux stigmatiser encore cette double infamie, précéder et faire attendre le nom des enfants de l’Ita- lie, le Marse et l'Apulien. Je demanderais si la conser- vation exacte de ce mot nom, nominis, n’aurait pas sur le mot patrie, qu’on y a substitué ingénieusement, il est vrai, l’avantage de réveiller l’idée d’une gran- deur presque surhumaine, attachée par les Romains à leur nom. Je demanderais encore si cela n’éviterait pas une sorte d’équivoque produite par l'expression oubliant la patrie, qui chez nous, d’après l’usage habituel, rap- pelle moins la puissance politique que les charmes privés du pays natal. Quoique reconnaissant une vive et pit- toresque concision dans ce membre de phrase, « Quand le Capitole, quand Rome étaient encore debout », je demanderais en outre si le nom même du dieu régnant au Capitole en devrait être exclu. Enfin, voyant dans cette espèce de pléonasme, jeté à la fin de la phrase, urbe Roma, deux mots dont l’un ou l’autre eût suffi, d’après l’usage des Latins, pour désigner la ville par — 197 — excellence, et soupçonnant une intention de auteur, Je demanderais si cette intention n’exigeait pas comme conclusion le mot capital et sacré : Rome. En résumé, si les doutes que Jj'émets n'étaient pas repoussés comme des scrupules minutieux, j'arriverais à cette variante de la traduction : « Quoi! nos ennemis, (Ô » sénat, Ô renversement des mœurs antiques !) ont pu » voir, devenu leur gendre, vieillir dans les armées » d’un roi Mède, le Marse et l’Apulien, oubliant les » anciles, son nom, la toge, les feux éternels de Vesta, » et Jupiter régnait encore au Capitole, et debout en- » core était Rome!» Hoc caverat mens provida Reguli, Dissentientis conditionibus Fœdis, et exemplo trahenti Perniciem veniens in ævum, Si non periret immiserabilis Captiva pubes. « Voilà ce que craignait la prévoyance de Régulus, quand il s’opposait à des conditions honteuses, à un exemple funeste pour l’avenir, quand il voulait » qu’on laissât périr sans pitié dans les fers notre là- » che jeunesse. » À l'exception peut-être d’un seul mot dans le pre- mier vers, cette traduction est un modèle parfait d’exac- titude unie à l'élégance. Le dernier trait surtout « Qu'on laissât périr sans pitié dans les fers notre là- » che jeunesse, » est un remarquable exemple de la possibilité de calquer scrupuleusement sur une phrase latine une phrase française, sans faire perdre à celle- YS — 198 — ci ni sa liberté d’allure ni son cachet d’originalité (1). J'ai annoncé une légère restriction; la voici : La pré- voyance et la crainte de Régulus se trouvent bien dans le hoc caverat mens provida ; mais n’y a-t-il pas là plus encore? Le caverat, emprunté à la formule officielle et pour ainsi dire sacramentelle, caveant consules, ne fait-1l pas pressentir que la crainte patriotique qui agite l’âme du héros va se traduire en acte, et en acte d’un caractère analogue à celui des mesures que pre- naient les consuls quand ils recevaient la mission de sauver la patrie déclarée en danger, caveant? Cette nuance ne pourrait-elle pas être conservée, si l’on di- sait : « Voilà le mal qu'écartait la crainte prévoyante de Régulus, quand il repoussait etc..…...? » + . . . Signa ego Punicis Affixa delubris,-et arma Militibus sme cæde dixit, Derepta vidi. Ici certains traducteurs croient devoir appliquer la règle, généralement excellente, de conserver autant que possible l’ordre des mots du texte, et parce que signa commence la strophe, ils disent : « Les ensei- » gnes, etc..., les armes, etc..…., je les ai vues... » M. Patin me semble avoir bien plus judicieusement pénétré le sens de l’auteur, en trouvant l’idée princi- pale dans le verbe vidi, qui, bien que placé seulement à la fin de la première partie de la période, est an- (1) Le mot Jéche ne se trouve pourtant pas dans le texte; mais cette addition, d’ailleurs parfaitement conforme au sens, était néces- saire pour l’harmonie de la phrase française. — 199 — noncé dès le début par son sujet ego, et qui d’ailleurs se trouve répété avec ce même sujet au commence- ment de la seconde partie, vidi ego. Cest, en effet, parce que Régulus a vu de ses yeux, comme le héros de Virgile fquæque ipse miserrima vidi), le spectacle qu’il déplore, c’est parce qu’il en a reçu l’impression directe et personnelle, ego vidi, qu’il en peint si éner- giquement l’indignité et qu’il s’écrie, d’après le nou- veau traducteur : « J’ai vu, suspendus aux temples de » Carthage, nos drapeaux, et ces armes que nos sol- » dats ont rendues sans combattre; j'ai vu, etc. . » Faisons une simple observation sur « signa... affixa » delubris. » Je suis loin de prétendre que ces mots ne soient pas convenablement traduits par « drapeaux » suspendus aux temples. » Suspendus fait image; cette expression est même consacrée chez nous par l'orgueil national. C’est celle que nous employons tous les jours pour désigner la glorieuse auréole qui brille à la voûte de l’église des Invalides. Mais, dans la bou- che de Régulus, suspendus ne serait-il pas remplacé avec avantage par le terme plus humiliant attachés? Car, sur le héros captif, les enseignes de Rome, fixées (affixa) aux murs des temples carthaginois, produi- saient la même brûlante impression de honte et de co- lère que, plus tard, sur les amis de la liberté romaine, la tête et les mains de Cicéron, par ordre d’Antoine, clouées à la tribune aux harangues, rostris affixa (1). (1) Les écrivains de l'antiquité ont souvent fait éclater leur indi- gnation à ce sujet. On lit dans Plutarque : « Lui fut la teste couppée par le » commandement d’Antonius, avec les deux mains, desquelles il — 200 — .... . « Vidi ego civium Retorta tergo brachia libero, Portasque non clausas, et arva Marte coli populata nostro. « J'ai vu, les mains liées derrière le dos, des ci- » toyens, des hommes libres; les portes des villes ou- » vertes comme en pleine paix, les champs paisible- » avait eserit les oraisons philippiques contre lui... Quand on ap- » porta ces pauvres membres tronçonnez à Rome, Antonius... com- » manda que l’on allast porter la teste et les mains sur la tribune » aux harangues... Ce fut un spectacle horrible et effroyable aux » Romains, qui n’estimèrent pas veoir la face de Cicéron, mais une » image de l’ame et de la nature d’Antonius. » (Plutarque. — Vie de Cicéron, traduction d’Amyot.) Juvénal a conservé le même souvenir dans ces quatre vers : Eloquio sed uterque perit orator; utrumque Largus et exundans leto dedit ingenii fons. Ingenio manus est et cervix cæsa; nec unquam Sanguine causidici maduerunt rostra pusilli. (Sat. x, v. 119.) Et avant lui Cornelius Severus, poète presque contemporain de Cicéron, avait dit : 5 Oraque magnanimüm spirantia pæne virorum In rostris jacuere suis; sed enim abstulit omnes, Tanquam sola foret, rapti Ciceronis imago. Informes vultus, sparsamque cruore nefando Canitiem, sacrasque manus, operumque ministras Tantorum, pedibus civis projecta superbis Proculcavit ovans, nec lubrica fata Deosque Respexit. Nullo luet hoc Antonius ævo. — 901 — » ment cultivés, ces champs ravagés naguère par nos » armes. )» 1 Contrairement encore à ce que font d’autres traduc- teurs, qui croient devoir dire des ciloyens, des hommes libres, avant de montrer les mains liées derrière le dos, M. Patin a reconnu, avec son goût habituel, qu’il faut que la phrase, comme dans le latin, tombe, en y concen- trant toute sa force, sur le mot libres (libero), qui rend insoutenable l’idée de la dégradation infligée à ces fiers citoyens, persuadés qu’ils étaient d’une nature bien supérieure à celle des esclaves. Pourquoi semble- Je dois ce dernier texte à l’inépuisable mémoire de M. Villemain, qui, au sortir de la séance du 12 juin, voulut bien me le faire con- naître et me rappeler en outre combien avait été grande l’impression laissée dans les esprits par la barbarie d'Antoine, puisque Velleius Paterculus, bien qu'adulateur de Tibère, ne craignaït pas de reudre à l’éloquent défenseur de la liberté romaine ce magnifique hom- mage : Nihil tamen egisti, M. Antoni..…..., mercedem cælestissimi oris et clarissimi capitis abscissi numerando, auctoramentoque funebri ad conservatoris quondam reipublicæ tantique consulis irritando necem. chance Dumque hoc... rerum naturæ corpus, quod ille pæne solus Romanorum animo vidit, ingenio complexus est, eloquentia illumina- vit, manebit incolume, comitem ævi sui laudem Ciceronis trahet, om- nisque posteritas illius in te scripta mirabitur, tuum in eum factum exsecrabitur ; citiusque in mundo genus hominum, quam ea, cadet. (Vell. Paterc. II. 66.) Cette atroce vengeance, si énergiquement flétrie par l'historien latin, le triumvir ne voulut pas en jouir seul. Il y associa Fulvie, sa femme, qui avait été celle de Clodius. Digne épouse de deux enne- mis mortels de Cicéron, elle se fit un horrible jeu de percer la lan- gue du grand orateur avec une de ces longues épingles d’or dont les Romaines se servaient pour soutenir leurs cheveux. — 902 — t-il ensuite se défier de l’intelligence de ceux qui li- ront ce passage et se croire obligé de la secourir en commentateur plus qu’en traducteur? Pourquoi, le texte disant simplement, mais en termes trés-intelligi- bles, « portas non clausas, » mettre les « portes des .» villes ouvertes comme en pleine paix? » Cette addi- tion m'embarrasse d’autant plus que je trouve ensuite paisiblement ajouté à cultivés, et que j'ai peine aussi à m'expliquer pourquoi on allonge encore la phrase en y faisant entrer deux fois le mot champs. Pour ne pas abuser trop, messieurs, d’une indul- gence déjà mise à une longue épreuve, j'abrégerai ce que j'aurais à dire sur le reste de l’ode, m’arrêtant seulement à quelques-uns des traits les plus dignes d'attention. Ainsi, par exemple, je signalerai l’expres- sive concision avec laquelle Régulus repousse le rachat des prisonniers, comme devant ajouter au préjudice moral porté à la république dans son honneur un pré- judice matériel dans ses intérêts, flagitio additis dam- num. Évitant l4 recherche ampoulée que ses prédéces- seurs n'ont pas loujours su écarter de celte phrase, M. Patin l’a rendue avec la simplicité d’un judicieux mot à mot : « C’est ajouter le dommage à l’infamie. » Et pourtant je ne sais si je nes me hasarderais pas à lui demander pourquoi il a cette fois interverti l’ordre des idées de loriginal. Il a fini par énfamie, qui est bien, il est vrai, le terme le plus fort; mais Horace, au con- traire, a placé l’infamie avant le dommage, par un double motif peut-être. D'abord le déshonneur était le . résultat d’un événement consommé, précédant le dom- mage, qui devait être la conséquence d’une décision — 903 — encore à prendre. D’un autre eôté ce raisonnement, qui part du déshonneur, motif le plus puissant sur les belles âmes, et qui, par une sorte de gradation matérialiste, s'élève ou plutôt descend au dommage, n’était-il point un argument à l’adresse des politiques _ caleulateurs, plus accessibles à la logique d’un chiffre qu’à l’éloquence d’un sentiment et à l’autorité d’un principe ? Dans ce cas, il y aurait là quelque chose d’analogue au mot fameux : « C’est plus qu’un crime, » c’est une faute. » Quoi qu’il en soit, la traduction, dans les vers qui suivent, me semble atteindre la perfection. Je ne pense pas qu'il soit possible de trouver mieux que : « La » vertu véritable, quand on l’a perdue, ne rentre » point dans un cœur avili : » Nec vera virtus, quum semel excidit, Curat reponi deterioribus. Je ne donnerais pas, je l’avoue, la même adhésion à l’idée de remplacer le mot biche par celui de cerf dans Si pugnat extricata densis Cerva plagis ; car la biche est, ce me semble, plus encore que le cerf, l'emblême de l'extrême timidité. Puis, malgré l'élégance de « qui a senti sur ses bras désarmés le » poids des fers » (ners sensil), J'inclinerais à croire que, pour ne pas altérer la force de iners, complément du sine cœde qui se trouve plus haut, il conviendrait de dire : « Celui qui, sans résistance, a senti sur ses bras » le poids des fers. » Je n’ose, messieurs, entrer dans le détail des quatre dernières strophes, qui, à elles seules, fourniraient le SOC. D'AG. 45 — 904 — sujet d’un long commentaire sur celte peinture du hé- ros, d’abord repoussant les marques de la tendresse de _sa famille, puis, avec autant de calme que s’il allait chercher aux champs un délassement momentané, se frayant, à travers la foule qui veut le retenir, un pas- sage pour retourner dans l'exil, où l'attend une af- freuse mort : Atqui sciebat quæ sibi barbarus Tortor pararet. . . : J'emprunte seulement à M. Patin une citation der- nière, que Jj'accompagnerai de deux courtes observa- tions. : « On dit qu’il repoussa les baisers de sa chaste »"épouse, les caresses de ses petits enfants, parce » qu'il n’était plus citoyen; qu'il tint attachés à la » terre ses mâles, ses farouches regards, jusqu’à ce » que ce conseil inoui eût fortifié l’esprit incertain des » sénateurs, et qu’au milieu de ses amis en larmes, il » reprit le chemin de son illustre exil. » Y aurait-il trop de subtilité à dire que l’exil, qui depuis a fait l'illustration de Régulus, n’était pas en- core illustre; que, par conséquent, ce dernier mot ne : répond pas exactement à egregius, expression qui n’est pas sans rapport avec celle de victorieux, dont se sert Lebrun quand, à propos de la destruction du vaisseau le Vengeur, il dit : Et vous, héros de Salamine, Dont Téthys vante encor les exploits glorieux, Non, vous n’égalez point cette auguste ruine, Ce naufrage victorieux ! Assurément, je n'irais pas jusqu’à dire que le dé- — 905 — part de Régulus fut un exil victorieux; mais j’adopte- rais volontiers exil glorieux, parce que cette épithète peut s’appliquer à une gloire devant plus tard résulter de l'acte accompli aussi bien qu’à l’acte lui-même au moment de l’exécution. Dans « il tint attachés à la terre ses mâles, ses fa- » rouches regards, » je regretterais que les deux qua- lifications torvus et virilem, appliquées par le latin, l’une au visage, l’autre au regard, fussent dans le français réunies sur ce dernier mot. Si j'avais l'honneur de m’entretenir à ce sujet avec M. Patin, je lui dirais : Mon savant et vénéré maître, vous êtes, je le sais, aussi délicat appréciateur des chefs-d’œuvre du pin- ceau que profond humaniste. Eh bien! quand, au Louvre, vous vous arrêtez devant cette toile sur la- quelle David, avec une si effrayante vérité, a rendu visible ce qui se passe dans l’âme de Brutus au mo- ment où il vient de faire immoler ses fils, la phrase d'Horace ne vous revient-elle pas à l'esprit? N’avez- vous pas là sous les yeux, dans l’ensemble de ce mâle visage, le virilem vultum d’un Romain des vieux âges ? Ne voyez-vous pas aussi cette native et habituelle ex- pression de vigueur physique et morale se concentrer en quelque sorte, en lui empruntant une nouvelle énergie, dans le regard, à la fois sublime et farouche (Lorvus), du consul qui a étouffé le père? Que dis-je, ne voyez-vous pas? Pardonnez-moi celte inconvenante question. Tout cela, certes, vous le voyez et vous le développeriez beaucoup mieux que je ne l'indique. Beaucoup mieux aussi, tout en signalant les harmo- nies qui rapprochent le tableau du poète de celui du — 906 — peintre, vous en feriez ressortir les dissemblances commandées par la différence des sujets; des deux côtés la virile victoire remportée par un grand cœur sur lui-même, victoire empreinte dans le regard, ici fièrement fixé sur l’avenir, là (hum posuisse) stoïque- ment résigné à la fortune présente. Mieux que personne encore vous feriez comprendre, par une de ces expli- cations, fines et solides en même temps, qui vous sont familières, combien notre langue, privée des désinen- ces variées qui en latin répondent à toutes les nuances de la pensée, est impuissante à peindre l'effet de ce coup d’œil éorvus, qui rend si terrible un visage déjà si mâle, virilem vultum. Si votre traduction ne repro- duit pas ici le modèle aussi complétement que le fe- rait saisir votre commentaire, ce n’est pas vous, Ô mon maitre, qui êtes vaincu par le rude joûteur contre lequel vous étiez si digne de lutter; c’est la langue française qui est obligée de s’humilier devant sa mére. C’est précisément l'inverse de ce que dit ailleurs votre poëte : O matre pulchra filia pulchrior ! Je finis, messieurs, comme j'ai commencé, en re- merciant avec la plus profonde gratitude notre illustre président de vouloir bien venir, chaque année, encoura- ger parmi nous cette noble passion de l’étude, que plusieurs de nous (je suis du nombre) ont eu le bonheur de puiser dans ses leçons orales, et que tous nous entretenons par la lecture habituelle de ses œu- vres. Car ses œuvres sont de celles dont il faut dire avec Horace encore : Nocturna versate manu, versate diurna ! L'AVOCAT AU CRIMINEL (FRAGMENT) PAR M. EMILE AFFICHARD, AVOCAT. Lu à la séance présidée par M. Villemain. «. . Dans cet assujettissement presque général » de toutes les conditions, un ordre aussi ancien » que la magistrature, aussi noble que la vertu, » aussi nécessaire que la justice, se distingue par » un caractère qui lui est propre; et, seul entre » tous les états, il se maintient toujours dans » l’heureuse et paisible possession de son indé- » pendance. » Chancelier D'AGUESSEAU. La profession d’avocat essentiellement indépendante, jalouse de sa dignité et de ses droits, exige de celui qui l’aborde le tact des choses, le discernement des hommes ; elle demande une délicatesse scrupuleuse, et par-dessus tout une probité qui puisse inspirer ce que le talent lui-même ne saurait donner, la confiance et la considération. Cette carrière de choix n’est parcourue que par un nombre d'hommes assez res- iremmt, eu égard à tous les licenciés qui, chaque année, viennent expirer au seuil du tableau ; et la Providence — 9208 — qui mel un haut prix à l'honneur de porter en justice la parole pour ses concitoyens, ne permet à nul de. parvenir à la barre sans un austère et opiniâtre la- beur. rer Ya-t-il dans le monde ce qu’on puisse appeler un avocat complet dans la rigueur des termes ? J’en doute; s’il existe quelque part, il est permis de faire de sa personne un éloge d'autant plus précieux, qu'il est plus rarement méritéi L'avocat, en effet, j'entends parler de celui qu’entoure une clientèle sérieuse, est toujours à l’œuvre, toujours sur la brèche; ses facultés sont sans cesse tendues et appliquées à des sujets variés, à des causes diverses. La journée débute par des consultations et des conseils au service du public ; elle continue, elle est remplie, absorbée même par l’audience et le débat; la nuit parfois s’épuise en des recherches persévérantes et le lendemain, enfin, en présence du public, devant ses juges el à heure dite, l'avocat, nonobstant l’épuisement ou la fatigue, doit venir, Voir et vaincre. | | Au milieu de cette vie agitée, morcelée, où le cabi- net et l’audience semblent tout absorber, que devient l’homme privé, l’époux, le père, le fils, le frère, l'ami, et surtout que devient le chrétien ? L'avocat a dans sa profession, cela n’est que trop certain, beaucoup plus qu’il ne faut pour le distraire des saintes joies de la famille et de l'amitié, pour l’a- buser sur sa destinée, sur sa fin : il peut bornerses horizons spirituels à la contemplation plus ou moins idéale du mur mitoyen, sans scrupule, sans souci, en y trouvant même des félicités inénarrables, cela s’est — 909 — vu, se voit et se verra. Mais si l'avocat a l’âme forte, religieuse, trempée dans les eaux vives de la foi, il sait dégager son cœur et son esprit de l’incessante im- portunité des intérêts humains, qui sont nécessaire- ment des intérêts à courtes vues puisqu'ils s’agitent dans le temps, el sans manquer aux rigoureux devoirs qu’il a contractés vis-à-vis de ses clients, en les rem- plissant même avec plus de rectitude et plus de soin, il donne à Dieu des heures brèves sans doute, mais si remplies, qu'il en rejaillit toute une bénédiction sur ses œuvres quotidiennes. Pendant les heures précieu- ses qu’il dérobe aux affaires, son cœur se dilate, s’é- panche, il répand autour de lui des tendresses dont la famille et l'amitié se partagent les joies ! Sublime profession si haut placée par le chancelier d'Aguesseau, et parfois si méconnue! e’est pour son exaltation que je me propose d'écrire ces pages con- vaincues ; je veux envisager ses grandeurs à un point de vue spécial généralement incompris, souvent travesti, voire même calomnié ; j'entends parler de la mission du barréau au criminel. Il semble à ce qu'il est très juste d'appeler le vul- gaire, qu’un avocat au criminel soit un homme en quelque façon fatalement destiné à tisser la trame in- solante d’un mensonge ingénieux, au grand jour de la justice, et que cette dernière soit condamnée à subir un tel outrage à perpétuité. L'avocat apparaît dans ce cas comme un sophiste doré qui, grâce à certains effets plus ou moins bien combinés, parvient à soutenir le faux sans pudeur. Ceux qui pensent de la sorte voient en lui dés-lors un péril imminent pour la vérité, et — 210 — jugent au moins imprudent le sage qui ne tient pas cette race insidieuse, à l’état chronique de suspicion ! Certains considèrent l’avocat comme un objet de luxe (ce ne sont ni les moins polis, ni les moins bienveillants) comme un brillant hors-d’œuvre si l’on veut, car enfin brillant, cela dépend; comme une distraction qui peut être longue et cesser par là-même d’être un divertissement, mais après tout donnant à l'ensemble du débat une certaine physionomie et un entrain assez piquant. Peu d'hommes, à bien prendre, aperçoivent que l’avocat exerce au criminel, un minis- tère qui ne le cède à aucun autre en élévation et en dignité. Il tient sa haute mission de la volonté souve- raine et protectrice de la loi autant, encore plus peut- être, que du choix de son client ; le magistrat se fait un devoir rigoureux de protéger la défense, de ne ja- mais l’entraver, car il sait qu’elle repose sur un droit imprescriptible. Il aime et honore d’ailleurs, ces hom- mes qui dépensent leur temps, usent leur jeunesse, abrègent leur vie, au service des malheureux. L'avocat au criminel fidèle à ses devoirs, peut dire à plus juste titre que personne : « Je n’ai jamais flatté que l’infor- tune. » En matière correctionnelle la brièveté des relations entre le prévenu et son défenseur, l'importance res- treinte du fait incriminé, les censéquences également relatives qu’il doit entrainer, sont autant de causes qui tendent à diminuer la portée de notre mission; c’est surtout lorsque l'accusation se formule devant la Cour d’Assises, que le rôle de l’avocat grandit. Je veux en suivant les phases diverses d’un procès criminel, — JA — montrer ce qu'est ou ce que doit être l'avocat digne du nom qu’il porte. Dés que le défenseur est choisi ou désigné par le Président des Assises, il peut entrer immédiatement en relations avec l’accusé; les portes des cachots, si impitoyables qu’elles soient, doivent s’oûvrir sans ré- sistance et sans délai devant lui. L'avocat se présente donc à la prison, et là dans une chambre le plus sou- vent étroite, aérée avec parcimonie, où la lumière se fait avare d'elle-même, il se trouve en face d’un malheu- reux qui sous main de justice gémit souvent depuis des mois, et attend son arrêt. Quelles doivent être les pensées de cet infortuné, lorsqu'il voit apparaître le seul ami dont il lui ait été donné depuis longtemps de rencontrer le regard? Un ami, le plus souvent inconnu de nom et de visage ! Quels sentiments intimes, profonds ce semble, rem- plissent son âme ? Lui captif, isolé de sa famille s’il en peut compter une dans le monde; privé des conso- lations de l'amitié, si son âne a pu connaitre ce doux et suave commerce des affections ; déshérité le plus souvent des joies de la foi, dont les opinions plus ou moins philosophiques qu’il croit avoir, l’ont généra- lement détourné ! Depuis la réalisation de son crime, s’il est coupable, de son arrestation, s’il est innocent, l'accusé a vécu d’un existence très amère. Tenu parfois au secret dans l'isolement absolu, ou bien laissé, sans cette douloureuse distinction, parmi le vulgaire de la geôle, ses jours, ses nuits se sont consumés dans les larmes. Les charges de l'instruction lui sont apparues sous un aspect sinistre, et jusqu'à la première visite * — 212 — de son avocat, ce malheureux a gardé peut-être au- dedans de lui, dans le mystère à mille replis de son âme, quelqu’aveu douloureusement scellé, ou tout au moins des confidences dont le secret voulait briser ses liens et vivre en mourant dans un autre. Dans le regard inquiet et scrutateur du prisonnier, se révèlent les pensées qui l’absorbent et tiennent son âme sur la défensive. Il parle bas, comme s'il de- vait se mettre en garde contre un péril qu'il appré- hende sans le pouvoir définir; on dirait à le voir et l'entendre que les murs des cachots secrêtent la déla- tion ! Et que pense l'avocat lui-même? Demeure-t-il impassible devant un pareil spectacle ? Il est là, en présence de son semblable selon la chair, de son frère selon le Christ; sa mission est de défendre cet homme, de le consoler, de le sauver peut-être : le sauver! c’est-à-dire le rendre à la lumière du jour, à la cha- leur du soleil, aux splendeurs des nuits, à l'air pur, au sourire des fleurs, aux chants des oiseaux, à la fa- mille, aux amis, à l'honneur, à la liberté, à la vie ! Quel rôle plus noble, plus digne d’être ambitionné ? IL est donc là, cet homme, placé peut-être sous le coup d’une accusation capitale. S'il est coupable d’un grand ‘crime, comment y a-t-il été poussé ? Par quelles voies ténébreuses l’ange du mal l’a-t-il conduit ? Le vice ne semble pas avoir sillonné de ses derniers stigmates son douloureux visage, et pourtant, pourtant il est là, dans l'habitacle des larmes et du désespoir! Ici ma plume se trouble, ma conscience s’émeut et je croirais trahir le prisonnier qui me confie son âme, si j'écrivais, si je racontais ces scènes émouvantes dont. — 913 — l'asile silencieux où l'avocat et le patient conférent, demeure parfois l’impassible témoin. Ah! du moins il est bien permis de le dire, jamais penseur ne fut, hormis le prêtre, plus à même de voir dans leur nu- dité toutes les plaies de l’âme, et de suivre cette trace de fange dont l'humanité si grande par certains côtés, dépose toujours le limon partout où elle passe. Certes si la mission du défenseur s’arrêtait là, ce serait déjà quelque chose, à tout le moins au point de vue pénal, mais il n’en va point ainsi; nous ne sommes qu'au seuil de ses grandeurs. L'homme vrai- ment pénétré du ministère qui lui est départi prend avantage des voies qui lui sont ouvertes pour venir consoler son pauvre frère, éveiller en lui les souve- nirs de la jeunesse, du foyer paternel, en un mot être et devenir son ami. Or, ce n’est pas un mince labeur d'arriver à une âme sans la froisser, et pour alteindre le même but les chemins sont aussi multi- ples que les âmes se différencient les unes des autres. Ce qui touche, calme, console l'une, aigrit, irrite et désespère l’autre ; bien vaines seraient évidemment ces nobles entreprises, si Dieu n’était pas toujours avec les âmes désintéressées. Ce serait donc, qui ne le voit, amoindrir étrange- mént la mission du défenseur, que de borner son assis- tance et ses conseils à la plaidoirie et à l'audience ; ce n’est, en réalité, pour lui qu’une élape dans son no- ble et périlleux voyage, qu’un aspect particulier de sa mission. Avant le débat oral, que de choses inconnues, émouvantes se sont passées! Peut - être le ministère de l’avocat a-t-il porté des fruits précieux, el le défen- — 9214 — seur n’eût-il, après tout, donné au prisonnier confié à sa sollicitude, qu’un peu de consolation et d’espérance, ce serait d’un prix inestimable. Qu’on le remarque, dans cette première partie du procès criminel, déjà précédée par les délais d’une longue instruction, où le conseil n’a pas été en rela- tion avec l’accusé, l'influence de l'avocat est à bien prendre la seule qui puisse atteindre directement le patient. Il se défie de tout et de tous hormis de son dé- fenseur ; ei si vis-à-vis de ce dernier il fait encore des réserves, du moins il n’a pour lui ni haine ni répul- sion. Qui donc, autre que l'avocat, aura pu l’approcher ? Le prêtre? Mais d'ordinaire, je l'ai dit, les crimi- nels le tiennent en suspicion, à la façon des penseurs plus ou moins libres; c’est tout à peine si son zèle triomphe dans les dernières heures du condamné à mort. Le prêtre ? mais il lui faut attendre le bon plai- sir du prisonnier; et, comme son maître, il frappe et demeure sur le seuil. L’accusé se cramponne instinc- tivement à l’avocat, se réservant d’en venir au prêtre quand tous les moyens du temps seront épuisés. Par le fait, cette lâcheté n’est pas précisément illogique, car la Providence attend... Mais une assignation ! Le Président des Assises peut exercer, sans nul doute, une influence salutaire et précieuse sur l'accusé, mais elle est moins personnelle, partant moins intime. Quel- que charitable que füt en effet ce magistrat, il ne pour- rait suffire à sa tâche : tous les autres accusés, et parfois ils sont nombreux, auraient un égal droit à l’'aumône de sa parole et de ses conseils ; il leur devrait — U5 — une même sollicitude, ce qui ne serait guère réalisa ble, sous peine de distraire aux devoirs difficiles et multiples de la session un temps précieux, des heures comptées. Quant au magistrat instructeur , ses rap- ports ont été avec l’accusé de tous les jours, de tous les instants ; Je ne le méconnais pas, et je conçois à merveille tout ce que peut, en pareil cas, un homme réellement charitable; mais, ce que je ne puis mécon- naître davantage, c’est que l’accusé ne saurait distin- guer l’homme privé , bon, généreux, compatissant , du magistrat dont après tout la mission sociale est de re- chercher contre lui; un Juge d’instruction patient et ha- bile obtient des aveux, démasque des mensonges; ja- mais il ne reçoit une confidence ! Il est un homme, qui mieux que personne pourrait commencer l’œuvre de moralisation : C’est... c’est le geôlier! Admettez qu'il soit chrétien, admettez qu’au lieu d’être un verrou vivant il apporte dans ses dou- loureuses fonctions un peu de charité, un peu de mi- séricorde , il pourra, sinon renouveler la face de la prison, ce qui n'appartient qu'à Dieu, du moins donner un peu de paix autour de lui, et le verre d’eau confié aux lévres ardentes du prisonnier aura sa récompense. Ainsi donc et tout considéré, l’avocat avant l’audience a le plus facile accès, au moins en fait, près de l'accusé. C’est, à tout le moins, un ami de par la loi, et n’y eût- il que la froide légalité entre ces deux hommes, cela seul suffirait à les rapprocher. Il est acquis, désormais, que dans l’espace de temps qui s’écoule entre la pre- miêre visile de l’avocat et la comparution en audience publique, ce dernier a déjà pu exercer d’une façon ef- — 916 — ficace son action moralisatrice, et fournir avant l’apos- tolat de sa parole Repas non moins généreux de ses convictions. Le jour des émotions et des luttes arrive enfin, souhaité, redouté tout à la fois par le patient; la foule avide se rue dans l’enceinte de justice, et envahit im- pétueusement l’audience. Il semble qu'aucune digue ne pourrait contenir -cette marée humaine; cependant elle se calme et s’arrête tout-à-coup : la Cour entre en séance, l'accusé paraît. Si ce malheureux, en admettant même sa culpabilité, a gardé dans son cœur quelque chose qui le distingue encore de la brute ou de la bête fé- roce, ce doit être pour lui un moment d’angoisses inouies que cette exhibition publique de sa personne, devenue le point de mire de tous les regards, de tou- tes les curiosités, de tous les commentaires ! Quand, écrasé sous le poids de la honte, l’accusé sortant pour ainsi dire des premières étreintes de ce cauchemar ju- diciaire, lève les yeux pour la première fois, quel spec- tacle frappe ses regards ? D’un côté siége la Cour dans l’impassible dignité de sa mission; non loin d’elle est assis le ministère public, dont l’attitude grave et aus- tère révèle les honorables mais pénibles fonctions; en face de l'accusé, douze hommes, douze citoyens; au- tour de lui, la force armée. La sévérité partout, l’in- dulgence nulle part! Dans son muet désespoir l’accusé cherche en vain un ami, un seul ! L'épreuve est trop douloureuse : le sang afflue à son cerveau, sa tête s’égare, il va s’affaisser sur lui-même; mais tout-à-coup un éclair de joie jaillit sous ses larmes, il a vu l’espérance. Un homme est au-des- — 917 — sous de lui, assis sur un banc de bois, devant une plan- che sans apprêt, barre glorieuse de laquelle sont partis des accents qui ont émerveillé le monde, surtout à ces nobles heures, où des soldats à jamais illustres lut- taient dans les questions de Presse pour la défense et la liberté de la pensée! Que ne pourrais-je dire de ces esprits supérieurs qui, sur un théâtre non moins élevé et non moins fameux, sont devenus et sont restés si grands ? Cet homme dont je viens de parler, que n’entoure aucun preslige extérieur, qui de son propre fonds de- vra lirer son autorité; cet homme, c’est l'avocat, l'ami, le consolateur. L'affaire commence. Dans le monde, en cette circons- lance, on ne se rend compte que très-imparfaitement des difficultés de notre profession ; pour un grand nom- bre le siége de l'avocat doit être fait d'avance, en sorte qu'hormis la plaidoirie, il lui serait loisible d'assister aux débats à la façon de ces blasés de théâtre qui éta- lent à tous les yeux la sotte vanité de leur personne, et dont le plat visage est à jamais incapable de senti- ment et de physionomie. Quelle injure ! Qu’on le sache bien, l'audience n’est point un spectacle, il s’en faut de tout, et quand on y pleure, ce sont de vraies larmes ! Il ne s’agit pas là, à part les glorieuses exceptions dues au génie, de personnages imaginaires, forcés ou gri- maçants ; non, non, l'audience est une douloureuse vé- rité, c’est un drame de la vie réelle dont le dénoue- ment est toujours lamentable même lorsqu'il est heu- reux ; l'enjeu fait trembler les plus intrépides, la ques- tion ne sort jamais de ces deux termes : La vie ou la — 18 — liberté, la mort ou la captivité ; en sorte que le mono- logue émouvant et sublime de Shakspeare apparaît toujours en lettres de feu au seuil des Cours criminel- les : « To be, or not to be... that is the question! » Il y a, selon la volonté de la loi, des formes judi- ciaires protectrices de l’accusé, dont l'observation ga- rantit ses droits, dont l’omission peut vicier les arrêts de la justice, cassés alors par la Cour suprême. En même temps que le défenseur prête une: atten- tion soutenue à la marche de l’affaire, à l’interroga- toire du prévenu, aux dépositions des témoins, en un mot à l’ensemble du débat, il se tient à l’état perma- nent d'observation, attentif aux moindres incidents; il saisit les irrégularités, les consigne, en demande acte, et se prépare à tout événement des moyens de cassa- tion contre l'arrêt si son client ne le veut accepter. Ne pas perdre un argument, ne pas laisser échapper une parole, aviser les nullités, se tenir à l'affût des moindres incidents, tout voir, tout pressentir, ne rien compromettre, certes ce labeur est inoui, et dépasse- rait, à mon sens, les forces de plus d’un. Une circons- tance omise, un moyen oublié, un eri de l’âme étoufté, moins que cela peut-être, et une tête tombe. Je n’exa- gère rien, autrement ce serait nier le pouvoir de l’élo- quence; ce serait méconnaître les entraînements gé- néreux et souvent légitimes de l’âme humaine; ce se- rait oublier que la justice, sous le règne de l'Evangile, est empreinte d’une miséricorde que les lois antiques n'avaient pas connue, qu'elle a des entrailles accessi- bles aux nobles émotions; que la justice criminelle enfin ne saurait être autre chose qu'une bonté sévère, — 919 — excluant tout ensemble la dureté et la faiblesse. Nous avons tous, quoique nous fassions, du Christianisme dans les veines et malgré nos faiblesses, nos passions, nos préjugés, nos travers , nous nous ressentons, même à notre insu, de cet admirable voisinage. Sachons-le bien, la doctrine qui disait : Œil pour œil, dent pour dent, est abrogée ; il faut alors même que nous chä- tions notre semblable qu’il puisse discerner encore, sous la main qui le frappe, la tendresse et le dévoue- ment d’un frère ! C'est en passant en quelque sorte à travers ce dédale de difficultés que l’avocat arrive au moment où le mi- nistère public, prenant la parole, creuse dans la cons- cience des jurés le sillon accusateur. Maître avant tout des agitations de son âme, le défenseur est condamné au silence et doit entendre, avec le calme qui sied à sa dignité et le respect qu’il doit à la justice, se dérou- ler la trame habile de l’accusation. Il lui faut entendre se dresser parfois un faisceau de preuves accablantes qui suppléent dans leur sombre éloquence à toute dé- monstration, puisque comme l’a dit excellemment Royer- Collard : « Il n’y a rien de plus brutal qu’un fait. » C’est après avoir passé par toutes ces émotions, tou- tes ces alternatives, que l’avocat se lève enfin pour dé- fendre un malheureux accablé jusque-là, qui, sous _ le coup des témoignages et de l'accusation, n’a pu qu’à peine balbutier des explications ou des excuses. Ah! certes, le moment est solennel, et bien déshérité serait l'homme qui ne sentirait en lui de justes, de terribles appréhensions. Qu’on y songe : se trouver seul entre un accusé et l’échafaud, et se dire à part soi: Si je SOC. D’AG. 16 — 220 — faillis à ma tâche, une goutte, ne fût-ce qu’une goutte du sang de cet homme retombera sur moi! L'avocat prend enfin la parole et s’engage sur le ter- rain de la discussion. À mesure qu’il parle il suit sur le visage de ses juges l’heureuse influence de sa plai- doirie , ou devine l'opposition qu’elle provoque ; il perçoit au-delà du calme apparent les préoccupations de la conscience; il discerne les doutes, les hésitations, pressent jusqu'aux scrupules; il combat pied à pied, sans jamais épuiser ses forces ni vider son carquois, et jusque dans les ardeurs de l’éloquence, il se mé- nage, comme instinctivement, des temps d'arrêt pour reprendre haleine. Mais, lorsqu’au seuil de la pérorai- son il va résumer ses moyens, porter les grands coups et brûler ses vaisseaux, il dit à la prudence : Retire- toi ; au calcul , à l’art, à l’adresse : Fuyez-moi ; et don- nant alors carrière à son âme, à toutes les forces vives de l'intelligence, il assiége les derniers retranchements de la conscience; tour à tour il supplie, il commande; le feu de sa parole dévore le granit des cœurs qui résis- tent encore; la lave de l’éloquence brûle, déracine les dernières résistances, et ce que n’a pu faire la logique, la raison, l’esprit, la tactique, la finesse, l’art, l’habi- leté, le cœur seul le réalise, parce qu’il est notre grand MHAMPON re nue re à unie in nèe DE ÉTUDE LITTÉRAIRE PAR M. BOUGLER Conseiller à la Cour Impériale d'Angers. Dans la séance du 12 juin, M. Bougler a donné lec- ture de la plus grande partie d’une étude littéraire dans laquelle il a cherché à établir que ce n’est que dans son cœur que l’orateur peut trouver le secret des douces paroles et des nobles inspirations, parce que le cœur seul, ajoute-t-il, est la source inépuisable et féconde de la véritable éloquence : Peclus est quod disertum facit. Cette maxime célèbre d’un grand maître dans l’art de bien dire, lui a servi de texte, et il en a cherché la justification dans des exemples empruntés aux auteurs les plus renommés soit de l’antiquité, soit des temps modernes. À Dieu ne plaise, Messieurs, a-t-il dit à ce sujet, à Dieu ne plaise, que dans cet asile consacré à l’étuce des lettres et aux savantes et habiles explorations de l'art oratoire, à Dieu ne plaise que je vienne me dé- clarer dans une portée quelconque, l'ennemi de Por nementation du discours. L’agencement des phrases, — 999 — la pureté de la diction , le nombre et l’arrangement des périodes, l'harmonie enfin de toutes les parties du style, constituent assurément un des grands mérites de l’orateur, et je suis disposé toujours à m’écrier avec Cicéron : Superbum auris judicium , sentence mémorable et si connue, que l’on pourrait traduire par la recommandation pleine de sagesse, de relire avec soin les paroles écrites, et de les écouter attenti- vement soi-même pour s'assurer qu’elles sont bien dites et qu’elles ont été convenablement exprimées. Toute- fois les règles du beau langage ne constituent point le véritable secret de l’éloquence, mon texte seul le possède, et pour le transmettre : Pectus est quod diser- tum facit, il n’y a que le cœur qui rende éloquent. Ces paroles, Messieurs, sont bien autre chose qu'un précepte de rhétorique, c’est une vérité appli- cable à tous les temps, à tous les lieux, à tous les hommes ; c’est, en quelques mots, le résumé très- exact en même temps que la plus juste appréciation de tous les chefs-d’œuvre immortels consacrés par l’as- sentiment des siècles et les admirations de la postérité, et s’il élait besoin d’en rapporter des exemples écla- tants,/nous pourrions vous en citer dans tous les mo- numents mémorables de l’esprit humain. Nous en trou- verions surtout et bien plus que partout ailleurs dans ce livre par excellence, modèle incomparable de sim- plicité et de grandeur , de naïveté, de profondeur et de merveilleuse éloquence. Les incrédules eux-mêmes se sont inclinés devant la beauté sans pareille du style de nos livres sainis, et tout dernièrement encore je lisais dans l'ouvrage d’un libre et irès-libre penseur — 993 — de notre siècle (1), que la poésie lyrique des Hébreux n’avait pu être égalée encore et surtout, ajoute-til, à cause de l'inspiration vive et brûlante, quelle qu’en soit la source, qui paraît avoir présidé à la composition des livres bibliques. On conçoit parfaitement que le littérateur philosophe et sceptique ait voulu détourner ses regards d’une lumière qui léblouit et l'étonne, mais pour le chrétien, enfant soumis et fidèle de V'É- elise , cette haute inspiration que la philosophie hu- maine ne peut s'empêcher d'admirer, c’est l’inspira- tion de Dieu lui-même, et c’est pour cela que nous n’oserions nous permettre d’aller y chercher des exem- ples et des modèles d’éloquence. Il me semble même que ce serait une imprudente témérité et une sorte de profanation que de s’emparer de la parole divine pour aller y puiser des règles de diction, des préceptes de goût et des traditions littéraires, Eh! qui pourrait s’é- tonner aprés tout que l’éternelle et souveraine intelli- gence ait trouvé toujours le secret des grandes pensées et de leur plus magnifique expression? Nous aurons d’ail- leurs à exploiter une mine assez féconde encore en nous restreignant dans un cercle de citations classiques qui nous suffiront à montrer combien chez les grands poëtes et les grands orateurs, le sentiment de l'âme a secondé toujours la puissance du talent et l’éclat du génie. Une revue littéraire enfin, lors même qu’elle pourrait sembler toute profane, ne comporte point en- core un caractère absolument exclusif. Les saintes Écritures nous apprennent que plus d’une fois la pro- (4) M. Léon Halévy. — 9924 — vidence divine inspira le langage de ces faux prophètes qui n'avaient pas même entrevu de loin les rayons merveilleux de la souveraine lumière, et qui, poussés par une puissance surnaturelle, n’en chantaien! pas moins la gloire et la grandeur d’un Dieu qui leur était inconnu. Peut-être aussi, serait-il permis de dire sans trop de témérité que dans leurs accents sublimes et leur langage incomparable, les auteurs immortels de l'antiquité païienne sont devenus parfois les organes même de la vérité immuable et suprême, mais en füt- il autrement, il faudrait recueillir encore leurs paroles avec une pieuse admiration et des sympathies presque religieuses, car, comme l’a dit un écrivain célébre (1), tout ce qui est beau, tout ce qui est intime, tout ce qui est noble participe de la religion (2). Vous êtes pour la plupart sans doute, Messieurs, fa- miliarisés avec le plus ancien et le plus grand poëte de la Grèce et de tous les poètes connus. C’est de lui, vous le savez, que notre grand Bossuet avait coutume de dire qu’il allumait son flambeau aux rayons du so- leil d'Homère, et vous avez admiré plus d’une fois celte verve intarissable et puissante, cette narration en même temps naïve et sublime, cette peinture ex- quise et fidèle des âges qui ne sont plus, toutes qua- lités qui distinguent si éminemment ce vieil et divin Homère, et je ne craindrai pas d’être démenti par vous (1) M. Benjamin Constant, dans son livre De Ja Religion. (2) L'auteur avait lu pour la première fois ce travail dans une cir- constance telle que l’on pouvait attendre de lui une composition ex- clusivement religieuse, et il s’excusait ainsi de s'être appuyé seule- ment sur des autorités classiques et profanes. — 9925 — en äjoutant que c’est surtout dans l'expression des sentiments du cœur que le grand poëte est toujours dignement inspiré, et se recommande à toutes les ad- mirations et à toutes les sympathies. « En lisant Ho- » mére, a dit l’un des plus grands écrivains de notre » siècle (1), tantôt on entend pétiller autour de soi ce » feu générateur qui fait vivre la vie, et tantôt on se » sent humecté par la rosée qui distille de ses vers » enchanteurs sur la couche poétique des immortels ; » il sait répandre la voix divine autour de l'oreille hu- » maine, comme une atmosphère sonore qui résonne » encore après que le Dieu a cessé de parler. Il peut » évoquer Andromaque et nons la montrer comme son » époux la vit la dernière fois, frissonnant de tendresse et riant des larmes. » Ces adieux d’Hector et d’Andromaque qui d’ordinaire sont mis dans les mains des élèves des hautes classes d’humanités, offrent sans doute un admirable tableau où le pathétique et le sublime abondent et semblent se disputer le prix. Je ne sais, Messieurs, si je m’a- buse, mais à côté de ce morceau célèbre, je serais presque tenté parfois de mettre sur la même ligne, ou du moins à très-légère distance, l’humble prière du vieux Priam qui vient demander à son farouche vain- queur les restes mortels de son fils. Je suis toujours profondément touché de l’abaissement de cette tête royale et de ce front dépouillé par la vieillesse et flé- tri par linfortune. Je ne crois pas que dans aucune langue au monde, il existe rien de beau comme ces 2 (1) Le comte de Maistre. — 9296 — paroles suppliantes du plus malheureux des pères et des rois : « Souvenez-vous de votre pére , Ô Achille > YO OO v% ŸY semblable aux dieux. S'il est courbé comme moi sous le poids des années, et si comme moi il touche au dernier terme de la vieillesse, peut-être en ce mo- ment même est-il accablé par de puissants voisins, sans avoir auprés de lui personne pour le défendre. Et cependant lorsqu'il apprend que vous vivez, il se réjouit dans son cœur; chaque jour il espère voir son fils revenir de Troie, mais moi, le plus infortu- né des pères, de tant de fils que je comptais dans la grande Sion, je ne crois pas qu’un seul existe en- core. Il m’en restait un qui défendait ses frères et sa patrie, c'était le vaillant Hector. Il vient de tom- ber sous vos coups en combattant pour son pays, et c’est pour que vous me ‘rendiez ce qui reste de lui que je suis venu jusqu'aux vaisseaux dés Grecs. Je voudrais racheter le corps de mon Hector, et je vous apporte une immense rançon. Respectez les dieux , Ô Achille, ayez pitié de moi, souvenez-vous de votre père. Je suis plus à plaindre que lui, et nul infor- tuné n’a Jamais été réduit à cet excès de misère; je viens baiser la main qui m’a ravi mon fils ! » Ce langage humble , timide et déchirant offre en même temps un prodige de touchante éloquence, et de merveilleuse habileté. Le rapprochement qui ter- mine le discours de Priam est présenté même avec un art tel que le vainqueur ne peut s’en irriter, et qu'il ne saurait refuser quelque pitié à l’auguste vieillard dont il va tout d’abord repousser la prière. Les anciens nous offrent de fréquents modèles de cette simplicité ina- — 927 — jestueuse et touchante à laquelle il n’a été donné que très-rarement aux modernes d'atteindre. Ainsi, dans une tragédie justement célèbre et la plus irréprocha- ble de toutes celles de son auteur, on voit venir une mère qui supplie aussi le meurtrier de tous les siens d’épargner la vie du seul fils qui lui reste. Cette tra- gédie c’est Mérope, et l’auteur est Voltaire. La veuve de Cresphonte, roi de Messénie, détrôné et mis à mort par un usurpateur audacieux et cruel, demande grâce pour son fils Egyste, encore dans la fleur de la jeu- nesse, et qui vient de tomber au pouvoir du meurtrier de son père. Ayez pitié, dit-elle, Ayez pitié @es pleurs dont mes yeux sont noyés, Que vous faut-il de plus? Mérope est à vos pieds; Mérope les embrasse et craint votre colère. À cet effort affreux, jugez si je suis mére ! Jugez de mes tourments ! Les premiers vers sont touchants assurément , mais J'avoue que les deux qui terminent me paraissent d’une inconvenance locale , et d’une étrangeté qui ne se peuvent concevoir sous la plume d’un homme chez lequel sans doute un immense esprit abondait beau- coup plus cependant que le génie. Priam résigné à son sort et humilié sous le coup de tant de malheurs, a dû déplorer humblement son infortune, et la remettre sous les yeux d'Achille pour tâcher d’attendrir son cœur; Mérope, avouant à son ennemi qu’elle fait un effort affreux en embrassant ses genoux, provoque sa vengeance et compromet les jours de son fils. Le poète moderne est tombé dans une exagération déclamatoire — 9928 — et contre nature ; Homère seul a su parler le langage du cœur, et le cœur l’a inspiré de tout le charme du sentiment, et de tout le prestige de la véritable élo- quence : Pectus est quod disertum facit. Je n’ai, Messieurs, cité ces quelques vers de Voltaire, que parce que l’analogie m’a paru frappante dans la position de Mérope comme dans celle du vieux Priam, et certes ce n’est pas dénigrer le poête français, ce n’est point le traiter d’une manière indigne de sa renommée et de son talent, que de constater qu’il a été vaincu par le grand Homère. J’ajouterai même qu’il est diffi- cile de trouver chez les modernes quelque chose qui rappelle à quelque degré que ce soit celte simplicité ravissante et sublime de la poésie antique. J'ai honte de le dire, s’il me fallait de toute nécessité vous offrir un exemple, je ne pourrais le trouver que dans un genre de composition dont le nom seul est loin de se récommander ; ce serait dans la fiction d’un romancier Anglais, que j'irais chercher le modèle digne de vous être mis sous les yeux. Ces récits, il est vrai, sont le plus souvent des chroniques locales hasées sur des tra- ditions nationales et populaires, mais il n’en est pas moins difficile de croire que ce soit dans ces ébauches historiques que puissent se rencontrer des traits de la plus haute et la plus touchante éloquence. Puisque je me suis livré avec vous, Messieurs, plutôt à une cau- serie littéraire que je n’ai eu la prétention de compo- ser un discours purement académique, vous me per- mettrez de vous faire juges de ce que j'avance. L’annaliste anglais nous apprend que peu d’années après l'établissement de la dynastie de Hanovre, un — 999 — grand seigneur Ecossais avait consenti à conduire à. audience de la reine Caroline de Brunswick, une jeune fille de son pays qui venait solliciter la grâce de sa sœur condamnée à une mort honteuse pour un crime dont il élait permis de croire qu’elle n’était point coupable. La reine, sans repousser tout-à-fait la supplique , fait cependant quelques objections dont la principale est qu’il peut y avoir péril de multiplier les grâces dans cette Ecosse turbulente et indisciplinée qui supporte difficilement le joug de l’Angleterre. Ce serait, ajoute-t-elle, ce serait faire un bien imprudent usage de la clémence royale que de la prodiguer au moment même où une émeute populaire vient d’en- sanglanter la ville d'Édimbourg et de coûter la vie au capitaine anglais Porteous, qui commandait pour le roi, et que les rebelles ont lâchement assassiné. En entendant ces paroles imposantes et sévères sorties de la bouche de sa souveraine, les traits de la jeune villageoise se colorent et des larmes abondantes coulent de ses yeux * « Madame, s’écrie-t-elle d’une » voix entrecoupée par les sanglots, j'aurais été au » bout du monde pour sauver la vie du capitaine » Porteous , et de toute autre personne qui se serait » trouvée à sa place , mais il est mort, et c’est à ses » meurtriers à répondre de leur conduite Mais ma » sœur, Madame, ma pauvre sœur, elle vit encore, » et un seul mot de la bouche du roi peut la rendre » à un vieillard désolé qui, dans ses prières, le matin » et le soir, n’a jamais oublié de supplier le ciel d’ac- » corder à Sa Majesté un règne long et prospère et d'établir sur la justice son trône et celui de sa pos- 7 — 9230 — » térité. Oh Madame! si vous pouviez concevoir ce que » c'est que de souffrir pour une pauvre créature qui » n’est en ce moment ni morte ni vivante, ayez com- » passion de notre malheur! Sauvez du déshonneur » une honnête famille ! Sauvez une malheureuse fille » qui n’a pas encore 18 ans, d’une mort ignominieuse » et prématurée ! Quand vient l'heure de la mort, My- » lady, elle vient pour les grands comme pour les pe- » tits, et puisse-t-elle venir bien tard pour vous! Ce » n’est pas ce que nous avons fait pour nous, mais » bien ce que nous avons fait pour les autres qui peut » nous donner de la consolation, et à cette heure, » n'importe quand elle arrivera, vous aurez plus de » plaisir à songer que vous avez sauvé la vie d’une » pauvre fille, que si vous faisiez pendre tout l’attrou- » pement des meurtriers de Porteous. » Je ne crois pas que les sympathies du cœur unies à toute la pureté du sentiment chrétien, aient inspiré jamais des paroles d’une plus suave et d’une plus élo- quente simplicité. Elles nous ont paru dignes d’être mises en parallèle avec les supplications de Priam lui-même, et l’auteur anglais semble vraiment avoir ex- primé ici les sollicitudes et les angoisses de la ten- dresse fraternelle avec une douceur et une fidélité d'expression comparables peut-être, à quelques égards, à cette grande et lamentable expression de tant de douleurs paternelles et royales que nous admirons dans Homère, et qu'a consacrée le suffrage des siècles. Ces mouvements sublimes et touchants, que l’on rencontre souvent chez les poëtes de l’antiquité, y sont — 931 — plus rares peut-être chez les orateurs, parce que ceux ci donnaient toujours une grande place à cette partie de l’art oratoire, que les maîtres ont appelée la con- firmation du discours. Pour le véritable orateur, la pa- role était bien plus qu’un instrument mélodieux ; c’é- tait, avant tout, l’art de convaincre et d’entraîner par le raisonnement. Toutefois, quand il rencontrait sur sa route de ces traits rapides et saisissants, de ces rap- prochements qui émeuvent et ravissent, il s’en empa- rait avec d'autant plus d'avantage, que le trait était moins attendu et moins préparé. C’est ainsi que l’on vit Démosthènes s’élever à une hauteur où il n’avait ja- mais élé donné d’atteindre et faire répandre les larmes d’une patriotique et généreuse sympathie, en rappelant aux Athéniens qu’ils ne devaient point regretter d’a- voir suivi les conseils qu’il leur avait donnés dans une circonstance mémorable. La traduction ne peut repro- duire qu’une image bien imparfaite de l’incomparable beauté de cette apostrophe célèbre et si connue : « Non, » s’écriait le grand orateur; non, Athéniens, non, vous » n'avez point failli en bravant tous les dangers pour » le salut et la liberté de la Grèce; non, vous n’avez » point failli, j’en jure, et par les mânes de vos an- » eêtres qui ont péri dans les champs de Marathon, » et par ceux qui ont combattu à Platée, à Salamine, » à Artémise, par tous ces grands citoyens dont la Grèce » a recueilli les cendres dans des monuments publics. » Elle leur accorde à tous la même sépulture et les » mêmes honneurs : oui, à tous, car tous avaient eu » la même vertu, quoique la destinée souveraine ne » leur ait pas accordé à tous le même succés, » Le — 932 — culte des anciens, pour la mémoire des aïeux, et la so- lidarité toujours revendiquée dans leur gloire, leurs sacrifices et leurs périls donnaient à ces paroles élo- quentes et généreuses un prix que l’égoisme de nos mœurs modernes a quelque peine à concevoir. Chez les Grecs le patriotisme était une religion, et il est malheureusement trop vrai que chez nous il n’en est pas ainsi. Telle est même la disposition de notre esprit national à la légèreté et au sarcasme, qu'il pourrait devenir dangereux souvent pour nos orateurs de ten- ter une évocation pathétiqne dans le genre de celle que nous venons de citer, et la_critique ne se ferait point faute de taxer un pareil discours de portée prétentieuse et déclamatoire. 1 Cependant, nous vimes dans le siécle dernier un ora- teur célèbre entraîner des applaudissements unanimes, en adressant aussi une vive et chaleureuse apostrophe à la mémoire chérie d’un roi, dont la popularité s’était maintenue sans altération pendant de longues années, et avait été respectée même par la philosophie scep- tique de ce siècle qui s’était acharnée sur tant de hau- tes et grandes renommées. Henri IV, ce semble, pouvait seul être invoqué comme un type exact, comme une personnification fidèle, comme un des véritables aïeux d’une nation brave, ardente et légère, qui se plaisait à contempler dans le tableau de cette physionomie royale le mélange brillant des actions qui charment, des ver- ius qui subjuguent, et quelquefois des défauts qui sé- duisent. C'était dans la première de nos grandes assem- blées délibérantes, mais à une époque où rien encore ne semblait menacer la France d’une catastrophe inévitable — 933 — et suprême. On cherchait à poser les bases d’une mo- narchie tempérée, et pour prouver que sous celte forme de gouvernement il serait imprudent de confier au roi le droit absolu de paix et de guerre, un orateur ne crai- gnit pas d'affirmer qu’au moment de sa mort, Henri IV se disposait à embraser l’Europe, sans autre motif sé- rieux que celui de donner satisfaction à une passion criminelle. Un profond silence accueillit tout d’abord cette étrange assertion, mais un membre de l’ordre du clergé demanda bientôt la parole, et commença par dis- cuter la question politique avec beaucoup de calme et de netteté. Il puisa dans une connaissance profonde de l’histoire de France des arguments puissants contre l’o- pinion qu’il venait combattre. Arrivé au fait particulier cité par le précédent orateur, il ajouta d’une voix émue : « Le préopinant s’est montré bien plus hardi encore, » et Henri IV, le seul roi dont le peuple conserve et » bénisse la mémoire, n’a pu trouver grâce devant or Ai. Permettez, Messieurs, à un représentant de » la nation, de réclamer dans ce sanctuaire une grande . » pensée pour la gloire de Henri. Ombre auguste! » ombre chérie, sors du tombeau, viens demander jus- » tice à la nation assemblée. Le plus beau de tes pro- » jets est méconnu. Viens éprouver dans ce moment » ce que peut encore sur les Français le souvenir d’un » grand roil Viens, montre-nous ce sein encore percé » du fer dont la calomnie arma les mains impies du » fanatisme ! Viens, l’admiration et les larmes de tes » enfants vont venger ta mémoire !... » Après des déve- loppements historiques, que leur étendue ne nous per- met pas de reproduire, l’orateur continuait ainsi : T3 — 934 — Non, Messieurs, Henri IV n’allait point mettre l’Eu- rope en feu pour satisfaire une passion insensée, il allait exécuter un projet médité depuis vingt ans, un projet qu’il avait concerté avec la reine Élisabeth par une correspondance suivie et par une ambassade particulière. Ce roi, général et soldat, qui savait cal- culer les obstacles, parce qu’il élait accoutumé à les vaincre, voulait entreprendre une guerre de trois ans pour former de l’Europe une vaste confédéra- tion, et pour léguer au genre humain le superbe bienfait d’une paix perpétuelle. Tous les fonds de cette entreprise étaient prêts, tous les événements étaient prévus. Pendant quinze mois il n'avait pu persuader son ami Sully, dont le caractère sage et précautionné ne pouvait se livrer à aucune illu- : sion, et encore moins aux illusions de la gloire; majs Sully, convaincu enfin par Henri IV, reconnut que le plan de son héros était juste, facile et glorieux. C’est ceite sublime conception du génie de Henri IV, c’est cetle guerre politique et vraiment populaire dont le succès devait faire de notre Henri le plus grand homme qui ait jamais paru dans le monde ;. c’est ce magnifique résultat de vingt-une années de réflexions qu'on ne rougit pas de nous présenter comme le mouvement de la plus honteuse faiblesse ! Au milieu des préparatifs de son départ pour l’Alle- * magne, le bon Henri, le vainqueur de la Ligue, de l'Espagne, de Mayenne, d’Ivry, d’Arques, de Fontaine- - Française, le seul conquérant légitime, le meilleur de -tous les grands hommes, avait une si haute idée de : Son projet, qu'il ne comptait plus pour rien sa gloire — 935 — » passée, et qu'il ne fondait plus sa renommée que » sur le succès de cette conquête immortelle de la » paix. Quatre jours avant sa mort il écrivait à Sully: » Si je vis encore lundi, ma gloire commencera lundi. » O ingratitude d’une aveugle postérité ! à incertitude » des jugements humains! Si je vis encore lundi, ma » gloire commencera lundi. Hélas! il ne vint pas jus- » qu’au lundi, et ce fut le vendredi que le plus exécrable » des parricides rendit nos pères orphelins, et fit ver- » ser à toute la France des larmes, qu’une révolution » de près de deux siècles n’a pas encore pu tarir. » (Ici _l’orateur fut interrompu par des applaudissements una- _ nimes). « Je croyais, Messieurs, dit-il en finissant, je » croyais devoir une réparation publique à la mémoire » de Henri IV, mais c’est vous qui venez de la faire » d’une manière bien plus digne de lui. Henri IV est » vengé! » Cette réplique si pleine de verve, de chaleur et d’ani- mation, peut certainement être offerte comme un modèle achevé d’éloquence classique, et il faut quelque courage peut-être pour oser dire qu’elle cède cependant à la ma- gnifique évocation de Démosthènes, dont elle excède la prétention et dépasse l'éclat et le retentissement, sans pouvoir pour cela en reproduire complétement toute la spontanéité religieuse et la majestueuse su- blimité. C’est là, Messieurs, l’un des caractères les plus remarquables de la littérature antique ; tout y est juste, simple, sage et restreint, sans que jamais ni l’harmo- nie des paroles, ni l’heureuse inspiration du cœur fas- sent un seul instant défaut. Il s’est renconiré pourtant une certaine école littéraire qui s'était ingéniée à trou- SOC. D’AG. 17 Le ver dans les ouvrages des anciens un peu de froideur el un ton quelque peu lourd, monotone et compassé. Les faits et les textes protesteraient, s’il le fallait, contre une assertion téméraire et hasardée. Je crois y avoir fait par avance une réponse décisive et péremp- toire, quand je vous remettais sous les yeux quelques passages du grand poète et du grand orateur de la Grèce, et je regrette vivement que le temps, non plus que les bornes de ce discours, ne me permettent pas d'entrer maintenant dans des détails assez étendus pour vous démontrer encore, pièces en main, que la littéra- ture de l’ancienne Rome nous offre aussi d’admirables modèles du vrai beau dans l’expression comme dans la pensée. Si ce reproche de monotonie et de froideur pouvait atteindre l’un de ces grands écrivains de la la- tinité profane, le plus directement menacé sans doute, le plus compromis devrait être Cicéron lui-même, qui toujours donne tant à la pompe du discours et à l’har- monie du langage. Et cependant; où pourrait-ôn trou- ver quelque chose de plus vif et de plus puissant que ses Catilinaires? de plus énergique et plus animé que ses terribles harangues contre le proconsul Verrés? de _plus pathétique et de plus tendre que sa défense du pa- tricien Milon , dont la dernière partie surtout, que son étendue ne nous permet pas de vous citer, a été rappelée souvent comme le monument d’éloquence judiciaire le plus touchant et le plus parfait dont les annales d’au- cun peuple aient pu jamais garder la mémoire? Croyez- le bien, Messieurs, le grand orateur n'avait pu puiser ailleurs que dans son cœur ceile inspiration merveil- leuse du langage et du sentiment : Pectus est quod di- sertum facit. — 937 — Dans les écrits les plus justement renvummés qui datent des beaux jours de la littérature de l’ancienne Rome, ce n’est pas seulement la pureté même exquise du style qui nous ravit et nous charme ; nous la priserions bien peu si elle n’était relevée par les émotions pathétiques et profondes. Tite-Live, par exemple, toujours si disert, si correct, si complétement irréprochable sous le rap- port de la diction, nous paraîtrait bien peu intéressant s’il ne secouait parfois le joug de sa limpide et bril- lante uniformité, en nous exprimant dans un langage plus touchant encore que pur et achevé, soit les sollici- tudes paternelles du vieil Horace, soit les anxiélés pa- triotiques et les supplications maternelles de Véturie. Tacite ne serait pour nous qu’un narrateur obscur et barbare, s’il n’avait trouvé l’art de nous faire partager la généreuse indignation qui l’animait lui-même contre ue odieuse et exécrable tyrannie, et si son âme élevée et sublime ne s'était inspirée de toute l’énergie de ce fier Galcacus, qui appelle ses Bretons au combat, en des adjurant au nom de leurs aïeux et de leur posté- rité : Lturi èn aciem et majores vestros et posteros cogitate. Le cœur encore a dicté ces pages sublimes et touchan- tes de l'éloge de cet Agricola, plus heureux par sa mort, survenue dans des jours encore tolérables, que par sa vie, qui se perpétue dans les cieux, tandis qu’elle n'aurait pu se prolonger sur la terre que pour-le ren- dre témoin de tant d’horreurs. La poésie antique s’est inspirée aussi des sentiments intimes de l’âme, et Horace lui-même, le chantre des plaisirs, nous touche profondément quand il exprime, dans des vers admirables, ses anxiétés pour l’heureuse — 238 — navigation du vaisseau de la république, ou qu’il pleure sur Quintilien, trop tôt ravi à l'amitié, ou qu’il pré- voit le jour fatal où bientôt il lui faudra tout quit- ter de ce qui fait le charme et la consolation de la vie. Le terrible Juvénal, si rude, si emporté, si fougueux, ne doit ses succès qu’à la fidèle et complète expression de la pensée qui l’oppresse : RUE Facit indignatio versum. Quant à Virgile, n'est-il pas le chantre par excel- lence des plus doux sentiments du cœur? N'est-ce pas à l’art avec lequel il a su nuancer cette teinte pathé- tique et touchante qui nous charme dans ses vers, qu’H a dû la meilleure partie de sa gloire? Nul poëte autant que lui ne nous inspire d’étroites et intimes sympathies et ne nous a fait répandre plus de larmes, en fous déroulant le lamentable tableau des misères humaines ! Sunt lacrymæ rerum et mentem mortalia tangunt. de ans nos langues dede tous les grands orateurs ont trouvé aussi dans les inspirations du cœur une source puissante et féconde. Bourdaloue, d’ordinaire si sobre d’ornementation, n’en excite pas moins des émotions profondes, parce qu’on sent à l'énergie et à la conviction de son langage qu’il est préoccupé jus- qu’au fond de l’âme de l’accomplissement de son au- guste ministère, et qu'il est visible toujours que le sa- lut de son auditeur est chose d’un prix inestimable à ses yeux. C’est ainsi encore que l’on peut dire avec raison que le cœur le rend éloquent : Pectus est quod — 939 — disertum facit. Le nom seul de Massillon rappelle le éouvenir achevé de la plus douce et de la plus tou- chante éloquence. On est ému autant que l’orateur lui- même quand on relit la tendre et pieuse expression de ses vœux pour un orphelin royal, nouveau Joas, resté seul des débris de toute une race auguste, pour le fils des Clotilde et des Blanche de Castille, faible enfant que son père et sa mère ont abandonné, mais que le Sei- gneur a semblé prendre sous son appui tutélaire ! Enfin, la touche sublime et sévère de Bossuet sait aussi s’atten- drir, et ce n’est pas quand on le voit ainsi descendre de sa hauteur et compatir à de grandes infortunes, qu’il nous appäraît moins digne de louanges et d’admiration. On est comme transporté et ravi, soit qu'il évoque de sa voix puissante le cœur de l’illustre veuve de Charles Ier, et qu’il nous montre cette froide poussière prête à se ranimer au seul nom d’un époux si cher, soit qu’il dé- plore la fin prématurée de cette jeune princesse qui bril- lait de tant de grâces, et qui tout subitement s’est éteinte et flétrie comme une tendre fleur qui ne vit que l’espace d’un jour, soit enfin qu’il couronne sa glorieuse car- rière d’orateur par de touchants adieux au vainqueur de Rocroy, et qu’il consasre à ce héros dont l’amitié fut si commode et le commerce si doux, les derniers efforts d’une voix qui lui fut connue. Les poëtes modernes nos offriraient à leur tour de nombreux et remarquables exemples à citer à l'appui de notre thèse, mais nous n'avons pas besoin, pour la jus- üifier, de nous livrer à de si longues recherches, ni d'entrer ici dans de nouveaux développements. Puis- qu'il n’est pas contestable que la poésie ne soit surtout —210 — la vive et rapide expression d’un enthousiasme ardent et spontané, il faut bien admettre que l'inspiration du cœur est nécessaire au poête comme l'air qu’il respire. Sans vouloir donc étendre outre mesure les limites de ce discours, nous pouvons le clore par une double ci- tation qui, nous l’espérons, aura pour effet de démon- trer et de rendre palpable l’influence du sentiment in- time de l’âme sur les caractères variables de l’élo- quence, et la véritable portée de l’art oratoire. Dans les plus mauvais jours de notre tourmente révo- lutionnaire, le flot populaire avait porté aux honneurs de la législature, un homme qui ne pouvaitavoir d'autre titre à cette faveur qu’une violence d’opinions qu’il exa- gérait jusqu’à la démence. Son éducation n’avait pas été le moindrement cultivée, ni ses mœurs adoucies jamais par le contact d’une société convenable et polie. Il exer- çait la profession de boucher et ne s’élevait guère, par quoi que ce fût, au-dessus de son ignoble entourage. Il semblait qu’un pareil personnage devait être relégué à toujours dans la foule des plus obscurs démagogues, et que jamais sa lourde nullité n’oserait s’élever Jus- qu'aux abords de la tribune aux harangues. Il losa ce- pendant, après toutefois y avoir préludé par des scènes inouies et les luttes publiques d’un honteux pugilat, dirigé contre ceux de ses collègues qui ne partageaient pas toutes ses fureurs. Ceux - ci le traitaient d’ailleurs comme un misérable maniaque beaucoup plus que comme un adversaire sérieux. (était à ce point qu’un jour un député (1), devenu plus particulièrement l’ob- (4) M. Lanjuinais. ‘9m jet de ses violences, lui dit avec une dédaigneuse iro- nie : « Fais donc décréter d’abord que je suis un bœuf, pour avoir ensuite le droit de m’assommer ! » Plaisan- terie assez étrange dans ces terribles jours, mais qui prouve du moins que cet homme, tout souillé de sang, inspirait de si profonds dégoûts, que l’horreur s’en trouvait comme émoussée. Or, chez ce législateur-bou- cher il arriva qu’un jour l’orgueil vint en aïde au crime. Il crut tout bonnement qu'il pourrait faire un orateur tout aussi bien qu’un autre, et, au moment où l'on s’y attendait le moins, il s’ingénia de demander la parole. La vulgarité de son langage, où les règles de la gram- maires étaient traitées comme tout le resle, commença par exciter un mouvement général d’hilarité, auquel succéda bientôt un frémissement sourd et sinistre (1). A Dieu ne plaise que nous venions vous remettre sous les yeux la moindre partie de cette effroyable harangue ! Ce ne serail pas dans une solennité académique qu’il pourrait convenir de citer une tirade de ce genre; ce ne serait pas dans l’asile paisible et charmant des muses que nous voudrions venir évoquer le hurlement des furies. Cependant, quand le crime eut comblé sa mesure, il s’opéra dans l'esprit et les sentiments de cette nation, toujours mobile, impressionnable et légère, un retour heureux. La tempête s’apaisa, l’horizon politique ap- parut moins menaçant et moins sombre, et, quelques années écoulées, au lieu d’amonceler des ruines nou- - (1) D s’offrait à dépecer le corps de Louis XVI en quatre-vingt-trois morceaux, qu'il proposait d'envoyer à chacun des départéments. — 249 — velles, on s’occupait partout de réparations salutaires. Au moment de cette réaction providentielle , le man- dat du boucher-légisiateur subsistait encore. Il conti- nuait à siéger dans l'assemblée, et son âme, naguère hideuse et féroce, avait fini par s’attendrir. Rassasié de sang et dépassé dans ses cruautés, il avait connu le re- mords : sa fureur s’était adoucie, des sentiments plus humains étaient entrés dans son cœur. Il cherchait alors à réparer, autant qu’il était en son pouvoir, le mal auquelil avait concouru. Il usait de son crédit pour faire ouvrir les portes des prisons aux innombrables victimes de la tyrannie tombée; il venait avec empres- sement en aide aux fugitifs et aux proscrits ; il saisis- sait enfin toutes les occasions de fermer des plaies encore saignantes, et de faire oublier ses emportements révolutionnaires. C’est dans cette disposition d’esprit qu'il reparut à la tribune pour appuyer le projet de restitution des biens des condamnés, confisqués au préjudice de tant de familles réduites ainsi à la plus extrême détresse. Cette fois, Messieurs, l’orateur ridi- cule et grotesque s’éleva jusqu’à la véritable éloquence. Il produisit sur tous les bancs une impression immense et profonde, et la mesure qu’il était venu appuyer fut décrétée par acclamation : « Ah! s’écria-t-il, si je pos- » sédais des biens qui eussent appartenu à l’une de ces » victimes (eh! n’en était-il pas que nous aurions voulu racheter au prix de tout notre sang ?) jamais » je ne pourrais trouver de repos. Le soir, en me » promenant dans un jardin solitaire, je croirais voir » dans chaque goutte de rosée les pleurs de l’orphelin » dont j’occuperais l’héritage. » En recueillant ces tou- 3 x — 243 — chantes et nobles paroles, n’avez-vous pas saisi déjà, Messieurs, la cause de cette transformation prodigieuse ? De l’homme abruti et vulgaire il n’était sorti que les accents du délire et de la rage, mais les généreuses inspirations du cœur ont suffi pour le ramener dans la voie du beau et du vrai, et pour lui faire parler le langage d’une conviction puissante et d’une incon- testable éloquence, pectus est quod disertum facit. C’est à regret, Messieurs, et presque malgré moi que je me suis laissé aller à vous citer cet épisode de nos saturnales révolutionnaires, qui cependant rentrait si bien dans mon sujet, mais je ne veux point vous lais- ser sous ces impressions lugubres et funèbres, et je me hâte de vous faire remarquer que ces temps, de hi- deuse mémoire, ne font après tout qu'un point dans notre histoire, point sinistre, mais que l’avenir devait recouvrir d’une image de gloire (1). C’est lun des plus grands poètes tragiques de l'antiquité qui l’a dit: « Le » Dieu qui rêgne sur l’univers n’a point créé l’homme » pour l’infortune. Comme cette constellation aux re- » plis circulaires, la douleur et la joie s’entrelacent » dans l'existence de l’homme (2). » Il en est de même dans la vie des nations. Cette France, qui elle aussi avait tué Les prophètes et les pontifes, et ren- versé les autels, a eu ses jours de magnifique répara- tion. C’est à elle, c’est à ses drapeaux triomphants que naguère le Pontife suprême a dû sa réintégration sur (1) Ce passage a été écrit il y a plusieurs années; ce serait à tort ainsi que l’on voudrait y chercher des allusions actuelles. (2) Sopx., Trach., v. 128. — 244 — le siége de Pierre, et son retour au sein de la ville éternelle. L’impiété avait frémi de se voir enlever ainsi la proie qu’elle convoitait depuis si longtemps, et qu’elle s'était flatiée un instant d’avoir saisie à tout jamais. Aussi la vimes-nous se ruer contre le pouvoir, qui se disposait à relever les ruines qu’elle avait faites. On l’entendit lui demander avec l'expression de la colère el le frémissement de la rage déçue, ce qu’il voulait faire de la république romaine qu’il allait envahir. Les explications ne se’firent, pas attendre : « Nous ne vou: lons pas, répondit aussitôt une voix éloquente et gé- » néreuse, nous ne voulons pas faire de la république » romaine la république de quelques millions de ré- >» publicains chimériques, nous voulons en faire la pa- » trie de tout le monde, le pays dans lequel, aprés le » sien, tout le monde vit par l'intelligence, par le » Cœur, par les sympathies ; où depuis dix-huit siècles » tout le monde est venu apporter sa pierre, son res- » pect, où la poussière mème est imprégnée de véné- » ration, du sang des saints, des héros, des mariyrs. » Voilà ce qui fait de Rome la ville éternelle, voilà ce » que c’est que Rome, voilà ce qu’elle veut être, ce » qu'elle continuera à être (1)! » Que vous semble, Messieurs, de cette admirable réponse? Que dites- vous de cette magnifique improvisation ? Ne croyez- vous pas, comme nous, qu’elle n’a pu être inspirée que par le cœur? N’y avez-vous pas reconnu l’expres- sion fidéle d’un cœur noble et dévoué, les accents * 2 (1) Discours de M. de Falloux, alors ministre des cultes, à la séance de l’Assemblée législative du 13 juillet 1849. — 945 — spontanés et sincères d’une voix qui ne vous est point étrangère, qui vous appartient à plus d’un litre, et qui, muette aujourd’hui, oubliée peut-être, se retrou- verail encore énergique et puissante comme autrefois, si jamais, (ce qu'à Dieu ne plaise!) venaient à repa- raître des jours mauvais, et à gronder de sombres et sinistres tempêtes ! DESCRIPTION DE TROIS NOUVELLES ESPÈCES D'AMMONITES DU TERRAIN CRÉTACÉ Des environs de Saumur (étage turonien) et des ammonites Carolinus et Fleuriausianus, à l'état adulte. PAR M COURTILLER jeune. AMMONITES LIGERIENSIS. Diamètre des plus grands individus observés, 80 centimètres. Au diamètre de deux centimètres, cette coquille est ornée, par chaque tour de spire, de douze à quinze côtes qui ne se réunissent qu'imparfaitement sur le dos, et semblent donner la forme qu’avait la bouche à cetle époque. Arrivée au diamètre de quatre centi- mètres, les côtes se développent plus fortement sur le dos, et laissent cinq impressions plus profondes dans le dernier tour, indiquant alors exactement le contour de la bouche; de plus la coquille est ornée de cinq gros tubercules placés au pourtour de l’ombilic et en avant de l’impression qui indique la forme de la bouche. Aprés cet âge, les tubercules de l’ombilic disparaissent — 947 — mais les côtes onduleuses persistent encore jusqu’au diamètre de huit à dix centimètres, et sont au nom- bre de vingt-cinq à quarante par tour. Alors, dans quelques individus tout s’efface, et la coquille reste en- tièrement lisse jusqu’au diamètre de douze à quinze centimètres, époque où apparaissent les grosses côtes au nombre de dix à douze, très-rarement qualorze par tour. Ces côtes ne partent pas d’uñ tubercule et s’at- ténuent aux deux extrémités, davantage cependant du côté du dos. Le diamètre du dernier tour fait 5 du diamètre total, et les tours de spire n'apparaissent tout au plus qu’au tiers de leur largeur dans l’ombilic, qui lui-même est assez resserré. Lobe dorsal beaucoup plus court que le lobe laté- ral supérieur, formé latéralement de trois digitations à pointes tridentées. Lobe latéral supérieur étroit, très allongé, orné de chaque côté d’une branche trés-courte, puis terminé par trois grandes digitations à peu près égales, celle du milieu s’élevant cependant un peu plus que les autres : toutes sont garnies de pointes trifides. Lobe latéral inférieur terminé par deux digitations également trifides. Dos large et arrondi dans les indi- vidus qu’on suppose femelles, étroit et conique dans les mâles. Cette espèce, qui semble avoir de grands rapports avec l’ammonite Peramplus, dont d’Orbigny ne donne qu’une description très-incomplète, en diffère cepen- dant : 1° Parce qu’elle a trés-rarement quatorze côtes ; * 2 que ces côtes ne commencent pas par un tubercule, et qu’elles sont plus élevées au milieu qu'aux extré- milés ; 9° que les tours de spire n'apparaissent pas au- — 248 — tant dans l’ombilic; 4° enfin que le diamétre du der- nier tour de spire forme les £5 du diamètre total, au lieu d’en former ;; comme dans le Peramplus. Commune dans la couche de fossiles, appelée banc de Liron qui forme le toit des galeries d'exploitation du tuffeau. Les grands individus, entraînés probable- ment par leur poids, sont toujours placés un peu au- dessous de cette couche, dans la partie qui ne renferme presque pas de fossiles. Planche re, où elle est figurée sous ses quatre principales formes. AMMONITES CEPHALOTUS: Diamètre des individus adultes , 25 centimètres. Coquille unie, sans côtes, ayant la forme d’un dis- que, très aplatie, mais renflée seulement dans la der- nière loge de manière à former une espèce de tête, ayant plus de deux fois l’épaisseur du reste, puis amincie en avant pour former la bouche qui est lon- gue, étroite et échancrée en dessus. Tours de la spire laissant à peine voir l’ombilic. Dernière loge formant les deux tiers de la coquille. Épaisseur à l’avant-der- nière loge cinq centimètres, au milieu de la dernière loge douze centimètres, largeur de la bouche deux centimètres et demi. * Dans sa jeunesse, c’est-à-dire jusqu’au diamètre de six centimètres, la coquille est ornée de trente à qua- rante côtes qui passent sur le. dos, puis après ce dia- mètre la coquille devient complétement unie. Le lobc dorsal est orné de trois branches, dont les — 919 — deux premières sont à peu près égales, et la terminale plus grande est divisée en deux digitations à cinq poin- tes. La selle dorsale est plus large que le lobe latéral supérieur et divisée en deux parties inégales dont l’ex- térieure plus petite est formée de deux digitations ob- tuses et arrondies. Le lobe qui les sépare a cinq à six digitations , l’intérieur est formé de trois digitations ovales allongées. Le lobe latéral supérieur, une fois aussi long que le lobe dorsal, composé de trois bran- ches, les deux premières bifurquées, chaque bifur- cation ayant cinq pointes, la dernière trifurquée, cha- que extrémité également à cinq pointes. Lobe latéral inférieur étroit à la base, s’élargissant au sommet, orné de sept digitations dont les deux premières peti- tes, les supérieures bi ou tridentées. Lobe auxiliaire également étroit à la base, s’élargissant beaucoup au sommet lerminé par six digitations dentelées. Cette singulière ammonite se trouve avec la pre- mière, mais plus rarement. Il est très difficile de lavoir bien conservée. Planche II, figures 1, 2, 5, 4. AMMONITES REVELIERANUS. Diamètre, 11 centimètres. À l’état naissant, c’est-à-dire au diamêtre de un centimètre, celte coquille est entièrement lisse. Au diamètre de deux centimêtres elle se couvre de côtes qui s’arrêlent au dos et se terminent par un pelit ren- flement, qui plus tard se transformera en tubercule. Le dos est alors orné d’une carêne légèrement ondu- — 250 — leuse, peu à peu la carêne disparaît, le dos s’élargit, une rangée de tubercules s’élévent de chaque côté et forment, avec les tubercules qui terminent les côtes, quatre rangs de points élevés , aplatis dans le sens de la longueur de la coquille. Le milieu du dos reste entièrement plat. Au diamètre de trois centimètres, le pourtour de l’ombilic s’orne de cinq gros tuber- cules qui donnent naissance chacun à trois côtes lais- sant une quatrième côte libre de trois en trois. Les tours de spire se recouvrent presque entièrement et ne laissent qu’un étroit ombilic. Cloisons très simples. Lobe dorsal terminé de chaque côté par une petite tige un peu flexueuse, avec deux dentelures sur les côtés. Lobe latéral supérieur de la même hauteur, sans branches, seulement dentelé. Les deux suivants plus petits, également dentelés. Les femelles sont beaucoup plus renflées, surtout vers l’ombilic, que les mâles. Leurs tubercules sont aussi beaucoup plus développés. Se trouve avec les deux précédentes, mais plus rarement. J'ai dédié cette espèce à mon ami J. Revelière, aussi zélé entomologiste que géologiste distingué. Planche IL, fig. 5, 6, 7, 8. AMMONITES FLEURIAUSIANUS (d’Orbigny). Cette espèce n’a pas été observée par M. d’Orbigny dans tout son développement, car passé le diamètre de dix centimètres, qu'il lui donne pour limite, les saillies qui forment l’extrémité des côtes près du dos, se Pace L Ammomites lgeriensis. |. Adulte 80 centimetres. ie Division Dee 3 Diamètre 4 centmetres. 2 Diamètre 10 centimètres & Diamètre 2 centimètres . As Coster anse. MR ne à 0 > $ Fe Perche 2, 1. Ammomtes Cephalotus. 5 Ammomtes Revelereanus 9 id. vu deface. C6 id vuedeface 3 Diamètre six centimetres . TZ Diametre deux centimètres 4 Division des Lobes. 8 Division des Lobes Aa Css rene. Plencle 3. 1. Ammomtes 9 Ammontes Pleuriausianus adulte Carolinus adulte (à Qhigny \ (A disitpy | An Losmer ex Latest. — 951 — développent et finissent en se réunissant aux tubercules inférieurs, par former de grosses pointes de chaque côté du dos, qui, perdant sa ligne de tubercules, devient presque plat. Dans cet état, la coquille a seize centi- mètres de diamètre et présente un aspect très différent de celui qu’elle a dans son jeune âge. Planche III, fig. 1re. AMMONITES CAROLINUS (d Orbigny). Comme l’ammonites Fleuriausianus , cette espèce n’a été décrite que dans son jeune âge ; car cette co- quille, dont on indique le diamètre à 47 millimètres, alteint, d’après les individus que je possède, 22 centi- mètres. Au diamètre de 9 centimètres, il se développe près du dos des tubercules qui augmentent en lon- gueur jusqu’au diamètre de 11 centimètres; alors un second rang de tubercules commence à se montrer au bas de la côte vers l’ombilic, puis ils vont tous en augmentant jusqu'au diamètre de 17 centimètres. À cet âge les deux tubercules se réunissent pour ne plus en former qu’un seul de chaque côté du dos. En même temps le tubercule du milieu du dos se développe et la coquille se trouve ornée de trois tubercules reliés par une ligne élevée. Puis, tout à coup, ces tubercules disparaissent et la coquille continue à croître, ne don- nant plus naissance qu’à de forts plis, se prolongeant en avant sur le dos, et qui semblent indiquer parfaite- ment la forme de la bouche. Dans d’autres échantillons moins grands, les deux tubercules commencent à se réunir au diamètre de 9 SOC. D’AG. 18 — 959 — centimètres, et forment quatre tubercules qui se sui- vent, en augmentant de longueur jusqu’au 3%. Le 4e diminue, puis huit gros plis terminent la coquille, qui atteint seulement le diamètre de 13 centimètres. Ces derniers, par la grosseur de leurs côtes dans le jeune âge, semblent appartenir à des femelles. Planche IIL, fig. 2. Toutes ces espèces font partie de la collection de paléontologie du musée de Saumur. Saunur, juin 1860. LES PONTS-DE-CÉ PAR M. P. BELLEUVRE. Reine de ma patrie, à rivale du Rhône, 0 fleuve étincelant, orgueil des Ponts-de-Cé, . Sur les bords enchanteurs qui Le servent de trône, Est-il vrai que César triomphant ait passé ? Est-il vrai que foulant tes grèves éploréés, À la face du ciel épris de tes attraits, Rome apporta sa haine à tes rives dorées Où nous ne respirons que l’amour et la paix? Est-il vrai qu’en ton sein prêts à laver leur honte, Les vaincus de Brennus, maîtres de l’univers, Soient venus à leur tour pour te demander compte De cette vieille insulte et l’aient jeté des fers ? Eh bien ! que les flots purs de ton noble rivage, De ces hardis guerriers, enfants des Apenmins, Aïent reproduit un jour la menaçante image, Que ton sol ait frémi sous le pied des Romains; — 954 — Que m'importe après tout, si dans ces jours d'orage, Tu subis ton destin sans perdre ta fierté; Qu'importe que le sort ait trahi ton courage, Si tu te montras grande en ton adversité? Outrage pour outrage, oublions leur vengeance, Nos pères en tombant, du moins, ont su mourir, Dans leur sang généreux Dieu fit germer la France, Qui de nous de ce sang pourrail jamais rougir ? D'ailleurs, l'aigle romaine assise sur ta rive Eteignit dans tes flots sa dernière splendeur, Et tout en t’enchaînant, Ô ma belle captive! Sembla prophétiser La future grandeur. Tu ne dois rien au Tibre, Ô douce et vaste Loire, Ton orgueil à son nom ne peut envier rien, Que pourrions-nous ce jour convoiter de sa gloire ? Si tu portas son joug il a connu le tien. Du grillon le Forum n’entend que l’éloquence, La fourmi règne en paix au palais des Césars, La Rome d’autrelois n’est qu’une tombe immense, Pieux abri du moins de la croix et des arts. Sur sa gloire en débris en vain le Tibre pleure, Sa voix appelle en vain ses antiques héros, Et les noms par l’histoire évoqués à toute heure, - D’Auguste et de Brutus n’éveillent plus d’échos. Mais toi, tu vis encor belle et luxurianie, Portant partout la joie et la fécondité, — 955 — Toujours majestueuse el toujours souriante Et touchante de grâce et d’hospitalité ! N’as-tu pas eu souvent, blonde fille des Gaules, Et tes jours de douleur et tes jours de combat, Près du chaume modeste abrité par tes saules, Tes exploits inouis, tes actions d'éclat? Depuis que Dumnacus t’eut légué sa grande ombre Que Filaminius vit en rêve bien des fois, N’as-tu pas repoussé les phalanges sans nombre Du farouche Hastings au front de ses Danois ? Vers les plaines de Tours, en remontant ta rive, Sous les coups de Martel aux redoutables mains, . N’entend-on pas sortir comme une voix plaintive De ces champs renommés, tombeau des Sarrasins? De la France après tout n’es-tu pas une artère Et s’il plaisait au ciel de les rendre à nos vœux, Ne reverrais-tu pas, joyeuse et tendre mère, Un fils digne de toi dans chacun de ces preux? Jusqu'au tombeau du Christ, jouet de l’infidèle, Sur ce chemin sacré que fraya Godefroy, Maillé, Foulques, Beauval, animés d’un saint zèle, N’ont-ils pas par leur sang protesté de leur foi? Nas-tu pas vu longtemps la Ligue haletante Ici, soumise ailleurs, enfanter des héros, Et puis martyre un jour bien qu’encor menaçante En professant son dogme expirer dans tes flots ? — 956 — Ton vieux donjon alors à l’ombre de sa herse Fit taire le mousquet de ton dernier ligueur Et son front crénelé qu'aujourd'hui l’on renverse N’eut plus à redouter St-Offange ou Mercœur. La voix de Richelieu, que redoutait le monde, Un jour te confia ses vœux ou ses remords Et l’ombre du grand Roi pour écraser la Fronde Elle-même daigna descendre sur tes bords? Pour sa sainte croyance et pour une autre idée, Ne cherchant que la mort en son humilité, Naguëre à tes accents la sublime Vendée Courait dans la mort même à l’immortalité. Dans ces jours ténébreux, hélas ! la main du crime À l’innocent donna tes ondes pour tombeau ; Mais plaignons le sicaire en pleurant la victime, Tu ne reverras plus cet indigne drapeau. Dans tes bras frémissants berce tes douces îles Dont le poète errant aime les frais berceaux, Méandres de l'amour, riants, chastes asiles, Qu’on aime tant de loin voir poindre sur les eaux! Entre les coteaux verts coule charmante et pure, Déroule à nos regards tes horizons sans fin, Pare-toi désormais des dons de la nature, La foudre-assez longtemps a sillonné ton sein. Désormais oublions la guerre et la vengeance, Que rien ne trouble plus ton bonheur et ta paix, — 957 — Ne sommes-nous pas tous les enfants de la France ? Que le fer n’ose plus profaner tes attraits! Devant ton immortelle-et splendide jeunesse, J’oublie avec les miens ton deuil et tes malheurs. Tes reflets diaprés dissipent ma tristesse, Aux feux de ton beau ciel je sens sécher mes pleurs. Je ne veux contempler que ta grâce et ta gloire, Je ne puis qu’admirer et je ne puis plus fuir, Il n’est rien devant toi d’amer en la mémoire : On ne peut qu’adorer, on ne peut plus hair! PROCÈS-VERBAUX DES SÉANCES : SÉANCE DU MARDI 12 JUIN, Sous la présidence de M. Villemain. À deux heures et demie, la séance est ouverte. A la droite de M. Villemain, président d'honneur, se placent MM. J. Sorin, président, E. Lachèse, secrétaire-géné- ral, Affichard, secrétaire ordinaire, et M. l’abbé Che- vallier, archiviste. À sa gauche, s’assoient MM. V. Pavie, vice-président, Belleuvre, trésorier; un troisième fau- teuil attend un lecteur annoncé. Sur la nouvelle, répandue depuis quelques jours, de la présence de M. Villemain à cette réunion, un con- cours empressé remplit de bonne heure la salle de nos assemblées, toujours trop exiguë en semblables circonstances. M. E. Lachèse donne lecture du procès-verbal de la dernière séance. La rédaction de ce procès-verbal est adoptée. La parole est donnée ensuite à M. J. Sorin, pour lire une Étude sur une ode d'Horace et sur la traduction de M. Patin. — 959 — M. Sorin s'excuse d’abord sur ce qu’il ose faire de la critique littéraire en présence de l’orateur écrivain qui a porté cette branche de la littérature à une hau- teur jusqu'alors inconnue. Son intention, dit-il, est de démontrer à M. Villemain que, toutes les fois qu’il daignera présider notre Société, il trouvera du moins parmi nous, à défaut d'autre titre à un tel honneur, « le goût des études sérieuses, auquel les princes de » la littérature se plaisent à accorder l'influence vivi- » fiante de leur contact. » L’orateur analyse l’ode d'Horace : Cælo tonantem credidimus Jovem. 11 en cite les principaux traits, dont il rapproche les mêmes passages pris dans la traduc- tion de M. Patin. Il établit, par cette comparaison, que le savant académicien est « un de ces esprits d’é- » lite, dignes héritiers de la langue qu'a parlée le » siècle de Louis XIV, et non moins dignes interprètes » de la langue qu'a parlée le siècle d’Auguste. » Sur quelques légers détails seulement, M. Sorin croit pou- voir s’avouer un peu en dissidence avec M. Patin. Il fait d’ailleurs observer que les petites et rares inéga- lités de la nouvelle traduction tiennent, en grande partie, à ce que notre langue n'offre pas les mêmes ressources que la langue latine, pour rendre toutes les nuances de la pensée. À ce sujet, il s’adresse ainsi à M. Patin lui-même, dont il est fier d’avoir autrefois été l’élève : « Ce n’est pas vous, Ô mon maître, qui êtes vaincu par le rude joûteur contre lequel vous étiez si digne de lutter; c’est la langue française qui est obligée de — 260 — s’humilier devant sa mère. C’est précisément l'inverse de ce que dit ailleurs votre poëte : » © matre pulchrä filia pulchrior! » M. Sorin ajoute en terminant : « Je finis, Messieurs, comme j'ai commencé, en remerciant avec la plus profonde gratitude notre illustre président de vouloir bien venir chaque année encourager parmi nous cette noble passion de l'étude, que plusieurs de nous (je suis de ce nombre) ont eu le bonheur de puiser dans ses leçons orales, et que tous nous entretenons par la lecture habituelle de ses œuvres, car ses œuvres sont de celles dont il faut dire, avec Horace encore : » Nocturnä versate manu, versate diurnâ! » x — Sous ce titre : L'avocat au criminel, M. Affichard lit un fragment dans lequel il analyse, il suit pas à pas, pourrait-on dire, les relations qui s’établissent entre l’accusé ets le défenseur appelé près de lui par son choix ou par la désignation du magistrat. Rassem- blant les souvenirs de chaque jour dont l’a enrichi l'exercice de son généreux ministère, peignant tour à tour la défiance du prévenu doutant de voir près de lui un homme réellement dévoué à ses intérêts, mesu- rant ses paroles dans la crainte qu’elles ne deviennent compromettantes pour lui, et le langage de l'avocat forçant, par ses exhortations consolantes, la confiance de son client et l’amenant à une expansive sincérité, M. Affichard intéresse vivement l’auditoire à chacun de — 961 — ces drames intimes dont le parloir de nos prisons est le triste et discret théâtre. Puis, les communications établies, les aveux scrutés dans leur repentir, les dé- négations appréciées dans leurs vraisemblances, vient le jour solennel où le défenseur, après avoir assisté l'accusé de ses conseils assidus, emploie en faveur de sa cause tous les mouvements que recèle le débat et tous les moyens que la conscience autorise. La parole animée, l’émotion heureuse dont le prestige vient, ici surtout, en aide à l’orateur, semblent réaliser ce double vœu de nos vieux maîtres à l’égard de l’éloquence : Ut veritas placeat, ut veritas moveat; et, quand M. Affichard en vient à citer cet adage ancien : Pectus facit disertos, chacun semble se dire que jamais pré- cepte n’apparut plus heureusement rapproché de son application. Après s'être, en quelques mots d’une originale et aimable simplicité, excusé de n'avoir pu préparer le moindre fragment pour la solennité que la présence de M. Villemain parmi nous avait, pour ainsi dire, fait décréter d'urgence, M. le conseiller Bougler a donné lecture d'observations écrites par lui, il y a quelques années, pour les élèves du collége de Combrée. Recherchant les véritables sources de l’éloquence, citant quelques-uns des mouvements les plus pathé- tiques que nous ait légués Homère ou présentés l’his- toire moderne, il démontre, par ces exemples, qu’un sentiment profond mis au service d’une louable pensée fut toujours la cause la plus puissante des vives impressions ou des enthousiasmes subits que peut exciter la parole humaine. Chez l’homme même le plus — 962 — déshérité des tendances honnêtes et des pieuses habi- tudes, une inspiration généreuse peut, à son heure, produire l’éloquence et ennoblir tout à coup le langage de l’orateur. À l’appui de cette thèse, d’une si encou- : rageante moralité, l’auteur cite un nom qui s'associe aux plus sombres souvenirs de la Terreur, celui du trop fameux Legendre, ce boucher-législateur, comme il l’appelle, dont certaines propositions, qui ne peu- vent se redire, dépassèrent en cruauté les motions les plus sanguinaires du temps. Eh bien! ce fougueux dé- magogue, dont la main présenta, en juin 1799, le bonnet rouge à Louis XVI, ce conventionnel qui, par la rudesse de son langage, s'était fait surnommer le Paysan du Danube, comprit un jour qu'après avoir mis à mort les chefs de famille, il fallait au moins ne pas laisser les enfants dans la misère, et vota contre la confiscation des biens des condamnés. Cette aide donnée à un sentiment noble autant que juste, porta immédiatement ses fruits, et Legendre, dans cette séance, conquit légitimement les applaudissements, même de la partie honnête de l’assemblée, fort étonnée peut-être de lui décerner aussi libéralement un tel hommage. M. Bougler raconte, avec la clarté simple et le charme bien connu de son style, cet épisode, qui, tout en justifiant sa proposition, confirme en même temps le précepte cité, il y a un instant, par M. Aff- chard. M. V. Pavie lit une pièce de vers sur le Mois de Marie. Ce poète, on le sait, ne perd pas sa peine à invoquer classiquement sa muse ; il la laisse librement courir, et l'on peut être sûr qu'aucun des suaves — 963 — aspects de la nature, qu'aucune des douces impressions du cœur ou des vives saillies de la pensée ne seront perdus pour elle. Dans le pays que j'aime, hier j'herborisai, Pays d’où la fraicheur par trois urnes s’épanche, Où vire le moulin, sous la brume avisé, Où, sur la roue en pleurs, bondit l’écume blanche. Mais, du bourgeois, déjà l’étendard s’est levé Sur ces bords frissonnants que l’industrie harcèle: Au lieu du bac modeste, un pont, longtemps rêvé, Relie insolemment Villevêque et Soucelle. On est au mois-de mai : la nature sourit dans sa parure verdoyante. Le poète se lance à l’aventure à la recherche de ses trésors embaumés : d’errais par les taillis, trempé jusqu’au genou. De l’ophrys bourdonnant aux pâles asphodèles, Des préludes sans nom parlaient on ne sait d’où ; Tout poussait et volait, — bruit de feuilles et d'ailes. Toutefois, les plantes et les horizons n’occupent pas son âme tout entière : un son, un souvenir suffisent pour la charmer dans le présent ou la lancer rêveuse dans le passé : L’Angelus a sonné : tirons notre chapeau! Qu’à cette heure, en ce mois où tout respire et prie, De l’aigle au moucheron, du pasteur au troupeau, Une chaîne d’Ave se tresse pour Marie, Ïi passe près du lieu où repose un de ses jeunés amis, comme lui assidu naguère à convoiter ces ri- chesses que la rosée de chaque matin renouvelle : — 964 — Mais la mort, qui couvait, 6 jeune herborisant, Ton front épanoui sous ses regards moroses, D’un revers de sa faulx t'a mis, froid et gisant, Dans l’herbier du sépulere, où se fanent les roses. Puis il voit la vieille tour de Briollay et aborde sur la rive prochaine : Terre! En mon cœur charmé quel écho retentit? C’est bien le noir clocher, c’est bien l’if tutélaire, Echo du Sub tuum, que j'entonnai petit, Un jour d’Assomption, dans la nef de Soulaire. Où sont-ils, ceux d'alors? Aïeux aux chefs branlants, Aïeules dont la cape ombrageait la paupière, Chantres en cheveux gris, pasteur en cheveux blancs, Où sont-ils, où sont-ils? — Ici! répond la pierre. L’auditoire a semblé vivement impressionné par la chute si expressive et si heureuse de ce dernier vers. Plus d'un d’entre nous se rappelait les tours saisis- sants, les péripéties soudaines qu’on rencontre si sou- vent dans les œuvres de Victor Hugo, ce poëte dont M. V. Pavie est sans doute le disciple, et à coup sûr le reflet. | Dans les Pauvres gens, entre autres, fragment faisant partie de la Légende des siècles, Hugo met en scène la femme d'un pauvre pêcheur, «qui, pendant que son mari est en mer, apprend que la tempête vient de rendre orphelins deux petits enfants de son voisinage. Elle est allée vite les prendre pour les ajouter à sa famille. Le mari rentre, et, instruit au loin du dé- sastre, il veut qu’on aille chercher les deux pauvres — 965 — créatures. La femme semble ne pas entendre; le mari s’étonne et va s’irriter : — D'ordinaire, tu cours plus vite que cela! — Tiens, dit-elle en ouvrant les rideaux, les voilà ! Cest, on en conviendra, chez les deux la même voie brève et entraînante. Seulement, Hugo nous conduit, par ce moyen, à une idée gracieuse et consolante ; M. Pavie, à une pensée grave et profondément triste. Cette lecture achevée, M. Villemain a pris la parole pour résumer en quelques mots les impressions prin- cipales de la séance qui venait de solliciter son atten- tion. Il a dit combien il était heureux de voir notre Société rester fidèle et dévouée au culte des lettres sainement entendu, c’est-à-dire appliqué aux devoirs élevés, aux grandes réalités de la vie. Il a entendu, dit-il, avec un vif intérêt, une voix autorisée par la science analyser-une des odes de cet élégant Horace, dont les vers partageaient avec ceux de Virgile les en- couragements d’Auguste et de Mécène; il ne peut trop louer surtout le goût et le jugement sous l'influence desquels a été constamment appréciée l’œuvre du traducteur, de ce savant interprète, de ce consciencieux écrivain, dont il admire si hautement le mérite et dont il partage si souvent les travaux. Il a éprouvé avec toute l'assemblée, ajoute-t-il, l’im- pression produite par le langage de M. Affichard, de ce langage dans lequel se joignent, au talent de l'écrivain, les accents émus de l'avocat. Les anciens estimaient au plus haut point l’éloquence du barreau, la puissance de ce combat judiciaire, dont l’honneur x — 966 — du nom, la liberté de l’homme ou les intérêts de la famille, sont chaque jour la noble cause. L'orateur qu’on écoutait à l'instant a dignement analysé, agrandi, senti cette mission élevée, pour l’accomplissement de laquelle le dévouement doit, comme on vient de le si bien dire, dominer souvent la science et donner aux accents de l’avocat leur premier charme et leur pre- mière vertu. Ces nobles inspirations, continue M. le Président, se retrouvent dans les conseils que nous a fait entendre M. le conseiller Bougler, et une fois de plus, en cette occasion, on aura vu régner entre la magistrature et le barreau, cet accord si heureux pour tous, et si con- forme, d’ailleurs, à la communauté d’études de ces deux carrières, dont l’une sert à l’autre d'initiation. On ne peut trop redire les vérités utiles que cette séance a fait entendre, trop affirmer la prééminence des qualités morales sur l’habileté du raisonnement et la parure du style, trop rappeler enfin que nos maitres anciens donnaient du véritable orateur cette définition : Vir bonus, dicendi peritus. M. Villemain termine en félicitant l'assemblée” de voir la poésie fidèle à chacun des programmes de ses réunions. (est à ce noble langage qu'il convients à toute séance littéraire d'emprunter ses derniers ac- cents. Plus d’un nom angevin a conquis à cet égard, soit au loin, soit ici même, une heureuse et éclatante possession. Celui de M. V. Pavie se trouve dans leurs pre- miers rangs : nulle poésie, on peut le dire, n’est plus indigène et plus personnelle que la sienne, car C’est Lou- jours sur le sol de l’Anjou que se cucillent les fleurs — 967 — dont il nous fait aimer les parfums et les nuances ; c’est toujours dans les mouvements de son cœur qu’il _va chercher la source des émotions si vraies et si pures que recèlent les plus simples mêmes de ses chants. Après avoir engagé de nouveau l’assemblée à per- sévérer dans son zèle et dans ses efforts variés, M. le Président déclare que l’ordre du jour est épuisé, et lève la séance. E. LACHÈSE. SÉANCE DU MERCREDI 95 JUILLET. Présents au bureau, MM. Sorin, président; E. La- chèse, secrétaire-général; M. l'abbé Chevallier, archi- viste. M. le Président analyse la correspondance reçue depuis l’avant-dernière réunion. Une circulaire de la Société météorologique de France invite toutes les sociétés savantes, les profes- seurs, les écrivains qui relatent un phénomène atmosphérique quelconque, à vouloir bien désormais mentionner avec détail et précision le phénomène observé, à en indiquer surtout la date et l’heure d’une manière exacte, les comptes-rendus publics, en sem- blable occasion, ne donnant le plus souvent que des notions fort incomplètes. Trois membres titulaires de la Société, M. Trouillard, demeurant à Saumur, M. Orsel, ingénieur des mines, appelé à la résidence de Tours, et M. le docteur Ou- vrard, écrivent pour donner leur démission. La Société SOC. D’AG. 19 — 968 — décide que le titre de membre correspondant sera donné à MM. Trouillard et Orsel. M. le docteur Ou- vrard, qui compte parmi les plus anciens membres de la réunion, et dont les travaux ont maintes fois con- iribué à l’intérêt des séances, est nommé membre ho- noraire , aux termes de l’art. 5 du réglement. M. le Maire de la ville d'Angers adresse une réponse favorable à: la lettre par laquelle la Société lui a témoigné, le 4 mai dernier, le désir de voir le nom du statuaire David donné le plus prochainement pos- sible à l’une des rues ou des places de la cité. — Il est décidé que cette réponse sera insérée textuellement au procès-verbal. Elle est ainsi conçue : Angers, le 17 juillet 1860. Le Maire de la ville d'Angers à MM. les Membres du Conseil d'administration de la Sociélé impériale d'agriculture, etc. Messieurs, J'ai mis sous les yeux du Conseil municipal, lors de sa dernière réunion, la lettre que vous m'avez adressée le 4 mai dernier, et dans laquelle, au nom de la géné- ralité des habitants, vous demandez que le nom de David soit donné à l’une des rues nouvelles de la ville. F7 Le vœu que vous avez exprimé, Messieurs, a été pris en très sérieuse considération par le Conseil muni- cipal, et j'ai le plaisir de vous annoncer que l’Admi- nistration, qui partage les sentiments de reconnaissance — 269 — des habitants pour l’éminent et généreux artisle qui a illustré sa ville natale, saisira la plus prochaine occa- sion de donner le nom de David à l’une des places ou rues nouvelles de la ville. Agréez, Messieurs, l’assurance de ma parfaile con- sidération. Le Maire d'Angers, MEAUZÉ, adjoint. M. le Président fait connaître que M. le Ministre de l’Instruction publique accorde à la Société une sub- vention de 400 francs. Remerciments. M. le Président rappelle qu’à la séance dernière il a lu des Remarques sur une ode d’Horace et sa traduc- tion; que M. Affichard a donné lecture, dans la même séance, d’un fragment sur lAvocat au criminel, et M. le Conseiller Bougler, d'observations sur l’Eloquence. Le caractère spécial de cette séance, que présidait M. Villemain, n’a pas permis de nommer, comme l’in- dique le règlement, des commissions pour examiner ces fragments divers. Il annonce qu’il va nommer les membres de ces com- missions. Pareille mesure toutefois, n’est pas à prendre à l’égard de la pièce de vers lue par M. V. Pavie le même jour, l’auteur ayant fait connaître que son œu- vre ne devait pas être imprimé dans les mémoires de la Société. Un membre fait remarquer que le procès-verbal de la séance dont il s’agit, adopté il y a un instant, est fort étendu, présente une appréciation détaillée des travaux — 270 — divers lus dans cette réunion, et qu’à une époque sur- tout aussi voisine de l'interruption que Îles -vacances apporteront aux réunions de la Société, il serait tout à fait superflu de demander sur chacune de ces œuvres des rapports plus complets. Cette opinion étant partagée par l'assemblée, les fragments lus à la séance indiquée, par MM. J. Sorin, Affichard et Bougler, sont renvoyés immédiatement au comité de rédaction. M. le docteur Hunault offre à la Société deux bro- chures dont il est l’auteur et qui traitent, l’une de l'Agriculture, et l’autre des Inondations en France. Re- merciments. M. le Président lit une lettre de M. Belleuvre, em- pêché de venir à la séance, sur les vers de M. Chudeau, de Saint-Remi-la-Varenre. Cet écrivain, dans la posi- tion la plus modeste, semble demander à la poésie, l'allégement sinon l'oubli des infirmités dont l’a afiligé la nature. M. le Président, après avoir, dans le recueil présenté, indiqué et lu à la Société l’Hymne des fai- bles, demande s’il n’y aurait pas, de la part de la réu- nion, lieu d’aviser au moyen le plus convenable de donner au poëête la preuve de la sympathie quAal ins- pire. L’assemblée adopte cette idée et charge les mem- bres du bureau de faire à cet égard telle DE UEE qu’ils croiront devoir choisir. Ïl est donné par M. le Secrétaire général, lecture de l'Etude de M. Courtiller jeune sur les fossiles. À rai- son de son peu d’étendue, ce travail ne donne pas lieu à la nomination d’une commission et est renvoyé im- médiatement au comité de rédaction. Le HOTTE — M. Lemarchand donne lecture d’une notice pleine d'intérêt sur la Chaperonnière, manoir du pays des Mauges, qui, à l’époque des derniers troubles de la Vendée, donna asile à MM. de Civrac, Morisset et Ca- thelineau, et vit la mort de ce dernier. Une commis- sion, composée de M. l’abbé de Beaumont, de MM. Léon Cosnier et Béclard, est chargée de faire un rapport sur ce fragment, que l’on ne pourrait, sans le priver d’une partie de son charme, livrer à une froide ana- lyse. M. Hossard lit un fragment de traduction en vers du Prædium rusticum de Vanière. On sait que cet au- teur, appartenant à l’ordre des Jésuites, acquit, au commencement du XVII siècle, une haute renommée de professeur, principalement dans le Languedoc, son pays, et parut à plus d’un des critiques de son temps, approcher parfois, dans ses Nouvelles Géorgiques, de la grâce et de l'élégance de Virgile. La traduction de M. J. Hossard ne devant pas pa- raître dans les Mémoires de la Société, il n’est pas nommé de commission pour son examen. M. le Président fait connaître diverses circonstances en présence desquelles il y a lieu, selon lui, de pro- roger le délai imposé pour la présentation des mé- moires relatifs à la question du drainage, objet du con- cours de la présente année. La réunion, adoptant ces motifs, décide que le délai antérieurement désigné sera prorogé jusqu’au quinze décembre prochain. Après rapports sur la double candidature de MM. Brossard de Corbigny, ingénieur des mines, et Montaubin, avocat, il est procédé, par scrutins séparés, — 272 — à la réception de ces deux candidats: ils sont proclamés mernbres titulaires de la Société. L'ordre du jour étant épuisé, la séance est levée. E. LACHÈSE. SÉANCE DU 22 AOÛT 1860. Etaient présents au bureau, MM. Sorin, président, E. Lachèse, secrétaire-général, M. l'abbé Chevallier, archiviste. Le procès-verbal de la séance précédenteest lu et adopté. M. le bibliothécaire de ta Société (ne lecture de la liste des publications reçues depuis la séance pré- cédente. Parmi ces Sociétés, les quatre suivantes expriment le vœu que les publications de la Société d'Agriculture d'Angers leur soient adressées à l'avenir si elles ne l’ont été jusqu’à présent. Ce sont: 19 la Société littéraire et scientifique de Cas- tres (Tarn); 20 la Société industrielle d’Elbeuf (Seine- Inférieure); 3° la Société centrale de l'Yonne, à Au- xerre; 40 la Société d'Agriculture de Châteauroux (Indre). M. le Préfet de Maine et Loire désire, avant de sol- citer du Conseil général la subvention accordée depuis quelques années au cours d’arboriculture d’Angers, pouvoir rendre compte à ce Conseil des travaux accom- plis pendant l’année 1859, du nombre des personnes = qui ont fréquenté le cours et des résultats qui ont été obtenus. Cette demande est datée du 2 août courant. M. le Président fait connaître à la Société la réponse qu’à la date du 7 du même mois, il a faite à cette de- mande. Les résultats sont aussi satisfaisants que pos- sible, et tout fait espérer que cet utile enseignement continuera à recevoir les preuves de la bienveillante sollicitude de l'Administration. * Par une lettre du 11 août, M. le Préfet invite M. le _ Président et MM. les membres du bureau de la Société, à se trouver, le 15, à l’hôtel de la Préfecture, pour, de là, se rendre en cortége au Te Deum solennel qui sera chanté dans la cathédrale, à l’occasion de la fête _ de l'Empereur. L'ordre du jour indique la lecture, par M. le con- seiller Bougler, d’un rapport sur le mémoire de M. Th, Crépon, relatif à la Noblesse avant 1789. M.» Bougler exprime son regret de ne pouvoir lire dés aujourd’hui ce rapport que plusieurs causes, l’im- possibilité entr’autres de réunir à temps une dernière fois les membres de la commission chargée d'examiner le mémoire, l’ont empêché de compléter. La lecture de ce rapport est, en conséquence, remise à la séance prochaine. M. Janin lit un aperçu plein d'intérêt sur le rapport de M. Rondot, relatif à la création, à Lyon, d’un musée d'art et d'industrie. M. le capitaine Janin rappelle, en suivant le rapport qu'il analyse, l’histoire des nombreuses industries dont Lyon a eu l’iniliative et conserve encore la suprématie. Certes, nulle part, un musée tel que celui dont on in- — 974 — dique la créalion ne peut présenter un enseignement plus fécond, un intérêt plus universel que dans celte importante cité. f L'assemblée, sur la proposition de M. le Président, s’empresse de décerner à M. Rondot, le titre de membre correspondant. M. le Président présente au nom du conseil d’admi- nistration, un rapport sur les poésies de M. Chudeau. Né dans une position modeste, M. Chudeau est atteint de la douloureuse infirmité, de la triste immobilité dont fut frappé Scarron. Mais là s’arrête entre eux la ressemblance. Ami des. plaisirs poussés jusqu’au dé- sordre, des jeux du théâtre et des gaies aventures, Scarron, digne personnage de son Roman comique, n’est jamais plus à l’aise, plus lui-même, que dans les productions où le jovial atteint le burlesque. Confiné dans une paisible campagne, M: Chudeau trouveses im- pressions les plus vraies dans le spectacle de l'horizon borné qui l’entoure. Comme il voit bien, il peint bien : comme, chez lui, le sentiment s’unit toujours à l’idée, ses vers touchent en même temps qu’ils plaisent. Quel- ques fragments viennen{ prouver à l'assemblée la vérité de cette appréciation, C’est d’abord cette description gracieuse d’une fleur: + Je chante une petite plante, Une fleur qu’en notre pays Toute simple et tout odorante, On nomme Clef de paradis. » a Ma fleur au printemps ést fidèle : Le premier jour que, dans les bois — 975 — Elle s’entr’ouvre, une hirondelle Voltige et chante sur nos toits. Les savants l’appellent jacinthe, Mais les enfants, dans le taillis, Voyant que d'azur elle est teinte, La nomment Clef de paradis. Les Deux fontaines sont d’un genre plus léger, plus vif : L’Arioste, en son plaisant livre, Raconte qu’en certain pays, ‘ Où, peut-être, on aimerait vivre, Deux fontaines étaient jadis. Lecteur, figurez-vous qu’une onde, Versait un indicitle amour, Et l’autre, une haine profonde, Pour même amante tour à tour. Après avoir décrit les effets cruels de ces breuvages enchantés, l’auteur termine ainsi : Peut-être n’y croirez-vous guères ? Vous aurez grand tort, à part moi, Je vous jure qu’en ces matières L’Arioste est digne de foi. Si ces choses n'étaient certaines, Pourquoi nous les dirait-il, lui ? Mais, savoir si ces deux fontaines Existent encore aujourd’hui, Je n’en sais rien : tout porte à croire Qu’Anglais, France, Ture, Chinois ou Gree, Tant et tous y sont allés boire, Qu’elles pourraient bien être à sec. | SOC. D’AG. 920 — 916 — Le vers s’élève et ennoblit au contraire, s’il s’agit de peindre l’arrivée des Pèlerins à la Mecque. La Mecque, ce jour-là, n'avait jamais peut-être, Sur ses hauts et nombreux minarets, vu paraître Autant de clarté : le soleil D'un vaste océan d’or et de pourpre brillante Inonde la mosquée, alors étincelante Comme un grand temple de vermeil. La réunion écoute avec intérêt ces citations des œu- vres les plus récentes de M. Chudeau, et, sur la propo- sition de M. le Président, décerne à l’auteur le titre de membre correspondant de la Société. Rien n'étant plus à l’ordre du jour, la séance est levée. E. LACHÈSE. MÉMOIRES DE LA NOCIÈTÉ IMPÉRIALE D'AGRICULTURE | SCIENCES ET ARTS D'ANGERS (ANCIENNE ACADÉMIE D’ANGERS) NOUVELLE PÉRIODE TOME TROISIÈME — QUATRIÈME CABIER. ANGERS IMPRIMERIE DE COSNIER FT LACHÈSE Chaussée-Saint-Pierre, 13 1860 LA 6 AE” SOMMAIRE Rapport sur le mémoire de M. Th. Crépon, intitulé : Du droit d’a- noblissement et de l'usurpation de la noblesse avant 1789, par M. BouGLER. ; Guingamp, Etudes pour servir à l’histoire du Tiers-Etat en Bretagne. — Quelques mots sur cet ouvrage, par M. E. LACHÈSE. Mœurs des insectés. — Les Calicurgus, par M. COURTILLER jeune. Procès-verbaux des séances : Séance extraordinaire du 13 septembre 1860. Séance du 28 novembre. Séance du 26 décembre. Concours pour le prix de 1861, PA RAPPORT SUR LE MÉMOIRE DE M. THÉOPHILE CRÉPON intitulé : DU DROIT D'ANOBLISSEMENT DE L’USURPATION DE LA NOBLESSE AVANT 1789 Par M. BOUGLER. Messieurs , Vous aviez, suivant votre usage, renvoyé à l’examen d’une commission spéciale le travail sur Le droit d’'a- noblissement et l’usurpation de la noblesse avant 1789, dont notre collègue M. Crépon vous donna lecture au cours de l’année dernière. Déjà cette commission vous a fait connaître qu’il lui avait paru que le travail de M. Crépon méritait à tous les titres les honneurs de l'impression. Je viens aujourd’hui, Messieurs, achever ce rapport et vous parler avec quelque détail de ces recherches laborieuses et savantes, de ce traité histo- SOC. D’AG. 21 — 978 — rique toujours si plein d'intérêt et d'actualité, dont la lecture comporte encore un attrait irrésistible et puis- sant alors même que l’on ne saurait lui donner une adhésion complète et sans réserve. On peut considérer la noblesse sous un double point de vue. Réduite à sa plus haute expression, c’est tout simplement la race des conquérants de l’Europe et dès lors toutes les émancipations successives, quelque lé-. gitime, quelque glorieux qu’en soit le principe, ne sauraient préjudicier au droit de conquête, et ne peu- vent jamais valablement introduire dans les rangs du patriciat suprême des éléments autres que des Pairs, c’est-à-dire de ces hauts barons dont la grandeur et l'illustration ont pour tous la même origine et partent de la même date. Le temps cependant et la force même des choses avaient fini par modifier cet état primitif, et quand la royauté eut acquis une puissance réelle et incontestée, le corps aristocratique n’eut plus la possi- bilité de se maintenir dans une immutabilité nécessai- rement incompatible avec les conditions vitales d’une monarchie indépendante et fortement constituée. De ce jour aussi commence une ère nouvelle où la noblesse ne nous apparaît plus que comme un reflet de la splen- deur du trône, comme un prolongement éclatant et glorieux de la souveraineté. Nous ne croyons pas qu’il soit possible de contester sérieusement l'existence de ces deux phases succes- sives de la noblesse, au moins dans notre pays, et bien que nous ne trouvions pas dans le travail de M. Cré- pon de contradiction formelle sur ce point, nous crai- gnons fort cependant de voir ici commencer nos dis- — 979 — sentiMents, non point peut-être sur le fait en lui-même, mais sur ses conséquences telles surtout que notre collègue a cru pouvoir les déduire. Nous ne voulons point nier l'évidence , et nous sommes tout disposés à reconnaître que la transformation que nous venons d'indiquer avait diminué beaucoup l’importance exclu- sive de la noblesse de date immémoriale et séculaire, mais est-1} vrai de dire qu’un pareil résultat n’a pu qu'être de tout point compromettant et fatal? Nous sommes loin de le penser et nous ne saurions partager sur cette question le sentiment auquel M. Crépon pa- raîl s'associer, quand trop impressionné peut-être par le tableau des abus qui s'étaient introduits sous notre ancienne monarchie , il se demande avec une expres- sion visible de tristesse et de regrets « ce que sont » devenues la puissance et la dignité de ce corps qui » pouvait autrefois tenir la royauté en échec, et qui » plus tard, tout en s’inclinant devant la suprématie des » rois de France, avait su conserver tant d'importance » et tant de grandeur? » Ces temps de importance et de la grandeur de la noblesse féodale ne furent pas sans gloire assurément, mais ils n’en restent pas moins l’une des époques les plus déplorables de notre his- toire, et il nous serait trop facile de l’établir si les bornes de ce rapport nous permettaient les développe- ments nécessaires. Mais à quoi bon cette discussion rétrospective ? Nous ne contestons point la gloire, et certes M. Crépon est trop profondément versé dans les études historiques pour songer à méconnaître les dis- sensions cruelles et les longues calamités que rappelle le souvenir de ces premiers âges’'de la monarchie fran- — 280 — çaise. Ce ne fut point à la race énergique mais'con- tentieuse et perpétuellement agitée des hommes qui avaient conquis le sol de la patrie, ce fut à la royauté seule que la France dut avec l’unité nationale la meil- leure part de sa grandeur et de sa puissance. La recon- naissance ne doit pas sans doute se laisser entraîner au delà des limites posées par l'expérience et la rai- son, et il faut bien reconnaître que cette royauté bien- faisante et iutélaire n’en avait pas moins besoin d’un contre-poids efficace et réel, puisque sous son action libre et sans contrôle se produisaient des abus de plus d'un genre. Nous concevons donc parfaitement que l'on se surprenne à regretter le succès trop complet peut-être des conquêtes de l’omnipotence royale. Tous les hommes de cœur abhorrent instinctivement le des- potisme, tous détestent les abus de quelque part qu'ils viennent, tous se sentiraient disposés même à dire avec Mme de Staël que le gouvern ment aristocratique vaut mieux encore que le gouvernement absolu , parce que sous la première de ces formes quelques-uns du moins sont quelque chose. Il ÿ aurait toutefois imprudence et péril peut-être à trancher de prime saut et de sen- timent des questions si ardues, et à se laisser égarer dans le vaste champ des théories vaines et purement spéculatives ; il vaut mieux à tous égards prendre les choses stelles qu’elles se présentent, et les hommes comme ils sont; or, s’il est une vérité confirmée par l'expérience des siècles, c’est que nul pays ne fut ja- mair moins que le nôtre disposé à subir l’ascen- dant même légitime et modéré d’une classe supé- rieure et privilégiée. Nous sommes encore aujourd’hui — 281 — cette nation qu’un illustre (1) et brillant écrivain pei- gnait en traits si justes et si frappants, il y aura tout à l'heure un demi-siècle, quand il la représentait amou- reuse des armes, passionnée pour la gloire militaire, folle d'égalité, mais de liberté n’ayant nul souci. Cest en cela précisément, c’est surtout dans ce sentiment de répulsion pour les distinctions de caste et de nais- sance que notre caractère contraste essentiellement avec celui d’une nation voisine, qui fut trop souvent la rivale et l’ennemie de la France, uniquement peut- être parce que ces deux pays se partagent la supré- matie sur toutes les puissances du continent européen. Le culte de l’aristocralie est profondément entré dans les mœurs du peuple anglais, et il n’est pas aujour- d’hui encore dans les trois royaumes un paysan qui ne soit familier avec la chronique des grandes maisons de sa province. Dans les chaumières de l’Ecosse, comme dans les cottages du Northumberland on charme l’ennui des longues soirées d’hiver à conter les hauts faits ou même les simples incidents de la vie intime des Campbell et des Percy. Combien chez nous les choses se passent autrement, et que nous sommes loin de ce culte héréditaire et de ces mœurs que nous avons même quelque peine à con- cevoir! Si exclusivement militaire qu’ait paru toujours l'esprit français, on ne l’a vu dans aucun temps se lais- ser subjuguer par le prestige puissant qu’aurait semblé devoir exercer une noblesse brave, active, généreuse, toute bardée de fer et toute chargée de gloire. C'est a (1) M. de Chateaubriand. — 982 — pour cela très-certainement que la royauté a pour- suivi avec tant de persévérance et tant de facilité le cours de ce que j’appellerai ses excursions incessantes sur le domaine de l'aristocratie traditionnelle. Nous ne prétendons pas contester que la couronne ne soit par elle-même une puissance essentiellement envahissante el peut-être ici n’a-t-elle pas procédé toujours avec une juste mesure, mais on aura beau dire tant qu’on voudra que la noblesse avait sa raison d’être et qu’il était odieux de porter atteinte à la pureté de son insti- tulion , puisqu'elle n’était, après tout, que la conti- nuation des honneurs mérilés par les services et la gloire des aïeux , la réalité des faits proteste contre cette définition bonne tout au plus en théorie, mais qui date de trop loin pour être demeurée applicable à l’histoire de ces temps intermédiaires qui furent ceux de la fondation de notre monarchie française. C’est Aristote (1), en effet, qui le premier, nous le croyons du moins, a fait consister la noblesse dans les ancien- nes vertus el richesses propres à une famille, et je note ici en passant que bien des années avant le jour où la chancellerie ait commencé à expédier des lettres d’a- noblissement moyennant finance, le philosophe de Stagyre indiquait déjà la richesse comme un élément constitutif de la vraie noblesse; mais, à part cette ob- servation purement incidente, il faut convenir que de- puis Aristote jusqu’à nous, les temps, les choses et les hommes ont beaucoup changé. Si dans la pensée de l’immortel auteur de l’Art politique, la vertu devait être (1) Pol., 1v, 8. — 983 — le premier de tous les titres à la plus haute distinction sociale , il n’en faut pas conclure à l’immutabilité de ce grand principe. Dans une longue série de siècles, plus d’une fois le fait s’est substitué au droit, trop sou- vent les vérités les plus nettes et les plus fécondes ont disparu sous l'ombre épaisse et fatale des préjugés. Il en a surtout été ainsi chez nous du prestige nobiliaire. Il a emprunté d’abord au fait primordial et matériel de la conquête du pays, et plus lard sans doute à l’es- prit d’assimilation, puis aux vanités individuelles quel- que chose d’insaisissable et de mystérieux que l’on a peine à définir. Toutes les ressources de la science, tous les prodiges de l’art, tous les arguments de la dialectique ne suffiraient pas toujours à expliquer les contradictions qui se pressent sur ce terrain glissant et mobile. M. Crépon, par exemple, qui déplore avec grande raison la prodigalité démesurée des anoblisse- ments, et qui la signale comme une cause d’affaiblis- sement et de désorganisation, proclame d’ailleurs que la récompense des services éminents peut seule rendre à l’anoblissement son véritable caractère, et que même aujourd’hui nos sociétés modernes n’en sauraient com- porter d’autre. On ne peut pas mieux dire assurément, mais enfin pour ce qui est des siècles passés, celte no- blesse franque qui, suivant M. Crépon lui-même, a tenu longtemps le trône en échec, et dont il serait pres- que tenté de reprocher à nos rois l’abaissement et l'hu- miliation, cette noblesse avait - elle donc uniquement puisé son illustration et ses priviléges aux sources les plus pures? Serait-il aussi facile qu’on paraît le croire de citer les services rendus, les belles actions accom- — 284 — plies par les premiers auteurs de nos grandes familles françaises? Sans doute, dans la suite des temps, leurs descendants ont plus d’une fois versé l'impôt du sang; ils ont gagné des batailles et ajouté un nouvel éclat à l’honneur du nom français, mais enfin, la chose est fâcheuse à dire, et cependant il faut bien le rappeler, ce n’était pas seulement de ces glorieux exploits qu’ils dataient leur noblesse, ils la prenaient de plus haut. Cest vraiment ici, Messieurs, que le préjugé va vous apparaître sous son plus triste aspect, et c’est pour cela que nous faisons appel à toute votre attention pour que vous puissiez bien saisir cette étrange anomalie. De bonne foi, si ces aînés de nos plus illustres et de nos plus antiques familles avaient, en effet, gagné leur noblesse à la longueur de leur épée, cette noblesse même n’aurait-elle pas dû comporter tout d’abord plus de relief dans la personne de celui qui se serait fait ainsi le premier de sa race, puis, s’effacer un peu et successivement dans sa postérité ? Cependant il en était tout autrement, et ici le préjugé avait pesé d’un tel poids qu’il était parvenu à bouleverser jusqu’à l’ordre naturel des choses. Tout le monde le sait, pour at- teindre à la sommité d'excellence et d'honneur la no- blesse devait être immémoriale. Elle n’avait rien à ga- gner au bruit pourtant si flatteur et si doux des accla- mations populaires, elle participait à peine au reflet le plus éclatant d’une gloire encore récente; il fallait de toute nécessité et sous peine de déchéance ou d’abais- sement , il fallait qu’elle allât se perdre dans la nuit des temps, et c’est sous cette sphère d’idées qu’il était admis que l’entrée des hauts chapitres, celle du palais — 285 — de nos rois, les intimités mêmes du service royal de- meurassent interdites à tout gentilhomme de quelque degré que ce fût, auquel il eût été possible de citer la date de l’illustration de ses pères. Il faut avouer que si ces exigences, imposées par ce qu’on appelait les preuves de cour, étaient compatibles encore avec la pen- sée d’honorer les grandes actions et les glorieux ex- ploits, il était étrange du moins que l’on semblât te- nir si fort à n’en plus retrouver la trace ! Je ne veux point, Messieurs, m’insurger contre les grands noms, puisque je viens de reconnaître qu’ils avaient pour la plupart retrouvé dans la suile des âges l’incontestable consécration de la gloire et qu’ils per- pétuaient ainsi parmi nous les plus chères traditions de la France. Il est regrettable cependant que ce soit à tout autre titre que la mémoire des services et du dé- vouement des aïeux que ces grandes races revendi- quent encore le respect et l'honneur qui leur sont dus. La si noble maison de Montmorency, par exemple, se tiendrait pour atteinte dans la purelé de son pres- tige aristocratique et nobiliaire, si l’on s’obstinait à ne vouloir la faire commencer que du jour où le plus glorieux de ses ancêtres enlevait les enseignes impé- “riales à la bataille de Bouvines; les la Trémoille gar- daient dans leur châtellenie de Thouars des archives antérieures de je ne sais combien dé siècles à l’avéne- ment de cet illustre Guy de la Trémoille, qui fut l’un des plus intrépides compagnons d’armes de Godefroi de Bouillon, les La Rochefoucauld enfin, qui parais- sent issus des sires de Lusignan, et qui comme eux croyaient descendre de la fée Mélusine, se complai- — 286 — saient dans le mirage de cette origine fantastique et fabuleuse autant et plus peut-être que dans le souve- nir de ces belles et flatteuses paroles de Charles-Quint qui, pour reconnaître leur gracieuse hospitalité, s’était écrié : « Maison jamais ne sentit plus noblesse, loyauté » et prud’homie ! » Il n'entre pas assurément dans notre pensée de vou- loir faire à ces noms, toujours si dignes de respect, le reproche d’avoir subi l’empire d’un préjugé générale- ment admis dans tous les temps et tous les lieux, mais nous avons bien le droit au moins d’en déplorer l’abus, et un exemple, encore récent et caractéristique dans sa burlesque et plaisante originalité, va nous aider à montrer jusqu’à quel degré d’exagération une sem- blable direction d’idées peut conduire. Il suffit d’être quelque peu familier avec les études héraldiques pour savoir que la famille Brulart de Sillery était aricienne et illustre dans la robe et dans les armes. Ce nom, aujourd’hui éteint, a été porté dans le xvirie siècle et au commencement du xIxe, par une femme auteur qui avait conquis une sorte de cé- lébrité littéraire, je veux parler de la marquise de Sil- lery-Genlis, veuve d’un conventionnel fort connu, qui mourut sur l’échafaud révolutionnaire avec les prin- cipaux chefs de la Gironde. Sans remonter si haut que les grandes maisons que je viens de citer, les Brulart de Sillery étaient incontestablement d’origine chevale- resque; puisqu'il n’était pas possible de retrouver l’é- poque de leur anoblissement. Cette famille n’était bien connue cependant que depuis Louis XI que Pierre Brulart avait siégé dans le conseil du roi. Environ deux siècles — 987 — plus tard, sous le règne de Henri IV et la minorité de Louis XIII, Nicolas Brulart, marquis de Sillery, fut chancelier de France, et plusieurs de ses descendants servirent avec éclat dans nos armées. Peu d’années avant la révolution de 1789, on relatait tous ces titres d'honneur devant le commandeur de Sillery, l'un des arrière-petits-fils du chancelier, et on le félicitait sur la grande illustration militaire de sa maison dont les armes de gueules à la bande d’or, chargée de cinq barils de poudre de sable, attestaient assez les combats et la gloire. « Que me dites-vous là? s’écria d’une voix ter- rible le commandeur transporté de colère et d’indi- gnation. Des barils de poudre !!! grand Dieu !... et croyez-vous donc que ma maison n’avait-pas des armes avant que la poudre fût inventée? Des barils de pou- dre ! j'aimerais mieux en vérité qu'ils fussent pleins de tout ce que l’on peut imaginer de plus dégoüûtant et de plus immonde ! » Ici, Messieurs, le commandeur s’exprimait avéc une rudesse toute soldatesque, et je suis vraiment obligé de dissimuler quelque peu la grossièreté par trop mal séante de ses paroles, et je ne voudrais pas, moi, qui ne suis point en colère, je n’oserais pas même vous donner le texte complet; je suppose d’ailleurs qu’il vous sera très facile d’y sup- pléer. En tout cas, les paroles ne font rien à la chose; ce que je veux seulement relever ici, c’est l’étrangeté des prétentions de ce vieux gentilhomme, qui ne se contente pas de l’honneur imprimé à son nom par le souvenir d'un illustre chancelier de France et d’un grand nombre de guerriers célébres, et qui se croi- rait presque tombé en roture si sa noblesse n'allait se — 288 — cacher dans la nuit des âges ! Voulez-vous, Messieurs, un second exemple des extrémités où peut entraîner cette exagéralion de l'esprit de caste? Nous ne l’em- prunterons plus à un vieux courtisan, à un homme léger et futile; il ne date pas des plus tristes années du règne de Louis XV, et nous n’irons pas le chercher cette fois dans le palais de Versailles où ces déplo- rables et folles illusions trouvaient peut-être soit leur justification, soit leur excuse. Le fait que nous voulons relever date des premiers temps de la révolution , il émane du plus redoutable tribun qui ait dominé cette grande et terrible époque, de Mirabeau lui-même. En publiant la nouvelle édition des Souvenirs et Portraits du dernier duc de Lévis, le savant et habile collecteur des mémoires relatifs à la révolution française, M. Bar- rière, nous apprend que dans une séance de l’Assem- blée constituante , plusieurs seigneurs de la cour qui siégeaient au côlé droit, avaient longtemps vanté l’an- cienneté de leur noblesse et la pureté de leur sang. Serait-1l possible, disait un membre de la majorité, M. Frochot, qui revenait de la séance dans la voiture de Mirabeau, serait-il bien possible que ces messieurs se crussent, en effet, à part toute expression figurée, d’un autre sang que le reste des hommes? — N’en doutez pas, reprit vivement Mirabeau ! Puis, après un moment de réflexion, il ajouta d’une voix émue et, paraît-il, avec un sentiment visible d'adhésion : « Eh ! croyez-mol, c'est une erreur dont on se guérit bien plus mal aisément que vous ne pensez! » M. Barrière affirme tenir ce fait de M. Frochot lui-même. À vrai dire, Messieurs, en présence de la ridicule et — 289 — bizarre outrecuidance du commandeur de Sillery, comme de l’étrangeté vraiment incroyable de ces pré- tentions à la supériorité psychologique des vieilles ra- ces, préjugé dont Mirabeau lui- même avait quelque peine à se défendre, on ne voit pas que la royauté ait été si mal inspirée quand, pour nous servir des propres expressions de M. Crépon, « elle commença par intro- » duire dans les rangs d’une aristocratie remuante et toujours en lutte avec elle, des hommes sans passé et » sans histoire qui devaient trouver des titres suffisants » à de pareilles faveurs dans les services qu'ils lui » avaient rendus. » Le droit d’anoblissement est d’ailleurs une préro- gative essentielle de la couronne. Dans toute monar- chie, le roi doit être nécessairement la source de toute grâce et de toute faveur comme de toute justice, et si ce principe incontestable de droit public peut mener à des conséquences parfois excessives, il ne faut pas ou- blier que la politique a ses mystères aussi bien que la religion, et qu'ici une logique rigoureuse et absolue toucherait de près, sans qu’on s’en doutât peut-être, aux monstrueuses absurdités de l’abbé Sieyès, qui était lo- gique aussi matériellement du moins et au pied strict de la lettre, quand il ne voyait dans la balance des droits respectifs du roi et de la nation qu’une simple unité mise en présence de trente millions d’indivi- dualités. Du reste, toutes ces protestations contre la multi- plicité des anoblissements datent de fort loin, et au mo- ment de notre grande révolution de 1789, le parti dé- mocratique voulut à Angers même établir une distinc- [2 NT de tion entre les nobles et les anoblis, et retrancher même ces derniers de la liste officielle de notre aristocratie provinciale. La tentative demeura sans effet, mais on peut affirmer aujourd’hui en toute sécurité de cons- cience que ce n’était ni des hautes perspectives d’une politique imposante et élevée, ni des grandestraditions féodales que se préoccupaient les réclamants. On vou- lait tout simplement humilier la noblesse que les char- ges municipales avaient en Anjou plus que partout ail- leurs recrutée dans les rangs de la petite bourgeoisie. On espérait même que bien des nobles à origine préten- due chevaleresque ne pourraient faire ces grandes preuves antérieures au xve siècle que l’on était en droit d'exiger pour constituer la véritable noblesse, et en dépit de tous les semblants d’une grande impassibilité phi- losophique, on se réjouissait fort à l’idée de faire des- cendre d’un degré ces nobles qui portaient ombrage, et dont la prééminence toute récente causait des dé- plaisirs mortels à toutes nos. petites vanités plébéien- nes. Bientôt de l’impuissance d'empêcher, on arriva au misérable expédient et à la honteuse ressource des sarcasmes et des outrages. On alla au théâtre unique- ment dans le but d’applaudir avec fureur un drame de l'allemand Stéphany, où l’on se raillait agréablement d’un jeune cadet qui se vantait d’être noble depuis 18 mois de père en fils; on riait aux éclats, on s’arrachait un pamphlet mordant et spirituel qui exprimait le regret que « notre père Adam n’eût pas acheté une charge de » secrétaire du. roi, parce que nous aurions tous été » nobles », enfin dans une sphère plus élevée et aussi beaucoup plus triste, les gentilshommes de haute ex- — 991 — traction qui siégeaient dans la chambre de la noblesse et qui tout d’abord s’y agitaient vainement pour ren- verser l’antique constitution de la monarchie, les Me- nou, les Noailles, les Liancourt, les Sillery que je citais tout à l'heure, furieux de ne l'emporter ni par le nombre, ni par l’éloquence, ni par le talent, sur l’imperturbable loyauté des Cazalès et des d'Espréme- nil, se plaignaient dédaigneusement de ce que toute la noblesse de France fût menée par quarante ans de noblesse (1). Je ne prétends pas, Messieurs , que ces nouveaux anoblis n’aient, à leur insu même, contribué beaucoup peut-être à cette révolution devenue si fatale à l’aris- tocratie comme à la royauté. Chez plusieurs d’entre eux sans doute une morgue insupportable, une fierté ridicule et blessante avaient trep rapidement succédé à l'humilité de leur ancienne condition bourgeoise, mais c'était là l’inévitable tribut payé à l’infirmité de notre pauvre nature humaine, et il ne serait pas juste pour cela d'oublier qu’au jour de la grande épreuve, ces derniers venus dans l’ordre de la noblesse surent prendre leur tâche au sérieux, et qu’au moment où tant d’hommes de haute naissance allaient s’enfoncer et se perdre dans le torrent anarchique, la plupart de ces nobles de quarante ans donnèrent de tout autres exemples. Dans les assemblées politiques, sur les champs de bataille et jusque sur l’échafaud révolu- tionnaire, on les vit presque tous justifier dignement le choix du prince. Pour ceux-là du moins, on ne dira (1) V. les Mémoires du marquis de Ferrière, t. 1, p. 6. — 992 — pas que l’anoblissement ait été prostitué sans raison ni mesure, car leur noblesse commençait plus glorieuse- ment que bien d’autres n’allaient finir. Le parti qu’ils soutenaient n’a pas triomphé sans doute ; le temps, la fortune, Îa raison souveraine des choses ont prononcé contr'eux, mais leur cause n’en fut pas moins alors celle de la justice et de l’honneur, parce qu’en droit nul n’a jamais celui de vouloir une révolution, et que le véritable patriotisme consiste toujours à défendre au prix de tous les sacrifices et de tous les périls les institutions et les lois du pays. Ces réflexions ne s’appliquent nullement au travail de M. Crépon, et si j’en ai pris texte pour rappeler les tendances de certains de nos pamphlétaires angevins dans les jours qui préludérent à notre première révo- lution, je m’empresse de reconnaître d’ailleurs que notre collègue se pose à un point de vue hien autre- ment élevé; il ne se laisse point aller, comme ceux dont je viens de parler, aux minces et misérables calculs de la personnalité : il écrit l’histoire sous la pure inspiration de sa conscience et dans toute l’indé- pendance de ses convictions intimes. Il me semble toutefois, et je demande encore la permission d’in- sister sur ce point que j'ai déjà touché en passant, il me semble qu’il apprécie bien sévèrement la facilité avec laquelle la couronne accordait les honneurs de l’anoblissement. Etait-ce pour des services rendus ? Il prétend que le plus souvent les services n’étaient ni assez éclatants ni assez réels. Etait-ce moyennant fi- nance ? C'était alors, lui paraît-il, un trafic ignoble et funeste, puisque ces anoblissements bursaux compor- — 993 — taient l’exemption des charges publiques, dont le poids retombait tout entier sur le reste de la nation. Les grands services comme les grandes actions sont toujours choses assez rares; sans nul doute la fa- veur du prince a dù plus d’une fois s’égarer et sûrement le type de la plus haute distinction sociale a été appli- qué souvent à des individualités bien minces et bien vulgaires. Nous ne voulons ainsi ni contester ni dis- cuter la possibilité de l'inconvénient signalé, nous nous bornons à répondre que dans tous les temps, du moins, l'opinion publique a su imposer au pouvoir, même absolu, des limites insurmontables. Les lettres patentes constitutives de noblesse, quand elles ont été prostituées, n’ont plus guëères été vraiment que lettres mortes, et, comme l’a si bien dit le jurisconsulte Loyseau : « Cette abolition de roture n’est alors qu’une » effaçure dont la trace demeure. Elle semble même » plutôt une fiction qu’une réalité, le prince ne pou- » vant par effet rendre l’être au non-être. » Le carac- tère essentiel de la noblesse n’est en effet ni dans les diplômes ni dans les priviléges, car la véritable no- blesse ne peut être donnée par'ces moyens à celui qui n’en possède pas déjà la réalité. Le diplôme ne confère pas la noblesse, il la reconnaît seulement et la publie. Quant aux anoblissements obtenus à prix d’argent, il est certain que l’origine n’en est ni flatteuse ni brillante autant que celle de la noblesse acquise au prix du sang ; et cependant, sur ce point même, il faut en revenir non-seulement à l’autorité du grand poli- tique de l’antiquité, mais il faut reconnaître encore, SOC. D’AG. 22 — 994 — avec un éminent publiciste (1) de notre siècle, que, dans un État essentiellement propriétaire, la grande fortune doit toujours supposer la noblesse ou la don- ner. La noblesse, en définitive, est un résultat néces- saire de la fortune acquise. La possession des biens assure dans toute sa plénitude la liberté personnelle, el procure également du pouvoir et de l'indépendance. Le respect des principes est une chose excellente as- surément, et cependant il arrive presque toujours qu’ils sont dominés par la puissance des faits. La vénalité des charges, par exemple, que M. Crépon reproche si jus- _ tement à François [er et à ses successeurs, était certes une création purement fiscale et surtout ignoble et révoltante au premier chef, et l’on ne saurait la jus- tifier à quelque point de vue que l’on veuille se poser; et cependant cette. vénalité même avait contribué à nous donner une succession de magistrais les plus in- tègres, les plus éclairés et les plus dignes que l’on vit jamais. Il est donc sage aussi, sur la question spé- ciale qui nous occupe, de se défendre d’appréciations trop précipitées, dont l'effet inévitable serait de re- pousser le côté populaire et facilement accessible de l'institulion nobiliaire pour la réduire aux pures tra- ditions arisiocratiques et féodales. Je ne puis croire ainsi, avec M. Crépon, que l’anoblissement de l’argen- lier du roi, d’un docteur és-lois ou d’un grand pro- priétaire d’herbages en Normandie, ait pu jamais pa- raître menaçant pour la véritable noblesse. Une haute fonction, toute de confiance, mérite toute espèce de (4) M. de Bonald. . — 295 — distinction quand elle a été honorablement remplie; de grandes possessions territoriales et les soins donnés au perfectionnement de l’agriculture et à l’éducation de nombreux troupeaux, constituent des titres qui valent mieux, à Coup sùr, que ceux du fameux financier Za- met qui, demeuré roturier, se qualifiait fiérement dans un acte public de seigneur-suzerain de 17 cent mille écus ; enfin il ne faut pas oublier le mot devenu célèbre de l’empereur Sigismond qui, dans une auguste so- lennité, donnait à un simple jurisconsulte la préséance sur les hommes portant l'épée, disant qu’il pourrait faire en un jour mille chevaliers des armes, tandis qu’en mille ans il ne pourrait faire un seul chevalier des lois. M. Crépon cite à l’appui de son opinion des tradi- tions et des faits recueillis par l’histoire; nous n’en voulons rien contester. Ce ne sera pas nous, par exemple, que l’on verra justifier la contrainte exercée sur ce marchand de bœufs du pays d’Auge, fail noble malgré lui et taxé en conséquence à une forte subven- tion fiscale, mais on ne saurait prétendre qu’un fait exorbitant et monstrueux ait pu jamais devenir l’expres- sion fidèle du droit commun de la France. Nous sommes d’ailleurs au fond à peu près d'accord avec M. Crépon, dans ce sens du moins que nous avons déjà reconnu que l’usage même modéré et convenablement restreint du croit d’anoblissement, avait dü toujours comporter des inconvénients et notamment celui d’'amoindrir beaucoup l'importance de la noblesse d’extraction. La chose est évidente, et il y avait là, si l’on veut, une sorte d’at- teinte à la pureté native et immaculée du vieux principe — 296 — aristocratique; mais enfin faut-il absolument le regret- ter, répéterons-nous encore, et ne doit-on pas bien plu- tôt s’en féliciter ? Ne se maintient-on pas dans les bornes du vrai et du juste, quand on se sent disposé comme nous le sommes à préférer l’unité monarchique et l’in- dépendance de la couronne à l’immixtion dans les af- faires et dans le gouvernement d’une oligarchie im- muable et toute-puissante ? Dans nos siècles modernes, si différents du moyen âge et des mœurs de cette époque, la partie forte de la nation, la véritable et pure aristocratie n’a-t-elle pas résidé toujours dans la masse entière de la grande et de la moyenne pro- priété ? N’a-t-elle pas été comme aujourd'hui repré- sentée par les fondateurs de nos grands établissements industriels, par les hommes de talent qui donnent le mouvement à l'opinion, par les grands artistes qui décorent la patrie, par les grands capitaines qui la défendent? On nous le concède pleinement, mais on voudrait que jamais nos rois n’eussent étendu au-delà de ce cercle d'élite le privilége de leurs grâces et de leurs faveurs. Ici, Messieurs, sans nier les abus, nous avons présenté déjà, sinon la justification, du moins les motifs atténuants. Nous ajouterons qu’il faut prendre garde de se méprendre sur l’état constitutif de notre an- cienne monarchie. Elle n’avait pas été faite tout d’une pièce, elle était la fille du temps et l’œuvre des siècles. C’est ainsi que malgré tout ce que leurs immunités pou- vaient avoir d’excessif et de révoltant, les classes privilé- giées avaient conquis chez nous une existence légale et permanente. Comment donc alors aurait-il été possible de forclore la carrière? Comment aurait-on refusé la pers- — 997 — pective d’une vie honorée et indépendante aux hemmes .que le sort avait fait naître dans une condition humble et ignorée? Comment ne pas leur permettre l'emploi du fruit de leurs épargnes, du prix de leurs labeurs, pour se relever de cet abaissement qui avait pesé sur la première partie de leur existence? Comment enfin leur enlever jusqu’à l'espérance de dire : « Voilà où je puis parvenir, voilà l’héritage que je puis laisser à mes enfants ? » Sans nul doute, l’égalité de tous devant la loi vaut mieux mille et mille fois que le règne du privilége et de l'arbitraire; mais en se reportant à l’an- cien ordre de choses établi dans notre pays, tous les cœurs honnôûtes, toutes les âmes généreuses, loin de se plaindre de la multiplicité des faveurs royales, de- vaient bien plutôt, cé nous semble, appeler de tous leurs vœux le plus grand nombre possible d’affranchis- sements et de réhabilitations, et le bienfait en aurait été trop rare s’il avait fallu le réserver seulement aux services exceptionnels et éclatants. Il était bien, en dé- finitive, que chacun pût espérer d’arriver tôt ou tard à cette position honorable et élevée dont quelques pri- vilégiés sealement auraient retenu le monopole si les antiques traditions nobiliaires avaient prévalu tou- jours dans toute leur plénitude et toute leur pureté. Sans repousser précisément ces objections, on se re- prend aux faits et l’on nous répond qu'au moins le plus aimé et le plus populaire de nos rois, Henri IVe fut le seul peut-être qui sut se défendre de cette faci- lité déplorable avec laquelle on prodiguait les anoblis- sements. Le fait est parfaitement exact, mais il ne faut pas oublier non plus que ce grand monarque de qui — 298 — son peuple a conservé si douce mémoire, fut surtout le roi des gentilshommes, et qu’il n'avait garde de s’ex- poser à altérer en quoi que ce fût le prestige de cette noblesse qui l’avait aidé à conquérir son trône. Il ai- mait à se voir entouré dans sa cour par ces fidèles et vaillants chevaliers qui, disait-il, l'avaient pressé bien autrement dans les jours de ses grandes batailles et de ses glorieuses épreuves. Il voulait, sans doute, que tous les paysans de son royaume pussent mettre La poule au pot le dimanche, et il tenait à les rendre heureux, parce qu'il considérait, avec son ministre Sully, Le labourage et le pâturage comme les deux mamelles de la France; mais, en réalité, ce premier roi de la maison de Bour- bon qui a tant fait pour la bourgeoisie, n’eut lui- mème pour les bourgeois que répulsions et dédains. Pour n’en citer qu'un nombre d'exemples limité, nous n'avons vraiment que l'embarras du choix. C’est lui, en effet, qui tournait le dos à un marchand auquel il avait consenti cependant à accorder des lettres de no- blesse ; il avait estimé autrefois comme le premier des négociants de son royaume, il le regardait désor- mais comme le dernier des nobles. C’est lui aussi qui, en procédant à la réception d’un chevalier de l'Ordre, dont la naissance ne lui semblait pas à la hauteur de sa nouvelle dignité, répondait publiquement et à haute VOIX : JE LE SAIS BIEN! au Domine non sum dignus, que la formule obligeait le récipiendaire de prononcer à ses pieds. C’est Henri IV encore qui chassait outra- geusement de son palais un maître des requêtes qui s’y était glissé dans les rangs de la haute noblesse qui se pressait autour dn monarque; c’est lui enfin qui — 299 — faisait indignement fustiger des hommes de loi qui, sans le reconnaître, avaient refusé de l’admettre au partage de leur table d'hôte. Tous ces traits de carac- tère ne peuvent suffire assurément à diminuer cette grande personnification de la royauté militaire qui se montrait, d’ailleurs, habile et sage dans les conseils autant qu'intrépide dans les combats; mais tout cela, cependant, explique parfaitement les égards et les mé- nagements de Henri IV à maintenir la prééminence de la noblesse de pure et haute chevalerie. Louis XIV, au contraire, multiplia les lettres d’anoblissement, et quel- quefois peui-être dans une pensée peu digne et trop exclusivement bursale , mais le plus souvent aussi sous une impression toute royale, jaloux qu’il était de voir toutes les illustrations et toutes les grandeurs émaner directement de sa puissance suprême. Ge fut lui, d’ailleurs, qui le premier, croyons-nous, fit recher- cher et poursuivre les usurpateurs de la noblesse, et son édit du 8 décembre 1699, qui prononce une forte amende contre ceux qui viendraient à se parer de titres non régulièrement concédés, fut une mesure ré- pressive dont il convient d'autant moins de mécon- naître la sagesse et l'opportunité, que l'application en fut rigoureuse et générale. C’est, d’ailleurs, l’une des plus grandes erreurs historiques, et malheureusement l’une des plus répandues et des plus accréditées, que de s’imaginer que ce prince ait été partial pour la no- blesse et hostile à la bourgeoisie. Il est vrai de dire bien plutôt que jamais roi ne tint la haute noblesse plus à distance et ne fut plus bienveillant et plus accessible à la bourgeoisie. « C’est sous son règne surtout, a dit — 900 — avec grande raison M. de Chateaubriand: c’est sous son rêgne que toutes les carrières furent ou- vertes aux Français. L'Eglise, la magistrature et le commerce étaient presque exclusivement le partage des plébéiens. La plus haute dignité civile, celle du chancelier, était roturière. Les bourgeois parvenaient aux premières places militaires et administratives. Louis XIV surtout ne fit aucune distinction dans ses choix; Fabert, Gassion, Vauban même et Catinat furent maréchaux de France; Colbert et Louvois étaient ce que plus tard on appela impertinemment des hommes de peu. En général, dans toute l’ancienne monarchie, les familles nobles ne fournissaient pas les ministres. Le chancelier Voysin, dit Saint-Simon, avait essentiellement la plus parfaite qualité sans laquelle nul ne pouvait entrer et n’est jamais entré dans le conseil de Louis XIV en tout son règne, qui est la pleine et parfaite roture, si l’on en excepte le seul duc de Beauvilliers. Les ambassadeurs du grand roi n'étaient pas tous choisis parmi les grands sei- gneurs. La plupart des évêques (el quels évêques ! Bossuet et Massillon !) sortaient des rangs médiocres ou tout à fait populaires. » Nous ne pouvons qu’applaudir sans réserve, et nous nous associons de toutes nos forces à la vive et légi- time indignation avec laquelle M. Crépon flétrit ces fréquentes usurpations, dont les siècles passés nous avaient laissé des exemples qui ne comptent plus que ‘pour bien peu de chose en présence de tout ce que nous avons vu de notre temps. Dans les pays où les pures traditions féodales sont demeurées vivantes, en — 301 — Allemagne, en Angleterre, en Suède, en Espagne, on ne pourrait rien citer de semblable, rien qui approche même de l’audace et du cynisme dont nous sommes tous les jours témoins. C’est que nos voisins ont gardé le sentiment et le vrai culte de l'aristocratie, tan- dis que la France est vraiment le pays des puériles et toutes petites vanilés; de l’art héraldique nous compre- nons à peine l’importance et la grandeur, nous n’en es- timons que la vaine apparence et les misérables hochets. C’est pour cela que nous avons vu et que tous les jours nous voyons encore tant de gens s'affubler d’un ütre d'emprunt sans qu’un rire inextinguible comme celui des Dieux d'Homère accueille ces transformations étranges, ni même qu'il se trouve jamais un homme de courage et de conscience qui les flétrisse et les repousse par le mot terrible du président de Harlay. Vous le savez, Messieurs, le grand chroniqueur du xviie siècle, Saint-Simon, nous apprend que deux frères du nom de Doublet, tous deux conseillers au Parle- ment de Paris, ayant acquis chacun une terre litrée dans les environs de la capitale, se firent annoncer chez le chef de leur compagnie sous les noms pom- peux de marquis de Persan et de marquis de Courcy. Le premier président surpris hésita un instant, puis jetant sur les deux magistrats ainsi transformés un re- gard indicible, il les salua de cette foudroyante apos- trophe : « Masques, leur dit-il, je vous reconnais! » Il est vrai de dire cependant que la facilité même à concéder les lettres d’anoblissement avait au moins l'avantage de diminuer le nombre des usurpations, si bien que je crois que de nos jours, et surtout depuis — 302 — la révision du Code pénal en 18392, on pourrait signa- ler en France une toute autre quantité de marquisats de contrebande que l’on en aurait trouvé au temps du président de Harlay; mais, en tout,cas, le reméde lui-même comportait de si graves inconvénients et of- frait une si triste issue, qu’on n’y saurail voir une compensation sérieuse. Le mal même serait arrivé à son comble, s’il fallait absolument admettre que cette prodigalité d’anoblissements n’avait été pour nos rois qu’un moyen de battre monnaie, et s’il était vrai qu’en vendant avec la noblesse le privilége des immumités en matière d'impôt, on avait rejeté ainsi sur la masse du peuple des charges immenses dont vraiment il ne pouvait plus porter le faix. La répartition inégale des charges publiques était sans doute un établissement ‘Inique aulant que désastreux, et son abolition a été l’une des mesures les plus sages et les plus fécondes de l’Assemblée constituante. Il est juste cependant de reconnaître aussi qu'elle la réalisa sans le plus lé- ger obstacle, et que depuis longtemps déjà les classes privilégiées s’y étaient résignées et avaient complète- ment accepté le sacrifice. Ce renoncement volontaire était d'autant plus méritoire, qu’au moment de la ré- volution ces castes, tant favorisées, possédaient réelle- ment la plus grande partie du sol. M. Crépon a vérifié aux sources officielles qu’à la porte même d'Angers, la paroïsse de St-Aubin des Ponts-de-Cé, par exemple, comptait alors sept privilégiés, celle de St-Barthélemi en comptait cinq, et tout cela indépendamment des “propriétés protégées encore par les immunités ecclésias- tiques. C’est en effet une chose malheureusement trop — 303 — notoire que dans ce temps le territoire presque en entier appartenait soit à la noblesse, soit au clergé. Dès le com- mencement du xvie siècle, Bourdigné, notre vieil anna- liste angevin le constatait lui-même : « Est à noter, dit- » il, que toutes les dites églises et mousliers sont de si » bons revenus et si richement dotés, qu’à ce considé- » rer et les rentes et gros émoluments qui en viennent » aux possesseurs d’iceux bénéfices, de léger l’on pour- » rait penser et dire que tout le bien et revenus d'Anjou » seraient aux églises et personnes ecclésiastiques, et » qu’il n’y aurait aucunes grosses maisons, terres et » seigneuries quine fussent de patrimoine ecclésiastique » et appropriées aux bénéfices, et d'autre part qui vou- » drait seulement prendre garde aux seigneurs tempo- » rels et grands terriers qui y sont el à leurs abondants » revenus et rentes, l’on penserait qu'il n’y eut qu’i- » ceux seigneurs de la temporalité qui eussent bien » en Anjou et que l'Eglise n’y saurait rien avoir. » De cette statistique fort triste assurément, et qui ré- duit à peu près à néant la part du tiers-état dans la propriété foncière, faut-il conclure que le peuple était foulé en proportion de l’augrmentation du nombre des privilégiés? Ce serait une très grave erreur. Le trésor royal souffrait seul de cette prodigalité des grâces. En accordant des lettres de noblesse moyennant finance, le prince contractait peut-être une sorte d'emprunt usuraire, mais en ce sens uniquement qu’il absorbait un gros capital, tout en diminuant très-peu son revenu. Il tarissait l’une des sources reproductrices de l'impôt, et 1l ne retrouvait nulle part rien qui püt ressembler à une compensation quelconque, nous l’avouons; mais — 304 — tout ce qu’il en advenait, c’est que l'Etat s’en trou- vait un peu plus pauvre, sans toutefois que l’aggrava- tion fût bien notable, car la détresse du trésor public était malheureusement permanente, à ce point que trop souvent le gouvernement se voyait entravé dans son aclion régulière, et que les services divers demeu- raient en souffrance. Cependant, comme nous le dé- montrerons tout à l’heure, l’exemption de la taille ac- cordée à quelque nombre d’anoblis que l’on veuille prétendre, n’était à peu près pour rien dans ce déplo- rable état de choses. On sait les difficultés que la couronne trouvait tou- jours dans les parlements pour obtenir l’enregistre- ment de nouveaux impôts, et il faut reconnaître d’ail- leurs que le gouvernement était d’une extrême réserve à les demander, et qu’ainsi la somme des contributions de tout genre restait toujours des plus modérées. J’o- serai dire’ que c’était un malheur, et si l’on voulait m'en faire un reproche, l’art si habile aujourd’hui de la finance viendrait à mon aide et n’hésiterait pas à ré- pondre pour moi que la surélévation de l'impôt est la source la plus puissante de reproduction, tandis qu’a- vec la pénurie des caisses publiques, l'Etat reste en- serré dans un cercle étroit et dans les limites exclu- sives d’une déplorable routine qui ne permet ni les grandes entreprises ni les améliorations fécondes. C’é- tait là malheureusement l’une des plus tristes condi- tions de notre vieille monarchie telle que le temps et la marche souveraine des choses nous l’avaient faite. On craignait de surcharger les contribuables, et dès- lors l’action gouvernementale devenait à peu près nulle . — 305 — et souvent impraticable. Tout, avec l'apparence de la fortune et d’un laisser-aller brillant et prospère, tra- hissait les réalités de la gène et du malaise qui pe- saient sur toutes les classes de la socièté. Les grands, les gens de cour surtout, pour alimenter leur luxe, mettaient souvent, pour rappeler un mot de Henri IV bien connu et cité par M. Crépon, mettaient leurs mou- lins et leurs bois de haute futaie sur leur dos; le peuple ne pouvait donner libre essor à ses spéculations in- dustrielles et ne trouvait nulle voie ouverte pour arri- ver à la fortune; le roi enfin, dont les nobles scrupules craignaient de trop peser sur ses sujets, pouvait à peine subvenir aux charges de sa couronne. Les routes étaient mal entretenues, les troupes mal payées, mal nourries, mal vêtues, parce que le trésor public était à sec et que les parlements n’auraient pas consenti à enregistrer de nouveaux impôts, quand même la bien- veillante sollicitude du monarque n’y aurait pas ré- pugné. Ce tableau déplorable à tant de titres et malheureu- sement trop fidèle serait-il autre sans cette multipli- cité des titres de noblesse qui, nous dit-on, en éten- dant successivement pendant des siècles les privi- léges en matière d'impôt, avaient fini par tarir à ce point les ressources de l'Etat? Messieurs, nous ne sommes partisan ni de la prodigalité des anoblisse- ments, ni surtout des priviléges sur la contribution aux charges publiques; mais la vérité n'en est pas moins que ces concessions excessives, sans doute, n’ont pu avoir qu’une influence vraiment imperceptble sur l’état de choses signalé, et ici nous pouvons invoquer des — 306 — autorités graves et même en quelque sorte officielles. Les textes que nous allons citer sembleraient vraiment avoir été écrits en prévision directe des objections que nous avons à repousser aujourd'hui: « Par une con- > tradiction bizarre, disait le contrôleur général Ca- » lonne à l’ouverture de l’Assemblée ‘des notables de » 1787, ces priviléges, ces immunités, ces droits pré- » tendus qui, s'ils étaient réels, devraient porter sur » toute nature d'impôt, n’en excluent que quelques- » uns. Îl n’est pas un seul de tous les sujets du roi, » prince, noble, ecclésiastique, qui ne paie comme le » dernier du peuple la capitation, les aides, la ga- » belle et les droits sur les consommations. » Cette explication si nette et si catégorique sur l’an- cienne répartition des impôts, pourrait paraître quel- que peu suspecte dans une bouche ministérielle, et l’on hésiterait peut-être à en croire simplement sur parole un homme d’Etat qui a laissé une assez fâcheuse idée de son savoir-faire et de tristes souvenirs de sa vaine et présomptueuse légèreté; mais nous avons une auto- rité plus grave et moins contestable, c’est celle de l’Assemblée des notables elle-même. L'année qui sui- vit celle de sa première convocation et à la veille même de la réunion des Etats généraux, l’Assemblée se livra à un examen plus spécial er plus approfondi de cette question brûlante des immunilés, et voici en quels termes elle fut résumée par le 6e bureau, dont les commissaires l'avaient étudiée avec une attention toute particulière : « Les impôts que la nation supporte, » est-il dit au procës-verbal que nous citons textuel- » © © CA 4 — 307 — lement (1), se divisent en impôts directs et en impôts indirects. Ces derniers qui résultent des droits exi- gés sur les consommations sont évidemment suppor- tés par tous les individus, à raison de leur fortune et nul ne peut y échapper. » Les impôts directs sont la capitation, les vingtiè- mes, la taille et tout ce qui y est accessoire. » Le clergé et la noblesse ne sont pas exempte de la capitation, ni du vingtième. Si le clergé paraît n’y être pas assujetti, il en doit payer la représentation équivalente et il la paye en effet par ses dons gratuits. Quant à la noblesse, elle supporte les deux impôts dans la même proportion et dans la même forme que le tiers-état. » Quant à la taille et aux contributions qui y sont accessoires , le clergé et la noblesse en sont person- nellement exempts, mais il faut observer d’abord que dans toutes les provinces cadastrées qui forment une assez grande partie de la France, ils ne jouissent pas de cette exemption, puisque la taille est assise sur les fonds dans quelques mains qu’ils se trouvent. Ce privilége n’existe donc pour eux que dans les pays d'élection, mais il est três-connu que presque tous les fonds qui appartiennent à ces deux ordres sont mis en valeur par des fermiers qui paient la taille et les contributions accessoires et qui en font la déduc- tion au propriétaire sur le prix de leur bail. » Il ya plus, c’est que dans le fait, les fermiers des (4) Procès-verbal de l’Assemblée des notables tenue à Versailles en 1788, de l'Imprimerie royale, 1789, in-40, p. 418, 420. » ) » — 308 — nobles et ecclésiastiques sont taxés en général beau- coup plus haut qu’ils ne devraient l’être, parce que les anciens administrateurs ont senti que c’élait un moyen de soulager la dernière classe et en cela l’ar- bitraire a eu la justice pour motif. » Le privilége des deux premiers ordres se réduit donc pour ainsi dire à cet égard au petit nombre d’ecclésiastiques et de gentilshommes qui font valoir leurs propiétés par leurs mains. » Le bureau a observé que ces ecclésiastiques et gen- tilshommes sont pour la plupart extrêmement pau- vres ; que les derniers donnent des citoyens à l'Etat et des officiers à l’armée, et que l’exemption dont ils jouissent est pour eux le seul moyen de subsistance. Le tiers-état convient d'ailleurs que l’exemption restreinte dans cette classe est d’une légère corséquence et que par conséquent elle le grève faiblement. » Il résulte de cet exposé, ajoute le procès-verbal, que les deux premiers ordres ne sont exempts dans le fait que d’une très faible partie des charges aux- quelles le peuple est assujetti. » s Je ne sais, Messieurs, s’il serait possible d’opposer quelque chose à ces calculs, mais il en résulte évidem- ment pour nous que les immunités accordées à la no- blesse dans une mesure si restreinte n’imposaient, comme nous l’avons dit déjà, qu’une très faible sur- taxe aux charges qui grevaient les classes populaires. S'il est vrai de dire cependant que la révolution a ré- vélé des fureurs contre le clergé et la noblesse, nous ne saurions admetire que ces fureurs aient été seule- ment les tristes représailles de l’inégale et humiliante — 309 — répartition de l’impôt. La révolution sans doute à eu de nombreuses raisons d’être, et il serait difficile de les résumer sous une définilion unique quand ses causes et ses conséquences apparaissent à tant de points de vue multiples et divers. On ne saurait nier cependant que la révolution ne puisse, à beaucoup d’égards du moins, être considérée comme une grande journée dans la guerre des infériorités jalouses contre les supériorités nécessaires, de la pauvreté contre la propriété, de tou- tes les passions contre tous les freins destinés à les contenir, et l’on ne doit plus s’étonner dés lors de ce que de brutales et sanglantes réactions se soient ma- nifestées contre les sommités sociales et les grandeurs tombées. Et toutefois ce n’est pas même-exclusivement contre les hautes classes que se sont ruées les fureurs populaires. Le manufacturier Reveillon qui fut la pre- mière victime de la révolution (1) et le malheureux boulanger François, qui le suivit de près dans cette voie funébre, étaient certes loin d’appartenir l’un et l’autre aux aristocraties privilégiées. Tous deux parti- cipaient aux charges publiques bien autrement que leurs meurtriers, tourbe ignoble et féroce de misérables pro- létaires qui ne possédaient ni ne payaient quoi que ce fût au monde et qui, dans leur stupide etgrossière igno- rance des questions politiques à l’ordre dujour, parlaient bien de mettre le veto à la lanterne, mais qui ne se pré- (1) Reveillon ne dut la vie qu’à un heureux hasard et ensuite à la protection du gouvernement, qui lui fit trouver un asile impénétrable dans l'enceinte même de la Bastille ; mais les vengeances populaires l'avaient menacé de si près, et avec de telles fureurs, qu’on peut à bon droit le citer comme la première victime de la révolution. SOC. D’AG. 23 \ — 310 — occupaient pas le moindrement de l'assiette des contri- butions ni des immunités en matière d'impôt, dont on ne saurait dire même qu'ils aient jamais prononcé le nom. On concevrait mieux les griefs de la bourgeoisie, et il est certain que plus d’une fois elle avait dû se sentir profondément blessée, et que l’inauguration d’un nou- vel ordre de choses fut vraiment saluée par elle comme le grand jour de sa réhabilitation et même de ses jus- tes représailles, mais, comme l’a dit excellement M. de Chateaubriand, « cette jalousie de la bourgeoisie contre » la noblesse qui a éclaté avec tant de violence au » moment de la révolution, ne venait point de l’inéga- » lité des emplois, elle venait de l’inégalité de la con- » sidération. Il n’y avait si mince hobereau qui n’eût » le privilége d’insulte ou de mépris envers le bour- » geois, jusqu’à ce point de lui refuser de croiser lépée; » ce nom de gentilhomme dominait tout. Il était impos- > sible qu’à mesure que la lumière descendait dans les » classes moyennes, on ne se soulevât pas contre des » prétentions d’une supériorité devenue sans droits. Ce » ne sont point les nobles que l’on a persécutés dans » la révolution; CE NE SONT POINT LEURS IMMU- » NITÉS d’eux-mêmes abandonnées, que l’on a voulu » détruire en eux, c’est une opinion que l’on a immoë » lée dans leur personne, opinion contre laquelle la » France entière se soulèverait encore si l’on essayait » de la faire renaître. » Je puis terminer ici, Messieurs, la tâche qui m'était imposée et peu de mots me suffiront à la résumer. Il est certain que la multiplicité des lettres de noblesse de- vait nécessairement diminuer beaucoup l'importance — 311 — de l'aristocratie séculaire, mais on doit peu le regret- ter, ce nous semble, parce qu’il est incontestable que, dans nos mœurs et nos traditions nationales, la royauté fut toujours l’élément véritablement conservateur et tu- télaire. Il est arrivé, plus d’une fois sans doute, que ces lettres de relief aient été accordées à des titulaires peu dignes d’une si haute faveur, et même que l’on ait pro- digué ces concessions dans une pensée purement fiscale, mais d’une part, dans toute monarchie bien ordonnée le droit d’anoblissement est un droit naturel et absolu de la prérogative royaïe ; de l’autre, il ne faut pas ou- blier que sous un ordre de choses tel que la série des siècles l’avait successivement établi dans notre vicille France, il était impossible que l’entrée de cette. classe privilégiée qui soulevait tant de ressentiments, tant de répulsions, tant de défiances, ne restât pas accessible aux classes moins favorisées et ne se rattachât pas, du moins sous ce rapport, à quelque côté populaire. Cette prérogative d’ailleurs que nous revendiquons pour la couronne, serait bien étroitement limitée si elle ne pouvait s'exercer que pour rémunération de ces grands et mémorables services qui sont toujours chose si rare à toutes les époques, et dont la réserve unique et exclusive comme titre d’anoblissement aurait vrai- ment constitué notre noblesse française à l’état de caste à peu près inabordable et déplorablement fermée. En fait, disions-nous encore, toute grande position de for- tune est déjà une distinction préliminaire qu’il appar- tient toujours à la puissance souveraine d'élever à une plus haute sommité d'honneur et de considération. Nous ajouterons que si l’on voulait parcourir le Bulletin mt es des lois pendant les six dernières années de cette grande restauration monarchique accomplie par l’em- pereur Napoléon, de 1808 à 1814, on verrait que le plus souvent les titres nobiliaires furent concédés sans la mention du moindre service rendu, et sur le fait uni- que et avéré d’une grande propriété territoriale et de la constitution d’un majorat assis sur des biens-fonds d’une importance proportionnée aux titres accordés. Jamais cependant on ne vit l’opinion publique s’élever contre ces sortes d’anoblissements qu’il suffisait de de- mander pour les obtenir, et les héritiers des concession- naires ont recueilli leurs qualifications sans le moindre obstacle ni la plus légère réclamation. Si les faveurs accordées au même titre par nos anciens rois ont ren- contré des difficultés sérieuses et d’humiliantes restric- tions, on ne peut se l'expliquer qu’en se rappelant d’abord les dédains calculés de la haute aristocratie, et peut-être aussi la morgue ridicule et prétentieuse qui signalait le passage de ces nouveaux anoblis d’une caste à une autre; mais nous ne pouvons cesser de le répéter, tout en faisant même la part de ee bizarre et puéril épanouissement d’une sotte vanité, il faut recon- naître du moins que l’on vit au jour des grandes épreu- ves, que la royauté n’avait pas été si mal inspirée dans ses chaix. Pendant que tant d’héritiers de nos plus - grandes familles françaises souriaient imprudemment, connivaient avec un entraînement inqualifiable à l’avé- nement d’une révolution qui bientôt allait les briser, les anoblis de date récente se montraient presque tous immuables et fidèles, et offraient à la royauté ex- pirante le prix du dévouement et le sacrifice de leur — 313 — sang et de leur vie. Enfin, tout en admettant que les immunités d'impôt aient été une flagrante iniquité, il faut admettre aussi-que l’exonération de la taille éten- due successivement à quelques membres de la bour- geoisie n’avait pu aggraver le poids des charges publi- ques dans une proportion sensible et ce n’est point là qu’il faut rechercher la vraie cause des haïnes populai- res qui se manifestèrent contre les classes élevées dans les plus mauvais jours de la révolution française. Il ne nous reste plus, Messieurs, qu’à nous excuser de la longueur démesurée de ce rapport, mais il nous semble que le sujet était vaste el comportait une sérieuse et longue discussion. Nous nous y sommes li- vrés en toute impartialité et sans aucun esprit de parti, croyons-nous du moins, comme aussi sans dissimula- tion et sans nulle réticence. Nous serions heureux si nous avions atteint le but auquel tendaient tous nos vœux, celui de rechercher la vérité sans manquer aux convenances et sans blesser la courtoisie. Nous ne sa- vons s'il nous a été donné d’y parvenir et si, pour nous approprier une comparaison brillante et célèbre, il ne nous serait pas arrivé le malheur même qui ar- riva à Diomède sous les murs de Troie, à savoir de bles- ser une divinité en poursuivant un ennemi. Peut-être se croira-t-on fondé à reprocher soit à M. Crépon, soit à nous-même d’avoir parlé avec quelque amertume d’une classe qui a bien cruellement expié les entraîne- ment de sa fortune passée, qui ne réclame plus de priviléges et ne revendique plus que l’anneau chevale- resque de ses pères et la gloire héréditaire de leur — 314 — nom. Messieurs, si l’on voulait nous faire un crime de l’austère franchise de notre langage, mon collègue ré- pondrait comme moi sans doute que nous n’avons si- gnalé que les abus, mais que nous n'avons voulu ni méconnaître lagrandeur, ni contester la gloire, nisur- tout outrager l’infortune; humbles explorateurs des siècles passés, nous n’avons point oublié ni l’un ni l’autre que la noblesse est fille de l’histoire et qu’à ce titre elle ne peut jamais cesser de participer à son im- mortalité. Pour ce qui m'est exclusivement personnel, Mes- sieurs, j’aurais peut-être à craindre aussi que l’on me fit grief d’avoir trop insisté sur mes dissentiments avec M. Crépon, tout en rendant l'hommage que je devais à la hauteur de ses appréciations, à la virilité de son esprit, à la vigueur de son talent, mais j'ai cru que dans une réunion intime on pouvait se permettre des libertés que lon n’oserait prendre partout ailleurs. Une causerie académique ne ressemble en quoi que ce soit à un pamphlet, car c’est pour nous entretenir en toute franchise et pour parler entre nous à cœur ou- vert, qu'ont été établies ces assemblées littéraires où vous m'avez fait l'honneur de m’'admettre. J’ai senti sur- tout, Messieurs, le prix de votre gracieux accueil, parce. qu'il me semblait que l’on pourrait toujours appliquer à notre Société des sciences et arts, ce que l’ingénieux historien de l’Académie française disait de cette illus- tre Compagnie, « où sans bruit et sans pompe et sans » autres lois que celles de l'amitié, ses membres goû- » taient ensemble tout ce que la société des esprits et — 815 — » la vie raisonnable ont de plus doux et de plus char- » mant. » Vous voyez, messieurs, que je prends de bien haut mes moyens de justification. Je les livre avec confiance à la bienveillante amitié de mon col- . lègue, comme à votre indulgente et sage appréciation. GUINGAMP ÉTUDES POUR SERVIR A L’HISTOIRE DU TIERS-ÉTAT EN BRETAGNE. — QUELQUES MOTS SUR CET OUVRAGE PAR M. E. LACHÈSE. On a signalé souvent et nous devons signaler en- core, avec de justes éloges, la tendance de la plupart de nos provinces à s’étudier elles-mêmes. Ce n’est pas seulement à l’amélioration de leur agriculture, au per- fectionnement de leur industrie, à la recherche des richesses cachées dans les profondeurs de leur sol, que se consacrent leurs soins. Interroger le passé, étudier non-seulement les vieux édifices, mais aussi les titres poudreux dédaignés et laissés dans l’oubli pendant des siècles, tel est le labeur qui s’accomplit autour de nous comme chez nous-mêmes, et qui, peu à peu, de- vra nous meltre à même de bien connaître la raison de certaines habitudes, de certaines croyances, et de mieux apprécier le progrès ou le déclin moral survenus dans chaque localité. C’est le cas, en effet, de répéter pour la centième fois que le présent porte l'empreinte — 917 — du passé qui le prépara, et que chaque contrée, pour se faire pleinement et équitablement juger, doit pou- voir dire avec le langage du poële : Interrogez ma vie et voyez qui je suis ! Toutefois, il était, presque sans exception, réservé aux grandes villes, aux chefs-lieux dotés de sociétés savantes ou de centres d'instruction, de se livrer à de semblables travaux. Une petite ville comptant 7,000 habitants au plus, un chef-lieu d’arrondissement des Côtes-du-Nord, Guingamp, vient de se signaler à cet égard par une publication que le hasard a mise sous nos yeux. Des travaux incessants, puis, en 1851, la rencontre, dans un coin obscur, d’un ballot de vieux papiers, contenant des titres d’une inestimable valeur remontant jusqu’à l’année 1498, ont été, pour le sa- vant M. Ropartz, le moyen et l’occasion de la publica- tion de deux volumes qu’il intitule : Etudes pour servir à l'histoire du Tiers-Etat en Bretagne. - Nous n’aurions rien de plus à dire ici de ces appré- ciations et de ces récits dont les sujets sont pris évi- demment hors du domaine ouvert aux investigations de cette Société, si, en lisant la description de Notre-Dame de Guingamp, nous n’avions un instant cru nous retrou- ver dans un des édifices religieux de notre ville. « Voici » à notre droite, dit l’auteur, la chapelle des Fonts, » créée en 1850... Les vitraux sont de M. Didron, les » peintures de M. Alphonse Le Hénaff. M. Le Hénaff » est né à Guingamp; quand il peignit notre chapelle » des Fonts, c'était un tout jeune homme, et pourtant » celte grande page renferme plus que des promesses S Ÿ SO — 318 — et laissait parfaitement deviner le peintre futur de notre chapelle des Morts, de la chapelle de Saint- Eustache dans l’église de ce nom à Paris, et de l’ab- side de Saint-Godard de Rouen. » Sur le fond grisâtre des montagnes désolées de la Judée, aux rives desséchées du Jourdain, saint Jean, bruni par le désert, verse l’eau sacrée sur la tête du Christ incliné. A droite, derrière le Sauveur, un Ethiopien, un Indien et un Européen se prosternent et adorent; les Gentils d'Afrique, d'Europé et d’Asie croient et demandent le baptême. Un Juif, debout, montre du doigt le ciel ouvert et la colombe, et an- nonce l’accomplissement des prophéties. À gauche, derrière le Précurseur, une jeune femme se penche, avec ce chaste abandon que connaît seule l’épouse chrétienne, au bras de son époux; à leurs pieds joue un bel enfant : c’est la famille, créée par le chris- tianisme, qui conduit son fils aux fontaines régéné- ratrices. Derrière eux, un philosophe, un riche du siècle, doute encore, mais ne doutera pas longtemps. Au second plan, cette tête blonde qui vous regarde avec un peu d’anxiété, c’est la signature de l’œuvre, c’est le portrait du peintre. » En lisant cet éloge que l’annaliste breton donne avec reconnaissance à l’œuvre d’une main bretonne, qui de nous, Messieurs, ne porte sa pensée vers cette cha- pelle Sainte-Marie, qu'au milieu de nous des mains angevines ont enrichie de si remarquables peintures ! Toutefois, ici l’avantage de la comparaison est entière- rement, hautement pour nous. Au lieu d’un fils de la cité consacrant ses travaux à la ville qui vit son en- — 319 — fance et encouragea ses premiers essais, Angers en nomme trois, quatre, devons-nous dire, car nous ne pouvons oublier, il faut même citer en premier lieu, cel qui a conçu l’idée de l’œuvre, l’a encouragée par de si puissants moyens, et a mis, pour ainsi dire, en action le pinceau des trois artistes qui suivent avec tant de distinction la voie ‘dans laquelle il a trouvé avant eux une juste et honorable renommée. Une autre partie du livre a dù fixer notre attention. Cest celle dans laquelle l’auteur fait un récit détaillé des divers siéges que Guingamp, ville placée sous la domination du duc de Penthièvre et toute dévouée à la Ligue, a subis à diverses époques. C’est avec une peine véritable que nous voyons, dans ces événements, en 1591, un Angevin signalé comme ayant joué le rôle indigne de traître, après s'être vendu, pour trente mille écus, au prince de Dombes. Cet Angevin, qui était, dit l’auteur , fils d’un pâtissier et avait été élevé dans les cuisines du duc de Mercœur, portait un nom que nous ne voulons pas écrire, bien que ce nom ne semble plus vivre parmi nous. Hâtons-nous d’ajou- ter que l’expiation n’a pas fait défaut à ce grand crime. « Le traître, dit notre historien, se réfugia sous les » drapeaux de l’armée royaliste, où il entra comme » simple chevau-léger. Il fut condamné par le Parle- » ment de Nantes à être tenaillé, puis pendu sur la » place du Bouffay. Cet arrêt reçut son exécution quel- » ques années plus tard, cet homme ayant eu la sot- » tise de tomber entre les mains des ligueurs. » Ce même siége de la ville de Guingamp en 1591, a été célébré dans une ballade bretonne, dont l’auteur — 320 — donne la traduction et que nous croyons, en finissant, devoir vous faire connaître dans toule sa naïve origi- nalité. — « Holà! portier, debout! et vite, ouvre ta porte, Monseigneur de Rohan arrive sur nos pas Pour assiéger ta ville, avec sa bande, forte De plus de dix mille soldats. » — «Ma porte, mes seigneurs, ne s’ouvre pour personne, Qu'’on vienne en frère, ou bien qu’on vienne en ennemi; À moins qu’à son vassal autrement n’en ordonne, La duchesse qui règne ici. » Madame, pensez-vous qu’il faille ouvrir ma porte Au prince de Rohan, qu’on dit venir là-bas Pour assiéger la ville, avec sa bande, forte De plus de dix mille soldats? » — « Que dis-tu là? Vois donc tes portes verrouillées, Rempart de fer, dressé devant nos ennemis; Vois, dans leurs fossés creux mes hautes tours mouillées; Guingamp ne sera jamais pris! » Ils y seraient dix mois, ce serait pure perte; Mon beau Guingamp jamais ne sera pris par eux. Charge ton grand canon, à l’œuvre, à l’œuvre, alerte Voyons qui vaincra de nous deux. » — « Voici trente boulets, mortels comme la foudre, Voici trente boulets pour charger le canon; Et dans notre arsenal, ne manque ni la poudre, Ni la mitraille, ni le plomb. » — 3921 — Le canonnier fidèle allait pointer sa pièce, Lorsqu'il chancelle et tombe, atteint mortellement -D’ur coup de fauconneau, que tire avec adresse Un soldat nommé Goazgarant. La duchesse pleurait, et disait à la femme Du canonnier frappé par un si cruel sort: —« Mon Dieu ! que ferons-nous ? La peur gagne mon âme, Puisque voilà ton mari mort! » — « Ne perdez pas courage, en ce moment suprême ; Mon mari tué, moi je le remplacerai ; Je connais son canon, je tirerai moi-même , Moi-même je le vengerai ! » Elle parlait encor, quand la grande muraille Craque et cède, et l’on voit voler en mille éclats Les deux portes de fer que brise la mitraille : La ville est pleine de soldats. — « À vous, mes cavaliers, à vous les belles filles ! Mais à moi les rançons, à moi l’or et l'argent, A moi tous les trésors de vingt nobles familles, À moi la ville de Guingamp! » Et, lorsqu’elle entendait cette clameur sanglante, La duchesse priait et pleurait à genoux : — « Dame du bon secours, disait-elle tremblante; Sainte Vierge, protégez-nous ! » Et le bruit approchait. Elle court à l’église, Et laboure le sol de ses genoux meurtris : — « Sainte Vierge, bientôt, puisque la ville est prise, Ce sanctuaire sera pris. — 3929 — » Et! quoi! vous voudriez que le vainqueur impie Vienne boire et manger sur cet autel sacré, Et que, pour ses chevaux, il fasse une écurie De votre temple vénéré ? » À peine elle avait dit, quand un coup de tonnerre Retentit au milieu des Français éperdus : C’est le canon qui tonne, et pêle-mêle à terre Neuf cents hommes sont étendus. Et les cloches aussi se balancent ensemble, Et le tocsin s’unit à la voix du canon: L’air en est ébranlé; le sol lui-même tremble, A cet horrible carillon. — « Je te sais prompt et vif, page, mon petit page, Je te sais vif et prompt; prends des jambes, et cours; Va voir un peu là-haut qui fait tout ce tapage, 2 Et carillonne dans les tours. » À tes flancs pend un glaive à lame bien trempée ; Si tu trouves là-bas cet insolent sonneur, Enfant, pas de pitié ! prends en main ton épée, Plonge-la toute dans son cœur ! » Vers la tour aussitôt, le page à mine fière Se dirige et gravit l’escalier en chantant; Mais, quand il descendit les cent degrés de pierre, Le petit page était tremblant. — « J'ai monté dans la tour, et je n’ai vu personne, Si ce n’est (que Dieu m'aide! oh! je les ai bien vus!) Si ce n’est Notre-Dame elle-même qui sonne, Notre-Dame et l’enfant Jésus. » — 323 — Et le prince disait à sa troupe interdite : — « À cheval! mes amis, j'ai changé de desseins : Allons coucher ailleurs, et quittons au plus vite Des maisons que gardent les saints. » Nous souhaitons que ces citations suffisent pour ap- peler l'attention sur l’ouvrage de M. Ropartz et sur l'exemple que cet auteur vient de donner. Nous faisons remarquer avec une satisfaction sincère, que l’Anjou et son voisinage sont entrés depuis longtemps déjà et marchent encore dans la voie que nous signalons. Ac- cordant à de simples chefs-lieux d'arrondissement l’hon- neur d’une histoire spéciale, Bodin a pris l’initiative en partant de Saumur pour nous faire découvrir les ri- chesses du pays tout entier. M. Emile Maillard vient d’é- crire la chronique d’Ancenis et des barons de cette an- cienne ville des Marches de Bretagne. Non loin de là, M. le docteur Gélusseau achève d'écrire l’histoire du pays des Mauges, au milieu duquel le chemin de fer touchant à Cholet, amënera bientôt les voyageurs lointains. Ces travaux ne servent pas seulement à l'instruction de tous , ils resserrent encore les liens qui attachent les hommes au sol qui les vit naître, car on peut dire de la patrie ce que Bossuet dit de la divinité même : « Plus on la connait, plus on l’aime. » MŒURS DES INSECTES LES CALICURGUS PAR M. COURTILLER jeune. On a cru assez longtemps que linstinct seul suff- sait aux insectes pour répondre à tous les besoins de leur existence; que ce qu'avait fait un individu se ré- pétait constamment chez tous les autres de la même espèce, et que l'intelligence si nécessaire à l’homme dans la plus grande partie des actes de sa vie, leur était inutile, tout chez eux étant invariablement réglé par avance. Cependant il se trouve bien des circons- tances où leur avenir eût été compromis si un certain degré de cette intelligence n’était venu les aider à vaincre les obstacles et contrebalancer les causes de destruction qui s’offrent souvent dans le cours de leur vie. Les calicurgus, genre de la famille des hymenop- ières, ainsi que plusieurs genres voisins, approvision- — 325 — nent leur nid avec des araignées qui doivent être dé- vorées vivantes par leurs larves. Or ces larves, petits êtres dont le corps est sans consistance, sans moyens d'attaque, sans défense, se trouvent dans l’impossibilité la plus absolue de se procurer la seule nourriture que la nature leur ait destinée. La mère a donc été char- gée de pourvoir à leurs besoins. Dans une des espèces de ce genre, lorsque la femelle veut se procurer une araignée, elle se place sur sa toile, l’attire par quel- ques petits mouvements, et aussitôt que celle-ci pa- rait, elle se précipite sur elle, la perce d’un coup d’aiguillon et la pénètre d’un venin si subtil que l’a- raignée tombe instantanément immobile et dans un état d’insensibilité complet. Alors le calicurgus, qui avait découvert avant nous que dans l’anesthésie on peut faire en toute sécurité et sans douleur les opéra- tions les plus délicates, lui fait très adroitement avec ses mandibules l’amputation de toutes les pattes, la transporte ensuile dans le nid disposé pour la rece- voir et place un œuf sur son corps. L’araignée revient bientôt de son état d’engourdissement; mais elle est alors livrée sans défense à la larve qui doit la dévorer et qui, en effet, aussitôt qu’elle est éclose, la dévore avec une rapidité si extraordinaire qu’on ne peut com- parer ce qui se passe alors qu’à la transfusion d’un être dans un autre. Puis la larve ainsi repue, gonflée outre mesure, restera presque pendant une année en- tière dans une immobilité complète, occupée pour toute distraction à s’assimiler la nourriture qu’elle a absorbée si promptement. Elle se transformera enfin en un insecte parfait qui recommencera à son tour ce SOG. D’AG. 24 — 326 — qu'ont fait avant lui tous les calicurgus de la même: espèce qui l’ont précédé. Si curieux que soient ces faits, on peut les attribuer à l'instinct seul quand tout se passe d’une manière aussi régulière ; mais n’y a-t-il pas quelque chose de plus dans le fait que je vais rap- porter ? L'automne dernier je vis sur un mur un calicurgus d’une autre espèce, la plus grande de toutes, l’'ambu- lator, autant que je peux me le rappeler, courant avec une grande rapidité et visitant avec une grande solli- citude tous les trous qui s’étaient formés dans les joints des pierres; puis après être resté plus longtemps dans l’un d’eux, il prit son vol et disparut. Je n’y pensais plus lorsque passant peut-être une demi-heure après non loin de ce mur, je vis au milieu des herbes d’un gazon un calicurgus semblable, traînant une énorme araignée de maison, grosse au moins trois fois comme lui. C’est celte même espèce d’araignée qui vient quel- quefois sur les plafonds ou sur les rideaux de nos sa- lons, porter la frayeur parmi les enfants ou même parmi les personnes plus raisonnables qui s’y trouvent réunies. Le calicurgus se dirigeait en ligne droite vers le mur et venait au moins d’une distance de cent cin- quante pas; il n’y avait pas de lieu plus voisin où il eût pu se procurer l’araignée qu’il avait saisie. Cette espèce ne fait pas l’amputation des pattes; son venin, probablement plus puissant, suffit pour suspendre le mouvement sans anéantir la vie jusqu'au moment où la larve doit éclore. Arrivé au pied du mur, le cali- curgus le gravit toujours à reculons sans lâcher sa proie et gagna enfin le trou pratiqué dans le ciment ; — 397 — mais l’entrée en était trop étroite, et tous les efforts qu’il tenta pour s’y introduire furent inutiles. Il fallut alors aviser à d’autres moyens. Prenant aussitôt son parli, il redescend lentement le mur, soutenant avec grand soin l’araignée, pour que les aspérités de la pierre ou une chute violente ne viennent pas déchirer sa peau fine et délicate; car ce vilain insecte, vivant constamment enveloppé des tissus de la soie la plus fine, ne foulant que des tapis souples et moelleux, n’a pas besoin d’une peau dure et rugueuse, la nature, on le sait, ne fait rien d’inutile. Arrivé au bas du mur, le calicurgus la déposa sur la terre et se mit en quête d’un autre gîte avec peut-être plus d’ardeur et de sol- licitude que la premiére fois. Enfin à une vingtaine de pas de l’endroit qu'il avait quitté, il s’arrête plus longtemps, pénètre plusieurs fois dans l’intérieur d’un nouveau nid, en examine avec soin l’entrée dont il fait plusieurs fois le tour, puis revient chercher son arai- gnée, la transporte avec les mêmes précautions et ar- rive enfin. Cette fois les mesures avaient été bien prises. L’araignée entra facilement et fut placée au fond de la cavité d’où le calicurgus ressortit seul après avoir rempli les conditions nécessaires à la conserva- tion de son espèce. IL y avait dans ces dernières cir- constances un développement d'intelligence ; l’instinct seul n’avait pas suffi pour arriver au but proposé. PROCÉS-VERBAUX DES SÉANCES SÉANCE EXTRAORDINAIRE DU JEUDI 13 SEPTEMBRE 1 860. Sont présents au bureau, MM. Sorin, président, E. Lachèse, secrétaire-général, et M. l'abbé Chevallier, archiviste. Le procès-verbal de la séance précédente est lu et adopté. M. le bibliothécaire fait connaître les titres des pu- blications diverses adressées à la Société depuis la même séance. à M. le Président, analysant la correspondance, fait connaître que M. Trouillard, nommé récemment mem- bre correspondant de la Société dont il a cessé d’être membre titulaire, remercie de cette nomination. M. Rondot, également nommé membre correspon- dant, adresse des remerciements semblables et promet son concours aux travaux de la réunion. Pour première preuve de ce bon vouloir, M. Rondot adresse à la Société trois brochures, dont une traite du commerce de la France avec la Chine, et les deux autres sont relatives au vert de Chine, riche couleur qu’il propose d'utiliser dans notre industrie. — 329 — M. le capitaine Janin est désigné pour faire un rap- port sur ces trois publications. M. le Président de la Société d’agriculture de Chä- teauroux écrit pour que l’on veuille bien lui faire con- naître les meilleures provenances du blé de semence de nos contrées, et les conditions d'acquisition. Après quelques observations échangées entre plusieurs mem- bres, il est convenu que l’on indiquera comme pouvant donner toute satisfaction aux demandes de la Société de Châteauroux, M. Théodore Jubin, à Châteauneuf, et M. le docteur Billod, directeur de l’Asile des aliénés, à Sainte-Gemmes, près Angers. M. le Président donne lecture de la lettre suivante de M. André Leroy, président du Comice horticole d'Angers, lettre dont l’objet a molivé la réunion ex- traordinaire du jour. « Angers, le 8 septembre 1860. » Mon cher Président, » Vous savez que je m’occupais activement de cher- cher un terrain convenable pour l'établissement de notre nouveau jardin fruitier, afin de remplacer l’an- cien, dans lequel les arbres ne viennent plus. » Je vous ai dit que nous avions trouvé la campagne de Bouquet, appartenant aux héritiers Gaultier ; cette propriété, assez rapprochée de la ville, et d’un prix modéré, était certainement ce qui convenait le mieux. » J’ai adressé à M. le Maire de la ville d'Angers la demande de ce terrain, qui est estimé frente-deux mille cent cinquante francs, y compris les frais d’appropria- tion et réparations urgentes. — 330 — » Comme ma demande a été faite au nom du Comice horticole, le Conseil municipal n’a pas cru devoir s'occuper de cette affaire, attendu qu’il ne pouvait traiter qu'avec une Société reconnue par le Gouverne- ment el ayant droit de contracter des engagements; par ce.fait, le Comice ne peut s'occuper de cette af- faire. C’est à la Société impériale d'agriculture, scien- ces et arts, de voir ce qu’elle doit faire en cette cir- constance pour le Comice horticole. Je me permettrai de vous faire observer que cette acquisition ne peut avoir de lenteur, les propriétaires étant pressés de vendre. Si ce local, parfaitement convenable, nous échappait, il ne serait pas facile d’en trouver un autre à aussi bas prix, à moins de s’éloigner dans la cam- pagne. » Voilà, mon cher Président, d’où en est cette im- portante affaire; veuillez la suivre avec persévérance si vous voulez réussir. » Veuillez croire aux sentiments affectueux de votre vieil ami, » À. LEROY, » Président du Comice horticole de Maine et Loire. » À la suite de cette lecture, M. Tavernier, secrétaire du-Comice horticole, présent à la séance, est invité à donner connaissance, dans ses détails et dans ses mo- tifs, de la demande que le Comice a formée. M. Tavernier lit l’exposé suivant : Par acte authentique en date du 16 décembre 1834, l'Administration municipale accorda à la Société d’a- griculture, sciences et arts, la jouissance pendant vingt — 331 — années du jardin de l’ancien séminaire, à la charge d'y établir un jardin fruitier. Lors de la formation du Comice horticole, en 1838, la Société d'agriculture lui livra la direction de ce jardin. Le but qu’on se proposait était de réunir le plus grand nombre de variétés fruitières afin de les étudier, d’en constater le mérite dans nos contrées, de les dé- crire et de fixer ainsi leur dénomination et leur syno- nymie. Cette collection rendrait un immense service aux pépiniéristes, en leur faisant connaître les variétés nouvelles, et en leur permettant de s'assurer de leur identité. En même temps des greffes, distribuées libé- ralement chaque année, propageraient dans nos cul- tures et dans nos jardins les meilleures variétés. On doit reconnaître que pendant vingt ans, le Co- mice horticole a atteint ce but et a puissamment con- tribué au progrès de l’arboriculture angevine, qui a acquis un renom légitime et dont le commerce a une importance incontestable. Mais, les vingt années de bail de la ville sont expi- rées déjà depuis six ans. La ville tient à rentrer en possession d’un terrain que le voisinage du musée doit lui rendre précieux. Aussi, depuis six ans, l’in- certitude a pesé sur le Comice, qui a été forcé de né- gliger l’acquisition d'espèces nouvelles et le remplace- ment des sujets épuisés. Les arboriculteurs se plaignent avec raison de la privation que leur fait éprouver cette négligence, et ils pressent le bureau du Comice de solliciter de la ville un nouveau jardin. En outre, l’année dernière, à la réorganisation du — 9932 — bureau du Comice, M. André Leroy, son président, a pris l'engagement de donner au nouveau jardin sa collection, rassemblée à grands frais depuis plus de trente ans, et qui est probablement unique en Europe. Le bureau du Comice, ainsi mis en demeure et par les besoins des pépiniéristes, et par la perspective d’une magnifique collection, s’est préoccupé de cher- cher un terrain convenable sur lequel il pût établir le nouveau Jardin fruitier. Après bien des recherches, il s’est fixé sur une portion non encore vendue de l’an- cienne ferme de Bouquet, sur la route de Frémur. Il a rencontré là à la fois un sol favorable à la culture des arbres fruitiers, des bâtiments tout construits et un prix d'acquisition et d’approprialion très accessible. Le plan ci-joint donne une idée de la composition du jardin projeté. Sa contenance serait d'environ un hectare et demi, y compris la ferme actuelle, la cour et un jardin clos de murs. Le prix d'achat serait : ï Bâtiments, cour et jardin . . . . . 49,000 fr. Un hectare et dix-neuf ares . . . . 418,000 30,000 Les droits d’appropriation sont évalués : Réparations de maçonnerie. . . . . 900 Id. de toiture et gouttières. . 300 Mentriserie: 424 ei) fat 400 Clôture en palissade de chemin de fer. . 900 Total:.25: 9450 La dépense totale s’élèverait donc à la somme de GE 0 Le ER T. :S2M00ME — 333 — Le nouveau jardin ne contiendrait pas seulement la collection la plus complète possible d’arbres et d’ar- bustes fruitiers; il servirait encore de jardin d’essai pour les plantes légumières et autres dont l’expérience serait trop onéreuse aux horticulteurs. Ce serait ainsi un centre précieux, complément nécessaire du jardin botanique, qui aiderait puissamment au commerce considérable de la ville, et qui serait l'attrait et aussi l'envie des étrangers. Le bureau du Comice espère que ces considérations sont de nature à déterminer la décision de l’Adminis- tration municipale et des membres du Conseil com- munal, dont la sollicitude est toujours éveillée quand il s’agit des intérêts d’une classe nombreuse de con- citoyens. Avant de commencer cette lecture, M. Tavernier explique que l'urgence, vu la prochaine réunion du Conseil municipal, avait seule empêché le Comice hor- ticole de soumettre préalablement sa demande à la Société d'agriculture. Un des membres présente des observations sur la demande du Comice. Selon lui, il serait à désirer que le jardin fruitier ne fit qu’un avec le jardin botanique de notre ville. Ce projet a été déjà indiqué plusieurs fois; M. le directeur du jardin botanique devrait être, avant tout, consulté sur ce point. En outre, le choix d’un terrain pour la destination proposée est chose grave el méritant un sérieux exa- men. Plusieurs emplacements, personne ne l’ignore, ont été tour à tour proposés. Il y aurait donc lieu de nommer, avant de statuer, une commission, afin de = do connaître les convenances de chacun de ces terrains et présenter au Conseil municipal une opinion tout à fait éclairée. Il est répondu à ces observations que la nomination d’une commission par la Société d’agriculture, aurait l'inconvénient de retarder la demande sans aucun avantage précis, car, très probablement, le Conseil municipal, avant de statuer, n’en voudrait pas moins recourir à l'examen d’une commission nommée par lui. La proposition tendant à la nomination préalable d’une commission, est mise au scrulin et rejetée. La proposition du bureau, tendant à l’adoption im- médiate de la demande, est soumise à la même épreuve et adoptée. M. le Président propose de faire part de cette dé- termination à l'Administration municipale dans les ter- mes suivants auxquels l'assemblée donne son plein assentiment. « Angers, le 13 septembre 1860. » Monsieur le Maire, » Par une lettre en date du 8 de ce mois, M. le Président du Comice horticole de Maine et Loire a fait savoir à la Société impériale d’agriculture, sciences et arts, qu’il vous avait adressé une demande de terrain à acquérir par la Ville pour y transporter le jardin fruitier existant sur le boulevard des Lices. » Le Conseil municipal, saisi de la question, a jugé avec raison qu’il ne pouvait prendre en considération — 335 — cette demande tant qu’elle serait présentée par le Co- mice horticole, section de la Société d’agriculture, et non par cette Société elle-même, qui seule a une exis- tence légale. » Informée de ces faits, notre Société a pris con- naissance de la demande du Comice et elle l’a trouvée fondée sur de sérieux motifs d'intérêt public. Non- seulement conserver un dépôt permanent des plus beaux produits d’une importante industrie angevine, mais encore, grâce à la générosité de M. André Leroy, donner à-cette précieuse collection un développement tel qu’elle n’aurait probablement pas d’égale en France, ni même en Europe, c’est un projet qui ne peut man- quer d’être bien accueilli par l'Administration muni- cipale et par le Conseil. La Société d’agriculture vient donc avec confiance en solliciter de leur bienveillance éclairée la réalisation. de » En appelant de tous ses vœux ce résultat, la So- ciété vous prie, Monsieur le Maire, de trouver bon qu’elle vous fasse une observation sur ce qui la con- cerne. Tant qu’on voudra la laisser occuper le pavillon où elle tient ses séances, elle en sera très reconnais- sante ; mais si, par suite de nouveaux projets, nous devions être privés de ce local, nous nous plaisons à penser que l'Administration municipale reconnaîtrait que nous ne pourrions pas aller nous établir dans les bâtiments faisant partie de la propriété dont le Comice horticole demande l’acquisition. Une compagnie scien- tifique doit nécessairement avoir son siége dans l’inté- rieur de la ville. Nous osons donc espérer que, le cas échéant, l'hospitalité dont nous avons joui dans le pa- — 336 — villon du boulevard des Lices, nous serait accordée avec la même sympathie dans un autre édifice municipal. » Veuillez, Monsieur le Maire, agréer l'hommage de mon respect. » Le Président de la Société impériale d'agriculture, sciences et arts d'Angers, » J. SORIN. » En: prévision de la nomination par le Conseil mu- nicipal de la commission dont s’agit, trois membres de la réunion sont désignés pour se joindre aux mem- bres du bureau dans cet examen, s’il est demandé. Ce sont MM. Hunault, Le Gris et Moricet. L’ordre du jour étant épuisé, la séance est levée. E. LACHÈSE. SÉANCE DU 28 NOVEMBRE 1860. Présents au bureau, MM. Sorin, président, E. La- chèse, secrétaire-général, M. l'abbé Chevallier, archi- viste. Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté. L'emploi de bibliothécaire de la Société étant vacant en ce moment, la lecture de la liste des ouvrages adressés à la réunion depuis la dernière séance, est remise à la séance prochaine. Il est donné connaissance de la correspondance par M. le Président. — 331 — M. le Président de la Société littéraire et philoso- phique de Manchester demande à échanger avec la So- ciété d'Angers, ses publications. Il sera fait droit à cette demande. M. d’Artaud, payeur du département: de Maine et Loire, nommé aux mêmes fonctions dans le départe- ment du Morbihan, adresse sa démission du titre de membre titulaire de la Société. Sur la proposition de M. le Président, l’assemblée s’empresse de décerner à M. d’Artaud le litre de membre correspondant. M. le Préfet de Maine et Loire rappelle le concours dont le prix doit être distribué au cours de Pannée 1862, et fait connaître que les mémoires à fournir par les concurrents à la prime d'honneur devront être dé- posés à la Préfecture avant le 1er mars 1861. Une cir- culaire contenant des instructions détaillées sur les conditions de ce concours, est jointe à la lettre de M. le Préfet. M. Callard, de Paris, adresse à la Société le catalo- gue des produits de sa fabrique de feuilles métalliques perforées, ainsi qu’un numéro de la Revue des sciences, dans lequel sont examinés les avantages de cette fa- brication. à M. Victor Châtel envoie à la Société deux brochures traitant de la maladie des pommes de terre et du marc de pommes comme engrais. Remerciements. M. Guillory aîné, membre de la Société, président de la Société industrielle d'Angers, adresse à la réu- nion une brochure sur les vins blancs d'Anjou et de Maine et Loire, et les vignobles de la rive droite de la Loire. Remerciements pour cet envoi. — 938 — M. Belleuvre, trésorier de la Société, fait connaître qu’il ne peut, à raison de nombreuses occupations, remplir ces fonctions plus longtemps. Cette lettre sera rappelée lors de l’élection prochaine d’une partie des membres du bureau d'administration. La lecture de l'extrait relatif au siége de Guingamp, annoncée par M. E: Lachèse, est remise à la séance prochaine, cet écrit n’ayant pu êlre achevé à temps. M. Bougler donne lecture du rapport fait au nom de la commission chargée d’examiner le mémoire de M. Th. Crépon, relatif à la noblesse avant 1789. Nu l'importance de ce rapport et l'intérêt qui s’attache aux idées qu’il développe, aux faits qu’il relève, la réu- nion décide qu’il sera imprimé en entier. M. le Président annonce qu’il va procéder à la no- mination de la commission qui devra se réunir aux membres du bureau pour choisir le sujet du concours pour le prix de 500 francs, au cours de l’année 1861. Sont nommés membres de cette commission, MM. Cour- tiller, Bougler, Couiret, Lemarchand et Léon Cosnier. M. Klein, demeurant à Angers, est présenté comme candidat par M. Dolbeau. Sont nommés pour faire un rapport sur cette candidature, à la séance prochaine, MM. Léon Cosnier, Th. Crépon et M. l’abbé Chevallier. L'ordre du jour étant épuisé, la séance est levée. E. LACHÈSE. — 339 — SÉANCE DU 26 DÉCEMBRE 1860. Etaient présents au bureau, MM. Sorin, président, E. Lachèse, secrétaire-général, M. l'abbé Chevallier, archiviste. M. le Président analyse la correspondance. Il fait connaître à la Société le titre de deux notices que lui adresse M. J. Hossard. Ces notices, portant pour indi- cation : Le Prêtre et le Médecin, forment la première et la seconde livraison d’un travail que M. Hossard en- treprend de publier par fragments sous ce titre géné- ral : Éloge de toutes les classes de la société ou le côté moral de la position que chacun occupe dans le monde. La réunion vote à M. Hossard des remerciements dont il sera fait mention au procës-verbal. M. le Préfet de Maine et Loire transmet à M. le Pré- sident le catalogue des végétaux et graines mis en vente par la Pépinière centrale du gouvernement, éta- blie près d'Alger, pendant l’automne 1860 et le prin- temps 1861. Ce catalogue sera, conformément au désir obligeant de M. le Préfet, déposé au secrétariat de la Société pour être communiqué aux personnes qui de- manderont à le consulter. Avis sera donné au public de ce dépôt. M. Charil de Ruillé fils, nommé récemment substitut près le tribunal de Baugé, donne, à raison de son éloignement forcé, sa démission comme membre #itu- laire de la Société. La réunion s’empresse de lui con- férer le titre de membre correspondant. Avis lui sera donné de cette décision. — 9340 — M. de Cock, consul de Belgique à Lille, adresse à la Société un exemplaire du rapport fait au Comice de Lille, par M. Jean Dalle, sur un nouveau mode de rouissage des lins, dont les avantages seraient consi- dérables et pourraient être obtenus sans grandes dé- penses. M. Tavernier est prié de faire connaître à la Société, par un rapport détaillé, les principales con- ditions dans lesquelles se présente et peut être appli- quée cette amélioration. M. E. Lachèse donne lecture d’un extrait fait par lui de divers passages d’un ouvrage de M. Ropartz, sur la ville de Guingamp et l'histoire du Tiers-Etat en Bre- _tagne. Ce travail est renvoyé au comité de rédaction. M. Janin lit un rapport sur des ouvrages de M. Ron- dot, relatifs au vert de Chine et à l'application de cette brillante couleur à la fabrication. La réunion décide que les ouvrages en question et le rapport de M. Janin seront déposés ensemble dans ses archives. L’époque indiquée pour le dépôt des mémoires sur le drainage, sujet du concours ouvert pour l’année 1860, étant passée, la commission chargée de prononcer sur ce concours sera prochainement convoquée et devra, pour cet examen, se réunir aux membres du bureau d'administration. : La commission chargée de choisir un sujet pour le concours de 1861 s’étant réunie, a résolu de proposer à la Société l'Histoire de la Littérature et des Littéra- teurs en Anjou pendant les xviie et xvine siècles. L’as- semblée déclare adopter ce sujet et fixe le délai im- parti aux concurrents pour la remise de leur travail, — 341 — au 1er décembre 1861. Avis sera donné au public de cette décision. M. Chudeau, nommé récemment membre correspon- dant de la Société, adresse à la réunion une gracieuse production poétique, intitulée : La Fleur du thym. Des remerciements sont votés à l’auteur, après la lecture de son œuvre. Il est procédé aux termes du règlement, à la nomi- nation d’une commission chargée d’examiner les comp- tes du trésorier pendant l’année qui s'achève et le projet de budget présenté pour l’année 1861. Cette commission fera son rapport à la séance prochaine. Sont nommés pour former cette commission : M. l'abbé Chevallier, MM. Prévost et Janin. Il est procédé à la nomination, par scrutins séparés, du président et du vice-président de la Société. Sont nommés : président, M. J. Sorin; vice-président, M. Victor Pavie. M. Belleuvre ayant déclaré donner sa démission des fonctions de trésorier, il est procédé à un scrutin pour son remplacement. Son nom ayant été de nouveau in- diqué par les suffrages, M. Belleuvre consent à con- server ses fonctions. Le rapport relatif à la candidature de M. Klein, comme membre titulaire de la Société, ne pouvant être présenté à cette séance, M. le Président le remet à la réunion prochaine. L'ordre du jour étant épuisé, la séance est levée. E. LACHÈSE. SOC. D’AG. 925 CONCOURS DE 1861. Lo La Société a désigné pour le concours de 1861 le sujet suivant : « Tableau de l’état successif des Lettres en Anjou » pendant les xvire et xvine siècles, jusqu’en 1789 » exclusivement, et Etude sur les littérateurs angevins » pendant cette période. » Le prix, accordé par le Conseil général du départe- ment, sera une médaille d’or de 500 fr. Les concurrents devront avoir remis, le 1er décem- bre 1861, leur travail, non signé, mais accompagné d’une enveloppe cachetée et répétant la devise placée sur l’ouvrage. Les mémoires seront adressés à M. E. Lachèse, se- crétaire-général de la Société, rue des Lices, n° 33, à Angers. TABLE DES MATIÈRES DU TROISIÈME VOLUME. et — Pages. Coup d'œil sur les travaux de la Société, par M. J. SORIN, pré- SCENE ASE EES Sochecaosbnvocenecdtatabhi ab ce UDeDloc 5 Discours prononcé aux funérailles de M. Louis Pavie, vice-pré- SIdent. par Ne COURTIÉLER 4 040 lente ea tttaia ei mette ds 2 13 Notice sur M. Louis Pavie, par M. E. LACHÈSE .. .......... 16 Notice sur M. le président de Beauregard, par M. COURTILLER. 29 Observations médico-légales sur la mort du colonel de Beaure- paire, par M. le docteur A. LACHÈSE............,..,..., 39 Rapport sur le mémoire de M. A. Lachèse, par M. A. LEMAR- CAN Dr lele ect» sVaie cie RES are NE PRE ee DEEE + - 59 Cencours pour le:prix, de 186022. eur, RAT IQuEt 69 Note sur la chaux de falhun, par M. le docteur FARGE........ 711 Position des fossiles dans les derniers étages du terrain crétacé des environs de Saumur, par M. COURTILLER jeune ........ 80 Quelques mots sur le plain-chant, par M. E. LACHÈSE........ 85 Epître à M. Bodinier, peintre, par M. A. MAILLARD.......... 98 Du droit d’anoblissement et de l’usurpation de la noblesse avant 42180; par M-XPHRGRÉEONR A 02. idne. à: ai 106 Procès-verbaux des séances : Séance du 18 Janvier 1860244... 2200 161 Séance du 22 février ........... FH Ho cie eee 166 Séance du 22 mars....... ÉRAR) De Me cote 172 Séance du 25 avril.................. RARE ME MEN TE 176 Séance. du 23 mai. 2 MUR. en 180 Etude sur une ode d’Horace et sur la traduction de M. Patin, par DÉUÉSSORIN RER ne. te, 187 — 844 — Pages L'avocat au criminel, fragment, par M. AFFICHARD........... 207 Etude littéraire, par M. BOUGLER.... Re SA SE RAA 221 Description et figures de trois nouvelles espèces d’ammonites du terrain crétacé des environs de Saumur (étage turonien), et des ammonites Carolinus et Fleuriausianus à l’état adulte, par M. COURTILLER jeune...................... RCA 246 Les Ponts-de-Cé, par M. Paul BELLEUVRE.................. 253 Procës-verbaux des séances : Séance du 18 juin, sous la présidence de M. Villemain. 258 Séance du 25 juillet.......... Re LS AA A 267 Séance du 22 août ........ NS UE SO LM « rex Lo 272 Rapport sur le mémoire de M. Th. Crépon, intitulé : Du droit d'anoblissement et de l’usurpation de la noblesse avant 1789, par/M-VBOUGLER, 1eme. He A Ce ASE AS 271 Guingamp, Etudes pour servir à l’histoire du Tiers-Etat en Bre- tagne. — Quelques mots sur cet ouvrage, par M. E. LACHÈSE. 316 Mœurs des insectes. — Les Calicurgus, par M. COURTILLER jeunete ten een Ras, SE HRPAA LS RE . 324 Procès-verbaux ai séances : Séance extraordinaire du 13 septembre............... 928 Séance du 28 novembre. .... REA AR AE SE SABRE 330 Séance du 26 décembre. .........................% 339 Concours pour le prix de 1861................ ISF ... 342 ) À | MÉMOIRES | NOÉ HIPÉRIALE D'AGRICULTERE | SCIENCES ET ARTS HR D'ANGERS dl (ANCIENNE ACADÉMIE D'ANGERS) . NOUVELLE PÉRIODE | ‘XOME QUATRIÈME — PREMIER CANIER. ANGERS IMPRIMERIE DE COSNIER FT LACHÈSE À EST $ Chaussée-Saint-Pierre, 13 | Ÿ Mae D 3 1.1 fie eee ; 1861 RS SOMMAIRE Résumé des travaux de la Société pendant l’année 1860, par M, J. SORIN, président. Réflexions sur le Drainage, et sur son application dans le département de Mame et Loire, par M. Louis TAVERNIER. Note sur un procès criminel jugé à Saumur en 1714, par M: Cour- TILLER. Concours de 1861, SOCIÉTÉ IMPÉRIALE D'AGRICULTURE, SCIENCES ET ARTS D’'ANGERS (ANCIENNE ACADÈMIE DANGERS). MEMOIRES DE LA OCIÈTÉ IMPÉRIALE D'AGRICULTURE SCIENCES ET ARTS D'ANGERS (ANCIENNE ACADÉMIE D’ANGERS) NOUVELLE PÉRIODE TOME QUATRIÈME ANGERS IMPRIMERIE DE COSNIER FT LACHÈSE Chaussée-Saint-Pierre, 13 1861 RESUME DES TRAVAUX DE LA SOCIÉTE PENDANT L'ANNÉE 1860, lu dans la séance du 23 janvier 1861 PAR M. J. SORIN, PRÉSIDENT. MESSIEURS , Appelé par vous à prendre de nouveau la direction de nos communes études, je me suis demandé com- ment je vous témoignerais ma reconnaissance d’une faveur deux fois reçue avec une trop légitime défiance de mes forces, quoique deux fois déférée avec la ras- surante bienveillance de la plus affectueuse confrater- nité. J’ai pensé que je ne pourrais vous rernercier mieux qu’en jetant avec vous un coup d’œil rétrospectif sur nos travaux de l’année qui vient de finir. Si votre pré- sident sent ce qui lui manque, sous plus d’un rapport, pour remplir dignement la tâche dont vous persistez à honorer, il doit chercher du moins à soutenir votre zèle et à l’animer de plus en plus. Or, une revue an- nuelle de nos efforts et de leurs résultats me paraît être un efficace moyen d’atteindre ce but. L’usage de récapituler ainsi, au commencement de chaque année, A , ce que la précédente lui lègue, à la fois comme un dé- pôt et comme un exemple, existe dans plusieurs des sociétés en correspondance avec nous. Il sera bon, ce me semble, de leur en emprunter l'habitude. Gelte es- pèce d'inventaire périodique offrira toujours, Je l’es- pére, à notre compagnie, l’occasion de se rendre le té- moignage d’une conscience satisfaite. Dans le cas con- traire, il agirait puissamment sur elle par la généreuse franchise avec laquelle les esprits droits s’avouent leurs propres torts. En un mot, il nous imposera l'obligation salutaire de nous amender, si nous avons failli, de faire mieux encore, si nous croyons avoir bien fait : Possunt quia posse videntur (1). L'année 1860 s’est ouverte pour nous sous d’heureux auspices; une agréable surprise en a marqué le début. M.'Ad. Lachèse nous avait annoncé des Observations médico-légales sur un fait historique contemporain. Sous sa forme volontairement un peu vague, ce titre sans doute promettait une communication intéressante, mais peut-être d’un intérêt restreint et s'adressant surtout à quelques-uns de nous. Il en était bien autrement. Notre collègue nous apportait, il est vrai, des observa- tions de médecine légale; mais elles avaient pour but d’éclaireir un fait auquel se rattachent les souvenirs de l’amour-propre angevin, l’exactitude de l’histoire nationale contemporaine, les traditions de l’honneur militaire et les principes de la morale religieuse. Il s’agissait de savoir si le défenseur de Verdun en 1799, le commandant Beaurepaire s'était réellement donné (1) Virg., Æn., v. 231. LP la mort ou sil l'avait reçue d’une main autre que la sienne. Vous n’avez pas oublié, Messieurs, comment M. La- chèse, prenant pour point de départ l’examen appro- fondi des procès-verbaux dressés par le chirurgien et par l'officier judiciaire chargés de constater le genre de mort du commandant, puis jetant sur la discussion de ces do- cuments la lumière de renseignements puisés à d’autres sources, arrive à cette conclusion que le brave chef des Volontaires de Maine-et-Loire ne s’est pas suicidé. Vous aimez en outre à vous rappeler avec quel honorable éloi- gnement de tout ménagement pour l'opinion publique égarée, l’auteur du mémoire dont je parle n’hésite pas à établir que, si, contrairement à sa conviction, Beaure- paire s'était tué lui-même, loin de préconiser cette mort comme un exemple, on pourrait tout au plus l’excuser un peu comme le résultat d’une déplorable erreur. Félicitons-nous, Messieurs, de ce que parmi nous une voix s’est élevée pour opposer aux sophismes bril- lants d’une admiration d’abord calculée, puis trop fa- cilement devenue traditionnelle, l’inflexible réprobation due à la double impiété d’un soldat qui, en présence de l'ennemi, déserte à la fois le poste que lui confia la patrie et la vie qu’il tient de Dieu. Le même sentiment sur la question de principe ne pouvait manquer de se retrouver dans le rapport fait par M. Lemarchand au nom de la commission chargée d'examiner le mémoire de M. Lachèse. Quant à la question de fait : Ÿ a-t-il eu suicide ou assassinat ? la commission, par l’organe de son rapporteur, a con- servé des doutes. Il est bien désirable que les nouvelles A. QU recherches auxquelles se livre sur ce point M. La- chèse le conduisent à des découvertes qui rendent in- contestable ce qu’il croit être la vérité. Quoi qu’il en Soit, le rapport de M. Lemarchand offre aussi une étude sérieuse du fait controversé. C’est un appendice néces- saire au travail primitif. Le mémoire et le rapport for- ment un ensemble du plus haut intérêt. Aussi avez-vous Jugé, Messieurs, que ce rapport devait être l’objet d’une des rares exceptions faites par vous à lärègle d’après la- quelle les travaux des rapporteurs n’ont pas-place dans les publications de la Société. Une semblable décision à été prise au sujet d’un rapport de M. Bougler, et c'était justice. En 1859, M. Th. Crépon avait présenté à la Société un remar- quable mémoire sur la Noblesse en France avant 1789 (1). L’étendue de cet ouvrage, dont la lecture avait occupé en partie plusieurs de nos séances, n’avait pas permis à la commission appelée à l’examiner d’en rendre compte au cours de l’année qui l'avait produit. M. Bougler à fait en 1860 le rapport, très-développé aussi, qui est réellement un second ouvrage, digne complément du premier. L’un et l’autre résument tout ce qu'on peut dire de plus solide et de plus curieux sur les origines de la noblesse française, sur ses dé- veloppements, le rôle qu’elle a joué aux différentes époques de notre histoire et les vicissitudes que le temps lui a fait subir comme à toutes les institutions humaines. Ce n’a pas été pour nous une médiocre (1) Du droit d'anoblissement et de l'usurpation de la noblesse avant 1789. 430) source d'intérêt et d'agrément que cette étude gémi- née (passez-moi le mot) d’une belle question historique par deux magistrats, d'accord sur certains points, dé- sunis sur d’autres, éclairés sur tous, également capa- bles de charmer l'esprit et de l’instruire {delectando pariterque monendo (1)) par leurs concordances d’opi- nions el par leurs divergences, Et narrare pares, et respondere parati (2). Notre compagnie, Messieurs, peut être fière des deux mémoires de MM. Lachèse et Crépon et des rapports auxquels ils ont donné lieu de la part de MM. Lemar- chand et Bougler. Je ne crains pas de le dire, une so- ciété, dans l’espace d’un an et même un peu plus (puis- que le travail de M. Crépon remonte à 1859), ne pro- duisit-elle que quatre écrits de ce genre, elle aurait le droit de se considérer comme tenant sa place, non sans honneur, parmi les associations d'hommes studieux qui font an utile emploi de leurs loisirs. Il est une autre œuvre à laquelle je n’adresserai pas mes éloges; quoique bien sincères, ils seraient trop pâles à côté de ceux qui lui sont venus de plus haut. Nous avons tous entendu M. Villemain honorer M. Affichard des plus encourageantes félicitations sur son travail concernant le ministère de l’Avocat au cri- minel. Un seul mot est permis auprès d’un si précieux suffrage. Disons donc que nous, concitoyens de M. Af- fichard, nous connaissons bien le secret de la distinc- (1) Hor. De arte poet. 244. (2) Virg. Buc. vu. 5. AIDE tion avec laquelle notre collègue a traité son sujet, se- erel d’ailleurs facilement soupçonné par M. Villemain. Cest que, pour mettre sous nos yeux le portrait de l’a- vocat aussi consciencieux qu'habile, plein de cœur comme de talent, plus docile même aux inspirations d'une âme généreuse qu’ambitieux des triomphes de l'esprit, M. Affichard n’a eu, sans que sa modestie lui permit de s’en apercevoir, qu’à produire sa propre image. La modestie a beau faire, son pouvoir ne va pas jusqu’à empêcher les plus nobles qualités de se trahir. Toujours prêt à ajouter de nouvelles preuves de zële à l’accomplissement scrupuleux de ses obligations comme membre du conseil d'administration de la So- ciété, notre Secrétaire général nous a fait profiter deux fois des ressources variées de son érudition. La Méthode élémentaire et pratique de plain-chant, récemment publiée par M. l'abbé Tardif, a donné à M. E. Lachèse occasion de signaler, avec l'autorité de ses profondes connaissances musicales, la valeur artis- tique et religieuse du chant grégorien (1). De là s’éle- vant, dans le même ordre d’idées, à des aperçus pleins de justesse, 1 a fait saisir les intimes rapports qui lient entre elles les manifestations de la pensée chré- tienne sous toutes les formes qu’elle emprunte au gé- nie des arts. L’heureuse union de ce génie avec la religion a, dans (1) Quelques mots sur le plain-chant, tel est le titre, beaucoup trop modeste, du travail de M. E. Lachèse. Re — une excursion historique sur la Ligue (1), suggéré à M. E. Lachèse de curieux rapprochements entre les mo- numents d’une ville bretonne et ceux de notre Angers. Cest également à la Bretagne et en même temps à l'Ecosse que M. Lemarchand, dans sa Notice sur le château de la Chaperonnière, à demandé des couleurs pour peindre, à la manière de Walter Scott, un pay- sage vendéen. Il s’est souvenu en outre des procédés de l’illustre Ecossais en faisant intervenir tour-à-tour dans cette notice l’histoire, la légende et la poésie. La poésie aussi comme l’éloquence, l’antiquité comme l’histoire moderne et même contemporaine, ont été appelées par M. Bougler (2) à mettre en relief, dans une réunion de frappants exemples, cette belle maxime de Quintilien : Pectus est quod disertos facit (3), rendue plus belle encore par la forme que lui a donnée Vaavenargues : Les grandes pensées diennent du cœur. Il vous a été lu, Messieurs, quelques observations sur Horace et sur un de ses traducteurs (4). Je n’ose- rais rappeler cette lecture, si je n’avais à dire qu’elle a partagé avec trois autres communications (95) une bonne fortune qui a rejailli sur nous tous. Elles nous ont valu de l’illustre secrétaire perpétuel de l’Acadé- mie française, le jour qu’il nous a fait l'honneur de (1) Le siège de Guingamp pendant la Ligue. (2) Etude littéraire. (3) Instit. orat. x. 7. (4) Etude sur une ode d'Horace et sur la traduction de M. Patin, r M. J. Sorin. (5) L'avocat au criminel, par M. Affichard, — Efude littéraire, par M. Bougier, — Le mois de Marie, poésie, par M. V. Pavie. pa Ho nous présider, une de ces allocutions où les saillies d’une verve toujours courtoise, quoique parfois un peu malicieuse, se mêlent avec tant d’éclat à toutes les séductions du savoir, de l’éloquence et du goût. Des productions aussi différentes entre elles qu’é- loignées par leur nature de celles dont j'ai parlé jus- qu’à présent, témoignent, Messieurs, de la variété de vos études. Par des recherches nombreuses, résumées et pré- sentées avec ce talent de lucide exposition qui lui est propre, M. le docteur Farge nous a fait connaitre l’é- tat actuel, les développements possibles et les avanta- ges réalisables de la Culiure du colza dans le départe- Ÿ ment de Maine et Loire. Le même membre a, dans une autre lecture, si- gnalé à nos agriculteurs les riches ressources qu'ils peuvent demander à la Chaux de Falhun, abondam- ment fournie par l’établissement que vient de créer M. Ch de la Guesnerie dans le canton de Thouarcé. M. Dainville nous a donné une série, soigneusement élaborée, de considérations et de calculs sur la Cons- truction des voûtes en briques. La valeur, à la fois spé- culative et pratique, de cette œuvre considérée au dou- ble point de vue de l’observation et de la théorie, va être aujourd’hui même établie, dans un rapport de M. Godard-Faultrier, par des détails que ne comporte pas un résumé. Nous tiendrons três-volontiers à la disposition de nos industriels trois brochures qui nous ont été adressées par un de nos membres correspondants, M. Rondot, de Lyon, et dont M. Janin nous a présenté l’analyse, LAON après nous avoir déjà fait connaître un travail du même correspondant sur la création, à Lyon, d'un musée d'art el d'industrie. Les trois nouvelles brochures de M. Ron- dot peuvent être fort utiles comme source de rensei- gnements sur le vert de Chine, destiné à jouer main- tenant, plus que jamais, un rôle très-important dans les arts industriels, spécialement dans la teinturerie. Nous sommes redevables à M. Courtiller jeune de trois précieuses communications d'histoire naturelle : une sur la Position des fossiles dans les derniers étages du terrain crétacé des environs de Saumur ; une autre sur Trois nouvelles espèces d'ammonites du terrain cré- lacé des environs de Saumur (étage turonien), et sur les ammoniles Garolinus et Fleuriausianus à, l'état aüulte ; puis une troisième sur les Mœurs des insectes, en géné- ral, et sur celles du calicurgus, en particulier. Dans ces trois notices, on retrouve, comme dans tout ce qui sort de la même plume, la rigueur de l’obser- vation scientifique, parée de l'animation d’un style qui touche à la poésie. Aussi, des productions de M. Cour- tiller à celles de nos poëtes il n’y a qu’un pas. Nous allons le franchir, si vous voulez bien, Messieurs, pen- dant quelques instants encore, m’accompagner sur ce terrain, qui n’a pas été plus stérile pour nous cette an- née que les précédentes. M. V. Pavie a, sous le simple titre Paysage, uni la fraîcheur de l’idylle antique à la grave mélancolie de lélégie chrétienne. Le Mois de Marie lui a fait trouver, dans le riant aspect de la campagne angevine au printemps, dans les pieux souvenirs d’une amitié plus forte que la mort et 4e dans les épanchements de la tendresse paternelle aû foyer domestique, l'accent doublement ému d’une poé- sie que M. Villemain a si bien caractérisée par deux‘ de ces mots qui n’appartiennent qu’à Ini, en l’appe- lant une poésie indigène et personnelle. Le Château des Ponts-de-CGé, tel est le sujet qu’a choisi M. Belleuvre. C’est le pendant de son Château d'Angers, - mentionné honorablement, en 1857, dans le remarqua- ble concours dont Angers n’a pas perdu le souvenir. Il y à un an, notre collègue avait chanté l'Italie. Aujour- d’hui, il revient avec amour à la France et surtout à ce point privilégié de la France où la Loire, prés d’attein- dre le terme de son cours, semble sé plaire à en déployer la splendeur. En lisant les vers de M. Belleuvre on sent que, véritable enfant de l’Anjou, s’il peut porter ail- leurs l'admiration de son esprit, c’est ici qu’il éprouve les plus douces émotions de son cœur. Car, nous tous Angevins, si disposés que nous soyons, avec quiconque a le sentiment du beau, à entourer de nos hommages læ poétique Italie, ramenés par le cœur vers le sol na- tal, comme le vieux chantre de Liré, nous aimons mieux encore Notre Loire Gaulois que le Tibre Latin (1). M. Belleuvre ne se contente pas de consacrer ses trop courts loisirs au culte des Muses (pardonnez à mes vieilles habitudes cette expression, si dédaignée main- (1) Tout le monde connaît et cependant, à Angers, notre patrio- tisme local, comme l’appelle M. Villemain, ne peut résister au plaisir — 151— tenant et qui au fond vaut bien, pour le moins, toutes celles qu’on y substitue); notre collègue cherche aussi à encourager ce noble goût chez les autres. Il nous a fait connaître les essais littéraires de M. C. Chudeau, de Saint-Rémy-la-Varenne, ce jeune homme si digne d'intérêt, qui, n'ayant reçu d’autre instruction que celle de l’enseignement primaire, est parvenu, seul , à se rendre capable d’adoucir, par de petites compositions poétiques, les ennuis auxquels le condamne une grave et incurable infirmité. Nous les avons lus, ces modes- tes essais, enfants de la douleur et consolation de leur père; nous les avons lus, je ne dis pas seulement avec sympathie, mais avec une sorte de respect. Car on de reproduire, chaque fois que l’occasion s’en présente, ce déhcieux sonne : Heureux qui, comme Ulysse, a faict un beau voyage, Ou comme cestuy-là qui conquit la toison, Et puis est retourné, plein d'usage et raison, Vivre entre ses parents le reste de son age. Quand revoiray-je, hélas! de mon petit village Fumer la cheminée, et en quelle saison | Revoiray-je le clos de ma pauvre maison, Qui m'est une province et beaucoup davantage ? Plus me plaist le séjour qu'ont basty mes ayeulx Que des palais romains le front audacieux : Plus que le marbre dur me plaist l’ardoise fine, Plus mon Loyre Gaulois que le Tybre latin, Plus mon petit Lyré que le mont Palatin, Et plus que l'air marin la Goulceur angevine. Joachim Du BELLAY. — A6 — doit plus que de la commisération à l’homme qui, ac- ceptant avec résignation les épreuves imposées par la Providence, met résolument à profit les ressources d'intelligence et de courage qu’elle lui a départies en compensation du malheur. Vous vous êtes empressés, Messieurs, d'entrer dans la pensée de M. Belleuvre, et vous avez conféré à M. Chudeau le titre de membre correspondant. De son côté, 1l n’a pas tardé à témoi- gner sa reconnaissance. Il nous à envoyé, sous le ti- tre La Fleur du thym, une petite pièce qui, comme ses aînées, en faisant désirer que le jeune auteur s’exerce par la réflexion à donner à .sa pensée un ca- ractère net et fortement arrêté, se recommande d’ail- leurs par un amour naïf et pur des beautés simples de la nature, par un vif sentiment du rhythme poétique et par une élégante facture de vers. M. Jules Hossard nous à lu deux pièces de sa com- position. La première avait pour titre : L’Amitié fra- ternelle. Il était facile de voir qu’elle avait été écrite sous la dictée du cœur. La seconde est un extrait d’une traduction en vers, déjà fort avancée, du Præ- dium rusticum de Vanière, que M. Hossard avait an- térieurement traduit en prose. Je lui demanderai, ainsi qu’à vous, Messieurs, la permission de hasarder quel- ques observations sur ce sujet. Si elles vous parais- saient trop inspirées par mes traditions de collége, je vous prierais de m’accorder un peu d’indulgence, fon- dée sur la difficulté de dépouiller entièrement le vieil homme. 4 De nos jours, on ne lit guère les poètes latins mo- dernes. Loin de là, 1l n’est pas rare de rencontrer des DE; de personnes, fort instruites d’ailleurs, qui connaissent à peine de nom: Vanière et son Prædium ; —Rapin et ses Jardins, bien supérieurs comme poésie latine à ceux de Delille comme poésie française; — le jésuite allemand Masenius et sa Sarcothée, ouvrage auquel on a fait l'honneur de supposer, non sans une certaine vraisem- blance, qu’il avait pu fournir à Milton l’idée première et quelques épisodes du Paradis perdu ;—Vida, doué d’un talent assez souple pour chanter habilement tour à tour la Rédemption du genre humain (1), l'Art poétique, les Echecs et les Vers à soie; — Sannazar qui, en s’atti- rant le reproche d’avoir avec peu de goût introduit dans un sujet chrétien (2) les souvenirs de l’antiquité payenne, prouva du moins quelles heureuses qualités de style on rapporte d’un intime commerce avec elle; — le car- dinal de Polignac, dont l’Anti-Lucrèce a mérité que Voltaire mît dans la bouche du disciple d’Epicure cet éloge de son adversaire : Tu m'as vaincu, je cède, et l’âme est immortelle, Aussi bien que ton nom, mes écrits et tes vers (3); — Coffin dont les chants sacrés soutiennent la compa- raison avec ceux de Santèuil; etc... — les Hymnes même, véritablement lyriques, de Santeuil sont bien moins conmues que l’épigramme dans laquelle Boileau dit qu’en voyant ce poëte joindre à la déclamation em- (4) Christiades. (2) De partu Virginis. (3; Volt. Temple du goût. - SOG. D’AG. 2 _ LLOe phatique de ses vers des gestes d’énergumène, il est tenté de le prendre pour le diable Que l’on force à louer les Saints, Beaucou» moins encore sait-on généralement qu’il existe, sous le titre de Poemata didascalisca, un volu- mineux recueil de petits tours de force littéraires, dont les auteurs ont abordé, avec une hardiesse mêlée de bizarrerie, et résolu, avec une patience plus ou moins couronnée de succès, le problème de traiter en vers latins les sujets les plus variés et parfois les plus re- belles. Ils ont en effet contraint de se soumettre aux caprices de leur imagination : ceux-ci la Tragédie, la Musique, la Peinture, la Sculpture, la Gravure, l’Ar- chitecture, l’Imprimerie, et même l'Agriculture, ma- tière devant laquelle il semble pourtant qu'après Vir- gile eussent dû reculer les plus audacieux; — ceux- là le Style épistolaire, Action oratoire, la Plaisan- terie, la Conversatio ion (sujet que Delille ne pouvait ou- blier de faire passer dans notre langue) ; — plusieurs les Oranges, le Café, le Thé et jusqu’à l'Eau de gou- dron (1); d’autres le Cerveau, le Monde Cartésien, l’Ai- (1) Agua picatu, carmen, auctore Joan. Lud. Courtois, S. J. — On sait que, dans un temps, l’eau de goudron a été emgrande faveur comme médicament. Voici le début du poème de Courtois. Il peut donner une idée de la mamière dont les auteurs de ces petits ouvrages imitent les poètes anciens : Balsameos latices, cœlestia pocula, nostrum Nuper ab usque novo devectum munus in orbem, LE AR mant, le Baromètre, le Feu, l’Arc-en-ciel, les Comètes, Aurore boréale; — d’autres encore la Poudre à canon, le Verre, la Montre, le Cabinet des médailles, les Amours des plantes (agréablement chantés en français par Cas- tel); — que dirai-je enfin? les Moutons, les Papillons, les Serins, les Poules, la Volière, l’Art de prendre les oiseaux, etc. Quand on lit ces ouvrages, si divers, et ceux que j'ai d’abord indiqués en rappelant le nom de leurs auteurs, on regrette que les uns et les autres soient pour un trop grand nombre de personnes, capables de les ap- précier, l’objet d’un injuste dédain. La lecture en est curieuse et piquante. Elle procure à l’esprit le même agrément qu’une galerie de peinture, quand on y cher- che, dans les œuvres d’artistes secondaires, mais for- més aux meilleures écoles, le reflet de la touche des grands maîtres. Il est donc tout naturel qu’un homme de goût se plaise à les étudier; mais je m'explique moins, je l’avoue, qu’on s'impose l'ingrat labeur de les traduire. En effet, si l’on fait abstraction de ceux qui, comme les Hymnes et l’Anti-Lucrèce, présentent un intérêt spécial au point de vue philosophique ou reli- gieux, le principal, pour ne pas dire l’unique, mérite des autres, consiste dans une ingénieuse reproduction de couleurs et de formes empruntées à l'antiquité. Si habile que Soit le traducteur, il y aura toujours pour Exequor, inventum felix mortalibus ægris, Invideat cui Bacchus . aquam dixere picatam. Undè illi nomen, medicandæ quis modus, et quas [la potestates habeat, quos præbeat usus, Summa sequens leviter rerum fastigia, dicam. ER Dee lui impossibilité de conserver le véritable charme de son modéle, je veux dire les traits saillants de ressem- blance, l'air de parenté, signe héréditaire auquel on reconnaît que la poésie latine moderne est fille de l’an- cienne poésie latine. Ces descendants lointains de la muse romaine, ceux mêmes qu’elle avoue le mieux pour sa postérité, se sentent toujours trop du mélange des races. Pour reprendre notre comparaison tirée de la peinture, ce ne sont guëêre après tout que des pastiches. Or, on peut faire cas d’un pastiche, quand il est réussi ; mais, si je ne me trompe, on ne le copie pas. Voilà une digression déjà bien étendue, Messieurs, et pourtant, si j’osais, je la prolongerais encore un peu. Je ferais remarquer qu’il faut que ces pauvres vers la- tins, dont on dit tant de mal par rancune d’écolier, soient néanmoins capables d’exercer sur l’esprit une séduction bien vive, puisque tant d'hommes de talent sesont faitun plaisir d’en composer. Sur ce point, je serais heureux de pouvoir invoquer l'autorité de l’éloquent orateur qui, cette année, pour la dernière fois malheureusement (1), portait la parole dans la solennité de la rentrée de notre Cour impériale. Amené par son sujet à citer comme modèles aux plus jeunes membres de l’ordre ju- diciaire les grands lettrés (c’est son expression) qui sont la gloire de l’ancienne magistrature française, et dont il est si digne lui-même de faire l'éloge, M. le premier avocat général de Leffemberg disait : « Ces mignons de (1) On sait que M. de Leffemberg vient, au grand regret de tout Angers, de quitter le parquet de cette ville pour entrer dans celui de Rouen. PRO) VU » Thémis, comme ils se nommaient entre eux, sacri- » fiaient aux muses. » Or, Messieurs, ce n’est pas seu- lement des muses françaises qu’il s'agissait, car lé minent magistrat ajoutait, en terminant, il est vrai, par un trait de spirituelle malice : « Imitez-les, jeunes » gens, faites comme eux... moins les vers latins. » Que nos jeunes magistrats s’abstiennent donc de faire des vers latins, assurément ce ne sera pas un grand mal; mais qu'ils en lisent, même des modernes, ne füt-ce que pour mieux sentir la valeur des anciens et pour se rendre par là plus aptes à marcher sur les traces de M. de Leffemberg. Car lui aussi, comme les mignons de Thémis, il a évidemment sucé le lait vivifiant de l'antiquité, à laquelle il fait honneur en s’honorant lui-même, quand il s’écrie dans un élan de filial enthousiasme : Antiquam exquirite matrem (1) ! Revenons à la muse française. Constatons avec plai- sir que, parmi nous, elle n’a pas peur de la robe du légiste, et que, dans l’occasion, de la même plume qui libelle au palais une pièce de procédure, elle fait cou- ler ici une élégante et gracieuse pièce de vers. Jamais M. Adrien Maillard ne le prouva mieux que (4) « Aimez surtout, cultivez les lettres , elles sont l’homme tout » entier; goûtez-en le charme dans l'étude des grands siècles, cher- » chez-en la source, en remontant jusqu’à l’antiquité. Veferem ex- » quirite matrem (Virg. Æn. 11. 96.). » M: de Leffemberg cite ainsi veterem, au lieu de antiquam, ce qui rend le vers faux. Cette légère inadvertance ne prouve que mieux combien l'honorable et docte ma- gistrat est familiarisé avec les écrivains de l'antiquité, puisqu'il les cite de mémoire, sans recourir aux textes. Se tromper comme il l’a fail ici, c’est encore donner une preuve de savoir : Felix culpa! Dre Que dans cette épitre où il s’est fait le digne interprète des sentiments de la cité entière envers l’artiste, au noble cœur, dont la main semble ne pouvoir quitter un pin- ceau, gloire d'Angers comme le ciseau de David, que pour répandre sur Angers les largesses d’une libéralité également empressée à nous conserver les anciennes productions du génie des arts et à stimuler ses nou- velles et brillantes mani‘estations. Aussi, Messieurs , permeltez-moi de le dire, si, comme président, je dois vous remercier des compensations que vous avez ménagées pour moi aux petits soucis inséparables d’une direction même facile, il n’est pas un de ces dédomma- gements dont j'aie été plus fier et qui m’ait été plus agréable que la mission d’aller, avec le poète lui-même, présenter, en votre nom, à M. Bodinier un hommage que : nous étions lous heureux de lui offrir. Arrêtons-nous un instant sur ce grand nom de David, que je viens de prononcer. En notre qualité de Société d'arts, nous pouvons, je crois, non par vanité, mais par conscience d’un acte de haute convenance accom- pli, nous faire honneur d’un vœu exprimé par nous, au mois de mai dernier, dans une lettre adressée à M. le Maire et au Conseil municipal. Nous demandions que le nom de David, enlevé avec raison à une des rues d'Angers, à laquelle on avait eu tort de le donner puis- que déjà elle en portait un autre, vint promptement, par une juste compensation, briller au front d’une des rues que, sur divers points, on ouvre dans cette ville. € Nous n’avons pas, Messieurs, disions-nous, la préten- » lion de vous suggérer une idée.qui assurément existe » dans vos esprits; mais notre Société se félicite de ce 98 » que la nature de ses études semble lui permettre de » se faire, auprès de vous, l'interprète d’un sentiment » général d’admiration et de reconnaissance pour un » homme qui fut si grand, comme artiste, et si généreux, » comme angevin. » Dans sa réponse (1), en nous in- formant que notre vœu avait été « pris en très sérieuse » considération par le Conseil municipal, » M. le Maire ajoutait : « J'ai le plaisir de vous annoncer que l’Ad- » ministration, qui partage les sentiments de reconnais- » sance des habitants pour l’éminent el généreux ar- » tiste qui à illustré sa ville natale, saisira la plus » prochaine occasion de donner le nom de David à » l’une des places ou rues nouvelles de la ville. » Es- pérons, Messieurs, que les intentions si formellement exprimées par l'Administration ne tarderont pas à être réalisées. Puisse également leur exécution entrainer celle d’une autre décision, prise il y a plusieurs années déjà et d’après laquelle une inscriplion commémorative doit être placée sur la façade de la maison où est né l’immortel sculpteur! Je ne puis, Messieurs, donner ici sur les travaux de notre Commission archéologique et de notre Comice horticole des détails dont la place est dans les publications spéciales de ces deux importantes sections de notre compagnie; mais je ne dois pas omettre de mentionner leurs succès. Si M. le ministre de l'instruction publique a, cette année, classé notre Société parmi celles qu’il à honorées de ses encouragements, c’est pour nous un plaisir, (1) 47 juillet 1860. STONES comme un acte de justice, de reconnaître que nous devons surtout cet avantage au jugement flatteur porté sur les études de notre Commission archéologique par le Comité impérial des travaux historiques et des So- ciélés savantes (1). De son côté, notre Comice horticole a mérité une médaille d'honneur au congrès de Berlin, en y présen- tant une magnifique collection de fruits de l’Anjou. Ajoutons que le cours d’arboriculture, professé sous nos auspices par M. Audusson aîné, continue de pro- duire d’excellents résultats. Le nombre moyen des au- diteurs est de deux cents. Ils appartiennent à toutes les conditions sociales. Tous suivent avec assiduité les leçons du professeur et les expériences sur lesquelles il appuie son enseignement. Trente d’entre eux envi- ron, sous sa direction, répêtent les expériences, en y joignant les explications qu’elles comportént. Un tel zèle mérite d’être soutenu. Le Comice horticole l’a compris. Tout à l’heure nous allons avoir à prononcer sur la proposition de délivrer, en séance générale de la Société, des médailles accordées par le Comice, avec des brevets de capacité ; aux élèves jardiniers qui ont le plus profité du cours. Cette proposition ne peut manquer, Messieurs, d’être bien accueillie par vous (2). Car, si notre Société .s’ho- (1) Dix-huit sociétés ont obtenu cette distinction. La Société impé- riale d'Agriculture, Sciences et Arts d'Angers est la huitième sur la liste (Revue des Sociétés savantes des départements. — 2e série, tome li, p. 689.) (2) Cette proposition a été en effet accueillie favorablement par la Société, Le GS Ene nore d'obtenir des récompenses, elle est plus heureuse encore d’en décerner ; nous pourrions dire avec le poëte latin : .… petimusque, damusque vicissim (1). Depuis plusieurs années, nous avons ouvert des con- cours et décerné des prix, d’abord grâce à la généreuse initiative de notre vénérable et bien regretté vice-pré- sident, M. Pavie père, puis ensuite sous les auspices et avec le secours du Conseil général du département. Dans ces premiers concours, nous avons voulu honorer tour à tour la poésie, les études littéraires et artisti- ques. L'agriculture ne devait pas être oubliée. Peut-être même pensera-t-on qu’il eût été convenable: de commen- cer par elle. Nous avons tâché du moins de faire qu’elle n'ait pas perdu pour attendre. En 1860, nous avons désigné la question du drainage, considéré surtout au ‘point de vue de ses applications faites ou possibles dans le département de Maine el Loire. Aujourd’hui même vous allez, Messieurs, entendre le rapport de la com- mission du concours. Il lui est agréable de venir, avec la certitude anticipée de votre assentiment, vous pro- poser de décerner le prix à l’auteur d’un excellent mé- moire sur le sujet indiqué (2): Nous avons dû déterminer pour 1861 le sujet du concours, à ouvrir dans des conditions nouvelles. Jus- (1) Hor. De arte poet. 11. (2) La Société a ratifié le jugement de la commission. Le lauréat est M. Louis Tavernier, rédacteur en chef du Journal de Maine et Loire. He, Ca qu’à présent, le Conseil général avait partagé entre quatre sociétés angevines les cinq cents francs annuel- lement votés par lui pour les prix. Il est arrivé qu’il n'y à pas toujours eu lieu à faire emploi des fonds alloués. Le Conseil a pensé qu’on serait plus sûr d’6h- tenir des résullats satisfaisants en affectant la somme entière de cinq cents francs à un seul prix, décerné alternativement par chacune des quatre sociétés. La nôtre a élé désignée pour faire la première expérience de ce nouveau système. Notre programme de concours, arrêté dans la séance mensuelle de décembre, a paru au commencement de janvier. Nous demandons une histoire des lettres et des littérateurs en Anjou pendant les xvire et xvine siècles (4). L'intérêt du sujet et l’im- portance agrandie du prix semblent promettre des con- currents nombreux. Nous nous plaisons à penser que d’une matière féconde, pour qui l’aura bien étudiée, quelqu'un d’eux fera sortir un ouvrage riche de faits habilement mis en lumière, ouvrage honorable pour son auteur, comme pour notre compagnie, et digne sous fous les rapports de la munificence du Conseil général : Exoriare aliquis… (9)! Je finis, Messieurs; mais pour compléter ce résumé de nos souvenirs de 1860, il me reste à remplir le triste devoir de rappeler que, dans le cours de cette année, notre Compagnie a vu mourir deux de ses membres, M. Thierry père et M. Le Gris. Un légitime hommage a été rendu par le président (1) Voir à la fin de cette brochure le programme du concours. (2) Virg. Æn. 1v. 625. 2 97 Le de notre Commission archéologique (1) au caractère et au talent de M. Thierry, ce modeste et habile en- fant de ses œuvres, qui avait, pour ainsi dire, deviné plutôt qu’appris la peinture sur verre et par qui notre ville a été enrichie d’un établissement consacré à la culture de ce bel art. Nous avons perdu en M. Le Gris un collègue dont nous regretterons surtout de ne pouvoir plus invoquer le concours, quand nous aurons besoin des conseils de l'expérience acquise dans l'application, si louable, d’une grande fortune à l’étude pratique des questions agri- coles. Quelques autres collègues nous ont quittés parce qu’ils ont cessé d’habiter Angers. Leurs noms du moins n’ont fait que passer de la liste de nos membres titu- laires sur celle des honoraires ou des correspondants. Ces membres, presque présents encore, bien qu’éloi- gnés , nous restent unis par les liens d’une mutuelle sympathie, et nous pouvons espérer qu’ils continueront d’être avec nous en communauté de travaux. À plus forte raison, devons-nous attendre le même concours dévoué des membres nouveaux qui sont venus combler les vides faits dans nos rangs par le change- ment de résidence ou par la mort, Tous ensemble, Messieurs, nous redoublerons de zèle pour acquitter, de notre mieux, le tribut de col- laboration que j'appellerais volontiers dette d'honneur, contractée envers une société d'étude, par quicon- que a désiré et obtenu l’agrément d’être admis dans son sein. (1) M. Godard-Faultrier. REFLEXIONS SUR LE DRAINAGE et SUR SON APPLICATION dans le département de Maine et Loire. PAR M. LOUIS TAVERNIER. À fructu frumenti, vini et olei sui multiplicati sunt. Psaume 4, INTRODUCTION. Ce mémoire ne peut prétendre à l'importance d’un traité sur le drainage. En produisant quelques notions générales et en exposant les divers modes usités, nous n'avons d'autre butque celui d'expliquer l'utilité de l’o- pération, d’en faire comprendre les dfficultés et les avan- tages, afin que nos avis soient profitables. Nous vou- lons surtout prémunir les propriétaires contre un en- thousiasme exagéré comme contre une indifférence coupable. Le drainage n’est pas un travail qu’on puisse entre- — 99 — prendre à la légère ni qu’on doive confier au premier ouvrier venu. Une étude sérieuse du terrain doit pré- céder toute autre opération. Ce n’est qu'après s'être bien rendu compte de la nature du sol et du sous-sol, des pentes, des causes de l'humidité, des moyens d’é- gouttement, etc., qu’il est possible de fixer le meilleur mode à employer, et, par suite, de déterminer le prix de l’œuvre. Parmi les drainages exécutés dans le département de Maine et Loire depuis environ six ans, quelques- uns ont servi d'école. Ce sont surtout ceux qui ont été opérés par des ouvriers qui séduisaient les propriétai- : res par un bon marché apparent. D'ailleurs on a dû tâtonner. Tous les débuts sont dans le même cas. Les ingénieurs les plus habiles ont été trompés dans leurs prévisions. Ces erreurs ont découragé quelques pro- priétaires. Il nous sera facile de démontrer que c’est à tort. On a voulu aller trop vite et on a subi la peine de sa précipitation. Nous avons donc le désir d'éclairer les propriétaires, de les guider en leur offrant les moyens de juger par eux-mêmes des avantages que le drainage doit leur procurer, et de les mettre en garde contre des erreurs dont d’autres ont été les victimes. Nous serons aussi bref que possible, et nous renvoyons dès à présent ceux qui tiendraient à réunir des connaissances plus com- plètes, aux traités spéciaux, tels que ceux de MM. Bar- ral et Mangon. Re" Le drainage a pour but d'enlever à la terre son ex- cès d'humidité. Ce mot dérive du verbe anglais {o drain qui signifie sécher; 1l a donné naissance au mot DRAIN, qui s'applique à la fois aux rigoles de dessé- chement et aux tuyaux de terre cuite qui sont employés pour l’écoulement de l’eau. L’excès d'humidité du sol provient de diverses cau- ses qu’il faut bien se garder de confondre. Tantôt le: sous-sol est composé d'argile compacte qui retient l’eau d'autant plus qu’il y a moins de pente ou même que le terrain forme une espèce de cuvette. Alors les “eaux de pluie s’amassent dans la terre végétale, y sé- journent, décomposent les racines des plantes qui y végêtent et favorisent la croissance de plantes inutiles ou nuisibles, telles que les jones, les prêles, les lêches, etc. Tantôt ce sont des sources souterraines qui, en jaillissant, produisent les mêmes effets. Quelquefois les eaux viennent des terrains supérieurs et séjournent par défaut de pente. Dans tous ces cas, des terres, excellentes par elles- mêmes, deviennent marécageuses et improductives. Il -suffit de faire écouler les eaux superflues pour y rame- ner la fécondité. Souvent aussi les terres, lavées par un long séjour d’eau, ont perdu la plupart des sels nécessaires à la vie des plantes. Alors l’opération de desséchement doit être suivie d’une culture améliorante, sous peine de voir l'infertilité persister encore pendant de longues années. c RUE 7 | tes Dans les divers cas que nous venons de citer, le drainage n’est pas toujours indispensable pour l’assai- nissement des terres. De simples fossés, des rigoles, des raizes , suivant l’expression locale, sont suffisants pour donner l’écoulement de l’eau et pour préserver le sol. Le propriétaire d’un bien rural devra toujours exa- miner scrupuleusement les circonstances, et au besoin se faire assister d’un homme expert, avant d’entre- prendre des travaux coûteux dont le résultat ne serait pas proportionné à ses dépenses. Mais s’il est une fois convaincu de l'utilité du drainage, il ne devra pas hésiter; ses frais seront toujours largement compensés par les produits. C’est ici le lieu de parler des effets salutaires du drainage. 1 Outre l’écoulement de l’eau, le drainage offre des avantages qu'il importe de constater. Dès que l’eau su- rabondante s’écoule, elle est remplacée par l'air. Aussi remarque-t-on que les terres drainées ont moins de consistance, de ténacité, et qu’elles sont, comme on dit, plus faciles à travailler. Partant, moins de fatigue pour les hommes et pour les animaux, diminution des attelages et répartition plus égale du travail, puisqu il est possible de s’y livrer dans tous les temps. Un fait très-remarquable qui résulte du drainage est l'élévation de température du sol, qui provient de ce que le sol étant moins humide, l’évaporation y est moins considérable, et qu’il absorbe plus aisément les rayons du soleil. Par la même raison, les plantes y supportent plus facilement le froid ; la sécheresse aussi out a moins d'effet sur elles, parce qu’elles ont des racines qui s'étendent plus loin et plus profondément dans la terre. Cette dernière considération est très-importante. Dés que la couche d’eau stagnante s’est abaissée dans le sol, les racines prennent plus de développement, et il est permis de cultiver des plantes à longues racines comme les betteraves, les carottes, la luzerne, etc. L’échange entre l’air extérieur et l’air chaud contenu dans les drains contribue aussi à mêler à la terre les gaz el à décomposer l’humus et les sels minéraux. Enfin à un autre point de vue, le drainage fait dis- paraître les eaux stagnantes qui s’élèvent jusqu’à la sur- face du sol et altèrent la pureté de l'atmosphère. Sous ce rapport, il a une part importante dans la salubrité d’une contrée. Les avantages que nous venons de décrire sont de nature à séduire; aussi, dans le principe, le drainage a été pour quelques propriétaires l’objet d’un enthou- siasme un peu irréfléchi, surtout en présence des ré- sultats obtenus dans certaines propriétés. Des décep- tions ont été la conséquence de l’irréflexion, et sou- vent le découragement a suivi les premiers transports. . Nous allons essayer de montrer à quoi ont tenu les insuccés, et nous désirons que ce soit une leçon pour l'avenir. I. Et d’abord en quoi consiste l’opération du drainage ? On a souvent assimilé le drainage à l’égouttement d’un pot à fleurs, au moyen d’un trou inférieur. En Let effel, si ce trou est bouché, l’eau de la pluie ou de l’ar- rosement reste dans le pot, se mêle à la terre et fait pourrir les racines de la plante qui dépérit et meurt. C’est identiquement ce qui arrive dans un sol qui repose sur une couche imperméable, dont la pente est insuffisante. Pour dessécher ce sol, on creuse des tranchées étroi- tes à l’aide d'instruments spéciaux. Au fond de cette tranchée on pose bout à bout des tuyaux en terre cuite, on les recouvre de gazons retournés ou de pierrailles, et on achève de remplir la tranchée avec la terre vé- gétale qu’on en a retirée. | De cette façon la surface du sol est-uniforme , est propre à tous les travaux, et cependant l’eau, filtrant peu à peu à travers les terres, va gagner les tuyaux ou drains dans lesquels elle pénètre par les joints, et s’écoule. Voilà, dans toute sa simplicité, le drainage tel qu’il est pratiqué généralement. Mais, avant de l’entreprendre, le terrain a dû être étudié avec soin. Il a fallu arrêter la profondeur des tranchées, leur direction, la pente des tuyaux, l’espace entre les lignes; il a fallu surtout savoir si le drainage par tuyaux, opération toujours coûteuse, était indis- pensable. Tout drainage entrepris sans ces études préalables est presque assuré d’être vicieux et d’occasionner une dépense sans compensation. | Si le terrain n’est inondé que par le flux d'eaux su- périeures, des fossés bien dirigés suffiront pour arrêter el écouler celles-ci et pour garantir le sol. SOC. D’AG. 3 ; ee Si l’on n’a besoin que d’un égouttement partiel, ou si le terrain est fortement incliné, on creuse encore des fossés de distance en distance, ce que l’on nomme drai- nage à ciel ouvert. Les pépinières des environs d’An- gers offrent des exemples de ce genre de drainage, qui est employé aussi par les cultivateurs dans leurs champs. Mais ce mode de drainage a des inconvénients qui ne nous permettent de le conseiller que lorsqu'il est impossible d’agir autrement. D’abord les eaux de fil- tration s’y écoulent mal et répandent de l'humidité dans l'atmosphère. S'ils sont assez profonds pour recevoir les eaux inférieures du sol, les fossés exigent de grands frais d’entretien ; ils gênent les labours et les charrois, ils causent des accidents aux gens et aux bêtes, et ils font perdre une notable surface de la terre enlevée à l'exploitation. Cependant on ne doit pas les proscrire absolument, et ils sont utiles dans certaines circonstances, comme dans les pépinières que nous avons citées, où ils ser- vent de garantie, et où d’ailleurs les animaux ne pé- nètrent pas. Un mode de drainage, qui paraît être trés-ancien, el qui est très-recommandable dans les terres basses garnies de luisettes, d’aulnes, de peupliers, etc., ainsi que dans les sols où les terres se chargent de sels fer- rugineux, est celui dans lequel les tuyaux sont rem- placés par des fascines de bois, des broussailles, des branchages. Dans une enquête agricole qui eut lieu en Anjou en 1787, on a constaté que M. Gérard de la Calvinière er nee avait obtenu de bons résultats dans des prés situés dans la paroisse de Mouliherne, qu’il avait drainés avec des fagots. Les branchages sont étendus au fond des tranchées, et recouverts de pierrailles, de gazons et de terre. Destiné principalement aux prés, ce mode de drai- nage a l'avantage d’exiger moins de profondeur, et, s’il ne dure pas aussi longtemps que le drainage avec tuyaux, il est du moins beaucoup moins coûteux, sur- tout si l’on trouve le bois sur place. Il devient pres- qu'indispensable dans le cas d’eaux ferrugineuses dont les dépôts obstruent les tuyaux. M. Lebannier, auquel le département doit l’extension des premiers drainages, a regretté d’avoir employé des tuyaux dans les pro- priétés de M. D..., en Vendée, où les sels de fer très- abondants ont causé rapidement des obstructions dommageables. Dans une autre circonstance encore, il est avanta- geux de recourir au drainage par fascines; c’est lort- que les propriétaires tiennent à conserver des haies ou des plantations à portée des tranchées. Dans ce cas, les tuyaux sont encore promptement obstrués par les racines. M. Lebannier a évalué à 15 mètres la distance que les racines de boiSblanc peuvent parcourir. Des obstructions de ce genre ont été constatées notamment chez M. le comte de Bourmont, à Freigné, par des ra- cines plantées sur un canal dans lequel les drains col- lecteurs versaient leurs eaux. Lorsqu'on a facilement à sa portée des cailloux, des galets de rivière ou des pierres cassées, on peut les disposer au fond des tranchées à la place des fascines. Mere) Dans ce drainage on couvre les cailloux avec de la paille, des feuilles, des fougères, sur lesquelles on dispose la terre retirée du fossé. Ce genre d’opération, lorsqu'il est bien fait, est d’une durée incalculable. On a trouvé ce drainage qui remonte à l'occupation des Gaules par les Romains, et qui fonctionne encore. Pour compléter les deux modes de drainage que nous venons de signaler, il importe de rendre solide l’ex- trémité libre par laquelle l’eau s’écoule au dehors par de petites constructions en pierre. Nous ne mentionnons que pour mémoire d’autres modes de drainage dans lesquels les tuyaux sont rem- placés par des conduits en briques, par des tuiles demi- rondes, placées sur des carreaux plats, ou par des car- reaux disposés en toit également sur un fond plat de carreaux. Ces modes, qui sont chers, ne sont em- ployés qu’à défaut de tuyaux, et, Dieu merci! le dé- parlement possède sur divers points de sa surface assez de fabriques pour que l’acquisition de tuyaux ne soit pas une trop lourde charge. Nous ne parlerons non plus qu’en passant du drai- nage vertical. Il consiste à pratiquer au fond des tran- chées horizontales des sondages dans lesquels on en- fonce verticalement des tuyaux. Il a pour but de faire remonter dans les drains et écouler au dehors des couches d’eau profondes qui mouillent les terres en s’élevant. On a rarement besoin, dans nos contrées, d'employer ce mode. Quant aux puits perdus, la géo- logie du département montre qu’ils sont peu applica- bles, à moins de frais qui dépasseraient toutes les pré- visions. É — 81 — Après avoir indiqué sommairement les modes de drainage les plus susceptibles d’être pratiqués dans le département, nous croyons utile d’ajouter quelques explications sur le drainage par tuyaux. Ces détails sont de nature d’ailleurs à servir également dans l’ap- plication des autres modes. Nous ne décrirons pas les instruments de drainage ni la manière d’ouvrir les tranchées. L'exemple d’un ouvrier habile sera beaucoup préférable à une des- cription qui serait toujours incomplète. Le seul principe à observer consiste à déplacer le moins de terre possible, et par conséquent à creuser les tran- chées très-étroites. Nous ne nous appesantirons pas non plus sur la di- rection à donner aux lignes de drains; elle dépend de la configuration du sol. Un ingénieur ou un draineur devra toujours être appelé pour tracer le plan général du drainage ; si le propriétaire instruit voulait opérer par lui-même, il trouverait dans les ouvrages spéciaux les principes qu’il serait beaucoup trop long de déve- lopper ici. La pente à donner aux drains est importante. Les théoriciens admettent qu’une pente de 5 millimètres par mètre, avec des tuyaux de 25 millimètres de dia- mètre intérieur, est un minimum suffisant pour de longs drains. Les praticiens, dans le département, es- timent que la pente d’un centimètre par mètre est fai- ble. Cela dépend d’ailleurs de la disposition du terrain, de la nature des eaux. Cependant, à moins de néces- sité absolue, il convient d'éviter les pentes trop fortes. Le point essentiel du drainage est dans la profon- | — 38 — deur des tranchées. Ici nous insistons tout particuliè- ment, afin qu’une économie mal entendue ne fasse pas adopter des cotes qui ne produiraient aucun effet. C’est précisément ce qui est arrivé à quelques propriétaires du département (1). Des ouvriers draineurs, se sé- parant de leur maître, ont offert de pratiquer des drai- nages à des prix inférieurs. Mais ils n’ont pu opérer qu’au détriment de la profondeur, et les propriétaires qui s'étaient laissé surprendre ont éprouvé de graves déceptions, en voyant le drainage fait sur leurs terres ne pas produire les mêmes effets que sur les terres où l’opération -avait été bien conduite. Ils ont accusé le système lorsqu'ils ne devaient s’en prendre qu’à leur économie mal comprise. Une des conséquences principales du drainage doit être de fournir aux racines pivotantes les moyens dé se développer dans un sol assaini. Or si l’on observe ce qui se passe, surtout dans les terrains un peu com- pactes, on comprendra la nécessité de la profondeur des tuyaux. En effet l’égouttement de l’eau stagnante ne se fait pas horizontalement, mais suivant une ligne plus ou moins courbe, en raison de la compacité du sol. L’inspection de la figure ci-dessous montre cet effet. S es 0 NOR) P PORN Ut TO-' à QT rO-- RSS T’ (1) On conçoit combien il est difficile et délicat de désigner des noms propres dans le cas dont il s’agit.-Nous devons donc nous bor- = ABgi Il est évident que si les tuyaux T ont peu de profon- deur, la couche de terre O P sera insuffisante pour certaines racines. Si l’on a besoin d’une épaisseur 0 R de terre assainie, il faudra descendre les tuyaux à la profondeur T’. En général, l'expérience de nos drai- neurs dans le département a démontré qu’il était utile de ne pas drainer à des profondeurs moindres de 1m 20 à 1m 50, autant que la constitution du sol le permet, Une autre règle prouve encore l'importance de la profondeur des drains. Il est reconnu que l’espace- ment des rigoles de drainage est en raison de cette profondeur. Ainsi on admet que des drains profonds de 1n à 1m 30 peuvent être cspacés de 12 à 15m; de 1m 80 à 2m, on peut espacer les drains de 20 à 25m. On cite même une ferme-école où des drains profonds de 1m 50 à 2m ont été écartés de 30 à 40m, et ce tra- vail n’a coûté que 102 fr. au lieu de 240. Nous ne sa- chons pas que de pareilles tentatives aient eu lieu dans notre département. En tous cas, si la main - d'œuvre est un peu considérable dans le creusement des tran- chées, on retrouve bientôt la différence de frais par l’écartement de ces tranchées, qui exige à la fois moins de travail et moins de tuyaux. Nous croyons utile de déposer ici une observation importante. Lorsque la couche superficielle d’humus ou de terre arable est peu profonde, et qu’elle repose sur un sol complétement imperméable, nous conseil- lons le drainage à ciel ouvert, car les tuyaux empri- sonnés dans l'argile ne recevraient pas l’eau qui ne - ner à citer les faits qui sont constants et qui suffisent pour servir d'exemple. Pie pourrait traverser la terre imperméable. Cette expé- rience a été faite dans une propriété située à 4 kilom. d'Angers. La couche arable n’a que 25 à 30 centim. d'épaisseur; le sous-sol est d'argile presque pure. Des tuyaux enfoncés d’un mêtre de profondeur n’ont pro- duit aucun résultat. La longueur des drains dépend de beaucoup de cir- constances, telles que le diamètre des tuyaux, la pente, l’espacement des tranchées, la configuration du sol, etc. Il vaut mieux éviter les grandes longueurs. Deux cents mètres sont un maximum qu'il est bon de ne pas dé- passer. On peut toujours diminuer les longueurs par des lignes transversales comme dans la figure ci-des-sous: C’est plus prudent, et on n’a pas besoin de tuyaux d’un diamètre aussi grand. Il y a donc économie. On voit d’après ce qui précède que le diamètre des tuyaux doit être proportionné à leur usage. Les tuyaux ordinaires ont un diamètre de 25 à 30 millimètres qui est suffisant. On conçoit que le diamètre des tuyaux se- condaires, qui reçoivent les eaux des drains primitifs, doit être plus grand; il est de 4 à 8 centimètres. Quant à la qualité des tuyaux, si l’on n’a pas pensé - à exiger une garantie du fabricant, on doit les essayer. ph pp Le moyen suivant a été indiqué : Placer un certain nombre de tuyaux dans l’eau et les y laisser séjourner quelque temps. S'ils sont bien cuits, si la terre em- ployée est exempte d'éléments calcaires, les drains restent en bon état et conservent leur dureté et leur sonorité; si, au contraire, les drains sont défectueux, ils se décomposent et s’écrasent en les touchant. A la suite de ces indications sommaires qui suffisent à un propriétaire qui désire se rendre compte du drai- nage, nous recommandons avec instance un sacrifice indispensable, celui des haies et des arbres plantés dans le voisinage des parties drainées. Ce sacrifice procure “à la culture une plus grande étendue de terre, et en même temps il empêche les obstructions que nous avons signalées plus haut, par les racines qui envahissent les drains. Une autre recommandation est importante. Le culti- vateur ne doit pas croire que le drainage suffit seul à l'amélioration de la terre. Qu'il ne néglige ni les la- bours, ni les engrais et bientôt, aidé par l’égouttement du sol, il obtiendra de merveilleux résultats. Ceux qui se sont confiés à la seule opération du drainage, ont éprouvé des déceptions bien naturelles. De même dans les prés, on remarque une diminu- tion de produits au premier abord. Elle s’explique fa- cilement par la disparition des plantes qui ont besoin d’eau pour végéter, plantes aqueuses qu’on écarte avec soin de toute bonne prairie. Ces plantes, il faut les remplacer par des semis, ou par une fumure qui con- tribue à former un nouvel herbage. C’est ce qui est arrivé à M. Parage-Farran. En s’a- ir percevant de la diminution de l’herbe dans ses prés, à la suite du drainage, cet habile agriculteur n’a pas hé- sité à les fumer, et il a triplé ainsi la quantité de ses fourrages naturels. III. L'un des premiers inconvénients du drainage, dans l’état actuel de l’agriculture, consiste dans les frais auxquels cette opération entraîne. La brève durée des baux interdit le drainage au fermier qui, généralement, ne possède pas assez de capitaux pour faire une avance dont il peut croire le produit incertain, et dont, dans tous les cas, il ne verrait pas une compensation dans une exploitation trop courte. D'ailleurs, à moins de conventions particulières, le propriétaire est ordinai- rement disposé à faire son profit des améliorations que son fermier apporte à ses terres. Le drainage doit donc être opéré par le propriétaire lui-même. Mais celui-ci n’a d’intérêt à le pratiquer que lorsqu'il exploite son bien directement, lorsqu'il a un colon partiaire, ou lorsque son fermier consent à lui payer l’intérêt de ses déboursés. Dans ces trois cas, l’avantage de l’opération est évident, et si les forma- lités administratives n’étaient pas si compliquées, nous engagerions les propriétaires à ne pas hésiter à invo- quer la loi du 17 juillet 1856, concernant les prêts de l'Etat pour drainage, si les avances leur faisaient défaut. C’est en raison des deux premiers cas, qui se pré- sentent fréquemment dans l’arrondissement de Segré, que cet arrondissement est si avancé sur le reste du département dans l’application du drainage. AN Pret Mais afin de rendre plus généraux les bienfaits du drainage, est-il possible de diminuer les-frais de l’o- pération ? Le prix moyen du drainage dans notre département a été jusqu'ici de 225 à 950 fr. par hectare. Ce prix paraît d'autant plus considérable, que les terres qu’on draine n’ont, avant l'opération, qu’une valeur relati- vement faible, Ce sont souvént des marécages qui ne _ produisent rien et qui, par conséquent, valent à peine le prix du drainage. Ce prix est fondé sur deux points distincts : la fa- bricalion des tuyaux, et la main-d'œuvre sur le ter- rain, dans laquelle il faut comprendre les honoraires de l'ingénieur ou du directeur des travaux. La fabrication des tuyaux, à laquelle on applique déjà des machines très perfectionnées, ne pourra guère livrer ses produits à beaucoup meilleur marché. Le prix des terres tend de jour en jour à s'élever ainsi que les salaires des ouvriers. Par conséquent, on de- vra s’estimer heureux que les tuyaux ne deviennent pas plus chers, à moins de découvertes qu’il n’est pas encore possible de prévoir. Quant à la main-d'œuvre sur le terrain, elle tend à s'élever plutôt qu’à baisser; le travail est pénible et malsain; les ouvriers spéciaux sont rares et l’œuvre des ouvriers ordinaires est en général plus longue et moins réussie. Les honoraires des draineurs sont assez réduits pour avoir découragé les premiers qui ont en- trepris ces travaux dans le département. Donc, de ce côté, on n’a pas non plus lieu d’espérer une diminu- tion de prix. De ire Quelques propriétaires intelligents, entr’autres M. le comte de Jousselin, ont fait opérer des drainages sous leur direction. Ils ont économisé ainsi les honcraires des directeurs; mais ce n’a été qu’au prix d’une sur- veillance et d’une attention qui ne sont pas à la portée de tout le monde. Une réduction sérieuse de prix ne peut être obtenue que par le choix approprié d’un mode de drainage. Nous avons cherché à montrer qu’en plusieurs circons- lances, il était avantageux de ne pas recourir aux tuyaux. Les propriétaires devront être juges de ces circonstances. (est principalement quand il s’agira de drainer des terrains de peu de valeur, que nous con- seillons d'étudier l'application des modes les plus éco- nomiques. Quoique le prix moyen que nous avons mentionné semble élevé, il ne l’est en réalité qu’en cas d’insuccès. En effet, si l’on considère les produits obtenus à la suite de drainages bien faits et améliorés par une bonne culture, on reconnaîlra que les avances sont en défi- nitive peu considérables eu égard aux résultats. Dans le département de Maine et Loire, on évalue en moyenne l’augmentation des produits due au drainage du quart aux deux tiers. Dans de certaines conditions favorables, des proprié- taires, parmi lesquels nous citons MM. Boutton-Levé- que, à Beaucouzé, et Parage-Farran, à Loiré, sont ren- trés dans leurs déboursés dès la première année. Mais ce sont des exceptions qui tiennent à la nature du sol et à des circonstances particulières. Dans une lettre de M. Parage-Farran que nous avons Mae LS sous les yeux, à côté de vives félicitations adressées à M. Lebannier, qui avait dirigé le drainage de 110 hec- tares, nous lisons que sur la métairie de la Ricaudais le drainage a donné cent pour cent d’accroissement de céréales, et que de plus la qualité du grain avait énor- mément gagné. Les mêmes résultats ont été obtenus sur la métairie de Launay. M. le comte de Jousselin, au lieu de 3,960 kilogr. de foin aigre qu’il récoltait avant le drainage de 1855, en ramassait 5,000 de première qualité dès 1856, après l'opération, et en 1859, malgré la sécheresse, il en ob- tenait encore 4,740 kilogr. En 1854, l’hectare de terre labourable produisait un revenu de 29 fr.; en 1859, il rapportait 88 fr., grâce au drainage et à l’améliora- tion de la culture. Ajoutons que, sur son domaine de la Bénaudière, M. de Jousselin a fait arracher plus de 6,000 mètres de haies; cette opération, en débarras- sant ses champs des racines et d’un voisinage destruc- tif, a ajouté deux hectares et demi à sa culture. Elle a coûté 1,834; mais elle a rapporté du bois pour une valeur de 2,873 fr. Il a eu ainsi bénéfice de terre et bénéfice d'argent, sans compter la sécurité donnée à ses drains. M. le comte de Bourmont, qui a fait pratiquer le drainage dans une grande partie de sa terre, à Frei- gné, a constaté un rapport de moitié en sus, sur quel- ques terres, et du double dans d’autres. M. Paul Chopin, qu’une mort prématurée a enlevé à l'agriculture, accusait les résultats suivants sur la terre de la Bourgonnière, dont il était le régisseur : un champ qui, avant le drainage, ne produisait que 18 PERD en hectolitres de froment à l’hectare, a donné, après l’as- sainissement, environ 34 hectolitres. Une prairie a élevé ses produits de 2,000 à 5,000 kilogr. de foin par hectare, et le foin, très médiocre avant, était de pre- mière qualité après. Nous pourrions citer encore un I nombre de propriétaires qui ont obtenu de semblables résultats, à la condition toujours de faire suivre le drainage d’une culture améliorante, Ce que nous avons mentionné suffit pour montrer que, même au prix élevé du drai- nage, l’opération est utile et productive, puisqu’en re- trouve habituellement plus que l'intérêt de l'argent déboursé. Si de ces considérations privées, on veut s'élever à des idées d’un ordre plus général, on accordera au drainage la puissance de contribuer au bien-être de tous, en augmentant les productions du sol et en en- courageant les progrès de l’agriculture. À ce point de : vue, on ne saurait trop le propager, au détriment même de quelques erreurs qui ne prévaudront jamais contre ses bienfaits. Nous nous sommes eflorcé de signaler les causes de ces erreurs que l'expérience fera d’ailleurs dispa- raître de jour en jour. Autant que possible, nous avons appuyé nos assertions d'exemples puisés dans le dé- partement de Maine et Loire. Nous désirons que ces réflexions soient de quelqu’utilité, et qu’en indiquant les précautions à prendre, elles restituent au drainage son véritable caractère. Le département de Maine et Loire compte environ 1,100 hectares drainés. La sécheresse des deux der- 1, DS ARE niéres années a ralenti les travaux, qui reprendront à mesure qu'on appréciera les avantages du drainage. Ils y seront d'autant plus faciles que les fabriques de tuyaux existent en nombre suffisant et que les trans- ports n’en augmenteront pas le prix. Ces fabriques sont situées à la Lieue, près d'Angers, à Vern, à Durtal, à Vernantes, près de Doué, et au Fuilet. : De plus, l'administration départementale, dont la sollicitude a toujours encouragé le drainage, tient à la disposition des propriétaires un draineur spécial, M. Lallour, ancien élève de Grignon, qui, sous la di- rection de M. l'Ingénieur en chef des ponts et chaus- sées, donne des conseils, trace des plans, guide les travaux, et contribuera ainsi à éviter les fautes qui ont nécessairement accompagné les. débuts du drainage dans notre département. NOTE SUR UN PROCES CRIMINEL JUGÉ A SAUMUR EN 1714, Par M. Courtiller, Le dernier numéro du bulletin publié parnotre Com- mission archéologique contenait cette note : « M. Clau- din, libraire à Paris, mentionne dans les archives du bibliophile l’ouvrage suivant : Arrêt notable de la Cour de Parlement qui décharge le mémoire de Phil. Thom. sieur de Beaupré, de l'accusation contre lui intentée à la requête du procureur du roi en la maréchaussée de Sau- mur, condamné par jugement prévôtal à être rompu vif, ce qui à élé exécuté. Paris 1722, prix 3 fr. (A). (1) La maréchaussée était un tribunal présidé par le prévôt des ma- réchaux, juge d’épée, conseiller du roi. Cette juridiction était établie dans presque toutes les provinces pour la répression de certains crimes déterminés par les lois de cette époque. Les conseillers de la sénéchaussée étaient les assesseurs du prévôt. Les fonctions du mi- nistère public étaient remplies par le procureur du roi, substitut du procureur général. Se pou L'idée d’un innocent condamné à un affreux sup- plice a quelque chose de si profondément douloureux qu'il n’est personne qui, en lisant ce peu de mots, n’ait regretté de ne pouvoir connaître quelle était cêtte malheureuse victime d’une erreur judiciaire, et les faits sur lesquels reposait l’accusation. Après un siècle et demi, on pouvait croire que tous ces détails étaient ensevelis dans un oubli complet. Le hasard m'a fait trouver, il y a peu de temps, dans les papiers de fa- mille d’un des magistrats qui avaient pris part à la condamnation , des documents sur cette affaire, dont l’analyse pourra, je pense, présenter quelqu’intérêl. Le 27 mars 1714, dans la nuit du mardi au mer- credi saint, un horrible assassinat fut commis auprès de Saumur, dans un moulin situé à Bournan. On con- naît celte localité. C’est sur le côteau de Bournan que s'élève le tombeau de l’historien de l’Anjou, de M. Bo- din, à peu de distance du grand dolmen de Bagneux. Les victimes étaient le nommé Pierre Pasquier, meu- nier, et sa femme, Ce crime ou plutôt ces crimes, car il y avait eu vol, assassinat et viol, constituaient ce qu’on appelait un cas prévôtal qui exigeait une promple et exemplaire répression. Le prévôt et le procureur du roi se transportèrent immédiatement dans le moulin de Pasquier, dressérent un procès-verbal et commencèrent une instruction dans laquelle de nombreux témoins furent entendus. Un décret de prise de corps fut lancé contre cinq. gardes des gabelles prévenus du crime, les nommés Beaupré, Geneté, Dugast, Boizard et Salmon. On put arrêler seulement Beaupré et Boizard. Beaupré avait SOC. D’AG. À 1950 = eu peu de temps auparavant de vives discussions avec le meunier et avait dressé un procès-verbal contre le- quel une poursuite en faux avait été commencée. Le 6 avril, la compétence de la juridiction prévôtale fut jugée par le présidial d'Angers, et le 18 août Beau- pré, déclaré dûment atteint et convaincu d’avoir assas- siné nuitamment, et de dessein prémédité, Pasquier et sa femme et de les avoir volés, fut condamné, pour réparation de ces crimes., à faire l’amende honorable et à être ensuite conduit par l’exécuteur sur la place publique pour y être rompu vif et mis sur une roue pour y finir ses jours, après avoir été préalablement appliqué à la question, ses biens confisqués et 300 li- vres d'amende. Un sursis fut prononcé pour les autres accusés. A la suite de l’arrêt de condamnation se trouve la disposition suivante dont l’usage était assez fréquent, et qui avait pour objet de diminuer l'horreur de ces supplices : Retentum au bas de la sentence portant que Beaupré sera étranglé après la première exécution. Le condamné, appliqué à la question ordinaire et ex- traordinaire, persista à soutenir qu’il était innocent de l'assassinat ; il avoua seulerñnent que quelque temps avant le crime il avait dressé un procès-verbal faux contre le meunier. Il se reconnut aussi coupable de quelques exactions; il subit enfin la peine prononcée contre lui. : Le 4 mars 1715, une condamnation semblable fut- prononcée par contumace contre Geneté et un plus ample informé fut ordonné contre les autres accusés. lei se place un fait curieux : pendant que les magis- ART QE trats délibéraient, et avant que la sentence ne fût pro- noncée, le bourreau s’occupait déjà à dresser les roues destinées aux exécutions par effigie. On envoya un exempt pour faire cesser ce scandale. L’exécuteur pré- levait alors un droit sur les marchés; ce droit était augmenté lorsqu'une exécution avait lieu, et c'était sans doute pour retenir des curieux au profit de cette perception que se faisaient ces horribles préparatifs. Tout semblait terminé, et d’après l'opinion publique qui s'était prononcée avec la plus grande énergie contre les gardes des gabelles, la justice n'avait frappé qu’un grand coupable; cependant ce procès allait entrer dans une nouvelle phase. Beaupré était le fils d’un simple soldat au régiment de Navarre dans lequel sa mère avait été vivandière. La femme Beaupré était la fille d’un pauvre cordon- nier de Saumur, d’un savelier, pour employer l’ex- pression qui se trouve dans la procédure. Cette rnal- heureuse, dans cette humble position sociale, entre- prit de faire réhabiliter ia mémoire de son mari et elle y réussit. Par qui fut-elle soutenue? quels protecteurs trouva-t-elle? c’est ce que nous essaierons de décou- vrir. Les lois de cette époque autorisaient la révision des procès criminels. La femme Beaupré sollicite cette révision. Elle ne se présente pas dans cette procédure comme la veuve d’un pauvre employé des gabelles, c’est la veuve de Philippe Thomas, écuyer, sieur de Beaupré, qui forme cette demande. Convaincue, dit-elle, de l'innocence de son mari, désespérée de l'horreur de son supplice, elle ne cherche de consolation que dans le sein de la justice. Rien au reste ne semble nd justifier ces nouvelles qualifications données à Beau- pré. Le 31 janvier 1717, arrêt du Conseil qui ordonne l'apport de toutes les pièces ; le 8 janvier 1718, arrêt qui ordonne le renvoi de la procédure aux requêtes de l'Hôtel; 9 mars 1719, arrêt rendu contre l'avis des maîlres des requêles qui ordonne la révision du procès et renvoie en la chambre de la Tournelle du Parle- ment; 2 août 1718, arrêt de la Tournelle qui décharge la mémoire de défunt Thomas de Beaupré de l’accu- sation contre lui intentée à la requête du substitut du procureur général en la maréchaussée de Saumur, per- met de faire imprimer, publier et afficher partout où besoin sera. Nous n'avons pas cet arrêt sous les yeux, mais les arrêts de cette époque n'étant pas motivés, on ne pour- rail connaître exactement quelle a été la cause de cette grave décision. Nous devons le dire; après avoir lu avec attention les pièces de ce procès, nous sommes forcé d’avouer que nous n'avons rien trouvé qui éta- blit l’innocence de Beaupré d’une manière incontes- table en présence des charges consignées dans l’infor- mation. Voici les faits les plus importants qui aient été invoqués : 1° Un certain Bois-Labeille, dans son testament où il s'était personnellement reconnu cou- pable de beaucoup ce crimes, aurait dit que lesnommés Mathurin et François Roger auraient avoué devant lui qu’ils avaient commis l’assassinat et le vol, qu’ils avaient violé la femme et que le gabeleux qui avait été rompu n’élait pas coupable. % Une femme, Marie Chante- reau, condamnée à mort, aurait aussi déclaré dans L 2 0 son testament avoir entendu dire à Pierre Moreau, son mari, condarnné comme elle à être pendu, qu’il avait assisté avec François Roger et deux limousins à l’as- sasinat du meunier. Ces déclarations, ces prétendus aveux faits au moment de la mort par des gens qui n’ont plus rien à perdre, ne sont pas de nature à ins- pirer une grande confiance, et la justice a eu plus d’une fois la preuve qu’ils avaient été le résultat de manœuvres ayant pour objet de protéger des coupables. D'un autre côté, une déposition grave venait à l’ap- pui de la sentence prononcée contre Beaupré. Geneté s’était réfugié dans l’île de la Guadeloupe, et le fils d’un honnête marchand de Saumur, entendu depuis l'exécution de Beaupré, avait déclaré qu’il avait dé- jeuné avec lui dans cette île, et que Geneté avait avoué avoir assisté au crime qu’il rejetait toutefois sur ses camarades. Il avait ajouté qu’ils avaient violé la femme avant de lui couper la gorge, pendant que lui, Geneté, faisait la garde au-dehors. Il est difficile de connaître aujourd’hui la vérité sur cette triste affaire. Les magistrats de Saumur, entraînés par l’horreur du crime, avaient-ils admis comme preuves des indices trop légers? avaient-ils oublié cette éter- nelle vérité rappelée souvent par les anciens crimina- listes, que les preuves nécessaires à une condamnation doivent être plus claires que le jour, luce meridianà clariores? enfin s’élaient-ils hâtés de terminer cette procédure sans se conformer rigoureusement à toutes les prescriptions de la loi? on peut admettre toutes ces suppositions. D’un autre côté, il est difficile aussi de ne pas soupçonner que de puissantes influences 1 - sont venues soutenir et faire triompher la demande de la femme Beaupré. On sait combien était odieux l'impôt des gabelles. Sous le règne de Louis XIV qui venait de finir, cet impôt avait donné lieu dans une province voisine, en Bretagne, aux plus graves dé- sordres réprimés avec une cruauté dont les lettres de Mme de Sévigné ont conservé le souvenir. Les employés à la perception de cet impôt étaient poursuivis par la haine générale et leur nom est resté jusqu’à nos jours comme une injure, un gabeleux, un gabeloux. Dans les années qui suivirent la mort de Louis XI V, à l’é- poque de la faveur du banquier Law, les financiers, les hommes d'argent étaient tout puissants; c'était parmi eux que se trouvaient les riches fermiers des impôts. Il ne serait pas étonnant qu’ils eussent em- ployé leur crédit pour faire triompher une demande dont lé but était de justifier leurs employés condamnés pour un affreux assassinat, et qui avaient déjà bien assez de l’impopularité-et de la haine attachées à leurs fonctions. Il est remarquable que les arrêts d’admis- sion à la révision paraissent avoir été rendus contre l'avis des maîtres des requêtes, et ceux du Parlement, les premiers au moins, contre les conclusions du procn- reur général. La malheureuse femme Beaupré aurait- elle pu seule lutter contre de si puissants adversaires ? Ce grand procès n’était pas encore terminé. Armée de son arrêt de réhabilitation, la femme Beaupré de- mande la cassation de toute la procédure dressée contre son mari par les magistrats de Saumur et forme contre eux une prise à partie. Voici ses conclusions : Elle demande que le corps de Beaupré soit exhumé pour être enterré dans la principale église de Saumur. A la sépulture assisteront les prévôt, assesseurs, juges gra- dués, substitut du procureur général et greffier de la maréchaussée de Saumur avec chacun une torche ar- dente à la main, il sera entretenu à perpétuité une lampe ardente au-devant de la chapelle la plus appa- rente de ladite église, célébré une messe par chacune sernaine et un service solennel pour le repos de l’âme dudit Beaupré tous les ans à pareil jour qu’il a été exécuté à mort. Il sera élevé une pyramide devant la- dite église sur laquelle seront inscrits l’arrêt de réha- bilitation et l'arrêt à intervenir. Enfin elle demande cent mille livres de dommages-intérêts pour elle et cinquante mille livres pour ses enfants. Les magistrats de Saumur durent avec raison s’é- mouvoir de ces poursuites, et de longs mémoires jus- tificatifs font connaître les motifs graves que, dans leur conscience, ils avaient eus pour prononcer la con: damnation de Beaupré. Ils répondent aux attaques de la demanderesseé qui les accuse d’avoir négligé les for- malités prescrites par la loi qui alors étaient la seule garantie des accusés, et les présente comme des ma- gistrats prévaricateurs guidés par la passion et la haine contre les employés des fermes. Cette dernière imputa- tion ne serait-elle pas la preuve au contraire de la fer- meté qu'auraient montrée ces magistrats contre les exactions des employés de la gabelle, et ne viendrait- elle pas à l’appui de l'opinion que nous avons émise sur les influences qui se seraient fait sentir dans ce procès. Cette grave affaire se termina par un arrêt du conseil du 9 septembre 1722 dont on pourra joindre — 567% un jour la copie à ces curieux documents. Cet arrêt donna gain de cause à la femme Beaupré, ce qui ré- sulte des quittances qui établissent que les magistrats qu’elle avait attaqués lui ont payé les sommes auxquelles ils ont été condamnés et qui paraissent s’élever à treize mille livres plus une somme considérable pour les dé- pens. Avec ces quittances se trouve une pièce qui n’est pas la moins curieuse du procès et qui suffirait seule pour faire penser que la veuve Beaupré avait trouvé de puissants protecteurs. C’est une lettre de l’intendant de la généralité de Tours au lieutenant de roi de Sau- mur. Elle est ainsi conçue : « Permettez-moi, Monsieur, » de vous prier de vouloir bien faire prêter main forte » à l'huissier porteur de cette lettre pour mettre un » arrêt rendu au conseil le 9 septembre 1722 contre » les officiers de maréchaussée de Saumur au profit » de la veuve de feu Beaupré, à exécution contre ces » officiers et notamment pour leur en faire la signifi- » cation supposé qu'il se trouve en avoir besoin, ce que » je ne crois pourtant pas, persuadé que je suis que » ces officiers ne feront aucune rébellion pour n’être » pas exposés à des ordres fâcheux qu’ils s’attireraient » par là du conseil; je profite .avec plaisir de cette oc- » Casion pour vous assurer de mon dévouement, etc. » La lecture des pièces de cette affaire donne lieu à de tristes réflexions. Les magistrats de Saumur, pour se défendre contre la veuve Beaupré, rappellent la con- damnation de deux malheureux condamnés et exécutés dont l'innocence avait été reconnue sans que leurs juges eussent été condamnés à des dommages-intérêts. La veuve Beaupré, de son côté, invoque trois condam- AL nations prononcées contre des juges dans des circons- tances analogues ; ainsi à Mantes, le procureur du roi, deux juges, un exempt et deux archers avaient été, dans la même affaire, condamnés à cinq ans de bannisse- ment, le greffier au bannissement perpétuel et tous solidairement à vingt mille livres de dommages-intérêts, fondations dans une église, etc. Une condamnation à des dommages-intérêts avait été prononcée pour des faits de même nature contre les officiers et le procureur général du parlement de Gre- noble. Les officiers de la monnaie de Paris avaient dû payer six mille livres de dommages-intérêts pour la condamna- “tion à mort du nommé Aubry, soldat aux gardes, qui avait avoué dans les tourments de la question un crime dont il n’était pas coupable. Tous ces arrêts sont des dernières années du règne de Louis XIV. Voilà quels étaient les résultats des formes de la justice prévôtale, d’une procédure secrète, de la torture, de jugements rendus sans débats publics et d’une législation qui refusait des défenseurs aux accu- sés. Il n’était pas rare de voir condamner à mort et exé- cuter un innocent, et l’on conçoit que ces déplorables erreurs Judiciaires et surtout celle qui a laissé un si long souvenir dans les traditions populaires, aient ins- piré ces admirables paroles à l’un de nos plus grands écrivains : « Tous les matins avant le jour, la Messe de la Pie (1) (1) Messe qui se disait tous les matins pour le repos de l’âme de la malheureuse servante de Palaiseau, condamnée comme coupable d’un vol fait par une pie. AR » que j'entends sonner à Saint-Eustache, me semble un » avertissement bien solennel aux juges et à tous les » hommes d’avoir une confiance moins téméraire en » leurs lumières, d’opprimer et mépriser moins la fai- » blesse, de croire un peu plus à l'innocence; d'y » prendre un peu plus d'intérêt, de ménager un peu » plus la vie et l'honneur de leurs semblables, et enfin » de craindre quelquefois que trop d’ardeur à punir » les crimes ne leur en fasse commettre à eux-mêmes » de bien affreux. » : À CONCOURS DE 1861. La Société a désigné pour le concours de 1861 je sujet suivant : « Tableau de l’état successif des Lettres en Anjou » pendant les xvne et xvie siècles, jusqu’en 1789 ex- » clusivement, et Etude sur les littérateurs angevins » pendant cette période. » Le prix, accordé par le Conseil général du départe- ment, sera une médaille d’or de 500 fr. Les concurrents devront avoir remis, le 1er décembre 1861, leur travail, non signé, mais accompagné d’une enveloppe cachetée et répétant la devise placée sur l’ou- vrage. Les mémoires seront adressés à M. E. Lachèse, se crétaire-général de la Société, rue des Lices, n° 38, à Angers. AT OE ‘# Fate BTE PAS DAGULTURE | SuNASEr As | _ (ANCIENNE ACADÉMIE D'ANGERS) À NOUVELLE PÉRIODE 4 { RASE ENS ke 4e, } FA L DEUXIÈME CAHIER. DAFRIÈME — ER FT LACHÈSE Mere, 83! di SOMMAIRE Quelques considérations sur l'imposition des noms et de leur im- fluence, par M. TEXTORIS. Antiquités celtiques. — Numismatique angevine, par M. GopAr»- FAULTRIER. Observations sur ïa culture et la préparation du lin, par M. Louis TAVERNIER, Rapport sur les bois découpés de MM. Raynaly, par M. F. LACHÈSE. Rapport sur un projet de Banque agricole, par M. COUTRET- Procès-verbaux des séances du 23 janvier 1861, du 27 février, du 25 mars, du 24 avril et du 22 mai. Extrait du procès-verbal de la séance du 24 juillet (Lettres relatives à la restauration de Saint-Maurice, adressées à S. Exc. M. le rninistre d'Etat, et à S. Exec. M. le ministre de l’instruction publique et des cultes, par M. GopArD-FAULTRIER et M. l'abbé BARBIER DE Mon- TAULT). : RE D EE QUELQUES CONSIDÉRATIONS SUR L'IMPOSITION DES NOMS ET SUR LEUR INFLUENCE Par M. M. TEXTORIS, L’imposition des noms a été pour les anciens un su- jet qui a souvent excité et préoccupé leur attention. Platon a fait un traité (le Cratyle) dans lequel il s’at- tache à découvrir si l'imposition des noms est le résul- tat d’un systême réfléchi qui a fait adapter les noms à la nature ou à la propriété des choses, ou bien si ce nest là qu’une œuvre de convention fondée unique- ment sur la volonté ou la fantaisie des hommes. Cicé- ron dans ses Tusculanes, Quintilien dans ses Institu- tions oratoires et Plutarque, à la vie de Coriolan el à celle de Marius, ont examiné la même question. Cette tendance des esprits témoigne du goût des philosophes de cetle époque pour les recherches étymologiques. Mais il faut remarquer que beaucoup d’obscurité devait SOG. D'AG. 6) TE AE planer sur les investigations de ces antiques penseurs, parce que, le fil des vraies traditions ayant été inter- rompu et altéré, le sens radical de la composition des mots échappait à la subtilité de leur argumentation et à la hardiesse de leurs hypothèses. Avant Platon et ses contemporains, il avait existé sans nul doute des hom- mes qui avaient approfondi les éléments du langage eten avaient institué les lois. Ces hommes avaient été précédés, eux-mêmes, par ces génies initiateurs des na- tions qui avaient dù être inspirés dans leur œuvre fon- datrice du souffle des premières traditions, mais la mé- moire de ces traditions sacrées s'était peu à peu effacée sous les multiples inventions de l'erreur mythologique. Toujours est-il que chez tous les peuples, à l’origine, les noms ont été significatifs. C'était là une émanation naturelle du premier enseignement de la puissante pa- role qui avait donné ou inspiré le nom de chaque chose. Dans la question dont nous voulons esquisser un des profils, il est nécessaire tout d’abord de remonter aux temps primitifs. Cependant le cadre limité de cet aperçu ne permet pas de revenir sur l’origine du langage; ce sujet a été suffisamment élucidé par les sérieux la- beurs de linguistique qui ont élé faits par des mains de maître et qui sont venus concorder avec les écrits mosaïques, que, pour notre compte, nous déclarons te- nir pour bien avérés dans toutes leurs parties. C’est dans notre pleine conviction qu’en interrogeant cette première période de l'humanité nous entendons la Genèse nous dire : « Le Seigneur Dieu ayant formé de » la terre tous les animaux terrestres el tous les oiseaux ges a: » du ciel, il les amena devant Adam afin qu’il vit com- » ment il les appellerait, et le nom qu’Adam donna à » chacun de ces animaux est son nom véritable. » Il est aisé de voir ici que, en obéissant à l’ordre et à l'inspiration de Dieu, Adam donna à ces animaux di- vers les noms convenables à leurs genres, à leurs es- pèces, à leurs instincts et à leurs différentes qualités. Le don de la parole et la nomination des objets ont été, en ce moment, des choses analogues. À cette première aurore de l'humanité nous obte- nons ainsi la certitude de deux faits très importants : la parole donnée à l’homme par son Créateur et simul- tanément le don infus d'intelligence, puisque d’après l'Écriture, cette distribution de noms faite par Adam fut une appropriation parfaite du nom de l’animal aux propriétés de son organisation particulière. Comment pouvait se faire soudainement une pareille opération de l’esprit, si ce n’est per l'effet immédiat de l’insuffla- tion divine et du don intuitif? Nommer alors, nous le répétons , c'était qualifier, bien que d’abord fe sens mystérieux de ces qualifications appartint à Dieu seul. Ainsi nous voyons Adam donner à sa femme le nom d'Eye — Eouah, vivante — parce qu’elle était mère de tous les vivants. Nous ne devons extraire du récit gé- nésiaque que ce qui se rapporte expressément à notre sujet, mais remarquons, dès cet instant, comme le nom tent essentiellement au caractère intime du per- sonnage qui le porte : Adam, homme de terre rouge ; Eve, vivante, celle qui était virtuellement ou qui devait être la mère des vivants. En posant ce jalon culminant comme point de dé- A part de la voie que nous allons suivre, nous devons ajouter que l’étude comparée des noms de la divinité, chez les divers peuples, a déjà pu conduire à en con- clure l'identité d’origine et de langage pour tous les hommes répandus sur la surface de la terre. En effet, selon l’opinion des plus savants linguistes , il y a eu une langue primitive de laquelle sont descendues toutes les autres. Cette unité originelle et cette filiation des langues prouvent la fraternité universelle et té- moignent de l’unité d’origine pour toutes les races hu- maines. Il a été reconnu que l’hébreu, l'arabe, le syriaque, le chaldéen sont différents dialectes d’une même langue, et on admet aussi comme très probable, que ces langues antiques sont les plus voisines de la langue primitive dont elles paraissent dériver directe- ment et immédiatement. Depuis la souche primitive, toutes les langues qui se sont formées successivement ont eu entre elles un point de contact ou un côté de ressemblance par leurs racines. Ce type originel a été constaté par les études comparatives qui en ont été faites. Actuellement, pour fortifier de plus en plus notre opinion sur l'importance et la valeur du nom, nous devons, en suivant le cours précieux de la parole sa- crée, rappeler ici que lorsque Dieu voulut choisir par- mi toutes les nations un peuple à son service particu- lier, il jeta les yeux sur le fils de Tharé, homme vertueux et vivant selon l'esprit du Seigneur (1). Il (1) Abraham descendait de Seth; entre Seth et Tharé, père d'Abraham, il y eut solution de tradition, mais l’idée du vrai Dieu subsis{ait, CN — dit à Abram, en lui signifiant cette alliance et en lui annonçant la gloire de sa destinée : « Tu ne t’appelleras » plus désormais Abram, mais Abraham, c’est-à-dire » père d’une multitude de nations. » Il devait être en effet la tige d’une nombreuse postérité et le père des croyants. — Dieu ajouta peu après : « J'ai changé ton » nom, je change aussi celui de ta femme, elle ne s’ap- » pellera plus Saraï, mais Sara, » c’est-à-dire prin- cesse ou souveraine. Ceci est clair et précis; mais, à ces commandements successifs, 1l est impossible de méconnaître le degré de valeur significative que le Créateur attache au nom des objets de la création et particulièrement à celui de l’homme. Comme la parole de l'Éternel est toujours jeune, tou- jours fraîche et ne passe point, malgré la succession des âges, remarquons tout de suite que ce fut par la même prescience de cette sagesse loujours ancienne et toujours nouvelle, que Jésus-Christ appelant Simon lui dit : « Dorénavant, Simon, tu t’appelleras Céphas ou » Pierre. » Et quelque temps après : « Tu es Pierre et » sur celte pierre je bâtirai mon Eglise et les portes » de l'enfer ne prévaudront pas contre elle. » Dans cette prophétie de sainte mémoire, la personne est toujours unie à la chose sigmifiée par son nom. À Simon renouvelé, transformé par la grâce divine et posé par le fondateur suprême comme la pierre angu- laire de l'Eglise, il fallait un nom nouveau qui en don- nât le témoignage au monde. Après cette consécration du souverain maître, œuvre et nom doivent aller de — Gf — conserve, à travers tous les orages, jusques à la fin des temps. En rappelant des faits si connus et d’une si grave autorité, nous avons cru que nous ne pouvions établir l'importance de l'imposition du nom et de sa valeur significative sur des fondements plus solides. Si nous voulons maintenant consulter les annales historiques, nous verrons que l'imposition des noms à toujours été considérée comme un acte essentiel chez toutes les nations. Toutefois, il est vrai que quelques siècles après ceux qui suivirent la confusion des langues et la dispersion des premières familles, il n’y eut plus entre le nom et le caractère individuel le même accord qui avait existé au premier âge de la parole. Cette al- tération est très concevable, mais il n’en demeure pas moins certain que dès les temps primitifs cette analo- gie était évidente. Malgré tout, la nation choisie de Dieu conserva principalement les vestiges de cette rela- tion entre le signe et la chose signifiée. Les noms hé- breux, en effet, eurent, en général, une affinité analo- gique soit avec les événements qui entouraient l’époque de la naissance, soit avec les qualités remarquables d’un des proches parents de la famille. Le nom de. l'enfant lui était donné le huitième jour de sa nais- sance qui était celui de sa circoncision. Les Hébreux n'avaient pas l’usage des surnoms, mais ils se distin- guaient habituellement en exprimant à la suite de leur nom de qui ils étaient fils. On disait Josué fils de Nun, David fils de Jessé, Zacharie fils de Barachie. En énu- mérant quelques noms hébreux avec leurs interpréta- + fée tions, nous trouverons Ruben, premier fils de Jacob et de Lia, interprété fils de vision, Abdias, serviteur de Dieu, Barac foudre, Salomon pacifique, Job gémissant, Samuel préposé de Dieu, Sephora belle, Esther étoile, Noémi éclat de la beauté, Suzanne lis éclatant, Ra- chel brebis; Rachel expirante avait appelé son enfant Benoni, fils de ma douleur — Jacob le nomma Benja- min, fils de la droite. En interrogeant ainsi successive- ment tous les noms hébreux, on trouverait qu’une même loi présidait à leur composition et que tous portaient un sens significatif. Si nous examinons ensuite chez les Grecs le même côté de leurs usages, nous les trouverons en analogie avec ceux des Hébreux; seulement le peuple grec, amoureux des accents suaves, témoigne dans ses appel- lations de tout son attrait pour l’euphonie; dans ces con- ditions endémiques, les noms grecs continuent à pré- senter une image significative. Les Hébreux, nous l’a- vons vu, ne portaient qu’un seul nom, les Grecs en eurent souvent deux; le second était ordinairement donné un certain temps après la naissance et servait à marquer les qualités, à honorer une verlu particulière ou à mettre la personne sous la protection spéciale d’une divinité. Quelquefois aussi le choix du nom de l'enfant exprimait les vœux ou les espérances des pa- rents. — Le nom de l’aïeul était souvent préféré lors- que cet ascendant s’était rendu illustre par son mérite personnel ou par ses belles actions. D'après Aristote l'imposition du nom avait lieu le septième jour de la naissance. Cette cérémonie était l’occasion d’une fête de famille à laquelle étaient conviés les parents et les amis. — 68 — L'enfant recevait aussi quelquefois le nom d’une divi- nité auquel on faisait une légère altération de désinence. Ainsi Apollonios venait d’Apollon, Démétrios de De- méter ou de Cérès. Plusieurs noms, par une autre com. binaison, étaient composés du nom de leurs dieux en ajoutant Doron qui signifie présent. Tels étaient Théo- dore, présent des dieux, Diodore, présent de Jupiter, Olympiodore, présent du dieu d’Olympie, Hérodore, présent de Junon, Athénodore présent de Minerve, Her- modore, présent de Mercure, Heliodore, présent du soleil. b Quelques familles prétendant descendre des dieux prenaient le nom de Théogène, né des dieux, Hermo- gène, né de Mercure, Diogène, né de Jupiter. Du mot Polémos qui désigne la guerre on fit Tlepo- lème, c’est-à-dire propre à soutenir les travaux de la guerre; c’est ainsi que par le jeu de l’association de quelques syllabes, les Grecs créaient des noms qui sig- nifiaient la chose même. Ils avaient en quelque sorte ressaisi instinctivement le vrai principe primitif de l’ap- pellation des objets. Platon avait donc raison de dire dans son Cratyle, qu’il y a un rapport certain entre le nom propre et le personnage qui le porte, et de suppo- ser qu'en général les noms ne peuvent avoir été donnés originairement au hasard et au gré d’un ca- price aveugle, mais qu’ils eurent en principe, une ana- logie réelle avec le caractère, les vices, les vertus, la profession etc., des individus qui les reçurent. C’est sous l’impulsion du même sentiment que l’on vit Aris- lote donner à Tyrtame, son disciple chéri, le nom de Théophraste, qui parle divinement bien. On sait que le ET Ne choix de ce nom a été justifié par l'auteur des carac- tères grecs qui a servi de modèle à notre Labruyére. En poursuivant, au même point de vue, notre exa- men sur les coutumes romaines, nous remerquerons que leurs noms furent d’abord très simples et étaient quelquefois tirés de détails ou de circonstances infimes ; ainsi les Pisons prenaient leur origine et leur nom d’un planteur de pois, piswm, les Lentulus d’un semeur de lentilles, et le fondateur de la noble famille des Fabius était un marchand de fèves, faba, ou avait in- troduit à Rome la culture de la fève. Cependant on dut employer peu à peu de nouveaux noms pour désigner tous les membres d’ure même famille; cette multiplicité de noms devint une nécessité de distinction; dans les classes patriciennes, notam- ment, on en arriva à porter trois noms. Ils consistaient à avoir le prénom, prœnomen, pour distinguer les dif- férentes branches d’une même famille; le nom, n0- men, qui était le type de la famille; le surnom, cogno- men, qui tirait son origine de quelque qualité ou de quelque défaut soit de l'esprit soit du corps, enfin quel- ques Romains portaient encore un quatrième nom, ag- nomen, qui était un deuxième surnom obtenu par quel- que fait extraordinaire par quelque action d'éclat. C’est ainsi que le nom d’Africain fut donné à Publius- Cornelius-Scipion, dont le surnom de Scipion, il est bon de le rappeler ici, lui avait été acquis par la piété filiale d’un de ses aïeux qui s'était dévoué à prêter chaque jour son bras en guise de bâton, scipio, à son vieux père devenu aveugle. On voit donc que l’agnomen et le cognomen étaient nécessairement significatifs, ce 2 sÿ} 2 qui n'empéchait pas au nom proprement dit d’avoir souvent aussi un sens indicatif ou mémoratif comme nous l’avons vu dans les Fabius, les Lentulus, etc. Le prénom indiquait habituellement l’ordre de nais- sance comme Quintus, Sextus, Decius ou Decimus. Il exprimait aussi quelquefois les vertus guerrières, tels étaient Marcus, Marcellus qui dérivent de Mars. Les noms de femmes chez les Grecs avaient comme chez les Ilébreux, une signification gracieuse unie au son harmonieux et doux à l’orcille; c’était une sorte d'hommage rendu à la beauté et à la délicatesse du sexe. Mais la sévère austérité des Romains se borna à donner à leurs filles des noms simples. L’aînée portait celui de la famille avec une désinence féminine, telle que Cornelia, Octavia, Anlonia; celles qui suivaient portaient le même nom en public, mais dans l’intérieur domestique, on leur donnait le nom de Secundilla, Ter- tia, Quartilla, Quintilla, etc. Ce diminutif était tout ce que les Romains avaient trouvé de plus moelleux pour adoucir la prononciation quelquefois assez rude du nom de famille. Cependant quelques auteurs, et parmi eux Festus et Valère Maxime, prétendent que plusieurs femmes romaines portaient des prénoms; si cela a été, il paraîtrait que ce ne fut que par exception. Chez les Grecs, comme chez les Romains, l’enfant était déposé, aussitôt après la naissance, aux pieds du père. Le laisser par terre était un désaveu et un arrêt de mort. L'action de le relever était une reconnais- sance formelle et attribuait alors au père tous les droits et tous les devoirs de la paternité. Dans les premiers temps c'était au moment de la men Ge naissance que les Romains donnaient à leurs enfants le nom de leur famille, afin qu’ils fussent vus et re- connus par tous ceux qui étaient de même race. Plus tard on imposait le nom aux enfants le jour de leur purification, c’est-à-dire le huitième après leur naissance pour les filles et le neuvième pour les garçons. Gette cérémonie, appelée Nominalia, se faisait en présence de toute la famille sous les auspices de la déesse Nondina qui prenait son nom de nonus, neuvième. Plutarque dit que si les filles étaient nommées le huitième jour et les garçons seulement le neuvième, c’est parce que l’on pensait que les unes arrivaient à la puberté plus tôt que les autres, el c'est ce que l’on voulait probablement indiquer par l'intervalle de cette céré- monie. Nous devons ici porter un regard d'intérêt sur cette partie de l'humanité que les peuples, prétendus libres par excellence, tenaient pourtant dans une rude servi- tude. Chez les Grecs ainsi que chez les Romains il était défendu de donner aux esclaves des noms d'hommes il- lustres, et l’on ne pouvait faire porter des noms d’es- claves aux cnfants de condition libre. Les esclaves n’eurent d’abord d’autre nom que le prénom de leur maître avec un léger changement comme par exemple, Lucipor, Marcipor pour Luci puer, Marci puer; es- clave de Lucius, de Marcus. — Dans la suite on leur donna des noms grecs ou latins, selon le bon plaisir du maître, ou bien un nom tiré de leur pays, quand c'était une nation vaincue, ou enfin un nom créé par quelque événement mémorable; mais ils ne pouvaient pen == avoir qu’un seul nom, et cette unilé seule était un signe d’esclavage. L’esclave affranchi augmentait son nom unique du nom et du prénom de son maître, mais jamais de son surnom. Ainsi, par exemple, le poète Andronicus, af- franchi de M. Livius Salinator, fut appelé M. Livius Andronicus. Les deux affranchis de Cicéron s’appelérent Marcus Tullius Tiro, Marcus Tullius Laurea. Le nom de l’esclave devenait ainsi le surnom de laffranchi. L’esclave du sexe féminin, à son affranchissement, prenait le nom de la personne qui lui accordait la li- berté. | Les étrangers honorés du droit de Cité prenaient le nom et le prénom du patron auquel ils étaient rede- vables de cette faveur. Théophanes qui le devait à Pompée prit le nom de CN. Pompeius Théophanes. Après avoir vu les Hébreux, les Grecs et les Romains nous montrer le caractère particulier de leurs usages dans le choix et l’imposition des noms, nous allons arrêter quelques instants nos regards sur le sol de la Gaule. Ce sont les limites que nous avons dû nous prescrire dans cet aperçu. Qu'il nous soit permis ce- pendant d’ajouter, que d’après les savantes recherches des explorateurs modernes et nommément de J. Schle- gel, on est parvenu à découvrir dans presque tous les noms propres des Hindoux des épithètes significatives. D'un autre côté, les relations de vovageurs dans l'Asie et les deux Amériques qui ont trait à l'imposition des noms, sont en concordance avec les coutumes des peuples de lantiquité. Ces mêmes renseignements #79 ee. s'accordent aussi avec les observations publiées sur les usages analogues de l’Afrique centrale (dans Île Soudan), par un célèbre voyageur contemporain, M. le comte d'Escayrac de Lauture, qui, chargé récemment d’une mission scientifique en Chine, a subi à Pékin les alroces tortures d’une barbare captivité. De nos jours quelques auteurs, parmi lesquels Noël et Eusèbe Salverte, ont écrit sur l’histoire du nom; nous les avons consullés, en ce qui pouvait confiner à notre point de vue, dans la proportion réduite du cadre de ce travail, et nous avons irouvé en ces auteurs mo- dernes, un semblable accord sur l'antiquité de l’im- portance et de la valeur significative des noms. Ces coïncidences remarquables nous ont amené à en con- clure l’universalité du grand fait de la signification du. nom. Si nous voulons sonder, en effet, les profondeurs du cœur humain, nous pourrons y découvrir que ces appellations ont dû naître ordinairement d’un événe- ment frappant, d’une certaine situation de l’âme, d’une impression particulière ou de quelque acte éclatant. Il est donc naturel de penser que des peuples, d’ailleurs séparés par de grandes distances, différents par les institutions, par l'esprit et par les mœurs, aient pu s’accorder néanmoins à imposer des noms à signi- fications identiques ou analogues. Il ne doit pas paraître étonnant qu'il y ait au fond du caractère de toutes les nations une certaine conformité d’impressions, de vues et de sentiments, puisque, en définitive, les diverses branches des sociétés qui se sont progressivement formées et étendues sur la surface du globe, émanent toutes d’une seule et même souche. Il paraît certain, nn, en outre, que la langue primitive et les langues qui en descendent immédiatement, toutes éminemment métaphoriques et imagées, nous ont légué dans leurs lettres , dans leurs monosyllabes, dans leurs mots et dans leurs noms une preuve démonstrative et testimo- niale de leurs rapports intimes et directs avec les ob- jets indiqués et avec toutes les choses de la création. En d’autres termes, ces langues avaient la vertu d’ex- primer par des noms physiques toutes les idées mo- rales. Si nous dirigeons maintenant notre attention vers les temps modernes, et principalement sur la France, nous trouvons d’abord quelques obscurités sur l’ori- gine des noms. Les luttes prolongées entre les Romains et les Gaulois, et un peu plus tard les irruptions des Goths, des Germains, des Sicambres et des Franks ont dû nécessairement mélanger les idiomes et amener une confusion qui devait être dans le caractère de ces peuplades nomades. Ce ne fut qu'après un certam temps, et à l'établissement à peu près assuré de la vie sédentaire, que l’on put renouer les principes élémen- taires de la formation des noms. Voici, d’après un his- torien moderne, l'interprétation de quelques noms gaulois qui paraissent être nés des motifs de guerre ou des circonstances qui les accompagnaient : Vercin- gélorix, le grand chef des cent têtes; Orgétorix, le chef des cent vallées; Boiorix, le chef terrible; Gal- gacus, le chef des forêts. Un peu plus tard les premiers chefs des peuplades qui envahirent la Gaule et y do- minérent, portérent aussi des noms significatifs, dont nous allons donner l’interprétalion d’après M. Augustin er ve Thierry : Mero-Wig, éminent guerrier; Hildérik, fort ou brave au combat ; Hlodowig (Clovis), célèbre guer- rier ; Théoderik, brave ou puissant parmi le peuple; HLodo-mir, chef célèbre; Hilde-bert, brillant dans le combat; HLot-her, célèbre et éminent; Theode-bert, brillant parmi le peuple; Hilpe-rik, puissant à se- courir. Cependant, au milieu de ce mouvement général des peuples qui tendait à s’équilibrer, l'événement le plus important pour les destinées humaines, la splendide lumière du christianisme s'était levée sur le monde. L'établissement de cette religion persécutée dés son origine, el toujours croissante, toujours victorieuse, malgré tous les schismes et toutes les hérésies qui ont déchiré son sein, venait redonner à l’homme ses titres primitifs en le retrempant à sa première source. Ge fait mémorable à tous les points de vue devait avoir une immense influence sur la direction des idées. En nous inclinant devant lui, dans tout son ensemble, nous y saisirons, autant que possible, les détails particuliers qui peuvent se rattacher au sujet de cetle étude. Le monde ancien s'était peu à peu écroulé et avait fait place à des races neuves, fortes et aptes à s’assi- miler les nouvelles doctrines. Il y eut donc d’abord trans‘ormation et ensuite évolution progressive dans le mouvement intellectuel de ces peuples incultes et barbares qui aspiraient instinctivement à la civilisation. La lumière tendait à se dégager de ce chaos. « La » barbarie, nous dit M. Guizot, c’est l'humanité forte » et aclive, mais abandonnée à l'impulsion de ses pen- » chants, à la mobilité de ses fantaisies, à la grossière a 0-2 » imperfection de ses connaissances, à l’incohérence » de ses idées, à l’infinie variété des situations et des » accidents de la vie. » C’est précisément cet état in- forme que le christianisme était appelé à régénérer, à discipliner, à moraliser el à perfectionner; ce fut là sa mission et c’est la glorieuse tâche qu’il a su accomplir. On connaît la lutte qui s’éleva dans les premiers siècles de l’ère chrétienne entre les antiques erreurs du paganisme et le christianisme naissant. Chacun sait au prix de quel sang généreux, on parvint à triompher de toute l’opiniâtre et cruelle persistance des païens qui, durant trois siècles, ont envoyé les martyrs au cirque. Mais enfin la paix fut rendue à l'Eglise, et, sous l’action vivifiante de son souffle régénérateur, une civilisation nouvelle surgit et prit son cours. Aprés avoir reconnu les motifs ou les circonstances qui concouraient au choix des noms chez les anciens peuples, 1l nous reste à examiner sous quelle nouvelle : influence ont été donnés les prénoms ou noms de baptème dans le sein du christianisme. Il paraît que l’imposition du nom de bapième suivit de près institution du culte des martyrs et des saints. La coutume s'établit parmi les premiers chrétiens de rappeler annuellement les combats et la constance des martyrs au même Jour où ils avaient souffert la mort. On célébrait le saint sacrifice de la messe à l'endroit même où étaient ensévelis ces glorieux trophées. C’est depuis aussi que l'Eglise, dans son langage sublime, s’élevant par les élans de la foi au-dessus de toutes les idées terrestres, a appelé le jour de la mort de ses Saints du nom de Dies natalis, jour de Nativité, parce ==. pme qu'elle à jugé qu'à l'issue de cette vie orageuse et pleine de périls, de luttes et de combats, les élus nais- saient à une vie véritable, immortelle et dotée de suaves et éternelles joies. Dans ces jours de pieuse commémoralion, après la célébration de la messe et l'instruction évangélique, on prit l'habitude de réciter les noms de ceux qui, ce jour là, étaient morts pour la défense de la foi. On racontait les périls qu’ils avaient traversés, les combats qu’ils avaient soutenus, et on terminait le panégyrique en rapportant le triomphe qu'ils avaient obtenu. Ces récits se nommaient Le- genda ou Lectures, d’où est venu le mot Légendes. Lorsque les persécutions cessérent, les familles chré- tiennes sentirent le besoin de se retracer souvent le nom des martyrs qui avaient succombé et de fortifier leur constance du souvenir des épreuves souffertes par ces généreux athlètes. L'Eglise se plut à les placer dans ses annales, pour les honorer et pour les proposer comme modèles à tous les chrétiens. Il était tout na- turel que les noms des enfants ou des adultes régéné- rés par le baptème fussent tirés de ces martyrologes; on comprend que chaque famille tint à honneur de compter parmi les noms de ses membres des noms que le martyre avait illustrés, en un mot, les noms de ces héros de la foi qui, selon la parole divine, ont dû recevoir eux-mêmes, en entrant dans les conditions nouvelles de leur existence immortelle, un nouveau nom qui est écrit ineffaçablement sur le livre de vie(1). (4) Vincenti dabo in calculo nomen novum scriptum quod nemo seit nisi qui accepit (Apocal. chap. 2, vers. 17). SOC D’AG. 6 Mie ce L'usage s'était élabli, pendant les nersécutions, de: donner au néophyte un parrain et une marraine; il avait paru nécessaire de ne recevoir au rang des fi- dèles les nouveaux prosélytes, qu'avec la garantie d’un ou de deux chrétiens bien connus qui consentissent à répondre de la croyance et des bonnes intentions du postulant. Quand la persécution eut cessé, la coutume dont elle avait fait une nécessité persista, alors le par- rain et la marraine prenaient l'engagement de sur- veiller linstruction future de l’enfant et de seconder le développement des principes de foi. L'union spiri- tuelle qui se formait ainsi entre les parrains et les fil- leuls donnait lieu aux parrains de faire à l’enfant ou à sa famille des dons proportionnés à leur fortune. Les noms de parrain et marraine dérivent de ceux de père et mère. Leurs fonctions et leurs devoirs sont naturellement de les suppléer. Dans l’ancien temps on avait la coutume, en France, d’avoir quatre parrains, ensuite on n’en donna plus que deux et une marraine pour un garçon, et seule- ment un parrain et une marraine pour une fille. Au- jourd’hui, d’après les règlements du concile de Trente, dans tous les cas on n’a plus qu’un parrain et une marraine. La légende, avons-nous dit, prit naissance sur le tombeau des martyrs. Peu à peu tous ces récits portés de bouche en bouche par la tradition durent revêtir un caractère de- plus en plus vénéré. Ge fut par ce motif qu'à l’époque du baptëme on continua à venir chercher auprès d’un de ces noms un chéri patronage, de là l’origine du nom de baptème, ainsi prévalut la Re r PE coutume d'adopter des noms de saints aux fonts bap- tismaux. Ces noms bénis par l'Eglise et choisis parmi ceux qu'elle présentait à la vénération des fidèles, de- vaient être préférés par la raison qu’ils plaçaient le néophyte sous la protection d’un patron céleste, sur l’intercession duquel on aimait à se confier. Cette as- sistance, d’après tous les témoignages les plus certains, a été souvent invoquée avec un succès merveilleux. Aussi le nom de baptème a été, généralement, placé au rang des souvenirs religieux que l’on révère et dont on se plaît à célébrer le retour annuel en reportant tou- jours à Dieu le culte que l’on rend au saint. Louis IX, roi de France, attachait un tel prix au sacrement du baptème, qu’il disait souvent avoir plus à cœur la dignité et l'honneur reçus par lui à Poissy, sur les fonts baptismaux, que tous les hommages de sa cour et tout l'éclat de son trône. Il aimait à aller à Poissy, en mémoire de son baplème, et il signait ordinaire- ment : Louis de Poissy, estimant le titre d'enfant de Dieu au-dessus du titre de roi de France. Le nom de baptème, aujourd’hui encore, fait sou- vent le plus doux charme des pensées d’une mére ou d’une épouse. N’amène-il pas aussi quelquefois les roses de la pudeur sur les joues de la jeune fille? ne fait-il pas, à certaines heures, battre d’un mouvement plus rapide et plus vif le cœur du jeune homme ? N’est-il pas, à des jours de fête désirés , l’occasion de douces et expansives réunions de famille ? Ne réveille- t-il pas, en un mot, dans toutes les âmes une foule de sensations diverses selon l’idée du moment et les cir- constances qui s’y joignent ? _2 1807 Il est difficile d’assigner une époque précise à l’ori- gine des noms de famille. D’après Mezeray, ce ne fut que vers la fin du règne de Philippe-Auguste (1224), que les familles commencérent à avoir des noms fixes et héréditaires. Quelquefois les noms de baptème sont devenus des noms de famille; d’autres fois les noms sont provenus les uns des défauts du corps, les autres des bonnes ou mauvaises qualités, ceux-là des mois, des jours de la semaine ; ceux-ci de l’âge, de la cou- leur, de la profession, de l'office, etc. : ainsi se sont formés les noms suivants : le Bêgue, le Bel, Ménager, le Doux, le Fort, Petit, le Brun, le Blanc, le Riche, le Jeune, Janvier, Février, etc. Un certain nombre est üré de l’agriculture, tels sont : Buisson, Hautefeuille, de Lorme, du Fresne, du Pin, Rosier, etc. Les possesseurs de fiefs ajoutèrent bientôt à leurs noms de baptème celui de leur terre, ce qui est devenu insensiblement le nom de famille. Quelquefois aussi, dans certaines familles nobiliaires, le prénom arrivait à remplir l’office du nom et le nom de la terre ou du fief celui du surnom. C’est dans cette vague obscurité et sans date précise que, chez les peuples modernes, le nom de famille paraît avoir pris son origine. . En terminant, nous allons jeter un coup d'œil sur l'influence des noms et sur les changements qui leur sont faits dans certaines circonstances. Il est généra- lement reconnu que l’affinité ou la relation accidentelle d’un nom avec un sentiment de plaisir ou de dégoût, avec une impression d'intérêt ou de répulsion, exerce sur les esprits une puissance incontestable. Cette sen- sation indéfinie qui surgit d’un nom tient à divers hs RE ee motifs el surtout à l'association des idées avec cer- laines consonnances ou certaines images qui ont une sorte d'influence magique sur l’imagination. Cet effet a été attesté par tous les siècles et éprouvé dans tous les pays. On sait de quel prodigieux reflet brillent en- core certains noms propres qui caractérisent la per- sonne à laquelle on les applique. Ainsi, après deux mille ans, on dit d’un capitaine habile et valeureux, c’est un Alexandre, c’est un César; d’un orateur élo- quent et disert, c’est un Démosthène, c’est un Cicéron. De pareilles locutions s’emploient, à aussi juste titre, pour des célébrités modernes. Nous pourrions désigner comme types caractérisques usuels, les Bayard, les Jean-Bart et des renommées analogues dans le clergé, la magistrature, dans l’agriculture, dans les sciences, les lettres et les arts; ces noms viennent sur toutes les lèvres, mais nous devons ici nous borner. Pour abré- ger donc et pour ne pas mésuser du luxe d’un sujet avec lequel nous sentons toute la témérité d’avoir me- suré nos forces, nous ajouterons seulement que le monde entier sait de quel glorieux prestige a élé en- vironné et couronné le nom de Napoléon. D'autre part, il est des noms qui sonnent si mal à l'oreille qu’ils exposent ceux qui les portent à de fré- quents sarcasmes ; il est fâcheux que la rencontre dis- cordante de quelques syllabes produise un pareil effet, mais on ne peut nier l’évidence. Le nom seul a causé la disgrâce de bien des personnes, aussi le cas de changement de nom s’est souvent présenté. Le roi François Ier avait un médecin italien qui se nommait Senza Malizia ; celui-ci trouvant son nom ri- M es dicule, le traduisit en grec et se fit appeler Akakia. Le nom vulgaire d’un grand poète italien était Tra- passi; son puissant protecteur lui substitua un nom harmonieux et élégant que le poète rendit illustre, ce fut celui de Métastase. Le poëte français Viaut, supposant que son nom pou- vait mettre obstacle à ses succès, parvint à donner un nouveau prix à ses productions en adoptant le nom plus poétique de Théophile. Barbier, précepteur du fils de Colbert, changea son nom en celui de d’Aucourt, devenu inséparable de Barbier. Le Père Comère déguisa le sien en changeant seulement une lettre, et se fit nommer Comire pour éviter la réunion des mots père et Comère qui avait quelque chose de grotesque. Madame de Gomez, femme de lettres, ne voulut pas renoncer à son nom pour prendre celui de son époux, nommé Bonhomme. Dans un autre genre, on rapporte qu’un certain Gaucher prit le nom de Scevola, parce que Scevola ayant brûlé sa main droite en devint gaucher. Un nommé Valet traduisit le sien par celui Servilius. Un autre qui se nommait Bout-d'Homme ne balança pas à se faire appeler Virulus. On sait que la belle Héloïse donna à son fils le nom d’Astrolabe qui avait quelque rapport avec les étoiles, comme le sien en avait avec le soleil. Il est permis de supposer que certains noms peuvent produire un effet sensible sur les caractères. Par exemple, la coutume pernicieuse de donner des noms romanesques à de jeunes filles, surtout dans les con- —_ 83 — ditions médiocres, expose à des conséquences funestes, et l’on serait peut-être dans le vrai en assurant que beaucoup de jeunes personnes du nom de Velleda, Atala, Malvina... eussent échappé à de dangereuses séductions et à de déplorables chutes, sous la dénomi- nation plus simple de Catherine, Françoise, Julienne. Quelquefois aussi, lorsque la puissance du nom wagit pas sur la personne qui le porte, elle peut exer- cer une grande influence sur la personne qui entend. En voici un exemple entre beaucoup d’autres. Mon- taigne cite un jeune débauché qui, épris d’une cour- tisane et étant sur le point d’en obtenir la possession, lui demanda son nom; celle-ci répondit se nommer Marie. Ce nom réveilla soudain dans le cœur de cet étourdi de si vifs sentiments de respect et de culte re- ligieux envers la sainte Vierge, que non seulement il chassa de sa présence celle qui prostituait ce doux et saint nom, mais il sentit s’opérer en lui une conversion subite qui persista et il en amenda tout le reste de sa vie. Montaigne ajoute, dans ce langage que l’on connait: « Cette correction voyelle et auriculaire, dévotieuse » tira droict à l’âme. » L'influence des noms d’une grande longueur remonte à une époque déjà loin. Lucien parle d’un certain Si- mon qui, étant parvenu à une grande fortune, crut qu’il n’était plus d’une nature à n'avoir qu'un nom de deux syllabes, il prit donc le nom de Simonides. Aussi, dit Lucien, de dissyllabe qu’il avait été dans la bassesse de sa première condition, il devint quadrissyllabe après l’heureux changement de sa fortune. Que de gens, de- puis, courent encore après une ou deux syllabes ! La MS faiblesse humaine en est sur ce point sans cesse à alphabet, Les Espagnols ont toujours eu un grand at- trait pour les noms volumineux et longs. Lorsqu'ils n’ont pas d’autres moyens ils ajoutent les endroits de leur résidence pour les allonger. On connaît la décon- venue de cet Espagnol surpris par la nuit qui, se pré- sentant à une heure avancée à la porte d’une hôtellerie de village, défila une telle kyrielle de noms à l'hôte, qui l’interrogeait de l’intérieur, que celui-ci, effrayé d’une si nombreuse compagnie qu’il ne pouvait loger, refusa d'ouvrir sa porte et laissa le voyageur coucher à la belle étoile avec toute sa société nominale. Il est des noms qui font l’heureuse fortune de ceux qui les portent. Regillianus fut promu à la souverai- neté par la seule raison que son nom avait une con- sonnance royale. Jovien fut acclamé empereur, parce que le sien se rapprochait de celui de Julien qu’on venait de perdre et dont la mémoire était chère aux gens de guerre. Blanche de Castille fut choisie pour la douceur de son nom, à l’exclusion de sa sœur Urraca dont le nom parut trop rude. Blanche dut ainsi à cet avantage eu- phonique d’épouser Louis VIIT, d’être reine de France et de devenir l’illustre mère de Louis IX. Dans des circonstances d’un autre ordre, nous pou- vons rappeler qu’on a vu quelquefois le nom et le pavillon d’un vaisseau, le simple numéro du drapeau d’un régiment être d’un stimulant prodigieux et d’une immense influence sur les multitudes qui se ralliaient sous leurs enseignes. Il est bien naturel de penser que le nom individuel ait la puissance de produire, pro- portionnellement, un effet analogue sur la personne. Enfin l'influence des noms se fait sentir même dans des occasions beaucoup moins importantes. Voltaire assure que si Pertharites, tragédie de Corneille, eut une mauvaise fortune, il faut attribuer sa chute surtout à ce que l’auteur avait choisi des noms dissonants et barbares tels que une Edwige, un Grimoald, un Gari- balde, etc. Molière, moins gêné dans ses choix, a été beaucoup plus heureux en nommant son avare, Har- pagon, et son imposteur, Tartuffe. Nous croyons avoir établi d’une manière plausible, que certains noms font éprouver des sensations douces, agréables ou pénibles, suivant le mode dont ils s’asso- cient avec nos idées, selon les traces qu’ils réveillent dans notre imagination. Notre situation d'esprit tient souvent ainsi à un simple élément phonétique dont la vibration remue plus ou moins fortement notre sensi- bilité. Ceux qui pensent donc que le nom, cette sorte de médaille intellectuelle qui se joue si victorieusement de la rouille des siècles, peut avoir, en certains cas, une influence particulière sur les destinées de la vie, n’ont assurément pas une opinion qui ne soit digne d’un sérieux examen. Nous avons voulu témoigner dans cette revue suc- cincte que l'importance et l’influence des noms ont été hautement reconnues en tout Lemps, en tous lieux et chez tous les peuples. Il semble évident, dès lors, qu'un usage si universellement observé et une opinion si généralement répandue doivent tenir à de puissantes causes. Nous désirons que cette simple esquisse sur — #0 — une question qui se rattache à des intérêts intimes el de tous les instants dans chaque famille, puisse ins- pirer à de plus habiles de la traiter avec ce cachet de science et de perfection que nous aurions été heureux de pouvoir lui imprimer. ANTIQVITES CELTIQVES Nümismatique Angenne ANTIQOVITÉS Numismatique Angerine Premitre Para de Ners lan 800 arantlOjusqu'n 978 Monnaies Autonomes Première Classe Planche 9 Rrbiatille ( Anjou) CELTIOQVES Quatrième classe Numismatique Angevine ANTIQVITÉS Deuxième Penode de lan 2283 an Marat JC Monnaies Gallo-Brecques Deuxième classe | Anjou) Hadrait del'ssaisvrlanunismatqu Gadlose par M Vambeit-Hlandhes aNN po anbat-Rate 16 & Elise À alki Corne à Lahie Troisième delanli0avant.0 aan 3] de Monnaies Gallo-Romainés Anjou) Vida de Visa surVanumematique Css d Late ANTIQUITÉS CELTIQUES NUMISMATIQUE ANGEVINE par M V. GODARD-FAULTRIER. Un excellent ouvrage intitulé : Essai sur la numis- matique gauloise du Nord-Ouest de la France par Ed. Lambert, conservateur de la Biblicthèque de Bayeux (Paris, Derache, rue du Bouloy n° 7), parut en 1844. _ Dix-sept ans écoulés qui, de nos jours, valent un siècle tant la science archéologique progresse rapide- ment, ne lui ont rien fait perdre de sa valeur; les bons vins ne se gâtent pas à vieillir, et l’on s’empresse de les servir. Au même litre, notre compte-rendu ne sera point suranné, il roulera d’ailleurs moins sur l’ensemble de l’ouvrage de M. Lambert que sur la partie qui se réfère à l’Anjou, chose pour nous toujours jeune; nous nous permetltons d’y joindre nos propres obser- vations. À l’appui de notre analyse, nous donnons trois planches de médailles que M. Dainville, notre collègue, s’est empressé de dessiner en les extrayant de l'ou- LR UE vrage de M. Lambert qui nous a été communiqué par M. Renault, employé des postes. Ces trois planches correspondent à trois périodes différentes. PREMIÈRE PLANCHE. La première planche répond à la première pé- riode qui commence vers l’an 300 ans avant J.-C. et finit à l’an 278; elle comprend deux classes de mon- naies autonomes. Dans la première classe on distingue sept anneaux monétaires dont les originaux, les uns en plomb etles autres en potin, furent trouvés en Touraine. Nous en avons découvert de semblables au camp ro- main de Frémur près d'Angers (voir au Musée des an- tiquités). Ces pièces évidées qui pouvaient s’enfiler, comme aujourd’hui encore, celles des Chinois, ont été coulées et sont réputées les plus anciennes de l’époque cellique. N'ayant aucun type particulier, elles n’appartiennent pas plus à l’Anjou qu’à d’autres contrées de l’ancienne Gaule. Il y en avait de fer, qui, au temps de César, cir- culaient dans la Grande-Bretagne, comme le prouve ce passage des commentaires (liv. V, L. 163, édit. de 1565, de Bello gallico): « Utuntur (Britanni) autem numo œreo, » aut annulis ferreis ad certum pondus examinatis pro » numo. » Dans la deuxième classe de notre première planche on distingue sous les nos 8, 22 et 23 (1) trois monnaies gauloises coulées l’une en airain et les deux autres en potin. Trouvées à la Chalouëre d'Angers en 1898, elles (4) Nous avertissons le lecteur, une fois pour toutes, que nous avons conservé le numérotage des planches de M. Lambert. —. 89 — ont. été par les numismates les plus compétents, attri- buées aux Andecaves. On y remarque sur l’avers une tête barbare à gauche, el sur le revers le taureau cornupète, emblème solaire et imitation de certain type des monnaies de cuivre de Marseille (page 204). On sait en effet que les premiers éléments de l’art de fabriquer la monnaie gauloise paraissent avoir été empruntés à la colonie phocéenne qui fut établie en cette ville vers l’an 600 avant J.-C. Le taureau cornupête est un symbole d’Apollon (Nu- mismatique ancienne, page 92, encyclopédie Roret). Le bœuf ne Joua pas seulement un grand rôle en Egypte, on le retrouve aussi sur nos monnaies celtiques et jusque sous nos rois Mérovingiens dans le tombeau de Childéric (découverte de 1653). 11 se rattache au culte du soleil sous divers noms ainsi que le prouve ce pas- sage des Dionysiaques de Nonnus (1) (liv. XL, vers 390 el suivants). « Soleil, tu es Belus sur les plages de l’Eu- » phrate, Ammon en Lybie, Apis sur le Nil, en Arabie » Saturne, en Assyrie Jupiter, en Perse Mithras, à Ba- » bylone Hélios, Apollon à Delphes, etc, etc. » L’Apis gaulois est donc d'importation égyptienne. On retrouve sa tête de front sur une médaille celtique, n° 24, planche 1re de l’ouvrage de M. Lambert. Ceci nous re- met en mémoire la découverte qui fut faite à Doué, vers 1784, d’une tête de bœuf sculptée en tuf blanc, dans un temple souterrain à plus de 7 mètres de pro- (1) Nonnus, poëte grec du ve siècle, natif de Panople en Egypte, est auteur d’un poëme en vers héroïques, en quarante-huit livres, intitulé les Dionysiaques, et d’une paraphrase en vers sur l'Evangile de saint Jean, —0ÿ"— fondeur. Ce morceau avait plus de 15 centimètres de hauteur. Nous avons exprimé nos doutes sur l’origine celtique de cet objet dans nos Monuments gaulois de Anjou, pages 97 et 98, mais d’après ce qui précède, nous sommes maintenant tenté d'y voir la figure de PApis gaulois. Cette tête, qui fut donnée à Bodin, a été gravée dans son volume du Haut-Anjou, planche 8, figure 6. Le soleil et les autres astres étaient si bien les dieux d'autrefois, que c’est de leur cours qu’ils tirent le nom générique de 8eoç du mot grec derr courir. Le culte de Belenus, le soleil, même que Baal, Béel, Bel, Belus est venu de la Babylonie et de l’Assyrie. Porté à Carthage, il se répandit de ce dernier point dans les contrées occidentales par la voie du commerce suivant Parisot (Biograp. mythol.). DEUXIÈME PLANCHE. La deuxième planche répond à la deuxième période qui va de l’an 278 à l’an 100 avani J.-C. Cette planche passe sous silence la première classe et la troisième, parce que celles-ci ne renferment aucune pièce angevine. La deuxième planche ne comprend donc que la deuxième classe et la quatrième. Dans la deuxième classe on distingue sous les nos 49, 90 et 21 trois monnaies gauloises, d’or, frappées en style gallo-grec, attribuées aux Andécaves. On y voit sur l’avers : 1° une tête à droite d’Apollon-Belenus entourée de cordons perlés, 2 une sorte d’arc et très distincte- ment un mors de cheval placé devant la face: sur le revers : 10 le cheval androcéphale (à tête humaine), LMP 2 20 une figure conductrice, 3° un génie debout sous le ventre du cheval; les roues et le char ne paraissent plus. Ces pièces d’or, légèrement concaves d’un côté et convexes de l’autre, sont de grossières imitations des statères de Philippe II de Macédoine, statères qui s’introduisire nt dans la Celtique après le retour de la dernière expédition gauloise faite dans la Grèce sous le second Brennus (278 avant J.-C.) et voilà pour- quoi l’on nomme ces pièces gallo-grecques. Elles sont assez communes mais avec des symboles variés et dis- tincts pour chaque peuplade particulière de la Gaule du Nord-Ouest dite armoricaine. Il vient d’en être dé- couvert 150 dans un vase à Challain-la-Poterie, arron- dissement de Segré; le Musée des antiquités en possède deux. Nous venons de voir que les emblêmes de la monnaie angevine de la deuxième classe de la deuxième période, sont la tête d’Apollon-Belenus, avec une sorte d’arc et le mors de cheval placés en avant de la face, puis le cheval androcéphale avec un génie debout sous le ventre du coursier, plus une figure conductrice. Sur les monnaies des Cénomans et des Pictons on retrouve la même tête d’Apollon et le même cheval an- drocéphale, mais avec des attributs différents. Ainsisur la monnaie du Mans, l’androcéphale a des ailes et la figure conductrice tient un guidon carré, sorte de voile carré nommé Peplum, symbole de l'air; en outre le génie placé sous le ventre du cheval est couché. Sur la monnaie des Pictons , l’androcéphale pareil à celui de l’Anjou n’est pas ailé, mais la figure conduc- trice lient une couronne ou un cercle perlé, puis au- _ qù = dessous se voit une main étendue au-dessus du mors de cheval. Tous ces points de dissemblance d’un côté, et de ressemblance de l’autre, ont fait dire à M. Lambert que « les Andécaves paraissent avoir une monnaie » dont les types participent des uns et des autres. » L’Anjou en effet par sa situation géographique sur les bords de la Loire, aux limites de la Celtique et de l’Aquitaine eul longlemps un caractère mixte. Passons maintenant à l’explication un peu conjectu- rale des emblêmes de notre monnaie angevine au type gallo-grec. M. Lambert voit dans la figure d’Apollon- Belenus l’image du soleil; dans l’are et le mors, des emblêmes appartenant au même dieu comme vain- queur et comme voyageur éthéréen; dans le cheval androcéphale. le symbole de sa course solaire et dans le génie debout , Typhon l’emblême des ténèbres et du mal. Ce type androcéphale a été la base d’une croyance commune entre des peuples d’une même asso- ciation. M. Lambert assure que ce’ type est étranger à toute autre monnaie de l'antiquité, qu'il est propre à l’art druidique et aux peuplades gallo-kim- riques de l’Ouest et du Nord des Gaules, comprises entre la Gironde et la Seine; mais que ce type pour chacune de ces peuplades fut modifié par l'addition de symboles spéciaux, et il cile à l’appui de sa thèse les monnaies des Santones, des Pictones, des Namnetes, des Ande- cavi, des Cenomani, des Diablintes, des Veneti, des Re- dones, des Corisopiti (1), des Osismii (2), des Curioso- (1) Habitants de Cornouailies où Quimper-Corentin (Finistère). (2) Habitants de la partie orientale du diocèse de Saint-Pol-de- 220 lites (1), des Unelli (2) des Baiocasses (3) et des Lexovii (4). Puis il fait remonter l'apparition de ce type_vers l’an 200 avant J.-C. Quant à la figure conductrice qui fait présumer in- contestablement l’existence d’un char traîné par l’andro- céphale, elle est uneimitation certaine des pièces de Phi- lippe II roi de Macédoine. Les rapports entre la Grèce et la Gaule furent tels durant la seconde période qui nous occupe, que les Gaulois empruntèrent aux Grecs leur division moné- taire, comme ils avaient imité leurs types; ainsi les Celtes nous ont laissé ces pièces d’or dont le poids cor- respond généralement à celui des statères (156 grains), des demi-statères (76-78 id.), des quarts de statères (37-39 grains). César ne nous apprend-il pas dans ses Commentaires, lib. 4er, cap. 29, qu’il surprit un jour sur les tablettes du camp des Helvètes des lettres grecques ? « In castris » Helvetiorum tabulæ repertæ sunt litteris græcis con- » fectæ et ad Cæsarem relatæ. » Et dans un autre en- droit ne dit-il pas que les Gaulois employaient des lettres grecques ? Græcis litleris utuntur. « De l’aveu de » César, de Pline et de Strabon, les Gaulois se servaient » de caractères grecs ; cependant ils n’entendaient point Léon et du territoire du diocèse de Tréguier (Finistère et Côtes-du- Nord). (1) Habitants du nord-ouest du Finistère. (2) Habitants du Corentin, basse Normandie. (3) Habitants des environs de Bayeux, basse Normandie. (4) Habitants du Lieuvin, Normandie, Calvados. SOC. D’AG. 7 — "9 —— » le grec. » (Cochet, page 9, La Seine-[nférieure au temps des Gaulois). N’avons-nous pas trouvé à Lesvières d'Angers une statuelte de Vénus sur laquelle on lit : Rex tusenos, os désinence grecque ? La lettre des martyrs de Lyon sous Marc-Aurèle était écrite en grec (Cochet); ne voyons- nous pas figurer dans le recueil épigraphique de M. Ed. Leblanc une foule d'inscriptions chrétiennes en cette même langue? M. Fauriel nous apprend que cette cou- tume dura jusqu’au vie siècle de notre ère? Un auteur ancien ne nous assure-t-il pas que le nom de la ville d'Angers, ANDECANIS, est essentiellement grec? Est juxtà æquoreos urbs dura in rupe Britannos, Andecanis græco sumens à nomine nomen ({). L'abbé Voisin, dans ses Origines Armoricaines, page 313, Revue de l’Anjou, février 1859, écrit ce passage : « Ptolémée appelle certains Gallo-Grecs les EN-DIK- » AvI de ce que leur territoire est entre dix rivières » EN-DEK-AW, » etil ajoute : «En Armorique les noms » sont beaucoup plus grecs qu’on ne l’a dit jusqu'ici. » Cette étymologie va bien à notre ancien nom d'Angers, Andicavi, ville sise non loin de plusieurs rivières, mais la désinence AVI est plutôt cornouailloise (2) que grecque. Quant aux monosyllabes ev dans, d'ex dix, ils sont grecs. Rapprochement singulier : l’on a constaté par voie d'analyse chimique une similitude de composition entre le bronze de la Bretagne et de la Gaule avec celui de (1) Dans Hiret, p. 13-14. (2) Glossaire de Aurélien de Courson, avon rivière. LRO la Grèce, de l'Egypte et de plusieurs nations de l’Asie dans certains instruments (Cochet précité, page 10). D'un autre côté, il parait acquis que les Druides étaient initiés aux doctrines de Pythagore; enfin, ül n’est pas jusqu’à la fable de l’arrivée des Troyens dans les Gaules après la chute d’Ilion, qui ne témoigne en faveur de la croyance universellement répandue des rapports de lä Gaule avec la Grèce. Mais revenons à nos monnaies d’or de la deuxième période, pour dire que les Gaulois avaient des mines de ce métal; l’Ariége, par exemple, qui prend sa source dans les Pyrénées, doit son nom à l’or qu’il roulait, aurigera. Dans notre deuxième planche, qui répond à la deu- xième période, on voit classe quatrième, sous les nos 27, 28 et 29, trois pelites monnaies gauloises de billon en style extrèmement barbare ; elles sont attribuées aux Andecaves et furent trouvées à la Chalouère. Ces oboles angevines pèsent de 7 à 10 grains. On distingue sur l’avers du n° 27 une tête de face, emblème da so- leil ou de la lune, puis au revers un sanglier (sus gallicus), symbole spécial de la nation gauloise, à toutes les époques du monnoyage et en toutes régions de la Gaule. D’après M. de la Saussaye, la valeur reli- gieuse du sanglier « doit son origine à la vie habituelle » de cetanimal dans les forêts qui étaient honorées d’un » culte spécial et où il se nourrissait du fruit même » de l'arbre sacré par excellence, le chêne placé à la » Lête de tous les objets d’adoration comme simulacre » du dieu unique des Druides (1). » (1) Druide apuidye, du grec due chêne. 06 ee Le sanglier ne figurait pas seulement sur la monnaie des Gaulois, on le retrouve sur leurs enseignes, comme en fait foi un bas-relief de marbre découvert à Nar- bonne (Lambert, p. 186). | Le sanglier était le symbole de la terre, ainsi qu’il résulte de ce passage de Tacite (De moribus Germa- norum, Cap. 45, traduct. de Dureau de la Maille, t. v, p. 79): « On trouve, dit-il, sur la côte orientale de la » mer Suévique (Baltique) les nations des Œstiens » (Prusse, Samogitie, Courlande, Livonie, etc.), ils ho- » norent la mère des dieux (magna mater, tilæa, ops, » tellus, Rhea, Cybele) c’est-à-dire la terre, en portant » à la main des figures de sanglier. » Les porcs n'étaient pas en moindre honneur, on les sacrifiait aux dieux pénates qui, suivant Macrobe, pre- naient le nom de grondiles, du grognement que font les pores. Cetté immolation avait lieu le 41 avant les calendes de janvier, durant la solennité dite des Sta- tuettes, celebritas Sigillariorum. Ces statucttes-grondiles de l’époque gallo-romaine sont en terre cuite. Le Musée d’antiquités d'Angers en possède plusieurs; elles accusent l'introduction du paganisme dans les Gaules après la conquête. Retournons à nos monnaies celtiques-angevines de la deuxième période, quatrième classe, planche 2. Les n°5 28 et 29 présentent à l’avers des symboles de PS et au revers un animal que M. Lambert croit être un cheval, sous le ventre duquel est un cercle perlé. Il pense que l’S est un composé de deux crois- sants opposés l’un à l’autre, superposés et réunis. Il voit dans cette lettre l’image de la course d’un astre, Dee (i|7IÈeEES lune ou soleil, et plus probablement de la lune, le croissant dans la main du Druide étant l’emblême du culte lunaire. Le cercle perlé serait le symbole du so- leil (1) et le cheval celui de sa course. MM. Lelewel et Jeuffrain s'accordent également à voir sur nos petites médailles de la Chalouère des signes astronorniques ; le premier, dans ses Etudes nu- mismatiques, types gaulois, page 43, dit : « Le coin de » la Gaule offre non-seulement tous les luminaires cé- » lestes, mais aussi nombre d’emblêmes qui font de la » monnaie gauloise une des plus symboliques... Les » Druides enseignaient bien des choses touchant Îles » astres ct leurs mouvements, il serait impossible de » remarquer ailleurs des coins si astrés garnis à tel » point des corps du firmament. » Au rapport de César (Comm. de bello gallico, vi, 14) et de Pomponius Mela (2), 1, cap. 2, les Gaulois ren- daient un culte religieux aux éléments et aux diffé- rentes parties du monde visible. Il est constant que les Celtes plaçaient des divinités dans le soleil, la lune, l'air et le feu; aussi les numismates n’hésitent point à chercher sur les monnaies des Gaulois une manifesta- tion de leurs pensées religieuses. M. Lambert nous apprend de son côté que Sélène, conductrice de la lune, ou plutôt la lune elle-même, Sean, figure sur des pièces celtiques ; c’est, dit-il, (1) Les Egyptiens veulent-ils écrire le soleil? ils font un cercle. Clém. Alexan. Strom., v. 657. (2) Pomponius Mela, géographe, natif de Mellaria dans le royaume de Grenade, est auteur d’une géographie intitulée : De situ orbis; il vivait dans le 1er siècle de l'Eglise. == 06 2 Diane Lucifera, Phaesphoros, c’est Isis, déesse de la navigation. Les Egyptiens représentaient en effet par des barques le mouvement des astres. On ne peut douter qu’Isis n'ait été adorée en Orient, en Italie, en Espagne, en Gaule et même en Germanie. Tacite as- sure qu'une partie des Suëèves, nation germanique, offrait des sacrifices à Isis : « Pars Suevorum et Isidi » Sacrificat (Germania, cap. 1x). » Il nous apprend que cette déesse y était adorée sous la forme d’un navire, in modum liburnæ, symbole de son importation en cette contrée. Certains archéologues croient que le nom de Paris vient d’un temple, autrefois situé prés de cette ville et dédié à Isis, æapa loir; ajoutons que les armes de Paris sont un navire et qu’Isis était souvent représentée chez les anciens portant un navire à la main. Du reste, Isis était une divinité panthée. Apulée (1) la fait parler ainsi : « Je suis la nature mére de toutes choses, maî- » tresse des éléments, le commencement des siècles, » la souveraine des dieux, la reine des mânes, la pre- » mière des natures célestes, la face uniforme des » dieux et des déesses, c’est moi qui gouverne la su- » blimité lumineuse des cieux, les vents salutaires des » mers, le silence lugubre des enfers. Ma divinité » unique, mais à plusieurs formes, est honorée avec » différents noms. Les Phéniciens m’appellent la Pessi- » nuntienne, mère des dieux; ceux de Crête, Diane » Dyctyne; les Siciliens qui parlent trois langues, >» Proserpine, Hygienne ; les Eleusiniens, l’ancienne (1) Apulée, philosophe platonicien, natif de Madaure, vivait au He siècle, sous Antonin et Marc-Aurèle. LE fo » Cérès ; d’autres, Junon,; d’autres, Bellone ; quelques- » uns, Hécate, Rhamnusia; les Egyptiens, Isis mon » vrai nom. » Isis, dont une tête plus ou moins authentique fut trouvée à Doué vers 1784 (1), semble avoir été comme un trait d'union entre les croyances de l'Egypte, de la Grèce et de la Gaule, exprimées sur les monnaies. Cependant nous pensons que M. Lambert a eu le tort de placer nos trois petites pièces angevines solaires et lunaires, nos 27, 28 et 29, planche deuxième, dans la période gallo-grecque. Il ne nous est pas possible en effet d’y trouver la moindre trace d'imitation du type macédonien. Ces pièces sont tellement barbares que nous n’hésitons pas à les ranger dans la période des monnaies autonomes, et en cela nous sommes d’ac- cord avec M. Jeuffrain qui leur assigne une date an- térieure à l'expédition faite en Grèce par les Gaulois, l’an 278 avant J.-C. TROISIÈME PLANCHE. La troisième planche répond à la troisième période qui va de l’année 100 avant J.-C., à l’année 21 de l’ère chrétienne ; elle ne comprend qu’une classe dite gallo- romaine et trois pièces angevines n° 1, 2 et 3, le n° À en argent, les deux autres en bronze. Dans cette troisième période, l’imitalion grecque est abandonnée, et les types s’inspirent du monnoyage romain. Les pièces portent des légendes, auparavant elles étaient (4) Bodin, haut Anjou, t. 1er, planche troisième, figure 5. — 100 — muettes ; la monnaie d’or devient très rare, les pièces d'argent sont au contraire fort abondantes. On coule encore les espèces de bronze, mais les pièces d'argent sont frappées, elles cessent d’être concaves d’un côté et convexes de l’autre. Le grenetis est plus fréquent, les formes sont mieux accusées. Les têtes sont souvent casquées et imitées des deniers consulaires. La tête d’Apollon-Belenus se trouve remplacée par une tête allégorique de la cité ou du peuple. Au revers le che- val beaucoup mieux fait, est libre ou monté d’un ca- valier. Le flan paraît plus épais. Sur les quinaires on voit quelquefois la tête casquée de Pallas. L'on adopte la division monétaire des Romains, par deniers, demi- deniers ou quinaires. Le denier d'argent gaulois pêse de 58 à 63 grains, le demi-denier varie de 34 à 39 grains. Sur l’avers du n° 1 on lit : ANDECOM, tête à gauche; sur le revers, même légende ANDECOM, nom primitif de la peuplade angevine, cheval libre courant à gauche, au-dessous le sanglier marchant du même côté. Sur l’avers des n°5 2 et 3 on lit : ANDEC (1), tête casquée à gauche, derrière un signe mystérieux assez semblable à deux fleurs de lys unies par leur base; sur le revers, cheval à droite monté d’un cavalier vêtu à la romaine. Les têles casquées des nos 2 et 3 paraissent offrir l'image de la valeur militaire. Sur d’autres pièces angevines de cette période on remarque la tête de Diane ornée du diadème. (1) Sur d’autres pièces gauloises-angevines, on trouve ANDECO, ANDECOMBO (Voir nos Mon. gaul. de l’Anjou, p. 24, 25). — AUl — D’allégorique qu’était la monnaie dans les deux pre- miéres périodes, elle devient plus réaliste, si je puis ainsi parler, dans la dernière. La contrée armoricaine comprise entre la Loire et la Seine, et dont faisait partie l’Anjou, ne fabriqua de la monnaie au type romain qu'après la conquête de César. Alors paraissent les noms de Durat-Julios, chef des Pictons et de Vercingetorix, chef des Arvernes, noms qui se trouvent dans les Commentaires. Nos trois pièces, planche troisième, doivent trouver leur date entre l'année 59 avant J.-C., fin de la conquête de César, et l’année 21 de notre ère, et voici sur quoi les numis- mates se fondent à ce sujet. Auguste s’efforça le premier de faire cesser l’usage des monnaies provinciales, et l’on attribue à Mécëne la tentative de l'établissement de l’uniformité des poids et des mesures chez les Romains. D’un autre côté, Suélone dans la Vie de Tibère fait pressentir la sup- pression définitive du monnoyage au type gaulois, sous cet empereur. « Ce souverain, dit-il (cap. 49, Tib. » Cæs.), priva plusieurs villes et plusieurs particuliers » de leurs anciennes immunités, ainsi que du droit » d'exploiter des mines et de percevoir des impôts : » plurimis etiam civitatibus et privatis veteres immunt- » lales et jus melallorum ac vectigalium adempta. » De la privation du jus metallorum dérivait logique- ment la privation du droit de monnoyage, conséquem- ment plus de monnaie au type gaulois après Tibère, peut-être après la révolte de Julius Sacrovir, l’an 21 de notre ère. Durant les trois siècles du monnoyage cellique, cha- — 102 — cune des nombreuses peuplades avait sa monnaie propre, à peu près comme plus tard sous le régime féodal. On ne voit pas que durant la domination romaine, l’Anjou ait frappé monnaie, mais il en fut autrement sous la race mérovingienne, el le monnoyage angevin du temps de nos premiers rois sera traité dans un autre article. OBSERVATIONS SUR LA CULTURE ET LA PRÉPARATION DU LIN A PROPOS D'UN MÉMOIRE DE M. JEAN DALLE Couronné par le Comice agricole de Lille, Par M. Louis TAVERNIER. Messieurs, Vous m'avez chargé de vous rendre compté d’un mémoire relatif à la culture, au rouissage et au com- merce du lin dans l’arrondissement de Lille, publié dans les Archives de l'Agriculture du nord de la France. Ce mémoire, dont l'auteur est M. Jean Dalle, de Bousbèque, a été couronné par le Comice agricole de Lille. J'ai pensé qu’en me confiant l'examen de ce travail, vous aviez surtout pour but l'intérêt de la culture du lin dans nos contrées. Aussi, au lieu d’une froide ana- — 104 — lyse du mémoire de M. Dalle, je vous demande la permission de vous présenter quelques observations toutes locales dont ce mémoire sera en quelque sorte la base. M. Dalle a tracé un historique très complet des lins récoltés dans l'arrondissement de Lille et rouis dans la Lys. Il est admirablement pénétré de son sujet et 1l le traite avec une sorte de passion. On sent, en le lisant, que le lin est la principale source de la richesse de cette contrée si industrieuse. Nous n’avons pas dans notre Anjou une aussi bril- lante histoire du lin à écrire. Cependant il fut un temps, encore peu éloigné de nous, où notre lin l’emportait sur tous ceux de l'Ouest et où l’on venait de loin acheter la graine des lins dits de Chalonnes, auxquels on reconnalssait plus de finesse des fibres qu'aux lins provenant d’une aulre origine. À la vérité, nos lins les meilleurs n’ont jamais égalé en éclat, en souplesse et en moelleux, les lins de Courtrai. Néanmoins la culture en était fort répandue. Non- seulement le lin était un des produits les plus avanta- geux des bonnes terres; mais encore il occupait et retenait à la campagne une nombreuse population, à laquelle il offrait un travail productif, à l’époque de l'année où les autres travaux laissaient les bras libres. Les économistes n’ont pas assez fait attention à cette circonstance, que la suppression d’une foule de petites industries de nos campagnes a augmenté le temps de chômage et réduit les moyens d’existence des ouvriers ruraux, qui ont dû dès lors chercher dans les villes des salaires plus assurés.et plus constants. Je suis loin — 105 — de faire la guerre au développement merveilleux de industrie manufacturière ; je l’admire et j’en apprécie les bienfaits. Mais je voudrais que l’on voulût bien songer aux conditions de nos paysans et qu’on encou- rageât le plus possible l'établissement dans les cam- pagnes de petites industries qui échappent à l’envahis- sement de la mécanique, et qui fourniraient à l’ouvrier des champs un travail fructueux durant le temps de son repos forcé. Le lin réalisait ces conditions. Comment sa culture s’est-elle réduite à n’être plus que l’ombre de ce qu’elle était, il y a un demi-siècle, et à n’occuper que 3,000 hectares environ au lieu de dix à douze mille qui lui étaient consacrés naguère ? La première cause est signalée par M. Dalle, car elle a réagi sur les lins du Nord comme sur les nôtres; c’est l'importation des fils mécaniques anglais, qui de 56,000 kilog. en 1832 s’est élevée à 3,200,000 kilog. en 1837. La filature mécanique a tué les quenouilles. Le cultivateur s’intéressait moins directement à la beauté des lins et négligeait leur manipulation. Il re- cherchait surtout la graine qui n’est parfaite et abon- dante qu’au détriment de la filasse. Il ne trouvait à vendre celle-ci qu’à des prix peu rémunérateurs, et comme en définitive, la culture du lin est assez chan- ceuse, il la délaissait peu à peu pour se livrer à des cultures plus profitables et plus assurées. En même lemps, le chanvre trouvait des débouchés plus faciles, voyait accroître sa consommation et pre- nait le place du lin dans l’assolement ; car, par sa — 106 — rapide croissance, le chanvre expose le cultivateur à beaucoup moins de déceptions que le lin. Mais ces motifs sont-ils suffisants pour décourager le cultivateur? Et n'est-il pas possible de rendre à la culture du lin en Anjou son ancienne splendeur ? J'ai la conviction profonde que des efforts bien di- rigés produiraient d’heureux résultats, et cette convic- tion est partagée par la plupart des hommes éclairés qui s'occupent d'agriculture. Dans son rapport sur l’exposition d'Angers de 1853, M. Lainé-Laroche, dont vous connaissez la compétence, s’exprimait en ces termes : « La filature mécanique, qui partout se substitue à la filature manueïle, rencontre dans le travail des chanvres des difficultés que ne lui oppose pas le lin, dont la fibre souple et fine, se prête docilement à rece- voir la forme et la ténuité que-la mécanique lui impose. De cette différence entre les deux textiles, il est résulté que le fil de lin plus uni, plus souple, moins cher et presqu’aussi fort que le fil de chanvre, est aujourd’hui préféré par tous les tisseurs, et que la toile de lin, ré- pandue dans le commerce sur une vaste échelle, tend chaque jour à supplanter sa rivale dans presque tous ses emplois. » De ce fait industriel si considérable, gardons-nous de conclure à l’abandon plus ou moins prochain de la culture du chanvre. Nous sommes, quant à présent, sans inquiétude; la supériorité bien constatée des chanvres fins d'Anjou sur tous les chanvres connus, en assure, en garantit l'usage pour longtemps encore, — 107 — et notre conclusion n’a rien d'alarmant pour nos riches vallées. » Elle se borne à ceci : » Que nos cultivateurs soient bien persuadés que les lins d'Anjou sont classés parmi les qualités les plus mé- diocres, et ne sauraient obtenir des prix élevés comme ceux du nord de la France et de la Belgique; qu’en présence des exigences de la filature mécanique et de la facilité avec laquelle les grands établissements peuvent s’approvisionner en Belgique ou en Russie, il y a danger pour nos lins d’être délaissés, si leur qualité n’est pas améliorée ; » Qu'il est d’un grand intérêt pour notre agriculture de ne pas négliger la culture des plantes textiles, et qu’elle doit se préparer pour lavenir, à la substitution que nous avons fait pressentir plus haut ; » Qu’en conséquence, il faut, dès à présent et sans relâche, améliorer nos lins, tant par l'introduction des graines du Nord, que par une fumure plus abondante et une préparation plus complète. » Dans l'opinion de l’habile filateur, le débouché de notre lin est donc assuré, à la condition de l’améliorer. Comment parvenir à ce but? M. Lainé-Laroche l’in- dique avec raison : « Introduction des graines du Nord, fumure plus abondante et préparation plus complète.» Ce sont en effet les trois points essentiels. J'ai dit que nos cultivateurs se préoceupaient prin- cipalement de la récolte de la graine. Il faut d’abord leur persuader qu’ils sont dans l'erreur. Un simple calcul devrait le leur démontrer. En moyenne un hec- tare de lin produit 37 grosses et demie de filasse au — 108 — prix de 15 fr. la grosse, soit 562 fr. 50, et 690 litres de graine au prix de 39 fr. l’hectolitre, soit 241 fr. 50. Il résulte de là que la graine rapporte moitié moins que la filasse et qu’il y a tout profit à s'occuper de cette der- nière. D'ailleurs la même erreur existait dans le Nord; car voici comment s'exprime de M. Dalle dans son mé- moire : « …. Depuis quelques années , on arrache le lin de bonne heure, surtout lorsqu'il est versé et en danger de pourrir. Les lins cueillis un peu plus verts ont plus de douceur et de qualité que ceux que l’on a laissés mürir plus longtemps. Il y a vingt ans, les cultivateurs croyaient qu’il était plus avantageux de laisser mürir leurs lins, dans l’espoir de mieux récolter la graine, surtout lorsqu'ils étaient disposés à la semer. Ils ont maintenant généralement compris qu’il est préférable de sacrifier la qualité de la graine et d’ensemencer des graines provenant de lin de Riga, comme nous aurons l’occasion de le prouver dans la suite, la différence qui existe entre le prix de ces deux végétaux étant pro- portionnellement peu considérable. » Nous avons ici même la leçon de l’expérience. En 1823, je crois, M. Boutton-Lévêque fit venir de la graine de lin de Riga. Les inconvénients qu’il reconnut aux produits de cette graine le déterminérent à lui substi- tuer la graine de Flandre, qui n’est autre que celle de Russie déjà acclimatée. Le résultat fut tel qu’il conti- nua depuis lors à user du même procédé. La Sociélé ‘industrielle, encouragée par cet exemple, sert chaque - année d’intermédiaire entre les commerçants du Nord — 109 — et nos cultivateurs. Le lin de Flandre, même traité comme celui de Chalonnes, donne plus de poids sur une même élendue et sa filasse se vend plus cher à poids égal. Il est vrai qu’il produit moins de graine et c’est ce qui le fait repousser par nos marchands. Voici donc une première amélioration bien constatée. Il faudrait y ajouter celle d’une semence plus considé: rable. Ainsi tandis que dans le Nord, pour obtenir les lins ramés dits de fin, on sème jusqu’à cinq hectolitres et demi de graine à l’heclare, on n’en sème guère ici que 225 à 250 litres. En semant dru, on obtient une tige plus fine et une filasse plus soyeuse. Mais avant la semence même, il est une opération essentielle. M. Lainé-Laroche parle d’une fumure plus abondante ; il aurait dû se borner à demander une fu- mure quelconque, car, en Anjou, on ne fume généra- lement pas la terre avant d’y semer le lin. On prétend que le fumier provoque une croissance inégale et donne ainsi plus de déchet. C’est en effet ce qui arrive avec le fumier de ferme qu’il est très difficile de répandre également sur le champ. En outre le fumier de ferme est d’une décomposition trop lente pour agir efficace- ment sur le lin, pendant le peu de temps que celui-ci reste sur terre. Mais il est d’autres engrais dont les ré- sultats sont excellents. A Courtrai, on fume avec des tourteaux, dans la proportion de 1500 à 1600 tourteaux par hectare. Ailleurs on se sert de la gadoue ou engrais humain. Le mieux serait d'employer les engrais li- quides qu’on répandrait à l’aide d’un tonneau d’arro- sage. C’est le moyen employé par M. le comte de Jous- selin pour l’engrais de ses belles prairies. soC D’AG. 8 — 110 — Quelques-uns de nos cultivateurs ont cependant une pratique que je recommande, surtout dans les terres fortes. Elle consiste à semer le lin sur un trèfle en- foui, qui maintient la division et la freîcheur du sol. à Je dois faire observer ici que je ne m’occupe que du lin d'été, qui réussit si bien dans nos vallées et dans nos terres fertiles et meubles des plateaux. Quant an lin d'hiver, sa rusticité, sa disposition à ramer et l’abon- dance ainsi que la beauté de ses graines, le rendent moins propre à donner une filasse fine et douce. Ce- lui-là, dont je suis loin de contester d’ailleurs l'utilité, je l’abandonne bien volontiers aux amateurs de graine, auxquels il offre de très-beaux produits. Je résume les améliorations que je propose pour la culture : Engrais liquide, ou à défaut tout engrais propre à être réparti également et se décomposant ra- pidement; graine de lin de Flandre, renouvelée au moins tous les deux ans; semence plus drue sur une même surface de terrain. Je puis ajouter : récolte après la floraison et avant la maturité de la graine, ainsi que l'indique M, Dalle dans le passage de son mémoire que j'ai cité. Avec ces conditions qu’il vaut mieux exagérer que restreindre, à cause du climat plus chaud qui tend à développer la force de la fibre aux dépens de la sou- plesse, on est assuré d’obtenir des lins fins et doux. Il reste à parler de la préparation qui est ici trop né- gligée, et qui contribue pour une grande part à la belle qualité de la filasse. Le mémoire de M. Dalle ne traite pas de la culture — 111 — du lin qui est opérée avec beaucoup de soin dans le Nord. Mais il s'occupe longuement des procédés de manipulations si essentiels que le même produit change de qualité suivant la préparation qu’on lui fait subir. Dans ces rapides observations, je n’insisterai pas sur des petits détails d'opérations pendant et après la ré- colle, quoiqu’ils aient leur importance; car des descrip- tions sont insuffisantes. Une heure d’exemple est pré- férable à un volume de recommandations. Aussi la Chambre consultative d'agriculture de l’arrondissement d'Angers avait-elle sollicité une subvention du Conseii général, afin de faire venir quelques ouvriers flamands qui auraient formé rapidement des ouvriers angevins. La pénurie du budget départemental a sans doute em- pêché de donner suite à celte demande, qui remonte déjà à quelques années. Une opération fort importante qui suit la récolte du lin et qui est ici peu pratiquée, est le triage. Voici ce qu’en dit M. Dalle : | « Cette préparation consiste à partagerlelin en diffé- rentes qualités, séparer, par exemple, le lin court du plus long, extraire les veines qui ont versé, etc., elc. On a vu des fabricants soigneux trier jusqu’à cinq sortes de lins d’une seule partie. » On conçoit aisément l'avantage que procure cette opération. Le lin court est généralement plus difficile à rouir que le lin long ; si on ne le rouissait pas séparé- ment, la partie manquerait de régularité. De plus, le lin qui a versé, ne peut subir autant de jours de rouis- sage que celui qui est resté droit, et s’il était mis dans l’eau sans être séparé, on serait exposé à le perdre. Ce — 119 — soin de trier les lins s’étend jusqu’après le rouissage, et il existe tel fabricant qui n’envisageant que les avan- tages qu’il en retire, ne craint pas de trier le lin trois fois avant de le teïller, quelqu’importants que soient les frais que ce travail lui nécessite : d’abord, dans la grange, comme nous venons de le spécifier, puis après le premier rouissage, avant de le mettre à l’eau pour la seconde fois, et enfin, lorsque le lin est suffisam- ment roui, avant de le teiller. On ne saurait douter, après tous ces soins, de la régularité que présente ce lin, et nous ne craignons pas d’assurer que si les lins de la Lys sont très réguliers, c’est au triage qu’il faut d’abord l’attribuer, et les différents modes de rouissage donneraient les mêmes avantages si on leur faisait subir le même travail. » Cet exposé est très précis et fait comprendre toute l'importance de l'opération du triage. Mais la préparation qui domine toutes les autres est celle du rouissage. C’est elle qui a donné en grande partie une réputation si méritée aux lins de Bousbèque et de Courtrai. On reconnaît que les lins d’Ypres et de Gand sont moins estimés que l2s premiers, surtout à cause du rouissage dans la Lys. Des écrivains spéciaux ont attribué le succès de ce rouissage à la pureté des eaux de cette rivière. Je ne puis partager absolument cette opinion. La raison de mon doute se trouve dans le mémoire même de M. Dalle. Celui-ci dit en effet « que l'expérience à démontré que les eaux de la Lys sont plus favorables au rouissage du lin lorsqu'elles sont unies à la Deüle. » Le lin roui au-dessus de ce confluent a toujours moins de douceur et de finesse. — 113 — Or M. Dalle déclare que la Deüle est chargée des im- mondices provenant des égoûts de Lille et du résidu des nombreuses fabriques qui fonctionnent sur ses bords. Il est donc permis de supposer que la Deüûle n'apporte pas à la Lys des eaux d’une pureté parfaite. On doit donc chercher une autre cause à la perfection du rouissage du lin dans les eaux de la Lys. D'abord, dans l'arrondissement de Lille, les lins sur pied sont généralement vendus à des rouisseurs qui, à une grande expérience, unissent l’appât du bénéfice. De- puis la création des filatures à la mécanique, la plupart des fabricants eux-mêmes achètent le lin en vert et se chargent de toutes les opérations postérieures. Ge sont des conditions qui assurent le travail le plus parfait, Ensuite le mode de rouissage usité par les riverains de la Lys contribue encore à la perfection de la prépa- ration. Autrefois le rouissage était pratiqué dans de grandes fosses adjacentes à la rivière et qu’on nommait montées. Plus tard, les montées sont devenues trop pe- tites, et on imagina de grands bacs placés dans le cou- rant même de la rivière et auxquels on a donné le nom de ballons. M. Dalle emprunte à l'excellent ouvrage de M. Ma- reau la description et l'emploi de ces ballons. Je crois irés utile de reproduire cette description, car l’adop- tion de cette méthode, dans la Loire, par exemple, se- rait un grand progrès pour nolre pays. « Ces ballons, dit M. Mareau, représentent une caisse carrée sans couvercle, dont le fond et les parois ont plus de vide que de plein; ils doivent avoir environ 1 mètre 20 c. de hauteur sur 4 mêtres de long et de — 114 — large. La dimension de la hauteur est la seule qu'il soit nécessaire d’observer; elle est commandée par la longueur des lins. On peut bien mettre des lins courts dans un ballon plus haut, mais il y aurait de l’incon- vénient pour le lin, s’il dépassait les bords du ballon qui sont destinés à le maintenir et à le protéger. Ceux qui font métier de rouir le lin, ont des ballons à conte- nir 120 bottes d'environ 5 kilog. chaque botte. Le rouissage se faisant payer un prix uniforme, 6 francs par ballon, chacun de ces ballons devrait naturellement avoir la même capacité. Celui qui ferait rouir pour son compte, serait parfaitement libre d’avoir des ballons plus ou moins grands. » Sauf le cas où le lin serait irès-court, chaque botte doit être attachée avec trois liens en paille, c’est dans cet état qu’on le place verticalement dans les bal- lons. Quoique les eaux de la Lys soient généralement bien limpides, on a cependant soin de garnir de paille les parois verticales des ballons, afin que les corps étrangers apportés par la rivière ne soient pas intro- duits dans le lin. Quand le ballon est garni de lin, on met une couche de paille sur le tout. On y place la quantité de planches nécessaire pour maintenir la paille, et an moyen de pierres, on charge sur des planches jusqu’à ce que le ballon soil maintenu sur Ja surface de l’eau, sans aller cependant jusqu’au fond de la rivière. » Il me semble inutile de rien ajouter pour démontrer l'excellence de ce mode de rouissage, qui est consacré par l’expérience. Il compléterait les diverses améliora- tions que j'ai signalées et dont la réunion donnerait — 115 — à nos lins une qualité qui les ferait rapidement recher- cher. Nos filateurs sont prêts; les débouchés sont donc assurés. Mais il faut que des propriétaires intelligents attachent le grelot et prêchent d'exemple. Je ne vous parlerai pas, Messieurs, des divers pro- cédés de rouissage industriels. Jusqu'ici ils ne parais- sent pas avoir produit de résultats avantageux, et M. Dalle qui vit au milieu de ces tentatives ne leur ac- corde pas une grande confiance. D'ailleurs je ne veux appeler votre attention que sur des méthodes agricoles ; je dépasserais le but que je me suis proposé et aussi les bornes d’un simple rapport. En résumé, je crois vous avoir fait entrevoir com- ment il est possible d'améliorer une culture produc- tive. Je désire que ces lignes puissent déterminer quel- ques essais, et le bien qui en résulterait füt-il mi- nime, je remercierais M. Dalle de m'avoir fourni d’oc- casion de le provoquer. RAPPORT SUR LES BOIS DÉCOUPÉS DE MM. RAYNALY PAR M. FERDINAND LACHÈSE. Messieurs, Par sa lettre en date du 27 février dernier, M. Raynaly, Charles, a adressé à notre Président un exemplaire des dessins de bois découpés par lui à l’aide d’une scierie mécanique, en le priant de lui faire connaître l’opinion de notre Société sur ces dessins, et M. Sorin a cru de- voir me demander un rapport sur la proposition de M. Raynaly. Pour répondre, le mieux possible, à la confiance de notre honorable Président, j'ai pensé qu’au lieu de me borner à examiner la feuille de dessin ci-jointe, il serait utile autant qu'’intéressant de comparer les tra- vaux de M. Raynaly avec ceux compris dans l’album de dessins pour bois découpés, exécutés dans les ate- liers de MM. Waaser et Morin, à Paris, et de comparer aussi les prix demandés par ces industriels pour des — 117 — dessins exécutés de mêmes dimensions et de mêmes genres. En conséquence, je me suis rendu chez M. Raynaly qui s’est empressé de me présenter son fils, son associé, et de me montrer l’ensemble et les détails de leur fa- brication ; cette visite, faite avec l'album de MM. Waaser et Morin en main, m’a conduit à me former l'opinion suivante : Le rapport de la 6e section du jury pour l'exposition quinquennale organisée par les soins de la Société In- dustrielle en 1858, nous apprend qu’une mention ho- norable fut accordée à M. Raynaly pour l’application de la scie verticale à la découpure du bois. Depuis cette époque, MM. Raynaly père et fils ont fait une étude attentive et suivie de toutes les améliorations obtenues dans cette branche de l’industrie fortement encouragée par l’activitéimprimée par l'Empereur à l’em- bellissement des bois de Boulogne, de Vincennes et d’autres propriélés voisines de Paris, au moyen des maisons de gardes, de chalets et autres bâtiments rus- tiques, dans lesquels les bois découpés occupent une place importante, aussi l’organisation de leurs scies verticales et autres ainsi que tout l'outillage, tels qu’ils sont aujourd’hui, m’ont-ils paru fort remarquables, et l'album dessiné, avec tant de talent, par M. Raynaly fils, démontre que ces Messieurs peuvent aussi bien que MM. Waaser et Morin, exécuter en bois découpés toutes les pièces, telles que lambrequins pour chalets, mar- quises, pavillons de jalousies , frontons de portes, mo- tifs de balcons, balustrades de saintes tables, panneaux de portes , de confessionnaux, de chalets et autres, con- — 118 — soles, corniches, rosaces de toutes formes, crêtes de toitures pour les kiosques et chalets rustiques, galeries pour marquises, culs de chaineaux, motifs de palis- sades et de barrières, etc., ct, bien plus, que MM. Raynaly ont assez perfectionné leur fabrication pour être à même d'exécuter des balustres ornés desti- nés à décorer, en leur donnant l'importance conve- nable, des grands escaliers avec rampes tournantes. Comparant enfin les prix demandés par MM. Waa- ser et Morin avec ceux établis par MM. Raynaly, j'ai reconnu que les prix des premiers étaient un peu plus élevés que ceux des derniers. En résumé, Messieurs, je crois que notre Société doit voir avec satisfaction qu’au milieu des embellissements et des améliorations de toutes sortes pour lesquels notre ville d'Angers se montre au niveau des progrès matériels et artistiques qui sont un besoin de l’époque actuelle, cette même ville contient des industriels assez actifs et assez intelligents, pour lui procurer les objets de décors que, naguères, il lui aurait fallu demander à d’autres cités voisines ou à la capitale. Nota. Depuis huit jours MM. Raynaly ont trouvé le moyen d'apporter dans leur outillage une amélioration qui leur permet de chanfreiner les découpures des bois, et l'échantillon que M. Raynaly fils m'a fait voir, dé- montre que ces chanfreins produisent des moulures pa- rallèles aux arêtes des dessins, et donnent à l’ensemble du travail une légéreté et une élégance qui me pa- raissent un motif de plus pour vous prier d'adopter les conclusions du rapport ci-dessus. RAPPORT sur UN PROJET DE BANQUE AGRICOLE PAR M. COUTRET. Messieurs, M. le Président, au nom de la Société, m'a fait l'honneur de me charger d'examiner une brochure im- primée à Toulouse, et qui lui est adressée par l’auteur, ancien élève de l’école spéciale de commerce et d'industrie; je devrais décliner mon aptitude à apprécier une œuvre de ce genre; je m’efforcerai cependant, dans une brève analyse, et à l’aide de quelques citations, de la soumettre au jugement de la Société. L'auteur énumère lestitres de la terre à notre recon- naissante sollicitude et à notre confiance : — « Cest le » sol, dit-il, qui paie l'impôt foncier, l'impôt mobilier, les » impôts de consommation, la nourriture, le logement, » le vêtement et jusqu'aux jouissances de tous; le — 190 — » sol paie, avec ses produits, les dépenses de toute na- » ture pour tous; et, par la faculté incessante qu’il a » de produire tout ce qui se consomme, on peut dire » qu'il est le capital mère d’où sortent toutes les va- » leurs, isolées ou accumulées, désignées par les éco- » nomistes sous le nom de capitaux... C’est des en- » trailles de la terre que l’homme arrache les métaux » qui servent à ses machines, à sa monnaie; elle est en un mot la source de toute richesse matérielle, ce qui revient à dire qu’elle est la source de tout ca- pital matériel. » Puis, après avoir proclamé, comme axiôme, que le sol, ce capital élernel, est un gage plus sùr, plus solide que ce qu’il appelle le gage-monnaie, V'auteur déplore la difficulté qu’éprouvent les propriétaires à emprunter, et surtout le taux de ces emprunts qui, outre l'intérêt légal de 5 0}, est aggravé par les frais de contrat, d'enregistrement, d’hypothèque, etc. Lescommerçants, n'ayant à offrir qu’une responsabilité toute morale, trouvent des fonds à un taux inférieur à leurs béné- fices, tandis que les propriétaires, avec un gage infail- lible, empruntent à un taux toujours supérieur au re- venu de l’immeuble. Le remède à ce résultat, qu’on dit être désastreux pour l’agriculture, est-il dans cet opuscule? Par quel moyen espère-t-on substituer à l'emprunt ruineux, le crédit gratuit qui est le but pour- suivi par l’auteur! Le Moniteur du 29 janvier 1857 publiait une note que le comte Mollien, par ordre de l'Empereur, avait adressée, le 29 mai 1810, à la Banque de France; on y expose que le privilége de cette banque consiste à GS Ÿ © — ot — créer, à fabriquer une monnaie particulière pour ses escomples, que le capital fourni en numéraire est, et doit rester, élranger à ces opérations d’escomptes, qu’il n’est qu’une assurance contre les erreurs, les im- prudences, les pertes, les avaries du portefeuille, au profit de ceux qui admettent les billets au porteur comme la monnaie réelle. Après avoir ainsi indiqué que le capital fourni par les actionnaires n’est qu'une espèce de cautionnement donné au public, la note ajoute : « On pourrait presque dire qu’une banque qui » serait parvenue à se faire une réputation d’infailli- » bilité n'aurait pas même besoin de capital pour » exploiter son privilége, c’est-à-dire, pour escompter, » avec les billets fabriqués par elle, les lettres de change » qui lui seraient apportées par le commerce. » C’est sur cette réflexion et sur l'autorité du comte Mollien que l’auteur base son projet de banque agricole ; il croit avoir découvert l2 secret de cette infaillibilité qui peut dispenser de tout capital; son plan est celui de la Banque de France, toutefois avec d'importantes modifications : Il demande, pour son institution, le privilége de fa- briquer, concurremment avec la Banque de France, des billets au porteur, non productifs d'intérêt, de mille, de cinq cents, de cent, de cinquante francs et même au dessous de cette somme. Le gage offert sera de beaucoup supérieur au capi- tal qui peutse trouver dans les caves et dans le porte- feuille de la Banque; au lieu de rentes eur l’Etat dont le cours est variable, de créances garanties par trois signatures de commerçants, et de valeurs métalliques — 192 — que le vol, que l'incendie peuvent amoindrir, la nou- velle banque présentera aux porteurs des billets les immeubles des fondateurs formant l’apport social, et les immeubles des emprunteurs, le tout d’une valeur double du total des billets destinés à devenir papier monnaie. Cette substitution d’un capital cautionnement en im- meubles à un capital social en numéraire, n’aura pas seulement l’avantage inappréciable d’une plus grande sécurité; la masse importante de capitaux enfouis dans les caves de la Banque, outre les soins qu’entraîne leur conservation, est improductive; tandis que le gage immobilier, restant entre les mains des fondateurs, conservera intégralement son revenu; aussi cette banque, n’ayant à prélever qu’un léger bénéfice et quel- ques frais de gestion, pourra fournir un crédit presque gratuit; le maximum de l'intérêt à percevoir est fixé à 3°. Nous avons parlé de bénéfices; suivant les gé- néreuses intentions de l’auteur, ils ne seraient point at- tribués aux fondateurs, trop heureux d’engager leurs immeubles et de se dévouer pour un si grand œuvre, ils seraient employés à des travaux agricoles d’un inté- rêt général; voici, au surplus, un extrait, presque complet , des statuls proposés : « Entre les soussignés, il a été formé une Société » ayant pour objet la fondation d’une institution de » crédit désignée sous le nom de Banque de la pro- » priété foncière et de l'agriculture. Elle a pour but : » 10 de procéder au remboursement des prêts hypo- » thécaires effectués jusqu’à ce jour... 20 de prêter aux » agriculteurs sur consignation de denrées; 3° d’avan- » » — 123 — cer des capitaux aux propriétaires, fermiers et tra- vailleurs du sol... » Pour atteindre ce triple but, la Société se propose de créer des billets de circulation comme ceux de la Banque de France, par coupures de 1000, 500, 200, 100, 50 fr. et au dessous, jusqu’à la plus petite cou- pure que pourront exiger les besoins du service. » Les propriétés foncières des fondateurs sont com- plétement libres de toutes hypothèques. » La somme des billets fabriqués par la banque agri- cole ne pourra dépasser la moitié de la valeur des immeubles affectés à leur garantie... > Dès que la première émission de billets sera effec- tuée, ces billets étant de droit hypothéqués sur les propriétés des emprunteurs, les fondateurs peuvent incessamment recommencer les opérations relatives aux prêts, en créant des billets de circulation au fur et à mesure que les derniers créés sont placés. » Le prêt est fait pour une période de dix années. » Le taux de l’intérêt ne pourra jamais dépasser trois pour cent... Pendant le 1er exercice annuel, le taux reslera fixé à 3 °, dont 2 0}, serviront à construire ou à louer les bâtiments nécessaires au logement de la banque, à payer les administrateurs et le person- nel, en un mot à suffire à Lous les premiers frais d’ins- tallation et d'administration. » Après le paiement de tous les frais de l’administra- tion, les bénéfices nets seront remis à l'Etat qui les emploiera exclusivement en chemins, canaux d’irri- gation, etc., au profit de l’agriculture, et au prorata, — 1924 — » autant que possible, des emprunis faits dans chaque » département. » Il sera fait, à la fin de chaque année, une réserve destinée à couvrir les pertes que la Société peul avoir » à subir vis-à-vis des emprunteurs sur consignation » de denrées, et des avances faites aux fermiers et tra- vailleurs du sol. » Je n’aurai pas la témérité de porter un jugement, et suriout un jugement de condamnation sur cette œuvre; n’eût-elle d'autre mérite que d’appeler l'attention sur l'industrie agricole, elle aurait, par cela seul, droit à notre intérêt. Qu'il me soit permis toutefois de hasarder quelques objections : Et d’abord au frontispice de sa brochure, l’auteur a inscrit deux propositions suivies de la signature comte Mollien. La re ainsi conçue : « Une banque qui serait parve- » nue à se faire une réputation d'infaillibilité n'aurait » pas besoin de capital, » — doit être relevée en ce qu’elle a, ici, une portée affirmative qui, dans la note du comte Mollien, est prudemment atténuée par ces mots qui la précèdent : « On pourrait presque dire qu’une banque, etc. » La seconde est celle-ci : — « Pour ne jamais finir, » une banque doit toujours être prêle à finir.» Je comprends très bien cette réflexion appliquée par M. Mollien à la Banque de France : finir, pour une banque, c’est liquider, c’est-à-dire, faire rentrer ses créances et payer ses dettes ; la Banque de France, qui 2 2 — 195 — ne prête qu’à deux et trois mois d'échéance, pourrait, en recouvrant ses valeurs de portefeuille ainsi échelon- nées, et en outre à l’aide de son capital réservé pour une grande partie dans ses caves, rembourser, en deux ou trois mois au plus, tous les billets au porteur par elle créés. La banque agricole aurait une situation toute diffé- rente : d’un côté, un capital immobilier dont l’aliéna- tion exigerait de longs délais et occasionnerait un très grand trouble; d’un autre côté, des créances hypothé- caires ayant dix années de terme, et dont le recouvre- ment, même après l'échéance, serait long et laborieux ; voilà tout son aclif. Comment donc cette banque tout immobilière, sans capital métallique, et ne fonctionnant qu'avec son papier-monnaie, rembourserait-elle ce pa- pier-monnaie ? L'auteur a prévu cette grave objection; mais il l’é- lude bien plus qu'il n’y pourvoit; il dit : « Le rembour- » sement n’est pas nécessaire, et on pourrait à larigueur » se passer d'espèces métalliques... Nous n’avons pas » besoin de prouver que les billets de la Banque de France » ne seraient jamais échangés contre des espèces, sil » existait des coupures assez nombreuses et par pe- tites sommes; car l’industriel ne va guères échanger un billet de banque que pour en diviser la somme en parcelles à ses ouvriers ou pour des appoints…. L'organisation de la Banque est si puissante que, quoiqu'il arrive dorénavant, on ne verra plus de peureux se précipiter à la fois vers ses coffres pour échanger ses billets contre des espèces métalliques; … Nous affirmons, sans crainte d’être contredit, que les SOC. D’AG. 9 S © Y S © v% > — 196 — » billets de la banque agricole n’ont pas besoin d’être » remboursables en espèces. » J'avoue humblement que, pour moi, ces affirmations auraient besoin de preuves, et qu’elles me semblent susceptibles d’être contredites. Alors que la banque et le gouvernement, si bien en position d'étudier ce qui convient au public, n’ont pas jugé utile la création de billets inférieurs à cent francs; alors que l’abon- dance croissante de l’or fait rechercher avec moins de faveur même les billets de cent francs, il m’eût paru irès nécessaire de démontrer l'efficacité absolue de cette mesure. Jusqu’à preuve contraire, je croirai qu’à part les avantages qu’offrent les billets de Banque pour la prompte numération et le transport des sommes de quelqu’importance, le public leur préférera toujours, et avec raison, les métaux admis partout et ayant cours légal en France. Je ne nicrai certes pas la confiance très justifiée dont jouit la Banque de France, et qui lui permet de jeter dans la circulation une somme de billets au por- teur plusieurs fois égale à son fonds social. La sécu- rilé est d'autant plus grande que chacun sait qu’en présentant un billet à la caisse, on obtient à lins- tant sa valeur en espèces; mais si un seul refus était exprimé et connu, nous verrions la foule se précipiter inquiète vers les bureaux de la Banque. En 1848, la panique fut telle que le gouvernement provisoire dé- créta le cours forcé des billets pour un certain temps. Notre auteur ne veut pas que les billets soient échan- geables contre espèces, et cependant il repousse le cours forcé, « triste moyen, dit-il, dont on a pu user — 197 — » momentanément, mais qui enlève la confiance au » lieu de la donner. » Il faut pourtant bien opter entre le cours forcé et le remboursement à tout porteur qui, à tort ou à rai- son, le demandera. Il ajoute : « — Pourquoi ce cours forcé, d’ailleurs, » puisque le gage représente une somme plus que » double des billets émis, et que la banque agricole » possède tous les caractères d’infaillibilité sur lesquels » repose la plus entière confiance? » Cette raison n’est pas suffisante : La solvabilité est la source du crédit, et le crédit est proportionné au degré de confiance que l’on inspire. Tel banquier ne manque pas de prêteurs qui se contentent d’un intérêt de 2 ou 8 °/o, quand un autre doit offrir 5 °/, aux capitalistes qui elimentent sa banque; mais aucun n’obtient l’ar- gent d'autrui qu’à la double condition de payer un in- térêt quelconque et de s'acquitter très-exactement. L'institution du crédit foncier, qui donne à ses bail- leurs de fonds la garantie de placements hypothécaires, n’émet ses obligations au porteur facilement transmis- sibles, mais à échéances éloignées ou incertaines, que moyennant un intérêt anncel qui, eu égard aux lots et primes, doit atteindre 5 0/0. Comment donc espérer que le public acceptera, sans intérêt, les bons de la banque agricole toujours par- faitement solvable, mais ne payant jamais, n’ayant pas dans sa caisse une seule pièce de monnaie, et pouvant être à tout instant contrainte à liquider par le porteur d’un seul billet qui, leur cours n'étant pas forcé, use- rail de son droit en exigeant le remboursement ? — 128 — Sans aucun doute la Banque de France n’a pas en permanence dans ses caisses de quoi solder tous ses billets en circulation; mais l’encaisse métallique ne doit jamais être moindre que le tiers de leur valeur; c’est, d'après sa longue expérience, plus que suffisant pour satisfaire aux désirs des porteurs de ses billets. Ce n’est pas tout : parce que la Banque de France a fait accepter, comme monnaie courante, une certaine somme de billets, plus faciles à compter, à porter el à expédier que les espèces métalliques, croit-on qu’en élevant proportionnellement son fonds social, elle réus- sit, je ne dirai pas à tripler ou doubler, mais à aug- menter un peu leur émission? L'émission effective n’est pas limitée par l'insuffisance des garanties, mais par les habitudes et les besoins de la circulation. Ce que la Banque de France tenterait en vain, banque agricole pourrait-elle le réaliser? Admettons un instant qu’elle parvint à se substituer, dans la confiance publique, à la Banque de France, et à opérer ainsi une révolution financière dont je n’oserais préciser les conséquences pour le commerce et l’indus- trie, elle ne ferait pas entrer dans la circulation une somme de papier-monnaie notablement supérieure à celle que représentent les billets de la Banque de France. La valeur de ces billets circulant réellement n’atteint pas sept cents millions ; que serait cette somme, que serait un milliard pour les vastes plans de la banque agri- cole qui veut éleindre toutes les dettes hypothécaires actuelles — 4 milliards, dit-on — et en outre fournir les fonds nécessaires à d’immenses améliorations! D'ailleurs la banque agricole n’échouerait-elle pas — 199 — dans sa concurrence avec la Banque de France? N’est- il pas permis de supposer que le public préférerait la solvabilité éprouvée d’une banque qui solde à vue ses billets, et se défierait de la Banque nouvelle qui, re- tranchée derrière son infaillibilité, n’assurerait ni le remboursement ni la transmission des titres? Les em- prunteurs ne craindraient-ils pas sérieusement de ne pouvoir utiliser un capital en papier sans valeur légale, et dont ils devraient néanmoins servir l’intérêt à 3 °/o jusqu’à l’expiration du terme stipulé ? Ïl existe, dans un pays voisin, un établissement qui a quelqu’apparence d’analogie avec le projet dont nous . nous occupons, c’est la banque hypothécaire de Mu- nich. Elle est autorisée à émettre des billets au por- teur, mais seulement jusqu’à concurrence des quatre dixièmes du capital social; cette grave restriction n’a pas suffi; le capital étant engagé pour de longues échéances, il a fallu donner cours forcé à ses billets. En France, et depuis fort longtemps, la question est à l’étude; je n’essaierai pas d’en faire l’historique; ce serait sortir du cercle très restreint dans lequel je dois, à tous égards, me renfermer. Je rappellerai, toutefois, une tentative faite à la fin du dernier siècle, et qui, quoiqu’infiniment moins har- die que celle proposée à notre examen, n’a jamais, que Je sache, reçu d’exécution; je veux parler des cédules hypothécaires. Le conservateur devait remettre à tout propriétaire , jusqu’à concurrence des trois quarts de la valeur de ses immeubles, des obligations hypothé- cairement garanties et transmissibles par endosse- ment. — 430 — Ce systême, improvisé et trop légèrement organisé par la loi du 9 messidor an 3, aurait pu faciliter le cré- dit basé sur la propriété immobilière; mais, entr’autres graves inconvénients , il faisait une situation inaccep- table aux conservateurs qu’il rendait responsables, sinon de l’origine et de l'établissement de la propriété, tout au moins de l’estimation donnée aux immeubles de leur arrondissement. En évoquant ce souvenir, j'ai voulu montrer com- bien il faut de prévoyance, de patientes médilations, d'observations pratiques pour faire passer une idée généreuse, louable en elle-même, à l’état de projet réalisable. Depuis cet essai malheureux, de nombreuses re- cherches ont été faites en Allemagne, en Belgique, partout où des expériences avaient eu lieu ; un volume suffirait à peine pour indiquer toutes les propositions, tous les mémoires publiés sur ce sujet. La brochure dont nous rendons compte n’a pas cru devoir mentionner la caisse hypothécuire, la caisse d’a- morlissement, le crédit agricole, établissements de créa- tion plus ou moins récente; si elle parle du crédit fon- cier, ce n’est pas pour en faire l'éloge; je cite : — « Quel propriétaire intelligent ira emprunter au crédit » foncier au taux de 6 c/o, même en y comprenant » l’amortissement du capital emprunté et qui doit être » éteint après un nombre d'années déterminé à l’avance? » À moins d’être besogneux ou aveugle, on évitera d’a- » voir recours à cette institution : car si un propriétair » emprunte la moitié de la valeur d’une terre en s’en- gageant à payer 6 0}, par an, et qu’il n’en retire que Ÿ — 131 — » 3°, il va de source qu’il ne lui reste rien. » Son revenu y passera, soit; mais il eût été juste d’ajouter qu'à l'expiration du temps convenu, cet emprunteur sera entièrement propriétaire de la terre dont il ne possédait, ou du moins dont il n’avait payé, que la moitié. ” Je n’entreprendrai pas de venger le crédit foncier de ces critiques trop peu mesurées; je dirai seulement qu’il vit, qu’il rend des services limités mais incontes- tables ; tandis qu’il nous semble possible, raisonnable même, de mettre en doute la viabilité de la banque agricole, telle qu’elle est conçue dans cette brochure. PROCES-VERBAUX DES SÉANCES. SÉANCE DU 93 JANVIER 1861. Étaient présents au bureau, MM. Sorin, président, E. Lachèse, secrétaire général. M. Courtiller, président honoraire, est invité à y prendre place également. Le procès-verbal de la précédente séance est lu et adopté. M. l'abbé Chevalier, archiviste, fait connaïître qu'il ne peut assister à la séance et demande que l’on re- mette-à la réunion prochaine la Revue, promise pour ce jour, des principaux sujets traités dans les ouvrages envoyés dernièrement à la Société. Cet ajournement est prononcé. M. le Président donne connaissance de la correspon- dance. M. Janin fait connaître que l’augmentation de ses occupations de chaque jour lui interdit tout loisir et l’oblige à donner sa démission, vu l'impossibilité où il se trouverait d’assisier aux réunions de la Société, — Insertion au procès-verbal, — 133 — M. Alexandre de Vallenent, ou Vallemore, sous le ütre de Directeur fondateur du systême d'échange inter- national scientifique, littéraire et agricole, adresse à la réunion trois publications de Sociétés anglaises, et de- mande que la Société d'Agriculture d'Angers mette à sa disposilion des exemplaires d'ouvrages dans tous les genres pour être déposés dans les établisements pu- blics des nations faisant déjà partie de sa grande et pacifique association. L'assemblée, se fondant sur ce que les présidents el secrétaires de chaque société sa- vante prennent le soin de veiller aux envois conve- nables et trouvent, à cet égard, en Son Excellence le ministre de lInstruction publique, un intermédiaire obligeant et gratuit, dit que la proposition à elle faite ne sera nullement prise en considération. M. Le Président présente un résumé des travaux de la Société pendant l’année 1860. Aucun membre de la réunion, assurément, n’a oublié les analyses présentées par MM. Villemain et de Fal- loux à la fin des trop rares séances dans lesquels ils ont mis en exercice leur litre de présidents d'honneur de cetle Société. On sait avec quelle perspicacité, quelle finesse dans le jugement, quel éclat dans leur parole, ils appréciaient les œuvres qui venaient d’être lues devant eux, les comparaient et achevaient souvent, on peut le dire, d’en donner à l’auditoire une pleine et profonde intelligence. Ce soin pris par les deux célébres académiciens pour les travaux d’un seul jour, M. Sorin l’a étendu aux tra- vaux d’une année entière. Chaque auteur a trouvé tour- à-tour, dans cette revue, sa bienveillante appréciation ; — 134 — chaque auditeur y a retrouvé des souvenirs pleins d’in- térêt. C’est en effet, pour la prose : la notice sur la Mort de Beaurepaire, par M. le docteur A. Lachése, et le rapport auquel cette notice a donné lieu; le mé- moire sur la Noblesse avant 1789, par M. Th. Crépon et le rapport également provoqué par les hautes consi- dérations de ce travail; l’Avocat au criminel, par M. Affichard; une notice sur le Plain chant et un extrait de l'Histoire de Guingamp, par M. E. Lachèse; la Chaperonnière, notice par M. A. Lemarchand; des con- sidérations sur l’Eloquence, par M. Bougler; des obser- vations sur la traduction de l’une des Odes d’'Horace, par M. Sorin; des notices de M. le docteur Farge sur le Colza et la chaux de Falhun ; un mémoire de M. Dain- ville fiis sur la Construction des voûtes en briques ; plu- sieurs communications sur des sujets d'histoire na- turelle, par M. Courtiller, jeune, de Saumur. La poésie compte deux pièces de vers, Paysage et le Mois de Marie, par M. V. Pavie; le Château des Ponts de Gé, par M. P. Belleuvre, qui aime à chanter le beau fleuve de notre Anjou, ce Loyre gaulois que, sur les bords du Tibre, regrettait tant le poëte Joachim Du- bellay; les poésies de M. Chudeau, que M. Belleuvre a eu le mérite de dénoncer à l’attention de ses conci- toyens; —— puis, des stances sur l’Amitié fraternelle et la traduction d’un fragment du Prœdium rusticum de Vanière, par M. J. Hossard; enfin, une épître à M. Bo- dinier, par M. A. Maillard. Tels sont les principaux sujets DOS dans cette revue détaillée, dans ce fidèle inventaire de nos ri- chesses, M. Sorin se garde bien d’y oublier la séance — 135 — du 12 juin 1860, où l’assemblée eut la bonne fortune d’être présidée par M. Villemain. Il rappelle que la So- ciété à fait parvenir à l’administration municipale d'Angers, une demande, favorablement accueillie, ten- dant à ce que le nom de David soit donné le plus tôt possible à l’une des rues ou l’une des places qui se créent dans notre ville : il espère même qu’une plaque commémorative viendra indiquer aux étrangers la mai- son modeste dans laquelle est né le célèbre statuaire. Une décision déjà remontant à plusieurs années a été prise en ce sens par l’administralion. Jetant un regard sur les diverses sections de la So- ciété mère, il rend un juste hommage aux travaux de la Commission archéologique, dont l'importance semble avoir provoqué l'allocation de 400 francs faite dernière- ment à la Société : il mentionne la médaille d’hon- neur donnée au Comice horticole à la suite de l’expo- silion récemment faite à Berlin, et signale les utiles et nombreux résultats du cours d’arboriculture fait par M. Audusson. L'assemblée s’empresse de voter l'impression de cet intéressant travail. M. Courtiller, conseiller, lit une notice sur une de- mande en réhabilitation formée au cours du dernier siècle, contre une condamnation à mort prononcée par une juridiction de Saumur et suivie d’exécution. La Société vote l’impression de ce document, en présence duquel on doit apprécier avec bonheur et reconnais- sance les progrès faits depuis ce temps par les lois cri- minelles. M. Textoris lit des considératious sur l’Imposition — 136 — des noms et sur leur influence, analysant à cet égard les usages successivement suivis par les hommes des pre- miers âges, les Hébreux, les Grecs, les Latins, les Gau- lois, les chrétiens, avec lesquels commence l’habitude d'ajouter un nom de saint au nom de naissance, et les nations postérieures à Philippe-Auguste, parmi les- quelles les noms de famille se transmettent avec une régularité inconnue jusque là. Une commission est nommée pour faire un rapport sur ce travail : elle se compose de M. Coutret, M. l’abbé Bodaire et M V. Pavie. M. Godard-Faultrier, chargé de faire un rapport sur le mémoire de M. Dainville fils, relatif à la construc- hion des voûles en briques, annonce qu’il ne peut rem- plir cette tâche aujourd’hui, M. Dainville ayant désiré compléter son travail. Remise à une séance prochaine. M. Sorin prend la parole au nom de la commission chargée de donner son avis sur le concours relatif au drainage, concours clos le 15 décembre 1860. Un seul mémoire a été envoyé; mais ce mémoire ré- pond de la manière la plus heureuse et la plus com- plète à toutes les données de cet intéressant sujet Considérations générales sur les avan'ages et les in- convénients de ce moyen d’asséchement; examen des diverses conditions que doivent remplir les terrains où il est mis en pratique; erreurs à éviter, améliorations à rechercher ; tout est examiné judicieusement et expli- qué d’une manière pratique dans ce mémoire auquel la Commission estime qu’il y a lieu d'accorder le prix voté. L'assemblée adopte cet avis, et l'enveloppe indiquant — 137 — le nom de l’auteur à la suite de la devise inscrite déjà sur l’ouvrage, est ouverte. La devise est ce passage du 4e psaume : À fructu frumenti, vini et olei sui multi- plicali sunt. Le nom est celui de M. Louis Tavernier, rédacteur en chef du journal de Maine et Loire. — Le prix lui sera remis ultérieurement. L'ordre du jour appelle le rapport de la commission chargée d'examiner les comptes de 1860 et de prépa- rer le budget de 1861. Vu l’absence du membre de la commission chargé du rapport, ce double examen est remis à la séance prochaine. Un des membres de la commission qui, réunie au burcau, forme le comité de rédaction, M. Th. Crépon, nommé Procureur Iinpérial à Laval, doit nécessaire- ment être remplacé. M. Paul Lachèse est nommé pour lui succéder. Les 4 membres de cette commission sont dorénavant MM. Courtiller, Coutret, Béclard et Paul Lachèse. La commission nommée pour faire son rapport sur la présentation de M. Klein, comme membre titulaire, n'ayant pu se réunir, ce rapport est remis à la séance prochaine. L'ordre du jour étant épuisé, la séance est levée. E. LACHÈSE. — 138 — SÉANCE DU 27 FÉVRIER 1861. Présents au bureau : MM. Sorin, président, E. La- chèse, secrétaire-général, Affichard, secrétaire, Bel- leuvre, trésorier. Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté. M. le Président donne à la Société l'indication som- maire des ouvrages entrés depuis la dernière réunion dans notre bibliothèque. Il regrette particulièrement à cet égard l’absence de M. l’abbé Chevallier, archiviste, qui devait faire le résumé des divers sujets traités dans les ouvrages nouveaux. Cette intéressante revue est remise à la prochaine séance. La correspondance contient deux lettres : l’une de M. Gaspard Bellin, de Lyon, membre d’un très grand nombre de Sociétés savantes; il sollicite, en offrant un de ses ouvrages à la Société, le titre de membre cor- respondant. MM. Prou, Pavie et Affichard, sont invités à prendre communication du travail de M. Belin et à émettre leur avis sur sa candidature. L'autre lettre est de M. Duménil-Marignan, de Paris, qui nous fait hom- mage d’un livre intitulé : Les libres échangistes et les proteclionistes conciliés. MM. Allain-Targé, Moricet et Farge voudront bien examiner et apprécier les nou- velles doctrines Ge M. Duménil, selon le vœu qu’il en exprime. M. le Président, en parcourant la Revue des Sociétés Savantes (n° de janvier 1861), se félicite d2 voir que nos travaux n’y sont pas oubliés. Une mention spéciale — 139 — est donnée aux études de MM. Bonneserre (Recherches lstoriques sur Châteaugonthier), Barbier de Montault (Notice sur deux livres d'heures du quatorzième et du quinzième siècles). Les vers de M. Belleuvre /Ode à l'I- tale) sont appréciés dans la même Revue d'une manière flatieuse; s’il se rencontre une légère critique, elle sert à confirmer le bon aloi de l’éloge. M. Raynaly fils adresse à la Société des dessins de bois découpés, sur le mérite desquels M. Ferdinand Lachèse voudra bien donner son appréciation. L'ordre du jour appelle la lecture d’un travail sur le rouissage du lin. Son auteur, M. Tavernier, n’a pu en- core le terminer; il veut faire des recherches plus com- plètes, prendre des renseignements nouveaux, afin de donner sur un sujet qui intéresse l’Anjou tout particu- hérement, une étude approfondie. M. Léon Cosnier ne pouvant assister à la séance, nous attendrons, non sans regret, jusqu’à la réunion pro- chaine, la Nouvelle substance alimentaire qu’il nous promet. La Société a gardé souvenir du travail de M. Dain- ville sur la Construction des voûtes en briques, aussi écoute-t-elle avec intérêt et ratifie-t-elle le rapport de M. Godard-Faultrier qui conclut à l'impression du mé- moire. L'impression avec la gravure serait nécessaire- ment onéreuse, à cet égard le conseil d'administration examinera et avisera. M. Victor Pavie donne lecture de son rapport sur le mémoire si justement apprécié de M. Textoris, relatif à l’Imposition des noms, et conclut à l'insertion de ce travail dans nos mémoires. La Société souhaiterait de — 140 — prendre une même décision à l’égard du rapport, maïs ce serait une infraction aux règlements. Ecouter, être charmée, ellene peut rien faire de plus ni de mieux... à à moins d'écouter encore. « Si les noms de la Bible, écrit M. Pavie, par leur symbolisme divin, et ceux des nrerniers peuples, par leur aspiralion religieuse , étaient dirigés vers l’ave- nir; si le présent résumait toute leur signification chez les nations de l’antiquité classique, on peut dire que chez nous ils sont tournés vers le passé. Mais quel passé que celui aux sources duquel nous buvons les promesses d’un lendemain sans terme comme sans nuage! Du berceau à la tombe tout s'oriente vers la croix; c’est d’elle que partit le mot d’ordre de la vie; ceux qui étaient morts en le proclamant le redisent aux générations par les lèvres de leurs blessures, et l’on vit sur tout front naissant tomber, mêlée aux ondes du baptême, une goutte du sang des martyrs! » « Plus heureux que l’esclave, le serf, libre de par Dieu, avant de répondre à la domination seigneu- riale, répondait au souvenir, parfois même à l’exem- ple d’un Pape, tel que saint Pierre, ou un docteur tel que saint Paul. » Le rapporteur s’afflige de la vulgarité de notre temps l'endroit du patronage donné à nos enfants; cer- tains noms ne peuvent se faire admettre, dit-il, « que » CRC sous le couvert d’une autre langue, ce qui n’est guère plus flatteur pour la religion que pour la pa- trie. Plus d’un enfant de l'Eglise doit à la maladresse de son parrain un nom fâcheux confié sous le sceau — AM — » du secret aux registres de la paroisse, d’où il ne sor- » tira plus que pour s'inscrire sur la pierre de son » tombeau. Tout n’est pas éternel; 1l s’opère çà et là » des retours de faveur, des réhabilitations imprévues. » Combien de temps le plus doux, le plus auguste, le » plus efficace de tous les noms eût-il été relégué dans » l'obscurité des hameaux, si un jour la pensée n’était » venue à M. Planard d’arranger pour Hérold un opéra » sous le titre de Marie!.... Mais arrêtons-nous sur la » pente du réquisiloire. » L'étude de M. Textoris est renvoyée au comité de ré- daction. M. Théophile Crépon, nommé récemment procureur impérial à Laval, et dont les travaux ne sont pas oubliés, prendra désormais rang parmi nos membres corres- pondants. M. le Président invite M. Guinhut, notre bibliothé- caire, à donner lecture d’une pièce de vers sur les Ruines de l'église Toussaint, dont il fait hommage à la Société. Cette composition se distingue par l’aisance du rhythme aussi bien- que par la délicatesse de la pensée. Le poëte refait en songe, dans le désir pieux de son cœur, les splendeurs gothiques du temple saint; doux rêve, au prompt et froid réveil. Les ruines du sanctuaire mutilé sont là : ; Je te revois alors tel que te voit notre âge, Sans voûte, sans vitraux, sans autel pour ton Dieu, Laissant s’amonceler les débris que l'orage Jette souvent dans ton saint lieu! SOC. D’AG, 10 — 142 — Je te revois, laissant le lierre etla pervenche Disputer à des morts quelque informe tombeau, Couvrir, tout en grimpant, la colonne qui penche En dépit d’un socle nouveau! + J’admire, en soupirant, un reste de statue Que le temps oublia d’emporter avec lui, Et dont l’ombre du soir, en tes murs descendue, Semble vouloir cacher l’ennui! Saint temple tout brisé, divine basilique, Où neuf siècles durant ont prié nos aïeux, Tu n’as pu leur survivre et ta voñte gothique En poussière gît avec eux! A te voir on dirait qu'un hymne de souffrance De tes débris sacrés s’élève jusqu’à Dieu! Hymne mystérieux, chanté par le silence, Et la nudité du saint lieu! Ces quelques strophes en disent assez; ce sont là des vers, grâce à Dieu, c’est aussi de la poésie. Nonobstant la rudesse de la transition, la Société n’est pas indifférente à notre budget; la commission des comptes lui affirme, ce dont elle ne doutait pas, que tout est pour le mieux dans la meilleure des comp- tabilités. Des remerciements sont donc votés à qui de droit. La séance est terminée par la remise à M. Louis Tavernier, lauréat du concours ouvert en 1860, de la médaille votée par le Conseil général du département. M. le Président se fait auprès de notre collègue l’inter- prête de la sympathie de tous. La séance est levée à neuf heures et un quart. Le secrétaire-particulier. E. AFFICHARD. Per — SÉANCE DU 25 MARS 1861. Présents au bureau : MM. Sorin, président, Affichard, secrétaire particulier, Belleuvre, trésorier. Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté. M. le Président fait connaître la liste des ouvrages dont la bibliothèque s’est enrichie depuis la dernière séance, et procède ensuite à l'examen de la correspon- dance. M. le Préfet, par une lettre en date du 7 mars der- nier, invite la Société à donner le plus de publicité possible au programme du prochain concours des ani- maux de boucherie, coucours qui doit avoir lieu à Poissy. MM. Crépon, procureur impérial à Laval, et Bertin, récemment nommé professeur de rhétorique à Nantes, écrivent tous les deux à M. le Président, l’un pour re- mercier ses collègues d’avoir bien voulu le nommer membre correspondant, l’autre pour solliciter ce titre. M. Bertin y a droit à tous égards et la Sociélé s’em- presse de le lui conférer. La revue de la correspondance est terminée par la lecture d’une lettre de Mm° Esther Sezzi, membre de plusieurs académies, qui désire nous faire entendre quelques unes de ses œuvres poétiques. La Société pense qu’elle ne saurait à cette occasion déroger à ses usages ; M. le Président se propose, en conséquence, de répondre négativement à la dernande qui lui a été adressée. — 144 — Avant de passer à l’ordre du jour, M. le Président nous donne communication d’une lettre écrite à M. le Préfet par les membres du conseil d'administration et qu’il convient de reproduire en entier : « Angers, le 28 février 1861. » Monsieur le Préfet, » Nous avons l'honneur de vous informer que dans sa séance mensuelle d’hier, la Société impériale d’agri- culture, sciences et arts a remis à M. Louis Tavernier, lauréat du concours ouvert en 1860 sur la question du Drainage, la médaille votée par le Conseil général du département. » Nous saisissons avec empressement l’occasion de vous dire, Monsieur le Préfet, combien notre Société été flattée d’être désignée la première pour faire en 1861 l'application de la décision du Conseil général, portant qu’à l'avenir, au lieu de quatre médailles de cent vingt-cinq francs décernées par quatre com- pagnies, il sera délivré chaque année par une seule Société une médaille de cinq cents francs. » Notre compagnie a déjà cherché et cherchera en- core, par tous les moyens en son pouvoir, à stimuler la production d’un travail digne du prix offert. » Elle serait heureuse si, aux marques de haut inté- rêt dont vous l’avez déjà honorée , vous vouliez bien, Monsieur le Préfet, ajouter celle de vous faire auprès du Conseil général dans sa prochaine session, l’inter- prête de la reconnaissance vivement sentie qu’elle lus doit ainsi qu'à vous. — 145 — » Nous vous prions, Monsieur le Préfet, d’agréer l'hommage de notre profond respect. » Les membres du conseil d'administration de la Société. » (Suivent les signatures.) L'absence de MM. Chevallier et Tavernier prive la Société d’un résumé sur le caractère et l'importance des publications récemment entrées dans la biblio- thèque et d’un travail sur le Rouissage du lin. M. Cosnier est invité par M. le Président à donner lecture de l'étude qu’il a faite sur Une nouvelle subs- tance alimentaire; il s’agit de la viande de cheval. M. Cosnier avoue, qu’au début, ses recherches lui ré- pugnaient singulièrement. Manger, se disait-il, de ce fougueux animal dont les fiêres attitudes et les nobles allures m'ont tant de fois charmé et subjugué! Non- obstant, le premier remords vaincu, notre collégue a pris intérêt à son travail, puis enfin il s’est incliné, avec une résignation de plus en plus raisonnée, devant l'autorité des faits. Naturalistes et médecins s'accordent à dire que la viande de cheval donne à la fois une nourriture saine et économique. Là où le cheval sau- vage existe, il est chassé et mangé; le cheval domes- tique en certains pays sert aussi de nourriture; il y aurait évidemment intérêt à l’extension de cet usage. Des expériences nombreuses ont été faites à l’école d’Alfort, et le résultat a été concluant. D’abord quel- ques répugnances se sont manifeslées, mais bientôt, notre collègue le déclare, le succès de la viande de cheval a dépassé toute prévision. M. Cosnier continuera — 146 — cette étude, et il ne désespère pas le moins du monde de nous convertir à sa nouvelle substance alimentaire. Entre le réalisme des expériences d’Alfort, et les grâces poétiques du Champ de blé de M. Mazure, il y a certes les profondeurs d’un abîme. M. Victor Pavie n’a gardé de s’en faire souci, à d’autres le vertige! D'un coup d’aile il franchit l’espace et comble la dis- tance. M. Mazure est un homme « d’études et de rê- veries, >» qui aprés avoir vécu il y a trente-cinq ans à Angers, et en être sorti « par la dernière porte de son enceinte féodale, » n’a pu oublier ni le charme de ses paysages, mi la fraîcheur de ses eaux, ni la couleur de ses épis. Mieux que personne il peut dire : Ande- gavus sum et nihil andegavi alienum a me esse puto. Quel est « le secret d’une acclimatation dont plantes et hommes subissent la magique influence? » MNescis quid molle, murmure le critique; n’importe ajoute-t- il, « douceur ou mollesse, ie secret est là. » Citons un passage du compte-rendu qui nous initiera d’une façon intime aux sentiments délicats et aux suaves pensées de l’écrivain : « Au-dessus des froids calculs du spéculateur ab- sorbé Gans la conversion en boisseaux et deniers des merveilles d’une campagne, il y a le vol du poète et le souffle de l'artiste, s’y mêlant, associant ses impres- sions personnelles à tout ce qui frissonne et ondule dans la profondeur des sillons. Mais ces impressions, en tant qu'humaines, sont trompeuses, le caprice les transforme, l'humeur les pervertit; au-dessus d’elles et plus proche de Dieu, il y a la faculté d’interroger avec droiture les spectacles offerts par la fréquenta- — 147 — tion des champs, d’en recueillir les réponses et de les transmettre autour de soi, dans un langage du maître... . Dans la série des évolutions parcourues par le grain de blé, depuis le soc de la charrue jusqu’à la lance de la faucille, l’auteur n’a pas trouvé matière à moins de cent... comment appellerai-je ces fraîches et rapides études où le sentiment éclaire et stimule l’ob- servation; poème par le mouvement, tableau par la couleur, cantique par l’enthousiasme et dont les titres que voici indiqueront mieux que nous la physionomie et l'accent : Brin d'herbe, l'hiver de l'âme, l'âme sous de soleil, le chœur des résignés, le Sauveur parmi les blés, la fleur qui tombe, suprême récolle. » IL est facile, désormais, de pressentir ce que l'esprit du moraliste et ce que l’âme du poète ont dû dire et chanter dans ces gracieuses pages. La séance est terminée à neuf heures et un quart par un vote unanime sur l’admission de M. Klein. Le secrétaire particulier LE. AFFICHARD. SÉANCE DU 24 AVRIL 1861. Présents au bureau : MM. Sorin, président; E. La- chèse, secrétaire général; Affichard, secrétaire; Bel- leuvre, trésorier. M. Affichard, secrétaire, donne lecture du procès- verbal de la dernière séance; ce procès-verbal est adopté. Vu l’absence obligée de M. le bibliothécaire, M. Bel- — 148 — seuvre veut bien le remplacer pour donner lecture de la liste indiquant les titres des ouvrages récemment en- voyés à la Société. En l'absence de M. l'abbé Chevallier, archiviste, il est donné lecture d’un aperçu, tracé par lui, des prin- cipaux sujets traités dans les publications parvenues à la Sociélé depuis quelque temps. M. l'abbé Chevallier signale les deux départements du Nord et du Pas-de- Calais comme ceux où les Sociétés savantes lui semblent montrer le plus d’activité dans les recherches et dans les travaux étendus. Dans le domaine de l’industrie, la Société de Mulhouse continue à se distinguer par le nombre, l'importance de ses publications et le soin extrême apporté à l’exécution des dessins lithogra- phiés qui les accompagnent. La Société écoute avec intérêt ce compte-rendu, et tout en remerciant son au- teur, émet le vœu de voir cet exernple parfois suivi par quelques-uns de ses membres. M. le Président donne connaissance de la corres- pondance : 10 La Société d'agriculture, sciences, arts et commerce du Puy, adresse à la réunion un volume de ses annales. 20 M. Montaubin, nommé substitut dans le départe- ment de la Mayenne, fait connaître son désir de voir le titre de membre correspondant succéder pour lui à celui de membre titulaire, que son éloignement l’em- pêche de conserver. La Société s’empresse de nommer M. Montaubin membre correspondant, et manifeste son espérance de voir ce litre devenir une vérité au profit de ses séances. 30 M. Frederico Lancia di Brolo, secrétaire de l’Aca- — 149 — démie des Sciences et Belles-lettres de Palerme, envoie un exemplaire des deux derniers volumes publiés par celte Société, et témoigne le désir d’être nommé membre correspondant de la réunion d'Angers. M. Léon Cosnier est désigné pour examiner ces volumes et faire un rap- port sur cette demande. L'absence de M. Louis Tavernier oblige de remettre à la séance prochaine la lecture de ses Observations sur le Rouissage du lin. M. Ferdinand Lachèse, architecte, fait un rapport sur les bois découpés de M. Raynaly. Il fait connaître l'importance de ce nouveau moyen d'ornement, em- ployé déjà aux chalets, maisons de gardes, et autres bâtiments rustiques du bois de Boulogne ou des envi- rons de Paris; puis, comparant les découpures obte- nues par M. Raynaly à celles exécutées par MM. Waaser et Morin, qui ont acquis une grande renommée pour ces sortes de travaux, il établit que les produits de M. Raynaly arrivent au même degré de précision et d'élégance, tout en atteignant un prix un peu moins élevé. De plus M. le rapporteur fait connaître que, depuis son premier examen et il y a huit jours à peine, M. Raynaly et son fils ont trouvé moyen d'apporter dans leur outillage nne amélioration importante qui leur permet de chanfreiner, c’est-à-dire d’adoucir dans leurs angles, à l’aide d’une section en biseau, les dé- coupures sortant de leurs ateliers. Cette amélioration donne à leurs produits une grâce et une légèreté toutes nouvelles. La Société vote l'impression de ce rapport, qui fera — 150 — apprécier à tous l'importance et le mérite de l’indus- trie nouvelle créée dans notre ville par MM. Raynaly. M. Prou fait un rapport sur quelques publications envoyées par M. Bellin, de Lyon, qui demande le titre de membre correspondant. M. Bellin, docteur en droit et juge suppléant à Lyon, a eu l’idée tout à fait utile et bien digne de servir d'exemple en tou: lieux, de dresser une liste exacte de tous les membres de la Société littéraire de sa ville, de- puis sa formation, avec indication des travaux de cha- cun d'eux. C’est une statistique complète de cette réu- nion ; c’est l'inventaire fidèle de son présent et de ses sou- venirs. Dans cette nomenclature, M. Bellin tient lui- même une place notable, par le nombre de ses écrits qui touchent à tous les sujets philosophiques, poli- tiques, historiques, économiques, géographiques ou ju- diciaires. Parmi ces travaux si divers, se trouve l’é- loge historique d’un magistrat de Lyon, M. Servan de Sugny, juge suppléant, éloge écrit par M. Belln et adressé à la Société. Quelques passages de cette notice nous apprennent que M. Servan de Sugny était au nombre de ces hommes privilégiés qui, voués à de graves et sévères fonctions, savent consacrer leurs courts loisirs à des distractions d’un goût élevé. Comme le chancelier de l’Hospital, ce magistrat faisait parfois des vers; dans quel esprit? Il le dit lui-même : J'aime à semer de fleurs l’étroit espace Qui du cercueil sépare nos berceaux ; Mais si ma Muse est parfois joviale, Jai toujours su respecter la morale, Et je me ris des méchants et des sots. — 151 — Aprés avoir entendu avec un vif intérêt le rapport élégant de M. Prou, l'assemblée décerne à M. Bellin le titre de membre correspondant. M. le Président expose qu'aucune indication n'étant donnée jusqu'ici du nom des personnes qui préparent des travaux pour la Société, il en naît une grande dif- ficulté pour la composition de l’ordre du jour de chaque séance el, souvent, la nécessité de démarches nom- breuses près des membres que l’on présume avoir quelque écrit préparé. Il pense, et cela d'accord avec les membres du conseil d'administration, qu’il serait convenable de connaître les personnes qui, dans le cours d’une année par exemple, pourraient promettre de donner à la Société au moins un écrit, et, autant que possible, l’époque à laquelle ce travail pourrait être achevé. Une telle promesse ne pourrait qu’activer le zèle et assurer les bonnes dispositions de ceux qui au- raient pris cet engagement, en même temps qu’elle donnerait au Président le moyen d'organiser beaucoup plus facilement le programme de chaque réunion. L'assemblée ayant pleinement agréé cette proposi- tion, une liste est à l’instant commencée et treize noms y sont inscrits, avec indication, au moins ap- proximative, de l’époque à laquelle seront lus Îles écrits des treize membres qui viennent de faire ceite promesse. Les moyens convenables seront employés pour que les membres non présents à la séance, puissent, s’ils le jugent convenable, donner leur pro- messe également. M. Chudeau, de Saint-Rémy-la-Varenne, adresse à la Société deux nouveaux fragments de ses poésies, Un — 159 — de ces fragments contient ces vers dont l’assemblée écoute la lecture avec intérêt : Le moyen âge avec ses églises gothiques Aux murs brodés parfois de dessins fantastiques, Aux voûtes dont la courbe éblouissait les yeux, A la pensée ouvrait des horizons pieux ; Ses cloîtres où, muet dans le crin des cilices Et de la solitude épuisant les délices, L'homme épris pour la Croix d’héroïques amours, Pâle exilé du monde, allait vivre ses jours; Le cimetière, ainsi qu’un empiètement d'ombre, Jusqu’aux portes du temple allongeant le bord sombre De son manteau, de croix, d’herbes et de cyprès Où l’oiseau chante aux morts des psaumes de regrets : Le moyen âge avec ses ravissements tristes, Vraiment, fut parmi nous le beau temps des artistes. Planant dans les blancheurs d’une aube inexplorée, L'Art, pur comme un enfant lavé par l’eau sacrée, Au bruit des passions mauvaises et de l'or, N’avait pas incliné son jeune et libre essor. Puisqu’à m’entretenir de ceschoses passées, J’ai cru voir un moment renaître en mes pensées Tout un monde échappé des ombres du trépas, Sachant l’art immortel je ne finirai pas Sans t’adresser un mot de suprême louange, A toi, le vrai grand homme, & maître, 6 Michel-Ange! Et sans te demander — moi chétif, mais fervent — Où tu pourrais avoir laissé ce feu vivant, Ces éclats de puissance et de beauté sévère Qu'’avec terreur chez toi l'homme admire et révère. L'art! le marbre! À ces mots, bouillonnant dans ton sein Des inspirations le radieux essaim, — 153 — La chevelure au vent, fier d’une sainte joie, Ton Moïse où l'éclair du Sinaï flamboie, Dans sa majesté forte a su nous révéler L'homme à qui Jéhovah voulut se dévoiler. Que ce marbre ou plutôt que cette forme auguste Atteste vaillamment, sculpteur au bras robuste, Par les sentiers de l’art ton passage vainqueur! Quand l'amour vint chanter son hymne dans ton cœur, Tu ne descendis pas de ta hauteur sublime ; Ce n’est pas toi d’ailleurs qui dans ce monde infime Aurais avec l’amour mêlé l’art et la foi, Homme aux âpres pensers, non, non, ce n’est pas toi! La sphère est plus sereine où ton esprit s’envole Dédaigneux de tout bruit, de toute fleur frivole, Dans les clartés du ciel, comme un aigle divin, Vers le grand et le beau tu poursuis ton chemin. L'ordre du jour étant épuisé, la séance est levée. Le secrétaire général, E. LACHÈSE. SÉANCE DU 22 MAI 1861. Etaient présents au bureau, MM. J. Sorin, prési- dent; E. Lachèse, secrétaire général; Belleuvre, tré- sorier; M. l'abbé Chevallier, archiviste. Il est donné lecture du procès-verbal de la séance précédente; ce procès-verbal est adopté. M. le bibliothécaire donne lecture de la liste des pu- blications récemment adressées à la Société. M. l'abbé Chevallier lit une Revue indiquant les principaux sujets traités dans les mémoires dernière- ment parvenus à la Société de différentes réunions. Il — 154 — signale dans les publications de la Société académique de Nantes, les études de M. le comte Ollivier de Ses- maisons sur l’agronomie, notamment les idées pré- sentées par cel écrivain sur la question de savoir s’il peut exister une littérature agricole, et quelles sont les conditions de cette littérature, questions auxquelles les pages de M. de Sesmaisons, sorte de Géorgiques quo- tidiennes et pratiques au plus haut point, semblent tout d’abord donner une solution aussi claire que la marche du philosophe ancien voulant prouver que le mouvement exisle. — Les annales de la Société d’Agri- culiure, sciences, arts et commerce du Puy, sont d’une grande richesse, et doivent beaucoup au zèle éclairé de M. Calemard de Lafayette, qui a créé dans celte contrée une commission permanente d’études historiques et de recherches paléographiques. — L'annuaire de l’Insti- tut des provinces, résumé des travaux des Sociétés sa- vantes, mentionne avec éloge les Sociétés d’Agricul- ture, Industrielle et Linnéenne d'Angers , et adresse des félicitations au président de cette dernière réunion, M. Aimé de Soland, rédacteur du Bulletin monumental. -— Le Comice agricole de Saint-Quentin est dans un état prospère. Les Veillées du Tourne-bride, publiées dans son bulletin, sont une œuvre utile dans laquelle M. de Varennes, agronome distingué, a résumé sous la forme d’entrelien, les notions les plus générales et les plus nécessaires de l’agriculture et de l’arboricul- ture, comme les choix des engrais à employer et les conditions à exiger dans le progrès de la grande science qui double pour nous les trésors toujours renaissants de la terre. M. l’abbé Chevallier signale, en dernier — 155 — lieu, un travail sur la Dégénérescence des prairies arti- ficielles et les moyens d'y obvier, écrit par M. Isidore Pierre et couronné, le 30 août 1860, par la Société d'a- griculture, sciences, belles-lettres el arts d'Orléans. M. Guinhut, bibliothécaire, lit un travail faisant suite à celui de M. l'abbé Chevallier et signale, en pre- mier lieu, un mémoire de M. Gustave Saint-Joanny, avocat, qui donne un avis utile à suivre en toutes con- trées, en faisant remarquer l’importance pour l’histoire intime des communes, des actes notariés antérieurs à 1790, et en indiquant les meilleurs moyens .d’assurer la conservation de ces documents. Maîtrises, popula- tion, tailles, usages locaux, et même, réparalion ou construction des principaux édifices publics, on trouve là le moyen de compléter les renseignements que des recueils spéciaux comme, à Angers, le journal de Lou- vet, ou le Billot de l'Hôtel-de-Ville, peuvent donner. C’est pour la ville de Thiers qu'a été écrit ce mémoire dont toutes les cités auraient tant d'intérêt à s’appli- quer les recommandalions. M. Bertin, dernièrement professeur Jde logique au Lycée d'Angers, et résidant à Nantes en la même qua- lité, écrit à M. le Président pour remercier du titre de membre correspondant que la Société s’est empressée de lui décerner. La Société se plaît à considérer ces remerciments comme une promesse de prochaine colla- boration. M. le Président donne connaissance d’une circulaire de MM. les membres de la commission du congrès des délégués des Sociétés savantes, portant la date du 10 avril dernier, annonçant qu’une souscription esi ou- — 156 — verte pour offrir une médaille d’or à M. de Caumont, en témoignage des mémorables services rendus par lui aux sciences, à l’agriculture, à la glorification des mo- numents nationaux, et en général, à la décentralisa- tion intellectuelle par l’union active et féconde des aea- démies de province. M. Tavernier, chargé de faire un rapport sur un mémoire de M. Dalle, relatif au rouissage, profite de cette mission pour presenter un ensemble d’obser- vations et de conseils du plus haut intérêt sur la pré- paration des plantes textiles, dans notre contrée princi- palement. Ce rapport, par la nature des enseignements qu’il donne, rentrant évidemment dans les cas d’exceptions prévus, par analogie, dans l’article 26 du règlement, M. le Président propose le renvoi de ce travail au co- mité de rédaction, pour qu'il soit ensuite livré à l’im- pression. Un des membres présents, ayant demandé la parole, dit que plusieurs des théories émises dans le rapport lui semblent fort contestables, et que la Sociéténe doit pas, sans un plus ample examen, les adopter en or- donnant leur publication. Il est répondu à celte observation, aue :a Société, en faisant imprimer un travail, juge seulement que ce travail est utile à connaître, mais ne fait nullement siennes les idées, souvent contradictoires, qui peuvent se trouver présentées par les divers écrits de ses membres. À la suite de cette explication, le renvoi du rapport de M. Tavernier au comité de rédaction, est prononcé. — 157 — M. le docteur A. Lachèse lit une notice sur un fait de 1796, d’après des renseignements puisés par lui à une source bien prochaine. Charelte venait d’être fait prisonnier : les généraux républicains se félicitaient dans des missives, dont quelques-unes sont reproduites, de l'arrestation d’un tel chef. Excédé de fatigue, cou- vert de blessures, Charette fut amené à Angers et en- fermé dans la maison d’arrêt, qui touchait alors la place des Halles. Des soins lui étaient nécessaires, M. Casimir Lachèse, médecin des prisons, vint les lui prodiguer avec son zèle accoutumé : un jeune aide l'accompagnail, c'était son parent M. G. Lachèse, qui en était alors aux premiers grades de la chirurgie mi- litaire, et qui après soixante-cinq années d’autres soins si nombreux et si divers, conserve un vif souvenir de cette entrevue. Le pansement, fait avec tant de soin, de ces blessures irrilées par le temps et la marche, servit à rendre moins vives les souffrances du valeureux cap- tif, jusqu’au moment où, sur la place Viarme de Nantes, il tomba fusillé. M. À. Lachèse a peint cet épisode avec un style ani- mé et touchant : son langage, inspiré par les commu- nicalions paternelles, a produit sur l’assemblée une vive hnpression. La Société s’est empressée de renvoyer cette notice _au cornité de rédaction. M. Jules Klein, récemment nommé membre tilu- laire de la Société, s'excuse de ne pouvoir se trouver à la réunion, et adresse à M. le Président une piéce de vers dont il est donné lecture. L'auteur a intitulé ce court fragment : Larmes de poète. SOC. D’AG. il — 158 — Pleurer, pour le poète a souvent bien des charmes Sans qu’il ressente même ou plaisir ou chagrin. Les vulgaires humains, courbés dans la poussière Ou sur un monceau d’or péniblement penchés Ne savent s’émouvoir qu’aux terreurs de la guerre, Qu’'aux fébriles excès de leurs plaisirs cachés. Mais le poète, lui, n’a pas besoin du drame Pour voir bondir son cœur sensible et généreux. A travers le doute Il poursuit sa route Et jamais n’écoute Les complots humains. Richesse, infortune, Rien ne l’importune, Toute sa fortune Tiendrait en ses mains. Cinq strophes sont consacrés à développer cette pensée ; l’assemblée én écoute la lecture avec intérêt. Plusieurs des membres présents font inscrire leurs noms sur la liste dont la création a été décidée à la séance précédente, et dont le but est de constater les promesses de prochaine collaboration faites par les Sociétaires. L'ordre du jour étant épuisé, la séance est levée. Le secrétaire-général E. LACHÈSE. 190 — SÉANCE DU 24 JUILLET 1861. Nous ne pouvons donner en ce moment le procés- verbal de cette séance, qui ne sera approuvé par la Société que dans sa prochaine réunion mensuelle ; mais le vif intérêt qui s'attache aux pièces suivantes nous détermine à les publier avant le procès-verbal dont elles feront partie. Lettre adressée à S. E. M. le Ministre d'Etat et à S. E. M. le Ministre de l’Instruc'ion publique et des Cultes, par M. Go- dard-Faultrier, président de la Commission Archéologique. « Monsieur le Ministre, » Des bruits plus ou moins fondés et très-fâcheux, s'ils l’étaient, circulent sur le remaniement général que l’on se propose, dit-on, de faire prochainement à la cathédrale d'Angers. On parle de reconstruire en- tièrement la charpente; d’abattre plusieurs voûtes ou parties de voûtes, de remettre, en quelque sorte, à neuf les vitraux anciens ; de faire disparaître le grand-autel, la boiserie du chœur et les balcons en fer qui contour- nent intérieurement l’église. » Reprenons, l’un après l’autre, chacun de ces ar- ticles, en vous présentant, avec impartialité, les raisons qui militent en faveur du prétendu projet, comme aussi celles qui lui sont contraires. » Par ce moyen, vous pourrez, M. le Ministre, appré- cier plus sûrement l’état de la question. Mais, tout d’a- bord, je ne dois point vous dissimuler que la Commis- sion Archéologique s'est unanimement prononcée dans — 160 — sa séance du 10 juillet 1861, contre ces bruits malen- contreux. » Je vous avoueraï, M. le Ministre, que je me range sans hésiter à son opinion; et pendant que je crois accomplir mon devoir d’inspecteur correspondant pour les monuments historiques, en madressant à vous, je sais que la Commission précitée est en voie de faire des démarches auprès de nos autorités d’Angers pour combattre ce nouveau genre de vandalisme plus dan- gereux que le temps et les révolutions. Le marteau et la truelle employés avec excès, ont compromis, vous ne l’ignorez pas, l’existence de beaucoup d’édifices -pleins d'intérêt au point de vue de l’histoire, de l’art et de l’archéologie. L'heure est venue de s’em préoc- cuper. Ce qu’on nomme réparation devient désormais trop souvent une véritable reconstruction qui, loin de conserver le monument original, lui substitue une copie plus ou moins bien exécutée. Et puis pourquoi tous ces déménagements d’objets précieux? Mais revenons à nos artiles. » 10 La charpente. — Est-elle en si mauvais état qu’il faille la renouveler entièrement ? Non ! Je l'ai fait visiter par des hommes compétents qui m'ont déclaré que des réparations partielles suffiraient. Certains en- traits portent sur l’extrados des arcs doubleaux, mais sans fatigue aucune pour ceux-ci; au reste 1l serait, je crois, facile d’éviter cet inconvénient qui, ce semble, n’en est point un. En effet, la pose de ces entraits parait être établie là depuis l’origine de la charpente; aussi pas un des arcs-doubleaux qui sont d'une force peu commune, n’a souffert depuis plus de six siècles. — 161 — On objecte que si la charpente n’est pas entièrement renouvelée, il existera une grande disparate dans l’é- tendue de ce qu’on appelle 4 forêt ? Qu'importe, ré- pondrons-nous, pourvu qu’il y ait so/dité. L’unifor- mité d’agencement n’est point ici nécessaire. » 2o Les voutes. — Est-il urgent que plusieurs d’en- telles soient, en tout ou partie, démolies pour être reconstruites? Non! car leurs parties, plus ou moins endommagées, sont encore assez parfaitement saines pour durer plusieurs siècles. Il suffira d’enlever les décombres qui environnent l’extrados de ces mêmes voûtes, chose incroyable ! jusqu’à la hauteur de près d’un mêtre, en quelques endroits. Ces décombres, outre qu’ils chargent les voütes d’un poids énorme, sont de véritables éponges qui s’imprégnant d’eau de pluie, par suite du mauvais entretien de la toiture et des chenaux, ont autrefois causé de fâcheuses infiltra- tions. Ces décombres enlevés, quelques réparations partielles suffiront. Ce travail terminé, il sera essentiel de bien entretenir la toiture et les chenaux, puis à cet effet, de ne jamais manquer de les visiter après les grandes pluies, les orages et la fonte des neiges. La négligence apportée dans ces petites choses doit être sévèrement blâmée. » 90 Les vitraux. — Inutile de parler ici de l’impor- tance archéologique de la plupart de ceux de la nef, qui remontent à l’année 1170, le chanoine Hugues de Semblançay, les ayant fait placer à cette date ; leur mérite est suffisamment connu et apprécié. Les vitraux du chœur, généralement du xure siècle, et ceux des ailes du xve siècle, ne présentent guères moins d’intérêt. — 162 — » C’est assez dire avec quelles précautions ils veulent être, non pas, en quelque sorte, remis à neuf comme on l'a fait pour une fenêtre du chœur, il y aura bientôt quatre ans, mais remis en plomb, Cette dernière façon de les réparer est vraiment la seule ad- missible si l’on veut sincèrement obtenir leur conser- vation. On objectera que par ce procédé, beaucoup de sujets légendaires resteront mutilés; ce sera fâcheux sans doute, mais beaucoup moins que de voir dispa- raître des vitraux la plupart d’une extrême rareté en France sous le rapport de l'art et de l'antiquité. Il faut en prendre son parti. » J'ai prononcé le mot disparaitre et je ne le retire point, en présence surtout du vitrail du chœur récem- ment remis à neuf; en effet, malgré les soins minu- ticux et l’habileté des artistes, un grand nombre des anciens verres peints n'ont pu être employés; bref, nous avons une superbe fenêtre en partie nouvelle, mais où il m’est impossible de reconnaître les verres primitifs tant ils sont incendiés, si Je puis ainsi parler, par le rayonnement lumineux d’un fond chauffé au rouge. Mais la vérité légendaire y aura peut-être gagné? Il me sera permis d’en douter, car le sujet de l’ancien vitrail est toujours resté une énigme; malgré les études qui en furent faites; on pouvait y voir des parties des légendes de saint Martin, de saint Maurille et de saint René; de guerre lasse, saint Maurille et saint René ont été mis de côté et saint Martin seul a prévalu. Eh! bien, je le demande, dans l'impossibilité de résoudre l'énigme, n’eüt-il pas été plus convenable de la laisser subsister, chose facile si l’on se fùt borné à une — 163 — simple remise ex plomb. I] y aurait eu, sans doute, une erreur d'appréciation en moins, et assurément une économie en plus pour l’État. » Cette école faite doit nous rendre très-chatouil- leux à l'endroit de nos autres vitraux, pour lesquels nous ne réclamons du Gouvernement qu’une simple remise en plomb, termes sur lesquels j'appuie à dessein. | » 4o Le grand autel. — Elevé de 1757 à 1758, d’après les plans des architectes Denis-Gervais, il se compose de l’autel proprement dit et de six colonnes mono- lithes en marbre qui soutiennent un baldaquin de bois doré. On verra tout à l'heure que ce monument mé- rite sa réputation. » Cependant il paraît qu’il ne peut trouver grâce devant quelques personnes, sous prétexte que son style ne cadre pas avec celui de la cathédrale; mais est-ce une raison pour le faire disparaître? Le beau est le beau, il est de tous les âges, de tous les styles et de tous les lieux. » Sous Louis XIV, on repoussait implacablement le gothique, tombera-t-on, quoiqu’en sens inverse, dans le même excès aujourd’hui? À ce compte il nous faudrait éliminer de notre cathédrale d'Angers, le grand orgue, parce qu’il date du xvine siécle, puis les tombeaux de nos évêques : Claude de Rueil, xvue siècle, Jean Olivier, xvie, Jean de Rely, fin du xve. Bien plus, pour ne pas contrarier le style romano-byzantin de la nef, il fau- drait sacrifier la majeure partie du clocher, c’est-à- dire la tour centrale, parce qu’elle est en style renais- sance, et les deux flèches parce qu’elles sont en style — 164 — de la fin du xve siècle. Enfin les partisans exclusifs du romano-byzantin s’entendraient-ils avec les amis non moins exclusifs du xrne siècle? il serait pourtant né- cessaire qu’ils optassent entre les deux styles et qu’ils consentissent, les uns ou les autres, à voir abattre soit la nef qui ne répond pas aux ailes, soit les ailes qui ne ré- pondent pas à la nef. Avec un tel système, on voit qu’il resterait bien peu de chose de la cathédrale. » S'il fallait ainsi bannir de nos églises les objets de différents styles que les siècles y ont déposés, que deviendrait un jour l’histoire de l’art? elle cesserait d’être possible. » Je conviens que cet autel laisse peut-être à désirer au point de vue religieux, bien qu’il soit à la romaine et dans le goût de celui de Saint-Pierre. Mais quel autel mettrait-on à sa place? Le gothique de notre siéele n’est aucunement propre à nous rassurer, et je lui préfère de beaucoup le style imposant du balda- quin de St-Maurice, qui, du moins, n’est pas une copie. Et puis ne soyons pas plus exclusifs qu’on ne l’est à Rome où l’on a soin dans les églises de tout respecter, voir même les monuments d'origine essentiellement payenne. » Qu’Angers conserve donc son grand autel de forme si élégante et si originale que certains architectes l’en- vient, dit-on, à ce point de vouloir qu’il soit placé sous le dôme de Sainte-Geneviève, à Paris. Sans doute il y figurerait bien, mais je ne vois pas qu’il fasse mal dans notre cathédrale et je vois encore moins pour- quoi l’on nous en dépouillerait. » Le Gouvernement ne voudra pas entrer dans cette vole. — 465 -— » Mais il est une objection plus sérieuse que les pré- cédentes; on dit que la nouvelle liturgie qui devrait être plutôt nommée la très-ancienne, exige le dépla- cement de l’autel; information prise, c’est une erreur, puisque des travaux ont été récemment faits pour ac- croître le sanctuaire afin de l’approprier au nouveau règlement. D'ailleurs nous croyons savoir que Mgr l’é- vêque et la très-grande majorité des membres du cha- pitre verraient &’un mauvais œil l'enlèvement du grand autcl. » 50 La boiserie du chœur. — Ces stalles qui ont été sculptées sous la direction de David, père, de 1778 à 1783 , sur les dessins de Gaultier, natif de Mayenne, sont belles (1); cependant elles ne trouvent de Ja part de quelques personnes pas plus grâce et moins en- core que le grand autel. Du reste, mêmes objections et conséquemmept mêmes réponses que nous ne répé- terons pas. Nous dirons toutefois qu’un précédent considérable vient à l’appui de notre thèse. Il a été ré- cemment décidé en haut lieu que la boiserie du chœur de la cathédrale de Paris ne serait point enlevée, bien qu’elle appartienne au xvie siècle, tandis que la cathédrale est pur moyen âge. Cet exemple suffit pour nous faire désirer que Saint-Maurice ne soit point dépossédé de sa boiserie. » Néanmoins il est une objection extrêmement grave et que je ne veux pas dissimuler. En effet, lorsqu'on (1) L'exécution de la menuiserie a été commencée par M. Michel Pouquet, et terminée par M. Jacques-Philippe Duforêt (notes de M. l’abbé Joubert, custode, qui les tient de Mike Duforèt, fille de M. Philippe Duforèt). — 166 — établit les stalles on se crut obligé de démolir les tam- bours des grosses’ colonnes jusqu’à la hauteur de la corniche de ces mêmes stalles, et de soutenir les tron- çons les plus élevés sur des barres de fer. Ce procédé est extrêmement vicieux et doit être corrigé, mais le pourra-t-on faire sans sacrifier la boiserie ? Ici, se trouve la difficulté : je ne la crois pas au-dessus des forces de l’architecte diocésain. » 6° Les balcons de fer. — Posés vers la fin du xvinre siècle par les soins et aux frais du chanoine René Rousseau de Pantigny, ils sont d’une grande élé- gance et très-utiles durant les grandes fêtes, mais ils sont coupables d’être du xvine siècle; toujours sous pré- texte d’incohérence de style, on demande, dit-on, qu'ils soient enlevés. Et par quoi seraient-ils remplacés ? Serait-ce par une galerie en pierres? Mais cette galerie diminuerait tellement la largeur du trottoir que per- sonne ne pourrait plus s’y tenir. Serait-ce par d’autres balcons en fer plus conformes au style de l’église? mais on tomberait dans l'inconvénient que l’on veut éviter, car je ne sache pas que l’on fit au moyen-âge des appuis en ce métal. » Le seul moyen serait de les suppriiner, mais l’on trouve déjà la cathédrale trop étroite aux grandes fêtes. Et puis ces balcons sont fortementscellés dans la pierre, d’où suit que pour les en retirer, il faudrait faire des déchirures compromettantes. Conservons-les donc tels qu’ils sont; ils le méritent et prouvent que l’art de la ferronnerie fut porté à un haut degré de perfection à Angers au xviie siècle. Au lieu d'employer les fonds publics à déplacer ou — 107 — à démolir de précieux monuments, ne serait-il pas plus convenable de les consacrer à la reconstruction de l'ancien narthex de la cathédrale, sans oublier la répa- ration de celui de notre curieuse église de St-Serges? (1) » En terminant, un vœu, M. le Ministre, me reste à formuler ; vous n’ignorez pas qu’il existe à Angers une commission des bâtiments civils, présidée par M. le Pré- fet ou son délégué ; vous savez aussi qu’une commis- sion épiscopale, fondée par Msr Angebault, pour l'exa- men des plans d’églises , fonctionne avec assiduité. Ces deux commissions, qui ont toujours vécu en bonne in- telligence, ne pourraient-elles pas être saisies des plans et devis des travaux que l’on se propose de faire à la cathédrale ? Elles sont sur les lieux, elles connaissent le terrain et pourraient donner de bons avis. » Agréez, etc., etc. » V. GODARD-FAULTRIER. » 18 juillet 1861. » (1) La construction d’une nouvelle sacristie, sans démolir l’an- cienne qui s’y trouverait annexée, est également chose indispensable. — 168 — Lettre adressée à S. E. M. le Ministre de l'instruction pu- blique et des cultes, par M. l’abbé Barbier de Moniault, correspondant du même ministère. « Monsieur le Ministre, » Quoiqu'il n’entre pas dans les attributions des cor- respondants de votre ministère de contrôler les travaux exécutés ou à exécuter dans leur: départements respec- fs, vous voudrez bien me permettre, uniquement en vue des intérêts locaux et artistiques, d'exprimer mon opinion personnelle et de soumettre au jugement éclairé et impartial de Votre Excellence, plusieurs considéra- tions relativement au projet qui émeut en ce moment toute la ville d'Angers. Si j'avais besoin d'une autre exèuse, j'ajouterais que les fonctions que Msr l'Évêque d'Angers a daigné me confier, m’autorisent jusqu’à un certain point à élever la voix en faveur d’un monument sacrifié à des idées, selon moi, trop absolues. » Il s’agit du maître-autel et principalement du bal- daquin de la cathédrale, qui, suivant un bruit plus ou moins fondé, — jel’ignore — seraient prochainement en- levés pour être transportés à Paris, dans l’église Sainte- Geneviève, et remplacés ici par un autel et un balda- quin conformes au style de l’édifice. » Voici, Monsieur le Ministre, quelles raisons mili- teraient en faveur de la conservation de l'autel et du baldaquin, inséparables l’un de l’autre, puisqu'ils sont l’œuvre du même artiste et ne forment qu'une même masse architecturale : » 10 La population entière du diocèse, aussi bien que — 169 — de la ville épiscopale, clergé et fidèles — je n’hésite pas à l’affirmer, car je ne crains pas un démenti — se- rait unanime à demander la conservation du baldaquin, si elle était appelée à donner son avis dans cet impor- tant débat. Je n’en veux pas d’autre preuve que l’agi- tation subite causée par un simple soupçon, une pre- mière nouvelle vague, qui, nous l’espérons, ne repose sur aucun fondement sérieux. » Habitués à voir et à admirer cet autel, dès leur enfance, les habitants sy sont d’autant plus attachés qu'il à survécu sans mutilation au vandalisme de la fin du siècle dernier. On l’aime tellement, on le croit si in- dispensable à la cathédrale, à la pompe des cérémo- nies, qu'on se figure la cathédrale vide et dépouillée, réduite à l’état d'église paroissiale, si par malheur il vient à disparaître. J’ai écrit #14/heur et je ne retire pas ce mot, car J'ai recueilli comme l’expression la plus vraie et la plus sentie de la sympathie populaire, cette parole d’un vieillard qui me disait aujourd’hui même : « Puissé-je ne pas être témoin d’un si déplorable chan- » gement! » » 20 Toute question de style et de convenance ar- chéologique mise de côté, c’est-à-dire envisagé en lui- même, le baldaquin est du plus heureux effet. Aussi, personne n'hésite à le considérer comme un chef-d’œu- vre de goût, pur dans ses lignes, sobre dans ses détails, se mariant sans difficulté avec l'architecture ogivale, et offrant toute la grâce et l'élégance du règne de Louis XV, sans en avoir les défauts. Qu’on le place au premier rang des monuments de ce genre, je n’en serai pas surpris; supérieur aux baldaquins du Val-de-Grâce — 170 — et des Invalides, je ne lui connais d’égal que le balla- quin de Saint-Pierre de Rome, et encore celui du Va- tican manque-t-il de quelques-unes des qualités du nôtre. » Mais à quoi bon prodiguer nos louanges, quand Paris lui-même nous en fait tacitement le plus pom- peux éloge, par cela seul qu’il paraît l’envier pour la décoration d’une de ses églises ? » 30 Une œuvre essentiellement locale comme le bal- daquin sera toujours dépaysée partout ailleurs qu’à la cathédrale d'Angers qu’elle était destinée à orner. Par- mi nous, elle consacre de grands et honorables souve- nirs, qui avec elle passeront bien vite : la générosité, la munificence du chapitre et de l’évêque qui en firent les frais (1); l’habileté de l’artiste Gervais, grand prix de Rome, qui se plut à l’élever et l’embellir. Notre pauvre cathédrale est trop dénudée pour que nous lais- sions partir, sans regrets ni protestations, le peu qui lui reste de son ancien mobilier, et ce serait avec une douleur profonde que nous consignerions dans nos chroniques, l’abandon du précieux cadeau qu’elle reçut au siécle dernier, de la piété de son chef vénéré (2) et de son clergé insigne (3). ° (1) « Pendant sa vie (de Mgr de Vaugirauld) il y (à la cathédrale) a fait construire l’autel de la Sainte-Vierge et de Saint-Maurice qui sont aux extrémilés de la croisée, et lui a donné des sommes consi- dérables pour la construction du grand autel et des petits de la nef. » Recueil de plusieurs cérémunies extraordinaires, ms. du xvinie siècle, conservé au grand séminaire. (2) Mgr de Vaugirauld, mort en odeur de sainteté. (3) L'église cathédrale d'Angers portait, avant la révolution, le titre d'insigne. Elle n’a perdu ce privilége qu’au Concordat. — 171 — » 40 Prétextera-t-on que le baldaquin est en désac- cord de style avec la cathédrale? Mais si l’on admet, à la rigueur, les conséquences logiques qui découlent de ce principe, quel bouleversement, ou plutôt quelle mu- tilation aura à subir la cathédrale! Je ne parle pas de la construction, où l’on distingue des parties de toutes les époques, depuis le XIe siècle jusqu’au XVE, je ne songe qu’au mobilier, qu'il faudra renouveler, puis- qu’il ne restera plus ni autel, ni stalles, ni banc-d’œu- vre, ni orgues, ni balustrades, ni bénitiers et seule- ment une partie des vitraux. Cette supposition est gratuite, soit : mais qui veut plus veut moins, et certai- nement tout ce que je viens d’énumérer est très-acces- soire, d’une mince valeur, si on le compare au meuble principal de la cathédrale, le baldaquin. » D'ailleurs, l’uniformité est-elle, esthétiquement par- Jant, un bien réel? Dans une église nouvelle, que l’on construit, je l’accorde; il serait même absurde d'agir autrement. Mais, dans une cathédrale ancienne, toute meublée, qu’il me soit permis d’en douter, j'abrite mon opinion derrière celle plus significative de deux archéo- logues célèbres, MM. Didron et de Guilhermy, qui tiennent au baldaquin comme nous y tenons, parce qu'ils y voient avant tout une œuvre d’art; je m’appuie aussi sur les idées de concession et de non-exclusion qui ont prévalu dans la restauration du chœur de Notre- Dame de Paris. » 50 Le baldaquin ôté, que mettra-t-on à la place? Il faut un baldaquin à l’autel; le Cérémonial des Evé- ques l'exige, sous peine, pour l’évêque officiant, de ne point avoir de trône, car il ne convient pas que le mi- — 172 — nistre jouisse d’un honneur refusé au maître qu'il re- présente (1). Donc nous aurons un baldaquin, en style du XIIIe siècle. » Remplacera-t-il avantageusement l’ancien? À priori, je réponds que non. D’abord, parce que les modèles font défaut, au moins en France, puis créer est diffi- cile, même à un architecte de talent... » Telles sont les observations, Monsieur le Ministre, que j'ai cru devoir, en toute sincérité et conviction, vous présenter humblement, heureux si Votre Excel- lence partage les sentiments que me dictent à la fois et mon patriotisme et mon zéle pour l'honneur de la cathédrale. » Daignez, etc. » X. BARBIER DE MONTAULT, Correspondant du ministère de l'instruction publique pour les travaux historiques, historiographe du dio- cèse d'Angers. » Angers, le 25 juillet 1861. » La Société, par un vote que nous donnerons plus tard dans le procès-verbal de la séance du 24 juillet, s’est associé entièrement aux vœux exprimés dans les deux lettres ci-dessus. (1) « Et super eam (le siége épiscopal) umbraculum seu baldachi- num... appendi poterit, dummodo et super altare aliud simile vel eliam sumpluosius appendatur. » (Ceremonial Episcopor., lib. 1, cap. XUL.) MÉMOIRES DE LA NOCIÈTÉ INPÉRIALE D'AGRICULTURE SCIENCES ET ARTS D'ANGERS ‘+ | (ANGIENNE ACADÉMIE D'ANGERS) —— NOUVELLE PÉRIODE TOME QUATRIÈME — TROISIÈME CAHIER, N: < 4) | L SE © ——— CL FES à ANGERS Qi F0 IMPHIMERIE DE COSNIER AT LACHÈSE LR 4e dr Chaussée-Saïnt-Pièrre, 14 — 1861 ARCS Le Lin 4 RE T US RARE à ARC ENS) ; St ER ÿ Fo É ? ae" A RTS UE TS cure ÉTUDE SUR LA CONSTRUCTION VOUTES EN BRIQUES. PREMIÈRE PARTIE. INTRODUCTION Une des choses qui nous impressionnent le plus vi- vement dans l’art de construire, est certainement la hardiesse de conception qui a porté à couvrir de grands espaces par des voûtes. On ne peut suivre sans intérêt la longue suite d’ef- forts, de perfectionnements, qui ont été apportés à ce genre de construction. Avant donc, Messieurs, d’étudier la construction des voûtes en briques, il est utile de jeter un regard sur le mouvement et les transformations qui, aux xIe, xr1e xiIe siècles, ont produit ces magnifiques voûtes que nous admirons encore aujourd’hui. SOC. D’AG. 12 — 174 — Dans cette étude, mes observations ont principale ment porté sur les monuments de l’Anjou, que j'ai dessinés et pris pour types. D’autre part, j'ai consulté les ouvrages publiés par MM. Viollet-Leduc et de Verneilh, qui ont servi à me diriger dans la tâche que je me suis imposée. La plus simple de toutes les voûtes, celle qui a donné naissance aux autres, est évidemment la voûte cylindrique en forme de berceau. Dans les églises romanes, l’abside seule est couverte d’une demi-coupole, l’appareïl de ces voûtes originai- rement composé de petits matériaux mal disposés, en- tassés et fort lourds, fut remplacé par des douelles ho- rizontales, telles qu’à l’église Saint-Laurent à Angers (planche 1re); l’abside latérale gauche était recouverte d’une voûte à petit appareil de tuf, l’abside latérale droite était recouverte d’une voûte en maçonnerie de moëllons ardoisins avec enduit. Dans le premier cas, une couche d’un enduit fin recouvrait ordinairement les voûtes, et sur cet enduit étaient peints ou quelquefois dessinés seulement des ornements et des tableaux à fresque, tels qu’à l’abbaye des Bonshommes près Angers, et à l’ermitage de Saint- Macé près Cunault. De la voûte purement romane, on passe à la voûte romane-byzantine; de cylindrique elle devient compo- sée d’une série de coupoles appuyées sur des forme- rets adhérents aux murs sur ceux des arcs doubleaux, ainsi qu’on le voit à Fontevrault; le transept est recou- vert d’une coupole sans pendentifs distincts (planches 2 et 3). — 175 — La nef se trouve divisée en parties égales, et sur le plan carré formé par l’arc doubleau et les murs laté- raux, sont posés des coupoles qui, sans être des por- tions de sphères, n’en sont pas moins des surfaces de révolution engendrées tantôt par un arc de cercle, tantôt par un arc prolongé d’une ligne droite. Ces coupoles s'appuient sur des retombées ou trom- pes appelées pendentifs; ces pendentifs sont destinés à racheter le plan carré; ils sont appareillés comme dans la voûte sphérique annulaire. Ce système se modifie : on l’orne de nervures; ces nervures, simplement peintes pendant la période pu- rement romane (figure 4), deviennent saillantes à l’é- poque de transilion, ainsi qu’on le remarque à la voûte de la tour Saint-Aubin (figure 5); ici quatre formerets s'appuient sur les murs de la tour, sur ces formerets reposent huit portions de voûtes se coupant en formant de légères arètes; les arêtes diagonales sont seules or- nées d’une nervure, tandis que celles qui passent par le sommet des formerets sont simplement formées par l'intersection de deux parties de la voûte. L'appareil rappelle encore celui des coupoles des époques précé- dentes, avec cette modification que la voûte est formée par triangles appareillés annulairement, mais séparé- ment, à l’aide des nervures sur lesquelles ces triangles reposent. L'influence de l’ogive, déjà employée pour la cons- truction des formerets et des arcs doubleaux, se fait de plus en plus sentir, et cette transformation améêne un changement complet dans le système de la construc- tion. — 176 — En effet, nous arrivons aux voûtes du xirIe siècle avec leurs combinaisons raisonnées, simples, solides, harmonieuses, se prêtant à toutes les variétés du plan. Les premières, les plus simples de toutes, rappellent la coupole byzantine ; le transept de notre église ca- thédrale en est un pur exemple (figures 6 et 7). Assise sur un plan carré formé par les murs laté- raux et les arcs doubleaux, la voûte est traversée par deux nervures diagonales s’élevant au-dessus des for- merets et s’arrêtant à une clef circulaire sans retom- bée. Quatre autres nervures s’élancent également du sommet des formerets et vont rejoindre la clef. L'ensemble des surfaces comprises entre ces arêtes forme la voûte et affecte là physionomie de la coupole. La seconde combinaison est celle de voûtes établies sur un plan polygonal quelconque. Le système des arcs ogives ou diagonaux est le même, se réunissant à un centre commun, duquel partent encore les arêtes du sommet de la voûte à celui des formerets. Le troisième système se compose d’une série de voûtes s'appuyant sur les tailloirs de colonnes isolées; le chœur de l’église Saint-Serge, le narthex de Candes en sont des exemples gracieux; la nef de la grande salle Saint-Jean (figure 8) est un exemple appliqué aux constructions hospitalières. Avec ces trois combinaisons variables à l'infini, quelle que soit l’irrégularité du plan, sa complication, la dimension de l’espace à couvrir, on peut toujours facilement y parvenir. La grâce, l'élégance et la solidité des voûtes du moyen âge ne peuvent plus être mises en doute. Toutes — 177 — cependant ne réunissent pas ces qualités au même degré. Les arêtes aiguës, les arcs brisés, leur donnent sou- vent un aspect heurté et une apparence d’instabilité choquante, ainsi qu’on le remarque à l’église Saint- Martin d'Angers et à la Trinité, l'élégance et la soli- dité des voûtes dépendant" de leur forme et de leur construction, il convient de rechercher celles qui sa- tisfont le mieux à ces deux conditions. On remarque alors que les voûtes qui se rapprochent le plus du type primitif, sont les plus belles et les plus solides. Il convient encore de relier la voûte avec ses sup- ports et le reste de la construction d’une façon harmo- nieuse, d'éviter dans les nefs, par exemple, que les grandes croisées à lancettes dont les intrados sont très-développés, viennent, par leurs arcs tracés d’un centre différent de celui des formerets, rompre l’ac- cord des lignes courbes ; on évite facilement cet incon- vénient en surélevant le centre des formerets jusqu’à la naissance de l’intrados des fenêtres, et le rendant alors parallèle à la courbe de l’archivolte de la fenêtre et l’encadre parfaitement. La construction et la forme se tiennent si étroite- ment que l'appareil fait pour ainsi dire partie de l’or- nementation. On doit donc avoir beaucoup moins pour but de le dissimuler que de l'indiquer. Plus cet appareil est simple, facile à saisir, plus il s’harmonise avec la forme, er plus l’effet qu’il produit est complet et satisfaisant. — 178 — C’est ce que les constructeurs du moyen âge ont parfaitement compris en faisant usage de surfaces faciles à engendrer, et pouvant s'appliquer utilement à toutes leurs combinaisons. Ce sont ces modèles que l’on cherche maintenant par économie à reproduire à l’aide de la brique et du plâtre. Avant d'arriver à ce mode de construction, il est encore nécessaire de rappeler celui qu’employaient les constructeurs du moyen âge, afin de l’appliquer au but que nous nous proposons. En général, pour construire une voûte dans le style du xrrre siècle, d’un point commun on fait partir trois courbes se réunissant ordinairement sur le tailloir des chapiteaux des colonnes. Ces trois courbes sont Parc doubleau, le formeret adhérent au mur, et l’arc ogive ou diagonal. On construit sur des cintres ces trois courbes avec des claveaux indépendants; on les divise ensuite en parties égales et en nombres égaux, de telle sorte que l’arc diagonal contienne autant de parties que les for- merets. On joint ensuite ces points par des lignes qui déter- minent une série de petites surfaces convexes formant un quart de la voûte; la ligne qui joint ces différents points peut donc être considérée comme une généra- trice se mouvant sur deux courbes, suivant une règle déterminée par la série des points tracés sur ces courbes et maintenues dans le plan de leurs rayons. Le plus ordinairement cette ligne est convexe. Il n’en saurait être autrement dans le cas où les voûtes ont la forme d’une coupole. — 179 — On comprend aisément l'importance du choix de cetle courbe. Le renflement de la génératrice tend à donner à chaque claveau (ou pendant) une forme par- ticulière. Ces difficultés de taille ont été simplifiées en pre- nant pour remplissage des matériaux de très-petites dimensions, et en les faisant reposer sans crossetltes ni coupes sur les courbes principales; les épaisseurs de lit de mortier tiennent lieu de coupe aux claveaux. La pose de ces remplissages se faisait sur une forme ou pâté, sur laauelle on traçait les lignes des joints des pendants ou remplissages, de sorte que l’ouvrier n’a- vait plus qu’à poser chaque pierre suivant la trace qui était indiquée sur la forme. Cette manière de construire offrait cependant, outre le prix énorme de revient, des inconvénients et quel- quefois un véritable danger pour l'enlèvement des échafaudages. Les ouvriers, habitués à voir la voûte reposer sur ses formes, n’osaient plus détruire l’échafaudage; la légende de Saint-Maurice vient confirmer cette asser- tion. D’autres fois on posait les rangs de moëllons sur des couchis ou cintres, s’appuyant aux différents points tracés sur les courbes principales. Ce mode de construction était économique en ce sens, que les voûtes, se reproduisant par portions sy- métriques, n’exigeaient pas un grand nombre de ces cintres ou couchis. La nature des matériaux et leur forme rendaient en outre inutiles de fortes dimensions dans l’épaisseur — 180 — des bois, mais la pose nécessitait une plus grande ha- bileté de main-d'œuvre. Ces deux modes de constructions s’appliquent à tous les systèmes de voûtes, soit que la hauteur de la clef dépasse de beaucoup celle des formerets, soit qu’elle soit presque de niveau à leur sommet. L'appareil des grands arcs, celui des doubleaux et des formerets, sont constamment restés très-simples. La première assise reposait sur le tailloir des cha- piteaux; elle se compose souvent d’une seule pierre, mais à mesure que l’arc doubleau s’écarte du mur, que l’arc ogive traverse la voûte, les claveaux s’isolent et prennent une coupe déterminée par le plan passant par le centre de chacune de ces courbes et le point de leur division. Ces dispositions générales rappelées, nous allons chercher quelles sont les courbes qui sont les plus fa- vorables à la construction de ces diverses voûtes pour en examiner ensuile l'application à leur exécution en briques et plâtre. — 181 — DEUXIÈME PARTIE. Données générales. Nous avons vu que la coupole était tantôt sans pen- dentifs distincts, c’est-à-dire que le pendentif était une portion de la sphère ou de la surface de révolution formant la voûte elle-même. Dans ce cas les formerets sont nécessairement des ares de cercles ou de sections des surface de révolu- tion par des plans verticaux. D’autres fois la coupole était sur pendentifs distincts reposant sur des formerets en forme d’ogive; cette voûte peut se prêter à beaucoup de modifications du plan. Ordinairement le plan est carré, alors les formerets se coupent deux à deux à leur base, et ont leur som- met d’égale hauteur. Ils déterminent la surface de ré- volution qui doit former les quatre pendentifs; la cou- pole proprement dite, reposant alors sur un plan cir- culaire formé par la section horizontale des pendentifs, peut affecter toutes les formes des surfaces de révolu- tion : les plus ordinairement employées sont la sphère ou les surfaces ayant pour génératrice un arc de cercle (planches 9 et 10). La parabole, l’ellipse sont des courbes peu usitées. Si le plan est un peu irrégulier et forme un carré long, il en résulterait que si l’on voulait composer — 182 — une coupole à l’aide de la sphère , il faudrait que les pendentifs, qui doivent toujours avoir la même nais- sance et la même hauteur, fussent formés de portions de surfaces de révolutions différentes; pour parer à cette difficulté, on a dans ce cas avancé les colonnes pour raccourcir la portée des arcs doubleaux (plan- che 3). Quelquefois il est arrivé que l’on a fait dévier le plan du formeret pour racheter une légère irrégularité, mais ce moyen défectueux toujours , serait impratica- ble avec l'emploi de la brique, qui ferait apparaître d’une façon trop évidente le défaut. On voit donc que les données nécessaires à la cons- truction d’une coupole sphérique sur un plan carré sans pendentifs distincts, doivent être quatre formerets égaux se coupant deux à deux; Que, quand le plan est un rectangle allongé, Îles formerets sont inégaux et déterminés par les sections de la sphère avec les plans verticaux des murs et des arcs doubleaux ; Que les données nécessaires à une coupole sur pen- dentifs distincts peuvent être plus variées; que le plan peut être allongé ou polygonal, à la seule condition de trouver des formerets soutenant des pendentifs dont la section horizontale à leur sommet forme un cercle. Maintenant, si nous passons aux voûtes du xttre siècle en forme de coupoles et à nervures, nous re- marquerons que, si on néglige les conditions néces- saires à la construction des coupoles, il en résulte que la section horizontale des pendentifs prise au niveau des sommets des formerets détermine quatre arcs de — 183 — cercles, et que ces pendentifs prolongés donnent lieu à une coupole composée de quatre triangles de sur- faces de révolutions (planche 9). Il est probable, ainsi que nous l’avons dit, que c’est cette circonstance qui a donné lieu à la naissance des voûtes à nervures; que, voulant fortifier le centre de ces triangles faisant le remplissage de la voûte, on l’a soutenu par une nervure qui est devenue l’arc diago- nal, puis on a décoré l’intersection des deux triangles d’une nervure qui est devenue l’arc sommet. Le goût épuré qui a présidé à cet agencement a fait de ces voûtes un type parfait d'élégance et de solidité. En conséquence, les données générales pour la cons- truction de ces voûtes sont : De tracer les arcs diagonaux, les arcs formerels avec des rayons indéterminés, mais ayant une naissance commune et des centres situés au même niveau hori- zontal; de réunir le point d’intersection des arcs dia- gonaux au sommet des arcs formerets, par une courbe ou arc sommet dans des conditions telles, que ces arcs se coupent trois à trois entre eux, savoir : le forme- ret, l’arc diagonal et l’arc sommet. Nous avons vu que le remplissage de la voûte pou- vait être engendré par une courbe glissant sur le for- meret, et l’arc ogive en venant s’appliquer contre l'arc sommet. | Il en résulterait que l’are sommet peut être indé- terminé et même être ramené à la ligne droite; mais nous avons dil également que les voûtes les plus re- marquables du style ogival, en Anjou, se rapprochaient des voûtes en coupole, et que les remplissages de ces — 184 — voûtes étaient formés de portions de surfaces de ré- volutions limitées par les nervures. Il devient donc impossible que ces nervures soient toutes d’une courbure d’un rayon ou d’une forme in- déterminée, puisqu'elles ne sont autre chose que les traces d’une surface de révolution coupée par des plans verticaux. Maintenant, si on suppose que la surface du rem- plissage de la voûte est une portion de sphère, on aura bientôt déterminé rigoureusement les conditions né- cessaires que devront remplir les arcs formerets, dia- gonaux et sommets, pour être tracés sur ces portions de sphère : io Ils devront tous avoir leurs centres situés au même niveau. : 20 Ils devront tous être des arcs de cercles situés dans des plans verticaux. 30 Ils devront se couper trois à trois, ainsi qu’il a été dit plus haut. 40 Les perpendiculaires élevées sur le plan de ces cercles et passant par leur centre, devront se rencon- trer en un point. De cette façon, ces cercles auront tous les points de leur circonférence également éloignés du point de ren- contre des trois perpendiculaires élevées de leur cen- tre, puisque les circonférences de ces cercles, se cou- pant trois à trois, ont Lous un point de commun. Ils seront donc des sections d’une même sphère, et ils détermineront ainsi la portion de sphère formant le remplissage d’un triangle de la voûte. Cette hypothèse est une réalité, et le relevé exact — 185 — que nous avons fait des voûtes à nervures en forme de coupoles de l’église cathédrale d'Angers, ne peut laisser aucun doute à ce sujet (planche 11). Nous avons donc ramené la construction de ces voûtes à celle des voütes engendrées par des surfaces de révolutions; dès lors leur exécution en briques de- vient très-facile. C’est ce que nous nous proposons de développer plus loin. TROISIEME PARTIE. Tracé des voûtes. Dans la première partie de cette étude, nous avons examiné d’une manière générale les différentes formes des voûtes usitées au moyen âge, el nous avons pro- duit à l’appui des dessins pris sur les lieux mêmes. Dans la seconde, nous avons fait connaître les don. nées générales suivant lesquelles ces voûtes étaient consiruiles, ainsi que les dispositions de leurs cour- bures et de leurs surfaces. Nous allons maintenant, au moyen de différentes épures, indiquer les procédés qui nous auront paru les plus simples pour déterminer le tracé des voûtes, rechercher les choix des courbes à employer et le mode de construction en briques le plus propre à assurer une exécution convenable. — 186 — $ Ier. — Des voûtes en coupoles sphériques sur pen- denuifs distincts (planche 9). La figure première indi- que les projections horizontales el verticales d’une voûte sphérique sur plan carré avec pendentifs dis- lincts. Cette voûte repose sur des formerets et des arcs- doubleaux de même diamètre, et dont les naissances sont communes. En effet, ces quatre cercles dont les plans sont ver- ticaux et se coupent à angles droits, sont des sections de la sphère dont le centre est placé à la rencontre des diagonales du carré et dont le rayon est égal à la moitié de ces diagonales; les quatre triangles formant les pendentifs de la voûte ayant un centre commun, appartiennent donc à la même sphère dont la section horizontale au-dessus des pendentifs est un cercle. Quant à la partie supérieure de la coupole reposant sur ce cercle, elle peut affecter toute forme de surface de révolution, pourvu que sa section horizontale soit ce même cercle. En résumé, pour que l’on puisse, sur un plan carré, construire une voûte sur pendentifs distincts ayant la forme de triangles sphériques, il faut que les forme- rets aient : 10 Une naissance commune avec les arcs- doubleaux; 2 un diamètre égal. La construction en briques de ces voûtes est extré- mement simple, il suffit en effet de déterminer la vraie grandeur du rayon de la sphère sur laquelle les arcs- formerets peuvent être tracés, et cette longueur, ainsi que nous l’avons vu, est la moilié de la diagonale du carré. On construira un calibre léger, ayant la cour- — 187 — bure d’un grand arc de cette sphère, et on briquera suivant celte courbe, que l’on peut faire mouvoir dans toutes les directions, en ayant soin de la maintenir suivant un plan contenant les rayons de la sphère, ce qui est facile en joignant le calibre par une tringle au centre de la sphère. On peut encore, pour plus de facilité, faire mouvoir le calibre, en le maintenant dans un plan vertical, tournant suivant l’axe de la voûte; Ou en divisant, par parties égales, les arcs-forme- rets et les arcs-doubleaux, et construisant ainsi une série d’anneaux horizontaux. L’adhérence du plâtre et de la brique se prête sin- gulièrement à cette manière de procéder, et permet de n’employer d’autre échafaudage que celui qui est nécessaire à soutenir les ouvriers. $ IL. — Voûtes en coupoles avec pendentifs distincts sur plan carré, reposant sur des formerets en ogives. La figure 2, planche 9, fait reconnaître dans quelle erreur on tomberait si, prenant la moitié de la diago- nale du carré, on croyait avoir ainsi déterminé le rayon d’une sphère contenant les pendentifs, sur laquelle les arcs - formerets et les arcs-doubleaux puissent être tracés. On voit en effet, que les arcs-formerets, se coupant deux à deux, quoique ayant même naissance, déter- minent quatre sphères dont les centres sont évidem- ment placés aux points d’intersection des perpendicu- laires élevées du centre de ces courbes sur les plans verticaux de leur surface. — 188 — Il en résulte que la section horizontale de ces quatre sphères détermine quatre cercles qui se coupent, et forment entre eux des angles curvilignes, dont les som- mets sont placés au centre des côtés du carré. La cou- pole qui reposerait sur ce plan aurait une forme con- vexe, mais Carrée, qui serait d’un effet disgracieux. Il faut donc rechercher quel mode de tracé doit être employé pour déterminer des pendentifs dont la section horizontale au sommet des arcs-formerets et des dou- bleaux soit un cercle. | La figure première de la deuxième planche reproduit les mêmes données, savoir : un plan carré, quatre ares ogives ayant des naissances communes el une hauteur égale, sur lesquels le pendentif doit reposer. Nous avons vu que ces pendentifs ne sauraient être des triangles sphériques, mais qu’ils doivent appartenir à une surface de révolution dont les sections, avec les plans verticaux du carré, soient précisément les arcs oviges des formerets et des doubleaux. Pour déterminer la génératrice de cette surface, nous avons supposé la coupole divisée diagonalement par un plan vertical passant par son axe, puis nous avons fait mouvoir chaque point de l’arc-ogive des formerets et des. doubleaux circulairement autour de l’axe de la coupole, en restant dans un plan horizontal jusqu’à ce que ces points soient venus s’appliquer sur ce plan, coupant diagonalement la voûte, nous avons fait mouvoir ce plan de manière à le rendre parallèle au plan de projection, et nous avons ainsi obtenu la courbe génératrice de notre pendentif. ANGERS, ECLISENS MMA URENT LL LD LL (LL y =} = . NS D un » ABSIDE. Nosneqar Ein Démuile hé A Rosier & Lathese, Coupole sur Plan carré sans Pendentifs distincts. FONTEVRAULT Transept. A Losries ex Ladtese Nessse qu bon Dane Mi F1. ll FONTEVRAULT. Dessie par Er Dalle Li Aa Laser et Ladies ACER ul MOST “ARRET LULSD LE | WW NILEVN ,S ASITOE SIN A PCT. ANGERS TOUR 5! AUBIN. 77) ISA TS \ \\ AA : A \ \Y WW , NS Le È Kia Cosmuer et Ladiese. l Vessne par ben Dame kit ANGERS EGLISE CATHÉDRALE Plan du Transept Sud au niveau des Galeries Dessin par bn damville. Mon X 4 Laser et Lathse CATHÉDRALE Transept US Desgë jar bon Damile An \ihaser à Lattes 1PALPAVAE ANGERS HOPITAL St JEAN (us) A Gosiez athadhene ANS A AE Ses aa uartansan SSNQETL A LAUSANNE sanbuaués safe sn API SaurIO syyuapuad Sat SAO 09 SYMIBUIIOY ANS SHOUNSLP vel 8 aiP9 UPJÉ ANS a0ÉM) su sun z où 6 914 SUNS(p SJLUpualÉ Ans 20000 L3a}h0/| ax LOT PLX. [21 2 = 5 E £ BE CRE ee = D cn — ÉE SE A & GS F4 F4 ss an A Es a T'ES ee [= | SNS Fontevrault. à Exemple pris im Se DER en nd ee A SRE e TE . RU UE et Se ER 1 RÉ ORIE ARE er RER ON NS SUN. Li EE Te AS APT SIT ET =. — = RASE RES S { V4 Vesire pro Dome At a ne mn nntnte ( # ef QUE " D 2 É 3 52 A ê A { ETES SEE L<£ FN ÊS EN ES 322 SE Fo 25£ ES 1— delear section dusommret des formerels {eetprojtetions fomaotle remplissal Lnrontale au niveau Ka tme thin Noutedarélessen coupole sur plantonrré Déterminalion des sphères donlechaques triangle tompris entre les nervures AA D ete forme le remplissage delavoute Constructionten briques pananneatxhorizonteaux, Ait Cosaier ex Lackait Dastepantr Dainville Arc Votes à nervures| * ?1. XIL. Les Formerets de LES ENS Détermination des sphères des sommets des or. Remplssages Tous ces ares ya aTCS ag 0 SEE HA CS Gap ‘ pi re ‘ ÈS 22 mÈTE an 20 ne + 2 DR ASS ARS Ë Re y UR Fe SR N Ne ; é & AS . \ ; NE 7 N Ne ESS NC a << | £ Es tes x | Na Ai L 7 Ex Mouvement à 7 sur les nervur/ dans Le Plan d (détermination) d tenant les calib points (GG)(A] 7 | Ji CN Mouvement des calibres glissant burles nervures en restant ioujouns dans le Plantdun grand cercle éermnation)des grands cercles con tenant les cahbres passant par les points (GG)(RA)EK)GL 1480. — Cette manière de déterminer la génératrice du pen- dentif est réellement l'indication la plus parfaite du moyen à prendre pour le construire. En effet, construisant un calibre suivant cette courbe, el le faisant mouvoir suivant un plan vertical passant par l’axe de la voûte, on obtiendra la surface deman- dée, chacun des points de la courbe génératrice venant s’appliquer exactement sur les arcs-ogives des doubleaux et des formerets. Pour se guider, il suffira de tracer sur le ‘calibre des divisions égales, de le joindre à l’axe de la voûte et de le maintenir à l’aide d’un fil à plomb dans une posilion constante pour pouvoir briquer par anneaux parfaitement circulaires et horizontaux. L’adhérence des matériaux permet encore de se passer de cintre el d’échafaudage pour supporter la voûte. Si on voulait employer un autre mode, on reconnai- trait qu’à chaque rang le rayon diminuant, le calibre devrait changer, et qu’alors on serait amené à faire une forme complète, ce qui serait aussi coûteux qu’inutile. En résumé, on remarque que “lé-pendentif des cou- poles sur plan carré, reposant sur des formerets ogi- vaux, ne peut être une portion de sphère, et que la courbe génératrice est déterminée par la série des points de ces arcs, se mouvant circulairement et hori- zontalement autour de l’axe de la voûte. Enfin, qu’il faut en outre que ces arcs aient la même naissance et le même rayon. SOC. D’AG. 43 — 190 — Voûtes à nervures en forme de coupoles. lo Voûte sur plan carré. La figure première de la planche 11, donne les pro- jections de la voûte d’un bras de la croix de l’église cathédrale d'Angers. Cette voûte à nervures en forme de coupoles, repose sur un plan carré limité par les arcs-formerets ; elle est divisée par les arcs-diagonaux et les arcs au sommet en huit parties égales. On remarque : 4° que les différentes nervures et les formerets sont tous iracés sur des plans verticaux et se coupent trois à trois, 20 que les naissances des arcs- diagonaux et des formerets partent du même point; 80 que les centres de ces arcs ainsi que l’arc-sommet sont situés sur le même plan horizontal; 4 que les perpendiculaires élevées sur le plan de ces arcs pas- sant par leur centre, se rencontrent trois à trois en un seul point, ce qui détermine ainsi le centre de huit sphères sur lesquelles peuvent être tracés trois à trois l’are-formeret, l’arc-diagonal et l’arc-sommet. En examinant attentivement le remplissage de cette voûte, on remarque que les sections horizontales dé- terminent des arcs de cercles coupés par les nervures de la voûte, lesquels cercles jouissent de la propriété d’avoir leurs centres situés sur la perpendiculaire à ces plans, passant par le centre des sphères déterminées par les arcs des nervures de la voûte. Ce qui démontre évidemment que ces remplissages sont des portions de ces sphères. Il ressort encore de l’examen de cette voûte que, — 4191 — lorsque le plan est carré, que la hauteur des arcs- formerets est la même, les huit sphères et les huit portions de voûtes sont égales. 20 Voûte sur plan rectangulaire. La disposition du plan ne peut pas toujours être un carré parfait, il peut au contraire se faire que ce plan soit un rectangle. La figure première, planche 13, indique cette dis- position; les données sont variées, la hauteur des for- merets des arcs-doubleaux et des murs différent entre elles, les ares-sommets ont aussi des naissances difié- rentes. Mais ces courbes se coupent toujours trois à trois, et jouissent de cette propriété, que les perpendicu- laires élevées de leur centre au plan de leur cercle se coupent trois à trois en un seul point, et déterminent ainsi huit sphères, dont la portion comprise entre les nervures forme le remplissage de la voûte. On remarque que dans ce cas ces sphères sont égales quatre à quatre. Il demeure donc évident, que l’on peut de même ramener les voûtes à nervures en formes de coupoles, quelle que soil la disposition de leur plan, à être com- posées d’une série de portions de surfaces sphériques. Leur tracé, le choix des courbes, leur génération et par suite leur construction en briques, ne rencontrent plus aucune difficulté. En effet, une seule des nervures est nécessairement déterminée par les deux autres, c'est l’arc-sommet. — 192 — L’arc-diagonal et l’arc-formeret sont tracés avec un rayon déterminé par la surface à couvrir, l’écartement des pieds droits et la hauteur à donner à la voûte. Les perpendiculaires élevées du centre de ces arcs à leur plan, étant situées dans un même plan horizontal, doivent forcément se rencontrer; ce point de rencontre sera le centre des sphères dont une partie doit former le rem- plissage de la voûte; pour former l’arc-sommet, il suffit de ce point, centre de la sphère sur laquelle il doit être tracé, d'élever une perpendiculaire au plan verti- cal qui doit contenir l’arc-sommet, et le point d’inter- section sera le centre de cet arc. Pour construire ces voûtes en briques, on pourra briquer par anneaux horizontaux (voir planche 12), ou bien, après avoir établi les cintres qui @oivent sup- porter les nervures, on fera un calibre ayant la cour- bure d’un grand arc de la sphère, dont on fera glisser les extrémités dans n’importe quelle direction sur les nervures, ayant seulement soin de tenir le plan de ce calibre suivant un des rayons de la sphère, ce qui sera facile, en l’y reliant par une tringle, et on bri- quera suivant ce calibre (Voir planche 14). CONCLUSION. Enfin, pour rendre cette construction plus facile et plus intelligible à ceux qui sont étrangers à la géomé- trie descriptive, il suffit de savoir que si toutes les ner- vures sont des arcs de cercles ayant leurs centres pla- — 193 — cés au même niveau et se coupant trois à trois, elles seront dans les conditions voulues pour que le rem- plissage soit un triangle sphérique; que les perpendi- culaires élevées du centre de ces arcs sur le plan de leur cercle se rencontreront forcément en un seul point, et enfin que la distance de ce point à une partie quelconque des nervures, est le rayon de l’arc du ca- libre cherché. Dans cette étude, nous avons, ainsi que nous l’avions dit, suivi les transformations que les voûtes de nos an- ciennes constructions ont subies pour arriver à leur expression la plus noble, la plus simple, la plus belle, celle qui représente pour nous le type de l’architec- ture angevine au moyen âge, et qui a été caractérisée du nom tout angevin de Plantagenet. Nous avons ensuite cherché la loi suivant laquelle ces voûtes auraient pu être construites; 1l nous a paru nécessaire alors, pour bien la déterminer, d’y joindre un exemple et d’en formuler la règle. De cette règle, nous avons déduit un mode pratique de construction pour la reproduction en briques de ces voûtes, reproduction qui, du reste, a déjà eu lieu en Anjou d’une manière heureuse, sous la direction d’habiles architectes. Nous sommes cependant loin de prétendre que cette loi de génération pour les voûtes à nervures en forme de coupoles, ait été connue des constructeurs du moyen âge; nous croyons au contraire, que s’ils l'ont employée, c'est comme conséquence des modifications qui ont transformé la coupole en voûtes d’arêles. — 194 — Nous ne croyons pas non plus que cette règle soit ab- solue pour construire des voûtes à nervures en forme de coupoles, mais nous la croyons utile pour éviter des mécomptes, des bizarrerits, dans les effets cherchés sans études préalables. C'est pour cela que nous n’a- vons pas reculé devant le travail que nous nous étions imposé, heureux si nous avons atteint une parlie du but proposé! ERNEST DAINVILLE. UN DERNIER MOT SUR LA ROCHE DE MURS. Il n’est personne d’entre nous qui n’ait traversé, au moins une fois dans sa vie, la paroisse d’Erigné, cu- rieux de gravir et de visiter de près cel immense ro- cher connu généralement sous le nom de Roche de Murs. Ce bras de la Loire, qui donne son nom au pont du Louet, et se montre à vous d’une manière si pittores- que vous séduit par un côté étrange, au milieu d’un pays magnifique, il est vrai, de couleur et de lumière, comme tous les lieux que la Loire traverse, mais en définitive assez calme et assez peu accidenté (1). La nature, à ce détour du Louet, vous réservait une mise en scène d'autant plus saisissante qu’elle était plus inattendue, et cette belle vallée, par cette révéla- (1) Le Louet s'étend jusqu’à Chalonnes, après avoir reçu plusieurs petites rivières telles que l’Aubance et arrosé la belle vallée de Roche- fort et les célèbres ruines de Dieusie et de Saint-Symphorien. LL — 196 — tion subite et cette fantastique apparition, an moment où vous l’accusiez peut-être d’un peu de monotonie, semble prendre à tâche de vous prouver qu’elle sait unir, quand il lui plaît, à Gennes comme à Murs, à Murs comme à Saint-Florent , la magie des antithèses et des contrastes à la placidité et à la fraîcheur de ses rives. On serait donc attiré déjà vers ces cascades de schiste et de verdure par la beauté du paysage, quand l'ère païenne et l’êre contemporaine n’auraient pas inscrit sur celte éminence d'aussi dramatiques épopées et d’aussi palpitants souvenirs. Mais avant de chercher sur ce vaste théâtre, la trace des héros que l’histoire y a fait monter et que la mort en a fait descendre, ne tenons compte un inslant que de sa forme extérieure, des sensations et des impres- sions qu’il nous a causées à nous et à tant d’autres, et livrons-nous un instant devant lui à une muette et religieuse contemplation. Cette espèce de fantôme dont la face principale re- garde le nord, reçoit du soleil levant, des ardeurs du midi et des reflets du couchant, des lueurs diverses qui donnent au paysage tournant à ses pieds, autant d’aspects successifs, empreints chacun d’une physio- nomie. distincte et d’un caractère bien tranché. Enveloppé à l’aurore dans la brume du matin, ses formes vagues el indécises projettent sur le Louet, qui coule au-dessous de lui, ses ombres confuses et indé- terminées; une teinte grisâtre répand à cette heure sur le ciel, sur la colline-et sur les eaux, une harmonie touchante dont le voile mystérieux s’étend jusque sur — 197 — vous, et vous porte à la mélancolie et à la méditation. Quelques heures après , une vive lumière s’élevant derrière lui, imprime des tons sévères à ses âpres et vives arêtes dont les lignes se reproduisent dans les flots avec la même énergie et la même vigueur. Le soir, au contraire, le Louet, en berçant son image, lui prête à son tour sa couleur et ses teintes de laque, et ce lieu charmant emprunte aux reflets du soleil cou- chant el au déclin périodique du jour, un charme par- ticulier et une poésie nouvelle. Il est temps de nous avancer et de visiter de près ce vaste plateau, flanqué de rochers à pic du côté de la Loire et sur lequel on parvient du côté du midi par un arc de cercle assez étendu pour rendre l'élévation du sol presqu’insensible et en faciliter l’accès au voyageur impatient d’y secouer la poussière de la route et d'y prendre quelque repos. Considérée à ce nouveau point de vue, la Roche de Murs devient une espèce d’observatoire d’où l’on peut admirer le mouvement des astres jusque dans leur foyer et, aux différentes heures du jour, les jeux et les irradiations de la lumière, non plus dans leurs effets sur un point délerminé, mais dans leurs-effets géné- raux à travers le brillant panorama de ce vaste bassin de la Loire, ouvert devant nous, dans toute sa suavité et sa majesté virginale, depuis les premiers sourires du matin jusqu'aux embrasements magnifiques et em- pourprés des soirs d'été. Si ce lieu est cher au poëte et à l'historien, il peut aussi faire les délices du naturaliste. Jai vu plus d’un botaniste se pâmer de bonheur devant la variété de ses — 198 — mousses et de ses lichens et en découvrant sur sa cime ardue et brûlée par le soleil, telle plante qu’il avait en vain cherchée à deux lieues à l’entour, à travers les champs et les bois; et j'ai entendu plus d'un savant s’extasier devant les richesses géologiques de ses schistes colorés et féconds. Si cette colline avec sa silhouette alpesire est peu accessible du côté du nord, on y parvient du côté du midi, comme nous le disions tout à l'heure, par une rampe douce et facile. Habitant d’une petite maison de campagne voisine de la Roche de Murs, je suis venu bien des fois, à la fin d’un beau jour d’élé, m’asseoir sur son point culminant, pour y rêver à mon aise, heu- reux d'oublier un instant les bruits et les commotions de la vie publique et d’y respirer un air vivifiant et pur, en face d’un horizon riant et grandiose à la fois, dominé par les flèches de notre cathédrale et les mou- lins de cette autre éminence particulièrement désignée sous le nom de butte d’Erigné. Si les nuages s’amoncellent quelquefois sur le front audacieux et sévère de la Roche de Murs, si la voix de l'orage se fait entendre , la foudre la frappe bien rare- ment; le vaste courant de la Loire sépare bientôt les vapeurs menaçantes qui pourraient altérer la fluide atmosphère de cette belle contrée. Une autre voix s’y fait entendre; c’est celle de l’his- toire. Si ce n’est pas sur cette position formidable, c’est toujours dans un des champs voisins que se livra la fameuse bataille dans laquelle Dumnacus fit payer si cher aux soldats de Fabius et de Caninius les derniers lambeaux de la liberté gauloise dans notre province. TM — Si le lieu n’en a été déterminé d’une manière bien précise par aucun historien, cette tradition a du moins été admise par presque tous les auteurs qui se sont occupés des annales angevines. À dix-huit siècles d'intervalle (1) nn autre engage- ment moins décisif, mais non moins déplorable, puis- que les combattants, Français de part et d’autre, n’é- taient séparés que par la couleur de leur drapeau, se donna cette fois sur cette hauteur où nous respirons à pleins poumons le calme et la rêverie. Au mois de juillet 1795, le commandant républicam Bourgeois campait dans ce lieu où il s’était replié après avoir été forcé d'abandonner aux Vendéens les buttes d'Erigné. Les royalistes, au nombre de douze mille environ, appartenaient à la division de Bonchamp et étaient commandés par M. d’Autichamp. Pour connaître d’une manière complète les événe- ments qui précédèrent et amenèrent le combat de la Roche de Murs, il faut se reporter aux pages qu'ont écrites à ce sujet MM. Crétineau-Joly et Marmier, et que M. Lemarchand a si bien résumées dans le chapitre que le savant auteur de l’Album Vendéen a consacré à la Roche de Murs. Nous n'avons rien à ajouter à ces faits historiques, traités par ces divèrs écrivains avec autant de cons- cience que de supériorité. Nous ne sortirons pas du (1) Quant aux légendes du moyen âge dont la tradition s’est trans- mise dans ce pays, nous renvoyons aux détails intéressants que M. Aimé de Soland en a donnés dans sa notice sur les paroisses de Murs et d’Érigné, publiée dans les Annales de 1853, de la Société linnéenne. — 200 — champ de bataille, et nous parlerons seulement d’une particularité statistique qui s’y réfère et qui ajoute tou- jours, quand nous le visitons , une émotion et un in- térêt de plus aux vives impressions que ce lieu remar- quable à tant de titres, ne cessera jamais de produire sur nous. Pour se rendre compte de cette circonstance dont M. d’Autichamp a tiré si bon parti, il faut bien se fi- gurer la situation respective des combatiants. Représentons-nousce détachement républicain connu sous le nom des Lombards; représentons-nous ces Lom- bards renfermés dans leur camp qui n’est autre chose que notre roche elle-même. Quelle admirable position ! et däns quel camp at- tendra-t-on l’ennemi en pleine sécurité si ce n’est là ? S'il se présente par le nord ou par l’est, il trouve des retranchements redoutables, car le commandant sait, s’il est attaqué, qu’il le sera de ce côté, el c’est pour ce motif qu’il concentre dans cette direction toutes ses forces et toute son attention. En effet, du côté du cou- chant et du côté du nord particulièrement, qu’a-t-il à craindre ? sa position est inabordable et la nature l’en- veloppe d’une égide que la main de l’homme ne peut ébranler. Un examen plus approfondi des lieux aurait démon- tré cependant aux républicains qu’ils se faisaient une cruelle illusion. Sans doute les rochers à pic qui ga- rantissent la Roche de Murs du côté du nord sont in- franchissables, et les bouquets de genêts et de ronces qui garnissent ses flancs escarpés seraient plutôt un embarras et un danger pour les assaillants, qu’un — 901 — marche-pied pour arriver au faîte du rocher. Mais ils n'avaient pas remarqué qu'entre ces végétations para- sites et en tournant légèrement à l’est, il se trouvait un petit massif de chênes qui n’aurait pas eu tant de verdure et d'éclat si le pied en avait repasé sur le roc. S'ils avaient observé ce fourré d’un peu plus près, ils auraient reconnu qu'entre ses branches, ses lianes et ses ramures, en apparence inextricables, un petit sen- lier lortueux et couvert descendait peu à peu de si- nuosité en sinuosité jusqu'aux bords du Louet. Ils l’au- raient remarqué et ils ne se seraient pas endormis si profondément sur leurs remparts. Cette disposition du sol était connue de l’armée ven- déenne, et le général d’Autichamp s’en servit. Le 26 juillet, journée brillante dans laquelle le général eut deux chevaux tués sous lui, l’armée vendéenne, à peine reposée du combat des buttes d’Erigné dont elle venait d’emporter les hauteurs, s’avança donc sans être vue, vers la Roche de Murs par le valion de Louet, mas- quée par les premiers escarpements du rocher et leur abondante végétation. Le mot d'ordre était d'observer le plus complet si- lence. On arrive au fourré dont le voile impénétrable déroberait l’armée catholique au regard le mieux exercé. Le détachement parvient ainsi, sans obstacle, au point culminant, et les assiégés surpris par cette marche habile, n’avaient pas encore eu le temps de se remettre de la défaite du matin, quand ils se trouvérent assaillis tout d’un coup par l'ennemi. Les Lombards en désordre et dispersés abandonnent leurs retranchements du nord -- 202 — et accourent au sud-est dans lespoir d’arrêter cette escalade inattendue. Mais il est trop tard, et les roya- listes, profitant de leur trouble, tournent la droite de l’armée républicaine, et, au lieu de les acculer à leurs remparts , les repoussent victorieux dans la direction du Louet. Une lutte acharnée s’engagea entre les assaillants et les assiégés, car chaque pas que faisaient les bleus en arrière, était un pas vers l’abîme. Il fallait donc vendre chèrement sa vie si l’on ne pouvait la sauver. Aussi y eut-il des prodiges de valeur des deux côtés. Mais les républicains n'ayant pu se prémunir contre une atta- que dont ils n'auraient jamais supposé la possibilité, ne purent réparer le désordre qu’elle avait jeté dans leurs rangs. Malgré la plus héroïque défense, les soldats du commandant Bourgeois voyaient à chaque instant se rétrécir le petit coin de terre qui les rattachait encore au monde. Bientôt le sol manque sous leurs pieds et ils sont précipités dans le vallon et dans les flots du Louet rougi de leur sang. On a cité la conduite héroïque du caporal républi- cain Delpeux, auquel les Vendéens eux-mêmes accor- dèrent un juste tribut d’admiration, et la fin tragique de la jeune et belle madame Bourgeois, qui pour échapper à l’ennemi, se précipita en Spartiate dans le fleuve avec son enfant. Quant au commandant, il sur- vécut à ce désastre et se batlit encore pour la répu- blique. C'est cette circonstance stratégique du chemin cou- vert que nous avons voulu relever et mettre en relief, parce qu’elle n’est mentionnée, je crois, dans aucun — 9203 — document écrit et qu’elle ne repose que sur la tradi- tion. Mais il suffit, en se promenant sur le champ de bataille, de donner un moment d’attention à la dispo- sition des lieux, pour se rendre compte parfaitement de la manière dont l'attaque a été conduite et même pour se convaincre que les choses n’ont pu se passer autre- ment. En se rappelant les conversations du général d’Au- tichamp sur ce sujet, une personne digne de foi croit se souvenir de lui avoir entendu raconter ce fait de la même façon; et il est d'autant plus difficile de con- tester aujourd’hui cette version, que les événements qui en sont l’objet sont moins éloignés de nous, qu’elle est la plus rationnelle et que l’on ne voit pas pourquoi l'attaque par le chemin du nord-est se serait accréditée dans le pays, si l’assaut avait eu lieu complétement par les lignes du sud. Nous disons complétement, car nous ne contestons nullement une attaque partielle par les Vendéens du côté des retranchements, attaque d’autant plus néces- saire pour opérer la diversion qui assurait le succès de leur plan mystérieux. N'est-ce pas d’ailleurs ce que nous rencontrons à chaque page dans l’histoire de nos guerres de l'Ouest? N'est-ce pas cette connaissance du terrain et l’habileté avec laquelle les chefs vendéens savaient se servir du moindre ravin, du moindre bouquet d’arbres et de tous ces accidents du sol connus seulement de ceux qui y vivent; n'est-ce pas cette tactique qui jointe à leur bra- voure les a rendus si longtemps invincibles ? Tout se réunit donc en notre faveur pour soutenir — 904 — et démontrer même, en quelque sorte, le caractère sombre et formidable imprimé à ce combat, et par cetle statistique naturelle et par les mœurs des assail- lants. Voilà comment l’inspection d’un champ de bataille a tant d'intérêt, comment il suffit, même après un long intervalle, de lui accorder un coup d'œil pour trancher ‘les questions les plus longtemps controversées : voilà pourquoi nos historiens attachent tant d'importance à cet examen préalable, et pourquoi ils mettent tant d’empressement à aller visiter les lieux dont ils ont à raconter les événements. Dans tous les cas, en admettant que ce fût encore une question, bien que toutes les présomptions soient pour nous, nous n’aurions pas la prétention d'imposer à personne une opinion encore incontestée et qui nous semble incontestable. Dans le doule nous nous applau- dirions toujours d’avoir abordé ce point digne, sui- vant nous, du plus haut intérêt, ne füt-ce que pour provoquer toutes les discussions et tous les arguments appelés à l’éclaircir. En ce moment où la Vendée des Cathelineau, des Larochejaquelein et des Bonchamp, sillonnée d’abord par les colonnes de Hoche victorieuses et depuis par nos routes stratégiques, a perdu toute sa physionomie, il ne nous a pas semblé indifférent de nous arrêter un instant au versant de ce coteau, près de ce bouquet de bois encore debout, auquel se rattache un des traits les plus caractéristiques de la Vendée militaire et l’un des souvenirs les plus saisissants de nos guerres ci- viles. . — 9205 — Les monuments de la nature, comme les monuments des hommes, ont leur passé et leur histoire, et payent, comme eux, quelquefois leur tribut au vandalisme des siècles modernes. Pour une personne qui ne regarde qu’au point de vue artistique et comme mise en scène, la Roche de Murs semblerait, par son aspect imposant, défier en- core plus de siècles qu’elle n’en a traversés ; et l’é- tranger qui la contemple et qui l’admire nous regar- derait en souriant, si nous venions lui dire que c’est une illusion. Non, cette masse imposante, produit d’un des phénomènes les plus anciens etles plus curieux de notre globe, ne sera point emportée ou détruite par un ca- taclysme analogue à celui qui l’a engendrée; cette éminence majestueuse d’où nous contemplons un des plus beaux horizons de notre pays, ornement elle-même du frais paysage qui l'entoure, ne léguera pas à un grand nombre de générations son imposante et poéli- que silhouette; et pour nos petits-fils ce livre toujours ouvert qui nous entretient des secrets de la science et des souvenirs de notre histoire sera bientôt effacé, de sorte qu’ils pourront se demander un jour en quel en- droit a pu se donner la bataille de Murs, aussi peu édifiés sur la marche du général d’Autichamp que nous le sommes aujourd’hui sur celle de Dumnacus. Non, ce rocher célèbre qui aura vu passer et tomber tant d'hommes à ses pieds, périra lui-même par la main des hommes. Cette génération elle-même, à laquelle il tient par tant de titres et tant de liens et que nous voyons passer SOC D’AG. 14 — 206 — devant lui dans l’attitude de l’admiration et du respect, tandis qu’elle le signale d’une main à la vénération des étrangers, le frappe chaque jour de l’autre d’un coup meurtrier. — Le siècle auquel il se sera montré dans toute sa grandeur est celui qui lui aura été le plus fatal. Le glaive de Fabius et l’épée de d’Autichamp en se dressant contre lui avaient laissé leurs reflets écla- tants; maissur l’enclume de l’industrialisme l’épée du guerrier est devenue la pioche du cantonnier. On pou- vait l’atiaquer avec violence et faire disparaître ce pla- teau en peu de temps en y ouvrant une carrière; au lieu de tuer le géant d’un seul coup, on le mine, on l’épuise. Au lieu de le réduire en dalles, on le réduit en poussière. Par un système de destruction lente mais continue, on lui arrache chaque jour quelques petites parcelles ; chacun des coups qu’on lui porte lui fait une blessure insensible; personne ne songe à demander compte heure par heure des quelques pierres qu’un instru- ment aveugle et servile fait rouler de ses flancs à ses pieds ; il semble le lendemain aussi puissant, aussi noble, aussi majestueux que la veille. Mais pour peu qu’on laisse s'écouler quelques mois sans le visiter, on s'aperçoit, en le retrouvant, que la plaie s’est élargie d’une manière effrayante, et qu’une gorge profonde s’est ouverte là où l’on n’aväit pratiqué qu’une légère cavité. Avec un pareil système, encore une ou deux années ce rocher sera partagé en deux fragments qui s’amoin- driront peu à peu de la même manière, jusqu’à ce que — 907 — le niveau de la civilisation vienne balayer les derniers restes de cette colline aussi sacrée pour nous que les sept collines de Rome pour le peuple-roi, puisqu'elle est revêtue à la fois de la grandeur de la création et de la grandeur de nos pères. P. BELLEUVRE. PEDE LIBERO. Quel est ce voyageur, dont Le pas solitaire Presse avec tant d’amour notre mère la terre? Un bâton recourbé, Nourrisson des forêts, à son bras se balance ; Vers les bleus horizons il chemine en silence, Par l’extase absorbé. Ni les lourds chariots, ni les courriers sonores, Ni les wagons rasant comme des météores Le village ébloui, Ni les briskas légers dont la roue étincelle, Ni les fiers cavaliers repliés sur leur selle, N’ont un regard de lui. On dirait l’homme errant dont nos mères crédules, Au temps où le concou sonnait l’heure aux pendules, Contaient, dans l’âtre obscur, Du levant au couchant l’inexorable course, Et les cinq sous toujours renaissant dans sa bourse, Immortale jecur. — 209 — C’est qu’il est d’une race oubliée, incomprise De nos dégénérés que la walse électrise, Qui, du soir au matin, Tournant sur un parquet à la lueur des lustres, Laissent fouler aux pieds des manants et des rustres La lavande et le thym. Heureux le Créateur de immense nature, Quand leur œil terne et morne au dehors s’aventure, Et que, d’ennui changeant, Dans l’espace emportés, du fond d’une litière, Ils jettent sur son œuvre, à travers la portière, Un sourire indulgent! Lui, plus humble en son vol, mais d’un plus vaste empire Convoitant les splendeurs, 1l recueille, il aspire, Ce marcheur résolu, Tout ce que, joie, amour, élans, prière, extase, La nature en travail répand, comme d’un vase, Aux pieds de son élu. Comme un enfant qui naît sur la saison dernière, Les aînés étant morts, ou tournés en arrière, Tant vieillir fait d'ingrats; Dans le cœur dévasté l’avenir se redresse, Et l’on a, pour l’étreindre au gré de sa tendresse, Trop peu de ses deux bras : « À toi nos lourds greniers où s’entassent les gerbes, » Nos troupeaux dispersés, nos chevaux dans les herbes » Oubliant leur vertu ; » — Mes limiers, à mon roi! — Mes joyaux, Ô ma reine! » Mes oisifs bracelets dont l’ambre au loin s’égrène » Sont à toi. Les veux-tu? » — 9210 — Tel est celui qui va, suspendant, 6 nature, Un regard filial aux plis de ta ceinture! Il révère ce flanc Par d’autres profané, cette riche mamelle Que l’homme inassouvi pressure, et d’où ruisselle Le lait avec le sang. LS Voir, dit-on, c’est avoir. Mais pour voir, il faut vivre — Ni lacets, ni verroux! A toute âme qu’enivre L’arôme des saisons, Il faut un corps dispos, souple, et libre, comme elle, Ici d'ouvrir, et là de replier son aile Au gré des horizons. À qui Dieu mit au cœur cette soif salutaire , Tout parle et rit ; le sol résonne comme une aire, Fume comme un pressoir. Marche, puisque loiseau garde pour lui ses ailes! Mais sur un char, fût-il mené par des gazelles, S’accouder, c’est décheoir. FA LS « Qu’a-t-il dons récolté dans son errante vie, » Ce pédestre voyant, d’un luxe qu’il envie » Frondeur injurieux ? » — Peu de chose en effet. Chimères de poète, Dont les récits fardés feraient hocher la tête Aux hommes sérieux. — 211 — C’est un nid entrevu, la plante retrouvée, Qui, fidèle au berceau, dans sa jeune couvée Resplendit aujourd’hui ; L C’est là-haut quelque oiseau, d'envergure inconnue, Qui traverse les airs en laissant dans la nue Un sillage après lui. C’est le soldat buvant à l’onde où se reflète L’éclat inattendu de sa rouge épaulette, Et rêvant de quel vin S’égayera bientôt la table héréditaire, Quaud de loin, sur le seuil, son ombre militaire Va se dresser enfin. Le matin, c’est, au bourg, la maisonnette accorte Qui s’éveille et sourit, un enfant sur la porte, Un pigeon sur les toits; Puis c’est la forge, au soir, dont la flamme s’allume, Et lAngelus, versant sur les pleurs de l’enclume Le baume de sa voix. Car ces vagues rumeurs qui partent de la terre, Et dans les cœurs émus déposent leur mystère, Ne sont, le plus souvent, Qu'un sanglot échappé, qu’une larme qui coule. Dieu les touche du doigt, les consacre, et la foule Les écoute en rêvant. C’est l’aveugle, embrassant d’un regard sans prunelle Cette création immense et solennelle ; Cest, aveugle à son tour, En dépit des éclairs dont son œil noir flamboie, Le Bohémien qui passe, et, stupide, coudoie La croix du carrefour. — 212 — C’est elle! Cest le Dieu visible du Calvaire, Indulgent aux petits et pour les grands sévère, . O Christ, à liberte! Centre de tout, en qui tout s’explique et s’enchaîne, La joie au deuil, au jour la nuit, l’hysope au chêne, Les champs à la cité. CS De son front à ses pieds si la sueur dégoutte, Quand le pâtre de loin voit poudroyer la route Au sommet du coteau, S’il chancelle, étourdi sous les coups d’une averse, Si la neige planchit, si la grêle transperce Le drap de son manteau, S1 l’astre impatient , que le devoir réclame, Sur un autre hémisphère allant darder sa flamme, Fait la nuit sur ses pas, Nuit sombre, où mille erreurs dans ombre survenues Mêlent aux cieux les eaux et les terres aux nues, — Oh! ne le plaignez pas! Car c’est vous qu’il faut plaindre, et c’est lui que j’envie. Eh ! qui ne sentirait se décupler sa vie, En ces épanchements Où la création s’entrouvre plus profonde, Où son œuvre prodigue au regard qui la sonde Plus de ravissements ? Vers qui luisez pour lui dans les nuits triomphales, Givre, fleur des hivers, chênes que les rafales Font tomber à genoux, — 913 — Landes où le soleil promène son mirage, Bouleaux plus frissonnants que des faons sous l'orage, Parlez, parlez pour nous! CS Maïs la coupe où l’on boit n’est jamais qu’un calice, Et sur son front serein plus d’une ombre se glisse. De ses regrets témoins, Les plus déterminés n’oseraient les redire ; Mieux que sa joie encor sa douleur fait sourire. — Il n’en souffre pas moins. Na-t-il pas vu marqué d’une entaille trop sûre, Et du fer qu’on aiguise attendant la blessure, Le chêne, son ami, Dont l’aigle d’une lieue avisait les repaires, Et sous l’abri duquel les fils après les pères Cent ans avaient dormi? Où le moulin jasait, un pont lourd se dessine, Du rocher qui surplombe , érodé par l’usine , Il ne survivra rien. A l’horizon là-bas quelle blancheur émerge ? D’un donjon replâtré la flèche, ou d’une auberge Le faite olympien ? L'église tourne, et change en un fronton vulgaire L’abside aux blonds vitraux qu’illuminaient naguère Les rayons du levant, Comme on verrait sur l’onde errer à l’aventure Un navire inconnu de voile et de mâture, Et la proue en avant. — 214 — Ils ont coupé la source, ils ont tari la mare Où se perpétuait la fleur tardive et rare Qu’août voyait surgir, Quand les fléaux.… silence à leur bruit séculaire ! N’a-1-il pas entendu comme un chacal dans l’aire La machine rugir ? LS Tandis qu’il va, songeant, en son âme inquiète, A tout ce qui s’éteint, à tout ce qui s’émiette, À tout ce qui s’abat, Au bourg, de la cité pressentant les approches, Au bruit des chariots narguant le bruit des cloches Dans le jour du Sabbat ; Que bientôt la vapeur, seul esprit et seule âme Dont cet âge de fer entretienne la flamme, A l’œuvre incessamment, Viendra dans sa rumeur tout étreindre et confondre, Et sur les fronts crispés changer en ciel de Londres Notre bleu firmament..……. Son jarret a ployé. — D’une phase nouvelle Au marcheur assombri l'indice se révèle ; Le terme est loin encor; | Mais pour le cerf errant, dont les chiens ont la trace, Jamais, jamais en vain, si long que soit l’espace, N’a résonné le cor. Présages bienveillants ! Quand les plus douces choses Subissent de nos jours tant de métamorphoses, Mieux vaut sortir d’ici, — U5 — Abandonnant le monde, en ce rude passage, À ceux qui d’une main docte, puissante et sage, : Le transforment ainsi. CS Ah! lorsque , désarmé de son bâton de hêtre, Il se résignera, sur un appel du maître, A la halte sans fin ; Lorsqu'il ira là-haut, de son pèlerinage, Ce voyageur tremblant , porter le témoignage Au voyageur divin Qui, du soleil brûlé , ruisselant sous la pluie De sueur et de sang que Véronique essuie, Calme et juste, monta, D’injure en trahison, de Caïphe à Pilate, Sous le bandeau d’épine et la robe écarlate, Les flancs du Golgotha ; Nallez pas contier à quelque char servile Son corps sinistrement cahoté par la ville, De peur que de ses os Une vertu ne sorte, et, conjuranf la roue, Des chevaux effarés ne s'empare, et ne cloue Aux pavés leurs sabots. Mais plutôt, que, porté sur les rudes épaules De quatre paysans nés à l’ombre des saules, Hommes des rits anciens, Il passe enveloppé de son linceul de serge, Et qu’il tressaille au bruit de leurs pas sur la berge, Dernier écho des siens ! Vicror PAVIE. DERNIER PASSAGE DU GÉNÉRAL CHARETTE A ANGERS. Messieurs , La mort de Charette, généralissime vendéen en 1796, causa au gouvernement d'alors autant de joie que la plus belle victoire sur les Autrichiens, dit M. Thiers dans son Histoire de la Révolution française. Elle hâta - la fin de la guerre civile, en permettant au général Hoche de porter toutes ses troupes en Bretagne, de dis- perser les bandes qui étaient encore en armes, et de travailler ensuité d’une manière efficace à l’œuvre qui devait l’immortaliser, à la pacification générale des départements de l’Ouest de la France. Je n’ai nullement l'intention de parler des dernières luttes, des derniers combats du vaillant chef, qui ré- sista tant qu’il put se tenir debout, tant qu'il put se — 217 — servir de ses armes, mais j’ai espéré intéresser quelques instants, en cherchant à faire connaître sur ce grand drame quelques particularités qui résultent de la lecture attentive des pièces officielles contenues dans le Monteur, et surtout de renseignements intimes que j'ai recueillis de la bouche même de ceux qui ont été appelés par leurs fonctions à voir de plus près le général Charette, lorsqu'il a traversé Angers pour aller recevoir la mort à Nantes. C’est le 25 mars 1796 que le général fut fait prison- nier. Le Moniteur contient sur ce fait important les quatre lettres suivantes : L'adjudant-général Valentin au général Grigny. De Brouzils, le 23 mars 1796 (vieux style, comme on disait alors), 3 germinal an 1V (vieux style, comme nous disons aujourd’hui). Vive la République! mon cher général! le scélérat Charette est au pouvoir des républicains; Travot l’a arrêté à la Chabotière, sur l'heure de midi. Je l’ai ren- contré moi, ce matin à neuf heures, entre la Guionière et le Sabland, à la tête de cinquante hommes : je l'ai chargé avec cent grenadiers, à dix heures et demie; je lui ai tué dix de ses soldats et son Allemand. Enfin il court comme un lapin; je lui ai fait faire au moins six lieues toujours courant : je le tenais de bien près, mais je n'ai pu l’atteindre; enfin lorsque Travot l’a pris, il était soutenu par deux de ses soldats. L’adjudant général Travot l’a conduit à Pont-de-Vie ; 18 — il doit le conduire aux Sables. Je vous ferai un autre détail. Pardonnez-moi, je suis écrasé de fatigue. Je vous embrasse. Signé VALENTIN. Le même jour le général Grigny écrivait au général en chef Hoche : Montaigu, le 3 germinal. Charette est entre nos mains. Ci-joint copie de la lettre que m’écrit Valentin ; c’est lui qui l’a chassé à vue toute cette journée comme un cerf; il est tombé entre les mains de Travot, ne pouvant se soutenir. Il était impossible, mon cher général, qu’il ne tombât pas en notre pouvoir; tout le pays dans lequel nous le savions, était couvert de troupes et d’embuscades; tous les postes et cantonnements étaient en course : il lui était impos- sible de se sauver nulle part. J'écris en ce moment à Travot, qu’il ne conduise pas Charette aux Sables, mais qu’il l'amène à Angers. C’est à présent, mon cher général, qu’il est bien ins- tant d'organiser la Vendée; pressez le gouvernement. Je te félicite, mon cher général; en vérité nous som- mes comme des fous depuis cette bonne nouvelle. Signé GRIGNY. Le lendemain le général Hédouville, chef d’état-ma- Jor de l’armée des côtes de l'Océan, écrivait au Direc- toire : Au quartier général à Angers, le 4 germinal an IV Citoyens Directeurs, vive la République! Charette est — 919 — pris; on le conduit ici où il arrivera ce soir ou demain matin; conformément à la loi il sera jugé de suite. Je joins ici la copie des lettres officielles qui an- noncent cette importante nouvelle. Le général Hoche le faisait poursuivre avec une activité vraiment éton- nante, et il était bien fondé à vous annoncer qu’il ne tarderait pas à tomber en notre pouvoir. Vous ne pouviez conférer plus à propos le grade de général de brigade à l’adjudant général Travot; je lui remettrai ses lettres de service lorsqu'il amënera Cha- rette. Salut et respect. Signé T. HÉDOUVILLE. Ces trois lettres sont insérées dans le no 189 du Mo- niteur universel, du mardi 29 mars 1796, et le journal officiel ne dit plus rien du général Charette jusqu’au 8 avril, qu’il insère la lettre suivante du général Hé- douville : Au quartier général, à Angers, le 11 germinal an 1v. Citoyens Directeurs, le généralissime Charette a été fusillé le 9, à quatre heures du soir, à Nantes. Je dois recevoir aujourd'hui son jugement et son interroga- toire, et je m’empresserai de vous les faire passer par le premier courrier. Salut et respect. Signé T. HÉDOUVILLE. Un premier fait ressort de la lecture de ces documents, c’est que, malgré toute l’activité du général Hoche et de — 220 — l’adjudant général Travot, malgré les troupes et les em- buscades, malgré les postes et les cantonnements qui couvraient tout-le pays, on ne savait ni où, ni quand on pourrait prendre l’intrépide général, et qu'aucun ordre n'avait été donné qui décidât dans quelle ville on de- vait le faire juger. Travot devait d’abord le conduire aux Sables, mais le général Grigny demande qu’on amène plutôt le prisonnier à Angers, et cel avis est partagé par le général Hédouville, qui annonce au Di- rectoire que Charette va arriver le soir ou le lendemain à Angers, et que conformément à la loi, il sera jugé de suite. Or, pour vous bien faire comprendre le sens et la portée de ces mots : 17 sera jugé de suite, je vais vous faire une rapide analyse du jugement qu’à Angers aussi était venu subir, un mois auparavant, un autre des chefs qui commandaient les principales divisions de l’armée royale. D’après le rapport du général de brigade Ménage, in- séré dans le Moniteur du 4er mars 1796, le 24 février, dans la nuit, la ferme de la Saugrenière, canton de Jallais, district de Cholet, fut cernée par le citoyen Lou- til, chef du 7e bataillon de Paris, avec 200 hommes d'infanterie et 25 de cavalerie. Ayant frappé à la porte, il fut demandé : Qui est là? — Le commandant répon- dit : Royaliste, en se nommant Forestier. La porte fut ouverte, la maison immédiatement envahie par les sol- dats, et les personnes qui s’y trouvaient sommées de se rendre, alors que huit grenadiers les tenaient en joue. Stofflet se jeta sur un grenadier et il était sur le point de l’étrangler, lorsqu’accablé par le nombre il fut obligé d'abandonner sa victime, et mis dans l'impossibilité de — 991 — se défendre plus longtemps, ainsi que les hommes qui l’accompagnaient. Ce même jour 24 février, dans la soirée, Stofflet arrivait à Angers, comparaissait à une heure du matin devant un conseil de guerre, qui con- damnait à la peine de mort : Nicolas Stofflet, âgé de 44 ans, natif de Lunéville, département de la Meurthe, sans profession, ancien mi- litaire, commandant en chef les rebelles de la Ven- dée ; , Charles Lichtenhein, âgé de 24 ans, né à Prade en Franconie, ancien officier au service de l'Empereur, et un des officiers dudit Stofilet ; Joseph-Philippe Desvarannes, né. à Ancenis, départe- ment de la Loire-Inférieure, ancien commis au district d'Ancenis, et un des officiers dudit Stofilet; Joseph Moreau, âgé de 20 ans, né à Chantelou, dé- partement de Maine et Loire, tisserand de son état et brigand ; Pierre Pinot, âgé de 21 ans, né à Cholet, tisserand de son état et brigand. Michel Grolleau, âgé de 14 ans, né à Cholet, dépar- - tement de Maine et Loire, sans état et brigand, fut en raison de son âge condamné à la détention jusqu’à la paix générale. L'arrêt portait de plus que le jugement serait de suite mis à exécution, et à 10 heures précises, 24 ou 30 heures après avoir été pris, les cinq condamnés tra- versaient une foule immense réunie sur le champ de Mars, pénétraient au milieu d’un carré formé par la garde nationale et l’armée, et tombaient fusillés le long du mur de la manufacture Joùbert, à l'endroit à peu SOG. D’AG. 15 — 992 — près où a été ouverte depuis la rue de la Manufacture. Tel était le sort qu’on réservait à Charette, tel est le sens de la phrase de la lettre du général Hédouville, mais un sentiment que je ne sais comment définir tant il me semble étrange, je dirais presque sauvage, fit prolonger de quelques jours l’agonie du généralissime. Nantes le réclama; il était juste, dit-on dans une let- tre insérée au Moniteur du 20 avril, no 211, il était juste que le lieu de son odieux triomphe devint celui de son juste supplice, et on voulut lui faire expier son entrée solennelle après le traité de la Jaunaie; on vou- lut le montrer vaincu, blessé, n’ayant plus que quelques heures à vivre, à ces. populations, qui un an auparavant accouraient pleines de joie et de curiosité pour voir fêter ce chef célèbre. Il ne s'arrêta donc que quelques heu- res à Angers, et arriva à Nantes le 28 mars, à une heure du matin. Conduit à la maison du Bouffay il demanda un verre d’eau, puis quelques heures de repos. Le même jour, sur les 9 heures du matin, on le con- duisit chez le général Duthil, où il devait subir un im- terrogatoire. Les grenadiers et les chasseurs de la ca- valerie de la garde nationale étaient sous les armes; « deux compagnies de mon bataillon, dit l’auteur de la lettre que j'ai citée tout à l’heure, et deux de la légion nantaise étaient commandées. Charette, placé au milieu de cette escorte , précédé d’une demi-douzaine de gé- néraux, entouré de quelques gendarmes, fut conduit chez Duthil jusqu’à la Construction, puis remontant la Fosse, la rue Jean-Jacques, la place de la Comédie, descendant ensuite la rue Crébillon, la place Egalité, fut ramené en prison par la rue Casserie. — 293 — » Il était habillé d’un pantalon gris, d’un habit veste pareil, sans autre distinction qu’un galon d’or étroit, dentelé, qui bordait son collet. Autour de sa tête un fichu blanc était négligemment noué à la créole. Il avait reçu un coup de feu à la tête, son épaule droite était encore couverte de sang. Il avait le bras gauche en écharpe; un coup de sabre lui avait coupé trois doigts de cette main. Sa contenance était assurée, sa marche ferme, et le plus grand calme était répandu sur sa fi- gure; son teint n’était plus comme au temps de la pa- cification blanc et uni, les fatigues l’avaient bruni : il regardait tout sans insolence et sans bassesse. » Le lendemain 29 mars, dans la matinée, il comparut devant le conseil de guerre, qui prononça le jugement suivant : Aujourd’hui, neuvième jour du mois de germinal, lan quatrième de la République française, par-devant le conseil militaire présidé par le citoyen Jacques Gau- tier, chef du quatrième bataillon de l'Hérault, convo- qué d’après les orares du général de brigade Duthil, pour procéder au jugement du nommé François-Atha- nase Charette, âgé de trente-trois ans, natif de Couffé, département de la Loire-Inférieure, général en chef de l’armée dite royaliste de la Vendée, auquel jugement ont assisté les citoyens Gautier susdit;, Maublanc, capi- taine; Gouin, lieutenant; Chenel, Tonnel, sergents; Château, caporal; Edelin, Détienne et Stener, soldats. Le conseil militaire, ouï les rapports des adjudants généraux Valentin et Travot, et celui du commandant de Saint-Philbert, qui constatent la capture de la per- sonne de François-Athanase Charette de la Contrie, — 994 — lieutenant de vaisseau avant la révolution ; les autres pièces déposées ; oui le rapport et le rapporteur en ses conclusions, l’interrogatoire de l’accusé, et son défen- seur officieux ; Considérant qu'il est constant que ledit Charette a été pris les armes à la main; qu’il était chef des re- belles connus sous le nom de brigands de la Vendée ; qu’en cette qualité, il a fomenté et dirigé la guerre ci- vile allumée dans ce pays, en recevant des secours de l'étranger, en armes, munitions et argent, en entrete- nant correspondance avec les princes, les émigrés et autres ennemis de la République, et en massacrant ses défenseurs; Vu l'article HT de la loi du 30 prairial, qui porte : « Les chefs, commandants et capitaines, les embau- » cheurs, les instigateurs des rassemblements armés, » sans l’autorisation des autorités conslituées, soit sous » le nom de chouans ou sous telle autre dénomination, » seront punis de mort. » Le conseil faisant droit aux conclusions du citoyen Perrin, capitaine rapporteur , le condamne à la peine de mort. Déclare ses biens acquis et confisqués au profit de la République ; ordonne que le présent jugement sera mis sur-le-champ à exécution, à la diligence du comman- dant de la force armée. Ordonne en outre que ledit jugement sera imprimé, et que copie en sera adressée tant au ministre de la guerre qu’au général en chef, au général de cette di- vision, au département, el à la commune dont l’accusé est habitant. — 9295 — Fait et prononcé, séance tenante et publique, par nous président, de l’avis des membres dudit conseil, les jour, mois et an que dessus. Signé Edelin, Détienne et Stener, soldats ; Chenel et Tonnel, sergents; Gouin, lieutenant; Maublanc, capi- taine; Gautier, président ; et H. Roche, secrétaire. Pour copie conforme : Le président, GAUTIER, chef de bataillon. Conduit à cinq heures du soir sur la place Viarmes, qu’on nommait alors je ne sais pourquoi la place des Agriculteurs, le généralissime ne voulut ni se mettre à genoux ni qu’on lui bandât la vue; il retira son bras gauche de l’écharpe qui le soutenait, et présenta sa poitrine au peloton qui sur son ordre allait faire feu. Tous ces faits sont connus, ils sont décrits dans beau- coup d'ouvrages, et surtout dans celui intitulé : Vie de Charette, par M. Lebouvier Desmortiers, mais personne n’a donné le moindre détail sur le séjour du général à Angers, et c’est cette lacune que je vais essayer de remplir. Charette arriva dans la matinée du 27 mars à la pri- son qui était alors, comme tout le monde le sait, entre . la place du Pilori et la place des Halles, entre les deux rues haute et basse de la Chartre. Il fut d’abord con- duit à l'état-major, puis comme il disait beaucoup souf- frir de ses blessures, on envoya vers deux heures de l'après-midi prévenir M. Casimir Lachèse, médecin des prisons, qu'un officier vendéen blessé avait besoin — 296 — d’être pansé; on ajouta tout bas, et comme en secret, que cet officier vendéen était le général Charette. Au moment de cette communication M. Lachèse avait dans son cabinet un de ses parents, jeune officier de santé attaché aux ambulances volantes de l’armée répu- blicaine, et il lui proposa de l’accompagner pour lui servir d’aide dans un pansement qu’on lui disait devoir être long et compliqué. M. Lachèse est mort depuis longtemps, mais son aide vit encore, Dieu merci; il m’a bien souvent raconté sa visite au général Charette : c’est mon père. Ces messieurs trouvérent le général dans la geôle, où tout était prêt pour lui donner les soins que son étal pouvait réclamer. [Il était assis sur un siége en bois très-solide; deux hommes élaient près de lui et sur- veillaient ses moindres mouvements. Il dit aux médecins en les saluant qu’il souffrait beaucoup, qu’il n’avait point été pansé depuis le jour où il avait été fait pri- sonnier, et qu’il leur serait très -reconnaissant s'ils vou- laient bien mettre un nouvel appareil sur ses blessures. On commença par la blessure du front, qui était large, superficielle et très-enflammée. Elle fut bien 1a- vée avec de l’eau blanche tiède, recouverte de charpie très-fine, de compresses maintenues par un bandage de tête et par un mouchoir que M. Lachèse attacha. C’est ensuite mon père, qui avec beaucoup de pré- caution, débarrassa le bras blessé d’un appareil sali et exhalant déjà une très-mauvaise odeur. Plusieurs coups de sabre et des coups de feu avaient produit des plaies qui étaient enflammées, douloureuses, mais le gé- néral souffrait surtout d’un coup de sabre qui avait — 9927 — largement incisé la partie inférieure de l’avant-bras et le poignet. Toutes ces plaies furent comme celle de la tête lavée à grande eau puis pansées avec de la charpie bien douce, des compresses propres et fines. Une lé- gère planchette fut placée dans la paume de la main pour neutraliser autant que possible la section des mus- cles extenseurs, et après plusieurs essais pour l'arrêter au point le plus convenable, mon pére fixa l’écharpe qui devait supporter le membre blessé, jusqu’au mo- ment où sur le point de mourir, l’intrépide général le retira, pour tomber libre de tous ses membres comme de toutes ses pensées. On ne se contenta pas de ces premiers soins, on lava les jambes du pauvre prisonnier, on nettoya ses vêtements qui étaient couverts de poussière et de boue, et il ex- prima maintes et maintes fois, pendant ce long panse- ment, sa reconnaissance pour le soulagement qu’on lui procurait avec tant de déférence et de sollicitude. Puis, quand les médecins furent sur le point de se re- tirer, il fouilla de sa main droite dans la poche de son gilet, et en tira une pièce de 24 francs qu’il offrit à M. Lachèse et qui fut immédiatement refusée, bien en- tendu. Le général comprit que prisonnier lui-même il n’avait point d'honoraires à payer au médecin chargé de soigner les prisonniers, il n’insista pas et remercia plusieurs fois ces messieurs avec la plus cordiale effu- sion. Quelques heures après, au commencement de la nuil, M. Charette fut conduit au port de l’Ancre, en traversant une foule immense qui se pressait autour de la compagnie de grenadiers du 62 régiment, et d’un — 228 — détachement des chasseurs de la Montagne, dont une partie devait l’escorter. Les généraux Grigny, Travot et Valentin prirent place près de lui dans un bateau qui l’attendait à peu de distance de l’hôtel Maquillé, dans lequel habitait le général Hédouville. On poussa immédiatement au large, les rames commencèrent à s’agiter et ne s’arrêtérent plus qu'à Nantes, à une heure du matin, comme le dit la lettre que j'ai citée plus haut. Ces faits, Messieurs, ne présentent aucune importance historique, mais j'ai cru qu'ils méritaient de ne pas être entièrement passés sous silence. J’ai surtout voulu, en vous faisant cette communication, répondre l’un des premiers à l'appel d’un de mes plus anciens et plus ex- cellents camarades, notre cher président, qui voudrait, par des travaux plus nombreux, ajouter à l’intérêt de nos séances. Ce but serait facilement atteint, Messieurs, si chacun de vous voulait bien nous faire part de ses observations sur l’agriculture, les sciences et les arts du moment, si surtout chacun de vous s’attachait à nous faire connaître quelques-uns de ces faits si cu- rieux, si instructifs, qui sont déjà devenus presque de l’histoire. Car, fort de l'autorité d’une femme célèbre, encore plus grande par les qualités de son cœur, par le charme de son esprit que par l'illustration de son nom, Mme Swetchine, je crois que, si nous regardons toujours dans l'avenir, nous ne voyons que dans le passé. À. LACHÈSE. PROCÈS-VERBAUX DES SÉANCES. SÉANCE DU 24 JUILLET 1861. Etaient présents au bureau MM. J. Sorin, président ; E. Lachèse, secrétaire-général ; P. Belleuvre, tréso- rier. (M. l'abbé Chevallier a écrit pour annoncer son ab- sence et prévenir de l'impossibilité où il se trouvait de présenter la Revue d'ouvrages annoncée par l’ordre du jour de la séance.) Le procès-verbal de la séance précédente est lu. Il est adopté, après, toutefois, une remarque présentée par l’un des membres sur une lacune qui existerait dans ce compte-rendu à l’égard de la médaille qui doit être décernée à M. de Caumont, omission qui sera im- médiatement réparée sur le procès-verbal dont s’agit. M. le bibliothécaire donne lecture de la liste des ouvrages adressés à la Société depuis la dernière séance. M. le Président donne lecture d’une lettre de M. Ma- gin, recteur de l’Académie de Rennes, qui remercie — 230 — du titre de membre honoraire qui lui a été conféré par la Société, l’accepte avec empressement et exprime le vif intérêt que lui inspirent les travaux de la réunion. M. le Président donne lecture d’une circulaire de la Société impériale el centrale d’horticulture en date du 20 juin, annonçant une exposition de produits du jar- dinuge du 21 au 24 septembre de-cette année, et indi- quant les conditions principales à remplir par les ex- posants. Un programme est joint à cette circulaire; ces deux pièces seront déposées au secrétariat de la So- ciété, pour être communiquées à toute demande. M. le Prèsident donne lecture d’une circulaire du Jury d'admission à l’Exposilion universelle de Londres, des produits agricoles et industriels des arrondisse- ments d'Angers, de Baugé et de Segré, demandant qu’on lui adresse sans retard les indications néces- saires, entr'autres les noms des exposants, la nature des produits qui seront exposés, et la désignation de espace que l’on juge devoir être rempli par les objets à envoyer. M: le Président fait connaître que la Commission précédemment nommée pour s'occuper de ces soins importants, a cru devoir, vu la diversité de ses tra- vaux, augmenter le nombre de ses membres. Elle se compose aujourd'hui de dix-sept personnes, qui sont : MM. Boutton-Lévêque, président; docteur Hunault de la Peltrie, secrétaire, Allain-Targé, père; Audusson aîné; l'abbé de Beaumont; Courtiller aîné; Courtiller jeune; Fairé; docteur Farge; Guillory aîné; Leroy, André; Joseph de Mieulle; Millet; comte de Quatre- barbes ; Sorin ; Louis Tavernier ; Textoris. — 931 — M. le docteur Hunault de la Peltrie pense qu’il im- porte à tous de connaître les dispositions détaillées renfermées à l’egard de cette Exposition immense dans une circulaire du 20 juillet dernier, et donne lecture de ce document, dont les dispositions devront servir de guide à la Commission. Après quelques observations présentées par divers membres,il est arrêté que la Société demandera, comme espace nécessaire à son exposition, 10 mètres de lon- sueur sur 2 de profondeur et la hauteur d’une travée. Il est décidé en outre que des avis seront adressés pour hâter les exposants, non-seulement par l’organe des journaux, mais aussi par l’envoi de circulaires. L'ordre du jour appelle une communication de la Commission archéologique au sujet de réparations à la cathédrale. Le but de cette communication et les circonstances ‘qui l’ont préparée se trouvent expliqués dans le pro- cès-verbal suivant, dont M. E. Lachèse donne lecture : « Commission d'enquête. » Le mardi 16 juillet 1861, à deux heures, se sont réunis dans la salle des séances de la Société d’agri- culture, sciences et arts d'Angers, MM. : » Sorin, Pavie, E. Lachèse, Belleuvre, l’abbé Che- vallier, membres du bureau d’administration de ladite Société d'agriculture ; Godard-Faultrier, Béclard, l’abbé Barbier de Montault, Paul Lachèse, membres du bu- reau d'administration de la Commission archéologique ; Léon Cosnier, docteur Hunault de la Peltrie, l’abbé Joubert, délégués de la Commission archéologique. » Ces différents membres, formés en commission — 932 — dans le but qui va être exposé, ont invité M. Sorin, président de la Société d’agriculture, à présider la réunion, et M. E. Lachèse, secrétaire-général de la même Société, à remplir dans la Commission les fonc- tions de secrétaire. » M. Godard-Faultrier a exposé que des bruits qui lui semblent d’une nature grave, donnant lieu de crain- dre que des travaux en dehors des réparations néces- saires, et dont le résultat serait évidemment de détruire la beauté et l'harmonie de notre église cathédrale ne soient prochainement entrepris, ou du moins proposés, la Commission archéologique avait, sous sa présidence, le 10 juillet courant, décidé qu’une commission com- posée des membres des bureaux d'administration de la Société d'agriculture et de la Commission archéologi- que, et, en outre, de trois délégués, serait formée pour s’enquérir de la nature des changements ou répara- tions qui pourraient se préparer, et avisér aux mesu- res convenables en celte circonstance. » Les modifications annoncées seraient les sui- vanies : » 40 Renouvellement de la charpente, alors que, d’a- près des renseignements précis, des réparations par- tielles suffiraient. 90 Démolition et reconstruction des voûtes, en partie, du moins; travail et dépense au moins inutiles, le seul soin à prendre étant de dégager ces voûtes du poids des décombres qui les surchargent. » 30 Restauration d'une partie des vitraux. Au lieu de remeltre en plomb ceux pour lesquels ce soin est néces- saire, on les réparerait complétement, ce qui doit faire — 233 — craindre que de graves atteintes ne soient portées à ces ouvrages, dont quelques-uns remontent au x1Ie siècle et présentent pour l’art un haut intérêt. » 4o Remplacement du grand autel. Si cet autel, élevé en 4757 par l'architecte Gervais, n’est pas, il faut bien le reconnaître, en harmonie avec le style ogival de l’é- difice, son aspect est élégant et grandiose. Son balda- quin est généralement admiré, et l’on peut dire que, sans lui, les Angevins ne reconnaîtraient pas leur église. Si cette différence dans le style doit faire chan- ger l’autel, il faudrait donc aussi changer les orgues, supprimer quelques-uns des tombeaux de nos évêques, et même, par voie de conséquence, abattre la tour bâtie entre les deux flèches de la cathédrale en 1540. Les besoins de la liturgie n’appellent ici aucun chan- gement, et le vœu ardent, universel des habitants, est pour la conservation de l’autel splendide devant lequel le plus grand nombre d’entre eux a pu apprendre à prier. » 50 Enlèvement et remplacement de la boiserie du chœur. Les mêmes raisons doivent faire conserver cette œuvre d’une exécution remarquable. Un haut exemple est donné à cet égard par la cathédrale de Paris, qui, au rnilieu des travaux immenses auxquels ses diverses parties sont livrées, doit conserver la boiserie de son chœur, bien que celle-ci ne soit pas de style ogival. » 6° Enlèvement de la balustrade en fer qui contourne l’église à l'intérieur. Gelte balustrade, placée en 1783 aux frais de l'abbé de Gantigny, chanoine, est élégante et permet à un grand nombre d’assistants, les jours, — 234 — assez fréquents, où la cathédrale se trouve trop petite, de prendre place sur le relais en pierres qui rêgne au- dessus des colonnes. » M. Godard donne lecture d’un projet de lettre dans lequel se trouvent présentées avec le plus grand soin les observations auxquelles peut donner lieu cha- cun des divers points qui viennent d’être signalés. | » Un des membres de la Commission, M. le docteur Hunault de la Peltrie, dit que les préoccupations qui donnent lieu à la réunion ne sont pas chimériques, un architecte de Paris ayant récemment parlé du commen- cement prochain des travaux à faire à Saint-Maurice comme d’une chose certaine, et ayant même indiqué r’église de la capitale (Sainte-Geneviève) dans laquelle devrait être dressé l’autel qu’on aurait enlevé à notre sanctuaire. » Comme il convient, toutefois, avant de faire une démarche officielle, d’avoir une certitude complète, si - non sur les détails, au moins sur l’objet général de la réclamation, il est décidé que trois des membres de la Commission prendront des renseignements près des administrations départementale, diocésaine et munici- pale, sur le point de savoir si les travaux dont il s’agit sont réellement annoncés ou proposés. Même demande sera faite à M. l’architecte diocésain. » La séance habituelle de la Société d'agriculture, sciences et arts devant avoir lieu le mercredi 24 juillet, cette circonstance sera mise à profil pour que le ré- sultat des renseignements pris par la Commission d’en- quête étant connu, celte Société voie si elle doit inter- — 935 — venir et appuyer les observations qui pourraient être adressées aux ministres à la juridiction desquels les faits énoncés appartiennent. è » Le secrétaire de la Commission, » E. LACHÈSE. » A cette séance du 24, la Commission d’enquête, par. l’organe de plusieurs de ses membres, a fait connaître le résultat de ses investigations. Il en résulte, en somme, que les craintes conçues sont loin de pouvoir être considérées comme vaines. En ce qui touche les vitraux, entre autres, une approbation quelque peu menaçante pour l’avenir aurait été donnée, verbalement au moins, à la réparation récente de l’une des fenêtres du chœur, réparation qui, pourtant, semble pouvoir donner lieu à plus d’une observation grave. En ce qui touche le grand autel, il semblerait nettement résulter des réponses obtenues, que l’idée de l’enlever, ac- cueillie en principe, n’aurait, jusqu'ici, manqué d’une proposition formelle tendant à amener sa réalisation, qu’en présence du sentiment général de réprobation qu’un tel changement, on le sait, ferait éclater dans tous les rangs de la population. Il a paru à la Société qu’en cet élat des choses, une démarche, l'expression solennelle d’un vœu, était né- cessaire de sa part. La lettre dont le projet est indiqué ci-dessus dans le procès-verbal de la séance de la Com- mission d'enquête, lettre détaillée dans laquelle sont examinés et discutés avec beaucoup de clarté chacun des points auxquels se réfèrent les indications de su- jets que nous avons données plus haut, a été lue par — 236 — M. Godard-Faultrier, correspondant du ministère de l’Instruction publique et des Cultes, lequel, avant de l'écrire, s'était entouré de renseignements nombreux. La Société a déclaré adopter complétement le contenu de cet écrit, et a décidé qu’une double copie en serait adressée en son nom à Son Excellence le ministre d’E- lat et à Son Excellence le ministre de l’Instruction pu- blique et des Cultes. (Voir page 159.) L'assemblée a entendu ensuite la lecture d’une se- conde lettre écrite par M. l'abbé Barbier de Montault, correspondant du ministère de l’Instruction publique et historiographe du diocèse, lettre soutenant, par de nouveaux motifs présentés avec force et élégance, la nécessité de conserver le baldaquin du grand autel de la cathédrale. (Voir page 168.) L'assemblée a également décidé que copie de cette missive serait adressée en son nom aux deux ministres qui viennent d’être indiqués. Elle a dit en outre qu’à chacune des copies de ces deux lettres serait jointe une expédition tant du pro- cès-verbal de la commission d’enquête lu au commen- cement de cette partie de la séance, que du procès- verbal de cette séance même, en ce qui touche l’objet qui donne lieu à sa décision. De plus, après échange de plusieurs observations présentées par divers membres, l’assemblée décide à la majorité des voix que, pour répondre à la préoccu- pation que ces questions ont fail naître dans l’esprit du public de la contrée, un extrait du procès-verbal de la séance, en forme de note, sera communiqué au Jour- nal de Maine et Loire pour être publié. — 237 — L'heure avancée ne permettant pas de commencer les nombreuses lectures portées à l’ordre du jour de la présente réunion, la séance est déclarée levée. Le secrétaire-général, E. LACHÈSE. SÉANCE DU 98 AOÛT 1861. Etaient. présents au bureau, MM. E. Lachèse, se- crétaire-général; Affichard, secrétaire; Belleuvre, tré- sorier; l’abbé Chevallier, archiviste. ‘MM. Sorin, président, et V. Pavie, vice-président de la Société, ne se trouvant pas à Angers, la présidence de la réunion est offerte à M. le docteur Hunault de la Peltrie, doyen d’âge des membres présenis : sur son refus, fondé sur ce qu’il compte, au cours de la séance, développer une proposition, ces fonctions sont . offertes à M. Béclard, vice-président de la Commission archéologique, qui les accepte et prend place au fau- teuil. Il est donné lecture du procès-verbal de la séance précédente. Un des membres de la réunion, M. le doc- teur Hunault de la Peltrie, pense que ce procès-verbal doit être complété dans la partie où il annonce qu’a- prés l'échange de plusieurs observations, l’assemblée a décidé qu’une note concernant la délibération relative aux réparations de la cathédrale et à la conservation du grand autel serait insérée au Journal de Maine et Loire. Il demande que les raisons données pour et SOC. D’AG. HOMAG — 9238 — contre dans cette discussion soient énoncées, et que le nom des personnes qui ont pris la parole en cette oc- currence soit cité. Il est répondu que de pareils déve- loppements, à l'égard d’une question incidente et très- secondaire, seraient à la fois une inutilité et un excès, et qu’il a suffi que le procès-verbal constatât la dissi- dence élevée et la décision prise par la majorité. Après ces observations, l’assemblée, consultée, ne s'arrête pas à la demande de rectification ou complément pré- sentée et passe à l’ordre du jour. M. le bibliothécaire donne lecture de la liste des pu- blications parvenues à la Société depuis la séance pré- cédente. M. l’abbé Chevallier, archiviste, lit une Revue, faite par lui, des principaux sujets traités dans plusieurs des brochures adressées à la Société. L'intérêt que présente ce travail étendu, détermine la Société à le renvoyer au Comité de rédaction. M. le Président donne connaissance de la correspon- dance : £ Par deux missives en date du 4er août, Son Excel- lence le ministre de l’Instruction publique invite le Président et les membres de la Société, à la distribu- tion solennelle des prix accordés aux Sociétés savantes, séance qui se tiendra à la Sorbonne le 25 novembre prochain. Par une autre lettre du 20 août, M. le Ministre fait connaître que les sections du Comité des travaux his- toriques et des Sociétés savantes tiendront les 21, 22 et 23 novembre, des séances solennelles dans lesquelles MM. les membres des Sociétés savantes seront admis — 229 — à donner lecture des notes ou mémoires qu’ils auront bien voulu préparer pour cette circonstance. M. le Ministre demande qu’on lui fasse connaître, avant le 4er novembre, le nom des membres de la So- ciété qui auraient l’intention de prendre part à ces lectures, ainsi que le sujet et l’étendue de chaque tra- vail. Mention de cette lecture sera faite au procès-verbal. De plus, celle des trois missives qui énonce les con- ditions à remplir par les membres qui désireront assis- ter à la solennité du 25 novembre, restera, jusqu’au 8 dudit mois, déposée au secrétariat de la Société. Par une lettre du 12 août, M. le Préfet de Maine et Loire invite le Président et les membres du bureau d'administration de la Société à assister au Te Deum qui sera chanté le 15, à la cathédrale, pour la fête de Empereur, et à convoquer pour cette cérémonie les membres de la Société. La même lettre invite MM. les Président et membres du bureau d'administration à la réunion du 15 au soir, dans les salans de la Préfecture. M. le Président fait connaître que la Société a été représentée par une partie de son conseil, tant au Te Deum qu’à la soirée qui vient d’être indiquée. M. le bibliothécaire de la Société impériale des scvences, de l’agriculture et des arts, de Lille, adresse un bon pour retirer la dernière publication éditée par cette Société et demande, en échange, l’envoi des travaux de la So- ciété d'agriculture d'Angers. M. le Président fait connaître que le 20 août il a été répondu conformément au désir exprimé. — 9240 — M. le Président fait connaître que plusieurs person- nes lui ayant annoncé l'intention d'envoyer des vins à l'Exposition universelle de Londres, il en a donné avis à M. le Président du Jury départemental, et que la So- ciélé d'agriculture a été inscrite sur l’état transmis par ce Jury à la Commission impériale. M. le docteur Hunault de la Peltrie, inscrit pour une lecture sur une Collection de céréales de Maine et Loire, exposée en 1855, dit qu’au lieu-de faire cette lecture, il demande à émettre une proposition. Il éxpose à l’as- semblée que, lors du vote récent relatif aux répara- tions ou changements annoncés pour la cathédrale, la Société n’avait pu se préoccuper d’un fait grave survenu depuis, l’enlêvement des deux autels placés au-dessous des rosaces de l’église et consacrés, l’un à la sainte Vierge, l’autre à saint Maurice, ainsi que du Sacrurium en style de la renaissance qui joint l’un d’eux. Ces au- tels auraient été vendus par la Fabrique de la cathé- drale à la paroisse de: Trelazé, ei, sans l’intervention judicieuse autant qu’empressée de l'autorité adminis- trative, leur destruction, presque complète pour celui dédié à saint Maurice, serait, sans nul doute, chose consommée aujourd'hui. Ces deux autels, au point de vue non-seulement de l’ornementation, mais surtout du symbolisme chrétien, s’harmonisent avec le grand autel dont chacun reconnaît que l’enlèvemrent doit être évité à tout prix. Il y aurait donc lieu de compléter le vœu émis par la Société relativement au grand autel, en l’étendant aux deux autels qui viennent d’être men- tionnés et en demandant leur conservation. M. le doc- teur Hunault de la Peltrie en fait la proposition formelle. — M — Un des membres présents fait remarquer que l’auto- rité ayant déjà pris en main celte affaire, et ayant or- donné de suspendre la démolition de ces deux autels, il n’y a pas lieu d’appeler son attention sur ce point, et que le vœu dont on demande l'expression serait sans aucun objet. L'assemblée, consultée, adopte la proposition de M. le docteur Hunault de la Peltrie, et : Considérant que les deux autels menacés de destruc- tion concourent, avec le baldaquin, à un système de décoration dont il importe de ne pas rompre l’harmo- nie ; Considérant, en outre, que la disposition des trois grands autels est fondée sur des principes de symbo- lisme religieux qui les rendent, en quelque sorte, so- lidaires les uns des autres; Emet un vœu formel en faveur de la conservation de ces autels; Pense qu’il serait convenable que l’on continuât d'y célébrer le culte, Et décide que copie de cette délibération sera trans- mise à M. le Préfet de Maine et Loire par les soins du secrétaire-général de la Société. Sous ce titre : Encore un mot sur la Roche de Mürs, M. Belleuvre fait connaître et met en scène un épisode plein d’intérêt de nos guerres civiles : il raconte com- ment, au mois de juillet 1793, le général d’Autichamp, à la tête des Vendéens, surprit, tailla en pièces ou pré- cipita dans le Louet, les soldats républicains canton- nés et cernés sur la Roche de Mürs. Ce récit qui, à — 242 — tous égards, mérite de fixer l'attention, est renvoyé au Comité de rédaction. L'heure avancée fait ajourner à la séance prochaine deux lectures d’un certain développement, l’une pro- mise par M. Textoris, sur les Doutes relatifs à quelques récits historiques, l'autre annoncée par M. E. Lachése, sur l’Histoire de la législation italienne, ouvrage dû à M. Frédéric Sclopis, de Turin. M. Guinbut, bibliothécaire de la Société, est invité à lire le morceau de pdésie qui clôt l’ordre du jour de la séance. Dans ces stances intitulées : Un ange au cel, M. Guinhut peint ce sentiment de tous les temps et de tous les lieux, auquel ne manqueront jamais ni l’émoi ni les larmes, la douleur qu’inspirent la souffrance puis la mort d’un enfant, « Quand le brillant soleil recommence sa course » Faut-il te voir toujours sur ce lit de douleurs, » Ta vie, enfant, doit-elle à deux pas de sa source » Se tarir au milieu des fleurs ! » Quand d’un nouveau printemps les douces messagères » Viennent dans nos climats annoncer le retour, » En annonçant à tous sur leurs ailes légères » Le bonheur, la joie et l'amour, » Toi, tu vois se faner et tes lèvres de rose, » Et ton souris si frais, et ta franche gaieté, » Ta tige se flétrit, 6 fleur à peine éclose, » Ange éclatant de pureté! » Tu meurs. comme l’épi qui tombe dans la plaine, » Par l’orage abattu bien avant la saison, — 943 — » L'autan vous a tous deux touchés de son haleine, » Vous n’attendez pas la moisson! » Tu ne recevras plus les baisers de ta mère, » Ton cœur ne pourra plus palpiter sur son cœur, » Et ton âme, en fuyant le séjour de la terre, » Lui ravira tout son bonheur! » En vain, le poète ému adresse au ciel ses prières ferventes : « … Il était trop tard! Cet ange de la terre » Vers les cieux, sa patrie, avait pris son essor, » Pendant que seul ici, finissant ma prière, » Je restais pour le voir encor ! » Il n’est plus! Dans le ciel, les plus saintes cohortes » Le mènent avec joie au trône du Seigneur, » L'ange qui l’attendait près des célestes portes, » Reste ébloui de sa candeur! » Et les habitants du ciel disent à leur nouveau frère, en l’accueillant parmi eux : « La mort c’est le réveil du songe de la vie, » Le guide qui ramène au céleste séjour. » Emporté sur son aile, au sein de ta patrie, » Tu n’as que hâté ton retour! » Ces stances, pleines de sentiment, sont renvoyées au Comité de rédaction. La séance est levée. Le secrétare-général, E. LACHÈSE. Et 0) SÉANCE DU 27 NOVEMBRE 1861. Etaient présents au bureau, MM. Sorin, président ; V. Pavie, vice-président; Affichard, secrétaire particu- lier, l’abbé Chevallier, archiviste. Le procès-verbal de la précédente séance est lu et adopté. M. le bibliothécaire donne lecture de la liste des ou- vrages dont la Société s’est récemment enrichie, et M. l’archiviste lit un résumé des travaux les plus im- portants. Un mémoire très-complet, de M. Canet, pro- fesseur au collége de Castres, et secrétaire de la Société de cette ville, sollicite à juste titre l’attention de M. Chevallier. Ce mémoire traite des moyens à mettre en œuvre pour favoriser l’activité des Sociétés savantes en province et encourager leurs efforts. L'auteur s’ef- force de les prémunir contre les obstacles qui s’oppo- sent ie plus ordinairement à leur développement et à leur durée. Les Sociétés nouvelles doivent RTE les effets d’une fausse ambition qui les pousse à embras- ser un cercle de travaux trop vaste pour elles; les an- ciennes doivent, de leur côté, se mettre en garde con- ire la langueur et le découragement, péril que l’éloi- gnement du centre de la vie intellectuelle, joint à beaucoup d’autres causes, suffit à expliquer. M. l’ar- chiviste termine en lisant un compte-rendu du secré- taire de la Société des sciences de l’Yonne, dans lequel sont appréciés avec faveur les travaux qui nous ont été lus à la dernière séance, présidée par M. Villemain. La correspondance contient les lettres et documents suivants : __QNn 2 M. Brunetière, récemment entré au séminaire, et ne pouvant plus participer à nos travaux, donne sa dé- mission et sollicite le titre de membre correspondant. Ce titre ne peut être donné qu’à des membres résidant hors d'Angers, et M. Brunetière n’est pas dans ce cas; la Société conserve à notrè collègue le titre de membre actif et compte toujours sur sa collaboration. M. Dalle, membre de la Société centrale d’agricul- ture de Belgique, nous fait hommage de deux exem- plaires d’un travail sur le rouissage du lin; c’est à la date du 11 août que M. Dalle annonçait son envoi, et rien encore n’est parvenu à destination. M. le Prési- dent, en remerciant l’auteur, l’informera de ce retard. M. le bibliothécaire de la Société d’agriculture de Lille, sur la demande qui lui avait été adressée de nous transmettre les Mémoires de sa Société, par l’en- tremise du ministère, répond que ce mode d’envoi n’est plus usité par elle et qu’il n’y a pas lieu d'y re- venir. Tout autre moyen étant onéreux, la Société d'Angers s’abstiendra. M. le Président du Jury d'admission à l’exposition de Londres, écrit au nom de la Commission impériale pour faire observer que les produits proposés par la Société d'agriculture, et ceux proposés par la Société indus- irielle étant les mêmes, il importait d'éviter un double emploi. M. le Président a répondu qu’il avait écrit à M. le Préfet, après s’être préalablement entendu avec M. le Président de la Société industrielle. Par une lettre en date du 27 septembre 1861, M. le Préfet informe la Société que le Conseil général a bien voulu porter à 500 francs, la subvention accordée à — 246 — M. Audusson aîné, pour son cours d’arboriculture, cours dont l’utilité est de plus en plus appréciée. La Société d’émulation du commerce et de l’indus- trie de la Loire-Inférieure nous adresse un bon pour son bulletin (1360-1861), avec invitation de lui faire connaître le résultat de nos travaux; de son côté, le directeur de l’agence d'échanges internationaux nous adresse divers documents relatifs aux États-Unis, avec prière d’en accuser réception. | M. Grellet-Balguerie, de la Réole, membre corres- pondant depuis douze ans, annonce l’envoi de diverses brochures. Le compte-rendu de la correspondance est terminé par la lecture d’une lettre de M. Ferdinand Lachèse. Notre collègue invite la Société à profiter de la suspen- sion des travaux de démolition entrepris à la Cathé- drale, pour obtenir de l’autorité supérieure le main- tien, dans leur ancien état, des autels de la Ste Vierge et de St Maurice. M. Lachése joint à sa lettre une note extraite du Répertoire archéologique de l’Anjou, et dans laquelle est insérée une lettre de M. Constant Dufeux, architecte de Ste Geneviève. Ce dernier proteste avec énergie, contre tout acte de vandalisme en général, et à notre endroit en particulier. | M. le Président fait observer que nous avons écrit à M. le Préfet pour demander la conservation entière des autels, et qu’il n’y a pas de nouvelle décision à prendre. Deux lectures, portées à l’ordre du jour, sont remises à la séance du 18 décembre par suite de l’absence de M. Textoris et de l’indisposition de M. Affichard. — 947 — La deuxième partie du travail de M. d’Espinay est renvoyée au comité de rédaction. La séance est terminée par la lecture de deux pièces de vers, l’une de M. Quelin, l’autre de M. Chudeau. M. Quelin chante un hymne à la Vérité; il souhaite ardemment voir la plénitude de son règne parmi nous. Si ce bienheureux jour, pense-t-il, arrive, il n’y aura plus de place pour le crime en ce monde : « L’échafaud, acculé dans son dernier refuge, » Sera brûlé par le bourreau ; » Et l’âme n'aura plus de juge » Que celui du tombeau. » Les vers de M. Chudeau sont intilulés : À une fleur venue d'Orient. Nous y retrouvons cette facilité et cette grâce dont nous avons déjà goûté le charme : « Toi dont une splendide aurore » Hier empourprait la couleur, » Toi que l’Orient fit éclore, » Parle-nous d'Orient, Ô fleur! » As-tu vu, lorsque la tempête » Du simoün roule un sourd concert, » L’Arabe errant pencher sa tête » Sur les grands sables du désert! » Au temps ou passaient en prière » Les caravanes de Damas, » De Bagdad, de Smyrne ou du Caire, » T'inclinais-tu le front là-bas? Le poète demande à la fleur d’où elle vient, où elle — 248 — est née, et la fleur répond avec une douce simplicité : « À peine ouverte on m'a cueillie « Sur les buissons de Jéricho. » L'ordre du jour étant épuisé, la séance est levée. Le secrétaire-particulier. E. AFFICHARD. SÉANCE DU 18 DÉCEMBRE 1861. Présents au bureau, MM. Sorin, Belleuvre, abbé Che- vallier, Affichard. Le procès-verbal de la précédente séance est lu et adopté. Après la lecture du titre des divers ouvrages entrés dans la bibliothèque, M. l’archiviste résume ce que ces publications renferment de plus saillant. Le bulletin de la société d'Agriculture de l’Allier, contient une étude intéressante sur le métayage, envisagé au triple point de vue économique, humanitaire et juridique. Le bulletin de la Société d'agriculture de la Sarthe consacre de son côté de sérieuses pages à rechercher les causes de la dépopulation des campagnes et les moyens propres à les prévenir. : Correspondance : M. Sorin donne lecture d’une lettre de M. le Président du jury d'Angers pour l'exposition anglaise, lettre de laquelle il résulte qu’un espace ex- trêmement restreint a été accordé à nos produits. Dans son accusé de réception, M. Sorin témoigne le regret — 949 — de voir que le jury n’ait pas été plus largement récom- pensé de ses efforts pour nous assurer une place con- venable. MM. Courtiller et Prévost écrivent à M. le Pré- sident, que leurs occupations les empêchant d'assister régulièrement aux séances, ils se voient à regret, obli- gés d’envoyer leur démission. Interprète des sentiments de tous, M. Sorin promet d’insister auprès de nos deux collègues , pour les faire revenir sur leur regrettable décision. L'ordre du jour appelle la lecture d’une étude de M. Textoris, sur les doutes que doivent inspirer certains récits historiques ; la deuxième partie de ce travail, rem- pli d’aperçus ingénieux, sera lue à la prochaine séance. M. le Président procède au renouvellement du bu- reau , suivant le mode d’élection indiqué par le ré- glement; après avoir, toutefois, informé l’assemblée, de la volonté exprimée par MM. Sorin, E. Lachése et Bel- leuvre, de ne point accepter de nouveaux mandats. Le scrutin donne les résultats suivants : Président : M. Adolphe Lachèse. Vice-président : M. Victor Pavie. Secrétaire-général : M. Émile Affichard. Secrétaire-particulier : M. Philippe Béclard. Trésorier : M. Rondeau. Après cette élection, la société décide qu’il y a lieu de supprimer la place de bibliothécaire et confie à MM Belleuvre et Godard le soin d’examiner le budget. M. Chudeau, membre correspondant, adresse à la Société une nouvelle pièce de vers, intitulée Les fleurs des amandiers. Emportée parfois dans les régions se- reines de l’air, la pauvre fleur dans son enivrement — 950 — croit voler pour ainsi dire dans l’atmosphère divine; puis elle retombe quand la brise languit, sur la route poudreuse où bientôt elle est flétrie, ainsi du poëte : « De la mer sombre aux bois profonds, » Il marche, interroge et répète » Des oiseaux les vives chansons » Et les clameurs de la tempête! » Il rêve en un autre univers » D’ombreux buissons, de rares plantes, » Dont jamais le vent des hivers » Ne brise les tiges tremblantes. » Mais comme la fleur d’amaudier, » Quant finit le songe aux doux charmes, » Dans les épines dn sentier » Triste il retombe avec ses larmes! » Avant de terminer la séance, M. le Président pro- pose l’addition au règiement d’un article supplémen- taire relatif à l’insertion des pièces de vers; il nomme pour examiner sa proposition, MM. Pavie, E. Lachèése, Affichard. L'ordre du jour étant épuisé, la séance est levée. Le secrétaire-particulier, E. AFFICHARD. TABLE DES MATIÈRES DU QUATRIÈME VOLUME. Pages. Résumé des travaux de la Société pendant l’année 1860, par MÉNTESORINE président RE ARE cer ee M con 5 Réflexions sur le Drainage, et sur son application dans le dépar- tement de Maine et Loire, par M. Louis TAVERNIER........ 28 Note sur un procès criminel jugé à Saumur en 1714, par MÉCOUREICERS 6 2 ee D DT ET e 48 Concours de SG ET ee EC CU 59 Quelques considérations sur l’imposition des noms et de leur influence, par M: TEXTORIS- 2. 0 NS 61 Antiquités celtiques. — Numismatique angevine, par M. GODARD- DAHERTER SCENE AN RAIN ER REESeeS 87 Observations sur la culture et la préparation du lin, par M. Louis DAVERNIER :: 220 22 00 de One Lee eNeee 103 Rapport sur les bois découpés de MM. Raynaly, par M.F. Lire 116 Rapport sur un projet de Banque agricole, par M. COUTRET... 119 Procès-verbaux des séances : Séance du 23 janvier 1861....... .. ........ 10482 Séance. du 27fEvrIer. . = eee. aline cecereneee 138 Séance du 25 mars. ...................... se 143 SÉANCE LUE Z AT AVI ENENR ee R RRR Ne 447 Séance du 22 Mae ne. cent oh 153 Extrait du procès-verbal de la séance du 24 juillet (Lettres rela- tives à la restauration de Saint-Maurice, adressées à S. Exec, — 959 — Pages. M. le ministre d'Etat, et à S. Exec. M. le ministre de l’Instruc- . tion publique et des cultes, par M. GODARD-FAULTRIER et M. l’abbé BARBIER DE MONTAULT)....................... 159 Etudes sur la construction des Voûtes en Briques, par M. Ernest DAINVILLE detente eciate ce eme ce LOS 178 Un dernier mot sur la Roche de Mürs, par M. P. BELLEUVRE.. 195 Pede libero, par M. Victor PAVIE...............,......... 208 Dernier passage du général Charette, à Angers, par M. A. LACHÈSE 216 Procès-verbaux des séances : Séance du 24 juillet 1861........................ 299 SéATICE (AUL2S LOUE D EE .. 237 Séance du 27 novembre... ..................... 244 Séance du 18 décembre................ ........ 248 + ME avt Le MARNE CFE FM 7 à tel POUE pue RNA ner, PRE: K APE 1 #1 PU je Eat PC 4 F US M SANrEAT a A) RTE Q À. HU y DO PRHES