1 : MEMOIRES DE LA SOCIÉTÉ IMPÉRIALE D’AGRICULTURE SCIENCES ET ARTS D’ANGERS (ANCIENNE ACADÉMIE D’ANGERS) NOUVELLE PÉRIODE TOME DIXIÈME. — PREMIER CAHIER ANGERS IMPRIMERIE P. LACHÈSE, BELLEUVRE ET ÜOLBEAU Chaussée Saint-Pierre, 13 1867 SOMMAIRE. Nécrologie : M. Bougler. — M. le comte A. de Falloux. La tour Saint-Aubin, à Angers. — M. V. Godard-Faultrier. Les statues de Fontevrault, nouvelle communication. — M. V. Go- dard-Faultrier. Saint-Florent. — M. Paul Belleuvre. La linguistique. Quelques mots sur son histoire, ses résultats, ses méthodes. — M. l’abbé L. Gillet. Etude sur les inondations. — M. F. Lachèse. Protestation de la Société et consultation des avocats d’Angers contre l’enlèvement des statues de Fontevrault. Procès-verbaux des séances de la Société pendant les mois de janvier, février et mars 1867. SOCIETE IMPERIALE D’AGRICULTURE, SCIENCES ET ARTS D’ANGERS (ancienne académie d’angers.) MEMOIRES DE LA SCIENCES ET ARTS D’ANGERS (ANCIENNE ACADÉMIE D’ANGERS) NOUVELLE PÉRIODE TOME DIXIÈME ANGERS IMPRIMERIE P. LACHÈSE, BELLEUVRE ET DOLBEAtI Chaussée Saint-Pierre, 13 1807 'I NÉCROLOGIE M. BOUGLER Messieurs, Je viens vous demander la plus douce des consola- tions, celle de m’entretenir avec vous d’un confrère fidèlement regretté; je viens vous apporter à vous- mêmes, je ne crains pas de l’espérer, quelque chose de cette même consolation en vous faisant entendre un langage dans lequel vous reconnaîtrez aisément une conviction profonde et sincèrement émue. M. Bougler devait trouver parmi vous un panégyriste plus autorisé; il ne pouvait en avoir un plus ami. Édouard-Jacques Bougler, né à Angers d’une famille déjà honorée en Anjou, avait reçu au foyer paternel les traditions qu’il continua en les grandissant. Son père avait acheté avant la Révolution une charge de magis- trature; il le perdit fort jeune encore, et fut élevé par — 6 — sa mère. C’était aussi une femme distinguée, et elle laissa une visible empreinte sur- le caractère de son fils, en ajoutant à la fermeté de son esprit des formes pleines d’aménité. Toutefois, elle ne pouvait diriger que l’éducation morale et domestique, et elle confia au lycée d’Angers la culture de cette jeune intelligence. M. Bougler, né avec notre siècle, montra dès le col- lège ce qu’il serait dans le monde, et il obtint des prix en attendant que la société lui confiât des emplois. En rhétorique le prix d’honneur lui fut décerné : il consis- tait dans une collection de médailles des rois de France. Cette instructive collection éveilla-t-elle ou récompensa- t-elle en lui le goût de l’histoire? Je ne sais; mais, en tout cas, je lui rends grâce, et je salue le germe de ces belles études que nous aurons bientôt à apprécier et à louer en détail. Ce prix d’honneur eut en outre un éclat particulier, ce fut d’être disputé à un condisciple (jui donnait dès lors et qui a réalisé depuis les plus brillantes espérances : Eugène Janvier de la Motte. Ces deux jeunes gens étaient faits pour s’aimer plus encore que pour se combattre, et leur liaison demeura inalté- rable durant le cours de deux vies très-diverses. Doués tous deux d’une intelligence vive et prompte, l’un était fait pour le barreau, l’autre pour la magistrature. L’un avait le feu, l’autre la gravité, sans que pourtant ni l’un ni l’autre fut dépourvu de ce qui brillait davantage dans son rival. M. Bougler s'enchaîna à un principe politique qui lui interdit longtemps l’usage public de ses éminentes facultés. Eugène Janvier, sans s’affran- chir jamais d’aucun respect, demeura plus libre, accepta les vicissitudes de la politique contemporaine, tantôt 7 — pour défendre de nobles vaincus et d’illustres accusés, tantôt pour embrasser à la tribune ou soutenir de ses votes indépendants la cause de ces libertés publiques dont nous saluerions le retour avec joie et qui, en attendant, gardent une noble place dans l’histoire. En parlant ainsi d’Eugène Janvier, j’acquitte une dette de reconnaissance personnelle en même temps que de pa- triotisme angevin; je me rappelle quel fut, au début de ma propre carrière, cette cordiale courtoisie, cette obligeance persévérante qui ne faisait jamais d’excep- tion pour personne et qui tut presque poussée chez lui jusqu’au sacrifice de sa propre renommée. Car, quelque rang qu’il ait occupé dans nos Assemblées représenta- tives, on peut croire qu’il fût monté plus haut encore, s’il eût plus sévèrement concentré sur un seul travail et sur une seule ambition les brillantes et supérieures qualités dont la Providence l’avait doué. M. Bougler le lui disait quelquefois, au nom de leur vieille amitié, au nom de l’Anjou qui pouvait tout attendre de lui : Eugène Janvier souriait, le remerciait, lui serrait la main et quittait son cabinet pour rendre dix services dans le même jour. Rare et touchante prodigalité de soi-même, qui ne court pas assez le risque de faire école pour qu’on craigne de la divulguer! Nouvel exemple de ces amitiés fécondes, où l’on ne diffère que pour se compléter, où l’on se demeure fidèle sans s’as- treindre à se ressembler! Aussi, ces deux noms, rap- prochés dès le collège , se trouvent-ils naturellement unis après la mort, et nous reprenons sur leurs fronts d’écolier les deux couronnes que nous déposons sur leurs tombes. — 8 — Ses classes terminées, Édouard Bougler travailla quelque temps dans l’étude d’un habile praticien d’An- gers, M. Gendron, alla gagner à Paris le diplôme de licencié en droit, revint substitut du procureur du roi à la Flèche, et, bientôt distingué par ses chefs, fut successivement nommé substitut à Angers, puis procu- reur du roi à Beaupreau. Il allait être rappelé avec un nouvel avancement au siège même de la Cour lors- qu’éclata la révolution de Juillet. M. Bougler, nous l’avons déjà vu , connaissait et aimait l’histoire de France; il savait ce qu’apporte et ce qu’emporte une révolution. Il ne voulut point accepter la responsabilité de celle-là plus que d’aucune autre, et il se tint à l’é- cart sans former jamais contre son pays un seul vœu, sans garder jamais contre ceux qui agirent autrement que lui un seul ressentiment. 11 demeura dans cette retraite studieusement active jusqu’à une révolution nouvelle, celle de 1848. Sans se considérer comme un vainqueur de Février, il applau- dit au mouvement qui nous précipita tous franchement au service de la société en péril; il crut que, dans un si grand naufrage, la seule chose qui dût périr c’était l’opiniâtreté et l’amertume de nos anciennes divisions. Tout le monde pouvait se retrouver sur le terrain du plus sincère patriotisme, sans démenti pour soi-même et sans jactance; c’était une ère merveilleusement faite pour un esprit si judicieux, si calme et si maître de lui. Il eût été replacé dans la magistrature par le suf- frage de tous ses collègues, si l’élection se fût exercée en pareille matière, et il fut du moins nommé à notre cour d’Angers par un de ces hommes dont la signature 9 — est aussi un titre d’indépendance et de loyauté, par M. Odilon Barrot. A partir de ce jour, M. Bougler se déploya et se montra tout entier. C’était un magistrat dans la plus vraie et dans la plus haute acception de ce grand nom; c’était un magistrat comme on l’entendait au xvne siècle, et comme le définissait Bossuet en prononçant l’oraison funèbre de l’un d’entre eux: « Sans porter, dit-il, ses « regards sur les hautes places dont tout le monde le « jugeait digne, il mettait son élévation comme son « étude à se rendre parfait dans son état. Non, non, « ne croyez pas que la justice habite jamais dans les « âmes où l’ambition domine.... L’ambition a fait trou- « ver ces dangereux expédients où un juge artificieux « ne garde que les apparences de la justice. Ne par- ce Ions pas des corruptions qu’on a honte d’avoir à se ce reprocher. Parlons de la liberté ou de la licence « d’une justice arbitraire, qui, sans règle et sans ma- te xime, se tourne au gré de l'ami puissant. Parlons « de la complaisance qui ne veut jamais ni trouver le « fil ni- arrêter les progrès d’une procédure malicieuse. POCVNHC. M. Boré la rétablit ainsi : Avocate üôcop jaet’ euçp o erait déraisonnable de prétendre que chanter à voix i (ombreuses des morceaux plus ou moins compliqués, - uffit à l’éducation d’un artiste ? A un point de vue tout opposé, nous voyons qu’il y b. là diffusion extrême, vulgarisation selon l’expression nie M. de Laborde, des notions musicales à un état plus u moins imparfait. Cette vulgarisation s’augmente par I action des concerts populaires qui, à Paris surtout, ? ous l’habile direction de Pasdeloup, attirent et char- i nent chaque jour des milliers d’auditeurs. Il faut ajou- ter les cafés chantants, dont nous ignorons le nombre : bez nous, mais qui en Angleterre, si nous en croyons jnn document récent, dépassent 250, dont 22, fortim- 'Ortants, sont placés à Londres même. Chacune de nos pilles, enfin, a déjà ouaura bientôt plusieurs de ces éta- lissements, véritables débits musicaux, aux habitudes lus ou moins convenables. C’est donc convenu, tout le monde, si l’on veut, pos- ède quelques notions musicales, ou, du moins, a en- 3ndu et retenu sans doute, plus ou moins régulière- îent, certains tronçons de mélodies. - 268 - Que devrait-il résulter de là? Les artistes, sachant que la plupart de leurs audi- teurs ont fait le premier pas dans l’étude de la mu- sique, devraient s’attacher à continuer cette initiation en ne donnant que de bons exemples, en évitant tout ce qui pourrait manquer d’épurer et d’élever le goût du public nombreux devant lequel ils paraissent : ce serait leur honneur et en même temps le bien de tous. Nourrit a dit et écrit qu’il voulait rendre son talent populaire, et cela, ajoutait-il, en mettant dans sa diction une telle clarté et une telle vérité, que les ignorants mêmes pus- sent le comprendre... Ce souhait, qu’on le remarque, n’avait rien de chimérique. Chez nous, le public, même le moins instruit, comprend vite ce qui est bien et sui- vrait facilement une bonne direction, si on la lui don- nait avec quelque persévérance. Est-ce ainsi qu’agissent depuis quelques années la plupart de nos chanteurs? Faire de l 'effet, obtenir des applaudissements quand même! voilà leur but, voilà leur pensée, qu’ils se l’a- vouent ou ne se l’avouent pas. Le reste se devine. Si les demi-savants sont, dit-on, si sujets à l’erreur, des cen- tièmes de savants le sont encore bien davantage. Or, de même que les esprits et les yeux peu exercés se plaisent aux tirades forcées et aux grosses couleurs, de même l’exagération sera infailliblement le moyen de sé- duire celte foule dans laquelle le plus grand nombre est, par son éducation et ses habitudes, étranger à ce qui peut former d’une manière suffisante le goût d’un* auditeur. Voilà, dès lors, expliqués les efforts qui sont censés exprimer l’élan et la passion, ainsi que l’intolé- rable chevrotement qui est censé exprimer l’émotion — 269 - profonde. Rubini, Ponchard, auriez-vous jamais prévu cela ! Tous les chanteurs, nous nous hâtons de le répéter avec éloge, ne suivent pas cette fausse route; mais, pour ceux, si nombreux, qui s’y engagent, quel sera le moyen de se reconaître et de se réformer? Ecoutons le journal le Nord : « Nous sommes contre les esprits ren- « chéris et impertinents qui méprisent sommairement « le public et voudraient faire du goût un privilège. A « l’heure qu’il est, la plupart des auditeurs à 15 sols « des concerts populaires ont meilleur goût que les dilet- « tantes de Ventaclour... » Ainsi, l’instruction, la fré- quentation des grands maîtres ne servent à rien et ne vous donneront pas un jugement plus sûr que celui du premier venu placé à vos côtés! — Non, pas de privi- lèges, mais de légitimes conquêtes! Haydn, sans doute, était fils d’un charron de village; Rossini, d’un crieur public; mais on sait ce qu’ont fait Haydn et Rossini, et, quel que soit le langage des prétendus démocrates de l’art, toutes les aristocraties fussent-elles effacées, celle du talent et du bon goût ne périra pas... Aux assertions que nous venons de faire connaître, on joint des phrases empruntées à ce jargon germa- nique qui, par son obscurité et son ton ambitieux, a déjà, en philosophie, en politique, en religion, brouillé chez nous tant d’idées. L’art universel! Faire concourir à l'œuvre d’art l’universalité des citoyens sans distinction de classe ni d'origine , formule que l’on avoue être un peu abstraite, et qui, malgré toutes les explications ten- tées en mots pompeux, reste toujours sans raisonnable application. — 270 — Tous ces discours ont de l’influence : ils flattent à la fois les artistes mal applaudis et les auditeurs qui croi- ront désormais les avoir dû applaudir justement. Des conférences publiques achèvent de les répandre. Paris a beau posséder Wartel , Delle-Sedie , Roger , Lefort , Mmes Iweins et Eugénie Garcia ; la voix de ces professeurs ne peut être assez entendue; dès lors le goût, public s’altère, et, comme beaucoup de gens croient que tout ce que présente la capitale doit être sans reproche, une mode malsaine, déraisonnable s’établit, des excès choquants trouvent des bravos, et, si un provincial, survenant au milieu de ces triomphes, s’avise de faire une observation, on le prend pour un fâcheux! — Un autre abus, ayant bien dans son origine quelque affinité avec ceux que nous signalons et venant les ag- graver encore, se trouve dans les proportions exagérées des compositions modernes. Que l’on soit plus ou moins épris des sons éclatants et des œuvres grandioses, il est deux limites que l’on ne saurait franchir impunément, car elles sont posées par la nature elle-même ; nous voulons parler des forces du gosier humain et de celles de notre attention. Quand on entend le Prophète ou Y Africaine, on s’é- tonne que la voix d’un acteur, si fort ténor qu’il soit, puisse soutenir une telle lutte. On comprend que le premier de ces opéras ait avancé la retraite regrettable de Roger, et l’on se demande si, en supposant un rôle plus hérissé encore de notes élevées et plus souvent accompagné par un chœur nombreux uni à un orchestre puissant, il ne faudrait pas deux artistes se relayant, pour le dire jusqu’au bout. - 271 — L’Allemagne qui, entraînée par ses inspirations éle- vées et sa science profonde, peut bien oublier parfois la juste mesure, nous a donné l’exemple des œuvres d’une richesse excessive. Le Guillaume Tell de Rossini paraissait, en 1829, atteindre le maximum de dévelop- pement d’une partition lyrique, et, même, on ne craignit pas bientôt de réduire à trois actes cet impérissable chef-d’œuvre. Depuis, Meyerbeer, après avoir écrit Ro- bert le Diable, un de ces rêves de génie que la vie d’un artiste ne retrouve pas, a donné des proportions ex- trêmes au Prophète, à l’ Etoile du Nord, et surtout en dernier lieu à Y Africaine. Renchérissant encore. Verdi vient d’accumuler, dans son opéra de Don Carlos, des beautés très-réelles sans nul doute, mais d’un style tel- lement tendu et d’une sonorité tellement fatigante , qu’avant la fin, l’assemblée, qui a vingt fois applaudi, voit son attention épuisée, et, après le dernier accord, se retire prise d’une véritable courbature intellectuelle. Il est, certes, bien facile de concevoir à quel point la nécessité de soutenir de tels combats augmente dans les chanteurs l’effort de la voix et l’altération du son. Il ne sera donc pas étranger à notre sujet de rechercher d’où peut venir cette exubérance de tant de compositions ré- centes. Ici, nous retrouvons ces formules abstraites et trop souvent décevantes que certains écrivains de nos jours semblent avoir empruntées à l’Allemagne, et dont le sa- vant mais nébuleux Richard Wagner s’est montré plus d’une fois, paraît-il, Tardent soutien : Parler au peuple! s'inspirer du peuple ! parler à tous : rechercher les mé- lodies où passe le grand souffle populaire!... Fort bien, si cela indique cette expression assez claire pour être comprise de tous, celte vérité que souhaitait Nourrit et que les œuvres de Mozart présentent sans cesse... Mais, au lieu d’une idée si simple, ce langage, qui rappelle les maximes vides et prétentieuses des saint- simoniens et des fouriéristes, amène l’exagération en faisant prendre un faux point de vue. 11 est clair, en effet, que la grandeur d’une composition musicale doit se trouver dans sa pensée même et non dans les détails dont on pourra chercher à la rehausser. Seize mesures suffisent à Méhul pour nous faire entendre, dans Joseph, cette admirable prière du matin, qui, à la voix de Jacob, s’élève et s’étend jusqu’à l’extrémité lointaine des tentes du peuple israélite. Quelques accords de harpe suffisent à l’accompagnement de la magnifique prière de Moïse , et rien n’est plus simple que la mélodie à l’aide de laquelle Rossini, au début de son Guillaume Tell , exprime, ou plutôt nous fait voir le commence- ment d’une riante journée au milieu des poétiques val- lées de la Suisse. Certes, parler à tous de cette façon est chose mille fois heureuse et recommandable. Mais, si au lieu de fixer sa pensée sur la scène à peindre, les sentiments à exprimer , le compositeur se préoccupe trop des masses pour lesquelles il écrit, son langage cessera d’être vrai, naturel, et, au lieu d’être grande, son œuvre deviendra recherchée, bruyante et fatigante avant tout. Le musicien, dans ce cas, se sera mis pour ainsi dire hors de lui-même, et bientôt, toujours préoc- cupé de son vaste auditoire, il dépensera toutes les res- sources de l’orchestre pour accompagner un simple dialogue, tandis que, dans Don Juan, quelques accords — 273 — habilement ménagés suffisent à Mozart pour nous gla- cer de terreur. Il nous semble que rien n’est plus simple, et nous ne sommes pas même le centième à émettre de telles vé- rités. Mais, malheureusement, nous recherchions tout à l’heure comment, mal exploitée, la diffusion des notions ou des habitudes musicales est venue en aide aux mau- vais entraînements, et nous comprenons maintenant comment l’effort, le trouble habituel dans l’émission de la voix et l’exagération dans les œuvres lyriques, se lient pour entretenir le double défaut dont nos premiers théâtres et souvent nos concerts offrent chaque jour de si fâcheux exemples... — On s’étonnera sans doute d’entendre une parole que le zèle seul autorise s’élever dans cette modeste enceinte pour signaler de tels abus, quand Paris possède tant de savants, tant de compositeurs habiles, tant de revues, tant de journaux pouvant, disons mieux, devant dénon- cer chaque jour la mauvaise voie dans laquelle l’art s’engage. Hélas! les savants, les artistes sérieux ne sont entendus que d’un bien petit nombre. Les revues, après avoir indiqué une fois ou deux ces défauts, ont passé aux questions du moment et laissé l’abus en repos. Scudo, le savant élève de Choron, le spirituel rédacteur de la chronique musicale de la Revue des Deux-Mondes, est mort au moment où il voulait commencer sur ces deux points une guerre soutenue. Quant aux feuilleto- nistes, après avoir, comme nous le voulons croire, dit un mot de protestation, à moins pourtant que ce ne fût un mot d’éloge, ils n’y pensent plus et n’étendent guère leur critique au delà des faits nouveaux qui se pro- soc. d’ag. 18 274 - duisent chaque jour devant eux. Pour qui connaît les habitudes de la capitale, il n’y a rien là d’étonnant C’est ainsi que le double abus va se perpétuant. C’est ainsi que Paris, qui possède tant de vives lumières, tant d’artistes éminents, voit, dans le domaine musical, comme il a mérité depuis longtemps de le voir dans le domaine de la politique et celui des croyances reli- gieuses, son exemple sujet à mûr examen et, quelque- fois même, à complète répudiation. Faut-il donc, en pareille circonstance, renoncer à la plainte et, si celte cité merveilleuse, au milieu de tant de richesses et de tant de splendeurs, persévère d’une façon si regrettable dans des défauts qui sont trop évidemment contagieux, toute voix, même une voix de province, n’aura-t-elle pas droit de le lui dire? Nous ne le pensons pas : l’art, sans doute, n’est pas stationnaire et l’on ne doit pas mesurer son expression du jour sur celle qui régnait il y a quarante ans ; mais s’il se transforme, c’est à condition de rester fidèle au bon goût et à la vérité. Si toutes les intelligences, même celles des plus hum- bles, ont droit de tendre jusqu’à lui, proclamons qu’il ne doit jamais s’abaisser vers elles, et, alors qu’on réclame pour lui tant de libertés, accordons-les-lui toutes, ex- cepté celle de dégénérer. E . Lachèse NOTES SUR UNE PEINTURE MURALE D’une salle du XIIe siècle A L’ANCIEN HOPITAL SAINT-JEAN A ANGERS. I. Parmi les dépendances de l’ancien hôpital Saint- Jean, sur le bord de la Maine, près de l’extrémité du I vieux pont des Treilles, se trouve un bâtiment en ruines dont les murs datent du xne siècle, époque de la fon- dation de l’hospice. Il comprend un rez-de-chaussée et un premier étage, jadis séparés par un plancher sur solives. La couverture, détruite il y a quelques années, était en charpente, revêtue à l’intérieur, de planches simulant une voûte légèrement ogivale, dont le profil se voit encore sur l’un des murs du pignon resté intact Le premier étage se compose d’une longue salle, de 6 mètres 60 de largeur, ayant une belle cheminée dans — 276 — le style du xme siècle : on y remarque des restes de peintures murales qui ont été signalées pour la pre- mière fois à l’attention des archéologes et des artistes, par M. l’abbé Choyer. Sur un fond blanc ou gris clair, on a dessiné des rectangles représentant un appareil en pierres de taille : les joints verticaux sont larges et formés par deux traits. Âu centre de chaque rectangle est une rose à six pétales. Le milieu du pignon dont nous avons parlé est occupé par une composition qui représente un oiseau près d’un vase contenant un bouquet de fleurs, dont quel- ques-unes retombent presque jusqu’à terre. Le rouge et le jaune clair sont les seules couleurs employées dans les peintures dont il s’agit. De tous les oiseaux connus, c’est l’autruche qui se rapproche le plus de l’image en question. Quant au bouquet, les tiges sont éyidemment celles des lys et les fleurs leur ressemblent également. Le style de ces dessins n’est pas suffisamment carac- térisé pour qu’on puisse en déduire l’époque précise de leur exéution. Ils remontent probablement au xne siècle. La simplicité du travail, le défaut de pers- pective dans l’application des couleurs, qui constituent un lavis plutôt qu’une peinture, conviennent bien à cette époque, mais rien ne s’opposerait cependant à ce qu’ils eussent été faits plus tard. Les roses à six pétales se retrouvent fréquement entre les années 11 00 et 1 500 ; il en est de même de la forme du vase et des rectan- gles indiquant un parement de pierres de taille. Il est à peu près certain que la chambre dont nous — 277 — venons de donner la description était une pièce d’appa- rat, faisant partie du logement d’un personnage ayant une position indépendante qui lui permettait d’entrer et de sortir par le quai, de recevoir des visiteurs, sans qu’on fût obligé de traverser les cours et bâtiments affectés au service hospitalier proprement dit. C’était peut-être l’appartement du prieur des Augus- tins qui desservirent l’hospice Saint-Jean jusqu’au xviie siècle, ou de l'aumônier dont la nomination ap- partenait à l’abbesse du Ronceray. Le groupe de l’oiseau et du vase ne nous paraît pas être une peinture de pure fantaisie, telle qu’on eût pu la faire dans un encadrement, dans une ornementation accessoire. Ici, par la place que ce groupe occupe, par l’échelle à laquelle il est dessiné, c’est un sujet prin- cipal, la représentation d’une idée déterminée. Toute- fois il est certain que ce n’est pas une armoirie. L’é- cusson et le champ manquent, la position de l’oiseau et du vase n’est pas conforme aux règles du blason. Nous allons examiner successivement trois hypothèses mises en avant pour essayer de trouver la signification de ces peintures murales. L’une de ces suppositions due à M. Godard-Faultrier, consiste à y voir l’emblème de l’Église catholique. M. de Bastard, dans ses études sur les anciennes crosses, nous apprend en effet que, d’après saint Gré- goire, l’autruche représente la Synagogue, mais que saint Jérôme la donne pour symbole de l’Église. Cette dernière interprétation serait ici la plus admissible, vu la présence du vase de lys, attribut ordinaire de la Vierge Marie, Cette hypothèse étant admise, il resterait — 278 — à fixer l’époque : M. Godard-Faultrier penche pour le xne siècle. M. l’abbé Choyer avait déjà adopté cette date et il a émis à ce sujet une opinion qui est peut-être appelée à jeter du jour sur la question. Ces peintures rappelleraient selon lui, un très-ancien ordre de chevalerie appelé Y Ordre du Lys, institué au xr siècle par un roi de Navarre, Garcias VI. C’est dans Héliot, auteur d’une Histoire des ordres monastiques, religieux et militaires 1 que M. l’abbé Choyer a puisé ses renseignements. Or, rien n’est plus obscur et plus confus que la légende relative à ce pré- tendu ordre du Lys. D’après quelques chroniqueurs, Garcias III (et non pas Garcias VI, qui n’a jamais existé), l’aurait fondé en 1048 ou en 1052, par reconnaissance pour la sainte Vierge dont une statue miraculeuse se serait trouvée à la suite de la guérison de ce prince qui était tombé dangereusement malade. Suivant d’autres, le roi aurait découvert lui-même la statue, avec un vase de lys à côté, un jour qu’il était à la chasse. Un ancien auteur attribue la fondation de l’ordre à Sanche le Grand, père de Garcias. On n’est pas d’accord sur l’emblème que portèrent les chevaliers : au dire des uns, c’était un lys, d’autres indiquent un lys couronné d’un M. Le seul Yquez, qui a écrit une chronique de l’ordre de Saint-Benoît, prétend que le collier se termi- nait par un vase d’où sortait un bouquet de lys. Mais aucun d’eux ne mentionne la présence de l’oiseau et M. l’abbé Choyer n’a pas non plus expliqué à quelle oc- 1 (1719) tome VIII, pages 340 et suivantes. — 279 — casion les emblèmes d’un ordre de chevalerie, institué dans les montagnes de la Navarre, avaient été repro- duits sur un édifice de la ville d’Angers. La plupart des écrivains qui en ont parlé disent que l’ordre du Lys s’éteignait à la mort de Garcias. Favyn, auteur d’un ouvrage intitulé Le Théâtre d'honneur et de chevalerie *, et Guistiniani, qui a fait une Histoire des ordres militaires , pensent qu’il existait encore sous ses successeurs, et ce dernier écrivain donne même une liste des grands maîtres jusques et y compris Louis XIV. Nous n’hésitons pas à récuser Guistiniani : son exces- sive crédulité et son imagination par trop féconde, ont été jusqu’à créer les armoiries de Seth, fils d’Adam, et des autres patriarches? Mais tout ce qu’on a pu dire sur la fondation de Garcias, s’écroule devant la remarque faite par Héliot lui-même qu’elle est apocryphe, attendu qu’il n’existe aucun ordre militaire antérieur à d 099, année de l’éta- blissement, par Gérard de Martigues, du premier qui ait. paru, celui des Hospitaliers de Saint-Jean de Jéru- salem. En résumé, si le groupe colorié est du xne ou du xme siècle, et cela est très-possible, il ne se rapporte à aucun ordre de chevalerie. Examinons maintenant la troisième hypothèse dans laquelle l’histoire marche d’un pas plus assuré et va peut-être nous permettre de préciser la date de l’exé- cution des peintures. En 1410, l’infant Ferdinand de Castille, devenu plus 1 Paris, chez Robert Foüet (1620). — 280 tard roi d’Aragon, institua l’ordre delà Jarra de Santa Maria ou du Vase de la Vierge Marie, à la suite de la prise, sur les Maures, de la forteresse d’Antequerra qui était réputée imprenable L L’ensemble était composé d e pots à bouquets pleins de hjs entrelassés de griffons , pour conserver la mémoire de la ville et du château d’ Antequerra, au dire de Favyn. Si quelque chose rappelle le souvenir de cette place forte, ce n’est pas certainement le vase de lys, symbole incontesté de la sainte Vierge, ce ne peut être que le griffon. Or l’autruche de la salle de l’hôpital Saint- Jean n’est pas sans analogie avec cet animal fabuleux. On sait qu’il était moitié lion et moitié aigle : dans certaines circonstances on donna pour le représenter plus de développement au quadrupède; dans d’autres, ce fut l’oiseau qui eut une plus large part. L’autruche dont nous parlons a les pattes membrées à peu près comme celles d’un lion et le panache caudal ressemble moins à des plumes qu’à la réunion de plusieurs queues de lions fouettant l’air. De même que l’autruche, le griffon était censé originaire des pays ultra-méridio- naux. Il n’y a rien d’étonnanl à voir figurer l’autruche sur la bannière d’une ville du sud de l’Espagne, habitée par des Maures venus de l’Afrique, c’est-à-dire de la patrie par excellence de ces sortes d’oiseaux. Il ne sera, du reste, pas difficile de savoir si elle se trouve dans les armes d’Antequerra. D’ailleurs en composant le blason 1 Le Théâtre d’honneur et de chevalerie, par Favyn (1620), tome II, page 1252. 281 — de son ordre, Ferdinand a pu remplacer cet animal par le griffon qui lui ressemble, mais qui est plus dans les usages héraldiques. L’objection que la bannière d’une ville musulmane ne pouvait contenir de figures d’animaux est sans valeur surtout en Espagne, où cette proscription ne s’appli- quait guère qu’à la représentation de l’homme. Une des cours de l’Alhambra, renferme des lions sculptés; plusieurs tapisseries d’origine arabe sont chargées d’a- nimaux ( léopards, griffons, etc. ), entre autres celles de Saint-Mesme à Chinon. Il reste maintenant à faire voir comment les emblèmes d’un ordre de chevalerie, fondé en 1410 par un prince espagnol, ont pu être reproduits à Angers. Or, à cette époque, l’établissement de relations inces- santes entre l’Aragon et l’Anjou est authentiquement constaté par l’histoire. Louis II, duc d’Anjou, qui vécut de 1377 à 1442, avait épousé Yolande, nièce de Martin, roi d’Aragon. Ce dernier perdit son fils unique en 1409 et Louis lui envoya l’évêque de Conserrans, pour l’engager à recon- naître comme héritier de sa couronne, son propre fils, petit-neveu du roi par sa mère. L’évêque fut reçu d’abord assez froidement, parce que lorsqu’il se présenta devant Martin, celui-ci con- tractait un second mariage. Néanmoins, ce souverain consentit à nommer des commissaires pour examiner la question de sa succession, ainsi que les droits de tous ceux qui y prétendaient : il mourut en 1410. Un interrègne de près de deux ans pesa sur l’Aragon et la Catalogne, pendant lequel les partisans des divers — 282 compétiteurs à la couronne se livrèrent de sanglants combats. Enfin, fatigués de ces luttes sans résultat, ils choisirent des arbitres pour nommer un roi. Ces délé- gués mandèrent devant eux les différents concurrents qui, sauf Louis d’Anjou, se firent représenter par des envoyés. Ce prince se contenta de protester contre quel- ques-uns des commissaires et de maintenir les droits de sa femme. Le trône d’Aragon échut à Ferdinand, infant de Cas- tille, que nous avons vu être le fondateur de l’ordre du Vase de Marie. Il sut se débarrasser de ses rivaux, en composant avec quelques-uns d’entre eux et réduisant les autres par la force. Louis parait avoir été du nombre des premiers : suivant l’Arl de vérifier les dates, il se contenta d’une somme d’argent pour Yolande, laquelle somme ne fut jamais payée. Toutefois, des relations amicales s’étaient également établies entre les deux princes, puisqu’on voit Ferdinand refuser au roi de Naples, Ladislas, de lui envoyer des secours pour s’op- poser aux tentatives que faisait le duc d’Anjou, très- désireux de reconquérir ce royaume. Ferdinand ré- pondit, à ce propos, qu’il ne pouvait pas prendre parti contre son parent. Il n’y a rien d’étonnant à ce que le roi d’Aragon ait décoré du collier de son ordre Louis ou un de ses en- fants, surtout s’il tenait par quelque acte de courtoisie, à lui faire prendre patience pour le retard apporté au paiement du douaire de Yolande. Peut-être l’un des envoyés de Ferdinand à la cour d’Anjou, était-il grand dignitaire de l’ordre du Vase de Marie et fut-il logé par l’abbesse du Ronceray ou parle prieur de l’hospice — 283 — dans les bâtiments dont nous avons parlé? On aurait, à cette occasion, décoré la salle où nous voyons au- jourd’hui les peintures qui rappellent les emblèmes de cet ordre. Entre les trois hypothèses que nous avons présentées, nous nous abstiendrons de conclure. Nous nous con- tentons de poser ici les premiers jalons de la solution d’une question pour laquelle il reste à trouver des do- cuments plus précis que ceux que nous avons pu nous procurer. Les peintures dont il s’agit ont été dessinées par les soins deM. Godard-Faultrier mais nous croyons qu’il y a lieu de faire encore plus, c’est de demander à M. le maire d’Angers qu’un abri, composé de quelques plan- ches et par conséquent peu coûteux, soit installé pour les protéger et en arrêter la destruction, jusqu’au mo- ment où une décision sera prise à l’égard des bâtiments de l’ancien hôpital Saint-Jean. F. Prévost. 1 Dans ce dessin l’oiseau ressemble moins à une autruche que dans la peinture originale. 284 — II. Paris, le 15 juillet 1867. A Monsieur le Président de la Société d' agriculture, sciences et arts d'Angers. Monsieur le Président. J’ai été très-sensible à l’obligeante attention que vous avez eue de m’envoyer le numéro du Journal de Maine- et-Loire, contenant les discussions qui ont eu lieu, au sujet des peintures que j’avais signalées, sur les murs de l’ancien hôpital. Permeltez-moi de vous en remercier, et de profiler de l’occasion pour ajouter quelques dé- tails nouveaux, à ceux si intéressants, qui ont été fournis par les membres de la commission appelée à donner son avis sur la signification et la valeur de notre découverte archéologique. La difficulté d’expliquer la présence au milieu de notre cité, du singulier emblème qu’elle possède, et que vous-même avez pu apprécier, viendrait surtout de l’embarras où l’on est de concilier son antiquité, remon- tant, avais-je dit, au règne de Henri II, ou au moins aux années qui l’ont suivi, avec l’absence de relations, à cette époque, entre l’Espagne et l’Anjou. Cependant, si l’on veut bien tenir compte des parti- cularités historiques que je vais faire connaître, il sera difficile de n’être pas logiquement entraîné à plus de confiance et de hardiesse. Dans son ouvrage sur l’origine, les statuts et les symboles des ordres de chevalerie, Menennius, après avoir raconté comment, dans les temps primitifs, les chevaliers allaient aux pieds des autels, recevoir des mains des évêques, les armes bénites par eux, dit qu’à la suite de cet usage, tombé en désuétude, les rois contractèrent l’habitude d’envoyer leurs enfants se faire recevoir chevaliers, chez les princes leurs voisins. Et, parmi les exemples qu’il apporte en témoignage, se trouve celui de notre illustre comte d’Anjou et roi d’Angleterre, qui, à Cage de seize ans, a été ainsi fait chevalier par le roi d’Ecosse, son grand-oncle. Le même historien ajoute qu’un des descendants de Henri II, Edouard Ier, fut envoyé lui aussi, à Alphonse, onzième du nom, roi de Castille, pour recevoir de ses mains l’armure des chevaliers '. Ce qui suppose qu’à cette époque, les relations entre la cour de ce sou- verain et celle du roi d’Angleterre étaient excellentes. Mais ce qui importe bien plus à la cause que je défends c’est de constater que, du temps de Henri II, les rap- ports entre ces deux mêmes cours, étaient plus intimes encore. Ce fait est capital. 1 Exinde ad Principes vicinos , reges filios miltere solebant , ut equestrem ab illis dignitatem acciperent ; sic Henricus II Anglorum rex, ad Davidem Scotorum regem ; sic Alexander, Guillelmi Scoto- rum regis filius, anno 1212, in Angliam, et Eduardus I ad Alfon- sum XI, regem Caslellæ, profecti sunt, ut acciperent ab iis Arma militaria , sive virilia. His enim loquendi formulis pro crealione equitis eo sæculo, usi sunt. — 286 — Or, nous savons par l’histoire 1 qu’Éléonore. seconde fille du fondateur de l’aumônerie Saint-Jean d’Angers, fut mariée à Alphonse III, roi de Castille, et qu’elle eut un fils du nom de son aïeul, qui monta sur le trône de son père. Quelle difficulté, après cela, peut-il y avoir à admettre qu’un des seigneurs de Henri II, le sénéchal d’Anjou, par exemple, ait reçu la dignité de chevalier du vase du Lis et du Griffon, ou que le petit-fils de Henri II soit venu lui-même apporter à Angers, l’em- blème de l’ordre de chevalerie le plus auguste que pos- sédât alors l'Espagne 2 ? L’institution de Gardas était essentiellement reli- gieuse. C’est pendant une maladie et à la suite de la découverte d’une image de la sainte Vierge, près d’un vase rempli de lis, que le roi de Navarre aurait élevé d’abord une magnifique basilique, dans la ville de Nagera, puis ensuite qu’il aurait fondé l’ordre militaire dont nous avons parlé, pour défendre les droits de la religion et ceux de ses états. Quant à la présence du griffon dans le collier de l’ordre, elle s’explique par le symbole même de cet animal imaginaire, composé mi-partie d’un aigle, (c’est toujours Menennius qui parle), et mi-partie d’un lion, pour mieux représenter la force de caractère et la grandeur d’âme. Le lis aussi avait sa raison d’être sur la bannière des chevaliers du pieux roi. La tige élevée de cette plante en faisait, d’une part, une fleur vraiment royale, et de 1 Hume, Histoire, d'Angleterre. 2 Rex (Gardas VI) ordinem equitum Lillii quem ante omnes in Hispania reperio, augustissimum erexit. (Menennius.) — 287 — l’autre, la beauté de sa corolle, sa blancheur et sa pu- reté offraient un emblème digne d’être agréé par Dieu et par ses anges \ Cependant la forme du griffon, dans les peintures de l’hôpital, exclusivement empruntée à l’ornithologie , pourrait devenir ici une difficulté sérieuse, en présence de la description que nous venons de donner, si nous ne savions que le moyen âge, en s’emparant du griffon antique, l’a successivement modifié jusqu’à ne plus le regarder, au commencement duxin6 siècle, que comme un oiseau. Ainsi en témoigne le passage qui va suivre et que j’emprunte à un manuscrit du temps : Un oiseax est , qui est apelés gripons. Pliysiologes nos dist que il est en partie des désers d’Inde abitant. (Déserts, remarquez, c’est le séjour de l’autruche dont notre griffon d’Angers revêt positivement la forme.) El iluec conversent cist oisel. Si nost dist que ces maniérés d’ oiseax naissent onques des désers, si ce n’est cose que ils ne poent trover que ils voelent mangier. Cil oisel sont, par droite nature, si fort que ils prennent ben un buef lot I vif, et s’envolent atôt, et l’ emportent à lor pochin 1 2. Bien évidemment les peintures de notre aumônerie !' Saint-Jean se recommandent par un vif et incontestable intérêt, que la discussion qui s’est élevée parmi les écrivains du xvme siècle, au sujet de l’ordre de che- valerie qu’elles représentent, vient encore augmenter considérablement. Le débat ne serait pas resté assu- 1 Alii dicunt lilium pulchritudinis, candoris et puritatis adeoque Deo et angelis pergratum symbolum. 2 Bestiaire de la Bibl. de L’Arsenal , dons les Mélanges archéolo- giques du P. Martin. 288 - rément sans solution, si les emblèmes que nous possé- dons à Angers, eussent été alors connus. En présence, en effet, d’un ornement qui accuse énergiquement, dans son faire, la fin du xne siècle, ou le commencement du xm% on n’aurait pas pu dire que l'œuvre de Gardas VI s’était éteinte avec lui , et qu’elle avait été ensuite renou- velée au commencement du xv° siècle 1 . Je n’ajouterai plus qu’un mot à cette lettre, déjà trop longue peut-être ; ce sera pour vous remercier de nou- veau, monsieur le Président, du service que vous avez rendu à la cause des arts et de l’histoire, en vous em- pressant de porter à l’ordre du jour de la Société que vous présidez avec tant de zèle et de succès, l’étude sérieuse et intelligente que réclamaient des ruines trop longtemps inconnues et dédaignées. En appelant sur elles l’attention de notre savant et illustre compatriote, M. Beulé, vous en avez assuré déjà la conservation, car, sur son témoignage, l’Académie des beaux-arts, à laquelle il appartient, ne peut manquer de leur accor- der sa sollicitude la plus vive, et aussi, disons-le, la plus justement méritée. Agréez, etc. Choyer, 'prêtre. 1 Héliot, Ordres religieux el militaires. PROCÈS-VERBAUX DES SÉANCES. SÉANCE DU 10 MAI 1867. Ouverture à 7 heures sous la présidence de M. La- chèse, assisté de M. Rondeau, trésorier. L’absence du secrétaire ne permet pas la lecture du procès-verbal de la séance précédente. Pour la rédaction de celui de la présente, M. Ron- deau est invité à le remplacer. CANDIDATS. M. Pavie présente, en qualité de membre actif, M. Benion, artiste vétérinaire, et dépose sur le bureau à l’appui de cette candidature , une lettre de sollicita- tion du titre et un travail sur l’espèce canine. M. Lachèse Adolphe, président, se charge de l’exa- men de cet opuscule et en rendra compte à la prochaine réunion. Messieurs Lachèse Adolphe et Léon Gosnier, pré- sentent également, comme membre actif, M. Théophile soc. d’ag. d9 — 290 - Cosnier, dont les titres à l’admission sont notoires à la Société entière. Aux termes du règlement, on devra procéder aux votes pour l’admission de l’un et l’autre candidat à la prochaine séance. CORRESPONDANCE ET COMMUNICATION. Pour les sociétés comme pour les individus, il est des jours d’anxiétés, de peines, de labeurs auxquels succèdent des heures de bonheur et de joie, légitime récompense du travail. Cette heure se produit pour nous. Qu’il nous soit donc permis, comme Jeanne d’Arc à Rheims, après la peine d’être à la gloire. notre précédente réunion vous avez chargé le bureau d’ex- primer nos remerciements pour leur collaboration dans l’affaire des statues de Fontevrault, à M. le Préfet de Maine-et-Loire, Msr l’évêque d’Angers, M. le bâtonnier du barreau d’Angers, notre députation toute entière, à MM. Janvier de la Motte, Vilet, Dufaure et Berryer et d’offrir à celles de ces illustrations nationales, qui ne l’avaient pas déjà , le modeste titre de membre hono- raire de notre société. Jamais plus douce et plus satisfaisante mission rie lui pouvait incomber. Il lui a été donné de ressentir com- bien la fibre nationale avait été vivement émue dans le débat des Plantagenets et combien tous jusqu’au Sou- verain , nous félicitent de l’initiative que nous avons prise. L’Empereur veut plus, c’est par la restauration de la célèbre basilique de Fontevrault qu’il entend récompenser nos instances et nous dédommager de nos - 291 - anxiétés. Hommage donc de profonde et respectueuse reconnaissance ! Ce n’est pas tout : à côté des Galitzin, de Falloux, Beulé, Villemain, viendront prendre rang en notre Société M. Ph. Bellanger, bâtonnier des avocats d’An- gers, nos députés Segris, Louvet, de Las Cases, MM. Dufaure, Vitet et l’illustre Berryer. Une analyse de leurs lettres d’acceptation serait trop pâle. Qu’il nous soit permis d’en reproduire le texte entier. Lettre de M. Berryer. « Monsieur le Président, « Je suis très-sincèrement flatté du titre de membre honoraire que vous voulez bien m’offrir, au nom de la Société d’Agriculture, Sciences et Arts d'Angers. Je le reçois sans croire cependant que j’aie acquis des titres suffisants à la faveur dont vous m’honorez, et je désire qu’il me soit donné d’avoir quelque occasion de témoi- gner ma reconnaissance à votre Société, en m’associant à ses nobles et utiles travaux. « Je vous prie, Monsieur, d’exprimer mes remercie- ments à vos honorables collègues et d’agréer en parti- culier les sentiments respectueux avec lesquels je suis votre très-obéissant serviteur « Berrver. « Paris, 7 avril 1867. » — 292 — Lettre de M. Vitet. « Paris, 4 avril 1867. « Monsieur le Président, « Je suis profondément fauché de l’honneur que je reçois de votre compagnie et vous prie de vouloir bien lui transmettre, non-seulement mon acceptation em- pressée , mais mes plus respectueux et plus sincères remercîments. « Je n’ai mis au service de votre trop juste cause qu’un peu d’empressement et beaucoup de sympathie ; vous payez largement des intentions plutôt que des services, car je vous prie de croire, Monsieur le Prési- dent, que ce m’est une douce récompense de me sentir désormais plus étroitement uni à tant d’hommes d’une vraie distinction et qui savent au besoin se montrer si noblement jaloux de notre honneur national. « J’ai l’honneur d’être avec respect, « Monsieur le Président, « Votre très-humble et très-obéissant serviteur, « Vitet. » Lettre de M. Dufaure. « Paris, 6 avril 1867. « Monsieur le Président, « J’aurais voulu prêter à la Société Impériale d’Agri- culture, des Sciences et Arts d’Angers un concours plus — 293 — actif dans l’œuvre patriotique qu’elle avait entreprise. Elle veut bien me tenir compte de mes intentions et faire figurer mon nom parmi ceux de ses membres ho- noraires. J’accepte de grand cœur cette distinction et vous prie de recevoir et de faire agréer par la Société l’expression de ma vive reconnaissance. « Veuillez croire, Monsieur le Président, à mes senti- ments de haute considération. « J. Dufaure. » Lettre de M. de Las Cases. « Paris, 8 avril 1867. « Monsieur le Président, « Je m’empresse de vous témoigner à quel point je suis sensible aux sentiments que vous voulez bien m’ex- primer au nom de la Société par la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’adresser le 4* de ce mois. « En me joignant à mes collègues pour réclamer avec chaleur la conservation des précieux monuments de Fontevrault, je n’ai fait que remplir un devoir que m’imposait la confiance de nos compatriotes, et que m’inspiraient d’ailleurs mes propres sentiments comme Français, conservateur jaloux de toutes nos illustra- tions nationales. « Nous comptions pour réussir sur les nobles inspira- tions de l’Empereur, et nos espérances ont été com- plètement justifiées. Dès que Sa Majesté a été instruite du vil intérêt et de l’importance que la population, — 294 — ainsi que tous ses organes légaux, attachaient à la con- servation de ces monuments, elle a pris une décision conforme à leurs vœux. « Encouragés par cette auguste bienveillance, mes collègues et moi, nous voudrions profiter de cette occa- sion pour solliciter qu’il soit fait une disposition nou- velle des bâtiments de Fontevrault qui permette de rendre la chapelle à sa destination première, de la res- taurer et d’y rétablir dans une situation plus convenable les tombeaux de nos illustres ducs d’Anjou. L’accom- plissement de nos vœux compenserait l’inquiétude que nous avons éprouvée. « Heureux d’avoir contribué à notre succès dans cette circonstance, ayant la conscience de mériter la confiance de notre excellente population angevine par mon zèle constant à servir ses intérêts, je me tiens honoré, Monsieur le Président, du titre de membre ho- noraire que la Société veut bien m’olfrir par votre or- gane, et je vous prie d’être auprès d’elle l’interprète de ma gratitude, en agréant vous-même l’expression de mes sentiments les plus distingués et les plus affectueux. « Comte de Las Cases, « Député de Maine-et-Loire. » Lettre de M. Louvet. « Paris, 6 avril 1867. « Monsieur et honorable Président, « Je suis profondément touché de la lettre que vous venez de m’adresser et de l’offre que vous me faites du — 295 — titre de membre honoraire de la Société impériale des Sciences et Arts d’Angers. J’accepte ce litre avec em- pressement et plaisir : il me rappellera le souvenir d’un devoir accompli avec le précieux concours d’hommes qui, comme vous et vos honorables collègues de la Société impériale d’Angers, se montrent en toute cir- constance les vaillants défenseurs de nos grandes tradi- tions historiques. « Veuillez recevoir, Monsieur le Président, avec l’ex- pression de ma gratitude, l’assurance de mes senti- ments les meilleurs et les plus distingués. « Louvet. » Lettre de M. Segris. « Paris, 6 avril 1867. « Monsieur le Président, « Je suis très-louché des sentiments que vous voulez bien m’exprimer au nom de la Société d’Agriculture, Sciences et Arts d’Angers. C’est surtout à l’initiative qu’elle a prise et au mouvement qu’elle a imprimé à l’opinion qu’il faut attribuer l’heureuse et très-satisfai- sante solution à laquelle nous devons la conservation définitive des statues de nos Plantagenets. « J’accepte avec empressement le titre de membre honoraire de votre Société, que vous me faites l’honneur de m’offrir, mais vous me permettrez aussi, je l’espère, de réclamer l’inscription de mon nom, à compter de ce — 296 — jour, à la suite des noms de tous les honorables mem- bres qui la composent. « Veuillez, je vous prie, Monsieur le Président, être l’interprète de mes sentiments auprès de la Société et agréer l’expression de ma considération la plus distin- guée. « Emile Segris, « Député île Maine-et-Loire. » M. le commandant Prévost communique à la Société l’étrange découverte qu’il vient de faire , rue aux Bœufs, dans une propriété appartenant à M. Letellier, de la base d’une énorme tour de construction romaine semblant appartenir à un plan général de fortifications. Toutes nos traditions, toutes nos découvertes, ne pouvaient laire soupçonner quoi que ce soit de ce genre. Lesvières, sans doute, joignant ce point, est couvert de ruines des anciens bains. Mais jusqu’à ce jour, tout ce que nous connaissons accuse un lieu de pur agrément qu’on n’a pu croire relié à des fortifica- tions quelconques. Le lieu y prête sans doute, mais nous avons à distance notre enceinte gallo-romaine par- faitement dessinée. Tout ce que nous savons du camp de Frémur et des mœurs romaines nous est aussi sûre- ment connu. Cette découverte est donc pour l’instant toute énigmatique et de nature, au plus haut point, à exciter nos études et nos recherches. A cet effet, une commission est instituée. MM. Prévost, Godard, Cosnier, Ëliacin Lachèse et Rondeau sont invités à en faire partie. — 297 — Notre président d’honneur, M. Beulé, sollicité lui- même par M. l’abbé Choyer, appelle, dans une lettre qu’il nous adresse, l’attention de la Société sur la dé- couvertes de ruines ornées de peintures murales sur le bord de la Maine, contiguës à l’ancienne aumônerie Saint-Jean et paraissant, suivant leurs caractères parfai- tement ostensibles, de même origine. Tout porte à croire qu’elles en étaient le complément. Quelle était l’harmonie générale de l’Aumônerie? A quel usage étaient consacrées les ruines en question? Que sont les peintures murales qui les décorent? Ques- tions intéressantes que la commission désignée plus * haut est aussi appelée à vider avec le concours de M. l’abbé Choyer. Notre Société ne peut oublier qu’ici se retrouve l’in- térêt de Fonlevrault. Ce sont les mêmes bienfaiteurs. L’importance du monument, sa situation actuelle, sont de nature à exciter toute notre sollicitude. M. l’abbé Levoyer nous présente un rapport verbal concernant un sceau soumis à son étude et dont la gravure nous est adressée par M. Ollivier, de Ville- neuve-Larchevêque. Ce sceau porte le millésime de .... et- appartenait à une confrérie de Saint-Nicolas d’Angers. M. le rapporteur propose d’en demander l’empreinte en cire pour la Société et le musée dio- césain. Cette demande est accordée. L’heure avancée ne permet pas la lecture d’un tra- vail de notre confrère, M. Sauvage, juge de paix au Louroux-Béconnais , intitulé : la Chaire de Velléda. Cette lecture est renvoyée à la prochaine séance. — 298 - r M. Eliacin Lachèse rend compte d’un travail du même auteur intitulé : la Bataille de Tinchebray. Guillaume le Conquérant venait de mourir laissant trois fils dévorés d’ambition : Robert Courte-Heuse , d’humeur plus tranquille, s’établit en Normandie ; Guillaume le Roux, son frère, ne lui laissa pas le temps d’établir son autorité en Angleterre, il en prit possession; Henri, le troisième, eut une somme d’ar- gent. Mais, de mœurs plus audacieuses et plus fourbe que ses frères, il profita de l’absence de son aîné pour la croisade et de la mort de son cadet, pour mettre la main sur l’Angleterre d’abord. Puis, avec une armée levée en ce pays, il vint auprès de Tinchebray, châ- teau-fort du comté de Mortain, livrer bataille à son aîné, revenu de Terre sainte. Sa défaite fut complète. Robert Courte-Heuse fut fait prisonnier, et tous les Etats du conquérant se trouvèrent réunis sous la domi- nation du troisième fils. L’auteur y trouve pour consé- quence qu’ici notre pays subit l’influence de l’élément anglais, dans ces querelles des fils du Conquérant. C’est une opinion qui pourrait peut-être s’atténuer dans son appréciation. SÉANCE DU 26 JUIN 1867. Présidence de M. Reulé, secrétaire perpétuel de l’Aca- démie des Reaux-Arts, et l’un des présidents d’honneur de la Société. La Société impériale d’Agricullure, Sciences et Arts a tenu, le 26 juin dernier, une séance à la fois intéres- - 299 — santé par les mémoires qui y ont été lus et par la pré- sence de M. Beulé, secrétaire perpétuel de l’Académie des Beaux-Arts, et l’un des présidents d’honneur de la Société. Le bureau était occupé , sous la présidence de M. Beulé, par MM. le docteur Ad. Lachèse, président, Sorin, inspecteur honoraire d’Académie, président hono- raire, Rondeau, trésorier, et Biéchy, secrétaire général de la Société. Un public d’élite remplissait la salle des séances. Les hommes les plus distingués par leur dignité, leur science et leur intelligence, avaient voulu donner, en l’honorant de leur présence, un témoignage de leur sympathie à un compatriote illustre. M. Adolphe Lachèse s’est rendu l’interprète de ces sentiments, dans quelques paroles qu’il a adressées à M. Beulé , au commencement de la séance , pour lui dire avec quel plaisir la Société d’Agriculture l’accueil- lait dans son sein, et avec quel empressement elle sa- luait en sa personne et l’un de ses présidents d’hon- neur et l’un des fds du pays, illustré par les plus beaux travaux. M. Beulé, visiblement ému, a remercié l’assemblée et son président de l’accueil si bienveillant qu’il recevait, et qui lui était d’autant plus agréable que l’Anjou, sa terre natale, lui est plus cher. Le souvenir de cette terre n’a jamais cessé d’être présent à sa pensée, ni dans le cours de la vie studieuse que ses goûts et ses études lui ont faite à Paris, ni parmi les ruines splen- dides de la Grèce antique, ni sur les rivages brûlants de l’Afrique, parmi les débris de Carthage. — 300 — Aussi est-ce avec bonheur qu’il est revenu dans l’Anjou et qu’il s’y voit accueilli comme l’enfant voya- geur, dont on célèbre le retour. La séance a ensuite été ouverte par la lecture d’un mémoire de M. El. Lachèse sur deux défauts actuels du chant scénique. On sait la compétence exceptionnelle, le goût fin et sûr du savant critique en matière d’art mu- sical. Le choix des lectures que la Société offrait à ses auditeurs, ne pouvait être mieux inauguré. Les deux défauts signalés par M. E. Lachèse, sont l’effort, l’exagération dans l’attaque du son, dans la diction même, et ce trémolo que rien ne motive, ce chevrotement de la voix si fréquent, qui, des théâtres de Paris s’est répandu sur les autres scènes et gâte, de nos jours, le chant de la plupart des artistes. C’est, comme le disent les Italiens, le slancio et le vibrato. Sans doute, la musique a fait des progrès en France, non-seulement pour l’exécution instrumentale, mais même pour le chant, si l’on ne veut voir que le nom- bre. Les 3,243 sociétés chorales de l’Orphéon pré- sentent un effectif de 147,500 voix ; on enseigne encore le chant dans les écoles, les concerts populaires; les cafés chantants même ont donné une grande diffusion aux premières notions musicales, à la connaissance d’un certain nombre de mélodies pouvant jusqu’à un certain point former le goût. Mais, au lieu de diriger vers le bien ces masses que Nourrit voulait entraîner et former par la vérité seule de son admirable talent, on trouve bien plus facile de faire applaudir par un goût mal formé encore l’effort, le cri dans la diction et cet insupportable tremblement de la voix, qui est censé 301 — exprimer l’émotion profonde. Des publications mal- saines encouragent ces excès et, malgré l’exemple con- traire d’un petit nombre d’artistes vraiment dignes de leur nom, le double abus se répand et persévère. Ces abus, selon M. Lachèse, sont aidés encore par l’étendue excessive donnée à certaines œuvres mo- dernes. La voix d’un artiste, si fort ténor qu’il soit, trouve dans la diction d’opéras tels que le Prophète, Y Africaine et, en dernier lieu, Don Carlos, une lutte formidable à soutenir, et l’effort, l’altération dans le son s’en augmentent nécessairement. « L’art, dit-il en finis- sant, n'est pas stationnaire et, sans doute, l’on ne doit pas mesurer son expression du jour sur celle qui ré- .gnait il y a quarante ans ; mais, s’il se transforme, c’est à I .condition de rester fidèle au bon goût et à la vérité. — l“Si toutes les intelligences, même celles des plus hum- bles, ont droit de tendre jusqu’à lui, proclamons qu’il ne doit jamais s’abaisser vers elles, et, alors qu’on ré- clame pour lui tant de libertés, accordons-les lui toutes, | œxcepté celle de dégénérer. » M. Belleuvre avait annoncé et fait espérer un compte- rendu de la peinture belge et de la peinture française à l’Exposition universelle : sujet intéressant à la fois par lui-même et par son actualité. Le silence systéma- tique et si peu louable de la presse de Paris sur l’Expo- sition nous prive de l’appréciation des merveilles accu- mulées dans les vastes constructions du Champ-de-Mars, et notamment des renseignements si utiles qu’eût four- nis la comparaison des œuvres artistiques des différents peuples de l’Europe. M. Belleuvre a donc été on ne peut mieux inspiré en se proposant de nous faire con- — 302 — naître ses impressions, le résultat de ses études compa- ratives sur les chefs-d’œuvre de la peinture belge et de la peinture française, les plus richement représentées à l’Exposition universelle. L’appréciation d’un homme de goût et d’un juge impartial eût été précieuse à recueil- lir. Malheureusement, l’excessive modestie de M. Bel- leuvre nous a privés du plaisir d’entendre la plus grande partie de son mémoire, et lui a fait restreindre sa lecture à un fragment épisodique, relatif à l’Expo- sition annuelle des Champs-Élysées. Il commence par déplorer les symptômes de déca- dence, au moins passagère, qui se manifestent dans le domaine de l’art en général et de la peinture en parti- culier. Il constate la majorité numérique des paysa- gistes dans le concours de cette année, passe en revue les principaux d’entre eux, tels que MM. d’Aubigny, Corot, Français, Huet, Breton, Curzon et Paul Flandrin. Il s’arrête avec complaisance devant les toiles de M. Bénouville, empreintes d’un sentiment spiritualiste si conforme au caractère de la campagne de Rome, su- jet de ses peintures. Il décrit avec plaisir le sujet d’un tableau de M. Bre- ton, désigné au livret sous ce titre : le Retour des Champs, et cherche à en faire comprendre le charme. Après MM. Mac Callum, Wild et Monnier, il arrive à M. Tournemine, dont il essaie de faire ressortir la poétique et ardente individualité. Il s’arrête devant le Convoi abandonné, tableau de Schreyer, scène de désolation si bien sentie et si bien traduite par l’artiste. Avant de quitter les paysagistes, M. Belleuvre établit — 303 — un parallèle entre Mlle Sarrazin et M. Bénouville dont les talents sembleraient devoir se compléter l’un par l’autre. Il regrette que l’auteur des Jeux de Bade, M. Doré, ait donné à son tableau des dimensions auxquelles les qualités du peintre répondent si peu, et que cet artiste, si recommandable comme dessinateur, ait échangé son crayon contre le pinceau. Frappé de l’esprit et de l’habileté dont M. Knauss a fait preuve dans son tableau de Son Altesse en voyage, il se plaît à décrire cette scène finement observée. Le tableau de Mme Henriette Browne, les fleurs de MM. Maisial et Robie, le joli tableau de la Fille du maître d’ École, par Mme Laperelle, obtiennent tour à tour la mention flatteuse qu’ils méritent si bien. M. Belleuvre rend un hommage non moins mérité à M. Dauban, à propos du nouveau tableau de notre com- patriote, qui s’est fait une si belle place dans la pléiade artistique de notre époque. Enfin, après avoir caractérisé rapidement les talents divers de MM. Perrault et Robert Fleury, M. Belleuvre décrit avec détail la Captivité de Galilée, tableau de M. Muller, applaudit à la beauté du sujet, à la concep- tion large et noble du plan, à l’inspiration élevée qui éclate dans- la composition et l’exécution de cette œuvre si remarquable. A cette lecture, abrégée par une réserve regrettable de l’auteur, ont succédé les lectures des mémoires de deux archéologues , M. le commandant Prévost et M. Godard-Faultrier, dont le public connaît et admire le zèle, le dévouement infatigable et les recherches cou- ronnées de brillantes découvertes. — 304 M. le commandant Prévost a lu un mémoire sur une peinture murale trouvée récemment dans l’ancien hô- pital Saint-Jean. Dans une salle du xne siècle, en ruine, faisant pro- bablement jadis partie du logement du prieur ou de l’aumônier, on remarque des peintures murales repré- sentant un oiseau fantastique (qui a une grande analogie avec l’autruche) placé devant un vase contenant un bouquet de lys. M. l’abbé Choyer, qui a le premier fait connaître l’existence de ces peintures, croit qu’elles sont du xne siècle. Elles pourraient rappeler, selon lui, les em- blèmes d’un ordre du Lys , fondé au milieu du xie siècle par un roi de Navarre. Mais cette hypothèse est difficile à admettre , quand on sait qu’il est historiquement prouvé qu’aucun ordre militaire n’existait avant 1099, année de l’établissement du premier que l’on connaisse, l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem. Il resterait d’ailleurs à expliquer comment les insignes d’un ordre fondé en Navarre, se trouvent reproduits sur un édifice de la ville d’Angers. M. Godard-Faul trier, qui penche pour la date du xiie siècle, a émis l’opinion que ces peintures pouvaient être un symbole de l’Église catholique. Saint Jérôme donne, en effet, cette attribution à l’autruche, et à plus forte raison à cet oiseau mis à côté d’un vase de lys, qui a toujours été l’un des emblèmes de la sainte Vierge. Le commandant Prévost a proposé une troisième ex- plication. D’après lui, les peintures en question représenteraient — 305 — peut-être les insignes de Yordre du Vase de Marie, fondé en 1410 par Ferdinand, infant de Castille, devenu plus tard roi d’Aragon. Cet ordre avait pour armes un vase de lys et un griffon, oiseau qui a souvent été reproduit avec des formes peu différentes de celles de l’autruche. 11 était destiné à rappeler la prise de la forteresse d’Antequerra, sur les Maures. Le style des peintures, bien que convenant au xne siècle, se retrouve également jusqu’au xve, et, pendant les premières années qui suivirent l’institution du prince Ferdinand, des relations incessantes s’étaient établies entre l’Anjou et l’ Aragon. Le collier de Yordre du Vase de Marie aura donc pu être envoyé au duc Louis II d’Anjou ou à Fun de ses fils. Peut-être aussi, un grand dignitaire de cet ordre sera-t-il venu à la cour d’Angers et aura-t-il été logé dans les appartements dont dépendait la salle qui ren- ferme ces peintures, lesquelles auraient été faites à l’occasion de ce message ? Entre ces trois hypothèses, il est nécessaire d’avoir des documents plus précis que ceux qui sont aujour- d’hui connus, pour pouvoir tirer une conclusion. M. Godard-Faultrier a fait prendre une copie des peintures murales dont nous parlons, et ce dessin est actuellement au musée d’Angers. Le mémoire lu par M. Godard-Faultrier est relatif à une étude sur un vase des premiers siècles chrétiens, trouvé dans les ruines de Carthage et exposé à Paris par le prince Mohamed, fils du premier ministre du bey de Tunis, soc. d’ag. 20 — 306 Ce vase en plomb, profond de 55 cent , large de 60, est orné de 15 cartouches représentant divers sujets emblématiques dont plusieurs, sous des dehors païens, cachent un sens chrétien. Il est en outre environné d’une inscription grecque tirée de la version des Sep- tante, et qui se rapporte à Veau du baptême. Ce vase, unique peut-être en son genre, est un bénitier ou plu- tôt une cuve baptismale. M. Godard lui assigne le milieu du ive siècle, pour diverses raisons qui ont paru concluantes à M. lleulé, si compétent en cette matière. Il explique comment les premiers artistes durent ad- mettre des sujets païens, qu’ils sanctifiaient en leur at- tribuant un sens religieux et mystique. Cette coutume qui régna durant et même après l’ère des martyrs, te- nait à une discipline du secret que les persécutions im- posèrent. Dans les catacombes il en existe de nombreux exemples ; mais, en général, ils cachent un sens reli- gieux, quand surtout, comme sur le vase dont il s’agit, les sujets forment un véritable drame mystique, repré- sentant la vie du chrétien. « Avec les quatre fleuves, sans la croix, vous avez, dit M. Godard-Faultrier, l’Eden perdu; « Avec les quatre sources surmontées de la croix , vous êtes en présence de l’Eden retrouvé par l’eau, que figurent la néréide, l’hippocampe, le coquillage et le dauphin, symboles du baptême, retrouvé par le sang, que représente le calice, emblème de l’Eucharistie. « C’est bien ici qu’il convient de citer ce passage : Hic est qui vcnit per aquam et sanguincm Jésus Chris- tus... A l’aide du sang et de l’eau, les entants du Christ 307 — se multiplient; aussi les deux 'palmiers, qui sont sur le vase l’emblème de la multiplication, encadrent-ils les épisodes de la vie du chrétien, vie qui se soutient et se développe par la miséricorde que représente le bon Pasteur ; par l’Eglise et la prière que figure Yorante ; par la fuite du danger qu’exprime l’image du cerf fuyant ; par les combats livrés aux passions et soutenus jusqu’au martyre contre les embûches des méchants, combats que les cartouches V, XII, XIII et XIV repro- duisent sous l’emblème d'animaux féroces ; vie toute de lutte , qui se résume dans Y athlète vainqueur, et qui reçoit la couronne et la palme de la victoire... » A l’appui de sa dissertation, que M. Beulé a qualifiée de méthodique et d’élégante, M. Godard a joint divers dessins faits à l’Exposition même par son fils , et dont l’assemblée a remarqué la netteté et la vigueur. Puis il a terminé par ces réflexions qui ramenaient ses auditeurs à l’Anjou : « Et maintenant, Messieurs, comment demeurer froid à la vue de cette urne, qui nous rappelle l’Église d’Afrique, illustrée par le grand évêque d’Hippone? Comment rester froid en présence de cette urne qui nous arrive à l’Exposition universelle, en même temps qu’un autre évêque *, cher à l’Anjou, dirige ses pas vers cette même contrée d’Afrique, pour y renouer la tradi- tion chrétienne, y fonder un siège non loin de Carthage, non loin de Tagaste ? « A l’Anjou, Constantine devra sa crosse épiscopale, 1 Msr de Las Cases, ancien curé de Notre-Dame d’Angers. — 308 — comme elle lui doit déjà l’épée de sa conquête, en la personne d’un héros bien connu \ « Enfin, devant cette urne, je songeais encore à un autre nom, à celui d’un savant homme, cher également à notre province, par le vif éclat du savoir et des let- tres, je songeais que, du même pays que Mme Dacier, et comme elle amoureux des beautés de la langue grec- que, il était allé fouiller cette terre d’Afrique, afin d’interroger, sur l’emplacement de Carthage, l’antique civilisation des riverains de la Méditerranée, source fé- conde de nos civilisations modernes. « Missionnaire du goût et de la forme, il a su ré- pandre dans le domaine des arts et des lettres, par ses travaux sur la Grèce, sur Carthage et sur la littérature d’Auguste, une grande richesse de vues nouvelles et fé- condes. « Qu’il veuille bien nous pardonner d’être indiscrets quand nous sommes si justement fiers de le compter au nombre de nos plus éminents compatriotes. » La lecture de ces mémoires avait été écoutée avec une attention vive et soutenue, et M. Beulé s’est rendu l’in- terprète éloquent et fidèle de toute l’assistance en fai- sant ressortir à la fois l’intérêt, la variété et l’esprit de modération de ces travaux. Après avoir attribué un juste tribut d’éloges aux mémoires de MM. Lachèse et Bel- ✓ leuvre, il s’est arrêté avec une complaisance qui s’ex- plique sur les mémoires de M. le commandant Prévost et de M. Godard-Faultrier, dont les sujets rentrent dans l’ordre habituel de ses études. Il a mis en relief la 1 Le général de Lamoricière. — 309 — science et la sagesse de ces travaux, dont les auteurs sont familiarisés avec tous les détails de la matière qu’ils ont traitée. On sent que l’archéologie chrétienne, cette encyclopédie des derniers siècles de l’antiquité et de tout le moyen âge, n’a pas de secrets pour eux. Avec la science, ils ont la modestie qui lui sied si bien et qui en relève le mérite. Ils savent suspendre leur jugement, quand il y a lieu de douter, exposer et ap- précier avec une impartialité parfaite les différentes so- lutions des problèmes et attendre, avant de se pronon- cer, une information complète. Le mémoire de M. Godard-Faullrier a fourni à M. Beulé l’occasion d’entrer dans quelques détails sur le prince Mohamed, fils du premier ministre du bey de Tunis, auquel est due la conservation du vase baptis- mal trouvé dans les ruines de Carthage. Ce jeune prince a passé deux ans à Paris sous la direction d’un professeur éminent, M. Ernest Desjardins, qui a laissé de si excellents souvenirs à Angers, et aux soins duquel il avait été confié d’après les conseils de M. Beulé. Le prince Mohamed a contracté, sous un maître si distin- gué, le goût de l’archéologie ; il a appris à respecter les œuvres du passé, à les rechercher, à les recueillir, à les apprécier, à les sauver, dans l’occasion, des mains des barbares. M. Beulé a concouru ainsi indirectement à la décou- verte du vase qui fait l’objet du savant mémoire de M. Godard-Faultrier. Il s’en félicite, et reportant en- suite sa pensée sur les ruines de la ville où ce vase a été trouvé, il a parlé du temps qu’il a passé à les fouiller, à les interroger, à leur demander le secret des deux — 310 — civilisations qui ont fleuri successivement sur leur sol aujourd’hui désolé. Se laissant aller au courant de sa pensée, il a décrit avec une richesse d’expression toute poétique la mer et les montagnes qui entourent Carthage ; il a comparé la situation et les destinées de cette ville à celles de Rome et de Constantinople et en a fait ressortir de frappantes analogies. M. Beulé a tenu ses auditeurs captifs sous le charme de sa parole ; il parle avec une facilité, une grâce, une émotion contenue qui enchantent ; on ne se lasse pas de l’écouter, et si l’on éprouve une peine, c’est la crainte de le voir cesser de parler, tant on a de plaisir à l’entendre, à le suivre et à s’instruire en l’écoutant. On s’explique alors, par une expérience toute per- sonnelle et charmante à la fois, les succès de M. Beulé et sa rapide fortune littéraire. Né à Saumur en 1826, il a passé par l’École normale supérieure , a été reçu agrégé, a enseigné quelque temps la rhétorique à Moulins, et de là a été envoyé à l’École française d’Athènes, où il a rendu à l’archéo- logie grecque deux services également éminents. 11 dé- couvrit sur l’Acropole d’Athènes les ruines des Propy- lées, et celte découverte sauva l’École, dont l’existence était alors menacée. De retour en France, en 1853, M. Beulé fut bientôt décoré, nommé professeur d’archéologie à la Biblio- thèque impériale , et enfin élu membre puis secrétaire perpétuel de l’Académie des beaux-arts. Parmi ses nombreux ouvrages, nous citerons seule- ment ses deux volumes sur Y Acropole d’ Athènes et ses — 311 — Etudes sur le Pèloponèse publiés par ordre du ministère de l’instruction publique, et ses éloges d’Horace Vernet et d’Hippolyte Flandrin ; enfin un mémoire aussi sa- vant qu’intéressant sur l’empereur Auguste , qu’il a inséré cette année-ci même dans la Revue des Cours lit- téraires. La séance tenu le 26 juin dernier par la Société im- périale d’Àgriculture laissera un souvenir durable dans l’esprit de tous les assistants. Le secrétaire général , A. Biéchy. liéunion générale des Sociétés savantes à la Sorbonne (Séanee du 29 avril 1861). Extrait du Rapport de M. le marquis de La Grange, membre de l’Institut, président de la section d’archéologie du Comité des travaux historiques. Société impériale d’agriculture, sciences et arts d’Angers. — Documents inédits sur le roi René et la cathédrale d’Angers , par M. Godard-Faultrier. Ces documents consistent : 1° Dans quatre inventaires du xve siècle se rappor- tant au roi René, à son château d’Angers, et à ses manoirs de Chanzé, de la Ménitré et de Reculée; 2° Dans sept dessins inédits concernant l’Anjou. Il existe dans nos archives publiques et privées un grand nombre d'inventaires, véritables répertoires du mobilier de nos ancêtres, d’autant plus précieux qu’ils ont une date certaine, et qu’ils conservent le souvenir et la description de beaucoup d’objets qui n’existent plus. L’archéologue y trouve des notions curieuses ; le peintre, la couleur locale de ses tableaux; l’historien, les décorations de sa mise en scène ; le philosophe, des 313 — considérations morales sur la vie domestique de toutes les classes de la société. M. Godard-Faultrier a donc bien mérité des archéo- logues en publiant ces quatre inventaires, d’après les originaux des Archives impériales. Mais il ne s’est pas borné au texte ; prenant pour type le château d’Angers, il en fait le sujet d’une étude pleine d’intérêt ; il le restaure, en quelque sorte, en reproduisant sa distribu- tion intérieure en cinquante-cinq chambres, avec leurs noms et leur destination mentionnés dans l’inventaire. Quant aux meubles, M. Godard-Faultrier les divise méthodiquement en catégories. Chacune d’elles, expli- quée par de savantes annotations, devient un chapitre particulier sur l’ameublement, les vêtements, les armes, l’horlogerie et les outils, les produits de l’industrie, les importations étrangères, les objets d’art, les livres, les mappemondes et les instruments de musique. Cet inventaire, dont M. Godard-Faultrier a su tirer si bon parti , paraît cependant incomplet : le château est presque démeublé; il y manque les ustensiles de cui- sine, l’argenterie et la vaisselle ; il ne s’y trouve point de draps de lit, de linge de table ni de corps; la garde- robe de la reine est vide, il n’y est question que des tréteaux sur lesquels on met les robes; l’or et l’argent, excepté dans la petite chapelle du roi, n’existent pour ainsi dire nulle part; des bijoux, on n’en parle pas. La serge et la toile y dominent, il y a peu de velours et encore moins de soie; où donc se trouvent le luxe et la représentation royale? où sont ces belles armures, ces harnois, ces écus, ces bannières qui figuraient dans les tournois du roi de Sicile et qu’il représentait dans ses soc. d’ag. 21 o ~ 314 — manuscrits et dans ses tableaux? que sont devenus ces livres rares et ce Joinville qu’il avait fait copier avec tant de soin, ces poésies françaises et provençales qu’il imitait, enfin tous ces objets d’art qu’il aimait? A quoi faut-il attribuer ces lacunes dans le mobilier du château d’Angers? Peut-on croire, en admettant même la plus grande simplicité dans les goûts du bon roi René, qu’il en fût réduit là? M. Godard-Faultrier aurait peut-être pu en trouver l’explication dans les voyages et les dé- placements si fréquents de ce prince, et parce que cet inventaire, commencé le 18 décembre 1471 , du com- mandement du roi, fut clos en 1473, après son parle- ment d’Anjou ou pays de Provence. Depuis longtemps il connaissait les convoitises de Louis XI sur son duché d’Anjou, et, quoiqu’il y revînt souvent, il n’était pas bien sûr d’y rester; peut-être avait-il envoyé à Aix ce qu’il possédait de plus précieux ; peut-être aussi, à chaque voyage, emportait-il avec lui, comme c’était l’usage de ce temps, les objets dont il se servait habituellement, ses bijoux, ses bardes, ses objets d’affection, sa vaisselle d’argent; il devait en être de même pour la reine Jeanne. Quant à la vaisselle très- nombreuse en étain et aux ustensiles de cuisine qui manquent au château d’Angers, ils se retrouvent au château de Chaîné, de même qu’une grande quantité de draps de lit et de linge de table figure sur l’inventaire de la Ménitré. Quoi qu’il en soit, le savant commentaire que M. Godard-Faultrier a joint au texte n’en est pas moins remarquable; il a tout éclairci, tout expliqué, et. si l’inventaire présente des lacunes, il n’y en a pas dans son travail. 315 - La seconde partie du mémoire de M. Godard-Faultrier consiste dans la publication de sept dessins inédits rela- tifs à l’Anjou : cinq font partie de la collection Gai- gnières; les deux autres sont extraits de la topographie de la France. M. Godard-Faultrier tire des renseignements curieux de l’étude et de la comparaison de ces dessins; j’en cite- rai deux exemples : 1° Il établit que la représentation de la Mort en man- teau royal, ainsi que la décoration de l’arcade où avait été placé le tombeau du roi René, vers 1481, ont subi Iun remaniement au milieu du xvie siècle, et qu’il y a, entre les deux dessins qui en ont conservé le souvenir, toute la différence du style gothique à celui de la Renaissance ; 2° Il prouve, par des documents authentiques, que le tombeau attribué à Jeanne de Laval par un dessin de Gaignières ne peut être que celui de Marie de Bretagne, femme de Louis Ier et grand’mère du roi René. . . . ■ • • . , ÉTUDE SUR HENRI II Roi d’Angleterre , comte d'Anjou ET FONDATEUR DE L’AUMONERIE SAINT-JEAN D’ANGERS Henri II a été très-diversement apprécié par les his- toriens, suivant le point de vue auquel chacun d’eux s’est placé. Pour moi, qui me propose surtout de faire connaître le Fondateur de l’Aumônerie Saint-Jean, j’éviterai, au- tant que possible, de mettre à la charge de l’habile et généreux comte d’Anjou, ce qui doit rester à celle du roi d’Angleterre. Cette précaution rendra ma tâche plus facile, et sans donner quittance à Henri II de tout ce qu’il doit à Dieu, à l’Église et à l’histoire, je m’estimerai heureux de pou- voir le suivre et le louer dans un pays où il n’est connu que par ses bienfaits. Mon intention est de considérer dans le comte d’An- jou le chrétien sincère, le prince bienfaisant et l’habile administrateur. Je ne puis parler de la foi religieuse du comte d’An- soc. d’ag. 22 - 318 - jou,sans me trouver immédiatement en face du meurtre de saint Thomas de Cantorbéry. Je le sais, l’odieux de ce crime s’attache principalement à la mémoire du roi d’Angleterre. Mais il me semble que je ne puis appré- cier à leur juste valeur les œuvres bienfaisantes du comte d’Anjou, sans connaître les motifs intimes qui l’ont inspiré. Et ce meurtre sacrilège qui semblerait devoir, au premier abord, nous faire mettre en doute la sincérité de sa religion, étudié dans ces circonstan- ces, devient, au contraire, une irrécusable preuve de la foi du comte d’Anjou, non-seulement ferme et coura- geuse, mais capable de s’élever, au besoin, comme nous le montrerons bientôt, jusqu’à l’héroïsme. Examinons cette question grave et délicate, avec l’im- partialité que nous permet d’apporter à cette discus- sion, un fait accompli à sept siècles de distance. Tout le monde sait que Henri II a protesté solen- nellement, et la main sur l’Évangile, contre l’intention qui lui a été prêtée, d’avoir voulu faire assassiner l’ar- chevêque Thomas Becket , bien qu’il ne refusât pas d’avouer qu’il avait pris à ce meurtre détestable une part indirecte et involontaire. Voici la formule de son serment devenu célèbre : « Je n’ai ni pensé, ni su, ni com- mandé la mort de l’archevêque de Cantorbéry; et, quand je l’ai apprise, j’en ai été plus affligé, que si j’avais perdu mon propre fils. Je ne puis m’excuser d’avoir donné occasion au meurtre, par l’animosité et la colère, que j’avais conçues contre le saint homme \ » La parole inconsidérée que fit entendre le roi (j’em- prunte cette expression à un auteur qui n’est pas sus- 1 Rohrbacher, Hist. de l'Eglise. — 319 — pect, l’abbé de Feller *) peut facilement être attribuée au premier mouvement d’une nature violente et irri- table, que tous les historiens s’accordent à nous mon- trer, dans Henri II, si emportée qu’elle dépassait tout ce qu’on en peut dire. Quoi qu’il en soit, il faut remonter jusqu’à l’empe- reur Théodose, pour trouver une réparation compara- ble à celle que le roi d’Angleterre offrit au saint et illustre archevêque de Cantorbéry. Les ennemis de Henri II, parmi lesquels se trouvait le roi d’Ecosse, s’étaient levés de toutes parts, et mena- çaient de lui ravir ses États. Il voit en eux autant de ministres des vengeances célestes. « Au lieu, dit Feller, de marcher contre les rebelles, il va droit à Cantor- béry, et, laissant son équipage hors de la ville, il prend pour tout vêtement une méchante tunique, et se rend pieds nus et en silence à la cathédrale, près du tombeau de saint Thomas. « Là, sans avoir pris aucune nourriture, il passa le reste du jour et toute la nuit, en prière, prosterné, sans tapis, sur le pavé. Puis, les épaules nues, il voulut que chaque évêque qui se trouvait présent, et les religieux de la communauté, au nombre de quatre-vingts, le frappassent de verges, l’un après l’autre. Des railleurs insipides, continue le même historien, ne manquèrent point de s’égayer aux dépens du roi. Mais le retour ino- piné de sa première fortune ne tarda pas à leur fer- mer la bouche. » Le Ciel, en effet, au témoignage des historiens con- temporains, paraît s’être plu à manifester qu’il avait eu pour agréable la réparation du roi. Dans la cin- 1 Bibliographie universelle. — 320 — quième nuit après son voyage à Ganlorbéry, Henri fut réveillé tout à coup par un courrier arrivant avec des dépêches importantes de la part de Glanville, comman- dant des troupes du roi, contre les Écossais. « Glanville se porte-t-il bien? demande Henri. — Mon maître se porte bien, répond le courrier, et il tient ac- r tuellement sous sa garde votre ennemi le roi d’Ecosse. — Répète ces mots, » s’écrie le roi. Le courrier les répète, et donne ses lettres où Glan- ville mandait que le samedi, douzième du mois, dans la matinée, il avait fait prisonnier le roi d’Ecosse, avec soixante de ses plus illustres seigneurs, pendant qu’ils s’a- musaient ajouter ensemble à quelque distance du camp. Henri remarqua et fit remarquer avec une joie ex- trême, que ce glorieux événement avait eu lieu le ma- tin même du jour où, après avoir entendu la messe, il avait quitté, repentant et réconcilié, les reliques de saint Thomas l. 1 Rhorbacher, Histoire de l'Eglise. Nous empruntons à V Annuaire d’Avranches , par M. Fulgence Girard, année 1842, le passage suivant qui doit trouver ici sa place par le vif intérêt qu’il inspire : « C’est au dimanche 22 mai 1172 que fut fixée la solennité expiatoire du meurtre de saint Thomas de Cantorbéry. Un concile fut convoqué, pour ce jour-là, dans l’église cathédrale d’Avranches. Le roi y comparut accompagné de son fils, et entouré de sa noblesse. Après avoir fait le serment que nous avons raconté, il descendit au porche septentrional de la cathédrale, y fléchit les genoux, et là, sur une pierre restée comme un monu- ment de ce fait extraordinaire , ce monarque , ce roi d’Angleterre et d’Irlande, duc de Normandie, comte d’Aquitaine et d’Anjou, ce potentat le plus puissant de son siècle , abaissa sa tête découronnée sous l’absolution de deux prêtres (les deux légats); et ce symbole de la puissance matérielle s’humilia devant l’autorité morale d’un principe! » — (Note communiquée par M. H, Sauvage, juge de paix au Louroux, et l’un des membres de la Société d’agriculture, sciences et arts d'Angers.) — 321 Parmi les témoignages humains qui doivent nous don- ner la mesure de la confiance que nous pouvons accor- der à la sincérité de la foi religieuse du comte Planta- genet, se trouve celui du grand pape Alexandre III, avec lequel Henri eut tous ses démêlés. Non-seulement l’illustre Pontife ne l’a jamais excom- munié, même après le meurtre de saint Thomas de Cantorbéry, mais il lui a donné une preuve non dou- teuse de son estime et de sa bienveillance, en prenant sous sa protection, par une bulle spéciale, l’Aumônerie angevine, celle-là même qui fait, en ce moment, l’objet de nos plus vives préoccupations. Ne soyons pas plus sévères que ce juge, si bien posé pour apprécier les faits à leur juste valeur. Enfin, une respectable tradition affirme que l’agran- dissement de l’Aumônerie Saint-Jean, appelée aussi la Maison-Dieu, est dû au repentir de Henri II et à son religieux amour pour les pauvres. Alors ce monuement de charité serait la preuve éloquente et, nous l’espérons, impérissable, de son empressement à suivre les conseils de l’Evangile qui, d’accord en cela avec les livres de l’Ancien Testament, nous invite, quand nous avons eu le malheur d’offenser le Très-Haut, à racheter nos ini- quités par des aumônes. Si quelqu’un a le droit de jeter la pierre au meur- trier de saint Thomas de Cantorbéry, il faut convenir, au moins, que ce n’est pas nous. I. Maintenant, considérons dans Henri II le prince bien- faisant et l’ami de son peuple. Oh! ici, les œuvres par- — 322 — lent d’elles-mêmes ; les faits répondent éloquemment et solennellement en sa faveur. L’Anjou, la Touraine, la Saintonge, la Normandie et le Maine, sont encore, en ce moment, couverts de ses communautés et de ses éta- blissements de charité '. Pour ne parler que de ceux qui sont autour de nous, Angers en comptait trois. Je serais plus exact, peut- être, en disant qu’il en a fondé quatre; puisque c’est avec l’argent donné par lui, comme prix d’une portion de l’enclos Saint-Jean, qu’a été commencée l’intéres- sante et si remarquable Infirmerie du Pont. Unde non, disent, dans leurs chartes, tes religieuses du Ronceray, incepimus facere quamdam domum nostram , quoi voca- tur In fir maria. J’ai essayé de démontrer ailleurs que cet hospice n’était autre que celui auquel appartenait la tour des Druides , si fâcheusement démolie, il n’y a encore que quelques années. Mais nous avons des documents plus précis sur un autre établissement construit, près d’Angers, par le comte Plantagenet, et sur ses propres terres. Un des bois qui l’environnaient porte encore aujourd’hui son nom, le Bois-du-Roi. Je veux parler du prieuré de la Haie-aux-Bons-Hommes, occupé par les religieux de ce nom. A quelques centaines de mètres du Champ des Martyrs, on peut voir leur chapelle toute couverte de peintures du temps, et qui sont, sous ce rapport, du plus haut intérêt. 1 Hiret a relevé les noms de quelques fondations faites en faveur des seuls enfants de Saint-Étienne de Grand-Mont. Avec les deux d’Angers, on comptait celles du Bois-Roger, de Villiers, de Pom- miers-Aigres, en Touraine, de Bezaiy, au Maine, de N.-D.-du-Parc, auprès de Rouen, et de Sermaise, en Saintonge. 323 — L’acte de fondation de cet asile de la prière et du dévouement contient une particularité qui n’a jamais été remarquée. Elle emprunte aux circonstances pré- sentes, et vis-à-vis de la mémoire de Henri II, une vé- ritable importance. Je veux m’y arrêter un instant. En sus des redevances accordées au prieuré, le comte d’Anjou donne aux bons religieux de Grand-Mont, et pour être employés à leur établissement d’Angers, apud Andegavum, remarquons-le bien, quatre hommes de peine , qu’il exempte, à ce, de toute charge et corvée. Non-seulement ces quatre travailleurs, et non pas ces quatre bourgeois, comme l’a faussement écrit Jean Hiret, devaient être appliqués au service des frères ; mais, ce qui est ici pour nous toute une révélation, c’est que ce fut aux soins des lépreux. Dedi etiam ad serviendum eisdem fratribus tam sanis quàm leprosis, quatuor homines apud Andegavum, liberos et quietoscum rebus suis et rebus fratrum , in terra et aquâ, ab omni servitio et tallagio, pontagio, etc., etc. Quelle était, dans notre ville, la léproserie dont il est ici question? Je l’ignore. Nous savons toutefois qu’An- gers possédait anciennement plusieurs de ces asiles spé- ciaux. L’un d’eux est encore aujourd’hui dans tous les souvenirs : c’est celui du faubourg Saint-Lazare. 11 avait été construit au douzième siècle L On est d’autant plus volontiers porté à croire que la maladrerie Saint-La- zare fut celle des Bons-Hommes, c’est-à-dire de Henri II, qu’elle n’était pas éloignée de leur prieuré, et par cela même, plus facile à desservir par eux. Mais là n’est pas le point principal. Ce qu’il fautcon- 1 Péan de la Tuilerie, p. 271. — 324 — sidérer, el ce qui est hors de tout conteste, c’est qu’il y avait, à Angers, une maison sanitaire, établie ou pro- tégée par Henri II, pour les maladies contagieuses. Tout le monde sait, en effet, que telle était la destination des léproseries, lesquelles, comme dit Péan de la Tuilerie, servaient d’hôpitaux aux personnes attaquées de quel- ques maladies pestilentielles. La lèpre étant la plus ter- rible et la plus commune de ces maladies, a donné son nom aux Léproseries. Ceci posé, constatons immédiatement qu’à côté de son Aumônerie Saint-Jean, le comte d’Anjou avait eu la précaution d’établir, comme déversoir, un asile spécial pour les maladies contagieuses, précaution urgente, qui manque encore à beaucoup de nos établissements, qu’on dit être perfectionnés. J’ai souvent entendu dire que l’ancien Hôtel-Dieu d’Angers avait élé mal conçu, mal installé ; qu’il n' était plus en rapport avec les progrès de la science moderne. Ce reproche, pénible à entendre, est aussi faux qu’in- jurieux pour la haute intelligence et le grand cœur qui nous ont donné l’Aumônerie Saint-Jean. Je crois pou- voir en fournir la preuve. C’est à l’expérience, et à l’ex- périence officiellement constatée, que je veux la de- mander, en même temps qu’à la science hygiénique la plus récente et la plus éclairée. Heureux de me trouver dans un cercle d’amis dévoués à notre généreux bien - faiteur, j’éprouverai une véritable joie à venger devant vous, Messieurs, une institution charitable aussi injus- tement que gratuitement calomniée. En 1838, lorsque la Commission municipale eut à donner son avis sur l’opportunité du transfert de l’hô- — 3-25 pital à Sainte-Marie, les commissaires furent unanimes pour le maintien de l’établissement du comte d’Anjou dans le local qui lui était primitivement assigné : ils se fondaient principalement sur ce fait remarquable et in- solite, quen recueillant les souvenirs les plus éloignés (ce sont les propres expressions du rapport), on ne se rap- pelait pas qu’à aucune époque la moindre épidémie eût pénétré dans V Hôpital. Et ce fait si nettement affirmé, à quoi l’attribuerons- nous, si ce n’est aux précautions prises parle généreux et intelligent bienfaiteur d’Angers? Mesure pleine de sagesse, qui demeurera toujours à l’honneur de l’esprit pratique et élevé, avec lequel le comte d’Anjou savait constituer et installer ses établissements de charité. Mais, ce qui condamne davantage encore les détrac- teurs de son œuvre, c’est que la science hygiénique la plus avancée, est en complet accord avec la manière de voir et d’agir de Henri Plantagenet. Faire des hô- pitaux relativement petits, et écarter avec un soin at- tentif les causes d’épidémie et de mortalité; voilà ce qu’il a pratiqué. Il y a trois ans, prenant mission de mon cœur et des devoirs de mon caractère sacerdotal, je me permis de consulter, à Paris, les spécialités supérieures sur les dangers du système qu’on se proposait de suivre, au grand détriment, selon moi, du bien et de la vie du pauvre, en réunissant l’hôpital à l’hospice. L’un des chirurgiens les plus pertinents, et qui a été chargé lui-même par l’administration des hôpitaux de Paris, de parcourir l’Europe, pour étudier le meilleur système d’installation hospitalière, M, le D1' Lefort, me — 326 — fit l’honneur de m’adresser la réponse suivante, que j’ai eu occasion de publier ailleurs 1 : «Tous les médecins qui se sont occupés en Angleterre, en Belgique, en Russie, en Allemagne, de la question de l’hygiène hos- pitalière, sont d’accord sur ce point : qu’il faut éviter avec soin la réunion d’un grand nombre de personnes dans un même établissement hospitalier, même lorsque la dimension de cet établissement croît en raison directe du nombre des personnes qui y habitent et y trouvent asile. » Pour ce qui est des léproseries, il s’exprime ainsi : «Depuislongtemps, cette questionestrésolueàl’étranger; les varioleux, les malades affectés de fièvres typhoïdes, de fièvres éruptives, sont reçus dans des hôpitaux spé- ciaux. En Russie, dans toute l’Allemagne, les varioleux reçus à l’hôpital, sont placés dans des bâtiments spé- ciaux, tout à fait séparés et isolés au milieu des jar- dins. En Prusse, dans le Wurtemberg, la loi elle-même oblige à cet isolement des maladies contagieuses. » Ainsi, notre comte d’Anjou, sept siècles avant celui qu’on appelle orgueilleusement le siècle des lumières, avait trouvé, au moins en partie, la solution d’un pro- blème si ardemment étudié de nos jours. Tel est l’avis de l’éminent professeur, agrégé à la Fa- culté de médecine de Paris. Qu’on nous dise maintenant laquelle était le plus près de la vraie science et du véritable progrès, ou de l’institution primitive, ou de l’institution corrigée et considérablement augmentée, qu’on a cru devoir lui substituer. 1 Union do l’Ouest, n° du 3 octobre 1867 — 327 — On a fait un autre reproche à Henri II, celui d’avoir établi une salle unique pour les malades, rassemblés ainsi dans un lieu moins salubre. D’abord, l’expérience, ce premier et plus sûr moyen d’appréciation, est, comme nous l’avons vu, en faveur du fait établi à Saint-Jean. Mais l’observation subirait à elle seule à le justifier. La salle de l’ancien Hôtel- Dieu, par cela qu’elle était très-vaste, devait être forcé- ment élevée. Or, qui ne sait que les parties de l’air, viciées par les malades, tendent toujours à monter, emportées qu’elles sont parles couches échauffées dans la partie inférieure? Les coupoles des voûtes devenaient donc comme un immense réservoir pour les miasmes morbides, qui se déversaient au dehors, par les fenêtres, elles-mêmes très-élevées, établissant ainsi à distance des courants inoffensifs. Les Anglais, qui sont nos maîtres et nos modèles en confortable, ont si bien compris cet effet, tout simple- ment physique et d’expérience, qu’ils ont depuis long- temps pratiqué des évans nombreux dans la partie su- périeure, et immédiatement sous les planchers de leurs appariements. J’espère qu’on ne dira plus que l’œuvre du comte Plantagenet était mal conçue et mal installée. C’est tout ce que je demande pour le moment \ 1 Si l’absence d’épidémies et la moins grande mortalité des malades à Saint-Jean, peuvent être, en partie, attribuées à l’aération plus par- faite de la vaste salle, on ne peut pourtant refuser d’admettre que la sonorité exceptionnelle de cette immense pièce, n’était pas sans incon- vénient. Mais il est facile de supposer que la sollicitude attentive qui avait préparé pour les diverses catégories de pauvres des asiles spé- Le bienfaiteur chrétien, qui établissait son hospice pour l’ honneur de Dieu et le soulagement des pauvres du Christ, avait compris qu’en eux les besoins du corps ne devaient pas être les seuls à prendre en considération. L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole, inspiration ou émotion qui vient de Dieu... Faciliter à celui qui souffre l’accès auprès du divin Consolateur, paraît avoir été une des vives préoccupa- tions du Fondateur de l’Aumônerie Saint-Jean. Il a pris la précaution de mettre la Chapelle attenante à l’appar- tement de ses malades, afin qu’à toute heure du jour ils pussent aller aux pieds du Seigneur répandre leur âme devant lui, et en revenir plus forts et moins souffrants. L’homme, en proie à la douleur, est plus porté à se rapprocher de Dieu : c’est un lait d’observation; comme aussi Dieu, dans ces circonstances, se rapproche davan- tage de sa créature. L’état de choses, constitué à Saint-Jean, est donc le résultat d’une attention qui révèle, dans le comte d’Anjou, une haute intelligence des besoins religieux et moraux du pauvre. Sous ce rapport, son œuvre ne craint la comparaison avec aucune autre. Cependant, la sollicitude attentive et bienfaisante du comte d’Anjou, ne s’étendait pas seulement aux ma- lades ordinaires et aux lépreux. ciaux, n’aura pas omis d’éloigner de la grande salle, ceux des malades qui pouvaient souffrir de sa trop grande sonorité. Dans tous les cas, et sans condamner en rien les nouveaux systèmes aujourd’hui recomman- dés pour les bonnes installations hospitalières, l’heureuse et longue expérience hygiénique constatée par la Commission municipale res- tera toujours à l’avantage de l’institution Saint-Jean et à la gloire de son fondateur. — 329 — Les pauvres valides, mais délaissés, les pèlerins, les voyageurs, trouvaient primitivement dans sa Maison- Dieu une large part à ses charités. Nous savons positi- vement, par l’acte de donation du pont des Treilles, que la fondation de notre généreux bienfaiteur constituait proprement un hospice dans lequel étaient reçus les pauvres des diverses catégories, que nous avons fait connaître \ Mais, où se trouvait le bâtiment qui leur donnait asile? J’ai fait, à ce sujet, de nombreuses et minutieuses recherches. Toutes mes investigations m’ont conduit à cette conviction que c’était la partie orientale des gre- niers Saint-Jean, dont la richesse de façade n’est évi- demment pas celle d’un magasin. On y reconnaîtrait plus facilement une partie de ce palais, comme dit l’au- teur des Privilèges de la ville d’Angers, que le royal do- nateur a voulu offrir aux pauvres du Christ. Si mes déductions sont fondées, les greniers Saint- Jean auraient été, au moins en partie, plus que des bâ- timents secondaires dans l’œuvre de Henri II. Par ces motifs, nous ne saurions assez déplorer la résolution à laquelle on paraît s’arrêter, et qui tend à distraire d’aussi intéressantes constructions du tout au- quel elles appartiennent. Les greniers Saint-Jean couvrent à peu près mille mètres de superficie. Autant par le grandiose de leurs proportions que par le prix de leur richesse architectu- 1 Sciatis me fundasse et construxisse apud Andegavum, prope fon- tem Sancti Laurentii, hospitale quoddam.... Ego autem pietati motus super inopià et necessitale tara sanorum quàm infirmorum in ipso hospitali dedi, etc. — 330 — raie, ils méritent d’être classés parmi les monuments historiques. On installe en ce moment une brasserie dans ces magnifiques constructions. Quelle destination pour un monument remarquable et le don sacré d’un royal bienfaiteur!! ! Le motif qui a conduit au regrettable résultat que je viens de constater, est celui qui a fait mutiler les char- pentes de la grande salle, et abattre l’arbre séculaire qui en faisait le plus bel ornement. Je veux respecter l’intention, assurément droite; mais je dois constater que l’excès de zèle qui l’inspire est blâmable. Il y a dix-huit cents ans et plus qu’il a été condamné par Jésus-Christ lui-même. Qu’on veuille bien se rappeler le parfum précieux répandu sur la tête du Sauveur, ei les murmures qui ont accompagné cette très-louable action de la péche- resse repentante. Pourquoi cette perle? dirent les dis- ciples. On aurait pu vendre ce parfum très-cher, et en donner le prix aux pauvres : Potuil enim istud venumdari multo et dari pauperibus. On connaît la réponse du divin Maître. L’hommage offert à la religion par Henri II, dans son repentir, prime celui de l’argent du brasseur, donné aux pauvres, de toute la hauteur que l’œil étonné cons- tate entre les monuments à taille de géant du comte d’Anjou, et celle les habitations civiles qui l’entou- rent. L’Evangile , qui nous rapporte la belle action de Marie-Madeleine, lui promet la louange de la postérité. L’histoire angevine ne manquera pas de porter à la connaissance des générations à venir le récit de ce qui - 331 se passe aujourd’hui sous nos yeux. Je doute fort qu’il excite l’admiration de nos descendants. Au xvne siècle, si l’on en juge par un inventaire offi- ciel de 1619, le magnifique établissement de Henri II était tombé dans un dénûment et un discrédit déplora- bles. Vingt-deux malades seulement étaient reçus à l’hô- pital, et dans une telle pénurie de linge, que ces mal- heureux admis étaient obligés de se faire apporter des chemises de la ville. Au héros de la bienfaisance, saint Vincent de Paul, et à sa digne auxiliaire, Mlle Legras, de sainte mémoire, il était réservé de réorganiser l’Aumônerie angevii^p et de la rajeunir, en lui communiquant avec abondance, la sève toujours vivifiante des saints. Ce fait seul aurait dû nous faire respecter et aimer des lieux si chers, et que tant d’autres cités se trouveraient heureuses et hères de posséder. Pourquoi faul-il que le sentiment public, qui nous a conservé à Fonlevrault, la statue de Henri II, ait été impuissant à sauver son œuvre de prédilection? Pour- quoi faut-il que, marchant à l’inverse de l’opinion gé- nérale, et comme emportés par une sorte de fatalité, nous ayions abandonné un asile précieux à tant de ti- tres, et tout juste au moment que l’on recherchait ail- leurs les traces des premiers pas de saint Vincent de Paul, pour les honorer et les consacrer par un monu- ment; précisément à l’heure où la France religieuse, et avec elle les représentants de l’Empire lui-même, tra- versaient nos provinces émues et étonnées de tant d’em- pressement, pour aller applaudir à l’heureuse pensée qui avait élevé un hôpital sur le berceau du petit berger — 332 — des landes de Dax? Il y a des faits qui s’imposent, mais qui ne s’expliquent pas. Revenons à Henri II. Ce n’était pas seulement par des fondations pieuses que le comte d’Anjou aimait à soulager la douleur. « Les peuples que Henri Plantagenet avait gouvernés, « dit Lacépède donnèrent des larmes à sa mort. Il « avait souvent montré combien il désirait faire leur « bonheur. Le dixième des provisions de sa maison était « toujours donné aux pauvres. Pendant une famine qui « régnait dans le Maine et dans l’Anjou, il nourrit dix i mille indigents, depuis le commencement du prin- ce temps jusqu’à la fin de l’automne. » Tel fut, sous le rapport de la bienlaisance, le comte d’Anjou, le fondateur de l’Aumônerie Saint-Jean. Voyons maintenant ce qu’il fut comme administrateur. IL Ce que nous venons de dire de Henri Plantagenet, faisant fructueusement le bien autour de lui, dénote, dans ce généreux et royal ami des pauvres, non-seule- ment un cœur sensible et bon, mais un esprit élevé, judicieux et pratique. Les différents actes de son admi- nistration en Anjou, confirment de tous points ces ap- préciations, et nous révèlent également en lui une vo- lonté ferme, résolue, ne reculant devantaucuns sacrifices quand ils lui paraissaient utiles au bien général. J’ai déjà eu occasion de faire connaître avec quelle sûreté de coup d’œil il vit les mesures à prendre pour porter 1 Histoire de l'Europe. — 333 — remède aux maux que souffraient, par suite des inon- dations de la Loire, les habitants de la vallée qui longe le fleuve d’Angers à Saumur, vallée riche aujourd’hui comme celle qu’arrosait autrefois le Jourdain, et que la Bible compare au Paradis du Seigneur : Sicut Paradisus Domini{. Je ne craindrai pas de rappeler ici des détails qui sont du plus haut intérêt. C’est à Henri II que nous devons l’endiguement défi- nitif de la Loire, dans le haut Anjou. La vallée, en effet, souffrait chaque année des débordements du fleuve qui ruinaient les colons. En sorte que cette contrée, au- jourd’hui si fertile, demeurait sans culture ; parce que, suivant d’anciennes traditions, c’était un lieu inhabi- table, couvert de sauvages forêts dans les endroits élevés, et de marais croupissants dans les parties dépri- mées. Le comte d’Anjou parcourt ce pays malheureux et condamné, malgré sa fertilité naturelle, à la stérilité. Il est vivement frappé de l’état de choses dont il est témoin. Les maux causés par la Loire, attendrissent le cœur de Henri. Quia ipsevidi et comperi dolores et damna quæ Ligeris in valeia faciebat 2. Des privilèges considérables sont immédiatement ac- cordés à tous ceux qui voudront habiter les turcies (la levée), pour les achever et les entretenir. Les grands vassaux sont mandés par le roi, qui leur fait promettre en sa présence d’accorder aux colons des immunités nombreuses, et, en particulier, l’exemption du service militaire, si lourd dans ces temps. 1 Gen., xill, 10. 2 Carlulaire de Saint-Florent, près Saumur. soc. d’ag. 23 - 334 — Afin de faire mieux comprendre toute l’importance de la mesure prise par Henri II, ajoutons que ses suc- cesseurs ont cru devoir, dans l’intérêt général, main- tenir tousles privilèges accordés par ce prince. Louis, duc d’Anjou, par retour de celte province à la couronne, fut le premier qui maintint les droits des colons. Vint ensuite Charles-le-Sage, qui les confirma de nouveau par lettres-patentes octroyées à Paris, en date de 1365. Mais la charte, accordée précédemment par le duc d’Anjou, nous est précieuse, surtout en ce qu’elle nous fournit comme la contre-preuve et la démonstration de l’immense bienfait de Henri II. Avant de confirmer les privilèges de son prédécesseur, « voulant, comme il le dit lui-même, procéder mûrement, il a fait faire bonne et solennelle information, laquelle rapportée, continue-t-il, avons fait voir à grande déli- bération de notre conseil, par laquelle nous apparut, que les dits habitants tiennent et toujours ont tenu la dite turcie en état, à grands coûts et mises, et si ce n’é- tait, tout le pays de vallée serait perdu. Si comme dit est, et que ils ont toujours ce fait entièrement et ac- compli, pour lequel les dits privilèges leur lurenldonnés; pourquoi, Nous, en considération aux choses de dessus dites, en conseil et délibération à ce, les susdites lettres (chartes de Henri II), tout ce qui est conçu en icelles, ayant ferme, stable et agréable, de notre grâce spéciale et de l’autorité et puissance de notre dit sei- gneur (Henri II) et de la nôtre, voulons, louons, gréons, ratifions et approuvons, etc. *. » 1 Manuscrits de la collection GaignièreS, n° 102, Bibioth. imp. 335 — Voilà ce que fit Henri II pour la vallée de la Loire. Mais il ne s’en tint pas là. Un pont de bois venait d’être construit à Saumur par les bourgeois et les chevaliers qui avaient entrepris ce travail pour le salut de leur âme. Le comte-roi, étant venu à Saumur, admire l’œuvre de ses sujets, s’en ré- jouit comme souverain, et leur adresse des remercie- ments pour leur généreuse initiative. 11 les récompense en les exonérant des impôts; puis, voulant assurer pour longtemps l’usage d’un travail si utile, il s’entend avec l’abbaye de Saint-Florent pour qu’une arche de pierre vienne chaque année remplacer une arche de bois, afin, dit la charte, que le pont ait une durée éter- nelle. Le comte Plantagenel travaillait toujours à faire le bien sur une grande échelle. En encourageantce qui venait de se pratiquer à Saumur, il avait apprécié tout de suite l’immense avantage que devait procurer aux populations du Maine, de l’Anjou et du Poitou, un moyen de relations facile et direct. Mais les habitants de Saumur ne furent pas les seuls, sous le règne de Henri II, à posséder des voies de communication, nouvelles et meilleures, à travers les fleuves. Angers reçut du comte-roi un bienfait plus complet. La ville, primitivement restreinte à l’emplacement qu’occupe aujourd’hui la cité, se développait rapide- ment sur la pente nord du rocher de la Cathédrale. Henri II comprit que le pont du centre, étroit comme on les faisait en ce temps-là, n’était plus en harmonie avec l’agrandissement de la capitale angevine. — 336 — Il décide qu’un nouveau pont sera édifié au-dessus du premier, et là où la population se portail davantage. Mais il ne veut pas qu’une construction aussi considérable devienne une charge pour ses sujets. Il en fait lui- même les frais, ainsi qu’il appert d’une de ses chartes où cette particularité est formellement énoncée. Quant ex propriis sumptibus mets feci, dit le roi, et a primo lapide fundavi 1 . Mais en adjoignant à son pont une écluse et des moulins, l’administrateur habile sut trouver une com- pensation à ses capitaux, dans un revenu sérieux qu’il se créa, et qu’il offrit bientôt à sa chère Aumônerie Saint-Jean. L’organisation des pêcheries de Reculée, si connues à Angers, et qui ont, pendant tant de siècles, procuré un moyen d’existence à toute une population, était éga- lement son ouvrage. Henri II aimait à construire. 11 travaillait toujours à faire produire à ses dépenses une amélioration considé- rable au bien-être matériel de ses sujets. Mais ce qui le recommande particulièrement devant l’histoire, et ce qui lui crée à la reconnaissance des hommes de goût des titres exceptionnels, c’est qu’il a puissamment contribué au développement du beau dans les arts. Il encouragea l’architecture jusqu’à lui imprimer un élan des plus remarquables. Les preuves monumentales en sont écrites sur tous les points de notre Anjou et des provinces cireonvoi- 1 Acte de donation du pont des Treilles. — 337 — sines. Malgré les dévastations révolutionnaires et le vandalisme non moins funeste de la spéculation depuis cinquante ans, il n’est pas encore aujourd’hui une con- trée de notre Anjou, si petite qu’elle soit, qui ne montre avec un légitime orgueil quelques sanctuaires ou débris de chapelles remontant au règne du comte-roi. Le système d’architecture au développement duquel il a particulièrement concouru est tellement caracté- risé, que les archéologues modernes l’ont appelé style Plantagenet , ne trouvant pas d’expression plus signifi- cative pour le spécifier nettement. Il est intéressant d’entendre ce que dit de notre art angevin, M. Félix de Verneuil qui l’a minutieusement étudié : « Comme le style dont il est sujet, dit-il, coïn- « eide par son apparition avec le règne de Henri II, et « ne se montre guère que dans les pays soumis à la « domination des Plantagenets ; comme il a d’ailleurs « pour foyer principal le centre de cette domination, « il convient de le nommer style Plantagenet, ou style « angevin. De quelque façon qu’on le juge, et avec « quelque sévérité qu’on l’apprécie, il tient à coup sûr « une grande place dans l’art national \ » Tel est le témoignage irrécusable d’un savant aussi judicieux qu’impartial. Si d’une part il est vrai, comme on l’a souvent écrit, que l’architecture est une sorte de miroir où viennent se refléter les croyances, les mœurs et la civilisation des peuples, quelle haute idée les monuments de Henri II ne doivent-ils pas nous donner de la splendeur de son règne en Anjou? 1 Architecture byzantine en France. — 338 — D’un autre côté si le fait d’avoir poussé au développe- ment des arts ou des sciences a pu recommander à l’admiration de la postérité les François Ier, les LéonX, les Louis XIV et tant d’autres, quel litre de gloire ne doit pas avoir à nos yeux l’illustre et puissant initiateur du mouvement architectural du xne siècle en Anjou? Le plus beau type que nous possédions de la manière de faire des Plantagenets, est sans contredit le chœur de l’église Saint-Serge à Angers. Je regrette que le temps ne me permette pas de vous faire connaître la cause mystérieuse qui rend si séduisant l’aspect des lignes de ce chef-d’œuvre de l’art angevin que tous les touristes connaissent, que bon nombre d’archéologues ont décrit avec complaisance, que les architectes étu- dient comme modèle, et que tous admirent. Je regrette de ne pouvoir vous démontrer que ce très-remarquable sanctuaire a été élevé sous le règne de Henri II. Peut-être les documents nous permet- traient-ils de conclure que non-seulement l’illustre comte a eu la direction de ce monument, mais qu'il a con- tribué à son érection de son propre argent dont il était d’ailleurs toujours prodigue pour les œuvres religieuses. Cette question nous entraînerait à des dévelop- pements considérables. Il faut savoir nous borner. Je me résume : Henri II, bien que ses actes n’aient pas toujours été d’accord avec ses convictions, a donné des preuves héroïques de sa foi religieuse. Il a été pour les pauvres un bienfaiteur et un ami aussi intelligent que géné- reux; son administration a fait le bonheur des peuples qu’il a gouvernés; il a préparé la richesse exception- nelle du pays que nous habitons; enfin il a donné aux arts en Anjou un élan tel qu’il suffirait à lui seul à immortaliser son nom. Ces considérations excitent en moi une pensée qui n’a cessé d’assaillir mon esprit pendant que ma main écrivait le travail que je viens de vous lire. Je ne résisterai pas, en terminant, au besoin de l’exprimer devant un audi- toire si bien fait pour la comprendre. Cette Aumônerie Saint- Jean dont nous venons d’esquisser l’histoire, ce don tout à la fois religieux, humanitaire et artistique que le royal comte d’Anjou nous a offert comme gage de son affection, et qui devait porter sa mémoire, parmi nousjjusqu’auxgénérationsles plus reculées; cette œuvre de prédilection qu’il a confiée à la garde de l’autorité urbaine et à la sollicitude de ses amis à venir: Toti villæ Andegaviæ, et benefactoribus Eleemosynoriœ cledit et con- cessit *; celte fondation bénie, que la souffrance du pauvre a consacrée et que la vertu des saints n’a cessé d’embellir pendant sept siècles consécutifs, est très- fortement menacée dans son existence. Est-ce que nous serions condamnés au douloureux spectacle de la voir disparaître sous nos yeux, sans que d’énergiques efforts soient faits pour la sauver? L’avenir indigné refuserait de croire à une aussi inconcevable indifférence. Non, non, il n’en sera pas ainsi. Tous les frontispices des diplômes de cette Société savante, tous les titres de ses Mémoires constatent la belle et utile mission qu’elle s’est donnée de protéger les arts. Dans le péril extrême où se trouve l’œuvre bien- 1 Cartulaire de l’Hôtel-Dieu d’Angers. — 340 - faisante, artistique cl patriotique du comte d’Anjou, la Société d’agriculture, sciences cl arts d’Angers qui a déjà si puissamment concouru à sauver les statues de Fontevraull, ne peut laisser périr un monument bien autrement utile et bien autrement cher à tous les cœurs. Abbé Choyer. RÉFUTATION De l’erreur qui consiste à attribuer aux soldats romains une supériorité sur les soldats des nations modernes, au point de vue de la marche et des travaux exécutés à la guerre. La querelle des anciens et des modernes, qui a tant agité les érudits du xviT siècle, est heureusement apaisée de nos jours, et nul ne prendrait maintenant parti pour Boileau et pour Perrault, si la discussion venait à se renouveler. La part qui revient à chacun est équitable- ment faite; toutefois, il est un côté de la question qui n’a pas encore été entièrement élucidé et pour lequel l’opinion publique et même un certain nombre de sa- vants accordent aux anciens une supériorité qui n’est pas méritée. Nous voulons parler des aptitudes militaires dont on croit que les Romains étaient plus complète- ment doués que nos soldats modernes. Sans doute, on ne va pas jusqu’à prétendre que les nations qui ont produit Gustave-Adolphe, Turenne, Fré- déric et Napoléon soient inférieures, au point de vue de la tactique et de la stratégie, à celles qui ont vu naître Scipion, César et Trajan, mais on est trop souvent porté - 342 — à croire que le soldat romain était plus capable que le nôtre de faire de longues et de pénibles marches, de porter en campagne une charge habituelle plus lourde, d’exécuter rapidement des travaux gigantesques que nous n’aurions pas même l’idée d’entreprendre avec nos troupes. Cette erreur provient de ce que rarement les récits des auteurs militaires de l’antiquité ont été soumis à une critique suffisante, à un contrôle sérieux. Nous avons été notamment frappé de ce défaut d’in- vestigation chez les traducteurs et les commentateurs de César. 11 est vrai que peu d’entre eux se trouvaient dans les circonstances voulues pour scruter convena- blement certains passages de son livre. Ils se sont bornés à enregistrer les éloges pompeux accordés par d’autres auteurs latins à l’un des plus grands hommes de leur nation, ou à signaler les impossibilités qu’ils regardaient comme évidentes, sans preuves à l’appui. Lorsque nous avons entrepris nos études sur la ques- tion d’Alesia, nous nous sommes donné pour première tâche d’examiner avec la plus scrupuleuse attention tout ce qui, dans les Commentaires, est relatif à la polior- cétique; vérifiant avec soin si le temps et le nombre d’hommes indiqués par César, pour les divers travaux qu’il a mentionnés, étaient admissibles. Nous étions placé dans de bonnes conditions pour exercer ce contrôle, parce que, pendant six années pas- sées dans l’une de nos écoles régimentaires du Génie, nous avons pu exécuter bien des fois des ouvrages ana- logues à ceux dont il est parlé dans les récits de la guerre des Gaules et de la guerre civile. — m — Une longue pratique nous a donc appris combien il faut de bras et d’heures, ou de jours, pour les com- mencer et les achever. En outre, il n’est pas un des travaux militaires des Commentaires dont nous n’ayons essayé de faire un dessin géométrique, autant que cela nous a été possible, avec les données souvent très-restreintes de l’auteur. A la suite de nos recherches, nous avons acquis la conviction qu’aucune des descriptions, aucun des chif- fres qui se trouvent dans César ne conduit à une impos- sibilité pour le nombre d’hommes et pour le temps employé aux ouvrages dont il parle. En revanche, il y a beaucoup à diminuer dans le merveilleux qu’on attribue d’habitude à quelques-uns de ces travaux. Nous dirons d’abord quelques mots de la manière dont était habillé et armé le soldat romain, et de la charge qu’il portait en campagne. Bien que les vêtements et les armes du légionnaire aient subi dans leurs formes de fréquentes et de pro- fondes modifications, ils ont presque constamment été composés ainsi qu’il suit : Pour l’habillement : La tunique, espèce de chemise de laine tombant jusqu’aux genoux, avec des manches venant jusqu’aux coudes; on pouvait la serrer autour du corps au moyen d’une ceinture. Par-dessus se met- tait la cuirasse qui, pour les simples soldats et même pour les chefs, fut rarement en métal et consistait sou- vent en bandes de cuir quelquefois recouvertes de lames de bronze. Le sagum, sorte de manteau dont les coins supérieurs s’agrafaient l’un à l’autre sur l’épaule ou — 344 — sur le devant de la poitrine. Il remplaçait la loge, très- rare dans les camps; on quittait le sagum pour le mo- ment du combat et pour travailler. La coiffure du soldat romain était le casque; sa chaussure, les caligæ, formées d’une semelle qui s’at- tachait sur le pied à l’aide de cordons ou de courroies et qu’il faut distinguer du soulier, calceus cavus. Sou- vent il portait des jambières en bronze (ocrææ). Le bouclier complétait ses moyens de défense et lui était tellement nécessaire, que celui qui se trouvait at- taqué sans l’avoir avec soi, enroulait rapidement son sagum autour du bras gauche et pouvait alors parer les coups de l’ennemi. Pour l’offensive, le légionnaire eut d’habitude trois armes distinctes : Le gladius, épée large et courte qui frappait d’estoc et de taille et qui n’est pas sans ana- logie avec le sabre actuel de nos fantassins; le pugio ou poignard, qui ressemblait assez à la dague en usage aux xive et xve siècles, et le pilum ou javelot, arme de jet qu’il lançait avec beaucoup d’adresse. Le combat s’engageait de la manière suivante : Pendant que les vélites, les archers, les frondeurs et les machines légères harcelaient l’ennemi, les légion- naires s'avancaient en ordre. Arrivés à quinze ou vingt pas de lui, ils jetaient le pilum et se précipitaient im- médiatement le glaive à la main. Une phrase de César, d’un laconisme énergique, peint parfaitement cette ma- nœuvre : N os tri, pilis emissis, gladiis rem gerunt. Outre ses vêtements et ses armes, le soldat romain en campagne portait des vivres, des outils, des perches pour l’installation et le retranchement des camps. Mais, — 345 à cet égard, il n’y avait rien de fixé, ou du moins les prescriptions des chefs ont constamment varié. En temps de paix, il recevait du blé pour un mois, et il est certain qu’il mangeait aussi de la viande et no- tamment de la chair de porc. Quelques commentateurs modernes ont prétendu qu’on lui faisait aussi porter à la guerre des vivres pour trente jours; mais c’est une exagération et une impossibilité. Il eût été d’une mau- vaise administration de surcharger l’homme d’un far- deau aussi lourd et aussi précieux pour lui, dont la perte aurait été fréquente pour mille causes différentes (une alerte, une blessure, l’avarie par suite du mauvais temps, etc., etc.). Nous croyons plus raisonnable d’admettre, avec l’his- torien Josèphe, qu’on délivrait des vivres pour trois jours *. Cincinnatus, devant faire une marche forcée, de six heures à minuit, ordonne à chaque homme d’emporter douze fortes perches et des vivres cuits pour cinq jours1 2. Cela n’exclut pas le cas de circonstances exception- nelles où l’on a pu en donner pour quinze jours 3, et même pour un mois, quand il ne s’agissait que de les transporter d’un lieu à un autre; mais il n’est écrit nulle part que ce fut une habitude. Sous Vespasien, le soldat avait sur lui une scie à main, une hache, une serpe, une faucille, une chaî- nette, une corde ou une longe en cuir, un de ces pa- 1 Bell. Jud., livre III, chap. III. 2 Tite-Live, livre III, chap. xxvii. 3 Cicéron, Tusculanes, livre II. — 346 - niers mous, en sparterie, qui, du temps de Josèphe 1 comme du temps de Végèce2 et du nôtre, se sont cons- tamment appelés coufins sur tout le littoral de la Médi- terranée. Les outils les plus lourds se trouvaient avec les im- pedimenta. Enfin, le légionnaire portait habituellement des pieux (pâli valli) ou plutôt de fortes perches3 (ligni fortis- simi) ; mais ici, les auteurs anciens sont en désaccord sur le nombre qu’on exigeait, ce qui prouve qu’il va- riait et que les critiques modernes ont eu tort de donner, à ce sujet, des chiffres absolus. Nous venons de voir que Cincinnatus en fit porter douze à chaque homme. Ce fut dans une circonstance tout à fait exceptionnelle, il s’agissait d’aller au plus vite établir un camp retranché, et la marche devait être de six heures seulement. Scipion, le vainqueur de Nu- mance, en a imposé sept. Cicéron4 cite un cas où le soldat n’en transportait qu’un seul, outre son bagage habituel et quinze jours de vivres. Suivant Polybe 5, le nombre de ces pieux était de trois, auxquels on laissait les amorces de trois ou quatre grosses branches au plus, ce qui permettait de les en- trelacer, de manière à les rendre solidaires les unes des autres. Sur la colonne Trajane, on voit des soldats portant 1 Bell. Jud., livre 111, chap. III. 3 Végèce, livre II, chap. Il et IV. 8 Végèce, livre 1, chap. m. '* Tusculanes, livre II. 8 Livre XVIII. — 347 — une seule longue perche, à l’extrémité de laquelle est attaché un petit paquet renfermant peut-être les ali- ments. De tout ce qui précède, il résulte que les trente jours de vivres et le grand nombre de pieux indiqués par certains commentateurs modernes, comme étant habi- tuellement portés par le légionnaire en marche, cons- tituent une exagération indubitable. 11 en est une autre que l’opinion publique a également adoptée sans examen et qu’on ne manque jamais de faire valoir en faveur de la supériorité du soldat romain sur le nôtre. On dit que le premier avait, en sus de ses vêtements et de ses armes, une charge totale de 60 livres. Ce chiffre est tiré de Yégèce. Mais cet auteur dit formelle- ment que c’était seulement pendant les exercices du temps de paix. Il constituait donc un maximum qu’on n’atteignait pas à la guerre et, l’eût-on impdsé, comme la livre romaine équivalait à 328 de nos grammes en- viron, les 60 livres dont il s’agit ne faisaient que 19 k. 638. Or, M. le capitaine Masquelez, bibliothécaire à Saint- Cyr, qui a aussi étudié cette question, faisant le détail de ce que porte un zouave, arrive au chiffre de 37 k. 769, sans y comprendre les vêtements, en sup- posant qu’on lui donne pour douze jours de vivres, ce qui est arrivé fréquemment en Afrique. Le casque, la cuirasse et le bouclier des Romains augmentaient un peu le poids des vêtements, comparés à ceux de nos soldats actuels, bien que ceux-ci aient des souliers plus lourds et un pantalon qui manquaient aux — 348 simples légionnaires, mais cette augmentation ne par- vient pas, à beaucoup près, à égaler la différence qui existe entre les deux nombres que nous venons de citer. Aussi, nous conclurons en disant qu’il est bien dé- montré que le soldat français en campagne est pour le moins aussi chargé que l’était le légionnaire. Les troupes qui, mal nourries, mal habillées, mal payées, ont combattu à Arcole et en Égypte; les vain- queurs d’Austerlitz ; les hommes qui sont allés à Moscou ; ceux qui ont fait les rudes campagnes de l’Algérie; qui ont gagné les batailles de l’Alma et de Solferino; qui sont entrés en maîtres à Pékin et à Mexico; ces hommes peuvent être hautement assimilés à tout ce que les lé- gions romaines peuvent présenter de plus vaillant, de plus infatigable, de plus dévoué. Quant aux sièges, les fastes de l’histoire moderne sont aussi féconds en travaux remarquables que les annales de l’antiquité. 11 nous suffira de rappeler Constanti- nople, Ostende, Candie, La Rochelle, Dantzig, Sébas- topol, Puebla. Enfin, nos armées font la guerre en hiver, ce qui était très-rare chez les anciens. Nous sommes, il est vrai, moins exercés que ne l’é- taient les Romains aux travaux de fortification de cam- pagne, parce que nous avons moins besoin de les faire. Une légion ne campait jamais, ne fùt-ceque pour une nuit, sans entourer son bivouac d’un obstacle quel- conque, qui suffisait pour arrêter le premier choc de l’ennemi et donner aux soldats le temps de prendre les armes. Cette précaution serait inutile de nos jours, en présence de l’artillerie. 349 — Néanmoins, quand il s’agit de construire un retran- chement qui doit avoir une certaine durée, nos fantas- sins les exécutent aussi rapidement que les Romains. Il suffît, pour cela, de leur adjoindre, pour les diriger, quelques sapeurs du Génie qui, eux, ont la grande ha- bitude de ces sortes d’ouvrage et sur les travaux desquels nous nous sommes appuyé , toutes les fois que nous avons voulu vérifier les assertions de César dans ses Commentaires. A la fin du xvie et au commencement du xvne siècle, alors que les œuvres des Grecs et des Romains retrou- vaient de si fervents admirateurs, la poliorcétique ne resta pas en arrière dans ce tribut qu’on payait à l’an- tiquité. Les princes de la maison de Nassau, en parti- culier, ces héroïques fondateurs de la liberté néerlan- daise, firent revivre, avec le plus grand succès, les procédés employés par les Romains pour exécuter des retranchements de campagne, et les travaux entrepris de part et d’autre, dans cette lutte à outrance contre les Espagnols, surpassèrent tout ce que les armées an- ciennes ont fait à cet égard. Nous en montrerons tout à l’heure un exemple resté célèbre. Parmi les ouvrages que César accomplit dans les Gaules, et qu’on est habitué à regarder comme de gi- gantesques tours de force, nous en choisirons quatre qui ont fait l’admiration des contemporains et de la postérité, à tel point qu’on les a souvent considérés comme à peine possibles. Ce sont : Le pont construit sur le Rhin, le siège de Bourges, la défense du camp de Cicéron et le blocus d’ Alise. Nous allons réduire à leur juste valeur ces épisodes soc. d’ag. 24 — 350 si curieux de ce grand feu d’artifice que le proconsul tira pendant huit ans pour éblouir ses concitoyens. Nous montrerons qu’ils n’offrent rien que de très-exé- cutable par nos troupes modernes. Nous dirons peu de mots du pont du Rhin; il a été jugé sévèrement mais justement par Napoléon Ier qui le trouvait mal conçu dans ses détails et qui faisait re- marquer combien lui était supérieur, au point de vue de la difficulté vaincue, le pont du Danube jeté par le colonel du Génie, Bertrand, pendant la campagne de Wagram. Le fait le plus étonnant du siège de Bourges est la construction en vingt-cinq jours de celte énorme ter- rasse ou agger, qui avait près de 100 mètres de longueur et 23 mètres de hauteur au point où elle se trouvait le plus près de la ville. La facilité avec laquelle les Gaulois l’incendièrent, prouve que cette masse était composée de fascines et de troncs d’arbres. Les calculs auxquels nous nous sommes livré , d’après les données de nos écoles régimentaires du Génie, nous ont démontré qu’elle a pu être achevée, dans le temps indiqué, par treize mille hommes, et que les matériaux nécessaires ont été trouvés sur une surface de 80 hectares des bois marécageux du Berry, c’est-à-dire dans un espace double de celui du Champ-de-Mars à Paris, ce qui ne comporte aucune impossibilité. La défense du camp de Cicéron nous montre une seule légion, c’est-à-dire cinq mille hommes environ, attaquée par six mille Nerviens, derrière des retran- chements encore inachevés. Les Romains surmontèrent leurs faibles remparts de cent vingt tours, et ce travail, — 351 — exécuté en une seule nuit, a paru tellement surprenant, que l’exécution en a été niée par plusieurs critiques très-érudits. Il n’y a pourtant rien d’extraordinaire dans ce fait. Le mot lurris, du texte de César, traduit à tort par tour, a causé toute l’erreur. S’il est vrai que les tours Notre-Dame sont des turres, il est certain également que cette expression latine s’applique à des constructions beaucoup plus modestes. Ainsi, les petits blockhaus, que les Romains élevèrent sur leurs navires pour faire la guerre aux Vénètes, et qui étaient si bas qu’ils atteignaient à peine la hauteur des bordages des vaisseaux ennemis, ces blockhaus sont aussi appelés turres. Les bas-reliels des colonnes Trajane et Antonine of- frent des exemples de ces sortes de tours qui donnent la clef de celles que fit élever Cicéron. Ce sont des troncs de jeunes arbres plantés en terre, reliés entre eux par des rondins placés horizontalement, et en- tourés de claies pour former un parapet. Le calcul nous a fait voir que Cicéron put exécuter cent vingt turres de cette sorte à l’aide de mille neuf cent vingt hommes seulement, en une nuit. Devant Alise, les travaux ont été en effet gigantes- ques, mais aussi les cent bouches de la renommée furent insuffisantes pour en raconter au loin les mer- veilles. César, après avoir amorcé une première contrevalla- tion de onze mille pas, se décida à ne pas l’achever et à en commencer une autre qui pût mieux investir la ville. Il ne donne pas le développement de cette nouvelle ligne. — 352 — Pour nous, elle était moins étendue que la première, parce qu’elle serrait la place de plus près. Elle ne de- vait donc pas avoir plus de dix mille pas. L’auteur des Commentaires nous apprend ensuite que sa circonvallation avait quatorze mille pas. C’est donc un total de vingt-quatre mille pas, 35,000 mètres environ, qui furent exécutés sans inter- ruption. Pour ce travail, César avait dix légions, dont l’ef- fectif était diminué par les luttes précédentes; aussi les meilleurs critiques ne lui accordent-ils pas plus de quarante mille soldats disponibles, sans compter quel- ques auxiliaires, des frondeurs, des archers, de la ca- valerie germaine. Il ne dit pas non plus combien il mit de temps à faire ses deux lignes; mais une lecture attentive du texte peut le faire deviner. Il nous apprend, en effet, qu’elles furent commen- cées à un moment du siège où Vercingétorix n’avait que pour trente jours de vivres au plus, et que ses res- sources se trouvaient sur le point d’être épuisées, lorsque la Gaule entière, en armes, vint se ruer sur les retran- chements de César pour sauver Alise. Il n’est donc guère possible d’accorder aux Romains plus de vingt-cinq à vingt-huit jours pour l’achèvement de leurs défenses. On sait qu’elles étaient formidables : un avant-fossé, puis un parapet avec deux autres fossés, et, en avant de ces derniers, des abattis, des trous de loup, des piquets ferrés. Pour nous rendre compte de ces travaux, nous les — 353 — avons comparés au retranchement rapide que nos hom- mes exécutent en six heures. Il se compose de deux fossés, l’un à l’extérieur, l’autre à l’intérieur, et d’un pa- rapet de 4m,30 d’épaisseur au sommet, dimension que n’ont jamais atteinte les remparts de fortification passa- gère chez les Romains. Le retranchement dont nous parlons exige cinq hom- mes par mètre courant. Nous avons calculé que, pour les autres travaux indiqués par César, en dehors du pa- rapet et de ses deux fossés, ainsi que pour palissader ce parapet, il fallait encore ajouter cinq hommes. Ce qui fait un total de dix soldats pour faire 1 mètre courant de lignes d’Alise, en supposant que les matériaux né- cessaires soient apportés sur place. Ces données une fois posées, il en résulte que, de nos jours, quarante mille fantassins exécuteraient les 35,000 mètres de César en vingt-six jours, en travail- lant jour et nuit (et c’est ce qui eut lieu en effet), et en étant répartis de la manière suivante : Six mille cinq cents hommes au travail proprement dit; six mille cinq cents à chercher et à apporter les matériaux nécessaires et à faire les autres corvées indispensables dans une armée; six mille cinq cents de garde auprès des tra- vailleurs qui, du reste, avaient toujours leurs armes disposées à leur portée; vingt mille cinq cents au repos, mais prêts à prendre les armes en cas d’alerte. On le voit, il n’y a là rien que de très-faisable, sans fatigue pour les hommes, dont la moitié se reposait et dont un tiers de l’autre moitié se fatiguait fort peu, à rester simplement de garde. Dans ce qui précède, nous supposons que chaque — 354 — groupe de six mille cinq cents hommes était relevé de six heures en six heures, et que, pendant ce laps de temps, on laissait aux travailleurs une heure et demie de repos. En 1624, au siège de Bréda par les Espagnols, Spi- nola, leur chef, avait construit des lignes de contreval- lation et de circonvallation complètes. Il fut lui-même assiégé dans ses lignes par Maurice de Nassau qui l’en- veloppa d’un fort retranchement ayant cinquante-deux mille pas de longueur. Nous ignorons, au juste, ce qu’était le pas dont il s’agit ici. Ce ne peut pas être l’ancien pas allemand qui mesurait 5 pieds, 1m,50 environ; le circuit du prince de Nassau aurait eu 78,000 mètres, c’est beaucoup trop. Il est probable qu’il faut prendre le pas de 2 pieds 1/2, ce qui donne 39,000 mètres de développement. On voit donc que, devant Bréda, il fut entrepris des ouvrages comparables et même supérieurs à ceux du siège d’A- lise. Nous en dirons autaut du siège d’Anvers en 1584 et de bien d’autres. On a souvent parlé de la défense de Cicéron pour établir la prééminence des soldats romains, et l’on s'appuie sur l’autorité de Napoléon Ier qui a écrit les lignes suivantes : « Si l’on disait aujourd’hui à un général: Vous aurez, « comme Cicéron, sous vos ordres, cinq mille hommes, « seize pièces de canon, cinq mille outils de pionniers, « cinq mille sacs à terre; vous serez à portée d’une « forêt, dans un terrain ordinaire. Dans quinze jours, « vous serez attaqué par une armée de soixante mille — 355 « hommes ayant cent vingt pièces de canon; vous ne « serez secouru que quatre-vingts ou quatre-vingt-seize « heures après avoir été attaqué. « Quels sont les ouvrages, quels sont les tracés, « quels sont les profils que l’art lui prescrit? L’art de « l’ingénieur a-t-il des secrets qui puissent satisfaire à « ce problème? s> Nous n’hésitons pas répondre : Oui, l’art de l’ingé- nieur a ces secrets, si vous posez le problème tel qu’il l’a été devant Cicéron; si, au lieu de soixante mille hommes ayant cent vingt pièces de canon, vous supposez soixante mille Arabes privés de canon, de machines et d’outils d’aucune espèce, aussi inférieurs à nos soldats, à tous les points de vue, en tactique, en discipline, que l’étaient les Gaulois vis-à-vis des Romains ! Nous espérons donc avoir démontré qu’une égalité parfaite existe entre les soldats des deux époques et même que, s’il y a une différence, elle est en faveur des nôtres. Et ne craignons pas d’ajouter que cette supériorité, les Français la possèdent aujourd’hui, si on les compare aux troupes des nations voisines. Héritiers des Gaulois, des Romains et des Francs, les Français ont dans leurs veines le sang des trois plus va- leureuses nations des temps anciens. Aux premiers, ils doivent un violent amour de la patrie et le mépris de la mort dans les combats; aux seconds, la discipline et les sentiments d’honneur militaire, joints aux vertus civi- ques; aux derniers, l’impétuosité proverbiale, la droi- ture et la loyauté qui ont fait du mot franchise l’expres- sion du caractère distinctif de notre nation. — 356 - Quelques mots suffiront pour prouver qu’en parlant de la supériorité du soldat français nous n’avons cédé à aucune idée de patriotisme exagéré, de chauvinisme, comme on dit aujourd’hui. Voulez-vous vous convaincre que les Français sont réputés pour être les premiers soldats du monde? disait le célèbre Paul-Louis Courrier. Demandez à un Prus- sien quelles sont les meilleures troupes qu’il connaisse, il vous répondra : ce sont les Prussiens. Demandez-lui ensuite quelles sont celles qui occupent le second rang; il vous dira : ce sont les Français. Faites les mêmes questions à un Anglais, à un Autrichien, à un Russe; il placera en première ligne les troupes de sa nation, et donnera toujours le second rang aux Français. La con- clusion est facile à déduire. F. Prévost. LA CHAIRE DE VELLÉDA Légende Normande. Entre Mortain et Domfront. s’étend une longue série de rochers, qui présentent de nombreux sites remar- quables. Plusieurs ont leur légende et c’est ainsi que dans nos récits nous trouvons successivement la grotte des Sarrasins, la chapelle de l’Ermitage, la chaire de Velléda et la fosse Arthour, qui forment les divers an- neaux de cette chaîne de collines. Autrefois, la distance qui sépare ces deux villes était occupée par une immense forêt. Des arbres séculaires, d’une riche et luxuriante végétation, couvraient partout un sol fertile et venaient mêler leur contraste de ver- dure avec les blanches cimes des rochers escarpés. Au- jourd’hui, les grands arbres ont fait place à de chétifs buissons auxquelles des touffes de bruyères aux fleurs purpurines viennent disputer l’espace. Là, où s’étendait une ombre mystérieuse, à l’abri des rameaux touffus des chênes, on ne trouve plus que l’immensilé du dé- sert, que plaines arides et sauvages, que désolation et détresse. — 358 — C’est au milieu de cette nature agreste, à une lieue environ de Mortain, à moitié route des rochers deBour- berouge, que se trouvent la roche de la Grande-Noë et la chaire de Velléda. La rocher forme une véritable falaise élevée de plusieurs centaines de pieds et son som- met surplombe un profond ravin. Tout auprès et domi- nant un vaste plateau est la chaire, antique monument druidique, qui réveille tant de souvenirs de sang, large autel d’immolation qui laisse voir encore ses rigoles des sacrifices. C’est un dolmen majestueux, qui supporta des victimes humaineselqui maintenant, triste dans son abandon, caduc comme un vieillard, et planté sur ses trois pierres d’appui, défie toujours les orages des siè- cles. L’une des anciennes prêtresses du Mont -Saint-Mi- chel, consacré alors au soleil, une jeune vierge nommée Velléda, lui a donné son nom, et la pierre a conservé le souvenir légendaire de cette infortunée. Lorsque les légions romaines eurent aboli le culte de Teutatès, les druides et leurs prêtresses errèrent long- temps de forêts en forêts. Divisés, dispersés, recher- chant les lieux solitaires, ces ministres des autels com- mencèrent alors leurs courses aventureuses, prêchant partout, au nom de leurs dieux, la résistance et la révolte contre les envahisseurs. Velléda, après avoir quitté l’asile où elle n’était plus en sûreté, vint chercher un refuge dans une belle grotte qui existe au pied du rocher de la Grande-Noë. Cette retraite au milieu d’une vaste forêt, loin des lieux habités, lui permettait d’attendre en paix des jours meilleurs. On la voyait souvent assise sur le sommet de la mon- tagne. Belle toujours, elle portait aux jours de lêtes sa — 359 — couronne de verveine et de gui sacré. Son léger vêtement et ses voiles de lin se déroulaient au souffle des vents. Ses bras nus se tendaient vers l'horizon Ses yeux remplis de larmes ne se lassaient point de chercher et d’admirer le mont Belen, qu’elle voyait apparaître au loin et qui avait été témoin de ses premiers sacrifices aux Dieux et peut-être de ses premières amours Elle pleurait alors avec larmes amères la sainte mon- tagne à jamais perdue pour elle ; puis elle se reprenait à espérer. Souvent aussi, elle se dirigeait vers le dolmen sacré. Là, elle offrait les pieuses victimes dévouées aux divi- nités de ses ancêtres; elle invoquait les secours d’en- haut pour la cause des siens; mais en secret elle gé- missait sur son abandon, sur son isolement, sur ses études sacrées, sur ses mystérieuses initiations, sur ses magiques pouvoirs qu’un esprit intérieur semblait lui montrer désormais inutiles, enfin sur ses impuissants efforts qui allaient se briser contre la force brutale de légions nombreuses. Souvent encore assise sur son socle de pierre, elle parlait au peuple assemblé autour d’elle, et, par ses chants divins, elle réchauffait l’enthousiasme dans ces cœurs aguerris. Un jour, la foule était plus nombreuse que de cou- tume : c’était à la suite d’un combat avec les Ro- mains. On allait immoler deux prisonniers trouvés à demi- morts sur le champ de bataille. Us étaient auprès de l’autel, chargés de liens et retenus par des bras puis- sants. La fumée s’élevait déjà dans les airs : le peuple prosterné sous les chênes ombreux faisait entendre un 360 sourd murmure, grondement sinistre, semblable à celui d’une mer agitée par des vagues orageuses. C’était chez les Gaulois le cri de la vengeance que deux victimes ne pouvaient satisfaire; c’était le serment de courir à de nouveaux combats. Velléda entendit ce bruit menaçant; elle en fut fière, et paraissant sur sa chaire comme une prophétesse ins- pirée : « Tribus gauloises, dit-elle, le dieu de la guerre « vous inspire cette ardeur. Vos ancêtres se réjouissent « de votre colère et vous promettent la liberté « Vous ne sauriez être vaincus, lorsque l’indignation « enflamme à un tel point vos courages! Les ennemis « ont juré votre asservissement : jurez à votre tour que « vous périrez plutôt que d’accepter leur joug. Partout « je serai avec vous, je partagerai vos fatigues, vos « veilles, vos angoisses, et ma faucille d’or lancera « dans la nuit des combats l’éclair qui guide à la vic- « toire ! » Elle avait à peine prononcé ces mots qu’un bruit d’armes se fait entendre : elle regarde, une légion romaine accourt par tous les sentiers de la forêt. Déjà les prisonniers sont libres de leurs chaînes; les Gaulois s’enfuient de toutes parts, le dolmen est à moitié ren- versé. « Fuyez, s’écrie Velléda, fuyez, Gaulois! Evitez l’ef- « fusion inutile du sang, vous n’avez pas assez d’armes « pour vous défendre! l’heure des combats n’a pas en- « core sonné!.... Fuyez! fuyez!.... A bientôt la revan- « che!... . Au grand jour, vous répondrez à mon appel, ï quand le temps en sera venu; d’ici là, je serai — 361 — « toujours auprès de vos autels que je n’abandonnerai « jamais ! b En un clin d’œil les tribus disparurent. La prophétesse elle-même, grâce à son art magique, s’évanouit comme un souffle. Une tempête effroyable mêlée d’éclairs et de ton- nerre, éclata sur la montagne à cet instant, et la légion romaine elle-même, fut effrayée de se trouver seule, au milieu des ténèbres, dans cet endroit désert et sacré. Rome victorieuse avait conquis toute cette contrée : la raison du plus fort est toujours la meilleure. Les Gaulois se bornèrent désormais à espérer tout de l’a- venir ; mais l’avenir ne répondit pas à leurs espérances. Cependant Velléda voulut encore convoquer des as- semblées. Elle essaya en vain et à plusieurs reprises de raviver l’entbausiasme des vaincus. Seule, elle resta dans nos forêts, s’abritant dans les anfractuosités des rochers, cueillant des tiges de bruyères et des feuilles pour sa couche. Elle ne parut plus sur sa chaire que pour pleurer ses illusions perdues Sa faucille d’or resta dans l’inaction et sa couronne de verveine se flé- trit Son voile de fêtes, tout fané, ne servit plus qu’à lui cacher le visage, quand elle allait au loin tendre la main et mendier pour vivre. À la nouvelle de son abandon et de sa détresse, deux druides qui l’avaient connue autrefois, vinrent pour la consoler et la secourir. Ils la trouvèrent morte au pied du rocher de la Grande-Noë. S’était-elle précipitée dans l’abîme, après avoir dit un adieu suprême à la forêt qui l’avait vue si belle et si grande d’abord, si malheureuse ensuite? Ou bien, pauvre, manquant de pain, était-elle tombée de fai- blesse et de langueur, en adressant aux dieux, en fa- veur de la patrie, une dernière invocation, pleine de tortures et d'angoisses? La légende ne le dit pas : sa mort remontait seulement à quelques heures. Les druides pleurèrent la malheureuse fille. Ils don- nèrent à son voile, pour l’ensevelir, sa blancheur d’au- trefois, et creusèrent sa fosse non loin de là, en face de sa grotte, au pied de la montagne. Puis, après avoir planté un chêne de la forêt sur sa couche funèbre, ils s’éloignèrent à jamais de ces lieux désolés. Visiteur pieux et recueilli, j’ai souvent dirigé mes pas vers la chaire de Velléda. La Grande-Noë m’a vu gravir souvent ses sentiers ravinés, et j’ai vu le roc sur lequel s’affaissa la prêtresse expirante. Tout y rappelle encore son souvenir, car un vieux chêne rappelle celui qui fut planlé sur sa tombe. Malgré son délabrement, ce dernier débris de la forêt antique subsiste toujours, \ et sur sa dernière branche, atteinte dernièrement par la foudre, j’ai cueilli il y a peu de mois une branche de gui sacré. IL Sauvage. DU DANGER AUQUEL S'EXPOSENT Les personnes qui habitent des maisons trop nouvellement construites. Comme il n’est pas nécessaire de posséder toutes les connaissances dont doit faire preuve un docteur en médecine, pour comprendre l’histoire de cette science; j’ose m’emparer de cette histoire, à partir de plus de vingt siècles, c’est-à-dire à partir d’Hippocrate, pour vous faire remarquer que les hommes les mieux con- formés et doués des plus parfaites constitutions, ne pourront pas se conserver longtemps en bonne santé, s’ils négligent de suivre les lois de l’hygiène, qui fixent par des règles déduites de l’observation, dans quelle mesure ils doivent, suivant leur nature et les circons- tances dans lesquelles ils se trouvent, user des choses qui les environnent et de leurs propres facultés, soit pour leurs besoins, soit pour leurs plaisirs; et que l’une des maladies les plus fréquentes qui viennent — 364 — assaillir les êtres oublieux de ces lois de l’hygiène, est sans contredit le rhumatisme. Cette maladie qui n’avait pas été définie par les mé- decins existant avant la fin du xvie siècle, a trouvé, depuis Sydenham, un grand nombre de commenta- teurs illustres, donné lieu à une immense collection de thèses soutenues dans les diverses universités de l’Europe, et se trouve définitivement considérée par les médecins modernes, comme une inflammation qui a le plus ordinairement son siège dans les tissus muscu- laires et fibreux. Le rhumatisme qui apparaît soit sous forme de scia- tique, soit sous forme de lombago, de torticolis, etc., est, après la goutte, la maladie la plus susceptible de déplacement et, de même que les affections goutteuses, elle abandonne souvent les parties du corps où elle s’é- tait manifestée primitivement (quelle qu’en soit déjà la durée), pour se porter sur les organes intérieurs, où elle peut occasionner les maladies les plus graves, les plus variées, et dont quelques-unes laissent bien peu d’espoir d’arriver à une guérison. Comment ne pas reconnaître, en présence de ces indications, à quel point le rhumatisme est l’ennemi de l’humanité? Comment ne pas rechercher tous les moyens de s’en préserver? Comment le plus sur de tous ne serait-il pas de de- mander à quelles causes celte maladie si redoutable doit être attribuée? Eh bien, si nous questionnons la science à ce sujet, elle nous répondra que tous les médecins reconnaissent — 365 — aujourd’hui que parmi les causes prédisposantes il n’est guère que l’âge adulte et l’hérédité, et que la seule cause occasionnelle attribuée au rhumatisme muscu- laire est l’impression prolongée du froid, et surtout du froid humide! Cette vérité une fois reconnue et proclamée , il est de toute évidence que si les hommes n’ont pas le pou- voir de fuir les causes prédisposantes, puisqu’elles font partie de leur constitution, tous ceux qui tiennent à la conservation de leur santé, doivent éviter avec le plus grand soin de faire naître la cause occasionnelle, c’est- à-dire qu’ils devront autant que possible : Ne jamais revêtir ou conserver sur eux des vêtements humides; Eviter de voyager souvent et longtemps dans des voitures découvertes , par les temps de pluie et de brume; Fuir les occasions d’aller s’asseoir sous de grands arbres durant les soirées d’automne et de printemps; Eviter de s’exposer longtemps aux brouillards du matin ; Refuser d’habiter des maisons insalubres, c’est-à-dire des maisons dont l’aire du rez-de-chaussée est en terre, dont les murs sont salpêtrés par suite de l’humidité produite, soit par la situation de ces murs en contre- bas des terrains voisins, soit par suite de la stagnation des eaux pluviales ou de fumiers à leurs bases, soit par l’absence de portes, croisées et cheminées suffi- santes pour assurer la ventilation convenable de toutes les pièces en général, et en particulier des chambres à coucher ; soc. d’ag. 25 360 — Et enfin ne jamais consentir à occuper continuelle- ment de jour et de nuit, des maisons nouvellement cons- truites qui produisent le froid humide 'prolongé à un degré bien plus redoutable que les bâtiments dont les murs avaient été parfaitement asséchés par le temps, et n’étaient devenus insalubres que par les causes défi- nies ci-dessus. En effet, dans ces dernières, tous les murs n’ont pas été atteints au même degré par les principes délétères étrangers à leur construction, et il reste des parties qu’on peut habiter sans inconvénient en prenant les précautions nécessaires; tandis que dans les maisons neuves l’humidité latente, mais continue, produite par la dessiccation de tous les matériaux qui sont composés de substances liquides et solides à la fois, vient enve- lopper et pénétrer insensiblement, mais infailliblement, à toute heure du jour et de la nuit, ceux qui ont com- mis l’imprudence ou la témérité d’habiter des bâtiments trop nouvellement édifiés, qu’ils se placent au rez-de- chaussée ou dans les étages supérieurs! Mais, Messieurs, si les vérités que nous exposons ici ne sont contestées par personne, si, au contraire, l’opi- nion générale admet en principe les dangers que nous signalons, combien d’individus venant de faire cons- truire, excités par un grand nombre de circonstances diverses, font taire leur propre conviction pour suivre leurs désirs et se persuader que leurs maisons sont assez séchées pour les recevoir sans péril, lorsque la réalité prouve tout le contraire! Et si vous leur faites des obser- vations à ce sujet : Les uns vous affirmeront que lorsque des murs de — 367 — face de 0,50 cent, d’épaisseur formés de moëllons de schiste et de pierre de tuf avec mortier de chaux et sable, tandis que les refends intérieurs sont composés des mêmes matériaux que les façades, ou bien des par- paings de tuf avec joints de mortier de chaux et sable; ils vous affirmeront, disons-nous, que lorsque ces murs ont été élevés durant l’été et couverts avant l’hiver, leurs maisons construites dans ces conditions, peuvent être habitées en toute confiance dès la fin de l’année suivante. Les autres vous assureront que si les murs de face ainsi que les refends sont composés de simples par- paings, soit en tuf blanc, soit en tuf gris, avec joints de mortier de chaux et sable, il suffit de huit ou dix mois pour que leurs maisons soient parfaitement et saine- ment habitables. Bien que ces opinions paraissent difficiles à admettre, et qu’il soit vrai de dire que plus d’un de ces proprié- taires qui ne craignent pas de prendre possession de leurs demeures dans les conditions qui précèdent, croient devoir ajourner la pose des papiers de tenture dont ils redoutent l’avarie; il m’eût été impossible, il y a quel- ques années, de prouver que ces opinions reposaient sur une grave erreur, mais aujourd’hui celte erreur m’est démontrée d’une manière irréfutable par les faits qui se sont produits à l’époque de l’achèvement de la construction de la prison départementale de Beaupreau et que je dois résumer ici en peu de mots. Par suite de l’adoption du système cellulaire comme programme, cette prison devait être composée de trois rangs de cellules, rez-de-chaussée, premier et deuxième — 368 — étage. Chacune de ces cellules devait être chauffée. Le mode de chauffage approuvé comprenait un calo- rifère situé dans les soubassements voûtés et donnant attache à des tuyaux en terre cuite de 0,33 cent, de diamètre placés dans les reins des voûtes de ces sou- bassements, ces tuyaux s’ajustaient avec d’autres aussi en terre cuite de 0,12 cent, de diamètre, dont la mission était de porter la chaleur du calorifère dans chaque étage des cellules, en montant des soubassements au deuxième étage dans l'intérieur des refends séparatifs des dites cellules. Cette prison, adjugée le 5 mai 1851, ne fut occupée par les détenus qu’à la fin de l’année 1853. Sans parler de l’été de 1851 (durant lequel la majeure partie des murs avait été construite), les étés de 1852 et de 1853 s’étaient écoulés sur l’ensemble de ces cons- tructions qui paraissaient parfaitement sèches et habi- tables; et cependant, lorsque dans le courant de 1853, le chauffage du calorifère fut essayé, la chaleur après s’être répandue dans la totalité des tuyaux situés comme nous l’avons dit, soit dans les reins des voûtes des sou- bassements, soit au centre des murs refends, cette cha- leur produisit bientôt une évaporation telle, que toute la prison se trouva remplie d’une buée considérable qui dura plusieurs jours, ainsi que le chauffage. Quel temps eût-il fallu à cette humidité pour s’éva- porer naturellement et sous la seule action de la cha- leur de l’atmosphère, si la prison de Beaupreau eût été chauffée l’hiver, par des appareils placés en dehors des murs, au lieu d’occuper leur intérieur? C’est une question à laquelle il est bien difficile de — 369 — répondre, mais ce dont on ne peut douter, c’est que puisqu’il est démontré qu’au bout de plus de deux an- nées les matériaux composant les murs de la prison de Beaupreau étaient loin d’avoir atteint une dessiccation complète, à plus forte raison les murs de tous les édi- fices ne peuvent, dans aucun cas, dans le délai de dix mois ou d’une année, avoir perdu l’humidité qui entrait dans leur composition, surtout lorsque les enduits inté- rieurs et extérieurs auront été faits avant que l’intérieur de ces murs soit sec, or ce fait aggravant existe dans presque tous les exemples que nous pourrions citer. Comme vous le voyez, Messieurs, c’est une circons- tance toute spéciale et peut-être providentielle, qui m’a fourni l’occasion de constater un fait bien important pour la salubrité publique. Plusieurs médecins aux- quels je l’ai fait connaître m’ayant assuré qu’il leur expliquait un grand nombre de cas pathologiques qu’ils n’avaient pu jusque-là bien comprendre, j’ai cru devoir rédiger et soumettre à votre bienveillante et savante appréciation les observations qui précèdent, avec l’es- poir qu’elles pourront être utiles et dignes de tout votre intérêt. F. Lachèse. Angers, le i novembre 1867. LA BATAILLE DE BAUGE D’APRÈS UN ANCIEN MANUSCRIT. Dans un logis marchand de la ville de Baugé habitait à la fin du dernier siècle une veuve aux mœurs patriar- cales. Nous ne la nommerons pas; un biffage, allongé en spirale sur l’écrit qu’elle a laissé, voile ses noms, et sans les rendre illisibles, ce biffage nous invite au si- lence. Nous dirons seulement, sans violer les lois de la dis- crétion, que Mme *** était ménagère et laborieuse : or, pour utiliser, en se délassant des travaux du comptoir, les longues veillées d’hiver de l’année DCCLXXXII, elle avait pris à tâche de classer par ordre de date, puis de déchiffrer autant qu’il lui serait possible le vieux gri- moire composant les titres sur l’authenticité desquels reposait son héritage paternel. Plusieurs liasses, jaunies par la poussière et par le temps, avaient subi déjà son examen scrupuleux sans - 371 qu’aucune note, sans qu’aucun signe quelconque eût excité chez elle la moindre attention. La fatigue commençait même à gagner l’esprit de la veilleuse et son corps cédait à une douce somnolence, lorsqu’elle se redressa brusquement. Passant la main droite sur ses paupières comme pour éclaircir sa vue, elle tourna, retourna une liasse plus grosse que les autres, sur l’enveloppe de laquelle elle venait de lire en gros caractères d’écriture bâtarde : Papiers et livre concernant la bataille. Un pareil nom écrit sur de vieux titres aurait frappé par sa bizarrerie seule l’oreille d’un archéologue; mais familier cà Mme ***, ce mot ne pouvait la surpren- dre. Il désignait dans son esprit des champs qu’elle avait parcourus à différentes fois avec son père et sa mère, lorsqu’après les vêpres du dimanche, ils venaient en but de promenade visiter les récoltes qui garantissaient le paiement de leurs revenus. Elle coupa vivement le cordon qui serrait la liasse, et se mit à examiner feuille à feuille chaque écrit, en jetant sur l’ensemble du texte ce coup d’œil scrutateur qui permet de juger du contenu sans le lire d’un bout à l’autre. La main de Mme *** servait à souhait son esprit ré- veillé : elle touchait au tiers de la liasse lorsqu’un vieux bouquin, à l’extérieur parcheminé, s’offrit à ses regards. L’ouvrir, le prendre par le dos, l’écarter en forme d’éventail, le secouer de haut en bas pour s’assurer qu’il ne renfermait aucun chiffon de papier de quelqu’im- portance : tels furent les premiers mouvements de — 372 — noire dame. Puis elle distingua sur la première page du livre ces belles lettres rouges qui ont fait donner au feuillet qui les montre le nom de rubrique. Cette rubrique était ainsi conçue : Annales et chro- niques du cluché d'Anjou imprimées sous le règne de François Ier, et composées par un Angevin au sujet de la bataille qui se donna au Vieil-Baugé entre les Français et les Anglais , l'an 1420. Pourquoi donc ce livre est-il placé ici, au milieu de mes papiers, pensa- t-elle ? Mon domaine, par son nom de la Bataille , consacrerait-il la légende sanglante ra- contée dans ce livre ? Ainsi devisait Mme ***, lorsque feuilletant le curieux bouquin elle remarqua qu’une page avait été pliée et contrepliée avec un soin particulier. Ayant relevé les plis lentement dans la crainte de déchirer la page, elle commença d’y lire ce qui suit : « Environ la fin du caresme, l’an 14-20, le royaume « de France étant pour lors fort opprimé des Anglois, « que peu s’en falloit qu’ils ne l’eussent tout en leur « possession; un jour le très-puissant et val-heureux « duc de Clarance, frère du roi d’Angleterre, vint avec « une puissante armée devant la ville d’Angers, et fit. « préparer toutes choses pour l’assaut; mais voyant la « place si puissante qu’il crut ne pouvoir réussir, il ré- « solut d’aller coucher Beaufort en Vallée, distante « d’Angers de cinq lieues ou environ et le lendemain « (lacune) « 11 y avoit pour lorsun vaillant chevalier du paysd’Anjou « appelé Garin, seigneur de Fontaine , qui voyant le « grand domage que causoient les Anglois, assembla 373 « plusieurs Angevins et eût volontiers livré combat, si « son armée eût été assès puissante, mais le nombre des « Anglois étoit trop grand, et ainsi ils ne sçavoient s’ils « dévoient les assaillir ou non. On lui rapporta que le « comte de Bougnan, Écossois, le maréchal de La « Fayette, étoient près de lui avec un certain nombre « de gens armés qui alloient porter du secours à mon- « seigneur le Dauphin; ce qui réjouit tellement le dit « seigneur de Fontaine, qu’il alla aussitôt joindre le « comte de Bougnan et le maréchal de La Fayette et « leur raconta que le duc de Clarance et autres Anglois « étoient à Beaufort où ils ravageoient le pays. « Aussitôt, le comte de Bougnan et le maréchal de « La Fayette, ayant fait rassembler leurs troupes, y joi- « gnirent celles du seigneur de Fontaine au lieu nommé « le Vieil-Baugé, et y livrèrent bataille. « Gomme ces choses se faisoient, les avant-coureurs « du duc de Clarance prirent quatre Ecossois qui al- « loient fourrager et les présentèrent à leur maître qui « étoit à dîner. Quand il les vit, il leur demanda où « étoient leurs maîtres qui les envoyoient fourrager et « s’ils sçavoient où pouvoient être les François, car on « lui avoit déjà annoncé l’assemblée de messire Garin « de Fontaine. Les prisonniers lui répondirent que très « certainement les François et Ecossois étoient au Vieil- « Baugé dans le dessein de combattre. Le duc de Cia-' « rance à cette nouvelle se leva de table, oubliant le « boire et le manger, criant : Aux armes, seigneurs, al- « Ions sur ces rivaux qui se sont assemblés pour nous « combattre et les metons tous à mort; car ils sont tous « à nous et ne peuvent nous échapper. Hâtons-nous de — 374 « peur qu’ils ne prennent la fuite s’ils sont avertis de « notre arrivée. « Mais le duc de Clarance deffendit aux gens de pied « de partir et leur commanda de l’attendre et dit qu’il « vouloit qu’il n’y eût que la cavallerie angloise qui « étoit composée d’environ quinze cents hommes, tous « gens de bien et de haute qualité, s’arma prompte- « ment, monta à cheval pour suivre le duc, qui à sa « tête conduisit son armée vers Baugé, avec tant de « promptitude, qu’il croyoit n’y jamais arriver; enfin « arrivés à Baugé-le-Jeune, ils y trouvèrent un vaillant « chevalier nommé messire Jean de La Croix avec une « poignée de gens qui vouloient se ranger du côté du « seigneur de Fontaine; mais à l’aspect d’une si grande « troupe angloise, il se retira avec ses gens dans l’é- « glise, où ayant fermé les portes ils montèrent dans « le cloché et y ayant trouvé une grande quantité de « cailloux, ils assaillirent tellement les Anglois avec, « qu’ils les contraignirent à faire la paix. « Les Anglois passant outre arrivèrent au Vieil- « Baugé, et ils y trouvèrent les seigneurs de Bougnan, « La Fayette et de Fontaine qui sçachant leur arrivée, les « attendoient en bataille rangée. Quand les deux armées « s’apperçurent, ils laissent avec grand bruit « Le premier qui avança du côté des « Anglois, fut le duc de Clarance qui étoit richement « armé et monté ; pour se faire connoistre, il portoit « sur son bassinet un chapelet d’or et de pierreries. Le « seigneur de Fontaine fut lui faire face et se choquèrent « si vivement l’un contre l’autre, que le duc de Cla- « rance fut porté par terre et mourut sur-le-champ 375 — « quoique les François fussent en petit nombre et peu « estimés de leurs ennemis; le Dieu des armées les cou- « ronna de la victoire. « Furent tués sur la place, le duc de Clarance, frère « du roi d’Angleterre, le hardi comte de Buffort, qui « avait tant fait de mal en France, les seigneurs du « Drapet et de Raos et plusieurs autres. « Furent pris prisonniers, les comtes de Hartenton de « leur nombre sept, messire Thomas de Betford, enfin « tous les Anglois furent tués ou pris prisonniers, ce qui « fit une glorieuse victoire. « Là fut perdüe une grande partie de la noblesse an- « gloise. « L’étendard du duc de Clarance fut l’enseigne de la « victoire et porté au Puit-Notre-Dame. « La cavallerie et les fantassins demeurés à Beaufort « ayant appris leur mauvaise fortune, se hâtèrent de « s'enfuir et se retirèrent à La Flèche, passèrent la ri- « vière du Loir sur un pont de bateaux qu’ils firent à « grand hâte, puis prenant chacun une croix blanche, fei- « gnirent d’être François, passèrent la Maine et entrè- « rent en Normandie. Etainsy ils se sauvèrent des mains « des braves Angevins qui leur donnèrent la chasse. » Minuit sonnait à la pendule franc-comtoise qui ré- glait le temps de Mme *** lorsqu’elle acheva la lecture du récit, aussi simple qu’émouvant, de la bataille de Baugé. Demain, dit-elle, je copierai ces pages qui s’appliquent certainement à mon domaine, peut-être intéresseront- elles ceux qui le posséderont un jour. Elle se coucha, l’esprit agité, mais contente de sa dé- — 376 — couverte. L’aube la trouva copiant près de l’àtre, où brûlait encore un tison de la veille, Y origine du nom de la Bataille. A la manière dont elle décrit ces mots : braves Angevins ! on peut juger des sentiments de pa- triotisme qui l’animaient. Elle les a encadrés ces mots, seuls, entre deux lignes et tracés en gros caractères. Au bas de la page elle a eu soin d’écrire : « Les terres qui servirent de champ de bataille ap- partiennent à lesquelles elle a eues des successions de ses père et mère; la maison porte le nom de « la Bataille » et on n’en connaît point d’autres. « Baugé « L’an MDCCLXXXII. » Nous souhaitons que Mme *** trouve des imitateurs L Paul Ratouis. 1 Une pierre commémorative de la bataille est placée sur le talus d’un fossé à moitié chemin entre Baugé et le Vieil-Baugé. Elle porte incrusté un fer de cheval que la tradition dit être un de ceux du cheval monté par le duc de Clarence. NOTE SUR QUELQUES TRAVAUX DE M. L’ABBÉ PROYART MEMBRE CORRESPONDANT. La dernière livraison publiée par notre société con- tient une notice fort intéressante sur Jean de Rély , nommé évêque d’Angers en 1 492. L’histoire de ce noble prélat appartient à la France entière, car, à l’exemple de l’abbé Suger sous Louis YI et Louis VII, de Robert Sorbon, sous saint Louis, il reçut la délicate mission de diriger la conscience du roi Charles VIII, et contribua plus d’une fois aux actes dignes de louange dont se pare la mémoire de ce prince, mort si prématurément. Mais, à un litre tout spécial, la vie de Jean de Rély mé- ritait l’attention de M. l’abbé Proyart, vicaire-général à Arras et auteur du travail dont les nombreux extraits ont presqu’entièrement formé la notice lue devant vous. Notre ancien évêque était, en eflet, né à Arras, et c’est à l’Académie de celte ville que le mémoire de M. l’abbé Proyart a été tout d’abord présenté. Nous n’avons pas — 378 — besoin d’ajouter que cette biographie, tout en nous faisant connaître un grand nombre de détails précieux, ne rencontrait pas, en venant parmi nous, un sujet inexploré. De Rély, nous venons de le dire, a été évêque d’Angers. Son savoir et ses vertus eussent-ils été oubliés de tous, qu’il suffirait de la grande pompe déployée à son entrée dans notre ville le 14 octobre 1492 pour mériter une mention. En outre, son monument arrête le regard des fidèles qui vont prier dans la cathédrale et leur dit avec l’éloquence touchante de la tombe : « Souvenez-vous de moi. » Comment M. Godard-Faul- trier, cette sentinelle vigilante sous les yeux de qui nul fait tenant à l’histoire de notre contrée ne saurait pas- ser inaperçu, aurait-il négligé un tel nom? C’était im- possible, évidemment, et, si l’on parcourt le Bulletin archéologique de 1861, on verra que notre zélé collègue n’a nullement manqué à sa tâche de chaque jour. Chose dont on aurait quelque lieu de s’étonner, M. l’abbé Proyart s’est montré reconnaissant de ce que nous avions reproduit en partie son récit, c’est-à-dire de ce que nous avions profité de ses richesses, et, pour témoigner sa gratitude, il vient d’adresser à cette so- ciété trois autres notices rédigées par lui et dont nous devons dire un mot. La première est intitulée : Tableau des secours accor- dés aux pauvres dans la ville d’Arras. Elle fait connaître les hospices, les associations qui, dans cette cité, dis- pensent les soins et les aumônes, indique leurs origines et ne manque pas d’insister sur ce point que, dans la plupart de ces institutions, l’âme est éclairée, le moral relevé, en même temps que le corps est guéri. La lec- — 379 — ture de cette analyse, à laquelle la différence des lieux enlève nécessairement une portion de son intérêt, sera utile surtout à toute personne qui s’occupe habituelle- ment de secourir les pauvres. La charité, on le sait, ne doit pas être seulement une inspiration donnée par Dieu lui-même. Si haute que soit son origine, elle a, comme toutes les œuvres de ce monde, sa science, son expérience, sans le secours desquels une faible partie seulement du bien espéré se réalise. Il semble qu’une longue et pieuse pratique ait fait, à cet égard, de M. l’abbé Proyart un guide aussi fervent qu’éclairé. Le second écrit est consacré à Antoine Havet, né près d’Arras. Après avoir prononcé ses vœux comme Domini- cain en 1533, il brilla à Paris comme en Flandre, par son éloquence et son profond savoir, puis, nommé évêque de Namur, fut envoyé au célèbre concile de Trente, ouvert en 1543. Successivement prédicateur et confes- seur de Marie d’Autriche et de Marguerite, duchesse de Parme, toutes deux gouvernantes des Pays-Bas, il ne manqua rien à sa renommée, pas même la persécution, que lui firent éprouver les calvinistes. Mort à l’âge de 65 ans, il repose dans l’église de Saint-Albain, sa ca- thédrale, comme Jean de Rély parmi nous. La troisième brochure présente le résultat de re- cherches historiques sur les anciennes tapisseries d’Arras. On sait que, jusqu’au temps de notre roi Louis XI, cette industrie brilla aux yeux de toute l’Europe, d’un éclat sans égal. Dès le ine siècle, Flavius, dans la vie de l’empereur Carin, parle de vêtements de grand prix, tissus à Arras. Donati sunt , ah Alrebaticis , birri petiti. (On devine — 380 — qu 'Atrebates est le nom des habitants de cette indus- trieuse cité.) Lorsqu’au camp du Drap d’or, on éleva un palais à François 1er, toute magnificence y fut dé- ployée et le docteur Lingard nous apprend que les murs furent drapés avec des étoffes d’Arras. La magnifique tapisserie qui décore aujourd’hui l’escalier d’honneur de la bibliothèque impériale de Paris est de cette ville et du temps de Philippe-le-Bon. Déjà, en 1396, le comte de Nevers , fait prisonnier par Bajazet à la bataille de Nicopolis, avait fait accepter pour sa rançon des tapis- series d’Arras représentant les hauts faits d’Alexandre- le-Grand. Qnelques personnes enfin, ont pensé et sou- tenu que les fameuses tapisseries dites Arazzi, placées par le pape Léon X au Vatican, devaient, d’après leur nom même, avoir été fabriquées à Arras. Malgré toute sa piété pour la gloire de sa ville, M. l’abbé Proyart ne se croit pas autorisé à considérer celte origine comme éta- blie. Nihil piurn , nisi verum, dit-il, avec une sincérité qui l’honore et qui ne saurait être trop donnée en exemple. Mais, si les tapisseries dont il s’agit n’ont pas été faites à Arras, si plutôt, selon toute probabilité, elles ont été faites en Flandre, le mot cité prouve au moins que Fu- niverselle renommée des travaux artésiens avait fait du nom de la ville celui du produit. Deux cités de l’Inde ont donné leur nom aux Madras et aux Cachemyr même fabriqués hors de leurs murs ; de même les Italiens ont tiré du mot Arras , celui d’Arazzo, tapisserie, Arazzeria, fabrique de tapisseries, Arazziere, tapissier : les Anglais disent, de leur côté, Arras, ou Arras-hanging , pour in- diquer une tapisserie de haute lice... On devine quelle importance devait avoir à Arras, la — 381 — confrérie des drapiers, confraternitas parmentarionm. Plusieurs personnages de renom en faisaient partie, et parmi les hautelissiers du xve siècle figure Guy de Rély , parent, sans nul doute, de l’évêque dont nous connais- sons maintenant la vie. M. l’abbé Proyart donne des dé- tails intéressants sur l’accroissement, la richesse et le déclin, sous Louis XI, de cette association renommée. Après avoir énuméré ces travaux, avons-nous besoin de conclure? Ne vous êtes-vous pas déjà tous dit, mes- sieurs, qu’il serait désirable au plus haut point pour notre société, de compter l\l. l’abbé Proyart au nombre de ses membres correspondants? Nous ferons, certes, un acte moins de courtoisie que d’intérêt bien entendu, en offrant ce titre à un étranger aussi zélé et aussi instruit. Encore, en parlant ici d’un étranger, ne ris- quons-nous pas de manquer un peu à la vérité? Dans une notice dont vous avez certainement gardé le souvenir, M. Paul Lachèse nous racontait récem- ment1 comment, en 1479, Louis XI, furieux d’avoir vu ses troupes mises en déroute par les Artésiens fidèles au duc de Bourgogne, déclara « qu’Arras avait à jamais « cessé d’exister ; que tous les citoyens sans exception « en seraient ignominieusement chassés et que d’autres « citoyens envoyés de tous les points de la France, « entr’autres de Rouen, Angers, Orléans et Tours, for- et meraient une nouvelle cité qui prendrait le nom de « Franchise. » Vous vous étonnez, messieurs, et non sans raison de ce nom bizarre. Mais la surprise augmente encore quand V. Mémoire de la Sociétés, t. IX, 2me partie, page 257. soc. d’ag. 26 1 — 382 — on pense que cette dérision cruelle a pu trouver des imitateurs! Or, le 12 octobre 1793, une loi portée contre les habitants de Lyon, qui avaient osé lutter contre les émissaires de la Convention, disait : « La « ville sera détruite : tout ce qui fut habité par le riche « sera démoli : il ne restera que la maison du pauvre. « Le nom de Lyon sera effacé du tableau des villes de « la République. La réunion des maisons conservées « portera désormais le nom de commune affranchie. » On le voit, qu’elle vienne des sommités ou des bas- fonds de la société, la tyrannie est toujours la même et présente, à des époques diverses pourtant, les mêmes excès !... Le moment vint bientôt où l’ordre cruel allait rece- voir son exécution. Tours devait fournir 50 ménages : trente, de tous états et métiers, durent être envoyés par la ville d’Angers, les Ponts-de-Cé, Baugé, Beaufort et la Flèche réunis. Nous n’avons pas besoin de dire quelles furent les larmes, les tristesses du départ, les premières angoisses du séjour... Tant que Louis XI vécut, il persista dans son impla- cable volonté. Mais, à peine monté sur le trône, Charles VIII, guidé, sans doute, par les conseils de Jean de Rély, notre futur évêque, mit fin à cette grande ini- quité, par une ordonnance qui « donnoit licence aux mé- « nagiers amenés à Franchise d’eux en retourner... aux « villes et lieux d’où ils sont partis, ou ailleurs... où « bon leur semblera. » Cette ordonnance ne fut mise exécution qu’au mois de mai 1484. Beaucoup d’artisans durent rester dans le lieu où, pendant un séjour de près de cinq années, ils avaient formé, sans nul doute, des établissements nouveaux. — 383 — Ne pouvons-nous rien conclure de ce fait,? S’il est vrai qu’une occupation passagère née de la conquête, les fêtes brillantes d’un mariage de princes, une association d’une courte durée pour le commerce ou pour la guerre, suffisent pour établir entre deux contrées des sentiments d’affection, d’envie ou de haine que les siècles, parfois, ne parviennent jamais à effacer complètement, comment douterait-on que le séjour, pendant cinq ans, dans une ville de médiocre étendue, de trente familles venues ensemble d’une cité lointaine et donnant par leur nombre même, plus d’influence aux usages, à l’accent même apportés de leur contrée, puisse rester sans quelques vestiges aujourd’hui ? Puis, pendant ce temps, des unions se sont faites dans cette résidence nouvelle, à l’occupation de laquelle nul ne pouvait fixer un terme. Enfin, un certain nombre de nos émigrants forcés a dû rester dans le lieu où il s’était reformé un foyer et il est probable que du sang angevin coule dans les veines de plus d’un ancêtre des habitants modernes de la cité. M. l’abbé Proyart n’est donc pas pour nous un étran- ger... Le fût-il, d’ailleurs, quelle distance ne serait combléepar tant de savoir et tant de zèle?... E. Lachèse. INSCRIPTION DÉCOUVERTE EN LA COMMUNE DU LOUROUX-BÉCONNAIS Le 11 octobre 1867 je recevais de l’un de nos nou- veaux membres, M. Sauvage, juge de paix au Louroux- Béconnais, une lettre dont j’extrais ce qui suit: « J’ai trouvé, dit-il, dans les environs du Louroux1, une magnifique inscription gravée sur bronze et commémorative d’un fait qui concerne l’histoire de la Ligue en Bretagne Cette inscription est tellement belle, si parfaite, et elle relate un événement si impor- tant de nos guerres religieuses, que je crois qu’il est bon de veiller à sa conservation. Elle n’a qu’un petit malheur, celui de concerner plutôt et plus spécialement la ville de Nantes que celle d’Angers. Mais n’importe, elle est aujourd’hui dans notre contrée et elle est natu- ralisée parmi nous. » Et dans la même lettre M. Sauvage nous donne l’es- poir que cette plaque de bronze pourra figurer avan- tageusement an Musée des antiquités d’Angers. 1 Chapelle de l’ancien cimetière de la Cornouaille, appartenant à M. Robineau de la Burlière. — 385 — Qu’il sache donc, sans plus tarder, que cette précieuse inscription aura l’une des premières places. En attendant, il a bien voulu nous en adresser un estampage, avec invitation de vous la communiquer. Le texte est en beaux caractères romains de 12 milli- mètres et se compose de vingt-huit lignes accostées à droite d’une hermine, d’une croix de Lorraine et du monogramme du duc de Mercœur; de même à gauche. Un seul mot nous embarrasse, il est formé de lettres grecques que les uns lisent d’une façon et plusieurs d’une autre; toutefois nous inclinons à y voir avec MM. Lemarchand et Sauvage ce nom : crpuToXCeov, signi- fiant première pierre. A part ce mot, le corps de l’inscription, rédigé en latin, est d’une lecture facile. En voici la copie : « Nannetæ « Dum Ecclesia catholica ab hæreticia per interregnum « in Galliis periclitaretur « Sacro fœderi militantes « hoc religioni et urbi propugnaculum « Extruxere « CUJUS gtowtoX£0ov. « Ecclesiam romanam Clemente VIII ; imperium Rodul- [pho II ;] « Hispaniarum et indiarum régna Philippo II; Galliam « principibus Lotaringiis Caroli magni « immortali proie; Britanniæ hujus Armoricæ « provinciam et affines religioso et valido « principe Philippo Emanuelle « Lotharingo duce Mercureo bis — 386 — « ter que ab hostibus triurnphante; « regentibus. Urbis præfecturam « Joanne Laubierio « letissimo viro « gerente. « Princemps (sic) Augustissima Maria Luxembourgena « fortis ducis Mercurei fidelis conjux a anni a reparata salute humania « M.D.XCIII. IX. CAL. IVL. a NATALITlORVM D JOANNIS « BAPTISTÆ PRO FESTO (( AVSPICATO « POSVIT « M D IIII xx XIII. Traduction. « Les Nantais ligués et en armes lorsque l’Église « catholique, par suite de l’hérésie et pendant l’inter- « règne, périclitait en France, construisirent pour dé- « fendre la religion et la ville, une fortification dont « voici la première pierre : Clément VIII gouvernant « l’Église romaine; Rodolphe II l’Empire; Philippe II « les Espagnes et les Indes; les princes Lorrains de « l’immortelle race de Charlemagne la France; enfin le « religieux et valeureux prince Philippe-Emmanuel de « Lorraine, duc de Mercœur, deux et trois fois victorieux « de ses ennemis, régissant la province de cette Bre- « tagne Armorique ainsi que ses frontières. — 387 — « Jean Laubier 1 « personnage très-agréable « étant maire « de la ville. « La très-auguste princesse Marie de Luxembourg, fidèle « épouse du très-puissant duc de Mercœur, l’an de la « réparation et salut du genre humain 1593, le 9 avant « les calendes de juillet (23 juin) et sous les auspices « de la nativité de saint Jean-Baptiste, a posé (cette « inscription). « 1593. » Il nous reste maintenant à faire sur ce texte diverses observations. A la fin de la seconde ligne, se trouve le mot interregnum que nous avons traduit par interrègne; les ligueurs appelèrent en effet de la sorte, le laps de temps qui s’est écoulé principalement entre 1589, date de la mort d’Henri III, et 1593, époque de fabjuration d’Henri IY. Mais on peut dire que pour le duc de Mer- cœur l’interrègne se poursuivit jusqu’en 1598, année de sa soumission. Vers le milieu de la cinquième ligne le mot urbi, ville , ne peut s’entendre que de la cité de Nantes. Aussi cette inscription, avant d’être dans la chapelle de l’an- cien cimetière de la Cornouaille, fut trouvée dans celle de la paroisse de Bougon ou Bourgon, près de Nantes. On ignore toutefois comment de Nantes elle est venue dans cette dernière chapelle. (Lettre de M. H. Sauvage du 18 décembre 1867.) 1 Jean Laubier de la Chaussée, maire de Nantes en janvier etc., 1593. Voir Mellinet, t. IV, p. 6, Histoire de la Commune de Nantes. - 388 - Quant au mot propugnaculum situé immédiatement après urbi et que nous traduisons par fortification, nous croyons qu’il s’agit d’une tour que l’on appelait à Nantes la tour du Papegault (autrement dit du Perroquet); en effet nous lisons dans l’histoire de la commune de Nantes par Camille Mellinet, page 271, que le duc de Mercœur et Marie de Luxembourg posèrent précisé- ment en l’année 1593, la première pierre de cette tour qui n’est peut-être bien que ce bastion sur les flancs duquel, vers la Loire, au château de Nantes, l’on re- marque parfaitement encore de grandes croix de Lor- raine (croix à deux traverses). Le mot affines de la 12e ligne prouve que l’autorité du duc de Mercœur au nom de la ligue, s’étendit même au delà du pays de Bretagne, ce qui du reste est vrai pour l’Anjou; ainsi notamment Châteaugontier, Craon et Rochefort-sur-Loire obéissaient à ses ordres. Dans ce dernier lieu, Mercœur avait même établi les tribu- naux d’Angers composés des membres les plus ardents de l’Union L A la 14" ligne nous lisons duce mercureo mot à mot le duc mercuréen, c’est-à-dire de Mercœur. Mercœur était un duché situé dans l’ancien Auvergne (aujourd’hui département de la Corrèze). La forme adjective mercureo prend celle d’un sub- stantif dans le monogramme mio, abrégé de Mercurio, Mercœur. Quant aux S barrés qui entourent chaque monogramme, il est assez probable qu’ils signifient signum. 1 L’Anjou et ses monuments , tome 11, paj;e 443. — 389 - Les hermines, les croix de Lorraine et les mono- grammes sont barbelés, sans doute pour indiquer que ces divers insignes étaient ordinairement en fourrure ou en étoffe. Le bis ter que des quatorzième et quinzième lignes fait allusion aux diverses batailles que gagna le duc de Mercœur, notamment en Anjou \ aux sièges de Craon et de Rochefort-sur-Loire en 1592. Disons en terminant que cette belle inscription fait, en quelque sorte, le pendant du contrat de mariage entre César de Vendôme et Françoise de Lorraine, fille du duc de Mercœur, contrat que nous avons publié dans V Anjou et ses monuments d’après la minute qui, en 1840, nous fut communiquée par M. Pachaut, alors notaire à Angers. Toutefois entre ces deux actes, l’un sur cuivre et l’autre sur papier, il y a cette différence que le pre- mier rappelle la ligue en pleine ardeur dans nos con- trées et le second l’extinction de cette même puissante ligue qui, comme certaines pièces de théâtre, se termina par des fiançailles au château de la ville d’Angers, le 5 avril 1598; fiançailles où intervinrent des acteurs qui s’appelaient Henri IV, Catherine sa sœur, Mercœur, Marie de Luxembourg et Gabrielle d’Estrées, stipulant, chose bizarre, pour deux fiancés âgés, César de quatre ans , et Françoise de six. Et ce qui paraîtra plus bizarre encore, le roi vert-galant déclare que « ledit César, son fils, ses enfants et leurs descendants venant tous à dé- faillir, la fille et les aultres enfants qu’il pourroit avoir 1 L'Anjou et ses monuments, tome II, pages 441 et suivantes. — 390 (lui Henri IV) en après de Mme la duchesse de Bcauforl (Gabrielle d’Estrées)... y succèdent. » Morale de prince, je le veux bien ! mais c’est, on en conviendra, porter les précautions fort loin. V. Godârd-Faultrier. Tigné, 22 novembre 1867. Extrait de La Ligue en Bretagne, par L. Grégoire, page 203. — « Mercœur était un prince très-instruit, connaissant plusieurs langues anciennes et modernes. Ronsard était son poète, écrit un de ses bio- graphes, Guichardin son historien, Sénèque son philosophe, Plutarque son politique, Clavius son mathématicien. Sa bibliothèque était com- posée de 18,000 volumes dont les sieurs Fumée et Saint-Remi avaient la garde. « Mercœur était poète lui-même et composait des odes, des son- nets, des stances dans le goût de l’époque; ordinairement, après le repas, l’on agitait et l’on traitait au long une belle matière dont lui- même avait proposé le sujet; après avoir attentivement écouté les différentes opinions il parlait à son tour, et les périodes de ses dis- cours contenaient autant de sentences et résolutions. 1 1 Mercœur et la duchesse, également instruite et protectrice des lettres, trouvaient avantage à s’entourer d’hommes capables de sou- tenir leurs droits par leurs écrits et de célébrer leur puissance. » Page 206. — « L’on ne se contentait pas de donner l’héritage de Bretagne aux descendants des Penthièvre ; c’était la couronne même de France dont on les jugeait dignes; si l’on en croit certains écri- vains de l’époque, Mercœur n’était d é j à rien moins que le roi très chrétien; la duchesse avait été plusieurs fois appelée la reine, et Nantes devenait la capitale du royaume catholique. » Page 208. — « Beaucoup d’auteurs et particulièrement ceux qui formaient la petite cour de Mercœur, s’efforcent de prouver l’antique origine de la maison de Lorraine. « Pierre Biré, sieur de la Doucinière, avocat du roi au présidial de 391 - Nantes, entre autres, dédie un livre à très-haut, très-illustre et très- vertueux prince le duc de Mercœur; il s’occupe de l’illustration de la maison de Lorraine particulièrement et du gouverneur de Bre- tagne. C’est, en réalité, le panégyrique continuel , la glorification pédantesque des princes lorrains et surtout de Mercœur que son livre. « Le Père du Paz, dans son Histoire généalogique, dit : « Ledit Phi- lippe-Emmanuel est issu de deux maisons des plus illustres et anciennes d’entre les princes de l’Europe; car, du côté paternel, l’origine de la maison de Lorraine est si ancienne, qu'elle se peut vanter en vérité d’estre issue des anciens roys de France de la pre- mière lignée, et du sang de Charlemagne du costé des femmes. • Page 122. « Des poètes ont célébré aussi cette illustre origine. Nicolas de Montreux, qui prend le pseudonyme d’Alcuin du Mont-Sacré, n’a eu garde de se taire dans ses Regrets, dédiés à très-illustre, vertueuse et catholique princesse, Mmc Marie de Luxembourg, duchesse de Mercœur et de Penthièvre, comtesse de Martigues. Ce recueil ren- ferme près de trois cents sonnets adressés à la plupart des person- nages de la cour politique et poétique de Nantes. » (Communication due à la complaisance de M. Sauvage.) RAPPORT de la Commission nommée par la Société d'a- griculture., sciences et arts d'Angers , dans la séance du 21 décembre 1867, à l'effet de rechercher , pour les proposer aux Administrations compétentes, les moyens de conserver les terrains et bâtiments de la fondation de Henri IL sans nuire aux intérêts qui s'y rattachent. Messieurs, après avoir entendu les explications de M. l’abbé Choyer; après avoir pris connaissance du tra- vail qu’il avait précédemment adressé à M»r l'évêque d’Angers, et que Sa Grandeur a transmis à M. le maire, votre commission a pensé que l’objet, des démarches à faire pouvait se réduire aux trois vœux suivants : 1° Éviter le morcellement de l’enclos, offert aux pau- vres par Henri Plantagenet ; 2° Faire rentrer dans cet ensemble de propriétés les constructions des Greniers Saint-Jean , qui en sont au- jourd’hui distraits; 3° Enfin, empêcher qu’on établisse dans ce dernier et magnifique édifice, l’usine qu’on y installe en ce moment, et qui ne peut que compromettre la beauté et la durée de ce monument remarquable. — 393 — La ville fait faire, aujourd’hui même, les lotisse- ments des terrains de l’ancien hôpital; votre commis- sion, Messieurs, s’est préoccupée de la crainte de voir des rues traverser et diviser, par parties, le domaine que le comte d’Anjou a offert aux pauvres, et que notre cité a la bonne fortune de posséder encore, à peu près dans son intégrité. Il ne faut qu’un très-minime effort pour tirer de ce terrain et des constructions qui le recouvrent, un grand parti, dans le sens de leur destination première. Si, au contraire, on morcelle ce précieux établissement, non- seulement il peut devenir improductif pour les pauvres, mais il perdra certainement, comme art, son premier caractère. Au lieu d’une institution vivante et animée, nous n’aurons plus que des débris. Nous croyons qu’on peut faire beaucoup mieux que de diviser, pour le vendre, le don de Henri II. Quand nous parlons d’intégrité de l’enclos Saint-Jean, nous devons dire que nous n’entendons nullement ré- clamer les espaces qui se trouvent en avant des murs de clôture parallèles au cours de la Maine, c’est-à-dire, l’ile Saint-Jean. La ville nous parait pouvoir en dispo- ser sans inconvénient pour la conservation de l’Aumô- nerie du comte d’Anjou. Elle peut les faire servir à l’embellissement du quai et des rues adjacentes. Nous en dirons autant des parcelles qui, sur le pour- tour du domaine réservé, deviendraient nécessaires à l’activité des rues circonvoisines. Si l’intégrité de la fondation du bienfaisant comte Plan- tagenet est à maintenir, même au prix de quelques sa- crifices, la nécessité pour la ville d’acquérir les Greniers — 394 - Saint-Jean, en même temps que le reste de l’immeuble, se trouve, par cette seule raison, suffisamment démontrée. Il paraît qu’une estimation préalable à tout essai de transaction, portait à 125,000 fr. le prix total de l’en- clos, les bâtiments compris. Nous ignorons le motif qui a porté l’administration municipale à restreindre ses offres au prix de 100,000 fr. Mais le fait paraît certain, et c’est pour se couvrir de la différence entre les deux sommes que la commission des hospices aurait proposé de retenir, en compensation, les Greniers Saint-Jean. Les inconvénients de la diversité de propriétaires commencent déjà, aux yeux de tout le monde, à se pro- duire. Votre commission émet le vœu que le rachat des Greniers Saint-Jean, par la ville, soit opéré en même temps que l’acquisition du reste de l’immeuble. Les cir- constances sont exceptionnellement favorables. Plus tard, ces mêmes circonstances peuvent devenir telle- ment difficiles que la bonne volonté, soutenue même par d’assez grands sacrifices d’argent, pourrait devenir impuissante à vaincre les obstacles. La municipalité achète aujourd’hui pour cause de voirie , c’est-à-dire qu’elle ne peut avoir de concurrents. Mais, en sera-t-il de même quand, plus tard, l’adminis- tration des hospices, disposée à vendre, mettra sa pro- priété aux enchères, et que des industries voisines fe- ront du vaste local qui nous occupe, un objet de spé- culation? La commission a été unanime à penser que des dé- marches doivent être faites auprès des deux administra- tions intéressées, pour solliciter un entente qui permette à la propriété de l’ancien hôpital de passer, dans son — 395 — eutier, entre les mains de l’autorité municipale. On peut d’ailleurs affirmer, sans hésitation, que la dépense excé- dante nécessitée par l’acquisition de la totalité de l’im- meuble, est de celles que réclame le vœu populaire, et à laquelle applaudissent, sans réserve, tous ceux qui ont souci du beau dans les arts. Quant à la nécessité de faire disparaître au plus tôt du local, dit Greniers Saint-Jean, l’usine qu’on y ins- talle, en ce moment même, non-seulement elle s’impose à tous les esprits, mais elle est déclarée d’urgence Les vapeurs humides et grasses, que produit continuelle- ment la fabrication de la bière, pénètrent les murs, les souillent et en compromettent la durée. Les parties délicates et artistiques, telles que colon- nettes, chapiteaux et moulures, sont heureusement bien conservées jusqu’à ce jour. Pour avoir une juste idée de ce que deviendront ces précieux détails, pendant l’ex- ploitation de l’usine, il suffit de voir en quel état se trouvent les bâtiments que quitte aujourd’hui la bras- serie qui cherche à envahir les Greniers Saint-Jean. Une location élevée n’est donc pas, en réalité, dans les circonstances présentes, une économie. Par ces motifs, et une foule d’autres qu’on pourrait invoquer, la commission donnerait la priorité à cette dernière démarche , si elle pouvait être séparée des autres. Reste à parler des voies et moyens à proposer à l’ad- ministration municipale pour utiliser les locaux de l’hô- pital abandonné. C’est ici que doit trouver place le plan de restaura- tion de l’Aumônerie Saint-Jean, proposé par M. l’abbé 396 — Choyer. Ce projet tendrait à reconstituer l’œuvre du bienfaiteur de l’Anjou, en se rapprochant, autant que possible, des intentions du fondateur. Donner asile à tous ceux qui souffrent, qu’ils soient valides ou ma- lades, tel a été le vœu de Henri II. Tel aussi doit être celui des restaurateurs de son œuvre. M. l’abbé Choyer penserait donc qu’il y aurait lieu de créer, dans l’éta- blissement qui n’a plus de revenus, d’une part, une maison de santé, à un prix extrêmement réduit, pour les classes ouvrières. Presque toutes, en effet, se sont assuré des ressources, pour le temps de la maladie, en faisant partie des sociétés de secours mutuels. •Avec les ouvriers seraient également admis, dans le même asile, ceux des pauvres à qui la bienfaisance pri- vée viendrait suffisamment en aide. En outre, la seconde partie du vaste enclos délaissé serait affectée à un orphelinat-école professionnelle pour les garçons. Si de grands établissements destinés à des enfants indigents, à Paris, et pour lesquels on offre des pensions assez élevées, sont insuffisants au nombre tou- jours croissant des demandes, nul doute qu’à Angers, la nouvelle institution ne se trouve bientôt remplie de pensionnaires nombreux et payants. Ainsi, quand bien même, ce qui n’est pas admissible pour l’Anjou, et pour une œuvre aussi belle que celle de Henri II, la bienfaisance privée ferait entièrement défaut vis-à-vis des bourses à créer, le succès de l’Au- mônerie nouvelle n’en resterait pas moins assuré. L’œu- vre municipale, que nous voulons établir dans les an- ciens bâtiments de l’hôpital abandonné, se recommande donc d’elle-même, et porte avec elle ses garanties de — 397 — réussite. Ce fait est important à bien constater. Il en doit être de même de l’offre généreuse d’une commu- nauté qui propose de fournir, à ses frais, le mobilier du nouvel établissement, et aussi le personnel, pour le des- servir. Par toutes ces considérations, la commission a été d’avis qu’il y aurait lieu de prier l’administration muni- cipale de faire étudier le lotissement des terrains Saint- Jean, au point de vue de la conservation de cet enclos dans son ensemble. D’ailleurs, l’heureuse pensée d’établir une passerelle sur le pont des Treilles, semble elle-même favoriser la distribution que nous prenons la liberté d’indiquer, et au besoin de solliciter. En examinant avec attention la disposition des lieux, il est facile, en effet, de se convaincre qu’un boulevard partant du coin de l’École des Arts et allant se relier auprès de Sainte-Thérèse, au boulevard de la Turcie, par la rue Monfrou, est non-seulement possible, mais on peut dire d’une exécution assez peu dispendieuse. Cette large voie, que viendraient croiser des rues par- tant, d’une part, de l’hôpital neuf, en passant au coin des Greniers Saint-Jean, et, de l’autre, de l’extrémité inférieure de la rue Vauvert, en traversant diagonale- menl le Tertre aux Marronniers, cette vaste et belle ar- tère, disons-nous, serait, dans toute sa longueur, d’une pente très-carrossable. Tout en sauvegardant l’intégrité de l’enclos donné par l’illustre et bienfaisant comte d’Anjou, cette dispo- sition aurait encore le double avantage d’être, à la fois, pour le haut quartier de la Doutre, une utilité réelle et soc. d’ag. 27 — 398 — un embellissement précieux, ce qui constitue la perfec- tion de la chose, au témoignage d’un poète ancien. La commission demeure pleine de confiance que les diverses administrations auxquelles sont adressés les vœux de la Société d’agriculture, sciences et arts d’An- gers, en apprécieront toute la justesse et l’opportunité. Elle ne doute pas que, cédant aux sentiments de la re- connaissance et du patriotisme, autant qu’au désir d’être utiles aux pauvres, les hommes honorables auxquels sont confiés les intérêts de la cité, ne s’empressent de faire droit à nos trop justes réclamations. An nom de la Commission , F. Prévost. PROCÈS-VERBAUX DES SÉANCES. SÉANCE DU 31 JUILLET 1867. Présents au bureau : MM. Lachèse, président, et Biéchy, secrétaire. Le procès-verbal lu et adopté, M. le Président fait part à la Société de la demande que lui a adressée M. Antonio-Maria Lombardi, docteur italien, pour être admis dans la Société. M. Lombardi a joint trois bro- chures à l’appui de sa demande. Un autre postulant de la même nation, M. Innocent Ghigni, sicilien, demande aussi à faire partie de la Société. M. Cosnier est prié de vouloir bien faire un rapport sur ces deux demandes. M. le Président fait connaître à la Société qu’il a reçu le compte-rendu des collections exposées par l’admi- nistration des Eaux et Forêts à l’exposition universelle. Il fait aussi connaître une lettre qu’il a reçue de M. l’abbé Choyer, relativement au Mémoire de M. le commandant Prévost, mentionné dans le précédent — 400 — procès-verbal. Il est convenu rpie la lettre sera réunie aux autres documents que préparent sur le même sujet MM. Beulé, Port, Godarrl-Faul trier et Prévost. M. Cosnier lit ensuite un mémoire intitulé : Angers il y a quarante ans, et dans lequel il décrit dans le style le plus élégant et avec les plus intéressants détails, la vie et les impressions de voyage d’un jeune étudiant quittant Angers en ce temps-là pour se rendre à Paris. Les scènes de départ autour de la digilence du Grand Bureau, l’attelage, les curieux, les familles des voya- geurs, les sentiments divers sont d’abord décrits dans une vivante peinture ; puis, les incidents de la route, les haltes, le coucher, l’arrivée à Paris, et enfin le ta- bleau de Paris en ce lemps-là, fait un tout plein de charme. L’ingénieux auteur compare le Paris d’alors à celui d’aujourd’hui, et conclut en faveur des impres- sions de sa jeunesse, en faveur de Paris de 1828, avec les rues souvent étroites et tortueuses, les réverbères à l’huile, les fiacres, les rares omnibus, et son luxe si dépravé aujourd’hui. La lecture de ce mémoire est suivie avec un intérêt extrême et saluée enfin par d’unanimes applaudisse- ments, qui s’adressent à la fois et au charme des souve- nirs réveillés et au charme du récit, à l’art admirable avec lequel les scènes du passé sont présentées, dé- peintes, ranimées. Le secrétaire-général, A. Biéciiy. — 401 — SÉANCE DU 27 NOVEMBRE 1867. A sept heures la séance est ouverte par M. le D1' la- chèse, président, assisté au bureau de M. Chollet, secrétaire. Le procès-verbal de la dernière séance ne peut être lu, M. le Secrétaire-Général étant absent et ne bayant pas envoyé. M. le Président donne à la Société communication de plusieurs lettres et envois. 1° Une lettre du Ministre de l'instruction publique annonçant que Son Excellence lui alloue une somme de trois cents francs de subvention. M. le Président a immédiatement transmis à Son Excellence les remer- ciements de la Société. 2° Une circulaire du Ministère de l’instruction pu- blique appelant l’attention et l’intérêt de toutes les sociétés savantes de France sur les cours d’instruction secondaire spéciale , organisés depuis deux ans sur divers points de la France, et invitant les sociétés elles- mêmes et chacun des membres qui les composent, à contribuer par leurs efforts et par des offrandes à la création des collections scientifiques nécessaires pour placer sous les yeux des élèves les objets mêmes qui font l’objet de l’enseignement. Ces collections com- prennent tout ce qui concerne la zoologie, la botanique et la géologie, tant de nos contrées que des autres pays. 3° Une lettre de M. le secrétaire-général Biéchy, s’excusant de ne pouvoir cette année, à cause de ses — m occupations, assister aux séances de la Société, et de- mandant à être relevé de ses fonctions de secrétaire qu’il ne pourrait remplir. La Société, en regrettant vivement l’absence d’un de ses membres les plus dignes, exprime l’espérance que cette absence ne sera que mo- mentanée, et qu’elle ne sera pas pour cela privée de sa précieuse collaboration. 4° L’assemblée apprend avec le plus vif plaisir que M. l’abbé Choyer, retenu depuis plusieurs années loin d’elle, pourra désormais reprendre part à ses travaux et assister aux réunions. 5° M. Jouin, littérateur et poète, se présente sous le patronage de M. l'abbé Gillet, son ami, et demande à faire partie de la Société. Il envoie trois pièces de vers composées par lui, dont M. le Président donne lecture. La Société est d’avis d’accueillir immédiatement la de- mande de M. Jouin, et M. Gillet est chargé d’annoncer à son ami son admission. Plusieurs brochures ont été envoyées à la Société : 1° Par M. Sauvage, juge de paix au Louroux-Bécon- nais, membre titulaire. M. Chollet est prié d’en rendre compte à la prochaine séance. 2° Un numéro du journal de la Société d’ Agriculture de Laon paraît renfermer quelques articles qui peuvent intéresser la Société. M. Ferdinand Lachèse veut bien se charger d’en rendre compte. 3° Une petite brochure intitulée : de l'Arl chez les peuples primitifs , par M. Léon Fallue, sera remise à M. le commandant Prévost, avec prière de vouloir bien taire à la Société un rapport sur ce qu’il pourrait y trouver d’intéressant pour elle. — 403 — 4° Un rapport sur l’invasion du choléra à Oran en 1867, par M. le Dr Reboulleau. Ce rapport renferme des détails d’un intérêt pratique, considère la maladie sous divers points de vue, en recherche les causes qu’il attri- bue presque exclusivement à l’insalubrité des logements, à un régime alimentaire tout à fait en opposition avec le climat et les besoins de la population, suit le fléau dans sa marche progressive, et nous le montre cédant enfin et disparaissant peu à peu. Ce travail remarquable est vivement apprécié par M. le Dr Lachèse, qui veut bien en lire quelqnes fragments ; aussi, sur la proposition de M. le Président, le titre de membre correspondant est- il accordé à M. le Dr Reboulleau. M. Eliacin Lachèse lit un rapport sur trois notices rédigées par M. l’abbé Proyart, vicaire -général à Arras, et qui ont été envoyées par l’auteur à la Société. Ces trois notices, écrites d’une manière remarquable, sont remplies de détails intéressants et dénotent un homme dont la vie entière s’écoule dans l’accomplissement des bonnes œuvres et dans l’étude, un homme dont les tra- vaux ont déjà été appréciés par nous-mêmes; car c’est lui qui a écrit le mémoire sur Jean de Rely, ancien évêque d’Angers, et dans lequel a été puisée la notice qui a si vivement intéressé la Société dans une de ses dernières séances. Aussi, dit M. Lachèse, serait-il dési- rable au plus haut point pour notre Société, de compter M. l’abbé Proyart au nombre de ses membres corres- pondants. « Nous ferions là un acte moins de courtoisie « que d’intérêt bien entendu, en offrant ce titre à un « étranger aussi zélé et aussi instruit. Encore, ajoute « M. Lachèse, en parlant de M. Proyart comme d’un — m — « étranger, ne risquons-nous pas de manquer un peu à « la vérité ? » Rappelant à notre souvenir la curieuse et intéressante notice lue il y a un an bientôt par M. Paul Lachèse, sur la destruction d’Arras au xive siècle par ordre de Louis XI, et sur les trente familles angevines appelées à repeupler la nouvelle ville, le rapporteur se demande s’il n’est pas possible que du sang angevin coule dans les veines de plus d’un ancêtre des habitants modernes de cette cité. La Société, sur les conclusions du rapporteur et sur la proposition de son Président, vote à l’unanimité l’ad- mission de M. l’abbé Proyart au titre de membre cor- respondant. L’ordre du jour appelait la lecture d’un travail de M. Ferdinand Lachèse sur le danger auquel s’exposent les personnes qui habitent des maisons trop nouvellement construites. L’auteur, après avoir constaté que de toutes les ma- ladies qui viennent assaillir l’homme, une des plus fré- quentes, la plus répandue peut-être, est le rhumatisme, le rhumatisme qui se manifeste sous mille formes di- verses, en cherche les causes; et d’accord sur ce point avec la science, il affirme que la seule cause occasion- nelle de celte affection, est l’impression prolongée du froid, et surtout du froid humide. Or, est-il rien qui puisse produire, d’une manière plus formelle ce résultat, qu’une maison nouvellement construite dans laquelle on habite et de jour et de nuit? A voir l’empressement de tout le monde à occuper de nouvelles constructions, il semble qu’on n’a aucune — 405 — idée du mal qu’on peut se faire. Mais quel temps faut- il pour qu’une maison ordinaire, bâtie dans de bonnes conditions, ne produise plus ces inconvénients? Un fait observé par M. F. Lachèse lui-même pourra servir de base à cet égard. 11 y a quelques années, on rebâtis- sait à Beaupreau la prison cellulaire; les murs étaient à peu près terminés à la fin de la première année; deux années se passèrent encore pour opérer la dessic- cation jugée nécessaire. Enfin, trois ans après le com- mencement des travaux, avant d’y installer les détenus, on voulut faire l’essai du calorifère dont les tuyaux pas- saient dans l’épaisseur même des murs. La chaleur produisit une évaporation telle, que pendant plusieurs jours, la prison se trouva remplie d’une buée consi- dérable. Si tel a été le résultat, après trois ans, dans un bâti- ment aéré et dans la construction duquel rien de ce qui pouvait en assurer la salubrité n’avait été négligé, quelle humidité ne doivent pas renfermer des maisons qui ne sont pas pourvues de ces mêmes appareils de calorifères, qui à peine élevées, sont enduites à l’exté- rieur et à l’intérieur et mises ainsi dans l’impossibilité de perdre l’humidité qui entre dans leur composition? Le désir d’être utile et de rendre service en montrant le danger a porté M. Lachèse à présenter ces observa- tions à la Société. M. le Président, se faisant l’interprète de toute l’As- semblée, remercie M. Lachèse de cette communication, qui est du plus vif intérêt à l’époque surtout où nous sommes, époque de reconstruction presque générale, — 406 el qui sera imprimée dans les Mémoires de la Société d’agriculture. Enfin M. L. Cosnier lit la suite de son travail intitulé: Angers il y a quarante ans. La première partie de ce travail avait été lue à la dernière séance. Pour en faire une analyse complète et digne du sujet, il faudrait avoir sous les yeux et embrasser d’un coup d’œil ce tableau tout entier. Votre secrétaire, Messieurs, n’a pu se pro- curer la première partie, il vous prie donc de lui per- mettre d’attendre une nouvelle séance pour vous en présenter le compte-rendu. Aujourd’hui, il se borne à constater le plaisir et le charme qu’a procurés à toute l’assistance la lecture de ces pages écrites je ne dirai pas seulement avec l’esprit, mais avec le cœur, el où notre savant et aimé collègue décrit d’une manière si intéressante et les événements el les hommes de sa jeu- nesse, qui maintenant sont devenus des célébrités, des gloires de la France. A neuf heures et demie, finissait, au grand regret de tous, la lecture de M. Cosnier, et la séance était levée. Le Secrétaire , M. Chollet. SÉANCE DU 21 DÉCEMBRE 1867. A sept heures un quart, la séance est ouverte. Présents au bureau : M. le Dr Lachèse, président; M. Chollet, secrétaire. — 407 - Le procès-verbal de la séance précédente est lu et adopté. M. le Président lit une lettre de M. Benion, qui fait hommage à la Société d’un ouvrage de sa composition, et se charge lui-même de rendre compte ultérieure- ment de cet ouvrage. Une lettre de faire-part, adressée à la Société, fait connaître la mort de M. Guibert, membre titulaire ; M. le Président veut bien se charger d’exprimer à Mme Gui- bert les compliments de condoléance de la Société. L’administration municipale adresse à la Société une circulaire pour recommander la souscription en laveur des pauvres, organisée dans toute la ville. L’absence du Trésorier empêche de décider immédiatement si la So- ciété peut souscrire et quel sera le montant de sa sous- cription. Cette question sera reportée à une autre séance. M. le Dr Romain Grille est présenté à la Société comme candidat pour être membre titulaire. L’Assemblée tout entière accueille avec joie cette proposition , et vote l’admission immédiate du docteur Grille, sans qu’il soit besoin, pour un candidat connu de tous par ses tra- vaux historiques et littéraires, de recourir aux mesures réglementaires. M. Godard- Faultrier lit un rapport fait par lui sur une inscription trouvée par M. Sauvage, juge de paix au Louroux-Béconnais, et membre titulaire, dans la cha- pelle de l’ancien cimetière de la Gornuaille, apparte- nant à M. Robineau de la Burlière. Cette inscription, faite en beaux caractères romains et en relief sur une plaque de bronze, est parfaitement conservée; et non- — 408 seulement pourra figurer, comme le donne à espérer M. Sauvage, au Musée des antiquités d’Angers; mais, ajoute notre savant et infatigable conservateur des Monu- ments historiques, elle y aura une des premières places. Après avoir cité l’inscription dont un estampage est mis sous les yeux de la Société, M. Godard, avec cette jus- tesse de coup d’œil et d’appréciation que chacun sait, s’inspirant des moindres détails, de forme, d’ornemen- tation, pesant tous les mots pour leur donner la signi- fication qu’ils comportent, s’appuyant, pour confirmer son opinion sur des autorités incontestables, sur des historiens dont il cite des passages, parfaitement d’ac- cord avec les noms et les dates de l’inscription, M. Go- dard reconnaît dans cette plaque un monument commé- moratif de la pose de la première pierre d’un ouvrage avancé, construit par les Nantais ligués et en armes, pour défendre la ville et la religion menacées par l’hé- résie. « Sous le souverain pontificat de Clément VIII, « Rodolphe II étant empereur; Philippe II roi d’Es- « pagne et des Indes, les princes de la maison de Lor- « raine gouvernant la France pendant l’interrègne 1 ; « Philippe-Emmanuel de Lorraine, duc de Mercœur, « régissant la Bretagne-Armorique; l’an de la répara- « lion 1593, le 24 juin, fête de saint Jean-Baptiste, la « très-auguste princesse Marie de Luxembourg, épouse « du duc de Mercœur, a posé cette inscription. » La lecture de ce rapport, qui montre quelle était la force de la Ligue dans nos contrées, est écoutée avec le 1 C’est le nom que les ligueurs donnaient à la période qui s’écoula entre la mort de Henri III et l’abjuration de Henri IV. — 409 plus vif intérêt, et M. le Président, interprète de toute l’Assemblée, remercie chaleureusement M. Godard de son beau travail; il associe à ces remerciements M. Sau- vage, qui a bien voulu faire part à la Société de sa pré- cieuse découverte; et déclare, conformément au vœu de tous, que ce rapport sera imprimé et figurera au Bulletin de la Société. Vient ensuite, d’après l’ordre du jour, la lecture d’un travail de M. le commandant Prévost intitulé : Réfutation dû l’erreur qui consiste à attribuer aux soldats romains une ' supériorité sur les soldats des nations mo- dernes dans les marches et dans les travaux entrepris à la guerre... La querelle des Anciens et des Modernes qui a tant agité le xvne siècle, écrit l’auteur de ce remarquable article, est heureusement apaisée; la part des uns et des autres a été faite équitablement; toutefois un point reste encore obscur ; bien des personnes, des savants même, attribuent aux anciens une supério- rité qui n’est pas méritée, la supériorité dans les apti- tudes militaires. Cette erreur provient de ce que rare- ment les récits des auteurs militaires de l’antiquité ont été soumis à un contrôle suffisant, parce que les tra- ducteurs ne se trouvaient pas dans les circonstances favorables pour les scruter convenablement. M. le commandant Prévost, placé dans de bonnes conditions pour exercer ce contrôle, dans les lieux mêmes décrits par César, au milieu des restes de ces grands ouvrages, a pu se convaincre, le livre des Com- mentaires à la main, qu’aucune description, aucun des chiffres qui se trouvent dans César ne conduit à une 410 — impossibilité pour le nombre d’hommes et pour le temps employé aux ouvrages dont il parle ; tandis qu’il y a beaucoup à diminuer dans le merveilleux qu’on attribue à quelques-uns de ces travaux. Parlant d’abord des vêlements et des armes du sol- dat romain, des fardeaux qu’il était obligé de porter dans les marches, vivres pour trente jours, pieux pour les campements, etc., etc., notre savant collègue, s’ap- puyant sur des textes de divers auteurs et sur des mo- numents, montre avec évidence que trop souvent on a pris pour choses habituelles ce qui n’était qu’une excep- tion, et que notre soldat français porte en campagne un poids au moins égal, pour ne pas dire supérieur, à celui que portaient les Romains. Pour la vaillance, pour les sièges, les soldats mo- dernes sont-ils inférieurs aux anciens? Les noms d’Ar- cole, des Pyramides, de Moscou, de l’Alma, de Solfé- rino, de Constantinople, La Rochelle, Dantzig, Sarra- gosse, Sébastopol, Puebla, répondent par eux-mêmes. Passant aux travaux accomplis par César dans les Gaules, M. Prévost en cite quatre que l’on a toujours tellement admirés, qu’on les a souvent considérés comme à peine possibles : le pont sur le Rhin, le siège de Bourges, la défense du camp de Cicéron et le blocus d’Alise. Pour le premier, sans lui rien ôter de son mérite, on peut lui opposer celui que construisit sur le Danube le colonel du génie Bertrand, pour la campagne de Wa- gram, et qui l’emporte de beaucoup par les difficultés vaincues. Dans le siège de Bourges, le fait le plus étonnant, — 411 — c’esl la construction en vingt-cinq jours d’une terrasse de cent mètres de long sur vingt-trois mètres de hau- teur; mais les calculs faits d'après les données des écoles régimentaires du génie prouvent qu’un pareil tra- vail n’aurait rien non plus d’impossible pour nos soldats et pourrait être facilement exécuté dans le temps indi- qué et dans les mêmes proportions. Pour la défense du camp de Cicéron, tout l’extraor- dinaire repose sur l’interprétation du mot turres, traduit à tort par tours, et qui est applicable à des construc- tions plus modestes, comme celles que l’on voit sur les bas-reliefs des colonnes Trajane et Antonine; construc- tions qui sont parfaitement exécutables dans le temps marqué par Cicéron. Devant Alise les travaux ont été en effet gigantesques; M. Prévost, toujours César à la main, nous en fait cal- culer l’importance; mais aussi avec les documents et les statistiques de nos écoles, il prouve encore que de nos jours, quarante mille soldats, sans fatigue pour les hommes dont la moitié se reposerait comme ceux de César, pourraient exécuter comme eux, en vingt-six jours, trente-cinq mille mètres de retranchements. A l’appui de ce qu’il avance, M. Prévost cite le siège de Bréda par les Espagnols, en 1624, où furent exécutés des ouvrages comparables, supérieurs même à ceux du siège d’Alise. On en pourrait dire autant du siège d’Anvers et de bien d’autres. Donc, ajoute l’honorable commandant, nous pouvons conclure qu’une égalité parfaite existe entre les soldats des deux époques, et que s’il y a une différence, cette dillérence est en faveur des nôtres. Ne craignons pas — 412 — d’affirmer, continue-t-il, que cette supériorité, les Fran- çais la possèdent aujourd’hui sur les nations voisines. Descendants des Gaulois, des Romains et des Francs, les trois plus valeureuses nations des temps anciens, ils sont, comme l’a dit le fameux Paul-Louis Courrier, placés au second rang par tous les autres peuples qui naturellement gardent pour eux la première place. La conséquence est facile à tirer. Des applaudissements unanimes saluent la fin de cette lecture, pour laquelle M. le Président exprime à l’auteur les remerciements de la Société tout entière. Profitant de la circonstance, M. le Président adresse à M. le commandant Prévost ses félicitations et celles de la Société, pour la haute distinction que lui a conférée le Souverain Pontife en le nommant chevalier de l’ordre de Saint-Grégoire, la Société tout entière est heureuse et fière de cet honneur accordé à un de ses membres. M. Prévost remercie l’Assemblée de celte marque de sympathie à laquelle il est très-sensible; lui aussi atta- che le plus haut prix à celte décoration que lui a con- férée le grand et saint pontile Pie IX. Il ajoute que pen- dant son séjour à Rome, lors du siège de cette ville en 1849, la découverte de quelques restes de travaux anciens lui donna l’idée de pousser plus loin ses re- cherches, il les continua en France, et c’est le résultat de ces investigations qui l’a amené à écrire son travail d’aujourd’hui. Il veut bien même faire espérer qu’il dira à une prochaine séance les découvertes qu’il a faites à ce sujet. Celle promesse est accueillie avec reconnais- sance. — L’ordre du jour appelait la lecture d’une Étude — 413 — sur Henri II, fondateur de l’Aumônerie Saint-Jean, à Angers. Ce titre seul possède un puissant attrait. Heu- reuse du succès qu’avaient naguère obtenu ses démarches pour conserver à l’Anjou les statues des Plantagenets, la Société ne pouvait accueillir qu’avec faveur une notice sur le plus illustre de ces princes dont notre pays s’ho- nore, sur celui qui a doté notre ville d’un monument précieux et unique tant sous le rapporl de l’art qu’au point de vue de l’utilité et de la bienfaisance. L’attente n’a pas été trompée. Après nous avoir montré dans une première partie l’homme vraiment religieux, le roi coupable sans doute, mais repentant et cherchant dans l’exercice de la charité à réparer un passé qu’il pleure, M. Choyer nous le fait voir, versant sur notre Anjou, sur notre ville principalement, les trésors de sa bien- faisance, par l’établissement de cette aumônerie Saint- Jean, à laquelle étaient annexées plusieurs autres mala- dreries ou léproseries; bienfait immense pour une cité de pouvoir offrir ainsi un asile à tous ceux qui souffrent, qu’ils soient valides ou infirmes. Et puis le prince n’est pas seulement l’homme religieux, le fondateur d’un hospice, c’est l’administrateur habile qui a su tout pré- voir, tout calculer dans l’organisation de son œuvre, et qui lui a donné cette grandeur que nous admirons en- core aujourd’hui, ce cachet que l’archéologie nomme l’architecture des Plantagenets ou l’époque angevine. Au mérite de la diction et de l’érudition, l’auteur a su joindre un intérêt toujours croissant et faire passer dans tous les cœurs l’émotion qu’il ressentait lui-même quand il a parlé du danger où était la ville de perdre à tout jamais une partie considérable de ce grand établis- soc. d’ag. 28 — 414 — sement, par suite de la location des Greniers Saint- Jean à un industriel qui veut y établir une brasserie, et qui même a déjà commencé ses travaux d’installation. Aussi la proposition que M. Choyer fait à la Société de prendre en mains encore une fois la défense de l’œuvre des Plantagenets trouve-t-elle un assentiment unanime. M. le Président, après avoir observé que sans doute il y avait lieu à quelques observations que le temps ne per- mettait pas de développer, se borne à constater ce fait, que dans l’état où se trouvait l’Hôlel-Dieu avant le transfert des malades dans les nouveaux bâtiments, il avait lui-même bien des fois éprouvé qu’un inconvé- nient immense résultait de l’unité et de la sonorité de la salle des malades; mais ajoute-t-il, ce n’est là qu’une question secondaire, l’important est de sauver ce qui reste encore de l’établissement de Henri II, et de con- server à cet établissement sa destination primitive. Il regrette que M. Choyer n’ait pas, par discrétion, et dans la crainte de fatiguer l’attention, fait suivre son travail d’un aperçu des projets qu’il a conçus et que Mg* l’évêque d’Angers veut bien encourager de son haut patronage. Il propose à la Société de nommer une com- mission de cinq membres, qui avisera au plus tôt aux moyens d’atteindre ce double but. M. Choyer, chaleu- reusement remercié pour son activité et son zèle, est le premier membre de la commission, et avec lui sont nommés MM. Cosnier , Prévost, Godard-Faultrier et Sorin. Ces Messieurs acceptent et prennent rendez-vous pour le lendemain. M. l’abbé Choyer communiquera à la commission les projets à l’élude en ce moment pour arriver à la conservation du monument et à l’établisse- *- 415 — ment clans ses murs d’une œuvre de charité et d’utilité publiques. Deux autres lectures avaient été portées au procès- verbal; l’heure avancée oblige de les remettre à une autre séance. Restait enfin le renouvellement du Bureau. Aux termes du règlement, le président et le vice-pré- sident devaient être renouvelés. Par suite de la démis- sion de M, le Secrétaire-Général, il fallait nommer aussi un nouveau titulaire. Le scrutin, ouvert et dépouillé, nomme président, M. le Dr Lachèse; vice-président, M. V. Pavic; secrétaire général, M. Chollet. Un nou- veau secrétaire restait à nommer; M. Jouin a réuni tous les suffrages. Le Bureau se trouve donc constitué pour l’année qui va commencer. La séance est levée à neuf heures et demie. Le Secrétaire, M. Chollet. SÉANCE DU 26 DÉCEMBRE 1867. A sept heures et un quart, la séance est ouverte. Présents au bureau : MM. le docteur Lachèse, prési- dent; Chollet, secrétaire-général; Rondeau , trésorier. M le Président donne à l’assemblée, très-nombreuse, lecture d’une lettre de M. Lèbe-Gigun, qui regrette vi- vement, à cause de son grand âge, de ne pouvoir assis- ter aux réunions et d’être devenu un membre inactif, et qui présente, comme membre titulaire, M. l’ingénieur — 416 — J. L. Jacot, en résidence à Nantes. Une commission de trois membres, selon l’usage, et composée de MM. Pré- vost, Sicot et Cosnier, est chargée des informations et du rapporta faire sur cette présentation à la prochaine séance. L’ordre du jour était le rapport de la commission nommée à la dernière séance pour s’occuper de l’au- mônerie d’Angers. La parole est donnée à M. le com- mandant Prévost, Après avoir verbalement et sommairement rappelé ce qui avait été dit par M. l’abbé Choyer dans son Étude sur Henri II, et sur les craintes qui avaient ému la So- ciété, M. le rapporteur donne lecture du résultat des travaux de la commission. Cette dernière a pensé que l’objet des démarches à faire pouvait se réduire aux trois vœux suivants : 1° Éviter le morcellement de l’enclos offert aux pau- vres par Henri Plantagenet; 2° Faire rentrer dans cet ensemble de propriétés les constructions des Greniers Saint- Jean, qui en sont au- jourd’hui distraites; 3° Enfin, empêcher qu’on établisse dans ce dernier et magnifique édifice l’usine qu’on y installe en ce mo- ment, et qui ne peut que compromettre la beauté et la durée de ce monument remarquable. El d’abord, si cet établissement était morcelé, non- seulement il pourrait devenir improductif pour les pau- vres, mais il perdrait certainement comme art son pre- mier caractère; au lieu d’une institution vivante et ani- mée, ce ne serait plus que des débris ; tandis qu’il suf- firait aujourd’hui d’un minime effort pour en tirer un — 417 — grand parti dans le sens de son institution première. En parlant de l’intégrité de l’enclos, la commission entend tout ce qui est nécessaire pour la constitution d’un établissement complet, mais elle regarde surtout comme indispensable l’acquisition par la ville des Gre- niers Saint-Jean, qui sont restés entre les mains de l’ad- ministration des hospices. On peut voir dès maintenant par ce qui vient de se produire quels sont les inconvénients de la diversité de propriétaires. D’autre part, les circonstances sont excep- tionnellement favorables pour opérer l’acquisition de l’immeuble. La municipalité achète aujourd’hui pour cause de voirie ; c’est dire qu’elle ne peut avoir de con- currents. Plus tard, il n’en serait plus de même, et des difficultés de toute sorte pourraient opposer au bon vouloir des obstacles insurmontables. Si la commission a été unanime pour émettre le vœu de solliciter une entente des deux administrations dans le but de voir passer aux mains de la municipalité l’ancien hôpital dans son entier, elle ne craint pas d’affirmer que la dé- pense nécessitée par cette acquisition est de celles que réclame le vœu populaire et à laquelle applaudiront tous les amis des arts. Quant à la nécessité de faire disparaître au plus tôt des Greniers Saint-Jean l’usine qu’on y installe , elle s’impose et est réclamée d’urgence pour peu que l’on tienne à conserver non-seulement les parties délicates et artistiques, mais les murs, mais les charpentes, mais l’édifice tout entier qui serait compromis par les va- peurs grasses et pénétrantes que produit continuelle- ment la fabrication de la bière. 418 — Reste à parler des voies et moyens à proposer à l’ad- ministration municipale pour utiliser les locaux de l’hô- pital abandonné. La commission adopte l’idée de M. l’abbé Choyer, de reconstituer l’œuvre du bienfai- teur de l’Anjou, et d’en faire un asile pour tous ceux qui souffrent, qu'ils soient valides ou malades. On pour- rait ouvrir dans une partie de l’établissement une mai- son de santé à un prix extrêmement réduit pour les classes ouvrières à qui répugne tant le nom d’hôpital, et dans l’autre partie, à l’exemple de plusieurs grandes villes, on pourrait créer un orphelinat école profession- nelle pour les garçons. Nul doute que la bienfaisance privée ne vienne puissamment en aide à cette œuvre éminemment utile ; déjà même une communauté se pro- poserait de fournir à ses frais le mobilier et le person- nel nécessaires. Par toutes ces considérations, la commission pense qu’il serait bon de prier l’administration municipale de faire étudier le lotissement des terrains Saint-Jean en vue de la conservation de cet enclos dans son ensemble. Suivent quelques aperçus qui pourraient être soumis sur ce point à l’administration. Le rapporteur termine en exprimant la confiance que les diverses administra- tions auxquelles seront adressés les vœux de la Société d’agriculture, sciences et arts d’Angers, en apprécieront toute la justesse et l’opportunité et s’empresseront, dans le désir d’être utiles, de faire droit à nos trop justes réclamations. Après la lecture de ce rapport, écoutée avec la plus religieuse attention et accompagnée de nombreuses et évidentes marques d’adhésion, M. le Président invite les — 419 — membres présents à formuler les observations qu’ils croiraient devoir faire. Une longue et intéressante discussion s’engage alors sur l’opportunité, la possibilité même de créer dans cet établissement une maison de santé; sur les difficultés de toute sorte que présente une pareille création aux yeux de certains membres de la Société, dont l’opinion est combattue par d’autres. Enfin, M. le Président ré- sumant les divers avis, constate que le vœu unanime est de sauvegarder l’aumônerie Saint-Jean dans son in- tégrité, de lui rendre sa destination première, par l’éta- blissement dans ses murs d’un orphelinat école profes- sionnelle, et plus tard, s’il y a lieu, d’une maison de santé ou de quelque autre œuvre d’utilité publique, sans surcharger le budget de la ville. Il accepte donc la mission d’écrire à M. le maire et aux membres de la commission des hospices pour leur exprimer le vœu de la Société d’agriculture, sciences et arts, à ce sujet. M. Cosnier donne alors à l'assemblée lecture d’une lettre que M. Godard-Faultrier a dû adresser à Leurs Excellences les Ministres de l’instruction publique et des beaux-arts, en sa qualité de correspondant, pour les in- former de ce qui se passe, du danger que courent les Greniers Saint-Jean, classés parmi les monuments his- toriques, et de l’émotion que soulève un pareil étal de choses. La séance est levée à neuf heures et demie. Le Secrétaire- Général, M. Chollet. ' l I TABLE DES MATIÈRES Nécrologie: M. Bougler. — M. le comte A. de Falloux 5 La Tour Saint-Aubin à Angers. — M. V. Godard-Faultrier. 15 Les Statues de Fontevrault, nouvelle communication. — M. V. Godard-Faultrier 23 Saint-Florent. — M. P. Belleuvre 28 La linguistique. Quelques mots sur son histoire, ses résultats, ses méthodes. — M. l’abbé Gillet 31 Étude sur les inondations. — M. F. Lachèse 58 Protestation de la Société et Consultation des avocats d’Angers contre l'enlèvement des statues de Fontevrault 70 Procès-verbaux des séances de la Société pendant les mois de janvier, février et mars 1867 98 Jean de Rely, évêque d’Angers 129 Revue bibliographique : Passage de Marie Stuart à Angers ; Vente de biens appartenant au clergé sous Charles IX ; Monu- ments druidiques; Camp vitrifié de Péran ; Temps antédilu- viens; Monnaie anglaise; Epitaphe de René Doguereau ; Une fête à l’Être suprême; Institutions charitables du Bas-Rhin. — M. Paul Lachèse 171 Vase en plomb trouvé dans les ruines de Carthage. — M. V. Godard-Faultrier 197 Souvenirs de l’Exposition universelle de 1867. — M. Paul Belleuvre 218 Sur deux défauts actuels du chant scénique. — M. E. Lachèse. 263 soc. d’ag. 29 — m — Notes sur une peinture murale d’une salle du xil° siècle à l’an- cien hôpital Saint-Jean à Angers. — M. le commandant Prévost et M. l’abbé Choyer Procès-verbaux des séances de la Société pendant les mois de mai et juin 1867 Étude sur Henri II, roi d’Angleterre, comte d’Anjou et fonda- teur de l’Aumônerie Saint-Jean d’Angers. — M. l’abbé Choyer. Réfutation de l’erreur qui consiste à attribuer aux soldats romains une supériorité sur les soldats des nations modernes, au point de vue de la marche et des travaux exécutés à la guerre. — M. le commandant Prévost La Chaire de Velléda, légende normande. — M. Sauvage ... Du danger auquel s’exposent les personnes qui habitent des maisons trop nouvellement construites. — M. F. Lachèse. La bataille de Baugé, d’après un ancien manuscrit. — M. Paul Ratûuis Note sur quelques travaux de M. l’abbé Proyart, membre cor- respondant. — M. E. Lachèse Inscription découverte en la commune du Louroux-Béconnais. — M. Godard-Faultrier Hospice Saint-Jean. Rapport de la Commission nommée, dans la séance du 21 décembre 1867, à l’effet de rechercher, pour les proposer aux administrations compétentes, les moyens de conserver les terrains et bâtiments de la fondation de Henri H, sans nuire aux intérêts qui s’y rattachent. — M. le commandant PREVOST Procès-verbaux des séances de la Société pendant les mois de juillet, novembre et décembre 1867 275 289 317 341 357 363 370 377 384 392 399 ANGERS, IM P. P. LACHÈSE, BELLEUVRE ET DOLBEAÜ. r'