MÉMOIRES DE LA SOCIÉTÉ NATIONALE D'AGRICULTURE, AGIENCEN ET ARTS D'ANGERS (ANCIENNE ACADÉMIE D’ANGERS) NOUVELLE PÉRIODE TOME DIX-HUITIÈME. — 18275 ANGERS IMPRIMERIE:P. LACHÈSE, BELLEUVRE ET DOLBEAU 43, Chaussée Saint-Pierre. 1875 MÉMOIRES De la Société nationale D'AGRICULTURE, SCIENCES ET ARTS D’ANGERS (ANCIENNE ACADÉMIE D'ANGERS) RTS ENT MÉMOIRES DE LA SOCIÉTÉ NATIONALE D'AGRICULTURE, SCIENCES ET ARTS D’ANGERS (ANCIENNE ACADÉMIE D'ANGERS) NOUVELLE PÉRIODE TOME DIX-HUITIÈME. — 1835 ANGERS iMPRIMERIE P, LACHÈSE, BELLEUVRE ET DOLBLAËÜ 43, Chaussée Saint-Pierre, LES ENCEINTES D’ANGERS La ville d'Angers a été successivement entourée par trois enceintes dont on retrouve encore les débris; les documents historiques nous en ont aussi conservé le souvenir. Le périmètre de ces triples murs est assez facile à déterminer; mais il s’en faut de beaucoup que nos vieux annalistes soient d'accord sur l’époque de leur construction. Les savants travaux et les patientes re- cherches des archéologues modernes ont déjà simplifié la question relativement à deux des enceintes : la pre- mière et la troisième ; mais en ce qui concerne l’en- ceinte intermédiaire, la question reste lout entière à résoudre ; l’histoire de la première et celle de la troi- sième soulèvent même encore quelques problèmes inté- ressants. Peut-être pourrons-nous, en appelant Îles textes à l’aide de l'archéologie, et celle-ci au secours des premiers, éclairer quelques-uns des points encore obscurs de l’histoire de nos murs. Pour mettre plus de tps clarté dans ce travail, je le diviserai en trois parties, en suivant l’ordre chronologique de la construction des enceintes. LA VILLE ROMAINE ET LA CITÉ. D’après Bourdigné, la ville d'Angers n’était pas tout à fait aussi ancienne que Chinon, ville antédiluvienne et qui devait son nom à Caïn, fils aîné d’Adam. Il se contentait de lui attribuer une antiquité moins reculée, mais fort respectable cependant, puisque cette ville aurait été bâtie quelques années seulement après le déluge par les druides ou Sarronides, prêtres et philo- sophes gaulois, qui demeuraient dansla forêt de Nyoiseau. Elle aurait porté pour premier nom celui d'Egada. Du déluge, notre chroniqueur passe à la guerre de Troie et nous apprend qu'Angers fut rebâti par une colonie grecque conduite par Ajax’. On se demande comment Bourdigné était si bien renseigné sur les origines d'Angers, Il n’est cependant pas l’auteur de ces fables, el son récit n’est que le com- mentaire de quatre vers apocryphes, attribués par lui au poëte Apollonius, et que Roger croit être Sidoine Apollinaire; mais on ne les retrouve pas dans les œuvres de ce dernier poëte ; c’est une de ces nom- ! Chroniques d'Anjou, première partie, ch. 11, 1V, VII, VI. ER ARE breuses falsifications dont le moyen âge a été si pro- digue. Voici ces vers : Est juxta æquoreos urbs dura in rupe Britannos, Et Cereris dives et Bacchi munere plena, Andecavis græco sumens a nomine nomen; Hanc Sarrone patres regnante principe Gallos. Je n’ai pas besoin de réfuter ces fables, auxquelles personne n’ajoute plus foi aujourd’hui. Je ne parlerai donc ni de Sarron ni de Magus, nos anciens rois fabu- leux. Je remarquerai seulement au sujet du second que la ville d'Angers s’est appelée Jukomaqus sous la domi- nation romaine; que le mot #nagus était souvent em- ployé à cette époque dans la formation des noms de lieux, et qu'il signifie en celtique ville ou bourg; nos vieux écrivains en avaient fait un homme, absolument comme le personnage grimacant dont parle le Fabuliste avait fait du Pirée. D’autres, par suite sans doute de la ressemblance fortuite du nom latin, attribuaient la fondation d'Angers aux mages, prêtres de l’ancienne religion des Perses. Nous ne savons rien d'Angers au temps des Gaulois; César nous dit quelques mots seulement sur la peuplade des Andes et sur Dumnac, leur chef; ils lui opposérent une vive résistance et se firent généreusement écraser -par les Romains. Voilà tout ce que l’histoire nous a ‘ Déjà Bruneau de Tartifume, au commencement du xvir® siècle, n’accordait pas grande confiance aux récits de Bourdigné, tandis qu'Hiret les admettait sans contrôle et souvent même les em - bellissait de nouvelles fables. (Voir Philandinopolis, p. 10 et les Antiquités de Hiret.) Rte appris'. Les Andes avaient-ils dès lors une ville, un chef-lieu? cela est probable, car les tribus gauloises avaient généralement leur petite capitale. Berthe fai- sait de la Cité la ville gauloise, tandis que, suivant Roger, elle s’étendait jusqu’à Saint-Laud. Nous savons aujourd’hui comment les Gaulois bâtissaient leurs murs d'enceinte. Cependant on n’a rien trouvé à Angers qui soit de construction gauloise, ni dans la Cité, ni à l'Esvière ou à Saint-Laud, ni ailleurs. Le mur de la Cité ne rappelle aucunement les murs gaulois décou- verts dans diverses villes anciennes. Quelques médailles celtiques du 1er siècle avant l'ère chrétienne portent, il est vrai, le nom d’Andecom ou Andecombo? ; mais ce nom était alors celui de la tribu plutôt que celui de la ville *. Nulle part on ne trouve celui d'Egada, qui paraît être d’une origine assez ré- cente. Nous sommes donc réduits sur la ville gauloise à la plus complète ignorance. Au temps de la domination romaine, Angers prit, avons-nous dit, le nom de Juliomagus, la ville ou le bourg de Jules; petite flatterie à l’adresse des vain- queurs. Elle ne reçut pas cependant de colonie romaine ; le nom seul changea, non la population. Plus tard, à la chute de l'empire romain, elle devait reprendre le vieux nom celte de la tribu elle-même. C’est ainsi qu’au milieu de nos vicissitudes politiques modernes, la Roche-sur-Yon est devenue Napoléon- ! De bello gall., vur, 26-31. ? Monuments gaulois de Maine-et-Loire, par M. Godard-Faultrier, p. 24; Numismatique angevine, du même, p. 134. * Pline place les Andegaves parmi les peuples de la Lyonnaise. EE De Vendée, puis Bourbon-Vendée, pour redevenir Napoléon- Vendée, et reprendre en dernier lieu son nom primitif, la Roche-sur-Yon. - Si nous ne savons rien sur l’Angers gaulois, nous sa- vons peu de chose sur l’Angers romain, cependant nous pouvons ici faire quelques affirmations; le nom de Ju- liomagus est inscrit sur la table de Peutinger. C’est sous ce nom que le géographe Ptolémée, qui écrivait au n° siècle, désigne la capitale des Andes. De. nombreux débris de constructions romaines, retrouvés dans une grande partie de l’Angers moderne, permeltent d’af- firmer que cette ville avait alors une assez grande étendue. On a souvent décrit les restes des bains de l’Esvière ; un aqueduc en béton se montre encore au bas des murs de la communauté de N.-D. des Anges (ancienne pro- priété Mamert) et dans la cour de la maison située de l’autre côté de la rue; un peu plus loin, dans une cour située près du chemin qui mène à la Baumette, à gauche, dans l’ancienne propriété de M. Rondeau, on a détruit récemment (janvier 4874) les bases d’un mur bâti en emplecton, avec revêtement régulier. En 1872 et 1875, on a trouvé dans le jardin des Capucins des restes de murs en emplecion, renfermant des fragments de tuiles à rebords avec revêtement, plus les restes d’un aqueduc ou conduit voûté, et de nombreux débris de tuiles *. 11 y a plus de deux siècles, on avait signalé près 1 Ptolémée, liv. I. 2? L'auteur de ce travail a visité ces restes et a pu en constater authenticité, avec le concours de M. Rondeau. Des restes d’un autre aqueduc ont été trouvés dans la rue Milton. EU | (1 RE de l’église collégiale de Saint-Laud (Cour Saint-Laud) des vestiges de murailles et d'anciens bâtiments « qui « montrent bien, dit un auteur du temps, que cette « ville a esté autrefois ruinée et depuis reparée et réé- « difiée, comme on le voit de présent. » Berthe parle de bains romains trouvés près de la porte Toussaint, et des nombreux débris de murs romains, des vases, des mon- naies, découverts de son temps dans les quartiers de l’Esvière, de Saint-Laud, des Champs Saint-Martin ; les découvertes de M. Godard à la gare du chemin de fer sont d’un grand intérêt; enfin, celles que l’on fait tous les jours de débris de tuiles romaines, quand on creuse des puits ou des fondations dans la partie sud de la ville, et notamment les restes trouvés dans les fondations de la nouvelle église Saint-Laud, montrent que tout ce quartier repose, pour ainsi dire, sur un sol formé de débris romains *. C'était donc la ville romaine, et non la ville gauloise, qui couvrait tous ces quartiers. Les richesses archéolo- giques déposées au musée d’antiquités, les beaux débris de sculptures romaines qui se voient dans les ruines de Toussaint attestent l'importance des monuments qui durent s'élever à Angers pendant les premiers siècles de l'ère chrétienne. Toutefois les bains de l’Esvière et l’'am- phithéâtre de Grohan sont les seuls édifices authenti- quement connus qui remontent à cette époque. Ils ont ‘ Francois Desrues, Briefve description contenant les antiquites, fondations et singularités des plus célèbres villes, chasteaux et places remarquables du royawme, p. 228 (en 1603), ? Renseignements fournis à l’auteur par M. Dainville, architecte, constructeur «de la nouvelle église Saint-Laud. CFA été trop souvent écrits pour que j'insiste sur ce sujet ‘. Mais je dois dire que tout ce qui nous a été débité sur le Capitole, sur le Prétoire de la rue Saint-Julien et sur le palais impérial de Grohan doit être relégué parmi les fables et aller retrouver au pays des chimères l'Egada de Bourdigné et d’Hiret avec les rois Sarron et Magus. Pour être des légendes modernes, ce n’en sont pas moins des légendes. On nous a gratifiés d’un capilole, sur la foi d’une charte du x1° siècle qui parlait du cha- pitre de Saint-Maurice (capitolium St Mauricu), et l’on a pris encore ici non le Pirée pour un homme, mais une assemblée de prêtres pour un monument romain. Le prétoire est sorti du cerveau de Hiret, avant lequel personne n’en avait entendu parler; c’est le résultat d’une confusion étrange qu’il a faite entre l’évêché et le portail de Saint-Julien. Il avait mal lu un passage de Bourdigné, qui lui-même avait lu sans la comprendre une charte de Charles-le-Chauve ; et de ce tissu d’er- reurs, de confusions, de lectures mal comprises sont nés des systèmes chimériques qui ont fait la tradition *. Le palais impérial de Grohan n’a jamais existé que dans imagination de Bourdigné, qui avait attribué à César une grosse tour carrée d’époque inconnue, annexée aux arènes. Qu’était cette tour ? de quelle époque? à quel usage avait-elle servi ? Tout cela est inconnu ; ce n’était certes pas un palais, à en juger du moins par le dessin de Bruneau de Tartifume. Peut-être au moyen âge, ou à l’époque de l'invasion des barbares, avait-on voulu for- 1 Voir les Monuments gallo-romains de M. Godard-Faultrier. ? Voir mes Notices archéologiques, publiées par la Revue d’An- jou. LI At PO tifier les arènes? c’est l'hypothèse la plus raisonnable, mais ce n’est qu'une hypothèse. Il faut aussi rejeter parmi les fables le Rogus ou ba cher où l’on brüûlait les cadavres des gladiateurs, et que Ménage plaçait près de l’amphithéâtre. Le Roqus men- tionné dans les titres latins du moyen âge, et qui porta plus tard lé nom de Ré-Saint-Aubin, n’était autre qu’un lieu situé au bas de la rue des Aix, et qui servait de dépôt de bois à l’abbaye Saint-Aubin'. Quel prosaïsme, et comme nous voilà loin des combats de l’amphi- théâtre ! M. Godard-Faultrier a pensé que le palais curial était au lieu où est aujourd’hui le château et en a donné de sérieuses raisons : Angers étant ville munici- pale devait avoir un palais curial; les palais curiaux sont devenus la demeure des évêques vers le ve siècle ; or, les évêques d'Angers ont habité dans la Cité, à l’em- placement actuel du château; il est donc vraisemblable que là était le palais curial. Mais ce n’est qu’une simple probabilité *; jusqu'ici on n’a trouvé aucun objet ancien qui puisse confirmer cette ingénieuse hypo- thèse, et il ne reste rien de romain dans les ruines du vieux château. J'en dirai autant du temple de Jupiter que l’on plaçait au lieu même où s’élève la cathédrale. Les anciens temples païens sonl souvent devenus des églises chré- tiennes; mais on ne peut citer ici aucun texte ni au- cune découverte antique qui permette de faire la moin- dre affirmation. * M. Port, Nofes sur Péan de la Tuilerie, p. 343, 344. ? Voir les Monuments gallo-romains et l’Anjou et ses monuments. NT | 0 es Nous pouvons donc conclure qu’Angers, à l’époque romaine, possédait des monuments importants et riches en sculptures, mais dont l'emplacement est au- jourd’hui inconnu. On peut penser cependant que l’An- gers romain avait pour centre la place actuelle de l’Académie, appelée Vetus forum dans des actes du moyen âge‘. La belle situation de l’Esvière attirait les riches Romains; aussi les coteaux de la Maine durent- ils se couvrir d'habitations. Ce n’est pas sans raisons que Berthe, s’il se trompait sur l’origine gauloise de la Cité, plaçait à l’Esvière le Ju/omaqus romain. Le quartier appelé la Cité faisait certainement partie de la ville romaine ; mais la cité était-elle enceinte de murailles dès l’époque impériale? Roger attribuait à Jules César la construction du mur qui l’entoure*. L’ingénieur Moithey, qui écrivait vers la fin du dernier siècle, prétendait au contraire qu’Angers n’avait pas eu de murs d'enceinte avant le xre siècle, et faisait honneur à Jean-sans-Terre de celui de la Cité”. Il ne sera pas dif- ficile de montrer qu’il y a erreur dans ces deux opinions extrêmes, et que si le mur en question est plus récent que Jules César, il est bien plus ancien que Jean-sans- Terre. Cette enceinte, dont le périmètre a été parfaitement déterminé par M. Godard-Faultrier, allait du château 1 M. Port, Notes sur Péan de la Tuilerie, p. 30. ? « Jules César l’ayant prise (la ville d'Angers), la fit rebâtir, et elle s’étendoit avant que César la prit vers le lieu de Saint- Laud. On voit encore la clôture que les Romains y firent faire, qui n’est autre que celle de la Cité. » (Barthélemy Roger, Hist, d'Anjou, Revue d'Anjou, année 1852, p. 11.) 8 Recherches historiques sur la ville d'Angers, par Moithey (1775). TA à la cathédrale et à l’évêché, enveloppant la rue Saïnt- Evroult, le parvis Saint-Maurice et la rue du Château, dominant les rues du Port-Ligny, Thulibal, Baudrière, Saint-Gilles et Toussaint '. Le mur était dans le prin- cipe bâti en emplecton avec revêtement en petites pierres de quartz et de schiste, et cordons de briques; c’est-à-dire à la manière romaine, et non à la manière gauloise. 11 était flanqué de contreforts rectangulaires, faisant d’espace en espace une assez forte saillie ; plu- sieurs de ces contreforts existent encore. De nombreux fragments de colonnes, de chapiteaux, de frises, de moulures et de sculptures romaines se retrouvent dans les fondations. On peut citer notamment un beau frag- ment d’une moulure romaine encastrée au milieu de pierres de grand appareil qui forment le mur d’une cave de la rue Vieïlle-Chartre. L'existence de ces débris si nombreux prouve de la manière la plus incontestable que le mur de la Cité n’est pas l'œuvre de Jules César, et qu’il est postérieur à la période florissante de la domination romaine. On a bâti l'enceinte d'Angers à l’époque de l’invasion des barbares, comme celles du Mans, de Tours, de Dijon, de Bordeaux, etc. L’empire s’écroulait ; les barbares sillonnaient les provinces, que les Bagaudes ravageaient à leur tour; il fallait mettre à l'abri les populations urbaines. On sacrifiait alors temples et palais, édifices publics el mai- sons privées; on se concentrait dans une enceinte À Monuments gallo-romains; — Congrés de Sauinur en 1862, t. XXVI, p. 38 de la collection de M. de Caumont. = 45, — étroite, dans le lieu de la ville le plus facile à défendre, sur un rocher, comme à Angers; puis on élevait un mur bâti aux dépens des monuments que le changement de mœurs, la dépopulation, la misère rendaient inutiles, et l’on abandonnait le reste; souvent les arènes se trans- formaient en bastion comme à Tours, ou en citadelle comme à Nimes. Ce fait de la concentration des villes et de l’érection de murs aux dépens des monuments ro- mains fut général à l’époque de l’invasion; toutes les constructions de ce temps présentent les mêmes carac- tères et ont été faites sous l’impulsion des mêmes nécessités. Toutefois on n’est pas d'accord sur la date précise de cette transformation de nos vieilles cités. M. de Caumont l’avait fixée au règne d’Honorius, époque de la grande invasion des barbares et de la décadence complète de l’empire romain ‘. D’autres archéologues reculent l’époque de la construction de ces murailles de défense et pensent qu’elles remontent à un siècle et demi plus tôt. Les villes auraient été frappées de terreur lorsque les lignes romaines furent pour la première fois rompues par les barbares qui se répandirent dans les provinces dès l’an 253. Ce serait donc au ur siècle ou au commencement du 1ve, qu’on aurait à la hâte élevé des murs de défense *. D’autres antiquaires enfin ont émis une opinion mixte. Î M. de Caumont, Archéologie gallo-romaine. ? Mémoire sur l'enceinte gallo-romaine de Poitiers, par M. Ledaïiri, Bulletin monumental, année 1873. — Cette enceinte qui renferme des débris de sculptures de la fin du rm siècle ne remonte pas par conséquent au delà du 1v°, M. Ledain la croit de l’époque de Constantin, LE AD ee Remarquant des restes de murs romains de la belle époque classique dans certaines villes, ils ont pensé que les enceintes avaient été élevées à deux fois différentes. D'abord sous les Césars, on aurait entouré les villes gallo- romaines d’une simple ceinture servant pour l’ornement et pour la police, plutôt que pour une défense sérieuse ; on y entrait par des portes luxueuses, véritables ares de triomphe ; la ville pouvait se développer à l'aise sur une vaste étendue. Arrivent les barbares, on abandonne ces enceintes trop vastes et trop faibles, et, vers le temps d'Honorius, on se concentre dans une enclôture plus resserrée et d’une défense plus facile. On sacrifie les arcs de triomphe, les palais, les temples pour cons- truire la nouvelle muraille, et l’on ne pénètre plus à l’intérieur que par des portes flanquées de tours etsoli- dement défendues. À l’appui de cette hypothèse, on compare les murs d’Autun, dont il reste encore des fragments bâtis en grand appareil de la bonne époque, et qui entouraient un vaste espace, aux murs si res- serrés des villes gallo-romaines décrits par M. de Cau- mont, et bâtis avec des ruines. Est-il vrai que les cités gallo romaines aient eu deux enceintes ? Je ne crois pas qu’on ait encore signalé beau- coup de faits pouvant confirmer ce système. La conciliation entre les deux opinions extrêmes doit se trouver ailleurs, je crois. Certaines villes des Gaules et d'Espagne avaient des enceintes au 1er siècle de l’ère 1 Lettre de M. Buhot de Kersers, Bull. mon., année 1873, p. 610. — L'auteur fait remarquer qu'à Autun il existe une enceinte qui remonte au 1° siècle. Elle est construite en bel appareil romain, sans briques et ne renferme pas de débris de sculptures, 2 rade chrétienne, car Suélone nous apprend que pour punir ces villes, Galba fit détruire leurs murailles ‘. Peut- êlre étaient-ce encore des enceintes de construction gauloise. Dès le n1° siècle, les villes menacées ont pu se mettre en état de défense. Mais cette première invasion repoussée, l'empire eut des moments de calme; ona dû à diverses fois, suivant les besoins, suivant les craintes du moment, et ainsi que l’ont prescrit diverses lois impériales, réparer ou relever les murs aban- donnés pendant la paix. Rien ne prouve que les villes aient toutes construit spontanément leurs enceintes au même moment. Le travail de ces murailles n’est pas d’ailleurs aussi hâtif qu’on le dit; on y a souvent em- ployé de magnifiques matériaux avec beaucoup de soin. Pour transporter les gros blocs de grand appareil placés dans les fondations, élever des murs avec revêtement en petit appareil soigneusement aligné et dessiner des cordons de brique, il faut du temps et un certain calme; ce mode de construction ne trahit pas une précipitation excessive. D’autre part, l’emploi si fré- quent de débris de sculptures provenant de temples et de palais indique un changement de mœurs qui ne per- met pas de trop reculer la construction des murs d’en- ceinte. Je crois donc qu’il ne faut pas se prononcer d’une manière trop absolue ni trop affirmative sur ce problème archéologique assez complexe. Du reste, le texte même d’un décret d’Honorius et d’Arcadius, sou- vent cité dans la discussion au sujet des enceintes gallo- 1 Quasdam etiam murorum destructione punisset, (Suet., in Galba, c. xt.) SOC. D’AG. 9 LS ARÈEE romaines, me paraît trancher la question. Il prescrit de construire des murs neufs, de rebâtir et de fortifier les anciens‘. Donc il existait dans certaines villes des murs antérieurs à celle époque; mais il n’en est pas moins certain que les nécessités du moment ont exigé de nou- velles constructions ou réfections. En ce qui concerne Angers notamment, je ne con- nais aucune découverte, aucun fait archéologique qui permette de penser qu'il y ait eu une double enceinte romaine. Les restes romains trouvés en dehors de la cité font croire au contraire que la ville antique s’étendait librement sur un vaste espace. On ne trouve nulle part trace d’une enceinte romaine plus éténdue que celle de la Cité. Les autres enceintes sont plus récentes, ainsi que nous le montrerons plus loin. Quant à celle de la Cité, est-elle antérieure à Honorius? Rien ne permet de le dire. Je crois donc qu’on doit, jusqu’à plus ample in- formé, s’en tenir à l’opinion de M. de Caumont, sans chercher toutefois à trop préciser la date. Notre ville s’est concentrée vers le temps de l'invasion des bar- bares, et c’est alors qu’on a dû élever le mur de la Gné, soit au 1ve siècle probablement, comme à Poi- tiers, soit au commencement du v°, au plus tard. La première date précise que nous rencontrions est donnée par la suscription de l’évêque Thalaise au con- cile tenu à Tours en 461 *. Quelques années plus tard, ! Muros vel novos debere facere, vel firmius veteres renovare. (L. XXXIV de Operibus publicis. Cod. Théod.; et 1. XII eod. tit. Cod. Justin.) * « Thalasius peccator hanc definitionem dominorum meorum episcoporum ab ipsis ad me transmissam ÿn civitatula mea relegi, suscripsi et consensi, » (Gallia Christ, ant., tom. IL.) PT Ce po en 470, Odoacre, chef des pirates saxons qui rava- geaient le pays, s'étant emparé d'Angers, le comte Paul, maître des milices romaines, assisté de Childéric, chef franc auxiliaire, reprit cette ville; mais il y perdit la vie, sans qu’on sache bien par qui il fut tué, et l’église d'Angers fut brûlée par les assiégeants ‘. Il y a tout lieu de croire que la ville se groupait dès lors autour de sa cathédrale, et qu’elle était enclose. Le mur ne pouvait être autre que celui de la Gité ; tous les textes des pre- miers siècles du moyen âge nous le montrent existant dès une époque fort rapprochée de ce siége. Ainsi les Vies de Saint-Aubin, de Saint-Lézin et de Saint-Main- bœuf parlent toutes les trois de la tour située à la porte Orientale et dans laquelle étaient renfermés les prison- niers ?. Cette tour était celle dont j'ai déjà parlé et qui reposait sur des soubassements si remarquables. Les principales églises d'Angers étaient, au moyen âge, situées hors des murs : Saint-Etienne, Toussaint, Saint- Julien, Saint-Pierre sont qualifiées d'églises suburbaines, ce qui nous montre combien était restreint l’enclos de la cité”, Le mur n’a en effet que 450 toises de circuit, 1 Greg. Tur., Hist. franc, 1. Il, ©. xvIIL, xIx. ? Cum in civitate Andegava turris portæ cohærens damnatis esset carcer effecta. (Vita S. Albini a Fortunato, n° 16.) — Qua- dam autem die quam sœpe dictus S. Licinius ante portam jam dictæ urbis deambularet, rei qui in carcere servabantur, clama- bant ad eum. (Vita S. Licinü, c. ur, n° 25.) — Dum ergo intra civitatem ingrediens, valvas transiret, rei qui in ergastulis irretiti facinore detinebantur. (Vita S. Magnobodi, c. 1, n° 7.) $ . De monasterio S. Albini qui est constructus prope muros Andecavis, (Diplôme de 769. Gallia Christiana, t. XIV. Instrum. éccles. Andeg.) — De monasterio S. Stephani quod sub urbe ipsius civitatis prope murum constructum est. (Dipl. de 770, eod, loc.) M) d’après l'ingénieur Moithey. Il était défendu par un fossé dont la tradition conservait encore le souvenir à la fin du xvirre siècle *. À Quatre portes donnaient accès dons l’intérieur de la cité, et ces quatre portes sont aussi mentionnées dans tous nos anciens textes : la porte orientale, porte Hugon ou Saint-Aubin, appelée plus tard de la Vieille-Chartre à cause de l’ancienne prison dont nous avons parlé * la porle méridionale ou porte de Chanzé, de l’Esvière, puis Saint-Evroult, nom tiré de l'église voisine *; la porte occidentale ou porte Pié-Boulet, puis de Fer ou mieux d'Enfer (porta inferior) au bas de la montée — Basilica S. Albini.. quæ est constructa prope muros Ande- gavis civitate (en 924. Cart. S. Albini, n° 5). — In suburbio civi- tatis Andecavæ.. proxime murum... ecclesiam Sanctorum Om- nium. (Charte de Toussaint de 1049, eod. loc.) — Ecclesiam beati Petri... in suburbio Andecaven civitatis. (Charte de 1140, ms. 622 de la Bibliothèque d'Angers.) Æ Ecclesiam beati Joannis baptistæ quæ est in suburbio civitatis Andegaven. (Charte de 1131, même ms.) 1 Péun de la Tuilerie, p. 137, édit. Port. ? Ecclesiam S. Albini... ante portam andegavensis urbis versus orientem. (Charte de 972. Gallia Christ., t. XIV, n° 6.) — Juxta portam S. Albini. (Charte de Toussaint de 1049.) — Portam prope ecclesiam B. Mariæ de recooperta. (De custodia civitatis Andeg., ann. 1266. Marchegay, Archives d’ Anjou, t. II.) — A porta Hugonis. (Charte de Toussaint de 1108.) — Prope portam Hugo- nis, alias la Chartre. (Compte de la fabrique de Saint-Maurice de 1504. M. Port, Notes sur Péan de la Tulerie, p. 101.) 3 A porta Canciasense usque ad insulam quæ nuncupatur Jurelista. (Cartul. S. Albini, f° 4, præceptum Caroli magni.) — Cellarium quoddam ad portam Canzaticam et juxta murum.. furnile et manSionem et vineam ante portam civitatis quæ dici- tur Aquaria. (Cartul. S. Mariæ Caritatis, n° 34, xr° siècle.) — Portam juxta ecclesiam B. Laudi in area juxta S. Ebrulfum. (De Custodia civitatis Andeg.) == O4 Saint-Maurice, près de l’alleu Boulet ‘; et enfin la porte septentrionale, appelée dès une époque fort ancienne, porte Angevine, sans doute parce qu’elle était la porte principale de la cité; on lui donnait aussi le nom de porte de la maison de l'Évêque, et quelquefois de porte à la Chair à cause du voisinage des boucheries *. Raoul de Docet décrivant la ville d'Angers au xnr° siècle, parle des murs de la cité dans les termes les plus précis. Le mode de construction, la forme des pierres, la dureté du ciment, la solidité de l'appareil antique avaient frappé son esprit. Ses paroles s’ap- pliquent évidemment au mur romain et ne peuvent laisser place à aucune équivoque. Le côté le mieux défendu par la nature était celui de l’ouest, et le mieux fortifié par la main de l’homme, celui du sud *. Cétait 1 À posterna Bolleti usque ad Frigidum Fontem... descendentes de civitate, venerunt ad portam Bolleti. (Cartul. S. Mariæ de Caritate n° 47, sous Foulques Réchin.) — Fulco de Mathefelon, allodium de Bolleto. (De Custod. civit. andeg.) — In introitu c1- vitatis ad portalum de Podio Boleti. (Compte de la fabrique d'Angers, cité, d’après le ms. de Thorode, par M. Port. Notes sur Péan de la Tuilerie, p. 101.) — Podium Boleti. (M. Port, p. 132.) … Üne maison assise en la ville d'Angiers près la porte d’Enfer, joignant d’un côté aux murs de la cité et d'autre à la ruette par laquelle l’on va de ladite porte d’Enfer au port Lenyer, aboutant d’un bout à la roche l’Évêèque et d'autre bout à la rue par laquelle l'on va d’icelle porte d’Enfer à la fontaine du pié de Boulet. (Acte de 1420. Rangeard, Hist. de l'Université d’Angers; preuves.) * Unum mysterium (pro ministerium) ad portam andegavinam. (Cartul. S. Mariæ de Caritate, n° 77, x1° siècle.) — Porta andega- vensis. (Testament d'Ulger, 1149). — Portam juxia domum episcopi. (De Custod. civit. Andeg.) — Voir aussi M. Port, Nofes sur Péan, p. 33. 8 Civitasigitur Andegavensium antiquorum, industria montis in edito collocata, consistit in mœænibus vetustissimis, gloriam fundatorum recensens in quadris lapidibus, modernorum parcita- Ham de ce dernier côté que depuis le ixe siècle, les comtes avaient leur palais, dont il reste encore aujourd’hui une ruine si imposante. C'était aussi de ce côté que se trouvait la tour du comte, mentionnée dans la charte de fondation de Toussaint. Cette tour était probable- ment un donjon qui protégeait le palais et cette portion de la ville; sa situation exacte est inconnue; il n’en reste pas de traces aujourd'hui; mais son existence est attestée d’une manière positive ‘. A l’autre extrémité de la cité s'élevait le palais des évêques, ancien palais des comtes mérovingiens, bâti sur le mur même de l’enceinte, et dont l'appareil régu- lier en petits tuffeaux avec cordons de briques atteste la haute antiquité, bien qu’il ne soit pas l’œuvre de Raiïn- froy, maire du palais; mais il est constant qu’il exis- tait dès le commencement du 1x° siècle, et peut-être remonte-t-il au vire ou même au vie siècle. Sa situation sur le mur de la cité nous permet de- croire que dans l’origine c’élait une sorte de forteresse. Les murs de la cité ont subi de nombreuses vicissi- tudes. Les historiens rapportent que Louis VIII ayant pris Angers sur Jean-sans-Terre, en fit raser les murailles; mais cette destruction ne fut certainement pas complète, et le mur de la cité dut être réparé promp- tement. Car saint Louis, malgré les nouveaux et fort tem accusans, tn tenaciori cœmento sabuli condiendi peritiam pe- nitus deperiisse prætendens. Pars urbis hominum manu facta munitior vergit ad notum; natura loci pars inexpugnabilis res- picit ad occasum. (Chron. des comtes d'Anjou, Marchegay, p. 337.) * Ecclesiam Omnium Sanctorum adjacentiam a porta Hugonis usque ad turrem comitis. (Charte de Toussaint de 1108.) Rire Es: -in Eye CCR importants travaux de défense qu’il fit élever à Angers, faisait garder militairement l’enceinte de la cité, ce qui prouve qu’elle était encore défendable de son temps. Les châtelains de Rochefort, de Beaupreau, de Doué, de Châteaugontier et Foulques de Mathefelon étaient chargés de la garde des quatre portes dont nous avons parlé; Geoffroy de Candé avait la garde des murs de la cité du côté de la Maine. Les autres barons et châte- lains gardaient le reste de ces murs ainsi que la ban- lieue, sous les ordres du Sénéchal, à leurs frais et cha- cun pendant quaranle Jours par an‘. L’évêque Guillaume Le Maire, venant à Angers la première année de son épiscopat en 1290, trouva les portes de la cité fermées par ordre du_bailli qui avait alors une contestation avec le chapitre de Saint-Maurice. Un étroit guichet laissant seul passage, le prélat fut obligé de mettre pied à terre avec ses gens, et de se rendre ainsi à son palais épiscopal *. Jusqu'au xvi° siècle, la cité forma uné petite ville à part, sou- mise à la juridiction non-seulement spirituelle, mais 1 … Gaufridus de Candeio muros civitatis super Meduanam in domo obedientiarii S. Laudi... barones, castellani et commilito- nes nostri, vigilias per civitatem et suburbium cum Senescalco nostro, arbitrio nostro facere tenebuntur... et hoc per quadra- ginta dies, propriis sumptibus. (De Custodia civit. andeg.) 2. Idem Ballivus portas civitatis Andegavæ firmari fecit, adeo quod ad dictam urbem non patebat aditus vel egressus, nisi per quoddam parvum guichetum per quod pedites vix transibant… illis diebus venientes ad portam quæ dicitur Andegavinam, et * eam clausam et firmatam invenientes.. descendimus de equo una cum gentibus nostris et per dictum guichetum intrantes ad domum nostram episcopalem perreximus peditando. (Liber Guil- lelmi majoris, f° 50, ms. des Archives de Maine-et-Loire.) y temporelle du chapitre de la cathédrale, substituée par une lente révolution à l’ancienne curie gallo-romaine et mérovingienne. Une charte du comte Charles d’An- jou, en 1958, confirma cette juridiction qui était encore en vigueur au xvr siècle, comme le montrent des lettres-patentes de 1521 *. A cette époque le chapitre était tenu d’entretenir les murs et de réparer les portes que l’on pouvait alors tenir fermées; elles ont été démolies depuis. Le mur lui-même a subi tant de remaniements qu'il reste aujourd’hui bien peu de parties remontant à la pre- mière construction; mais les points de repère toujours subsistants n’en sont pas moins des témoins irrécu- sables de sa haute antiquité. OU Après les savants travaux de M. Godard sur l’en- ceinte de la cité, il serait inutile d’insister plus long- temps sur ce sujet. Je me bornerai donc à dire pour conclure que la première enceinte d'Angers qui nous soit connue est celle de la cité; qu’elle remonte au moins au commencement du ve siècle, et peut-être au 1V°; qu'il est impossible de retrouver les traces d’une enceinte plus ancienne, et qu’enfin elle a tra- versé toutes nos révolutions générales ou locales jus- qu’à une époque très-rapprochée de la nôtre. ! Notes de M. Port sur Péan de la Tuilerie, p. 30 et 31. _Joi— LE VICUS SENIOR ET LE BOURG DE L’ESVIÈRE. Au pied de la cité s'étend au nord et à l’ouest un quartier, qui offrait encore il y a quelques années, et avant les démolitions qui l’ont transformé, un aspect des plus pittoresques. Là se groupait toute la population marchande et ouvrière, les artisans de tous les métiers; chapeliers, bouchers, marchands de volailles, poëliers, forgerons, corroyeurs, tanneurs, orfèvres se pressaient dans ces rues étroites qui enserraient la cité. Tandis que les chanoines de la cathédrale, les chevaliers préposés à la garde du château et les écoliers-clercs de l’Université s'enfermaient dans l’intérieur des murs, les roturiers, que ne pouvait contenir leur étroite enceinte, venaient chercher protection au pied de lévêché. Des rues étroites, garnies de maisons de bois, s’étendaient au- tour d’une rue principale appelée jadis vicus senior, le vieux bourget par corruption Saint-Nor (aujourd’hui rue Saint-Laud ‘). Ce faubourg s'était bâti le long de l'antique voie qui, partant de la porte Angevine, se diri- geait vers le Mans, sur des terrains ayant appartenu en grande partie, dans l’origine, à des églises ou commu- nautés, et aliénés par elles. De là vient que la plupart des maisons étaient arrentées au profit de Saint-Martin, de 1 Vicus seenor, vicus sennor, in vico seniori (titres du xr1° siècle, cités par M. Port, Notes sur Péan de la Tuilerie, p. 336). - Lg Saint-Pierre ou de Saint-Maurille, etc. Une autre voie, et celle-ci plus importante encore, traversait le bourg de l’est à l’ouest. C'était l’anciennne voie romaine de Tours à Rennes, indiquée sur la table de Peutinger. Elle suivait, d’après toute probabilité, la rive droite de la-Loire, longeait l’Authion, passait à Beaufort, Corné, Mazé, Andard, et arrivait à Angers par Trelazé et par Saint-Léonard. On la suivait encore au xiv° et au xv° siècle ‘. Du carrefour Hanneloup, près des arènes de Grohan*, jusqu’au pied de la cité, elle suivait la direction des rues Hanneloup; Saint-Julien, de lAi- guillerie, de lOisellerie, puis la rue Baudrière (ba/- thearia) ; elle traversait la rivière sur un pont fort ancien, et se dirigeait ensuite par le Lion d'Angers, vers Combrée ou Chatelais et Vissèche, et de là vers Rennes *. Il est probable que dans le principe, elle venait aboutir à Angers par la porte orientale près de laquelle on a trouvé à diverses époques et récemment encore, les débris d’une ancienne voie pavée *. I fallait mettre à l'abri toute la population qui occu- pait le vieux faubourg, et défendre les abords de la ! Liber Guillelmi majoris. — Titres cités par M. Mabile, Notice sur les divisions territoriales de la Touraine, p. 50. ? Prope civitate Andegavensi, in loco qui dicitur ad Harenas… quarta et autem parte via publicn. (Cart. S. Albini, de rebus quæ sunt Andegavis, n° 8.) * Duos clansos vinearum proximos ipso monasterio, juxta aggerem publicum qui nominatur Legionensis hinc et inde sitos. (Cart. S. Mariæ de Charitate, n° 64, don de la Cse Hildegarde, xIe siècle.) * Péan de lu Tuilerie et notes de M. Port, p. 237, 278. MORT 228 cité. Une seconde enceinte était devenue nécessaire ; elle fut élevée par les comtes d'Anjou; nous cherche- rons plus loin à éclaircir la date de sa construclion ; commençons par reconnaître son étendue. Cetle ques- tion est. beaucoup plus facile que la première. La seconde enceinte commençait au pied de la cité du côté de la Maine, vers la place Loricard; elle se reliait au mur de la cité, au lieu dit le Roc l’Évêque, en un point difficile à déterminer; mais il est cerlain qu’elle enveloppait la rue Tuliballe, car un texte du xiie siècle nous apprend que le collége de la Porte de Fer, situé au haut de cette rue, était compris entre les deux enceintes ‘. Entre le pied de la rue Tuliballe et la fontaine Pied-Boulet on trouve encore un vieux mur, aujourd’hui encastré dans les maisons,-mais que longe unétroit et obscur couloir venant aboutir à un vieux logis du xu1° siècle; ce mur me paraît un débris de l’en- ceinte. À partir de la rue Bourgeoise, où se trouvait une porte dite la porteChapellière, le mur longeait la rue de la Poissonnerie, à droite, c’est-à-dire à l’est de la rue, 1 « Sachent tous présents et à venir que moi, notaire du palais d'Angers et scribe des révérends doyen et chanoines de Saint- Maurice d'Angers, étant en l'assemblée générale de leur consis- toire ont iceux ordonné que lecture leur fut faite de la constitu- tion et fondation d’une chapelle appelée Sainte-Marie, par iceux mise en collége, le tout appelé collége de Saint-Maurice, pour y faire l’enseignement de leurs clercs et chapelains de la jeunesse d'Anjou, assis au grand coteau entre les deux murs du grand et petit roc de la cité, confrontant le petit roc du côté du port Lenier marchand, d’un côté le mur du grand roc de la cité, et un loge- ment de maison, cour et appartenance appelée le Volier et la rue tombant de Saint-Maurice au port Lenier marchand, en l’an de grace mil trente et un. » (Charte du 12 septembre 1246, copie des Archives d'Angers, Revue d'Anjou, année 1872, t. Il, p. 115.) me ON ete puis la rue de la Parcheminerie jusqu’à l'angle où elle rencontre la rue Valdemaine. Sur toute cette ligne, la direction du mur est indiquée d’une manière fort pré- cise par Péan de la Tuilerie ". Lors de la reconstruc- tion récente des rues de la Poissonnerie et de la Par- cheminerie, on a retrouvé partout les débris de cette enceinte; le noyau de la maçonnerie était ancien et bâti en emplecton à la manière romaine *. Des restes importants ont été signalés notamment près de l’an- cienne écorcherie *. Au bas de la rue de la Roë, qui s’appelait jadis rue Sauneresse *, M. Godard-Faultrier a reconnu en mars 1865, le soubassement d’un mur qui lui a semblé d’après sa disposition former la base d’une ancienne tour carrée; ce mur était en emplecton avec revête- ment en petit appareil semblable à celui de la cité, mais sans cordons de briques, et d’une construction moins ancienne *. On croit que la rue appelée de la Serinne ou mieux Syrène, du nom d’une ancienne enseigne et qui a porté aussi le nom de rue Saumu- roise, doit ce dernier nom à ce qu’elle longeait le mur du côté de l’est *. À partir de la rue Valdemaine, l'enceinte changeait de direction, et au lieu d’aller du sud au nord, elle ! Péan de la Tuilerie, p. 131, édit. Port. ? Renseignements fournis par M. Dainville, architecte. * M. Port, Nofes sur Péan de la Tuilerie, p. 400. * Vicus Saunereice; rua Salinaria; vicus Sauneresce; vicus Sal- neresce; la rue Sauniére. (Titres de 1240, 1250, 1270, 1383, 1466, cités par M. Port, Nofes sur Péan de la Tuilerie, p. 393.) ® Répertoire archéologique, année 1865, p. 87. 5 M. Port, Notes sur Péan de la Tuilerie, p. 397. NOUS E + se dirigeait alors de l’est à l’ouest, en suivant la rue Valdemaine jusqu'à l'extrémité de la rue Saint-Nor (St-Laud), à la porte Girard, encore indiquée aujour- d'hui par un assez grand carrefour. Il est facile de suivre sur tous nos anciens plans la direction des murs indiquée par celle des rues, d’une manière très-pré- cise, dans tout ce quartier de la ville. L’enceinte sui- vait ensuite la rue Saint-Georges, dont les maisons à droite en montant la rue (côté sud) paraissent avoir été bâties dans le fossé même. On trouve encore dans quelques cours les restes d’un vieux mur séparant les propriétés qui ouvrent sur la rue Saint-Georges, de celles qui donnent sur l'impasse Fourmi ‘. Dans une petite cour de la maison n° 12, à peu près vers le milieu de la rue, on trouve une ancienne construction qui paraît être la base d’une tour ronde, d’un très- faible diamètre. L'appareil est en schiste plat; le mor- tier est dur et mêlé de petits morceaux de tuffeau assez semblables à ceux de J’enceinte romaine; cette cons- truction est certainement plus récente, quoique ancienne. De là partaient deux murs épais d’un mêtre environ, bâtis de la même manière, et dont la direc- tion est indiquée par des arrachements encore exis- tants , l’un allait vers l’ouest et l’autre vers le sud. On peut en conclure que cette tour formait l’angle N.-E. de l’enceinte. Derrière elle se trouve une vaste cour qui occupe l'angle intérieur de l’enceinie. De ce point le mur devait longer la rue Lenepveu, ou mieux lan- 1 Jadis fournil, parce qu'il y avait là un four banal (furnilum), dépendant de l'évêché (voir plus bas). == o0 te cienne rue Haute-du-Figuier, la Chaussée Saint-Pierre et la rue Chaperonnière jusqu’à la place Neuve, on n’en trouve plus de débris aujourd’hui; mais quelques textes nous en ont conservé le souvenir. Une charte du xne siècle parle d’un ancien fassé qui traversait la terre de l’église Saint-Maurille ‘, et l’hôtel de Pincé a pris au xvI° siècle la place d’une ancienne maison canoniale de Saint-Maurille appelée les Créneaux, désignation très- caractéristique *. Nous ne savons pas au juste en quel point la seconde enceinte se reliait à celle de la cité; mais il est pro- . bable que c'était près de l’église Sainte-Croix, aujour- d'hui démolie. S'il est permis de prendre à la lettre les expressions d’une charte du x siécle, où cette église est dite adhérente au mur (adhærens muro), on pour- rait croire que ce mur était le nôtre, car Sainte- Croix n’adhérait point au mur de la cité * ; elle en était même séparée par une ruelle désignée dans une charte de Charles d'Anjou de l'an 1274 *. * Quod Fulconi comiti placuit equare fossatum quod fecerunt antecessores ejus in propria terra sanctæ Mariæ et sancti Mau- rilii. (Charte de S. Maurille du Ct° Foulques le Jeune, au temps de l’évêque Ulger, transcrite au musée Britannique, par M. Mar- chegay.) 2M. Port, Notes sur Péan de la Tuilerie, p. 335. — Un vieil hôtel, situé en face, portait le nom de l’huis de fer. (Id., p. 333.) 5. Don fait à Marbode, écolâtre, en 1127, par l’évêque Eusèbe Brunon et les chanoines de Saint-Maurice : eo tenore et ex con- ditione, ut tam ipse quam sui successores scholastici à me et a meis successoribus episcopis supradictum beneficium teneant, cum burgulo qui est juxta S. Stephanum adhærens muro de feyo episcopali. (Rangeard, Hist. de l'Université d'Angers, preuves, n° 4; publiée par la Revue d'Anjou.) * Karolus, Dei gratia rex Siciliæ... cum nos haberemus inter RC Poe Le mur de la cité fut démoli à cette époque pour permettre aux chanoines d’allonger le chœur de l’église. Cette démolition affaiblissait la défense; mais alors la grande enceinte de saint Louis enveloppait et protégeait la ville entière. Il est certain d'autre part que la seconde enceinte n’allait pas plus loin et qu’elle laissait en dehors Saint-Aubin et Toussaint, comme elle laissait aussi Saint-Pierre, Saint-Mainbœuf et Saint- Maurille, toutes qualifiées d’églises suburbaines à une époque postérieure à sa construclion *. Plusieurs portes donnaient accès dans la seconde ville. La plus connue est la porte Chapellière située au bas de la rue Baudrière; elle ouvrait sur le pont dont les arches venaient jadis jusqu’en cet endroit. Elle por- tait d’abord le nom de porte Boulet; aussi est-il difi- cile de la distinguer dans les textes anciens de la porte Pied ou Puy Boulet, qui était située un peu plus haut, mais qui ouvrait dans le mur de la cité”. La porte Boulet prit le nom de porte Chapellière, à cause du voisinage des chapeliers. Elle était défendue vers la tête Majorem et Sanctæ Crucis ecclesiæ quamdam viam aut plateam, vacuam, sordidis patentem usibus, sed utilem pro vestra ecclesia amplianda concedere vobis dignaremur... (Ext. des Privilèges de l'Église d'Angers, cité par Thorode, p. 104, ms. de la Biblioth. d'Angers.) 1 Voir les Chartes citées plus haut. ? Qui ex jussione Eusebii episcopi cum suis et ex præcepto comitis Fulconis cum suis baronibus descendentes de civitate venerunt ad portam Bulleti; ibique sedit unus eorum... (Cartul. S. Mariæ de Charitate, n° 47. Jugement rendu par les barons au sujet des droits de l’abbaye du Ronceray sous le Cte Foulques- Réchin et l’évêque Eusèbe Brunon.) — La paroisse Sainte-Marie s'étendait & posterna Bolleti usque ad Frigidum Fontem. (Ibid.) Me 22 du pont par une tour qui portait aussi le nom de tour des Chapeliers ‘. Rebâtie vers le xiv° siècle, elle a servi de mairie pendant quelque temps, à deux fois diffé- rentes ; elle a été démolie en 1775. Berthe nous en a conservé un dessin fort curieux. Elle était flanquée de deux tours bâties en grand appareil de tuffeau et couron- nées de machicoulis. Les murs à droite et à gauche de la porte étaient en pierres irrégulières (quartz ou schistes du pays). Ge mode de construction est ancien et paraît remonter au xI® ou au xl siècle; on en trouve encore quelques spécimens dans le pays. C’est un mode inter- médiaire entre le petit appareil plus ou moins régulier du mur de la cité, de la nef de Saint-Martin et du vieux clocher central de Saint-Serge, et le schiste plat des constructions plus récentes. J’attache une assez grande importance au dessin de Berthe, parce que ce dessina- teur était très-scrupuleux dans la reproduction des appareils anciens; son dessin de Saint-Martin, notam- ment, est très-précieux par son exactitude. Une autre porte s’ouvrait probablement au bas de la rue Sauneresse (plus tard rue de la Roë), et le sou- bassement découvert par M. Godard paraît avoir été celui de la tour destinée à la défendre. Au bas de cette porte se trouvait le port au sel, déjà désigné sous ce nom dans des actes du xr° siècle *. ‘ Le portau aux Chapelliers, porta Chapelliére. (Titres de 1227, 1370). — Turris capellariorum in cupiîte pontis. (Titres de 1240, 1337, cités par M. Port, Notes sur Péan de la Tuilerie, p. 129.) — Voir aussi p. 118. * Domum ad portum Saunerium. (Cartul. S. Mariæ de Charitate, n° 67,) CR Ta Les rues venant déboucher sur celle de la Poisson- nerie se fermaient encore avec des herses à une époque assez récente, ce qui montre qu’on avait conservé long- temps l'habitude de défendre la ligne des anciens murs du côté du quai ‘. À Pextrémité de la rue Saint-Laud se trouvait la porte Girard qui portait ce nom dès le x siècle * ; mais elle avait été démolie avant 1576, car la vue cava- lière d'Angers, de la Géographie de Belle-Forêt, qui porte cette date, ne la représente pas et se borne à indiquer sa place, tandis que la porte Chapellière, la porte Argevine et la porte de Fer sont au contraire représentées par un petit édifice. Les artistes et les archéologues regrettent vivement la démolition récente du beau logis en bois sculpté du xvi* siècle, qui avait pris la place de la porte Girard et qui en perpétuait le souvenir. Existait-il une porte correspondante à celle de la rue de la Roë et ouvrant dans la partie Est du mur? Je n’en ai trouvé aucune trace, aucun souvenir. Péan de la Tuilerie, en parlant du carrefour formé par le croi- sement des rues Saint-Julien et de l'Aiguillerie avec la rue Chaperonnière et la Chaussée-Saint-Pierre, s’ex- prime ainsi : « Il y a apparence qu'il y avait une porte près de ce carrefour. » Ceci est très-probable, car il 1 La rue du Bœuf couronné se nommait primitivement rue de la Herse, par ce motif; il y avait une autre herse à l’entrée de la rue de la Lamproie. (M. Port, Notes sur Péan de la Tuilerte, p. 406.) ? Furnilum episcopi apud portam Girardi. (Titres de 1271, cité par M. Port, Notes sur Péan de la Tuilerie, p. 338.) SOC. D’AG. 3 SN Peine fallait bien une porte en face de la rue Saint-Julien, qui était alors la grande route de Tours, pour corres- pondre avec la rue Baudrière et la porte Chapelliëre; mais on ne cite aucun texte relatif à cette entrée ‘. Péan place en outre une porte appelée porte du Pain, dans la rue Courte, sans désigner son emplacement d’une manière plus précise ?. Il est difficile de se rendre un compte exact de l'endroit où se trouvait cette porte; son nom de porte au Pain venait de ce que le marché au pain était en cet endroit, comme le nom de porte à la Chair avait été donné à la porte Angevine par une raison analogue. Il y avait enfin, d’après Péan, une porte appelée porte Lanier et qui conduisait à la rivière; elle était située sous les murs du château, de ce côté-laà, dit-il, sans préciser autrement sa position *. Il est probable qu’elle était au bas de la rue Tuliballe, où l’on trouve encore quelques débris du vieux mur, et faisait communiquer la Cité avec le port iLanier. Deux ports s’étendaient au pied des murs; l’un appelé le port au blé (portus Annonæ), l’autre, le port au bois (portus Lignorum), aujourd'hui quai Royal et quai de Ligny ‘. i Description d'Angers, p. 150, texte, édit. Port. ? Idem, p. 266, texte. 3 Idem, p. 125, texte, * Descendentes de civitate venerunt ad portam Bulleti; ibique sedit unus eornm; alter vero per vicum qui est a dextra parte propinquior urbi descendit juxta domum Gillardi Calvelli ad portum Lignorum; alter vero a sinistra ad portum Annonæ... (Cartul. S. Mariæ de Charitate, n° 47, Jugement rendu sous Foulques-Réchin et Eusèbe Brunon, au sujet des droits du Ron- sh de 2e Les idées les plus diverses, et je pourrais dire les plus étranges, ont été émises sur l’origine de l’enceinte du vicus senior. D’après Hiret, c'était la ville gau- loise, elle aurait précédé la Cité; il lui donne trois portes : la porte Girard, la porte Chapellière et la porte Angevine ‘; sans réfléchir que celle-ci ouvrait de la cité sur la ville et que par conséquent, elle n’apparte- nait pas à l’enceinte de la seconde. On s'étonne que Péan de la Tuilerie ait reproduit cette erreur qu'un moment de réflexion suffit pour faire reconnaître *. Je n’ai point à réfuter le système de Hliret sur l’origine de notre seconde enceinte ; rien ne le justifie; le mur n’a rien ni de gaulois, ni même de romain, dans le sens exact du mot. Les quelques débris romains qu'on a pu trouver dans cette partie de la ville peuvent faire penser qu’elle était habitée, comme le quartier de l’Esvière et de Saini-Laud, dès l'époque romaine; mais cela ne prouve nullement que l’enceinte soit antérieure à celle de la Cité. Assurément on ne saurait comparer les dé- bris qu’on a pu observer de l’enceinte du vicus avec les belles constructions romaines d'Italie ou même avec l'enceinte d’Autun qui est du premier siècle. Aucun archéologue ne, pourrait aujourd’hui commettre une erreur aussi grossière. ; D’autres auteurs sont tombés dans une exagération ceray.) — Voir aussi divers autres titres cités par M. Port, Notes sur Péan de la Tuilerie, p. 125. 1 Hiret, Antiquités, p. 17, 18. 2 Description d'Angers, p. 403, édit. Port. « .… Cette partie de la ville, dit-il, qui a été la première bâtie et qu'on appelle dans nos annales l’ancienne ville, laquelle avait trois portes, savoir : la porte Chapellière, la porte Angevine et la porte Girard. » RTS SR inverse. Berthe notamment attribuait à Jean-sans-Terre la seconde enceinte ‘ ; il est fort probable qu’elle a été remaniée du temps de ce prince, pendant les nombreux siéges qu'a subis Angers au cours des guerres de Phi- lippe-Auguste et du roi Jean. Mais divers textes éta- blissent qu'elle existait à une époque antérieure et que par conséquent Jean-sans-Terre n’en est pas le pre- mier auteur. Barthélemy Roger avait émis une autre opinion fort ingénieuse du reste. Dans son histoire d'Anjou, il avança que la seconde enceinte avait été élevée par Foulques-Nerra, après le grand incendie de 1032, qu; avait détruit la plus grande partie de la ville d’Angers*?; mais il ne cite aucun document à l’appui de son opi- nion, qui repose uniquement sur le fait de l’incendie” ; c’est, il faut en convenir, une preuve bien légère, car l'incendie, quelque terrible qu’il ait été, n’a détruit que les maisons presque toutes en bois, et n’a pas pu atta- quer le mur de la cité. On entoure une ville de murs 1 Voir Berthe, p. 46. — Voir aussi le plan de la ville d'Angers avec les notes qui l’accompagnent. 2 Nihil enim in ea intra muros urbis incombustum remansit, …. sed de suburbio cum toto monasterio S. Albini [pars maxima] deperiit.. (Chron. S. Maxentü Pictav., Marchegay.) ° « d'estime que ce fut alors qu’elle fut accrue par une mu- raille à tirer du Loricard par la porte Chapellière et le long de la rue de la Poissonnerie jusqu’à la porte Girard; on en voit en- core quelques vestiges au bas de la rue de la Roë. Cet accroisse- ment se continuait depuis la porte Girard, tout le long de la rue Saint-Laud, à revenir à la porte Angevine, » dit Roger après avoir parlé de l'incendie du môis de septembre 1032. (Hist. d’An- jou. Revue d'Anjou, année 1852, p. 171.) — Voir pour l’incendié, toutes les chroniques des églises d'Angers à l’année 1032 (Maï- chegay), Se OT pour la mettre à l’abri d’un siége; mais quelle nécessité du même genre implique un incendie accidentel ? Cest une pure hypothèse; elle a cependant été adoptée par la plupart des écrivains plus récents : M. Bodin l’a popu- larisée, M. Godard a suivi M. Bodin, et M. Port ne paraît pas contredire ces historiens; leur opinion fait pour ainsi dire loi aujourd’hui, et généralement on appelle la seconde enceinte celle de Foulques-Nerra ‘. Je pense qu’on doit en reculer la date; mais avant de développer les raisons qui me font préférer à cette hypothèse une nouvelle conjecture, il faut dire quelques . mots d’un autre mur de ville beaucoup moins connu el qui parait se rattacher cependant au même système de défense. En 1867, M. Dainville, architecte, découvrit dans une cour de la maison Letellier, rue aux Bœufs, quar- tier de l’Esvière, la base d’une tour, de trois mêtres de diamètre, de construction dite romaine, c’est-à-dire bâtie en emplecton, et dont la partie circulaire était tournée vers le sud-est. La disposition de cette tour et la trace des murs qui s’y rattachaient annonçaient une enceinte se dirigeant obliquement au nord vers la porte Tous- saint, au sud vers l’Esvière. Elle traversait les écuries de l'Académie qui paraissent avoir été en partie bâties dans le fossé; M. Dainville l’a reconnu aux affaisse- ments du mur actuel, dus à ce qu’il repose en cet en- droit sur un sol rapporté et peu solide *. Cette décou- verte fut signalée à la Société d'Agriculture, sciences et 1 Recherches historiques sur Angers, t. L°*, ch. xx. ? Renseigne ments fournis à l’auteur par M. Dainville, MAN arts, à la séance du 10 mai 1867, par M. le comman- dant du génie Prévost, et une commission fut nommée pour l’étudier ‘. Malheureusement le départ de M. Pré- vost et les événements politiques ne permirent pas de pousser les recherches; aujourd’hui elles sont devenues impossibles, la tour ayant été noyée dans d’autres constructions. J’ai vainement cherché dans le quartier de l’Esvière des restes de murs anciens pouvant se rattacher à la découverte de M. Dainville et la compléter. Je n’ai rien trouvé jusqu'à présent. Mais un document historique fort important pour la question nous apprend de la manière la plus formelle qu’au x siècle, avant la construction de l’abbaye, cette portion de la ville était enceinte d’un mur sur lequel avait été bâtie depuis longtemps déjà l’ancienne chapelle Saint-Sauveur, dont l'église construite par Geoffroy-Martel devait bientôt prendre la place *. La détermination du périmètre de cette enceinte ne peut être établie d’une manière positive faute de docu- ments et de points de repère constatés. Toutefois, la topographie nous l’indique pour les côtés ouest et sud. ‘ Mémoires de la Société d'Agriculture, Sciences et Arts d'Angers, t. X, p. 296. — M. Prévost croyait la tour d’un énorme diamètre, c'est une erreur; elle n'avait, d’après M. Dainville, que trois mètres de diamètre. ? Ego igitur in Dei nomine, comes Gaufridus una cum uxore mea Agnete. quemdam mei juris collibertum nomine Rotber- tum, Frogerii filium, quem de beneficio Sancti Salvatoris teneo, cujus capella super murum civitatis Andegavæ antiquitus sita est, ab omni jugo servitutis absolvo. (Cartul. S. Mariæ de Charitate, n° 35, en 1047.) CET te A l’ouest, en effet, du côté de la Maine, elle suivait évidemment le rocher depuis le château jusqu’au jardin de l’Esvière, et dominait le quai du Roi de Pologne; en certains endroits ce rocher est abrupt et d’un abord difficile ; les murs de terrasse qui le couronnent ont dû prendre la place de l’ancienne enceinte. Jadis, le boule- vard du Château n’existait point et l’on arrivait au pont de la Basse-Chaîne par un chemin assez étroit et très- raide entre le fossé et les maisons; la pente a été adou- cie; mais la disposition du coteau indique le point où l'enceinte devait se rattacher à celle de la Gité. A l’autre extrémité, au-dessus du petit passage appelé le Sabor, la base des murs du jardin du palais épiscopal d'été paraît fort ancienne, et d’après son appareil pourrait bien être prise pour un débris de l'enceinte, ou tout au moins elle aurait été faite avec d'anciens matériaux en pro- venant. Du côté du sud-ouest et du sud, elle suivait évidemment les jardins et terrasses de l’'Esvière qui dominent la rivière et la vallée, jusqu’au chemin qui mène à la Baumeite. En ce point, la topographie cesse de nous guider; mais la tour découverte par M. Dain- ville nous indique que l’enceinte devait s’arrêter à peu près au jardin de l’Esvière; c'était trés-probablement à la rue du Bœuf-Gorgé qu’elle changeait de direction et se tournait vers le sud-est. C’est en effet le point où viendrait aboutir une ligne partant de la porte Tous- saint, passant par les écuries de l’Académie et la tour détruite, et prolongée dans la même direction. Quoi qu’il en soit de cette description conjecturale, deux points restent acquis : l'existence d’une enceinte autour du quartier de l’Esvière, du burgus Aquarta, au 2 Aÿs=— x siècle, et le peu d’étendue de cette enceinte, qui du côté de l’est ne dépassait pas les écuries de l’Académie. Je dois ajouter qu’elle n’a été signalée par aucun de nos anciens historiens, bien que son existence soit rendue certaine par le texte que j’ai cité plus haut. Elle devait former une sorte de trapèze qui défendait l’abord de la Cité et du palais des Comtes du côté du sud et commandait la place Saint-Laud, les chemins de Frémur et de la Baumette, tandis que l'enceinte du vieux bourg remplissait le même rôle du côté du nord de la Cité; le tout faisait d'Angers au xr° siècle une sorte de boyau allongé du nord au sud, le long du coteau de la Maine. La seconde enceinte du nord et celle du sud me paraissent donc avoir fait partie d’un même système de défense. Je reviens à la question de la date, et je veux voir si l’on est obligé d'admettre celle de 1039 et s’il n’est pas permis de la reculer. Nous avons vu déjà qu’elle est pu- rement conjecturale. Il paraît très-probable que l’en- ceinte du Vicus senior ou la partie nurd est la plus an- cienne. En effet, les historiens nous disent que Conan, comte de Bretagne, ayant voulu surprendre Angers, pendant que Foulques-Nerra était à Orléans, envoya ses fils assiéger la ville, mais que Foulques, instruit du complot, revint précipitamment, réunit ses troupes dans une embuscade, d’où sortant à l’improviste, il tailla les Bretons en pièces devant les portes de la ville, ad portas urbis ‘. De là le nom d’Écache-Breton aurait été ! Britones, statuto die, usque ad portas urbis securi impetuose currunt... Fulco et sui latitantes in eos securos celerrime irruunt, alios prosternunt, alios in fugam conversos insequuntur. (Gesta 0 donné à une tour du château au pied de laquelle la bataille s'était livrée. Mais tous nos historiens ont fait erreur à ce sujet; les uns ont appelé Ecache-Breton la tour sud-ouest, les autres la tour nord-ouest du chà- teau ; ce qui montre combien la tradition est confuse à ce sujet‘; d’ailleurs, ces tours sont du règne de saint Louis, et par conséquent bien plus récentes que Foulques- Nerra. Roger prétend que la bataille s’est livrée au Loricard, parce que les Bretons étaient là à loricarder, c’est-à-dire à observer *. Mais ceci n’est guère vraisem- blable, car au-dessus du Loricard, le mur de la Gité s'élève sur des rochers à pic, dont jadis la Maine bai- gnait le pied. Angers étant imprenable de ce côté, ce n’était certainement pas un point favorable pour tenter - une escalade et une surprise. Ils ont dû-attaquer An- gers par son point vulnérable, c’est-à-dire par le val de la Maine. Or, M. Port a trouvé des titres qui établissent que le faubourg situé près de la porte Sauneresse, au bas de la rue de la Poë, portait au xue siècle le nom d'Ecache-Breton ou Ecache-Bouton *. Si l’étymologie Consulum andeg., de Fulcone Nerra.) Voir aussi Hist. Comit. andeg., Marchegay, p. 327. | | 1 « Quelques uns appellent mal à propos la tour Écache-Breton cette grosse tour du Château qui joint le boulevard de la Basse- Chaine. » (B. Roger, Loc. cit., p. 146.) — Pour lui et pour Péan de la Tuilerie, la tour Écache-Breton est la même que la tour du Moulin; mais M. Port établit qu'aucune tour du Château n’a porté le nom d'Écache-Breton. (Péan de la Tuilerie, p. 113, et notes de M. Port, p. 113 et 389.) 3 B. Roger, loc. cit., p. 146. 8 Vicus de Escache-Breton, ou de Escache-Bouton; — in vico de- functi Petri de Escacheboton. (Titre de 1279, cité par M. Port, Notes sur Péan de la Tuilerie, p. 389.) PE du mot Ecache-Breton (Écrase Breton), donnée par Mé- nage, est exacie, ce serait au bas de la rue de la Roë que la bataille se serait livrée, et comme elle a eu lieu, d’après le Gesta Consulum, devant les portes de la ville, il faudrait en conclure que cette portion de l’en- ceinte existait dés lors. Or, ce combat est antérieur à la bataille de Conquereux où Conan perdit la vie, et qui fut livrée en 992, d’après toutes nos chroniques. Ge qui ferait remonter l'existence de l’enceinte en question au début du règne de Foulques. 3 Je ne donne toutefois cet argument que sous toutes réserves ; pour qu’il ait quelque valeur, il faut admettre comme réel le combat livré sous les murs d'Angers par les fils de Conan, lequel pourrait bien n’être qu’une lé- gende, car il n’est relaté dans aucune des chroniques des églises d'Anjou, documents beaucoup plus sûrs que le Gesta C'onsulum qui l’a raconté le premier, et dont tous les historiens postérieurs ont emprumé le récit; la ba- taille de Conquereux est au contraire un fait historique rapporté par toutes nos chroniques. En second lieu, l’éty- mologie d’Ecache-Breton (Écrase Breton) me semble fort douteuse; elle a eu pour premier parrain Ménage, qui n’est pas un guide bien sûr en cette matière” . Les textes cités par M. Port pourraient faire supposer même qu’elle est toute différente, et que le nom du bourg vient d’un nom d'homme. Je n’accorde non plus aucune importance à celle du Loricard eee observer), donnée par Roger. ! Chron. des églises d'Anjou, ad ann. 992, Marchegay. ? Hist, de Sablé, p. 8 ALT CREER La charte relative à la fondation du collége de la porte de Fer, qui a été citée plus haut, fournit une raison plus positive en faveur de l’antiquité de la se- conde enceinte; elle ne date que du xime siécle, il est vrai, mais elle se réfère à une charte de l’an 1031, dont elle paraît être la copie; or ce dernier document était antérieur à l'incendie qui n’a eu lieu que l’an- née suivante (en 1032). Reste à savoir cependant si le texte du xIe siècle, que je n’ai pu retrouver et que Rangeard n’a pas publié dans les preuves de son His- toire de l’Université d'Angers, était aussi précis que la transcription du x, et mentionnait aussi la double enceinte. Si la copie reproduit exactement l'original, ce texte suffirait pour renverser l'opinion de Roger ‘. La donation faite par Foulques-le-Jeune aux cha- noines de Saint-Maurille a aussi son importance; il faut en peser les termes. Dès les premières années du xue siècle, nous voyons le comte d’Anjou faire abandon d’un fossé qui avait été creusé par ses prédécesseurs. Il ne s’agit point ici d’une enceinte qui eût été presque neuve alors, mais au contraire d’une vieille enceinte que l’on abandonnait, soit parce que la ville avait pris trop d’extension, soit parce que les comtes d'Anjou, à l'apogée de leur puissance, et ne redoutant aucun en- nemi, n’en avaient plus besoin. On ne se serait pas exprimé ainsi en parlant d’une enceinte bâtie moins d’un siècle auparavant par Foulques-Nerra *. Entin, la charte de l'Esvière emploie aussi des termes ! Voir la charte citée plus haut. ? Voir la charte de Foulques le Jeune, citée plus haut, NUE très-remarquables. Eile est de l’an 1047, et déjà elle parle d’un mur de ville sur lequel une église avait été bâtie anciennement. Se fût-elle ainsi exprimée si l’en- ceinte n’eùt eu alors que quinze années de date ? Je pense donc que la seconde enceinte d'Angers, et J'entends par là non-seulement la portion nord, c’est- à-dire le vicus senior, mais aussi la portion sud, ou bwr- qus Aquaria, est antérieure à l’an 1032 et même au règne de Foulques-Nerra. Mais à quelle époque la ferons-nous remonter ? Celle des invasions normandes me parait la plus probable, la plus conforme à l’his- toire. C’est toujours dans les temps de guerre et de troubles que l’on songe à fortifier les villes, à perfec- tionner et à accroître les moyens de défense. C’est ce qu'on avait fait d’une manière générale en Gaule au ive siècle; c’est ce qu’on fit de nouveau, dans la se- conde moitié du 1x. Rappelons rapidement les événe- ments de ce temps. En 849, Nomenoë, comte de Bretagne, s’emparait d'Angers, qui, l’année suivante, élait repris par Charles- le-Chauve *. Mais des ennemis plus terribles que les Bretons menaçaient notre contrée. Les Normands, qui jusqu’à cette époque n’avaient ravagé que les côtes de France, commençaient à pénétrer dans l’intérieur du pays. En 853, ils remontent la Loire, brûlent Nantes, pillent l’abbaye de St-Florent du Montglonne, prennent Angers et Tours, brûlent l'abbaye de Saint-Martin, et, comme une horrible tempête, dévastent et incendient tout le pays”. L'année suivante, ils brûlent Angers ‘ Annales de S. Bertin, D. Bouquet, t. VII. * Anno 853... omnemque circumquaque regionem devastantes, SSP CEE pour la seconde fois ‘. Trois ans plus tard, par la trahison du jeune Pepin d'Aquitaine, Poitiers tombe en leur pouvoir et ils ravagent une grande partie de l'Aquitaine *. La querelle de Charles-le-Chauve et de . son fils Louis-le-Bègue vient encore aggraver la situa- tion si triste de nos provinces et la guerre civile ajoute ses horreurs à celles commises par les pirates. Louis, s’alliant à Salomon, ravage l’Anjou avec le fer et le feu en 869, et repousse le comte Robert fidèle de son père; mais Robert ayant surpris les Bretons à leur retour prend sa revanche et les taille en pièces; Louis, ses alliés dispersés, n’échappe qu'avec peine à son redou- table adversaire *. Au milieu de ces guerres continuelles, Charles-le- Chauve voulut prendre des mesures militaires pour arrêter les Normands; par le capitulaire de Pistres, il prescrivit, en 869, aux comtes et aux autres vassaux royaux de se tenir toujours prêts à marcher à première réquisition soit contre les Normands, soit contre les autres enne- mis de Dieu et du roi, pour la défense de la patrie *. primum Andegavensem, deinde Turonicam occupant urbem, ac velut immanis tempestas cuncta consumunt, (Annal. Mettenses, D. Bouquet, t. VII.) — Voir aussi Annales de S. Bertin, eod. anno. 1 Anno 854. Piratæ Nortmannorum Ligere insistentes, denuo civitatem Andegavorum incendio concremant. (Annal. S. Ber- tini.) ? Annales de S. Bertin, anno 857. $ Idem, anno 862. ; . Ut episcopi atque abbates, comites ac vassi nostri,.. et omnes ita sint semper parati, ut si nobis necessitas evenerit, ad defensionem patriæ contra paganos aut contra alios Dei et nos- tros inimicos, sicut consuetudo fuit tempore antecessorum nos- trorum, absque mora, statim ut eis nuntiatum fuerit, possint ETAGE La même année, ce prince ordonna de fortifier les villes situées au-delà de la Seine (c’est-à-dire au Sud du fleuve), et notamment Tours et le Mans, pour qu’elles servissent de refuge contre les. Normands. Mais ceux-ci se firent immédiatement livrer par les habitants un fort tribut en argent, blé, vin, bestiaux ?. L'ordre de fortifier les villes devait évidemment s’ap- pliquer à Angers plus exposé encore que Tours et le Mans aux irruptions des pirates; mais peut-être Angers était-1l déjà tombé en leur pouvoir. Ce qui est certain, c’est que les Normands, après avoir dévasté les villes, détruit les châteaux, brûlé les églises et les monastères et réduit les champs en solitude, s’empa- rérent de cette ville dont ils firent leur principal repaire pendant un temps assez long. Les historiens ne nous ont pas appris la date précise de l'établissement des Normands à Angers; mais ils nous ont fait le récit de la prise de cette place par Charles-le-Chauve sur les envahisseurs, en 873, avec l’aide de Salomon, roi de Bretagne. Charles, établi sur la rive gauche de la Maine, serrait de près la ville, qu’il avait enfermée dans une forte ligne de circumvallation, tandis que les Bretons qui occupaient la rive droite, creusaient un profond fossé pour détourner les eaux de la Maine et approcher plus facilement des murailles. Les Annales de Saint-Bertin ne parlent pas de ce gigantesque travail venire. (Capit. apud Pistas, ann. 869, adnuntiatio Karol regis c, 3.) ! Carolus vero civitates transequanas ab incolis firmari rogavit, Cinomannis scilicet, ac Turonis, ut præsidio contra Nortmannos Populis esse possent, (Annal. S. Bertint., 869.) OU ee rapporté par nos chroniques locales; il n°y a pas cepen- dant de motif suffisant pour rejeter leur récit, füt-il même mêlé de quelque exagération dans l’expression *. Les Normands, incapables de résister plus long- temps, capitulérent et Angers rentra sous la domina- tion du roi de France. D’après les Annales de Saint- Bertin, la capitulation fut tout en faveur du roi; les Normands quittérent Angers, livrèrent des Ôtages, el jurérent de ne plus commettre aucun dégât dans le pays. Ils obtinrent seulement la permission de demeurer jusqu’au mois de février suivant dans une ile de la Loire et d'y avoir un marché, promettant qu’à celle époque tous ceux d'entre eux qui auraient déjà reçu le baptême et voudraient rester attachés à la religion chrétienne se rendraient auprès du roi, que ceux encore païens qui voudraient se faire chrétiens seraient bap- tisés, et que les autres sortiraient du royaume pour n’y plus revenir. Charles, ayant repris possession d'Angers, fit remettre à leur place les corps de saint Aubin et de saint Lezin qui avaient été, par crainte des Normands, enlevés de leurs tombeaux et fit des présents considé- rables aux abbayes qui avaient ces Saints pour patrons; puis il partit pour Pistres *. Mais le chroniqueur de Saint-Serge ajoute un détail qui présente les choses sous un jour beaucoup moins favorable. ÿ Comparez Annales de S. Bertin et Chron. de Saint-Serge, ann. 873. ? Carolus viriliter ac strenue obsidionem in gyro Andecavis civitatis exsequens, adeo Nortmannos perdomuit, ut primores eorum ad illum venerint, seseque illi commendaverint, et sacra- menta qualia jussit egerint, et obsides quos et quantos quæsivit ili dederint... etc, (Annal, S. Berlini, 873.) EE PARU Charles, qui sans doute était pressé par le besoin d’argent, se laissa gagner par l'offre d’une forte rançon que lui payérent les Normands, et partit en leur lais- sant la voie libre. Ceux-ci sortirent, il est vrai, de la ville, mais remontant dans leurs barques, ils restèrent maîtres de la Loire, violèrent l'engagement qu’ils avaient pris de quitter le royaume et restèrent dans le pays qu'ils continuèrent à ravager plus cruellement que par le passé ‘. La suite des faits ne prouve que trop l'exactitude de ce récit. Nulle époque ne fut plus troublée que la fin du 1x° siècle par des guerres achar- nées et par des dévastations incessantes dont notre région fut souvent le théâtre, Jamais il ne fut plus nécessaire d'élever des moyens de défense, de fortifier les villes et de ménager pour les populations des lieux de refuge et de süreté. Revenons donc à nos enceintes. Les reconsiructions faites dans diverses villes de l’ouest nous mettront sur la voie de ce qui dut se passer à Angers. A défaut de preuves directes pour cette dernière ie l’analogie nous guidera. Des réparations importantes furent entreprises au mur de la cité de Tours, à l’époque à laquelle nous sommes parvenu, et terminées vers 877, sous la direc- tion du comte Hugues. Les archéologues distinguent 1 Rex, turpi cupiditate superatus, pecuniam recepit, et ab ob- sidione recedens hostibus viam fecit. Illi, conscensis navibus, in Ligerim convertuntur, et nequaquam, sicut spoponderant, ex regno ejus recesserunt; sed in eodem loco manentes, multo pe- jora et immaniora quam antea perpetrarunt, (Chron. S. Sergü, Marchegay.) à là consent] Uri ee en effet, à la diversité des appareils, les réfections du Ix® siècle des constructions de l’époque gallo-romaine. Des tours furent ajoutées et flanquèrent l’enceinte; l’une d’elles, située au N.-E. de la cité, fut destinée à la demeure du comte ; on y rendait la justice ; elle prit le nom de Tour Hugon et plus tard celui de Tour feu Hugon . Les moines de Saint-Martin réparèrent leur abbaye et l’entourèrent de murailles pendant les pre- miéres années du xe siècle. Leurs travaux étaient, ter- minés en 919, époque où l’on transféra les reliques de saint Martin de la cité de Tours, où elles étaient restées depuis 887, c’est-à-dire pendant trente-deux ans, à la nouvelle abbaye *. Celle-ci prit, à cause de ses fortifi- cations, le nom de Châteauneuf. 1 Les Invasions normandes en Touraine, par M. Mabile. (Biblio- thèque de l’école des Chartes, t. XXX, p. 186.) 2? Les Invasions normandes, p. 189, 191. Voir aussi : Lettre du pape Adrien Il, à Charles le Chauve, en 870. (D. Bouquet, t. VIL, dipl. 18.) — Diplôme de Louis le Bègue, du 24 juillet 878. (Id. t. IX, dipl. no 405.) — Diplôme du 2 janvier 896, par lequel le roi Eudes autorise la reconstruction de Saint-Martin. (Invasions normandes, pièces justif., n° 7.) — Lettre d’Alphonse, roi de Ga- lice, par laquelle il félicite les chanoines de Saint-Martin d'élever une enceinte autour de leur couvent. (Id., p. 191.) 8 Villam nostram Martiniacum nomine cum omnibus rebus ad ipsam pertinentibus monasterio S. Martini atque Rudi ipsius Castelli vicinam... Data in civitate Turonis.. (Acte du 3 nov. 915. Invasions normandes; pièces justif., n° 14.) — In pago turonico, in suburbio Castelli S. Martini juxta viam quæ pergit ad S. Ma- riam pauperculam ex parte Ligeris. infra Castrum $S. Martini Turonis, in pleno fratrum capitulo. (Acte du 25 mars 920. Ibid., n° 15.) — Les anciens actes de saint Martin étaient datés in mo- nasterio S. Martini, puis pendant le séjour des reliques du Saint, à Tours, În civitate Turonis; mais à partir de 920, la formule adoptée est : in castroS. Martini. (Les Invasions normandes, p. 189). SOC. D’AG. À 0 À Poitiers, vers la même époque, on fit aux défenses de la ville une annexe du même genre. Le faubourg de Sainte-Radégonde, situé au pied de la cité, fut enfermé dans une enceinte qui servait à la fois à protéger une église vénérée et à défendre les abords de la place *. Au Mans, le mur de la cité présente en certains endroits, et notamment près l’église Saint-Pierre, des traces de remaniement fort curieuses, Tandis que la portion inférieure est en petit appareil gallo-romain avec chaînes de briques, la partie supérieure est en pierres carrées aussi et d’une faible dimension, mais plus grandes cependant que celles du bas, et sans cor- dons de briques. L’historien et archéologue du Mans, Pesche, attribue ces portions non imbriquées, à des réparalions faites du ve au 1x° siècle. L’un des côtés du mur de la cité a même été complétement refait; de la rue Saint-Flaceau à celle des Bas-Fossés, on ne trouve pas de traces de constructions romaines, et toute l'enceinte de la cité n’est dans cette partie qu’une reconstruction du moyen âge. Pesche attribue ces divers remaniements aux destructions occasionnées par les siéges nombreux que le Mans a subis * ; ce qui est fort probable. J’ajouterai que le caractère de l’appareil de la seconde construction du Mans paraît se rapporter à celui de la tour de la rue de la Roë, de notre seconde enceinte. Lorsqu'on se rappelle le décret de 869, et le ! Castrum tamen S. Radegundis urbi contiguum Ragenaldus comes clandestina irruptione cepit et succensum est. (Texte rela- tif au siége de Poitiers, par le roi Lothaire, en 955, cité par M. Ledain, Bulletin monumental, année 1873, p. 461.) * Pesche, Dictionn. topogr. de la Sarthe, t. IT, p. 712 et suiv. ba séjour de Charles-le-Chauve au Mans après la prise d'Angers, en 873, il est difficile de ne pas attribuer à cette époque, les remaniements du mur de la cité. En outre le comte Hugues, restaurateur de celle de Tours, avait en 877 le comté du Mans sous sa haute suprématie. En ce qui concerne Angers, nous ne savons rien d'aussi précis ; mais plusieurs raisons nous permettent de croire que les annexes de la cité doivent être du même temps que celles de Tours, du Mans et de Poi- tiers. La défense d’Angers était tout aussi nécessaire que celle de ces différentes villes, car la nôtre était encore plus exposée qu’elles. Si le décret de Charles- le-Chauve, de 869, n’a pu lui être immédiatement appliqué, il a dû être mis à exécution après la reprise de la ville, en 873. Il importait alors plus que jamais de la mettre à l’abri des Normands, qui continuaient à ravager le pays et qui devaient chercher l’occasion de rentrer dans cette place importante ‘. En second lieu nous avons vu qu'il y avait à la cité une porte Hugon ét près d’elle une four du comte, comme à Tours. Cette ressemblance de nom nous reporte à la même date et nous montre qu'à cette époque on s’est certainement aussi occupé de nos fortifications. Enfin le mode de construction de certaines portions de la seconde enceinte permet de les considérer comme fort anciennes et d’un temps où l’on construisait encore more romano. D'autre part le xe siècle a été pour nous une époque pacifique sous les règnes de Foulques-le-Roux et de 1 La disposition même de l’enceinte qui s’allonge le long de la rivière, de l’Esvière au val de Maine, paraît destinée à protéger la ville contre un débarquement. DES Foulques-le-Bon, et au xi° siècle, Foulques-Nerra a tellement reculé les limites de ses possessions, qu'il n'avait guère à craindre pour sa capitale. On ne voit pas à quelle occasion les nouvelles fortifications d'Angers auraient été faites, après la fin des invasions nor- mandes. Je ne puis présenter sans doute que des conjectures à ce sujet; mais elles me paraïssent fondées sur des inductions historiques et archéologiques plus sérieuses que celle sur laquelle s’appuyait l'hypothèse de Roger. Je suis donc fort porté à croire que notre seconde enceinte est de la fin du 1xe siècle plutôt que du xr. Ill LA GRANDE ENCEINTE. De nombreuses églises s’élevèrent autour de la ville d'Angers, dans le suburbium ou banlieue pendant les premiers siècles du moyen âge. Les plus anciennes se groupérent sur un vaste cimetière qui s’étendait à peu de distance des portes et dont l'emplacement forme aujourd’hui la place du Ralliement ‘. L'église Saint- 1 «Nous conjecturons avec plusieurs auteurs que cette église (Saint Maurille}, ainsi que celle de Saint-Pierre et Saint-Saturnin, depuis Saint-Maimbœuf, furent dans leur origine, des chapelles bâties dans l'enceinte d’un vaste cimetière, qui renfermoit la plus grande partie de la chaussée Saint-Pierre d’un côté, et de l’autre la place Saint-Maurille, et s’étendoit en longueur jusqu’au delà de Saint-Martin. » (Péan de la Tuilerie, p. 321.) — Les dé- M or ie Pierre, qui paraît n’avoir été dans le principe qu’une simple chapelle sépulcrale, reçut le corps de l’évêque saint Aubin; prés d'elle s’élevèrent Saint-Saturnin, bâtie par saint Maimbœuf, Sainte-Marie, consacrée plus tard à saint Maurille, l’un de nos premiers évêques, Saint-Denys, Saint-Jean-Baptiste, construites par saint Lézin, Saint-Aubin, seconde demeure des reliques de cet évêque, toutes bâties dès l’époque mérovingienne ; puis Saint-Martin qu’on a longtemps attribuée à l'im- pératrice Hermengarde, sur la foi de Bourdigné, qui avait confondu cette princesse avec Hildegarde, femme de Foulques-Nerra; mais l’église pour n'être pas l’œuvre de la femme de Louis-le-Pieux, n'en est pas moins fort ancienne, et sa fondation première pourrait bien remonter à saint Loup, successeur de saint Maimbœuf, Toussaint fut bâtie un peu plus loin près du cimetière destiné aux pauvres *. Des hospices pour les pauvres ou les malades avaient été annexés par les généreux fondateurs à plusieurs de ces églises. C’était une pensée non-seulement pieuse, mais chari- table qui avait présidé à leur établissement *. Bientôt des maisons se bâtirent auprès de ces diverses églises et le suburbium fut plus peuplé que la ville qui étouffait dans ses premières enceintes. Dès le x° siécle, on parle du bourg de Saint-Aubin, formé autour de couvertes de nombreuses tombes des époques mérovingienne et carlovingienne faites depuis quelques années en ce même en- droit, confirment complétement l'opinion de Péan. 1 Voir mes Notices archéologiques. 2 Voir les vies des évêques saint Aubin, saint Lézin et saint Maimbœuf dans les Bollandistes. — Voir aussi les chartes rela- tives à la fondation de Toussaint. ZT Ft l’abbaye de ce nom’. Les différents chemins qui con- duisaient à la ville se transformérent en rues bordées d'habitations, généralement en bois, comme je l’ai déjà dit. Les champs et les vignes, qui par suite de dona- tions d’époques diverses appartenaient aux commu- nautés, entrecoupaient encore les endroits bâtis, mais disparaissaient peu à peu sous les constructions. Les chartes de nos communautés nous montrent la topo- graphie du vieil Angers, et permettent d'étudier la transformation qui s’opérait au xI° et au xuiIe siècles, dans toute la banlieue *. Le terrible incendie de 1032 détruisit une grande partie de cette ville nouvelle, mais elle ne tarda pas à sortir de ses ruines *. De l’autre côté de la riviére, une abbaye célèbre, Notre-Dame de la Charité, qui existait peut-être dés le va siècle *, mais qui fut rebâtie et enrichie par 1 Contestation entre les moines de Saint-Aubin et une femme appelée Gertrude et son fils, au sujet de deux colliberts et d’une maison : domum quamdam in burgo S. Albini. (Cartul. S. Albini, de rebus quæ sunt Andegavis, f° 19, n° 34, fin du x1° siècle.) ? Est autem ipsa terra cum appendenti vinea, prope muros Andecavensis civitatis; terminatur itaque de tribus partibus via publica, quarta parte claustro S. Licinii. (Cartul. S. Albini, f° 44, n° 3, x° siècle.) — Fossam unam ad confugium in villa quæ vocatur Mons Samarenda, et arpennos duodecim de terra arabili ad construendum. Terminatur ex una parte terra S. Martini, ex altera S. Mariæ, tertia S. Dionysii, quarta alodo Roho.!{Id., f xv, n° 9, x° siècle.) ? Sed de suburbio, cum toto monasterio S, Albini [pars maximal] deperüt; imo nihil quoque ejus evasit, præter pauculum quod aliis monasteriis hærebat [ita] ut ignis ardere non posset, (Chron. S. Maxentiü; — Voir aussi les autres Chroniques des églises d’An- jou. Marchegay.) * Beaucoup de légendes ont eu cours sur l’origine du Ronce- ray. Il est possible que sa fondation remonte au vue siècle, d’a- MO C-AEe Foulques-Nerra et par sa femme flildegarde, devint aussi le noyau d’une seconde ville située sur la rive droite de la Maine. Le bourg Sainte-Marie est désigné sous ce nom dans des titres fort anciens‘. Ce quartier prit même une telle extension qu'un écrivain du xre siècle nous vante le bonheur des habitants du bourg d'outre-Maine, sans doute parce qu’ils avaient plus d’air et de lumière que ceux des vieux quartiers *. Un pont fort ancien reliait la route de Tours à celle de Rennes. Foulques-Nerra se glorifiait de l'avoir fait rebâtir en pierre ; il en restitua la moitié des péages à l’évêque d'Angers, et en donna les pêcheries aux reli- gieuses du Ronceray avec les aires des moulins qui se trouvaient entre les arches, sauf une seule qu’il réserva aux chanoines de Saint-Martin *. Au xue siècle, le pont près un passage de la quarante-cinquième formule de Mabillon, qui paraît s'appliquer à cette ahbaye; mais ce n'est pas certain. (Formulæ andeg., n° 45.) 1 Concession de droits féodaux par le C!*° Geoffroy Martel, à l'abbaye du Ronceray, àn toto burgo Sanctæ Mariæ. (Cartul. S. Ma- riæ de Charitate, n° 5.) — Adhelelmus, cognomine Struans, de burgo S. Mariæ. (Cartul. S. Albini, f° 19, n° 32.) — 1088. Hoc anno lacrimabilis Sanctæ Mariæ burgi facta est combustio. (Chron. Rainaldi et S. Albini. Marchegay.) 2 Rursus ut civitas multo capacior millia hominum concurren- tia sub una confederatione concluderet, montem positum in vicino populis ad habitandum exposuit quorum si fortunam attendimus felicius incolunt suburbana quam urbem. (Urbis Andegav. descriptio, ann. 1150, Marchegay, Chron. d'Anjou, p. 337.) 3 ….Hoc est de toto ponte Meduanæ, quod videlicet lapideo opere construximus piscationes universas et areas molendinorum intra ipsas archas omnes, ete. (Cartul. S. Mariæ de Charitate, n° 4, an. 1028.) — Medietatem theloneorum de ponte Andegavensis civita- tis qui est super fluvium Meduanæ. (Cartul. niger S. Maurici, eee était bordé de maisons des deux côtés et formait une véritable rue, à l’abri des rayons du soleil; c'était là que se faisait, dés cette époque, le commerce des objets de luxe; mais il est probable que Foulques se vantait lorsqu'il parlait de ses constructions en pierre; car l’auteur de la description dit, au contraire, que le pont était en grande partie de bois ‘. Pour concilier les deux textes, il faut croire que les piles seules étaient en pierre, et que le tablier était de bois. L’incendie de 1144 détruisit ces maisons qui sans doute étaient de bois aussi ; elles furent promptement rebâties, mais en 1175, la violence des eaux en renversait un grand nombre, et deux ans après, en 1177, un nouvel incendie ravageait encore celte rue, si fréquentée *. Mais malgré les fureurs des éléments conjurés, le pont sortit de ses ruines, et conserva ses commerçants. (était encore au xviie siècle la demeure des orfèvres et des bijou- tiers, comme nous l’apprend un naïf noël angevin, d’après lequel toutes les rues d'Angers apportent à fo 47. Congrés archéologique d'Angers de 1841, p. 99, document cité par M. Marchegay.) 1 Ut autem liberum civibus commeatum offerret terra, lignis, lapidibus comportatis, construi super aquas in habitaculis ergas- teria toleravit (Meduana) sic ex opposito sibi respondentia, sic fere sub æqua contignatione disposita quod pontem medium ex mazima parte ligneum quasi solidum redigant in plateam, trans- seuntibus quidem assidue patefactam, sed Phæbo non perviam, in qua quid usus desideret, quid luxus deposcat abunde reperiet transitus per eam compendiosus (Chron. d'Anjou, loc. cit., Mar- chegay.) ? Chron. S. Sergii, et S. Albini, ann. 11444, 1177. — Plures etiam domos per violentiam aquarum desuper pontem andega- vensem corruerunt (Chron. S. Sergii, ann. 1175.) M: EE lenfant Jésus, les produits de leur commerce propre : « De sur le pont des orfèvres Donnèrent un cœur d’or Emaillé d’un très-bel œuvre, etc. » Tel était donc Angers au xne siècle ; d'immenses fau- bourgs enveloppaient de tous les côtés la vieille enceinte de la cité et celle que nous avons attribuée à Gharles le Chauve et au comte Hugues. Cette ville nouvelle avait un double élément, à la fois monastique et rotu- rier. Elle était née autour des abbayes et des collé- giales ; ses premiers habitants avaient été serviteurs ou tenanciers des abbayes. Mais nous voici parvenus à l’époque où commence la lutte gigantesque de la France et de l’Angleterre. C’est toujours dans ces temps de guerre, qu’on sent le besoin de fortifier les places. Les anciennes enceintes d'Angers étaient complétement débordées alors, et la cité, même avec sa double annexe, ne formait guère qu’une citadelle, au milieu d’uñe ville ouverte. Pendant les premières années du xire siècle, Angers fut pris et perdu, repris et abandonné nombre de fois par les belligérants. Le duc Arthur, qui avait fait hommage de ses possessions au roi de France, vint à Angers en 1199 et fut reçu par les bourgeois de la ville; mais l’année suivante son oncle Jean-sans-Terre s’emparait de cette ville *. On _ connaît la fin tragique du Rue prince, mis à mort par le roi d'Angleterre. Cité à la barre de la cour des barons de France, Jean refusa de comparaître. La cour déclara ses fiefs Chron. S. Albini, ann. 1199, 1200. 584 0 confisqués, et Philippe-Auguste se mit promptement en devoir d'exécuter la sentence les armes à la main. En 1209, le sénéchal Guillaume des Roches prend Angers pour le compte du roi de France et le fortifie *; quelque temps après Robert de Turneham, sous un prétexte pieux, s’approche de la ville et brüle les fau- bourgs ?. Quatre ans plus tard, le roi Philippe vient à Angers; mais à peine l’a-t-il quitté, que Jean-sans- Terre s'en empare de nouveau et ravage tout le pays; on prétend même qu'il détruisit la ville de fond en comble, et qu’ensuite il la rebâtit telle qu’elle était auparavant *. Cette double asserlion est évidemment fort exagérée et ne saurait être prise au sérieux. Les villes ne se détruisent pas et ne se rebâtissent pas ainsi sur l’ordre d’un souverain; ces choses-là ne se voient guère que dans les légendes orientales. L’insuffisance des fortifications d'Angers n’avait pas toutefois échappé au roi Jean. 1l voulut entourer la ville entière en com- 1 Chron. S. Albini, ann. 1202. — Guillelmus Armoricanus; De Gestis Philippi Augusti, D. Bouquet, t. XVII. ? Accesserunt gentes regis Angliæ Jatenter ad suburbium civi- tatis Andegavis sub causa religionis; quod deprædarunt et par- tem pontis combusserunt, et eodem die inde recesserunt. (Chron. S. Albini, ann. 1202. Marchegay, p. 52, ms. G. La rédaction des autres ms. de la chronique est un peu différente.) $ Veniens que cum exercitu Audegavensem urbem solo tenus destruxit (Joannes) circa annum 1206, quam post aliquot annos in pristinam formam restituit. (Hist. brevis comit. Andeg., publiée par Salmon et Marchegay, p. 369.) — Joannes vero rex Angliæ civitatem Andegavis cœæpit, et totam destruxit. (Rigord; De Gestrs Philippi Aug., D. Bouquet, t. XVIL.) —La Chronique deS. Aubin et Guillaume le Breton parlent aussi de la prise d'Angers en 1206, par Jean sans Terre, mais ne disent pas que la ville ait été détruite, ho prenant dans son enceinte le faubourg de la Doutre; mais il eut à peine le temps d'entreprendre cel ouvrage, car il fut bientôt obligé d’évacuer la place devant les troupes de Philippe-Auguste; après avoir incendié le pont, il se retira par les Ponts-de-Cé, sur la rive gauche de la Loire *. Jean revint encore à Angers en 1214; ce serait à cetle époque, d’après Guillaume Le Breton, qu’il aurait commencé son grand travail de fortifications qui devait enceindre les deux rives de la Maine *; mais il est. fort à croire que cette entreprise était encore très-peu avancée lorsqu'il fut obligé de abandonner; car nos chroniques locales nous le montrent forcé d’évacuer promptement Angers devant les troupes de Louis VIII *. Sa mort suivit de près cet événement et Philippe- Auguste put sans nouvelle résistance réunir l’Anjou à la couronne de France “. Le fils du roi, étant entré à Angers, aurait alors rasé les fortifications de la ville et ! Rex autem Angliæ quandiu (Andegavis) fuit, andegavensem terram circumquaque admodum vastavit et cœpit firmare civi- tatem...; rex vero Angliæ, audiens adventum (regis Franciæ) recessit a civitate per Pontem Seeii trans Ligerim..…. (Chron. S. Albini, ann. 1206.) Circa annum 1206, quam post aliquot annos in pristinam formam restituit et eam muro fortissimo claudere præcepit. (Hist. brevis comit. Andeg., loc. cit.) 2? Anno ab incarnatione Domini MCCXIV, Joannes rex Angliæ civitatem Andegavis quam occupaverat muro ex utraque parte usque ad Meduanam fluvium cireumvallare cœpit.. (Guillelmus Armoricanus; De Gestis Philippi Auqusti.) 3 Chron. S. Albini; S. Sergii, ann. 1214. * Philippus Augustus, rex Franciæ, victo Joanne Anglorum rege, Andegavensem comitatum cum ducatu Aquitaniæ et Nor- manniæ in suam redegit potestatem, in ultionem Arthuri ducis Britanniæ, etc. (Hist. brevis comit. Andeg., p. 270.) O0 = notamment celles que Jean-sans-Terre avait fait élever ‘. Sans doute Louis ne croyait pas possible d'achever ce gigantesque travail qu’il eût été dangereux pour la défense même de la ville de laisser incomplet. C’est peut-être ce qui explique la mesure rigoureuse prise par ce prince. En présence des textes que nous venons de citer, on comprend que nos historiens aient attribué à Jean-sans- Terre la construction des enceintes de notre ville. Les uns ont cru qu’il avait élevé celle de la cité * ; les autres celle de la rue Saint-Laud* ; d’autres enfin en ont fait l’auteur de la grande enceinte‘; les textes de Guillaume le Breton favorisent cette dernière opinion, mais lorsqu'on lit toutes les chroniques attentivement, et qu’on en rap- proche les passages, on voit que Jean avait conçu le plan de cette vaste enceinte, mais qu’il n’eut pas le temps de l’exécuter, et que ses travaux à peine com- mencés furent détruits par Louis VII. Jean-sans-Terre n’en est donc pas l’auteur. Bourdigné la croyait plus vieille que César; car il ! Et civitatem Andegavim quam Joannes rex cœperat et muris circumsepserat, recuperavit (Ludovicus) et muros ejus omnes destruxit, villam totam sibi retinens sine muro (Guillelmus Ar- moricanus, /oc. cit.). — Fugato Anglorum rege, reliquas arces et Andegaviam ipsam Ludovicus recepit, anno Domini 1212, diru- toque castello Belloforti, et terris vicecomitis Toardi vastatis, muros quibus Andegavim Joannes muniverat, dissipavit. (Hist. brevis comit. Andeg., p. 369.) — Cette chronique place en 1212 les événements que les autres chroniques relatent sous l’année 1214. ? Moithey, loc. cit. ? Berthe, Zoc. cit. * B. Roger, Revue d'Anjou, année 1852, p. 12, 192 et 262. PART ne rapporte que le général romain fit élever son amphi- théâtre près wn des portaulx de la ville d'Angers. Or cette porte n’était autre que celle dite de Saint-Julien et qui appartenait à la dernière enceinte ‘ ; nous n'avons plus à réfuter ces naïfs enfantillages. Voyons mainte- nant dans quelles circonstances et par qui notre grande enceinte a été construite. Sous le rêgne de saint Louis de nouveaux événe- ments amenérent la réalisation du projet de Jean-sans- Terre. Par le traité de Vendôme conclu le 16 mars1227, entre Louis IX et Pierre de Dreux, dit Mauclerc, duc de Bretagne, il fut convenu, entre autres articles, que Yolande, fille du duc, épouserait Jean de France, frère du roi, quand celui-ci aurait atteint l’âge de quatorze ans. Jusqu'à ce que Jean fût arrivé à celui de vingt-et- un ans, Pierre devait posséder les villes d'Angers, Baugé, Beaufort, tandis que Saumur, Loudun et les autres dépendances du comté d'Anjou resteraient aux mains du roiet de sa mère. Mais Mauclerc, ayant manqué à tous ses engagements, la guerre recommença; saint Louis vint assiéger Angers en février 1230, et le prit ‘au bout de trois jours; puis il enleva au duc rebelle Oudon et Champtoceaux. L’année suivante, saint Louis pénétrait en Bretagne ei revenait après une campagne malheureuse pendant laquelle il avait laissé surprendre ses chariots; une 1 « César. fist édiffier et construyre un château et théâtre pour sa demeure hors la ville d'Angiers, et près lung des por- taulx d’icelle, lequel est à présent en ruyne, et n’y paroist plus que les fondements, et est en langaige angevin appelé Grohan. » (Chroniques, première partie, chap. 1x.) - 2 41° Mrs trêve avec le roi d'Angleterre allié de Manclerc en était la suite. En 1934, Mauclerc ayant renouvelé la guerre et pris Saint-Aubin-du-Cormier, Louis IX poussait en Bretagne une nouvelle expédition qui, malheureuse au début, se termina cependant d’une manière brillante: Mauclerc vaincu demanda une trève, et le roi d’Angle- terre n'ayant pas voulu l’appuyer de nouveau, il fut obligé de se soumettre. Il rendit hommage au roi de France et renonça à Saint-Aubin-du-Cormier, et à tout ce que saint Louis lui avait remis en 1227 *. La guerre était finie; mais elle pouvait recommencer d’un moment à l’autre. On voit d’ailleurs, par le coup d'œil rapide que nous avons jeté sur les événements de ce temps, quelle était alors l'importance militaire d'Angers. C’était le boulevard du roi de France contre les ducs de Bretagne, alliés de l’Angleterre; c'était aussi leur boulevard contre les rois d'Angleterre, ducs d'Aquitame, s'ils avaient voulu envahir le territoire français par la voie des Ponts-de-Cé. Aussi, saint Louis réalisa-t-il le vaste projet de Jean- sans-Terre. De nombreux documents établissent que dès 1932, c’est-à-dire pendant la trêve conclue avec Mauclere, il fit commencer la construction du château et celle de l’enceinte. Pour cela, il déplaça les cha- noines de Saint-Laud, qui desservaient l’église de ce nom, située prés du palais des comtes, dans l’enceinte actuelle de la forteresse. Par un accord convenu entre le roi, les chanoines de Saint-Laud et les moines de ! Saint Louis en Anjou, par M. A. Lemarchand, Revue d'Anjou, année 1853, p. { et 457, bn 160 Saint-Aubin, ceux-ci cédèrent moyennant certaines conditions leur église Saint-Germain, avec la maison de Saint-Hilaire situées au lieu où est aujourd'hui la cour Saint-Laud; les chanoines s’y établirent avec l'approbation de l’évêque qui leur imposa la condition d'entretenir un vicaire chargé du service paroissial *.. Saint Louis passa aussi des traités avec l’évêque pour deux églises qu’il fallut démolir; avec les moines de Saint-Aubin, dont il prit une partie du cimetière; avec les chanoines de Saint-Martin, dont il coupa l’en- clos qui s’étendait primitivement jusqu'aux arènes de Grohan ; avec Saint-Serge ; avec le Ronceray et Saint- Nicolas de l’autre côté de l’eau, dont il coupa aussi les terres et les jardins *. Il changea ainsi complétement 1... Noveritis quod cum excellentissimus dominus noster Ludovicus, Dei gratia Francorum rex, viros venerabiles decanos et capitulum ecclesiæ Sancti Laudi Andegavensis in dicta ecclesia, propter castri sui periculum evitandum moram non permitteret facere longiorem.…. (Charte de l'abbé de S.-Aubin, de septembre 1234). — Notum facimus quod cum decanus et capitulum eccle- siæ nostræ S. Laudi Andegavensis, in ecclesia sua quæ est infra claustrum castri nostri Andegavensis, sine periculo ejusdem cas- tri ad deserviendum ibidem divinis officiis non possent commode commorari... (Charte du roi, datée de Vincennes, septembre 1234.) — Voir aussi Charte de l’évêque d'Angers de la même année. — Ces trois documents ont été publiés par M. Lemarchand, Revue d'Anjou, année 1853, p. 468 et suiv. — Voir aussi trois quittances données au roi par les chanoines de Saint-Laud pour les sommes recues de lui : pro subversione domorum et murorum capellamæ suæ facta propter clausturam forteliciæ (1232)... In edi- ficatione castri et fossatorum Andegavis (1242)... In edificatione castelli Andegavis (1261). — Ces documents ont été découverts et publiés par M. Marchegay, Archives d'Anjou, t. IL. Cartæ de fortericiæ Andegavensis. 3 Voir Charte de l’évèque d'Angers concernant la transaction passée entre le roi et lui, pour deux églises démolies ad refec- M Te la physionomie de la ville, en enveloppant dans l’en- ceinte ses immenses faubourgs et ses abbayes avec leurs vastes enclôtures, à travers lesquelles il fit passer la muraille et ses fossés. Saint Louis laissa toutefois en dehors le ne de Saint-Serge qui s'était élevé autour de cette église fon- dée au vu° siècle, et qui n’avait jamais été comprise dans les anciennes enceintes ‘. Il ne fortifia pas non plus le faubourg de l’Esvière dont les murs devaient être depuis longtemps abandonnés par suite de la fon- dation du couvent. Du reste les monastères de cette époque, souvent eux-mêmes fortifiés, pouvaient servir quelquefois de postes avancés ou de citadelles inté- rieures, suivant leur position. Les Espagnols dans la guerre de 1808 en ont fait un usage terrible contre nos armées, Jadis on attribuait notre grande enceinte et notre magnifique château à la reine Bertrade ; mais les textes cités ci-dessus montrent en cette opinion était erronnée, et donnent raison à l'archéologie contre de tionein murorum civitatis Andegavensis (1232). — Quittance donnée au roi par les chanoines de Saint-Martin des sommes reçues par eux, à cause du terrain qui leur avait été pris pro clausura for- teliciæ Andegavis (1232). — Quittance de l’abbé de Saïint-Aubin.…. propter clausuram Andegavis magnam partem vinearum nostrarum et cimeterü nostri (1232). — Quittance de l'abbé de Saint-Nicolas. super dilapidatione domorum pro closura civitatis Andegavensis in burgo S. Nicolai sitarum (1232). — Quittances de l’abbesse du Ronceray; — de l'abbé de Saint-Serge pour le même motif et peu près dans les mêmes termes (même date). — Ces documents ont été publiés par M. Marchegay (Archives d'Anjou, loc. cit.) 1 Don d’un morceau de terre, situé in burgio S. Sergü, à l’ab- baye de Saint-Aubin (Cartul. S. Albini, f° 18, ne 26, x1° siècle.) Let; pa prétendues traditions locales, incompatibles avec les caractères architéctoniques de notre forteresse féo- dale. . Commencé en 4939, ce grand travail dut être mené vigoureusement par saint Louis et par son frère Charles, qui reçut l'investiture du comté en 1246. Toutefois il a subi bien des remaniements que nous signalerons tout en le décrivant. 3 Le périmètre de l’enceinte du pieux roi est encore marqué dans son entier par la ligne des boulevards, des deux côtés de la Maine. Dix-neuf tours flanquaient le mur du côté de la rive droite, qui avait 1,600 mètres de long; sur la rive gauche, il en avait 2,200 et était flanqué de vingt-quatre autres tours. Cinq grandes portes s’ouvraient de ce dernier côté et deux dans celui de la Doutre ‘. L’imposante forteresse flanquée de dix- sept tours, qui existe encore aujourd’hui, dominait toute l’enceinte et donnait à la ville cet aspect si pitto- resque qu’elle a conservé presque jusqu’à nos jours. Au pied du château s'offre d’abord à nous la porte Toussaint ouvrant dans la rue où se trouvait l’abbaye de ce nom; on y pénétrait sous une voûte basse. Der- rièré l’entrée un escalier conduisait à une porte appelée la porte des Petits-Murs qui communiquait avec la cité ; elle était surmontée d’un écusson aux armes du chapitre ?. 1 Voir la description de Barthélemy Roger (Revue d'Anjou, année 1852, p. 262), et Péan de la Tuilerie, passim. — Voir aussi la vue cavalière de 1576, le plan de 1736, et celui plus exact de Moithey (1775). # M. Port, Notes sur Péan de la Tuilerie, p. 247, SOC. D’AG, 5 66" La porte Saint-Aubin existait probablement dès le moyen âge ; il fallait faire en effet communiquer la ville avec le faubourg Bressigny (vicus Prisciniacus) ; mais elle fut rebâtie en 1542 par Jean de Lépine ‘. La porte Saint-Jean, ou Saint-Julien, était dans l’origine une des plus importantes; elle débouchait sur la rue Hanneloup, laquelle était elle-même l’ancienne voie romaine qui passait près des arènes et traversait toute la ville. Mais lorsque la voie de communication entre Tours et Angers s'établit par la levée de la Loire, on abandonna l’ancienne route par Andard et Mazé, et la porte Saint-Jean, devenue inutile, fut condamnée *. On la remplaça cependant en 1692; le maire Grandet en fit ouvrir une nouvelle à l’extrémité de la rue de l’Hô- pital près la commanderie Saint-Blaise ; on l’appelait indifféremment porte Neuve, Grandet, ou Saint- Blaise *. La porte Saint-Michel, au bout de la rue de ce nom, donnait accès à la route de Paris; élle se trou- vait sur la voie qui partait de la porte Angevine et se “dirigeait vers le Mans; c’était évidemment une très- ancienne route. La porte Cupif ouvrait sur le chemin qui mêne à Saint-Serge et à la Chalouëre; elle existait dés le xvIe siècle, car elle est représentée sur le plan de 1576; mais elle fut refaite de 1669 à 4672 par le maire Cupif Teildras, dont elle prit le nom *. ‘ M. Port, Notes sur Péan de la Tuilerie, p. 56. ? La vue cavalière de 1576 la montre déjà condamnée; mais les deux tours de défense qui la flanquaient ne furent pas démo- lies et sont représentées sur les plans de 1736 et de 1775. 3 Péan de la Tuilerie, p. 164, * Péan de la Tuilerie, p. 381 et notes de M. Port, DATE te Sur la rive droite de la Maine, deux portes ouvraient dans le faubourg de la Doutre (burgus ultra Medua- nam) : la porte Lionnaise et la porte Saint-Nicolas. La . première devait son nom à ce qu’elle donnait sur Ja route du Lion d'Angers; elle était flanquée de deux hautes et fortes tours rondes; la voûte sous laquelle on passait avait été rebâtie en 1473, et fut démolie deux siècles plus tard *. La porte Saint-Nicolas ouvrait sur la route de Nantes et devait son nom à l’abbaye de Saint-Nicolas située à l'extrémité du faubourg; elle était aussi flanquée de deux tours rondes; au-dessus on voyait deux écussons portant les armes de France et celles de la ville d'Angers ; la voûte fut abattue comme celle de la porte Lionnaise en 1673 *. Une troisième porte s’ouvrait dans l’origine au sud de la Doutre; mais elle paraît avoir été supprimée de bonne heure. La vue de 1576 la désigne sous le nom de un vieil portail, et nos anciens auteurs n’en parlent pas. Des précautions toutes spéciales furent prises pour défendre le passage de la Maine. Deux chaînes, l’une en amont appelée la Haute-Chaîne, l’autre en aval dite la Basse-Chaîne, étaient tendues en cas de besoin et barraient la rivière pendant la nuit. Il existe encore aujourd’hui une tour en forme de poi- vrière, dont la Maine baigne le pied et qui était située un peu en avant de l'enceinte du côté de l'hôpital Saint- Jean (rive droite) ; c’est le dernier débris d’un boule- # 1 Péan de la Tuilerie, p. 281 et notes de M. Port, 2 Idem, p. 440. Mine vard garni de tours qui fut élevé en cet endroit en 1448 par le sénéchal Louis de Beauvau ‘. Une ligne de pieux fut établie plus tard pour défendre l’entrée des îles de la Maine; elle existait dès 1576, car elle est re- présentée sur la vue cavalière de cette année. Un autre boulevard, de forme circulaire, faisant face au pre- mier, défendait l’entrée de la Maine, sur la rive gauche. Derrière cette première ligne de défense, formée par la chaîne et les palissades, s’en trouvait une seconde beaucoup plus forte; des deux côtés de la Maine, le mur longeait la rive depuis l’angle de l'enceinte jusqu’au pont des Treilles. Sur la rive gauche il suivait un bras de la Maine, qui a foriné depuis la rue Boisnet et passait à l'extrémité de la rue des Aix (des Eaux, parce que c'était une sorte de passage pour les eaux et immondices). Au bas de la rue de la Roë, près du pont des Treilles, on ouvrit une porte qui existait dès 1528, et qui fut refaite en 1636 sous le mairat de M. Gautier, duquel elle prit son nom; elle fut détruite en 1757, par suite de la construction du port de l’Ancre*. Dans le mur qui commandait la rive droite on ou- vrit une autre porte, appelée la porte Neuve ou porte Barreau, qui existait avant le xv® siècle, et fut réduite en 1410, par ordre de la ville, à un guichet suffisant pour laisser passer deux hommes et une civière, c’est-à-dire qu’on Ja réduisit à n’être utile qu’au service de l’hô- pital Saint-Jean; elle fut abandonnée en 1777 par M. Pori, Notes sur Péan de la Tuilerie, p. 529. ? Idem, p. 387, he l'Hôpital à la ville pour l'établissement d’un chemin allant vers la Haute-Chaîne ‘. Le pont des Treilles reliait ensemble ces deux portions de l'enceinte urbaine. Il avait eu, dit-on, pour origine une chaussée destinée au service des moulins donnés par Henri IT Plantagenet à l'hôpital Saint-Jean, et fai- sait lui-même partie du système de défense. Il était construit avec des piles de pierre et des tabliers de bois; les arches étaient garnies de treillages qui fermaient le passage aux bateaux. Une seule était ouverte ; mais elle était garnie d’une herseet nul bateau ne pouvait entrer quand la herse était baissée. On voit encore la trace de cetie herse dans les ruines de l’arche qui va bientôt disparaître. Sur la rive droite du pont, une tour ou bastion en défendait l'entrée; sur la rive gauche, un petit passage situé au bas du mur conduisait de la tête du pont jusqu’à la porte de la rue de la Roë sous la- quelle il fallait passer. Devant cette dernière porte, un autre pont, de deux arches seulement, servait à franchir le petit bras, et conduisait à l’île Boisnet *. . Le passage de la Maine était aussi barré en aval par une chaine tendue depuis une tour située sur la rive droite et qui portait le nom de tour Guillot ou Guillou*, jusqu’à une autre tour, placée au pied du château, et qui est appelée tour de la Basse-Chaîne, sur la vue de 1576. Le château dominait de ce côté la Maine, plus étroite qu'à la Haute-Chaîne, ce qui explique peut-être ! M. Port, Notes sur Péan de la Tuilerie, p. 520. ? Voir le plan ou vue de 1576. 5 Péan de ia Tuilerie, p. 108, édit. Port. de" LE pourquoi on semblait avoir pris plus de précautions à l'entrée qu’à la sortie des eaux de la rivière. Les remparts élevés par saint Louis subirent les atteintes du temps; aussi durent-ils être quelquefois relevés ; la portion voisine de la porte Toussaint et celle qui était située près de la tour Guillou furent rebâties par Jean de Lépine en 1562*. Les portes furent protégées par des bastions ou bou- levards élevés à diverses époques, comme on peut en juger par la diversité de leur forme. Ceux de la porte Saint-Aubin et de la porte Saint-Michel notamment, de forme presque circulaire, rappellent encore les vieilles barbacanes du moyen âge; d’autres, d’une forme plus savante, attestent les progrès modernes de l’art de la fortification *. Donadieu de Puycharic fit élever en 1592, au plus fort des guerres de la Ligue, celui qui protégeait la porte du château, située du côté de l’Esvière et qui por- tait le nom de porte des Champs. Un autre boulevard fut construit par le maréchal d’Aumont au pied de l’angle sud-ouest du château, pour défendre le passage de la rivière et protéger le pied des remparts” ; il pritla place de l’ancienne tour de la Basse-Chaïne. La tour Guil- lou, sur la rive droite, fut aussi entourée par un bas- tion. Les fossés de la ville et ceux du château avaient été élargis et recreusés vers la fin du xve siècle (en 1486) ; les pièces relatives à ce grand travail existent encore © M. Port, Nofes Sur Péan de la Tuulerie, p. 86. ? Voir les plans. M. Port, Notes sur Péan de la Tuülerie, p. 410. = aux archives municipales ‘. À celte époque, nos grandes guerres avec les Anglais étaient terminées; cependant les villes avaient encore besoin de se tenir closes. Lors de la malheureuse guerre de François [e' et de Charles- Quint, la ville d'Angers fut mise en état de défense, ainsi que nous l’apprend Bourdigné, et les fortifications réparées *. Autre temps, autres mœurs; dès 1623, la ville combla le canal de la Saulaye, le long de la prairie Boisnet, et y fit élever une turcie, qui devint une promenade très- fréquentée ; en 1630, le roi Louis XIII permit de démolir la portion de l’enceinte située de ce côté, et d’y bâtir; en 4649, on formait le projet de construire un quai, qui ne fut commencé cependant qu’en 1764; mais dans l'intervalle les particuliers avaient déjà commencé à bâtir. C’est ainsi qu’a pris naissance le quartier Boisnet, pendant le xvie et le xvin° siècles *. Quelques-unes des portes furent aussi détruites dès cette époque, et no- tamment la porte Toussaint, en 1765. C’est seulement depuis la Révolution que l’ensemble de la grande enceinte d'Angers a été détruit; la démo- lition de la portion située sur la rive gauche, de la porte Saint-Aubin à la porte Cupif, a été commencée en 4809 et continuée pendant les années suivantes ‘; on lui a substitué la belle ceinture de boulevards qui fait la gloire de l’Angers moderne *. La création du boule- 1 Péan de la Tuilerie, p. 9 et 109. — Archives municipales, publiées par M. Port. ? Chroniques, troisième partie, ch. xxx. 8 M. Port, Nofes sur Péan de la Tuilerie, p. 383. * Bodin, Recherches sur la ville d'Angers, t. XL, ch. xriv. 5 Les boulevards d'Angers ont été percés sous la direction et — 7 — vard des Lices a complété cet ensemble. De ce côté de la Maine, il ne reste plus aujourd’hui qu’un fragment de l’ancienne enceinte, qui forme la clôture du jardin de la Préfecture au sud-est, et quelques murs de ter- rasse à l’angle nord-est, entre le boulevard des Pom- miers et la butte du Pélican. Sur la rive droite de la Maine, les murs situés entre les portes Lionnaïise et Saint-Nicolas n’ont été abattus qu’en 1835, et ceux enire les portes Saint-Nicolas et la Maine, plus récemment encore’. On vient de démolir le dernier reste du boulevard qui défendait l'entrée du pont des Treilles, sur la rive droite de la Maine, et les quelques fragments de mur qui ont subsisté jusqu’à notre temps de ce côté sur le bord de la rivière, pour l'établissement d’un quai, fort nécessaire du reste, dans cette partie de la ville. L’œuvre de saint Louis est donc à peu près anéantie, en ce qui concerne l’enceinte de la ville; mais le châ- teau, bien que découronné depuis trois siècles, a con- servé son majestueux aspect. C’est le dernier souvenir de l’époque où Angers était la clef de l’ouest de la France. Nous voici parvenus à la fin de ce trop long travail. Je croyais pouvoir traiter en quelques pages l’histoire de nos enceintes, et j'ai dépassé de beaucoup les bornes dans lesquelles j’aurais voulu pouvoir me renfermer. d’après les plans de M. Havet, alors ingénieur en chef des ponts- “ et-chaussées. M. Port, Notes sur Péan de lu Tuilerie, p. 530. AD Ho Puissé-je au moins n’avoir pas abusé de la bienveillance de mes auditeurs. Toutefois, en lui faisant un nouvel appel, je résu- merai rapidement ce que j'ai eu l'honneur de déve- lopper devant eux. Angers, ville d’origine peut-être gauloise, existait dès le temps de la domination romaine ; à cette époque, elle s’étendait librement sur la rive gauche de la Maine. Arrivent les Barbares, et dès le 1v° siècle, ou au com— mencement du ve au plus tard, elle abandonne ses temples et ses palais et se resserre dans une étroite en- ceinte, autour de sa cathédrale. Les grandes invasions passent, la population augmente, les maisons de bois qui logent les artisans se bâtissent le long des voies, autour de la cité. Puis de terribles ennemis viennent de nouveau ravager le pays; les pirates normands portent partout la mort et l'incendie et s'emparent d'Angers, que Charles-le-Chauve leur enlève à grand’peine. On veut met- tre les habitants à l’abri des barbares, on craint leur re- tour el l’on élève une seconde enceinte et un donjon, vers la fin duixe siècle. Mais la population croît toujours mal- gré les guerres et les épidémies ; les roturiers se groupent près des nombreuses églises et abbayes qui s'étaient éle- vées autour de la cité, des deux côtés de la Maine, et lui formaient comme une longue ceinture. Le xrrre siècle commence, et avec lui les guerres de Philippe-Auguste et de Jean-sans-Terre. Angers est à diverses fois pris et perdu par les belligérants, et enfin réuni à la couronne. Son importance militaire n'avait point échappé au roi d'Angleterre. Saint Louis réalise les projets à peine ébauchés par Jean et enserre la ville avec ses faubourgs APE 7 MES dans un cercle formidable de tours et de remparts, couronné par un château dont la masse imposante nous étonne encore aujourd’hui. La population ne s’arrêle pas; la vieille banlieue était : devenue la ville; la nouvelle se couvre aussi d’habita- tions; d’interminables faubourgs s’allongent dans toutes les directions ; la ville de saint Louis n’est plus que le noyau de la ville moderne, comme l’antique cité méro- vingienne l’avait été de la ville féodale. Les villes crois- sent à la manière des chênes ; et de même qu’on recon- naît l’âge des arbres au nombre et au développement des cercles concentriques que forment leurs fibres, de même on retrouve dans les enceintes des vieilles villes le souvenir ineffaçable des grandes périodes historiques qu’elles ont traversées. D'EsPINAY. ED ERIC PLAN D'AN] 1 À # FÊTES SE Maurtlle ZA Aue C2 Hanneloup LE Julien SEMartin (27/4120 g 2 D) D Premiere enceinte Deuxième enceinte Troisième enceinte HSUEN 1774. dm cp ter pdlare-2) 13 DA AT ATEEIODQ. ee, LR eré TSI IL -SALDAG US ATEN (AAA. Eee: APATE 2 CPE SE Pa s fbluots Gent ele : & PE HRérases PT shbronsk à REVUE BIBLIOGRAPHIQUE ANCIENNES COMMUNAUTÉS D'ARTS ET MÉTIERS. — LES CACOUS. — POTIERS ANGEVINS ÉTABLIS EN BRETAGNE. — DOCUMENTS SUR LES LÉPREUX. — L'ANCIENNE MÉDECINE. — SATIRE DE SONNET DE COURVAL CONTRE LES CHARLATANS. Messieurs, les publications qui nous sont adressées par les sociétés savantes, contiennent sur les anciennes Communautés d’arts et métiers, des études que je crois devoir signaler à votre attention, car elles sont inté- ressantes à plus d’un égard, et nous initient singulière- ment à la vie intime des anciennes provinces. Je n’ai point à rappeler ici le rôle que ces Commu- nautés jouëérent autrefois, l'importance qu’elles avaient dans la constitution civile, et les nombreuses luttes qui signalèrent leur existence. Il me suffira, comme trait caractéristique, de reproduire le passage suivant du rapport d’un intendant du Maine, à l’occasion de la convocation des notables : « Plutôt que de voir sa dignité ravalée, le corps des perruquiers de la Flèche décide qu’il s’abstiendra de paraître à la réunion préparatoire et qu'il témoignera de cette manière la juste douleur que lui cause la préséance accordée aux boulangers. » Permettez-moi donc de passer avec vous en revue OL quelques-uns des travaux qui m'ont paru intéresser de plus près l’Anjou. Tout d’abord je citerai un travail de M. Rosenzweig sur les Cacous de Bretagne‘ dans lequel il fait con- naître l'éloignement des Bretons pour certaines pro- fessions, éloignement qui subsiste encore malgré l’in- fluence du christianisme et l'autorité de la législation moderne, et il nous donne les motifs plus ou moins bizarres de ces préjugés : « Le meunier, dit-il, reconnaissable dans nos marchés à son costume d’un gris-bleu, à l'étoile sculptée qui orne le derrière de sa voiture, est réputé malicieux et tant soit peu usurier; il a la main large pour le droit en nature qu’il prélève sur chacun des sacs de grains por- tés à son moulin. « Le tailleur d’habits, s’il est dans les villes, au siècle dernier, membre d’une communauté, d’une con- frérie particulière ayant ses statuts et ses abbés, prévôts ou inspecteurs chargés de les défendre, n’est dans les villages, à la même époque et de nos jours, qu’un bien petit sire, un simple couturier. Il en faut trois ou quatre pour faire un homme, dit un proverbe ; c’est un tailleur et rien de plus. «À côté du meunier et du tailleur qui sont abori- gènes, il est d’autres corporations tout aussi peu esti- mées, auxquelles la tradition refuse une origine bre- tonne. Les drapiers se seraient établis dans le pays à la suite des guerres du xv° et du xvie siècle. Ceux de Jos- selin, entre autres, descendraient d’une colonie de hu- 1 Bulletin de lu Société polymathique du Morbihan, 2° semestre 1871, page 140, LE ALES guenots, sortie de La Rochelle ou de Montauban, que le vicomte de Rohan aurait fait venir pour utiliser les laines de la contrée où, avant leur arrivée, on ne s’ha- billait que de toile. Aussi ont-ils conservé la dénomina- tion de Calvins-graissous. « Les potiers, principalement agglomérés dans nos communes de Rieux, Malansac et Saint-Jean-la-Poterie, où iis formaient une maîtrise particulière, passent aussi pour être d’origine exotique. Suivant la tradition, ils auraient été appelés du pays d'Angers par les comtes de Rieux antérieurement au xv° siècle (car il y avait, dès cette époque, à Malansac, plusieurs familles du nom de Potier); aujourd’hui encore ils sont de fait étrangers à la contrée qu'ils habitent, un peu par leur langage, beaucoup par leurs manières. Riches autrefois, dit-on, ils sont réputés méchants et dissipateurs, et ne se ma- rient guère qu'entre eux; leurs poteries confectionnées par des procédés d’une simplicité primitive, cuites en plein vent sur un feu de bruyères, sont cependant lé- gères et gracieuses. « Viennent enfin les tonneliers et les cordiers, géné- ralement désignés, les derniers surtout, sous le nom de Cacous, Caqueux, Caquins, et sur le compte desquels nous nous élendrons davantage , comme faisant l’objet spécial de cette notice. » J'ai cité ce passage entier, à cause du paragraphe, peu flatteur il est vrai, concernant les potiers, et il y aurait peut-être des recherches à faire sur cette colonie angevine dont le souvenir se perpétue ainsi dans un coin de la Bretagne. “La notice consacrée aux cacous par M. Rosenzweig, M Ve le savant archiviste du Morbihan, est très curieuse. Tout semble indiquer que les cacous ou cordiers d’aujour- d’hui descendent des anciens lépreux dont il est inutile de rappeler la lugubre histoire. Obligés de vivre à part, repoussés de tous, en 1475, ils reçurent défense « de se mêler d'aucun commerce que de fil et de chanvre, et d'exercer aucun métier que celui de cordier, et aucun labourage que de leur jardin ; » et à tous sujets, « de leur vendre aucune marchandise que du fil et du chanvre, de leur affermer aucun de leurs héritages. » Il est probable que l’on imposait aux lépreux la pro- fession de cordier, de préférence à toute autre, à cause de l’espace qu’ils devaient avoir autour de leur de- meure d’après les statuts qui les concernaient. Quoi qu’il en soit, l'ordonnance de 1475 fut sévèrement exé- cutée pendant les siècles qui suivirent, et il en résulta en général, une profonde répulsion du peuple pour l’état même de cordier, aversion qui se manifestait sous toutes les formes et en toute occasion, depuis l'instant de la naissance jusqu'au moment de la mort et même au-delà. « Certes, dit M. Rosenzweig, la Révolution française a fait disparaître de nombreux abus; les progrès de la civilisation ont assurément déraciné bien des préjugés, et cependant combien n’en a-t-on pas à combattre en- core aujourd’hui? Il est évident, par exemple, pour rester dans notre sujet, que les cordiers du xix° siècle jouissent des mêmes droits et des mêmes privilèges que les autres individus, qu’ils sont jugés par les mêmes tribunaux, qu’ils ne sont plus soumis à aucune rede- vance particulière; bien qu’il soit de leur intérêt de ne to. point quitter leurs anciens établissements, 1l est certain qu'ils peuvent se fixer où bon leur semble; ils ne cou- rent plus le risque d’être mis à l’index dans les regis- tres de la paroisse ou de la commune, ni d’être traînés sur les chemins après leur mort par un peuple furieux. Ïl n’en est pas moins vrai, cependant, qu’ils sont encore aujourd’hui, dans nos campagnes, l’objet du mépris général et quelquefois d’une crainte superstitieuse ; qu’ils portent encore le nom injurieux de cacous ; qu’il leur était interdit, il n’y a pas encore bien longtemps, dans certaines églises, de dépasser le bénitier ; qu’on évitait les influences fâcheuses de leur approche, soit en tenant dans la main une pièce de six liards, soit en repliant le pouce sur les autres doigts; qu’ils se mariaient et se marient, encore de nos jours, presque exclusivement “entre eux. « Notons que si l’on demande aux habitants des campagnes le motif de leur aversion pour le cordier, ils seront le plus souvent incapables de vous répondre ; c’est un cordier, c’est un cacous, ils ne vous en diront pas davantage. Nous avons pu constater néanmoins quel- ques exceptions. Ici, les cordiers passent pour être les descendants des Juifs qui garrottèrent Jésus-Christ après sa condamnation; là, comme à Carentoir, à Plau- dren, etc., ils sont réputés sorciers, et un de leurs sor- tiléges consisterait à pourrir une pomme au bout de dix minutes en la mettant sous leur aisselle, faculté qu’Ambroise Paré attribue précisément aux lépreux, à pen près dans les mêmes termes. La croyance générale, c’est qu'il y a quelque chose de louche dans leur ori- gine, » DR Le dernier volume des Mémoires de la Société d’Ar- chéologie lorraine contient un document qui prouve que les lépreux n'étaient pas seulement séparés du monde, mais considérés comme morts aussitôt qu'ils étaient attaqués par cette effroyable maladie. « En l’an 1543, fut un grand débat entre Monseigneur et M. l’évêque de Toul, à l’endroit de certaine femme du nommé Jean Blin, du village de Saint-Didier. Le susdit Jean Blin, estant tombé en léprerie, avoit, ainsy qu’estoit d'usage, esté conduit en la maladrerie d’en- viron huit mois. Jeanne, sa femme, avoit pris autre mari, et M. l’évesque en vouloit dire qu’auroit dû, ladite Jeanne, avoir de luy permission. La chose por- tée aux Assises du lundy de février, fut dit et jugé par messieurs de la chevalerie que Jeanne estoit bien et duement mariée en second, d’autant qu’icelle prouvoit qu'avant qu’en prit autre mari, elle avoit délivré à Jean Blin, en la maladrerie, un linceul blanc, deux chaises de bois, un pot de fer, une aiguière d’étain et un petit chaudron, et que, par la loi, ne devoit fournir que ledit linceul, tous autres ustensiles de ménage n’estant qu’à sa volonté. Formoit ledit Jean Blin, prétention d’avoir part en maison et jardin qu’avoit aquété avec Jeanne; el fut dit, sur ce, que ladreux conduit en ladrerie, à l’as- sistance de son pasteur, de porteurs de croix et torches des morts, cloche tintante, estoit réputé mort et mis en terre, partant sa femme veuve et relicte, avoit droict à tous biens qu’auroit eus si fût iceluy mort en son lict. Et sur ce que fut répliqué au nom dudit Jean Blin, qu’encore qu’eut esté conduit avec prières et cérémo- aies de mort en la maladrerie, ains avoit-on pesché en pe] | EN Le quelques formes, et que n’avoit iceluy esté fourni, comme est dit par la loi, de castagnettes et de gants, ains seulement de sa bouteille et esculle de bois. Fut redit que castagnettes et paire de gants estoient choses que devoient fournir messieurs les bourgeois de Saint- Didier; que si advenoit effect quelconque en succession, que ne seroit directe, en pourroit hériter. Fut ajouté que M. de Toul n’avoit droict de ne rendre valable le second mariage, en tant que ledit ladre mouroit et laissoit meubles et ustensiles en sa cellule, iceux pour un tiers advenoient à M. son pasteur pour son droict de son église. » La Société polymathique du Morbihan a publié un autre très-important travail, de M. le docteur de Clos- madeuc, sur la Communauté des maîtres chirurgiens- barbiers de Vannes, travail qui n’est pas seulement l’histoire de cette Communauté, mais bien de l’ancienne médecine en Bretagne. Cette Communauté existait déjà depuis longtemps quand un édit de Louis XIV, du 22 février 4699, vint apporter à ce corps une organisation nouvelle. Les maîtres chirurgiens-barbiers se réunirent et votérent le 7 septembre 1694 des statuts réglant la marche à suivre pour la réception des candidats, et les rapports qu’un esprit de bonne confraternité devait maintenir entre tous les membres de lassociation. L'article 3 de ces statuts est assez remarquable : « Tous les premiers lundys du mois sont tenus et obligés les maistres chy- ._rurgiens de se rendre à l’Hostel-Dieu à une heure de relevée, dont le chyrurgien qui le servira sera tenu de s’y trouver pour y recevoir les advis de ses confrères SOC. D’AG, 6 OR sur le faict des pansemens et traitemens desdits ma- lades de l’'Hostel-Dieu. » … L'article 11 est étrange : « La veufve d’un chirur- gien pourra pendant sa viduité tenir boutique ouverte et y exercer les fonctions de l’art de chirurgie et, en cas d’absence et d'établissement de son mari ailleurs, elle sera tenue de fermer boutique. » Or, au xvu siècle, indépendamment de l'opération usuelle de la barbe, l’art des chirurgiens comprenait l’opération journa- lière :le la phlébotomie et l'application sur les tumeurs, comme sur les plaies, d’emplâtres et de baumes dont la composition variait à l'infini. Il y en avait de résolutifs, de détersifs, de répercussifs, d’attractifs, de suppuratifs, d’épulotiques, de desséchants, de mondifiants, et bien d’autres encore. C'était le beau temps où il était admis que pour guérir la fièvre quarte, il suffit de s’ap- pliquer « sur l’espine du dos un harang blanc fendu par le milieu, la teste placée en bas et la queue en haut. » Une saignée coûtait alors dix sols, l’arrachement d’une dent cinq sols. Le chirurgien se ratirapait sur les appareils qu'il levait fréquemment, et sur les onguents qu’il changeait presque chaque matin. À mesure qu’on s’avance dans la seconde moitié du xvin° siècle, dit M. de Closmadeuc, il semble que la chirurgie se civilise en Bretagne; l’étude lui devient plus familière, on ne rencontre plus ces ineptes formules auxquelles les barbiers ignorants avaient trop souvent recours. Du reste, M. de Closmadeuc publie une pièce très-curieuse. Un M. de Langourla reçoit dans un duel une blessure terrible, son adversaire lui passe littérale- ce PU. û ment son épée au travers du corps. Le maître chirur- gien Leclair est appelé sur-le-champ, et voici com- ment il raconte son entrée en besogne, dans un mé- moire qui couvre (rois pages in-folio. Mémoire des traitements, pansements et médicaments faits et fournis à M. de Langourla, commencés le 3 octobre 1762. «A neuf heures du matin, j’ay esté appelé pour le panser d’un coup d’épée; ayant sondé et bien examiné, je l’ay pansé de deux playes encor d’un coup d'épée traversant d’estoc la poitrine et l’estomac, j’ay appliqué les compresses imbues avec le baume du commandeur, faict une embroquation sur le ventre moyen inférieur avec le baume d’hypcériom et l’eau vulnéraire, et une compresse aussi imbibée par-dessus, j’ay appliqué un appareïlle convenable avec une bande pour contenir l’appareille. toPour de tout, 74100 Un TO MATE E sole. € Plus je luy ai donné un lavement RAM ROM ERNST ATH { À « Plus un lavement réitété bee heures après. © .": : 1 4 « Plus quatre saignées, tue ab en HEURAHEUPESLS 11e RE RE EU ) « Plus deux prises de quintessence vulnéraire pour réparer ses forces et CS AU; HS der 159 » « Plus sur les six He du soir, j'ay relevé tout l’appareiïlle afin de faire visiter lesdites playes par M. Godeberi, SL OU maistre chirurgien; visite et examen faict, j'ay pansé comme cy-devant et mis le second appareille avec embro- quation et remède comme cy-dessus. 9liv. » sols. «Plus dans la nuit faict deux sai- gnées de une livre chaque . . . . 2 » _ La journée du lendemain est consacrée à de fré- quentes fomentations de plusieurs « fleurs et plantes émolliantes ranimées d’eau vulnéraire. » Deux saignées dans la nuit. Le troisième jour autre saignée du bras; même médication. Le cinquième jour le blessé prend « quatre onces de loc pour suer, pour adoucir une toux sèche; » le lendemain une saignée et des apo- zèmes. Le traitement dure plus d’un mois et comprend deux lavements par jour, administrés par le chirurgien, à défaut d’apothicaire. Quant au total du mémoire de maître Leclair, il monte à 96 livres 14 sols; celui du chirurgien Godebert à 150 livres. Je soumets ce compte et surtout ce traitement aux méditations des savants docteurs de notre Société avec d'autant plus de confiance, que M. de Langourla guérit contre toute espérance. Du reste il était écrit qu’il péri- rait de mort violente, car arrêté, pendant la Révolution, il fut guillotiné à Nantes sur la place du Bouffay. La médecine, en Bretagne surtout, n’était pas arri- vée de suite à ce point de progrès, et les Mémoires de la Société polymathique du Morbihan contiennent des documents qui ne manquent ni d'intérêt ni d’origi- nalité. Jadis, continue M. de Closmadeuc, « la médecine avait le privilége d'occuper un peu tout le monde..., QE À côté de la médecine officielle, représentée par les hommes de Part et ayant à son service les innombrables produits des pharmacopées galéniques et chimiques, destinées principalement aux classes aisées de la société, il y avait une autre médecine, que j’appellerais volontiers la demi-médecine, mise à la portée de tous, qui faisait son chemin sans trouver de résistance, et répandait dans le monde avec ses imprimés, de petit format, les for- mules banales d’une quantité prodigieuse de remèdes empiriques peu dispendieux et applicables à tout le monde. « Cette littérature médicale sans nom inonde la pra- tique du xvrie siècle et déborde dans le xvue. Il n’y eut jamais pareille éclosion de drogues souveraines et de panacées fantastiques. Le clergé, qui n’avait pas oublié que, durant tout le moyen âge, le monopole de la pratique officielle avait été entre ses mains, voulait encore être utile aux pauvres malades. Son esprit de charité le porta donc à encourager cette littérature mal- saine et à en propager les produits, sans autre garantie que le désir de faire le bien et la confiance illimitée des familles. » Les petits livres dont parle M. de Closmadeuc, étaient vraiment commodes; sauf la science qui en était litté- ralement bannie, on y trouvait de tout, depuis les amu- lettes jusqu'aux instructions pour la cuisine et le jar- dinage. Un des plus célèbres eut pour auteur Mme Fouquet, mère du fameux surintendant. Sa charité et sa dévotion fervente l’avaient rendue très-populaire en Bretagne, à Belle-Ile surtout, ainsi que sa fille Madeleine de Castille. ec nue Mme de Sévigné les appelle des saintes et raconte, aveo une vive émotion, comment l’emplâtre de Mme Fouquet a sauvé la reine. Elle ne comprend pas la cruauté du roi et va jusqu’à accuser les médecins de la Cour d’a- voir cuirassé le cœur de Louis XIV, qui doute de la guérison. Mne de Sévigné ne fut donc pas des moins ardentes à répandre les recettes de Mme Fouquet, mais celle-ci eut de bien autres protecteurs. L'Assemblée générale du clergé de France, dès 1670, la prit hautement sous sa protection. Un évêque breton vint attester que dans sa ville épiscopale de Tréguier, on avait donné de ces remèdes à vingt-sept personnes, dont vingt-quatre avaient été guéries le jour même de la médecine. Mgr de Gap écrivait que ses curés, qui dis- tribuaient de ces remèdes, « passaient pour faiseurs de miracles; » qu’un enfant entr’autres à l'hôpital général, dont le visage depuis deux ans, « ne paraissait qu’une masse de chair pourrie qui l’empêchait de voir, » fut guéri en quinze jours, « et que tous ceux de la ville l’allaient voir par miracle. » Enfin le 17.novembre 1670, l’Assemblée du clergé, sur la proposition de Bossuet lui- même, déclara approuver ces remèdes et inviter les évêques de province à s’en servir. Peut-être êtes-vous désireux de les connaître; en voici quelques échantillons, suffisants pour donner l’idée de cette publication si singulièrement prônée : « Pour faire tomber les dents : Ayez un lézard verd, mettez-le dans un pot et le faites sécher dans un four, réduisez-le en poudre; frottés de cette poudre la.gen- cive de la dent; et vous la tirerez sans douleur. — ni Gangrène : Prenez des vers de terre, lavés-les, et broyés dans du vinaigre; faites en un cataplasme. — Mal caduc : Ayez une aveline autrement noisette; vidés- la par un petit trou, remplissés de mercure, bouchés bien et la portés pendue au cou. » La güérison des hernies est obtenue par un verre d’eau de réséda. Quoi de plus simple? Si vous voulez guérir les ophthalmies de cause traumatique, il vous suffit de distiller dans l’œil du sang de l’aile de pigeon. Craignez-vous qu’une fémme enceinte, sujelte à des envies, n'ait un enfant marqué? prenez des tendrons de vigne, pilez-les et faites-lui boire de ce suc. Peut-être êtes vous embarrassés pour la guérison des hémorroïdes ? Mme Fouquet vous apprend cependant que le cœur d'un oignon est un remède souverain, de même que la graisse d’anguille et la topaze portée au doigt dans une bague, « mais le véritable remède doit être mis à la rate, parce que la veine hémorroïdale en vient. » La dureté d'oreille a bien entendu son remède, comme tout le reste : l'urine de chat distillée dans l’oreille. Ces exemples suffisent pour donner une idée de l’em- pirisme de Mme Fouquet. « Son livre, dit M. de Closma- deuc, n’est malheureusement pas rare dans nos pays, et chacun est libre de le lire jusqu’à la dernière ligne. Plus d’une commère guérisseuse y puise à la dérobée des recettes à l’aide desquelles elle prétend faire des miracles. Miracle, en effet, bien digne de surprendre: Le public garde ses illusions, et, s’il l’osait, 1l irait jus- qu’à reprocher aux hommes de l’art, le mépris qu'ils affectent pour la thérapeutique de l’ancien temps. » Comme nous l’avons dit déjà, en dehors de ces livres, sie réimprimés à un grand nombre d'éditions, il circulait en Bretagne une foule de cahiers manuscrits et de feuilles volantes contenant des recettes à tous les maux. Les archives de tous genres, les sacs de procédure des anciens présidiaux, les registres de sacristie et jus- qu’aux papiers intimes des familles bourgeoises’en sont pleins. Le manuscrit le plus curieux dont M. de Clos- madeuc ait eu connaissance, provient d’une commu- nauté de femmes ; il remonte au xvie siècle, en partie même au xv°. La lecture en est parfaitement insipide et l’on ne sait quel nom donner à ces publications absurdes. En voici cependant quelques extraits : Le manuscrit débute par un trés-long chapitre sur « la cognoïissance des mouvements de la lune que du soleil, des facultez et effects d’yceux sur les choses rus- tiques. » Suit une exposition de la théorie des in- fluences planétaires dont voici l'application : « Pourquoy, pour parler premièrement des bestes champestres, le fermier bien advisé ne tuera jamais en quelque temps que ce soit, les porcs; moutons, bœufs, vaches et autres bêtes de la chair desquelles veut faire provision pour la nourriture de sa famille au descroit de la lune, la chair tuée au défaut de la lune se diminue d’un jour à l’autre, et lui faut beaucoup de feu et beaucoup de temps pour la faire cuire. Ains ne se faut esbahir sy ce considéré un saucisson ou autre telle viande sont amoindris d’un quard. » Les chevaux nés au déclin de la lune, sont plus faibles que les autres; de même les poissons pé- chés à cette époque néfaste, sont « fort exténuez et maigres en leur substance. » Naturellement l'influence de la lune sur la saignée — 89 — est grande : «il faut savoir que le premier quartier est plus convenable pour seigner -et ventoser les jeunes gens; le deuxième quartier convient aux trigénaires ou environ; le troisième aux quadragénaires ; le dernier aux vieux seulement. » Du reste, chaque jour de la lune a des attributions et des influences particulières, « suivant l’observation asseurée et continuée de longtemps que nos pêres en ont eue qui est telle. » Ainsi: «au premier jour de la lune Adam fut créé. Si à ce jour quelqu'un tombe malade, la maladie sera longue, toutefois le patiant guarira. Les songes que la personne fera la nuict se trouveront en joye. L’enfant qui naistra ce dit jour sera de longue vie... Le dix-seplième jour Sodome et Gomorrhe pé- iront, et faict mauvais entreprendre et faire quelque chose ; les médecinnes ne profiteront en rien au patient. L'enfant né en tout sera heureux... Le dix-neuvième, naquit Pharaon roy. Geste journée est dangereuse, par quoy fera bon esviter les compagnies et les yvrongne- ries, et se tenir pacifiquement sans rien faire; le malade guérira tost. L'enfant ne sera malicieux ne trompeur. » Et ainsi de suite. Ne vous semble-t-il pas entendre ces bonnes aventures que nos enfants achètent aux foires pour un sou ? Avec de semblables principes, il est facile de deviner quelle devait être la thérapeutique. « Remède pour la peste : Appliquez sur la peste un pain tout chaud ou un poulet ouvert par le milieu. — Crachement de sang : Fricassez bouze de porc avec beure frais et sang caillé de celui qui aura esté craché par le patient. Bâillez à manger cette fricassée en crachant sang. — Serpent LD entré au corps : S'il advient que quelque serpent soit entré dans le corps de quelqu'un dormant la bouche ouverte ës prez, jardins et autres lieux, rien n’est plus souverain pour le faire sortir hors du corps, que de recevoir avec un entonnoir, par la bouche, la fumée d’un parfun faict de quelque vieille savate; car le ser- pent haict surtout telle puanteur. » Si le dégoût peut guérir, de telles recettes étaient en effet bien propres à rendre la santé. Le manuscrit est terminé par une monographie suc- cincte d’un grand nombre de plantes, dans laquelle _ l’auteur célèbre les louanges, par exemple, de la valé- rienne, remède souverain « pour les playes de sagette ou de coup d’épée; faict sortir hors le fert syl y est demeuré ; » de l’esclair, dont la feuille « portée dans les souliers contre la plante nue des pieds guarit la jau- nisse; » de la sauge, douée de propriété fécondante : « C’est pourquoy les Egyptiens, après grande mortalité, contraignoient les femmes de boire du jus de sauge avec peu de scel, afin de concepvoir et produire force enfants. » Mais tout cela n’est rien auprès du spécifique uni-: versel de maître Chevy. Ce maître Chevy, qui s’intitu- lait médecin et chirurgien était venu s’établir à l’abbaye de Prières, appartenant à des moines Bernardins qui, à l'exemple de tous les autres moines, s’occupaient activement de médecine. Pendant ses instants de loisir il composa « un opiate, qui après une purgation seulement enlève la fièvre comme le rasoir coupe la barbe; » pour lui ce n’est que jeu d’enfant. Écoutez quelques-uns des prodiges HQE opérés par son spécifique : Il y avait à l'abbaye un cer- tain diacre, frère Bruëère, tombé tout à coup dans une paralysie universelle, au point d’être obligé de se faire moucher par un domestique. Quatorze prises du spé- cifique suffisent pour lui faire récupérer l’usage de ses membres. Un officier, croix de Saint-Louis, des environs de Vannes, a une hydropisie : « Vous avez, lui déclare Chevy, six pintes d’eau épanchées dans la cavité du ventre inférieur. » Le cas est grave; dix prises de spé- cifique et voilà l'officier hors d’affaire. Un religieux, dom Dumaine, est privé depuis huit ans du service de ses jambes, quelquefois des bras et des mains « par des douleurs moins goutteuses que caterreuses, » _wbserve maître Chevy. Dès la première prise une bride de genou du côté gauche retenant la jambe et la cuisse disparaît; à la seconde prise, « une espèce de cordon qui prenoit depuis le haut de la cuisse jusqu'aux reins et l'empêchoit de se tenir debout, s’évanouit. » Aussi tous les religieux sont dans l’enthousiasme. « Ils ne veulent plus, écrit maître Chevy, être purgés qu'avec cé remède, tant ils le trouvent doux, benin et efficace dans ses productions. » Il est vrai qu’ils ne connais- saïent pas encore la douce Révalescière et ses effets non moins certains que ceux du spécifique de maître Chevy. En lisant ces cures merveilleuses la pensée se reporte tout naturellement vers cette délicieuse scène du Mé- decin malgré lui, où Martine, voulant faire passer Sga- narelle pour médecin, raconte les prodiges de sa science : VALÈRE. Mais est-il bien vrai qu’il soit si habile que vous le dites ? RO Les MARTINE. Comment ! c’est un homme qui fait des miracles. Il y a six mois qu’une femme fut abandonnée de tous les autres médecins : on la tenait morte il y avait déjà six heures, et l’on se disposait à l’ensevelir, lorsqu'on y fit venir de force l’homme dont nous parlons. Il lui mit, l'ayant vue, une petite goutte de je ne sais quoi dans la bouche ; et, dans le même instant, elle se leva de son lit, et se mit aussitôt à se promener dans sa chambre comme si de rien n’eût été. LUCAS. Ah! VALÈRE. I fallait que ce fût quelque goutte d’or potable. MARTINE. Cela pourrait bien être. Il n’y a pas trois semaines encore qu’un jeune enfant de douze ans tomba du haut du clocher en bas, et se brisa, sur le pavé, la tête, les bras et les jambes. On n’y eut pas plus tôt amené notre homme, qu’il le frotta par tout le corps d’un certain onguent qu'il sait faire, et l'enfant aussitôt se leva sur ses pieds et courut jouer à la fossette. LUCAS. Ah! VALÈRE. Il faut que cet homme-là ait la médecine univer- selle ! 0 MARTINE.,. Qui en doute ? Cependant, malgré tout le succès des recettes de Me Chevy et de ses confrères, à cause de ce succès peut- être, les disciples d’Esculape trouvaient plus d’un dé- tracteur, et les épigrammes ne leur étaient point épar- gnées. Une des plus vives est assurément celle qui fut ré- pandue à Versailles, après la mort d’'Henriette d’An- gleterre, fille de Henri IV et veuve de Charles Ier : Le croirez-vous, race future, Que la fille du grand Henri Eut en mourant même aventure Que son père et que son mari ? Tous trois sont morts par assassin, Ravaillac, Cromwell, médecin. Henri mourut d’un coup de baïonnette, Charles finit sur le billot, ’ Et maintenant meurt Henriette Par l'ignorance de Vallot t. Du reste, les médecins soutenaient vaillamment la guerre qui leur était faite, et le Bulletin de la Société d'Agriculture, Sciences et Arts de la Sarthe a publié un curieux travail de M. Armand Gasté sur une Satire de Sonnet de Courval contre les charlatans et les pseudo- médecins empyriques. S'il y avait, de par le monde, en 1610, un docteur en médecine fier de son titre, c'était, sans contredit, l Mémoires de la Société d'Agriculture et des Arts de Ver- sailles, 1874. = 04 = maître Thomas Sonnet, sieur de Courval, gentilhomme de Vire, en Basse-Normandie. Ii faut l’entendre exalter par-dessus tous les autres arts, l’art de la médecine, « le plus utile et nécessaire, le plus digne et excellent qui ait esté desparty et pro- digué à l’homme. » Il faut l'entendre entonner un di- thyrambe en l’honneur des médecins, qui non-seule- ment sauvent les corps, mais aussi « qui servent le plus souvent d'instruments pour la salutation de l’âme. Car, dit-il, il arrivera quelquefois qu’un malade, chargé d’un nombre infini de péchés mortels, sera atta- qué de l’une de ces maladies trés-aiguës et périlleuses, de laquelle, sans le prompt secours du médecin, il serait mort subitement en cet estat, sans songer à sa conscience, au hazard de perdre l’âme et le corps. Et ayant gauchy ce danger par l’aide et assistance du mé- decin, peut-on pas dire et assurer, sans aucun soupçon de vanterie, qu’il a mesnagé la salutation de l’âme et du corps, qui est tout ce que nous avons de plus pré- cieux au monde ? » Ce vif et profond sentiment qu'avait Sonnet de Cour- val, de l’importance et de la dignité de sa profession, lui faisait un devoir d’attaquer les charlatans, « cette misérable engeance qui avoit tellement corrompu et altéré la médecine » qu’elle n'était plus au temps de Sonnet, si nous l’en croyons, « qu’une idole etun fan- tosme, la face avallée, son crédit ruiné, son honneur dégradé, à basse marée, en dernier quartier, sa force abattue, sa réputation flétrie. » Aussi frappe-t-il à coups redoublés sur les « charla- ans, pseudomédecins empiriques, thériacleurs, alchi- 1 TEE mistes, paracelsistes, distillateurs, extracteurs de quin- tessences, fondeurs d’or potable, maistres de lelixir, iatromages ou médecins magiciens. » « Aurons-nous, s’écrie-t-il, saisi d’une sainte fureur, aurons-nous les veines remplies d’un sang si ingrat et négl'gent, que de voir le feu allumé par la France de tant de meurtres perpétrés et commis par ces bour- reaux d’empiriques avec leurs drogues pestiférées et empoisonnées, sans crier au feu et apporter l’eau de cette satyre pour tascher de l’esteindre?.. » La prose ne suffit plus à son indignation; il continue en Vers : « Pourrons-nous donc souffrir ces ordes sauterelles, Ces troupeaux charlatans, plains de subtilité, Ronger et gouspiller les teurs de la santé, Et nous empoisonner de leurs drogues mortelles ? Non, non ! il faut tascher de les exterminer, Et la France purger d’une telle vermine, Qui n’apporte à nos corps que misère et ruyne, Faignans à leur langueur le remède donner. Il faut, il faut chasser ces bourreaux d'Empyriques, Ces effrontés larrons, hardis empoisonneurs, Ces Thrasons, ces bavards latromages charmeurs, Alchimistes souffleurs et vanteurs Spagiriques ! Nourrissons de Paris la docte Académie, Et mille autres encor, d’un savoir singulier, Que Caen nous a produits, Padoue et Montpellier... » lei le souffle poétique faisant défaut, il reprend en prose : « Je vous conjure tous, au nom de la patrie qui vous a allaités, de la France, dont vous humez et inspirez l'air, par le titre honorable de docteur que vous portez et le rang que vous tenez, que vous ayez à prendre les armes de la plume et vous ranger de mon party, afin de combattre et terrasser une tant pernicieuse et dia- bolique secte, et exterminer du tout cette maudite race de serpens cauteleux. « Il n’est rien qui entretienne et conserve les empires, comme l’ordre et la police qui y sont établis. Il en est de même de l’univers. (A l’appui de cette proposition, citations de Boëce, de Philon juif, de Parménide.) « Ce qui est vrai du macrocosme, c’est-à-dire de l'univers, l’est aussi du microcosme, c’est-à-dire du corps humain. » Suit un pelit traité de physiologie. Sonnet montre que chaque organe a, dans le corps de l’homme, sa fonction propre ; et il en conclut que dans un État bien policé, chacun devant se mêler de son métier, seuls les médecins ont le droit de guérir. Assurément le zèle de Sonnet de Courval était louable, ais 1] ne se borne pas à une vaine théorie, il prêche d'exemple, et il faut bien reconnaître que, pour em- ployer une de ses expressions, ses recettes feraient sourire nos « plus édentées et radoteuses bonnes femmes. » Il nous dit gravement : « Que l’araigne, estant enclose vive dans une coquille de noix, el portée au col, guasrit la fiebvre quarte; « Que les yeux des grenouilles estant arrachés, de- vant que Phébus ait espandu ses rayons sur la face de l'orizon, puis estant remises vives dans l’eau, chassent les fiebvres tierces, estant attachés et portés au col; « Que la dent d’une taupe vive appaise par le seul toucher la douleur des dents ; « Que le cœur du corbeau, porté sur soy, retarde et RSR 1 SE empêche le sommeil, et qu'à l’opposite, FE cœur de la chauve-souris l’excite. » - Quand on ose écrire de pareilles niaiseries, a-t-on le droit de se moquer des charlatans qui, pour guérir la fièvre quarte, ordonnaient « de boire du vin dans le- quel auroit trempé l’espée du bourreau, avec laquelle on auroit fraischement trenché la teste d’un homme » — ou « de prendre une anguille, lui attacher au col les ro- gnures des ongles des mains et des pieds du malade, puis la laisser retourner vive dans l'eau ? » Voici comment il démontre que les métaux ne valent rien comme remèdes : « La combustion, calcination, cementation , dissolution, putrefaction, maturation, disgestion, stratification, fixation, sublimation, fulmi- nation, circulation, filtraticn, graduition, reclification, reverbération, projection, amalgamation, coagulation et aultre préparation, plustost que séparation des mé- taux, soit pour entrer dans nostre corps, pour luy ser- vir de nourriture et fontaine de Jouvence, soit pour convertir et métamorphoser l’essence d’un métal en un aultre, est une téméraire et périlleuse entreprise, un labeur en un mot plus pernicieux que fructueux, plus nuisible que profitable, plus imaginaire qu’essentiel, plus à éviter qu’à rechercher, et finalement plus à re- chercher qu’à effectuer. » Purgon et Diafoirus n'auraient pas mieux dit. Je ne sais si Sonnet de Courval a été très-heureux dans sa lutte contre les charlatans qui, comme il le dit énergiquement « avec leurs drogues empoisonnées, bossent plus de cymetières en un an que la plus dan- gereuse peste ne pourroit faire en quatre. » En même SOC. D’AG. 1 0e temps ses confrères de Bretagne opposaient à des en- nemis sans cesse renaissanis des armes d’un autre genre. C’était d’abord des luttes sans fin entre les dif- férentes corporations. Les relations des chirurgiens entre eux n’étaient pas toujours telles que l'esprit de confraternité l’aurait dé- siré. Elles se ressentaient fort souvent de leur peu d’ins- truction et de la grossièreté de leurs manières. De là des tiraillements, des luttes intestines et des procés, les jalousies de métier se donnant rendez-vous dans la salle d'audience du Présidial. Les chirurgiens-barbiers de Vannes avaient aussi souvent maille à partir avec leurs confrères en barberie, les barbiers-perruquiers. Les barbiers-perruquiers, réunis également en asso- ciation mutuelle, s’ingéraient toujours, malgré les or- donnances, de faire un peu de chirurgie, c’est-à-dire qu’ils pratiquaient des saignées et s’arrogeaient le droit, qui leur avait été jadis concédé par Charles, de panser les clouds, les bosses et playes ouvertes non mortelles. Quelques-uns même allaient jusqu’à suspendre une 4- gature à leur enseigne. Il y avait en outre en ville une foule d'individus qui, sans litre, se permettaient de faire les barbes, au grand préjudice des maîtres chirurgiens, auxquels apparte- nait par privilége le maniement du rasoir, de concert avec les maîtres barbiers-perruquiers. L'abus allait croissant. Les chirurgiens s’en plaignaient, l'orage éclata en 1690. Aussi avec quelle joie durent être accueillies les lettres- patentes du roi du 6 février 1795, qui enjoignaient aux — 99 —- perruquiers d’avoir des boutiques peintes en bleu, fer- mées de chassis à grands carreaux de verre, sans au- cune ressemblance aux montres des maiîstres chirur- giens ! Ils mettraient à leur enseigne des bassins blancs pour marque de leur état, et pour faire différences de ceux des maïstres chirurgiens qui en ont de jaunes. En outre, on imposait aux perruquiers la condition expresse d'inscrire en grosses lettres sur l’enseigne : Barbier, perruquier, baigneur, estuviste. Céans on fait le poil, et on tient bains et estuves. L'art, 43 des lettres royales reconnaissait aux bar- biers-perruquiers seuls le droit « de faire le poil, bains, perruques, étuves et toutes sortes d'ouvrages de cheveux. » Ces chirurgiens, si empressés de revendiquer leurs priviléges, autant par motif d'intérêt que de dignité, ne craignaient pas à l’occasion de s’abaisser au point d’empiéter sur les attributions de leurs: ennemis. La famine faisant taire l’amour-propre, ils en vinrent un jour à envier la prospérité des boutiques rivales, où l’industrie et le commerce des cheveux se donnaient la main. Sous le règne de Louis XIV, Jan Cadoret, syndic en charge de la communauté des barbiers-perruquiers de la ville de Vannes, et Jan Gautier, ancien prévôt, se présentaient à la barre, et prouvaient aux juges du présidial que dans trois boutiques de maîtres chirur- giens, on tondait les têtes, et qu’on faisait le com- merce des perruques et des tours. Ils démontrèrent de plus qu’à cet effet on employait dans ces boutiques des garçons perruquiers. — 100 — Le tribunal donna gain de cause aux demandeurs, en ordonnant à maître François Doby, et aux veuves de Jan Du Lattay et de Gabriel Sauton, d’avoir à se ren- fermer dans l'exercice de la chirurgie et barberie, sans envahir le domaine des maîtres perruquiers, et de n’employer-désormais dans leurs boutiques que des fra- ters et garçons-chirurgiens. Mais les médecins et les chirurgiens avaient surtout à : lutter contre la tourbe des guérisseurs populaires, tels que les frotteurs, les releveurs de luette, les poseurs de hurles, les sorciers opérateurs. N'y avait-il pas tout d’abord, les rebouteurs, dont le prestige est loin d’être éteint et auxquels appartenait la spécialité de traiter les entorses, de remettre les membres démis, et d’ap- pareiller les fractures? Personne ne leur contestait ce droit. On citerait des sentences rendues par plus d’une juridiction, qui conféraient le droit d'exercer le mé- tier de rebouteur. Le parlement de Rennes lui-même avait été mis en demeure de faire connaître son opinion, et plusieurs arrêts motivés avaient consacré ce droit exceptionnel. Ainsi en 1602, appelée à juger le fait d’un prêtre qui se donnait comme rebouteur, la cour déclara qu’effectivement il était défendu aux ecclésiastiques de pratiquer la chirurgie, mais qu’ils pouvaient néan- moins remboëter les os et quérir les nerfs tressailliz sans autre exercice de chirurgie. D'un autre côté l'assemblée des États de Bretagne, tenue à Rennes, volait la délibération suivante en 1665. « Les Étals, après en avoir délibéré, font une pen- sion de 400 livres au chevalier de Saint-Hubert, qui — 101 —. dit avoir l’honneur de descendre de saint Hubert, et avoir le pouvoir de guérir la rage, ce qu'il a prouvé en guérissant 7 enragés, rien qu’en les touchant sur la teste, au nom de Dieu et de M. saint Hubert, chose très utile pour la province. » On trouve dans les dossiers du lieutenant de police une permission de ce genre accordée à un sieur Lescop s’'intitulant oculiste lithotomiste. Ce charlatan fit mer- veille à Vannes, en qualité d’abatteur de cataractes et de tailleur de calculs. Il avait édifié sur la place des Lices un théâtre improvisé, sur lequel il faisait jouer des marionnettes, pour attirer le public, à grand ren- fort de clairons et de tambours. Voici le texte de l’auto- risation délivrée à cette circonstance par le seigneur de Gravelles, général de police de Vannes. « Vu la requeste du sieur Jan-Baptiste-Aurélien Les- cop, les conclusions de maistre Mallet, avocat, et tout considéré... nous avons permis audit Lescop de faire élever un théâtre sur la place des Lices de cette ville, pour y distribuer ses remèdes et y exercer son art d’occuliste-lithotomiste, et faire des opérations ma- nuelles pendant le temps de trois mois, à l’exclusion de tous ceux qui pourroient se présenter pendant ledit temps... parce qu’il restablira à ses frais le pavé où il aura causé quelque dommage; mesme lui avons permis de faire représenter des marionnettes, et avons fait def- fenses à toutes personnes de le troubler dans ses fonc- tions. «Vannes, le 28 octobre 1736. » En l’année 1770, un charlatan s'arrête à Vannes, et voici le texte des prospectus imprimés qu’il répandit à — 102 — profusion et qui prouvent jusqu'où allait parfois la pro- tection accordée aux individus de cette sorte : € PAR PERMISSION DU ROI. Le sieur Turlin, médecin consultant des urines, et chirurgien recu par arrêt du conseil d’État du roi, en l’école royale de médecine, au bureau de la commis- sion, confirmé et enregistré au grand conseil. L'usage de lart de médecine que j’exerce depuis longtemps de père en fils, concernant les cures et opé- rations étranges mentionnées ci-dessous, dont je ne donne aucune consultation sans avoir vu l’urine de la personne... Après une étude de plusieurs années, j'ai trouvé le moyen de connaître ce fluide, qui étant la vraie lessive du sang, c’est lui aussi qui nous en fait connaître son acide et sa mauvaise qualité... | Je fais avec succès l’ablation de la cataracte, c’est-à- dire, je donne la vue aux aveugles, la personne füt-elle privée de la vue depuis vingt ans... Je possède le vrai secret de guérir l’épilepsie ou mal caduc..…. Je fais l'opération du cancer et fil chou pee J’ai un remêde assuré contre les Ro phetesies, asmes, toux, ou flus de ventre. Je fais l'extraction de la pierre au grand et au petit appareil. Je réunis les becs de lièvre ou lèvres fendues. Je fais l'opération de la descente de béseu s’il est besoin qu’elle soit faite. J'ai un secret immanquable pour les surdités ou tin- — 103 — tements d'oreilles causés par des humeurs qui en crassent les timpants..……. Je guéris les hidropiques par un secret infaillible que J'ai apporté d'Italie, sans faire la ponction... Et comme je ne suis pas exempt de critique, je prie le public de ne me point condamner sans m'avoir con- sulté et vu opérer. (est la grâce que j'espère d’un chacun. Je juge donc des urines... J'ai trouvé la facilité de connaître la maladie des personnes en me disant l’âge, le malade fut-il à dix lieues, pourvu que l'urine soit du matin. J'ai un remède immanquable pour la rage... Les personnes attaquées par diverses maladies vien- dront chez Mme veuve Dahirel, rue des Orfèvres, Vannes. » Je pourrais citer bien d’autres documents si je ne craignais de donner des dimensions exagérées à un rap- port trop long déjà. Là cependant ne s’arrêtaient pas encore les difficultés qui de tous côtés se dressaient devant les médecins et: les chirurgiens ; ils avaient d’autres enneinis : ainsi les clients. On écrirait un long chapitre sur les procès sou- levés par la grave queslion des honoraires, et l’on re- trouve dans le travail si précieux de M. de Closmadeuc, des plaidoiries, des mémoires judiciaires que l’on croi- rait copiés sur la première scène du Malade imagi- naire. « Dans le cours de ces recherches, dit M. de Clos- madeuc en terminant, nous n’avons pas cessé de sentir l’inflence de deux courants contraires : le plaisir très- — 104 — réel de pénétrer en curieux dans les recoins oubliés d’une profession qui n’a plus d’analogue dans la société moderne, et la crainte de paraître outré en crayonnant des portraits, ou en racontant des détails inconnus aux travaux de pure archéologie. Pourquoi lapothicaire et le chirurgien-barbier, comme Janus, s’offrent-ils toujours avec deux faces, l’une sérieuse, l’autre plai- sante? C’est à Molière et à Beaumarchais qu’il faut le demander ; leurs railleries en ont fait des personnages immortels. Mais tel n’est pas le but de l'historien. Bien qu’il nous soit arrivé plus d’une fois de rire de bon cœur, tant la lecture de certains documents prêtait à rire, nous n'avons pas poussé la vanité jusqu’à rougir de ces singuliers ancêtres que l’histoire donne à la chirurgie contemporaine, « Il est bien vite fait de jeter sur la scène un pauvre hère en costume de Figaro, papillonnant dans sa bou- tique à l'enseigne des bassins pendants, et exposant à ses fraters une leçon de barbe et de saignée. La plai- santerie a des bornes. — Après tout, ces joyeux traits sont des effets de perpective. Leurs contemporains, qui vivaient dans la même cité, et qui à toute occasion réclamaient leurs services, ne les envisageaient pas du même œil que nous. Le sourire nous vient sur les lèvres, dès qu’on prononce le nom de l’apothicaire ou du bar- bier ; mais il en serait ainsi si aujourd’hui nous voyions passer dans la rue un Sénéchal de l’ancien régime, habit de velours, culotte courte, perruque poudrée, et larges souliers à boucles d’argent; ou encore un pro- cureur en lunettes vertes, se dirigeant le nez au vent vers le présidial, suivi d’un gratte-papier portant un — 105 — ballot de sacs de procédure. Sommes-nous bien sûrs que dans un siècle, nos arrière-neveux ne s’'amuseront pas à chercher la trace de nos pas dans les archives, et ne traiteront pas de iriviales nos pratiques les plus habituelles. « Autres temps, autres mœurs. Ne soyons pas in- justes envers le passé. C’est sur cette pensée que nous voulons terminer cette étude. Nous le disions dans une brochure antérieure : toute science a ses origines mo- destes. Depuis le xvie siècle, trois hommes considé- rables ont illustré l’art chirurgical en France : Am- broise Paré, Jean-Louis Petit, et presque de nos jours, Boyer ; tous les trois avaient fait leur apprentissage chez de pauvres barbiers, avant de devenir les premiers chirurgiens de leur époque. » P. LACHÈSE. LOUIS DE BLOIS OÙ UN BÉNÉDICTIN AU XVI SIÈCLE Par M. GEORGES DE BLOIS. Dans nos jours de trouble et d’aberration, c’est un événement deux fois heureux que la publication d’un bon livre. Dans nos assemblées politiques envahies, grâce à l'intrigue et aux surprises, par les représentants des idées subversives, il suffit quelquefois d’un nom pur, d’un homme inspiré par le sentiment de la foi, de l’honneur et de l'amour de la patrie, pour arrêter le pays entier dans le torrent qui l’entraîne vers l’abîme ; c’est également une bonne fortune lorsqu’au milieu des publications malsaines et matérialistes qui nous inondent, des esprits honnêtes et généreux essayent par leurs écrits de jeter la lumière dans les ténèbres ; car si nous parvenons à éviter l’abîime, ce ne sera que par le secours de la vérité, et les orateurs de la tribune — 107 — comme les écrivains spiritualistes ont aussi bien, sur ce point, charge. d’âmes, que les écrivains religieux ou les orateurs sacrés. Pour peu que l’on soit animé d’un sentiment de jus tice et de sincérité, pour peu que l’on ait quelques no- tions de l’histoire au point de vue philosophique, mo- ral et religieux, et que l’on se soit nourri une fois seulement dans sa vie, des admirables pages de M. de Montalembert, il est impossible, tout en tenant compte des périodes de défaillance et de relâchement, de ne pas reconnaître l’heureuse et salutaire influence des Ordres monastiques en général et de l'Ordre des Béné- dictins en particulier, pendant plus de douze siéclés. C’est donc avec un véritable bonheur et avec la plus vive sympathie que nous avons salué l'apparition du livre de M. Georges de Blois, intitulé : Louis de Blois, abbé de Liessies, ou : Un Bénédictin au xvie siècle. Avant de recevoir du Ciel le don d'écrire, l’auteur, en dehors même des avantages de la naissance, a eu le rare privilége de compter dans sa famille les traditions plus précieuses encore de la noblesse de l'intelligence et du caractère, aux quelles il s’est montré lui-même si fidèle. Dans son introduction, M. Georges de Blois commence par rendre hommage aux principaux représentants de l'Ordre bénédictin, en s’effaçant modestement derrière le tableau éclatant que l’auteur des Moines d'Occident a répandu sur eux. Il évoque particulièrement la mé- moire de saint Benoît leur fondateur, de saint Bernard, dont le nom, à lui seul, pouvait illustrer son siècle et qui a porté son institut au plus haut degré de perfec- — 108 — tion; et en dehors des dépositaires de la règle de Saint- Benoît, de tous ces autres athlètes qui ont combattu au nom de la foi dans la lice de la science et de la sainteté. L’auteur établit d’une manière rapide la haute ex- traction et la généalogie de Louis de Blois, né à Dons- tienne en Flandre en 1506. Entouré de toutes les séductions des cours et de tous les agréments extérieurs qui pouvaient assurer le succès d’un jeune seigneur favori d’un grand prince, nous voyons Louis de Blois conduit par un attrait irrésistible à la vie de la prière et du renoncement : « On vit alors, dit son petit neveu et son histo- « rien, au milieu de ses frères et de ses serviteurs, le « jeune page, âgé seulement de quatorze «ans, quitter « pour toujours, ce Donstienne, témoin de ses jeux « d’enfance et de ses rêves d'avenir. » L’auteur nous donne l’origine du monastère de Liessies, sous le rêgne de Pépin le Bref. Il fut fondé par l'un des leudes de ce monarque, du nom de Wibert, qui, se sentant entraîné vers la vie religieuse, demanda au roi la cession de ce territoire de Liessies, situé sur les limites du Hainaut à deux lieues environ d’Avesne. La vie monacale (au temps de Wibert) n’avait pas encore atteint toute sa gloire et tout son développe- ment, mais elle ne connaissait pas non plus les périodes de décadence. C’est à ce sujet que l’auteur nous cite les paroles si remarquables de M. de Montalembert : « L’Eglise a connu des jours plus resplendissants et « plus solennels, plus propres à exciter l'admiration « des sages, la ferveur des âmes pieuses, l’inébranlable — 109 — «confiance de ses enfants; mais je ne sais si Jamais « elle a exhalé un charme plus intime et plus pur qu'à « ce printemps de la vie monastique. » Nous trouvons l’intéressante série des abbés de Liessies jusqu’à l'entrée de Louis de Blois dans ce mo- nastère. Le novice se plonge avec ivresse dans ces eaux lim- pides et fortifiantes du recueillement et de la prière et se nourrit de cette vie que Lesueur a si bien reflétée sur ses toiles et qu’Alfred de Musset, même à tra- vers les orages d’une jeunesse dissipée, a si bien chantée dans ses vers : Cloîtres silencieux, voûtes des monastères, C’est vous, sombres caveaux, vous qui savez aimer! Ce sont vos froides nefs, vos pavés et vos pierres Que jamais lèvre en feu n’a baisés sans pâmer. Trempez-leur donc le front dans les eaux baptismales, Dites-leur donc un peu ce qu'avec leurs genoux Il leur faudrait user de pierres sépulcrales Avant de soupconner qu'on aime comme vous ! Oui, c’est un vaste amour qu'au fond de vos calices Vous buviez à plein cœur, moines mystérieux ! La tête du Sauveur erraït sur vos cilices Lorsque le doux sommeil avait fermé vos yeux, Et quand l'orgue chantait aux rayons de l’aurore Dans vos vitraux dorés vous la cherchiez encore, Vous aimiez ardemment! Oh! vous étiez heureux. Louis de Blois ne se trouve pas, pour la science, à la hauteur de la règle qu'il a embrassée, il s'impose pour arriver à ce but, le sacrifice d'interrompre ce noviciat où il goûtait déjà les prémices de la félicité céleste, et il entre à l’Université de Louvain pour y étudier les belles-lettres. D — 110 — À la mort de dom Gippus, il est désigné à l’âge de vingt-deux ans, comme devant lui succéder dans la dignité abbatiale. Il résiste autant qu’il le peut à un honneur, suivant lui, au-dessus de ses forces et de son mérite, mais l’ordre du pape Paul III prescrit de se soumettre, et une bulle du Pontife confirme sa nomina- tion. À ce moment, le monastère était atteint de symp- tômes inquiétants contre lesquels dom Gippus, lui- même, avait essayé en vain de lutter. Avec cette défiance de lui-même, ou du moins cette excessive modestie dont il avait donné bien des preuves, avec son extrême jeunesse, la douceur de son caractère, la date si récente encore de son investiture, Louis pouvait-il espérer conquérir ce que l'autorité de l’ex- périence et de l’âge n’avait pu elle È-même réaliser ? Il plaça sa confiance en Dieu et se mit à l’œuvre en s'inspirant de celui qui accomplit par la main des plus humbles, les actes les plus inespérés. Il a recours, avant tout, à la prière vis-à-vis de Dieu, et à la cha- rité vis-à-vis des âmes ; il s’interdit, dés l’abord, la vio- lence, et, pendant huit années, il s'applique avec ardeur au rétablissement de la discipline avec cette persé- vérance que la foi rend inébranlable. Enfin Dieu bénira sa généreuse tentative. En vain la guerre viendra déranger ses planset envahir la Flandre en 1537; en vain il sera forcé d’émigrer au prieuré d’Ath avec de rares et fidèles religieux, quand d’autres se dispersent dans les environs, au péril de leur avance- ment et de leur vertu. Louis, toujours soutenu par la foi, ne se décourage pas un seul instant. « L'histoire de tous les temps, disent les Bollandistes, — 111 — « a prouvé que l’on n’a jamais tenté une entreprise utile « à la gloire de Dieu et au salut des âmes, sans déchai- « ner aussitôt la perversité de l'esprit humain et la « jalousie des méchants. » Pour comble d'inquiétude et de douleur, les moines restés à Liessies s’insurgent contre les décisions ren- dues à Ath par leur abbé. Cette nouvelle complication nécessite son retour au milieu d’eux, et ce retour rétablit en partie du moins l'harmonie entre l’abbé et les religieux qui craignaient que l’abandon de Liessies ne leur füt nuisible. Enfin, à force de courage et de ménagement, il voit le succès couronner sa pieuse entreprise et parvient à faire accepter sa réforme aux dissidents. Il rassemble un conseil composé des personnages les plus éclairés et les plus sages et ils confirment par leursiavis cet esprit de patience et de modération dont il ne s'était pas départi. Résigné à la volonté de Dieu, on le voit conquérir les dernières soumissions dans le cœur de ses frères, qui, au fond, l’aimaient tendrement et ils acceptent sa ré- forme pour ne plus s’en éloigner. Louis de Blois put se livrer désormais sans obstacles à la composition de ces ouvrages où se reflète cette âme si pure et si chrétienne. Au milieu de toutes les difficultés morales et matérielles qu’il avait traversées, il n’avait jamais cessé d'écrire ses conseils et ses recom- mandations. M. Georges de Blois nous a laissé de précieux ex- traits de chacun de ces édifiants écrits, parmi lesquels figurent : ’Institution spirituelle, le Miroir des Moines ; — 112 — des Oraisons ; des Constitutions de la Règle de Vie spi- rituelle ; la Comparaison du Roi et du Moine; l'Enchi- ridion des Enfants; la Consolation des faibles, etc., etc. Après la réfection des âmes, Louis de Blois s'occupe de la réfection des bâtiments, de l’agrandissement du monastère, de la conservation de la bibliothèque, des reliques qu’il avait recueillies de ses prédécesseurs, enfin de la pompe des cérémonies du culte. Les reliques étaient admirables : Liessies avait reçu de Constantinople les restes des Prophètes, qui, à peu prés tous, avaient recu la sépulture en Judée. La charité de Louis de Blois était inépuisable ; et, pendant la guerre de 1533, époque à laquelle Charles- Quint leva le siége de Metz, le couvent de Liessies devint la providence du pays. Le concours de sa sœur Françoise de Blois à ses œuvres spirituelles lui permit d'étendre encore le bien qu’il répandait autour de lui. Elle avait obtenu de s'établir dans la même contrée et de leur concert résul- térent d’abondants bienfaits. Charles-Quint avait toujours apprécié les mérites de Louis de Blois et lui fit offrir l’archevêché de Cambray, mais l’abbé de Liessies refusa de quitter son monastère car ce qui le distinguait le plus au milieu des vertus dont il était doué, c'était peut-être l'humilité. Une chose remarquable dans les sentiments et les impressions de Louis de Blois, c’est son aspiration vers le dogme de l’Immaculée-Conception qu’il pressentit en quelque sorte trois siècles avant sa promulgation et malgré les dissidences et l'opposition des plus éminents docteurs de son temps. — 113 — L'auteur nous fait connaître les exemples d’édifiante piété que Louis donna et les recommandations tou- chantes qu'il fit à ses moines lors de ses derniers moments. Parmi les productions de Louis de Blois, la plus remarquable est, suivant nous, le Miroir des Moines. Cet ouvrage a été traduit par l'abbé de La Mennais, avant sa séparation de l'Eglise romaine ; le style se rap- proche beaucoup de celui de saint François de Sales et de l’Imitation de Jésus-Christ, par l'élévation des pensées ; M. Georges de Blois nous en a donné plusieurs extraits, et nous ne pouvons résister au plaisir de citer le passage suivant : € J’ai connu un religieux, dit l’abbé, dans le chapitre 1v « de cet ouvrage, qui avait coutume de se proposer « chaque jour de méditer quelque partie de la Passion « de Notre-Seigneur. Par exemple, un jour, il se repré- « sentait Jésus-Christ au jardin des Oliviers ; et en ce « jour, partout où il allait, toutes les fois qu’il n’était « pas nécessairement occupé de quelque autre pensée « sérieuse, quelque chose qu’il fit extérieurement, il s’eéfforçait de fixer les yeux de l'esprit sur les souf- « frances et les angoisses de Notre-Seigneur dans le « Jardin des Oliviers ; et de temps en temps s'adressant « à son âme, il lui parlait à peu prés ainsi : O0 mon « âme voilà ton Dieu. Lève les yeux, ma fille, vois, « considère : voilà ton Dieu, ton Créateur, ton Père, « ton Rédempteur et ton Sauveur ; voilà ton refuge, « {on appui, ton protecteur ; voilà ton espérance, ta « force et ton salut ; voilà celui qui te sanctifie, te « purifie et te perfectionne ; voilà ton secours, ton SOC. D’AG. 8 S A = «à = — 114 — mérite et la récompense ; voilà ta tranquillité, ta douceur et ta consolation ; voilà ta joie, tes délices et ta vie; voilà ta lumière, ta couronne et ta gloire ; voilà ton amour et tous tés désirs ; voilà ton trésor et tout ton bien ; voilà ton principe et ta fin. O ma fille ! jusques à quand seras-tu errante et vagabonde ? Jusques à quand abandonneras-tu la lumière, et aimeras-tu les ténèbres ? Jusques à quand fuiras-tu la paix, pour t’enfoncer dans le tumulte et le trouble ? Reviens, reviens, Ô Sunamite ; reviens, ma fille chérie ; rentre en toi-même, quitte tout le reste, ne Vattache qu’à une seule chose, car une seule chose l’est nécessaire. Demeure avec ton Dieu ; approche- toi de ton Seigneur, ne t’éloigne point de ton maître. Repose toi à l’ombre de celui que tu aimes, afin de savourer la douceur de son fruit. Il ’est bon d’être ici, Ô ma fille ; nul ennemi n’est à craindre ici; ici, point d’embuches, point de périls, point de ténèbres ; tout est sûr, tout est serein. Demeure ici, ma chère fille ; tu y seras libre, tranquille, pleine de contentements et de joie. » Saint François de Sales apprécie à sa juste valeur des compositions dont les pensées et le style répondaient si bien à sa nature tendre et imprégnée d’une charité si expansive : « Jai lu, dit-il, quelque part les ouvrages « de Blosius, j’en ai été incroyablement charmé; lisez- « les et savourez-les. » Si dans ses œuvres et sa direction abbatiales l’esprit du révérend abbé, ne s’est pas élevé jusqu’au génie des saint Benoît et des saint Bernard, il a eu certainement — 4115 — un mérite auquel ses prédécesseurs ne pouvaient être appelés. C’est le mérite de la lutte et des difficultés. Saint Bernard et saint Benoît venaient dans des temps préparés pour leur apostolat. Sans doute le premier par sa fondation et le second par ses controverses et la reconstitution du monastère de Citeaux, ont rencontré une gloire d'autant plus éclatante qu’ils ne la cherchaient pas ; mais ils trouvaient, chacun dans son époque res- pective et en quelque sorte dans l’atmosphère même qu'ils respiraient, le soutien et l'inspiration dont ils avaient besoin. Sous ce rapport quel génie chrétien fut jamais aussi favorisé que saint Bernard? La soumission absolue de Clairvaux, qu'il avait fondé, à des règles qui s'y épa- nouissaient dans une sorte de jeunesse virginale, le caractère éminemment catholique d’une époque envi- ronnée du prestige des croisades ; l’exaltation de la foi dans tout ce qu’elle a de plus généreux, de plus fébrile en quelque sorte, tout venait à lui ; et les flots de sa brillante éloquence et de son génie individuel se répandaient sur l'enthousiasme et l’héroïsme de son siècle comme l'huile sur le feu : il n’avait qu’à paraître pour tout embraser. Louis de Blois arrivait au‘contraire au moment où la régénération monastique était presque impossible à entreprendre, précisément à l’époque où les esprits entraînés par la licence et l’orgueil étaient le plus disposés, sous l'influence de Luther et de Calvin, à lever le drapeau de la révolte contre les traditions les plus sacrées, et à tout soumettre au doute et à l'examen. Et nous ne parlerons pas ici des complications — 116 — apportées plusieurs fois autour de Liessies, à cette situation, par l'invasion des armées étrangères. Pour ne nous en tenir qu'aux obstacles spirituels, l’abbé de Liessies a conquis en les surmontant un honneur dont on ne lui a peut-être pas assez tenu compte. Cest ce mérite qu’il était donné à l’un des nobles neveux de Louis de Blois de nous faire connaître, en publiant la vie de cet abbé distingué qui est venu jeter un éclat d’une autre sorte sur une famille déjà célèbre par l'extraction et par les armes. Ecrit avec élégance et avec cette inspiration puisée à la source même des traditions de famille, le livre de M. Georges de Blois nous a séduit dès la première lecture et doit exciter l'intérêt de tous ceux qui se mettent à la recherche du vrai et du bien. Il a été écrit, comme nous a dit l’auteur lui-même, avec le cœur; mais cette parole modeste de l'écrivain ne peut fournir une fin de non recevoir à nos éloges, s’il est vrai que c’est du cœur, comme on l’a dit tant de fois, que viennent les grandes pensées et les meilleures inspi- rations. PAUL BELLEUVRE. ANDRE LEROY ET SES PÉPINIÈRES Messieurs, Comme votre Président, je dois payer un tribut d’'hommages et de regrets à la mémoire de l’un des plus anciens membres de notre Société, qui a porté dans toutes les parties du monde, avec une savante et charmante industrie, le nom de notre cher et bienfaisant Anjou; et ce devoir, je le remplis avec un erpressement d'autant plus cordial, qu’en vous rappelant la vie si utile, si laborieuse d’André Leroy, j'ai à vous parler d’un homme qui, pendant plus de soixante ans, fut mon camarade et mon ami. André Leroy est né à Angers le 30 août 1804. Il ne pouvait choisir pour naître un jour de meïlleur augure, car c’est celui où, dans tout le monde chrétien, on fête saint Fiacre, le patron des jardiniers. Son pére, pépiniériste et fils d’un pépiniériste, demeurait dés lors rue Châteaugontier, dans cette maison Are me qu'André Leroy n’a jamais quittée, et, comme il ne s’occupait pas de plantations d’arbres, il ne cultivait guère qu’un hectare de terre en y comprenant ce qui forme aujourd’hui la cour de l’établissement. En 1808, Leroy entra au Lycée comme externe, en même temps que moi, et suivit assidûment les cours jusqu’en 1816, époque à laquelle ilen sortit pour étudier pratiquement le jardinage avec sa mère, qui, devenue veuve, avait pris la direction de la maison. En 1819, André Leroy .partait pour Paris plein d’ardeur et de zèle. M. Janin, instituteur à Cheffes et oncle de Leroy, demanda pour son neveu, à M. Pilasire, ancien député et ancien maire d'Angers, qui faisait alors de l’agriculture en grand dans sa charmante terre de Soudon, une lettre de recommandation à l’adresse du vénérable professeur André Thouin, avec lequel il savait M. Pilastre intimement lié. M. Pilastre donna cette lettre, et, en ouvrant à notre jeune horticulteur les portes du Jardin des Plantes de Paris, ii lui rendit le plus mappréciable service, car il commença sa for- tune en le mettant à même d'entendre chaque jour les plus doctes enseignements sur l’horticulture et d’étudier les arbres et les plantes dans les plus vastes et les plus riches collections. M. Thouin accueillit Leroy avec une extrême bienveillance et le présenta à son frère, chef des cultures et à Oscar Leclerc, aide naturaliste. André Thouin, dont le pére était employé au jardin du Roi sous Louis XV, s'était livré, dès sa plus tendre jeunesse, à l’étude de la botanique. En 1764, il avait , — 119 — été nommé jardinier en chef et, en 1786, membre de l'Académie des Sciences. Par ses soins, le jardin prit de nouveaux accroissements et, à sa sollicitation, on fonda une chaire de culture pratique, premier cours de ce genre qui ait été créé en France. En même temps qu’il le professait, Buffon, Lacépède, Daubenton, Cuvier, travaillaient près de lui à leurs immortels ouvrages sur l’histoire naturelle. Le chef des cultures, que tout le monde connaissait sous le nom de frère Jean, était le type le plus curieux, le plus original du maître jardinier. En toutes les saisons, on le voyait couvert d’un chapeau indescrip- tible, à l’épreuve de la pluie et du soleil, parcourant le jardin, ordonnant et surveillant, ayant attaché à un des boutons de sa redingote une petite écritoire et une plume avec laquelle il inscrivait ses notes sur un grand agenda qu'il ensevelissait ensuite dans une poche immense avec les instruments de jardinage qui pouvaient lui être utiles. Excellent homme, doué de la physionomie la plus heureuse, il répondait avec empressement à toutes les personnes qui venaient lesaluer, ou qui lui demandaient des renseignements ou des conseils. Hors du jardin et lorsqu'il avait quitté l’habit de travail, frère Jean devenait dans le monde le savant le plus aimable. Plusieurs fois j’ai eu la grande bonne fortune, de l'accompagner avec le respectable M. Leroux, doyen de la Faculté de médecine, pour aller à Colombe, passer une partie de la journée chez M. Corvisart. Là, — 120 — frère Jean était aimé, recherché par les savants, par les artistes célébres qu’on rencontrait journellement chez l’ancien premier médecin de l’empereur Napoléon. Il les amusait par ses plaisanteries d’une originalité piquante, mais toujours inoffensives, comme l’a dit un des hommes qui le connaissaient le mieux, et il fournit un jour à Carle Vernet le sujet d’un de ces petits tableaux si populaires, dans le genre du Retour de Poissy et de tant d’autres caricatures remplies de verve et d’esprit, en racontant toutes les peines qu'il avait à garantir contre les moineaux les semis auxquels il attachait tant d'importance. Dans ce but il avait ima- giné de faire battre du tambour par un homme qui marchait au milieu de ses carrés, mais au bout de quelques jours, les voleurs s’étant habitués au bruit, venaient piller audacieusement sur les pas de celui qui devait les épouvanter. Carle Vernet traduisit en grand artiste le récit de frère Jean : il peignit l’homme battant son tambour de l'air le plus impassible, alors que les moineaux venaient voltiger autour de lui, picoter les graines derrière ses talons, et que quelques-uns pous- saient l’effronterie jusqu’à se percher sur son chapeau et sur ses épaules. Oscar Leclerc, plus âgé que Leroy de quelques années, habitait avec ses oncles MM. Thouin, qui enga- gérent les deux jeunes gens à travailler ensemble. Là, Leroy fit également connaissance d’Ossian Larévellière- Lépeaux, d’Urbain Pilastre et de Paul Marchegay, fils des meilleurs amis de la patriarcale famille Thouin, et — 1921 — il se forma entre eux tous une amitié qui existe toujours entre les survivants, et que la mort seule à pu briser avec les autres. J’étais moi-même leur ami, j'étais admis aux soirées intimes du Jardin comme mon pére l'était vingl ans auparavant; je crois donc avoir le droit de joindre mon nom à ces noms qui me seront | toujours chers. Oscar Leclerc, en 1820, préparait le cours de M. Bosc, professeur d’horticulture, et, de plus, il était chargé de surveiller les envois de graines. Quelle source inépui- sable d’étude pour Leroy qui partageait ses travaux, que l’examen de cette immense quantité de plants et de graines envoyés au jardin ou expédiés par lui dans touies les parties du monde ! Cela lui donna de plusles moyens d'établir avec l'élite des savants, des botanistes, des pomologues, des relations scientifiques qu’il a entre- tenues jusqu’à ses derniers jours. Aprés quelques années passées à Paris, Leroy revint à Angers prendre la direction de l’établissement paternel que sa mère, femme aussi intelligente que courageuse et dévouée, avait continué de gérer pendant son absence, aidée par un de ses vieux jardiniers, nommé Macé, plus connu sous le nom de Printemps, type du dévouement et de la loyauté et qui pendant quarante ans a été le premier ouvrier et l’ami de la famille. En 1808, les pépinières contenaient à peine deux hec- tares; en 1890, elles avaient doublé. Leroy voulut les agrandir encore, et il le fit dans des proportions inconnues partout ailleurs. Sa tâche — 192 — n’était cependant qu’à moitié remplie. Pour assurer un prompt écoulement à ses produits, il entreprit de nombreux voyages et visita les grands établissements d’horticulture, en France, en Angleterre, en Belgique, en Hollande, en Italie et en Suisse. Il faisait ces voyages non-seulement dans un but commercial, mais surtout pour étudier l’organisation, les produits de ces éta- blissements, et, quand il parvenait à surprendre des moyens de reproduction, d’acclimatation qu’il ne con- naissait pas, il les étudiait pour les mettre en usage lui-même et en faire profiter son pays. De plus, il puisait dans ses voyages d’heureuses inspi- rations pour ses travaux d’architecte-paysagiste. Pendant plus de vingt ans, en effet, il a décoré de grandes pro- priétés dans l’Anjou, la Vendée, le Maine, la Touraine et le Poitou. On lui doit notamment à Angers les jardins de la Préfecture (183%) et sa dernière œuvre, le char- mant jardin qui précède le grand Mail (1859). Leroy marchait toujours. Ses vastes pépinières croissant encore plus vite que les débouchés, en 1847, il conçut le projet d'établir une maison à Paris. Il était sur le point d'acheter un terrain pour y fonder une succursale, lorsqu’éclata la funeste et déplorable révo- lution de 1848. Tous ses projets furent immédiatement renversés et ces arbres qu’il avait produits par millions étaient menacés de se perdre, si on ne trouvait pas à s’en débarrasser. Leroy alors jeta les yeux sur l’Amé- rique, qui seule dans ce moment jouissait d’une tran- quillité prospère. C'était un marché lointain, mais neuf, inexploité, immense, ouvert à l’audace heureuse. Leroy tenta l’entreprise et en chargea M. Baptiste — 123 — Desportes, jeune homme qu’il avait pris enfant et dont il avait fait plus tard le chef de sa comptabilité. Il lui remit, avec toutes les instructions nécessaires, des lettres du Ministre des Affaires Étrangères pour nos consuls de l'Amérique du Nord. Dans un voyage de six mois, M. Desportes parcourut les provinces du nord-est de l’Amérique ; il visita New-York, Boston, Philadelphie, Niagara, Baltimore, le Canada, Bufalo, le centre du commerce, au confluent des grands lacs. Dès les premières années qui suivirent ce voyage, la maison Leroy envoya en Amérique plus de mille caisses d'arbres et de plantes de toutes les espèces et les com- mandes abondèrent tellement qu'il fallut fonder une succursale à New-York. À partir de cette date, les pépinières prirent un déve- .loppement extraordinaire. Pour vous donner une idée de leur transformation depuis 1808 jusqu’à nos jours, il me suffira de vous donner quelques extraits du travail fait par M. Turgan pour sa belle publication intitulée : Les grandes Usines de France. M. Turgan, venu exprès à Angers, a tout examiné, il a reçu de Leroy les renseignements, les chiffres qu’il a publiés ; on peut donc compter sur leur complète et consciencieuse exactitude. « Angers, dit !. Turgan, a possédé de tout temps quelques pépinières. La tradition non-seulement nous apprend, mais encore les habitudes et les besoins de ses habitants nous le certifient. On y aime, on y a toujours aimé les arbres, les fleurs, et surtout les fruits. Toutefois, pour y rencontrer un essai sérieux d'établissement de pépiniérisle proprement dit, il faut — 1924 — remonter jusqu'au milieu du xvur' siécle ; et c’est le bisaïeul de M, André Leroy, Pierre Leroy, qui le tenta avec les familles Goujon, Lebreton, Delépine, et un peu plus tard celles des Retif, des Audusson, des Cerceau. » « Lorsqu’en 1820 M. André Leroy fut appelé, malgré ses dix-neuf ans, à prendre la direction des travaux et des affaires de sa maison, ses pépinières se développaient sur 4 hectares, dont une moitié contenait des arbres fruitiers, et l’autre des conifères communs et beaucoup d’espèces forestières. « En 1830, au lieu de ses 4 hectares, il en possédait 15 environ, et le chiffre total de ses collections pouvait alors se répartir ainsi : Arbres d'ornement (espèces et variétés), 250 ; conifères, 60 ; arbustes à fleurs, 400 ; arbres fruitiers, 360. « Trente ouvriers suffisaient encore à cette époque pour la bonne exécution des travaux ; mais, il allait bientôt falloir en employer le double, car les procédés de culture et de multiplication se développaient jour- nellement et devenaient par leur nouveauté, une des causes qui contribuaient le plus efficacement à accroître le renom de M. André Leroy... « De tels efforts, coïncidant avec la paix dont on put jouir sous le règne du sage Louis-Philippe , doublérent en dix ans les richesses, les revenus de l’établissement. En 1840, on cultivait 75 hectares, et les collections atteignaient : Arbres d'ornement (espèces et variétés), 400 ; conifères, 150 ; arbustes à fleurs, 668 ; arbres fruitiers, 670. « Le personnel qui nécessairement avait dû suivre ce mouvement progressif, montait à cinquante jardiniers, — 195 — dirigés par six contre-maitres. En 1847, ce n’était plus 75 hectares, mais 108 ; aux cinquante ouvriers de 1840, il avait fallu en ajouter cent autres. M. Leroy dutalors renoncer à dessiner parcs et jardins, et, à son grand regret, car il aimait cette partie tout artistique de sa profession, il laissa là les plans et les crayons, les bois et les futaies, les parterres, les pelouses, les prairies, les pièces d’eau, les labyrinthes. — Il avait tracé et planté 1,200 parcs et jardins... « En 1859 M. André Leroy ne dirigea pas moins de 1,500 caisses d'arbres, pesant environ 600,000 kilo- grammes, sur l'Amérique. « L'année qui précéda la guerre civile, on envoya dans ce pays : Poiriers pyramides, 140,000 ; plants de pommier paradis, 300,000 ; jeunes plants de poirier franc, de semis, 1,000,000 ; plants de cognassier, 800,000 ; plants variés d’arbres résineux, 600,000 ; plants de diverses essences, 1,000,000 ; arbres de fan- taisie et autres, 150,000. « Les pépinières de M. André Leroy s'étendent aujourd’hui sur 168 hectares, dont 100 hectares de terrains argilo-sableux, 53 d’argilo-calcaire, 13 de terrains légers ou sableux, et 2 hectares de terre de bruyère : différentes natures de sol qui sont indispen- sables pour établir une culture générale basée sur les besoins des végétaux. De ces 168 hectares, 110 sont consacrés uniquement aux arbres fruitiers, et les 58 autres aux arbres d'ornement, aux arbustes, aux plantes de toute sorte. Une aussi grande étendue de terrain, une culture aussi variée, exige nécessairement de nombreux bras, d’intelligents et continuels travaux ; et — 196 — quoiqu'il y ait annuellement trois cents ouvriers dirigés par vingt-six céntre-maîtres pour les accomplir, c’est à peine s'ils peuvent suffire à leur tâche quotidienne. En dehors de ces vingt-six contre-maîtres, il en est un, et ce n’est pas le moins surchargé, qui est affecté à la culture des rosiers. 1l dirige plus de 150,000 sujets de toute espèce, couvrant une étendue de 3 hectares; à l’époque de la floraison de nombreux amateurs viennent de France, d'Angleterre, de Belgique pour les visiter. « Les 168 hectares de pépinières possédés actuel- lement par M. André Leroy ne sont pas d’un seul tenant; ils forment différents enclos peu distants les uns des autres, d’un large et facile accès. Celui de la maison même contient 19 hectares, est entouré de murs, etsert aux cultures des arbres de prix et des arbustes à fleurs. C’est dans son enceinte qu'ont été plantées, organisées en partie les collections fruitières, et que se fait la multiplication des végétaux précieux. Deux serres pour le bouturage et le greffage y occupent une surface d'au moins 1,000 mètres carrés; des châssis pour garantir les jeunes plantes s'étendent sur 2,600 autres mètres ; puis viennent les brise-vents, charmantes lignes de thuyas, de lauriers, de genévriers, de cyprès, courant parallèlement, et qui, taillées en charmilles, abritent derrière leurs rameaux toujours verts les arbustes à feuilles persistantes. Protégés par ces brise-vents, c’est là, sur une superficie de plus de 6,000 mètres, et dans des pois couverts de sable, que passent l’hiver, sans nul danger, oliviers, arbres à thé (dont certains sont assez forts pour donner plusieurs kilogrammes de feuilles), les escalonias, ceanothus, etc.; — 197 — enfin tous les végétaux de l'Algérie, de l'Espagne, du Portugal, de l'Italie, de la Chine, du Japon, de l'Himalaya et autres régions méridionales. Mais comme les vents d'ouest pourraient faire quelques victimes parmi les délicats produits défendus ainsi contre le froid, une fort belle avenue de chênes pyramidaux de 12 mètres de hauteur paralyse ces vents et ajoute encore à la beauté, à la décoration de ce magnifique jardin. « Les plantes que M. André Leroy a réussi à accli- mater en Anjou sont disposées, comme école d’étude, sur des lignes offrant jusqu’à 800 mètres de iongueur ; elles se développent également dans l’enclos attenant à sa maison, et l’on y peut compter : Arbres d’alignement et d'ornement (espèces et variétés), 960 ; arbustes à feuilles persistantes, 600 ; arb. à feuilles caduques, 710; conières, 400 ; arbustes de terre de bruyère, 400 ; plantes sarmenteuses ou grimpantes, 180. « D’autres collections formées d'éléments nouveaux se préparent sans cesse. « Quant au chiffre total qu’il convient d’affecter aux espèces fruitières, il peut être, sans exagération, porté à 2 millions d'arbres greffés, de tout âge et de toute grandeur. « Les envois d'arbres ont lieu surtout pendant huit mois, d'octobre à la fin de mai, et nécessitent une main-d'œuvre supplémentaire et des dépenses qu'il est curieux d’énumérer ici : Cent cinquante hommes dé- plantent les arbres dans les pépinières, cent y rem- plissent les vides ainsi faits, tandis que cinquante autres sont occupés à emballer dans la cour de la maison, de la pointe du jour à la dernière heure de la — 198 — soirée, avec les minutieuses précautions mdispensables en cas pareil, les milliers de plants, d’arbres et d’ar- bustes que leur apportent six charretiers attachés à l'établissement pour cette besogne et pour le transport des terres et engrais pendant l'été. Voici à peu près ce que coûtent ces emballages : Caisses, 15,000 fr. ; paille, 3,000 fr.; foin d'emballage, 2,000 fr. ; mousse, 2,500 fr. ; osier, 3,000 fr.; ficelle, 2,500 fr.; paniers, 10,000 fr.; perches, 1,000 fr. « Dépenses auxquelles il faut joindre les suivantes : Pots à fleurs, 7,000 fr.; étiquettes en bois, 2,000 fr. ; adresses en bois, 1,000 fr. ; terre de bruyère, 3,000 fr; fumier, 10,000 fr. « Quant au transport de toutes ces caisses, de tous ces colis à la gare d'Angers, il s'opère par les camion- neurs du chemin de fer, et huit à douze camions sortent journellement du chantier d'emballage emportant chacun près de 2,000 kilogrammes. Chaque soir, c’est donc un poids minimum de 16 à 24,000 kilogrammes qui a été enlevé de l’établissement pour être confié aux voies ferrées. Si nous avons donné tant de chiffres dans le cours de cette étude, dit en finissant M. Turgan, c’est qu'ils sont une preuve éloquente d’un mouvement industriel encore peu connu. » André Leroy fit connaître ses richesses horticoles par le catalogue général descriptif et raisonné qu’il en donna dès 1855, et qui, chaque année réimprimé en cinq langues, français, allemand, italien, anglais et espagnol, est envoyé à ses vingt mille correspondants. Ce catalogue est le résumé sommaire de précieuses notes, qu’il recueillait depuis de longues années, pour la — 199 — préparation d’une encyclopédie pomologique dont ses écoles lui fournissaient les éléments essentiels, et dont une bibliothèque spéciale, réunie à grands frais et unique sans doute en province, lui permettait de con- trôler l’étude. Le premier volume en parut en 1866 sous le titre de Dictionnaire de Pomologie, contenant Phustoire, la description, la fiqure des fruits anciens et des fruits modernes les plus généralement cultivés ; livre d’une science à la fois usuelle et complète, où l’auteur résume avec l’autorité de sa propre expérience les ensei- onements des habiles maîtres qu’il a formés à son service, aidé, il faut le dire, pour la partie historique et le dépouillement des livres, par la collaboration de M. Bonneserre de Saint-Denis. Depuis, trois autres volumes ont été publiés; cette partie contient tout ce qui concerne les poires et les pommes ; le cinquième relatif aux abricots, aux cerises et aux autres fruits à noyau, est actuellement sous presse, et ce fut un des plus grands chagrins d'André Leroy, de n’avoir pu voir achevée l’œuvre dont 1l laissait les derniers matériaux tout rassemblés. André Leroy est mort le 93 juillet 1875. Il était membre de presque toutes les sociétés d’horticulture, d'industrie, de botanique, françaises ou étrangères, fondateur de la Société Industrielle d'Angers et du Comice horticole, dont les annales contiennent de lui des notices et des rapports sans nombre. Après avoir épuisé toutes les récompenses des diverses expo- sitions, il avait été nommé chevalier de la Légion d'honneur à la suite de l'Exposition Universelle de 1855. SOC. D’AG. 9 — 130 — Au milieu de tant de prospérités, André Leroy n’a pas oublié qu’il était fils et petit-fils de jardiniers ; il a voulu vivre et mourir au centre de ses jardins, mais avec la bien juste ambition de laisser un nom célèbre dans l’histoire de l’horticulture française. Comme je l’ai déjà dit, 1l n’a jamais quitté la maison qu'avait habitée son père; il s’est borné à l’embellir, en la disposant de manière à recevoir en toute saison les fleurs les plus belles et les pius rares. Simple dans ses habitudes, il se levait avec le soleil, se faisait rendre un compte minutieux de ce qui avait été fait la veille, de ce qui devait être fait dans la journée, puis il parcourait ses serres, ses écoles, ins- pectant, ordonnant, surveillant surtout ses semis et le développement des plantes précieuses qu’il voulait aceli- mater et qui, plus tard, devaient faire son orgueil. Bon et bienfaisant, Leroy distribuait autour de lui de nombreuses et intelligentes charités ; si ce n’était pas par ses mains, c'était par celles de sa femme et de ses filles, aussi bonnes que lui. Sa conversation était vive, souvent enjouée, son éru- dition à toute épreuve, alors qu’il parlait de ses arbres et de ses plantes. Il accueillait avec empressement et distinction les étrangers qui venaient visiter ses cul- tures ; il aimait à parcourir ses jardins avec des amis, alors on le voyait souvent, tout en causant avec eux, cueillir sur son passage, des fleurs dont il composait un bouquet toujours remarquable par la science avec laquelle il savait unir et harmoniser les couleurs et les parfums. | Bien des personnes n’ont point oublié celui qu'il — 131 — remit, en 1843, à Mgr Le duc de Nemours, qui traversait ses pépinières, en le priant de l’offrir à Mme la Duchesse. Aussitôt après, Leroy fut mandé à la Préfecture, et lorsqu'il salua la belle et bonne princesse, elle lui dit de la manière la plus gracieuse : « C’est donc vous, Monsieur, qui voulez faire concurrence à l’empereur du Céleste Empire ? » ; et elle eut avec lui une longue conversation sur la culture du thé, que Leroy essayait alors de faire en grand, et sur ses splendides col- lections. Le lendemain, au moment du départ pour Nantes, sur le bateau à vapeur, on l’entendit demander à l’une des dames, qui l’accompagnaient : « Où est mon bouquet ? » Tel est, Messieurs, l’ensemble de l’œuvre immense auquel André Leroy a consacré sa vie entière ; les pépi- nières qu'il a laissées en mourant sont, au dire des hommes experts, les plus grandes et les plus riches qu’il y ait en Europe, et même dans le monde. Leur renommée, jointe à la richesse de notre sol, à la beauté de notre climat, leur a suscité de nombreuses concur- rences, et un grand nombre de pépinières, la plupart très-considérables, ont été successivement créées auprès d’elles. Au commencement de notre siècle, il y avait à Angers quatre ou cinq jardiniers pépimiéristes, et aujourd’hui il y en a plus de soixante, sans compter ceux qui habitent les communes environnantes. C’est par millions qu’il faut compter ce que rapporte chaque — 132 — année à notre Anjou, cette industrie si magnifiquement développée par André Leroy. Son nom doit donc être conservé avec honneur dans le souvenir de notre pays, et c’est avec une bien vive émotion que j’adresse ici mes dernières paroles à celui qui pendant plus d’un demi-siècle, me fut uni par une si douce et si confiante amitié ! A. LACHÈSE. LES CHATELLIERS DE FRENUR COMMUNE DE SAINTE-GEMMES-SUR-LOIRE Maine-et-Loire FOUILLES (AVRIL 1874-FEÉEVRIER 1875) BAINS ROMAINS 3" MÉMOIRE LU À LA SORBONNE LE 4* AVRIL 1875 Par M. Victor GODARD-FAULTRIER, officier de l'Instruction publique, correspondant. Messieurs, Délésué, comme les années précédentes, par la Société d'agriculture, sciences et arts d'Angers (section d’ar- chéologie), j'ai l'honneur de vous soumettre, en son nom, le résultat de nos nouvelles recherches. Elles ont trait aux fouilles continuées prés des Châtelliers de — 134 — Frémur, et en majeure partie aux frais de la dite Société. Non bis in idem, dit le proverbe; vous trouverez, Messieurs, que je n’en tiens aucun compte, car C’est la troisième fois que je vais vous entretenir de la décou- verte de nos bains romains et de plusieurs petits objets qui s'y rapportent, dessinés, comme les autres années, par le docteur Godard. L. DESSINS :. Figure I. — Fragment d’une tête d’idole en pierre de tuf demi-grandeur, trouvé le 2 octobre 1874, dans les déblais d’un grand bassin situé sur l’axe des bains vers le sud. Elle porte en elle ce calme typique et quelque peu solennel, vrai caché de l’antique. Figure IT. — Très-petit couteau (cultellus) à manche en os et à lame de fer oxidée, provenant de la même région que la tête ci-dessus décrite. Ce rare objet ne serait-il pas un cultellus pareil à celui que mentionne Horace et dont on se servait pour tenir les ongles en bon état? ? En cela rien d’extraordinaire, cet ustensile de toilette convenant fort bien à un établissement de bains. Figure III. — Fragment de stuc peint, qui a ceci de curieux que ses ornements ont une certaine ressem- 1 Ces dessins sont déposés au Musée d’antiquités. 2 Dict. des antiquités romaines, par Anthony Rich., au mot cul- tellus. — 135 — blance avec la barde de festons que l’on remarque habituellement autour et au rebord de beaucoup de vases en terre, dite samienne. Figure IV. — Moyen bronze de Néron, au À l'autel de la Paix, découvert en octobre 1874, sur le versant sud-est des Châtelliers. Cette monnaie étant décrite dans l’ouvrage de Cohen, nous ne nous y arrêterons pas. Le dessin en donne d’ailleurs une fidèle ressem- blance. Figure V. — Grand bronze d’Antonin-le-Pieux. Au À Marc-Aurèle ; cette pièce faisait partie des véngt-s1x médailles découvertes en octobre 1873, au côté gauche du grand fourneau, vers nord, de nos bains. Ce bronze est assez rare, mais comme il est également men- tionné par Cohen, nous n’en dirons rien de plus. Figure VI. — Beau fragment d’enduit (chaux-ciment) en forme d’appareil réticulé, tombé de l’un des murs extérieurs du Baptsterium de l’ouest. Cet appareil, dont chaque maille a 5 centimètres de côté, nous parut moins fait pour ornement, que pour maintenir une autre couche de ciment ou de stuc. Ce west pas la seule fois que nous ayons remarqué dans nos bains des enduits semblables. Figure VII. — Fragment de brique à rainures, ser- vant aussi à maintenir un enduit. Figure VIII. — Graffito sur brique que j'avais déjà mentionné, mais sans en avoir présenté un dessin. Fiqures IX et X. — Grands clous en fer oxidé, pro- venant d’un hypocauste. Fiqure XI. — Très-petit fragment de vase en no ouvré, découvert avec un autre lisse, épais et gon- — 136 — dolé dans l'emplacement du fourneau de l’ouest. On s’est demandé si ces débris, vu le lieu où ils furent rencontrés, ne proviendraient pas de l’une de ces trois urnes en airain, qui contenaient trois sortes d’eau : chaude en dessous, tiède au centre, froide en dessus ; urnes que Vitruve décrit ainsi : « Ahkena suprà hypo- «caustum tria sunt componenda, unum caldariumi, « alterum tepidarium, tertium frigidarium. » Lib. V. Tous les objets ci-dessus mentionnés sont classés dans l’une des vitrines du Musée d’antiquités d'Angers. Mais c’est moins de leur découverte qu’il s’agit, que de celle des nombreuses murailles qui s’entrecroisant, permettent sur le terrain même, de saisir au vif le plan, à peu près complet, de nos bains romains. IL. BAINS DOUBLES CONSTATÉS PAR LES FOUILLES DE 1874. L'année dernière, je vous laissai sur le centre du plateau formant le point milieu de nos doubles bains. Ce point milieu présentait à première vue un massif rectangulaire, tout de briques, long d’environ 13 mêtres sur 9 ; que pouvait-il être? Mille conjectures nous assiégeaient ; le meilleur parti à prendre, c'était celui du coup de pioche. Les ouvriers le donnèrent si bien, qu'après plusieurs jours de travail, ils s’assurèrent que ce massif apparent était, en réalité, creux. Il s'agissait, en effet, d’un vaste bassin formé de quatre murailles, — 137 — dont deux ont encore 90 centimètres de hauteur moyenne. À l’extrémité occidentale de ce bassin et dans sa largeur, un escalier formé de trois degrés descend jusqu’au fond ; le tout est revêtu de carreaux calcaires incrustés dans une épaisse couche de ciment. A l’extré- mité orientale, même répétition d'escalier de trois degrés. (Voir la coupe figure XII.) Certains arra- chements indiquent que ces degrés durent être au nombre de quatre, ce qui, calcul fait de leur élévation totale, donnait au bassin une profondeur d’environ 1 mètre 50, bien suffisante pour permettre aux bai- gneurs de nager à l'aise et dans une eau facile à renou- veler, au moyen d’un tube de sortie, en plomb, du diamètre d’environ 25 centimètres, tube coudé qui se rend à un conduit souterrain par une pente du nord au sud. (Voir le plan figure XIIL.) A l’entour de ce bassin, long de dedans en dedans de 10 mètres sur 7, s'élevait un corridor ou plutôt un podium, large de 1 mètre 50, sous lequel régnait un conduit de chaleur qui existe avec ses empreintes de tuyaux calorifères, espacées verticalement sur quatre parois. Ce conduit, large de 45 centimètres, servait de passage à des torrents d’air chaud et de flammes : flamme vaporis que vis, suivant l’énergique expression de Vitruve. (Lib. VI.) Quant au podium destiné à la circulation des bai- gneurs, il s’est effondré, mais les traces de son niveau sont visibles à 1 mêtre 50 environ, au-dessus du fond du bassin. Du podium, sans aucun doute, entouré d’une balus- trade, comme c'était l'usage (Vitruve, lib. V), les — 138 — baigneurs pouvaient descendre dans le bassin par les degrés sus-indiqués. (Voir la coupe, figure XII.) Ce n’est pastout ; dans l’épaisseur de la muraille méri- dionale, légèrement au-dessus du poaium, et d’une façon symétrique, trois baignoires, chacune de 1 mètre 73 de long, sur 80 centimètres de large et à une seule per- sonne, dallées de fond et verticalement en belles plaques calcaires, existent encore. Assez sur l’ensemble de ce bassin qui, eu égard à sa situation, dut être le grand réservoir d’eau chaude, la piscina cahida de Pline‘. Passons à un second grand bassin (10 mètres sur 10 de dedans en dedans et au fond), situé au sud du précé- dent. Il est également rectangulaire et entouré d’un podium, mais sans conduit de chaleur en-dessous. Ce bassin était sub dio, c’est-à-dire en plein air comme l'in- dique la présence de talus contre-fort du côté du po- dium. Ge podium large de deux mêtres est construit solidement en emplecton. Il fut, sans doute, couvert, à la manière des cloîtres, d’un petit toit, ce qui semble résulter de l’existence de peintures murales, le long des parois, peintures qui, sans ce mode de protection, n’eussent pu se conserver. Cette étroite et longitudinale toiture dut être établie sur des poteaux de bois fichés verticalement dans les mortaises de courtes solives horizontalement engagées dans les murailles, au moyen de trous de boulins demeurés très-apparentis, de distance en distance. A l'intérieur et autour de ce second bassin, les baï- 1 Voir du Choul, de Balneis… romanorum, p. 92. — 139 — gneurs pouvaient donc circuler à l’abri, sous ce cloître en charpente, mais ils se plongeaient à ciel découvert. Ce bassin le plus vaste de tous et qui par sa situa- tion dut être nécessairement le grand réservoir d’eau froide, c’est-à-dire la piscine proprement dite *, conserve lui aussi ses degrés, mais très endommagés. Quelques plaques calcaires s’y voient également, incrustées, au fond, dans une épaisse couche de ciment. Au-devant de ce bassin qui (n'étaient ses vastes di- mensions) correspondrait à l’émpluvium situé au centre de latrium des maisons romaines, nos journaliers constatérent, au moyen de sondages, des bases qui ne peuvent être que celles d’un portique, long de 86 mètres, faisant face au midi. Des restes de pilastres cannelés et en tuf, quelques-uns, même, en marbre blanc, indiquent la nature des ornements. Ce portique où l’on voit de belles pierres dures, longues, en moyenne, de 2 mètres sur 90 centimètres, était précédé d'une terrasse dont chaque extrémité était ornée d’un escalier aux arrachements visibles vers le sud-ouest et le sud-est. De ce côté méridional était l'entrée principale de nos bains, comprenant plusieurs portes de façade, dont deux murées à l’époque romaine, furent converties en degrés pouvant servir de siéges aux baïgneurs, siéges qui se voient intérieurement à droite et à gauche de l'entrée de notre grand bassin à cée/ ouvert. Un autre siége plus large et dont les parois sont ! Voir Anthony Rich., au mot piscina. — 140 — peintes, existe aussi dans le mur séparatif des deux grandes piscines qui, situées l’une en avant de l’autre, et dans la direction du nord au sud, forment avec le commencement d’un vaste hypocauste sur même axe, le corps principal de nos bains. Cette ligne centrale explorée, nous avions hâte de découvrir la majeure partie de l'aile orientale de nos bains, car pour l'aile occidentale nous vous l’avions fait connaître dans nos précédents mémoires. Je dirigeai donc le travail vers l’est du plateau, con- vaincu que je trouverais de ce côté (ce qui eut lieu) une suite d'appartements analogues à ceux de la série de l’ouest, c’est-à-dire une seconde chambre-bassin avec son baptisterium et ses degrés, une salle contiguë à la chambre-bassin, toutes ces pièces carrelées de plaques calcaires et enfin une seconde salle polylobée. Cette salle ne diffère de celle de l’ouest que par l'absence de petits piliers d’hypocauste, remplacés par des iuyaux calorifères dont les empreintes zébrées et verticales sont visibles le long des parois concaves. La description que nous avons faite des divers appar- tements de l’aile de lPouest, dans nos mémoires pré- cédents, nous dispense de décrire les compartiments de l’aile orientale, vu leur similitude. En présence de ces résultats suffisamment constatés (voir figure XIIL), je ne crois pas être trop téméraire d'avancer, même avant l’achévement de nos fouilles, que nous ayons affaire à l’un de ces rares spécimens de bains doubles destinés, sans doute, une des ailes aux hommes et l’autre aux femmes. Vitruve, en effet, au lib. V, x, de Archutecturd, mentionne des étuves pour — A4 — hommes et des étuves pour femmes : ca/daria muliebria virihaque... À moins toutefois que ce ne soit ici le résul@t d’une agréable symétrie dans la disposition géné- rale de l’édifice, ce qui pourrait bien être eu égard aux deux grands bassins du centre, qui paraissent avoir été communs. Quoi qu’il en soit, malgré certaines prescriptions for- mulées sous les empereurs, et notamment sous les règnes d’Adrien, de Marc-Aurèle et d'Alexandre Sévère !, la décence, dans la tenue des bains, laissait beaucoup à désirer. Aussi faut-il être peu surpris d'entendre un aca- démicien contemporain dire : « Nous ne nous doutons « pasde ce qu'était le bain du Romain, si fréquent et si « raffiné, jusqu’à quel point il énervait le corps, corrom- « pait les âmes, dépravait les mœurs. Les philosophes « mettaient le baigneur sur la même ligne que l’in- « tendant des maisons de jeux ou l’intendant des mai- « sons de débauche”. » En matière de décence, les lois romaines ne reçurent d’application effective et générale qu'avec le souffle puissant du christianisme et ce souffle finit, avec le temps, par éteindre à peu près complétement les foyers des bains publics et privés dans l'étendue de l'empire. « On admet, « disent les docteurs Bussemaker et d'Aremberg, « assez généralement, que la propagation « du christianisme a amené le délaissement des thermes « et par conséquent de l’usage des bains en quatre 1 Voir notes de M. Ch.-L. Maufras, p. 570, de sa traduction de Vitruve, t. Ier, Bibliothèque latine-française, seconde série Panc- koucke. ? Voir : Relig. rom. d’ Auguste aux Antonins. — 142 — « actes. » (Tout à l’heure, Messieurs, j’appellerai votre attention sur ces quatre actes.) « Les auteurs païens « eux-mêmes... se plaignaient des suites désastrguses « que l'abus des bains avait aussi bien pour la santé que « pour la moralité de leurs contemporains. « Il n’est pas étonnant que les auteurs ecclésiastiques « se soient fortement élevés contre ces abus ‘. » Ces judicieuses observations de nos savants docteurs nous invitent à déterminer vers quelle époque s’étei- gnirent les foyers de nos bains de Frémur. Ce dut être entre l’épiscopat de saint Maurille, commencement du v° siècle et l’épiscopat de saint Aubin, milieu . du vi, laps de temps durant lequel le christianisme établit son incontestable souveraineté morale en Anjou. Nos bains des Châtelliers, en effet, ne furent point ruinés tout à coup, autrement nous trouverions dans l’épaisse couche des déblais, laquelle varie de 1 à 3 mètres, beaucoup plus de ces intéressants petits objets que nous n’en avons découverts jusqu’à ce jour. On peut objecter, il est vrai, que dans les siècles postérieurs, les habitants bouleversèrent le terrain pour en retirer des pierres et le niveler ensuite au profit de l’agriculture. Cette objection, toutefois, ne pouvant s'adresser au dernier mètre de profondeur, vierge de tous objets étrangers à l’époque romaine, comme nous lavons plusieurs fois constaté, il s’ensuit que notre obser- vation subsiste. 1 Œuvres d'Oribase, t. IT, Liv. X, des Bains, Impr. imp., MDCCCLIv. — 143 — IT. DES QUATRE PRINCIPALES RÉGIONS DE NOS BAINS PAR LEURS TRAVERS DE L'EST À L'OUEST. Je mentionnais, il y a un instant, l’usage d’un bain complet en quatre actes ; ceci mérite explication. Ces actes vont, par voie de rapprochement avec les lieux, nous révéler l'énigme de ce dédale, formé de piliers, d’aqueduc, de canaux souterrains, de conduits à ciel ouvert (voir figures XIV et XV), de fourneaux, d’hypocaustes, de grands et petits bassins, de chambres, de cabinets, etc., elc., en partie déblayés et s’enche- vêtrant les uns dans les autres à des niveaux différents. Mais pourquoi ne l’avouerai-je pas ? La lumière nous est venue, moins du côté des architectes et des archéologues que de celui de certains docteurs. Il ressort des études faites par MM. Bussemaker et Daremberg, sur les travaux des-médecins de l'antiquité el notamment sur les œuvres d’Oribase, contemporain de l’empereur Julien et compilateur de Gallien, que le premier acte d’un bain complet, consistait à intro- duire le baigneur dans un /aconicum, c’est-à-dire dans une étuve sèche ou humide, afin de provoquer d’abon- dantes sueurs. De l’étuve, il gagnait la piscine d’eau chaude où il se plongeait, à moins qu’il ne préférât recevoir l’eau par affusion ; c'était le deuxième acte, servant à dilater le corps, à le raréfier, selon l'expression de nos docteurs. — 144 — Le troisième acte devait être pénible, car à la sortie du bassin d’eau chaude, le baigneur, j'oserais presque dire le patient, se jetait tout entier, en pleine eau froide, afin de se resserrer les chairs. Quant au quatrième acte, il s’opérait agréablement dans une pièce à température modérée, sans baignoire, ni réservoir d’eau. C'était là, dans l’unctuartum hypo- causton” toujours voisin de la piscine d’eau froide, que le baigneur se faisait nettoyer la peau avec des stri- giles d’or, d'argent, ou d’airain, puis couvrir d’huiles de senteur et enfin essuyer avec du linge ou de la laine non foulée ?. Or ces quatre actes ont cela d’intéressant, disent nos traducteurs d’Oribase, qu’ils correspondaient chacun à un compartiment spécial de l'établissement des bains. Cette affirmation est d’une évidence telle que nousen retrouvons les données, dans le plan de nos ruines de Frémur et dans l’ordre voulu par les textes, les quatre régions se référant aux quatre actes précités. En effet, partant du fond septentrional de nos doubles bains, et avançant de front vers les restes du portique, nous avons : Première région : grands hypocaustes et étuves ; Deuxième région: foyers de moyenne grandeur, salles d’évents, et vaste piscine qui, nous l'avons précé- demment démontré, n’a pu être autre chose que le bassin d’eau chaude ; 1 Dict. latin de l'an 1739. — Pline le jeune dit dans sa lettre à Gallus, Liv. I-XVII : Cella frigidaria… adjacet unctorium hypo-. caustum. ? Œuvres d'Oribase, Liv. X, des Bains. — 145 — Troisième région : piscine d’eau froide ou grand impluvivm, à ciel ouvert, avec ses deux baptisteria latéraux et leurs chambres-bassins qui correspondent si bien, par leur situation, à ce passage de Pline le jeune : Inde balneï, cella frigidaria spaciosa et effusa, cujus, in contrarüs parietibus, duo baptisteria velut ejecta sinuantur, abundè capacia…."; Quatrième région : salles polylobées que leurs conduits de chaleur échauffaient, mais doucement, vu leur longue distance des foyers. . Vous le voyez, Messieurs, les quatre actes d’un bain complet, sont en accord parfait avec nos quatre régions auxquelles s’appliquent les noms bien connus, quoique souvent assez mal compris de Laconicum, pour l’étuve ; de Caldarium, pour le bassin d’eau chaude ; de Frigi- darium, pour le réservoir d’eau froide et ses baptis- ieria ; enfin de Tepidarium, pour les salles où l’on oignait les personnes. Ne perdons pas de vue que ces trois derniers noms s’appliquaient également aux trois urnes d’airain pleines d’eau, posées, selon Vitruve, au-dessus des fourneaux ; sans cela il y aurait confusion dans la pensée, ce qui m'est arrivé plus d’une fois, avant l’étude faite au naturel sur nos bains de Frémur. Toutefois, notre étude, suffisamment complète, en ce qui concerne nos quatre principales régions, ne l’est pas encore, à l’égard de toutes les pièces prises iso- 1 Lettre à Gallus, liv. II-XVII, sur sa villa Laurentinum, non loin d'Ostie. SOC. D’AG. 10 — 146 — lément. Pour ce faire, il nous faut attendre l’aché- vement des fouilles, c’est-à-dire l’année prochaine. V. GoDARD-FAULTRIER. M. Chabouillet, secrétaire des séances archéologiques à la Sorbonne, s'exprime ainsi dans son rapport, p. 362, du Bulletin du Ministère de l Instruction Publique, mars- avril 1875: « M. Godard-Faulirier, de la Société d’agriculture, sciences et arts d'Angers, officier de l'instruction pu- blique, correspondant du Ministère, a donné lecture d'un Mémoire sur les Châtelliers de Frémur (commune de Sainte-Gemmes-sur-Loire). C’est la troisième fois que M. Godard-Faultrier entretient les archéologues réunis à la Sorbonne des fouilles exécutées aux Châ- telliers de Frémur, en grande partie aux frais de la Société d'Angers. Comme les autres années, les des- criptions et, les commentaires de M. Godard-Faultrier sont illustrés par des dessins, exécutés avec autant de conscience que de talent par son fils, M. le docteur Hippolyte Godard. « M. Godard-Faultrier, après avoir rapidement décrit divers objets recueillis dans les fouilles, a consacré plusieurs pages à une très-exacte description des doubles bains reconnus dans les fouilles de 1874. S'appuyant sur les écrits de Vitruve et des médecins de — 147 — l'antiquité, ainsi que sur l’observation des substructions, M. Godard-Faultrier a fait un très-intéressant exposé de l’organisation des bains des Châtelliers. Les amis de l'archéologie n’ont pas appris sans en témoigner leur satisfaction, que tout ce que l’on a trouvé de trans- portable dans ces fouilles, est maintenant déposé dans la vénérable salle Saint-Jean de l’ancien hôpital d’An- gers, transformée en musée. » SORRENTE Sur la plage sonore où la mer de Sorrente Déroule ses flots bleus... LAMARTINE. Je ne l'oublierai point : une fois dans ma vie Mon pied poudreux franchit les sommets argentés Du pieux Saint-Bernard, et la noble Italie Etala ses trésors à mes yeux enchantés! Le fer ne plongeait point encor dans ces entrailles Où des flots de héros avaient puisé le jour, Et ce sol illustré par l’art et les batailles Se reposait alors dans la paix et l’amour. Le pélerin pensif n’avait point encor d’ailes, Les modernes dragons épargnaient, dans ce temps, Aux voyageurs épris des beautés immortelles Leur vol impérieux comme leurs cris stridents ; On allait pas à pas, comme en la terre sainte, Mais les monts nous montraient, en chacun de leurs plis, Leurs vestiges sacrés; nul écho, nulle empreinte N’étaient perdus alors pour les sens recueillis. — 149 — De montagne en vallon, de merveille en merveille, Le magnétique écrin, pour moi se déroula... Quand encore saisi des splendeurs de la veille À mon regard rêveur Naples se dévoila ! Que rêver désormais! Bologne la savante, Fille du Vatican, aux riches manuscrits, Avait offert asile à ma pensée errante, À travers les blasons de ses mille érudits ; Milan m’avait conté sa dramatique histoire, Gênes m'avait ouvert son port et ses palais, Florence me parla de Dante et de sa gloire, D’Athènes dans ses murs j'avais vu les reflets ; Artiste dans la paix et guelfe dans la guerre, Palladium sacré que le monde vénère, Muse de la patrie et de la liberté ! Venise, hélas ! toujours belle et toujours eaptive, Sous son voile de pleurs et ses attraits flétris, Me confiait au bruit de sa vague plaintive, Sa grandeur d’autrefois, son deuil et ses ennuis ; Pise m’avait montré la mystique poussière Sanctifiée un jour par les pieds du Sauveur, J'avais touché, depuis, la ville de saint Pierre, Parée à mes regards, de sa double grandeur. La poésie à flots, la légende et l’histoire Avaient jailli du sol, de l’air, des monuments: Les rois et les Césars, les Sixte et les Grégoire, Les plus saints souvenirs et les noms les plus grands : Giotto, Titien, Raphaël, Michel-Ange, Léonard, Angelo. dont la noble phalange — 150 — M'avait partout suivi, m’avait partout bercé; Et voilà qu’un nouveau fantôme s’est dressé ! Naples au ciel limpide, à l'horizon de flamme, Terre de poésie et terre de géants, Le rayon le plus chaud qui peut traverser l'âme! Salvator et Poussin, j'avais vu vos tableaux, Vos lueurs sur les prés, vos reflets sur les eaux, Vos ombres, vos soleils, vos œuvres immortelles, Aux grands maîtres leur art, mais à Dieu les modèles ! Que rêver désormais? Ge n’est pas tout encor : Au fond de cette baie et de ce cercle d’or Îl est une anse étroite, il est un coin de terre Modeste autant que pur, plein d’un nouveau mystère ; Le mystère à chacun ne se révèle pas; Si l’oracle est muet, ne vous arrêtez pas ; Mais les imitiés y trouvent tout un monde ; Là rien d’ambitieux: le ciel, la terre et l'onde! Mais le ciel éclairé des plus riches lueurs, D'une volupté chaste éveille les ardeurs; Ce charme vient d’en haut, dans ce secret délire Dieu se met de moitié, car c’est lui qui l’inspire, C’est l'aspiration vers le séjour divin, On se figure ainsi l'horizon de l’Eden. Cela tient du bonheur du saint ou bien de l'ange, Vers ce ciel généreux cette plage en échange, Fait monter, en priant, les suaves senteurs Des bois de citronniers et d’orangers en fleurs, Dont le flot jusqu'aux flots en cascades retombe; Qui ne voudrait un jour ici marquer sa tombe? — 151 — Berceau de l'idéal et de Graziella, En rencontrant ses sœurs on se dit: la voilà! Rien qu’à les voir passer, on chancelle, on les aime Avec leurs cheveux noirs nattés en diadème, Leur corset d’incarnat et leur jupe d’azur Et ce regard rempli de feu, mais toujours pur. Pour son malheur, un jour, tu l’aimas, ô poëte, Tu l’aimas et partis et ta voix inquiète Tout bas se dit peut-être en la nommant encor : « Ce départ pourra bien devenir un remord. » Et bientôt tu n’eus plus à chanter que son ombre; Mais dans ces lieux si doux n’éveillons rien de sombre. La mer, la mer enfin, miroir qui réfléchit Tous ces objets charmants qu’elle-même embellit.… Quel attrait que d’ouir ces trois soupirs se fondre. Et dans l’anse arrondie, en trois chants se répondre : La brise, le feuillage et la vague aux cent voix, Ne faisant qu’un concert merveilleux dans ses lois ! Voilà pourquoi Sorrente à l'amant, au poète, Quand tant de souvenirs font incliner leur tête, Offre sur leur chemin un asile si doux! Monuments du génie, oui, vous nous charmez tous ; Vous avez su parler à ma pensée ardente, Dans chacun de ces lieux, Dieu mit de sa grandeur Pour élever l'esprit. mais il a fait Sorrente Pour captiver mes sens, pour enivrer mon cœur ! Lassé du merveilleux, de l’art, du grandiose, Du voyageur c’est là que l’âme se repose. — 152 — Bords aussi radieux que simples et touchanis ! Quels doux réveils du jour et quels soleils couchants, Quand l’astre descendant au delà des Siciles, Embrase tout... les flots, les cités et les îles! Quand on songe. c’est là qu’il faut aller rêver, Quand on pleure, c’est là qu’on peut se consoler, Quand on souffre, c’est là qu’il faut que l’âme vole, C’est là qu’il faut porter sa vie et son idole; C’est là que sur les fronts le ciel semble s'ouvrir. C’est là qu’il faut aimer... C’est là qu'il faut mourir ! P. BELLEUVRE. TOUT SE FAIT EN CHANTANT ANECDOTE Dans tout le cours de l’humaïne existence, Peut-on nier du chant la magique influence ? Qui nous endort dans le berceau ? C’est un accent d'amour modulé par la mére, Et n'est-ce pas encor le chant de la prière Qui nous accompagne au tombeau? * S'il est un chant pour la tristesse, Il en est un pour la gaité; Un sentiment de pitié, de tendresse, Par la note est interprété. Oui, la musique sait traduire, Est-il un charme plus puissant ? Tout ce que le cœur nous inspire, Tout ce que notre âme ressent. | Entendez-vous, au sein d’une fabrique, Résonner cet autre moteur Qui vient seconder la vapeur Par un stimulant énergique ? — 154 — Je ne sais si jamais nos manufacturiers Ont calculé, dans l’industrie, Ce que leur vaut la mélodie Appliquée au travail des divers ouvriers. Par la chanson le travailleur s’entraine, Il sent doubler la force de son corps, Des nerfs excitant les ressorts, Elle fait oublier la fatigue et la peine. Sans la musique et la chanson, Que deviendrait l’art militaire ? Sans le tambour et le clairon, Verrait-on le soldat affronter le canon, Alors qu’il marche à la frontière ? Voilà ce qui fit nos succés ; C’est, en chantant, qu’on courait à la gloire, Et, prélude de la victoire, Un couplet en héros transformait un Français. Reverrons-nous ces jours, Ô ma chère patrie? Lé chant avec la besogne varie. Pour hisser un hunier, travailler aux palans, Le marin n’a-t-il pas des airs vifs ou trainanis? Cest à l’ouvrage, qu’on décide Si l'air sera lent ou rapide. Ainsi, dans tout état, toute profession, La musique à la main donne l’impulsion. Dans ce récit, le prouver est facile. Certain négociant, dit-on, de notre ville, De ses affaires soucieux, Et sachant que d’abord il faut flatter les yeux, Désirait appliquer un frais badigeonnage Aux murs d’un magasin dégradés par l'usage. — 155 — Nombre de peintres appelés Dans le logis soudain sont installés. Le peintre est le ténor de la gent ouvrière; Ce qu’il aime dans ses travaux, C’est une chambre vide, un endroit solitaire, Où le timbre de sa voix claire De la paroi sonore éveille les échos. On se met à l’œuvre, on commence; Voix et pinceaux s'accordent, en cadence, Sur l'air plaintif d’Ay-Chiquita : Hélas! qu’avaient-ils choisi là ? Le plus endormant des andantes Avec ses notes languissantes. Quand il s’agit d’aller grand train, Où pouvait aboutir un semblable refrain ? Aussi rien ne marchait. Notre propriétaire, Ne pouvant plus retenir sa colère, S'en va trouver l’entrepreneur : Chez tous vos ouvriers d’où vient cette lenteur ? On m’a flatté d’un espoir illusoire, Je vais manquer ma vente à la prochaine foire. Vous aurez un procès. L’autre dit : Un moment; Faites trêve, de grâce, à votre emportement ! Tout va changer, pourvu que la musique Soit avec le travail en accord sympathique. Ici, qu’entends-je ? un triste adagio, Quand il faudrait Le plus vif allegro! Avec cet air on ne fait rien qui vaille ; Voulez-vous donc, enfants, vous endormir ? Que tout ouvrier qui travaille Chante la joie et le plaisir! — 156 — Cessez, cessez cet accent monotone, Et que chacun de vous entonne Quelque refrain joyeux, et sur un autre ton! Chantez la mère Godichon! Du courage! A l’ouvrage! Je veux, avec cet air nouveau, Voir sur les murs courir votre pinceau. Et par le changement de gamme et de mesure, En un jour, s’acheva l’œuvre de la peinture, Et de son magasin louant la devanture Qu’illustrait un vernis brillant, Le patron, heureux et content, Disait : Voilà ce qu’on fait en chantant. 0 R. GRILLE. L'IVROGNE EN QUARANTAINE CONTE C'était le soir, et par un temps obscur, Il oscillait d’un mur à l’autre mur, Indécis sur la route à suivre ; Peut-on plus clairement dire qu’il était ivre ? Dans le pays producteur du bon vin, Que l’on rencontre en son chemin Un homme ayant trop bu, quoi d’extraordinaire? Notons que c’était un lundi, Ce saint des fainéants béni, Mais exécré de toute ménagére. Donc il errait, sans savoir où, Bercé par le nectar d'Anjou Dont les vapeurs troublaient sa tête folle, Et jetant aux échos quelque libre chanson, Il oubliait, qu'en sa pauvre maison, La famille à jeun se désole. Or, par hasard, il s’arrêta Auprès d’une fontaine, à l’eau toujours courante : L'histoire dit qu’il y resta Longtemps, dans une vaine attente. — 158 — Trompé par le jet continu Du robinet d’où l’eau s’échappe (Hélas ! il en avait tant bu De ce jus vermeil de la grappe!), I se figure... Ami lecteur, Vous avez deviné l'erreur. En avais-je dans la bedaine ! Toujours couler, dit-il, d’où vient le phénomène ? Il redresse la tête. Eh mais! sur la fontaine Quel est ce chef-d'œuvre de l’art? Grand Dieu! c’est, je crois, saint Médard! J'en ai pour une quarantaine. R. GRILLE. PROCÉS-VERBAUX DES SÉANCES SÉANCE DU 8 FÉVRIER 1875. Sont présents au bureau : MM. Adolphe Lachèse, président ; Belleuvre, secré- taire-général; Rondeau, trésorier. Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté. M. le Président communique à la Société une lettre de M. le Ministre demandant des renseignements sur la Société d'Agriculture, Sciences et Arts d'Angers. Au point de vue général et historique, il existe, dans les Annales mêmes de la Société, un compte-rendu qu'il sera facile de rechercher et de communiquer au Ministre, après l'avoir soumis à une commission. Au point de vue spécial de l’agriculture, M. le Président se charge de proposer à M. Joseph de Mieulle de faire le rapport, et l’on espère qu’il voudra bien accepter. M. le Président avait bien voulu rappeler au Minis- tre de l’Instruction publique l’espoir qu'avait la Société de recevoir de son ministère la subvention de 300 fr. qui lui était accordée précédemment. Le Ministre a ré- pondu que toutes les recherches faites à ce sujet, n’a- — 160 — vaient servi qu’à lui prouver que cette somme, pour cette année du moins, n’avait pas été votée. M. le Président promet de revenir sur ce point, et à raison des encouragements que méritent les fouilles di- rigées à Frémur par M. Godard-Faultrier, il ne doute pas que le Ministre ne se décide à mettre, même pour cette année, cette somme à notre disposition. M. Godard-Faultrier nous apprend que malgré l’avis tardif qu’il avait reçu du danger dont était menacée l’église de Doué, il n’y avait pas encore lieu de désespérer de la conservation de ce monument; la tour et le chœur qui en forment la parlie la plus précieuse sont encore intacts à l'heure qu'il est. M. Godard a vu M. le Préfet à ce sujet et M. le Préfet lui a promis de s’y intéresser et d'intervenir pour soustraire l’église de Doué à la hache du vandalisme. La correspondance renferme encore une circulaire ministérielle relative à la prochaine réunion des Socié- tés savantes. M. le Ministre annonce qu’il présidera le 3 avril prochain la séance de la Sorbonne. Il ajoute qu’il a été informé par les Compagnies de chemins de fer de la trop grande facilité avec laquelle les billets à prix réduits étaient distribués dans les départements; pour certains individus la réunion des Sociétés savantes n’était qu'un prétexte pour faire un voyage de Paris ; qu’un grand nombre de ces personnes n’avaient fait aucune communication à la Sorbonne et que certaines ne s’y étaient même pas présentées. En conséquence les Présidents des Sociétés savantes sont priés de ne lui envoyer parmi les auteurs que la liste de ceux dont le manuscrit aura été déposé et des délé- — 161 — gués dont le nombre devra se restreindre à cinq ou six individus. Auteurs et délégués sont tenus d'envoyer leur adresse à Paris, qui sera inscrite sur un registre déposé à la Sorbonne. La liste des auteurs et délégués doit être transmise au Ministre avant le 12 mars prochain. Pour prévenir les abus signalés par plusieurs Com- pagnies de chemins de fer, on exige que le prix de la place entière soit payé au chef de gare, lequel fera ins- crire sur la lettre de convocation du Ministre la formule de la délivrance du billet et le montant de la somme reçue. À M. Godard, comme auteur, se joindront, comme délégués, MM. Théophile Cosnier, Henry Jouin et Paul Lachèse. | M. Daburon de Saumur fait hommage à la Société de sa éraduction de l'Odyssée d’ Homère avec coupures, traduction destinée aux jeunes garçons et aux jeunes filles. M. le Président espère que M. Grille absent vou- dra bien se charger d’en faire le compte-rendu. Parmi les autres brochures se trouvent un envoi de la Société savante du Loiret, travail ayant pour titre : Recherches et fouilles archéologiques, une comédie latine du x° siècle et une notice sur la laine, son travail et sa production, etc., etc. M. d’Espinay donne lecture de la première partie de son travail sur les enceintes d'Angers relatives à la Cité et au mur qui l’entourait jadis. Après avoir rapidement rappelé les erreurs émises par nos anciens chroniqueurs et quelques érudits plus modernes sur les origines d'Angers et sur certains mo- numents faussement attribués aux Romains, l’auteur | soc. DAS. 11 — 162 — entre dans le vif de son sujet. Il décrit le mur gallo- romain bâti en petit appareil et en amplecton qui en- tourait le quartier de la Cité depuis la cathédrale jus- qu’au château; il signale les points de repère encore existants et les textes qui permettent de retrouver le contour entier de cette première enceinte d'Angers, avec la situation des quatre portes qui donnaient accès dans son intérieur et où venaient aboutir les voies romaines. M. d’Espinay discute ensuite la question de savoir à quelle époque il faut faire remonter la construction du mur de la Cité. Les débris de sculptures romaines trouvés dans ses fondations, prouvent, ainsi que l’a admis M. de Caumont, pour Angers et beaucoup d’au- tres villes, que le mur a été bâti à l’époque des inva- sions barbares; alors, sous l’empire d’une pressante nécessité on démolit les temples et les palais antiques ; les populations cherchèrent un abri contre l'invasion dans les forteresses plus resserrées et plus faciles à défendre que n'étaient les villes bâties au temps de la splendeur romaine. Dans une récente discussion, entre deux archéologues distingués, on a émis l'opinion que les villes romaines avaient eu de doubles enceintes. Les premières vastes, ornées d’arcs de triomphe, auraient été élevées dès le premier siècle; les autres plus étroites seraient celles du 1ve siècle, décrites par M. de Caumont. Rien à Angers ne vient appuyer cette hypothèse : on n’y trouve qu’une seule enceinte ro- maine dont tous les caractères trahissent le 1v° siècle, ou les premières années du v°. M. d'Espinay pense donc que le parti le plus sage est fs der ets — 163 — de s’en référer à lopinion de M. de Caumont. Il croit, du reste, que les enceintes des villes romaines ont pu être élevées à des époques diverses; qu’il ne faut pas sur ce point se faire d'opinion trop absolue, et qu’on doit surtout se déterminer d’après le caractère des anti- quités locales. | M. Godard-Faultrier présente le résultat des fouilles des Châteliers de Frémur pendant l’année 1874, et com- munique un troisième mémoire destiné à être lu dans la réunion du mois d’avril à la Sorbonne; mémoire accompagné, comme les précédents, de remarquables dessins du Dr Hippolyte Godard. Le travail de M. Godard pour 1874, se subdivise ainsi : 4er paragraphe. Inventaire des objets trouvés ; 2% paragraphe. Constatation des doubles bains, bains pour les hommes, bains pour les femmes; 3e paragraphe. Plan général indiquant les quatre sec- tions correspondant aux quatre actes d’un bain com- plet : 4er acte : Étuve ; 2 acte : Bain d’eau chaude; 9° acte : Bain d’eau froide; 4e acte : Frictions avec emploi de parfums et d’es- sences. M. Godard termine ses communications en informant la réunion que la salle du ci-devant hôpital Saint-Jean est décidément affectée à la collection du Musée archéo- logique, que l'aménagement et le classement s’en font par ses soins dans cette nouvelle destination et que les objets d’art trouvés dans les fouilles de Frémur sont — 164 — transportés également dans la salle Saint-Jean au fur et à mesure de leur apparition. On procède au renouvellement du bureau, dont les membres sont maintenus dans les mêmes fonctions à l'unanimité. Il est 9 heures 40 minutes; la séance est levée. Le Secrétaire général, P. BELLEUVRE. SÉANCE DU 10 MARS 1875. La séance est présidée par le Dr Ad. Lachèse, prési- dent. Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté. M. Barassé fait connaître qu'habitant la campagne une partie de l’année, il ne peut assister aux séances du soir. En conséquence, il donne sa démission de membre titulaire. Cette démission est acceptée. M. le Président annonce à la Société que M. Émile Affichard, vient d’être nommé par le Saint-Père, com- mandeur de l’ordre de Saint-Grégoire le Grand. La Société ne peut qu'applaudir à la haute distinction accordée à l’un de ses membres les plus sincèrement aimés et estimés et elle décide que l'expression de ses sentiments sera mentionnée au procès-verbal. À une précédente séance une commission avait été nommée, sur linvitation du ministre de l'Agriculture et du Commerce, pour examiner s’il ne conviendrait pas d'introduire des réformes dans l’organisation des fermes — 165 — écoles, en vue surtout d’exonérer l’État d’une par- tie des dépenses qui lui incombent, et pour étudier un projet de loi présenté à l’Assemblée nationale. M. Jo- seph de Mieulle a bien voulu se charger du rapport. Suivant lui, les jeunes gens sortant des écoles d’agri- culture trouvent difficilement à se placer, surtout dans notre pays, où les grandes propriétés tendent tous les jours à être divisées; la plupart d’entre eux sont obli- gés de chercher à entrer dans une autre carrière et perdent ainsi le fruit de leurs études spéciales pour l’agriculture; il en résulte que le Gouvernement a fait des dépenses inutiles. Dans le nouveau projet de loi, l’engagement de se vouer pendant dix ans à l’enseignement professionnel agricole donne le droit de profiter de l’article 79 de la loi du 45 mars 1850; mais comment ces jeunes gens seront-ils à même de tenir leur engagement, quand un sur dix seulement trouve à diriger une exploitation agricole? Nos petits propriétaires cultivateurs et nos fermiers sont en général soupçonneux et craintifs; ils ne se lancent résolument dans une amélioration quel- conque que quand ils ont la certitude, par une expé- rience suivie chez les autres, que leur routine ne vaut rien. Les progrès très-sensibles obtenus en Anjou pour lamélioration de nos animaux de la race bovine en sont une preuve palpable. Les écoles professionnelles d'agriculture ne doivent pas être supprimées, mais M. de Mieulle pense que quatre écoles suffiraient largement pour donner l’ins- truction à des jeunes gens que le gouvernement em- ploierait en qualité d’inspecteurs agricoles. L’économi — 166 — obtenue par la suppression d’un grand nombre d’é- coles, pourrait être consacrée à encourager par des subventions, les petits propriétaires agriculteurs ou les fermiers, qui, suivant les avis des inspecteurs agricoles, obtiendraïent par une bonne exploitation des résultats importants. M. d’Espinay ne partage pas entièrement l'avis de M. de Mieulle. Il croit que des inspecteurs auraient fort peu d'influence. [Il demanderait plutôt la création, dans chaque département, d’une école d’agriculture, où l'instruction professionnelle serait donnée à très-bon marché, où l’on formerait des agriculteurs, des paysans, et non des fonctionnaires. M. Godard-Faultrier voudrait une plus grande diffu- sion encore de l’enseignement agricole. Les fermiers ne se sépareraient pas de leurs enfants pour les envoyer dans des écoles spéciales. Il vaudrait mieux joindre à chaque école communale un champ, où les instituteurs donneraient à leurs élèves les premières notions d’agri- culture, notions beaucoup plus utiles pour eux que la plupart des choses que l’on enseigne aujourd’hui dans les campagnes. Après cet échange d'observations, la Société décide l’envoi à M. le Ministre du travail de M. de Mieulle. M. Paul Lachèse lit une revue de quelques-unes des publications adressées à notre Saciété. Les Mémorres de la Société polymatique du Morbihan lui fournissent de curieux renseignements sur les anciens corps d’état en Bretagne, sur des potiers emmenés d’Anjou par un comte de Rieux, avant le xve siècle, et dont on re- trouve encore les descendants près de Malansac, de — 167 — Rieux, de Saint-Jean-la-Poterie, et surtout sur l’an- cienne médecine, au sujet de laquelle abondent les do- cuments les plus étranges. En 1610, un médecin nor- mand, Sonnet de Courval, exaspéré contre les empi- riques et les charlatans, publie un poème dont on re- trouve les principaux passages dans les Mémoires de la Société d'agriculture de la Sarthe. Enfin M. Lachèse emprunte aux Mémotres de la Société d'archéologie lor- raine,un document qui prouve que les lépreux, au xve siècle, étaient si bien séparés du monde, que l'Église célébrait pour eux l’office des funérailles, au moment où ils étaient conduits à la maladrerie, et que leurs femmes pouvaient même immédiatement se remarier, M. d’Espinay lit ensuite la troisième partie de son savant travail sur les Anciennes enceintes d'Angers. Il s’occupe cette fois de la troisième enceinte, dont il reste fort peu de choses. Cette enceinte qui tenait la place qu’occupent aujourd’hui nos boulevards, est l’œu- vre de saint Louis. M. d’Espinay fait l’historique de cette construction et nous apprend dans quelles circons- tances elle a été élevée. Il achève cette étude, à coup sûr l’une des plus précieuses que contiennent nos annales, par ces paroles qui soulèvent d’unanimes applaudissements : « La population ne s'arrête pas; la vieille banlieue était devenue la ville ; la nouvelle se couvre aussi d’ha- bitations; d’interminables faubourgs s’allongent dans toutes les directions; la ville de saint Louis n’est plus que le noyau de la ville moderne, comme l'antique cité mérovingienne l'avait été de la ville féodale. Les villes croissent à la manière des chênes; et de même qu’on — 168 — reconnaît l’âge des arbres au nombre et au développe- ment des cercles concentriques que forment leurs fibres, de même on retrouve dans les enceintes des vieilles villes le souvenir ineffaçable des grandes périodes his- toriques qu’elles ont traversées. » M. l'abbé Jouin, après avoir en quelques mots re- mercié la Société de lavoir admis au milieu d’elle, litle commencement d’une étude sur Eugénie de Guérin. Ce travail, œuvre délicate et charmante, est écoutée avec. le plus grand plaisir par l’assemblée, qui, à son tour, ne peut qu'adresser à M. l’abbé Jouin ses plus vifs re- merciements. M. Godard-Faultrier communique l’empreinte d’un sceau du xrre siècle, trouvé par notre collègue, M. Jo- seph Denais, à la bibliothèque du Puy en Velay. Ce sceau porte cette inscription : Sigi{lum Bernardi de Malleo, et M. Denais croit y voir le sceau d’un Ber- nard de Maillé. M. Godard croit qu’il s’agit plutôt d’un Bernard de Mauléon. Les de Maillé auraient écrit de Mallæo par une diphthongue. De plus leur blason était orné et celui-ci porte un lion. Or, au dernier siècle, Chaudon faisait venir Mauléon de malus leo (mauvais lion), ce qui expliquait leurs armes. La Société ne peut que partager l'opinion de M. Godard. M. Godard demande, conformément au règlement, que la Société veuille bien autoriser Ja lecture au pro- chain congrès des Sociétés savantes, à la Sorbonne, d’un travail ayant pour titre : « Plan d’un monument hexa- gonal, découvert à Angers, le 12 mars 1874, en avant et vers l’est de la grande salle Saint-Jean, ancien hôpi- tal.» Ce travail se compose d’une note de M: Godard — 169 — et de dessins très-remarquables de M. Demoget, archi- tecte-ingénieur de la ville qui a dirigé les recherches. Tout porte à croire que ce monument était une fon- taine, d'autant plus que l’on à trouvé plus de cent mé- tres de tuyaux de plomb, aboutissant à l’ancienne fon- taine Saint-Laurent. La Société donne avec empressement l'autorisation qui lui est demandée. Puis, la séance est levée. Le Secrétaire, PAUL LACHÈSE. SÉANCE DU 14 AVRIL 1875. Sont présents au bureau : MM. Adolphe Lachèse pré- sident, Louis Rondeau, trésorier, P. Belleuvre secré- taire général. M. Belleuvre est prié de donner lecture du procès- verbal de la dernière séance, en l'absence du secrétaire, M. Paul Lachèse, empêché. Le procés-verbal après une petite rectification, est adopté. M. le Président présente à la Société, le volume ré- cemment publié par M. Joseph Denais, volume ayant pour titre : Monographie de Notre-Dame de Beaufort- en- Vallée. Cet ouvrage qui offre plus d’un titre à la cu- riosité et à l'intérêt du lecteur, est confié à l’examen de M. le D' Grille, prié d’en faire le compte-rendu. + La Société centrale d'agriculture du Pas-de-Calais, adresse à notre Société le bulletin agricole publié par — 170 — elle pendant le deuxième semestre de 1874. M. le Pré- sident y signale plusieurs observations intéressantes, par exemple celles qui ont pour objet la culture des betteraves auquelles lengrais chimique donne plus de développement et plus de sucre que l’engrais natu- rel. La Société des Antiquaires &e l’Ouest fait également parvenir à notre compagnie son bulletin du quatrième trimestre de 1874. Ce bulletin, dans le catalogue des travaux les plus importants qui lui ont été adressés, cite, dans le tome XVI de nos annales, le mémoire de M. d’Espinay sur l’époque de la mission de saint Gatien dans les Gaules, question si controversée, dit le bulletin, et qui a été l’objet d’une lutte si vive entre l’école gré- gorienne et l’école légendaire. Il félicite l’auteur de la science qu’il a montrée dans sa réfutation de l’abbé Che- valier, sans jamais manquer aux lois de la courtoisie et de l’impartialité. M. le Président communique à la réunion le numéro contenant le compte-rendu de la séance des délégués des sociétés savantes des départements à la Sorbonne, séance du 31 mars dernier. M. le Président arrivé à la section d’archéologie, ren- contre dans les colonnes du Journal officiel le passage suivant qu’il communique à l'assemblée : « M. Godard-Faultrier, de la Société d’agriculture, sciences et arts d'Angers a donné lecture d’un troisième mémoire sur les fouilles des Chdteliers de Frémur. Ce travail est une excellente description d’un établisse- ment de bains de l’époque romaine, avec plans, coupes et élévations, vues d'ensemble etc., habilement exécutés — A1 — par le Dr Godard, fils de l’auteur. Les thermes des Chä- teliers semblent avoir été installés suivant les préceptes des médecins anciens dont nous avons les écrits. On y a trouvé beaucoup d’objets fort curieux, également dessinés par M. Godard. » Le même journal contient également dans une autre colonne, les lignes suivantes : € M. Godard-Faultrier, dit cette même feuille, lit une notice écrite par lui en collaboration avec son confrère M. Demoget, architecte-ingénieur de la ville d'Angers, qui la illustrée de bons dessins, sur la base d’un édi- cule hexagone, découvert à Angers en 1874. « C’est au cours de travaux d’appropriation de l’an- tique salle Saint-Jean, destinée à devenir l'asile du mu- sée archéologique d'Angers, que l’on a trouvé cet édicule, lequel paraît avoir été à l'abri du bassin d’une fontaine. M. Darcel confirme l’hypothèse de MM. Go- dard-Faultrier et Demoget, en citant des édicules sem- blables, qui sont aussi des bassins de fontaines, qui existaient à Montréal, en Sicile et en Allemagne, à Nu- remberg et à Ausbourg. » Cette communication est suivie de la lecture d’une lettre de M. Henri Jouin, exprimant à M. le Président sa gratitude envers la Société pour l'honneur qu’elle lui a fait de le mettre au rang de ses délégués à la réunion de la Sorbonne. — M. Jouin a été d’autant plus heureux de cette circonstance qu’elle l’a rendu témoin du nouveau succès de notre cher et savant compatriote M. Godard. — M. Jouin termine, en annonçant qu’il poursuit tou- jours l'Histoire de David d'Angers; une fois ce travail achevé il emploiera ses premiers loisirs au profit de — 1792 — notre Société à laquelle il réserve une étude sur Jules Janin. Cette lettre est accueillie avec une vive sympathie. En ce moment la plus agréable des surprises était réservée aux membres présents à la réunion. La porte s'ouvre inopinément et M. le comte de Falloux accom- pagné de M. de Benetot son secrétaire, entre dans la la salle. M. le Président tout joyeux, va au-devant de lui, lui offre d'occuper le fauteuil de la présidence que M. de Falloux refuse, acceptant seulement de prendre près de lui un siége vacant. M. le Président fait part à la Société de la proposition suivante qui lui est adressée par M. Moquin-Tandon, directeur de la Revue illustrée des lettres, sciences, arts et industries de Paris. M. Moquin-Tandon, à la suite de la séance de la Sor- bonne, avait prié MM. Godard de lui montrer les dessins du Dr Hippolyte Godard. Frappé de la manière dont ils avaient été conçus et du mérite de leur exécution, il avait exprimé à MM. Godard, le désir de publier texte et dessins dans la Revue illustrée en s’engageant à donner à notre Société, comme tirage à part, le nombre d’exem- plaires qui lui seraient demandés. Mais M. Godard lui ayant déclaré qu’il ne dépendait pas de lui, de lui accorder cette autorisation et que la Société d'agriculture, sciences et arts d'Angers pouvait seule la lui conférer, M. Moquin-Tandon prit la résolution de la demander par une lettre adressée à son président, M. Adolphe Lachèse, qui en donne lecture aux membres présents. Dans cette lettre, le Directeur de la Revue illustrée reproduit l'offre qu’il avait faite à M. Godard de publier, dans ce recueil, son beau travail, et cette — 173 — proposition est en effet le plus grand éloge qu’on puisse faire du texte et des dessins de nos compatriotes. Afin . de constater, comme il le dit, le côté sérieux de cette publication, il joint à sa lettre, comme spécimen, les dix-neuf numéros qui ont paru jusqu’à ce jour de cette feuille artistique, et qui font voir jusqu’à quel progrès est parvenue, de notre temps, la gravure sur bois. Il offre de donner le nombre d’exemplaires qu’on lui indiquerait, à la seule condition de laisser les frais du papier et du tirage au compte de la Société. Il laisserait aux auteurs la propriété du texte et des dessins, et ferait mention dans son recueil que le tout est extrait des travaux de la Société. Après lecture de cette lettre, la Société comprenant l’avantage considérable et l’économie qu’elle tirerait de la reproduction des des- sins par la gravure, sur les observations de son prési- dent, M. Adolphe Lachèse et de M. Godard, accepte à l'unanimité l'offre de M. Moquin-Tandon, en ce qui concerne les dessins dont elle demanderait un tirage de 800 exemplaires. Quant au texte, afin de lui laisser la justification des bulletins de ses annales, elle se réserve le soin de le faire imprimer dans le format de ses tra- vaux ordinaires, ayant toujours la faculté de donner aux gravures le pli nécessaire pour les faire entrer dans ses volumes; et persuadé que cette modification dans les conditions de l'offre de M. Moquin-Tandon, seront agréées par ce dernier, elle prie son Président de vouloir bien lui transmettre ce désir dès qu’il lui sera possible, M. le comte de Falloux adresse ses compliments à MM. Godard père et fils, au sujet de leurs travaux archéologiques et artistiques. — 174 — M. le Dr Grille est prié de donner lecture de son rap- portsur /’Odyssée d'Homnère, à la portée de tout le monde, par M. Daburon. M. Grille fait ressortir la manière ingénieuse par laquelle l’auteur a su rajeunir un ou- vrage d’une si ancienne origine; avec quel talent et quelle facilité il l'avait rendu appréciable à tant de per- sonnes entraînées vers lui par sa célébrité, mais aux yeux desquelles une éducation insuffisante en voilait jusqu'ici les beautés principales. M. Grille rappelle combien les Rhapsodes grecs V'a- vaient rendu populaire peu de temps après son appa- rition, et il félicite M. Daburon d’avoir trouvé moyen de le propager encore dans les classes inférieures, à une époque où elles pèsent d’un si grand poids dans les des- tinées des nations. — Un mérite plus grand encore appartient à M. Daburon; c’est d’en avoir fait un livre essentiellement moral, en flétrissant les vices et les crimes des temps héroïques, et en écartant les détails qui peuvent blesser les mœurs; si bien que le pré- cepteur le plus sévère peut aujourd’hui le mettre entre les mains .de son élève au sortir de l’enfance, et que la mère la plus scrupuleuse peut en permettre la lecture à sa fille. La Société est privée du plaisir d'entendre la suite du travail intitulé : Un mot sur Eugénie de Guérin, de M. l'abbé Jouin, retenu par une circonstance inattendue. Pour couronner un ordre du jour si bien rempli, M. le D° Grille veut bien nous lire une pièce de vers applaudie, il y a quelque temps, au Cercle catholique et ayant pour titre : À ffichard commandeur. Dans cette peinture fidèle, le poëte rivalise en ama- — 175 — bilité et en talent avec le gracieux original dont il sait si bien retracer le caractère et l’esprit. M. Grille reçoit d’unanimes félicitations et particulièrement de M. le comte de Falloux, les compliments les plus flatteurs. Il est neuf heures et demie, la séance est levée. Le Secrétaire général, P. BELLEUVRE. SÉANCE DU 18 AOÛT 1875. Sont présents au bureau; MM. Adolphe Lachèse, pré- sident; P. Belleuvre, secrétaire général. Le procès-verbal de la précédente séance est lu et _adopté après une légère modification. ? M. le Président entretient la réunion de la mort de M. André Leroy, l’un des membres de la Société, et des qualités qui devaient nous rendre cher ce regrettable collègue et cet éminent horticulteur; M. le Président se propose de faire lui-même sur M. André Leroy une notice dont il nous donnerait lecture à la rentrée, au retour des vacances. M. le Président communique à la Société un volume des Annales de la Société d'agriculture, sciences et arts de Rochefort, comprenant particulièrement deux articles importants, l’un ayant pour titre : Journal du ménage et de la ferme, le second, sur la Marine française. Deux membres de la Société ayant des connaissances spéciales sur chacune de ces matières seront priés, lors de la pro- chaine séance, de vouloir bien faire un rapport sur ces deux mémoires. M. le Président donne lecture d’une lettre de la So- — 176 — ciété d’éxpérimentation rosiériste de Brie-Comte-Robert de Seine-et-Marne, Société qui désire établir avec la nôtre des relations de confraternité. Cette lettre est signée du président M. Belin et contresignée de M. Ro- blin, secrétaire général, pharmacien à Brie-Comte- Robert, qui se trouvant à Angers au moment de la guerre de 4870-71 avait déployé tant d'intelligence et de dévouement dans l’organisation et le service de nos ambulances. Le souvenir de nos relations avec M. Ro- blin, est un motif aux ÿeux de M. Adolphe Lachèse notre président pour répondre encore avec plus d’em- pressement à la lettre sus-mentionnée. | Le comité de l'exposition internationale de Philadel- phie (section française), adresse à notre Société le rêgle- . ment et le programme de l’exposition de 1876, par l’in- termédiaire de MM. Ozenne et du Sommerard, commis- saires généraux; ce réglement se termine en annonçant toutes les facilités et toutes les réductions pour le transport par les compagnies transatlantiques. La Société reçoit, en même temps, le bulletin de la Société polymatique du Morbihan, contenant un essai sur un coffret du xx siècle; et une brochure publiée par la Société agricole des Pyrénées-Orientales, ayant pour titre : Observations sur la culture de la vigne. M. Alfred Léger, ingénieur, ancien élève de l’École centrale des arts et manufactures, auteur d’un ouvrage ayant pour titre : Les travaux publics, les mines et la métallurgie aux temps des Romains, adresse à la Société un prospectus de ce mémoire. M. Adolphe Lachése, président, fait part à la Société des nouvelles tendances manifestées par l’administra- 4 — 177 — tion départementale vers un projet de réunion des Sociétés savantes. Cette question soulevée tant de fois ne peut être tranchée sans être soumise à la Société d'agriculture, sciences et arts d'Angers, mais M. d’Es- pinay, pense avec raison qu’elle ne doit lui être présen- iée qu’au retour des vacances, les membres présents étant en nombre insuffisant aujourd’hui pour s'occuper d’un sujet de cette importance, M. Belleuvre, lit sur Sorrente une pièce de vers qui rencontre la sympathie de ses collègues. M. d’Espinay procure aux membres présents une agréable surprise, en leur racontant un voyage qu’il vient de faire dans le centre de la France. Il les entre- tient d’abord de la ville de Bourges, de ses antiquités, de sa basilique, œuvre des x et xive siècles, de ses admirables vitraux, du palais de Jacques Cœur, de la maison de Cujas et de son Musée archéologique. Bourges possédait aussi un beau palais archiépiscopal; mais 1l a été incendié en 1871, et beaucoup de documents im- portants ont été perdus. De Bourges, le voyageur visite Nevers qui possède une cathédrale de style ogival, à laquelle au lieu de portail est annexée une chapelle absidale du xx siècle, Le palais ducal du xv° siècle, mérite une mention par- ticulière. Moulins renferme une cathédrale moderne et colos- sale; on n’a conservé de l’ancienne que le chœur qui est du commencement du xyr° siècle. À Paray-le-Monial, M. d'Espinay signale l’église bénédictine dont le style est copié sur celui de Cluny; c’est du roman bourgui- gnon, orné de sculptures riches mais peu fouillées. SOC. D’AG. 12 — 178 — Notre collègue est descendu dans les mines de houille de Saint-Eloi qu’il a visitées dans tous leurs détails. A son arrivée à Clermont, il a admiré le panorama des montagnes qui l'entourent, par un beau clair de lune, puis il a consacré plusieurs jours à visiter cette ville. L'église de Notre-Dame-du-Port est son édifice le plus remarquable ; elle est couverte extérieurement de mar- queteries formées de pierres volcaniques de diverses couleurs; elle est construite dans un style roman plus sévère que celui de l’Anjou. L’ogive ne commence même pas à poindre; c’est le pur roman du xrxe siècle. On trouve au Puy-de-Dôme les ruines d’un temple gallo-romain. Une statue de soixante pieds de haut s’é- levait jadis au sommet; le temple couvrait toute la cime du Puy-de-Dôme; la ligne circulaire est énorme. L’élévation du Puy est de 1,460 mètres au-dessus du niveau de la mer. Du sommet de la montagne la vue s'étend sur soixante cratères éteints. On rencontre au pied du Puy-de-Dôme des substructions romaines qui indiquent qu'il y avait là des constructions impor- tantes. G M. d’Espinay étudie aussi les églises anciennes de Royat, Saint-Saturnin, Saint-Nectaire, Issoire, etc. Il a visité le Mont-Dore et les magnifiques points de vue qui l'entourent; puis il a traversé les montagnes du Cantal par le chemin du Lhioran et la vallée de Saint-Ala au milieu des plus beaux sites qui se puissent voir, au pied du Plomb du Cantal. Des monts du Cantal le voyageur a gagné Aurillac; d’Aurillac il est entré dans les montagnes du Lot. Ila visité Figeac et son église d’un style roman plus orné — 179 — que celui des églises d'Auvergne; il a remarqué les rues de Figeac, ornées d’arcades des xIrIe et x1v° siècles; puis il s’est rendu à Périgueux. L'église de Saint- Front bâtie dans le style byzantin, est une reproduc- tion de Saint-Marc de Venise. Elle est en ce moment en réparation; elle doit porter cinq coupoles; son vieux campanile du x siècle, complète son aspect pitlo- resque. Notre collègue est rentré en Touraine par Château- roux et Loches. Cette dernière ville si remarquable par son colossal donjon attribué à Foulques Nerra, son logis royal, ancienne demeure de Charles VIT, de Louis XII et d'Anne de Bretagne et par sa vieille église romane couverte de pyramides en pierres. M. d’Espinay reçoit les remerciements et les félicita- tions de l’Assemblée pour ses intéressantes et artistiques descriptions. Il est neuf heures un quart, la séance est levée. Le Secrétaire général, P. BELLEUVRE. SÉANCE DU 27 OCTOBRE 1875. Sont présents au bureau : MM. Adolphe Lachèse, pré- sident, P. Belleuvre, secrétaire général. Le procès-verbal de la précédente séance est lu et adopté. M. le Président donne lecture à la réunion d’une lettre de M. l'abbé Jouin, vicaire de Saint-Maurice qui, obligé par des raisons de famille, de quitter notre ville pour se fixer à Paris, se trouve démissionnaire de — 180 — fait, et à ce titre, exprime à ses anciens collègues ses regrets sympathiques. L'Assemblée, à la nouvelle de cette séparation, charge le Secrétaire de la Société d’é- crire à M. l'abbé Jouin combien elle est attristée de son départ et lui donne, par le même organe, le titre de membre correspondant. La Société reçoit de M. Letellier, de Caen, ancien pro- fesseur de rhétorique à Lisieux, un volume de sa com- position, ayant pour titre : Le mot base de la raison et dont M. Eliacin Lachèse est prié de rendre compte. L'Académie de Caen adresse le volume de ses Mé- motres à la Société : ce volume contenant un travail sur le rôle des feuilles dans le développement des plantes est communiqué et remis à M. le D" Lieutaud, récemment nommé directeur du Jardin des plantes d'Angers et que cet article intéresse particulièrement. Le même volume contient d’autres travaux non moins dignes de curiosité, tels que l'Œuvre d’Auber, la Phi- losophie de Gallien, Montalembert, Joseph Laurent, Coupey, etc., etc., qui pourront être analysés quand le volume reviendra sur nos tablettes. M. le Président communique à la Société une lettre de M. d’Espinay, datée de Saint-Nicolas de Bourgueil par laquelle notre savant et honorable collègue entre- tient M. Adolphe Lachèse de ses appréhensions au sujet de l’église de Notre-Dame de Chemillé, menacée d’être abandonnée, et par suite d’être mise en vente. Cette église du xr siècle et d’un beau style roman, est re- marquable particulièrement par les sculpiures de son clocher qui peut, paraît-il, rivaliser avec celui de Cu- nault. M. d’Espinay retenu encore loin de nous, conjure — 181 — M. le Président d'employer tous les moyens possibles auprès de Mgr l’Évêque, M. le Préfet et M. Godard, pour prévenir un nouvel acte de vandalisme. Deux habitants de Chemillé sont venus trouver au nom de la paroisse, M. Adolphe Lachèse, président de notre Société, le priant de vouloir bien prendre leurs intérêts à l’occa- sion de ce beau monument. M. Godard-Faultrier, dans le numéro de ce jour même du journal l’Union de l'Ouest, donne de son côté, l'éveil sur les dangers que court ce monument histo- rique. M. Godard, dans cet article, tout en reconnaissant la priorité que les besoins du culte doivent avoir en pa- reil cas sur les intérêts de l’art, n’admet cette priorité que quand il s’agit pour le culte, de besoins pressants et de premier ordre, et lorsque l’église ne peut être ni consolidée, ni restaurée, ni agrandie. « Quant à la valeur archéologique du monument, dit M. Godard, elle est incontestable, lorsqu'il s’agit d’une église à rangs de briques, antérieure au 1xe siècle ; d’une église à cintres romans, antérieure au xr1r ; il en est de la sorte encore pour l’époque ogivale et jusques et y com- pris la Renaissance, avec toutefois des degrés différents d'intérêt selon l'importance artistique des édifices. « Les personnes désireuses de se mettre au courant de ces questions, qui ne peuvent être qu’effleurées ici, consulteront avantageusement la Revue des Sociétés sa- vantes des départements, publiée sous les auspices du Ministre de l'instruction publique, ainsi que le Bulletin Monumentat de la Société Française d'archéologie. « Ajoutons, dit en terminant M. Godard-Faultrier, que la tour de cet édifice est classée et que, d’après les Len La renseignements qui nous sont parvenus, l’église est sus- ceptible d’être restaurée et agrandie. « Déjà, il y a de cela plusieurs années, M. Joly-Le- terme, architecte attaché à la commission des monu- ments historiques, envoyé pour étudier l’état de cet édifice qui était alors comme aujourd’hui, menacé de destruction, avait, par un rapport détaillé, mis l'autorité supérieure en mesure d’arrêter ces projets, quin’eurent pas de suite à cetie époque et qui, nous l’espérons bien, n'auront pas davantage de succès aujourd’hui. » MM. Jolly et Roffay, ayant été consultés sur cette question, ont répondu qu’ils mettaient la tour de Notre- Dame de Chemillé, même au-dessus du clocher de Cu- nault, pour l'intérêt archéologique. Ils ont ajouté que, pour 150,000 fr., on pourrait facilement réparer et agrandir ce monument, pour l’approprier aux exigences du moment. M. Adolphe Lachèse a recommandé à M. Ambroise Joûbert, notre député, la cause de cette église au point de vue de l’art, et M. Joûbert lui a promis de voir le Ministre à ce sujet. 3 M. le Président du Comité de l'Union Franco-Amé- ricaine, fait appel à la Société pour l’inviter à concourir à l'érection d'un monument commémoratif du centième anniversaire de l'indépendance des Etats-Unis. M. Paul Belleuvre prend la parole pour rappeler à la Société le rapport qu’il avait eu l'honneur de lui pré- senter sur la convenance d’élever une statue à Robert le Fort, héroïque défenseur des Marches de Seronnes, motion dont M. Godard-Faultrier avait pris l’initiative dés 1839, et profitant de l’apaisement qui semble se — 183 — produire en politique, dans les esprits fatigués de luttes et de dissensions, il obtient, à l’unanimité des membres présents, l’autorisation de prendre les mesures néces- saires pour arriver à la réalisation de ce projet, avec le concours de la commission qui avait été nommée à cet effet, dans la séance du mois d’août 1874. M. le Président entretient l'Assemblée du désir nou- vellement exprimé par M. le Préfet d’une réunion des Sociétés savantes, dans le but de faire cesser, comme M. le préfet Gauja l'avait déjà demandé en 1833, cette diffusion des forces intellectuelles si regrettable et si nui- sible au développement des sciences, des arts et des lettres dans notre département. On établirait sous le nom d’Académie d'Angers, sans doute, une Société gé- nérale. Chaque section conserverait la spécialité de ses études, et son autonomie. Il y aurait seulement une réunion générale une ou deux fois par an, dans des cir- constances solennelles, réunion dans laquelle les Secré- taires de chaque section rendraient compte des tra- vaux de l’année dans chaque catégorie. Tous les Présidents des diverses Sociétés de notre ville n’ont pas été consultés. M. Adolphe Lachèse est prié par M. le Préfet de recueillir leur opinion à ce sujet, et de lui transmettre ce renseignement. M. le Dr Grille pour couronner la séance, donne lec- ture d’une charmante pièce de vers, par M. Daillière, sur l'examen d’un étudiant en médecine, pièce pleine de verve et d'esprit. Il est neuf heures et demie, la séance est levée. Le Secrétaire général, P. BELLEUVRE. — 184 — : SÉANCE DU 30 DÉCEMBRE 1875. Sont présents au bureau: MM. Adolphe Lachése, pré- sident, Paul Belleuvre, secrétaire général. M. Louis Rondeau, trésorier, empêché, s’est fait excuser de ne pouvoir assister à la réunion. M. Belleuvre, secrétaire, donne lecture du procès-ver- bal de la dernière séance qui est adopté sans observa- tions. M. d’'Espinay demande la parole pour entretenir de nouveau l’Assemblée de la situation de l’église de Notre-Dame de Chemillé. Un plan de restauration a été présenté par M. Roffay, architecte à Saumur, mais ce plan ne laisse rien subsister et n’est guère admissible. M. d’Espinay pense que l’on pourrait d'après un autre plan conserver les parties principales, c’est-à-dire les plus artistiques du monument, telles que le clocher, l’ab- side, la grande nef, ce qui laisserait à cette intéressante église son caractère. Dans ce dernier plan il y aurait bien quelques difficultés d'exécution, mais elles ne sont pas insurmontables. D'un autre côté l'abandon de ce monument serait sa perte. Les architectes doivent faire une adresse au Mi- nistre pour lui demander son avis. M. d'Espinay veut bien donner communication d’une lettre pastorale de Mgr Turinaz, évêque de Tarentaise, archéologue distingué. Mgr Turinaz, ému des restaura- tions malheureuses des monuments religieux et des alié- nations anticipées des objets du culte, vitraux, tapisse- ries, stalles; défend de se livrer dans son diocèse, à aucun de ces actes sans son autorisation. Tout le monde — 185 — : applaudit à cette sage et intelligente mesure que M. d'Espinay serait heureux de voir appliquer dans tous les diocèses. M. Lachése, président, annonce à la Société la mort du prince Galitzin, naturalisé en quelque sorte fran- çais par sa longue résidence dans notre pays, par le mariage de sa fille avec M. le duc de Chaulnes et par divers ouvrages publiés en France, notamment : /a Vie de Monsieur Saint-François, confié ily a déjà quelques années à des presses angevines. M. Belleuvre est prié de lire le compte-rendu de l'ouvrage récemment publié par M. Georges de Blois, ouvrage intitulé : Louis de Blois, abbé de Liessies ou un Bénédictin au xvie siècle. M. Belleuvre s’applique avec raison, à faire ressortir les mérites de cette publi- cation due à l’un des petits-neveux de l’abbé de Lies- sies, et démontre sans difficulté la valeur de ce livre tant pour le fond que pour l'élégance du style. M. Adolphe Lachèse présente à la Société une notice dont il est l’auteur et dont il donne lecture, notice sur M. André Leroy, notre compatriote et célèbre pépinié- riste. Par cet article intéressant, M. Ad. Lachèse paye à la fois au regrettable ét regretté M. Leroy la dette de la Société d'Agriculture, Sciences et Arts qui a eu long- temps l'honneur de le compter parmi ses membres et la dette de l’aämitié, amitié d’ancienne date qui ne s’est jamais démentie. Tandis que M. Lachèse suivait à Paris les cours de la Faculté de Médecine, M. André Leroy occupé des sciences naturelles, particulièrement de celle des végétaux, trouvait dans la famille de M. Thouin, directeur du Jardin des Plantes, un accueil affectueux SOC. D’AG. 13 — 186 — qui lui permettait de partager avec M. Oscar Leclerc les travaux les plus intéressants et les enseignements du célébre spécialiste. À l’âge de vingt ans, M. Leroy venait, dans notre ville, aider sa mère dans la direction des pépinières dont son mari en mourant avait laissé la culture à ses soins. Entre ce moment et celui où notre habile pépinié- riste s'éteint à la fin d’une laborieuse et brillante car- rière, M. Lachèse rappelle avec un grand intérêt les développements de cetle maison qui ne compte pas moins.de 20,000 correspondants et les épisodes princi- paux d’une vie entièrement consacrée au développe- _ ment de cette importante industrie. M. le Dr Grille qui a toujours pour ces banquets in- tellectuels d’un esprit souvent sérieux quelques plats en réserve et quelques guirlandes de fleurs à suspendre au moment du dessert à la salle du festin , nous lit une pièce de vers de sa composition ayant pour titre : Tout se fait en chantant, pièce assaisonnée de sa verve habi- tuelle et qui lui attire d’unanimes félicitations. Aux termes du réglement de la Société, le moment étant venu de réélire le Président et Le Vice-Président, on procède à cette opération et MM. Adolphe Lachèse et Victor Pavie sont maintenus chacun dans leurs fonc- tions respectives par acclamation. Il est 9 heures 1/2, la séance est levée. Le Secrétaire-général, P. BELLEUVRE. TABLE DES MATIÈRES Pages. Les Enceintes d'Angers. — M. D'EspINAY.............. .. 5 Revue bibliographique : Anciennes Communautés d'arts et métiers; Les Cacous; Potiers angevins établis en Bre- tagne; Documents sur les Lépreux; L’Ancienne Médecine ; Satire de Sonnet de Courval contre les Charlatans. — ME IPS CHESEE Serie e les lalel ere. lelae SN et en dote D LE 15 Louis de Blois ou un Bénédictin au xvie siècle, par M. Georges de Blois. — M. P. BELLEUVRE............,.......,,... 106 André Leroy et ses Pépinières. — M. A. LacHÈse......... 117 Les Châtelliers de Frémur. — Fouilles (avril 1874-février 1875). — M. V. GoDARD-FAULTRIER....,.....,... SERIE 133 Sorrente. — M. P. BELLEUVRE.............. HP I CA 148 Tout se fait en chantant, anecdote. — M. le Dr R. Grize.. 153 L’Ivrogne en quarantaine, conte. — M. le D' R. Grizce.... 157 Procès-verbaux des séances : Séance du 8 février 1875........,...........,.... 45) — AOMATS SEP EN PERRET Dan na a Late Eee .. 164 — LA avril AREAS RCA OO PIE 169 — 18 août. ........,. LOCALE SUD auE 175 — DROCLOBT EUR SARA SO Eine el d (10) — 30 décembre..:........... ae RAC | 183 ANGERS, IMPRIMERIE P. LACHÈSE, BELLEUVRE ET DOLBEAU. \ À VKCI MÉMOIRES DE LA SOCIÉTÉ NATIONALE | D'AGRICULTURE, SCIBNCES ET ARTS D’ANGERS (ANCIENNE ACADÉMIE D'ANGERS) NOUVELLE PÉRIODE TOME DIX-NEUVIÈME. — 18276 SD — — ANGERS IMPRIMERIL P. LACHÈSE, BELLEUVRE ET DOLBEAU 43, Chaussée Saint-Picrre. 1876 MÉMOIRES De la Société nationale AGRICULTURE, SCIENCES ET ARTS D’ANGERS (ANCIENNE ACADÉMIE D'ANGERS) tot ANGERS, INF, P. LACHÈSE, BELLEU + a ae ARE À VRE £T DOLBEAU. D'ANGERS (ANCIENNE ACADÉMIE D'ANGERS) NOUVELLE PÉRIODE ANGERS MPRIMERIE P. LACHÈSE, BELLEUVRE ET DOLBEAU A3, Chaussée Saint-Pierre. < LA MUSIQUE À ABBEVILLE ET A ANGERS Messieurs, S'il est mal à une personne de se glorifier de sa richesse, il est, tout au contraire, permis aux villes de rappeler leurs jours d’éclat littéraire ou artistique, comme aux armées d'évoquer les dates de leurs victoires. Dans un autre temps, nous aurions profité de ce droit pour énu- mérer les créations musicales qui valurent jadis à notre cité le surnom de ville philharmonique. I y a moins de vingt ans même, nous étions heureux, en parlant de l'institution modestement nommée le Concert d'étude, de rappeler des efforts communs alors parmi nous et des soirées qui , longtemps, furent le charme de notre … jeunesse ‘. Aujourd’hui, c’est la richesse d’autrui que nous venons faire connaître; c’est l’exemple d’une * Voir Revue de l’Anjou et du Maine, tome Ier, p. 197. ville de 25,000 âmes que nous venons proposer à notre cité, fière de ses 60,000 habitants. Sur la place Saint-Pierre d’Abbeville s’élève la sta- tue, en bronze, de Jean-François Lesueur, le compo- siteur célèbre qui a écrit la Caverne, la Mort d'Adam , et les Bardes. Né en 1760, près de la ville qui se montre à bon droit fière de son nom, il fut d’abord ù comme Haydn, à Vienne, comme Grétry, à Liége, enfant de chœur à la cathédrale d'Amiens. Bientôt, maître de chapelle à Séez, aux Saints-Innocents, à Dijon , au Mans, à Tours, puis, pendant deux ans, à Notre-Dame de Paris, il se voua à la composition scénique, sans renoncer, toutefois, aux œuvres religieuses et, en 1795, devint, au Conservatoire, le collaborateur de Méhul, de Gossec et de Catel. Un tel exemple méritait d’être con- tagieux : il devint comme un patronage dont Abbeville semble avoir toujours ressenti la salutaire influence. On ne saurait dire au milieu de quels obstacles et avec quel maigre budget, cette ville a su, sous toutes les formes, chœurs, musique militaire, harmonie, or- chestre, maintenir et faire progresser ses entreprises philharmoniques. — Un musicien du pays a recueilli ces souvenirs et nous en a envoyé l’histoire. — En lisant ce récit intéressant, nous avons vingt fois pu croire qu’il s’agissait de notre propre contrée, tant notre mémoire est fidélement gardée à la plupart des artistes que la ville de Lesueur et de Millevoie a pu applaudir. Citons quelques noms. Le célébre clari- nettiste Iwan Müller et les frères Bohrer ont été en- tendus à Angers en 1819 ; Romagnési, en 1830 ; Artot et Lhuillier, en 1833; Sowinski, pianiste, en 1835; FRE MAT Ce ART EUR Te TU 2 ont ee el à 5 4 TFC TPE CRE AN RUE Vogt et Baillot, en 1836; Térésa Milanollo , en 1841 ; viennent ensuite Félix Godefroid, le harpiste sans rival, le violoniste Sivori, qu’Abbeville entendit à l’âge de dix ans, Géraldy, puis Mmes Sabatier, Carvalho, Iweins- d’Hennin..….. Ce dernier nom, qui n’a jamais demandé sa célébrité au théâtre , se répête presque chaque jour encore autour de nous, à La Flèche, au Mans, surtout. Qui n’a entendu cette charmante artiste dire la Monta- gnarde, de Bérat : CHR Pour un départ, « Quinze ans, c’est trop tard! » Quelle naïve tristesse! quel pudique aveu d’un amour qui commence ! Par la puissance et la justesse de l’ex- pression, cette voix ne semblait-elle pas préluder aux: accents que bientôt, dans des récits de ce genre, Chris- tine Nilsson allait nous faire entendre ?.… Outre ces noms, communs aux deux villes, combien d’autres artistes Angers n’a-t-il pas applaudis! — Faudra-1-il donc, nous reposant sur le passé, dire que cette liste brillante demeure close pour jamais? Tous les genres de musique, on doit, en effet, le remar- quer, ne sont pas également propres à nous procurer ces bonnes fortunes. Ainsi, notre ville est riche en pianistes et, parmi le grand nombre de ses exécutants, artistes ou amateurs, elle peut citer plus d’un talent fort remar- quable. Ici également, la musique de salon (instruments à cordes, ou piano avec eux), est en grand honneur: nos plus grands compositeurs, personne ne l’ignore , ont doté ce genre de nombreux chefs-d’œuvre. Grâce aux Soins d’un amateur intelligent et zélé , nous avons pu, SR pendant plusieurs années, apprécier ces richesses, en entendant les instruments à la tête desquels se plaçait Maurin : nous le pouvons encore en écoutant les qua- tuors que dirigent deux très-habiles professeurs de. notre ville, MM. Catitermole et Closon. Mais, il faut le reconnaître, ces réunions, d’un grand prix assurément, ne peuvent faire apprécier qu’un nombre restreint d'artistes, puisqu'elles n’emploient que le piano avec les instruments à cordes ‘, et surtout, n’offrent pas de morceaux de chant. Plusieurs sociétés philharmoniques sont venues chez nous, donner à la musique un essor plus étendu. Elles ont occupé tour à tour la salle de la place Saint-Martin, la salle de la Mairie, le Cercle des Beaux-Arts et la salle Saint-Jean; puis, tour à Lour, elles ont disparu. — De quelle faveur ne doit-on donc pas entourer une réunion qui, aidée par de bien modiques ressources, mais soutenue par le zèle puissant de quelques-uns de ses membres et par la bonne volonté des autres, par- vient à réaliser plusieurs fois chaque année un pro- gramme où le chant isolé et les divers instruments alternent avec des chœurs empruntés à nos grands maîtres et exécutés par un nombre imposant de voix ? On a compris que nous parlons de la Société Sainte- Cécile. . Plus d’un artiste a vu, devant cet auditoire, naître. ou grandir sa renommée. Mie Baux quittait, il y a quelques semaines, la salle du Cercle pour aller rem- 1 On peut citer quelques rares exceptions. Ainsi, cet hiver, * dans deux séances, un hautbois, puis une clarinette se ts joints aux instruments du quatuor. SMS SER plir à l'Opéra, dans Faust, le rôle important de Mar- guerite. Mais, elle était déjà connue!..: [l n’en était pas ainsi d’une jeune et charmante personne, Mle Giovanna Sposi, qui se présenta , il y a un an , sans qu'aucun ‘ renom la précédât chez nous. En entendant ce chant si pur, si facile et si gracieux, en écoutant, surtout, cette voix si bien posée, on ne pouvait croire qu’elle vint de Paris, cette ville où le chevrotement , né au temps de Mme Casimir, de l’Opéra-Comique , est devenu , on ne saurait le méconnnaitre, une maladie à la fois endémique et contagieuse. On parla, on signala ce mérite inattendu, et, peu de jours après, Ml° Sposi était demandée pour Saint-Pétersbourg et pour Anvers. Aujourd’hui la grande voie de l’art lui est ouverte. — Qui peut dire quels suc- cès attendent MI: Franchelli, si applaudie tout récem- ment dans la Habanera , de Carmen , dès que, se fiant davantage à elle-même, elle prendra plus librement son essor?... Les bravos qu’elle vient d'obtenir à Orléans et au Mans, répondent en partie à cette question. On comprend , dès à présent , combien il importe de soutenir une telle institution , d'augmenter ses res- sources, de ramener, enfin, grâces à elle, ces soirées brillantes où, sous la direction de l’organiste Mangeon, … s’exécutaient ici, avec orchestre et chœur nombreux, des fragments des Saësons et de la Création d’Haydn. — Nous trouvons dans un événement tout récent, l’occasion d’insister sur ce vœu. Un habile compositeur, digne, par sa science, de porter un nom célébre, M. Weber, de Strasbourg , a voulu voir applaudir par des mains françaises un opéra en trois actes, Rosita, dont il venait d’écrire la musique. Ami et compatriote du zélé directeur de notre théâtre, il a obtenu de celui-ci la promesse de faire exécuter l'œuvre nouvelle. Au prix d’efforts qu’on ne saurait trop louer, ces trois actes, riches, trop riches peut-être d’une musique savante et compliquée, ont été dits ré- : cemment, et la presse a constaté le succès. Déjà, sous la même direction, notre théâtre avait monté la Branche de Genèêt, opéra-comique de deux auteurs angevins : il doit bientôt , assure-t-on, nous donner, dans les mêmes conditions, Le Paludier du Bourg-de-Batz. 1 n’y a rien là qui doive surprendre : les opéras de Rossini, de Cimarosa, de Mozart ont vu le jour dans diverses villes de l'Italie ou de l'Allemagne, et le célèbre Weber, après avoir fait entendre tout d’abord le Freyschüts à Berlin, a, pour la première fois, fait représenter son Oberon à° l'Opéra de Londres. On comprend que la confiance inspirée par le direc- teur et les artistes d’une ville peut seule déterminer un. tel choix. Or, si nous sommes bien informé, c’est de Paris même qu’une composition importante doit pro- chainement venir enrichir notre scène. L'auteur, dont vingt fragments pleins de sentiment ou de verve, ont ï fait connaître à tous le renom héréditaire, ne peut être, : dès aujourd’hui, clairement désigné par nous. Cestà regretter, car son nom nous eût épargné la recherche des épithètes qui indiquent le charme, le talent et l'esprit. L'œuvre, dans laquelle, à l’exemple de l’'Egmont, de Beethowen et du Désert , de Félicien David, des récits alternent avec des morceaux de chant comportantchœurs et orchestre, a pour titre : Le Mariage de Tabarin. Ce nom place la scène au temps de Louis XIII et donne At lieu, par suite, à maints passages en style archaïque, tels que ceux placés si heureusement par Gounod dans son Médecin malgré lui. Qui ne voit dans ces circonstances, dans cette con- fiance témoignée à notre scène, un puissant encourage- ment aux études musicales parmi nous? Pourquoi ces notions si superficielles d’un art à la connaissance suffi- sante duquel un bon emploi des heures perdues suffi- rait? Pourquoi cet abandon des instruments d’or- chestre, qui force les directeurs à d'énormes frais pour faire venir chaque année un certain nombre d’artistes étrangers ? Qu’Abbeville nous serve de modéle! que chacun, comme la société Sainte-Cécile en donne déjà l'exemple, travaille avec persévérance, dompte un ins- trument, ou forme sa voix à l’art du chant, si offensé de nos jours ! Quelques adeptes même voudront, sans doute bientôt, se livrer aux combinaisons de l’harmonie, cette science si belle quand on n’a pas pour elle un amour exagéré, quand on ne lui voue pas, comme tant d’au- teurs modernes, un culte oublieux de la mélodie, qui la doit primer toujours, Et, alors (pourquoi ne pas l’es- pérer ?) notre ville, qui a donné à la statuaire David, et à la peinture Lenepveu, aura peut-être la gloire d'élever sur son sol la statue de quelque Lesueur angevin et de conquérir ainsi pour jamais son surnom, si souvent contesté, de cité philharmonique ! x E. LACHÈSE. CATALOGUE DES MANCSCRITS DE LA BIBLIOTHÈQUE DE TOURS Par M DORANGE, Bibliothécaire. Les bibliothèques de province possèdent souvent des trésors précieux trop peu connus, faute d’être classés et catalogués méthodiquement. Sans catalogue, en effet, comment faire des recherches au milieu de ces nombreux documents, si divers et si variés? C’est grâce aux longs et patients travaux des bibliothécaires et des archivistes que les érudits peuvent venir se ren- seigner et aborder, sans trop de difficultés, l'étude des sources originales. Il est utile non-seulement de rédi- ger, mais aussi de publier les catalogues et de les échanger entre les bibliothèques. Tout se tient dans/la science; à chaque instant l’on peut avoir besoin d’un renseignement qui ne.se trouve que dans la biblio- thèque d’une ville autre que celle où l’on travaille. Les catalogues mettent sur la voie de découvertes qui, souvent, seraient impossibles sans eux. A La bibliothèque d'Angers est riche en documents de ce genre, que M. Lemarchand a classés et catalogués avec le plus grand soin. Celle de la ville de Tours possède aussi des manus- crits précieux dont M. Dorange, biblisthécaire, vient de dresser le catalogue. C’est un bel in-4 de 580 pages, comprenant 1,503 numéros correspondant à autant de manuscrits. Les ouvrages en plusieurs volumes portent autant de numéros qu’ils comprennent de vo- lumes. | Les grandes divisions et les subdivisions adoptées par M. Dorange sont celles que l’on suit généralement: il n'y avait là rien à innover. Sous la rubrique de la théologie sont rangés les bibles et les commentaires de l’Écriture Sainte, les livres liturgiques, les conciles, les saints Péres et les théologiens, et enfin les ouvrages relatifs aux religions orientales. La jurisprudence ne comprend que trois subdivi- sions : droit canon, règles d’ordres religieux, droit civil. La rubrique des sciences se subdivise en sciences philosophiques, physiques, naturelles, médicales, arts, exercices gymnastiques. . Celle de la linguistique s’applique aux ouvrages sur la rhétorique, aux poésies, aux romans tant en vers qu’en prose. La section historique se divise entre la géographie, l’histoire universelle, l’histoire grecque, romaine, ec- clésiastique et celle des ordres religieux, l’histoire de France, l’histoire diplomatique, généalogique et enfin provinciale. L'auteur a fait en outre une sixième grande divi- sion, subdivisée elle-même en plusieurs parties, et qui comprend tous les ouvrages relatifs à la Touraine. Cette méthode me semble très-bonne; elle facilite les recherches pour les travailleurs du lieu, et ce sont eux surtout qui consultent les manuscrits. Dans une biblio- thèque de province, c’est l’histoire locale qui offre le plus grand intérêt, et plus spécialement encore le département des manuscrits. Cette section comprend la topographie locale, les descriptions de la Touraine avec les cartes, l’histoire générale de la province; son administration, son in- dustrie, son commerce; l’histoire des arts dansle pays; l’histoire de la ville de Tours. L'histoire ecclésiastique du diocèse, les archevêques, la cathédrale, les pa- roisses, les couvents, les confréries et même les simples localités fournissent les titres d'autant de subdivisions du catalogue. Puis viennent les documents relatifs à l’histoire nobiliaire : la féodalité, la noblesse de Tou- raine, le blason. Les biographies des célébrités touran- gelles, la bibliographie des ouvrages publiés en Tou- raine et les mélanges closent enfin cette longue énumération. L'auteur a classé l’histoire étrangère sous la rubrique de la Touraine; il nous semble que les ouvrages de ce genre ne sont pas ici à leur place, et qu’il eût été plus naturel de les méttre avec l’histoire générale. Mais ceci n’est qu’une objection de détail. La collection spéciale de Touraine comprend 257 manuscrits; elle va des numéros 1900 à 1458 du cata- logue. C’est un chiffre respectable de documents rela- tifs à l’histoire locale; cependant la bibliothèque SLA d'Angers est plus riche encore en ouvrages de ce genre. Parmi les manuscrits qui nous ont paru les plus impor- tants dans cetle dernière catégorie je citerai spéciale- ment : Le cartulaire de la cathédrale de Tours, com- posé au xiie siècle (Angers est moins heureux; celui de Saint-Maurice ayant été brûlé en 1793 devant le temple de la Raison, pour faire progresser les lumières); — Consuetudines S. Martini Turonensis; plaidoyers entre MM. de Saint-Martin et MM. de la Cathédrale; — de nombreuses notes et documents sur les abbayes, villes, châteaux ; — fragment du cartulaire de la Chartreuse du Liget, important établissement qui se cachait dans une vallée au fond de la forêt de Loches, et dont il reste encore des ruines fort curieuses; — recueil sur le chapitre de Saint-Jean l'Évangéliste, du Plessis-les- Tours ; — documents divers sur les villes de Loches et de Chinon, dont l’histoire est si intéressante; — le livre des serfs de l’abbaye de Marmoutiers, document fort important pour l’histoire du servage; -—- le livre des prieurés de Marmoutiers: — les rôles des fiefs de Touraine, qui offrent un grand intérêt pour l’histoire féodale du pays. C’est dans cet important dépôt que les archivistes et savants de Touraine ont puisé à pleines mains pour leurs importants ouvrages; MM. Salmon, Grandmaison, Mabile, Marchegay, l'abbé Chevalier, Lambron de Lignim, Nobilleau et la Société archéologique de Tours en ont tiré les éléments de leurs remarquables publi- cations : les Chroniques de Touraine, les Arts en Tou- raine, beaucoup de documents cités dans l'Histoire de l'établissement du Christianisme en Gaule, etc. Ajoutons 416 — que les savants auteurs, que je viens de citer, ont eux- mêmes puissamment contribué à enrichir par leurs re- cherches le précieux dépôt. M. Lambron de Lignim lui a donné de nombreux documents sur la noblesse et les blasons de la Touraine. Un mot maintenant sur la manière dont le livre de M. Dorange a été rédigé. Chaque manuscrit est l’objet. d’une description complète et détaillée, non-seulement en ce qui concerne la partie externe, c’est-à-dire l’époque de la rédaction du manuscrit, son format, son état de conservation, mais, ce qui est plus important, la partie interne a été traitée avec beaucoup de soin; chaque notice fait en effet connaître au lecteur l’objet de l’ou- vrage et ce qu’il doit y chercher. Le catalogue de M. Dorange rendra donc de grands services aux érudits, il les mettra sur la voie et simpli- fiera leurs travaux. Nous oublions trop en France, le rôle de ces savants modestes et dévoués, archivistes et bibliothécaires, pionniers de la science, qui consacrent leur vie à un travail pénible, mais infiniment utile, qui préparent la route où les autres trouveront de plus faciles et plus brillants succès. Cataloguer des livres, des manuscrits ou des chartes est un labeur ingrat, qui demande à la fois une science sérieuse, et une longue patience. L'œuvre de M. Dorange, atteste ces excellentes qualités. Du reste, la meilleure manière de l’apprécier à sa juste valeur est de visiter la précieuse collection dont il a la garde et dont il sait faire les honneurs avec autant de science que de courtoisie. “ G. D'ESPINAY. AL CRE SUR LA TRADUCTION EN VERS DES COMÉDIES DE TÉRENCE DE M. LE DOCTEUR R. GRILLE. Messieurs, L’honneur que vous m'avez fait de m'appeler à vous rendre compte du nouvel ouvrage de notre laborieux et lettré confrère m’a imposé une tâche en même temps qu’il me procurait un plaisir. Vieil universitaire (c’est, je crois, à ce titre que vous m’avez choisi), je n’ai guère étudié que les livres des philosophes; j’ai d’ailleurs dés- appris dans des travaux d’un ordre différent les études qui avaient fait l'emploi et souvent le charme de ma jeunesse. Ce qui serait un jeu pour tel d’entre vous, versé dans la critique littéraire, ou familier avec la langue des dieux, n'offre que difficulté et péril à qui SOC. D’AG. 2 ete n’a jamais parlé que l’humble prose et, en matière d’é- crits ou de style, s’est tenu pour satisfait de tout ce qui était dit avec aisance et clarté. Vous ne trouverez dans mon rapport ni étude profonde, ni aperçu nouveau. Pénétré de mon impuissance à répondre mieux à votre attente, je me bornerai à vous entretenir des mérites universellement reconnus du poète que M. Grille a tra- duit, et à détacher de son volume quelques passages pour vous inspirer le désir de le Lire en entier. Térence après Horace. On comprend l'attrait qui a poussé vers l’auteur de l’Andrienne et des Adelphes le récent traducteur des Odes du chantre d’Auguste : les épitres et les satires auront servi de transition. Ainsi avait, dit-on, procédé Daru dont notre confrère rap- - pelle à quelques égards la manière et le talent. Ajoutons que si notre Angevin avait su maintes fois plier sa verve à la variété élégante et hardie de son premier modêle, le ton facile et gai de la muse comique lui a été plus favorable encore. Une traduction complète de Térence, et une traduc- tion en vers, publiée à Angers : il y a là un double phénomène sur lequel il doit être permis ici de s’arré- ter un moment. Quoique l’Anjou et sa capitale aient eu au moyen âge des monastères où le culte des lettres s’était en partie conservé, et une école épiscopale, devenue plus tard une université fameuse; quoique plusieurs des maîtres qui ont gouverné celle-ci à son origine aient laissé des vers latins empreints d’une certaine élégance ‘ et qu’il 1 Voir en particulier ceux de Marbode, à la suite des œuvres d'Hildebert du Mans, dans l'édition de Dom Beaugendre. — Le En: ‘me soit pas impossible que Térence, mentionné par Jean de Salisbury dans son Polycraticus, y ait été goûté au xti° siècle, nous ne découvrons de lui aucune trace formelle avant l’époque de la Renaissance. En 1481, Jean de Bernay, chanoine et chantre de la collégiale de Saint-Laud d'Angers, donne ou lègue un Térence au Chapitre dont il est membre *. S'agissait-il d’un manuscrit plus ou moins ancien, ou seulement d’un incunable sorti des presses de Stras- bourg, de Milan ou de Venise ? Nous laissons la ques- tion à décider à de plus habiles. C'était, quoi qu’il en soit, une rareté bibliographique et, comme, dans le même temps, un Commentaire de Valère Maxime se: trouve aux mains d’un de nos professeurs ?, comme plu- sieurs traités de Cicéron s’impriment notoirement aux frais de nos libraires *, on peut conclure de tous ces rapprochements que l’esprit littéraire et le goût de l’an- tiquité classique existaient alors à Angers autant qu’en nulle autre ville de France. Nous perdons la trace de Térence jusqu’au milieu du xviie siècle, où plusieurs noms, plus ou moins ange- vins, se groupent autour du sien. C’est d’abord l’hu- successeur de Marbode, l’anglais Geoffroy Babion était également lettré. Il y a cependant de sérieuses raisons de douter qu’il soit ou l’auteur, ou le héros de la Comædia Babionis, qui lui est quelquefois attribuée et qui est citée comme un des rares échan- üllons du théâtre comique du moyen âge. 1 Archives de Maine-et-Loire, série G. 913, fol. 416. ? Id. G. 342, art. Chalerie. 3 Le premier livre connu, avec date, qui soit sorti des presses angevines est une rhétorique extraite de Cicéron, 5 février 4477, V. le Diction. hist. de l'Anjou, t. WE, p. 743, art. Morel ou Moreau. me 90 — maniste François Guiet qui, suivant sa coutume, enri- : chit de courtes notes un exemplaire de choix des œuvres du poële comique ‘; puis Ménage, qui est à citer partout où il s’agit d’érudition, fait de l’une de ses pièces * l’objet d’une dissertation spéciale; Tanne- gui Lefèvre, professeur à Saumur, publie de lui une édition classique, et par-dessus tout, sa savante fille, Mme Dacier, en donne une traduction complète en prose, la première qui ait fixé l’attenfion du public français *. Elle n’a pas trop vieilli, même aujourd'hui, et M. Grille reconnaît l’avoir consultée avec fruit; mais ne voulant pas, chevalier courtois, entrer directement en luite avec sa devancière, il a choisi pour sa lutte un terrain différent. « À la rigueur, a dit un judicieux critique ‘, on ne devrait traduire les poëtes qu’en vers. » D’autre part, un célèbre Angevin, dont on aime parmi vous à prendre et peser l'avis, a dit que s’il voulait traduire un ancien, il ne s’adresserait pas aux poëêtes, à cause de cette « grandeur de stile, magnificence de mots, gravité de « sentences, audace et variété de figures, et mille autres «lumières de poésie; brief, cette énergie et ne sçai 1 Elles furent publiées intégralement en 1657, à Strasbourg, et l'édition des Variorum les reproduisit plus tard en partie. 2 Discours de M. Ménage sur l’Heautontimorumenos de Térence. Paris et Utrecht, 1690. Cette réimpression fut faite à l’occasion de l’ouvrage de Mme Dacier. 3 Paris, 1688, 3 vol. in-12. — L’éloge de cette célèbre Ange- vine se trouve dans tous les dictionnaires; mais on relira tou- jours avec intérêt le chapitre que l’auteur des Recherches histo- riques sur l’Anjou lui a consacré. # Daunou, Biographie universelle, art. sur Térence. = A — « quel esprit qui est en leurs escrits, que les latins ap- « pelleraient Genius. » L’auteur de l’//ustration de la lanque française * fait là un juste et bel éloge de la poésie; mais la conclusion la plus rigoureuse que l’on puisse en tirer, c’est qu'il wappartient qu'aux poètes de traduire les poëtes, et c’est ce que fit, en effet, Joachim du Bellay, dix ans après la profession de foi que nous venons d’enregis- trer : il mit en vers français le IVe, puis le VIe chant de l'Enéide, On ne voit pas qu’il se soit particulièrement occupé de Térence; mais l'ami de Lélius et de Scipion n’a pas été oublié par Montaigne, très-appliqué aussi au per- fectionnement de notre langue, mais qui juge plutôt qu’il ne traduit. « Quant au bon Térence, dit-il, je le « treuve admirable à représenter au vif les mouvements « de l’âme et la condition de nos mœurs; à toute « heure nos actions me rejectent à luy:je ne puis le «lire si souvent que je n’y treuve quelque beauté et « grâce nouvelle *. » La Fontaine ne se contente pas de louer « les produc- tions de cette Vénus africaine dont tous les gens d’esprit sont amoureux, » il essaie de limiter, en composant. sa comédie de l'Eunuque*, un ouvrage de sa jeunesse moins remarqué qu’il ne mérite de l'être, suivant notre humble jugement. Mais c’est surtout après que Molière a paru 1 V. l'édition de M. V. Pavie, OEuvres choisies de J. du Bellay, Angers, 1841, p. 13. 2? Essais, Liv. Il, chap. x. 3 V. ses Œuvres complétes et la préface particulière de la pièce mentionnée. | 1 que Térence vient tout à fait à l’ordre du jour. La cri- tique prend parti pour l’un ou pour l’autre des deux émules, en ne ménageant pas ses sévérités au poète contemporain. On sait les vers de Boileau sur les Four- beries de Scapin, où il reproche à son ami d’avoir « quitté pour le bouffon l’agréable et le fin et sans « honte à Térence allié Tabarin ‘. » Écoutons Labruyère qui voudrait tenir la balance plus exacte entre les deux auteurs ? : « Il n’a manqué à Térence que d’être moins froid : « quelle pureté, quelle exactitude, quelle politesse, « quelle élégance, quels caractères! I n’a manqué à « Molière que d’éviter le jargon et le barbarisme et « d'écrire purement. Quel feu, quelle naïveté, quelle « source de bonne plaisanterie, quelle imitation des « mœurs, quelles images et quel fléau du ridicule « mais quel homme on aurait pu faire de ces deux co- « miques! » Fénelon qui n’hésite pourtant pas à donner à Molière le titre de grand, s'exprime avec plus de liberté encore sur ses défauts; à lire sa lettre à l’Académie française, on sent qu’il a un faible pour Térence, pour « son drama- tique vif et ingénu », pour ses « récits où la passion parle toute seule ». Chargé de l’instruction du duc de Bourgogne, petit-fils de Louis XIV, c’est de Térence et d'Horace qu’il veut que on tire les versions quoti- diennes du jeune prince, alors que celui-ci est entré dans sa quatorzième année °. 1 L'Art poétique, chant III. 2 Des Ouvrages de l'esprit, art. xxxvur. 3 Histoire de Fénelon, par le cardinal de Bausset, t. Ier, p. 180. del; E PE Bossuet, précepteur du grand Dauphin, quinze ou vingt ans auparavant, avait à cet égard donné l'exemple. Dans sa lettre publique au pape Innocent XI, il recon- naît avoir lu plusieurs pièces de Térence avec son élève, qui s’est « agréablement et utilement diverti dans ce poète, celui qui, avec Virgile, lui a plu davan- tage ‘ ». Le choix fait par de tels maîtres et par des esprits si complets est à lui seul l’éloge des auteurs qui en ont été les objets. Que l’on ne se méprenne pas sur la portée de nos paroles. Malgré la décence relative de la langue de Té- rence et ce qui se trouve d’honnête dans beaucoup des caractères qu'il a dépeints, nous n'oublions pas qu'il s’agit du théâtre ancien, c’est-à-dire d’un monde d’es- claves et de courtisanes, où nos fils adolescents ne sau- raient être introduits que sous les auspices et la res- ponsabilité d’un guide prudent, tel que l’avaient été, pour les héritiers du grand roi, Bossuet et Fénelon, tel au moins que le sont, pour les écoliers de nos lycées et colléges, de sages et vertueux professeurs que vous pouvez connaître ainsi que moi. M. Grille, nous n’en doutons pas, est complétement de notre avis sur ce point et ce n’est pas cette classe de lecteurs qu'il a eue en vue en composant son livre. Mais il en est deux autres, à qui l’on peut le recommander sans éprouver les mêmes scrupules. Ce sont, d’une part, les gens du monde, à qui le contact journalier des affaires fait ou- blier plus ou moins vite ce qu’ils avaient su de latin ! La lettre citée se trouve dans la plupart des éditions de Bos- suet, en tête de la Connaissance de Dieu et de soi-méme. — 9% — dans leur jeunesse; puis cette intelligente moitié du genre humain, aussi capable que l’autre de goûter les beautés littéraires et juge plus particulièrement compé- tent de ce qui est fin et gracieux, mais que nos mœurs modernes et son éducation tiennent confinée dans l’é- tude de la langue maternelle. Mme de Sévigné, dont le nom fait naturellement suite à ceux que nous citions tout à l’heure, confie quelque part à sa fille l’envie qu’elle a de lire Térence, « pour connaître les origi- naux dont les copies (de la main de Molière, sans aucun doute) lui ont fait tant de plaisir. » Grâce à M. Grille, nos contemporaines, j'allais dire nos modernes Sévignés, ne seront pas réduites à se faire expliquer par leurs fils, plus ou moins jeunes et plus ou moins sérieux dans leur conduite, les passages objets de leur curiosité lit- téraire, tel que celui dont nous empruntons la traduc- tion à notre confrère ‘ : Qu'est-ce donc que l’amour? Je m’en vais vous le dire : Serments, brouille, soupçons, trêve... C’est un délire Où par la passion notre esprit agité Pour juger sainement n’a plus sa liberté. Ce que la célèbre marquise qualifie, dans sa lettre : « La Satire des folles amours » est tout simplement une 1 Lettre du 22 septembre 1680. — Voici le passage de Térenee qui est cité ici : In amore hæc omnia insunt vitia, injuriæ, Suspiciones, inimicitiæ, induciæ, Bellum, pax rursum. Incerta hæc si tu postules Ratione certa facere, nihilo plus agas, Quam si des operam, ut cum ratione insanias. (Trad. de M. Grille, p. 263.) Es OM de définition poétique assez bien réussie. Elle nous fournit occasion d’aborder l’auteur latin par un de ses meil- leurs côtés. Il y a, en effet, dans Térence, beaucoup du philoso- phe. Le goût des maximes et des proverbes se montre fréquemment dans ses ouvrages; l’habileté à saisir les traits généraux des passions et des caractères ne le cède pas chez lui à l’exacte et fine observation de leurs diffé- rences. On en jugera par quelques courts extraits. Voici un vers dont le texte latin est dans toutes les mémoires : Autant d'hommes, autant de sentiments divers *; Et dans le même ordre d'idées, mais avec des varia- tions sur un thème très-usité : Où l’un se fâche, un autre est à peine affecté : C’est affaire d'instinct, de sensibilité. A ce sujet la femme à l’enfant est semblable; Toujours capricieuse et d'humeur variable, S'emportant sans motif, pour un oui, pour un non, Elle n’écoute pas la voix de la raison ?. Dans l’Andrienne, l'auteur signale une manie très- commune parmi nous, mais qui trouve son excuse dans notre sympathie pour autrui : Quand on se porte bien, ah! qu'il n’en coùle guère De donner au malade un conseil salutaire. Tu serais à ma place encore plus tourmenté à. Cest ce que dit à un conseiller, peut-être maladroit, 1 L’Heautontimorumenos, act. I, se. 1°°. — M. Grille, p. 178. ? L'Hécyre, act. II, se. 17e. — M. Grille, p. 132: 5 Acte IL, sc. 1re, — M. Grille, p. 48. SE celui qui se débat sous l’étreinte d’une passion. Mais, comme notre poête le remarque justement quelque part : aux affaires des autres Nous n nous entendons mieux d'ordinaire qu'aux nôtres 1. Citons, pour achever cette courte revue, le vers le plus connu de Térence : Homo sum, humani nihil a me alienum puto; Ou plutôt en français : Je suis homme; tout homme a droit à ma pitié ?. Au premier abord, on serait tenté d’accuser le tra- ducteur d’infidélité, une interprétation plus générale et plus vague ayant été donnée à cette sentence, depuis le xvine siècle surtout. Il suffit, pour justifier M. Grille, de replacer la phrase dans son milieu, c’est-à-dire dans la scène entre Ménédème, qui s’afflige du départ de son fils, résultat de sa propre sévérité, et Chremèés, son voi- sin, jusque-là inconnu, qui s'efforce de le consoler. Nous voudrions maintenant étudier Térence comme peintre de mœurs, un autre de ses titres, également peu contesté. Il nous plairait d’analyser une de ses six pièces, les Adelphes, la plus parfaite de toutes, parce qu'elle offre un sujet plus intéressant que celui des autres, que l’intrigue y est moins compliquée, la mo- rale plus pure, les caractères bien dessinés, parce que * L'Heautontimorumenos, act. II, se. 47°. — M. Grille, p. 205. ? Id,, acte I®', sc. 1°. — M. Grille, p. 178. Eu} as d’ailleurs, on y trouve très-suffisamment, avec la douce gaîté, la finesse et l'ironie, qui font partout le charme du théâtre de l’auteur, la vis comica que l’on prétend lui avoir fait défaut. Qu’on lise, pour s’en convaincre, non-seulement certaines’parties du rôle de Syrus, mais le dernier acte presque entier de cette haute comédie. La conversion de Déméa, celui des deux frères, qui re- présente la sévérité, au système d’éducation pater- nelle de Micion, loin d’être une faute contre l’unité du caractère, puisque aussi bien elle n’est qu’une feinte, devient le point de départ des scènes les plus bouf- fonnes. C’est une critique très-plaisante des exagéra- tions et des faiblesses auxquelles peut donner lieu Ia dé- bonnaireté d’un père; et, en se prolongeant, elle nous fait l'effet de ces danses où l’un des personnages, don- nant le branle, entraîne successivement tous les autres dans un joyeux tourbillon. La lecture de ce morceau nous prendrait plus de temps que nous n’en devons réclamer de votre bien- veillante attention. En vous engageant à vous procurer ce régal ‘, nous faisons, sauf votre permission, notre choix dans une autre pièce. L’Eunuque, qui renferme des situations scabreuses dénoncées par son titre et que nous laissons, bien entendu, de côté, présente, d’autre part, la peinture de quelques types particuliers au théâ- tre ancien, Thrason, le militaire fanfaron, et Gnathon, le flatteur parasite. Nous croyons qu’on prendra plaisir à les voir en action, et qu’ils donneront une idée exacte et favorable de la manière de l’auteur. 4 V, la traduction de M. Grille, p. 500 à 511. ob ee Laissons d’abord Gnathon nous faire, daus un mono- logue du second acte, les honneurs de sa propre per- sonne . * GNATHON. Dieux! qu'entre les mortels il est de dissemblance, Des sots aux gens d'esprit quelle énorme distance! — Qui m'inspire aujourd'hui cette réflexion? C’est un homme aux abois, de ma condition, Qui vient de m’aborder, j'en ai l’âme navrée :. De la misère, hélas! il porte la livrée; Il a mangé son bien, de sales vêtements Couvrent son corps vieilli, défait avant le temps. — Eh! mon ami, lui dis-je, en quel triste équipage Te voilà! — L'inconduite a causé ce ravage : Il ne me reste pas un as, et ruiné, De mes anciens amis je suis abandonné. Je ne pus cependant compatir à sa plainte. — Pourquoi, dans le malheur dont tu souffres l’étreinte,. N’avoir pas réagi contre les coups du sort? Ton esprit est-il donc privé de tout ressort? Jette les yeux sur moi, notre état est le même; Pourtant la différence entre nous est extrême, Vois mes habits, ce teint où fleurit la santé. Si ma bourse est à sec, je garde ma gaîté; Rien ne me manque. — Bien : mais tu prends les manières D'un bouffon, et de plus tu crains les étrivières. — C'est un système usé, fort en vogue autrefois ; Nous avons aujourd’hui des moyens plus adroits Pour attraper les gens. Je sais comment m'y prendre : Ecoute la lecon, je vais te les apprendre. Il est des orgueilleux de leur mérite épris, Des niais, et ceux-là sont pour moi d’un grand prix; Sans être leur jouet, pour eux je me dévoue, Et tout en riant d'eux, je les flatte et les loue. Toujours de leur avis, je dis oui, je dis non : 1 V. la traduction de M. Grille, p. 274-275. Ale" 7 OS Ainsi compris, je crois, ce système a du bon. Et tout en devisant, nous entrons au marché. L’essaim des fournisseurs de moi s’est approché; Les pêcheurs, les bouchers, pourvoyeurs de la table, M'accueillent à la fois de l'air le plus aimable. Je leur fis gagner gros, en des temps plus heureux; Pauvre, je fais encore du commerce avec eux. Sur mon retour chacun gaïment me félicite; Pour me fêter, chacun à son diner m'invite. Notre affamé, témoin de tant d’empressement, N’en peut croire ses yeux, il veut savoir comment Je parviens à me faire une aussi doucé vie. — Far le ciel! votre sort excite mon envie; Quelle est votre méthode? et, dans tout mauvais cas, Puissé-je comme vous me tirer d’embarras! Instruisez-moi, j'attends, maitre, votre parole. Me voilà philosophe, et j'ouvre mon école : Le parasite, un jour, quel éclat pour mon nom! Dira : ma secte à moi, c’est celle de Gnathon. Thrason est entré en scène dans l'acte suivant et Gnathon a joué son rôle auprès de lui de manière à le faire connaître aux spectateurs comme un niais, cré- dule et vantard ‘. Il reste que le militaire fanfaron fasse montre publiquement de sa bravoure. L'occasion s’en irouve dans un démêlé qu’il a avec la courtisane Thaïs, sa maîtresse. Gnathoh lui persuade de reprendre à celle-ci par la force une jeune esclave qu’il lui a don- née et qu’elle ne veut pas rendre. Nous assistons alors au siége de la maison de Thaïs ?. 1 Nous recommandons la lecture de cette scène : traduction de M. Grille, p. 287-292; et dans Térence, acte IIL, sc. 1re, 2? Id., p. 317-322; dans Térence, acte IV, se. 8. née SÔE re THRASON. Souffrir un tel affront, amis, plutôt la mort ! Donax, Simalion, secondez mon effort! Viens aussi, Syriscus, qu’on assiége la place! GNATHON. En marche! THRASON. A moi la fille! GNATHON. Et montrons de l'audace! THRASON. O Thaïs, je promets de te rouer de coups. GNATHON. Et cet exploit sera très-glorieux pour vous. THRASON. Marchons! que chacun frappe et d’estoc et de taille! Donax et son levier, au centre de bataille; A droite, Syriscus, et toi, Simalion, A gauche. Où donc se tient notre centurion, Sanga, chef des vauriens? SANGA. Ici. THRASON. Quoi! cette armure! Au corps des assaillants prétends-tu faire injure; Veux-tu te battre avec un torchon? Le couard! Que porte-t-il en main? SANGA. C'est qu'avec un gaillard, Tel qu’est le général et sa troupe guerrière, Des flots de sang bientôt vont rougir la poussière; Est-ce pour nos blessés trop de précaution? pe. ee THRASON. Où sont les autres? SANGA. Quoi! les autres? Sannion Reste seul au logis. THRASON, d Sangu. L'attaque est prête? Moi, derrière les rangs, beaucoup mieux qu’à la tête, Je donne le signal, et sans me découvrir, Stimulant mes soldats, je veux vaincre ou mourir. GNATHON. Il a de la prudence. (A part.) Aux hasards il nous jette, Et, sans danger, a soin d’assurer sa retraite. THRASON. C’est ainsi que Pyrrhus guidait ses bataillons! ... (A Gnathon.) Et toi, du plan que j'ai formé, Que dis-tu? GNATHON. Je voudrais que d’une fronde armé, En les frappant de loin, dans un désordre extrême, Vous les forciez à fuir. THRASON, faisant quelques pas sur la scène. Mais Thaïs elle-même S'avance. GNATHON. Général, est-il temps de charger? THRASON. Attends. Si nous pouvions, avant tout, transiger ! C’est par là que toujours doit débuter un sage. Parlementons, avant que l'affaire s'engage. GNATHON. Les dieux d’un sens exquis vous ont fait la faveur; J'apprends auprès de vous à devenir meilleur. — 32 — | Les pourparlers ne réussissent pas; le frère de la jeune fille la réclame comme citoyenne, et Thaïs se range de son côté. THRASON, se tourne alors vers Gnathon. Et toi, Gnathon, quel est ton avis? GNATHON. De rester Chez nous, en attendant qu’enfin, de guerre lasse, La belle se décide à vous demander grâce. THRASON. Tu crois qu'elle viendra? GNATHON. C’est ma conviction. L'instinct porte la femme à l'opposition : Voulez-vous une chose? elle va contredire; Ne la voulez-vous plus? c’est elle qui désire. THRASON. Que tu les juges bien! GNATHON. Dois-je licencier Nos troupes? THRASON. Si tu veux. GNATHON. Fais rentrer au foyer Ta brigade, Ô Sanga! SANGA. Je cours à la marmite; Dans les travaux de Mars que l’appétit vient vite! GNATHON. O le brave garcon! ucp — gp — THRASON. Pour vous, suivez mes pas De ce côté. Je suis content de vous, soldats! En arrêtant ici celte citation, nous constatons (triste nécessité de notre rôle d’Aristarque) que le trait qui la termine a été ajouté par le traducteur. Il y a ainsi, çà et là, dans l'ouvrage, quelques légers arrangements qui donnent au dialogue, non pas tant une allure plus facile, — ce mérite appartient déjà à Térénce, — qu’une couleur plus moderne. M. Grille n’a pas résisté à la ten- tation naturelle d’être de son temps comme de son pays. En revanche, il s’est généralement, — et plus, peut- être, que dans sa traduction d'Horace, — tenu en garde contre les équivalents et les périphrases, résultat pres- que forcé de la diflérence de génie des deux langues ; et, malgré la double contrainte de la mesure et de la rime, il a lutté, quelquefois heureusement, avec l’ini- mitable concision de son modèle; il en a surtout appro— ché, pour -la simplicité et le naturel, deux grandes et essentielles qualités de l'écrivain. Je vous propose, Messieurs, de donner une place d'honneur dans la bibliothèque de la Société au livre de notre cher et apprécié confrère. Sa présence y attestera le goût persistant de notre province pour le plus délicat et le plus pur des poètes comiques latins. L. DE LENS, Inspecteur honoraire d'Académie. SOC. D’AC. 5 NOTE SUR UNE STATUETTE ROMAINE DE MERCURE Séance du 19 avril 1876, à la Sorbonne. Messieurs, Le Musée archéologique d’Angers, possède une curieuse statuelte haute de vingt centimêtres ; brisée à son sommet elle l’est également au-dessus des genoux (voir le dessin). Si la forme des lettres qui se voient à sa base, accuse une époque médiocre, il n’en est pas tout à fait de même de la figurine proprement dite qui garde quelque chose comme une réminiscence de bonne antiquité. Quoi qu’il en soit, il serait difficile de la faire remonter au delà du rve siècle. ‘IN9JEU0p ‘ UTIOS 91092 NP; UU0) Y LI] “UOUEISTA BE] 9P LISE) E] P sad SUy 8 99AN01] '99SSLUI9A AIN 9197 US ISaMaUNUE DZ 9p 2JNEU ‘ANA 9 HORS : PATENT onbody | ‘xn9}eu0p | uUOS 2819 TP;UU0) 2] UONENS1ANE], 4D U12SENE] 2P Sade s1opuy 8 39AT04] (93SSIUI9A 2JINI 91197 UA "SaNAUUAD QE) 2D 2JNEULIINDIO](L Sp, ANAMEL S | MAIZTEUON anbod'y M Eee Sa nudilé serait entière si elle n’avait sur l'épaule gauche une sorte de clamide retenue vers l'épaule droite par une fibule, en forme de bouton. Deux appendices allongés de bas en haut, à chacun des pieds, indiquent que l'artiste a eu l’intention de représenter des ailes; aussi cette statuette que l’on avait prise d’abord pour un Apollon (inventaire n° 202 du Musée), est-elle incontestablement un Mercure. Donnée par M. Sorin, commandant du génie, elle fut découverte à Angers, dans un des champs de la Visita- tion, champ d’où sortit, lors de la construction de la gare du chemin de fer, une multitude de débris qui altestèrent l'existence d’un vaste cimetière romain. Sur son petit piédestal, de forme circulaire, on lit en caractères longs de un centimètre et d'assez fort relief, l'inscription suivante : P +: FABI : NICIAE, Cette slatuetle mérita de piquer l'attention de M. Heuzey, lors de son voyage à Angers, en avril 1875; depuis, il m’écrivit même pour me demander si l’ins- cription finissait bien par un A, sans trace d’un AE ; ce à quoi je répondis que je n’en voyais aucune. Toutefois, faisant examiner récemment par de meil- leurs yeux et à une trés-forte loupe ladite inscription, je me suis assuré qu’elle se terminait par un AE, ainsi que l’avait justement soupçonné M. Heuzey. On doit donc la rétablir ainsi : P : FABI : NICIAE, sous-entendu Manu; M. Heuzé y à vu un nom d'artiste grec. Voilà comment, en effet, s'exprime le Bulletin de la Société nationale des An- tiquaires de France (®% trimestre, page 118) : « M. Ieuzey ‘signale une statuette de Mercure, en SA « lerre cuite, couverte d’un vernis à base de plomb. « Cette figurine, trouvée à Angers, porte, moulée en « relief sur son socle, une inscription qui donne le « nom d’un modeleur d’origine grecque, nommé « P. Fabius Nicras. » A cet égard, notre Mercure (angevin) est intéressant, mais il ne l’est pas moins sous le rapport de son verms. Selon Brongniart (assure Auguste Demmin dans son Guide de l'amateur de poteries, ire partie, page 16), le vernis minéral imperméable ne daterait que du XIIe siècle, tandis que ce dernier auteur a démontré que les Égyptiens et les Grecs le connaissaient parfai- tement. L’antiquité du vernis minéral paraît donc ne plus faire question; cependant, pour ceux qui douteraient encore, nous avons, à propos de notre Mercure d’An- gers, incontestablement de l’époque romaine, fait appel à de savants chimistes qui ont bien voulu, en opérant sur quelques parcelles, analyser ce vernis et donner leurs conclusions que je résume ainsi : La statue dont le galbe et les proportions sont remar- quables, dit M. le docteur Farge, a dû être moulée dans un bon creux, et non modelée comme l'indique le vide intérieur ; le pied est façonné à la main... et le tout d’une arëile ferrugineuse, fine, rougissant à la cuisson, assez analogue à celle des poteries dites samiennes. Mais le plus curieux est le vernis rougeâtre (plutôt brun) qui le recouvre en entier. Son aspect vitreux, en quelques points, rappelle bien les vernis au plomb que l’on fait encore aujourd’hui. LÉ; see M: A. Leroy, pharmacien en chef des hôpitaux d'Angers, ayant bien voulu prêter à M. Farge son con- cours, ces Messieurs ont constaté sur une petite porlion de vernis raclée sous le socle, la nature même de cet enduit. « En effet, traité par l'acide azotique bouillant éva- « poré et repris par l’eau distillée, il a donné : « Une solution qui filtrée et traitée par l'acide sulfu- « rique à fourni un précipité blanc abondant en sulfate « de plomb; par l’ivdure de potassium, un précimté « considérable jaune d'iodure de plomb ; « 2 Par le sulfo-cyanure de fer, le précipité rouge « brun caractéristique des persels de fer; ce dernier « métal venait exclusivement de l'argile. » Voilà donc l’emploi industriel des vernis au plomb, on pourra même dire au minium, péremptoirement démontré à l’époque romaine. En terminant cette note, qu’il me soit permis d’ajou- ter que parmi les signatures de potiers sur les vases rouges dits samiens, on a découvert à Rom (Deux-Sèvres) un FABIT. Si ce Fabius était le même que notre Fabius Nicias, il s’'ensuivrait que certains potiers auraient été de véri- tables artistes, à l’époque romaine; ce que nous croyons sans peine, en nous rappelant le beau fragment en terre simienne, trouvé dans nos thermes des Châtelliers et représentant une chasse, fragment portant en creux le nom de Luxiacus. Quant à rencontrer en Gaule des noms d'artistes d’origine étrangère sur des figurines, il ne faut pas s’en élonner ; le nom de Tusenos sur une statuette de Vénus tag 0e en terre cuite, trouvée à Lesvières, paraît bien être de celte famille. On connaît aussi deux noms d’artistes-qui se lisent sur la mosaïque de Lillebonne, en Normandie, savoir : Filix citoyen de Pouzzoles et Amor citoyen de Car- thage, son élève (voir an 1873, Bulletin du Ministère, page 318). L'histoire de ces immigrations en Gaule d’objets céramiques estampillés de noms d’artistes grecs, ilalo- grecs, elc., elc., ne peut manquer de se faire ct celte étude ne sera pas en archéologie, la moins attrayante. V. GODARD-FAULTRIER. Extrait du compte-rendu des lectures faites en Sorbonne à la Section d'archéologie, par M. À. Chabouillet, secrétaire de la Section. Séance du 19 avril 1876 *. M. le Dr Briau donne lecture d’un travail de M. Godard-Faultrier sur une Statuctte de. terre vernis- sée de l’époque romaine représentant Mercure. Ce petit monument, qui a élé trouvé dans un cime- tière romain à Angers, dans le voisinage de la gare, à la Visitation, est remarquable par l'inscription du socle qui n’est autre que la signature du figuriste dans l'atelier duquel on le fabriqua. On lit sur ce socle : P * FABI: NICIAE, c’est-à-dire (manu) ou (officina) Publi Fabi 1 Rev. des Soc. sav., publié sous les auspices du Ministère de l’Ins- truction publique, n° de mars-avril 1876, p. 306-308. LS — Niciæ (de la main ou de l'atelier de P. Fabius Nicias}. Malgré ce surnom, il ne s’agit pas nécessairement d’un arüste grec comme on pourrait le croire. Les esclaves à Rome portaient très-souvent des noms grecs, sans être nécessairement d’origine grecque, ct cet usage tenait à ce qu'on ne leur permettait pas de porter des noms de citoyens romains ; il est donc trés-probable, et M. Léon Renier l’a fait observer, que le figuriste en question était un affranchi qui, à son nom primilif de Nicias, avait ajouté, en quittant la servitude, les prénom et nom de son maître P. Fabius. Le travail de M. Go- dard-Faultrier, orné d’un bon dessin par le Dr Hippolyte Godard, a vivement intéressé l'assemblée et, indépen- damment de la remarque de M. Renier, a donné lieu à diverses observations des plus instructives. M. le commandant Mowat en a fait une sur le nom LVXIATI cité par M. Godard-Faultrier comme se trou- vant sur un fragment de terre dite samienne trouvé aux Châtelliers, près d'Angers. Sur ce fragment, M. le com- mandant Mowat reconnaît, moulé en caractères incus et rétrogrades, le nom ICVTXAL, c’est-à-dire LAXTVCI, génitif de LAXTVCIUS, signature observée par le savant officier supérieur sur d’autres poteries antiques. On a encore entendu une bonne observation de M. J. Qui- cherat sur le vernis des poteries antiques. Enfin, tou- jours à l’occasion de la lecture du mémoire de M. Godard-Faultrier et du Mercure de terre vernissée du musée d'Angers, un des assistants, dont je regrelte d'ignorer le nom, a fait circuler dans la salle une sta- tuelte de bronze de la même divinité, de très-bonne conservalion, mais à laquetle manque le bras gauche bg, Ve sans qu’on aperçoive de traces de cassure. On commen- çait à proposer diverses explications de cette singularité observée assez souvent sur d’autres figurines antiques par plusieurs membres de l’assemblée, lorsque M. Che- vrier, intervenant dans le débat, a fait savoir qu’il possédait lui-même une statuette de bronze privée du bras gauche, mais que, bien qu’on n’y vit pas non plus de traces de soudure, il était persuadé que le bras gauche manquait par suite d’un accident, et qu’il ne fallait pas voir là d'intention mystérieuse. A lappui de l'opinion émise par M. Chevrier, le secrétaire de la section d'archéologie, prenant la parole, a cité un mémoire de À. de Longpérier, publiéil y a déjà dix ans par la Revue archéologique ‘, dans lequel ce savant démontrait péremptoirement qu'il ny a pas à s'étonner de la fréquence de la découverte de statuettes privées d’un bras. Dans ce travail dont l’oc- casion fut un article de M. le Dr Emil Braun sur un Bacchus privé du bras gauche mais sans traces de cas- sure, circonstance qui parut inexplicable au savant allemand, M. de Longpérier a donné la solution de ce problème archéologique. « La mythologie, dit M. de Longpérier, n’a aucun rôle à jouer dans celte affaire. » Cest par l'étude des procédés des arts, un peu trop négligée par les érudits, que M. de Longpérier explique la fréquence de la découverte de statuettes antiques privées d’un bras. « Il s’agit, dit-il, d’une statuette dont l’épaule gauche 1 Revue archéologique, nouvelle série, t. XIII, p. 145 à 151. Obser- valions sur une figure de Bacchus privée du bras gauche. M était drapée ; la figure était assez grande pour que la draperie fût, dans ses parties tombantes, détachée du corps, et assez petite pour que l'espace laissé entre le corps et la draperie forçât le mouleur de construire une pièce de son creux de sable très-peu résistante. En pareil cas, il vaut beaucoup mieux couler la figure en plusieurs pièces; l’épaule sans bras el sans draperie devient extrêmement facile à mouler. Le métal en fusion n’a point à s'engager dans un passage étroit, el ne ren- contre pas de mince cloison qu'il puisse briser. D'un autre côté, le bras gauche, accompagné de la draperie pendante, forme une pièce à part beaucoup moins dif- ficile à mouler une fois qu’elie est isolée. Gelte pièce élait ajustée au moyen d’une soudure, elc., elc. » Quant à l’objection tirée de l'absence des traces de-sou- dure, M. de Longpérier y a répondu d’avance dans le mémoire cité; qu’on veuille s’y reporter, et on y trou- vera, p. 148, une explication des procédés de soudure usilés par les anciens qui lève toute difficulté. UNE NOUVELLE SAPHO L'étranger qui, parmi les plages nombreuses vantées chaque année par les prospectus, a eu l’heureuse idée de choisir le Croisic, ne peut manquer d’être, à son arrivée, charmé de l’aspect animé et du caractère tout breton de cette petite ville. À peine à terre, son pre- mier soin sera, évidemment, d'aller contempler cet Océan dont le calme est si beau et dont la fureur se double ici par la résistance des noirs rochers du rivage. -Puis, il mesurera par la pensée le vaste golfe, nommé le Trait, qui, de la pointe nord de Piriac, voit la Tur- bale, Guérande, Saillé, s'élever près de ses rives, pour venir, après avoir passé près du Pouliguen et de Batz, former le port du Croisic et finir à la belle jetée qui touche l'établissement des bains. S'il se dirige le matin vers le mont artificiel de l’Enigo, il verra avec ravisse- ment une flotille de cinquante barques aux voiles blanches ou brunies à l’aide du tan, s’élancer vers la haute mer, pour revenir, dans quelques heures, dépo- ser par milliers sur les quais du port les produits argentés de la pêche. Au même moment, peut-être, Ds Et arriveront à la raffinerie les femmes du bourg de Batz, portant sur leur tête un large vase en bois, ou 7edde, contenant de 30 à 35 livres de sel. Grandes, fortes, vingt fois comparées aux femmes romaines, elles s’a- vancent pieds nus, les deux mains sur les côtés, ou soutenant de l’une d’elles gracieusement leur fardeau, comme la Vendangeuse de Capri, peinte par Lehman; de sorte qu’on dirait de loin une longue série de caria-— tides ambulantes. Puis, enfin, viendra la ville : la haute tour de l’église, avec ses quatre tourelles indiquant les points cardinaux; l'hôtel du duc d’Aiguillon, ancien gouverneur de la contrée, ouvrant, par un portique à colonnes de granit, sur la place du Marché. Mais, on ne fera, sans doute, aucune attention à une maison toute voisine, dont le seul étage a vue sur la rue de l’Église par quatre fenêtres ornées autrefois d’ogives surbaissées et aujourd’hui encadrées par une bande de granit. 11 convient pourtant de s'arrêter un instant, car voici ce que cetle habitation modeste rap- pelle. Le 95 avril 1699, naissait ici le fils aîné d’une hono- rable famille. Dès les premières années, on put remar- quer la vive intelligence de cet enfant qui, à 16 ans, commença de poétiques essais. Son père, toutefois, le destinait au barreau et lui avait fait prendre ses degrés à Rennes. Mais comme il l'a dit plus tard, Apollon V'attirait plus que Thémis et, bientôt, on ne pensa plus guère à Cujas. La Henriade venait de paraître et la cri- tique s'était attachée à ce poème. Le jeune breton prit la défense de l’œuvre et envoya ses vers à l’auteur. voltaire le remercia par une lettre dans laquelle 1l lui Min EU conseillait sagement de ne pas faire de la poésie le principal objet de sa vie, de se créer plutôt une hono- rable et utile position, sauf à devenir écrivain par passetemps. Primo vivere, deinde philosophari, lui disait-il. — Touché de ces prudents avis, le jeune licencié jura en vers qu’il ne rimerait plus, oubliant que le spirituel P. du Cerceau venait de dire : Qui fit des vers, toujours des vers fera. L’adage se vérifia bientôt. L'Académie ayant mis au concours un poème sur les progrès de la navigation sous Louis XIV, on n’y put tenir et l’on envoya une compo- sition, qui ne fut pas couronnée. Se croyant mal jugé, auteur fit présenter son œuvre au chevalier de La Roque, rédacteur du Mercure, recueil le plus estimé du temps. Par malheur, la pièce était précédée de quelques critiques dirigées contre l’Académie. La Roque, redou- tant de se mettre mal avec une telle puissance, se montra furieux et jura qu’il n’imprimerait jamais rien venant de l’auteur... Renoncer à un si sûr moyen de renommée était par trop pénible, et l’on sait que les Bretons tiennent à leurs idées. Que fit l’habile Croisiquais ? A quatre lieues d'ici en gagnant Saint-Nazaire, existe un village bien connu, Escoublac, humble Pompéi de celte contrée, depuis un siècle enseveli sous les sables. Entre ce village et Pornichet, notre auteur possédait une petite maison de campagne, appelée Brédérac, d’où dépendait un clos de vigne nommé la Malcrais. La ruse était trouvée. Une main amie se chargea de transcrire unc.ode qui fut signée Me Malcrais de la Vrgne, envoyée au Mercure et imprimée. LOUE Le succès {ut complet, l'éloge unanime. Le rédacteur, sachant que l'œuvre venait du Croisic, s’informa vaine- ment, mais n’en admira pas moins. Bientôt même, à son admiration se mêlérent de tendres sentiments. « On doit vous regarder comme la Deshoulières de notre siècle, lui écrit-il d’abord. » Puis, l'enthousiasme allant croissant toujours : « Je vous aime, ma chère bretonne, lui dit-il dans une lettre de novembre 1731; pardon- nez-moi cet aveu, mais le mot est lâché! etc., etc. De son côté un autre soupirant commençait ainsi une ode assez peu réservée : « Docte Malcrais, Reine des filles...» Pendant deux ans les choses continuërent ainsi : en juin 1733, le chevalier La Roque écrivait encore : « I était impossible, mon é/ustre et incomparable bre- tonne, etc. » 3 Le mystère n’était plus supportable. Le conseiller Titon du Tillet, ce savant généreux qui s'était fait le Mécène du temps et à qui l’on doit le beau monument en bronze connu sous le nom de Parnasse français’, voulut faire connaître à tous la célèbre bretonne et la pressa de se rendre à Paris : il lui offrit même son hôtel. Une telle invitation ne pouvait se refuser. On se mit en chemin, après avoir indiqué l’heure de l’arrivée. Mais, à ce moment, à surprise pour le noble savant ! il attendait une Muse, et... il reçut un poète !... La vérité était connue : dès le lendemain, tout le Paris littéraire la commentait : on en rit beaucoup et { Monuwent en bronze, représentant le Parnasse, au sommet duquel se trouvent Apollon et les Muses. Cette œuvre d'art se trouve à la Bibliothèque de la rue Richelieu, à Paris. A0 l’enthousiaste rédacteur du Mercure dut finir par faire comme tout le monde. Or, ce poëte, c'était Paul Maillard. Ce nom ne doit pas étonner ici. Maillard ou David : ces deux mots indiquent la moitié au moins des familles aisées dn Croisic. Pour les hommes, il suffit de les compter : pour les femmes, dont le nom s’éclipse au mariage, il est facile d'apprendre que la plupart, étant jeunes filles, portaient un de ces noms-là. Ajoutons qu’à raison d’une petite propriété de famille, on nommait notre poête Maillard-Desforges et même, plus communément, Desforges-Maillard. Une de ses sœurs s’est appelée Mie de Malcrais, — Ce retour à la vérité ne nuisit en rien aux succès du poête. Voltaire, alors à Vassy, en Champagne. ayant eu connaissance de l’incident, écrivait : « Votre chan- gement de sexe, monsieur, n’a rien altéré de mon estime pour vous. La plaisanterie que vous avez faite est un des bons tours dont on se soit avisé... etc... » Puis, Jean-Baptiste Rousseau envoyait ce quatrain : Si, sous un nom d'emprunt autrefois si charmant, Maïllard brilla sur le Parnasse, Aujourd’hui sous le sien, encore plus dignement Il sait y conserver sa place. Toutefois, l'aventure, si bizarre qu’elle soit, aurait pu être oubliée, si un auteur (dans lequel nous ne vou- Jons voir que le poëte dramatique) n’avait fait de cette aventure même le sujet d’une comédie restée un des chefs-d'œuvre de notre théâtre de second ordre. M. Piron, dit Maillard dans une préface, ne se mit PS 7 DA point au nombre des amants de Mlle de Malcrais; mais ce déguisement fournit à son imagination le sujet de sa Métromanie, comédie admirable dans laquelle il me met en bonne compagnie. J'étais dans le parterre, à la première représentation. Se figure-t-on FRANCALEU, venant dire : ..… Ma muse, en tapinois, Se fait dans le Mercure, applaudir tous les mois. BALIVEAU. Comment ? FRANCALEU. J'y prends le nom d’une basse bretonne; Sous ce voile étranger, je ris, je plais, j'étonne ; Et, le masque femeile agaçant le lecteur, De tel qui m'a raillé fait mon adorateur. De son côté, ce pauvre chevalier de la Roque, devenu Damis ou de l’Empirée, disant à son tour : Oui, divine inconnue! Oui, céleste Bretonne, Possédez seule un cœur que je vous abandonne... Et puis : MONDOR, De qui parlez-vous donc, Monsieur? DAMIS. D'une Sapho, D'un prodige qui doit, aidé de mes lumières, Effacer quelque jour l’illustre Deshoulières, D'une fille à laquelle est uni mon destin. MONDOR. Où, diantre, est cette fille? DAMIS. A Quimper-Corentin. » Be AS Quelle soirée ! Que d’esprit! Quelle joie exquise! Toutefois, si la verve comique de Piron, voulant indi- quer une province bien reculée, bien inconnue, bien Finistère, a nommé Quimper, la vérité est que cette ville n’est pour rien dans la vie de notre poète. C’est bien ici que Maillard habitait. Seulement, c’est à Brédé- rac que, de préférence, il rimait. Et, certes, il rimait souvent, car, dans un seul volume de ses œuvres, imprimé à Amsterdam en 1759, on trouve, outre une longue préface et quelques opus- cules, 27 odes, 21 épîtres, 23 contes en vers, 10 élé- gies, 20 épitaphes, 25 fables et 6 cantates. — Maintenant, que le visiteur continue son explora- tion. — Il voudra, sans nul doute, se rendre à la Grande Côte, si admirée par Balzac, puis, après s'être arrêté un instant à la Montagne d’Esprit, voir s’il trouvera, chez les habitants du bourg de Batz, ces costumes si riches et si justement vantés qui, délaissés aujourd’hui, semblent presque tombés à l’état de déguisement. Quelles que soient ses courses, ses impressions, espé- rons qu’il emportera notre simple récit et, s’il venait à l'oublier, souhaitons lui de relire une fois de plus le vers entrainants de la Métromante. E. LACHÈSE. Le Croisic, septembre 1876. DINARD Vois, ce spectacle est beau. — Ce paysage immense Qui toujours devant nous finit et recommence; Ces blés, ces eaux, ces prés, ce bois charmant aux yeux ; Ce chaume où l'on entend rire un groupe joyeux ; L'Océan qui s’ajoute à la plaine où nous sommes ; Ce golfe fait par Dieu, puis refait par les hommes. V. HUGo. Au bord de la mer. Chant du Crépuscule. Nous vivions sous ton ciel et t’'ignorions encore, Golfe aux mille replis, abri tranquille et sûr, Toi qûe Dieu revêtit des reflets du Bosphore, Refuge au double port, presqu’ile au double azur. En vain se déroulait ta rive hospitalière, En vain se déployait ton suave contour, En vain tu promettais sous ta pure lumière Le calme à la douleur, le mystère à l’amour; En vain la mer parait tes falaises riantes, Lorsque son souffle ailleurs porte l’aridité, De jardins suspendus, aux cîmes ondoyantes Où l’orme vit auprès du léard argenté ; Où près du sombre houx le bouleau se balance, Où les genêts dorés répandent leurs senteurs, Où l’on sent se confondre au détour de chaque anse L’haleine de la brise et l'haleine des fleurs. SOC. D’AG. 4 MED TEs En vain tout n’était là que grâce et fantaisie , En vain pour nous ravir nous appelait de loin, Assise sur ces bords la douce poésie. Nous prenions un autre chemin! Blasés sur nos loisirs et loin de la patrie, Animés du désir de voir et de changer, Nous n’étions bien que loin d’une terre chérie, Il nous fallait frapper au seuil de l'étranger. Lorsqu'un jour vers ce coin de notre noble terre, Las du bruit, sur ces bords un poète arriva, Ennuyé de la foule il cherchait le mystère, Et c’est ici qu'il le trouva. C’est à Dinard ce jour que sa nef jeta l'ancre, Aucun cottage alors n’habitait ces beaux lieux, Des rochers bocagers.. et que la mer échancre.. L’azur des flots, l’azur des cieux; De l’océan plaintif la voix éolienne, L’ineffable horizon d’où jaillit Solidor, Les soupirs de la Rance et la brume sereine Où Saint-Malo s’éveille et s’agite et s'endort; Ces granits au soleil, dorés de couleur d’ambre, Ces îlots qu’enveloppe un voile de vapeur, Ces coteaux de Frehel, de Gave et de Césembre Que baigne le couchant de sa douce lueur. Ces écueils sur les flots ou sur la grève rose, Entre ces archipels tous les fantômes blancs, Légers hôtes des mers et l’algue où se repose Le soir, l’aile des goëlands ;.. ep Puis l’infini toujours, domaine du poëte, Riche écrin où sa main puise et repuise encor, Soit qu'il montre à nos yeux la foudre et la tempête, L’émeraude, la pourpre ou l'or! C'était assez du moins pour y dresser sa tente, Le poëte y rêva, le poète en revint, Il conta de ces bords la jeunesse charmante... Après lui tout le monde y vint. Poëtes et banquiers, on crut à la nature Ajouter un sourire et de nouveaux attraits, Hélas! on en changea l'aspect et la figure. Mais non sans en troubler la paix. Le luxe des cités s’étendit sur la dune Pour en bannir le calme et l'inspiration, Le sable au poids de l’or s’y vendit, la fortune Y vint chercher l’ovation. On spécule aujourd’hui sur la plage touchante Naguëre où l’on rêvait, d’autres jours sont venus : La mode y va régner, elle y danse, elle y chante. Le poëête n’y chante plus!!! P. BELLEUVRE PROCÈS-VERBAUX DES SÉANCES SÉANCE DU 21 MARS 1876. Sont présents au bureau : MM. Adolphe Lachèse, président ; Belleuvre, secrétaire général. Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté. . M. le Président communique à la réunion une ins- truction pratique envoyée par M. le Ministre de l’agri- culture et relative aux moyens à employer pour com- battre le phylloxera. Le Ministre invite les spécialistes à consulter à ce sujet le journal ayant pour titre l’Or- phelin, petit moniteur des orphelinats et des colonies agricoles que l’on recommande aux principaux viticul- teurs de notre contrée. M. le Président donne lecture de la circulaire de M. le Ministre de l'instruction publique, en date du 45 février 1876, et relative à la réunion des délégués des sociétés savantes, qui doit avoir lieu à la Sorbonne les 19, 20 et 21 avril prochain. Le Ministre, dans cette circulaire, annonce dans quelles conditions et dans quels délais les délégués DRE Net doivent faire connaître leurs noms et les Litres des mé- moires qu'ils se proposent de présenter à cette réunion. Comme les autres années, il informe les personnes intéressées des avantages et des réductions qu’elles pourront obtenir de l'administration du chemin de fer et, en même temps, il indique les mesures qui sont prises pour empêcher les abus que pourraient faire de ces facilités des personnes qui n’y ont aucun droit. M. Eliacin Lachèse, dans une notice intéressante ayant pour titre : La Musique à Abbeville et à Angers, rappelle les succès artistiques et les créalions musicales qui avaient mérité à notre cité le surnom de Ville phul- harmonique. Abbeville, avec le concours de 25,000 ha- bitants, lui semble avoir des droits non moins fondés à ses éloges, dans la culture de l’harmonie. Cette ville s’enorgueillit avec raison d’avoir donné le jour à Jean- François Lesueur, compositeur célèbre, auteur de la Caverne, de la Mort d’Adam cet des Bardes, et elle a érigé sa statue en bronze sur la place Saint-Pierre. Après des études heureuses et persévérantes, Lesueur devint en 1795, au Conservatoire, le collaborateur de Mehul et de Catel. Son exemple enflamma d’une noble émulation ses concitoyens qui surent, avec un modeste budget et à travers des obstacles de toute sorte, se dis- tinguer dans l’art musical sous toutes les formes. La cité qui a donné naissance à Lesueur et à Mille- voye, a entendu également les frères Bohrer, Vogt, Baillot, Térésa Milanollo, Sivori, Mmes Sabatier, Car- valho, Iweins d'Hennin, ete., etc., que nous avons entendus nous-mêmes à Angers. Charmants préludes aux accents de la célèbre Christine Nilson. Ares Nous devons trouver dans de pareils exemples de grandes sources d’encouragements. L'auteur de la notice donne bien aux matinées musi- cales fondées par Maurin, si bien secondé par MM. Cat- termole et Closon, la part d’éloges qui leur revient ; il reconnaît avec bonheur combien notre ville est riche en artistes et amateurs remarquables comme pianistes, et tout ce que l’on doit de reconnaissance aux sociétés philharmoniques qui, depuis le concert d'étude jusqu’à la société Sainte-Cécile, se sont succédé dans notre ville; cette dernière société, particulièrement, dont l'écho retentit encore des bravos si justement donnés à Mes Sposi et Franchelli; mais il faut soutenir et déve- lopper. une si précieuse institution. Pour arriver à ce but, il ne faut pas se contenter d’une étude trop sou- vent superficielle de l’art; il faut reprendre ces instru- ments d'orchestre que tant d'amateurs cultivaient avec succés et qui, par leur concours, ménageaient les res- sources de nos directeurs. Travaillons, dit en terminant M. El. Lachése, travail- lons avec persévérance, prenons pour modèle la cité d’Abbeville, et nous arriverons ainsi à reconquérir pour notre ville d'Angers, le surnom de Cité philharmonique qu’on se plaisait, il y a quelque temps, à lui donner. M. Victor Godard-Faultrier communique à la Société une notice dont il se propose de donner lecture à la prochaine réunion des sociétés savantes à la Sorbonne, notice relative à une statuelle romaine de Mercure, qui fait partie de la collection de notre Musée archéolo- gique, statuette qui ne lui a pas semblé étrangère aux bonnés traditions de l’art antique sans pouvoir cepen- mo dant remonter bien au delà du 1ve siècle. Elle est privée de la tête, mais les appendices brisés aux talons ne permettent pas de douter du personnage qu’elle représente. Le Musée en doit la possession à M. Léon Sorin, commandant du génie à l’époque où elle fut trouvée dans les champs de la Visitation, pendant la construc- tion de la gare. Elle porte à sa base une inscription qui, après une reclificalion due à l'examen de la loupe, de la lettre À E au lieu de À simple, doit se lire ainsi : P : FABI : NICIÆ nom de son auteur, Fabius Nicias. Construite en terre cuite, elle est couverte d’un vernis à base de plomb. Contrairement à l'opinion de Bron- gmiart qui n'a pas fait remonter cet enduit imper- méable au delà du xt siècle, elle semblerait donner raison à d’autres auteurs qui en reporlent l'emploi jusqu'aux Grecs et même jusqu'aux Égyptiens. M. d’Espinay donne lecture d’une notice sur le cata- logue des manuscrits de la Bibliothèque de Tours, par M. d'Orange, bibliothécaire. On ne connaît pas toujours, faute de catalogues, les ouvrages précieux que possèdent certaines bibliothèques de province. On doit donc, comme l’exprime M. d’Espi- nay, avoir une grande reconnaissance aux bibliothé- caires et aux archivistes qui prennent la peine de classer ces documents si divers et si variés, puisqu'ils per- mettent ainsi aux conservateurs de ces riches dépôts d'échanger entre eux des renseignements si utiles à la science, NEO Dans un bel in-4° de 580 pages, le catalogue de M. d'Orange comprend 1503 numéros. Il a suivi les grandes divisions et les subdivisions adoptées généra- lement : la théologie comprenant les Écritures sacrées, les livres liturgiques, les conciles, les saints pères, etc. Dans la section de jnrisprudence, sont groupés tous les ouvrages qui se référent à la science du droit; dans la rubrique des sciences, tous ceux qui ont développé les connaissances humaines; celle de la linguistique s'applique à tout ce qui tient à la littérature, à la poé- sie, au roman; puis, la section historique dans laquelie se réunissent toutes les études sur les traditions de tous les temps, de toutes les nations. Enfin, une catégorie supplémentaire a été consacrée à tous les ouvrages relatifs à la Touraine, méthode excellente qui facilite beaucoup les recherches dans une bibliothèque de province, surtout pour l’étude spéciale des manuscrits. Cette catégorie comprend 257 manus- crits. Le cartulaire de la cathédrale est très-curieux à consulter. Ce dépôt a été une mine précieuse à exploiter pour tous les savants et archivistes de l'Ouest. M. d'Orange a joint au mérite de la classification, le mérite de la rédaction et ce catalogue est destiné à rendre d'immenses services. L'ordre du jour appelle la lecture d’une pièce de vers sur Dinard, par M. Paul Belleuvre, qui rencontre les sympathies de la Société. En outre, M. Belleuvre avait à rendre compte des différentes phases traversées par le projet présenté par lui à la Société d'Agriculture, Sciences et Arts, projet relatif à l'érection d’une statue à Robert le Fort, et il qe est décidé que ce compte-rendu sera inscrit au procès- verbal. Compte-rendu des travaux de la Commission nommée par la Société d'Agriculture, Sciences et Aris d’An- gers, pour l'érection d’une statue sur la place de Châteauneuf, en l'honneur de Robert le Fort victime, au 1xe siècle, de son dévouement à notre pays. Messieurs, Avant la rentrée des vacances de 1874, dans la séance du 8 août, j'eus l'honneur de vous donner lec- ture d’un travail ayant pour titre : Une sépulture, par lequel j'exprimais un vœu dont M. Godard-Faultrier avait pris l'initiative dès 1839, dans une motion tendant à faire ériger sur la place de Châteauneuf-sur-Sarthe, ancienne capitale de son marquisat de Seronnes, une statue en l'honneur de Robert le Fort, pour sa défense héroïque contre les Normands, défense au milieu de laquelle il devait tomber enseveli dans sa glaire. J'eus le plaisir de rencontrer dans cette réunion l’as- sentiment unanime de mes collègues; vous me fites l'honneur de m’autoriser à prendre les voies el moyens nécessaires pour arriver à la réalisation d’un but si désirable, et vous voulûles bien nommer une commis- sion composée de MM. Victor PaŸie, Godard-Faultrier, d'Espinay, Dr Grille, Cosnier et Bellier, pour me prêter leur concours dans celte entreprise. Une œuvre aussi populaire et aussi patriotique ne pouvait manquer d’éveiller toutes les sympathies. Malheureusement, les préoccupations politiques de l’année 4874 et du commencement de 1875 ne nous permirent pas de poursuivre ce projet d’une mamiére active. Au mois de septembre 1875, profitant d’un peu d'apaisement dans les esprits, je repris celte idée devant vous, je vous demandai de me permettre de réunir la commission et, dans notre séance du 27 octobre der- nier, je fus même autorisé par vous, dans un vote unanime, à ouvrir une souscription dès que j'en verrais la possibilité. Ce fut aussi l'opinion de la commission qui eut une première conférence le 8 novembre 1875. Cependant il y avait à demander à Mme David si elle nous permettrait de prendre pour notre modèle la figurine de Robert le Fort, œuvre de son illustre mari. M. Henri Jouin voulut bien être notre interprête auprès d’elle. Mais Mme David arrêtée, avec raison, par des appréhensions dont elle avait vu notre grand maître s’émouvoir lui- même au sujet de la reproduction en grand d’une simple statuette, appréhensions reposant sur des consi- dérations d’appropriation locale et aussi sur des diffi- cultés techniques, refusa d’une manière absolue. Sur les entrefaites plusieurs artistes consultés MM. Pavie, Lenepveu, Joly, de Saumur, nous avaient déjà, avec une sagacité lumineuse, prémuni contre ce danger. La question se trouvait donc tranchée quani au mo- dèle de M David. Dans le courant de décembre, la commission se réunit de nouveau. On avait mis à l’ordre du jour la — 59 — question de savoir si l’on établirait un concours ou si l’on s’adresserait de suite à un artiste de Paris. La - commission renonça à la voie d’un concours, elle renonça également à employer tout artiste qui ne serait pas encore monté au premier rang et sur la motion de M. Victor Pavie, il fut convenu qu’on ne chargerait de ce travail qu’une illustration. On arrêta le choix entre les trois plus célèbres sta- tuaires d'aujourd'hui : MM. Millet, Chapu et Mercier. Je proposai à la commission de nous aider du concours de M. Tancrède Abraham, ami de plusieurs d’entre nous et aquafortiste distingué, lié avec beaucoup d’ar- tistes éminents et lui-même appelé en février, à Paris, pour se préparer à l’exposition. Cette circonstance fut considérée comme une honne fortune, et on lui laissa carte blanche pour s'adresser entre ces trois statuaires à celui qu’il croirait le plus capable de comprendre notre pensée. Février arriva, et M. Abraham partit avec l'idée de donner la préférence à M. Chapu. La période électorale, quant au projet de souscrip- tion, ne nous permit pas de l’annoncer ouvertement, n1 dans les conversations, ni par la voie de la presse. Une fois les élections terminées, je pus m’en entre- tenir avec quelques personnes et leur envoyer ma bro- chure en leur demandanf leur concours. Je ne rencon- trai que des sympathies ; M. Achille Joûbert à qui je m'en ouvris le premier, s’engagea pour une somme de mille francs. MM. de Civrac, de Falloux, de Maillé, de _ Blois, le marquis d’Andigné, par de gracieuses lettres me garantirent leurs souscriptions dont ils détermine- e PA à Eu ront le chiffre au commencement d’avnil, pendant la session du Conseil général. MM. Oriolle, conseiller général, Loriol de Barny, Toutain et plusieurs autres personnes m'ont donné ver- balement les mêmes assurances. Enfin, sous ce rapport, nos espérances ont été dépas- sées en recevant par l'intermédiaire d’un de mes amis une lettre du duc de Chartres qui prend le même enga- gement et qui déterminera la somme dès qu'il connai- tra la situation. L’ami dont je parle s’est chargé de la lui exposer. Avant d'ouvrir la souscription, nous avions d’ailleurs une formalité légale à remplir, c’élait de demander à la ville de Châteauneuf son acceptation et, à cet effet, une délibération du Conseil municipal de cette localité. Le samedi 11 courant, M. le Dr Grille et moi nous nous sommes rendus à Châteauneuf pour nous entendre à ce sujet avec le maire, M. Poitevin, que M. Achille Joûbert avait eu déjà la bonté de préparer à cette visite. Aprés les élections de ce canton, nous pouvions redouter au point de vue dynastique, de la part de la population, une opposition à notre projet, ou du moins une profonde indifférence. Le maire nous a complétement rassurés à cet égard, en nous assurant que cette idée remplit les habitants d'enthousiasme. Ils ont pu vofer, dans les élections du 12 mars, -en vue d’un bien-être matériel qu’ils trou- vaient sous l'empire ; mais tout germe de patriotisme n’est pas mort chez eux. Ils ont pour la mémoire de _notre héros un véritable culte et le maire ne doute pas d'une complète adhésion. Hs ui tT ES Au moment où j'écrivais ces derniers mols, Je rece- vais, en effet, une lettre de M. Poitevin m’annonçant que notre proposition avait rencontré les suffrages de son Conseil, et qu’il allait transmettre à M. le Prétet l'extrait de cette délibération, conformément à la loi. Aussitôt que M. le Préfet nous aura communiqué offi- ciellement ce message, nous pourrons annoncer la souscription. Il est neuf heures trois quarts, la séance est levée. Le Secrétaire général, P. BELLEUVRE. SÉANCE DU 26 AVRIL 1876. Sont présents au bureau : MM. Adolphe Lachèse, président ; P. Belleuvre, secrétaire général. Le procés-verbal de la précédente séance est lu et adopté. M. le Dr Grille fait hommage à la Société de sa Tra- duction des comédies de Térence. M. le Président le remercie au nom de tous. Suivant l’auteur, qui abandonne à l'Œuvre des Crèches le bénéfice de l'édition, cet ouvrage ne se recommande qu’à un titre : la charité; nous lui en connaissons un autre, le talent d’avoir su reproduire Térence avec fidélité, tout en jetant une gaze délicate sur des formes quelquefois pus que sensuelles. M. Grille doit inviter M. de Lens, membre honoraire, PASS ELA en lui offrant un exemplaire, de vouloir bien faire le compte-rendu de cette production. M. le Président communique la lettre par laquelle M. le Dr Briau lui rend compte de l'impression produile à la réunion de la Sorbonne par la notice de M. Godard- Faultrier sur la statuette de Mercure, notice dont le D' Briau, délégué par la Société d'Agriculture, Sciences et Arts d'Angers, a donné lecture devant cette assem- blée. Entre autres détails il signale l’opinion de M. Re- nier, suivant lequel le nom de Nicias qui termine l'inscription de la statuette ne serait pas le nom de l’auteur, mais le nom d’un affranchi réuni au nom de Fabius, son maîlre. La correspondance contient, en outre, une lettre de la Société Industrielle de Mulhouse, invitant à une exposition qui aura lieu au mois de mai prochain; enfin une lettre de M. le Ministre de l'instruction publique, envoyant un rapport sur la publication de documents inédits, par M. Georges Picot, sur les États généraux. M. Lachèse communique également un envoi du Ministre de l’agriculture renfermant un programme des concours généraux d'animaux gras, de volailles vivantes, etc., concours qui doivent se tenir à Paris, au mois de février 1877. M. le Président doit faire insérer un extrait de ce programme dans les journaux. M. Raphaël Gauthier, de Paris, chevalier de la Légion d'honneur, adresse à la Société une circulaire qui fait connaître les abris inventés par lui pour garantir les vignes el les arbres fruyiers contre les gelées du prin- temps. M0 es M. d’'Espinay avait fait part à la Société, lors de la der- nière séance, du projet que l’on formait d’élever un mo- nument à la mémoire de M. de Caumont, enlevé il y a deux ans à la science ct à ses nombreux amis. Quelle carrière a été plus honorablement et plus utilement remplie que celle de lillustre Président de la Société française d'archéologie? Qui a oublié les services rendus par lui dans ses voyages incessants et dans ses tournées annuelles aux Sociétés archéologiques des provinces ? Ne le savons-nous pas aussi bien que personne, nous qui avons mis à l’épreuve un jour, dans notre Congrès scientifique, son érudition et sa bienveillance ? On avait hésité entre Caen et Bayeux. On s'est déterminé pour celte dernière ville. La Société décide qu’elle souscrira pour une somme de cent francs, que M. d’Espinay voudra bien se charger de faire parvenir au Comité de Bayeux. La Société vient de recevoir le Bulletin de la Société académique de Brest ; M. le président Ad. Lachèse signale particulièrement dans ce volume des Recherches sur lu- sage de certaines alques, et un projet de l'enseigne de vaisseau Rivoire contre le port de Brest sous le Consulat, Mais ce qui a frappé davantage l'attention de M. Lachèse, c’est un épisode de nos guerres navales au commencement de l’Empire et dont un simple matelot nommé Furic fut le héros. L’amiral Wuillaumez était parti en croisière avec une division de plusieurs vaisseaux contre les Anglais. L’es- cadre française ayant été obligée de se partager, un petit nombre de vaisseaux se trouva sur la côte de Bre- tagne, exposé au feu des Anglais, sans être en état de EE TEE résister au nombre. Le vaisseau le Vétéran ayant pour commandant le prince Jérôme Bonaparte, se trouva particulièrement dans un péril extrême devant le petit port de Concarneau. Si l’on avait connu d’une maniére précise la profondeur des eaux de cette anse, on n’eûl pas hésité à s’y abriter; mais on lignorait, et l’on n’osait tenter la fortune de ce côté. Jérôme Bonaparte tenait conseil avec les officiers du bord, leur avouant sa cruelle alternative, ou d’aller échouer dans le port, ou de se faire sauter avec un vaisseau anglais, lorsqu'un jeune homme, enfant de la côte et qui, à ce titre, con- naissait le petit port, proposa d’y conduire le Vétéran. Il essuya d’abord de cruelles railleries, mais sa tenacité et sa logique ébranlérent à la fois l’équipage et le com- mandant lui-même qui tout prêt à périr, préférant encore courir une dernière chance de salut, investit le jeune Furic, pour cette tentative, d’un pouvoir illi- mité. Sous les feux qui le criblaient, Furic manœuvra aussi bien qu’il avait raisonné; il parvint par une habile bordée à gagner des rochers contre lesquels il pouvait se briser, mais qui, tournés de la manière la plus heu- reuse, le mirent à l’abri du feu de l'ennemi et lui per- mirent de gagner le port et de sauver l'équipage. Quelle heure est-il ? Tel est le titre d’une pièce de vers de M. le Dr Grille. M. Grille n’avait rien préparé pour la séance, quand il apprend qu’il est inscrit à l'ordre du jour; mais avec la verve et les manuscrits de M. Grille, on n’est jamais en défaut ; il lui suffit d’ou- vrir un de ses cahiers et la pièce que nous citons lui tombe sous la main. Harmonieuse et poétique, si elle CA ES MEL offre le reflet de son esprit, elle ne porte pas moins l'empreinte d’un cœur sensible et généreux. Le poëte, jaloux de bien employer son temps, regarde souvent à sa montre et à sa pendule et l'horloge lui donne toujours une bonne inspiration ; c’est toujours pour lui l’heure de remplir un devoir ou de faire une œuvre de bienfaisance, quand ce n’est pas l’heure de faire des vers charmants. De cette façon le temps passe vite, L’horloge nous dit à nous-mêmes que l’heure s’avance et la séance est levée. Le Secrétaire général, P. BELLEUVRE. SÉANCE DU 2 AOÛT 1876. Par suite de l’absence de M. Belleuvre indisposé, la lecture du procès-verbal de la dernière séance est remise à la prochaine réunion et sera faite avec la lec- ture du procès-verbal de la séance du 2 août. Mne Courtiller, de Saumur, adresse à la Société une lettre de faire part de la mort de M. Courtiller, son mari, ancien président de la Société. M. le Président Adolphe Lachèse paie au nom de notre Société à la mémoire du magistrat et du savant un juste tribut d’éloges et de regrets auquel tout le monde s’as- socie. La Société Académique de Saint-Quentin adresse à SOC. D’AG, 5 O6 notre compagnie une Étude sur Jean Bodin, notre compatriote. M. le Président signale aux membres présents un article tiré des Mémoires de l’Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Clermont-Ferrand, article contenant une Vote sur les chemins qui conduisent au Puy-de-Dôme, et renfermant des considérations sur les monuments historiques de ce curieux département. M. le Président appelle aussi l’intérêt de la Société sur un travail de la Société d'Agriculture, Sciences, Belles-Lettres et Arts d'Orléans, relatif à une tête de Vénus trouvée à Bazoges-les-Hautes. L'ordre du jour appelle le rapport de M. de Lens, inspecteur honoraire de l’Académie, sur la Traduction en vers des comédies de Térence, par le Dr R. Grille. M. de Lens, avec sa modestie ordinaire, expose que dans sa carrière professorale, il a été plus versé dans l'étude philosophique que dans la critique littéraire, et craint de ne pas avoir, pour le jugement qu'on lui a demandé, la compétence nécessaire, mais c’est une appréciation de lui-même à laquelle personne ne sous- crit et dont le mérite du rapport de M. de Lens va faire prompte et éclatante justice. Aprés avoir indiqué délicatement le point de contact qui peut unir Horace à Térence et comment M. le D' Grille a dû songer à traduire le second après avoir traduit le premier, M. de Lens insiste particulièrement sur ce fait capital et cette double circonstance dans une même publication à Angers, d’une traduction complète de Térence et d’une traduction en vers. Le moyen âge, à travers les travaux des monastères NO et des universités s'écoule complétement sans laisser trace d’un travail quelque peu important sur Térence. Il faut descendre jusqu’à la fin du xve siècle, en 1481, pour trouver un commentateur de ce poëte dans la personne de Jean de Bernay, et encore le commentaire a-t-il peu survécu à auteur. Au xvue siècle, comme si l’Anjou devait être prédes- tiné à l'interprétation de Térence, François Guiet, Ménage, Tannegui Lefèvre, professeur, en traduisent des extraits plus ou moins importants, et la fille de Tannegui Lefèvre, la célébre Mme Dacier, le traduit complétement en prose. D'autre part, Montaigne en a parlé d’une manière trés-élogieuse ; La Fontaine l’apprécie aussi favora- blement. Molière paraît, et sa renommée donne lieu aux cri- tiques du temps de chercher à lui opposer Térence pour émule. Labruyère, Fénelon, Bossuet lui-même, au point de vue littéraire, en parlent favorablement. Mais, sous le rapport moral, comme le reconnaît si judicieusement l’honorable rapporteur, la jeunesse chrétienne ne peut ouvrir ce livre que sous les auspices, pour nous servir des paroles de M. de Lens lui-même, que sous les auspices et la responsabilité d'un quide prudent. Une traduction de Térence est particulièrement utile aux gens du monde qui, au milieu du mouvement des affaires ou des plaisirs oublient leurs études premières, et aux femmes d’esprit, mais qui ne sont pas familières avec la poésie latine. Ces deux classes ne peuvent trou- 106 —— ver pour étudier Térence un meilleur interprète que M. Grille. : M. de Lens oppose ensuite à l’interprétation du tra- ducteur les passages de Térence qui y correspondent. Le rapporteur étudie ensuite le poète comme peintre de mœurs dans les Adelphes, dans l’Ennuque et, dans cetie dernière composition, avec d'importants extraits de M. Grille. En estimant à sa juste valeur le travail du nouveau traducteur de Térence, M. de Lens, sans en faire un reproche à l’auteur, signale l'introduction de quelques phrases et de quelques pensées appartenant en propre à M. Grille, certains arrangements pour nous servir des expressions de M. de Lens, dans le but sans doute de moderniser le texte original, et qu’un traducteur plus sévère se serait peut-être interdits, mais ces arrange- ments sont-ils des licences défendues, des imperfec- tions ? L’honorable rapporteur ne le dit pas. Dans tous les cas, une franchise si consciencieuse sur des détails si peu sensibles, donne une valeur de plus aux éloges qu'avec la même sincérité M. de Lens a été si heureux à maintes reprises, de décerner à notre cher el distin- gué confrère. M. de Lens reçoit pour cette sagace et habile inter- prétation du travail soumis à son jugement, les félicita- tions des membres présents. L'heure s’avance, la séance est levée. Le Secrétaire général, P. BELLEUVRE. ur TM SÉANCE DU 15 NOVEMBRE 1876. Le procés-verbal de la dernière séance est lu et adopté. M. le Président donne lecture d’une lettre de M. le Ministre de linstruclion publique et des beaux-arts donnant avis à la Société du désir qu'il éprouve de composer un inventaire des richesses artistiques de la France, et fait appel à son concours pour lui fournir le catalogue des spécimens renfermés dans notre dépar- tement. En nous communiquant cetle circulaire, M. le Pré- sident informe la Société qu’il ya déjà répondu. Dans le compte-rendu dle la séance tenu par les sociétés savantes à la Sorbonne en 1876, M. le Prési- dent entretient la Société du rapport de M. Chabouillet sur la statue de Mercure trouvée dans le champ de la Visitation et offerte par M. Sorin, alors commandant du génie, au musée archéologique. M. Chabouillet ne Ÿoit point dans le nom de Fabius Nicias celui de l'artiste, mais dans le nom de Nicias celui d’un affranchi aiouté à celui de Fabius son maître. M. le Président nous entretient également du travail de M. d'Espinay à l’occasion duquel il n'y à pas eu de rapport, mais qui a été l’objet d’une mention dans la même séance de la Sorbonne. La question qui domine l'intérêt de la séance est la question relative à la fusion des Sociétés savantes dans notre ville, -Cette motion avait été formée, il y a déjà AN LE longtemps dans le sein du Conseil général, inspiré sans doute par un motif d'économie et peut-être aussi par le désir de faire cesser une dispersion toujours nuisible des forces intellectuelles de notre cité. Depuis ce mo- ment, ce vœu avait été souvent renouvelé à notre Pré- sident dans des lettres de nos Préfets ;et M. Merlet, dans le cours de ses fonctions, sollicité de nouveau par le Conseil général, n’avait pas ménagé à cet égard des avis qui finissaient par prendre le caractère d’une sommation, malgré la courtoisie des termes. Poussé ainsi dans ses derniers retranchements à la fin de 1875 et dans le cours de 1876, notre cher prési- dent M. Adolphe Lachèse avait fait des démarches au- prés des représentants des autres sociétés. La Société industrielle, par l'organe de M. Blavier, son président, avait répondu qu’elle était toute disposée à nous agréger à elle, tout en respectant notre autonomie; mais la Société académique avait montré uns hésitation et demandé des délais qui ne paraissaient pas devoir nous conduire à un accord sur ce point; quant à la Société d'horticulture, son Président avait répondu qu’elle continuerait de marcher sans le concours de personne. Notre Président ne pouvait forcer la situation, et, au milieu de ces dispositions diverses, les vacances de 1876 étaient arrivées. À l’époque de la rentrée M. Adolphe Lachèse sétait donc émpressé de nous réunir pour nous saisir de nouveau de la question, et nous rendre compte de ce qui s'était passé depuis notre dernière séparation. C’est cet exposé que nous entendions dans notre séance du mercredi 15 novembre dernier. M D'un autre côté, M. Lachèse fatigué par une carrière longue et activement remplie au profit de tous ef, qu’l nous soit permis d'ajouter ici, au profit d’une Société, à l'éclat de laquelle il a contribué pendant de nom- breuses années par ses nombreux travaux, par son dévouement et par ses relations avec nos Présidents d'honneur M. Villemain, M. le comte de Falloux et M. Beulé auxquels nous avons dû de si brillantes séances, M. Adolphe Lachèse nous avoue que ses forces et sa santé ne lui permettent pas de nous conduire plus loin, et qu'il est contraint, à son grand regret, de don- ner sa démission de présideut de la Société d’Agricul- ture, Sciences et Arts d'Angers. La Société, malgré son chagrin de cette pénible séparation, ne peut cette fois combattre une pensée que M. Lachèse avait exprimée bien des fois, mais qu'elle n'avait jamais voulu en- tendre. Le remplacement de M. Lachèse étant subor- donné à la nouvelle organisation de la Société, une commission composée de MM. d’Espinay, docteur Grille et Rondeau, est nommée pour prendre les voies et moyens d'arriver sur ce point à une solution. Une nouvelle Sapho, tel est le titre d’un charmant et spirituel article de M. Eliacin Lachèse, dont l’auteur veut hien nous donner lecture. Dans cet article, M. La- chèse nous retrace l’histoire d’un jeune poëte du Croisic dont les inspirations tant qu’elles furent signées de son nom eurent peu ou presque point de retentissement. En vain essaie-t-il de se faire jour à travers l’obscurité qui l’enveloppe en adressant un éloge à Voltaire sur la Henriade, Voltaire hélas! tout en lui adressant ses re- NEO er merciements lui donne le conseil peu ffatteur de re- noncer aux muses. En vain présente-t-1l ses vers au rédacteur du Mercure, ce dernier choqué de quelques critiques du poëte Croisiquais contre l’Académie, eri- tiques qui peuvent compromettre le journaliste et le meltre mal avéc l’illustre compagnie, jure qu'il n’im- primera jamais rien du jeune Breton et lui renvoie sa composition. Que devenir? Va-t-il briser sa lyre? Il en est bien tenté, mais il se rappelle ce vers du P. du Cerceau : Qui fit des vers, des vers toujours fera. Il possède une petite propriété près d’Escoublac, contenant un clos de vigne appelé {a Malcrais. En bien! il écrira quant même, une main obligeante transcrira lode nouvelle qui sera signée Mlle Malcrais de la Vigne, et envoyée au Mercure ct imprimée. Succès complet! Les admirateurs se montent l'imagination et de l’admi- ration du style passent à de tendres sentiments pour une personne qui écrit trop bien pour ne pas avoir toutes les séductions et l’un d’eux adresse à Mle Mal- crais de la Vigne une espèce de déclaration. D'un autre côté un Mécène du temps presse la ] jeune muse de se rendre à Paris en lui offrant son hôtel. « Mais quelle est sa surprise! nous dit l’auteur de l’ar- ticle, il attendait une muse, il reçoit un poëte. » Tous les collègues de M. Eliacin Lachèse ie remer- cient de cette charmante communication. M. E. Rondeau, trésorier de la Société, est prié de donner la situation financière de notre compagnie. Il résulle de cet exposé que nous possédons en caisse ME OMINE de LM sl ete ua ss, 1 4 098 fr:)»3 et que les dépenses, jusqu’à ce jour, se 5 OEM RE EEE 955 »» ce qui laisse un boni de . . . . . 683 fr. »» Ce qui permettra de voter encore 150 à 200 francs pour la continuation des fouilles de Frémur qui doivent demander, sur la déclaration de M. Godard-Faultrier, une somme environ de 360 francs pour leur achèvement. Mais l’heure s’avance et la séance est levée. Le Secrétaire général, PAUL BELLEUVRE. SOC. D'AG. 6 TABLE DES MATIÈRES. La musique à Abbeville et à Angers. — M. E. Lacnèse. Catalogue des Manuscrits de la Bibliothèque de Tours, par M. Dorange, bibliothécaire. — M. G. n’Espinay..... Rapport sur la Traduction en vers des comédies de Térence ; de M. le Dr R. Grille. — M. L. DE LENS........... ETC Note sur une Statuette romaine de Mercure. — M. V. GODARD-FAULTRIER , ........,,,.,....... de ND Une nouvelle Sapho. — M. E. LACHÈSE...... ..,....... Dnarde—— MAP. 'BELLEUVRE.. . 242. eue does sé ten Re — D'AOULR. ee 5 Er MT Etc SANTE — AB NOVEMIPE LL ANSE EMA RSS, Re EUR se ANGERS, IMP. P. LACHÈSE, BELLEUVRE ET DOLBEAU. LA Pages. 5 12 VZ ! KES = =) MÉMOIRES DE LA SOCIÉTÉ NATIONALE D'AGRICULTURE, SCIENCES ET ARTS D'ANGERS (ANCIENNE ACADÉMIE D'ANGERS) NOUVELLE PÉRIODE TOME VINGTIÈME. — 1877-1878 ANGERS IMPRIMERIE P. LACHÈSE, BELLEUVRE ET DOLBÉAU 43, Chaussée Saint-Pierre. Fee 1879 MÉMOIRES De la Société nationale D'AGRICULTURE, SCIENCES ET ARTS D’ANGERS (ANCIENNE ACADÉMIE D'ANGERS) MÉMOIRES DE LA SOCIÉTÉ NATIONALE D'AGRICULTURE, SCIENCES ET ARTS D’ANGERS (ANCIENNE ACADÉMIE D'ANGERS) NOUVELLE PÉRIODE TOME VINGTIÈME. — 1877-1878 ANGERS IMPRIMERIE P. LACHÈSE, BELLEUVRE ET DOLBEAU 13, Chaussée Saint-Pierre. 1879 PT U ANT E LA RUE SAIÏNT-LAUD Cet opuscule, je n’ose dire ce plaidoyer, écrit après l'adoption du rapport de MM. Guitton jeune et Monprofit sur les travaux de l’intérieur de la ville, devait paraître dans les premiers jours de mai 1877. M. Mourin était maire. Les fêtes du Concoursrégional absorbaientl’atten- tion publiqu?. J’en attendis la clôture pour publier mon travail. Mais alors surgit la discussion sur le Dépôt de mendicité. Je dus courir au plus pressé en adressant au Conseil municipal une supplique en faveur du pauvre asile. Dans la crainte d’être importun, et d’exposer les deux causes à un double échec, l'étude de la rue Saint- Laud fut ajournée à des temps plus propices. Le Conseil vient d'accorder un sursis d’un an quiper- mettra d'examiner la question du Dépôt. Cette heureuse décision a causé un contentement général. Cela nous permet de revenir à notre seconde requête, et d'espérer qu’elle sera accueillie avec la même bienveillance que la première. SOC. D’AG. 1 ET pue Les élections dernières r’ont pas modifié beaucoup la composition du corps municipal. M. Mourin en a été de nouveau mis à la tête, comme à l’époque où je pré- parai ce mémoire. S'il n’y a pas de changement de per- sonnes, les faits et les idées ont peu varié, à notre con- naissance du moins. Nous n’eümes qu’à retoucher légèrement notre travail, pour qu’il conservât l’à-propos de la circonstance, à défaut d’autres mérites. Quelques-uns de nos amis trouveront peut-être bien tiède notre manière de traiter un sujet brûlant, où de si grands intérêts sont en jeu. À ces reproches la réponse serait facile. Notre but n’est pas de récriminer, mais de tâcher d’émouvoir et de convaincre. Il nous a toujours semblé bienséant, avant de soutenir une dis- cussion, de commencer par rendre justice aux contra- dicteurs. Ceci expliqué, nous entrons en matière, en revenant au mois de mai, c’est-à-dire au lendemain du rejet de la protestation, pourtant bien motivée, des quarante- neuf propriétaires de la rue Saint-Laud. 10 mai 1877. Monsieur ie Maire et Messieurs les Conseillers municipaux. L Après des débats fort animés, vous avez rendu votre jugement. Il est facile d’en prévoir les conséquences : c’est un arrêt de mort pour la rue Saint-Laud. Si le ss Prat silence s’est fait dans les journaux, il ne faut pas croire qu’il en soit de même dans les esprits. Trop d'intérêts sont engagés sur cette grave question pour que l’on se résigne à la voir tranchée aussi impérieusement. À vrai dire la solution ne convient à personne; nul n’en est satisfait, pas même ceux qui, de guerre lasse, l’ont proposée ou adoptée. Quand on les presse un peu vive- ment, — nous en avons fait l’expérience, — à bout d'arguments, ils se rejettent sur cette excuse 2x extremis : « Que voulez-vous ? cette affaire traîne depuis trop long- temps; il fallait en finir. » Raison spécieuse, nous en demandons pardon à nos honorables édiles, car on linvoque aussi pour contracter des mariages mal assortis qui n’ont pas d’autre prétexte et ne sont suivis que de souffrances et de regrets irrémediables. Beaucoup de choses ont été dites pour ou contre la réfection de la rue Saint-Laud ; toutefois il nous semble que le sujet est loin d’être épuisé. L’émotion est tou- jours grande parmi les adversaires du projet. Elle ne se calmera qu'après l'adoption d’un plan qui concilie- rait, dans une juste mesure, tous les points de vue res- pectables. Le problème est ardu ; on ne peut le cacher; mais il n’est point insoluble. Jusqu’à ce que le dernier mot soit dit, on doit tenter de l’avoir pour nous, d’au- tant plus que notre excuse, dans cette entreprise quelque peu téméraire, s'appuie, sans intérêt personnel, sur un vieil attachement à notre ville natale. Avant d'aborder les considérations positives, qu'on nous permette d’en faire valoir d’autres qui ont bien aussi leur importance et qui n’ont pas figuré dans la discussion. Allons droit au vif de l'affaire. Le rema- Pa rs niement de la rue Saint-Laud est la disparition des der- niers vestiges de l’ancien Angers, dans sa vie civile, bourgeoïse, commerçante. Pour quelques-uns c’est indifférent, mais pour beaucoup c’est très-regrettable. Après le dernier coup dé pioche donné dans ce groupe de vieux logis échappé au niveau égalitaire, vous aurez deux lignes de maisons uniformes, sans style et sans caractère, mais nous aurons effacé pour toujours le dernier trait de cette physionomie pittoresque qui ren- dait notre cité si chère aux amis de l’art, de la poésie et de l’histoire. Tous les écrivains qui se sont occupés de notre pays s'étendent avec complaisance sur les mérites de la rue Saint-Laud. Citons-en quelques-uns. « Des chartes remontant à 19293 nous apprennent que, dès ce temps, notre rue se nommait vécus semor, puis au moyen âge Saint-Nor, corruption populaire du latin qui la désignait comme « la rue ancienne » par excellence d'Angers. Toute l’histoire de la ville a passé par là, dans cet étroit et onduleux chemin, encadré si longtemps de curieux et vivants logis qu’il faudrait pouvoir nommer el raconter l’un après l’autre ‘... » « Au pied des murs de la cité, première enceinte où s’enfermaient les chanoines de la cathédrale, les che- valiers préposés à la garde du château et les écoliers clercs de l’Université, la population marchande et ouvrière venait chercher protection. Le vwicus senior formait la tête de l'antique voie qui partant de la porte Angevine, se dirigeait vers ie Mans... 1 Célestin Port, Notes de la 2° édition de Péan de la Tuillerie. FE. — gg — « Il fallait mettre à l’abri la population qui occupait le vieux faubourg, vicus senior, et défendait les abords de la cité. Une seconde enceinte était nécessaire ; elle fut élevée par les comtes d'Anjou, et se terminait, au Nord, à l'extrémité de la rue Saint-Laud, par la porte Girard, détruite avant 1576. Les artistes et les archéo- logues regreltent vivement la démolition récente du beau logis, en bois sculpté, du xvie siècle, qui en avait pris la place et en perpétuait le souvenir "..... » La rue Saint-Laud était l’orgueil de nos aïeux, la plus ornée aux jours de travail, la plus brillante aux jours de fête. À l’arrivée d’un hôte on lui vantait les charmes de notre petit Palais-Royal, et on l'y prome- nait comme dans un lieu privilégié, offrant à la fois les avantages d’un bazar universel et l'attrait d’un musée. Des heures s’écoulaient à remarquer les enseignes his- toriées et à déchiffrer les inscriptions des façades. Ce dernier usage était fort répandu. Une prière pour appeler sur la demeure la protection divine, une maxime de morale, une allusion aux circonstances qui déterminèrent la construction, fournissaient ordinaire- ment le texte de ces légendes. Nous citerons entre autres l'inscription qu’on lisait sur une des frises de la maison Abraham : Fay .moy.scavoir.o Seignevr. les voyes . par lesquelles .on va.a toi.et menseigne. les sentiers. qui te. plaisent. Et plus bas : Pax hvic domi. « On lit dans les Priviléges de la ville d'Angers, que certaines dispositions de la toiture des maisons fai- 1 G. d'Espinay, Notices archéologiques. DE saient présumer l'importance de la fortune, par suite conféraient des immunités. Ainsi les marchands jouis- saient de l'exception d’un droit assis sur les denrées, s'ils présentaient un certificat constatant qu’ils avaient logis à treize couples de chevrons, au moins. De ce moment, on le conçoit, l’habitation devint le signe extérieur de la position des familles. Le roturier quine pouvait pas avoir de donjon, ne manqua pas d'élever pignon sur rue, terme qui, par allusion à ce temps, indique encore de nos jours, un homme solidement établi. Ici, sans doute, ce n'étaient pas ces colonnettes délicates, ces filets gracieux, appelés à embellir les logis des échevins, de ces maires qui, à plus d’une reprise, eurent le droit de porter la cuirasse et l'épée. Le bois y était d'ordinaire la seule matière travaillée par le ciseau, mais aussi que d'éclat, que de verve, que d’em- bellissements à rendre jaloux tout un quartier ! « Le fond, c’est-à-dire la partie crépie de l'édifice, se peignait en blanc ou de quelqué couleur apparente. Une autre nuance faisait vivement ressortir les pou- trelles du colombage, disposées en lozange ou en damier. Les angles, les montants, les pilastres offraient autant de champs à l’imagination des sculpteurs. Les figures qui formaient le bout des chevrons n'étaient pas toujours édifiantes ; mais dans leur bonhomie nos aïeux appelaient cela des 7oyeulsetés, et sans songer à mal laissaient faire et passer ces caprices d’artiste ‘.…. » Il nous serait facile d’ajouter à ces citations les marques d'intérêt qu'ont données au vieil Angers nos 1 E. Lachèse, Angers pittoresque. PUR autres historiens, MM. Bodin, Marchegay, de Wismes, Godard, de Soland, etc. Quant aux artistes, qu’il nous suffise de rapporter l'opinion du premier de tous. Lorsque David, frappé déjà de l'affection qui l’emporta quelque temps après, vint faire ses adieux à notre ville, au mois de septembre 1855, il voulut revoir en dé- tail tout ce qui avait charmé son enfance. Hélas ! le vide ou de plates constructions remplaçaient bien des sujets de ses chers souvenirs. Toutefois, il y a vingt ans, il en restait assez pour lui causer une vive émotion. Nous eûmes l’honneur de l'accompagner dans une partie de ce doux, bien que parfois douloureux pélerinage. Fai- sant allusion à une notice que nous venions de publier sur la rue de l'Oisellerie : « Ah! mes amis, disait l’il- lustre Angevin à notre petit groupe de fidèles, gardez le feu sacré du patriotisme, conservez pieusement l’hé- ritage de nos pères. Respectez ces bonnes vieilles mai- sons en forme de volière où figurent si bien les vases de fleurs et les têtes d’enfants. Ne les avez-vous pas reconnues dans les paysages de Breughel ou de Wouwer- mans”? si ce ne sont pas les mêmes, elles sont de la famiile. Les maîtres flamands ne sortaient point de chez eux; mais s'ils étaient venus à Angers, ils y seraient restés comme les Vandeland et les Lagouz qui dressèrent leur atelier au beau milieu de la rue Saint- Laud. «Tenez! ajouta David, en indiquant un des plus curieux logis de la rue que nous suivions dans toule sa longueur, il me semble que tous ces charmants restes ‘de l'architecture des temps passés me reconnaissent et me sourient. Je crois voir le visage de ma mére et de Pare, ; mes sœurs encadré dans ces croisées découpées en vignettes. Défendez pied à pied ce précieux patrimoine qui devrait être inaliénable. Tâchez de le soustraire à cette rage de détruire qui a privé la France de tant de chefs-d’œuvre perdus pour toujours ; et si, malgré vos proteslations, vous ne pouvez arracher les victimes à la contagion du vandalisme, vous aurez du moins la conscience d’avoir rempli votre devoir d’enfants atta- chés d’amour tendre à notre cher et vieil Angers... » Vous venez d'annoncer, Messieurs, en termes excel- lents d’ailleurs, une souscription pour ériger, sur la place de Lorraine, un monument à notre grand sta- tuaire. Cet honneur acquitte une deite contractée depuis longtemps envers celui qui nous combla de ses généreux dons, envers celui, d’après une expression heureuse, qui prit notre nom et nous donna sa gloire‘. Si David reparaissait parmi nous, il serait reconnais- sant de ce juste hommage; mais soyez certains aussi qu’il s’opposerait de toute la force de son influence au projet de faire table rase de la rue Saint-Laud, du principal objet de ses prédilections. S'il nous est permis de nous emprunter, voici la fin d’une autre supplique que nous adressions à l’Adminis- tration d’alors, il y a vingt-trois ans * : «.. Conservons donc, de grâce, quelques images de notre passé. Si elles ne vous plaisent pas, pensez un peu à ceux qu’elles enchantent. Ceux-ci sont en si * M. Montrieux, Discours à l'inauguration du buste de David au Musée. ? Revue de l'Anjou, 1854, La rue de l’Oisellerie. que ae petit nombre! nous répondra-t-on peut-être; mais nous pouvons invoquer la postérité, au moins quelques-uns de ses représentants. Que diront nos arrière-neveux si nous ne leur livrons qu’une grande ville vulgaire, res- semblant à tout autre, ne conservant aucun asile, aucun refuge pour un souvenir, une pensée de recon- naissance et d'amour, où la vie s'écoule froidement sans trace des ancêtres et sans affection d'enfance ? Ils nous accuseront d’avoir décoloré notre héritage et glacé tout leur avenir. N’auront-ils pas raison de proférer ces plaintes que nous n’entendrons plus, il est vrai, mais qui péseront sur notre mémoire ? À combien de titres serait utile la préservation d’un spécimen de la cité de ancien temps, d’un coin même modeste, grâce au- quel nous pénétrons dans l’intimité de gens qui là ont vécu de longues années, après lesquelles ils ont dis- paru, emportant avec eux le secret de leur existence tout entière, si leur demeure intacte n’en révélait encore une partie! Nous possédons deux échantillons précieux de la vieille ville : l’un formé par le groupe des échoppes si pittoresques, d’une couleur si chaude, qui entoure le chœur de la Trinité; on va les abattre pour élargir la route impériale, et aussi pour délivrer le monument de parasites dangereux. Au moins, là existent des motifs graves. L'autre curieux reste est notre pauvre rue de l’Oisellerie. Le premier donne Pidée de la vie des petits artisans d’autrefois, le second du négoce de plus haut étage. Quel riche sujet d’é- tudes pour lhistoire que l'aspect des vieilles mai- sons ! Comment les décrire désormais, si l’on n’a plus sous les yeux le moindre vestige des formes extérieures — 10 — qu’elles adoptaient et qui en annonçaient tout d’abord le caractère ? « À un point de vue secondaire, si l’on veut, mais important encore, le respect des œuvres du passé est d’un avantage considérable. Comment se plaire à visiter des lieux tous semblables, tous empreints d’une unifor- mité commune, affadissante ? L’étranger, le voyageur traversera rapidement des villes qui se ressembleront toutes et qui ne lui présenteront aucun attrait original, aucun signe particulier. Si nous n’avions pas si fol- lement dispersé ou dégradé nos richesses, si nous avions conservé dans leur pureté nos églises, quelques monastères, l’Hôtel-de-Ville, le Palais des Marchands, des fragments au moins de nos fortifications ; si nous avions entretenu cet ensemble original avec vigilance, notre ville serait devenue, sans rien perdre d’un autre côté, le rendez-vous des artistes, des touristes qui observent avec sentiment, et même de ceux qui se figurent bien voir. Que l’on parcoure l'Italie, l’Angle- terre, la Belgique, et dans ces intelligentes contrées, respectueuses envers leurs traditions, on apprendra le prix d’une particularité remarquable par sa beauté ou par son ancienneté, et l’on saura combien rapporte d'honneur et de profit à ceux qui sont assez prévoyants pour ne point tuer la poule aux œufs d’or, la récom- pense de leur discernement patriotique. « Arrêtons-nous donc dans cette œuvre aveugle d’a- néantissement irréparable. Tout n’est pas détruit encore, et, quoique bien appauvri, notre trésor de reliques monumentales n’est pas épuisé. Quand, pour nous, elles n’inspireraient nul souci, soyons bienveil- ie TRS lants pour leurs sincères admirateurs. Ils sont plus nombreux qu’on ne pense ; seulement ils n'ont pas tous la conscience de leur prédilection. Que d’âmes naïves s’éprennent de passion inexpliquée pour de chers sou- venirs du premier âge ; que d’enfants du peuple reve- nant de l’armée ou du tour de France ont versé de douces larmes à la vue des flèches de Saint-Maurice, elont salué avec reconnaissance la petite porte cintrée au seuil de laquelle ils avaient reçu l’adieu suprême d’une mère! RATE « Tant il est vrai que la pierre et le bois ont aussi leur éloquence, leur sentiment, et lorsqu'ils ont été mêlés intimement aux joies et aux deuils de la famille, à l'illustration de la patrie, on ne nous repoussera pas, quand, après l’immolation de tant de victimes, nous nous écrierons, au nom de ce que nous avons de sacré dans le cœur : Grâce, grâce pour les dernières ! » Depuis l’année déjà lointaine de ces doléances trop justifiées, que de pertes subies! Notre ville si riche autrefois en édifices publics et privés de ces époques brillantes où florissait une architecture nationale, ne tardera pas, si l’on n’y prend garde, à les voir complé- tement disparaître. On admirait leurs rangs nombreux, leur fière attitude; mais comme dans un bataillon carré, après une défaite, l'ennemi a fait irruption de toutes parts, et nous assistons à cette extermination comme si elle ne devait pas nous causer un amer repeniir. La rue Saint-Laud, à peu près seule, reste debout. Quoique mutilée, sa physionomie conserve encore l’em- preinle antique. Ah ! sans doute, elle a perdu sa splen- SO AE deur ; on n’y voit plus ces enseignes naïves qui consa- craient un commerce et se transmettaient de génération en génération. Sur les façades les nuances multicolores ont pâli. Boutiques à l’ombre d’auvents sculptés, étages en encorbellement ornés de frises capricieuses, ont dis- paru ; mais on y remarque encore des fenêtres barrées par des meneaux, des pignons pointus et penchés sur la rue, comme pour y jeter un regard curieux et jaser avec le voisin, des toits aigus et retombant comme des manteaux d’ardoise pour préserver les intérieurs des neiges et des pluies de notre humide climat. Les mou- lures, les sculptures dont les riches marchands se plai- saient à décorer l’héritage de famille, sont en majeure partie effacées ; mais il en resle assez pour se repré- senter l'architecture des trois derniers siècles. Ce n’est plus le bas-relief aux vives arêtes sorti des mains du sculpteur ; ilest incompiet et défiguré, mais c’est encore une œuvre d'art, et, à l'aide d’un peu d’imagina- tion, on peut la reconstituer dans sa forme primitive. En nous reportant à quarante années en arriére, nous autres Angevins de vieille date, nous nous plai- sons à repeupler la rue Saint-Laud de ses anciens habi- tants et habitantes. Que de figures honnêtes, graves ou gaies, toutes de belle humeur, indices du calme de la conscience ! Quelle galerie de portraits aimables et pi- quants on pourrait tracer de ces physionomies, souvent originales, parfois comiques, dont nous nous souvenons comme si elles ne nous avaient pas quitté, hélas! depuis longtemps ! La rue Saint-Laud formait vraiment le cœur de la cité. Grâce au mouvement des affaires, le sang y circu- mu 4 lait plus vivement qu'ailleurs. On sait qu'avant la Révo- lution la noblesse et l’ancienne bourgeoisie occupaient les hôtels du haut de la ville, rues Saint-Blaise, de l'Hôpital et Saint-Julien. Le Tertre et ses environs, re- cherchés alors comme un lieu de retraite austère, don- naient une idée du faubourg Saint-Germain. La magis- trature, les gens de palais se groupaient autour du Présidial, rue Saint-Michel et place des Halles. Les dignitaires de l’Université et les étudiants hantaient les abords de la place du Ralliement, alors occupée par trois églises, et bordée au midi par les Grandes-Ecoles, sur les fondements desquelles aujourd’hui s’élève le théâtre. Il y a un demi-siècle, en dépit des tempêtes poli- tiques, les choses n'avaient guêre changé d’as- pect, et les diverses classes de la -société angevine restaient fidèles à leur quartier de prédilection. Au cen- tre de l’activité commerciale, dans la rue Saint-Laud notamment, on vivait selon les vieilles mœurs, simples et saines. Les idées se modifiaient peu ; elles se perpé- tuaient de génération en génération. Tout le monde s’y connaissait. C’était une grande famille où l’on respec- tait la hiérarchie de l’âge, du savoir et des mérites. Rien n’y était caché parce que rien ou presque rien n’y était à cacher. Si, par aventure, les langues s’y exer- çaient à propos du voisin, par une large compensation, on saisissait toutes les occasions de lui venir en aide. Le moindre commérage y était racheté par un dévoue- ment toujours prêt. En un mot, nulle part on ne con- servait avec plus de constance les anciennes traditions de l’urbanité et de la cordialité françaises, Malgré sa décadence, il est cependant des occasions du. ARE un où la rue Saint-Laud reprend son antique prestige ; c’est à ces jours bénis où notre vieux culte national, comme l’appelait M. Thiers, où la religion, toujours fidèle à ses traditions séculaires, vient élever les cœurs en jetant sur notre monotone existence le poétique éclat de ses solennités. F La veille des grandes fêtes, la rue Saint-Laud voit défiler, aux accents des hymnes sacrés, la pieuse pha- lange des jeunes lévites qui se rendent à la cathédrale pour les cérémonies de l’ordination. Le jeudi de la Fête-Dieu c’est encore la voie privilégiée que suivent les adolescents, sous les yeux attendris deleurs mères. Ils viennent d'accomplir un acte qui protégera leur vie entière, car toutes les vertus s’y développent, et nulle faute ne résiste au souvenir de la première communion. Mais quel que soit le charme de ces édifiantes scènes, le grand jour, le vrai triomphe de la rue Saint-Laud, c’est la Fête-Dieu. Pour la célébrer dignement, toutes les blessures , toutes les mutilations disparaissent sous des flots de fleurs, de guirlandes et de couronnes. Les façades rapprochées des maisons se prêtent merveilleu- sement à ces combinaisons d’un art ingénieux. Les vieux logis, parés et joyeux, semblent avoir recouvré un air de jeunesse. Nulle partie de la ville ne peut être décorée avec plus de goût et d'effet, surtout quand un soleil radieux fait resplendir les plus riches couleurs. Nous le demandons à tous ceux qui ont joui bien des fois de ce spectacle : N’inspire-t-il pas de touchantes pensées? Quand, à la suite du pieux cortége, le Saint- Sacrement s’avance au milieu du respect universel, aux MS éclats d'instruments sonores qui retentissent dans l’étroite rue, comme entre deux tables d'harmonie, quand les fronts s’inclinent, quand les genoux s’abais- sent, est-il possible de contempler un tableau plus émouvant encadré avec plus de magnificence ? Alors, ce passage du Génie du Christianisme nous revient en mémoire : « Les fenêtres et les murs de la cité sont bordés d'habitants dont le cœur s’épanouit à cette fête du Dieu de la patrie! le nouveau-né tend ses bras au Jésus de la montagne, et le vieillard, penché vers la tombe, se sent tout à coup délivré de ses craintes ; il ne sait quelle assurance de vie le remplit de joie à la vue du Dieu vivant. » | Vous avez eu, Messieurs, une bonne pensée d’ouvrir, dans la salle Saint-Jean, un asile aux débris de l’ancien temps, recueillis avec respect et disposés avec tant de goût par leur savant conservateur. Cette collection est pleine d'intérêt, toutefois elle ne se compose que de fragments précieux sans doute, mais plus ou moins disparates, échappés au marteau des révolutionnaires et des démolisseurs. Ge sont des épaves éparses, un petit hôtel de Cluny, tandis que la rue Saint-Laud, ayant conservé sa physionomie générale, forme encore un ensemble. C’est une espèce de musée sur pied, plein de contrastes et d'harmonie. Aux rayons du soleil, des effets merveilleux de jour et d'ombre se produisent sur ces plans variés, où la lumière aime à se jouer, comme dans un prisme, et, la nuit, de la rue de l’Evêché surtout, les yeux sont charmés par l'aspect plus saisissant encore des files de vieux logis qu'illuminent les clairs argentés A6 = de la lune se détachant sur des fonds de ténèbres. .…. À ce passage, si l’on a bien voulu suivre notre ordre d'idées, nous remarquons plus d’un visage se plisser en sourire moqueur; l’impatience devient évidente. — Qu’a de commun, nous dira-t-on, le clair de lune avec nos affaires? Nous parlons un langage sérieux, et vos rêveries, bonnes tout au plus dans un atelier de paysa- giste, sont déplacées dans le cabinet d'hommes de loi. Si vous avez des arguments solides à nous opposer, arrivons au fait, mais ne perdez pas le temps avec des hors-d’œuvre qui pour nous sont à l’état de non- valeurs. — Permettez-moi de suivre mon raisonnement, répondrai-je ; il s’agit d’une grande cause où sont engagés des intérêts de diverse sorte; ayez la bonté de nous laisser exposer tous nos moyens. Bientôt nous arriverons à la partie positive ; sans présomption, nous pouvons promettre que nous la serrerons de plus prés que nos adversaires et d’une manière plus pratique. On conçoit que les considérations de sentiment ne peuvent pas être admises avec la même sympathie par tout le monde. Quand on n’est pas né à Angers, qu’on l’habite depuis peu d’années, on ne peut être préoccupé de ces impressions de jeunesse, de ces retours sur le passé, qui s’identifient avec nous, qui sont dans notre tête, dans notre cœur ; mais quand on est parvenu presque au terme de la vie, les maisons de la principale rue de la ville sont pour nous de vieux amis, que l’on se plaît à rétablir dans leur forme première, avec leurs chers hôtes d'autrefois; alors il est naturel que l’on soit attristé de les voir disparaître. Si, à ces regrets viennent se joindre des craintes trop AU ee fondées de préjudices considérables, d’une diminution de valeur dont une foule de propriétés vont être frap- pées, il est bien permis de s’émouvoir. On a blâmé les signataires de la réclamation au Conseil municipal d’avoir mis trop de vivacité dans une partie de leur mémoire ; mais qui donc, à leur place, aurait pu garder son sang-froid à la lecture du rapport inflexible et quelque peu dédaigneux de MM. Guitton jeune et Monprofit? Toute personne, sans parti pris, qui l’étudiera avec attention, reconnaîtra, contre l’in- tention assurément de ses honorables auteurs, qu’il est menaçant pour l’avenir d’une infinité de familles plus ou moins aisées. Mais avant d’en venir à une démons- tration matérielle, qu’on veuille bien nous pardonner d'émettre encore quelques considérations morales. Le respect des morts est en grand progrès à notre époque ; il n’est personne qui ne soit touché, en se découvrant sur le seuil de nos cimetières, de la sollici- tude avec laquelle on entretient les tombes de toutes les conditions. Eh bien! pourquoi n’a-t-on pas pour l’ha- bitation qu’occupaient de leur vivant ceux que nous regreltons les soins dont nous entourons leur dernière demeure ? Les maisons neuves n’ont point d'histoire, et les anciennes ont, entr’autres avantages, celui de con- server, d’une maniére frappante, les saines traditions de ceux qui nous ont précédés dans les rudes labeurs de la vie. Sans doute il y a une mesure dans cet attache- ment respectueux. Par exemple certains changements de position entrainent des installations nouvelles. On ne peut toujours mourir sous le toit qui abrita notre ber- ceau. Quand on cède son commerce à ses enfants, il soc. D’AG. 2 a LT faut bien transporter ailleurs ses pénates ; c’est ce qui arrive quelquefois aux principaux marchands de la rue Saint-Laud. Cependant jusqu’au jour où l’on est venu troubler leur sécurité, les habitants de cette rue, fidèles à leur prédilection et à leur intérêt bien entendu, ne se lais- saient point envahir par la contagion du changement, etils avaient mille fois raison. Que de fortunes, fruits de l’ordre et de l'intelligence, ont été amassées dans cet espace préféré! C’est dans la rue Saint-Laud et ses affluents que demeuraient, avant la Révolution, es marchands de draps de soie, qui formaient l'élite du commerce angevin. C’est de là que sortirent ces familles bourgeoises dont les chefs, tout en exerçant les fonc- lions alors si éminentes de la magistrature consulaire, laissaient un héritage prospère, plus riche encore d’hon- neur que d'économie. La loyauté, l’urbanité y étaient proverbiales. Le suc- cès y élait si constant que l’on n’y connaissait point de revers. Pour être juste, ajoutons que le lieu contribuait pour beaucoup à cette heureuse rénommée. Il est si favorable que nos débaptiseurs de 93 ne crurent mieux faire que de substituer la désignation centrale au nom du saint évêque, sous l’invocation duquel près de six siècles l'avaient respecté. — De quoi vous plaignez-vous, nous dit-on, puisque lon ne change pas de place votre rue? — Qui, mais vous en bouleversez les proportions. D'abord elle n’est plus aussi centrale qu’autrefois. C’est pour cela qu’au lieu de la dénaturer, il faudrait la protéger avec une atten- tion jalouse. Une des supériorités de cette artère prin- 2 Lie cipale, c’est que l’on y trouve à peu près tous les objets de consommation usuelle. De l’avis des autorités com- pétentes, elle est parfaitement disposée pour le com- merce. On n’y peut passer sans jeter les regards de l’un et de, l’autre côté. Si les magasins étaient moins rap- prochés, ils n’inviteraient pas autant à y entrer. Ils ne sont pas vastes et nécessitent peu d’étalage. Le prix des loyers est en général modéré, et les pièces dont les marchands n’ont pas besoin sont recherchées à cause du renom d’honnêteté dont jouit la population de la rue, mérite que certaines voies nouvelles seraient en peine de justifier aussi aisément. Nous n’ignorons pas que les conditions marchandes de la rue Saint-Laud furent plus d’une fois méconnues, Le projet de l’élargir n’est pas d’hier. Entre autres cir- constances, une discussion approfondie s’éleva en 1840, au sein du Conseil. M. Farran alors maire, et M. Ki- chou, son premier adjoint, défendirent victorieusement les bons principes, et l’on ne peut nier que ces admi- nistrateurs économes, ces commerçants consommés ne fussent aussi d'excellents juges en cette matière spéciale. Reste le côté hygiénique de la question. Il est évi- dent que si la salubrité publique y était compromise, nos objections perdraient singulièrement de leur valeur ; mais de bonne foi, peut-on se prévaloir de la nécessité d'ouvrir une large percée comme on l’a fait dans la rue de la Boucherie ou à la place Cupif? On n’a pas mis en. avant celte assimilation ; seulement on a dit que l'air et la lumière, laissaient à désirer dans la rue Saint- Laud. Or, nul de ses habitants ne se plaint d’en man- il quer. Ÿ a-t-on observé, nous ne disons pas des épidé- mies, mais des maladies plus qu'ailleurs ? Jamais. Des habitués de la rue vont même plus loin que nous sous ce rapport; ils soutiennent qu’elle réunit des conditions de bien-être que ne présentent pas à un égal degré les avenues larges et droites. Il est bien certain que la rue Saint-Laud, abritée par ses sinuosités, est moins froide en hiver et moins chaude en été que la rue Boisnet, voire même que les rues d'Alsace et des Arènes. Elle est aussi moins exposée au vent et à la poussière. Tenue facilement à l’état de propreté irréprochable, on n’y est offusqué par aucune de ces odeurs qui, sur les boulevards notamment, proviennent de l'insuffisance d'arrosage sur un sol échauffé et soulevé par le passage continu des voitures. La rue Saint-Laud, étant parallèle au cours de la rivière, ce qui, en fait de voirie, est la meilleure orientation, l’air y pénètre en quantité nor- male; il n’y est jamais dur. Grâce à ses contours qui brisent les courants atmosphériques, la tempé- rature y est constamment moyenne. Pendant la saison brûlante on y respire à l’ombre; au mois de janvier, on s’y promène, le soir, sans souffrance, comme au printemps. C’est, en un mot, une pefite Provence; aussi n’a-t-on jamais songé à établir un Passage à An- gers, lorsque c’était à la mode ailleurs, puisque la rue Saint-Laud en possède les avantages, sans les inconvé- nients. Il y a peu de mois, à Saumur, la ville aux riants as- pects, aux perspectives lumineuses, nous suivions la longue rue Saint-Jean qui ressemble à notre voie cen- trale, quant aux dispositions et au genre de commerce. Det En nous informant si l’on avait le dessein de l’hauss- maniser : — Nous nous en garderons bien, nous ré- pondit-on, elle nous convient et nous plaît ainsi. Assurément on ne commettra pas la faute de la recti- fier. — Sages paroles qui prouvent que le chef-lieu du haut Anjou ne s’est pas écarté de la ligne de conduite. de son ancien maire, M. Louvet. Pendant vingt-cinq années, ce judicieux administrateur, secondé par d’ha- biles auxiliaires, entre autres M. Joly, architecte, a enrichi sa ville d'établissements réclamés par les besoins mo- dernes, en respectant avec soin les vieux monuments qui en font l'honneur, et les quartiers empreints de la curieuse physionomie du passé. On a bâti ou restauré tous les édifices essentiels. L'ensemble en est complet, dans une proportion en harmonie avec l'importance de la charmante cité. Églises de Nantilly et des Ardilliers, hôtel-de-ville, hôpital, quais, pont, bureau de bienfai- sance, théâtre, rien n’a été négligé; tout y est marqué au coin du bon goût et de la mesure. Ce qui doit encore servir d'exemple, c’est qu’une telle tâche a été accomplie, sans efforts extrêmes, sans que les res- sources, assez bornées, du budget, aient été taries, sans que l'avenir ait été surchargé. Ieureuses les villes où, comme à Saumur, règne l'esprit de suite, calculé sur les besoins réels et les justes penchants des popula- tions! Toutefois, il est difficile d’atteindre ce but patrio- tique à notre époque troublée, où les administrateurs se succédant avec rapidité, aspirent à faire mieux que leurs devanciers, et ne peuvent, même avec les plus louables intentions, profiter d’études antérieures, con- duire à bonne fin des projets auxquels ils ne sont qu'imparfaitement initiés. — 92 — Je m'attends ici, Messieurs, à une interruption de votre part. — En ailmettant, me direz-vous, que:vos doléances soient fondées, elles ne s’appliquent point à nous. La transformation du centre de la ville a été ima- ginée par d’autres. C’est l’idée de l'administration d'avant 14870 que nous suivons; nous n’en sommes que les exécuteurs. Souvenez-vous du plan grandiose qui excitait l'enthousiasme général à l'Exposition de 1865. Loin de l’étendre, nous en avons réduit les dis- positions. — (C’est vrai, répondrons-nous, mais ce plan, quel qu’en füt le mérite, n’était qu'un projet qui souleva, de prime-abord, bien des inquiétudes. Il reçut beaucoup d’éloges néanmoins ; mais on avait alors la fièvre du changement. Les villes de province ambition- naient, presque toutes, la gloire de Paris. C’était un engouement suivi bientôt de sa réaction. On reconnut que le sol montueux de notre ville ne pouvait être aplani qu'au prix de sacrifices excessifs, «et l’on se borna aux rues d'Alsace et Lenepveu, artères indispensables dont l'ouverture, habilement dirigée, a reçu l'approbation publique. Les événements de 1870, en coupant court aux inten- tions bienfaisantes de la municipalité d’alors, trouvèrent nos ingénieurs arrêlés devant les obstacles de bien des sortes que présente la jonction de la rue des Forges avec les rues avoisinantes. Aurait-on persisté dans lexéculion du nivellement extrême ? Il est difficile de le croire. Une grande hésitation s'était manifestée dans le Conseil. Parmi les adhérents, plusieurs étaient alar-° més des conséquences de l’entreprise. Bref, nous sommes convaincus qu’on eût fini par adopter un moyen terme qui eût, autant que possible, concilié les SEM SRNE à divers inlérêts. La mesure d’apaisement eût été natu- rellement prise lors de la résistance des propriétaires et habitants de la rue compromise. Gette opposition, il est vrai, ne se montra pas avec autant d'énergie qu’au- jourd’hui, par la raison toute simple que l’on ne pré- voyait pas alors la gravité des dommages futurs, plus faciles à calculer maintenant, d’après le tort causé par l'état d'incertitude où l’on est depuis dix ans. Néan- moins, bien que l’accord ne füt pas aussi complet entre les intéressés, ils n’eussent pas mangné dès lors d’em- ployer tous les moyens à leur portée pour empêcher la réalisation d’un projet qui leur est nuisible et qui leur ‘sera funeste. En définitive, admettons, ce qui, à notre avis, est fort douteux, que les opinions soient divisées sur l’opportu- nité de remanier de fond en comble la rue Saint-Laud, car les approbateurs, s'il y en a, sont bien rares, admet- tons que l’on se partage sur cette question, n’est-il pas de toute justice que l’on prenne en grande considéra- tion l'avis des habitants, et que leurs objections, müre- ment et judicieusement établies, emportent la balance ? Ne sont-ils pas fondés à soutenir qu’à leurs yeux, vous n'avez pas, Messieurs, de motils suffisants pour imposer des pertes certaines aussi lourdes à un grand nombre de vos concitoyens? Ah ! si la réfection de la rue Saint-Laud était nécessaire, absolument nécessaire, au reste de la ville, il faudrait bien que les considérations privées s’inclinassent devant les exigences de la chose publique ; mais là n’est pas le cas. Que la circulation soit plus commode dans une l:rgeur de dix mètres que dans une largeur de six, d'accord, toutefois on ne peut =" 4Y soutenir qu’elle soit dangereuse dans la rue Saint-Laud. Les accidents y sont excessivement rares. Il n’y a qu'un endroit peu aisé, à la jonction de la place Neuve, mais le redressement en est possible, sans entraîner de dégâts considérables. Assurément une longue et large voie reliant la place des Halles et le quartier de la cathédrale était de pre- mière nécessité. Nous en avons une, nous allons en avoir deux : la rue Lenepveu et la rue Bodinier. N'est-ce pas suffisant, très-suffisant? Nos concitoyens de la rue Saint-Laud ont raison de proclamer que les travaux projetés pour les expulser de leurs foyers sont des tra- vaux de luxe, entraînant pour de minces avantages des dépenses incalculables qui retomberont sur tout le monde. On ne peut taxer les réclamants de prétentions exa- gérées, puisqu'ils ne demandent qu'une chose trés simple et peu coûteuse, qu’on les laisse tranquilles, et qu’on ne s’occupe point d'eux. Bien que nous ne soyons chargé d’aucun mandat de leur part et que nous n’ayons communiqué à personne notre intention d’agir en faveur d’une cause qui nous est également chère, permettez- nous, Messieurs, de croire que vous voudrez bien ac- cueillir notre modeste plaidoyer. Nous osons même nous livrer à l'espoir que vous n’en repousserez pas ab- solument les conclusions, à la condition toutefois qu’on vous présente ce moyen terme acceptable dont nous vous parlions tout à l’heure. Tel est le but, Messieurs, de la seconde partie de notre étude. PR: VE Il Comment relier la rue Saint-Laud à la place du Ral- liement, ou plutôt comment unir la basse ville à la haute par une communication satisfaisante? Voilà le point ardu, la question difficile que l’on discute depuis douze ans; et cependant pour quiconque raisonne de sang-froid , avec malurilé et sans prévention, il n’y a qu'un parti à prendre, celui qu'indiquait la ligne bleue d'autrefois, si équitable et tant regrettée : élever d’un mètre le bas de la rue des Forges, le fond du val- lon entre les rues des Deux-Haies et de l’Espine. La rue Saint-Laud dont on ne changerait l'alignement que par voie de redressement se trouverait nivelée dans sa partie la plus creuse. Pour y affleurer, à son passage vis-à-vis la rue des Chiens, la rue de la Roë devrait être un peu aplanie, et le parcours de cette rue trop exhaussée y gagnerait, puisque la pente en serait adoucie, au moins dans sa région supérieure. Quant à la rue des Forges, objectif de tant de soucis, la déclivité en serait considérablement améliorée et parfaitement praticable pour les piétons, puisqu'elle ne différerait pas de la rampe de la rue Saint-Georges Nous le reconnaissons, il est vrai, elle ne serait que médiocrement carrossable. Voilà le grand mot qui pas- sionne les meilleurs esprits; mais l’espoir de le voir réaliser n'est-il point une illusion, un mirage? En effet, vous déclarez, Messieurs les rapporteurs, et nous None rendons hommage à votre franchise, que tous les efforts de la science n’ont pu obtenir une pente au-dessous de sept centimètres par mètre: Or, vous n’ignorez pas que d’après les instructions données aux agents des Ponts- et-Chaussées, cette proportion, qualifiée de dangereuse, est prohibée sur les routes nationales. Si elle offre des périls sur un terrain macadamisé, que sera-ce donc sur un pavage uni, brûlant ou glacé, selon la saison? Ce serait donc à la conquête d’un tronçon si court et Si imparfait que l’on sacrifierait le plus clair de la fortune publique et d’une infinité de fortunes privées? Non, vraiment, l'avantage bien minime obtenu, ne ba- lancerait pas l’énormité des dépenses qui en seraient la conséquence fatale. Veuillez noter, Messieurs, que par la substitution de ce plan à celui que le Conseil a voté, la Ville recouvre- rait une partie de ses avances. Elle aurait à tenir compte d’une indemnité aux propriétaires de la rue des Forges qui ont bâti d’après le nivellement extrême ; mais elle tirerait parti des maisons dela rue Saint-Laud, dont elle a fait l'acquisition, et qui pourront être re- vendues ou louées, après le relèvement du rez-de- chaussée, mais sans nécessité de démolition. Dans le cas où l’on modifierait la pente arrêtée der- mèrement, la rue des Forges devrait-elle conserver une largeur fixée à dix mêtres? Ne servant plus aux voitures que dans de rares occasions, elle n’aurait plus besoin d'autant d'espace. Que l’on veuille bien observer ensuite que sa position perpendiculaire à un grand cours d’eau crée un inconvénient grave. Le vent d'Ouest qui souffle si souvent dans notre climat, franchissant comme une A) ES trombe celte large voie directe, traversera la place pour ne s'arrêter qu’au boulevard. Ne serait-il pas pru- dent d’atténuer ses violents effets en diminuant les dimensions, non pas de la rue actuelle, mais de celle qui est en projet? Toutefois, nous n’insistons pas sur cette observation, malgré son importance. Arrivons à l’objection principale que m’adressent, non sans impatience peut-être, mes contradicteurs : — Vous oubliez, se hâtent-ils de me dire, le nœud de l’af- faire, ce qui nous a donné tant de mal, ce que nous n'avons obtenu, d’une manière incomplète il est vrai, qu’au prix d'efforts inouis. En un mot, il nous faut absolument un accès facile de la rue Saint-Laud à la place du Ralliement. — Eh bien! répliquons-nous, ne l’acquérez-vous pas par votre remaniement du quartier ? Quel accès plus commode pourrez-vous obtenir que le prolongement de la rue Plantagenêt résolu judicieuse- ment par vous-mêmes? Il ne débouchera pas précisément sur la place, c’est vrai, mais tout auprès, dans la Chaussée-Saint-Pierre, notablement élargie. Que peut-on désirer de mieux? Il est évident que si humide rue du Grand-Talon devait subsister, si la rue Chaperonnière maintenait son étroite dimension, l’accès tant souhaité ne serait pas suffisant; mais le plan adopté pour l’ensemble des rues Saint-Julien, de l’Aiguillerie et voies adjacentes a élé approuvé par tout le monde. Une réserve, cependant, doit être faite quant à l’ex- baussement projeté de la chaussée Saint-Pierre. Il ren- drait plus sensible encore la différence de niveau de cette voie et de la rue Saint-Laud. Pourquoi, donc tou- jours sacrifier à la passion de la ligne droite, d’ailleurs 9 irréalisable? Elle n'existe pas dans la nature. Les Grecs, nos maîtres en fait d’art, le savaient bien. Les lignes du Parthénon, le chef-d'œuvre par excellence, semblent droites, mais en réalité elles ne le sont pas. L'architecte Ictinus, avait dissimulé par des renflements habilement calculés ce qu’une rigidité trop matérielle aurait eu de blessant pour les yeux. En s'inspirant d’un tel exemple, nos ingénieurs sauront bien surmonter les difficultés du nivellement de la rue des Forges à la place Sainte- Croix, et, par une ondulation presque invisible, éviter les inconvénients de la surélévation projetée de la chaussée Saint-Pierre. On pourrait encore regretter que la future rue Chaperonnière renverse trop de maisons pour arriver à la place Sainte-Croix. Il eût été plus économique, en consentant à une légère courbe, de suivre l’alignement primitif, mais nous ne voulons pas nous appesantir sur un détail qui disparaît devant la grande question de la rue Saint-Laud. Nous demandonsla permission d’y reve- nir, car nous sommes loin d’avoir épuisé cet intermi- nable sujet. La preuve -la plus évidente que le but poursuivi par les partisans du plein-jalon, de la place du Ralliement à la rue Boisnet, est chimérique, c’est que pour l’at- teindre, on est contraint de recourir à un expédient excessif. Jeter un pont sur la rue Saint-Laud, à travers un carrefour des plus fréquentés, est une idée d’un autre temps. De plus, pour permettre le passage sou- terrain, creuser à un endroit qui est déjà trop creux produira un effet tellement étrange, qu’en dépit de notre désir de n'employer que des termes sérieux, ER." DU nous ne pouvons dissimuler l’épithète qui est venue à l'esprit de tout le monde. Involontairement ce procédé rappelle le personnage légendaire qui, sous une pluie battante, se jeta... Un pont à sec sur une rue, mais c’est l’enfance de l’art : pour se le figurer il faut revenir à trois siècles en ar- rière. Aussi, les uns, en souvenir de Venise, ont baptisé le monument futur du nom de Pont-des-Soupirs, par allu- sion à la passerelle qui communique du palais des Doges à la prison d'Etat ; les autres, doués d’une imagi- nation plus riante, l’appellent Rialto, par hommage au vieux pont ogival jeté avec une pittoresque hardiesse sur le Canale Grande, et d’où l’on admire les principaux palais de la reine de l’Adriatique ; mais sous le pont en projet, nous ne verrons point passer dé gondoles. Au lieu de merveilles d'architecture, nous n’aurons devant les yeux que de plates construclions rectilignes. Ah! ce n’est pas ainsi que nous embellirons et que nous en- richirons notre cité. « Oh! nous vous l’accordons, n’hésite-1t-on pas à dire. Ce pont ne sera pas agréable pour l'aspect, ni peut-être pour la propreté; mais il sera commode, et d’ailleurs il ne durera que quatre ou cinq ans; puis on l’enlèvera el tout sera pour le mieux. » Sans doute, on prendrait patience s’il ne s’agissait que d’un délai pendant lequel l'économie de la rue Saint-Laud ne serait pas changée d’une façon irrémédiable ; mais de grâce, ne nous ber- çons pas d'illusions, de vaines espérances ; voyons les choses comme elles sont, ou plutôt comme elles seront. Après le laps de temps indiqué, quel spectacle présentera la rue Saint-Laud? Celui d’une ville prise = 90° — d'assaut; un effroyable pêle-mêle de constructions en train , de décombres, de logis condamnés , encore debout, mais inhabités; d’affreux zig-zags produits par la confusion de l’ancien et du nouvel alignement. Que ferez-vous alors pour arrêter le prolongement indéfini du désordre? Forcerez-vous les propriétaires à bâtir? vous n'en n'avez pas le droit. D'ailleurs, la plupart, dépouillés de leur avoir, en partie plus ou moins no- table, n’en n’auront plus le moyen. Alors il ne vous restera que la mesure extrême de l’expropriation, ce qui aggravera la position des particuliers, tout en impo- sant à la caisse publique une surcharge énorme —- il y a 72 maisons — et des plus funestes, puisqu'elle appli- quera au superflu les ressources publiques qui n’appar- tiennent qu’au nécessaire. Si l’on veut bien se figurer, en imagination, l’état de la pauvre rue, après l'érection du pont, on sera effrayé des disparates qui choqueront tout d’abord les regards. Naturellement , ce sera près du pont, sur des terrains appartenant à la ville que s’élèveront les premières constructions , si l’on trouve des entrepreneurs assez hardis pour courir l’aventure. Ainsi que dans nos rues neuves de l’intérieur, ces maisons auront trois et quatre étages au-dessus du nivellement projeté, et comme il ne pourra être établi de sitôt, ces premières maisons, déchaussées à leur base, s’élèveront de quatre à cinq élages au-dessus du sol; c’est-à-dire qu’elles parai- tront juchées sur des échasses, à côté de leurs voisines, qui ne sembleront plus, à. leurs côtés, que d’humbles bicoques. En vérité, nous avons beau envisager ce grave sujet, PRET, NU sous toutes ses faces, sans idées préconçues, après avoir puisé des renseignemeuts de bien des côtés, nous ne trouvons aucun motif décisif au bouleversement de la rue Saint-Laud. Serait-ce pour ouvrir un vaste atelier de travail? Telle ne peut être la pensée de nos édi- les, car ils savent que Pindustrie du bâtiment em- ploie, à celte heure, tous les bras disponibles*. Les travaux des villes ne doivent que seconder l'élan des particuliers, ou suppléer à son défaut, et non point se multiplier au point de surexciter la main-d'œuvre en créant une concurrence suivie bientôt d’une réaction de chômage. Ces ressources extraordinaires demandent à être. ménagées avec prudence, dans l'intérêt de tous, des ouvriers, plus encore que des patrons. Ne serait-il pas sage de se borner cette année à Pachèvement de la rue Chaperonniëre, ce qui, certes, n’est pas peu de chose. De plus, si l’on adoptait l’idée de simplifier le raccord de la rue de la Roë avec la rue des Forges, il pourrait être aussi terminé l’an prochain, car tout le monde y mettrait bon vouloir, tandis que le projet gigantesque, avec toutes les formalités et op- positions dont il sera précédé, demandera beaucoup plus de temps. On posséderait donc, à la fin de l’année 1878, deux précieuses, améliorations, la grande artère complète des halles à la cathédrale, et une voie directe, irès-accessible pour les personnes, sinon pour les voi- tures, du quai au boulevard. L'année suivante, ce pourrait être le tour du redressement de la rue du 1 Cette activité qui régnait au moment où nous écrivions, le dix mai dernier, s’est prolongée jusqu’à l'hiver et ne s’est pas sensiblement ralentie. Le dos Grand-Talon, et l’on jouirait enfin de ce que l’on peut raisonnablement exiger : deux avenues nouvelles et complètes traversant l’ancienne ville dans toute sa lar- geur, dont l’une carrossable , entièrement, et dont l’autre présenterait aussi cet avantage, excepté sur la dixième partie, à peine, de son étendue. Pour éviter cet inconvénient, est-il donc nécessaire de s’exposer à tous les sacrifices qu'il est trop facile d’énumérer ? Contentons-nous donc de cette perspective modérée. Le mieux est l'ennemi du bien, a dit la sagesse des na- tions. Nous nous souvenons à ce propos, qu’un jour de l’année 1868, dans la grande salle de l’'Hôtel-de-Ville, un nombreux auditoire écoulait avidement la parole fort diserte d’un habile ingénieur. Celui-ci se plaisait à dérouler la liste de tous les bienfaits que le réseau local de voies ferrées allait faire pleuvoir, comme une rosée bienfaisante, sur le département. On applaudissait avec transport. Toutefois, faisant ombre au tableau, dans un coin, quelques sceptiques gardaient un silence dé- fiant. Après avoir jeté les yeux sur le tracé, que l’onse passait de main en main, l’un d’eux s’aperçut que deux lignes étaient indiquées de Doué à Bécon. « Je ne connais pas bien l'importance de ces localités, osa-t-il observer tout haut, mais j'ai peine à croire que les relations entre elles soient si fréquentes, qu’il faille deux lignes pour y satisfaire. — Vous avez raison, répondit l’in- génieur, au moins pour le présent, mais vous connaissez le proverbe : qui abonde..…. » Le cas d’un second chemin de fer de Bécon à Doué n’est pas tout à fait analogue à celui d’une seconde voie carrossable de la rue Saint-Laud à la place du _— 33 — Ralliement, cette dernière ne serait pas inutile, mais les arguments contre l’emportent de beaucoup sur les ar- guments pour; nous persistons donc à penser comme la majorité de ceux qui ont étudié cette grande affaire : le remaniement complet de la rue Saint-Laud qui en serait la conséquence fatale, aurait toute sorte d’incon- vénients, entraînerait de véritables désastres. Nous parlions tout à l'heure des ouvriers. Ne pen- sez-vous pas, Messieurs, que la substitution de grandes bâtisses aux demeures de moyenne importance, dans l’in- térieur de la ville, ne soit pour les petits ménages une calamité réelle? Contraints de quitter les logements que leur offraient les anciennes habitations, ils ne peuvent s'arrêter aux nouvelles, dont la dispendieuse installation accroît ouire mesure le prix des loyers. Force leur est de reculer jusqu'aux faubourgs, où les chambres sont devenues plus chères aussi, parce que les propriétaires, souvent non moins gênés que leurs hôtes, font peser sur les bons payeurs le déficit des mauvais. De cet état de choses, découlent deux maux qui s’aggravent chaque jour. Comme à Paris, l’'émigration des ouvriers, du centre des villes vers les extrémités, brise les relations des classes qui ont si grand besoin les unes des autres et interrompt les bienveillants rapports de protecteurs et de clients. Les prolétaires, repoussés de tous ces foyers de sentiments honnêtes, sympathiques, s’entas- sent dans des quartiers isolés, lointains. Les communi- cations spirituelles et temporelles, avec leurs concitoyens dans l’aisance, sont presque interrompues. Est-il alors étonnant que ne vivant qu'entre eux, ne voyant la société que sous le côté critique, ils s’aigrissent et ne rêvent SOC. D'AG. 3 Le qu'à changer une situation pénible et parfois intolé- rable ? Les recenseurs des contributions assurent qu’il n’y avait naguëre pas moins de six mille habitants dans le carré entre les rues Baudrière, Saint-Laud, de la Roë et le quai. On ne sera pas surpris de ce chiffre si l’on veut bien pénétrer dans les anciennes demeures. Elles contiennent une foule de dépendances ménagées avec grand soin et rappelant l’époque où les citadins, protégés par des murailles infranchissables, s’ingé- maient pour subvenir à l'accroissement de la popula- tion. La ruine des soixante-douze maisons de la rue Saint-Laud et l'élargissement de la chaussée jeteront en exil une foule de gens paisibles, laborieux, qui seront désolés de recourir à d’autres gîtes. N’en trouvant point dans les quartiers voisins, dont tous les bons logements sont occupés, ils s’en iront, l’amertume au cœur, planter leur tente loin de toutes leurs relations, et le changement d'habitude ne fera qu’accroître le chagrin de leurs chers souvenirs. Si, encore, la transformation de la rue Saint-Laud devait profiter à quelque fraction notable de la popu- lation, on y trouverait une excuse, mais nous avons beau réfléchir aux résultats directs ou indirects de cette mesure, nous ne pressentons que mécontentements et dommages. Voyons les choses comme elles sont et ne dissimulons rien. Depuis quelques années, les habitants de la rue menacée, alarmés des propos tenus sur les prétendus embellissements du quartier, se sont demandé s'ils n’agiraient pas avec sagesse en le quittant avant l'heure 2; Vus du péril. Les plus timides ont cru bien faire en échan- seant des magasins du prix de 1,000 à 1,500 francs contre d’autres, dans une région supérieure, qui coûtent le double et même davantage, sans rapporter plus de pro- fit. La valeur immobilière a donc déjà subi une dépré- ciation sensible. Maintenant que l’on se transporte, par la pensée, au commencement d’exécution de la menace longtemps suspendue, alors ce sera un vrai sauve qui peut. La circulation devenant difficile par l’effet des démolitions, les principaux marchands se hâteront de monter aux environs de la place du Ralliement, et même jusqu'au boulevard. Les magasins des rues Lenepveu et Chaperonnière — celle-ci restaurée — deviendront l'extrême liniite des consommateurs. On ne descendra plus guère au delà. Lorsque li future rue Saint-Laud sera rajeunie, Dieu sait quand, les chalards en auront oublié le chemin, ou ne s’y porteront que par lappât trompeur de commerces interlopes, de déballages d’é- trangers et de liquidations d’inconnus suspects. Au lieu de pousser à la tendance déjà trop marquée vers le midi, il nous semble qu’il est d’une administra- tion prévoyante de faire tous ses efforts pour retenir la ville dans les conditions anciennes, qui ont pour elles les considérants du succès et de l'expérience. Ce n’est pas impunément que l’on change les traditions essen- tielles d’une cité. On s’expose à des suites fâcheuses qui vont bien au delà du point que l’on avait en vue. Ainsi pour la rue Saint-Laud, ne nous y trompons pas, son déclin entraînerait celui de tous les bas quartiers, y compris le quai. On sait que déjà ils ne sont pas trop en faveur, en dépit de l'heureux relèvement de la rue Pons. = pr Poissonnerie. Tous les propriétaires et négociants, grands et petits, de cette section si populeuse, sont aussi intéressés que ceux de la rue Saint-Laud, à son main- tien intégral. Ils devront profiter d’un projet de voirie, établi d’une manière modérée entre leur quartier et la ville haute ; mais ils perdront dans une mesure bien plus considérable, si l’on persiste à exécuter des travaux à outrance. Et quel moment choisissons-nous pour entamer cette entreprise? Certes on doit avoir foi aux destinées de la France, au patriotisme de tous ses enfants; mais on est moins rassuré par la forme de ses ins- titutions. Nous venons de traverser des temps bien agités. Novembre 1880 se rapproche et les affaires exté- rieures sunt loin linspirer une sécurité complète. Quand la tempête est à peine calmée, que les flots s’agitent encore, et que des nuages paraissent à l’hori- zon, le navigateur redouble de précautions, s'adresse à ious les hommes de bon vouloir et se garde bien de déployer les voiles. Cette prudence est surtout oppor- tune lorsque le navire est lourdement chargé, et nul ne peut affirmer que la dette de la ville ne soit qu’une cargaison légère. Telle fut la circonspection, la ligne de conduite tenue par des administrateurs dont les noms ne seront point oubliés, et qui appliquèrent à la ges- tion des intérêts de la Ville une sollicitude non moins économe que vigilante. Nous reconnaissons avec em- pressement que jusqu'ici M. Mourin et ses collabora- teurs n’ont point dérogé à cet exemple tracé par le bon sens et la juste appréciation des choses. Nous étions heureux d'observer que l’on s’appliquait principale NT ment à ces travaux modestes, mais éminemment utiles qui constituent l’ordre et l’agrément des cités. Nous noterons, entre autres, le redressement du pavage dans beaucoup de rues, et la plantation d’arbres bien choisis pour combler les vides nombreux que l’on remarquait avec peine sur les boulevards. Que M. Mourin nous permette de le lui dire ! : de même que de sa part l’on s’attend à des efforts cons- tants pour faire prévaloir les idées modérées, de même on compte sur ses prédilections pour conserver res- pectueusement dans notre ville tout ce qui en éclaire les annales, tout ce qui charme nos souvenirs. Dans sa chaire de l'École supérieure, quand il se plaisait à rendre justice au passé, en s’élevant au-dessus des pas- sions vulgaires, nul mieux que lui nous démontrait que l'étude des monuments est une des principales sources de l’histoire, puisque chacune de leurs pierres, pour ainsi dire, conserve des documents inestimables sur les mœurs, les institutions et les croyances des générations qui nous ont précédés. Or, quels monuments sont plus précieux pour connaître les mœurs de nos pères, pour pénétrer dans leur vie intime, que les habitations, théâtre de leur naissance et de leur mort, de leurs joies et de leurs douleurs? Plutôt que de se lancer dans une entreprise dispen- dieuse, interminable, qui, en compromettant une foule d'intérêts, attristera tous les amis, tous les admirateurs du vieil Angers, il est une œuvre bien autrement digne de M. Mourin, une œuvre qui vous concilierait, Messieurs i On n'oublie pas que M. Mourin était maire au moment où ce travail fut composé. Per les Conseillers municipaux, la sincère reconnaissance de vos concitoyens, ce serait l'achèvement, au fur et à mesure des ressources, et sans escompter l'avenir, de tous les travaux publics plus ou moins avancés; ce serait la restauration de tous les édifices, précieux sous le rapport de l’art, qui sont réduits à un état aflligeant de dégradation. Dans la première catégorie, sans compter les rues Chaperonnière et du Grand-Talon dont l’élar- gissement est approuvé par tous, nous signalerons le complément de la place du Ralliement, le prolongement du boulevard jusqu’au Jardin-des-Plantes, la jonction de la rue Bodinier et de la rue Baudrière, la destruction des masures qui mettent en péril et cachent la cathé- drale. Enfin quel honneur pour un magistrat populaire d’attacher son nom à la réalisation d’une pensée chère aux Angevins! Ne verrons-nous point exécuter, de nos jours, l’escalier monumental qui, du seuil de Saint- Maurice à la fontaine Pied-Boulet, en ouvrant une com- munication grandiose avec la Doutre, répondrait à des vœux unanimes ‘ ? 1 En présence de tant d'œuvres commencées ou désirées, est-il “besoin d'ajouter que l’on a été désagréablement surpris par le projet de continuer la rue des Lices jusqu’au carrefour des rues Lenepveu et Saint-Julien? Plus que jamais, par ce temps d'in- certitude, gardons-nous d'agir en prodigues et tâächons d’achever des travaux urgents, d’une utilité incontestable, avant de songer à des entreprises dont la nécessité ne se fait nullement sentir. Cette note était écrite lorsque nous avons lu la judicieuse protestation de M. Gautron, séance du 2 mars. Il était difficile de la formuler en termes plus nets et plus concluants, On n’en peut expliquer la non-adoption que par le désir du Conseil de ne pas froisser les auteurs de l’inopportun projet, tout en le remwet- tant à une époque indéfnie. BEN: MERS Dans la série des édifices à restaurer, tout le monde a classé avant nous l'hôtel Pincé, plus connu sous le nom d'hôtel d'Anjou, ce chef-d'œuvre de notre de l’Es- pine, dont il serait facile de faire le rival de la célèbre maison de Jacques Cœur, à Bourges, et qu’on laisse dans un honteux abandon ; le logis Barrault dont l'aile au nord, affectant une laideur d’usine, jure avec son voisinage de pure Renaissance ; la tour Saint-Aubin, dépouillée de ses tourelles aux quatre angles, coiffée d’une affreuse calotte, et qui serait si heureusement arrachée à l’industrie et transformée ‘en un de ces bef- frois, l’orgueil des villes municipales des Flandres; enfin les greniers Saint-Jean, dont le temps de location expire bientôt, et qui sont considérés par les archéologues comme l’un des vestiges, devenus aussi rares que pré- cieux, de l'architecture civile du douzième siècle. Si nos finances étaient prospères, nous ajouterions à cette liste de travaux urgents et sympathiques, la cons- truction d’un hôtel de ville, digne de ce nom. Il est triste de sacrifier une position admirable, à l’espèce de caserne qui usurpe un glorieux titre. Quand verrons- nous, en laissant la mairie actuelle aux bureaux, s’éle- ver, sur la ligne des boulevards, un élégant palais, rival des pittoresques maisons communes d’Arras ou de Bruges ? C’est surtout en revenant de la Belgique ou de nos départements du Nord que l’on est humilié pour notre ville d’être représenté par un hôtel vulgaire qui devrait être, après la cathédrale, le premier de nos monuments. Comme trois ou quatre cent mille francs seraient nécessaires pour accomplir un vœu patriotique qui est A remis à des temps plus heureux, nous n’osons insister et force est de se contenter, pendant que nous sommes en veine, si l’on veut bien nous écouter avec indulgence jusqu’au bout, d'émettre deux idées qui ne nous appar- tiennent pas et dont nous reslituons le mérite à des autorités parfaitement compétentes. On sait qu’un orphelinat de garçons est installé dans les principaux bâtiments de l’ancien hôpital Saint-Jean. Cette institution, confiée aux Sœurs de la Présentation de Tours, vous fait honneur ; elle est d’autant plus esti- mable que l’on peut y joindre une autre création qui en serait le digne pendant : c’est à savoir un asile pour la vieillesse honnête, confondue à Saint-Nicolas avec d’an- ciens malfaiteurs. Comme j'ai développé ce sujet dans un mémoire qui vous a été présenté l’année dernière, Messieurs, sous le titre : le Dépôt de Mendicité en 1876, je n’y reviendrai pas en ce moment; j'oserai seulement réitérer la prière de ne pas aliéner les terrains de Saint-Jean non encore vendus. Le profit en serait mince et l’on regretterait certainement ‘cette imprévoyante opération, car nul lieu n’est plus propice pour un éta- blissement de bienfaisance. Veuillez observer, Messieurs, que notre budget mu- nicipal est un de ceux qui, en France, accordent la moindre part à l'assistance publique. Tout le monde sait que l’'Hospice général, dans plusieurs de ses services, ne suffit pas au besoin d'une population, considérable- ment accrue depuis trente ans. Il faut s’attendre à ce qu’un hôpital pour les convalescents dans le quartier de la Madeleine, soit bientôt instamment réclamé par la science et par l'humanité. AAA Nous ne sortons pas de cet ordre d’idées dans la re- quête suivante, puisqu'il s’agit d’un sujet qui touche de très-près aux questions hygiéniques. Les nombreux passants sur le pont de la Basse-Chaîne, le boulevard Arnauld ou le quai Ligny, lequel se trouve sous le vent de l’abattoir, sont péniblement affectés des bruits la- mentables et des effluves nauséabondes qui s’échappent de cette répugnante tuerie. Le moment serait bien choisi pour la reléguer, ainsi qu’on aurait dû le faire, dès l’origine, sur les bords de l’étang Saint-Nicolas. On assure que des réparations y sont urgentes ; au lieu d’y perdre une forle somme, ne serait-il pas préférable de construire un bâtiment neuf un peu plus loin, dans un endroit caché aux regards et aux oreilles, car les mu- gissements plaintifs qui sortent de l’abattoir, n’en sont pas un des moindres désagréments. On estime que cette sorte d'établissement construite selon les progrès mo- dernes, ne coûterait guère plus de 100,000 francs. Quand les frais monteraient à 200,000 francs, il y aurait là pour la ville un avantage évident, même au point de vue matériel. Les terrains, délivrés de ce repoussant voisinage, doubleraient, tripleraient de valeur et notre ligne de boulevards, au lieu d’être interrompue d’une manière honteuse, ne présenterait que le riant aspect d’une ceinture verdoyante. Tous les gens de goût ne trouveront pas nos expres- sions trop fortes, car l’abattoir s'étale comme une tache énorme, sur la rive droite de la Maine. C’est le premier plan qu’aperçoit l'étranger en pénétrant dans nos murs. Quelle opinion différente il concevrait de la délicatesse de nos mœurs si, à la place d’un théâtre LE Ne d’exécutions continues, on voyait un joli square Ss’a- vancer comme un promontoire fleuri sur les bords de la rivière? Entouré d’une grille, précédé par le pavillon du surveillant qui en aurait la garde, muni de bancs à l’intérieur, à l'ombre des platanes, l'arbre prédestiné du bord des eaux, ce serait la station préférée du prome- neur, de l’amateur de paysages, qui verrait à l’aise se développer, d’un côlé, les masses imposantes du châ- teau, de l’autre, le magnifique bassin de la Baumette. Nous restituons à qui de droit l'honneur de cette belle idée. Elle est encore due à David, ce grand maître en fait d’inspirations nationales, comme en fait de com- positions artistiques. Dans son vif esprit, il voyait son espérance réalisée et plaçait au centre du jardin, la statue de Robert-le-Fort, de cet illustre patriote, qui, au prix de son sang, défendit le comté d’Outre-Maine, contre les barbares du Nord, ces Prussiens du 1x£ siécle. 1 Qu'il nous soit permis, à propos de Robert-le-Fort, d’évo- quer l’éloquent appel de Paul Belleuvre. La pensée de répa- ration envers notre héroïque défenseur, en lui consacrant un monument sur la place de Brissarthe, en face de l’église, avait reçu naguère l'accueil le plus sympathique. Les événements en firent différer l'exécution. Aujourd'hui, profitant d’un calme, au moins relatif, ne pour- rions-nous pas y revenir, en conciliant deux idées qui, à vrai dire, n’en font qu'une? L'œuvre originale serait à Angers, et la reproduction en bronze à Brissarthe. Ainsi justice complète serait rendue, et les étrangers, même les Allemands, ne nous taxeraient plus d’ingratitude. En effet, n'est-ce pas un regret pour nous tous de songer, que, sans l'intervention généreuse de M. de Quatrebarbes et de David, sauf l’une des statueites qui entourent le roi René, l’Anjou ne posséderait pas l’image de l’un de ses principaux bienfaiteurs, qui fut aussi l’une des grandes figures de l’histoire de France ? CAS CES Voilà, certes, un noble projet, digne du savant historien des Comtes de Paris et bien plus propre à lui concilier la reconnaissance angevine que l’injuste condamnation de la rue Saint-Laud. En combattant cette mesure, loin de nous la pensée de combattre l'Administration qui la subit plutôt qu’elle ne la provoque ; nous pensons au conlraire, en la dé- tournant d’un acte funeste, lui rendre un signalé ser- vice, car nous la préservons de l’impopularité qui l'at- teindrait certainement dans une notable portion de la ville, si l’on persistait à suivre des conseils précipités. Écoutons bien plutôt l'avis si sage de MM. Bouhier et Daburon. Nul ne peut contester leur parfaite compé- tence en affaires, et s’ils demandent un sursis d'un an, c’est que ce délai qui sera bientôt passé, suffira cepen- dant pour faire adopter aux diverses parties, un plan de conciliation. Nous sommes si peu hostile, person- nellement, à nos administrateurs actuels, que nous nous plaisons à reconnaître tout ce qu'ils ont fait de bien et empêché de mal. Nous applaudissons de grand cœur à la réussite, dans les diverses parties de son programme, de l'Exposition régionale, fruit d'efforts constants et d’une direction habile. Les nombreuses personnes qui ont affaire à la Mairie, se louent beaucoup de l’affa- bilité avec laquelle on les accueille. Pourquoi ne verrions-nous pas agréer avec la même faveur notre inoffensive requête? Bien que notre répertoire d’objections irréfutables ne soit point épuisé, il est temps de le clore. — « Mais, s’écrient nos adversaires et même quelques-uns de nos partisans, c'est une affaire jugée, l'arrêt est prononcé. » Vi == — Oui, maïs le fait n’est point encore accompli. L’opi- nion publique nous est favorable. Tant qu’il y aura ouverture, ne négligeons aucun moyen de protestation. Il n’est pas possible de se résigner, sans lutter, avec armes courtoises bien entendu, à un vote, dont les conséquences seront extrêmement graves et qui est dû surtout à un sentiment de lassitude et d’ennui. Avant que l’on mette hache en bois, des formalités sont exi- gées par le législateur : répondons par des dires for- tement motivés aux enquêles et contre-enquêtes. Pro- voquons des réunions publiques, où nous exposerons nos arguments contre une mesure désastreuse. Si nous n'avons pas le talent de la parole, nous trouverons des avocats éloquents et non moins dévoués, pour défendre une excellente cause. Nous épuiserons, sil le faut, tous les degrés de juridiction. ou plutôt non, Messieurs les Conseillers municipaux, nous n’appelons de votre premier jugement qu’à vous-mêmes. Nous nous confions à votre esprit de justice. Vous ne voudrez pas, en dé- truisant la rue Saint-Laud et tout ce qui s’y rattache, sacrifier les intérêts les plus respectables. Vous avez la puissance de défaire ce que vous avez fait, d’autant plus que votre décision, en principe, n’a encore rien com- promis matériellement. Enfin. Messieurs, permettez- nous de l’espérer, en loyaux Angevins que vous êtes, vous ne méconnaîtrez pas nos raisons; VOUS ne repous- serez pas nos prières, car vous abhorrez comme nous lPaxiome de nos orgueilleux nee La force prime le droit. L. CosNiEr. PR 1 UE 42 mars 1878. P.-S. — Nous nous disposions à publier cette bro- chure, lorsque parut dans les journaux l’analyse de la séance du Conseil municipal qui se tint le 13 février dernier. Voici les conclusions du rapport sur le pro- longement de la rue des Lices : « Les travaux que le Conseil municipal avait votés au cours de l’année 1877, et qui devaient avoir pour résultat de dégager la place du Ralliement, ces travaux dont vous aviez constaté!l’extrême urgence, la prolon- galion de la rue Plantägenet, l’achèvement de la rue Lenepveu, la jonction de la rue de la Roë avec la place du Ralliement par la rue des Forges ne sont pas faits. « Ce qui est commencé ne se continue qu'avec de fâcheuses lenteurs et ne s’achève pas. Le dossier qui devait être envoyé, au ministère pour la présentation de la loi qui autorisera l'emprunt voté pour couvrir ces dépenses n’a pas encore quitté Angers ; les enquêtes qui devaient préalablement être ouvertes n’ont point été ordonnées ; en un mot, on peut dire que les votes du Conseil municipal sur l’ensemble de ces travaux sont, jusqu’à ce jour, restés lettre-morte. « Il importe cependant que les délibérations prises soient exécutées; des intérêts sont gravement atteints par ces retards, et il n’est pas possible de laisser plus longtemps inachevées ces voies dont les lignes ne sont, pour ainsi dire, tracées que par des démolitions ; l’Ad- ministration ne peut pas laisser dans cet état le quar- tier le plus central, le plus important d'Angers. « C’est pourquoi nous avons pensé qu'avant ioute LS ME ee entreprise, il fallait terminer cet ensemble de grands travaux de voirie dont le Conseil a décidé la prompte exécution, nous conformant en cela, du reste, aux termes précis d’une de vos précédentes délibérations. « Est-ce à dire pour cela que vous devrez vous borner à prendre en considération la proposition de notre collègue M. Passet? Ce n’est point là la pensée de votre Commission. Elle vous propose d'adopter le projet de M. Passet, de voter qu’une rue faisant suite à la rue des Lices sera ouverte de la rue Saint-Aubin au carre- four de la rue Saint-Julien et de la rue Lenepveu, con- formément au plan dressé par M. l’Ingénieur de la ville, et, pour assurer l'exécution de ce vote, elle vous propose en outre d'autoriser l'Administration à traiter avec les propriétaires indiqués au tableau n° 3 pour l’acquisition des maisons atteintes par ce projet. « C’est seulement l'exécution matérielle que la majo- rité de la Commission vous propose de retarder jusqu’à l'achèvement des autres travaux de voirie précédem- ment votés par le Conseil... » Loin de céder à la tristesse qu’excite chez l'honorable rapporteur l’inexécution du projet de bouleversement de la rue Saint-Laud, nous nous réjouissons de ce retard, car il prouve l'embarras extrême de l’Adminis- tration et des ingénieurs pour exécuter un plan calami- teux et impopulaire. La nuit porte conseil, entendons-nous dire souvent. À plus forte raison doit-on espérer qu'une année presque entière, passée à réfléchir, suggérera une solu- tion sympathique à tous les esprits sages, à tous les amis de la cité. RL 18 mars’ 1878. Second P.-S. — Nous ne pouvions arriver plus à temps. Les journaux d’avant-hier contiennent celte annonce : « Une enquête est ouverte à la mairie d'Angers sur la question d'utilité publique des travaux de voirie proje- tés rue Chaussée Saint-Pierre, rue Chaperonnière, rue Saint-Julien, rue de l’Aiguillerie, rue Plantagenet pro- longée, rue du Grand-Talon, rue Saint-Laud, rue de la Place Neuve, place Sainte-Croix, rue Saint-Denis, rac- cordement de la rue des Forges avec la rue de la Roë. « Les pièces relatives à cette enquête sont déposées à la mairie, bureau du Bien Public, à partir d’aujour- d’hui samedi 16 mars. Elles resteront 15 jours à la dis- position des habitants. « Les déclarations des intéressés seront entendues et reçues à la Mairie les 9, 8 et 4 avril prochain, de neuf heures à onze heures du matin. » Nous voilà donc tous bien et dûment avertis. C’est à nos concitoyens, c’est surtout aux habitants et proprié- laires des bas quartiers d’user des voies légales pour empêcher l'exécution d’un plan excessif qui compromet une foule d'intérêts. Les contribuables sont d’autant plus autorisés à émettre leur opinion que l’Administration municipale n’a point le parti pris de passer ouire, sans nul souci des réclamations légitimes. Uniquement préoccupée du bien public sur ce sujet comme sur tout autre, elle est disposée à prêter l'oreille à tous les bons avis. La preuve RES en est dans la lenteur à remplir les formalités prélimi- naires. Le plan de réfection de la rue Saint-Laud, adopté après de pénibles débats, comme une manière de pis-aller, ne satisfait personne, de l’aveu mème de ses défenseurs. Nous sommes donc fondés à croire qu’une mesure de transaction finirait par être agréée si elle se présentait comme l'expression évidente du sentiment général. Mais que l’on se presse, car le terme du délai est proche. Si l’on ne proteste pas, la rue Saint-Laud sera enfouie et ruinée à la façon de la rue de la Croix- Blanche. Quand sera frappé le premier coup de hache, quand l'arrêt irrévocable sera mis à exécution, le mal devenu sans remède, les plaintes les mieux fondées n’ob- tiendront pas d’autre réponse que ces paroles déses- pérantes : JL est trop tard! DEUX MOTS D'UN PROVINCIAL Nous ne venons pas ici, Messieurs, refaire, après Mercier, le Tableau de Paris, ou rajeunir les observa- tions piquantes de l’Ermite de la Chaussée-d’Antin : notre tâche est on ne peut plus restreinte ; nous vou- lons uniquement vous faire part de quelques impres- sions arlistiques éprouvées récemment pendant un court séjour dans la capitale. Le temps n’est plus, on doit en convenir, où tout ce qui portait l’estampille de cette grande, de cette trop grande cité, était censé échapper au contrôle ; où l’on pouvait dire de chaque provincial ayant visité ce lieu privilégié, ce que, dans les Voitures versées, de Boiël- dieu, on dit du dilettante Dormeuil : À ses yeux, rien de beau, rien d’aimable S'il ne vient de ce charmant pays. Non : la province a entendu et croit commencer à . comprendre. Angers même, qu’une artiste célébre entre toutes nommait, il ÿ a peu d'années, un grand village, SOC. D’AG. 4 A + GE peut aujourd’hui juger du mérite d’un orchestre, par la belle réunion d’instrumentistes que des soins généreux ont appelés au milieu d’elle. En outre, des chanteurs, des virtuoses renommés, véritables missionnaires de l’art, sont venus lui fournir des exemples qui n’ont pu s’oublier. Il en est de même, on le sait, pour les villes qui nous avoisinent ; et, dès lors, en se rendant à Paris, l'habitant de la province doit penser qu’il y trouvera le progrès ainsi généralisé, dans toute sa flo- raison, c’est-à-dire la perfection même. On commence par l'Opéra, le sublime Opéra, comme le nomme Scribe. Après avoir admiré le grand escalier et le foyer, très-riches, assurément, trop riches même, au dire de plus d’un, vous prenez place et écoutez le prélude harmonieux d’un orchestre parfait. Puis, le rideau levé, vous entendez, nous le disons bien à regret, un langage qui doit vous causer quelque sur- prise. Lançant et soutenant avec effort des sons la plupart tremblotés, chaque artiste, sauf quelques favorables exceptions, enlève , par sa diction, une partie de leur grâce aux mélodies douces et traduit avec excès les chants plus accentués. Exprimés ainsi, les passages piano deviennent déjà pénibles et les forte le sont nécessairement encore davantage. En outre, les avant- dernières notes de maintes phrases se prolongent sou— vent outre mesure, ce que, il faut bien le dire, les bravos viennent ordinairement encourager. Obligé de se régler sur cette diction exagérée, l’or- chestre, cet excellent orchestre qui, le lendemain, se . fera admirer dans les concerts du Conservatoire, ne Ne EL peut plus montrer au même point, cette délicatesse que Von rencontre chez Pasdeloup et, à un degré non moins remarquable, dans les réunions du Châtelet, dirigées par Colonne. Du reste, de l’âme, de l’élévation, des décorations splendides, une mise en scène magnifique : mais, ce théâtre s'intitule : Académie de musique ; une Académie, nom dont s’honore la réunion de nos pre- miers littérateurs, doit-elle continuer à donner de tels exemples ? Si ces imperfections étaient irrémédiables, nous gar- derions le silence par respect pour le prestige dont notre premier théâtre lyrique est justement entouré. Mais, comme ce défaut dans la voix et cette exagération dans la diction semblent à tous, étant donnée une ferme volonté, guérissables en peu de temps, nous n’hésitons pas à évoquer sur cette belle scène, avec vive espérance de retour, les grande jours de Nourrit, de Cornélie Falcon, de Cinti-Damoreau et de Duprez. Une question reste. Comment le mal s’est-il accru ? Il ya des journaux, d’habiles feuilletonistes, dira-t-on ? Oui, mais au bout d’un long temps, certaines odeurs, certaines saveurs ne se sentent plus ; il semble en être ainsi du public parisien qui, entendant chevroter presque sans cesse, dit bien çà et là que c’est un mal, puis semble en prendre facilement son parti. Toutefois, le provincial qui arrive ne peut s'abstenir de faire une remarque, düût-elle être souvent mal prise par ses voi- sins. L’étranger se gêne moins encore et qualifie à sa manière cette véritable maladie qu’autrefois nos théâtres ne connaissaient pas, et que l’étendue de la salle nou- PENSE ARR velle ne suffit pas à justifier. Pour désigner la pronon- ciation un peu forcée de certaines voix de l’ancien Opéra, les Italiens avaient l’urlo francese et blâmaient, par exemple, le puissant Dérivis de dire, dans un duo bien connu de La Vestale : « Telle est la volonté des dhhhieux\ » Aujourd’hui, le éremolo francese a pris place dans leur langage et il risque d’y demeurer long- temps, car la contagion signalée s’est étendue aux autres théâtres de Paris, a gagné la province et envahi jusqu’à la mansarde de l’ouvrière. Heureusement, nous le répétons, on compte de louables, de brillantes exceptions. Faure, Vergnet, Lauwers, Gaïhard, Mmes Nilsson, Carvalho, Patti, Albani chantent toujours. L’Opéra-Comique voit, dit-on, disparaître, à la venue toute récente de Mme Vauchelet, ce vice auquel il doit attribuer en partie sa longue défaillance, et attend de la poétique Psyché, d'Ambroise Thomas, son retour prochain à ses meilleurs jours. Puisse donc notre critique n’avoir qu’un temps ! La musique instrumentale est arrivée depuis bien des années à une grande perfection. On doit remarquer qu’à la différence du passé, trois instruments, le piano, le violon et le violoncelle sont presque seuls en posses- sion de jouer des solos dans les concerts. Il faut toute- fois y ajouter la harpe inspirée de Godefroid. Nous permettra-t-on de dire que le chant des instruments à archet, de ceux surtout, assure-t-on, qui se sont formés en Belgique, se montre souvent atteint de ce #remolo fâcheux qu’on a cru longtemps réservé à la voix RL PSI EAU humaine ? Que doivent penser de cet abus MM. Fran- chomme, Lebouc et Cros-Saint-Ange ? Mais, les morceaux d'orchestre ! Quel ensemble, quels détails ravissants ! Haydn ! Mozart ! Rossini ! allez-vous vous écrier : Pardon ! messieurs, ce n’est plus tout à fait cela... Une école née dans la rêveuse Allemagne est venue, depuis une dizaine d’années, répandre son influence sur les œuvres de plus d’un de nos compositeurs et prendre chaque jour une place plus large dans le programme de nos concerts. Laissez-nous vous citer ce que disait tout récemment à cet égard un journal musical de Paris *. « On connaît le Credo de la nouvelle école et ce n’est « pas la calomnier, croyons-nous, que d’assurer qu’elle « rejetterait impitoyablement de son sein tout composi- « teur qui essaierait de parler la langue simple et natu- « relle d'Haydn ou de Mozart. La musique de ces grands « maîtres est trop claire de forme, trop proportionnée, « d’une mélodie trop saisissable, d’une harmonie trop « harmonieuse ; la musique nouvelle se complaît dans «la modulation incessante, dans l’accumulation des « dissonnances, dans le chassé-croisé des rhythmes et «leur impitoyable enchevêtrement, si bien que lon « doive rarement savoir dans quel ton et dans quelle « mesure se trouve écrite telle ou telle phrase de tel « ou tel morceau. Voilà l’essence générale de la « nou- « velle musique » et, au delà du Rhin, grand nombre « d'artistes et d'amateurs sé sont si bien faits à cette 1 Le Ménestrel du 3 mars. SA RSC « seconde manière de l’art divin de sainte Cécile, qu’ils «n’en comprennent plus d'autre. » Il y a dans cette diatribe un fond de vérité; seulement, il faut ajouter que Richard Wagner, Shumann, Joachim Raff, les grands apôtres de l'École nouvelle, sont des hommes d’une science profonde et que plus d’une œuvre remarquable leur est due. Par malheur, au lieu d’avoir, comme Haendel, élevé et ennobli la musique par la hauteur de leur inspiration, ils composent fréquem- ment avec la science toute seule. Ne pouvant refaire le noble et simple Moïse, de Michel-Ange, ils entassent, la plupart du temps, perles et riches broderies sur un mannequin sans valeur. De là, ce style tendu et un peu algébrique, dans lequel on s'efforce sans cesse de saisir une pensée mélodique trop souvent absente ; ce vague sonore qui, à l'intérêt, à l’admiration même, fait suc- céder bientôt une inévitable fatigue. Quand Boileau dit : Il est certains esprits dont les sombres pensées Sont d’un nuage épais toujours embarrassées ; Le jour de la raison ne les saurait percer. Ne semble-t-il pas avoir écrit pour ces composi- teurs-là ? — Nous insistons particulièrement sur la tendance de la secte nouvelle à prendre la meilleure place dans les programmes des réunions publiques. À Paris, dans plus d’une province même, nous assure-t-on, on jette aux auditeurs un peu de Rossini ou de Mozart, puis on forme presque tout le menu de mets plus ou moins wagnériens. Plus d’une réclamation s’est élevée déjà ; % } he | à 60 EE ne on semble n’en avoir pas tenu compte. Que ces grands réformateurs y réfléchissent! On finira par voir en eux de véritables protestants, non, sans doute, envers la foi, mais vis-à-vis de la raison, qui ne confond pas les effets avec les idées et ne permettra jamais d’appeler un bon discours, l’assemblage, si habile qu’il soit, de phrases savantes dans lesquelles ne se trouve le plus souvent, ni une pensée pour Mu ni un sen- timent pour le cœur. — Nous voilà un peu loin, vous Me pensez sans doute, de lenthousiaste M. Dormeuil! Pourtant, personne n’admire avec plus de bonheur que nous la richesse des ressources, les mérites éminents d'exécution dont s’enorgueillit à bon droit la grande cité, cette cité au milieu de laquelle, parmi tant de courants délétères, règne une atmosphère inspiratrice à laquelle tant de talents divers ont dû l’éclosion de leur génie. Ne saurions-nous donc, dans nos provinces, respirer une atmosphère aussi généreuse ? Nous n'avons pas, il me semble, délaissé le culte des lettres. Des noms angevins se trouvent inscrits dans les pages glorieuses de plus d’une Académie ; plus d’un théâtre a vu applau- dir des vers nés parmi nous, et une source de lumières, fermée depuis près d’un siècle, vient, à l’appel d’une voix puissante, de se rouvrir au sein de notre ville ‘ Ne resterait-il donc qu’une part trop mesquine pour l’art musical ? C’est demander si nous serons infidèles à des souvenirs d’hier encore. Plus d’un Angevin a 1 L'Université. ETES enrichi de ses mélodies les chants de nos concerts, ou les prières de nos églises. Habile à explorer les richesses du passé, une voix aimée de Thémis ‘ analysait récem- ment pour nous le génie des grands maîtres de l’Alle- magne et de l'Italie. On sait avec quel empressement ést accueillie dans notre cité la visite des artistes renommés. Ces enseignements ne seront pas stériles et notre zêle ne diminuera pas. Mais « aimez donc la rai- son ! » a dit encore Boileau. Délaissant la mode et les systèmes auxquels tant de personnes, à Paris surtout, accordent une puissance souvent funeste, que chacun se nourrisse de bons exemples, s’habitue aux sages, aux sérieuses réflexions, n’écrive que sous l’inspiration d’un sentiment vrai, el puisse entendre dire, à l’audi- tion de ses compositions ou de ses chants, ces trois mots qui sont le premier des éloges, en fait d'œuvres artis- tiques surtout, non pas : C’est habile! c’est fort! c’est savani ! mais... : C’est cela ! 1 M. Affichard. E. LACHÈSE. INSCRIPTION CHRÊTIENNE ANTÉRIEURE AU Ville SIÈCLE Vers le milieu de mars 1877, M. Godard-Faultrier soumit à la Société d'Agriculture, Sciences et Arts, un travail que nous reproduisons, tel qu’il l’adressa d’An- gers au Ministère de l’Instruction publique. Son intitulé porte : « Note destinée à être lue à l’une « des prochaines séances de la Sorbonne, en avril 1877. » Comme les précédentes années, j'ai l’honneur (écrivait M. Godard) d’envoyer, au nom de la Société d'Agriculture, Sciences el Arts d'Angers, une note concernant une inscriplion sur laquelle rien que je sache n’a encore été dit. Il s’agit d’une épitaphe gravée sur pierre calcaire, trouvée à Angers, place du Ralliement, et que M. Par- rot fit déposer au Musée Toussaint, 1l y a déjà quelques années. Elle a de largeur 66 centimèêtres environ, sur 35 de hauteur, mais elle était un peu plus étendue vers la droite. J’ai lieu de croire qu’elle est antérieure au vire siècle " et qu’elle peut se rattacher à ce genre d’énscriptions po chrétiennes de la Gaule que M. Edmond Leblant a, si je ne me trompe, classées, le premier, avec méthode. Bien que l’estampage que nous avons fait laisse à désirer, à cause de la rugosité de la pierre, cependant il suffit à pouvoir se bien rendre compte de l’inscrip- tion que l’on peut épeler ainsi : SVB HVNC TITVLVM REQVI(escit) CVI FVIT ALMA FIDES V(:-) TA AVDOEN F: Q{vi) CARVIT PRESEM VITA(» miseran-) TE DNO MUTAVIT IN ME(Zorem) À première vue, les phrases sub hunc titulum et caruit presentem vitam paraîtraient des fautes, si l’on ne savait que la préposition sub gouverne aussi l’accu- satif et qu’il en est de même du verbe carere. On trouve en effet, dans le dictionnaire de L. Quicherat, sub occa- sum solis; puis, carens cutem. Quant à cette forme caruit presentem vitam, elle fut employée, en Anjou, notamment au 1x° siécle, sur l’épitaphe de ATO, imprimée dans les Mémoires de la Sorbonne, partie archéologique, année 1868. Pour ce qui est du mot #éulum, nous le trouvons aux pages 454 et 455, planches 36 et 37, n° 293 et 226 de l’ouvrage de Edm. Le Blant intitulé : /nserip- tions chrétiennes de la Gaule. Bref, sauf avis meilleur, ne serait-il pas possible de rétablir ainsi ladite épithaphe: « Sub hunc titulum «requiescit (ille sous-entendu), cui fuit alma fides «vità : Audoen..…. qui caruit presentem vitam mise- «rante domino mutavit in meliorem ? » LA NRO 2 Traduction mot à mot : « Sous cette épithaphe, repose celui à qui fut une « foi sincère par sa vie, savoir : Audoen..... qui sortit « de la présente vie et qui, par la miséricorde de Dieu, « la changea en une meilleure. » Ce nom de Audoen... Audouin était répandu en Anjou, aux temps les plus reculés et l’est encore de nos jours. Vers la fin du vi siècle nous avons, en effet, un évêque d'Angers de ce nom. Et, comme nos plus anciens dignitaires ecclésiastiques furent enterrés jusque vers le commencement du 1x° siècle, en cet endroit que l’on appelle Place du Ralliement; et comme, d’un autre côté, notre épitaphe y a été décou- verte, on se demande si elle ne pourrait pas se rappor- ter à l’évêque Audouin. Rien ne s’y oppose assurément, car cette épitaphe, par la forme de ses lettres, peut bien remonter au vie ou vue siècle, VU oncial n’y répugne pas, puisqu'on le retrouve employé à cette époque et même plus avant. Voir à ce sujet les Éléments de paléographie par Natalis de Waïlly, t. IT, planches Ie et Ile. Toutefois, l’épitaphe en question, vu son 2rfer- ligne démesurée, pourrait bien avoir été au nombre de ces monuments funèbres qui se vendaient tout prépa- rés à recevoir entre deux formules plus ou moins com- munes, le nom écrit, en manière de graffito, d'un défunt quelconque. Or, pour un évêque aurait-on employé une épitaphe de cette sorte ? Quoi qu’il en soit, notre inscription parait ne man- OU 'eS quer pas d’un certain intérêt, puisqu'elle mérita d’atti- rer l'attention de M. Heuzey, lors d’un voyage qu'il fit à Angers vers 1875. V. GopARD-FAULTRIER. Cette note ne put être lue à la Sorbonne par suite de l’absence de M. Godard; cependant, il en fut rendu compte en ces termes * : M. Godard-Faultrier, membre de la Société d’Agri- culture, Sciences et Arts d'Angers, a envoyé un travail modestement intitulé : Vote sur une inscription chré- tenne. Cette inscription provient des fouilles de la place du Ralliement, à Angers. Ces fouilles bien con- nues des lecteurs de la Revue des Sociétés savantes et des habitués de la Sorbonne, doivent compter parmi les plus fécondes qui aient été exécutées dans ces der- niers temps; entre autres précieux vestiges du passé, on y a trouvé des sépultures remontant aux premiers siècles du christiasisme, et notamment celles d’évêques et de hauts dignitaires de l’église d'Angers, des ins- criptions, etc., etc. Quant à l'inscription dont M. Godard-. Faultrier aurait mis lui-même l’estampage sous les yeux des délégués des Sociétés savantes, s’il avait pu : se joindre à eux comme les années précédentes, c’est une épitaphe chrétienne d’assez haute antiquité. Ce précieux monument a été placé, il y a quelques années. dans le musée Toussaint, par les soins de M. Parrot, comme nous l’apprend M. Godard-Faultrier. Elle est 1 Revue des Sociétés savantes publiée sous les auspices du Ministère, n° d'avril MDCCCLXXVIII, page 455. ro gravée en caractères majuscules romains, mais avec LV oncial, sur une pierre calcaire de 35 centimètres de hauteur sur 66 de largeur ; il manque quelques milli- mètres sur le côté droit. En voici le texte d’après l’estampage de M. Godard- Faultrier, qui la croit antérieure au vire siècle. SVB HUNC TITVLVM REQVI CVI EVIT ALMA FIDES V TA AVDOEN TT: QV CARVIT PRESENTEM VITA TE DNO MYTAVIT IN ME M. Godard-Faultrier, dans sa brève notice, propose d'ajouter quelques mois au texte dont il a donné l’es- tampage; mais il nous semble qu’il ne manque sur la pierre qu’une lettre ou deux au plus à la fin de cer- taines lignes. J’ajouterai que les mots que supplée con- jecturalement M. Godard-Faultrier ne sont peut-être pas nécessaires ; ils énerveraient le style concis de l’épi- taphe. La seule lacune tout à fait regrettable est celle que l’on remarque à la troisième ligne après le nom propre AVDOEN. M. Godard-Faultrier fait observer que ce nom aujour- d’hui fréquent dans l’Anjou sous la forme Audouin, était répandu dans cette province aux temps les plus recu- lés, et qu’au vre siècle, Angers eut un évêque de ce nom ; mais il ajoute que si la forme des lettres ne s’op- pose pas à ce que cetie épitaphe puisse être attribuée à ce prélat, il ne croit pas, cependant, qu’elle ait recou- vert la tombe d’un si haut personnage. M. Godard- 2160 en Faultrier suppose que c’est un nouvel exemple de ces monuments gravés d'avance pour la vente, où, au milieu d’une formule banale on réservait la place du nom et, s’il y avait lieu, de la qualification d’un défunt quelconque. Dans ce système que favorise l’examen de l’estampage, il ne manquait rien à l'inscription, et la lacune s’expliquait par la brièveté du nom Auwdoen. L’explication de M. Godard-Faultrier est acceptable; cependant, que faire de la lettre moins bien marquée qui suit l’'N d’Audoen ? Il ne semble pas que ce soit un V;il y a comme l’amorce d’un P ou d’un E, commen- cements possibles de presbyter ou d’episcopus. Je sou- mets ces doutes à M. Godard-Faultrier à qui un nouvel examen révêlera peut-être le secret de cette tombe. S'il y a, en effet, beaucoup d’exemplés d’inscriptions tuné- raires gravées d'avance, il en existe aussi d’inscrip- tions dont des catastrophes soudaines ont empêché la complète exécution. Celle du‘chrétien Audoen serait- elle du nombre de ces dernières? Cest ce que nous dira un jour M. Godard-Faultrier. En attendant, nous lui devons des remercîments pour avoir bien voulu réserver à la Sorbonne la primeur de ce précieux texte épigraphique qui aurait, sans doute, trouvé place dans le beau livre de M. Edmond Le Blant sur les Znscrip- ñons chrétiennes de la Gaule, si le savant académicien avait pu en avoir connaissance. UNE PROMENADE EN VENDÉE Ce titre seul suffirait à un volume. La Vendée est, en effet, tellement riche de charmants aspects et de pitto- resques demeures, qu'il faudrait souvent à un narrateur complet plusieurs pages de récit par chaque kilomètre. Quant aux grands et tristes événements dont elle a été le théâtre, ils demandent, non à être décrits, mais à être chantés. Aussi, voulant uniquement rappeler quelques instants d’excursion dans cette belle contrée, nous laisserons là nos souvenirs el ne voyagerons qu'avec nos yeux : ce sera bien assez encore pour ne pas che- miner vite. Sans introduction aucune, sans même faire connaître tout d’abord d’où nous venons et qui nous sommes, nous dirons qu'un certain jour, déférant à une bien- veillante invitation, nous nous sommes trouvé à la gare de Châtillon-sur-Sèvre. Certes, si quelque Angevin, après s'être endormi en route, se réveillait en cet endroit, il pourrait croire un instant que, par malice, comme dans la spirituelle AO comédie du Voyage à Dieppe, on l'a ramené dans sa ville natale, tant l’église de Châtillon aspire à rappeler, de loin, Saint-Maurice, d'Angers. Elle a deux flêches ; c’est une chose assez rare ; car, si deux tours se ren- contrent souvent, on cite les églises qui, comme Chartres, Angers, Saint-Ambroise de Paris et Saint-Nizier de Lyon, ont deux flèches complètes. Plusieurs ont voulu, il est vrai, posséder cette double richesse : mais, soit manque de temps ou d'argent, soit ruine, une seule flèche existe, même dans des églises célèbres, telles que Saint-Denis, près de Paris et Strasbourg. Toutefois, un archéologue pointilleux pourrait remarquer qu’ici ces flèches sont semblables, chose contraire, si nous ne nous trompons, à la tradition qui indique, par la flèche à droite du portail, le pouvoir spirituel, et le pouvoir tem- porel par l’autre. On peut voir à Angers et à Chartres surtout, combien le signe du pouvoir spirituel est plus élevé et plus orné. Ici, autant que le jour déclinant a permis d’en juger, il y a égalité : c’est beaucoup encore; car, si l’on en croyait certaines gens et d'Italie et de France, il faudrait, dès demain, raser complétement la fléche gauche. En quittant cette petite ville qui, jusqu'au milieu du siècle dernier, a porté le nom de Mauléon, on suit, pendant une lieue et demie, une route dont les ondu- lations profondes gagnent toujours en hauteur. Un long cône noir se laisse, dans ia nuit, entrevoir à notre gauche; c’est le clocher du Temple; puis l’on s'arrête dans un lieu qui tire de son élévation et de son manque de tout abri, le nom de Treizevents. Mille soins y avaient assuré notre repos. A PE DORE Le Ge Le lendemain, une surprise nous attend. Nous croyions être dans un bourg, et voici qu’une sonnerie digne d’une grande ville nous annonce l’Angelus. Nous regar- dons et, devant nous, s'élève une ‘tour en pierre blanche, surmontée d’un clocher du meilleur goût. L'église, dans laquelle nous nous hâtons d’entrer, est neuve et ses détails sont d’une élégante simplicité. Au lieu de ces saints d’une sculpture par trop primitive, qui se trouvent dans la plupart des campagnes, deux anges d’une grâce exquise sont agenouillés sur l'autel : ils sortent des ateliers du P. Bénit, qui, paraît-il, est à Poitiers ce que l'abbé Choyer est à Angers. On sort de l’église, et, à cent pas de son portail, s'élève un calvaire à trois statues, rappelant les œuvres remarquables du même genre qui se trouvent en Bretagne, au Folgoat, principalement. Si je parlais à ceux de nos prétendus savants modernes, qui veulent que le monde se soit formé tout seul, je dirais que tout ceci est venu de hasard et par pur accident; mais, les personnes sensées sauront bien vite que ces créations diverses sont dues au zèle persévérant, à la pieuse industrie du digne pas- teur de cette modeste paroisse. Au prix de quelles démarches, de quelles peines, et, probablement, de quelles luttes s’est accompli ce Heat multiple ? Dieu et lui le savent. Aujourd’hui, tranquille et aimé de tous, ce bon prètre se repose à l’ombre des murs qu’il a édifiés. Mais, sa- * chant que nos jours sont complés et voulant exercer l'hospitalité même après sa mort, il vient de faire cons- truire dans le cimetière une chapelle sous les dalles de laquelle sept de ses pieux confrères reposeront près de soc. D’AG. 5 — 66 — lui. — On remarque sur l’autel une Pietà polychrôme d’un véritable mérite. Quand l'heure du souvenir sera venue, ce souvenir ne manquera pas au nom d’un {el bienfaiteur; à son défaut, d’ailleurs, des pierres crieront, ainsi que le dit l'Écri- ture : or, elles sont de granit, le nom vivra longtemps. À quelques pas de l’église, on trouve, au milieu de constructions massives, le chœur de l’église ancienne, seul conservé et servant de lieu de réunion pour l’ensei- gnement du catéchisme. Un des murs de l’édifice ren- fermait un cœur en plomb contenant lui-même le cœur d’un sire de Léchalard, intendant sous Louis XIII, « seigneur (dit une inscription sur bois) de la Boulaie et autres lieux. » Je demandai où se trouvait la terre de la Boulaie. Pour toute réponse, mes guides complai- sants se dirigèrent vers de hauts châtaisniers dont la série à perte de vue commençait à deux cents pas de nous. — Il faudrait le pinceau de Cicéri ou les vers de Lamartine pour donner une idée de ces ombrages sécu- laires. Parfois, les grands arbres s’écartent, l’avenue devient bosquet et laisse place à des arbustes modestes qui versent leur ombre sur de larges massifs de fleurs. Plus loin, la verdure encadre un lac limpide dans les eaux duquel se balance mollement l’image renversée des saules. Près de ce lieu enchanté, deux dames se ren- contrent : ce sont les châtelaines de la Boulaie, et nous sommes sur leur domaine. L'accueil le plus gracieux nous décide facilement à visiter le château et, bientôt, à notre admiration vient se joindre une tristesse pro- fonde. | Qu'on se figure un riche édifice du commencement A - de la Renaissance, à l’état complet de ruine et n'ayant plus qu’un haut pignon à fenêtres sculptées pour témoin de son ancienne splendeur. Comme toujours, le lierre est venu couvrir les décombres et des arbres se sont élancés de la fente des murailles. La date de ce désastre se devine facilement : on sait trop qu’il y a environ quatre-vingts ans, des forcenés criaient : « Guerre aux châteaux! » Voici leur ouvrage ! — Nous voulons péné- trer au milieu de ces restes imposants. Ce double perron, couvert d’une mousse épaisse, donnait un accès princier au noble castel : dans ce large vide circulaire tournait l’élégant escalier. — Au- jourd’hui, au lieu du mouvement et des fêtes, l'étranger qui visite ces ruines n'entend plus rien, si ce n’est, peut-être, le glissement rapide de quelque reptile effrayé, ou le bruit d’une haute branche froissée tout à coup par les aïles laineuses d’un oiseau de nuit. Toutefois, on ne nous laisse pas nous livrer trop long- temps à ces sombres pensées, et l’on nous conduit à la riante et belle demeure établie aujourd’hui dans les vastes dépendances de l'édifice ruiné. Ici, l’aspect est d’une richesse qui défie la description. Les yeux, suivant les collines verdoyantes qui s'élèvent en ondulant jusqu’à l'horizon, aperçoivent le beau château du Puy de Sèvre, le village de Mallièvre, l’église de Saint-Malo et croient même découvrir le Puy Saint-Bonnet, qui avoisine la chapelle, désormais célèbre, de Saint-Lau- rent-sur-Sèvre. On admire! Mais, on admirerait plus assidüment encore, si une partie de l’attention ne se trouvait détournée par l’aimable causerie engagée tout d’abord. Nouvelles du monde, nouvelles des arts, appré- CO EROUE ciatiors musicales, tout se trouve réuni dans ce salon du faubourg Saint-Germain, égaré au milieu de la Vendée. Aussi, après des heures ainsi partagées entre l'admiration des paysages, la tristesse des ruines et le charme d'entretiens attachants, on n’a plus qu'un parti à prendre : se reposer et se souvenir. Quant à l’obli- gation contractée envers les personnes qui nous ont procuré une telle bonne fortune, elle est, en partie, la cause de ce simple récit; car, si on ne peut payer ses dettes, il faut, tout au moins, les reconnaître. E. LACHÈSE. (ueap is 32507 ) ‘S198UY & 2ANO! QUIOÉ U9 [NII UNP UISSA(] ——"SHANN ANEAINE TA 35449M1° NAN Ps Dia) ( Musée S' Jean ) Dessin d'un couvercle de cercueil en plomb, trouvé à Angers. Ë Nr O'T'E SUR BHS CROIX EN:XxX . DE DIVERS CERCUEILS DE PLOMB AU IV® SIÈCLE ! L. Question jugée! les croix dont il s’agit n’ont rien de chrétien, affirment les archéologues les plus autorisés. D’autres, il est vrai, pensent, mais timidement et comme in petto, que cette opinion pourrait bien être trop absolue, et j'avoue que je me sens disposé à me ranger à leur avis. À cet effet, j’eus l'honneur d'écrire à M. de Rossi, dont la spécialité, en ces matières, est d’un poids excep- tionnel, afin de connaître son opinion relativement aux signes, présumés chrétiens, de deux cercueils en plomb, trouvés à Angers. (Dessins ci-joints, n°s 1 et 2.) 1 Lue à la Sorbonne, à la 3e séance d'avril 1878. OU De sa réponse en date, à Rome, du 30 juillet 1873, nous extrayons ce qui suit : « Veuillez, m’écrit-il, agréer l’envoi du cahier de « mon Bulletin (seconda séria, anno quarto) où je parle « des cercueils en plomb, et où je cite les deux d’An- « gers, » Ici quelques lignes trop étrangères au sujet, pour être rapportées. Puis il ajoute : « Venant à la question de vos cercueils, les signes € X ZX qui ont une signification chrétienne sur les « monuments funéraires de nos cimetières souter- «rains de Rome, se trouvent pourtant, aussi, comme « signes de fabrique, sur les tuiles romaines, et, « dans ce cas, l'intention chrétienne est bien difficile « à constater. Par conséquent, les cercueils d'Angers, « isolément pris, ne peuvent être donnés, comme ayant « une empreinte décisive, un signe non équivoque de « christianisme. Leur rapprochement cependant, avec « les monuments funéraires, sans doute chrétiens, où «leXetle ZK sont les initiales du nom du Christ; et « la découverte d'un cercueil en plomb, tout orné de monogrammes chrétiens, pourront aider à faire pen- cher la balance en faveur du christianisme de vos cer- cueils d'Angers. » M. de Rossi, par quelques-unes de ces lignes, fait allusion à la découverte d’un cercueil en plomb, et même d’un second, opérée à Seide ou Saida, Sidon de l’ancienne Phénicie, ville et port de Syrie. En effet, il s’exprime de la sorte, dans son bulletin précité : « Il signor barone Lyklama conserva in Cannes (Fran- a À À 4 ‘oyienb ouuy —— 91u2s EPU092S 1860} 2P ‘WOD [Op OUNEINE IOA ‘ouAÂc us 'apleS e JI9AN099p 'qWO[ Ua '[L2N9199 UN,P 91D194N09 NP ouied 9p uIssaf MASSSARINIEINAIIISS — 5 — d Il {| | | Il | | | | | ll DAGY I] 1ou 91 HI] 28 219190 U9 9 NO E SUDNED 9 N° À Pignons triangulaires au RL: de deux demiers de l'époque Carlovingienne. — T1 — « cia) due arche sepolcrali di piombo, trovate in « Saida di Fenicia.…. Debbo alla corteze liberalità « dell’egregio possessore di si raro cimelio, la fofogra- « fia che ne ho fatto delineare, nella tav. IV, V. » C’est bien d’après cette photographie envoyée par le baron Lyklama, que M. de Rossi a fait lithographier cette précieuse découverte que, à mon tour, j'ai fait dessiner par extrait, sous le n° 8 ci-contre. * En comparant ce dessin avec celui n° 2, on verra que les X perlés qu’ils reproduisent sont incontestablement de même origine, nonobstant les huit à neuf cents lieues qui séparent les endroits de leur découverte ; seulement avec le n° 3 le chrisme est complet, tandis qu’il est simple dans le n° 2; toutefois il est clair, ici, que l'intention religieuse se fortifie de la présence du pignon triangulaire qui domine PX et qui ne peut être que le frontispice d’un petit temple, dont le type à peu de chose près, se ‘retrouve sur certains deniers de l’époque carlovingienne, où on lit: XPISTIANA RELIGIO, et notamment sur un denier de Pepin, roi des Aquitaines, denier publié par Lelewel, dans sa Numismatique du moyen-âge. (Voir notre dessin n° 4.) Non pas que je veuille insinuer que le cercueil d'Angers n° 2 soit du ixe siècle, le croyant, au contraire, parfaitement du xve siècle. Mais cela montre, en passant, combien cer tains types ont de persistance séculaire. Et dans l’es- pèce, il n’est guère douteux que la persistance du petit temple ne soit d’origine chrétienne. M. de Rossi avait donc raison de nous écrire, avec toute la prudence qu’on lui sait : « Les cercueils d'Angers éso/ément pris, ne peuvent DUAL As « être donnés, comme ayant une empreinte décisive de « christianisme; leur rapprochement, cependant, avec « etc., etc... et la découverte d’un cercueil, ete., etc., « pourront aider à faire pencher la balance en faveur « du christianisme de vos cercueils d'Angers. » Il n’en faut pas davantage, je crois, pour que nous soyons fondé à dire, avec cet éminent archéologue : Sulle due arche plumbce di Angers, tuttora pende il giudizio. La question ne nous semble donc point jugée et con- séquemment n’est pas fermée. Si les X perlés, comme il n’est pas douteux, se ren- contrent au 1ve siécle, époque déjà profondément chré- tienne, sur des cercueils plus ou moins païens, il est également vrai que ces mêmes X se trouvent, la récente découverte de Sarda en fait foi, sur des cercueils de plomb incontestablement chrétiens ; ausside bons esprits sont- ils portés à croire que ce qui pourra bien, un jour, être admis, ce sera l'existence, au 1ve siècle, de monuments funéraires mixtes, c’est-à-dire tenant du christianisme par certains signes, et du paganisme par d’autres emblèmes. Cest ce que nous avons essayé d'établir dans un mémoire spécial, lu au Congrès archéologique d'Angers, en 1871, et sans aucune contradiction de la part des auditeurs, M. de Caumont présent. Il serait trop long d’analyser ce mémoire, voulant d’ailleurs aujourd’hui, nous borner à cette unique observation, c’est à savoir que tout seul, Ze procédé de l'enterrement substitué à l’incinération, porte en lui déjà comme un caractère de présomption dans un sens PAL Es chrétien; or, à cette réforme funéraire, se rattache l'usage des cercueils en plomb. Et quant au genre de sépulture que nous croyons pouvoir appeler mixte, nous disions au même Con- grés : « Que l’on ne croye pas que Ze mélange d’habitudes « païennes et de croyances chrétiennes, soit une rêve- «rie, car nous le trouvons constaté dans saint Augus- «tin, de Hæresibus, à propos d’une certaine Marcel- «lina, sur laquelle, il s'exprime ainsi : C'ofebat «ämagines Jesu et Paul et Homeri et Pythagore. » Ajoutons cette phrase plus carastéristique encore, du célèbre Mabillon : Dum cruda adhuc, quorumdam .christiana religio, aliquid de paganici ritus superstitione retinebat *. En effet, si l’on trouvait des païens acceptant Ze pro- cédé de l'inhumation chrétienne, on rencontrait aussi des chrétiens auxquels & procédé de l'incinération ne répuguait pas, témoin ce passage de Minutius Félix : « Tout corps, dit-il (en parlant du dogme de la résur- « reclion), soit qu’il se réduise en cendre ou en pous- « sière, soit qu’il s’exhale en vapeur ou en fumée, est « soustrait à nos sens, mais il existe pour Dieu qui en « conserve les éléments. Nous ne redoutons rien, « quoi que lon puisse dire, de la sépulture par le « Jeu, etc. *. » En lisant ce texte si favorable au système des sépul- turés mittes, on songe naturellement à l'appliquer à Purne cinéraire en plomb du Musée de Rouen, sur 1 Jéiner. ital., p. 70. ? Martigny, au mot Anathème, p. 31. AND pue laquelle on remarque des X perlés, pareils à ceux des cercueils de Saïda et d'Angers. (Dessin n° 5.) En résumé, ces emblèmes nous semblent être des signes de christianisme à aussi bon droit que cette pierre gnostique, n° 2,222 du catalogue des camées de la Bibliothèque nationale, pierre marquée du X, lettre initiale du nom du Christ, d’après M. Chabouillet; et, encore, à aussi bon droit que le vase en verre affectant : la forme d’un poisson, trouvé au fond d’une sépulture, dans le Chalonnais, au lieu dit la Croix de Saint-Ger- main ‘; enfin, à meilleur droit, je crois, que cette pièce romaine se référant à Salonine, femme de Gallien, pièce sur laquelle la légende Augusta in pace a été interprétée, en 1859, par le savant M. de Witt, dans un sens chrétien *. Pour ce qui est du monogramme (dessin n° 1), si cet emblème n’est pas chrétien, je me demande ce qu'il peut signifier, placé qu'il est sur un cercueil et encore du côté de la tête. Et maintenant, s’il ne nous est pas donné de susciter dans l’esprit de nos auditeurs, une entière conviction, c’est sans doute que cela tient à notre insuffisance. Quoi qu’il en soit, nous ne regretterons point le temps passé à cette étude, sachant, comme le disait en 1869 un orateur autorisé, que, dans le domaine de la science, les vaincus mêmes profitent de la victoire. V. GoparD-FAULTRIER. 1 Bulletin mon. de M. de Caumont, 1855, p. 88. 2 Voir Revue des provinces de l'Ouest, article de M. Benjamin Fillon. pere Urne cinéraire en plomb au Musée de Rouen. sn IL. Extrait du Compte-rendu des lectures faites à la section d'Archéologie (Sorbonne), par M. A. Chabouillet, secré- taire de la section. M. Godard-Faultrier, membre de la Société d’agri- culture, sciences et arts d'Angers, avait adressé, en temps utile, un mémoire dont M. Robert de Lasteyrie, membre du Comité des travaux historiques, a bien voulu donner lecture en l'absence de l’auteur empêché. Ce travail ou cette note, comme M. Godard-Faultrier l'a intitulé modestement, est relatif aux Croix en X de divers cercueils de plomb du 1v® siècle. « Question jugée! Les croix dont il s’agit n’ont rien de chrétien, affirment les archéologues les plus autori- sés. D’autres, il est vrai, pensent, mais timidement et comme ën petto, que celte opinion est trop absolue, et j'avoue que je me. sens disposé à me ranger à leur avis. » ne. C’est ainsi, 2n medias res, que débute vivement le mémoire de M. Godard-Faultrier. On le voit, l’archéo- logue angevin a traité d’un fait très-intéressant et dont la signification a été fort controversée, mais qui, même après ses consciencieuses recherches, restera sans doute encore incertaine. Les X perlés ou non perlés se sont retrouvés sur des cercueils de l’époque romaine, certainement païens, puisque l’on en connaît où ces signes sont accompagnés de bas-reliefs représentant des divinités comme Minerveet ang” de Vénus ; on ne peut donc affirmer sans témérité qu’elles représentent la croix ou l’initiale grecque du nom du Christ et, en un mot, qu’il faille voir une croix sur les cercueils d'Angers. Pour que le signe X puisse être réputé appartenant au symbolisme chrétien, il faudrait tout au moins qu’il füt précédé par la lettre [ qui com- pléterait les deux initiales grecques du nom de Jésus- Christ, ou par cette même lettre Ï surmontée de la boucle supérieure du + (rhô), ce qui donnerait, toujours en grec, soit la lettre initiale de ’Insoë, soit les deux initiales de Xprorée, c’est-à-dire le chrisme. Quoi qu’il en soit, es recherches de M. Godard-Faultrier sur cette question, les rapprochements qu'il a faits entre les cer- cueils angevins et d’autres publiés dans le Bulletin de M. de Rossi, notamment avec un cercueil trouvé à Sidon et conservé à Cannes, chez M. le baron Lyklama, ont captivé l'attention de l'assemblée. Au mémoire étaient jointes quatre planches dues au fils de l’auteur, M. le docteur Godard, dont le talent est déjà bien connu des habitués de la Sorbonne. Les deux premières de ces planches représentent deu des cer- cueils de plomb trouvés à Angers, dont il est question dans le texte. Sur la première on distingue clairement la lettre et le X; ici, on peut donc lire ’Insoës Xprorés comme il vient d’être dit; mais sur la seconde, le signe X paraît seul, et nous laisse dans la plus grande incertitude, malgré la présence d’une sorte de temple que M. Godard-Faultrier veut comparer à celui que l’on rencontre sur les monnaies carlovingiennes figurées sur la planche 4. Au contraire, le cercueil de Sidon, figuré sur la planche 3, d’après le Bulletin de M. de Rossi, w" DER R EE U L'EZ be N FA ER AE + 45) * SAN 5e 2 re est incontestablement chrétien ; mais ici, si le X est perlé comme sur les cercueils angevins, il est figuré avec le P et est en outre accosté de lettres qui complètent le sens et montrent qu’il s’agit certainement du nom de Jésus-Christ. La cinquième planche donne la représen- tation d’une urne cinéraire en plomb du Musée de Rouen, sur laquelle paraît le X perlé, mais sans ces letires complémentaires. Je le répète, la question n’est pas jugée, mais elle n’est pas fermée, pour me servir des termes mêmes de M. Godard-Faultrier. Comme ces comptes-rendus ne sont pas écrits pour le vain plaisir d'échanger des compliments avec les lec- teurs de la Sorbonne, mais afin de travailler à notre instruction commune, je n’oublierai pas, en terminant l'analyse sommaire de cette dissertation, de noter que celui de nos collègues, sur le rapport de qui on l’a ins- crite sur la liste des lectures, a fait observer que M. Godard-Faultrier a cité inexactement le passage où Minucius Félix dit que, si les chrétiens ne pratiquent pas l’incinération, ce n’est pas qu’ils la redoutent, Dieu pouvant reconstruire les corps détruits. Cette inexac- titude, que l’auteur reconnaîtra lui-même avec la bonne foi et la droiture qui le caractérisent, vient sans doute de ce qu’il n’aura pas recouru au texte même de Minu- cius Félix; laurait-il cité d’après un écrivain de seconde main, contrairement aux principes de la bonne méthode rappelés tout à l'heure *? 1 Le passage en question se trouve dans le $ 34 de l’Octavius de M. Minucius Félix. (Voyez page 48 de l'édition de C. Halm. Vienne, 1867.) RTS ous II. RÉPONSE. Contre son habitude, l’auteur de la dissertation a dû citer Minucius Felix d’après un écrivain de seconde main, par ce motif que malheureusement les biblio- thèques de province sont loin de posséder les sources comme à Paris. Du reste, l’inexactitude n’est qu'apparente, témoin ce texte de la main de celui sur le rapport de qui la lec- ture du travail de M. Godard a été admise à la Sor- bonne : « Minucius Félix dit que si on n’a pas recours à l’in- « cinération, ce n’est pas qu’on la redoute, Dieu pou- « vant reconstruire les corps détruits. « L’interlocuteur païen avait dit. ch. x1: Inde videli- «€ cet et exsecrantur rogos et damnant ignium sepulturas. « Le chrétien répond, c. xxxiv, en parlant de l’inci- « nération : Mec ut creditis ullum damnum sepulturæ «timemus sed veterem et meliorem consuetudinem « humandi frequentamus. » Il demeure donc vrai que si les chrétiens préféraient le procédé de l’inhumation, ils ne craignaient pas cependant qu’il y eùt aucun péril en la foi, dans l’usage de l’incinération. V. G.-F. M. PROSPER BARBOT Le 12 octobre dernier, la population du joli bourg de Chambellay apprenait avec douleur la mort d’un aimable vieillard qu’elle vénérait, plus encore pour la bonté de son cœur que pour la distinction de son esprit et de ses talents. M. Prosper Barbot, qui vient de terminer doucement, comme il avait vécu, sa longue et bienfaisante exis- tence, était un vieillard, il est vrai, puisqu'il naquit en 1798, mais rien, dans sa personne, avant les derniers jours, ne révélait le déclin de l’âge. Sa taille droite, les traits réguliers de son brun visage, l'expression bien- veillante de ses yeux noirs, conservaient comme un regain de jeunesse. C’est la récompense de ceux qui passent sans tache sur la terre; le pur reflet d’une conscience ne laisse pas plus de rides sur le front que sur le cœur. Prosper Barbot était fils de l’un des hommes les plus honorables que nous ayons connus, hélas! il y a prés d’un demi-siècle. Par sa haute capacité, M. Barbot pére, avait mérité le poste de sous-directeur — premier commis, ainsi désigné sous le premier Empire — au Ministère du Trésor, dans la division du payeur général a! 4 PP OT RARES PRES AIRE LE TRE EE NO RARE D DRE M no ge ge PC ? + À AR RAAT 2 RDA de la Guerre, où son frère, M. Esprit, occupait l'emploi de chef de bureau. M. Barbot aîné quitta ensuite Paris pour aller remplir les fonctions importantes de payeur général à Brest, et en dermier lieu à Lyon. Il y prit sa retraite et vint se reposer de sa laborieuse carrière dans le cher manoir de famille, aux bords de la Mayenne. La capacité et la bonne renommée semblaient héré- ditaires dans la famille. Le père du payeur général de Lyon était, avant la Révolution, procureur au Présidial d'Angers. En 1787, lors de la réunion des notables de la Généralité de Tours, qui -eut lieu dans cette ville comme un prélude à la convocation des États Généraux, le comte de la Galissonnière fut élu président de l’assemblée, M. Desmazières procureur général, et M. Barbot, greffier en chef. Ce dernier montra dans la rédaction des séances un esprit sage et une fermeté de principes qui le signalérent plus tard aux ressentiments des Jacobins. Sous l’accusation de modérantisme, il fut arrêté avec les chefs du parti constitutionnel, MM. de Dieuzie, Brevet de Beaujour, Couraudin, et enfermé au château, devenu succursale de la prison des Halles, irop étroite pour contenir tous les suspects. Mieux conseillé que ses amis, M. Barbot parvint à se faire oublier, jusqu’à la délivrance du 9 thermidor. fl dut la faveur de ne pas comparaître devant un tribunal qui n’acquiltait guère, principalement aux démarches courageuses de sa fille. Mlle Rosalie Barbot a vécu presque jusqu’à nos jours, sans doute pour nous raconter les épisodes de cette époque tragique. Nous l'avons tous connue, puisque grâce à la verdeur d’une vieillesse He HR presque séculaire, plusieurs générations ont pu appré- cier en elle un esprit original qui ajoutait un attrait piquant à son infatigable charité, à son dévouement absolu pour toutes les nobles causes. Le frère aîné de Prosper Barbot, nommé Charles, également doué de qualités rares, suivit la carrière de son père, et mourut jeune encore, à la suite de 1830, après avoir donné sa démission de payeur général à Tours. Prosper, épris de bonne heure de l'amour des beaux-arts, hésita quelque temps entre l'architecture et la peinture ; puis, ne pouvant cultiver fructueuse - ment l’une et l’autre, il finit par sacrifier le compas au pinceau. Parmi les divers genres de l’objet de ses pré- dilections il choisit le paysage, qui convenait mieux à son esprit méditatif. Peut-être, dès ce moment, en étu- diant de plus près la nature, fut-il séduit par le charme de pouvoir rendre un hommage plus direct au divin auteur de tant de merveilles. Après de laborieuses préparations dans l'atelier de plusieurs peintres renommés de l’époque, entre autres Watelet et Jules Coignet, notre ami voulut compléter ses études, en visitant la terre inspiratrice, le musée des musées. C'était, je crois, en 1824 : il passa en Italie d’heureuses années, emportées trop vite au gré de ses désirs. Tout en travaillant avec ardeur, en rem- plissant ses cartons de dessins précieux, il était saisi par les preuves de la vérité chrétienne qui éclatent à Rome de toutes parts. Elles pénétrèrent son âme tendre et sérieuse de cette foi profonde qui est le bonheur et la consolation de la vie. « Rome augmente la foi de « celui qui la conserve au fond de son âme, vive et SOC. D’AG. 6° CE ON TNT EARRE A PP TR dus: ren NT 4 de 4 AD ee « forte ; de même aussi qu’elle peut l’ébranler chez les « voyageurs mondains et superficiels *. » L’aménité du caractère de Prosper Barbot et le charme de ses relations lui concilièrent des amitiés nombreuses, ou plutôt il fut aimé de tous ceux qui le connurent. M. Pierre Guérin, alors directeur de l’Académie de France à Rome, y avait attiré son éminent élève Guillaume Bodinier. Celui-ci, à son tour, accueillit avec joie son compatriote et le présenta à M. Guérin. Le célèbre auteur d’Egisthe et Clytemnestre, frappé des goûts délicats et de la distinction de notre Angevin, ne dédaigna pas de lui donner des conseils et des encoura- gements. Il eût désiré en faire un des intimes de ses réunions, si recherchées par les illustrations de toute l’Europe, qui se succédaient alors dans la ville éternelle; mais la nature timide et, faut-il le dire, un peu sau- vage de Prosper Barbot, se dérobait à ces honneurs. Cependant il se lia avec plusieurs des hôtes habituels du palais Médicis, surtout avec Schnetz et Léopold Robert, dont les qualités personnelles ne l’attachèrent pas moins que le talent sympathique. Malgré son penchant pour la retraite, notre paysa- giste ne put s'empêcher parfois de suivre la bande joyeuse qui, la tête en feu et le cœur léger, s’élancait de l’austère atelier vers les collines lumineuses dont l'arc encadre l’horizon oriental de la campagne de Rome, région enchantée que dominent les montagnes de la Sabine à une extrémité, tandis que sur l’autre, les pins parasols se reflètent dans l’azur du lac Nemi ? Notes sur la vie de M. Eugène Boré, page 578. SNL AR En 1834, à Tivoli, le padrone di casa montrait fière- ment aux touristes, dans la grande salle de l’osterta, voisine du temple de la Sybille, une galerie de portraits de jeunes artistes, crayonnés à la sanguine sur la muraille, parmi lesquels le visage mélancolique de notre ami contrastait avec l'expression folâtre de ses camarades d’études et d’excursions. A cette époque, le paysage n’avait pas atteint dans l'école française, cet éclat, cette perfection d’effet qui séduisent tout d’abord devant les œuvres de Corot et de Cabat. On en était encore aux traditions affaiblies du Poussin. Des lignes sévères, une couleur un peu terne, constituaient ce qu’on appelait le paysage histo- rique. On avait tout autant que nos brillants novateurs le sentiment de la nature , mais on l’exprimait avec une gravité qui semble aujourd’hui de la froideur. C'était l’époque où florissaient les peintres savants et conscien- cieux jusqu’au scrupule, tels qu’Aligny, Armand Bertin, Boguet, Mie Sarrazin. Prosper Barbot avait pour ce genre élevé un goût d'autant plus vif qu’il se conciliait avec ses premières études d'architecture. On peut juger de cette alliance de plusieurs idées dans le tableau qu’il a donné à notre musée : Les environs de Dieppe. Tous ceux qui tiennent compte, sans parti pris, des fluc- tuations de l’art, le considèrent avec intérêt, comme un excellent souvenir d’un genre très-digne d’éloges, mais qui s'éloigne un peu des préférences du jour. Notre compatriote voulut couronner son voyage d'Italie par une visite à la Sicile, excursion d’autant plus chère aux artistes qu’elle abonde en sites histo- riques et qu’elle est semée d’aventures, voire même de D ee quelques périls. Il admira le temple de Segeste et l’am- phithéâtre de Taormina, la cathédrale de Palerme et les ruines de châteaux mauresques dont le soleil semble se plaire à protéger les nervures délicates et la couleur dorée. Un tableau très-remarqué dans le temps : Les ruines d'Agrigente, fut le principal fruit de cet itiné- raire. Il parut à l'Exposition de 1827, et valut à son auteur une de ces médailles d’or plus rares alors qu’au- jourd’hui, et qui n’étaient décernées qu’au talent incon- testable. Deux de nos compatriotes, M. Turpin de Crissé et M. le vicomte de Senonnes, alors au minis- ière des Beaux-Arts, prirent part à cet acte de justice. Le comte de Forbin, directeur des musées royaux, et qui lui-même, peintre de grand mérite, avait parcouru la Sicile, ne se contenta pas de complimenter notre com- patriote de son paysage, il en conseilla l'acquisition à la duchesse de Berry, fille du roi de Naples, qui l’avait remarqué avec le double intérêt d’une belle œuvre et d’un souvenir de sa terre natale. Le paysage ne fut pas la seule branche de l’art, cul- tivée avec succès par notre ami; il s’essaya aussi dans la peinture de genre, on pourrait dire intime. La pente de son imagination, douce et sensible, l’y portait ; il ne lui manqua qu’un peu plus de persévérance et un peu moins de modestie pour y réussir complétement. Il y a longues années, souvent nos regards émus s’arrêlèrent devant une des productions de sa jeunesse, principal ornement du salon de sa grand’mère’. L’aimable et vénérable dame habitait une petite maison, tapissée de 1 C'est une copie, arrangée, de l'original, dû au pinceau habile de M. Louis Dupré, compagnon de voyage de MM. Barbot. ET à Dr QE ie jasmin, au fond d’une cour silencieuse, à l'ombre de la tour Saint-Aubin, quand la rue des Lices découpée dans les magnifiques jardins de l’hôtel Noireau, n'existait pas encore. Ce tableau représente deux jeunes gens, en costume d’artistes, voyageurs à pied, avec chapeau de paille, guêtres, havre-sac et bâton ferré. Ils sont arrêtés sur la cime d’un contre-fort des Alpes maritimes. Les clochers d’une ville, Gênes, je crois, se profilent à l'horizon; mais la distance est longue, et l’un des touristes indique d’un geste inquiet, à son compagnon, la nuée orageuse qui va fondre sur eux, avant qu’ils aient atteint l'étape lointaine. L’impression de cette scène est poignante; n’est-ce pas l’image de la plupart des destinées, même de celles qui, débutant avec le plus de promesses, semblent com- blées de toutes les faveurs : famille considérée, fortune, santé, qualités charmantes de cœur et d’esprit ? Tel fut le sort de nos deux jeunes voyageurs. L’un mourut pré- maturément des suites d’une maladie cruelle ; l’autre parvint à un âge avancé, mais en pleurant la perte d’une compagne digne de son amour. Deux fils sur lesquels il reposait de souriantes espérances l’avaient précédé dans la tombe. Le second, Charles, mort à vingt-cinq ans, était sorti de l'École Centrale le deuxième, avec le diplôme d'ingénieur. Malgré ces vides toujours regrettés, Le foyer de famille ne resta pas solitaire ; l’ami de notre jeunesse y fut entouré d’affections touchantes en harmonie avec la tendresse de ses sentiments. À part les retours cons- tants à ses chers pinceaux, son temps se divisait entre D | pps la lecture des chefs-d’œuvre de la littérature chrétienne, la distribution d’aumônes d'autant plus généreuses qu’elles étaient cachées, et les pratiques scrupuleuses d’une piété discrète et indulgente. Ce fut dans la chère habitation où il avait fermé les yeux de son père et de sa mêre, ce fut dans la retraite de son choix, embellie par un goût simple et pur, qu’il rendit son âme à Dieu, entouré de ses enfants, et loué d’une voix unanime, surtout par les malheureux qui perdaient en lui un bienfaiteur aussi affable que compatissant. Les Ruines d'Agrigente sont revenues au foyer de la famille, comme le plus cher souvenir du talent de son chef vénéré. Avec ce tableau, il avait exposé, en 1827, l’Ampluthéâtre romain de Taormine. Ce sont ces deux œuvres auxquelles fut décernée la médaille d’or. Le Taormine fut acheté par /4 Société des Amis des Arts. Cet hommage rendu par ses pairs est assurément, pour un peintre, le plus flatteur, car il est le plus équitable. La Vue de Dieppe parut au Salon en 1835, à Angers en 1839. Le musée de Nantes possède aussi deux paysages qui firent partie de l'Exposition de Paris, à cette époque. Notre ami a peint encore beaucoup d’autres tableaux qui, durant plusieurs années, figurèrent aux expositions de Paris ou de province. On a perdu les traces déjà bien anciennes de plusieurs de ces ouvrages, vendus ou donnés par leur auteur. Sa modestie l’empêchait de parler de ses succès, même à ses enfants, et il n’a laissé aucune note à cet égard. De bonne heure il quitta la pratique active des beaux- arts pour se livrer aux soins que réclamait la santé de son pére et de son frère. Comme toujours il soumit ses Re. Lt" PAR goûts à ce qu'il croyait le devoir. Plus tard, resté veuf avec quatre jeunes enfants, il s’efforça de suppléer, par une tendresse constante, à une perte irréparable. Sacri- fiant sa palette, il se consacra de tout cœur à leur édu- cation, et, dès ce moment, il n’employa plus ses pinceaux qu’à occuper ses rares moments de loisir. Avec Prosper Barbot s'éteint le nom de sa famille. Que d’autres noms, anciens ou nouveaux, nous avons vu disparaître des divers groupes de notabilités angevines! Quand nos souvenirs se reportent seulement à quarante années, on ne trouve plus de représentants pour répondre de ceux qui ne vivent plus que dans la mémoire de leurs contemporains, et que nous appelions : de Beau- regard; Bérard frères ; l’abbé Bompois; Bougler; de Boylesve ‘; Bruneau, de Saumur; de Buzelet; Cholet ; Courtiller frères; Daribau; du Bost; Desmaretz; Farran; Fourrier; Garin; Garnier (le docteur); Gavinet; Guépin; Guignard; Guillon; Hourmann; Jourdain (Ch. Sainte-Foi) ; l'abbé Legeard; général de La Po- therie ; Ossian et Victorin Larevellière; de Mantelon; Mirault; Mgr Montault; Morren; de Nerbonne ; Pa- chaut ; Papiau de la Verrie; de la Pastandry; Roger; de Sevret; de Turpin; l’abbé Vincelot.… Cette liste funèbre est bien longue, et cependant elle est sans doute incomplète; que de noms encore, entourés d’une légitime estime, ne reposant plus que sur une seule tête ! 1 Ce nom, un des plus honorables et des plus anciens de l’Anjou est encore porté par un savant Jésuite, le P. Marin de Boylesve. C’est une digne fin pour une famille qui compte parmi ses ancêtres, Elienne Boyleaux, l’intègre prévôt de Paris au temps de saint Louis. Han ts On a souvent comparé les générations qui se succé- dent, aux flois de la mer qui se brisent au rivage ; l’analogie n’est pas exacte. Les flots ne laissent nulle trace, tandis que les hommes de mérite ne meurent pas tout entiers. Aprés eux reste le témoignage de leurs taients et de leurs vertus. C’est l'héritage le plus pré- cieux des générations à venir, car c’est le trésor d'honneur qui, ne cessant de s’accroître, compose le charme et la gloire de la patrie. En traçant les dernières lignes de l’éloge funèbre de Prosper Barbot et faisant allusion à nous-même, nous osons emprunter l’éloquent début du livre de M. de Falloux sur Augustin Cochin. On trouvera qu’il n’est pas de complément préférable, pour notre insuffisant hommage à une douce et sympathique mémoire : « Ce qu'il y a de plus triste dans la vieillesse, ce «n'est pas de vieillir, c’est de survivre ; ce n’est pas de « voir diminuer nos forces et croître nos infrmités : « c’est de sentir la solitude grandir autour de notre « pensée et l’indifférence autour de notre cœur ; ce n’est « pas de perdre les compagnons de la jeunesse et du « plaisir, c’est de ne plus retrouver les témoins de notre « vie sérieuse, et de devenir presque étranger à de « jeunes amis qui, n’ayant point partagé nos épreuves, « ne parviennent à se rendre fidèlement compte ni de « nos efforts, ni de notre but. Ainsi le passé nous « échappe, l’avenir nous est interdit, et le présent est « bien court pour qui touche à l'éternité. » L. CosniEr. NÉCROLOGIE NE, SEA UT Di ET EL TI Vi RUE Le 24 décembre 1877, une perte bien cruelle est venue frapper la Société d'agriculture, sciences et arts. M. Paul Belleuvre, son secrétaire général, succombait à l’une de ces maladies foudroyantes dont la science et l'affection sont impuissantes à arrêter les terribles effets. Ses obsèques ont eu lieu le 26 décembre, à l’église cathédrale, au milieu d’une foule, profondément afili- gée, d'amis de tous rangs et de toutes conditions. Les cordons du poële étaient tenus par M. Victor Pavie, vice-président de la Société d’agriculture, M. V. Godard-Faultrier, président honoraire de la Commission archéologique dont M. Belleuvre a été longtemps secrétaire, M. Dolbeau, l’un de ses associés, et par M. Ernest Oriolle, conseiller général. Derrière la famille, conduisant le deuil, se rangeait MÈRE Nu un nombreux cortége. M. le baron de Reinach, ancien préfet de Maine-et-Loire, M. le baron Le Guay, séna- teur, M. Ambroise Joubert, ancien député, M. Mourin, maire d'Angers, etc., etc.., les amis, les membres de la Société d'agriculture, les imprimeurs et les typo- graphes angevins qui, presque tous, avaient tenu à honneur d'accompagner à sa dernière demeure un ancien collègue ou un ancien patron, justement aimé et estimé. bu Au cimetière, M, Victor Pavie a prononcé sur la tombe les paroles que l’on va lire, et qui ont trouvé un écho dans le cœur de tous ceux qui ont connu M. Paul Belleuvre. « Messieurs, « Celui qui fut l'amitié même a bien ses droits au témoignage de l'amitié, même sur cette fosse, aspergée d'eau sainte et d’où les bénédictions de l’Église semblent exclure toute parole étrangère au souci de l'éternité. Nulle dissonance, ici, dont puisse un instant s'alarmer l’exquise délicatesse de sa mémoire ! chez lui, l’homme et le chrétien se pénétrant si intimement que les efforts de l’abstraction la plus subtile ne parvien- draient pas à les disjoindre. De là l’ensemble et l’heu- reux équilibre de sa vie; de là la physionomie qu’elle garde chez ceux qui l’ont connu, cultivé, apprécié comme nous. « Croyant dès le berceau, il avait abrité son foyer sous la sauvegarde des croyances. La famille fut pour lui le nœud qui relia les deux moitiés de son existence, NE PEAR RU TNA HAMUN AO — le travail d’une part, travail vigilant et austère, et où jamais l'ambition ne s’insinue dans le devoir; de l'autre, l'étude. Nous l'avons vu, fidèle au poste, à la droite de celui, plus attristé que nous encore, qui la présida si longtemps, apporter à la Société dont nous sommes ici l'organe, le concours sans réserve de ses labeurs et de ses démarches, l’exciter par son zèle, en traduire les sympathies, en résumer les chères et antiques traditions. « Il avait le sentiment des belles choses, et lexpri- mait dans les deux langues avec une égale souplesse. Ni les œuvres de Dieu, ni son reflet dans celles des hommes ne le trouvèrent muet ou distrait. Pas une pierre de notre passé ne tomba que la voix de notreami ne se fit l’écho de sa chute. Dans ce cœur inaltérable aux ravages des années, l’amour de la patrie et du pays ne faisaient qu’un. Il n’en ressentit pas moins les fiertés que les tristesses. Lorsque, un jour, l’effigie du défenseur de nos frontières contre les barbares d’il y a dix siècles se dressera sur le sol arrosé de son sang, il sera juste de nommer celui que la mort vient de sur- prendre dans les sollicitudes de cette consécration à la fois angevine et française. « Il eut, avec les joies, les amertumes du foyer. Qui de nous a passé, füt-ce moins de soixante années, sur la terre, sans blessures de ce côté, blessures qui se rouvrent ei qui ressaignent quand les tombes viennent à se rouvrir! — Rassurons-nous! la mort dont le secret se dégage des marbres funéraires que nous foulons à chaque pas, n’est point si cruelle qu’on le pense; elle a des mansuétudes supérieures à ses duretés. C’est pour eq it) QUE renouer qu’elle déchire. À tout gémissement parti de nos poitrines répond au-dessus de nos têtes l’hymne Joyeux des âmes qui s’appelaient et qui se retrouvent. € Aujourd’hui, moins que jamais, il serait permis de l'oublier, en face de cette chapelle à l'érection de laquelle une famille bien inspirée a convié tous les deuils, tous les regrets, toutes les larmes sous les aus- pices de l’espérance. » CHANTOCEAUX SIÉGE D'UN ÉVÊCHÉ AU VI° SIÈCLE ET RÉSIDENCE ROYALE SOUS PÉPIN LE BREF. Il y quelque temps déjà, la Société des Antiquaires de France publiait un travail de M. Auguste Longnon, sur lequel je crois devoir appeler l’attention de la Société, car il a trait à l’une des localités de l’Anjou dont l’étude offre le plus d'intérêt. « Grégoire de Tours, dit en commençant M. ee rapporte dans son ouvrage capital l’histoire d’un des officiers de Clotaire Ier, le duc Austrapius, qui, vers la fin du règne de ce prince (de 556 à 561), quitta la cour et entra dans le clergé apud Sellense castrum, au dio- cèse de Poitiers, où il fut ordonné évêque avec pro- messe de la future succession de Pientius, qui gouver- nait alors l’église poitevine. Quelques années aprés, l’évêque Pientius mourut, mais Clotaire n’était plus de ce monde, et le roi Charibert, celui de ses fils auquel était échu le Poitou, désigna Pascentius pour occuper le siége épiscopal vacant, au mépris des plus vives réclamations d'Austrapius. L’ancien duc retourna, en qualité d’évêque cependant, dans son castrum. Là, il dut faire face à la rébellion des Teifales, hommes de A A race scyihique qui, depuis plus de deux siècles peut- être, étaient établis dans cette partie de la czvitas Picta- vorum où ils avaient souvent gémi sous son joug, et fut mortellement blessé d’un coup de lance. « L'église de « Poitiers, dit alors Grégoire, reprit les paroisses (diæ- « ceses) qu'avait régies Austrapius. » Or, quel était ce castrum Sellense, siége d’un évêché dont la durée a été si éphémère? C'était, répondent tous les historiens, le bourg actuel de Celles, à huit kilomètres au nord-ouest de Melle. Cependant deux objections viennent renverser ce système : d’abord Celles doit son nom à un petit établissement monas- tique, Cella, qui ne fut élevé qu’en 1137, du rang de prieuré à celui d’abbaye; ensuite, il ne devait avoir aucun rapport avec les Theifales, établis à une tren- taine de lieues de là, dans la partie septentrionale du Poitou, où ils ont laissé leur nom à la ville et au pays de Tiffauges. De plus, il est indispensable de fixer le vocable même de ce castrum, que Grégoire de Tours emploie seule- ment sous la forme adjective, et qui doit être traduit différemment suivant qu’on le trouve sous la forme du masculin et du neulre (se/lus, sellum), ou du féminin (sella). Or, sella aurait produit en français selle ou celle, et sellum, sellense, ne peut donner que seau, seaux OU ceau. Dans le territoire de l’ancienne civitas Pictavorum, on ne trouve que deux villages du nom de Ceaux, sans aucun souvenir historique et fort éloignés de Tiffauges; évidemment ce n’est pas là qu'il faut chercher le Se/- lense castrum. Lu VI ant Des faits historiques cités par le dernier des conti- nuateurs de Frédégaire, qui vivait dans la seconde moi- tié du virre siècle, nous semblent de nature à singulière- ment élucider cette question, en prouvant qu’il existait une résidence royale de ce nom sur les bords de la Loire sous les premiers Garlovingiens, Au début de l’année 768, le roi Pépin, alors à Bourges, se met en marche contre Waïfre, le duc d'Aquitaine. La reine Bertrade, partant sans doute de la même ville, passe à Orléans, d’où, s’embarquant sur la Loire, elle descend ce fleuve, usque ad Sellus castrum super fluvium ipsius Ligeris. C'est là que Pépin vient se reposer près d’elle de ses fatigues ; il y reçoit même les ambassadeurs d’Almansor, le calife de Bagdad, ce qui a dû singulièrement étonner nos aïeux, puis il en repart, pour s’élancer une dernière fois à la poursuite de Waïfre. D’aprës les annales dites d'Eginhard, le roi Pépin célébra, cette même année 768, la fête de Pâques én castro quod dicitur Sels. Ainsi si Sellus était le nom latin du castrum dont Austrapius fut ordonné évêque, Sels en était le nom vulgaire au vire siècle. Nous n’hésitons pas un instant, dit M. Longnon, à reconnaître le castrum Sellus dans la petite ville de Chantoceaux, dont le nom CÂhdteauceaux jusqu’au xvie siècle, est la transéription fidèle du nom latin, le nom commun castrum s'étant soudé au nom propre de la localité, comme dans Châteaudun, Chateaumeillant et bien d’autres. Chantoceaux, voisin du pays de Tiffauges, à dix lieues au nord de la ville de ce nom, répond parfaitement PTS par sa position aux exigences des textes de Gré- goire de Tours et des continuateurs de Frédégaire; mais, dira-t-on, il faisait partie de l’ancien diocèse de Nantes et non de celui de Poitiers. Cela n’est vrai que pour les huit siècles qui précèdent immédiatement la révolution française. À l’époque romaine, le territoire des Piciones était limité au nord-ouest par la Loire; au vie siècle, suivant Grégoire de Tours, le diocèse de Poitiers était aussi étendu; puisqu'il y place même Rézé, situé sur la rive gauche, en face de Nantes. Ce sont seulement les conquêtes des rois bretons sur les faibles successeurs de Charlemagne, qui portérent atteinte à l'intégrité de cette vaste circonscription. Ce n’est pas nous qui viendrons combattre les conclu- sions de M. Longnon. Chantoceaux a été certainement un cenire celtique; il conserve des traces évidentes de l’occupation romaine. Pour qui connaît cet admirable pays il n’y a rien d'étonnant à ce que les souverains mêmes, appelés alors si souvent dans notre province, l'aient choisi ensuite pour y établir une résidence de prédilection, et en contemplant la Loire coulant si belle à leurs pieds, ils auront pu dire, comme le répétera, quelques siècles après, le Tourangeau Ronsard, que si la Touraine est le jardin de la France, l’Anjou en est le paradis. Paul LACHÈSE. AAINT-MICHEL DU TERTRE D'ANGERS PRÉLIMINAIRES Obligé par mes fonctions de trésorier de la fabrique de Notre-Dame d’Angers, d’étudier les archives de cette paroisse, j'ai eu l’idée d’en retracer l’historique. Jai cru bien faire de consigner des faits qu'on oublie et qu’on revoit à distance avec intérêt. Toutes les paroisses d'Angers ont été modifiées et reconstituées à la suite du Concordat de 1801, suivant «ordonnance de Monsieur l’Évêque d'Angers, du vendredi 19 frimaire an XI, pour la formation du chapitre et pour la circonscription des cures et succursales et la nomination des curés et desservants du département de Maine-et-Loire, formant le diocèse d'Angers. » Telle est, commune aux autres paroisses, l’origine de Notre-Dame. Toutefois, si cette création est récente, nulle ne peut mieux qu’elle à Angers, revendiquer la succession de sa devancière. SOC. D’AG. 7 | te Tous les hommes du commencement du siècle savent ce qu’il a fallu de temps pour que le vocable de Notre- Dame devienne populaire. Saint-Michel pour les uns, l’Oratoire pour les autres, c’étaient les seuls noms acceptés et compris. Notre-Dame, d’ailleurs, n’était-ce pas Saint-Michel, moins le faubourg ? Son premier curé, le fondateur de la nouvelle paroisse, n’était-ce pas le dernier pasteur de l’ancienne, le confesseur de la foi des mauvais jours, accourant de l’exil, pauvre, mais empressé et joyeux? Il venait, à la prière des siens, renouer l'antique chaîne de la foi, reconstituer sa vieille paroisse sans église, sans presbytère, dépouillée des ressources, dons pieux de nos pères, qu’elle possé- dait à son départ. Et de deux ans encore cet heureux et désiré pasteur signera « curé de Saint-Michel-du- Tertre. » S'il est ainsi constaté que Notre-Dame soit issue de Saint-Michel, pourquoi se borner à des faits connus, sans remonter aux sources ? Pourquoi, en notre travail, Saint-Michel ne précéderait-il pas Notre-Dame ? Nous avons trop, en notre siècle égoïste et orgueilleux, la passion de l'oubli. Des enfants bien nés ne peuvent renier leur pére ; et si le passé autorise des critiques, il nous découvrira des exemples à suivre, et bien sou- vent un régime qu’on envierait en nos jours de progrès et de liberté. Paroisse (en grec mopouxuæ : Tapa, proche 5 OtX06, maison), la paroisse chrétienne est un territoire limité, recevant les enseignements et la direction religieuse d’un prêtre ‘( ureyyeg ueeg Seide,p ) AIN UP [OUOIN:S SUÈT 2 got = ayant le titre de curé. Ce curé reçoit sa mission de son évêque, et l’évêque la reçoit du pape, souveraine auto- rité de l'Église universelle. Dans son institution, la paroisse remonte au berceau de l’Église elle-même, dont elle est une fraction. Singulier mélange dans la paroisse que le ministère d’un curé! Cest à lui qu’incombe l’enseignement doctrinal; seul il a le pouvoir de conférer les sacrements et seul il en assume la responsabilité ; mais, pasteur aussi d’un Dieu tout de charité, il a la mission d’assister toutes les souffrances, de soulager toutes les misères, de consoler toutes les afflictions, d’essuyer tous les pleurs. À sa naissance il introduit l’enfant dans la grande famille chrétienne. Au seuil de l’âge viril, il sanctionne les unions, consacre les familles. Aux inexorables rigueurs de la mort, il apporte la résignation, le cou- rage, les éternelles espérances. Il bénit le tombeau el prononce le suprême adieu. Baptèmes, mariages, sépul- tures sont par lui inscrits au grand Cartulaire chrétien. Jusqu'en septembre 1799, ces actes paroissiaux, en double expédition, sur registres visés et paraphés par le lieutenant général du Présidial, constituaient l’état- civil. Mais à cette date les temples se ferment. La vieille nation chrétienne, la fille aînée de l'Église romaine renonce à ses croyances tant de fois séculaires, et veut vivre sans culte. Ses vieux registres de paroisse, tout imprégnés de foi chrétienne, sont arrachés aux églises et livrés à des municipalités qui se disent athées. Qu'ils soient alors froide inscription légale, on le comprendra ; 100 0 mais qu’un officier civil veuille, en outre, au mariage, consacrer l’union, c’est l’empiétement le plus incon- cevable. Acte religieux chez tous les peuples, c’est chez nous un sacrement et un sacrement ne se peut usurper. Nos mœurs chrétiennes en font justice tous les jours. Dans ce solennel engagement les plus indifférents n’ont pas oublié le chemin de l’église. C’est celle-ci toujours qui sanctionne les serments et les fail indissolubles. Un enfant sans baptême, un mariage sans prêtre, un enterrement civil ne se rencontrent pas. Ils imprime- raient, dans la famille, un stigmate de honte qui se perpétuerait. La paroisse d’autrefois n’était pas seulement reli- oieuse, elle était civile. C'était la commune d’aujour- d’hui ou une fraction de commune. Tout se traitait en ces solennelles assises qu’on appelait Assemblées de paroisse. Annoncées au prône, la cloche les convoquait, un notaire en rédigeait les délibérations. Traitées ainsi en premier ressort dans les villes pourvues de fran- chises, deux députés les soumettaient au Corps de ville, qui les discutait à nouveau et les sanctionnait. Telle était notre vie municipale, vrai idéal de démo- cratie chrétienne. C’est à ce double point de vue que je présenterai Saint-Michel-du-Tertre, paroisse intéressante entre toutes, puisque c’est celle de la mairie, des tribunaux, de la prison, des exécutions, des foires et marchés, des promenades, des jeux et fêtes publiques. C’est Angers tout entier. — 101 — La nation française, nous le savons tous, était com- posée de trois classes de citoyens qu’on nommait les trois ordres de l’État, le clergé, la noblesse, le tiers- état. LA NOBLESSE. La noblesse n’habitait guère les villes. C’est à peine, si autour de nos comtes et ducs héréditaires, on pou- vait, avec le sénéchal, rencontrer de rares officiers nobles. La création de la commune par Louis XI fournit, il est vrai, une noblesse d’échevinage ; mais elle-même quittait la ville par amour-propre et par obligation, ne pouvant accepter la dignité qu’à la condition de vivre noblement. LE CLERGÉ. Le clergé était composé de bénéficiers et de ceux qui, privés de cet avantage, n'avaient pour ressource que le produit d’un petit ministère. Les bénéfices, nous dit Pocquet de Livonnière, s’obtenaient par faveur, héritage ou dévolufion. Sans engagement primitif, sans grade théologique, sans obligation de voie hiérarchique , au lendemain de sa nomination, le laïc se faisait tonsurer et sollicitait ensuite les ordres devenus nécessaires, On distinguait les gros et les petits bénéfices. Les gros bénéfices étaient les évêchés et abbayes de nomination royale par le Concordat de Léon X. Devenus commandataires, les abbés touchaient les revenus, sans charge aucune, abandonnant aux prieurs la direction des couvents. Ils avaient en droit l'obligation d'entretenir les édifices, mais souvent ils s’en dispen- — 102 — saient en fait. Les évêques soustraits souvent eux- mêmes à leurs diocèses, par d’autres intérêts, résidaient alors loin de leurs siéges. Les petits bénéfices étaient possédés, dans les cha- pitres, par des dignitaires et chanoines, dans les paroisses, par de rares curés indépendants. Nous disons rares curés. Le nombre, en effet, en était fort restreint. C'est à peine si on en comptait vingt-cinq dans le diocèse d'Angers. Tous les autres étaient des vicaires perpétuels d’abbayes ou de chapitres, vivant à portion congrue, ou des minces revenus de leur prébende. Un vicaire perpétuel, suivant Pocquet de Livonniëére’, pouvait exiger de ses curés primitifs la portion congrue, fixée à trois cents livres, si le revenu de sa cure était inférieur à ce chiffre, sans y comprendre les novales, fondations et casuel. Les curés primitifs, séculiers ou réguliers, percevaient à leur profit les dimes et gros revenus, et nommaient leur vicaire perpétuel qui rece- vait de l’Évêque son pouvoir de juridiction. En ce qui les concernait, ce pouvoir même était disputé au pon- tife par ses vénérables confrères, les dignitaires et chanoines de l’Église d’Angers, affranchis de son auto- rité, ne voulant plus relever que du métropolitain. Quand à ces empiétements et à ces désordres se vien- dront joindre l’hérésie janséniste et les prétentions gallicanes, on pourra, aux jours d'épreuves, s'étonner de voir encore aussi peu de défections. Ce seront les séminaires, les prêtres de Saint-Sulpice à Angers, qui nous auront préservés de plus grands malheurs. 1 Coutumes d'Anjou, t. 11, pages 1106 -1107. — 103 — LE TIERS-ÉTAT, Dans son origine il comprenait les esclaves devenus serfs francs, bientôt affranchis par les évêques sous la loi chrétienne et aussi un nombre restreint de citoyens romains. Ces citoyens, ces manants, ces vilains, dans les villes, instruits aux écoles épiscopales, deviennent légistes. L'Université de Charles V en fait des docteurs en droit, en théologie, dans les arts ou dans la médecine. Ces avantages ne pouvaient manquer de leur créer de l'importance. Aussi Louis Ier d'Anjou leur fait-il partager son autorité dans la Cour des Comptes. Cette création n’était autre qu'une charte communale que Louis XI ne fit que perfectionner ; les personnages sont les mêmes avec de nouveaux titres. L'Université, la Mairie, la Sénéchaussée, le Présidial ne tardérent pas à fournir des illustrations qui se per- pétuërent en certaines familles. Ce sont les Barrault, les Poyet, les Pincé, les Lesrat, les Boylesves, les Louet, les Lasnier, les Ayrault, etc., grands noms dont notre cité est fière et qu’on ne vit guère forfaire à l'honneur. C’est ce triple élément du clergé, de la noblesse et du tiers, que nous trouvons en formation, en déve- loppement et en action dans notre modeste paroisse. Fraction de nos villes, la paroisse urbaine était dans l’ordre civil, sous la souveraine autorité du roi; dans l’ordre religieux, sous celle de l’évêque. En Anjou, — 104 — l'autorité royale fut déléguée d’abord à nos comtes et ducs héréditaires, aux apanagistes ensuite. Les comtes et ducs héréditaires, vassaux directs de la couronne, avaient autorité souveraine, commandaient les armées, rendaient la justice avec un sénéchal pour lieutenant. Les apanagistes, toujours révocables, sans autorité privée, étaient les représentants mêmes du souverain. Ils avaient sous leurs ordres un lieutenant pour com- mander le château, un sénéchal pour rendre la justice ; ce sénéchal avait, lui aussi, ses lieutenants civils et criminels et des conseillers appelés juges d'Anjou, érigés plus tard en Présidial. Sous nos comtes, la ville d'Angers n'avait pas de vie propre. Le souverain commandait en maître. Au moyen de la Çour des Comptes, les ducs partagèrent leur auto- rité avec des conseillers élus. La Mairie de Louis XI administra la commune pourvue de franchises et d’au- torité seigneuriale. À partir de 1670 les gouverneurs ne sont qu’à titre honorifique. La couronne n’est plus représentée que par un lieutenant du Roi qui réside au château, et la charge se perpétue dans la famille d’Autichamp. Successeur des apôtres, l’Évêque est le seul pasteur du diocèse. C’est par délégation que, dans un rayon limité, qui prend le nom de paroisse, il se décharge sur . des prêtres auxiliaires dont il fait des curés. Les cou- vents, les collégiales groupent les premiers prêtres. Ils sont pour les jeunes lévites les séminaires d’alors ; pour — 105 — les hommes mürs des foyers de foi, de science et de vertu. Les abbés et les doyens des chapitres, sont les pre- miers curés, ces curés primitifs que nous rencontre- rons si longtemps. Paroisses et couvents toutefois ont des aspirations différentes et des besoins spéciaux. L'abbé reste au cou- vent; mais il désigne un vicaire pour gouverner la paroisse ; c’est le vicaire perpétuel. La ville d'Angers possédait à l’époque de la Révolu- tion cinq abbayes, huit chapitres, dix-sept paroisses. Les cinq abbayes étaient Saint-Serge, Saint-Aubin, Saint-Nicolas, Toussaint et le Ronceray. Les huit chapitres étaient : 10 Saint-Maurice ou cathé- drale, désigné toujours sous le titre d’Église d'Angers : 20 Les chapitres royaux de Saint-Laud et Saint- Martin ; 30 Les cinq autres étaient : Saint-Pierre, Saint- Maurille, Saint-Jean-Baptiste, Saint-Maimbœuf et la Trinité. Les dix-sept paroisses dépendaient toutes de ces abbayes ou de ces chapitres et ne figuraient jamais isolément. Gurés primitifs, ceux-ci en percevaient les dimes et gros revenus, nommaient leurs vicaires perpé- tuels et les présentaient ensuite à l’évêque pour les pouvoirs de juridiction. Du chapitre de Saint-Maurice quatre paroisses Saint-Maurice, Saint-Evroul, Saint-Aignan, Sainte- Croix. Du chapitre de Saint-Laud : la paroisse Saint-Ger- main, cour Saint-Laud. — 106 — Du chapitre de Saint-Martin : la paroisse Saint- Martin. Du chapitre de Saint-Pierre : la paroisse Saint- Pierre (chaussée Saint-Pierre). Du chapitre de Saint-Maurille : la paroisse Saint- Maurille. Du chapitre de Saint-Jean-Baptiste : la paroisse Saint- Julien. Du chapitre de Saint-Maimbœuf : la paroisse Saint- Denis. De l’abbaye du Ronceray : les paroisses de la Trinité et de Saint-Jacques. De Saint-Aubin : la paroisse Saint-Michel-la-Palud. De Saint-Nicolas : la paroisse Saint-Nicolas. De l’abbaye Saint-Serge : les paroisses Saint-Michel- du-Tertre et Saint-Samson. Du prieuré de Lesvières : la paroisse de Lesvières. CHAPITRE I. DESCRIPTION DE L'ÉGLISE. — CIRCONSCRIPTION DE LA PAROISSE. L'église paroissiale de Saint-Michel-du-Tertre était édifiée sur le sommet d’un petit monticule avoisinant l’abbaye Saint-Serge, sur le grand chemin du Mans, à distance de la ville. Le glorieux archange était ici la sentinelle avancée pourvue de la garde de la cité. Dans sa construction des enceintes d'Angers, saint — 107 — Louis la rencontra sur son passage. Il entoura le tertreet contourna l’église dont le chœur joignait le mur de l’est, tandis que la nef s’allongeait parallèlement à celui du nord. Dissimulée au dehors par les fortifications, l’in- clinaison du sol à l’intérieur était au contraire très- accentuée vers le midi. Le presbytère, adossé au mur .mitoyen de l’hôtel- de-ville, aujourd’hui la Cour d’appel, avec expo- sition à l’est vers le cimetière, joignait au nord la porte principale de l’église. Le cimetière, sur la pente du terrain, s’allongeait le long de la grande rue con- duisant à la porte Saint-Michel, entre l’église et la rue dans sa largeur, entre le presbytère et le mur de ville dans sa longueur. La croix traditionnelle était au mi- lieu, mais un peu rapprochée de la rue. C’est cette croix qui était le point stational de la procession des Rameaux. Aux deux extrémités du mur de clôture, sur la rue, deux degrés livraient l’entrée de l’église à travers le cimetière. Jean Ballain, dans un ouvrage que possède la Biblio- thèque de la Ville, intitulé Annales et Antiquités d’An- jou, nous fournit un dessin de l’église et du cimetière. Bruneau de Tartifume, dans son manuserit de 1693, du cabinet Grille, intitulé : Angers, contenant ce qui est remarquable et tout ce qui estoit antiennement dict la ville d'Angers, nous fait une description détaillée du monument et de tous les tombeaux qu’il contenait. Je présenterai seulement une analyse sommaire du travail de Bruneau, devant, dans mon historique, rencontrer tout ce qu’il nous dépeint comme détail. Je — 108 — soumets, au contraire, une reproduction fidèle du plan de Ballain qui fera saisir, à l'extérieur au moins, le monument qui nous occupe. L'église, que nous voyons au fond du cimetière, était orientée. On y parvenait par une pente assez roide, longeant le mur du presbytère. Celte rampe, ce mur, ce presbytère existent encore ‘en entier et font suite aux bâtiments de la Cour dans toute la largeur comprise entre la rue Saint-Michel et le boulevard du Jardin des Plantes. La maison est entre deux terrasses sur ces deux voies. Au bas, sur la rue Saint-Michel, un portail ouvre sur la rampe même. L'église Saint-Michel-du-Tertre était fort disparate dans ses parties. Une vieille nef, un chœur des dernières années du xvie siécle et des chapelles de famille dans les flancs de l’édifice la composaient. La nef était éle- vée, assez spacieuse comparativement aux annexrs. Cette nef était surmontée, au transept, d’une tour carrée, couverte en lanterne qui la terminait brusque- ment. Le chœur nous est caché dans le plan; il est dissi- mulé par deux chapelles construites au xvire siècle ; une troisième dans la partie basse de la nef accuse manifestement le siècle de Louis XIV; une quatrième, celle des Lesrat de Lancreau, du xvie siècle, est à l’op- posé, le long du rempart. Nous avons les dates précises de toutes les parties, à Pexception de la nef et de la tour. Une porte latérale au bas de l’église et quelques détails à la tour semblent indiquer le xne siècle La porte ressemble fort à celle de l’église Saint-Samson, au jardin des plantes. Les 409 deux églises dépendaient de l’abbaye. Leur construc- tion n’aurait-elle pas été simultanée ? Resserré entre le presbytère et le mur de ville, l’édi- fice tout entier était des plus modestes. Au seuil de la porte principale on y trouvait le baptistère à droite. Dans la partie supérieure de la nef, à petite distance du chœur, on rencontrait le banc de la Mairie. De nombreuses pierres tombales pavaient le sol inté- rieur ; des inscriptions à la louange des défunts et leurs portraits décoraient les murs. C'était la pratique du temps etle moyen de n’oublier jamais des bienfaiteurs et des gens vertueux proposés en exemple aux fidèles. Le champ des morts, qu’il fallait traverser, rappelait d’ailleurs les petits et les pauvres aussi bien que les grands et les riches. Les trois Eglises, militante, souf- frante et triomphante ne cessaient d’être en contact et les innombrables fondations de prières, occupant huit prêtres dans ceite modeste paroisse, en sont la consé- quence. L'église Saint-Michel a été détruite, comme nous le verrons, à l’époque de la Révolution. Il nous reste cependant encore quelques murs, des fûts de colonne et une chapelle entière dans un local occupé par M. Fairé, avocat. La paroisse Saint-Michel-du-Tertre était limitée au nord par l’abbaye Saint-Serge et la paroisse Saint- Samson; à l’est, par Saint-Barthélemy et Saint-Léonard ; au sud, par Saint-Julien et Saint-Maurille; à l’ouest, par la rivière. — 110 — Elle possédait dans les murs tout le territoire actuel de Notre-Dame, si ce n’est l’enclos des Cordeliers, les rues des Poëliers et Valdemaine. Toutefois, l'intérêt de la succession nous autorise à franchir cette barrière et à considérer comme nôtre la surface actuelle de Notre- Dame. Hors les murs, la paroisse occupait l’espace com- pris entre le mur de ville et l’abbaye, le faubourg Saint- Michel, le chemin des Banchais, et tout le terrain situé entre ces voies et la rue Hannelou prolongée du che- min de Saint-Léonard qui appartenait tout entier à Saint-Julien. Dans cette vaste circonscription, outre la mairie, le Présidial, l’Académie dont nous avons parlé, se trou- vaient les couvents des Cordeliers, des Minimes, de lOratoire, des Lazaristes et des Ursulines; l’aumônerie de Saint-Michel; les maisons de la Boissière et de Chalo- ché, dépendantes des abbayes de ce nom; la prison, le pilori, les halles, le champ-de-foire, le mail, la manu- facture de toiles à voile. | CHAPITRE IL. ORIGINES» Les origines de Saint-Michel-du-Tertre sont obscures ; la date précise de sa fondation nous est inconnue. Nous avons toutefois, en lan 1020, une charte authentique de donation ou plutôt de restitution qui constate l’exis- tence de l’église au début du xre siècle. Les termes de — 111 — cette pièce joints aux autres documents historiques du temps et en particulier de Saint-Serge, nous permettront de remonter dans le passé et de présenter un historique, qu’on voudrait plus précis, mais qui n’en constitue pas moins un réel fondement de créance. Le titre en question est une charte du roi Robert, autorisant l’évêque d’Angers, Hubert de Vendôme, à gratifier l’abbaye Saint-Serge d’églises, de paroisses et de terres que, pour la plupart, elle avait jadis possédées et que des guerres et des invasions avaient alternative- ment fait passer des Bretons aux Normands et des Nor- mands aux Bretons. Son importance n'autorise ni analyse ni raccourcis. On nous permettra donc de la reproduire textuelle- ment, aussi bien que l'intitulé qui la précède et l’attes- tation qui la suit ‘. « Extrait d’un gros livre ou registre en parchemin couvert sur bois en cuir de basanne, contenant neuf vingt-cinq feuillets, commenceant au premier desdits feuillets, par ces mots : Registrum cartarum abbatiæ Sancti Sergü et du feuillet treizième a été extrait ce qui suit : Noñtia de ecclesiæ sancti Samsonis Sancti Michaelis, Sancti Maurilù de Esma, etc. » 1 Le Cartulaire original a été perdu. La copie authentique que nous citons, recueillie à la bibliothèque, sous le n° 754 des ma- nuserits, provient du Cabinet Grille. On l’a reproduite au Cartu- laire recomposé, que l’on voit aux archives départementales. — 112 — Charte royale octroyée par Robert, à la démande de Hubert de Vendôme, en faveur de l’abbaye de Saint- Serge, vers l'an 1020. « In nomine sanctæ et individuæ Trinitatis, Robertus gratia Dei rex. Si loca divinis cultibus mancipata vene- ramur, et servorum Dei in eisdem famulantium neces- sitatibus , aut perdita eis bona restituendo aut adhuc retenta conservando providimus, regiam consuetudinem exercemus. Îdeoque notum sit omnibus sancta Dei ecclesiæ fidelibus et nostris, præsentibus atque futuris, quia dilectus nobis et amator sanctæ religionis Hubertus episcopus Andegavensis, ad nostram accedens elemen- tiam, innotuit de, quibusdam rebus quas ipse, divino amore commotus, usibus et stipendiis servorum Dei in ecclesia sanctorum martyrum Sergii et Bacchi Christo militantium deputaverat, partim eas à pervasoribus redemptas præfatæ ecclesiæ restituens, partim de suo dominio, ob redemptionem animæ suæ ac genitoris sui sibi æcquivoci necnon et Emmæ suæ matris lege perpe- tua devovens. Hæc autem sunt : ecclesia Sancti Sam- sonis, quæ juxta præscriptum monasterium est sita; ecclesia Sancti Michaelis cum terra de Priscinniaco, et ecclesia Sancti Maurilii sita in loco qui Esma vocitatur ; in curte vero Morenna, terram qua vocatur Prata cum decima et sepultura et vicaria et omni consuetudine ; in villa autem quæ Castra dicitur, donat memorato moñasterio de terra hospitem unum, et ejusdem villæ decimam et vicariam illius terræ, decimam quoque de mansili quod Pina Rocha nominatur ; ad Veterem Vicum etiam terram cum collibertis et pratis, et aquam cum — 1135 — piscariis; in flumine autem Ligeri, ductile unum inte- gerrimi (et in ripa juxta id arpennum unum de terra), * in alioetiam loco villam Campaniacum nomine, cum cunctis quæ ad eam pertinere probantur, terra videlicet tam culta quam inculta sive cum vineis et sylva. Quam terram prisco tempore ad præfatam abbatiam perti- nentem qui tunc inerant canonici sub carta alicui con- cesserant; de qua carta per succedentia tempora usque ad beneficium deciderat : inde vero eam præfatus præsul, per Fulconis comitis et per judicium nobilium, redimens, supra memorato monasterio, sicut et cætera quæ superius inserta continentur, lege perpetua inte- gerrime possidendam restituit. Inde ergo nostram petiit excellentiam uti suæ probæ voluntatis opus nostræ auc- ioritalis præcepto roborare dignaremur; cujus justæ petitioni nos libenter assensimus, et scriptum hoc exinde fieri præcepimus, atque, ob perennis robur vigoris, sigilli nostri impressione insigniri jussimus. « Signum Roberti + gloriosissimi regis. » « Au nom de la sainte et indivisible Trinité, Robert, roi par la grâce de Dieu. Quand nous honorons les lieux consacrés au culie divin, et que nous pourvoyons aux nécessités de ceux qui y servent Dieu, soit en leur res- tituant les biens perdus, soit en leur conservant ceux qu’ils possèdent encore, nous ne faisons que suivre une royale coutume. C’est pourquoi nous faisons savoir à tous les fidèles de la sainte Église de Dieu, nos sujets présents et à venir, que notre bien-aimé Hubert, évêque d'Angers, zélé pour la sainte Religion, a eu recours à notre clémence, au sujet de certains biens, que, dans SOC. D’AG. 8 — 114 — son amour pour Dieu, il a consacrés à l'entretien des serviteurs de Dieu qui travaillent pour Jésus-Christ dans l’église des saints martyrs Serge et Bach; de ces biens il a racheté les uns aux envahisseurs pour les restituer à l’église susdite, et abandonné les autres à titre per- pétuel de son propre domaine, pour le salut tant de son âme que de celle de son père, nommé comme lui Hubert, et de sa mère Emma. Ce sont : l’église Saint- Samson, située prés du monastère, nommé plus haut; église Saint-Michel avec la terre de Précigné, et l’église de Saint-Maurille, située dans le lieu nommé Esma, dans le bourg de Morannes; la terre, que l’on appelle la Prée, avec les droits de dîmes, de sépulture et de viguerie et coutumes quelconques; au village de Chartres, il donne au dit monastère, une terre d'hôte, la dime de ce village et la viguerie de cette propriété, ainsi que la dîime de la maison nommée Pineroche; à Vivy, une terre avec valets et prairies, et une pièce d’eau avec pêcheries ; dans la Loire, un bras tout entier, et sur la rive voisine un arpent de terre; dans un autre lieu, il donne le village de Champigny, avec tout ce qui en dépend, à savoir : terrains cultivés et incultes, tant en vignes qu’en bois. Ce territoire appartenait jadis à l’abbaye sus-dite; les chanoines qui la desservaient alors l'avaient cédé à quelqu'un par acte écrit, et de là dans la suite des temps il était tombé en bénéfice laïc; mais le prélat susdit l’ayant racheté sur le jugement du comte Foulque et dés nobles, le restitue, ainsi que les autres biens mentionnés plus haut, au monastère déjà nommé comme devant être possédé par lui entiérement et à titre perpétuel. C’est pourquoi il a réclamé de — 115 — notre majesté que nous voulussions bien corroborer sa bonne œuvre de notre autorité ; nous avons donc donné plein assentiment à sa juste demande, prescrit la rédac- tion du présent acte, et, pour qu’il ait force à jamais, ordonné d’y imprimer notre sceau. Ÿ « Sceau du très-glorieux roi Robert. » « La copie ci-dessus a esté par moi, Jehan Jouitudeau, sergent royal dudict Angers, commissaire assisté d’un notaire, collationée à son original, à la requête de Messire René de Briollay, évêque de Troie, abbé de l’abbaye Saint-Serge, et les vénérables religieux prieur et profès de la dite abbaye comparant par noble et . discret secrétaire de la dite abbaye; et aussi des paroissiens, manans et habitants de la paroisse Saint- Michel-du-Tertre à Angers, comparants par noble homme Messire Victor Bouisson, avocat, et Jehan Guilbault, sieur de la Grandmaison, procureur de la Fabrice de la dite paroisse, le vendredi 49% jour de juin 1620. » L’authentique est ici consacré : 1° Par l’autorité du reproducteur. C’est un sergent royal, commis à cet effet par l’autorité souveraine ; 2 Par l’assistance d’un notaire ; 90 Par l’intervention des parties : le secrétaire de l’abbaye représentant l'abbé d’une part, les fabriciens de Saint-Michel d’autre part; 4°-Par le sceau royal de Louis XIII. Ceci posé, on nous permettra d’en arguer comme du premier original. On se demande tout d’abord pourquoi, dans l’attes- — 116 — tation d’authentique, lorsque tant d’intéressés pourraient intervenir, on ne trouve contre l’abbaye que les seuls fabriciens de Saint-Michel-du-Tertre. Dans l'espèce la raison est intime et probante; seuls en cause dans un procès qui leur était intenté, ils avaient dû solliciter eux-mêmes la pièce que nous jugeons ‘. Ecclesia sancti Michaëlis. : C’est l’église Saint-Michel et c’est bien aussi Saint- Michel-du-Tertre. Toujours, en effet, nous trouvons l’abbé de Saint-Serge décimateur de la paroïsse, colla- teur de la cure. Toujours des redevances lui sont dues et c’est leur contestation qui, en 1620, soulève le procès. La charte de l’an 1020 a pour objet précis de constituer restitution au profit de l’abbaye Saint-Serge d’une paroisse existant déjà et qui autrefois lui aurait appartenu : Perdita bona restituendo. Eas (res) præ- fatæ ecclesiæ restituens. Lege perpetua integerrime possi- dendam restituit. Elle a été rachetée d’invaseurs qui l'avaient spoliée : pervasoribus redemptas. L'expression partim a dominio suo, ne sy peut appliquer. Un particulier n’a pas dans son domaine privé une église, une paroisse, dans un temps où elles découlent toutes d’abbayes ou de chapitres *. Saint-Michel, dans le passé, a donc appartenu à Saint- Serge. Il a été spolié : deux faits acquis par la charte. 1 Nous trouverons au cours du récit, le procès qu’on indique ici. Commencé en 1608 il se termine, par compromis amiable, en 1655. ? On en trouve en mains laïques; mais elles sont en mains de puissants spoliateurs. — 117 — Quand alors s’est faite la spoliation ? Quel est le fonda- teur de la paroisse ? Quelle est la date de la fondation ? Trois questions qui trouvent leur solution dans l’histo- rique même de Saint-Serge. Péan de la Tuillerie (p. 373) nous dit : Environ l’an 654 Clovis IL, roi de France et seizième comte d'Anjou, fit bâtir cette célèbre abbaye pour les Bénédictins, ce qui fut ensuite approuvé et confirmé par lettres-patentes de Childebert en 705. Monasterium in honore peculiaris patron nostri sancti Sergi et domint Medardi episcopi in suburbio Andegavis urbis constructum. Charlemagne en fait don à Vithold (788). Le grand Empereur a disparu et soudain s’ébranle son colossal empire. A Louis le Débonnaire, son fils, succède Charles le Chauve. Le premier combat ses enfants; le second a contre lui tous ses lieutenants. Aucun n’attaque ce dernier avec plus d’acharnement que le duc de Bretagne. Nomenoë s'empare d’Angers en 849 ; et deux ans après Hérispoë obtient par traité, de son suzerain, les possessions de tout l’ouest de la Maine. Saint-Serge, on ne sait pourquoi, y fut compris, et resta environ soixante ans sous la domination des ducs de Bretagne. Mais tout batailleurs et tout puissants qu'ils sont, ils ne peuvent, pas plus que le trop faible empereur, défendre Angers des Normands qui la sacca- gèrent et la ruinèrent. Saint-Serge, hors les murs, fut surtout victime de leur violence. Dans l’abbaye, des chanoines avaient déjà remplacé les moines. Ceux-ci à - leur tour évacuérent une place qui ne se pouvait plus tenir. — 118 — Les Normands eux aussi furent défaits et repoussés, mais le couvent demeura vide, lorsque en 905 Alain le Grand, duc de Bretagne, en fit don aux évêques d’An- gers dans la personne de Rainon, successeur de Dodon, suivant la charte que voici : « Raïno sancti Martini Turonensis tunc canonicus ac deinde Andegavorum episcopus ordinatus, abbatiam Sancti Sergii a Normanis destructam ac monachis viduatam cum ommibus prædis et juribus occupavit ejusdem posimodum concessionem ab Alano Britan- norum rege sibi et successoribus suis B. Mauritio mili- tantibus obtinuit, charta data suo castro X anno circiter 905. » L’évêque prit dés lors le titre et les fonctions d’abbé jusqu’à Rainaud qui, vers l’an 1000, y rappela Les béné- dictins de Saint-Denis et Rainaud eut pour successeur Hubert de Vendôme lui-même. De cet historique on conclut : 1o Que l’abbaye Saint-Serge a été spoliée par les Bretons en l’année 851, puis par les Normands qui la dévastent et forcent à l’évacuer, et qu’elle revient ensuite aux Bretons ; 20 Que ces spoliateurs de l’abbaye sont ceux de la paroisse, avec cette différence que, si les Normands ont fait le vide dans l’abbaye, ils n'ont pu détruire la paroisse. Elle a résisté au désastre, en passant en main séculière ; 90 Que Saint-Serge a fondé Saint-Michel. Il est à sa porte, sur ses terres. Toujours et partout les grandes abbayes ont groupé autour d’elles des populations ; et toujours à ces populations, il a fallu des paroisses pour — 119 — les gouverner, C’est la raison vraie, seule, naturelle de Saint-Michel] ; 4o Que c’est dans l’épanouissement de l’abbaye, au temps de Charlemagne, de Pépin peut-être, qu’on peut supposer cette fondation, bien plus qu’à une date posté- rieure ; puisque, aussitôt après la mort du grand empe- reur, surviennent le désastre et la ruine. Considérons maintenant par la pensée notre paroisse de l’an 1020. Elle se présente au flanc sud-est de l'abbaye, sur le grand chemin d’Angers à Paris. L'église couronne le tertre et des maisons l’entourent. Elle est au loin, à distance de la ville, qui, elle aussi, à l'horizon, surmonte le coteau. Le vide existe dans l'intervalle ; mais un faubourg s’allonge dans sa direc- tion, c’est le Vricus Senior, que protége une seconde. enceinte; la porte Girard le termine et fait amorce vers Saint-Michel. Des prêtres séculiers sont maintenus par l’évêque Hubert pour la diriger. Des charges féodales et hiérar- chiques au profit de l’abbaye lui sont imposées. Mais ces satisfactions données, la paroisse vit de sa vie propre. Aussi peut-elle seule nous fournir des docu- menis. Ses archives sont malheureusement fort incomplètes, presque muéties jusqu’au xvre siècle. Il lui faut lélé- ment communal pour lui en indiquer la nécessité. (est autour d’elle, en tout ce qui la touche et l’avoisine, que nous glanerons quelques faits, quelques souffles d’exis- tence nous conduisant aux jours d’abondante vie, d’éclatante lumière. Dés l’origine nous y rencontrons une dévotion qui l’a — 190 — rendue célèbre, qu’elle a toujours conservée, qu’elle a transmise à Notre-Dame : c’est la procession des Rameaux. Sur les genoux de nos pères nous avons appris cette strophe d'Urbain Renard : Les Rameaux sont célèbres Car la procession, A Saint-Michel-du-Tertre, Va faire station. Après le Sacre d'Angers, c’étaient en effet les Rameaux qu’on allait voir en notre ville. Le triomphe de la Croix rivalisait avec celui de l’Eucharistie, et notre église en élail le théâtre et le but. On nous permettra donc d’en développer le mystère et d’en retracer la solennité. Le divin Sauveur venait de ressusciter Lazare ; c'était en Béthanie, tout près de Jérusalem. Il s’arrachait aux satisfactions du repos, de l’affection, de la reconnais- sance. Les temps étaient accomplis, c’était l'heure de limmolation. Et voilà que le supplicié du lendemain ; celui-là même qui doit être insulté, flageilé par la vile populace, abandonné de tous les siens, veut par un triomphe inaugurer son sacrifice ; la joie et la douleur, deux opposés qui se repoussent, il veut les unir. Pour être méritoire 1l faut que la souffrance se montre géné- reuse. Ecoutons saint Matthieu dans sa descriplion : En ce temps-là, comme Jésus approchait de Jérusalem, étant arrivé à Bethphagé près du mont des Oliviers, il envoya deux disciples auxquels il dit : « Allez au village qui est devant vous, vous y trouverez une ânesse attachée et son ânon avec elle. Déliez-les et amenez-les moi ei si quel- qu’un vous dit quelque chose, dites que le Seigneur en — 191 — a besoin et aussitôt il les laissera amener. » Or tout cela fut fait afin que s’accomplit cette parole du prophète : « Dites à la fille de Sion : Voici que ton Roi vient à toi plein de douceur, assis sur l’ânesse et sur l’âänon de celle qui est sous le joug. » Les disciples s’en allant firent ce que Jésus leur avait commandé. Ils emmenérent l’ânesse et l’ânon, et ayant mis dessus leurs vêtements, ils l’y firent asseoir. Le peuple en foule étendit ses vêtements le long de la route, d’autres coupaient des branches d’arbre et les jetaient sur le chemin, et toute cette multitude, tant ceux qui précédaient que ceux qui suivaient, criaient et disaient : « Hosanna au fils de David. Béni celui qui vient au nom du Seigneur. » Cest cette scène attendrissante que reproduisait Angers avec les ingénieux détails que nos pères puisaient en la foi et l’amour du Sauveur crucifié. C’était d’ailleurs l'antique et pieuse pratique de l’Église universelle, ainsi que nous l’enseigne Dom Guéranger abbé de Solesmes ‘. « Cette coutume, nous dit-il, commença de bonne heure en Orient et probablement dès la paix de l’Église à Jérusalem. « Au siècle suivant, on voit cette cérémonie établie, non plus seulement dans les églises d'Orient, mais jusque dans les monastères d'Égypte et de Syrie. « En Occident ce rite ne s’établit pas aussi prompte- ment. La première trace que l’on en trouve est dans le Sacramentaire de saint Grégoire, ce qui donne la fin du vie siècle ou le commencement du vie. Le palmier et 1 Année Liturgique, p. 223. — 192 — l'olivier ne croissant pas dans nos climats, on fut obligé de le remplacer par des branches d’autres arbres. » « Au moyen âge, nous dit encore l’abbé de Solesmes, en beaucoup d’églises on portait avec pompe à cette procession le livre des saints Evangiles, qui représen- tait Jésus-Christ dont il contient les paroles. À un lieu marqué et préparé pour une station, la procession s’arrêtait ; le diacre ouvrait alors le livre sacré et chan- tait le passage où l’entrée de Jérusalem est racontée. « Au retour la marche triomphale est arrêtée par une porte close. Cette porte s'ouvre soudain aux chants joyeux d’un hymne spécial et la foule précédée du clergé s’y précipite en célébrant Gelui qui seul est la résurrection et la vie. L’hymne qui s’y chante ainsi à deux chœurs fut composé par Théodulphe, évêque d'Orléans, lorsqu'il était prisonnier à Angers par ordre du roi Louis le Débonnaire. L'Eglise romaine, en adop- tant les six premières strophes de ce petit poëme pour servir en cette rencontre, l’a rendu célèbre dans le monde entier. » Angers n’innovait pas, mais c’est de son sein que partit le chant du triomphe. C’est elle qui la première fit entendre ces louanges si mélodieuses du Gloria laus, que l’Église accueillit et fit universelles. Jusqu’aux années de spoliation et d’exil, les lieux traditionnels entendaient ses échos. La porte Angevine frappée de la croix s’ouvrait à deux battants et la foule empressée s’y précipitait aux chants de l’Hosanna. Tout ce qu’Angers possédait d'illustrations était là, et les souverains de passage s’honoraïent d’y participer. — 193 — Suivons Lehoreau dans ses prolixes détails ; ils n’au- ront rien de trop complet. Les rameaux bénits et distribués de la main de l’évêque, la procession s’avance à travers les rues de l’Évêché, Saint-Laud, des Poëliers, Saint-Michel. Les Cordeliers, Jacobins, Augustins et Carmes font la tête du cortége. La Trinité les suit. Puis s’avancent sur deux rangs les chapitres : Saint-Julien, Saint-Maimbœuf ; Saint-Maurille, Saint-Pierre ; Saint-Martin, Saint-Laud. L'abbaye Toussaint toute seule précède la cathé- drale. Entre deux rangs de chanoines précédés des psal- teurs, sous-chantres, corbeliers, maires chapelains, la châsse de saint Séréné, fixée sur un brancard, est portée à l'épaule par le garde-relique, le prieur de Saint- Aignan, les curés de Sainte-Croix et de Saint-Evroult. Les Dignités précèdent l’évêque. Arrivé près de l’église stationale, le cortége prend rang dans le cimetière et dans la rue. La cathédrale seule, après avoir gravi les degrés du cimetière près l’'Hôtel-de-Ville, dépose sa châsse, entre deux chande- liers, sur le côté droit du pied de la croix stationale du cimetière, pénètre dans l’église et prend place au chœur. Saint-Aubin et Saint-Serge viennent isolément ; Saint-Aubin suit les rues Saint-Aubin, Chaperonnière, Chaussée-Saint-Piérre, Haute-du-Figuier, Pilori, Saint- Michel. Deux rangs de moines escortent la châsse de saint Girard, suivie de l’abbé ou du prieur. Au cime- tière cette châsse est déposée sur le côté gauche de la — 124 — croix, en regard de celle de saint Séréné. Les reli- gieux introduits dans l’église prennent place au sanc- tuaire. Saint-Serge arrive par le chemin des Cordeliers, le long du rempart, aujourd’hui boulevard des Pommiers. Ses deux paroisses l’escortent, Saint-Michel à droite, Saint-Samson à gauche. Les deux bannières précèdent le grand étendard de l’abbaye. La châsse de saint Godbert est au milieu des rangs terminés par l’abbé ou le prieur, accompagné des deux curés en étole. Comme Saint-Aubin, ils pénètrent dans l’église par la porte de la nef, déposent la châsse sur l'autel et se rangent au sanctuaire vis-à-vis Saint-Aubin, Un moine se détache et chante l’évangile Cum appropinquasset, suivi d’un sermon. La bénédiction épiscopale termine ce premier pro- gramme, et toute l’assistance sort de l’église pour aller faire station à la croix du cimetière ; car c’est à cette croix toute seule qu’est dù l'honneur du jour. La rigueur de la saison avait, peu avant Lehoreau, amené l'introduction dans l’église des privilégiés que nous avons désignés. Tout le cérémonial auparavant s’accomplissait au dehors. Des fenêtres du presbytère, les princes écoutaient le sermon et recevaient la béné- diction de l’évêque. Les hommages rendus à la croix de Saint-Michel, les divers cortéges reprennent leur marche et s’en retournent par le même itinéraire, Saint-Aubin d’abord, Saint-Serge ensuite, escorté toujours de ses deux paroisses. La cathédrale et tout le clergé décrit partent les derniers. Ils arrivent à l’extrémité de la rue Saint- — 125 — Laud, et trouvent la porte Angevine fermée ; c’est alors qu’à la fenêtre d’une petite chapelle surmontant la porte un chœur d’enfants avec accompagnement d’instru- ments, fait entendre les joyeuses strophes du Gloria laus. Une vieille croyance traditionnelle regardait ce lieu même comme la prison d’où l’évêque Théodulphe aurait, en son temps, à pareil jour, inauguré son hymne devenu célèbre. Alors s’accomplissait la cérémonie liturgique que Von voit aujourd'hui pratiquée à la porte de nos églises. Voici la raison qu’en donnent les Chroniques Angevines (livre VI) : « Scribunt Sigebertus et Hugo Floriacensis Theo- dulphum abbatem Floriacensem qui postea fuit Epis- copus Aurelianensis, cum Andegavi in carcere detine- retur, ipsa die Palmarum, processione ecclesiæ, Andegavensis secundum eum locum prætereunte, hym- num cui initium est Gloria laus et honor a se in eam rem compositum, clara voce per fenestram cecinisse ; ipsum vero imperatorem Ludovicum Pium qui tunc aderat admirabundum restilisse et ejus carminis sua- vitate ac pietate usque adeo fuisse delectatum ut abba- tem a vestigio liberaret. «In cujus rei memoriam cum postea is hymnus universæ Ecclesiæ usu in officium hujus processionis receptus fuisset, eum ecclesia Andegavensis apud eum- dem locum, ubi primum auditus fuit, id est ad portam Andegavinam, canere consuevit et ritum pulsandæ atque aperiendæ portæ civitatis peragere. » Ce n’est pas sans raison que Saint-Michel et la croix de son cimetière ont été choisis pour lieu de sta- — 196 — tion. Eveillon' nous l'explique dans son livre De pro- cessionibus : « Juxta ordinem romanum extra civitatem fit pro- cessio, et id ferme omnibus in locis observatur ad imi- tationem populi Jerosolymitani qui extra civitatem progressus obviam Christo advenienti exiit. Et ita habuit prima institutio processionis Ecclesiæ nostræ. Nam olim tumulus sancti Michaelis in quo statio hodierna cele- bratur extra pomærium erat. € Hunc igitur Salvatoris triumphum et sub ejus sym- bolo triumphum Passionis ejusdem repræsentat ecclesia procedens cum ramis benedictis ad stationem crucis. » Cest donc au vire siècle, d’après le Sacramentaire de saint Grégoire, qu’il faut faire remonter en Occident la procession des Palmes. Angers n’a pu rester en arrière dans cette pieuse pratique et nous ne sachions pas qu’on y ait jamais choisi aucun autre lieu de station que notre tertre. D'autre part, d’après saint Matthieu, c’est à Bethphagé, près du mont des Oliviers, à la porte de Jérusalem, que se forma le triomphant cortége du Sauveur. Hors de la cité d'Angers, à petite distance de son vieux faubourg, du vicus senior, un tertre s’élève qui figurera le mont des Oliviers, et sur le revers une croix, devenue celle du cimetière, sera son Bethphagé : « Et sub ejus symbolo triumphum Passionis ejusdem repræsentat Ecclesia. » Cest le lieu choisi pour l’accomplissement des céré- monies liturgiques indiquées par dom Guéranger. ! Eveillon, né en 1572, après avoir été professeur et curé, fut nommé chanoïine de la cathédrale. — 197 — Notre procession se faisait au temps de Louis le Pieux. En ces jours, comme depuis, le clergé Angevin se ren- dait à Saint-Michel. D'autre part, dans l’histoire de l'Église, Théodulphe est l’auteur du Gloria laus. On s'accorde encore à croire, ainsi que le constate l'abbé de Solesmes, qu'il a été emprisonné à Angers et une tradition persistante con- firme le récit de nos chroniques. . Nous en concluons qu’il est difficile de le révoquer en doute. CHAPITRE: III. DÉVELOPPEMENT. L'an mil séloignait; ses sinistres présages s’envo- laient avec lui et faisaient place à la plus énergique confiance. Aux débiles fils du grand empereur avaient succédé les vigoureux enfants de Robert le Fort. La grande maison de France était fondée, Les descendants d’In- gelger longtemps étouffés dans l'enceinte de leur capi- tale, trouvaient à leur tour trop étroites les limites de VAnjou. Le Mans, Loches et Vendôme @eviennent leur conquête. À l’extrême crête du rocher de la cité, dans ce palais qu’ils venaient d'échanger avec l’évêque Dodon, ils avaient sous leurs pieds une campagne dé- serte qu’ils allaient peupier. En cette tâche d’ailleurs Foulques Nerra trouve un émule que nous connaissons, c’est Hubert de Vendôme. Le comte et l’évêque sont — 198 — tourmentés du même zèle. Le grand bâtisseur est doublé du grand fondateur. Une basilique à trois nefs va remplacer l’étroit rec- tangle de la première cathédrale; Saint-Martin est renouvelé en grandioses proportions; Saint-Serge doté, nous l’avons vu, de vastes territoires, est rebâti à neuf. Sur les murs de son premier sanctuaire, Notre-Dame du Ronceray voit s’édifier cette grande et magnifique église dont les imposantes ruines nous étonnent encore ; une cité se bâtit à l’entour; Toussaint s'élève sous les murs de ville ; Saint-Nicolas à l'horizon. Et cependant c’est alors qu’un seigneur se glorifie de ne savoirsigner. C’est alors que tout devient barbare. La guerre esta toutes les portes. On sait se batire, c’est tout l’homme. Mais c’est alors aussi que, pour les manants, pour le peuple, aussi bien que pour les seigneurs, Hubert fonde ses écoles épiscopales ; Bernard, régent de philosophie, en est le premier maître *. C’est la future Université. Nous sommes aux premiers âges connus de notre pa- roisse. Modeste en son berceau, elle croîtra lentement. A l’extrémité de la rue Saint-Laud, à la porte Girard, deux courants se produisent; l’un vers Saint-Serge, par une rue qu’on nommera du Puits Doux, des Vieilles Étuves et enfin du Cornet ?: ; l’autre, vers Sade Michel, par une voie longtemps sans nom, qui sera, au XVIe siècle, la rue des Poëliers. L’opulente abbaye de Saint-Aubin avait besoin d’un port pour recueillir les produits de son île. Il est au ? Port, Dictionnaire historique, 1er vol. , p. 320. ? Péan de la Thuilerie, p. 341, note Port. TOR NS = he ae x pes = z : | F— — CL Ja a, 1 pe made Fi 56 PS Légende dwPlan concernant l'mstoniqueide la paroisse SEMichel.dute We 1 Elie paroissiale de S'Michél di tertre 2 Capelle dela Wichelrensuile de al de oreTine Sanson D Église des Minimes Ê Chapelle S' Sauveur D oleldevilletanpourdhoita Cour de frésidialn Cayjourdhnite tribunal de Commerce) 9 Les Halles 10 La frison 1uLes Cordeliers 14 Les Ursulines Le Chllige d'Anjou Casjandhni 7a Mairie 14 l'ont des Treilles 12 Le Poisnet 10 leairis des Juisclles 1 autre dePoisnel 14 Lorte Caullier 19 Pire Boisnel 20 Lort Ayraull 174 99 Bouton Zorler Rue S' Mid iel Place des HifUes nd, Ne Srrge al À Fe dunChrfiel ; Rue de la bartre Aue Sage * Âue Vale ee Fue J' Gants lue des enr Place data ont Lue daPilert ” Tue dela Chaminedese (7/00 L Lauboi /oute dun Ze Mail Le lélican|,,, te phcai ie 19 Pat HSE e art DUT EEE LL Lutte — 129 — fond de la petite rue des Aisses, sur la rue du Cornet. C’est le Portus Rogi de insula sancti Albini *. On y construira bientôt une grande maison avec ver- ger et dépendances. Ge sera le bûcher et le grenier à fourrage de l’abbaye. | Hors les murs, sur le flanc de la vieille ville, s’éche- lonnaiïent l’abbaye Saint-Aubin, les églises Saint-Martin, Saint-Julien , Saint-Pierre, Saint-Maimbœuf, Saint- Maurille; ces dernières protégent la grande nécropole chrétienne, mise récemment à découvert sur la place du Ralliement. La paroisse Saint-Maurille nous borne et s’allonge sur le revers du coteau, dans toute la partie comprise aujourd'hui entre le boulevard, la rue Saint- Michel et le Pilori. C'était alors un clos de vigne. Vers la fin du siècle, les chevaliers de l'Hôpital s’im- plantent sur la lisière. Leur enclos s’allonge vers nord, dans un terrain où se bâtira le collége d'Anjou, aujour- d’hui la mairie. Les comtes Plantagenets, pas plus que les Ingelge- riens, n’ont, que je connaisse, laissé de trace en notre ._paroïsse. L'élément étranger devait disparaître et lais- ser la vie nationale se produire dans toute son expan- sion. Ce résultat a étéle fruit d’une lutte colossale entre la France et l'Angleterre. Les Plantagenets, toutefois, ont laissé en Anjou, et dans notre ville en particulier, trop de souvenirs pour rejeter leur mémoire. Toutes les églises du temps portent leur cachet. C’est à Angers lhôpital Saint-Jean ; c’est à Fontevrault la royale abbaye, leur nécropole. Mais leur vie propre et leurs grands 1 Péan de la Thuilerie, p. 343, 344, note Port. SOC. D’AG. 9 — 130 — intérêts nous étaient étrangers, hostiles même au déve- loppement national, le vassal ne pouvait absorber le souverain. Honneur à Louis VI, à Louis VIT, à Philippe- Auguste et à saint Louis : ils ont fait notre France. Angers, notre paroisse, allaient en cueillir les fruits. Jean Sans-Terre avait disparu ; Philippe-Auguste, le vainqueur de Bouvines, l’avait rejeté hors du royaume. Les ducs de Normandie, d'Anjou, de Gascogne avaient fait leur temps; le comte de Paris était devenu roi de France. Il restait toutefois, au fond de la vieille Armo- rique, un allié du sang anglais, et saint Louis devait le réduire à l’obéissance, le plier à la soumission, le faire - Français. Ce ne pouvait être le travail d’un jour et sur la lisière il fallait une forteresse pour commander le respect. Angers sera ce boulevard. « Les anciennes enceintes, nous dit M. d’Espinay, étaient alors complétement dé- bordées et la cité même, avec sa double annexe, ne formait guère qu’une citadelle au milieu d’une ville ouverte. C'était en 1930; après la défaite de Pierre Mauclerc, que saint Louis, maître d'Angers, décida l’exécution d’un projet conçu vingt-cinq ans plus tôt par Jean Sans-Terre, celui de la construction d’une colos- sale citadelle sur le coteau de la Maine et aussi d’une redoutable enceinte de tout l’Angers d’alors ‘. » Cette citadelle, c’est le château, la plus imposante forteresse de ce temps, aujourd’hui encore l’admira- tion de tous les amateurs du grandiose, de tousles hommes soucieux des souvenirs du passé. L’enceinte Enceintes d'Angers, p. 62 et 63. — 131 — de la ville a disparu ; on en retrouve à grand’peine de rares vestiges; mais elle est dessinée par nos boule- vards qui y sont substitués. Son pourtour mesurait 2,200 mètres sur la rive gauche, 1,600 sur la rive droite. Vingt-quatre tours pro- tégeaient la première, dix-neuf la seconde ; sept portes y donnaient accès. Cette œuvre colossale ne s’accomplit pas sans difficultés. La grande figure du roi, son auto- rité, la vénération qui l’entourait, jointes aux dures nécessités du temps, en permirent l'exécution. Des déchirements de plus d’une sorte en furent la consé- quence. Il fallait renverser et détruire tous les obs- tacles, couper les domaines, séparer les intérêts, rompre les relations. C’est la raison des bizarres circonscrip- tions des paroisses d’alors, conservées jusqu’à la Révo- lution. Saint-Michel-la-Palud s’étendait du côté des Lices. Le faubourg Bressigny était de Saint-Martin; Saint- Julien s’allongeait par Hannelou , la Madeleine, les Justices, jusqu’au bourg La Croix. Notre paroisse devait subir le même sort. C’est en son centre même que l'enceinte la traverse en ligne courbe. Le. tertre esi contourné ; rasé au dehors, il s’étage en amphithéâtre au-dedans et l’église en cou- ronne le faîte à l’extrême sommet de l’angle du mur de ville, qu’une grosse tour protége. À l'extérieur, toutes les maisons étagées autour de l’église sont renversées et rejetées au loin contre le Pélican et les rochers schisteux de Pierre-Lise et de Pigeon pour former le faubourg Saint-Michel. Le Pélican était alors une vaste hôtellerie ; l’'emplace- — 132 — ment en est occupé aujourd’hui par les Jésuites et les maisons adjacentes. Get enclos du Pélican se prolongeait du champ Glastin, qui s’étendait lui-même en pointe de triangle, jusque vers la place de Lorraine actuelle. Les remparts d’un côté, le chemin de Paris de l’autre, bordaient ce triangle. Au côté opposé du chemin de Paris on trouvait le pré d'Allemagne prolongé de celui de la Rame. La terre du Busson couronnait ces deux prairies vers Belle-Fontaine et la croix de l’Ormeau. Les tribunaux, le mail, l'usine Besnard couvrent ces prairies. La Maître-Ecole, les Deux Croix, les Banchets for- maient l’extrême limite de la paroisse. Les plans de la ville de 1736 et 1775, et surtout la vue cavalière de 1576, nous aideront à saisir la phy- sionomie tant intérieure qu’extérieure de notre pa- roisse et surtout des murailles qui la coupaient. La porte Saint-Michel est au bas de l’église, au fond du vallon. Cinq tours de front {a défendent au dehors. Un chemin sinueux, fortifié de murs et de fossés, en couvre les approches. Vers la rivière, huit autres tours font face à l’abbaye. Un bastion, appelé boulevard Saint-Serge, termine la forteresse. Un bras de la rivière vient en baigner le pied ; il se prolonge le long des rues actuelles du Cornet et Valdemaine pour rejoindre au pont des Treilles le principal lit de la Maine. La saulaie de Boisnet et les luisettes de Saint-Jean couvrent les îles qui aujourd’hui ont formé les quartiers des Lui- settes et de Boisnet. A l’intérieur, la légère fraction dela paroisse adossée au mur de ville, se dessinait en demi-lune. L'église en — 133 — faisait le fond; le cimetière au-devant s’allongeait sur la rue et joignait la porte Saint-Michel. Quelques mai- sons en face et à la suite vers les Halles, c’était toute la partie urbaine, et après venait le vide jusqu’à la porte Girard, jusqu’à la rue de l'Hôpital. L'abbaye Saint-Serge, elle aussi, est coupée en son domaine. Toute cette partie vide dont nous venons de parler semble lui avoir appartenu. L’hommage des maires au 4er mai, les redevances des maisons de la rue Saint-Michel nous l’indiquent assez. À cette époque, à la suite des habitations de la paroïsse, à l’entrée de la rue Saint-Michel, vis-à-vis le palais de Justice, des maisons sont construites pour servir d’asiles aux reli- gieux en temps de guerre. Des caves, une cour inté- rieure sy joignent pour recueillir les provisions de l’abbaye. Les invasions normandes et bretonnes ne sont point oubliées. Saint-Michel, naguëre à distance du vieil Angers, est devenu paroisse urbaine. Elle est aujourd’hui perdue à l'extrême limite de l'enceinte; nous allons la voir gran- dir, nous allons assister à son épanouissement, et le jour viendra où elle absorbera tout le mouvement et toute l'importance de la cité. Dés cette époque, nous apparaissent les Cordeliers. « Ces Pères, dit Péan de la Thuilerie, doivent leur éta- blissement à Guillaume de Beaumont, évêque d'Angers, qui les plaça, en 1231, auprès de l’hôpital du Temple, dans une vigne qui appartenait au chapitre de Saint- Maurille‘. Ils occupaient tout l’espace compris entre les 1 « De vineis suis, domui dictorum Fratrum contiguis suffi- cienter ad constructionem ecclesiæ eorum. » Cartulaire de Saint-Maurille (1232). — 134 — rues de l'Hôpital, du Pilori, de Saint-Michel et le domaine des chevaliers du Temple, dans lequel furent prises la mairie et les Ursulines. Les rues Chevenl et du Mail traversent cet enclos. Aucun couvent ne fut accueilli plus libéralement ; aucun sanctuaire ne fut plus sympathique aux Angevins. Les paroisses, les collégiales, la cathédrale en faisaient dans leurs processions le lieu le plus habituel de leurs stations ; l’université, la mairie, le présidial s’y réunis- saient dans leurs solennités. Envahi des foules, les grands le décoraient à l’envi. Yves, doyen de l’église d'Angers, fait, en 1268, bâtir la chapelle de l’Infirmerie. En 4981, Macé de Beauvau reconstruit le couvent; Maurice de Craon l'agrandit vers le Pilori, fait ouvrir la chapelle de Saint-Jean-Baptiste qui sert d’obituaire à la famille, L’enfeu des Boilesve y fait face. C’est enfin loratoire de prédilection de la maison d’Anjou-Sicile. C’est cette royale maison qui décore le chœur de l’église et y jointla mémorable chapelle Saint- Bernardin. On arrivait au couvent et à l’église par une cour intérieure, ouvrant sur la rue du Pilori; e’est aujour- d'hui l'entrée de la rue des Cordeliers sur la rue Lenepveu. Le couvent se présentait à gauche, l’église en face et à droite une porte donnait accès par un escalier à la rue de l'Hôpital; ce passage existe encore. Une cour au nord, entourée de cloîtres, exploitait tous les bâtiments utilisés encore pour les classes communales de garçons et de filles. L'église, sous le vocable de Saint-Sébastien, était orientée. (était une belle et large nef sans bas-côtés. Elle faisait suite à la cour d'entrée dont nous avons parlé, et couvrait la partie supérieure — 135 — de la rue actuelle obtenue par sa destruction en 1794. Le chœur en était séparé par un jubé. L’autel principal était orné d’un baldaquin soutenu de six grosses co- lonnes en marbre noir de Sablé. À droite du grand autel s'élevait, sur quatre piliers, le tombeau d’Isabeau d’Avaugour, représentée en habit de Cordelière avec deux petits chiens à ses pieds; à gauche, celui de Catherine de la Fougeuse, dame de la Haye. A droite du chœur, la chapelle Saint-Bernardin, au- dessous celle des Craon dédiée à saint Jean-Baptiste. À gauche celle des Boilesve. L’enfeu de Beauvau au fond même de l’abside. Cette église fut consacrée en 1294 par l’évêque Guillaume Lemaire. L’importante et rapide fondation des Cordeliers ne pouvait manquer d'attirer dans le voisinage du cou- vent un concours empressé d'habitants, ou tributaires ou donataires. Des rues, des quartiers se bâtirent à l’envi. C’est la rue de l'Hôpital ou de l’Asnerie (1278), de Saint-Georges ou du Savetier (xime siècle), de Valde- maine, Vicus Escachebreton (1279), du Pilori, aujour- d’hui rue Lenepveu. Au carrefour des rues de l'Hôpital, de Saint-Georges et du Pilori s’établit pour les étrangers l’hôtel du Lion- d'Or, récemment détruit, lors du débouché de la rue Lenepveu. Sa renommée le suivit jusqu’à la Révolution. Au bas de la rue du Pilori, une cour fermée, qui aujourd’hui encore s’appelle cour des Cordeliers, don- nait accès à l'hôtel des seigneurs de Craon, ces bienfai- teurs qui n’eurent de rivaux en munificence que la — 156 — maison d'Anjou. Le prévôt de Craon avait sa demeure rue du Cornet, sur le terrain occupé par la maison Langlois. Au temps des Plantagenets, trois foires avaient été créées à Angers, c’étaient celles du Landit, de l’Ange- vine et de Saint-Nicolas. On n’avait cru mieux faire que de les établir sur les grands ponts, bordés alors de maisons et de boutiques. On comprend les difficultés d’un pareil lieu : on étouffait sur un point aussi res- serré et la circulation y devenait impossible. Les nou- velles enceintes donnant, vers Saint-Michel, un grand espace vide, il devenait naturel d’y porter ces foires; mais il fallait un abri qui pût recevoir les boutiques. Ce fut l’occasion des Halles, « ce lieu public, nous dit Péan de la Thuilerie, où l’on s’assemble pour négocier. » Nos comtes, successeurs de Charles d'Anjou, en firent les frais en 1280. En ce même temps, nos évêques avaient bâti Even- tard, cette résidence de prédilection, sur la commune d'Écouflant. Nicolas Gellant, son fondateur, venait d’y mourir. On tenait à célébrer des obsèques dignes de . lui et à conserver ses restes dans le chœur même de la cathédrale. Le quatre des kalendes de février de l’an de grâce 1291, nous apprend Guillaume Lemaire, son succes- seur, on l’apporta revêtu des ornements du jour de sa consécration, à la porte de la ville, au cimetière même de Saint-Michel. Là tout le clergé de la ville l’y vint prendre; et les plus robustes des dignités etchanoinesle transportèrent, sur leurs épaules, jusqu’à la cathédrale. Le maître-école était alors un chanoine du nom de — 137 — Jean Dubois, originaire du Maine, docteur in utroque. Il venait d’être nommé à l'évêché de Dol et allaït quitter Angers qu’il affectionnait. En gage de son amour, il voulut y laisser un monument de sa charité dans la fondation d’une aumônerie et de son église pour y rece- voir quatre aveugles et neuf pauvres qui, en outre du logement et de la nourriture, recevaient un denier par jour. C’étaient encore nos quartiers qui pouvaient four- nir un emplacement susceptible d’y construire les locaux nécessaires. Dans la rue Saint-Michel, à la suite des maisons de Saint-Serge, au bas même de l’enelos des Cordeliers, sur un terrain que nous trouverons tributaire encore de Saint-Maurille, on construisit cette aumônerie qui, elle aussi, fut dédiée à saint Michel (1311). Notre géné- reux donateur dota son hospice d’une terre appelée la Pélerinière et de la closerie de Chauffour, situées l’une et l’autre sur la paroisse de Saint-Barthélemy. Le tout, en 1604, nous le verrons, passera dans l’administration de l’aumônerie Saint-Jean, et en 1620, les Oratoriens, appelés par la reine Marie de Médicis, après avoir acquis l’hôtel de Lesrat de Lancreau, obtiendront de la toute- puissante souveraine d'y joindre les bâtiments et l'église de l’ancienne aumônerie Saint-Michel. L'église sera par eux modifiée : le chœur et le tran- sept seront vers 1650 reconstruits en style du temps ; mais la nef primitive sera conservée. On y pénétrait par un long degré intérieur débouchant sur la rue Saint-Michel. En 1845, l'architecte Villers la détruisit et la remplaça par une nouvelle qu’il harmonisa avec la construction des Oratoriens. — 138 — C’est aujourd’hui l’église paroissiale de Notre-Dame. C’est l’origine même de cette église que nous rencon- trons présentement. CHAPITRE IV. PAROISSE CIVILE. La branche aînée des Capétiens, dite des Capétiens directs, s’éleignait dans la personne de Charles IV, dit le Bel, mort sans enfant. L'application de la loi salique livrait la couronne aux Valois, au préjudice de l’héri- tière naturelle, Jeanne d’Évreux, épouse d'Édouard IIL, roi d'Angleterre. Cette compétition fut la raison de la guerre de Gent Ans aussi meurtrière que longue, aussi émouvante que variée de succès. Elle n’était pas terminée que survint celle d'Italie, suivie elle-même des guerres civiles et religieuses que le grand schisme avait précédées. C’est pendant plus de deux siècles une série de souffrances et de malheurs. Il n’est pas en notre histoire d'époque plus féconde en désastres. Mais en compensation, dans ces luttes opiniâtres et sanglantes, deux puissances se produisent, celle du souverain et celle du peuple. Ces deux extrêmes sentent le besoin d’un mutuel appui et ce concours produit l'autorité et la grandeur du premier, l'éducation et la fortune du second. La force régnait jusqu'alors dans les châteaux; le seigneur exerçait sur ses vassaux un pouvoir sans — 139 — appel. Les abbés, les chapitres avaient leur place dans Véchelle féodale; la paroisse par eux était absorbée dans son revenu aussi bien que dans son action morale et religieuse. Les grands événements, les grands désastres renver- sent ces petits souverains et la nation toute seule appa- raît dans sa ruine. C’est alors que le roi tend la main à son peuple, et c’est alors que le peuple la baise et l’accueille avec reconnaissance. Sacrifice, dévouement, tout devient réciproque. Le monarque commande, il est obéi ; mais en échange, il émancipe ces bourgeois par la création des plus bienfaisantes institutions. Ce sera tour à tour pour notre ville l’Université de Charles V, la Cour des Comptes de Louis Ier d'Anjou, la Commune de Louis XI, le Présidial de Henri II, le Tribunal consulaire de Charles. IX. Toutes les paroisses d'Angers recueillent leur part de ces avantages, mais aucune n’en bénéficie autant que Saint-Michel-du-Tertre. La mairie lui donne l’au- torité communale, le Présidial la justice, les halles et la rivière le commerce et les réjouissances. Une popu- lation spéciale s'y forme et s’y groupe et les grandes familles municipales y naissent et sy perpétuent. La première période de la guerre anglaise nous avait été funeste. Le désastre de Poitiers nous avait écrasés ; le roi avait été fait prisonnier ; l’armée était détruite et dispersée ; l'ennemi vainqueur, au centre même du pays, y commandait en maître. La France à bout de ressource semblait à sa merci. Mais alors l'union de tous existait, le patriotisme battait au cœur de tout Français, et le principe d’auto- — 140 — rité nous restait. Le roi était captif, mais sa dynastie était libre. Tout jeune et tout effacé qu'il était, le dau-— phin, fort de son droit, saisit résolument le gouverne- ment de son pays, et convoque, sans retard, les États Généraux. Les bourgeois des villes y sont consultés pour la première fois. Le mal est jugé grand; mais toute soumission et tout projet d'abandon sont écartés; la résistance est décidée. Des impôts sont créés, une armée est refaite et Charles V la dirigera du fond de son palais : mais il lui faut un lieutenant, un homme d’action, un batailleur ; ce sera son frère Louis, qu'il fera duc d'Anjou et pair de France; Louis Ier d'Anjou devient ainsi le chef de la deuxième maison d’Anjou-Sicile. Celui-ci, uni à ses fréres les ducs de Bourgogne et de Berri, avec des aides comme Duguesclin et Olivier de Clisson, ne tarde pas à modifier la fortune. Refoulés pied à pied les Anglais abandonnent le sol français. Charles le Sage a sauvé sa couronne et délivré son royaume. Une trêve se signe en 1375 et le pays respire. Notre duc en profite pour apparaître en sa bonne ville d’An- gers. C'était en 1377 ; il revenait d'Avignon, où, préala- blement, le roi son frère lui avait donné la mission d’y retenir Grégoire XI que sainte Catherine de Sienne arrachait à l’exil pour le rétablir à Rome. Une députation d'habitants l’attendait au château ; c’étaient Élienne Langlois, Theumot le Bourguignon, Jamet Delacroix et d’autres. La considération, acquise naguëre aux bourgeois dans les États Généraux du royaume, les encourageait sans doute. « Ils demandent et obtiennent pour la ville d'Angers des lettres patentes — 1A — sur double queue autorisant les bourgeois et manants à faire élection de six d’entre eux, à tenir assemblée pour régler les comptes et mener à fin tous les _ négoces de la ville : c’est la Cour des Comptes. » Dans la quinzaine même il fut procédé à l'élection et Hardouin du Bueil, évêque d'Angers, chancelier de Marie de Bre- tagne, en fut le président. La Cour des Comptes avait pour objet à Angers la perception de divers impôts et l'emploi des fonds qui en résultaient. C’est tout un programme d’administration commu- nale dont notre paroisse va devenir le principal théâtre. | Nous rencontrons, dans la perception, deux prin- cipaux impôts, la clouaison et le fouage ; la clouaison était un droit d'entrée aux portes de la ville, ayant pour premier objet l’entretien des fortifications. Le fouage était un impôt sur chaque feu, qui, par arrêt du 93 août 1409, fut Bxé annuellement à dix-huit deniers. Chaque chef de famille devait verser celte somme, par tiers, aux curés de paroisse, aux époques de Saint-Jean- Baptiste, de Toussaint et de Noël, à titre d'honoraires de sépultures et de messes aux jours de l’obit des membres de chaque famille *. Dés l’origine de l’institution trois sources de dépenses nous apparaissent. Elles ont pour objet la défense de la ville, la justice, le commerce. Pour cette triple fin un hôtel, un palais devient nécessaire. Les Halles seront ce 1 Port, Dictionnaire historique, t. I, p. 38. 1 Pocquet de Livonnière, Coutumes d’ Anjou. — 149 — palais. Les Halles, en effet, sous nos ducs, sont à la fois bourse de commerce, palais de justice, parc d’ar- tillerie. La fondation de 1280, nous l’avons vu, les con- sacrait aux foires et marchés, c'était tout leur but ; mais aujourd’hui, sans leur enlever cette première destina- tion, on leur adjoindra les services de l'artillerie et de la justice. À cette fin elles subissent une transforma- tion. Les comptes municipaux mentionnent, en effet, qu’en l’année 1378 avec les offrandes volontaires des habitants, on a fait les frais d’une charpente qu’au- jourd’hui encore on peut admirer *. Une grande horloge ne tarde pas à couronner l'édifice et en 1409 on en confie la réparation’ et l’entretien à Pierre Merlin, céle- . bre” « orlegeor de Poitiers. » Les nouvelles armes, conséquence de la découverte de la poudre, prescrivaient une profonde modification dans le système de défense et d'armement pour nos places de guerre. La forteresse de saint Louis, si puis- sante en son temps, avait aujourd’hui à subir plus d’une transformation. Dans la description que nous avons faite des enceintes d'Angers, nous avons vu que sur leterri- toire qui nous occupe, l'extrémité du mur de ville s’allongeant sur la rivière se terminait au boulevard Saint-Serge, dont le pied était baigné par un cours d’eau conduisant au pont des Treilles. C’était la prin- cipale défense de ce côté. En 1277 on la juge insuffi- sante et une bastille qu'on armera de canons est construite en Boisnet”. 1 Port, Dictionnaire historique, t. I, p. 113. 2 Inventatre des Archives municipales. 8 Jbid., p. 179. — 143 — Les inventaires municipaux de 1411 et 1417 nous présentent un détail complet de l'artillerie appartenant à la ville et de l’emploi qui en est fait. Les portes, les tours, les bastillons sont désignés, et les Halles sont le grand parc. Nous aurons plus d’une occasion de le constater. C’est au seuil de ce parc que nous trouvons le palais de justice. La justice en France se personnifiait dans le roi. La main de justice et l’épée étaient ses attributs. Le sire de Joinville nous a rendu célèbres et mémorables les jugements du saint roi sous les chênes de Vincennes. Mais on sait aussi que ce sage monarque se faisait aider dans l’étude des causes qui lui étaient sou- mises par une assemblée de légistes qu'on nomma pour cette raison le Parlement et qui longtemps fut mobile autant que le souverain. Les légistes au Parlement de Paris, comme dans les cours des sénéchaux de province, ont pris la place des barons et des évêques qui dans le principe composaient la cour féodale du roi ou du comte. Quels que fussent toutefois l’activité, la sagesse et le bon vouloir du roi, il lui fallait, tant à la guerre qu’au Parlement, se décharger sur un lieute- nant, qui comme lui-même cumulait les fonctions de robe et d'épée. Ce fut le sénéchal. La féodalité, déléguant aux grands feudataires les pouvoirs souverains, leur imposait les mêmes charges, la même organisation, le même lieutenant. Nos comtes et nos ducs rendaient la justice et avaient leur sénéchal; son palais portait le nom de sénéchaussée. Sous nos comtes et ducs d’Anjou-Sicile, nous voyons cette charge — 144 — se perpétuer dans la famille des Beauvau ; mais ces seigneurs, tantôt à Angers, tantôt à Naples, avaient aussi des légistes, des conseillers, des lieutenants; c’étaient les sénéchaux, les juges d'Anjou. Nous voyons en fonction sous nos ducs, Jean, Louis et Bertrand de Beauvau, assis- tés des juges Jean Breslay, Jean Duveau et Jean Binel. Tous les tombeaux de ces personnages nous sont connus. Ils sont tous aux Cordeliers, à l'exception de celui de Jean Duveau ‘ qui, le 5 juillet 1474, était déposé dans l’église Saint-Michel-du-Tertre près de l’autel de Notre- Dame. Deux ans après on y joignait son épouse. Le sénéchal Jean de Beauvau figurait de plus dans le grand vitrail des Cordeliers. Il y était représenté avec son épouse sous les emblèmes de saint Jean et sainte Madeleine. En 1462 il y avait à Angers une grande solennité judiciaire. En séance solennelle des Grands-Jours, sous la présidence de Jean de la Vignolle, doyen de Saint- Maurice, président de la Chambre des Comptes, le juge Jean Breslay « lisait et publiait en présence de gens de tous états, tant d’église, nobles, gens de conseil et praticiens dudit pays que aultres, » les célèbres cou- tumes d’Anjou, rédigées par ordre du roi René et dont l'original fut déposé à la Cour des Comptes *. Les premières presses d'Angers les imprimèrent en 1476, en format petit in-8° de cent cinquante-cinq feuillets. La justice aux Halles voulait près d’elle la prison. 1 Port, Dictionnaire historique. ? Dictionnaire historique, t. I, p. 486. — 145 — Celle des comtes dans la cité, près les Jacobins, fut transférée, au xve siècle’, à l’angle de la rue basse de la Chartre et de la rue Saint-Etienne. Un gibet, sous le nom de pilori, aux armes du duc d’Anjou, fut établi en permanence sur un emplacement vide encore, entre la rue Saint-Michel et celle sans nom qui bientôt s’appellera des Poëliers. Nos juges se fixent dans les rues Saint- Jacques et du Cornet. Deux tours près de la prison, deux près de l’église Saint-Michel fermaient la place des Halles. Pour compléter ce détail et par anticipation, nous dirons que, en 1484, on construisit, aux frais de la ville, entre les deux tours avoisinant la prison, un porche à arcades ogivales, surmonté de chambres à fenêtres grillagées*. La tour opposée à la prison atte- nait à la maison de la Pie, vis-à-vis de la porte des Halles , actuelles, Cette maison était louée pour les services de la prison. Les exécutions avaient lieu sur la place, sous les yeux mêmes du juge. Mais nous n’en avons pas fini avec nos Halles, car enfin nous ne pouvons perdre de vue qu’elles ont été créées pour le commerce et présentement nous en sommes loin. Les boutiques de première fondation s’y devaient per- pétuer. Sur la place fermée, comme nous l’avons vu, se tenait le marché des bestiaux; celui du beurre près l'église Saint-Michel ; les quincailliers, merciers, cou- teliers avoisinaient la prison *. 1 Dictionnaire historique, p. 104. ? Notes de M. Port sur Péan de la Thuilerie. 3 Jbid., p. 348, 350. SOC. D’AG. 10 — 146 — L'institution de la Cour des Comptes, le séjour de nos ducs à Angers, les relations produites par les grandes guerres, ne pouvaient manquer de développer les produits de notre sol et stimuler nos industries. Déjà nous apparaïssent nos chanvres et nos ardoises. En 1374 nous trouvons au sommet du faubourg Saint- Michel, dans l’enclos de Pigeon, près de la chapelle Sainte- Catherine, une première carrière mentionnée dans nos archives. En 1445 une ordonnance du roi René constitue les statuts des cordiers. Lesvoilà donc ces bourgeois du xive siècle, consti- tués les administrateurs de leur cité, sans entraves seigneuriales, sans redevances féodales. Admis aux fonctions cléricales les plus élevées, ils rendent la jus- ,tice au nom du Sénéchal, et s’essayent déjà aux savantes combinaisons du commerce et de l’industrie. Les arts, le droit, la médecine, la théologie n’ont plus de secrets pour eux. Mais qui les a instruits? qui les a formés? qui les a produits? Ce sont nos écoles épiscopales. Ce sont elles seules, et nous ne pouvons assez le procla- mer en ces temps d’oubli et d’ingratitude. Nous avons assisté à leur fondation par Hubert de Vendôme. Ses successeurs en suivent l’idée, et cent ans plus tard, Ulger, notre savant évêque du xue siècle, leur donne une telle célébrité que Paris est déserté. Angers devient le foyer d'études le plus accrédité de France et d’Angle- terre *, Déjà dans son palais notre prélat y confère des grades et au temps où nous sommes, ses traditions sui- vies n'ont plus besoin que d’une sanction. Des lettres ‘ Dict. hist., t. 1, p. 76, p. 645. — 147 — patentes de Charles V en 1364, de Charles VII en 1433, la bulle d’Eugène IV en 1482 confèrent à nos vieilles et illustres écoles le seul titre qui leur manque, celui d’Université. Sous cette auréole Angers grandit encore en illus- tration. Toute la jeunesse studieuse s’y donne rendez- vous. Des internats, sous le nom de colléges, s’y fondent de tous côtés ; notre paroisse en possède deux : rue du Pilori, le collége de Chaloché, dans un local récem- ment détruit par M. Bourjuge; rue du Cornet, le col- lége de la Boissière, au coin de la rue des Aïsses ‘. Le duc Louis Jer d'Anjou ne fit que paraître en 1377, dans sa ville d'Angers; car les guerres alors étaient sans fin, et les Anglais ne suffisaient pas à son humeur batail- leuse. Couronné roi de Sicile par le pape, le 23 février 1382, il vole à la conquête de son nouveau royaume, et y meurt au retour (21 septembre 1384). Son fils, Louis Il, recueille la succession et tous les dangers qu’elle comporte; mais Angers devient sa capi- tale, sa résidence accoutumée et de prédilection. Il fait son palais du château. C’est là que naissent ses enfants, élevés et nourris avec le dauphin, fils de Charles VI, qui devient Charles VII. Louis II meurt en 1417. Cest le moment de la lutte suprême, de la plus extrême détresse. Charles VI meurt fou; Isabeau, sa femme, a renié son fils et livré la France à ses ennemis, et pendant ce temps, Agnès Sorel captive, à Chinon, 1 Péan de la Thuïlerie, p. 169, 343. — 148 — lindolent dauphin, que par dérision on appelle roi de Bourges. C’en est fait : la France est anglaise, et Henri VI est proclamé roi dans Paris même, lorsque, aux fron- tières de Lorraine, une bergère obéit aux voix du Ciel. Jeanne quitte ses troupeaux, monte à cheval, entraîne derrière sa bannière l’armée découragée, délivre Orléans, et conduit iriomphalement à Reims son gentil dauphin, qu’elle y fait sacrer roi de France sous le nom de Charles VII. Notre duc René, qui avait succédé à son frère aîné, Louis III d'Anjou, est présent à cette fête et présente ses hommages au nouveau monarque. Les lugubres années que nous indiquons à grands traits sont celles aussi du grand schisme d'Occident. Sous son influence, les mœurs et la discipline du clergé se relâchent ; le chapitre de notre cathédrale échappe à l'autorité de son évêque. Les collégiales et les abbayes abusent de leur autorité contre leurs vicaires perpé- tuels. Et cependant Angers n’est point indifférent aux angoisses de la chrétienté. Dés 1394, Hardouin du Bueil, évêque d'Angers, accompagné de Jean de Cherhaie, doyen du chapitre, assiste au concile national de Paris. Aux conciles de Bâle et de Florence, le clergé et l’Uni- versité sont représentés par Matthieu Ménage, maître ês-arts, docteur en théologie, recteur de l’Université ; Jean Bohale, professeur de droit civil et de droit canon; Jean Besnard, archidiacre, doyen de Saint- Maurice, professeur de droit à l’Université. Ce dernier, distingué par le pape Eugène IV, est nommé à l’archevêché de Tours. Métropolitain de la province, il prend à cœur la réforme d’un clergé dont il — 149 — connaît les vices. En 1448, il convoque un concile à Angers, et impose à ses anciens confrères du chapitre de Saint-Maurice de sévères règles de discipline. C’est en ces temps que René d’Anjou prenait posses- sion de son duché. Aucun de nos comtes, aucun de nos ducs n’aima plus les Angevins et ne fit plus pour eux. Le château, Reculée, la Baumette le voyaient tour à tour ; son peuple était de sa famille. Il avait alors pour maître d’hôtel Pierre Louet, venu de Provence, chef de la grande famille judiciaire et mu- nicipale des Louet, que Ménage qualifie de première famille patricienne d'Angers. Son hôtel aux Halles, au milieu de la place, fait encore aujourd’hui ladmira- tion des amateurs du beau style et des souvenirs histo- riques. Cest aussi leur chapelle qu’au plan de notre église nous voyons au bas de la nef. _ James Louet, fils de Pierre, conseiller du roi de Sicile, trésorier général d'Anjou, devient président de la Chambre des Gomptes, aux magnifiques appointements de 300 livres, égaux à ceux du gouverneur du chä- teau. Le deuil et la douleur de René d'Anjou à la mort d'Isabelle, sa première femme, sont devenus légen- daires. Mais son union à Jeanne de Laval le transforme soudain et lui rend le bonheur. Angers tout entier doit partager l'ivresse de sa joie. Les fêtes les plus brillantes sont ordonnées et des deniers sont baillés, disent nos archives municipales, pour cause de la venue et nou- velle entrée de la royne de Sicile. Des artistes sont commandés pour faire certains per- sonnages et mystères, « pour faire jouer aulcuns esbate- ments en manière de farce. » — 190 — C’est encore la place des Halles qui sera le lieu pri- vilégié de ces représentations. Un théâtre, que nous aurons bientôt occasion de décrire, est dressé dans la partie inférieure, adossé au boulevard Saint-Serge, au- jourd’hui à la place et dans le voisinage de la maison Beaussier. (C’est l’origine de nos mystères, qu’en quelques années nous verrons si brillants. Dés 1456, est inaugurée la grande scène de la Résurrection, reproduite plus splendidement les lundi et mardi qui suivent le Sacre de 1461. C’est le premier grand poème que nous y voyons figurer. Il est l’heureux prélude du fameux mystère de la Passion du docteur Jean Michel. Le roi René comptait bien finir ses jours à Angers et y reposer aux côtés de ses ancêtres, dans le chœur de notre cathédrale. Un autre sanctuaire toutefois parta- geait son affection, c'était celui des Cordeliers. Son pêre, Louis IT, l’y avait conduit enfant, et c’est en cette mémoire qu’on le trouvait reproduit dans les vitraux du chœur, accompagné de Yolande, sa femme. Cest dans cet oratoire de prédilection que René connut saint Bernardin, dont il fit son confesseur. La mort le lui ravit, mais ayant poursuivi et obtenu sa canonisation, il adjoi- gnit, en son honneur, à l’église du couvent, une ma- gnifique chapelle destinée à recevoir, lors de son trépas, le mausolée de son cœur. Je laisse Bourdigné nous ins- truire de ces faits (Ile vol., p. 194) : « En ce temps, trespassa de ceste mortelle vie à la gloyre éternelle, le bienheureux père monseigneur sainct Bernardin, religieux de l’ordre de monseigneur sainct François, aagé de soixante et trois ans, lequel en son temps fut esleu évesque de trois éveschez, lesquels le — 151 — bon homme reffusa et fut inhumé en la ville d’Acquille, en ung couvent de son ordre. Ce benoist et glorieux saint, dès son vivant, resplendissait de saincteté et mi- racles, par quoy le très-illustre prince René, roy de Sicille et duc d'Anjou, le révérait et aymait de cordialle amour, et le choysit pour son confesseur et docteur, auquel il révélait tous les secrets de sa conscience. Et pour ce, en l’an mil quatre cent cinquante, iceluy roi René, impétra du sainct père Nicolas, pape du nom Vme, le dict sainct Bernardin estre canonisé et escript au nombre et cathalogue des saincts du paradis. Et depuis en l'honneur de luy fict au couvent des Corde- liers d’Angiers une magnificque sumptueuse et irès plaisancte chapelle en laquelle il mict et donna plusieurs beaulx dons et reliquaires, et ordonna que après son trespas son cueur y fust mis en sépulture. Et encore de présent peult on lire en icelle chapelle plusieurs beaulx dictz de la Passion de Notre-Seigneur, que le bon roy René composa et fict engraver. » La chapelle de Saint-Bernardin, nous dit Bruneau de Tartifume, s’ouvrait à droite de l’église principale, à la suite de celle de Craon. Cette chapelle était ornée de trois autels surmontés de vitraux peints et huit anges sur les murs d’alentour. Les trois autels étaient dédiés à la sainte Vierge, à saint Antoine et à saint Nicolas. Chacun de ces autels était surmonté de trois statues qui, sous leurs attributs, représentaient les person- nages de la famille. La sainte Vierge, c'était la reine Marie d'Anjou, femme de Charles VIT, ayant à ses côtés un ange, sous les traits du jeune duc René, mort enfant, et saint Bernardin, le confesseur du roi de Sicile. Saint — 152 — Antoine était accompagné de saint Michel et saint Charles. Saint Antoine, c'était Antoine, fils de René ; saint Michel était Louis III, son frère aîné ; saint Charles, Charles, comte du Maine et de Mortain. Saint Nicolas avait à ses côtés saint Jean et sainte Yolande. Saint Nicolas était Nicolas de Calabre; saint Jean, Jean de Calabre; sainte Yolande, Yolande, fille de Jean de Calabre. Dans les vitraux étaient peints le roi René et ses deux femmes, Isabelle de Lorraine et Jeanne de Laval, entourée de ses enfants, Jean de Calabre, Yolande de Landemont et Marguerite, qui devint reine d'Angleterre. Tous ces personnages étaient à genoux, surmontés de scènes reproduisant les miracles opérés par saint Bernardin. Chacun des huit anges portait à la main un instru- ment de la Passion. Le lambris de la chapelle était orné des blasons de René d'Anjou et de Jeanne de Laval. CHAPITRE V. COMMUNE DANGERS. Pour l'intelligence de mon sujet j’ai dû, malgré les limites de mon cadre, parler de la maison d’Anjou- Sicile et la faire connaître. Je ne puis encore, en abordant la Commune, me dispenser d’en décrire l'institution ; car rien n’est plus connexe que la paroisse et la Commune. — 153 — La paroisse est, en effet, une fraction de la Commune, et la Commune, l’agglomération de paroisses préexis- tantes. Nous constatons en outre que, sous l’ancienne mo- narchie, les intérêts civils n'étaient point séparés des intérêts religieux ; que les paroissiens étaient les admi- nistrateurs nés et naturels des uns et des autres; que les municipalités n’ont été constituées qu’à la fin de 1792, lors de la fermeture de nos églises; et qu’enfin, dans les rares villes du royaume pourvues de fran- chises communales comme notre ville d’Angers, les paroisses n’avaient point abdiqué leurs prérogatives. Si, en effet, les communes avaient un privilége admi- nistratif qui leur était propre, outre l'esprit religieux qu’elles recevaient des paroisses, dans toutes les ques- tions vitales de l’ordre civil, celles-ci étaient consultées avant tout et c’étaient leurs décisions qu’on sanction- nait au Corps de Ville. La Commune, à ce double point de vue, a un intérêt tout paroissial ; mais Saint-Michel- du-Tertre en a un troisième qui lui est particulier. Je dois rappeler qu’incessamment il doit devenir la pa- roisse de la Mairie, qui se bâtira sur son sol, au seuil même de son église; que les maires y feront baptiser leurs enfants et s’y feront enterrer; que dans la partie la plus apparente, dans un banc spécial, on les verra, entourés de leurs échevins, donner aux offices parois- siaux l'exemple de l'assistance et de la bonne tenue. Toutes ces raisons ne peuvent me laisser muet dans la circonstance. Je reprends donc mon récit, certain, Messieurs, de votre approbation. — 154 — Le régime de la maison d'Anjou, qui se personnifie principalement dans le roi René, fait époque en notre histoire locale. Aucune dynastie n’en égala le prestige. Branche cadette de la maison royale de France, elle n’avait cessé depuis son origine de vouer à son aînée une intimité qu'égalaient seuls son respect et ses ser- vices. Nous nous rappelons Louis Ier aux ordres de Charles V son frère ; toujours en lutte, toujours en mouvement, pour lui assurer la couronne sur la tête. Nous voyons Charles VI au lit de mort de Louis Il, nous le retrouvons en notre cathédrale aux obsèques du même personnage. Charles VIT est élevé au château même d'Angers avec ses cousins. Îl y épouse Marie d'Anjou, sœur du roi René, et de ce fait ce dernier est l’oncle du roi Louis XI, issu de ce mariage. Sous de pareils auspices, un avenir indéfini de par- faite entente semblait garanti. Et cependant cette belle harmonie touche à son terme. Le fils, qui s’est révolté contre son père, le Dauphin qui s’est armé contre son roi, ne pouvait reculer devant l'appétit de dépouiller un oncle, son vassal. Nous avons vu Charles V, au début de son pouvoir et encore dauphin, faire appel au bas peuple; lui don- ner son rang aux grands conseils de la nation dans l’Assemblée des État-Généraux du royaume. C’est cette même voie que va suivre Louis XI. L’étranger, il est vrai, ne foule plus le sol de la patrie. Il a été re- poussé et la mer nous sépare du domaine des héritiers de Rollon, de Guillaume-le-Bâtard, de Henri Planta- — 155 — genêt. Mais au cœur même de la France, espacés çà et là, se rencontrent encore de grands et puissants vas- saux qui présentent au roi un front redoutable, une attitude, si ce n’est menaçante, au moins indépen- dante. Charles de Bourgogne trouve de l’écho en Bre- tagne. Louis XI, jaloux, à juste titre, de son autorité, avait la conscience de ses droits. Il a juré de détruire ses rivaux. Il ne veut plus de barrières entre lui et son peuple. Il préfère armer et anoblir les bourgeois des villes qu’il croit pouvoir enchaïner pour toujours à son autorité. Dans cette entreprise, toutefois, il n’a pas oublié les dangers courus à Péronne. Son épée n’a plus sa con- fiance. La patience, la ruse, la dissimulation, la dupli- cité même quelquefois, sont les armes qu’il emploie. Il s’entoure de lieutenants, de tacticiens qu’il appelle ses compères. Îl dresse avec eux ses plans, qu’il pour- suit avec autant d'adresse que d’audace et de tenacité. Voyons-le à l’œuvre en notre Anjou. Dés le début de son règne il convoite cette province. Dans ce but, en vue de succession naturelle, il veut ma- rier sa fille Anne, encore au berceau, avec Nicolas, fils de Jean de Calabre et petit-fils de René. Mais la mort lui enlève Nicolas et l’oblige à trouver d’autres moyens. En 1464, il vient à Angers, et sous prétexte d’une visite à son oncle, il prépare son plan. Il y avise deux compères, Jean Balue, trésorier de l’Eglise d'Angers, et Jean Bouré, fils d’un bourgeois de Châteaugontier, qu'il fait seigneur du Plessis-Bouré. — 156 — Jean Balue, à l’école de son royal maître, ne tarde pas à se distinguer. Il est le protégé de l’évêque de Beau- vau. Îl renverse son bienfaiteur, monte sur son siége et est fait cardinal de la sainte Église romaine. Ces deux personnages, Jean Balue et Jean Bouré, enlacent tellement de leurs intrigues le pauvre roi René que, en 1471, ils le forcent à s'éloigner d’An- gers, séjour si manifeste de sa prédilection. René quitte son vieux château, berceau de son en-. fance, ses ermitages de Reculée et de la Baumette, son castel de Baugé, les tombeaux de ses aïeux et d’Isa- belle, sa première femme, en notre cathédrale, la cha- pelle Saint-Bernardin aux Cordeliers. Il s’en va en Provence, dans la ville d'Aix, finir des jours empoison- nés, et là encore l’impitoyable mort fauche autour de lui tous ses enfants. Il ne lui reste plus qu’un petit-fils de son nom, qu’il fait duc de Bar. Il avait toutefois près de lui un neveu, fils de son jeune frère, nommé Charles, comme son père d’adop- tion. À défaut d’héritiers directs, les droits de famille semblaient faire à René d'Anjou une loi de créer à son neveu une part dans sa succession. Il voulut donc lui léguer de son vivant l’Anjou et la Provence, et c’est ici que l'attend Louis XI. C’est ce fait qu'il prétend incriminer comme attentatoire aux droits de la Couronne et devoir empêcher en s’assurant brusquement et sans retard de la possession de notre Anjou. Chose curieuse, c’est sans armée qu'il va faire cette conquête. Suivons-le dans cet habile coup de main. Personne ne l’a mieux décrit que Guillaume Oudin, prêtre-sacriste du Ronceray d'Angers. Je ne puis donc — 157 — mieux faire que de reproduire textuellement son récit” Oudin d’ailleurs nous appartient : c’est un enfant de notre paroisse, né au faubourg Saint-Michel, qu'habi- tait sa famille. Louis XI connaissait Behuard. Son sanctuaire avait toutes ses affections. En juillet 1474, sous prétexte de dévotion , il s’y rendit. « Et le jeudi 21 de ce mois, jour (( AVR A RU LAN AREA CASA MAN A) Re. A A RAR 2 de saint Serin, dit notre chroniqueur, le roi envoya en ceste ville d’Angiers, un nommé Guillaume de Cérizay, l’an des secrétaires du roi notre sire, avec trois de ses chambellans dessus dits, lesquels chambellans dirent et signifièrent à messieurs les chancelier, sénéchal, juges d'Anjou, et autres sieurs de ceste ville, qu'ils avaient des lettres de créance, de par le roi notre sire à MM. de l’Église, noblesse, bourgeois, marchans et aultres; et laquelle chose fut faite le vendredi prochain en suivant, et le jour sainte Madeleine. Les dits seigneurs de l'Eglise et tous les principaux de ceste dite ville d'Angers, bien assemblés dans le pa- lais d'Angers, arrivèrent et vinrent les dits Cérizay et chambellans, lesquels Gerizay et chambellans présen- tèrent publiquement ladite lettre de créance à mon dit sieur le sénéchal et aultres dits. « Et après que la lecture d’ycelles lettres fut faite, le dit Cérizay parla et allégua plusieurs choses en disant qu’il avoit essé au roy notre sire, que le roy de Ci- cile s’estoit démis et avoit donné à M. le comte du « Maine, son neveu, le duché de Calabre et plusieurs « aultres duchés, villes et seigneuries, et que le roy ne ( savoit si le roy de Cicile feroit ainsi de ce duché « d'Anjou et comprend qu’il ne le pourroit faire; car il — 158 — « avoit autrefois esté baillé en apanage et autre, et dit « le secrétaire que la ditte ville et noble pays d'Anjou « avoient toujours esté bons et loyaux à la couronne de « France, comme avoit apparu à Baugé, à la Gravelle « et autres lieux ; et finalement concluoit que si le roy « de Gicile ne faisoit aulcuns dons, legs et transport, € que notre sire le roy le pouvoit débattre et empêcher «et sauver à la couronne, à laquelle couronne et « royauté les dits duchés de Calabre et autres apparte- «noïent, et qu'il vouloit bien savoir si les dits sieurs «de la dite ville lui tiendroient bon. Car si autrement « le cas y advenoit, notre sire le roy le débatteroit par « armes ou par justice. Combien qu’il aimeroit mieux « le débattre par justice que autrement. « Et alors tous incontinent le dit Gérizay et cham- « bellans se retirérent à part, afin que la ditte ville eust «esgard et advis pour donner la réponse sur ce fait et « brièvement. « Les dits sieurs et peuple en la ditte ville firent dire « publiquement par mon dit sieur le chancelier d’An- « jou, lequel dit et donna la réponse audit messire Guil- « laume de Cérizay et autres chambellans sur ce appe- « lés, pour avoir et ouyr réponse de ce fait, dont le dit « sieur et peuple de la ville d'Angers tous en général pro- « mirent dévoument et toujours vouloir servir le roy de « corps et de biens jusqu’à la mort. Et plusieurs grands « seigneurs et gens de bien de la ville et pays d’Anjou « rendirent grâce au roy des bonnes souvenances du « temps passé du pays d'Anjou, et le dit de Cérizay dit « de par le roy que lui venant du véage de Béhuard « en ceste ville, il leur donneroit ce qu’ils voudroient — 159 — « lui demander. Et le jour saint Jacques et saint Chris- « tophe, qui est quatre jours après, quand notre sire le « roy fut venu de Béhuard au chasteau d'Angers, ïes « dits sieurs et autres gens de la ditte ville et pays d’An- « jou allèrent de vers lui, lequel les reçut et ouyt très « bénignement, et demandèrent au roy qu’il lui plüt leur «abattre et leur ostér les impositions de ceste ditte « ville et duché d'Anjou, et aussi qu’il leur donnât « congé d’avoir Maison de Ville, c’est à savoir : maire « et eschevins. Laquelle demande et requeste le roy « leur octroya ainsy que deux foires. » En consécration de ce grand événement, des lettres- patentes en forme de charte, portant la date : février de l'an de grâce 1475, sont octroyés et formulent « les « priviléges, prérogatives, franchises, libertés, exem- « ptions, justice, juridiction et autres prééminences « données, concédées et octroyées par le roy aux maire, « eschevins, conseillers, gens d’église, recteur, docteurs, « régents, escoliers, suppois, bourgeois, marchans et « tous autres manans et habitans de ville et cité, faux- « bourgs et quintes d'Angers présens et à venir, et ce « comprins le Pont de Sée ‘. » Les Archives de la Mairie d'Angers possèdent deux exemplaires originaux de cette charte de fondation, re- vêtus tous les deux de la signature autographe de Louis XI. La constitution primitive portait création de : Un maire, dix-huit échevins, trente-huit conseillers, quatre clercs, à l'élection libre pour trois ans. y Archives municipales AA I, — 160 — Les deux foires, fixées aux 29 août et 12 février, doivent être de huit jours. : La Mairie d'Angers comportait privilége de noblesse avec droit de posséder terres et fiefs nobles, de monter le guet aux portes de la ville au moyen d’une garde urbaine. Le maire était en outre juge souverain de police sur tous les habitants d'Angers et des Ponts-de-Cé, et ses arrêts ne relevaient que du Parlement. Tout règlement de pavage et de voirie lui appartenait. Louis XI ne quitta pas Angers sans avoir établi la première municipalité, et Gérizay fut nommé maire à vie. Ce personnage avait trop la confiance de son maitre ; il avait d’ailleurs trop bien mérité dans la cir- constance pour n'être pas imposé contrairement à tous les priviléges de la charte. Parmi les échevins de première création, nous trou- vons un nommé Barrault, receveur des tailles et aydes, Jean Bernard, maître des comptes. Jean Belin et Pierre Guyot furent nommés conjointement lieutenants géné- raux de la Sénéchaussée. Habilement conduit et rapidement exécuté, ce coup de main de Louis XI ne rencontra pas d'opposition. Chez les plus courageux, la stupeur et la crainte paralysaient toute protestation, tout témoignage de fidélité au bon roi René, dont la mémoire était pourtant respectée et vénérée de tous. Mais Louis XI éloigné, l'explosion se produisit sou- dain avec énergie, tant de la part du clergé que de celle de l’Université et des gens de justice. À la tête du mouvement, nous irouyons Louis Lico- — 161 — reau, docteur-régent, Jean Leloup, avocat fiscal du roi de Sicile, Jean Gilbert, Germain Colin. Is renversent le nouveau pouvoir et proclament celui du roi René. Mais Cérizay, qui avait suivi son maître, revient en toute hâte. La force en main, il s'empare des meneurs, les déporte au loin, oblige en outre tous les Ordres du clergé à venir prêter serment de fidélité au roi de France, et pour être irrévocable, ce serment dut être donné sur la croix de Saint-Laud. L’énergique répression produisit son effet. Tout plie, toute résistance disparaît, tout rentre dans le calme; mais la haine contre le dictateur reste au fond de tous les cœurs, et quand, trois ans plus tard, de nouvelles élections semblérent autoriser un souffle d’indépen- dance il fallut, pour la comprimer, l'énergie de Jacques Louet, Adam Furnie, Auger de Brie, commissaires royaux, assistés pendant trois mois du prévôt et de ses maréchaux. René, lui aussi, du fond de la Provence, faisait en- tendre à tous les souverains les échos de ses plaintes, et revendiquait son duché d’Anjou. Il connaissait son neveu. Îl savait que si l'honneur le touchait peu, il étail sensible à l’intérêt. Il menace de livrer la Provence à Charles de Bourgogne, cet adversaire si redouté du roi de France. Ce moyen réussit. Louis XI, effrayé, pré- sente des excuses et propose une entrevue, dans la- quelle il donnera satisfaction. C’est à Lyon qu’il attend son oncle. René s’y rend. Fêtes, amitiés, caresses, tout est prodigué au bon vieux duc. Son Anjou lui sera rendu, mais il en devra l’héritage au roi de France SOC. D’AG. 15 — 162 — ainsi que de la Provence. La Commune et la Mairie d'Angers seront ratifiées, et Cérizay sera maintenu dans son pouvoir. Ces conditions acceptées, des commis- saires sont désignés pour sanctionner à Angers même cette convention et y restaurer l’autorité du vieux duc. Cest pour René d'Anjou, l'archevêque d’Aix, Benja- min Leroy, chancelier de Provence, qu’assisteront les écuyers Jarry et Jouet de la Salle ; pour le roi de France, Jean Fourgère, seigneur du Parlement. En conséquence, « le mardi 6 juillet 1476, aprés diner, les députés ci-dessus désignés arrivèrent au fau- bourg de Bressigné d'Angers, et logèrent en la maison et hôtelerie de la Croix-Verte, auquel de Fourgère, le roy notre sire, donna plein pouvoir, quittance, autorité, commandement de sa part et pour lui, de remettre et réintégrer le pays d'Anjou aux mains du dict roy de Sicile, lequel lui avoit été osté auparavant » *. Cette restitution opérée, les commissaires de René d'Anjou confirmérent, au nom de leur maître, le pou- voir municipal d'Angers. La Mairie constituée, il lui fallait un hôtel, un palais municipal, à la double destination d’une Chambre de Conseil pour son administration, et d’une Maison com- mune pour ses habitants. Les Halles avaient seules alors le caractère d’édifice communal. Mais nous connaissons leur destination et la multiplicité des services qui s'y trouvaient groupés. Comment y joindre encore la Maï- rie, qui d’ailleurs avait besoin d'isolement? Ce lieu ne pouvait convenir au dictateur angevin. Il avait besoin 1 Mémoires de Guillaume Oudin. 4e de surveiller la forteresse de ces fougueux chanoines si peu dociles aux ruses et visées du roi Louis XI. C’est donc à leur porte, au bas de leur rempart, en atten- dant meilleur emplacement, qu’il va se camper. Nous nous rappelons nos deuxièmes enceintes sou— dées au château vers le port Ligny et longeant les rues Poissonnerie et Valdemaine. Au bas de la rue Baudrière, vis-à-vis les Grands - Ponts, elles sont percées d’une porte, dite Porte Chapelière. Ses fondements, mis à nu, dans un remaniement de chaussée, ont été constatés, 1l y a quelques vingt ans, en face de la maison Pouplard. Avant sa démolition, une grande chambre recouvrait l’arcade du porche avec escalier pratiqué au jambage. C’est ce simple et primitif local qui constitua notre premier Hôtel-de-Ville. C’était le palais de Cérizay, et c’est dans cette grande chambre qu’il présida les pre- mières assemblées municipales de la cité angevine. Le roi René ne survécut pas longtemps à ces événe- ments. Il ne revit pas son Angers et mourut à Aix le 10 juillet 1480, instituant Jean Binel, juge d'Anjou, pour son exécuteur testamentaire. Par les soins de sa femme, Jeanne de Laval, ses restes mortels nous furent rapportés pour être déposés, son corps au chœur de la cathédrale, son cœur aux Corde- hers, chapelle Saint-Bernardin. Ce fut le vendredi 31 octobre 1480, nous dit Péan de la Thuilerie, que se fit la translation solennelle du cœur de la cathédrale aux Cordeliers. Les docteurs de l’Uni- versité, nous dit-il, eurent l'honneur de le porter dans ce convoi, auquel assista le Chapitre de la cathédrale. Les Chapitres de Saint-Laud et de Saint-Martin y mar- — 164 — chèrent pareillement, aussi bien que les religieux des abbayes de Saint-Aubin, de Saint-Serge et de Saint- Ni- colas. La messe de service fut célébrée aux Cordeliers par le doyen de la cathédrale. Deux chanoines de la même église firent fonction de diacre et de sous-diacre. Après la messe, le cœur fut mis dans un mausolée, sur lequel on voit l'inscription qui suit : Ci gît Le cœur de très-haut et très-puissant roi René, de Jérusalem, duc d'Anjou et de Bar, comte de Provence, lequel trépassa dans la cité d’Aix, audit pays de Pro- vence, l’an 1480, 10 juillet, lequel fut très-honorable- ment mis en sépulture en l’église Saint-Maurice d’An- gers en l’an suivant ‘. En vertu des conventions spéciales que nous connais- sons, Louis XI est l'héritier et le successeur de René dans le duché d'Anjou; aussi, pour éviter à ce sujet tout conflit, il se hâte d’en prendre possession effective en députant, nous dit Oudin, M. de Maillé et autres grands seigneurs pour prendre possession et saisie de la Chambre des comptes et du change d'Angers. L’im- pôt de la cloison, qu’elle percevait, fut donné à ferme à Jean Fallet, échevin et prévôt de la Monnaie, pour une somme annuelle de 2,000 livres. Si le régime communal et son pouvoir municipal étaient sympathiques aux Angevins, la personne de leur premier maire leur devenait plus odieuse de jour en jour. On avait en souveraine répulsion ce spoliateur du 1 Péan de la Thuïlerie, pages, 174-175. — 165 — roi René, cet exécuteur des hautes œuvres du maitre, cet étranger imposé en dépit de leur charte. Mais si on craignait les violences de Cérizay, on re- doutait bien autrement les vengeances de ce roi taci- turne et sombre de si triste mémoire. On comprimait donc ses plaintes et l’on obéissait, la rage au cœur. Quand en 1483, se répand le bruit de la mort de Louis XI, l'explosion de haine et de réprobation éclate soudain. Cérizay est saisi et chassé impitoyablement. On sollicite et on obtient du jeune Charles VIII le droit d’élire son successeur, et de plus, une charte modifiée autorisant : A0 Au 1er mai, l'élection annuelle d’un nouveau maire à pouvoir ainsi limité; % Le nombre des échevins réduit à quatre; 3° Celui des conseillers à vingt. C’en est fait, la Commune est fondée sous l’adminis- tration d’une mairie élective. C’était alors un privilége considérable que celui d’être affranchi de tout vasselage, de tout service, de toute redevance féodale, de s’appar- tenir, de s’administrer librement, quand autour de soi tout payait de sa personne ou de ses biens. Les comtes, les ducs de la province n’étaient pas les seuls seigneurs. Les abbayes, les chapitres avaient, eux aussi, un pouvoir féodal, une justice, une prison. Louis XI, par son institution, fit table-rase de tout pou- voir intermédiaire. À l’égal des plus puissants seigneurs, des plus hauts justiciers, la Commune ne releva que de la couronne. Nous verrons sans doute, à côté des gou- verneurs apanagistes, des lieutenants du roi en rési- dence au château; mais ces personnages, quoique re- préseniants du souverain, n'auront jamais d’ingérence — 166 — dans l’administration communale. Nous rencontrerons des abus d'autorité, mais le principe du pouvoir muni- cipal sera respecté. La Mairie aussi est constituée. Elle a l'élection. pour base, la noblesse pour privilége, le pouvoir royal et la conscience religieuse pour correctifs. Sont électeurs du maire : les échevins, les conseillers municipaux , les délégués des corporations, savoir : deux de l'Église d'Angers, deux de l’Université, deux du Présidial, deux du Barreau d'Angers, deux de chacune des paroisses, lesquels sont élus eux-mêmes en assemblée générale. La noblesse d’échevinage ne sera pas sans grandeur. Des fondaiions de toute sorte, rencontrées à chaque pas, des dévouements à la mesure des fléaux qui se produiront illustreront nos maires. L'institution communale eut pour conséquence de modifier d’une façon radicale la constitution de nos paroisses. Les abbayes et les chapitres, fondateurs et premiers curés, en étaient, en outre, les seigneurs féodaux au double titre de décimateurs et concessionnaires fon- ciers. Mais présentement, par cela que les paroisses sont les fractions d’une commune franche, elles deviennent franches elles-mêmes dans leur vie civile. Elles ac- quiérent le droit de posséder et de s’administrer ; et alors une scission d'intérêts se produit entre elles et leurs seigneurs. Les curés primitifs, les fondateurs gardent : 4° Les dimes de première assiette ; 90 La présentation de leur vicaire perpétuel, le curé de fait ; 30 L’honneur d’officier à la fête du patron; — 167 — 4 Le droit d’assistance et d’escorte de la paroisse à leurs processions. La paroisse affranchie obtient en revenu propre : 10 Les menues dixmes de récente création, dites no- vales pour cette raison; 2° Les donations à charge de fondations de prières ; 8 Les droits de place à l’église ; 4 L'ancien fouage ou casuel funéraire. Ainsi modifiée , la paroisse devient essentiellement démocratique. Toutes ses affaires civiles ou religieuses se traitent en assemblée générale des paroissiens. Ces assemblées sont annoncées au prône le dimanche pré- cédent et convoquées au son de la cloche. Tous les fonctionnaires, prêtres ou laïcs, le curé excepté, sont à l’élection. Toutefois, une administration devient nécessaire. C’est la raison des fabriques et des marguilliers. Mais des instructions leur sont prescrites, et un compte annuel des deniers, dont ils sont respon- sables, doit être présenté. C’est ainsi que la paroisse complète la commune el s’harmonise avec elle. Ses délibérations , transmises au Corps de Ville, font l’objet d’arrêtés communaux. Les agitations politiques que nous venons de racon- ter n'étaient pas les seules entraves de ce temps. Le dio- cèse subissait aussi dans sa direction les plus fâcheuses perturbations. Nous avons vu le cardinal La Balue renverser Jean de Beauvau et monter sur son siége. Il était déjà évêque d'Evreux, abbé de Fécamp et de Saint-Ouen. Il cumule — 168 — toutes ces charges et accepie en plus les fonctions poli- tiques les plus variées. En 1469, il tombe en disgrâce et est enfermé pen- dant de longs jours dans une cage en fer du nom de Fillette. Louis XI voulait le remplacer par Auger de Brie, cet autre compère, que nous avons vu soutenir si ardemmént le pouvoir de Cérizay. Rome résiste dans la sanction de ce caprice royal. Beauvau rentre à Angers, mais est paralysé par le mauvais vouloir de son chapitre. Il meurt à Éventard le 23 avril 4479. Auger de Brie intervient comme administrateur jus- qu’à la mort de Louis XI. Balue rentrant alors d’une façon triomphale, est introduit à nouveau dans sa cathédrale sur les épaules de ses barons. Il s’en va mourir à Rome en 1491, et est remplacé par ua cour- tisan de Charles VIIE, Jean de Rély, qui suit son souve- rain dans toutes ses excursions. Pareilles agitations ne peuvent manquer de compri- mer l’essor paroissial. Nous aurons souvent peine à le suivre, dans son développement, au cours du xvie siècle. Il nous faut attendre les années de calme du règne de Henri IV pour rencontrer cette touchante et magnifique constitution de la paroisse de Saint-Michel- du-Tertre, rédigée en entier de la main du grand Ayrault, président du Présidial et maire d'Angers. Nos chroniqueurs et nos archives combleront quelque peu cette lacune. — 169 — CHAPITRE VI. LES MYSTÈRES D’'ANGERS. Du jour de la création de la Commune d’Angers, je rencontre dans les Archives municipales, au profit de l'historique de la paroisse Saint-Michel-du-Tertre, un foyer de lumière qui n’est pas sans écueil. Si, en effet, la vie commune des deux institutions (la Commune et la Paroisse) me fait un devoir d’en user, mon programme restreint me commande en cette voie la sobriété et la discrétion. Tous mes efforts tendront à demeurer dans la li- mite des lieux que je décris et du sujet que je traite. Le 4 mai 1484, au suffrage universel de tous les ha- bitants, avant même la ratification de la charte de Charles VIE, Guillaume de l’Espine, sieur de Beauchesne, échevin de première créalion, était élu maire d’An- gers. En don de joyeux avénement, il gratifia ses conci- toyens d’un nouveau palais muuicipal. A cet effet, il afferma l’hôtel Godeline, situé rue du Grand-Talon, aujourd'hui pension Chevrolier el qui alors apparte- nait à l’évêque de Nantes. Puis, à l'exemple de son prédécesseur, il alla faire sa cour à son souverain. Des séductions l’y attardèrent, paraît-il, et ses concitoyens, mécontents de son absence, lui donnèrent un succes- seur au ÎeT mai suivant, dans la personne de l’échevin Jean Bernard, dont l'habitation joignaït le couvent des — 170 — Cordeliers. La condition d’élection, tacite au moins, était que Bernard ne quitterait pas Angers et qu’il s’occuperait exclusivement des intérêts de la cité. Il tint parole et en fut récompensé par une succession d’élections à la même dignité les années suivantes. On comprend toutefois que limitée à une année, Védilité angevine avait besoin d’une adoption de pro- jets d'ensemble que devaient accepter les successeurs. C’est en effet ce qui se produisit. Les figures se rem- placent, disparaissent même; mais les idées se trans- mettent et les plans se réalisent. Un fossé intérieur est creusé entre les portes Saïnt- Michel et Saint-Aubin *. Le pain, cet aliment de première nécessité, est taxé, et les boulangers convoqués, reçoivent l’ordre d’appro- visionner Suffisamment et régulièrement « la grande Chambre qui est ordonnée à la place Neuve pour vendre pain *. » Des métayers sont requis d'amener en ville du bois de chauffage « tant d’emprès le Bois l’Abbé que près la Haïe-aux-Bons-Hommes *. » Trés-resserrées dans les premières enceintes, les rues d'Angers étaient trés-étroites, mal alignées, tortueuses, boueuses et malsaines. Dès 1480, nous lisons cette prescription du maire : « Quand on besongne un édi- fice, on se retire de-demi-pié et trois doits *. » 1 Mémoires de Guillaume Oudin. 2 Jbid., BB I, fol. 85. 3 Ibid., BB fol. 1. * Archives municipales, BB, 1, fol. 72. — 171 — Les grands travaux de pavage commencent et vont se poursuivre de longues années ‘ Des chaînes rivées aux entrées de chaque rue, les ferment aux heures du repos *. La nuit, des crieurs de patenôtres parcourent la ville, annoncent les heures, signalent les dangers. On termine, Chaussée Saint-Pierre, la construction des grandes Ecoles *. On édifie, place des Halles, le: fameux théâtre des Mystères. Ce fut, en effet, au mois d’août 1486 que fut joué à « Angiers moult triomphalement et sumptueu- ment le Mistère de la Passion de Nostre Seigneur Jésus- Crist, avecques les addicions et corrections faites par très-éloquent et scientifique docteur maistre Jehan Michel. » Trente ans plus tôt, nous l’avons vu, sur les ordres du roi René, les artistes Lemercier, Duperray, Daveluys, Hurion, etc., avaient, à la Pentecôte 1456, inauguré l’idée par la représentation du Mystère de la Résurrec- tion. Les Angevins avaient pris goût à ces fêtes, qui produisaient de véritables enthousiasmes et auxquelles tout le monde contribuait *. __ L'échevin Jean Michel, docteur-médecin du roi de France, régent de l’Université d'Angers, chef des ser- vices de santé de la ville, était encore, et surtout, le plus grand et le plus brillant poète dramatique 1 Archives municipales, CC 5. 2 Jbid., BB 2, fol. 29. ê Mémoires Oudin. * Inventaire des archives municipales, par M. Port, docu- ments, p. 349. — 172 — du temps. Il eut l’idée de mettre en vers et en scène la Passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ, mais par extension, il la fait comrnencer à la crèche de Bethléem pour la terminer au Golgotha. C’est tout l'Evangile en action. Le drame est en vers du temps, avec ampleur et va- riété de scènes. Toutes les populations de la ville et des environs accoururent pour jouir d’un spectacle sans pareil. Des mesures extraordinaires de police furent décrétées. Les personnages les plus recommandables devinrent acteurs. Commencé le dimanche, le spectacle ne se termina que le vendredi suivant. L’enthousiasme fut extrême et la scène fut repro- duite sur plusieurs points. Huit éditions du poëme furent enlevées par les contemporains. La Bibliothèque en possède un curieux exemplaire annoté. Le théâtre, nous dit Grandet, était édifié au bas de la place des Halles, vers Boisnet, contre le boulevard de Saint-Serge, au dedans de la ville, où était autrefois une grande plate-forme de terre. Il y avait alors dans la place publique de grands échafauds de charpente à trois étages couverts d’ardoises, avec des fenêtres enfoncées fermant à clef où les acteurs mettaient leurs habits. «Quand ladite Passion fut jouée, dit Oudin, y avoit cinq chauffaux tout couverts d’ardoises, et en chacun chauffaux y avoit trois eslages, mais Paradis estoit le plus haut, qui n’avoit que deux estages et aussi avoit aux deux chauffaux des pantières partout faites de bois et de claies toutes d’une hauteur, » Le dimanche, 20 août 1486, avait été désigné pour — 173 — le jour d’ouverture du grand drame. Les précédents, les préparatifs, le sujet, le nom de l’auteur, le con- cours des hommes les plus savants, les plus distin- gués dans les rôles, tout faisait présager une affluence considérable d'étrangers. Dans cette prévision, « le sabmedi matin, xrme jour d’aoust, le Conseil de la ditte ville, tenu au logis de M. le gouverneur, où estoient yceluy M. le gouverneur, le juge et maire, maistre Pierre Guiot, lieutenant, le juge de la Prevosté, le déan et maistre escolle de l'Eglise d’An- gers, Mtre Jehan Bernard, esleu, Me Jehan Mucet, sieur de la Begaure, Jean Alloff et Jehan Ferrault, gardes de la Monnoie, Jehan Bourgeoloys, Jehan Lepage, Jehan Barrault le grainetier !. « Pour donner ordre au fait de la garde et seureté de la ville, pour le Mistère de la Passion de Notre-Sei- gneur qui est assigné à estre joué en ceste ville, de de- main en huit, a esté ordonné ce qui s'ensuit : « Premièrement. Donner cent livres tournois des deniers communs pour y aider à paier les sainctes. « Et pour faire faire silence audit jeu, ont esté esluezet commis Messieurs maistre Pierre Guyot, lieutenant cri- minel; maistre Jehan Belin, lieutenant civil, Me Jehan Lohéac, juge de la Prévosté, M. l'avocat, M. le procu- reur du Roy, M. Marc Travers, docteur régent en l’Uni- versité, M. le procureur général à l’Université, M. l’esleu Duvau, M. l’esleu Bernard, M. le grainetier Jehan Ri- chomme, sieur du Temple, M. de la Touche-Mauviel, Jacques Lecamus, le clerc de la ville. i Archives municipales, BB 4, fol, 29. — 174 — « Item, que durant lesd. jeux des deux costés de la ville n’y aura que ung portal ouvert, et encore n’y aura que la planche et le guychet. « Îtem, que à la garde de chascun desd. portaulx, il y aura vingt hommes bien armés. « Ttem, que vingt-cinq hommes en bon habillement de guerre, accompaigneront M. le gouverneur et yront par la ville pour la seureté et garde des habitans. « Tiem, que chacune nuyt le guet et arrière guet seront renforcez en chacun porial. « Item, sera enjoinct aux hosteliers de la ville et des faubourgs de ne recevoir aulcuns gens de Broychessac ni d’ailleurs où il y a peste. « Îtem, que on fera visiter les chauffaulx pour les asseures si besoinc est. « liem, deffense est faite, sous peine de prinson et d'amende, de porter bastons invasibles et deffansables par la ville. « liem, silence prescrit aux jeux, sous les mêmes peines. «ltem, pour mieulx commencer, sera dicte une messe au jeu, sur ung autel honnestement droissé. (Item, durant led. Mistère, les chaignes de la ville et le portau de Boisnet seront fermés et les clefs bail- lées à M. le maire :. « Durant le Mistére de la Passion, Jehan Ferrault, garde de la Monnaie, et Jehan Barrault seront chargés de faire donner par la ville du vin aux gens de bien que * Archives municipales, BB 4, fol. 27, — 175 — surviendront. Ils le feront païer contant par le rece- veur “. » Le grand jour arriva. Les personnages qui parurent sur la scène, nous dit Grandet, étaient des plus nota- bles de la ville, tant de l'Eglise que de la noblesse. Mais laissons notre sacriste Oudin nous présenter ces détails. « Le Mistère de la Passion de Jésus-Christ, nous dit-il, fut joué en ceste ville d'Angers le dimanche vingt aoust, les lundi, mardi, mercredi, jeudi, vendredi ensuivant, l’an 1486. « Avant que l’on commencea à jouer le premier jour du dict Mistère, fut dicte une messe avec diacre et sous- diacre, au milieu du parc, avant que de commencer le dict Mistére. « Il fut joué par les plus grands et notables gens de la ditte ville, comme par doyens, chanoines, curés, chapelains, bourgeois, marchans, officiers, nobles gens et autres. C’est à savoir : un nommé Pierre Turpin, doyen de Mortagne et chanoine de Saint-Martin , qui joua le personnage Dieu à l'honneur, gloire et louange de Dieu et l'honneur de lui tant bien et honorablement que fut merveille, ainsi que disoit tout le peuple qui y estoit. Mre Laurent, chapelain de Saint-Maurice, joua Notre Dame; Mre Thibault Binel, chanoine de Saint- Pierre, joua Judas; M. Nicol Pestris joua la Made- leine. « Tous en telle manière, que plusieurs gens du pays de Lyon, La Rochelle, Bordeaux, Paris, Poitiers, Tours, 1 Archives municipales, BB 4, fol 31. — 176 — Normandie, Bretagne, et gens d’autres nations disoient jamais n’avoir vu jouer si richement, honorablement, plaisamment etexcellemment, etsembloit au peuple que on jouoit par chacun jour de mieux en mieux. » M. le comte de Quatrebarbes, dans son avant-pro- pos de la Chronique de Bourdigné, nous présente une analyse détaillée de la grande scène du docteur Jean Michel. On me permettra, pour en donner l’idée, d’en citer au moins quelques extraits. Dans ce grand drame, qui commence à l’étable de Bethléem et finit au Calvaire, on voit paraître à tour de rôle les trois personnages de la sainte Trinité, les Anges, les saintes Femmes et les Apôtres, Anne, Caïphe, le roi Hérode, Pilate et ses soldats, des juges iniques, un peuple en furie. On y voit Lazare travesti en chevalier, un faucon sur le poing ; Marie - Made- laine en courtisane couchée dans un boudoir. Un colloque de la Vierge avec son divin Fils, et la mort de Judas nous donneront la couleur et la phy- sionomie de cette œuvre originale et vraiment drama- tique. La douce Vierge Marie, nous dit M. de Quatrebarbes, a entendu les cris de rage poussés contre son fils par les pharisiens. La douleur a brisé son cœur maternel. Tremblante sur ses jours, elle le trouve près du Temple et le supplie avec larmes de fuir loin de Jérusalem. Jésus lui annonce sa mort et lui demande la résignation aux volontés de son père. MARIE. Par l’amour de moy, vostre mère, Ne souffrez pas mort si amère. OR JÉSUS. Mère, l'heure s’approchera, Que la chose soit accomplie. MARIE. Las, mon cher fils, je vous supplie JÉSUS. Il faut avérer tous les pas Des véritables prophéties. MARIE. Quantes mortelles agonies Souffrira vostre dolent cueur, Si fault qu’en si dures rigueurs Attendiez le cop de la mort; Et moy seule, sans reconfort, À qui pourray je complaindre, Qui gardera mon cueur de estaindre Et d’expirer tout pasmée? Quant à vous, qui m'avez tant amée, Souffrerez tant devant mez yeux, Je vous supplis, permettez Que je meure premier que vous, Et que l’impitoyable courroux Que j'aurai de vous voir souffrir Me face à l'heure mourir. JÉSUS. Ce ne serait pas vostre honneur Que vous mère tant doulce et tendre, Veissiez vostre vray fils estendre En la croix et mettre à mort, Sans en avoir aulcun remort SOC. D’AG, 12 — 178 — De doleur et de compassion, Et aussi , le bon Siméon, De vos doleurs prophétisa, Quant entre ses bras m’embrassa, Que le glève de ma doleur Vous percerait l'âme et le cueur. Par compassion très amère Pour ce contentez-vous, ma mère, Et confortez en Dieu vostre âme, Soyez forte, car oncques femme Ne souffrit tant que vous ferez, Mais en souffrant mériterez La lauréole de martire. * MARIE. O mon fils, mon Dieu et mon sire, Pour ce, ta divine sagesse Exeuse l’humaine simplesse De moy, ton indigne servante, Qui d’amour maternelle fervente, A y faict telles requestes vaines. JÉSUS Elles sont doulces et humaines ; Maïs la divine volonté À preveu qu’altrement se face. MARIE. Au moins veuillez de vostre grâce, Mourir de mort brefve et légère. JÉSUS. Je mourrerai de mort très amère. MARIE. Doncques bien loing s’il est permis. — 179 — JÉSUS. Au milieu de tous mes amys. MARIE, Soit donc de nuyct, je vous pry. JÉSUS. Mais en pleine heure de mydy. MARIE. Mourez donc comme les barons. JÉSUS. Je moureray entre deux larrons. MARIE. Que ce soit soubz terre et sans voix. JÉSUS. Ce sera hault pendu en croix. MARIE. Attendez l’aage de viellesse. JÉSUS. En la force de ma jeunesse. MARIE. Ne soit vostre sang respandu. JÉSUS. Je serai tiré et tendu Tant, qu’on nombrera tous mes os. MARIE. A mes maternelles demandes Ne donnez que responces dures, — 180 — JÉSUS. Accomplir fault les escriptures. Un rayon du ciel descend alors sur Marie et lui donne la force de supporter cette incompréhensible douleur. | SCÈNE DE LA MORT DE JUDAS. L’infâme Judas a trahi son maître. Jésus enchainé, frappé, couvert d’outrages, est livré aux mains des soldats en délire. Satan, presque constamment sur la scène, aiguise leur fureur. Jésus, en proie à d’inexprimables souffrances, semble, dit un de ses bourreaux, Ung mouton qu’on escorche, La peau s’en vient avec l’habit. Aux efforts de Pilate pour le sauver, la foule répond par ce cri atroce et prophétique : Que son sang descende et redonde Sur nous, sur tous nos enfants, Tant que nous serons en ce monde, Y fust jusques à mille ans, Tant que jamais n’en soyons francs, Si péché au coulpe s’y fonde, Tout son sang descende et redonde Sur nous et sur tous nos enfants. Judas, saisi de rage et de désespoir, court comme un insensé et invoque l'enfer. — 181 — Un démon, sous une forme hideuse, sort aussitôt de l'abîme : Meschant, que veux-tu qu'on te face ? À quelle mort veux-tu aborder? JUDAS. Je ne sais, je n’ay œul en face Qui daigne les cieux regarder. Qui es-tu ? LE DÉMON. Sans plus demander, Je suis pour venger ton offense. JUDAS. D'où viens-tu ? LE DÉMON. Du fin foans d’enfer. JUDAS. Et ton nom ? LE DÉMON. C’est Désespérance. JUDAS. Approche et me donne allegeance. LE DÉMON. Oui, mais il faut abréger. Il lui présente une dague, une corde à nœud cou- lant. Un arbre peu élevé croît près d’eux dans les fentes d’un rocher. Désespérance le montre à Judas, le pousse — 182 — et l’aide à y monter. Une légion de démons apparaît sur la scène. Ils forment au pied de l'arbre une ronde infernale. Désormais le traître leur appartient, et du haut de ce nouveau gibet il hurle son exécrable testa- ment. Je, Judas, jadis traïtre apostre, Me donne à vous comme le vosire Et ne veuil point requérir grâce, Ne que Dieu vray pardon me fasse. Mais renonce Dieu et les anges, Et saint Michel et les archanges. Je reny la vierge Marie, Et Jésus et sa compaignie. Item, je recommande mon âme A Lucifer ort et infâme, Et vueil que mon corps soit ravy En enfer au plus pres de luy. Bref, me donne corps et biens Sans jamais en excepter rien En despit de Dieu qui me fist À tous les diables. Son dernier crime est consommé, mais son âme im- monde s’arrête sur ses lèvres, chaudes encore du baiser du Sauveur. Lucifer s’étonne de ce prodige. Que dyable est l’âme devenue ? Il n’est donc pas mort! Si est! Si est! Répondent les démons, et une odeur infecte s’exhale du cadavre du réprouvé. Tout à coup ses entrailles se — 183 — répandent sur le sol, l'âme s'échappe avec elles, et les démons l’entraînent dans l’abime. L'immortel sacrifice s’accomplit sur le Golgotha. Un cri douloureux retentit sur la croix. Tout est consommé. Les sanglots éclatent dans l'auditoire, des pleurs inondent tous les visages. Tel est le grand drame de Jehan Michel, qui se répan- dit dans toute l’Europe et fit naître de nombreux imita- teurs. L. RONDEAU. © PROCÈS-VERBAUX DES SÉANCES SÉANCE DU 20 MARS 1878. Présidence de M. le Dr Ad. Lachèse. Après avoir ouvert la séance, M. le Président en proie à une trop légitime émotion, fait connaître à la Société que, pour cette fois, le procès-verbal de la der- nière séance ne sera pas lu. La Société sait trop bien quel coup fatal l’a frappée elle-même en lui enlevant son secrétaire général, M. Paul Belleuvre. Cette perte n’est pas la seule qui ait atteint notre Pré- sident. Quinze jours après son gendre, il perdait une de ses belles-sœurs ; quiuze jours encore après, un de ses beaux-frères, M. Théophile Cosnier, notre collègue, s’éteignait près de lui après la plus cruelle maladie. Ges coups si répétés l’ont brisé. Il ne se sent plus la force nécessaire pour diriger la Société et il la prie de le rem- placer au fauteuil de la présidence. Jusqu’au dernier jour, son affection, son dévouement le plus absolu lui sont acquis, mais il ne peut pas conserver une fonction qu’il ne croit plus pouvoir remplir. En attendant que la Société ait pourvu à son remplacement, il prie M. Victor Pavie, vice-président, de vouloir bien prendre — 185 — le fauteuil qui a été si longtemps occupé par son cher et vénéré père. M. Pavie répond en déclinant cet honneur. Depuis seize ans M. Lachèse dirige la Société avec trop de dévouement, avec une affabilité trop parfaite pour qu’il puisse songer à le remplacer. Que M. Lachèse garde la présidence, tous les membres de la Société se feront un devoir de lui en alléger le poids, de lui épargner les démarches, les correspondances qui pourraient être une cause de fatigue pour lui. M. d’Espinay, M. Godard-Faultrier se joignent à M. Pavie, promettant leur plus entier concours. M. Lachèse, vivement touché de ces témoignages d'affection, rappelle que des projets de modifications ont été présentés pour notre Société. Il avait été ques- tion d’une fusion avec la Société industrielle et la Société académique. Une commission a été nommée et plusieurs réunions ont eu lieu chez M. Blavier, mais sans arriver à aucun résultat et ce projet ne semble pas avoir de chance de réussite. D'autre part, il avait été question de réunir l’Université catholique à notre Société. Nous ne devons pas oublier que Mgr Freppel terminait ainsi le magnifique discours qu’il nous adres- sait le 13 mars 1872 : « ...Que vous le vouliez ou non, vous êtes un rejeton de l’ancienne Université catholique d'Angers. Vous êtes nés de la même pensée, et vous ten- dez au même but. Sa résurrection sera pour vous le principe d’une nouvelle vie. Votre compagnie, relevée et grandie, formera le couronnement de l’œuvre. Être admis dans votre sein, ce sera une palme de plus; et ‘l’on passera de l’Université à l’Académie, comme on — 186 — on passe du mérite à la récompense, et du travail à l’honneur. » Ces paroles ne peuvent que nous donner courage et espoir, et si les pourparlers n’ont pas encore amené de résultat nous n’en devons pas moins avoir foi dans l’avenir de notre chère Société. Aprés cet exposé, M. Lachèse déclare que quant à lui, quoi qu’il lui en coûte, il regarde sa mission comme terminée. Il nous restera toujours uni par les liens les plus étroits et les plus affectueux, mais il sent qu’il ne peut plus garder la présidence, et il invite M. Victor Pavie à venir, dès aujourd’hui, le remplacer au fau- teuil, Les instances les plus vives ne peuvent ébranler sa résolution, et M. Pavie prend la présidence. Revenant alors sur les projets dont vient de parler M. Lachèse, M. d’Espinay rappelle les réunions qui ont eu lieu chez M. Blavier entre les délégués de notre Société et ceux de la Société industrielle et de la Société académique, pour arriver à une fusion. D’après tout ce qui s’est passé, il croit aussi qu’elle n’est nullement à espérer en ce moment- Par suite, la commission regarde sa mission comme achevée et elle demande à en être relevée momentanément tout au moins. Après une courte discussion, la Société déclare plei- nement adhérer à cette demande. M. Godard-Faultrier donne lecture d’un intéressant travail sur des cercueils de plomb du 1rv° siècle, où se trouvent des croix en X. Bien que ces sépultures fussent païennes, M. Godard n'hésite pas à voir là des signes chrétiens. Il s'appuie sur l’opinion de M. de Rossi qui, consulté par lui, lui a écrit avoir trouvé absolu- ment le même signe à Saïda, à huit centslieues de notre — 187 — ville. Un dessin, dû au docteur H. Godard, est joint au travail de son père, et en rend la conclusion plus évidente encore. M. Rondeau commence la lecture d’une savante notice sur Saint-Michel-du-Tertre. Prenant à l’origine l’histoire de cette église qui tient une si grande place dans les fastes angevines, s’appuyant sur les documents les plus certains, les plus authentiques, M. Rondeau promet de continuer à la prochaine séance cette pré- cieuse monographie. Sous le titre : Deux mots d'un provincial, M. Élia- cin Lachèse signale la décadence trop évidente de l’art musical, à Paris. Le défaut si général aujourd’hui et si bien nommé chevrotement, et une exagération pres- que constante des effets se remarquent dans nos pre- miers théâtres lyriques, et obligés de se régler sur une diction exagérée, les orchestres ne peuvent plus mon- trer cette délicatesse que l’on trouve dans les concerts organisés notamment par Pasdeloup et Colonne. Assu- rément la musique instrumentale est arrivée à une grande perfection, mais là encore plus d’un artiste se laisse aller à ce #émolo, que l’on avait cru réservé à la voix humaine. Une autre chose que déplore M. Lachèse, et avec raison, c’est l’invasion de la musique allemande, des œuvres de ces auteurs, qui, confondant les effets avec les idées, ont donné naissance à « ce style tendu et un peu algébrique, dans lequel on s'efforce sans cesse de saisir une pensée mélodique trop souvent absente: à ce vague sonore qui, à l'intérêt, à l'admiration même. fait succéder bientôt une inévitable fatigue. » Après cette peinture trop réelle des maux qui affi- — 188 — gent l’art musical en France, l’ordre du jour étant épuisé, la séance est levée. Le Secrétaire, PAUL LACHÈSE. SÉANCE DU 9 NOVEMBRE 1878. Présidence de M. V. Pavie, vice-président. M. d’Espinay remplit les fonctions de secrétaire en l'absence de M. Paul Lachèse, empêché. M. Rondeau donne lecture du procès-verbal de la dernière séance. M. le Président entretient l’assemblée du projet de faire entrer MM. les Professeurs de l’Université catho - lique libre d'Angers, dans notre Société; ce projet est unanimement approuvé par les membres présents à la réunion. | MM. Léon Cosnier, Grille, Rondeau, d’Espinay, sont invités par M. le Président à s’occuper de la réalisation de ce projet et à faire dans ce but des démarches près de Msr l’Évêque d'Angers, et de Mer Sauvé, recteur de l’Université. M. le Président fait observer que la correspondance fait défaut aujourd’hui et donne la parole à M. d’Es- pinay. M. d'Espinay informe la Société qu'il existe à la Bibliothèque nationale de Paris, un manuscrit intitulé Monasticum benedictinum, renfermant des Notices fort intéressantes sur les divers monastères bénédictins, et demande que la Société veuille bien faire copier, pour — 189 — les publier ensuite dans ses Mémoires, les Notices rela- tives aux abbayes de l’Anjou. Une somme de 600 à 700 fr. serait nécessaire pour les frais de copie; mais on pourrait faire copier successivement les notices et répartir la dépense sur plusieurs années. La Société décide qu’avant d’entreprendre ce travail coûteux, il serait utile de se renseigner d’une manière plus précise sur la valeur historique du manuscrit en question, et charge son président de prendre des infor- mations à ce sujet, notamment près des Bénédictins. La Société reconnaît toutefois en principe la haute utilité d’entrer dans la voie où sont déjà entrées avant elle beaucoup d’autres sociétés savantes de province, et de publier dans ses Mémoires des documents relatifs à l’histoire locale: La Société archéologique de Touraine a déjà rendu de très-grands services à la science par ses publications de documents locaux. La parole est donnée à M. Cosnier pour lire une notice sur M. Prosper Barbot. M. Cosnier nous fait connaître l'honorable famille à laquelle appartient M. Barbot; puis nous initie à cette vie si remplie par d’intéressanis voyages en Italie et en Sicile, par l'amour de l’art, par des travaux de pein- ture d’un mérite sérieux, et par le culte des sentiments de famille; mais aussi traversée et brisée par de cruelles douleurs intimes, par la perte de sa femme et de ses enfants. M. Cosnier nous peint cette vieillesse verte et honorée : « regain de jeunesse, pur reflet « d’une conscience qui ne laisse pas plus de rides sur «le front que sur le cœur », suivant son heureuse expression. — 190 — L'auteur termine par un regret mélancolique sur la disparition des notabilités angevines, sur les vieilles familles qui s’éteignent. Nous pouvons, en nous asso- ciant aux regrets de l’auteur, rappeler qu'Homère a comparé les générations qui s’éteignent aux feuilles des arbres qui tombent à l'automne; mais au printemps suivant les arbres se couvrent d’une nouvelle ver- dure; puissent aussi les nouvelles générations qui s'élèvent sur le sol du vieil Anjou, valoir leurs aînées! M. le Président remercie M. Cosnier de ce nouveau travail, où l’on reconnaît le style attachant et limpide de l’auteur qui met son cœur dans ses écrits. Rien n’est d’ailleurs plusutile que de rappeler le souvenir decesexis- tences qui bonorent un pays, et qui pour s’être tenues en dehors des agitations du monde, n’en sont pas moins dignes de rester dans la mémoire de leurs concitoyens. Les générations passent vite; elles oublient plus vite encore. Les biographies rédigées par M. Cosnier ont cet excellent résultat de nous faire connaître et appré- cier de nobles et vertueuses existences que nous sommes trop enclins à perdre de vue. M. Rondeau lit la suite de son travail sur la paroisse Saint-Michel-du-Tertre. Il nous entretient de la fonda- tion de l’église, de l’étendue de la paroisse, des enceintes successives de la ville; des diverses juridic- tions qui s’y exerçaient; il cite à l’appui de ses asser- tions d'importants documents. Il résulte, en effet, d’une charte authentique remontant aux premières années du xIe siècle, que dès cette époque, les églises Saint-Michel- du-Tertre et Saint-Samson existaient déjà, et qu’elles furent données à l’abbaye Saint-Serge. — 191 — Léglise Saint-Michel-du-Tertre était le lieu où se rendait la grande procession du dimanche des Rameaux, ce qui donne lieu à M. Rondeau de rappeler les anciennes traditions relatives à l’incarcération de l’évêque Théodulf à Angers. C'était sur le territoire de cette paroisse que se trouvaient la prison, le siége du président, le couvent de l’Oratoire, l’aumônerie, et autres édifices importants de la ville d'Angers. L’his- toire d’une paroisse présente toujours un vif intérêt, surtout lorsqu’elle est aussi ancienne que celle de Saint- Michel. C’est un sujet qui prête à de grands développe- ments, car l’histoire d’une ville se lie entièrement à celle de ses paroisses. La vie de paroisse jouait jadis un grand rôle dans l’existence de nos pères. Que d’intérêts divers venaient se confondre au pied du clocher! la naissance et la mort, la joie et la douleur, la prière commune et les intérêts temporels se rattachent à l'église paroissiale. La paroisse est une grande famille mais une famille qui ne meurt point, et qui ne se dis- perse point. M. le Président remercie M. Rondeau au nom de la Société, et l'invite à continuer son intéressant travail. M. Godard-Faultrier entretient la Société de la découverte d’une mosaïque romaine et d’un édicule situés sur la place du Ralliement, et mis à jour par les travaux faits en ce moment pour le déblaiement de cette place. Il donne ensuite lecture d’une lettre de M. de Bertou, d’après laquelle l’édicule découvert serait un baptistère semblable à ceux dont on se sert encore en Orient pour le baptême par immersion. M. le docteur Grille lit ensuite deux scènes de l’Avare — 192 — de Plaute, par lui traduites en vers. On reconnaît dans cette œuvre toutes les qualités qui distinguent l’auteur - des traductions d’Horace et de Térence : la verve, la faci- lité, la rapidité, l'élégance. On a quelquefois comparé les mauvaises traductions à Joyeuse, l'épée de Charle- magne, qui était, dit-on, longue, lourde, froide et plate ; mais on oublie que celle de Roland, la célèbre Durandale, était légère, rapide, fine et brillante. Que M. Grille nous permette donc de comparer sa traduc- tion à Durandale et non à Joyeuse. La Société écoute cette lecture avec un vif plaisir. La séance est ensuite levée. Le Secrétaire, D'ESPINAY. SÉANCE DU 6 JANVIER 1879. Présidence de M. Pavie, vice-président. M. d’Espinay remplit les fonctions de secrétaire. M. d’Espinay est prié de donner une nouvelle lecture de la lettre de M. de Bertou, relative aux découvertes faites sur la place du Ralliement; l’assemblée vote l’im- - pression de cette lettre. M. le Président fait connaître les noms des ouvrages adressés à la Société. M. Godard donne lecture d’une demande adressée à PAdministration municipale par la Société académique, pour la conservation des restes des édifices découverts oi 22 sur la place du Ralliement. Il soumet ensuite à l’as- semblée un projet de lettre qui serait adressé à l’Ad- ministration municipale, dans le même but, par la Société d'agriculture, sciences et arts d'Angers. L’as- semblée approuve la lettre de M. Godard qui sera remise à M. le Maire, après avoir été signée par les membres du bureau; elle sera annexée au présent pro- cès-verbal et imprimée. M. Godard présente ensuite à la Société des dessins de divers objets trouvés sur la place du Ralliement, dont la description sera annexée au présent procès-ver- bal. M. Godard propose ensuite d'admettre M. Pinoteau, chef d’escadron d’état-major, en retraite, au nombre des membres de la Société. MM. Cosnier et d’Espinay sont chargés de faire un rapport sur cette présentation à la prochaine séance. M. Rondeau obtient la parole pour donner lecture de la suite de son travail sur la paroisse de Saint-Michel-du-Tertre. La partie lue à la présente séance traite des anciennes rues du quartier, de la fon- dation de Paumônerie Saint-Michel en 1314, de léta- blissement des Oratoriens en 1320, de la reconstruc- tion de l’église au xvie siècle, puis, de la paroisse civile et de son organisation, des édifices publics élevés sur son territoire, tels que les halles, la sénéchaussée, etc., etc. Le sujet amène l’auteur à parler du roi René, de saint Bernardin, de l’établissement des capucins, et à nous donner quelques vues d'ensemble sur l’histoire de l’Anjou. La Société écoute avec un grand intérêt la lecture de SOC. D’AG. 13 — 194 — l'important travail de M. Rondeau, fruit de longues et consciencieuses recherches. Nous avons déjà fait remarquer le haut intérêt qui s'attache à l’histoire d’une paroisse ; celle des rues et des édifices s’y rat- tache tout naturellement. Le proverbe dit : Rien de plus vieux que les chemins ; les rues sont des chemins bordés de maisons qui ont souvent pris la place des champs ou des forêts que traversaient jadis ces anciennes routes. Les noms des vieilles rues et des vieux chemins ont une grande importance en archéo- logie. Ils rappellent des événements historiques ou locaux, des édifices détruits, des voies antiques aban- données ou transformées, quelquefois de modestes enseignes d’auberges et de cabarets, dont le souvenir fait revivre l’ancienne physionomie de la ville et de ses divers quartiers. À un autre point de vue, l’étude des rues et des édi- fices nous aide à comprendre les mœurs de nos pères et les vieilles institutions du passé, dont l'esprit et la raison d’être nous échappent si souvent. Il faut éclairer l’histoire par l'archéologie et l'archéologie par l’histoire, c’est la vraie manière de faire progresser la science. M. le Président remercie M. Rondeau et linvite à poursuivre sa lecture aux séances suivantes. M. Cosnier rend compte de la mission qui lui avait été confiée ainsi qu’à trois de ses collègues, à la séance précédente. Les membres de la commission se sont mis en rapport avec MM. les membres de l’Université libre d'Angers ; de nouvelles communications auront encore lieu dans le but d’arriver à une entente complète pour l'admission de MM. les professeurs dans notre Société. — 195 — M. Cosnier, au nom de la commission, propose d’or- ganiser la Société en cinq sections : sciences, lettres, arts, histoire et archéologie, agriculture; chaque sec- tion aurait un bureau spécial, composé d’un président, d’un vice-président et d’un secrétaire, ce qui permet- trait d’utiliser toutes les capacités nouvelles et diverses dont va s’enrichir notre Société. Cette organisation est conforme aux précédents; la Commission archéolo- gique, actuellement existante, a un bureau spécial, et d’autres commissions ou comités ont eu, à diverses époques, leur bureau spécial au sein de la Société. L'établissement des sections et de leurs bureaux parti- culiers ne porte aucun préjudice à l’autorité du bureau général de la Société, qui restera toujours constitué comme le prescrit le règlement général. Il ne s’agit ici que d’une disposition d’ordre inté- rieur qui pourra toujours être modifiée. L'assemblée accueille avec une vive satisfaction la communication de M. Cosnier, et décide qu’il sera pro- cédé aux élections, dès que les nouveaux membres pro- posés auront été définitivement admis parmi nous. M. le Dr Grille donne ensuite lecture de quelques mots sur Plaute, servant d'introduction à sa tra- duction. Il apprécie le grand comique latin, son caractère, sa vie, son talent comparé à celui de Térencè et à celui de Molière. L'homme, nous dit le fidèle tra- ducteur, est un être incorrigible qui sous tous les cli- mats, à tous les âges du monde, reproduit les mêmes défauts, les mêmes vices, les mêmes ridicules, et pré- sente les mêmes sujets d'étude aux moralistes et aux poêles comiques. — 196 — Deux scènes de l’Amghytrion terminent gaiement cette lecture. M. Grille nous donne aussi connaissance d’une lettre des plus gracieuses, à lui adressée par Mgr Freppel qui le félicite de ses travaux littéraires, et l’engage vive- ment à les poursuivre. Msr Freppel, avec la hauteur de vues et l'autorité qui lui appartiennent, attache une grande importance aux études littéraires. Son approbation est le meilleur témoignage de la valeur des œuvres de M. Grille, il suf- fit de la mentionner; il serait inutile d'ajouter aucun éloge, après avoir parlé de celui d’un tel juge. La séance est levée. l Le Secrétaire, d’ESPINAY. Lettre de NM. le comte de Bertou, relative à l’édieule de la place du Ralliement. Monsieur Godard, Pour répondre au désir que vous avez bien voulez m’exprimer, je viens vous répéter que, ainsi que j’aieu l'honneur de vous le dire, j’ai vu souvent en Orient, particulièrement en Syrie, dans les églises grecques et arméniennes, des piscines baptismales de la même forme et de la même apparence que celle qui vient d’être mise à découvert à la place du Ralliement. Les églises modernes de la Syrie généralement trés- pauvres, n’ont quelquefois qu’un misérable baquet ou qu’une grande pierre grossièrement creusée, pour l’ad- — 197 — ministration du baptême par immersion; mais dans les vieilles églises, on retrouve des bassins du genre et de la forme de celui que vous m'avez montré, Monsieur, sur la place du Ralliement. Dans la vallée de l’Oronte, dans les plaines de la Cælesyrie, dans celles de l’Idumée orientale, là où le christianisme fut écrasé, en pleine prospérité, par l’in- vasion de Chosroë, on reconnaît les églises épiscopales à leur voisinage du baptistère, qui était un monument séparé, comme le baptistère de Constantin à côté de Saint-Jean-de-Latran. Dans les baptistères de l’Orient qui remontent aux six premiers siècles du christianisme, on retrouve les traces de DEUX piscines, quelquefois rondes, quelquefois de forme elliptique, rarement carrées, destinées au bap- tême des deux sexes, tenus rigoureusement séparés. Il serait très-intéressant de retrouver cette même disposition dans le baptistère dont vous surveillez en ce moment le déblaiement, Monsieur, et si vous parveniez à découvrir le moindre vestige certain de la seconde piscine ‘, vous auriez retrouvé un témoin très-intéres- sant des premiers siècles de l’Église épiscopale d'Angers car VOUS Savez mieux que moi qu'à cette époque, l’évêque seul administrait le baptême. L'usage du baptême par immersion se perpétua, je 1 Les prévisions de M. le comte de Bertou se sont réalisées. Le 14 décembre 1878, l'on découvrait une seconde piscine, mais rectangulaire, à l’orient et au fond de l’édicule. Elle était accom- pagnée de deux tuyaux en terre cuite, que je crois être des bouches de chaleur, l’une vers le nord, l’autre vers le sud de la dite piscine. (Voir dans le Dictionnaire de Trévoux au mot Bap- téme, l'emploi de l’eau chaude.) — 198 — crois, en Occident, jusqu’au xt siècle, quelques auteurs disent même jusqu’au xII; mais comme ce furent les Anglais qui adoptérent les premiers lPusage de l’infu- sion, il est bien probable qu'il ne prévalut pas de si bonne heure dans nos contrées. Je vous demande pardon de m'être laissé entraîner à rappeler des choses que vous savez bien mieux que moi, et je vous prie d’agréer etc., etc. COMTE DE BERTOU. Angers, le 28 novembre 1878. Objets en bronze trouvés place du Ralliement de novembre à décembre 1878. 4° Petit bronze de Constantin : CONSTANTINVS AVE À : SARMATIA DEVICTA Exer. : PL G. Né en 274, mort en 337. (Voir Cohen, tome VI, page 156, n° 451.) 20 Petit bronze trouvé le 3 décembre 1878, au-dessus de la mosaïque : CONSTANS PF AVG À : GLORIA EXERCITVS Dans le champ, enseigne portant la lettre N. (Voir Cohen, t. VI, page 267, n° 134.) C'est Constant Ier, troisième fils de Constantin et de Fauste, né en 320, mort en 350. — 199 — 30 Bronze, époque mérovingienne; charnière d’a- grafe découverte vers nord-est de la dite place, le 27 novembre 1878. 4 Bracelet en bronze avec os cubitus, trouvé le 5 décembre 1878, vers nord, derrière le baptistère. 5 Feuilles de cuivre, estampées et bronzées, formant Encolpium ou reliquaire, avec sa sertissure primitive- ment ronde. 3 A gauche du dessin, l’'Agnus Dei. À droite, Jésus crucifié aux quatre clous. Trouvé le 5 décembre 1878, vers nord-est de la place du Ralliement. On déposait dans ce petit reliquaire un Agnus Dei, c’est-à-dire une petite figure de cire bénite, représen- tant l'agneau avec l’étendard de la croix. Autrefois les fidèles avaient l'habitude de porter sur eux, un Agnus. Le néophyte quittant, le dimanche x albis, la robe blanche de son baptême, recevait un Agnus et le por- tait suspendu à son cou ‘. L'origine de cet usage remonte au berceau même du christianisme et se maintient toujours, notamment à Rome où les souverains pontifes bénissent les Agnus el les consacrent le premier samedi #x albis qui suit le couronnement. Ils renouvellent cette cérémonie tous les sept ans, ainsi que dans les circonstances extraordi- naires telles que le Jubilé universel, la canomisation d'un saint, etc., etc. 1 Souvenir de Rome. Notice sur les Agnus Dei. 2° édit., Rome, 1864. OU) Les grâces que l’on peut obtenir de l'usage des Agnus sont exprimées dans les distiques suivants : Pellitur hoc signo tentatio dæmonis atri, Et pietas animo surgit, abiique tepor. Hoc aconita fugat, subitæque pericula mortis; Hoc et ab insidiis vindice tu fus eris. Fulmina ne feriant, ne sæva tonitrua lædant, Ne mala tempestas obruat, istud habe. Undarum discrimen idem propulsat et ignis; Ullaque ne noceat vis inimica valet. Hoc facilem partum tribuente puerpero fœtum Incolumem mundo proferet, atque Deo, On trouve les mêmes avantages exprimés dans les vers suivants que le pape Urbain V adressait à Jean Paléo- logue, empereur de Constantinople, en lui faisant remettre érois Agnus ‘. 0 0 . 0 0 0 0 e 0 . 0 e e e e 0 0 ° Fulgura desursum depellit et omne malignum; Peccatum frangit, ceu Christi sanguis, et angit ; Prægnans servatur simul et partus liberatur ; Munera fert dignis, virtutem destruit ignis. Dans ces diverses formules on trouve à chacune, deux fois répété, que l’Agnus est un préservatif contre le feu et surtout contre la foudre ; et ceci explique peut- être pourquoi, sur notre petit reliquaire, on voit, à côté de l’Agneau, sainte Barbe avec sa tour et sa palme de martyre. Sainte Barbe était invoquée contre les dan- gers du feu; n'est-elle pas encore la patronne des artilleurs, etc., etc. ? Elle était autrefois la seule assçsu- rance conire l'incendie. ‘Urbain V, pape de 1362 à 1370. — 91 — Au revers de l'Agnus Dei de notre encolpium, on aperçoit près de Jésus crucifié, saint Longin avec sa lance, puis le porte-éponge, et tout à l’entour cette char- mante petite fleur qui s'appelle myosolis, et qui signi- fie : plus je te vois, plus je l’aime. Le langage des fleurs, ce semble, n’est pas de récente origine, car nous trouvons les délicieuses petites pétales de cette plante herbacée, tout à fait de mode, à la fin du xve siécle, sur des objets religieux. Telle est aussi la date que nous croyons devoir attribuer à notre reliquaire. V. G.-F. 6 janvier 1878. Lettre à M. le Maire d'Angers. Angers, 10 janvier 1879. Monsieur le Maire, Le 14 décembre 1878, la Société académique de Maine-et-Loire, avait l'honneur, dans un but de conser- vation et sous la signature de M. Parrot, d'appeler votre sollicitude sur l’édicule le plus voisin de la mo- saïque, place du Ralliement. La Société d’agriculture, sciences et arts d'Angers, après avoir été informée de cette démarche, est heu- reuse de s’y associer, par délibération du 6 janvier cou- rant, avec d'autant plus d'instance, que certaines villes, par exemple : Besançon et le Mans, dans des condi- tions analogues, n’ont pas répugné, le moins du monde, — 202 — à laisser en place différentes ruines que l'étranger visite avec intérêt. Ajoutons que près de l’édicule en question se dégage une base octogone, dont la construction trapue et ser- rée, paraît fort ancienne. Le mystère plane encore sur sa destination, et c’est à notre sens, un plus grand motif de vous recommander sa conservation, d'accord, en cela, avec M. Léon Palustre, dérecteur de la Société française d'archéologie pour la conservation des monuments nationaux, venu tout exprès (6 janvier), afin de visiter nos ruines qu'il a qualifiées d’extrémement précieuses, répétant qu’il serait très-fâcheux de les voir détruites. Successeur de M. de Caumont, son opinion est ici d'un poids excep- tionnel. Aujourd’hui que le goût se porte vers la création des squares, serait-il téméraire d’avancer que nos deux édicules pourraient servir de motifs à une ingénieuse composition, dont le principal mérite serait de rompre la monotonie des lignes trop régulières, sans gêner aucune circulation ? L'architecte ingénieur de la Ville tirerait de cette situation le meilleur parti, et certainement à peu de frais, car, pour le dire én passant, il suffirait d’envi- ronner ces vieux murs, d’ailleurs solides, d’une grille et de quelques arbustes. En ce qui concerne l'intérêt historique de ces vestiges, nos sociétés sont d'avance assurées de trouver en vous, Monsieur le Maire, un avocat convaincu. D'un autre côté, l'Administration municipale et son Conseil, auxquels revient l’honneur de la conservation — 903 — de la salle Saint-Jean, après avoir su l’approprier à un Musée d’antiquités, ne feront que continuer leur œuvre en trouvant le moyen de sauver les ruines dont il s’agit véritables pièces justificatives indispensables aux dis- cussions qui se préparent. Grammatici certant, comme vous nous le disiez, ces jours derniers. Veuillez agréer, Monsieur le Maire, avec l'assurance de notre profond respect, l'hommage de nos sentiments les plus distingués. Dr An. LachÈse, président ; V. PAVIE; D'Espinay; EL. LAcHÈse;, L. Cos- NIER; V. GODARD-FAULTRIER. SÉANCE DU 15 JANVIER 1879. Présidence de M. Victor Pavie, vice-président. M. d’'Espinay remplit les fonctions de secrétaire. M. le Secrétaire donne lecture du procès-verbal de la dernière séance. MM. Cosnier et d’Espinay, chargés à la dernière séance de faire un rapport sur la présentation de M. le commandant Pinoteau, concluent à l’admission de M. Pinoteau, qui nous prêtera l’utile concours de ses connaissances variées, et notamment de sa science «archéologique ; la Société sera heureuse de le recevoir parmi ses membres, et fera en lui une excellente acqui- sition. L’admission de M. le commandant Pinoteau est immé- — 904 — diatement prononcée par l’assemblée. M. Godard-Faul- trier et M. le Secrétaire sont invités à lui en donner avis. M. Pinoteau prendra désormais part à nos séances. M. Cosnier, au nom de la commission chargée de s'occuper de l’admission des professeurs de l’Université libre d'Angers au sein de notre Société, rend compte de sa mission, et conclut à l’admission de : : Mer Sauvé, recteur de l’Uuiversité catholique d’An- gers, docteur en droit canonique; M. l'abbé Maricourt, doyen de la faculté des lettres, : docteur en théologie ; M. Gavouyère, doyen de la faculté de droit, docteur en droit, lauréat de l’Académie de législation ; . M. Tarnier, doyen de la faculté des sciences, docteur ès-sciences ; M. l'abbé Ravain, professeur de physique à l’Univer- sité ; Msr de Kernaëret, professeur d’histoire à l’Univer- sité, docteur en théologie ; M. l'abbé Bourquard, docteur ès-lettres, professeur de philosophie à l’Université ; M. l’abbé Pasquier, docteur ès-lettres, professeur de littérature ancienne ; M. l’abbé Subileau, supérieur du petit séminaire Mongazon ; M. l'abbé Gardais, supérieur de l’Externat Saint- Maurille; M. de Richecourt, docteur en droit, professeur à+ la faculté de droit ; M. Maisonneuve, docteur en médecine et docteur ès-sciences, professeur à la faculté des sciences ; — 205 — M. Gueyraud, professeur de sciences, ingénieur civil, lauréat de la prime d'honneur; M. Hervé-Bazin, docteur en droit, professeur à la faculté de droit. L'assemblée vote immédiatement l'admission des per- sonnes ci-dessus désignées, dont les titres scientifiques et littéraires sont de nature à nous présenter les plus hautes garanties de capacité. La Société d'agriculture sciences et arts exprims, par l’organe de son président, toute sa satisfaction de voir se renouer les vieilles tra— ditions de l’ancienne Académie d'Angers dont elle tient la place, et qui jadis était unie par des liens si intimes à notre vieille Université. MM. les recteur, doyens et professeurs admis à la présente séance, en seront informés par M. le Secré- taire, et invités à venir prendre part à nos séances. L'assemblée émet le vœu qu’un plus grand nombre de professeurs nous soient présentés, et que l’Université dans son ensemble fasse partie de notre Société. L'assemblée décide ensuite que le bureau général sera constitué conformément au règlement, et que des sections ayant des bureaux spéciaux à leur tête, seront organisées, conformément à la proposition faite précé- demment par M. Cosnier et la commission d'admission. Une nouvelle réunion, à laquelle seront convoqués tous les nouveaux membres, aura lieu lundi 20 janvier. On y procédera aux élections en suivant les décisions prises par la Société à la présente séance. La séance est ensuite levée. Le Secrétaire, Dd'EspinaY. — 206 — SÉANCE DU 20 JANVIER 1879. Présidence de M. le docteur Lachése, président. M. d’Espinay remplit les fonctions de secrétaire, et donne lecture du procès-verbal de la dernière séance. M. l'abbé Maricourt présente à la Société MM. l’abbé Pessard, l'abbé Grimaud et Loir-Mongazon, comme candidats. M. Maisonneuve présente en la même qua- lité, M. l'abbé Hy, professeur d'histoire naturelle à la faculté des sciences. M. l'abbé Pasquier présente M. l’abbé Goupil, professeur à Saint-Aubin, et M. l'abbé Dedouvres, professeur à l’Externat Saint-Maurille. MM. Cosnier et d’Espinay rendront compte à la pro- chaine séance des titres des nouveaux candidats, pour qu’il soit statué sur leur admission. M. Rondeau, trésorier, rend compte de l’état de la caisse. Le compte présente un boni de treize cents francs, malgré la diminution du nombre des membres de la Société, survenue pendant ces dernières années. M. d'Espinay propose de charger chacun des prési- dents de section de présider à tour de rôle une séance, et de consacrer cette séance aux travaux spéciaux dont la section sera chargée. M. l’abbé Bourquard fait observer que de cette façon, les séances manqueraient de variété et n’offriraient pas un intérêt suffisant pour les membres de la Société dont la spécialité ne se rattacherait pas aux travaux de telle ou telle section chargée d’organiser la séance. Sur l'observation de M. d’Espinay, qu’il faut utiliser — 907 — le zèle et la science des présidents de section, M. l'abbé Bourquard admet que les présidents de section pour- ront être chargés de provoquer des travaux dans l’ordre de leur spécialité. M. d’Espinay, d’autre part, est aussi d'avis que les séances devront être ouvertes aux tra- vaux de tout genre, et qu’il ne faut exclure de chaque séance aucune spécialité. La Société décide que cette question sera plus utile- ment débattue après les élections, et remet ultérieure- ment à organiser l’ordre des travaux. M. le Dr Lachèse, président, invite les membres pré- sents à recruter pour l'avenir le plus de membres qu’il leur sera possible pour rendre la vie à notre Société. M. le Président remercie ensuite Msr l’évêque d’An- gers, Mer Sauvé, recteur, MM. les doyens et professeurs de l’Université catholique, qui vont désormais faire partie de notre Sociélé, du concours qu’ils veulent bien nous prêter. Îl espère que d'importants travaux nous seront fournis par les nouveaux membres admis. Il cite un passage d’un discours de Mgr Freppel sur l’an- cienne Université ; ce sont de nobles paroles dont nous devons tous nous pénétrer : « On passera, disait « Mgr Freppel, de l’Université à l’Académie, comme du « mérite à l'honneur, comme du travail à la récom- « pense. » M. le Président, dans quelques paroles touchantes, annonce à la Société qu'il ne pourra plus désormais la présider, à cause de son âge et de sa santé, et adresse à ses collègues des adieux sympathiques. M. d’'Espinay exprime les regrets de la Société au sujet de la résolution prise par son président, et le — 208 — remercie du zèle et du dévouement qu’il a mis pendant de longues années au service de la Société d’agricul- ture. M. Lachèse après l’avoir présidée avec succès pen- dant des jours plus prospères, a su la faire vivre et se maintenir au milieu d’une période fort difficile à tra- verser. C’est un rare mérite que ses collègues n’oublie- ront point. La Société nomme par acclamation M. le Dr Lachèse, président honoraire de la Société d'agriculture, sciences et aris d'Angers. On passe aux élections pour la formation du bureau. Sont nommés : * Président : Msr Sauvé, recteur de l’Université libre d'Angers ; Vice-Présidents : M. Victor Pavie: M. l'abbé Mari- court, doyen de la faculté des lettres ; M. Tarnier, doyen de la faculté des sciences; M. Gavouyère, doyen de la faculté de droit; M. d’Espinay, conseiller à la Cour d’ap- pel. Secrétares : M. Affichard, avocat à la Cour d’appel, ancien bâtonnier, secrétaire général ; M. Hervé-Bazin, professeur à la faculté de droit, vice-secrétaire, Trésorier : M. Rondeau. Bibliothécaire-archiviste : M. Maisonneuve, professeur à la faculté des sciences. 4 lamé par M. Lachèse, président. Lo La Société décide que la nomination des bureaux des ‘e sections aura lieu à la prochaine séance. à La séance est ensuite levée. Le Secrétaire, D'ESPINAY. SOC. D’A8. \ 14 TABLE DES MATIÈRES. Pages La rue Saint-Laud. — M. Léon CosNIER................. 1 Deux mots d’un provincial. — M. El. LacHëse........... 49 Inscription chrétienne antérieure au vin® siècle. — M°V-CGOoDARD-FAULTRIER.. .... 2000 57 Une promenade en Vendée. — M. El. LACHÈSE........... 63 Note sur les croix en X de divers cercueils en plomb du iv® siècle. — M. V. GopaRD-FAULTRIER................ 69 M. Prosper Barbot. — M. Léon CosNIER................. 79 Nécrologie : M. Paul Belleuvre......................... 89 Chantoceaux siége d’un évéché au vit siècle et résidence royale sous Pépin le Bref. — M. Paul LacHÈse......... 93 Saint-Michel-du-Tertre d'Angers. — M. L. RONDEAU... 97 Procès-verbaux des séances : SOC du) 20 Mars 1878 0 ie Vote ces AMEL INE 184 — AOMIOYEMONE ET ARR PEAR ACER 188 — DAFTAIGE METRE CRIE SE RERO bb or e 192 Lettre de M. le comte pe Bertou, relative à l’édicule de la place du Ralliement............. OR AO MES PR à E 196 Objets trouvés place du Ralliement, de novembre à décem- bre 1878. — M. V. GoDARD-FAULTRIER................. 198 Lettre à M. le Maire d'Angers...................:...... 201 Procès-verbal de la séance du 15 janvier 1879........ HU 1203 ANGERS. — IMPRIMERIE LACHÈSE ET DOLREAU. mr: ra re * LD